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(Quatorze heures dix-neuf minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! La séance de la commission des institutions est maintenant
ouverte. Je rappelle notre mandat qui est de procéder à une
consultation générale et tenir des auditions publiques sur le
document intitulé "Les droits économiques des conjoints".
Je demanderais à notre secrétaire, Me Lucie
Giguère, d'annoncer les remplacements, s'il y en a.
La Secrétaire: Oui, M. le Président. Les
remplacements sont les suivants: M. Assad (Papineau) est remplacé par
Mme Blackburn (Chicoutimi), Mme Bleau (Groulx) par M. Khelfa (Richelieu), M.
Godin (Mercier) par Mme Harel (Maisonneuve), M. Jolivet (Laviolette) par Mme
Vermette (Marie-Victorin) et M. Marcil (Beauhar-nois) par Mme Pelchat
(Vachon).
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Notre ordre du
jour de cette première journée est le suivant: d'abord, les
déclarations d'ouverture, 30 minutes au parti ministériel, 30
minutes aux membres de l'Opposition officielle; ensuite, le Conseil du statut
de la femme qui est probablement déjà arrivé, me
semble-t-il. Oui. Également, il y a les représentants du groupe
Projet-Partage jusqu'à 18 heures; par la suite, jusqu'à 18 h 30,
Me Mireille D. Castelli. Normalement, nous devrions ajourner nos travaux aux
environs de 18 h 30, pour reprendre demain à 10 heures.
Donc, sans plus tarder, j'invite Mme la ministre
déléguée à la Condition féminine à
bien vouloir nous faire part de ses remarques préliminaires.
Déclarations d'ouverture Mme Monique
Gagnon-Tremblay
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. C'est un
honneur et un privilège pour moi de présider à l'ouverture
des travaux de la commission des institutions et de présenter, au nom du
gouvernement, le document de consultation sur les droits économiques des
conjoints. Il est en effet très réjouissant pour un gouvernement
de soumettre un document qui, sur le fond, ne pourra faire que consensus
puisqu'il repose sur l'égalité des hommes et des femmes, une des
valeurs fondamentales les plus chères aux Québécois et
Québécoises.
Pour la ministre déléguée à la Condition
féminine, cette satisfaction est doublée du fait que le
résultat de cette consultation nous rapprochera de l'objectif de cette
plus grande égalité, qu'elle soit de nature politique, juridique
ou économique. D'ailleurs, les orientations triennales 1987-1990 du
gouvernement en matière de condition féminine stipulaient, entre
autres, qu'au niveau économique cette égalité pour les
conjoints devait se traduire par un meilleur partage de la richesse familiale.
Elles prévoyaient également l'introduction de mesures pour
faciliter l'indexation et la perception des pensions alimentaires, engagements
réalisés puisque l'indexation automatique des pensions
alimentaires est en vigueur depuis janvier 1988, alors que le projet de loi 33
concernant le recouvrement des pensions alimentaires a été
déposé en juin dernier.
On se rappellera que la réforme du droit de la famille de 1980,
qui a consacré l'égalité juridique des conjoints dans le
mariage, n'a pas eu pour résultat d'établir un équilibre
économique de ceux-ci. D'ailleurs, peu de temps après, les
groupes, notamment les groupes de femmes, demandaient au gouvernement de se
pencher de nouveau sur le droit de la famille afin qu'il assure un meilleur
partage de la richesse familiale et une reconnaissance adéquate du
travail au foyer.
Ainsi, à l'instar des provinces de "common law", la notion de
patrimoine familial partageable entre les conjoints à la fin du mariage
nous fut présentée, à mon collègue de la Justice et
à mol-même, comme une solution pouvant remédier au
déséquilibre économique vécu par plusieurs couples
à la fin du mariage, particulièrement par ceux ayant opté
pour la séparation de biens.
À la suite de discussions avec mon collègue, le ministre
de la Justice, nous avons convenu de constituer un comité de travail sur
les droits économiques des conjoints, composé de
représentants du ministère de la Justice, du Secrétariat
à la condition féminine et du Secrétariat à la
famille. Ce comité devait étudier, en regard du droit actuel, la
situation des conjoints pendant le mariage, lors d'une séparation et
à la dissolution du mariage par divorce ou décès. Il
devait, en outre, proposer sous forme d'hypothèses des modifications
législatives de manière que chacun des conjoints soit
traité, lors d'une séparation ou d'un divorce, et le conjoint
survivant en cas de décès, au plan économique, avec
correction et équité.
Trois hypothèses de modifications législatives, telles que
soumises dans le rapport de ce comité, ont été
développées. Une hypothèse préconise
l'amélioration ponctuelle du droit existant. Dans la lignée d'une
réforme du droit de la famille de 1980, elle propose notamment la
bonification de la protection de la résidence familiale, de la
prestation compensatoire et de la survie de l'obligation alimentaire en cas de
décès du conjoint. Une autre hypothèse reprend les
modifications proposées à l'intérieur de la
première et y ajoute la notion d'un patrimoine familial partageable
entre les conjoints à la fin
du mariage, qu'importe leur régime matrimonial. Enfin, une
dernière hypothèse propose d'assujettir obligatoirement tous les
époux à un même régime: celui de la
société d'acquêts.
Après une étude approfondie de chacune des ces
hypothèses, le gouvernement, pour les raisons que j'exposerai, a
décidé de soumettre la notion de patrimoine familial partageable
à la consultation publique.
Qu'implique donc le contenu de cette proposition? En
résumé, elle implique la constitution d'un patrimoine familial
composé de la résidence familiale dont l'un des conjoints est
propriétaire ou, à défaut, de la résidence
secondaire ou des droits qui assurent le logement familial, s'il en est. Le
patrimoine familial comprendrait également les meubles qui garnissent la
résidence familiale et qui sont affectés à l'usage du
ménage, les véhicules automobiles ainsi que les gains
accumulés par les conjoints en vertu de la Loi sur le Régime de
rentes du Québec ou de programmes gouvernementaux
équivalents.
Ce patrimoine serait automatiquement partageable entre les époux
à la fin du mariage, quel que soit leur régime matrimonial. Il
serait instauré au sein du régime primaire actuel, d'où
l'impossibilité d'y renoncer par contrat de mariage ou autrement. Tous
les biens inclus dans ce patrimoine familial seraient protégés
comme le sont actuellement la résidence familiale et les meubles oui la
garnissent servant à l'usage du ménage. À titre de mesure
transitoire et pour respecter les conventions passées, il serait permis
aux époux déjà mariés d'y renoncer dans les trois
années qui suivent la mise en vigueur de ces dispositions.
Pourquoi avoir favorisé cette avenue de solution? Le gouvernement
l'a privilégiée en s'appuyant sur les fondements socio-juridiques
suivants. Sur le plan social, tout d'abord, la notion d'un patrimoine familial
nous est apparue comme la solution la plus appropriée pour
remédier, au moment de la rupture du mariage, à la
problématique du conjoint marié économiquement faible.
Comme vous le savez, le régime de la séparation de biens ne
prévoit, juridiquement, aucun partage. Lors d'une rupture, il se
révèle très souvent inéquitable pour le conjoint
(principalement l'épouse) qui, en raison de la présence
d'enfants, est demeuré au foyer ou a été sur le
marché du travail de façon sporadique ou à temps partiel
moyennant un salaire généralement peu rémunérateur.
Inéquité car, au moment du divorce, ce conjoint qui n'a peu ou
pas accumulé de biens se retrouve démuni. Or, près de 50 %
de l'ensemble des couples québécois sont encore régis par
la séparation de biens.
Les mécanismes ou recours du droit actuel semblent impuissants
à remédier correctement au déséquilibre
économique entre conjoints. En effet, la réforme de 1980, au nom
de la nécessaire égalité juridique entre les conjoints, a
introduit des mesures qui, dans leur application, ont eu des incidences
désavantageuses pour le conjoint économiquement faible,
marié en séparation de biens et confronté avec un divorce.
Ainsi en est-il de la solidarité des dettes contractées pour les
besoins courants de la famille, où chacun engage l'autre pour le tout
à titre égalitaire, de la caducité des donations à
cause de mort que les époux se sont consenties en considération
du mariage, de la discrétion du tribunal de déclarer caduques les
autres donations à cause de mort ou de réduire les donations
entre vifs ou d'en différer le paiement.
Quant aux nouveaux recours instaurés depuis 1980 afin de
permettre un rééquilibre de la situation financière des
époux en cas de rupture, ils n'ont malheureusement pas donné les
résultats escomptés. Pensons à la prestation
compensatoire, dont plusieurs cas ont été jugés
irrecevables par les tribunaux, et à la protection de la
résidence familiale qui fut trop souvent l'objet de représailles
de la part des maris propriétaires. Au surplus, les créanciers
éprouvant des difficultés à percevoir leur pension
alimentaire, le gouvernement déposait en juin dernier le projet de loi
33 visant à modifier le rôle du percepteur des pensions
alimentaires afin d'améliorer l'efficacité du système de
perception.
Quand on constate qu'actuellement trois mariages sur cinq se terminent
par un divorce et que cette proportion pourrait augmenter du fait que la
nouvelle loi sur le divorce l'autorise après un an de séparation
de fait, on peut s'attendre qu'un plus grand nombre de conjoints mariés
en séparation de biens se retrouvent démunis si le
législateur n'adopte pas les mesures pertinentes. La proposition soumise
nous apparaît donc apporter une solution réelle à la
situation inéquitable dans laquelle se retrouvent les couples
déjà mariés en séparation de biens. Elle vient
aussi reconnaître socialement le travail au foyer.
Quant à l'avenir, la proposition permet de consacrer le mariage
comme une véritable institution de partenariat, servant de base à
l'organisation de la famille sous l'enseigne de l'égalité des
conjoints. Ce que l'on bâtit ensemble, n'est-ce pas logique de le
partager, et cela, dans le meilleur intérêt non seulement des
conjoints, mais aussi des enfants? En ce sens, nous concevons le partage du
patrimoine familial entre conjoints comme une nouvelle approche sociale du
mariage qui profitera à tous les membres de la famille. Plusieurs
organismes du milieu adhèrent à cette approche comme un moyen
susceptible de renforcer le rôle de la famille. En cela, ils rejoignent
un courant observé dans plusieurs pays occidentaux.
Sur le plan purement juridique, il m'apparaît que la notion de
partage d'un patrimoine familial constitue le prolongement du principe de
l'égalité des conjoints au moment de la dissolution du mariage.
Au sens du régime primaire actuel, l'égalité juridique des
conjoints ne fait
pas de doute durant le mariage. Les époux sont obligés
d'assurer la direction morale et matérielle de la famille, d'exercer
ensemble l'autorité parentale et d'assumer les charges qui en
découlent. De plus, ils doivent contribuer aux charges du mariage en
proportion de leurs facultés respectives, notamment par
l'activité au foyer.
Malheureusement, cette égalité ne se concrétise pas
à la fin du mariage, sur le plan économique. Pensons, par
exemple, à l'obligation qui est faite à chacun des époux
de contribuer également aux charges de la famille. Le divorce d'un
couple marié en séparation de biens a souvent pour effet de
créer un déséquilibre, puisque le conjoint qui n'a rien
accumulé personnellement peut se retrouver démuni et ce,
même si son activité au foyer a été reconnue
légalement comme moyen de s'acquitter de cette obligation aux charges de
la famille. Un partage, à la fin du mariage, de ce que les conjoints
devaient bâtir ensemble me semble le résultat légitime de
l'application des obligations du régime primaire. Dans le même
sens, il peut s'agir d'une reconnaissance légale implicite du travail au
foyer à titre de contribution aux charges de la famille.
Au surplus, un tel partage, notamment au chapitre de la résidence
familiale et des meubles qui servent à l'usage de la famille, donnerait
un plein effet aux mesures du régime primaire qui accordent
déjà une protection à ces biens durant le mariage en
interdisant de les aliéner sans le consentement du conjoint
propriétaire. Le partage éventuel de ces biens familiaux,
advenant la rupture du mariage, me semble une suite logique des mesures de
protection qui s'y appliquent durant le mariage.
Enfin, l'instauration de la notion de partage d'un patrimoine familial
assurerait une plus grande harmonisation du droit familial
québécois avec celui des provinces de "common law".
Je crois qu'il est pertinent de faire un parallèle entre le
système ontarien et la proposition qui vous est présentée.
En vertu de la loi ontarienne, la plupart des biens meubles ou immeubles dont
les conjoints sont propriétaires sont partageables à titre de
biens familiaux. Par contre, la loi prévoit que ces biens peuvent
être exclus par contrat de mariage ou autre contrat familial
privé, à l'exception de la résidence familiale. Suivant
l'hypothèse retenue, le patrimoine familial est restreint, mais il est
toutefois impossible d'y renoncer.
La notion proposée offre donc, à notre sens, une meilleure
garantie d'assurer un équilibre économique entre les conjoints
à la fin du mariage. Au surplus, un partage restreint des biens
familiaux s'intègre mieux aux régimes matrimoniaux
québécois. En effet, nous ne pouvons ignorer que la
société d'acquêts est un régime de partage auquel
adhèrent de plus en plus de couples québécois.
La constitution d'un patrimoine familial restreint, tel que nous l'avons
présenté, m'ap- paraît maintenir une certaine distance
entre ce patrimoine et les régimes de la société
d'acquêts et de la séparation de biens. Il laisse encore ouverture
à l'exercice de la liberté des conventions pour les couples qui
possèdent d'autres biens et qui souhaiteraient partager plus que la
masse de biens familiaux. Voilà donc les fondements socio-juridiques qui
ont justifié notre orientation.
Je ne pourrais terminer sans faire état de certaines questions
qui nous ont grandement préoccupés lors de l'élaboration
de cette proposition. Il s'agit principalement de la liberté des
conventions matrimoniales, de l'effet désincitatif au mariage et de la
question des conjoints de fait.
Pour ce qui concerne les libertés des conventions, il nous est
apparu que ce principe pouvait très bien continuer de. s'appliquer pour
ce qui excède la masse partageable. C'est d'ailleurs la raison pour
laquelle nous proposons un patrimoine familial restreint suffisant, d'un
côté, pour rééquilibrer économiquement la
situation des conjoints mariés en séparation de biens et
socialement acceptable en regard de cette nouvelle conception du mariage
qualifié d'institution de partenariat. Ainsi, les gens qui
possèdent d'autres biens que ceux inclus dans le patrimoine familial
pourraient toujours choisir la société d'acquêts ou la
séparation de biens pour convenir du partage de ces biens.
Le principe de la liberté des conventions qui existe dans notre
Code civil depuis 1966 a toujours sa place dans notre société,
mais le contexte socio-juridique demande qu'on le reconsidère. Son
maintien risque d'accentuer la situation de pauvreté dans laquelle se
retrouvent chaque année un grand nombre de femmes divorcées. Sa
limitation rejoint le mouvement social insistant en faveur d'une réelle
égalité des conjoints.
Concernant l'argument voulant que l'instauration du partage du
patrimoine familial ait un effet désincitatif au mariage, il s'agit
d'une question sociologique qui nous semble partiellement hypothétique.
Après étude de certaines statistiques, nous en sommes venus
à croire que la baisse des mariages au Québec était
plutôt reliée à une mutation sociale qu'aux
législations qui s'y appliquent.
En 1986, selon Statistique Canada, 5, 9 % des couples ontariens vivaient
en union de fait alors qu'au Québec, durant la même
période, cette proportion était de 11, 8 %. Toujours selon
Statistique Canada, entre 1972 et 1986, la plus faible diminution du nombre de
mariages en pourcentage au Canada a été enregistrée en
Ontario, soit 15, 2 %. Comme la loi ontarienne sur le droit de la famille a
rendu la notion de partage du patrimoine familial applicable aux couples
mariés dès 1978, ces statistiques ne semblent pas indiquer comme
tel un impact négatif de la notion de partage sur le mariage. Toujours
selon ces statistiques, l'Ontario est la
province où le nombre de mariages a le moins baissé au
Canada entre 1972 et 1986, alors que le Québec vient en premier.
Je souhaite grandement que la présente consultation puisse nous
alimenter sur cette question qui demeure difficile à évaluer pour
l'avenir. Pour ma part, je ne crois pas que l'instauration d'un patrimoine
familial constitue un désincitatrf au mariage. Au contraire, structurer
le mariage comme une institution égalitaire, tant du côté
des personnes que du côté des patrimoines, me semble
l'organisation Juridique souhaitée pour fonder une famille.
Enfin, on se rappellera que la question des conjoints de fait a
longuement été examinée lors de la réforme du droit
de la famille en 1980. Le législateur avait alors finalement
décidé de respecter leur choix de vivre en union de fait et de
s'organiser selon leurs goûts personnels, compte tenu qu'ils n'avaient
pas opté pour l'institution juridique du mariage. Nous avons donc
décidé de respecter le choix des conjoints de fait et de ne pas
leur appliquer la notion de partage du patrimoine familial. On retrouve
près de 12 % des couples québécois vivant actuellement en
union de fait au Québec. Il sera intéressant de connaître
les commentaires des intervenants à cet égard et, notamment, les
suggestions pour ce qui regarde la protection des enfants issus de ces unions.
Nous saurons alors s'il y a lieu de refaire le débat dans le cadre d'une
réforme plus globale.
En conclusion, je crois que l'hypothèse de solution qui vous est
présentée constitue un pas important dans la recherche d'un
meilleur équilibre économique des conjoints lors de la rupture du
mariage. En ce sens, elle permettrait de solutionner la problématique
des gens mariés en séparation de biens dont l'un se retrouve
souvent économiquement faible à la fin du mariage. Au surplus,
elle permet d'adhérer à cette nouvelle approche sociale du
mariage à titre d'institution de partenariat, laquelle semble reconnue
comme un moyen de renforcer le rôle de la famille.
Cependant, cette réforme des droits économiques des
conjoints ne doit pas être considérée comme une solution
unique qui dispenserait de s'attaquer à d'autres sources
d'inégalité existantes. Ainsi, il demeurera essentiel de
poursuivre nos actions pour favoriser l'atteinte de l'égalité
entre les Québécoises et les Québécois.
Je vous remercie de votre attention et je souhaite sincèrement
que cette consultation publique nous apporte tout l'éclairage
nécessaire à la formulation des solutions à
privilégier dans le meilleur intérêt des conjoints et des
familles québécoises. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme la
ministre déléguée à la Condition féminine.
J'inviterais maintenant M. le député de Marquette, adjoint
parlementaire du ministre de la Justice, à nous faire part de ses
remarques préliminaires.
M. Claude Dauphin
M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. À
titre d'adjoint du ministre de la Justice, M. Gil Rémillard, qui,
incidemment, ne peut être avec nous cette semaine étant retenu
à l'extérieur, mais il sera parmi nous pour les auditions de la
semaine prochaine, j'ai le plaisir aujourd'hui de présenter
conjointement avec ma collègue, Mme Gagnon-Tremblay, le document sur les
droits économiques des conjoints. Ce document fait suite aux travaux du
comité sur les droits économiques des conjoints, formé en
janvier 1987, et au dépôt dudit rapport de ce comité en
août de la même année.
J'aimerais vous rappeler le contexte de la création de ce
comité dont Mme Gagnon-Tremblay vous a parlé. Vous vous
souviendrez que, lors de la commission parlementaire sur le projet de loi 20 de
1985 portant réforme au Code civil du Québec du droit des
personnes, des successions et des biens, aucune solution n'avait pu faire
l'objet d'un consensus autour de la survie de la créance alimentaire ou
de la réserve héréditaire. Cette partie du projet de loi
avait donc été retirée par le ministre de la Justice de
l'époque.
Parallèlement à cette question, d'autres problèmes
étaient étudiés par le gouvernement: la reconnaissance du
travail des femmes collaboratrices et des femmes au foyer, le partage des
droits à la retraite et les difficultés d'application de la
prestation compensatoire. Or, le ministre de la Justice et la ministre
déléguée à la Condition féminine ont convenu
que toutes ces questions pouvaient être regroupées sous une
même problématique, celle des droits économiques des
conjoints.
En décembre 1986, lors d'un discours prononcé devant
l'Assemblée nationale à l'occasion de l'étude du projet de
loi 20, le ministre de la Justice annonça donc la création dudit
comité. Il avait pour mandat de réévaluer les dispositions
du Code civil relatives à la protection de la résidence
familiale, à la prestation compensatoire, aux régimes
matrimoniaux et au partage des biens en cas de séparation de corps ou de
divorce, et d'évaluer, en tenant compte de cette analyse, les modes de
protection de la famille lors du décès du conjoint. Ce
comité devait soumettre une recommandation globale pour apporter les
modifications législatives requises au Code civil, plus
particulièrement aux livres de la famille et des successions, de telle
sorte que la politique familiale qui sous-tend le Code civil soit pleinement
cohérente et tienne compte de tous les droits, intérêts et
obligations des parties en présence, conjoints et enfants.
La proposition gouvernementale que l'on retrouve au document de
consultation fait suite aux travaux de ce comité. Cette proposition
s'inscrit dans une volonté de parfaire les règles
actuelles du droit familial. En effet, au Québec, le
régime légal de la société d'acquêts
établit déjà un partage de biens entre les conjoints. Ce
régime est choisi par une majorité de personnes, soit 63 % en
1985, et les époux qui choisissent ce régime sont, chaque
année, de plus en plus nombreux.
En dépit du fait que la société d'acquêts
soit le régime légal au Québec, des problèmes de
déséquilibre économique entre les conjoints, à la
fin du mariage, demeurent. Ces problèmes sont aggravés lorsque
les époux sont mariés sous le régime de la
séparation de biens.
La proposition gouvernementale suggère une solution:
c'est-à-dire l'institution d'un patrimoine familial qui s'appliquerait
à tous les époux, quel que soit leur régime matrimonial.
Ce patrimoine familial serait constitué d'un ensemble de biens
énumérés dans la loi et sa valeur nette serait
partagée également entre les époux à la fin du
mariage ou à la suite d'une séparation de corps. Cette
proposition apporterait une solution concrète au problème de
déséquilibre économique des conjoints, à la fin du
mariage, tout en respectant les principes mis de l'avant par la réforme
de 1980, c'est-à-dire égalité des conjoints dans le
mariage et respect de leur liberté et de leur autonomie.
J'aimerais maintenant vous parler des autres propositions prévues
dans ce document de consultation lesquelles, nous le croyons, contribueraient
à l'amélioration de nos règles de droit en matière
familiale. En premier lieu, parlons de la protection de la résidence
familiale. Plusieurs modifications sont proposées; elles visent toutes
à accroître la protection actuelle.
La première proposition en cette matière est
d'étendre la protection de la résidence familiale de
manière à viser toute aliénation des droits par lesquels
est assuré le logement de la famille, y compris l'enregistrement d'un
droit réel. Cette proposition vise à ne pas limiter la protection
de la résidence familiale aux situations où la résidence
est la propriété de l'un des conjoints. Par exemple, la famille
peut avoir pour résidence familiale un immeuble qui appartient à
une compagnie dont les actions sont toutes détenues par l'un des
conjoints. Selon cette proposition, cette résidence familiale serait
protégée de la même façon que si le conjoint en
était le propriétaire.
Quant à la protection des lieux loués comme
résidence familiale, elle serait rendue automatique: le conjoint du
locataire n'aurait plus à aviser le propriétaire du fait que le
logement est utilisé comme résidence familiale pour
bénéficier de la protection. Même en l'absence d'un avis au
propriétaire, le locataire de la résidence familiale ne pourrait
plus, sans le consentement de son conjoint, sous-louer, céder son droit
ou mettre fin au bail.
La protection de la résidence familiale serait également
accrue en regard de la saisie de la résidence familiale et de sa vente
forcée. Il s'agit là de mesures particulièrement
importantes pour la protection du patrimoine familial. La résidence
familiale ne pourrait plus être saisie pour une créance
inférieure à 10 000 $, sauf les exceptions prévues
à l'article 553. 2 du Code de procédure civile. En outre, cette
résidence ne pourrait plus, dans les cas de vente forcée,
être vendue pour un prix inférieur à 70 % de sa valeur
marchande. Rappelons qu'en droit actuel une résidence ne peut être
saisie pour une créance inférieure à 5000 $ et peut
être vendue pour un prix qui serait à peine équivalent
à 25 % de ladite valeur marchande. (14 h 45)
Une autre disposition qu'il est important de mentionner est que le
tribunal pourrait attribuer au conjoint à qui est confiée la
garde des enfants un droit d'habitation à la résidence familiale
sans que cette attribution n'affecte sa part dans le patrimoine familial.
Je voudrais cependant rappeler que, malgré ces modifications,
l'enregistrement d'une déclaration de résidence familiale
conserve toute son utilité. En effet, d'une part, elle permet
l'annulation de l'acte fait sans le consentement du conjoint si ce consentement
est requis et, d'autre part, elle permet au conjoint d'être avisé
des procédures prises contre l'immeuble par des tiers.
Certes, en droit actuel, même en l'absence de l'enregistrement
d'une déclaration de résidence familiale, le propriétaire
doit obtenir le consentement de son conjoint pour, par exemple, vendre la
résidence familiale et, si la vente est faite sans que le conjoint y ait
consenti, il est passible de dommages et intérêts. Il est
d'ailleurs suggéré dans la proposition gouvernementale de
préciser clairement l'existence de ce recours en dommages et
intérêts. Malgré cela, pour les raisons que je vous donnais
tout à l'heure, je recommanderais aux conjoints d'enregistrer une
déclaration de résidence familiale.
D'autres modifications sont également proposées. Ainsi, le
recours à la prestation compensatoire est bonifié. Le conjoint
qui collabore à l'entreprise dans laquelle il ne possède aucun
actif n'aurait pas à faire la preuve de son droit dans les actifs de son
conjoint; il serait présumé avoir droit à une part de 30 %
dans les actifs nets que son conjoint possède dans l'entreprise. Il
appartiendrait au conjoint qui possède les droits dans l'entreprise de
démontrer que la contribution n'équivalait pas à cette
part de 30 %. Cette mesure vise à régler les difficultés
de preuve auxquelles se bute le conjoint collaborateur qui réclame une
prestation compensatoire. Évidemment, s'il a contribué pour une
partie supérieure à 30 %, il pourrait faire la preuve de sa
contribution et obtenir la part à laquelle il aurait droit.
La prestation compensatoire est aussi élargie quant à ses
modes de paiement. Ainsi, le tribunal pourrait ordonner le partage des droits
accumulés par l'un des conjoints dans un régime
privé de retraite. Ces droits deviendraient cessibles entre les
conjoints pour le paiement de la prestation compensatoire. Il s'agit là
d'une mesure importante pour les droits des conjoints car, actuellement, ces
droits sont, dans nombre de cas, incessibles et insaisissables. Le tribunal ne
peut en ordonner le partage au bénéfice de l'autre conjoint.
La proposition gouvernementale prévoit aussi des modifications
aux règles de la société d'acquêts de manière
à rendre ce régime encore plus égalitaire pour les
conjoints. Je me permets de mentionner de nouveau que le nombre d'époux
qui choisissent ce régime augmente chaque année. Parmi les
modifications proposées, le droit des héritiers d'accepter ou de
refuser le partage des acquêts du conjoint survivant deviendrait
conditionnel à l'acceptation par ce dernier du partage des acquêts
du défunt.
Par cette modification, on reconnaît le statut particulier du
conjoint part rapport aux autres héritiers. On confère au
conjoint survivant un droit d'option qui lui permet, soit de conserver ses
acquêts en entier et, dans ce cas, les héritiers ne pourront pas,
au nom du défunt, réclamer leur part, soit d'accepter le partage
des acquêts du défunt et, alors, il sera susceptible de devoir
céder la moitié de ses acquêts à la masse
successorale. Le législateur reconnaît donc le statut particulier
du conjoint par rapport aux autres héritiers.
Une autre amélioration importante au régime de la
société d'acquêts est que le conjoint qui aurait
dilapidé ses acquêts ou qui les aurait administrés de
mauvaise foi ne pourrait pas revendiquer la part qui aurait dû lui
revenir dans les acquêts de son conjoint à la dissolution du
régime. Il s'agit là d'une règle d'équité.
En effet, actuellement, celui qui dilapide ses acquêts peut,
malgré tout, revendiquer sa part dans les acquêts de son conjoint.
C'est donc une situation injuste pour les époux. Cette proposition
devrait y remédier.
La proposition gouvernementale comporte aussi des modifications à
l'ancien régime de la communauté de biens étant
donné, entre autres, que ce régime comporte des règles qui
se marient mal aux principes d'égalité et de liberté des
époux pendant le mariage. Pensons, par exemple, à
l'administration des biens communs par le mari. Il est proposé, entre
autres, de transformer le régime de communauté de biens en un
régime de société d'acquêts lorsque les époux
n'ont pas choisi ce régime par contrat de mariage. Cette transformation
se ferait en respectant les droits de chacun des époux dans le
patrimoine de son conjoint.
Malgré les modifications qui sont proposées au droit de la
famille, il nous est apparu clair qu'il fallait prévoir une protection
supplémentaire pour le conjoint, l'ex-conjoint et les membres de la
famille en général, lorsque celui qui subvenait à leurs
besoins décède. C'est pour cette raison que nous proposons un
ensemble de règles relatives à la survie de l'obligation
alimentaire qui compléteraient les dispositions sur le patrimoine
familial. Ces règles visent à assurer une certaine protection,
pour un certain laps de temps, à la personne qui, à
l'époque du décès, était à la charge du
défunt. Par exemple, si une personne, à la suite d'un jugement,
versait une pension alimentaire à son ex-conjoint, ce dernier pourrait
continuer à recevoir cette pension pendant un certain temps après
le décès de celui qui versait ladite pension.
Ce mécanisme devrait permettre à ceux qui dépendent
financièrement d'une personne, complètement ou en partie, de
recevoir les sommes nécessaires pour leur permettre de s'organiser
après le décès de cette personne.
La proposition gouvernementale s'inscrit dans un processus
législatif déjà amorcé, tel que je vous l'ai
expliqué précédemment. Les récentes réformes
du Code civil et l'adoption de certaines règles en droit des
successions, en droit des biens et même en droit des sûretés
en font foi. Certaines de ces règles ont, elles aussi, des incidences
directes sur plusieurs de ces questions. Ainsi, par exemple, dans les
modalités de partage, en droit des successions, l'article 900 du Code
civil adopté et sanctionné le 15 avril 1987, mais non encore en
vigueur, prévoit que l'entreprise ou les parts sociales, actions ou
autres valeurs mobilières liées à celle-ci sont
attribuées par préférence à l'héritier qui
participait activement à l'exploitation de l'entreprise au temps du
décès.
On peut noter également qu'en vertu de l'article 898 du Code
civil le conjoint survivant peut, par préférence à tout
autre héritier, exiger que l'on place dans son lot la résidence
principale de la famille et les meubles affectés à l'usage du
ménage, à charge de soulte, s'il y a lieu.
Il apparaît donc que les droits économiques des conjoints
sont pour le ministre de la Justice une préoccupation constante qui
s'inscrit dans la réforme globale du Code civil. Je suis convaincu que
ces consultations qui commencent vont se révéler des plus
enrichissantes en suscitant des discussions fructueuses sur les sujets
abordés au document de consultation, l'objectif étant de mieux
répondre aux besoins de la société
québécoise moderne. Merci beaucoup de votre attention.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Marquette. J'inviterais maintenant la porte-parole de
l'Opposition, Mme la députée de Maisonneuve.
Mme Louise Harel
Mme Harel: Alors, merci, M. le Président. Comment
entreprendre nos travaux, cet après-midi, sans parler d'abord de cette
responsabilité qui nous incombe, en tant que législateurs en
matière de droit familial, d'ouvrir de nouvelles
voies à la pleine égalité juridique,
économique et sociale des femmes.
Avons-nous une proposition innovatrice devant nous? Je pense que,
malgré les apparences, il faut répondre non. Il s'agit d'une
proposition correctrice. Je prends à témoin l'exposé qu'en
a fait Mme la ministre, à l'ouverture de nos travaux, quand elle
signalait qu'il s'agissait de corriger - et je cite - les incidences
désavantageuses de l'égalité juridique introduite par la
réforme de 1980 pour le conjoint économiquement faible,
marié en séparation de biens.
Il s'agit donc d'une proposition correctrice. Est-ce suffisant? M. le
Président, pour l'Opposition, la réponse est non. Il reste encore
beaucoup à faire pour ouvrir de nouvelles voies à la pleine
égalité juridique, économique et sociale des femmes.
Beaucoup reste à faire, malgré les profonds sillons tracés
par la défricheure que fut Mme Payette à l'occasion de la loi 89
portant réforme au droit de la famille et malgré les
nécessaires et indispensables correctifs apportés à
l'incapacité juridique des femmes mariées par ses
prédécesseures, notamment, Claire Kirkland-Casgrain.
Mais il ne s'agit pas simplement d'ajuster un droit condamné,
comme une fatalité, à toujours être en retard sur
l'évolution de la société. Les femmes, plus que les
hommes, courent déjà un plus grand risque d'être pauvres et
ce risque est encore plus grand si, en plus, elles acceptent d'être
mères. Maternité et pauvreté, plus que jamais dans
l'histoire, se conjuguent au féminin dans une société qui,
pourtant, prétend avoir un vrai besoin et un grand désir
d'enfants.
Pour illustrer mes propos, qu'il suffise de rappeler les études
récentes du Conseil canadien de développement social et du
conseil québécois des affaires sociales sur la pauvreté
des familles monoparentales: plus de la moitié des familles
monoparentales dirigées par une femme ont de faibles revenus, 56 %.
Qu'il suffise de rappeler le profil de la pauvreté en 1988,
publié par le Conseil national du bien-être social, qui constate
que quatre familles sur dix dirigées par une femme sont pauvres
comparativement à une famille seulement sur dix dirigée par un
homme.
La Loi sur le divorce a vingt ans cette année. Les plus
récentes enquêtes du Conseil consultatif canadien de la situation
de la femme donnent une idée de la démesure du
déséquilibre économique entre les membres de la famille
divorcée. Après un divorce, nous dit-on, inévitablement,
le niveau de vie des femmes et des enfants diminue. Selon une autre
étude ontarien-ne, cette diminution serait de l'ordre de 73 %, i alors
que le revenu net des hommes divorcés va jusqu'à doubler
l'année suivant le divorce. Des statistiques disponibles pour 1986
révèlent que le Québec a connu à peu près
1000 mariages pour [ 600 divorces, dans des conditions certainement semblables
à celles de nos voisins.
Une nouvelle législation s'impose. Nous avons adopté, dans
l'Opposition, dès l'arrivée du gouvernement libéral, il y
a trois ans maintenant, une attitude que nous avons voulue la plus responsable
et non partisane. Nous considérons qu'il s'agit là d'un dossier
névralgique. Pour accélérer l'avancement des travaux de la
réforme du Code civil, nous avons consenti, comme Opposition, au retrait
des dispositions du projet de loi 20 portant sur le partage des biens en cas de
décès. Malgré que nous ayons longuement
étudié le chapitre IV, intitulé "De la survie de
l'obligation alimentaire", qui se retrouvait dans le projet de loi 20 et que
cette étude se soit poursuivie en commission parlementaire durant le
mois de juillet 1985, pour accélérer encore une fois les travaux
nous avons finalement opté en commission, contrairement à ce
qu'indiquait mon savant collègue de Marquette, à l'initiative du
porte-parole de l'Opposition libérale de l'époque, le
député de D'Arcy McGee, en faveur du principe d'une
réserve héréditaire à la place de la créance
alimentaire que le gouvernement proposait. Nous avons convenu de retirer toutes
ces dispositions pour nous rendre aux arguments légitimes et
fondés des groupes et des organismes qui souhaitaient élargir le
débat et le réorienter vers une solution dans le domaine d'une
réforme du droit de la famille plutôt que du droit successoral.
Nous pensons avoir eu raison.
Cependant, nous devons constater, à trois années
maintenant de l'élection de ce gouvernement, à deux années
de l'annonce d'un comité sur les droits économiques des
conjoints, à une année du rapport terminé dudit
comité, rapport que nous attendons toujours... Nous vous rappelons que
nous souhaitons obtenir, sans intermédiaire et sans
interprétation, les recommandations du rapport remis au ministre de la
Justice en août 1987 par le comité sur les droits
économiques des conjoints. Nous souhaitons avoir un accès direct
à l'étude et aux recommandations formulées par ce
comité mis en place par le ministre. Nous rappelons que nous en sommes
toujours à étudier, trois années après ces
consentements que nous avons donnés comme Opposition, un document de
consultation qui n'est encore ni un projet de loi, ni même un
avant-projet de loi. À ce rythme, sans doute assisterons-nous à
une promesse d'élection en cette matière d'ici à un an.
Nous voulons connaître l'échéancier législatif en
matière du partage et des droits économiques des conjoints.
Comment expliquer un tel piétinement? Nous pensons qu'il y a
matière à accélérer les travaux. (15 heures)
Nous avons opté précédemment pour mettre en vigueur
le droit de la famille dès son adoption, en 1980. Nous voyons
d'ailleurs, dans l'étude que nous poursuivons durant cette commission,
la confirmation que notre choix de mettre la réforme en vigueur a
été le bon malgré, je vous le rappelle, des critiques et
des
résistances nombreuses au sein de l'Opposition libérale de
1980 contre la mise en vigueur du chapitre sur la famille. Nous pouvons, dix
ans, plus tard envisager de modifier ce qui était à
l'époque une législation progressiste et innovatrice parce que
nous l'avions mise en vigueur et que nous pouvons maintenant connaître
les effets de son application, bons comme moins bons. Nous regrettons que le
gouvernement ait choisi la voie opposée en refusant, notamment, de
mettre en application, malgré son adoption en troisième lecture,
la loi 20 portant sur le droit des personnes et des biens qui est pourtant
maintenant formellement adoptée. Le souci d'un bel échafaudage
juridique complet en matière de mise en vigueur du Code civil est une
vue de l'esprit trop abstraite pour être conforme aux
intérêts des générations de femmes, d'hommes et
d'enfants qui vivent leur vie maintenant sous le poids de lois
désuètes.
Nous demandons au gouvernement, qui s'est révélé
incapable depuis trois ans de faire avancer le dossier sauf à pas de
tortue, d'abandonner la fiction d'un échafaudage complet au profit d'une
mise en vigueur immédiate au moins de la loi 20 déjà
adoptée et portant donc réforme du droit des personnes et des
biens. Nous pensons que nous avons le droit d'obtenir
l'échéancier des travaux législatifs en cette
matière. Je vous rappelle qu'il y a trois ans nous avons consenti
à retirer l'ensemble des dispositions portant sur la réserve ou
la créance alimentaire pour faire accélérer les travaux;
nous pensons que, trois ans plus tard, nous devons connaître les
volontés du législateur en matière d'adoption et de
partage du patrimoine familial.
Si vous me permettez une comparaison, M. le Président, dans un
même laps de temps pour un nouveau gouvernement... On peut concevoir que
tout nouveau gouvernement doive quand même bénéficier d'un
certain délai d'organisation de ses travaux, mais si on compare avec un
même laps de temps, entre 1976 et 1979, en trois ans, la ministre
déléguée à la Condition féminine de
l'époque présentait le projet de loi 89 qui non seulement levait
les obstacles qui se dressaient sur la route de l'égalité
juridique, qui non seulement corrigeait les manifestations patriarcales les
plus évidentes et blessantes qui subsistaient toujours dans le code
à l'époque, mais qui, plus encore, innovait carrément,
basculait en faveur de mesures émancipatrices et prenait partie
malgré la controverse.
Je vous rappelle cette réforme basée sur
l'égalité totale des époux entre eux dans la direction
morale et matérielle de la famille et je vous rappelle que cette
réforme écartait la prééminence de l'homme dans la
direction du foyer, que l'autorité paternelle était
supprimée et que l'introduction était faite du principe de
l'égalité complète des époux, notamment dans le
choix du lieu de résidence et de la disposition des biens. Le choix
était fait en faveur d'une reconnaissance du droit de la femme à
une identité propre. Une femme mariée pouvait désormais
traiter toutes ses affaires sous ses nom et prénoms reçus
à la naissance. Elle introduisait la liberté de choix du nom des
enfants, que ce soit le nom du père ou celui de la mère ou des
deux à la fois, assouplissait les procédures en
séparation, notamment en introduisant l'acceptation du consentement
mutuel après un an de mariage, introduisait l'égalité
complète des droits des enfants, qu'ils soient légitimes,
naturels ou adoptés.
Nous en attendons tout autant maintenant. Ce n'est pas vrai que l'erre
d'aller peut suffire, compte tenu des nouveaux défis et des nouvelles
difficultés. Nous pensons qu'il nous faut non seulement une proposition
correctrice, mais également une proposition innovatrice. En ces
matières, nous avons de nombreuses questions à poser, notamment
sur deux omissions, deux lacunes graves dans le document, à savoir
l'exclusion de toute protection à l'égard des conjoints de fait
et l'omission des régimes privés de retraite en matière de
patrimoine familial. Nous pensons qu'une législation innovatrice doit
examiner des mesures en ce sens. L'exclusion complète et totale de toute
disposition touchant les conjoints de fait nous apparaît
inquiétante étant donné que, selon les statistiques les
plus récentes que nous avons pu obtenir de Statistique Canada et qui
devraient être publiées, d'ici décembre, dans un document
intitulé Pleins feux sur l'avenir faisant partie des publications Profil
II, une étude réalisée en 1985 sur l'état
matrimonial permettrait de constater qu'actuellement 28 % des ménages
québécois vivant en union libre. C'est au-delà de 450 000
ménages, approximativement, qui auraient choisi ce type de cohabitation.
Décider d'ignorer complètement leur réalité, M. le
Président, c'est certainement inquiétant. Il nous semble que les
travaux de la commission devraient nous permettre d'examiner de plus
près, avec les intervenants qui se présenteront devant nous, le
type de protection qu'il serait souhaitable d'envisager pour ces ménages
qui, nombreux, comptent également des enfants. Nous pensons, notamment,
qu'il pourrait être prévu une formule d'adhésion
volontaire, simple, une déclaration qui pourrait être facile et
qui permettrait aux conjoints de fait de jouir de la protection du patrimoine
familial partageable.
Nous nous inquiétons également que le document omette
totalement la question des régimes privés de retraite sauf pour
ce qui concerne la prestation compensatoire. Il faut constater, M. le
Président, qu'il est question de régimes privés sujets
à partage seulement en matière de prestations compensatoires.
C'est certainement là la voie la plus restrictive qui puisse avoir
été retenue. Nous pensons que le gouvernement a la
responsabilité d'indiquer clairement quelles sont ses intentions,
notamment, à l'égard de la rente des femmes au foyer. Nous
pensons qu'il est inimaginable qu'il puisse poursuivre des travaux en
commission parlemen-
taire sur l'ensemble, je le rappelle, des correctifs à apporter
aux conjoints économiquement faibles mariés en séparation
de biens, puisque c'est là, nous dit-on, l'intention du gouvernement
dans ces propositions, sans venir indiquer s'il entend donner suite à
l'engagement qu'il avait pris en matière de rente des femmes au foyer et
quand il entend y donner suite, puisqu'il s'agissait là d'un engagement
prioritaire il y a trois ans maintenant. Et, en l'absence de toute mesure
sérieuse pour y donner suite, comment peut-il justifier d'écarter
totalement la possibilité d'un partage, lors d'une séparation,
d'un décès ou d'un divorce, de ce qui peut parfois constituer le
seul bien accumulé durant la cohabitation, en vous rappelant que
présentement la moitié seulement des Québécois sont
propriétaires d'une résidence, que le régime de retraite
est souvent le seul investissement substantiel et que c'est certainement un
patrimoine familial qui grevé considérablement si tout ce qu'on
pouvait y retrouver, ce seraient les meubles meublants ou encore quelques
économies.
M. le Président, ce sont donc là des questions
essentielles auxquelles nous attendons réponse. Nous pensons que le
gouvernement ne peut pas ignorer la responsabilité qu'il a de nous
donner l'heure juste en matière de rente de retraite pour les conjoints
économiquement faibles et nous attendons que cette commission
parlementaire puisse nous éclairer. Je vous remercie.
Le Président
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme la
porte-parole de l'Opposition officielle, la députée de
Maisonneuve. Avec la permission de mes collègues autour de cette table,
je me suis réservé une courte période, quelques minutes,
pour vous faire part de mes commentaires préliminaires
également.
D'abord, vous savez, comme législateurs, nous siégeons sur
un tas de sujets, en passant, comme cela m'est déjà
arrivé, par une loi sur le transport des abeilles jusqu'à des
domaines extrêmement complexes. Dans ce cas-ci, j'attire l'attention des
membres de cette commission sur le fait que le dossier qui retient notre
attention est éminemment concret, éminemment pratique. Il y a peu
de femmes et d'hommes qui, finalement, ne se marient pas. Lorsqu'on se marie,
on se préoccupe, à une époque où... On se
préoccupe du sort de notre mariage. On espère qu'il va durer
toute la vie. Mais il arrive parfois que ce mariage soit dissous. Cela devient
inquiétant. D'abord, on vit le traumatisme de la rupture de l'union la
plus fondamentale de notre vie; ensuite, on se retrouve, sur le plan
légal, dans des situations qui sont inquiétantes.
Donc, c'est un sujet éminemment concret, éminemment
pratique, qui m'intéresse également parce que, comme praticien,
j'ai eu l'occasion d'oeuvrer dans ce secteur du droit que constitue le droit
matrimonial. Je vous le laisse deviner, on voit défiler devant nous...
Les noms changent, les situations changent, mais les drames restent toujours
relativement poignants, qu'on soit du côté de l'homme ou de la
femme, du conjoint qui s'en va ou de celui qui reste, de celui qui a la garde
des enfants ou de celui qui cherche à exercer un droit de visite ou de
sortie. Les situations qui sont vécues sont extrêmement
intenses.
Le document qui nous est soumis par la ministre
déléguée à la Condition féminine et le
ministre de la Justice - si je comprends bien, c'est un document conjoint - est
intéressant. Il est intéressant comme départ d'une piste
de réflexion. Personnellement, je dois vous dire que le concept de
patrimoine familial me sourit. Regardons ce qui se passe en Ontario, aux
États-Unis. Mon Dieu! on n'a pas là la société la
plus libérale qui soit! On se bat encore autour de l'"Equal Rights
Amendment" aux États-Unis. Par contre, au chapitre du droit des
conjoints dans le cas de dissolution du mariage, II y a certains États
américains qui pourraient venir témoigner ici et nous faire part
de ce que leurs droits contiennent. Je dois vous dire que c'est relativement de
l'avant-garde.
J'ai été frappé tantôt par la statisque selon
laquelle 65 % des couples se marient sous le régime de la
société d'acquêts, en 1986. Par contre, on a près de
50 % des couples actuellement mariés qui le sont en séparation de
biens et c'est de là que vient le problème. Le problème
n'est pas tellement la société d'acquêts, ni la
communauté de biens pour ce qu'il en reste, c'est évidemment la
séparation de biens où l'époux qui est
désavantagé financièrement a droit, bien sûr,
à une pension alimentaire, etc., mais sur le plans des biens, donc de
son actif et de son passif, cet époux est démuni, souvent
dépendant d'une pension alimentaire qui n'est pas toujours facile.
Mme la ministre pose la question dans son mémoire: Est-ce
que c'est un désincitatif au mariage? Je ne le crois pas. Les
mémoires fourmillent de suggestions, de recommandations
intéressantes. La seule chose qui pourrait vraiment désinciter au
mariage, à ce chapitre-là - il y a bien d'autres choses - c'est
plutôt l'obscurité des droits. En deux mots, rien de pire que
l'ombre dans un secteur comme celui-là. On a donc avantage à
jeter toute la lumière et à établir des droits clairs pour
les hommes et les femmes qui sont mariés et pour ceux et celles qui
veulent le faire. (15 h 15)
Un mot sur la prestation compensatoire qu'évoquait, notamment, le
député de Marquette. Je ne sais pas s'il a eu l'occasion de la
plaider. Moi, j'ai eu l'occasion de plaider la prestation compensatoire.
D'abord, cela s'applique dans peu de cas. Il faut bien voir que les
restrictions à l'application de la prestation compensatoire et les
amendements suggérés dans le document font au
moins en sorte que, dans les cas où elle s'applique, ce soit
quelque chose de concret et non pas quelque chose qui donne lieu à des
débats qui se ramassent inévitablement en Cour suprême. On
fixe un plancher de 30 %, etc. Je pense que la prestation compensatoire est une
idée intéressante. Elle ne règle pas tous les
problèmes et elle n'est sûrement pas la panacée à
tous les problèmes, comme on a peut-être pu le croire à
l'époque, mais on nous annonce de ce côté-là des
modifications ou, du moins, la proposition contient des suggestions
intéressantes. Il en va de même pour les règles de
protection en cas de décès, lorsque la personne qui
décède est débitrice d'une obligation alimentaire. On
avance quelques propositions sur lesquelles les intervenants voudront
sûrement se prononcer.
Maintenant, tout à fait en accord avec la députée
de Maisonneuve, à mon tour et sur un ton très serein, je profite
de la présence de l'adjoint parlementaire du ministre de la Justice pour
lui signaler notre impatience quant à l'entrée en vigueur du
chapitre du Code civil portant sur la réforme des biens et des
personnes. Un travail gigantesque a été fait non seulement dans
ce secteur, mais c'est la même chose, par exemple, pour ce qui concerne
la protection de la réputation et un tas d'autres secteurs. Un travail
Incomparable a été fait, d'ailleurs, par les membres de cette
commission et par des commissions qui nous ont précédés.
Malheureusement, tout cela demeure un peu l'objet de convoitise par les
étudiants en droit qui l'étudient dans les universités.
Mais, en pratique, concrètement, dans notre société,
malheureusement, c'est sans effet. Alors, cette espèce
d'entêtement à ne pas vouloir appliquer la réforme du Code
civil par chapitre, comme le souhaite la députée de Maisonneuve,
je dois vous dire que cela commence à impatienter beaucoup
d'intervenants dans la société québécoise. On peut
viser à la perfection, mais la perfection est plus ou moins de ce monde.
On a déjà des pans de mur qui sont prêts, allons-y,
avançons, faisons un pas pour suivre l'autre.
La députée de Maisonneuve soulève deux questions
fort intéressantes, et je suis convaincu que les intervenants qui sont
ici présents en tiendront compte: la protection des conjoints de fait et
le régime de retraite privé. Ce sont deux questions absolument
essentielles qui sont bien posées par la députée de
Maisonneuve.
Voilà donc, en quelques mots, sans vouloir m'étendre, de
beaux sujets pour une excellente consultation, que je souhaite des plus
fructueuses et que je devine déjà être des plus
fructueuses. Maintenant, pour les intervenants qui sont présents et
également pour les membres de la commission, je rappellerais que cette
commission s'est donné certaines règles pour faire en sorte que
nos travaux se déroulent de la façon la plus rapide possible, en
évitant de faire attendre les gens trop longtemps, et pour permettre
également une période de discussion la plus intense possible.
À tous les intervenants, je rappellerais que les mémoires des
groupes sont déjà connus par les membres de cette commission.
Donc, la période de discussion est toujours, de ce côté-ci,
la plus intéressante pour nous. Cela ne veut pas dire que vous ne devez
pas résumer votre mémoire, comme on vous invite à le
faire, mais les parlementaires ont hâte de discuter avec vous de certains
points.
Donc, sans plus tarder, avec à peine 15 minutes de retard,
j'inviterais les représentantes ou les représentants, s'il y a
lieu, du Conseil du statut de la femme à bien vouloir prendre place
à la table des invités. La durée totale de cette
intervention a été fixée à 90 minutes, soit 30
minutes pour la présentation du mémoire et 60 minutes pour la
période de discussion, soit à part égale entre les deux
groupes parlementaires. Alors, j'inviterais Mme Claire McNicoll,
présidente par intérim du Conseil du statut de la femme, à
bien vouloir nous présenter d'abord les personnes qui l'accompagnent et,
par la suite, à nous faire part du contenu de son mémoire.
Auditions Conseil du statut de la femme
Mme McNicoll (Claire): Merci, M. le Président. Je vous
présente, à ma droite, Mme Jocelyne Olivier, secrétaire
générale du Conseil du statut de la femme, à ma gauche,
Mme Thérèse Mailloux, adjointe à la présidente et
Mme Francine Lepage qui est chercheure à la direction de la recherche du
conseil.
Avant de faire une présentation succincte du mémoire,
parce que je ne veux pas le lire entièrement, je voudrais m'assurer
auprès de vous, M. le Président, que le mémoire qui a
été adressé à la commission est bien reproduit
intégralement au Journal des débats.
Le Président (M. Filion): Les mémoires qui sont
déposés en commission ne sont pas reproduits au Journal des
débats. Les mémoires qui sont déposés par les
groupes, organismes ou personnes entendues font partie intégrante des
documents de cette commission...
Mme McNicoll: D'accord.
Le Président (M. Filion):... et, donc, sont
éminemment publics, mais ne font pas partie du Journal des
débats. Quand même, dans le cas du mémoire du Conseil
du statut de la femme, il a bel et bien été reçu par cette
commission. Est-ce qu'on a déjà notre cote sur ce
document-là, Mme la secrétaire? Il est déjà
coté 21 M, pour le bénéfice des membres.
Mme McNicoll: Entendu. Ce dont je voulais m'assurer, c'est que
toute personne qui veut s'y référer, en termes de recherche,
puisse y avoir accès.
Je veux d'abord remercier la ministre déléguée
à la Condition féminine, Mme Gagnon-Tremblay, le ministre de la
Justice, M. Gil Rémillard, ainsi que les membres de la commission des
institutions pour cette consultation qui a été entreprise sur les
droits économiques des conjoints.
Égalité et indépendance réclamait tout haut
la politique d'ensemble publiée par le conseil en 1978. Dix, ans plus
tard, ces objectifs restent encore valables sur le plan des droits
économiques des conjoints. D'importants efforts ont déjà
été consentis par le législateur pour assurer
l'égalité juridique des femmes mais, dans les faits, subsistent
encore des iniquités à la rupture du mariage ou au
décès. Il est maintenant clair que les réformes
effectuées n'ont pas produit tous les effets recherchés, dont
celui de compenser les services au foyer d'une génération
d'épouses séparées de biens pour qui, pourtant, on
reconnaissait consensuellement la nécessité d'un
rectificatif.
Mais, au-delà de cette clientèle immédiatement
visée par la réforme actuelle, le CSF prétend que
l'institution du mariage en elle-même devrait entraîner une
certaine forme de partage entre époux. Le couple marié forme une
unité qui assume un certain nombre d'obligations sociales et familiales
et chaque conjoint participe par ce fait même à la constitution
d'un patrimoine familial. Il est, par conséquent, juste et
équitable que celui-ci soit partagé à parts égales
à la rupture du mariage, comme nous le proposions déjà en
1986. C'est donc avec satisfaction que le Conseil du statut de la femme
constate aujourd'hui une large convergence entre son propre point de vue sur
les droits économiques des conjoints et les propositions soumises par le
gouvernement. Cependant, soulignons dès maintenant certains points de
désaccord avec le document d'orientation, sur lesquels nous aurons
l'occasion de revenir au cours de cette présentation.
Le conseil souhaite vivement que soient inclus dans le patrimoine
familial tous les instruments privés de retraite. Nous nous inscrivons
en faux contre la mesure transitoire de trois ans qui permettrait aux couples
déjà mariés de se soustraire à l'application de la
loi. Par contre, pour préserver l'autonomie des parties, un minimum de
liberté contractuelle et pour maintenir l'objectif de
déjudiciarisation, les époux devraient conserver, au moment de la
rupture, le droit d'adopter des conventions différentes. Lors du
décès, nous recommandons que ce patrimoine revienne en
totalité au conjoint survivant car il devient alors le seul responsable
de la famille. Enfin, nous réitérons la nécessité
de rendre obligatoire la déclaration de résidence familiale car,
dans les faits, elle est peu utilisée et donc moins efficace.
Tout d'abord, l'institution d'un patrimoine familial. Pourquoi
privilégier la voie mitoyenne de l'institution d'un patrimoine familial
plutôt que la société d'acquêts obligatoire ou
l'amélioration ponctuelle des règles existantes? Le conseil a
longuement fait état, dans ses avis antérieurs et dans son
mémoire soumis à \a commission, des raisons qui l'ont
amené à choisir cette solution. Sans toutes les reprendre, disons
simplement que c'est celle qui respectait le mieux l'équilibre entre
deux objectifs importants qui avaient d'ailleurs fondé la réforme
du droit de la famille de 1981: l'égalité entre époux et
la préservation d'une certaine liberté de choix des partenaires
dans la façon d'organiser leurs relations familiales et dans
l'aménagement de leurs rapports à leurs biens.
Plus précisément, cette solution permet enfin de
régler le problème central relié au régime de
séparation de biens, régime conventionnel qui lie encore,
rappelons-le, plus de 50 % des couples mariés. C'est ce régime
qui engendre la plupart des situations de déséquilibre
économique entre les patrimoines des époux à la fin du
mariage et le mécanisme de la prestation compensatoire, seul recours
permettant d'y remédier, n'a pas joué pleinement son rôle
pour diverses raisons qui tiennent autant à la rédaction
législative de cette mesure qu'à l'interprétation
jurisprudentielle qui en a été faite.
Il ne faut cependant pas se cacher que le partage impératif d'un
patrimoine familial, tout en répartissant de façon plus
équilibrée les biens du couple, limite la liberté
contractuelle et que cela affectera plus particulièrement les couples
dont toute la richesse se résume aux biens qu'on désignera comme
appartenant au patrimoine. Aussi, pour ne pas désinciter les nouveaux
époux ni au régime légal ni au mariage, ni justifier des
recours indus au tribunal, le CSF soutenait dès 1986 que le patrimoine
familial devait être restreint et se limiter à des biens qui sont
au coeur de la vie quotidienne, à l'égard desquels la
contribution de chacun des conjoints ne fait pas de doute.
En accord avec le gouvernement, nous croyons donc que la
résidence familiale ou, à défaut, la résidence
secondaire et les meubles doivent former le noyau essentiel du patrimoine,
auquel s'ajoutent les automobiles, communément reconnues comme une
nécessité de notre vie quotidienne et familiale.
Quant aux régimes de retraite, le CSF avait déjà
réclamé dans des avis antérieurs le partage des
crédits de rentes publiques et privées en cas de rupture d'une
union, sans se prononcer s'il valait mieux pour cela les inclure au
régime primaire ou dans les lois statutaires pertinentes. Comme le
gouvernement inclut les gains accumulés au RRQ dans le patrimoine
familial, nous réclamons que soient également compris tous les
instruments privés d'épargne-retraite, par souci
d'équité et pour ne pas favoriser un véhicule au
détriment de l'autre.
On peut s'étonner, en effet, du traitement différent que
la proposition gouvernementale réserve au régime public et aux
régimes com-
plémentaires de retraite, incluant le premier et excluant les
seconds. Ces régimes visent la même fin: assurer une
continuité du revenu à la retraite. Et l'on doit admettre, dans
le contexte actuel de l'insuffisance du régime public, que l'on n'arrive
pas toujours à un remplacement adéquat des revenus
antérieurs, même en cumulant la rente publique et des prestations
privées.
Or, les instruments privés d'épargne-retraite jouent bel
et bien un rôle complémentaire essentiel à la protection
accordée par le régime public. En 1983, environ 42 % des
personnes en emploi au Québec participaient à un régime
complémentaire de retraite, ce pourcentage atteignant environ 46 % chez
les travailleuses et travailleurs rémunérés.
Si, comme nous le souhaitons, ces régimes faisaient partie de la
masse des biens partageables, le gouvernement devrait prévoir des
règles ou des directives pour l'évaluation et la
dévolution des droits de retraite lors du partage et amender les lois
régissant les régimes de retraite pour lever les obstacles
à un partage simple et efficace des crédits de rentes.
Quant à la résidence familiale acquise avant le mariage
par don ou héritage, le CSF se rallie à la proposition
gouvernementale qui ne ferait porter la part partageable que sur la valeur
acquise depuis le mariage ou qu'à compter du don ou de l'héritage
s'il survient au cours du mariage.
La possibilité de renoncer au partage. En revanche, nous nous
opposons fermement à l'instauration d'une mesure transitoire qui
permettrait aux couples déjà mariés de se soustraire de
l'application de la loi pendant une période de trois ans après
l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions. Outre qu'il s'agit d'une
habitude peu courante, nous prétendons que cela risque d'avoir des
effets néfastes auprès des clientèles mêmes qu'on
souhaite particulièrement aider par l'institution d'un patrimoine
familial. Des pressions indues risquent d'être exercées sur les
femmes pour qu'elles renoncent à leurs droits, et sans doute sur les
plus vulnérables et les moins en mesure d'y résister,
compromettant ainsi pour elles les avantages d'une telle réforme,
d'autant plus que cette renonciation est susceptible d'intervenir dans des
circonstances totalement différentes de celles qui prévalent
à la rupture. (15 h 30)
Par ailleurs, nous suggérons que les conjoints, au moment de la
fin du mariage, puissent adopter une convention différente sans
nécessairement s'astreindre à la règle du partage
équivalent, comme le propose le document gouvernemental. Parce que le
couple est alors placé devant une situation réelle de rupture
plutôt qu'hypothétique, chacun des conjoints peut alors mieux
évaluer ses besoins. Chacun possède également la
possibilité de faire valoir son droit à la moitié du
patrimoine familial, ce qui place les deux conjoints sur un pied
d'égalité quant à leur pouvoir de négociation. Une
telle garantie nous apparaît suffisante et elle respecte davantage la
liberté des époux de trouver des solutions adaptées
à leur situation spécifique.
La règle de partage équivalent nous semble en effet
complexifier les procédures de divorce ou de séparation. Elle
impliquerait, si elle était rigoureusement appliquée, qu'on
confie au tribunal un pouvoir de vérification et de contrôle pour
s'assurer de la valeur des biens substitués en équivalence.
L'esprit de cette règle nous semble peu compatible avec la tendance et
le souhait vers une déjudiciarisation des procédures en
matière familiale.
Au décès. Contrairement à la proposition
gouvernementale, nous recommandons que, lors du décès d'un
conjoint, le patrimoine familial revienne totalement et en pleine
propriété au conjoint survivant. L'on ne peut, à notre
avis, assimiler le divorce au décès car le conjoint survivant
devient, de façon générale, l'unique responsable de la
famille immédiate du défunt. Il nous apparaît donc
raisonnable que lui soit automatiquement attribuée la
propriété exclusive du patrimoine familial plutôt que la
moitié.
Dans la mesure où le gouvernement accepterait cette
recommandation, nous appuierions la création d'une présomption de
renonciation au patrimoine familial lorsqu'il y a acceptation de la succession
ou de la qualité d'héritier. Le conjoint survivant pourrait, de
cette façon, adopter la solution qui lui convient le mieux et qui lui
semble la plus équitable. Enfin, nous manifestons notre accord avec les
diverses modalités de partage et de paiement: de la valeur du patrimoine
énoncées dans le projet gouvernemental. Nous appuyons
également l'extension à tous les biens du patrimoine familial de
la protection qui couvre actuellement la résidence familiale et les
meubles affectés à l'usage du ménage.
Quelques mots, cependant, sur les deux recours au tribunal prévus
dans la proposition. Nous convenons qu'il y a lieu de prévoir des
dispositions pour contrer la mauvaise foi d'un conjoint ou la dilapidation d'un
bien du patrimoine familial. Aussi est-il normal d'accorder au tribunal un
pouvoir discrétionnaire pour procéder à un partage
inégal dans les cas d'injustice flagrante, à la condition que ce
pouvoir soit extrêmement encadré. Il faut éviter, comme ce
fut souvent le cas dans les autres provinces, qu'on ne vienne fausser les
objectifs poursuivis par la réforme et en modifier les règles.
Ainsi il serait préférable de fixer un délai, au lieu de
parler de brève durée de mariage, et de limiter le plus possible
les circonstances donnant ouverture à ce recours.
Par contre, nous nous interrogeons sur la pertinence d'introduire un
recours automatique en cas de non-remplacement d'un bien du patrimoine familial
aliéné au cours du mariage. Cette disposition ne vise pas
à l'aliénation de mauvaise foi ou à la dilapidation par
l'un des époux des biens du patrimoine, puisqu'un recours
spécifique
est prévu dans ces cas. Quant à l'aliénation d'un
bien du patrimoine pour d'autres motifs, on devrait présumer qu'elle se
fait de bonne foi et avec le consentement des parties. Le projet prévoit
d'ailleurs le consentement obligatoire du conjoint non propriétaire pour
toute vente ou aliénation d'un bien du patrimoine familial. Il nous
semble important de réserver aux époux une certaine marge de
liberté sur la disposition de leurs biens pendant le mariage et de leur
laisser à eux, plutôt qu'au tribunal, la responsabilité de
négocier, s'il y a lieu, des compensations lorsqu'un bien est
aliéné.
La protection de la résidence familiale. Pour ce qui concerne la
protection de la résidence familiale, plusieurs éléments
nouveaux par rapport au droit actuel sont introduits dans la proposition
gouvernementale. La lacune fondamentale de cet ensemble de mesures est qu'on ne
prévoit pas rendre obligatoire la déclaration de résidence
familiale. C'est perpétuer les difficultés qui ont
été soulevées ces dernières années à
l'égard de cette mesure et qui la rendent souvent inefficace. On sait
que, selon un examen des données effectuées en 1984, peu de
couples procèdent spontanément à cette procédure.
Cela peut aisément se comprendre, lorsqu'on songe qu'elle oblige le
conjoint non propriétaire, souvent la femme, à un geste qui n'est
pas toujours bien accueilli par l'époux propriétaire. De plus, le
conjoint non propriétaire qui fait la déclaration doit, selon
l'article 455 du Code civil du Québec, en aviser le conjoint
propriétaire dans les meilleurs délais. Il s'agirait ici d'un
facteur important qui empêche de nombreuses femmes d'effectuer une
déclaration par crainte de répercussions dans le couple.
Nous convenons de la nécessité de cette déclaration
pour protéger les tiers de bonne foi, mais il nous semble qu'il serait
tellement plus efficace, équitable et clair, pour tous les couples
désireux d'acheter une résidence, de rendre à l'avenir
cette démarche obligatoire au moment de l'acquisition de l'immeuble, par
exemple, par une clause au contrat d'acquisition, tel que nous l'avons
d'ailleurs dans notre avis sur le partage des biens au divorce.
Quant aux autres mesures suggérées dans ce domaine, nous y
souscrivons entièrement, en signalant particulièrement
l'intérêt de celle qui autorisera le tribunal à attribuer
au conjoint à qui est confiée la garde des enfants un droit
d'habitation de la résidence familiale. En cas de divorce et de
séparation de corps, il est en effet souvent plus équitable que
la conjointe (ou le conjoint) qui a la charge des enfants continue à
habiter dans la résidence familiale. Cela assure une continuité
et une stabilité pour les enfants à qui on évite ainsi le
bouleversement de leur environnement: écoles, amis, voisins. Il est
également très intéressant de distinguer ce droit de celui
exercé lors du partage du patrimoine familial ou de l'attribution de la
prestation compensatoire.
La prestation compensatoire. Dans le document de consultation soumis, le
législateur propose des modifications en regard de la prestation
compensatoire, mais devant améliorer principalement le statut du
conjoint collaborateur. On y prétend que l'institution d'un patrimoine
familial rendrait inutile l'élargissement de la notion de prestation
compensatoire et le recours à la seule notion d'équité
pour guider le tribunal dans sa décision.
Le CSF ne peut souscrire à cet argument, bien que nous croyions
en effet que le partage d'un patrimoine familial commun permettra de
rétablir l'équité entre les conjoints pour une très
grande majorité de cas. Nous pensons que le recours à la
prestation compensatoire doit non seulement être maintenu, mais aussi
bonifié et ce, même à l'endroit des femmes qui ont
exercé exclusivement leur activité au foyer.
Nous estimons en effet que ce recours demeure nécessaire,
notamment pour les cas où, pour toutes sortes de raisons, il n'y a pas
eu constitution de patrimoine commun et, donc, impossibilité de
réaliser le partage, mais, par ailleurs, accumulation d'autres biens.
Nous devons donc maintenir ce recours et en faciliter la preuve pour le
conjoint qui devrait en bénéficier et ce, en dépit de
l'évolution jurisprudentielle qui semble s'être dessinée
récemment.
Nous nous doutons bien que, dans l'évaluation de la contribution,
le tribunal devra tenir compte des bénéfices obtenus dans le
cadre du partage du patrimoine familial et ce n'est que juste, mais il devra
aussi tenir compte de ce que le conjoint réclamant n'a pas obtenu en
l'absence de patrimoine familial et de l'inéquité de situation
qui en découle. Ce recours revêtrait donc un caractère
supplétif dans certains cas, alors qu'il permettrait d'apprécier
chacun des cas litigieux à son mérite. Nous maintenons donc notre
proposition d'amélioration du recours à la prestation
compensatoire en introduisant une notion qui vise à rétablir
l'équité entre les conjoints.
En ce qui a trait au conjoint collaborateur, celui-ci pourra exercer son
recours à la prestation compensatoire dès la fin de sa
collaboration, si celle-ci est causée par la cession, la dissolution, la
liquidation volontaire ou forcée de l'entreprise. Le conjoint
collaborateur n'aura donc plus à attendre la fin du mariage ou le
décès de son conjoint pour faire valoir ses droits. Cette
proposition est intéressante, même si on peut s'interroger sur
l'effet que pourrait avoir l'exercice de ce recours sur le climat familial
lorsqu'il intervient durant le mariage.
En ce qui a trait à l'introduction d'une présomption en
faveur du conjoint collaborateur ayant pour effet d'établir à 30
% de l'actif net de l'entreprise familiale la part à laquelle il peut
prétendre, nous nous sommes posé un certain nombre de questions.
Pourquoi choisir la proportion de 30 % plutôt que 40 % ou 50 %? Que
signifiera le terme "entreprise familiale"? La collaboration d'une conjointe
qui seconde un
mari professionnel bénéficiera-t-elle des mêmes
règles? la collaboration devra-t-elle s'exercer de façon
exclusive, à temps plein ou partiel? Le conjoint collaborateur
pourra-t-il être considéré comme ayant valablement
contribué alors qu'il occupe aussi un autre emploi? Enfin, le
législateur entend-il définir cette collaboration ou
laissera-t-il au tribunal le soin de déterminer cette notion? Dans le
deuxième cas, à notre avis, les juges ne manqueront pas
d'établir des conditions d'existence de la présomption, notamment
en faisant appel à des critères de qualité et de
quantité.
Nous nous sommes demandé si une telle modification ne risquait
pas d'entraîner des déceptions importantes face aux attentes
exprimées par les femmes colaboratrices elles-mêmes et, compte
tenu de l'évolution de la jurisprudence, si cette modification ne
risquait pas d'être réductrice par rapport à la disposition
actuelle, alors que le recours à la prestation s'exerce sur l'ensemble
du patrimoine et non seulement à l'égard de l'actif de
l'entreprise familiale.
Quant aux régimes matrimoniaux, tout d'abord, la
société d'acquêts. Le régime légal de la
société d'acquêts demeure au Canada l'un des régimes
légaux les plus intéressants, sinon le meilleur. Il est
également, contrairement à la situation qui a prévalu
pendant des années dans notre province, le régime le plus
populaire auprès des jeunes époux. Environ 65 % d'entre eux le
choisissaient en 1986. Il serait déplorable que cette tendance s'inverse
et c'est d'ailleurs là un des soucis que le CSF a constamment
manifestés à l'égard de cette réforme, craignant
que l'institution d'un patrimoine trop élaboré ne
désincite au choix du régime légal. Quoi qu'il en soit, on
devra continuer à informer la population à l'égard de ce
régime, afin de favoriser son choix par les nouveaux époux.
Ceci dit, nous manifestons notre accord global avec les mesures
proposées par le gouvernement qui visent essentiellement à
clarifier, à préciser et à améliorer certains
aspects de la société d'acquêts. Par ailleurs, à
défaut par le législateur d'inclure les régimes de
retraite privés dans le patrimoine familial, nous souhaitons qu'ils
soient désignés en toute logique dans ce régime comme des
biens acquêts et non comme des propres, puisqu'ils sont de la nature de
revenus différés.
Quant à la communauté de biens, nous appuyons
également le principe du transfert proposé pour faire passer les
couples mariés sous le régime légal de la
communauté de biens au régime de la société
d'acquêts, tout en nous interrogeant sur la pertinence de maintenir la
possibilité de choisir conventionnellement le régime de la
communauté de biens, puisque depuis 1971 il a été choisi
par moins de 5 couples sur 1000 chaque année.
La survie de l'obligation alimentaire. Le CSF a déjà eu
l'occasion de souligner ses inquiétudes en regard de la notion de survie
de l'obligation alimentaire que le projet gouvernemental sur les droits
économiques des conjoints voudrait réinstaurer. Nous croyons
d'abord qu'une telle institution comporte davantage d'inconvénients que
de bénéfices. Elle est en effet source d'incertitude et
d'insécurité en regard du règlement de la succession, car
les personnes visées par la mesure disposent d'un délai d'un an
après le décès pour exercer le recours. Elle est source
d'instabilité et de conflits au sein de la famille entre le ou les
créanciers alimentaires et les héritiers. Elle laisse croire
à d'éventuels créanciers frustrés qu'ils pourront
récupérer certaines sommes qui, dans la plupart des cas, seraient
dérisoires en raison des seuils maximaux fixés. Quand on sait
que, selon une enquête menée par le ministère de la Justice
sur des dossiers de 1981 à 1983, la moyenne des pensions alimentaires
accordées au Québec se situait autour de 368 $ par mois, on peut
faire l'hypothèse qu'une grande partie de ces sommes
récupérées serviront surtout à défrayer les
honoraires d'avocats embauchés pour faire valoir ce droit.
Une telle mesure oblige le législateur à fixer des
critères d'obtention de la pension, comme dans tous les cas d'obligation
alimentaire. Par ailleurs, comme le CSF l'avait déjà
mentionné, il nous apparaît superflu pour l'ex-conjoint qui a
bénéficié déjà d'une pension alimentaire de
faire la preuve du temps nécessaire pour acquérir une autonomie
suffisante. Si l'on considère comme légitime pour le
créancier alimentaire de pouvoir prétendre à la survie de
la créance, il nous semblerait plus simple d'affecter automatiquement la
succession de cette créance pour une période
déterminée, comme d'imposer ou de prévoir des
règles de dévolution automatique à chacun des
héritiers.
De plus, la survie de l'obligation alimentaire oblige le
législateur à élaborer des règles
particulières et complexes pour éviter la fraude et la
dilapidation qui ne manqueront pas d'être mises à l'épreuve
devant les tribunaux et qui multiplieront les conflits et
l'insécurité juridique.
Bien que le partage du patrimoine familial ne doive pas être
assimilé à l'obligation alimentaire, nous croyons qu'avec
l'instauration d'un patrimoine familial une telle mesure deviendra de plus en
plus difficile aussi bien pour l'ex-conjoint, puisqu'il aura déjà
reçu au moment de la dissolution du mariage sa part du patrimoine, que
pour le conjoint survivant, puisque le décès entraînera ce
partage. Il ne subsiste donc que le cas des ex-conjoints non touchés par
la réforme et des autres créanciers d'aliments pour qui, selon
nous, la preuve sera extrêmement difficile et les bénéfices
escomptés à peu près inexistants.
Je veux également signaler que je n'ai pas traité dans
cette présentation de la question des conjoints de fait, mais le
mémoire signale bien que nous croyons que les propositions
gouvernementales ne devraient pas toucher les con-
joints de fait. On pourra discuter de la chose plus tard.
En conclusion, nous croyons que le projet gouvernemental constitue, dans
l'ensemble, un pas important dans la direction d'une plus grande
égalité de fait entre les époux au moment de la
dissolution du mariage. Le droit au partage d'un patrimoine familial commun est
légitime pour la grande majorité des époux, à
condition que le législateur respecte, dans la rédaction des
dispositions d'un éventuel projet de lot, un juste dosage qui lui
permettra d'éviter certains écueils.
Quant à nous, nous pensons que cette réforme devrait
chercher à maintenir un équilibre entre le principe d'une
liberté de choix et celui d'une nécessaire équité
entre les époux. Les mesures choisies devraient être acceptables
pour les femmes jouissant d'une autonomie économique, tout en
rétablissant les injustices plus criantes vécues par d'autres.
Enfin, on devrait viser à conférer aux femmes une
égalité de droit, plutôt que d'envisager uniquement la
réforme sous l'angle de la protection d'un conjoint
économiquement faible. (15 h 45)
Rappelons en effet que l'autonomie économique des femmes ne
saurait dépendre uniquement d'un meilleur partage des biens du
patrimoine familial, même s'il s'agit là d'un
élément non négligeable leur assurant une redistribution
plus équitable des actifs du couple. Cependant, dans beaucoup de cas,
ces actifs sont peu nombreux ou serviront tout au plus à atténuer
la rigueur de la perte économique ou de la baisse du niveau de vie
qu'entraîne inévitablement toute rupture du mariage ou,
quelquefois, le décès d'un partenaire.
Le mariage ne constitue pas une assurance tous risques, avons-nous
souvent répété. Quatre-vingt-six femmes sur 100, à
un moment ou l'autre de leur vie, n'auront pas un homme à
côté d'elles pour subvenir à leurs besoins financiers.
Aussi, toute réforme des droits économiques des conjoints ne doit
pas être considérée comme une panacée, ni comme une
solution unique qui dispenserait de s'attaquer aux autres sources
d'insécurité plus fondamentales. C'est pourquoi il demeure plus
que jamais essentiel de favoriser pour les femmes une formation adéquate
et l'accès à un emploi rémunérateur qui sont encore
les meilleures stratégies pour leur permettre d'accéder à
une véritable indépendance économique.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme McNicoll.
J'inviterais maintenant Mme la ministre déléguée à
la Condition féminine à amorcer la discussion avec les
représentantes du Conseil du statut de la femme.
Mme Gagnon-Tremblay: Je remercie Mme McNicoll pour la
présentation de ce mémoire. On doit vanter la clarté du
mémoire du Conseil du statut de la femme. Je pense que vous apportez des
solutions qui sont très intéressantes. Comme on le mentionnait
lors de la présentation, nous ne prétendons pas que le document
ou la solution proposée règle tous les problèmes. Je pense
que c'est un pas dans la bonne direction et l'éclairage que vous
apportez dans votre mémoire nous permettra sûrement d'apporter les
solutions nécessaires et aussi de s'ajuster lors de la
présentation d'un projet de loi. il y a une première question que
je voudrais vous poser. Si on devait inclure ce que vous appelez des
instruments privés d'épargne-retraite, est-ce que, d'après
vous, on devrait le faire - c'est-à-dire qu'on devrait faire le partage
de ces différents régimes privés - à la dissolution
du régime ou tout simplement à la retraite du
bénéficiaire? Est-ce que vous avez songé quel serait le
meilleur moment ou le moment propice pour le faire?
Mme McNicoll: À première vue, je dirai qu'il
faudrait que ce soit à la dissolution du mariage, puisque le partage de
ces crédits-là devrait être proportionnel au nombre
d'années contribuées pendant un mariage, de la même
façon qu'on le calcule pour la valeur d'une maison, par exemple, dans le
partage du patrimoine.
Mme Gagnon-Tremblay: Quant à la prestation compensatoire,
vous ajoutez que les femmes au foyer devraient pouvoir se servir elles aussi de
la prestation compensatoire. Il est certain que, dans le document, celles que
nous visions, c'étaient davantage les femmes collaboratrices ou les
femmes au foyer qui avaient d'autres activités. J'entends par cela des
femmes qui doivent parfois donner des réceptions parce que le conjoint
est en affaires ou... C'est un exemple que je donne. Cela s'adressait davantage
à ce type de personnes, plus les femmes collaboratrices. Étant
donné que les femmes au foyer pouvaient déjà partager les
biens familiaux, nous ne croyions pas à ce moment-là qu'il
était avantageux... C'est sûr que c'aurait pu être
avantageux, mais nous ne faisions pas le cumul de la prestation compensatoire,
compte tenu aussi des difficultés qu'on a eues à faire
reconnaître, finalement, le travail au foyer. Est-ce que c'est ce type de
personnes que vous visez aussi, ou si vous visez quand même la
travailleuse au foyer, le travail au foyer, et que cela devrait être un
cumul?
Mme McNicoll: Ce que nous disons dans notre mémoire, c'est
que nous souhaitons la possibilité d'un recours à la prestation
compensatoire lorsqu'il n'y a pas de patrimoine partageable. Il y a des couples
qui peuvent n'avoir jamais décidé d'acheter une maison, par
exemple, c'est une chose possible; à ce moment, une femme est absolument
sans patrimoine. C'est alors que nous disons qu'elle pourrait avoir recours
à une prestation compensatoire. C'est
supplétif.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui.
Mme McNicoll: À ce moment-là, évidemment, on
peut imaginer que cela s'appliquerait plus à des femmes étant
restées au foyer qu'à des femmes travaillant. Mais, ceci dit,
nous le voyons moins en termes de clientèle visée qu'en termes de
possibilité.
Mme Gagnon-Tremblay: L'autre question, c'est que vous êtes
d'accord avec la proposition gouvernementale qu'on n'assujettisse pas les
conjoints de fait à la future réforme. Est-ce que vous pouvez me
donner les raisons qui ont motivé votre prise de position?
Mme McNicoll: Oui. La première raison est que nous croyons
que, quand on se marie, dans la mesure où il est possible de faire un
choix en faveur d'un régime, nous croyons également que ceux qui
choisissent de ne pas se marier font le choix du non-encadrement
législatif automatique que donnerait le mariage. Nous pensons que nous
devons respecter la liberté de ceux qui n'ont pas voulu être
régis par les règles découlant d'un mariage, d'une part.
D'autre part, nous croyons que, dans le cas où il y a des enfants, le
législateur a assumé ses responsabilités dans la mesure
où il les déclare tous égaux, quelles que soient les
conditions de leur naissance. Il leur donne à tous des droits
égaux, ce qui aurait dû aller de soi depuis longtemps, mais cela
n'était pas le cas avant qu'on fasse la modification à la loi sur
la famille. Ce que nous voulons surtout signaler, c'est que les gens qui le
choisissent l'ont fait délibérément. Si on se met à
encadrer les gens qui sont en union de fait avec une obligation de partage, une
obligation de contrat qui est soit le régime de la société
d'acquêts, soit un autre régime, ce que nous arrivons à
faire, c'est laisser à ceux qui ne veulent pas se marier la
possibilité seulement de rester célibataire ou d'entrer en
religion. Il ne resterait plus beaucoup de possibilités.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme McNicoll. Est-ce qu'il y a
d'autres... Est-ce qu'on peut alterner?
Le Président (M. Filion): Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Parfait.
Le Président (M. Filion): On va respecter le principe de
l'alternance. Je vais vous rappeler que tout cela se fait presque en famille,
en famille dans le sens de n'étant pas l'objet d'une rupture.
Généralement, c'est la règle de l'alternance, mais comme
nous sommes peu nombreux... On a une heure devant nous. Il reste un peu plus de
40 minutes, donc, j'inviterai Mme la porte-parole de l'Opposition
officielle.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Je crois comprendre
qu'on retrouve nos habitudes d'être à peine couverts par les
médias d'information lorsque des sujets comme les nôtres
retiennent les travaux d'une commission parlementaire. Il y a malgré
tout, relativement à d'autres commissions parlementaires, peu de
présence journalistique. Je le constate simplement. Peut-être
certains d'entre eux ou d'entre elles nous écoutent-ils ou elles
attentivement de leur perroquet à la tribune de la presse. Il faut
peut-être le souhaiter, parce que ce sont là des débats
importants pour notre société.
Cela me fait plaisir de vous saluer, Mme McNicoll, de saluer les
personnes qui vous accompagnent, de saluer aussi le sérieux et
l'àpropos des recommandations que vous faites devant cette commission.
Je crois que c'est conforme à l'ensemble des prestations qui se sont
faites devant les commissions parlementaires et c'est toujours très
pertinent de lire les avis du conseil. Il y en a un qui m'attend - je n'ai pas
encore pu en prendre connaissance - sur le projet de loi 37. J'ai hâte
d'en prendre connaissance. Je pense qu'il est tout récent.
C'était aussi intéressant tout autant de prendre connaissance du
mémoire que vous nous présentez à l'occasion de cette
consultation générale.
J'ai un certain nombre de questions à vous poser. Je reprends ce
que vous soulignez. Je pense que vous aviez raison de nous rappeler le double
objectif qui est à l'origine de la réforme du droit de la famille
de 1981. Vous nous rappelez ce double objectif, à la fois
l'égalité entre époux, d'une part, et, d'autre part,
à la page 3 de votre sommaire, je crois, la préservation d'une
certaine liberté de choix des partenaires dans la façon
d'organiser leurs relations familiales et dans l'aménagement de leurs
rapports à leurs biens. Donc, ce sont là deux objectifs
poursuivis à la fois concurremment et qui, pour autant, ne sont pas
discordants. Est-ce qu'il vous semble que le fait que dans les lois statutaires
- pensez, par exemple...
Je voudrais peut-être revenir un peu sur la question des conjoints
de fait et examiner cela de plus près. Je partage votre postulat de
base, à savoir que l'État ne doit pas marier les couples qui ne
le désirent pas. Je crois que c'est dit de façon peut-être
simpliste, mais c'est certainement partagé par une très grande
majorité de nos concitoyens. Ceci dit, quand vous répondiez
tantôt à une question posée par Mme la ministre, vous
disiez: II faut respecter la liberté de ceux qui n'ont pas voulu
être mariés. Par ailleurs, j'assiste depuis quelques années
à une sorte d'incohérence complète en cette
matière, au sens où de plus en plus de lois statutaires... Je
pense à la Régie des rentes qui permet maintenant non pas un
partage, mais une rente de conjoint survivant après trois années
de cohabitation, je pense à d'autres lois statutaires comme la Loi sur
l'assurance automobile ou encore la Loi sur
la santé et la sécurité du travail, qui exigent
qu'on fasse la preuve d'une vie commune de plus de trois ans pour avoir droit
à une compensation. À côté de cela, d'autres lois,
par exemple, la Loi sur l'aide sociale, font de la cohabitation
immédiate une condition pour que le nouvel ami de la mère ou son
nouveau conjoint assume l'entretien d'elle-même et de ses enfants, dont
il peut ne pas être le père. Je rappelle que, dans ie Code civil,
l'obligation alimentaire entre conjoints n'existe évidemment que dans le
cadre d'un régime primaire, dans le cadre du mariage. Malgré
qu'il n'y ait obligation alimentaire que dans ie cadre du mariage, des lois
statutaires prévoient qu'il doit y avoir soutien économique
même s'il n'y a pas obligation juridique.
Mais je reviens à la question qui est... Vous faisiez une
gradation, je pense, qu'il est nécessaire de faire. On reviendra sur la
question de la société d'acquêts. J'aimerais bien vous
interroger plus longuement là-dessus. Donc, cette société
d'acquêts, qui offre vraiment un partage beaucoup plus complet, vous
insistez pour que le patrimoine familial ne vienne pas se substituer,
finalement, à ce régime légal qui est de loin le plus
souhaitable. Vous dites que ce patrimoine familial, pour qu'il n'y ait pas de
confusion, doit être relativement restreint à des biens, disons,
de la vie courante.
Par ailleurs, en quoi le fait de permettre une adhésion
volontaire viendrait-il, de quelque façon que ce soit, brimer la
liberté de choix des partenaires, puisque c'est un choix? Est-ce que
c'est un choix délibéré ou un non-choix? Tantôt,
vous aviez l'air tellement... J'aimerais avoir cette capacité
d'être aussi affirmative que vous. Je ne voudrais pas me prononcer pour
les 450 000 couples qui ont choisi de vivre en union de fait au Québec.
Je ne voudrais pas me prononcer et prétendre que c'est
délibérément qu'ils le font. Je pense que je peux
simplement, comme législateur, souhaiter qu'on n'agisse pas dans le sens
de leur imposer un autre choix, mais au moins de leur offrir cette
possibilité, par une formule très simple d'adhésion
volontaire à un patrimoine partageable. J'aimerais savoir ce que vous en
pensez. (16 heures)
Mme McNicoll: Je pense que, dans la mesure où le Code
civil régit les rapports entre les personnes, il est normal que le
régime primaire ou que le Code civil en question régisse les
adhésions à un mariage. La possibilité pour les gens qui
sont en union de fait de convenir entre eux d'un contrat - c'est toujours
possible - devrait équivaloir, enfin pourrait équivaloir pour des
gens qui sont en union de fait et qui ont délibérément
choisi cela. Quant à la présomption du choix ou du non-choix de
l'union de fait, c'est une autre question un peu longue et je ne suis pas
équipée pour vous dire que la plupart des gens la choisissent ou
ne la choisissent pas. Je pense que ceux qui ne se sont pas mariés, en
tout cas, n'ont certainement pas fait le pas qu'ont fait les gens qui ont
décidé de se marier. Alors, on peut dire que, par défaut,
ils sont en union de fait. On peut dire que c'est seulement par défaut
de choix d'un régime matrimonial, mais on peut également penser
que ce choix de vivre en union de fait est un choix
délibéré. Mais, dans la mesure où ils peuvent
établir entre eux un contrat sur leur avoir, c'est une
possibilité. Et, dans la mesure où leurs enfants ne sont pas
lésés par le législateur en termes d'égalité
des droits liés aux conditions de leur naissance, je pense qu'il ne
serait pas judicieux d'imposer un partage obligatoire à une union de
fait. La rendre possible par déclaration, c'est une possibilité.
Mais c'est aussi une possibilité que le contrat privé leur donne
actuellement.
Mme Harel: Je crois donc comprendre que c'est au partage
obligatoire... Je trouve cela intéressant. J'ai relu un professeur de
droit que j'ai eu à la faculté et que j'aimais bien - il y en
avait si peu à l'époque qui étaient des profes-seures -
Monique Ouellet, et elle parle incidemment de la société de fait,
c'est-à-dire de la possible notion de la société de fait
qui pourrait être plaidée et qui l'a été,
d'ailleurs, et elle cite une certaine jurisprudence en matière d'union
de fait.
Ceci dit, Mme McNicoll, puisque c'est le sort des femmes souvent les
plus démunies qui nous préoccupe, puisqu'on convient que les
conjoints de fait peuvent passer entre eux un contrat, pourquoi ne pas leur en
faciliter la réalisation en leur permettant une adhésion simple
et peu coûteuse? Évidemment, quand vous faites
référence à un contrat, un contrat signifie, dans l'esprit
de nos concitoyens, un notaire. Il est assez rare qu'un couple s'installe sur
le bord de la table de la cuisine pour essayer de rédiger une entente.
Cela se fait, mais pas dans tous les milieux, en tout cas pas dans celui que je
représente à l'Assemblée nationale. Cela suppose donc un
notaire. Alors pourquoi ne pas envisager la possibilité de faciliter
à ces personnes l'adhésion volontaire, donc simple, gratuite, peu
coûteuse, d'une déclaration de patrimoine partagé?
Mme McNicoll: Je vous dirai que ce n'est pas incompatible avec la
position que tient le conseil dans ce domaine. Ce n'est pas incompatible.
Maintenant, ce n'est pas une chose que nous avons envisagée, disons, en
discutant de ce mémoire.
Mme Harel: Vous avez, avec raison, abordé la question des
régimes privés de retraite. Bon, je comprends. Votre
recommandation va dans le sens qu'il n'y a pas raison d'y avoir partage de la
rente publique sans qu'il y ait pour autant partage de la rente privée,
étant donné que c'est dans la combinaison des deux qu'il y a un
certain revenu de retraite raisonnable. Je simplifie mais c'est là
l'objet...
Mme McNicoll: Oui, oui, c'est cela. Vous avez essentiellement
raison.
Mme Harel:... de votre point de vue. Et vous dites: Si le
gouvernement ne retient pas la recommandation du conseil qui dit que la rente
privée doit être partageable, au moins que les dispositions de la
société d'acquêts soient modifiées en ce sens pour
que la rente privée devienne un acquêt. Est-ce bien le cas?
Mme McNicoll: C'est cela.
Mme Harel: Donc, à défaut d'être
situé...
Mme McNicoll: Dans le patrimoine.
Mme Harel:... dans le patrimoine, que ce soit un
acquêt.
Mme McNicoll: Oui.
Mme Harel: C'est donc là la proposition que vous nous
faites.
Mme McNicoll: Oui.
Mme Harel: Ce serait d'ailleurs intéressant... On aura
l'alternance. Peut-être que Mme la ministre pourra nous indiquer si
l'étude en a été faite et pourquoi la disposition tout au
moins de considérer comme un acquêt la prestation de rente n'a pas
été retenue. Également, en matière de prestation
compensatoire, vous considérez que, lorsqu'il y a insuffisance d'un
patrimoine partageable...
Mme McNicoll: Lorsqu'il n'y en a pas. Mme Harel: Non pas
insuffisance.
Mme McNicoll: Qu'est-ce que vous appelleriez insuffisance? Une
maison pas suffisamment chère...
Mme Harel: Non, des meubles et une...
Mme McNicoll:... ou une auto grevée de dettes, des
meubles.
Mme Harel: Des meubles et un vieux "char".
Mme McNicoll: C'est cela, appelons cela insuffisance alors.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Harel: Est-ce que c'est à défaut d'un
patrimoine ou si c'est lorsqu'il y a insuffisance?
Mme McNicoll: Pour qu'il y ait prestation compensatoire, il faut
qu'il y ait d'autres biens aussi. Il faut qu'il y ait de l'argent quelque part
pour qu'on ait une prestation compensatoire. Mme Olivier.
Le Président (M. Filion): Mme Olivier? Mme Olivier
(Jocelyne): Oui.
Le Président (M. Filion): Vous avez la parole.
Mme Olivier: On n'a pas pensé que l'institution d'un
patrimoine familial devait éliminer d'emblée la prestation
compensatoire pour toute autre femme qui n'était pas collaboratrice ou
qui avait apporté une contribution financière. Il peut arriver
des cas où, par exemple, il n'y a pas de maison, mais où il y a
des biens importants, d'autres types de biens accumulés par un conjoint
sans que ce soit ceux désignés comme appartenant au patrimoine
familial. À ce moment-là, il devrait y avoir une
possibilité, pour un conjoint qui serait susceptible d'être
lésé en l'absence d'un patrimoine, de faire appel au tribunal
pour qu'il y ait une compensation. On pense que l'institution d'un patrimoine
familial par le législateur devrait faire reconnaître au juge
qu'il y a là une volonté qu'il y ait une répartition et un
partage plus équitable de la richesse familiale; donc, en l'absence d'un
patrimoine, mais en présence d'autres biens. C'est sûr que si les
conjoints n'ont pas de patrimoine ou un patrimoine qui n'a pas de biens, on ne
peut rien partager. S'il n'y a pas de patrimoine et il y a des biens
subsidiairement, il nous apparaît que la prestation compensatoire devrait
être modifiée pour clarifier l'interprétation, pour
éliminer les problèmes qu'on a, pour permettre à un
conjoint de se prévaloir de ce recours et obtenir une compensation qu'il
ne peut pas avoir par le patrimoine familial. C'est dans ce sens-là
qu'on dit que le recours pourrait être supplétif, mais cela
sous-entend qu'il y a eu parallèlement, en l'absence d'un patrimoine,
accumulation de biens autres que ceux inclus au patrimoine familial.
Mme Harel: Alors, vous parlez d'une impossibilité de
réaliser le partage malgré que, compte tenu des propos que vous
venez de tenir, cela puisse être aussi lorsqu'il y a insuffisance ou
lorsqu'il y a... Ce que je retiens de toute façon, c'est que vous
souhaitez l'élargissement non seulement au conjoint collaborateur, mais
au conjoint au foyer de la possibilité de faire valoir un droit à
la prestation. C'est de cela que vous causez, finalement.
Mme McNicoll: Oui.
Mme Olivier: Oui, c'est cela.
Mme Harel: Et cela vaudrait uniquement pour le conjoint au
foyer?
Mme Olivier: Ce qu'on constate, c'est que dans la prestation
compensatoire il y a des critères. Le tribunal va interpréter
aussi compte tenu des biens qu'un des conjoints va obtenir, c'est-à-dire
qu'on tient compte du régime matrimonial, de d'autres types de
participation, de d'autres types de biens qu'un conjoint va obtenir.
Nécessairement, le tribunal tiendrait compte d'un patrimoine, d'une
partie du patrimoine qui aurait été versé. S'il n'y en a
pas eu parce qu'il n'y avait pas de biens, mais qu'il a, par ailleurs, d'autres
biens, il pourrait donc apporter une compensation. On pense qu'il fallait
modifier. Comme on a des difficultés quant à
l'interprétation de la prestation compensatoire actuellement sur le type
d'apport qui doit être fourni par une femme pour y avoir droit, on pense
donc que cela doit être clarifié, mais le recours maintenu aussi
qui pourrait intervenir à titre supplétif. C'est un peu pour cela
qu'on l'a fait, dans les cas où, par exemple, il n'y a pas de patrimoine
partageable, mais qu'il y a d'autres biens, pour éviter que quelqu'un
puisse s'y soustraire, n'ayant pas accumulé volontairement, si vous
voulez, de patrimoine pour ne pas avoir à le partager, mais ayant
accumulé d'autres biens.
Mme Harel: Vous vous êtes sans doute rendu compte,
étant donné que dans la proposition gouvernementale il n'y a que
dans le cadre d'un droit à une prestation compensatoire qu'on peut faire
valoir, qu'on peut faire partager un régime privé de retraite,
qu'il peut y avoir une incitation à utiliser la prestation compensatoire
dans la mesure où, évidemment, ce ne serait que par ce biais, par
ce moyen, que le régime privé serait sujet à partage. Je
me suis demandé si vous aviez envisagé cette proposition
d'élargissement non pas seulement au conjoint collaborateur, mais au
conjoint du droit à la prestation compensatoire. Est-ce dans la
perspective où il pourrait y avoir accès à un partage du
régime privé? Vous ne l'avez pas envisagé dans ce
sens-là?
Avez-vous au conseil... Évidemment, la question se pose. Dans
votre mémoire, vous nous dites qu'il y a quand même un grand
nombre de travailleurs et de travailleuses qui cotisent à des fonds
privés, presque un sur deux, 42 % ou quelque chose comme ça.
Avez-vous pu évaluer ce que cela écarte du patrimoine familial,
si ce n'est pas inclus?
Mme McNicoll: Je peux demander à Mme Lepage, notre
spécialiste des régimes privés et publics de rentes, de
répondre à cette question.
Mme Lepage (Francine): Dans le cas, par exemple, de la
contribution, selon les statistiques fiscales de 1985, il y avait environ 900
000 souscripteurs ou souscriptrices à un régime
supplémentaire de rentes et ces personnes avaient souscrit en moyenne
1200 $, à ce moment-là. Nous voulons aussi inclure les
régimes enregistrés d'épargne-retraite. Il y avait environ
600 000 contribuables - je n'ai pas les chiffres exacts, mais on les retrouve
dans le mémoire - qui avaient souscrit en 1985, qui avaient eu la
déduction fiscale et qui avaient donc inscrit une contribution à
un régime d'épargne-retraite au moment de leur rapport
d'impôt. Les contributions au régime d'épargne-retraite
étaient, en moyenne, de 2000 $. Cela revient à dire qu'il y avait
finalement plus d'argent de souscrit dans les REER que dans les régimes
d'épargne supplémentaire et que c'étaient quand même
des montants assez importants.
J'ai aussi mémoire d'un règlement qui s'est fait en
Colombie britannique; c'était l'arrêt Rutherford et, à ce
moment-là, on avait évalué le régime de retraite
à 235 000 $. Il s'agissait probablement d'un travailleur qui arrivait
vers la fin de sa vie active. Donc, cela peut constituer des sommes
importantes.
Mme Harel: Cela confirme ce que je pense, M. le Président.
Le conseil du statut est une source insondable de renseignements et
d'informations. Je ne m'attendais vraiment pas que vous puissiez dès
maintenant me donner la réponse. C'est extrêmement
intéressant. Vous avez donc mené une investigation sur cette
question.
Mme Lepage: Oui, c'est ça. Vous retrouverez cela à
la page 12 de notre mémoire, à la fin.
Mme Harel: D'accord.
Mme Lepage: Je n'ai pas les totaux des souscriptions, mais on les
retrouve dans la publication citée en référence.
Mme McNicoll: Je vous l'ai dit, Mme Lepage est une
spécialiste; elle est "conversante", comme on le dit en bon
français, en matière de régimes privés et publics
de retraite.
Mme Harel: Merci.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme la ministre déléguée à la Condition
féminine.
Mme Gagnon-Tremblay: M. le Président, je voudrais revenir
encore, en posant la question soit à Mme McNicoll ou à Mme
Olivier, sur la prestation compensatoire de sorte que ce soit très
clair. Dans le document, la prestation compensatoire doit servir aux femmes
collaboratrices ou d'autres types, finalement, là où il y a
enrichissement. Par contre, lorsqu'on permet, par le biais des rentes
privées, le paiement de la prestation compensatoire, cela s'adresse aux
femmes collaboratrices.
Maintenant, si je comprends bien votre position, lorsque cela devrait
s'adresser aux travailleuses ou femmes au foyer, c'est unique-
ment dans le cas où il n'y aurait pas de partage de biens
familiaux; donc, on ne pourrait pas faire de partage et cela deviendrait
supplétif et non cumulatif. Est-ce exact?
Une voix: C'est exact.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Je reviens au conjoint... Oui,
madame.
Mme Olivier: Si vous me le permettez, quand vous avez introduit
la possibilité pour les conjoints collaborateurs d'être
compensés sur le régime de rentes, on pense que cette
possibilité pourrait se faire dans tous les cas et non pas seulement
dans les cas de conjoints collaborateurs. Je pense que cela ne pose pas de
problème.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.
Mme Olivier: Pour nous, le recours à la prestation
compensatoire se voulait un outil supplémentaire dans les cas où
il y a absence de patrimoine.
Mme Gagnon-Tremblay: Dans les cas d'absence de patrimoine.
Mme Olivier: C'est ça.
Mme Gagnon-Tremblay: Exactement.
Mme Olivier: Donc, un recours supplétif à cet
égard.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Olivier. Je pense que c'est
très clair. Je reviens au conjoint de fait et je trouve que votre... Je
me dis: À quoi servirait, par exemple... Je sais que la
députée de Maisonneuve fait état de la possibilité
de leur permettre, en somme, d'y adhérer d'une façon non
obligatoire. À ce moment, je me dis: On prévoit
déjà, on peut le prévoir par des aménagements
administratifs; à quoi cela servirait-il vraiment de l'inclure dans la
loi, de les y assujettir? Je pense que, d'une part, si on donne suffisamment
d'information et si on rend publiques davantage les responsabilités,
c'est-à-dire les désavantages que cela peut constituer par
exemple - je parle, entre autres, pour les femmes puisqu'on connaît
davantage les problèmes que ces femmes doivent vivre lorsqu'elles ont
charge d'enfants à la dissolution d'une union de fait - je me dis que si
on fait connaître et si on informe bien ces gens et on leur met en main
aussi des formules de convention qui leur permettent, finalement, de
régler d'une certaine façon non pas leur union, mais le fait de
vivre ensemble, à ce moment, je ne pense pas qu'on doive les assujettir
à la loi. Je pense qu'on peut le faire d'une toute autre façon.
Je pense que c'est aussi votre façon de penser.
Mme Olivier: Oui, Mme la ministre, pour nous, il est très
clair qu'il n'est pas question d'assujettir les conjoints de fait
automatiquement à quelque disposition législative liée au
cadre du mariage, quelque disposition que ce soit.
Mme Gagnon-Tremblay: Aussi, si nous n'avons pas inclus les
régimes privés dans le document, je pense que la première
question était qu'il fallait vraiment bien en connaître les
implications. Il fallait aussi - c'était important - avoir les
commentaires des intervenants en commission parlementaire pour voir si, dans
l'avenir, on devrait les inclure ou non. Je ne sais pas si, à ce
moment-ci, vous êtes en mesure de nous dire si vous avez fait une
certaine vérification, à savoir: Si jamais on incluait les
régimes privés, est-ce que cela pourrait avoir un effet
désincitatif, par exemple, pour les conjoints d'adhérer à
des REER ou à n'importe quel autre régime privé de
retraite? Croyez-vous, par exemple, que cela permettrait d'investir ailleurs
que dans ces régimes et faire en sorte ainsi que, finalement, on n'ait
pas suffisamment bien préparé sa retraite.
Mme Olivier: Écoutez, c'est le genre de chose qui est
toujours possible parce qu'au fond, à partir du moment où on
inscrit un certain nombre d'obligations à l'intérieur des lois,
il est clair qu'il y a toujours des personnes qui vont chercher à
éviter l'application de ces automatismes et, finalement, qui vont
chercher toutes sortes de possibilités pour déroger à ce
qui est annoncé dans la loi, à ce qui est rendu obligatoire pour
tout le monde. C'est une question que nous nous sommes posée, en effet.
Si nous les incluons, est-ce que cela signifie, par exemple, que les femmes
ayant peut-être plus... Celles qui travaillent et qui veulent souscrire
à un REER vont peut-être le faire plus, alors que le mari va
peut-être mettre plus d'argent, à la Bourse ou en immobilier, qui
ne soit pas à l'intérieur du patrimoine. C'est une
possibilité, c'est certain.
Cela étant dit, il nous apparaît que, dans la mesure
où le régime privé est vraiment le palliatif aux
insuffisances possibles du régime public, dans la mesure où des
conjoints, dans une union de bonne foi, constituent un patrimoine, s'il y a un
régime privé, les deux époux devraient pouvoir avoir
accès aux crédits accumulés pendant le mariage du
régime de celui ou de celle qui y est inscrit.
Mme Lepage, est-ce que vous ajoutez quelque chose?
Mme Lepage: J'avais un complément, peut-être une
remarque à faire sur la question précédente. Si on voulait
encourager les conjoints de fait à réaliser des ententes
privées, il pourrait être nécessaire d'apporter certains
amendements, par exemple, à la Loi sur les régimes
supplémentaires de rentes. Nous, on
recommande que ce soit introduit dans le patrimoine familial. À
l'heure actuelle, la Loi sur les régimes supplémentaires de
rentes fait que ces biens, les régimes de retraite, deviennent -
incessibles. Si le gouvernement tenait à les inclure dans le patrimoine,
il faudrait qu'ils soient cessibles entre époux. Une autre façon
de permettre aux conjoints de fait de choisir de partager le régime en
cas de rupture, ce serait que ce soit accessible entre conjoints de fait.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme Lepage.
Mme Gagnon-Tremblay: M. le Président.
Le Président (M. Filion): Oui, Mme la ministre. La parole
est à vous.
Mme Gagnon-Tremblay: J'ai une autre question à poser. Dans
votre mémoire, vous souhaitez que la masse partageable se limite
à la valeur acquise durant le mariage lorsqu'il s'agit d'un don ou d'un
héritage survenu avant le mariage. On parle de la plus-value. Est-ce que
vous incluez dans cette masse partageable aussi bien les biens meubles
qu'immeubles ou les deux?
Mme McNicoll: Non, pas les biens meubles et immeubles. Nous
incluons la résidence, les meubles... enfin, les meubles et les voitures
ne sont pas des choses qui acquièrent habituellement, enfin, à
moins d'exception, de grandes valeurs en vieillissant, sauf les choses qui
étaient déjà très vieilles, probablement.
Mme Gagnon-Tremblay: Enfin, ce que cela veut dire, c'est la
résidence, de même que les meubles meublants.
Mme McNicoll: Tout à fait.
Mme Gagnon-Tremblay: Qui seraient assujettis à la
plus-value?
Mme McNicoll: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.
Le Président (M. Filion): En vertu de la règle de
l'alternance, je vais vous reconnaître dans une minute. Peut-être
Mme la députée de Marie-Victorin.
Mme Vermette: Oui, M. le Président. J'aime bien votre
conclusion. Vous terminez en disant qu'en fait on devrait conférer aux
femmes une égalité de droits, plutôt qu'envisager
uniquement la réforme sous l'angle de la protection d'un conjoint
économiquement faible. Ma question est la suivante: Est-ce que vous
croyez qu'à l'heure actuelle les femmes en général sont
suffisamment connaissantes de leurs droits, des différents avantages des
régimes matrimoniaux qui existent? Est-ce que vous croyez, dans notre
société, à l'égalité des droits
confirmée aux femmes ou s'il y a un rapport d'égalité dans
les faits, sur le plan économique, à l'heure où on se
parle?
Mme McNicoll: Nous avons bien dit dans notre mémoire que
les propositions nous paraissaient s'adresser plus précisément
aux 50 % de couples qui sont encore mariés sous le régime de la
séparation de biens pour qui et pour les épouses desquels couples
il y a habituellement injustice au moment du divorce dans la mesure où,
si une maison n'est pas inscrite à leur nom, leur participation à
la constitution d'un patrimoine familial n'est pas une garantie. La conclusion
à laquelle nous en venons, c'est-à-dire une des choses que nous
soulignons dans notre conclusion, c'est que nous croyons qu'il faut que les
femmes soient le plus autonomes financièrement possible,
c'est-à-dire qu'elles aient la formation nécessaire pour pouvoir
survivre dans le régime, enfin être suffisamment autonomes
économiquement par leur propre fait et non pas du seul fait du
mariage.
Sur la question de l'information suffisante, je crois qu'on ne peut pas
se substituer aux personnes auxquelles des organismes gouvernementaux donnent
habituellement de l'information. Il faut toujours chercher de meilleures
stratégies d'information, mais je crois qu'il restera toujours des
personnes qui, même en étant soumises à un criblage
d'information, ne retiendront pas l'information qui leur serait pertinente.
À cet égard, je pense, encore une fois, qu'il faut constamment
améliorer nos stratégies d'information, mais je ne crois pas que
tout le monde soit nécessairement au fait actuellement que, par exemple,
la séparation de biens, en termes de partage au moment du divorce, soit
un régime matrimonial intéressant. Jusqu'à il n'y a pas
très longtemps, on disait bien que la séparation de biens
était le régime parfait pour se marier, mais c'était
parfait pour des gens qui avaient des biens au mariage. Ce n'était pas
nécessairement parfait pour des gens qui en accumulaient en cours de
mariage.
Peut-être que Mme Olivier pourrait ajouter quelque chose.
Mme Olivier: Ce que l'on veut dire aussi et qui nous apparaissait
bien important, c'est qu'on considère que l'institution d'un patrimoine
familial partageable, c'est une reconnaissance de droits égaux pour
nous. Ce n'est donc pas une intervention pour venir en aide et protéger
un conjoint plus faible, c'est un droit égal et reconnu à chacun
des conjoints pour la contribution qu'il a faite dans le mariage et ce, quelle
que soit la nature de sa contribution. C'est dans cet esprit que l'on
doit...
Je ne sais pas si vous avez vu les journaux ce matin, mais on a dit: On
va donner aux
femmes la moitié de la maison du mari. Dans notre esprit, on
donne à quelqu'un et c'est conforme à ce que l'on veut bien lui
donner. Or, on dit: Dans cet esprit, la réforme doit être
envisagée comme une reconnaissance de droits égaux et non pas
comme un cadeau qu'on fait aux femmes pour ce qu'elles ont fait, mais bien
comme une reconnaissance d'une contribution et ce, quelle que soit la nature de
cette contribution-là.
Mme Vermette: Je faisais référence surtout à
l'état actuel de nombreuses femmes qui se sont, sur le plan
égalité de droits, retrouvées défavorisées
parce qu'il eût été difficilement prouvable pour elles
qu'elles avaient favorisé l'enrichissement du ménage. Ce qui fait
qu'on est arrivé avec des femmes beaucoup plus faibles
économiquement, après une rupture ou un divorce que dans d'autres
circonstances et c'est peut-être cet équilibre-là que l'on
tend à rétablir à l'heure actuelle, trouver la solution
qui va les favoriser.
Mme McNicoll: C'est la raison pour laquelle le Conseil du statut
de la femme appuie, et le signalait déjà dans son mémoire
de 1986, la constitution d'un patrimoine familial, c'est-à-dire que
c'est la reconnaissance de la contribution des deux conjoints à la
constitution, à l'achat de la maison, de la voiture ou des meubles et
à la conservation dudit patrimoine parce que, évidemment,
même si elle ne gagne pas d'argent à l'extérieur, une femme
qui administre bien les biens de la famille contribue à l'augmentation
et au maintien de ce patrimoine.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme la
députée de Marie-Victorin. M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. À mon
tour, j'aimerais remercier et féliciter le Conseil du statut de la femme
pour sa contribution à nos travaux. Un élément qu'on n'a
pas eu l'occasion d'aborder, notamment, est celui-ci. Vous vous inscrivez en
faux contre la possibilité pour un conjoint de suivre une disposition
transitoire, c'est-à-dire de pouvoir renoncer à cette masse
partageable lors de la dissolution du mariage. Par contre, vous proposez, en
contrepartie, qu'au moment de la rupture on puisse faire des conventions
différentes de partage. Vous vous basez, comme on l'a lu tantôt
ensemble, sur le fait que des pressions indues peuvent être faites sur un
conjoint pour l'amener à renoncer à ce partage-là. Par
contre, les mêmes pressions selon moi - vous me corrigerez si je me
trompe - peuvent être faites aussi sur le même conjoint pour signer
des conventions différentes. C'est une question de preuves.
C'était quand la rupture? Est-ce que c'était le 10 juin ou le 18?
À ce moment-là, je vois mal l'utilité d'adopter cela.
Mme McNicoll: II y a deux cas qui vont se présenter. Dans
le premier cas, supposons qu'il y ait un délai de trois ans, là,
les pressions risquent d'être importantes pour que quelqu'un renonce
d'ici à trois ans à la moitié du patrimoine auquel il
aurait droit lorsque la loi commencera à s'appliquer. Dans le
deuxième cas, s'il n'y a pas un tel... Évidemment, vous me direz
que des gens qui envisageaient de divorcer peuvent soit
accélérer, soit ralentir l'arrivée du divorce, c'est
certain, mais ce sur quoi nous insistons surtout, c'est que, dans le
deuxième cas, s'il n'y a pas un tel délai et que la femme et
l'homme sont chacun dépositaires de la moitié du patrimoine
familial, chacun a une arme de négociation qu'il n'a pas dans le premier
cas. C'est dans ce sens où il nous apparaît important qu'il n'y
ait pas de délai permettant justement à quelqu'un d'avoir
immédiatement la possibilité de faire valoir son droit à
la moitié.
Quant à la question de la convention différente, nous la
proposons à peu près, je dirais, dans le même sens que nous
sommes favorables à la non-imposition d'un tel régime aux
conjoints de fait. C'est-à-dire que nous pensons que deux adultes
consentants, majeurs et vaccinés sont capables de traiter de leurs
affaires de façon égalitaire et de s'entendre peut-être
d'une façon différente de ce que prévoirait le
régime général pour des circonstances et tenant compte de
circonstances qu'eux estiment leur convenir. Par exemple, on pourrait
très bien imaginer qu'une femme qui quitte la maison en laissant le mari
et les enfants dise: Garde la maison et occupe-toi des enfants, moi, je m'en
vais. On peut très bien imaginer qu'une telle position soit possible. Ce
qu'on ne souhaite pas, c'est que, si des conjoints en arrivaient à une
convention différente, ils ne puissent pas en être
empêchés parce qu'ils y sont obligés par le partage
à moitié obligatoire du patrimoine.
M. Dauphin: Si vous me permettez, M. le Président...
Le Président (M. Filion): Je vous en prie. (16 h 30)
M. Dauphin:... une autre question. Lorsque vous parlez du recours
devant les tribunaux, vous voulez que ce soit bien encadré, bien
déterminé, avec un délai. Avez-vous une idée du
délai pour que le recours soit permissible jusque... S'ils ont
été mariés trois ans ou...
Mme McNicoll: Je vais laisser à ma collègue...
Mme Olivier: On fait souvent référence aux lois
canadiennes et à la loi de l'Ontario. Je pense que la loi ontarienne
prévoit un délai de cinq ans. En fait, ce qui nous a
incités - je ne sais pas si vous vous le rappelez - dans notre
premier...
Le Président (M. Filion): Un délai de?
Mme Olivier: La loi ontarienne prévoit la
possibilité d'intervention du tribunal quand le mariage a duré
moins de cinq ans. Je ne sais pas s'il faut dire cinq ans. Dans notre premier
mémoire, en 1986, on avait rejeté toute possibilité de
recours au tribunal. L'évaluation qu'on a faite de tout ce dossier,
c'est que quand on a des recours aux tribunaux, d'une façon
générale, les femmes s'en trouvaient desservies. C'étaient
des façons de se soustraire d'une façon ou d'une autre à
l'application de la loi. On prévoyait dans les lois des autres provinces
un partage égalitaire, sauf que l'interprétation de tout cela
faisait qu'on avait un partage inégal, défavorable aux
femmes.
Dans notre première proposition, on voulait éliminer le
plus possible les recours aux tribunaux, d'une part, parce que cela fait des
délais; d'autre part, quand un conjoint ne veut payer, il va y recourir.
Ce sont des frais. Il va aller en Cour d'appel. On s'est dit: Cela dessert, de
façon générale. Les femmes ont moins de sous et elles s'en
retrouvent appauvries. Notre objectif était donc de faire un partage
restreint, dont l'accumulation de biens et la contribution n'étaient pas
discutables, et qu'on devait donc partager de façon automatique.
On est conscientes que cela peut créer, à certains
égards, des inégalités. Ce que je perçois de la
proposition gouvernementale, ce sont quand même des dispositions qui
pourraient ne pas être interprétées comme
défavorables aux femmes. On parle de mauvaise foi, d'aliénation
pour mauvaise foi, etc. Vous pourrez nous accuser de ne pas vous avoir
proposé de formulation précise, sauf que nos
préoccupations étaient de dire: D'accord pour un recours, mais
restreint et de s'assurer que ce ne soient pas les femmes qui en paient le
prix.
M. Dauphin: Si vous me permettez, le danger de vouloir
délimiter et de l'inscrire dans le Code civil, par exemple, c'est
qu'à un moment donné le tribunal n'a plus la possibilité
d'interpréter ou de juger différemment des cas d'espèce.
Il y a un paquet d'exemples que je pourrais énumérer. Quand on
scelle cela dans le ciment, les cas particuliers n'existent plus,
évidemment. On n'a qu'une règle bien précise et
"guillotineu-se", si vous me permettez l'expression.
Mme Olivier: Je vous comprends très bien. D'ailleurs,
c'est un peu pour cela qu'on avait adopté une formulation comme celle
qu'on a adoptée sur la prestation compensatoire, en espérant que
cela laissait suffisamment de marge de manoeuvre aux tribunaux pour
l'interpréter aussi largement. Sauf que les tribunaux ont choisi... On
disait: II ne faut pas trop restreindre, il ne faut pas ceci, il ne faut pas
cela, pour permettre au tribunal d'apprécier chacun des cas à son
mérite. Sauf qu'on s'est retrouvé avec des interprétations
restrictives. On sait que la Cour d'appel a adopté, depuis quelques
mois, des interprétations différentes, sauf que, comme on ne sait
pas ce qui va se passer, et l'expérience qu'on a est
généralement plus défavorable, on est donc très
sceptique face à la multiplication des recours aux tribunaux. On
essayait de proposer des règles claires, précises, le moins
discutables possible.
Le Président (M. Filion): Merci. Monsieur...
M. Dauphin: Je reviens à ma première question, si
vous me permettez, M. le Président, concernant la renonciation. En
Ontario, il est possible d'y renoncer. C'est-à-dire que la liste de
biens dans le patrimoine familial est plus grande; par contre, on peut y
renoncer. Est-ce que vous avez des statistiques pour l'Ontario, de personnes
qui renoncent? Est-ce que c'est effarant comme chiffre?
Mme Olivier: On n'a pas de statistiques. Si vous regardez bien le
régime de l'Ontario, c'est à peu près, à toutes
fins utiles, notre société d'acquêts. À toutes fins
utiles, la loi de 1986, c'est l'équivalent de notre
société d'acquêts, moins les régimes de rentes. En
1986, on introduit les régimes de rentes dans la loi de l'Ontario, ce
qu'on n'a pas en société d'acquêts. Mais la
possibilité qu'on a en Ontario, c'est de faire des conventions
contraires, soit un contrat de mariage, soit en cours de mariage ou à la
rupture.
Maintenant, il y a une tradition différente en Ontario, une
tradition de non-contrat de mariage puisque, avant les réformes, les
gens étaient mariés en séparation de biens,
c'est-à-dire que le régime légal était un
régime de séparation de biens et il n'y avait pas de contrat de
mariage. Par ailleurs, la société d'acquêts, au
Québec, implique un partage égal sans recours au tribunal pour
faire un partage inégal, quelles que soient les circonstances. On peut
être marié six mois en société d'acquêts, mais
on partage tous nos biens et on ne peut pas aller devant le tribunal. Ce sont
là, à peu près, les distinctions.
On n'a pas de statistiques sur le recours. Je sais, pour avoir
rencontré des gens d'autres conseils ou des gens de l'Ontario qui le
disent, que c'est une pratique qui tend à se développer. La loi
est arrivée, il y avait une tradition différente. La loi est
arrivée, les gens ne se sont pas trop rendu compte de ce qui se passait
et il semblerait que ce soit une tradition qui tend à se
développer maintenant en Ontario, mais je ne pourrais pas vous donner de
statistiques.
Le Président (M. Filion): Merci, M. l'adjoint
parlementaire du ministre de la Justice. Je pense que je vous suis fort bien
lorsque vous mentionnez la possibilité pour les époux, au moment
de la rupture, de conserver le pouvoir et le droit de
modifier le régime par l'application d'une convention à
laquelle ils concourraient. Mais, un peu dans le même sens que le
député de Marquette, ma question porte non pas là-dessus,
mais sur la possibilité, à l'intérieur d'une mesure
transitoire ou d'un délai transitoire de trois mois, pour les couples
déjà mariés de se soustraire à l'application de ce
que serait une éventuelle législation, parce que ces mêmes
personnes sont des adultes majeurs et vaccinés.
Disons qu'ils se sont mariés il y a cinq ans à
l'intérieur d'un régime connu. Les règles du jeu
étaient ce qu'elles étaient à ce moment-là, la
tradition au Québec était ce qu'elle était et ces
personnes majeures bien vaccinées ont, dans la majorité des cas,
encore une fois à l'intérieur de règles du jeu connues,
décidé d'adopter un certain régime sur le plan
légal pour procéder, en cas de rupture, à une dissolution
de leur union sur le plan économique. Déjà, la proposition
principale - on me corrigera - prévoit que la règle aura pour
effet d'appliquer la loi à ces couples, sauf qu'on prévoit un
délai pour prévoir le contraire. En deux mots, on change les
règles du jeu, mais on dit aux couples qui tiendraient aux règles
du jeu initiales: Vous pouvez déroger et convenir d'une application
légale autre.
Je dois vous dire que je suis sensible, d'abord, au principe de la
non-rétroactivité des lois. Vous savez, le problème des
mesures transitoires s'applique continuellement. Dans toutes les lois, ou
à peu près, on a toujours le problème des mesures
transitoires. J'essaie de suivre un peu la pensée que vous
développez, par ailleurs, dans le reste de votre mémoire et quand
j'arrive à ce point-là j'avoue avoir un peu de difficulté
à vous saisir. Je comprends tout le principe des pressions indues qui
s'étendraient dans le temps, etc. Je saisis cela également. Par
contre, il y a un choix à faire. Peut-être que votre
réflexion revient à cela, c'est juste de choisir, tout
simplement. Mais, philosophiquement, en tout cas à la base, est-ce que
le principe de la non-rétroactivité de nos lois ne devrait pas,
en cas de doute, s'appliquer? Surtout qu'ici ce n'est pas une obligation, c'est
uniquement une possibilité de déroger. Donc, on donnerait aux
conjoints possiblement défavorisés économiquement la
possibilité, encore une fois, de dire non.
Alors, Mme Mailloux.
Mme Mailloux (Thérèse): Je pense que ce qui nous a
motivés, au conseil, pour dire que des possibilités de convention
pourraient être possibles à la rupture, c'est qu'on disait qu'il y
avait quand même beaucoup moins de danger à ce moment-là
puisque les couples étaient alors placés devant une situation
réelle de rupture. Vous savez, quand c'est une mesure transitoire, elle
se passerait à un moment X dans la vie du couple, qui n'est pas
nécessairement près de la rupture.
Donc, à l'intérieur d'une mesure transitoire, des couples
pourraient enfin être amenés à décider d'une
situation qui pourrait ne pas se passer du tout, d'abord, ou se passer beaucoup
plus tard. On pourrait aussi ne pas savoir dans quelles circonstances une telle
rupture allait survenir et quelles allaient être les circonstances
économiques ou la situation économique de chacun des couples au
moment de la rupture. Nous disons que de permettre aux couples de faire des
conventions libres à la rupture, c'est beaucoup moins dangereux, si vous
voulez, qu'une mesure transitoire parce qu'ils sont alors placés devant
une situation où il va y avoir une rupture. Ils sont alors plus en
mesure d'envisager chacun leurs besoins et la situation qui va arriver
après cette rupture.
Mme McNicoll: Mme Olivier voudrait ajouter quelque chose.
Le Président (M. Filion): Oui.
Mme Olivier: C'est sur la question de la
non-rétroactivité de nos lois.
Le Président (M. Filion): Du transitoire.
Mme Olivier: Des mesures transitoires. Vous savez, quand la Loi
sur le divorce a été adoptée en 1968, on n'a pas dit aux
gens: Vous avez trois ans pour savoir si vous allez divorcer un jour ou si vous
n'allez pas le faire. On a dit: Maintenant, tout le monde peut divorcer. Quand,
en 1981, on a modifié les lois... Tout le monde peut divorcer. On ne
leur a pas dit: Vous pouvez peut-être renoncer à ce
droit-là. Vous avez trois ans parce que ceux avant ne pouvaient pas le
faire. Maintenant, vous avez trois ans pour peut-être vous
prévaloir de la possibilité ou y renoncer. Mais cela a eu des
effets importants sur la situation économique des femmes qui
s'étaient mariées à ce moment-là sans savoir ce qui
pouvait leur arriver après. Quand en 1981, on a modifié, au nom
de l'autonomie.... Tout le monde était d'accord à cette
époque-là et on a dit: Dorénavant, dans les contrats de
mariage en séparation de biens, les donations pour cause de mort
deviennent caduques. On n'a pas dit: Vous avez trois ans pour peut-être
accepter les rigueurs de la loi ou pas. On a dit: C'est comme cela maintenant.
Or, nous pensons qu'une mesure transitoire comme celle-là n'est pas...
Quand on pense que la loi est bénéfique, on veut faire profiter
tout le monde des bénéfices de la loi sur-le-champ.
Maintenant la nécessité de respecter - Mme McNicoll en a
parlé tout à l'heure - c'est ce qui nous agaçait parce que
la proposition gouvernementale prévoit la possibilité de
renoncer, mais en maintenant la règle du partage équivalent. Vous
savez, dans la majorité des cas, le patrimoine va être
constitué de tous les biens du couple. Cela comprend la maison, les
meubles, la voiture et les régimes de rentes. Il ne restera
pas grand-chose à côté de tout cela. Et on peut
considérer que dans un couple on constate que ce partage-là est
inéquitable pour X raisons. On considère que le conjoint qui a la
garde des enfants devrait avoir la totalité. Si c'est le seul bien
qu'ils ont, ils ne pourront pas donner la totalité sans retirer
l'équivalence, si vous voulez. Ce peuvent aussi être des couples
où il n'y a pas d'enfant et où les deux personnes ont
décidé d'une convention différente. Mais tout cela, c'est
donc à la rupture, en toute connaissance de la situation de chacun,
d'une contribution équitable de chacun... Vous savez que plus de 80 %
des divorces se règlent par convention. Alors, il y a des conflits, mais
il y a aussi des cas où cela se règle. Vous me direz qu'il peut y
avoir des pressions. C'est vrai qu'il peut y avoir des pressions. Sauf qu'on
peut aussi aller chercher le soutien et les conseils d'un avocat et de toute
personne.
Si je me permets, dans la Loi sur l'aide sociale il y avait une
proposition dans le sens que le ministre puisse intervenir dans les cas de
conventions entre conjoints. On a dit: II y a des intervenants judiciaires. Il
y a des avocats. Il y a des parties. On pense que ces gens-là sont en
mesure de choisir ou de décider de ce qui leur convient à la
rupture et il n'y a pas de place là pour le ministre. Je pense que cette
proposition-là est conforme aux positions qu'on défend aussi
là-dessus.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie,
Mme Olivier: Une minute peut-être de chaque
côté, si vous le désirez, pour remercier nos
intervenants.
Mme Harel: Oui, avec plaisir. Ce à quoi on peut renoncer
pour un grand amour durant la durée de cet amour, je pense que là
aussi on pourrait faire une démonstration... On ne parle pas,
finalement, de ces rapports. On souhaite... Je vous entendais, Mme McNicoll,
parler de ce rapport égalitaire entre conjoints, partenaires,
collaborateurs. Ce n'est pas tout à fait cela, évidemment, qui
est la réalité de nos concitoyennes présentement, en tout
cas pour une majorité d'entre elles qui vivent et qui renégocient
des rapports parce qu'ils ne sont pas exactement fondés sur ce projet
que l'on souhaite pour nous toutes. C'est peut-être cela qu'il faut avoir
en tête, une renégociation des rapports privés, mais qui
n'est pas évidente, qui n'est pas définitive pour la
majorité d'entre elles, et un appui dans cette renégociation.
Je termine en vous disant que je suis vraiment heureuse de votre
présentation. Notamment, en écoutant Mme Lepage, je crois, je me
disais: L'État n'est pas neutre. Quand l'Etat a décidé
qu'il y avait un droit incessible à la rente privée de retraite,
même entre conjoints mariés et d'autant plus entre conjoints de
fait, il n'était pas neutre à ce moment-là. Il basculait
d'un côté. Les femmes ne gagnent toujours que 64 % du salaire des
hommes; même si elles se paient des retraites privées, elles ne
peuvent être évidemment de même ordre, de même
quantum.
Je vous remercie. C'est extrêmement intéressant comme
présentation, comme tout ce que fait le conseil. Merci.
Le Président (M. Filion): Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Mmes McNicoll, Olivier, Mailloux et Lepage,
je voudrais également vous remercier pour la présentation de
votre mémoire. La qualité de votre argumentation également
va sûrement nous permettre d'apporter des améliorations à
la proposition qui fait foi de notre consultation. L'objectif visé par
ce mémoire, c'est d'essayer de soustraire, je pense, une certaine
clientèle à toutes les inéquités qu'on
connaît, que ce soit à partir d'un régime de
séparation de biens qui a été depuis modifié, et
justement de façon non rétroactive, mais qui a été
modifié au moment où on le décidait. Je pense que, de
cette façon, cela va pouvoir sûrement améliorer... C'est
une bonne façon, entre autres, cette rencontre, cette commission
parlementaire, de pouvoir améliorer non seulement la proposition, mais
aussi le droit en faveur dé l'égalité des conjoints. Merci
infiniment encore pour la qualité de votre présentation.
Mme McNicoll: Nous vous remercions de nous avoir donné ce
temps pour pouvoir en discuter avec vous. Nous vous souhaitons bon
succès dans la fin de vos travaux.
Le Président (M. Filion): Je pense que ce n'est pas un
hasard si le Conseil du statut de la femme a été fixé en
tête de liste dans nos consultations. Il est le premier organisme que
nous entendons. Voilà des débats qui sont bien amorcés.
C'est à mon tour de vous remercier autant pour la qualité de
votre mémoire que pour votre intervention, la qualité de vos
interventions cet après-midi.
Voulez-vous suspendre nos travaux pendant quelques minutes?
Mme Gagnon-Tremblay: Cinq minutes peut-être.
Le Président (M. Filion): Très bien. Nos travaux
sont suspendus pour cinq minutes.
(Suspension de la séance à 16 h 48)
(Reprise à 16 h 56)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission reprend ses travaux. Nous avons le plaisir d'avoir avec
nous les représentantes du groupe Projet-Partage qui ont
déjà pris place à la table des invités de cette
commission.
Je demanderais peut-être à la présidente du groupe,
Me Miriam Grassby, de bien vouloir nous présenter les personnes qui
l'accompagnent et nous faire la présentation de son mémoire, tout
en lui rappelant que les membres de cette commission ont déjà
reçu le mémoire préparé par Projet-Partage.
Projet-Partage
Mme Grassby (Miriam): Merci, M. le Président. À ma
droite, Me Muriel Lichter, vice-présidente de notre groupe, et, à
ma gauche, Mme Lebel, secrétaire-trésorière du groupe.
Je ne vous relirai pas notre mémoire et j'oserai même dire
que vous pensez peut-être avoir tout entendu, ayant écouté
le mémoire du Conseil du statut de la femme avec tant
d'intérêt. Je pense que les questions que vous avez posées
allaient vraiment au fond. Peut-être pensez-vous que, pour les prochains
jours, vous allez entendre et réentendre très souvent les
mêmes choses, mais ce que je vais essayer de vous offrir aujourd'hui,
c'est un peu ce dont M. le Président parlait: le concret. Je voudrais,
plutôt que de répéter les besoins et surtout celui qui nous
intéresse présentement, c'est-à-dire le besoin de partager
les fonds de retraite ou les droits de retraite, essayer de vous montrer le
lien qui existe entre la nécessité de diviser les droits de
retraite à la rupture du mariage et la situation actuelle des femmes
devant les tribunaux lors de l'attribution des pensions alimentaires et des
sommes globales a la rupture du mariage.
Pour ce faire, j'ai choisi cinq exemples et, pour qu'on puisse les
retenir, je leur ai donné chacun des initiales. J'ai, par exemple, Mme
C, qui est Mme Confortable; Mme C, qui est Mme Ordinaire; Mme NC, qui est Mme
Nouvelle Carrière; Mme P, qui est Mme Professionnelle et Mme M, Mme
Maison. J'ai pensé que cela vous resterait plus dans la tête que
de dire simplement: Mme A, B, C, D ou E. Vous allez voir chacune.
Mme M est propriétaire de sa maison et on veut maintenant lui en
enlever la moitié sans rien lui donner de plus. Mme P est femme de
professionnel qui n'a pas de fonds de retraite, mais qui possède des
immeubles, par ailleurs. Mme O a seulement un fonds de retraite et pas de
maison et Mme C a toujours tout eu, mais elle n'aura rien.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Grassby: Alors, commençons. Je vous parle de la
situation présente parce que je pense que plusieurs d'entre vous n'avez
pas travaillé de façon pratique avec des situations de rupture de
mariage. Même si on peut lire à quel point c'est terrible, on ne
se rend pas compte à quel point c'est désastreux. Comme
praticienne - la plupart des membres du Projet-Partage le sont, soit avocats ou
travailleurs sociaux - je vois quotidiennement l'effet de la loi actuelle. Pour
nous, ce n'est pas une question. On ne se dit pas: Est-ce que c'est beau de
changer la loi? Il y a la liberté de contracter. Les gens ont choisi le
contrat de mariage, etc. On ne peut plus se poser ces questions-là car
on est, au Québec, tellement en retard vis-à-vis des femmes en
séparation de biens. Ailleurs, au Canada, dans toutes les autres
provinces, les femmes étant en séparation de biens
déjà depuis 1975 au moins, on a amélioré le sort de
ces femmes. On est tellement en retard que c'est devenu scandaleux.
J'ai été celle qui a représenté le Barreau
du Québec lors de la conférence du Barreau canadien cette
année et je devais décrire la loi au Québec. Je suis
très fière d'être québécoise, mais j'ai
été très gênée de parler du sort qu'on
réserve à nos femmes. Quant à moi, il n'y a pas d'excuse
pour cela parce que cela fait longtemps qu'on le sait et cela fait longtemps
qu'on n'y touche pas. Nous, d'ailleurs, du Projet-Partage, c'est en 1985 que
nous avons présenté notre premier mémoire à la
suite du jugement Poirier versus Globensky, où on voyait très
clairement que la prestation compensatoire ne répondait pas aux besoins
des femmes. Même si je suis contente d'être ici aujourd'hui, je
dois avouer que je pose les mêmes questions: Quand est-ce qu'on va
intervenir pour arrêter la situation que les femmes vivent
quotidiennement?
Alors, parlons de mes exemples. On va en même temps parler du
contrat de mariage. Certains pensent peut-être qu'un contrat de mariage,
c'est quelque chose de complexe, c'est quelque chose de long, quelque chose qui
offre quelque chose, mais ce n'est pas le cas. Mme Confortable entre, elle
vient au bureau d'avocats. Elle est bien mise - je prends mes exemples chez des
gens que j'ai vus - elle n'a jamais travaillé parce qu'elle a 50 ans et
on ne s'attendait pas qu'elle travaille. Elle a élevé deux
enfants. Son mari a 54 ans. Il a une maison à son nom. Cela vaut 200 000
$. Il a un fonds de retraite. Il a des placements. Et elle vient voir l'avocat
et elle dit: Je pense à quitter mon mari. Je ne peux plus vivre ainsi.
Il y a une situation intolérable. Qu'est-ce que j'ai? À quoi
ai-je droit?
Elle me sort son contrat de mariage. Je regarde son contrat de mariage.
J'ai amené justement le contrat de mariage de Mme C signé en
1954. Elle avait le droit de s'attendre que son mari paie les dépenses
du ménage pendant le mariage. Elle me dit: Bon, est-ce qu'il doit encore
subvenir à mes besoins à cause de mon contrat? La réponse
est non, parce que cela a été enlevé du contrat de mariage
en 1981 ou 1982 par la loi. Alors, vous, madame, même si vous avez
contribué quelque chose, vous ne pouvez pas le demander; même s'il
avait pris cet engagement, cela n'existe plus.
Après cela, il y a un cadeau, dans ce contrat de mariage, de
meubles, 5000 $ de
meubles. En 1954, c'était peut-être beaucoup dans le temps.
C'est peu maintenant. Madame peut garder les meubles qu'elle a jusqu'à
concurrence de 5000 $. Elle est chanceuse! Il y en a pour qui c'est seulement
2500 $. Et il y a une autre donation de 20 000 $. Elle dit: Au moins, je vais
avoir 20 000 $. Non, madame, c'est écrit, oui, noir sur blanc, mais
c'est une donation à cause de mort. Maintenant, cela n'existe plus parce
que le législateur a changé cela.
Et on arrive alors aux assurances qui sont prévues. Ce n'est pas
vrai parce que, dans son contrat, il n'y a pas d'assurance, mais je vais le
dire pareil pour que vous voyiez que cela aussi a été
enlevé avec les changements législatifs.
Madame dit: Mais que vaut le contrat? Je lui dis: Le contrat, ça
vaut ceci: Vous n'avez pas le droit à ce que votre mari a et ce à
quoi vous aviez droit auparavant, vous n'y avez pas droit non plus. C'est
difficile, vous savez, de leur expliquer cela. Parfois, il y a une donation
entre vifs qui peut être réduite par le tribunal, si on la
considère comme excessive. C'est assez rare que ce soit excessif parce
que, d'habitude, en 1954, ce n'étaient pas de grosses donations.
Parfois, c'est une donation qui semble être de vifs, mais qui est
vraiment de mort et il n'y a rien là.
Qu'est-ce qu'on va dire à Mme C? Elle a 50 ans, elle est en bonne
santé, n'ayant jamais travaillé. Je lui dis: Écoutez,
madame, vous n'avez droit à rien. La seule façon d'avoir droit
à quelque chose, c'est si vous pouvez prouver que vous avez enrichi
votre mari. Or, elle n'a pas travaillé dans son entreprise, elle n'a pas
invité des gens, elle n'a rien fait pour que l'on puisse
considérer qu'elle a enrichi son mari.
Alors, la prestation compensatoire à madame, c'est zéro,
c'est clair. La seule possibilité pour elle, c'est peut-être une
somme globale en vertu de la loi fédérale. C'est un peu
gênant que ce soit de là que doit venir le seul espoir des femmes
québécoises, mais elle peut demander une somme globale et elle
l'aura peut-être si elle peut prouver à un juge qu'elle doit
s'acheter une maison. Mais, à 50 ans, est-ce qu'on a vraiment besoin
d'une maison? Et si elle a droit à un fonds de retraite... Mais il n'y a
aucune jurisprudence que je connaissse jusqu'à maintenant au
Québec, et d'ailleurs au Canada, qui reconnaît l'attribution d'une
somme globale pour constituer un fonds de retraite.
En plus, je dois dire à Mme C: Vous savez, on va y aller, on va
foncer, on va aller chercher tout ce que l'on peut, mais je ne peux rien vous
garantir. Oui, cela va vous coûter cher. Et vous savez, Mme C, il est
possible que vous passiez devant un juge qui croit que, même si vous
n'avez jamais travaillé, vous devriez commencer à travailler.
C'est un peu inquiétant pour cette femme. Si cette femme a 45 ans, il
est presque certain qu'un juge considérera qu'elle devra, dans une
période très courte, se trouver du travail, que ce soit
réaliste ou pas. Alors, il faut penser à ces situations.
Encore, Mme C, si tout va bien, si elle va devant le tribunal et que le
juge considère qu'elle est vraiment de cette ancienne tradition et qu'on
n'a pas à demander à madame de travailler parce que ce n'est pas
réaliste qu'elle trouve du travail, on va peut-être lui donner, si
son mari gagne 55 000 $, peut-être 1750 $ de pension alimentaire, mais le
jour où M. C prendra sa retraite, sa pension alimentaire sera
réduite et son mari se retrouvera avec un revenu de retraite de
peut-être 43 000 $, avec des revenus qui donneront le placement fait avec
le produit de la maison si elle est vendue ou peut-être qu'il continuera
à vivre dans sa maison et il aura le revenu de ses placements. Alors,
qu'est-ce que l'on voit? On voit Mme C confortable auparavant, certainement
pauvre maintenant, parce que si, lorsque monsieur avait un salaire complet, il
n'avait qu'à lui payer 1750 $, lorsqu'il prendra sa retraite, il
demandera certainement de faire baisser le montant peut-être autour de
1000 $, 1200 $, si elle est chanceuse.
Alors, on voit que, même pour les femmes dont on penserait que
traditionnellement elles auraient droit à une certaine
sécurité, elles ne l'ont pas et elles n'ont rien. C'est clair que
la même femme mariée en communauté de biens aurait le droit
à la moitié du domicile conjugal, à la moitié des
placements et au moins à la moitié des contributions au fonds de
retraite de monsieur.
Mme Ordinaire, que va-t-elle recevoir, elle? J'ai une situation: Mme O a
55 ans, son mari a 57 ans. Elle a commencé à travailler dans les
magasins lorsque ses enfants avaient un certain âge pour aider à
payer leurs études. Son mari travaille pour une société
d'État. Ils n'ont pas de maison. Ils avaient une maison, mais elle est
hypothéquée et, juste avant de quitter, monsieur l'a vendue. Il a
pris les 20 000 $ pour payer ses dettes et, finalement, lors du divorce, il n'a
rien d'autre qu'un fonds de retraite. Mais, rien d'autre qu'un fonds de
retraite, si madame avait ce fonds de retraite... Parce qu'il gagne, à
57 ans, 48 000 $ et il a déjà le droit de prendre sa retraite. Il
est assuré par son fonds de retraite, d'un revenu de 32 000 $. Avez-vous
une idée de la valeur de 32 000 $ par année et, souvent, en
partie indexé, car c'est une société d'État? Pour
qu'un homme n'ayant pas de fonds de retraite produise ce revenu, cela lui prend
une somme de 395 000 $. C'est la valeur du fonds de retraite de cet homme. Nous
ne demandons pas que monsieur paie à madame la moitié de 395 000
$, mais nous disons que, pour monsieur, ce fonds de retraite a cette valeur. On
ne peut pas l'oublier, c'est le bien le plus important de la famille, parce
qu'au cours des années du mariage la maison prend une moindre valeur et
le fonds de retraite... Je ne dis pas que la maison prend moins de valeur, il
est certain que la valeur de la maison augmente, mais le régime de
retraite
aussi, et considérablement, vers la fin du mariage.
Alors vous avez Mme O qui a 55 ans, qui travaille dans un magasin et
gagne 8000 $ par année, qui a une pension alimentaire de 800 $ par mois,
qui va se faire couper lorsqu'il prendra sa retraite parce que ses revenus vont
baisser, elle va se retrouver peut-être avec 500 $ de pension alimentaire
et on lui dit: Madame, on n'a pas à partager les régimes de
retraite. Ce que je dis et ce que le groupe Projet-Partage dit, c'est qu'ils
doivent être partagés. Partout, dans neuf provinces, dans presque
tous les États, on est arrivé à la même conclusion
et c'est d'ailleurs encore plus important avec la nouvelle loi du divorce parce
qu'on commence de plus en plus à ne pas donner de pensions alimentaires
à long terme.
Comme je le démontre, même dans les situations où
les femmes ont droit à une pension alimentaire à long terme,
c'est souvent réduit à l'âge de la retraite. Ce qu'on dit
dans le cas de Mme O, c'est qu'ils ont vécu ensemble 30 ans sur les 34
ans que monsieur a travaillé à la société
d'État. Il est raisonnable que madame ait le droit, et c'est une
façon de faire le partage... Il y en a qui donneraient encore moins de
droits à madame, mais ce qui est très souvent retenu lorsqu'il y
a un divorce à la fin du mariage dans d'autres juridictions, c'est qu'on
donne à madame la demie d'un 34e de la rente de monsieur. Cela veut dire
que notre Madame O, au lieu de recevoir une pension alimentaire peut-être
de 400 $ ou de 500 $ par mois, recevrait un montant de 14 000 $ par
année du régime de retraite de son mari et lui recevrait la
différence. Pourquoi cette femme qui est restée à la
maison pendant 24 ans pour élever des enfants, qui est retournée
à temps partiel sur le marché du travail et qui ne peut
travailler ailleurs que dans un magasin à rayons, pourquoi devrait-elle
vivre dans la pauvreté, alors que son mari garde l'entière valeur
du seul bien de la famille?
Mme Nouvelle Carrière, vient me voir, elle a 51 ans. Elle est
contente, elle a commencé à travailler, elle gagne 31 000 $. Elle
me dit: Je dois divorcer, à quoi aurais-je droit? Elle a un contrat de
mariage, évidemment. Nous regardons le contrat de mariage, nous faisons
le même petit scénario: Non... Non... Peut-être... Et je
dis: Mais, madame, vous, vous êtes vraiment dans une mauvaise situation!
Vu que vous gagnez 31 000 $, on va vous dire que vous êtes autonome, vous
n'aurez pas droit à une pension alimentaire et lorsque vous aurez
atteint l'âge de 65 ans, si vous êtes assez chanceuse pour garder
votre travail jusqu'à cette date, parce que vous venez de commencer
à travailler à 51 ans et que vous n'avez pas un travail
assuré, on va vous dire: Madame, vous n'avez pas droit à une
pension alimentaire de votre mari, vous étiez autonome, pourquoi
n'avez-vous pas mis de l'argent de côté pour voir à vos
vieux jours? Il est clair qu'une femme qui commence à travailler
à 51 ans va avoir très peu de revenus provenant d'un
régime de retraite de son travail et qu'elle pourra aussi mettre
très peu d'argent de côté pour prévoir ses vieux
jours car, il ne faut pas se leurrer, pour se donner 1000 $ de revenus à
65 ans, une femme a besoin, approximativement, pour que cela soit
indexé, de 125 000 $. Cela prend 125 000 $ de capital pour lui donner
approximativement 1000 $ de rente indexée. Ce n'est pas sorcier, cette
chose, c'est clair, tout comme on a prévu que, dans les emplois pour
hommes et pour les meilleurs emplois, il faut avoir un régime de
retraite; c'est là parce que c'est important. Mme Nouvelle
Carrière aura peut-être la moitié de la maison conjugale,
selon la situation qu'on a, mais elle n'aura rien quant aux droits de retraite
et elle va se trouver fort dépourvue à l'âge de 65 ans. (17
h 15)
Mme Professionnelle - c'est là où nous ne sommes pas
d'accord avec la position du Barreau.... J'ai été membre du
comité du Barreau et nous avons travaillé
énormément au mémoire que Me Borenstein et Me Jean-Pierre
Senécal vont vous présenter la semaine prochaine. On va
peut-être un peu dans le sens du Conseil du statut de la femme, parce que
nous disons: Mme Professionnelle - j'ai le cas maintenant - épouse, 63
ans, son mari a 62 ans... Elle a eu seulement 5 enfants. Elle a
travaillé à la fin du mariage. Elle gagne 18 000 $ comme
secrétaire. On va lui dire: Vous avez droit peut-être à un
tout petit peu de pension alimentaire, seulement pour arrondir les fins de
mois. Même si elle a la moitié du domicile conjugal - dans ce cas
particulier, le domicile conjugal a une valeur quand même importante:
approximativement 250 000 $ - même si elle a 125 000 $, cela ne lui
donnera qu'une rente de 1000 $ par mois, pendant que son mari, lui,
professionnel, n'ayant pas de fonds de retraite, parce qu'il n'a pas
travaillé pour un employeur, a par contre des immeubles, seulement d'une
valeur de 1 200 000 $. Pourquoi cette femme n'aurait-elle pas le droit de
réclamer d'un tribunal une partie de cette valeur pour se constituer un
fonds de retraite.
C'est là où nous différons du Barreau et nous
différons aussi un peu du Conseil du statut de la femme. Nous pensons
que ce droit de demander quelque chose supplémentaire doit être
pour remplacer particulièrement un bien qui n'est pas dans le patrimoine
familial, c'est-à-dire le fonds de retraite. Il n'y a pas de raison pour
qu'une femme dont le mari a des avoirs importants, soit parce qu'il a fait des
choix d'investissement, ou parce qu'il a voulu se soustraire de la loi, ne
puisse pas partager une partie de ce montant, pour un besoin particulier,
c'est-à-dire pour se donner des revenus à la retraite.
Nous arrivons au cinquième cas, celui de Madame Maison qui est
propriétaire de la maison. Il y a beaucoup de femmes qui sont
propriétaires de la maison. Si nous n'incluons pas dans cette
réforme la division aussi des droits de retraite,
nous allons retrouver des femmes - et j'en connais beaucoup - qui vont
avoir à donner à leur mari la moitié de leur maison et qui
ne recevront rien en retour. Je pense à Mme M qui a élevé
deux enfants, qui a 53 ans, dont le mari est professeur d'université. Il
a un fonds de retraite qui fut évalué à 425 000 $, elle a
une maison qui vaut 150 000 $. Elle va lui remettre 75 000 $ et lui va avoir
425 000 $ plus 75 000 $. Voilà!
Ce que nous vous disons, c'est que nous ne pouvons pas dissocier les
droits de retraite du domicile conjugal. Ce sont les deux biens les plus
importants de la famille. Ce sont les deux piliers de la planification
financière des familles québécoises et on ne peut pas les
dissocier. On parle de la discrétion judiciaire. Je pense qu'il est
très important - nous le disons dans notre mémoire - de donner
aux femmes des droits, pas le droit d'aller devant un juge et lui quêter
quelque chose, mais des droits. Il faut leur donner des droits: cela va aider
dans le comportement des tribunaux, cela va coûter beaucoup moins en
frais d'avocats. Cela va simplifier la rupture du mariage pour ce qui concerne
les enfants, parce qu'on pourra mettre l'importance sur les enfants, et non pas
sur l'argent, lors de la rupture du mariage.
Cela va aussi faire en sorte qu'il y ait moins de situations qui sont
quelquefois très aberrantes. Je vais vous décrire une situation
où je pense qu'un droit aurait été beaucoup plus pertinent
que la discrétion judiciaire. Un mari laisse sa femme; elle a six
enfants - voyez-vous, il y a encore des grandes familles au Québec - six
garçons. Imaginez, être prise seule à élever six
garçons! Les enfants avaient entre quatre ans et treize ou quatorze ans
lorsque le mari est parti. Ils ont divorcé après vingt ans de
mariage. C'est approximatif, car c'est une cause que j'ai eue il y a un certain
temps, mais je vais vous la citer comme exemple. Le mari a dû payer un
certain montant puisqu'il y avait six enfants. Chaque fois qu'un enfant
partait, il revenait à la charge et il disait: II y en a seulement cinq,
ou il y en a seulement quatre. Trois fois nous sommes allés en cour pour
décider combien de pension alimentaire il devait donner parce que les
enfants partaient.
Finalement, nous avons reçu une requête pour
réduction de pension alimentaire parce que monsieur avait pris sa
retraite. Il avait pris une retraite prématurée. Il avait pris sa
retraite à 57 ans et il est venu devant le tribunal. Il a dit: Mon
revenu était de 45 000 $ l'année passée et, maintenant, il
est seulement de 36 000 $. Certains de mes enfants sont plus vieux, je ne veux
payer que 300 $ pour mes deux garçons qui restent à la maison et
à ma femme qui a 55 ans. C'est une vraie Anglaise d'Angleterre, elle ne
parle pas français - est-ce qu'on peut le lui pardonner? - et elle n'a
même pas des études secondaires. Elle n'a plus droit à une
pension alimentaire. Il dit: Cela fait déjà huit ans que je lui
paie une pension alimentaire; comment se fait-il qu'elle ne se soit pas
"grouillée" pour se trouver du travail? Madame dit: Écoutez,
j'avais six garçons, pas beaucoup d'instruction, six enfants, c'est une
assez lourde tâche. À part cela, mes garçons ont eu deux
gros accidents, j'ai dû les amener en physiothérapie une fois par
semaine depuis trois ans. Je n'ai vraiment pas pu trouver un travail.
La cause fut plaidée et le juge a rendu une décision.
C'était un juge très bien, un juge gentil, un bon père de
famille qui était pris avec une situation à trancher. Il a dit:
On ne peut pas blâmer monsieur de vouloir prendre sa retraite à 57
ans. Il a travaillé fort, il a été professeur, il a
été directeur d'école, et on sait combien c'est dur
d'être directeur d'école. Madame, par exemple, il va falloir
qu'elle comprenne qu'elle doit se trouver du travail parce qu'elle ne peut pas
vivre aux dépens de monsieur toute sa vie. Il a dit: Je vais fixer sa
pension alimentaire, pour elle, à 55 $ par semaine pour qu'elle
comprenne qu'elle doit se trouver du travail.
Je vous dis que c'est un exemple de la discrétion judiciaire et
je vous dis que si cette . même femme avait pu au moins savoir que,
lorsque son mari prendrait sa retraite, elle aurait droit à un certain
pourcentage de sa rente, cela lui permettrait une certaine
sécurité. Ce ne serait pas à 200 $ par mois qu'elle aurait
droit lorsque monsieur prendrait sa retraite, ce serait peut-être -
basé sur les années du mariage, j'ai fait le calcul - 1000 $ par
mois. Ce n'est pas décent de permettre, dans notre
société, à des femmes de vivre avec 200 $ par mois de leur
mari lorsqu'elles ont accompli leurs tâches de mère et
d'épouse d'une façon sans reproche. D'ailleurs, le reproche
n'existe plus dans notre société, dans les questions de
divorce.
Alors, je pense qu'on est dans une situation où, lorsqu'on ne
donne pas de droits aux femmes qui ont été des épouses et
des mères, on est justement en train de les punir. J'ai bien ri. Je suis
en train d'écrire un article pour la formation permanente au Barreau sur
le besoin pressant et immédiat de l'obligation d'épargner pour un
fond de retraite. J'ai appelé une des intervenantes qui sera ici le 19
octobre, Me Mireille Deschênes, qui vous parlera de Mercer et qui,
d'ailleurs, est spécialisée dans les lois de retraite - vous
pourrez lui poser toutes les questions que vous pouvez imaginer - et je lui ai
dit: Mireille, est-ce que vous avez un dépliant ou un livre pour moi,
quelque chose que vous pouvez me recommander pour que je puisse dire combien il
est important de mettre tous les jours de l'argent de côté pour un
fonds de retraite? Mireille m'a dit, sans attendre une seconde: Mais, Miriam,
la cigale et la fourmi! Et elle me l'a citée en entier. Effectivement,
souvent, ce sont les femmes qui sont les fourmis dans le couple, surtout
lorsqu'elles sont à la maison, et qui voient à ce que, petit
à petit, les biens de la
famille augmentent, mais je pense qu'on les traite comme des cigales
à la rupture, lorsqu'on ne leur donne absolument rien quand ce sont
elles qui ont contribué.
Je pense que c'est tout à fait inacceptable et je ne peux pas
comprendre comment on a pu retenir une solution qui ne prévoyait pas le
partage des fonds de retraite. Je dois vous dire qu'à Montréal,
dans les cercles d'avocats en droit de la famille, il y a beaucoup de gens qui
se disent que la raison pour laquelle on n'a pas retenu au Québec le
partage des fonds de retraite, c'est qu'il y avait plusieurs ministres qui
étaient absolument contre. D'ailleurs, il y a même des noms qui
sont donnés et c'est courant que ce n'est pas parce que c'est une raison
de fond, une question de principe qui n'est pas partagée, mais on dit
que tant qu'Untel sera au gouvernement, cela ne se fera pas. Je ne peux pas
croire cela, mais je reconnais qu'il est peut-être difficile, puisqu'au
Québec on n'a pas beaucoup pensé à la division des fonds
de retraite privés, de comprendre la nécessité et
l'urgence.
Nous-mêmes, quand nous avons commencé notre travail, ce
n'était pas quelque chose d'acquis pour nous. Mais, depuis qu'on regarde
ce problème et depuis la venue de la nouvelle Loi sur le divorce, c'est
quelque chose qu'on voit comme étant absolument essentiel et, faute de
ce genre de partage, je pense que c'est un changement législatif qui, je
ne pourrais pas dire, va être désavantageux en soi, mais cela va
être très désavantageux dans le sens qu'on ne reviendra pas
avant longtemps pour changer la loi. C'est maintenant que les femmes ont besoin
d'avoir une certaine assurance, une certaine sécurité à la
retraite. Je dois vous dire que, quand le Barreau du Québec est d'accord
avec le partage des fonds de retraite, je pense qu'il est clair que ce n'est
pas quelque chose qui est radical. C'est quelque chose qui relève du
gros bon sens. C'est quelque chose qu'on n'invente pas. C'est quelque chose qui
est essentiel.
Pour terminer, je veux juste donner non pas des exemples tout à
fait, mais démontrer cette relation entre les fonds de retraite et le
domicile conjugal. Souvent, vous allez avoir des femmes qui n'ont pas de fonds
de retraite, mais qui vont recevoir des sommes d'argent parce qu'elles
travaillent à temps partiel. Et vous allez voir que la femme, au lieu de
l'investir dans un REER, va peut-être baisser l'hypothèque de la
maison parce que c'est un bon choix pour la famille de baisser
l'hypothèque. Il y a toutes sortes de planfications... Souvent, une
femme ne prendra pas de fonds de retraite lorsqu'elle a le choix à son
travail, parce que son mari en a un et que son argent irait ailleurs. Je pense
qu'on ne peut pas les dissocier lorsqu'on fait le choix qu'on a à
faire.
J'espère que cela vous donne quelque chose de concret et que vous
voyez la relation entre la nécessité d'une certaine
sécurité à la retraite par rapport au fait que les femmes
reçoivent de moins en moins de pension alimentaire ou pour des
périodes... Parce que la nouvelle Loi sur le divorce prévoit
maintenant qu'on peut avoir des pensions alimentaires pour des périodes
limitées et c'est surtout à cause de cela, encore plus à
cause de cela, que nous avons besoin de cette réforme.
Le Président (M. Filion): Cela va. Je voudrais vous
remercier, Me Grassby, de cette présentation et je vais donner la parole
à Mme la ministre déléguée à la Condition
féminine.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Je voudrais
également vous remercier, Me Grassby, pour la présentation de
votre mémoire. Vous l'avez fait avec humour, mais vous avez bien
décrit, finalement, la situation de plusieurs femmes. Je vois dans votre
mémoire que vous proposez un partage des biens familiaux beaucoup plus
large que celui proposé dans le document sur lequel nous travaillons.
Vous y incluez non seulement la résidence principale et la
résidence secondaire - ce n'est pas la résidence principale ou,
à défaut, la résidence secondaire - mais également
les objets d'art, de même que les autres biens servant à l'usage
de la famille qui pourraient comprendre bateaux, autoneiges et ainsi de suite,
et les régimes privés de retraite. Dans un premier temps, lorsque
vous parlez des régimes privés de retraite, j'imagine que vous
incluez aussi les REER. Est-ce que...
Mme Grassby: Mais oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous incluez les REER?
Mme Grassby: Oui, oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Ma première question serait: En
incluant les REER, est-ce qu'à ce moment-là... Pourquoi, par
exemple, si vous incluez les REER, vous n'incluez pas aussi les obligations
d'épargne, les comptes de banque? Alors, c'est une première
question.
Ma deuxième question concernera la masse. Justement, comme je le
disais, vous avez une masse qui est beaucoup plus grande à partager
mais, par contre, il y a la possibilité d'y renoncer, alors que notre
proposition concerne une masse beaucoup plus restreinte des biens familiaux,
mais on ne peut y renoncer. Donc, à ce moment-là, je me demande.
Vous voyez un petit peu la différence entre les deux propositions. Je
vais donc vous laisser répondre à ces deux questions et, par la
suite, j'aurai quelque chose d'autre à rajouter concernant la masse de
biens. (17 h 30)
Mme Grassby: Alors, pour ce qui concerne la résidence
principale, pourquoi incluons-nous aussi la résidence secondaire? Il y a
plusieurs motifs à cela et, d'ailleurs, au Barreau, nous avons
décidé de retenir les deux. Première chose,
il y a beaucoup de couples dont un est propriétaire de la
résidence principale et l'autre est propriétaire de la
résidence secondaire pour des raisons fiscales. Alors, si on ne partage
que la résidence principale, il va arriver souvent qu'une personne va
avoir une résidence et demie. Alors on ne peut pas les dissocier. C'est
très, très courant à Montréal. Les gens vont avoir
une maison dans les Laurentides et, à cause des lois fiscales, un va
être propriétaire, comme je le dis, de la résidence
principale et l'autre de la résidence secondaire. On s'est dit qu'on ne
pouvait pas les dissocier. Aussi, il y a une certaine logique. Les biens
minimaux qui ont été utilisés par la famille, qui ont
procuré un certain standard de vie à la famille... Quand la
famille a été très à l'aise, Mme Confortable... Il
va peut-être y avoir une résidence secondaire. Le fait qu'elle en
ait la moitié va effectivement se refléter un peu sur ce à
quoi elle a droit. Ce sont quand même des biens utilisés par la
famille.
Les objets d'art, le Barreau a aussi retenu cela. Ce sont quand
même des choses qui garnissent les maisons. Je vous donnerais les objets
d'art si vous me donniez les fonds de retraite parce que les fonds de retraite,
c'est beaucoup plus important que les objets d'art. Cela a été
retenu parce que - c'est toute l'idée qui existe d'ailleurs aussi dans
d'autres provinces - ce sont des biens utilisés par la famille.
Concernant les REER, ce n'est pas la première fois que j'entends
cette question, au Barreau, des questions ont été posées.
La même question peut se poser concernant les régimes de retraite
privés: Où arrête-t-on? C'est cela la question. Il ne faut
pas dire: Si on partage les REER, pourquoi ne partage-t-on pas les
épargnes? La raison pour laquelle on doit arrêter quelque part,
c'est qu'on fait un choix, je pense, au Québec. On laisse un certain
choix aux gens. On dit qu'il y a la société d'acquêts,
qu'on va permettre encore aux gens de ne pas tout partager, mais on va
prévoir un minimum. On dit que le minimum doit être le logement et
la sécurité financière à la retraite. Que ce soit
par le biais d'un REER, parce que, souvent, le REER existe lorsque la personne
n'a pas un fonds de retraite important, ou que ce soit par le biais d'un fonds
de retraite privé, cela doit être partagé. On fait des
choix comme société. On décide, à un moment
donné, qu'on va protéger les gens qui achètent des
voitures usagées. On peut choisir. Quand on fait une loi, on choisit. Il
faut choisir ce qu'on va donner, quel minimum on va donner.
Je dis que le minimum, c'est le logement et la sécurité
financière à la retraite. Être une femme de 55 ans avec une
pension alimentaire de 1000 $ ou 1200 $ et savoir qu'à 65 ans cette
pension va être coupée et qu'on va être sous le seuil de la
pauvreté, ce n'est pas drôle. Ce n'est pas correct, comme
société, qu'on laisse continuer cela. D'ailleurs, il y a quelque
chose d'intéressant et de bête concernant la société
d'acquêts. Je viens de régler le cas d'une dame qui, n'ayant pas
un fonds de retraite privé, avait contribué à un REER;
elle avait un REER de 80 000 $. Son mari qui était professeur, qui avait
un fonds de retraite très intéressant, n'avait pas à
contribuer, à diviser le fonds de retraite. Il y avait
déjà avec la société d'acquêts des non-sens.
Je peux vous assurer que nous n'avons pas donné la moitié du
REER. On a dit: Venez le chercher; on ne vous le donne pas; ce n'est pas
raisonnable; votre fonds de retraite privé vaut beaucoup plus que notre
REER; vous avez travaillé depuis 20 ou 25 ans; cela peut valoir 300 000
$. Il y a quand même des "inconsistances" dans la loi au sujet de la
société d'acquêts et c'est d'ailleurs pour cela qu'il faut
standardiser et rendre les fonds de retraite privés partageables.
Est-ce qu'il y a une question que j'ai oubliée, Mme la
ministre?
Mme Gagnon-Tremblay: La renonciation.
Mme Grassby: Je dois vous dire que, concernant la renonciation,
j'étais solidaire avec le Barreau lorsqu'au Barreau nous avons
accepté qu'il n'y ait pas de renonciation. C'est un document qui fut
préparé en 1985-1986. Nous avons surtout mis notre intention sur
le fonds de retraite cette fois-ci. C'est une question qu'on n'a pas beaucoup
rediscutée à cette époque, mais je pense que les membres
du groupe tendent plus maintenant à accepter qu'il n'y ait pas de
renonciation possible.
Mme Gagnon-Tremblay: Pour les autres biens, vous parlez de
renonciation possible au moment de l'achat du bien. J'imagine que cela
s'applique davantage aux biens meubles, aux biens meublants, aux meubles
meublants. Lorsque vous dites qu'on peut y renoncer à l'achat du bien,
est-ce que cela signifie... Comment le voyez-vous en termes pratiques? Si vous
achetez tout autre bien meublant, en termes pratiques, comment peut-on faire
renoncer le conjoint à un bien quelconque, à moins de ne signer
à chaque fois une convention sous seing privé?
Mme Grassby: Mme la ministre, on voulait donner du travail au
notaire.
Mme Gagnon-Tremblay: Ha, ha, ha! Mais vous vous imaginez
qu'à chaque bien les couples se rendent chez le notaire pour...
Mme Grassby: Micro-four? Chez le notaire. Mme Gagnon-Tremblay:
Ha, ha, ha!
Mme Grassby: Écoutez, nous avons pensé, lorsque
nous avons préparé cela, que, d'un côté, lorsque les
gens acquièrent des biens, ils ne renonceront normalement pas au
partage. Le danger au Québec, c'est qu'on a cette longue
tradition des contrats de mariage, où nos mère,
père, oncles, tantes, nos notaires et nos prêtres nous disaient:
Signez-le; cela va vous protéger. Cela a l'effet contraire. On s'est dit
que, lorsque les gens vivent ensemble et achètent des choses,
très peu de gens vont effectivement y renoncer et que, s'ils veulent le
faire, il peuvent rédiger un document par lequel ils établissent
cette renonciation.
Mme Gagnon-Tremblay: Lorsque vous vous prononcez contre toute
renonciation possible au partage en regard de la résidence familiale,
est-ce que vous prenez en considération, à ce moment-là,
la durée du mariage?
Mme Grassby: Ah! C'est une question très difficile. Je ne
peux nier qu'il peut être pertinent de considérer la durée
du mariage lorsqu'on parle de la résidence familiale. Au Barreau, nous
avons discuté en long et en large de la proposition du gouvernement qui
prévoyait que, lorsqu'on est déjà propriétaire
d'une maison, par la suite, c'est seulement la plus-value acquise après
le mariage qui doit être partagée.
Je n'ai pas rediscuté de cet aspect avec mes collègues
avant de venir ici aujourd'hui, mais il me semble qu'on avait prévu une
certaine discrétion concernant la question de la résidence
familiale. Je dois vous dire que je me suis préparée aujourd'hui
surtout concernant les fonds de retraite parce que je considérais cette
chose... On peut regarder, par exemple, la question de la résidence
familiale et il peut y avoir plusieurs points de vue à ce sujet. Je
considère, avec tous les groupes qui font des interventions, avec le
Barreau qui a très bien couvert ça dans son document, qu'on va
décider de quelque chose qui sera juste. Je le dis. Il y a quand
même plusieurs façons de le voir. Si on est venu vous voir
aujourd'hui, c'est que nous avons surtout voulu souligner la question des fonds
de retraite et cet aspect, parce que nous travaillons avec ces choses
régulièrement. Qu'on ait dit, en 1985, qu'il y avait
discrétion ou qu'il n'y avait pas discrétion, on reconnaît
maintenant, je pense, que, si quelqu'un se marie étant
déjà propriétaire d'une maison de 350 000 $ et que, deux
semaines plus tard, sa femme le quitte, on ne peut pas dire carrément
que cette maison doive être partagée. Je pense que c'est
clair.
Mme Gagnon-Tremblay: C'est d'ailleurs pour cela que je le
soulignais, parce que vous avez aussi de nombreux mariages reconstitués
avec enfants et vous avez aussi des seconds mariages de personnes d'un certain
âge et je pense que c'est la raison pour laquelle la durée du
mariage peut quand même avoir une importance assez considérable
dans un partage de biens familiaux. Je vous remercie.
Le Président (M. Filion): Mme la députée de
Maisonneuve et porte-parole de l'Opposition officielle.
Mme Harel: Merci, M. le Président. C'est d'autant plus
intéressant, concret et magistral que vous nous avez rappelé que,
loin d'être en avance, le Québec est plutôt en retard. Ce
sentiment n'était pas partagé par l'opinion publique et je suis
convaincue qu'un bon nombre de gens qui ont lu leurs journaux ce matin en
prenant leur café ont dû s'étouffer en lisant qu'il allait
se passer plein de choses qui allaient révolutionner leurs relations,
comme si cela allait être vraiment une attitude totalement nouvelle. Vous
insistez, avec raison, sur le fait que nous accusons un retard marqué au
Québec à l'égard des dispositions soit en vigueur dans des
lois - dans votre rapport, vous parlez du Manitoba et de la Colombie
britannique - mais aussi en regard de la jurisprudence et des décisions
déjà prises par les tribunaux en cette matière. Mais on
reviendra, si vous le voulez, sur cette question des régimes
privés de retraite.
En matière de durée du mariage, on retrouve dans
l'ensemble des dispositions du Code civil, une cohabitation d'un an pour ne
plus voir attaquer le mariage. Vous retrouvez, en fait, dans l'ensemble des
causes de nullité cette disposition qui revient, à savoir que le
mariage ne peut plus être attaqué lorsqu'il y a eu cohabitation
pendant un an. On retrouve donc cette disposition de façon
peut-être à protéger durant le laps de temps où il
peut y avoir, finalement, prononcé d'une annulation du mariage.
Faut-il laisser à l'arbitraire des tribunaux la définition
de la durée? Je ne sais pas ce que vous en pensez, vous qui avez une
expérience de praticienne.
Mme Grassby: C'est difficile. Quand j'ai donné l'exemple
la discrétion judiciaire, j'ai eu l'occasion de participer où
encore j'étais gênée, à un congrès au mois de
juillet devant un groupe d'avocats de pratique familiale de tout le Canada.
J'ai rencontré là d'ailleurs une femme qui est en train
d'écrire un livre, parce que c'est tellement fréquent maintenant
au Canada anglais qu'on a besoin de livres pour savoir comment diviser les
fonds de retraite. Elle fait partie d'un institut de droit familial à
l'Université de Calgary. D'ailleurs, elle était très
intéressante et elle avait des statistiques. Elle était
convaincue... Moi, je me dis: Un juge, il veut bien faire. Elle a dit: Presque
toujours, la discrétion judiciaire marche contre la femme.
Concernant les fonds de retraite, vous pouvez vous demander comment on
va les diviser, ces fonds de retraite, ces droits de retraite.
Premièrement, Me Deschênes de Mercer va nous expliquer comment les
employeurs, cela ne les dérange pas de les diviser, comment c'est facile
de le faire. Mais il y a aussi beaucoup de discrétion judificiaire
à savoir comment ces droits de retraite doivent être
divisés. Main-
tenant, plus tard, en regardant quelle date pour l'établir... Et
elle était convaincue qu'encore là la discrétion
judiciaire a toujours marché contre les intérêts de la
femme. C'est quand même difficile, cette question. Il y a aussi la
question de quelqu'un qui est propriétaire d'une maison qui fait partie
de son patrimoine familial. Est-ce qu'après un an, un an et demi de
mariage, cette -maison doit être partagée? C'est difficile.
Mme Harel: Également, vous avez certainement entendu le
Conseil du statut de la femme quand il a présenté son
mémoire. Que pensez-vous de cette possibilité d'introduire, au
moment de la fin du mariage, une possibilité de convention
différente entre les conjoints?
Mme Grassby: Je dois vous dire que je ne suis pas pour cela parce
que je ne suis ni pour la période de trois ans, ni pour les
renonciations au moment du divorce parce que, vous savez, il y a beaucoup de
choses qui se marchandent à ce moment. C'est vrai que les gens sont plus
au courant de leurs besoins. Peut-être que oui, peut-être que non.
Il y en a qui en sont peut-être plus conscients un ou deux ans plus tard.
Combien de femmes viennent me voir pour me dire: Je suis prête à
renoncer juste pour avoir la paix et on leur dit: Madame, dans un an vous allez
être très mécontente de l'avoir fait. Allez ailleurs si
vous voulez le faire, mais pas ici. C'est le marchandage qui se fait concernant
la garde des enfants. Si vous renoncez à quelque chose, je ne demanderai
pas la garde des enfants. Cela se fait couramment. Je ne vous dis pas que tous
les pères font cela, mais je dis qu'il arrive souvent que cela se fasse
et je pense que c'est très dangereux. Le mari qui veut donner sa
moitié à son épouse, il peut le faire, mais il ne renonce
pas à la moitié du domicile conjugal, il lui donne globalement.
Alors, on ne doit pas permettre la renonciation, c'est trop dangereux.
J'aimerais beaucoup qu'un jour les femmes... On ne pense pas toujours à
les protéger, mais la vérité est là et il faut la
considérer.
Mme Harel: Dans votre long mémoire, vous faisiez
état, comme vous le signaliez tantôt, particulièrement des
régimes privés de retraite et vous indiquez que pour les autres
provinces, autres que le Manitoba et la Colombie britannique, les tribunaux
majoritairement en sont venus à considérer les avoirs de retraite
comme faisant partie du patrimoine familial, soit sujets au partage
automatique, soit comme un bien non familial, mais sujet à une
présomption de partage donnant généralement lieu à
un paiement appelé "paiement égalisateur". Cette
présomption de partage vous a-t-elle paru ressembler à la
proposition du Conseil du statut de la femme, à savoir de
considérer comme supplétive la prestation compensatoire? En
d'autres termes - j'aimerais vous entendre là-dessus - les tribunaux ont
décidé qu'il pouvait y avoir des biens non familiaux, mais sur
lesquels pesait une sorte de présomption qui pouvait être
utilisée pour corriger l'insuffisance. C'était une sorte
d'insuffisance. (17 h 45)
Mme Grassby: II faut comprendre que chaque société
fait ses choix et chaque province a fait des choix. On a une législation
qui arrive très souvent aux mêmes fins, mais par des voies
différentes. Alors, on a des provinces qui disent carrément - par
exemple, le Manitoba - on ne peut pas renoncer et on doit prendre la
moitié des droits de retraite comme des droits de retraite. La
résidence familiale peut être compensée par quelque chose
d'autre, mais les droits de retraite, c'est absolument définitif. On
prévoit ce qui doit être divisé. Dans d'autres provinces,
on dit: Les biens familiaux doivent être divisés, et on ne
définit pas ce qu'est un bien familial. C'est là que les cours
ont toujours interprété, ou presque, les fonds de retraite comme
des biens familiaux. Même si, au Québec, on dit allègrement
que ça n'en est pas un, la plupart des provinces vont considérer
que ç'en est un. Même si on ne considère pas que ce soit un
bien familial, il n'y a aucune raison de ne pas le partager. Qu'on l'appelle un
gain familial ou qu'on l'appelle une nécessité de la vie, la
sécurité à la retraite, on peut comme
société choisir de le partager. Alors, dans d'autres provinces -
je ne suis pas experte dans tous les régimes des provinces - on a quand
même vu qu'il était inadéquat - un peu ce dont pariait le
Conseil du statut de la femme - lorsqu'il y a des biens très importants
dans le patrimoine non familial et peu dans le patrimoine familial, que l'on
pouvait faire un genre de paiement égalisateur pour que la femme ait une
certaine sécurité à la retraite.
Mme Harel: Qu'en est-il de la prestation compensatoire?
Mme Grassby: C'est une bête noire. J'en ai plaidé et
j'en ai gagné, des prestations compensatoires, il y en a beaucoup que je
n'ai pas plaidées, parce que je savais que je n'allais pas les gagner.
À Projet-Partage on n'a pas pris une position particulière par
rapport à cela. On a pris la position que la prestation compensatoire ne
répond pas aux besoins des femmes. Que l'on ait voulu que ce soit cela,
peut-être, mais ça ne répond pas et que cela prend un
minimum. Si vous me dites que madame a, au minimum, la moitié de la
résidence familiale et la moitié des droits de retraite, au
moins, je sais qu'elle pourra aller s'acheter un petit appartement et qu'elle
pourra avoir une certaine sécurité à la retraite, à
65 ans, c'est un minimum.
Sur le plan de la prestation compensatoire, quant à moi, il y a
un besoin, il faut que cela soit là. La femme collaboratrice, la femme
qui a travaillé ou la femme qui a fait plus que sa part au domicile
conjugal parce que le mari n'était
jamais là, elle a le droit d'avoir à plus que le minimum
et elle devrait avoir le droit à une prestation compensatoire. Me
prononcer sur les 30 %, 40 %, 50 %, c'est très difficile, mais je pense
que ce qu'il faut... Il faut qu'on puisse, nous, les avocats, dire à une
personne qui vient nous voir: Écoutez, vous allez avoir ça et
ça. Par exemple, en société d'acquêts, on peut dire:
II n'y a pas de grande cause de débat dans la société
d'acquêts. Les gens savent à quoi s'attendre, ils ne
dépensent pas des fortunes pour faire établir leurs droits, ils
le savent. Il n'y a pas de raison, il y a un minimum que les gens savent qu'ils
vont recevoir au Québec, lorsqu'ils sont en séparation de biens,
et s'ils le veulent, parce qu'ils considèrent qu'ils ont des droits
supplémentaires, par exemple, pour demander une prestation
compensatoire, qu'ils aillent le demander mais, au moins, on sait qu'on les a
protégés avec un minimum.
Mme Harel: Une dernière question, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): Je vous en prie, Mme la
députée de Maisonneuve, certainement.
Mme Harel: Vous parlez d'une certaine sécurité
à la retraite, d'un minimum, et vous nous exposez avec clarté
cette solution qui, à l'évidence, a été
positivement retenue chez nos voisins, dans d'autres provinces. La question,
finalement, qui n'est pas encore résolue est la suivante: De quelle
façon le gouvernement entend-il donner cette sécurité
minimale à la retraite? Ce n'est pas pour insister de façon
démesurée, mais il y a maintenant quand même trois ans le
choix qui a été fait par le gouvernement était d'offrir
une pension propre. Quand j'ai vu le projet, je me suis dit: Une pension propre
au sens où l'engagement a été pris envers les 800 000
femmes au foyer du Québec de leur offrir une participation au
régime de rentes. L'engagement n'a été suivi d'aucune
mesure concrète jusqu'à maintenant, mais n'a pas non plus
été mis de côté. En tout cas, tout au moins
jusqu'à maintenant, on prétend toujours qu'il y a des
scénarios qui sont à être étudiés, qui vont
être déposés, qu'il y aura une commission parlementaire,
qu'il y aura des audiences là-dessus, etc. Mais il va y avoir, disons,
une clarification à apporter, je pense, dans la mesure où il faut
avoir un peu l'heure juste.
Est-ce qu'il y aura une proposition gouvernementale en matière
d'une certaine sécurité à la retraite pour l'ensemble des
personnes, des femmes - parlons clairement - pour l'ensemble des femmes et
encore faudrait-il connaître, à ce moment-là, quelles sont
les intentions gouvernementales? Ou bien si, d'une part, il n'y a ni
l'application de cette mesure promise, ni le partage, c'est le vide.
Mme Grassby: Je pense, Mme Harel, qu'il faut reconnaître...
Un policier qui a travaillé 25 ans, dont le régime de retraite
lui donnerait un revenu, disons, de 22 000 $ par année, et qui peut
prendre sa retraite à 45 ans - j'ai fait faire des études
actuarielles dans mes causes - cela vaut 400 000 $, parce qu'il va recevoir
cette somme pendant tellement d'années. Ce sont des valeurs très
importantes. Ce n'est pas parce que quelqu'un va avoir droit à une rente
de 300 $ ou de 400 $ par mois que cela va remplacer cette valeur. Je pense
qu'on doit reconnaître la valeur... Je ne veux pas faire peur et dire
que, parce qu'un policier a un fonds de retraite qui vaut 400 000 $, madame va
avoir 200 000 $ dans sa poche. Ce n'est pas cela du tout. C'est que, si elle
est jeune mariée et qu'ils se séparent après cinq ou dix
ans, elle va avoir, soit un montant de 10 000 $, 15 000 $ ou 20 000 $ qui
correspond au nombre d'années qu'ils auront vécu ensemble et aux
contributions de l'employeur et de l'employé, soit à la fin du
mariage un pourcentage des rentes qu'il va recevoir.
Il y a seulement un point que je veux soulever, parce qu'il me tient
beaucoup à coeur, comme si je ne tenais pas à la division des
fonds de retraite... Ce sont les jeunes femmes qui veulent rester à la
maison et qui veulent élever les enfants. Elles vont rester à la
maison peut-être seulement dix ans, mais les femmes le font encore et on
veut souvent qu'elles le fassent. Il n'est pas juste que cette femme, qui n'a
pas gagné pendant cette période, soit privée à tous
les points de vue. Si le mariage dure vingt ans, qu'elle ait au moins droit
à la moitié de dix vingtièmes de la valeur du fonds de
monsieur à sa retraite. Cela va au moins lui donner une certaine
sécurité, lorsqu'elle reste à la maison, qu'à 65
ans elle ne soit pas punie d'avoir pris au sérieux ses
responsabilités de mère de famille, d'être celle dans le
couple qui a choisi de donner du temps. Les femmes qui commencent à
travailler à 45 ans sont souvent à la maison à cause d'un
choix et ce n'est pas juste de les punir, si elles y sont restées
à cause des enfants. Elles ne vont jamais se rattraper et elles vont
être pauvres, c'est clair.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme la
députée de Maisonneuve. Oui, M. le député de
Marquette et adjoint parlementaire du ministre de la Justice.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. Je vous
écoutais tantôt avec beaucoup d'attention. La façon dont
vous avez fait la démonstration, c'était quand même assez
percutant. Je peux me tromper, mais j'ai l'impression que, d'ici à 20
ans - je suis persuade que la majorité des députés sera
encore là... Non, non je fais des farces. Donc, je suis persuadé
qu'on va faire le même plaidoyer, mais pour les conjoints de fait.
Statistiquement, on m'a informé qu'il y en a 11 %, je crois, qui vivent
en union libre au Québec. Je ne
sais pas si c'est 11 %, on me corrigera. Une voix: 28 %.
M. Dauphin: C'est presque le triple de ce que je pensais. Alors,
j'aimerais avoir votre opinion là-dessus, parce que dans 15 ou 20 ans,
ce sera probablement le même plaidoyer que vous pourrez revenir nous
faire. Si c'est rendu à 28 %, ce sera éventuellement 40 % ou 50 %
et je pense que je ne me trompe pas en disant cela. Il y a des raisons pour
cela, j'en suis persuadé. Pourquoi vit-on en union de fait? Il y a
sûrement des raisons.
Mme Grassby: Vous vous demandez pourquoi les gens choisissent de
vivre en union de fait?
M. Dauphin: Pardon?
Mme Grassby: Je ne pourrais pas vous répondre.
Écoutez, je pense qu'il y a beaucoup de raisons pour lesquelles on n'est
pas arrivé à une réforme législative de la famille.
Tout le monde pensait qu'on avait le meilleur système. D'ailleurs, la
société d'acquêts est un système excellent. On a
dit: Ah! les femmes ont choisi leur lit, qu'elles couchent dedans! On avait
fait bien des conventions, on ne voyait pas à quel point cela privait
les femmes. Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles on n'a pas
bougé plus tôt. Mais là, on le sait, c'est scandaleux, il
faut le faire. Mais je pense que la discussion des conjoints de fait est une
discussion qui peut... Les gens ont tellement d'opinions là-dessus, des
opinions souvent très chaudes.
Ce n'est pas pour cela qu'on doit attendre pour faire des changements
législatifs. Vous voyez, les femmes de 55 ou 60 ans... Une épouse
est venue me voir l'année passée. Son mari lui avait dit: On est
sous le régime de la séparation de biens, on s'est marié
en Ontario, alors, c'est la loi de l'Ontario du temps qui s'applique, en
séparation de biens. Je vous donne le droit de vivre chez moi encore un
an et, à 65 ans, vous allez être couverte par votre pension de
vieillesse et mon avocat me dit que je n'aurai pas besoin de vous donner une
très grosse pension. Alors, restez. La dame vient me voir et me dit: Je
suis mariée en séparation de biens, on me dit que je n'ai pas
droit aux 200 000 $ de REER que monsieur a accumulés et que je n'ai pas
droit à la maison. Qu'est-ce que je vais faire? Heureusement pour
madame, son mari était un petit Québécois qui avait
été dans l'armée et ils étaient en
communauté de biens. Cette femme, du jour au lendemain, j'ai pu lui dire
- du jour au lendemain, après un jugement déclaratoire -qu'elle
avait droit à la moitié du REER et à la moitié du
domicile conjugal. Comment pensez-vous qu'une femme de 65 ans qui a
élevé ses enfants voit le monde, dans une situation ou dans
l'autre? Je pense que ces femmes, il faut les protéger
immédiatement.
M. Dauphin: Merci.
Le Président (M. Filion): Merci. Cela va, Mme la
ministre?
Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Je voudrais peut-être revenir sur
un sujet que voudrait sûrement me voir aborder la députée
de Maison-neuve, c'est-à-dire le dossier de la participation de la
travailleuse au foyer au régime des rentes. Je dois lui dire que cela ne
fait pas l'objet de la commission parlementaire, je n'ai pas l'intention de
l'aborder. Je pense que la députée de Maison-neuve aura toute la
latitude possible de poser des questions à l'Assemblée nationale,
c'est-à-dire lors de la session qui commencera la semaine prochaine.
Par contre, pour enchaîner sur les régimes privés,
on a parlé tout à l'heure de la durée du mariage pour la
résidence principale. Quant aux régimes privés, est-ce que
vous faites aussi la part de la durée du mariage? Je trouve cela quand
même très important.
Mme Grassby: Non, parce qu'il y a des méthodes
d'ajustement. Si vous avez été mariée un an, sur 30 ans de
contribution, vous allez avoir un trentième, un demi d'un
trentième.
Mme Gagnon-Tremblay: À ce moment-là, vous prenez en
considération la durée du mariage.
Mme Grassby: C'est certain. Les droits... Mme Gagnon-Tremblay:
Ah! d'accord!
Mme Grassby:... pour pouvoir évaluer le fonds de retraite,
soit qu'il y ait une évaluation faite au moment de la rupture du mariage
- on appelle cela une méthode terminaison", comme si monsieur prenait sa
retraite à ce moment-là - soit qu'on prévoie ce qu'il va
recevoir à sa retraite. C'est assez complexe mais on a bien des experts
au Québec qui peuvent régler cela assez vite. On prévoit
cela en se basant sur le nombre d'années du mariage. C'est implicite
dans l'appréciation de la valeur du fonds de retraite.
Mme Gagnon-Tremblay: Je trouve intéressante la proposition
dans votre mémoire qui dit que, si on devait inclure les régimes
privés, ils pourraient être partagés non pas seulement
à la dissolution du mariage, mais tout simplement lorsque le
bénéficiaire commencerait à retirer son régime. En
somme, cela veut dire que les chèques seraient divisés: une
portion pour chacun des conjoints. Je trouvais quand même cela
intéressant. Par contre, il me semble que dans le mémoire vous ne
vous êtes pas prononcée, entre autres, sur les conjoints de fait,
le principe de la rétroactivité, de même que sur toute la
question de l'obligation alimentaire. Est-ce que c'est voulu ainsi? Est-ce que
vous avez des
positions, entre autres? Comment voyez-vous l'assujettissement, par
exemple, du conjoint de fait, de même que la mesure transitoire de trois
ans permettant aux couples déjà mariés sous le
régime de séparation de biens d'y renoncer, de même que la
survie de l'obligation alimentaire? (18 heures)
Mme Grassby: On n'a pas discuté de certains de ces sujets.
Par exemple, pour ce qui concerne les unions de fait, on... Vous savez, il y a
aussi la prestation compensatoire qui est venue dans les années
quatre-vingt et, tout à coup, ce qu'on voyait, c'est que les femmes
aussi étaient propriétaires d'une maison et se faisaient -
j'essaie de trouver un mot gentil - dire par leur mari au moment de la rupture
du mariage: Vous savez, je ne ferai pas une demande de prestation compensatoire
pour avoir la moitié de la maison si vous ne me demandez pas de pension
alimentaire. Il y avait toutes sortes de choses qui arrivaient concernant la
prestation compensatoire parce ' que, finalement, cela a servi beaucoup aux
hommes, soit pour marchander un meilleur règlement, soit pour aller
chercher des choses qui avaient été mises au nom de leur
épouse. Cela a fait partie un peu aussi... Il y a quand même des
femmes qui sont propriétaires d'une maison dans bien des groupes de
notre société, et c'est une des raisons pour lesquelles on a
commencé à regarder ce problème. On n'a pas regardé
les questions d'union de fait et je pense qu'on n'a pas ressenti non plus le
besoin pressant de le faire. Je pense que vous m'avez posé une question
sur la rétroactivité. Si on peut, on a le choix de...
Mme Gagnon-Tremblay: La mesure transitoire de trois ans pour les
couples déjà mariés.
Mme Grassby: Je pense que nous en avons parlé et nous ne
sommes pas d'accord. Je pense qu'on partage la position du Conseil du statut de
la femme qui dit qu'on n'a pas demandé, lorsqu'on a rendu les donations
à cause de mort caduques, on n'a pas donné la possibilité
d'adhérer ou de ne pas adhérer. Moi, je pense que la position
qu'a prise le Barreau est très adéquate à cet
égard.
Mme Gagnon-Tremblay: Par contre, est-ce que vous permettez la
renonciation à la fin du régime?
Mme Grassby: Moi, je dois vous dire que j'ai été
très influencée par nos discussions au Barreau et je suis
solidaire du Barreau sur presque toutes les questions, sauf sur la question de
pouvoir demander quelque chose lorsqu'il n'y a pas de fond de retraite mais
qu'il y a des biens appréciables qui ont été
amassés pour donner une sécurité financière au
couple.
Mme Gagnon-Tremblay: Mon autre question concernait la survie de
l'obligation alimentaire.
Mme Grassby: Cela, on n'y a pas touché.
Le Président (M. Filion): Cela va? Oui, alors, M. le
député de Marquette.
M. Dauphin: Oui. Merci, M. le Président. En Ontario, dans
la liste des biens familiaux ou biens dits partageables, les régimes de
rentes privés sont inclus. Évidemment, ils peuvent y renoncer
sauf pour la maison, si ma mémoire est bonne, sauf pour la
résidence principale. Mais les régimes privés de rentes
sont inclus dans la liste de biens partageables?
Mme Grassby: II me semble qu'on peut y renoncer, mais il faut
savoir une chose: la différence entre l'Ontario et le Québec,
c'est qu'au Québec, quand le fiancé suggère qu'on signe un
contrat de mariage, on pense qu'il prend bien soin de nous; en Ontario, quand
on suggère de signer un contrat de mariage, on va voir un avocat en
droit familial.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Grassby: II y a une grosse distinction!
Cela veut dire qu'il y aura très peu de gens qui vont
effectivement renoncer aux biens qui sont partageables de par la loi.
M. Dauphin: Ma question était la suivante. C'est sûr
que les personnes qui adhèrent à des régimes privés
de retraite, de rentes... Est-ce que cela a eu un effet de désincitation
en Ontario?
Mme Grassby: Je pense que nous avons déjà entendu
les statistiques du Conseil du statut de la femme qui ont dit que les gens en
Ontario aiment beaucoup le mariage et n'ont pas changé.
M. Dauphin: Non pas désincitation dans le mariage, mais
dans les régimes de rentes privés?
Mme Grassby: Mais vous savez... Ce n'est pas pour rien que je
vous ai parié de Me Mireille Deschênes qui viendra de Mercer. Les
employeurs sont tout à fait capables de répondre aux besoins, par
exemple, à la rupture du mariage, de partage des fonds de retraite.
D'ailleurs, la loi fédérale... Toutes les compagnies
fédérales au Québec, Air Canada, toutes ces compagnies,
déjà, c'est prévu dans la loi que, s'il y a consentement,
il y a déjà une division des crédits qui se fait. C'est
administré d'une façon autonome, les deux "parts", je veux dire
les deux choses, et la femme reçoit de la compagnie, d'Air Canada, une
pension à la retraite et monsieur en reçoit une
séparée. Alors, c'est très normal maintenant.
J'ai réglé récemment une cause dans une compagnie,
à Montréal, où j'ai appelé l'actuaire et il m'a
tout expliqué comment cela se faisait
en Ontario et ils ne comprennent pas pourquoi, au Québec, leurs
employés n'ont pas à partager les fonds de retraite. Il y a des
techniques pour le faire et c'est facile de le faire. De plus en plus,
d'ailleurs, les actuaires, maintenant que dans les autres provinces on a fait
des modifications législatives dans les pensions privées et que
c'est transférable après deux ans, sont appelés à
évaluer les droits de retraite et on est en train d'établir des
standards partout qui permettront une évaluation très facile lors
de la rupture du mariage pour que cela se fasse de façon très
facile.
Le Président (M. Filion): Cela va, M. le
député de Marquette? J'ai une question à poser, avec la
permission de mes collègues. Je me réfère à la page
30 de votre document, pour lequel je vous félicite également. Par
moments, il prend l'allure d'un solide factum en Cour d'appel, mais dans votre
présentation on a vu cet après-midi que vous étiez capable
également d'employer d'autres tons. À la page 30, est-ce que je
dois comprendre au paragraphe 4... Évidemment, vous parlez d'une
catégorie de biens familiaux, ce qui n'est pas tellement
éloigné, sur le plan du concept, du patrimoine familial. Au
paragraphe 4, vous dites: "de reconnaître que les autres biens
familiaux... " Autres que ceux mentionnés au paragraphe 1, est-ce cela?
Ce sont les bateaux, les motoneiges, en somme, tous les autres biens. Est-ce
cela? En d'autres mots, j'essaie de comprendre votre position.
Mme Grassby: Lorsqu'on parle des biens familiaux, on parle des
biens qui ont été définis comme un bien familial dans le
mémoire.
Le Président (M. Filion): Mais est-ce que vous entendez
par là ce qui était inclus au paragraphe 1 de votre
recommandation à la page précédente, la page 29?
Mme Grassby: C'est la définition que nous avons faite de
ce qui constitue un bien familial.
Le Président (M. Filion): Bon.
Mme Grassby: Ce qui exclut, par exemple, les épargnes, les
investissements à la Bourse, etc.
Le Président (M. Filion): D'accord. Si je ne me trompe,
c'est bel et bien votre document: pages 29 et 30.
Mme Grassby: Oui, oui.
Le Président (M. Filion): Au paragraphe 1, vous dites: II
y a une catégorie de biens familiaux, les voici. Ces biens-là
sont partagés en parts égales entre les époux, c'est le
paragraphe 2. Au paragraphe 3, c'est la question de la résidence
familiale. Au paragraphe 4, vous dites reconnaître les autres biens
familiaux. Est-ce que vous voulez dire autres que la résidence ou autres
que ceux mentionnés au paragraphe 1?
Mme Grassby: Autres que la résidence.
Le Président (M. Filion): Autres que la résidence,
d'accord. Ce qui m'amène, à ce moment-là, à ma
question. J'ai suivi attentivement vos propos sur la question des fonds de
retraite. Vous donnez à juste titre l'exemple du policier de la
Communauté urbaine de Montréal. Vous avez peut-être eu le
cas. Il faut savoir que les fonds de retraite des policiers, l'exemple, vous
l'avez choisi bien à propos, parce que les fonds de retraite des
policiers font damner à peu près toutes les administrations
publiques, parce qu'ils constituent des hypothèques absolument
énormes. On n'a qu'à se souvenir, à l'époque, des
déclarations des dirigeants de la Communauté urbaine de
Montréal sur les fonds de retraite des policiers de la Communauté
urbaine de Montréal. Ils constituent des hypothèques
sévères non seulement pour l'administration publique, mais
peut-être aussi pour l'avenir de notre société. En tout
cas, peu importe.
Il y a des types d'emplois qui, par définition, se prêtent
bien à des fonds de retraite: par exemple, la plupart des gens qui sont
salariés. Il y a d'autres types d'emplois, du côté des
professionnels en général, par exemple, qui se prêtent un
peu moins bien à un fonds de retraite. Souvent, les gens vont dire:
J'investis dans des immeubles, c'est mon fonds de retraite; je joue à la
Bourse - on joue un peu moins depuis des mois, mais en tout cas - j'aime bien
placer des sous à la Bourse, c'est mon fonds de retraite. Bon. Est-ce
que votre proposition, finalement, ne créerait pas une forme de
discrimination entre les personnes, hommes ou femmes, qui sont salariées
et ceux ou celles qui sont professionels à ce moment-là, parce
que leur fonds de retraite ne pourrait pas faire partie du bien familial en
l'espèce du patrimoine familial?
Mme Grassby: M. le Président, ce que l'on prévoit
au paragraphe 5, c'est de dire que "le tribunal devra ordonner le paiement
d'une somme globale ou l'achat d'une rente dans le cas où les
époux n'auraient pas de fonds de pension ou un fonds de pension dont la
valeur est peu importante, mais auraient un bien non familial susceptible
d'être source de revenu à la retraite".
Le Président (M. Filion): Oui, j'en suis, sauf que
là vous remettez cela au tribunal.
Mme Grassby: Ah bon!
Le Président (M. Filion): Je reprends juste au
début de votre démonstration, alors que vous nous avez dit:
Écoutez, faites attention à la discrétion judiciaire!
Mme Grassby: Absolument.
Le Président (M. Filion): Bon, alors...
Mme Grassby: Si vous pouvez me trouver une méthode, je
l'accepte, mais le problème est là parce qu'on ne veut pas. C'est
parce qu'on peut dire: On impose la société d'acquêts
à tout le monde. On dit: on ne veut pas imposer la société
d'acquêts à tout le monde, on veut laisser un certain choix. Si on
veut que les gens aient des investissements qui ne soient pas partageables,
c'est un choix qu'on fait comme société, mais on doit quand
même protéger deux choses: le droit au logement et la
sécurité à la retraite.
Alors, si on voit que monsieur, le mari de Mme P, a 1 000 000 $
d'immeubles et pas de régime de retraite, bien, on pourrait
peut-être donner 200 000 $ à madame pour qu'elle s'achète
une petite rente. Je pense que si on établit dans la loi non pas que le
droit soit aléatoire ou discrétionnel, mais qu'on doit le donner,
cela va être beaucoup plus facile à négocier et cela va
donner à un juge l'outil nécessaire pour accorder une somme
globale pour l'achat d'une rente pour l'épouse ou, évidemment,
pour le mari.
Le Président (M. Filion): Je pense qu'on s'entend un peu
sur les difficultés. C'est quoi, un fonds de retraite peu important, par
rapport à un... Bon. Il y a des REER qui sont énormes au
Québec, il y en a d'autres qui sont minuscules mais, en somme, je
voulais surtout que vous éclaircissiez votre pensée
là-dessus. Quant à moi...
Mme Grassby: Je pense qu'il est nécessaire de
prévoir quelque chose. On ne peut pas prévoir une division,
nécessairement, mais on doit prévoir le droit quand même
à une rente.
Le Président (M. Filion): D'accord. Je vous remercie.
Est-ce que Mme la ministre et Mme la députée de Maisonneuve
aimeraient terminer cette discussion?
Mme Harel: Cela va être très rapide, pour vous
remercier.
Le Président (M. Filion): Oui, Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Très rapide, mais pour remercier le
Projet-Partage qui a, dès 1985, vous le mentionniez vous-même,
alerté le gouvernement de l'époque à cette
inégalité flagrante. Je veux également remercier les
personnes qui vous accompagnent et vous-même. J'avais entendu parler de
vous, évidemment en bien, comme vous pouvez l'imaginer, mais c'est
encore mieux que ce qu'on m'en avait dit.
Le Président (M. Filion): Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Je tiens à vous remercier aussi, Me
Grassby, de même que les personnes qui vous accompagnent. Je pense que
si, aujourd'hui, nous sommes ici en commission parlementaire pour discuter
justement d'un certain partage des droits économiques, c'est un peu
grâce à Projet-Partage. Je dois avouer que vous êtes quand
même un peu les instigatrices de ce Projet-Partage et je tenais à
vous en remercier.
Mme Grassby: Merci, Mme la ministre, et vous pouvez être
assurée qu'on va suivre de très près ce qui se passe.
Le Président (M. Filion): Surtout les résultats des
travaux?
Mme Grassby: N'est-ce pas!
Le Président (M. Filion): Au nom des autres membres de
cette commission, à mon tour de vous remercier à la fois pour
votre mémoire et pour la couleur et l'à-propos de vos
commentaires cet après-midi.
Est-ce que les membres de cette commission désirent suspendre ou
s'ils ne désireraient pas plutôt entamer la dernière partie
de nos travaux?
Une voix: Une seconde, s'il vous plaît! Une voix: On
continue.
Le Président (M. Filion): Donc, je demanderais à
notre prochaine intervenante, Me Mireille D. Castelli, de bien vouloir
s'approcher aussitôt que nos derniers invités auront
quitté. Me Castelli, un temps de 30 minutes a été
prévu, soit une dizaine de minutes pour la présentation du
mémoire et une vingtaine de minutes pour discuter avec les membres de
cette commission.
Bienvenue parmi nous, Me Mireille Castelli. Sans plus tarder, je vous
inviterais peut-être à nous faire cette courte présentation
d'une dizaine de minutes. (18 h 15)
Me Mireille D. Castelli
Mme Castelli (Mireille D. ): Parfait! M. le Président,
Mmes, MM. les ministres, MM. les députés, vous avez dû
remarquer que, dans mon mémoire, ce sont surtout des questions de nature
technique que j'aborde. Je signale quand même que je suis d'accord avec
la solution retenue. C'est une question qui a été vivement et
longuement débattue. Cela me semble trancher les questions de
réserve, des questions qui ont été débattues
pendant de longues années. Je pense qu'on arrive là à une
solution heureuse aussi bien dans les cas de succession que dans les cas de
divorce, tous les cas de rupture de mariage. Cela supprime des cas d'injustice
aussi.
Je ne le précise peut-être pas dans mon mémoire,
mais je pense que les fonds de retraite doivent effectivement être
partagés, parce que c'est un élément important. Il y a
déjà le régime de rentes public qui est prévu, mais
les autres aussi, me semble-t-il, devraient l'être. Je ne sais pas si,
dans la proposition, on a mesuré, par contre, que pour l'immense
majorité des gens, c'est la quasi-totalité des biens qu'ils
possèdent qui va être partagé, surtout si l'on inclut les
fonds de retraite, justement. On arrive donc quasiment à un partage des
biens obligatoire, malgré l'apparence de choix du régime
matrimonial. Par contre, c'est peut-être ce qui est le plus juste. Le
choix dépend de la manière dont on envisage le mariage. Si on
voit le mariage comme la construction d'une union et la construction d'un
patrimoine commun, c'est la solution la plus logique.
Maintenant, je vais aborder des questions plus techniques. Pour ce qui
est de la composition des biens familiaux, je trouve que c'est bien
composé, c'est assez large, pas trop, sauf la question des fonds de
retraite que je trouve regrettable qu'ils n'aient pas été
inclus.
Relativement, maintenant, à l'évaluation de la valeur du
patrimoine familial, j'ai trouvé qu'il y avait une
ambiguïté. Je vous signale surtout les problèmes que j'ai
vus; je vous ai dit que c'était surtout au point de vue technique. On
parle des dettes - je n'ai pas noté à quelle page - on dit que
cela serait déduction faite des dettes qui grèvent ce patrimoine.
Là, je pense que, quand on en sera au stade de la rédaction, il y
a un danger. Si on vise les dettes pour acheter ce patrimoine, c'est correct,
mais si on vise les dettes qui le grèvent - c'est-à-dire toutes
les dettes du propriétaire nominal du bien - on va arriver à
quelque chose qui ne va plus aller, à mon point de vue.
Pour ce qui est de l'exclusion de la maison acquise
antérieurement au mariage, par don ou par succession, la solution
retenue me semble bonne. Je dois cependant vous préciser ceci. J'ai
discuté, après avoir envoyé mon mémoire, avec des
collègues et j'ai vu que nous donnions un sens différent à
l'expression "valeur acquise". Quand je dis que je suis d'accord avec le
contenu, ce que j'entends par Valeur acquise", c'est partie du prix payé
après, ce n'est pas la plus-value. Pourquoi je suis d'accord avec cette
proposition qui exclut la maison venant du don, d'un héritage ou
achetée avant le mariage et payée, c'est en raison de cette
idée de construction en commun d'un patrimoine. Par contre, il est
certain que, si on sort ce bien, on va, dans certains cas, réduire
à très peu de choses les biens familiaux. Là, il serait
peut-être prudent de prévoir une certaine compensation pour qu'il
n'y ait pas des gens qui se trouvent à vider les biens familiaux de ce
qui en forme l'essentiel. Cela serait valable aussi pour les gens qui vont
chercher à contourner la loi en faisant acheter la maison familiale par
leur compagnie ou qui vont occuper un logement de fonction, donc, qui
n'achèteront pas de maison, parce qu'ils n'en ont pas
l'utilité.
Dans le document, on dit que les biens familiaux seront
protégés comme la résidence familiale. Là, c'est
encore très imprécis, parce qu'on ne peut pas savoir ce qu'on met
là derrière. Est-ce que cela veut dire que c'est le type de
sanction, par exemple, la nullité de l'acte de vente? Il ne semble pas
que ce soit le cas puisqu'on prévoit que, dans le cas où la
maison a été vendue, on devra partager la valeur retirée
au moment de la vente, donc, cela ne devrait pas être cela. Est-ce que
c'est parce qu'on suppose que cela nécessite un enregistrement? Si cela
nécessite un enregistrement pour qu'il y ait partage du bien familial,
je ne serais plus d'accord du tout. Il y a donc une imprécision qui fait
qu'à la limite on ne peut pas donner un avis sur la mesure, parce qu'on
ne sait pas exactement quelle est la mesure envisagée.
C'est à peu près ce que je voulais dire sur la question
des biens familiaux.
Pour ce qui est de la protection de la résidence familiale, je
suis tout à fait d'accord avec la simplification concernant la
protection lorsque le logement est loué.
Pour ce qui est, maintenant, des dommages et intérêts
accordés au cas où la déclaration de résidence ne
serait pas enregistrée - on me dit qu'il y aura des dommages et
intérêts accordés - je suis d'accord. Cela sanctionne une
solution qui est prônée dans la doctrine. Le problème,
c'est que je me dis: Les dommages, comment va-ton les évaluer? On est
d'accord que, si le propriétaire de la maison achète une autre
maison, il y aura un logement de toute façon. Alors, où le
dommage sera-t-il? Ce sera un dommage moral ou psychologique, le fait du
changement de lieu d'habitation qui peut parfois être dommageable. Cela
peut se résoudre à très peu de chose, parce que vous savez
que les tribunaux évaluent assez bas ce genre de dommages. Donc, cela
n'aura pas d'effet désincitatif, ce ne sera pas un blocage pour
éviter que le conjoint hésite à vendre la maison dont il
est marqué comme étant le propriétaire.
Pour ce qui est de la prestation compensatoire, la présomption
pour la collaboration à une entreprise prévoit que la part sera
de 30 %. Ce que je trouve, c'est que c'est bien qu'il y ait une
présomption, cela facilite les choses. Comme l'a dit la personne qui m'a
précédée, moins on recourt au tribunal, mieux c'est. Il
faut que les choses soient assez simples. Donc, je suis favorable au fait qu'il
y ait une présomption. Par contre, ce que je trouve dangereux, c'est
qu'on ne semble permettre de modifier cette proportion que pour tenir compte de
la durée de la collaboration. C'est là où cela devient
anormal. Si c'est une entreprise que les époux ont créé
ensemble, c'est correct, on va tenir compte de la durée de la
collaboration, donc de la durée où la personne a contribué
à l'élaboration de cette
entreprise. Ou, alors, c'est une entreprise qui était une toute
petite entreprise au départ. Mais, si c'est une entreprise qui
était déjà une très grosse entreprise quand le
conjoint s'est marié, la collaboration, même importante, ne pourra
jamais équivaloir à 30 %. Or, ce n'est pas prévu. Tout ce
qu'on prévoit, c'est que cette présomption, qui
s'apprécierait néanmoins en tenant compte de la durée de
la collaboration, serait le seul élément, semble-t-il, dont le
tribunal pourrait tenir compte. Donc, je trouve qu'il faudrait l'élargir
pour tenir compte de la valeur de l'entreprise avant que cette collaboration ne
commence.
Pour ce qui est de la prestation compensatoire, je pense qu'il serait
bon de préciser que la prestation compensatoire ne peut pas jouer
à l'égard du bien familial. Il y a sans doute certains esprits
retors qui voudront peut-être essayer de la faire jouer dans ce cadre, ce
qui pourrait peut-être à la limite arriver à
détruire le but visé par la législation. On va être
obligés de faire des interprétations de loi pour arriver à
dire ce qui est normalement une évidence, c'est-à-dire que la
prestation compensatoire ne doit pas jouer par rapport à un bien
familial ou par rapport au résultat obtenu par le partage du bien
familial.
Pour ce qui est de la société d'acquêts, je
considère que je n'ai rien à dire parce que je trouve que, dans
l'ensemble, les propositions sont bonnes.
Pour ce qui est de la communauté de biens, il y a là un
problème dans le transfert de la communauté de biens en
société d'acquêts. On dit que les biens
réservés de l'épouse seront transformés en
acquêts de l'épouse. Cela, c'est correct. Mais, quand on dit que
les autres biens des époux seraient assimilés à des biens
appartenant de façon indivise à chacun pour moitié, je
pense d'abord que les autres biens sont les biens communs. Cela veut dire que
les biens communs qu'on appelle ordinaires vont être
considérés comme des acquêts indivis.
Là, je trouve que c'est injuste. Je suis d'accord pour
défendre les femmes, les femmes ont le droit de participer au fonds de
retraite. Or, là, je trouve que la personne que l'on spolie, c'est
l'homme. Il faut bien voir que, mis à part les cas où ce sont des
fortunes avec des revenus provenant principalement des biens propres, qui sont
des cas qu'on pourrait sans doute compter sur les doigts de la main dans la
province, les biens communs ordinaires, d'où vont-ils provenir? Ils vont
provenir des revenus du travail du mari. En société
d'acquêts, ce seraient les acquêts du mari, ce ne seraient pas des
acquêts indivis. On se trouverait, de cette manière, à
donner à la femme la moitié de ce qui devrait être les
acquêts du mari, mais on ne fait pas l'inverse, alors je trouve qu'il y
a... C'est une chose qui est absolument à changer, parce que c'est
injuste. On pourrait dire que le principe est celui-là, quitte à
faire la preuve du contraire.
C'est-à-dire que, s'il y a une partie des biens communs qui
proviennent des biens propres de la femme, elle pourrait faire la preuve de cet
élément pour qu'ils deviennent à elle, ces acquêts.
Je pense que pour les successions...
Le Président (M. Khelfa): Merci, Mme Castelli. Mme la
ministre délégué à la Condition
féminine.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci pour votre présentation, Me
Castelli. Nous sommes conscients que, dans le document de consultation, nous ne
pouvions être aussi précis que s'il s'agissait d'un projet de
loi... Dans ce document, nous ne parlons que de... Les principes et les
modalités viendront par la suite, tout en tenant compte, finalement, des
recommandations qui nous seront faites au cours de cette présente
commission.
Vous abordez plusieurs sujets. Vous avez parlé, entre autres, des
dettes. Je pense que c'est très pertinent lorsque vous mentionnez que
vous ne... Entre autres, je donne l'exemple d'une résidence qui pourrait
être hypothéquée pour garantir un autre bien, en
l'occurrence une ferme, et qui finalement serait hypothéquée
pleine valeur. Lors du partage, on doit tenir compte de cette dette. Je pense
aussi, par contre, à d'autres dettes qui ne sont pas reliées
à la propriété comme telle, d'autres garanties qui n'y
sont pas reliées, mais qui relèvent d'une même dette.
C'est-à-dire que vous pouvez avoir, par exemple, une autre garantie
donnée pour garantir effectivement, oui, une autre dette, mais qui ne
concerne pas du tout la propriété. Alors, je pense que c'est
là un point important qu'il faudra également éclaircir
davantage.
Quant à la résidence familiale et à la question de
la prestation compensatoire, le Conseil du statut de la femme, cet
après-midi, nous proposait de conserver la prestation compensatoire pour
la travailleuse au foyer, par exemple, lorsqu'il n'y avait pas de partage de
biens. Entre autres, supposons qu'il n'y ait pas de résidence, que les
seuls biens soient des régimes privés ou des actions, des
obligations, des obligations d'épargne. À ce moment-là, le
Conseil du statut de la femme suggérait qu'on puisse avoir recours
à la prestation compensatoire et non uniquement dans le cadre d'une
collaboration au sein de l'entreprise. Alors, je ne sais pas si vous avez aussi
cette opinion.
Mme Castelli: J'ai aussi cette opinion. C'est-à-dire que'
je pense que la prestation compensatoire est... La manière dont j'ai
compris le mémoire, c'est que la prestation compensatoire resterait
telle qu'elle est prévue, mais qu'on ajouterait ces
précisions-là. C'est cela que j'ai compris. Alors, je ne sais pas
quelle était l'idée, mais c'est cela que j'ai compris; je vais
dans le sens du Conseil du statut de la femme.
Mme Gagnon-Tremblay: Je pense que l'idée était
davantage d'appliquer la prestation compensatoire à la collaboratrice ou
à toute autre forme d'action qui pourrait être posée par
des femmes en dehors du travail au foyer, par exemple. Étant
donné qu'on avait déjà ce partage des droits à ce
moment-là, il n'y avait pas cumul. C'était tout simplement pour
quelques rares cas de personnes qui doivent, je ne sais pas, faire des
réceptions, qui doivent travailler, mais dont le travail a toujours
rapport à l'entreprise du conjoint.
Mme Castelli: Ce que je pense, c'est que la prestation
compensatoire, en dehors du cas du conjoint qui collabore à
l'entreprise, garde son intérêt, parce que le conjoint peut fort
bien faire des apports, ce sont des appports en biens ou en services, en biens
aussi, donc en argent, pour un bien de son conjoint qui ne sera pas l'objet du
partage des biens familiaux.
Mme Gagnon-Tremblay: Pour vous, est-ce que cela doit être
supplétif ou cumulatif?
Mme Castelli: Cumulatif.
Mme Gagnon-Tremblay: Ce qui veut dire que - ce qui est un petit
peu différent du Conseil du statut de la femme, finalement - vous avez
le droit au partage des biens familiaux et, même si vous n'avez pas
d'entreprise, vous pourriez également avoir droit, avoir un recours en
vertu de la prestation compensatoire pour une somme additionnelle.
Mme Castelli: C'est cela. Disons que si, par exemple, la
résidence familiale, qui ne fait pas partie des biens familiaux, a
été acquise au nom de l'un des époux et que l'autre a, en
fait, contribué à cet achat en y mettant de l'argent, je
considère que, si l'on veut être juste, il faut qu'on lui permette
de demander une prestation compensatoire. Sinon, il va perdre, de toute
façon. Donc, ce n'est plus un partage tout à fait égal.
(18 h 30)
Le Président (M. Khelfa): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Merci, Me Castelli, de
vous présenter devant la commission parlementaire. J'écoutais la
discussion que vous aviez avec Mme la ministre et je me disais que ce serait
d'autant plus utile, je pense, d'entendre vos commentaires au moment où
on fera l'analyse du projet de loi lui-même, puisque c'est au moment
où on en connaîtra l'écriture, d'une certaine façon,
qu'on connaîtra la volonté du législateur dans des
dispositions précises dont on pourra sans doute examiner les
modalités. Cela m'amenait à penser qu'il faudrait sûrement
une autre commission parlementaire au moment où le projet de loi sera
complété pour entendre, justement, des points de vue comme le
vôtre qui sont certainement extrêmement utiles à l'ensemble
des membres d'une commission comme la nôtre, puisque c'est là un
point de vue de légiste. C'est intéressant de penser que vous le
mettez gratuitement à la disposition des membres de la commission et que
d'autres de vos collègues pourraient être désireux de faire
de même. Cela nous permet d'avoir un éclairage qui n'est pas
nécessairement celui du gouvernement, mais il peut d'autant permettre
une meilleure compréhension des effets, surtout, que peuvent avoir nos
lois.
En réponse à la question que Mme la ministre venait de
poser, vous disiez que lorsqu'une résidence familiale avait
été acquise par un seul conjoint, je dois comprendre avant le
mariage, le conjoint qui contribuerait à son entretien ou à son
financement ne pourrait pas retrouver sa mise du partage. C'est bien cela que
je dois comprendre des derniers propos que vous avez échangés
avec Mme la ministre?
Mme Castelli: Dans l'exemple que je vous donnais, ce bien, cette
résidence familiale ne serait pas un bien familial, ne serait pas
sujette au partage puisqu'elle aurait été acquise avant le
mariage. Ce serait un cas où il y aurait intérêt à
ce que la prestation compensatoire demeure. Elle s'accumulerait avec le partage
des biens familiaux autres, c'est-à-dire les biens meubles, en pratique,
les biens meubles, les autos, etc., mais la maison ne ferait pas l'objet du
partage puisqu'elle n'aurait pas été le fruit de la construction,
si l'on peut dire, d'un patrimoine commun des époux, le fruit de leurs
efforts communs. Par contre, si l'un des époux contribue à
l'entreprise et n'en est pas propriétaire, il aura fait un apport qui
aura peut-être permis d'augmenter sa valeur. Il serait peut-être
normal qu'il ait un remboursement. Au fond, c'est une sorte de
remboursement.
Mme Harel: J'avais cru comprendre que lorsque la maison avait
été acquise avant le mariage, dans la proposition
gouvernementale, sa plus-value était partageable.
Mme Castelli: Je l'ai compris comme ceci: la valeur acquise
pendant le mariage - moi, je l'ai compris de cette manière -
c'était la partie du prix payé, ce que l'on peut envisager, parce
que des gens se précipiteront chez un notaire pour acheter une maison la
veille de leur mariage, même s'ils ne peuvent en payer que 10 %, pour
éviter d'avoir à partager cette maison, et ils paieront le reste
pendant le mariage. C'est cela que j'avais compris, quand je voyais "valeur
acquise", c'est-à-dire la proportion du prix qui serait payée
après le mariage. Il faut voir que, souvent, les gens achètent et
ne paient pas comptant, ils font des emprunts pour acheter. Donc, le paiement
est étalé dans le temps, il y a une partie qui peut être
payée après le mariage. Quand j'ai vu "valeur acquise pendant le
maria-
ge", c'est à cette conception que j'ai pensé, et c'est
là où je me suis montrée d'accord parce que c'était
vraiment, une fois de plus, le fruit de la collaboration des époux,
alors que la plus-value n'a rien à voir avec la collaboration des
époux.
Mme Harel: Là, il faut bien se comprendre. On parle donc
de la résidence familiale. Dans la proposition gouvernementale, on
serait à la page 23, c'est bien cela?
M. Dauphin: À la page 22? Excusez, page 23.
Mme Harel: Non, ce n'est pas là qu'on retrouve cette
disposition.
Mme Castelli: Page 22, au numéro 9.
Mme Harel: On dit: "Le droit au partage en ce qui concerne la
résidence familiale acquise avant le mariage par l'un des époux
et celle acquise par don ou par héritage ne porterait que sur la valeur
acquise depuis le mariage. " Alors, vous, vous interprétez que ces mots
"valeur acquise" ne portent pas sur la plus-value.
Mme Castelli: Parce qu'il me semble que cela aurait pu être
tourné différemment. On aurait pu dire "l'augmentation de
valeur", par exemple.
Mme Gagnon-Tremblay: Ce n'est pas dans cet esprit que nous en
avons discuté. Je pense que nous visions vraiment la plus-value.
Mme Harel: C'est cela.
Mme Gagnon-Tremblay: Si on acquiert une propriété
quelques jours ou un an ou deux avant le mariage et que, par la suite, cette
propriété n'est pas payée et qu'on doit en assumer
l'hypothèque au cours du mariage, je pense que tout doit être pris
en considération, comme on le fait actuellement lors d'un partage de
société d'acquêts, entre autres. Mais cela ne touche
vraiment que la plus-value et non pas la valeur acquise.
Mme Castelli: Si cela porte sur la plus-value, je ne peux pas
dire que je suis d'accord, parce que vous avez des cas où les gens vont
avoir reçu un bien, par exemple, par héritage. J'habite à
un endroit où il y a eu un véritable boom au point de vue
construction. Les gens ont pu recevoir un bien qui avait peu de valeur,
relativement, et qui a pris une valeur phénoménale. Mais cela n'a
rien à voir avec l'aide ou la collaboration des conjoints, c'est le
hasard de la conjoncture économique.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, mais, justement, si cette valeur...
Supposons que vous ayez une propriété qui, lors du mariage,
valait 200 000 $. Après trois ou cinq ans - mettons cinq ans - cette
propriété a pris une valeur. Elle vaut maintenant 250 000 $, ce
qui veut dire que la plus-value est de 50 000 $. Alors, ce serait cette
plus-value qui serait partageable également entre les conjoints,
c'est-à-dire 25 000 $ à chacun.
Mme Castelli: Oui, je comprends quelle est votre idée.
C'est là, personnellement, où je ne suis pas d'accord. Mais c'est
une opinion qui est toute personnelle. Je ne prétends pas qu'elle soit
bonne. C'est mon opinion. C'est parce que vous prenez une plus-value qui est
relativement limitée, 50 000 $. Mais si vous prenez une plus-value qui
est vraiment très importante, cela peut amener le conjoint qui
était le propriétaire avant le mariage ou qui a reçu ce
bien par don ou par héritage à vendre pour pouvoir payer à
l'autre simplement parce qu'il y a une plus-value dont ni l'un ni l'autre n'est
responsable. C'est cette idée-là, si vous voulez.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, c'est sûr que...
Mme Castelli: C'est l'idée du maintien des biens dans la
famille d'origine. C'est une vieille idée!
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, le seul inconvénient, par
contre, c'est que, d'une part, on pourrait dire que ce bien n'est pas
partageable et, d'autre part, on privé le conjoint d'un certain partage
et d'une certaine somme. Peut-être aussi avec la suggestion du Conseil du
statut de la femme, que si jamais il n'y avait pas de résidence ou
d'autres biens - par d'"autres biens", j'entends "familiaux" - par le biais de
la prestation compensatoire, on pourrait combler cette lacune, mais ne pas
toucher à la résidence acquise avant le mariage, par donation ou
par héritage.
Mme Castelli: Je pense que, pour que vous ayez une idée
globale de la logique dans laquelle je m'insère, je considère que
le conjoint n'aurait pas droit à la plus-value. Mais je vous rappelle
que mon idée, c'est que lorsqu'il n'y a pas de résidence
familiale, de maison qui est la propriété d'un des époux,
lorsque les gens sont en logement dans un logement de fonction ou qu'on a
essayé de contourner la loi en faisant acheter la maison par la
société dont on est le principal actionnaire, etc., dans ces cas,
il faudrait trouver quelque chose pour compenser cette somme qui aurait
dû être dépensée autrement et qui ne l'a pas
été et qui serait partagée. Donc, c'est dans cette
logique, c'est-à-dire que, là, vous auriez la maison qui aurait
été acquise avant ou qui aurait été reçue
par héritage. Elle ne serait pas partagée mais on tiendrait
compte de ce que les gens auraient dû normalement retrouver, je dirais.
C'est cela, mon idée. C'est plus complexe techniquement,
évidemment.
Le Président (M. Khelfa): Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: M. le Président, je voudrais
préciser quelque chose, quand même, avec Me Castelli. Voulez-vous
dire que, si une propriété est acquise avant le mariage, par
donation ou par héritage, à ce moment-là,
indépendamment du temps de collaboration, de la durée du mariage
et ainsi de suite, cette propriété serait partageable comme bien
familial? Est-ce que c'est cela?
Mme Castelli: Une propriété possédée
avant le mariage, reçue par don ou héritage?
Mme Gagnon-Tremblay: Avant le mariage, par donation ou par
héritage.
Mme Castelli: Ah non! elle ne serait pas partageable!
Mme Gagnon-Tremblay: Non, pas du tout? Mme Castelli: Pas
du tout!
Mme Gagnon-Tremblay: Elle ne le serait pas? D'accord.
Mme Castelli: Pas du tout, sauf...
Le Président (M. Khelfa): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Pas du tout, si j'ai bien saisi votre discussion, sauf
le tempérament que vous apportez au sujet de la prestation compensatoire
où il serait possible, dites-vous, et de façon cumulative de
rechercher ce qui aurait été investi par un conjoint pour
l'entretien, le financement ou autre de cette résidence.
Mme Castelli: Oui, il y aurait cet
élément-là, c'est-à-dire que le conjoint, qui n'est
pas le propriétaire, pourrait aller chercher la prestation
compensatoire. L'autre idée aussi, ce serait que, dans le cas où
il n'y a pas de résidence familiale à partager, appartenant
à l'un des époux nominalement ou aux deux nominalement, on
pourrait aller chercher de l'argent qui serait comme l'équivalent du
partage des biens familiaux et qui ne serait pas la prestation compensatoire,
qui serait complémentaire à la prestation compensatoire, donc
avec des conditions différentes.
Mme Harel: Oui, une sorte de présomption pour corriger
l'insuffisance...
Mme Castelli: Oui, c'est cela.
Mme Harel:... d'un patrimoine partageable. On retrouve cette
idée dans plusieurs mémoires. Je vous remercie surtout pour avoir
sans doute introduit cette réflexion concernant la résidence
familiale, particulièrement quand vous nous avez mis en garde contre un
recours en dommages-intérêts qui serait assez illusoire,
finalement, puisqu'on remplace un droit d'habitation qui n'est pas vraiment
facilement quantifiable. Dans la proposition gouvernementale, il n'y a pas de
recours en nullité contre le tiers de bonne foi; à vrai dire, il
n'y en a pas s'il n'y a pas eu enregistrement de la déclaration de
résidence. Comme il n'y a pas non plus de déclaration
obligatoire, comme le propose le conseil du statut, au moment de l'acquisition
du bien, il est vraisemblable qu'il y ait, finalement, des recours illusoires
en dommages-intérêts. Je crois que c'est l'élément
le plus intéressant, novateur, de ce que vous nous apportez en regard
des autres mémoires.
Mme Castelli: Merci.
Le Président (M. Khelfa): Merci bien.
Mme Castelli: Merci beaucoup.
Mme Gagnon-Tremblay: J'aurais quand même... Avant de
terminer, je voudrais quand même apporter un éclaircissement sur
la question des dommages-intérêts. Je pense que ce que vous
apportez, c'est effectivement un éclaircissement puisque cela existe
déjà, les dommages et les intérêts, en vertu de la
déclaration de résidence familiale. C'est-à-dire que si,
actuellement, le conjoint vend sa propriété sans le consentement
de l'autre, on a recours à des dommages-intérêts. Cela
existe déjà, ce qui est apporté dans le document de
consultation actuellement n'est pas nouveau, sauf qu'on le précise
davantage.
Mme Castelli: Disons que ce serait inclus dans la loi alors
qu'actuellement, cela ne l'est pas. Je signale, par contre, que...
Mme Gagnon-Tremblay: Non, actuellement, cela existe.
Mme Castelli: Oui, cela existe, mais...
Mme Gagnon-Tremblay: Cela existe actuellement dans le Code civil,
c'est-à-dire que le conjoint peut avoir droit à des recours en
dommages-intérêts, sauf qu'on... Je pense que, pour plusieurs, on
l'ignorait, mais cela existe actuellement en vertu de l'article 1053.
Mme Harel: Ah! C'est l'article général du code.
Mme Castelli: Bien oui, c'est cela. Mme Harel: Ah bon,
bon! D'accord. Mme Castelli: Seulement, c'est cela.
Mme Harel: Mais ce n'est pas... Oui, d'accord.
Mme Gagnon-Tremblay: C'est parce que... Le Président
(M. Khelfa): S'il vous plaît!
Mme Harel: C'est bien différent comme usage.
Mme Gagnon-Tremblay: Par contre, il est bien mentionné,
dans l'autre article concernant la déclaration de résidence
familiale, qu'on a besoin du consentement de l'époux pour vendre ou
hypothéquer. Et si on n'a pas ce consentement, on a droit à des
dommages-intérêts. Alors, il est sûr que... C'est à
l'article 451, je m'excuse. Il y a longtemps, quelques années
déjà, que j'ai regardé mon code: L'époux locataire
de la résidence... Ici on dit: "L'époux propriétaire -
à l'article 452 - d'un immeuble de moins de cinq logements qui sert en
tout ou en partie de résidence principale de la famille ne peut, sans le
consentement de son conjoint, l'aliéner, le grever d'un droit
réel ni en louer la partie réservée à l'usage de la
famille. " Il est vrai qu'on ne parie pas de dommages-intérêts,
c'est la raison pour laquelle on l'a ajouté dans notre document puisque,
finalement, comme on dit qu'on a besoin de la signature, on sous-entend qu'on
aurait effectivement recours à des dommages-intérêts en
vertu de l'article 1053. C'est pour cela qu'on le précise davantage.
Cela ne veut pas dire qu'on n'avait pas ces droits auparavant.
Mme Castelli: On les avait. Cela avait été
dégagé...
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.
Mme Castelli:... mais disons qu'on clarifie les textes.
Mme Gagnon-Tremblay: Parfait! D'accord.
Mme Castelli: L'idée que je veux dire, c'est que, souvent,
ce sera évalué assez faiblement.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci infiniment Me Castelli. Effectivement,
je pense que vos conseils seront sûrement très intéressants
dans la préparation du projet de loi.
Le Président (M. Khelfa): Merci, Me Castelli. La
commission ajourne ses travaux à 10 heures demain, le jeudi 13
octobre.
(Fin de la séance à 18 h 45)