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(Dix heures onze minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission des institutions reprend ses travaux. Je rappellerai notre
mandat qui est de procéder à une consultation
générale et de tenir des auditions publiques sur le document
intitulé "Les droits économiques des conjoints".
Je demanderais à notre secrétaire, Me Lucie
Giguère, d'annoncer les remplacements.
La Secrétaire: Oui, M. le Président. Les
remplacements sont les suivants: M. Assad (Papineau) est remplacé par
Mme Blackburn (Roberval), Mme Bleau (Groulx) par M. Khelfa (Richelieu), M.
Boulerice (Saint-Jacques) par Mme Vermette (Marie-Victorin), M. Godin (Mercier)
par Mme Harel (Maisonneuve) et M. Marcil (Beauharnois) par Mme Pelchat
(Vachon).
Dépôt de documents
Le Président (M. Filion): Je vous remercie.
Avant que nos travaux débutent comme tels, je voudrais, avec la
permission des membres de cette commission, déposer deux documents. Tout
d'abord, une lettre datée du 12 septembre 1988 et signée par M.
Fortin, à titre de président du Regroupement inter-organismes
pour une politique familiale au Québec, par laquelle il nous fait part
de certains points de vue relatifs à notre consultation. Je
déposerai cette lettre sous la cote 1D. Deuxièmement, je voudrais
déposer une lettre de Mme Marie-Claire Larose, agissant à titre
de secrétaire de la Fédération des agricultrices du
Québec, laquelle constitue une lettre d'appui au mémoire 10M
présenté par le groupe devant nous, l'Association des femmes
collaboratrices. Peut-être ne le saviez-vous pas, mais on vous appuie
déjà, mesdames.
Avant de procéder à l'audition des représentantes
de l'Association des femmes collaboratrices et à la demande des deux
partis, je vais laisser quelques minutes pour permettre à Mme la
ministre de nous faire certaines remarques préliminaires.
Nomination de Mme Marie La vigne à la
présidence du Conseil du statut de la
femme
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Je prends
quelques minutes pour vous faire l'annonce que notre nouvelle présidente
du Conseil du statut de la femme vient d'être nommée aujourd'hui
par le bureau du premier ministre. Je vois qu'il y a beaucoup de femmes dans
cette salle qui sont venues appuyer les femmes collaboratrices et je profite
donc de l'occasion pour vous dire que la nouvelle pré- sidente du
Conseil du statut de la femme est Marie Lavigne, historienne; elle est
très impliquée auprès des femmes dans le féminisme
et je suis persuadée qu'elle saura combler vos attentes.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme la
ministre.
Mme la députée de Maisonneuve et porte-parole de
l'Opposition officielle.
Mme Harel: M. le Président, j'aurais souhaité que
nous puissions avoir une période très brève,
évidemment, de commentaires pour faire connaître la
réaction de la porte-parole de l'Opposition à l'égard de
cette nomination.
Nous accueillons avec beaucoup de joie cette nomination. C'est une
excellente nomination non partisane; c'est la nomination d'une femme
chaleureuse et dont la compétence est reconnue dans tous les milieux.
L'Opposition critique évidemment plus souvent le gouvernement qu'elle
n'a l'occasion de le féliciter, mais cette fois-ci, c'est avec plaisir
que nous félicitons Mme la ministre de cette nomination.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme la
députée de Maisonneuve. Sans plus tarder, nous allons
procéder à l'audition du groupe qui est devant nous,
l'Association des femmes collaboratrices. En ce qui concerne l'ordre du jour
d'aujourd'hui, l'Association des femmes collaboratrices sera suivie des Femmes
regroupées pour l'accessibilité au pouvoir politique et
économique. Cet après-midi, nous entendrons les
représentants et représentantes de la Tribune unique et populaire
d'information juridique inc., Me Roger Comtois qui suivra et, en fin
d'après-midi, le Réseau d'action et d'information pour les
femmes.
Donc, bienvenue à l'Association des femmes collaboratrices. Je
demanderais à sa présidente, Mme Yolande Bédard, de bien
vouloir d'abord nous présenter les personnes qui l'accompagnent et, par
la suite, nous faire part du résumé du mémoire.
Association des femmes collaboratrices
Mme Bédard (Yolande): Merci, M. le Président. Je
vous présente Mmes Monique Bernard et Micheline Charest qui sont
à ma gauche et Mme Pierrette de Montigny qui est à ma droite.
Elles font partie des trois secteurs d'économie que nous
représentons à l'ADFC. Mme Bernard est du secteur agricole; Mme
de Montigny travaille dans une petite et moyenne entreprise; Mme Charest
représente le secteur professionnel.
M. le Président, avec votre permission, deux personnes se
joindraient à nous à la table en tant que personnes-ressources.
Ce sont des
employés de l'ADFC; il s'agit de Mme Monique Riel qui est notre
directrice générale et de M. Donald Leblanc qui est recherchiste
chez nous.
Le Président (M. Filion): Très bien.
Mme Bédard: Je voudrais ajouter que dans la salle se sont
jointes à nous, ce matin, pour la présentation de ce
mémoire, des représentantes de la plupart des régions du
Québec. Nous savons que les membres de la commission ont lu notre
mémoire et qu'ils et elles sont au courant des principaux points; nous
voudrions cependant en souligner quelques-uns qui présentent pour nous
un intérêt spécial.
Disons d'abord que certaines propositions contenues dans le document de
consultation se veulent une réponse directe aux demandes
exprimées par l'ADFC concernant la reconnaissance concrète du
travail de la collaboratrice.
Notre organisme propose à cette fin, depuis 1983, un avant-propos
législatif grâce auquel un statut particulier de travail serait
accordé aux conjointes collaboratrices. Ce statut comporterait des
droits et des avantages spécifiques pour les collaboratrices non
rémunérées.
Le gouvernement du Québec a choisi de promouvoir la
reconnaissance du travail de la femme collaboratrice par des modifications
législatives ponctuelles, dont la bonification de la prestation
compensatoire qu'on retrouve dans le document de consultation. Il va de soi que
nous avons fait une analyse détaillée de cette proposition. Par
ailleurs, l'ADFC s'est toujours intéressée aux questions touchant
les droits économiques des conjoints, régimes matrimoniaux,
successions, protection de la résidence familiale, comme moyens plus ou
moins directs de reconnaissance du travail dans l'entreprise d'abord, mais
aussi au foyer de la femme collaboratrice.
En ce qui concerne les successions, nous avons toujours défendu
le principe de la réserve héréditaire. Cependant, compte
tenu des oppositions soulevées, notamment, lors de l'étude du
projet de loi 20 et suscitées par cette proposition, nous avons pris
connaissance d'autres voies possibles d'orientation pour le partage des biens
familiaux lors du décès d'un conjoint. Ainsi, lorsque l'avis
soumis en juin 1987 par le Conseil du statut de la femme et s'intitulant "Le
partage des biens familiaux en cas de décès" a été
rendu public, nous l'avons étudié avec soin. En mai dernier,
alors que le gouvernement préparait la proposition qu'il soumet ici
à la consultation, nous avons manifesté au ministère
concerné notre appui à la formule proposée par le CSF,
soit le patrimoine familial commun partageable en cas de
décès.
La question des régimes matrimoniaux est, quant à elle, au
coeur de nos préoccupations. Les multiples rencontres que nous avons
eues à ce sujet avec des groupes de femmes collaboratrices nous ont
permis de constater notamment à quel point le régime de la
séparation de biens pouvait être synonyme d'injustice, sur le plan
économique, pour la femme mal ou pas du tout préparée.
Quant à la protection de la résidence familiale, nous
avons fait, au cours des dernières années, des pressions afin que
les femmes puissent s'en prévaloir dans les faits sans qu'on leur
demande continuellement de résilier leur déclaration de
statut.
Pour terminer cette introduction, nous aimerions préciser que
nous considérons, pour les fins de l'analyse, la collaboratrice comme
étant, d'une part, épouse et, d'autre part, partenaire dans
l'entreprise familiale. Ces deux dimensions de la situation des femmes
collaboratrices sont, à l'égard des droits économiques des
conjoints, complémentaires mais mutuellement exclusives. Il est
nécessaire de garder cette position à l'esprit pour mieux
comprendre la réaction de l'ADFC au document de consultation.
Parmi les voies proposées à ce document, nous avons retenu
la troisième. Les interventions qui suivent se veulent donc une
réaction à la proposition gouvernementale. Mme Bernard exposera
le point de vue de l'ADCF sur l'institution du patrimoine familial.
Mme Bernard (Monique): Nous avons vu, dans l'introduction, que
l'ADFC s'est prononcée il y a quelques mois en faveur de l'introduction
d'un patrimoine familial commun en cas de décès, tel que
proposé par le Conseil du statut de la femme. La logique
inhérente à cette forme de partage nous semble, après
étude, autant adéquate en cas de rupture qu'en cas de
décès, et ce, comme le veut la proposition gouvernementale,
spécialement pour les couples mariés en séparation de
biens. À ce sujet, il est bon de mentionner que selon notre étude
de 1984, 60 % des femmes collaboratrices au Québec sont mariées
en séparation de biens. Ce pourcentage était en croissance par
rapport à 1975, alors qu'il était de 54, 6 %. Les propositions
concernant le patrimoine familial toucheront donc de façon
particulière une majorité de notre clientèle.
Il nous semble étonnant que l'on accepte facilement le principe
du partage automatique des gains accumulés dans le régime public
de retraite, mais que ceux qui le sont dans un régime privé de
retraite soient exclus du partage. Ainsi, nous recommandons que les
régimes enregistrés de retraite et les régimes de
participation aux bénéfices soient inclus à la masse de
biens constituant le patrimoine familial.
Nous sommes d'accord avec le fait que les époux ne puissent
renoncer d'avance à leurs droits dans le patrimoine familial. Nous
recommandons donc que les dispositions concernant l'institution d'un patrimoine
familial s'appliquent à tous les couples mariés dès
qu'elles seront adoptées par le législateur.
L'ADFC est en accord avec l'idée que le partage du patrimoine
familial s'effectuerait à parts égales entre les conjoints sur sa
valeur
nette. Cependant, l'établissement de la valeur nette du
patrimoine peut poser une difficulté en ce qui concerne la
résidence familiale. Nous avons d'ailleurs souligné dans notre
mémoire un problème de comptabilité provenant du fait que
la résidence familiale serve de garantie pour l'achat de biens par le
conjoint, notamment de biens constituant l'entreprise familiale.
Nous craignons qu'ainsi la résidence familiale ne devienne un
double passif: passif dans le calcul de la valeur du patrimoine, passif aussi
dans le calcul de la valeur de l'entreprise.
On peut facilement penser qu'en agriculture, c'est le lot de beaucoup de
couples qui recourent au crédit agricole et qu'à partir de ce
moment-là, souvent la résidence familiale est incluse comme
garantie. Donc, en pareilles circonstances, nous nous demandons si on ne
devrait pas inscrire la résidence familiale dans l'actif de
l'entreprise. Nous espérons que vous avez pris bonne note du
problème soulevé.
Quant à la protection de la résidence familiale, nous
appuyons les propositions gouvernementales formulées en plus de
recommander que l'information relative à la protection de la
résidence familiale soit largement diffusée et que, notamment,
les professionnels intervenant dans les transactions concernant la
résidence familiale soient tenus de bien renseigner toutes les parties
en cause sur leurs droits et sur la portée de leur geste.
M. le Président, je rends la parole à Mme de Montigny pour
ce qui est de la prestation compensatoire.
Mme de Montigny (Pierrette): M. le Président, nous
touchons ici un sujet très important pour les femmes collaboratrices. Le
gouvernement propose une bonification de la prestation compensatoire visant une
meilleure reconnaissance du travail du conjoint collaborateur à la fin
de la collaboration. Force nous est de reconnaître que de telles mesures
sont nécessaires. Le fait de collaborer à l'entreprise familiale
du mari n'est pas, dans la plupart des cas, un projet planifié depuis
des années par le couple. C'est plutôt, en premier lieu, pour
donner un coup de main que l'épouse commence à collaborer aux
activités du mari. Au bout de quelques années, la collaboration
devient un travail à temps plein qui, pour des raisons sociologiques,
est un acquis dans l'esprit du mari et même dans l'entourage du couple et
chez la clientèle. Les mesures de bonification de la prestation
compensatoire qui sont proposées peuvent rétablir les
inéquités découlant d'un travail de collaboration non
rémunéré. Elles intègrent au Code civil la notion
de collaboration, réalité économique jusqu'à
récemment invisible mais qui durera tant qu'il y aura des couples et des
entreprises.
Ces propositions amènent aussi une distinction entre un apport
qui provient du travail dans l'entreprise et un apport qui provient du travail
au foyer. Mais, comme il s'agit de nouvelles dispositions, il ne faut pas
s'étonner si nous avons plusieurs points à discuter.
Nous voudrions souligner ce qui nous semble être un oubli
dans le cas où la fin de la collaboration résulterait d'une
cessation volontaire, de la part de l'épouse, de ses activités
dans l'entreprise, sans qu'il y ait pour autant rupture au sein du couple.
Quelle que soit la formule retenue, il nous apparaît
nécessaire de compenser le travail effectué par la conjointe
collaboratrice, même s'il s'agit d'une cessation volontaire de la
collaboration. À cette fin, nous recommandons que la cessation
volontaire de la collaboration donne aussi droit, pour le conjoint
collaborateur, à un recours en prestation compensatoire.
La preuve du droit à une prestation compensatoire est très
difficile à établir pour la femme collaboratrice. La
difficulté qui se présente en premier lieu est de
déterminer s'il y a eu ou non collaboration avant que soit
établie en faveur du conjoint collaborateur une présomption d'un
droit à un pourcentage de la valeur de l'entreprise. À ce sujet,
rappelons que l'ADFC a déjà proposé et préconise
toujours l'enregistrement d'une déclaration de statut collaborateur.
Par ailleurs, un élément de la proposition à
laquelle nous nous opposons est la part de 30 % de la valeur de l'entreprise
à laquelle on présume que le conjoint collaborateur peut
prétendre avoir droit, une fois qu'il sera établi qu'il y aura eu
collaboration. Plusieurs raisons justifient notre opposition. D'abord,
soulignons le caractère arbitraire des 30 %. On ne dispose d'aucune
analyse permettant de déterminer avec un minimum de rigueur et de
précision quelle est la part qui devrait revenir au conjoint
collaborateur. Compte tenu du manque d'information à ce sujet, il semble
qu'il soit préférable de partir d'une présomption d'une
valeur médiane de 50 %, beaucoup plus représentative, selon nous,
de l'apport de la collaboratrice, quitte à ce que ce pourcentage soit
révisable à la hausse ou à la baisse par le conjoint en
désaccord avec cette présomption.
Une autre raison qui motive notre opposition à la
présomption de 30 % est le fait que, dans certaines provinces
canadiennes, notamment en Ontario, depuis 1986, on prévoit un partage
égalitaire des biens familiaux entre les conjoints, l'entreprise
familiale faisant partie des biens familiaux partageables. Il semble même
qu'en Ontario le tribunal ne déroge pratiquement jamais au principe des
50 % en cas de rupture. Nous ne demandons pas que l'entreprise familiale fasse
partie de la masse de biens contenus dans le patrimoine familial, mais quand il
est établi qu'il y a collaboration, partir d'une présomption
égalitaire et neutre de 50 % nous apparaît tout à fait
justifié. (10 h 30)
Un dernier motif nous pousse à nous opposer à une
présomption de 30 %. Nous craignons qu'un tel pourcentage ne
devienne,
conséquemment, à l'interprétation de la loi par les
tribunaux, une limite au-delà de laquelle les juges hésiteront
à aller. Les 30 % pourraient ainsi devenir un point de
référence autour duquel serait établie la valeur de
l'actif de l'entreprise qui serait accordée à la conjointe
collaboratrice. Devrait-on, alors, faire des 30 % un minimum auquel aurait
droit l'épouse aussitôt qu'il est établi qu'elle a
collaboré? Nous ne le croyons pas, car il est possible que la
collaboration ne représente que 10 % ou 20 % de la valeur de l'actif net
de l'entreprise. Encore là, par souci d'équité, c'est la
présomption de 50 % qui nous semble plus adéquate. Nous croyons,
de plus, que cette présomption devrait être établie en
tenant compte de la durée, de la qualité de la collaboration et
du nombre d'heures travaillées.
Considérant tout ce qui vient d'être dit, nous recommandons
que lorsqu'il sera établi qu'il y a eu collaboration dans l'entreprise
familiale la preuve au droit à une prestation compensatoire soit, dans
le cas du conjoint collaborateur, facilitée par l'établissement
d'une présomption selon laquelle sa collaboration équivaudrait
à une part de 50 % dans l'actif net que son conjoint possédait
dans l'entreprise familiale pendant cette période. Si un des deux
conjoints veut contester à la hausse ou à la baisse la
présomption établie, le fardeau de la preuve que la
présomption lui cause préjudice reposera sur lui. Le tribunal
devra, si la norme de 50 % est contestée, tenir compte de la
qualité de la collaboration pour déterminer si les 50 % doivent
être révisés à la hausse, à la baisse ou
maintenus.
Par ailleurs, considérant la nécessité de
protéger la valeur de l'actif net de l'entreprise contre une
dilapidation volontaire des biens qui le composent, nous recommandons qu'il
soit possible, lorsque le recours à la prestation compensatoire est
utilisé, de comptabiliser dans l'actif net de l'entreprise, la valeur
des transactions faites dans les six mois précédant la fin de la
collaboration réduisant de façon appréciable la valeur de
cet actif.
Je vous remercie de m'avoir écoutée. Je vous
présente donc Mme Charest qui vous parlera des différents
régimes matrimoniaux.
Mme Charest (Micheline): M. le Président, en dernier lieu
nous aimerions vous faire part de nos remarques concernant les
différents régimes matrimoniaux. En ce qui regarde la
société d'acquêts, nous avons remarqué que le
gouvernement n'a pas emprunté a la première voie d'orientation
l'idée de considérer les droits à des régimes
enregistrés de pension et autres rentes publiques et privées
comme étant des acquêts, comme c'est le cas dans d'autres
provinces. C'est pourquoi nous recommandons que les gains accumulés dans
les régimes de pension publics et privés et dans les
régimes de participation aux bénéfices soient
qualifiés d'acquêts dans le régime de la
société d'acquêts. M. le Président, comme vous le
savez certainement, les professionnels n'ont pas accès aux
régimes de rentes publics. Ils doivent donc faire l'achat de
régimes de rentes privés et si le gouvernement décide
d'exclure les régimes de rentes privés des acquêts, il
pénaliserait automatiquement tout conjoint de professionnel.
Nous aimerions de plus attirer votre attention sur un problème
particulier et très fréquent, à savoir que le
régime de la société d'acquêts n'apporte pas de
protection réelle dans le cas où un des conjoints parvient
à masquer l'existence de ces acquêts. Parmi les moyens
utilisés, citons entre autres le transfert temporaire de la
propriété d'un bien à un ami ou encore l'entreprosage de
biens hors de la vue et du su de tous. Là encore, M. le
Président, je crois que c'est une situation que l'on connaît tous.
On a tous entendu parler de quelqu'un qui, prévoyant demander un
divorce, se départissait de façon illicite, mais non moins
efficace, de ses biens. Je pense qu'il y a là une lacune à
laquelle il faudrait trouver une solution.
À la suite de ces considérations, nous demandons que des
solutions soient envisagées pour qu'un meilleur contrôle soit
exercé sur la masse de biens constituant les acquêts de chacun des
conjoints, particulièrement lorsque le calcul et le partage de ces biens
est requis.
Quant au régime de la communauté de biens, puisque nous
appuyons la conversion dudit régime en société
d'acquêts, nous nous interrogeons quant au sens et à
l'utilité du maintien du régime de la communauté de biens.
Nous recommandons donc que soit aboli définitivement le régime de
la communauté de biens au Québec.
Finalement, nous désirons soumettre une recommandation
spéciale pour que soit instauré un tribunal de la famille dont
les fonctions s'étendraient de la médiation au jugement, dans les
cas de litiges intrafamiliaux. Pour le mot de la fin, je passerai la parole
à Mme Yolande Bédard, présidente de notre association.
Mme Bédard: Depuis sa fondation en 1980, l'ADFC a suivi de
très près les nombreuses modifications apportées au droit
de la famille au Québec. Nous avons tenté de faire en sorte que
la reconnaissance du travail des femmes collaboratrices soit l'un des enjeux de
ces remaniements. Les propositions gouvernementales semblent ouvrir la voie
à des rapports économiques plus équitables entre
conjoints. La femme collaboratrice pourrait y trouver son compte en tant
qu'épouse, grâce à l'institution d'un patrimoine familial
et en tant que partenaire dans l'entreprise familiale par la bonification de la
prestation compensatoire.
Les autres mesures proposées par le gouvernement concernant la
protection de la résidence familiale, les régimes matrimoniaux et
les successions vont aussi dans le sens d'un meilleur équilibre des
rapports économiques des conjoints. Nous avons des recommandations
à faire au
gouvernement sur plusieurs de ces propositions et les autres groupes et
organismes en ont aussi. Mais il serait agréable, avant la fin des
années quatre-vingt, que le Québec en vienne à un certain
consensus sur la façon la plus équitable de régir les
liens économiques entre conjoints. Nous avons vu que les propositions
concernant la prestation compensatoire peuvent mener à la reconnaissance
du travail de la collaboratrice à la fin de la collaboration. Si c'est
le cas, peut-être faudrait-il maintenant, pour ce qui est du temps que
dure la collaboration, se tourner vers le droit commercial pour trouver un
statut juridique particulier au conjoint collaborateur dans l'entreprise
familiale.
Le Président (M. Jolivet): Merci, madame. Mme la
ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Monsieur le Président. Merci,
mesdames, de votre excellente présentation. Je sais qu'il y a fort
longtemps que les femmes collaboratrices travaillent sur ce dossier et, entre
autres, sur l'amélioration de la prestation compensatoire.
Je vois que vous nous demandez d'augmenter la présomption
légale à 50 % comparativement à 30 %, tel que
mentionné dans le document. Vous comparez beaucoup l'entreprise
familiale à celle qu'on retrouve, par exemple, dans le régime qui
existe en Ontario. Je suis toujours un peu mal à l'aise de comparer avec
le régime de l'Ontario et lorsqu'on pourrait laisser supposer que les
femmes du Québec sont peut-être moins bien
protégées, parce que ces régimes sont quand même
très différents. Les autres provinces ne sont pas soumises au
Code civil, mais bien à la "common law" et, en Ontario, lorsqu'on parle
du partage de 50 %, il faut dire qu'on a aussi le droit d'y renoncer. On peut
faire toute convention contraire à un moment donné de sa vie.
Donc, finalement, ce 50 % n'a pas la même valeur, à un moment
donné, que si on n'avait pas le droit d'y renoncer.
L'idée du 30 % était, d'une part, une certaine
présomption. On s'est dit que cela permettrait sûrement, à
ce moment-là, à la collaboratrice d'éviter un recours en
justice. Donc, 30 %, c'est vrai que c'est arbitraire; cela aurait pu être
25 % ou 20 %. Vous avez raison quand vous dites: Sur quoi vous basez-vous? On
se disait que 30 %, peut-être que cela pourrait éviter de nombreux
recours en justice et, par contre, cela n'empêche pas les collaboratrices
de demander davantage si la collaboration a duré plus longtemps,
etc.
Vous parlez de durée de la collaboration, mais vous parlez
également de qualité de la collaboration. Je trouve très
difficile de pouvoir quantifier la qualité. Sur quoi peut-on se baser
pour qualifier la qualité? Sur, je ne sais pas: être
présente toute la journée, huit heures par jour, ou encore
partiellement ou parce que, finalement, c'est le patron de l'entreprise et
à cause des compétences quelconques. Je trouve quand même
que lorsque arrive une dissolution, il m'apparaît très difficile
d'identifier la qualité, beaucoup plus difficilement, entre autres, que
la durée, puisque pour cette durée, on peut en faire une
preuve.
Vous parlez également de l'enregistrement d'une
déclaration de collaboratrice et là je cite "une
déclaration de statut". Il y a longtemps que je sais que c'est une de
vos recommandations et depuis fort longtemps. Je voudrais savoir, d'une part,
si cet enregistrement de déclaration... Est-ce que vous parlez d'une
déclaration unilatérale ou d'une déclaration
bilatérale? D'autre part, toujours en rapport avec la prestation
compensatoire, vous parlez d'un partage lors de la cessation volontaire du
collaborateur ou de la collaboratrice. Cela me fait peur, jusqu'à un
certain point, dans le sens: Est-ce que vous avez réfléchi et
est-ce que vous avez des solutions sur ce que cela pourrait entraîner
pour une entreprise, les difficultés ou les contraintes que devrait
subir l'entreprise? Est-ce que ce serait un danger pour que cette entreprise
soit mise en faillite? Aussi, pour ce qui est des créanciers, est-ce que
ce serait une belle façon de demander des garanties supérieures:
finalement de craindre énormément quant aux garanties puisque, du
jour au lendemain, la collaboratrice décide de cesser sa collaboration
et demande un partage en vertu de la prestation compensatoire. Qu'arrive-t-il,
à ce moment-là, des créances? C'est une quantité de
questions que je me pose. Je sais qu'on en a déjà parlé.
Je me demande si, à ce moment-ci, vous avez réfléchi et
vous avez d'autres solutions à apporter face à ces nombreuses
interrogations que j'avais antérieurement et que j'ai encore
présentement. Je ne sais pas si cela a suffisamment évolué
et si vous avez des réponses à ces questions.
Le Président (M. Jolivet): Mme Bédard.
Mme Bédard: Peut-être que je vais commencer par la
dernière question, c'est celle qui est la plus récente à
ma mémoire: ce fameux partage à la suite d'un retrait volontaire.
Vous savez, Mme la ministre, quand les gens sont associés et que l'un
des deux associés décide de quitter, c'est exactement le
même problème vis-à-vis des créanciers. La
société est dissoute et là on affronte exactement le
même problème.
En effet, nous avons...
Mme Gagnon-Tremblay:... régime matrimonial.
Mme Bédard: Pardon?
Mme Gagnon-Tremblay: Tout dépend du régime
matrimonial.
Mme Bédard: Aussi, oui. Dans le cas qui
nous occupe, ce que je veux dire, c'est que nous avons envisagé
quand même des façons de ne pas mettre ou de mettre moins
l'entreprise en péril au moment du départ. Nous avons
envisagé des façons de réclamer notre dû, mais d'une
façon peut-être progressive et non pas de réclamer tout
d'un coup, de manière à mettre l'entreprise en trop grande
difficulté. Il ne faut pas oublier non plus que si la femme, qui a
travaillé dans une entreprise familiale pendant quinze ans, avait
reçu au fur et à mesure les montants d'argent qu'elle a
gagnés dans l'entreprise, cette dernière ne serait pas au point
où elle est.
Alors, il faut bien comprendre aussi que ce qu'elle réclame, ce
n'est pas un cadeau de l'entreprise; elle réclame ce qu'elle y a
gagné, tout simplement. Dans ce domaine-là, je me demande
jusqu'à quel point il va falloir sacrifier encore une fois le
bien-être des femmes et des enfants qui partiront peut-être avec
elles à la survie d'une entreprise. Encore une fois, nous avons
prévu, à l'intérieur de nos mesures, des choses qui vont
permettre de nous retirer progressivement d'une entreprise en faisant en sorte
qu'on ne demande pas à l'entreprise de remettre tout de suite, tout d'un
coup, un gros montant d'argent qui mettrait sa survie en péril. (10 h
45)
Mme Gagnon-Tremblay: Quant à la déclaration de
statut de collaboratrice, est-ce qu'il s'agit d'une déclaration
unilatérale ou d'une déclaration bilatérale?
Mme Bédard: Nous avons discuté à plusieurs
reprises à ce sujet, Mme la ministre, et si je vous disais aujourd'hui
que c'est une déclaration unilatérale, vous ne voudriez
même pas m'entendre. Alors, je suis bien obligée de vous dire que
c'est une déclaration conjointe. Mais je continue de vous souligner le
danger qu'il y a à n'accepter que la déclaration conjointe. Vous
comprenez que si je travaille dans mon entreprise depuis 26 ans et que
jusqu'à maintenant, on n'a fait encore aucune démarche, si on ne
s'est jamais organisés sur le plan légal, si je travaille tout
simplement dans une entreprise de propriétaire unique et qu'au bout de
26 ans je me réveille enfin et que je dis: Mais écoute, il y a
des choses dans cette entreprise-là qui m'appartiennent, j'y travaille
à temps plein depuis 26 ans et que mon mari dit: Non, je ne veux pas
m'associer, je ne veux pas me mettre en compagnie, je dis: Veux-tu qu'on fasse
une déclaration conjointe pour bien dire que je travaille dans
l'entreprise et que je suis une collaboratrice? Non, cette histoire-là
ne m'intéresse pas, je n'y vois aucun avantage. Lui, n'y voit aucun
avantage et c'est normal.
Alors il me resterait un recours, celui de déclarer et de
déposer officiellement. Je travaille quand même depuis 26 ans dans
mon entreprise familiale et je mets le papier dans un greffe quelconque pour
que ce soit reconnu et que jamais du jour au lendemain on puisse dire: Cette
femme-là était une femme au foyer; elle a bien mené sa
maison, elle a bien élevé ses enfants alors qu'elle a
peut-être pris sur ses épaules les trois quarts de
l'entreprise.
Tous ici, tant que vous êtes, vous connaissez des femmes qui ont
travaillé peut-être à 30 % dans l'entreprise, mais vous en
connaissez tous qui ont travaillé à 60 % et 70 % et qui ont tenu
sur leurs épaules la survie d'une entreprise. Vous savez, le talent en
entreprise, la faculté de bien réussir, ces
qualités-là n'ont pas de sexe. Même si c'est le mari qui a
signé le jour où on a fait un premier emprunt à la banque
pour se procurer le départ d'une entreprise, après cela les deux
sont venus et ont travaillé à payer la dette. L'entreprise, c'est
vrai, elle est au nom du mari, mais dans les faits elle ne lui appartient pas
toujours. Elle appartient aux deux conjoints qui y ont travaillé et aux
enfants qui ont contribué à y travailler aussi.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Bédard. Quant à la
preuve, quant à la durée et la qualité, est-ce que vous
avez des propositions à nous suggérer? Est-ce que vous avez
pensé, par exemple, aux critères sur lesquels on devrait
s'appuyer pour vraiment en faire la preuve la moins difficile possible?
Mme Bernard: Je pense qu'un des mécanismes qui pourraient
être prévus, ce serait ni plus ni moins l'inscription comptable
des heures qui sont investies dans les entreprises. Ce n'est quand même
pas une chose si difficile que cela à faire quand on s'arrête
à y penser et c'est une proposition que l'ADFC maintient depuis le tout
début. On demandait aux collaboratrices d'inscrire le nombre d'heures
qu'elles mettaient dans les entreprises, parce que souvent les femmes
réalisaient que c'est en marquant les heures qu'elles faisaient dans
l'entreprise, qu'elles réalisaient que finalement, elles étaient
vraiment des collaboratrices. Je prends un exemple qui concerne beaucoup de
femmes. Supposons l'époux électricien ou
vétérinaire, c'est à peu près le même cas.
Quand l'époux peut compter sur une femme qui est à la maison, qui
reçoit les appels téléphoniques, qui accueille les
clients, qui dirige, qui dit à l'époux par communication: Au lieu
de t'en venir à la maison, va donc chez tel cultivateur à l'autre
bout du rang, il vient d'appeler et il a besoin d'aide. Cette
personne-là, ce mari-là, cet époux-là a en fait une
personne très précieuse qui l'aide à améliorer la
qualité de son travail et à faire progresser son entreprise.
L'électricien, c'est grâce à des contacts comme cela qu'il
va s'établir.
Donc, on a demandé et on continue de demander aux femmes de bien
comptabiliser les heures qui sont mises dans les entreprises. Je pense que cela
c'est le premier départ. Les femmes ont réalisé, lors des
enquêtes, au moment où on a demandé aux femmes: Est-ce que
vous travaillez dans l'entreprise?, la première réponse
c'était: Non, moi, je ne travaille pas dans les entreprises.
Quand on posait les questions sous-jacentes: Est-ce que vous recevez les appels
téléphoniques? Est-ce que vous faites la comptabilité?
Est-ce que vous faites les courses? ah! bien oui, c'est bien vrai, j'emporte le
morceau. Ah! c'est vrai, je fais cela. Ah! c'est vrai, je remplace
l'employé qui est malade. C'est vrai ceci, c'est vrai cela. Les femmes
n'avaient pas l'impression qu'elles travaillaient dans les entreprises et elles
ont réalisé qu'elles y travaillaient.
Donc, le mécanisme privilégié en partant, c'est de
comptabiliser le nombre d'heures qu'on met dans les entreprises. À ce
moment-là, on voit qu'on dessine un tableau très
intéressant, parce qu'il y a aussi les périodes
saisonnières. Il y a des saisons où on travaille plus et des
saisons où on travaille moins. Mais il reste qu'on fait un
équilibre et on le réalise.
Mme Gagnon-Tremblay: Mais croyez-vous, Mme Bernard, que compte
tenu des nombreuses heures de travail que les femmes mettent dans une
entreprise. En pratique, croyez-vous que ces femmes vont véritablement
prendre le temps de comptabiliser toutes leurs heures?
Mme Bernard: Ce ne sont pas toutes les femmes qui vont en prendre
le temps. Mais si elles ne le font pas, il y a un mari qui va le faire à
côté, s'il sait que ces heures-là sont importantes.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui.
Mme Bernard: C'est sûr que c'est toujours le
problème que vous me soulignez. C'est, pour ainsi dire, la relation qui
existe entre le fait qu'on est à la fois épouse, à la fois
femme au foyer et femme-collaboratrice. Ce sont deux réalités.
C'est un fait. Mais je ne suis pas sûre, non plus, que ce soit aussi
difficile que cela, parce que cela ne prend pas tant de temps que ça
à évaluer le temps qu'on met dans une entreprise, parce que si tu
as toujours le même quotidien, dans le fond, tu la fais, ton
équivalence et tu dis, à un moment donné: Cette semaine,
je t'en ai donné un peu moins, j'ai travaillé un peu moins, mais
la semaine suivante, j'ai travaillé plus aussi. Il y a un
équilibre qui s'établit.
Mme Bédard: J'aurais aimé ajouter quelque chose,
Mme la ministre. C'est un cas vécu qui nous est arrivé, il y a
quelques semaines. Une dame vient me voir à la suite d'une
réunion et me dit: Écoute, j'ai parlé avec mon mari -
parce que dans cette région, c'est une femme qui passe vraiment pour ce
qu'elle est, d'ailleurs, une excellente administratrice dans son entreprise et
elle y travaille vraiment plus qu'à temps plein - elle dit: On travaille
tous les deux dans l'entreprise et j'aurais bien voulu qu'on s'associe, parce
que, là, je trouve que je ne suis pas protégée. Mais quand
j'en parle à mon mari, il me dit: On ne peut pas s'associer 50-50, parce
que, vois-tu, le temps que tu passes à prendre soin des enfants, tu n'es
pas à l'entreprise. Alors, elle a dit: Je ne sais pas comment arranger
mes affaires. Elle dit: Tu vois, il se lève à six heures. Moi, je
me lève à cinq heures, parce qu'il va falloir que je revienne
à la maison à sept heures pour pouvoir envoyer les enfants
à l'école.
Alors, elle dit: Je travaille jusqu'à sept heures; je reviens
vite à la maison; j'envoie les enfants à l'école. Je
retourne à l'entreprise à huit heures et, là, je travaille
jusqu'à onze heures et vingt. Mais à onze heures et vingt, je
m'en viens vite faire le dîner et, là, il vient dîner
à midi et je me dépêche jusqu'à une heure pour
pouvoir retourner avec lui. Cela continue comme ça vers la fin de
l'après-midi et, après souper, pendant que les enfants font les
devoirs, elle peut voir un peu à la comptabilité qu'elle n'a pas
eu le temps de faire pendant la journée.
Alors, elle dit: Tu vois, je perds du temps pour l'entreprise, alors
que, lui, il est à temps plein dans l'entreprise. Je lui ai dit: Madame,
vous avez un moyen bien simple de régler cela. Prenez donc chacun votre
semaine. Qu'il y ait donc une semaine où toi, tu vas te lever à
six heures et tu t'en iras directement à l'entreprise et tu y passes
toute ta journée. Tu arriveras à midi devant ton dîner fait
et, lui, il courra dans la maison. Alors, une semaine sur deux, c'est
l'égalité parfaite, sauf que je ne sais pourquoi, elle semblait
penser que ça pouvait marcher chez elle. C'est un des problèmes
qu'on a. Vous avez raison, à celui-là, je n'ai pas trouvé
de solution autre que celle dont je vous parle.
Mme Gagnon-Tremblay: Très amusant, Mme Bédard.
J'aimerais quand même que vous me parliez de la qualité. Comment
voyez-vous cela, la qualité? Qu'est-ce que vous voulez dire par
qualité quand vous parlez de la qualité? C'est quoi?
Mme Bédard: Quand je vous parle de qualité,
voyez-vous, je me mets en comparaison la valeur du travail de la femme qui est
dans l'entreprise avec celle des employés. Là, je vais me faire
détester par un paquet de gens. Quand on engage des gens et qu'on les
fait travailler dans nos entreprises, ils font les heures qu'ils sont
censés faire et c'est normal. Même s'ils n'ont pas fini à
quatre heures et qu'ils doivent quitter, ils quittent. Même s'ils ont
deux lettres d'écrites sur la feuille quand la pause-café arrive,
ils vont aller prendre leur pause-café. Mais si vous êtes dans
votre propre entreprise et que vous n'avez pas fini à quatre heures,
vous allez continuer jusqu'à cinq heures, cinq heures et demie ou six
heures moins le quart.
Après souper, si vous voyez que, franchement, il aurait fallu,
pour que cela aille bien le lendemain matin à en faire un petit bout le
soir,
vous allez continuer tranquillement, comme ça, en vous reposant,
à en faire un petit bout le soir. C'est cela, la différence,
voyez-vous et, chez nous, on n'a jamais eu d'employés qui prennent assez
notre entreprise à coeur pour en faire autant.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Bédard. La dernière
question, c'est sur la valeur nette de l'entreprise. Oui.
Le Président (M. Jolivet): Madame... Mme
Gagnon-Tremblay: Je m'excuse.
Mme Charest: Mme la ministre, tout à l'heure vous parliez
du danger de mettre en péril l'entreprise lorsque la collaboratrice
décidait de son propre gré de cesser la collaboration.
Peut-être que vous aviez à l'esprit, à ce moment, justement
la qualité de la collaboration du travail de la collaboratrice.
Effectivement, je serais inquiète que toutes les collaboratrices, un
jour, décident de se retirer de l'entreprise. Je serais inquiète
de la survie de l'entreprise.
Le Président (M. Jolivet): Merci, Mme Charest. Mme la
ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Je reviens sur la valeur nette. Vous avez
soulevé quelque chose concernant la valeur nette et ce qui touche
davantage, je pense, la qualité des fermes agricoles. Vous avez raison.
Moi aussi, je pense qu'il y a quelque chose là lorsque vous parlez, par
exemple, de l'emprunt de la résidence pour garantir le reste de la ferme
ou de la machinerie ou quoi que ce soit. Je pense qu'il y a là quelque
chose finalement où vous avez totalement raison.
Par contre, je me disais: Si on ne se base pas sur la valeur nette,
avez-vous identifié sur quoi on devrait se baser, par exemple? Comment
pourrait-on le faire?
Mme Charest: Non, on n'a pas envisagé cela. On a juste
identifé le problème et on s'est dit qu'il ne fallait pas passer
dessus. Il fallait vraiment prendre le temps de l'étudier. On s'est
rendu compte qu'il fallait vraiment peut-être des gens plus
qualifiés que nous en comptabilité pour pouvoir établir ce
qui en est. On ne voulait pas oublier de vous le mentionner. Vous avez en main,
probablement, plus d'experts que nous en avons en tant qu'organisme à
but non lucratif pour pouvoir voir à ce problème.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, mesdames.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Je souhaiterais que
vous m'indiquiez peut-être à la moitié du temps qui nous
est dévolu pour que
Mme la députée de Marie-Victorin puisse également
dialoguer avec nos invitées. Je vous salue Mme Bédard, ainsi que
les personnes qui vous accompagnent. En vous écoutant, je me disais:
Finalement, il y a une présomption de collaboration dans l'entreprise
à 30 %, mais dans le fond, il y a une présomption de travail au
foyer à 100 %. Je me suis mise à rêver d'un jour où
on aura, dans nos lois, une présomption de travail au foyer
partagée par les deux conjoints à 50 %. Disons que là ce
serait peut-être vraiment ce qui serait innovateur. Ce qui me permet,
dans le fond, de vous mentionner un peu la constatation que j'ai pu faire
depuis le début de nos travaux, contrairement à l'opinion,
peut-être, de bien de nos concitoyens. Il ne s'agit pas de mettre le
Québec en avance sur ce dossier. Il s'agit surtout de corriger les
retards que le Québec accuse à l'égard de ces
questions.
Ce n'est pas là, sans doute, une opinion qui est encore celle,
disons de la majorité. Mais les travaux de notre commission vont
certainement permettre d'empêcher que ne se transmette ce retard
qu'accuse le Québec en matière de droit économique des
conjoints, en matière de partage. J'ai donc relativement peu de temps.
J'aimerais profiter de votre présence pour connaître
l'expérience que vous avez en matière de résidence
familiale, parce que vous avez mentionné combien souvent vous avez fait
valoir une sorte de harcèlement, en tout cas, des demandes que les
femmes sont amenées à faire pour résilier finalement leur
déclaration de résidence familiale. Vous l'avez mentionné
à la page 8. Vous l'avez mentionné aussi à la page 16, je
crois. Vous faites état, dans bien des cas, de pressions morales.
J'aimerais vous en entendre parler.
J'aimerais également que vous nous indiquiez comment vous
expliquez qu'il y ait progression du régime matrimonial en
séparation de biens pour les femmes collaboratrices, contrairement
à la progression du régime de société
d'acquêts chez les jeunes couples qui se marient présentement. Ce
serait sans doute intéressant de voir cela. Est-ce que chez les couples
qui sont en entreprise, finalement, il n'y a pas - c'est ce que semblent dire,
en tout cas, vos études - on ne retrouve pas plus fréquemment le
régime de séparation et ce serait intéressant de savoir
pourquoi, selon vous. Évidemment, j'aimerais beaucoup vous entendre plus
longuement nous parler de l'enregistrement de la déclaration de statut
de collaborateur. Je me rappelle le sommet - la première partie, enfin
il n'y en a eu qu'une puisque la deuxième partie du sommet a
été annulée - des droits économiques des femmes en
juin 1985, où on était arrivées à presque se faire
confirmer cette déclaration de statut de collaboratrices. Je me rappelle
M. Duhaime, qui était ministre des Finances à l'époque et
qui, un peu à son corps défendant, était quand même
venu vous dire oui à un comité ministériel pour
étudier la question. Où est-ce que cela en est? Est-ce que,
depuis trois ans, cela n'a pas bougé?
Est-ce que vous avez encore comme objectif d'amener le gouvernement
à reconnaître la nécessité d'une telle
déclaration? J'aimerais vous entendre sur cette question. (11
heures)
Mme Bédard: Oui, nous en avons toujours l'intention. Nous
pensons toujours à la nécessité d'une déclaration
possible de statut pour les conjoints partenaires. Je dois dire, cependant, que
même si nous n'avons pas encore obtenu la déclaration de statut,
nous avons obtenu beaucoup de choses qui étaient demandées dans
la déclaration de statut. Nous les avons obtenues d'une autre
façon. À peu près tout ce qui regarde le statut de
conjoint salarié, par exemple, parce qu'à l'intérieur de
notre statut il y avait deux volets: conjoint salarié et conjoint
partenaire, a été obtenu depuis le début, sauf le droit
à l'assurance-chômage qui ne relève pas du provincial, mais
du fédéral. D'autre part, dans l'autre partie, celle du conjoint
partenaire, il y a là aussi beaucoup de points qui sont en
progrès ou qui ont été obtenus depuis 1985. Mais il reste
encore certains points à obtenir et nous continuons d'y travailler.
Mme Harel: Malgré cela, pour quel motif
considérez-vous encore utile qu'il y ait une telle déclaration de
statut collaborateur?
Mme Bédard: Parce que c'est une alternative à
l'association ou à la compagnie telle qu'on la reconnaît dans le
véritable domaine commercial. Chez nous, il s'agit d'entreprises
familiales. Je sais qu'ils ont le droit de s'associer ou de se mettre en
compagnie et nous encourageons nos gens à le faire. Mais s'ils ne
veulent pas le faire, que ce soit pour des raisons économiques ou
autres... Il peut y avoir d'autres raisons quand même, il y a toutes
sortes d'entreprises chez nous. Il y a les entreprises, par exemple, où
deux frères seront associés et seulement une des femmes sera
collaboratrice de son conjoint, l'autre a un emploi à
l'extérieur, et ainsi de suite. Il y a toutes sortes de situations
où ce n'est pas si simple que cela. Donc, dans plusieurs cas, un statut
serait utile.
Le Président (M. Jolivet): Mme Charest.
Mme Charest: Je pourrais peut-être ajouter un autre domaine
où il n'y a absolument aucune possibilité d'association ou
d'achat de parts, c'est encore le domaine des professionnels évidemment.
La conjointe d'un professionnel ne peut pas avoir accès à
l'entreprise de son mari, bien qu'elle y ait travaillé
présumément à 50 % et peut-être plus. En plus,
advenant le décès d'un conjoint professionnel, selon les
professions, entre autres, si je prends un exemple particulier, dans la
profession de la médecine dentaire, la conjointe a 90 jours à
partir du décès du conjoint pour vendre sa pratique, chose que
les acheteurs savent. Alors, cela se négocie mal, et après ce
délai de 90 jours, nous devons retourner les dossiers à l'Ordre
des dentistes qui, à ce moment-là, répartira les dossiers
sur lesquels nos conjoints ont travaillé avec nous pendant des
années, pour établir une clientèle, et répartira
ces dossiers au prorata des dentistes et de la population du secteur
mentionné. Alors, nous n'avons pas grand choix. ' C'est pour cela que la
déclaration, pour nous, à ce moment-là, est autrement plus
importante.
Le Président (M. Jolivet): Mme Bernard.
Mme Bernard: Mme la députée, dans ses
prémisses, nous avait questionné sur la déclaration de
résidence familiale, la résiliation. Il faut dire qu'à
l'association, les premiers cas qui nous sont venus étaient du milieu
agricole. C'étaient de femmes qui vivaient dans des entreprises
agricoles, qui avaient besoin de négocier d'autres prêts
d'amélioration ou de progression d'entreprise. À partir de ce
moment-là, les institutions financières, aussi bien les banques,
les caisses que le crédit agricole, demandaient aux femmes de
résilier leur déclaration de résidence familiale. D'abord,
la plupart des femmes ne l'avaient pas fait. Alors, elles se sont dit: Pourquoi
me demande-t-on cela? Qu'est-ce qui se passe? Cela les a insultées,
chatouillées. Elles ont dit: Ce n'est pas normal, si on gagne un droit
d'un côté, celui de déclarer la résidence familiale,
et qu'on me l'enlève dès qu'il arrive une négociation sur
le plan financier à quoi cela me sert de l'avoir? Il faut comprendre que
l'argumentation des institutions financières, à ce jour, est, en
tout cas, celle qu'elles nous servent, de dire: II faut faire cela parce que
cela nous prend des garanties pour les emprunts qu'on fait. Mais on sait
très bien que les garanties sont souvent au-delà du montant
qu'ils nous prêtent, dans le fond. Ils vont nous prêter un montant
X, veut aller chercher plus de garanties et laisser cela longtemps,
jusqu'à ce qu'on ait presque effacé notre dette. C'est une
situation qui fait, pour nous, en agriculture et en affaires parce que je sais
que cela se présente aussi pour les commerces, on en a eu des
témoignages. C'est pour cela qu'on dit que la déclaration de
résidence familiale, actuellement, pour une collaboratrice, c'est une
espèce de couteau à deux tranchants. À la femme qui est
prise là-dedans, le mari dit: Écoute, si tu ne fais pas cela, je
n'ai pas d'emprunt. Il faut bien que tu fasses cela. Comme la femme a à
coeur que l'entreprise progresse, parce que dans son esprit c'est autant
à elle qu'à son mari, elle dit: Je ne peux pas ne pas le faire,
il faut que je le fasse. Mais là, elle n'a plus de protection.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Je pense que monsieur... Le Président (M.
Jolivet): Oui.
M. Leblanc (Donald): Pour parler de la question d'une
déclaration de statut, si on en parle encore, et cela répond
à la question de Mme la ministre sur l'unilatéral ou le
bilatéral, l'aspect qu'on essaie de ne pas perdre de vue, c'est que ce
que cherche l'ADFC, c'est un moyen qui serve de pression, d'une certaine
façon, pour en venir à une entente entre les conjoints dans
l'entreprise familiale. Dans une déclaration de statut, ce qui est
différent de toute autre forme d'entreprise, c'est la possibilité
qu'un conjoint puisse entreprendre une démarche pour venir à cela
parce que contrairement aux autres associés en affaires qui vont en
venir à dire: On s'assoit ensemble et on établit comment on
fonctionne dans l'entreprise, les conjoints collaborateurs sont dans une
situation de fait qui n'est pas nécessairement régularisée
à la base. On se retrouve peut-être à ce moment-là
dans une situation, de relation de travail que le gouvernement pourrait aider
à régulariser. C'est pour cela qu'on cherche un instrument qui
soit une déclaration de statut unilatérale ou bilatérale,
mais qui serve de pression, pas d'étranglement envers le conjoint, qui
serait peut-être un incitatif à la création d'ententes
entre les deux conjoints. C'est peut-être dans ce sens qu'il faut
concevoir la question à la base.
Le Président (M. Jolivet): Merci, M. Leblanc.
Mme Harel: J'imagine qu'il y a alternance, et on reviendra avec
Mme la députée de Marie-
Victorin. Peut-il y avoir une cession volontaire sans qu'il y ait la fin
du couple?
Mme Bédard: Certainement.
Mme Harel: Cela vous apparaît plausible qu'il y ait cession
volontaire...
Mme Bédard: Je peux être malade et ne plus pouvoir
travailler dans l'entreprise, pour une raison ou pour une autre. On peut
m'avoir offert un emploi qui serait bon pour ma carrière et mon
compagnon est d'accord pour que je saisisse cette occasion. Je peux avoir des
enfants qui seront bientôt en âge de prendre la place dans
l'entreprise. Mon mari peut alors comprendre que je veuille m'orienter
différemment.
Mme Harel: Oui, Mme Bédard. Évidemment, c'est
intéressant parce que vous avez cette expérience, mais on parle
d'un cas où il y a cession volontaire, justement parce que le conjoint
mari n'est pas d'accord. Sinon, cela peut se faire à l'amiable.
Là, on parie d'une loi dans laquelle il y a une cession volontaire, une
disposition qui est un droit, qui donne lieu à un recours. Ce recours
peut être utilisé en situation où le mari est en
désaccord et vous pensez qu'il peut y avoir un recours, que le recours
peut s'exercer sans pour autant qu'il y ait la fin du couple.
Mme Bédard: C'est une situation hypothétique, c'est
difficile de se prononcer, sauf que je pense que si on est rendus à ce
moment-là où on ne peut vraiment plus travailler ensemble,
peut-être peut-on continuer de vivre ensemble, mais si on ne peut plus se
voir au travail et qu'on a travaillé ensemble pendant des années,
il faut savoir si on peut continuer de se voir ailleurs qu'au travail. Sinon,
je pense que c'est peut-être aussi bien de laisser faire.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marquette, il vous reste deux minutes, environ.
M. Dauphin: II reste deux minutes? Le Président (M.
Jolivet): Pour vous.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. D'ailleurs, je suis
fier de voir que vous occupez des fonctions que vous connaissez bien, que vous
avez très bien connues sous un autre gouvernement. Il me reste une
minute et demie, je vais passer directement à mes questions. Je les pose
tout de suite toutes les trois. La première a rapport aux dispositions
transitoires. Vous vous prononcez contre, vous dites que si on permet au couple
de pouvoir renoncer à cette masse partageable, cela va atténuer
l'objectif visé, c'est-à-dire une meilleure
sécurité économique des conjoints. J'aimerais vous
entendre là-dessus.
La deuxième question concerne la computation de la valeur de
l'actif net dans l'entreprise. Vous nous dites, à un moment
donné, que nous devrions prévoir, un peu comme on peut le faire
en droit de la faillite, que toutes les transactions ayant eu lieu, dans un
délai de six mois nous puissions les computer dans l'actif net de la
famille. Ma question se rapporte évidemment à la preuve. Je
présume que c'est à l'épouse à ce moment-là
ou au conjoint de prouver que ces transactions ayant eu cours six mois avant la
séparation ont été faites ni plus ni moins
frauduleusement. Puisque si c'est dans le cours normal de l'entreprise, je
verrais mal que l'on puisse prêter une mauvaise foi quelconque à
la personne. Évidemment si on réussit à prouver que c'est
de la fraude et que cela a été fait
délibérément pour diminuer les actifs de la compagnie ou
de l'entreprise, je serais entièrement d'accord avec vous.
Troisièmement, j'aimerais vous entendre sur les conjoints de
fait. Plusieurs groupes nous en ont parlé. J'ai lu attentivement votre
mémoire encore hier et je n'ai rien vu relativement aux conjoints de
fait. Parce qu'une femme...
Mme Bédard: On va commencer par... Oui?
M. Dauphin:... peut avoir collaboré pendant 20 ans en
n'ayant jamais été mariée et elle se retrouve
vis-à-vis de rien au bout de 20 ans. J'aimerais vous entendre
là-dessus.
Le Président (M. Jolivet): Mme Bédard.
Mme Bédard: Je vais commencer par la dernière
puisque vous avez cherché et que vous n'avez rien trouvé et je
vais laisser les autres s'arranger avec les preuves tantôt.
Voyez-vous, nous sommes très mal prises avec les conjoints de
fait. Quand nous avons travaillé sur notre projet de statut, nous avons
interrogé des gens autour de nous et il y en avait, entre autres
à la table des représentantes de différents
ministères, qui nous ont dit: De grâce, laissez-nous tranquilles,
nous les conjointes de fait. Quand nous voudrons être organisées
par les lois, nous ferons comme vous et nous irons nous marier. Si on reste
célibataires, c'est qu'on ne veut pas être
réglementées par tous et chacun. Alors, s'il vous plaît, ne
venez pas essayer de nous entrer dans vos histoires. On a donc dit: Oublions
les conjointes de fait. Parce qu'au départ, on avait dit: Après
trois ans, les conjoints de fait qui veulent faire reconnaître leur
statut dans l'entreprise pourraient le faire. Alors, d'une manière, nous
nous sommes dit: Nous allons appuyer l'idée du Conseil du statut de la
femme qui dit: Ne réglementons pas les gens qui ne veulent pas
l'être.
D'autre part, nous savons pertinemment que nous avons dans notre
association même des femmes qui, sans le dire, vivent des situations de
fait depuis des années, viennent à l'association et suivent nos
activités avec l'idée de vouloir être
protégées par ce qui protège les femmes collaboratrices.
Alors je dois vous dire que nous nous sentons tout à fait assises entre
deux chaises et je pense qu'il va falloir faire une enquête pour savoir
ce que les femmes ou les couples veulent vraiment dans ce domaine-ià. Se
prononcer ici dépasse notre compétence. Je ne peux pas me
prononcer pour celles qui ne veulent pas ni pour celles qui veulent. Est-ce
qu'il faut laisser libre choix au gens? Je ne le sais pas. Il me semble qu'une
femme qui travaille dans l'entreprise depuis des années devrait pouvoir
être protégée. Il est arrivé des cas tout à
fait dramatiques à ce sujet-là. En Ontario Rosa Becker qui s'est
suicidée l'année dernière, avait travaillé 25 ans
dans l'entreprise, le tribunal avait reconnu en fin de compte qu'on lui devait
tout dans cette entreprise-là et elle n'a rien eu finalement.
M. Dauphin:... pour celles qui veulent, je comprends très
bien.
Mme Bédard: Mais, pour le moment, je suis obligée
de vous dire cela. Je n'ai pas de mandat des autres officiellement.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Marie-Victorin.
Mme Vermette: M. le Président, j'aimerais savoir...
Le Président (M. Jolivet): Je m'excuse. Le problème
que j'ai, c'est le temps. Je suis limité par le temps. Je sais que vous
aviez trois questions. Je sais que Mme Bernard voulait répondre à
l'une d'elles. Je suis bien prêt à le faire, mais je dois dire que
vous allez m'obliger à dépasser le temps de quelques minutes.
Alors Mme Bernard, si vous voulez.
Mme Bernard: Je veux juste parler de la mesure transitoire
à laquelle on s'oppose assez énergiquement, à savoir que
cela devrait être effectif dès la déclaration de la loi. Je
pense que nous sommes bien placées pour être capables de le dire
parce que nous avons reçu des témoignages de femmes qui ont
malheureusement connu des règlements très négatifs lors
d'une séparation parce que, justement, le mari avait eu le temps de se
placer les pieds et de s'organiser pour que la femme n'ait pas grand-chose
à partager. De toute façon, actuellement la consultation est
déjà, je pense, un message assez important pour les couples et
beaucoup de gens seront à l'affût. Je pense que c'est
déjà suffisant. Quand la loi sera adoptée, sait-on quand,
est-ce pour le printemps, la loi? (11 h 15)
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Bernard: Même à ça, on ne veut pas de
transition.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Marie-Victorin.
Mme Vermette: Je pourrais demander à la ministre si c'est
pour le printemps les élections. On aurait peut-être votre
réponse et votre projet de loi. En fait, cela fait partie des promesses
électorales.
La question que je voulais vous poser est la suivante: Est-ce que la
majeure partie des femmes collaboratrices participent à des
régimes privés de retraite, participent-elles à des
régimes où est-ce exclusivement un des deux qui participe
à un régime de retraite généralement et, à
ce moment-là, est-ce que vous considérez que ce bien fait partie
du patrimoine, les régimes de retraite privée?
Mme Bédard: Nous n'avons pas de statistiques à ce
sujet-là. Toutefois, je dois vous dire que c'est une recommandation que
nous leur faisons de façon répétée, à savoir
qu'elles, devraient justement participer à des régimes de
retraite. Mais cela fait encore très souvent partie de... S'il reste de
l'argent au moment des impôts, vous savez que c'est un bon moyen
d'épargner peut-être un peu d'impôts de prendre un
régime de retraite pour monsieur ou pour madame. Mais je dois vous dire
qu'actuellement encore 50 % des femmes collaboratrices sont absolument sans
salaire. Alors, prendre des REER à ce moment-là est
impossible.
Mme Vermette: Dans votre mémoire, vous souhaitez que la
loi, dès qu'elle sera promulguée en fonction des nouveaux
changements, soit applicable à l'ensemble, et non pas qu'on attende une
période où on permette aux couples de changer, selon leur bon
vouloir, leur état matrimonial. Vous dites même que, si on
voulait, demain matin, changer pour une société d'acquêts
et que les deux étaient d'accord, on serait perdantes parce que,
finalement, ce qui s'applique, c'est à partir du moment où on
signe la société d'acquêts. Donc les biens partent à
partir de là et on risque de perdre beaucoup à ce
moment-là. C'est ce qui fait que vous réclamez, j'imagine...
Mme Bédard: D'autres mesures, c'est cela.
Mme Vermette: Vous n'êtes donc pas pour des mesures
transitoires de trois ans qui permettraient aux couples de s'entendre sur une
nouvelle formule.
Mme Bédard: Non, c'est ça.
Mme Vermette: Vous voudriez que cela s'applique...
Mme Bédard: Tout de suite, comme c'est écrit dans
le mémoire.
Mme Vermette: À un autre endroit, vous parlez d'envisager
que de meilleurs contrôles soient exercés sur la masse des biens.
Qu'est-ce qui se passe actuellement?
Mme Bédard: Actuellement, selon ce que beaucoup de femmes
nous ont dit, au moment d'une séparation ou d'un divorce, il y aurait
toutes sortes de moyens de frauder, je ne sais pas lesquels, je ne les ai pas
étudiés, et de faire disparaître des biens au bon moment,
de sorte qu'au moment du partage, tout à coup, il ne reste plus rien
à partager, comme par hasard. Les femmes se retrouvent avec la
moitié de rien, ce qui ne donne pas beaucoup de choses et c'est ainsi
qu'elles se retrouvent au moment du divorce. De toute façon, je pense
que ce fait était connu, on n'a pas eu l'air d'apprendre quoi que ce
soit quand on en a parlé les premières fois. J'ai lu quelque part
qu'on avait envie de bonifier tout cet aspect de la société
d'acquêts de manière qu'il ne soit pas aussi facile de cacher des
avoirs que l'on possède quand arrive le moment d'une séparation
ou d'un divorce.
Mme Vermette: Est-ce vous avez envisagé certaines
façons d'y arriver?
Mme Bédard: Non. Je ne connais pas les manières de
frauder, alors je ne sais pas comment je pourrais les déjouer.
Mme Vermette: Ha, ha, ha! Vous parliez d'un tribunal de la
famille qui favoriserait le partage. Considérez-vous qu'on ne donne
actuellement pas nécessairement les bonnes indications permettant de
prendre les meilleures formes de procédure quand arrive le moment de la
dissolution d'un mariage ou d'un couple, surtout pour les femmes
collaboratrices?
Mme Bédard: II nous semble que cela prend des gens
spécialisés pour s'occuper de ces histoires-là qui
présentent souvent toutes sortes de nuances. Il ne s'agit pas tellement
de "judi-ciariser", c'est ce qu'on voudrait éviter. Un tribunal de la
famille pourrait être composé d'un arbitre et d'experts de toutes
sortes, de spécialistes des problématiques qui sont
apportées devant eux, tant au point de vue de la collaboratrice que des
enfants, du mari et ainsi de suite. Cette approche serait beaucoup plus simple
et beaucoup plus humaine que de "judiciariser" toute la question.
Mme Vermette: Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre, pour
terminer.
Mme Gagnon-Tremblay: Je sais, Mme Bédard, que lors du
sommet économique que les femmes avaient tenu en 1985, vous étiez
justement venues tout près d'obtenir cette fameuse déclaration de
reconnaissance du statut et aujourd'hui, on se pose encore des questions.
Vous vous souvenez que lorsqu'on s'était rencontrées pour
la première fois, je vous avais dit que j'avais horreur de donner aux
femmes des ballons dégonflables, un peu dans le genre de la
déclaration de résidence, et que c'était important
d'approfondir davantage cette question. Je pense qu'on a évolué
énormément. Comme vous le mentionniez, on a répondu
à une bonne partie des demandes par toute autre mesure. Je dois aussi
vous mentionner, vous êtes au courant, que le Secrétariat à
la condition féminine, avec la Chambre des notaires sont à
travailler, à des modèles de convention qui permettraient de
commencer une démarche vers une reconnaissance de statut. J'aimerais pas
mal mieux que les femmes accèdent à la propriété
plutôt que n'avoir seulement qu'une reconnaissance de statut. Que les
femmes, un jour, nos collaboratrices, puissent devenir de véritables
copropriétaires, c'est finalement l'objectif qu'on vise. Lorsqu'on a
accordé la prime d'établissement aux femmes, et aux conjoints
maintenant, et qu'on l'a
augmentée, on s'est rendu compte des nombreuses collaboratrices
qui avaient accédé à la propriété. Je pense
que c'est quantité de gestes comme ceux-là qu'on doit poser pour
améliorer la situation de la femme collaboratrice.
Je reviens quand même à cette déclaration, parce que
vous en avez parlé dans votre mémoire. Si la déclaration
unilatérale est seulement dans le but de faire une déclaration,
une preuve comme telle qui pourrait être enregistrée dans un
registre quelconque au bureau d'enregistrement, je me sens à l'aise avec
cela. Par contre, si c'est une déclaration unilatérale, mais
finalement, qui ne comporte aucun droit de gestion, aucune
responsabilité dans le partage des dettes entre autres ou de choses
comme celles-là, comme au tout début on l'avait abordée,
c'est là que je me sens très mal à l'aise. Peut-être
qu'on pourra continuer notre discussion à un moment donné, et
dans le cadre de cette commission parlementaire soyez assurées qu'on va
prendre bonne note de toutes vos recommandations. Je tiens à vous
remercier de l'excellente présentation que vous avez faite du
mémoire. Je tiens à remercier aussi les nombreuses femmes qui
sont venues vous accompagner et vous appuyer pour ce projet, qui se sont
déplacées de tous les coins du Québec pour venir vous
entendre ce matin.
Mme Bédard: Merci, Mme la ministre.
Le Président (M. Jolivet): Alors, au nom des membres de la
commission... Oui, Mme la députée de Maisonneuve vous voulez
ajouter un dernier mot, allez-y.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Enfin, je veux vous
féliciter et vous remercier de votre prestation devant nous. Vraiment,
c'était très convaincant, votre façon. On comprend que
vous avez une expérience accumulée de plusieurs années,
alors vous êtes très à l'aise, finalement, toutes tant que
vous êtes, pour défendre votre dossier.
Parmi la quantité de gestes encore à poser, je voudrais
rappeler, notamment à Mme la ministre, que le mieux est souvent l'ennemi
du bien, qu'à trop vouloir, on peut ne pas faire pour tout de suite et
que, notamment, il y aurait des gestes concrets à poser:
reconnaître comme acquêts les régimes privés de
retraite, ce qui permettrait aux femmes collaboratrices de professionnels de ne
pas être spoliées au moment où il y a partage et
permettrait aussi de reconnaître, comme patrimoine partageable, les
régimes privés pour que les femmes collaboratrices dans la
dimension de leurs 100 % de présomption de travail au foyer, ne soient
pas que là non plus écartées d'un patrimoine partageable.
Il y a des gestes à poser.
Mme la ministre faisait référence à cette
déclaration qu'elle avait faite, je pense, il y a un an, estimant qu'il
ne fallait pas mettre en place de ballons dégonflables. Elle faisait
référence aux mésententes qui peuvent survenir entre les
conjoints. Je pense qu'il faut assumer la responsabilité qu'il y a
encore des voies à ouvrir en matière d'égalité
juridique et économique, qu'il ne suffit pas simplement de corriger des
effets pervers ou des conséquences moins bonnes survenues de lois
antérieures, mais qu'il faut innover. Il y a encore des manifestations
patriarcales; une des manifestations patriarcales, c'est le travail au foyer
qui incombe encore à 100 % aux femmes. En cette matière, le choix
doit encore être un parti pris en faveur du conjoint le plus
démuni, c'est-à-dire les femmes. Je vous remercie.
Le Président (M. Jolivet): Au nom des membres de la
commission, merci Mme la présidente ainsi que votre collaborateur et vos
collaboratrices de ce matin. J'invite les Femmes regroupées pour
l'accessibilité au pouvoir politique et économique, Mme Danielle
Debbas, à présenter le prochain mémoire.
À l'ordre, s'il vous plaît! Si les députés
veulent reprendre leur siège. J'inviterais Mme Danielle Debbas et Me
Marie Pronovost à faire la présentation de leur mémoire.
Vous avez la parole.
Femmes regroupées pour l'accessibilité
au pouvoir politique et économique
Mme Debbas (Danielle): Merci M. le Président. Mme la
ministre, messieurs et mesdames membres de la commission, je tiens en premier
lieu à vous remercier de nous avoir invitées à participer
à ces audiences sur les droits économiques des conjoints car nous
croyons fermement qu'une réforme du droit de la famille s'impose. Les
injustices économiques dont les femmes mariées en
séparation de biens sont les victimes nécessitent que le
législateur québécois intervienne le plus rapidement
possible à ce sujet. Il s'agit d'un dossier crucial exigeant une
réforme en profondeur. De plus, c'est certainement un dossier qui tient
à coeur la FRAPPE et je m'explique. Les Femmes regroupées pour
l'accessibilité au pouvoir politique et économique qui est plus
connu sous son acronyme FRAPPE et dont je suis la présidente a
essentiellement pour but d'encourager, d'aider et d'appuyer les femmes, toutes
les femmes, à investir le pouvoir politique et économique. Le
rôle de FRAPPE est donc d'appuyer de toutes les manières possibles
les femmes qui désirent relever le défi et prendre leur place
à tous les niveaux du pouvoir politique et économique. (11 h
30)
Or, si nous voulons que les femmes, qui représentent 52 % de la
population, soient présentes à tous les niveaux du pouvoir, nous
nous devons de leur donner les moyens d'atteindre une indépendance
financière et économique.
Nous n'avons pas l'intention de faire
aujourd'hui l'historique des différentes réformes
québécoises en matière de relations matrimoniales. Ce
sujet a été fort bien traité dans le document
préparé par M. Herbert Marx, alors ministre de la Justice, et par
Mme Monique Gagnon-Tremblay, ministre déléguée à la
Condition féminine. Ils ont parfaitement cerné le
problème.
Nous partageons votre point de vue à l'effet que le choix du
régime conventionnel de la séparation de biens par les
Québécoises et les Québécois est responsable du
déséquilibre économique entre les patrimoines des
époux à la fin du mariage. L'adoption par le législateur
québécois en 1970 du régime légal de la
société d'acquêts, établissant un partage
égal et automatique de tous les biens que chaque époux a acquis
pendant le mariage, à l'exception des biens propres, avait justement
pour but d'assurer aux femmes une juste part des biens du ménage.
Malgré l'arrivée de la société
d'acquêts, bien des couples ont continué à opter pour la
séparation de biens. Ainsi, plus de 50 % des couples qui se sont
mariés depuis 1971 sont régis par un contrat de mariage en
séparation de biens. La popularité de la société
d'acquêts commencera à prendre de l'ampleur au début des
années quatre-vingt. En 1984, elle atteignait des niveaux records: 61 %
des couples qui se sont mariés le sont en vertu de ce régime.
Comme vous le savez, les femmes sont malheureusement trop souvent
victimes de bien des injustices. Celle que nous abordons aujourd'hui devant
vous est certes sérieuse, mais n'est en fait qu'un exemple parmi tant
d'autres de toutes les vicissitudes subies par les femmes dans une
société faite pour répondre aux besoins des hommes. Les
lois sont adoptées par une majorité d'hommes. Nos tribunaux sont
composés majoritairement d'hommes également.
Il n'est donc pas étonnant que les lois soient faites en faveur
des hommes et que les jugements des tribunaux les favorisent trop souvent.
Cette absence de femmes au niveau des instances décisionnelles explique
pourquoi elle sont si souvent brimées dans leurs droits. Nous n'avons
pas l'intention de vous tenir un discours sur le féminisme, mais nous
nous devions de vous rappeler que nous sommes encore très loin de
l'égalité.
Cependant, nous devons admettre que sur le plan des relations
matrimoniales, la cause des femmes s'est nettement améliorée
depuis l'affaire Murdoch en 1975, volume 1, page 423 - c'est le rapport de la
Cour suprême - où une conjointe ayant partagé sa vie
pendant plus de vingt ans sur une ferme avec son époux ne s'est vue
accorder aucune part de la ferme par les tribunaux. Cette triste histoire,
ainsi que l'indignation qu'elle a soulevée chez le mouvement
féministe canadien, est à l'origine des réformes
concernant les relations matrimoniales adoptées par toutes les provinces
canadiennes.
Avant de vous faire part de nos commen- taires sur la réforme
proposée, j'aimerais signaler le court laps de temps alloué
à la préparation d'un mémoire sur les droits
économiques des conjoints. Un sujet aussi vaste et une question d'une
telle importance nécessitaient beaucoup de réflexion. Il nous
aurait fallu beaucoup plus de temps pour étudier cette question en
profondeur et pour proposer une réforme adéquate. En
conséquence, il ne faut pas s'étonner que notre mémoire
n'aborde que dans les grandes lignes la réforme proposée. Nous
n'avons donc pas la prétention de vous proposer une réforme, mais
plutôt de vous signaler les grandes lacunes que nous avons
relevées clans la proposition gouvernementale.
Avant d'aborder la proposition gouvernementale comme telle,
permettez-nous de vous parler de la société d'acquêts. Il
est admis de tous que la société d'acquêts est le
régime matrimonial le plus équitable entre les conjoints.
D'ailleurs, voici ce qu'en dit Ernest Caparros: "L'équilibre est parfait
entre les époux en société d'acquêts, les deux ayant
la même capacité et la même limitation quant aux
dispositions entre vifs à titre gratuit des acquêts".
Quant à ses avantages, il les décrit comme suit: "Pour
nous, la société d'acquêts, comme régime secondaire
légal, est le régime qui convient le mieux au but du mariage et
au contexte sociologique québécois. Elle rallie, en effet, les
avantages des techniques de coordination des époux avec ceux du partage
de biens, limité, d'ailleurs, aux seuls biens acquis pendant la vie
commune à titre onéreux. "
Dans le document étudié, vous soulignez qu'il y avait
trois voies d'orientation possibles quant à la manière de
procéder pour mieux équilibrer les patrimoines des conjoints. Nos
commentaires portent sur la deuxième voie possible, c'est-à-dire
l'adoption de la société d'acquêts comme seul et unique
régime matrimonial pour les époux québécois. Vous
rejetez cette voie d'orientation pour respecter la tradition de liberté
contractuelle québécoise. L'argument est certes de taille, mais
nous croyons que cette voie d'orientation aurait pu être approfondie
avant d'être rejetée. D'ailleurs, cette liberté des
conventions entre époux est maintenant limitée par le
régime primaire établi lors de la réforme de 1980 et
auquel les époux ne peuvent déroger.
Le législateur québécois pourrait aller plus loin
et imposer la société d'acquêts comme régime
impératif. Nous croyons que les gens s'habituent graduellement à
l'idée d'une plus grande intervention de l'État dans leur vie
privée. Il nous semble parfaitement normal que les intérêts
de la famille comme société priment les libertés
individuelles. L'uniformisation des régimes matrimoniaux et l'adoption
d'un régime légal impératif éviteraient plusieurs
injustices.
Nous devons nous demander ce qui est le plus important: respecter la
liberté contractuelle ou bien s'assurer que les femmes ne soient plus
lésées lors d'un divorce ou d'une séparation de
corps. Il est évident pour nous de FRAPPE qu'aucune
liberté, quelle qu'elle soit, ne doit brimer les femmes dans leurs
droits. La société d'acquêts est le régime
matrimonial le plus équitable en matière de partage et nous vous
demandons de reconsidérer cette voie d'orientation possible. Cependant,
il y aurait lieu d'y apporter des modifications concernant la qualification de
certains biens. Il va sans dire que le choix de cette voie d'orientation
déplairait à bien des hommes, lesquels sont
généralement les plus économiquement munis dans un couple.
Et là, nous ne vous apprenons rien. La popularité de cette voie
expliquerait probablement la raison de ce rejet.
Quant à la proposition gouvernementale, c'est avec consternation
que nous avons remarqué l'absence de fonds de retraite privés
dans la constitution du patrimoine familial. Cette absence a pour effet
d'amoindrir grandement la valeur de cette réforme, de limiter ses
effets. Advenant le cas où la proposition gouvernementale serait
adoptée sans que les fonds de retraite privés ne soient inclus
dans le patrimoine familial, beaucoup de femmes séparées ou
divorcées seraient, comme c'est d'ailleurs le cas actuellement,
désavantagées économiquement lors du partage. De plus,
l'attitude gouvernementale est contradictoire. D'un côté, pour
favoriser une augmentation du taux de natalité au Québec,
l'État accorde des avantages pécunaires aux couples
désirant avoir un troisième enfant. D'un autre côté,
en n'incluant pas les fonds de retraite privés dans le patrimoine
familial, il oblige les femmes à travailler à l'extérieur
du foyer le plus longtemps et le plus rapidement possible, car elles risquent
de se retrouver fort démunies lors de la retraite.
Vous savez bien qu'une femme avec trois enfants à la maison
risque d'être absente du marché du travail pour une période
pouvant varier de cinq à dix ans. Les femmes n'ont donc pas le choix. Si
elles ne veulent pas être pauvres lors de la retraite, elles devront
limiter leur nombre d'enfants et retourner le plus tôt possible sur le
marché du travail. Inclure les fonds de retraite privés dans le
patrimoine familial permettrait aux femmes de choisir librement entre la vie au
foyer et le travail à l'extérieur, sans être
stressées en pensant à leur retraite.
Vous affirmez de plus que ces régimes de retraite ne
possèdent pas un caractère familial, car ils ne sont pas
utilisés dans le cours de la vie familiale. Prétendre une telle
chose, c'est nier la raison pour laquelle l'un ou l'autre des conjoints
investit dans un fonds de retraite. En effet, il est à notre avis
indéniable que lorsque l'un des conjoints participe à un
régime de fonds de retraite, c'est qu'il pense à la retraite du
couple. Il s'agit bien d'un salaire différé. C'est pourquoi nous
vous demandons de reconsidérer la proposition gouvernementale et
d'inclure dans la constitution du patrimoine familial les fonds de retraite
privés. D'ailleurs, dans les autres provinces canadiennes, les fonds de
retraite font l'objet de partage, soit que les lois le prévoient
expressément ou soit encore que les tribunaux les partagent dans leurs
décisions.
Encore une fois, ne pas inclure les fonds de retraite privés
comme des biens familiaux dans la réforme proposée aurait la
conséquence d'en limiter sérieusement la valeur. Si la
deuxième voie était choisie, choix de la société
d'acquêts comme régime impératif, il faudrait
déclarer acquêts les fonds de retraite privés.
Quant à la mesure transitoire à l'effet de permettre aux
couples déjà mariés lors de la réforme de se
soustraire à cette dernière en renonçant au partage du
patrimoine familial dans les trois années qui suivront la mise en
vigueur de cette réforme, nous la jugeons inopportune. En effet,
advenant le cas où plusieurs couples mariés en séparation
de biens se prévaudraient de cette mesure transitoire, cela rendrait la
réforme inopérante face à trop de couples, et les femmes
seraient encore lésées lors d'un divorce ou d'une
séparation de corps. Nous vous recommandons de rendre la réforme
applicable à tous les couples déjà mariés lors de
l'entrée en vigueur de la réforme.
Relativement au pouvoir discrétionnaire accordé aux
tribunaux, nous jugeons la formulation des cas d'intervention, concernant le
partage par les tribunaux, trop vague. Ainsi libellée, la formule permet
trop facilement à l'un ou à l'autre des conjoints de demander
l'intervention du tribunal. De plus, il faudrait permettre à l'un ou
à l'autre des conjoints de s'adresser au tribunal lorsqu'il juge que les
règles de partage équivalentes proposées par l'autre
conjoint lui semblent inéquitables.
En ce qui a trait aux autres énoncés de la proposition
gouvernementale, et plus particulièrement ceux portant sur la protection
de la résidence familiale et sur la prestation compensatoire, nous les
jugeons valables. L'adoption de la prestation compensatoire en 1980 par le
législateur québécois avait pour but de limiter les effets
économiques désastreux pour les femmes mariées en
séparation de biens lors d'un divorce ou d'une séparation de
corps. Malheureusement, dans les faits, cette mesure s'est avérée
inefficace, car les tribunaux ont interprété la prestation
compensatoire de façon trop restrictive, et les décisions ont
trop souvent été rendues en faveur des hommes. Nous pensons que
les principes établis dans la proposition gouvernementale relativement
à la prestation compensatoire permettraient de corriger toutes les
inéquités subies par les femmes et que la création de la
présomption est un correctif adéquat aux difficultés de
preuve auxquelles devaient faire face les conjointes devant les tribunaux.
Pour terminer, nous aimerions vous rappeler qu'il faut garder à
l'esprit, lorsqu'on envisage une réforme concernant les droits
économiques des conjoints, le but d'une telle réforme:
protéger les femmes. Actuellement, le divorce ou la
séparation de corps ne sont pas uniquement pour les femmes une
difficulté psychologique, mais également un désastre
financier. C'est pourquoi nous vous demandons de bien considérer nos
recommandations, que nous jugeons essentielles dans la philosophie de cette
réforme. Nous vous recommandons donc de reconsidérer la
société d'acquêts comme régime impératif en
tant que voie d'orientation possible, de tenir d'autres auditions publiques
afin de faire valoir nos commentaires sur la société
d'acquêts comme régime impératif, d'inclure les fonds de
retraite privés dans le patrimoine matrimonial, de prévoir
expressément les cas d'interventions par les tribunaux et d'annuler la
mesure transitoire. Je vous remercie.
Le Président (M. Jolivet): Merci, Madame. Mme la
ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Debbas. C'est intéressant
puisque vous êtes le premier groupe à aborder la question du
régime de la société d'acquêts obligatoire. Vous
êtes les premières intervenantes à nous faire part de cette
solution. Si on devait adopter cette position de régime obligatoire de
la société d'acquêts pour l'ensemble des couples au
Québec, est-ce qu'à ce moment-là, elle serait
rétroactive? Est-ce qu'elle s'appliquerait aux couples
déjà mariés en séparation de biens actuellement ou
s'appliquerait-elle seulement dans l'avenir? Que feriez-vous dans le cas
inverse, c'est-à-dire si elle ne s'appliquait pas pour les gens
mariés en séparation de biens? Quel traitement devrions-nous leur
accorder à ce moment-là?
Mme Debbas: Si vous le permettez, Mme la ministre, je vais
demander à Marie Pronovost de répondre à vos questions,
puisque c'est elle qui est l'experte, qui est l'avocate et qui est l'auteur de
cette recherche et du mémoire. Marie, si tu veux bien.
Mme Pronovost (Marie): Concernant l'application de la loi, nous
aimerions que la société d'acquêts s'applique à
compter évidemment de l'entrée en vigueur de la loi, sans effet
rétroactif, et qu'on fasse comme on a l'intention de le faire pour les
gens mariés en communauté de biens, pour des gens qui ont
été mariés avant l'entrée en vigueur de la loi,
soit qu'ils soient régis par les dispositions du Code civil qui
étaient en vigueur et qui ont régi les autres régimes.
Mme Gagnon-Tremblay: Donc, ce ne serait pas rétroactif.
Étant donné, par contre, que l'objectif visé dans notre
document sur le partage des droits économiques est de corriger les
inéquités de la séparation de biens actuelles, que
ferions-nous pour arriver quand même à nos fins, à ce
moment-là? (11 h 45)
Mme Pronovost: Vous voulez dire pour les gens...
Mme Gagnon-Tremblay: Qui sont actuellement mariés sous le
régime de la séparation de biens. En fait, il faut remarquer
qu'il y a deux façons de régler les inéquités
actuelles, soit d'intervenir immédiatement dans les couples et dire
qu'on a un certain partage des biens familiaux, soit de laisser aller les
choses comme elles sont, et au fur et à mesure des années, pour
les couples qui ont choisi ce régime, peut-être avec un peu moins
d'informations, tout s'estompera graduellement, tout se réglera. Cela se
réglera par soi-même, finalement. C'est pour cela, à mon
avis, qu'il y a deux façons de le régler, et une des
façons qu'on aborde ici, c'est le partage des droits. Si on devait
à l'avenir assujettir tous les couples à une
société d'acquêts obligatoire, qu'est-ce qu'on ferait pour
régler les problèmes d'inéquité causés par
le régime actuel de la séparation de biens?
Mme Pronovost: Je n'ai malheureusement pas étudié
la question. J'ai vu que cela s'est fait dans d'autres pays, en
Tchécoslovaquie, à compter de 1969, je crois; on a changé
le régime pour une communauté pleine et immédiate, alors
qu'auparavant cela n'existait pas. Je sais aussi que cela s'est fait en
Californie, sans effet rétroactif, mais je n'ai pas vu ce qu'ils avaient
fait pour les gens mariés avant l'entrée en vigueur.
Mme Debbas: On en entend un peu parler autour de nous. Je peux
vous dire qu'il y a beaucoup d'hommes qui ont posé la question et qui
paniquent drôlement, surtout ceux qui sont déjà
divorcés et qui paient déjà. Ils sont très inquiets
et ils nous ont demandé si on voulait que ce soit rétroactif ou
pas. On comprend leurs craintes, mais...
Mme Gagnon-Tremblay: Mme Debbas, lorsqu'on parle de
rétroactivité dans le document, ce n'est pas concernant la
pension alimentaire. C'est sûr que sur le plan de la survie et de
l'obligation alimentaire, on prévoit un délai de six mois sur une
pension qui est déjà bien identifiée et que la personne
reçoit. On lui permet tout simplement de se retourner lors des six
premiers mois suivant le décès de l'ex-conjoint pour se replacer
et s'organiser, finalement, parce qu'au bout de ces six mois, il n'y aura plus
de pension alimentaire.
Par contre, pour les couples mariés en séparation de
biens, cela ne leur donnera rien de plus. On règle le problème
des couples futurs, mais on ne règle pas le problème des couples
antérieurs. Cette proposition qui a été apportée
ici, c'est vraiment dans le but de régler toutes ces
inéquités causées par le régime de la
séparation de biens.
Il y a une autre chose aussi. Vous savez
que notre tradition de contracter est très forte au
Québec. Cela m'inquiéterait peut-être d'abolir les contrats
d'une seule façon. Je pense que si on laissait beaucoup plus de
souplesse et de liberté, peut-être que graduellement, on pourra en
arriver à cela. Comme je vous le dis, à cause de nos traditions,
ce serait peut-être beaucoup plus difficile de dire: À compter de
maintenant, les gens n'auront pas à contracter. Vous savez, le partage
des biens familiaux qu'on propose actuellement est un plus, face a la
société d'acquêts. On améliore ainsi la
société d'acquêts puisque dans la société
d'acquêts, on partage 50-50. Mais, comme on le sait, dans le projet du
partage des biens, généralement, ce sont à peu près
tous les biens que possèdent les couples. À ce moment-là,
on ne peut pas y renoncer. C'est un plus, à mon avis; c'est une
amélioration au régime de la société
d'acquêts, tout en laissant la liberté aux couples de
régler leur situation autrement - je pense au régime de la
séparation de biens - parce qu'il faut dire qu'il y a encore 40 % des
couples qui adhèrent au régime de la société
d'acquêts. J'ose espérer qu'ils ne le font pas tous de
façon aveugle, au moment où on se parle, dans ces
années-ci.
Est-ce que cela vous inquiète de changer cette tradition qui,
à mon avis, serait très difficile à changer, pour
complètement enlever cette liberté de contracter?
Mme Debbas: Personnellement, cela ne m'inquiète jamais de
changer les traditions quand ces traditions sont injustes. Je pense que le
Québec démontre, a démontré et continue à
démontrer que nous sommes en avance sur bien d'autres pays dans beaucoup
de lois ou de domaines concernant la condition féminine. Tant mieux si
on devait encore une fois montrer que nous sommes à l'avant-garde. Si
cela change certaines traditions qui sont injustes, faisons-le; nous ne ferons
que prouver que nous sommes à l'avant-garde concernant la condition de
la femme. Non, cela ne me dérange pas du tout.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Debbas.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Il me fait plaisir de
vous saluer, Mme Debbas et Mme Pronovost. J'aimerais peut-être poursuivre
dans la voie où l'on s'était engagées dans
l'échange avec Mme la ministre. Est-ce qu'il ne serait pas souhaitable,
dans le cadre de notre tradition civiliste, qui est d'une certaine façon
unique en Amérique du Nord, qu'on trouve dans le cadre de cette
tradition, dans cette culture civiliste qui est la nôtre, les moyens de
rétablir les véritables équités économiques?
C'est peut-être l'objectif qu'on peut se donner d'une certaine
façon. C'est ce que je souhaite. Je ne crois pas que notre tradition
civiliste soit par nature contraire à un rétablissement d'un
rapport plus égalitaire.
Vous vous rappeliez peut-être qu'au moment du débat sur la
réforme, phase I, si je peux m'exprimer ainsi, en 1979-1980, cette
réforme était basée sur deux objectifs: le premier
étant l'égalité totale des époux entre eux, et le
deuxième étant le principe du respect de la liberté des
personnes dans l'organisation de leurs relations familiales, en prenant en
considération qu'entre le fort et le faible, c'est la liberté qui
opprime et le droit qui affranchit. Dans cette tradition civiliste, on a aussi
cette tradition que le droit peut affranchir. Je vous remercie et je pense que
c'est très utile d'avoir mis en annexe la fréquence des mariages
selon le régime matrimonial. On y voit très bien
l'évolution depuis quinze ans des mariages en séparation de biens
et en société d'acquêts. On y voit très bien qu'en
quinze ans, c'est presque moitié moins de mariages en séparation
de biens, pas tout à fait, mais vraiment presque 40 % de plus de
mariages en société d'acquêts. Est-ce qu'il ne vaudrait pas
mieux, dans un contexte comme celui-là, vraiment améliorer par
exemple le régime de la société d'acquêts qui est
déficient, puisqu'il ne considère pas comme acquêts,
notamment, les régimes privés de retraite?
Mme Grassby, que vous connaissez sans doute, est venue hier
après-midi et, à sa manière imagée, nous a vraiment
bien campé la différence des cultures en disant: Au
Québec, quand un fiancé propose à sa future épouse
d'aller devant un notaire, elle considère que c'est une bonne chose
à faire et qu'il prend ses intérêts à coeur. En
Ontario, quand une future épouse se fait offrir cela par son
fiancé, elle s'inquiète énormément et elle va voir
un avocat. Cela dénote une différence assez considérable
dans les comportements. C'est peut-être un peu caricaturé, mais ce
n'est pas loin d'être assez vrai.
J'aimerais avoir votre point de vue sur la question des conjoints de
fait. Si on regarde cela un peu par étage, est-ce que le régime
de la société d'acquêts ne devrait pas être le plus
complet, celui auquel on adhère, qui est vraiment la pleine et
entière égalité économique entre les époux
comme partenaires et en plus un régime primaire pour les couples qui
décident de s'unir par la voie du mariage mais qui comprendrait un
patrimoine partageable incluant, comme vous le souhaitez, les régimes de
retraite privés?
Finalement, avez-vous réfléchi à toute la question
de la progression aussi des conjoints de fait dans notre société?
J'ai fait vérifier ce matin - et c'est confirmé à nouveau
- auprès de Mme Hélène Généreux de
Statistique Canada, à savoir qu'il y aurait 28 % des couples au
Québec qui vivaient en union libre en 1985, comparativement à 23
% pour l'ensemble du Canada. Il s'agit du service des données de
recensement de 1986. Alors il y a là une progression qui nous
amène à chiffrer à environ 450 000, presque un
demi-million, le nombre de couples en union de
fait. Évidemment, un certain nombre - pour ne pas dire plusieurs
d'entre eux - ont des enfants qui ne jouissent pas d'une véritable
protection au sens familial, qui ont une protection filiale, mais qui n'est pas
familiale. Est-ce que vous avez réfléchi à tout cela?
Qu'envisagez-vous pour cette réalité-là?
Mme Pronovost: Si tant de gens vivent en union de fait, il faut
reconnaître que c'est probablement à cause des désastres
financiers qui interviennent lors du prononcé d'un jugement de divorce.
On a vu que plusieurs jugements rendus par les tribunaux démontrent que
c'est habituellement un désastre financier pour le conjoint le plus
économiquement faible et, dans la plupart des cas, ce sont
majoritairement des femmes. C'est probablement pour ça que l'union de
fait est si populaire.
Mme Harel: En fait, vous pensez que les femmes croient moins au
mariage.
Mme Pronovost: Les femmes sont mieux renseignées sur les
effets financiers désastreux du mariage qu'elles ne l'étaient
avant.
Mme Harel: En vivant en société d'acquêts,
elles ne sont pas finalement des victimes.
Mme Pronovost: C'est exact, mais il a fallu attendre le
début des années quatre-vingt pour voir sa popularité
grimper. Heureusement d'ailleurs, parce qu'il s'agirait, selon la doctrine du
régime le plus équitable au Canada, celui qu'on possède et
celui qui reconnaît l'association de deux personnes égales.
Mme Harel: Évidemment, le fait que les régimes
privés de retraite ne soient pas considérés comme
acquêts peut déséquilibrer d'une certaine façon
leurs relations.
Mme Pronovost: Oui. D'ailleurs, on demandait qu'ils soient
considérés comme biens partageables, peu importe la voie
d'orientation que prendra le gouvernement. Les régimes de fonds de
retraite privés qui constituent maintenant un nouveau bien, comme on dit
en doctrine américaine, font partie de la richesse d'un individu, tout
comme les polices d'assurances et les diplômes universitaires constituent
maintenant la richesse d'une personne, contrairement à ce qui existait
avant alors que c'étaient uniquement les biens traditionnels:
immobiliers, actions de compagnies, et tout ça. La notion de biens et de
richesse s'élargit maintenant et on pense que le patrimoine familial
devrait inclure ces nouveaux biens que constituent les fonds de retraite. C'est
un bien intangible. C'est sûr que ce n'est pas un bien qu'on utilise dans
le cours normal du mariage, mais quand on investit dans un fonds de retraite
privé, on se dit que c'est du salaire pour l'avenir, puisque cela
remplacera le salaire. On sait très bien que, lorsqu'on a des enfants,
on n'est pas là un certain laps de temps, ou on travaille à
l'extérieur, mais à temps partiel. Il faut être
réaliste: 65 % des femmes qui ont des enfants ne sont pas sur le
marché du travail. Si elles le sont, c'est à temps partiel. Elles
sont donc économiquement désavantagées parce que, pendant
cette période-là, elles ne contribuent pas à un
régime de fonds de retraite et, pendant ce temps-là, cela permet
au conjoint sur le marché du travail de se tailler une meilleure
situation professionnelle. On sait très bien qu'un conjoint moins actif
à l'extérieur du foyer permet à son conjoint qui est
à l'extérieur de gagner un meilleur salaire en le
déchargeant des tâches ménagères et familiales.
C'est pour ça qu'on juge équitable qu'une partie lui revienne,
que ce soit un bien partageable, un bien matrimonial.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marquette.
Oui, Mme Debbas.
Mme Debbas: Je voudrais juste ajouter quelque chose concernant
les conjoints de fait et revenir un peu à la présentation des
femmes collaboratrices. Effectivement, si on adopte des lois et si on y met des
structures favorisant l'union de fait, c'est presque un mariage. Où est
la liberté puisque les couples ont choisi librement de ne pas se marier,
puisqu'ils ne voulaient justement pas ces structures-là? Alors, c'est
une problématique bien particulière et bien spéciale sur
laquelle il faudrait, à mon sens, se pencher particulièrement,
sans enlever cette liberté à ces couples. Il n'en demeure pas
moins que la femme doit être protégée. Une femme qui vit
dix ans avec un homme en union de fait, c'est tout comme si elle était
mariée avec lui, parce qu'elle aura probablement travaillé d'une
façon ou d'une autre à cette vie du couple et à la vie
financière. Je pense qu'il faut s'y pencher de façon bien
particulière.
Mme Harel: M. le Président, je vais profiter
immédiatement de l'occasion, puisque ma compagne de Marie-Victorin va
continuer, pour vous remercier. Je dois vous quitter. Le point de vue que vous
exprimez est extrêmement intéressant, puisqu'il serait
peut-être vraiment le temps, à l'aube de l'an 2000, de faire le
point complet sur cette question qui est une réalité nouvelle
depuis à peine 20 ans dans l'ensemble des sociétés
industrielles et non pas seulement dans la nôtre, et de mettre un terme
à cette espèce d'anarchie qui prévaut dans une
série de lois statutaires qui diffèrent complètement sur
la reconnaissance du statut de conjoint de fait. Je souhaite qu'on puisse avoir
une commission parlementaire où on examinerait de très
près une harmonisation dans les lois. Je vous remercie. (12 heures)
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. À mon
tour, j'aimerais remercier et féliciter les représentantes de
FRAPPE pour la présentation de leur mémoire et leur contribution
à nos travaux. Je vais tenter d'aborder des points que nous n'avons pas
abordés ensemble, sauf qu'on les a abordés avec d'autres groupes.
Notamment, j'ai quelques petites questions relativement au pouvoir
d'intervention du tribunal.
Vous nous dites, dans votre mémoire, qu'il serait
préférable de baliser toute intervention du tribunal en
matière de patrimoine familial lors d'interventions. Alors, est-ce que
vous pourriez nous indiquer quel genre de balises nous devrions inclure dans un
projet de loi afin que toute intervention au tribunal soit quand même
restreinte? Est-ce que vous avez des idées...
Mme Pronovost: Oui.
M. Dauphin:... sur la façon de restreindre le pouvoir
d'intervention du tribunal?
Mme Pronovost: Oui. On aimerait, tout simplement, que la
proposition délimite les cas d'intervention vraiment à des cas
exceptionnels afin que les conjoints ne puissent pas déroger à...
Si on change la loi, c'est justement pour pouvoir protéger les gens des
inéquités qui existent. Alors, si on permet à un des
conjoints, pour un oui ou pour un non, de s'adresser aux tribunaux, ce serait
là un pouvoir discrétionnaire qui sera beaucoup trop large. Il
faudrait vraiment que ce soit pour des cas exceptionnels. On n'a rien
libellé, mais on voudrait que cela se limite vraiment à des cas
exceptionnels afin que les tribunaux n'appliquent pas de façon
restrictive ou encore qu'ils fassent des partages qui pourraient être
inéquitables face aux femmes. On sait très bien que la
majorité des tribunaux sont composés encore d'hommes;
malheureusement, nous sommes des humains, ce serait encore une source
d'inéquités, comme l'a démontré l'application de la
prestation compensatoire, surtout par la Cour d'appel du Québec. Les
jugements ont lésé tellement de femmes, alors on ne voudrait pas
que les interventions des tribunaux soient excessives.
M. Dauphin: On s'entend sur le fait que, dans certains cas... Je
prends un exemple d'un couple qui se marie et où, un an et demi plus
tard, cela ne fonctionne plus. Dans le cas d'une maison achetée avant le
mariage, il n'y a aucun problème, cela s'applique à la valeur
acquise ou à la plus-value. Par contre, dans le cas d'une automobile,
par exemple, je prends l'exemple du monsieur qui a une Mercedes qui vaut 100
000 $, il se marie et un an après cela ne fonctionne plus, pour la
Mercedes, on ne parle pas de valeur acquise, ni de plus-value; la valeur de la
Mercedes est divisée 50-50. Ce sont des cas comme ceux-là
où on prévoit...
Mme Pronovost: Oui.
M. Dauphin:... où je souhaiterais ardemment que le
tribunal puisse mettre le nez là-dedans et dire: Cela n'a pas de sens,
c'est une injustice flagrante. Là-dessus, je pense qu'on s'entend.
Mme Pronovost: Oui.
M. Dauphin: Mais vous n'aimeriez pas, effectivement, que les
tribunaux en arrivent à créer une jurisprudence tellement
serrée pour des raisons qu'on ignore et je comprends très bien
votre point de vue.
Relativement aux mesures transitoires, on en a discuté avec le
groupe qui vous a précédées tantôt. Vous
également ainsi que la majorité des groupes, je pense, nous
recommandent de ne pas avoir de mesure transitoire, c'est-à-dire que la
loi sera effective, qu'il ne sera pas possible aux couples
québécois de pouvoir y renoncer. Je crois que vous êtes
aussi de cet avis. Encore une fois, le même raisonnement que je tenais
tantôt, il peut arriver des cas où, effectivement, il n'y va pas
de l'intérêt du couple ou même de la famille qu'un
patrimoine familial existe. Je donne un exemple, celui d'un deuxième ou
un troisième mariage avec des personnes qui possèdent leurs biens
respectifs. Ils ne sont pas nécessairement intéressés
à mettre cela dans un pool commun. À ce moment-là, au
moins, avec ces mesures transitoires... C'est sûr que certains groupes
nous ont dit qu'avec des pressions indues, dans la majorité des cas,
c'est sûrement l'homme qui va demander à la femme: Viens avec moi
chez le notaire, on va renoncer à cette affaire-là, cela n'a pas
de sens; on est mariés en séparation de biens. Par contre, dans
d'autres cas, il peut y avoir utilité... On ne peut pas présumer
que tout le monde va être de mauvaise foi. Dieu sait qu'on sait qu'il va
y en avoir sûrement, mais... Est-ce que vous verriez d'un bon oeil qu'on
les maintienne? C'est sûr que vous proposez qu'on l'enlève, mais
dans certains cas particuliers, moi,...
Mme Pronovost: On trouve que la situation actuelle a causé
tellement d'injustices, d'inéquités face aux femmes, vous parlez
de certains couples qui seraient lésés si on n'avait pas une
telle mesure transitoire, mais on pense que les torts sont trop grands pour
qu'une telle réforme ne s'applique pas à tout le monde. C'est la
philosophie d'une telle réforme, le but d'une telle réforme c'est
justement pour rendre les femmes égales aux hommes au point de vue du
régime matrimonial, faire vraiment une association de deux partenaires
égaux, cette mesure transitoire-là viendrait probablement trop
léser de gens.
M. Dauphin: Comme vous dites, c'est sûr qu'on
prévoirait une mesure rétroactive, ce qui
est quand même très rare dans nos lois. Par contre, je vous
suis quand vous dites qu'il y a eu beaucoup d'injustices dans le passé.
Il faut trouver une façon de régler ces injustices-là. Par
contre, il y a certains couples qui de consentement et en toute connaissance de
cause se sont mariés en séparation de biens justement pour
pouvoir vivre une vie de séparation de biens. Ces gens-là qui, en
toute connaissance de cause, ont voulu faire de leur union une vie en
séparation de biens, on leur enlève toute possibilité dans
notre régime de droits de pouvoir y renoncer.
Mme Debbas: Si vous permettez, effectivement en toute
connaissance de cause, il y a eu des couples qui, comme vous dites, se sont
mariés en séparation de biens mais on constate aujourd'hui que
cette connaissance de cause était plutôt une connaissance de cause
du côté du mari et que les femmes ne savaient pas, elles se
fiaient à l'avis du notaire ou de l'avocat qui leur a
préparé leur contrat de mariage et qui aujourd'hui se retrouvent
dans des situations financières absolument désastreuses à
cause de cette prétendue toute connaissance de cause.
M. Dauphin: Là-dessus je vous suis. Tantôt, je n'ai
pas dit tout le monde, j'ai dit dans la majorité des cas. Effectivement
je vous suis sauf que dans certains cas, laissez-m'en un, dans un cas.
Mme Debbas: Celui de la Mercedes à 100 ooo $?
M. Dauphin: À ce moment là! Ne serait-ce que
celui-là?
Mme Debbas: On pourra peut-être vous en faire cadeau de la
Mercedes, ce n'est pas grave.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Debbas: Cela ne court pas les rues vous savez, les couples
avec des Mercedes à 100 000 $.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Marie-Victorin.
Mme Vermette: Merci, M. le Président. Effectivement, on
essaie toujours... Il faut comprendre que la situation a
énormément évolué, que parmi les femmes
actuellement au Québec, il y a une nouvelle génération de
jeunes femmes qui semblent davantage éclairées que certaines
femmes et qui ont dû connaître certaines années où
effectivement elles se fiaient énormément à la
volonté du mari parce que pour elles c'était: Qui prend mari
prend, en fin de compte, tout ce qu'il pouvait lui offrir, y compris le
notaire. Je pense que c'était la meilleure garantie à ce
moment-là pour beaucoup de ces femmes. Je crois que si on fait le
débat à l'heure actuelle, c'est dans un premier temps pour
essayer de corriger les inégalités qui s'étaient
introduites à ce moment-là, au moment où la coutume se
voulait de cette façon et se traduisait dans les faits au
désavantage de la femme qui n'avait aucune autre solution qu'une
séparation de biens. On lui disait: Écoute, si tu veux faire
plaisir à ton mari, il est en affaires, tu n'as pas d'autres solutions,
c'est la séparation de biens; si cela va mal un moment donné, il
met les biens à ton nom, puis bon ça y est! Et naïvement la
plupart des femmes, parce qu'elles y croyaient aussi et qu'elles étaient
en amour, croyaient à cette situation et finalement signaient le contrat
dans cette forme libellée. Aujourd'hui les jeunes femmes sont beaucoup
plus averties et, quoiqu'elles soient plus averties, quelquefois elles s'en
laissent passer. Malheureusement je crois qu'on l'a bien soulevé, nous
ne sommes pas arrivées encore à vivre l'égalité
juridique quoiqu'on en parle et que les femmes sont reconnues comme
étant les égales de l'homme, je ne crois pas que pour ce qui est
des faits c'est ce qui se passe encore à l'heure actuelle. On a juste
à regarder sur le plan des emprunts quand les femmes sont en affaires;
ce n'est pas tout le temps facile et ce n'est pas reconnu et les femmes qui
sont bénéficiaires de l'aide sociale, allez voir si elles sont
capables à un moment donné, pour élever leur famille,
d'aller faire un emprunt à la banque, bon! Tout cela pour vous dire
qu'on vit encore dans une inégalité sociale et qu'il faut,
effectivement, trouver des formules qui favorisent cette égalité
et qui permettent autant à la femme qu'à l'homme de pouvoir jouir
pleinement de ce que représente cet apport à l'intérieur
du couple pour favoriser l'équité du couple aussi et que c'est
toujours autant l'un que l'autre. Quand on se marie, on dit: C'est pour le
meilleur et pour le pire. Je me souviens de m'avoir fait dire, quand je me suis
mariée: Ce qui est à toi est à moi, ce qui est à
moi est à toi. Mais quand est arrivé le divorce, je me suis
surprise à m'aper-cevoir que je n'avais plus grand-chose.
Donc, ce sont des choses qui existent encore dans notre
société, même si nous sommes des femmes averties
quelquefois, nous sommes prises au dépourvu.
Ce qui m'a frappé, c'est que 65 % des femmes qui ont des enfants
demeurent à la maison, soit à faire du travail temporaire, ce qui
veut dire que le régime des rentes aux femmes devrait être
appliqué. Cela leur serait très favorable,. parce que c'est, pour
une bonne partie, le seul revenu. À l'heure actuelle on ne pense pas aux
contrats privés de régimes de retraite qui sont appliqués
comme acquêts, mais même aussi si on choisit une autre forme de
régime matrimonial, ceci veut dire que la femme est encore
pénalisée. C'était une promesse du Parti libéral de
faire en sorte que les femmes puissent participer au régime des
rentes.
Les femmes travaillant au foyer ou qu'on
considère comme des travailleuses au foyer devraient participer
au régime des rentes. Si, dans ce contexte, on pense que les femmes qui
restent à la maison sont des travailleuses au foyer pour participer au
régime des rentes, je considère que lorsqu'on arrive au
régime de prestations compensatoires ou à quelque autre niveau,
on devrait considérer les femmes comme des travailleuses. Donc, un
apport au capital à 50 %, et non pas d'une façon
aléatoire, des sommes ou des montants qu'elles devraient
représenter en ce qui concerne le travail ou l'apport qu'elles donnent
à l'intérieur de la famille.
Ceci m'amène à vous dire aussi que vous avez parlé
des mentalités. On a dit qu'il ne fallait pas heurter les
mentalités, que cela prenait énormément de temps et qu'il
fallait échanger. Vous avez demandé une commission parlementaire.
Est-ce que votre commission parlementaire ferait en sorte qu'on ferait
davantage connaître que les sociétés d'acquêts ne
devraient être que le seul régime contracté sur le plan
matrimonial et que cela devrait être la seule façon?
Vous faites le souhait d'avoir une commission parlementaire. Est-ce que
vous croyez que cela pourrait favoriser ou changer les mentalités, le
fait d'en parler?
Le Président (M. Jolivet): Mme Pronovost.
Mme Pronovost: Justement, pour mieux parler de la
société d'acquêts, on pensait qu'il aurait pu y avoir
d'autres audiences et étudier cette voie, pour voir auprès de la
population, auprès des groupes de femmes, auprès des juristes,
auprès de sondages publics ce que les gens pensent d'un régime
unique au Québec. On ne sait pas vraiment ce que les couples pensent
d'un régime égalitaire ou d'un tel régime.
Mme Vermette: L'exercice que nous faisons à l'heure
actuelle favorise cette démarche. Déjà là, on
alerte un peu la population en ce qui concerne les changements. On a vu, hier,
dans la presse ce que cela a donné quand on disait: On arrive à
vouloir changer les régimes. Déjà, on sent qu'il y a des
gens, surtout chez les hommes, qui réagissent un peu à cette
éventualité et, tout de suite, on entend: II ne faut pas aller
trop vite; il ne faut pas aller trop rapidement. Il y a des choses qui sont
acquises et on les considère comme étant des acquis; il ne
faudrait pas y aller rapidement. Cela nous semble vouloir aller un peu dans ce
sens.
Vous disiez: Moi, si c'est à l'avantage des femmes, cela ne me
dérange pas. On peut y aller rapidement; je trouve qu'on y est
allé longtemps assez lentement. Donc, c'est peut-être à
notre tour de brusquer un peu les choses. Ne croyez-vous pas que cela pourrait
avoir des conséquences plus graves, à l'intérieur des
mariages où on dit qu'actuellement les couples ont de la dif-
ficulté à se marier ou que cela pourrait favoriser davantage
l'union de fait et encore là on se retrouve devant un autre
problème, enfin, la reconnaissance à l'intérieur de ces
couples?
Mme Debbas: II y a des chiffres qui ont été
publiés hier ou avant-hier dont malheureusement je n'ai pas le
pourcentage exact, mais c'est concernant le nombre de divorces sur le nombre de
mariages au Québec. C'était absolument épouvantable. Je
pense que c'est un mariage sur trois qui finit par un divorce au Québec.
C'est énorme. Donc, c'est un peu pour cela que je dis que, pour moi,
s'il faut brusquer - dans certains cas, on peut brusquer les choses. Je pense
que c'est un cas où il faut les brusquer, justement à cause de ce
nombre très élevé des divorces. On ne peut plus se
permettre d'y aller lentement. Il y a trop d'injustices et les femmes en
pâtissent trop. Écoutez, la grande majorité des familles
monoparentales ont à la tête une femme et la grande
majorité de ces familles monoparentales qui ont à la tête
une femme sont bénéficiaires de l'aide sociale. (12 h 15)
II y a donc des questions à se poser, 47 % des femmes vivent sous
le seuil de la pauvreté. Il est temps, à ce stade-ci, de dire: On
a essayé la méthode douce. On a essayé d'y aller
doucement. Bon. On ne peut plus se permettre. Que voudrait-on? Que 60 % des
femmes soient sous le seuil de la pauvreté. C'est ça? Parce que
plus ça avance, plus le coût de la vie augmente, plus il est
difficile de se loger, plus il est difficile de s'habiller, etc., la nourriture
augmente, tout augmente. On doit, à ce stade-ci, prendre des mesures
radicales même si cela peut choquer.
Mme Vermette: Une dernière question.
N'avez-vous pas peur, si on bonifie davantage les contrats de mariage,
qu'on favorise davantage les femmes et que cela les maintienne dans un
état de dépendance. Le plus important serait de favoriser le
droit des femmes par des projets de loi.
Mme Debbas: Je m'excuse, mais je ne vois pas du tout comment en
accordant l'autonomie économique aux femmes, cela va les mettre dans une
situation de dépendance. Toute la problématique de la condition
féminine, c'est justement que les femmes n'ont pas l'autonomie
financière et elles dépendent de leurs maris ou du gouvernement
quand elles sont bénéficiaires de l'aide sociale. En leur donnant
la possibilité d'être autonomes financièrement, en ayant
des biens, en ayant un revenu qui leur est dû pour diverses raisons, je
ne vois pas en quoi on va les soumettre à une dépendance. Au
contraire, il me semble qu'on les libère de cette dépendance.
Le Président (M. Jolivet): Merci. Mme la ministre, pour
terminer.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Debbas et Me Pronovost. Ce que je
retiens de votre intervention, c'est que vous souhaitez avoir un régime
obligatoire de société d'acquêts. Vous n'avez pas eu le
temps de vérifier ces implications, entre autres sur le but visé
par notre document qui était finalement d'apporter une certaine
égalité entre les conjoints avec un partage de biens, de
même qu'aussi certaines inéquités qu'il serait souhaitable
d'apporter face à un régime de séparation de biens. Je
vous ai fait part de mon inquiétude au sujet des restrictions à
la liberté de contracter parce que la liberté de contracter, ce
n'est pas le fait des hommes seulement. Beaucoup de femmes désirent
conserver cette liberté de contracter et j'en suis une aussi.
Donc je pense que tout ce volet, compte tenu du temps, si je comprends
bien, qu'on a mis à votre disposition pour préparer votre
mémoire, vous n'avez pas eu suffisamment la possibilité
d'étudier à fond la question de la rétroactivité,
entre autres, pour ces couples. Je prends bonne note de tout cela. Nous allons
poursuivre, avec les autres intervenants, et soyez assurées que votre
mémoire sera quand même pris en considération. On vous
remercie de votre intervention et de votre présentation.
Le Président (M. Jolivet): Merci au nom des membres de la
commission. Je suspends les travaux jusqu'à 14 h 30.
(Suspension de la séance à 12 h 18)
(Reprise à 14 h 41)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Cette commission des institutions reprend ses travaux. Nous poursuivons,
en effet, les auditions concernant le document intitulé "Les droits
économiques des conjoints" rendu public par le ministère de la
Justice ainsi que par la ministre déléguée à la
Condition féminine.
À l'horaire de cet après-midi, nous avons devant nous les
représentants de la Tribune unique et populaire d'information juridique
inc. Nous entendrons, par la suite, Me Roger Comtois; nous terminerons
l'après-midi avec le Réseau d'action et d'information pour les
femmes.
Une période de 60 minutes est consacrée à chacun
des groupes: 20 minutes pour une présentation aussi succincte que
possible de votre mémoire, que nous avons bien reçu et que les
membres de cette commission ont déjà en leur possession, et 40
minutes pour discuter avec les membres de la commission.
Je demanderais au président de la Tribune unique et populaire
d'information juridique inc., Me Pierre Blais, de bien vouloir nous
présenter la personne qui l'accompagne et, également,
d'enchaîner avec la présentation de son mémoire.
Tribune unique et populaire d'information
juridique
M. Blais (Pierre): Bonjour, M. le Président. Je suis
accompagné du directeur général de la corporation, Me
Richard Maroist, avocat. Quant à moi, je suis président de la
corporation, notaire de mon état.
Vous avez tous pris connaissance du mémoire - il est inutile d'en
refaire la lecture - cependant, il y a quelques commentaires qui n'apparaissent
pas en appendice ou à la fin de l'ouvrage. Nous avons fait un rappel
historique et nous avons donné la situation actuelle des divorces. Nous
avons constaté, au cours de nos recherches statistiques et empiriques,
que le phénomène de la paupérisation des femmes
s'accroît au lieu de diminuer, des femmes évidemment
mariées sous la régime matrimonial de la séparation de
biens. Nous avons remarqué également, nonobstant toutes les
statistiques qui nous tombent dessus, qu'on ne peut pas dire que les femmes ou
les gens choisissent davantage le système de la société
d'acquêts plutôt que celui de la séparation de biens, pour
le simple fait que lorsque les gens s'abstiennent de se rendre chez le notaire
pour rédiger un contrat de mariage, ils sont automatiquement
régis par la société d'acquêts. Ce n'est pas
toujours un choix qui est bien conscient et éclairé. Je pense que
d'autres groupes se sont exprimés là-dessus, mais nous voulons le
redire, étant notaires de notre état, comme on l'a dit.
Donc, les gens qui se rendent chez le notaire, à l'heure actuelle
et encore en 1988, choisissent, en majorité, le régime de la
séparation de biens, mais nous devons déplorer le rôle des
notaires dans ce choix-là. Les notaires qui devraient être des
agents sinon de changements sociaux, du moins d'évolution sociale,
beaucoup d'entre eux négligent de donner toute l'information pertinente
sur les régimes matrimoniaux.
Si nous amenons ce commentaire, c'est pour bien faire comprendre
à la commission que, selon nous, le régime de la
séparation de biens n'est pas le pire régime qui soit, mais il
doit être, dans son état actuel, modifié parce
qu'évidemment le devoir de conseil principalement joué par les
notaires n'est pas pleinement rempli et nous expliquerons pourquoi tout
à l'heure.
Le terme d'abord, vous l'avez tous lu, séparation de biens. Dans
l'esprit de la population en général, séparation de biens
veut dire que l'on sépare les biens, ce qui, évidemment, dans les
faits juridiques n'est pas le cas. Il faudrait à notre sens même
non seulement réviser la loi sur les contrats de mariage en
séparation de biens mais la terminologie pour que l'on change cette
appellation de séparation de biens avec un terme plus adéquat, un
terme dont nous laisserons le choix à la commission parlementaire ou
à l'Assemblée nationale. (14 h 45)
La clause au dernier vivant les biens, plusieurs personnes confondent
cette clause avec le contrat lui-même. C'est donc dire, encore hier, nous
avions deux conférences, une à Loretteville et une à
Québec, et nous nous sommes rendu compte que les gens disaient: Moi,
j'ai un contrat au dernier vivant les biens. Je suis protégé
automatiquement. Je suis assise sur le béton armé. Et quand nous
expliquions aux femmes sur quel terrain mou elles se trouvaient, c'était
presque des réactions de stupeur et de panique que nous avions en face
de nous, parce que les femmes réalisaient bien que cette clause, qui dit
qu'au dernier vivant appartiendront tous les biens, pouvait être
révoquée en tout temps unilatéralement par une des parties
au contrat dans le secret de l'étude professionnelle du notaire. Alors,
on comprend que ces termes-là ou ces expressions-là induisent les
gens en erreur.
La durée de la vie commune aussi. Nous redonnons ces points
saillants-là parce qu'à notre avis ils sont déterminants
dans les erreurs communes qui se répandent dans les couches les plus
faiblement protégées de la population. Bien des dames pensent
qu'en ayant vécu 20 ans ou 30 ans avec un mari, avec une famille, ou
s'étant dévouées corps et âme aux biens de la
famille, elles sont, par le biais de je ne sais trop quelle fiction de droit,
protégées dans leur personne et dans leurs biens, ce qui n'est
pas le cas du tout, vous le savez tous. C'est ce qui explique notre
présence aujourd'hui. Mais sur cela malheureusement, on n'a pas autre
chose à faire qu'une constatation négative et le seul
remède positif qu'on pourra apporter à cela, eh bien, cela sera
évidemment de changer la loi dans un sens de partage des biens
équitables, des biens de la famille entre les deux conjoints.
Les autres régimes matrimoniaux. Souvent, par comparaison avec
d'autres femmes qui sont mariées sous des régimes matrimoniaux
différents, évidemment nous avons les deux autres grands
régimes qui sont premièrement la société
d'acquêts et la communauté de meubles et acquêts, des dames
en séparation de biens qui ont gagné leur procès ou leur
cause pour différents motifs allant de la bonne volonté du mari
tout simplement à la bêtise humaine, vont se penser
protégées par analogie par rapport à d'autres femmes qui
vont vivre la même situation, qui s'apprêtent à la vivre ou
qui pensent peut-être un jour la vivre et qui disent: Ma voisine est en
séparation de biens, elle a gagné, j'ai donc quelque chose
à faire. Or, selon nos critères jurisprudentiels les plus
récents, il appert que, quand on se rend à la Cour d'appel avec
des gens qui sont mariés sous le régime conventionnel de la
séparation de biens, on ne reconnaît pas, légalement et de
facto, le travail domestique des femmes au foyer. On ne peut pas le
reconnaître. Ce serait jugé en équité, alors que nos
tribunaux doivent interpréter les lois existantes. Nos lois existantes
ne reconnaissent pas la valeur du travail des femmes au domicile. Ce qui est,
à notre sens, un ana- chronisme historique et social qu'il faut corriger
de façon urgente.
Dans les récents changements de la loi, nous avons
également remarqué que la déclaration de résidence
familiale induit énormément de femmes en erreur en les confortant
dans l'idée tout à fait floue et imprécise que cette
déclaration de résidence familiale empêche leur mari ou
leur conjoint - quand nous disons femme, comme nous le disons dans notre
mémoire à la fin du texte, cela implique aussi le masculin et
vice-versa, sans vouloir être sexistes -... les dames croient qu'elles
sont protégées contre toute atteinte en ayant enregistré
une déclaration de résidence familiale. On s'aperçoit que,
évidemment, quand intervient un divorce, cette inscription à
l'index aux immeubles peut être radiée, peut être
levée techniquement assez facilement. Donc, tout ce que la
déclaration de résidence familiale a fait et a pour effet c'est
d'empêcher le mari d'hypothéquer ou de vendre la résidence
familiale sans le consentement de l'épouse, mais avec quelques
procédures judicieusement dosées on réussira à
passer outre à cet obstacle.
La Régie des rentes, également, diffuse dans le grand
public des documents qui portent à confusion. Quand elle dit: En cas de
divorce on partage moitié-moitié, c'est comme si elle disait,
dans les cas de divorce, tout se partage moitié-moitié, alors que
c'est un document qui émane de la Régie des rentes. Il faudrait
que ce genre d'information pernicieuse et tendancieuse ne soit, à tout
le moins, pas véhiculée dans le public ou qu'elle soit
amendée pour refléter réellement ce qu'elle veut
véhiculer comme message. Elle semble donner plus que ce qu'elle promet
effectivement.
La prestation compensatoire, nous n'en parlerons que très peu,
parce qu'il faut alors prouver un enrichissement de la cellule familiale par
l'épouse. L'épouse qui demeure au foyer est évidemment
déjà, au départ, désavantagée par cette
situation. Nous, nous proposons des changements à cet état de
fait, parce que, face aux injustices qui se vivent, face aux cas flagrants de
dames et d'enfants, de familles complètes qui sont jetées
à la rue parce qu'elles n'ont pas de protection légale, nous
proposons que certains biens, premièrement, soient identifiés
comme étant des biens de la famille. Le Code civil devrait donner une
définition - comme la nouvelle loi ontarienne le fait d'ailleurs - ou
cette nouvelle loi devrait donner une définition de ce que sont les
biens de la famille. Dans notre mémoire, dans notre proposition qui
circule en ce moment un peu partout dans la province de Québec, nous
mettons évidemment au premier chef, comme premier bien
inaliénable de la famille, la résidence familiale. Ensuite,
viennent l'automobile ou les automobiles de la famille. On comprendra
évidemment que, quand il y a seulement une automobile, il sera question
d'un partage ou d'un rachat de moitié indivise, mais ce sont des
considérations techniques qu'il
appartiendra au législateur de détailler. Les meubles
meublants et les effets d'un ménage qui garnissent la résidence
familiale devraient être évidemment au premier chef des biens de
la famille. En ce qui concerne l'entreprise familiale, il est surprenant de
constater que beaucoup d'entreprises familiales ont une envergure assez
considérable. On pensera aux nombreuses fermes ou entreprises agricoles
sur lesquelles les dames s'échinent et s'évertuent à
travailler du jour, à partir de très bonne heure, jusqu'au soir.
Cela vaut parfois jusqu'à 500 000 $ ou même 1 000 000 $.
Alors, il faudrait que, quand le conjoint qui n'est pas
propriétaire ou, même s'il l'est, a travaillé dans cette
entreprise, on lui reconnaisse le droit au partage de la juste moitié de
cette entreprise familiale. Il y a, à part les fermes ou les entreprises
agricoles, toutes les entreprises qu'on connaît dans nos cités et
villes: dépanneurs, garages, etc. Maintenant, les femmes ne font plus
que de la dentelle. Évidemment, si les vénérables membres
de cette commission ne le savent pas déjà, les femmes vont
maintenant jusqu'à travailler dans des emplois qui étaient
traditionnellement réservés aux hommes et qui ne sont pas
toujours physiquement très faciles. Mais, les femmes ont maintenant
accès à tous les types de travaux ou à peu près.
Donc, il me semble que les entreprises familiales qui sont administrées
ou dans lesquelles les femmes travaillent à moitié devraient
être considérées comme des entreprises appartenant à
la famille.
Les fonds de retraite. Les fonds de retraite, dans plusieurs cas, dans
plusieurs compagnies ou même les fonds de retraite des
vétérans, etc., sont considérés comme des
institutions intuitu personae, c'est-à-dire qu'elles sont
rattachées à l'individu ou à la personne qui en jouit ou
qui en retire les bénéfices. Nous croyons que, hormis les cas de
fonds de retraite qui sont déférés pour cause vraiment
personnelle, et je parlais sciemment des fonds de retraite des anciens
combattants parce que, évidemment, on ne voudrait pas qu'un conjoint
vienne partager dans un fonds de retraite qui a été
conféré parce qu'il y a eu vraiment un service de sa personne
à l'État. On pense que tous les autres fonds de retraite
privés et gouvernementaux dans lesquels il est obligatoire de cotiser
devraient être rattachés, au premier chef, à la famille, en
proportion des années pendant lesquelles les conjoints ont
contribué, par leur travail à domicile, à enrichir ces
fonds de retraite-là au profit d'un seul des deux conjoints. Cela se
rattache directement à nos articles actuels du Code civil qui disent
bien que - et dans nos contrats de mariage, nous, les notaires, nous le
reproduisons presque toujours - les conjoints doivent participer en fonction de
leurs facultés respectives aux dépenses et aux charges de la
famille. Dans nos contrats de mariage nous allons même au-delà,
nous ajoutons que les conjoints peuvent toutefois s'acquitter de cette
obligation légale par leur travail au foyer. Si donc, on reconnaît
déjà ce fait dans nos conventions authentiques et même dans
la loi, pourquoi ne pas le dire dans une loi amendée qui serait plus
humaine pour la famille?
Je ne jouerai pas du violon inutilement en mentionnant des cas
très pathétiques de femmes et d'enfants qui sont jetés a
la rue, mais ces cas se vivent quotidiennement et ils nous ont
été signalés à plusieurs reprises, à tout le
moins à chaque fois que nous présentons une conférence sur
les objectifs que nous visons pour le bien-être de la population en
général. Parce que vous savez que notre corporation est une
oeuvre de charité, d'abord, qui a pour but de diffuser des informations
juridiques à la plus grande couche de la société possible.
Eh bien, nous croyons que nous poursuivons des objectifs qui s'inscrivent dans
l'état actuel du droit et dans l'état de révolution
sociale que nous voulons vivre au Québec. Et, pour ne pas être
à la remorque des lois des autres provinces, nous suggérons ces
amendements à la loi. Et comme le législateur ontarien l'a fait -
et ce n'est pas dit dans notre mémoire, du moins pas clairement ou de
façon moins évidente - nous suggérons fortement au
législateur de laisser une porte ouverte à l'appréciation
des tribunaux pour pouvoir sanctionner des cas où il pourrait y avoir de
l'abus. C'est donc dire que dans cette modification que nous demandons à
la loi, il devrait y avoir une large place laissée à
l'appréciation des tribunaux pour les cas d'abus où des conjoints
en marieraient d'autres sachant au départ que, nonobstant le fait qu'ils
sont mariés sous le régime de la séparation de biens, ils
pourraient au bout de quelque temps, même d'à peine quelques mois,
se voir attribuer la moitié de tous les biens de la famille qu'un des
conjoints possédait au départ. Il me semble que si c'était
fait dans ce but-là, ce devrait être sanctionné par les
tribunaux pour éviter les abus. Comme le législateur ne pourra
jamais tout prévoir, je pense qu'on devrait laisser une certaine
discrétion à nos tribunaux d'apprécier, cas par cas, s'il
y a eu, effectivement, des abus par rapport à cette loi, donc de
permettre qu'un conjoint qui voudrait abuser d'une situation ou qui n'a
vraiment pas été productif dans l'enrichissement de la famille,
se voie refuser l'accès au partage égalitaire des biens de la
famille.
En conclusion, sachant fort bien que plusieurs groupes
présenteront des mémoires avec des teintes un peu
différentes, mais que le coloris général va demeurer le
même, nous demandons à l'Assemblée nationale de bien
vouloir, par le biais de cette commission, amender la loi dans le sens d'un
partage équitable et universel des biens entre les époux
mariés sous le régime conventionnel de la séparation de
biens.
Est-ce que Me Maroist aurait d'autres commentaires à ajouter?
Le Président (M. Jolivet): Merci, Me Blais. Mme la
ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Blais, de votre
présentation. J'aurais quelques brèves remarques
préliminaires avant de vous poser certaines questions. À vous
voir défendre la cause des femmes, j'aurais pratiquement le goût
de vous embaucher à la Condition féminine. Par contre, je trouve
que vous avez une piètre opinion du rôle que jouent les notaires,
qu'ont joué les notaires ou que doivent jouer les notaires en ce qui
concerne l'information qu'ils donnent ou qu'ils doivent donner quant au choix
d'un régime matrimonial. Vous dites souvent: Les femmes pensent qu'elles
sont protégées; elles ne le sont pas; on croit qu'en
séparation de biens, cela veut dire 50 %-50 % des biens. J'ai toujours
pensé que, séparé de biens, c'est... Je ne sais pas. C'est
sûr qu'il y a sûrement des personnes qui sont moins bien
formées que d'autres. C'est peut-être vrai aussi que dans les
années cinquante et soixante, les notaires n'ont peut-être pas
donné toute l'information qu'on aurait peut-être dû donner.
C'est peut-être aussi parce qu'on ne connaissait pas suffisamment la Loi
sur la faillite et qu'on incitait davantage les gens à se marier sous le
régime de la séparation de biens. Je pense quand même que
les notaires, aujourd'hui, ont ce rôle à jouer et qu'ils le jouent
effectivement. Surtout avec la venue du régime de la
société d'acquêts en 1970, je pense qu'on est en mesure de
bien faire la part des choses et on se rend compte, d'ailleurs, que davantage
de couples se marient en société d'acquêts plutôt
qu'en séparation de biens.
Je dois aussi vous dire que lorsqu'on parle d'information et qu'on dit:
Les femmes pensent que, je serais surprise de savoir que "les hommes pensent
que" aussi, parce que, à mon avis, les hommes ne sont pas plus
informés que les femmes. Vous savez, quand on se marie et que cela va
bien, on se préoccupe très peu de son régime matrimonial
et, au-delà des bons conseils qu'aurait pu donner le notaire, quand on
fait un choix, on s'imagine toujours que cela va bien. Par contre, tant et
aussi longtemps que cela va bien, à ce moment-là le notaire a
donné de bons conseils, mais, au moment où cela va moins bien et
qu'on va chercher au fond de son tiroir son contrat de mariage pour voir ce
qu'il renferme effectivement, là, le notaire a peut-être
donné de moins bons conseils pour une des parties. Tout ça pour
vous dire, par contre, que je pense que la question d'information ne sera
jamais suffisamment complète, mais je serais quand même
très surprise de connaître aussi la quantité d'hommes qui
ne connaissent pas plus, non plus, leur régime matrimonial, les
conséquences ou les obligations de leur régime matrimonial. (15
heures)
Concernant l'entreprise familiale, vous dites que, pour vous, elle
devrait être incorporée dans le partage des biens familiaux, si la
personne, la conjointe ou le conjoint, y travaille régulièrement.
Avez-vous pensé, par contre, à ce qu'on fait si elle n'y
travaille que partiellement, si elle n'est qu'à temps partiel? On ne
semble pas avoir pris en considération la durée de la
collaboration. Pour vous, si la femme travaille régulièrement, on
l'inclut dans le patrimoine, mais, si elle n'y travaille que partiellement, on
l'exclut? Est-ce ce que vous entendez?
M. Blais (Pierre): Je laisserai à Me Maroist
l'opportunité de répondre.
M. Maroist (Richard): Concernant l'entreprise familiale, vous
vous êtes sûrement rendu compte, à la lecture de notre
mémoire, qu'on voudrait que le tribunal ait une discrétion.
Alors, cela ferait partie de la discrétion.
On dit que le régime de base, c'est moitié-moitié,
mais le juge peut dire si, dans tel cas, ce n'est pas la moitié, c'est
aussi simple que ça, comme cela se fait en Alberta et en Ontario. Si
l'homme est vraiment capable de prouver que la femme n'a travaillé que
partiellement, le juge dira: Dans ce cas-ci, c'est seulement le huitième
de l'entreprise qui va à l'épouse, alors que c'est la femme qui a
actuellement le fardeau de prouver. On veut, dans certains cas, que ce soit
l'homme qui ait le fardeau de prouver. Quand cela fait 25 ans que la femme se
privé, qu'elle travaille peut-être à temps partiel, comme
vous le dites, dans l'entreprise, dans un dépanneur ou sur une ferme,
par exemple, je pense que la base de tout devrait être
moitié-moitié et que c'est le juge qui décidera si, dans
tel cas, ce n'est pas la moitié. Je pense que le juge sera assez
intelligent pour déterminer, dans un cas précis, si ce n'est pas
la moitié.
Je vais revenir à ce que vous disiez tout à l'heure: Les
femmes pensent que. Vous n'êtes pas sûre de ça, mais moi,
j'en suis sûr. J'en fais des séminaires - encore hier, on en a
fait deux et on en fait encore un ce soir - et je vous assure que les femmes ne
sont pas au courant. Vous me dites que vous voudriez savoir combien d'hommes ne
sont pas au courant et je suis d'accord avec vous: les hommes ne sont pas plus
au courant que les femmes. Malheureusement, ni l'un ni l'autre ne sont au
courant, mais l'homme est avantagé par son ignorance autant que la femme
est défavorisée par son ignorance. Si on prend cela comme
argument pour dire que ce n'est pas la moitié, je trouve qu'on manque le
bateau, parce que ce n'est pas parce que l'homme n'est pas au courant autant
que la femme qu'il faut dire: Non, on ne change pas la loi; personne n'est au
courant de toute façon. Malheureusement, personne n'est au courant, mais
c'est l'homme qui a l'avantage en fin de compte. Quand on voit une femme qui
vit depuis 30 ans avec le même homme, qui travaille pour élever
ses enfants et que l'homme dit: Wo, c'est fini là. Je prends une petite
jeune et toi je te sors dehors. Je ne trouve pas cela correct du tout.
Je pense que cela s'impose le partage moitié-moitié et,
comme on l'a dit dans notre mémoire, ce sera au juge de décider
si dans certains cas ce ne sera pas la moitié. Il s'agit de laisser la
discrétion au tribunal. On part avec un régime de base et le
tribunal décidera si dans certains cas cela ne justifie pas que ce soit
moitié-moitié, comme la Cour suprême vient de rendre un
jugement sur un cas en Alberta. Elle a décidé que l'homme, vu
qu'il était alcoolique depuis 25 ans, n'avait pas droit au partage des
biens. Je pense que si on laisse cela à la discrétion du
tribunal, on va éviter un paquet d'abus.
M. Blais (Pierre): Si M. le Président me permet de
compléter la réponse à Mme la ministre, également
sous cet angle. Nous nous sommes aperçus également que,
justement, à cause du caractère bilatéral de la
non-connaissance de la loi tant par les hommes que par les femmes, l'effet est
tout à fait insidieux et même que la loi actuelle peut inciter
carrément au vice certains hommes, parce que, quand ils
s'aperçoivent de ce qu'ils ont entre les mains comme contrat, plusieurs
d'entre eux, surtout des hommes, cela peut être fait par des femmes qui
seraient économiquement très fortes, mais, dans l'état
actuel, sociologique dans lequel on vit et que l'on connaît, ce sont
généralement les hommes, qui s'aperçoivent que, même
s'ils n'étaient pas au courant de ce qu'ils signaient à un
certain moment donné de leur vie, ils sont en possession d'une bombe
qu'ils peuvent faire éclater au visage de leur femme au profit d'une
jeune épouse ou d'une jeune maîtresse qui a évidemment
bouleversé les règles du jeu, ou au profit de toute autre
personne, ou même des hommes s'aperçoivent que rien ne les
empêche de déshériter leur femme au profit des enfants et
allez voir avec quelle gratitude les enfants vont récompenser la
mère pour toutes ces années passées à la
contribution de l'édification de la cellule familiale! Parfois et dans
de nombreux cas, c'est désastreux.
Quand on parle de séminaire, quand Me Maroist parle de
séminaire d'information juridique, depuis un an et demi que nous faisons
le tour de la province de Québec en rencontrant des femmes en
assemblée, à chaque semaine - nous avons rencontré des
milliers de femmes jusqu'à maintenant - nous nous sommes bien
aperçus qu'il existe effectivement un manque d'information juridique
dû aux notaires, malheureusement, où il y a eu une explication
trop rapide. Nous nous sommes rendu compte que les femmes ne se rappelaient pas
l'information qui avait été donnée dans le secret de
l'étude des notaires. Évidemment, c'est un problème qui
relève de la Chambre des notaires et nous avons, d'ailleurs, cette
matière à discussion au niveau de la Chambre des notaires en ce
moment.
Simplement pour vous donner une idée du niveau de conscience
sociale des notaires, Mme la ministre, nous avons envoyé une copie,
poste certifiée, de notre mémoire au président de la
Chambre des notaires et au bâtonnier de Québec. Nous n'avons
même pas reçu d'accusé de réception de la Chambre
des notaires et nous avons reçu un mince accusé de
réception du bâtonnier. Évidemment, on ne l'a même
pas commenté encore, on est encore en train de penser à nous
doter d'un superlogiciel dans nos études, qui va peut-être
coûter 25 000 $, mais le droit des femmes, c'est au pied d'ordre du jour
de nos réunions. Évidemment, je pense qu'il y a des
problèmes dans la société plus criants que la
technologie.
Mme Gagnon-Tremblay: Me Blais, vous êtes notaire
vous-même, je pense.
M. Blais (Pierre): Voilà.
Mme Gagnon-Tremblay: Je peux vous dire que j'ai
déjà donné des conférences. Ce que je voulais vous
faire comprendre tout à l'heure, c'est que lorsque la personne, que ce
soit un homme ou une femme, quand on n'est pas dans une situation critique -
vous savez que le droit est très complexe - vous avez beau entendre 50
conférences, vous ne retenez pas toujours les éléments
importants puisque vous ne vivez pas cette situation. Vous avez beau donner
parfois 50 conférences à la même personne, si elle ne vit
pas cette situation critique, elle ne la retient pas. C'est pour cela que, tout
à l'heure, je voulais vous dire que malgré les bons conseils du
notaire, quand on n'est pas dans la situation critique... Quand on est dans la
situation critique et qu'on assiste à une conférence, qu'on est
en mesure d'appliquer ces bons renseignements à son propre cas, on
retient davantage. C'est ce que j'ai constaté, finalement, face à
l'ensemble des groupes de femmes, face aux femmes et aux hommes
également.
Vous parlez de la prestation compensatoire. Vous dites: On devrait
inclure - c'est sûr qu'automatiquement c'est une entreprise - 50-50. Vous
ne parlez pas non plus de la durée. Est-ce que cela devrait aussi
être relié à la durée de la collaboration? Autre
chose aussi, lorsque vous parlez de 50-50... Je vous fais remarquer qu'en
Ontario, c'est 50-50 avec droit d'y déroger tandis que nous, ce que nous
avons privilégié dans le document de consultation... Je tiens
à vous dire que c'est vraiment un document de consultation parce
qu'à un moment donné, dans le mémoire, on voit que c'est
une loi; je veux bien que ce soit très clair entre nous: il s'agit
vraiment d'un document de consultation. Nous, nous avons
préféré un partage de biens beaucoup plus restreint mais
avec l'impossibilité d'y renoncer, alors qu'en Ontario, c'est vraiment
50-50 mais avec la possibilité d'y renoncer et aussi avec toutes les
traditions que nous connaissons ici, au Québec, qui sont quand
même très différentes de celles de l'Ontario.
Je reviens donc à ma question en ce qui a
trait à la prestation compensatoire. Est-ce que vous mentionnez
50-50 indépendamment de la durée ou si vous reliez cela à
la durée de la collaboration?
M. Blais (Pierre): Me Maroist.
M. Maroist: C'est cela. Je pense que dans la loi de l'Ontario, on
a énuméré un certain nombre d'éléments qui
doivent influencer la décision du tribunal dans l'établissement
du partage. Évidemment, la durée ferait partie, à notre
avis devrait faire partie des motifs ou des éléments dont le juge
devrait tenir compte avant de rendre son jugement.
Mme Gagnon-Tremblay: Ce qui veut dire finalement que vous laissez
le tout à la discrétion du juge.
M. Maroist: Non. On dit que le principe de base, c'est
moitié-moitié mais que le juge, effectivement, peut
déroger à cela en tenant compte de certains
éléments comme la durée du mariage, l'intensité de
l'effort de l'épouse dans l'entreprise familiale. C'est sûr que le
juge peut en tenir compte mais, à ce moment-là, c'est à
l'homme de venir prouver à la cour que le partage ne doit pas être
moitié-moitié - je dis l'homme parce que la plupart du temps
c'est l'homme qui a la richesse, mais cela peut être la femme, dans
certains cas, comme on l'a vu en Alberta où c'était la femme qui
avait accumulé la richesse. C'est elle qui a prouvé à la
cour que l'homme ne devrait pas avoir un sou et, effectivement, la Cour
suprême a décidé que, dans ce cas-ci, l'homme ne
méritait pas un sou. Le principe de base, ce serait:
moitié-moitié. Alors, les avocats - il faut se fier aussi aux
avocats - pourraient convenir que, dans ce cas-là, c'est
moitié-moitié. Il n'y a pas d'élément qui ferait
que le juge en viendrait à une conclusion contraire. Cela
éviterait un paquet de procès en cour; les procès, ce
serait vraiment quand il y aurait une situation particulière. Ce
seraient seulement ces dossiers qui iraient en cour. Le juge pourrait user de
sa discrétion pour faire un partage différent.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous convenez par contre que dans le
document il y a aussi cette présomption, sauf qu'elle n'est pas à
50 %; nous l'avons limitée à 30 %. Nous avons inclus dans ce
document de consultation une présomption de 30 % qui n'est pas...
M. Maroist: Pourquoi 30 %?
Mme Gagnon-Tremblay: Remarquez que c'est une très bonne
question. Cela pourrait être 20 %. Cela pourrait être 25 %. C'est
arbitraire. C'est 30 % parce qu'on s'est dit: C'est un minimum qui pourrait
probablement empêcher quantité de recours en justice. Cela
n'empêche pas 50 %, 60 %, 70 %. selon la collaboration et sa
durée. C'est un minimum.
M. Maroist: Ce que vous me dites vraiment, c'est que la femme, si
elle a travaillé autant que l'homme, sera obligée de faire la
preuve des 20 %.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui.
M. Maroist: Pourquoi ne pas partir à 50 %? L'homme
prouvera que ce n'est pas 50 % que la femme mérite. Voyez-vous, c'est
toujours la femme qui a le fardeau de prouver. C'est ce que je trouve aberrant.
La plupart du temps, la femme n'a pas un maudit sou, excusez l'expression. Elle
n'a pas un cent en poche, c'est l'homme qui a l'argent. Alors, la femme va voir
un avocat. Elle est admissible à l'aide juridique. On sait fort bien
qu'à l'aide juridique, les avocats, je ne parle pas des avocats qui font
partie des bureaux d'aide juridique mais les avocats de pratique privée
comme moi... Moi, je n'en prends pas d'aide juridique, ce n'est pas assez
payant. Mais ceux qui, en pratique privée, prennent des mandats d'aide
juridique, ils ne forcent pas plus qu'il ne le faut pour aller chercher ce
qu'il faut aller chercher. Que voulez-vous? C'est la nature humaine qui est
comme cela: on n'est pas payé pour travailler, on ne travaille pas.
Pourquoi forcer la femme toujours à faire la preuve que? À un
moment donné, qu'on force l'homme à faire le preuve du
contraire.
M. Blais (Pierre): En plus de cela, si Mme la ministre me le
permet, c'est qu'on semble considérer que la femme est une moitié
d'homme ou une moitié de femme en lui mettant une part qui est moindre
que celle qui serait normalement attachée à un conjoint qui doit
être égalitaire dans le régime matrimonial. Cela oblige
même cette proportion de 30 %, cela oblige même certaines femmes
qui sont sur le seuil de la pauvreté à régler a l'amiable
pour ne pas tout perdre, sous prétexte que cette proportion ne serait
pas au départ égalitaire. Elles seraient peut-être
portées à régler à l'amiable un litige qui,
autrement, pourrait davantage leur assurer une certaine indépendance
face à la pression de l'appareil judiciaire. Évidemment, nous
savons et nous sommes bien conscients que ce choix est arbitraire, mais nous
croyons qu'il devrait être arbitrairement fixé à la
moitié parce que les conjoints doivent être au départ
égaux devant la loi et devant le régime matrimonial.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Il y aurait peut-être une
dernière question sur les conjoints de fait. Vous ne vous êtes pas
prononcés sur la situation des conjoints de fait.
M. Blais (Pierre): Non, et nous n'entendons pas le faire.
Mme Gagnon-Tremblay: Parce que vous êtes contre ou
pour?
M. Blais (Pierre): Non, c'est parce qu'il y a tellement une
côte abrupte à remonter avec le seul régime matrimonial de
la séparation de biens. Je vous assure que nous en avions plein les
bras. Et avant de nous interroger sur les concubins et le concubinage, cela va
faire l'objet de notre prochain combat.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, monsieur. M. Blais (Pierre):
Merci.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Cela reste quand même rafraîchissant,
n'est-ce pas M. le Président, que deux hommes, disons-le, deux
professionnels, l'un avocat et l'autre notaire, viennent devant la commission.
Non seulement ils viennent devant la commission, mais ils ont également
dans le passé mis en place, finalement, une intervention professionnelle
personnelle en faveur, je dirais, de ces femmes qui sont en difficulté.
Ce qui est d'autant plus rafraîchissant, c'est que vous n'en tirez pas
simplement avantage comme professionnel, mais vous cherchez à faire
modifier la loi et, ce faisant, ce pourraient être évidemment des
causes de moins que vous ayez à défendre. Cela reste quand
même certainement intéressant. Moi, j'ai eu l'occasion de
connaître mieux la Tribune unique et populaire d'information juridique
lors du dépôt des pétitions que vous m'aviez remises comme
porte-parole à l'Assemblée nationale. Je rappelle que j'avais, en
leur nom, déposé une pétition pour réclamer, je
crois que nous en avons copie dans votre mémoire, c'est-à-dire
qu'on retrouve l'essentiel de la pétition en annexe au mémoire
pour réclamer auprès du gouvernement québécois un
changement à la loi de façon qu'en cas de séparation ou de
divorce et en cas de décès, la femme mariée en
séparation de biens soit mieux protégée. C'est donc une
action de sensibilisation mais d'information aussi que vous avez menée
dans votre milieu, et c'est extrêmement intéressant que vous ayez
considéré comme devant aussi porter cette responsabilité,
et non pas simplement des femmes. (15 h 15)
Vous nous avez mis en annexe la loi révisant la Loi portant en
réforme le droit de la famille en Ontario. Je vous en remercie. Je pense
que cela va faire partie des documents que la commission reçoit. Nous en
aurons maintenant la version française au secrétariat. Elle
pourra certainement être également disponible si des groupes
veulent le consulter. Je pense que vous avez entrepris un échange avec
madame la ministre sur toute cette question des biens partageables. Avez-vous
envisagé la possibilité, comme d'autres l'ont fait ou le
recommandent à la commission, d'élargir de façon
impérative le régime de société d'acquêts
à l'ensemble des mariages?
M. Blais (Pierre): Le régime légal?
M. Maroist: Non, je pense qu'il faut quand même laisser la
liberté aux gens. Il y a certaines femmes, certains hommes qui sont plus
dynamiques en affaires. Je ne suis pas certain que si une femme ou un homme
s'enrichit ou accumule une richesse de 1 000 000 $, ce soit
nécessairement bien de faire le partage avec son conjoint. Je pense
qu'il faut absolument laisser le libre choix aux gens. Comme la ministre le
disait tout à l'heure, ni l'homme ni la femme ne sont au courant de ce
que le régime de séparation de biens implique. Il faut au moins
mettre un minimum pour pallier cette ignorance de la plupart des gens qui se
marient en séparation de biens, surtout ceux qui se sont mariés
il y a vingt-cinq, trente, trente-cinq ans.
Mme Harel: Vous avez quelque chose à ajouter?
M. Blais (Pierre): Oui. On en a parlé tout à
l'heure, malgré les bons conseils des notaires, quand on vit une
situation critique, etc. au cours de nos séminaires d'information
juridique - et j'aimerais rapporter un commentaire là-dessus si cela
m'est permis -on a eu très peu d'hommes à nos séminaires
mais il y en a eu qui nous apparaissaient ne pas être au courant non plus
- on s'est rendu compte que les femmes non seulement n'étaient pas au
courant de la loi, mais que même après toute une soirée
d'information juridique, certaines d'entre elles venaient nous redemander:
Est-ce que moi, je suis correcte? J'ai une clause "au dernier vivant les biens"
dans mon contrat de mariage, donc je ne risque rien. On s'était
évertués, n'est-ce pas, à transmettre l'information
juridique. Cela peut appuyer les dires de Mme la ministre qui dit que:
Même si les notaires, il me semble, donnent de bons conseils, les gens
les oublient vite. C'est peut-être vrai. Cela appuie aussi la
théorie qui dit qu'il faut absolument, à toutes fins utiles,
protéger les gens malgré eux. On veut les doter d'une protection
de base qui va éviter de jeter des gens à la rue et, en fin de
compte, qui va éviter de surcharger les pressions en bien-être
social et en autre aide gouvernentale sur une large tranche de la population,
en permettant un partage équitable de certains biens fondamentaux.
Évidemment, comme on ne veut pas tuer l'initiative économique
dans notre société qui est encore capitaliste - on ne se prononce
pas du tout péjorativement là-dessus - il faut aussi laisser la
liberté aux gens de pouvoir accumuler, par ailleurs, certains autres
biens non qualifiés de biens familiaux.
Mme Harel: Dans votre conclusion, dans
votre mémoire, vous avez indiqué que tous les biens
familiaux devraient être partagés moitié-moitié.
Vous ajoutez que cela n'empêcherait pas pour autant les ententes entre
les époux pour s'y soustraire, ou encore cela n'empêcherait pas
d'adopter un régime matrimonial différent.
M. Blais (Pierre): Ce que nous voulons dire par là, nous
faisons référence à l'article 1918, je crois, du Code
civil qui fait allusion à la transaction qui peut être un acte
à l'amiable passé entre les parties pour éviter les
conséquences d'un procès. Je vais laisser mon confrère
élaborer là-dessus.
M. Maroist: Je faisais référence à la loi de
l'Ontario qui nous permet de dire: Je suis d'accord pour que la maison que tu
avais avant de te marier ne fasse jamais partie du partage.
Mme Harel: À ce moment-là, c'est au moment de la
signature du contrat.
M. Maroist: C'est cela.
Mme Harel: Mais durant le mariage... On a entendu ici des
représentations selon lesquelles les femmes sont tentées de
renoncer par amour souvent durant les bonnes années. Cette renonciation
est souvent faite sans qu'elles en connaissent les conséquences. Est-ce
que vous envisagez qu'il pourrait y avoir renonciation durant le mariage?
M. Maroist: Moi, je dis qu'il serait possible de le faire, sauf
que j'ai, comme vous, la crainte que cela soit automatique. Alors...
Mme Harel: Cette crainte, vous l'avez au moment où il y
aurait passation devant un notaire et évidemment pas avec la
société légale, malgré qu'il pourrait y avoir un
contrat assorti à ce moment-là.
M. Maroist: C'est cela. À mon avis, si jamais il y avait
renonciation, il faudrait vraiment que ce soit un document à part et que
ce soit vraiment clair que la femme renonce effectivement à sa part.
M. Blais (Pierre): D'ailleurs, à l'instar de tous nos
autres actes où, quand il faut renoncer à certains droits, on le
fait par acte notarié portant minutes, mais de façon
spécifique, parce que nous croyons que si on devait, au niveau de la
signature du contrat de mariage, faire en sorte que des clauses dites de style
ou des clauses qui ne le sont pas mais qui, à l'usage, le deviendraient,
auraient un effet tout à fait et même plus pernicieux que ce que
nous vivons actuellement, parce que cela deviendrait comme une bonne habitude -
entre guillemets - dans le langage des professionnels que sont les
notaires.
On réduit souvent, même avec le traitement de texte et
l'informatique, nos contrats à un amalgame de formules toutes
prêtes dans les petits tiroirs de nos machines électroniques.
Alors, pour éviter cet effet, je pense que s'il y a renonciation
à des droits dans un régime universel, elle devrait être
spécifique et consentie par acte notarié portant minutes. Nous
comprenons que l'exigence de passer devant l'officier public qu'est le notaire
et le décorum que cela implique et, il faut bien le dire aussi, la
dépense que cela implique, forceraient plusieurs épouses à
réfléchir deux fois, le mari également, avant d'aller
devant le notaire pour faire renoncer l'épouse à ses droits. Mais
cette renonciation devrait intervenir non pas à la signature ou de
façon concomitante avec la signature du régime matrimonial, mais
bien après un délai X qui devrait être fixé par la
loi.
M. Maroist: En conclusion, si vous permettez, si jamais on
permettait la renonciation dans la loi, il faudrait que ce soit fait avec
circonspection.
M. Blais (Pierre): Ce qui me fait dire, Mme Harel, que cela
devrait être avec un délai déterminé par la loi.
Cela va peut-être justement laisser le temps à l'amour de
s'émousser, et laisser au temps le temps de faire son oeuvre.
Mme Harel: Mais on nous a fait valoir également que
même s'il y avait ouverture simplement à la fin du mariage, s'il y
avait simplement à ce moment-là restrictivement ouverture
à une entente, que cela pouvait conduire à une sorte de chantage
affectif qui est fait concurremment à tout le débat sur la garde
de l'enfant et que, même à la fin d'une union, la
possibilité d'une entente entre conjoints peut donner lieu à des
pressions, à un déséquilibre dans les pressions, compte
tenu qu'il y a d'autres questions en souffrance qui doivent être
négociées également. C'est intéressant, en tout
cas, parce que je crois comprendre que vous avez été, avec
raison, certainement influencé par les dispositions de la réforme
ontarienne puisque vous avez pris soin de nous les mettre en annexe de votre
mémoire. Évidemment, le contexte est différent parce que,
en Ontario, on ne passe généralement pas chez le notaire pour se
marier.
M. Blais (Pierre): II n'y a pas de notaire.
Mme Harel: C'est cela, exactement. En général, on
ne va pas faire un contrat devant un homme de loi au moment du mariage. C'est
exceptionnel. Donc, quand on introduit une renonciation en Ontario, c'est qu'on
sait, compte tenu du comportement culturel, que cette renonciation aura toute
l'importance qu'on imagine puisqu'elle supposera une démarche vraiment
singulière, tandis que cela peut donner l'effet contraire ici, dans une
tradition comme la nôtre,
où cela peut effectivement devenir, un peu comme cela l'a
été pour la résidence familiale, une clause de style
où on renonce presque automatiquement lors de l'acquisition d'un bien,
etc., ou lors de la signature d'une hypothèque, par exemple.
M. Blais (Pierre): C'est pourquoi nous exigerions un certain
décorum autour de cette renonciation.
Mme Harel: Est-ce qu'il ne vaut pas mieux, à ce
moment-là, réfléchir à la possibilité de
maintenir dans nos traditions civilistes une autre façon de
procéder?
M. Blais (Pierre): Je crois que le fardeau en incombe aux
législateurs.
Mme Harel: Vous avez d'ailleurs joint, en annexe
également, - je vous en remercie, c'était très
intéressant - la liste statistique des états des mariages
célébrés au Québec, annexe D. J'aimerais bien qu'on
l'examine ensemble. L'état des mariages célébrés au
Québec du 1er janvier 1971 au 31 décembre 1986. Et vous avez par
la suite l'avis d'enregistrement des conventions matrimoniales depuis le 1er
juillet 1970. Cela fait partie de la même annexe, mais c'est la page
suivante. C'est bien le cas? Dois-je lire pour chaque année... Si on lit
bien la page suivante, la page 2, pour l'année 1987: 10 193 conventions
sous le régime de la séparation de biens, 27 communautés
de biens, 2123 sociétés d'acquêts - est-ce cela qu'il faut
lire? -
M. Blais (Pierre): Effectivement.
Mme Harel:... pour un total de 12 343 conventions matrimoniales.
Donc, proportionnellement, il faudrait voir... À ce moment-là,
c'est qu'il y a des conventions qui sont signées en plus du
régime légal dans le cas de la société
d'acquêts. C'est-à-dire que ce n'est pas le total des mariages au
Québec. Cela ne nous donne absolument pas la progression des couples qui
se marient sous le régime de la société
d'acquêts.
M. Blais (Pierre): Non, mais comme nous le disions tout à
l'heure, cela donne une idée de la proportion dans laquelle les gens qui
se donnent la peine de faire la démarche de se rendre devant le notaire
choisissent le régime de la séparation de biens. Ce choix nous
semble écrasant. Il est de 390 538 pour la séparation de biens
depuis 1971 comparativement à 52 187 pour la société
d'acquêts jusqu'en 1987. Il me semble que le reste des gens ne sont pas
pris dans la balance, mais font-ils réellement un choix? On ne peut pas
répondre actuellement à cette question.
Mme Harel: Le régime légal-
Une voix: Bien voyons!
Mme Harel:... le régime de la société
d'acquêts...
M. Blais (Pierre): Voilà!
Mme Harel:... qui est en progression. Les chiffres qu'on a
eus...
Une voix: C'est cela.
Mme Harel: Le régime de la société
d'acquêts est en progression constante et le régime de
séparation est en diminution presque de la moitié depuis
1971.
M. Blais (Pierre): Mais il est en décroissance très
lente.
Mme Harel: Depuis 1971, c'est quand même assez substantiel.
Je dirais presque de la moitié...
M. Blais (Pierre): Oui.
M. Maroist: Si on regarde...
Mme Harel:... en pourcentage global des mariages. Je veux juste
vous signaler que c'est intéressant. Cela nous donne un
éclairage...
Une voix: C'est cela.
Mme Harel:... des conventions, mais cela ne nous donne pas un
éclairage des...
M. Maroist: Bien oui.
Mme Harel:... régimes comme tels.
M. Maroist: C'est cela. Je veux vous faire remarquer que pour
l'état des mariages célébrés au Québec,
à la première page, cela veut dire qu'en 1986 il y a eu 33 108
mariages. Et si on regarde en 1986, cela veut dire qu'il y en a eu 11 588 en
séparation de biens. Comprenez-vous? La première page vous donne
le total. Cela veut dire qu'un tiers des gens se marient en séparation
de biens.
Mme Harel: Je comprends. En tout cas, la démonstration est
quand même importante. Vous nous dites que, même s'il y a
progression, il y a quand même un courant important encore pour le choix
du régime de la séparation de biens. Et vous nous faites valoir
dans votre mémoire un élément que je pense important
malgré tout parce que pour les gens... On peut toujours se demander
comment il se fait qu'il y a encore des gens qui choisissent la
séparation de biens. Parce que prévaut quand même cette
idée que c'est une sorte de protection supplémentaire si l'homme
se lance en affaires, en fait. Parlons de l'homme. Un peu avant vous, le groupe
des femmes
collaboratrices qui vous a précédés mentionnait que
son enquête démontrait une progression des couples mariés
en séparation de biens chez les femmes collaboratrices. Et je posais la
question, sans nécessairement avoir pu obtenir une réponse faute
de temps, mais c'est sans doute lié à cette conception que
lorsqu'on est en affaires, il vaut mieux être en séparation de
biens. C'est une façon de protéger la famille de toute
éventualité de faillite ou d'échec des affaires. C'est
encore présent.
M. Maroist: On sait qu'en pratique ce n'est pas vraiment
réel parce que les banques demandent les biens comme protection. (15 h
30)
M. Blais (Pierre): L'endossement du conjoint souvent. Et nous
savons dans la pratique - pour ma part, parce que je suis
spécialisé en droit de faillite - que nous avons encore tendance
à prémunir les jeunes couples contre ces risques. Au cours de
l'entrevue préparatoire, quand nous nous apprêtons à
rédiger des conventions matrimoniales, nous demandons toujours aux gens
quelles sont leurs expectatives de carrière et quelles sont leurs
expectatives familiales, de telle sorte qu'on peut un peu dresser le portrait
des dix à quinze prochaines années du couple, à savoir si
le mari ou la femme veut se lancer en affaires, si ce type d'affaires est
risqué d'après les connaissances actuelles, s'ils veulent avoir
des enfants. Si oui, comme c'est l'état de la nature, c'est encore la
femme qui les a. Est-ce qu'elle entend consacrer plusieurs mois, plusieurs
années à cet enfant par une présence permanente ou
semi-permanente au foyer? Quand on a une idée de ce portrait-là,
cela nous permet de dire: Voici, on vous recommande - et même encore on
doit le faire - on doit recommander le régime de la séparation de
biens parce qu'il nous apparaît dans certaines circonstances être
encore un excellent régime. Mais on veut quand même y apporter des
modifications telles que soumises parce qu'on veut protéger les gens,
qui ne sont pas des spécialistes en droit, contre les effets pernicieux
et qui ne sont plus à jour de cet ancien régime matrimonial, pour
le remettre... Après cette modification de la loi, je ne serais
peut-être pas surpris que de plus en plus de gens optent pour la
séparation de biens.
Mme Harel: Enfin, cela ne semble pas être le cas des jeunes
époux présentement mais, à l'inverse, cela semblait
être le cas tout au moins chez les couples qui vivent une relation de
collaboration. C'est ce que semblait nous indiquer l'Association des femmes
collaboratrices. J'ai une dernière question. Dans la proposition
gouvernementale, on retrouve le maintien de l'obligation alimentaire. C'est
votre expérience de praticien qui m'intéresse. Donc, le maintien
de l'obligation alimentaire pour une durée de six mois lorsqu'il y avait
déjà un jugement de pension alimentaire, disons, pour
l'ex-épouse. On est dans une situation où il y a eu partage.
L'ex-épouse a obtenu la pension en plus, j'imagine, du partage, il y a
une nouvelle conjointe qui, elle, partagerait le patrimoine familial. Dans la
proposition, on maintient donc pour six mois l'obligation alimentaire.
Plusieurs mémoires, notamment celui du Conseil du statut de la femme, je
crois, font valoir que ce maintien est illusoire parce que, compte tenu des
frais encourus pour le faire reconnaître - évidemment,
l'obligation suppose d'aller faire reconnaître sa créance - et
compte tenu de la moyenne versée, ce serait vraiment un recours presque
illusoire. Je pense que le conseil recommandait de ne pas retenir le maintien
de l'obligation alimentaire compte tenu du fait qu'il y avait partage. Est-ce
que vous avez un point de vue là-dessus?
M. Maroist: Je considère que le système actuel des
pensions alimentaires est correct. Dans certains cas, c'est plus de six mois.
Pourquoi limiter cela à six mois? Dans certains cas, c'est
zéro...
Mme Harel: Non, au moment du décès. M. Maroist:
Pardon?
Mme Harel: C'est au moment du décès. Il y aurait
survie de l'obligation alimentaire.
M. Maroist: Une pension alimentaire après le
décès. Malheureusement, je n'ai pas lu le document. C'est
illusoire, je crois. À l'heure actuelle, concernant la pension
alimentaire, je pense que c'est correct. Je pense qu'on ne devrait pas changer
cela. Cela va assez bien.
Mme Harel: Mais au moment du décès,
évidemment, il y a fin. Il n'y a pas survie de l'obligation.
M. Maroist: Mais non.
M. Blais (Pierre): II nous semble que c'est faire revivre de
façon déguisée l'ancien douaire auquel nous
renonçons toujours systématiquement dans nos contrats de mariage.
Enfin.
Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Me Blais, vous permettrez que je revienne
encore sur la pratique notariale. Vous allez peut-être me trouver
tannante, mais tout à l'heure vous m'avez fait frémir quand vous
m'avez dit que les notaires pitonnent sur les ordinateurs des formules toute
prêtes et ne les adaptent pas. Je me dis: Si c'est cela la pratique
générale de nos jeunes notaires ou si c'est cela la pratique de
certains notaires, j'ai l'impression de ne pas avoir été à
la bonne école. Je me dis qu'on court à notre extinction. De
grâce! J'espère que ce n'est pas ce qui se passe à nos
bureaux. Finalement, j'ose espérer
que ce n'est pas comme cela qu'on pratique. Il peut arriver qu'il y ait
des exceptions, mais j'ose espérer que ce n'est pas dans ce
sens-là.
Je voudrais avoir une précision sur l'immeuble, en tout cas la
résidence familiale qui pourrait être acquise avant le mariage par
donation ou par héritage. Est-ce que, pour vous, cet immeuble, cette
résidence devrait faire partie du partage des biens familiaux ou si elle
doit être exclue?
M. Biais (Pierre): Si nous avons déjà des
dispositions dans les lois et dans nos contrats qui précisent que cela
peut être utile, ce type de bien peut être légué
à titre de propre par la volonté du testateur. Dans certains cas,
cela devient une condition essentielle à la validité du legs.
À ce moment-là, nous ne croyons pas qu'il faille restreindre la
liberté de tester en limitant l'effet qu'a voulu poursuivre le testateur
en léguant à titre de propre ce bien immeuble. Évidemment,
cela peut avoir un effet apparemment pernicieux de contourner la loi
générale en permettant des exceptions qui pourraient se
généraliser dans la pratique par la suite parce que certains
parents, aimant bien leur petit garçon ou leur petite fille, pourraient
dire: Nous leur léguons à titre de propre... donc cela ne tombera
dans aucun partage, si j'ai bien compris votre question.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Qu'est-ce que vous pensez, par contre,
de la plus-value? Je comprends bien votre raisonnement quant au sens propre
à donner, mais concernant la plus-value.
M. Blais (Pierre): Oui, je pense que la plus-value devrait
être, comme en société d'acquêts, l'objet de
récompense de la part du conjoint qui aurait contribué de
façon égalitaire à cette plus-value.
Mme Gagnon-Tremblay: Une dernière question concernant la
mesure transitoire mentionnée dans le document de consultation selon
laquelle tous les couples mariés en séparation de biens avant
l'entrée en vigueur d'une loi future auraient trois ans pour y renoncer.
Je ne pense pas que vous vous soyez prononcés dans votre document. Que
pensez-vous de cette mesure transitoire?
M. Blais (Pierre): Me Maroist va vous donner son opinion.
M. Maroist: Je considère qu'on devrait appliquer les
mesures transitoires tout de suite, dès que la loi sera adoptée,
et qu'elles soient appliquées à tous les contrats existants de
mariage en séparation de biens.
Mme Gagnon-Tremblay: C'est-à-dire qu'on n'accorde pas aux
couples déjà mariés cette liberté d'y renoncer au
cours des trois prochai- nes années?
M. Blais (Pierre): Le danger, c'est que je vois
immédiatement les gens se bousculer à la porte de nos
études et vouloir immédiatement rédiger des conventions
les soustrayant à l'application de la future loi, avant que la
période transitoire ne soit écoulée. Je pense qu'on
devrait éviter deux poids deux mesures et imposer un régime
universel, ce qui évitera des conflits dans le temps pour tous les cas
qui se posent actuellement avec beaucoup de douleur dans la
société.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci.
Le Président (M. Jolivet): Une dernière question au
député de Marquette.
M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. J'ai eu
l'occasion d'étudier à l'université avec Me Marois et,
contrairement à la majorité des groupes auxquels j'ai posé
la même question depuis hier, concernant le recours au tribunaux, vous
n'y voyez pas nécessairement d'inconvénient. La majorité
des groupes nous répondaient que le recours au tribunal devrait
être limité, balisé et qu'il faudrait même
prévoir dans la loi le cas où nous pourrions nous adresser au
tribunal pour empêcher le partage égal du patrimoine familial. Si
j'ai bien saisi tantôt, vous seriez d'accord, comme on le mentionne dans
le document gouvernemental d'ailleurs, qu'on puisse, en cas d'injustice
flagrante, s'adresser aux tribunaux qui pourraient déterminer un partage
différent du partage égal.
M. Blais (Pierre): II faut tout de même laisser un peu
d'ouvrage aux avocats.
M. Dauphin: C'est ça. C'était plutôt un
commentaire qu'une question puisque Mme la ministre a abordé les
différentes questions que je voulais vous poser.
Un autre commentaire. J'ai eu l'occasion, au cours des derniers mois, de
discuter du document avec plusieurs confrères avocats et plusieurs amis.
C'est sûr que, par bonheur pour le gouvernement et pour les
intéressés, un gros pas serait fait si on adoptait effectivement
une telle loi. Les gens à qui j'en ai parié, pour la plupart des
hommes, étaient un peu rébarbatifs et sur la défensive, et
je leur disais: Par contre, il y a possibilité d'y renoncer dans un
délai de trois ans, pour ceux qui sont mariés. La réaction
toute naturelle de mes confrères a été de dire: Penses-tu
qu'une femme va vouloir renoncer à ça? voulant dire par là
que personne ne voudrait renoncer à ça. De la part des groupes,
et c'est peut-être naturel, j'ai eu le commentaire tout à fait
inverse: On va recevoir des pressions de la part des hommes et, à ce
moment-là, il va y avoir du chantage. J'aimerais avoir votre
réaction à ce sujet. Pour les hommes, c'est le contraire.
C'est peut-être naturel ou paradoxal qu'ils pensent ainsi, mais,
pour eux, personne ne voudra y renoncer; pas une femme ne voudra y renoncer.
Vous faites des conférences un peu partout et vous me disiez
tantôt qu'il y a une forme d'ignorance...
M. Maroist: Je ne ferais même pas la période de
transition. Je ne permettrais même pas la renonciation. Par contre, comme
on l'a dit dans notre mémoire, il serait toujours possible d'y renoncer
malgré tout, mais il faut prendre cela avec circonspection, comme je
l'ai dit, et il faudrait que ce soit fait dans un cadre précis pour
éviter que des hommes abusent de cette capacité de la femme d'y
renoncer. Si on dit aux hommes: Tu as accumulé une petite richesse de
famille et on va te la couper en deux, c'est évident et normal que leur
réaction soit de dire: Non, je ne veux pas. Mais c'est cela qui
m'enrage. C'est que la femme, finalement, a quand même travaillé
avec son homme pour arriver à cette richesse. Moi, je ne suis pas
capable d'embarquer là-dedans. Pour moi, la richesse de la famille... Je
ne dis pas, pour quelqu'un qui a accumulé 1 000 000 $, d'en donner la
moitié à son épouse. Mais la maison, la voiture, les
meubles, le fonds de retraite, même les fonds de retraite, j'insiste
là-dessus, les fonds de retraite. Si la femme a resté 30 ans
à la maison, c'est sûr qu'elle n'a pas accumulé un fonds de
retraite. Alors, le fonds de retraite, à mon avis, est très
important. Il devrait être partagé par moitié.
Le Président (M. Jolivet): En conclusion, Mme la ministre.
Vous vouiez encore une petite conclusion, non?
M. Dauphin: Non, c'est parce que pour l'avenir, Me Maroist, si le
document était adopté tel quel, il serait impossible d'y
renoncer. La possibilité d'y renoncer s'applique seulement pour le
passé.
M. Maroist: Je sais. Tant mieux.
M. Dauphin: II y a plusieurs personnes qui, de consentement
probablement, en toute connaissance de cause, ont peut-être adopté
la séparation de biens comme forme de contrat. En tout cas.
M. Maroist: Finalement, c'est une opinion personnelle que vous
demandez, à savoir si les femmes vont renoncer ou non. J'ai l'impression
que les femmes vont être faciles à...
M. Dauphin: À faire chanter.
M. Maroist: Pas à faire chanter vraiment, mais à
convaincre.
M. Blais (Pierre): À faire signer.
Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre, en
conclusion.
Mme Gagnon-Tremblay: Me Maroist et Me Blais, je vous remercie de
la présentation de votre mémoire. Je m'excuse d'avoir
défendu si fortement ma profession. Je dois vous dire cependant que nous
prenons bonne note de votre mémoire et que nous essaierons, à
partir de ce mémoire et de bien d'autres aussi, de trouver des solutions
appropriées pour améliorer la condition, pas seulement la
condition de vie des femmes, mais aussi les régimes matrimoniaux.
Merci.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Voilà. Je veux également vous remercier
et vous signaler que cela me fera toujours plaisir d'être l'instrument
qui permettra le dépôt à l'Assemblée nationale des
pétitions que vous faites circuler présentement et qui peuvent,
souhaitons-le, accélérer le rythme des travaux qui nous donneront
une véritable loi de protection. Merci.
Le Président (M. Jolivet): Merci, au nom des membres de la
commission.
J'inviterais Me Roger Comtois à prendre place. Me Comtois, je
dois vous informer que nous avons à votre disposition dix minutes pour
la présentation de votre mémoire et dix minutes pour chacun des
membres de chacun des côtés de la table, c'est-à-dire le
côté ministériel et le côté de l'Opposition.
Alors, si vous voulez commencer immédiatement.
M. Roger Comtois, à titre personnel
M. Comtois (Roger): Merci, M. le Président. Je vous
remercie d'avoir accepté de m'entendre. Au préalable,
peut-être que je pourrais faire une petite présentation pour ceux
qui ne me connaissent pas. J'ai été professeur de droit,
maintenant retraité. J'ai été doyen de la faculté,
notaire pendant 42 ans, et surtout, c'est peut-être le motif qui
m'amène ici cet après-midi, j'ai été
président du comité de l'Office de révision du Code civil
qui a donné lieu au projet de loi 10 et on m'a appelé "le
père de la société d'acquêts. "
Devant l'invitation de Mme la ministre, j'aurais bien pu - c'est ce que
j'ai le goût de faire actuellement - mettre cela de côté et
dire: On va laisser d'autres s'en occuper. Mais j'ai cru que je devais
intervenir ici. Pas que je croie tellement dans le succès de mon
intervention, mais quand même.
Le rapport dit qu'il y a trois voies: l'amélioration ponctuelle
des règles; société d'acquêts comme régime
impératif; reconnaissance d'un patrimoine familial.
Je ne suis pas d'accord sur le choix retenu
par le comité, par les auteurs du rapport. Je crois, et ce sera
mon intervention, qu'on aura beau tourner en rond, discuter à droite et
à gauche! on aboutit fatalement à la société
d'acquêts comme régime obligatoire à la dissolution par
divorce ou autrement. (15 h 45)
Qu'on examine toutes les objections - et j'écoutais tout à
l'heure - on retombe toujours dans les mêmes exigences. C'est bien beau
de vouloir protéger la liberté, le capitalisme et tout ce que
vous voudrez, le premier reproche que je fais au comité, aux auteurs du
rapport, c'est d'emprunter au droit de l'Ontario et des autres provinces quand
on a un régime d'inspiration française, de tradition
française. C'est cela la culture, la société distincte. Ce
n'est pas en Ontario, ce n'est pas à Toronto qu'on va la trouver. On a
un système tout désigné qui est la société
d'acquêts, qui est dans la tradition française de tous les pays de
droit napoléonien et on s'en va emprunter des bribes de régime,
d'un régime qu'on est même en train de délaisser en
Ontario. C'est vraiment désolant.
Le mariage, est-ce que c'est vraiment une société? Est-ce
qu'on est d'accord là-dessus? Quand on entre dans une
société, on vit avec la société, une
société de fait, une société de droit où les
deux conjoints sont associés. Pourquoi ne partagent-ils pas les biens
qu'ils acquièrent durant l'existence de cette société?
Aujourd'hui, on essaie de "raboudiner" avec des régimes comme
celui-ci et ceux qui préconisent cela comme remède, comme
palliatif à la séparation de biens, qui est affreuse, qui est
condamnable, ce sont les mêmes personnes qui, en 1968-1969,
réclamaient la séparation de biens comme régime
légal - j'étais là durant les audiences de l'Office de
révision - le Barreau du Québec en tête et même Mme
Casgrain, ma bonne amie. On réclamait, à tout prix, non pas une
société d'acquêts, non pas une communauté
réduite aux acquêts, mais la séparation de biens, ni plus
ni moins. Ce sont les mêmes individus qui, aujourd'hui, parlent de
l'injustice, de l'inéquité de la séparation de biens.
Évidemment, il faut faire un peu d'histoire. À
l'époque, pourquoi est-ce qu'il y a tant de gens qui se sont
mariés en séparation de biens? Sans doute les notaires ont leur
tort là-dedans, mais, à l'époque, la communauté de
biens était invivable. La femme n'avait aucune autonomie, aucune
personnalité. Les époux ne pouvaient faire aucun transfert de
biens, les uns a l'égard des autres; la femme était
frappée d'une incapacité totale, nullité absolue. On a
corrigé tout cela en 1964 et on a encore recorrigé pour
améliorer en 1970. L'incapacité n'existe plus, sauf
peut-être dans la tête de certaines personnes. Alors, on a
vécu avec cette crainte de la communauté ou de son
dérivé, la société d'acquêts, alors que les
maux, les défauts qu'on reprochait à ces régimes ont
été enlevés, supprimés.
Alors, on propose des mesures - la création d'un patrimoine
familial - qui, d'après moi, sont des demi-mesures qui sont souvent
injustes. Le partage des régimes de retraite, je le veux bien, on ne
fait pas de distinction. Quelqu'un aurait travaillé dans une entreprise
pendant 20 ans, va se marier et puis il décède ou il y a divorce
un an après. Il va partager 20 ans d'accumulation! On n'a pas cela en
société d'acquêts. En société
d'acquêts, le partage est intégral sur tous les biens, mais les
biens qui sont des acquêts. On parlait de fortune de 1 000 000 $.
Quelqu'un qui se marie avec 1 000 000 $, il va les garder. Les revenus vont
tomber en société d'acquêts. Et puis, comme un de mes
collègues me disait, les gens ne voudront plus se marier. Je lui ai dit:
De toute façon, tu ne te marieras jamais. Quand on se marie, il faut
prendre ses responsabilités.
Qu'est-ce qu'il y a de si anormal que de partager les revenus de ses
biens propres, le gain de son travail si on gagne beaucoup? Bien, tant mieux!
Le système qu'on propose ici, à propos des fonds de retraite, de
la résidence familiale et des automobiles, ce sont tous des bouts de
chandelle; ce n'est pas logique, ce n'est pas complet et ce n'est pas
intégral. Si c'est bon pour la maison, pourquoi ce ne serait pas bon
pour le reste? Si c'est bon pour les régimes de rentes de l'État,
pourquoi ce ne serait pas bon pour les régimes d'épargne-retraite
et tout cela? On est en mariage, on partage ce qu'on gagne durant le
mariage.
C'est le but de mon intervention. Je mentionne en passant... Tout
à l'heure, on a parlé de ce droit de renoncer pendant trois ans.
C'est encore de la foutaise. Est-ce qu'il est bon, notre système? S'il
est bon, on l'établit d'une façon universelle. Il faut cesser
d'avoir peur. Après tout, quand on a imposé, en 1981, un
régime primaire, en ce qui concerne la résidence familiale, c'est
obligatoire pour tout le monde. En ce qui concerne les contributions aux frais
du ménage, c'est bon pour tout le monde. On va se garder le droit de
renoncer? Cela veut dire que les femmes vont être sollicitées et
dans leur générosité habituelle, vont renoncer au partage
éventuel. Il ne faut pratiquement pas donner aux femmes le droit de
renoncer parce qu'elles cèdent. Je vous parle avec 45 ans
d'expérience dans la vie professionnelle. C'est ce qui arrive.
On parlait tout à l'heure des notaires. J'ai tenté, moi,
parce que j'ai toujours été convaincu de la communauté de
biens, de la recommander, et après une heure, une heure et quart de
plaidoyer que je croyais convaincant, on va se marier en séparation de
biens! C'est bête, c'est désolant, c'est à pleurer. C'est
cela, la vie. Alors, moi, je dis qu'on est mûrs puisqu'en recommandant la
société d'acquêts, on s'attendait que, comme dans tous les
pays d'Europe, cela devienne...
Quand on recommande un régime comme régime légal,
cela veut dire qu'il fait l'affaire de tout le monde. En France, il y a 90 %
des gens
qui sont mariés en communauté de biens, régime
légal. Ici, on est encore seulement à 55 %. C'est
désolant. Au point qu'à un moment donné, on s'est dit: On
a fait fausse route. On va suivre le conseil du Barreau et on va prendre la
séparation. Tant qu'on n'aura pas 80 % ou 90 % des mariages en
société d'acquêts, on a manqué son coup. C'est aussi
simple que cela. Mais comme il semble que cela va prendre encore quelques
années et qu'en attendant on s'apitoie devant l'injustice de la
séparation, c'est bien simple, qu'on impose la société
d'acquêts. Personne ne va en mourir. Cela ne va pas diminuer le mariage
et cela va établir un régime d'équité où il
n'y a pas de trou et où il n'y a pas de faille. Pour les quelques, je ne
sais, cas où vraiment la prestation compensatoire ne fonctionne pas,
cette grande déception de voir que la magistrature, qui aurait pu, avec
la prestation compensatoire, rétablir un certain équilibre, ils
se sont mis à être réticents, au point où c'est la
Cour suprême finalement qui va l'attribuer de façon
générale, dès que la cause Globinsky aura
été entendue, j'en suis sûr.
Je terminerai là. Je m'excuse de m'emporter. Je suis tellement
convaincu de ce que j'avance, c'est pour cela que je parle avec conviction. Et
ma proposition, elle est à la page 7. À la dissolution des
régimes, chaque conjoint a le droit de demander le partage des
acquêts de son conjoint, comme s'il eut été marié
sous le régime légal. Il ne faut pas laisser de liberté,
autrement ils vont défigurer tout cela, les amateurs. Sous le
régime légal, et cela nonobstant tout contrat de mariage, toute
convention contraire. Et voilà, messieurs et mesdames, je suis
prêt à répondre aux questions s'il y en a.
Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Comtois. Je pense qu'on
connaît tous Me Roger Comtois et c'est toujours avec satisfaction qu'on a
pu lire ses nombreux ouvrages. Me Comtois, eminent juriste et de bonne
renommée, comment pensez-vous qu'on est en mesure, à ce
moment-ci, de mettre de côté nos traditions de contracter, je
dirais là, d'une façon aussi radicale? Croyez-vous vraiment que
notre mentalité a suffisamment avancé pour que, du jour au
lendemain, aussi bien la Chambre des notaires que le Barreau, on puisse dire:
Voici, on met de côté toutes nos traditions et on enlève
cette liberté de contracter?
M. Comtois: Écoutez, c'est le même problème
qui s'est posé à propos de la réserve, etc.
Évidemment, j'admets que si j'étais de votre côté,
je ne sais pas ce que je ferais. Je n'aurais certainement pas
l'objectivité que j'ai ici. Il va falloir cesser de se dire: Comment
accepterons-nous cela? Il y a des choses qui paraissaient énormes, qu'on
a modifiées puis la vie a continué. Écoutez, en 1964,
évidemment, cela n'avait pas un aspect politique comme celui que vous me
signalez, mais quand, en 1964, on est passés de l'incapacité
totale à la pleine capacité, que tout ce qui était
péché mortel avant le 1er juillet devenait quasiment une vertu,
il n'y a personne qui en est mort. On a vécu et on dit: Comment cela...
Les contrats étaient défendus entre époux. C'était
effrayant. C'était péché mortel. Mais on en fait depuis
1964. Est-ce que cela va plus mal pour cela? On vit de tabous, on vit de
crainte, on vit de peur. Évidemment, en politique, peut-être qu'il
faut avoir peur de certaines choses. Moi, je vous dis qu'il va y avoir des
réactions mais pas tellement. Les réactions vont être des
réactions égoïstes, des réactions
intéressées, indéfendables, à toutes fins
utiles.
Mme Gagnon-Tremblay: Me Comtois, vous parlez d'une
société d'acquêts obligatoire; est-ce qu'elle serait
rétroactive aussi pour les gens actuellement mariés sous le
régime de la séparation de biens? Est-ce que cela engloberait
également...
M. Comtois: Oui. Quand on fait une loi, il faut qu'elle soit
rétroactive si on veut qu'elle soit pratique.
Mme Gagnon-Tremblay: Est-ce que ça veut dire que demain
matin, les couples mariés en séparation de biens n'ont pas le
choix non plus? On ne leur laisse pas non plus...
M. Comtois: Absolument pas. Ils ont voulu se marier? Qu'ils en
subissent toutes les conséquences. De toute façon, qu'on veuille
se ménager des libertés, tout le monde admet que la pension
alimentaire durant mariage est là, elle est légale, elle est
obligatoire, tant à l'égard du conjoint que des enfants. Tout le
monde admet que la prestation compensatoire est là, qu'au cas de divorce
le montant forfaitaire, la pension alimentaire, la prestation compensatoire,
toutes ces choses sont là. Quand on se marie, on s'engage et Dieu soit
loué. L'engagement qui est ici n'est pas beaucoup plus lourd que les
autres. Il y aura des cris, des protestations, mais de vierges
offensées, j'ai l'impression.
Mme Gagnon-Tremblay: Une dernière question, Me Comtois,
concernant la protection de la résidence familiale. Vous proposez
d'abolir l'exigence de la déclaration de la résidence familiale
pour l'opposabilité aux tiers. Comment pourrait-on protéger ces
mêmes tiers face aux recours futurs?
M. Comtois: J'ai noté - et je l'ai observé
personnellement - et je suis convaincu de cette constatation, que le jour
où une femme, sans l'accord de son mari, enregistre une
déclaration de résidence principale, c'est le commencement de la
fin. Je vous le dis, dans biens des cas je l'ai constaté. Quand on a
voulu protéger les
tiers, on a dit: Les actes ne sont opposables au conjoint que dans la
mesure où la déclaration est enregistrée. Il y a
très peu de déclarations enregistrées pour les motifs
qu'on peut imaginer.
J'ai constaté - c'est une affaire de rien - qu'il y a dans
peut-être 80 %, 90 % des cas, des actes d'hypothèque, des actes de
vente, des actes d'aliénation où on fait intervenir la femme pour
confirmer le régime matrimonial. Est-ce que ça va être bien
plus difficile de la faire confirmer pour consentir à
l'aliénation? Je ne crois pas. Ou le conjoint n'a pas d'objection - et
dans la majorité des cas, il n'y en aura pas - ou, s'il y en a, c'est
parce que la marmite commence déjà à sauter. Je ne crois
pas que cela crée de problème. C'est rendu au point où
dans les bureaux de notaires on fait pratiquement toujours intervenir le
conjoint, qu'il y ait enregistrement ou non, parce qu'il faut établir le
régime matrimonial. Comme on peut le changer tous les jours si on veut -
cela ne demande plus l'homologation de la cour, c'est très simple - il
faut s'en remettre aux déclarations. Pour avoir la certitude qu'une
déclaration est véridique, on le fait confirmer par le conjoint
et c'est pour cela que la plupart des contrats contiennent l'intervention.
Mme Gagnon-Tremblay: Est-ce que ça signifie donc, Me
Comtois, que cette déclaration pourrait être incorporée
à l'intérieur d'un acte quelconque comme clause de style tout
comme, par exemple, la clause de mutation?
M. Comtois: Je n'appellerais pas cela une clause de style. Une
clause sérieuse ne peut jamais être une clause de style, cela va
être une clause réelle. Dans les contrats de vente, à la
fin, on pourrait écrire: Aux présentes intervient madame,
l'épouse du vendeur, laquelle concourt et donne son consentement aux
présentes à toutes fins juridiques. Cela peut avoir l'air d'une
clause de style, mais plus c'en a l'air, moins c'en est, peut-être.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président.
Me Comtois, c'est certainement important pour nous de vous recevoir.
Vous nous avez rappelé une perspective historique extrêmement
importante. C'est d'autant plus intéressant que nous ne
légiférons pas très régulièrement en ces
matières. C'est à peu près tous les dix ans, il y a une
sorte de moyenne qui s'est établie; il faut donc presque penser
jusqu'à l'an 2000 pour légiférer sans être trop en
retard par rapport à l'évolution de la société.
C'est donc dans une perspective plus innovatrice que simplement correctrice
qu'il faut envisager notre législation, parce que ce qui est devant
nous, c'est une proposition gouvernementale qui se veut correctrice. (16
heures)
Essentiellement, si on reprend - Mme la ministre va me le permettre -
son discours d'ouverture au début de nos travaux hier, la proposition
s'inscrit dans la perspective de corriger les effets néfastes pour le
conjoint le plus démuni qui est marié en séparation de
biens. La correction, nous dites-vous, n'est pas satisfaisante. C'est ce que je
comprends dans vos propos. C'est une correction qui vous apparaît
insuffisante. J'aimerais d'abord vous demander comment il se fait que, dans le
cadre des dispositions de la société d'acquêts, on ait
écarté les régimes privés de retraite comme des
acquêts partageables.
M. Comtois: Je crois que c'est le contraire, madame. Les
régimes privés de retraite sont des acquêts. Il est dit
à l'article 480 et quelque chose que les régimes institutionnels
publics sont des biens propres. Écoutez, j'étais au comité
avec M. Marceau, qui est maintenant juge à la Cour
fédérale, et on est partis de l'aspect suivant: Les
régimes d'invalidité, par exemple au cas où quelqu'un perd
un membre ou subit une blessure, ne peuvent pas se partager, ce n'est pas un
acquêt, c'est strictement propre. On s'est engagés dans cette
optique, et M. Marceau est celui qui a le plus prôné cet aspect,
qu'un fonds de retraite est vraiment strictement personnel. Maintenant, ce qui
s'est développé depuis, et je suis prêt à me
réviser là-dessus, c'est qu'on le traite comme en
communauté de biens où on dit que c'est du salaire mis de
côté. Dans le rapport, je ne sais pas comment on va partager
cela.
Je suis membre d'un fonds de retraite, j'ai 60 ans, disons, et je vais
prendre ma retraite dans cinq ans. Actuellement, en communauté de biens,
quand arrive un divorce durant l'emploi, avant la période de
participation au régime de prestations, on oblige le mari ou la femme
selon le cas, à partager les contributions, sans intérêts.
J'en ai un cas la semaine prochaine. Cela oblige le mari, dans ce
cas-là, à trouver un capital de 25 000 $. Il a contribué
à 50 000 $, il travaille comme enseignant depuis 40 ans. Est-ce que cela
ne devrait pas être seulement au moment où on est à la
retraite, comme les gains admissibles en vertu des rentes du Québec?
C'est simplement à l'âge de la retraite que le conjoint a le droit
d'en recevoir la moitié. Cela n'est pas prévu, on n'a pas
discuté de ces choses-là. Il va rester des textes à
rédiger.
Alors, madame, je ne sais pas si j'ai répondu à votre
question. Je crois que vous avez demandé: Comment justifiez-vous...
Mme Harel: C'est intéressant...
M. Comtois:... que les régimes privés soient
propres? Est-ce cela que vous m'avez demandé?
Mme Harel: C'est-à-dire que je m'adressais à vous,
en fait, comme le père de la société d'acquêts.
M. Comtois: Oui, oui. Mais le père de la
société d'acquêts vous dit que les régimes
privés, les régimes épargnes-retraite, ce sont des
acquêts partageables dans le droit actuel.
Mme Harel: Comment se fait-il que les régimes
d'épargne-retraite, les REER par exemple, ne le soient pas?
M. Comtois: Certainement qu'ils sont partageables. Cela fait
partie de la communauté et c'est un acquêt partageable au cas de
divorce. Je suis sûr de cela, madame.
Mme Harel: Ce matin même, il y avait une personne qui
semblait bien au fait de toutes ces questions et qui représentait
l'Association des femmes collaboratrices...
M. Comtois: Elle est mal renseignée, cette dame.
Mme Harel:... en matière de retraite...
M. Comtois: Non, non, non! Je suis sûr de cela!
Mme Harel:... et qui faisait valoir que les femmes de
professionnels, qui sont souvent des femmes collaboratrices, ne pouvaient pas
obtenir que ce soit partagé, parce que les professionnels n'ont pas
régulièrement accès à des fonds de retraite
collectifs et, donc, que leurs prestations de retraite venant surtout de
régimes d'épargne-retraite privés ne donnaient pas
accès à un partage.
M. Comtois: Non, ce n'est pas exact, madame. Mais j'aimerais
vérifier avec cette personne. Cependant, je dois vous dire qu'il y a une
distinction à faire. Supposons que le régime enregistré
d'épargne-retraite soit greffé à une police d'assurance;
là, cela redevient pratiquement un bien indisponible propre. Mais les
épargnes-retraite ordinaires administrées par les compagnies de
fiducie, par les banques, sont des acquêts à moins que les
contributions n'aient été entièrement souscrites à
même des biens propres, évidemment, parce qu'en
société d'acquêts, les biens propres remplacés par
d'autres biens propres demeurent propres, bien entendu.
Mme Harel: C'est donc dire que les régimes privés
de retraite sont partageables, sont des acquêts?
M. Comtois: En principe, ils sont partageables, dans la mesure
où c'est le temps de les partager.
Mme Harel: Oui.
M. Comtois: Si j'ai signé un contrat avec Investors
Syndicate qui me donne droit à une rente dans 20 ans, ce n'est pas le
fait que je divorce maintenant qui va rendre la créance
immédiatement exigible. Mais ce sont des acquêts, des biens
partageables qui appartiennent autant à l'homme qu'à la femme,
quel que soit le souscripteur.
Mme Harel: Même lorsqu'il est dit que cela ne doit pas
être cessible entre époux?
M. Comtois: On ne peut pas mettre cela dans un régime
privé, madame. Les clauses d'incessibilité et
d'insaisissabilité sont dans les régimes publics et dans les
régimes qui dépendent de la loi concernant les régimes
supplémentaires de rentes. On ne peut pas, dans un ordre privé,
créer de l'incessibilité et de l'insaisis-sabilité.
Mme Harel: L'éclairage que vous nous apportez est vraiment
intéressant parce que cela contredit, en quelque sorte, ou donne un
tempérament, dirions-nous, à ce qu'on retrouve dans le document
gouvernemental où on pouvait, certainement en tout cas de bonne foi,
conclure qu'il fallait lever le caractère incessible du droit des
conjoints dans un régime privé de retraite.
M. Comtois: C'est marqué là?
Mme Harel: Bien, cela donnait à entendre que si on
voulait, notamment en matière de prestation compensatoire, oui...
Mme Gagnon-Tremblay: Quelque chose, Me...
Mme Harel: Voilà, à la page 25 de la proposition
gouvernementale, on y dit qu'en matière de prestation compensatoire,
puisque c'était là où les régimes privés se
trouvaient sous réserve de partage seulement dans la proposition, on y
lit à la toute fin...
M. Comtois: Quel paragraphe, madame?
Mme Harel:... à la toute fin, aux dernières
lignes...
M. Comtois: Oui...
Mme Harel:... "les droits à la retraite attribués
à un conjoint seraient, s'ils l'étaient avant que le partage ne
soit effectué, immobilisés, incessibles et insaisissables; une
disposition serait édictée pour faire échec, entre les
époux, aux lois qui déclarent ces droits incessibles et
insaisissables".
M. Comtois: Oui, mais là, on se réfère,
et
c'est ce que je viens de vous dire, à un régime
complémentaire de retraite. Mon fonds de retraite à
l'Université de Montréal n'est pas un fonds d'État, ce ne
sont pas les rentes du Québec, ce ne sont pas les rentes
fédérales, mais c'est un fonds institutionnel. Le
règlement, dans ce cas-là, prévoit que ce fonds-là
est incessible et insaisissable; et ce fonds-là est propre,
d'après les règles actuelles de la société
d'acquêts.
Mme Harel: Ah!
M. Comtois: Évidemment, on va recommander qu'il devienne
commun.
Mme Harel: II est propre!
M. Comtois: Mais dans le droit actuel, selon les dispositions du
Code civil...
Mme Harel: II est propre. Je ne comprends pas...
M. Comtois:... c'est un bien propre. C'est que je vous expliquais
qu'on a décidé avec Marceau. Maintenant, je crois que cet
amendement-là s'impose, puisqu'on considère de plus en plus que
les contributions qu'on met dans un régime de rentes sont du salaire,
à toutes fins utiles.
Mme Harel: Donc, les régimes complémentaires
seraient des biens propres au sens du régime actuel de la
société d'acquêts?
M. Comtois: Ce sont des biens propres dans le texte actuel.
Exactement.
Mme Harel: Vous êtes tellement un spécialiste que,
vous comprenez, Mme la ministre qui est notaire et moi qui suis avocate, nous
étions en train d'être un peu mélangées, si je peux
me permettre.
M. Comtois: Non, mais des fois il y a des distinctions. Ce matin,
ce qu'on a dit, je ne le sais pas. Est-ce qu'il s'agissait d'un
régime...
Mme Harel: Complémentaire.
M. Comtois: Ah! Bien oui, là c'est vraiment propre...
Mme Harel: Oui, d'accord.
M. Comtois:... et là, ce n'est pas partageable, dans
l'état du droit actuel.
Mme Harel: Et les régimes d'épargne-retraite, les
REER, seraient-ils des acquêts?
M. Comtois: Ce sont des acquêts parce que ce sont des
régimes privés qui ne dépendent pas d'un règlement
ni d'une loi. C'est du contrat strictement privé.
Mme Harel: Vous voyez comme vous restez toujours le
spécialiste écouté, pas toujours compris
peut-être.
M. Comtois: Je ne sais pas si on va m'écou-ter
jusqu'à la fin, parce que cela peut être lourd.
Mme Harel: Vous mentionniez dans votre mémoire, à
propos de la résidence familiale, que la protection proposée dans
le rapport...
M. Comtois: Oui.
Mme Harel:... enfin, qu'on appelle ici le document
gouvernemental, est vouée à l'insuccès. Les
créanciers ne voudront plus consentir de prêts
hypothécaires sur la résidence familiale à moins que le
conjoint n'intervienne et ne renonce à l'insaisissabilité.
M. Comtois: C'est cela.
Mme Harel: Dans la proposition gouvernementale, la
résidence familiale ne donne lieu qu'à une déclaration ou
à un recours en dommages si elle a été
aliénée.
M. Comtois: Oui. Dans le droit actuel, s'il y a une
déclaration de résidence d'enregistrée,
l'aliénation n'est pas opposable au conjoint. S'il n'y a pas de
déclaration d'enregistrée, le mari ou la femme qui vend la
résidence sans le consentement de l'autre s'expose à des dommages
de son conjoint. Mais les tiers ne seront pas évincés. Dans la
proposition qui est faite ici, je me dis que pour bien des gens, la
résidence principale, c'est leur meilleur moyen de financement, c'est
l'actif le plus important qui peut être hypothéqué.
Mme Harel: C'est sûr.
M. Comtois: Mais si on ne donne pas de garanties aux
créanciers, ils ne prêteront pas.
Cela veut dire que si on veut obtenir un prêt, il va falloir que
les deux signent et cela rend illusoire l'insaisissabilité, à
moins qu'on ne dise que c'est d'ordre public; et si c'est d'ordre public, c'est
bien simple, les gens ne prêteront tout simplement pas.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président.
Me Comtois, à mon tour j'aimerais vous remercier d'être
venu contribuer à nos travaux en commission. Je lisais un article dans
La Presse ce matin; je crois que c'est ma collègue de Maisonneuve
qui a donné une entrevue hier
relativement aux conjoints de fait. Vous, vous nous proposez que la
société d'acquêts devienne imperative pour tout le monde.
Maintenant...
M. Comtois: Je n'ai pas parlé des conjoints de fait
là-dedans. J'ai parlé des gens mariés.
M. Dauphin: Conjoints de fait. Pardon?
M. Comtois: Je n'ai pas parlé des conjoints de fait.
M. Dauphin: Ce n'est pas cela que je dis. La question que je vais
vous poser a rapport aux conjoints de fait, même si vous n'en avez pas
parlé. En 1964, 1970, dans ces années-là, la proportion de
couples mariés en union de fait était quand même plus rare
qu'en 1988.
M. Comtois: Oui.
M. Dauphin: Je lisais ce matin que 28 % - je crois qu'on a
vérifié si c'est exact - des couples québécois sont
mariés en union...
Des voix: Vivent.
M. Dauphin:... vivent...
Une voix: En union de fait.
M. Dauphin:... en union de fait, excusez-moi... Quel conseil
pourriez-vous donner au législateur aujourd'hui? J'ai l'impression que
cette proportion va probablement augmenter. On parle de 28 %, ce pourrait
être 35 %, 40 % dans les prochaines années, 50 %, 75 % même.
Vous parliez des conséquences tantôt.
M. Comtois: Je lisais, en m'en venant cet après-midi,
justement le texte de l'intervention de Mme Harel et je suis bien
embêté avec cela. Je ne sais pas, si j'étais
législateur... Comme père de famille, je vous dis que j'ai
encouragé mes enfants à vivre en union libre et, une fois qu'ils
ont été mûrs, à se marier; cela a bien
tourné, heureusement. J'hésite beaucoup. Madame, je ne vois pas
comment imposer quelque rigueur que ce soit aux conjoints de fait. Ce sont des
gens qui veulent vivre, si on peut dire, marginalement, garder une certaine
liberté. Ils ne peuvent pas tout avoir. Have your cake and eat it.
Alors, il faut qu'ils se décident. J'en ai fait, des contrats pour des
conjoints de fait, des unions très stables qui sont plus solides que
beaucoup de mariages, mais ces gens ont un contrat qui les protège. Ce
sera tellement facile, même s'il arrive une difficulté quelconque.
Mais aller imposer... D'abord, quand vont-ils devenir conjoints de fait? Si,
par exemple, ils ont deux appartements attenants l'un à l'autre, qu'ils
se visitent, est-ce que ce sont des conjoints de fait?
J'ai eu un cas - vous me faites penser à l'Université de
Montréal justement - où le conjoint de fait avait droit à
la demi-pension et on a établi qu'ils ne vivaient pas ensemble. Ils se
voyaient peut-être plus souvent que certains de nous, personnes
mariées...
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Comtois:... mais qu'est-ce que ce sera pour les conjoints?
Combien de temps cela va-t-il prendre, le noviciat du conjoint de fait? Est-ce
que ce sera trois mois, six mois? C'est de la dynamite. Pour le moment, je ne
m'inquiéterais pas trop de cela.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Comtois: Essayez donc de régler le problème du
partage du patrimoine familial, puis je vous donne une recette. Prenez vos
responsabilités et, l'an prochain, vous attaquerez un autre
problème. Mais là, vous en avez, du pain sur la planche pour
quelque temps, d'après moi.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Jolivet): En conclusion, Mme la
ministre.
M. Dauphin: Merci beaucoup. (16 h 15)
Mme Gagnon-Tremblay: Me Comtois, je dois vous remercier. Je vous
avoue que lorsque j'ai pris connaissance de votre mémoire, j'ai
été étonnée, d'une part, mais j'étais
très heureuse de voir un notaire à sa retraite, avoir
pratiqué pendant 42 ans et avoir cette ouverture d'esprit. Je m'en
réjouissais et je me disais: On en aurait besoin beaucoup de personnes
comme vous. J'aimerais bien qu'on puisse compter sur vos bons conseils, votre
opinion et votre collaboration pour changer l'opinion de l'ensemble des
décideurs. Lorsqu'on aura à préparer, entre autres, un
projet de loi à la suite de la parution du document de consultation,
j'aimerais donc que vous puissiez être là pour faire pencher un
peu la balance du bon côté! Je vous remercie de nouveau, Me
Comtois.
M. Comtois: Je vous en prie. Merci.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Me Comtois, c'est peut-être un paradoxe, mais
c'est tellement intéressant de rencontrer quelqu'un qui m'apparaït
non conformiste traditionaliste.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Harel: Cela peut vous apparaître un peu paradoxal, mais
c'est vraiment un peu comme
cela que je reçois votre proposition. D'une part et avec raison,
je pense, vous nous invitez à la prudence en matière de maintien
de nos traditions juridiques, de notre tradition civiliste et à ne pas
être serviles à l'égard des règles de droit
étrangères. D'autre part, je pense que vous êtes aussi non
conformiste, c'est-à-dire que vous nous appelez à innover et non
pas simplement à corriger les effets moins bons ou pervers qui ont pu
être commis par des régimes qui, de toute façon, continuent
non seulement à survivre, mais à être utilisés.
J'ai écouté avec énormément
d'intérêt votre point de vue sur la question des conjoints de fait
et je partage l'idée que l'État ne doit pas marier les gens qui
ne le décident pas eux-mêmes. C'est mon point de vue, mon postulat
de base. Je voudrais qu'il en soit ainsi, par exemple, dans toutes nos lois, y
compris celle de l'aide sociale, ce qui n'est malheureusement pas
évident là. Je crois que c'est un défi nouveau, un
très grand défi en matière de nos lois statutaires qui ne
sont pas harmonisées quant à la définition du statut de
conjoint de fait. Par exemple, vous aller devoir faire la preuve qu'il y a eu
trois ans de cohabitation pour obtenir une prestation de la Régie des
rentes ou une prestation d'accidenté du travail, mais quand il y a un
avantage, ça doit faire au moins trois ans qu'il y a vie commune et s'il
y a un inconvénient, c'est tout de suite qu'il doit être
assumé dans d'autres lois.
Il y a certainement matière à repenser cette
réalité-là, d'autant plus qu'il y a présence
d'enfants. On viendra me dire que la réforme du droit de la famille a
introduit une protection filiale indépendamment du rapport conjugal
entre les époux, mais il n'y a pas de protection familiale pour les
enfants nés en union de fait. Alors, tout ça ne m'amène
pas à penser qu'il faille leur imposer quoi que ce soit, mais
plutôt à considérer que l'Etat devra se saisir de cette
question rapidement. Si on peut procéder dès le printemps en
matière de droit des conjoints, on pourrait certainement, l'an prochain,
s'attaquer à cet autre dossier. Merci d'être venu parmi nous.
Le Président (M. Jolivet): Merci au nom des membres de la
commission.
J'invite le Réseau d'action et d'information pour les femmes
à venir à la table. Je rappelle à Mme Dolment qu'elle a
une heure pour l'ensemble de son mémoire: vingt minutes de
présentation et vingt minutes pour chaque parti politique. Si elle veut
bien présenter la personne qui l'accompagne et commencer.
Réseau d'action et d'information pour les
femmes
Mme Dolment (Marcelle): Merci beaucoup. Me permettez-vous de
prendre un verre d'eau avant, parce que j'ai tellement été prise
par ce qu'on vient d'entendre... Merci. Je vous présente
Chantale Ouellet, qui fait partie du Réseau d'action et
d'information depuis longtemps et qui a participé, d'ailleurs, aux
discussions sur notre mémoire. Notre mémoire a été
rédigé en collégialité, si on peut dire. Nous avons
étudié très sérieusement le document du
gouvernement et après discussion, nous avons décidé de
rédiger ce que vous avez eu en main, qui était notre
mémoire plus important. Et là, évidemment, c'est un
résumé qu'on vous présente.
Les membres du Réseau d'action et d'information pour les femmes
qui ont lu le document "Les droits économiques des conjoints" ont eu un
choc devant la minceur et la mesquinerie de la réforme proposée.
Loin de nous faire avancer dans la reconnaissance de notre
égalité, on continue de vouloir nous léser sans merci. La
conjointe n'aura droit qu'à la moitié de la maison familiale,
rien de plus, mais devra partager les meubles qu'elle avait déjà
en séparation de biens, clause habituelle de ce régime. S'il n'y
a pas de maison, la réforme lui fait perdre la moitié des meubles
sans lui donner accès aux autres biens; sans compter que plusieurs
femmes ont réussi à obtenir la moitié de la maison, sinon
toute la maison, en compensation de leur parentage. Elles perdront donc la
moitié de la maison.
C'est une réforme désolante qui nous place loin
derrière les autres Canadiennes, qui refuse aux femmes un
véritable partage familial. On nous maintient au niveau où
étaient les autres Canadiennes en 1976. Une fois de plus, on accuse dix
bonnes années de retard sur le reste du Canada et on présente
l'image d'une province rétrograde, mesquine - tout le monde vous l'a
dit, d'ailleurs - où les droits des femmes ont bien du mal à se
faire accepter par des parlementaires pour qui les droits économiques
patriarcaux priment tous les autres, encore et toujours. Nous nous
démarquons du reste du Canada. Si c'est là ce qu'implique la
société distincte, on peut se demander où est son
intérêt pour nous, les femmes.
La pleine égalité n'est donc encore qu'un rêve. Le
fait d'avoir choisi, comme réforme du Code civil, la constitution d'un
patrimoine familial partageable limité à quelques possessions
dont une seule s'apprécie, la maison familiale ou, à
défaut, la résidence secondaire, alors que les autres se
déprécient rapidement, meubles, voiture, rend non crédible
la prétention du gouvernement que la conjointe est désormais
pleinement égale.
Comment expliquer une modification aussi imparfaite qui exclut du
partage et le chalet, et les autres équipements d'usage courant qui
servent à la famille, donc familiaux, ce qu'avaient les Ontariennes
dès leur première réforme, et les autres épargnes
faites à même des revenus qui auraient dû profiter à
la qualité de vie de la famille, c'est-à-dire fonds de retraite
privé, REER, investissements divers, participation aux
bénéfices d'entreprises, comptes
d'épargne, et tout le reste? Déjà, la conjointe
à la maison est exclue des avantages fiscaux, comme l'exemption de
personne mariée qui lui appartient en tout droit. Le Code civil devrait
corriger cette injustice du système fiscal en reconnaissant pleinement
le statut d'adulte de la conjointe et son droit à recevoir ce qui lui
est destiné, parce que là, cela va à son mari qui est
considéré comme son père.
La passoire du patrimoine familial. Le gouvernement voulait se
préoccuper du sort fait aux femmes mariées en séparation
de biens qui sont tellement lésées avec le système actuel.
Mais il a pitoyablement raté le bateau. Premièrement, en
maintenant la séparation de biens qui trompe lés femmes avec des
donations dont le juge peut disposer à sa guise et qui permettra au
conjoint privilégié financièrement, l'homme, de se sauver
du partage du patrimoine familial en investissant plutôt dans des
épargnes non partageables, comme des REER, surtout que d'énormes
avantages fiscaux l'y incitent. Les conjointes qu'on aurait dû le plus
protéger, celles qui sont mariées avec un conjoint pas trop
généreux, se retrouveront encore une fois les mains vides,
d'autant plus que le conjoint propriétaire pourrait bien vendre la
résidence familiale peu de temps avant son divorce, ou
l'hypothéquer complètement, comme on vient d'en entendre parler,
afin d'investir dans des biens non partageables. Et puis, même s'il y a
une maison familiale partageable, comment la conjointe parent pourra-t-elle la
garder, à supposer qu'elle ait charge d'enfants, si elle n'a pas eu
droit à sa part des autres biens? Elle devra la vendre pour
survivre.
Nous condamnons aussi la période de trois ans qui permettra au
conjoint de renoncer au partage du patrimoine familial. Il y a trop de danger
qu'il y ait des pressions contre le conjoint le plus faible, la femme.
Un droit familial "afamilial", a privatif. Ce qui nous a sans doute le
plus frappées, c'est l'absence quasi totale de l'approche familiale -
d'ailleurs, dans les mémoires qui ont été
présentés, cela nous a aussi frappées - dans un droit qui
s'appelle "droit de la famille" et dans un contexte de politique familiale.
Qu'on ne s'étonne donc pas du désintéressement des femmes
à avoir des enfants quand le Code civil traite avec autant d'injustice
les conséquences du parentage dans leur vie financière. C'est
là un élément qui semble échapper à ces
supposés experts en matière de solution de la
dénatalité, les fameux démographes, alors que ce sont les
groupes de femmes qui ont ces solutions, si seulement on le leur demandait de
façon aussi sérieuse qu'on le demande aux démographes qui
parlent toujours à la radio et à la télévision et
qui, d'après nous, ne connaissent rien aux solutions.
Lors de la consultation dans la province sur cette politique, il a
été établi qu'une famille comprenait nécessairement
un enfant. On n'en a pas tenu compte car, pour le législateur, le droit
de la famille semble bizarrement servir de soutien à l'enrichissement
conjugal: - c'est une citation du document - "Le mariage n'est pas seulement
l'union de deux personnes juridiquement égales, mais également
l'association de deux patrimoines", lit-on dans le document. Sommes-nous donc
encore au temps des mariages d'affaires de jadis? On retrouve cette notion
tapie partout dans la réforme.
Pour le RAIF, le mariage est l'association de deux personnes en vue de
former une famille, donc d'avoir des enfants, sans quoi il ne s'agit plus du
droit de la famille, mais du droit conventionnel, applicable à tous les
individus. Ils n'ont pas besoin du mariage pour cela.
Soulignons d'ailleurs que la notion de l'apport à
l'enrichissement de l'autre conjoint, que nous espérions voir
disparaître enfin, peut se retourner contre les femmes. Un mari qui a
payé des voyages, des cours, un REER, donné le chalet, fini le
sous-sol, pourra prétendre qu'il a enrichi sa femme et réclamer
cette compensation à double tranchant.
Il faudrait aussi que si la maison a été donnée
à la conjointe par son mari comme compensation pour son parentage, elle
ait le droit de la garder sans la partager, quitte à ce que cette
réserve soit abolie pour les années à venir.
Non au travail domestique. Nous voudrions insister sur notre refus
d'endosser les pressions qui ont été faites pour étendre
au travail domestique la notion d'enrichissement, sous prétexte que les
services domestiques fournis par la conjointe ont enrichi le mari. La
méthode est pleine de pièges. On a seulement à consulter
l'avant-projet de loi sur l'assurance automobile en ce qui concerne les
compensations pour la femme à la maison: on évaluait tant pour le
ménage - je pense que c'était 50 $ par semaine - et puis tant
pour la cuisine. C'est quelque peu dévalorisant parce qu'elle s'engage
dans la mauvaise voie, celle de l'employée qui rend des services
domestiques, alors qu'elle est une partenaire à part entière dans
l'aventure familiale. C'est ce statut qu'elle doit revendiquer, non celui de la
productrice de services. Nous ne sommes plus au début du siècle,
les femmes doivent ajuster leurs revendications à leur
égalité et à leur dignité.
La conjointe ou le conjoint économiquement faible. Par ailleurs,
l'objectif de corriger la faiblesse économique d'un des conjoints, par
le biais du droit de la famille, sans préciser s'il s'agit de parent ou
non, fait ressortir à quel point on peut se fourvoyer quand on ne
s'interroge pas sur l'essence du droit familial et sur sa justification.
Pourquoi un ou une adulte obtiendrait-il ou obtiendrait-elle le secours
d'un ou d'une autre adulte et le partage de ses biens par la magie d'un bout de
papier appelé contrat de mariage? C'est un non-sens dont l'ombre s'est
malheureu-
sèment étendue jusque sur le système d'aide sociale
pour l'obscurcir et le travestir, ce que Mme Harel avait souligné.
Dès qu'il y a un couple d'hétérosexuels partageant le
loyer, on s'imagine que l'un doit faire vivre l'autre, réminiscence du
mariage. Cette confusion a privé des milliers de femmes et quelques
hommes récemment de leur droit à l'aide sociale, lors de
descentes du ministère du Revenu, laissant ces femmes sans un sou,
à la merci de leur compagnon, surtout quand elles avaient des enfants.
Quand on sait le nombre de femmes battues, on s'inquiète.
Quant aux relations dans un couple, il faut apprendre à
distinguer l'entraide normale à laquelle on s'attend, de l'obligation de
secours et assistance inscrite dans le droit familial. Cette obligation est
pertinente pour des parents, mais elle ne se justifie nullement pour deux
célibataires qui cohabitent avec ou sans bout de papier officiel.
Malheureusement, en attendant que l'on se rende à cette constatation, le
droit de la famille sera vicié par la présence de non-parents
dans sa clientèle, en empêchant celui ou celle responsable du
parentage, à son détriment, d'obtenir justice.
Une liberté qui opprime. Nous ne pouvons être d'accord avec
le grand principe énoncé à la page 12 du document, que,
dans le mariage, on doive laisser les époux "libres d'aménager
leurs rapports patrimoniaux" comme ils l'entendent, car c'est de là que
vient toute l'inéquité qu'ont vécue tant de femmes. En
effet, selon ce célèbre axiome en droit: là où le
rapport de forces est inégal, c'est la liberté qui opprime et la
loi qui libère. La réalité des femmes a largement
prouvé cette nécessité de balises juridiques surtout dans
le mariage. (16 h 30)
Quant aux successions. Cette partie du document qui traite des
successions nous paraît extrêmement faible, injuste, contraire
à l'égalité des époux et spécialement
mesquine envers les ex-conjointes, entre autres, par cette recommandation qui
limite à la moitié de la part qu'il aurait reçue si la
succession avait été dévolue selon les règles de la
dévolution légale des successions, la contribution
accordée au conjoint ou à un descendant. Alors, même avec
la survie de l'obligation alimentaire, elle ne pourra pas en demander plus que
la moitié de ce qu'elle aurait eu, c'est-à-dire la moitié
du tiers.
Le législateur est encore obnubilé par cette fameuse et
désuète liberté de tester qui s'est toujours faite au
détriment des obligations familiales. À ne pas oublier que le ou
la conjointe survivante devra, lui ou elle, dans bien des cas, consacrer tout
son revenu à ses obligations familiales. En l'honneur de quelle logique
devrait-on en exempter le défunt?
Alors, nous résumons nos positions, au RAIF, sur
l'égalité économique des conjoints, dans le tableau
à la page 27 de notre mémoire. Nous ne voyons pas du tout les
modifications à faire au droit de la famille sous le même angle
que le document qu'on nous a présenté. Voici plutôt ce que
nous proposons. Mais, auparavant, établissons comment nous
répartissons la situation de vie des couples et ce qui leur
convient.
Prenons trois cas: premièrement - ce sont les trois seuls cas
qu'on peut voir - deux personnes vivant ensemble qui ne veulent pas de famille.
Le droit de la famille n'est pas pour elles. Elles devraient être en
union de fait. Le mariage, ce n'est pas l'Église catholique ici. Je
pense que si elles ne veulent pas... On a toujours dit: Oui, mais ils ne se
marieront pas. Et puis, quoi? Ils ne se marieront pas, c'est tout. Ce n'est pas
un péché mortel.
Deuxièmement, deux personnes vivant ensemble qui veulent une
famille. Ils peuvent être en union de fait s'ils le veulent, mais ils
peuvent aussi relever du droit de la famille, en prévision de l'avenir,
en se mariant. Nous, nous aurions préféré qu'ils n'aient
pas le droit de se marier, mais on sait que cela ne sera pas accepté.
Alors, bon, on dit: S'ils veulent absolument se marier..., mais c'est dans le
but d'avoir une famille.
Troisièmement, deux personnes vivant ensemble ont un enfant. La
famille est réalisée. Le droit de la famille est fait pour elles
puisque pour être une famille, il faut la présence d'enfants.
C'est une situation idéale que le droit de la famille doit leur
présenter comme rapport entre eux. Le droit des parents non
mariés à la maison familiale et à des compensations
devrait être traité avec les autres sujets qui concernent les
enfants, comme conséquence des obligations des parents.
Évidemment, cela n'ira pas dans le droit du mariage, mais cela va aller
dans les obligations des parents.
Il faudrait remanier les divisions du droit de la famille pour qu'elles
correspondent à la société actuelle. C'est une
espèce de sous-division: deux personnes mariées sans enfant, dont
la femme est née avant 1944 ou s'est mariée avant 1975 - c'est
une génération qui disparaît et qui a été
lésée parce que la société les forçait
quasiment à être à la maison et même sur le
marché du travail, il n'y avait rien pour elles - alors, cette conjointe
mariée, même si elle n'a pas d'enfants a les mêmes droits
économiques que la conjointe parent, car d'une génération
où elle devait rester à la maison. La séparation de biens
n'existerait plus, selon nous. De toute façon, les contrats entre
conjoints de fait équivalent à la séparation de biens. On
veut absolument maintenir la séparation de biens dans le mariage mais
cela ne va pas là du tout. Ils ont de plus l'avantage d'être
transparents. Donc, cela ne trompe pas les femmes, on sait à quoi s'en
tenir.
Pour nous, les articles du code dans le droit de la famille doivent
s'aligner sur ce qui convient le mieux aux besoins de la famille et des parents
et non servir les besoins des non-parents qui ne se marient que pour donner
un
statut social à leurs amours. Ils feront une petite fête de
famille s'ils veulent faire cela mais sans aller dans le mariage. Leurs
problèmes ne nous concernent pas et ne devraient pas concerner le
législateur. L'État n'a rien à faire dans le lit de deux
adultes autonomes et vaccinés pas plus que dans l'organisation de leur
vie financière quand ils n'ont aucune responsabilité familiale.
Pourtant, dans sa réforme, le législateur leur donne la
priorité et place les parents à la remorque des
intérêts de ceux-ci, privilégiant des dispositions injustes
et inadéquates pour les parents, afin de ne pas perdre la
clientèle des couples sans enfant ou de parents
privilégiés dont la situation ne risque pas de se
détériorer. Or, c'est du plus faible que l'État doit se
préoccuper dans ses lois. Tout à l'heure, M. Dauphin, je crois...
non, non, Dauphin, c'est bien cela, parlait d'un million, mais on ne doit pas
se préoccuper de ces gens-là. C'est du plus faible que
l'État doit se préoccuper dans ses lois, non de ceux qui
naviguent en eau calme. L'approche du RAIF est donc à l'opposé de
celle de la réforme proposée. Nous recommandons pour les parents
les dispositions suivantes...
Mme Ouellet (Chantale): Alors, la propriété
conjointe du lieu de vie de la famille, soit les meubles, la voiture, la maison
et sa protection, que les conjoints soient mariés ou non, que les
enfants soient biologiques, adoptifs ou de fait. En cas du décès
de l'un des conjoints, l'entière responsabilité de la
résidence familiale ira à la conjointe survivante ou au conjoint,
marié ou non. Nous recommandons aussi le partage différé
à parts égales des biens acquis durant la vie commune, biens
comprend aussi des droits comme les droits de retraite, investissements, etc.,
et le partage immédiat des revenus durant l'union. Les conjoints de
fait, eux, organiseraient la répartition de leurs biens à leur
guise, probablement par un contrat devant notaire, si désiré,
comme protection. Les autres couples n'auront que les biens familiaux d'usage
courant, soit la maison, chalet, voiture, bateau, meubles, etc. Si un des
parents a subi des torts à cause de son investissement dans le
parentage, il devra être compensé raisonnablement en cas de
rupture de l'union ou du décès. Ainsi, il aura droit à
deux sortes de compensation: une pour le parentage passé si il ou elle a
été lésé dans ses chances sur le marché du
travail et dans ses possibilités de gains; une deuxième pour
compenser la perte de liberté d'action apportée par les
responsabilités de l'enfant à charge et, si tel est le cas, aussi
pour sa perte de gains, en plus, évidemment, de la pension alimentaire
pour les enfants. Ces compensations pourront être demandées autant
par les parents mariés que par les parents non mariés, car la
distinction entre enfants illégitimes et légitimes n'existant
plus dans le code, on ne voit pas pourquoi il y en aurait une entre parents
mariés et non mariés, les obligations étant les
mêmes.
On notera que nous parlons de compensation et non de pension
alimentaire, notion qui place les conjointes au rang des enfants. Le RAIF ne
comprend pas comment il se fait que le Parti libéral, ayant
approuvé ce changement de terme et surtout de philosophie,
entraînant une évaluation des sommes à verser bien
différentes, lorsqu'il était dans l'Opposition, lors de la
commission parlementaire sur la loi 89, en 1980, par la bouche de Claude Forget
et de Thérèse Lavoie-Roux, bien connus pour leur
compétence dans le domaine et les responsables de la réforme,
n'ait pas été conséquent avec cette nécessaire
évolution de la pensée juridique et sociale qu'il endossait alors
avec conviction.
Successions. Quant aux successions, le fameux problème
d'instituer une réserve héréditaire ou non, issue de la
discussion parlementaire sur la loi 20 sur la succession, devient un faux
problème dans l'optique que nous venons de décrire, puisque les
conjoints parents et les conjointes nées avant 1944 ou mariées
avant 1975 se partageront tous les biens du couple moitié-moitié.
Le RAIF garde en plus la notion de réserve héréditaire qui
servirait uniquement à couvrir les pensions alimentaires des enfants et
les mesures de compensation pour le parentage passé et à venir,
le défunt ou la défunte devant s'acquitter de ses devoirs
sociofamiliaux par-delà la mort.
Nous trouvons antisociale et antifamiliale l'approche de la
réforme qui tente de préserver la liberté de tester au
détriment de ses devoirs élémentaires, vieux reste
d'esprit patrimonial qui nous a scandalisées, d'autant plus que ce sera
souvent l'État qui devra prendre la relève du défunt
pendant qu'il aura privilégié d'autres héritiers ou
héritières. Dans cette hiérarchie des sommes à
réserver pour la succession, il a celle pour l'ex-conjointe qui devra
pouvoir obtenir automatiquement un an de versements de sa rente familiale et
non six mois comme on le propose, alors que les bails durent un an, sans devoir
se plier à l'humiliante et inutile soumission des besoins aux
héritiers et héritières qui peuvent être ses grands
enfants ou la jeune deuxième conjointe, alors que l'ex-conjointe aura
fort probablement été celle qui a élevé les
enfants. Elle pourra aussi demander un montant forfaitaire, si besoin en
était, selon ce que les moyens de la succession lui permettent. Nous
rejetons donc totalement l'approche du gouvernement qui a fait son lit dans la
survie de l'obligation alimentaire, approche mesquine et infantilisante.
Divers points. Au plan des réformes les plus ponctuelles, nous
approuvons celle concernant la société d'acquêts qui a
été considérablement améliorée, mais
c'était de la séparation de biens qu'il fallait s'occuper,
régime qui dépouille les femmes.
Au chapitre des versements familiaux, une assurance devrait être
obligatoire pour les garantir en cas de mort du débiteur et un
service de perception automatique, universel et obligatoire,
instauré pour dépersonnaliser et assurer la
régularité de ces versements si problématiques pour les
femmes.
Il faudrait aussi régler le problème des
hypothèques judiciaires garantissant le paiement des mesures
compensatoires dues à l'ex-conjointe. La récente tendance est de
les gruger, lors d'un transfert de sûreté d'une
propriété à l'autre, sans en préserver
l'équivalence comme il se doit.
Nous dénonçons aussi la discrimination systémique
de l'article 456 qui exige du conjoint non propriétaire des motifs
familiaux pour refuser son consentement à un acte concernant la
résidence, alors que le propriétaire, lui,
généralement le mari, peut invoquer quelque raison que ce soit,
et l'article 2148. 1 qui, par ruse, fait tomber la protection de la
résidence familiale par enregistrement, quand, par ignorance, la
non-propriétaire donne son consentement à une simple
hypothèque.
On a placé le partage des rentes publiques avec le droit de la
famille. On ne sait trop pourquoi, sans doute pour faire du remplissage parce
qu'on donnait moins que rien aux femmes avec cette réforme. De plus, ce
que peu de monde sait, c'est que le partage est déjà dans la Loi
sur le régime des rentes publiques. On n'a fait que le rendre
automatique, comme cela existe dans d'autres provinces. On a aussi maintenu,
dans le droit de la famille, les conjointes collaboratrices du mari et la
notion d'enrichissement du conjoint par cette collaboratrice, ce qui ne va pas
du tout dans le droit de la famille, mais dans le droit commercial ou le droit
du travail. En confondant le droit de ces travailleuses ou associées et
le droit familial, donc des parents, on fausse toute l'approche du droit de la
famille au détriment des parents et de leur droit au partage des rentes,
puisque le législateur veut se servir du partage des rentes
privées pour dédommager les femmes collaboratrices, flouant ainsi
ces femmes et les parents. En tant que parents, ces femmes auraient droit, avec
les recommandations du RAIF ou si elles vivaient dans d'autres provinces, au
partage des rentes, puis à un autre dédommagement. Encore une
ruse qui appauvrit les femmes.
Mme Dolment: Bien que nous soyons encore celles qui prenons soin
des enfants à 90%, nous n'avons pas obtenu, avec cette supposée
réforme, ce que toutes les Canadiennes ont comme partage, depuis des
années, lors d'un divorce ou d'un décès, le partage de
tous les biens familiaux et surtout des régimes de retraite
privés, de même que des autres formes d'épargne et
investissement. Nous n'avons pas obtenu que la déclaration de
résidence familiale soit automatique plutôt que de devoir la faire
enregistrer. Nous n'avons pas obtenu l'abolition de l'injustifiable prestation
compensatoire, basée sur l'appart à l'enrichissement de l'autre
conjoint, qui vient fausser le droit de la famille avec cette notion
d'enrichissement, avec le risque qu'elle puisse se retourner contre la femme.
Nous n'avons pas obtenu qu'enfin les femmes cessent d'être
assimilées à des enfants, en désignant comme aliments les
compensations qu'elles réclament lors d'un divorce. Nous n'avons pas
obtenu que les ex-conjointes d'un défunt, souvent celles qui ont
élevé les enfants ou qui les élèvent encore, soient
traitées avec humanité, dignité et équité.
Nous n'avons pas obtenu qu'enfin un véritable service de perception
universelle, automatique et obligatoire, comme le sont les autres services du
genre à la population, soit instauré. Cela aurait
été une économie pour le gouvernement et une
sécurité pour les familles monoparentales. Par contre, certaines
femmes perdront le peu qu'elles ont actuellement, les meubles, la maison,
lorsqu'elle leur a été donnée pour leur parentage, quand
elles ne devront pas s'astreindre à des procédures humiliantes
pour recevoir leur dû.
Conclusion. Les familles monoparentales, les femmes âgées,
les conjointes en séparation de biens, toutes ces catégories sur
lesquelles la réforme aurait dû se pencher avec sollicitude pour
améliorer leur sort, ont été laissées en plan et de
grands trous dans le droit de la famille sont toujours béants. Une
réforme en peau de chagrin pour certaines et une réforme en queue
de poisson pour d'autres.
Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre, s'il vous
plaît.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, mesdames, de votre
présentation. Je sais que vous avez travaillé "ardûment"
sur ce mémoire, compte tenu du laps de temps qui vous a
été...
Mme Dolment: Oui, c'est cela, ce n'était pas long.
Mme Gagnon-Tremblay:... qui a été mis à
votre disposition. Je sais que vous avez fait un travail vraiment de tous les
instants. Vous parlez, dans votre document, de la création d'un
régime à deux volets. Vous avez le volet des non-parents et vous
avez le volet des parents. Par contre, à l'intérieur du volet des
parents, vous incluez les femmes nées avant 1944, à cause de leur
âge et de leurs sacrifices même si elles n'ont pas d'enfants, de
même que les femmes mariées en 1975 qui ont réduit leur
capacité de gain. Ne croyez-vous pas, Mme Dolment, qu'en incluant cette
catégorie de femmes, il pourrait y avoir une discrimination, entre
autres, peut-être pas concernant l'âge, mais quant à la date
du mariage? Pourquoi cela s'appliquerait-il à la femme mariée en
1944? Pourquoi pas à celle de 1940, 1941 ou 1942 et pourquoi pas
à celle avant 1975 ou après 1975? Vous ne croyez pas que, de
cette façon-là, on pourrait discriminer plusieurs femmes?
Mme Dolment: Non. C'est entendu qu'à un moment
donné, comme vous le dites, il faut mettre un chiffre. On s'est
basées, nous, quand on l'a recommandé - cela fait longtemps qu'on
a recommandé cela, avec notre livre rouge de la condition
féminine dans les années soixante-dix - sur le Régime des
rentes du Québec, où on avait mis 35 ans. C'est-à-dire
qu'à partir de 35 ans, les femmes avaient droit d'avoir leur
régime de rentes à vie parce qu'ils estimaient qu'à partir
de cet âge-là, c'était difficile pour elles de gagner leur
vie. Mais, il restait à 35. Alors, dix ans après, c'est encore
à 35 ans, même si la situation a changé et que les femmes
peuvent gagner leur vie. Nous, en mettant 1944, nous avons pris le même
principe, que c'est difficile pour les femmes d'un certain âge, mais on
sait que, maintenant, de plus en plus les femmes peuvent travailler. Alors,
évidemment, dans 20 ans, cela n'existera plus, parmi les femmes
nées en 1944, il y a en plusieurs qui vont peut-être être
mortes. (16 h 45)
Maintenant pour 1975, c'est parce qu'il y a des femmes qui ont dit: Oui,
mais, moi, je me suis mariée en 1971 et, là, mon mari exigeait
que je sois à la maison, alors je n'ai pas pu... Au début
c'était juste 1944, mais là, on a inclus ces femmes-là, en
disant: C'est peut-être injuste pour elles. On corrige. C'est comme la
discrimination systémique. Oui, c'est une discrimination. On a mis un
chiffre un petit peu... comme je vous le dis, c'était basé sur
les 35 ans du Régime des rentes. Il y a un peu d'injustice mais,
à un moment donné, il faut mettre la limite quelque part.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous parlez aussi de parents, c'est
sûr avec enfants, et cela s'applique aussi, je pense, à la notion
de conjoints de fait. C'est-à-dire que vous assujettissez aussi les
conjoints de fait s'ils ont des enfants, mais vous ne les assujettissez pas
s'ils n'ont pas d'enfants. Par contre, est-ce que vous avez songé, aussi
bien pour les parents qui vivent en union de fait que pour les autres parents,
qu'il pourrait s'agir, dans un cas de remariage, de parents dont les enfants
n'appartiennent qu'à un seul conjoint? Qu'est-ce qu'on ferait dans une
situation...
Mme Dolment: On a mis cela. C'étaient les enfants adoptifs
ou de fait. Justement pour nous, la mère, si vraiment elle sert de
mère... Est-ce qu'elle s'en occupe? Alors, c'est d'en faire la preuve un
peu. C'est comme la situation de fait. Le père, maintenant, on peut
faire la preuve qu'il est le père. Mais avant, s'il s'était
comporté comme le père, bien c'était comme le père.
Alors, c'est la même chose. Pour nous, c'est adoptifs, biologiques - on
l'a mis dans le mémoire d'ailleurs - ou de fait. C'est de faire la
preuve qu'elle est vraiment...
Mme Gagnon-Tremblay: Tout est relié finalement à la
charge d'enfants?
Mme Dolment: Oui, si cela fait juste six mois ou un an et
qu'après cela elle veut avoir la moitié, comme si elle
était un parent, alors qu'elle a juste été l'épouse
du deuxième mariage...
Mme Gagnon-Tremblay: Quant à la prestation compensatoire,
si j'ai bien compris, Mme Dolment, c'est que, contrairement à ce qu'on
est portés à faire... Nous, nous disons que la prestation
compensatoire s'appliquera davantage ou s'adressera davantage aux
collaboratrices et que finalement, pour les travailleuses au foyer, on aura ce
partage des biens familiaux, quoique le Conseil du statut de la femme nous
mette en garde, dans les cas où il n'y aurait pas de biens familiaux,
alors on devrait quand même conserver la prestation compensatoire pour la
travailleuse au foyer. Alors que c'est un peu l'inverse pour vous. Vous dites:
Non. La prestation compensatoire pour la travailleuse au foyer ne devrait pas
se retrouver à ce chapitre, mais devrait faire partie du droit des
compagnies, et on semble appliquer davantage la prestation compensatoire au
couple, c'est-à-dire à la travailleuse au foyer. C'est comme
ça que je l'ai compris toujours. Je ne sais pas...
Mme Dolment: Pas nous!
Mme Gagnon-Tremblay: Pardon?
Mme Dolment: On n'en veut pas de prestation compensatoire!
Mme Gagnon-Tremblay: Vous semblez la conserver pour...
Mme Dolment: Pas du tout! Jamais! Mme Gagnon-Tremblay: Ah
bon! Mme Dolment: On a dit qu'on la déteste. Mme
Gagnon-Tremblay: Je m'excuse.
Mme Dolment: D'ailleurs, plusieurs avocats nous l'ont dit: C'est
effrayant. Et même le conseiller de M. Marx, M. Caparos, je crois, qui
était venu - Mme Harel doit s'en souvenir - nous disait: C'est
effrayant. Cela doit disparaître. On n'en veut pas du tout. Quand on
parle de compensation, pour nous, ce n'est pas cela du tout. Ce n'est pas du
tout la même notion. Pour nous, une compensation c'est comme pour
quelqu'un qui a un accident de voiture: on ne veut pas une pension alimentaire,
c'est une compensation. La prestation compensatoire est liée à la
notion d'enrichissement. D'abord on ne veut pas du tout de notion
d'enrichissement dans le droit de la famille. Qu'est-ce que cela vient faire
là? Cela n'a rien à voir là. Et c'est ce
qu'on a dit. On va prendre la femme qui sait que peut-être si elle
a enrichi son mari elle va obtenir quelque chose. Mais elle va peut-être
négliger ses enfants pour enrichir le mari. Cela n'a rien à voir
dans le droit de la famille. Nous disons que les femmes collaboratrices... et
d'ailleurs elles vous l'ont dit quand elles sont venues ici, elles ont dit: En
cours d'union c'est le droit commercial qui devrait nous régir. Alors si
c'est le droit commercial... on mêle tout. Je comprends que, là,
c'est une espèce de transition de mentalité. Ils vont les
sensibiliser à avoir des contrats commerciaux et tout. Mais il ne faut
pas mêler les choses, pas du tout. De toute façon nous demandons
le partage des investissements, alors elles l'auront le partage. Comme en
Ontario, si elles ont investi dans une affaire familiale, elles auront la
moitié c'est tout.
On ne veut rien savoir de la prestation compensatoire.
Mme Gagnon-Tremblay: Cela m'a échappé, madame, mais
est-ce que vous tenez compte de la durée du mariage?
Mme Dolment: Par rapport à quoi?
Mme Gagnon-Tremblay: Par rapport au partage, soit des
investissements, soit des biens.
Mme Dolment: C'est-à-dire que ce dont nous tenons compte
c'est s'ils sont parents ou non. C'est ce qui fait la distinction.
Mme Gagnon-Tremblay: Ah! vous ne tenez pas compte de la
durée du mariage?
Mme Dolment: Bien non. S'ils ont un enfant, elle a besoin de la
maison.
Mme Gagnon-Tremblay: Je donne l'exemple suivant: vous avez un
couple dont un conjoint possède une propriété de 75 000 $.
Il se remarie. Ces gens vivent ensemble pendant deux ans. Au bout de deux ans,
il y a dissolution du régime. À ce moment-là, ça
veut dire que les couples pourraient diviser moitié-moitié. On ne
prend pas en considération la durée du mariage.
Mme Dolment: D'abord, je ne sais pas si vous voulez dire cela par
rapport à l'ex-con- jointe, mais l'ex-conjointe a eu son dû,
disons, son dû, entre guillemets.
Mme Gagnon-Tremblay: Au nouveau conjoint.
Mme Ouellet: Vous avez oublié que le bonhomme qui avait
une maison de 75 000 $, s'il a divorcé pour se remarier avec une autre
et vivre dans cette maison-là. Normalement l'ex-conjointe, elle, aura
déjà eu la moitié de la valeur de cette maison.
Mme Gagnon-Tremblay: Je parle de la famille reconstituée.
Vous avez, par contre, des familles reconstituées; chacun arrive avec
ses biens propres. Il y a eu, par contre, dissolution de régime.
Mme Dolment: Cela dépend s'il y a des enfants ou non.
Mme Gagnon-Tremblay: Que ce soit l'homme ou la femme, ils
commencent leur union future avec chacun un lot de biens propres. Advenant la
dissolution de cette union au cours des deux prochaines années, est-ce
qu'on partage toujours, puisqu'on fait abstraction de la durée du
mariage, moitié-moitié, quand même, ces biens
familiaux?
Mme Ouellet: Les biens acquis pendant le mariage.
Mme Gagnon-Tremblay: Les biens acquis pendant le mariage.
Des voix: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Seulement les biens acquis pendant le
mariage.
Une voix: Bien oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Ce qui exclut les biens acquis avant.
Mme Ouellet: C'est marqué dans le mémoire. Mme
Dolment: Saul s'il y a des enfants. Mme Gagnon-Tremblay:
D'accord.
Mme Dolment: Si la famille reconstituée, c'est une
deuxième famille avec des enfants, il peut arriver... S'il y a des
enfants, tout de suite elle a droit à la maison parce que la maison,
c'est la peau ni plus ni moins. Il faut qu'ils vivent dans leur nid. Peu
importe si cela fait six mois. Ce peut être aussi des gens qui ont
vécu en union de fait avant: le gars a fait un enfant à la fille
et a décidé de la marier. Quand ils arrivent avec un enfant de
deux ans, trois ans ou même de six mois, on le dit, dès qu'il y a
des enfants, elles ont droit automatiquement à la maison, mais
après... La maison, ce n'est pas l'acquêt. Ce n'est pas la valeur
ajoutée. Elles ont droit à la moitié de la maison,
après, elles ont droit, seulement s'il y a des enfants, aux
acquêts. Alors, les investissements qu'il avait avant son régime
de retraite, son REER, etc., elle n'a droit qu'à ce qu'il y a acquis
à partir du mariage.
Mme Gagnon-Tremblay: Sauf que vous comprenez, par contre, que,
lorsqu'il y a une union dans une telle situation et que chacun doit
partager ce qui a été acquis, c'est-à-dire que
chacun doit partager ce qu'il apporte parce qu'il y a des enfants. Mais il peut
arriver que, d'un côté, il y ait un enfant mais que de l'autre, il
y en ait cinq et qu'on ait prévu, justement, de conserver cette portion
de biens qu'on avait acquise lors du premier mariage pour protéger ses
propres enfants. On est censés penser peut-être dans le même
sens, aussi bien d'un côté que de l'autre. À ce
moment-là, il y aurait partage quand même? Dès qu'il y a un
enfant, il y a partage. On ne fait pas la distinction.
Mme Ouellet: De la maison. On ne parle pas des autres biens. Les
autres biens sont partageables... Les autres biens, ce sont seulement les
acquêts pendant le mariage. En fait, il y a juste la maison qui est
partageable à parts égales.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, sauf que la maison peut être
aussi un bien, dans certains cas, le bien principal.
Mme Ouellet: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Merci.
Mme Dolment: Ce n'est pas du tout l'approche patrimoniale. En
entendant les mémoires, cela m'a frappé. C'est toujours la
"mardite" approche patrimoniale. Je ne comprends pas, avec une politique
familiale, avec une dénatalité au Québec, comment il se
fait qu'on n'a pas une approche familiale. Ces enfants-là, où
vont-ils vivre? Peu importe si la maison valait 500 000 $, ils ont besoin
d'avoir la maison. La maison, cela fait partie des enfants. La maison, les
meubles, la voiture, c'est automatique et, si le gars meurt, c'est en entier.
Les héritiers, on s'en contrefout. Ils n'ont pas d'affaire... Pourquoi
Pierre, Jean, Jacques, ou le deuxième cousin, ou la tante, ou le
grand-enfant qui a fondé une famille aurait droit à la
succession? On est contre les successions, sauf pour les obligations
familiales. S'il reste quelque chose, il le laissera à qui il voudra,
mais ce sont les obligations familiales avant tout. Je ne comprends pas comment
il se fait qu'on ne pense pas à la famille. Nous, c'est la famille. Les
autres, ils s'organiseront, c'est tout. Écoutez! Deux filles qui vivent
ensemble ou deux soeurs dans un appartement ou une maison, elles s'arrangent.
Les homosexuels, ils s'arrangent. Pourquoi irait-on se mettre le nez dans la
vie des hétérosexuels? Ils n'ont pas d'enfants? Qu'ils se
débrouillent.
Mme Gagnon-Tremblay: Mme Dolment - seulement pour vous agacer -
on est contre la succession sauf si on est héritier.
Mme Dolment: Pardon?
Mme Gagnon-Tremblay: On est contre la succession sauf si on est
héritier.
Mme Dolment: Pas du tout. Non, absolument pas. Ça, ce
n'est pas vrai. Je n'en voudrais pas d'argent comme ça, quand je sais
qu'il y a une famille. Pas du tout. C'est la mentalité qu'il faut
changer. Ça, ce n'est pas exact. Excusez-moi. Je connais un paquet de
monde qui est contre cela. D'ailleurs, on a eu des longues discussions au RAIF
et les gens étaient d'accord, sauf quand il y a encore des enfants
à charge ou qui ont des études à terminer et à qui
on laisse un petit montant, on est bien contents mais il faut payer
l'impôt avant de faire un legs. C'est la même affaire. Le legs
qu'on doit aux obligations familiales est bien plus important qu'à
l'impôt.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Dolment.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président, il me fait plaisir de
vous saluer, Mme Dolment, de même que Mme Rochette.
Mme Dolment: Mme Rochette n'a pas pu venir, elle travaille.
Mme Harel: C'est Mme Ouellet alors, Chantale.
Mme Ouellet: Oui, Chantale Ouellet.
Mme Harel: Chantale. Je vous mentionnais tantôt que vous
aviez repris vos habitudes à l'égard des travaux de la
réforme du Code civil lorsque vous aviez suivi, avec une
assiduité absolument exemplaire, du début à la fin,
l'étude article par article de plus de 880 articles; vous y étiez
et on sentait le souffle chaud de votre intérêt permanent. C'est,
je pense, un peu ce que vous avez repris avec les travaux de notre
commission.
Vous allez me permettre une question en regard de la page 18 du
mémoire, justement pour continuer le dialogue en matière de
succession. Vous dites: Le RAIF recommande que le parent conjoint survivant ait
la moitié de tous les biens et droits acquis durant le mariage,
épargnes, etc. Est-ce qu'il faut voir là une proposition nouvelle
en regard de la proposition gouvernementale qui prévoit aussi que le
parent conjoint survivant ait la moitié, évidemment sans tenir
compte des épargnes? Des fonds de retraite, c'est vrai! D'accord. En
fait, comme vous le mentionniez, l'ensemble de toutes les économies.
Mme Dolment: Oui, c'est cela. Ce qui est proposé, c'est
juste la moitié de la maison; c'est le patrimoine familial. C'est moins
que rien et s'il n'y a pas de maison, qu'est-ce qu'il y aura? Bien des gars
vendent la maison avant, comme je vous l'ai dit. S'il a le cancer, s'il sent
qu'il va
mourir et s'il veut laisser cela à d'autres, à je ne sais
trop qui, il va vendre sa maison. Pour nous, c'est l'ensemble des biens et il
ne faut pas qu'il y ait des trous dans le filet, comme c'est le cas
actuellement.
Mme Harel: Si je lis le paragraphe suivant: II faut compter,
comme nous l'avons indiqué plus haut, en traitant des conjoints de fait,
que la maison familiale, les meubles et la voiture reviendront automatiquement
en entier à la conjointe survivante, à la condition qu'il
s'agisse de conjoints parents. S'il y a des enfants, quel que soit l'âge
leur âge, est-ce exact? Même si ce sont des adultes? Est-ce
exact?
Mme Ouellet: En fait, pour nous, la notion de parents, c'est
jusqu'à la majorité.
Mme Harel: C'est-à-dire qu'on est parents. Vous savez, on
dit: Petits enfants, petits problèmes; grands enfants, grands
problèmes.
Mme Ouellet: On tolérerait s'il y avait des enfants aux
études, jusqu'à 25 ans.
Mme Dolment: Non, non, les autres se débrouilleront.
Écoutez!
Mme Ouellet: C'est durant tout le temps qu'il y a des obligations
légales envers les enfants.
Mme Harel: C'est la pleine propriété, ce n'est pas
l'usufruit.
Mme Ouellet: Non, non.
Mme Harel: Ce n'est pas le droit d'habitation, c'est la pleine
pleine propriété. Donc, si l'enfant a 26 ans, elle perd tout,
mais, s'il a 23 ans, elle a tout. Est-ce à peu près
ça?
Mme Dolment: Bien non! C'est le survivant. Ce n'est pas l'enfant
qui a ça.
Mme Harel: A 25 ans?
Mme Dolment: Ce n'est pas l'enfant. L'enfant a le droit seulement
à une pension alimentaire. Il n'a pas droit à autre chose
qu'à une pension alimentaire. C'est le conjoint, ça.
Mme Harel: Mais effectivement, Mme Ouellet m'a dit qu'elle
définirait le conjoint parent comme étant parent d'un enfant de
moins de 25 ans.
Mme Dolment: Oui, mais ce n'est pas l'enfant qui a la maison.
Vous dites: L'enfant de 26 ans n'aura pas le droit à la maison.
Mme Harel: Non, non, mais, à ce moment-là, si
l'enfant a 26 ans, c'est...
Mme Dolment: Ah! Vous voulez dire si...
Mme Harel:... le conjoint, le parent qui n'a plus droit à
rien.
Mme Dolment: Oui, oui.
Mme Ouellet: Mais elle va avoir droit à la moitié
des biens. Normalement, elle devrait avoir droit à la moitié des
biens à ce moment-là.
Mme Harel: Elle aurait droit à tout si l'enfant a plus de
25 ans.
Mme Dolment: En fait, elle est encore parent. Non, non, elle a eu
des enfants. Pour nous, le principe c'est que, si elle a eu des enfants, elle
n'a pu gagner autant que les autres. Le conjoint parent, même si l'enfant
a 50 ans - si elle a 80 ans et l'enfant 50 ans - y aura droit parce qu'elle a
élevé l'enfant. Mais il faut qu'il y ait eu un enfant dans sa vie
et c'est l'idée. Comprenez-vous?
Mme Harel: À la page 19...
Mme Dolment: Quand l'enfant à 26 ans n'aura plus droit, et
c'est ce que Chantale a expliqué, il n'aura plus droit à la
pension alimentaire, comprenez-vous? Évidemment, vous parliez juste de
la maison à ce paragraphe-là.
Mme Harel: Ma collègue de Marie-Victorin me fait justement
part, s'il s'agit d'un enfant qui a une déficience intellectuelle ou
autre.
Mme Dolment: Mais c'est juste la pension alimentaire, ce n'est
pas la maison. La pension alimentaire va continuer jusqu'à la fin de sa
vie. Il n'y a pas de problème là. Mais, pour nous, la maison...
Si elle a été mère - même si l'enfant a 35 ans, elle
a été mère - elle a droit à la moitié de la
maison et à la totalité de la maison.
Mme Harel: À la page 19, à l'avant-dernier
paragraphe, on dit: La créance familiale d'une ex-conjointe devrait
être honorée pendant au moins un an - c'est une recommandation que
vous faites de modifier les six mois en un an; est-ce exact? -
complétée par un montant forfaitaire approprié, s'il y a
lieu pour l'ex-conjointe avec de jeunes enfants ou âgée, donc,
l'ex-conjointe âgée, même si elle n'a pas de jeunes enfants.
Est-ce ainsi? Si la nouvelle conjointe a de jeunes enfants? En lisant votre
mémoire, j'ai eu l'impression, et je peux me tromper beaucoup, que vous
attribuiez une sorte de vertu d'être la première ex-conjointe et
une sorte de je ne sais trop, de caractère différent,
d'être la deuxième parce qu'il est possible que la première
n'ait pas eu d'enfant et que ce soit la deuxième qui en ait et que,
finalement, la deuxième en ait de jeunes également. Donc, de
parler d'une créance d'un an d'un montant forfaitaire, il est
possible qu'il ne reste plus rien à celle qui a encore des jeunes
enfants, qui est toujours la conjointe survivante, pas l'ex. (17 heures)
Mme Dolment: Non, écoutez, je ne sais pas pourquoi. Vous
aviez déjà dit cela à l'autre commission parlementaire
qu'on en voulait à la deuxième conjointe. Il faut quand
même reconnaître que les hommes divorcés venaient dire en
commission parlementaire qu'en général le gars en dedans d'un an
se remariait avec une jeune et souvent il avait un autre jeune enfant, mais
seulement, c'est arrivé aussi dans des cas de régime de rentes
où l'ex-conjointe, ou encore conjointe avait cinq enfants. La
première conjointe, en général...
Mme Harel: On ne peut pas légiférer pour le
général.
Mme Dolment: Bien oui, on légifère pour le
général.
Mme Harel: On ne peut pas légiférer en
disant...
Mme Dolment: On ne légifère pas pour l'exception,
on légifère pour le général.
Mme Harel: Mais on ne peut pas penser que c'est en
général qu'on va prétendre qu'une ex-conjointe est
âgée et pauvre et que la conjointe survivante est jeune et sans
enfant. Je dis: On ne peut pas.
Mme Dolment: L'idée là-dedans c'est que chaque
couple règle ses problèmes, la situation entre le conjoint et la
première conjointe doit être réglée de façon
équitable pour cette femme. Après, si le conjoint décide
de fonder une deuxième famille, il aura à tenir compte de ses
premières obligations envers son ex-conjointe.
Mme Harel: Je regrette, Mme Ouellet. Je lis à la page 19.
Il ne s'agit pas là du partage au moment de la rupture du premier
mariage. Il s'agit donc au moment du décès...
Mme Ouellet: Oui.
Mme Harel: II y a déjà eu partage là.
Mme Dolment: C'est justement...
Mme Harel: On est dans une situation où il y a
déjà eu partage.
Mme Dolment: Oui, justement. Si le tribunal a jugé lors de
ce partage, quand il y a eu le divorce, qu'elle avait droit à une
pension alimentaire, c'est pour deux raisons. Soit qu'elle est
âgée et qu'elle est rendue à 57 ans, ou soit qu'elle ait
des jeunes enfants. Donc, il faut quand même qu'il règle son
problème. Vous comprenez?
Mme Harel: Oui. Ce n'est pas vieux 57 ans.
Mme Dolment: Non. Je vous donne un exemple.
Mme Harel: Plus je m'en rapproche, plus je trouve cela jeune.
Mme Dolment: Écoutez, je ne visais personne. Ce que je
veux dire, c'est qu'à 57 ans, si vous n'aviez pas été
avocate, vous auriez de la misère à vous trouver un travail si
vous aviez été toujours à la maison. C'est ce que je veux
dire. Parce que, si la Cour a accordé une pension alimentaire, on
appelle encore cela de même pour se faire comprendre, le juge, parce
qu'il estimait qu'il y avait des raisons, soit des jeunes enfants, soit cela,
mais cela n'enlève pas du tout les droits. Si vous remarquez la
hiérarchie qu'on a mise dans les choses survivantes; on prévoit
d'ailleurs, pour les jeunes enfants, autant de droits. D'abord, on dit douze
mois au moins. Qu'elle ne soit pas mise à la rue avec son bail et
après, il y a bien des chances qu'elle ne demande même pas un
montant forfaitaire parce qu'on a apporté justement
l'élément que cela coûte tellement cher aller en cour,
aller devant le tribunal, qu'elle ne le demandera peut-être pas.
C'est juste pour une raison très spéciale, justement le
cas où elle aurait peut-être cinq enfants et que l'homme serait
millionnaire. Parce que s'il n'y a plus rien dans la succession, si tu ne le
demandes pas, c'est évident. Mais les droits des enfants, s'il a fait
une deuxième famille, on a bien mis que c'était très
important la pension alimentaire pour ces enfants et pour la deuxième
conjointe qui peut, comme vous dites, avoir été peut-être
plus vertueuse que la première. Vous savez très bien que si un
tribunal accorde une pension alimentaire, il fallait vraiment qu'elle soit deux
fois vertueuse pour l'avoir. Alors.
Mme Harel: En tout cas, je peux vous remercier de nous avoir
rappelé toute la dimension de la présence d'enfants dans les
unions de fait parce que souvent on va invoquer que l'État a
assumé ses responsabilités à l'égard des enfants
lorsqu'il a modifié le droit de la famille pour reconnaître sans
distinction que ce soit finalement la relation entre leurs parents. L'enfant a
droit maintenant à des aliments. Mais il n'a pas droit à une
protection filiale ni à une protection familiale. Sans doute est-ce un
pas qui devrait être franchi que de donner a l'enfant une protection
familiale, comme on lui a accordé une protection filiale, quel que soit
le rapport entretenu entre ses parents. C'est un élément
important, en tout cas, je pense, dans la réflexion actuelle.
Il y a aussi un autre élément, à la page 4,
qui est intéressant. C'est quand vous dites "si on a
refusé aux Québécoises leur juste part dans la
société familiale qu'est le mariage", en invoquant l'exclusion
des régimes privés de retraite, "c'est afin de se réserver
une marge de manoeuvre dans le règlement du problème des femmes
collaboratrices". Vous notez que c'est à elles seules que, finalement,
on réserve la possibilité de partager, c'est-à-dire le
droit à un éventuel partage en matière de prestations
compensatoires à l'égard des régimes de retraite. C'est
sans doute un aspect important puisqu'il y a déjà un pas de
franchi. Le pas qui est franchi par le gouvernement, c'est de reconnaître
qu'en matière de prestation compensatoire pour les femmes
collaboratrices, il y ait un partage au régime de retraite possible pour
les femmes collaboratrices seulement...
Mme Dolment: On condamne cela. On condamne cela.
Mme Harel: Oui, oui, je sais. Mais ce que je veux dire, il faut
que, délibérément, on les invite à faire plus,
c'est-à-dire à rendre partageable.
Mme Dolment: Oui, mais c'est mauvais. C'est parce que si on le
réserve pour les femmes collaboratrices, ils ne voudront plus le prendre
pour l'ensemble des femmes.
Mme Harel: Voilà!
Mme Dolment: Vous comprenez. Ils vont dire: Ah bien non, si on
enlève cela... Il ne faut pas du tout même envisager de le donner
aux femmes collaboratrices parce que ce que nous disons - d'ailleurs, tout le
monde l'a demandé - elles vont l'avoir en tant que parents. Elles sont
"flouées" encore une fois, elles l'auraient en tant que parents. Ce
qu'il faut leur donner, il ne faut pas du tout penser à un régime
de retraite, il faut penser à autre chose, soit une part justement de
l'entreprise.
Mme Harel: En pensant à autre chose...
Mme Dolment: C'est pour cela qu'on dit que le droit de famille
lèse les parents. Cela les lèse elles aussi parce qu'elles sont
aussi parents.
Mme Harel: À la page 20, en pensant à autre chose,
vous parlez, avec raison, de la pauvreté de bien des mères de
famille au moment de la retraite. Est-ce que vous avez un point de vue sur la
rente de retraite, c'est-à-dire sur la rente au foyer, l'accès
à la Régie des rentes des femmes au foyer? Quel est votre point
de vue là-dessus?
Mme Dolment: C'est la moitié des rentes, elles vont avoir
la moitié, au prorata du nombre d'années de mariage,
évidemment.
Mme Harel: Oui. Vous considérez...
Mme Dolment: C'est exactement la même chose que le
régime de rentes public, c'est la moitié des rentes, au
prorata... C'est la façon la plus simple de voir les choses. C'est au
prorata du nombre d'années de mariage, pour les rentes publiques; c'est
la même chose pour les rentes privées.
Mme Harel: Oui. Cette formule vous satisfait. Est-ce que vous
attendez plus?
Mme Dolment: Non.
Mme Harel: Est-ce que vous vous attendez que le gouvernement
réalise son engagement d'offrir un accès à la Régie
des rentes pour les travailleuses au foyer?
Mme Dolment: Évidemment, la pensée évolue.
Avant, il y a dix ou douze ans, les femmes demandaient cela. Là, on
s'aperçoit que le plus simple, c'est simplement le partage. Là,
on va tout compliquer les choses. Le partage... Autrement, on n'en sortira
jamais. Il y a toutes sortes d'affaires, des calculs actuariels, tandis que le
partage au prorata du nombre d'années de mariage, c'est d'une
simplicité et d'une justice parfaite.
Mme Harel: Mme Lavoie-Roux avait bien dit: Rien n'est impossible
au Parti libéral, quand elle avait pris l'engagement. Nous, on les
mettait en garde, à l'époque, en disant: C'est difficile de
réalisation. Rien n'était impossible.
Mme Dolment: Rien n'est impossible au Parti...
Mme Harel: Faut-il penser que ce n'est pas impossible non plus
qu'ils manquent à leur engagement?
Mme Dolment: Oui. Mais il faut dire que le Parti
québécois a manqué à plusieurs de ses engagements
aussi. Je connais très bien le programme du Parti
québécois pour avoir aidé à l'élaborer quand
j'étais au Parti québécois. Je dois dire qu'on nous a
drôlement bernés.
Mme Harel: En terminant, je pourrais peut-être
simplement...
Mme Dolment: On ne fera pas de politique, on ne fera pas de
politique!
Mme Harel: Non, mais à ce moment-là, il faudrait
peut-être vous entendre autant réclamer la réalisation des
engagements de l'actuel gouvernement que lorsque nous l'étions
auparavant.
Mme Dolment: Je dois dire qu'on est
devenues très sceptiques, un peu démoralisées.
Le Président (M. Jolivet): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. À mon tour,
comme les collègues qui m'ont procédé, j'aimerais vous
féliciter et vous remercier pour votre contribution à nos
travaux, ainsi que pour votre assiduité à nos travaux, Mme
Dolment, depuis le tout début, hier.
On a entendu - d'ailleurs, vous étiez présente - Me
Comtois, qui a comparu juste avant la présentation de votre
mémoire. J'aimerais avoir votre opinion sur la suggestion qu'il nous a
faite, c'est-à-dire de prévoir un régime impératif
unique avec la société d'acquêts. Est-ce que vous avez eu
l'occasion d'en discuter?
Mme Dolment: C'est ce qu'on demande. C'est exactement ce qu'on
demande. J'ai été le féliciter. C'est exactement cela
qu'on demande.
M. Dauphin: C'est exactement...
Mme Dolment: Ce qu'on recommande, le partage de tous les biens,
c'est exactement cela, sauf qu'on va un peu plus foin. C'est-à-dire que
dans le cas d'un décès, nous voulons que l'entière
propriété de la maison, des meubles et de la voiture aillent
à la femme; alors, on va un peu plus loin. Ce n'est pas le partage, on
ne voit pas du tout la nécessité et la justification que cela
aille à d'autres que la femme. Je ne vois pas pourquoi les
héritiers auraient droit à la moitié de la maison, alors
qu'elles en ont besoin pour vivre dedans. Si vous regardez ce qu'on a
recommandé, c'est la société d'acquêts, sauf que,
comme je vous le dis, c'est une société d'acquêts
améliorée.
M. Dauphin: J'étais en train de relire le début de
votre mémoire où vous faites référence à la
province voisine de l'Ontario et vous nous dites que la liste des biens
familiaux était beaucoup plus, je ne dirais pas exhaustive, mais
beaucoup plus grande, beaucoup plus longue que la liste qu'on nous propose.
Mme Dolment: En 1976, M. Dauphin, parce qu'en 1976, justement,
là on fait les mêmes erreurs. En 1976, ils ont eu dans les biens
familiaux, eux ils avaient mis tout. Ce n'était pas ou le chalet,
c'étaient le chalet, la résidence secondaire, tout ce qui
était familial. Et ils se sont aperçus que les gars s'en
sauvaient. Le fameux cas où il y avait le gars de Bell
téléphone qui avait toute sa fortune en actions de Bell et la
femme n'avait presque rien. Alors, c'est cela d'ailleurs qui a fait changer la
loi. Ils l'ont changée pour faire une société
d'acquêts, si on peut dire, obligatoire qui comprend les investissements,
qui comprend le régime de rentes et qui comprend tout. D'ailleurs,
partout au Canada, on vous l'a dit, c'est ce qu'il y a. Nous, on a fait une
étude. On a écrit dans plusieurs pays du monde et vous savez, on
est à peu près comme en Espagne, ce qui n'est pas...
M. Dauphin: Toujours par rapport à l'Ontario, sans
être bien expert en la matière, ils peuvent y renoncer. Les
époux peuvent y renoncer en tout temps sauf pour la résidence
principale.
Mme Dolment: Bien oui mais vous avez vu, écoutez.
D'ailleurs, moi, une bonne partie de ma famille demeure en Ontario. Ils ne
voudraient jamais revenir au Québec. À cause de cela, parce que
ce sont des femmes, ce qui arrive, elle vous l'a dit, l'avocate. Elle dit:
Écoutez, en Ontario, quand ils veulent renoncer à quelque chose,
tout de suite elle se précipite sur l'avocat parce qu'elle dit: II y a
quelque chose qui ne fonctionne pas. Tandis qu'ici, la femme pense que c'est
pour son bien. Alors, c'est dommage à dire: On est "nono" ici, les
femmes. Que voulez-vous? C'est vrai, on est un peu niaiseuses. Il n'y a pas
d'autre mot. Nous, on croit tout le temps, on croit en l'amour peut-être
avec les yeux trop fermés. En Ontario, ils sont beaucoup plus au fait du
côté financier et ils se méfient à cause des
traditions aussi. Il n'y a pas de notaire. Ils ne vont pas chez le notaire.
Alors, on vous le dit, ce n'est pas du tout la même approche. Celle qui
renonce à quelque chose, c'est qu'elle accepte, c'est qu'elle est
déjà riche. Ce sont deux professionnels et ils disent: Bien non,
moi, cela me va. Nous à ce moment-là, c'est simple. Les gens
n'ont qu'à ne pas se marier. Ils pourront justement arranger leurs
rapports financiers comme ils le veulent. Il n'y a aucune obligation de se
marier. C'est le droit de la famille. Ils devraient se marier seulement s'ils
ont des enfants. Ce qui trompe les gens, les femmes, c'est parce qu'elles se
croient protégées. Elles se disent: C'est le droit de la famille.
C'est dans le Code civil. C'est le législateur qui a pensé
à cela. Donc, c'est le mieux pour moi. Tandis que lorsqu'elles ne sont
pas mariées, elles se disent: Aie! Il faut que je voie à mes
affaires. Voyez-vous, c'est toute une optique. C'est toute une espèce
d'approche qui fait que c'est de la fausse représentation. Le droit de
la famille actuellement, il est de la fausse représentation avec la
séparation de biens. La femme se croit protégée mais elle
ne l'est pas mais elle, elle fait confiance. Alors, en l'extrayant du mariage,
elle se dit: Aie! Il faut que je voie à mes affaires. Là, il ne
faut pas protéger les gens qui sont riches et qui sont informés.
Il faut protéger les gens qui ne sont pas au courant. On vous l'a dit.
Le notaire qui est allé faire des conférences partout, les femmes
ne sont absolument pas au courant. Je pense que Mme la ministre
déléguée à la Condition féminine avait
raison de dire que même si on leur dit, elles sortent et elles l'ont
oublié. Même ils disent et font des pressions: Ne
prenez donc pas cela. Bien, la femme, moi je le sais, on s'est
mariés: Bien, non, mon chou, j'ai confiance en toi. Je ne veux pas me
protéger. Tu sais bien, écoute. On est en amour par-dessus la
tête, on se marie. Aie! C'est les yeux fermés. On ne veut pas dire
qu'on n'a pas confiance en notre mari. Alors, il faut la protéger
malgré elle. Je pense que le notaire Comtois aussi vous l'a dit. Avec
son expérience de 42 ans, il dit: Je vous le dis, moi.
M. Dauphin: Autrement dit, vous dites que nos
Québécois au masculin, et j'insiste au masculin, sont plus
ratoureux que les Ontariens avec leur épouse?
Mme Dolment: Pas au moment du mariage. Je pense que non. Au
moment du mariage, ce n'est pas cela. Tout le monde s'est marié un
peu.
M. Dauphin: II me semble qu'ils étaient en amour.
Mme Dolment: II y en a peut-être qui sont ratoureux mais
l'expérience qu'on a, c'est que souvent l'homme n'est pas plus au
courant. Bon, il est habitué, il prend la séparation de biens. Il
y en a de plus en plus qui sont des hommes d'affaires. En
général, le mari ne le sait pas. Il dit: Oui, c'est vrai,
séparation de biens, le notaire nous l'a dit ou quoi que ce soit. Ils
sont habitués à la séparation de biens. C'est une
habitude. Mais c'est au moment du divorce, c'est que, effectivement, lui, il
n'est pas en danger, c'est elle. Alors, je ne dis pas qu'il fait exprès
pour dire: Aie! Prends cela parce que moi, plus tard, si je divorce, je vais te
voler. Bien que maintenant, cela commence à être un peu plus
courant. Il y a quelques années, ce n'était pas cela. Tu te
mariais en séparation de biens parce que c'était la coutume. Ce
sont ces gens-là qu'il faut le plus protéger. Ces femmes qui sont
restées à la maison et qui n'ont pas été sur le
marché du travail, maintenant la femme est beaucoup plus autonome
financièrement.
Le Président (M. Jolivet): Mme la ministre en
conclusion.
Mme Gagnon-Tremblay: Mme Dolment, je suis persuadée que la
députée de Maisonneuve doit sûrement avoir regretté
de vous avoir ouvert une porte sur les engagements du Parti libéral.
Mme Harel: C'est trop tentant.
Mme Gagnon-Tremblay: Ceci étant dit, je voudrais vous
remercier toutes les deux, Mme Dolment et Mme Ouellet pour le travail, les
efforts que vous avez consentis à la préparation de ce
mémoire. Je sais que pour Mme Dolment c'est un dossier qui vous tient
beaucoup à coeur. Aussi, je vous félicite pour votre
assiduité. C'est un fait que vous êtes là depuis le tout
début de la commission. Je n'étais pas là malheureusement
lorsque les autres commissions ont eu lieu, mais Mme la députée
de Maisonneuve faisait justement part que vous êtes une de ces femmes
assidues à à peu près toutes les commissions qui touchent
les droits des femmes. À nouveau, je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Jolivet): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Je veux simplement ajouter mes remerciements à
ceux qui vous ont été formulés, à vous de
même, Mme Ouellet. Vous avez l'habitude de vous faire accompagner, Mme
Dolment, de membres actives du RAIF, je pense. C'est certainement chaque fois
une occasion de prendre connaissance de vos recommandations. Évidemment,
le ton, vous savez certainement qu'il s'agit... Je ne pense qu'il y ait des
complots, d'une certaine façon ce sont des rapports de forces dans une
société. Il n'y a pas de complot contre les femmes, il y a des
rapports de domination. Cela reste certainement important d'entendre votre
point de vue là-dessus. Je vous remercie.
Le Président (M. Jolivet): Merci au nom des membres de la
commission. Il me reste un dernier travail à faire, c'est de vous
annoncer que la commission poursuivra ses travaux le mardi 18 octobre prochain,
à la salle Louis-Hippolyte-Lafontaine après la période de
questions. Cela pourrait se situer entre 15 h 30 et 16 heures. Ajournement
à cette journée.
Mme Gagnon-Tremblay: On change de salle.
Le Président (M. Jolivet): Oui, pour la journée du
18 seulement.
(Fin de la séance à 17 h 17)