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Version finale

31e législature, 4e session
(6 mars 1979 au 18 juin 1980)

Le vendredi 11 avril 1980 - Vol. 21 N° 281

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Question avec débat: Les conséquences économiques de la souveraineté-association proposée par le gouvernement


Journal des débats

 

Question avec débat:

Les conséquences économiques de la

souveraineté-association proposée

par le gouvernement

(Dix heures douze minutes)

La Présidente (Mme Cuerrier): La commission permanente des finances et des comptes publics est réunie ce matin, pour discuter la question avec débat du député d'Outremont au ministre des Finances sur le sujet suivant: Les conséquences économiques de la souveraineté-association proposée par le gouvernement.

M. le député d'Outremont, vous avez la parole. Vous disposez de vingt minutes présentement, pour la première intervention.

Exposé du sujet M. André Raynauld

M. Raynauld: Merci, Mme la Présidente. Je dois dire d'abord que je suis très heureux de l'occasion qui m'est offerte de discuter de ce sujet qui est censé être d'une très grande importance. Je ne sais pas si la foule qui se presse ici, ce matin, est un bon indice de l'importance qu'on y attache. Quoi qu'il en soit, depuis vingt ans que je participe à ce débat, c'est la première fois, sauf erreur, que je parviens à débattre la question avec le ministre des Finances. De son côté, il y a eu des évolutions un peu plus fluctuantes dans sa pensée. Je voyais un article qu'il a écrit en 1961 alors qu'il commençait à se poser quelques questions. Il y avait d'ailleurs, entre parenthèses, une très belle photo du ministre des Finances à ce moment-là.

J'ai écrit, de mon côté, je pense, le premier article sur l'indépendance du Québec vers 1961 ou 1962. Ce n'est pas d'hier que ce débat agite un certain nombre d'esprits. Je suis donc très heureux que nous puissions engager le débat. J'aimerais, ce matin, que ce débat se fasse sur un plan économique autant que possible.

J'aurai, bien entendu, comme c'est l'usage, un certain nombre de questions à poser, mais je peux peut-être dire dès maintenant, Mme la Présidente, que la question est déjà indiquée au feuilleton. Il s'agit des conséquences économiques de la souveraineté-association. Je pense que tout le reste ne sera que questions subsidiaires, questions particulières sur ce thème général.

Pour mettre le ministre des Finances en appétit, je ferai d'abord quelques observations d'ordre général à propos de ce que je pense savoir des intentions du Parti québécois. Pour lever les incertitudes restantes, je compterai sur un certain nombre de réponses.

La première observation que je voudrais faire, Mme la Présidente, j'y ai fait allusion tout à l'heure, c'est d'essayer de discuter du problème de la souveraineté-association sous un angle économique.

En effet, je pense qu'il serait trop facile de reléguer les conséquences économiques de la souveraineté-association à des questions de chiffres, à des batailles plus ou moins ésotériques sur la validité d'une fraction d'une unité, lorsqu'il s'agit d'un changement aussi fondamental que celui qui est proposé. (10 h 15)

II serait également trop facile de ramener le débat à une question de dignité et à une question de sentiment. On peut ne pas vouloir de guerre de chiffres, c'en est une autre que de rejeter les arguments d'ordre économique parce que, en réalité, si la souveraineté-association est un projet de dignité et de fierté pour les Québécois, la solution fédérale est également une solution de dignité pour les Québécois. Il s'agit de deux options qui sont également défendables, également dignes. Personnellement, je ne pense pas manquer à la fierté naturelle que je peux avoir en défendant des idées du genre de celles que nous défendons de ce côté de l'Assemblée.

La deuxième observation est la suivante. J'en ferai une proposition très simple. Quand on change de régime politique, comme lorsqu'on prend n'importe quelle décision, d'habitude, c'est pour le mieux et non pour le pire. Si nous voulons avoir un débat un peu relevé, on doit, bien entendu, mettre de côté certaines de ces observations que parfois l'on entend et qui sont vraiment stupides, à savoir que les Québécois sont incapables de faire quoi que ce soit, qu'ils sont des impuissants. Il faudrait aussi mettre de côté les arguments de la peur. Chaque fois que nous soulevons un problème, une difficulté éventuelle qui pourrait se poser, ce n'est pas pour faire peur au monde que nous faisons de telles observations. Nous avons le droit de soulever les questions en ce qui concerne les conséquences prévisibles sur le niveau de vie, sur la qualité de vie des Québécois, sur le bien-être des travailleurs, advenant l'indépendance.

J'aimerais bien que le ministre des Finances — ce serait peut-être ma première sous-question — nous explique ce qu'il a voulu dire, dans son discours sur la question référendaire à l'Assemblée nationale récemment, quand il a déclaré que l'indépendance, pour lui, c'était une condition de relèvement économique et de prospérité. J'aimerais bien qu'il nous dise par quel mécanisme économique la souveraineté-association va pouvoir créer des emplois, augmenter la productivité et accélérer la croissance économique du Québec.

Troisième observation. Le nouveau régime dont nous discutons, sa portée n'étant pas connue, il est évident que les conséquences économiques seront, au mieux, des ordres de grandeur. C'est dans ce sens-là que je disais tout à l'heure que je ne veux pas, moi non plus, faire de guerre de chiffres, mais je pense qu'il est possible quand même d'indiquer quels sont les signaux de direction. Je pense aussi qu'il est possible, par l'analyse économique et par un certain sens commun, d'identifier dans quelle direction nous allons. Est-ce qu'on

s'en va en marche arrière ou si on s'en va en marche avant? Peut-être qu'on ne s'entendra pas pour savoir si la vitesse à laquelle on peut aller est de 22,6 milles ou de 23,4, mais ce n'est pas ça l'important. L'important, c'est de savoir si on recule ou si on avance. J'aimerais qu'on le sache, qu'on s'arrête un instant pour essayer de montrer ou de prouver qu'on peut avancer lorsque, à mon avis aucun économiste n'a été capable de démontrer une amélioration à la situation économique du Québec, advenant l'indépendance, associé ou pas associé. Je n'en connais pas. J'aimerais qu'on m'explique par quel mécanisme, encore une fois, on est capable d'obtenir des choses comme celle-là. Par contre, je pense qu'il est possible de soulever un certain nombre de possibilités qui nous amèneraient dans une situation pire que celle que nous avons à l'heure actuelle.

En effet — c'est ma quatrième observation — il existe quand même certaines données comptables qui sont, bien sûr, insuffisantes, mais qui donnent justement ce sens de la direction, qui donnent un ordre de grandeur. A cet égard, j'ai préparé un tableau, Mme la Présidente. Je sais que je ne peux pas déposer de documents à cette commission parlementaire, mais on me dit qu'on peut toujours les distribuer. J'aimerais donc, Mme la Présidente, si c'est possible, distribuer quelques tableaux statistiques, simplement pour illustrer ce dont je veux parler.

Le tableau principal que j'ai préparé est un tableau qui porte sur les recettes et les dépenses budgétaires et je pose une question très précise qui est la suivante. Je ne fais pas d'extrapolation pour l'avenir. Je dis: Quel aurait été l'état du budget du Québec en 1978 si le Québec avait fait son indépendance cette année-là? Je m'arrête donc à la dernière année pour laquelle nous avons des données complètes, des données basées sur les comptes nationaux. J'examine quelle est la situation budgétaire actuelle et j'examine ensuite quelle aurait été la récupération des impôts du gouvernement fédéral, ce que nous aurions également récupéré comme obligations générales, sous forme de dépenses publiques fédérales au Québec et j'examine quelles en sont les conséquences.

Le tableau que j'ai distribué indique les résultats de ces opérations. En ce qui concerne la situation actuelle, en 1978, on sera un peu surpris d'apprendre que le déficit du gouvernement du Québec est de $239 000 000 pour 1978. Il faut rappeler ici que les comptes publics et les comptes nationaux sont deux systèmes de comptabilité et, lorsqu'on passe du système comptable budgétaire au système comptable national ou intérieur, on a des différences assez sensibles. Ici, cela en est une, le déficit est donc de $239 000 000 en 1978 (année civile).

Après l'indépendance, en 1978, quel aurait été le budget du gouvernement du Québec? Le gouvernement du Québec aurait des recettes de $17 600 000 000 et il aurait des dépenses de $21 500 000 000, et le déficit serait passé de $239 000 000 à $3 903 000 000. Ce déficit, en réali- té, vient de deux sources; il vient du déficit provincial dont j'ai parlé tout à l'heure et il vient ensuite du déficit fédéral au Québec qui repose sur les chiffres que tout le monde connaît, maintenant, pour 1978, une perte de $3 664 000 000 que le Québec encourt. Donc, cette perte est enregistrée dans la façon dont les comptes sont préparés. On récupère des dépenses, on récupère des impôts et, en fait, on récupère un déficit de $3 903 000 000.

Par conséquent, les dépenses augmentent de 64,5%, les recettes augmentent de 37% et le déficit augmente de 1533%. Ceci vient évidemment, encore une fois, de la perte du gouvernement du Québec, dont j'ai parlé tout à l'heure, dans ses transactions avec le gouvernement fédéral. La perte du gain fédéral de $3 664 000 000, c'est équivalent à 20,75% des recettes totales nouvelles.

Je ne dis pas qu'il faudra nécessairement augmenter les impôts pour la totalité de ce montant, mais je dis qu'il y a un trou de $3 664 000 000 qu'il faudra remplir; il est équivalent à près de 21% des recettes totales nouvelles. Par conséquent, ou bien il faudra augmenter les impôts de 21%, ou bien il faudra augmenter le déficit en conséquence, ou bien il faudra réduire le niveau des services publics.

Ceci ne comprend pas une foule d'autres éléments. J'en ai retenu deux, simplement pour m'en tenir à ce qu'il y a de plus incontestable. On ne perd pas seulement $3 600 000 000, et j'ai mentionné à la page 2 du tableau que j'ai distribué, d'abord, que les dépenses à l'étranger ne sont pas imputées aux provinces dans les comptes nationaux et on peut estimer à $336 000 000 la part des dépenses à l'extérieur du Canada qui serait imputable au Québec. Ensuite, il y a les dépenses fédérales des fonctionnaires fédéraux résidant à Hull qui ne sont pas indiquées dans les comptes économiques provinciaux, ce qui équivaut, d'après l'étude de M. Bonin, page 106, à $200 000 000; ce qui veut dire que le déficit ou que la perte que le Québec aurait fait en 1978 s'élève à $4 200 000 000, soit 24% des recettes budgétaires.

Le ministre, en faisant des commentaires sur une étude que j'avais faite il n'y a pas tellement longtemps, avait dit, de façon très élégante, que supposer qu'on serait obligé d'augmenter les impôts de 15% était une ânerie. J'aimerais lui rappeler qu'il n'y a pas d'ânerie là-dedans; suivant les chiffres qui sont ici, c'est 24% des recettes budgétaires nouvelles dont il s'agit, 24% qu'il faudra de toute façon payer, que ce soit sous forme d'impôt, sous forme d'augmentation des emprunts pour financer le déficit ou sous forme de réduction des services publics.

Enfin, il y a une petite remarque au bas du tableau de la page 2. Je voudrais m'y attarder quelques minutes. Il y a un certain nombre d'hypothèses qui sont faites lorsqu'on accepte une comptabilité comme celle-là. Par exemple, on suppose que l'essentiel ne change pas. L'essentiel, quand on change de régime, c'est bien sûr qu'il pourrait y avoir un changement dans le niveau de vie, dans le standard de vie des Québécois. Mais

ici, on suppose qu'il ne change pas. On fait simplement des ajustements arithmétiques, statistiques, mais cette hypothèse de la stabilité du revenu doit être rejetée. On en arrive ici non pas à des chiffres précis, mais on en arrive à des hypothèses, des ordres de grandeur, des sens de la direction, comme j'ai mentionné tout à l'heure.

La première raison pour laquelle on doit rejeter cette hypothèse, c'est qu'il est incontestable qu'il y aura des départs de sièges sociaux d'entreprises nationales. M. le ministre des Finances l'a admis, par conséquent, il n'y a pas de débat là-dessus. Le seul débat qu'il peut y avoir, c'est que le ministre des Finances, suivant ce que je comprends de ce qu'il a écrit, prétend qu'on va remplacer les sièges sociaux d'entreprises nationales par des sièges sociaux locaux, et que l'un équivaut à l'autre. Je lui dirai que je diffère profondément d'avis avec lui sur ce point-là, puisque les entreprises nationales dont il est question appellent des décisions et appellent des emplois au Québec reliés à des activités à l'extérieur du Québec et il n'y a rien qui peut remplacer ce genre d'activité. On ne remplace pas une activité d'exportation de services par une augmentation d'emplois dans le commerce de détail. Ce n'est pas l'équivalent, c'est complètement différent. Quant aux sièges sociaux, on pourra y revenir tout à l'heure, parce qu'ils sont très importants, cela implique un très grand nombre d'emplois, mais cela implique surtout des centres de décision. Lorsque les gens du Parti québécois nous disent qu'ils veulent, premièrement, reprendre en main l'économie, je dis que le départ de ces centres de décision est une accentuation d'une tendance qu'ils déplorent, qu'ils veulent corriger et, au contraire, ils l'encouragent; donc, une perte de centre de décision et d'autonomie économique et sociale.

Il y a aussi l'émigration nette qui est incontestable également et la souveraineté-association ne peut pas servir de pôle d'attraction pour un Québec nouveau. A ce moment-là, je dis que cette émigration nette va réduire les revenus des Québécois du montant de ceux qui partent avec leur argent et va réduire l'assiette fiscale.

Ensuite, il y a la facture pétrolière. Nous avons beaucoup parlé, jusqu'à maintenant, des économies qu'on pouvait faire en achetant le pétrole à un prix canadien inférieur au prix mondial. Cette fois-ci, j'ai un petit tableau, dans la liste que j'ai donnée, qui insiste plutôt sur la facture que nous aurions à payer. En 1980, si le Québec était indépendant et qu'il devait payer le prix mondial pour le pétrole, la facture totale serait de $6 475 000 000 — j'ai mis les hypothèses en dessous du tableau si on veut les contester — alors que la facture réelle devrait être de $3 000 000 000. Donc, on passe du simple ou double et ceci a des conséquences sur la balance des paiements ou la balance des comptes courants sur lesquels on reviendra tout à l'heure; cela a aussi un effet, parce que c'est un transfert réel de ressources à l'extérieur du Québec, quel que soit le statut politique que nous avons.

Ensuite, j'ai ajouté un tableau nouveau qui n'avait pas été calculé jusqu'à maintenant, en ce qui concerne le gaz naturel, puisqu'on consomme aussi du gaz naturel et là aussi, on perdrait $90 000 000, ou environ, en 1979, si le Québec avait payé les prix à l'exportation du gaz naturel.

Les objections que l'on fait à ça: c'est provisoire. Bien, ce n'est pas provisoire du tout, il y a du pétrole au Canada pour un très grand nombre d'années. J'ai fait circuler un tableau pour montrer que la production totale ne diminuerait pas, elle resterait constante entre 1978 et 1995 et ceci ne tient pas compte des plus récentes découvertes qu'on a faites en pétrole léger, en particulier à Terre-Neuve, et aussi en ce qui concerne le gaz naturel dans les îles de l'Arctique.

Alors, ce n'est pas une situation provisoire. On pourra dire que le prix va remonter au prix mondial et, suivant les informations que nous avons, l'intention d'à peu près tout le monde dans le milieu, c'est au moins d'arrêter au prix de Chicago qui est à 85% du prix mondial; ça fait déjà une économie de 15%. En tout état de cause, il est évident aussi qu'on a toutes les misères du monde à rattraper même ce qu'on connaît déjà des prix mondiaux et, par conséquent, je ne pense pas qu'on puisse prendre au sérieux l'idée que ces avantages liés à notre appartenance au Canada vont disparaître. (10 h 30)

Quatrième hypothèse. Je pense qu'il y a la fragmentation du marché du capital au Canada qui ne peut qu'entraîner des conséquences néfastes. Le ministre des Finances s'est prononcé à plusieurs reprises là-dessus pour dire qu'il ne fallait pas mettre des obstacles à l'association des capitaux, que le financement extérieur se tarit, que le financement intérieur coûte plus cher à ce moment-là.

Or, qu'est-ce que le gouvernement du Parti québécois propose? Il propose de fragmenter toutes les institutions financières. Il propose d'abord que les membres soient à propriété de 75% au minimum Québécois, ce qui veut dire que toutes et chacune des banques à charte du Canada devront vendre de 75% à 90% de leur capital-actions à des Québécois. La même chose s'applique aux fiducies, à l'assurance, dans la mesure où ce ne sont pas des mutuelles, et, en ce qui concerne le crédit à la consommation, on abolit tout simplement les institutions.

Mais je vous demande combien cela coûte de racheter toutes les institutions financières à 75%? J'aimerais que le ministre des Finances soit un peu plus sérieux que la dernière fois qu'il en a parlé lorsqu'il a dit que cela coûterait à peu près ce qu'a coûté la nationalisation des compagnies d'électricité et quand il a mis, dans son budget de l'An I, que cela coûtait $45 000 000 pour racheter toutes les institutions financières. J'aimerais bien qu'il soit un peu plus sérieux que cela.

Quels vont être les effets sur l'association? Il n'y a pas d'association là-dedans, il n'y a pas d'exception pour les autres Canadiens. Tout le monde est traité comme un étranger. Comment

pense-t-il avoir une association avec le reste du Canada quand, au départ, il dit que toutes les institutions financières devront être québécoises?

Le démantèlement des sociétés fédérales. Quel est son effet? Avoir une deuxième société pour l'expansion des exportations, avoir une deuxième banque fédérale de développement, avoir une autre Société Radio-Canada, avoir une autre société pour l'énergie, un autre Pétro-Canada, cela coûte combien? Le code des investissements va coûter combien? On dit là-dedans que tout l'acier primaire devra appartenir à des Québécois? Donc, il faut acheter Stelco. Quels sont les autres? Les mass media, on les achète tous. Les entreprises non québécoises on les achète toutes. Dans l'imprimé, les livres, les revues, cela coûte combien? Quand on dit que la Caisse de dépôt qui est aujourd'hui actionnaire de 124 entreprises elle devra être actionnaire de toutes les entreprises importantes, lorsque, en plus, le gouvernement du Québec devra aussi acheter une ou deux des plus importantes banques à charte qui seront au Québec après l'indépendance, cela coûte combien?

Cela coûte combien de racheter des entreprises de communication? En 1972, le ministre des Finances disait qu'il fallait absolument restructurer le secteur des communications, Northern Telecom, Marconi, RCA Victor. Je pourrais lui dire que, depuis ce temps-là, il s'est passé bien des choses, il n'aura rien à restructurer, elles sont toutes parties. Mais cela coûte combien de racheter cela?

Mme la Présidente, ce sont un peu les questions que je voulais poser ce matin. J'aimerais que le ministre des Finances, qui est responsable des finances du Québec, nous dise à combien de milliards se chiffrent ces engagements et où il va aller chercher cet argent. Seulement pour les banques à charte, c'est $1 000 000 000, le capital-actions. Où va-t-il aller prendre l'argent? Va-t-il l'enlever à la Caisse de dépôt et placement du Québec? La Caisse de dépôt et placement du Québec place son argent à l'heure actuelle. Cet argent ne flotte pas dans les airs. Il n'est pas inutilisé. Par conséquent, il faudra l'enlever du secteur des obligations du gouvernement du Québec, si on consacre tout cet argent à acheter des entreprises étrangères sans créer un seul emploi pendant des années et des années.

Mme la Présidente, je pense qu'on ne peut pas en arriver à la conclusion qu'avec un tel bilan, la prospérité des Québécois puisse augmenter. Je pense qu'elle ne peut que diminuer; elle ne peut que tourner au pire et je ne pense pas que ce soit l'objectif que nous poursuivions.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Finances.

Réponse du ministre des Finances M. Jacques Parizeau

M. Parizeau: Mme la Présidente, le débat qui vient de s'engager, comme le disait le député d'Outremont, est un débat qui dure effectivement depuis plusieurs années. Je regrette simplement qu'on n'ait peut-être pas, jusqu'à maintenant, eu l'occasion dans cette Chambre d'en discuter un peu plus souvent, parce que je vois réapparaître des choses qu'au fond, je pensais réglées depuis déjà un bon bout de temps.

On me permettra de commencer avec des choses qui me paraissent élémentaires, mais qu'il faut dire, dans la mesure même où ces questions sont soulevées. La souveraineté m'est toujours apparue, fondamentalement, comme un instrument de développement de l'économie du Québec pour la raison suivante: Le monde est disparu où la prospérité apparaissait à la suite de décisions de milliers de petits entrepreneurs qui s'adaptaient au marché. Peut-être que le monde de la fin du XIXe siècle était comme cela; peut-être que le monde du début du XXe siècle était comme cela, mais le monde de nos jours a changé. La prospérité des nations et des Etats est basée, pour une bonne part, sur les décisions prises par un certain nombre de groupes ou par un certain nombre d'individus et, finalement, souvent pas très nombreux.

Il y a d'abord les gouvernements qui prennent des décisions sur le plan économique. Autrefois, les gouvernements, c'était relativement petit dans l'économie; 5%, 6%, 7% de toute la production nationale leur passait entre les mains. Maintenant, ce n'est plus cela, c'est 40%. Il n'est donc pas du tout indifférent de savoir quelles décisions les gouvernements prennent et comment ils les prennent. Les décisions prises par les gouvernements ont un impact direct sur la prospérité des Etats. Quand le gouvernement fédéral décide de mettre dans les boules à mites l'usine de LaPrade, il ferme le deuxième plus gros chantier au Québec. Quand le gouvernement fédéral décide de choisir le F-18 plutôt que le F-16, il peut changer, par des centaines de millions de dollars, les commandes qui vont venir dans l'économie québécoise. Lorsque le gouvernement du Québec décide d'ouvrir considérablement et d'accélérer les plans d'épuration des eaux, il va tripler, en l'espace de deux ans et demi ou trois ans, les investissements dans ce secteur.

Les gouvernements prennent des décisions qui ont des influences sur les investissements, sur les emplois, sur le chômage, sur les revenus des gens. D'autre part, il y a un certain nombre d'entreprises, coopératives ou privées qui, de par leur décision d'investir ou de ne pas investir à un endroit donné, affecte aussi la prospérité des pays, la prospérité des peuples. On ne peut pas, d'une part, constater que des entreprises vendent pourdes milliards de dollars et s'imaginer que les décisions que prennent les gens à la tête de ces entreprises n'ont pas d'effet sur la prospérité des gens. Où sont situés ces centres de décision? A l'intérieurdes frontières ou à l'extérieur? L'effet ne sera pas le même.

Est-ce que ces entreprises ont à décider d'investir entre plusieurs endroits différents ou si elles sont clairement localisées quelque part? Elles ont leur base quelque part. A cet égard, par exemple, on ne peut pas s'imaginer que les caisses populaires

au Québec ou que les caisses d'entraide ont le choix d'investir entre la France, l'Angleterre, les Etats-Unis, laColombie-Britannique ou leQuébec. Ce n'est pas vrai. Théoriquement, sans doute, c'est exact. On sait bien qu'en pratique, ce que ces sociétés, parce qu'elles sont québécoises, vont faire, va être d'investir au Québec et de prendre des décisions au Québec. Il n'est doncabsolument pas indifférent que les centres de décision sur le plan économique soient situés au Québec ou en dehors du Québec. Ce que la souveraineté nous donne, c'est la possibilité de rapatrierau Québec un certain nombre de centres dedécision, dans le sens de nos intérêts plutôt que de l'intérêt des autres. Les centres de décision, qu'ils soient publics ou qu'ils soient privés, à notre époque, conditionnent la prospérité. Dans ce sens, ce que la souveraineté nous donne, c'est de rapatrier au Québec un plus grand nombre de centres de décision, pas tous, bien sûr. L'indépendance économique, à notre époque, n'existe plus au sens complet ou total du terme, même pas pour les Américains. Il reste, néanmoins, qu'il n'est pas indifférent encore une fois d'avoir plutôt plus de centres de décision chez nous, que plutôt plus de centres de décision ailleurs. Ce n'est pas indifférent du tout. La souveraineté, dans ce sens, est un instrument de prospérité.

L'association implique, encore une fois, essentiellement deux choses: que nous maintenions l'union douanière qui existe jusqu'à maintenant au Canada, non pas de la créer, mais de la maintenir, la libre circulation des produits. L'union monétaire, d'autre part, implique que nous gardions— non pas que nous créeions une monnaie commune avec le Canada — que nous maintenions la monnaie commune qui existe à l'heure actuelle.

Là-dessus, on n'a pas besoin, entre Québécois, de considérer que l'association est à démontrer. Advenant que les Québécois suivent le projet que le gouvernement leur propose, une chose est évidente, c'est qu'on ne verra jamais nos amis d'en face dire: On ne veut pas d'association avec le reste du Canada. Donc, dans ce sens, je l'ai répété bien souvent dans le public—c'est la première fois que je le dis dans cette Chambre, cependant — qu'à mon sens, on n'a pas besoin de vendre l'association aux Québécois. Quelle que soit leur position politique, ils sont d'avance acquis à une union à libre circulation des produits entre le Canada et le Québec et ils sont d'ores et déjà acquis à l'idée d'une monnaie commune. Nous sommes tous d'accord là-dessus. C'est sur le plan de la souveraineté, bien sûr, que le débat existe.

Le député d'Outremont disait: Je ne connais pas d'économistes qui considèrent la souveraineté comme étant un instrument de développement pour le Québec. Là, je vous avouerai que je suis un peu surpris. Si aucun économiste ne croit ça, pourquoi y a-t-il une soixantaine d'économistes qui ont annoncé avant-hier qu'ils allaient proposer le oui au référendum?

M. Bérubé: Des mauvais économistes.

M. Parizeau: Ce seraient des économistes, si je comprends bien, qui, croyant que la souveraineté serait une façon de reculer, néanmoins, par masochisme, le proposeraient.

Le député d'Outremont, d'autre part, nous a amenés à la discussion de ce qui est — je le dis sans ironie — une sorte de budget de l'An I qu'il nous a monté. Je croyais qu'après la façon dont nos amis d'en face me reprochent parfois un budget de l'An I il y a quelques années, il se serait abstenu de cet exercice. Mais, enfin, puisqu'il a voulu faire son budget de l'An I, abordons ça rapidement. Je dis rapidement, parce que je viens d'avoir les chiffres, mais, déjà, il y a des choses très intéressantes qui sortent des tableaux qu'il vient de distribuer.

Ce qu'il se dit au fond, c'est: Faisons la jonction des dépenses, additionnons les dépenses que le gouvernement de Québec fait à l'heure actuelle et celles que le gouvernement fédéral fait au Québec. Additionnons les revenus, les recettes d'impôts de toutes sortes payés par les Québécois et voyons quel déficit apparaît.

Le déficit qu'il fait ressortir, dans un premier temps, représente à peu près 17,6% de tous les revenus payés par les Québécois. Le déficit actuel du gouvernement de Québec est à peu près de 15,5% de toutes les recettes perçues par le gouvernement du Québec auprès des Québécois. Cela ne fait pas un très gros changement... Mais continuons.

Dans sa deuxième page, il ajoute certains éléments qu'il faudrait additionner à ce déficit, par exemple, les dépenses du fédéral à l'étranger. Nous n'avons jamais dit... et, comment dire, les salaires payés aux fonctionnaires de Hull. Je veux bien, pour les salaires payés aux fonctionnaires de Hull, incorporer ça, mais pour les dépenses du gouvernement fédéral à l'étranger, il n'est pas dit que le gouvernement de Québec aurait nécessairement le même nombre d'ambassades ou qu'il aurait exactement les mêmes politiques financières à l'étranger qui sont suivies par le gouvernement fédéral.

Mais, en tout état de cause, supposons qu'on accepte les chiffres du député d'Outremont, tels quels, ça veut dire que nous montons sa deuxième estimation du déficit à 24% de nos recettes totales, comme Québécois.

Posons-nous la question: A l'heure actuelle, le gouvernement fédéral a un déficit qui représente combien par rapport à ses recettes? Plus de 24% ou moins de 24%? Si on prend le dernier budget Crosbie et qu'on enlève les augmentations de taxes qui ont été refusées, et par le Parlement et par la population, quel est le pourcentage? Plus de 24% ou moins de 24%? C'est 29%, Mme la Présidente. On revient donc à l'argument fondamental. Le gouvernement fédéral peut se payer un déficit de 29%,mais,commec'est un gouvernement sérieux, ça va! Nous, 24%, en acceptant toutes les hypothèses du député d'Outremont, ah! bien ça, pour nous, ce n'est pas possible!

Et, d'autre part, à partir des 24% du député d'Outremont, je lui ferais noterqu'on n'a pas encore commencé à aborder l'élimination des chevauchements. Il y en a, des chevauchements dans notre système. Il y en a, des services rendus en double. On n'a pas commencé à aborder les conséquences de n'avoirqu'un ministère du Revenu, au lieu de deux; de n'avoir qu'un service d'allocations familiales, au

lieu de deux, distribuant le même montant qu'aujourd'hui, mais quand même pas avec deux équipes, deux systèmes d'ordinateurs, deux listes d'adresses, etc. (10 h 45)

On n'a pas encore commencé à aborder les économies qu'on pouvait réaliser en n'ayant pas deux ministères de l'Agriculture, ou comme le disait dans certains discours le député de Frontenac, un ministère de l'Agriculture qui s'occupe des deux pis de la vache lait industriel, et un ministère de l'Agriculture provincial qui s'occupe des deux pis de la vache lait nature. On n'a pas commencé à faire des choses comme cela. On est à 24%, donc un déficit inférieur à celui du fédéral par rapport à ses recettes, et on n'a même pas commencé à aborder l'élimination des chevauchements. Ce que le député d'Outremont vient de démontrer, c'est que c'est éminemment faisable.

M. Bérubé: Exactement! On n'a pas besoin de le démontrer, vous l'avez fait.

M. Parizeau: Je pensais avoir à sortir des chiffres, mais je n'ai pas besoin d'en sortir, je prends ceux du député d'Outremont.

M. Bérubé: Merci!

M. Parizeau: Abordons maintenant les autres questions soulevées par le député d'Outremont. La question des sièges sociaux. Oui, bien sûr, je n'imagine pas que tous les sièges sociaux qui existent actuellement à Montréal, advenant la souveraineté du Québec, vont nécessairement rester à Montréal; comme il l'a dit lui-même, d'ailleurs, je n'ai jamais cherché à cacher cela.

D'autre part, il est évident que toute une série de sociétés qui oeuvrent au Québec à l'heure actuelle et dont les sièges sociaux sont à Toronto auront pour leurs activités à Québec à créer un très grand nombre d'emplois pour créer des sièges sociaux québécois; vous me direz des sièges sociaux pas aussi gros. Sans doute, mais beaucoup plus nombreux. Sur ce plan des emplois créés par rapport aux emplois perdus, je défierais le député d'Outremont de me dire que le facteur des emplois créés est nécessairement inférieur. On nous dit que de petits sièges sociaux ne représentent pas nécessairement le même attrait sur le plan économique. Cela dépend, Mme la Présidente, cela dépend largement de l'énergie qu'on met au développement de ses sociétés. Ce n'est pas parce que c'est une société québécoise qu'elle est nécessairement petite.

Certaines des plus grandes sociétés d'engineering au monde à l'heure actuelle sont québécoises; elles ont leur siège social à Montréal, elles exportent 50% ou 60% de tous leurs services un peut partout dans le monde. Ce n'est pas parce qu'une société est québécoise qu'elle est petite. Cela dépend. Forcément, il y en a qui réussissent très bien et il y a des sièges sociaux québécois qui deviendront très importants parce que les sociétés auront été bien gérées, et il y en a d'autres qui resteront relativement petits. Cela va de soi, c'est la vie. Seulement, il n'est pas nécessaire de conclure que, sur le plan de la concurrence pour la vie, nous sommes nécessairement inférieurs; on en a des preuves tous les jours et les hommes d'affaires québécois depuis quelques années se débrouillent remarquablement bien, pour un bon nombre d'entre eux en tout cas.

La question de la facture pétrolière me fait bondir un peu. Je pense qu'il faut reconnaître, comme on le répète depuis déjà quelques années, que la décision du gouvernement canadien de maintenir le prix du pétrole canadien en dessous du cours mondial permet aux consommateurs canadiens de réaliser des économies substantielles par rapport à ce que paient les consommateurs de pétrole ailleurs dans le monde. Profitons-en, grands dieux! Non seulement il ne faut nier cela, j'allais dire qu'il faut empocher cela pendant que ça dure. Tant mieux! Seulement, il faut quand même nous rendre compte de ce qui nous pend au bout du nez. Ce qui nous pend au bout du nez, c'est une décision déterminée aussi bien par le Parti conservateur à Ottawa que par le Parti libéral, par les deux grands partis susceptibles de prendre le pouvoir, que leur objectif est d'augmenter en quelques années le prix du pétrole canadien ou bien au niveau du prix international ou bien au niveau du prix de Chicago qui lui-même, d'ailleurs, fluctue à la hausse assez rapidement.

Le député d'Outremont disait: II est important de savoir, dans ces questions, si on avance ou si on recule. Là, je lui rendrai exactement son argument. Dans le cas du pétrole, quel est le sens du mouvement? Il ne sait pas plus que moi si le premier ministre du Canada va décider d'aller vite ou lentement, mais une chose est claire dans le sens du mouvement, c'est que les deux gouvernements que nous avons eus depuis quelque temps au Canada sont commis à augmenter le prix du pétrole au niveau international ou au prix de Chicago. Cela, c'est clair, c'est absolument clair et il n'y a jamais eu de doute là-dessus. Ce qui veut dire que, d'ici quelques années, l'avantage dont nous profitons comme consommateurs sera disparu ou à peu près. Qu'on nous dise, à l'heure actuelle: C'est merveilleux ce qui se passe parce que chaque contribuable peut empocher de l'argent, c'est très bien, mais ça ne durera pas. Le sens du mouvement est à la disparition de cet avantage-là. Donc, en tant que Canadiens, à supposer que nous soyons encore Canadiens dans quelques années, comptons seulement sur une chose, c'est que l'avantage présent sera disparu pour l'essentiel.

J'aborde finalement, Mme la Présidente, une question qu'a soulevée le député d'Outremont et qui me paraît ici fondamentale, mais je suis désolé d'avoir à l'aborder de cette façon-là. Je ne pensais pas qu'on en était encore à discuter de ces questions. Le député d'Outremont dit: Dans un Québec souverain, le contrôle d'un certain nombre d'institutions financières va être rapatrié au Québec. C'est bien vrai. Combien cela va-t-il coûter? Mais, Mme la Présidente, je ne pose pas

cela dans ces termes-là. Je dis: Combien cela va-t-il rapporter? Mais des actions de banque, cela rapporte. Ce n'est pas exactement considéré comme des titres risqués, ce n'est pas de la spéculation minière, c'est un des placements de bon père de famille depuis toujours. Cela rapporte et cela rapporte bien. Pour la plupart des institutions dont parlait le député d'Outremont, il dit: combien cela va-t-il coûter? Ce n'est pas combien cela va coûter, c'est combien cela va nous rapporter.

A l'heure actuelle, de nouvelles émissions d'actions comportent un avantage fiscal considérable. Le député d'Outremont sait qu'à l'heure actuelle, on pourrait offrir trois fois plus de nouvelles actions qu'on en a au Québec et elles seraient achetées immédiatement. Il y a une demande qui dépasse largement l'offre à cause des avantages fiscaux que nous avons donnés. Mais, dans la mesure où des sociétés financières émettraient de nouvelles actions pour ce qui serait substantiellement de nouvelles sociétés au Québec, mais cela va se vendre comme des petits pains. Regardons ce qui s'est passé avec la dernière émission d'actions de la Banque de Montréal. La dernière émission d'actions de la Banque de Montréal s'est vendue comme des petits pains à peu près totalement au Québec. Est-ce que le député d'Outremont va dire: Combien cela coûte-t-il? Il ne demande pas combien cela coûte. C'est un paquet de Québécois qui les ont achetées. Les Québécois qui ont acheté cela n'ont pas l'impression que cela leur coûte quelque chose, ils ont l'impression que c'est un sacré bon placement. Effectivement, nous ferons de très bons placements.

Je termine simplement en mentionnant la question de la Caisse de dépôt qu'a soulevée le député d'Outremont. Il disait: La Caisse de dépôt investit déjà de l'argent dans des entreprises. Sans doute, mais alors, dit-il: Où va-t-elle aller chercher les sommes pour rapatrier le contrôle de certaines entreprises? Il y a des réponses immédiates et évidentes. Est-ce qu'on sait, par exemple, que la Caisse de dépôt possède, à l'heure actuelle, $443 000 000 d'obligations du gouvernement fédéral? Il y a là une possibilité, j'allais dire, de substitutions presque immédiate. Il y a $500 000 000 à la Caisse de dépôt à placer, à placer demain matin, dans les circonstances qu'évoquait le député d'Outremont, $500 000 000.

Je termine, Mme la Présidente, en revenant à mon point de départ. Les perspectives, je pense, qu'on évoque souvent à rencontre de la souveraineté-association, ne tiennent pas compte suffisamment de la capacité de l'économie du Québec de fonctionner comme une économie dont le gouvernement est souverain. On garde un certain nombre de complexes d'infériorité, à mon sens, totalement inutiles. La souveraineté pour le Québec est l'instrument de sa prospérité et l'association économique avec le reste du Canada est le maintien de liens que nous considérons utiles. Je m'arrête là, Mme la Présidente, pour le moment.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député d'Outremont.

Enoncés additionnels

M. Raynauld: Merci, Mme la Présidente. J'aurais quelques remarques à faire avant de passer à un autre sujet et avant de passer la parole à mon collègue. J'aurais peut-être quelques remarques complémentaires à faire pour clarifier et rétrécir les domaines de divergence. Prenons d'abord les centres de décisions. Je suis bien d'accord avec le ministre des Finances que les centres de décisions sont importants et qu'il peut y avoir une différence quand une décision est prise par quelqu'un qui est à un certain endroit dans le monde plutôt qu'à un autre. Je voudrais cependant lui faire remarquer deux choses. La première, c'est que le succès ou les échecs des décisions qui sont prises dépendent d'un ensemble de règles et que, tant qu'on n'a pas défini ces règles-là, on ne sait pas si les décisions qui seront prises seront avantageuses ou non.

Les règles ont trait à la politique commerciale. Voici un premier exemple. Si un pays fait partie du monde — je pense bien que le Québec veut encore en faire partie — il va être soumis à un certain nombre de règles de comportement qui vont indiquer qu'en ce qui concerne la politique commerciale, l'entreprise ne pourra pas vendre en bas du prix coûtant, c'est du dumping; il ne pourra pas faire ça. Cela veut dire aussi que si le gouvernement qui prend ces décisions, se met à vouloir empêcher l'importation d'un certain nombre de produits pour protéger ses propres producteurs, par exemple en agriculture ou dans d'autres domaines, il doit s'attendre que d'autres pays fassent de même. Ces règles vont déterminer la liberté de manoeuvre qui va rester à ces preneurs de décisions. Tant qu'on n'a pas défini ces règles, on n'a pas changé quoi que ce soit aux possibilités de développement ou aux possibilités de ralentir ce développement, même si les centres de décision ont été déplacés.

Parmi les règles, il y a celles qui concernent la monnaie et le financement des transactions extérieures. Si vous faites un déficit intenable dans votre balance des paiements, si ce ne sont pas d'autres organismes internationaux, comme le fonds monétaire international qui vous imposeront des décisions, ce sera le pays ou le gouvernement lui-même qui voudra prendre des décisions, de façon à corriger un déficit éventuel dans sa balance des paiements. Par conséquent, le preneur de décisions fera face à un certain nombre de règles de ce genre; de la même façon, le preneur de décisions va faire face à un certain fardeau fiscal. Le gouvernement va prendre des décisions et va imposer, comme dans tous les pays — ce n'est pas une exception — des impôts à des entreprises, à des individus et le preneur de décisions prend ça comme une donnée. Lorsque ce fardeau fiscal est plus élevé à un certain endroit, il tend à aller ailleurs. Lorsque le fardeau fiscal est plus favorable, il reste là. C'est la première chose.

Il me semble que si on veut convaincre qui que ce soit sur la validité de déplacement de centres de décision et dire: simplement le fait que

nous prenons les décisions nous-mêmes, nous allons avancer, je pense que c'est insuffisant. Il faut définir quel est le milieu, les règles suivant lesquelles ces décisions seront prises.

Revenons à une de ces règles. Par exemple, le fardeau fiscal. Si on est obligé d'avoir un fardeau fiscal plus élevé à cause de toutes sortes de politiques qu'on a mises en place, le preneur des décisions, même s'il est Québécois pure laine, va faire face à des difficultés que d'autres n'auront pas. Il va donc perdre sa capacité concurrentielle et, je le répète, même s'il est Québécois pure laine, il n'obtiendra pas les résultats désirés.

Deuxième observation sur les centres de décision. J'attache, comme je l'ai dit, une importance au centre de décision; mais comment se fait-il que, si on attache une aussi grande importance au centre de décision, on trouve acceptable et indifférent que des centres quittent le Québec? Ces centres de décision à l'heure actuelle quittent le Québec, ils le quittent depuis 25 ans; on l'a assez dit. Ces centres de décision qui quittent le Québec, est-ce que c'est une augmentation dans la capacité interne de gérer notre économie ou si, au contraire, c'est un affaiblissement? Je prétends que c'est un affaiblissement. J'irai plus loin, je prétends que si la souveraineté-association se produit, il va y avoir des départs encore plus nombreux, parce que tous les gens sont d'accord sur un fait, lorsque nous avons des entreprises nationales et qu'un marché est à 75% dans un endroit plutôt que dans l'autre, vous n'allez pas établir votre centre de décision dans le plus petit des deux. C'est même vrai pour les Etats-Unis également; il y a des entreprises québécoises ou ontariennes qui quittent le Québec ou l'Ontario pour aller aux États-Unis, parce que leur marché s'y trouve. (11 heures)

Je ne comprends pas comment il se fait qu'avec un rétrécissement de notre marché, en devenant indépendant, on va pouvoir avoir plus de centres de décision pour des entreprises qui font affaires à l'extérieur. Et pourtant, faire affaires à l'extérieur, ce n'est pas parce que ce sont des Québécois ou pas des Québécois. Quand le ministre des Finances dit que ce n'est pas parce qu'on est Québécois que nous sommes nécessairement des petites entreprises, ce n'est pas cela le problème. Ce n'est pas cela du tout. Le problème est de savoir si, avec les règles du jeu qui sont établies non seulement par nous, mais qui sont établies en liaison avec le reste du monde, on a une orientation qui va accroître la possibilité d'avoir de ces sièges sociaux, avoir de ces entreprises nationales et internationales, même québécoises. Est-ce qu'on va en avoir plus ou si on va en avoir moins avec le rétrécissement du marché que la souveraineté-association implique, de toute évidence, par rapport à un marché canadien?

Ce sont les remarques que je voulais faire à propos des centres de décision.

En ce qui concerne le pétrole, je ne sais pas si on va finir pas s'entendre là-dessus. Le ministre des Finances dit; Oui, on a un avantage, profitons- en. Ce n'est pas cela qu'il veut faire. Il veut faire l'indépendance du Québec et on ne l'aura plus, l'avantage. Qu'est-ce que c'est cette affirmation, profitons-en? Ce que vous proposez, c'est justement de l'abandonner, cet avantage. S'il dure cinq ans, s'il dure dix ans, quelle que soit la durée de cet avantage, ce que vous proposez, c'est de l'abandonner. Et vous nous dites: Oui, on en profite. Profitons-en. Ce n'est pas cela que vous dites. Vous ne dites pas: Profitons-en. Vous dites: On s'en fout. On va le perdre, le montant de $3 000 000 000 pour 1980. On va le perdre. Et on propose cela à la population du Québec. On ne propose pas de le conserver. On propose d'abandonner cet avantage pour la durée qu'il sera là.

Deuxième point, sur la durée. Est-ce que vraiment on peut affirmer avec une certaine assurance aujourd'hui que le Canada, avec le genre de ressources qu'il a, avec le genre de compétitivité qu'il a dans le monde, avec les difficultés qu'il a eues historiquement pour créer des emplois, est-ce que vraiment le ministre des Finances pense que cela va être d'ici deux ou trois ans que le Canada va décider d'avoir le prix mondial sur le pétrole? Je ne le pense pas. Récemment, d'ailleurs, le nouveau ministre de l'Energie a justement dit que le provisoire durerait longtemps là-dedans.

Je ne crois pas — et il n'y a pas de base pour donner cette assurance — que cela va durer seulement quelques années. Les dossiers sont là pour le prouver. Le gouvernement actuel a annoncé qu'il n'y aurait plus de pétrole dans l'Ouest pour 1978, pour 1979, pour 1980, pour 1983. Là, il est rendu à 1985. Cela a toujours été démenti par les faits. Toujours. C'est parce que le monde bouge, parce que le monde change. Pendant qu'on calculait un petit écart avec le prix mondial qui était à $8 au début de 1979, à la fin de l'année 1979, nous sommes rendus à $15 ou $16 d'écart, parce que le reste du monde a bougé aussi. Il n'y a pas seulement nous qui bougeons là-dedans. Le reste du monde aussi bouge. Par conséquent, il ne faut pas simplement avancer pour rester en place. Il faut aussi rattraper le reste du monde.

Par conséquent, cet avantage du pétrole est considérable, il est susceptible de durer un bon nombre d'années et ce que propose le gouvernement à l'heure actuelle, en abandonnant cet avantage, est de pénaliser les Québécois. Cela, on appelle cela contribuer à leur développement, contribuer à leur prospérité.

En ce qui concerne les placements, je dirai seulement quelques mots là-dessus. Le ministre des Finances dit: On va se poser la question à savoir combien cela rapporte d'investir dans les banques. C'est un jeu de mots. Si c'était vrai, s'il vivait dans ce monde où tout était possible, pourquoi ne le fait-il pas maintenant? Et pourquoi le ministre des Finances n'est-il pas millionnaire lui-même, personnellement? C'est facile. Il nous dit que c'est payant d'acheter des actions dans les entreprises. Pourquoi tout le monde n'est-il pas millionnaire ici? Il y a une petite raison à cela: c'est qu'ils n'ont pas d'argent pour faire l'investissement.

C'est quand même dépasser les bornes que d'aller demander combien cela rapporte, puisque ce sont des "blue chips" et il y a une demande à l'heure actuelle ou il y a une offre de fonds à l'heure actuelle qui dépasse la demande. Je veux bien, mais le problème n'est pas là, le problème est de savoir si on a les fonds pour faire ces placements, ces investissements. Je prétends qu'avec les données que nous avons à l'heure actuelle, il va y avoir moins d'argent lorsque le Québec acquerra son indépendance qu'il en a aujourd'hui — il en aura moins, pas plus— et, par conséquent, je me demande, étant donné que tous les fonds à l'heure actuelle sont quand même placés, où il va aller chercher l'argent. S'il n'aime pas ma question: Combien cela coûte-t-il? je vais lui demander: Où va-t-il aller chercher l'argent? De la même façon que, pour un individu, il faut quand même avoir les fonds pour faire des placements. Quand on n'a pas les fonds, on peut en emprunter un peu, mais, à un moment donné, on ne peut plus placer, même si cela rapportait énormément, si le rendement était extrêmement élevé. C'est cela le vrai problème.

On va parler de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Le ministre des Finances sait très bien que la Caisse de dépôt et placement du Québec n'est pas un réservoir sans fonds, ce n'est pas un puits sans fonds. La Caisse de dépôt et placement du Québec, je veux bien qu'elle ait $10 000 000 000 d'actif à l'heure actuelle, mais ces $10 000 000 000 d'actif servent à quelque chose. Ils servent à financer le gouvernement en particulier. Ils servent à financer Hydro-Québec aussi. Il y a $1 000 000 000 de placés dans des actions. C'est très bien. Mais ce qu'on propose, c'est combien de milliards de placements additionnels on propose. A ce moment-là, cette Caisse de dépôt et placement du Québec, quand viendra le moment où... Etant donné que ce n'est pas encore une fois la manne du désert, cette Caisse de dépôt et placement du Québec, elle accumule des fonds à l'heure actuelle. A un moment donné, elle va peut-être finir par ne plus en accumuler. En 1990, la réserve va commencer à baisser, si ma mémoire est bonne, sur les chiffres de la Caisse de dépôt et placement du Québec. On pourra bien dire à ce moment-là: On aura des milliards et des milliards de dollars, mais cette Caisse de dépôt, elle accumule des réserves et des fonds pourquoi? C'est pour payer des pensions. Si on s'en va, comme le ministre — je ne sais plus le ministre de quoi — a dit l'autre jour, la Caisse de dépôt et placement du Québec pourrait placer de l'argent dans les actions, là-dedans... On devrait au moins multiplier par deux ou trois la proportion des fonds consacrés à des placements dans des actions. Je veux bien, mais, pendant ce temps-là, si on place l'argent là, on ne le place pas ailleurs. Est-ce que ce genre de placements pour faire du développement et courir des risques, cela appartient à une entreprise qui doit payer des pensions aux gens ou est-ce qu'on ne court pas des risques excessifs, compte tenu de la vocation d'une entreprise comme celle-là? En tout état de cause, à moins de vouloir relever les impôts, les contributions à cette Caisse de dépôt et placement du Québec, il est certain que les fonds doivent s'accumuler de façon de moins en moins rapide, étant donné qu'on est encore dans une période de rodage, et comment peut-on penser que cette Caisse de dépôt et placement du Québec fournira toutes les sommes auxquelles nous pouvons penser pour faire des placements?

A ce moment-là, je dirai: Si on est prêt à acheter toutes les banques, toutes les fiducies, toutes les sociétés d'assurance qui ne sont pas des mutuelles, pourquoi aussi ne pas acheter le reste du monde, pourquoi ne pas acheter des entreprises? Il y en a qui ont essayé cela. Achetons les entreprises américaines; achetons l'Allemagne; achetons le reste du monde. Combien est-ce que cela rapporte? Cela rapporte beaucoup d'acheter des actions de la BMW. Cela rapporte; alors plaçons l'argent là-dedans. C'est bien évident que ce n'est pas une réponse. On ne peut pas placer des fonds illimités, parce qu'il y a quand même telle chose et qu'il y a un besoin d'avoir les ressources de financement pour faire ces placements.

Ah oui! le déficit fédéral. J'oubliais. Le déficit fédéral, c'est une bonne blague. Ce n'est pas un problème, une augmentation de 20%. Je le sais bien, le ministre des Finances aurait aimé que je lui dise que cela aurait été 200% ou 300%. Il aurait pu l'attaquer d'une façon encore bien plus efficace, mais non, 20% d'augmentation, ce n'est rien, ce n'est rien du tout. A l'heure actuelle, le déficit est déjà à $2 300 000 000, il est déjà à 15% des recettes gouvernementales. Ce n'est pas un problème. On le voit bien, ce n'est pas un problème. Cela monte à 24%. Regardons donc le gouvernement fédéral, il est déjà à 25%. Il oublie une petite chose, le ministre des Finances, il oublie que l'économie canadienne, à ma connaissance, est un peu plus grosse que l'économie du Québec, presque trois fois.

M. Bérubé: C'est relatif.

Est-ce que le ministre des Finances propose également qu'il n'y aura pas d'union monétaire, qu'il va pouvoir imprimer les billets avec un accès à la banque centrale, de la même façon que le gouvernement fédéral à l'heure actuelle? Est-ce que c'est cela qu'il nous dit? S'il nous dit qu'il va avoir accès à la banque centrale, qu'il va pouvoir financer son déficit, à ce moment, j'accepterai la comparaison, mais, aussi longtemps qu'il proposera une union monétaire avec les conditions attachées à l'union monétaire, je ne peux pas accepter de comparer la possibilité de financer un déficit quand on est un gouvernement fédéral ou qu'on est un pays indépendant associé et faisant partie d'une union monétaire. Cela ne se compare pas.

En ce qui concerne les revenus, on les prend; et les pourcentages que nous utilisons des recettes gouvernementales? Il est bien évident que ce pourcentage est d'autant plus bas que les recettes ou les dépenses du gouvernement sont élevées

par rapport au produit intérieur brut. Peut-être que le ministre de l'Energie et des Ressources ne comprend pas cette histoire, mais il faudrait qu'il se la fasse expliquer. Le gouvernement du Québec, avec le gouvernement fédéral, a une proportion de recettes publiques de 43% ou 44%, à l'heure actuelle. Pour l'Ontario, c'est 38% ou 36%; pour l'Alberta, c'est 28%. Quand on prend ces choses, qu'on dit qu'on a un déficit de 24% des recettes et que ces recettes sont très élevées, elles sont peut-être les plus élevées au Canada en pourcentage du produit intérieur brut, cela renverse l'argument qui vient d'être présenté.

Au contraire, cela voudrait dire, à ce moment, que cela représenterait un fardeau beaucoup plus élevé pour nous, en termes de la capacité de payer et de l'économie dans son ensemble, que d'avoir un pourcentage de 24%. Autrement dit, on ne peut pas non plus comparer 24% à 24% indépendamment de la relation entre les recettes publiques et le produit intérieur brut. C'est pour cela que je n'accepte pas la réponse qui a été donnée sur ce point. Au contraire, je pense qu'il faut dire que nous augmenterions, avec ce genre de rapatriement où on rapatrie non pas des ressources, mais on rapatrie des déficits et on rapatrie des obligations — on perd $4 000 000 000 en passant — on augmente le poids de la fiscalité au Québec, ou on augmente les engagements que nous prenons pour l'avenir, ou bien on est obligé de réduire le niveau des services publics, alors qu'à l'heure actuelle, à peu près tous les ministres se promènent de village en village dans le Québec pour promettre davantage, pour promettre plus de fonctionnaires fédéraux, pour promettre des services publics encore plus élevés, pour promettre des programmes sociaux encore plus élevés que ceux que nous avons à l'heure actuelle. On dit que ce sont des engagements additionnels qu'on prend avec des ressources qui seront moindres. J'arrêterai là, M. le Président.

Le Président (M. Michaud): M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: M. le Président, je vais essayer de répondre à un certain nombre de choses qu'a présentées le député d'Outremont, d'élargir peut-être aussi un peu le débat. Quand j'arriverai, cependant, aux questions pétrolières, je pense que là, je demanderai à mon collègue, le ministre de l'Energie et des Ressources, de faire une intervention là-dessus.

Le député d'Outremont nous dit: Les centres de décisions sont soumis à un certain nombre de règles de fonctionnement qui sont normalement établies par les pouvoirs publics ou négociées par les pouvoirs publics; bien sûr, évidemment. Dans l'état actuel des choses... Il note deux grands types de règles de comportement en ce qui a trait à la politique commerciale, la douane, le commerce extérieur et ce qui est lié à la monnaie. Je suis parfaitement d'accord, tout à fait d'accord.

A l'heure actuelle, comment les règles de la politique commerciale ou du commerce extérieur du

Canada sont-elles établies? Elles sont établies par un gouvernement, tout seul, qui traite les gouvernements de province à peu près comme des compagnies, c'est-à-dire que, si on veut présenter au gouvernement fédéral nos idées sur le genre de négociations qu'il devrait faire avec les autres pays, on est bienvenu de le faire, comme à peu près n'importe quel homme d'affaires, mais c'est le gouvernement fédéral qui décide tout seul. (11 h 15)

Sur le plan de la monnaie, toutes les décisions fondamentales sont prises par qui? Par le ministère des Finances à Ottawa et par la Banque du Canada. Comment? Seuls. Consultation avec les provinces? Rien! Là, on n'est même pas traité comme des enfants. On est traité aussi comme des hommes d'affaires, parce que les hommes d'affaires n'ont pas un mot à dire, eux non plus. Ils ne sont même pas consultés. Cela peut donc, de notre point de vue, ne pas être pire, quoi qu'il arrive. Quoi qu'il arrive, ça ne peut pas être pire que la situation actuelle. On le sait bien quand on sait combien de premiers ministres du Québec ont demandé, au cours des 20 dernières années, que le Québec soit consulté sur la politique commerciale, qu'il participe aux décisions de la Banque du Canada, au moins dans la mesure où il pourrait être associé au conseil d'administration comme gouvernement. Cela fait quoi, 20 ans? que M. Lesage, M. Johnson et M. Bourassa ont demandé ça. Rien! Rien du tout!

Que proposons-nous, comme changement, dans les règles du jeu? C'est qu'en même temps qu'on établit la souveraineté, la politique douanière du Canada serait quelque chose sur lequel nous aurions un mot à dire. Pas tous les mots à dire, bien sûr! Cela se fait a deux, évidemment. Ce n'est pas nous qui mènerions, et on ne gagnerait pas toujours quand on demanderait quelque chose; mais, au moins, on serait associé aux décisions, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Sur le plan de la politique monétaire et des règles, d'une façon générale, qui régissent la monnaie, on dit: On voudrait participer à ces décisions. On ne gagnerait pas à tout coup. Nos représentations ne seraient pas toujours retenues. Parfois, il faudrait faire des compromis. Souvent, il faudrait faire des compromis. Mais ce serait quand même mieux que la situation actuelle où on n'a pas un mot à dire.

Quand on nous dit: La souveraineté-association n'améliore pas les règles du jeu, je dis: Oh! oui, elle les améliore! Elle les améliore considérablement, parce que les règles, de notre point de vue, ne peuvent pas être pires qu'actuellement. On ne peut pas descendre — ce n'est pas comme la température — en bas de zéro, dans ce domaine. Actuellement, on est à zéro. Toujours à partir du principe célèbre du yo-yo, quand on est à zéro, ça peut seulement remonter; ça ne peut pas descendre.

Il est clair que, sur le plan des règles du jeu, je suis tout à fait d'accord avec le député d'Outremont pour dire; C'est très important, les règles du jeu, pour voir comment les centres de décision

peuvent fonctionner. Mais, quand les règles du jeu sont à notre avantage pour exactement zéro, dans l'état actuel des choses, ce que nous proposons ne peut être qu'une amélioration.

La question du fardeau fiscal aussi est importante. Les centres de décision au Québec vont fonctionner plus ou moins bien, selon que le fardeau fiscal sur les contribuables va être très lourd ou moins lourd, forcément. C'est évident. Il est très intéressant, à cet égard, de voir que le député d'Outremont me confirme, une fois de plus, que les chif res qu'il vient de nous montrer sur le déficit d'un Québec souverain, c'est éminemment faisable. Son tableau, je vous assure, je vais le faire circuler longuement. Il est remarquable, ce tableau. J'ajouterai juste une page cependant pour faire les pourcentages, comme je l'ai fait tout à l'heure. Il est remarquable.

Le député d'Outremont nous dit: Mais, cela n'a pas la même signification, des pourcentages, selon que c'est petit ou que c'est gros. Est-ce qu'il est en train de me dire que 10% sur un petit placement, c'est moins bon que 10% sur un gros placement? C'est toujours 10%. On a établi ça en pourcentage. 10% sur $1000, c'est tout aussi bon que 10% sur $10 000. C'est un aussi bon placement. Non. Le fait est que le député d'Outremont a clairement démontré que, sur le plan du déficit auquel aurait à faire face un Québec souverain, c'est tout à fait faisable et dans des conditions meilleures qu'à l'heure actuelle, la façon dont le système fédéral-provincial porte ses déficits. Ce serait plus facile.

Un Québec souverain, selon ce qu'il vient de nous démontrer, c'est plus faisable que le fédéralisme canadien. Parfait!

Mais, revenons au fardeau fiscal lui-même, parce que ça, c'est important. Il est très important que le fardeau fiscal au Québec baisse. C'est très exactement ce qu'on a réalisé depuis trois ans.

Quand on compare le fardeau fiscal au Québec de tous les impôts perçus par le gouvernement du Québec, y compris les taxes foncières scolaires... J'inclus les taxes foncières scolaires, parce que, comme on vient de les supprimer au Québec et que nous allons porter toutes les dépenses de l'Education à même le budget du Québec, quand on se compare à l'Ontario, par exemple, il faut incorporer les taxes foncières scolaires, parce qu'elles existent dans cette province. Donc, toutes les taxes des deux provinces, Québec et Ontario, plus les taxes scolaires, qu'est-ce que ça donne comme fardeau fiscal?

En 1977-1978, la première année où on a commencé à faire la réforme fiscale au Québec et à réduire les impôts systématiquement, on a eu un fardeau fiscal au Québec qui était de 20% plus élevé qu'en Ontario, 20,3%. L'année suivante, en 1978-1979, seulement 17,7% plus élevé qu'en Ontario. En 1979-1980, 13,5% de plus qu'en Ontario. Cette année, en 1980-1981, on le saura quand le discours sur le budget va sortir là-bas, il faudrait, pour rester à 13,5% plus haut, que l'Ontario donne $500 000 000 de baisse d'impôt. Si on ne donne pas $500 000 000 de baisse d'impôt dans la paroisse voisine, à supposer que leurs impôts ne changent pas, on va tomber peut-être, en 1980-1981, à 10% au-dessus de l'Ontario.

Ce que ces gens d'en face nous ont laissé, c'était une situation où le fardeau fiscal était de 20% plus haut que la province voisine, et le gouvernement actuel a ramené cela probablement, en trois ou quatre ans, à 10% seulement. On a coupé cela de moitié et on continue, on n'a pas fini. Cela, ce n'est pas la moindre des réalisations du présent gouvernement que par ses réductions de taxe de vente, par la réforme fiscale municipale, par la réduction de l'impôt sur le revenu, on aura réussi à baisser de près de la moitié la différence entre le fardeau fiscal énorme qu'on avait par rapport à l'Ontario quand ces gens ont quitté le pouvoir. Oui, bien sûr, le fardeau fiscal est important, j'en suis parfaitement conscient. C'est la raison pour laquelle le fardeau fiscal, on le baisse par rapport à l'Ontario systématiquement depuis trois ans.

Comme je le disais tout à l'heure, pour ce qui a trait au pétrole, je demanderais à mon collègue, le ministre de l'Energie et des Ressources, d'intervenir à ce sujet tout à l'heure et je vais passer, puisque le temps coule assez rapidement, à certaines des autres observations du député d'Outremont.

Je vous avouerai que je ne comprends pas, à nouveau, ce qu'il me dit sur l'aptitude de l'économie du Québec à acheter des actions, de l'ensemble des Québécois à acheter des actions d'entreprises. Il a l'air de considérer qu'il y a une espèce de réservoir invariable qui peut être affecté par les Québécois à des achats d'actions. Il n'y a rien d'invariable là-dedans. Quand on a établi, l'année dernière, le plan d'épargne-actions, on a constaté dans l'année qui a suivi qu'il se vendait, au Québec autant de nouvelles actions d'entreprises chaque mois qu'il s'en vendait les années précédentes par année, et il en manque.

Je ne comprends pas. Il est évident que le plan d'épargne-actions — et tous les courtiers le disent, il suffit de connaître n'importe qui dans les milieux financiers — ça marche! A l'heure actuelle, si on pouvait doubler les émissions de nouvelles actions chez les Québécois, les Québécois les achèteraient. Qu'on ne vienne pas nous dire: Ils manquent d'argent, on vend tous les mois des actions autant qu'on en vendait avant, chaque année.

Je reviens maintenant — et je termine là-dessus — à la question de la Caisse de dépôt. Je vous avouerai que je ne saisis pas très bien. La réserve de la Caisse de dépôt, dit le député d'Outremont, va tomber. Forcément, pour ce qui a trait à la partie régime des rentes, ça fait depuis la création de la Caisse de dépôt qu'on sait que la réserve va tomber, et c'est vrai du Canada Pension Plan, d'ailleurs, de la même façon et à la même vitesse. C'est la raison pour laquelle on sait bien que pour assurer les pensions, à un moment donné, les contributions au régime de rentes, au Québec comme au Canada — parce que les deux plans sont presque identiques — cela va avoir

augmenté. Quand? Dans deux ans, dans trois ans, je ne le sais pas, mais il y a une chose qui est certaine, c'est que ça va augmenter, et des deux côtés, au Canada comme au Québec parce que le fonds a été créé comme cela en 1965. Tous les actuaires savent cela depuis quatorze ans, maintenant. Eventuellement, la réserve va tomber.

Je voudrais cependant que le député d'Outremont fasse attention à quelque chose, il y a une deuxième grande source d'alimentation de la Caisse de dépôt qui, elle, ne va pas tomber, c'est l'assurance automobile. Là, ça ne tombe pas, au contraire, les projections sont à l'effet d'une croissance considérable pour des années et des années à venir. Si bien que la Caisse de dépôt reste fondamentalement l'instrument qui avait été envisagé il y a quatorze ans, quand M. Lesage a créé cette société d'État, c'est-à-dire que la moitié ou à peu près, un peu plus de la moitié des sommes qui vont à la Caisse de dépôt servent à alimenter les corps publics et l'autre moitié est disponible soit pour le financement d'institutions, le financement de sociétés commerciales ou industrielles, soit sous forme d'obligations ou d'actions sur le crédit hypothécaire, sur l'achat d'immeubles, dans certains cas c'est le plus gros réservoir de capitaux de cet ordre qu'il y a. La caisse de dépôt n'est pas le plus gros actionnaire de compagnies au Québec, c'est le plus gros pool d'actions au Canada, et ça s'adonne que ça appartient aux Québécois.

Alors, qu'on ne cherche pas à réduire le rôle que peut jouer un instrument comme celui-là, c'est le plus gros portefeuille d'actions au Canada et, encore une fois, les fonds s'en accroissent chaque année de façon considérable. Les fonds que la caisse de dépôt en 1980 va pouvoir placer soit dans les corps publics, soit dans les entreprises, dépassent $2 000 000 000 pour la seule année 1980. Qu'on ne cherche pas à ramener cela à quelque chose d'insignifiant, ce n'est pas insignifiant, c'est considérable.

Mais, dit le député d'Outremont, peut-être qu'en se servant de cela comme instrument de contrôle économique, du développement économique, on prend des risques avec l'argent de nos pensions? On ne prend pas des risques avec l'argent de nos pensions en utilisant de l'argent pour placer cela dans nos entreprises. Au contraire. D'autre part, si je comprends bien le député d'Outremont, s'il pense que la caisse de dépôt ne devrait pas placer de l'argent dans des actions pour les financer et placer cela seulement auprès du gouvernement de Québec, comme c'est le cas pour toutes les autres provinces canadiennes d'ailleurs, je lui annonce que je n'ai rien à emprunter cette année.

Il peut se battre les flancs autant qu'il voudra sur le déficit du gouvernement du Québec, moi, je n'ai absolument rien à emprunter auprès des marchés privés, parce que la caisse de dépôt va me fournir tout l'argent dont j'ai besoin. Alors, qu'il se branche. Ou bien il me dit: La caisse de dépôt ne devrait pas acheter d'actions pour développer le Québec et je lui dis à ce moment-là: Dans ces conditions, il faut bien qu'il achète essentiellement des actions du gouvernement de Québec et qu'il cesse de taper sur mon déficit, je n'ai absolument plus besoin d'aller emprunter sur les marchés quoi que ce soit. C'est l'un ou l'autre.

Ceci étant dit, je termine simplement par un certain nombre de considérations qui me paraissent un petit peu plus fondamentales. Nous disposons au Québec d'un certain nombre d'instruments comme ceux-là, qui nous ont permis de faire un bon bout de chemin, qui nous ont permis, en somme, au moins de nous préparer au Québec à prendre la relève, à faire en sorte qu'à un moment donné, quand le public sera prêt à nous donner un mandat à cet effet, on puisse faire du Québec un pays souverain. Ces instruments-là, cela fait maintenant, selon les cas, cinq ans, six ans, dix ans, quinze ans qu'on les utilise, qu'on s'en sert, qu'on voit en somme, grâce à ces instruments, que nous pouvons fonctionner comme une nation normale.

Il faudrait faire très attention à cet égard de ne pas s'imaginer que l'idée même de la souveraineté sur le plan économique est apparue hier ou il y a peu de temps. Au fond, quand on regarde cela dans une certaine perspective historique, tous les gestes qui ont été posés par des gouvernements successifs qui n'étaient pas indépendantistes, qui étaient fédéralistes, ces gestes-là, au fond, logiquement et profondément, n'amenaient tôt ou tard que cette échéance de la souveraineté. La caisse de dépôt en est un exemple typique. C'est l'instrument par excellence d'un gouvernement souverain. Il y manque simplement l'aptitude, par exemple, à devenir une banque centrale, mais déjà beaucoup des attributs d'une banque centrale, il les a. C'est très curieux de penser qu'en 1965, alors que finalement il n'y avait ni d'un côté ni de l'autre de la Chambre d'indépendantistes, des instruments comme ceux-là, qui préfigurent au fond la souveraineté d'un pays, étaient déjà créés. Voilà.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Scowen: Merci, Mme la Présidente. Je pense d'abord que cette occasion a un avantage très important, déjà ce matin, et c'est le fait que nous nous sommes entendus je pense, pour la première fois, sur le bilan de l'An I de l'indépendance. Je sais très bien que le Parti québécois trouvait il y a quelques années que ce bilan était un piège dans lequel il était tombé, mais, cette fois-ci, ce matin, le député d'Outremont a sorti un document avec lequel le ministre se disait d'accord sur les chiffres essentiels. Il disait, en effet: Je trouve que je suis prêt à le faire circuler parce que c'est une preuve que c'est faisable. Alors, Mme la Présidente...

M. Parizeau: Est-ce qu'on peut soulever une question de privilège en commission, Mme la Présidente?

M. Scowen: ... moi je suis persuadé qu'on va utiliser ce document ensemble pour discuter-La Présidente (Mme Cuerrier): Non, vous pourriez intervenir, M. le ministre.

M. Scowen: ... pendant les semaines à venir... (11 h 30)

M. Grégoire: Question de règlement, par contre.

M. Scowen: ... si c'est faisable ou non. Le ministre des Finances disait: c'est faisable, quant à moi, c'est le déficit de la première année, $3 900 000 000, parce qu'il faut comprendre que le déficit du fédéral est même plus élevé.

Mme la Présidente, nous allons combattre le ministre et le gouvernement pendant les prochaines semaines sur cette idée. Tout le monde est conscient que le déficit fédéral n'est pas un déficit supportable, c'est un déficit qui a été critiqué par tout le monde depuis longtemps. Le ministre des Finances a critiqué lui-même ce déficit et, de plus, la meilleure façon pour le gouvernement fédéral de réduire son déficit, à ce moment-ci, c'est de se débarrasser du Québec, parce que, dans le budget de Crosbie, qui date de quelques mois maintenant, il a prévu un déficit de $9 400 000 000. Si le Québec ne faisait plus partie du Canada, le déficit du Canada serait réduit d'exactement le même montant, c'est-à-dire que le déficit du Québec serait augmenté de $3 600 000 000.

En effet, avec l'indépendance du Québec, les Québécois vont recevoir un fardeau fiscal additionnel par année d'à peu près $2400 et les contribuables du reste du Canada vont recevoir un bénéfice de $18 000 000, à peu près $900 par famille, parce qu'il en coûte aux Canadiens du reste du Canada à peu près $900 par famille, chaque année, en paiement aux contribuables et au gouvernement du Québec.

Alors, le déficit du fédéral n'est pas supportable. Le ministre des Finances ne peut pas, quant à moi, justifier un déficit, ici au Québec, qui sera de l'ordre de $6 000 000 000 l'année prochaine; avec les chiffres qui sont donnés ici et le déficit qu'il prévoit lui-même pour cette année, il ne peut pas justifier, devant la population du Québec, un déficit annuel d'à peu près $4000 par famille, durant la première année d'un Québec indépendant.

Mme la Présidente, je veux quand même passer à quelques questions au ministre. Ce sont des précisions sur le programme d'association que nous voulons ce matin. Le ministre disait tantôt, dans sa réplique à mon collègue, que l'objectif de la souveraineté-association était "de rapatrier quelques centres de décisions, sur le plan économique". C'est connu depuis longtemps. On a entendu les députés, pendant le débat référendaire, dire: On veut reprendre les choses en main, on va prendre nos propres décisions économiques; on le comprend.

Il dit, en même temps: Nous voulons garder l'association économique avec le reste du Canada, nous voulons maintenir une union douanière, une union monétaire, ainsi de suite. Alors, M. le ministre, les questions que je veux vous poser ce matin, c'est pour vous demander de préciser un peu où vous vous situez entre les deux pôles qui sont très différents: l'un est de reprendre les centres de décision économiques pour nous-mêmes, l'autre est de garder une association économique à peu près comme celle que nous avons aujourd'hui. Il existe une tension entre ces deux pôles et le problème que nous avons, tous les Québécois, avec votre proposition d'association, c'est que vous n'avez jamais précisé exactement, ou même approximativement, ce que vous voulez faire pour régler la tension entre les deux.

J'ai préparé ce matin, Mme la Présidente, une série de questions et je pense que, si le ministre veut s'engager à répondre brièvement à chacune de ces questions, ça peut donner à la population une meilleure idée pour savoir où il se situe entre ces idées d'association économique avec le reste du Canada, comme il l'appelle, et l'idée de reprendre tous les centres de décision économiques, ici, pour les Québécois.

Avant de poser les questions, je veux souligner un point à la suite d'une déclaration que le ministre a faite il y a quelques minutes. Je pense qu'il parlait des politiques commerciale et douanière du fédéral où nous voulons avoir notre mot à dire.

Même s'ils ne l'admettent pas, la plupart des gens croient fortement qu'aujourd'hui, nous avons notre mot à dire en ce qui concerne les politiques fédérales. Le premier ministre du Canada est un Québécois. Le ministre de la Défense, qui a annoncé l'achat d'avions pour le Canada, dans lequel le Québec va avoir à peu près 50% des retombées économiques, avec 27% de la population, est aussi un Québécois.

Les Québécois élisent, tous les cinq ans, des députés québécois pour les représenter au sein du gouvernement fédéral. C'est impossible, ce n'est pas justifiable de dire que le Québec n'a pas un mot à dire au gouvernement fédéral, à moins que vous soyez prêt à dire, comme le député de Mercier, que les Québécois qui sont élus au gouvernement fédéral ne sont pas des Québécois mais des Canadiens. Ils sont également — tout le monde le sait — des Québécois. MM. Trudeau, Lamontagne, Chrétien et d'autres sont des Québécois.

Il faut améliorer notre présence à Ottawa au sein du gouvernement fédéral, bien sûr. C'est une autre affaire. Mais ce n'est pas nécessaire de le faire avec un pays indépendant.

Passons très vite aux questions que je veux poser au ministre. Comme vous le savez, dans le livre blanc, il y a à peine trois ou quatre pages qui nous donnent un aperçu de vos idées, de vos projets, de vos programmes, relativement à l'association.

Je vais vous poser à peu près quatre questions d'ordre général, suivies de deux ou trois autres sur le pouvoir décisionnel que vous prévoyez pour le conseil communataire et quelques-unes sur le libre marché. Je vais poser très vite ces

questions, Mme la Présidente, et ensuite, avec votre permission, je vais demander au ministre de nous donner une brève réponse à chacune.

La première est d'ordre très général, c'est simplement pour souligner un aspect de la négociation. J'espère que le ministre et le gouvernement accepte que dans les négociations avec le gouvernement fédéral on prévoit que, dans ce gouvernement fédéral, il n'y aura pas de place pour les députés du Québec... il est clair, quant à moi, que nous serons en face d'une équipe de négociation qui comprendra les députés des autres provinces. Si nous voulons négocier avec le reste du Canada, il va de soi que le Québec ne pourra pas être représenté à la table des négociations, des deux côtés. Je le dis, parce que je pense qu'une partie de la population du Québec n'est pas consciente de ce fait. Ce ne sera pas une négociation entre M. Lévesque et M. Trudeau. Ce sera une négociation entre le gouvenement du Québec, M. Lévesque et son équipe, si c'est le cas, et une équipe du gouvernement fédéral, composée entièrement des députés et des ministres des autres provinces du Canada.

En effet, si vous votez oui au référendum, il n'y a plus de place à la table de négociation pour MM. Trudeau, Chrétien, Lalonde et pour les autres. Je veux simplement avoir l'affirmation, de la part du ministre, de ce principe que je trouve primordial.

Je suis maintenant arrivé aux quelques questions pour lesquelles des réponses plus spécifiques sont permises. La deuxième est celle-ci. A la page 85, vous parlez de la nature de cette équipe de négociation qui va représenter ce que vous appelez le reste du Canada. Je veux citer ceci: "...vu l'objet fort considérable de la négociation, plusieurs provinces, sinon toutes, voudront établir officiellement, auprès d'Ottawa, leur statut de partenaires à part entière. Loin de s'opposer à une formule de ce genre, le Québec croit qu'elle pourrait permettre une meilleure discussion et éviter des malentendus".

La deuxième question que je voudrais vous poser, M. le ministre, est celle-ci: Est-ce que vous êtes prêt, le cas échéant, à accepter une association à dix, en plein respect de la souveraineté des autres provinces du Canada?

Si le reste du Canada n'accepte pas l'idée du premier ministre que le reste du Canada anglais, c'est une entité, mais que les premiers ministres de l'Alberta, du Nouveau-Brunswick, etc. disent: Nous voulons une association économique comme vous autres, mais nous voulons une association à dix dans laquelle les droits de chacune des dix provinces seront respectés et dans laquelle chacune des dix sera représentée à toutes les institutions, est-ce que vous êtes prêt à accepter le principe d'une association économique à dix? Vous avez le droit de définir pour le moment ce qu'est le Québec, mais c'est clair que vous n'avez pas le droit de définir ce qu'est le Canada anglais. J'ai l'impression que c'est cette espèce de réaction que vous aurez. On veut savoir si une asso- ciation à dix est quelque chose que vous pouvez accepter.

La troisième question est reliée au conseil communautaire. Tout le monde vous a posé la question et, jusqu'ici, vous n'avez pas répondu. Quelle composition prévoyez-vous pour le conseil communautaire? Comme tout le monde le sait maintenant, vous avez proposé deux organismes principaux pour l'association économique: l'union monétaire et le conseil communautaire.

Dans l'union monétaire, vous avez proposé une représentation du Québec conforme à son poids économique, ce qui veut dire à peu près 25%. Comme vous le savez, à la Banque du Canada, aujourd'hui, nous avons deux membres sur douze et, d'après votre proposition, cela va nous en donner trois sur treize à peu près.

Mais dans le conseil communautaire qui aura les pouvoirs décisionnels sur tous les autres éléments de l'association économique, sauf l'union monétaire, il est un peu bizarre que la représentation du Québec comparée à celle des autres provinces du Canada ne soit pas mentionnée. A-ton le droit de présumer que, dans votre esprit, ce sera à peu près la même que pour l'union monétaire, une représentation de 25-75 à peu près ou proposez-vous une autre proportion et sur quelle base?

La quatrième question de nature générale que je veux vous poser touche la durée du traité. Dans la proposition que vous présentez à la population, vous proposez une association liée à la souveraineté, les deux étant indivisibles. Vous dites à la population: Votez pour la souveraineté liée à l'association. La question que je vous pose, c'est: Est-ce vrai qu'en entrant dans ce nouveau statut les deux sont indissociables? Est-ce que, dans votre esprit, à votre idée, c'est indissociable en sortant? A titre d'exemple, je vous dis: Etes-vous prêt à mettre dans la constitution du Québec qu'un Québec indépendant est un Québec indépendant lié à une association économique avec le reste du Canada et que, si le traité d'association avec le reste du Canada est rompu ou terminé, le Québec ne sera plus indépendant? Est-ce que les citoyens du Québec doivent accepter le fait, s'ils votent oui, qu'ils votent oui pour une indépendance permanente et un traité d'une durée limitée qui pourrait être rompu?

Ce sont les quatre questions d'ordre général. Je passe maintenant à trois ou quatre questions qui touchent directement le conseil communautaire.

Dans votre description de ce conseil, vous dites: On attend. Vous avez eu douze années, je pense, pour définir les pouvoirs décisionnels, les responsabilités d'une association économique avec le reste du Canada, mais tout ce que vous dites dans le document, c'est: Le conseil communautaire aura un pouvoir de décision sur les matières qui lui seront confiées par le traité d'association et les décisions relatives aux questions fondamentales, requerront l'accord du Québec et du Canada, et la négociation postréférendaire va

déterminer quels sont les pouvoirs décisionnels essentiels. Il n'y a pas un seul mot sur les responsabilités de l'association.

Je veux vous poser des questions sur quatre sujets simplement pour savoir si c'est votre intention de confier ces pouvois décisionnels à ce conseil communautaire. (11 h 45)

Premièrement, les tarifs douaniers. Si je comprends bien, on tient pour acquis que le développement des tarifs douaniers sera la responsabilité de ce conseil communautaire. Je sais très bien que le conseil sera normalement obligé, aura la responsabilité d'administrer un traité sur les tarifs douaniers, d'accord. Quand vous parlez de votre mot à dire, qui sera réalisé dans le traité et dans l'administration du traité par le conseil, est-ce que vous parlez de l'administration de choses comme les contingentements sur les textiles, comme le pacte de l'automobile ou les autres libres marchés par secteur? Si ce conseil communautaire est formé présumément à 25% des Québécois et à 75% des autres, ou à 10% des Québécois et 90% des autres, si c'est d'égal à égal entre les dix provinces, est-ce que vous avez l'intention de confier les tarifs douaniers et la responsabilité du développement d'un libre marché comme le pacte de l'automobile et les contingentements, comme dans le cas du textile?

Deuxièmement, la défense. Il est mentionné que, probablement, on prévoira une défense commune. Est-ce que c'est votre idée que la politique de la défense sera soumise à un pouvoir décisionnel du conseil communautaire? Prenons par exemple la politique d'achat d'avions, une question qui est chaude aujourd'hui. Dans le cas d'achat d'avions pour la défense commune du Québec, du Canada, de l'Ontario ou de la Colombie-Britannique, etc., avec l'indépendance, comment prévoyez-vous le rôle du conseil communautaire, et dans l'achat des avions et dans les autres politiques de défense?

Troisièmement, l'investissement dans l'infrastructure. Vous avez prévu que les compagnies CN et Air Canada pourraient continuer à fonctionner comme des institutions conjointes. Est-ce que le conseil communautaire va définir la politique d'investissements dans l'infrastructure de ces institutions ou est-ce que c'est quelque chose qui sera réservé au Québec dans le cas des territoires québécois?

Une quatrième question, encore à titre d'exemple, la politique de concurrence et la politique des monopoles. Je ne veux pas aller plus loin, on va y revenir.

J'ai finalement, une série de quatre questions sur votre proposition de libre marché. A la page 63, vous avez proposé la libre circulation des marchandises et la libre circulation des personnes. Ces quatre questions vont peut-être donner une meilleure impression, une meilleure idée à la population de ce que vous proposez.

La Présidente (Mme Cuerrier): Vous pourriez peut-être réserver vos quatre questions, votre temps est déjà écoulé. Vous pourriez revenir.

M. Scowen: Si je peux passer en soixante secondes à travers les quatre, ce n'est pas nécessaire que je donne une explication.

La Présidente (Mme Cuerrier): Si vous voulez! Il vous reste une minute.

M. Scowen: Une minute, merci. Les quatre questions sont: Premièrement, la politique d'achat québécoise. Est-ce que vous prévoyez la continuation d'une politique québécoise d'achat, de préférence aux produits québécois, quand vous déclarez que vous êtes pour un libre marché et une libre circulation des services? La question de contrôle des changes. Elle a été mentionnée par M. Lévesque, le premier ministre il y a quelques semaines. La question des investissements étrangers. Comment prévoyez-vous contrôler cela dans le cas de ce libre marché? Le libre mouvement des personnes. Il y a quelques semaines, M. Lévesque a déclaré, a promis que la loi 101 serait abolie, advenant la souveraineté du Québec. Il disait dans une entrevue que ce serait possible, parce que nous aurons le contrôle total de notre immigration dans un Québec indépendant. Dans ce document, vous prévoyez la libre circulation des personnes entre le Québec et le reste du Canada. En effet, si M. Lévesque est correct, il a l'intention de contrôler lui-même l'immigration canadienne, de toute l'association. Il est difficile d'imaginer comment le Québec peut contrôler l'immigration de tout le pays. En effet, c'est là une contradiction sur laquelle on veut un certain éclaircissement.

C'est en tout une série de douze questions très précises. Si le ministre peut nous donner des réponses assez précises, je pense que la population aura une meilleure idée de ce qu'est la souveraineté-association.

M. Parizeau: Mme la Présidente, avant de répondre aux questions posées par le député de Notre-Dame-de-Grâce, j'avais annoncé un peu plus tôt que, pour ce qui a trait à certaines observations du député d'Outremont sur le pétrole, je souhaitais vivement que le ministre de l'Energie et des Ressources puisse présenter un certain nombre d'observations.

Alors, est-ce qu'il y aurait des objections, Mme la Présidente, à ce que cela se produise maintenant et je reviendrais après lui pour répondre aux questions posées par le député de Notre-Dame-de-Grâce?

La Présidente (Mme Cuerrier): D'accord, M. le ministre de l'Energie et des Ressources et député de Matane.

M. Bérubé: Effectivement, nous avons eu droit à un certain nombre d'assertions plus ou moins bien fondées et qu'il était assez amusant de relever, dans la mesure où, en fait, elles tombent tellement à plat ces jours-ci, parce qu'il s'agit carrément de charriages politiques qui n'ont rien à voir avec la réalité.

Premièrement, on nous dit: Le pétrole de l'Ouest, c'est une merveille et, grâce à ça, nous

allons continuer à pouvoir bénéficier d'une sécurité d'approvisionnement et si, évidemment, nous choisissons la souveraineté-association, nous ne pourrons plus bénéficier de cette sécurité d'approvisionnement. Qu'en est-il vraiment?

Premièrement, il faut quand même reconnaître que le pétrole albertain répond à peu près à la moitié de nos besoins. C'est indéniable. Il le fait depuis 1976, puisque, avant 1976, nous n'en recevions pas. Il faut maintenant regarder où nous nous en allons. On nous cite des chiffres.

J'ai devant moi des "Forecast of the supply and requirements of crude oil" de l'Energy Resource Conservation Board de Calgary, Alberta. Cet organisme a comme fonction de connaître les possibilités de production albertaine en pétrole, de regarder les besoins albertains en pétrole et de calculer ce qui sera disponible pour les autres. En 1978, on avait prévu une production de 1 666 000 barils par jour. Or, la production n'a été que de 1 278 000 barils par jour. En d'autres termes, prédiction optimiste, puisque la réalité a été inférieure à ce qu'on pensait produire.

En 1980, cette production prévue était de 1 629 000 barils par jour. En pratique, elle a été de 1 322 000 barils par jour. En d'autres termes, cet organisme a toujours comme habitude de prédire plus de production en Alberta qu'effectivement, on arrive à en produire. Et, en 1985, que nous prédit-on? 1 200 000 barils par jour, moins qu'en 1978, moins qu'en 1980, et si ces prévisions sont toujours aussi optimistes, il faut donc s'attendre que ce soit également inférieur; pour 1990, grâce à l'implantation de deux usines de production supplémentaire d'essence synthétique, à base des sables bitumineux, ça remonte à 1 320 000 barils par jour.

Mais, il faut maintenant regarder la demande interne de l'Alberta qui va de 241 000 barils à 338 000, ce qui veut dire que la disponibilité de pétrole albertain, pour le marché canadien, baisse de 1 400 000 à 982 000 barils par jour. Voilà ce que l'Alberta nous dit. On a oublié, de plus, que le Québec n'est pas situé à côté de l'Alberta, c'est-à-dire que la Saskatchewan va se servir en deuxième, forcément le Manitoba en troisième, l'Ontario en quatrième et le Québec, étant à l'extrémité du pipe-line, devra se contenter de ce qui reste. Que restera-t-il? Eh bien, en 1985, c'est l'Office national de l'énergie qui nous dit que le pétrole albertain, le pétrole de l'Ouest, répondra à 19% de nos besoins énergétiques.

Donc, cela va en diminuant. Si cela va en diminuant, regardons maintenant comment nous allons nous protéger sur les marchés mondiaux. Posons l'hypothèse maintenant que l'Iraq décide de réduire sa production de pétrole. Nous avons des approvisionnements qui baissent au Québec. Vous allez me dire! Nous allons en faire venir plus de l'Alberta. Mais non, elle ne peut pas vous en fournir plus. Donc, vous subissez l'impact directement.

S'imaginer que parce que nous recevons du pétrole de l'Alberta, cela va nous protéger contre les fluctuations du marché, c'est totalement irréa- liste. Parce que, en ce moment, vous ne pouvez pas accroître la quantité d'huile débitée par le pipe-line pour faire face à une pénurie subite dans l'Est. Cela a été reconnu lors de la dernière conférence des ministres de l'Énergie du Canada au moment où, effectivement, à la suite d'une analyse de chiffres qui nous étaient fournis par la fonction publique albertaine, il devenait évident que l'Alberta ne pouvait pas répondre, en ce moment, à une baisse subite de nos approvisionnements en provenance des pays étrangers.

Plus les années passent, pire la situation sera, puisque l'Alberta devra réduire sa production. Du pétrole albertain, nous en recevons, nous continuerons à en recevoir encore pendant un certain nombre d'années, mais cela va en diminuant et cela nous oblige à aller sur les marchés étrangers.

Deuxième question. A quel prix recevrons-nous du pétrole? Nos distinqués collègues vis-à-vis de nous disent: Nous allons le recevoir au prix de Chicago puisque cela semble faire l'objet d'un consensus. Je vous dirai sur quelle base reposait ce consensus, puisque j'y assistais à cette conférence des premiers ministres, remplaçant M. Lé-vesque, conférence qui devait porter sur l'énergie. Le consensus qui nous faisait tendre vers le prix de Chicago reposait sur les projections suivantes qui étaient mises à notre disposition: Au 1er janvier 1980, le prix de Chicago était de $24.50, contre $27.49, prix de Montréal. Donc, effectivement, le prix de Chicago était inférieur au prix de Montréal.

Cependant, l'accord sur l'accroissement du prix du pétrole reposait sur une projection et il s'agissait d'un accord d'une très courte durée. Quel était ce prix prévu en 1985 de la base sur laquelle il y a consensus? $48.27 le baril pour le prix de Chicago, et $46.29 pour le prix international à Montréal. En d'autres termes, l'entente à laquelle réfère le député d'Outremont — je la connais puisque j'y étais — repose sur une projection qui va faire que les prix du pétrole de Chicago vont excéder les prix internationaux.

Si le prix de Chicago n'excède pas les prix internationaux, il n'y a pas d'entente sur les prix du pétrole et on ne peut pas dire à ce moment-là que nous allons toujours avoir le pétrole en bas du prix international. Pourquoi ne peut-on pas avoir le pétrole en bas du prix international à long terme? C'est relativement facile à comprendre. Nous n'avons de pétrole au Canada que pour treize ans. La production canadienne et les chiffres qui nous avaient été fournis à ce moment, les derniers chiffres, étaient les suivants: En 1990, la production canadienne peut être sensiblement de l'ordre de grandeur des chiffres fournis par les recher-chistes du Parti libéral, elle était de 1 331 000 barils par jour. Je pense qu'on nous donne comme chiffres, 1 475 000 barils par jour. Donc, nous sommes dans le bon ordre de grandeur. Quelles étaient, cependant, les prévisions pour la consommation canadienne? 2 157 000 barils par jour.

Donc, la production canadienne ne répond plus qu'à 62% des besoins canadiens. On a oublié de tenir compte de la croissance de la consomma-

tion. Ce qui veut dire que si vous êtes au bout du pipe-line, vous en avez effectivement de moins en moins. Mais si vous l'achetez sur les marchés internationaux, vous allez donc devoir payer le prix international. Effectivement, depuis 1979, le Canada n'est plus un exportateur net de pétrole et, lorsqu'il importe du pétrole, il le paie au prix international. S'il veut subventionner le pétrole, il doit le faire à partir d'impôts qu'il perçoit, ou encore d'un accroissement de son déficit. Ce qui faisait dire, il y a à peine quinze jours, au président de Panartic Oil, une filiale de Pétro-Canada, une société fédérale, ce qui faisait dire à M. Hethring-ton que les Canadiens vont payer leur pétrole au prix international, mais sans s'en rendre compte, parce que — et c'étaient ses propos — sur $1 qu'ils paient à la pompe, il faut ajouter $0.50 de déficit fédéral qu'ils vont payer un jour ou l'autre sous la forme d'impôt. En d'autrs termes, c'est: Achetez maintenant, payez plus tard. Il faut donc s'en aller vers le prix international. (18 heures)

C'est d'autant plus inévitable que vous vous imaginez — et c'est le troisième élément de mon propos — la situation particulière où est placé le Canada lorsque, maintenant, il doit aller sur les marchés internationaux acheter du pétrole. Les pays arabes réduisent leur production actuelle de pétrole et demandent aux pays occidentaux de réduire leur consommation. Voilà qu'un délégué du gouvernement fédéral se présente en Arabie Saoudite et explique que la production canadienne ne répond plus à nos besoins, il nous faut acheter du pétrole sur les marchés internationaux. Avec beaucoup de sympathie, on l'écoute et on lui demande: Mais est-ce que votre consommation effectivement baisse, au Canada? Alors, on dit: Non, notre consommation augmente. C'était 4% par année, l'année dernière. On dit: C'est bizarre parce que la consommation dans le monde entier diminue, aux États-Unis elle a baissé de 4%. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi? Voyez-vous c'est simple. Nous avons une grande vente de pétrole, deux barils pour le prix d'un, alors, forcément les gens en achètent beaucoup. C'est pour cela que vous avez de la difficulté à approvisionner les Canadiens. Eh bien! Vous reviendrez.

Cela, c'est la politique pétrolière canadienne et cela nous amène, à ce moment-là, à regarder ce qui se passe sur le marché international.

En 1978, à peine 5% du pétrole sur le marché mondial s'est vendu d'État à État. En fait, les multinationales, les sept soeurs, Shell, Esso, Petrofina, achetaient leur pétrole directement des pays producteurs, en 1978, à 95%. Que s'est-il passé en 1979? 35% du pétrole international a été négocié dans des ententes d'État à État. Pourquoi? Les pays producteurs ne veulent plus négocier avec les multinationales du pétrole, c'est aussi simple que cela, ce qui augmente énormément l'importance de l'intervention de l'État. Et vous savez que ces achats de pétrole se font généralement dans le cadre d'ententes internationales, avec des échanges de technologie qui peuvent permettre la vente de technologie québécoise, de production québé- coise en échange effectivement d'achats de pétrole. Or, on peut maintenant se poser la question — et là je reviens à l'argumentation du ministre des Finances — quelle est l'importance des centres de décisions?

Présentement, nous avons, par exemple, à Québec, à l'Université Laval, un remarquable centre d'économie des ressources qui attire, à tous les deux ans, un colloque international de très grande importance dans le domaine du pétrole. Pourquoi les représentants de l'OPEP viennent-ils à Québec discuter pétrole? Parce qu'il existe une expertise québécoise dans le domaine, parce qu'il existe des points d'attraction à Québec; c'est lié simplement à la qualité des hommes et des femmes qui y travaillent. Lorsque ces Québécois veulent faire carrière dans le secteur du pétrole, ils doivent aller la faire à Toronto ou à Calgary puisque, de toute façon, les centres de décision n'existent pas au Québec dans le domaine du pétrole. Mais, quant à faire carrière à Calgary, pourquoi ne pas faire carrière au Texas, à la maison mère de Esso, où nous aurions encore de plus belles opportunités de carrière, puisque tous les arguments que nous apportent nos fédéralistes nous amèneraient à conclure que si, effectivement, il nous faut une plus grande intégration économique pour avoir des possibilités de carrière plus passionnantes à Calgary, à ce moment-là, pourquoi ne deviendrions-nous pas le 54e État américain ou le 56e ou le 57e puisque tous les arguments vont dans le sens d'une intégration canadienne aux États-Unis? Ce n'est pas cela qui se passe. Ce n'est pas cela qui se passe parce que les Canadiens anglais ne veulent pas s'intégrer aux États-Unis.

De la même façon, le Québécois, éduqué au Québec, veut faire carrière au Québec, veut être amené à participer à des décisions importantes, avec des compatriotes qui parlent sa langue, qui l'évaluent suivant ses critères, ses normes, qui sont les normes de sa société, par conséquent, il est intéressé à avoir des centres de décision au Québec, ceux que nous donne le souveraineté-association. Présentement, si c'est Pétro-Canada qui veut négocier sur le marché international nos achats de pétrole, est-ce qu'elle va faire les pressions, peut-être appropriées, pour inciter certaines multinationales du pétrole faisant affaires au Canada à implanter des centres de décision au Québec pour pouvoir obtenir cette part de pétrole que le Québec aura à négocier?

En d'autres termes, si le Québec est amené à négocier lui-même ses approvisionnements en pétrole, il aura un instrument de pression extraordinairement puissant pour rapatrier des centres de décision. Il échangera des centres de décision contre des approvisionnements en pétrole. Croyez-vous que la majorité anglophone du Canada utilisera ce levier pour forcer des compagnies majoritairement anglophones à s'établir au Québec et à fonctionner en français? Alors, là, vous avez beaucoup d'illusions, puisque vous avez vous-mêmes reconnu que, depuis vingt ans, il y a fuite continue des centres de décision au fur et à

mesure que le Québec s'affirme en tant qu'entité française.

Ce que nous disons, c'est que si le Québec veut vraiment être français, il faudra qu'il dispose des moyens à la mesure de ses politiques et, par conséquent, il faudra utiliser les moyens nécessaires. Et le pétrole est un très bel exemple, pour rapatrier des centres de décision, comme ceux dont on parle dans le domaine du pétrole. Voilà ce que la souveraineté-association va nous donner.

J'aimerais maintenant regarder un peu ce que le fédéralisme renouvelé blème va nous rapporter, puisque nous avons également la position du Parti libéral concernant ce renouvellement du fédéralisme. Alors, je lis: "La constitution affirmera le droit de propriété des provinces sur les ressources naturelles sises sur leur territoire et leur conservera la compétence exclusive pour gérer et réglementer les ressources naturelles". C'est remarquablement identique à peu près à la constitution actuelle.

Alors, je m'interroge. Est-ce qu'en vertu de cette proposition du Parti libéral, l'Alberta pourra elle-même déterminer les prix de vente de son pétrole, ou est-ce que ce sera le gouvernement fédéral qui décidera? Il faut le décider. Si je prends textuellement l'énoncé, l'Alberta étant propriétaire de son pétrole, elle pourra en exiger le prix qu'elle veut bien, sous condition d'en donner un droit de premier refus aux autres provinces, au prix qu'elle est capable d'obtenir ailleurs. Bon. Si c'est ça la proposition constitutionnelle du Parti libéral, en ce cas-là, on n'a qu'à regarder ce que le premier ministre de l'Alberta demande comme prix du pétrole, il demande le prix international. Donc, la réforme constitutionnelle proposée par le Parti libéral va faire en sorte qu'on va devoir payer ce que M. Lougheed demande, donc le prix international. Comment prétendre alors que c'est un avantage du fédéralisme, le fait qu'Ottawa peut forcer M. Lougheed à nous vendre le pétrole à moitié prix et nous dire, après ça: On va réformer le fédéralisme et, désormais, on va payer ce que M. Lougheed demande, soit le prix international.

En d'autres termes, j'aimerais savoir si oui ou non, suivant ce que vous proposez, les provinces vont pouvoir déterminer leur prix pour leurs richesses naturelles. Oui ou non, est-ce qu'elles vont pouvoir le déterminer? Si c'est oui, à ce moment-là, il n'y a aucun changement avec la souveraineté-association, et si c'est non, voulez-vous, s'il vous plaît, le dire à M. Lougheed, parce qu'il ne s'est jamais prononcé sur le détail de vos propositions constitutionnelles? Il est d'accord sur une bonne base de négociations, mais il ne s'est jamais prononcé sur le contenu. Je serais curieux de connaître la réaction de M. Lougheed si on lui annonçait que la position de M. Ryan consiste à lui interdire d'aller percevoir les revenus qu'il entend percevoir pour son pétrole.

Je serais très curieux de connaître sa réaction. En d'autres termes, ce qui me paraît assez évident, c'est que la souveraineté-association permet de rapatrier les pouvoirs de décisions au Québec dans un secteur aussi important que le secteur énergétique, dans des conditions absolument identiques à celles que nous avons connues dans le passé, c'est-à-dire que nous allons devoir acheter effectivement notre pétrole sur le marché international.

Et je termine sur un point. Tout récemment, M. Blakeney s'est élevé contre le fait que le gouvernement fédéral ne taxait pas l'électricité au Québec. Pourquoi taxer le pétrole des provinces productrices du pétrole, ressource épuisable, et non pas l'électricité qui, au contraire, est une ressource inépuisable?

Or, si nous allions payer le prix canadien moyen pour l'électricité, il nous en aurait coûté, en 1976, $400 000 000 et, en 1980, à peu près $600 000 000. Ce sont des estimations préliminaires pour 1980.

Cela veut dire, puisque les subventions en pétrole représentaient, au dire même du député d'Outremont, $578 000 000, qu'il nous en aurait coûté aussi cher de payer la taxe fédérale "uni-formatrice" sur l'électricité que ce que nous avons reçu en subventions.

On ne peut pas dire: On va partager la richesse des autres, mais nous, nous ne partagerons pas. Si on est logique avec soi-même, on partage au complet. Mais, à ce moment-là, cela n'a absolument rien donné au Québec. Au contraire, cela nous a pénalisés pour les siècles à venir, parce que nous aurons de l'électricité encore longtemps.

Prouvez-moi qu'il y a du pétrole pour plus de quinze ans en Alberta?

M. Raynauld: Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Cuerrier): J'avais compris que vous aviez...

M. Parizeau: Je pensais que nous avions une entente en vertu de laquelle je répondais aux questions du député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Raynauld: C'était une très courte intervention en réponse à ce que le ministre a dit.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre.

M. Parizeau: Mme la Présidente, avant d'aborder les réponses aux questions que posait le député de Notre-Dame-de-Grâce, je voudrais signaler ici une étonnante opposition entre mes deux vis-à-vis.

Le député d'Outremont nous disait qu'un Québec souverain va avoir un déficit de $4 200 000 000 d'après ses calculs.

Le député de Notre-Dame-de-Grâce disait hier soir, à la télévision, que le déficit sera de $6 000 000 000. Et il est revenu là-dessus ce matin.

C'est-à-dire que deux voisins de banquette divergent à l'heure actuelle, quant à l'ampleur du déficit d'un Québec souverain, par à peu près $2 000 000 000. Excusez du peu.

Je suggérerais que, quand même, ils accordent leurs violons; cela fait un peu discordant

comme concerto, ce matin. Est-ce que c'est $4 200 000 000?

M. Scowen: Mme la Présidente, si vous me le permettez.

M. Parizeau: J'ai essayé de soulever une question de privilège justement à cette occasion et on m'a dit que ce n'était pas faisable. C'est donc maintenant que je réponds. Et, autant que possible, sans être interrompu, Mme la Présidente.

M. Scowen: Pour le ministre des Finances, je peux régler la contradiction dans une seule phrase parce qu'il n'y a pas du tout de contradiction.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député, c'est la même chose que tantôt. Vous auriez toujours pu poser une question, qu'on l'accepte ou non. Mais vous n'avez pas à soulever de question de privilège en commission plénière. M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: Mme la Présidente, quand j'ai cherché tout à l'heure à intervenir spécifiquement sur cette question, que soulevait alors le député de Notre-Dame-de-Grâce, on m'a dit qu'en commission, il n'y a pas d'intervention pour rectifier les faits, ou quelque chose comme cela.

Je signalerai, d'autre part, qu'en vertu des règlements de cette commission, le député de Notre-Dame-de-Grâce a épuisé son droit de parole. Il a fait ses 20 minutes et il est spécifiquement indiqué dans notre règlement, si je comprends bien, qu'un député qui n'est pas le principal intervenant peut parler 20 minutes et pas plus.

M. Scowen: ... d'informer la population.

M. Parizeau: II a donc parlé 20 minutes et, s'il veut faire une nouvelle intervention, il le fera par le truchement du député d'Outremont, tout à l'heure.

Ceci étant dit, je reviens donc sur cette opposition étonnante...

M. Raynauld: Question de règlement.

La Présidente (Mme Cuerrier) Sur une question de règlement, M. le député d'Outremont.

M. Parizeau: II n'y a pas de...

M. Raynauld: Pour l'information du ministre des Finances, il y a des questions de règlement en commission, mais il n'y a pas de questions de privilège. Et mon collègue soulève une question de règlement. Je pense, Mme la Présidente, suivant les informations que j'ai sur le règlement, que vous êtes obligée d'accepter sa demande de question de règlement.

La Présidente (Mme Cuerrier): Mais que ce soit bien une question de règlement, M. le député.

M. Grégoire: Sur la question de règlement, si le député de Notre-Dame-de-Grâce veut soulever une question de règlement pour rectifier les faits, il aura l'occasion de le faire après l'intervention du ministre des Finances, mais il ne doit pas invoquer l'article 96 à ce moment-ci. Il le fera après l'intervention du ministre des Finances, tout comme le ministre des Finances l'a permis au député de Notre-Dame-de-Grâce tout à l'heure.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: Mme la Présidente...

M. Scowen: Mme la Présidente, j'ai soulevé une question de règlement à trois reprises et vous n'avez pas écouté ma question de règlement.

Une Voix: La réponse est non.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, voulez-vous lire l'article 96 du règlement, s'il vous plaît?

M. le ministre des Finances. (12 h 15)

M. Parizeau: Mme la Présidente, je reviens à ce que je disais. L'un dit $6 000 000 000 et l'autre $4 200 000 000. On s'entend bien sur le fait que je n'accepte pas un instant même le déficit de $4 200 000 000 que nous proposait, si je puis m'exprimer ainsi, le député d'Outremont pour un Québec souverain. Je n'accepte pas cela un instant.

Je lui ai spécifiquement indiqué, par exemple, que les dépenses du gouvernement fédéral à l'étranger, qu'il nous impute, je n'accepte pas cela autrement que sous bénéfice d'inventaire. On ne suivrait peut-être pas les mêmes politiques.

J'ai indiqué spécifiquement plus tôt que tous les dédoublements que nous pouvons enlever dans notre système où les deux gouvernements ont les pieds dans la même bottine vont réduire le déficit de façon très substantielle. Ce n'est pas que j'accepte ses $4 200 000 000, ce que je dis simplement, c'est qu'en prenant son chiffre comme étant exact pour 30 secondes — supposons qu'il le soit — ce qu'il a démontré clairement ce matin, c'est qu'un Québec souverain serait placé dans une situation préférable, du point de vue du déficit, à celle du gouvernement canadien à l'heure actuelle. C'est cela qu'il a démonré.

Cela étant dit, j'en reviens aux questions du député de Notre-Dame-de-Grâce. Je m'excuse, dans le cas d'un certain nombre de réponses, ce sera très court, parce qu'il me demande littéralement de m'occuper de choses qui ne me regardent pas.

Comment serait composée la table de négociation, côté canadien? Provinces-fédéral, fédéral au complet, combinaison des deux? Je dirai, Mme la Présidente, qu'il serait odieux pour nous de dire aux Canadiens: Voici comment vous allez établir votre table de négociation. Ce ne sont pas nos affaires. Je suis sûr qu'il y a assez de sagesse, si je peux m'exprimer ainsi, de l'autre côté, pour qu'il soit capable de déterminer la table de négociation qui fait mieux son affaire. Ce n'est pas à nous de lui dire.

Est-ce qu'il pourrait y avoir, dit le député de Notre-Dame-de-Grâce, une association à dix? Ce n'est pas notre problème. La façon dont les neuf provinces canadiennes et leur gouvernement fédéral se combineront, s'associeront, quels pouvoirs ils donneront à leur gouvernement fédéral se combineront, s'associeront, quels pouvoirs ils donneront à leur gouvernement fédéral et quels pouvoirs resteront aux gouvernements des provinces, c'est leur affaire, ce n'est pas la nôtre.

Quand on commence à aborder les pouvoirs du Conseil communautaire qui est prévu, dont on prévoit la négociation avec le Canada, là, c'est un peu différent. Il y a un certain nombre de réponses à donner au député de Notre-Dame-de-Grâce, mais il faut bien comprendre que ces réponses seront le résultat des négociations qui auront lieu. Le Conseil communautaire formé de ministres qui, au fond, supervisera les ententes quant à la politique commerciale, les ententes quant à la politique monétaire, il va falloir lui déterminer des pouvoirs. Par définition, les pouvoirs, cela se détermine à deux dans un cas comme celui-là. C'est pour cela qu'il y a une phase de négociation.

Il est évident que, sur un certain nombre de choses fondamentales, il faudra que cela se fasse d'égal à égal. On ne pourrait pas imaginer une structure d'un conseil communautaire qui serait celle où, invariablement et à tout coup, le Québec serait minoritaire et minorisé. Il y a un certain nombre de choses fondamentales où il faut quand même que l'on puisse établir un consensus, où il faut marcher par consensus.

Il est évident que, sur le plan des politiques majeures... Je pense, par exemple, à ceci: Un gouvernement de Québec voudrait qu'on ait le libre échange complet à l'égard du reste du monde et un gouvernement canadien voudrait au contraire qu'on ait une protection très élevée. Je grossis à dessein, je caricature à dessein. Il est évident que le Conseil communautaire ne pourrait pas durer très longtemps s'il y avait une opposition de cette ampleur.

De la même façon, ce serait impensable que les représentants d'un gouvernement disent: On va utiliser les ressources de la Banque centrale ou de l'Autorité monétaire, plutôt, pour maintenir la valeur du dollar canadien à un très haut niveau, alors que l'autre gouvernement dirait: Je veux avoir un taux de change à $0.85. Sur des choses fondamentales comme celles-là, il faut fonctionner dans un cadre analogue, remarquez-le bien d'ailleurs, à ce qu'on trouve au niveau de certaines autorités conjointes en Europe, c'est-à-dire sur une base de consensus. Quand on est une association, il faut tout de même qu'on s'entende sur un certain nombre de choses fondamentales.

Au contraire, sur le plan ou bien du fonctionnement au jour le jour des décisions, ou bien sur le plan sectoriel, là il n'y a pas de raison que l'on cherche à donner à l'un ou l'autre des deux gouvernements une sorte de veto perpétuel. Cela finirait par tout stériliser. Comme on le dit dans le livre blanc — c'est, à mon sens, très juste comme observation — on peut fort bien imaginer une prépondérance donnée au Canada à l'égard de la politique commerciale qui s'applique au blé, par exemple, et une prépondérance donnée au gouvernement de Québec pour tout ce qui a trait au commerce extérieur de l'amiante. Ce sont des choses faisables et qui, encore une fois, n'aboutiront qu'après la négociation.

Il faut aller négocier pour savoir avec quoi on revient. C'est la raison pour laquelle on prévoit ce deuxième référendum. On dit: On va voir, on va négocier, on va voir avec quoi on revient, et là, il y aura un deuxième référendum où on dira aux gens: Avant de changer quoi que ce soit au statut politique, vous allez voter à nouveau, ce qui est la façon normale, raisonnable de procéder. J'en dirai autant quant à ce que disait le député de Notre-Dame-de-Grâce. Imaginons qu'il y a un traité d'association de quinze ans, qu'au bout de quinze ans, le traité d'association se termine et que les deux parties ne soient pas intéressées à continuer. Est-ce qu'à ce moment, le Québec qui a été souverain pendant quinze ans, redevient une province canadienne? C'est un faux problème. C'est le genre de choses justement qu'il faudra, à l'occasion du deuxième référendum, à l'occasion d'un projet d'une nouvelle constitution, clarifier de façon très simple. Ce serait d'un bizarre intense, ce serait unique dans l'histoire du monde que des gens, après avoir été quinze ans souverains, disent: Maintenant, on redevient province. Je comprends que le Québec, comme on dit, est une province pas comme les autres, mais à ce point, ce serait assez surprenant.

Je continue dans la liste des questions. De quoi s'occuperait ce conseil communautaire? Sûrement des deux questions fondamentales dont je parlais tout à l'heure: politique commerciale et douanière et politique monétaire, dans le sens très large du terme. Est-ce que le conseil communautaire pourrait s'occuper d'autres choses? Le député de Notre-Dame-de-Grâce disait: défense nationale, infrastructures, etc. Je vous dirai que sur ces plans, on verra. Il y a deux questions fondamentales: la politique commerciale et la monnaie. Le reste est essentiellement négociable. Ce n'est pas de savoir si c'est intéressant. Je vais vous en donner un exemple qui n'est pas utilisé par le député de Notre-Dame-de-Grâce, mais qui s'applique très bien au genre de questions qu'il posait: l'aviation, les lignes aériennes. Il est clair qu'un Québec souverain va avoir à l'intérieur de ses frontières une société qui va s'occuper de transport aérien. C'est très clair.

Sur le plan des lignes internationales, est-ce qu'on aurait une ligne québécoise pour relier Londres, Paris, je ne sais pas quoi ou la Floride? Ou bien est-ce qu'on aurait une société qui serait propriété à la fois du Canada et du Québec, un peu dans le sens des lignes Scandinaves où les pays Scandinaves se sont entendus pour créer une société internationale aérienne, SAS? On serait fous de ne pas explorer avec les autorités canadiennes la possibilité de faire cela, de voir comment cela peut fonctionner, si c'est intéressant pour les deux. Selon les réponses que la négo-

ciation donnera, ou bien on marchera seul ou bien on marchera ensemble. On compare des avantages et des inconvénients, des coûts et des bénéfices et on voit ce que cela donne.

Donc, il y a dans le rôle du conseil communautaire deux éléments fondamentaux. Le reste, il faut voir. Si c'est intéressant, si cela rapporte, si c'est un bon placement, oui. Si cela ne rapporte pas, si ce n'est pas intéressant, non. On fonctionne, dans tous ces autres domaines, en fonction de nos intérêts. C'est ce qui est remarquable, encore une fois, que d'être capable de rapatrier les décisions au Québec et dire: Cela est dans notre intérêt, on marche, cela n'est pas dans notre intérêt, on ne marche pas. La souveraineté, c'est cela.

Il y avait quelques dernières questions que soulevait le député de Notre-Dame-de-Grâce, comme: Est-ce qu'il va y avoir une politique d'achat au Québec? Oui, bien sûr, il va y avoir une politique d'achat au Québec. Qu'un pays soit souverain ou que le Québec soit une province, il a toujours des politiques d'achat. On ne peut pas soupçonner l'Ontario d'être un gouvernement sur le bord de vouloir être souverain. L'Ontario ou Hydro-Ontario, par exemple, a des politiques d'achat implicites, mais qui durent depuis des dizaines et des dizaines d'années.

Les provinces canadiennes, traditionnellement, ont des politiques d'achat. Il serait, quand même, étonnant, mais tout à fait étonnant que le Québec, qui, lui aussi, a des politiques aujourd'hui et en a eu depuis des années, dise: En devenant un pays souverain, on n'en aurait plus. Évidemment, ce qui peut se faire et ce qui, j'imagine, se fera, c'est que, de temps à autre, on examinera des deux côtés nos politiques d'achat, en disant: Est-ce qu'elles ne vont pas trop loin? Est-ce qu'il ne serait pas préférable d'en réduire l'ampleur, de négocier un peu la possibilité de réduire les barrières que ça implique? Mais, là encore, on se laisse guider par quoi? On se laisse guider par notre propre intérêt.

J'ai toujours été tout à fait étonné de penser que l'on nous reprochait, depuis 20 ans que je suis ces questions au Québec, d'avoir des politiques d'achat, alors qu'on n'a jamais même été étonné de voir certaines sociétés d'État ontariennes refuser des soumissions présentées par des sociétés d'autres provinces. Cela, c'était normal chez elles. Mais, chez nous, c'était anormal d'avoir une politique d'achat.

Dorénavant, dans un cadre de souveraineté, si les politiques d'achat, de part et d'autre, sont considérées comme allant trop loin, on pourra s'en parler et voir dans quelle mesure il est de l'intérêt des deux de les abaisser. Là encore, le fait d'avoir les décisions en main permet d'aboutir à des choses ou à des résultats que nous n'avons jamais pu atteindre jusqu'à maintenant.

Voilà, Mme la Présidente, ce que je voulais dire pour le moment.

M. Scowen: Je veux simplement rectifier deux faits très importants, Mme la Présidente.

Le Présidente (Mme Cuerrier): M. le député, en vertu de l'article 96, vous pouvez maintenant intervenir — c'est une question de règlement — sur des choses que vous avez déjà dites, pour donner une explication sur ce que vous avez déjà dit. Il faut que votre explication soit courte et qu'elle ne suscite pas d'autre débat et qu'elle ne contienne pas de questions.

M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Scowen: Je vais essayer de suivre attentivement toutes les conditions, Mme la Présidente. Premièrement, l'écart entre le déficit prévu par mon collègue de $4 000 000 000 et le mien de $6 000 000 000 est très simple à expliquer. Si on avait fait l'indépendance en 1978, le coût aurait été de $4 000 000 000. Si on la fait en 1980, avec le déficit record du ministre des Finances de cette année, le coût, le déficit sera de l'ordre de $6 000 000 000. C'est la différence. Cela devient pire de faire l'indépendance.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député, n'ajoutez pas d'explications. C'est simplement sur ce que vous avez dit.

M. Scowen: Deuxième point, je n'ai pas soulevé, je pense... Est-ce que j'ai dépassé les...

La Présidente (Mme Cuerrier): C'est sur ce que vous avez dit vous-même.

M. Scowen: Sur la première, est-ce que j'ai observé le règlement?

La Présidente (Mme Cuerrier): Allez!

M. Scowen: J'en ai deux autres, Mme la Présidente, et je vais essayer d'être aussi rigoureux que dans la première. Merci.

Le deuxième point que je voulais soulever, je pense que le ministre m'a mal compris. Je lui ai demandé non pas s'il acceptera de négocier avec dix provinces, mais s'il acceptera une association de dix gouvernements. Cela, c'est la probabilité. Est-ce que vous êtes prêt à accepter une association économique de dix gouvernements?

M. Grégoire: C'est une question, Mme la Présidente. On retourne dans le domaine des questions. Vous l'avez bien spécifié. On lui a permis de poser une douzaine de questions pendant 20 minutes et là on recommence encore la période des questions.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Frontenac, j'ai déjà entendu votre question de règlement. Je pense que M. le député de Notre-Dame-de-Grâce avait raison quand il a dit que M. le ministre l'avait mal compris ou que vous vous étiez mal exprimé quant à cette chose-là. Je pense que c'est ça et c'est là que vous auriez dû vous arrêter.

M. Scowen: La troisième, Mme la Présidente, je pense que le ministre m'a mal compris quand je

lui ai demandé de nous donner des détails spécifiques sur le projet d'association. J'ai dit, Mme la Présidente, que ça date maintenant, ce projet, de douze ans. Je trouve aujourd'hui — et je pense que la population le trouve aussi — que c'est inadmissible — je termine, Mme la Présidente — de donner un exemple que le ministre lui-même qualifie de grossier et, ensuite, de dire que, pour les autres questions de l'association, on va les régler le cas échéant lors des négociations. Ils ne savent même pas aujourd'hui ce qu'ils veulent faire.

M. Grégoire: Mme la Présidente, c'est une question de règlement. Je crois que ça devient une réplique. S'il veut en faire une réplique, qu'il le prenne sur son temps.

Une Voix: II n'en a plus de temps. (12 h 30)

La Présidente (Mme Cuerrier): Je devrai vous faire remarquer, M. le député, que vous avez déjà utilisé un peu plus que le temps qui vous était imparti. Alors, je ne pourrai plus vous reconnaître, malheureusement, pour aujourd'hui.

M. Scowen: C'étaient les trois seuls faits que je voulais rectifier, Mme la Présidente, et je vous remercie infiniment de votre coopération.

La Présidente (Mme Cuerrier): Les intervenants privilégiés de cette commission aujourd'hui sont M. le député d'Outremont et M. le ministre des Finances.

M. Parizeau: Mme la Présidente, sur une question de règlement.

La Présidente (Mme Cuerrier): Sur une question de règlement, M. le ministre.

M. Parizeau: Je dois vous demander une directive. Il est évident que le député de Notre-Dame-de-Grâce a, à partir d'une question de règlement, soumis un certain nombre d'éléments et je veux répondre à partir du même principe qu'il a utilisé.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre, puisque M. le député dit qu'il a été mal interprété, vous pouvez toujours intervenir aussi, en vertu de l'article 96, pour donner des explications sur ce que vous avez dit.

M. Parizeau: Simplement en vertu de l'article 96, Mme la Présidente, je voudrais dire quelques mots.

Lorsque le député de Notre-Dame-de-Grâce dit: Mon estimation du déficit de $6 000 000 000, je l'applique à 1980. Comment arrive-t-il à faire cela? Il présente cela comme une donnée en disant: Ce ne sont pas les mêmes années. Il n'y a pas encore de budget fédéral pour 1980, mais, néanmoins, il nous impute un déficit. Il n'y a pas de budget fédéral, on ne connaît absolument pas ces changements d'impôt. Pour 1980-1981, on ne connaît pas le déficit fédéral.

S'il place le déficit de $6 000 000 000 en 1980 en disant: Ce n'est pas la même année que celle utilisée par le député d'Outremont, je lui dis, à ce moment-là, que c'est un chiffre tiré en l'air.

D'autre part, il est possible que j'aie mal compris quand il a dit: Est-ce que vous voulez une association à dix? A ce moment-là, est-ce que vous accepteriez une association à dix? Je dois dire, Mme la Présidente, que je ne comprends pas le sens de sa question. Est-ce qu'il veut nous demander si on trouverait acceptable qu'il n'y ait plus de gouvernement fédéral? Est-ce que c'est cela le sens de la question? Si c'est cela, je dois simplement dire que je ne la comprends pas, à partir du principe que je ne vois pas en vertu de quoi je demanderais aux Canadiens anglais des autres provinces de supprimer leur gouvernement fédéral; je ne comprends pas le sens de sa question.

M. Scowen: Je voudrais rectifier. Il a dit qu'il n'a pas compris...

M. Grégoire: Mme la Présidente, il y en a d'autres qui veulent parler.

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député, malheureusement, je vous ai dit... S'il vous plaît! Je vous ai bien dit, M. le député, que votre temps de parole était définitivement écoulé. M. le député d'Outremont...

M. Scowen: Mme la Présidente...

La Présidente (Mme Cuerrier):... je vous donnerai maintenant la parole et il faudrait bien être attentif pour réserver dix minutes pour votre conclusion et dix minutes pour la conclusion de M. le ministre. Si vous aviez une courte question qui permettrait un échange, après cela nous pourrions terminer à 12 h 40, c'est-à-dire afin de réserver le temps des conclusions de chacun des intervenants privilégiés.

M. le député d'Outremont.

M. Raynauld: Mme la Présidente, je voulais quand même avoir l'occasion de parler un peu de l'union monétaire, mais avant de passer à cette question qui est assez importante, je ne peux pas m'empêcher de faire quelques remarques sur les questions de pétrole, à nouveau. Je ferai deux remarques.

La première, c'est que je trouve cela absolument extraordinaire et d'une grande ironie que le ministre de l'Energie essaie de nous faire la démonstration que n'ayant pas une goutte de pétrole au Québec, si on était indépendant, on pourrait rapatrier les centres de décision, d'une part, et on serait sûrement aussi bien en étant indépendants qu'à l'intérieur d'un pays qui possède des ressources considérables en pétrole. Cela dépasse mon entendement. On est dans un pays qui a du pétrole, on est dans un pays qui découvre du pétrole; on ne parle plus seulement de l'Alberta maintenant, c'est un fait qu'on a découvert du pétrole aussi au large des côtes de Terre-Neuve;

c'est le plus gros puits, apparemment, en dehors du Moyen-Orient, 20 000 barils par jour, les forages ne sont pas terminés. De toute façon, je ne veux pas discuter là-dessus. Il n'y a rien là...

M. Bérubé: C'est encore de la mécanique.

M. Raynauld: J'ai vu la série de télégrammes qui a été faite à partir des tests. A l'heure où on se parle, on estime qu'il y a 20 000 barils par jour. Ce n'est quand même pas négligeable!

De toute façon, nous faisons partie d'un pays où il y a du pétrole, où il y a du pétrole des sables bitumineux pour 200 ans et on serait mieux si on était indépendant. On n'a pas une goutte de pétrole, mais cela ne fait rien, on essaie de nous démontrer qu'on serait mieux si on n'était pas là. C'est quelque chose, je pense, que les gens vont comprendre tout à fait. C'est vraiment un sens commun tout à fait évident. On a parlé de l'Islande aussi l'autre jour. J'ai des nouvelles pour ceux qui parlent de l'Islande avec des taux d'inflation de 60% par année depuis quatre ans. Qu'on en parle de l'Islande, on pourra y revenir.

Ensuite, on a parlé de la consommation, tout à l'heure. On a dit que la consommation allait augmenter en même temps que la production sur laquelle j'avais attiré l'attention. C'est exact que la consommation monte. Cependant, j'ai une étude ici de Energie, Mines et Ressources, où, comme par hasard, la demande ou la consommation de pétrole dépend du prix. C'est curieux. Cela dépend du prix. Si le ministre a raison de dire qu'on va rejoindre le prix international très rapidement, l'étude ici montre qu'il y aura une substitution du gaz naturel au pétrole. Cela aussi fait partie des plans du gouvernement actuel d'augmenter la consommation de gaz naturel, avec le résultat qu'en l'an 2000, avec une incitation à la consommation du gaz, qui est une hypothèse, évidemment, mais à 60%, la consommation de pétrole reste constante de 1985 à l'an 2000. La consommation de pétrole reste constante au Canada. Alors, cela dépend donc du prix et cela dépend de la substitution qui va se faire. Par conséquent, je pense que ce n'est pas une évidence du tout qu'on sera toujours les derniers servis parce qu'il n'y aurait plus de pétrole dans l'Ouest. Alors, non seulement il pourrait y avoir du pétrole ailleurs que dans l'Ouest, et là on ne serait plus les derniers, peut-être qu'on serait au début de la chaîne, mais chose certaine, cela me paraît extraordinaire qu'on puisse penser qu'on serait mieux si on était indépendant, alors qu'on n'a pas de pétrole, que faisant partie d'un pays où il y en a, même si on se chicane sur la somme de pétrole qui peut exister.

C'était mon premier point. J'aimerais bien maintenant, Mme la Présidente, soulever la question qui se relie un peu aux questions que mon collègue a voulu poser. Je vais poser une question très générale et je vais peut-être faire quelques commentaires.

Ce qui nous préoccupe à l'heure actuelle, de ce côté-ci, c'est de savoir si vraiment le gouver- nement veut une association. Le ministre des Finances a dit: C'est bien évident de part et d'autre de cette Chambre, on s'entend, on veut avoir une association. C'est bon d'avoir une association. Nous avons des doutes que le gouvernement du Parti québécois veuille d'une association. C'est le problème qu'on a. On a des doutes sérieux, parce que chaque fois qu'on parle de quelque politique que ce soit, par exemple le rapatriement des centres de décision, les politiques d'achats, la politique tarifaire, les politiques monétaires, chaque fois qu'on parle de ces choses-là, c'est toujours dans l'hypothèse d'un Québec indépendant, parce qu'il n'y a pas d'exception pour les autres parties du Canada quand vient le moment de discuter là-dessus.

J'ai soulevé la question des institutions financières et des banques, Mme la Présidente. Si on était vraiment associé avec des partenaires, est-ce qu'on ne voudrait pas plutôt essayer de maintenir la situation qui existe quant à la propriété ou au contrôle des banques à charte? On dirait: Oui, on s'associe avec vous, on va donc admettre qu'on ne va pas vous traiter comme des Japonais ou comme des Brésiliens, en tout cas, comme des étrangers. Cela tombe sous le sens. Or, il n'y a pas d'exception pour le reste du pays. On parle de politique d'achats. On ne dit pas qu'on va essayer de négocier une entente et que peut-être il pourrait y avoir des accords de réciprocité ou quelque chose, non. On dit: On veut avoir une politique d'achats. On ne devient quand même pas indépendant pour ne pas changer les règles du jeu à notre avantage, mais jamais on ne fait d'exception pour le reste du Canada. Par conséquent, je dis, en ce qui me concerne, que le jugement que je fais, c'est que le gouvernement du Parti québécois ne veut pas d'association; elle n'a pas de contenu l'association. Chaque fois qu'on soulève une chose... Qu'est-ce qu'il y a, Mme la Présidente?

La Présidente (Mme Cuerrier): Je veux simplement vous faire signe que vous pourriez toujours laisser...

M. Raynauld: II n'est pas et quarante encore.

La Présidente (Mme Cuerrier): ... deux minutes pour une réponse à votre question. Autrement, vous ne pourrez pas en avoir, parce que M. le ministre de l'Energie et des Ressources n'a que deux minutes et il ne pourra pas prendre de temps sur le temps des conclusions.

M. Raynauld: Mais, Mme la Présidente, cela dépend si on parle pendant dix minutes pour conclure.

La Présidente (Mme Cuerrier): Non, il n'a que... De toute façon, c'est comme vous...

M. Bérubé: ... connaître ma réponse.

M. Raynauld: On n'est pas intéressé aux réponses, parce qu'on a eu beaucoup de répon-

ses, ce n'est pas la première journée qu'on fait un débat sur la souveraineté-association, ce n'est pas la première fois, ça fait des années qu'on vous entend répondre à côté des questions qu'on pose. Là, j'en pose une nouvelle. Je l'ai posée au ministre des Affaires intergouvernementales, il n'y a pas longtemps, et vous pensez qu'on a eu une réponse? On n'a pas eu de réponse. On parle de rapatrier à peu près toutes les institutions, on va racheter, on va acheter le monde entier, on a tout l'argent qu'il faut pour faire ces choses et on dit: Est-ce qu'on fait une association avec le Canada, oui ou non? Si on fait une association, peut-être qu'avant de dire qu'on va acheter tout le reste du Canada, tout ce qu'il y a au Québec, à ce moment-là, on dirait: Ça va se discuter.

Il y a 500 sociétés fédérales qui vont être supprimées puisqu'il n'y a plus de gouvernement fédéral, qu'est-ce qu'on nous répond? On changera la casquette des postiers. Après ça, on s'en va, peut-être Air Canada, peut-être qu'on pourrait faire quelque chose. Peut-être, pour Air Canada, peut-être que ça serait imbécile d'avoir deux sociétés, parce que ce seraient deux gros déficits plutôt que d'autre chose, là, peut-être, oui.

C'est comme ça qu'on traite des associés éventuels avec lesquels on veut faire des affaires, c'est comme ça? On va aller se promener, faire des discours à Toronto et on va aller dire aux gens de Toronto: Vous savez, on a un peu de pouvoir, le Saint-Laurent, après tout, passe dans notre province. Alors, pensez-y donc deux minutes avant de dire: Bof, on pourra ne pas s'occuper de vous. Pensez-y donc un peu, la suggestion étant qu'on pourrait bloquer le Saint-Laurent, on pourrait peut-être avoir des motoneiges sur le Saint-Laurent, l'hiver, essayer de bloquer cette affaire, pour faire peur aux autres. C'est comme ça qu'on se comporte avec des associés avec lesquels on veut faire des affaires? Non, ce n'est pas comme ça. Je suis bien obligé de conclure que si on se comporte comme ça et c'est ça qu'on fait, qu'il n'y a jamais de place pour personne d'autre, sauf pour nous, je suis bien obligé de conclure qu'il n'y aura peut-être pas d'association.

Union monétaire

En ce qui concerne la monnaie — le ministre des Finances est parti, malheureusement, j'aurais aimé ça savoir un peu où il en est dans ses délibérations psychologiques sur la monnaie, parce que depuis 1977 le ministre des Finances nous dit qu'il n'aura probablement pas de monnaie. Il a déclaré ça à Toronto, il n'y a pas longtemps, c'est possible, mais ce n'est pas probable. Au HEC, en 1978, je ne crois pas qu'on s'entende sur une monnaie commune. Juillet 1978, une monnaie commune, c'est souhaitable sur le plan psychologique, mais vous savez, la souveraineté politique exige qu'on ait tous les contrôles, tous les instruments de contrôle sur notre développement. Est-ce qu'on va en avoir une, une union monétaire, si le ministre des Finances continue à répéter des choses pareilles? Si on n'a pas d'union monétaire, où est-ce qu'on en est? On va les payer comment, les dettes qu'on est supposé rapatrier, parce qu'on aime ça, rapatrier, au Québec. On rapatrie des dettes, on rapatrie des factures, on rapatrie des déficits, on est content, on a rapatrié des choses, c'est à nous autres. On va les payer comment, ces dettes? Avec quelle sorte de monnaie? Parce que ce n'est plus clair que ce seront des dollars canadiens, ce n'est plus clair du tout. Une union monétaire possible, mais pas probable. Possible...

M. Scowen: Psychologiquement.

M. Raynauld: Ouais, et c'est souhaitable sur le plan psychologique. Sur le plan des faits, sur le plan objectif des politiques économiques, franchement, ce sont des entraves inacceptables. Par conséquent, on en est rendu, à l'heure actuelle, à se poser des questions. L'union monétaire, est-ce qu'on en veut une, comme c'est marqué dans le livre blanc, ou si le ministre des Finances aura gain de cause dans ses convictions qu'il nous laisse partager, comme ça, d'un discours à un autre? On peut se poser des questions.

Est-ce qu'il va y avoir une monnaie commune? Et s'il n'y a pas de monnaie commune, et même s'il y en a une d'ailleurs, est-ce que le ministre des Finances est prêt à réaffirmer ce qu'il a dit ici il n'y a pas tellement longtemps, que, de toute façon, on serait en surplus, à la balance des comptes courants?

Je pense qu'il a dû lire l'introduction aux comptes économiques provinciaux. Il est bien indiqué qu'on ne peut pas interpréter les exportations nettes comme un compte courant. Si cela n'est pas un compte courant, cela veut dire qu'il ne peut pas se fier là-dessus pour dire qu'il va y avoir un surplus. Est-ce que cela ne serait pas un peu surprenant qu'on fasse un surplus au Québec, lorsque la balance des comptes courants au Canada est en déficit de $5 000 000 000 depuis trois ou quatre ans de suite? Ce serait un peu curieux tout de même que le Québec soit en surplus et que l'ensemble du Canada soit en déficit de $5 000 000 000 par année. (12 h 45)

Qu'il nous explique donc sur quelle base il pense qu'on va avoir une monnaie tellement forte qu'on va pouvoir payer nos dettes avec une monnaie québécoise. S'il n'y a pas de monnaie québécoise, le fonds des changes, est-ce qu'il va être à notre disposition également? Est-ce que le fonds des changes va être à notre disposition, indépendamment des déficits qu'on va faire? Et c'est quoi le déficit, quand on pense à la facture pétrolière dont j'ai parlé tout à l'heure, en 1980, $6 000 000 000? Ce serait surprenant qu'on soit en surplus tout à coup, quand on fait état de l'ensemble de ces faits.

Si nous ne sommes pas en surplus, je dis une chose: Sur le plan de l'union monétaire, on n'aura pas accès sans restriction aux devises étrangères gagnées par les autres et on va être obligé de prendre des dispositions pour arrêter ce déficit sur le compte courant. Si on a une monnaie distincte, elle va être dévaluée. C'est cela que cela va

faire. C'est l'un ou l'autre. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier): Dix minutes pour la conclusion de M. le ministre.

M. Parizeau: Mme la Présidente, comme nous ne sommes pas tout à fait à 13 heures et que je garde dix minutes, est-ce que je pourrais permettre à mon collègue de prendre les deux minutes qui restent?

M. Raynauld: II a terminé ses 20 minutes lui aussi.

La Présidente (Mme Cuerrier): Au début, nous avions bien déterminé que nous préserverions les vingt dernières minutes pour les deux intervenants privilégiés. Je me vois dans l'obligation de m'en tenir à l'entente que nous avions faite entre nous. M. le ministre des Finances, votre conclusion devrait durer dix minutes.

M. Bérubé: Question de directive, Mme la Présidente. Tantôt j'ai cru comprendre, à l'interrogation que vous avez faite au député d'Outremont, que vous vouliez justement m'accorder deux minutes pour me permettre de répondre aux questions que le député d'Outremont m'a posées spécifiquement.

Est-ce que je comprends bien que son intention était de poser des questions, mais que, spécifiquement, il était préférable pour lui que les réponses ne sortent pas à la télévision et que l'objectif pour lui serait d'avoir les faits et non pas la réponse? Est-ce que je comprends bien cela?

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le ministre, je me trouve dans une situation assez embarrassante dans le sens que nous ne devons pas dépasser 13 heures pour ajourner le débat, mais nous avions très bien dit qu'après les dix minutes de conclusion qui devaient commencer à 12 h 40, nous aurions probablement pu utiliser chacun dix minutes pour les intervenants privilégiés. Comme M. le député d'Outremont considère que son intervention était sa conclusion et qu'il a quand même commencé sa conclusion avant le moment que nous avions déterminé, je me trouve vraiment en situation fort embarrassante et je vous demande votre collaboration. Cela va?

M. le ministre des Finances, les dix minutes de conclusion, si j'ai bien compris. M. le ministre.

Conclusion du ministre

M. Parizeau: En conclusion, Mme la Présidente, je pense qu'on a tout de même, ce matin, réussi à établir un certain nombre de choses. Je voudrais essayer d'en faire brièvement le résumé, parce qu'il est rare qu'on en arrive, à l'occasion de discussions comme celles-là, vraiment à établir un certain nombre de conclusions et là, je pense que nous en avons quand même quelques-unes.

La première conclusion, c'est que, si l'on suppose que les Québécois paient tous leurs impôts au gouvernement du Québec et toutes leurs taxes au gouvernement du Québec et que, d'autre part, le gouvernement du Québec fournit aux Québécois les mêmes services que ceux qu'ils reçoivent à l'heure actuelle, y compris les pensions de vieillesse, y compris tout le reste, le déficit budgétaire qui apparaîtrait serait en fait proportionnellement plus faible, dans les pires des conditions et en supposant que l'on ne fasse rien pour réduire les doubles emplois et les chevauchements des deux gouvernements, en supposant qu'on ne fasse rien, néanmoins, le Québec serait dans une meilleure position financière que le gouvernement fédéral ne l'est aujourd'hui. Je pense que c'est une conclusion fondamentale qui correspond à ce que nous soutenons depuis fort longtemps de ce côté-ci et que je vois confirmée par nos amis d'en face pour la première fois. Je pense que c'est un moment historique que nous connaissons.

M. Scowen: Au contraire, Mme la Présidente c'est une fausseté grossière.

Une Voix: Remarquable démonstration. M. Parizeau: Deuxièmement...

La Présidente (Mme Cuerrier): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, je regrette, nous en sommes à la conclusion. M. le ministre.

M. Scowen: Mais c'est simplement pour dire que ce n'est pas vrai...

M. Parizeau: Deuxièmement, Mme la Présidente, nous avons... Mme la Présidente, je pense que, quand on entend des injures comme celles que je viens d'entendre, c'est que, manifestement, une déclaration à porté. J'en prends bonne note.

La deuxième conclusion, je pense, à laquelle nous en arrivons, c'est que, fondamentalement, l'association avec le Canada se fait sur deux plans: la politique commerciale, la libre circulation des produits et, d'autre part, la même monnaie.

Sans doute, on m'a remis sous le nez, si je puis m'exprimer ainsi, certaines des discussions que j'ai souvent eues dans le public, dans le passé, où, essentiellement, je voulais dire ceci: L'union douanière, ce n'est pas très difficile à faire accepter par le reste du Canada dans son ensemble, si on veut, mais surtout par l'Ontario qui a le même intérêt que nous là-dedans et qui a le poids qu'on connaît dans le Canada. D'ailleurs, entre nous cette idée d'une union douanière n'a jamais été vraiment attaquée en Ontario. Les Ontariens sont aussi réalistes que nous; ils savent très bien à quel point c'est dans leur intérêt comme dans le nôtre.

Pour ce qui a trait à l'union monétaire, ce n'est pas tout à fait la même chose, bien sûr, parce que c'est commode sans doute pour les deux, mais c'est tout de même plus astreignant. Il est évident, par exemple, qu'il faut avoir à peu près le même genre d'idées quant à l'évolution du taux de change qu'on envisage.

II est clair aussi qu'un pays ne peut pas vouloir un rythme d'inflation à toute allure, pendant que l'autre, au contraire, serait très conservateur et viserait un taux d'inflation plus faible. Il faut davantage s'entendre sur la monnaie. Bien sûr, c'est ce que nous disons. Nous disons: Allons voir, allons discuter avec eux. C'est peut-être plus compliqué à réaliser pour la monnaie que pour la libre circulation des produits, mais il n'y a pas de raison de ne pas tenter l'effort. Aussi bien pour ce qui a trait à la libre circulation des produits qu'à l'égard de la monnaie, on n'a pas à faire comme les Européens, c'est-à-dire à prendre des années pour réaliser quelque chose qui n'existait pas. Il s'agit de maintenir ce qui existe. C'est fort différent et, au fond, en un certain sens, moins difficile, plus facile.

Sans doute, on me répond sur ce plan: Mais on a l'impression que le gouvernement n'est pas vraiment intéressé à une association. Au contraire, je pense qu'une des plus vieilles idées, une des idées les plus fondamentales que le parti que je représente et qui est au gouvernement maintenant défend depuis une douzaine d'années, c'est que le Canada, sans nous, sera un meilleur pays, que les Canadiens qui cherchent au fond depuis des générations à avoir sur une foule de terrains une politique commune, une politique canadienne dans laquelle ils se retrouvent, très souvent n'ont pas réussi à y arriver essentiellement en raison du Québec. Le Québec, depuis 25 ans, bloque un certain nombre d'aspirations chez les Canadiens, pour des raisons qui sont fondamentales pour les Québécois, mais qui font que les Canadiens, un certain nombre, passent par des phases d'exaspération à l'égard du Québec qui sont parfaitement compréhensibles. Ce que nous disons depuis dix ans, c'est qu'au lieu, comme l'a dit bien souvent le premier ministre actuel, d'être comme deux scorpions dans une bouteille prenons donc l'habitude, prenons donc la décision de vivre chacun chez nous dans notre pays et de faire en sorte que, sur un certain nombre de plans économiques importants, on s'entende. En fait, je pense qu'on n'aura pas trouvé, au cours de ces douze années, de dialogue agressif de notre part à l'égard du Canada anglais. Ce n'est pas vrai. Nous avons attaqué le gouvernement fédéral comme institution sou- vent, le Canada anglais, non. C'est un pays, au même titre que nous cherchons à établir un pays. Ces gens ont droit au même genre de respect que nous demandons pour nous-mêmes. L'association, oui, nous la voulons entre pays souverains.

Finalement, une chose sur laquelle on s'entend aussi, je crois, à la suite du débat de ce matin, c'est l'importance des centres de décision. Où sont-ils? Qui les contrôle? Les centres de décision, aussi bien publics que privés, sont localisés quelque part et, parce qu'ils sont localisés quelque part, ils sont inévitablement influencés par l'endroit où ils se trouvent. Là-dessus, le député d'Outremont tout à l'heure consacrait cette importance des centres de décision. C'est dans ce sens-là que la souveraineté, parce qu'elle permet enfin de rapatrier des centres de décision chez nous, est un instrument de prospérité. Je reviendrai en terminant essentiellement sur la position prise avant-hier par cette soixantaine d'économistes et qui, à mon sens, devrait faire réfléchir longuement. Voilà des hommes de métier qui, au lieu de céder aux frayeurs classiques, traditionnelles, qu'on répand dans nos milieux, très souvent avec des arguments chiffrés, un peu démagogiques, disent: Mais c'est faisable! C'est tout à fait faisable sur le plan technique.

La souveraineté ne va pas se faire à cause de raisons techniques. Mais il est fondamental de se rendre compte que la souveraineté est faisable et réalisable sur le plan technique, et que la souveraineté est un instrument efficace de prospérité.

Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Cuerrier): De la même manière que j'ai pu compter sur votre collaboration tantôt pour déterminer le temps alloué à chacun, je compte sur votre collaboration pour dire qu'il est maintenant 13 heures et que cette commission des finances et des comptes publics, qui a étudié la question avec débat de M. le député d'Outremont au ministre des Finances, cette question étant: Les conséquences économiques de la souveraineté-association proposée par le gouvernement, cette commission, dis-je, ajourne ses travaux sine die.

Fin de la séance à 12 h 58

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