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(Seize heures vingt-neuf minutes)
Le Président (M. Filion): La commission des institutions
reprend ses travaux et je voudrais aviser nos invités de la
Confédération des caisses populaires et d'économie
Desjardins ainsi que les gens qui sont dans la salle que le retard à
siéger de cette commission est dû, bien sûr, au fait que la
Chambre a poursuivi ses travaux. Les commissions parlementaires, comme vous le
savez, sont dépendantes des ordres de la Chambre et c'est ce qui
explique que nous avons accumulé un retard d'environ une heure pour nos
travaux de cet après-midi, les travaux de l'Assemblée nationale
ayant été légèrement étirés.
Deuxièmement, je voudrais profiter de l'occasion pour informer
les membres de cette commission que M. le député de Roberval est
maintenant membre à part entière de notre commission. Alors,
à titre de président de cette commission, je voudrais d'abord lui
souhaiter la bienvenue à titre de membre permanent et l'assurer de la
collaboration de la présidence, de la vice-présidence,
également, du député de Beauharnois, qui est absent, et de
tous les autres membres de cette commission pour faire en sorte que ses travaux
parmi nous soient les plus fructueux possible.
Une voix: Merci.
Le Président (M. Filion): Donc, sans plus tarder, nous
allons entendre les représentants de la Confédération des
caisses populaires et d'économie Desjardins. Je remarque la
présence de M. Denis Frenière, premier vice-président, qui
a déjà pris place au centre de la table des invités et je
lui demanderais de bien vouloir nous présenter les personnes qui
l'accompagnent et, par la suite, de nous faire part du résumé du
mémoire qu'il a déjà déposé à la
commission et dont les membres ont déjà pris connaissance.
Confédération des caisses populaires et
d'économie Desjardins du Québec
M. Frenière (Denis): Merci. Alors, M. le Président,
vous avez déjà mentionné mon nom et ma fonction est celle
d'être le premier vice-président des ressources humaines et
financières à la Confédération des caisses
populaires et d'économie Desjardins. À ma gauche, je suis
accompagné de Mme Manon Farley, conseillère en crédit
à la confédération, et, à ma droite, de Me Daniel
Dionne, coordonnateur à la législation.
Au nom du mouvement Desjardins, j'aimerais remercier le ministre de la
Justice, M. Gil Rémillard, la ministre déléguée
à la Condition féminine, Mme Monique Gagnon-Tremblay, ainsi que
tous les membres de cette commission d'avoir invité notre organisme
à faire valoir son point de vue sur la proposition gouvernementale
relative aux droits économiques des conjoints. Le mouvement Desjardins
participe très activement aux travaux de cette commission portant sur la
réforme du Code civil et notre participation au présent volet de
la réforme s'inscrit dans cette volonté de collaborer à
l'amélioration constante de la situation économique et sociale de
la collectivité québécoise et de chacun de ses
membres.
Dans l'ensemble, la proposition gouvernementale nous semble
appuyée sur des motifs sérieux. Toutefois, nous croyons que les
organismes dont les ressources sont quotidiennement en contact avec des
personnes vivant une rupture de leur mariage ou un décès sont
mieux placés pour évaluer les avantages et les
inconvénients d'une solution plutôt que d'une autre. Nos
commentaires ont donc été limités aux modalités de
la proposition gouvernementale dans le but de l'améliorer si c'est elle
qui est finalement retenue.
Nous avons également voulu mettre en lumière certains
aspects que nos activités courantes nous permettent de constater plus
facilement que d'autres groupes. Nos principales remarques ont donc pour objet
de signaler certaines difficultés que peut créer la proposition,
difficultés qui peuvent cependant être évitées par
des ajustements ou des mesures transitoires sans mettre en cause les
éléments fondamentaux de l'orientation retenue. Nous avons
également tenté de préciser certaines conséquences
pouvant découler de l'adoption de la proposition et ce, afin de fournir
à cette commission et aux groupes intéressés un
éclairage additionnel. Alors, voilà l'approche que nous avons
retenue sur cette question.
Quant aux commentaires sur les différents éléments
de la proposition, on peut les résumer comme suit. Tout d'abord, nous
considérons que l'institution d'un patrimoine familial est une solution
intéressante pour favoriser un meilleur équilibre entre les
patrimoines respectifs des conjoints lors de la dissolution du mariage.
Cependant, elle peut, dans certains cas, déplacer le
déséquilibre d'un conjoint à l'autre au lieu de
l'éliminer. En effet, le document de consultation prévoit que le
partage du patrimoine familial s'effectuerait à parts égales
entre les conjoints sur sa valeur nette, celle-ci étant établie
selon la valeur des biens qui constituent ce patrimoine et des dettes qui le
grèvent. À notre avis, la valeur nette devrait être
établie en tenant compte non seulement des dettes qui grèvent les
biens, mais également de celles contractées pour les
acquérir, notamment les emprunts sans garantie. Autrement, le partage ne
sera pas équitable car le conjoint qui n'aura pas contracté
ces dettes recevra des biens ou une compensation pour un montant plus
élevé que celui auquel il devrait normalement avoir droit. Le
document de consultation laisse sous-entendre que ce problème sera
évité par l'application de l'article 446 du Code civil du
Québec, lequel stipule que l'époux qui contracte pour les besoins
courants de la famille engage aussi son conjoint. Or, l'interprétation
dégagée jusqu'à maintenant par les tribunaux relativement
aux besoins courants de la famille pourrait faire en sorte que certains biens
faisant partie du patrimoine familial ne seront pas considérés
comme des biens courants de la famille. Par conséquent, les dettes
contractées pour les acquérir resteront sous la seule
responsabilité du conjoint qui aura signé. Les jugements
consultés nous indiquent en effet que l'expression "besoins courants de
la famille" comprendrait, par exemple, les vêtements, la nourriture, les
objets d'utilité courante, les meubles et appareils ménagers, la
location d'un logement et les dépenses d'entretien et de
réparation de la voiture. Cependant, plusieurs jugements sont en ce sens
que les dépenses doivent être nécessaires et qu'il faut
tenir compte des revenus des conjoints. Les objets de luxe, comme un manteau de
fourrure, ont aussi été exclus de cette définition. Les
tribunaux ajoutent cependant que le caractère luxueux des objets doit
être évalué selon le revenu des conjoints. Ces
règles introduisent donc, dans l'appréciation de la
dépense, des éléments subjectifs qui peuvent donner des
résultats différents selon les situations. Il n'est donc pas
certain qu'un véhicule automobile, par exemple, sera
considéré comme un besoin courant de la famille, cela est
même douteux si son prix n'est pas en proportion avec les besoins de la
famille, mais ces critères ne sont pas considérés dans
l'établissement du patrimoine familial, de sorte qu'un conjoint pourrait
voir une partie importante de son patrimoine devenir un élément
du patrimoine familial ou faire l'objet d'un partage sans que l'autre conjoint
ne soit tenu aux dettes contractées pour financer l'achat de ces biens.
De plus, même lorsque les biens seront considérés comme des
besoins courants de la famille, c'est habituellement au conjoint qui aura
signé que s'adresseront les créanciers et il ne sera pas toujours
possible pour ce conjoint de se faire rembourser, par l'autre part, de sa
dette. Un partage plus équitable au départ évitera ces
problèmes.
L'établissement d'un patrimoine familial risque également,
dans certains cas, d'engendrer une situation de déséquilibre qui
n'aurait pas existé autrement. Par exemple, si un conjoint marié
en séparation de biens a utilisé ses revenus pour acquérir
des biens faisant partie du patrimoine familial, comme une résidence,
des meubles, un véhicule automobile, et que l'autre a utilisé les
siens pour acquérir des biens n'en faisant partie, comme des actions,
une résidence secondaire, un voilier, le premier devra partager ses
biens avec son conjoint, et l'autre n'aura pas à partager les siens.
L'équilibre économique qui existe actuellement chez plusieurs
couples sera donc, dans certains cas, transformé en situation de
déséquilibre à cause de l'adoption des nouvelles
règles. Par ailleurs, même lorsque celles-ci seront en vigueur et
connues de la population, elles n'empêcheront pas de telles situations de
se développer. C'est lors de la rupture que les conjoints
réaliseront les conséquents de décisions qu'ils auront
prises lorsque leur relation était meilleure.
Dans le document de consultation on propose que le tribunal puisse
déroger au principe du partage égal lorsqu'il en
résulterait une injustice flagrante, compte tenu notamment de la
brève durée du mariage, de la dilapidation de certains biens par
l'un des époux, ou encore de la mauvaise foi de l'un d'eux. La situation
exposée précédemment s'ajoute à celles qui viennent
d'être mentionnées pour justifier cette proposition. Si elle n'est
pas retenue, il faudrait au moins l'envisager comme une mesure transitoire.
Le document de consultation propose également certaines
règles destinées à protéger la résidence
familiale. Nous souscrivons entièrement à cet objectif, mais nous
désirons formuler certains commentaires qui découlent de
l'obligation des caisses de protéger l'épargne de leurs
membres.
Depuis 1986, un immeuble servant de résidence familiale est
insaisissable si le solde de la créance est inférieur à
5000 $. Une exception est toutefois prévue pour les créances
garanties par un nantissement, un privilège ou une hypothèque sur
l'immeuble. Le document de consultation propose de hausser le montant à
10 000 $ et ne mentionne pas le maintien de l'exception pour les
créances garanties. Nous croyons qu'une telle hausse en deux ans se
justifie difficilement. De plus, si on entend abolir l'exception relative aux
créances garanties, nous nous demandons pourquoi elle avait
été jugée opportune en 1986 et elle ne l'est plus
aujourd'hui.
Le document de consultation propose également que la vente
forcée d'une résidence familiale ne puisse avoir lieu à un
prix inférieur à 70 % de l'évaluation municipale de cet
immeuble multiplié par le facteur établi par le ministre des
Affaires municipales. Le pourcentage actuel est de 25 %. À notre avis,
un pourcentage de 70 % sera trop élevé dans bon nombre de cas. En
effet, l'évaluation municipale ne tient pas toujours compte de certains
facteurs pouvant diminuer sensiblement la valeur marchande d'un immeuble, tels
l'environnement, la situation géographique, un voisinage particulier ou
un mauvais entretien. Il est donc parfois impossible de trouver un acheteur
prêt à payer un montant même inférieur à 70 %
de l'évaluation municipale d'une résidence, même lors d'une
vente de gré à gré. Il serait injuste d'obliger le
créancier hypothécaire à s'en porter adjudicataire pour un
montant plus élevé que celui que réussirait à
obtenir son propriétaire dans un contexte normal d'offre et de
demande. Lors d'une vente forcée, les acheteurs potentiels sont rarement
prêts à payer la valeur réelle de l'immeuble car ils
doivent satisfaire à des exigences particulières: ils ne peuvent
visiter l'intérieur de la maison et ils n'ont aucune garantie contre les
défauts cachés. Dans la majorité des cas, par
conséquent, les offres sont sensiblement inférieures à la
valeur de l'immeuble. On peut facilement comprendre que, dès qu'il y a
des éléments affectant la valeur réelle d'un immeuble, il
est très difficile et parfois impossible d'obtenir des offres atteignant
70 % de l'évaluation municipale. Par ailleurs, cette règle
donnera lieu à des problèmes d'interprétation ou
d'application, que nous avons soulignés dans notre mémoire,
notamment pour les immeubles servant à la fois à des fins
résidentielles et commerciales, pour les résidences vendues avec
une ferme et d'autres. Enfin, un pourcentage minimum trop élevé
peut faire en sorte que plusieurs demandes d'emprunt seront refusées
uniquement pour cette raison car un prêteur qui croit que la
résidence qu'on lui offre en garantie ne pourra jamais être vendue
à un prix supérieur à 70 % de l'évaluation
municipale sera porté à refuser le prêt car il ne pourra
réaliser cette garantie en cas de défaut. À notre avis, le
pourcentage de 25 % actuellement prévu au Code de procédure
civile ne devrait pas être augmenté de façon aussi
considérable. De plus, quel que soit le pourcentage retenu, il devrait
être possible d'y déroger avec l'autorisation du tribunal, car il
restera toujours des cas qui justifieront un pourcentage moins
élevé.
En ce qui a trait à la prestation compensatoire, une
définition de l'expression "entreprise familiale" serait souhaitable. De
plus, il faudrait préciser si on se basera sur la valeur comptable ou
sur la valeur marchande de l'entreprise, l'écart étant parfois
très important.
Cela termine nos commentaires sur les différents
éléments de la proposition. Nous désirons toutefois
souligner certains aspects accessoires de cette réforme et aborder la
question de la transition dans la mise en place du nouveau régime.
Mentionnons tout d'abord que l'adoption des mesures proposées obligera
les prêteurs à resserrer leurs normes et pratiques de
crédit, ce qui causera parfois des inconvénients aux personnes
concernées. En effet, les prêteurs auront tendance à
diminuer de moitié la valeur ou l'équité attribuées
aux biens pouvant faire partie du patrimoine familial et d'au moins 30 % celles
attribuées aux biens de l'entreprise familiale. En outre, le partage de
l'entreprise signifiera également, dans bien des cas, le partage du
revenu qu'elle produit, de sorte qu'il faudra souvent envisager la
possibilité d'une diminution du revenu du propriétaire de
l'entreprise si une rupture du couple survient. Cela obligera les
prêteurs à demander plus souvent des garanties ou la signature du
conjoint.
Concernant la transition, il importe, dans une réforme aussi
importante, de tenir compte du préjudice qu'elle peut causer à
ceux et celles qui ont agi en fonction des règles en vigueur
actuellement. Dans certains cas, en effet, l'application des règles
relatives au patrimoine familial et à la prestation compensatoire
diminuera considérablement le patrimoine d'un conjoint, surtout si
toutes les règles s'appliquent en même temps, ce qui est
susceptible de se produire assez souvent. Or, cela pourra engendrer de
l'injustice au lieu de l'éliminer. Par exemple, les personnes qui ont
contracté des obligations en tenant compte de la valeur globale de leur
patrimoine pourront subir un préjudice important si on le diminue au
profit de leur conjoint, sans tenir compte qu'elles resteront responsables
envers leur créancier pour le plein montant de leurs dettes.
Dans le document soumis à la consultation, on propose comme
mesure transitoire que les époux déjà mariés
puissent, dans les trois ans suivant la mise en vigueur de ces dispositions,
renoncer aux règles relatives au patrimoine familial par acte
notarié ou par déclaration enregistrée. Nous doutons que
cette mesure soit suffisante pour remédier aux injustices que peut
créer la mise en place du nouveau régime parce qu'elle exige le
consentement des deux conjoints. Nous croyons qu'il y aurait également
lieu d'envisager la possibilité que le conjoint
préjudi-cié puisse s'adresser au tribunal pour être
exempté totalement ou partiellement des nouvelles règles. Il
importe aussi de tenir compte du préjudice que les tiers pourraient
subir en raison des modifications à la situation existante. En effet,
les personnes ou entreprises ayant contracté avec un des conjoints avant
l'adoption des nouvelles mesures, en se basant sur la valeur de son patrimoine,
pourront également être affectées sérieusement par
sa diminution au profit de l'autre conjoint par le fait qu'une partie
importante de ce patrimoine sera insaisissable et par d'autres mesures
proposées dans le document, il serait injuste de leur faire encourir des
pertes en raison d'une modification à la législation qu'ils ne
pouvaient prévoir. Ainsi, quelle que soit la solution retenue par le
législateur dans la présente réforme, nous en tiendrons
compte et nous ajusterons nos normes et pratiques de crédit en
conséquence, mais nous ne pourrons pas revenir sur les décisions
prises avant l'adoption des nouvelles mesures. Il serait normal et
équitable que des règles transitoires soient prévues pour
tenir compte de ce qu'on pourrait appeler des droits acquis. Nous en
suggérons quelques-unes, d'ailleurs, dans notre mémoire.
Cela complète, M. le Président, notre exposé au
sujet de cette réforme. Nous remercions les membres de cette commission
de l'attention qu'ils accordent à nos commentaires et nous serons
heureux de répondre à leurs questions au meilleur de notre
connaissance. Merci.
Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier, M.
Frenière, et donner la parole à Mme la ministre
déléguée à la Condition féminine. (16 h
45)
Mme Gagnon-Tremblay: Alors, merci, M. Frenière, de votre
présentation. Le mouvement Desjardins reconnaît l'objectif de
justice et d'équité recherché par le gouvernement dans ce
projet de réforme et, ce qui me plaît beaucoup, aussi, c'est que
vous mentionnez que, quelle que soit la solution retenue, le mouvement
Desjardins ajustera ses normes et ses pratiques de crédit en
conséquence, tout en nous mettant en garde contre certaines pratiques
sur lesquelles nous devrions réfléchir davantage.
Ma première question concerne la résidence familiale,
étendre l'insaisissabilité jusqu'à concurrence de 10 000
$, ce qui est actuellement à 5000 $. Vous avez certaines
inquiétudes au sujet - et cela existe encore - de la créance qui
est garantie par nantissement, privilège ou hypothèque. Est-ce
qu'on reconduit ces exceptions? Même si on ne le voit pas explicitement
dans le document de consultation, je dois vous dire que l'objectif visé
était vraiment de reconduire ces exceptions. On tiendrait compte des
garanties telles que le nantissement, le privilège et
l'hypothèque, même si on ajustait à 10 000 $
l'insaisissabilité. Si ces exceptions sont maintenues telles qu'elles
existent actuellement, est-ce que pour vous cela fait encore problème
d'augmenter à 10 000 $ l'insaisissabilité de la résidence
familiale?
M. Frenière: D'abord, je suis très heureux
d'apprendre ces modifications qui n'apparaissaient pas suffisamment claires. Le
problème qui survient avec l'augmentation de 5000 $ à 10 000 $,
en ce qui nous concerne, c'est tout simplement de soulever que l'augmentation
est brusque et élevée, en tout cas, de doubler le montant en deux
ans. On n'a pas d'objection à une augmentation. On n'en parle pas ici
dans notre présentation, mais on fait relation souvent aux
deuxièmes hypothèques, aux emprunts garantis par une
deuxième hypothèque qui sont souvent des emprunts qui atteignent
à peu près 10 000 $. Avec cette mesure, le prêteur, quel
qu'il soit, pourrait être tenté d'exiger des garanties
additionnelles. On n'a pas d'opposition formelle à une hausse du montant
de 5000 $.
Mme Gagnon-Tremblay: Comme vous mentionnez, M. Frenière,
que c'est peut-être faire un saut énorme de passer de 5000 $
à 10 000 $, je dois faire remarquer que, quand on fait une
réforme du Code civil, cela prend beaucoup de temps, cela prend beaucoup
d'années avant qu'on puisse réformer. Est-ce que c'est parce que
vous préféreriez qu'on l'ajuste dans le temps,
c'est-à-dire, qu'on la monte graduellement...
M. Frenière: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay:... qu'elle fasse partie de cette
réforme pour en arriver à 10 000 $, mais qu'on l'ajuste
graduellement et non pas au cours d'une seule année?
M. Frenière: C'est ce qu'on souhaiterait, que
l'augmentation soit graduelle.
Mme Gagnon-Tremblay: Je reviens aussi sur le fait que vous ne
soyiez pas d'accord pour hausser à 70 % de la valeur de la
résidence familiale. Je comprends vos inquiétudes, jusqu'à
un certain point, quand on sait que tout dépend de l'offre et de la
demande et qu'il y a des contextes quand même très
différents. Il y a aussi le fait que les acheteurs n'ont aucune garantie
contre les vices cachés, entre autres. Cela peut peut-être
créer certains problèmes, d'autant plus que bien souvent les
créanciers prêtent jusqu'à concurrence de cette valeur de
70 %. Par contre, en passant de 25 % à 70 %, pour vous quelle serait une
hausse juste et équitable? Vous n'êtes pas d'accord avec 70 %;
quel serait le pourcentage avec lequel vous seriez d'accord?
M. Frenière: On n'a pas de chiffre magique, sauf qu'une
augmentation de 25 % à 50 % nous apparaîtrait moins" contraignante
que 70 %. Les 70 %, cela ne veut pas dire que le prêteur ne sera pas
capable de réaliser la vente pour un montant au-delà de cela. Ce
sont surtout les cas où le changement, l'environnement, la situation
géographique auraient pu changer et nous empêcheraient de revendre
la propriété pour un montant d'au moins 70 %. Si on sait à
l'avance qu'on a cette obligation, l'emprunteur pourrait être
tenté d'exiger des garanties additionnelles ou des sûretés
additionnelles. Même de gré à gré, en d'autres
circonstances qui ne sont pas une vente forcée, l'emprunteur
lui-même ou le propriétaire lui-même aurait peut-être
de la difficulté à obtenir les 70 %. Cela restera uniquement des
cas. Il apparaissait que 70 % était une mesure passablement
élevée, parce que l'évaluation municipale ne tient pas
toujours compte de l'environnement, par exemple. Peut-être que Me Dionne
pourrait ajouter quelque chose. Je ne sais pas si j'ai donné
suffisamment d'explications.
M. Dionne (Daniel): II y a effectivement des cas. On peut prendre
un exemple qui est dans notre environnement, les résidences
situées autour de celle des Hell's Angels, à Saint-Nicolas. Je ne
suis pas sûr que l'évaluation municipale ait été
ramenée à la baisse depuis ces
événements-là. Il peut arriver qu'un prêteur ou
quelqu'un veuille faire vendre une maison dans ce coin-là et que
même le propriétaire ne puisse pas la vendre. En fait, ce qui nous
apparaît le plus important, c'est qu'il y ait dans la loi une
possibilité d'obtenir un montant inférieur, c'est-à-dire
une mise à prix inférieure lorsque les
circonstances le justifient. Récemment, je parlais justement avec
un huissier pour essayer de savoir ce que serait le meilleur pourcentage, 50 %
ou 60 %, et il me disait, entre autres, qu'il avait récemment vendu pour
25 % de l'évaluation municipale et qu'elle valait à peine ce
montant-là. Cela démontre qu'il y a des cas exceptionnels. C'est
surtout cela qu'on voudrait être capable de contourner comme
problème. Un autre exemple que je peux donner: une maison située
à côté d'une nouvelle porcherie. Si elle se vend en justice
dans les mois qui suivent, le pourcentage de 70 % risque d'être
très élevé et très difficile à atteindre.
Cela peut donc faire encourir une perte. Alors, peu importe le pourcentage
qu'on choisira, certains huissiers nous ont dit: 70 % nous apparaissent
également élevés. Ils nous disaient que 50 % seraient
probablement plus réalistes. Il n'en reste pas moins que ce qui est
important, c'est de pouvoir trouver une solution aux cas exceptionnels qui vont
se présenter. Qu'on mette 50 %, 60 % ou 70 %, il y aura toujours des cas
exceptionnels. Cela peut être un incendie qui a eu lieu dans la maison,
cela peut être toutes sortes d'autres cas, finalement.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous nous avez parié aussi de valeur
nette et vous nous mettez en garde contre certaines dettes qui pourraient
être contractées pour un bien qui serait partageable. Par contre,
je pense à des cas où la résidence familiale pourrait
également être hypothéquée pour des biens non
partageables. L'inverse pourrait également survenir. La semaine
dernière, lors de la commission parlementaire, des groupes nous
proposaient de conserver la prestation compensatoire pour, justement,
peut-être rééquilibrer, c'est-à-dire permettre au
couple ou à la personne qui aurait à se servir de la prestation
compensatoire de puiser dans la prestation lorsqu'il n'y aurait pas de biens
partageables ou de valeurs à partager. C'est sûr que, lorsqu'on
parle d'un partage, que ce soit au niveau de la résidence, que ce soit
au niveau des autres biens, on doit aussi prendre en considération les
dettes qui affectent ces différents biens. À ce moment-là,
est-ce que, comme d'autres intervenants, vous seriez en faveur de conserver la
prestation compensatoire pour les personnes qui pourraient s'en
prévaloir au cas où il n'y aurait pas véritablement, dans
le patrimoine familial qu'on identifie, de biens à partager?
M. Frenière: M. Dionne.
M. Dionne: Je pense qu'il y a deux volets à votre
question. Au niveau de la valeur nette, tout d'abord, ce qu'on veut souligner
tout simplement... On peut prendre un exemple simple, on l'a donné dans
notre mémoire. On parle d'une personne, par exemple, que ce soit un
homme ou une femme, qui s'achète une voiture - on sait que cela fait
partie du patrimoine familial - et qui emprunte le montant nécessaire
sans donner une garantie sur sa voiture. La dette ne grève donc pas la
voiture, de sorte que, s'il survient une rupture dans les jours ou dans les
semaines qui suivent, si la voiture a une valeur de 10 000 $, le partage se
ferait pour un montant de 5000 $, mais on ne tiendrait pas compte que la
personne qui l'a achetée a peut-être une dette de 9500 $. Le
partage ne devrait donc pas être de 5000 $ dans ce cas-là. Il
devrait être de 250 $ dans mon exemple. C'est un des aspects qu'on a
soulignés, autant dans notre mémoire que dans l'exposé
qu'on vient de faire. Mais il y a aussi, effectivement, comme vous le
soulignez, et j'y pensais justement hier soir, l'aspect des dettes qui vont
grever des biens, mais qui n'ont pas été contractées pour
les financer. On pense, par exemple, à quelqu'un qui finance son
commerce et qui a besoin d'une mise de fonds, il hypothèque sa maison,
injecte cela dans un bien qui va lui appartenir en propre et qui ne sera pas
l'objet du patrimoine familial et, en ce qui me concerne personnellement, je
pense qu'on doit tenir compte également de cette situation parce que,
sinon, on va se retrouver avec un patrimoine d'une valeur inférieure
à ce qu'il doit être. Cela peut même se faire de mauvaise
foi, à la rigueur, dans certains cas, par un conjoint. Il peut arriver,
par exemple, qu'un conjoint, que cela soit le mari ou la femme, voyant venir la
rupture, hypothèque la maison qui est à son nom ou tout autre
bien, donne des garanties sur tout autre bien, aille chercher en quelque sorte
l'équité et l'investisse ailleurs dans un bien qui ne fait pas
partie du patrimoine familial. Avec le document de consultation, tel que
rédigé, il n'y a pas de solution à cette situation. Moi,
je suis du même avis que vous, je pense qu'il faudrait effectivement
prévoir quelque chose pour remédier à ces situations. Je
ne sais pas si cela répond bien à votre question.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, oui; cela va. L'autre question et la
dernière, c'est concernant la période transitoire. Vous vous
prononcez contre la période transitoire pour les couples qui seraient
déjà mariés en séparation, contre le fait de
pouvoir y renoncer au cours des trois prochaines années; par contre,
vous suggérez qu'un seul conjoint, s'il est lésé par les
nouvelles règles, puisse s'adresser au tribunal pour être
exempté de l'application du partage. Est-ce que ce droit que vous
prévoyez pour le conjoint serait limité à la
période de trois ans ou s'il pourrait l'invoquer en tout temps?
M. Dionne: D'abord, nous ne sommes pas en désaccord avec
la proposition qui permet à des conjoints de renoncer au nouveau
régime, en quelque sorte. Tout ce qu'on dit, c'est que cette mesure
transitoire, parce qu'elle en est une, ne sera pas nécessairement
suffisante. L'exemple qu'on pourrait donner est le suivant: II peut arriver que
quelqu'un ait Une valeur en actif
d'environ 100 000 $ et s'endette pour l'équivalent, parce qu'il
se dit: Bien, de toute façon, si jamais j'ai de la difficulté
à payer mon emprunt, je vendrai mes biens puis je le paierai. Alors,
tout à coup on change de régime et on lui dit: Bon,
dorénavant, les biens que tu avais, tu dois les partager en
moitié avec ton conjoint. Cette personne va rester endettée pour
les 100 000 $ qu'elle avait empruntés et, tout à coup, elle
n'aura pas nécessairement l'actif correspondant à cette valeur.
Actuellement, la mesure transitoire prévoit le consentement des deux
conjoints pour y renoncer, mais je pense que cela ne sera pas suffisant, parce
que, si l'autre conjoint refuse, il n'y aura pas de solution, il sera pris pour
payer toutes ses dettes et il n'aura pas l'actif pour le faire. C'est ce qu'on
dit. Quand on dit que cela peut créer une situation d'injustice, c'est
que, justement, cela n'a pas été prévu que cela se
produirait et il y a des gens qui peuvent se retrouver tout à coup dans
une situation comme celle-là.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme la ministre. Mme la
députée de Maisonneuve et porte-parole de l'Opposition
officielle.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Je vous salue, M.
Frenière, M. Dionne et Mme Farley. Vous avez déjà eu
l'occasion de venir exposer en commission parlementaire, à d'autres
occasions, le point de vue de la confédération. Vous allez
peut-être me permettre, très rapidement, puisque nous n'avons pas
siégé depuis la semaine dernière, de faire deux remarques
avant qu'on puisse échanger à partir de vos recommandations. La
première, c'est sur une information que j'ai transmise à la
commission la semaine dernière, concernant le pourcentage de couples en
union de fait dans la société québécoise. Vous vous
rappelez sans doute que j'avais cité un bulletin de Statistique Canada,
publié en septembre 1988, qui s'intitule "Pleins feux sur l'avenir" et
qui nous donne un résumé des données de recensement de
1986, et que j'avais entre autres fait état de ce que ces gens
considéraient - et je le lis - comme "les surprenantes tendances" -
c'était d'ailleurs là leur propos - observées au cours des
dernières années. Elles montrent des changements dans la
structure familiale traditionnelle au Québec. En 1985, 28 % des couples
au Québec vivant en union libre, comparativement à 23 % de
l'ensemble des couples au Canada. Alors, c'était surprenant, non
seulement pour Statistique Canada, mais également pour la commission
jusqu'à ce qu'on puisse recommuniquer avec Ottawa cette fois - en fait,
ces informations nous venaient de Montréal - avec M. Pierre Turcotte
qui, lui, est analyste à Statistique Canada toujours, mais à la
division logements, famille et sécurité sociale, qui nous a
indiqué qu'il y a là un grave problème d'inter-
prétation et qu'il s'agirait plutôt de 12, 6 % des couples au
Québec qui vivent en union libre. (17 heures)
M. Turcotte nous faisait cependant remarquer qu'il y a une progression
assez phénoménale, surprenante, c'est le moins qu'on puisse dire,
puisqu'en 1981 il s'agissait de 120 885 couples et qu'en 1986 il s'agit de 188
685 couples, donc, presque 200 000.
Il nous faisait également remarquer que, dans les groupes
d'âge des moins de 30 ans, donc, chez les 15-29 ans où se retrouve
le plus fort taux de fertilité, c'est vraiment une très forte
proportion. Par exemple, chez les 15-29 ans, cela oscille entre 16 % et 60 %.
Alors, c'est selon l'âge, c'est presque 60 % des couples entre 15 et 19
ans, 33 % entre 20 et 24 ans et 17 % entre 25 et 29 ans. Évidemment, les
variations selon l'âge nous permettent de voir que tout cela est
relativement à la baisse lorsqu'on examine les catégories
d'âge plus avancé.
Cela nous permet de prendre l'heure juste sur cette question
malgré que 200 000, compte tenu que c'est dans la classe d'âge la
plus susceptible d'avoir un taux de fertilité... Quant à moi, le
problème reste posé quant à la préoccupation qu'on
doit avoir pour les enfants issus de ces unions.
Cela dit, une dernière remarque, M. le Président,
très rapidement. C'est simplement pour signaler combien surprise, mais
à la fois satisfaite, je suis du débat qu'a enclenché
notre étude dans la société québécoise. Je
suis surprise du nombre d'émissions de radio... Encore ce matin en
montant à Québec j'entendais des commentaires faits sur les
ondes. En général, après le premier mouvement de
stupéfaction, on peut dire qu'il n'y a pas eu d'indignation. Au pire, ce
serait de la résignation et, au mieux, ce serait de la satisfaction.
C'est sans doute important aussi de prendre le pouls de la
société en rappelant les propos que tenait, sur les ondes d'une
émission que je faisais avec Mme la ministre, une avocate des causes
familiales et qui disait qu'indépendamment: de l'état des
relations quand l'un ou l'autre des conjoints arrivait dans son bureau, avant
d'examiner le contrat qui les avait liés elle leur demandait dans quel
état d'esprit ils s'étaient mariés. Elle disait que,
même avec les rancoeurs, les gens disaient que c'était dans
l'optique de partager moitié-moitié. C'est sans doute l'optique
dans laquelle on se marie. Ce n'est pas celle avec laquelle on divorce,
évidemment. On est à même de le constater avec l'ensemble
des inéquités qui nous permettent de constater entre autres que
dans l'année du divorce un homme divorcé, en
général, double son revenu moyen et une femme et les enfants du
divorce le diminuent de moitié et, selon des études,
jusqu'à 73 %.
Je reviens à votre mémoire, à la page 6 entre
autres parce que c'est un élément qui m'a semblé plaider
en faveur de ce que la majorité des organismes qui viendront de la
commission
plaideront, un élargissement de la définition du
patrimoine familial pour y inclure surtout, c'est ce qui est revendiqué,
les régimes privés de retraite. Je vais vous dire en quoi j'ai
l'impression que cela plaide. Vous faites la démonstration où un
conjoint utilise ses revenus pour acquérir des biens dits du patrimoine
familial, maison, automobile, et l'autre utilisera ses revenus, par exemple,
pour investir dans son entreprise, pour acheter des actions de sa
compagnie.
Imaginons, par exemple, un employé d'Air Canada, homme ou femme,
qui dirait à son conjoint ou à sa conjointe: Je vais investir
dans les actions de la compagnie, etc. Il pourrait même... J'aimais bien
l'exemple parce que, dans le fond, cela pourrait conduire à
hypothéquer la maison qui serait l'objet du partage pour acheter seul
une résidence secondaire qui, elle, ne l'est pas. Je me disais que,
finalement, compte tenu de la situation que vous décrivez bien, avec
l'expertise concrète que vous avez de ces choses, plutôt que
d'envisager des corrections qui n'en seraient pas vraiment, puisque cela
supposerait d'ouvrir la prestation compensatoire pour le travail au foyer -
actuellement la prestation compensatoire est vraiment interprétée
par les tribunaux comme étant une compensation pour l'apport dans
l'entreprise et non pas simplement les travaux ménagers ou le travail au
foyer - alors, ouvrir la prestation compensatoire, en cas d'insuffisance de
biens, pour aller chercher un partage de biens qui ne sont pas
considérés comme faisant partie du patrimoine, est-ce que ce
n'est pas passer de midi à 14 heures, d'une certaine façon, parce
que les personnes qui auraient à le faire, évidemment, auraient
toute une côte à remonter? D'abord, devant les tribunaux avec des
frais de cour qui sont quand même pas mal élevés, ne
vaudrait-il pas mieux, selon vous, inclure dans le patrimoine familial un
certain nombre de biens comme, par exemple, les régimes privés de
retraite? Je ne sais pas si la question vous est venue à l'esprit.
Pourquoi inclure les régimes publics et non les régimes
privés? Est-ce que vous avez pu examiner ces questions-là?
M. Frenière: Je ne sais pas si j'ai parfaitement bien
saisi votre question. Ce qu'on veut faire ressortir ici, c'est l'importance de
tenir compte, dans l'établissement du patrimoine, des dettes
contractées pour l'acquisition de biens qui font partie du patrimoine et
celles qui n'en font pas partie. Comme vous l'avez si bien
démontré, quand il existe une parfaite communion ou une parfaite
entente entre les conjoints, il n'y a pas de problème. À ce
moment-là, l'un peut consentir facilement à l'autre
d'hypothéquer ou d'engager des biens qui feraient partie de la
communauté. Ce n'est pas dans ces cas-là qu'on a des
problèmes, c'est toujours dans les cas où il y apparence ou un
horizon de rupture. Des personnes pourraient être mal
intentionnées, pourraient profiter d'une faille quelconque pour
détruire ou, en tout cas, utiliser le patrimoine familial à leur
propre avantage au détriment de l'autre, que ce soit l'homme ou la
femme. C'est surtout cette partie-là. Quant à la partie des
régimes enregistrés d'épargne-retraite, je ne sais pas si
on en a tenu compte. Je demanderais à Me Dionne de vous
répondre.
M. Dionne: Sur cette question, j'ai constaté qu'il y a au
moins un organisme qui a demandé d'inclure les REER, si je ne me trompe
pas. Je peux peut-être vous expliquer rapidement le contexte où on
a préparé notre mémoire. On venait tout juste de sortir du
dossier de la loi sur les caisses, cet été. Alors, on n'a pas
pu... C'est un travail de professionnel, tout d'abord. On n'avait pas le temps
d'aller, par exemple, présenter notre mémoire au conseil
d'administration de la confédération. Peut-être qu'à
ce moment-là on aurait appuyé encore plus fort la proposition.
Donc, on pouvait difficilement, en tant que professionnels, si on veut,
présenter une orientation politique du dossier. C'est la raison pour
laquelle on s'est abstenu d'aller encore plus loin que ce que proposait le
document de consultation. Si je vous répondais là-dessus, je vous
donnerais peut-être mon point de vue personnel et il ne serait
peut-être pas le même que celui des autres. Une chose est certaine,
en tout cas, c'est que les arguments qui ont...
Mme Harel: Est-ce qu'il serait plus gênéreux?
M. Dionne: Pardon?
Mme Harel: Est-ce qu'il serait plus généreux?
M. Dionne: Je peux vous dire, en tout cas, que j'ai lu hier, je
ne me rappelle pas de quel organisme était le mémoire, je pense
que c'est le projet Partage, qui demandait que les REER soient inclus. J'ai
été très sensible à leur point de vue. Je trouve
qu'il est très argumenté, en tout cas. Leur point de vue se
défend très bien. Je vais m'abstenir, maintenant, de faire part
de mon point de vue personnel...
Mme Harel: Vous êtes mieux, pour faire de la politique.
M. Dionne:... qui ne serait pas nécessairement à
rencontre de celui-là.
Mme Harel: Vous êtes mieux, pour venir répondre
à la période de questions.
M. Dionne: Peut-être. Est-ce que cela vous convient?
Mme Harel: En tout cas, d'une certaine façon, vous nous
dites: Le patrimoine familial peut risquer de produire des
déséquilibres,
dépendamment de la nature des biens acquis par l'un ou l'autre
des deux conjoints. Moi, je conclus simplement qu'il y a là
matière à être, dans le fond, d'une certaine façon,
prudents. Sans doute, il faut retenir le fait que, si on définit
clairement, en essayant qu'il y ait le moins de judiciarisation possible, les
biens qui vont faire partie du patrimoine familial, alors, les conjoints
n'auront pas besoin d'aller devant les tribunaux pour se faire partager leurs
biens en vertu de la prestation compensatoire.
Peut-être faut-il, malgré tout, maintenir le possible
recours des travailleuses au foyer, en vertu de la prestation compensatoire, au
cas où, justement, il y aurait des cas d'exception qui font qu'il ne
pourrait pas y avoir... Parce que le patrimoine familial ne doit quand
même pas être la société d'acquêts, sinon qu'en
pensez-vous? Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'examiner cette
question, parce que le père de la société d'acquêts,
Me Roger Comtois, est venu recommander fortement à la commission
d'étendre le régime de la société d'acquêts
à l'ensemble...
Une voix:...
Mme Harel: Pardon? Oui, le père. C'est lui-même qui
s'est défini comme père. Donc, d'étendre les dispositions
de la société d'acquêts, plutôt que de mettre en
place un régime primaire distinct. Je ne sais pas si vous avez eu
l'occasion d'examiner cette question.
M. Dionne: Non, on n'a pas réfléchi à cette
hypothèse, mais il reste qu'une des choses qui nous apparaît...
D'ailleurs, on souligne dans notre mémoire que le recours au tribunal
devrait être possible. On pensait que certains s'opposeraient au recours
au tribunal dans certaines circonstances données. Nous pensons qu'il est
parfois important de conserver le recours aux tribunaux même si cela
crée des inconvénients, même s'il y a des frais. Il reste
que, parfois, c'est la seule solution pour obtenir la justice, pour avoir une
situation d'équilibre, une situation juste; parce que telle qu'elle est
proposée, comme elle est fragmentaire, la réforme, finalement,
peut entraîner des injustices; on l'a souligné dans certains
cas.
Nous croyons que l'inconvénient d'avoir à se
présenter devant le tribunal, c'est un inconvénient mineur
vis-à-vis du sentiment d'injustice avec lequel pourraient finalement
vivre certaines personnes. On pense qu'il est préférable de
permettre à ces gens, qui pourraient subir une situation d'injustice
flagrante et même majeure, dans certains cas, de régler ce
problème par le recours aux tribunaux, le cas échéant.
Mme Harel: M. le Président, je pense que la
majorité des personnes qui sont venues devant nous nous ont quand
même déclaré qu'en général la
discrétion judiciaire avait joué à rencontre des
intérêts des femmes. Mais vous avez raison de dire qu'on peut
réserver un recours sans pour autant le favoriser, c'est-à-dire
faire en sorte que cet usage du recours soit vraiment exceptionnel, sans qu'il
y ait nécessité d'y avoir recours pour faire reconnaître
ses droits. Dans ce sens, je pense que vous avez parfaitement raison.
Une toute dernière question avant que mes collègues
veuillent compléter. Quel est le taux moyen des ventes forcées?
En moyenne, à quel pourcentage de la valeur de la résidence se
fait la vente forcée? Vous devez avoir ces renseignements au mouvement?
Vous pourriez peut-être nous le fournir. Cela pourrait être utile.
Quelle est la moyenne?
M. Frenière: On n'a pas de...
Mme Harel: Par région. Vous ne l'avez pas par
région.
M. Frenière: On n'a pas ces statistiques. Peut-être
qu'on les a à la confédération. Malheureusement, je ne
peux pas vous répondre. Je ne veux même pas risquer de chiffres.
Je ne voudrais pas vous mettre sur une fausse piste. On les a probablement, je
ne le sais pas.
Mme Harel: M. Frenière, croyez-vous que ce serait possible
de les transmettre à la commission?
M. Frenière: Je dis, oui. Mme Harel: Oui?
M. Frenière: Oui. Si on les a, cela nous fera plaisir de
les transmettre, madame.
Mme Harel: Je crois que cela pourrait nous être utile. Cela
pourrait certainement nous être utile de le voir actuellement. J'imagine
que c'est peut-être par région aussi, ou pas. Mais, enfin, ce que
vous pourrez avoir de plus sophistiqué comme renseignements, ce serait
certainement utile.
M. Frenière: Cela nous fera plaisir.
Le Président (M. Filion): Y a-t-il d'autres interventions
des membres de cette commission? M. le député de Marquette.
M. Dauphin: Peut-être une petite. M. le Président,
merci beaucoup. À mon tour, je voudrais vous remercier pour votre
contribution à nos travaux, d'autant plus que votre mémoire
touche, à certains égards, des angles différents de ce que
nous avons entendu jusqu'à maintenant, c'est-à-dire ce que vous
vivez tous les jours avec vos constituantes, les caisses populaires. (17 h
15)
Vous dites, au début de votre mémoire, que,
si le document gouvernemental devenait effectif, si on le mettait en
application, de votre part et des autres institutions financières, cela
impliquerait évidemment, d'exiger la signature du conjoint, lors de
prêts personnels ou autres; on parle des voitures qui seraient incluses
dans le patrimoine familial. Effectivement, si le document gouvernemental
était appliqué, je présume que cela deviendrait pour vous
autres, en tout cas, pour les caisses populaires, une pratique que d'exiger
automatiquement la signature du conjoint, puisque le bien... Que ce soit une
maison ou autre, automatiquement 50 % deviendraient propriété du
conjoint.
M. Frenière: Je ne crois pas que ce sera une mesure
automatique. Quand on fait référence à ces
possibilités, c'est surtout lorsqu'on fait allusion à la
règle des 70 % ou aux autres règles qui nous apparaissaient
être doublées, dans certains cas. Chaque cas étant un cas,
chaque cas va être évalué à sa plus juste valeur,
mais je veux vous dire que les règles générales, les
normes générales de crédit devront être
ajustées en conséquence. Je vous rappellerai que, dans la Loi sur
les caisses d'épargne et de crédit, dans l'avant-projet de loi,
on dit que ces règles et normes devront recevoir l'aval de l'Inspecteur
général des institutions financières.
C'est évident qu'on devra revoir nos normes si c'était
accepté tel quel. Mais, de là à dire que ce sera
automatique, je ne le crois pas. Je ne sais pas si cela répond à
votre question.
M. Dauphin: Oui. Peut-être une dernière question. Ma
collègue...
M. Frenière: Je vous en prie.
M. Dauphin:... de Maisonneuve a fait allusion, tantôt, aux
conjoints de fait. Je ne sais pas si vous avez fait une étude
là-dessus. Plusieurs nous ont dit de ne pas toucher à cela,
notamment Me Comtois, de régler nos problèmes actuels et on verra
à autre chose plus tard. Est-ce que vous avez eu...
Mme Harel: Pas tout de suite.
M. Dauphin: Pas tout de suite, plus tard, cela se ressemble un
peu.
Mme Harel: II dit: En priorité et après.
M. Dauphin: Est-ce que vous avez eu l'occasion comme
organisme...
M. Frenière: Je vous réponds non. M.
Dauphin:... d'étudier cet aspect-là?
M. Frenière: Je vous réponds non. On n'a pas
évalué ou examiné cet aspect de la question.
Le Président (M. Filion): Très bien. Merci... M.
Dauphin: Merci.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Marquette. M. le député de
Louis-Hébert.
M. Doyon: Tout à l'heure, vous avez mentionné que,
compte tenu des changements qui seraient effectués dans le patrimoine
des personnes qui sont endettées, il y aurait lieu, possiblement, de
penser à des mesures transitoires. Est-ce que vous avez eu le temps de
réfléchir à la nature de ces mesures transitoires? Comment
pourrait-on passer de la situation actuelle à une situation future qui
tiendrait compte de la réforme qui est proposée?
M. Frenière: Je vais demander à Me Dionne de vous
répondre.
M. Dionne: Est-ce que vous parlez...
M. Doyon: Vous parliez, tout à l'heure, par exemple...
M. Dionne: Oui.
M. Doyon:... de certains droits acquis...
M. Dionne: D'accord.
M. Doyon:... qui garantissaient, jusqu'à un certain point,
les créances...
M. Dionne: Je vous demanderais tout simplement de me mentionner
si vous parlez de mesures transitoires au niveau de l'injustice qui peut se
produire dans le couple lui-même ou vis-à-vis des tiers.
M. Doyon: Vis-à-vis des tiers.
M. Dionne: Vis-à-vis des tiers. Effectivement, on en a
souligné quelques-unes dans notre mémoire, vers la toute fin, je
pense. On a suggéré, effectivement, quelques mesures
transitoires. À la page 13 de notre mémoire, à partir du
dernier paragraphe, on dit: "Différentes solutions sont envisageables
à cette fin. Celle qui vient naturellement à l'esprit serait de
prévoir que les biens faisant dorénavant partie du patrimoine
familial ou ceux transférés à l'autre conjoint lors d'un
partage ou comme prestation compensatoire demeurent le gage commun des
créanciers du conjoint qui en était propriétaire
auparavant. En d'autres mots, les biens que les créanciers ont
considérés comme leur gage commun lors de la création des
dettes devraient le rester jusqu'à l'extinction de celles-ci. "Une autre
solution consisterait à permettre aux créanciers dont la
créance est antérieure à l'instauration des nouvelles
règles de demander
au tribunal de reconnaître leurs droits acquis lorsque le
préjudice qu'ils subiront sera important. "On pourrait également
envisager de retarder la mise en vigueur des nouvelles règles pendant
une période suffisante, après leur adoption, pour diminuer leurs
effets sur les droits des tiers. Cela diminuerait également les
situations où les nouvelles mesures engendreront de l'injustice entre
les conjoints, tout en facilitant leur acceptation par ceux qui y seraient
opposés. "
Ce sont quelques-unes des mesures qu'on aborde.
M. Doyon: Mais cela ne résout pas véritablement le
problème parce qu'en fait cela demande l'intervention des
tribunaux...
M. Dionne: Oui.
M. Doyon:... dans plusieurs cas. Il y a une question
d'appréciation, a savoir si le préjudice causé est
important ou pas.
M. Dionne: C'est vrai.
M. Doyon: L'autre inquiétude que j'ai à ce sujet:
Est-ce que vous ne considérez pas que certains cas, par exemple,
où intervient ce partage vont causer des insolvabilités,
c'est-à-dire qu'à un moment donné des personnes qui
étaient parfaitement solvables se retrouveraient avec un passif qui
dépasserait leur actif du fait même de cette situation-là
avec, comme conséquence, la possibilité de recours qui les
dégagerait de toute responsabilité par la cession de leurs biens,
etc., ce qui, finalement, serait au détriment de leurs
créanciers? Est-ce que vous avez envisagé cette
possibilité, dans les cas de faillite personnelle,
d'insolvabilité personnelle due à un passif qui dépasse
l'actif, alors que les choses sont parfaitement normales tant que le partage
n'a pas eu lieu, le partage se faisant probablement... En tout cas, c'est fort
concevable que certaines personnes soient endettées de plus de 50 % de
leurs actifs et, à ce moment-là, elles se retrouvent en
état d'insolvabilité du fait même du partage.
M. Dionne: Effectivement, on craint que cela n'arrive. C'est
d'ailleurs la raison pour laquelle on demande des mesures transitoires. J'ai
une remarque à faire. Une des solutions qu'on propose, c'est qu'on
permette aux créanciers, dont la créance était
antérieure à l'instauration des nouvelles règles, de
demander au tribunal de reconnaître leurs droits acquis lorsque le
préjudice qu'ils subiront sera important. En fait, si le
préjudice n'est pas important, on est prêts à accepter
qu'ils perdent des sommes d'argent pas trop élevées, mais, dans
certains cas, cela peut faire des pertes très importantes pour un
prêteur, pour quelqu'un qui a fourni de la marchandise dans un commerce,
par exemple, un individu qui exploite seul son entreprise et qui perd tout
à coup la moitié de son actif. Ce pourrait être une
solution.
Vous me demandez si on a examiné la question des faillites et ces
choses-là. Effectivement. D'abord, en gros, on n'a pas de statistiques
précises, mais on a fait des communications et des personnes qu'on a
consultées évaluent à environ 20 % le pourcentage de
faillites causées par un divorce, faillites personnelles, on entend.
Évidemment, si on diminue le patrimoine lors de la faillite parce que,
avant, lors du divorce, les conjoints ont fait le partage et que, par la suite,
il y a faillite d'un des conjoints parce qu'il y a une pension alimentaire
à payer ou encore qu'il faille se loger à deux endroits, payer de
nouveaux appareils électroménagers, etc, évidemment
l'actif dans ces faillites va être moins élevé. Il y a
aussi les dossiers de prêt, des gens qui ne font pas
nécessairement faillite et qui ne paient plus leurs dettes parce qu'ils
ont vécu un divorce. Tout cela pour dire que, finalement, on a
calculé approximativement les pertes possibles. S'il n'y avait pas de
mesures transitoires, autant dans les cas de faillite que dans les autres cas,
on évalue à environ 2 500 000 $, 3 000 000 $ par année les
pertes potentielles pour l'ensemble du mouvement Desjardins. Ce
montant-là serait décroissant, par contre, au fur et à
mesure que nos vieux prêts s'éteindraient, si on veut, au cours
d'une période de cinq, six ou sept ans environ. On ne subirait plus de
pertes puisque les prêts seraient soit payés, soit perdus. Sur une
période de cinq ans, cela peut se situer autour de montants quand
même assez élevés.
M. Doyon: Une dernière question, avec votre permission, M.
le Président, toute brève. Compte tenu de la réforme dont
vous avez pris connaissance et du projet de réforme que vous avez,
est-ce que, dans les faits, vos pratiques de prêts actuellement ont
changé par rapport à ce qu'elles étaient
précédemment? Puisqu'il est possible qu'un conjoint avec qui vous
faites affaire se trouve privé à un moment donné de 50 %
de son actif, est-ce que vous avez modifié vos pratiques de prêts
au moment où on se parle?
M. Frenière: Non.
M. Doyon: Non.
Une voix: M. le Président.
Le Président (M. Filion): Est-ce que cela va, M. le...
M. Doyon: Je pense que Me... voulait... Le Président
(M. Filion): M.Frenière? M. Dionne: Simplement pour dire que,
si
cela a pu se faire, c'est isolément, par une ou quelques caisses
qui ont entendu parier de la réforme et qui ont pu s'ajuster tout de
suite, mais ce serait très surprenant. Actuellement, les caisses ne sont
pas informées.
M. Frenière: II n'y a pas eu de directives. M. Doyon:
II n'y a pas de recommandations.
M. Frenière: II n'y a pas de recommandations ni de
directives qui ont été données par qui que ce soit. Il
peut y avoir des cas isolés de caisses qui ont pu le faire, mais on n'en
a pas entendu parier.
Le Président (M. Filion): Simplement pour les membres de
la commission. Je pense que les échanges avec nos invités sont
tellement intéressants qu'on a dépassé notre enveloppe de
temps, et il y a trois intervenants... Cela ne me fait rien. Je pense bien que,
de consentement, vous êtes d'accord pour filer au-delà de notre
temps. Cependant, essayez de résumer vos interventions. Je vais d'abord
reconnaître Mme la ministre, ensuite, Mme la députée de
Maisonneuve et M. le député de Marquette.
Mme Gagnon-Tremblay: Je voudrais bien que ce soit clair.
Lorsqu'on partage un patrimoine familial, on partage l'actif et on partage
aussi le passif. C'est sût qu'on devra faire un rééquilibre
tout comme on le fait actuellement quand on partage les acquêts d'un
couple. C'est certain que, si le conjoint hypothèque la résidence
pour l'entreprise et qu'à un moment donné il doit rembourser,
advenant un partage quelconque, il aura certaines difficultés parce
qu'on ne partage pas l'entreprise. Je pense qu'on partage tout ou on partage
les bien familiaux d'une façon restreinte, mais il faut aussi prendre
les dettes en considération. Il faut dire aussi qu'actuellement, dans
99, 9 % des cas, lorsqu'il y a une résidence familiale, il y a signature
des deux conjoints. On ne court plus de risque au cas où il y aurait une
déclaration de résidence qui serait enregistrée entre la
signature de l'acte et la date de l'enregistrement. C'est très rare
qu'on n'enregistre pas. Dans biens des situations, aussi, on encourage la
copropriété autant que possible pour garantir le
crédit.
Ma question est la suivante: Vous mentionnez dans vos commentaires
généraux que l'adoption des mesures proposées obligera les
prêteurs à resserrer leurs normes et pratiques de crédit.
Naturellement, c'est certain que, si on partage un bien, on doit
également partager les dettes. Alors, si on fait ce genre de partage,
est-ce que cela vous obligera encore à resserrer ces normes et ces
pratiques de crédit? Et qu'entendez-vous par resserrement?
Jusqu'où cela peut-il aller, par exemple, quand vous parlez de
resserrement de normes et de pratiques de crédit?
M. Frenière: Tout d'abord, je répondrai non
à votre interrogation, si les mesures qu'on soulève sont
corrigées. À ce moment-là, il n'y aurait pas lieu de
modifier les normes de crédit. Advenant que ce ne le soit pas, de quelle
façon entend-on resserrer? Cela veut dire probablement de demander des
sûretés additionnelles au moment de l'octroi d'un prêt pour
garantir une perte potentielle qui pourrait être évaluée
à plus de 70 %. Ça peut être quoi? Ce peut être des
valeurs mobilières, des endossements, toute forme de garantie. Au moment
où on se parie, je n'ai pas de moyens précis à vous
donner, mais c'est l'ensemble des moyens connus par les prêteurs.
Mme Gagnon-Tremblay: Je voulais dire, M. Frenière, que,
pour une résidence familiale, je sais que vous ne prêtez pas 100 %
de la valeur. Lorsque vous avez prêté 70 %, 75 % de la valeur au
maximum, si on met 70 % dans tous les cas, vous avez une
propriété donnée en garantie de cet emprunt. À mon
avis, parce qu'il y a un partage, demain matin cela ne change en rien, puisque
vous avez toujours cette garantie. Cela pourrait s'appliquer dans le cas, par
exemple, de la vente forcée si on conservait nos 70 %. Si, par contre,
on abaissait la norme de 70 %, à ce moment-là, peut-être
que certains cas très, très particuliers... Je voudrais bien
qu'on se comprenne. Comme on ne prête pas plus que 70 % de la valeur pour
une résidence familiale, à mon avis, cela ne change en rien les
pratiques courantes. Est-ce que je me trompe?
M. Frenière: Vous ne vous trompez pas. C'est exact. Je
pourrais même vous dire que la majorité des caisses populaires
vont jusqu'à 75 % de la valeur de la propriété.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci.
Le Président (M. Filion): Merci. Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: J'aimerais bien, M. le Président, si Me Dionne
me le permet, préciser les chiffres avec lui. Il a dit que 20 % des
faillites personnelles sont causées par un divorce. C'est bien le
cas?
M. Dionne: C'est-à-dire que c'est une approximation qui
nous a été donnée par des personnes qui pratiquent dans le
domaine de la faillite, un séquestre officiel, notamment, et d'autres
personnes qu'on a consultées. Ce ne sont pas des statistiques. On nous a
dit qu'il n'y avait pas de statistiques là-dessus, mais selon leur
perception des choses, il y avait entre 15 % et 20 % des faillites personnelles
qui étaient causées par un divorce ou une séparation.
Mme Harel: Donc, ce seraient 15 % à 20 % des divorces qui
seraient la cause des faillites personnelles. Est-ce bien cela?
M. Dionne: Oui.
Des voix: C'est le contraire!
Mme Harel: 15 % à 20 % des divorces seraient la
cause...
M. Dionne: Non, c'est l'inverse.
Mme Harel:... de faillites seraient causées par un
divorce.
M. Dionne: C'est cela.
Mme Harel: Donc, les divorces causent 15 % à 20 % des
faillites. À ce moment-là, c'est indépendamment du
régime matrimonial?
M. Dionne: Je n'ai pas posé la question dans le
détail, à savoir si dans un régime il y en a plus.
Mme Harel: Parce que, voyez-vous, en société
d'acquêts, le partage est de loin plus exigeant que ce qui est
proposé dans le patrimoine familial. (17 h 30)
M. Dionne: Mais ce n'est pas le régime matrimonial qui est
habituellement la cause. C'est parce que les dépenses du couple
dépassent les dépenses antérieures à cause du fait
que les personnes vivent dorénavant dans deux appartements
différents, par exemple. Ils ont deux appartements à payer, le
coût d'achat de nouveaux meubles, etc. C'est la cause principale. Il y a
peut-être aussi un élément...
Mme Harel: Donc, ce n'est pas relié au régime
matrimonial?
M. Dionne: Pardon?
Mme Harel: Ce n'est pas lié à des régimes ou
ce le serait-il?
M. Dionne: Je ne le croirais pas.
Mme Harel: II n'y a peut-être pas assez d'études
pour nous dire si, en régime de séparation de biens, il y a moins
de divorces qu'en régime de société d'acquêts. En
tout cas, tout ce qu'on peut conclure, c'est que le divorce n'est pas juste un
risque pour les femmes, c'est aussi pour les institutions
financières.
M. Dionne: Oui, effectivement. Malheureusement, on est incapables
d'en tenir compte au moment du prêt parce qu'on ne sait pas qui va
divorcer parmi ceux qui empruntent.
Mme Harel: Pas économiquement; effectivement, oui.
M. Dionne: C'est une source importante de pertes sur prêts,
effectivement.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Oui, M. le Président. Il serait
intéressant d'avoir votre opinion - je reviens encore une fois aux
dispositions transitoires - sur le pouvoir de renonciation dans un délai
de trois ans, la prise d'effet de ce système, le patrimoine familial.
J'aimerais vous entendre sur l'aspect suivant dont certains groupes vous ont
d'ailleurs parlé: le fait de pouvoir y renoncer durant trois ans. Est-ce
que la crainte d'une forme de chantage de la part d'un des conjoints
auprès de l'autre, qui lui demanderait d'aller chez le notaire avec lui
pour pouvoir aller en Floride après, ou des chose comme cela...
Qu'est-ce que vous pensez de cet aspect-là? C'est sûr que votre
mémoire est clair là-dessus; vous voulez non seulement que les
dispositions transitoires soient maintenues, mais qu'en plus il y ait
possibilité de recours au tribunal pour l'un des conjoints en tout
temps. J'aimerais vous entendre là-dessus, parce que plusieurs nous ont
parlé de ne pas avoir de possibilité d'y renoncer parce que,
lorsque ça va bien durant le mariage, une forme de chantage facile peut
s'exercer, apparemment au Québec plus qu'en Ontario - j'ai posé
la question pour l'Ontario aussi - parce que nos Québécois
étaient plus ratoureurs ou charmeurs que les Ontariens à un
moment donné. Ce n'est sûrement pas vrai. J'aimerais vous entendre
là-dessus.
M. Dionne: Pour une fois, on peut vous dire qu'on avait
abordé la question même dans notre première version du
mémoire; on avait dit que cela pouvait même amener des litiges
dans le couple, parce qu'il y en a un qui peut demander la renonciation et
l'autre, refuser. On l'a finalement enlevé parce qu'on trouvait qu'on
allait un peu loin en affirmant ça, mais ce n'est effectivement pas
impossible.
Je pense qu'il est important de constater qu'on ne dit pas qu'on appuie
ou qu'on n'appuie pas cette mesure-là; elle pourrait aussi être
enlevée. Par contre, c'est important qu'il y ait une mesure transitoire
qui permette d'éliminer l'injustice que peut créer la
réforme. C'est ce qui est important. Telle qu'elle est
présentée, elle est insuffisante ou inadéquate. Elle ne
règle pas le problème de l'injustice vécue par un conjoint
parce que, s'il lui faut le consentement de l'autre et qu'il ne l'a pas, il ne
règle pas son injustice de cette façon-là.
M. Dauphin: Mais, dans le document gouvernemental, il est
prévu qu'en cas d'injustice flagrante ou de choses semblables...
M. Dionne: Oui, on appuie cette...
M. Dauphin: Vous êtes d'accord avec cela?
M. Dionne: Oui, mais dans le document on dit qu'à ce
moment-là le conjoint pourra s'adresser au tribunal. On pensait que
certaines personnes pourraient voir l'intervention des tribunaux comme un
élément négatif. Ce qu'on vient dire en quelque sorte,
c'est qu'on ne croit pas que ce soit un élément négatif,
au contraire. Cela peut être une façon d'éviter des
injustices.
M. Dauphin: Mais c'est déjà prévu dans le
document, qu'on peut s'adresser en tout temps...
M. Dionne: Oui, je le sais. On l'appuie parce qu'on pensait que
certains pourraient dire...
M. Dauphin: Ah bon!
M. Dionne:... Vous devriez éliminer le recours aux
tribunaux. On tenait à dire que, pour nous, c'est important.
M. Dauphin: Ah Bon! Je cherchais à faire confirmer ce qui
est écrit dans votre mémoire.
M. Dionne: C'est cela. M. Dauphin: D'accord.
Mme Harel: M. le Président, je ne voudrais pas qu'on
laisse entendre que des personnes seraient venues devant nous prétendre
que les Québécois avaient plus de charme que les Ontariens.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Harel: Non, non, ce n'est pas exactement là mon
propos. En fait, ce sur quoi on a surtout plaidé ici, c'est qu'en
Ontario, quand votre fiancé vous dit: On va passer chez le notaire, vous
vous méfiez, tandis qu'au Québec, quand votre fiancé vous
dit: Viens, chérie, on passe chez le notaire, vous pensez qu'il veut
vous protéger. C'est la différence des cultures. Surtout qu'il
n'y a pas de notaires en Ontario et qu'ils vont passer devant un avocat. Mais
enfin, quand votre fiancé vous dit: On va aller signer un contrat, c'est
là que vous vous inquiétez, tandis qu'ici vous pensez être
protégée.
Le Président (M. Filion): Dans le même esprit,
d'ailleurs, un intervenant ou une intervenante nous a dit que la
séparation de biens signifie, pour plusieurs personnes qui vont se
marier prochainement, qu'on sépare tout, alors que la séparation
de biens veut dire ce que cela veut dire.
J'aurais une question, en terminant avec nos invités.
C'était intéressant et on a abordé un sujet sur lequel on
ne s'était pas beaucoup penchés, c'est-à-dire les
conséquences possibles de la réforme sur le plan du
crédit. Je ne vois pas beaucoup de cas, finalement, qui pourraient faire
l'objet, advenant le cas où l'hypothèse du gouvernement est
transformée et traduite en loi, d'un resserrement des normes de
crédits, sauf un peut-être qui me vient à l'esprit, le cas
de la femme d'affaires qui est propriétaire de l'immeuble familial et
qui se présente à la banque, dépose son bilan et
désire obtenir une marge de crédit ou un avantage financier,
généralement sous forme de marge de crédit. La banque,
prenant connaissance de l'ensemble du bilan de cette femme d'affaires et
surtout du fait que l'immeuble a une équité - supposons - de 150
000 $, se dit: II n'y a pas de problème. Ouvrez une marge de
crédit de 35 000 $. Mais advenant le cas de la réforme,
l'immeuble ayant une valeur nette de 150 000 $, en réalité, aux
fins du nouveau bilan tel qu'il sera examiné pour les institutions de
crédit - vous me corrigerez si je me trompe - cet immeuble n'aura de
valeur et d'équité que pour 75 000 $. Est-ce que je me trompe, Me
Dionne?
M. Dionne: Effectivement, et c'est vrai pour l'inverse aussi.
Cela peut être un homme qui emprunte. En fait, quand on dit qu'il faudra
resserrer les normes de crédit, c'est lorsque la personne
présentera son bilan. Actuellement, si la maison est à son nom,
elle indique une maison avec une équité d'une valeur de tant,
elle indique une voiture avec une valeur de tant ou une équité de
tant, etc. Elle énumère tous ses biens, et on peut voir à
ce moment-là un montant d'actif. Alors, comme ces biens-là en cas
de divorce seront partagés en deux, on est obligé de couper en
deux la valeur ou l'équité attribuée à ces biens.
C'est pour cela que, lorsqu'on étudiera la demande de crédit, la
réponse ne sera peut-être pas toujours la même; le montant
ne sera peut-être pas toujours aussi élevé, puisque l'actif
sera inférieur.
Le Président (M. Filion): D'accord.
M. Dionne: Par contre, il pourrait arriver qu'on pallie en
disant: Comme la moitié de cet actif appartiendra à votre
conjoint, à ce moment-là, si vous voulez avoir un emprunt aussi
élevé, il se peut que l'on demande la signature de votre
conjoint. C'est une question de fait.
Le Président (M. Filion): D'accord. On doit quand
même en conclure qu'à part ces cas-là le document
présenté, la réforme proposée, n'amènera pas
un bouleversement de l'étude par les institutions financières des
dossiers des citoyens et des citoyennes, parce qu'à part cela il n'y a
pas de modification. Je me place du point de vue de l'institution
financière qui généralement réclame des
sûretés. Surtout en matière de prêt
hypothécaire, elle a la meilleure sûreté qu'il n'y a pas:
l'hypothèque. Dans les cas de commerces, on exige des nantissements
commerciaux, où on
va chercher à peu près tout ce qui bouge dans le commerce,
de la feuille de papier à même ce qui ne bouge pas. Bref, il y a
déjà des habitudes de vérification de crédit qui
existent. Alors, est-ce que l'on peut quand même conclure, M.
Frenière, que la réforme proposée ne modifiera pas
sensiblement, de façon substantielle et importante, les habitudes de
crédit des institutions?
M. Frenière: Sans vous répondre un non
catégorique, je peux vous dire que cela n'entraînera pas de
réforme majeure, c'est évident.
Le Président (M. Filion): Cela va? Une voix: Cela
va.
Le Président (M. Filion): Vous avez pu voir qu'on
était en retard, mais on vous a gardés longtemps. Merci beaucoup
de ces commentaires éclairés, de votre mémoire, au nom de
tous les membres de cette commission.
J'invite notre prochaine intervenante, Mme Marthe Vaillancourt, à
bien vouloir s'approcher.
Bienvenue, Mme Vaillancourt. Vous connaissez un peu notre façon
de procéder qui est très simple. Vous nous exposez succinctement
les grandes lignes de votre opinion. Je vous rappelle que votre mémoire
a déjà été remis aux membres de cette commission
sous la cote 25A. Par la suite, il y a une courte période
d'échanges avec vous. Donc, sans plus tarder, Mme Vaillancourt,
bienvenue et à vous la parole.
Mme Marthe Vaillancourt
Mme Vaillancourt (Marthe): Merci. Mme la ministre, M. le
Président, mesdames et messieurs les membres de cette commission, je
suis Marthe Vaillancourt. Je suis une intervenante sociale du ministère
de la Justice et je travaille auprès des femmes victimes de violence
depuis bientôt 15 ans. Je suis de la région de
Chicoutimi-Jonquière. Je tenais à venir à la commission
parlementaire à cause de certaines particularités qui sont
inhérentes à une région où il y a beaucoup de
grandes entreprises et où le militantisme syndical a fait que les
ouvriers ont commencé à obtenir des avantages sociaux. Je ne vous
présenterai pas un mémoire de chiffres; j'espère que la
confédération vous en a suffisamment donné pour ne pas
être obligée de répondre à des questions concernant
les chiffres, parce que je m'y sentirais très mal à l'aise. Je
vais donc, plutôt, vous parler du vécu des femmes et d'une
catégorie particulière de femmes, celles qui sont victimes de
violence.
En introduction, je vous dis qu'on a beaucoup parlé au
Québec, au cours de ces dernières années, de la
pauvreté économique des femmes et surtout de celle des femmes
âgées. On a aussi fait état, à maintes reprises, du
nombre élevé de familles monoparentales dirigées par des
femmes et vivant sous le seuil de pauvreté. De récession en
reprise économique, la situation ne change pas: les femmes forment un
pourcentage élevé des personnes en état de
difficulté financière. On retrouve surtout dans ce groupe des
femmes pauvres celles qui sont demeurées au foyer et qui n'ont pas pu se
payer de pension de retraite, celles qui se sont mariées sous le
régime de la séparation de biens et qui se voient privées
Injustement, lors d'un divorce ou d'une séparation, des biens sur
lesquels on pourrait leur reconnaître certains droits car, dans la
majorité des cas, elles ont participé à l'acquisition de
ces biens et à l'accroissement de ce qui constitue les possessions de la
famille au moment du divorce.
Alors, dans la situation actuelle, je dis que l'exercice abusif de la
liberté de tester nous place devant des situations pour le moins
aberrantes. Des femmes qui, grâce à certaines mesures, auraient pu
mener une vie décente se voient contraintes de recourir à l'aide
sociale, augmentant ainsi le nombre de bénéficiaires en gonflant
indûment le chiffre des dépendantes de cette mesure. Il est
surprenant qu'on ait toléré si longtemps au Québec cette
situation. On aurait dû penser que les programmes d'aide sociale
étaient conçus pour une catégorie de personnes qui en
avaient un urgent besoin et ne pas obliger les femmes à recourir
à cette mesure, quand on pouvait les protéger autrement et quand
on peut préserver les droits qu'elles ont sur les biens familiaux. Mais,
comme on n'a pas encore apporté de correctifs au dénuement dans
lequel les femmes se retrouvent, les femmes et les enfants de qui elles ont la
garde continuent de se voir désavantager lors des séparations,
des divorces ou du décès du conjoint.
À l'intérieur de plusieurs unions, la naissance des
enfants et l'absence de services de garde ont forcé l'épouse
à sacrifier sa propre carrière et à se retirer du
marché du travail. Bien que très souvent involontaire, mais
circonstancielle, cette décision, par voie de conséquence,
l'empêche de se constituer des biens propres, des rentes de retraite, des
assurances et la rend donc plus vulnérable économiquement. La
liberté du conjoint de disposer des biens de la famille, surtout en cas
de mariage en séparation de biens, ajoute à cette
insécurité et influence plusieurs aspects de la vie de
l'épouse et des enfants qui naissent de ces unions.
C'est sûr que, pour corriger la pauvreté économique
des femmes, il faut énormément de mesures au niveau du travail,
de l'égalité en emploi, des salaires plus élevés,
de l'entrée des femmes dans les métiers et professions non
traditionnels, dans les services de garde, enfin, tout ce qui va pouvoir faire
que les femmes ne vivront plus constamment dans une insécurité
financière. Mais, quand on pense au partage des biens familiaux, il faut
éviter le piège des demi-mesures où un conjoint et ses
enfants se verraient attribuer une part dérisoire ou inadéquate
de ce qui constitue les biens accumulés par
les deux conjoints.
Alors, je vous l'ai dit, je suis engagée auprès des femmes
victimes de violence depuis 15 ans et j'essaie de les accompagner dans les
démarches qu'elles entreprennent pour acquérir leur autonomie et
leur indépendance. La question de l'indépendance
économique est particulièrement difficile pour elles. Elles vont
souvent continuer à vivre dans l'enfer que constitue le foyer parce
qu'elles pensent ne pas avoir le moyen de s'en sortir, sachant que leur
départ signifie très souvent misère et pauvreté,
une pauvreté qu'elles accepteraient peut-être pour
elles-mêmes, mais qu'elles refusent et qu'elles craignent pour leurs
enfants. (17 h 45)
Je donne un exemple. J'avais dit que je donnerais plusieurs exemples,
mais je me suis restreinte à un. J'accompagne présentement une
femme inscrite en Cour supérieure pour un divorce. Les gains annuels du
mari dépassent largement et même très largement 50 000 $
annuellement. C'est dire qu'il possède plusieurs maisons, des actions en
Bourse, des REA, des REER, etc. Pendant le quart de siècle qu'a
duré l'union, bien sûr elle a participé au fait qu'il
possède autant de biens, en se restreignant sur ses vêtements, sur
ses sorties. Ils sont séparés pour cause de violence. Les enfants
subissent le chantage du père qui possède beaucoup de biens; elle
va se retrouver avec une maigre pension alimentaire et peu d'accès
à tout ce qui a été la possession des deux. Finalement, sa
réflexion a été, comme celle de beaucoup d'autres femmes
victimes de violence: J'aurais mieux fait de continuer à endurer,
puisque je place mes enfants dans une situation aussi difficile. Vous
comprendrez que, pour ces femmes, le partage des biens familiaux devient
primordial.
Comme la notion de réserve héréditaire n'a pas
été acceptée, je suis d'accord, en partie du moins, avec
la proposition gouvernementale actuelle. J'insiste pour qu'on y ajoute les
fonds de retraite privés et les assurances qui y sont assorties. Vous
savez comment fonctionnent les fonds de retraite des compagnies, il y a une
part de fonds de retraite et il y a une part d'assurances. Il faut que ce soit
ajouté au patrimoine familial déjà décrit dans le
document présenté en consultation. On a beaucoup discuté
de la question des REER et des assurances privées, pour finalement
décider entre nous qu'il ne serait que juste qu'ils fassent partie aussi
du patrimoine familial. Les femmes disaient: Ils vont cesser de payer les
assurances privées, on ne sera pas plus avancées. Aussi, si on
permet de rejeter trop de choses, un conjoint pourrait investir
énormément, par exemple, dans des biens qui ne seraient pas
partageables, dans des parts de l'Alcan, la grosse entreprise chez nous, dans
des REER, dans des choses qui ne feraient pas partie du patrimoine familial.
Donc, il faut protéger la famille contre cela.
Dans une région comme la nôtre, les fonds de retraite des
compagnies constituent une masse monétaire très importante, la
seule, d'ailleurs, dont disposent des milliers de familles dont un conjoint
travaille pour ces entreprises. Les exclure du patrimoine familial, c'est
exclure de la législation la presque-totalité des femmes et des
enfants qui pourraient bénéficier du partage ou de
l'héritage du mari ou du père qui est possesseur de ces sommes
d'argent.
En ce qui concerne le partage desdites sommes d'argent, on pourrait
utiliser la formule de la Régie des rentes du Québec qui dit
qu'après trois ans de mariage, après 36 mois consécutifs
durant le mariage, si on fait une demande de partage, on peut y avoir droit. La
justification de cela est que les fonds de retraite privés et les
assurances qui y sont assorties, les REER et autres biens
défrayés par l'employé et l'employeur sont payés,
pour la partie dévolue, au travailleur à même la masse
salariale qui constitue le revenu de la famille. S'il n'y a ni
séparation, ni divorce, ni décès, ce sont les deux
conjoints qui en profitent. Pourquoi ne les reconnaîtrions-nous pas comme
étant susceptibles de faire partie des biens des deux conjoints? En cas
de séparation ou de décès, il n'est pas juste qu'une
partie de ce qui a été accumulé durant la vie commune soit
partageable entre conjoints, pour les années qui ont couvert la vie
commune.
Il y a certaines particularités du document de consultation que
j'ai reprises en incluant la page où on en parle. Je ne sais pas si cela
sera suffisamment clair. On trouvait important de revenir là-dessus.
À la page 6, on dit que la société a
évolué, que la séparation de biens n'est plus choisie dans
le seul but d'éviter que l'épouse ne perde sa capacité.
Enfin, on peut présumer que les époux sont mieux informés
et qu'ils sont conscients de la possibilité que le mariage soit dissous
autrement que par le décès.
Il me semble que les rédacteurs du document n'ont pas
été en contact récemment avec des adolescents et des
jeunes adultes. Le retour aux valeurs traditionnelles, la soif d'amour durable,
la stabilité qu'on recherche plus ou moins consciemment, les lunettes
roses qu'on pose sur le bout de son nez pour envisager son avenir, autant de
raisons qui font dire aux filles qu'elles vont se marier, demeurer au foyer et
vivre longtemps avec leur ami d'aujourd'hui. Quant aux garçons, la vie
confortable avec femme au foyer, maison de banlieue, petit jardin et belle
situation paraît encore la seule voie possible et idéale. Alors,
il n'y a pas encore tellement d'hommes et de femmes qui croient, au moment
où ils se marient, qu'ils vont divorcer. Voyons donc! Sans cela, ils ne
se marieraient pas. Il n'y a pas tellement de jeunes hommes et de jeunes femmes
qui sont bien informés sur la différence entre la
séparation de biens et le régime de société
d'acquêts. Ils vont là, les filles font confiance aux
garçons et les garçons font confiance au notaire.
En plus - je regrette, Mme la ministre, parce que je sais que vous
êtes notaire, mais ce que je vous dis là, je l'ai vécu - je
pense que certains notaires influencent le choix des nouveaux époux. Je
l'ai constaté à plusieurs reprises. D'ailleurs, Danielle Debbas,
du groupe Femmes pour l'accessibilité au pouvoir politique et
économique, écrivait dans le journal Le Devoir du 26
septembre dernier: "Que de femmes ont été et sont encore
lésées et économiquement dépourvues pour avoir
naïvement fait confiance à des conseillers juridiques masculins,
soit-disant impartiaux, responsables de leur contrat en séparation de
biens qui devait leur assurer une sécurité à toute
épreuve. "
Il faut se poser des questions puisqu'on mentionne, dans votre document,
qu'en 1985 40 % des couples ont choisi la séparation de biens. Alors,
qui influence ce choix? Pourquoi la société d'acquêts ne
connaît-elle pas la faveur populaire qui pourrait amener des changements?
Est-ce que c'est dû à certaines complications perçues,
à tort ou à raison, par les jeunes couples, au manque
d'information ou à certaines expériences vécues par des
amis si on va hésiter à choisir ce régime? Je dis qu'il y
aurait peut-être lieu de refaire une bonne information sur les principes
de la société d'acquêts, puisque 40 % choisissent encore la
séparation de biens et que nous, qui sommes en séparation de
biens, on n'en est pas si enchantés que cela.
Alors, à la page 10, c'est sûr qu'il est nécessaire
de souligner les difficultés inhérentes à la prestation
compensatoire, à la difficulté pour certains conjoints de faire
valoir leurs droits, à l'inefficacité de cette mesure pour le
conjoint au foyer. Quant à la résidence familiale, plusieurs
groupes de femmes ont déjà présenté des
résolutions lors de leur congrès - je fais allusion à
l'AFEAS, aux fermières, à la Fédération des femmes
du Québec - pour en simplifier le mécanisme, le rendre
obligatoire et applicable à toutes les formes de logement habitable par
la famille, quitte à y inclure certaines résidences
d'été qui sont utilisées tout au long de
l'année.
Alors, à la page 13, il est question de modifier le régime
de séparation de biens. Effectivement, des époux pourraient
vouloir modifier le régime, mais ne le font pas à cause des
sommes inhérentes au fait de changer de contrat de mariage. Alors, il
pourrait être intéressant de permettre à certains couples
de réviser ces contrats sans un coût exagéré.
À la page 15 - vous allez voir que je tape toujours sur le même
clou - je reviens sur la reconnaissance du patrimoine familial et je dis,
encore une fois, qu'il faut y ajouter les fonds de pension, les assurances et
les REER.
À la page 16, je dis que peut-être - je suis un peu
hésitante là-dessus - il n'est pas tellement utile de bannir tout
à fait la séparation de biens. Dans des cas de remariage, cela
peut être utile. En tout cas, je trouve très arbitraire,
même si on dit qu'on devrait choisir la société
d'acquêts, d'en priver la dizaine de couples pour qui cela pourrait
être un choix, finalement.
À la page 17, je reviens encore sur le caractère familial
des régimes enregistrés de retraite. J'essaie d'abréger
parce que le temps passe. À la page 18 - et c'est la raison primordiale
pour laquelle je suis venue ici - il s'agit de la possibilité de
renoncer au droit au patrimoine familial. Pour nous, il y a plusieurs questions
qui ont été soulevées. Les femmes pourraient être
les grandes perdantes de cette initiative. Quand on ne détient pas de
pouvoir économique, le pouvoir de négociation est limité.
Comment va-t-on discuter d'égal à égal quand on n'a jamais
vécu comme tel et qu'on nous a toujours fait sentir, surtout aux femmes
au foyer, que notre participation vaut si peu, tant en termes de valeur
monétaire qu'en termes de reconnaissance?
Quand on est victimes de violence, pour éviter des pressions
psychologiques, la continuité des menaces et la violence verbale, on
accepte n'importe quel règlement et on signera n'importe quoi, surtout
n'importe quel désistement pour avoir la paix. Le problème, c'est
qu'on n'a pas la paix, mais, en tout cas, on pense toujours qu'on va l'avoir
à un moment donné, alors, on signe. On s'est beaucoup
interrogé sur la survie de la pension alimentaire. Il est question de
six mois. Cela nous semblait un peu court. J'essaie de passer.
Quant à la présomption selon laquelle la collaboration
équivaut à 30 %, à la page 25, on dit: Pourquoi pas 50 %?
Au sujet des paiements aussi, on s'est posé des questions, parce qu'une
prestation compensatoire qui serait accordée uniquement en droits
à la retraite pourrait, selon nous, désavantager certains
conjoints parce qu'elle ne donne pas d'argent liquide permettant de se
repartir, de s'acheter des meubles, etc. On demandait d'éclaircir la
notion de libéralité, à la page 29 parce que cela n'a
peut-être pas les mêmes résonances pour tout le monde.
J'arrive à la conclusion. J'espère traduire dans ce que je
vous ai dit mes préoccupations pour les femmes au foyer et pour les
femmes victimes de violence. Je suis embarrassée par le message qu'on
donne aux femmes qui faisait dire à Rolande Allard-Lacerte, toujours
dans Le Devoir: "Depuis plusieurs décennies, on dit aux femmes:
Allez travailler à l'extérieur. Restez au foyer. Retournez sur le
marché du travail. Revenez à la maison. Faites des petits. Faites
des profits. Faites carrière. Faites de la soupe. " Tout ce qu'on leur
dit, c'est incroyable. Si certaines réussissent ce tour de force
d'être à la fois au foyer et hors foyer à temps partiel ou
à temps complet, il faudrait éviter que toutes les mesures
auxquelles on pense ne créent deux catégories de citoyennes, les
unes ayant droit à certains avantages, ayant droit à des
prestations compensatoires et d'autres qui n'y auraient pas droit, étant
restées au foyer ou parce qu'elles ont travaillé moins longtemps.
C'était clair.
Quand les femmes ont lu le document, elles se sont dit: On ne veut plus
de catégories de citoyennes, on veut quelque chose qui fasse pour tout
le monde.
On ne peut pas croire, de nos jours, qu'une union durera toute la vie.
On construit à deux, certes. L'illusion est de croire qu'on vivra
confortablement ainsi jusqu'à la fin de ses jours. Il appartient donc au
gouvernement de prévoir, parce qu'il y aura des divorces, des
séparations et des enfants nés de ces unions. On dit que de plus
en plus la durée moyenne des unions tend vers cinq ans. Alors, c'est
peu.
Le problème des pensions est sûrement un problème de
femmes. J'ai toujours dans ma tête...
Le Président (M. Filion): Mme Vaillancourt? Mme
Vaillancourt: Oui.
Le Président (M. Filion): Avec votre permission, j'ai
remarqué que vous disiez, à la page 4 de votre mémoire,
que vous étiez pour déposer un mémoire plus
détaillé.
Mme Vaillancourt: Oui. Je l'ai et je vais vous le remettre.
Le Président (M. Filion): Ah! Excellent! Il fera partie
des documents de la commission.
Peut-être pourrais-je vous inviter à tenter de
conclure...
Mme Vaillancourt: Oui, oui, je concluais.
Le Président (M. Filion):... pour permettre aux membres de
cette commission d'échanger des idées avec vous.
Mme Vaillancourt: Je concluais en disant que le problème
des pensions - parce que j'ai toujours en tête les fonds de retraite que
je veux absolument faire inclure - est carrément un problème de
femmes. Il est présent tout au long de leur vie, dès qu'elles
commencent à avoir des enfants. Il y a plusieurs raisons à
ça. C'est sûr qu'elles vont demander des pensions parce qu'elles
demandent la garde légale des enfants du couple et elles
réclament cette garde légale parce qu'il n'y a pas d'autres
choix. La seconde raison pour laquelle ce problème est collé
à la réalité des femmes, c'est que, à manque
d'éducation ou de formation égale, on gagne mieux sa vie comme
camionneur, chauffeur d'autobus ou homme à tout faire que comme
ménagère ou bonne à tout faire.
Enfin, de 55 à 65 ans, la moitié des femmes vivent sous le
seuil de la pauvreté. Passé cet âge, les deux tiers vivent
de peine et de misère. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, région
où la grande industrie est présente et où les travailleurs
ont réussi à obtenir des avantages sociaux, les femmes non
divorcées bénéficient au décès du conjoint
des rentes privées accumulées par celui- ci. On dit que, dans
l'ensemble du Québec, seulement une femme sur quatre peut compter sur
cette possibilité. Il faut donc, en plus de faire des prévisions,
que l'État s'engage dans la prise de décisions adéquates
pour faire cesser cet état de fait et pour arrêter de grossir le
contingent des femmes qui n'ont pas d'argent. (18 heures)
En terminant, permettez-moi de reprendre une citation de Mme Francine
McKenzie: "Je ne pense pas qu'une politique de partage des biens qui serait
adéquate puisse se faire si on ne veut rien changer ou si on veut
modifier quelque chose, mais pas trop, ou encore si personne ne veut perdre une
seule plume de son vieux chapeau. "
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme
Vaillancourt. Votre document tantôt pourrait être remis au
secrétaire de la commission pour qu'il fasse partie des documents de
cette consultation.
Mme Vaillancourt: Oui.
Le Président (M. Filion): Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, merci, Mme Vaillancourt, de votre
présentation et surtout pour votre détermination de venir seule
de Chicoutimi pour défendre la cause des femmes, qui vous tient fort
à coeur. Tout en étant d'accord avec un partage du patrimoine
familial restreint, vous aussi, vous êtes d'accord également pour
conserver cette liberté de contracter pour les autres biens. Je pense
que vous êtes d'accord avec cela.
Mme Vaillancourt: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous désirez, par contre, qu'on
inclue les fonds de retraite privés.
Mme Vaillancourt: C'est essentiel.
Mme Gagnon-Tremblay: Par contre vous incluez également la
question des assurances. Si j'ai bien compris, est-ce que ce sont les
assurances qui sont sous forme de régime privé ou si cela a une
quelconque incidence avec bénéficiaire révocable ou
irrévocable?
Mme Vaillancourt: Bon. La question des assurances privées
qui sont de compagnies en dehors de celle de l'Alcan, les femmes étaient
très conscientes qu'on avait peu de pouvoirs là-dessus et que
finalement, bon... Mais, quand j'insiste pour inclure les assurances dans le
patrimoine familial, ce sont les assurances qui sont collées à la
réalité du fonds de retraite dans les grandes entreprises. Cela
veut dire qu'il y a une marge qui pourrait appartenir aux conjoints, qui
seraient les assurances privées comme l'Industrielle, la Prudentielle,
etc., et
toutes les autres compagnies. Mais, l'assurance qui est collée
à la réalité du fonds de retraite, qui est payée
à même le salaire dans l'entreprise, à notre avis, elle
devrait faire partie du patrimoine familial.
Mme Gagnon-Tremblay: Prenez-vous aussi en considération la
durée du mariage? Lorsque, par exemple, vous parlez du partage des
régimes privés, tenez-vous compte de la durée du mariage?
À la page 3 de votre document, lorsque vous parlez du partage, vous
dites: "En ce qui concerne le partage desdites sommes d'argent, on pourrait
utiliser la formule de la Régie des rentes. Je cite: 'Toute personne qui
a cohabité avec son ex-conjoint pendant au moins 36 mois. " Donc, cela
suppose, à ce moment, que vous reconnaissez la notion de conjoint de
fait. Est-ce que c'est cela ou bien, tout simplement, si pour vous, les fonds
de retraite privés doivent s'appliquer aux gens légalement
mariés? Est-ce que vous voulez aussi inclure l'union de fait?
Mme Vaillancourt: Moi, je vais vous dire que j'ai tout le temps
pensé de laisser tout à fait libres les couples en union de fait.
Je vous dis: J'ai pensé. Maintenant, j'en arrive à penser qu'on
devrait les inclure aussi dans une certaine forme de partage des biens parce
qu'il y a des femmes qui sont lésées, il y a des enfants issus de
ces unions. Mais je dis qu'après 36 mois on pourrait utiliser la
même formule qu'à la Régie des rentes.
Mme Gagnon-Tremblay: Mais tenez-vous compte, Mme Vaillancourt, de
la durée du mariage, c'est-à-dire que les gains qui seraient
partageables seraient uniquement les gains accumulés au cours du
mariage, au cours de l'union?
Mme Vaillancourt: J'en tiens compte pour les fonds de retraite
privés. La même chose qu'à la Régie des rentes, 36
mois consécutifs. Mais je dois vous le dire: On a eu
énormément de misère à faire consensus
là-dessus. Alors, la question sur laquelle on a fait consensus, cela a
été d'adopter ce qui était dans la Régie des rentes
parce que, vous savez, il y avait toutes les options. Dans un groupe, c'est
toujours comme cela et puis, bon, on s'est rallié a la façon de
procéder pour les fonds de retraite de compagnies, tel que
c'était dans le régime public, à la Régie des
rentes du Québec. Je ne suis pas sûre qu'on n'a pas à
poursuivre les discussions là-dessus. Je ne sais pas du tout ce que les
autres groupes de femmes ont proposé sur la question. Cela
m'embête un peu. Je ne sais pas ce que l'AFEAS va vous dire, par exemple,
là-dessus.
Mme Gagnon-Tremblay: C'est-à-dire qu'on inclut les
régimes privés, mais on ne se prononce pas, en même temps,
sur la question de la cohabitation de 36 mois ou quoi que ce soit. Je pense
aussi qu'on nous a proposé, à un moment donné, que ce
partage se fasse soit lors de la dissolution du régime,
c'est-à-dire lorsqu'il y a divorce, ou bien que ce partage se fasse au
moment du paiement du bénéfice, c'est-à-dire seulement
à la retraite et qu'à ce moment-là les chèques
soient divisés moitié-moitié, mais qu'on ne partage pas
uniquement les gains, et que ce soit partagé seulement lors de la
retraite. Ce sont là aussi des suggestions.
Par contre, vous parlez des effets néfastes de la renonciation au
patrimoine familial, ce qui veut dire qu'au départ vous êtes
contre les mesures transitoires de trois ans.
Mme Vaillancourt: Tout à fait. Les femmes ont unanimement
été contre cette possibilité. C'étaient des femmes
victimes de violence, qui savaient donc déjà ce que
c'était que signer des papiers sous l'effet de la pression et qui se
disaient: Cette mesure, pour nous, vient anéantir le bienfait que
pourrait apporter la constitution du patrimoine familial parce qu'on va nous
obliger à renoncer.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Vaillancourt.
Mme Vaillancourt: Et, devant le notaire, il faudra avoir le
sourire pour ne pas avoir l'air de refuser.
Le Président (M. Filion): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: M. le Président, vous allez me permettre de
saluer très chaleureusement Mme Vaillancourt. Je ne la connais pas
personnellement, mais je sais que, même si vous êtes seule devant
nous cet après-midi, vous représentez beaucoup pour l'ensemble du
mouvement des femmes du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Je me rappelle que vous
étiez venue aussi vous présenter devant la sous-commission des
institutions qui étudiait la réforme en matière de droit
des biens et des personnes. À ce moment-là, vous nous aviez aussi
fait une démonstration magistrale des difficultés dans lesquelles
se retrouvaient un certain nombre de femmes qui avaient été
dépossédées complètement par leur ex-conjoint par
un testament.
Je vais rapidement vous demander ceci. C'est très
intéressant: vous êtes la première à nous proposer
une formule de partage en matière de régime privé.
Évidemment, pour les unions de fait, il y a déjà un
précédent puisqu'il est possible d'obtenir un partage à la
suite d'un décès en union de fait. Vous connaissez la formule: il
faut prouver trois années de cohabitation ou, encore, qu'il y ait eu un
enfant issu du couple durant la première année. À ce
moment-là, il est possible, au moment du décès, d'obtenir
la prestation de conjoint survivant,
même en union de fait. C'est-à-dire que, finalement, le
législateur a déjà introduit cela dans des lois
statutaires. Il en va de même pour la santé et la
sécurité du travail, pour l'assurance automobile, il y a un
certain nombre de lois statutaires où les conjoints de fait ont
déjà un statut où il leur est possible d'aller chercher
une prestation de conjoint survivant, notamment. Cela n'est pas possible
présentement pour les conjoints de fait après une
séparation, même après une cohabitation de plusieurs
années.
Ce que je retiens, c'est que vous considérez que c'est essentiel
d'inclure le partage de la rente des régimes privés de retraite
de façon à pouvoir avoir un peu des dispositions semblables au
partage en matière de rente publique.
Mme Vaillancourt: Oui. De telle sorte que, s'il y avait deux
épouses, j'imagine qu'on procéderait comme pour la rente
publique. Vous savez, c'était très difficile parce que,
effectivement, à l'intérieur du groupe, il y avait des femmes en
union de fait. Alors, adopter la formule du Régime de rentes public,
c'est la seule chose sur laquelle on a finalement réussi à faire
consensus. Et les femmes...
Mme Harel: Mais votre proposition... Mme Vaillancourt:
Excusez, je n'ai pas... Mme Harel: Excusez. Allez-y.
Mme Vaillancourt: Même quand il y avait deux
épouses, elles ne se sentaient pas lésées dans ce partage.
Elles disaient: Moi, j'ai vécu tant d'années avec lui, j'ai droit
à tant, l'autre a vécu tant d'années, elle a droit
à tant. Finalement, on a accepté parce que c'est
déjà accepté dans le régime public.
Mme Harel: C'est donc dire que votre proposition ne concernerait
pas que les conjoints mariés, mais pourrait aussi s'appliquer aux
conjoints de fait. Dois-je la lire dans ce sens?
Mme Vaillancourt: Oui.
Mme Harel: Comme c'est le cas lors d'un
décès...
Mme Vaillancourt: Oui.
Mme Harel:... cela pourrait être le cas lors d'une
séparation ou d'un divorce après qu'il y a eu, quand même,
preuve d'une vie commune.
Mme Vaillancourt: Oui.
Mme Harel: C'est cela. C'est dans ce sens.
Mme Vaillancourt: Et surtout s'il y a des enfants.
Mme Harel: Et vous pensez...
Mme Vaillancourt: II y a deux familles.
Mme Harel: Pour ces lois statutaires qui, à l'occasion
d'un décès, prévoient déjà une prestation,
vous pensez que la présence d'enfants pourrait justifier qu'en cas de
séparation après une vie commune d'un certain nombre
d'années il y ait aussi un partage. C'est bien le cas?
Mme Vaillancourt: Oui.
Mme Harel: Une dernière question concernant les trois
années transitoires. Je vois que vous êtes vraiment contre les
mesures transitoires de trois ans. Page par page, vous nous avez
commenté le document. Cela prouve, évidemment, que vous en avez
fait une lecture attentive...
Mme Vaillancourt: Oui.
Mme Harel:... avec les groupes de femmes de votre région.
Je ne sais pas si c'est un argument qui, pour vous, a été retenu
comme important, le fait que la Loi sur le divorce, en 1968, s'était
appliquée sans mesures transitoires même aux conjoints qui se
pensaient mariés pour la vie, parce qu'il fallait avoir une loi
spéciale du Parlement d'Ottawa pour déroger avant 1968. Ensuite,
les dispositions pour cause de mort, qui sont devenues caduques en 1980, l'ont
été également sans mesures transitoires, même si
celles qui savaient qu'il y avait un divorce se pensaient
protégées puisqu'il était dit "au dernier vivant les
biens". Donc, il y avait la possibilité pour le tribunal de revoir
même les donations entre vifs au moment du divorce et aussi cette
nouvelle jurisprudence qui fait que les juges...
Je ne sais pas si vous, qui accompagnez beaucoup de femmes devant les
tribunaux, êtes à même, en conclusion, de nous parler des
obligations alimentaires. Est-ce que les juges accordent des pensions
alimentaires ou s'ils ont cette tendance, comme c'est le cas ici, au palais de
justice de Montréal, de les accorder pour un temps très
limité, de ne les accorder que pour le temps où ils
considèrent que la femme, quel que soit son âge, doit regagner son
autonomie? Qu'en est-il de l'expérience que vous avez sur cette
question?
Mme Vaillancourt: Je dirais que c'est très
dépendant de celui qui est le juge. Parfois, je vois
l'insécurité des avocates avec qui je travaille parce qu'on va
passer devant tel juge; celui-ci est moins généreux,
celui-là l'est plus. C'est sûr que c'est une région
où il y a beaucoup d'argent, par contre. Donc, on va avoir tendance
peut-être à être un peu plus généreux, mais
vous comprendrez qu'il y a des limites à cette
générosité des juges.
Mme Harel: Est-ce que c'est surtout une compensation...
Mme Vaillancourt: Non, cela n'entre pas encore en ligne de
compte.
Mme Harel:... jusqu'à la retraite ou si les juges
considèrent que ce doit être dans une durée limitée,
en général?
Mme Vaillancourt: Non. La durée limitée, je dirais
que cela arrive, mais pas assez pour en faire état. Ce qui fait qu'il y
a beaucoup de changements dans l'obligation alimentaire, c'est le remariage ou
le nouveau foyer qui est créé. Cela amène une
insécurité totale dans la première famille, c'est
très clair.
Mme Harel: Je vous remercie, Mme Vaillancourt. Je vais me
permettre simplement une remarque, en terminant, tout en vous remerciant
beaucoup d'être venue devant nous. Je souhaite que le ministre de la
Justice - je regrette qu'il n'ait pas été ici pour écouter
vos propos, votre expérience et prendre acte de votre expertise - soit
présent lors des travaux de la commission, demain.
Mme Vaillancourt: Merci.
Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a d'autres
interventions?
M. Dauphin: Seulement une question.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. À mon tour,
évidemment, je n'ai que de bons mots à votre égard...
Mme Vaillancourt: Merci.
M. Dauphin:... pour être venue participer à nos
auditions publiques. Je n'ai peut-être pas été attentif
tantôt, mais avez-vous parlé du recours au tribunal? Est-ce que
vous êtes favorable au recours au tribunal en cas d'injustice
relativement au partage?
Mme Vaillancourt: Je vous dirais que les femmes ne se sont pas
tellement penchées là-dessus. Il y a eu des points particuliers
sur lesquels elles se sont attardées, comme cette histoire du retrait de
trois ans, l'histoire des fonds de retraite des compagnies et d'autres choses
qui sont plus techniques ou qui touchent plus aux chiffres. Vous comprendrez
bien que, pour les femmes victimes de violence, le recours au tribunal ne leur
apparaît jamais comme une bonne solution, comme quelque chose sur lequel
elles doivent s'attarder.
Tantôt, je racontais qu'hier matin j'étais avec une jeune
femme qui me disait: Non, non, pas de pension alimentaire et qu'il parte avec
tout, je ne veux rien savoir de lui. J'essayais de lui dire qu'après
tout il était le père de ces enfants et que, pour eux, elle
devait aller chercher des biens qui leur appartenaient, finalement. Elle
disait: Ah, non! La justice n'est pas juste pour nous autres.
C'est sûr que, quand on a un vécu chargé comme
elles, vous savez, leur parler de recours aux tribunaux, c'est comme leur
parler de la neige au Maroc ou du soleil au Québec dans le mois de
janvier. Cela a l'air tellement loin et cela a l'air tellement pas
présent et tellement pas fait pour elles que ce ne sont pas des points
sur lesquels elles vont s'attarder. Alors, le recours au tribunal, cela a
passé très rapidement, j'aime autant vous le dire.
M. Dauphin: D'accord.
Le Président (M. Filion): Merci. M. le
député de Marquette. Cela va. Donc, au nom de tous les membres de
cette commission, Mme Vaillancourt, nous voudrions vous remercier d'avoir
rédigé, d'abord, le mémoire qu'on a déjà
reçu, d'avoir rédigé le mémoire que nous
recevrons...
Mme Vaillancourt: Complémentaire.
Le Président (M. Filion):... et de vous être
déplacée pour venir nous livrer vos commentaires
personnellement.
Mme Vaillancourt: C'est moi qui vous remercie.
Le Président (M. Filion): C'est tout à fait
instructif. Quant à nous, nos travaux sont ajournés à
demain, 10 heures, mais on retourne à la salle du Conseil
législatif, au salon rouge.
(Fin de la séance à 18 h 16)