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Version finale

33e législature, 2e session
(8 mars 1988 au 9 août 1989)

Le jeudi 13 octobre 1988 - Vol. 30 N° 29

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur le document intitulé 'Les droits économiques des conjoints'


Journal des débats

 

(Dix heures onze minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission des institutions reprend ses travaux. Je rappellerai notre mandat qui est de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur le document intitulé "Les droits économiques des conjoints".

Je demanderais à notre secrétaire, Me Lucie Giguère, d'annoncer les remplacements.

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Les remplacements sont les suivants: M. Assad (Papineau) est remplacé par Mme Blackburn (Roberval), Mme Bleau (Groulx) par M. Khelfa (Richelieu), M. Boulerice (Saint-Jacques) par Mme Vermette (Marie-Victorin), M. Godin (Mercier) par Mme Harel (Maisonneuve) et M. Marcil (Beauharnois) par Mme Pelchat (Vachon).

Dépôt de documents

Le Président (M. Filion): Je vous remercie.

Avant que nos travaux débutent comme tels, je voudrais, avec la permission des membres de cette commission, déposer deux documents. Tout d'abord, une lettre datée du 12 septembre 1988 et signée par M. Fortin, à titre de président du Regroupement inter-organismes pour une politique familiale au Québec, par laquelle il nous fait part de certains points de vue relatifs à notre consultation. Je déposerai cette lettre sous la cote 1D. Deuxièmement, je voudrais déposer une lettre de Mme Marie-Claire Larose, agissant à titre de secrétaire de la Fédération des agricultrices du Québec, laquelle constitue une lettre d'appui au mémoire 10M présenté par le groupe devant nous, l'Association des femmes collaboratrices. Peut-être ne le saviez-vous pas, mais on vous appuie déjà, mesdames.

Avant de procéder à l'audition des représentantes de l'Association des femmes collaboratrices et à la demande des deux partis, je vais laisser quelques minutes pour permettre à Mme la ministre de nous faire certaines remarques préliminaires.

Nomination de Mme Marie La vigne à la

présidence du Conseil du statut de la femme

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Je prends quelques minutes pour vous faire l'annonce que notre nouvelle présidente du Conseil du statut de la femme vient d'être nommée aujourd'hui par le bureau du premier ministre. Je vois qu'il y a beaucoup de femmes dans cette salle qui sont venues appuyer les femmes collaboratrices et je profite donc de l'occasion pour vous dire que la nouvelle pré- sidente du Conseil du statut de la femme est Marie Lavigne, historienne; elle est très impliquée auprès des femmes dans le féminisme et je suis persuadée qu'elle saura combler vos attentes.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme la ministre.

Mme la députée de Maisonneuve et porte-parole de l'Opposition officielle.

Mme Harel: M. le Président, j'aurais souhaité que nous puissions avoir une période très brève, évidemment, de commentaires pour faire connaître la réaction de la porte-parole de l'Opposition à l'égard de cette nomination.

Nous accueillons avec beaucoup de joie cette nomination. C'est une excellente nomination non partisane; c'est la nomination d'une femme chaleureuse et dont la compétence est reconnue dans tous les milieux. L'Opposition critique évidemment plus souvent le gouvernement qu'elle n'a l'occasion de le féliciter, mais cette fois-ci, c'est avec plaisir que nous félicitons Mme la ministre de cette nomination.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme la députée de Maisonneuve. Sans plus tarder, nous allons procéder à l'audition du groupe qui est devant nous, l'Association des femmes collaboratrices. En ce qui concerne l'ordre du jour d'aujourd'hui, l'Association des femmes collaboratrices sera suivie des Femmes regroupées pour l'accessibilité au pouvoir politique et économique. Cet après-midi, nous entendrons les représentants et représentantes de la Tribune unique et populaire d'information juridique inc., Me Roger Comtois qui suivra et, en fin d'après-midi, le Réseau d'action et d'information pour les femmes.

Donc, bienvenue à l'Association des femmes collaboratrices. Je demanderais à sa présidente, Mme Yolande Bédard, de bien vouloir d'abord nous présenter les personnes qui l'accompagnent et, par la suite, nous faire part du résumé du mémoire.

Association des femmes collaboratrices

Mme Bédard (Yolande): Merci, M. le Président. Je vous présente Mmes Monique Bernard et Micheline Charest qui sont à ma gauche et Mme Pierrette de Montigny qui est à ma droite. Elles font partie des trois secteurs d'économie que nous représentons à l'ADFC. Mme Bernard est du secteur agricole; Mme de Montigny travaille dans une petite et moyenne entreprise; Mme Charest représente le secteur professionnel.

M. le Président, avec votre permission, deux personnes se joindraient à nous à la table en tant que personnes-ressources. Ce sont des

employés de l'ADFC; il s'agit de Mme Monique Riel qui est notre directrice générale et de M. Donald Leblanc qui est recherchiste chez nous.

Le Président (M. Filion): Très bien.

Mme Bédard: Je voudrais ajouter que dans la salle se sont jointes à nous, ce matin, pour la présentation de ce mémoire, des représentantes de la plupart des régions du Québec. Nous savons que les membres de la commission ont lu notre mémoire et qu'ils et elles sont au courant des principaux points; nous voudrions cependant en souligner quelques-uns qui présentent pour nous un intérêt spécial.

Disons d'abord que certaines propositions contenues dans le document de consultation se veulent une réponse directe aux demandes exprimées par l'ADFC concernant la reconnaissance concrète du travail de la collaboratrice.

Notre organisme propose à cette fin, depuis 1983, un avant-propos législatif grâce auquel un statut particulier de travail serait accordé aux conjointes collaboratrices. Ce statut comporterait des droits et des avantages spécifiques pour les collaboratrices non rémunérées.

Le gouvernement du Québec a choisi de promouvoir la reconnaissance du travail de la femme collaboratrice par des modifications législatives ponctuelles, dont la bonification de la prestation compensatoire qu'on retrouve dans le document de consultation. Il va de soi que nous avons fait une analyse détaillée de cette proposition. Par ailleurs, l'ADFC s'est toujours intéressée aux questions touchant les droits économiques des conjoints, régimes matrimoniaux, successions, protection de la résidence familiale, comme moyens plus ou moins directs de reconnaissance du travail dans l'entreprise d'abord, mais aussi au foyer de la femme collaboratrice.

En ce qui concerne les successions, nous avons toujours défendu le principe de la réserve héréditaire. Cependant, compte tenu des oppositions soulevées, notamment, lors de l'étude du projet de loi 20 et suscitées par cette proposition, nous avons pris connaissance d'autres voies possibles d'orientation pour le partage des biens familiaux lors du décès d'un conjoint. Ainsi, lorsque l'avis soumis en juin 1987 par le Conseil du statut de la femme et s'intitulant "Le partage des biens familiaux en cas de décès" a été rendu public, nous l'avons étudié avec soin. En mai dernier, alors que le gouvernement préparait la proposition qu'il soumet ici à la consultation, nous avons manifesté au ministère concerné notre appui à la formule proposée par le CSF, soit le patrimoine familial commun partageable en cas de décès.

La question des régimes matrimoniaux est, quant à elle, au coeur de nos préoccupations. Les multiples rencontres que nous avons eues à ce sujet avec des groupes de femmes collaboratrices nous ont permis de constater notamment à quel point le régime de la séparation de biens pouvait être synonyme d'injustice, sur le plan économique, pour la femme mal ou pas du tout préparée.

Quant à la protection de la résidence familiale, nous avons fait, au cours des dernières années, des pressions afin que les femmes puissent s'en prévaloir dans les faits sans qu'on leur demande continuellement de résilier leur déclaration de statut.

Pour terminer cette introduction, nous aimerions préciser que nous considérons, pour les fins de l'analyse, la collaboratrice comme étant, d'une part, épouse et, d'autre part, partenaire dans l'entreprise familiale. Ces deux dimensions de la situation des femmes collaboratrices sont, à l'égard des droits économiques des conjoints, complémentaires mais mutuellement exclusives. Il est nécessaire de garder cette position à l'esprit pour mieux comprendre la réaction de l'ADFC au document de consultation.

Parmi les voies proposées à ce document, nous avons retenu la troisième. Les interventions qui suivent se veulent donc une réaction à la proposition gouvernementale. Mme Bernard exposera le point de vue de l'ADCF sur l'institution du patrimoine familial.

Mme Bernard (Monique): Nous avons vu, dans l'introduction, que l'ADFC s'est prononcée il y a quelques mois en faveur de l'introduction d'un patrimoine familial commun en cas de décès, tel que proposé par le Conseil du statut de la femme. La logique inhérente à cette forme de partage nous semble, après étude, autant adéquate en cas de rupture qu'en cas de décès, et ce, comme le veut la proposition gouvernementale, spécialement pour les couples mariés en séparation de biens. À ce sujet, il est bon de mentionner que selon notre étude de 1984, 60 % des femmes collaboratrices au Québec sont mariées en séparation de biens. Ce pourcentage était en croissance par rapport à 1975, alors qu'il était de 54, 6 %. Les propositions concernant le patrimoine familial toucheront donc de façon particulière une majorité de notre clientèle.

Il nous semble étonnant que l'on accepte facilement le principe du partage automatique des gains accumulés dans le régime public de retraite, mais que ceux qui le sont dans un régime privé de retraite soient exclus du partage. Ainsi, nous recommandons que les régimes enregistrés de retraite et les régimes de participation aux bénéfices soient inclus à la masse de biens constituant le patrimoine familial.

Nous sommes d'accord avec le fait que les époux ne puissent renoncer d'avance à leurs droits dans le patrimoine familial. Nous recommandons donc que les dispositions concernant l'institution d'un patrimoine familial s'appliquent à tous les couples mariés dès qu'elles seront adoptées par le législateur.

L'ADFC est en accord avec l'idée que le partage du patrimoine familial s'effectuerait à parts égales entre les conjoints sur sa valeur

nette. Cependant, l'établissement de la valeur nette du patrimoine peut poser une difficulté en ce qui concerne la résidence familiale. Nous avons d'ailleurs souligné dans notre mémoire un problème de comptabilité provenant du fait que la résidence familiale serve de garantie pour l'achat de biens par le conjoint, notamment de biens constituant l'entreprise familiale.

Nous craignons qu'ainsi la résidence familiale ne devienne un double passif: passif dans le calcul de la valeur du patrimoine, passif aussi dans le calcul de la valeur de l'entreprise.

On peut facilement penser qu'en agriculture, c'est le lot de beaucoup de couples qui recourent au crédit agricole et qu'à partir de ce moment-là, souvent la résidence familiale est incluse comme garantie. Donc, en pareilles circonstances, nous nous demandons si on ne devrait pas inscrire la résidence familiale dans l'actif de l'entreprise. Nous espérons que vous avez pris bonne note du problème soulevé.

Quant à la protection de la résidence familiale, nous appuyons les propositions gouvernementales formulées en plus de recommander que l'information relative à la protection de la résidence familiale soit largement diffusée et que, notamment, les professionnels intervenant dans les transactions concernant la résidence familiale soient tenus de bien renseigner toutes les parties en cause sur leurs droits et sur la portée de leur geste.

M. le Président, je rends la parole à Mme de Montigny pour ce qui est de la prestation compensatoire.

Mme de Montigny (Pierrette): M. le Président, nous touchons ici un sujet très important pour les femmes collaboratrices. Le gouvernement propose une bonification de la prestation compensatoire visant une meilleure reconnaissance du travail du conjoint collaborateur à la fin de la collaboration. Force nous est de reconnaître que de telles mesures sont nécessaires. Le fait de collaborer à l'entreprise familiale du mari n'est pas, dans la plupart des cas, un projet planifié depuis des années par le couple. C'est plutôt, en premier lieu, pour donner un coup de main que l'épouse commence à collaborer aux activités du mari. Au bout de quelques années, la collaboration devient un travail à temps plein qui, pour des raisons sociologiques, est un acquis dans l'esprit du mari et même dans l'entourage du couple et chez la clientèle. Les mesures de bonification de la prestation compensatoire qui sont proposées peuvent rétablir les inéquités découlant d'un travail de collaboration non rémunéré. Elles intègrent au Code civil la notion de collaboration, réalité économique jusqu'à récemment invisible mais qui durera tant qu'il y aura des couples et des entreprises.

Ces propositions amènent aussi une distinction entre un apport qui provient du travail dans l'entreprise et un apport qui provient du travail au foyer. Mais, comme il s'agit de nouvelles dispositions, il ne faut pas s'étonner si nous avons plusieurs points à discuter.

Nous voudrions souligner ce qui nous semble être un oubli dans le cas où la fin de la collaboration résulterait d'une cessation volontaire, de la part de l'épouse, de ses activités dans l'entreprise, sans qu'il y ait pour autant rupture au sein du couple.

Quelle que soit la formule retenue, il nous apparaît nécessaire de compenser le travail effectué par la conjointe collaboratrice, même s'il s'agit d'une cessation volontaire de la collaboration. À cette fin, nous recommandons que la cessation volontaire de la collaboration donne aussi droit, pour le conjoint collaborateur, à un recours en prestation compensatoire.

La preuve du droit à une prestation compensatoire est très difficile à établir pour la femme collaboratrice. La difficulté qui se présente en premier lieu est de déterminer s'il y a eu ou non collaboration avant que soit établie en faveur du conjoint collaborateur une présomption d'un droit à un pourcentage de la valeur de l'entreprise. À ce sujet, rappelons que l'ADFC a déjà proposé et préconise toujours l'enregistrement d'une déclaration de statut collaborateur.

Par ailleurs, un élément de la proposition à laquelle nous nous opposons est la part de 30 % de la valeur de l'entreprise à laquelle on présume que le conjoint collaborateur peut prétendre avoir droit, une fois qu'il sera établi qu'il y aura eu collaboration. Plusieurs raisons justifient notre opposition. D'abord, soulignons le caractère arbitraire des 30 %. On ne dispose d'aucune analyse permettant de déterminer avec un minimum de rigueur et de précision quelle est la part qui devrait revenir au conjoint collaborateur. Compte tenu du manque d'information à ce sujet, il semble qu'il soit préférable de partir d'une présomption d'une valeur médiane de 50 %, beaucoup plus représentative, selon nous, de l'apport de la collaboratrice, quitte à ce que ce pourcentage soit révisable à la hausse ou à la baisse par le conjoint en désaccord avec cette présomption.

Une autre raison qui motive notre opposition à la présomption de 30 % est le fait que, dans certaines provinces canadiennes, notamment en Ontario, depuis 1986, on prévoit un partage égalitaire des biens familiaux entre les conjoints, l'entreprise familiale faisant partie des biens familiaux partageables. Il semble même qu'en Ontario le tribunal ne déroge pratiquement jamais au principe des 50 % en cas de rupture. Nous ne demandons pas que l'entreprise familiale fasse partie de la masse de biens contenus dans le patrimoine familial, mais quand il est établi qu'il y a collaboration, partir d'une présomption égalitaire et neutre de 50 % nous apparaît tout à fait justifié. (10 h 30)

Un dernier motif nous pousse à nous opposer à une présomption de 30 %. Nous craignons qu'un tel pourcentage ne devienne,

conséquemment, à l'interprétation de la loi par les tribunaux, une limite au-delà de laquelle les juges hésiteront à aller. Les 30 % pourraient ainsi devenir un point de référence autour duquel serait établie la valeur de l'actif de l'entreprise qui serait accordée à la conjointe collaboratrice. Devrait-on, alors, faire des 30 % un minimum auquel aurait droit l'épouse aussitôt qu'il est établi qu'elle a collaboré? Nous ne le croyons pas, car il est possible que la collaboration ne représente que 10 % ou 20 % de la valeur de l'actif net de l'entreprise. Encore là, par souci d'équité, c'est la présomption de 50 % qui nous semble plus adéquate. Nous croyons, de plus, que cette présomption devrait être établie en tenant compte de la durée, de la qualité de la collaboration et du nombre d'heures travaillées.

Considérant tout ce qui vient d'être dit, nous recommandons que lorsqu'il sera établi qu'il y a eu collaboration dans l'entreprise familiale la preuve au droit à une prestation compensatoire soit, dans le cas du conjoint collaborateur, facilitée par l'établissement d'une présomption selon laquelle sa collaboration équivaudrait à une part de 50 % dans l'actif net que son conjoint possédait dans l'entreprise familiale pendant cette période. Si un des deux conjoints veut contester à la hausse ou à la baisse la présomption établie, le fardeau de la preuve que la présomption lui cause préjudice reposera sur lui. Le tribunal devra, si la norme de 50 % est contestée, tenir compte de la qualité de la collaboration pour déterminer si les 50 % doivent être révisés à la hausse, à la baisse ou maintenus.

Par ailleurs, considérant la nécessité de protéger la valeur de l'actif net de l'entreprise contre une dilapidation volontaire des biens qui le composent, nous recommandons qu'il soit possible, lorsque le recours à la prestation compensatoire est utilisé, de comptabiliser dans l'actif net de l'entreprise, la valeur des transactions faites dans les six mois précédant la fin de la collaboration réduisant de façon appréciable la valeur de cet actif.

Je vous remercie de m'avoir écoutée. Je vous présente donc Mme Charest qui vous parlera des différents régimes matrimoniaux.

Mme Charest (Micheline): M. le Président, en dernier lieu nous aimerions vous faire part de nos remarques concernant les différents régimes matrimoniaux. En ce qui regarde la société d'acquêts, nous avons remarqué que le gouvernement n'a pas emprunté a la première voie d'orientation l'idée de considérer les droits à des régimes enregistrés de pension et autres rentes publiques et privées comme étant des acquêts, comme c'est le cas dans d'autres provinces. C'est pourquoi nous recommandons que les gains accumulés dans les régimes de pension publics et privés et dans les régimes de participation aux bénéfices soient qualifiés d'acquêts dans le régime de la société d'acquêts. M. le Président, comme vous le savez certainement, les professionnels n'ont pas accès aux régimes de rentes publics. Ils doivent donc faire l'achat de régimes de rentes privés et si le gouvernement décide d'exclure les régimes de rentes privés des acquêts, il pénaliserait automatiquement tout conjoint de professionnel.

Nous aimerions de plus attirer votre attention sur un problème particulier et très fréquent, à savoir que le régime de la société d'acquêts n'apporte pas de protection réelle dans le cas où un des conjoints parvient à masquer l'existence de ces acquêts. Parmi les moyens utilisés, citons entre autres le transfert temporaire de la propriété d'un bien à un ami ou encore l'entreprosage de biens hors de la vue et du su de tous. Là encore, M. le Président, je crois que c'est une situation que l'on connaît tous. On a tous entendu parler de quelqu'un qui, prévoyant demander un divorce, se départissait de façon illicite, mais non moins efficace, de ses biens. Je pense qu'il y a là une lacune à laquelle il faudrait trouver une solution.

À la suite de ces considérations, nous demandons que des solutions soient envisagées pour qu'un meilleur contrôle soit exercé sur la masse de biens constituant les acquêts de chacun des conjoints, particulièrement lorsque le calcul et le partage de ces biens est requis.

Quant au régime de la communauté de biens, puisque nous appuyons la conversion dudit régime en société d'acquêts, nous nous interrogeons quant au sens et à l'utilité du maintien du régime de la communauté de biens. Nous recommandons donc que soit aboli définitivement le régime de la communauté de biens au Québec.

Finalement, nous désirons soumettre une recommandation spéciale pour que soit instauré un tribunal de la famille dont les fonctions s'étendraient de la médiation au jugement, dans les cas de litiges intrafamiliaux. Pour le mot de la fin, je passerai la parole à Mme Yolande Bédard, présidente de notre association.

Mme Bédard: Depuis sa fondation en 1980, l'ADFC a suivi de très près les nombreuses modifications apportées au droit de la famille au Québec. Nous avons tenté de faire en sorte que la reconnaissance du travail des femmes collaboratrices soit l'un des enjeux de ces remaniements. Les propositions gouvernementales semblent ouvrir la voie à des rapports économiques plus équitables entre conjoints. La femme collaboratrice pourrait y trouver son compte en tant qu'épouse, grâce à l'institution d'un patrimoine familial et en tant que partenaire dans l'entreprise familiale par la bonification de la prestation compensatoire.

Les autres mesures proposées par le gouvernement concernant la protection de la résidence familiale, les régimes matrimoniaux et les successions vont aussi dans le sens d'un meilleur équilibre des rapports économiques des conjoints. Nous avons des recommandations à faire au

gouvernement sur plusieurs de ces propositions et les autres groupes et organismes en ont aussi. Mais il serait agréable, avant la fin des années quatre-vingt, que le Québec en vienne à un certain consensus sur la façon la plus équitable de régir les liens économiques entre conjoints. Nous avons vu que les propositions concernant la prestation compensatoire peuvent mener à la reconnaissance du travail de la collaboratrice à la fin de la collaboration. Si c'est le cas, peut-être faudrait-il maintenant, pour ce qui est du temps que dure la collaboration, se tourner vers le droit commercial pour trouver un statut juridique particulier au conjoint collaborateur dans l'entreprise familiale.

Le Président (M. Jolivet): Merci, madame. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Monsieur le Président. Merci, mesdames, de votre excellente présentation. Je sais qu'il y a fort longtemps que les femmes collaboratrices travaillent sur ce dossier et, entre autres, sur l'amélioration de la prestation compensatoire.

Je vois que vous nous demandez d'augmenter la présomption légale à 50 % comparativement à 30 %, tel que mentionné dans le document. Vous comparez beaucoup l'entreprise familiale à celle qu'on retrouve, par exemple, dans le régime qui existe en Ontario. Je suis toujours un peu mal à l'aise de comparer avec le régime de l'Ontario et lorsqu'on pourrait laisser supposer que les femmes du Québec sont peut-être moins bien protégées, parce que ces régimes sont quand même très différents. Les autres provinces ne sont pas soumises au Code civil, mais bien à la "common law" et, en Ontario, lorsqu'on parle du partage de 50 %, il faut dire qu'on a aussi le droit d'y renoncer. On peut faire toute convention contraire à un moment donné de sa vie. Donc, finalement, ce 50 % n'a pas la même valeur, à un moment donné, que si on n'avait pas le droit d'y renoncer.

L'idée du 30 % était, d'une part, une certaine présomption. On s'est dit que cela permettrait sûrement, à ce moment-là, à la collaboratrice d'éviter un recours en justice. Donc, 30 %, c'est vrai que c'est arbitraire; cela aurait pu être 25 % ou 20 %. Vous avez raison quand vous dites: Sur quoi vous basez-vous? On se disait que 30 %, peut-être que cela pourrait éviter de nombreux recours en justice et, par contre, cela n'empêche pas les collaboratrices de demander davantage si la collaboration a duré plus longtemps, etc.

Vous parlez de durée de la collaboration, mais vous parlez également de qualité de la collaboration. Je trouve très difficile de pouvoir quantifier la qualité. Sur quoi peut-on se baser pour qualifier la qualité? Sur, je ne sais pas: être présente toute la journée, huit heures par jour, ou encore partiellement ou parce que, finalement, c'est le patron de l'entreprise et à cause des compétences quelconques. Je trouve quand même que lorsque arrive une dissolution, il m'apparaît très difficile d'identifier la qualité, beaucoup plus difficilement, entre autres, que la durée, puisque pour cette durée, on peut en faire une preuve.

Vous parlez également de l'enregistrement d'une déclaration de collaboratrice et là je cite "une déclaration de statut". Il y a longtemps que je sais que c'est une de vos recommandations et depuis fort longtemps. Je voudrais savoir, d'une part, si cet enregistrement de déclaration... Est-ce que vous parlez d'une déclaration unilatérale ou d'une déclaration bilatérale? D'autre part, toujours en rapport avec la prestation compensatoire, vous parlez d'un partage lors de la cessation volontaire du collaborateur ou de la collaboratrice. Cela me fait peur, jusqu'à un certain point, dans le sens: Est-ce que vous avez réfléchi et est-ce que vous avez des solutions sur ce que cela pourrait entraîner pour une entreprise, les difficultés ou les contraintes que devrait subir l'entreprise? Est-ce que ce serait un danger pour que cette entreprise soit mise en faillite? Aussi, pour ce qui est des créanciers, est-ce que ce serait une belle façon de demander des garanties supérieures: finalement de craindre énormément quant aux garanties puisque, du jour au lendemain, la collaboratrice décide de cesser sa collaboration et demande un partage en vertu de la prestation compensatoire. Qu'arrive-t-il, à ce moment-là, des créances? C'est une quantité de questions que je me pose. Je sais qu'on en a déjà parlé. Je me demande si, à ce moment-ci, vous avez réfléchi et vous avez d'autres solutions à apporter face à ces nombreuses interrogations que j'avais antérieurement et que j'ai encore présentement. Je ne sais pas si cela a suffisamment évolué et si vous avez des réponses à ces questions.

Le Président (M. Jolivet): Mme Bédard.

Mme Bédard: Peut-être que je vais commencer par la dernière question, c'est celle qui est la plus récente à ma mémoire: ce fameux partage à la suite d'un retrait volontaire. Vous savez, Mme la ministre, quand les gens sont associés et que l'un des deux associés décide de quitter, c'est exactement le même problème vis-à-vis des créanciers. La société est dissoute et là on affronte exactement le même problème.

En effet, nous avons...

Mme Gagnon-Tremblay:... régime matrimonial.

Mme Bédard: Pardon?

Mme Gagnon-Tremblay: Tout dépend du régime matrimonial.

Mme Bédard: Aussi, oui. Dans le cas qui

nous occupe, ce que je veux dire, c'est que nous avons envisagé quand même des façons de ne pas mettre ou de mettre moins l'entreprise en péril au moment du départ. Nous avons envisagé des façons de réclamer notre dû, mais d'une façon peut-être progressive et non pas de réclamer tout d'un coup, de manière à mettre l'entreprise en trop grande difficulté. Il ne faut pas oublier non plus que si la femme, qui a travaillé dans une entreprise familiale pendant quinze ans, avait reçu au fur et à mesure les montants d'argent qu'elle a gagnés dans l'entreprise, cette dernière ne serait pas au point où elle est.

Alors, il faut bien comprendre aussi que ce qu'elle réclame, ce n'est pas un cadeau de l'entreprise; elle réclame ce qu'elle y a gagné, tout simplement. Dans ce domaine-là, je me demande jusqu'à quel point il va falloir sacrifier encore une fois le bien-être des femmes et des enfants qui partiront peut-être avec elles à la survie d'une entreprise. Encore une fois, nous avons prévu, à l'intérieur de nos mesures, des choses qui vont permettre de nous retirer progressivement d'une entreprise en faisant en sorte qu'on ne demande pas à l'entreprise de remettre tout de suite, tout d'un coup, un gros montant d'argent qui mettrait sa survie en péril. (10 h 45)

Mme Gagnon-Tremblay: Quant à la déclaration de statut de collaboratrice, est-ce qu'il s'agit d'une déclaration unilatérale ou d'une déclaration bilatérale?

Mme Bédard: Nous avons discuté à plusieurs reprises à ce sujet, Mme la ministre, et si je vous disais aujourd'hui que c'est une déclaration unilatérale, vous ne voudriez même pas m'entendre. Alors, je suis bien obligée de vous dire que c'est une déclaration conjointe. Mais je continue de vous souligner le danger qu'il y a à n'accepter que la déclaration conjointe. Vous comprenez que si je travaille dans mon entreprise depuis 26 ans et que jusqu'à maintenant, on n'a fait encore aucune démarche, si on ne s'est jamais organisés sur le plan légal, si je travaille tout simplement dans une entreprise de propriétaire unique et qu'au bout de 26 ans je me réveille enfin et que je dis: Mais écoute, il y a des choses dans cette entreprise-là qui m'appartiennent, j'y travaille à temps plein depuis 26 ans et que mon mari dit: Non, je ne veux pas m'associer, je ne veux pas me mettre en compagnie, je dis: Veux-tu qu'on fasse une déclaration conjointe pour bien dire que je travaille dans l'entreprise et que je suis une collaboratrice? Non, cette histoire-là ne m'intéresse pas, je n'y vois aucun avantage. Lui, n'y voit aucun avantage et c'est normal.

Alors il me resterait un recours, celui de déclarer et de déposer officiellement. Je travaille quand même depuis 26 ans dans mon entreprise familiale et je mets le papier dans un greffe quelconque pour que ce soit reconnu et que jamais du jour au lendemain on puisse dire: Cette femme-là était une femme au foyer; elle a bien mené sa maison, elle a bien élevé ses enfants alors qu'elle a peut-être pris sur ses épaules les trois quarts de l'entreprise.

Tous ici, tant que vous êtes, vous connaissez des femmes qui ont travaillé peut-être à 30 % dans l'entreprise, mais vous en connaissez tous qui ont travaillé à 60 % et 70 % et qui ont tenu sur leurs épaules la survie d'une entreprise. Vous savez, le talent en entreprise, la faculté de bien réussir, ces qualités-là n'ont pas de sexe. Même si c'est le mari qui a signé le jour où on a fait un premier emprunt à la banque pour se procurer le départ d'une entreprise, après cela les deux sont venus et ont travaillé à payer la dette. L'entreprise, c'est vrai, elle est au nom du mari, mais dans les faits elle ne lui appartient pas toujours. Elle appartient aux deux conjoints qui y ont travaillé et aux enfants qui ont contribué à y travailler aussi.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Bédard. Quant à la preuve, quant à la durée et la qualité, est-ce que vous avez des propositions à nous suggérer? Est-ce que vous avez pensé, par exemple, aux critères sur lesquels on devrait s'appuyer pour vraiment en faire la preuve la moins difficile possible?

Mme Bernard: Je pense qu'un des mécanismes qui pourraient être prévus, ce serait ni plus ni moins l'inscription comptable des heures qui sont investies dans les entreprises. Ce n'est quand même pas une chose si difficile que cela à faire quand on s'arrête à y penser et c'est une proposition que l'ADFC maintient depuis le tout début. On demandait aux collaboratrices d'inscrire le nombre d'heures qu'elles mettaient dans les entreprises, parce que souvent les femmes réalisaient que c'est en marquant les heures qu'elles faisaient dans l'entreprise, qu'elles réalisaient que finalement, elles étaient vraiment des collaboratrices. Je prends un exemple qui concerne beaucoup de femmes. Supposons l'époux électricien ou vétérinaire, c'est à peu près le même cas. Quand l'époux peut compter sur une femme qui est à la maison, qui reçoit les appels téléphoniques, qui accueille les clients, qui dirige, qui dit à l'époux par communication: Au lieu de t'en venir à la maison, va donc chez tel cultivateur à l'autre bout du rang, il vient d'appeler et il a besoin d'aide. Cette personne-là, ce mari-là, cet époux-là a en fait une personne très précieuse qui l'aide à améliorer la qualité de son travail et à faire progresser son entreprise. L'électricien, c'est grâce à des contacts comme cela qu'il va s'établir.

Donc, on a demandé et on continue de demander aux femmes de bien comptabiliser les heures qui sont mises dans les entreprises. Je pense que cela c'est le premier départ. Les femmes ont réalisé, lors des enquêtes, au moment où on a demandé aux femmes: Est-ce que vous travaillez dans l'entreprise?, la première réponse

c'était: Non, moi, je ne travaille pas dans les entreprises. Quand on posait les questions sous-jacentes: Est-ce que vous recevez les appels téléphoniques? Est-ce que vous faites la comptabilité? Est-ce que vous faites les courses? ah! bien oui, c'est bien vrai, j'emporte le morceau. Ah! c'est vrai, je fais cela. Ah! c'est vrai, je remplace l'employé qui est malade. C'est vrai ceci, c'est vrai cela. Les femmes n'avaient pas l'impression qu'elles travaillaient dans les entreprises et elles ont réalisé qu'elles y travaillaient.

Donc, le mécanisme privilégié en partant, c'est de comptabiliser le nombre d'heures qu'on met dans les entreprises. À ce moment-là, on voit qu'on dessine un tableau très intéressant, parce qu'il y a aussi les périodes saisonnières. Il y a des saisons où on travaille plus et des saisons où on travaille moins. Mais il reste qu'on fait un équilibre et on le réalise.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais croyez-vous, Mme Bernard, que compte tenu des nombreuses heures de travail que les femmes mettent dans une entreprise. En pratique, croyez-vous que ces femmes vont véritablement prendre le temps de comptabiliser toutes leurs heures?

Mme Bernard: Ce ne sont pas toutes les femmes qui vont en prendre le temps. Mais si elles ne le font pas, il y a un mari qui va le faire à côté, s'il sait que ces heures-là sont importantes.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui.

Mme Bernard: C'est sûr que c'est toujours le problème que vous me soulignez. C'est, pour ainsi dire, la relation qui existe entre le fait qu'on est à la fois épouse, à la fois femme au foyer et femme-collaboratrice. Ce sont deux réalités. C'est un fait. Mais je ne suis pas sûre, non plus, que ce soit aussi difficile que cela, parce que cela ne prend pas tant de temps que ça à évaluer le temps qu'on met dans une entreprise, parce que si tu as toujours le même quotidien, dans le fond, tu la fais, ton équivalence et tu dis, à un moment donné: Cette semaine, je t'en ai donné un peu moins, j'ai travaillé un peu moins, mais la semaine suivante, j'ai travaillé plus aussi. Il y a un équilibre qui s'établit.

Mme Bédard: J'aurais aimé ajouter quelque chose, Mme la ministre. C'est un cas vécu qui nous est arrivé, il y a quelques semaines. Une dame vient me voir à la suite d'une réunion et me dit: Écoute, j'ai parlé avec mon mari - parce que dans cette région, c'est une femme qui passe vraiment pour ce qu'elle est, d'ailleurs, une excellente administratrice dans son entreprise et elle y travaille vraiment plus qu'à temps plein - elle dit: On travaille tous les deux dans l'entreprise et j'aurais bien voulu qu'on s'associe, parce que, là, je trouve que je ne suis pas protégée. Mais quand j'en parle à mon mari, il me dit: On ne peut pas s'associer 50-50, parce que, vois-tu, le temps que tu passes à prendre soin des enfants, tu n'es pas à l'entreprise. Alors, elle a dit: Je ne sais pas comment arranger mes affaires. Elle dit: Tu vois, il se lève à six heures. Moi, je me lève à cinq heures, parce qu'il va falloir que je revienne à la maison à sept heures pour pouvoir envoyer les enfants à l'école.

Alors, elle dit: Je travaille jusqu'à sept heures; je reviens vite à la maison; j'envoie les enfants à l'école. Je retourne à l'entreprise à huit heures et, là, je travaille jusqu'à onze heures et vingt. Mais à onze heures et vingt, je m'en viens vite faire le dîner et, là, il vient dîner à midi et je me dépêche jusqu'à une heure pour pouvoir retourner avec lui. Cela continue comme ça vers la fin de l'après-midi et, après souper, pendant que les enfants font les devoirs, elle peut voir un peu à la comptabilité qu'elle n'a pas eu le temps de faire pendant la journée.

Alors, elle dit: Tu vois, je perds du temps pour l'entreprise, alors que, lui, il est à temps plein dans l'entreprise. Je lui ai dit: Madame, vous avez un moyen bien simple de régler cela. Prenez donc chacun votre semaine. Qu'il y ait donc une semaine où toi, tu vas te lever à six heures et tu t'en iras directement à l'entreprise et tu y passes toute ta journée. Tu arriveras à midi devant ton dîner fait et, lui, il courra dans la maison. Alors, une semaine sur deux, c'est l'égalité parfaite, sauf que je ne sais pourquoi, elle semblait penser que ça pouvait marcher chez elle. C'est un des problèmes qu'on a. Vous avez raison, à celui-là, je n'ai pas trouvé de solution autre que celle dont je vous parle.

Mme Gagnon-Tremblay: Très amusant, Mme Bédard. J'aimerais quand même que vous me parliez de la qualité. Comment voyez-vous cela, la qualité? Qu'est-ce que vous voulez dire par qualité quand vous parlez de la qualité? C'est quoi?

Mme Bédard: Quand je vous parle de qualité, voyez-vous, je me mets en comparaison la valeur du travail de la femme qui est dans l'entreprise avec celle des employés. Là, je vais me faire détester par un paquet de gens. Quand on engage des gens et qu'on les fait travailler dans nos entreprises, ils font les heures qu'ils sont censés faire et c'est normal. Même s'ils n'ont pas fini à quatre heures et qu'ils doivent quitter, ils quittent. Même s'ils ont deux lettres d'écrites sur la feuille quand la pause-café arrive, ils vont aller prendre leur pause-café. Mais si vous êtes dans votre propre entreprise et que vous n'avez pas fini à quatre heures, vous allez continuer jusqu'à cinq heures, cinq heures et demie ou six heures moins le quart.

Après souper, si vous voyez que, franchement, il aurait fallu, pour que cela aille bien le lendemain matin à en faire un petit bout le soir,

vous allez continuer tranquillement, comme ça, en vous reposant, à en faire un petit bout le soir. C'est cela, la différence, voyez-vous et, chez nous, on n'a jamais eu d'employés qui prennent assez notre entreprise à coeur pour en faire autant.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Bédard. La dernière question, c'est sur la valeur nette de l'entreprise. Oui.

Le Président (M. Jolivet): Madame... Mme Gagnon-Tremblay: Je m'excuse.

Mme Charest: Mme la ministre, tout à l'heure vous parliez du danger de mettre en péril l'entreprise lorsque la collaboratrice décidait de son propre gré de cesser la collaboration. Peut-être que vous aviez à l'esprit, à ce moment, justement la qualité de la collaboration du travail de la collaboratrice. Effectivement, je serais inquiète que toutes les collaboratrices, un jour, décident de se retirer de l'entreprise. Je serais inquiète de la survie de l'entreprise.

Le Président (M. Jolivet): Merci, Mme Charest. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Je reviens sur la valeur nette. Vous avez soulevé quelque chose concernant la valeur nette et ce qui touche davantage, je pense, la qualité des fermes agricoles. Vous avez raison. Moi aussi, je pense qu'il y a quelque chose là lorsque vous parlez, par exemple, de l'emprunt de la résidence pour garantir le reste de la ferme ou de la machinerie ou quoi que ce soit. Je pense qu'il y a là quelque chose finalement où vous avez totalement raison.

Par contre, je me disais: Si on ne se base pas sur la valeur nette, avez-vous identifié sur quoi on devrait se baser, par exemple? Comment pourrait-on le faire?

Mme Charest: Non, on n'a pas envisagé cela. On a juste identifé le problème et on s'est dit qu'il ne fallait pas passer dessus. Il fallait vraiment prendre le temps de l'étudier. On s'est rendu compte qu'il fallait vraiment peut-être des gens plus qualifiés que nous en comptabilité pour pouvoir établir ce qui en est. On ne voulait pas oublier de vous le mentionner. Vous avez en main, probablement, plus d'experts que nous en avons en tant qu'organisme à but non lucratif pour pouvoir voir à ce problème.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, mesdames.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Je souhaiterais que vous m'indiquiez peut-être à la moitié du temps qui nous est dévolu pour que

Mme la députée de Marie-Victorin puisse également dialoguer avec nos invitées. Je vous salue Mme Bédard, ainsi que les personnes qui vous accompagnent. En vous écoutant, je me disais: Finalement, il y a une présomption de collaboration dans l'entreprise à 30 %, mais dans le fond, il y a une présomption de travail au foyer à 100 %. Je me suis mise à rêver d'un jour où on aura, dans nos lois, une présomption de travail au foyer partagée par les deux conjoints à 50 %. Disons que là ce serait peut-être vraiment ce qui serait innovateur. Ce qui me permet, dans le fond, de vous mentionner un peu la constatation que j'ai pu faire depuis le début de nos travaux, contrairement à l'opinion, peut-être, de bien de nos concitoyens. Il ne s'agit pas de mettre le Québec en avance sur ce dossier. Il s'agit surtout de corriger les retards que le Québec accuse à l'égard de ces questions.

Ce n'est pas là, sans doute, une opinion qui est encore celle, disons de la majorité. Mais les travaux de notre commission vont certainement permettre d'empêcher que ne se transmette ce retard qu'accuse le Québec en matière de droit économique des conjoints, en matière de partage. J'ai donc relativement peu de temps. J'aimerais profiter de votre présence pour connaître l'expérience que vous avez en matière de résidence familiale, parce que vous avez mentionné combien souvent vous avez fait valoir une sorte de harcèlement, en tout cas, des demandes que les femmes sont amenées à faire pour résilier finalement leur déclaration de résidence familiale. Vous l'avez mentionné à la page 8. Vous l'avez mentionné aussi à la page 16, je crois. Vous faites état, dans bien des cas, de pressions morales. J'aimerais vous en entendre parler.

J'aimerais également que vous nous indiquiez comment vous expliquez qu'il y ait progression du régime matrimonial en séparation de biens pour les femmes collaboratrices, contrairement à la progression du régime de société d'acquêts chez les jeunes couples qui se marient présentement. Ce serait sans doute intéressant de voir cela. Est-ce que chez les couples qui sont en entreprise, finalement, il n'y a pas - c'est ce que semblent dire, en tout cas, vos études - on ne retrouve pas plus fréquemment le régime de séparation et ce serait intéressant de savoir pourquoi, selon vous. Évidemment, j'aimerais beaucoup vous entendre plus longuement nous parler de l'enregistrement de la déclaration de statut de collaborateur. Je me rappelle le sommet - la première partie, enfin il n'y en a eu qu'une puisque la deuxième partie du sommet a été annulée - des droits économiques des femmes en juin 1985, où on était arrivées à presque se faire confirmer cette déclaration de statut de collaboratrices. Je me rappelle M. Duhaime, qui était ministre des Finances à l'époque et qui, un peu à son corps défendant, était quand même venu vous dire oui à un comité ministériel pour étudier la question. Où est-ce que cela en est? Est-ce que, depuis trois ans, cela n'a pas bougé?

Est-ce que vous avez encore comme objectif d'amener le gouvernement à reconnaître la nécessité d'une telle déclaration? J'aimerais vous entendre sur cette question. (11 heures)

Mme Bédard: Oui, nous en avons toujours l'intention. Nous pensons toujours à la nécessité d'une déclaration possible de statut pour les conjoints partenaires. Je dois dire, cependant, que même si nous n'avons pas encore obtenu la déclaration de statut, nous avons obtenu beaucoup de choses qui étaient demandées dans la déclaration de statut. Nous les avons obtenues d'une autre façon. À peu près tout ce qui regarde le statut de conjoint salarié, par exemple, parce qu'à l'intérieur de notre statut il y avait deux volets: conjoint salarié et conjoint partenaire, a été obtenu depuis le début, sauf le droit à l'assurance-chômage qui ne relève pas du provincial, mais du fédéral. D'autre part, dans l'autre partie, celle du conjoint partenaire, il y a là aussi beaucoup de points qui sont en progrès ou qui ont été obtenus depuis 1985. Mais il reste encore certains points à obtenir et nous continuons d'y travailler.

Mme Harel: Malgré cela, pour quel motif considérez-vous encore utile qu'il y ait une telle déclaration de statut collaborateur?

Mme Bédard: Parce que c'est une alternative à l'association ou à la compagnie telle qu'on la reconnaît dans le véritable domaine commercial. Chez nous, il s'agit d'entreprises familiales. Je sais qu'ils ont le droit de s'associer ou de se mettre en compagnie et nous encourageons nos gens à le faire. Mais s'ils ne veulent pas le faire, que ce soit pour des raisons économiques ou autres... Il peut y avoir d'autres raisons quand même, il y a toutes sortes d'entreprises chez nous. Il y a les entreprises, par exemple, où deux frères seront associés et seulement une des femmes sera collaboratrice de son conjoint, l'autre a un emploi à l'extérieur, et ainsi de suite. Il y a toutes sortes de situations où ce n'est pas si simple que cela. Donc, dans plusieurs cas, un statut serait utile.

Le Président (M. Jolivet): Mme Charest.

Mme Charest: Je pourrais peut-être ajouter un autre domaine où il n'y a absolument aucune possibilité d'association ou d'achat de parts, c'est encore le domaine des professionnels évidemment. La conjointe d'un professionnel ne peut pas avoir accès à l'entreprise de son mari, bien qu'elle y ait travaillé présumément à 50 % et peut-être plus. En plus, advenant le décès d'un conjoint professionnel, selon les professions, entre autres, si je prends un exemple particulier, dans la profession de la médecine dentaire, la conjointe a 90 jours à partir du décès du conjoint pour vendre sa pratique, chose que les acheteurs savent. Alors, cela se négocie mal, et après ce délai de 90 jours, nous devons retourner les dossiers à l'Ordre des dentistes qui, à ce moment-là, répartira les dossiers sur lesquels nos conjoints ont travaillé avec nous pendant des années, pour établir une clientèle, et répartira ces dossiers au prorata des dentistes et de la population du secteur mentionné. Alors, nous n'avons pas grand choix. ' C'est pour cela que la déclaration, pour nous, à ce moment-là, est autrement plus importante.

Le Président (M. Jolivet): Mme Bernard.

Mme Bernard: Mme la députée, dans ses prémisses, nous avait questionné sur la déclaration de résidence familiale, la résiliation. Il faut dire qu'à l'association, les premiers cas qui nous sont venus étaient du milieu agricole. C'étaient de femmes qui vivaient dans des entreprises agricoles, qui avaient besoin de négocier d'autres prêts d'amélioration ou de progression d'entreprise. À partir de ce moment-là, les institutions financières, aussi bien les banques, les caisses que le crédit agricole, demandaient aux femmes de résilier leur déclaration de résidence familiale. D'abord, la plupart des femmes ne l'avaient pas fait. Alors, elles se sont dit: Pourquoi me demande-t-on cela? Qu'est-ce qui se passe? Cela les a insultées, chatouillées. Elles ont dit: Ce n'est pas normal, si on gagne un droit d'un côté, celui de déclarer la résidence familiale, et qu'on me l'enlève dès qu'il arrive une négociation sur le plan financier à quoi cela me sert de l'avoir? Il faut comprendre que l'argumentation des institutions financières, à ce jour, est, en tout cas, celle qu'elles nous servent, de dire: II faut faire cela parce que cela nous prend des garanties pour les emprunts qu'on fait. Mais on sait très bien que les garanties sont souvent au-delà du montant qu'ils nous prêtent, dans le fond. Ils vont nous prêter un montant X, veut aller chercher plus de garanties et laisser cela longtemps, jusqu'à ce qu'on ait presque effacé notre dette. C'est une situation qui fait, pour nous, en agriculture et en affaires parce que je sais que cela se présente aussi pour les commerces, on en a eu des témoignages. C'est pour cela qu'on dit que la déclaration de résidence familiale, actuellement, pour une collaboratrice, c'est une espèce de couteau à deux tranchants. À la femme qui est prise là-dedans, le mari dit: Écoute, si tu ne fais pas cela, je n'ai pas d'emprunt. Il faut bien que tu fasses cela. Comme la femme a à coeur que l'entreprise progresse, parce que dans son esprit c'est autant à elle qu'à son mari, elle dit: Je ne peux pas ne pas le faire, il faut que je le fasse. Mais là, elle n'a plus de protection.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Je pense que monsieur... Le Président (M. Jolivet): Oui.

M. Leblanc (Donald): Pour parler de la question d'une déclaration de statut, si on en parle encore, et cela répond à la question de Mme la ministre sur l'unilatéral ou le bilatéral, l'aspect qu'on essaie de ne pas perdre de vue, c'est que ce que cherche l'ADFC, c'est un moyen qui serve de pression, d'une certaine façon, pour en venir à une entente entre les conjoints dans l'entreprise familiale. Dans une déclaration de statut, ce qui est différent de toute autre forme d'entreprise, c'est la possibilité qu'un conjoint puisse entreprendre une démarche pour venir à cela parce que contrairement aux autres associés en affaires qui vont en venir à dire: On s'assoit ensemble et on établit comment on fonctionne dans l'entreprise, les conjoints collaborateurs sont dans une situation de fait qui n'est pas nécessairement régularisée à la base. On se retrouve peut-être à ce moment-là dans une situation, de relation de travail que le gouvernement pourrait aider à régulariser. C'est pour cela qu'on cherche un instrument qui soit une déclaration de statut unilatérale ou bilatérale, mais qui serve de pression, pas d'étranglement envers le conjoint, qui serait peut-être un incitatif à la création d'ententes entre les deux conjoints. C'est peut-être dans ce sens qu'il faut concevoir la question à la base.

Le Président (M. Jolivet): Merci, M. Leblanc.

Mme Harel: J'imagine qu'il y a alternance, et on reviendra avec Mme la députée de Marie-

Victorin. Peut-il y avoir une cession volontaire sans qu'il y ait la fin du couple?

Mme Bédard: Certainement.

Mme Harel: Cela vous apparaît plausible qu'il y ait cession volontaire...

Mme Bédard: Je peux être malade et ne plus pouvoir travailler dans l'entreprise, pour une raison ou pour une autre. On peut m'avoir offert un emploi qui serait bon pour ma carrière et mon compagnon est d'accord pour que je saisisse cette occasion. Je peux avoir des enfants qui seront bientôt en âge de prendre la place dans l'entreprise. Mon mari peut alors comprendre que je veuille m'orienter différemment.

Mme Harel: Oui, Mme Bédard. Évidemment, c'est intéressant parce que vous avez cette expérience, mais on parle d'un cas où il y a cession volontaire, justement parce que le conjoint mari n'est pas d'accord. Sinon, cela peut se faire à l'amiable. Là, on parie d'une loi dans laquelle il y a une cession volontaire, une disposition qui est un droit, qui donne lieu à un recours. Ce recours peut être utilisé en situation où le mari est en désaccord et vous pensez qu'il peut y avoir un recours, que le recours peut s'exercer sans pour autant qu'il y ait la fin du couple.

Mme Bédard: C'est une situation hypothétique, c'est difficile de se prononcer, sauf que je pense que si on est rendus à ce moment-là où on ne peut vraiment plus travailler ensemble, peut-être peut-on continuer de vivre ensemble, mais si on ne peut plus se voir au travail et qu'on a travaillé ensemble pendant des années, il faut savoir si on peut continuer de se voir ailleurs qu'au travail. Sinon, je pense que c'est peut-être aussi bien de laisser faire.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marquette, il vous reste deux minutes, environ.

M. Dauphin: II reste deux minutes? Le Président (M. Jolivet): Pour vous.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. D'ailleurs, je suis fier de voir que vous occupez des fonctions que vous connaissez bien, que vous avez très bien connues sous un autre gouvernement. Il me reste une minute et demie, je vais passer directement à mes questions. Je les pose tout de suite toutes les trois. La première a rapport aux dispositions transitoires. Vous vous prononcez contre, vous dites que si on permet au couple de pouvoir renoncer à cette masse partageable, cela va atténuer l'objectif visé, c'est-à-dire une meilleure sécurité économique des conjoints. J'aimerais vous entendre là-dessus.

La deuxième question concerne la computation de la valeur de l'actif net dans l'entreprise. Vous nous dites, à un moment donné, que nous devrions prévoir, un peu comme on peut le faire en droit de la faillite, que toutes les transactions ayant eu lieu, dans un délai de six mois nous puissions les computer dans l'actif net de la famille. Ma question se rapporte évidemment à la preuve. Je présume que c'est à l'épouse à ce moment-là ou au conjoint de prouver que ces transactions ayant eu cours six mois avant la séparation ont été faites ni plus ni moins frauduleusement. Puisque si c'est dans le cours normal de l'entreprise, je verrais mal que l'on puisse prêter une mauvaise foi quelconque à la personne. Évidemment si on réussit à prouver que c'est de la fraude et que cela a été fait délibérément pour diminuer les actifs de la compagnie ou de l'entreprise, je serais entièrement d'accord avec vous.

Troisièmement, j'aimerais vous entendre sur les conjoints de fait. Plusieurs groupes nous en ont parlé. J'ai lu attentivement votre mémoire encore hier et je n'ai rien vu relativement aux conjoints de fait. Parce qu'une femme...

Mme Bédard: On va commencer par... Oui?

M. Dauphin:... peut avoir collaboré pendant 20 ans en n'ayant jamais été mariée et elle se retrouve vis-à-vis de rien au bout de 20 ans. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Le Président (M. Jolivet): Mme Bédard.

Mme Bédard: Je vais commencer par la dernière puisque vous avez cherché et que vous n'avez rien trouvé et je vais laisser les autres s'arranger avec les preuves tantôt.

Voyez-vous, nous sommes très mal prises avec les conjoints de fait. Quand nous avons travaillé sur notre projet de statut, nous avons interrogé des gens autour de nous et il y en avait, entre autres à la table des représentantes de différents ministères, qui nous ont dit: De grâce, laissez-nous tranquilles, nous les conjointes de fait. Quand nous voudrons être organisées par les lois, nous ferons comme vous et nous irons nous marier. Si on reste célibataires, c'est qu'on ne veut pas être réglementées par tous et chacun. Alors, s'il vous plaît, ne venez pas essayer de nous entrer dans vos histoires. On a donc dit: Oublions les conjointes de fait. Parce qu'au départ, on avait dit: Après trois ans, les conjoints de fait qui veulent faire reconnaître leur statut dans l'entreprise pourraient le faire. Alors, d'une manière, nous nous sommes dit: Nous allons appuyer l'idée du Conseil du statut de la femme qui dit: Ne réglementons pas les gens qui ne veulent pas l'être.

D'autre part, nous savons pertinemment que nous avons dans notre association même des femmes qui, sans le dire, vivent des situations de fait depuis des années, viennent à l'association et suivent nos activités avec l'idée de vouloir être protégées par ce qui protège les femmes collaboratrices. Alors je dois vous dire que nous nous sentons tout à fait assises entre deux chaises et je pense qu'il va falloir faire une enquête pour savoir ce que les femmes ou les couples veulent vraiment dans ce domaine-ià. Se prononcer ici dépasse notre compétence. Je ne peux pas me prononcer pour celles qui ne veulent pas ni pour celles qui veulent. Est-ce qu'il faut laisser libre choix au gens? Je ne le sais pas. Il me semble qu'une femme qui travaille dans l'entreprise depuis des années devrait pouvoir être protégée. Il est arrivé des cas tout à fait dramatiques à ce sujet-là. En Ontario Rosa Becker qui s'est suicidée l'année dernière, avait travaillé 25 ans dans l'entreprise, le tribunal avait reconnu en fin de compte qu'on lui devait tout dans cette entreprise-là et elle n'a rien eu finalement.

M. Dauphin:... pour celles qui veulent, je comprends très bien.

Mme Bédard: Mais, pour le moment, je suis obligée de vous dire cela. Je n'ai pas de mandat des autres officiellement.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Marie-Victorin.

Mme Vermette: M. le Président, j'aimerais savoir...

Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse. Le problème que j'ai, c'est le temps. Je suis limité par le temps. Je sais que vous aviez trois questions. Je sais que Mme Bernard voulait répondre à l'une d'elles. Je suis bien prêt à le faire, mais je dois dire que vous allez m'obliger à dépasser le temps de quelques minutes. Alors Mme Bernard, si vous voulez.

Mme Bernard: Je veux juste parler de la mesure transitoire à laquelle on s'oppose assez énergiquement, à savoir que cela devrait être effectif dès la déclaration de la loi. Je pense que nous sommes bien placées pour être capables de le dire parce que nous avons reçu des témoignages de femmes qui ont malheureusement connu des règlements très négatifs lors d'une séparation parce que, justement, le mari avait eu le temps de se placer les pieds et de s'organiser pour que la femme n'ait pas grand-chose à partager. De toute façon, actuellement la consultation est déjà, je pense, un message assez important pour les couples et beaucoup de gens seront à l'affût. Je pense que c'est déjà suffisant. Quand la loi sera adoptée, sait-on quand, est-ce pour le printemps, la loi? (11 h 15)

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Bernard: Même à ça, on ne veut pas de transition.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Marie-Victorin.

Mme Vermette: Je pourrais demander à la ministre si c'est pour le printemps les élections. On aurait peut-être votre réponse et votre projet de loi. En fait, cela fait partie des promesses électorales.

La question que je voulais vous poser est la suivante: Est-ce que la majeure partie des femmes collaboratrices participent à des régimes privés de retraite, participent-elles à des régimes où est-ce exclusivement un des deux qui participe à un régime de retraite généralement et, à ce moment-là, est-ce que vous considérez que ce bien fait partie du patrimoine, les régimes de retraite privée?

Mme Bédard: Nous n'avons pas de statistiques à ce sujet-là. Toutefois, je dois vous dire que c'est une recommandation que nous leur faisons de façon répétée, à savoir qu'elles, devraient justement participer à des régimes de retraite. Mais cela fait encore très souvent partie de... S'il reste de l'argent au moment des impôts, vous savez que c'est un bon moyen

d'épargner peut-être un peu d'impôts de prendre un régime de retraite pour monsieur ou pour madame. Mais je dois vous dire qu'actuellement encore 50 % des femmes collaboratrices sont absolument sans salaire. Alors, prendre des REER à ce moment-là est impossible.

Mme Vermette: Dans votre mémoire, vous souhaitez que la loi, dès qu'elle sera promulguée en fonction des nouveaux changements, soit applicable à l'ensemble, et non pas qu'on attende une période où on permette aux couples de changer, selon leur bon vouloir, leur état matrimonial. Vous dites même que, si on voulait, demain matin, changer pour une société d'acquêts et que les deux étaient d'accord, on serait perdantes parce que, finalement, ce qui s'applique, c'est à partir du moment où on signe la société d'acquêts. Donc les biens partent à partir de là et on risque de perdre beaucoup à ce moment-là. C'est ce qui fait que vous réclamez, j'imagine...

Mme Bédard: D'autres mesures, c'est cela.

Mme Vermette: Vous n'êtes donc pas pour des mesures transitoires de trois ans qui permettraient aux couples de s'entendre sur une nouvelle formule.

Mme Bédard: Non, c'est ça.

Mme Vermette: Vous voudriez que cela s'applique...

Mme Bédard: Tout de suite, comme c'est écrit dans le mémoire.

Mme Vermette: À un autre endroit, vous parlez d'envisager que de meilleurs contrôles soient exercés sur la masse des biens. Qu'est-ce qui se passe actuellement?

Mme Bédard: Actuellement, selon ce que beaucoup de femmes nous ont dit, au moment d'une séparation ou d'un divorce, il y aurait toutes sortes de moyens de frauder, je ne sais pas lesquels, je ne les ai pas étudiés, et de faire disparaître des biens au bon moment, de sorte qu'au moment du partage, tout à coup, il ne reste plus rien à partager, comme par hasard. Les femmes se retrouvent avec la moitié de rien, ce qui ne donne pas beaucoup de choses et c'est ainsi qu'elles se retrouvent au moment du divorce. De toute façon, je pense que ce fait était connu, on n'a pas eu l'air d'apprendre quoi que ce soit quand on en a parlé les premières fois. J'ai lu quelque part qu'on avait envie de bonifier tout cet aspect de la société d'acquêts de manière qu'il ne soit pas aussi facile de cacher des avoirs que l'on possède quand arrive le moment d'une séparation ou d'un divorce.

Mme Vermette: Est-ce vous avez envisagé certaines façons d'y arriver?

Mme Bédard: Non. Je ne connais pas les manières de frauder, alors je ne sais pas comment je pourrais les déjouer.

Mme Vermette: Ha, ha, ha! Vous parliez d'un tribunal de la famille qui favoriserait le partage. Considérez-vous qu'on ne donne actuellement pas nécessairement les bonnes indications permettant de prendre les meilleures formes de procédure quand arrive le moment de la dissolution d'un mariage ou d'un couple, surtout pour les femmes collaboratrices?

Mme Bédard: II nous semble que cela prend des gens spécialisés pour s'occuper de ces histoires-là qui présentent souvent toutes sortes de nuances. Il ne s'agit pas tellement de "judi-ciariser", c'est ce qu'on voudrait éviter. Un tribunal de la famille pourrait être composé d'un arbitre et d'experts de toutes sortes, de spécialistes des problématiques qui sont apportées devant eux, tant au point de vue de la collaboratrice que des enfants, du mari et ainsi de suite. Cette approche serait beaucoup plus simple et beaucoup plus humaine que de "judiciariser" toute la question.

Mme Vermette: Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre, pour terminer.

Mme Gagnon-Tremblay: Je sais, Mme Bédard, que lors du sommet économique que les femmes avaient tenu en 1985, vous étiez justement venues tout près d'obtenir cette fameuse déclaration de reconnaissance du statut et aujourd'hui, on se pose encore des questions.

Vous vous souvenez que lorsqu'on s'était rencontrées pour la première fois, je vous avais dit que j'avais horreur de donner aux femmes des ballons dégonflables, un peu dans le genre de la déclaration de résidence, et que c'était important d'approfondir davantage cette question. Je pense qu'on a évolué énormément. Comme vous le mentionniez, on a répondu à une bonne partie des demandes par toute autre mesure. Je dois aussi vous mentionner, vous êtes au courant, que le Secrétariat à la condition féminine, avec la Chambre des notaires sont à travailler, à des modèles de convention qui permettraient de commencer une démarche vers une reconnaissance de statut. J'aimerais pas mal mieux que les femmes accèdent à la propriété plutôt que n'avoir seulement qu'une reconnaissance de statut. Que les femmes, un jour, nos collaboratrices, puissent devenir de véritables copropriétaires, c'est finalement l'objectif qu'on vise. Lorsqu'on a accordé la prime d'établissement aux femmes, et aux conjoints maintenant, et qu'on l'a

augmentée, on s'est rendu compte des nombreuses collaboratrices qui avaient accédé à la propriété. Je pense que c'est quantité de gestes comme ceux-là qu'on doit poser pour améliorer la situation de la femme collaboratrice.

Je reviens quand même à cette déclaration, parce que vous en avez parlé dans votre mémoire. Si la déclaration unilatérale est seulement dans le but de faire une déclaration, une preuve comme telle qui pourrait être enregistrée dans un registre quelconque au bureau d'enregistrement, je me sens à l'aise avec cela. Par contre, si c'est une déclaration unilatérale, mais finalement, qui ne comporte aucun droit de gestion, aucune responsabilité dans le partage des dettes entre autres ou de choses comme celles-là, comme au tout début on l'avait abordée, c'est là que je me sens très mal à l'aise. Peut-être qu'on pourra continuer notre discussion à un moment donné, et dans le cadre de cette commission parlementaire soyez assurées qu'on va prendre bonne note de toutes vos recommandations. Je tiens à vous remercier de l'excellente présentation que vous avez faite du mémoire. Je tiens à remercier aussi les nombreuses femmes qui sont venues vous accompagner et vous appuyer pour ce projet, qui se sont déplacées de tous les coins du Québec pour venir vous entendre ce matin.

Mme Bédard: Merci, Mme la ministre.

Le Président (M. Jolivet): Alors, au nom des membres de la commission... Oui, Mme la députée de Maisonneuve vous voulez ajouter un dernier mot, allez-y.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Enfin, je veux vous féliciter et vous remercier de votre prestation devant nous. Vraiment, c'était très convaincant, votre façon. On comprend que vous avez une expérience accumulée de plusieurs années, alors vous êtes très à l'aise, finalement, toutes tant que vous êtes, pour défendre votre dossier.

Parmi la quantité de gestes encore à poser, je voudrais rappeler, notamment à Mme la ministre, que le mieux est souvent l'ennemi du bien, qu'à trop vouloir, on peut ne pas faire pour tout de suite et que, notamment, il y aurait des gestes concrets à poser: reconnaître comme acquêts les régimes privés de retraite, ce qui permettrait aux femmes collaboratrices de professionnels de ne pas être spoliées au moment où il y a partage et permettrait aussi de reconnaître, comme patrimoine partageable, les régimes privés pour que les femmes collaboratrices dans la dimension de leurs 100 % de présomption de travail au foyer, ne soient pas que là non plus écartées d'un patrimoine partageable. Il y a des gestes à poser.

Mme la ministre faisait référence à cette déclaration qu'elle avait faite, je pense, il y a un an, estimant qu'il ne fallait pas mettre en place de ballons dégonflables. Elle faisait référence aux mésententes qui peuvent survenir entre les conjoints. Je pense qu'il faut assumer la responsabilité qu'il y a encore des voies à ouvrir en matière d'égalité juridique et économique, qu'il ne suffit pas simplement de corriger des effets pervers ou des conséquences moins bonnes survenues de lois antérieures, mais qu'il faut innover. Il y a encore des manifestations patriarcales; une des manifestations patriarcales, c'est le travail au foyer qui incombe encore à 100 % aux femmes. En cette matière, le choix doit encore être un parti pris en faveur du conjoint le plus démuni, c'est-à-dire les femmes. Je vous remercie.

Le Président (M. Jolivet): Au nom des membres de la commission, merci Mme la présidente ainsi que votre collaborateur et vos collaboratrices de ce matin. J'invite les Femmes regroupées pour l'accessibilité au pouvoir politique et économique, Mme Danielle Debbas, à présenter le prochain mémoire.

À l'ordre, s'il vous plaît! Si les députés veulent reprendre leur siège. J'inviterais Mme Danielle Debbas et Me Marie Pronovost à faire la présentation de leur mémoire. Vous avez la parole.

Femmes regroupées pour l'accessibilité au pouvoir politique et économique

Mme Debbas (Danielle): Merci M. le Président. Mme la ministre, messieurs et mesdames membres de la commission, je tiens en premier lieu à vous remercier de nous avoir invitées à participer à ces audiences sur les droits économiques des conjoints car nous croyons fermement qu'une réforme du droit de la famille s'impose. Les injustices économiques dont les femmes mariées en séparation de biens sont les victimes nécessitent que le législateur québécois intervienne le plus rapidement possible à ce sujet. Il s'agit d'un dossier crucial exigeant une réforme en profondeur. De plus, c'est certainement un dossier qui tient à coeur la FRAPPE et je m'explique. Les Femmes regroupées pour l'accessibilité au pouvoir politique et économique qui est plus connu sous son acronyme FRAPPE et dont je suis la présidente a essentiellement pour but d'encourager, d'aider et d'appuyer les femmes, toutes les femmes, à investir le pouvoir politique et économique. Le rôle de FRAPPE est donc d'appuyer de toutes les manières possibles les femmes qui désirent relever le défi et prendre leur place à tous les niveaux du pouvoir politique et économique. (11 h 30)

Or, si nous voulons que les femmes, qui représentent 52 % de la population, soient présentes à tous les niveaux du pouvoir, nous nous devons de leur donner les moyens d'atteindre une indépendance financière et économique.

Nous n'avons pas l'intention de faire

aujourd'hui l'historique des différentes réformes québécoises en matière de relations matrimoniales. Ce sujet a été fort bien traité dans le document préparé par M. Herbert Marx, alors ministre de la Justice, et par Mme Monique Gagnon-Tremblay, ministre déléguée à la Condition féminine. Ils ont parfaitement cerné le problème.

Nous partageons votre point de vue à l'effet que le choix du régime conventionnel de la séparation de biens par les Québécoises et les Québécois est responsable du déséquilibre économique entre les patrimoines des époux à la fin du mariage. L'adoption par le législateur québécois en 1970 du régime légal de la société d'acquêts, établissant un partage égal et automatique de tous les biens que chaque époux a acquis pendant le mariage, à l'exception des biens propres, avait justement pour but d'assurer aux femmes une juste part des biens du ménage.

Malgré l'arrivée de la société d'acquêts, bien des couples ont continué à opter pour la séparation de biens. Ainsi, plus de 50 % des couples qui se sont mariés depuis 1971 sont régis par un contrat de mariage en séparation de biens. La popularité de la société d'acquêts commencera à prendre de l'ampleur au début des années quatre-vingt. En 1984, elle atteignait des niveaux records: 61 % des couples qui se sont mariés le sont en vertu de ce régime.

Comme vous le savez, les femmes sont malheureusement trop souvent victimes de bien des injustices. Celle que nous abordons aujourd'hui devant vous est certes sérieuse, mais n'est en fait qu'un exemple parmi tant d'autres de toutes les vicissitudes subies par les femmes dans une société faite pour répondre aux besoins des hommes. Les lois sont adoptées par une majorité d'hommes. Nos tribunaux sont composés majoritairement d'hommes également.

Il n'est donc pas étonnant que les lois soient faites en faveur des hommes et que les jugements des tribunaux les favorisent trop souvent. Cette absence de femmes au niveau des instances décisionnelles explique pourquoi elle sont si souvent brimées dans leurs droits. Nous n'avons pas l'intention de vous tenir un discours sur le féminisme, mais nous nous devions de vous rappeler que nous sommes encore très loin de l'égalité.

Cependant, nous devons admettre que sur le plan des relations matrimoniales, la cause des femmes s'est nettement améliorée depuis l'affaire Murdoch en 1975, volume 1, page 423 - c'est le rapport de la Cour suprême - où une conjointe ayant partagé sa vie pendant plus de vingt ans sur une ferme avec son époux ne s'est vue accorder aucune part de la ferme par les tribunaux. Cette triste histoire, ainsi que l'indignation qu'elle a soulevée chez le mouvement féministe canadien, est à l'origine des réformes concernant les relations matrimoniales adoptées par toutes les provinces canadiennes.

Avant de vous faire part de nos commen- taires sur la réforme proposée, j'aimerais signaler le court laps de temps alloué à la préparation d'un mémoire sur les droits économiques des conjoints. Un sujet aussi vaste et une question d'une telle importance nécessitaient beaucoup de réflexion. Il nous aurait fallu beaucoup plus de temps pour étudier cette question en profondeur et pour proposer une réforme adéquate. En conséquence, il ne faut pas s'étonner que notre mémoire n'aborde que dans les grandes lignes la réforme proposée. Nous n'avons donc pas la prétention de vous proposer une réforme, mais plutôt de vous signaler les grandes lacunes que nous avons relevées clans la proposition gouvernementale.

Avant d'aborder la proposition gouvernementale comme telle, permettez-nous de vous parler de la société d'acquêts. Il est admis de tous que la société d'acquêts est le régime matrimonial le plus équitable entre les conjoints. D'ailleurs, voici ce qu'en dit Ernest Caparros: "L'équilibre est parfait entre les époux en société d'acquêts, les deux ayant la même capacité et la même limitation quant aux dispositions entre vifs à titre gratuit des acquêts".

Quant à ses avantages, il les décrit comme suit: "Pour nous, la société d'acquêts, comme régime secondaire légal, est le régime qui convient le mieux au but du mariage et au contexte sociologique québécois. Elle rallie, en effet, les avantages des techniques de coordination des époux avec ceux du partage de biens, limité, d'ailleurs, aux seuls biens acquis pendant la vie commune à titre onéreux. "

Dans le document étudié, vous soulignez qu'il y avait trois voies d'orientation possibles quant à la manière de procéder pour mieux équilibrer les patrimoines des conjoints. Nos commentaires portent sur la deuxième voie possible, c'est-à-dire l'adoption de la société d'acquêts comme seul et unique régime matrimonial pour les époux québécois. Vous rejetez cette voie d'orientation pour respecter la tradition de liberté contractuelle québécoise. L'argument est certes de taille, mais nous croyons que cette voie d'orientation aurait pu être approfondie avant d'être rejetée. D'ailleurs, cette liberté des conventions entre époux est maintenant limitée par le régime primaire établi lors de la réforme de 1980 et auquel les époux ne peuvent déroger.

Le législateur québécois pourrait aller plus loin et imposer la société d'acquêts comme régime impératif. Nous croyons que les gens s'habituent graduellement à l'idée d'une plus grande intervention de l'État dans leur vie privée. Il nous semble parfaitement normal que les intérêts de la famille comme société priment les libertés individuelles. L'uniformisation des régimes matrimoniaux et l'adoption d'un régime légal impératif éviteraient plusieurs injustices.

Nous devons nous demander ce qui est le plus important: respecter la liberté contractuelle ou bien s'assurer que les femmes ne soient plus lésées lors d'un divorce ou d'une séparation de

corps. Il est évident pour nous de FRAPPE qu'aucune liberté, quelle qu'elle soit, ne doit brimer les femmes dans leurs droits. La société d'acquêts est le régime matrimonial le plus équitable en matière de partage et nous vous demandons de reconsidérer cette voie d'orientation possible. Cependant, il y aurait lieu d'y apporter des modifications concernant la qualification de certains biens. Il va sans dire que le choix de cette voie d'orientation déplairait à bien des hommes, lesquels sont généralement les plus économiquement munis dans un couple. Et là, nous ne vous apprenons rien. La popularité de cette voie expliquerait probablement la raison de ce rejet.

Quant à la proposition gouvernementale, c'est avec consternation que nous avons remarqué l'absence de fonds de retraite privés dans la constitution du patrimoine familial. Cette absence a pour effet d'amoindrir grandement la valeur de cette réforme, de limiter ses effets. Advenant le cas où la proposition gouvernementale serait adoptée sans que les fonds de retraite privés ne soient inclus dans le patrimoine familial, beaucoup de femmes séparées ou divorcées seraient, comme c'est d'ailleurs le cas actuellement, désavantagées économiquement lors du partage. De plus, l'attitude gouvernementale est contradictoire. D'un côté, pour favoriser une augmentation du taux de natalité au Québec, l'État accorde des avantages pécunaires aux couples désirant avoir un troisième enfant. D'un autre côté, en n'incluant pas les fonds de retraite privés dans le patrimoine familial, il oblige les femmes à travailler à l'extérieur du foyer le plus longtemps et le plus rapidement possible, car elles risquent de se retrouver fort démunies lors de la retraite.

Vous savez bien qu'une femme avec trois enfants à la maison risque d'être absente du marché du travail pour une période pouvant varier de cinq à dix ans. Les femmes n'ont donc pas le choix. Si elles ne veulent pas être pauvres lors de la retraite, elles devront limiter leur nombre d'enfants et retourner le plus tôt possible sur le marché du travail. Inclure les fonds de retraite privés dans le patrimoine familial permettrait aux femmes de choisir librement entre la vie au foyer et le travail à l'extérieur, sans être stressées en pensant à leur retraite.

Vous affirmez de plus que ces régimes de retraite ne possèdent pas un caractère familial, car ils ne sont pas utilisés dans le cours de la vie familiale. Prétendre une telle chose, c'est nier la raison pour laquelle l'un ou l'autre des conjoints investit dans un fonds de retraite. En effet, il est à notre avis indéniable que lorsque l'un des conjoints participe à un régime de fonds de retraite, c'est qu'il pense à la retraite du couple. Il s'agit bien d'un salaire différé. C'est pourquoi nous vous demandons de reconsidérer la proposition gouvernementale et d'inclure dans la constitution du patrimoine familial les fonds de retraite privés. D'ailleurs, dans les autres provinces canadiennes, les fonds de retraite font l'objet de partage, soit que les lois le prévoient expressément ou soit encore que les tribunaux les partagent dans leurs décisions.

Encore une fois, ne pas inclure les fonds de retraite privés comme des biens familiaux dans la réforme proposée aurait la conséquence d'en limiter sérieusement la valeur. Si la deuxième voie était choisie, choix de la société d'acquêts comme régime impératif, il faudrait déclarer acquêts les fonds de retraite privés.

Quant à la mesure transitoire à l'effet de permettre aux couples déjà mariés lors de la réforme de se soustraire à cette dernière en renonçant au partage du patrimoine familial dans les trois années qui suivront la mise en vigueur de cette réforme, nous la jugeons inopportune. En effet, advenant le cas où plusieurs couples mariés en séparation de biens se prévaudraient de cette mesure transitoire, cela rendrait la réforme inopérante face à trop de couples, et les femmes seraient encore lésées lors d'un divorce ou d'une séparation de corps. Nous vous recommandons de rendre la réforme applicable à tous les couples déjà mariés lors de l'entrée en vigueur de la réforme.

Relativement au pouvoir discrétionnaire accordé aux tribunaux, nous jugeons la formulation des cas d'intervention, concernant le partage par les tribunaux, trop vague. Ainsi libellée, la formule permet trop facilement à l'un ou à l'autre des conjoints de demander l'intervention du tribunal. De plus, il faudrait permettre à l'un ou à l'autre des conjoints de s'adresser au tribunal lorsqu'il juge que les règles de partage équivalentes proposées par l'autre conjoint lui semblent inéquitables.

En ce qui a trait aux autres énoncés de la proposition gouvernementale, et plus particulièrement ceux portant sur la protection de la résidence familiale et sur la prestation compensatoire, nous les jugeons valables. L'adoption de la prestation compensatoire en 1980 par le législateur québécois avait pour but de limiter les effets économiques désastreux pour les femmes mariées en séparation de biens lors d'un divorce ou d'une séparation de corps. Malheureusement, dans les faits, cette mesure s'est avérée inefficace, car les tribunaux ont interprété la prestation compensatoire de façon trop restrictive, et les décisions ont trop souvent été rendues en faveur des hommes. Nous pensons que les principes établis dans la proposition gouvernementale relativement à la prestation compensatoire permettraient de corriger toutes les inéquités subies par les femmes et que la création de la présomption est un correctif adéquat aux difficultés de preuve auxquelles devaient faire face les conjointes devant les tribunaux.

Pour terminer, nous aimerions vous rappeler qu'il faut garder à l'esprit, lorsqu'on envisage une réforme concernant les droits économiques des conjoints, le but d'une telle réforme: protéger les femmes. Actuellement, le divorce ou la

séparation de corps ne sont pas uniquement pour les femmes une difficulté psychologique, mais également un désastre financier. C'est pourquoi nous vous demandons de bien considérer nos recommandations, que nous jugeons essentielles dans la philosophie de cette réforme. Nous vous recommandons donc de reconsidérer la société d'acquêts comme régime impératif en tant que voie d'orientation possible, de tenir d'autres auditions publiques afin de faire valoir nos commentaires sur la société d'acquêts comme régime impératif, d'inclure les fonds de retraite privés dans le patrimoine matrimonial, de prévoir expressément les cas d'interventions par les tribunaux et d'annuler la mesure transitoire. Je vous remercie.

Le Président (M. Jolivet): Merci, Madame. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Debbas. C'est intéressant puisque vous êtes le premier groupe à aborder la question du régime de la société d'acquêts obligatoire. Vous êtes les premières intervenantes à nous faire part de cette solution. Si on devait adopter cette position de régime obligatoire de la société d'acquêts pour l'ensemble des couples au Québec, est-ce qu'à ce moment-là, elle serait rétroactive? Est-ce qu'elle s'appliquerait aux couples déjà mariés en séparation de biens actuellement ou s'appliquerait-elle seulement dans l'avenir? Que feriez-vous dans le cas inverse, c'est-à-dire si elle ne s'appliquait pas pour les gens mariés en séparation de biens? Quel traitement devrions-nous leur accorder à ce moment-là?

Mme Debbas: Si vous le permettez, Mme la ministre, je vais demander à Marie Pronovost de répondre à vos questions, puisque c'est elle qui est l'experte, qui est l'avocate et qui est l'auteur de cette recherche et du mémoire. Marie, si tu veux bien.

Mme Pronovost (Marie): Concernant l'application de la loi, nous aimerions que la société d'acquêts s'applique à compter évidemment de l'entrée en vigueur de la loi, sans effet rétroactif, et qu'on fasse comme on a l'intention de le faire pour les gens mariés en communauté de biens, pour des gens qui ont été mariés avant l'entrée en vigueur de la loi, soit qu'ils soient régis par les dispositions du Code civil qui étaient en vigueur et qui ont régi les autres régimes.

Mme Gagnon-Tremblay: Donc, ce ne serait pas rétroactif. Étant donné, par contre, que l'objectif visé dans notre document sur le partage des droits économiques est de corriger les inéquités de la séparation de biens actuelles, que ferions-nous pour arriver quand même à nos fins, à ce moment-là? (11 h 45)

Mme Pronovost: Vous voulez dire pour les gens...

Mme Gagnon-Tremblay: Qui sont actuellement mariés sous le régime de la séparation de biens. En fait, il faut remarquer qu'il y a deux façons de régler les inéquités actuelles, soit d'intervenir immédiatement dans les couples et dire qu'on a un certain partage des biens familiaux, soit de laisser aller les choses comme elles sont, et au fur et à mesure des années, pour les couples qui ont choisi ce régime, peut-être avec un peu moins d'informations, tout s'estompera graduellement, tout se réglera. Cela se réglera par soi-même, finalement. C'est pour cela, à mon avis, qu'il y a deux façons de le régler, et une des façons qu'on aborde ici, c'est le partage des droits. Si on devait à l'avenir assujettir tous les couples à une société d'acquêts obligatoire, qu'est-ce qu'on ferait pour régler les problèmes d'inéquité causés par le régime actuel de la séparation de biens?

Mme Pronovost: Je n'ai malheureusement pas étudié la question. J'ai vu que cela s'est fait dans d'autres pays, en Tchécoslovaquie, à compter de 1969, je crois; on a changé le régime pour une communauté pleine et immédiate, alors qu'auparavant cela n'existait pas. Je sais aussi que cela s'est fait en Californie, sans effet rétroactif, mais je n'ai pas vu ce qu'ils avaient fait pour les gens mariés avant l'entrée en vigueur.

Mme Debbas: On en entend un peu parler autour de nous. Je peux vous dire qu'il y a beaucoup d'hommes qui ont posé la question et qui paniquent drôlement, surtout ceux qui sont déjà divorcés et qui paient déjà. Ils sont très inquiets et ils nous ont demandé si on voulait que ce soit rétroactif ou pas. On comprend leurs craintes, mais...

Mme Gagnon-Tremblay: Mme Debbas, lorsqu'on parle de rétroactivité dans le document, ce n'est pas concernant la pension alimentaire. C'est sûr que sur le plan de la survie et de l'obligation alimentaire, on prévoit un délai de six mois sur une pension qui est déjà bien identifiée et que la personne reçoit. On lui permet tout simplement de se retourner lors des six premiers mois suivant le décès de l'ex-conjoint pour se replacer et s'organiser, finalement, parce qu'au bout de ces six mois, il n'y aura plus de pension alimentaire.

Par contre, pour les couples mariés en séparation de biens, cela ne leur donnera rien de plus. On règle le problème des couples futurs, mais on ne règle pas le problème des couples antérieurs. Cette proposition qui a été apportée ici, c'est vraiment dans le but de régler toutes ces inéquités causées par le régime de la séparation de biens.

Il y a une autre chose aussi. Vous savez

que notre tradition de contracter est très forte au Québec. Cela m'inquiéterait peut-être d'abolir les contrats d'une seule façon. Je pense que si on laissait beaucoup plus de souplesse et de liberté, peut-être que graduellement, on pourra en arriver à cela. Comme je vous le dis, à cause de nos traditions, ce serait peut-être beaucoup plus difficile de dire: À compter de maintenant, les gens n'auront pas à contracter. Vous savez, le partage des biens familiaux qu'on propose actuellement est un plus, face a la société d'acquêts. On améliore ainsi la société d'acquêts puisque dans la société d'acquêts, on partage 50-50. Mais, comme on le sait, dans le projet du partage des biens, généralement, ce sont à peu près tous les biens que possèdent les couples. À ce moment-là, on ne peut pas y renoncer. C'est un plus, à mon avis; c'est une amélioration au régime de la société d'acquêts, tout en laissant la liberté aux couples de régler leur situation autrement - je pense au régime de la séparation de biens - parce qu'il faut dire qu'il y a encore 40 % des couples qui adhèrent au régime de la société d'acquêts. J'ose espérer qu'ils ne le font pas tous de façon aveugle, au moment où on se parle, dans ces années-ci.

Est-ce que cela vous inquiète de changer cette tradition qui, à mon avis, serait très difficile à changer, pour complètement enlever cette liberté de contracter?

Mme Debbas: Personnellement, cela ne m'inquiète jamais de changer les traditions quand ces traditions sont injustes. Je pense que le Québec démontre, a démontré et continue à démontrer que nous sommes en avance sur bien d'autres pays dans beaucoup de lois ou de domaines concernant la condition féminine. Tant mieux si on devait encore une fois montrer que nous sommes à l'avant-garde. Si cela change certaines traditions qui sont injustes, faisons-le; nous ne ferons que prouver que nous sommes à l'avant-garde concernant la condition de la femme. Non, cela ne me dérange pas du tout.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Debbas.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Il me fait plaisir de vous saluer, Mme Debbas et Mme Pronovost. J'aimerais peut-être poursuivre dans la voie où l'on s'était engagées dans l'échange avec Mme la ministre. Est-ce qu'il ne serait pas souhaitable, dans le cadre de notre tradition civiliste, qui est d'une certaine façon unique en Amérique du Nord, qu'on trouve dans le cadre de cette tradition, dans cette culture civiliste qui est la nôtre, les moyens de rétablir les véritables équités économiques? C'est peut-être l'objectif qu'on peut se donner d'une certaine façon. C'est ce que je souhaite. Je ne crois pas que notre tradition civiliste soit par nature contraire à un rétablissement d'un rapport plus égalitaire.

Vous vous rappeliez peut-être qu'au moment du débat sur la réforme, phase I, si je peux m'exprimer ainsi, en 1979-1980, cette réforme était basée sur deux objectifs: le premier étant l'égalité totale des époux entre eux, et le deuxième étant le principe du respect de la liberté des personnes dans l'organisation de leurs relations familiales, en prenant en considération qu'entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et le droit qui affranchit. Dans cette tradition civiliste, on a aussi cette tradition que le droit peut affranchir. Je vous remercie et je pense que c'est très utile d'avoir mis en annexe la fréquence des mariages selon le régime matrimonial. On y voit très bien l'évolution depuis quinze ans des mariages en séparation de biens et en société d'acquêts. On y voit très bien qu'en quinze ans, c'est presque moitié moins de mariages en séparation de biens, pas tout à fait, mais vraiment presque 40 % de plus de mariages en société d'acquêts. Est-ce qu'il ne vaudrait pas mieux, dans un contexte comme celui-là, vraiment améliorer par exemple le régime de la société d'acquêts qui est déficient, puisqu'il ne considère pas comme acquêts, notamment, les régimes privés de retraite?

Mme Grassby, que vous connaissez sans doute, est venue hier après-midi et, à sa manière imagée, nous a vraiment bien campé la différence des cultures en disant: Au Québec, quand un fiancé propose à sa future épouse d'aller devant un notaire, elle considère que c'est une bonne chose à faire et qu'il prend ses intérêts à coeur. En Ontario, quand une future épouse se fait offrir cela par son fiancé, elle s'inquiète énormément et elle va voir un avocat. Cela dénote une différence assez considérable dans les comportements. C'est peut-être un peu caricaturé, mais ce n'est pas loin d'être assez vrai.

J'aimerais avoir votre point de vue sur la question des conjoints de fait. Si on regarde cela un peu par étage, est-ce que le régime de la société d'acquêts ne devrait pas être le plus complet, celui auquel on adhère, qui est vraiment la pleine et entière égalité économique entre les époux comme partenaires et en plus un régime primaire pour les couples qui décident de s'unir par la voie du mariage mais qui comprendrait un patrimoine partageable incluant, comme vous le souhaitez, les régimes de retraite privés?

Finalement, avez-vous réfléchi à toute la question de la progression aussi des conjoints de fait dans notre société? J'ai fait vérifier ce matin - et c'est confirmé à nouveau - auprès de Mme Hélène Généreux de Statistique Canada, à savoir qu'il y aurait 28 % des couples au Québec qui vivaient en union libre en 1985, comparativement à 23 % pour l'ensemble du Canada. Il s'agit du service des données de recensement de 1986. Alors il y a là une progression qui nous amène à chiffrer à environ 450 000, presque un demi-million, le nombre de couples en union de

fait. Évidemment, un certain nombre - pour ne pas dire plusieurs d'entre eux - ont des enfants qui ne jouissent pas d'une véritable protection au sens familial, qui ont une protection filiale, mais qui n'est pas familiale. Est-ce que vous avez réfléchi à tout cela? Qu'envisagez-vous pour cette réalité-là?

Mme Pronovost: Si tant de gens vivent en union de fait, il faut reconnaître que c'est probablement à cause des désastres financiers qui interviennent lors du prononcé d'un jugement de divorce. On a vu que plusieurs jugements rendus par les tribunaux démontrent que c'est habituellement un désastre financier pour le conjoint le plus économiquement faible et, dans la plupart des cas, ce sont majoritairement des femmes. C'est probablement pour ça que l'union de fait est si populaire.

Mme Harel: En fait, vous pensez que les femmes croient moins au mariage.

Mme Pronovost: Les femmes sont mieux renseignées sur les effets financiers désastreux du mariage qu'elles ne l'étaient avant.

Mme Harel: En vivant en société d'acquêts, elles ne sont pas finalement des victimes.

Mme Pronovost: C'est exact, mais il a fallu attendre le début des années quatre-vingt pour voir sa popularité grimper. Heureusement d'ailleurs, parce qu'il s'agirait, selon la doctrine du régime le plus équitable au Canada, celui qu'on possède et celui qui reconnaît l'association de deux personnes égales.

Mme Harel: Évidemment, le fait que les régimes privés de retraite ne soient pas considérés comme acquêts peut déséquilibrer d'une certaine façon leurs relations.

Mme Pronovost: Oui. D'ailleurs, on demandait qu'ils soient considérés comme biens partageables, peu importe la voie d'orientation que prendra le gouvernement. Les régimes de fonds de retraite privés qui constituent maintenant un nouveau bien, comme on dit en doctrine américaine, font partie de la richesse d'un individu, tout comme les polices d'assurances et les diplômes universitaires constituent maintenant la richesse d'une personne, contrairement à ce qui existait avant alors que c'étaient uniquement les biens traditionnels: immobiliers, actions de compagnies, et tout ça. La notion de biens et de richesse s'élargit maintenant et on pense que le patrimoine familial devrait inclure ces nouveaux biens que constituent les fonds de retraite. C'est un bien intangible. C'est sûr que ce n'est pas un bien qu'on utilise dans le cours normal du mariage, mais quand on investit dans un fonds de retraite privé, on se dit que c'est du salaire pour l'avenir, puisque cela remplacera le salaire. On sait très bien que, lorsqu'on a des enfants, on n'est pas là un certain laps de temps, ou on travaille à l'extérieur, mais à temps partiel. Il faut être réaliste: 65 % des femmes qui ont des enfants ne sont pas sur le marché du travail. Si elles le sont, c'est à temps partiel. Elles sont donc économiquement désavantagées parce que, pendant cette période-là, elles ne contribuent pas à un régime de fonds de retraite et, pendant ce temps-là, cela permet au conjoint sur le marché du travail de se tailler une meilleure situation professionnelle. On sait très bien qu'un conjoint moins actif à l'extérieur du foyer permet à son conjoint qui est à l'extérieur de gagner un meilleur salaire en le déchargeant des tâches ménagères et familiales. C'est pour ça qu'on juge équitable qu'une partie lui revienne, que ce soit un bien partageable, un bien matrimonial.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marquette.

Oui, Mme Debbas.

Mme Debbas: Je voudrais juste ajouter quelque chose concernant les conjoints de fait et revenir un peu à la présentation des femmes collaboratrices. Effectivement, si on adopte des lois et si on y met des structures favorisant l'union de fait, c'est presque un mariage. Où est la liberté puisque les couples ont choisi librement de ne pas se marier, puisqu'ils ne voulaient justement pas ces structures-là? Alors, c'est une problématique bien particulière et bien spéciale sur laquelle il faudrait, à mon sens, se pencher particulièrement, sans enlever cette liberté à ces couples. Il n'en demeure pas moins que la femme doit être protégée. Une femme qui vit dix ans avec un homme en union de fait, c'est tout comme si elle était mariée avec lui, parce qu'elle aura probablement travaillé d'une façon ou d'une autre à cette vie du couple et à la vie financière. Je pense qu'il faut s'y pencher de façon bien particulière.

Mme Harel: M. le Président, je vais profiter immédiatement de l'occasion, puisque ma compagne de Marie-Victorin va continuer, pour vous remercier. Je dois vous quitter. Le point de vue que vous exprimez est extrêmement intéressant, puisqu'il serait peut-être vraiment le temps, à l'aube de l'an 2000, de faire le point complet sur cette question qui est une réalité nouvelle depuis à peine 20 ans dans l'ensemble des sociétés industrielles et non pas seulement dans la nôtre, et de mettre un terme à cette espèce d'anarchie qui prévaut dans une série de lois statutaires qui diffèrent complètement sur la reconnaissance du statut de conjoint de fait. Je souhaite qu'on puisse avoir une commission parlementaire où on examinerait de très près une harmonisation dans les lois. Je vous remercie. (12 heures)

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. À mon tour, j'aimerais remercier et féliciter les représentantes de FRAPPE pour la présentation de leur mémoire et leur contribution à nos travaux. Je vais tenter d'aborder des points que nous n'avons pas abordés ensemble, sauf qu'on les a abordés avec d'autres groupes. Notamment, j'ai quelques petites questions relativement au pouvoir d'intervention du tribunal.

Vous nous dites, dans votre mémoire, qu'il serait préférable de baliser toute intervention du tribunal en matière de patrimoine familial lors d'interventions. Alors, est-ce que vous pourriez nous indiquer quel genre de balises nous devrions inclure dans un projet de loi afin que toute intervention au tribunal soit quand même restreinte? Est-ce que vous avez des idées...

Mme Pronovost: Oui.

M. Dauphin:... sur la façon de restreindre le pouvoir d'intervention du tribunal?

Mme Pronovost: Oui. On aimerait, tout simplement, que la proposition délimite les cas d'intervention vraiment à des cas exceptionnels afin que les conjoints ne puissent pas déroger à... Si on change la loi, c'est justement pour pouvoir protéger les gens des inéquités qui existent. Alors, si on permet à un des conjoints, pour un oui ou pour un non, de s'adresser aux tribunaux, ce serait là un pouvoir discrétionnaire qui sera beaucoup trop large. Il faudrait vraiment que ce soit pour des cas exceptionnels. On n'a rien libellé, mais on voudrait que cela se limite vraiment à des cas exceptionnels afin que les tribunaux n'appliquent pas de façon restrictive ou encore qu'ils fassent des partages qui pourraient être inéquitables face aux femmes. On sait très bien que la majorité des tribunaux sont composés encore d'hommes; malheureusement, nous sommes des humains, ce serait encore une source d'inéquités, comme l'a démontré l'application de la prestation compensatoire, surtout par la Cour d'appel du Québec. Les jugements ont lésé tellement de femmes, alors on ne voudrait pas que les interventions des tribunaux soient excessives.

M. Dauphin: On s'entend sur le fait que, dans certains cas... Je prends un exemple d'un couple qui se marie et où, un an et demi plus tard, cela ne fonctionne plus. Dans le cas d'une maison achetée avant le mariage, il n'y a aucun problème, cela s'applique à la valeur acquise ou à la plus-value. Par contre, dans le cas d'une automobile, par exemple, je prends l'exemple du monsieur qui a une Mercedes qui vaut 100 000 $, il se marie et un an après cela ne fonctionne plus, pour la Mercedes, on ne parle pas de valeur acquise, ni de plus-value; la valeur de la Mercedes est divisée 50-50. Ce sont des cas comme ceux-là où on prévoit...

Mme Pronovost: Oui.

M. Dauphin:... où je souhaiterais ardemment que le tribunal puisse mettre le nez là-dedans et dire: Cela n'a pas de sens, c'est une injustice flagrante. Là-dessus, je pense qu'on s'entend.

Mme Pronovost: Oui.

M. Dauphin: Mais vous n'aimeriez pas, effectivement, que les tribunaux en arrivent à créer une jurisprudence tellement serrée pour des raisons qu'on ignore et je comprends très bien votre point de vue.

Relativement aux mesures transitoires, on en a discuté avec le groupe qui vous a précédées tantôt. Vous également ainsi que la majorité des groupes, je pense, nous recommandent de ne pas avoir de mesure transitoire, c'est-à-dire que la loi sera effective, qu'il ne sera pas possible aux couples québécois de pouvoir y renoncer. Je crois que vous êtes aussi de cet avis. Encore une fois, le même raisonnement que je tenais tantôt, il peut arriver des cas où, effectivement, il n'y va pas de l'intérêt du couple ou même de la famille qu'un patrimoine familial existe. Je donne un exemple, celui d'un deuxième ou un troisième mariage avec des personnes qui possèdent leurs biens respectifs. Ils ne sont pas nécessairement intéressés à mettre cela dans un pool commun. À ce moment-là, au moins, avec ces mesures transitoires... C'est sûr que certains groupes nous ont dit qu'avec des pressions indues, dans la majorité des cas, c'est sûrement l'homme qui va demander à la femme: Viens avec moi chez le notaire, on va renoncer à cette affaire-là, cela n'a pas de sens; on est mariés en séparation de biens. Par contre, dans d'autres cas, il peut y avoir utilité... On ne peut pas présumer que tout le monde va être de mauvaise foi. Dieu sait qu'on sait qu'il va y en avoir sûrement, mais... Est-ce que vous verriez d'un bon oeil qu'on les maintienne? C'est sûr que vous proposez qu'on l'enlève, mais dans certains cas particuliers, moi,...

Mme Pronovost: On trouve que la situation actuelle a causé tellement d'injustices, d'inéquités face aux femmes, vous parlez de certains couples qui seraient lésés si on n'avait pas une telle mesure transitoire, mais on pense que les torts sont trop grands pour qu'une telle réforme ne s'applique pas à tout le monde. C'est la philosophie d'une telle réforme, le but d'une telle réforme c'est justement pour rendre les femmes égales aux hommes au point de vue du régime matrimonial, faire vraiment une association de deux partenaires égaux, cette mesure transitoire-là viendrait probablement trop léser de gens.

M. Dauphin: Comme vous dites, c'est sûr qu'on prévoirait une mesure rétroactive, ce qui

est quand même très rare dans nos lois. Par contre, je vous suis quand vous dites qu'il y a eu beaucoup d'injustices dans le passé. Il faut trouver une façon de régler ces injustices-là. Par contre, il y a certains couples qui de consentement et en toute connaissance de cause se sont mariés en séparation de biens justement pour pouvoir vivre une vie de séparation de biens. Ces gens-là qui, en toute connaissance de cause, ont voulu faire de leur union une vie en séparation de biens, on leur enlève toute possibilité dans notre régime de droits de pouvoir y renoncer.

Mme Debbas: Si vous permettez, effectivement en toute connaissance de cause, il y a eu des couples qui, comme vous dites, se sont mariés en séparation de biens mais on constate aujourd'hui que cette connaissance de cause était plutôt une connaissance de cause du côté du mari et que les femmes ne savaient pas, elles se fiaient à l'avis du notaire ou de l'avocat qui leur a préparé leur contrat de mariage et qui aujourd'hui se retrouvent dans des situations financières absolument désastreuses à cause de cette prétendue toute connaissance de cause.

M. Dauphin: Là-dessus je vous suis. Tantôt, je n'ai pas dit tout le monde, j'ai dit dans la majorité des cas. Effectivement je vous suis sauf que dans certains cas, laissez-m'en un, dans un cas.

Mme Debbas: Celui de la Mercedes à 100 ooo $?

M. Dauphin: À ce moment là! Ne serait-ce que celui-là?

Mme Debbas: On pourra peut-être vous en faire cadeau de la Mercedes, ce n'est pas grave.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Debbas: Cela ne court pas les rues vous savez, les couples avec des Mercedes à 100 000 $.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Marie-Victorin.

Mme Vermette: Merci, M. le Président. Effectivement, on essaie toujours... Il faut comprendre que la situation a énormément évolué, que parmi les femmes actuellement au Québec, il y a une nouvelle génération de jeunes femmes qui semblent davantage éclairées que certaines femmes et qui ont dû connaître certaines années où effectivement elles se fiaient énormément à la volonté du mari parce que pour elles c'était: Qui prend mari prend, en fin de compte, tout ce qu'il pouvait lui offrir, y compris le notaire. Je pense que c'était la meilleure garantie à ce moment-là pour beaucoup de ces femmes. Je crois que si on fait le débat à l'heure actuelle, c'est dans un premier temps pour essayer de corriger les inégalités qui s'étaient introduites à ce moment-là, au moment où la coutume se voulait de cette façon et se traduisait dans les faits au désavantage de la femme qui n'avait aucune autre solution qu'une séparation de biens. On lui disait: Écoute, si tu veux faire plaisir à ton mari, il est en affaires, tu n'as pas d'autres solutions, c'est la séparation de biens; si cela va mal un moment donné, il met les biens à ton nom, puis bon ça y est! Et naïvement la plupart des femmes, parce qu'elles y croyaient aussi et qu'elles étaient en amour, croyaient à cette situation et finalement signaient le contrat dans cette forme libellée. Aujourd'hui les jeunes femmes sont beaucoup plus averties et, quoiqu'elles soient plus averties, quelquefois elles s'en laissent passer. Malheureusement je crois qu'on l'a bien soulevé, nous ne sommes pas arrivées encore à vivre l'égalité juridique quoiqu'on en parle et que les femmes sont reconnues comme étant les égales de l'homme, je ne crois pas que pour ce qui est des faits c'est ce qui se passe encore à l'heure actuelle. On a juste à regarder sur le plan des emprunts quand les femmes sont en affaires; ce n'est pas tout le temps facile et ce n'est pas reconnu et les femmes qui sont bénéficiaires de l'aide sociale, allez voir si elles sont capables à un moment donné, pour élever leur famille, d'aller faire un emprunt à la banque, bon! Tout cela pour vous dire qu'on vit encore dans une inégalité sociale et qu'il faut, effectivement, trouver des formules qui favorisent cette égalité et qui permettent autant à la femme qu'à l'homme de pouvoir jouir pleinement de ce que représente cet apport à l'intérieur du couple pour favoriser l'équité du couple aussi et que c'est toujours autant l'un que l'autre. Quand on se marie, on dit: C'est pour le meilleur et pour le pire. Je me souviens de m'avoir fait dire, quand je me suis mariée: Ce qui est à toi est à moi, ce qui est à moi est à toi. Mais quand est arrivé le divorce, je me suis surprise à m'aper-cevoir que je n'avais plus grand-chose.

Donc, ce sont des choses qui existent encore dans notre société, même si nous sommes des femmes averties quelquefois, nous sommes prises au dépourvu.

Ce qui m'a frappé, c'est que 65 % des femmes qui ont des enfants demeurent à la maison, soit à faire du travail temporaire, ce qui veut dire que le régime des rentes aux femmes devrait être appliqué. Cela leur serait très favorable,. parce que c'est, pour une bonne partie, le seul revenu. À l'heure actuelle on ne pense pas aux contrats privés de régimes de retraite qui sont appliqués comme acquêts, mais même aussi si on choisit une autre forme de régime matrimonial, ceci veut dire que la femme est encore pénalisée. C'était une promesse du Parti libéral de faire en sorte que les femmes puissent participer au régime des rentes.

Les femmes travaillant au foyer ou qu'on

considère comme des travailleuses au foyer devraient participer au régime des rentes. Si, dans ce contexte, on pense que les femmes qui restent à la maison sont des travailleuses au foyer pour participer au régime des rentes, je considère que lorsqu'on arrive au régime de prestations compensatoires ou à quelque autre niveau, on devrait considérer les femmes comme des travailleuses. Donc, un apport au capital à 50 %, et non pas d'une façon aléatoire, des sommes ou des montants qu'elles devraient représenter en ce qui concerne le travail ou l'apport qu'elles donnent à l'intérieur de la famille.

Ceci m'amène à vous dire aussi que vous avez parlé des mentalités. On a dit qu'il ne fallait pas heurter les mentalités, que cela prenait énormément de temps et qu'il fallait échanger. Vous avez demandé une commission parlementaire. Est-ce que votre commission parlementaire ferait en sorte qu'on ferait davantage connaître que les sociétés d'acquêts ne devraient être que le seul régime contracté sur le plan matrimonial et que cela devrait être la seule façon?

Vous faites le souhait d'avoir une commission parlementaire. Est-ce que vous croyez que cela pourrait favoriser ou changer les mentalités, le fait d'en parler?

Le Président (M. Jolivet): Mme Pronovost.

Mme Pronovost: Justement, pour mieux parler de la société d'acquêts, on pensait qu'il aurait pu y avoir d'autres audiences et étudier cette voie, pour voir auprès de la population, auprès des groupes de femmes, auprès des juristes, auprès de sondages publics ce que les gens pensent d'un régime unique au Québec. On ne sait pas vraiment ce que les couples pensent d'un régime égalitaire ou d'un tel régime.

Mme Vermette: L'exercice que nous faisons à l'heure actuelle favorise cette démarche. Déjà là, on alerte un peu la population en ce qui concerne les changements. On a vu, hier, dans la presse ce que cela a donné quand on disait: On arrive à vouloir changer les régimes. Déjà, on sent qu'il y a des gens, surtout chez les hommes, qui réagissent un peu à cette éventualité et, tout de suite, on entend: II ne faut pas aller trop vite; il ne faut pas aller trop rapidement. Il y a des choses qui sont acquises et on les considère comme étant des acquis; il ne faudrait pas y aller rapidement. Cela nous semble vouloir aller un peu dans ce sens.

Vous disiez: Moi, si c'est à l'avantage des femmes, cela ne me dérange pas. On peut y aller rapidement; je trouve qu'on y est allé longtemps assez lentement. Donc, c'est peut-être à notre tour de brusquer un peu les choses. Ne croyez-vous pas que cela pourrait avoir des conséquences plus graves, à l'intérieur des mariages où on dit qu'actuellement les couples ont de la dif- ficulté à se marier ou que cela pourrait favoriser davantage l'union de fait et encore là on se retrouve devant un autre problème, enfin, la reconnaissance à l'intérieur de ces couples?

Mme Debbas: II y a des chiffres qui ont été publiés hier ou avant-hier dont malheureusement je n'ai pas le pourcentage exact, mais c'est concernant le nombre de divorces sur le nombre de mariages au Québec. C'était absolument épouvantable. Je pense que c'est un mariage sur trois qui finit par un divorce au Québec. C'est énorme. Donc, c'est un peu pour cela que je dis que, pour moi, s'il faut brusquer - dans certains cas, on peut brusquer les choses. Je pense que c'est un cas où il faut les brusquer, justement à cause de ce nombre très élevé des divorces. On ne peut plus se permettre d'y aller lentement. Il y a trop d'injustices et les femmes en pâtissent trop. Écoutez, la grande majorité des familles monoparentales ont à la tête une femme et la grande majorité de ces familles monoparentales qui ont à la tête une femme sont bénéficiaires de l'aide sociale. (12 h 15)

II y a donc des questions à se poser, 47 % des femmes vivent sous le seuil de la pauvreté. Il est temps, à ce stade-ci, de dire: On a essayé la méthode douce. On a essayé d'y aller doucement. Bon. On ne peut plus se permettre. Que voudrait-on? Que 60 % des femmes soient sous le seuil de la pauvreté. C'est ça? Parce que plus ça avance, plus le coût de la vie augmente, plus il est difficile de se loger, plus il est difficile de s'habiller, etc., la nourriture augmente, tout augmente. On doit, à ce stade-ci, prendre des mesures radicales même si cela peut choquer.

Mme Vermette: Une dernière question.

N'avez-vous pas peur, si on bonifie davantage les contrats de mariage, qu'on favorise davantage les femmes et que cela les maintienne dans un état de dépendance. Le plus important serait de favoriser le droit des femmes par des projets de loi.

Mme Debbas: Je m'excuse, mais je ne vois pas du tout comment en accordant l'autonomie économique aux femmes, cela va les mettre dans une situation de dépendance. Toute la problématique de la condition féminine, c'est justement que les femmes n'ont pas l'autonomie financière et elles dépendent de leurs maris ou du gouvernement quand elles sont bénéficiaires de l'aide sociale. En leur donnant la possibilité d'être autonomes financièrement, en ayant des biens, en ayant un revenu qui leur est dû pour diverses raisons, je ne vois pas en quoi on va les soumettre à une dépendance. Au contraire, il me semble qu'on les libère de cette dépendance.

Le Président (M. Jolivet): Merci. Mme la ministre, pour terminer.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Debbas et Me Pronovost. Ce que je retiens de votre intervention, c'est que vous souhaitez avoir un régime obligatoire de société d'acquêts. Vous n'avez pas eu le temps de vérifier ces implications, entre autres sur le but visé par notre document qui était finalement d'apporter une certaine égalité entre les conjoints avec un partage de biens, de même qu'aussi certaines inéquités qu'il serait souhaitable d'apporter face à un régime de séparation de biens. Je vous ai fait part de mon inquiétude au sujet des restrictions à la liberté de contracter parce que la liberté de contracter, ce n'est pas le fait des hommes seulement. Beaucoup de femmes désirent conserver cette liberté de contracter et j'en suis une aussi.

Donc je pense que tout ce volet, compte tenu du temps, si je comprends bien, qu'on a mis à votre disposition pour préparer votre mémoire, vous n'avez pas eu suffisamment la possibilité d'étudier à fond la question de la rétroactivité, entre autres, pour ces couples. Je prends bonne note de tout cela. Nous allons poursuivre, avec les autres intervenants, et soyez assurées que votre mémoire sera quand même pris en considération. On vous remercie de votre intervention et de votre présentation.

Le Président (M. Jolivet): Merci au nom des membres de la commission. Je suspends les travaux jusqu'à 14 h 30.

(Suspension de la séance à 12 h 18)

(Reprise à 14 h 41)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Cette commission des institutions reprend ses travaux. Nous poursuivons, en effet, les auditions concernant le document intitulé "Les droits économiques des conjoints" rendu public par le ministère de la Justice ainsi que par la ministre déléguée à la Condition féminine.

À l'horaire de cet après-midi, nous avons devant nous les représentants de la Tribune unique et populaire d'information juridique inc. Nous entendrons, par la suite, Me Roger Comtois; nous terminerons l'après-midi avec le Réseau d'action et d'information pour les femmes.

Une période de 60 minutes est consacrée à chacun des groupes: 20 minutes pour une présentation aussi succincte que possible de votre mémoire, que nous avons bien reçu et que les membres de cette commission ont déjà en leur possession, et 40 minutes pour discuter avec les membres de la commission.

Je demanderais au président de la Tribune unique et populaire d'information juridique inc., Me Pierre Blais, de bien vouloir nous présenter la personne qui l'accompagne et, également, d'enchaîner avec la présentation de son mémoire.

Tribune unique et populaire d'information juridique

M. Blais (Pierre): Bonjour, M. le Président. Je suis accompagné du directeur général de la corporation, Me Richard Maroist, avocat. Quant à moi, je suis président de la corporation, notaire de mon état.

Vous avez tous pris connaissance du mémoire - il est inutile d'en refaire la lecture - cependant, il y a quelques commentaires qui n'apparaissent pas en appendice ou à la fin de l'ouvrage. Nous avons fait un rappel historique et nous avons donné la situation actuelle des divorces. Nous avons constaté, au cours de nos recherches statistiques et empiriques, que le phénomène de la paupérisation des femmes s'accroît au lieu de diminuer, des femmes évidemment mariées sous la régime matrimonial de la séparation de biens. Nous avons remarqué également, nonobstant toutes les statistiques qui nous tombent dessus, qu'on ne peut pas dire que les femmes ou les gens choisissent davantage le système de la société d'acquêts plutôt que celui de la séparation de biens, pour le simple fait que lorsque les gens s'abstiennent de se rendre chez le notaire pour rédiger un contrat de mariage, ils sont automatiquement régis par la société d'acquêts. Ce n'est pas toujours un choix qui est bien conscient et éclairé. Je pense que d'autres groupes se sont exprimés là-dessus, mais nous voulons le redire, étant notaires de notre état, comme on l'a dit.

Donc, les gens qui se rendent chez le notaire, à l'heure actuelle et encore en 1988, choisissent, en majorité, le régime de la séparation de biens, mais nous devons déplorer le rôle des notaires dans ce choix-là. Les notaires qui devraient être des agents sinon de changements sociaux, du moins d'évolution sociale, beaucoup d'entre eux négligent de donner toute l'information pertinente sur les régimes matrimoniaux.

Si nous amenons ce commentaire, c'est pour bien faire comprendre à la commission que, selon nous, le régime de la séparation de biens n'est pas le pire régime qui soit, mais il doit être, dans son état actuel, modifié parce qu'évidemment le devoir de conseil principalement joué par les notaires n'est pas pleinement rempli et nous expliquerons pourquoi tout à l'heure.

Le terme d'abord, vous l'avez tous lu, séparation de biens. Dans l'esprit de la population en général, séparation de biens veut dire que l'on sépare les biens, ce qui, évidemment, dans les faits juridiques n'est pas le cas. Il faudrait à notre sens même non seulement réviser la loi sur les contrats de mariage en séparation de biens mais la terminologie pour que l'on change cette appellation de séparation de biens avec un terme plus adéquat, un terme dont nous laisserons le choix à la commission parlementaire ou à l'Assemblée nationale. (14 h 45)

La clause au dernier vivant les biens, plusieurs personnes confondent cette clause avec le contrat lui-même. C'est donc dire, encore hier, nous avions deux conférences, une à Loretteville et une à Québec, et nous nous sommes rendu compte que les gens disaient: Moi, j'ai un contrat au dernier vivant les biens. Je suis protégé automatiquement. Je suis assise sur le béton armé. Et quand nous expliquions aux femmes sur quel terrain mou elles se trouvaient, c'était presque des réactions de stupeur et de panique que nous avions en face de nous, parce que les femmes réalisaient bien que cette clause, qui dit qu'au dernier vivant appartiendront tous les biens, pouvait être révoquée en tout temps unilatéralement par une des parties au contrat dans le secret de l'étude professionnelle du notaire. Alors, on comprend que ces termes-là ou ces expressions-là induisent les gens en erreur.

La durée de la vie commune aussi. Nous redonnons ces points saillants-là parce qu'à notre avis ils sont déterminants dans les erreurs communes qui se répandent dans les couches les plus faiblement protégées de la population. Bien des dames pensent qu'en ayant vécu 20 ans ou 30 ans avec un mari, avec une famille, ou s'étant dévouées corps et âme aux biens de la famille, elles sont, par le biais de je ne sais trop quelle fiction de droit, protégées dans leur personne et dans leurs biens, ce qui n'est pas le cas du tout, vous le savez tous. C'est ce qui explique notre présence aujourd'hui. Mais sur cela malheureusement, on n'a pas autre chose à faire qu'une constatation négative et le seul remède positif qu'on pourra apporter à cela, eh bien, cela sera évidemment de changer la loi dans un sens de partage des biens équitables, des biens de la famille entre les deux conjoints.

Les autres régimes matrimoniaux. Souvent, par comparaison avec d'autres femmes qui sont mariées sous des régimes matrimoniaux différents, évidemment nous avons les deux autres grands régimes qui sont premièrement la société d'acquêts et la communauté de meubles et acquêts, des dames en séparation de biens qui ont gagné leur procès ou leur cause pour différents motifs allant de la bonne volonté du mari tout simplement à la bêtise humaine, vont se penser protégées par analogie par rapport à d'autres femmes qui vont vivre la même situation, qui s'apprêtent à la vivre ou qui pensent peut-être un jour la vivre et qui disent: Ma voisine est en séparation de biens, elle a gagné, j'ai donc quelque chose à faire. Or, selon nos critères jurisprudentiels les plus récents, il appert que, quand on se rend à la Cour d'appel avec des gens qui sont mariés sous le régime conventionnel de la séparation de biens, on ne reconnaît pas, légalement et de facto, le travail domestique des femmes au foyer. On ne peut pas le reconnaître. Ce serait jugé en équité, alors que nos tribunaux doivent interpréter les lois existantes. Nos lois existantes ne reconnaissent pas la valeur du travail des femmes au domicile. Ce qui est, à notre sens, un ana- chronisme historique et social qu'il faut corriger de façon urgente.

Dans les récents changements de la loi, nous avons également remarqué que la déclaration de résidence familiale induit énormément de femmes en erreur en les confortant dans l'idée tout à fait floue et imprécise que cette déclaration de résidence familiale empêche leur mari ou leur conjoint - quand nous disons femme, comme nous le disons dans notre mémoire à la fin du texte, cela implique aussi le masculin et vice-versa, sans vouloir être sexistes -... les dames croient qu'elles sont protégées contre toute atteinte en ayant enregistré une déclaration de résidence familiale. On s'aperçoit que, évidemment, quand intervient un divorce, cette inscription à l'index aux immeubles peut être radiée, peut être levée techniquement assez facilement. Donc, tout ce que la déclaration de résidence familiale a fait et a pour effet c'est d'empêcher le mari d'hypothéquer ou de vendre la résidence familiale sans le consentement de l'épouse, mais avec quelques procédures judicieusement dosées on réussira à passer outre à cet obstacle.

La Régie des rentes, également, diffuse dans le grand public des documents qui portent à confusion. Quand elle dit: En cas de divorce on partage moitié-moitié, c'est comme si elle disait, dans les cas de divorce, tout se partage moitié-moitié, alors que c'est un document qui émane de la Régie des rentes. Il faudrait que ce genre d'information pernicieuse et tendancieuse ne soit, à tout le moins, pas véhiculée dans le public ou qu'elle soit amendée pour refléter réellement ce qu'elle veut véhiculer comme message. Elle semble donner plus que ce qu'elle promet effectivement.

La prestation compensatoire, nous n'en parlerons que très peu, parce qu'il faut alors prouver un enrichissement de la cellule familiale par l'épouse. L'épouse qui demeure au foyer est évidemment déjà, au départ, désavantagée par cette situation. Nous, nous proposons des changements à cet état de fait, parce que, face aux injustices qui se vivent, face aux cas flagrants de dames et d'enfants, de familles complètes qui sont jetées à la rue parce qu'elles n'ont pas de protection légale, nous proposons que certains biens, premièrement, soient identifiés comme étant des biens de la famille. Le Code civil devrait donner une définition - comme la nouvelle loi ontarienne le fait d'ailleurs - ou cette nouvelle loi devrait donner une définition de ce que sont les biens de la famille. Dans notre mémoire, dans notre proposition qui circule en ce moment un peu partout dans la province de Québec, nous mettons évidemment au premier chef, comme premier bien inaliénable de la famille, la résidence familiale. Ensuite, viennent l'automobile ou les automobiles de la famille. On comprendra évidemment que, quand il y a seulement une automobile, il sera question d'un partage ou d'un rachat de moitié indivise, mais ce sont des considérations techniques qu'il

appartiendra au législateur de détailler. Les meubles meublants et les effets d'un ménage qui garnissent la résidence familiale devraient être évidemment au premier chef des biens de la famille. En ce qui concerne l'entreprise familiale, il est surprenant de constater que beaucoup d'entreprises familiales ont une envergure assez considérable. On pensera aux nombreuses fermes ou entreprises agricoles sur lesquelles les dames s'échinent et s'évertuent à travailler du jour, à partir de très bonne heure, jusqu'au soir. Cela vaut parfois jusqu'à 500 000 $ ou même 1 000 000 $.

Alors, il faudrait que, quand le conjoint qui n'est pas propriétaire ou, même s'il l'est, a travaillé dans cette entreprise, on lui reconnaisse le droit au partage de la juste moitié de cette entreprise familiale. Il y a, à part les fermes ou les entreprises agricoles, toutes les entreprises qu'on connaît dans nos cités et villes: dépanneurs, garages, etc. Maintenant, les femmes ne font plus que de la dentelle. Évidemment, si les vénérables membres de cette commission ne le savent pas déjà, les femmes vont maintenant jusqu'à travailler dans des emplois qui étaient traditionnellement réservés aux hommes et qui ne sont pas toujours physiquement très faciles. Mais, les femmes ont maintenant accès à tous les types de travaux ou à peu près. Donc, il me semble que les entreprises familiales qui sont administrées ou dans lesquelles les femmes travaillent à moitié devraient être considérées comme des entreprises appartenant à la famille.

Les fonds de retraite. Les fonds de retraite, dans plusieurs cas, dans plusieurs compagnies ou même les fonds de retraite des vétérans, etc., sont considérés comme des institutions intuitu personae, c'est-à-dire qu'elles sont rattachées à l'individu ou à la personne qui en jouit ou qui en retire les bénéfices. Nous croyons que, hormis les cas de fonds de retraite qui sont déférés pour cause vraiment personnelle, et je parlais sciemment des fonds de retraite des anciens combattants parce que, évidemment, on ne voudrait pas qu'un conjoint vienne partager dans un fonds de retraite qui a été conféré parce qu'il y a eu vraiment un service de sa personne à l'État. On pense que tous les autres fonds de retraite privés et gouvernementaux dans lesquels il est obligatoire de cotiser devraient être rattachés, au premier chef, à la famille, en proportion des années pendant lesquelles les conjoints ont contribué, par leur travail à domicile, à enrichir ces fonds de retraite-là au profit d'un seul des deux conjoints. Cela se rattache directement à nos articles actuels du Code civil qui disent bien que - et dans nos contrats de mariage, nous, les notaires, nous le reproduisons presque toujours - les conjoints doivent participer en fonction de leurs facultés respectives aux dépenses et aux charges de la famille. Dans nos contrats de mariage nous allons même au-delà, nous ajoutons que les conjoints peuvent toutefois s'acquitter de cette obligation légale par leur travail au foyer. Si donc, on reconnaît déjà ce fait dans nos conventions authentiques et même dans la loi, pourquoi ne pas le dire dans une loi amendée qui serait plus humaine pour la famille?

Je ne jouerai pas du violon inutilement en mentionnant des cas très pathétiques de femmes et d'enfants qui sont jetés a la rue, mais ces cas se vivent quotidiennement et ils nous ont été signalés à plusieurs reprises, à tout le moins à chaque fois que nous présentons une conférence sur les objectifs que nous visons pour le bien-être de la population en général. Parce que vous savez que notre corporation est une oeuvre de charité, d'abord, qui a pour but de diffuser des informations juridiques à la plus grande couche de la société possible. Eh bien, nous croyons que nous poursuivons des objectifs qui s'inscrivent dans l'état actuel du droit et dans l'état de révolution sociale que nous voulons vivre au Québec. Et, pour ne pas être à la remorque des lois des autres provinces, nous suggérons ces amendements à la loi. Et comme le législateur ontarien l'a fait - et ce n'est pas dit dans notre mémoire, du moins pas clairement ou de façon moins évidente - nous suggérons fortement au législateur de laisser une porte ouverte à l'appréciation des tribunaux pour pouvoir sanctionner des cas où il pourrait y avoir de l'abus. C'est donc dire que dans cette modification que nous demandons à la loi, il devrait y avoir une large place laissée à l'appréciation des tribunaux pour les cas d'abus où des conjoints en marieraient d'autres sachant au départ que, nonobstant le fait qu'ils sont mariés sous le régime de la séparation de biens, ils pourraient au bout de quelque temps, même d'à peine quelques mois, se voir attribuer la moitié de tous les biens de la famille qu'un des conjoints possédait au départ. Il me semble que si c'était fait dans ce but-là, ce devrait être sanctionné par les tribunaux pour éviter les abus. Comme le législateur ne pourra jamais tout prévoir, je pense qu'on devrait laisser une certaine discrétion à nos tribunaux d'apprécier, cas par cas, s'il y a eu, effectivement, des abus par rapport à cette loi, donc de permettre qu'un conjoint qui voudrait abuser d'une situation ou qui n'a vraiment pas été productif dans l'enrichissement de la famille, se voie refuser l'accès au partage égalitaire des biens de la famille.

En conclusion, sachant fort bien que plusieurs groupes présenteront des mémoires avec des teintes un peu différentes, mais que le coloris général va demeurer le même, nous demandons à l'Assemblée nationale de bien vouloir, par le biais de cette commission, amender la loi dans le sens d'un partage équitable et universel des biens entre les époux mariés sous le régime conventionnel de la séparation de biens.

Est-ce que Me Maroist aurait d'autres commentaires à ajouter?

Le Président (M. Jolivet): Merci, Me Blais. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Blais, de votre présentation. J'aurais quelques brèves remarques préliminaires avant de vous poser certaines questions. À vous voir défendre la cause des femmes, j'aurais pratiquement le goût de vous embaucher à la Condition féminine. Par contre, je trouve que vous avez une piètre opinion du rôle que jouent les notaires, qu'ont joué les notaires ou que doivent jouer les notaires en ce qui concerne l'information qu'ils donnent ou qu'ils doivent donner quant au choix d'un régime matrimonial. Vous dites souvent: Les femmes pensent qu'elles sont protégées; elles ne le sont pas; on croit qu'en séparation de biens, cela veut dire 50 %-50 % des biens. J'ai toujours pensé que, séparé de biens, c'est... Je ne sais pas. C'est sûr qu'il y a sûrement des personnes qui sont moins bien formées que d'autres. C'est peut-être vrai aussi que dans les années cinquante et soixante, les notaires n'ont peut-être pas donné toute l'information qu'on aurait peut-être dû donner. C'est peut-être aussi parce qu'on ne connaissait pas suffisamment la Loi sur la faillite et qu'on incitait davantage les gens à se marier sous le régime de la séparation de biens. Je pense quand même que les notaires, aujourd'hui, ont ce rôle à jouer et qu'ils le jouent effectivement. Surtout avec la venue du régime de la société d'acquêts en 1970, je pense qu'on est en mesure de bien faire la part des choses et on se rend compte, d'ailleurs, que davantage de couples se marient en société d'acquêts plutôt qu'en séparation de biens.

Je dois aussi vous dire que lorsqu'on parle d'information et qu'on dit: Les femmes pensent que, je serais surprise de savoir que "les hommes pensent que" aussi, parce que, à mon avis, les hommes ne sont pas plus informés que les femmes. Vous savez, quand on se marie et que cela va bien, on se préoccupe très peu de son régime matrimonial et, au-delà des bons conseils qu'aurait pu donner le notaire, quand on fait un choix, on s'imagine toujours que cela va bien. Par contre, tant et aussi longtemps que cela va bien, à ce moment-là le notaire a donné de bons conseils, mais, au moment où cela va moins bien et qu'on va chercher au fond de son tiroir son contrat de mariage pour voir ce qu'il renferme effectivement, là, le notaire a peut-être donné de moins bons conseils pour une des parties. Tout ça pour vous dire, par contre, que je pense que la question d'information ne sera jamais suffisamment complète, mais je serais quand même très surprise de connaître aussi la quantité d'hommes qui ne connaissent pas plus, non plus, leur régime matrimonial, les conséquences ou les obligations de leur régime matrimonial. (15 heures)

Concernant l'entreprise familiale, vous dites que, pour vous, elle devrait être incorporée dans le partage des biens familiaux, si la personne, la conjointe ou le conjoint, y travaille régulièrement. Avez-vous pensé, par contre, à ce qu'on fait si elle n'y travaille que partiellement, si elle n'est qu'à temps partiel? On ne semble pas avoir pris en considération la durée de la collaboration. Pour vous, si la femme travaille régulièrement, on l'inclut dans le patrimoine, mais, si elle n'y travaille que partiellement, on l'exclut? Est-ce ce que vous entendez?

M. Blais (Pierre): Je laisserai à Me Maroist l'opportunité de répondre.

M. Maroist (Richard): Concernant l'entreprise familiale, vous vous êtes sûrement rendu compte, à la lecture de notre mémoire, qu'on voudrait que le tribunal ait une discrétion. Alors, cela ferait partie de la discrétion.

On dit que le régime de base, c'est moitié-moitié, mais le juge peut dire si, dans tel cas, ce n'est pas la moitié, c'est aussi simple que ça, comme cela se fait en Alberta et en Ontario. Si l'homme est vraiment capable de prouver que la femme n'a travaillé que partiellement, le juge dira: Dans ce cas-ci, c'est seulement le huitième de l'entreprise qui va à l'épouse, alors que c'est la femme qui a actuellement le fardeau de prouver. On veut, dans certains cas, que ce soit l'homme qui ait le fardeau de prouver. Quand cela fait 25 ans que la femme se privé, qu'elle travaille peut-être à temps partiel, comme vous le dites, dans l'entreprise, dans un dépanneur ou sur une ferme, par exemple, je pense que la base de tout devrait être moitié-moitié et que c'est le juge qui décidera si, dans tel cas, ce n'est pas la moitié. Je pense que le juge sera assez intelligent pour déterminer, dans un cas précis, si ce n'est pas la moitié.

Je vais revenir à ce que vous disiez tout à l'heure: Les femmes pensent que. Vous n'êtes pas sûre de ça, mais moi, j'en suis sûr. J'en fais des séminaires - encore hier, on en a fait deux et on en fait encore un ce soir - et je vous assure que les femmes ne sont pas au courant. Vous me dites que vous voudriez savoir combien d'hommes ne sont pas au courant et je suis d'accord avec vous: les hommes ne sont pas plus au courant que les femmes. Malheureusement, ni l'un ni l'autre ne sont au courant, mais l'homme est avantagé par son ignorance autant que la femme est défavorisée par son ignorance. Si on prend cela comme argument pour dire que ce n'est pas la moitié, je trouve qu'on manque le bateau, parce que ce n'est pas parce que l'homme n'est pas au courant autant que la femme qu'il faut dire: Non, on ne change pas la loi; personne n'est au courant de toute façon. Malheureusement, personne n'est au courant, mais c'est l'homme qui a l'avantage en fin de compte. Quand on voit une femme qui vit depuis 30 ans avec le même homme, qui travaille pour élever ses enfants et que l'homme dit: Wo, c'est fini là. Je prends une petite jeune et toi je te sors dehors. Je ne trouve pas cela correct du tout.

Je pense que cela s'impose le partage moitié-moitié et, comme on l'a dit dans notre mémoire, ce sera au juge de décider si dans certains cas ce ne sera pas la moitié. Il s'agit de laisser la discrétion au tribunal. On part avec un régime de base et le tribunal décidera si dans certains cas cela ne justifie pas que ce soit moitié-moitié, comme la Cour suprême vient de rendre un jugement sur un cas en Alberta. Elle a décidé que l'homme, vu qu'il était alcoolique depuis 25 ans, n'avait pas droit au partage des biens. Je pense que si on laisse cela à la discrétion du tribunal, on va éviter un paquet d'abus.

M. Blais (Pierre): Si M. le Président me permet de compléter la réponse à Mme la ministre, également sous cet angle. Nous nous sommes aperçus également que, justement, à cause du caractère bilatéral de la non-connaissance de la loi tant par les hommes que par les femmes, l'effet est tout à fait insidieux et même que la loi actuelle peut inciter carrément au vice certains hommes, parce que, quand ils s'aperçoivent de ce qu'ils ont entre les mains comme contrat, plusieurs d'entre eux, surtout des hommes, cela peut être fait par des femmes qui seraient économiquement très fortes, mais, dans l'état actuel, sociologique dans lequel on vit et que l'on connaît, ce sont généralement les hommes, qui s'aperçoivent que, même s'ils n'étaient pas au courant de ce qu'ils signaient à un certain moment donné de leur vie, ils sont en possession d'une bombe qu'ils peuvent faire éclater au visage de leur femme au profit d'une jeune épouse ou d'une jeune maîtresse qui a évidemment bouleversé les règles du jeu, ou au profit de toute autre personne, ou même des hommes s'aperçoivent que rien ne les empêche de déshériter leur femme au profit des enfants et allez voir avec quelle gratitude les enfants vont récompenser la mère pour toutes ces années passées à la contribution de l'édification de la cellule familiale! Parfois et dans de nombreux cas, c'est désastreux.

Quand on parle de séminaire, quand Me Maroist parle de séminaire d'information juridique, depuis un an et demi que nous faisons le tour de la province de Québec en rencontrant des femmes en assemblée, à chaque semaine - nous avons rencontré des milliers de femmes jusqu'à maintenant - nous nous sommes bien aperçus qu'il existe effectivement un manque d'information juridique dû aux notaires, malheureusement, où il y a eu une explication trop rapide. Nous nous sommes rendu compte que les femmes ne se rappelaient pas l'information qui avait été donnée dans le secret de l'étude des notaires. Évidemment, c'est un problème qui relève de la Chambre des notaires et nous avons, d'ailleurs, cette matière à discussion au niveau de la Chambre des notaires en ce moment.

Simplement pour vous donner une idée du niveau de conscience sociale des notaires, Mme la ministre, nous avons envoyé une copie, poste certifiée, de notre mémoire au président de la Chambre des notaires et au bâtonnier de Québec. Nous n'avons même pas reçu d'accusé de réception de la Chambre des notaires et nous avons reçu un mince accusé de réception du bâtonnier. Évidemment, on ne l'a même pas commenté encore, on est encore en train de penser à nous doter d'un superlogiciel dans nos études, qui va peut-être coûter 25 000 $, mais le droit des femmes, c'est au pied d'ordre du jour de nos réunions. Évidemment, je pense qu'il y a des problèmes dans la société plus criants que la technologie.

Mme Gagnon-Tremblay: Me Blais, vous êtes notaire vous-même, je pense.

M. Blais (Pierre): Voilà.

Mme Gagnon-Tremblay: Je peux vous dire que j'ai déjà donné des conférences. Ce que je voulais vous faire comprendre tout à l'heure, c'est que lorsque la personne, que ce soit un homme ou une femme, quand on n'est pas dans une situation critique - vous savez que le droit est très complexe - vous avez beau entendre 50 conférences, vous ne retenez pas toujours les éléments importants puisque vous ne vivez pas cette situation. Vous avez beau donner parfois 50 conférences à la même personne, si elle ne vit pas cette situation critique, elle ne la retient pas. C'est pour cela que, tout à l'heure, je voulais vous dire que malgré les bons conseils du notaire, quand on n'est pas dans la situation critique... Quand on est dans la situation critique et qu'on assiste à une conférence, qu'on est en mesure d'appliquer ces bons renseignements à son propre cas, on retient davantage. C'est ce que j'ai constaté, finalement, face à l'ensemble des groupes de femmes, face aux femmes et aux hommes également.

Vous parlez de la prestation compensatoire. Vous dites: On devrait inclure - c'est sûr qu'automatiquement c'est une entreprise - 50-50. Vous ne parlez pas non plus de la durée. Est-ce que cela devrait aussi être relié à la durée de la collaboration? Autre chose aussi, lorsque vous parlez de 50-50... Je vous fais remarquer qu'en Ontario, c'est 50-50 avec droit d'y déroger tandis que nous, ce que nous avons privilégié dans le document de consultation... Je tiens à vous dire que c'est vraiment un document de consultation parce qu'à un moment donné, dans le mémoire, on voit que c'est une loi; je veux bien que ce soit très clair entre nous: il s'agit vraiment d'un document de consultation. Nous, nous avons préféré un partage de biens beaucoup plus restreint mais avec l'impossibilité d'y renoncer, alors qu'en Ontario, c'est vraiment 50-50 mais avec la possibilité d'y renoncer et aussi avec toutes les traditions que nous connaissons ici, au Québec, qui sont quand même très différentes de celles de l'Ontario.

Je reviens donc à ma question en ce qui a

trait à la prestation compensatoire. Est-ce que vous mentionnez 50-50 indépendamment de la durée ou si vous reliez cela à la durée de la collaboration?

M. Blais (Pierre): Me Maroist.

M. Maroist: C'est cela. Je pense que dans la loi de l'Ontario, on a énuméré un certain nombre d'éléments qui doivent influencer la décision du tribunal dans l'établissement du partage. Évidemment, la durée ferait partie, à notre avis devrait faire partie des motifs ou des éléments dont le juge devrait tenir compte avant de rendre son jugement.

Mme Gagnon-Tremblay: Ce qui veut dire finalement que vous laissez le tout à la discrétion du juge.

M. Maroist: Non. On dit que le principe de base, c'est moitié-moitié mais que le juge, effectivement, peut déroger à cela en tenant compte de certains éléments comme la durée du mariage, l'intensité de l'effort de l'épouse dans l'entreprise familiale. C'est sûr que le juge peut en tenir compte mais, à ce moment-là, c'est à l'homme de venir prouver à la cour que le partage ne doit pas être moitié-moitié - je dis l'homme parce que la plupart du temps c'est l'homme qui a la richesse, mais cela peut être la femme, dans certains cas, comme on l'a vu en Alberta où c'était la femme qui avait accumulé la richesse. C'est elle qui a prouvé à la cour que l'homme ne devrait pas avoir un sou et, effectivement, la Cour suprême a décidé que, dans ce cas-ci, l'homme ne méritait pas un sou. Le principe de base, ce serait: moitié-moitié. Alors, les avocats - il faut se fier aussi aux avocats - pourraient convenir que, dans ce cas-là, c'est moitié-moitié. Il n'y a pas d'élément qui ferait que le juge en viendrait à une conclusion contraire. Cela éviterait un paquet de procès en cour; les procès, ce serait vraiment quand il y aurait une situation particulière. Ce seraient seulement ces dossiers qui iraient en cour. Le juge pourrait user de sa discrétion pour faire un partage différent.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous convenez par contre que dans le document il y a aussi cette présomption, sauf qu'elle n'est pas à 50 %; nous l'avons limitée à 30 %. Nous avons inclus dans ce document de consultation une présomption de 30 % qui n'est pas...

M. Maroist: Pourquoi 30 %?

Mme Gagnon-Tremblay: Remarquez que c'est une très bonne question. Cela pourrait être 20 %. Cela pourrait être 25 %. C'est arbitraire. C'est 30 % parce qu'on s'est dit: C'est un minimum qui pourrait probablement empêcher quantité de recours en justice. Cela n'empêche pas 50 %, 60 %, 70 %. selon la collaboration et sa durée. C'est un minimum.

M. Maroist: Ce que vous me dites vraiment, c'est que la femme, si elle a travaillé autant que l'homme, sera obligée de faire la preuve des 20 %.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui.

M. Maroist: Pourquoi ne pas partir à 50 %? L'homme prouvera que ce n'est pas 50 % que la femme mérite. Voyez-vous, c'est toujours la femme qui a le fardeau de prouver. C'est ce que je trouve aberrant. La plupart du temps, la femme n'a pas un maudit sou, excusez l'expression. Elle n'a pas un cent en poche, c'est l'homme qui a l'argent. Alors, la femme va voir un avocat. Elle est admissible à l'aide juridique. On sait fort bien qu'à l'aide juridique, les avocats, je ne parle pas des avocats qui font partie des bureaux d'aide juridique mais les avocats de pratique privée comme moi... Moi, je n'en prends pas d'aide juridique, ce n'est pas assez payant. Mais ceux qui, en pratique privée, prennent des mandats d'aide juridique, ils ne forcent pas plus qu'il ne le faut pour aller chercher ce qu'il faut aller chercher. Que voulez-vous? C'est la nature humaine qui est comme cela: on n'est pas payé pour travailler, on ne travaille pas. Pourquoi forcer la femme toujours à faire la preuve que? À un moment donné, qu'on force l'homme à faire le preuve du contraire.

M. Blais (Pierre): En plus de cela, si Mme la ministre me le permet, c'est qu'on semble considérer que la femme est une moitié d'homme ou une moitié de femme en lui mettant une part qui est moindre que celle qui serait normalement attachée à un conjoint qui doit être égalitaire dans le régime matrimonial. Cela oblige même cette proportion de 30 %, cela oblige même certaines femmes qui sont sur le seuil de la pauvreté à régler a l'amiable pour ne pas tout perdre, sous prétexte que cette proportion ne serait pas au départ égalitaire. Elles seraient peut-être portées à régler à l'amiable un litige qui, autrement, pourrait davantage leur assurer une certaine indépendance face à la pression de l'appareil judiciaire. Évidemment, nous savons et nous sommes bien conscients que ce choix est arbitraire, mais nous croyons qu'il devrait être arbitrairement fixé à la moitié parce que les conjoints doivent être au départ égaux devant la loi et devant le régime matrimonial.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Il y aurait peut-être une dernière question sur les conjoints de fait. Vous ne vous êtes pas prononcés sur la situation des conjoints de fait.

M. Blais (Pierre): Non, et nous n'entendons pas le faire.

Mme Gagnon-Tremblay: Parce que vous êtes contre ou pour?

M. Blais (Pierre): Non, c'est parce qu'il y a tellement une côte abrupte à remonter avec le seul régime matrimonial de la séparation de biens. Je vous assure que nous en avions plein les bras. Et avant de nous interroger sur les concubins et le concubinage, cela va faire l'objet de notre prochain combat.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, monsieur. M. Blais (Pierre): Merci.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Cela reste quand même rafraîchissant, n'est-ce pas M. le Président, que deux hommes, disons-le, deux professionnels, l'un avocat et l'autre notaire, viennent devant la commission. Non seulement ils viennent devant la commission, mais ils ont également dans le passé mis en place, finalement, une intervention professionnelle personnelle en faveur, je dirais, de ces femmes qui sont en difficulté. Ce qui est d'autant plus rafraîchissant, c'est que vous n'en tirez pas simplement avantage comme professionnel, mais vous cherchez à faire modifier la loi et, ce faisant, ce pourraient être évidemment des causes de moins que vous ayez à défendre. Cela reste quand même certainement intéressant. Moi, j'ai eu l'occasion de connaître mieux la Tribune unique et populaire d'information juridique lors du dépôt des pétitions que vous m'aviez remises comme porte-parole à l'Assemblée nationale. Je rappelle que j'avais, en leur nom, déposé une pétition pour réclamer, je crois que nous en avons copie dans votre mémoire, c'est-à-dire qu'on retrouve l'essentiel de la pétition en annexe au mémoire pour réclamer auprès du gouvernement québécois un changement à la loi de façon qu'en cas de séparation ou de divorce et en cas de décès, la femme mariée en séparation de biens soit mieux protégée. C'est donc une action de sensibilisation mais d'information aussi que vous avez menée dans votre milieu, et c'est extrêmement intéressant que vous ayez considéré comme devant aussi porter cette responsabilité, et non pas simplement des femmes. (15 h 15)

Vous nous avez mis en annexe la loi révisant la Loi portant en réforme le droit de la famille en Ontario. Je vous en remercie. Je pense que cela va faire partie des documents que la commission reçoit. Nous en aurons maintenant la version française au secrétariat. Elle pourra certainement être également disponible si des groupes veulent le consulter. Je pense que vous avez entrepris un échange avec madame la ministre sur toute cette question des biens partageables. Avez-vous envisagé la possibilité, comme d'autres l'ont fait ou le recommandent à la commission, d'élargir de façon impérative le régime de société d'acquêts à l'ensemble des mariages?

M. Blais (Pierre): Le régime légal?

M. Maroist: Non, je pense qu'il faut quand même laisser la liberté aux gens. Il y a certaines femmes, certains hommes qui sont plus dynamiques en affaires. Je ne suis pas certain que si une femme ou un homme s'enrichit ou accumule une richesse de 1 000 000 $, ce soit nécessairement bien de faire le partage avec son conjoint. Je pense qu'il faut absolument laisser le libre choix aux gens. Comme la ministre le disait tout à l'heure, ni l'homme ni la femme ne sont au courant de ce que le régime de séparation de biens implique. Il faut au moins mettre un minimum pour pallier cette ignorance de la plupart des gens qui se marient en séparation de biens, surtout ceux qui se sont mariés il y a vingt-cinq, trente, trente-cinq ans.

Mme Harel: Vous avez quelque chose à ajouter?

M. Blais (Pierre): Oui. On en a parlé tout à l'heure, malgré les bons conseils des notaires, quand on vit une situation critique, etc. au cours de nos séminaires d'information juridique - et j'aimerais rapporter un commentaire là-dessus si cela m'est permis -on a eu très peu d'hommes à nos séminaires mais il y en a eu qui nous apparaissaient ne pas être au courant non plus - on s'est rendu compte que les femmes non seulement n'étaient pas au courant de la loi, mais que même après toute une soirée d'information juridique, certaines d'entre elles venaient nous redemander: Est-ce que moi, je suis correcte? J'ai une clause "au dernier vivant les biens" dans mon contrat de mariage, donc je ne risque rien. On s'était évertués, n'est-ce pas, à transmettre l'information juridique. Cela peut appuyer les dires de Mme la ministre qui dit que: Même si les notaires, il me semble, donnent de bons conseils, les gens les oublient vite. C'est peut-être vrai. Cela appuie aussi la théorie qui dit qu'il faut absolument, à toutes fins utiles, protéger les gens malgré eux. On veut les doter d'une protection de base qui va éviter de jeter des gens à la rue et, en fin de compte, qui va éviter de surcharger les pressions en bien-être social et en autre aide gouvernentale sur une large tranche de la population, en permettant un partage équitable de certains biens fondamentaux. Évidemment, comme on ne veut pas tuer l'initiative économique dans notre société qui est encore capitaliste - on ne se prononce pas du tout péjorativement là-dessus - il faut aussi laisser la liberté aux gens de pouvoir accumuler, par ailleurs, certains autres biens non qualifiés de biens familiaux.

Mme Harel: Dans votre conclusion, dans

votre mémoire, vous avez indiqué que tous les biens familiaux devraient être partagés moitié-moitié. Vous ajoutez que cela n'empêcherait pas pour autant les ententes entre les époux pour s'y soustraire, ou encore cela n'empêcherait pas d'adopter un régime matrimonial différent.

M. Blais (Pierre): Ce que nous voulons dire par là, nous faisons référence à l'article 1918, je crois, du Code civil qui fait allusion à la transaction qui peut être un acte à l'amiable passé entre les parties pour éviter les conséquences d'un procès. Je vais laisser mon confrère élaborer là-dessus.

M. Maroist: Je faisais référence à la loi de l'Ontario qui nous permet de dire: Je suis d'accord pour que la maison que tu avais avant de te marier ne fasse jamais partie du partage.

Mme Harel: À ce moment-là, c'est au moment de la signature du contrat.

M. Maroist: C'est cela.

Mme Harel: Mais durant le mariage... On a entendu ici des représentations selon lesquelles les femmes sont tentées de renoncer par amour souvent durant les bonnes années. Cette renonciation est souvent faite sans qu'elles en connaissent les conséquences. Est-ce que vous envisagez qu'il pourrait y avoir renonciation durant le mariage?

M. Maroist: Moi, je dis qu'il serait possible de le faire, sauf que j'ai, comme vous, la crainte que cela soit automatique. Alors...

Mme Harel: Cette crainte, vous l'avez au moment où il y aurait passation devant un notaire et évidemment pas avec la société légale, malgré qu'il pourrait y avoir un contrat assorti à ce moment-là.

M. Maroist: C'est cela. À mon avis, si jamais il y avait renonciation, il faudrait vraiment que ce soit un document à part et que ce soit vraiment clair que la femme renonce effectivement à sa part.

M. Blais (Pierre): D'ailleurs, à l'instar de tous nos autres actes où, quand il faut renoncer à certains droits, on le fait par acte notarié portant minutes, mais de façon spécifique, parce que nous croyons que si on devait, au niveau de la signature du contrat de mariage, faire en sorte que des clauses dites de style ou des clauses qui ne le sont pas mais qui, à l'usage, le deviendraient, auraient un effet tout à fait et même plus pernicieux que ce que nous vivons actuellement, parce que cela deviendrait comme une bonne habitude - entre guillemets - dans le langage des professionnels que sont les notaires.

On réduit souvent, même avec le traitement de texte et l'informatique, nos contrats à un amalgame de formules toutes prêtes dans les petits tiroirs de nos machines électroniques. Alors, pour éviter cet effet, je pense que s'il y a renonciation à des droits dans un régime universel, elle devrait être spécifique et consentie par acte notarié portant minutes. Nous comprenons que l'exigence de passer devant l'officier public qu'est le notaire et le décorum que cela implique et, il faut bien le dire aussi, la dépense que cela implique, forceraient plusieurs épouses à réfléchir deux fois, le mari également, avant d'aller devant le notaire pour faire renoncer l'épouse à ses droits. Mais cette renonciation devrait intervenir non pas à la signature ou de façon concomitante avec la signature du régime matrimonial, mais bien après un délai X qui devrait être fixé par la loi.

M. Maroist: En conclusion, si vous permettez, si jamais on permettait la renonciation dans la loi, il faudrait que ce soit fait avec circonspection.

M. Blais (Pierre): Ce qui me fait dire, Mme Harel, que cela devrait être avec un délai déterminé par la loi. Cela va peut-être justement laisser le temps à l'amour de s'émousser, et laisser au temps le temps de faire son oeuvre.

Mme Harel: Mais on nous a fait valoir également que même s'il y avait ouverture simplement à la fin du mariage, s'il y avait simplement à ce moment-là restrictivement ouverture à une entente, que cela pouvait conduire à une sorte de chantage affectif qui est fait concurremment à tout le débat sur la garde de l'enfant et que, même à la fin d'une union, la possibilité d'une entente entre conjoints peut donner lieu à des pressions, à un déséquilibre dans les pressions, compte tenu qu'il y a d'autres questions en souffrance qui doivent être négociées également. C'est intéressant, en tout cas, parce que je crois comprendre que vous avez été, avec raison, certainement influencé par les dispositions de la réforme ontarienne puisque vous avez pris soin de nous les mettre en annexe de votre mémoire. Évidemment, le contexte est différent parce que, en Ontario, on ne passe généralement pas chez le notaire pour se marier.

M. Blais (Pierre): II n'y a pas de notaire.

Mme Harel: C'est cela, exactement. En général, on ne va pas faire un contrat devant un homme de loi au moment du mariage. C'est exceptionnel. Donc, quand on introduit une renonciation en Ontario, c'est qu'on sait, compte tenu du comportement culturel, que cette renonciation aura toute l'importance qu'on imagine puisqu'elle supposera une démarche vraiment singulière, tandis que cela peut donner l'effet contraire ici, dans une tradition comme la nôtre,

où cela peut effectivement devenir, un peu comme cela l'a été pour la résidence familiale, une clause de style où on renonce presque automatiquement lors de l'acquisition d'un bien, etc., ou lors de la signature d'une hypothèque, par exemple.

M. Blais (Pierre): C'est pourquoi nous exigerions un certain décorum autour de cette renonciation.

Mme Harel: Est-ce qu'il ne vaut pas mieux, à ce moment-là, réfléchir à la possibilité de maintenir dans nos traditions civilistes une autre façon de procéder?

M. Blais (Pierre): Je crois que le fardeau en incombe aux législateurs.

Mme Harel: Vous avez d'ailleurs joint, en annexe également, - je vous en remercie, c'était très intéressant - la liste statistique des états des mariages célébrés au Québec, annexe D. J'aimerais bien qu'on l'examine ensemble. L'état des mariages célébrés au Québec du 1er janvier 1971 au 31 décembre 1986. Et vous avez par la suite l'avis d'enregistrement des conventions matrimoniales depuis le 1er juillet 1970. Cela fait partie de la même annexe, mais c'est la page suivante. C'est bien le cas? Dois-je lire pour chaque année... Si on lit bien la page suivante, la page 2, pour l'année 1987: 10 193 conventions sous le régime de la séparation de biens, 27 communautés de biens, 2123 sociétés d'acquêts - est-ce cela qu'il faut lire? -

M. Blais (Pierre): Effectivement.

Mme Harel:... pour un total de 12 343 conventions matrimoniales. Donc, proportionnellement, il faudrait voir... À ce moment-là, c'est qu'il y a des conventions qui sont signées en plus du régime légal dans le cas de la société d'acquêts. C'est-à-dire que ce n'est pas le total des mariages au Québec. Cela ne nous donne absolument pas la progression des couples qui se marient sous le régime de la société d'acquêts.

M. Blais (Pierre): Non, mais comme nous le disions tout à l'heure, cela donne une idée de la proportion dans laquelle les gens qui se donnent la peine de faire la démarche de se rendre devant le notaire choisissent le régime de la séparation de biens. Ce choix nous semble écrasant. Il est de 390 538 pour la séparation de biens depuis 1971 comparativement à 52 187 pour la société d'acquêts jusqu'en 1987. Il me semble que le reste des gens ne sont pas pris dans la balance, mais font-ils réellement un choix? On ne peut pas répondre actuellement à cette question.

Mme Harel: Le régime légal-

Une voix: Bien voyons!

Mme Harel:... le régime de la société d'acquêts...

M. Blais (Pierre): Voilà!

Mme Harel:... qui est en progression. Les chiffres qu'on a eus...

Une voix: C'est cela.

Mme Harel: Le régime de la société d'acquêts est en progression constante et le régime de séparation est en diminution presque de la moitié depuis 1971.

M. Blais (Pierre): Mais il est en décroissance très lente.

Mme Harel: Depuis 1971, c'est quand même assez substantiel. Je dirais presque de la moitié...

M. Blais (Pierre): Oui.

M. Maroist: Si on regarde...

Mme Harel:... en pourcentage global des mariages. Je veux juste vous signaler que c'est intéressant. Cela nous donne un éclairage...

Une voix: C'est cela.

Mme Harel:... des conventions, mais cela ne nous donne pas un éclairage des...

M. Maroist: Bien oui.

Mme Harel:... régimes comme tels.

M. Maroist: C'est cela. Je veux vous faire remarquer que pour l'état des mariages célébrés au Québec, à la première page, cela veut dire qu'en 1986 il y a eu 33 108 mariages. Et si on regarde en 1986, cela veut dire qu'il y en a eu 11 588 en séparation de biens. Comprenez-vous? La première page vous donne le total. Cela veut dire qu'un tiers des gens se marient en séparation de biens.

Mme Harel: Je comprends. En tout cas, la démonstration est quand même importante. Vous nous dites que, même s'il y a progression, il y a quand même un courant important encore pour le choix du régime de la séparation de biens. Et vous nous faites valoir dans votre mémoire un élément que je pense important malgré tout parce que pour les gens... On peut toujours se demander comment il se fait qu'il y a encore des gens qui choisissent la séparation de biens. Parce que prévaut quand même cette idée que c'est une sorte de protection supplémentaire si l'homme se lance en affaires, en fait. Parlons de l'homme. Un peu avant vous, le groupe des femmes

collaboratrices qui vous a précédés mentionnait que son enquête démontrait une progression des couples mariés en séparation de biens chez les femmes collaboratrices. Et je posais la question, sans nécessairement avoir pu obtenir une réponse faute de temps, mais c'est sans doute lié à cette conception que lorsqu'on est en affaires, il vaut mieux être en séparation de biens. C'est une façon de protéger la famille de toute éventualité de faillite ou d'échec des affaires. C'est encore présent.

M. Maroist: On sait qu'en pratique ce n'est pas vraiment réel parce que les banques demandent les biens comme protection. (15 h 30)

M. Blais (Pierre): L'endossement du conjoint souvent. Et nous savons dans la pratique - pour ma part, parce que je suis spécialisé en droit de faillite - que nous avons encore tendance à prémunir les jeunes couples contre ces risques. Au cours de l'entrevue préparatoire, quand nous nous apprêtons à rédiger des conventions matrimoniales, nous demandons toujours aux gens quelles sont leurs expectatives de carrière et quelles sont leurs expectatives familiales, de telle sorte qu'on peut un peu dresser le portrait des dix à quinze prochaines années du couple, à savoir si le mari ou la femme veut se lancer en affaires, si ce type d'affaires est risqué d'après les connaissances actuelles, s'ils veulent avoir des enfants. Si oui, comme c'est l'état de la nature, c'est encore la femme qui les a. Est-ce qu'elle entend consacrer plusieurs mois, plusieurs années à cet enfant par une présence permanente ou semi-permanente au foyer? Quand on a une idée de ce portrait-là, cela nous permet de dire: Voici, on vous recommande - et même encore on doit le faire - on doit recommander le régime de la séparation de biens parce qu'il nous apparaît dans certaines circonstances être encore un excellent régime. Mais on veut quand même y apporter des modifications telles que soumises parce qu'on veut protéger les gens, qui ne sont pas des spécialistes en droit, contre les effets pernicieux et qui ne sont plus à jour de cet ancien régime matrimonial, pour le remettre... Après cette modification de la loi, je ne serais peut-être pas surpris que de plus en plus de gens optent pour la séparation de biens.

Mme Harel: Enfin, cela ne semble pas être le cas des jeunes époux présentement mais, à l'inverse, cela semblait être le cas tout au moins chez les couples qui vivent une relation de collaboration. C'est ce que semblait nous indiquer l'Association des femmes collaboratrices. J'ai une dernière question. Dans la proposition gouvernementale, on retrouve le maintien de l'obligation alimentaire. C'est votre expérience de praticien qui m'intéresse. Donc, le maintien de l'obligation alimentaire pour une durée de six mois lorsqu'il y avait déjà un jugement de pension alimentaire, disons, pour l'ex-épouse. On est dans une situation où il y a eu partage. L'ex-épouse a obtenu la pension en plus, j'imagine, du partage, il y a une nouvelle conjointe qui, elle, partagerait le patrimoine familial. Dans la proposition, on maintient donc pour six mois l'obligation alimentaire. Plusieurs mémoires, notamment celui du Conseil du statut de la femme, je crois, font valoir que ce maintien est illusoire parce que, compte tenu des frais encourus pour le faire reconnaître - évidemment, l'obligation suppose d'aller faire reconnaître sa créance - et compte tenu de la moyenne versée, ce serait vraiment un recours presque illusoire. Je pense que le conseil recommandait de ne pas retenir le maintien de l'obligation alimentaire compte tenu du fait qu'il y avait partage. Est-ce que vous avez un point de vue là-dessus?

M. Maroist: Je considère que le système actuel des pensions alimentaires est correct. Dans certains cas, c'est plus de six mois. Pourquoi limiter cela à six mois? Dans certains cas, c'est zéro...

Mme Harel: Non, au moment du décès. M. Maroist: Pardon?

Mme Harel: C'est au moment du décès. Il y aurait survie de l'obligation alimentaire.

M. Maroist: Une pension alimentaire après le décès. Malheureusement, je n'ai pas lu le document. C'est illusoire, je crois. À l'heure actuelle, concernant la pension alimentaire, je pense que c'est correct. Je pense qu'on ne devrait pas changer cela. Cela va assez bien.

Mme Harel: Mais au moment du décès, évidemment, il y a fin. Il n'y a pas survie de l'obligation.

M. Maroist: Mais non.

M. Blais (Pierre): II nous semble que c'est faire revivre de façon déguisée l'ancien douaire auquel nous renonçons toujours systématiquement dans nos contrats de mariage. Enfin.

Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Me Blais, vous permettrez que je revienne encore sur la pratique notariale. Vous allez peut-être me trouver tannante, mais tout à l'heure vous m'avez fait frémir quand vous m'avez dit que les notaires pitonnent sur les ordinateurs des formules toute prêtes et ne les adaptent pas. Je me dis: Si c'est cela la pratique générale de nos jeunes notaires ou si c'est cela la pratique de certains notaires, j'ai l'impression de ne pas avoir été à la bonne école. Je me dis qu'on court à notre extinction. De grâce! J'espère que ce n'est pas ce qui se passe à nos bureaux. Finalement, j'ose espérer

que ce n'est pas comme cela qu'on pratique. Il peut arriver qu'il y ait des exceptions, mais j'ose espérer que ce n'est pas dans ce sens-là.

Je voudrais avoir une précision sur l'immeuble, en tout cas la résidence familiale qui pourrait être acquise avant le mariage par donation ou par héritage. Est-ce que, pour vous, cet immeuble, cette résidence devrait faire partie du partage des biens familiaux ou si elle doit être exclue?

M. Biais (Pierre): Si nous avons déjà des dispositions dans les lois et dans nos contrats qui précisent que cela peut être utile, ce type de bien peut être légué à titre de propre par la volonté du testateur. Dans certains cas, cela devient une condition essentielle à la validité du legs. À ce moment-là, nous ne croyons pas qu'il faille restreindre la liberté de tester en limitant l'effet qu'a voulu poursuivre le testateur en léguant à titre de propre ce bien immeuble. Évidemment, cela peut avoir un effet apparemment pernicieux de contourner la loi générale en permettant des exceptions qui pourraient se généraliser dans la pratique par la suite parce que certains parents, aimant bien leur petit garçon ou leur petite fille, pourraient dire: Nous leur léguons à titre de propre... donc cela ne tombera dans aucun partage, si j'ai bien compris votre question.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Qu'est-ce que vous pensez, par contre, de la plus-value? Je comprends bien votre raisonnement quant au sens propre à donner, mais concernant la plus-value.

M. Blais (Pierre): Oui, je pense que la plus-value devrait être, comme en société d'acquêts, l'objet de récompense de la part du conjoint qui aurait contribué de façon égalitaire à cette plus-value.

Mme Gagnon-Tremblay: Une dernière question concernant la mesure transitoire mentionnée dans le document de consultation selon laquelle tous les couples mariés en séparation de biens avant l'entrée en vigueur d'une loi future auraient trois ans pour y renoncer. Je ne pense pas que vous vous soyez prononcés dans votre document. Que pensez-vous de cette mesure transitoire?

M. Blais (Pierre): Me Maroist va vous donner son opinion.

M. Maroist: Je considère qu'on devrait appliquer les mesures transitoires tout de suite, dès que la loi sera adoptée, et qu'elles soient appliquées à tous les contrats existants de mariage en séparation de biens.

Mme Gagnon-Tremblay: C'est-à-dire qu'on n'accorde pas aux couples déjà mariés cette liberté d'y renoncer au cours des trois prochai- nes années?

M. Blais (Pierre): Le danger, c'est que je vois immédiatement les gens se bousculer à la porte de nos études et vouloir immédiatement rédiger des conventions les soustrayant à l'application de la future loi, avant que la période transitoire ne soit écoulée. Je pense qu'on devrait éviter deux poids deux mesures et imposer un régime universel, ce qui évitera des conflits dans le temps pour tous les cas qui se posent actuellement avec beaucoup de douleur dans la société.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

Le Président (M. Jolivet): Une dernière question au député de Marquette.

M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. J'ai eu l'occasion d'étudier à l'université avec Me Marois et, contrairement à la majorité des groupes auxquels j'ai posé la même question depuis hier, concernant le recours au tribunaux, vous n'y voyez pas nécessairement d'inconvénient. La majorité des groupes nous répondaient que le recours au tribunal devrait être limité, balisé et qu'il faudrait même prévoir dans la loi le cas où nous pourrions nous adresser au tribunal pour empêcher le partage égal du patrimoine familial. Si j'ai bien saisi tantôt, vous seriez d'accord, comme on le mentionne dans le document gouvernemental d'ailleurs, qu'on puisse, en cas d'injustice flagrante, s'adresser aux tribunaux qui pourraient déterminer un partage différent du partage égal.

M. Blais (Pierre): II faut tout de même laisser un peu d'ouvrage aux avocats.

M. Dauphin: C'est ça. C'était plutôt un commentaire qu'une question puisque Mme la ministre a abordé les différentes questions que je voulais vous poser.

Un autre commentaire. J'ai eu l'occasion, au cours des derniers mois, de discuter du document avec plusieurs confrères avocats et plusieurs amis. C'est sûr que, par bonheur pour le gouvernement et pour les intéressés, un gros pas serait fait si on adoptait effectivement une telle loi. Les gens à qui j'en ai parié, pour la plupart des hommes, étaient un peu rébarbatifs et sur la défensive, et je leur disais: Par contre, il y a possibilité d'y renoncer dans un délai de trois ans, pour ceux qui sont mariés. La réaction toute naturelle de mes confrères a été de dire: Penses-tu qu'une femme va vouloir renoncer à ça? voulant dire par là que personne ne voudrait renoncer à ça. De la part des groupes, et c'est peut-être naturel, j'ai eu le commentaire tout à fait inverse: On va recevoir des pressions de la part des hommes et, à ce moment-là, il va y avoir du chantage. J'aimerais avoir votre réaction à ce sujet. Pour les hommes, c'est le contraire.

C'est peut-être naturel ou paradoxal qu'ils pensent ainsi, mais, pour eux, personne ne voudra y renoncer; pas une femme ne voudra y renoncer. Vous faites des conférences un peu partout et vous me disiez tantôt qu'il y a une forme d'ignorance...

M. Maroist: Je ne ferais même pas la période de transition. Je ne permettrais même pas la renonciation. Par contre, comme on l'a dit dans notre mémoire, il serait toujours possible d'y renoncer malgré tout, mais il faut prendre cela avec circonspection, comme je l'ai dit, et il faudrait que ce soit fait dans un cadre précis pour éviter que des hommes abusent de cette capacité de la femme d'y renoncer. Si on dit aux hommes: Tu as accumulé une petite richesse de famille et on va te la couper en deux, c'est évident et normal que leur réaction soit de dire: Non, je ne veux pas. Mais c'est cela qui m'enrage. C'est que la femme, finalement, a quand même travaillé avec son homme pour arriver à cette richesse. Moi, je ne suis pas capable d'embarquer là-dedans. Pour moi, la richesse de la famille... Je ne dis pas, pour quelqu'un qui a accumulé 1 000 000 $, d'en donner la moitié à son épouse. Mais la maison, la voiture, les meubles, le fonds de retraite, même les fonds de retraite, j'insiste là-dessus, les fonds de retraite. Si la femme a resté 30 ans à la maison, c'est sûr qu'elle n'a pas accumulé un fonds de retraite. Alors, le fonds de retraite, à mon avis, est très important. Il devrait être partagé par moitié.

Le Président (M. Jolivet): En conclusion, Mme la ministre. Vous vouiez encore une petite conclusion, non?

M. Dauphin: Non, c'est parce que pour l'avenir, Me Maroist, si le document était adopté tel quel, il serait impossible d'y renoncer. La possibilité d'y renoncer s'applique seulement pour le passé.

M. Maroist: Je sais. Tant mieux.

M. Dauphin: II y a plusieurs personnes qui, de consentement probablement, en toute connaissance de cause, ont peut-être adopté la séparation de biens comme forme de contrat. En tout cas.

M. Maroist: Finalement, c'est une opinion personnelle que vous demandez, à savoir si les femmes vont renoncer ou non. J'ai l'impression que les femmes vont être faciles à...

M. Dauphin: À faire chanter.

M. Maroist: Pas à faire chanter vraiment, mais à convaincre.

M. Blais (Pierre): À faire signer.

Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre, en conclusion.

Mme Gagnon-Tremblay: Me Maroist et Me Blais, je vous remercie de la présentation de votre mémoire. Je m'excuse d'avoir défendu si fortement ma profession. Je dois vous dire cependant que nous prenons bonne note de votre mémoire et que nous essaierons, à partir de ce mémoire et de bien d'autres aussi, de trouver des solutions appropriées pour améliorer la condition, pas seulement la condition de vie des femmes, mais aussi les régimes matrimoniaux. Merci.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Voilà. Je veux également vous remercier et vous signaler que cela me fera toujours plaisir d'être l'instrument qui permettra le dépôt à l'Assemblée nationale des pétitions que vous faites circuler présentement et qui peuvent, souhaitons-le, accélérer le rythme des travaux qui nous donneront une véritable loi de protection. Merci.

Le Président (M. Jolivet): Merci, au nom des membres de la commission.

J'inviterais Me Roger Comtois à prendre place. Me Comtois, je dois vous informer que nous avons à votre disposition dix minutes pour la présentation de votre mémoire et dix minutes pour chacun des membres de chacun des côtés de la table, c'est-à-dire le côté ministériel et le côté de l'Opposition. Alors, si vous voulez commencer immédiatement.

M. Roger Comtois, à titre personnel

M. Comtois (Roger): Merci, M. le Président. Je vous remercie d'avoir accepté de m'entendre. Au préalable, peut-être que je pourrais faire une petite présentation pour ceux qui ne me connaissent pas. J'ai été professeur de droit, maintenant retraité. J'ai été doyen de la faculté, notaire pendant 42 ans, et surtout, c'est peut-être le motif qui m'amène ici cet après-midi, j'ai été président du comité de l'Office de révision du Code civil qui a donné lieu au projet de loi 10 et on m'a appelé "le père de la société d'acquêts. "

Devant l'invitation de Mme la ministre, j'aurais bien pu - c'est ce que j'ai le goût de faire actuellement - mettre cela de côté et dire: On va laisser d'autres s'en occuper. Mais j'ai cru que je devais intervenir ici. Pas que je croie tellement dans le succès de mon intervention, mais quand même.

Le rapport dit qu'il y a trois voies: l'amélioration ponctuelle des règles; société d'acquêts comme régime impératif; reconnaissance d'un patrimoine familial.

Je ne suis pas d'accord sur le choix retenu

par le comité, par les auteurs du rapport. Je crois, et ce sera mon intervention, qu'on aura beau tourner en rond, discuter à droite et à gauche! on aboutit fatalement à la société d'acquêts comme régime obligatoire à la dissolution par divorce ou autrement. (15 h 45)

Qu'on examine toutes les objections - et j'écoutais tout à l'heure - on retombe toujours dans les mêmes exigences. C'est bien beau de vouloir protéger la liberté, le capitalisme et tout ce que vous voudrez, le premier reproche que je fais au comité, aux auteurs du rapport, c'est d'emprunter au droit de l'Ontario et des autres provinces quand on a un régime d'inspiration française, de tradition française. C'est cela la culture, la société distincte. Ce n'est pas en Ontario, ce n'est pas à Toronto qu'on va la trouver. On a un système tout désigné qui est la société d'acquêts, qui est dans la tradition française de tous les pays de droit napoléonien et on s'en va emprunter des bribes de régime, d'un régime qu'on est même en train de délaisser en Ontario. C'est vraiment désolant.

Le mariage, est-ce que c'est vraiment une société? Est-ce qu'on est d'accord là-dessus? Quand on entre dans une société, on vit avec la société, une société de fait, une société de droit où les deux conjoints sont associés. Pourquoi ne partagent-ils pas les biens qu'ils acquièrent durant l'existence de cette société?

Aujourd'hui, on essaie de "raboudiner" avec des régimes comme celui-ci et ceux qui préconisent cela comme remède, comme palliatif à la séparation de biens, qui est affreuse, qui est condamnable, ce sont les mêmes personnes qui, en 1968-1969, réclamaient la séparation de biens comme régime légal - j'étais là durant les audiences de l'Office de révision - le Barreau du Québec en tête et même Mme Casgrain, ma bonne amie. On réclamait, à tout prix, non pas une société d'acquêts, non pas une communauté réduite aux acquêts, mais la séparation de biens, ni plus ni moins. Ce sont les mêmes individus qui, aujourd'hui, parlent de l'injustice, de l'inéquité de la séparation de biens.

Évidemment, il faut faire un peu d'histoire. À l'époque, pourquoi est-ce qu'il y a tant de gens qui se sont mariés en séparation de biens? Sans doute les notaires ont leur tort là-dedans, mais, à l'époque, la communauté de biens était invivable. La femme n'avait aucune autonomie, aucune personnalité. Les époux ne pouvaient faire aucun transfert de biens, les uns a l'égard des autres; la femme était frappée d'une incapacité totale, nullité absolue. On a corrigé tout cela en 1964 et on a encore recorrigé pour améliorer en 1970. L'incapacité n'existe plus, sauf peut-être dans la tête de certaines personnes. Alors, on a vécu avec cette crainte de la communauté ou de son dérivé, la société d'acquêts, alors que les maux, les défauts qu'on reprochait à ces régimes ont été enlevés, supprimés.

Alors, on propose des mesures - la création d'un patrimoine familial - qui, d'après moi, sont des demi-mesures qui sont souvent injustes. Le partage des régimes de retraite, je le veux bien, on ne fait pas de distinction. Quelqu'un aurait travaillé dans une entreprise pendant 20 ans, va se marier et puis il décède ou il y a divorce un an après. Il va partager 20 ans d'accumulation! On n'a pas cela en société d'acquêts. En société d'acquêts, le partage est intégral sur tous les biens, mais les biens qui sont des acquêts. On parlait de fortune de 1 000 000 $. Quelqu'un qui se marie avec 1 000 000 $, il va les garder. Les revenus vont tomber en société d'acquêts. Et puis, comme un de mes collègues me disait, les gens ne voudront plus se marier. Je lui ai dit: De toute façon, tu ne te marieras jamais. Quand on se marie, il faut prendre ses responsabilités.

Qu'est-ce qu'il y a de si anormal que de partager les revenus de ses biens propres, le gain de son travail si on gagne beaucoup? Bien, tant mieux! Le système qu'on propose ici, à propos des fonds de retraite, de la résidence familiale et des automobiles, ce sont tous des bouts de chandelle; ce n'est pas logique, ce n'est pas complet et ce n'est pas intégral. Si c'est bon pour la maison, pourquoi ce ne serait pas bon pour le reste? Si c'est bon pour les régimes de rentes de l'État, pourquoi ce ne serait pas bon pour les régimes d'épargne-retraite et tout cela? On est en mariage, on partage ce qu'on gagne durant le mariage.

C'est le but de mon intervention. Je mentionne en passant... Tout à l'heure, on a parlé de ce droit de renoncer pendant trois ans. C'est encore de la foutaise. Est-ce qu'il est bon, notre système? S'il est bon, on l'établit d'une façon universelle. Il faut cesser d'avoir peur. Après tout, quand on a imposé, en 1981, un régime primaire, en ce qui concerne la résidence familiale, c'est obligatoire pour tout le monde. En ce qui concerne les contributions aux frais du ménage, c'est bon pour tout le monde. On va se garder le droit de renoncer? Cela veut dire que les femmes vont être sollicitées et dans leur générosité habituelle, vont renoncer au partage éventuel. Il ne faut pratiquement pas donner aux femmes le droit de renoncer parce qu'elles cèdent. Je vous parle avec 45 ans d'expérience dans la vie professionnelle. C'est ce qui arrive.

On parlait tout à l'heure des notaires. J'ai tenté, moi, parce que j'ai toujours été convaincu de la communauté de biens, de la recommander, et après une heure, une heure et quart de plaidoyer que je croyais convaincant, on va se marier en séparation de biens! C'est bête, c'est désolant, c'est à pleurer. C'est cela, la vie. Alors, moi, je dis qu'on est mûrs puisqu'en recommandant la société d'acquêts, on s'attendait que, comme dans tous les pays d'Europe, cela devienne...

Quand on recommande un régime comme régime légal, cela veut dire qu'il fait l'affaire de tout le monde. En France, il y a 90 % des gens

qui sont mariés en communauté de biens, régime légal. Ici, on est encore seulement à 55 %. C'est désolant. Au point qu'à un moment donné, on s'est dit: On a fait fausse route. On va suivre le conseil du Barreau et on va prendre la séparation. Tant qu'on n'aura pas 80 % ou 90 % des mariages en société d'acquêts, on a manqué son coup. C'est aussi simple que cela. Mais comme il semble que cela va prendre encore quelques années et qu'en attendant on s'apitoie devant l'injustice de la séparation, c'est bien simple, qu'on impose la société d'acquêts. Personne ne va en mourir. Cela ne va pas diminuer le mariage et cela va établir un régime d'équité où il n'y a pas de trou et où il n'y a pas de faille. Pour les quelques, je ne sais, cas où vraiment la prestation compensatoire ne fonctionne pas, cette grande déception de voir que la magistrature, qui aurait pu, avec la prestation compensatoire, rétablir un certain équilibre, ils se sont mis à être réticents, au point où c'est la Cour suprême finalement qui va l'attribuer de façon générale, dès que la cause Globinsky aura été entendue, j'en suis sûr.

Je terminerai là. Je m'excuse de m'emporter. Je suis tellement convaincu de ce que j'avance, c'est pour cela que je parle avec conviction. Et ma proposition, elle est à la page 7. À la dissolution des régimes, chaque conjoint a le droit de demander le partage des acquêts de son conjoint, comme s'il eut été marié sous le régime légal. Il ne faut pas laisser de liberté, autrement ils vont défigurer tout cela, les amateurs. Sous le régime légal, et cela nonobstant tout contrat de mariage, toute convention contraire. Et voilà, messieurs et mesdames, je suis prêt à répondre aux questions s'il y en a.

Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Comtois. Je pense qu'on connaît tous Me Roger Comtois et c'est toujours avec satisfaction qu'on a pu lire ses nombreux ouvrages. Me Comtois, eminent juriste et de bonne renommée, comment pensez-vous qu'on est en mesure, à ce moment-ci, de mettre de côté nos traditions de contracter, je dirais là, d'une façon aussi radicale? Croyez-vous vraiment que notre mentalité a suffisamment avancé pour que, du jour au lendemain, aussi bien la Chambre des notaires que le Barreau, on puisse dire: Voici, on met de côté toutes nos traditions et on enlève cette liberté de contracter?

M. Comtois: Écoutez, c'est le même problème qui s'est posé à propos de la réserve, etc. Évidemment, j'admets que si j'étais de votre côté, je ne sais pas ce que je ferais. Je n'aurais certainement pas l'objectivité que j'ai ici. Il va falloir cesser de se dire: Comment accepterons-nous cela? Il y a des choses qui paraissaient énormes, qu'on a modifiées puis la vie a continué. Écoutez, en 1964, évidemment, cela n'avait pas un aspect politique comme celui que vous me signalez, mais quand, en 1964, on est passés de l'incapacité totale à la pleine capacité, que tout ce qui était péché mortel avant le 1er juillet devenait quasiment une vertu, il n'y a personne qui en est mort. On a vécu et on dit: Comment cela... Les contrats étaient défendus entre époux. C'était effrayant. C'était péché mortel. Mais on en fait depuis 1964. Est-ce que cela va plus mal pour cela? On vit de tabous, on vit de crainte, on vit de peur. Évidemment, en politique, peut-être qu'il faut avoir peur de certaines choses. Moi, je vous dis qu'il va y avoir des réactions mais pas tellement. Les réactions vont être des réactions égoïstes, des réactions intéressées, indéfendables, à toutes fins utiles.

Mme Gagnon-Tremblay: Me Comtois, vous parlez d'une société d'acquêts obligatoire; est-ce qu'elle serait rétroactive aussi pour les gens actuellement mariés sous le régime de la séparation de biens? Est-ce que cela engloberait également...

M. Comtois: Oui. Quand on fait une loi, il faut qu'elle soit rétroactive si on veut qu'elle soit pratique.

Mme Gagnon-Tremblay: Est-ce que ça veut dire que demain matin, les couples mariés en séparation de biens n'ont pas le choix non plus? On ne leur laisse pas non plus...

M. Comtois: Absolument pas. Ils ont voulu se marier? Qu'ils en subissent toutes les conséquences. De toute façon, qu'on veuille se ménager des libertés, tout le monde admet que la pension alimentaire durant mariage est là, elle est légale, elle est obligatoire, tant à l'égard du conjoint que des enfants. Tout le monde admet que la prestation compensatoire est là, qu'au cas de divorce le montant forfaitaire, la pension alimentaire, la prestation compensatoire, toutes ces choses sont là. Quand on se marie, on s'engage et Dieu soit loué. L'engagement qui est ici n'est pas beaucoup plus lourd que les autres. Il y aura des cris, des protestations, mais de vierges offensées, j'ai l'impression.

Mme Gagnon-Tremblay: Une dernière question, Me Comtois, concernant la protection de la résidence familiale. Vous proposez d'abolir l'exigence de la déclaration de la résidence familiale pour l'opposabilité aux tiers. Comment pourrait-on protéger ces mêmes tiers face aux recours futurs?

M. Comtois: J'ai noté - et je l'ai observé personnellement - et je suis convaincu de cette constatation, que le jour où une femme, sans l'accord de son mari, enregistre une déclaration de résidence principale, c'est le commencement de la fin. Je vous le dis, dans biens des cas je l'ai constaté. Quand on a voulu protéger les

tiers, on a dit: Les actes ne sont opposables au conjoint que dans la mesure où la déclaration est enregistrée. Il y a très peu de déclarations enregistrées pour les motifs qu'on peut imaginer.

J'ai constaté - c'est une affaire de rien - qu'il y a dans peut-être 80 %, 90 % des cas, des actes d'hypothèque, des actes de vente, des actes d'aliénation où on fait intervenir la femme pour confirmer le régime matrimonial. Est-ce que ça va être bien plus difficile de la faire confirmer pour consentir à l'aliénation? Je ne crois pas. Ou le conjoint n'a pas d'objection - et dans la majorité des cas, il n'y en aura pas - ou, s'il y en a, c'est parce que la marmite commence déjà à sauter. Je ne crois pas que cela crée de problème. C'est rendu au point où dans les bureaux de notaires on fait pratiquement toujours intervenir le conjoint, qu'il y ait enregistrement ou non, parce qu'il faut établir le régime matrimonial. Comme on peut le changer tous les jours si on veut - cela ne demande plus l'homologation de la cour, c'est très simple - il faut s'en remettre aux déclarations. Pour avoir la certitude qu'une déclaration est véridique, on le fait confirmer par le conjoint et c'est pour cela que la plupart des contrats contiennent l'intervention.

Mme Gagnon-Tremblay: Est-ce que ça signifie donc, Me Comtois, que cette déclaration pourrait être incorporée à l'intérieur d'un acte quelconque comme clause de style tout comme, par exemple, la clause de mutation?

M. Comtois: Je n'appellerais pas cela une clause de style. Une clause sérieuse ne peut jamais être une clause de style, cela va être une clause réelle. Dans les contrats de vente, à la fin, on pourrait écrire: Aux présentes intervient madame, l'épouse du vendeur, laquelle concourt et donne son consentement aux présentes à toutes fins juridiques. Cela peut avoir l'air d'une clause de style, mais plus c'en a l'air, moins c'en est, peut-être.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président.

Me Comtois, c'est certainement important pour nous de vous recevoir. Vous nous avez rappelé une perspective historique extrêmement importante. C'est d'autant plus intéressant que nous ne légiférons pas très régulièrement en ces matières. C'est à peu près tous les dix ans, il y a une sorte de moyenne qui s'est établie; il faut donc presque penser jusqu'à l'an 2000 pour légiférer sans être trop en retard par rapport à l'évolution de la société. C'est donc dans une perspective plus innovatrice que simplement correctrice qu'il faut envisager notre législation, parce que ce qui est devant nous, c'est une proposition gouvernementale qui se veut correctrice. (16 heures)

Essentiellement, si on reprend - Mme la ministre va me le permettre - son discours d'ouverture au début de nos travaux hier, la proposition s'inscrit dans la perspective de corriger les effets néfastes pour le conjoint le plus démuni qui est marié en séparation de biens. La correction, nous dites-vous, n'est pas satisfaisante. C'est ce que je comprends dans vos propos. C'est une correction qui vous apparaît insuffisante. J'aimerais d'abord vous demander comment il se fait que, dans le cadre des dispositions de la société d'acquêts, on ait écarté les régimes privés de retraite comme des acquêts partageables.

M. Comtois: Je crois que c'est le contraire, madame. Les régimes privés de retraite sont des acquêts. Il est dit à l'article 480 et quelque chose que les régimes institutionnels publics sont des biens propres. Écoutez, j'étais au comité avec M. Marceau, qui est maintenant juge à la Cour fédérale, et on est partis de l'aspect suivant: Les régimes d'invalidité, par exemple au cas où quelqu'un perd un membre ou subit une blessure, ne peuvent pas se partager, ce n'est pas un acquêt, c'est strictement propre. On s'est engagés dans cette optique, et M. Marceau est celui qui a le plus prôné cet aspect, qu'un fonds de retraite est vraiment strictement personnel. Maintenant, ce qui s'est développé depuis, et je suis prêt à me réviser là-dessus, c'est qu'on le traite comme en communauté de biens où on dit que c'est du salaire mis de côté. Dans le rapport, je ne sais pas comment on va partager cela.

Je suis membre d'un fonds de retraite, j'ai 60 ans, disons, et je vais prendre ma retraite dans cinq ans. Actuellement, en communauté de biens, quand arrive un divorce durant l'emploi, avant la période de participation au régime de prestations, on oblige le mari ou la femme selon le cas, à partager les contributions, sans intérêts. J'en ai un cas la semaine prochaine. Cela oblige le mari, dans ce cas-là, à trouver un capital de 25 000 $. Il a contribué à 50 000 $, il travaille comme enseignant depuis 40 ans. Est-ce que cela ne devrait pas être seulement au moment où on est à la retraite, comme les gains admissibles en vertu des rentes du Québec? C'est simplement à l'âge de la retraite que le conjoint a le droit d'en recevoir la moitié. Cela n'est pas prévu, on n'a pas discuté de ces choses-là. Il va rester des textes à rédiger.

Alors, madame, je ne sais pas si j'ai répondu à votre question. Je crois que vous avez demandé: Comment justifiez-vous...

Mme Harel: C'est intéressant...

M. Comtois:... que les régimes privés soient propres? Est-ce cela que vous m'avez demandé?

Mme Harel: C'est-à-dire que je m'adressais à vous, en fait, comme le père de la société d'acquêts.

M. Comtois: Oui, oui. Mais le père de la société d'acquêts vous dit que les régimes privés, les régimes épargnes-retraite, ce sont des acquêts partageables dans le droit actuel.

Mme Harel: Comment se fait-il que les régimes d'épargne-retraite, les REER par exemple, ne le soient pas?

M. Comtois: Certainement qu'ils sont partageables. Cela fait partie de la communauté et c'est un acquêt partageable au cas de divorce. Je suis sûr de cela, madame.

Mme Harel: Ce matin même, il y avait une personne qui semblait bien au fait de toutes ces questions et qui représentait l'Association des femmes collaboratrices...

M. Comtois: Elle est mal renseignée, cette dame.

Mme Harel:... en matière de retraite...

M. Comtois: Non, non, non! Je suis sûr de cela!

Mme Harel:... et qui faisait valoir que les femmes de professionnels, qui sont souvent des femmes collaboratrices, ne pouvaient pas obtenir que ce soit partagé, parce que les professionnels n'ont pas régulièrement accès à des fonds de retraite collectifs et, donc, que leurs prestations de retraite venant surtout de régimes d'épargne-retraite privés ne donnaient pas accès à un partage.

M. Comtois: Non, ce n'est pas exact, madame. Mais j'aimerais vérifier avec cette personne. Cependant, je dois vous dire qu'il y a une distinction à faire. Supposons que le régime enregistré d'épargne-retraite soit greffé à une police d'assurance; là, cela redevient pratiquement un bien indisponible propre. Mais les épargnes-retraite ordinaires administrées par les compagnies de fiducie, par les banques, sont des acquêts à moins que les contributions n'aient été entièrement souscrites à même des biens propres, évidemment, parce qu'en société d'acquêts, les biens propres remplacés par d'autres biens propres demeurent propres, bien entendu.

Mme Harel: C'est donc dire que les régimes privés de retraite sont partageables, sont des acquêts?

M. Comtois: En principe, ils sont partageables, dans la mesure où c'est le temps de les partager.

Mme Harel: Oui.

M. Comtois: Si j'ai signé un contrat avec Investors Syndicate qui me donne droit à une rente dans 20 ans, ce n'est pas le fait que je divorce maintenant qui va rendre la créance immédiatement exigible. Mais ce sont des acquêts, des biens partageables qui appartiennent autant à l'homme qu'à la femme, quel que soit le souscripteur.

Mme Harel: Même lorsqu'il est dit que cela ne doit pas être cessible entre époux?

M. Comtois: On ne peut pas mettre cela dans un régime privé, madame. Les clauses d'incessibilité et d'insaisissabilité sont dans les régimes publics et dans les régimes qui dépendent de la loi concernant les régimes supplémentaires de rentes. On ne peut pas, dans un ordre privé, créer de l'incessibilité et de l'insaisis-sabilité.

Mme Harel: L'éclairage que vous nous apportez est vraiment intéressant parce que cela contredit, en quelque sorte, ou donne un tempérament, dirions-nous, à ce qu'on retrouve dans le document gouvernemental où on pouvait, certainement en tout cas de bonne foi, conclure qu'il fallait lever le caractère incessible du droit des conjoints dans un régime privé de retraite.

M. Comtois: C'est marqué là?

Mme Harel: Bien, cela donnait à entendre que si on voulait, notamment en matière de prestation compensatoire, oui...

Mme Gagnon-Tremblay: Quelque chose, Me...

Mme Harel: Voilà, à la page 25 de la proposition gouvernementale, on y dit qu'en matière de prestation compensatoire, puisque c'était là où les régimes privés se trouvaient sous réserve de partage seulement dans la proposition, on y lit à la toute fin...

M. Comtois: Quel paragraphe, madame?

Mme Harel:... à la toute fin, aux dernières lignes...

M. Comtois: Oui...

Mme Harel:... "les droits à la retraite attribués à un conjoint seraient, s'ils l'étaient avant que le partage ne soit effectué, immobilisés, incessibles et insaisissables; une disposition serait édictée pour faire échec, entre les époux, aux lois qui déclarent ces droits incessibles et insaisissables".

M. Comtois: Oui, mais là, on se réfère, et

c'est ce que je viens de vous dire, à un régime complémentaire de retraite. Mon fonds de retraite à l'Université de Montréal n'est pas un fonds d'État, ce ne sont pas les rentes du Québec, ce ne sont pas les rentes fédérales, mais c'est un fonds institutionnel. Le règlement, dans ce cas-là, prévoit que ce fonds-là est incessible et insaisissable; et ce fonds-là est propre, d'après les règles actuelles de la société d'acquêts.

Mme Harel: Ah!

M. Comtois: Évidemment, on va recommander qu'il devienne commun.

Mme Harel: II est propre!

M. Comtois: Mais dans le droit actuel, selon les dispositions du Code civil...

Mme Harel: II est propre. Je ne comprends pas...

M. Comtois:... c'est un bien propre. C'est que je vous expliquais qu'on a décidé avec Marceau. Maintenant, je crois que cet amendement-là s'impose, puisqu'on considère de plus en plus que les contributions qu'on met dans un régime de rentes sont du salaire, à toutes fins utiles.

Mme Harel: Donc, les régimes complémentaires seraient des biens propres au sens du régime actuel de la société d'acquêts?

M. Comtois: Ce sont des biens propres dans le texte actuel. Exactement.

Mme Harel: Vous êtes tellement un spécialiste que, vous comprenez, Mme la ministre qui est notaire et moi qui suis avocate, nous étions en train d'être un peu mélangées, si je peux me permettre.

M. Comtois: Non, mais des fois il y a des distinctions. Ce matin, ce qu'on a dit, je ne le sais pas. Est-ce qu'il s'agissait d'un régime...

Mme Harel: Complémentaire.

M. Comtois: Ah! Bien oui, là c'est vraiment propre...

Mme Harel: Oui, d'accord.

M. Comtois:... et là, ce n'est pas partageable, dans l'état du droit actuel.

Mme Harel: Et les régimes d'épargne-retraite, les REER, seraient-ils des acquêts?

M. Comtois: Ce sont des acquêts parce que ce sont des régimes privés qui ne dépendent pas d'un règlement ni d'une loi. C'est du contrat strictement privé.

Mme Harel: Vous voyez comme vous restez toujours le spécialiste écouté, pas toujours compris peut-être.

M. Comtois: Je ne sais pas si on va m'écou-ter jusqu'à la fin, parce que cela peut être lourd.

Mme Harel: Vous mentionniez dans votre mémoire, à propos de la résidence familiale, que la protection proposée dans le rapport...

M. Comtois: Oui.

Mme Harel:... enfin, qu'on appelle ici le document gouvernemental, est vouée à l'insuccès. Les créanciers ne voudront plus consentir de prêts hypothécaires sur la résidence familiale à moins que le conjoint n'intervienne et ne renonce à l'insaisissabilité.

M. Comtois: C'est cela.

Mme Harel: Dans la proposition gouvernementale, la résidence familiale ne donne lieu qu'à une déclaration ou à un recours en dommages si elle a été aliénée.

M. Comtois: Oui. Dans le droit actuel, s'il y a une déclaration de résidence d'enregistrée, l'aliénation n'est pas opposable au conjoint. S'il n'y a pas de déclaration d'enregistrée, le mari ou la femme qui vend la résidence sans le consentement de l'autre s'expose à des dommages de son conjoint. Mais les tiers ne seront pas évincés. Dans la proposition qui est faite ici, je me dis que pour bien des gens, la résidence principale, c'est leur meilleur moyen de financement, c'est l'actif le plus important qui peut être hypothéqué.

Mme Harel: C'est sûr.

M. Comtois: Mais si on ne donne pas de garanties aux créanciers, ils ne prêteront pas.

Cela veut dire que si on veut obtenir un prêt, il va falloir que les deux signent et cela rend illusoire l'insaisissabilité, à moins qu'on ne dise que c'est d'ordre public; et si c'est d'ordre public, c'est bien simple, les gens ne prêteront tout simplement pas.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président.

Me Comtois, à mon tour j'aimerais vous remercier d'être venu contribuer à nos travaux en commission. Je lisais un article dans La Presse ce matin; je crois que c'est ma collègue de Maisonneuve qui a donné une entrevue hier

relativement aux conjoints de fait. Vous, vous nous proposez que la société d'acquêts devienne imperative pour tout le monde. Maintenant...

M. Comtois: Je n'ai pas parlé des conjoints de fait là-dedans. J'ai parlé des gens mariés.

M. Dauphin: Conjoints de fait. Pardon?

M. Comtois: Je n'ai pas parlé des conjoints de fait.

M. Dauphin: Ce n'est pas cela que je dis. La question que je vais vous poser a rapport aux conjoints de fait, même si vous n'en avez pas parlé. En 1964, 1970, dans ces années-là, la proportion de couples mariés en union de fait était quand même plus rare qu'en 1988.

M. Comtois: Oui.

M. Dauphin: Je lisais ce matin que 28 % - je crois qu'on a vérifié si c'est exact - des couples québécois sont mariés en union...

Des voix: Vivent.

M. Dauphin:... vivent...

Une voix: En union de fait.

M. Dauphin:... en union de fait, excusez-moi... Quel conseil pourriez-vous donner au législateur aujourd'hui? J'ai l'impression que cette proportion va probablement augmenter. On parle de 28 %, ce pourrait être 35 %, 40 % dans les prochaines années, 50 %, 75 % même. Vous parliez des conséquences tantôt.

M. Comtois: Je lisais, en m'en venant cet après-midi, justement le texte de l'intervention de Mme Harel et je suis bien embêté avec cela. Je ne sais pas, si j'étais législateur... Comme père de famille, je vous dis que j'ai encouragé mes enfants à vivre en union libre et, une fois qu'ils ont été mûrs, à se marier; cela a bien tourné, heureusement. J'hésite beaucoup. Madame, je ne vois pas comment imposer quelque rigueur que ce soit aux conjoints de fait. Ce sont des gens qui veulent vivre, si on peut dire, marginalement, garder une certaine liberté. Ils ne peuvent pas tout avoir. Have your cake and eat it. Alors, il faut qu'ils se décident. J'en ai fait, des contrats pour des conjoints de fait, des unions très stables qui sont plus solides que beaucoup de mariages, mais ces gens ont un contrat qui les protège. Ce sera tellement facile, même s'il arrive une difficulté quelconque. Mais aller imposer... D'abord, quand vont-ils devenir conjoints de fait? Si, par exemple, ils ont deux appartements attenants l'un à l'autre, qu'ils se visitent, est-ce que ce sont des conjoints de fait?

J'ai eu un cas - vous me faites penser à l'Université de Montréal justement - où le conjoint de fait avait droit à la demi-pension et on a établi qu'ils ne vivaient pas ensemble. Ils se voyaient peut-être plus souvent que certains de nous, personnes mariées...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Comtois:... mais qu'est-ce que ce sera pour les conjoints? Combien de temps cela va-t-il prendre, le noviciat du conjoint de fait? Est-ce que ce sera trois mois, six mois? C'est de la dynamite. Pour le moment, je ne m'inquiéterais pas trop de cela.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Comtois: Essayez donc de régler le problème du partage du patrimoine familial, puis je vous donne une recette. Prenez vos responsabilités et, l'an prochain, vous attaquerez un autre problème. Mais là, vous en avez, du pain sur la planche pour quelque temps, d'après moi.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Jolivet): En conclusion, Mme la ministre.

M. Dauphin: Merci beaucoup. (16 h 15)

Mme Gagnon-Tremblay: Me Comtois, je dois vous remercier. Je vous avoue que lorsque j'ai pris connaissance de votre mémoire, j'ai été étonnée, d'une part, mais j'étais très heureuse de voir un notaire à sa retraite, avoir pratiqué pendant 42 ans et avoir cette ouverture d'esprit. Je m'en réjouissais et je me disais: On en aurait besoin beaucoup de personnes comme vous. J'aimerais bien qu'on puisse compter sur vos bons conseils, votre opinion et votre collaboration pour changer l'opinion de l'ensemble des décideurs. Lorsqu'on aura à préparer, entre autres, un projet de loi à la suite de la parution du document de consultation, j'aimerais donc que vous puissiez être là pour faire pencher un peu la balance du bon côté! Je vous remercie de nouveau, Me Comtois.

M. Comtois: Je vous en prie. Merci.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Me Comtois, c'est peut-être un paradoxe, mais c'est tellement intéressant de rencontrer quelqu'un qui m'apparaït non conformiste traditionaliste.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Harel: Cela peut vous apparaître un peu paradoxal, mais c'est vraiment un peu comme

cela que je reçois votre proposition. D'une part et avec raison, je pense, vous nous invitez à la prudence en matière de maintien de nos traditions juridiques, de notre tradition civiliste et à ne pas être serviles à l'égard des règles de droit étrangères. D'autre part, je pense que vous êtes aussi non conformiste, c'est-à-dire que vous nous appelez à innover et non pas simplement à corriger les effets moins bons ou pervers qui ont pu être commis par des régimes qui, de toute façon, continuent non seulement à survivre, mais à être utilisés.

J'ai écouté avec énormément d'intérêt votre point de vue sur la question des conjoints de fait et je partage l'idée que l'État ne doit pas marier les gens qui ne le décident pas eux-mêmes. C'est mon point de vue, mon postulat de base. Je voudrais qu'il en soit ainsi, par exemple, dans toutes nos lois, y compris celle de l'aide sociale, ce qui n'est malheureusement pas évident là. Je crois que c'est un défi nouveau, un très grand défi en matière de nos lois statutaires qui ne sont pas harmonisées quant à la définition du statut de conjoint de fait. Par exemple, vous aller devoir faire la preuve qu'il y a eu trois ans de cohabitation pour obtenir une prestation de la Régie des rentes ou une prestation d'accidenté du travail, mais quand il y a un avantage, ça doit faire au moins trois ans qu'il y a vie commune et s'il y a un inconvénient, c'est tout de suite qu'il doit être assumé dans d'autres lois.

Il y a certainement matière à repenser cette réalité-là, d'autant plus qu'il y a présence d'enfants. On viendra me dire que la réforme du droit de la famille a introduit une protection filiale indépendamment du rapport conjugal entre les époux, mais il n'y a pas de protection familiale pour les enfants nés en union de fait. Alors, tout ça ne m'amène pas à penser qu'il faille leur imposer quoi que ce soit, mais plutôt à considérer que l'Etat devra se saisir de cette question rapidement. Si on peut procéder dès le printemps en matière de droit des conjoints, on pourrait certainement, l'an prochain, s'attaquer à cet autre dossier. Merci d'être venu parmi nous.

Le Président (M. Jolivet): Merci au nom des membres de la commission.

J'invite le Réseau d'action et d'information pour les femmes à venir à la table. Je rappelle à Mme Dolment qu'elle a une heure pour l'ensemble de son mémoire: vingt minutes de présentation et vingt minutes pour chaque parti politique. Si elle veut bien présenter la personne qui l'accompagne et commencer.

Réseau d'action et d'information pour les femmes

Mme Dolment (Marcelle): Merci beaucoup. Me permettez-vous de prendre un verre d'eau avant, parce que j'ai tellement été prise par ce qu'on vient d'entendre... Merci. Je vous présente

Chantale Ouellet, qui fait partie du Réseau d'action et d'information depuis longtemps et qui a participé, d'ailleurs, aux discussions sur notre mémoire. Notre mémoire a été rédigé en collégialité, si on peut dire. Nous avons étudié très sérieusement le document du gouvernement et après discussion, nous avons décidé de rédiger ce que vous avez eu en main, qui était notre mémoire plus important. Et là, évidemment, c'est un résumé qu'on vous présente.

Les membres du Réseau d'action et d'information pour les femmes qui ont lu le document "Les droits économiques des conjoints" ont eu un choc devant la minceur et la mesquinerie de la réforme proposée. Loin de nous faire avancer dans la reconnaissance de notre égalité, on continue de vouloir nous léser sans merci. La conjointe n'aura droit qu'à la moitié de la maison familiale, rien de plus, mais devra partager les meubles qu'elle avait déjà en séparation de biens, clause habituelle de ce régime. S'il n'y a pas de maison, la réforme lui fait perdre la moitié des meubles sans lui donner accès aux autres biens; sans compter que plusieurs femmes ont réussi à obtenir la moitié de la maison, sinon toute la maison, en compensation de leur parentage. Elles perdront donc la moitié de la maison.

C'est une réforme désolante qui nous place loin derrière les autres Canadiennes, qui refuse aux femmes un véritable partage familial. On nous maintient au niveau où étaient les autres Canadiennes en 1976. Une fois de plus, on accuse dix bonnes années de retard sur le reste du Canada et on présente l'image d'une province rétrograde, mesquine - tout le monde vous l'a dit, d'ailleurs - où les droits des femmes ont bien du mal à se faire accepter par des parlementaires pour qui les droits économiques patriarcaux priment tous les autres, encore et toujours. Nous nous démarquons du reste du Canada. Si c'est là ce qu'implique la société distincte, on peut se demander où est son intérêt pour nous, les femmes.

La pleine égalité n'est donc encore qu'un rêve. Le fait d'avoir choisi, comme réforme du Code civil, la constitution d'un patrimoine familial partageable limité à quelques possessions dont une seule s'apprécie, la maison familiale ou, à défaut, la résidence secondaire, alors que les autres se déprécient rapidement, meubles, voiture, rend non crédible la prétention du gouvernement que la conjointe est désormais pleinement égale.

Comment expliquer une modification aussi imparfaite qui exclut du partage et le chalet, et les autres équipements d'usage courant qui servent à la famille, donc familiaux, ce qu'avaient les Ontariennes dès leur première réforme, et les autres épargnes faites à même des revenus qui auraient dû profiter à la qualité de vie de la famille, c'est-à-dire fonds de retraite privé, REER, investissements divers, participation aux bénéfices d'entreprises, comptes

d'épargne, et tout le reste? Déjà, la conjointe à la maison est exclue des avantages fiscaux, comme l'exemption de personne mariée qui lui appartient en tout droit. Le Code civil devrait corriger cette injustice du système fiscal en reconnaissant pleinement le statut d'adulte de la conjointe et son droit à recevoir ce qui lui est destiné, parce que là, cela va à son mari qui est considéré comme son père.

La passoire du patrimoine familial. Le gouvernement voulait se préoccuper du sort fait aux femmes mariées en séparation de biens qui sont tellement lésées avec le système actuel. Mais il a pitoyablement raté le bateau. Premièrement, en maintenant la séparation de biens qui trompe lés femmes avec des donations dont le juge peut disposer à sa guise et qui permettra au conjoint privilégié financièrement, l'homme, de se sauver du partage du patrimoine familial en investissant plutôt dans des épargnes non partageables, comme des REER, surtout que d'énormes avantages fiscaux l'y incitent. Les conjointes qu'on aurait dû le plus protéger, celles qui sont mariées avec un conjoint pas trop généreux, se retrouveront encore une fois les mains vides, d'autant plus que le conjoint propriétaire pourrait bien vendre la résidence familiale peu de temps avant son divorce, ou l'hypothéquer complètement, comme on vient d'en entendre parler, afin d'investir dans des biens non partageables. Et puis, même s'il y a une maison familiale partageable, comment la conjointe parent pourra-t-elle la garder, à supposer qu'elle ait charge d'enfants, si elle n'a pas eu droit à sa part des autres biens? Elle devra la vendre pour survivre.

Nous condamnons aussi la période de trois ans qui permettra au conjoint de renoncer au partage du patrimoine familial. Il y a trop de danger qu'il y ait des pressions contre le conjoint le plus faible, la femme.

Un droit familial "afamilial", a privatif. Ce qui nous a sans doute le plus frappées, c'est l'absence quasi totale de l'approche familiale - d'ailleurs, dans les mémoires qui ont été présentés, cela nous a aussi frappées - dans un droit qui s'appelle "droit de la famille" et dans un contexte de politique familiale. Qu'on ne s'étonne donc pas du désintéressement des femmes à avoir des enfants quand le Code civil traite avec autant d'injustice les conséquences du parentage dans leur vie financière. C'est là un élément qui semble échapper à ces supposés experts en matière de solution de la dénatalité, les fameux démographes, alors que ce sont les groupes de femmes qui ont ces solutions, si seulement on le leur demandait de façon aussi sérieuse qu'on le demande aux démographes qui parlent toujours à la radio et à la télévision et qui, d'après nous, ne connaissent rien aux solutions.

Lors de la consultation dans la province sur cette politique, il a été établi qu'une famille comprenait nécessairement un enfant. On n'en a pas tenu compte car, pour le législateur, le droit de la famille semble bizarrement servir de soutien à l'enrichissement conjugal: - c'est une citation du document - "Le mariage n'est pas seulement l'union de deux personnes juridiquement égales, mais également l'association de deux patrimoines", lit-on dans le document. Sommes-nous donc encore au temps des mariages d'affaires de jadis? On retrouve cette notion tapie partout dans la réforme.

Pour le RAIF, le mariage est l'association de deux personnes en vue de former une famille, donc d'avoir des enfants, sans quoi il ne s'agit plus du droit de la famille, mais du droit conventionnel, applicable à tous les individus. Ils n'ont pas besoin du mariage pour cela.

Soulignons d'ailleurs que la notion de l'apport à l'enrichissement de l'autre conjoint, que nous espérions voir disparaître enfin, peut se retourner contre les femmes. Un mari qui a payé des voyages, des cours, un REER, donné le chalet, fini le sous-sol, pourra prétendre qu'il a enrichi sa femme et réclamer cette compensation à double tranchant.

Il faudrait aussi que si la maison a été donnée à la conjointe par son mari comme compensation pour son parentage, elle ait le droit de la garder sans la partager, quitte à ce que cette réserve soit abolie pour les années à venir.

Non au travail domestique. Nous voudrions insister sur notre refus d'endosser les pressions qui ont été faites pour étendre au travail domestique la notion d'enrichissement, sous prétexte que les services domestiques fournis par la conjointe ont enrichi le mari. La méthode est pleine de pièges. On a seulement à consulter l'avant-projet de loi sur l'assurance automobile en ce qui concerne les compensations pour la femme à la maison: on évaluait tant pour le ménage - je pense que c'était 50 $ par semaine - et puis tant pour la cuisine. C'est quelque peu dévalorisant parce qu'elle s'engage dans la mauvaise voie, celle de l'employée qui rend des services domestiques, alors qu'elle est une partenaire à part entière dans l'aventure familiale. C'est ce statut qu'elle doit revendiquer, non celui de la productrice de services. Nous ne sommes plus au début du siècle, les femmes doivent ajuster leurs revendications à leur égalité et à leur dignité.

La conjointe ou le conjoint économiquement faible. Par ailleurs, l'objectif de corriger la faiblesse économique d'un des conjoints, par le biais du droit de la famille, sans préciser s'il s'agit de parent ou non, fait ressortir à quel point on peut se fourvoyer quand on ne s'interroge pas sur l'essence du droit familial et sur sa justification.

Pourquoi un ou une adulte obtiendrait-il ou obtiendrait-elle le secours d'un ou d'une autre adulte et le partage de ses biens par la magie d'un bout de papier appelé contrat de mariage? C'est un non-sens dont l'ombre s'est malheureu-

sèment étendue jusque sur le système d'aide sociale pour l'obscurcir et le travestir, ce que Mme Harel avait souligné. Dès qu'il y a un couple d'hétérosexuels partageant le loyer, on s'imagine que l'un doit faire vivre l'autre, réminiscence du mariage. Cette confusion a privé des milliers de femmes et quelques hommes récemment de leur droit à l'aide sociale, lors de descentes du ministère du Revenu, laissant ces femmes sans un sou, à la merci de leur compagnon, surtout quand elles avaient des enfants. Quand on sait le nombre de femmes battues, on s'inquiète.

Quant aux relations dans un couple, il faut apprendre à distinguer l'entraide normale à laquelle on s'attend, de l'obligation de secours et assistance inscrite dans le droit familial. Cette obligation est pertinente pour des parents, mais elle ne se justifie nullement pour deux célibataires qui cohabitent avec ou sans bout de papier officiel. Malheureusement, en attendant que l'on se rende à cette constatation, le droit de la famille sera vicié par la présence de non-parents dans sa clientèle, en empêchant celui ou celle responsable du parentage, à son détriment, d'obtenir justice.

Une liberté qui opprime. Nous ne pouvons être d'accord avec le grand principe énoncé à la page 12 du document, que, dans le mariage, on doive laisser les époux "libres d'aménager leurs rapports patrimoniaux" comme ils l'entendent, car c'est de là que vient toute l'inéquité qu'ont vécue tant de femmes. En effet, selon ce célèbre axiome en droit: là où le rapport de forces est inégal, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère. La réalité des femmes a largement prouvé cette nécessité de balises juridiques surtout dans le mariage. (16 h 30)

Quant aux successions. Cette partie du document qui traite des successions nous paraît extrêmement faible, injuste, contraire à l'égalité des époux et spécialement mesquine envers les ex-conjointes, entre autres, par cette recommandation qui limite à la moitié de la part qu'il aurait reçue si la succession avait été dévolue selon les règles de la dévolution légale des successions, la contribution accordée au conjoint ou à un descendant. Alors, même avec la survie de l'obligation alimentaire, elle ne pourra pas en demander plus que la moitié de ce qu'elle aurait eu, c'est-à-dire la moitié du tiers.

Le législateur est encore obnubilé par cette fameuse et désuète liberté de tester qui s'est toujours faite au détriment des obligations familiales. À ne pas oublier que le ou la conjointe survivante devra, lui ou elle, dans bien des cas, consacrer tout son revenu à ses obligations familiales. En l'honneur de quelle logique devrait-on en exempter le défunt?

Alors, nous résumons nos positions, au RAIF, sur l'égalité économique des conjoints, dans le tableau à la page 27 de notre mémoire. Nous ne voyons pas du tout les modifications à faire au droit de la famille sous le même angle que le document qu'on nous a présenté. Voici plutôt ce que nous proposons. Mais, auparavant, établissons comment nous répartissons la situation de vie des couples et ce qui leur convient.

Prenons trois cas: premièrement - ce sont les trois seuls cas qu'on peut voir - deux personnes vivant ensemble qui ne veulent pas de famille. Le droit de la famille n'est pas pour elles. Elles devraient être en union de fait. Le mariage, ce n'est pas l'Église catholique ici. Je pense que si elles ne veulent pas... On a toujours dit: Oui, mais ils ne se marieront pas. Et puis, quoi? Ils ne se marieront pas, c'est tout. Ce n'est pas un péché mortel.

Deuxièmement, deux personnes vivant ensemble qui veulent une famille. Ils peuvent être en union de fait s'ils le veulent, mais ils peuvent aussi relever du droit de la famille, en prévision de l'avenir, en se mariant. Nous, nous aurions préféré qu'ils n'aient pas le droit de se marier, mais on sait que cela ne sera pas accepté. Alors, bon, on dit: S'ils veulent absolument se marier..., mais c'est dans le but d'avoir une famille.

Troisièmement, deux personnes vivant ensemble ont un enfant. La famille est réalisée. Le droit de la famille est fait pour elles puisque pour être une famille, il faut la présence d'enfants. C'est une situation idéale que le droit de la famille doit leur présenter comme rapport entre eux. Le droit des parents non mariés à la maison familiale et à des compensations devrait être traité avec les autres sujets qui concernent les enfants, comme conséquence des obligations des parents. Évidemment, cela n'ira pas dans le droit du mariage, mais cela va aller dans les obligations des parents.

Il faudrait remanier les divisions du droit de la famille pour qu'elles correspondent à la société actuelle. C'est une espèce de sous-division: deux personnes mariées sans enfant, dont la femme est née avant 1944 ou s'est mariée avant 1975 - c'est une génération qui disparaît et qui a été lésée parce que la société les forçait quasiment à être à la maison et même sur le marché du travail, il n'y avait rien pour elles - alors, cette conjointe mariée, même si elle n'a pas d'enfants a les mêmes droits économiques que la conjointe parent, car d'une génération où elle devait rester à la maison. La séparation de biens n'existerait plus, selon nous. De toute façon, les contrats entre conjoints de fait équivalent à la séparation de biens. On veut absolument maintenir la séparation de biens dans le mariage mais cela ne va pas là du tout. Ils ont de plus l'avantage d'être transparents. Donc, cela ne trompe pas les femmes, on sait à quoi s'en tenir.

Pour nous, les articles du code dans le droit de la famille doivent s'aligner sur ce qui convient le mieux aux besoins de la famille et des parents et non servir les besoins des non-parents qui ne se marient que pour donner un

statut social à leurs amours. Ils feront une petite fête de famille s'ils veulent faire cela mais sans aller dans le mariage. Leurs problèmes ne nous concernent pas et ne devraient pas concerner le législateur. L'État n'a rien à faire dans le lit de deux adultes autonomes et vaccinés pas plus que dans l'organisation de leur vie financière quand ils n'ont aucune responsabilité familiale. Pourtant, dans sa réforme, le législateur leur donne la priorité et place les parents à la remorque des intérêts de ceux-ci, privilégiant des dispositions injustes et inadéquates pour les parents, afin de ne pas perdre la clientèle des couples sans enfant ou de parents privilégiés dont la situation ne risque pas de se détériorer. Or, c'est du plus faible que l'État doit se préoccuper dans ses lois. Tout à l'heure, M. Dauphin, je crois... non, non, Dauphin, c'est bien cela, parlait d'un million, mais on ne doit pas se préoccuper de ces gens-là. C'est du plus faible que l'État doit se préoccuper dans ses lois, non de ceux qui naviguent en eau calme. L'approche du RAIF est donc à l'opposé de celle de la réforme proposée. Nous recommandons pour les parents les dispositions suivantes...

Mme Ouellet (Chantale): Alors, la propriété conjointe du lieu de vie de la famille, soit les meubles, la voiture, la maison et sa protection, que les conjoints soient mariés ou non, que les enfants soient biologiques, adoptifs ou de fait. En cas du décès de l'un des conjoints, l'entière responsabilité de la résidence familiale ira à la conjointe survivante ou au conjoint, marié ou non. Nous recommandons aussi le partage différé à parts égales des biens acquis durant la vie commune, biens comprend aussi des droits comme les droits de retraite, investissements, etc., et le partage immédiat des revenus durant l'union. Les conjoints de fait, eux, organiseraient la répartition de leurs biens à leur guise, probablement par un contrat devant notaire, si désiré, comme protection. Les autres couples n'auront que les biens familiaux d'usage courant, soit la maison, chalet, voiture, bateau, meubles, etc. Si un des parents a subi des torts à cause de son investissement dans le parentage, il devra être compensé raisonnablement en cas de rupture de l'union ou du décès. Ainsi, il aura droit à deux sortes de compensation: une pour le parentage passé si il ou elle a été lésé dans ses chances sur le marché du travail et dans ses possibilités de gains; une deuxième pour compenser la perte de liberté d'action apportée par les responsabilités de l'enfant à charge et, si tel est le cas, aussi pour sa perte de gains, en plus, évidemment, de la pension alimentaire pour les enfants. Ces compensations pourront être demandées autant par les parents mariés que par les parents non mariés, car la distinction entre enfants illégitimes et légitimes n'existant plus dans le code, on ne voit pas pourquoi il y en aurait une entre parents mariés et non mariés, les obligations étant les mêmes.

On notera que nous parlons de compensation et non de pension alimentaire, notion qui place les conjointes au rang des enfants. Le RAIF ne comprend pas comment il se fait que le Parti libéral, ayant approuvé ce changement de terme et surtout de philosophie, entraînant une évaluation des sommes à verser bien différentes, lorsqu'il était dans l'Opposition, lors de la commission parlementaire sur la loi 89, en 1980, par la bouche de Claude Forget et de Thérèse Lavoie-Roux, bien connus pour leur compétence dans le domaine et les responsables de la réforme, n'ait pas été conséquent avec cette nécessaire évolution de la pensée juridique et sociale qu'il endossait alors avec conviction.

Successions. Quant aux successions, le fameux problème d'instituer une réserve héréditaire ou non, issue de la discussion parlementaire sur la loi 20 sur la succession, devient un faux problème dans l'optique que nous venons de décrire, puisque les conjoints parents et les conjointes nées avant 1944 ou mariées avant 1975 se partageront tous les biens du couple moitié-moitié. Le RAIF garde en plus la notion de réserve héréditaire qui servirait uniquement à couvrir les pensions alimentaires des enfants et les mesures de compensation pour le parentage passé et à venir, le défunt ou la défunte devant s'acquitter de ses devoirs sociofamiliaux par-delà la mort.

Nous trouvons antisociale et antifamiliale l'approche de la réforme qui tente de préserver la liberté de tester au détriment de ses devoirs élémentaires, vieux reste d'esprit patrimonial qui nous a scandalisées, d'autant plus que ce sera souvent l'État qui devra prendre la relève du défunt pendant qu'il aura privilégié d'autres héritiers ou héritières. Dans cette hiérarchie des sommes à réserver pour la succession, il a celle pour l'ex-conjointe qui devra pouvoir obtenir automatiquement un an de versements de sa rente familiale et non six mois comme on le propose, alors que les bails durent un an, sans devoir se plier à l'humiliante et inutile soumission des besoins aux héritiers et héritières qui peuvent être ses grands enfants ou la jeune deuxième conjointe, alors que l'ex-conjointe aura fort probablement été celle qui a élevé les enfants. Elle pourra aussi demander un montant forfaitaire, si besoin en était, selon ce que les moyens de la succession lui permettent. Nous rejetons donc totalement l'approche du gouvernement qui a fait son lit dans la survie de l'obligation alimentaire, approche mesquine et infantilisante.

Divers points. Au plan des réformes les plus ponctuelles, nous approuvons celle concernant la société d'acquêts qui a été considérablement améliorée, mais c'était de la séparation de biens qu'il fallait s'occuper, régime qui dépouille les femmes.

Au chapitre des versements familiaux, une assurance devrait être obligatoire pour les garantir en cas de mort du débiteur et un

service de perception automatique, universel et obligatoire, instauré pour dépersonnaliser et assurer la régularité de ces versements si problématiques pour les femmes.

Il faudrait aussi régler le problème des hypothèques judiciaires garantissant le paiement des mesures compensatoires dues à l'ex-conjointe. La récente tendance est de les gruger, lors d'un transfert de sûreté d'une propriété à l'autre, sans en préserver l'équivalence comme il se doit.

Nous dénonçons aussi la discrimination systémique de l'article 456 qui exige du conjoint non propriétaire des motifs familiaux pour refuser son consentement à un acte concernant la résidence, alors que le propriétaire, lui, généralement le mari, peut invoquer quelque raison que ce soit, et l'article 2148. 1 qui, par ruse, fait tomber la protection de la résidence familiale par enregistrement, quand, par ignorance, la non-propriétaire donne son consentement à une simple hypothèque.

On a placé le partage des rentes publiques avec le droit de la famille. On ne sait trop pourquoi, sans doute pour faire du remplissage parce qu'on donnait moins que rien aux femmes avec cette réforme. De plus, ce que peu de monde sait, c'est que le partage est déjà dans la Loi sur le régime des rentes publiques. On n'a fait que le rendre automatique, comme cela existe dans d'autres provinces. On a aussi maintenu, dans le droit de la famille, les conjointes collaboratrices du mari et la notion d'enrichissement du conjoint par cette collaboratrice, ce qui ne va pas du tout dans le droit de la famille, mais dans le droit commercial ou le droit du travail. En confondant le droit de ces travailleuses ou associées et le droit familial, donc des parents, on fausse toute l'approche du droit de la famille au détriment des parents et de leur droit au partage des rentes, puisque le législateur veut se servir du partage des rentes privées pour dédommager les femmes collaboratrices, flouant ainsi ces femmes et les parents. En tant que parents, ces femmes auraient droit, avec les recommandations du RAIF ou si elles vivaient dans d'autres provinces, au partage des rentes, puis à un autre dédommagement. Encore une ruse qui appauvrit les femmes.

Mme Dolment: Bien que nous soyons encore celles qui prenons soin des enfants à 90%, nous n'avons pas obtenu, avec cette supposée réforme, ce que toutes les Canadiennes ont comme partage, depuis des années, lors d'un divorce ou d'un décès, le partage de tous les biens familiaux et surtout des régimes de retraite privés, de même que des autres formes d'épargne et investissement. Nous n'avons pas obtenu que la déclaration de résidence familiale soit automatique plutôt que de devoir la faire enregistrer. Nous n'avons pas obtenu l'abolition de l'injustifiable prestation compensatoire, basée sur l'appart à l'enrichissement de l'autre conjoint, qui vient fausser le droit de la famille avec cette notion d'enrichissement, avec le risque qu'elle puisse se retourner contre la femme. Nous n'avons pas obtenu qu'enfin les femmes cessent d'être assimilées à des enfants, en désignant comme aliments les compensations qu'elles réclament lors d'un divorce. Nous n'avons pas obtenu que les ex-conjointes d'un défunt, souvent celles qui ont élevé les enfants ou qui les élèvent encore, soient traitées avec humanité, dignité et équité. Nous n'avons pas obtenu qu'enfin un véritable service de perception universelle, automatique et obligatoire, comme le sont les autres services du genre à la population, soit instauré. Cela aurait été une économie pour le gouvernement et une sécurité pour les familles monoparentales. Par contre, certaines femmes perdront le peu qu'elles ont actuellement, les meubles, la maison, lorsqu'elle leur a été donnée pour leur parentage, quand elles ne devront pas s'astreindre à des procédures humiliantes pour recevoir leur dû.

Conclusion. Les familles monoparentales, les femmes âgées, les conjointes en séparation de biens, toutes ces catégories sur lesquelles la réforme aurait dû se pencher avec sollicitude pour améliorer leur sort, ont été laissées en plan et de grands trous dans le droit de la famille sont toujours béants. Une réforme en peau de chagrin pour certaines et une réforme en queue de poisson pour d'autres.

Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre, s'il vous plaît.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, mesdames, de votre présentation. Je sais que vous avez travaillé "ardûment" sur ce mémoire, compte tenu du laps de temps qui vous a été...

Mme Dolment: Oui, c'est cela, ce n'était pas long.

Mme Gagnon-Tremblay:... qui a été mis à votre disposition. Je sais que vous avez fait un travail vraiment de tous les instants. Vous parlez, dans votre document, de la création d'un régime à deux volets. Vous avez le volet des non-parents et vous avez le volet des parents. Par contre, à l'intérieur du volet des parents, vous incluez les femmes nées avant 1944, à cause de leur âge et de leurs sacrifices même si elles n'ont pas d'enfants, de même que les femmes mariées en 1975 qui ont réduit leur capacité de gain. Ne croyez-vous pas, Mme Dolment, qu'en incluant cette catégorie de femmes, il pourrait y avoir une discrimination, entre autres, peut-être pas concernant l'âge, mais quant à la date du mariage? Pourquoi cela s'appliquerait-il à la femme mariée en 1944? Pourquoi pas à celle de 1940, 1941 ou 1942 et pourquoi pas à celle avant 1975 ou après 1975? Vous ne croyez pas que, de cette façon-là, on pourrait discriminer plusieurs femmes?

Mme Dolment: Non. C'est entendu qu'à un moment donné, comme vous le dites, il faut mettre un chiffre. On s'est basées, nous, quand on l'a recommandé - cela fait longtemps qu'on a recommandé cela, avec notre livre rouge de la condition féminine dans les années soixante-dix - sur le Régime des rentes du Québec, où on avait mis 35 ans. C'est-à-dire qu'à partir de 35 ans, les femmes avaient droit d'avoir leur régime de rentes à vie parce qu'ils estimaient qu'à partir de cet âge-là, c'était difficile pour elles de gagner leur vie. Mais, il restait à 35. Alors, dix ans après, c'est encore à 35 ans, même si la situation a changé et que les femmes peuvent gagner leur vie. Nous, en mettant 1944, nous avons pris le même principe, que c'est difficile pour les femmes d'un certain âge, mais on sait que, maintenant, de plus en plus les femmes peuvent travailler. Alors, évidemment, dans 20 ans, cela n'existera plus, parmi les femmes nées en 1944, il y a en plusieurs qui vont peut-être être mortes. (16 h 45)

Maintenant pour 1975, c'est parce qu'il y a des femmes qui ont dit: Oui, mais, moi, je me suis mariée en 1971 et, là, mon mari exigeait que je sois à la maison, alors je n'ai pas pu... Au début c'était juste 1944, mais là, on a inclus ces femmes-là, en disant: C'est peut-être injuste pour elles. On corrige. C'est comme la discrimination systémique. Oui, c'est une discrimination. On a mis un chiffre un petit peu... comme je vous le dis, c'était basé sur les 35 ans du Régime des rentes. Il y a un peu d'injustice mais, à un moment donné, il faut mettre la limite quelque part.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous parlez aussi de parents, c'est sûr avec enfants, et cela s'applique aussi, je pense, à la notion de conjoints de fait. C'est-à-dire que vous assujettissez aussi les conjoints de fait s'ils ont des enfants, mais vous ne les assujettissez pas s'ils n'ont pas d'enfants. Par contre, est-ce que vous avez songé, aussi bien pour les parents qui vivent en union de fait que pour les autres parents, qu'il pourrait s'agir, dans un cas de remariage, de parents dont les enfants n'appartiennent qu'à un seul conjoint? Qu'est-ce qu'on ferait dans une situation...

Mme Dolment: On a mis cela. C'étaient les enfants adoptifs ou de fait. Justement pour nous, la mère, si vraiment elle sert de mère... Est-ce qu'elle s'en occupe? Alors, c'est d'en faire la preuve un peu. C'est comme la situation de fait. Le père, maintenant, on peut faire la preuve qu'il est le père. Mais avant, s'il s'était comporté comme le père, bien c'était comme le père. Alors, c'est la même chose. Pour nous, c'est adoptifs, biologiques - on l'a mis dans le mémoire d'ailleurs - ou de fait. C'est de faire la preuve qu'elle est vraiment...

Mme Gagnon-Tremblay: Tout est relié finalement à la charge d'enfants?

Mme Dolment: Oui, si cela fait juste six mois ou un an et qu'après cela elle veut avoir la moitié, comme si elle était un parent, alors qu'elle a juste été l'épouse du deuxième mariage...

Mme Gagnon-Tremblay: Quant à la prestation compensatoire, si j'ai bien compris, Mme Dolment, c'est que, contrairement à ce qu'on est portés à faire... Nous, nous disons que la prestation compensatoire s'appliquera davantage ou s'adressera davantage aux collaboratrices et que finalement, pour les travailleuses au foyer, on aura ce partage des biens familiaux, quoique le Conseil du statut de la femme nous mette en garde, dans les cas où il n'y aurait pas de biens familiaux, alors on devrait quand même conserver la prestation compensatoire pour la travailleuse au foyer. Alors que c'est un peu l'inverse pour vous. Vous dites: Non. La prestation compensatoire pour la travailleuse au foyer ne devrait pas se retrouver à ce chapitre, mais devrait faire partie du droit des compagnies, et on semble appliquer davantage la prestation compensatoire au couple, c'est-à-dire à la travailleuse au foyer. C'est comme ça que je l'ai compris toujours. Je ne sais pas...

Mme Dolment: Pas nous!

Mme Gagnon-Tremblay: Pardon?

Mme Dolment: On n'en veut pas de prestation compensatoire!

Mme Gagnon-Tremblay: Vous semblez la conserver pour...

Mme Dolment: Pas du tout! Jamais! Mme Gagnon-Tremblay: Ah bon! Mme Dolment: On a dit qu'on la déteste. Mme Gagnon-Tremblay: Je m'excuse.

Mme Dolment: D'ailleurs, plusieurs avocats nous l'ont dit: C'est effrayant. Et même le conseiller de M. Marx, M. Caparos, je crois, qui était venu - Mme Harel doit s'en souvenir - nous disait: C'est effrayant. Cela doit disparaître. On n'en veut pas du tout. Quand on parle de compensation, pour nous, ce n'est pas cela du tout. Ce n'est pas du tout la même notion. Pour nous, une compensation c'est comme pour quelqu'un qui a un accident de voiture: on ne veut pas une pension alimentaire, c'est une compensation. La prestation compensatoire est liée à la notion d'enrichissement. D'abord on ne veut pas du tout de notion d'enrichissement dans le droit de la famille. Qu'est-ce que cela vient faire là? Cela n'a rien à voir là. Et c'est ce

qu'on a dit. On va prendre la femme qui sait que peut-être si elle a enrichi son mari elle va obtenir quelque chose. Mais elle va peut-être négliger ses enfants pour enrichir le mari. Cela n'a rien à voir dans le droit de la famille. Nous disons que les femmes collaboratrices... et d'ailleurs elles vous l'ont dit quand elles sont venues ici, elles ont dit: En cours d'union c'est le droit commercial qui devrait nous régir. Alors si c'est le droit commercial... on mêle tout. Je comprends que, là, c'est une espèce de transition de mentalité. Ils vont les sensibiliser à avoir des contrats commerciaux et tout. Mais il ne faut pas mêler les choses, pas du tout. De toute façon nous demandons le partage des investissements, alors elles l'auront le partage. Comme en Ontario, si elles ont investi dans une affaire familiale, elles auront la moitié c'est tout.

On ne veut rien savoir de la prestation compensatoire.

Mme Gagnon-Tremblay: Cela m'a échappé, madame, mais est-ce que vous tenez compte de la durée du mariage?

Mme Dolment: Par rapport à quoi?

Mme Gagnon-Tremblay: Par rapport au partage, soit des investissements, soit des biens.

Mme Dolment: C'est-à-dire que ce dont nous tenons compte c'est s'ils sont parents ou non. C'est ce qui fait la distinction.

Mme Gagnon-Tremblay: Ah! vous ne tenez pas compte de la durée du mariage?

Mme Dolment: Bien non. S'ils ont un enfant, elle a besoin de la maison.

Mme Gagnon-Tremblay: Je donne l'exemple suivant: vous avez un couple dont un conjoint possède une propriété de 75 000 $. Il se remarie. Ces gens vivent ensemble pendant deux ans. Au bout de deux ans, il y a dissolution du régime. À ce moment-là, ça veut dire que les couples pourraient diviser moitié-moitié. On ne prend pas en considération la durée du mariage.

Mme Dolment: D'abord, je ne sais pas si vous voulez dire cela par rapport à l'ex-con- jointe, mais l'ex-conjointe a eu son dû, disons, son dû, entre guillemets.

Mme Gagnon-Tremblay: Au nouveau conjoint.

Mme Ouellet: Vous avez oublié que le bonhomme qui avait une maison de 75 000 $, s'il a divorcé pour se remarier avec une autre et vivre dans cette maison-là. Normalement l'ex-conjointe, elle, aura déjà eu la moitié de la valeur de cette maison.

Mme Gagnon-Tremblay: Je parle de la famille reconstituée. Vous avez, par contre, des familles reconstituées; chacun arrive avec ses biens propres. Il y a eu, par contre, dissolution de régime.

Mme Dolment: Cela dépend s'il y a des enfants ou non.

Mme Gagnon-Tremblay: Que ce soit l'homme ou la femme, ils commencent leur union future avec chacun un lot de biens propres. Advenant la dissolution de cette union au cours des deux prochaines années, est-ce qu'on partage toujours, puisqu'on fait abstraction de la durée du mariage, moitié-moitié, quand même, ces biens familiaux?

Mme Ouellet: Les biens acquis pendant le mariage.

Mme Gagnon-Tremblay: Les biens acquis pendant le mariage.

Des voix: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Seulement les biens acquis pendant le mariage.

Une voix: Bien oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Ce qui exclut les biens acquis avant.

Mme Ouellet: C'est marqué dans le mémoire. Mme Dolment: Saul s'il y a des enfants. Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.

Mme Dolment: Si la famille reconstituée, c'est une deuxième famille avec des enfants, il peut arriver... S'il y a des enfants, tout de suite elle a droit à la maison parce que la maison, c'est la peau ni plus ni moins. Il faut qu'ils vivent dans leur nid. Peu importe si cela fait six mois. Ce peut être aussi des gens qui ont vécu en union de fait avant: le gars a fait un enfant à la fille et a décidé de la marier. Quand ils arrivent avec un enfant de deux ans, trois ans ou même de six mois, on le dit, dès qu'il y a des enfants, elles ont droit automatiquement à la maison, mais après... La maison, ce n'est pas l'acquêt. Ce n'est pas la valeur ajoutée. Elles ont droit à la moitié de la maison, après, elles ont droit, seulement s'il y a des enfants, aux acquêts. Alors, les investissements qu'il avait avant son régime de retraite, son REER, etc., elle n'a droit qu'à ce qu'il y a acquis à partir du mariage.

Mme Gagnon-Tremblay: Sauf que vous comprenez, par contre, que, lorsqu'il y a une union dans une telle situation et que chacun doit

partager ce qui a été acquis, c'est-à-dire que chacun doit partager ce qu'il apporte parce qu'il y a des enfants. Mais il peut arriver que, d'un côté, il y ait un enfant mais que de l'autre, il y en ait cinq et qu'on ait prévu, justement, de conserver cette portion de biens qu'on avait acquise lors du premier mariage pour protéger ses propres enfants. On est censés penser peut-être dans le même sens, aussi bien d'un côté que de l'autre. À ce moment-là, il y aurait partage quand même? Dès qu'il y a un enfant, il y a partage. On ne fait pas la distinction.

Mme Ouellet: De la maison. On ne parle pas des autres biens. Les autres biens sont partageables... Les autres biens, ce sont seulement les acquêts pendant le mariage. En fait, il y a juste la maison qui est partageable à parts égales.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, sauf que la maison peut être aussi un bien, dans certains cas, le bien principal.

Mme Ouellet: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Merci.

Mme Dolment: Ce n'est pas du tout l'approche patrimoniale. En entendant les mémoires, cela m'a frappé. C'est toujours la "mardite" approche patrimoniale. Je ne comprends pas, avec une politique familiale, avec une dénatalité au Québec, comment il se fait qu'on n'a pas une approche familiale. Ces enfants-là, où vont-ils vivre? Peu importe si la maison valait 500 000 $, ils ont besoin d'avoir la maison. La maison, cela fait partie des enfants. La maison, les meubles, la voiture, c'est automatique et, si le gars meurt, c'est en entier. Les héritiers, on s'en contrefout. Ils n'ont pas d'affaire... Pourquoi Pierre, Jean, Jacques, ou le deuxième cousin, ou la tante, ou le grand-enfant qui a fondé une famille aurait droit à la succession? On est contre les successions, sauf pour les obligations familiales. S'il reste quelque chose, il le laissera à qui il voudra, mais ce sont les obligations familiales avant tout. Je ne comprends pas comment il se fait qu'on ne pense pas à la famille. Nous, c'est la famille. Les autres, ils s'organiseront, c'est tout. Écoutez! Deux filles qui vivent ensemble ou deux soeurs dans un appartement ou une maison, elles s'arrangent. Les homosexuels, ils s'arrangent. Pourquoi irait-on se mettre le nez dans la vie des hétérosexuels? Ils n'ont pas d'enfants? Qu'ils se débrouillent.

Mme Gagnon-Tremblay: Mme Dolment - seulement pour vous agacer - on est contre la succession sauf si on est héritier.

Mme Dolment: Pardon?

Mme Gagnon-Tremblay: On est contre la succession sauf si on est héritier.

Mme Dolment: Pas du tout. Non, absolument pas. Ça, ce n'est pas vrai. Je n'en voudrais pas d'argent comme ça, quand je sais qu'il y a une famille. Pas du tout. C'est la mentalité qu'il faut changer. Ça, ce n'est pas exact. Excusez-moi. Je connais un paquet de monde qui est contre cela. D'ailleurs, on a eu des longues discussions au RAIF et les gens étaient d'accord, sauf quand il y a encore des enfants à charge ou qui ont des études à terminer et à qui on laisse un petit montant, on est bien contents mais il faut payer l'impôt avant de faire un legs. C'est la même affaire. Le legs qu'on doit aux obligations familiales est bien plus important qu'à l'impôt.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Dolment.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président, il me fait plaisir de vous saluer, Mme Dolment, de même que Mme Rochette.

Mme Dolment: Mme Rochette n'a pas pu venir, elle travaille.

Mme Harel: C'est Mme Ouellet alors, Chantale.

Mme Ouellet: Oui, Chantale Ouellet.

Mme Harel: Chantale. Je vous mentionnais tantôt que vous aviez repris vos habitudes à l'égard des travaux de la réforme du Code civil lorsque vous aviez suivi, avec une assiduité absolument exemplaire, du début à la fin, l'étude article par article de plus de 880 articles; vous y étiez et on sentait le souffle chaud de votre intérêt permanent. C'est, je pense, un peu ce que vous avez repris avec les travaux de notre commission.

Vous allez me permettre une question en regard de la page 18 du mémoire, justement pour continuer le dialogue en matière de succession. Vous dites: Le RAIF recommande que le parent conjoint survivant ait la moitié de tous les biens et droits acquis durant le mariage, épargnes, etc. Est-ce qu'il faut voir là une proposition nouvelle en regard de la proposition gouvernementale qui prévoit aussi que le parent conjoint survivant ait la moitié, évidemment sans tenir compte des épargnes? Des fonds de retraite, c'est vrai! D'accord. En fait, comme vous le mentionniez, l'ensemble de toutes les économies.

Mme Dolment: Oui, c'est cela. Ce qui est proposé, c'est juste la moitié de la maison; c'est le patrimoine familial. C'est moins que rien et s'il n'y a pas de maison, qu'est-ce qu'il y aura? Bien des gars vendent la maison avant, comme je vous l'ai dit. S'il a le cancer, s'il sent qu'il va

mourir et s'il veut laisser cela à d'autres, à je ne sais trop qui, il va vendre sa maison. Pour nous, c'est l'ensemble des biens et il ne faut pas qu'il y ait des trous dans le filet, comme c'est le cas actuellement.

Mme Harel: Si je lis le paragraphe suivant: II faut compter, comme nous l'avons indiqué plus haut, en traitant des conjoints de fait, que la maison familiale, les meubles et la voiture reviendront automatiquement en entier à la conjointe survivante, à la condition qu'il s'agisse de conjoints parents. S'il y a des enfants, quel que soit l'âge leur âge, est-ce exact? Même si ce sont des adultes? Est-ce exact?

Mme Ouellet: En fait, pour nous, la notion de parents, c'est jusqu'à la majorité.

Mme Harel: C'est-à-dire qu'on est parents. Vous savez, on dit: Petits enfants, petits problèmes; grands enfants, grands problèmes.

Mme Ouellet: On tolérerait s'il y avait des enfants aux études, jusqu'à 25 ans.

Mme Dolment: Non, non, les autres se débrouilleront. Écoutez!

Mme Ouellet: C'est durant tout le temps qu'il y a des obligations légales envers les enfants.

Mme Harel: C'est la pleine propriété, ce n'est pas l'usufruit.

Mme Ouellet: Non, non.

Mme Harel: Ce n'est pas le droit d'habitation, c'est la pleine pleine propriété. Donc, si l'enfant a 26 ans, elle perd tout, mais, s'il a 23 ans, elle a tout. Est-ce à peu près ça?

Mme Dolment: Bien non! C'est le survivant. Ce n'est pas l'enfant qui a ça.

Mme Harel: A 25 ans?

Mme Dolment: Ce n'est pas l'enfant. L'enfant a le droit seulement à une pension alimentaire. Il n'a pas droit à autre chose qu'à une pension alimentaire. C'est le conjoint, ça.

Mme Harel: Mais effectivement, Mme Ouellet m'a dit qu'elle définirait le conjoint parent comme étant parent d'un enfant de moins de 25 ans.

Mme Dolment: Oui, mais ce n'est pas l'enfant qui a la maison. Vous dites: L'enfant de 26 ans n'aura pas le droit à la maison.

Mme Harel: Non, non, mais, à ce moment-là, si l'enfant a 26 ans, c'est...

Mme Dolment: Ah! Vous voulez dire si...

Mme Harel:... le conjoint, le parent qui n'a plus droit à rien.

Mme Dolment: Oui, oui.

Mme Ouellet: Mais elle va avoir droit à la moitié des biens. Normalement, elle devrait avoir droit à la moitié des biens à ce moment-là.

Mme Harel: Elle aurait droit à tout si l'enfant a plus de 25 ans.

Mme Dolment: En fait, elle est encore parent. Non, non, elle a eu des enfants. Pour nous, le principe c'est que, si elle a eu des enfants, elle n'a pu gagner autant que les autres. Le conjoint parent, même si l'enfant a 50 ans - si elle a 80 ans et l'enfant 50 ans - y aura droit parce qu'elle a élevé l'enfant. Mais il faut qu'il y ait eu un enfant dans sa vie et c'est l'idée. Comprenez-vous?

Mme Harel: À la page 19...

Mme Dolment: Quand l'enfant à 26 ans n'aura plus droit, et c'est ce que Chantale a expliqué, il n'aura plus droit à la pension alimentaire, comprenez-vous? Évidemment, vous parliez juste de la maison à ce paragraphe-là.

Mme Harel: Ma collègue de Marie-Victorin me fait justement part, s'il s'agit d'un enfant qui a une déficience intellectuelle ou autre.

Mme Dolment: Mais c'est juste la pension alimentaire, ce n'est pas la maison. La pension alimentaire va continuer jusqu'à la fin de sa vie. Il n'y a pas de problème là. Mais, pour nous, la maison... Si elle a été mère - même si l'enfant a 35 ans, elle a été mère - elle a droit à la moitié de la maison et à la totalité de la maison.

Mme Harel: À la page 19, à l'avant-dernier paragraphe, on dit: La créance familiale d'une ex-conjointe devrait être honorée pendant au moins un an - c'est une recommandation que vous faites de modifier les six mois en un an; est-ce exact? - complétée par un montant forfaitaire approprié, s'il y a lieu pour l'ex-conjointe avec de jeunes enfants ou âgée, donc, l'ex-conjointe âgée, même si elle n'a pas de jeunes enfants. Est-ce ainsi? Si la nouvelle conjointe a de jeunes enfants? En lisant votre mémoire, j'ai eu l'impression, et je peux me tromper beaucoup, que vous attribuiez une sorte de vertu d'être la première ex-conjointe et une sorte de je ne sais trop, de caractère différent, d'être la deuxième parce qu'il est possible que la première n'ait pas eu d'enfant et que ce soit la deuxième qui en ait et que, finalement, la deuxième en ait de jeunes également. Donc, de

parler d'une créance d'un an d'un montant forfaitaire, il est possible qu'il ne reste plus rien à celle qui a encore des jeunes enfants, qui est toujours la conjointe survivante, pas l'ex. (17 heures)

Mme Dolment: Non, écoutez, je ne sais pas pourquoi. Vous aviez déjà dit cela à l'autre commission parlementaire qu'on en voulait à la deuxième conjointe. Il faut quand même reconnaître que les hommes divorcés venaient dire en commission parlementaire qu'en général le gars en dedans d'un an se remariait avec une jeune et souvent il avait un autre jeune enfant, mais seulement, c'est arrivé aussi dans des cas de régime de rentes où l'ex-conjointe, ou encore conjointe avait cinq enfants. La première conjointe, en général...

Mme Harel: On ne peut pas légiférer pour le général.

Mme Dolment: Bien oui, on légifère pour le général.

Mme Harel: On ne peut pas légiférer en disant...

Mme Dolment: On ne légifère pas pour l'exception, on légifère pour le général.

Mme Harel: Mais on ne peut pas penser que c'est en général qu'on va prétendre qu'une ex-conjointe est âgée et pauvre et que la conjointe survivante est jeune et sans enfant. Je dis: On ne peut pas.

Mme Dolment: L'idée là-dedans c'est que chaque couple règle ses problèmes, la situation entre le conjoint et la première conjointe doit être réglée de façon équitable pour cette femme. Après, si le conjoint décide de fonder une deuxième famille, il aura à tenir compte de ses premières obligations envers son ex-conjointe.

Mme Harel: Je regrette, Mme Ouellet. Je lis à la page 19. Il ne s'agit pas là du partage au moment de la rupture du premier mariage. Il s'agit donc au moment du décès...

Mme Ouellet: Oui.

Mme Harel: II y a déjà eu partage là.

Mme Dolment: C'est justement...

Mme Harel: On est dans une situation où il y a déjà eu partage.

Mme Dolment: Oui, justement. Si le tribunal a jugé lors de ce partage, quand il y a eu le divorce, qu'elle avait droit à une pension alimentaire, c'est pour deux raisons. Soit qu'elle est âgée et qu'elle est rendue à 57 ans, ou soit qu'elle ait des jeunes enfants. Donc, il faut quand même qu'il règle son problème. Vous comprenez?

Mme Harel: Oui. Ce n'est pas vieux 57 ans.

Mme Dolment: Non. Je vous donne un exemple.

Mme Harel: Plus je m'en rapproche, plus je trouve cela jeune.

Mme Dolment: Écoutez, je ne visais personne. Ce que je veux dire, c'est qu'à 57 ans, si vous n'aviez pas été avocate, vous auriez de la misère à vous trouver un travail si vous aviez été toujours à la maison. C'est ce que je veux dire. Parce que, si la Cour a accordé une pension alimentaire, on appelle encore cela de même pour se faire comprendre, le juge, parce qu'il estimait qu'il y avait des raisons, soit des jeunes enfants, soit cela, mais cela n'enlève pas du tout les droits. Si vous remarquez la hiérarchie qu'on a mise dans les choses survivantes; on prévoit d'ailleurs, pour les jeunes enfants, autant de droits. D'abord, on dit douze mois au moins. Qu'elle ne soit pas mise à la rue avec son bail et après, il y a bien des chances qu'elle ne demande même pas un montant forfaitaire parce qu'on a apporté justement l'élément que cela coûte tellement cher aller en cour, aller devant le tribunal, qu'elle ne le demandera peut-être pas.

C'est juste pour une raison très spéciale, justement le cas où elle aurait peut-être cinq enfants et que l'homme serait millionnaire. Parce que s'il n'y a plus rien dans la succession, si tu ne le demandes pas, c'est évident. Mais les droits des enfants, s'il a fait une deuxième famille, on a bien mis que c'était très important la pension alimentaire pour ces enfants et pour la deuxième conjointe qui peut, comme vous dites, avoir été peut-être plus vertueuse que la première. Vous savez très bien que si un tribunal accorde une pension alimentaire, il fallait vraiment qu'elle soit deux fois vertueuse pour l'avoir. Alors.

Mme Harel: En tout cas, je peux vous remercier de nous avoir rappelé toute la dimension de la présence d'enfants dans les unions de fait parce que souvent on va invoquer que l'État a assumé ses responsabilités à l'égard des enfants lorsqu'il a modifié le droit de la famille pour reconnaître sans distinction que ce soit finalement la relation entre leurs parents. L'enfant a droit maintenant à des aliments. Mais il n'a pas droit à une protection filiale ni à une protection familiale. Sans doute est-ce un pas qui devrait être franchi que de donner a l'enfant une protection familiale, comme on lui a accordé une protection filiale, quel que soit le rapport entretenu entre ses parents. C'est un élément important, en tout cas, je pense, dans la réflexion actuelle.

Il y a aussi un autre élément, à la page 4,

qui est intéressant. C'est quand vous dites "si on a refusé aux Québécoises leur juste part dans la société familiale qu'est le mariage", en invoquant l'exclusion des régimes privés de retraite, "c'est afin de se réserver une marge de manoeuvre dans le règlement du problème des femmes collaboratrices". Vous notez que c'est à elles seules que, finalement, on réserve la possibilité de partager, c'est-à-dire le droit à un éventuel partage en matière de prestations compensatoires à l'égard des régimes de retraite. C'est sans doute un aspect important puisqu'il y a déjà un pas de franchi. Le pas qui est franchi par le gouvernement, c'est de reconnaître qu'en matière de prestation compensatoire pour les femmes collaboratrices, il y ait un partage au régime de retraite possible pour les femmes collaboratrices seulement...

Mme Dolment: On condamne cela. On condamne cela.

Mme Harel: Oui, oui, je sais. Mais ce que je veux dire, il faut que, délibérément, on les invite à faire plus, c'est-à-dire à rendre partageable.

Mme Dolment: Oui, mais c'est mauvais. C'est parce que si on le réserve pour les femmes collaboratrices, ils ne voudront plus le prendre pour l'ensemble des femmes.

Mme Harel: Voilà!

Mme Dolment: Vous comprenez. Ils vont dire: Ah bien non, si on enlève cela... Il ne faut pas du tout même envisager de le donner aux femmes collaboratrices parce que ce que nous disons - d'ailleurs, tout le monde l'a demandé - elles vont l'avoir en tant que parents. Elles sont "flouées" encore une fois, elles l'auraient en tant que parents. Ce qu'il faut leur donner, il ne faut pas du tout penser à un régime de retraite, il faut penser à autre chose, soit une part justement de l'entreprise.

Mme Harel: En pensant à autre chose...

Mme Dolment: C'est pour cela qu'on dit que le droit de famille lèse les parents. Cela les lèse elles aussi parce qu'elles sont aussi parents.

Mme Harel: À la page 20, en pensant à autre chose, vous parlez, avec raison, de la pauvreté de bien des mères de famille au moment de la retraite. Est-ce que vous avez un point de vue sur la rente de retraite, c'est-à-dire sur la rente au foyer, l'accès à la Régie des rentes des femmes au foyer? Quel est votre point de vue là-dessus?

Mme Dolment: C'est la moitié des rentes, elles vont avoir la moitié, au prorata du nombre d'années de mariage, évidemment.

Mme Harel: Oui. Vous considérez...

Mme Dolment: C'est exactement la même chose que le régime de rentes public, c'est la moitié des rentes, au prorata... C'est la façon la plus simple de voir les choses. C'est au prorata du nombre d'années de mariage, pour les rentes publiques; c'est la même chose pour les rentes privées.

Mme Harel: Oui. Cette formule vous satisfait. Est-ce que vous attendez plus?

Mme Dolment: Non.

Mme Harel: Est-ce que vous vous attendez que le gouvernement réalise son engagement d'offrir un accès à la Régie des rentes pour les travailleuses au foyer?

Mme Dolment: Évidemment, la pensée évolue. Avant, il y a dix ou douze ans, les femmes demandaient cela. Là, on s'aperçoit que le plus simple, c'est simplement le partage. Là, on va tout compliquer les choses. Le partage... Autrement, on n'en sortira jamais. Il y a toutes sortes d'affaires, des calculs actuariels, tandis que le partage au prorata du nombre d'années de mariage, c'est d'une simplicité et d'une justice parfaite.

Mme Harel: Mme Lavoie-Roux avait bien dit: Rien n'est impossible au Parti libéral, quand elle avait pris l'engagement. Nous, on les mettait en garde, à l'époque, en disant: C'est difficile de réalisation. Rien n'était impossible.

Mme Dolment: Rien n'est impossible au Parti...

Mme Harel: Faut-il penser que ce n'est pas impossible non plus qu'ils manquent à leur engagement?

Mme Dolment: Oui. Mais il faut dire que le Parti québécois a manqué à plusieurs de ses engagements aussi. Je connais très bien le programme du Parti québécois pour avoir aidé à l'élaborer quand j'étais au Parti québécois. Je dois dire qu'on nous a drôlement bernés.

Mme Harel: En terminant, je pourrais peut-être simplement...

Mme Dolment: On ne fera pas de politique, on ne fera pas de politique!

Mme Harel: Non, mais à ce moment-là, il faudrait peut-être vous entendre autant réclamer la réalisation des engagements de l'actuel gouvernement que lorsque nous l'étions auparavant.

Mme Dolment: Je dois dire qu'on est

devenues très sceptiques, un peu démoralisées.

Le Président (M. Jolivet): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. À mon tour, comme les collègues qui m'ont procédé, j'aimerais vous féliciter et vous remercier pour votre contribution à nos travaux, ainsi que pour votre assiduité à nos travaux, Mme Dolment, depuis le tout début, hier.

On a entendu - d'ailleurs, vous étiez présente - Me Comtois, qui a comparu juste avant la présentation de votre mémoire. J'aimerais avoir votre opinion sur la suggestion qu'il nous a faite, c'est-à-dire de prévoir un régime impératif unique avec la société d'acquêts. Est-ce que vous avez eu l'occasion d'en discuter?

Mme Dolment: C'est ce qu'on demande. C'est exactement ce qu'on demande. J'ai été le féliciter. C'est exactement cela qu'on demande.

M. Dauphin: C'est exactement...

Mme Dolment: Ce qu'on recommande, le partage de tous les biens, c'est exactement cela, sauf qu'on va un peu plus foin. C'est-à-dire que dans le cas d'un décès, nous voulons que l'entière propriété de la maison, des meubles et de la voiture aillent à la femme; alors, on va un peu plus loin. Ce n'est pas le partage, on ne voit pas du tout la nécessité et la justification que cela aille à d'autres que la femme. Je ne vois pas pourquoi les héritiers auraient droit à la moitié de la maison, alors qu'elles en ont besoin pour vivre dedans. Si vous regardez ce qu'on a recommandé, c'est la société d'acquêts, sauf que, comme je vous le dis, c'est une société d'acquêts améliorée.

M. Dauphin: J'étais en train de relire le début de votre mémoire où vous faites référence à la province voisine de l'Ontario et vous nous dites que la liste des biens familiaux était beaucoup plus, je ne dirais pas exhaustive, mais beaucoup plus grande, beaucoup plus longue que la liste qu'on nous propose.

Mme Dolment: En 1976, M. Dauphin, parce qu'en 1976, justement, là on fait les mêmes erreurs. En 1976, ils ont eu dans les biens familiaux, eux ils avaient mis tout. Ce n'était pas ou le chalet, c'étaient le chalet, la résidence secondaire, tout ce qui était familial. Et ils se sont aperçus que les gars s'en sauvaient. Le fameux cas où il y avait le gars de Bell téléphone qui avait toute sa fortune en actions de Bell et la femme n'avait presque rien. Alors, c'est cela d'ailleurs qui a fait changer la loi. Ils l'ont changée pour faire une société d'acquêts, si on peut dire, obligatoire qui comprend les investissements, qui comprend le régime de rentes et qui comprend tout. D'ailleurs, partout au Canada, on vous l'a dit, c'est ce qu'il y a. Nous, on a fait une étude. On a écrit dans plusieurs pays du monde et vous savez, on est à peu près comme en Espagne, ce qui n'est pas...

M. Dauphin: Toujours par rapport à l'Ontario, sans être bien expert en la matière, ils peuvent y renoncer. Les époux peuvent y renoncer en tout temps sauf pour la résidence principale.

Mme Dolment: Bien oui mais vous avez vu, écoutez. D'ailleurs, moi, une bonne partie de ma famille demeure en Ontario. Ils ne voudraient jamais revenir au Québec. À cause de cela, parce que ce sont des femmes, ce qui arrive, elle vous l'a dit, l'avocate. Elle dit: Écoutez, en Ontario, quand ils veulent renoncer à quelque chose, tout de suite elle se précipite sur l'avocat parce qu'elle dit: II y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Tandis qu'ici, la femme pense que c'est pour son bien. Alors, c'est dommage à dire: On est "nono" ici, les femmes. Que voulez-vous? C'est vrai, on est un peu niaiseuses. Il n'y a pas d'autre mot. Nous, on croit tout le temps, on croit en l'amour peut-être avec les yeux trop fermés. En Ontario, ils sont beaucoup plus au fait du côté financier et ils se méfient à cause des traditions aussi. Il n'y a pas de notaire. Ils ne vont pas chez le notaire. Alors, on vous le dit, ce n'est pas du tout la même approche. Celle qui renonce à quelque chose, c'est qu'elle accepte, c'est qu'elle est déjà riche. Ce sont deux professionnels et ils disent: Bien non, moi, cela me va. Nous à ce moment-là, c'est simple. Les gens n'ont qu'à ne pas se marier. Ils pourront justement arranger leurs rapports financiers comme ils le veulent. Il n'y a aucune obligation de se marier. C'est le droit de la famille. Ils devraient se marier seulement s'ils ont des enfants. Ce qui trompe les gens, les femmes, c'est parce qu'elles se croient protégées. Elles se disent: C'est le droit de la famille. C'est dans le Code civil. C'est le législateur qui a pensé à cela. Donc, c'est le mieux pour moi. Tandis que lorsqu'elles ne sont pas mariées, elles se disent: Aie! Il faut que je voie à mes affaires. Voyez-vous, c'est toute une optique. C'est toute une espèce d'approche qui fait que c'est de la fausse représentation. Le droit de la famille actuellement, il est de la fausse représentation avec la séparation de biens. La femme se croit protégée mais elle ne l'est pas mais elle, elle fait confiance. Alors, en l'extrayant du mariage, elle se dit: Aie! Il faut que je voie à mes affaires. Là, il ne faut pas protéger les gens qui sont riches et qui sont informés. Il faut protéger les gens qui ne sont pas au courant. On vous l'a dit. Le notaire qui est allé faire des conférences partout, les femmes ne sont absolument pas au courant. Je pense que Mme la ministre déléguée à la Condition féminine avait raison de dire que même si on leur dit, elles sortent et elles l'ont oublié. Même ils disent et font des pressions: Ne

prenez donc pas cela. Bien, la femme, moi je le sais, on s'est mariés: Bien, non, mon chou, j'ai confiance en toi. Je ne veux pas me protéger. Tu sais bien, écoute. On est en amour par-dessus la tête, on se marie. Aie! C'est les yeux fermés. On ne veut pas dire qu'on n'a pas confiance en notre mari. Alors, il faut la protéger malgré elle. Je pense que le notaire Comtois aussi vous l'a dit. Avec son expérience de 42 ans, il dit: Je vous le dis, moi.

M. Dauphin: Autrement dit, vous dites que nos Québécois au masculin, et j'insiste au masculin, sont plus ratoureux que les Ontariens avec leur épouse?

Mme Dolment: Pas au moment du mariage. Je pense que non. Au moment du mariage, ce n'est pas cela. Tout le monde s'est marié un peu.

M. Dauphin: II me semble qu'ils étaient en amour.

Mme Dolment: II y en a peut-être qui sont ratoureux mais l'expérience qu'on a, c'est que souvent l'homme n'est pas plus au courant. Bon, il est habitué, il prend la séparation de biens. Il y en a de plus en plus qui sont des hommes d'affaires. En général, le mari ne le sait pas. Il dit: Oui, c'est vrai, séparation de biens, le notaire nous l'a dit ou quoi que ce soit. Ils sont habitués à la séparation de biens. C'est une habitude. Mais c'est au moment du divorce, c'est que, effectivement, lui, il n'est pas en danger, c'est elle. Alors, je ne dis pas qu'il fait exprès pour dire: Aie! Prends cela parce que moi, plus tard, si je divorce, je vais te voler. Bien que maintenant, cela commence à être un peu plus courant. Il y a quelques années, ce n'était pas cela. Tu te mariais en séparation de biens parce que c'était la coutume. Ce sont ces gens-là qu'il faut le plus protéger. Ces femmes qui sont restées à la maison et qui n'ont pas été sur le marché du travail, maintenant la femme est beaucoup plus autonome financièrement.

Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre en conclusion.

Mme Gagnon-Tremblay: Mme Dolment, je suis persuadée que la députée de Maisonneuve doit sûrement avoir regretté de vous avoir ouvert une porte sur les engagements du Parti libéral.

Mme Harel: C'est trop tentant.

Mme Gagnon-Tremblay: Ceci étant dit, je voudrais vous remercier toutes les deux, Mme Dolment et Mme Ouellet pour le travail, les efforts que vous avez consentis à la préparation de ce mémoire. Je sais que pour Mme Dolment c'est un dossier qui vous tient beaucoup à coeur. Aussi, je vous félicite pour votre assiduité. C'est un fait que vous êtes là depuis le tout début de la commission. Je n'étais pas là malheureusement lorsque les autres commissions ont eu lieu, mais Mme la députée de Maisonneuve faisait justement part que vous êtes une de ces femmes assidues à à peu près toutes les commissions qui touchent les droits des femmes. À nouveau, je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Je veux simplement ajouter mes remerciements à ceux qui vous ont été formulés, à vous de même, Mme Ouellet. Vous avez l'habitude de vous faire accompagner, Mme Dolment, de membres actives du RAIF, je pense. C'est certainement chaque fois une occasion de prendre connaissance de vos recommandations. Évidemment, le ton, vous savez certainement qu'il s'agit... Je ne pense qu'il y ait des complots, d'une certaine façon ce sont des rapports de forces dans une société. Il n'y a pas de complot contre les femmes, il y a des rapports de domination. Cela reste certainement important d'entendre votre point de vue là-dessus. Je vous remercie.

Le Président (M. Jolivet): Merci au nom des membres de la commission. Il me reste un dernier travail à faire, c'est de vous annoncer que la commission poursuivra ses travaux le mardi 18 octobre prochain, à la salle Louis-Hippolyte-Lafontaine après la période de questions. Cela pourrait se situer entre 15 h 30 et 16 heures. Ajournement à cette journée.

Mme Gagnon-Tremblay: On change de salle.

Le Président (M. Jolivet): Oui, pour la journée du 18 seulement.

(Fin de la séance à 17 h 17)

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