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Version finale

41e législature, 1re session
(20 mai 2014 au 23 août 2018)

Le jeudi 19 mai 2016 - Vol. 44 N° 106

Mandat d'initiative - Le phénomène du recours aux paradis fiscaux


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Table des matières

Journal des débats

(Quinze heures trois minutes)

Le Président (M. Bernier) : À l'ordre, s'il vous plaît. Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des finances publiques ouverte. Et, bien sûr, je demande à toutes les personnes dans la salle d'éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Mémoires déposés

Avant de débuter, je désire déposer deux mémoires concernant l'étude détaillée du projet de loi n° 88 qui s'est terminée la semaine dernière. M. le secrétaire, je vous remets ces documents.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques dans le cadre de son mandat d'initiative portant sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux.

Y a-t-il consentement afin de permettre, M. le secrétaire, des remplacements? Est-ce qu'il y a consentement? Oui.

Le Secrétaire : Oui. M. Bonnardel (Granby) est remplacé par M. Martel (Nicolet-Bécancour).

Le Président (M. Bernier) : Merci beaucoup.

Une voix : ...

Le Président (M. Bernier) : Bien, moi, je vous donne le consentement de participer, M. le député. Vous pensiez que Jean-Denis ne voudrait pas? Bien non, ça nous fait plaisir que vous participiez à cette commission parlementaire.

Donc, cet après-midi, nous allons recevoir les représentants de PricewaterhouseCoopers, Deloitte et Ernst & Young.

Auditions (suite)

Donc, je vous souhaite la bienvenue, M. Pierre Lessard et M. Eric Labelle, ça nous fait plaisir que vous participiez à cette commission. Pour les fins d'enregistrement, je vous demande de bien vouloir vous présenter lorsque vous prenez la parole. Je vous rappelle que vous allez disposer de 15 minutes pour votre exposé, par la suite nous procéderons à des échanges avec les parlementaires.

M. Merlini : M. le Président.

Le Président (M. Bernier) : Oui?

M. Merlini : Je fais motion qu'on puisse assermenter nos invités.

Le Président (M. Bernier) : Oui, je reçois cette motion. Donc, j'invite donc M. le secrétaire à procéder à l'assermentation des témoins, conformément à l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée nationale. Donc, je vous demande de vous lever et de lire à haute voix la déclaration qui vous sera fournie.

Assermentation de M. Eric Labelle

M. Labelle (Eric) : Je, Eric Labelle, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Assermentation de M. Pierre Lessard

M. Lessard (Pierre) : Je, Pierre Lessard, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président (M. Bernier) : Je vous remercie, messieurs. Vous bénéficiez donc de l'immunité pour votre témoignage. Vous pouvez commencer, et la parole est à vous pour une période de 15 minutes. Merci.

PricewaterhouseCoopers

M. Lessard (Pierre) : Alors, M. le Président et membres de la commission, permettez-moi d'abord de nous présenter. Mon nom est Pierre Lessard, associé au sein de PwC Canada et membre du groupe de fiscalité depuis plus de 30 ans, dont 10 ans en tant que responsable de la pratique fiscale pour les régions du Québec et de l'Est du Canada. À mes côtés, M. Eric Labelle, également associé de PwC Canada et responsable de notre service de fiscalité internationale au Québec.

D'abord, nous tenons à mentionner que nous respectons le travail de la commission, de son président et de ses membres. Notre refus de nous présenter le 12 mai dernier tenait au fait que, pour représenter les vues de la profession comptable, il était primordial pour nous que les quatre grands cabinets soient présents. Dans le cas contraire, nous étions d'avis que le meilleur organisme pour représenter la profession était l'Ordre des CPA du Québec. Cet enjeu est derrière nous, et nous participons aux travaux de la commission.

Au cours des prochaines minutes, nous allons couvrir les points suivants : qui sommes-nous, l'évolution de la législation fiscale internationale au Canada et les enjeux actuels.

D'abord, qui sommes-nous? Nous sommes ici à titre de représentants de PwC Canada, membre du réseau international de PwC. Ce réseau est composé de sociétés membres, chacune distincte sur le plan juridique. PwC est présent dans 157 pays. Au Québec, PwC Canada emploie 915 personnes, incluant 79 associés et 836 membres du personnel. Fort d'une expérience de plus de 100 ans d'excellence au Québec, PwC Canada fournit des services d'audit et certification, services-conseils et services fiscaux à des sociétés ouvertes et fermées oeuvrant dans des secteurs d'activité variés.

Notre mission est de préserver la confiance du public et de résoudre des problèmes complexes. Nous accompagnons les entreprises et les individus dans la création de valeur ajoutée en leur fournissant des services de haute qualité. Notre mission s'articule autour de trois valeurs fondamentales, soit l'excellence, l'esprit d'équipe et le leadership. Nous agissons en conformité avec la législation, les normes professionnelles et la réglementation au Canada, ainsi qu'avec les politiques internes du cabinet. De plus, PwC a adopté un code de conduite qui régit nos valeurs et fournit un cadre pour la prise de décision éthique, dans le respect de chacun. Toutes les sociétés membres du réseau international de PwC se sont engagées à respecter ce code de conduite global.

Nous évoluons dans un environnement où les pays mettent en place des lois et concluent des conventions avec d'autres pays afin de déterminer les modalités d'imposition des entreprises et des contribuables. Ces lois sont interprétées par les contribuables, les autorités fiscales et parfois, en dernier ressort, par les tribunaux.

Il est admis que les contribuables ont le droit de gérer leur fiscalité dans les limites autorisées par la loi. Cependant, en raison de la dimension internationale du monde des affaires ainsi que de la complexité et des priorités différentes des lois nationales, il n'est pas toujours évident de définir des principes clairs.

En plus du code de conduite dont je viens de vous parler, les entités membres du réseau PwC ont adopté, en 2005, le code de conduite en matière fiscale. Ce code spécifie que les membres du réseau PwC ne travaillent qu'avec des clients qui démontrent une légitimité forte et une très grande intégrité dans leurs activités opérationnelles et financières. Avant d'accepter un nouveau client ou de continuer à travailler avec des clients existants, les membres de notre réseau vérifient que le client en question a l'intention de respecter ses obligations juridiques et réglementaires en matière fiscale.

• (15 h 10) •

Nos conseils fiscaux s'appuient sur des fondements de droit fiscal et s'accompagnent d'une discussion sur les risques plus largement impliqués, incluant les aspects économiques, commerciaux et de réputation. PwC propose ou recommande la mise en oeuvre de solutions uniquement si celles-ci satisfont le cadre légal et nos règles du code de conduite fiscal. Tous nos associés et membres du personnel doivent appliquer les principes de ce code dans leurs activités d'affaires.

Alors, le deuxième point consiste en l'évolution de la législation fiscale internationale au Canada. De façon générale, la fiscalité est une discipline qui est pratiquée dans trois domaines bien définis : la conformité fiscale, qui consiste à garantir le respect des obligations du contribuable, la planification fiscale, qui cherche à maximiser la position fiscale des contribuables, et le litige fiscal, qui consiste à résoudre les différends entre les contribuables et les autorités fiscales.

Il est nécessaire de distinguer la planification fiscale de l'évasion fiscale. La première sera réalisée dans le cadre de transactions d'affaires véritables et consistera à maximiser la position fiscale du contribuable conformément à la loi. La seconde, soit l'évasion fiscale, est une opération illégale que PwC condamne vigoureusement.

Il est admis que la fiscalité est un domaine d'activité d'une grande complexité. Les gouvernements s'en servent non seulement pour prélever les sommes requises pour assurer les services publics, mais aussi pour redistribuer la richesse, influencer les comportements et structurer l'économie. La complexité des lois fiscales est aussi grandement tributaire de la volonté des gouvernements d'assurer l'équité, la neutralité, l'intégrité et la compétitivité du régime fiscal.

Cette complexité fait en sorte que la ligne est mince entre une planification fiscale légitime et une planification fiscale dite agressive. Les autorités fiscales ont constaté des abus à la loi, ce qui a amené le gouvernement fédéral à introduire une règle générale antiévitement en 1988 et le gouvernement du Québec à mettre en place, en 2009, des règles visant à contrer les planifications fiscales agressives.

Maintenant, dans le contexte de la commission, il est important de définir ce qu'est un paradis fiscal. Notre définition s'apparente à celle de l'OCDE. Cette définition repose sur trois critères qui visent à déterminer si un pays est considéré un paradis fiscal, soit un taux d'imposition bas ou nul, une absence de transparence et une administration fiscale non collaborative à l'échange de renseignements.

Il est important de noter que le Canada a signé, depuis 2009, 23 ententes d'échange d'information, dont 22 sont en vigueur. Le Canada est en négociation avec sept autres pays, de sorte que le nombre d'ententes sera bientôt de 30. Parmi ces pays, on note les Bermudes, les Bahamas et les îles Caïmans. Or, la plupart de ces pays ont une fiscalité très avantageuse, et on parle même de taux d'impôt de 0 % pour plusieurs d'entre eux. Le ministre des Finances du Canada a décidé d'offrir à ces pays le même statut privilégié qui est offert aux pays qui ont une convention fiscale avec le Canada. Par exemple, une société qui gagne un revenu d'entreprise exploitée activement aux Bermudes pourra verser un dividende à sa société mère au Canada qui ne sera assujetti à aucun impôt supplémentaire. En échange de ce statut privilégié, le pays concerné devra collaborer avec le Canada et lui fournir des renseignements si le Canada le lui demande. Toutefois, on comprend que, dans le langage populaire, la notion de paradis fiscal semble plutôt faire référence à un pays où la fiscalité est plus avantageuse par rapport à un autre.

Maintenant, il est important de discuter des règles relatives aux investissements des sociétés canadiennes à l'étranger.

Le système de fiscalité actuel applicable aux sociétés étrangères affiliées est en vigueur depuis plusieurs années. Depuis 1987, en dépit de nombreuses propositions de modification au régime, celui-ci n'a pas fait l'objet de réforme. Il exempte d'imposition au Canada les revenus provenant d'entreprises exploitées activement dans les pays conventionnés et ceux avec lesquels le Canada a conclu une entente d'échange d'information. Les revenus passifs sont imposés sur une base de comptabilité d'exercice.

Dans son budget de 2007, le gouvernement fédéral avait introduit une disposition, soit celle de l'article 18.(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu, visant à empêcher la double déduction de certains frais d'intérêt sur des fonds empruntés pour investir dans une société étrangère affiliée. Cette annonce avait été mal accueillie par les entreprises canadiennes oeuvrant à l'étranger, car elle affectait leur compétitivité sur la scène internationale.

Deux mois plus tard, le gouvernement fédéral retirait temporairement cette disposition, et, en novembre 2007, le ministre des Finances annonçait la création d'un groupe consultatif dont le mandat était, entre autres, de recommander des façons d'améliorer la compétitivité, l'efficacité et l'équité du régime fiscal international canadien. En décembre 2008, le groupe consultatif remettait son rapport, et, bien qu'il reconnaissait d'emblée qu'une telle recommandation pouvait avoir un effet de surprise chez certains observateurs, recommandait de ne pas réintroduire l'article 18.(2).

Bien que certains pays aient instauré des règles qui refusent expressément le bénéfice des déductions multiples, le ministre des Finances confirmait le retrait définitif de l'article 18.(2) à l'occasion de son budget du 27 janvier 2009. Environ deux mois plus tard, la ministre des Finances du Québec annonçait aussi le retrait définitif de la disposition québécoise correspondante. Ce retrait confirmait l'avancée des sociétés multinationales canadiennes à l'effet que le système actuel leur permet de demeurer compétitives sur la scène internationale. Il est important de noter qu'il ne réduit en rien l'assiette fiscale canadienne.

Finalement, au niveau des enjeux actuels, aujourd'hui le terrain de jeu des sociétés multinationales québécoises est planétaire. Les entreprises font des affaires partout, et le système de taxation ne s'est pas adapté pour faire face à cette nouvelle réalité. De fait, nous sommes face à une crise internationale en matière de taxation. Pascal Saint-Amans, de l'OCDE, a affirmé que le système est brisé, et nous sommes en accord avec lui. L'initiative BEPS et son plan d'action en 15 points mis de l'avant par l'OCDE ne font que démontrer l'énormité de la tâche qui nous attend.

Pendant que l'OCDE poursuit son travail, on observe toutefois que les gouvernements à travers le monde continuent de faire preuve de créativité pour déployer de nouveaux incitatifs fiscaux. Conséquemment, la compétition entre les diverses régions du globe a créé un système où les allégements fiscaux ou encore le report de l'impôt à payer sont utilisés pour attirer les entreprises, et à ce chapitre le Québec ne fait pas exception à la règle. Les parties prenantes — gouvernements, institutions internationales, entreprises multinationales et conseillers fiscaux — doivent travailler de concert pour trouver des solutions.

Parmi les éléments de solution, notons la nécessité d'une plus grande transparence en ce qui a trait à l'information reliée à la planification fiscale. Déjà, plusieurs mesures existent, telles que les formulaires T106, T1134 ou T1135, qui fournissent de l'information additionnelle au gouvernement.

Le Canada vient de souscrire à la recommandation de l'OCDE en mettant en place un régime de déclaration pays par pays, communément appelé «country-by-country reporting», et nous sommes d'avis qu'il s'agit d'un élément qui ajoutera à la transparence souhaitée.

Finalement, il faut se rappeler que la dépense d'impôt à l'État des résultats d'une entreprise représente entre 20 % et 40 % de son profit avant impôt et que les dirigeants ont le droit de planifier leurs affaires afin de gérer cette dépense d'impôt au même titre que toute autre dépense. L'utilisation de la planification fiscale respectant la loi fait partie des tâches des dirigeants d'entreprise, et ils n'ont pas d'autre option que de le faire pour demeurer compétitifs et pour favoriser leur expansion au pays et à l'étranger.

En conclusion, PwC appuie et encourage le travail de votre commission. Vos recommandations auront un impact dans l'élaboration des politiques fiscales futures.

Nous aimerions vous suggérer quelques pistes de solution.

D'abord, s'assurer d'obtenir des données adéquates. Nous recommandons l'octroi à un organisme indépendant d'un mandat d'étudier la situation en profondeur et de s'assurer de colliger l'information pertinente. L'écart entre les recettes fiscales prévues et réelles des gouvernements est très important, et il faut déterminer les causes de cet écart, par exemple déterminer quelle partie provient du travail au noir comparativement à celle provenant des planifications fiscales agressives. Afin de poser les bons gestes et d'établir les politiques adéquates, le gouvernement doit savoir quelles cibles privilégier.

Deuxièmement, favoriser la transparence dans l'échange d'information entre les pays. Nous vous encourageons à supporter l'initiative du gouvernement fédéral dans la mise en place de mesures reliées à la déclaration pays par pays.

Troisièmement, ne pas faire de geste de façon unilatérale. Il est important de minimiser les disparités entre les législations des différents pays. Une meilleure uniformisation entraînera une meilleure conformité.

Et finalement ne pas augmenter l'impôt au-delà d'un seuil psychologique acceptable. Le régime fiscal québécois doit demeurer compétitif afin d'encourager les entreprises à venir s'établir ici, pour assurer la prospérité de l'économie du Québec.

Merci pour l'écoute. Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.

• (15 h 20) •

Le Président (M. Bernier) : Merci, M. Lessard, de votre présentation, nous apprécions. Donc, nous allons donc passer aux échanges avec les parlementaires. M. le député de La Prairie, est-ce que c'est vous qui débutez? Ou M. le député de Trois-Rivières, oui.

M. Girard : Combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Bernier) : On a environ une vingtaine de minutes.

M. Girard : Une vingtaine de minutes. Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, messieurs. Merci d'être ici avec nous.

Vous n'êtes pas sans savoir que nous avons eu de vos compatriotes qui vous ont précédés, avec lesquels nous avons discuté, et effectivement j'ai eu des bonnes discussions avec eux. On parle beaucoup de planification fiscale, planification fiscale agressive, évasion fiscale et évitement fiscal, on a tous nos définitions et... L'important, c'est de comprendre comment on fait pour pouvoir éviter de payer de l'impôt au Canada et au Québec et quelles sont les stratégies et les stratagèmes qui nous amènent à nous permettre, comme entrepreneurs ou comme contribuables, à ne pas payer les impôts que l'on devrait payer. Que l'on appelle ça de l'évasion fiscale, de l'évitement ou une planification fiscale agressive, le résultat est le même : il y a un manque à gagner pour le Québec, pour le Canada.

Vous mentionnez... Dans vos recommandations, vous parlez de l'écart entre les recettes fiscales prévues et réelles des gouvernements, qui est très important, et il faut donc «déterminer les causes de cet écart. Par exemple, déterminer quelle partie provient du travail au noir comparativement à celle provenant des planifications fiscales agressives.» Donc, je comprends que vous admettez qu'il y a au Québec des planifications fiscales agressives. Jusqu'à maintenant, on n'a pas vu personne qui en fait, des planifications fiscales agressives, tout le monde dit : On n'en fait pas, on ne touche pas à ça, on est selon les règles, et tout. Là, on nous dit carrément que probablement ça vient de planifications fiscales agressives. Moi, j'aimerais bien savoir c'est qui, les gens au Québec qui font des planifications fiscales agressives pour permettre à certains contribuables de ne pas payer leurs impôts.

Le Président (M. Bernier) : M. Lessard.

M. Lessard (Pierre) : Oui. Comme j'ai dit dans mon texte, le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec ont légiféré pour adopter, par exemple, au fédéral, la règle générale antiévitement et, au Québec, les règles concernant les planifications fiscales agressives. Donc, je suis d'accord avec vous, ça doit se faire. Maintenant, le cabinet PwC ne fait pas ce type de planification, autant dans l'évasion fiscale que de la planification fiscale agressive.

J'aimerais, au niveau de la sémantique, qu'on puisse entendre que l'évasion fiscale, c'est illégal, la planification fiscale agressive est une planification qui peut respecter la lettre de la loi mais non son esprit, et on a une planification fiscale légitime, et cette planification légitime, elle est permise au contribuable.

Alors, chez nous, on a un code d'éthique qui est très strict. On va travailler à l'intérieur des lois, on va travailler à l'intérieur... avec les faits et circonstances applicables à chaque client. On va développer des solutions qui lui permettent de maximiser sa position fiscale à l'intérieur du cadre des lois prévu.

On a également chez nous une politique de gestion de risques, et voici comment ça fonctionne : on fait une planification, l'associé A prépare, l'associé B la révise, et au besoin on a un comité des politiques qui va revoir la planification afin de s'assurer qu'on respecte la loi et qu'on ne franchit pas la ligne des planifications fiscales agressives. Alors, c'est la façon dont on fonctionne, de façon à s'assurer que les conseils que nous donnons à nos clients sont à l'intérieur de la loi en tout temps.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Trois-Rivières.

M. Girard : Donc, il y a probablement des planifications fiscales agressives qui se font, mais le défi, c'est de trouver où elles se font, parce qu'il n'y pas un cabinet qui se respecte qui en fait, en tout cas de ce qu'on entend.

Moi, je suis un entrepreneur, j'ai plusieurs entreprises, je cherche une façon de pouvoir réduire mes impôts, de façon légale autant que possible, je veux réduire mes impôts, je vais commencer à magasiner des firmes qui vont pouvoir m'aider à faire une meilleure planification fiscale. Si moi, comme individu, je me dis : Bien, moi, je veux à tout prix sauver de l'impôt, je suis prêt à prendre les risques qu'il faut et je cherche vraiment la meilleure firme pour m'aider, je cogne à plusieurs portes, dont la vôtre... Ça doit arriver que les entrepreneurs, les gens des entreprises vont frapper à votre porte, disent : Bien, moi, j'ai un comptable XYZ, j'ai des conseillers XYZ et je cherche à améliorer ma situation. Quelle est votre offre? Comment vous pouvez m'aider? Qu'est-ce qui vous démarque des autres firmes? Comment vous considérez... Qu'est-ce qui vous rend plus attrayants? Et, vu que vous ne faites pas de planification fiscale agressive, bien, moi, je vais dire : Bien, si vous n'êtes pas en mesure de me faire sauver de l'impôt, je vais aller ailleurs. Comment vous faites pour attirer vos clients et garder vos clients chez vous?

M. Lessard (Pierre) : C'est une excellente question. À l'intérieur de la planification fiscale légitime, il y a une panoplie d'actions qui peuvent être accomplies. Ce que nous vous disons, c'est que, si vous venez chez nous, vous cognez à notre porte et vous nous demandez de participer à quelque planification que ce soit qui est dans le cadre d'une évasion fiscale ou d'une planification fiscale agressive, nous allons refuser de le faire.

J'aimerais bien être clair avec tous les membres de la commission ici. PwC, son plus grand actif, c'est PwC, c'est notre marque de commerce, c'est notre nom. Il n'y a pas un client, il n'y a pas un mandat, il n'y a pas un honoraire assez gros pour qu'on tombe dans l'illégalité.

Alors, je ne sais pas où ça se fait, mais ça ne se fait pas chez nous. On ne mettra pas tout ça à risque pour quel que soit l'honoraire.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Trois-Rivières.

M. Girard : Merci, M. le Président. À la page 3 de votre intervention, vous parlez, entre autres, de ce qui est considéré comme un paradis fiscal : un taux d'imposition qui est bas ou voire même nul, une absence de transparence, une administration fiscale non collaborative à l'échange de renseignements, bien sûr, avec d'autres pays. Si c'est un paradis fiscal, donc, c'est un endroit où on va faire éventuellement une planification fiscale agressive ou on va tenter de faire de l'évitement fiscal. Y a-t-il des pays, à votre connaissance, des endroits à travers le monde qui ont des taux d'imposition bas ou nuls, qui ont une absence de transparence et/ou qui ont une à une administration fiscale non collaborative?

M. Lessard (Pierre) : Je vais laisser la parole à Eric pour répondre à cette question.

Le Président (M. Bernier) : M. Labelle, qui est associé chez... C'est simplement pour fins d'enregistrement. Simplement vous nommer, M. Labelle.

M. Labelle (Eric) : Eric Labelle, PwC. Pour répondre à votre question, la définition, telle qu'on l'a défini dans l'OCDE, je vous dirais que, depuis quelques années, du moins, vis-à-vis le Canada, il y a une des conditions qui a tombé. Quand on parle de la condition où il n'y aura pas d'échange d'information... On vous a dit dans notre texte que, depuis 2009, on a maintenant 22 ententes d'échange d'information. Parmi ces pays, on retrouve Guernesey, Jersey, les îles Caïmans, les Bahamas. Ce sont tous des pays où on a une fiscalité à zéro.

Maintenant, vous avez dit tantôt que c'est des pays, parce que c'est un paradis fiscal, où nécessairement on va faire de l'évasion fiscale. Ce n'est pas vrai. Si... On peut avoir un client qui va se construire un hôtel aux Bahamas, on va pouvoir l'accompagner, se créer une filiale là-bas, puis il va bénéficier du régime favorable fiscal canadien. Mais ces pays-là, maintenant, ont des échanges d'information avec le Canada.

Donc, des pays qui sont encore opaques, je vous dirais qu'il en reste très peu. Le Canada est en négociation, présentement, avec sept autres pays, puis la porte sur l'opacité est en train de se refermer de façon très rapide.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député.

• (15 h 30) •

M. Girard : Si je comprends bien, vous me dites qu'à votre connaissance les entreprises qui ont, pour x raisons, une compagnie à numéro... Parce qu'on sait qu'il y a des entreprises que, si on regarde l'organigramme, ça devient un spaghetti qui est assez difficile à comprendre. On a plusieurs entités, propriétaires d'entités qu'on rajoute des fiducies familiales dans ça, etc. Et vous me dites que, si une entreprise fait affaire dans un de ces pays, c'est qu'elle a vraiment... bon, on veut se bâtir un hôtel, veut se construire quelque chose. Moi, j'ai des doutes. Je crois sincèrement qu'il y a des entreprises canadiennes qui sont enregistrées dans ce genre de pays et qui n'ont pas vraiment d'activités... ou, s'ils ont des activités, c'est relativement minime.

Est-ce qu'on est en mesure... Est-ce que c'est quelque chose qui se fait, à votre connaissance, de pouvoir transférer de la profitabilité, des profits des revenus faits au Canada vers d'autres juridictions par un système de transfert de dividendes, d'actionnariat, etc., pour être en mesure d'éviter de payer l'impôt, en ayant un tentacule dans un de ces pays-là, sans toutefois avoir des opérations qui vont être énormes dans ce pays-là?

M. Labelle (Eric) : Votre question est bonne. Écoutez...

Le Président (M. Bernier) : M. Labelle.

M. Labelle (Eric) : ... — excusez-moi — nos règles fiscales sont très, très bien faites, et je vous expliquerai tout à l'heure comment elles fonctionnent lorsqu'on fait affaire à l'étranger, on l'a abordé un petit peu, mais c'est impossible de réduire l'assiette fiscale en faveur d'un paradis fiscal et économiser de l'impôt. De la façon que nos règles fonctionnent, c'est que, si une compagnie canadienne, par exemple, incorpore une filiale à la Barbade et qu'elle y verse des sommes, des honoraires de gestion, des frais de recherche et développement ou autres, nos règles, communément appelées revenus étrangers accumulés tirés de biens — en anglais, on parle de FAPI — fait en sorte que la déduction de la compagnie canadienne va être refusée, de sorte que le revenu gagné à la Barbade va être imposé au Canada. Donc, on ne peut pas réduire l'assiette fiscale de façon légitime en faveur d'un paradis fiscal. L'inverse — je pourrais vous expliquer — c'est faisable si on attaque le marché étranger.

Donc, une société canadienne, en toute légalité, ne peut pas s'incorporer une filiale à l'étranger et y verser des sommes, parce que les sommes qui sont ainsi versées vont être automatiquement imposables au Canada. Et, si on le fait comme il faut... Vous savez, il y a des règles de transparence à respecter. Lorsqu'une société canadienne a une filiale à l'étranger, elle est obligée de produire un formulaire T1134. Dans ce formulaire-là, on indique la présence de la société, le pays où elle est située, on doit produire les états financiers. Donc, il y a une transparence. Donc, une société qui ferait ce type d'arrangement là légalement ne pourrait pas sauver d'impôt. Ils pourraient avoir d'autres motifs, mais ils ne pourraient pas sauver d'impôt de façon légale.

Le Président (M. Bernier) : Merci.

M. Girard : On est entre nous, on se parle tous les deux. Vous me dites : L'entreprise ne peut pas en toute légalité. Si on lit entre les lignes, dans l'illégalité, ça peut se faire. Je sais que votre entreprise ne le fait pas. Vous êtes des experts. Est-ce que c'est des choses que l'on peut voir, qui vont être considérées illégales, mais qu'on ait des gens au Canada... Parce qu'on a des manques à gagner au niveau fiscal, on doit en avoir quelque part. Est-ce que, selon vous, ça se fait? Oui, c'est peut-être illégal, mais est-ce que ça se fait, qu'on transfère des revenus vers d'autres juridictions et que l'on ne paie pas les impôts?

Le Président (M. Bernier) : M. Labelle.

M. Labelle (Eric) : Je ne peux pas commenter sur ce que les autres font. On l'a dit, chez PwC ce serait de l'évasion fiscale, on ne pourrait pas en faire.

Le Président (M. Bernier) : Donc, à ce moment-là, ça devient strictement de l'évasion fiscale.

M. Labelle (Eric) : À moins qu'on ne déclare les revenus. Donc, il peut y avoir un motif commercial d'avoir une société à l'étranger, puis on verse des sommes, mais, si on s'impose puis on respecte les règles de FAPI, on le fait dans la légalité des choses.

Mais, si quelqu'un venait chez nous pour vouloir mettre de l'argent à l'étranger, vider une compagnie canadienne en faveur d'une compagnie à l'étranger, sans respecter les règles de FAPI, on ne peut pas faire la transaction. On ne la fera pas.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le...

M. Girard : Merci, M. le Président. Bien, j'ai hâte qu'on puisse trouver comment les gens fonctionnent et avec qui ils travaillent, parce qu'il n'y a personne qui travaille à l'étranger, mais on sait qu'il y a des impôts qui se perdent.

Ma dernière question, et je vais ensuite laisser la parole à mon collègue. Vous êtes des experts, vous semblez vouloir — puis je vous crois aussi — travailler avec le gouvernement, dire... bon, vous donnez des recommandations, et tout. On sait que c'est complexe. On a vu avec d'autres intervenants que la loi de l'impôt a commencé ça d'épais, et aujourd'hui c'est rendu ça d'épais. Plus il y a de restrictions et plus c'est compliqué, plus c'est votre travail de trouver, entre guillemets, les failles pour sauver de l'impôt, dans la légalité mais pour sauver de l'impôt. Seriez-vous prêts à travailler avec le gouvernement, et, quand on voit une faille, au lieu d'en faire bénéficier un client, de dire : Revenu Canada, Revenu Québec, il y a une faille là, et il y a beaucoup de clients qui réussissent à sauver de l'impôt à cause de telle faille? Vous êtes les experts, vous êtes probablement ceux... les premiers à voir comment pouvoir s'insérer dans les craques de plancher, qu'on pourrait dire, pour vraiment sauver de l'impôt. Seriez-vous prêts à aller jusqu'à vous asseoir avec l'Agence du revenu du Canada ou avec Revenu Québec pour être capables de trouver ces failles-là, pour améliorer le système fiscal, pour réduire l'évitement fiscal?

Le Président (M. Bernier) : M. Labelle.

M. Labelle (Eric) : Je vous dirais qu'en termes de fiscalité internationale l'ARC, il y a quelques années, là, on l'a dit, a eu un comité consultatif où on a questionné tous les experts à travers le Canada pour la fiscalité canadienne, internationale vis-à-vis le Canada. Donc, nos règles ont été analysées, le fameux article 18.(2) auquel on faisait référence a été analysé, c'est connu, et on a déterminé que ça donnait un avantage compétitif à nos sociétés canadiennes.

Donc, nous, les experts, on contribue de façon quotidienne avec l'Agence du revenu, avec vous, puis ce qu'on fait, c'est connu, donc, ce n'est pas secret. Puis, oui, on va vous aider autant qu'on peut.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de La Prairie.

M. Merlini : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, messieurs, pour votre présentation. Vous faites honneur à votre firme.

J'aimerais revenir sur quelques paragraphes qui m'ont vraiment frappé l'imaginaire. «Il est admis — ça, c'est à la page 2 — que les contribuables ont le droit de gérer leur fiscalité dans les limites autorisées par la loi. Cependant, en raison de la dimension internationale du monde des affaires ainsi que de la complexité et des priorités différentes des lois nationales, il n'est pas toujours évident de définir des principes clairs.»

Qu'est-ce que vous entendez par des principes clairs? Et, selon vous, selon votre expertise, chez PwC, quels seraient des exemples de principes clairs qui faciliteraient votre travail et le nôtre, évidemment, aller chercher, là, ce qu'il nous manque en recettes?

Le Président (M. Bernier) : M. Lessard.

M. Lessard (Pierre) : Oui, Pierre Lessard. La difficulté qu'on a surtout, c'est quand on rentre dans la disparité des différentes législations entre les pays, quand on parle de planification à l'étranger. Alors, différents pays compétitionnent pour attirer les entreprises chez elles et offrent une panoplie d'avantages. Certains pays, on va offrir des allègements de taux. Certains pays, on va offrir des allègements pour la détention de propriété intellectuelle ou même, comme au Québec, on va essayer de favoriser, par exemple, la recherche et développement.

Ces disparités et ces façons de fonctionner entre les pays font en sorte que ça ouvre des brèches, et ça permet, à ce moment-là, aux contribuables d'en prendre avantage. Donc, c'est important pour vous autres de vous assurer qu'on maintient une uniformité d'action entre les différents gouvernements, pour être capable d'uniformiser le plus possible les législations.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député.

M. Merlini : Merci. «PwC propose ou recommande la mise en oeuvre de solutions uniquement si celles-ci satisfont le cadre légal et nos règles du code de conduite fiscal.» Alors, est-ce que c'est une, comment je pourrais dire... ça devient une obligation? Autrement dit, si vous avez quelque chose, vous avez une planification ou des solutions qui satisfont le cadre légal mais qui ne rencontrent pas votre code, qu'est-ce que vous faites à ce moment-là? C'est comme quand vous faites la recherche de clients et vous dites... S'ils demandent, comme disait mon collègue, une planification fiscale agressive, vous dites : Non, ça, ce n'est pas pour nous, on ne le fera pas. Mais là, quand vous arrivez dans des solutions puis là vous dites : Elles doivent satisfaire le cadre légal et nos règles...

M. Lessard (Pierre) : ...un pléonasme, en fait. Les règles légales et notre code d'éthique, notre code d'éthique nous demande d'agir à l'intérieur des règles et des règlements des diverses juridictions dans lesquelles on oeuvre.

M. Merlini : Votre code de conduite fiscal, il est le même à travers toutes les branches de PwC?

M. Lessard (Pierre) : Il s'applique au niveau global. Il date de 2005. En fait, on a été la première firme à mettre en place un code de conduite en matière fiscale, en 2005.

M. Merlini : Et ça doit être difficile parce que, lorsque... Je reviens au paragraphe précédent. Quand on dit qu'il n'est pas toujours évident de définir des principes clairs, au moins votre code de conduite, lui, il est clair à travers toutes vos filiales. Mais là l'application des règles légales diffère...

M. Lessard (Pierre) : Entre les différents pays, les règles sont différentes...

M. Merlini : Les règles sont différentes.

M. Lessard (Pierre) : ...et il faut se conformer aux règles de chacun des pays où nos clients font des affaires.

M. Merlini : Votre première recommandation, à la fin, vous dites de recommander à un organisme indépendant le mandat d'étudier la situation en profondeur et de s'assurer de colliger l'information pertinente. Que voyez-vous ou qui voyez-vous, je devrais dire, dans cet organisme indépendant? C'est-u un organisme ou un regroupement, disons, de chercheurs universitaires, ou des gens de l'industrie, ou... Comment voyez-vous ça?

• (15 h 40) •

M. Lessard (Pierre) : C'est probablement un organisme indépendant. La difficulté qu'on a, c'est que, dans les séances antérieures, il y a un fameux chiffre, là, de 800 millions qui a été mis de l'avant, et je le trouvais important. J'ai essayé de le réconcilier et j'ai trouvé le document de Luc Monty, le sous-ministre des Finances, qui l'a remis au président de la commission au 29 septembre 2015, dans lequel on essaie d'estimer cet écart-là, et c'est vraiment une estimation. Alors, si je prends la façon dont il a défini... Et il l'a très bien fait, là, quand il fait les parties qui sont reliées à la non-divulgation de revenus illégaux qui s'apparentent au travail au noir, la non-divulgation des revenus illégaux qui est le crime organisé, ainsi que la désobéissance aux règles et la fausse facturation, tout ça regroupé sous le vocable d'évasion fiscale. C'est parfait, c'est exact, c'est très bien fait. L'autre côté, c'est l'évitement. Alors, quand il vient le temps de faire son calcul de 800 millions parce qu'il devait tenter de l'estimer, si on va un peu dans le document, on voit très bien qu'il dit qu'à part la partie reliée au travail au noir, où le ministère des Finances a fait du travail et l'estime à 3,9 milliards, la partie reliée aux deux autres portions d'évasion fiscale, il n'est pas en mesure de l'estimer, pas plus qu'il n'est en mesure d'estimer ce qui vient de l'évitement fiscal. Dans un effort de donner des ordres de grandeur, il se réfère à l'étude de Gabriel Zucman, qui est fonction d'une série d'hypothèses et d'algorithmes, et on arrive à déterminer qu'il y aurait apparemment 300 milliards de liquidités détenues par les particuliers dans les paradis fiscaux ou ce qu'il appelle les centres financiers extra... extrafrontaliers — ça va aller mieux comme ça. Et donc... Et, quand on fait le corollaire au Québec, on arrive à 47 milliards de liquidités détenus par des individus qui seraient dans les paradis fiscaux, qui généreraient un manque à gagner de 800 millions, par les individus, à ce moment-ci, soit 800 millions juste au niveau des individus. Moi, des milliardaires, au Québec, là, je n'en connais pas bien, bien, là. On va peut-être se rendre à 12, si on cherche, mais on n'en a pas des tonnes, là. Alors, à partir de là, je trouve le chiffre important. Je ne dis pas qu'il n'est pas exact, mais il est important. Et, même si on prenait le 1 % des contribuables, qui représenterait peut-être 60 000, 65 000 contribuables au Québec qui sont supposément très riches, il faudrait que chacun d'eux ait 700 000 $ dans les paradis fiscaux. Alors, s'il y avait 65 000 personnes qui faisaient ça, là, on saurait tous qui fait ça, je pense qu'on saurait tous qui fait ça.

Aussi, une autre chose qui est importante, c'est que, quand vient le temps de parler de l'évitement fiscal, là il se rabat sur une étude du Fonds monétaire international, où le Fonds monétaire estime à peu près que les pays perdent 5 % de leurs revenus, dû à l'évitement fiscal. Et l'évitement fiscal, M. Monty le définit très bien dans son document, c'est de la planification fiscale agressive, c'est comme ça qu'il définit son terme. Donc, à ce moment-là, quand on rentre dans cette fenêtre-là, 5 %, c'est une moyenne. Il ne tient pas compte de la qualité des impôts du pays, il ne tient pas compte de la qualité de l'administration fiscale. Et il dit lui-même dans le dernier paragraphe : Les dernières données nous montrent que c'est peut-être un peu plus bas.

Alors, moi, quand je regarde l'ensemble, puis c'est la raison de cette recommandation-là, il y a 77 milliards de recettes autonomes dans le budget 2015 du gouvernement du Québec, il y a 3,9 milliards de pertes fiscales provenant du travail au noir, puis on parle de peut-être 200 millions reliés à l'évitement fiscal des compagnies. Alors, si on a besoin de mettre l'emphase, dans un monde où on a des ressources limitées, je pense qu'on a une bonne idée vers où diriger nos cibles. Mais c'est pour ça qu'on a besoin de plus de viande, pour trouver où on va aller.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Rousseau.

M. Marceau : Oui, merci. Tout d'abord, bonjour, MM. Lessard et Labelle. Merci d'être là.

Juste sur ce que Zucman dit puis sur l'interprétation qui en est faite par le ministère des Finances, moi, je veux juste vous dire que Zucman dit très clairement que sa méthode constitue une borne inférieure et non pas une borne supérieure, là, on parle d'une borne inférieure, parce que sa méthode ne... en anglais, «it only captures financial wealth and disregards real assets», donc ne tient pas compte, là, de la richesse qui est accumulée sous forme d'actif réel, que ce soit de l'immobilier... En particulier par les gens très riches, on sait que c'est une façon très simple d'accumuler de la richesse. Et moi, je vous dirais en fait que la personne très riche, là, va détenir une très grande partie de sa richesse sous forme d'actif réel. Enfin, bref, je veux juste clarifier ça. J'ai trouvé à l'époque que le ministère des Finances — je le dis en tout respect pour le ministère des Finances — aurait dû dire ça dans son rapport, dans le rapport qu'il a remis à la commission, parce qu'encore une fois Zucman, qui était l'inspiration pour eux, estime que c'est une borne inférieure et non pas supérieure. Alors, soyons clairs, là, c'est probablement des montants supérieurs à ceux qui sont indiqués dans le document du ministère des Finances.

Écoutez, je vous ai bien écoutés puis je trouve que ce que vous dites est... Il y a beaucoup de choses que je comprends, là. D'une certaine manière, vous nous dites : Une partie des problèmes découlent des choix qui ont été faits par les gouvernements, par les autorités fiscales, et puis moi, je suis entièrement d'accord. Entre autres, vous savez, ici, que l'Assemblée nationale a adopté récemment une motion pour que le gouvernement fédéral revoie la convention fiscale qui lie le Canada à la Barbade. Et on sait que c'est effectivement un geste intentionnel du gouvernement fédéral. Dans les années 90, on a clairement intentionnellement, volontairement changé la loi et le Règlement de l'impôt pour permettre à des entreprises d'exporter leurs profits puis de les réimporter sans taxation. Bon. Ça fait que vous avez raison de dire... je suis d'accord avec vous qu'une partie du problème découle des gouvernements, puis ça, on s'en occupe. C'est ça, notre plan. C'est notre plan.

Le Président (M. Bernier) : C'est notre plan et c'est les recommandations qu'on nous allons faire.

M. Marceau : Mais, bon, il y a la question, évidemment, du rôle des contribuables. Et ça, on comprend que les contribuables, évidemment, ils veulent payer le moins d'impôt possible. Il reste les intermédiaires, les gens au milieu, vous, les banques, au sujet desquels on a de la difficulté, là, à avoir de l'information, puis en fait une des choses qu'on aimerait savoir ici, c'est qu'est-ce qu'on peut faire pour mieux encadrer les intermédiaires.

Juste vous lire deux paragraphes d'un texte qui est paru le 20 janvier 2016 dans un journal qui s'appelle le Sud Ouest, un journal français, texte qui s'intitule Les plombiers de l'optimisation fiscale, et les deux derniers paragraphes, je vous les lis... enfin, je ne vous lis pas tout, mais un bout, donc : «L'affaire LuxLeaks, qui avait révélé les rescrits fiscaux dont bénéficient les multinationales au Luxembourg, avait mis en valeur le rôle du "Big Four" dans la conception de ces accords très avantageux pour les sociétés. KPMG, Deloitte, PricewaterhouseCoopers et Ernst & Young, géants de l'expertise comptable, conseillers privilégiés à la fois des entreprises et des administrations fiscales des États, sont ainsi pointés comme des acteurs majeurs de ces stratégies d'optimisation.»

Et là j'arrive au petit bout qui m'intéresse : «En 2013, un rapport de la Chambre des communes du Royaume-Uni révélait que ces cabinets peuvent proposer un système de planification fiscale à des clients dès lors qu'il présente à peine 50 % de probabilité d'être légal.»

Alors, c'est là-dessus que je voudrais vous entendre. Est-ce que ce calcul de la probabilité, qu'un schéma que vous proposez à un client soit légal 40 %, 50 %, 60 %... Est-ce que c'est un calcul qui se fait chez vous? Et, s'il ne se fait pas chez vous, à quoi, dans ce cas-là, réfère cet article?

Le Président (M. Bernier) : M. Lessard.

M. Lessard (Pierre) : En ce qui concerne le LuxLeaks, c'est un bris de confidentialité, il n'y a pas de lien avec des éléments d'évasion ou de planification fiscale agressive.

Pour répondre à votre question, c'est la jurisprudence qui a défini ces termes-là, la jurisprudence fiscale a déterminé que «more likely that not» voudrait dire 50 % et que d'autres expressions, bon, c'est 90 %, et ainsi de suite. Ces définitions-là proviennent de la jurisprudence qui a été donnée par les lois et qui guide les contribuables dans leur façon de planifier leurs affaires.

Donc, ce que la loi nous dit, c'est : Quand la planification est dans un contexte où les gens qui la montrent ou les gens qui la regardent arrivent à la conclusion qu'on rencontre la loi dans la grande majorité ou à plus de 50 %, à partir de ce moment-là, on ne tombe pas dans les règles de planification fiscale agressive, on rentre dans un débat de discussion avec les autorités, à savoir sur un point donné, et comme ça se fait régulièrement, pour qu'on puisse déterminer la meilleure position à adopter. Mais c'est le point de départ d'une discussion de ce qui est acceptable et qui peut être... de faire part de discussions avec les autorités.

Ce qui est en bas de ça, ce n'est pas sur la table. Au-dessus de ça, c'est des choses qu'on peut discuter. Et c'est établi par les tribunaux, les tribunaux ont établi ces choses-là.

M. Marceau : Bien, c'est la prépondérance de preuve, là, mais... Puis ça, je veux bien qu'a posteriori on puisse juger de cette manière-là, mais ex ante, là, du point de vue de vous qui conseillez un client, vous ne croyez pas que d'avoir un critère stipulant que la probabilité est plus grande, qu'elle s'approche de 100 % ou, en tout cas, disons qu'elle est loin de 50 % puis plus proche de 100 %... vous ne croyez pas que ce serait plus raisonnable? C'est un peu là-dedans que je veux aller parce que, je répète, moi, je m'intéresse au rôle des cabinets comptables, là. Parce que je veux bien qu'on pointe du doigt l'État, les contribuables, mais, à un moment donné, c'est vous qui êtes là devant moi; moi, je veux arriver à améliorer les choses. Là, vous me dites : Si je pense que 49 % du cas c'est illégal, bien, je suis «safe» parce que, dans le fond, les tribunaux ont utilisé ce critère-là dans le passé. Moi, je me demande : Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de resserrer ça? Est-ce qu'il n'y a n'aurait pas lieu de demander aux cabinets, dans le fond, là, d'avoir une quasi-assurance que c'est légal? Je ne vous dis pas que... Enfin, je vous écoute. Allez-y.

Le Président (M. Bernier) : M. Lessard.

M. Lessard (Pierre) : Je vais laisser la parole à Eric.

Le Président (M. Bernier) : M. Labelle.

M. Labelle (Eric) : Écoutez, si ça devient une question de moralité, pour nous, de savoir si on doit agir ou non... Nous, on lit la loi. C'est le législateur qui les écrit; notre rôle, c'est de les interpréter, c'est tout. Puis les tribunaux ont reconnu ça, là.

• (15 h 50) •

Le Président (M. Bernier) : Merci.

M. Marceau : ...je vous dirais que, si, dans la société, tout le monde fonctionnait en se demandant si ce qu'il fait est 50 % du temps légal puis 50 % pas légal, je vous garantis que ça ne fonctionnerait pas dans notre société. Puis moi... En tout cas, écoutez, je vous laisse votre réponse, là, mais, si c'est ça, votre réponse, regardez, moi, je vous dis et répète qu'une société dans laquelle tout le monde fonctionne en se disant : Est-ce que je suis en train de franchir... est-ce que je suis sur la ligne du 50 %?, c'est une société qui déraperait totalement, totalement. Je comprends que... Là, regardez, ce n'est pas... écoutez, je ne suis pas très à l'aise avec ce que vous dites, puis moi, j'estime que ça devrait aller beaucoup plus loin que ça.

Vous allez me permettre d'aborder un autre point tout de suite, c'était... Parce que moi, je vous entends nous dire : Ce n'est pas la loi... enfin, ce n'est pas de notre faute, c'est les lois qui ne sont pas correctes, mais, dans un cas récent, un cas du traité que le Canada a signé avec Hong Kong en 2012, vous avez fait partie de ceux qui ont incité le gouvernement fédéral à établir une convention fiscale avec Hong Kong. Donc, oui, vous prenez les lois telles qu'elles sont, mais vous avez aussi joué un rôle, appelons ça, de lobby pour tenter de faire ajouter une autre convention fiscale entre le Canada et, dans ce cas-ci, Hong Kong.

Je vous lis un paragraphe tiré du site Web de CBC, 7 février 2011, donc antérieurement à l'adoption du traité avec Hong Kong : «Officials from PriecewaterhouseCoopers wrote to Mr. Flaherty in late January as part of prebudget consultations to recommend that the Government's efforts to enter into trade agreements and tax treaties be increased, particularly in respect of nations that comprise emerging markets in Asia, South America, and Africa.» Alors, moi, je vous entends me dire que vous prenez la loi telle qu'elle est, mais en même temps je vois que, dans le passé, puis on ne parle pas d'il y a 20 ans, là, on parle d'il y a quelques années, vous avez poussé pour que d'autres traités, d'autres conventions fiscales dont on sait qu'elles mènent au phénomène qui nous intéresse ici... Vous avez poussé pour ça.

Alors, est-ce qu'aujourd'hui vous êtes du même avis? Est-ce que vous êtes de l'avis, aujourd'hui, là, qu'il faut avoir encore plus de conventions fiscales, qui vont permettre encore plus de ces planifications fiscales que nous, là, on essaie de combattre ici?

M. Lessard (Pierre) : Le système de fiscalité canadien fonctionne très bien, et d'avoir une convention fiscale avec Hong Kong qui permet à nos entreprises québécoises de s'exporter à l'étranger, d'être capables d'aller faire des opérations, même s'ils sont taxés là-bas... Parce que le Canada ne perd rien, là, quand on ouvre une convention fiscale avec Hong Kong, là, c'est les revenus gagnés à l'étranger qui sont imposés là-bas. Et, qu'ils soient imposés à un petit taux plutôt qu'à un taux de 30 %, là, qu'ils soient imposés à 3 % plutôt que 30 %, l'écart est 27 %, j'ai 27 % de plus de liquidités que je ramène au Canada, parce que les filiales étrangères canadiennes ne gardent pas les liquidités à l'étranger. Ça permet à nos entreprises québécoises et... ça a permis et ça continue de leur permettre de s'exporter à l'étranger. On parle beaucoup de fuite de sièges sociaux. Notre fiscalité à l'international, permettant d'avoir des revenus gagnés à l'étranger à des taux faibles pour lesquels les liquidités sont revenues au Canada, sont ramenées au Canada, a permis à nos entreprises québécoises et les fleurons québécois que vous connaissez... a permis de leur permettre de grandir, d'avoir des sièges sociaux plus grands, de payer de meilleurs salaires, d'avoir des centres de recherche et nous protège de la perte de sièges sociaux.

Alors, si vous partez du principe que tout le monde qui est à l'étranger, c'est des tricheurs, c'est sûr qu'on ne part pas du bon pied. Mais, si on pense que... si on regarde nos entreprises, le système fiscal fonctionne très bien.

Le Président (M. Bernier) : M. le député de... Oui, allez-y, M. le député, oui.

M. Marceau : ...au moins une chose, là. Regardez, je ne pars pas du principe que tout le monde qui opère à l'étranger est un bandit, ce n'est pas ça que je dis. Sauf que je sais qu'il y a beaucoup de personnes, des bandits, qui utilisent l'étranger pour éviter de payer de l'impôt.

Ça fait que moi, je reconnais les deux réalités. Je ne suis pas sûr que vous reconnaissiez les deux réalités. Moi, je reconnais les deux réalités. Il y a des entreprises québécoises qui veulent croître à l'étranger, qui s'installent à l'étranger puis qui ont besoin, effectivement, d'avoir des filiales là-bas, je reconnais ça sans problème. Vous, est-ce que vous reconnaissez la réalité qu'il y a des entreprises canadiennes et québécoises qui ne paient pas leurs impôts? Est-ce que vous le reconnaissez, qu'elles utilisent des filiales à l'étranger pour ne pas payer leurs impôts? Moi, je reconnais les deux réalités; je ne suis pas sûr que c'est votre cas.

Le Président (M. Bernier) : M. Lessard.

M. Lessard (Pierre) : Bien, moi, si je peux me permettre, oui, on reconnaît que nos entreprises québécoises qui vont à l'étranger et qui respectent la loi ont accès à un régime qui leur est favorable. Pour ce qui est d'autres personnes qui utilisent le régime à des fins illégales, c'est les rumeurs, c'est ce qui se dit, c'est ce qu'on voit, c'est ce qu'on entend, fort possiblement que ça existe. Si vous me demandez si ça se fait chez nous, c'est non.

Le Président (M. Bernier) : ...l'OCDE travaille aussi, c'est sur ça que l'OCDE travaille aussi.

M. Lessard (Pierre) : Oui.

Le Président (M. Bernier) : M. le député de Rosemont.

M. Lisée : Merci, M. le Président. M. Lessard, M. Labelle, je vous souhaite la bienvenue.

Donc, vous avez dit tout à l'heure que les évaluations que le ministère des Finances du Québec avait faites à partir des hypothèses de Zucman du fait qu'il y aurait 47 milliards de dollars québécois cachés dans les paradis fiscaux... vous dites : Bien, ça ferait 700 000 $ par personne, parmi le 1 %, et donc vous pensez que c'est impossible.

Le Président (M. Bernier) : M. Lessard.

M. Lessard (Pierre) : Moi, je trouve ça beaucoup. Personnellement, je trouve ça beaucoup. Si c'était de cette ampleur-là, ça aurait pignon sur rue, et on connaîtrait ces gens-là, là. Ça me semble beaucoup. Peut-être, je me trompe, mais ça me semble beaucoup.

M. Lisée : Quand vous avez vu les Panama Papers, là, vous qui êtes là-dedans tous les jours depuis des années puis qui connaissez ça, qu'est-ce que vous ne saviez pas que vous avez appris, quand on a vu les Panama Papers, dans la façon de structurer l'évasion fiscale qui était là?

Le Président (M. Bernier) : M. Lessard.

M. Lessard (Pierre) : Oui. Je n'ai pas vraiment de... En fait, les Panama Papers, c'est récent, là, c'est sorti il y a à peu près deux mois, alors je n'ai pas de détail sur toute la liste d'entreprises, qu'est-ce qu'ils font là, est-ce qu'ils sont là de façon légitime, est-ce qu'ils sont là de façon illégitime. Tout ce que je vous dis, c'est : S'il y a des allégations que des gens étaient là pour les mauvaises raisons, ce qui reste à déterminer, c'est quelque chose que nous condamnons au même titre que vous le condamnez, là.

Le Président (M. Bernier) : M. le député de Nicolet-Bécancour, avez-vous des questions?

M. Martel : Oui, oui, absolument. Bonjour, M. Labelle. Bonjour, M. Lessard.

J'arrive un peu sur le pouce à cette commission, mais j'ai quand même des questions qui m'intriguent à vous poser. Moi, je... Sortons de PwC, là, puis, n'importe quelle institution, comme la vôtre, on prend pour acquis qu'on ne fait rien d'illégal, tout est... mais il s'insère des individus dans vos organisations qui peuvent profiter un peu de la structure, du nom pour dire : Regarde, moi, je suis en contact avec des bons clients, je vais faire une partie qui est tout à fait légale, je vais recevoir mes contributions, mes chèques de paie de l'institution, mais, compte tenu que je suis en contact avec des clients qui sont peut-être potentiellement intéressés à faire du contournement fiscal, je vais être bien placé puis je vais pouvoir retirer une bonne commission de ça.

À votre avis, est-ce qu'il existe des mécanismes de défense, dans des organisations comme vous autres ou n'importe quelle institution financière, là, pour s'assurer... Parce que moi, je peux très bien concevoir que ça peut être une façon, tu sais. Votre organisation — moi, je le crois — vous n'essaierez pas de perdre votre nom en faisant de la fraude, mais il y a peut-être des individus qui sont moins vertueux que votre organisation, non?

Le Président (M. Bernier) : M. Lessard.

M. Lessard (Pierre) : Bon, d'abord, non seulement on a un code de conduite, mais on a des mesures pour s'assurer qu'il est respecté. Chaque année, nos gens doivent signer une déclaration annuelle indiquant qu'ils respectent le code de conduite.

Deuxièmement, tout ce qui sort de chez nous doit être approuvé par un associé. Donc, un employé intermédiaire ne pourrait pas émettre de lui-même une opinion fiscale, ça doit être revu par un associé.

Et on n'est pas rémunérés à la pièce, les associés sont rémunérés sur une base de profit nationale. Et, dans ce contexte-là, on évite les tentations de ce genre, que vous avez mentionnées.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député.

M. Martel : Il ne peut pas y avoir de contact, de lien direct, de transaction personnelle entre un analyste chez vous puis une entreprise avec qui vous faites affaire?

M. Lessard (Pierre) : Impossible.

M. Martel : O.K. Dans vos recommandations, j'essaie de comprendre. Vous dites, la première recommandation : «Nous recommandons l'octroi, à un organisme indépendant, le mandat d'étudier la situation en profondeur et de s'assurer...» Premièrement... Non, je vais y aller juste là-dessus : Qu'est-ce que vous parlez, à qui vous pensez quand vous parlez d'organisme indépendant? J'essaie de comprendre. Puis... Bien, commencez par ça, là. À qui vous pensez?

Le Président (M. Bernier) : M. Lessard.

• (16 heures) •

M. Lessard (Pierre) : Oui. On pourrait mandater une université, un organisme qui est bien reconnu. Moi, ce que je dis, c'est que le problème, il est là. Je ne nie pas qu'il y ait un problème de pertes fiscales. Maintenant, il faut savoir quelles mesures adopter et quelles cibles viser.

Alors là, on a des chiffres qui viennent d'estimations, qui viennent d'études qui ne sont pas nécessairement des choses de chez nous. Il y a peut-être moyen de faire du travail avec les universités, avec différentes chaires, Sherbrooke, par exemple, qui a un programme de maîtrise, et de travailler avec eux pour qu'on puisse vraiment identifier les sources. J'entends les enjeux par rapport à la planification fiscale, mais le travail au noir est énorme, et, si on règle le travail au noir, on va peut-être régler le problème des paradis fiscaux, parce que c'est peut-être le même argent qui s'en va là-bas. Alors, à partir de là, je pense que ça vaut la peine de déterminer les cibles à viser.

Le Président (M. Bernier) : Oui, M. le député... Parce qu'en ce qui regarde le travail au noir puis ce qu'on appelle l'évasion fiscale on a vu quand même, lorsqu'on a rencontré les gens du secteur bancaire, qu'il y a beaucoup de mesures qui sont mises en place pour contrôler les transactions au niveau de l'évasion fiscale. À moins d'être un mulet qui transporte de l'argent à partir de lui-même, là, dans un paradis, là, ce qu'on peut voir, c'est que de plus en plus il y a des règles, là, qui sont quand même assez sévères, là, pour être capable de contrer l'évasion fiscale par les banques, et ça, on ne met pas ça en doute, ça. Le seul domaine où on regarde, nous autres, là, c'est l'évitement fiscal, là, c'est le secteur qui nous préoccupe actuellement.

Oui, M. le député. Si vous voulez poursuivre.

M. Martel : On sort de nos organisations, on n'est pas députés, vous n'êtes pas... on jase ensemble. Vous suivez l'actualité, vous suivez les problèmes budgétaires des gouvernements puis vous regardez le niveau de taxation, etc. Est-ce que vous convenez que les gouvernements devraient... ont un problème par rapport à des pertes de revenus fiscaux? Est-ce que votre opinion, c'est que... Tantôt, j'ai entendu — je ne me souviens pas c'est lequel des deux — parler de 700 millions de dollars sur 77 milliards de recettes fiscales. Est-ce, que pour vous — j'aimerais ça avoir peut-être chacun de votre côté, là, votre opinion — c'est un faux débat qu'on est en train de discuter, il n'y a pas nécessairement une perte de revenus importante pour les gouvernements qui découle des paradis fiscaux?

Le Président (M. Bernier) : M. Lessard, M. Labelle? M. Labelle.

M. Labelle (Eric) : Écoutez, il y a des chiffres qui existent. Est-ce qu'ils sont bons? Est-ce qu'ils ne sont pas bons? Chaque dollar d'impôt qui serait évité nous coûte tous de l'argent, donc moi, je suis juste favorable à ce qu'on trouve une solution.

M. Martel : Mais est-ce qu'on vit un problème? C'est ça que je veux savoir. À votre avis, on discute-tu de quelque chose qui n'est pas si dramatique que ça ou c'est quelque chose qu'il faut s'attaquer?

M. Labelle (Eric) : La seule chose que je peux vous affirmer, c'est que, dans ma vie quotidienne, ce que je fais, je ne fais pas perdre un sou d'impôt à l'État, au contraire, on ramène de l'argent. Mais je peux parler pour moi.

M. Martel : Je ne vous accuse pas, monsieur...

M. Labelle (Eric) : Non, non, mais...

M. Martel : ...je vous dis : On sort de notre cadre, là, on jase, on prend une bière, on jase puis on dit... Pas une bière? On jase, puis là on dit... on essaie de trouver des...

Une voix : ...

M. Martel : Oui, oui, oui. On essaie de trouver des problèmes à la fiscalité, au budget du gouvernement du Québec, puis on dit : Regardons ça. À votre avis, est-ce qu'on fait fausse route, ce n'est pas nécessairement un domaine où on pourrait récupérer des sous?

M. Labelle (Eric) : Comme le disait mon collègue, on a peine à réconcilier les chiffres, puis peut-être que le travail au noir est le plus gros problème.

Le Président (M. Bernier) : O.K. M. Lessard, avez-vous une opinion sur le sujet?

M. Lessard (Pierre) : Ce que j'allais dire va dans la même... À notre avis, l'évasion fiscale est un problème plus important pour... et le deuxième n'est pas négligeable, là, mais il y a beaucoup plus de recettes à aller gagner pour le gouvernement rapidement, plus facile que d'essayer de combattre l'évitement fiscal agressif.

Maintenant, les règles, l'OCDE y travaille, le gouvernement fédéral y travaille, les règles vont se resserrer d'elles-mêmes, et il faut continuer à les encourager et les supporter, mais je pense, moi, personnellement, que nos ressources, si elles sont limitées, devraient être mises sur l'évasion fiscale qui se fait chez nous.

Le Président (M. Bernier) : Est-ce que vous croyez que les paradis fiscaux sont en effondrement actuellement de par les législations américaine et européenne sur l'obligation de divulguer les clients à ces pays-là? Et on vient de faire la même chose du côté du Canada. Est-ce que vous croyez que les paradis fiscaux sont en train de s'écrouler?

M. Labelle (Eric) : Eric Labelle. Je suis convaincu que oui. Écoutez, l'opacité est en train de tomber, et ça, c'était le plus gros barrage, je crois, là. L'opacité tombe avec nos ententes d'échange d'information, je pense que le gouvernement sait ce qu'il fait. Et puis, comme l'OCDE est en train de travailler sur... on a divulgation sur tout, là, «treaty by country», tout ça, donc on s'en va vraiment dans la bonne direction. La réponse à ça, c'est oui.

Le Président (M. Bernier) : Oui. Si on vous demande de collaborer versus une législation au niveau de l'information nécessaire pour être capable de mieux... Parce qu'on a vu qu'il y avait quand même des ramifications puis il y avait quand même... Ce qui était difficile, c'était d'identifier les entreprises, d'identifier les personnes. On voit, là, dans les informations qui sont sorties dernièrement, dans les Panama Papers, il y a une tonne d'information. Si on légiférait, vous demandant de collaborer justement dans cette identification-là, vous seriez prêts?

M. Labelle (Eric) : Bien, encore une fois, dans ce qu'on fait, nous, tout est divulgué. Le prix de transfert est adéquat, les T1134 sont faits, les T1135. L'information, elle est là.

Donc, on parle d'évasion fiscale. On veut les trouver, les coupables.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Merci de votre présence, M. Lessard, M. Labelle, de PricewaterhouseCoopers. Merci d'avoir participé à la Commission des finances publiques.

Je vais suspendre quelques instants afin de permettre aux gens de chez Deloitte de prendre place.

(Suspension de la séance à 16 h 6)

(Reprise à 16 h 8)

Le Président (M. Bernier) : À l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux. Donc, nous recevons les représentants de chez Deloitte, M. Marc Perron, assistant-directeur pour le Québec, et M. François Champoux, associé responsable de la pratique de fiscalité internationale pour la région de Québec. Bienvenue, messieurs. M. le député.

M. Merlini : Alors, M. le Président, je fais motion pour qu'on assermente nos invités, s'il vous plaît.

Le Président (M. Bernier) : J'invite donc M. le secrétaire à procéder à l'assermentation des témoins, conformément à l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée nationale. Et je vous demande de vous lever et de lire à haute voix la déclaration qui vous sera fournie.

Assermentation de M. François Champoux

M. Champoux (François) : Merci. Je, François Champoux, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Assermentation de M. Marc Perron

M. Perron (Marc) : Je, Marc Perron, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

• (16 h 10) •

Le Président (M. Bernier) : Je vous remercie. Vous bénéficiez donc de l'immunité pour votre témoignage. Vous pouvez maintenant commencer votre présentation. Vous avez 15 minutes.

Deloitte LLP

M. Perron (Marc) : Merci. M. le Président de la commission, membres de la commission, bonjour. Je me présente : Je suis Marc Perron, je suis l'associé directeur de Deloitte au Québec. Je travaille au sein de ce cabinet-là depuis le début de ma carrière, donc depuis près de 20 ans. Je suis aujourd'hui accompagné de mon collègue, François Champoux, associé au cabinet Deloitte avec moi depuis 18 ans. François est avocat de formation et spécialiste en fiscalité, il est responsable de la pratique de fiscalité internationale et aussi de notre pratique de fusions et acquisitions chez Deloitte au Québec, et lui aussi, François, a fait l'ensemble de sa carrière au cabinet jusqu'à maintenant.

Le 4 mai 2016, l'Ordre des CPA du Québec a préparé un mémoire qui a été transmis à la commission, qui était intitulé Réflexions sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux. Ce mémoire reflète le point de vue de Deloitte sur les questions qui sont examinées par la commission, et c'est pourquoi d'entrée de jeu ou à prime abord nous avions jugé que nous n'avions rien de supplémentaire à ajouter. Par contre, nous apprécions néanmoins l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de répondre aux questions de la commission afin de nous aider collectivement à faire la lumière sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux, un enjeu d'importance, évidemment, pour les Québécois mais aussi pour la profession comptable en général.

Tout d'abord, si vous me le permettez, j'aimerais dire quelques mots sur Deloitte. Deloitte est l'un, sinon le plus grand cabinet de services professionnels au Québec et au Canada. Nous sommes aussi l'une des plus grandes entreprises du Québec, avec nos 2 300 employés répartis dans 29 bureaux sur l'ensemble du territoire de la province. Nous sommes engagés envers le Québec, ses communautés, nos clients et nos gens depuis plus de 150 ans. Ensemble, nous travaillons à renforcer la position du Québec dans l'économie mondiale, dans l'objectif de se positionner comme une province qui se démarque par ses investissements, ses occasions d'affaires, ses occasions d'emploi, de par son innovation mais aussi de par sa productivité. Nous sommes très fiers de contribuer avec d'autres à cet effort.

M. Champoux traitera dans quelques minutes de la différence que nous observons entre l'évasion fiscale et l'évitement fiscal. En tant qu'associé directeur de chez Deloitte au Québec, je veux toutefois d'entrée de jeu vous assurer que nos activités n'ont jamais consisté et ne consisteront jamais à conseiller nos clients ni à les aider à faire de l'évasion fiscale. Deloitte est commis, déterminé à fournir à ses clients des conseils responsables et éthiques qui sont à la fois conformes aux lois et adéquats pour leurs entreprises. Nous conseillons donc nos clients sur la manière de se conformer à la législation fiscale et les aidons à respecter leurs obligations d'information et de conformité fiscale. Je dirais aussi que, plus largement, notre objectif est d'aider nos clients à résoudre les défis et problématiques auxquels ils font face et les aider aussi à saisir les opportunités et les occasions d'affaires qui se présentent à eux afin, c'est important, qu'ils puissent réussir dans un contexte économique complexe et de plus en plus mondialisé.

Dans ce contexte, je considère qu'il est utile de vous décrire brièvement nos processus, qu'on considère robustes et efficaces, en matière d'assurance qualité. Tout d'abord, nous avons mis en place un processus rigoureux d'acceptation des clients qui inclut, entre autres, une vérification des antécédents pour tout nouveau client. En ne s'associant qu'avec des clients qui rencontrent nos normes ainsi que nous valeurs et en sachant avec qui on fait affaire, nous réduisons les risques au travail que nous faisons pour eux. Il est impératif pour nous de protéger notre marque, de protéger notre réputation afin de poursuivre notre réussite dans le monde des affaires. Nous suivons aussi des processus tout aussi rigoureux d'assurance de qualité au niveau de l'ensemble de nos missions, basés sur des règles strictes, établis selon les meilleures pratiques afin d'en assurer la conformité. Nous observons aussi un code d'éthique et sommes assujettis, comme vous le savez, aux règles d'association professionnelle qui nous gouvernent. Nous investissons dans nos gens en leur offrant de multiples occasions de se perfectionner. Selon nous, tous ces éléments nous permettent de conseiller efficacement nos clients et de leur fournir des services qui rencontrent les normes les plus élevées en matière de qualité.

Là-dessus, j'aimerais céder la parole à mon collègue, M. Champoux.

M. Champoux (François) : Merci, Marc. Merci aux membres de la commission.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. Champoux.

M. Champoux (François) : Dans un premier temps, j'aimerais d'abord vous entretenir sur le contexte dans lequel nous prodiguons des conseils fiscaux. Lorsqu'ils fournissent des conseils à nos clients, nos fiscalistes se conforment toujours aux lois, comme Marc le mentionnait, et aux règlements en vigueur, et ça, que ce soit au Québec, au Canada ou ailleurs dans le monde. Ces conseils vont normalement permettre à nos clients d'organiser leurs affaires de façon efficace et surtout de façon légitime.

Puis j'aimerais préciser qu'en termes simples il y a une différence énorme entre l'évasion fiscale, que personne n'approuve, et l'évitement fiscal, que l'on peut aussi appeler planification fiscale et qui inclut des choses aussi simples qu'une cotisation à un REER. Et je comprends que le terme «évitement» a un sens péjoratif négatif, mais les lois définissent l'évitement comme étant toute transaction, toute opération qui donne un avantage fiscal, quel qu'il soit, donc une chose aussi simple que de contribuer à un REER constitue, en vertu de la loi, essentiellement une transaction d'évitement. Et j'aimerais aussi préciser, comme Marc le disait, que nos activités n'ont jamais et ne consisteront jamais à prodiguer des conseils afin de faire de l'évasion fiscale.

Si vous permettez, je citerais à cet égard un passage de la soumission qui a été faite par CPA Québec, qui disait essentiellement : «L'évasion fiscale consiste en l'intention délibérée de ne pas agir conformément aux lois, ce qui inclut le fait de ne pas sciemment déclarer des revenus, de réclamer de fausses dépenses ou de falsifier de l'information ou des documents. Le fait de "cacher" des revenus à l'étranger — donc, entre autres, quand on parle des paradis fiscaux — constitue clairement de l'évasion, laquelle est du ressort des instances criminelles.

«Il va de soi que toute recommandation formulée par un CPA en vue d'inciter un contribuable à de tels agissements ou le fait pour lui d'y participer directement ou indirectement est contraire à la loi et aux règles déontologiques de sa profession puisqu'il s'agit d'activités criminelles.»

L'évasion fiscale, donc, comme je le mentionne, implique le non-respect des lois et la non-divulgation d'actifs ou de revenus. Deloitte, en tant que firme professionnelle, n'accepte pas et n'acceptera jamais de participer dans de telles opérations. Par ailleurs, la planification légitime, la planification fiscale légitime est permise par l'ensemble des lois, et les autorités fiscales ont à leur disposition des outils afin de contester celles-ci lorsqu'elles jugent qu'elles sont abusives ou agressives.

Le droit fiscal est évidemment extrêmement complexe — et je pense que vous pourriez en témoigner — en particulier le droit fiscal international, qui implique l'application non seulement de plusieurs lois, mais de plusieurs traités fiscaux à la même situation. Et, lorsqu'il s'agit de lois et de traités fiscaux, il y a toujours matière à interprétation. Les contribuables et les autorités fiscales ne s'entendent pas toujours non plus sur l'interprétation des lois ou des conventions fiscales. D'ailleurs, la majorité de ces différends, même lorsqu'il y a mésentente, les autorités fiscales et les contribuables, la majorité de ces différends vont se régler entre les autorités fiscales et les contribuables, mais il arrive que ça aille devant les tribunaux, ce qui démontre la complexité de l'interprétation des lois. Et, preuve que c'est complexe, il arrive souvent également que le tribunal de première instance, qui va interpréter la loi d'une certaine façon en faveur des autorités fiscales ou en faveur du contribuable, va lui-même être renversé par une instance supérieure. Il y a énormément de causes fiscales qui se sont retrouvées jusqu'à la Cour suprême. Et, malgré tout le respect qu'on doit aux tribunaux, que ce soit pour nous ou pour nos clients, aller devant les tribunaux pour régler une question fiscale, ce n'est jamais agréable.

À cet égard-là, si vous permettez, j'irais à une deuxième citation de CPA Québec, qui dit essentiellement : «L'évitement peut être généralement défini comme étant le recours à la planification fiscale légitime dans le but de minimiser les impacts fiscaux. Cependant, et ce, essentiellement en raison de la complexité de la législation, les litiges opposant les contribuables aux autorités fiscales donnent souvent lieu à des débats d'interprétation.» On parle de lois, donc on parle inévitablement d'interprétation.

Maintenant, si on parle de la fiscalité canadienne et de la fiscalité québécoise, sans entrer nécessairement dans des détails techniques très complexes au niveau des lois fiscales, en vertu des lois fiscales canadiennes il y a un principe qui est assez simple, un principe de base qui prévoit que le revenu d'entreprise des filiales étrangères de sociétés canadiennes n'est généralement pas imposé au Canada lorsqu'il est rapatrié au Canada. Donc, une multinationale canadienne qui a des filiales étrangères, qui exploite des entreprises, lorsque ses profits sont rapatriés au Canada, ils ne sont pas sujets à une deuxième imposition, et c'en est de même dans la plupart des pays, la majorité des pays ont un régime similaire. Ceci permet évidemment d'éviter la double imposition. Et les multinationales peuvent créer des sociétés dans différents pays, notamment des pays qu'on prétend être des paradis fiscaux, il y en a qui en sont, il y en a qui ne sont pas nécessairement des paradis fiscaux, mais ces filiales-là sont créées pour différentes fins d'affaires. Il est possible que ces filiales-là soient admissibles à des régimes fiscaux avantageux, à des incitatifs fiscaux, puis, tel que mentionné, ces sociétés servent normalement à des fins d'affaires, les sociétés de portefeuille, de financement ou de licence en sont des exemples. Et généralement l'utilisation de ces sociétés par des multinationales canadiennes ne réduit pas l'impôt canadien payé, car le revenu d'entreprise gagné par les filiales étrangères, comme je disais, n'est pas assujetti à l'impôt canadien lorsqu'il est rapatrié.

Chaque pays est souverain en termes de législation et, évidemment, en termes de législation fiscale également. Des pays comme le Canada et des provinces comme le Québec veulent que leurs régimes fiscaux soient concurrentiels, de toute évidence. De tels régimes aident à attirer des investissements et des emplois. De plus, les pays veulent faire en sorte que les sociétés qui ont leur siège social sur leur territoire profitent d'un régime fiscal concurrentiel par rapport à ceux d'autres pays où leurs concurrents étrangers sont situés. La fiscalité, en d'autres mots, est essentiellement un des leviers que les différents pays utilisent pour être concurrentiels.

• (16 h 20) •

On fait beaucoup de bruit, de ce temps-ci, sur les paradis fiscaux, mais il y a également des pays du G7 qui offrent des régimes fiscaux avantageux aux entreprises. Par exemple, si on prend le Royaume-Uni ou d'autres pays, ils vont offrir des régimes fiscaux avantageux notamment à des sociétés qui exploitent des brevets, ce qu'on appelle dans notre jargon fiscal à nous, si vous voulez, des «patent box». Et d'ailleurs le Québec, dans le dernier budget, a adopté une législation sur les brevets qui permet essentiellement à une entreprise qui génère des revenus à même des brevets d'être taxée à un taux fiscal avantageux de 4 %, comparativement à une autre entreprise qui ne génère pas le même type de revenus.

L'OCDE, évidemment, a entrepris, comme vous le savez puis on vous en a parlé sûrement avant, une initiative majeure essentiellement contre l'érosion de la base d'imposition puis le transfert des bénéfices entre les différents pays, et ce, sous l'égide du G20. Compte tenu de la concurrence fiscale entre les pays, le G20, donc, comme je disais, et l'OCDE ont lancé le projet pour lutter contre l'érosion de la base d'imposition puis le transfert des bénéfices. Ce projet vise l'adoption d'approches plus communes en matière de fiscalité internationale. Ces recommandations-là ont été publiées, on parle des «action items» de l'OCDE essentiellement. Certaines ont été adoptées par certains pays, d'autres n'ont pas encore été adoptées. D'ailleurs, dans son dernier budget fédéral, le gouvernement fédéral a adopté l'adoption de certaines recommandations, nommément ce à quoi on fait référence comme étant le «country-by-country reporting». Essentiellement, ce que ça veut dire, c'est qu'une multinationale qui fait affaire dans plusieurs pays va devoir essentiellement faire du reporting dans chaque pays, et ce reporting-là va notamment devoir mentionner quels sont les revenus gagnés dans chaque pays, le nombre d'employés dans chaque pays, les profits ou les pertes dans chaque pays, les actifs dans chaque pays, etc.

Nous pensons que c'est la bonne approche. Chaque pays, comme je le mentionnais précédemment, est souverain et chaque pays va vouloir garder sa souveraineté en termes de législation fiscale. Par ailleurs, notre expérience, chez Deloitte, nous démontre que les multinationales respectent les lois, les lois fiscales. Donc, c'est aux gouvernements à déterminer les lois et de faire en sorte qu'elles soient claires et qu'elles évitent toute ambiguïté.

Les multinationales ont également besoin de certitudes, les entreprises qui font affaire à l'international ont besoin de certitudes, et nous pensons qu'elles ne peuvent pas agir uniquement face à des notions qui sont extrêmement subjectives, telles que l'équité ou la moralité. Je lirais également un passage du rapport de CPA Québec à cet égard, qui mentionnait essentiellement : «Sous l'angle de ce qui est acceptable et [de] ce qui ne l'est pas, plusieurs réclament des sociétés qu'elles paient leur "juste part" d'impôt, une notion qui renvoie au concept de moralité et qu'il est difficile, voire impossible de définir. La question de savoir si les sociétés devraient payer une juste part quelconque d'impôt est une question éminemment stratégique à laquelle il incombe aux gouvernements de répondre.» Et je pense qu'on pourrait tous convenir que la notion de moralité ou d'équité, même si on comprend tous ce que ça veut dire, peut être extrêmement subjective d'un contribuable à l'autre.

De façon générale, les lois québécoises, évidemment, sont appuyées sur les lois fédérales en termes de fiscalité, et les deux sont alignées, et on croit également que c'est la bonne approche, la collaboration entre les gouvernements.

Maintenant, si je reviens brièvement sur l'évasion fiscale, comme mon collègue Marc mentionnait, au niveau de nos conseils fiscaux, nous avons des processus robustes d'acceptation de client, d'assurance de la qualité, de gestion des risques en ce qui a trait à tout ce que nous proposons à nos clients en termes de planification fiscale. Vous êtes préoccupés, le public est préoccupé par des gens qui utilisent certains paradis fiscaux ou d'autres moyens afin de ne pas déclarer des revenus, de cacher des actifs, et je pense que tout le monde est du même avis à cet égard-là. Et comme firme, comme nous l'avons mentionné, nous ne participons pas à ces activités.

Par ailleurs, le Canada a conclu des traités fiscaux et des ententes sur l'échange de renseignements fiscaux avec de nombreux pays, et ces ententes-là sont extrêmement importantes pour la fiscalité du Canada, pour protéger l'assiette fiscale canadienne. Et j'aimerais revenir sur le concept de traités fiscaux. Les conventions fiscales sont d'abord et avant tout là pour éviter la double imposition et permettre aux pays d'échanger des informations fiscales...

Le Président (M. Bernier) : Merci. Nous allons passer aux échanges avec les parlementaires parce que malheureusement nous sommes limités dans le temps. Donc, M. le député de Trois-Rivières.

M. Girard : Merci, M. le Président. Merci, messieurs, d'être ici présents avec nous pour parler de fiscalité.

Je me doute déjà de la réponse, mais je me dois de vous poser une question que j'ai posée à chaque intervenant que nous avons rencontré jusqu'à maintenant. Selon le FMI, 50 % des transactions financières internationales passent par les paradis fiscaux. On y mentionne que près de 4 000 banques y sont présentes, deux tiers des «hedge funds» mondiaux passent par les paradis fiscaux, 2 millions de sociétés-écrans sont créées dans les paradis fiscaux. Toutes les firmes qui sont venues nous voir jusqu'à maintenant nous ont dit : Nous, on ne fait pas ça, ce n'est pas nous autres. Si ce n'est pas vous, c'est qui qui conseille ces entreprises-là?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Oui. Dans un premier temps, j'aimerais mentionner que les multinationales, les entreprises qui font affaire à l'international ont des structures extrêmement complexes, ces sociétés-là peuvent faire affaire dans 20, 30 pays et avoir des filiales dans 20, 30 pays. Et très souvent, à titre d'exemple, ces sociétés-là vont vouloir avoir des sociétés holdings qui vont chapeauter l'ensemble de leurs sociétés, pour différentes raisons, et ce n'est pas nécessairement des raisons fiscales, ça peut être des raisons d'affaires, ça peut être des raisons de reporting financier, il y a différentes raisons. Et, par conséquent, ces sociétés-là, lorsqu'elles décident d'établir des sociétés holdings, des sociétés de portefeuille ou d'autres types de sociétés, doivent décider dans quelle juridiction ces sociétés-là vont être établies, et il est possible que dans certains cas ce soient des pays qui représentent ce qu'on appelle des paradis fiscaux. Par contre, ce n'est pas nécessairement pour des raisons fiscales que les sociétés sont établies dans ces pays-là.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Girard : O.K. Mais pour quelle raison les entreprises vont s'installer dans des endroits comme le Luxembourg, la Barbade, les îles Jersey, Guernesey, si ce n'est pas pour la fiscalité?

M. Champoux (François) : Comme je mentionnais précédemment, les entreprises canadiennes qui ont des filiales étrangères, les revenus que ces filiales étrangères là gagnent, lorsqu'ils reviennent au Canada, ne sont pas nécessairement... ne sont pas assujettis à l'impôt canadien dans la mesure où c'est ce qu'on appelle des entreprises actives, ce qui est la très grande majorité des entreprises, évidemment. Donc, par conséquent, le fait d'établir une société de holding, une société de portefeuille, comme vous mentionnez, au Luxembourg, ailleurs, n'aura pas nécessairement pour effet de réduire l'impôt canadien qui est payable par ces sociétés-là.

Le Président (M. Bernier) : M. le député de Trois-Rivières.

M. Girard : Je vous amène dans un autre registre. Je suis un entrepreneur, je vais vous rencontrer. J'ai plusieurs entreprises, plusieurs entités, je pense à m'installer à l'international. Je désire réduire mon fardeau fiscal. Je m'en vais vous rencontrer, vous me faites une proposition, on fait des choses ensemble.

Lorsque vous faites une planification fiscale, lorsque vous faites une planification financière, fiscale pour une entreprise, de quelle façon vous êtes rémunérés, à votre société, avec un client qui vous demande une planification fiscale, pour un entrepreneur avec plusieurs sociétés?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Notre mécanisme de rémunération est assez simple. Essentiellement, nos clients sont facturés sur une base horaire, donc les heures travaillées sur le dossier.

M. Girard : Donc, le fait de réduire le fardeau fiscal, dans votre société, il n'y a aucun impact sur la rémunération.

M. Champoux (François) : Non. D'ailleurs, le gouvernement du Québec a établi... a adopté des règles sur les planifications fiscales agressives qui réputent un niveau d'agressivité lorsqu'il y a une rémunération qui est essentiellement en pourcentage des économies d'impôt, même si la planification n'est pas nécessairement agressive, là. Donc, il y a comme une espèce de présomption.

Mais, non, je vous dirais que les services que nous rendons sont sur une base de tarif horaire.

M. Girard : Et qu'est-ce qui ferait que, comme entrepreneur, j'irais chez vous plutôt que chez une autre firme?

M. Champoux (François) : J'espère, la qualité de nos services. J'espère, notre expertise.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Girard : Merci. D'autres intervenants nous disaient que plusieurs entrepreneurs vont avoir un pied-à-terre dans certains paradis fiscaux, mais habituellement, on nous a dit, c'est parce qu'ils font des affaires là, bon, un hôtel à la Barbade, etc.

Avez-vous des clients qui font affaire dans des endroits comme le Luxembourg, la Barbade, les îles Jersey ou Guernesey?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Vous comprendrez qu'on ne peut pas parler des affaires de nos clients de façon spécifique. Ce que je peux vous dire, c'est que vous avez tous lu par ailleurs... tout le monde a vu dans les journaux des multinationales qui ont des filiales dans différents pays, incluant certains des pays que vous avez mentionnés, mais, je répète encore une fois, ce n'est pas nécessairement pour éviter... ce n'est pas pour éviter de l'impôt canadien que ces sociétés-là ont des filiales dans ces pays-là.

M. Girard : Donc, si je comprends bien, si ces sociétés-là ont des filiales dans ces pays-là, c'est pour faire des affaires dans ces pays-là, la plupart du temps.

M. Champoux (François) : Oui.

M. Girard : J'ai fait une petite recherche rapide : à la Barbade, 290 604 habitants; Jersey, Guernesey, 163 000 habitants, c'est à peu près gros comme la ville de Trois-Rivières et l'arrondissement. Je trouve que ça en fait pas mal, de monde qui font affaire là, pour une si petite population. Quelle sorte d'affaires ils peuvent faire dans ces pays-là?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Comme je vous disais, il y a toutes sortes de sociétés qui y sont établies, et souvent certaines de ces sociétés-là vont être ce qu'on appelle des sociétés de holding, qui vont détenir d'autres sociétés qui, elles, exploitent des entreprises qui sont opérantes. Donc, ce n'est pas nécessairement des sociétés qui vont avoir 1 000 employés, mais c'est des sociétés, par contre, qui vont avoir énormément d'actif.

• (16 h 30) •

M. Girard : Mais pourquoi le holding est là? Si ce n'est pas pour la fiscalité, là, pourquoi...

M. Champoux (François) : Comme je vous disais, il y a des raisons qui ne sont pas fiscales. Il peut y avoir des raisons fiscales, par ailleurs. Il y a des conventions fiscales qui ont été négociées entre tous les pays. Il peut arriver, par exemple, que, si vous alliez faire affaire dans le pays B, si votre société de holding est dans le pays A, le pays B va vous donner un régime fiscal préférentiel, et ce qui est tout à fait légal en vertu de la convention fiscale en vigueur, des lois des deux pays. En fait, si on prend le Canada, le pays de holding et le pays où la filiale opérante est, c'est tout à fait légal en vertu des lois des trois pays, en vertu des conventions fiscales, il n'y a absolument rien d'illégal dans ça.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Girard : Non, ce n'est pas que c'est illégal, mais ça peut être très, très, très sur la ligne pour sauver le l'impôt. Et est-ce que le fait, une question que j'ai posée aussi à d'autres, qu'on m'a dit que non, je sais que ce n'est pas légal, mais j'ai des gros doutes que ça se fait... Est-ce que c'est possible soit de transférer des pertes par le holding vers le Canada ou encore de transférer des profits, des gains vers le holding, qui va être imposé? Vous allez me dire que non, mais... ça ne se fait pas chez vous, j'en suis convaincu. Est-ce que ça peut se faire? Est-ce que c'est quelque chose qui peut se faire actuellement?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Je vais essayer de ne pas être trop technique, mais les règles fiscales canadiennes prévoient essentiellement que, si un revenu sort du Canada pour aller dans une société d'un pays étranger qui est une filiale d'une société canadienne, ce revenu-là va être taxé au Canada, lorsqu'il est gagné par la filiale étrangère. Donc, la loi canadienne donne une espèce d'extraterritorialité au Canada en termes de taxation de ces revenus-là. Donc, je vous dirais que non, techniquement ça ne fonctionne pas. Et d'exporter ou d'importer des pertes fiscales, ça ne fonctionne pas non plus. Donc, des pertes fiscales, à titre d'exemple une société canadienne qui a une filiale dans un autre pays, qui a des pertes fiscales, ces pertes fiscales là ne peuvent pas être importées au Canada en vertu du régime fiscal actuel.

M. Girard : Donc, la loi ne le permet pas, et vous me dites que ça ne peut pas se faire non plus, ce serait illégal, oui, mais est-ce que vous croyez...

M. Champoux (François) : Je ne vous dis pas que ça... Non, mais je ne veux pas juste dire que ça serait illégal; je ne connais pas de technique qui permettrait de le faire. Donc, la loi ne le permet pas, la loi est rédigée de sorte à ce que ce n'est pas possible de le faire.

M. Girard : Dernière question : Avez-vous des points de service dans ces pays-là, dans ce genre d'endroit? Avez-vous un pied-à-terre, comme société, dans ces pays-là?

M. Perron (Marc) : Bien, dans certaines, oui. On a un bureau au Luxembourg, évidemment, on fait des affaires au Luxembourg. Mais je n'ai pas la liste de l'ensemble de nos cabinets à travers le monde, là, mais, dans certains des pays que vous avez mentionnés, oui, on a des points de... on a des bureaux, oui.

Le Président (M. Bernier) : Merci, M. Perron.

M. Girard : Merci. Ça fait le tour, M. le Président.

Le Président (M. Bernier) : M. le député de Sainte-Rose.

M. Habel : Merci, M. le Président. L'évitement fiscal ou la planification fiscale agressive puis l'évasion fiscale, c'est quelque chose que le mandat de la commission s'est donné de regarder cette situation-là. On sait que ça affecte la société de manière très globale parce qu'on a des besoins en termes de revenus pour investir en santé, en éducation, pour les familles du Québec, puis c'est 800 millions, une estimation, là, qu'on pourrait perdre, là, à cause de ces stratagèmes. On verse d'importants, aussi, montants aux firmes comptables pour des mandats qui sont conférés par le gouvernement du Québec.

Peut-être une question rapide, mon collègue l'a abordé aussi, de Trois-Rivières : Est-ce que vous contribuez de près ou de loin à ce genre de stratégie fiscale?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : La réponse, comme j'ai mentionné, c'est non, nous n'avons aucune activité qui représente de l'évasion fiscale. L'évasion fiscale, comme je le mentionnais, c'est de ne pas rapporter des revenus, de cacher des biens. Nous ne participons pas dans ces activités-là.

D'ailleurs, si vous me permettez, là-dessus les lois canadiennes, également, et les lois du Québec fonctionnent de sorte à ce que tout contribuable qui a des biens à l'étranger doit les rapporter. Donc, il y a des formulaires qui doivent être remplis par chaque contribuable canadien qui a des biens à l'étranger, que ce soient les sociétés ou les particuliers. Et, dans tous les cas, on assiste nos clients dans la préparation de ces formulaires-là.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Sainte-Rose.

M. Habel : On est ici aussi pour apporter des modifications qui pourraient permettre de récupérer ces charges fiscales là, puis je sais que l'ensemble de mes collègues sont aussi attablés à cette situation, il y a plusieurs possibilités.

Vous avez parlé légèrement du reporting par pays. J'aimerais savoir comment vous entrevoyez l'évaluation de ce reporting par pays là à court terme, à moyen terme et à long terme. Pensez-vous que c'est applicable rapidement? Et est-ce qu'il devrait y avoir des modifications à la loi comptable internationale pour appliquer ces règles de reporting par pays?

M. Champoux (François) : Je vous dirais que, dans la mesure où les autorités fiscales ont, évidemment, les ressources pour passer à travers l'information qu'il y a dans ces documents-là, c'est un excellent outil, oui, le reporting «country by country».

M. Habel : Donc, ça pourrait être applicable rapidement pays par pays?

M. Champoux (François) : Comme je vous dis, on n'a aucun contrôle sur ce que les autorités fiscales vont en faire, mais, oui, c'est un excellent outil. Vous avez essentiellement le portrait global avec ce reporting-là.

M. Habel : Donc, au niveau... Par exemple, pour les gens qui nous écoutent, là, le reporting par pays, là, c'est de dévoiler ses résultats financiers, là, avec les montants des ventes intragroupe et extérieures au groupe, les achats ventilés de la même façon, le coût de financement qui est ventilé aussi, les charges sociales, le résultat avant impôt, les impôts versés au gouvernement, avec son lieu d'activité, les pays dans lesquels ils opèrent. Donc, vraiment, c'est quelque chose qui se passe dans chaque pays.

Puis, la complexité pour les entreprises d'appliquer ce modèle-là, est-ce qu'il est complexe ou il est facilement applicable?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Je dirais que, si vous regardez l'ensemble des déclarations fiscales, des formulaires que les entreprises ont à remplir, ça devient extrêmement complexe. Puis vous pouvez vous douter que, pour une société qui a des dizaines et des dizaines de filiales, ça devient extrêmement complexe, tous ces formulaires-là.

Par contre, toutes les multinationales canadiennes, québécoises respectent la législation et produisent ces formulaires-là lorsqu'ils doivent être produits, à ma connaissance. Et je vous dirais également qu'il y a plusieurs de ces reportings-là auxquels vous faites référence qui existent déjà depuis de nombreuses années. Si on prend... Encore là, sans être trop technique, mais il y a un formulaire qui s'appelle, essentiellement, T106, en vertu duquel toute société canadienne doit montrer toutes ses transactions avec des filiales étrangères, et il y a d'autres formulaires qui existent depuis un nombre d'années aussi, qui s'appellent des T1134 et des T1135, où une société canadienne doit essentiellement produire un formulaire pour chacune de ses filiales étrangères et mentionner certaines informations financières sur sa filiale étrangère.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député.

M. Habel : Oui, merci, M. le Président. Peut-être aussi pour les gens qui nous écoutent, là, en quoi le reporting par pays pourrait mettre en lumière une certaine distorsion au niveau des prix de transfert, là, qui apporterait à Revenu Québec ou d'autres instances qui évaluent la fiscalité, là, de pouvoir peut-être émettre un son de cloche, là? En quoi le reporting par pays pourrait mettre en lumière cette distorsion des prix de transfert mais aussi pourrait peut-être révéler des holdings que je vais qualifier d'agressifs, aussi?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Les lois canadiennes prévoient déjà que les sociétés canadiennes qui ont des opérations avec des filiales, avec des sociétés étrangères qui leur sont liées, avec lesquelles elles sont liées, donc, lorsqu'il y a un actionnariat, essentiellement doivent rapporter leurs transactions intercompagnies. La différence du «country by country», c'est que maintenant ce reporting-là va devoir être fait pour chaque pays. Donc, essentiellement, ce que ce reporting-là va permettre, si vous permettez l'expression, c'est de diviser encore davantage l'information et d'aller de façon encore plus précise dans l'information.

M. Habel : Est-ce que, par exemple, ce reporting par pays là ne pourrait pas, par exemple, révéler qu'il y a beaucoup de dépenses, par exemple, dans un pays comme, par exemple, la Barbade et plus de revenus dans d'autres pays? Est-ce que ça pourrait révéler ce type d'information là, qui pourrait peut-être apporter un son de cloche, là, aux autorités fiscales?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Oui, absolument, oui, ça va le faire. Mais je reviens à ce que je disais tantôt, les règles de prix de transfert actuelles, en principe, permettent déjà de le faire. Mais, oui, ça va le faire.

Le Président (M. Bernier) : Ça va? M. le député de La Prairie, vous avez une question?

M. Merlini : Oui, oui, tout à fait. Merci beaucoup, M. le Président.

Vous avez mentionné dans votre allocution que vous offrez des conseils conformes à la loi et adéquats pour les compagnies et que vous offrez comme conseils aussi à vos clients de saisir des occasions d'affaires. C'est quoi, pour vous, saisir des occasions d'affaires? Parce qu'évidemment il y a des possibilités d'investissement, il y a des possibilités d'aller à l'international, mais c'est assez général comme descriptif de dire «saisir des occasions d'affaires». Comment voyez-vous ça? C'est quoi, pour vous, quand vous offrez ce conseil-là à vos clients?

M. Perron (Marc) : Bien, mon commentaire était très... était général, pas nécessairement juste relié à la question fiscale, mais évidemment ce qu'on veut, c'est supporter nos clients qui font des investissements ici, au Canada, au Québec, ailleurs à l'étranger pour qu'ils soient capables, là, d'être compétitifs puis de saisir, comme je disais, des occasions d'affaires qui peuvent se présenter un peu partout sur la planète, parce que c'est important pour les entreprises ici de prospérer, puis une partie de la prospérité vient par l'exportation puis l'investissement qu'on peut faire ailleurs à l'étranger pour prospérer dans ces marchés-là aussi.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député.

• (16 h 40) •

M. Merlini : Merci, M. le Président. Évidemment, saisir les occasions d'affaires dans un monde qui est complexe... On a entendu les gens de PwC parler de la complexité des lois fiscales à travers le monde. Mon collègue de Sainte-Rose a fait allusion, là, évidemment, et vous l'avez soulevé dans votre présentation, que le «country-by-country reporting» est un outil essentiel. Ça doit être quand même assez complexe pour vous d'en même temps conseiller et de donner des suggestions d'investissement et des occasions d'affaires à l'international et aussi par rapport au Québec, vous voyez certainement des législations où, pour un client ça va être plus fiscalement avantageux d'aller, je ne sais pas, je vais dire ça comme ça, en Grande-Bretagne, au lieu d'investir à Tadoussac, par exemple. Je dis ça comme ça, comme exemple, là.

M. Champoux (François) : ...nos clients vont prendre d'abord et avant tout des décisions d'affaires et après vont venir nous demander : Quelles sont mes obligations fiscales par rapport à cette occasion d'affaires là?, mais nos clients ne prennent pas leurs décisions d'occasion d'affaires basés d'abord et avant tout sur la fiscalité. Nos clients vont avoir une occasion d'affaires et vont venir nous demander : Quelles sont nos obligations fiscales par rapport à cet investissement, à cette occasion d'affaires?

M. Merlini : Dans votre présentation, vous avez parlé de l'acceptation des clients selon vos normes et vos valeurs. PwC parlait qu'eux ont mis en place un code de conduite spécifique à leur entreprise. Avez-vous quelque chose de semblable? Et, si vous pouvez, sans dévoiler de secret professionnel, quelles sont, pour vous, ces normes et ces valeurs qui fait que vous acceptez les clients ou, quand vous sollicitez, là, vous faites du démarchage pour des nouveaux clients?

Le Président (M. Bernier) : M. Perron.

M. Perron (Marc) : Oui, on a un processus d'acceptation de client, comme je le mentionnais, où on regarde les antécédents de ces clients-là pour s'assurer de leur bonne conduite, de leur réputation. On veut s'associer avec des clients qui ont une réputation qui va être similaire à la nôtre, donc, parce qu'on veut conserver notre réputation.

On a un code d'éthique, évidemment, pour chacun de nos employés. À chaque année, nous aussi, chacun de nos gens, chacun de nos employés et chacun de nos associés doit se soumettre à un questionnaire qui est très détaillé, là, au-dessus de 100 questions, par rapport au code d'éthique et par rapport à l'ensemble de ces obligations-là. Et évidemment tout manquement au code d'éthique ou à nos politiques internes serait sanctionné, sans l'ombre d'un doute.

Le Président (M. Bernier) : Juste une sous-question : Est-ce que vous recommandez à vos clients de faire une divulgationvolontaire si vous constatez qu'ils ont effectivement des argents dans les paradis fiscaux?

M. Champoux (François) : Absolument. En fait, la première question qu'on va se poser, c'est évidemment si on accepte ce client-là, si on est prêts à faire affaire avec ce client-là. Et il est évident que, si un client... si on accepte de faire affaire avec quelqu'un qui a des revenus ou des actifs non déclarés à l'étranger, la première chose qu'il va devoir faire, c'est une divulgationvolontaire, absolument.

Le Président (M. Bernier) : Continuez, M. le député.

M. Merlini : Merci beaucoup, M. le Président. Vous êtes ici et vous avez l'opportunité de venir présenter un mémoire. Maintenant, si vous aviez une recommandation à proposer, quelle serait-elle? PwC en a fait une série, là, mais, selon vous... Parce que, le phénomène, vous avez parlé du travail de l'OCDE et les actions fiscales à l'international qui sont à faire, c'est un premier pas, mais vous, comme compagnie, comme Deloitte, qu'est-ce que vous proposeriez au gouvernement du Québec pour qu'on puisse rester compétitifs mais pour qu'en même temps on puisse être capables de récupérer ces sommes qu'il nous manque, là, par l'évasion ou l'évitement fiscal... pas l'évitement fiscal, mais, je veux dire, l'évasion fiscale?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : On pense que la solution passe effectivement par... on pense que ça passe effectivement par un effort concerté comme ce que l'OCDE fait, comme ce que les pays du G20 font. C'est-à-dire que, comme je le mentionnais précédemment, chaque pays, évidemment, est souverain en termes de législation fiscale, et c'est uniquement des efforts concertés qui permettent, essentiellement, de faire en sorte que la fiscalité à travers les pays, à travers la majorité des pays, à tout le moins, ait une certaine continuité, si on veut.

M. Merlini : Bien, je vais aller un petit peu plus loin. PwC, leur première recommandation, c'est de s'assurer d'obtenir des données adéquates en donnant un mandat à un organisme indépendant d'étudier la situation en profondeur et de s'assurer de colliger l'information pertinente parce que c'est vaste, c'est international. Oui, je comprends l'idée de l'effort concerté, l'effort que fait l'OCDE, mais voyez-vous un organisme indépendant le faire, sur lequel vous pourriez siéger comme représentants ou que l'ordre pourrait siéger, comme représentants de l'ordre, pour justement faciliter le travail de concertation dont vous parlez?

M. Champoux (François) : Je ne suis pas certain de comprendre à quelles données ils faisaient référence quand ils parlaient d'un organisme indépendant pour collecter les données. Parce qu'ils parlaient de collecter les données sur les revenus non déclarés, sur les actifs non déclarés, sur essentiellement l'économie souterraine en vertu de laquelle des revenus sont non déclarés. Si c'est ce à quoi ils font référence, je pense qu'on n'aurait absolument aucune objection avec une initiative comme ça.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Rosemont.

M. Lisée : Merci, M. le Président. Bonjour, MM. Perron et Champoux. Je veux vous parler de ce que vous faites dans la légalité. En 2013, un des bras de Deloitte a publié un document qui s'appelle Investing in Africa through Mauritius, à travers l'île Maurice, et le document, qui est public, qui a été présenté à un certain nombre d'investisseurs, dit : Bien, écoutez, si vous investissez, par exemple, au Mozambique, vous allez payer des taxes, vous allez payer des taxes de 20 % et ensuite, sur les gains de capitaux, des taxes de 32 %, mais il y a un truc pour ne pas en payer : créez un holding dans l'île Maurice, et on va vous aider à faire ça, nous, à Pricewaterhouse... nous, à Deloitte, excusez-moi, peut-être que les autres le feront aussi, mais nous, à Deloitte, on va vous aider à faire ça, et, en faisant ça, vous allez payer juste 8 % de taxe, plutôt que 36 % ou plutôt que 20 %. Alors, vous baissez vos taxes de 20 % à 8 %, puis le gain de capital, zéro, de 32 % à zéro. Bien, évidemment, c'est génial pour l'entreprise, mais ça veut dire que le Mozambique, qui est l'exemple utilisé par Deloitte dans son document, où la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté, va perdre énormément de revenus fiscaux. C'est ce que vous faites dans la vie.

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : La réponse à la dernière question, c'est non, ce n'est pas ce qu'on fait dans la vie.

Maintenant, oui, il y a de la planification fiscale qui se fait, et je vous dirais... Puis je n'ai pas, évidemment, là, la référence au document auquel... mais il existe de toute évidence, là. Mais ce qu'il faut comprendre aussi, c'est que le Mozambique a de toute évidence accepté de signer un traité avec Mauritius, dans ce cas-ci, avec l'île Maurice, dans ce cas-ci, qui dit que, si la société qui dispose du bien, parce qu'on parle des gains en capital, ou qui réalise le revenu est une société qui est dans votre pays, à ce moment-là, l'impôt va être réduit à 8 %. C'est le Mozambique, c'est le Mozambique, dans ce cas-ci, qui a accepté de signer la convention fiscale. Et, comme je vous disais précédemment, les lois fiscales internationales, les conventions fiscales sont extrêmement complexes, mais certains pays, pour différentes raisons...

M. Lisée : Oui, évidemment. Vous n'avez pas inventé l'accord fiscal entre le Mozambique et l'île Maurice. L'île Maurice a décidé d'être la porte d'entrée pour l'Afrique et a créé ce système-là, donc, de genre de paradis fiscal qui permet aux entreprises de passer par l'île Maurice, de laisser quelques sous au passage mais à peine pour ne pas payer d'impôt dans les autres pays. Évidemment, les autres pays ont signé l'entente aussi. Peut-être ont-ils eu des conseils pour faire ça, de mauvais conseils. Mais vous, donc, vous arrivez puis vous dites : Bon, bien, il est là, le truc. O.K.? Et cet article de The Observer explique que vos collègues britanniques ont tenu une conférence pour... devant des gens de Citibank, J.P. Morgan, Standard Bank, des firmes chinoises, et donc vous propagez à des gens qui peut-être ne l'auraient pas vu, ne l'auraient pas su, seraient allés au Mozambique et auraient payé leurs taxes. Là, vous dites : Non, non, non, ne faites pas ça, là. Nous autres, on va vous charger de l'argent pour venir voir la conférence, puis ensuite, si vous êtes notre client, on va structurer ça, on va faire en sorte que légalement vous soyez au Mozambique, vous faisiez des affaires, mais que vous payiez beaucoup moins de taxes.

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Il faut bien comprendre que le truc auquel vous faites référence, c'est une loi, c'est des conventions fiscales qui ont été signées par les pays et qui permettent ce type d'incitatifs fiscaux là.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Lisée : Le document, on l'a ici, il est en ligne. Je ne dis pas que c'est illégal, je ne dis pas que ça n'existe pas, mais c'est intéressant parce que l'exemple que ça donne, c'est pour les compagnies chinoises, hein, vous avez «a Chinese holding compagny», puis les Chinois ne sont peut-être pas aussi alertes que les compagnies européennes. Et donc vous êtes légalement dans la dissémination d'information permettant d'utiliser des échappatoires légales dont la résultante est qu'il y a moins d'impôt dans les coffres d'un pays dont 50 % de la population est sous le seuil de la pauvreté. Vous n'avez pas de malaise?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Comme je vous mentionnais, dans la mesure où ça a été fait, c'était en respect des conventions fiscales que le Mozambique lui-même a signées avec l'île Maurice. Le Mozambique, le gouvernement du Mozambique lui-même a signé cette convention fiscale là et accorde... en vertu de ses lois internes, donne vigueur à cette convention fiscale là.

• (16 h 50) •

M. Lisée : Je comprends. Mais vous travaillez pour votre entreprise, vous voulez avoir des clients. Pour avoir des clients, il faut utiliser les méthodes légales qui leur permettent de payer le moins d'impôt possible, et, si vous, vous ne l'offrez pas, il y a quelqu'un d'autre qui va l'offrir. Mais il me semble que, dans ce système-là, là, vous ne travaillez pas pour le bien commun.

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Écoutez, comme je vous dis, ça respecte les lois du Mozambique, ça respecte la convention fiscale. La société qui va, essentiellement, déclarer son gain en vertu de la convention fiscale entre le Mozambique et l'île Maurice, dans ce cas-ci, là, va être en respect de toutes les lois en vigueur.

M. Lisée : O.K. Alors, il est certain...

M. Champoux (François) : Et là on revient à la question dont on parlait au début, la moralité, l'éthique, mais...

M. Lisée : ...business, vous faites de la business légale, mais ça a cette conséquence-là.

Je reviens à l'autre question. Bon, vous, vous dites : On est dans le cadre de la légalité. On a eu vos prédécesseurs qui ont dit : Bien, nous, on regarde, là, si on pense qu'on est sur la ligne du 50,1 % légal, on le recommande; si on est en bas de ça, on ne le recommande pas. Mon collègue de Rousseau a dit : Bien, il me semble que vous devriez recommander 90 % légal, là, pas être sur la ligne. Mais moi, je comprends que vous êtes en compétition avec d'autres compagnies comme la vôtre, qui, eux autres, ils vont être sur la ligne, puis, si vous n'êtes pas sur la ligne, vous allez perdre votre client.

Mais là il y en a qui sont de l'autre bord de la ligne, il y en a qui disent : Bien là, il y a juste 15 % de chances que ce soit légal, mais on va s'essayer, et donc vous, vous allez dire : Bien non, nous, on ne fait pas ça. Trouvez... Allez ailleurs. Je vais essayer de vous dire de ne pas faire ça, ce n'est pas une bonne idée, vous allez aller ailleurs. Et c'est sûr qu'ils vont ailleurs, parce qu'il y a des milliards de dollars qui vont ailleurs.

Alors, est-ce qu'il vous est arrivé d'avoir connaissance, peut-être pas d'un de vos clients, parce que vous avez un devoir de réserve, mais d'avoir connaissance qu'il y avait un stratagème illégal qui était en train de s'organiser autour de... bien, pas dans votre compagnie, mais dont vous avez la connaissance, vous avez pris le téléphone puis vous avez appelé Revenu Canada pour dire : Il y a quelque chose qui se passe, là, qui est illégal?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : En fait, la réponse à votre question, c'est non. Je ne pense pas qu'il nous est arrivé... puis je ne pourrais pas parler pour tout le monde dans l'ensemble de la firme, mais je ne pense pas qu'il nous est arrivé d'appeler Revenu Canada ou Revenu Québec puis de dire : Écoutez, il y a quelque chose d'illégal qui se passe, allez enquêter. La réponse, c'est non.

M. Lisée : Parce que?

M. Champoux (François) : Ceci étant dit...

M. Lisée : Mais ce n'est pas arrivé parce que vous n'avez jamais rien vu d'illégal?

M. Champoux (François) : Bien, premièrement, encore là, sur le terme «illégal», comme je vous disais, la planification fiscale que l'on fait, elle est conforme aux lois fiscales, donc...

M. Lisée : Je ne parle pas de vous, là, hein? Je dis : Ça ne se peut pas que des spécialistes de la planification fiscale comme vous ne sachiez pas qu'il existe à Montréal, à Québec, à Toronto des gens qui font tous les jours à temps plein, à 500 $ de l'heure, de la planification fiscale agressive illégale. Moi, je ne peux pas croire ça.

M. Champoux (François) : Je peux vous assurer qu'en 25 ans de carrière je n'en connais pas, je ne connais pas une personne qui fait ça.

M. Lisée : Puis vous n'avez pas de soupçons? Puis, les clients qui ne veulent pas être chez vous parce que vous êtes trop pointilleux, vous ne savez pas où est-ce qu'ils vont? Vous ne savez pas comment ils font ça?

M. Champoux (François) : Comme firme, on a des procédures, de toute évidence, des procédures qui vont faire en sorte essentiellement qu'on va recommander ou ne pas recommander une planification fiscale à un client. Et, si une planification fiscale est trop agressive, elle ne sera pas recommandée au client.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Rosemont.

M. Lisée : Monte Fonseca, au Panama, bon, là, on a tous su que ça existait, on a tous su que ce que ça faisait dans la vie, c'est trouver, organiser des écrans fiscaux pour faire de l'évitement et de l'évasion fiscale, hein? Mossack Fonseca.

Alors, vous, quand vous avez vu ça dans le journal, qu'il y a des entreprises, il y a des individus au Québec, au Canada qui sont sur la liste, est-ce que vous en aviez déjà entendu parler?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : La réponse, c'est non.

M. Lisée : Vous avez découvert ça le jour où c'est sorti dans le journal? Est-ce que vous saviez qu'il y a des gens au Canada, au Québec qui utilisait le Panama pour éviter de payer de l'argent?

M. Champoux (François) : Je vous dirais que le Panama n'est pas reconnu comme un paradis fiscal. Et ce que je comprends... Et je pense qu'il faut faire attention aussi, parce que, là, on semble partir avec la prémisse que tout ce qui a été fait dans les Panama Papers est illégal ou de l'évasion fiscale, mais... enfin, je ne suis pas en mesure de le dire, je n'ai pas regardé tout ce qui est là, mais...

M. Lisée : Disons qu'on est sûrs qu'il y en a une partie, on est pas mal sûrs qu'il y en a une partie.

M. Champoux (François) : Peut-être. Supposons qu'il y en a une partie. Mais, comme je vous dis, le Panama n'est pas un paradis fiscal. Donc, ce qui a été fait dans les Panama Papers, je ne peux pas vous dire ce qui a été fait, je ne connais pas les détails, mais je serais très surpris que ce soit d'utiliser le Panama comme paradis fiscal.

M. Lisée : Qu'est-ce que vous pensez de l'évaluation qui est faite par le ministère des Finances et qui nous dit que, d'après eux, il y a 47 milliards de dollars qui sont des avoirs de Québécois qui sont parqués dans des paradis fiscaux? Est-ce que vous pensez que c'est raisonnable comme estimation?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Encore là, ça dépend comment on définit cela. Par exemple, si ça inclut un holding qui détient 20 filiales opérantes...

M. Lisée : Non, non, ils ne calculent pas ça, là.

M. Champoux (François) : Donc, si on parle simplement d'argent que des Canadiens ou des Québécois...

M. Lisée : Des Québécois.

M. Champoux (François) : ...auraient, disons caché dans des paradis fiscaux, j'ai énormément de difficultés à concevoir comment ça peut être possible.

M. Lisée : Ils considèrent que c'est la borne inférieure. Ce que je n'arrive pas à comprendre... On vous a entendus, vous, on a entendu KPMG, on a entendu les gens de Pricewaterhouse, on va en entendre d'autres. C'est comme si vous tombiez des nues qu'il y a... C'est sûr qu'il y a des milliards de dollars d'argent québécois dans les paradis fiscaux. Vous, vous n'en faites pas, vous ne connaissez pas de clients qui en font, vous ne savez pas comment ça s'organise, vous n'en avez jamais entendu parler. Si vous étiez assis à ma place, est-ce que vous croiriez ça?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Je me répète et je m'excuse, là, mais nous ne faisons pas d'évasion fiscale.

M. Lisée : Non, non, mais pas vous, là. Mais vous vivez avec des comptables, des compagnies, tout le monde est là-dedans, vous parlez de fiscalité tous les jours avec tout le monde, vous voyez ça, vous lisez ça, puis vous n'êtes pas au courant qu'il y a des milliardaires, des millionnaires, des gens d'affaires, au Québec, qui ont caché de l'argent là? Puis ils ne l'ont pas fait tout seuls, là, à dos de mulet, là, il y a du monde qui les ont aidés, puis il y a du monde qui devaient être vos camarades de classe aux HEC qui font ça dans la vie. Mais là vous me dites : Jamais entendu parler de ça.

M. Champoux (François) : Je peux vous dire que, dans notre pratique, dans ma pratique, si quelqu'un venait me voir pour me dire : Je veux cacher de l'argent, je veux transférer de l'argent, cacher de l'argent, faire de l'évasion fiscale dans un des pays...

M. Lisée : Ce n'est pas ma question, ce n'est pas ma question. Est-ce que vous savez qu'à Montréal il y a des gens qui font ça dans la vie, conseiller des riches Québécois pour cacher leur argent illégalement, ou vous me dites ici que vous n'avez jamais entendu parler de ça, même dans vos cocktails avec vos amis, vos anciens camarades de classe, que... C'est comme s'ils existent dans un univers parallèle qui n'a pas d'intersection avec le nôtre?

M. Perron (Marc) : S'ils existent, on ne les connaît pas. En tout cas, moi, je ne les connais pas puis je n'ai jamais entendu parler — puis je suis dans le monde des affaires — quelqu'un qui m'a dit : Marc, j'ai trouvé une combine pour placer de l'argent dans des paradis fiscaux, ou : Aide-moi à faire ça, ou : Connais-tu quelqu'un pour faire ça? Ça ne m'est jamais...

Le Président (M. Bernier) : M. le député de Nicolet-Bécancour.

M. Martel : Bonjour, M. Perron, M. Champoux. Moi, je n'essaierai pas de vous faire dire que vous travaillez dans une boîte qui essaie de faire des arrangements pour frauder la fiscalité, je ne pense pas que vous fassiez ça. Je ne veux pas vous le faire dire parce qu'aussi, si vous le disiez, je pense que vous n'auriez pas de job en retournant chez vous, puis vous avez l'air de des bons gars, puis je ne veux pas que vous perdiez votre job.

Le Président (M. Bernier) : ...pour créer de l'emploi.

M. Martel : Oui. Mais j'en parlais tout à l'heure, tu sais, nous, on est au niveau politique, on vit dans une époque où la fiscalité, c'est difficile. Tu sais, il y a des gens qui font leurs rapports d'impôt actuellement, là, puis ils arrivent... ils ont des enfants dans les CPE, ils vont payer plus cher d'impôt que prévu. Il y a des cas parmi la société, des Québécois qui paient de l'impôt, c'est vraiment étouffant. Malgré ça, c'est difficile. Même si on est dans une période budgétaire difficile, il faut couper des services, il faut... C'est difficile, les choix gouvernementaux, les choix par rapport à la fiscalité, actuellement.

Moi, je voudrais juste savoir... Puis on imagine qu'il y a des gens qui ne paient pas leur juste part d'impôt. Moi, je voudrais savoir — puis j'aimerais ça que vous sortiez un petit peu du voile corporatif, là, que vous vous mettiez au niveau du citoyen : Est-ce que vous reconnaissez qu'il y a une problématique au Québec, qu'on perd de l'argent, au Québec, parce qu'il y a des gens qui mettent des sous à l'abri de l'impôt dans des paradis fiscaux?

Le Président (M. Bernier) : M. Perron.

• (17 heures) •

M. Perron (Marc) : Si je peux me permettre, si l'étude de Revenu Québec qu'on citait tantôt dit qu'il y a 47 milliards qui échappent au gouvernement parce qu'il est caché dans des paradis fiscaux puis non déclaré, évidemment, c'est perturbant. Un, je ne sais pas comment le chiffre a été bâti, mais, si c'est le cas, je pense qu'il faut s'attaquer à ça, comme société, puis avoir des mesures très, très précises pour cibler ces individus-là, ces organisations-là, parce que ce qu'ils font, on l'a dit d'entrée de jeu, c'est criminel. Donc, s'il y a cette base fiscale là qui nous échappe, il y a beaucoup d'argent là, comme société, il faut s'attaquer à ça, c'est clair.

M. Martel : Ce n'est pas tout à fait ma question. Ma question, c'est : Est-ce que vous croyez qu'il existe des paradis fiscaux, qu'on fait face à ce problème-là? Je vous le dis, là, sortez de Deloitte, faites les citoyens, tantôt je faisais une blague en disant : On prend une bière, mais est-ce qu'à votre avis... Vous êtes des professionnels, vous avez du vécu. Ça se peut qu'un jour vous fassiez de la politique, là, il y a des comptables qui... Est-ce qu'à votre avis on a un problème d'évasion fiscale, au Québec, ou bien non, tu sais, on parle de quelque chose qui n'est pas problématique? Moi, j'aimerais ça avoir votre opinion, là, personnelle.

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Moi, je pense que les lois canadiennes, les lois québécoises sont structurées de sorte à faire en sorte que les contribuables canadiens qui font affaire à l'étranger doivent se taxer au Canada sur les revenus qui doivent être taxés au Canada et je pense qu'il y a des systèmes de reporting qui font en sorte que cette information-là est disponible. Oui, il y a possiblement un problème d'évasion fiscale, mais je pense qu'on rentre dans un autre domaine dans lequel aucun des deux, on n'est experts, c'est plus l'économie souterraine, c'est la non-déclaration de revenus, la non-déclaration d'actif, et je vous avoue humblement que je n'ai pas cette expertise-là. Ce n'est pas ce que nous faisons dans notre quotidien, ce n'est pas notre profession. Ce n'est pas ce que nous faisons.

M. Perron (Marc) : Donc, on n'a pas l'expertise de dire : Est-ce qu'il y a plus d'argent à aller chercher parce qu'il est caché dans des pays étrangers illégalement ou souterrain ici, au Québec, illégalement, on n'a pas cette expertise-là parce que ce n'est pas notre champ de compétence. Mais, oui, cet argent-là caché, de n'importe quelle façon, on doit s'attaquer à ça.

M. Martel : J'ai commencé en vous disant : Je ne veux pas vous faire dire des affaires... Puis je vous crois, moi, tu sais, que vous n'êtes pas des fraudeurs puis vous n'êtes pas... je n'ai pas de doute par rapport à ça. Mais là vous convenez qu'il y a possiblement des gens qui se mettent à l'abri de l'impôt de façon frauduleuse. Vous êtes des comptables, vous avez une expertise, vous avez une connaissance. Les gens qui peuvent profiter de ces systèmes-là, ce n'est pas... ils sont soutenus, ils ont des trucs, ils ont des stratagèmes. Si vous aviez une recommandation à nous faire, dire : Regardez, on n'est pas des experts là-dedans, mais on a quand même une compétence en comptabilité, en structure d'entreprise, etc., compte tenu, c'est vrai, qu'il doit y avoir un problème par rapport à ça, moi, M. Perron, M. Champoux, là, moi, je vous dirais : Comme comptables, là, vous devriez faire ça, qu'est-ce que ce serait?

Le Président (M. Bernier) : M. Champoux.

M. Champoux (François) : Ce n'est pas une question simple, ce n'est pas une question simple parce qu'on est dans un système d'autocotisation, hein, c'est-à-dire que notre système fiscal est un système en vertu duquel chaque contribuable produit sa déclaration d'impôt, chaque contribuable déclare ses revenus. Évidemment, celui ou celle qui a un T4, c'est facile parce que, bon, il y a un document qui provient d'ailleurs, mais on est dans un système d'autocotisation. Et donc, à partir du moment où on est dans un système d'autocotisation, les seules mesures, je pense, qui vont permettre d'arriver à ce que vous mentionnez, c'est essentiellement des mesures qui vont être essentiellement répressives sur les gens qui ne déclarent pas leurs revenus, qui ne déclarent pas leurs actifs qui sont à l'étranger.

M. Martel : Mais pour les prendre, là, pour les...

M. Perron (Marc) : C'est un travail de juricomptable, je pense, pour prendre ces gens-là qui font de l'évasion fiscale. Puis on le sait, on parle beaucoup du big data, etc., que le croisement des données et les systèmes deviennent de plus en plus sophistiqués par rapport à ça. Il y a peut-être une possibilité là ou un potentiel à ce niveau-là.

M. Martel : Combien de temps qu'il me reste?

Le Président (M. Bernier) : Une minute.

M. Martel : Une minute. Ce n'est pas une pogne, là, mais tantôt mon collègue, je pense que c'est de Trois-Rivières, vous a demandé si vous aviez des succursales ou des bureaux, Luxembourg, l'île de Jersey ou... Vous avez dit oui. C'est quoi, l'objectif d'être dans ces endroits-là?

M. Perron (Marc) : L'île de Jersey, honnêtement, il faudrait que je vérifie. Je ne pense pas, je ne le sais pas, je n'ai jamais entendu parler qu'on avait un cabinet là. Je sais qu'au Luxembourg on a un cabinet avec plusieurs personnes, parce qu'il y a des entreprises, évidemment, au Luxembourg qu'on sert.

M. Martel : À la Barbade, aux îles Caïmans?

M. Perron (Marc) : Pour servir les entreprises qui sont là.

Le Président (M. Bernier) : Des entreprises canadiennes ou des entreprises de l'extérieur?

M. Champoux (François) : Des entreprises de partout dans le monde, des entreprises de partout dans le monde.

M. Martel : Mais admettons qu'une... Est-ce qu'il me reste du temps? Oui?

Le Président (M. Bernier) : 30 secondes.

M. Martel : On parlait tantôt, je pense, de la Barbade, là, 100 quelques mille de population. J'imagine, ça ne doit pas être un gros bureau qui est là, il ne doit pas y avoir... il doit y avoir un ou deux...

M. Champoux (François) : ...un ou deux employés à la Barbade, je ne pourrais pas vous dire combien qu'il y a d'employés, mais...

M. Perron (Marc) : Ce n'est pas un gros bureau, mais je ne sais pas combien d'employés, malheureusement. Mais ce n'est pas gros comme le bureau de Montréal, là.

Le Président (M. Bernier) : Merci. Merci à M. Marc Perron, M. François Champoux de votre participation à la Commission des finances publiques.

Je vais suspendre quelques instants afin de permettre aux représentants d'Ernst & Young de prendre place. Merci d'avoir participé.

(Suspension de la séance à 17 h 6)

(Reprise à 17 h 9)

Le Président (M. Bernier) : À l'ordre s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux. Donc, nous recevons les représentants de chez Ernst & Young, Mme Anne-Marie Hubert et M. Albert Anelli.

M. Girard : M. le Président, je fais motion pour assermenter Mme Hubert et M. Anelli.

Le Président (M. Bernier) : Merci. J'invite donc M. le secrétaire à procéder à l'assermentation des témoins, conformément à l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée nationale. Je vous demande de vous lever et de lire à haute voix la déclaration qui vous sera fournie.

Assermentation de Mme Anne-Marie Hubert

Mme Hubert (Anne-Marie) : Je, Anne-Marie Hubert, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

Assermentation de M. Albert Anelli

M. Anelli (Albert) : Je, Albert Anelli, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.

• (17 h 10) •

Le Président (M. Bernier) : Je vous remercie. Vous bénéficiez donc de l'immunité pour votre témoignage. Merci. Vous avez 15 minutes pour votre présentation.

Ernst & Young

Mme Hubert (Anne-Marie) : Merci, M. le Président. MM. les membres de la commission. Je suis Anne-Marie Hubert et j'ai le privilège de travailler chez EY depuis plus de 30 ans. J'occupe le poste d'associée directrice pour le Québec.

EY est fière de son histoire, qui remonte à plus de 150 ans au pays. Depuis le début, notre réputation est fondée sur la qualité, la confiance et l'intégrité. Nous sommes aussi fiers de nos gens, 850 personnes au Québec qui se lèvent tous les matins pour faire une différence, des hommes et des femmes qui amènent leurs points de vue et leurs expériences complémentaires pour contribuer à renforcer la confiance des marchés et les diverses économies du monde. Nous formons des leaders exceptionnels qui unissent leurs forces pour assurer le respect de nos engagements envers nos parties prenantes. Ce faisant, nous jouons un rôle crucial en travaillant ensemble à bâtir un monde meilleur pour nos gens, nos clients et nos collectivités.

Les valeurs que nous partageons et notre engagement envers la qualité définissent qui nous sommes. Notre engagement envers la qualité, ça signifie entre autres de recruter et de développer les meilleurs talents. Ça, c'est au coeur de nos priorités. Quand on fait des sondages de satisfaction auprès de nos clients, ils nous disent qu'un des éléments distinctifs d'EY est notre capacité de travailler en équipe et d'amener les meilleurs talents. Intégrité, respect, travail d'équipe font partie de nos valeurs. Le courage de faire les bonnes choses est une autre de nos valeurs fondamentales. Les valeurs, c'est important, ça a une influence sur la façon dont on travaille et on collabore les uns avec les autres ainsi que sur la façon dont nous servons nos clients et entretenons des relations avec toutes les parties prenantes, dont les organismes de réglementation, les autorités fiscales et les collectivités.

À titre de société de services professionnels, nous fournissons des services d'audit, de fiscalité, des services consultatifs et des services consultatifs transactionnels à nos clients. Les normes les plus exigeantes en matière d'intégrité, de professionnalisme, d'objectivité, d'indépendance, de rigueur intellectuelle, d'acceptation client, de continuation client, d'acceptation de mandat client, le code d'éthique, les valeurs, c'est le fondement de ce que nous faisons. Ce sont les pierres angulaires de la prestation de tous nos services.

Aujourd'hui, on parle d'un sujet complexe, et, comme nous le ferions pour tout client, j'ai amené avec moi la personne la mieux placée pour répondre aux questions de la commission, Albert Anelli. Albert dirige notre groupe de fiscalité internationale au sein d'EY Canada, il travaille au bureau d'EY à Montréal depuis plus de 25 ans. Albert.

Le Président (M. Bernier) : M. Anelli.

M. Anelli (Albert) : Merci, Anne-Marie. Merci à la commission de nous avoir invités à s'adresser à vous aujourd'hui.

C'est évident que la fiscalité, et surtout la fiscalité internationale et les diverses questions qui s'y rapportent, entre autres, est compliqué. Ne serait-ce que pour cette raison, nous sommes ravis d'avoir l'occasion de vous donner notre point de vue, à la commission.

Je tiens à insister sur un point fondamental pour apprécier l'actuel débat : L'évasion fiscale est une infraction criminelle. C'est le fait de ceux qui ne se conforment pas à la loi, et ça, de façon délibérée. Cela est bien loin de la planification fiscale légitime qui respecte la loi ainsi que l'esprit de la loi.

De nos jours, l'éventail des parties s'intéressant aux questions fiscales tend à se diversifier. Nous nous réjouissons que la fiscalité ne soit plus l'affaire exclusive des experts techniques et experts en politique fiscale des gouvernements et des professionnels de la fiscalité. Nous pensons que le débat public ainsi que le travail de la commission sont sains et qu'ils pourraient contribuer à l'amélioration du régime fiscal.

Maintenant, parlons de nos politiques, nos pratiques et nos normes. EY rejette les pratiques illégales ou contraires à l'éthique, quelles que soient les circonstances. Nous condamnons la fraude et l'évasion fiscale comme toutes les autres pratiques illégales ou contraires à l'éthique. Nous sommes fiers de l'organisation, que nous avons bâtie sur notre réputation d'intégrité, de qualité et de professionnalisme.

Soyons clairs, nous ne risquerions jamais, et je répète, jamais de compromettre notre entreprise ou notre réputation en aidant quiconque à commettre une fraude fiscale ou à poser des actes d'évasion fiscale. EY a une politique de tolérance zéro à l'égard des pratiques illégales ou contraires à l'éthique, et nous avons adopté des politiques et procédures que tous les membres de notre cabinet doivent respecter afin de s'assurer que ce genre de pratique n'a pas cours. Nous nous sommes dotés d'un processus d'acceptation de client et de mandat rigoureux qui nous permet de nous assurer que nous nous conformons aux normes professionnelles et que nous offrons des services uniquement à des clients de bonne réputation. Nous avons un code de conduite mondial exhaustif, et chaque année tous les professionnels doivent confirmer qu'ils le respectent.

Pour ce qui est des opinions que nous livrons, des protocoles de révision par plusieurs associés nous permettent de veiller à ce que nos opinions soient exactes sur le plan technique et conformes à l'esprit de la loi. Nous avons un comité d'examen en fiscalité qui réunit des associés séniors de nos différentes sous-gammes de services, chargés de vérifier que nos conseils respectent en tout point la lettre et l'esprit de la législation fiscale applicable, incluant la règle générale antiévitement et l'analyse textuelle, contextuelle et téléologique unifiée telle que dictée par la Cour suprême.

Nous sommes soumis à une foule de codes de déontologie et à la supervision de nombreux organismes de réglementation. En outre, tous nos professionnels de la fiscalité reçoivent une formation sur l'éthique et sont unis par de fortes valeurs. Grâce à une ligne d'assistance téléphonique sans frais sur l'éthique, nos gens, nos clients et le public en général peuvent signaler, sous le couvert de l'anonymat, s'ils le désirent, tout comportement inapproprié ou contraire à l'éthique dont ils sont au courant.

Parlons maintenant de vocation sociale à titre de société de services professionnels. La clientèle d'EY est fort diversifiée. De très grandes entreprises, que ce soit publiques ou privées, en font partie, mais nous servons aussi un grand nombre d'entrepreneurs, d'entreprises familiales et de nouvelles PME, qui sont les moteurs de la croissance économique. Nos clients sont les créateurs des emplois dont notre société a besoin pour atteindre son plein potentiel.

Il est important de souligner que des gouvernements et des autorités fiscales ici et ailleurs dans le monde font aussi partie de notre clientèle. Les services que nous offrons aux gouvernements comprennent la formulation, l'analyse de politiques fiscales ainsi que tout un éventail des services non liés à la fiscalité visant à aider les gouvernements à améliorer leur efficacité. Certains gouvernements nous ont aussi demandé d'offrir des services de formation technique en fiscalité.

Dans le domaine de la vérification, les points de vue et les services de qualité que nous offrons contribuent à renforcer la confiance envers les marchés financiers et les diverses économies du monde. À titre de vérificateurs d'états financiers, notre rôle est de prôner la transparence et la reddition de comptes, ainsi que le respect des normes d'intégrité les plus rigoureuses. En ce qui concerne la fiscalité, nous aidons le secteur privé, les gouvernements et les autorités fiscales à collaborer les uns avec les autres pour favoriser l'observation fiscale coopérative.

Le droit fiscal est complexe. Pourtant, notre régime est fondé sur les principes d'autocotisation et d'observation volontaire. Notre expertise et nos services contribuent à rendre un tel régime possible. À notre humble avis, un régime comme celui-là serait tout simplement impossible sans experts et conseillers en fiscalité professionnels indépendants.

Que ce soit à l'échelle locale ou mondiale, les services d'observation fiscale de base en matière d'impôt des sociétés, d'impôt des particuliers et de taxes indirectes constituent un volet très, très important des services que nous offrons. C'est pour cette raison précisément qu'une partie considérable de notre groupe de fiscalité se consacre à ce que nous appelons le «global compliance and reporting», afin d'aider nos clients à s'assurer qu'ils respectent à la lettre toutes leurs obligations de déclarer à l'échelle mondiale en temps opportun, et en déployant beaucoup d'outils technologiques pour le faire.

De plus en plus, nous sommes appelés, dans la prestation de nos services, à aider nos clients dans le cadre d'initiatives multijuridictionnelles complexes en matière de transparence fiscale — on a souvent entendu ce mot-là aujourd'hui, «transparence», j'imagine — comme la déclaration pays par pays introduite par l'OCDE, que souvent on fait référence à du «country-by-country reporting». Comme il a été annoncé dans le dernier budget fédéral, la déclaration pays par pays sera obligatoire pour les multinationales canadiennes et québécoises dont le revenu total annuel du groupe consolidé s'élève à au moins 700 millions d'euros, et ce, pour les années d'imposition débutant après l'année 2015.

• (17 h 20) •

Lorsque les gouvernements instaurent des incitatifs fiscaux pour atteindre des objectifs de politiques sociales et économiques, nous aidons nos clients à bien comprendre ces incitatifs et s'y adapter de sorte que nous favorisons la réalisation des objectifs des politiques sociales et économiques des gouvernements. EY a à coeur de participer activement et totalement à la conception et à l'application d'un régime fiscal qui sera bien adapté au XXIe siècle. Nous jouons et vont continuer de jouer un rôle très proactif dans les réformes mondiales mises en place par l'OCDE, le G20, la Commission européenne, les Nations unies et de nombreux gouvernements, dont notamment celui du Québec et du Canada.

Maintenant, regardons les politiques fiscales visant à renforcer l'attrait de la compétitivité du Québec et du Canada sur la scène internationale. Les échanges internationaux sont un inducteur clé de prospérité économique. Les gouvernements continueront donc de rivaliser pour attirer et garder les ressources de talent et les investissements. Des incitatifs et des régimes fiscaux intéressants, aussi clairs et certains que possible, constituent des éléments essentiels dans le contexte concurrentiel mondial actuel.

Le gouvernement du Québec a toujours eu des politiques fiscales visant à renforcer l'attrait et la compétitivité du Québec sur la scène internationale. Un exemple récent est l'instauration d'un régime d'imposition avantageux à l'égard des revenus attribuables aux brevets dans le dernier budget du Québec. On peut aussi penser au crédit d'impôt remboursable offert à l'égard des activités de recherche et de développement exercées au Québec, à l'amortissement accéléré ou bonifié pour les immobilisations dans la province et au crédit d'impôt pour les titres multimédias, qui a sûrement joué un rôle majeur en attirant de grandes entreprises du multimédia au Québec.

Tel que mentionné plus tôt, il est très, très important de faire la distinction entre l'évasion fiscale et la planification fiscale, qui cadre avec la politique gouvernementale pour améliorer la compétitivité internationale. La politique fiscale visant à rehausser la compétitivité internationale des multinationales canadiennes n'est pas un phénomène nouveau. Voici une traduction libre de ce qu'affirmait David Dodge, ancien sous-ministre du ministre des Finances et ancien gouverneur de la Banque du Canada, dans le cadre d'un processus de comité permanent des comptes publics en 1992 — et là je lis : «Il est absolument essentiel, de nos jours, et de plus en plus chaque jour, que les entreprises établies au Canada, celles dont le siège social se trouve au Canada, celles qui exercent des activités de recherche et de développement au Canada, celles dont les activités à forte valeur ajoutée sont ici, demeurent ici et soient en mesure de livrer concurrence dans le monde entier en étant sur le même pied que des entreprises dont le siège social est à l'étranger.» Voilà l'idée fondamentale. Aux yeux de ce gouvernement, il est donc impératif que le régime fiscal ne décourage pas ces entreprises canadiennes de faire affaire à l'étranger et ne décourage pas les Canadiens qui vont à l'étranger de rapatrier leurs revenus, de manière à pouvoir créer des emplois ici, au Canada. Le point fondamental est que nous voulons que notre propre droit fiscal ne fasse pas en sorte que les entreprises canadiennes se retrouvent en situation d'inégalité.

C'est évident que ce phénomène s'applique également aux multinationales basées au Québec et que le phénomène est toujours très, très pertinent. Soyons clairs, cette déclaration traite de la compétitivité fiscale internationale grâce à la planification fiscale internationale appropriée, respectant la loi et l'esprit de la loi. Elle n'a rien à voir avec l'évasion fiscale, qui, comme nous l'avons dit tantôt, est le fait de ceux qui ne se conforment pas à la loi, et ce, de façon délibérée.

Il est toutefois difficile d'éliminer la controverse dans une économie de plus en plus mondiale, parce que l'accroissement de la compétitivité internationale d'une administration peut être perçu comme étant abusif, voire dommageable, et décrié par une autre administration. En fin de compte, nous croyons qu'une plus grande transparence et un échange de renseignements accru, ainsi que d'autres formes de collaboration entre les gouvernements et entre les gouvernements et le secteur privé, régleront bon nombre de ces préoccupations.

Voilà exactement ce que recherche l'OCDE dans le cadre de son projet BEPS, et, de fait, des progrès importants ont déjà été réalisés à ce chapitre. Le 12 mai dernier, six autres pays ont signé l'accord multilatéral entre autorités compétentes de l'OCDE portant sur l'échange automatique des déclarations «country by country», ce qui porte le nombre des pays signataires à 39.

Bon, tout ceci étant dit, qu'est-ce que les gouvernements peuvent faire de plus? Le Québec et le Canada font figure de chefs de file pour l'élaboration de la mise en oeuvre de politiques, processus et systèmes visant à lutter contre l'évasion fiscale et l'évitement fiscal abusif, que ce soit chacun de leur côté ou en collaborant l'un avec l'autre et avec les autres administrations. Nous soutenons vigoureusement ces efforts dans l'intérêt de tous les Québécois et Québécoises ainsi que les autres contribuables honnêtes qui respectent la loi et des milieux professionnels qui leur fournissent des services. Par exemple...

Le Président (M. Bernier) : Monsieur... Oui, O.K., allez-y. Finissez votre...

M. Anelli (Albert) : Oui, j'ai quasiment fini. Je voulais parler qu'en 2007 le Canada avait introduit un concept, les «tax information exchange agreements», les TIEA, vous en avez sûrement entendu parler. Aujourd'hui, le Canada a 92 conventions fiscales et 22 TIEA de signés.

En ce qui a trait aux initiatives qui sont déjà là et qui ont déjà été mises en place, on parle des règles au Québec pour la déclaration obligatoire des opérations d'évitement fiscal... Il y en a un en particulier que je veux mentionner. On parle beaucoup d'information exhaustive à fournir relativement aux filières étrangères appartenant à des contribuables canadiens, tu sais, on parle des T106, des T1134. Ce que le «country-by-country reporting» va faire, c'est qu'au lieu d'avoir une pile de T1134 haut de même, ça va rendre ça facile, sur deux, trois pages. Alors, c'est un survol à 30 000 pieds des activités des multinationales, alors ça va simplifier un petit peu la tâche des administrations fiscales.

Ces mesures devraient contribuer à réduire les pertes fiscales. Par contre, elles reposent sur le respect de la loi. Or, comme nous l'avons souligné, l'évasion fiscale est le fait de ceux qui ne se conforment pas à la loi, et ce, de façon délibérée. La question est complexe, et, selon nous, toute solution efficace doit forcément passer par la coopération, la transparence et le partage d'information.

Nous saluons le travail de la commission parlementaire et nous pressons toutes les parties en cause à entendre les consultations, qui mèneront à des décisions éclairées, propices à la création d'un environnement favorisant le Québec. Merci, monsieur...

Le Président (M. Bernier) : Merci, M. Anelli. M. le député de Trois-Rivières.

M. Girard : Merci beaucoup, M. le Président. Mme Hubert, M. Anelli, merci d'être ici avec nous.

J'ai l'impression qu'on se répète depuis le début de nos auditions, mais il faut quand même revenir à l'essentiel. On parle de revenus manquants pour l'État, pour le Québec, pour le Canada. On sait que l'évasion fiscale... Je fais référence à une émission qu'il y avait eu à Radio-Canada, l'émission Enquête, qui disait L'évasion fiscale : le crime des riches. L'évasion fiscale, c'est les gens qui ont un niveau de revenus élevé, qui ont un niveau de richesse élevé. Dans cette émission, que je vous invite à prendre connaissance si vous ne l'avez pas déjà regardée, on dit : «Avec un complice muni d'une caméra cachée, notre journaliste, Marie-Maude Denis, a enquêté pendant six mois sur les stratagèmes de fraude que des comptables, des avocats ou autres consultants proposent à des riches contribuables pour mettre de l'argent à l'abri de l'impôt. Notre périple commence à Toronto et se termine à la Barbade.» Ça se fait, il y a des gens qui le font. C'est des gens qui ont un niveau de revenus élevé, c'est des gens qui ont un niveau de richesse élevé. Habituellement, ces gens-là sont souvent des entrepreneurs, des gens qui ont réussi à se créer une richesse, souvent, dans les entreprises, et souvent ces gens-là sont des clients des grandes firmes de comptabilité au Canada.

Ce qu'on comprend dans cet article-là, dans ce reportage-là, c'est qu'on voit qu'il y a des comptables ou des avocats de firmes plus petites ou privées qui feraient ce genre de travail là. Est-ce que vous avez déjà eu connaissance, est-ce que vous êtes conscients de ce qui peut se passer par des comptables, des avocats, des courtiers, peu importe, pour faire ce genre d'évasion fiscale là? C'est probablement des clients qui sont chez vous qui sont également clients à des endroits comme ça pour pouvoir profiter de ce système-là. Est-ce que vous avez déjà eu vent? Est-ce que c'est quelque chose dont vous avez déjà eu connaissance, de ce type d'évasion fiscale?

Le Président (M. Bernier) : M. Anelli.

• (17 h 30) •

M. Anelli (Albert) : Non, écoutez, c'est évident qu'on ne peut pas commenter ou offrir un point de vue sur des cas spécifiques, que ce soit une société, un particulier ou des compétiteurs, que ce soient nos compétiteurs qui ont comparu avant nous ou des petits bureaux de comptables ou légaux. La seule chose que je vais mentionner, puis il faut le dire, c'est que l'évasion fiscale est fondée et se propage dans la noirceur. Et que ce soient des fonds qui proviennent de l'économie souterraine, je ne peux pas vous le dire, parce qu'honnêtement, puis, tu sais, tout le monde l'a répété à maintes reprises, on ne travaille pas dans ce domaine-là. Par contre, si on veut avancer au niveau de la transparence et au niveau du partage de l'information automatique, qui, selon nous, réduirait de façon considérable les incidences où les gens, justement, peuvent rester au noir, selon nous cela va faire une grande, grande différence. On n'a qu'à penser aux règles qui ont été introduites aux États-Unis, les règles FATCA. Là, dernièrement, on a vu les normes communes de déclaration, ce qu'on appelle les «common reporting standards». Tout ça va être adopté, qui fera en sorte que, s'il y a des gens qui essaient de cacher puis rester dans le noir, les données électroniques feront en sorte qu'ils ne seront plus capables de le faire, selon nous, parce que justement les pays se sont mis d'accord pour justement adopter ça à l'échelle mondiale. Le Canada fait partie de plus de 90 juridictions qui ont déjà... engagées à adopter les normes communes de déclaration.

Alors, la question, elle est très, très bonne, mais, autre qu'offrir ce volet-là, je ne sais pas trop quoi dire.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Girard : Merci. Vous dites «s'il y a des gens». Moi, j'enlèverais le «si» parce qu'on le voit, il y a des caméras cachées, on voit qu'il y a des gens qui le font. Ce n'est pas des «si», ça se fait.

Et, de votre côté, est-ce que vous êtes en accord avec les chiffres que l'on avance, que ce soit de Revenu Québec, de différents organismes, sur les pertes fiscales, sur les actifs qui peuvent être à l'étranger? Est-ce que vous acquiescez dans ce sens? Est-ce que, pour vous, ce sont des chiffres qui tiennent la route? Et est-ce que vous abondez dans le même sens que, oui, ça se fait et qu'effectivement il y a probablement des pertes pour nos gouvernements et qu'il y a des actifs à l'étranger? Pas à la cent près, il peut y avoir des écarts, mais est-ce que, de votre côté, vous êtes en accord avec les différentes études et les différents montants qui ont été avancés?

Le Président (M. Bernier) : M. Anelli.

M. Anelli (Albert) : Je suis d'accord avec le concept de l'étude qui... mais je suis mal placé pour essayer de voir si un chiffre en particulier est raisonnable dans les circonstances. Si on pense juste à du revenu de biens qui est caché à l'extérieur et qui gagnerait un retour de 4 %, 5 %, tu sais, on parle d'un montant énorme, de 50 milliards, qui serait caché, alors j'ai de la misère à... pas à croire mais à penser que ça peut être une réalité.

Mais je reviens au point que j'avais fait tantôt, c'est : L'évasion fiscale est fondée dans la noirceur. Alors, si ce sont des fonds qui proviennent par l'économie souterraine, que les gens essaient de continuer à rester cachés... Je suis mal placé, mais j'imagine qu'il y a sûrement un lien entre les deux.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Girard : Je comprends votre intervention, mais, ne serait-ce que 10 milliards ou 15 milliards au lieu de 50, est-ce que, selon vous... Vous êtes quand même un expert, vous connaissez la fiscalité. On parle d'argent, on parle de noirceur. Je suis d'accord avec vous, oui, c'est illégal, mais, si moi, je suis un contribuable qui a beaucoup d'argent, selon vous, est-ce que je peux rencontrer des gens demain matin, à Montréal, à Québec, qui vont pouvoir me donner un coup de main, et que je vais pouvoir placer de l'argent à un endroit où je vais être à l'abri de l'impôt?

Le Président (M. Bernier) : M. Anelli.

M. Anelli (Albert) : S'il y en a, puis je n'en connais pas, ce serait un acte criminel.

Mais il y a une chose. Parce que, là, on parle de l'argent qui est placé à l'extérieur puis on a parlé des règles... des normes communes. Je vais vous donner un exemple bête, mais l'exemple, je pense, c'est bien pour comprendre qu'est-ce qui va arriver. Si on produit notre déclaration d'impôt et, dans notre T4, dans nos déductions à la source, au lieu de marquer qu'on s'est fait retenir 3 400 $, on marque 4 300 $, on fait une erreur sur le clavier, bien, vous allez recevoir une cotisation automatique qui dit : Non, vous vous êtes trompé, vous avez mis le mauvais numéro, alors vous nous devez de l'argent. Même chose si vous oubliez un T5 d'un petit compte de banque que vous avez oublié puis vous avez gagné 20 $ d'intérêts, vous allez être cotisé de façon automatique.

Ce que les normes communes cherchent à faire, c'est d'envoyer de façon automatique ce type d'information là à toutes les autorités fiscales. Et, comme firme, notre rôle à nous, c'est d'aider nos clients à s'y adapter et à produire, comme il faut, ces normes-là. Alors, je pense que la technologie et les changements de loi vont faire en sorte que ces gens-là, ils auront de la misère à rester au noir longtemps.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Girard : Je ne veux pas avoir de nom ou de quantité, mais avez-vous des clients qui font des affaires à la Barbade, qui font des affaires aux îles Jersey, qui font des affaires au Luxembourg, et ce sont des clients québécois qui ont des tentacules à l'international?

M. Anelli (Albert) : Bien, comme j'ai dit tantôt, on ne parlera pas de clients spécifiques ou des... que ce soient des sociétés ou des particuliers, mais c'est sûr qu'une multinationale canadienne et québécoise avec un portefeuille d'investissement dans plusieurs pays va effectivement, dans certains cas, passer par le Luxembourg, par la Barbade, par les Bermudes et plein d'autres, le Royaume-Uni et plein d'autres.

M. Girard : Quand on parle de plusieurs pays, deux, ça en fait plusieurs. Est-ce qu'on peut avoir seulement Canada et Barbade et seulement Canada et Luxembourg?

M. Anelli (Albert) : Bien, ça revient à la question de politique fiscale et ce que j'avais lu tantôt. Si la politique fiscale canadienne et québécoise permet aux multinationales canadiennes de prendre de l'expansion à l'extérieur du Canada et de gagner du revenu d'entreprise, et la façon dont la structure est faite suit la loi, incluant l'esprit de la loi, si on passe par un pays, deux pays, trois pays, il n'y a rien qui les empêche de le faire, à l'exception des règles qui vont être applicables dans différents pays.

Ce n'est pas différent que les règles au Canada en ce qui a trait à l'investissement au Canada, on a des règles qui sont différentes de celles qui s'appliquent aux multinationales canadiennes. Puis, si on regarde les cinq dernières années, on a eu des changements incroyables pour justement limiter ce que les multinationales étrangères peuvent faire avec leurs filiales canadiennes, que ce soit leur ratio d'endettement, les investissements que les sociétés... les filiales canadiennes font.

Alors, la politique fiscale est en évolution constante, que ce soit au Canada ou ailleurs. Alors, pour répondre à votre question, un, deux, trois, quatre pays, ça dépend des circonstances.

M. Girard : Ma dernière question : Est-ce que vous croyez qu'il y a plus d'évasion fiscale au niveau des particuliers, les riches particuliers qui vont directement placer des avoirs, des actifs à l'étranger, ou on le voit plus dans les sociétés, qui vont avoir des organigrammes très complexes avec différents holdings pour être capables de transférer des revenus à l'extérieur, ou la problématique se retrouve plus chez un particulier, un entrepreneur qui a retiré des sommes et qui, de façon personnelle, va aller placer des sommes d'argent à la Barbade?

M. Anelli (Albert) : Très, très bonne question. J'aimerais vous donner une réponse intelligente, mais honnêtement je ne le sais pas.

Ce que je peux vous dire, c'est qu'en ce qui a trait à des clients comme chez EY on fait tout pour s'assurer qu'ils respectent les lois et qu'ils font leur conformité en bonne et due forme. On prend un exemple. Si la société veut investir de l'argent dans une société aux Bermudes puis ne rien faire avec, elle veut juste gagner du revenu d'intérêts, bien, ce revenu-là sera taxable au Canada. Alors, on va produire un formulaire qui dit : On a mis un certain montant dans la société aux Bermudes, on a gagné tant d'intérêts, et on va l'imposer au Canada direct.

La question est très, très bonne. Moi, je reviendrais au travail que le ministère du Revenu fait pour contrer l'économie souterraine, parce que, selon moi, il y a sûrement un lien entre de l'argent qui a été gagné au noir et qui veut demeurer dans la noirceur.

Le Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de La Prairie.

M. Merlini : Merci beaucoup, M. le Président. M. Anelli, vous avez fait référence, dans votre présentation, votre partie de la présentation d'Ernst & Young, là, de la transparence fiscale, vous avez fait référence à la transparence fiscale dans votre présentation. Vous êtes le leader de la pratique de fiscalité internationale pour le Canada. C'est quoi, pour vous, une planification fiscale internationale? Pouvez-vous élaborer un peu plus? Moi, j'arrive, je suis un client potentiel, j'ai des argents à investir. C'est quoi, pour vous, une planification fiscale internationale?

Le Président (M. Bernier) : M. Anelli.

• (17 h 40) •

M. Anelli (Albert) : Ça revient... Toute planification fiscale a derrière elle un but commercial. Alors, si un client arrive chez nous et nous dit — je vais prendre un exemple : On pense à faire une acquisition en Europe et on va l'intégrer en partie avec nos opérations qui sont déjà en Europe, alors on va leur demander ensuite : Bon, où est-ce que vous allez trouver les fonds pour financer l'acquisition? Est-ce que vous allez emprunter au Canada? Est-ce que vous allez emprunter en Europe? Est-ce que vous allez emprunter en dollars canadiens, ou en euros, ou en livres sterling? Alors, la planification commence à ce niveau-là. Suite à ça, on dit : Bon, avez-vous besoin de faire des paiements de capital pour repayer vos dettes? Et, suite à ça, on commence à mettre en place une stratégie qui est alignée avec leurs besoins commerciaux.

Et des fois on peut passer par une société de portefeuille, ce qu'on appelle des holdings, on peut passer par des sociétés de financement, mais tous ces pays-là, c'est des pays dont le Canada a soit une convention fiscale ou un TIEA avec.

Alors, tu sais, on parle de transparence, échange d'information; tout est déjà là. Et dorénavant elle sera même reproduite dans le cadre du «country-by-country reporting». Elle est déjà reproduite avec les T1134 et les T106, mais là on va aller au-delà de ça puis essayer de simplifier, disons, ce qu'on appelle le «footprint» mondial d'une multinationale.

M. Merlini : Bien, justement, dans la déclaration pays par pays, vous avez dit tantôt que ça donne un portrait d'ensemble; au lieu d'avoir une pile de papiers accumulés — et Dieu sait que les entrepreneurs détestent la paperasse — que ça donne un portrait d'ensemble. Ne craignez-vous pas qu'il risque de manquer des informations qui pourraient être pertinentes dans la transparence fiscale? Est-ce que c'est dans le but de simplifier ou c'est un portrait qui va être incomplet, qui va justement permettre peut-être plus d'évasion fiscale d'une autre façon, en omettant certaines informations? Parce qu'on prend un portrait d'ensemble. Un portrait d'ensemble, on ne voit pas nécessairement tout le détail des transactions, des holdings qui opéraient, les compagnies opérantes, et tout ça.

M. Anelli (Albert) : Bien, le détail va continuer à exister quand même. Alors, le «country-by-country reporting», sa seule, vraiment, raison d'être, c'est d'essayer de simplifier ce qui est déjà là.

Puis n'oublions pas que l'OCDE, dans leur cadre des cinq recommandations, ils ont aussi parlé de modifier l'approche pour la documentation de prix de transfert. Alors, ils vont préconiser une approche plus standard où... là, je vais utiliser des termes en anglais, tu sais, on parle d'un «master file» qui va donner les grandes lignes, l'aperçu mondial de l'entreprise et des fichiers locaux qui vont donner plus un aperçu de ce qui se passe dans le pays en particulier.

Alors, tout ça confondu, que ce soit le «country-by-country reporting», les données qui sont déjà là, les nouvelles méthodologies puis les approches au niveau des prix de transfert, feront en sorte qu'il y en aura plein, de transparence, alors je ne suis pas trop inquiet à cet égard-là.

Le Président (M. Bernier) : M. le député de Rousseau.

M. Marceau : Oui, merci, M. le Président. Alors, bonjour, Mme Hubert, M. Anelli. Écoutez, effectivement, les questions finissent par se ressembler un peu, mais peut-être essayer de reposer certaines questions de façon plus... en tout cas, de vous les poser dans d'autres mots. J'ai posé la question à d'autres, à ceux qui vous ont précédés. Vous savez qu'on a au Canada et au Québec, donc, une convention fiscale avec la Barbade. Bon, vous, je sais que vous avez des bureaux à la Barbade, Ernst & Young, il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d'entreprises québécoises et canadiennes qui ont des filiales à la Barbade. On sait que les lois de l'impôt puis les règlements de l'impôt ont été modifiés dans les années 90, entre autres, par le gouvernement fédéral pour faciliter le transfert de profits vers là-bas.

Alors, quand j'ai parlé de ça à d'autres de vos collègues, ils m'ont dit essentiellement : La raison pour laquelle il y a tout près de 80 milliards d'investissement à la Barbade, c'est parce que les entreprises québécoises et canadiennes veulent prendre de l'expansion à l'international. Bon, j'imagine que vous allez me dire que, dans vos clients, il y a donc des entreprises qui ont des filiales à la Barbade puis que c'est pour prendre de l'expansion à l'international, mais on sait que l'activité économique réelle à la Barbade ne s'approche pas, là, des montants qui sont investis là-bas, c'est essentiellement des transferts financiers qui passent par la Barbade. Alors, tout le monde ici pense qu'il y a aussi là-dedans beaucoup de planification fiscale, il y a l'évitement fiscal mais relativement agressif, qui sert à, donc, éviter de l'impôt, tout simplement.

Donc, peut-être une question très simple : Est-ce que vous pensez que ça existe, des entreprises canadiennes ou québécoises qui ont des filiales à la Barbade strictement pour réduire leurs impôts, strictement pour ça, là, pas parce qu'ils ont le désir de prendre de l'expansion à l'international, la seule chose qui les intéresse, c'est de réduire la facture, puis il y a, avec la Barbade, une manière d'y arriver? Est-ce que vous pensez que ça existe?

M. Anelli (Albert) : Pas à ma connaissance, parce que, dans les cas que... dans les planifications qu'on a faites, la Barbade a plus souvent qu'autrement été utilisée comme une société de portefeuille, une société de financement. Et souvent, comme on dit, l'argent va passer par la Barbade parce qu'elle peut être une société de portefeuille, ou de financement, ou d'autres activités, mais, comme vous avez dit, il y avait très, très peu d'activités vraiment commerciales, mais il peut y en avoir quand même.

J'ai vu la résolution qui a été adoptée à l'Assemblée nationale, il y a trois volets. Le premier, «condamne les pratiques liées aux paradis fiscaux, qui privent l'État québécois de sommes considérables et violent le principe de l'équité fiscale», pleinement d'accord avec ça. Le deuxième dit : «Que l'Assemblée nationale rappelle que tous les contribuables doivent payer leur juste part d'impôt.» Pleinement d'accord avec ça. C'est le troisième où j'ai un petit peu de misère à comprendre, parce que, là, on vise la Barbade, mais on ne semble pas tenir compte de la politique fiscale qui dit : On peut investir à l'étranger, gagner un revenu d'entreprise, rapatrier les profits au Canada. Et, suite à 2007, avec l'introduction des TIEA... C'est là où j'ai de la misère avec la résolution, c'est parce que c'est le troisième volet que j'ai un petit peu de la misère à comprendre.

Mais la question est bonne. Puis effectivement c'est un des pays qui est utilisé, justement parce qu'il offre certains avantages pour effectuer la planification auprès d'autres pays, et pas rien à voir avec le Canada.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Marceau : Oui, mais, écoutez, les conventions fiscales, au départ, c'était pour éviter la double imposition, ce avec quoi on peut... moi, je pense que c'est raisonnable d'éviter la double imposition. Mais ce n'est pas pour faire en sorte qu'il y ait zéro imposition non plus, et vous savez très bien comme moi que, grâce à des planifications fiscales, on est capable de faire en sorte que les profits ne soient jamais taxés, ou à peu près jamais taxés, ou en tout cas à des taux proches de zéro, vous connaissez comme moi toutes les histoires qu'on a entendues à propos des Google, Amazon et autres grandes entreprises.

Puis je voyais dans les documents que vous avez conseillé des entreprises, je ne sais pas c'était quoi, il y avait Disney, je pense, il y avait des entreprises pharmaceutiques, on transfère des brevets, on se sert des prix de transfert. Bon, ce n'est pas vrai qu'il y a une activité économique réelle nécessairement là-bas, il y a juste des coquilles qui font des prêts ou qui reçoivent des brevets, puis, bon, on sait très bien comment ça marche, là, on est tous au courant de ça.

J'ai beaucoup de misère à suivre exactement où vous voulez en venir quand vous dites que ce n'est pas bien d'avoir ciblé la Barbade. Évidemment, on a ciblé la Barbade parce que ça, c'est un cas patent, là. Il y en a d'autres. Mais, sur le principe plus général de refermer ces trous-là, est-ce que vous êtes d'accord ou est-ce que vous...

• (17 h 50) •

M. Anelli (Albert) : Bien, on est d'accord avec ce que l'OCDE fait, mais il reste que les pays vont essayer de se garder un avantage, puis certains pays n'ont pas grand-chose à offrir, autre qu'un régime qui est intéressant et un réseau de conventions fiscales. Alors, veux veux pas, la compétition entre pays va exister. Tu sais, j'ai fait référence tantôt à la motion dans le budget provincial du Québec pour les brevets, c'est un exemple, mais, encore une fois, c'est un changement de loi qui est fait pour attirer quelqu'un.

L'OCDE, ce qu'elle préconise, c'est, bon, oublions ces pratiques-là, oublions le fait qu'on peut, disons, magasiner un arbitrage fiscal, oublions le fait qu'on peut traiter de façon différente un instrument, alors ce qu'on appelle les «hybrid mismatches». Alors, il y a beaucoup de recommandations dans l'OCDE qui vont être adoptées par différents pays, mais ça va être la responsabilité de chaque pays à adopter ces règles-là. Mais j'ose croire que chaque pays va tenir compte de la compétitivité de leurs propres multinationales et en même temps protéger leurs propres bases fiscales. Tu sais, je l'ai mentionné tantôt, les règles, dans les cinq dernières années, dans le domaine «inbound», elles ont été mises à l'envers justement parce que le Canada a dit : Non, on va essayer de réduire que les multinationales étrangères viennent réduire leur fardeau fiscal canadien. Alors, chaque pays, selon moi, va aborder dans cette façon-là.

Le Président (M. Bernier) : M. le député.

M. Marceau : Non, mais je comprends très bien que la concurrence entre pays, entre juridictions est très forte, je comprends très, très bien ça. Puis je comprends très bien que, pour le Canada, d'avoir offert aux multinationales canadiennes un trou qui permettait aux entreprises de réduire leur fardeau effectif... je comprends très bien que c'était la stratégie qui a été adoptée à la fin des années 90, dans le cas de la Barbade. Ça ne change pas le fait que, dès lors qu'on fait ça, on met sur des pieds... sur deux niveaux différents les entreprises qui ont les moyens puis la capacité de s'organiser pour avoir des opérations à l'étranger, qui, elles, paient des fardeaux fiscaux beaucoup plus faibles que les entreprises, elles, autrement, qui ne sont pas capables de s'organiser pour avoir des activités à l'étranger, de la même manière que le contribuable normal et moyen, moi, mes collègues autour de la table, eux autres, nous, on n'est pas capables de s'organiser pour avoir des filiales à l'étranger.

Alors, dans le fond, vous plaidez pour que les gens qui sont les grands et les gros puis qui sont capables de s'organiser à l'étranger continuent d'avoir la capacité d'avoir des avantages équivalents au Canada que ceux qu'ils obtiendraient ailleurs dans le monde, c'est ça que vous êtes en train de me dire. Je comprends très bien que la réalité, c'est qu'on va perdre des entreprises, peut-être, si on n'est pas capables de leur offrir des avantages fiscaux équivalents, je comprends très bien ça, là, mais il n'en demeure pas moins qu'il y a un moment où c'est tout le monde autour d'ici qui paie, là, ce n'est pas...

Le Président (M. Bernier) : M. Anelli.

M. Anelli (Albert) : Absolument, mais ça, ça revient à la question de l'évasion.

M. Marceau : Non, ce n'est pas de l'évasion, là, ce n'est pas de l'évasion.

M. Anelli (Albert) : Non, mais...

M. Marceau : On parle de choses parfaitement légales, là.

Le Président (M. Bernier) : On parle d'évitement.

M. Anelli (Albert) : Mais, si on peut investir à l'extérieur du... Je n'ai jamais, et je répète, jamais vu une structure de planification internationale qui n'a été faite que pour planifier quelque chose à l'international, il y a toujours une raison commerciale. Alors, si une société québécoise, une PME veut prendre une expansion en dehors du Canada, toutes les firmes, tous les avocats, ils vont essayer de les aider à mieux gérer leurs affaires et en gardant dans l'esprit les lois, l'esprit de la loi. Selon moi, ce n'est pas une question de : Vous pouvez structurer vos affaires pour réduire votre fardeau fiscal, vous pouvez réduire votre fardeau fiscal en prenant de l'expansion à l'étranger, mais en jumelant ça avec une vraie opération commerciale.

Tu sais, l'assiette fiscale canadienne, elle est très, très, très bien protégée par les règles qui sont là. Il y a un exemple bête, mais je le donne souvent pour mieux comprendre ce volet-là : il n'y a pas une multinationale canadienne qui n'a pas déjà établi, mettons, un centre d'appels à l'extérieur du Canada, justement pour des raisons commerciales. Mais, quand la compagnie canadienne verse un montant pour les services rendus par leur filiale, que ce soit n'importe où, bien, ce même profit-là, il est taxable au Canada, justement parce qu'il y a un paiement fait par la compagnie canadienne vers une société étrangère. Alors, les règles font en sorte que l'assiette canadienne est protégée.

Alors, c'est pour ça que j'y reviens toujours. Il y a toujours un moyen où l'assiette canadienne est protégée.

M. Marceau : Mais, avec les prix de transfert, vous me dites que les prix de transfert qui exagèrent les... enfin, avec lesquels, vous savez, il est très possible de délocaliser des profits en exagérant les recettes à un endroit puis les dépenses à un autre... Vous me dites que c'est protégé?

M. Anelli (Albert) : Les transferts, ce n'est pas une science exacte.

M. Marceau : On s'entend.

M. Anelli (Albert) : On s'entend. Par contre, dans l'exemple que je viens de donner, au-delà du prix de transfert, les règles canadiennes font en sorte qu'aussitôt que tu paies un montant à une filiale, dans le cas que je viens de donner, pour un service qui est rendu, le montant est attribuable au Canada, nonobstant si le montant est raisonnable ou non. Alors, pour...

M. Marceau : ...on s'entend, mais, si les montants ne sont pas raisonnables puis si les prix de transfert sont exagérés puis on étire toujours, vient un moment où la base fiscale canadienne est en danger, c'est...

M. Anelli (Albert) : Pas dans ce cas-ci, parce qu'on prend le cas... Si, mettons, on paie 100 $ pour un service, puis là on dit : On va conseiller quelqu'un de prix de transfert, et puis ils disent : Non, on va charger 150 $, puis là l'agence arrive puis dit : Non, non, regarde, ça n'a pas de bon sens, 150 $, ça aurait dû être 100 $, mais, peu importe, dans un cas comme j'ai décrit, le 150 $ demeure taxable au Canada. Alors, que vous montiez le montant à 150 $, à 200 $, les règles font en sorte que la base canadienne est protégée.

Le Président (M. Bernier) : M. le député de Nicolet-Bécancour.

M. Martel : Ah oui? Déjà? Bonjour, Mme Hubert, M. Anelli.

Un peu comme je mentionnais tantôt, je ne m'attends pas à ce que vous nous disiez que la firme pour qui vous travaillez contribue à faire de la fraude fiscale puis je ne m'attends pas à ce que vous disiez que vous-mêmes, vous en faites. Puis je n'ai pas de doute, je ne pense pas... Je pense que la firme que vous représentez, c'est une firme honnête, je n'ai pas de problème avec ça. Moi, je veux m'adresser plus aux experts comptables ou aux experts fiscalistes parce que mon but, c'est d'essayer de voir où est-ce qu'on doit attaquer. Parce que, de façon générale, on convient un peu tout le monde que c'est une problématique. On ne sait pas trop combien qu'il y a d'argent, mais on sait que ça peut se faire. On ne sait pas trop comment ça arrive là, mais je pense que, de façon naturelle, puis tantôt les gens qui étaient avant vous le mentionnaient aussi... Moi, je n'ai pas l'expertise de mon collègue de Rousseau, là, mais quand même on a tous une base, je dirais. Si je prends un cartel de la drogue, O.K., puis ils font beaucoup d'argent, puis ils prennent leur argent puis ils envoient ça dans des paradis fiscaux, c'est assez facile d'imaginer... pas comment qu'ils peuvent faire ça, je n'ai pas d'idée, mais que ça peut se faire, tu sais, l'argent part, elle est sale, puis elle s'en va dans un endroit...

Le Président (M. Bernier) : Pour se faire laver.

M. Martel : Pardon?

Le Président (M. Bernier) : Elle s'en va dans un endroit pour se faire laver.

M. Martel : Oui, c'est ça.

M. Anelli (Albert) : Mais là on s'éloigne pas mal de nos clients, on est d'accord?

M. Martel : Oui, oui, oui. Absolument, absolument. Non, puis je ne parle pas de vos clients. Ce que je vous dis... C'est vraiment votre expertise. Où est-ce que j'ai un problème, c'est qu'il y a des entreprises, par exemple, au Québec qui sont tout à fait légales, dans les services, dans les produits, puis qui peuvent produire un service, générer des revenus puis s'en aller dans des paradis fiscaux comme ça.

À votre avis, à votre avis, est-ce que c'est possible, je ne vous dis pas comment, je ne vous dis pas... Est-ce qu'avec l'expertise... C'est sûr que c'est des manoeuvres illégales, là, on n'est pas dans le légal, là, mais, vous, c'est facile d'imaginer que ça peut se faire, ça, pour vous?

Le Président (M. Bernier) : M. Anelli.

M. Anelli (Albert) : J'ose croire que oui. On a les données du ministère des Finances, il y a de l'argent qui est disparu. Mais, tu sais, pour prendre votre exemple, c'est de l'argent qui a été gagné au noir, puis ces gens-là essaient de le garder au noir. J'ose croire que les avancements au niveau informatique, les avancements au niveau des règles qui seront adoptées par les différents pays, tu sais — j'ai fait référence tantôt aux normes communes — feront en sorte que, ces gens-là, leurs revenus vont être déclarés puis signalés aux autorités compétentes dans un pays ou l'autre.

Mais je reviens à l'économie souterraine, et, tu sais, Revenu Québec a fait un travail extraordinaire dans certains domaines justement en utilisant des données informatiques, à mieux contrôler ces aspects-là. Alors, je suis confiant que la révolution et l'adaptation dans tous ces pays-là de normes standards fera en sorte que ce sera de plus en plus difficile pour ces voleurs-là de continuer à cacher leur argent.

Le Président (M. Bernier) : M. le député. Dernière question.

• (18 heures) •

M. Martel : Nicolet-Bécancour. On comprend qu'avec les conventions, tu sais, il y a une partie... je pense, tout le monde va convenir qu'il y a une partie de la solution qui est par des ententes au niveau international, là. Mais, si on regarde par rapport au Québec, avec l'expertise que vous avez, pour lutter de façon plus efficace, puis là je ne parle pas du crime organisé, là, c'est d'autre chose, est-ce qu'à votre avis on peut y arriver, on peut être plus efficaces en mettant, par exemple, plus de ressources à Revenu Québec ou en ayant des systèmes informatiques peut-être plus efficaces, je ne sais pas, mais pensez-vous qu'on pourrait en faire un peu plus, au Québec, pour être plus efficaces par rapport à ça?

Le Président (M. Bernier) : M. Anelli.

M. Anelli (Albert) : Je pense que oui. Puis je pense qu'il faut suivre de près ce qui se passe avec l'Agence du revenu du Canada, ce qui se passe avec l'OCDE et de s'assurer qu'on est prêts à en profiter, de ces données-là qu'on va avoir à un moment donné. Mais, selon moi, si on est capables de mieux gérer ce qui se passe chez nous pour contrer l'économie souterraine, on va contrôler les deux volets. Avec les données informatiques, on va aller récupérer ce qui est déjà caché, et on va éviter qu'il y en ait d'autres qui quittent.

Le Président (M. Bernier) : M. Anelli, Mme Hubert, on croit fermement, nous, la commission, qu'il y a de l'argent dans les paradis fiscaux, O.K., et que cet argent-là n'arrive pas là par miracle. Il y a des organisations quelque part... il doit y en avoir au Québec, parce qu'on en a qui... au fur et à mesure que les informations sortent dans le public grâce à des lanceurs d'alerte, grâce à des journalistes d'enquête, grâce à des recherches faites par Revenu Canada ou Revenu Québec, qu'on doit identifier et qu'on doit travailler. En ce qui regarde l'évasion fiscale, on s'entend tous, et même les banques qu'on a reçues ici, on s'est entendus qu'il y avait des mesures de prises pour venir contrer l'évasion fiscale, l'évasion fiscale, et d'ailleurs vous dites que vous avez une ligne téléphonique pour dénoncer ces choses-là, O.K., mais nous, en ce qui nous concerne, on croit également qu'il y a de l'évitement fiscal, puis ce qu'on veut, c'est de contrer les stratégies qui sont mises en place et qui existent et, avec le travail de l'OCDE, avec le travail des États-Unis, avec le travail du Canada, venir diminuer et venir éliminer le plus possible l'évitement fiscal.

On est conscients que les paradis fiscaux, dans le moment, tendent à s'écrouler, O.K., et ils le font parce qu'il y a des gouvernements qui ont passé des lois qui obligent les banques à dénoncer et à identifier ces organisations-là ou les gens qui sont dans les paradis fiscaux. Donc, on croit fermement que, notre travail, ce travail-là est utile pour la société et on croit fermement qu'il devra y avoir de la collaboration, que ce soit au niveau des banques, comme on a vu, mais il devra y avoir également de la collaboration avec des organisations comme la vôtre aussi pour être capable d'appliquer des lois et des règlements que nous aurons l'occasion de voter ici, à l'Assemblée nationale, ou au gouvernement canadien.

Merci de votre participation.

(Fin de la séance à 18 h 3)

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