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Version finale

33e législature, 2e session
(8 mars 1988 au 9 août 1989)

Le mercredi 12 octobre 1988 - Vol. 30 N° 28

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur le document intitulé 'Les droits économiques des conjoints'


Journal des débats

 

(Quatorze heures dix-neuf minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! La séance de la commission des institutions est maintenant ouverte. Je rappelle notre mandat qui est de procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques sur le document intitulé "Les droits économiques des conjoints".

Je demanderais à notre secrétaire, Me Lucie Giguère, d'annoncer les remplacements, s'il y en a.

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Les remplacements sont les suivants: M. Assad (Papineau) est remplacé par Mme Blackburn (Chicoutimi), Mme Bleau (Groulx) par M. Khelfa (Richelieu), M. Godin (Mercier) par Mme Harel (Maisonneuve), M. Jolivet (Laviolette) par Mme Vermette (Marie-Victorin) et M. Marcil (Beauhar-nois) par Mme Pelchat (Vachon).

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Notre ordre du jour de cette première journée est le suivant: d'abord, les déclarations d'ouverture, 30 minutes au parti ministériel, 30 minutes aux membres de l'Opposition officielle; ensuite, le Conseil du statut de la femme qui est probablement déjà arrivé, me semble-t-il. Oui. Également, il y a les représentants du groupe Projet-Partage jusqu'à 18 heures; par la suite, jusqu'à 18 h 30, Me Mireille D. Castelli. Normalement, nous devrions ajourner nos travaux aux environs de 18 h 30, pour reprendre demain à 10 heures.

Donc, sans plus tarder, j'invite Mme la ministre déléguée à la Condition féminine à bien vouloir nous faire part de ses remarques préliminaires.

Déclarations d'ouverture Mme Monique Gagnon-Tremblay

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. C'est un honneur et un privilège pour moi de présider à l'ouverture des travaux de la commission des institutions et de présenter, au nom du gouvernement, le document de consultation sur les droits économiques des conjoints. Il est en effet très réjouissant pour un gouvernement de soumettre un document qui, sur le fond, ne pourra faire que consensus puisqu'il repose sur l'égalité des hommes et des femmes, une des valeurs fondamentales les plus chères aux Québécois et Québécoises.

Pour la ministre déléguée à la Condition féminine, cette satisfaction est doublée du fait que le résultat de cette consultation nous rapprochera de l'objectif de cette plus grande égalité, qu'elle soit de nature politique, juridique ou économique. D'ailleurs, les orientations triennales 1987-1990 du gouvernement en matière de condition féminine stipulaient, entre autres, qu'au niveau économique cette égalité pour les conjoints devait se traduire par un meilleur partage de la richesse familiale. Elles prévoyaient également l'introduction de mesures pour faciliter l'indexation et la perception des pensions alimentaires, engagements réalisés puisque l'indexation automatique des pensions alimentaires est en vigueur depuis janvier 1988, alors que le projet de loi 33 concernant le recouvrement des pensions alimentaires a été déposé en juin dernier.

On se rappellera que la réforme du droit de la famille de 1980, qui a consacré l'égalité juridique des conjoints dans le mariage, n'a pas eu pour résultat d'établir un équilibre économique de ceux-ci. D'ailleurs, peu de temps après, les groupes, notamment les groupes de femmes, demandaient au gouvernement de se pencher de nouveau sur le droit de la famille afin qu'il assure un meilleur partage de la richesse familiale et une reconnaissance adéquate du travail au foyer.

Ainsi, à l'instar des provinces de "common law", la notion de patrimoine familial partageable entre les conjoints à la fin du mariage nous fut présentée, à mon collègue de la Justice et à mol-même, comme une solution pouvant remédier au déséquilibre économique vécu par plusieurs couples à la fin du mariage, particulièrement par ceux ayant opté pour la séparation de biens.

À la suite de discussions avec mon collègue, le ministre de la Justice, nous avons convenu de constituer un comité de travail sur les droits économiques des conjoints, composé de représentants du ministère de la Justice, du Secrétariat à la condition féminine et du Secrétariat à la famille. Ce comité devait étudier, en regard du droit actuel, la situation des conjoints pendant le mariage, lors d'une séparation et à la dissolution du mariage par divorce ou décès. Il devait, en outre, proposer sous forme d'hypothèses des modifications législatives de manière que chacun des conjoints soit traité, lors d'une séparation ou d'un divorce, et le conjoint survivant en cas de décès, au plan économique, avec correction et équité.

Trois hypothèses de modifications législatives, telles que soumises dans le rapport de ce comité, ont été développées. Une hypothèse préconise l'amélioration ponctuelle du droit existant. Dans la lignée d'une réforme du droit de la famille de 1980, elle propose notamment la bonification de la protection de la résidence familiale, de la prestation compensatoire et de la survie de l'obligation alimentaire en cas de décès du conjoint. Une autre hypothèse reprend les modifications proposées à l'intérieur de la première et y ajoute la notion d'un patrimoine familial partageable entre les conjoints à la fin

du mariage, qu'importe leur régime matrimonial. Enfin, une dernière hypothèse propose d'assujettir obligatoirement tous les époux à un même régime: celui de la société d'acquêts.

Après une étude approfondie de chacune des ces hypothèses, le gouvernement, pour les raisons que j'exposerai, a décidé de soumettre la notion de patrimoine familial partageable à la consultation publique.

Qu'implique donc le contenu de cette proposition? En résumé, elle implique la constitution d'un patrimoine familial composé de la résidence familiale dont l'un des conjoints est propriétaire ou, à défaut, de la résidence secondaire ou des droits qui assurent le logement familial, s'il en est. Le patrimoine familial comprendrait également les meubles qui garnissent la résidence familiale et qui sont affectés à l'usage du ménage, les véhicules automobiles ainsi que les gains accumulés par les conjoints en vertu de la Loi sur le Régime de rentes du Québec ou de programmes gouvernementaux équivalents.

Ce patrimoine serait automatiquement partageable entre les époux à la fin du mariage, quel que soit leur régime matrimonial. Il serait instauré au sein du régime primaire actuel, d'où l'impossibilité d'y renoncer par contrat de mariage ou autrement. Tous les biens inclus dans ce patrimoine familial seraient protégés comme le sont actuellement la résidence familiale et les meubles oui la garnissent servant à l'usage du ménage. À titre de mesure transitoire et pour respecter les conventions passées, il serait permis aux époux déjà mariés d'y renoncer dans les trois années qui suivent la mise en vigueur de ces dispositions.

Pourquoi avoir favorisé cette avenue de solution? Le gouvernement l'a privilégiée en s'appuyant sur les fondements socio-juridiques suivants. Sur le plan social, tout d'abord, la notion d'un patrimoine familial nous est apparue comme la solution la plus appropriée pour remédier, au moment de la rupture du mariage, à la problématique du conjoint marié économiquement faible. Comme vous le savez, le régime de la séparation de biens ne prévoit, juridiquement, aucun partage. Lors d'une rupture, il se révèle très souvent inéquitable pour le conjoint (principalement l'épouse) qui, en raison de la présence d'enfants, est demeuré au foyer ou a été sur le marché du travail de façon sporadique ou à temps partiel moyennant un salaire généralement peu rémunérateur. Inéquité car, au moment du divorce, ce conjoint qui n'a peu ou pas accumulé de biens se retrouve démuni. Or, près de 50 % de l'ensemble des couples québécois sont encore régis par la séparation de biens.

Les mécanismes ou recours du droit actuel semblent impuissants à remédier correctement au déséquilibre économique entre conjoints. En effet, la réforme de 1980, au nom de la nécessaire égalité juridique entre les conjoints, a introduit des mesures qui, dans leur application, ont eu des incidences désavantageuses pour le conjoint économiquement faible, marié en séparation de biens et confronté avec un divorce. Ainsi en est-il de la solidarité des dettes contractées pour les besoins courants de la famille, où chacun engage l'autre pour le tout à titre égalitaire, de la caducité des donations à cause de mort que les époux se sont consenties en considération du mariage, de la discrétion du tribunal de déclarer caduques les autres donations à cause de mort ou de réduire les donations entre vifs ou d'en différer le paiement.

Quant aux nouveaux recours instaurés depuis 1980 afin de permettre un rééquilibre de la situation financière des époux en cas de rupture, ils n'ont malheureusement pas donné les résultats escomptés. Pensons à la prestation compensatoire, dont plusieurs cas ont été jugés irrecevables par les tribunaux, et à la protection de la résidence familiale qui fut trop souvent l'objet de représailles de la part des maris propriétaires. Au surplus, les créanciers éprouvant des difficultés à percevoir leur pension alimentaire, le gouvernement déposait en juin dernier le projet de loi 33 visant à modifier le rôle du percepteur des pensions alimentaires afin d'améliorer l'efficacité du système de perception.

Quand on constate qu'actuellement trois mariages sur cinq se terminent par un divorce et que cette proportion pourrait augmenter du fait que la nouvelle loi sur le divorce l'autorise après un an de séparation de fait, on peut s'attendre qu'un plus grand nombre de conjoints mariés en séparation de biens se retrouvent démunis si le législateur n'adopte pas les mesures pertinentes. La proposition soumise nous apparaît donc apporter une solution réelle à la situation inéquitable dans laquelle se retrouvent les couples déjà mariés en séparation de biens. Elle vient aussi reconnaître socialement le travail au foyer.

Quant à l'avenir, la proposition permet de consacrer le mariage comme une véritable institution de partenariat, servant de base à l'organisation de la famille sous l'enseigne de l'égalité des conjoints. Ce que l'on bâtit ensemble, n'est-ce pas logique de le partager, et cela, dans le meilleur intérêt non seulement des conjoints, mais aussi des enfants? En ce sens, nous concevons le partage du patrimoine familial entre conjoints comme une nouvelle approche sociale du mariage qui profitera à tous les membres de la famille. Plusieurs organismes du milieu adhèrent à cette approche comme un moyen susceptible de renforcer le rôle de la famille. En cela, ils rejoignent un courant observé dans plusieurs pays occidentaux.

Sur le plan purement juridique, il m'apparaît que la notion de partage d'un patrimoine familial constitue le prolongement du principe de l'égalité des conjoints au moment de la dissolution du mariage. Au sens du régime primaire actuel, l'égalité juridique des conjoints ne fait

pas de doute durant le mariage. Les époux sont obligés d'assurer la direction morale et matérielle de la famille, d'exercer ensemble l'autorité parentale et d'assumer les charges qui en découlent. De plus, ils doivent contribuer aux charges du mariage en proportion de leurs facultés respectives, notamment par l'activité au foyer.

Malheureusement, cette égalité ne se concrétise pas à la fin du mariage, sur le plan économique. Pensons, par exemple, à l'obligation qui est faite à chacun des époux de contribuer également aux charges de la famille. Le divorce d'un couple marié en séparation de biens a souvent pour effet de créer un déséquilibre, puisque le conjoint qui n'a rien accumulé personnellement peut se retrouver démuni et ce, même si son activité au foyer a été reconnue légalement comme moyen de s'acquitter de cette obligation aux charges de la famille. Un partage, à la fin du mariage, de ce que les conjoints devaient bâtir ensemble me semble le résultat légitime de l'application des obligations du régime primaire. Dans le même sens, il peut s'agir d'une reconnaissance légale implicite du travail au foyer à titre de contribution aux charges de la famille.

Au surplus, un tel partage, notamment au chapitre de la résidence familiale et des meubles qui servent à l'usage de la famille, donnerait un plein effet aux mesures du régime primaire qui accordent déjà une protection à ces biens durant le mariage en interdisant de les aliéner sans le consentement du conjoint propriétaire. Le partage éventuel de ces biens familiaux, advenant la rupture du mariage, me semble une suite logique des mesures de protection qui s'y appliquent durant le mariage.

Enfin, l'instauration de la notion de partage d'un patrimoine familial assurerait une plus grande harmonisation du droit familial québécois avec celui des provinces de "common law".

Je crois qu'il est pertinent de faire un parallèle entre le système ontarien et la proposition qui vous est présentée. En vertu de la loi ontarienne, la plupart des biens meubles ou immeubles dont les conjoints sont propriétaires sont partageables à titre de biens familiaux. Par contre, la loi prévoit que ces biens peuvent être exclus par contrat de mariage ou autre contrat familial privé, à l'exception de la résidence familiale. Suivant l'hypothèse retenue, le patrimoine familial est restreint, mais il est toutefois impossible d'y renoncer.

La notion proposée offre donc, à notre sens, une meilleure garantie d'assurer un équilibre économique entre les conjoints à la fin du mariage. Au surplus, un partage restreint des biens familiaux s'intègre mieux aux régimes matrimoniaux québécois. En effet, nous ne pouvons ignorer que la société d'acquêts est un régime de partage auquel adhèrent de plus en plus de couples québécois.

La constitution d'un patrimoine familial restreint, tel que nous l'avons présenté, m'ap- paraît maintenir une certaine distance entre ce patrimoine et les régimes de la société d'acquêts et de la séparation de biens. Il laisse encore ouverture à l'exercice de la liberté des conventions pour les couples qui possèdent d'autres biens et qui souhaiteraient partager plus que la masse de biens familiaux. Voilà donc les fondements socio-juridiques qui ont justifié notre orientation.

Je ne pourrais terminer sans faire état de certaines questions qui nous ont grandement préoccupés lors de l'élaboration de cette proposition. Il s'agit principalement de la liberté des conventions matrimoniales, de l'effet désincitatif au mariage et de la question des conjoints de fait.

Pour ce qui concerne les libertés des conventions, il nous est apparu que ce principe pouvait très bien continuer de. s'appliquer pour ce qui excède la masse partageable. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous proposons un patrimoine familial restreint suffisant, d'un côté, pour rééquilibrer économiquement la situation des conjoints mariés en séparation de biens et socialement acceptable en regard de cette nouvelle conception du mariage qualifié d'institution de partenariat. Ainsi, les gens qui possèdent d'autres biens que ceux inclus dans le patrimoine familial pourraient toujours choisir la société d'acquêts ou la séparation de biens pour convenir du partage de ces biens.

Le principe de la liberté des conventions qui existe dans notre Code civil depuis 1966 a toujours sa place dans notre société, mais le contexte socio-juridique demande qu'on le reconsidère. Son maintien risque d'accentuer la situation de pauvreté dans laquelle se retrouvent chaque année un grand nombre de femmes divorcées. Sa limitation rejoint le mouvement social insistant en faveur d'une réelle égalité des conjoints.

Concernant l'argument voulant que l'instauration du partage du patrimoine familial ait un effet désincitatif au mariage, il s'agit d'une question sociologique qui nous semble partiellement hypothétique. Après étude de certaines statistiques, nous en sommes venus à croire que la baisse des mariages au Québec était plutôt reliée à une mutation sociale qu'aux législations qui s'y appliquent.

En 1986, selon Statistique Canada, 5, 9 % des couples ontariens vivaient en union de fait alors qu'au Québec, durant la même période, cette proportion était de 11, 8 %. Toujours selon Statistique Canada, entre 1972 et 1986, la plus faible diminution du nombre de mariages en pourcentage au Canada a été enregistrée en Ontario, soit 15, 2 %. Comme la loi ontarienne sur le droit de la famille a rendu la notion de partage du patrimoine familial applicable aux couples mariés dès 1978, ces statistiques ne semblent pas indiquer comme tel un impact négatif de la notion de partage sur le mariage. Toujours selon ces statistiques, l'Ontario est la

province où le nombre de mariages a le moins baissé au Canada entre 1972 et 1986, alors que le Québec vient en premier.

Je souhaite grandement que la présente consultation puisse nous alimenter sur cette question qui demeure difficile à évaluer pour l'avenir. Pour ma part, je ne crois pas que l'instauration d'un patrimoine familial constitue un désincitatrf au mariage. Au contraire, structurer le mariage comme une institution égalitaire, tant du côté des personnes que du côté des patrimoines, me semble l'organisation Juridique souhaitée pour fonder une famille.

Enfin, on se rappellera que la question des conjoints de fait a longuement été examinée lors de la réforme du droit de la famille en 1980. Le législateur avait alors finalement décidé de respecter leur choix de vivre en union de fait et de s'organiser selon leurs goûts personnels, compte tenu qu'ils n'avaient pas opté pour l'institution juridique du mariage. Nous avons donc décidé de respecter le choix des conjoints de fait et de ne pas leur appliquer la notion de partage du patrimoine familial. On retrouve près de 12 % des couples québécois vivant actuellement en union de fait au Québec. Il sera intéressant de connaître les commentaires des intervenants à cet égard et, notamment, les suggestions pour ce qui regarde la protection des enfants issus de ces unions. Nous saurons alors s'il y a lieu de refaire le débat dans le cadre d'une réforme plus globale.

En conclusion, je crois que l'hypothèse de solution qui vous est présentée constitue un pas important dans la recherche d'un meilleur équilibre économique des conjoints lors de la rupture du mariage. En ce sens, elle permettrait de solutionner la problématique des gens mariés en séparation de biens dont l'un se retrouve souvent économiquement faible à la fin du mariage. Au surplus, elle permet d'adhérer à cette nouvelle approche sociale du mariage à titre d'institution de partenariat, laquelle semble reconnue comme un moyen de renforcer le rôle de la famille.

Cependant, cette réforme des droits économiques des conjoints ne doit pas être considérée comme une solution unique qui dispenserait de s'attaquer à d'autres sources d'inégalité existantes. Ainsi, il demeurera essentiel de poursuivre nos actions pour favoriser l'atteinte de l'égalité entre les Québécoises et les Québécois.

Je vous remercie de votre attention et je souhaite sincèrement que cette consultation publique nous apporte tout l'éclairage nécessaire à la formulation des solutions à privilégier dans le meilleur intérêt des conjoints et des familles québécoises. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme la ministre déléguée à la Condition féminine. J'inviterais maintenant M. le député de Marquette, adjoint parlementaire du ministre de la Justice, à nous faire part de ses remarques préliminaires.

M. Claude Dauphin

M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. À titre d'adjoint du ministre de la Justice, M. Gil Rémillard, qui, incidemment, ne peut être avec nous cette semaine étant retenu à l'extérieur, mais il sera parmi nous pour les auditions de la semaine prochaine, j'ai le plaisir aujourd'hui de présenter conjointement avec ma collègue, Mme Gagnon-Tremblay, le document sur les droits économiques des conjoints. Ce document fait suite aux travaux du comité sur les droits économiques des conjoints, formé en janvier 1987, et au dépôt dudit rapport de ce comité en août de la même année.

J'aimerais vous rappeler le contexte de la création de ce comité dont Mme Gagnon-Tremblay vous a parlé. Vous vous souviendrez que, lors de la commission parlementaire sur le projet de loi 20 de 1985 portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, des successions et des biens, aucune solution n'avait pu faire l'objet d'un consensus autour de la survie de la créance alimentaire ou de la réserve héréditaire. Cette partie du projet de loi avait donc été retirée par le ministre de la Justice de l'époque.

Parallèlement à cette question, d'autres problèmes étaient étudiés par le gouvernement: la reconnaissance du travail des femmes collaboratrices et des femmes au foyer, le partage des droits à la retraite et les difficultés d'application de la prestation compensatoire. Or, le ministre de la Justice et la ministre déléguée à la Condition féminine ont convenu que toutes ces questions pouvaient être regroupées sous une même problématique, celle des droits économiques des conjoints.

En décembre 1986, lors d'un discours prononcé devant l'Assemblée nationale à l'occasion de l'étude du projet de loi 20, le ministre de la Justice annonça donc la création dudit comité. Il avait pour mandat de réévaluer les dispositions du Code civil relatives à la protection de la résidence familiale, à la prestation compensatoire, aux régimes matrimoniaux et au partage des biens en cas de séparation de corps ou de divorce, et d'évaluer, en tenant compte de cette analyse, les modes de protection de la famille lors du décès du conjoint. Ce comité devait soumettre une recommandation globale pour apporter les modifications législatives requises au Code civil, plus particulièrement aux livres de la famille et des successions, de telle sorte que la politique familiale qui sous-tend le Code civil soit pleinement cohérente et tienne compte de tous les droits, intérêts et obligations des parties en présence, conjoints et enfants.

La proposition gouvernementale que l'on retrouve au document de consultation fait suite aux travaux de ce comité. Cette proposition s'inscrit dans une volonté de parfaire les règles

actuelles du droit familial. En effet, au Québec, le régime légal de la société d'acquêts établit déjà un partage de biens entre les conjoints. Ce régime est choisi par une majorité de personnes, soit 63 % en 1985, et les époux qui choisissent ce régime sont, chaque année, de plus en plus nombreux.

En dépit du fait que la société d'acquêts soit le régime légal au Québec, des problèmes de déséquilibre économique entre les conjoints, à la fin du mariage, demeurent. Ces problèmes sont aggravés lorsque les époux sont mariés sous le régime de la séparation de biens.

La proposition gouvernementale suggère une solution: c'est-à-dire l'institution d'un patrimoine familial qui s'appliquerait à tous les époux, quel que soit leur régime matrimonial. Ce patrimoine familial serait constitué d'un ensemble de biens énumérés dans la loi et sa valeur nette serait partagée également entre les époux à la fin du mariage ou à la suite d'une séparation de corps. Cette proposition apporterait une solution concrète au problème de déséquilibre économique des conjoints, à la fin du mariage, tout en respectant les principes mis de l'avant par la réforme de 1980, c'est-à-dire égalité des conjoints dans le mariage et respect de leur liberté et de leur autonomie.

J'aimerais maintenant vous parler des autres propositions prévues dans ce document de consultation lesquelles, nous le croyons, contribueraient à l'amélioration de nos règles de droit en matière familiale. En premier lieu, parlons de la protection de la résidence familiale. Plusieurs modifications sont proposées; elles visent toutes à accroître la protection actuelle.

La première proposition en cette matière est d'étendre la protection de la résidence familiale de manière à viser toute aliénation des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, y compris l'enregistrement d'un droit réel. Cette proposition vise à ne pas limiter la protection de la résidence familiale aux situations où la résidence est la propriété de l'un des conjoints. Par exemple, la famille peut avoir pour résidence familiale un immeuble qui appartient à une compagnie dont les actions sont toutes détenues par l'un des conjoints. Selon cette proposition, cette résidence familiale serait protégée de la même façon que si le conjoint en était le propriétaire.

Quant à la protection des lieux loués comme résidence familiale, elle serait rendue automatique: le conjoint du locataire n'aurait plus à aviser le propriétaire du fait que le logement est utilisé comme résidence familiale pour bénéficier de la protection. Même en l'absence d'un avis au propriétaire, le locataire de la résidence familiale ne pourrait plus, sans le consentement de son conjoint, sous-louer, céder son droit ou mettre fin au bail.

La protection de la résidence familiale serait également accrue en regard de la saisie de la résidence familiale et de sa vente forcée. Il s'agit là de mesures particulièrement importantes pour la protection du patrimoine familial. La résidence familiale ne pourrait plus être saisie pour une créance inférieure à 10 000 $, sauf les exceptions prévues à l'article 553. 2 du Code de procédure civile. En outre, cette résidence ne pourrait plus, dans les cas de vente forcée, être vendue pour un prix inférieur à 70 % de sa valeur marchande. Rappelons qu'en droit actuel une résidence ne peut être saisie pour une créance inférieure à 5000 $ et peut être vendue pour un prix qui serait à peine équivalent à 25 % de ladite valeur marchande. (14 h 45)

Une autre disposition qu'il est important de mentionner est que le tribunal pourrait attribuer au conjoint à qui est confiée la garde des enfants un droit d'habitation à la résidence familiale sans que cette attribution n'affecte sa part dans le patrimoine familial.

Je voudrais cependant rappeler que, malgré ces modifications, l'enregistrement d'une déclaration de résidence familiale conserve toute son utilité. En effet, d'une part, elle permet l'annulation de l'acte fait sans le consentement du conjoint si ce consentement est requis et, d'autre part, elle permet au conjoint d'être avisé des procédures prises contre l'immeuble par des tiers.

Certes, en droit actuel, même en l'absence de l'enregistrement d'une déclaration de résidence familiale, le propriétaire doit obtenir le consentement de son conjoint pour, par exemple, vendre la résidence familiale et, si la vente est faite sans que le conjoint y ait consenti, il est passible de dommages et intérêts. Il est d'ailleurs suggéré dans la proposition gouvernementale de préciser clairement l'existence de ce recours en dommages et intérêts. Malgré cela, pour les raisons que je vous donnais tout à l'heure, je recommanderais aux conjoints d'enregistrer une déclaration de résidence familiale.

D'autres modifications sont également proposées. Ainsi, le recours à la prestation compensatoire est bonifié. Le conjoint qui collabore à l'entreprise dans laquelle il ne possède aucun actif n'aurait pas à faire la preuve de son droit dans les actifs de son conjoint; il serait présumé avoir droit à une part de 30 % dans les actifs nets que son conjoint possède dans l'entreprise. Il appartiendrait au conjoint qui possède les droits dans l'entreprise de démontrer que la contribution n'équivalait pas à cette part de 30 %. Cette mesure vise à régler les difficultés de preuve auxquelles se bute le conjoint collaborateur qui réclame une prestation compensatoire. Évidemment, s'il a contribué pour une partie supérieure à 30 %, il pourrait faire la preuve de sa contribution et obtenir la part à laquelle il aurait droit.

La prestation compensatoire est aussi élargie quant à ses modes de paiement. Ainsi, le tribunal pourrait ordonner le partage des droits accumulés par l'un des conjoints dans un régime

privé de retraite. Ces droits deviendraient cessibles entre les conjoints pour le paiement de la prestation compensatoire. Il s'agit là d'une mesure importante pour les droits des conjoints car, actuellement, ces droits sont, dans nombre de cas, incessibles et insaisissables. Le tribunal ne peut en ordonner le partage au bénéfice de l'autre conjoint.

La proposition gouvernementale prévoit aussi des modifications aux règles de la société d'acquêts de manière à rendre ce régime encore plus égalitaire pour les conjoints. Je me permets de mentionner de nouveau que le nombre d'époux qui choisissent ce régime augmente chaque année. Parmi les modifications proposées, le droit des héritiers d'accepter ou de refuser le partage des acquêts du conjoint survivant deviendrait conditionnel à l'acceptation par ce dernier du partage des acquêts du défunt.

Par cette modification, on reconnaît le statut particulier du conjoint part rapport aux autres héritiers. On confère au conjoint survivant un droit d'option qui lui permet, soit de conserver ses acquêts en entier et, dans ce cas, les héritiers ne pourront pas, au nom du défunt, réclamer leur part, soit d'accepter le partage des acquêts du défunt et, alors, il sera susceptible de devoir céder la moitié de ses acquêts à la masse successorale. Le législateur reconnaît donc le statut particulier du conjoint par rapport aux autres héritiers.

Une autre amélioration importante au régime de la société d'acquêts est que le conjoint qui aurait dilapidé ses acquêts ou qui les aurait administrés de mauvaise foi ne pourrait pas revendiquer la part qui aurait dû lui revenir dans les acquêts de son conjoint à la dissolution du régime. Il s'agit là d'une règle d'équité. En effet, actuellement, celui qui dilapide ses acquêts peut, malgré tout, revendiquer sa part dans les acquêts de son conjoint. C'est donc une situation injuste pour les époux. Cette proposition devrait y remédier.

La proposition gouvernementale comporte aussi des modifications à l'ancien régime de la communauté de biens étant donné, entre autres, que ce régime comporte des règles qui se marient mal aux principes d'égalité et de liberté des époux pendant le mariage. Pensons, par exemple, à l'administration des biens communs par le mari. Il est proposé, entre autres, de transformer le régime de communauté de biens en un régime de société d'acquêts lorsque les époux n'ont pas choisi ce régime par contrat de mariage. Cette transformation se ferait en respectant les droits de chacun des époux dans le patrimoine de son conjoint.

Malgré les modifications qui sont proposées au droit de la famille, il nous est apparu clair qu'il fallait prévoir une protection supplémentaire pour le conjoint, l'ex-conjoint et les membres de la famille en général, lorsque celui qui subvenait à leurs besoins décède. C'est pour cette raison que nous proposons un ensemble de règles relatives à la survie de l'obligation alimentaire qui compléteraient les dispositions sur le patrimoine familial. Ces règles visent à assurer une certaine protection, pour un certain laps de temps, à la personne qui, à l'époque du décès, était à la charge du défunt. Par exemple, si une personne, à la suite d'un jugement, versait une pension alimentaire à son ex-conjoint, ce dernier pourrait continuer à recevoir cette pension pendant un certain temps après le décès de celui qui versait ladite pension.

Ce mécanisme devrait permettre à ceux qui dépendent financièrement d'une personne, complètement ou en partie, de recevoir les sommes nécessaires pour leur permettre de s'organiser après le décès de cette personne.

La proposition gouvernementale s'inscrit dans un processus législatif déjà amorcé, tel que je vous l'ai expliqué précédemment. Les récentes réformes du Code civil et l'adoption de certaines règles en droit des successions, en droit des biens et même en droit des sûretés en font foi. Certaines de ces règles ont, elles aussi, des incidences directes sur plusieurs de ces questions. Ainsi, par exemple, dans les modalités de partage, en droit des successions, l'article 900 du Code civil adopté et sanctionné le 15 avril 1987, mais non encore en vigueur, prévoit que l'entreprise ou les parts sociales, actions ou autres valeurs mobilières liées à celle-ci sont attribuées par préférence à l'héritier qui participait activement à l'exploitation de l'entreprise au temps du décès.

On peut noter également qu'en vertu de l'article 898 du Code civil le conjoint survivant peut, par préférence à tout autre héritier, exiger que l'on place dans son lot la résidence principale de la famille et les meubles affectés à l'usage du ménage, à charge de soulte, s'il y a lieu.

Il apparaît donc que les droits économiques des conjoints sont pour le ministre de la Justice une préoccupation constante qui s'inscrit dans la réforme globale du Code civil. Je suis convaincu que ces consultations qui commencent vont se révéler des plus enrichissantes en suscitant des discussions fructueuses sur les sujets abordés au document de consultation, l'objectif étant de mieux répondre aux besoins de la société québécoise moderne. Merci beaucoup de votre attention.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Marquette. J'inviterais maintenant la porte-parole de l'Opposition, Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Louise Harel

Mme Harel: Alors, merci, M. le Président. Comment entreprendre nos travaux, cet après-midi, sans parler d'abord de cette responsabilité qui nous incombe, en tant que législateurs en matière de droit familial, d'ouvrir de nouvelles

voies à la pleine égalité juridique, économique et sociale des femmes.

Avons-nous une proposition innovatrice devant nous? Je pense que, malgré les apparences, il faut répondre non. Il s'agit d'une proposition correctrice. Je prends à témoin l'exposé qu'en a fait Mme la ministre, à l'ouverture de nos travaux, quand elle signalait qu'il s'agissait de corriger - et je cite - les incidences désavantageuses de l'égalité juridique introduite par la réforme de 1980 pour le conjoint économiquement faible, marié en séparation de biens.

Il s'agit donc d'une proposition correctrice. Est-ce suffisant? M. le Président, pour l'Opposition, la réponse est non. Il reste encore beaucoup à faire pour ouvrir de nouvelles voies à la pleine égalité juridique, économique et sociale des femmes. Beaucoup reste à faire, malgré les profonds sillons tracés par la défricheure que fut Mme Payette à l'occasion de la loi 89 portant réforme au droit de la famille et malgré les nécessaires et indispensables correctifs apportés à l'incapacité juridique des femmes mariées par ses prédécesseures, notamment, Claire Kirkland-Casgrain.

Mais il ne s'agit pas simplement d'ajuster un droit condamné, comme une fatalité, à toujours être en retard sur l'évolution de la société. Les femmes, plus que les hommes, courent déjà un plus grand risque d'être pauvres et ce risque est encore plus grand si, en plus, elles acceptent d'être mères. Maternité et pauvreté, plus que jamais dans l'histoire, se conjuguent au féminin dans une société qui, pourtant, prétend avoir un vrai besoin et un grand désir d'enfants.

Pour illustrer mes propos, qu'il suffise de rappeler les études récentes du Conseil canadien de développement social et du conseil québécois des affaires sociales sur la pauvreté des familles monoparentales: plus de la moitié des familles monoparentales dirigées par une femme ont de faibles revenus, 56 %. Qu'il suffise de rappeler le profil de la pauvreté en 1988, publié par le Conseil national du bien-être social, qui constate que quatre familles sur dix dirigées par une femme sont pauvres comparativement à une famille seulement sur dix dirigée par un homme.

La Loi sur le divorce a vingt ans cette année. Les plus récentes enquêtes du Conseil consultatif canadien de la situation de la femme donnent une idée de la démesure du déséquilibre économique entre les membres de la famille divorcée. Après un divorce, nous dit-on, inévitablement, le niveau de vie des femmes et des enfants diminue. Selon une autre étude ontarien-ne, cette diminution serait de l'ordre de 73 %, i alors que le revenu net des hommes divorcés va jusqu'à doubler l'année suivant le divorce. Des statistiques disponibles pour 1986 révèlent que le Québec a connu à peu près 1000 mariages pour [ 600 divorces, dans des conditions certainement semblables à celles de nos voisins.

Une nouvelle législation s'impose. Nous avons adopté, dans l'Opposition, dès l'arrivée du gouvernement libéral, il y a trois ans maintenant, une attitude que nous avons voulue la plus responsable et non partisane. Nous considérons qu'il s'agit là d'un dossier névralgique. Pour accélérer l'avancement des travaux de la réforme du Code civil, nous avons consenti, comme Opposition, au retrait des dispositions du projet de loi 20 portant sur le partage des biens en cas de décès. Malgré que nous ayons longuement étudié le chapitre IV, intitulé "De la survie de l'obligation alimentaire", qui se retrouvait dans le projet de loi 20 et que cette étude se soit poursuivie en commission parlementaire durant le mois de juillet 1985, pour accélérer encore une fois les travaux nous avons finalement opté en commission, contrairement à ce qu'indiquait mon savant collègue de Marquette, à l'initiative du porte-parole de l'Opposition libérale de l'époque, le député de D'Arcy McGee, en faveur du principe d'une réserve héréditaire à la place de la créance alimentaire que le gouvernement proposait. Nous avons convenu de retirer toutes ces dispositions pour nous rendre aux arguments légitimes et fondés des groupes et des organismes qui souhaitaient élargir le débat et le réorienter vers une solution dans le domaine d'une réforme du droit de la famille plutôt que du droit successoral. Nous pensons avoir eu raison.

Cependant, nous devons constater, à trois années maintenant de l'élection de ce gouvernement, à deux années de l'annonce d'un comité sur les droits économiques des conjoints, à une année du rapport terminé dudit comité, rapport que nous attendons toujours... Nous vous rappelons que nous souhaitons obtenir, sans intermédiaire et sans interprétation, les recommandations du rapport remis au ministre de la Justice en août 1987 par le comité sur les droits économiques des conjoints. Nous souhaitons avoir un accès direct à l'étude et aux recommandations formulées par ce comité mis en place par le ministre. Nous rappelons que nous en sommes toujours à étudier, trois années après ces consentements que nous avons donnés comme Opposition, un document de consultation qui n'est encore ni un projet de loi, ni même un avant-projet de loi. À ce rythme, sans doute assisterons-nous à une promesse d'élection en cette matière d'ici à un an. Nous voulons connaître l'échéancier législatif en matière du partage et des droits économiques des conjoints. Comment expliquer un tel piétinement? Nous pensons qu'il y a matière à accélérer les travaux. (15 heures)

Nous avons opté précédemment pour mettre en vigueur le droit de la famille dès son adoption, en 1980. Nous voyons d'ailleurs, dans l'étude que nous poursuivons durant cette commission, la confirmation que notre choix de mettre la réforme en vigueur a été le bon malgré, je vous le rappelle, des critiques et des

résistances nombreuses au sein de l'Opposition libérale de 1980 contre la mise en vigueur du chapitre sur la famille. Nous pouvons, dix ans, plus tard envisager de modifier ce qui était à l'époque une législation progressiste et innovatrice parce que nous l'avions mise en vigueur et que nous pouvons maintenant connaître les effets de son application, bons comme moins bons. Nous regrettons que le gouvernement ait choisi la voie opposée en refusant, notamment, de mettre en application, malgré son adoption en troisième lecture, la loi 20 portant sur le droit des personnes et des biens qui est pourtant maintenant formellement adoptée. Le souci d'un bel échafaudage juridique complet en matière de mise en vigueur du Code civil est une vue de l'esprit trop abstraite pour être conforme aux intérêts des générations de femmes, d'hommes et d'enfants qui vivent leur vie maintenant sous le poids de lois désuètes.

Nous demandons au gouvernement, qui s'est révélé incapable depuis trois ans de faire avancer le dossier sauf à pas de tortue, d'abandonner la fiction d'un échafaudage complet au profit d'une mise en vigueur immédiate au moins de la loi 20 déjà adoptée et portant donc réforme du droit des personnes et des biens. Nous pensons que nous avons le droit d'obtenir l'échéancier des travaux législatifs en cette matière. Je vous rappelle qu'il y a trois ans nous avons consenti à retirer l'ensemble des dispositions portant sur la réserve ou la créance alimentaire pour faire accélérer les travaux; nous pensons que, trois ans plus tard, nous devons connaître les volontés du législateur en matière d'adoption et de partage du patrimoine familial.

Si vous me permettez une comparaison, M. le Président, dans un même laps de temps pour un nouveau gouvernement... On peut concevoir que tout nouveau gouvernement doive quand même bénéficier d'un certain délai d'organisation de ses travaux, mais si on compare avec un même laps de temps, entre 1976 et 1979, en trois ans, la ministre déléguée à la Condition féminine de l'époque présentait le projet de loi 89 qui non seulement levait les obstacles qui se dressaient sur la route de l'égalité juridique, qui non seulement corrigeait les manifestations patriarcales les plus évidentes et blessantes qui subsistaient toujours dans le code à l'époque, mais qui, plus encore, innovait carrément, basculait en faveur de mesures émancipatrices et prenait partie malgré la controverse.

Je vous rappelle cette réforme basée sur l'égalité totale des époux entre eux dans la direction morale et matérielle de la famille et je vous rappelle que cette réforme écartait la prééminence de l'homme dans la direction du foyer, que l'autorité paternelle était supprimée et que l'introduction était faite du principe de l'égalité complète des époux, notamment dans le choix du lieu de résidence et de la disposition des biens. Le choix était fait en faveur d'une reconnaissance du droit de la femme à une identité propre. Une femme mariée pouvait désormais traiter toutes ses affaires sous ses nom et prénoms reçus à la naissance. Elle introduisait la liberté de choix du nom des enfants, que ce soit le nom du père ou celui de la mère ou des deux à la fois, assouplissait les procédures en séparation, notamment en introduisant l'acceptation du consentement mutuel après un an de mariage, introduisait l'égalité complète des droits des enfants, qu'ils soient légitimes, naturels ou adoptés.

Nous en attendons tout autant maintenant. Ce n'est pas vrai que l'erre d'aller peut suffire, compte tenu des nouveaux défis et des nouvelles difficultés. Nous pensons qu'il nous faut non seulement une proposition correctrice, mais également une proposition innovatrice. En ces matières, nous avons de nombreuses questions à poser, notamment sur deux omissions, deux lacunes graves dans le document, à savoir l'exclusion de toute protection à l'égard des conjoints de fait et l'omission des régimes privés de retraite en matière de patrimoine familial. Nous pensons qu'une législation innovatrice doit examiner des mesures en ce sens. L'exclusion complète et totale de toute disposition touchant les conjoints de fait nous apparaît inquiétante étant donné que, selon les statistiques les plus récentes que nous avons pu obtenir de Statistique Canada et qui devraient être publiées, d'ici décembre, dans un document intitulé Pleins feux sur l'avenir faisant partie des publications Profil II, une étude réalisée en 1985 sur l'état matrimonial permettrait de constater qu'actuellement 28 % des ménages québécois vivant en union libre. C'est au-delà de 450 000 ménages, approximativement, qui auraient choisi ce type de cohabitation. Décider d'ignorer complètement leur réalité, M. le Président, c'est certainement inquiétant. Il nous semble que les travaux de la commission devraient nous permettre d'examiner de plus près, avec les intervenants qui se présenteront devant nous, le type de protection qu'il serait souhaitable d'envisager pour ces ménages qui, nombreux, comptent également des enfants. Nous pensons, notamment, qu'il pourrait être prévu une formule d'adhésion volontaire, simple, une déclaration qui pourrait être facile et qui permettrait aux conjoints de fait de jouir de la protection du patrimoine familial partageable.

Nous nous inquiétons également que le document omette totalement la question des régimes privés de retraite sauf pour ce qui concerne la prestation compensatoire. Il faut constater, M. le Président, qu'il est question de régimes privés sujets à partage seulement en matière de prestations compensatoires. C'est certainement là la voie la plus restrictive qui puisse avoir été retenue. Nous pensons que le gouvernement a la responsabilité d'indiquer clairement quelles sont ses intentions, notamment, à l'égard de la rente des femmes au foyer. Nous pensons qu'il est inimaginable qu'il puisse poursuivre des travaux en commission parlemen-

taire sur l'ensemble, je le rappelle, des correctifs à apporter aux conjoints économiquement faibles mariés en séparation de biens, puisque c'est là, nous dit-on, l'intention du gouvernement dans ces propositions, sans venir indiquer s'il entend donner suite à l'engagement qu'il avait pris en matière de rente des femmes au foyer et quand il entend y donner suite, puisqu'il s'agissait là d'un engagement prioritaire il y a trois ans maintenant. Et, en l'absence de toute mesure sérieuse pour y donner suite, comment peut-il justifier d'écarter totalement la possibilité d'un partage, lors d'une séparation, d'un décès ou d'un divorce, de ce qui peut parfois constituer le seul bien accumulé durant la cohabitation, en vous rappelant que présentement la moitié seulement des Québécois sont propriétaires d'une résidence, que le régime de retraite est souvent le seul investissement substantiel et que c'est certainement un patrimoine familial qui grevé considérablement si tout ce qu'on pouvait y retrouver, ce seraient les meubles meublants ou encore quelques économies.

M. le Président, ce sont donc là des questions essentielles auxquelles nous attendons réponse. Nous pensons que le gouvernement ne peut pas ignorer la responsabilité qu'il a de nous donner l'heure juste en matière de rente de retraite pour les conjoints économiquement faibles et nous attendons que cette commission parlementaire puisse nous éclairer. Je vous remercie.

Le Président

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme la porte-parole de l'Opposition officielle, la députée de Maisonneuve. Avec la permission de mes collègues autour de cette table, je me suis réservé une courte période, quelques minutes, pour vous faire part de mes commentaires préliminaires également.

D'abord, vous savez, comme législateurs, nous siégeons sur un tas de sujets, en passant, comme cela m'est déjà arrivé, par une loi sur le transport des abeilles jusqu'à des domaines extrêmement complexes. Dans ce cas-ci, j'attire l'attention des membres de cette commission sur le fait que le dossier qui retient notre attention est éminemment concret, éminemment pratique. Il y a peu de femmes et d'hommes qui, finalement, ne se marient pas. Lorsqu'on se marie, on se préoccupe, à une époque où... On se préoccupe du sort de notre mariage. On espère qu'il va durer toute la vie. Mais il arrive parfois que ce mariage soit dissous. Cela devient inquiétant. D'abord, on vit le traumatisme de la rupture de l'union la plus fondamentale de notre vie; ensuite, on se retrouve, sur le plan légal, dans des situations qui sont inquiétantes.

Donc, c'est un sujet éminemment concret, éminemment pratique, qui m'intéresse également parce que, comme praticien, j'ai eu l'occasion d'oeuvrer dans ce secteur du droit que constitue le droit matrimonial. Je vous le laisse deviner, on voit défiler devant nous... Les noms changent, les situations changent, mais les drames restent toujours relativement poignants, qu'on soit du côté de l'homme ou de la femme, du conjoint qui s'en va ou de celui qui reste, de celui qui a la garde des enfants ou de celui qui cherche à exercer un droit de visite ou de sortie. Les situations qui sont vécues sont extrêmement intenses.

Le document qui nous est soumis par la ministre déléguée à la Condition féminine et le ministre de la Justice - si je comprends bien, c'est un document conjoint - est intéressant. Il est intéressant comme départ d'une piste de réflexion. Personnellement, je dois vous dire que le concept de patrimoine familial me sourit. Regardons ce qui se passe en Ontario, aux États-Unis. Mon Dieu! on n'a pas là la société la plus libérale qui soit! On se bat encore autour de l'"Equal Rights Amendment" aux États-Unis. Par contre, au chapitre du droit des conjoints dans le cas de dissolution du mariage, II y a certains États américains qui pourraient venir témoigner ici et nous faire part de ce que leurs droits contiennent. Je dois vous dire que c'est relativement de l'avant-garde.

J'ai été frappé tantôt par la statisque selon laquelle 65 % des couples se marient sous le régime de la société d'acquêts, en 1986. Par contre, on a près de 50 % des couples actuellement mariés qui le sont en séparation de biens et c'est de là que vient le problème. Le problème n'est pas tellement la société d'acquêts, ni la communauté de biens pour ce qu'il en reste, c'est évidemment la séparation de biens où l'époux qui est désavantagé financièrement a droit, bien sûr, à une pension alimentaire, etc., mais sur le plans des biens, donc de son actif et de son passif, cet époux est démuni, souvent dépendant d'une pension alimentaire qui n'est pas toujours facile.

Mme la ministre pose la question dans son mémoire: Est-ce que c'est un désincitatif au mariage? Je ne le crois pas. Les mémoires fourmillent de suggestions, de recommandations intéressantes. La seule chose qui pourrait vraiment désinciter au mariage, à ce chapitre-là - il y a bien d'autres choses - c'est plutôt l'obscurité des droits. En deux mots, rien de pire que l'ombre dans un secteur comme celui-là. On a donc avantage à jeter toute la lumière et à établir des droits clairs pour les hommes et les femmes qui sont mariés et pour ceux et celles qui veulent le faire. (15 h 15)

Un mot sur la prestation compensatoire qu'évoquait, notamment, le député de Marquette. Je ne sais pas s'il a eu l'occasion de la plaider. Moi, j'ai eu l'occasion de plaider la prestation compensatoire. D'abord, cela s'applique dans peu de cas. Il faut bien voir que les restrictions à l'application de la prestation compensatoire et les amendements suggérés dans le document font au

moins en sorte que, dans les cas où elle s'applique, ce soit quelque chose de concret et non pas quelque chose qui donne lieu à des débats qui se ramassent inévitablement en Cour suprême. On fixe un plancher de 30 %, etc. Je pense que la prestation compensatoire est une idée intéressante. Elle ne règle pas tous les problèmes et elle n'est sûrement pas la panacée à tous les problèmes, comme on a peut-être pu le croire à l'époque, mais on nous annonce de ce côté-là des modifications ou, du moins, la proposition contient des suggestions intéressantes. Il en va de même pour les règles de protection en cas de décès, lorsque la personne qui décède est débitrice d'une obligation alimentaire. On avance quelques propositions sur lesquelles les intervenants voudront sûrement se prononcer.

Maintenant, tout à fait en accord avec la députée de Maisonneuve, à mon tour et sur un ton très serein, je profite de la présence de l'adjoint parlementaire du ministre de la Justice pour lui signaler notre impatience quant à l'entrée en vigueur du chapitre du Code civil portant sur la réforme des biens et des personnes. Un travail gigantesque a été fait non seulement dans ce secteur, mais c'est la même chose, par exemple, pour ce qui concerne la protection de la réputation et un tas d'autres secteurs. Un travail Incomparable a été fait, d'ailleurs, par les membres de cette commission et par des commissions qui nous ont précédés. Malheureusement, tout cela demeure un peu l'objet de convoitise par les étudiants en droit qui l'étudient dans les universités. Mais, en pratique, concrètement, dans notre société, malheureusement, c'est sans effet. Alors, cette espèce d'entêtement à ne pas vouloir appliquer la réforme du Code civil par chapitre, comme le souhaite la députée de Maisonneuve, je dois vous dire que cela commence à impatienter beaucoup d'intervenants dans la société québécoise. On peut viser à la perfection, mais la perfection est plus ou moins de ce monde. On a déjà des pans de mur qui sont prêts, allons-y, avançons, faisons un pas pour suivre l'autre.

La députée de Maisonneuve soulève deux questions fort intéressantes, et je suis convaincu que les intervenants qui sont ici présents en tiendront compte: la protection des conjoints de fait et le régime de retraite privé. Ce sont deux questions absolument essentielles qui sont bien posées par la députée de Maisonneuve.

Voilà donc, en quelques mots, sans vouloir m'étendre, de beaux sujets pour une excellente consultation, que je souhaite des plus fructueuses et que je devine déjà être des plus fructueuses. Maintenant, pour les intervenants qui sont présents et également pour les membres de la commission, je rappellerais que cette commission s'est donné certaines règles pour faire en sorte que nos travaux se déroulent de la façon la plus rapide possible, en évitant de faire attendre les gens trop longtemps, et pour permettre également une période de discussion la plus intense possible. À tous les intervenants, je rappellerais que les mémoires des groupes sont déjà connus par les membres de cette commission. Donc, la période de discussion est toujours, de ce côté-ci, la plus intéressante pour nous. Cela ne veut pas dire que vous ne devez pas résumer votre mémoire, comme on vous invite à le faire, mais les parlementaires ont hâte de discuter avec vous de certains points.

Donc, sans plus tarder, avec à peine 15 minutes de retard, j'inviterais les représentantes ou les représentants, s'il y a lieu, du Conseil du statut de la femme à bien vouloir prendre place à la table des invités. La durée totale de cette intervention a été fixée à 90 minutes, soit 30 minutes pour la présentation du mémoire et 60 minutes pour la période de discussion, soit à part égale entre les deux groupes parlementaires. Alors, j'inviterais Mme Claire McNicoll, présidente par intérim du Conseil du statut de la femme, à bien vouloir nous présenter d'abord les personnes qui l'accompagnent et, par la suite, à nous faire part du contenu de son mémoire.

Auditions Conseil du statut de la femme

Mme McNicoll (Claire): Merci, M. le Président. Je vous présente, à ma droite, Mme Jocelyne Olivier, secrétaire générale du Conseil du statut de la femme, à ma gauche, Mme Thérèse Mailloux, adjointe à la présidente et Mme Francine Lepage qui est chercheure à la direction de la recherche du conseil.

Avant de faire une présentation succincte du mémoire, parce que je ne veux pas le lire entièrement, je voudrais m'assurer auprès de vous, M. le Président, que le mémoire qui a été adressé à la commission est bien reproduit intégralement au Journal des débats.

Le Président (M. Filion): Les mémoires qui sont déposés en commission ne sont pas reproduits au Journal des débats. Les mémoires qui sont déposés par les groupes, organismes ou personnes entendues font partie intégrante des documents de cette commission...

Mme McNicoll: D'accord.

Le Président (M. Filion):... et, donc, sont éminemment publics, mais ne font pas partie du Journal des débats. Quand même, dans le cas du mémoire du Conseil du statut de la femme, il a bel et bien été reçu par cette commission. Est-ce qu'on a déjà notre cote sur ce document-là, Mme la secrétaire? Il est déjà coté 21 M, pour le bénéfice des membres.

Mme McNicoll: Entendu. Ce dont je voulais m'assurer, c'est que toute personne qui veut s'y référer, en termes de recherche, puisse y avoir accès.

Je veux d'abord remercier la ministre déléguée à la Condition féminine, Mme Gagnon-Tremblay, le ministre de la Justice, M. Gil Rémillard, ainsi que les membres de la commission des institutions pour cette consultation qui a été entreprise sur les droits économiques des conjoints.

Égalité et indépendance réclamait tout haut la politique d'ensemble publiée par le conseil en 1978. Dix, ans plus tard, ces objectifs restent encore valables sur le plan des droits économiques des conjoints. D'importants efforts ont déjà été consentis par le législateur pour assurer l'égalité juridique des femmes mais, dans les faits, subsistent encore des iniquités à la rupture du mariage ou au décès. Il est maintenant clair que les réformes effectuées n'ont pas produit tous les effets recherchés, dont celui de compenser les services au foyer d'une génération d'épouses séparées de biens pour qui, pourtant, on reconnaissait consensuellement la nécessité d'un rectificatif.

Mais, au-delà de cette clientèle immédiatement visée par la réforme actuelle, le CSF prétend que l'institution du mariage en elle-même devrait entraîner une certaine forme de partage entre époux. Le couple marié forme une unité qui assume un certain nombre d'obligations sociales et familiales et chaque conjoint participe par ce fait même à la constitution d'un patrimoine familial. Il est, par conséquent, juste et équitable que celui-ci soit partagé à parts égales à la rupture du mariage, comme nous le proposions déjà en 1986. C'est donc avec satisfaction que le Conseil du statut de la femme constate aujourd'hui une large convergence entre son propre point de vue sur les droits économiques des conjoints et les propositions soumises par le gouvernement. Cependant, soulignons dès maintenant certains points de désaccord avec le document d'orientation, sur lesquels nous aurons l'occasion de revenir au cours de cette présentation.

Le conseil souhaite vivement que soient inclus dans le patrimoine familial tous les instruments privés de retraite. Nous nous inscrivons en faux contre la mesure transitoire de trois ans qui permettrait aux couples déjà mariés de se soustraire à l'application de la loi. Par contre, pour préserver l'autonomie des parties, un minimum de liberté contractuelle et pour maintenir l'objectif de déjudiciarisation, les époux devraient conserver, au moment de la rupture, le droit d'adopter des conventions différentes. Lors du décès, nous recommandons que ce patrimoine revienne en totalité au conjoint survivant car il devient alors le seul responsable de la famille. Enfin, nous réitérons la nécessité de rendre obligatoire la déclaration de résidence familiale car, dans les faits, elle est peu utilisée et donc moins efficace.

Tout d'abord, l'institution d'un patrimoine familial. Pourquoi privilégier la voie mitoyenne de l'institution d'un patrimoine familial plutôt que la société d'acquêts obligatoire ou l'amélioration ponctuelle des règles existantes? Le conseil a longuement fait état, dans ses avis antérieurs et dans son mémoire soumis à \a commission, des raisons qui l'ont amené à choisir cette solution. Sans toutes les reprendre, disons simplement que c'est celle qui respectait le mieux l'équilibre entre deux objectifs importants qui avaient d'ailleurs fondé la réforme du droit de la famille de 1981: l'égalité entre époux et la préservation d'une certaine liberté de choix des partenaires dans la façon d'organiser leurs relations familiales et dans l'aménagement de leurs rapports à leurs biens.

Plus précisément, cette solution permet enfin de régler le problème central relié au régime de séparation de biens, régime conventionnel qui lie encore, rappelons-le, plus de 50 % des couples mariés. C'est ce régime qui engendre la plupart des situations de déséquilibre économique entre les patrimoines des époux à la fin du mariage et le mécanisme de la prestation compensatoire, seul recours permettant d'y remédier, n'a pas joué pleinement son rôle pour diverses raisons qui tiennent autant à la rédaction législative de cette mesure qu'à l'interprétation jurisprudentielle qui en a été faite.

Il ne faut cependant pas se cacher que le partage impératif d'un patrimoine familial, tout en répartissant de façon plus équilibrée les biens du couple, limite la liberté contractuelle et que cela affectera plus particulièrement les couples dont toute la richesse se résume aux biens qu'on désignera comme appartenant au patrimoine. Aussi, pour ne pas désinciter les nouveaux époux ni au régime légal ni au mariage, ni justifier des recours indus au tribunal, le CSF soutenait dès 1986 que le patrimoine familial devait être restreint et se limiter à des biens qui sont au coeur de la vie quotidienne, à l'égard desquels la contribution de chacun des conjoints ne fait pas de doute.

En accord avec le gouvernement, nous croyons donc que la résidence familiale ou, à défaut, la résidence secondaire et les meubles doivent former le noyau essentiel du patrimoine, auquel s'ajoutent les automobiles, communément reconnues comme une nécessité de notre vie quotidienne et familiale.

Quant aux régimes de retraite, le CSF avait déjà réclamé dans des avis antérieurs le partage des crédits de rentes publiques et privées en cas de rupture d'une union, sans se prononcer s'il valait mieux pour cela les inclure au régime primaire ou dans les lois statutaires pertinentes. Comme le gouvernement inclut les gains accumulés au RRQ dans le patrimoine familial, nous réclamons que soient également compris tous les instruments privés d'épargne-retraite, par souci d'équité et pour ne pas favoriser un véhicule au détriment de l'autre.

On peut s'étonner, en effet, du traitement différent que la proposition gouvernementale réserve au régime public et aux régimes com-

plémentaires de retraite, incluant le premier et excluant les seconds. Ces régimes visent la même fin: assurer une continuité du revenu à la retraite. Et l'on doit admettre, dans le contexte actuel de l'insuffisance du régime public, que l'on n'arrive pas toujours à un remplacement adéquat des revenus antérieurs, même en cumulant la rente publique et des prestations privées.

Or, les instruments privés d'épargne-retraite jouent bel et bien un rôle complémentaire essentiel à la protection accordée par le régime public. En 1983, environ 42 % des personnes en emploi au Québec participaient à un régime complémentaire de retraite, ce pourcentage atteignant environ 46 % chez les travailleuses et travailleurs rémunérés.

Si, comme nous le souhaitons, ces régimes faisaient partie de la masse des biens partageables, le gouvernement devrait prévoir des règles ou des directives pour l'évaluation et la dévolution des droits de retraite lors du partage et amender les lois régissant les régimes de retraite pour lever les obstacles à un partage simple et efficace des crédits de rentes.

Quant à la résidence familiale acquise avant le mariage par don ou héritage, le CSF se rallie à la proposition gouvernementale qui ne ferait porter la part partageable que sur la valeur acquise depuis le mariage ou qu'à compter du don ou de l'héritage s'il survient au cours du mariage.

La possibilité de renoncer au partage. En revanche, nous nous opposons fermement à l'instauration d'une mesure transitoire qui permettrait aux couples déjà mariés de se soustraire de l'application de la loi pendant une période de trois ans après l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Outre qu'il s'agit d'une habitude peu courante, nous prétendons que cela risque d'avoir des effets néfastes auprès des clientèles mêmes qu'on souhaite particulièrement aider par l'institution d'un patrimoine familial. Des pressions indues risquent d'être exercées sur les femmes pour qu'elles renoncent à leurs droits, et sans doute sur les plus vulnérables et les moins en mesure d'y résister, compromettant ainsi pour elles les avantages d'une telle réforme, d'autant plus que cette renonciation est susceptible d'intervenir dans des circonstances totalement différentes de celles qui prévalent à la rupture. (15 h 30)

Par ailleurs, nous suggérons que les conjoints, au moment de la fin du mariage, puissent adopter une convention différente sans nécessairement s'astreindre à la règle du partage équivalent, comme le propose le document gouvernemental. Parce que le couple est alors placé devant une situation réelle de rupture plutôt qu'hypothétique, chacun des conjoints peut alors mieux évaluer ses besoins. Chacun possède également la possibilité de faire valoir son droit à la moitié du patrimoine familial, ce qui place les deux conjoints sur un pied d'égalité quant à leur pouvoir de négociation. Une telle garantie nous apparaît suffisante et elle respecte davantage la liberté des époux de trouver des solutions adaptées à leur situation spécifique.

La règle de partage équivalent nous semble en effet complexifier les procédures de divorce ou de séparation. Elle impliquerait, si elle était rigoureusement appliquée, qu'on confie au tribunal un pouvoir de vérification et de contrôle pour s'assurer de la valeur des biens substitués en équivalence. L'esprit de cette règle nous semble peu compatible avec la tendance et le souhait vers une déjudiciarisation des procédures en matière familiale.

Au décès. Contrairement à la proposition gouvernementale, nous recommandons que, lors du décès d'un conjoint, le patrimoine familial revienne totalement et en pleine propriété au conjoint survivant. L'on ne peut, à notre avis, assimiler le divorce au décès car le conjoint survivant devient, de façon générale, l'unique responsable de la famille immédiate du défunt. Il nous apparaît donc raisonnable que lui soit automatiquement attribuée la propriété exclusive du patrimoine familial plutôt que la moitié.

Dans la mesure où le gouvernement accepterait cette recommandation, nous appuierions la création d'une présomption de renonciation au patrimoine familial lorsqu'il y a acceptation de la succession ou de la qualité d'héritier. Le conjoint survivant pourrait, de cette façon, adopter la solution qui lui convient le mieux et qui lui semble la plus équitable. Enfin, nous manifestons notre accord avec les diverses modalités de partage et de paiement: de la valeur du patrimoine énoncées dans le projet gouvernemental. Nous appuyons également l'extension à tous les biens du patrimoine familial de la protection qui couvre actuellement la résidence familiale et les meubles affectés à l'usage du ménage.

Quelques mots, cependant, sur les deux recours au tribunal prévus dans la proposition. Nous convenons qu'il y a lieu de prévoir des dispositions pour contrer la mauvaise foi d'un conjoint ou la dilapidation d'un bien du patrimoine familial. Aussi est-il normal d'accorder au tribunal un pouvoir discrétionnaire pour procéder à un partage inégal dans les cas d'injustice flagrante, à la condition que ce pouvoir soit extrêmement encadré. Il faut éviter, comme ce fut souvent le cas dans les autres provinces, qu'on ne vienne fausser les objectifs poursuivis par la réforme et en modifier les règles. Ainsi il serait préférable de fixer un délai, au lieu de parler de brève durée de mariage, et de limiter le plus possible les circonstances donnant ouverture à ce recours.

Par contre, nous nous interrogeons sur la pertinence d'introduire un recours automatique en cas de non-remplacement d'un bien du patrimoine familial aliéné au cours du mariage. Cette disposition ne vise pas à l'aliénation de mauvaise foi ou à la dilapidation par l'un des époux des biens du patrimoine, puisqu'un recours spécifique

est prévu dans ces cas. Quant à l'aliénation d'un bien du patrimoine pour d'autres motifs, on devrait présumer qu'elle se fait de bonne foi et avec le consentement des parties. Le projet prévoit d'ailleurs le consentement obligatoire du conjoint non propriétaire pour toute vente ou aliénation d'un bien du patrimoine familial. Il nous semble important de réserver aux époux une certaine marge de liberté sur la disposition de leurs biens pendant le mariage et de leur laisser à eux, plutôt qu'au tribunal, la responsabilité de négocier, s'il y a lieu, des compensations lorsqu'un bien est aliéné.

La protection de la résidence familiale. Pour ce qui concerne la protection de la résidence familiale, plusieurs éléments nouveaux par rapport au droit actuel sont introduits dans la proposition gouvernementale. La lacune fondamentale de cet ensemble de mesures est qu'on ne prévoit pas rendre obligatoire la déclaration de résidence familiale. C'est perpétuer les difficultés qui ont été soulevées ces dernières années à l'égard de cette mesure et qui la rendent souvent inefficace. On sait que, selon un examen des données effectuées en 1984, peu de couples procèdent spontanément à cette procédure. Cela peut aisément se comprendre, lorsqu'on songe qu'elle oblige le conjoint non propriétaire, souvent la femme, à un geste qui n'est pas toujours bien accueilli par l'époux propriétaire. De plus, le conjoint non propriétaire qui fait la déclaration doit, selon l'article 455 du Code civil du Québec, en aviser le conjoint propriétaire dans les meilleurs délais. Il s'agirait ici d'un facteur important qui empêche de nombreuses femmes d'effectuer une déclaration par crainte de répercussions dans le couple.

Nous convenons de la nécessité de cette déclaration pour protéger les tiers de bonne foi, mais il nous semble qu'il serait tellement plus efficace, équitable et clair, pour tous les couples désireux d'acheter une résidence, de rendre à l'avenir cette démarche obligatoire au moment de l'acquisition de l'immeuble, par exemple, par une clause au contrat d'acquisition, tel que nous l'avons d'ailleurs dans notre avis sur le partage des biens au divorce.

Quant aux autres mesures suggérées dans ce domaine, nous y souscrivons entièrement, en signalant particulièrement l'intérêt de celle qui autorisera le tribunal à attribuer au conjoint à qui est confiée la garde des enfants un droit d'habitation de la résidence familiale. En cas de divorce et de séparation de corps, il est en effet souvent plus équitable que la conjointe (ou le conjoint) qui a la charge des enfants continue à habiter dans la résidence familiale. Cela assure une continuité et une stabilité pour les enfants à qui on évite ainsi le bouleversement de leur environnement: écoles, amis, voisins. Il est également très intéressant de distinguer ce droit de celui exercé lors du partage du patrimoine familial ou de l'attribution de la prestation compensatoire.

La prestation compensatoire. Dans le document de consultation soumis, le législateur propose des modifications en regard de la prestation compensatoire, mais devant améliorer principalement le statut du conjoint collaborateur. On y prétend que l'institution d'un patrimoine familial rendrait inutile l'élargissement de la notion de prestation compensatoire et le recours à la seule notion d'équité pour guider le tribunal dans sa décision.

Le CSF ne peut souscrire à cet argument, bien que nous croyions en effet que le partage d'un patrimoine familial commun permettra de rétablir l'équité entre les conjoints pour une très grande majorité de cas. Nous pensons que le recours à la prestation compensatoire doit non seulement être maintenu, mais aussi bonifié et ce, même à l'endroit des femmes qui ont exercé exclusivement leur activité au foyer.

Nous estimons en effet que ce recours demeure nécessaire, notamment pour les cas où, pour toutes sortes de raisons, il n'y a pas eu constitution de patrimoine commun et, donc, impossibilité de réaliser le partage, mais, par ailleurs, accumulation d'autres biens. Nous devons donc maintenir ce recours et en faciliter la preuve pour le conjoint qui devrait en bénéficier et ce, en dépit de l'évolution jurisprudentielle qui semble s'être dessinée récemment.

Nous nous doutons bien que, dans l'évaluation de la contribution, le tribunal devra tenir compte des bénéfices obtenus dans le cadre du partage du patrimoine familial et ce n'est que juste, mais il devra aussi tenir compte de ce que le conjoint réclamant n'a pas obtenu en l'absence de patrimoine familial et de l'inéquité de situation qui en découle. Ce recours revêtrait donc un caractère supplétif dans certains cas, alors qu'il permettrait d'apprécier chacun des cas litigieux à son mérite. Nous maintenons donc notre proposition d'amélioration du recours à la prestation compensatoire en introduisant une notion qui vise à rétablir l'équité entre les conjoints.

En ce qui a trait au conjoint collaborateur, celui-ci pourra exercer son recours à la prestation compensatoire dès la fin de sa collaboration, si celle-ci est causée par la cession, la dissolution, la liquidation volontaire ou forcée de l'entreprise. Le conjoint collaborateur n'aura donc plus à attendre la fin du mariage ou le décès de son conjoint pour faire valoir ses droits. Cette proposition est intéressante, même si on peut s'interroger sur l'effet que pourrait avoir l'exercice de ce recours sur le climat familial lorsqu'il intervient durant le mariage.

En ce qui a trait à l'introduction d'une présomption en faveur du conjoint collaborateur ayant pour effet d'établir à 30 % de l'actif net de l'entreprise familiale la part à laquelle il peut prétendre, nous nous sommes posé un certain nombre de questions. Pourquoi choisir la proportion de 30 % plutôt que 40 % ou 50 %? Que signifiera le terme "entreprise familiale"? La collaboration d'une conjointe qui seconde un

mari professionnel bénéficiera-t-elle des mêmes règles? la collaboration devra-t-elle s'exercer de façon exclusive, à temps plein ou partiel? Le conjoint collaborateur pourra-t-il être considéré comme ayant valablement contribué alors qu'il occupe aussi un autre emploi? Enfin, le législateur entend-il définir cette collaboration ou laissera-t-il au tribunal le soin de déterminer cette notion? Dans le deuxième cas, à notre avis, les juges ne manqueront pas d'établir des conditions d'existence de la présomption, notamment en faisant appel à des critères de qualité et de quantité.

Nous nous sommes demandé si une telle modification ne risquait pas d'entraîner des déceptions importantes face aux attentes exprimées par les femmes colaboratrices elles-mêmes et, compte tenu de l'évolution de la jurisprudence, si cette modification ne risquait pas d'être réductrice par rapport à la disposition actuelle, alors que le recours à la prestation s'exerce sur l'ensemble du patrimoine et non seulement à l'égard de l'actif de l'entreprise familiale.

Quant aux régimes matrimoniaux, tout d'abord, la société d'acquêts. Le régime légal de la société d'acquêts demeure au Canada l'un des régimes légaux les plus intéressants, sinon le meilleur. Il est également, contrairement à la situation qui a prévalu pendant des années dans notre province, le régime le plus populaire auprès des jeunes époux. Environ 65 % d'entre eux le choisissaient en 1986. Il serait déplorable que cette tendance s'inverse et c'est d'ailleurs là un des soucis que le CSF a constamment manifestés à l'égard de cette réforme, craignant que l'institution d'un patrimoine trop élaboré ne désincite au choix du régime légal. Quoi qu'il en soit, on devra continuer à informer la population à l'égard de ce régime, afin de favoriser son choix par les nouveaux époux.

Ceci dit, nous manifestons notre accord global avec les mesures proposées par le gouvernement qui visent essentiellement à clarifier, à préciser et à améliorer certains aspects de la société d'acquêts. Par ailleurs, à défaut par le législateur d'inclure les régimes de retraite privés dans le patrimoine familial, nous souhaitons qu'ils soient désignés en toute logique dans ce régime comme des biens acquêts et non comme des propres, puisqu'ils sont de la nature de revenus différés.

Quant à la communauté de biens, nous appuyons également le principe du transfert proposé pour faire passer les couples mariés sous le régime légal de la communauté de biens au régime de la société d'acquêts, tout en nous interrogeant sur la pertinence de maintenir la possibilité de choisir conventionnellement le régime de la communauté de biens, puisque depuis 1971 il a été choisi par moins de 5 couples sur 1000 chaque année.

La survie de l'obligation alimentaire. Le CSF a déjà eu l'occasion de souligner ses inquiétudes en regard de la notion de survie de l'obligation alimentaire que le projet gouvernemental sur les droits économiques des conjoints voudrait réinstaurer. Nous croyons d'abord qu'une telle institution comporte davantage d'inconvénients que de bénéfices. Elle est en effet source d'incertitude et d'insécurité en regard du règlement de la succession, car les personnes visées par la mesure disposent d'un délai d'un an après le décès pour exercer le recours. Elle est source d'instabilité et de conflits au sein de la famille entre le ou les créanciers alimentaires et les héritiers. Elle laisse croire à d'éventuels créanciers frustrés qu'ils pourront récupérer certaines sommes qui, dans la plupart des cas, seraient dérisoires en raison des seuils maximaux fixés. Quand on sait que, selon une enquête menée par le ministère de la Justice sur des dossiers de 1981 à 1983, la moyenne des pensions alimentaires accordées au Québec se situait autour de 368 $ par mois, on peut faire l'hypothèse qu'une grande partie de ces sommes récupérées serviront surtout à défrayer les honoraires d'avocats embauchés pour faire valoir ce droit.

Une telle mesure oblige le législateur à fixer des critères d'obtention de la pension, comme dans tous les cas d'obligation alimentaire. Par ailleurs, comme le CSF l'avait déjà mentionné, il nous apparaît superflu pour l'ex-conjoint qui a bénéficié déjà d'une pension alimentaire de faire la preuve du temps nécessaire pour acquérir une autonomie suffisante. Si l'on considère comme légitime pour le créancier alimentaire de pouvoir prétendre à la survie de la créance, il nous semblerait plus simple d'affecter automatiquement la succession de cette créance pour une période déterminée, comme d'imposer ou de prévoir des règles de dévolution automatique à chacun des héritiers.

De plus, la survie de l'obligation alimentaire oblige le législateur à élaborer des règles particulières et complexes pour éviter la fraude et la dilapidation qui ne manqueront pas d'être mises à l'épreuve devant les tribunaux et qui multiplieront les conflits et l'insécurité juridique.

Bien que le partage du patrimoine familial ne doive pas être assimilé à l'obligation alimentaire, nous croyons qu'avec l'instauration d'un patrimoine familial une telle mesure deviendra de plus en plus difficile aussi bien pour l'ex-conjoint, puisqu'il aura déjà reçu au moment de la dissolution du mariage sa part du patrimoine, que pour le conjoint survivant, puisque le décès entraînera ce partage. Il ne subsiste donc que le cas des ex-conjoints non touchés par la réforme et des autres créanciers d'aliments pour qui, selon nous, la preuve sera extrêmement difficile et les bénéfices escomptés à peu près inexistants.

Je veux également signaler que je n'ai pas traité dans cette présentation de la question des conjoints de fait, mais le mémoire signale bien que nous croyons que les propositions gouvernementales ne devraient pas toucher les con-

joints de fait. On pourra discuter de la chose plus tard.

En conclusion, nous croyons que le projet gouvernemental constitue, dans l'ensemble, un pas important dans la direction d'une plus grande égalité de fait entre les époux au moment de la dissolution du mariage. Le droit au partage d'un patrimoine familial commun est légitime pour la grande majorité des époux, à condition que le législateur respecte, dans la rédaction des dispositions d'un éventuel projet de lot, un juste dosage qui lui permettra d'éviter certains écueils.

Quant à nous, nous pensons que cette réforme devrait chercher à maintenir un équilibre entre le principe d'une liberté de choix et celui d'une nécessaire équité entre les époux. Les mesures choisies devraient être acceptables pour les femmes jouissant d'une autonomie économique, tout en rétablissant les injustices plus criantes vécues par d'autres. Enfin, on devrait viser à conférer aux femmes une égalité de droit, plutôt que d'envisager uniquement la réforme sous l'angle de la protection d'un conjoint économiquement faible. (15 h 45)

Rappelons en effet que l'autonomie économique des femmes ne saurait dépendre uniquement d'un meilleur partage des biens du patrimoine familial, même s'il s'agit là d'un élément non négligeable leur assurant une redistribution plus équitable des actifs du couple. Cependant, dans beaucoup de cas, ces actifs sont peu nombreux ou serviront tout au plus à atténuer la rigueur de la perte économique ou de la baisse du niveau de vie qu'entraîne inévitablement toute rupture du mariage ou, quelquefois, le décès d'un partenaire.

Le mariage ne constitue pas une assurance tous risques, avons-nous souvent répété. Quatre-vingt-six femmes sur 100, à un moment ou l'autre de leur vie, n'auront pas un homme à côté d'elles pour subvenir à leurs besoins financiers. Aussi, toute réforme des droits économiques des conjoints ne doit pas être considérée comme une panacée, ni comme une solution unique qui dispenserait de s'attaquer aux autres sources d'insécurité plus fondamentales. C'est pourquoi il demeure plus que jamais essentiel de favoriser pour les femmes une formation adéquate et l'accès à un emploi rémunérateur qui sont encore les meilleures stratégies pour leur permettre d'accéder à une véritable indépendance économique.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme McNicoll. J'inviterais maintenant Mme la ministre déléguée à la Condition féminine à amorcer la discussion avec les représentantes du Conseil du statut de la femme.

Mme Gagnon-Tremblay: Je remercie Mme McNicoll pour la présentation de ce mémoire. On doit vanter la clarté du mémoire du Conseil du statut de la femme. Je pense que vous apportez des solutions qui sont très intéressantes. Comme on le mentionnait lors de la présentation, nous ne prétendons pas que le document ou la solution proposée règle tous les problèmes. Je pense que c'est un pas dans la bonne direction et l'éclairage que vous apportez dans votre mémoire nous permettra sûrement d'apporter les solutions nécessaires et aussi de s'ajuster lors de la présentation d'un projet de loi. il y a une première question que je voudrais vous poser. Si on devait inclure ce que vous appelez des instruments privés d'épargne-retraite, est-ce que, d'après vous, on devrait le faire - c'est-à-dire qu'on devrait faire le partage de ces différents régimes privés - à la dissolution du régime ou tout simplement à la retraite du bénéficiaire? Est-ce que vous avez songé quel serait le meilleur moment ou le moment propice pour le faire?

Mme McNicoll: À première vue, je dirai qu'il faudrait que ce soit à la dissolution du mariage, puisque le partage de ces crédits-là devrait être proportionnel au nombre d'années contribuées pendant un mariage, de la même façon qu'on le calcule pour la valeur d'une maison, par exemple, dans le partage du patrimoine.

Mme Gagnon-Tremblay: Quant à la prestation compensatoire, vous ajoutez que les femmes au foyer devraient pouvoir se servir elles aussi de la prestation compensatoire. Il est certain que, dans le document, celles que nous visions, c'étaient davantage les femmes collaboratrices ou les femmes au foyer qui avaient d'autres activités. J'entends par cela des femmes qui doivent parfois donner des réceptions parce que le conjoint est en affaires ou... C'est un exemple que je donne. Cela s'adressait davantage à ce type de personnes, plus les femmes collaboratrices. Étant donné que les femmes au foyer pouvaient déjà partager les biens familiaux, nous ne croyions pas à ce moment-là qu'il était avantageux... C'est sûr que c'aurait pu être avantageux, mais nous ne faisions pas le cumul de la prestation compensatoire, compte tenu aussi des difficultés qu'on a eues à faire reconnaître, finalement, le travail au foyer. Est-ce que c'est ce type de personnes que vous visez aussi, ou si vous visez quand même la travailleuse au foyer, le travail au foyer, et que cela devrait être un cumul?

Mme McNicoll: Ce que nous disons dans notre mémoire, c'est que nous souhaitons la possibilité d'un recours à la prestation compensatoire lorsqu'il n'y a pas de patrimoine partageable. Il y a des couples qui peuvent n'avoir jamais décidé d'acheter une maison, par exemple, c'est une chose possible; à ce moment, une femme est absolument sans patrimoine. C'est alors que nous disons qu'elle pourrait avoir recours à une prestation compensatoire. C'est

supplétif.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui.

Mme McNicoll: À ce moment-là, évidemment, on peut imaginer que cela s'appliquerait plus à des femmes étant restées au foyer qu'à des femmes travaillant. Mais, ceci dit, nous le voyons moins en termes de clientèle visée qu'en termes de possibilité.

Mme Gagnon-Tremblay: L'autre question, c'est que vous êtes d'accord avec la proposition gouvernementale qu'on n'assujettisse pas les conjoints de fait à la future réforme. Est-ce que vous pouvez me donner les raisons qui ont motivé votre prise de position?

Mme McNicoll: Oui. La première raison est que nous croyons que, quand on se marie, dans la mesure où il est possible de faire un choix en faveur d'un régime, nous croyons également que ceux qui choisissent de ne pas se marier font le choix du non-encadrement législatif automatique que donnerait le mariage. Nous pensons que nous devons respecter la liberté de ceux qui n'ont pas voulu être régis par les règles découlant d'un mariage, d'une part. D'autre part, nous croyons que, dans le cas où il y a des enfants, le législateur a assumé ses responsabilités dans la mesure où il les déclare tous égaux, quelles que soient les conditions de leur naissance. Il leur donne à tous des droits égaux, ce qui aurait dû aller de soi depuis longtemps, mais cela n'était pas le cas avant qu'on fasse la modification à la loi sur la famille. Ce que nous voulons surtout signaler, c'est que les gens qui le choisissent l'ont fait délibérément. Si on se met à encadrer les gens qui sont en union de fait avec une obligation de partage, une obligation de contrat qui est soit le régime de la société d'acquêts, soit un autre régime, ce que nous arrivons à faire, c'est laisser à ceux qui ne veulent pas se marier la possibilité seulement de rester célibataire ou d'entrer en religion. Il ne resterait plus beaucoup de possibilités.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme McNicoll. Est-ce qu'il y a d'autres... Est-ce qu'on peut alterner?

Le Président (M. Filion): Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Parfait.

Le Président (M. Filion): On va respecter le principe de l'alternance. Je vais vous rappeler que tout cela se fait presque en famille, en famille dans le sens de n'étant pas l'objet d'une rupture. Généralement, c'est la règle de l'alternance, mais comme nous sommes peu nombreux... On a une heure devant nous. Il reste un peu plus de 40 minutes, donc, j'inviterai Mme la porte-parole de l'Opposition officielle.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Je crois comprendre qu'on retrouve nos habitudes d'être à peine couverts par les médias d'information lorsque des sujets comme les nôtres retiennent les travaux d'une commission parlementaire. Il y a malgré tout, relativement à d'autres commissions parlementaires, peu de présence journalistique. Je le constate simplement. Peut-être certains d'entre eux ou d'entre elles nous écoutent-ils ou elles attentivement de leur perroquet à la tribune de la presse. Il faut peut-être le souhaiter, parce que ce sont là des débats importants pour notre société.

Cela me fait plaisir de vous saluer, Mme McNicoll, de saluer les personnes qui vous accompagnent, de saluer aussi le sérieux et l'àpropos des recommandations que vous faites devant cette commission. Je crois que c'est conforme à l'ensemble des prestations qui se sont faites devant les commissions parlementaires et c'est toujours très pertinent de lire les avis du conseil. Il y en a un qui m'attend - je n'ai pas encore pu en prendre connaissance - sur le projet de loi 37. J'ai hâte d'en prendre connaissance. Je pense qu'il est tout récent. C'était aussi intéressant tout autant de prendre connaissance du mémoire que vous nous présentez à l'occasion de cette consultation générale.

J'ai un certain nombre de questions à vous poser. Je reprends ce que vous soulignez. Je pense que vous aviez raison de nous rappeler le double objectif qui est à l'origine de la réforme du droit de la famille de 1981. Vous nous rappelez ce double objectif, à la fois l'égalité entre époux, d'une part, et, d'autre part, à la page 3 de votre sommaire, je crois, la préservation d'une certaine liberté de choix des partenaires dans la façon d'organiser leurs relations familiales et dans l'aménagement de leurs rapports à leurs biens. Donc, ce sont là deux objectifs poursuivis à la fois concurremment et qui, pour autant, ne sont pas discordants. Est-ce qu'il vous semble que le fait que dans les lois statutaires - pensez, par exemple...

Je voudrais peut-être revenir un peu sur la question des conjoints de fait et examiner cela de plus près. Je partage votre postulat de base, à savoir que l'État ne doit pas marier les couples qui ne le désirent pas. Je crois que c'est dit de façon peut-être simpliste, mais c'est certainement partagé par une très grande majorité de nos concitoyens. Ceci dit, quand vous répondiez tantôt à une question posée par Mme la ministre, vous disiez: II faut respecter la liberté de ceux qui n'ont pas voulu être mariés. Par ailleurs, j'assiste depuis quelques années à une sorte d'incohérence complète en cette matière, au sens où de plus en plus de lois statutaires... Je pense à la Régie des rentes qui permet maintenant non pas un partage, mais une rente de conjoint survivant après trois années de cohabitation, je pense à d'autres lois statutaires comme la Loi sur l'assurance automobile ou encore la Loi sur

la santé et la sécurité du travail, qui exigent qu'on fasse la preuve d'une vie commune de plus de trois ans pour avoir droit à une compensation. À côté de cela, d'autres lois, par exemple, la Loi sur l'aide sociale, font de la cohabitation immédiate une condition pour que le nouvel ami de la mère ou son nouveau conjoint assume l'entretien d'elle-même et de ses enfants, dont il peut ne pas être le père. Je rappelle que, dans ie Code civil, l'obligation alimentaire entre conjoints n'existe évidemment que dans le cadre d'un régime primaire, dans le cadre du mariage. Malgré qu'il n'y ait obligation alimentaire que dans ie cadre du mariage, des lois statutaires prévoient qu'il doit y avoir soutien économique même s'il n'y a pas obligation juridique.

Mais je reviens à la question qui est... Vous faisiez une gradation, je pense, qu'il est nécessaire de faire. On reviendra sur la question de la société d'acquêts. J'aimerais bien vous interroger plus longuement là-dessus. Donc, cette société d'acquêts, qui offre vraiment un partage beaucoup plus complet, vous insistez pour que le patrimoine familial ne vienne pas se substituer, finalement, à ce régime légal qui est de loin le plus souhaitable. Vous dites que ce patrimoine familial, pour qu'il n'y ait pas de confusion, doit être relativement restreint à des biens, disons, de la vie courante.

Par ailleurs, en quoi le fait de permettre une adhésion volontaire viendrait-il, de quelque façon que ce soit, brimer la liberté de choix des partenaires, puisque c'est un choix? Est-ce que c'est un choix délibéré ou un non-choix? Tantôt, vous aviez l'air tellement... J'aimerais avoir cette capacité d'être aussi affirmative que vous. Je ne voudrais pas me prononcer pour les 450 000 couples qui ont choisi de vivre en union de fait au Québec. Je ne voudrais pas me prononcer et prétendre que c'est délibérément qu'ils le font. Je pense que je peux simplement, comme législateur, souhaiter qu'on n'agisse pas dans le sens de leur imposer un autre choix, mais au moins de leur offrir cette possibilité, par une formule très simple d'adhésion volontaire à un patrimoine partageable. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. (16 heures)

Mme McNicoll: Je pense que, dans la mesure où le Code civil régit les rapports entre les personnes, il est normal que le régime primaire ou que le Code civil en question régisse les adhésions à un mariage. La possibilité pour les gens qui sont en union de fait de convenir entre eux d'un contrat - c'est toujours possible - devrait équivaloir, enfin pourrait équivaloir pour des gens qui sont en union de fait et qui ont délibérément choisi cela. Quant à la présomption du choix ou du non-choix de l'union de fait, c'est une autre question un peu longue et je ne suis pas équipée pour vous dire que la plupart des gens la choisissent ou ne la choisissent pas. Je pense que ceux qui ne se sont pas mariés, en tout cas, n'ont certainement pas fait le pas qu'ont fait les gens qui ont décidé de se marier. Alors, on peut dire que, par défaut, ils sont en union de fait. On peut dire que c'est seulement par défaut de choix d'un régime matrimonial, mais on peut également penser que ce choix de vivre en union de fait est un choix délibéré. Mais, dans la mesure où ils peuvent établir entre eux un contrat sur leur avoir, c'est une possibilité. Et, dans la mesure où leurs enfants ne sont pas lésés par le législateur en termes d'égalité des droits liés aux conditions de leur naissance, je pense qu'il ne serait pas judicieux d'imposer un partage obligatoire à une union de fait. La rendre possible par déclaration, c'est une possibilité. Mais c'est aussi une possibilité que le contrat privé leur donne actuellement.

Mme Harel: Je crois donc comprendre que c'est au partage obligatoire... Je trouve cela intéressant. J'ai relu un professeur de droit que j'ai eu à la faculté et que j'aimais bien - il y en avait si peu à l'époque qui étaient des profes-seures - Monique Ouellet, et elle parle incidemment de la société de fait, c'est-à-dire de la possible notion de la société de fait qui pourrait être plaidée et qui l'a été, d'ailleurs, et elle cite une certaine jurisprudence en matière d'union de fait.

Ceci dit, Mme McNicoll, puisque c'est le sort des femmes souvent les plus démunies qui nous préoccupe, puisqu'on convient que les conjoints de fait peuvent passer entre eux un contrat, pourquoi ne pas leur en faciliter la réalisation en leur permettant une adhésion simple et peu coûteuse? Évidemment, quand vous faites référence à un contrat, un contrat signifie, dans l'esprit de nos concitoyens, un notaire. Il est assez rare qu'un couple s'installe sur le bord de la table de la cuisine pour essayer de rédiger une entente. Cela se fait, mais pas dans tous les milieux, en tout cas pas dans celui que je représente à l'Assemblée nationale. Cela suppose donc un notaire. Alors pourquoi ne pas envisager la possibilité de faciliter à ces personnes l'adhésion volontaire, donc simple, gratuite, peu coûteuse, d'une déclaration de patrimoine partagé?

Mme McNicoll: Je vous dirai que ce n'est pas incompatible avec la position que tient le conseil dans ce domaine. Ce n'est pas incompatible. Maintenant, ce n'est pas une chose que nous avons envisagée, disons, en discutant de ce mémoire.

Mme Harel: Vous avez, avec raison, abordé la question des régimes privés de retraite. Bon, je comprends. Votre recommandation va dans le sens qu'il n'y a pas raison d'y avoir partage de la rente publique sans qu'il y ait pour autant partage de la rente privée, étant donné que c'est dans la combinaison des deux qu'il y a un certain revenu de retraite raisonnable. Je simplifie mais c'est là l'objet...

Mme McNicoll: Oui, oui, c'est cela. Vous avez essentiellement raison.

Mme Harel:... de votre point de vue. Et vous dites: Si le gouvernement ne retient pas la recommandation du conseil qui dit que la rente privée doit être partageable, au moins que les dispositions de la société d'acquêts soient modifiées en ce sens pour que la rente privée devienne un acquêt. Est-ce bien le cas?

Mme McNicoll: C'est cela.

Mme Harel: Donc, à défaut d'être situé...

Mme McNicoll: Dans le patrimoine.

Mme Harel:... dans le patrimoine, que ce soit un acquêt.

Mme McNicoll: Oui.

Mme Harel: C'est donc là la proposition que vous nous faites.

Mme McNicoll: Oui.

Mme Harel: Ce serait d'ailleurs intéressant... On aura l'alternance. Peut-être que Mme la ministre pourra nous indiquer si l'étude en a été faite et pourquoi la disposition tout au moins de considérer comme un acquêt la prestation de rente n'a pas été retenue. Également, en matière de prestation compensatoire, vous considérez que, lorsqu'il y a insuffisance d'un patrimoine partageable...

Mme McNicoll: Lorsqu'il n'y en a pas. Mme Harel: Non pas insuffisance.

Mme McNicoll: Qu'est-ce que vous appelleriez insuffisance? Une maison pas suffisamment chère...

Mme Harel: Non, des meubles et une...

Mme McNicoll:... ou une auto grevée de dettes, des meubles.

Mme Harel: Des meubles et un vieux "char".

Mme McNicoll: C'est cela, appelons cela insuffisance alors.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Harel: Est-ce que c'est à défaut d'un patrimoine ou si c'est lorsqu'il y a insuffisance?

Mme McNicoll: Pour qu'il y ait prestation compensatoire, il faut qu'il y ait d'autres biens aussi. Il faut qu'il y ait de l'argent quelque part pour qu'on ait une prestation compensatoire. Mme Olivier.

Le Président (M. Filion): Mme Olivier? Mme Olivier (Jocelyne): Oui.

Le Président (M. Filion): Vous avez la parole.

Mme Olivier: On n'a pas pensé que l'institution d'un patrimoine familial devait éliminer d'emblée la prestation compensatoire pour toute autre femme qui n'était pas collaboratrice ou qui avait apporté une contribution financière. Il peut arriver des cas où, par exemple, il n'y a pas de maison, mais où il y a des biens importants, d'autres types de biens accumulés par un conjoint sans que ce soit ceux désignés comme appartenant au patrimoine familial. À ce moment-là, il devrait y avoir une possibilité, pour un conjoint qui serait susceptible d'être lésé en l'absence d'un patrimoine, de faire appel au tribunal pour qu'il y ait une compensation. On pense que l'institution d'un patrimoine familial par le législateur devrait faire reconnaître au juge qu'il y a là une volonté qu'il y ait une répartition et un partage plus équitable de la richesse familiale; donc, en l'absence d'un patrimoine, mais en présence d'autres biens. C'est sûr que si les conjoints n'ont pas de patrimoine ou un patrimoine qui n'a pas de biens, on ne peut rien partager. S'il n'y a pas de patrimoine et il y a des biens subsidiairement, il nous apparaît que la prestation compensatoire devrait être modifiée pour clarifier l'interprétation, pour éliminer les problèmes qu'on a, pour permettre à un conjoint de se prévaloir de ce recours et obtenir une compensation qu'il ne peut pas avoir par le patrimoine familial. C'est dans ce sens-là qu'on dit que le recours pourrait être supplétif, mais cela sous-entend qu'il y a eu parallèlement, en l'absence d'un patrimoine, accumulation de biens autres que ceux inclus au patrimoine familial.

Mme Harel: Alors, vous parlez d'une impossibilité de réaliser le partage malgré que, compte tenu des propos que vous venez de tenir, cela puisse être aussi lorsqu'il y a insuffisance ou lorsqu'il y a... Ce que je retiens de toute façon, c'est que vous souhaitez l'élargissement non seulement au conjoint collaborateur, mais au conjoint au foyer de la possibilité de faire valoir un droit à la prestation. C'est de cela que vous causez, finalement.

Mme McNicoll: Oui.

Mme Olivier: Oui, c'est cela.

Mme Harel: Et cela vaudrait uniquement pour le conjoint au foyer?

Mme Olivier: Ce qu'on constate, c'est que dans la prestation compensatoire il y a des critères. Le tribunal va interpréter aussi compte tenu des biens qu'un des conjoints va obtenir, c'est-à-dire qu'on tient compte du régime matrimonial, de d'autres types de participation, de d'autres types de biens qu'un conjoint va obtenir. Nécessairement, le tribunal tiendrait compte d'un patrimoine, d'une partie du patrimoine qui aurait été versé. S'il n'y en a pas eu parce qu'il n'y avait pas de biens, mais qu'il a, par ailleurs, d'autres biens, il pourrait donc apporter une compensation. On pense qu'il fallait modifier. Comme on a des difficultés quant à l'interprétation de la prestation compensatoire actuellement sur le type d'apport qui doit être fourni par une femme pour y avoir droit, on pense donc que cela doit être clarifié, mais le recours maintenu aussi qui pourrait intervenir à titre supplétif. C'est un peu pour cela qu'on l'a fait, dans les cas où, par exemple, il n'y a pas de patrimoine partageable, mais qu'il y a d'autres biens, pour éviter que quelqu'un puisse s'y soustraire, n'ayant pas accumulé volontairement, si vous voulez, de patrimoine pour ne pas avoir à le partager, mais ayant accumulé d'autres biens.

Mme Harel: Vous vous êtes sans doute rendu compte, étant donné que dans la proposition gouvernementale il n'y a que dans le cadre d'un droit à une prestation compensatoire qu'on peut faire valoir, qu'on peut faire partager un régime privé de retraite, qu'il peut y avoir une incitation à utiliser la prestation compensatoire dans la mesure où, évidemment, ce ne serait que par ce biais, par ce moyen, que le régime privé serait sujet à partage. Je me suis demandé si vous aviez envisagé cette proposition d'élargissement non pas seulement au conjoint collaborateur, mais au conjoint du droit à la prestation compensatoire. Est-ce dans la perspective où il pourrait y avoir accès à un partage du régime privé? Vous ne l'avez pas envisagé dans ce sens-là?

Avez-vous au conseil... Évidemment, la question se pose. Dans votre mémoire, vous nous dites qu'il y a quand même un grand nombre de travailleurs et de travailleuses qui cotisent à des fonds privés, presque un sur deux, 42 % ou quelque chose comme ça. Avez-vous pu évaluer ce que cela écarte du patrimoine familial, si ce n'est pas inclus?

Mme McNicoll: Je peux demander à Mme Lepage, notre spécialiste des régimes privés et publics de rentes, de répondre à cette question.

Mme Lepage (Francine): Dans le cas, par exemple, de la contribution, selon les statistiques fiscales de 1985, il y avait environ 900 000 souscripteurs ou souscriptrices à un régime supplémentaire de rentes et ces personnes avaient souscrit en moyenne 1200 $, à ce moment-là. Nous voulons aussi inclure les régimes enregistrés d'épargne-retraite. Il y avait environ 600 000 contribuables - je n'ai pas les chiffres exacts, mais on les retrouve dans le mémoire - qui avaient souscrit en 1985, qui avaient eu la déduction fiscale et qui avaient donc inscrit une contribution à un régime d'épargne-retraite au moment de leur rapport d'impôt. Les contributions au régime d'épargne-retraite étaient, en moyenne, de 2000 $. Cela revient à dire qu'il y avait finalement plus d'argent de souscrit dans les REER que dans les régimes d'épargne supplémentaire et que c'étaient quand même des montants assez importants.

J'ai aussi mémoire d'un règlement qui s'est fait en Colombie britannique; c'était l'arrêt Rutherford et, à ce moment-là, on avait évalué le régime de retraite à 235 000 $. Il s'agissait probablement d'un travailleur qui arrivait vers la fin de sa vie active. Donc, cela peut constituer des sommes importantes.

Mme Harel: Cela confirme ce que je pense, M. le Président. Le conseil du statut est une source insondable de renseignements et d'informations. Je ne m'attendais vraiment pas que vous puissiez dès maintenant me donner la réponse. C'est extrêmement intéressant. Vous avez donc mené une investigation sur cette question.

Mme Lepage: Oui, c'est ça. Vous retrouverez cela à la page 12 de notre mémoire, à la fin.

Mme Harel: D'accord.

Mme Lepage: Je n'ai pas les totaux des souscriptions, mais on les retrouve dans la publication citée en référence.

Mme McNicoll: Je vous l'ai dit, Mme Lepage est une spécialiste; elle est "conversante", comme on le dit en bon français, en matière de régimes privés et publics de retraite.

Mme Harel: Merci.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme la députée de Maisonneuve.

Mme la ministre déléguée à la Condition féminine.

Mme Gagnon-Tremblay: M. le Président, je voudrais revenir encore, en posant la question soit à Mme McNicoll ou à Mme Olivier, sur la prestation compensatoire de sorte que ce soit très clair. Dans le document, la prestation compensatoire doit servir aux femmes collaboratrices ou d'autres types, finalement, là où il y a enrichissement. Par contre, lorsqu'on permet, par le biais des rentes privées, le paiement de la prestation compensatoire, cela s'adresse aux femmes collaboratrices.

Maintenant, si je comprends bien votre position, lorsque cela devrait s'adresser aux travailleuses ou femmes au foyer, c'est unique-

ment dans le cas où il n'y aurait pas de partage de biens familiaux; donc, on ne pourrait pas faire de partage et cela deviendrait supplétif et non cumulatif. Est-ce exact?

Une voix: C'est exact.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Je reviens au conjoint... Oui, madame.

Mme Olivier: Si vous me le permettez, quand vous avez introduit la possibilité pour les conjoints collaborateurs d'être compensés sur le régime de rentes, on pense que cette possibilité pourrait se faire dans tous les cas et non pas seulement dans les cas de conjoints collaborateurs. Je pense que cela ne pose pas de problème.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.

Mme Olivier: Pour nous, le recours à la prestation compensatoire se voulait un outil supplémentaire dans les cas où il y a absence de patrimoine.

Mme Gagnon-Tremblay: Dans les cas d'absence de patrimoine.

Mme Olivier: C'est ça.

Mme Gagnon-Tremblay: Exactement.

Mme Olivier: Donc, un recours supplétif à cet égard.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Olivier. Je pense que c'est très clair. Je reviens au conjoint de fait et je trouve que votre... Je me dis: À quoi servirait, par exemple... Je sais que la députée de Maisonneuve fait état de la possibilité de leur permettre, en somme, d'y adhérer d'une façon non obligatoire. À ce moment, je me dis: On prévoit déjà, on peut le prévoir par des aménagements administratifs; à quoi cela servirait-il vraiment de l'inclure dans la loi, de les y assujettir? Je pense que, d'une part, si on donne suffisamment d'information et si on rend publiques davantage les responsabilités, c'est-à-dire les désavantages que cela peut constituer par exemple - je parle, entre autres, pour les femmes puisqu'on connaît davantage les problèmes que ces femmes doivent vivre lorsqu'elles ont charge d'enfants à la dissolution d'une union de fait - je me dis que si on fait connaître et si on informe bien ces gens et on leur met en main aussi des formules de convention qui leur permettent, finalement, de régler d'une certaine façon non pas leur union, mais le fait de vivre ensemble, à ce moment, je ne pense pas qu'on doive les assujettir à la loi. Je pense qu'on peut le faire d'une toute autre façon. Je pense que c'est aussi votre façon de penser.

Mme Olivier: Oui, Mme la ministre, pour nous, il est très clair qu'il n'est pas question d'assujettir les conjoints de fait automatiquement à quelque disposition législative liée au cadre du mariage, quelque disposition que ce soit.

Mme Gagnon-Tremblay: Aussi, si nous n'avons pas inclus les régimes privés dans le document, je pense que la première question était qu'il fallait vraiment bien en connaître les implications. Il fallait aussi - c'était important - avoir les commentaires des intervenants en commission parlementaire pour voir si, dans l'avenir, on devrait les inclure ou non. Je ne sais pas si, à ce moment-ci, vous êtes en mesure de nous dire si vous avez fait une certaine vérification, à savoir: Si jamais on incluait les régimes privés, est-ce que cela pourrait avoir un effet désincitatif, par exemple, pour les conjoints d'adhérer à des REER ou à n'importe quel autre régime privé de retraite? Croyez-vous, par exemple, que cela permettrait d'investir ailleurs que dans ces régimes et faire en sorte ainsi que, finalement, on n'ait pas suffisamment bien préparé sa retraite.

Mme Olivier: Écoutez, c'est le genre de chose qui est toujours possible parce qu'au fond, à partir du moment où on inscrit un certain nombre d'obligations à l'intérieur des lois, il est clair qu'il y a toujours des personnes qui vont chercher à éviter l'application de ces automatismes et, finalement, qui vont chercher toutes sortes de possibilités pour déroger à ce qui est annoncé dans la loi, à ce qui est rendu obligatoire pour tout le monde. C'est une question que nous nous sommes posée, en effet. Si nous les incluons, est-ce que cela signifie, par exemple, que les femmes ayant peut-être plus... Celles qui travaillent et qui veulent souscrire à un REER vont peut-être le faire plus, alors que le mari va peut-être mettre plus d'argent, à la Bourse ou en immobilier, qui ne soit pas à l'intérieur du patrimoine. C'est une possibilité, c'est certain.

Cela étant dit, il nous apparaît que, dans la mesure où le régime privé est vraiment le palliatif aux insuffisances possibles du régime public, dans la mesure où des conjoints, dans une union de bonne foi, constituent un patrimoine, s'il y a un régime privé, les deux époux devraient pouvoir avoir accès aux crédits accumulés pendant le mariage du régime de celui ou de celle qui y est inscrit.

Mme Lepage, est-ce que vous ajoutez quelque chose?

Mme Lepage: J'avais un complément, peut-être une remarque à faire sur la question précédente. Si on voulait encourager les conjoints de fait à réaliser des ententes privées, il pourrait être nécessaire d'apporter certains amendements, par exemple, à la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes. Nous, on

recommande que ce soit introduit dans le patrimoine familial. À l'heure actuelle, la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes fait que ces biens, les régimes de retraite, deviennent - incessibles. Si le gouvernement tenait à les inclure dans le patrimoine, il faudrait qu'ils soient cessibles entre époux. Une autre façon de permettre aux conjoints de fait de choisir de partager le régime en cas de rupture, ce serait que ce soit accessible entre conjoints de fait.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme Lepage.

Mme Gagnon-Tremblay: M. le Président.

Le Président (M. Filion): Oui, Mme la ministre. La parole est à vous.

Mme Gagnon-Tremblay: J'ai une autre question à poser. Dans votre mémoire, vous souhaitez que la masse partageable se limite à la valeur acquise durant le mariage lorsqu'il s'agit d'un don ou d'un héritage survenu avant le mariage. On parle de la plus-value. Est-ce que vous incluez dans cette masse partageable aussi bien les biens meubles qu'immeubles ou les deux?

Mme McNicoll: Non, pas les biens meubles et immeubles. Nous incluons la résidence, les meubles... enfin, les meubles et les voitures ne sont pas des choses qui acquièrent habituellement, enfin, à moins d'exception, de grandes valeurs en vieillissant, sauf les choses qui étaient déjà très vieilles, probablement.

Mme Gagnon-Tremblay: Enfin, ce que cela veut dire, c'est la résidence, de même que les meubles meublants.

Mme McNicoll: Tout à fait.

Mme Gagnon-Tremblay: Qui seraient assujettis à la plus-value?

Mme McNicoll: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.

Le Président (M. Filion): En vertu de la règle de l'alternance, je vais vous reconnaître dans une minute. Peut-être Mme la députée de Marie-Victorin.

Mme Vermette: Oui, M. le Président. J'aime bien votre conclusion. Vous terminez en disant qu'en fait on devrait conférer aux femmes une égalité de droits, plutôt qu'envisager uniquement la réforme sous l'angle de la protection d'un conjoint économiquement faible. Ma question est la suivante: Est-ce que vous croyez qu'à l'heure actuelle les femmes en général sont suffisamment connaissantes de leurs droits, des différents avantages des régimes matrimoniaux qui existent? Est-ce que vous croyez, dans notre société, à l'égalité des droits confirmée aux femmes ou s'il y a un rapport d'égalité dans les faits, sur le plan économique, à l'heure où on se parle?

Mme McNicoll: Nous avons bien dit dans notre mémoire que les propositions nous paraissaient s'adresser plus précisément aux 50 % de couples qui sont encore mariés sous le régime de la séparation de biens pour qui et pour les épouses desquels couples il y a habituellement injustice au moment du divorce dans la mesure où, si une maison n'est pas inscrite à leur nom, leur participation à la constitution d'un patrimoine familial n'est pas une garantie. La conclusion à laquelle nous en venons, c'est-à-dire une des choses que nous soulignons dans notre conclusion, c'est que nous croyons qu'il faut que les femmes soient le plus autonomes financièrement possible, c'est-à-dire qu'elles aient la formation nécessaire pour pouvoir survivre dans le régime, enfin être suffisamment autonomes économiquement par leur propre fait et non pas du seul fait du mariage.

Sur la question de l'information suffisante, je crois qu'on ne peut pas se substituer aux personnes auxquelles des organismes gouvernementaux donnent habituellement de l'information. Il faut toujours chercher de meilleures stratégies d'information, mais je crois qu'il restera toujours des personnes qui, même en étant soumises à un criblage d'information, ne retiendront pas l'information qui leur serait pertinente. À cet égard, je pense, encore une fois, qu'il faut constamment améliorer nos stratégies d'information, mais je ne crois pas que tout le monde soit nécessairement au fait actuellement que, par exemple, la séparation de biens, en termes de partage au moment du divorce, soit un régime matrimonial intéressant. Jusqu'à il n'y a pas très longtemps, on disait bien que la séparation de biens était le régime parfait pour se marier, mais c'était parfait pour des gens qui avaient des biens au mariage. Ce n'était pas nécessairement parfait pour des gens qui en accumulaient en cours de mariage.

Peut-être que Mme Olivier pourrait ajouter quelque chose.

Mme Olivier: Ce que l'on veut dire aussi et qui nous apparaissait bien important, c'est qu'on considère que l'institution d'un patrimoine familial partageable, c'est une reconnaissance de droits égaux pour nous. Ce n'est donc pas une intervention pour venir en aide et protéger un conjoint plus faible, c'est un droit égal et reconnu à chacun des conjoints pour la contribution qu'il a faite dans le mariage et ce, quelle que soit la nature de sa contribution. C'est dans cet esprit que l'on doit...

Je ne sais pas si vous avez vu les journaux ce matin, mais on a dit: On va donner aux

femmes la moitié de la maison du mari. Dans notre esprit, on donne à quelqu'un et c'est conforme à ce que l'on veut bien lui donner. Or, on dit: Dans cet esprit, la réforme doit être envisagée comme une reconnaissance de droits égaux et non pas comme un cadeau qu'on fait aux femmes pour ce qu'elles ont fait, mais bien comme une reconnaissance d'une contribution et ce, quelle que soit la nature de cette contribution-là.

Mme Vermette: Je faisais référence surtout à l'état actuel de nombreuses femmes qui se sont, sur le plan égalité de droits, retrouvées défavorisées parce qu'il eût été difficilement prouvable pour elles qu'elles avaient favorisé l'enrichissement du ménage. Ce qui fait qu'on est arrivé avec des femmes beaucoup plus faibles économiquement, après une rupture ou un divorce que dans d'autres circonstances et c'est peut-être cet équilibre-là que l'on tend à rétablir à l'heure actuelle, trouver la solution qui va les favoriser.

Mme McNicoll: C'est la raison pour laquelle le Conseil du statut de la femme appuie, et le signalait déjà dans son mémoire de 1986, la constitution d'un patrimoine familial, c'est-à-dire que c'est la reconnaissance de la contribution des deux conjoints à la constitution, à l'achat de la maison, de la voiture ou des meubles et à la conservation dudit patrimoine parce que, évidemment, même si elle ne gagne pas d'argent à l'extérieur, une femme qui administre bien les biens de la famille contribue à l'augmentation et au maintien de ce patrimoine.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme la députée de Marie-Victorin. M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. À mon tour, j'aimerais remercier et féliciter le Conseil du statut de la femme pour sa contribution à nos travaux. Un élément qu'on n'a pas eu l'occasion d'aborder, notamment, est celui-ci. Vous vous inscrivez en faux contre la possibilité pour un conjoint de suivre une disposition transitoire, c'est-à-dire de pouvoir renoncer à cette masse partageable lors de la dissolution du mariage. Par contre, vous proposez, en contrepartie, qu'au moment de la rupture on puisse faire des conventions différentes de partage. Vous vous basez, comme on l'a lu tantôt ensemble, sur le fait que des pressions indues peuvent être faites sur un conjoint pour l'amener à renoncer à ce partage-là. Par contre, les mêmes pressions selon moi - vous me corrigerez si je me trompe - peuvent être faites aussi sur le même conjoint pour signer des conventions différentes. C'est une question de preuves. C'était quand la rupture? Est-ce que c'était le 10 juin ou le 18? À ce moment-là, je vois mal l'utilité d'adopter cela.

Mme McNicoll: II y a deux cas qui vont se présenter. Dans le premier cas, supposons qu'il y ait un délai de trois ans, là, les pressions risquent d'être importantes pour que quelqu'un renonce d'ici à trois ans à la moitié du patrimoine auquel il aurait droit lorsque la loi commencera à s'appliquer. Dans le deuxième cas, s'il n'y a pas un tel... Évidemment, vous me direz que des gens qui envisageaient de divorcer peuvent soit accélérer, soit ralentir l'arrivée du divorce, c'est certain, mais ce sur quoi nous insistons surtout, c'est que, dans le deuxième cas, s'il n'y a pas un tel délai et que la femme et l'homme sont chacun dépositaires de la moitié du patrimoine familial, chacun a une arme de négociation qu'il n'a pas dans le premier cas. C'est dans ce sens où il nous apparaît important qu'il n'y ait pas de délai permettant justement à quelqu'un d'avoir immédiatement la possibilité de faire valoir son droit à la moitié.

Quant à la question de la convention différente, nous la proposons à peu près, je dirais, dans le même sens que nous sommes favorables à la non-imposition d'un tel régime aux conjoints de fait. C'est-à-dire que nous pensons que deux adultes consentants, majeurs et vaccinés sont capables de traiter de leurs affaires de façon égalitaire et de s'entendre peut-être d'une façon différente de ce que prévoirait le régime général pour des circonstances et tenant compte de circonstances qu'eux estiment leur convenir. Par exemple, on pourrait très bien imaginer qu'une femme qui quitte la maison en laissant le mari et les enfants dise: Garde la maison et occupe-toi des enfants, moi, je m'en vais. On peut très bien imaginer qu'une telle position soit possible. Ce qu'on ne souhaite pas, c'est que, si des conjoints en arrivaient à une convention différente, ils ne puissent pas en être empêchés parce qu'ils y sont obligés par le partage à moitié obligatoire du patrimoine.

M. Dauphin: Si vous me permettez, M. le Président...

Le Président (M. Filion): Je vous en prie. (16 h 30)

M. Dauphin:... une autre question. Lorsque vous parlez du recours devant les tribunaux, vous voulez que ce soit bien encadré, bien déterminé, avec un délai. Avez-vous une idée du délai pour que le recours soit permissible jusque... S'ils ont été mariés trois ans ou...

Mme McNicoll: Je vais laisser à ma collègue...

Mme Olivier: On fait souvent référence aux lois canadiennes et à la loi de l'Ontario. Je pense que la loi ontarienne prévoit un délai de cinq ans. En fait, ce qui nous a incités - je ne sais pas si vous vous le rappelez - dans notre premier...

Le Président (M. Filion): Un délai de?

Mme Olivier: La loi ontarienne prévoit la possibilité d'intervention du tribunal quand le mariage a duré moins de cinq ans. Je ne sais pas s'il faut dire cinq ans. Dans notre premier mémoire, en 1986, on avait rejeté toute possibilité de recours au tribunal. L'évaluation qu'on a faite de tout ce dossier, c'est que quand on a des recours aux tribunaux, d'une façon générale, les femmes s'en trouvaient desservies. C'étaient des façons de se soustraire d'une façon ou d'une autre à l'application de la loi. On prévoyait dans les lois des autres provinces un partage égalitaire, sauf que l'interprétation de tout cela faisait qu'on avait un partage inégal, défavorable aux femmes.

Dans notre première proposition, on voulait éliminer le plus possible les recours aux tribunaux, d'une part, parce que cela fait des délais; d'autre part, quand un conjoint ne veut payer, il va y recourir. Ce sont des frais. Il va aller en Cour d'appel. On s'est dit: Cela dessert, de façon générale. Les femmes ont moins de sous et elles s'en retrouvent appauvries. Notre objectif était donc de faire un partage restreint, dont l'accumulation de biens et la contribution n'étaient pas discutables, et qu'on devait donc partager de façon automatique.

On est conscientes que cela peut créer, à certains égards, des inégalités. Ce que je perçois de la proposition gouvernementale, ce sont quand même des dispositions qui pourraient ne pas être interprétées comme défavorables aux femmes. On parle de mauvaise foi, d'aliénation pour mauvaise foi, etc. Vous pourrez nous accuser de ne pas vous avoir proposé de formulation précise, sauf que nos préoccupations étaient de dire: D'accord pour un recours, mais restreint et de s'assurer que ce ne soient pas les femmes qui en paient le prix.

M. Dauphin: Si vous me permettez, le danger de vouloir délimiter et de l'inscrire dans le Code civil, par exemple, c'est qu'à un moment donné le tribunal n'a plus la possibilité d'interpréter ou de juger différemment des cas d'espèce. Il y a un paquet d'exemples que je pourrais énumérer. Quand on scelle cela dans le ciment, les cas particuliers n'existent plus, évidemment. On n'a qu'une règle bien précise et "guillotineu-se", si vous me permettez l'expression.

Mme Olivier: Je vous comprends très bien. D'ailleurs, c'est un peu pour cela qu'on avait adopté une formulation comme celle qu'on a adoptée sur la prestation compensatoire, en espérant que cela laissait suffisamment de marge de manoeuvre aux tribunaux pour l'interpréter aussi largement. Sauf que les tribunaux ont choisi... On disait: II ne faut pas trop restreindre, il ne faut pas ceci, il ne faut pas cela, pour permettre au tribunal d'apprécier chacun des cas à son mérite. Sauf qu'on s'est retrouvé avec des interprétations restrictives. On sait que la Cour d'appel a adopté, depuis quelques mois, des interprétations différentes, sauf que, comme on ne sait pas ce qui va se passer, et l'expérience qu'on a est généralement plus défavorable, on est donc très sceptique face à la multiplication des recours aux tribunaux. On essayait de proposer des règles claires, précises, le moins discutables possible.

Le Président (M. Filion): Merci. Monsieur...

M. Dauphin: Je reviens à ma première question, si vous me permettez, M. le Président, concernant la renonciation. En Ontario, il est possible d'y renoncer. C'est-à-dire que la liste de biens dans le patrimoine familial est plus grande; par contre, on peut y renoncer. Est-ce que vous avez des statistiques pour l'Ontario, de personnes qui renoncent? Est-ce que c'est effarant comme chiffre?

Mme Olivier: On n'a pas de statistiques. Si vous regardez bien le régime de l'Ontario, c'est à peu près, à toutes fins utiles, notre société d'acquêts. À toutes fins utiles, la loi de 1986, c'est l'équivalent de notre société d'acquêts, moins les régimes de rentes. En 1986, on introduit les régimes de rentes dans la loi de l'Ontario, ce qu'on n'a pas en société d'acquêts. Mais la possibilité qu'on a en Ontario, c'est de faire des conventions contraires, soit un contrat de mariage, soit en cours de mariage ou à la rupture.

Maintenant, il y a une tradition différente en Ontario, une tradition de non-contrat de mariage puisque, avant les réformes, les gens étaient mariés en séparation de biens, c'est-à-dire que le régime légal était un régime de séparation de biens et il n'y avait pas de contrat de mariage. Par ailleurs, la société d'acquêts, au Québec, implique un partage égal sans recours au tribunal pour faire un partage inégal, quelles que soient les circonstances. On peut être marié six mois en société d'acquêts, mais on partage tous nos biens et on ne peut pas aller devant le tribunal. Ce sont là, à peu près, les distinctions.

On n'a pas de statistiques sur le recours. Je sais, pour avoir rencontré des gens d'autres conseils ou des gens de l'Ontario qui le disent, que c'est une pratique qui tend à se développer. La loi est arrivée, il y avait une tradition différente. La loi est arrivée, les gens ne se sont pas trop rendu compte de ce qui se passait et il semblerait que ce soit une tradition qui tend à se développer maintenant en Ontario, mais je ne pourrais pas vous donner de statistiques.

Le Président (M. Filion): Merci, M. l'adjoint parlementaire du ministre de la Justice. Je pense que je vous suis fort bien lorsque vous mentionnez la possibilité pour les époux, au moment de la rupture, de conserver le pouvoir et le droit de

modifier le régime par l'application d'une convention à laquelle ils concourraient. Mais, un peu dans le même sens que le député de Marquette, ma question porte non pas là-dessus, mais sur la possibilité, à l'intérieur d'une mesure transitoire ou d'un délai transitoire de trois mois, pour les couples déjà mariés de se soustraire à l'application de ce que serait une éventuelle législation, parce que ces mêmes personnes sont des adultes majeurs et vaccinés.

Disons qu'ils se sont mariés il y a cinq ans à l'intérieur d'un régime connu. Les règles du jeu étaient ce qu'elles étaient à ce moment-là, la tradition au Québec était ce qu'elle était et ces personnes majeures bien vaccinées ont, dans la majorité des cas, encore une fois à l'intérieur de règles du jeu connues, décidé d'adopter un certain régime sur le plan légal pour procéder, en cas de rupture, à une dissolution de leur union sur le plan économique. Déjà, la proposition principale - on me corrigera - prévoit que la règle aura pour effet d'appliquer la loi à ces couples, sauf qu'on prévoit un délai pour prévoir le contraire. En deux mots, on change les règles du jeu, mais on dit aux couples qui tiendraient aux règles du jeu initiales: Vous pouvez déroger et convenir d'une application légale autre.

Je dois vous dire que je suis sensible, d'abord, au principe de la non-rétroactivité des lois. Vous savez, le problème des mesures transitoires s'applique continuellement. Dans toutes les lois, ou à peu près, on a toujours le problème des mesures transitoires. J'essaie de suivre un peu la pensée que vous développez, par ailleurs, dans le reste de votre mémoire et quand j'arrive à ce point-là j'avoue avoir un peu de difficulté à vous saisir. Je comprends tout le principe des pressions indues qui s'étendraient dans le temps, etc. Je saisis cela également. Par contre, il y a un choix à faire. Peut-être que votre réflexion revient à cela, c'est juste de choisir, tout simplement. Mais, philosophiquement, en tout cas à la base, est-ce que le principe de la non-rétroactivité de nos lois ne devrait pas, en cas de doute, s'appliquer? Surtout qu'ici ce n'est pas une obligation, c'est uniquement une possibilité de déroger. Donc, on donnerait aux conjoints possiblement défavorisés économiquement la possibilité, encore une fois, de dire non.

Alors, Mme Mailloux.

Mme Mailloux (Thérèse): Je pense que ce qui nous a motivés, au conseil, pour dire que des possibilités de convention pourraient être possibles à la rupture, c'est qu'on disait qu'il y avait quand même beaucoup moins de danger à ce moment-là puisque les couples étaient alors placés devant une situation réelle de rupture. Vous savez, quand c'est une mesure transitoire, elle se passerait à un moment X dans la vie du couple, qui n'est pas nécessairement près de la rupture.

Donc, à l'intérieur d'une mesure transitoire, des couples pourraient enfin être amenés à décider d'une situation qui pourrait ne pas se passer du tout, d'abord, ou se passer beaucoup plus tard. On pourrait aussi ne pas savoir dans quelles circonstances une telle rupture allait survenir et quelles allaient être les circonstances économiques ou la situation économique de chacun des couples au moment de la rupture. Nous disons que de permettre aux couples de faire des conventions libres à la rupture, c'est beaucoup moins dangereux, si vous voulez, qu'une mesure transitoire parce qu'ils sont alors placés devant une situation où il va y avoir une rupture. Ils sont alors plus en mesure d'envisager chacun leurs besoins et la situation qui va arriver après cette rupture.

Mme McNicoll: Mme Olivier voudrait ajouter quelque chose.

Le Président (M. Filion): Oui.

Mme Olivier: C'est sur la question de la non-rétroactivité de nos lois.

Le Président (M. Filion): Du transitoire.

Mme Olivier: Des mesures transitoires. Vous savez, quand la Loi sur le divorce a été adoptée en 1968, on n'a pas dit aux gens: Vous avez trois ans pour savoir si vous allez divorcer un jour ou si vous n'allez pas le faire. On a dit: Maintenant, tout le monde peut divorcer. Quand, en 1981, on a modifié les lois... Tout le monde peut divorcer. On ne leur a pas dit: Vous pouvez peut-être renoncer à ce droit-là. Vous avez trois ans parce que ceux avant ne pouvaient pas le faire. Maintenant, vous avez trois ans pour peut-être vous prévaloir de la possibilité ou y renoncer. Mais cela a eu des effets importants sur la situation économique des femmes qui s'étaient mariées à ce moment-là sans savoir ce qui pouvait leur arriver après. Quand en 1981, on a modifié, au nom de l'autonomie.... Tout le monde était d'accord à cette époque-là et on a dit: Dorénavant, dans les contrats de mariage en séparation de biens, les donations pour cause de mort deviennent caduques. On n'a pas dit: Vous avez trois ans pour peut-être accepter les rigueurs de la loi ou pas. On a dit: C'est comme cela maintenant. Or, nous pensons qu'une mesure transitoire comme celle-là n'est pas... Quand on pense que la loi est bénéfique, on veut faire profiter tout le monde des bénéfices de la loi sur-le-champ.

Maintenant la nécessité de respecter - Mme McNicoll en a parlé tout à l'heure - c'est ce qui nous agaçait parce que la proposition gouvernementale prévoit la possibilité de renoncer, mais en maintenant la règle du partage équivalent. Vous savez, dans la majorité des cas, le patrimoine va être constitué de tous les biens du couple. Cela comprend la maison, les meubles, la voiture et les régimes de rentes. Il ne restera

pas grand-chose à côté de tout cela. Et on peut considérer que dans un couple on constate que ce partage-là est inéquitable pour X raisons. On considère que le conjoint qui a la garde des enfants devrait avoir la totalité. Si c'est le seul bien qu'ils ont, ils ne pourront pas donner la totalité sans retirer l'équivalence, si vous voulez. Ce peuvent aussi être des couples où il n'y a pas d'enfant et où les deux personnes ont décidé d'une convention différente. Mais tout cela, c'est donc à la rupture, en toute connaissance de la situation de chacun, d'une contribution équitable de chacun... Vous savez que plus de 80 % des divorces se règlent par convention. Alors, il y a des conflits, mais il y a aussi des cas où cela se règle. Vous me direz qu'il peut y avoir des pressions. C'est vrai qu'il peut y avoir des pressions. Sauf qu'on peut aussi aller chercher le soutien et les conseils d'un avocat et de toute personne.

Si je me permets, dans la Loi sur l'aide sociale il y avait une proposition dans le sens que le ministre puisse intervenir dans les cas de conventions entre conjoints. On a dit: II y a des intervenants judiciaires. Il y a des avocats. Il y a des parties. On pense que ces gens-là sont en mesure de choisir ou de décider de ce qui leur convient à la rupture et il n'y a pas de place là pour le ministre. Je pense que cette proposition-là est conforme aux positions qu'on défend aussi là-dessus.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie,

Mme Olivier: Une minute peut-être de chaque côté, si vous le désirez, pour remercier nos intervenants.

Mme Harel: Oui, avec plaisir. Ce à quoi on peut renoncer pour un grand amour durant la durée de cet amour, je pense que là aussi on pourrait faire une démonstration... On ne parle pas, finalement, de ces rapports. On souhaite... Je vous entendais, Mme McNicoll, parler de ce rapport égalitaire entre conjoints, partenaires, collaborateurs. Ce n'est pas tout à fait cela, évidemment, qui est la réalité de nos concitoyennes présentement, en tout cas pour une majorité d'entre elles qui vivent et qui renégocient des rapports parce qu'ils ne sont pas exactement fondés sur ce projet que l'on souhaite pour nous toutes. C'est peut-être cela qu'il faut avoir en tête, une renégociation des rapports privés, mais qui n'est pas évidente, qui n'est pas définitive pour la majorité d'entre elles, et un appui dans cette renégociation.

Je termine en vous disant que je suis vraiment heureuse de votre présentation. Notamment, en écoutant Mme Lepage, je crois, je me disais: L'État n'est pas neutre. Quand l'Etat a décidé qu'il y avait un droit incessible à la rente privée de retraite, même entre conjoints mariés et d'autant plus entre conjoints de fait, il n'était pas neutre à ce moment-là. Il basculait d'un côté. Les femmes ne gagnent toujours que 64 % du salaire des hommes; même si elles se paient des retraites privées, elles ne peuvent être évidemment de même ordre, de même quantum.

Je vous remercie. C'est extrêmement intéressant comme présentation, comme tout ce que fait le conseil. Merci.

Le Président (M. Filion): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Mmes McNicoll, Olivier, Mailloux et Lepage, je voudrais également vous remercier pour la présentation de votre mémoire. La qualité de votre argumentation également va sûrement nous permettre d'apporter des améliorations à la proposition qui fait foi de notre consultation. L'objectif visé par ce mémoire, c'est d'essayer de soustraire, je pense, une certaine clientèle à toutes les inéquités qu'on connaît, que ce soit à partir d'un régime de séparation de biens qui a été depuis modifié, et justement de façon non rétroactive, mais qui a été modifié au moment où on le décidait. Je pense que, de cette façon, cela va pouvoir sûrement améliorer... C'est une bonne façon, entre autres, cette rencontre, cette commission parlementaire, de pouvoir améliorer non seulement la proposition, mais aussi le droit en faveur dé l'égalité des conjoints. Merci infiniment encore pour la qualité de votre présentation.

Mme McNicoll: Nous vous remercions de nous avoir donné ce temps pour pouvoir en discuter avec vous. Nous vous souhaitons bon succès dans la fin de vos travaux.

Le Président (M. Filion): Je pense que ce n'est pas un hasard si le Conseil du statut de la femme a été fixé en tête de liste dans nos consultations. Il est le premier organisme que nous entendons. Voilà des débats qui sont bien amorcés. C'est à mon tour de vous remercier autant pour la qualité de votre mémoire que pour votre intervention, la qualité de vos interventions cet après-midi.

Voulez-vous suspendre nos travaux pendant quelques minutes?

Mme Gagnon-Tremblay: Cinq minutes peut-être.

Le Président (M. Filion): Très bien. Nos travaux sont suspendus pour cinq minutes.

(Suspension de la séance à 16 h 48)

(Reprise à 16 h 56)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission reprend ses travaux. Nous avons le plaisir d'avoir avec nous les représentantes du groupe Projet-Partage qui ont déjà pris place à la table des invités de cette commission.

Je demanderais peut-être à la présidente du groupe, Me Miriam Grassby, de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent et nous faire la présentation de son mémoire, tout en lui rappelant que les membres de cette commission ont déjà reçu le mémoire préparé par Projet-Partage.

Projet-Partage

Mme Grassby (Miriam): Merci, M. le Président. À ma droite, Me Muriel Lichter, vice-présidente de notre groupe, et, à ma gauche, Mme Lebel, secrétaire-trésorière du groupe.

Je ne vous relirai pas notre mémoire et j'oserai même dire que vous pensez peut-être avoir tout entendu, ayant écouté le mémoire du Conseil du statut de la femme avec tant d'intérêt. Je pense que les questions que vous avez posées allaient vraiment au fond. Peut-être pensez-vous que, pour les prochains jours, vous allez entendre et réentendre très souvent les mêmes choses, mais ce que je vais essayer de vous offrir aujourd'hui, c'est un peu ce dont M. le Président parlait: le concret. Je voudrais, plutôt que de répéter les besoins et surtout celui qui nous intéresse présentement, c'est-à-dire le besoin de partager les fonds de retraite ou les droits de retraite, essayer de vous montrer le lien qui existe entre la nécessité de diviser les droits de retraite à la rupture du mariage et la situation actuelle des femmes devant les tribunaux lors de l'attribution des pensions alimentaires et des sommes globales a la rupture du mariage.

Pour ce faire, j'ai choisi cinq exemples et, pour qu'on puisse les retenir, je leur ai donné chacun des initiales. J'ai, par exemple, Mme C, qui est Mme Confortable; Mme C, qui est Mme Ordinaire; Mme NC, qui est Mme Nouvelle Carrière; Mme P, qui est Mme Professionnelle et Mme M, Mme Maison. J'ai pensé que cela vous resterait plus dans la tête que de dire simplement: Mme A, B, C, D ou E. Vous allez voir chacune.

Mme M est propriétaire de sa maison et on veut maintenant lui en enlever la moitié sans rien lui donner de plus. Mme P est femme de professionnel qui n'a pas de fonds de retraite, mais qui possède des immeubles, par ailleurs. Mme O a seulement un fonds de retraite et pas de maison et Mme C a toujours tout eu, mais elle n'aura rien.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Grassby: Alors, commençons. Je vous parle de la situation présente parce que je pense que plusieurs d'entre vous n'avez pas travaillé de façon pratique avec des situations de rupture de mariage. Même si on peut lire à quel point c'est terrible, on ne se rend pas compte à quel point c'est désastreux. Comme praticienne - la plupart des membres du Projet-Partage le sont, soit avocats ou travailleurs sociaux - je vois quotidiennement l'effet de la loi actuelle. Pour nous, ce n'est pas une question. On ne se dit pas: Est-ce que c'est beau de changer la loi? Il y a la liberté de contracter. Les gens ont choisi le contrat de mariage, etc. On ne peut plus se poser ces questions-là car on est, au Québec, tellement en retard vis-à-vis des femmes en séparation de biens. Ailleurs, au Canada, dans toutes les autres provinces, les femmes étant en séparation de biens déjà depuis 1975 au moins, on a amélioré le sort de ces femmes. On est tellement en retard que c'est devenu scandaleux.

J'ai été celle qui a représenté le Barreau du Québec lors de la conférence du Barreau canadien cette année et je devais décrire la loi au Québec. Je suis très fière d'être québécoise, mais j'ai été très gênée de parler du sort qu'on réserve à nos femmes. Quant à moi, il n'y a pas d'excuse pour cela parce que cela fait longtemps qu'on le sait et cela fait longtemps qu'on n'y touche pas. Nous, d'ailleurs, du Projet-Partage, c'est en 1985 que nous avons présenté notre premier mémoire à la suite du jugement Poirier versus Globensky, où on voyait très clairement que la prestation compensatoire ne répondait pas aux besoins des femmes. Même si je suis contente d'être ici aujourd'hui, je dois avouer que je pose les mêmes questions: Quand est-ce qu'on va intervenir pour arrêter la situation que les femmes vivent quotidiennement?

Alors, parlons de mes exemples. On va en même temps parler du contrat de mariage. Certains pensent peut-être qu'un contrat de mariage, c'est quelque chose de complexe, c'est quelque chose de long, quelque chose qui offre quelque chose, mais ce n'est pas le cas. Mme Confortable entre, elle vient au bureau d'avocats. Elle est bien mise - je prends mes exemples chez des gens que j'ai vus - elle n'a jamais travaillé parce qu'elle a 50 ans et on ne s'attendait pas qu'elle travaille. Elle a élevé deux enfants. Son mari a 54 ans. Il a une maison à son nom. Cela vaut 200 000 $. Il a un fonds de retraite. Il a des placements. Et elle vient voir l'avocat et elle dit: Je pense à quitter mon mari. Je ne peux plus vivre ainsi. Il y a une situation intolérable. Qu'est-ce que j'ai? À quoi ai-je droit?

Elle me sort son contrat de mariage. Je regarde son contrat de mariage. J'ai amené justement le contrat de mariage de Mme C signé en 1954. Elle avait le droit de s'attendre que son mari paie les dépenses du ménage pendant le mariage. Elle me dit: Bon, est-ce qu'il doit encore subvenir à mes besoins à cause de mon contrat? La réponse est non, parce que cela a été enlevé du contrat de mariage en 1981 ou 1982 par la loi. Alors, vous, madame, même si vous avez contribué quelque chose, vous ne pouvez pas le demander; même s'il avait pris cet engagement, cela n'existe plus.

Après cela, il y a un cadeau, dans ce contrat de mariage, de meubles, 5000 $ de

meubles. En 1954, c'était peut-être beaucoup dans le temps. C'est peu maintenant. Madame peut garder les meubles qu'elle a jusqu'à concurrence de 5000 $. Elle est chanceuse! Il y en a pour qui c'est seulement 2500 $. Et il y a une autre donation de 20 000 $. Elle dit: Au moins, je vais avoir 20 000 $. Non, madame, c'est écrit, oui, noir sur blanc, mais c'est une donation à cause de mort. Maintenant, cela n'existe plus parce que le législateur a changé cela.

Et on arrive alors aux assurances qui sont prévues. Ce n'est pas vrai parce que, dans son contrat, il n'y a pas d'assurance, mais je vais le dire pareil pour que vous voyiez que cela aussi a été enlevé avec les changements législatifs.

Madame dit: Mais que vaut le contrat? Je lui dis: Le contrat, ça vaut ceci: Vous n'avez pas le droit à ce que votre mari a et ce à quoi vous aviez droit auparavant, vous n'y avez pas droit non plus. C'est difficile, vous savez, de leur expliquer cela. Parfois, il y a une donation entre vifs qui peut être réduite par le tribunal, si on la considère comme excessive. C'est assez rare que ce soit excessif parce que, d'habitude, en 1954, ce n'étaient pas de grosses donations. Parfois, c'est une donation qui semble être de vifs, mais qui est vraiment de mort et il n'y a rien là.

Qu'est-ce qu'on va dire à Mme C? Elle a 50 ans, elle est en bonne santé, n'ayant jamais travaillé. Je lui dis: Écoutez, madame, vous n'avez droit à rien. La seule façon d'avoir droit à quelque chose, c'est si vous pouvez prouver que vous avez enrichi votre mari. Or, elle n'a pas travaillé dans son entreprise, elle n'a pas invité des gens, elle n'a rien fait pour que l'on puisse considérer qu'elle a enrichi son mari.

Alors, la prestation compensatoire à madame, c'est zéro, c'est clair. La seule possibilité pour elle, c'est peut-être une somme globale en vertu de la loi fédérale. C'est un peu gênant que ce soit de là que doit venir le seul espoir des femmes québécoises, mais elle peut demander une somme globale et elle l'aura peut-être si elle peut prouver à un juge qu'elle doit s'acheter une maison. Mais, à 50 ans, est-ce qu'on a vraiment besoin d'une maison? Et si elle a droit à un fonds de retraite... Mais il n'y a aucune jurisprudence que je connaissse jusqu'à maintenant au Québec, et d'ailleurs au Canada, qui reconnaît l'attribution d'une somme globale pour constituer un fonds de retraite.

En plus, je dois dire à Mme C: Vous savez, on va y aller, on va foncer, on va aller chercher tout ce que l'on peut, mais je ne peux rien vous garantir. Oui, cela va vous coûter cher. Et vous savez, Mme C, il est possible que vous passiez devant un juge qui croit que, même si vous n'avez jamais travaillé, vous devriez commencer à travailler. C'est un peu inquiétant pour cette femme. Si cette femme a 45 ans, il est presque certain qu'un juge considérera qu'elle devra, dans une période très courte, se trouver du travail, que ce soit réaliste ou pas. Alors, il faut penser à ces situations.

Encore, Mme C, si tout va bien, si elle va devant le tribunal et que le juge considère qu'elle est vraiment de cette ancienne tradition et qu'on n'a pas à demander à madame de travailler parce que ce n'est pas réaliste qu'elle trouve du travail, on va peut-être lui donner, si son mari gagne 55 000 $, peut-être 1750 $ de pension alimentaire, mais le jour où M. C prendra sa retraite, sa pension alimentaire sera réduite et son mari se retrouvera avec un revenu de retraite de peut-être 43 000 $, avec des revenus qui donneront le placement fait avec le produit de la maison si elle est vendue ou peut-être qu'il continuera à vivre dans sa maison et il aura le revenu de ses placements. Alors, qu'est-ce que l'on voit? On voit Mme C confortable auparavant, certainement pauvre maintenant, parce que si, lorsque monsieur avait un salaire complet, il n'avait qu'à lui payer 1750 $, lorsqu'il prendra sa retraite, il demandera certainement de faire baisser le montant peut-être autour de 1000 $, 1200 $, si elle est chanceuse.

Alors, on voit que, même pour les femmes dont on penserait que traditionnellement elles auraient droit à une certaine sécurité, elles ne l'ont pas et elles n'ont rien. C'est clair que la même femme mariée en communauté de biens aurait le droit à la moitié du domicile conjugal, à la moitié des placements et au moins à la moitié des contributions au fonds de retraite de monsieur.

Mme Ordinaire, que va-t-elle recevoir, elle? J'ai une situation: Mme O a 55 ans, son mari a 57 ans. Elle a commencé à travailler dans les magasins lorsque ses enfants avaient un certain âge pour aider à payer leurs études. Son mari travaille pour une société d'État. Ils n'ont pas de maison. Ils avaient une maison, mais elle est hypothéquée et, juste avant de quitter, monsieur l'a vendue. Il a pris les 20 000 $ pour payer ses dettes et, finalement, lors du divorce, il n'a rien d'autre qu'un fonds de retraite. Mais, rien d'autre qu'un fonds de retraite, si madame avait ce fonds de retraite... Parce qu'il gagne, à 57 ans, 48 000 $ et il a déjà le droit de prendre sa retraite. Il est assuré par son fonds de retraite, d'un revenu de 32 000 $. Avez-vous une idée de la valeur de 32 000 $ par année et, souvent, en partie indexé, car c'est une société d'État? Pour qu'un homme n'ayant pas de fonds de retraite produise ce revenu, cela lui prend une somme de 395 000 $. C'est la valeur du fonds de retraite de cet homme. Nous ne demandons pas que monsieur paie à madame la moitié de 395 000 $, mais nous disons que, pour monsieur, ce fonds de retraite a cette valeur. On ne peut pas l'oublier, c'est le bien le plus important de la famille, parce qu'au cours des années du mariage la maison prend une moindre valeur et le fonds de retraite... Je ne dis pas que la maison prend moins de valeur, il est certain que la valeur de la maison augmente, mais le régime de retraite

aussi, et considérablement, vers la fin du mariage.

Alors vous avez Mme O qui a 55 ans, qui travaille dans un magasin et gagne 8000 $ par année, qui a une pension alimentaire de 800 $ par mois, qui va se faire couper lorsqu'il prendra sa retraite parce que ses revenus vont baisser, elle va se retrouver peut-être avec 500 $ de pension alimentaire et on lui dit: Madame, on n'a pas à partager les régimes de retraite. Ce que je dis et ce que le groupe Projet-Partage dit, c'est qu'ils doivent être partagés. Partout, dans neuf provinces, dans presque tous les États, on est arrivé à la même conclusion et c'est d'ailleurs encore plus important avec la nouvelle loi du divorce parce qu'on commence de plus en plus à ne pas donner de pensions alimentaires à long terme.

Comme je le démontre, même dans les situations où les femmes ont droit à une pension alimentaire à long terme, c'est souvent réduit à l'âge de la retraite. Ce qu'on dit dans le cas de Mme O, c'est qu'ils ont vécu ensemble 30 ans sur les 34 ans que monsieur a travaillé à la société d'État. Il est raisonnable que madame ait le droit, et c'est une façon de faire le partage... Il y en a qui donneraient encore moins de droits à madame, mais ce qui est très souvent retenu lorsqu'il y a un divorce à la fin du mariage dans d'autres juridictions, c'est qu'on donne à madame la demie d'un 34e de la rente de monsieur. Cela veut dire que notre Madame O, au lieu de recevoir une pension alimentaire peut-être de 400 $ ou de 500 $ par mois, recevrait un montant de 14 000 $ par année du régime de retraite de son mari et lui recevrait la différence. Pourquoi cette femme qui est restée à la maison pendant 24 ans pour élever des enfants, qui est retournée à temps partiel sur le marché du travail et qui ne peut travailler ailleurs que dans un magasin à rayons, pourquoi devrait-elle vivre dans la pauvreté, alors que son mari garde l'entière valeur du seul bien de la famille?

Mme Nouvelle Carrière, vient me voir, elle a 51 ans. Elle est contente, elle a commencé à travailler, elle gagne 31 000 $. Elle me dit: Je dois divorcer, à quoi aurais-je droit? Elle a un contrat de mariage, évidemment. Nous regardons le contrat de mariage, nous faisons le même petit scénario: Non... Non... Peut-être... Et je dis: Mais, madame, vous, vous êtes vraiment dans une mauvaise situation! Vu que vous gagnez 31 000 $, on va vous dire que vous êtes autonome, vous n'aurez pas droit à une pension alimentaire et lorsque vous aurez atteint l'âge de 65 ans, si vous êtes assez chanceuse pour garder votre travail jusqu'à cette date, parce que vous venez de commencer à travailler à 51 ans et que vous n'avez pas un travail assuré, on va vous dire: Madame, vous n'avez pas droit à une pension alimentaire de votre mari, vous étiez autonome, pourquoi n'avez-vous pas mis de l'argent de côté pour voir à vos vieux jours? Il est clair qu'une femme qui commence à travailler à 51 ans va avoir très peu de revenus provenant d'un régime de retraite de son travail et qu'elle pourra aussi mettre très peu d'argent de côté pour prévoir ses vieux jours car, il ne faut pas se leurrer, pour se donner 1000 $ de revenus à 65 ans, une femme a besoin, approximativement, pour que cela soit indexé, de 125 000 $. Cela prend 125 000 $ de capital pour lui donner approximativement 1000 $ de rente indexée. Ce n'est pas sorcier, cette chose, c'est clair, tout comme on a prévu que, dans les emplois pour hommes et pour les meilleurs emplois, il faut avoir un régime de retraite; c'est là parce que c'est important. Mme Nouvelle Carrière aura peut-être la moitié de la maison conjugale, selon la situation qu'on a, mais elle n'aura rien quant aux droits de retraite et elle va se trouver fort dépourvue à l'âge de 65 ans. (17 h 15)

Mme Professionnelle - c'est là où nous ne sommes pas d'accord avec la position du Barreau.... J'ai été membre du comité du Barreau et nous avons travaillé énormément au mémoire que Me Borenstein et Me Jean-Pierre Senécal vont vous présenter la semaine prochaine. On va peut-être un peu dans le sens du Conseil du statut de la femme, parce que nous disons: Mme Professionnelle - j'ai le cas maintenant - épouse, 63 ans, son mari a 62 ans... Elle a eu seulement 5 enfants. Elle a travaillé à la fin du mariage. Elle gagne 18 000 $ comme secrétaire. On va lui dire: Vous avez droit peut-être à un tout petit peu de pension alimentaire, seulement pour arrondir les fins de mois. Même si elle a la moitié du domicile conjugal - dans ce cas particulier, le domicile conjugal a une valeur quand même importante: approximativement 250 000 $ - même si elle a 125 000 $, cela ne lui donnera qu'une rente de 1000 $ par mois, pendant que son mari, lui, professionnel, n'ayant pas de fonds de retraite, parce qu'il n'a pas travaillé pour un employeur, a par contre des immeubles, seulement d'une valeur de 1 200 000 $. Pourquoi cette femme n'aurait-elle pas le droit de réclamer d'un tribunal une partie de cette valeur pour se constituer un fonds de retraite.

C'est là où nous différons du Barreau et nous différons aussi un peu du Conseil du statut de la femme. Nous pensons que ce droit de demander quelque chose supplémentaire doit être pour remplacer particulièrement un bien qui n'est pas dans le patrimoine familial, c'est-à-dire le fonds de retraite. Il n'y a pas de raison pour qu'une femme dont le mari a des avoirs importants, soit parce qu'il a fait des choix d'investissement, ou parce qu'il a voulu se soustraire de la loi, ne puisse pas partager une partie de ce montant, pour un besoin particulier, c'est-à-dire pour se donner des revenus à la retraite.

Nous arrivons au cinquième cas, celui de Madame Maison qui est propriétaire de la maison. Il y a beaucoup de femmes qui sont propriétaires de la maison. Si nous n'incluons pas dans cette réforme la division aussi des droits de retraite,

nous allons retrouver des femmes - et j'en connais beaucoup - qui vont avoir à donner à leur mari la moitié de leur maison et qui ne recevront rien en retour. Je pense à Mme M qui a élevé deux enfants, qui a 53 ans, dont le mari est professeur d'université. Il a un fonds de retraite qui fut évalué à 425 000 $, elle a une maison qui vaut 150 000 $. Elle va lui remettre 75 000 $ et lui va avoir 425 000 $ plus 75 000 $. Voilà!

Ce que nous vous disons, c'est que nous ne pouvons pas dissocier les droits de retraite du domicile conjugal. Ce sont les deux biens les plus importants de la famille. Ce sont les deux piliers de la planification financière des familles québécoises et on ne peut pas les dissocier. On parle de la discrétion judiciaire. Je pense qu'il est très important - nous le disons dans notre mémoire - de donner aux femmes des droits, pas le droit d'aller devant un juge et lui quêter quelque chose, mais des droits. Il faut leur donner des droits: cela va aider dans le comportement des tribunaux, cela va coûter beaucoup moins en frais d'avocats. Cela va simplifier la rupture du mariage pour ce qui concerne les enfants, parce qu'on pourra mettre l'importance sur les enfants, et non pas sur l'argent, lors de la rupture du mariage.

Cela va aussi faire en sorte qu'il y ait moins de situations qui sont quelquefois très aberrantes. Je vais vous décrire une situation où je pense qu'un droit aurait été beaucoup plus pertinent que la discrétion judiciaire. Un mari laisse sa femme; elle a six enfants - voyez-vous, il y a encore des grandes familles au Québec - six garçons. Imaginez, être prise seule à élever six garçons! Les enfants avaient entre quatre ans et treize ou quatorze ans lorsque le mari est parti. Ils ont divorcé après vingt ans de mariage. C'est approximatif, car c'est une cause que j'ai eue il y a un certain temps, mais je vais vous la citer comme exemple. Le mari a dû payer un certain montant puisqu'il y avait six enfants. Chaque fois qu'un enfant partait, il revenait à la charge et il disait: II y en a seulement cinq, ou il y en a seulement quatre. Trois fois nous sommes allés en cour pour décider combien de pension alimentaire il devait donner parce que les enfants partaient.

Finalement, nous avons reçu une requête pour réduction de pension alimentaire parce que monsieur avait pris sa retraite. Il avait pris une retraite prématurée. Il avait pris sa retraite à 57 ans et il est venu devant le tribunal. Il a dit: Mon revenu était de 45 000 $ l'année passée et, maintenant, il est seulement de 36 000 $. Certains de mes enfants sont plus vieux, je ne veux payer que 300 $ pour mes deux garçons qui restent à la maison et à ma femme qui a 55 ans. C'est une vraie Anglaise d'Angleterre, elle ne parle pas français - est-ce qu'on peut le lui pardonner? - et elle n'a même pas des études secondaires. Elle n'a plus droit à une pension alimentaire. Il dit: Cela fait déjà huit ans que je lui paie une pension alimentaire; comment se fait-il qu'elle ne se soit pas "grouillée" pour se trouver du travail? Madame dit: Écoutez, j'avais six garçons, pas beaucoup d'instruction, six enfants, c'est une assez lourde tâche. À part cela, mes garçons ont eu deux gros accidents, j'ai dû les amener en physiothérapie une fois par semaine depuis trois ans. Je n'ai vraiment pas pu trouver un travail.

La cause fut plaidée et le juge a rendu une décision. C'était un juge très bien, un juge gentil, un bon père de famille qui était pris avec une situation à trancher. Il a dit: On ne peut pas blâmer monsieur de vouloir prendre sa retraite à 57 ans. Il a travaillé fort, il a été professeur, il a été directeur d'école, et on sait combien c'est dur d'être directeur d'école. Madame, par exemple, il va falloir qu'elle comprenne qu'elle doit se trouver du travail parce qu'elle ne peut pas vivre aux dépens de monsieur toute sa vie. Il a dit: Je vais fixer sa pension alimentaire, pour elle, à 55 $ par semaine pour qu'elle comprenne qu'elle doit se trouver du travail.

Je vous dis que c'est un exemple de la discrétion judiciaire et je vous dis que si cette . même femme avait pu au moins savoir que, lorsque son mari prendrait sa retraite, elle aurait droit à un certain pourcentage de sa rente, cela lui permettrait une certaine sécurité. Ce ne serait pas à 200 $ par mois qu'elle aurait droit lorsque monsieur prendrait sa retraite, ce serait peut-être - basé sur les années du mariage, j'ai fait le calcul - 1000 $ par mois. Ce n'est pas décent de permettre, dans notre société, à des femmes de vivre avec 200 $ par mois de leur mari lorsqu'elles ont accompli leurs tâches de mère et d'épouse d'une façon sans reproche. D'ailleurs, le reproche n'existe plus dans notre société, dans les questions de divorce.

Alors, je pense qu'on est dans une situation où, lorsqu'on ne donne pas de droits aux femmes qui ont été des épouses et des mères, on est justement en train de les punir. J'ai bien ri. Je suis en train d'écrire un article pour la formation permanente au Barreau sur le besoin pressant et immédiat de l'obligation d'épargner pour un fond de retraite. J'ai appelé une des intervenantes qui sera ici le 19 octobre, Me Mireille Deschênes, qui vous parlera de Mercer et qui, d'ailleurs, est spécialisée dans les lois de retraite - vous pourrez lui poser toutes les questions que vous pouvez imaginer - et je lui ai dit: Mireille, est-ce que vous avez un dépliant ou un livre pour moi, quelque chose que vous pouvez me recommander pour que je puisse dire combien il est important de mettre tous les jours de l'argent de côté pour un fonds de retraite? Mireille m'a dit, sans attendre une seconde: Mais, Miriam, la cigale et la fourmi! Et elle me l'a citée en entier. Effectivement, souvent, ce sont les femmes qui sont les fourmis dans le couple, surtout lorsqu'elles sont à la maison, et qui voient à ce que, petit à petit, les biens de la

famille augmentent, mais je pense qu'on les traite comme des cigales à la rupture, lorsqu'on ne leur donne absolument rien quand ce sont elles qui ont contribué.

Je pense que c'est tout à fait inacceptable et je ne peux pas comprendre comment on a pu retenir une solution qui ne prévoyait pas le partage des fonds de retraite. Je dois vous dire qu'à Montréal, dans les cercles d'avocats en droit de la famille, il y a beaucoup de gens qui se disent que la raison pour laquelle on n'a pas retenu au Québec le partage des fonds de retraite, c'est qu'il y avait plusieurs ministres qui étaient absolument contre. D'ailleurs, il y a même des noms qui sont donnés et c'est courant que ce n'est pas parce que c'est une raison de fond, une question de principe qui n'est pas partagée, mais on dit que tant qu'Untel sera au gouvernement, cela ne se fera pas. Je ne peux pas croire cela, mais je reconnais qu'il est peut-être difficile, puisqu'au Québec on n'a pas beaucoup pensé à la division des fonds de retraite privés, de comprendre la nécessité et l'urgence.

Nous-mêmes, quand nous avons commencé notre travail, ce n'était pas quelque chose d'acquis pour nous. Mais, depuis qu'on regarde ce problème et depuis la venue de la nouvelle Loi sur le divorce, c'est quelque chose qu'on voit comme étant absolument essentiel et, faute de ce genre de partage, je pense que c'est un changement législatif qui, je ne pourrais pas dire, va être désavantageux en soi, mais cela va être très désavantageux dans le sens qu'on ne reviendra pas avant longtemps pour changer la loi. C'est maintenant que les femmes ont besoin d'avoir une certaine assurance, une certaine sécurité à la retraite. Je dois vous dire que, quand le Barreau du Québec est d'accord avec le partage des fonds de retraite, je pense qu'il est clair que ce n'est pas quelque chose qui est radical. C'est quelque chose qui relève du gros bon sens. C'est quelque chose qu'on n'invente pas. C'est quelque chose qui est essentiel.

Pour terminer, je veux juste donner non pas des exemples tout à fait, mais démontrer cette relation entre les fonds de retraite et le domicile conjugal. Souvent, vous allez avoir des femmes qui n'ont pas de fonds de retraite, mais qui vont recevoir des sommes d'argent parce qu'elles travaillent à temps partiel. Et vous allez voir que la femme, au lieu de l'investir dans un REER, va peut-être baisser l'hypothèque de la maison parce que c'est un bon choix pour la famille de baisser l'hypothèque. Il y a toutes sortes de planfications... Souvent, une femme ne prendra pas de fonds de retraite lorsqu'elle a le choix à son travail, parce que son mari en a un et que son argent irait ailleurs. Je pense qu'on ne peut pas les dissocier lorsqu'on fait le choix qu'on a à faire.

J'espère que cela vous donne quelque chose de concret et que vous voyez la relation entre la nécessité d'une certaine sécurité à la retraite par rapport au fait que les femmes reçoivent de moins en moins de pension alimentaire ou pour des périodes... Parce que la nouvelle Loi sur le divorce prévoit maintenant qu'on peut avoir des pensions alimentaires pour des périodes limitées et c'est surtout à cause de cela, encore plus à cause de cela, que nous avons besoin de cette réforme.

Le Président (M. Filion): Cela va. Je voudrais vous remercier, Me Grassby, de cette présentation et je vais donner la parole à Mme la ministre déléguée à la Condition féminine.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Je voudrais également vous remercier, Me Grassby, pour la présentation de votre mémoire. Vous l'avez fait avec humour, mais vous avez bien décrit, finalement, la situation de plusieurs femmes. Je vois dans votre mémoire que vous proposez un partage des biens familiaux beaucoup plus large que celui proposé dans le document sur lequel nous travaillons. Vous y incluez non seulement la résidence principale et la résidence secondaire - ce n'est pas la résidence principale ou, à défaut, la résidence secondaire - mais également les objets d'art, de même que les autres biens servant à l'usage de la famille qui pourraient comprendre bateaux, autoneiges et ainsi de suite, et les régimes privés de retraite. Dans un premier temps, lorsque vous parlez des régimes privés de retraite, j'imagine que vous incluez aussi les REER. Est-ce que...

Mme Grassby: Mais oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous incluez les REER?

Mme Grassby: Oui, oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Ma première question serait: En incluant les REER, est-ce qu'à ce moment-là... Pourquoi, par exemple, si vous incluez les REER, vous n'incluez pas aussi les obligations d'épargne, les comptes de banque? Alors, c'est une première question.

Ma deuxième question concernera la masse. Justement, comme je le disais, vous avez une masse qui est beaucoup plus grande à partager mais, par contre, il y a la possibilité d'y renoncer, alors que notre proposition concerne une masse beaucoup plus restreinte des biens familiaux, mais on ne peut y renoncer. Donc, à ce moment-là, je me demande. Vous voyez un petit peu la différence entre les deux propositions. Je vais donc vous laisser répondre à ces deux questions et, par la suite, j'aurai quelque chose d'autre à rajouter concernant la masse de biens. (17 h 30)

Mme Grassby: Alors, pour ce qui concerne la résidence principale, pourquoi incluons-nous aussi la résidence secondaire? Il y a plusieurs motifs à cela et, d'ailleurs, au Barreau, nous avons décidé de retenir les deux. Première chose,

il y a beaucoup de couples dont un est propriétaire de la résidence principale et l'autre est propriétaire de la résidence secondaire pour des raisons fiscales. Alors, si on ne partage que la résidence principale, il va arriver souvent qu'une personne va avoir une résidence et demie. Alors on ne peut pas les dissocier. C'est très, très courant à Montréal. Les gens vont avoir une maison dans les Laurentides et, à cause des lois fiscales, un va être propriétaire, comme je le dis, de la résidence principale et l'autre de la résidence secondaire. On s'est dit qu'on ne pouvait pas les dissocier. Aussi, il y a une certaine logique. Les biens minimaux qui ont été utilisés par la famille, qui ont procuré un certain standard de vie à la famille... Quand la famille a été très à l'aise, Mme Confortable... Il va peut-être y avoir une résidence secondaire. Le fait qu'elle en ait la moitié va effectivement se refléter un peu sur ce à quoi elle a droit. Ce sont quand même des biens utilisés par la famille.

Les objets d'art, le Barreau a aussi retenu cela. Ce sont quand même des choses qui garnissent les maisons. Je vous donnerais les objets d'art si vous me donniez les fonds de retraite parce que les fonds de retraite, c'est beaucoup plus important que les objets d'art. Cela a été retenu parce que - c'est toute l'idée qui existe d'ailleurs aussi dans d'autres provinces - ce sont des biens utilisés par la famille.

Concernant les REER, ce n'est pas la première fois que j'entends cette question, au Barreau, des questions ont été posées. La même question peut se poser concernant les régimes de retraite privés: Où arrête-t-on? C'est cela la question. Il ne faut pas dire: Si on partage les REER, pourquoi ne partage-t-on pas les épargnes? La raison pour laquelle on doit arrêter quelque part, c'est qu'on fait un choix, je pense, au Québec. On laisse un certain choix aux gens. On dit qu'il y a la société d'acquêts, qu'on va permettre encore aux gens de ne pas tout partager, mais on va prévoir un minimum. On dit que le minimum doit être le logement et la sécurité financière à la retraite. Que ce soit par le biais d'un REER, parce que, souvent, le REER existe lorsque la personne n'a pas un fonds de retraite important, ou que ce soit par le biais d'un fonds de retraite privé, cela doit être partagé. On fait des choix comme société. On décide, à un moment donné, qu'on va protéger les gens qui achètent des voitures usagées. On peut choisir. Quand on fait une loi, on choisit. Il faut choisir ce qu'on va donner, quel minimum on va donner.

Je dis que le minimum, c'est le logement et la sécurité financière à la retraite. Être une femme de 55 ans avec une pension alimentaire de 1000 $ ou 1200 $ et savoir qu'à 65 ans cette pension va être coupée et qu'on va être sous le seuil de la pauvreté, ce n'est pas drôle. Ce n'est pas correct, comme société, qu'on laisse continuer cela. D'ailleurs, il y a quelque chose d'intéressant et de bête concernant la société d'acquêts. Je viens de régler le cas d'une dame qui, n'ayant pas un fonds de retraite privé, avait contribué à un REER; elle avait un REER de 80 000 $. Son mari qui était professeur, qui avait un fonds de retraite très intéressant, n'avait pas à contribuer, à diviser le fonds de retraite. Il y avait déjà avec la société d'acquêts des non-sens. Je peux vous assurer que nous n'avons pas donné la moitié du REER. On a dit: Venez le chercher; on ne vous le donne pas; ce n'est pas raisonnable; votre fonds de retraite privé vaut beaucoup plus que notre REER; vous avez travaillé depuis 20 ou 25 ans; cela peut valoir 300 000 $. Il y a quand même des "inconsistances" dans la loi au sujet de la société d'acquêts et c'est d'ailleurs pour cela qu'il faut standardiser et rendre les fonds de retraite privés partageables.

Est-ce qu'il y a une question que j'ai oubliée, Mme la ministre?

Mme Gagnon-Tremblay: La renonciation.

Mme Grassby: Je dois vous dire que, concernant la renonciation, j'étais solidaire avec le Barreau lorsqu'au Barreau nous avons accepté qu'il n'y ait pas de renonciation. C'est un document qui fut préparé en 1985-1986. Nous avons surtout mis notre intention sur le fonds de retraite cette fois-ci. C'est une question qu'on n'a pas beaucoup rediscutée à cette époque, mais je pense que les membres du groupe tendent plus maintenant à accepter qu'il n'y ait pas de renonciation possible.

Mme Gagnon-Tremblay: Pour les autres biens, vous parlez de renonciation possible au moment de l'achat du bien. J'imagine que cela s'applique davantage aux biens meubles, aux biens meublants, aux meubles meublants. Lorsque vous dites qu'on peut y renoncer à l'achat du bien, est-ce que cela signifie... Comment le voyez-vous en termes pratiques? Si vous achetez tout autre bien meublant, en termes pratiques, comment peut-on faire renoncer le conjoint à un bien quelconque, à moins de ne signer à chaque fois une convention sous seing privé?

Mme Grassby: Mme la ministre, on voulait donner du travail au notaire.

Mme Gagnon-Tremblay: Ha, ha, ha! Mais vous vous imaginez qu'à chaque bien les couples se rendent chez le notaire pour...

Mme Grassby: Micro-four? Chez le notaire. Mme Gagnon-Tremblay: Ha, ha, ha!

Mme Grassby: Écoutez, nous avons pensé, lorsque nous avons préparé cela, que, d'un côté, lorsque les gens acquièrent des biens, ils ne renonceront normalement pas au partage. Le danger au Québec, c'est qu'on a cette longue

tradition des contrats de mariage, où nos mère, père, oncles, tantes, nos notaires et nos prêtres nous disaient: Signez-le; cela va vous protéger. Cela a l'effet contraire. On s'est dit que, lorsque les gens vivent ensemble et achètent des choses, très peu de gens vont effectivement y renoncer et que, s'ils veulent le faire, il peuvent rédiger un document par lequel ils établissent cette renonciation.

Mme Gagnon-Tremblay: Lorsque vous vous prononcez contre toute renonciation possible au partage en regard de la résidence familiale, est-ce que vous prenez en considération, à ce moment-là, la durée du mariage?

Mme Grassby: Ah! C'est une question très difficile. Je ne peux nier qu'il peut être pertinent de considérer la durée du mariage lorsqu'on parle de la résidence familiale. Au Barreau, nous avons discuté en long et en large de la proposition du gouvernement qui prévoyait que, lorsqu'on est déjà propriétaire d'une maison, par la suite, c'est seulement la plus-value acquise après le mariage qui doit être partagée.

Je n'ai pas rediscuté de cet aspect avec mes collègues avant de venir ici aujourd'hui, mais il me semble qu'on avait prévu une certaine discrétion concernant la question de la résidence familiale. Je dois vous dire que je me suis préparée aujourd'hui surtout concernant les fonds de retraite parce que je considérais cette chose... On peut regarder, par exemple, la question de la résidence familiale et il peut y avoir plusieurs points de vue à ce sujet. Je considère, avec tous les groupes qui font des interventions, avec le Barreau qui a très bien couvert ça dans son document, qu'on va décider de quelque chose qui sera juste. Je le dis. Il y a quand même plusieurs façons de le voir. Si on est venu vous voir aujourd'hui, c'est que nous avons surtout voulu souligner la question des fonds de retraite et cet aspect, parce que nous travaillons avec ces choses régulièrement. Qu'on ait dit, en 1985, qu'il y avait discrétion ou qu'il n'y avait pas discrétion, on reconnaît maintenant, je pense, que, si quelqu'un se marie étant déjà propriétaire d'une maison de 350 000 $ et que, deux semaines plus tard, sa femme le quitte, on ne peut pas dire carrément que cette maison doive être partagée. Je pense que c'est clair.

Mme Gagnon-Tremblay: C'est d'ailleurs pour cela que je le soulignais, parce que vous avez aussi de nombreux mariages reconstitués avec enfants et vous avez aussi des seconds mariages de personnes d'un certain âge et je pense que c'est la raison pour laquelle la durée du mariage peut quand même avoir une importance assez considérable dans un partage de biens familiaux. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Mme la députée de Maisonneuve et porte-parole de l'Opposition officielle.

Mme Harel: Merci, M. le Président. C'est d'autant plus intéressant, concret et magistral que vous nous avez rappelé que, loin d'être en avance, le Québec est plutôt en retard. Ce sentiment n'était pas partagé par l'opinion publique et je suis convaincue qu'un bon nombre de gens qui ont lu leurs journaux ce matin en prenant leur café ont dû s'étouffer en lisant qu'il allait se passer plein de choses qui allaient révolutionner leurs relations, comme si cela allait être vraiment une attitude totalement nouvelle. Vous insistez, avec raison, sur le fait que nous accusons un retard marqué au Québec à l'égard des dispositions soit en vigueur dans des lois - dans votre rapport, vous parlez du Manitoba et de la Colombie britannique - mais aussi en regard de la jurisprudence et des décisions déjà prises par les tribunaux en cette matière. Mais on reviendra, si vous le voulez, sur cette question des régimes privés de retraite.

En matière de durée du mariage, on retrouve dans l'ensemble des dispositions du Code civil, une cohabitation d'un an pour ne plus voir attaquer le mariage. Vous retrouvez, en fait, dans l'ensemble des causes de nullité cette disposition qui revient, à savoir que le mariage ne peut plus être attaqué lorsqu'il y a eu cohabitation pendant un an. On retrouve donc cette disposition de façon peut-être à protéger durant le laps de temps où il peut y avoir, finalement, prononcé d'une annulation du mariage.

Faut-il laisser à l'arbitraire des tribunaux la définition de la durée? Je ne sais pas ce que vous en pensez, vous qui avez une expérience de praticienne.

Mme Grassby: C'est difficile. Quand j'ai donné l'exemple la discrétion judiciaire, j'ai eu l'occasion de participer où encore j'étais gênée, à un congrès au mois de juillet devant un groupe d'avocats de pratique familiale de tout le Canada. J'ai rencontré là d'ailleurs une femme qui est en train d'écrire un livre, parce que c'est tellement fréquent maintenant au Canada anglais qu'on a besoin de livres pour savoir comment diviser les fonds de retraite. Elle fait partie d'un institut de droit familial à l'Université de Calgary. D'ailleurs, elle était très intéressante et elle avait des statistiques. Elle était convaincue... Moi, je me dis: Un juge, il veut bien faire. Elle a dit: Presque toujours, la discrétion judiciaire marche contre la femme.

Concernant les fonds de retraite, vous pouvez vous demander comment on va les diviser, ces fonds de retraite, ces droits de retraite. Premièrement, Me Deschênes de Mercer va nous expliquer comment les employeurs, cela ne les dérange pas de les diviser, comment c'est facile de le faire. Mais il y a aussi beaucoup de discrétion judificiaire à savoir comment ces droits de retraite doivent être divisés. Main-

tenant, plus tard, en regardant quelle date pour l'établir... Et elle était convaincue qu'encore là la discrétion judiciaire a toujours marché contre les intérêts de la femme. C'est quand même difficile, cette question. Il y a aussi la question de quelqu'un qui est propriétaire d'une maison qui fait partie de son patrimoine familial. Est-ce qu'après un an, un an et demi de mariage, cette -maison doit être partagée? C'est difficile.

Mme Harel: Également, vous avez certainement entendu le Conseil du statut de la femme quand il a présenté son mémoire. Que pensez-vous de cette possibilité d'introduire, au moment de la fin du mariage, une possibilité de convention différente entre les conjoints?

Mme Grassby: Je dois vous dire que je ne suis pas pour cela parce que je ne suis ni pour la période de trois ans, ni pour les renonciations au moment du divorce parce que, vous savez, il y a beaucoup de choses qui se marchandent à ce moment. C'est vrai que les gens sont plus au courant de leurs besoins. Peut-être que oui, peut-être que non. Il y en a qui en sont peut-être plus conscients un ou deux ans plus tard. Combien de femmes viennent me voir pour me dire: Je suis prête à renoncer juste pour avoir la paix et on leur dit: Madame, dans un an vous allez être très mécontente de l'avoir fait. Allez ailleurs si vous voulez le faire, mais pas ici. C'est le marchandage qui se fait concernant la garde des enfants. Si vous renoncez à quelque chose, je ne demanderai pas la garde des enfants. Cela se fait couramment. Je ne vous dis pas que tous les pères font cela, mais je dis qu'il arrive souvent que cela se fasse et je pense que c'est très dangereux. Le mari qui veut donner sa moitié à son épouse, il peut le faire, mais il ne renonce pas à la moitié du domicile conjugal, il lui donne globalement. Alors, on ne doit pas permettre la renonciation, c'est trop dangereux. J'aimerais beaucoup qu'un jour les femmes... On ne pense pas toujours à les protéger, mais la vérité est là et il faut la considérer.

Mme Harel: Dans votre long mémoire, vous faisiez état, comme vous le signaliez tantôt, particulièrement des régimes privés de retraite et vous indiquez que pour les autres provinces, autres que le Manitoba et la Colombie britannique, les tribunaux majoritairement en sont venus à considérer les avoirs de retraite comme faisant partie du patrimoine familial, soit sujets au partage automatique, soit comme un bien non familial, mais sujet à une présomption de partage donnant généralement lieu à un paiement appelé "paiement égalisateur". Cette présomption de partage vous a-t-elle paru ressembler à la proposition du Conseil du statut de la femme, à savoir de considérer comme supplétive la prestation compensatoire? En d'autres termes - j'aimerais vous entendre là-dessus - les tribunaux ont décidé qu'il pouvait y avoir des biens non familiaux, mais sur lesquels pesait une sorte de présomption qui pouvait être utilisée pour corriger l'insuffisance. C'était une sorte d'insuffisance. (17 h 45)

Mme Grassby: II faut comprendre que chaque société fait ses choix et chaque province a fait des choix. On a une législation qui arrive très souvent aux mêmes fins, mais par des voies différentes. Alors, on a des provinces qui disent carrément - par exemple, le Manitoba - on ne peut pas renoncer et on doit prendre la moitié des droits de retraite comme des droits de retraite. La résidence familiale peut être compensée par quelque chose d'autre, mais les droits de retraite, c'est absolument définitif. On prévoit ce qui doit être divisé. Dans d'autres provinces, on dit: Les biens familiaux doivent être divisés, et on ne définit pas ce qu'est un bien familial. C'est là que les cours ont toujours interprété, ou presque, les fonds de retraite comme des biens familiaux. Même si, au Québec, on dit allègrement que ça n'en est pas un, la plupart des provinces vont considérer que ç'en est un. Même si on ne considère pas que ce soit un bien familial, il n'y a aucune raison de ne pas le partager. Qu'on l'appelle un gain familial ou qu'on l'appelle une nécessité de la vie, la sécurité à la retraite, on peut comme société choisir de le partager. Alors, dans d'autres provinces - je ne suis pas experte dans tous les régimes des provinces - on a quand même vu qu'il était inadéquat - un peu ce dont pariait le Conseil du statut de la femme - lorsqu'il y a des biens très importants dans le patrimoine non familial et peu dans le patrimoine familial, que l'on pouvait faire un genre de paiement égalisateur pour que la femme ait une certaine sécurité à la retraite.

Mme Harel: Qu'en est-il de la prestation compensatoire?

Mme Grassby: C'est une bête noire. J'en ai plaidé et j'en ai gagné, des prestations compensatoires, il y en a beaucoup que je n'ai pas plaidées, parce que je savais que je n'allais pas les gagner. À Projet-Partage on n'a pas pris une position particulière par rapport à cela. On a pris la position que la prestation compensatoire ne répond pas aux besoins des femmes. Que l'on ait voulu que ce soit cela, peut-être, mais ça ne répond pas et que cela prend un minimum. Si vous me dites que madame a, au minimum, la moitié de la résidence familiale et la moitié des droits de retraite, au moins, je sais qu'elle pourra aller s'acheter un petit appartement et qu'elle pourra avoir une certaine sécurité à la retraite, à 65 ans, c'est un minimum.

Sur le plan de la prestation compensatoire, quant à moi, il y a un besoin, il faut que cela soit là. La femme collaboratrice, la femme qui a travaillé ou la femme qui a fait plus que sa part au domicile conjugal parce que le mari n'était

jamais là, elle a le droit d'avoir à plus que le minimum et elle devrait avoir le droit à une prestation compensatoire. Me prononcer sur les 30 %, 40 %, 50 %, c'est très difficile, mais je pense que ce qu'il faut... Il faut qu'on puisse, nous, les avocats, dire à une personne qui vient nous voir: Écoutez, vous allez avoir ça et ça. Par exemple, en société d'acquêts, on peut dire: II n'y a pas de grande cause de débat dans la société d'acquêts. Les gens savent à quoi s'attendre, ils ne dépensent pas des fortunes pour faire établir leurs droits, ils le savent. Il n'y a pas de raison, il y a un minimum que les gens savent qu'ils vont recevoir au Québec, lorsqu'ils sont en séparation de biens, et s'ils le veulent, parce qu'ils considèrent qu'ils ont des droits supplémentaires, par exemple, pour demander une prestation compensatoire, qu'ils aillent le demander mais, au moins, on sait qu'on les a protégés avec un minimum.

Mme Harel: Une dernière question, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Je vous en prie, Mme la députée de Maisonneuve, certainement.

Mme Harel: Vous parlez d'une certaine sécurité à la retraite, d'un minimum, et vous nous exposez avec clarté cette solution qui, à l'évidence, a été positivement retenue chez nos voisins, dans d'autres provinces. La question, finalement, qui n'est pas encore résolue est la suivante: De quelle façon le gouvernement entend-il donner cette sécurité minimale à la retraite? Ce n'est pas pour insister de façon démesurée, mais il y a maintenant quand même trois ans le choix qui a été fait par le gouvernement était d'offrir une pension propre. Quand j'ai vu le projet, je me suis dit: Une pension propre au sens où l'engagement a été pris envers les 800 000 femmes au foyer du Québec de leur offrir une participation au régime de rentes. L'engagement n'a été suivi d'aucune mesure concrète jusqu'à maintenant, mais n'a pas non plus été mis de côté. En tout cas, tout au moins jusqu'à maintenant, on prétend toujours qu'il y a des scénarios qui sont à être étudiés, qui vont être déposés, qu'il y aura une commission parlementaire, qu'il y aura des audiences là-dessus, etc. Mais il va y avoir, disons, une clarification à apporter, je pense, dans la mesure où il faut avoir un peu l'heure juste.

Est-ce qu'il y aura une proposition gouvernementale en matière d'une certaine sécurité à la retraite pour l'ensemble des personnes, des femmes - parlons clairement - pour l'ensemble des femmes et encore faudrait-il connaître, à ce moment-là, quelles sont les intentions gouvernementales? Ou bien si, d'une part, il n'y a ni l'application de cette mesure promise, ni le partage, c'est le vide.

Mme Grassby: Je pense, Mme Harel, qu'il faut reconnaître... Un policier qui a travaillé 25 ans, dont le régime de retraite lui donnerait un revenu, disons, de 22 000 $ par année, et qui peut prendre sa retraite à 45 ans - j'ai fait faire des études actuarielles dans mes causes - cela vaut 400 000 $, parce qu'il va recevoir cette somme pendant tellement d'années. Ce sont des valeurs très importantes. Ce n'est pas parce que quelqu'un va avoir droit à une rente de 300 $ ou de 400 $ par mois que cela va remplacer cette valeur. Je pense qu'on doit reconnaître la valeur... Je ne veux pas faire peur et dire que, parce qu'un policier a un fonds de retraite qui vaut 400 000 $, madame va avoir 200 000 $ dans sa poche. Ce n'est pas cela du tout. C'est que, si elle est jeune mariée et qu'ils se séparent après cinq ou dix ans, elle va avoir, soit un montant de 10 000 $, 15 000 $ ou 20 000 $ qui correspond au nombre d'années qu'ils auront vécu ensemble et aux contributions de l'employeur et de l'employé, soit à la fin du mariage un pourcentage des rentes qu'il va recevoir.

Il y a seulement un point que je veux soulever, parce qu'il me tient beaucoup à coeur, comme si je ne tenais pas à la division des fonds de retraite... Ce sont les jeunes femmes qui veulent rester à la maison et qui veulent élever les enfants. Elles vont rester à la maison peut-être seulement dix ans, mais les femmes le font encore et on veut souvent qu'elles le fassent. Il n'est pas juste que cette femme, qui n'a pas gagné pendant cette période, soit privée à tous les points de vue. Si le mariage dure vingt ans, qu'elle ait au moins droit à la moitié de dix vingtièmes de la valeur du fonds de monsieur à sa retraite. Cela va au moins lui donner une certaine sécurité, lorsqu'elle reste à la maison, qu'à 65 ans elle ne soit pas punie d'avoir pris au sérieux ses responsabilités de mère de famille, d'être celle dans le couple qui a choisi de donner du temps. Les femmes qui commencent à travailler à 45 ans sont souvent à la maison à cause d'un choix et ce n'est pas juste de les punir, si elles y sont restées à cause des enfants. Elles ne vont jamais se rattraper et elles vont être pauvres, c'est clair.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme la députée de Maisonneuve. Oui, M. le député de Marquette et adjoint parlementaire du ministre de la Justice.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. Je vous écoutais tantôt avec beaucoup d'attention. La façon dont vous avez fait la démonstration, c'était quand même assez percutant. Je peux me tromper, mais j'ai l'impression que, d'ici à 20 ans - je suis persuade que la majorité des députés sera encore là... Non, non je fais des farces. Donc, je suis persuadé qu'on va faire le même plaidoyer, mais pour les conjoints de fait. Statistiquement, on m'a informé qu'il y en a 11 %, je crois, qui vivent en union libre au Québec. Je ne

sais pas si c'est 11 %, on me corrigera. Une voix: 28 %.

M. Dauphin: C'est presque le triple de ce que je pensais. Alors, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus, parce que dans 15 ou 20 ans, ce sera probablement le même plaidoyer que vous pourrez revenir nous faire. Si c'est rendu à 28 %, ce sera éventuellement 40 % ou 50 % et je pense que je ne me trompe pas en disant cela. Il y a des raisons pour cela, j'en suis persuadé. Pourquoi vit-on en union de fait? Il y a sûrement des raisons.

Mme Grassby: Vous vous demandez pourquoi les gens choisissent de vivre en union de fait?

M. Dauphin: Pardon?

Mme Grassby: Je ne pourrais pas vous répondre. Écoutez, je pense qu'il y a beaucoup de raisons pour lesquelles on n'est pas arrivé à une réforme législative de la famille. Tout le monde pensait qu'on avait le meilleur système. D'ailleurs, la société d'acquêts est un système excellent. On a dit: Ah! les femmes ont choisi leur lit, qu'elles couchent dedans! On avait fait bien des conventions, on ne voyait pas à quel point cela privait les femmes. Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles on n'a pas bougé plus tôt. Mais là, on le sait, c'est scandaleux, il faut le faire. Mais je pense que la discussion des conjoints de fait est une discussion qui peut... Les gens ont tellement d'opinions là-dessus, des opinions souvent très chaudes.

Ce n'est pas pour cela qu'on doit attendre pour faire des changements législatifs. Vous voyez, les femmes de 55 ou 60 ans... Une épouse est venue me voir l'année passée. Son mari lui avait dit: On est sous le régime de la séparation de biens, on s'est marié en Ontario, alors, c'est la loi de l'Ontario du temps qui s'applique, en séparation de biens. Je vous donne le droit de vivre chez moi encore un an et, à 65 ans, vous allez être couverte par votre pension de vieillesse et mon avocat me dit que je n'aurai pas besoin de vous donner une très grosse pension. Alors, restez. La dame vient me voir et me dit: Je suis mariée en séparation de biens, on me dit que je n'ai pas droit aux 200 000 $ de REER que monsieur a accumulés et que je n'ai pas droit à la maison. Qu'est-ce que je vais faire? Heureusement pour madame, son mari était un petit Québécois qui avait été dans l'armée et ils étaient en communauté de biens. Cette femme, du jour au lendemain, j'ai pu lui dire - du jour au lendemain, après un jugement déclaratoire -qu'elle avait droit à la moitié du REER et à la moitié du domicile conjugal. Comment pensez-vous qu'une femme de 65 ans qui a élevé ses enfants voit le monde, dans une situation ou dans l'autre? Je pense que ces femmes, il faut les protéger immédiatement.

M. Dauphin: Merci.

Le Président (M. Filion): Merci. Cela va, Mme la ministre?

Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Je voudrais peut-être revenir sur un sujet que voudrait sûrement me voir aborder la députée de Maison-neuve, c'est-à-dire le dossier de la participation de la travailleuse au foyer au régime des rentes. Je dois lui dire que cela ne fait pas l'objet de la commission parlementaire, je n'ai pas l'intention de l'aborder. Je pense que la députée de Maison-neuve aura toute la latitude possible de poser des questions à l'Assemblée nationale, c'est-à-dire lors de la session qui commencera la semaine prochaine.

Par contre, pour enchaîner sur les régimes privés, on a parlé tout à l'heure de la durée du mariage pour la résidence principale. Quant aux régimes privés, est-ce que vous faites aussi la part de la durée du mariage? Je trouve cela quand même très important.

Mme Grassby: Non, parce qu'il y a des méthodes d'ajustement. Si vous avez été mariée un an, sur 30 ans de contribution, vous allez avoir un trentième, un demi d'un trentième.

Mme Gagnon-Tremblay: À ce moment-là, vous prenez en considération la durée du mariage.

Mme Grassby: C'est certain. Les droits... Mme Gagnon-Tremblay: Ah! d'accord!

Mme Grassby:... pour pouvoir évaluer le fonds de retraite, soit qu'il y ait une évaluation faite au moment de la rupture du mariage - on appelle cela une méthode terminaison", comme si monsieur prenait sa retraite à ce moment-là - soit qu'on prévoie ce qu'il va recevoir à sa retraite. C'est assez complexe mais on a bien des experts au Québec qui peuvent régler cela assez vite. On prévoit cela en se basant sur le nombre d'années du mariage. C'est implicite dans l'appréciation de la valeur du fonds de retraite.

Mme Gagnon-Tremblay: Je trouve intéressante la proposition dans votre mémoire qui dit que, si on devait inclure les régimes privés, ils pourraient être partagés non pas seulement à la dissolution du mariage, mais tout simplement lorsque le bénéficiaire commencerait à retirer son régime. En somme, cela veut dire que les chèques seraient divisés: une portion pour chacun des conjoints. Je trouvais quand même cela intéressant. Par contre, il me semble que dans le mémoire vous ne vous êtes pas prononcée, entre autres, sur les conjoints de fait, le principe de la rétroactivité, de même que sur toute la question de l'obligation alimentaire. Est-ce que c'est voulu ainsi? Est-ce que vous avez des

positions, entre autres? Comment voyez-vous l'assujettissement, par exemple, du conjoint de fait, de même que la mesure transitoire de trois ans permettant aux couples déjà mariés sous le régime de séparation de biens d'y renoncer, de même que la survie de l'obligation alimentaire? (18 heures)

Mme Grassby: On n'a pas discuté de certains de ces sujets. Par exemple, pour ce qui concerne les unions de fait, on... Vous savez, il y a aussi la prestation compensatoire qui est venue dans les années quatre-vingt et, tout à coup, ce qu'on voyait, c'est que les femmes aussi étaient propriétaires d'une maison et se faisaient - j'essaie de trouver un mot gentil - dire par leur mari au moment de la rupture du mariage: Vous savez, je ne ferai pas une demande de prestation compensatoire pour avoir la moitié de la maison si vous ne me demandez pas de pension alimentaire. Il y avait toutes sortes de choses qui arrivaient concernant la prestation compensatoire parce ' que, finalement, cela a servi beaucoup aux hommes, soit pour marchander un meilleur règlement, soit pour aller chercher des choses qui avaient été mises au nom de leur épouse. Cela a fait partie un peu aussi... Il y a quand même des femmes qui sont propriétaires d'une maison dans bien des groupes de notre société, et c'est une des raisons pour lesquelles on a commencé à regarder ce problème. On n'a pas regardé les questions d'union de fait et je pense qu'on n'a pas ressenti non plus le besoin pressant de le faire. Je pense que vous m'avez posé une question sur la rétroactivité. Si on peut, on a le choix de...

Mme Gagnon-Tremblay: La mesure transitoire de trois ans pour les couples déjà mariés.

Mme Grassby: Je pense que nous en avons parlé et nous ne sommes pas d'accord. Je pense qu'on partage la position du Conseil du statut de la femme qui dit qu'on n'a pas demandé, lorsqu'on a rendu les donations à cause de mort caduques, on n'a pas donné la possibilité d'adhérer ou de ne pas adhérer. Moi, je pense que la position qu'a prise le Barreau est très adéquate à cet égard.

Mme Gagnon-Tremblay: Par contre, est-ce que vous permettez la renonciation à la fin du régime?

Mme Grassby: Moi, je dois vous dire que j'ai été très influencée par nos discussions au Barreau et je suis solidaire du Barreau sur presque toutes les questions, sauf sur la question de pouvoir demander quelque chose lorsqu'il n'y a pas de fond de retraite mais qu'il y a des biens appréciables qui ont été amassés pour donner une sécurité financière au couple.

Mme Gagnon-Tremblay: Mon autre question concernait la survie de l'obligation alimentaire.

Mme Grassby: Cela, on n'y a pas touché.

Le Président (M. Filion): Cela va? Oui, alors, M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Oui. Merci, M. le Président. En Ontario, dans la liste des biens familiaux ou biens dits partageables, les régimes de rentes privés sont inclus. Évidemment, ils peuvent y renoncer sauf pour la maison, si ma mémoire est bonne, sauf pour la résidence principale. Mais les régimes privés de rentes sont inclus dans la liste de biens partageables?

Mme Grassby: II me semble qu'on peut y renoncer, mais il faut savoir une chose: la différence entre l'Ontario et le Québec, c'est qu'au Québec, quand le fiancé suggère qu'on signe un contrat de mariage, on pense qu'il prend bien soin de nous; en Ontario, quand on suggère de signer un contrat de mariage, on va voir un avocat en droit familial.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Grassby: II y a une grosse distinction!

Cela veut dire qu'il y aura très peu de gens qui vont effectivement renoncer aux biens qui sont partageables de par la loi.

M. Dauphin: Ma question était la suivante. C'est sûr que les personnes qui adhèrent à des régimes privés de retraite, de rentes... Est-ce que cela a eu un effet de désincitation en Ontario?

Mme Grassby: Je pense que nous avons déjà entendu les statistiques du Conseil du statut de la femme qui ont dit que les gens en Ontario aiment beaucoup le mariage et n'ont pas changé.

M. Dauphin: Non pas désincitation dans le mariage, mais dans les régimes de rentes privés?

Mme Grassby: Mais vous savez... Ce n'est pas pour rien que je vous ai parié de Me Mireille Deschênes qui viendra de Mercer. Les employeurs sont tout à fait capables de répondre aux besoins, par exemple, à la rupture du mariage, de partage des fonds de retraite. D'ailleurs, la loi fédérale... Toutes les compagnies fédérales au Québec, Air Canada, toutes ces compagnies, déjà, c'est prévu dans la loi que, s'il y a consentement, il y a déjà une division des crédits qui se fait. C'est administré d'une façon autonome, les deux "parts", je veux dire les deux choses, et la femme reçoit de la compagnie, d'Air Canada, une pension à la retraite et monsieur en reçoit une séparée. Alors, c'est très normal maintenant.

J'ai réglé récemment une cause dans une compagnie, à Montréal, où j'ai appelé l'actuaire et il m'a tout expliqué comment cela se faisait

en Ontario et ils ne comprennent pas pourquoi, au Québec, leurs employés n'ont pas à partager les fonds de retraite. Il y a des techniques pour le faire et c'est facile de le faire. De plus en plus, d'ailleurs, les actuaires, maintenant que dans les autres provinces on a fait des modifications législatives dans les pensions privées et que c'est transférable après deux ans, sont appelés à évaluer les droits de retraite et on est en train d'établir des standards partout qui permettront une évaluation très facile lors de la rupture du mariage pour que cela se fasse de façon très facile.

Le Président (M. Filion): Cela va, M. le député de Marquette? J'ai une question à poser, avec la permission de mes collègues. Je me réfère à la page 30 de votre document, pour lequel je vous félicite également. Par moments, il prend l'allure d'un solide factum en Cour d'appel, mais dans votre présentation on a vu cet après-midi que vous étiez capable également d'employer d'autres tons. À la page 30, est-ce que je dois comprendre au paragraphe 4... Évidemment, vous parlez d'une catégorie de biens familiaux, ce qui n'est pas tellement éloigné, sur le plan du concept, du patrimoine familial. Au paragraphe 4, vous dites: "de reconnaître que les autres biens familiaux... " Autres que ceux mentionnés au paragraphe 1, est-ce cela? Ce sont les bateaux, les motoneiges, en somme, tous les autres biens. Est-ce cela? En d'autres mots, j'essaie de comprendre votre position.

Mme Grassby: Lorsqu'on parle des biens familiaux, on parle des biens qui ont été définis comme un bien familial dans le mémoire.

Le Président (M. Filion): Mais est-ce que vous entendez par là ce qui était inclus au paragraphe 1 de votre recommandation à la page précédente, la page 29?

Mme Grassby: C'est la définition que nous avons faite de ce qui constitue un bien familial.

Le Président (M. Filion): Bon.

Mme Grassby: Ce qui exclut, par exemple, les épargnes, les investissements à la Bourse, etc.

Le Président (M. Filion): D'accord. Si je ne me trompe, c'est bel et bien votre document: pages 29 et 30.

Mme Grassby: Oui, oui.

Le Président (M. Filion): Au paragraphe 1, vous dites: II y a une catégorie de biens familiaux, les voici. Ces biens-là sont partagés en parts égales entre les époux, c'est le paragraphe 2. Au paragraphe 3, c'est la question de la résidence familiale. Au paragraphe 4, vous dites reconnaître les autres biens familiaux. Est-ce que vous voulez dire autres que la résidence ou autres que ceux mentionnés au paragraphe 1?

Mme Grassby: Autres que la résidence.

Le Président (M. Filion): Autres que la résidence, d'accord. Ce qui m'amène, à ce moment-là, à ma question. J'ai suivi attentivement vos propos sur la question des fonds de retraite. Vous donnez à juste titre l'exemple du policier de la Communauté urbaine de Montréal. Vous avez peut-être eu le cas. Il faut savoir que les fonds de retraite des policiers, l'exemple, vous l'avez choisi bien à propos, parce que les fonds de retraite des policiers font damner à peu près toutes les administrations publiques, parce qu'ils constituent des hypothèques absolument énormes. On n'a qu'à se souvenir, à l'époque, des déclarations des dirigeants de la Communauté urbaine de Montréal sur les fonds de retraite des policiers de la Communauté urbaine de Montréal. Ils constituent des hypothèques sévères non seulement pour l'administration publique, mais peut-être aussi pour l'avenir de notre société. En tout cas, peu importe.

Il y a des types d'emplois qui, par définition, se prêtent bien à des fonds de retraite: par exemple, la plupart des gens qui sont salariés. Il y a d'autres types d'emplois, du côté des professionnels en général, par exemple, qui se prêtent un peu moins bien à un fonds de retraite. Souvent, les gens vont dire: J'investis dans des immeubles, c'est mon fonds de retraite; je joue à la Bourse - on joue un peu moins depuis des mois, mais en tout cas - j'aime bien placer des sous à la Bourse, c'est mon fonds de retraite. Bon. Est-ce que votre proposition, finalement, ne créerait pas une forme de discrimination entre les personnes, hommes ou femmes, qui sont salariées et ceux ou celles qui sont professionels à ce moment-là, parce que leur fonds de retraite ne pourrait pas faire partie du bien familial en l'espèce du patrimoine familial?

Mme Grassby: M. le Président, ce que l'on prévoit au paragraphe 5, c'est de dire que "le tribunal devra ordonner le paiement d'une somme globale ou l'achat d'une rente dans le cas où les époux n'auraient pas de fonds de pension ou un fonds de pension dont la valeur est peu importante, mais auraient un bien non familial susceptible d'être source de revenu à la retraite".

Le Président (M. Filion): Oui, j'en suis, sauf que là vous remettez cela au tribunal.

Mme Grassby: Ah bon!

Le Président (M. Filion): Je reprends juste au début de votre démonstration, alors que vous nous avez dit: Écoutez, faites attention à la discrétion judiciaire!

Mme Grassby: Absolument.

Le Président (M. Filion): Bon, alors...

Mme Grassby: Si vous pouvez me trouver une méthode, je l'accepte, mais le problème est là parce qu'on ne veut pas. C'est parce qu'on peut dire: On impose la société d'acquêts à tout le monde. On dit: on ne veut pas imposer la société d'acquêts à tout le monde, on veut laisser un certain choix. Si on veut que les gens aient des investissements qui ne soient pas partageables, c'est un choix qu'on fait comme société, mais on doit quand même protéger deux choses: le droit au logement et la sécurité à la retraite.

Alors, si on voit que monsieur, le mari de Mme P, a 1 000 000 $ d'immeubles et pas de régime de retraite, bien, on pourrait peut-être donner 200 000 $ à madame pour qu'elle s'achète une petite rente. Je pense que si on établit dans la loi non pas que le droit soit aléatoire ou discrétionnel, mais qu'on doit le donner, cela va être beaucoup plus facile à négocier et cela va donner à un juge l'outil nécessaire pour accorder une somme globale pour l'achat d'une rente pour l'épouse ou, évidemment, pour le mari.

Le Président (M. Filion): Je pense qu'on s'entend un peu sur les difficultés. C'est quoi, un fonds de retraite peu important, par rapport à un... Bon. Il y a des REER qui sont énormes au Québec, il y en a d'autres qui sont minuscules mais, en somme, je voulais surtout que vous éclaircissiez votre pensée là-dessus. Quant à moi...

Mme Grassby: Je pense qu'il est nécessaire de prévoir quelque chose. On ne peut pas prévoir une division, nécessairement, mais on doit prévoir le droit quand même à une rente.

Le Président (M. Filion): D'accord. Je vous remercie. Est-ce que Mme la ministre et Mme la députée de Maisonneuve aimeraient terminer cette discussion?

Mme Harel: Cela va être très rapide, pour vous remercier.

Le Président (M. Filion): Oui, Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Très rapide, mais pour remercier le Projet-Partage qui a, dès 1985, vous le mentionniez vous-même, alerté le gouvernement de l'époque à cette inégalité flagrante. Je veux également remercier les personnes qui vous accompagnent et vous-même. J'avais entendu parler de vous, évidemment en bien, comme vous pouvez l'imaginer, mais c'est encore mieux que ce qu'on m'en avait dit.

Le Président (M. Filion): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Je tiens à vous remercier aussi, Me Grassby, de même que les personnes qui vous accompagnent. Je pense que si, aujourd'hui, nous sommes ici en commission parlementaire pour discuter justement d'un certain partage des droits économiques, c'est un peu grâce à Projet-Partage. Je dois avouer que vous êtes quand même un peu les instigatrices de ce Projet-Partage et je tenais à vous en remercier.

Mme Grassby: Merci, Mme la ministre, et vous pouvez être assurée qu'on va suivre de très près ce qui se passe.

Le Président (M. Filion): Surtout les résultats des travaux?

Mme Grassby: N'est-ce pas!

Le Président (M. Filion): Au nom des autres membres de cette commission, à mon tour de vous remercier à la fois pour votre mémoire et pour la couleur et l'à-propos de vos commentaires cet après-midi.

Est-ce que les membres de cette commission désirent suspendre ou s'ils ne désireraient pas plutôt entamer la dernière partie de nos travaux?

Une voix: Une seconde, s'il vous plaît! Une voix: On continue.

Le Président (M. Filion): Donc, je demanderais à notre prochaine intervenante, Me Mireille D. Castelli, de bien vouloir s'approcher aussitôt que nos derniers invités auront quitté. Me Castelli, un temps de 30 minutes a été prévu, soit une dizaine de minutes pour la présentation du mémoire et une vingtaine de minutes pour discuter avec les membres de cette commission.

Bienvenue parmi nous, Me Mireille Castelli. Sans plus tarder, je vous inviterais peut-être à nous faire cette courte présentation d'une dizaine de minutes. (18 h 15)

Me Mireille D. Castelli

Mme Castelli (Mireille D. ): Parfait! M. le Président, Mmes, MM. les ministres, MM. les députés, vous avez dû remarquer que, dans mon mémoire, ce sont surtout des questions de nature technique que j'aborde. Je signale quand même que je suis d'accord avec la solution retenue. C'est une question qui a été vivement et longuement débattue. Cela me semble trancher les questions de réserve, des questions qui ont été débattues pendant de longues années. Je pense qu'on arrive là à une solution heureuse aussi bien dans les cas de succession que dans les cas de divorce, tous les cas de rupture de mariage. Cela supprime des cas d'injustice aussi.

Je ne le précise peut-être pas dans mon mémoire, mais je pense que les fonds de retraite doivent effectivement être partagés, parce que c'est un élément important. Il y a déjà le régime de rentes public qui est prévu, mais les autres aussi, me semble-t-il, devraient l'être. Je ne sais pas si, dans la proposition, on a mesuré, par contre, que pour l'immense majorité des gens, c'est la quasi-totalité des biens qu'ils possèdent qui va être partagé, surtout si l'on inclut les fonds de retraite, justement. On arrive donc quasiment à un partage des biens obligatoire, malgré l'apparence de choix du régime matrimonial. Par contre, c'est peut-être ce qui est le plus juste. Le choix dépend de la manière dont on envisage le mariage. Si on voit le mariage comme la construction d'une union et la construction d'un patrimoine commun, c'est la solution la plus logique.

Maintenant, je vais aborder des questions plus techniques. Pour ce qui est de la composition des biens familiaux, je trouve que c'est bien composé, c'est assez large, pas trop, sauf la question des fonds de retraite que je trouve regrettable qu'ils n'aient pas été inclus.

Relativement, maintenant, à l'évaluation de la valeur du patrimoine familial, j'ai trouvé qu'il y avait une ambiguïté. Je vous signale surtout les problèmes que j'ai vus; je vous ai dit que c'était surtout au point de vue technique. On parle des dettes - je n'ai pas noté à quelle page - on dit que cela serait déduction faite des dettes qui grèvent ce patrimoine. Là, je pense que, quand on en sera au stade de la rédaction, il y a un danger. Si on vise les dettes pour acheter ce patrimoine, c'est correct, mais si on vise les dettes qui le grèvent - c'est-à-dire toutes les dettes du propriétaire nominal du bien - on va arriver à quelque chose qui ne va plus aller, à mon point de vue.

Pour ce qui est de l'exclusion de la maison acquise antérieurement au mariage, par don ou par succession, la solution retenue me semble bonne. Je dois cependant vous préciser ceci. J'ai discuté, après avoir envoyé mon mémoire, avec des collègues et j'ai vu que nous donnions un sens différent à l'expression "valeur acquise". Quand je dis que je suis d'accord avec le contenu, ce que j'entends par Valeur acquise", c'est partie du prix payé après, ce n'est pas la plus-value. Pourquoi je suis d'accord avec cette proposition qui exclut la maison venant du don, d'un héritage ou achetée avant le mariage et payée, c'est en raison de cette idée de construction en commun d'un patrimoine. Par contre, il est certain que, si on sort ce bien, on va, dans certains cas, réduire à très peu de choses les biens familiaux. Là, il serait peut-être prudent de prévoir une certaine compensation pour qu'il n'y ait pas des gens qui se trouvent à vider les biens familiaux de ce qui en forme l'essentiel. Cela serait valable aussi pour les gens qui vont chercher à contourner la loi en faisant acheter la maison familiale par leur compagnie ou qui vont occuper un logement de fonction, donc, qui n'achèteront pas de maison, parce qu'ils n'en ont pas l'utilité.

Dans le document, on dit que les biens familiaux seront protégés comme la résidence familiale. Là, c'est encore très imprécis, parce qu'on ne peut pas savoir ce qu'on met là derrière. Est-ce que cela veut dire que c'est le type de sanction, par exemple, la nullité de l'acte de vente? Il ne semble pas que ce soit le cas puisqu'on prévoit que, dans le cas où la maison a été vendue, on devra partager la valeur retirée au moment de la vente, donc, cela ne devrait pas être cela. Est-ce que c'est parce qu'on suppose que cela nécessite un enregistrement? Si cela nécessite un enregistrement pour qu'il y ait partage du bien familial, je ne serais plus d'accord du tout. Il y a donc une imprécision qui fait qu'à la limite on ne peut pas donner un avis sur la mesure, parce qu'on ne sait pas exactement quelle est la mesure envisagée.

C'est à peu près ce que je voulais dire sur la question des biens familiaux.

Pour ce qui est de la protection de la résidence familiale, je suis tout à fait d'accord avec la simplification concernant la protection lorsque le logement est loué.

Pour ce qui est, maintenant, des dommages et intérêts accordés au cas où la déclaration de résidence ne serait pas enregistrée - on me dit qu'il y aura des dommages et intérêts accordés - je suis d'accord. Cela sanctionne une solution qui est prônée dans la doctrine. Le problème, c'est que je me dis: Les dommages, comment va-ton les évaluer? On est d'accord que, si le propriétaire de la maison achète une autre maison, il y aura un logement de toute façon. Alors, où le dommage sera-t-il? Ce sera un dommage moral ou psychologique, le fait du changement de lieu d'habitation qui peut parfois être dommageable. Cela peut se résoudre à très peu de chose, parce que vous savez que les tribunaux évaluent assez bas ce genre de dommages. Donc, cela n'aura pas d'effet désincitatif, ce ne sera pas un blocage pour éviter que le conjoint hésite à vendre la maison dont il est marqué comme étant le propriétaire.

Pour ce qui est de la prestation compensatoire, la présomption pour la collaboration à une entreprise prévoit que la part sera de 30 %. Ce que je trouve, c'est que c'est bien qu'il y ait une présomption, cela facilite les choses. Comme l'a dit la personne qui m'a précédée, moins on recourt au tribunal, mieux c'est. Il faut que les choses soient assez simples. Donc, je suis favorable au fait qu'il y ait une présomption. Par contre, ce que je trouve dangereux, c'est qu'on ne semble permettre de modifier cette proportion que pour tenir compte de la durée de la collaboration. C'est là où cela devient anormal. Si c'est une entreprise que les époux ont créé ensemble, c'est correct, on va tenir compte de la durée de la collaboration, donc de la durée où la personne a contribué à l'élaboration de cette

entreprise. Ou, alors, c'est une entreprise qui était une toute petite entreprise au départ. Mais, si c'est une entreprise qui était déjà une très grosse entreprise quand le conjoint s'est marié, la collaboration, même importante, ne pourra jamais équivaloir à 30 %. Or, ce n'est pas prévu. Tout ce qu'on prévoit, c'est que cette présomption, qui s'apprécierait néanmoins en tenant compte de la durée de la collaboration, serait le seul élément, semble-t-il, dont le tribunal pourrait tenir compte. Donc, je trouve qu'il faudrait l'élargir pour tenir compte de la valeur de l'entreprise avant que cette collaboration ne commence.

Pour ce qui est de la prestation compensatoire, je pense qu'il serait bon de préciser que la prestation compensatoire ne peut pas jouer à l'égard du bien familial. Il y a sans doute certains esprits retors qui voudront peut-être essayer de la faire jouer dans ce cadre, ce qui pourrait peut-être à la limite arriver à détruire le but visé par la législation. On va être obligés de faire des interprétations de loi pour arriver à dire ce qui est normalement une évidence, c'est-à-dire que la prestation compensatoire ne doit pas jouer par rapport à un bien familial ou par rapport au résultat obtenu par le partage du bien familial.

Pour ce qui est de la société d'acquêts, je considère que je n'ai rien à dire parce que je trouve que, dans l'ensemble, les propositions sont bonnes.

Pour ce qui est de la communauté de biens, il y a là un problème dans le transfert de la communauté de biens en société d'acquêts. On dit que les biens réservés de l'épouse seront transformés en acquêts de l'épouse. Cela, c'est correct. Mais, quand on dit que les autres biens des époux seraient assimilés à des biens appartenant de façon indivise à chacun pour moitié, je pense d'abord que les autres biens sont les biens communs. Cela veut dire que les biens communs qu'on appelle ordinaires vont être considérés comme des acquêts indivis.

Là, je trouve que c'est injuste. Je suis d'accord pour défendre les femmes, les femmes ont le droit de participer au fonds de retraite. Or, là, je trouve que la personne que l'on spolie, c'est l'homme. Il faut bien voir que, mis à part les cas où ce sont des fortunes avec des revenus provenant principalement des biens propres, qui sont des cas qu'on pourrait sans doute compter sur les doigts de la main dans la province, les biens communs ordinaires, d'où vont-ils provenir? Ils vont provenir des revenus du travail du mari. En société d'acquêts, ce seraient les acquêts du mari, ce ne seraient pas des acquêts indivis. On se trouverait, de cette manière, à donner à la femme la moitié de ce qui devrait être les acquêts du mari, mais on ne fait pas l'inverse, alors je trouve qu'il y a... C'est une chose qui est absolument à changer, parce que c'est injuste. On pourrait dire que le principe est celui-là, quitte à faire la preuve du contraire.

C'est-à-dire que, s'il y a une partie des biens communs qui proviennent des biens propres de la femme, elle pourrait faire la preuve de cet élément pour qu'ils deviennent à elle, ces acquêts. Je pense que pour les successions...

Le Président (M. Khelfa): Merci, Mme Castelli. Mme la ministre délégué à la Condition féminine.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci pour votre présentation, Me Castelli. Nous sommes conscients que, dans le document de consultation, nous ne pouvions être aussi précis que s'il s'agissait d'un projet de loi... Dans ce document, nous ne parlons que de... Les principes et les modalités viendront par la suite, tout en tenant compte, finalement, des recommandations qui nous seront faites au cours de cette présente commission.

Vous abordez plusieurs sujets. Vous avez parlé, entre autres, des dettes. Je pense que c'est très pertinent lorsque vous mentionnez que vous ne... Entre autres, je donne l'exemple d'une résidence qui pourrait être hypothéquée pour garantir un autre bien, en l'occurrence une ferme, et qui finalement serait hypothéquée pleine valeur. Lors du partage, on doit tenir compte de cette dette. Je pense aussi, par contre, à d'autres dettes qui ne sont pas reliées à la propriété comme telle, d'autres garanties qui n'y sont pas reliées, mais qui relèvent d'une même dette. C'est-à-dire que vous pouvez avoir, par exemple, une autre garantie donnée pour garantir effectivement, oui, une autre dette, mais qui ne concerne pas du tout la propriété. Alors, je pense que c'est là un point important qu'il faudra également éclaircir davantage.

Quant à la résidence familiale et à la question de la prestation compensatoire, le Conseil du statut de la femme, cet après-midi, nous proposait de conserver la prestation compensatoire pour la travailleuse au foyer, par exemple, lorsqu'il n'y avait pas de partage de biens. Entre autres, supposons qu'il n'y ait pas de résidence, que les seuls biens soient des régimes privés ou des actions, des obligations, des obligations d'épargne. À ce moment-là, le Conseil du statut de la femme suggérait qu'on puisse avoir recours à la prestation compensatoire et non uniquement dans le cadre d'une collaboration au sein de l'entreprise. Alors, je ne sais pas si vous avez aussi cette opinion.

Mme Castelli: J'ai aussi cette opinion. C'est-à-dire que' je pense que la prestation compensatoire est... La manière dont j'ai compris le mémoire, c'est que la prestation compensatoire resterait telle qu'elle est prévue, mais qu'on ajouterait ces précisions-là. C'est cela que j'ai compris. Alors, je ne sais pas quelle était l'idée, mais c'est cela que j'ai compris; je vais dans le sens du Conseil du statut de la femme.

Mme Gagnon-Tremblay: Je pense que l'idée était davantage d'appliquer la prestation compensatoire à la collaboratrice ou à toute autre forme d'action qui pourrait être posée par des femmes en dehors du travail au foyer, par exemple. Étant donné qu'on avait déjà ce partage des droits à ce moment-là, il n'y avait pas cumul. C'était tout simplement pour quelques rares cas de personnes qui doivent, je ne sais pas, faire des réceptions, qui doivent travailler, mais dont le travail a toujours rapport à l'entreprise du conjoint.

Mme Castelli: Ce que je pense, c'est que la prestation compensatoire, en dehors du cas du conjoint qui collabore à l'entreprise, garde son intérêt, parce que le conjoint peut fort bien faire des apports, ce sont des appports en biens ou en services, en biens aussi, donc en argent, pour un bien de son conjoint qui ne sera pas l'objet du partage des biens familiaux.

Mme Gagnon-Tremblay: Pour vous, est-ce que cela doit être supplétif ou cumulatif?

Mme Castelli: Cumulatif.

Mme Gagnon-Tremblay: Ce qui veut dire que - ce qui est un petit peu différent du Conseil du statut de la femme, finalement - vous avez le droit au partage des biens familiaux et, même si vous n'avez pas d'entreprise, vous pourriez également avoir droit, avoir un recours en vertu de la prestation compensatoire pour une somme additionnelle.

Mme Castelli: C'est cela. Disons que si, par exemple, la résidence familiale, qui ne fait pas partie des biens familiaux, a été acquise au nom de l'un des époux et que l'autre a, en fait, contribué à cet achat en y mettant de l'argent, je considère que, si l'on veut être juste, il faut qu'on lui permette de demander une prestation compensatoire. Sinon, il va perdre, de toute façon. Donc, ce n'est plus un partage tout à fait égal. (18 h 30)

Le Président (M. Khelfa): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Merci, Me Castelli, de vous présenter devant la commission parlementaire. J'écoutais la discussion que vous aviez avec Mme la ministre et je me disais que ce serait d'autant plus utile, je pense, d'entendre vos commentaires au moment où on fera l'analyse du projet de loi lui-même, puisque c'est au moment où on en connaîtra l'écriture, d'une certaine façon, qu'on connaîtra la volonté du législateur dans des dispositions précises dont on pourra sans doute examiner les modalités. Cela m'amenait à penser qu'il faudrait sûrement une autre commission parlementaire au moment où le projet de loi sera complété pour entendre, justement, des points de vue comme le vôtre qui sont certainement extrêmement utiles à l'ensemble des membres d'une commission comme la nôtre, puisque c'est là un point de vue de légiste. C'est intéressant de penser que vous le mettez gratuitement à la disposition des membres de la commission et que d'autres de vos collègues pourraient être désireux de faire de même. Cela nous permet d'avoir un éclairage qui n'est pas nécessairement celui du gouvernement, mais il peut d'autant permettre une meilleure compréhension des effets, surtout, que peuvent avoir nos lois.

En réponse à la question que Mme la ministre venait de poser, vous disiez que lorsqu'une résidence familiale avait été acquise par un seul conjoint, je dois comprendre avant le mariage, le conjoint qui contribuerait à son entretien ou à son financement ne pourrait pas retrouver sa mise du partage. C'est bien cela que je dois comprendre des derniers propos que vous avez échangés avec Mme la ministre?

Mme Castelli: Dans l'exemple que je vous donnais, ce bien, cette résidence familiale ne serait pas un bien familial, ne serait pas sujette au partage puisqu'elle aurait été acquise avant le mariage. Ce serait un cas où il y aurait intérêt à ce que la prestation compensatoire demeure. Elle s'accumulerait avec le partage des biens familiaux autres, c'est-à-dire les biens meubles, en pratique, les biens meubles, les autos, etc., mais la maison ne ferait pas l'objet du partage puisqu'elle n'aurait pas été le fruit de la construction, si l'on peut dire, d'un patrimoine commun des époux, le fruit de leurs efforts communs. Par contre, si l'un des époux contribue à l'entreprise et n'en est pas propriétaire, il aura fait un apport qui aura peut-être permis d'augmenter sa valeur. Il serait peut-être normal qu'il ait un remboursement. Au fond, c'est une sorte de remboursement.

Mme Harel: J'avais cru comprendre que lorsque la maison avait été acquise avant le mariage, dans la proposition gouvernementale, sa plus-value était partageable.

Mme Castelli: Je l'ai compris comme ceci: la valeur acquise pendant le mariage - moi, je l'ai compris de cette manière - c'était la partie du prix payé, ce que l'on peut envisager, parce que des gens se précipiteront chez un notaire pour acheter une maison la veille de leur mariage, même s'ils ne peuvent en payer que 10 %, pour éviter d'avoir à partager cette maison, et ils paieront le reste pendant le mariage. C'est cela que j'avais compris, quand je voyais "valeur acquise", c'est-à-dire la proportion du prix qui serait payée après le mariage. Il faut voir que, souvent, les gens achètent et ne paient pas comptant, ils font des emprunts pour acheter. Donc, le paiement est étalé dans le temps, il y a une partie qui peut être payée après le mariage. Quand j'ai vu "valeur acquise pendant le maria-

ge", c'est à cette conception que j'ai pensé, et c'est là où je me suis montrée d'accord parce que c'était vraiment, une fois de plus, le fruit de la collaboration des époux, alors que la plus-value n'a rien à voir avec la collaboration des époux.

Mme Harel: Là, il faut bien se comprendre. On parle donc de la résidence familiale. Dans la proposition gouvernementale, on serait à la page 23, c'est bien cela?

M. Dauphin: À la page 22? Excusez, page 23.

Mme Harel: Non, ce n'est pas là qu'on retrouve cette disposition.

Mme Castelli: Page 22, au numéro 9.

Mme Harel: On dit: "Le droit au partage en ce qui concerne la résidence familiale acquise avant le mariage par l'un des époux et celle acquise par don ou par héritage ne porterait que sur la valeur acquise depuis le mariage. " Alors, vous, vous interprétez que ces mots "valeur acquise" ne portent pas sur la plus-value.

Mme Castelli: Parce qu'il me semble que cela aurait pu être tourné différemment. On aurait pu dire "l'augmentation de valeur", par exemple.

Mme Gagnon-Tremblay: Ce n'est pas dans cet esprit que nous en avons discuté. Je pense que nous visions vraiment la plus-value.

Mme Harel: C'est cela.

Mme Gagnon-Tremblay: Si on acquiert une propriété quelques jours ou un an ou deux avant le mariage et que, par la suite, cette propriété n'est pas payée et qu'on doit en assumer l'hypothèque au cours du mariage, je pense que tout doit être pris en considération, comme on le fait actuellement lors d'un partage de société d'acquêts, entre autres. Mais cela ne touche vraiment que la plus-value et non pas la valeur acquise.

Mme Castelli: Si cela porte sur la plus-value, je ne peux pas dire que je suis d'accord, parce que vous avez des cas où les gens vont avoir reçu un bien, par exemple, par héritage. J'habite à un endroit où il y a eu un véritable boom au point de vue construction. Les gens ont pu recevoir un bien qui avait peu de valeur, relativement, et qui a pris une valeur phénoménale. Mais cela n'a rien à voir avec l'aide ou la collaboration des conjoints, c'est le hasard de la conjoncture économique.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, mais, justement, si cette valeur... Supposons que vous ayez une propriété qui, lors du mariage, valait 200 000 $. Après trois ou cinq ans - mettons cinq ans - cette propriété a pris une valeur. Elle vaut maintenant 250 000 $, ce qui veut dire que la plus-value est de 50 000 $. Alors, ce serait cette plus-value qui serait partageable également entre les conjoints, c'est-à-dire 25 000 $ à chacun.

Mme Castelli: Oui, je comprends quelle est votre idée. C'est là, personnellement, où je ne suis pas d'accord. Mais c'est une opinion qui est toute personnelle. Je ne prétends pas qu'elle soit bonne. C'est mon opinion. C'est parce que vous prenez une plus-value qui est relativement limitée, 50 000 $. Mais si vous prenez une plus-value qui est vraiment très importante, cela peut amener le conjoint qui était le propriétaire avant le mariage ou qui a reçu ce bien par don ou par héritage à vendre pour pouvoir payer à l'autre simplement parce qu'il y a une plus-value dont ni l'un ni l'autre n'est responsable. C'est cette idée-là, si vous voulez.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, c'est sûr que...

Mme Castelli: C'est l'idée du maintien des biens dans la famille d'origine. C'est une vieille idée!

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, le seul inconvénient, par contre, c'est que, d'une part, on pourrait dire que ce bien n'est pas partageable et, d'autre part, on privé le conjoint d'un certain partage et d'une certaine somme. Peut-être aussi avec la suggestion du Conseil du statut de la femme, que si jamais il n'y avait pas de résidence ou d'autres biens - par d'"autres biens", j'entends "familiaux" - par le biais de la prestation compensatoire, on pourrait combler cette lacune, mais ne pas toucher à la résidence acquise avant le mariage, par donation ou par héritage.

Mme Castelli: Je pense que, pour que vous ayez une idée globale de la logique dans laquelle je m'insère, je considère que le conjoint n'aurait pas droit à la plus-value. Mais je vous rappelle que mon idée, c'est que lorsqu'il n'y a pas de résidence familiale, de maison qui est la propriété d'un des époux, lorsque les gens sont en logement dans un logement de fonction ou qu'on a essayé de contourner la loi en faisant acheter la maison par la société dont on est le principal actionnaire, etc., dans ces cas, il faudrait trouver quelque chose pour compenser cette somme qui aurait dû être dépensée autrement et qui ne l'a pas été et qui serait partagée. Donc, c'est dans cette logique, c'est-à-dire que, là, vous auriez la maison qui aurait été acquise avant ou qui aurait été reçue par héritage. Elle ne serait pas partagée mais on tiendrait compte de ce que les gens auraient dû normalement retrouver, je dirais. C'est cela, mon idée. C'est plus complexe techniquement, évidemment.

Le Président (M. Khelfa): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: M. le Président, je voudrais préciser quelque chose, quand même, avec Me Castelli. Voulez-vous dire que, si une propriété est acquise avant le mariage, par donation ou par héritage, à ce moment-là, indépendamment du temps de collaboration, de la durée du mariage et ainsi de suite, cette propriété serait partageable comme bien familial? Est-ce que c'est cela?

Mme Castelli: Une propriété possédée avant le mariage, reçue par don ou héritage?

Mme Gagnon-Tremblay: Avant le mariage, par donation ou par héritage.

Mme Castelli: Ah non! elle ne serait pas partageable!

Mme Gagnon-Tremblay: Non, pas du tout? Mme Castelli: Pas du tout!

Mme Gagnon-Tremblay: Elle ne le serait pas? D'accord.

Mme Castelli: Pas du tout, sauf...

Le Président (M. Khelfa): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Pas du tout, si j'ai bien saisi votre discussion, sauf le tempérament que vous apportez au sujet de la prestation compensatoire où il serait possible, dites-vous, et de façon cumulative de rechercher ce qui aurait été investi par un conjoint pour l'entretien, le financement ou autre de cette résidence.

Mme Castelli: Oui, il y aurait cet élément-là, c'est-à-dire que le conjoint, qui n'est pas le propriétaire, pourrait aller chercher la prestation compensatoire. L'autre idée aussi, ce serait que, dans le cas où il n'y a pas de résidence familiale à partager, appartenant à l'un des époux nominalement ou aux deux nominalement, on pourrait aller chercher de l'argent qui serait comme l'équivalent du partage des biens familiaux et qui ne serait pas la prestation compensatoire, qui serait complémentaire à la prestation compensatoire, donc avec des conditions différentes.

Mme Harel: Oui, une sorte de présomption pour corriger l'insuffisance...

Mme Castelli: Oui, c'est cela.

Mme Harel:... d'un patrimoine partageable. On retrouve cette idée dans plusieurs mémoires. Je vous remercie surtout pour avoir sans doute introduit cette réflexion concernant la résidence familiale, particulièrement quand vous nous avez mis en garde contre un recours en dommages-intérêts qui serait assez illusoire, finalement, puisqu'on remplace un droit d'habitation qui n'est pas vraiment facilement quantifiable. Dans la proposition gouvernementale, il n'y a pas de recours en nullité contre le tiers de bonne foi; à vrai dire, il n'y en a pas s'il n'y a pas eu enregistrement de la déclaration de résidence. Comme il n'y a pas non plus de déclaration obligatoire, comme le propose le conseil du statut, au moment de l'acquisition du bien, il est vraisemblable qu'il y ait, finalement, des recours illusoires en dommages-intérêts. Je crois que c'est l'élément le plus intéressant, novateur, de ce que vous nous apportez en regard des autres mémoires.

Mme Castelli: Merci.

Le Président (M. Khelfa): Merci bien.

Mme Castelli: Merci beaucoup.

Mme Gagnon-Tremblay: J'aurais quand même... Avant de terminer, je voudrais quand même apporter un éclaircissement sur la question des dommages-intérêts. Je pense que ce que vous apportez, c'est effectivement un éclaircissement puisque cela existe déjà, les dommages et les intérêts, en vertu de la déclaration de résidence familiale. C'est-à-dire que si, actuellement, le conjoint vend sa propriété sans le consentement de l'autre, on a recours à des dommages-intérêts. Cela existe déjà, ce qui est apporté dans le document de consultation actuellement n'est pas nouveau, sauf qu'on le précise davantage.

Mme Castelli: Disons que ce serait inclus dans la loi alors qu'actuellement, cela ne l'est pas. Je signale, par contre, que...

Mme Gagnon-Tremblay: Non, actuellement, cela existe.

Mme Castelli: Oui, cela existe, mais...

Mme Gagnon-Tremblay: Cela existe actuellement dans le Code civil, c'est-à-dire que le conjoint peut avoir droit à des recours en dommages-intérêts, sauf qu'on... Je pense que, pour plusieurs, on l'ignorait, mais cela existe actuellement en vertu de l'article 1053.

Mme Harel: Ah! C'est l'article général du code.

Mme Castelli: Bien oui, c'est cela. Mme Harel: Ah bon, bon! D'accord. Mme Castelli: Seulement, c'est cela.

Mme Harel: Mais ce n'est pas... Oui, d'accord.

Mme Gagnon-Tremblay: C'est parce que... Le Président (M. Khelfa): S'il vous plaît!

Mme Harel: C'est bien différent comme usage.

Mme Gagnon-Tremblay: Par contre, il est bien mentionné, dans l'autre article concernant la déclaration de résidence familiale, qu'on a besoin du consentement de l'époux pour vendre ou hypothéquer. Et si on n'a pas ce consentement, on a droit à des dommages-intérêts. Alors, il est sûr que... C'est à l'article 451, je m'excuse. Il y a longtemps, quelques années déjà, que j'ai regardé mon code: L'époux locataire de la résidence... Ici on dit: "L'époux propriétaire - à l'article 452 - d'un immeuble de moins de cinq logements qui sert en tout ou en partie de résidence principale de la famille ne peut, sans le consentement de son conjoint, l'aliéner, le grever d'un droit réel ni en louer la partie réservée à l'usage de la famille. " Il est vrai qu'on ne parie pas de dommages-intérêts, c'est la raison pour laquelle on l'a ajouté dans notre document puisque, finalement, comme on dit qu'on a besoin de la signature, on sous-entend qu'on aurait effectivement recours à des dommages-intérêts en vertu de l'article 1053. C'est pour cela qu'on le précise davantage. Cela ne veut pas dire qu'on n'avait pas ces droits auparavant.

Mme Castelli: On les avait. Cela avait été dégagé...

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.

Mme Castelli:... mais disons qu'on clarifie les textes.

Mme Gagnon-Tremblay: Parfait! D'accord.

Mme Castelli: L'idée que je veux dire, c'est que, souvent, ce sera évalué assez faiblement.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci infiniment Me Castelli. Effectivement, je pense que vos conseils seront sûrement très intéressants dans la préparation du projet de loi.

Le Président (M. Khelfa): Merci, Me Castelli. La commission ajourne ses travaux à 10 heures demain, le jeudi 13 octobre.

(Fin de la séance à 18 h 45)

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