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Version finale

33e législature, 2e session
(8 mars 1988 au 9 août 1989)

Le mardi 18 octobre 1988 - Vol. 30 N° 30

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur le document intitulé 'Les droits économiques des conjoints'


Journal des débats

 

(Seize heures vingt-neuf minutes)

Le Président (M. Filion): La commission des institutions reprend ses travaux et je voudrais aviser nos invités de la Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins ainsi que les gens qui sont dans la salle que le retard à siéger de cette commission est dû, bien sûr, au fait que la Chambre a poursuivi ses travaux. Les commissions parlementaires, comme vous le savez, sont dépendantes des ordres de la Chambre et c'est ce qui explique que nous avons accumulé un retard d'environ une heure pour nos travaux de cet après-midi, les travaux de l'Assemblée nationale ayant été légèrement étirés.

Deuxièmement, je voudrais profiter de l'occasion pour informer les membres de cette commission que M. le député de Roberval est maintenant membre à part entière de notre commission. Alors, à titre de président de cette commission, je voudrais d'abord lui souhaiter la bienvenue à titre de membre permanent et l'assurer de la collaboration de la présidence, de la vice-présidence, également, du député de Beauharnois, qui est absent, et de tous les autres membres de cette commission pour faire en sorte que ses travaux parmi nous soient les plus fructueux possible.

Une voix: Merci.

Le Président (M. Filion): Donc, sans plus tarder, nous allons entendre les représentants de la Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins. Je remarque la présence de M. Denis Frenière, premier vice-président, qui a déjà pris place au centre de la table des invités et je lui demanderais de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent et, par la suite, de nous faire part du résumé du mémoire qu'il a déjà déposé à la commission et dont les membres ont déjà pris connaissance.

Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins du Québec

M. Frenière (Denis): Merci. Alors, M. le Président, vous avez déjà mentionné mon nom et ma fonction est celle d'être le premier vice-président des ressources humaines et financières à la Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins. À ma gauche, je suis accompagné de Mme Manon Farley, conseillère en crédit à la confédération, et, à ma droite, de Me Daniel Dionne, coordonnateur à la législation.

Au nom du mouvement Desjardins, j'aimerais remercier le ministre de la Justice, M. Gil Rémillard, la ministre déléguée à la Condition féminine, Mme Monique Gagnon-Tremblay, ainsi que tous les membres de cette commission d'avoir invité notre organisme à faire valoir son point de vue sur la proposition gouvernementale relative aux droits économiques des conjoints. Le mouvement Desjardins participe très activement aux travaux de cette commission portant sur la réforme du Code civil et notre participation au présent volet de la réforme s'inscrit dans cette volonté de collaborer à l'amélioration constante de la situation économique et sociale de la collectivité québécoise et de chacun de ses membres.

Dans l'ensemble, la proposition gouvernementale nous semble appuyée sur des motifs sérieux. Toutefois, nous croyons que les organismes dont les ressources sont quotidiennement en contact avec des personnes vivant une rupture de leur mariage ou un décès sont mieux placés pour évaluer les avantages et les inconvénients d'une solution plutôt que d'une autre. Nos commentaires ont donc été limités aux modalités de la proposition gouvernementale dans le but de l'améliorer si c'est elle qui est finalement retenue.

Nous avons également voulu mettre en lumière certains aspects que nos activités courantes nous permettent de constater plus facilement que d'autres groupes. Nos principales remarques ont donc pour objet de signaler certaines difficultés que peut créer la proposition, difficultés qui peuvent cependant être évitées par des ajustements ou des mesures transitoires sans mettre en cause les éléments fondamentaux de l'orientation retenue. Nous avons également tenté de préciser certaines conséquences pouvant découler de l'adoption de la proposition et ce, afin de fournir à cette commission et aux groupes intéressés un éclairage additionnel. Alors, voilà l'approche que nous avons retenue sur cette question.

Quant aux commentaires sur les différents éléments de la proposition, on peut les résumer comme suit. Tout d'abord, nous considérons que l'institution d'un patrimoine familial est une solution intéressante pour favoriser un meilleur équilibre entre les patrimoines respectifs des conjoints lors de la dissolution du mariage. Cependant, elle peut, dans certains cas, déplacer le déséquilibre d'un conjoint à l'autre au lieu de l'éliminer. En effet, le document de consultation prévoit que le partage du patrimoine familial s'effectuerait à parts égales entre les conjoints sur sa valeur nette, celle-ci étant établie selon la valeur des biens qui constituent ce patrimoine et des dettes qui le grèvent. À notre avis, la valeur nette devrait être établie en tenant compte non seulement des dettes qui grèvent les biens, mais également de celles contractées pour les acquérir, notamment les emprunts sans garantie. Autrement, le partage ne sera pas équitable car le conjoint qui n'aura pas contracté

ces dettes recevra des biens ou une compensation pour un montant plus élevé que celui auquel il devrait normalement avoir droit. Le document de consultation laisse sous-entendre que ce problème sera évité par l'application de l'article 446 du Code civil du Québec, lequel stipule que l'époux qui contracte pour les besoins courants de la famille engage aussi son conjoint. Or, l'interprétation dégagée jusqu'à maintenant par les tribunaux relativement aux besoins courants de la famille pourrait faire en sorte que certains biens faisant partie du patrimoine familial ne seront pas considérés comme des biens courants de la famille. Par conséquent, les dettes contractées pour les acquérir resteront sous la seule responsabilité du conjoint qui aura signé. Les jugements consultés nous indiquent en effet que l'expression "besoins courants de la famille" comprendrait, par exemple, les vêtements, la nourriture, les objets d'utilité courante, les meubles et appareils ménagers, la location d'un logement et les dépenses d'entretien et de réparation de la voiture. Cependant, plusieurs jugements sont en ce sens que les dépenses doivent être nécessaires et qu'il faut tenir compte des revenus des conjoints. Les objets de luxe, comme un manteau de fourrure, ont aussi été exclus de cette définition. Les tribunaux ajoutent cependant que le caractère luxueux des objets doit être évalué selon le revenu des conjoints. Ces règles introduisent donc, dans l'appréciation de la dépense, des éléments subjectifs qui peuvent donner des résultats différents selon les situations. Il n'est donc pas certain qu'un véhicule automobile, par exemple, sera considéré comme un besoin courant de la famille, cela est même douteux si son prix n'est pas en proportion avec les besoins de la famille, mais ces critères ne sont pas considérés dans l'établissement du patrimoine familial, de sorte qu'un conjoint pourrait voir une partie importante de son patrimoine devenir un élément du patrimoine familial ou faire l'objet d'un partage sans que l'autre conjoint ne soit tenu aux dettes contractées pour financer l'achat de ces biens. De plus, même lorsque les biens seront considérés comme des besoins courants de la famille, c'est habituellement au conjoint qui aura signé que s'adresseront les créanciers et il ne sera pas toujours possible pour ce conjoint de se faire rembourser, par l'autre part, de sa dette. Un partage plus équitable au départ évitera ces problèmes.

L'établissement d'un patrimoine familial risque également, dans certains cas, d'engendrer une situation de déséquilibre qui n'aurait pas existé autrement. Par exemple, si un conjoint marié en séparation de biens a utilisé ses revenus pour acquérir des biens faisant partie du patrimoine familial, comme une résidence, des meubles, un véhicule automobile, et que l'autre a utilisé les siens pour acquérir des biens n'en faisant partie, comme des actions, une résidence secondaire, un voilier, le premier devra partager ses biens avec son conjoint, et l'autre n'aura pas à partager les siens. L'équilibre économique qui existe actuellement chez plusieurs couples sera donc, dans certains cas, transformé en situation de déséquilibre à cause de l'adoption des nouvelles règles. Par ailleurs, même lorsque celles-ci seront en vigueur et connues de la population, elles n'empêcheront pas de telles situations de se développer. C'est lors de la rupture que les conjoints réaliseront les conséquents de décisions qu'ils auront prises lorsque leur relation était meilleure.

Dans le document de consultation on propose que le tribunal puisse déroger au principe du partage égal lorsqu'il en résulterait une injustice flagrante, compte tenu notamment de la brève durée du mariage, de la dilapidation de certains biens par l'un des époux, ou encore de la mauvaise foi de l'un d'eux. La situation exposée précédemment s'ajoute à celles qui viennent d'être mentionnées pour justifier cette proposition. Si elle n'est pas retenue, il faudrait au moins l'envisager comme une mesure transitoire.

Le document de consultation propose également certaines règles destinées à protéger la résidence familiale. Nous souscrivons entièrement à cet objectif, mais nous désirons formuler certains commentaires qui découlent de l'obligation des caisses de protéger l'épargne de leurs membres.

Depuis 1986, un immeuble servant de résidence familiale est insaisissable si le solde de la créance est inférieur à 5000 $. Une exception est toutefois prévue pour les créances garanties par un nantissement, un privilège ou une hypothèque sur l'immeuble. Le document de consultation propose de hausser le montant à 10 000 $ et ne mentionne pas le maintien de l'exception pour les créances garanties. Nous croyons qu'une telle hausse en deux ans se justifie difficilement. De plus, si on entend abolir l'exception relative aux créances garanties, nous nous demandons pourquoi elle avait été jugée opportune en 1986 et elle ne l'est plus aujourd'hui.

Le document de consultation propose également que la vente forcée d'une résidence familiale ne puisse avoir lieu à un prix inférieur à 70 % de l'évaluation municipale de cet immeuble multiplié par le facteur établi par le ministre des Affaires municipales. Le pourcentage actuel est de 25 %. À notre avis, un pourcentage de 70 % sera trop élevé dans bon nombre de cas. En effet, l'évaluation municipale ne tient pas toujours compte de certains facteurs pouvant diminuer sensiblement la valeur marchande d'un immeuble, tels l'environnement, la situation géographique, un voisinage particulier ou un mauvais entretien. Il est donc parfois impossible de trouver un acheteur prêt à payer un montant même inférieur à 70 % de l'évaluation municipale d'une résidence, même lors d'une vente de gré à gré. Il serait injuste d'obliger le créancier hypothécaire à s'en porter adjudicataire pour un montant plus élevé que celui que réussirait à

obtenir son propriétaire dans un contexte normal d'offre et de demande. Lors d'une vente forcée, les acheteurs potentiels sont rarement prêts à payer la valeur réelle de l'immeuble car ils doivent satisfaire à des exigences particulières: ils ne peuvent visiter l'intérieur de la maison et ils n'ont aucune garantie contre les défauts cachés. Dans la majorité des cas, par conséquent, les offres sont sensiblement inférieures à la valeur de l'immeuble. On peut facilement comprendre que, dès qu'il y a des éléments affectant la valeur réelle d'un immeuble, il est très difficile et parfois impossible d'obtenir des offres atteignant 70 % de l'évaluation municipale. Par ailleurs, cette règle donnera lieu à des problèmes d'interprétation ou d'application, que nous avons soulignés dans notre mémoire, notamment pour les immeubles servant à la fois à des fins résidentielles et commerciales, pour les résidences vendues avec une ferme et d'autres. Enfin, un pourcentage minimum trop élevé peut faire en sorte que plusieurs demandes d'emprunt seront refusées uniquement pour cette raison car un prêteur qui croit que la résidence qu'on lui offre en garantie ne pourra jamais être vendue à un prix supérieur à 70 % de l'évaluation municipale sera porté à refuser le prêt car il ne pourra réaliser cette garantie en cas de défaut. À notre avis, le pourcentage de 25 % actuellement prévu au Code de procédure civile ne devrait pas être augmenté de façon aussi considérable. De plus, quel que soit le pourcentage retenu, il devrait être possible d'y déroger avec l'autorisation du tribunal, car il restera toujours des cas qui justifieront un pourcentage moins élevé.

En ce qui a trait à la prestation compensatoire, une définition de l'expression "entreprise familiale" serait souhaitable. De plus, il faudrait préciser si on se basera sur la valeur comptable ou sur la valeur marchande de l'entreprise, l'écart étant parfois très important.

Cela termine nos commentaires sur les différents éléments de la proposition. Nous désirons toutefois souligner certains aspects accessoires de cette réforme et aborder la question de la transition dans la mise en place du nouveau régime. Mentionnons tout d'abord que l'adoption des mesures proposées obligera les prêteurs à resserrer leurs normes et pratiques de crédit, ce qui causera parfois des inconvénients aux personnes concernées. En effet, les prêteurs auront tendance à diminuer de moitié la valeur ou l'équité attribuées aux biens pouvant faire partie du patrimoine familial et d'au moins 30 % celles attribuées aux biens de l'entreprise familiale. En outre, le partage de l'entreprise signifiera également, dans bien des cas, le partage du revenu qu'elle produit, de sorte qu'il faudra souvent envisager la possibilité d'une diminution du revenu du propriétaire de l'entreprise si une rupture du couple survient. Cela obligera les prêteurs à demander plus souvent des garanties ou la signature du conjoint.

Concernant la transition, il importe, dans une réforme aussi importante, de tenir compte du préjudice qu'elle peut causer à ceux et celles qui ont agi en fonction des règles en vigueur actuellement. Dans certains cas, en effet, l'application des règles relatives au patrimoine familial et à la prestation compensatoire diminuera considérablement le patrimoine d'un conjoint, surtout si toutes les règles s'appliquent en même temps, ce qui est susceptible de se produire assez souvent. Or, cela pourra engendrer de l'injustice au lieu de l'éliminer. Par exemple, les personnes qui ont contracté des obligations en tenant compte de la valeur globale de leur patrimoine pourront subir un préjudice important si on le diminue au profit de leur conjoint, sans tenir compte qu'elles resteront responsables envers leur créancier pour le plein montant de leurs dettes.

Dans le document soumis à la consultation, on propose comme mesure transitoire que les époux déjà mariés puissent, dans les trois ans suivant la mise en vigueur de ces dispositions, renoncer aux règles relatives au patrimoine familial par acte notarié ou par déclaration enregistrée. Nous doutons que cette mesure soit suffisante pour remédier aux injustices que peut créer la mise en place du nouveau régime parce qu'elle exige le consentement des deux conjoints. Nous croyons qu'il y aurait également lieu d'envisager la possibilité que le conjoint préjudi-cié puisse s'adresser au tribunal pour être exempté totalement ou partiellement des nouvelles règles. Il importe aussi de tenir compte du préjudice que les tiers pourraient subir en raison des modifications à la situation existante. En effet, les personnes ou entreprises ayant contracté avec un des conjoints avant l'adoption des nouvelles mesures, en se basant sur la valeur de son patrimoine, pourront également être affectées sérieusement par sa diminution au profit de l'autre conjoint par le fait qu'une partie importante de ce patrimoine sera insaisissable et par d'autres mesures proposées dans le document, il serait injuste de leur faire encourir des pertes en raison d'une modification à la législation qu'ils ne pouvaient prévoir. Ainsi, quelle que soit la solution retenue par le législateur dans la présente réforme, nous en tiendrons compte et nous ajusterons nos normes et pratiques de crédit en conséquence, mais nous ne pourrons pas revenir sur les décisions prises avant l'adoption des nouvelles mesures. Il serait normal et équitable que des règles transitoires soient prévues pour tenir compte de ce qu'on pourrait appeler des droits acquis. Nous en suggérons quelques-unes, d'ailleurs, dans notre mémoire.

Cela complète, M. le Président, notre exposé au sujet de cette réforme. Nous remercions les membres de cette commission de l'attention qu'ils accordent à nos commentaires et nous serons heureux de répondre à leurs questions au meilleur de notre connaissance. Merci.

Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier, M. Frenière, et donner la parole à Mme la ministre déléguée à la Condition féminine. (16 h 45)

Mme Gagnon-Tremblay: Alors, merci, M. Frenière, de votre présentation. Le mouvement Desjardins reconnaît l'objectif de justice et d'équité recherché par le gouvernement dans ce projet de réforme et, ce qui me plaît beaucoup, aussi, c'est que vous mentionnez que, quelle que soit la solution retenue, le mouvement Desjardins ajustera ses normes et ses pratiques de crédit en conséquence, tout en nous mettant en garde contre certaines pratiques sur lesquelles nous devrions réfléchir davantage.

Ma première question concerne la résidence familiale, étendre l'insaisissabilité jusqu'à concurrence de 10 000 $, ce qui est actuellement à 5000 $. Vous avez certaines inquiétudes au sujet - et cela existe encore - de la créance qui est garantie par nantissement, privilège ou hypothèque. Est-ce qu'on reconduit ces exceptions? Même si on ne le voit pas explicitement dans le document de consultation, je dois vous dire que l'objectif visé était vraiment de reconduire ces exceptions. On tiendrait compte des garanties telles que le nantissement, le privilège et l'hypothèque, même si on ajustait à 10 000 $ l'insaisissabilité. Si ces exceptions sont maintenues telles qu'elles existent actuellement, est-ce que pour vous cela fait encore problème d'augmenter à 10 000 $ l'insaisissabilité de la résidence familiale?

M. Frenière: D'abord, je suis très heureux d'apprendre ces modifications qui n'apparaissaient pas suffisamment claires. Le problème qui survient avec l'augmentation de 5000 $ à 10 000 $, en ce qui nous concerne, c'est tout simplement de soulever que l'augmentation est brusque et élevée, en tout cas, de doubler le montant en deux ans. On n'a pas d'objection à une augmentation. On n'en parle pas ici dans notre présentation, mais on fait relation souvent aux deuxièmes hypothèques, aux emprunts garantis par une deuxième hypothèque qui sont souvent des emprunts qui atteignent à peu près 10 000 $. Avec cette mesure, le prêteur, quel qu'il soit, pourrait être tenté d'exiger des garanties additionnelles. On n'a pas d'opposition formelle à une hausse du montant de 5000 $.

Mme Gagnon-Tremblay: Comme vous mentionnez, M. Frenière, que c'est peut-être faire un saut énorme de passer de 5000 $ à 10 000 $, je dois faire remarquer que, quand on fait une réforme du Code civil, cela prend beaucoup de temps, cela prend beaucoup d'années avant qu'on puisse réformer. Est-ce que c'est parce que vous préféreriez qu'on l'ajuste dans le temps, c'est-à-dire, qu'on la monte graduellement...

M. Frenière: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay:... qu'elle fasse partie de cette réforme pour en arriver à 10 000 $, mais qu'on l'ajuste graduellement et non pas au cours d'une seule année?

M. Frenière: C'est ce qu'on souhaiterait, que l'augmentation soit graduelle.

Mme Gagnon-Tremblay: Je reviens aussi sur le fait que vous ne soyiez pas d'accord pour hausser à 70 % de la valeur de la résidence familiale. Je comprends vos inquiétudes, jusqu'à un certain point, quand on sait que tout dépend de l'offre et de la demande et qu'il y a des contextes quand même très différents. Il y a aussi le fait que les acheteurs n'ont aucune garantie contre les vices cachés, entre autres. Cela peut peut-être créer certains problèmes, d'autant plus que bien souvent les créanciers prêtent jusqu'à concurrence de cette valeur de 70 %. Par contre, en passant de 25 % à 70 %, pour vous quelle serait une hausse juste et équitable? Vous n'êtes pas d'accord avec 70 %; quel serait le pourcentage avec lequel vous seriez d'accord?

M. Frenière: On n'a pas de chiffre magique, sauf qu'une augmentation de 25 % à 50 % nous apparaîtrait moins" contraignante que 70 %. Les 70 %, cela ne veut pas dire que le prêteur ne sera pas capable de réaliser la vente pour un montant au-delà de cela. Ce sont surtout les cas où le changement, l'environnement, la situation géographique auraient pu changer et nous empêcheraient de revendre la propriété pour un montant d'au moins 70 %. Si on sait à l'avance qu'on a cette obligation, l'emprunteur pourrait être tenté d'exiger des garanties additionnelles ou des sûretés additionnelles. Même de gré à gré, en d'autres circonstances qui ne sont pas une vente forcée, l'emprunteur lui-même ou le propriétaire lui-même aurait peut-être de la difficulté à obtenir les 70 %. Cela restera uniquement des cas. Il apparaissait que 70 % était une mesure passablement élevée, parce que l'évaluation municipale ne tient pas toujours compte de l'environnement, par exemple. Peut-être que Me Dionne pourrait ajouter quelque chose. Je ne sais pas si j'ai donné suffisamment d'explications.

M. Dionne (Daniel): II y a effectivement des cas. On peut prendre un exemple qui est dans notre environnement, les résidences situées autour de celle des Hell's Angels, à Saint-Nicolas. Je ne suis pas sûr que l'évaluation municipale ait été ramenée à la baisse depuis ces événements-là. Il peut arriver qu'un prêteur ou quelqu'un veuille faire vendre une maison dans ce coin-là et que même le propriétaire ne puisse pas la vendre. En fait, ce qui nous apparaît le plus important, c'est qu'il y ait dans la loi une possibilité d'obtenir un montant inférieur, c'est-à-dire une mise à prix inférieure lorsque les

circonstances le justifient. Récemment, je parlais justement avec un huissier pour essayer de savoir ce que serait le meilleur pourcentage, 50 % ou 60 %, et il me disait, entre autres, qu'il avait récemment vendu pour 25 % de l'évaluation municipale et qu'elle valait à peine ce montant-là. Cela démontre qu'il y a des cas exceptionnels. C'est surtout cela qu'on voudrait être capable de contourner comme problème. Un autre exemple que je peux donner: une maison située à côté d'une nouvelle porcherie. Si elle se vend en justice dans les mois qui suivent, le pourcentage de 70 % risque d'être très élevé et très difficile à atteindre. Cela peut donc faire encourir une perte. Alors, peu importe le pourcentage qu'on choisira, certains huissiers nous ont dit: 70 % nous apparaissent également élevés. Ils nous disaient que 50 % seraient probablement plus réalistes. Il n'en reste pas moins que ce qui est important, c'est de pouvoir trouver une solution aux cas exceptionnels qui vont se présenter. Qu'on mette 50 %, 60 % ou 70 %, il y aura toujours des cas exceptionnels. Cela peut être un incendie qui a eu lieu dans la maison, cela peut être toutes sortes d'autres cas, finalement.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous nous avez parié aussi de valeur nette et vous nous mettez en garde contre certaines dettes qui pourraient être contractées pour un bien qui serait partageable. Par contre, je pense à des cas où la résidence familiale pourrait également être hypothéquée pour des biens non partageables. L'inverse pourrait également survenir. La semaine dernière, lors de la commission parlementaire, des groupes nous proposaient de conserver la prestation compensatoire pour, justement, peut-être rééquilibrer, c'est-à-dire permettre au couple ou à la personne qui aurait à se servir de la prestation compensatoire de puiser dans la prestation lorsqu'il n'y aurait pas de biens partageables ou de valeurs à partager. C'est sûr que, lorsqu'on parle d'un partage, que ce soit au niveau de la résidence, que ce soit au niveau des autres biens, on doit aussi prendre en considération les dettes qui affectent ces différents biens. À ce moment-là, est-ce que, comme d'autres intervenants, vous seriez en faveur de conserver la prestation compensatoire pour les personnes qui pourraient s'en prévaloir au cas où il n'y aurait pas véritablement, dans le patrimoine familial qu'on identifie, de biens à partager?

M. Frenière: M. Dionne.

M. Dionne: Je pense qu'il y a deux volets à votre question. Au niveau de la valeur nette, tout d'abord, ce qu'on veut souligner tout simplement... On peut prendre un exemple simple, on l'a donné dans notre mémoire. On parle d'une personne, par exemple, que ce soit un homme ou une femme, qui s'achète une voiture - on sait que cela fait partie du patrimoine familial - et qui emprunte le montant nécessaire sans donner une garantie sur sa voiture. La dette ne grève donc pas la voiture, de sorte que, s'il survient une rupture dans les jours ou dans les semaines qui suivent, si la voiture a une valeur de 10 000 $, le partage se ferait pour un montant de 5000 $, mais on ne tiendrait pas compte que la personne qui l'a achetée a peut-être une dette de 9500 $. Le partage ne devrait donc pas être de 5000 $ dans ce cas-là. Il devrait être de 250 $ dans mon exemple. C'est un des aspects qu'on a soulignés, autant dans notre mémoire que dans l'exposé qu'on vient de faire. Mais il y a aussi, effectivement, comme vous le soulignez, et j'y pensais justement hier soir, l'aspect des dettes qui vont grever des biens, mais qui n'ont pas été contractées pour les financer. On pense, par exemple, à quelqu'un qui finance son commerce et qui a besoin d'une mise de fonds, il hypothèque sa maison, injecte cela dans un bien qui va lui appartenir en propre et qui ne sera pas l'objet du patrimoine familial et, en ce qui me concerne personnellement, je pense qu'on doit tenir compte également de cette situation parce que, sinon, on va se retrouver avec un patrimoine d'une valeur inférieure à ce qu'il doit être. Cela peut même se faire de mauvaise foi, à la rigueur, dans certains cas, par un conjoint. Il peut arriver, par exemple, qu'un conjoint, que cela soit le mari ou la femme, voyant venir la rupture, hypothèque la maison qui est à son nom ou tout autre bien, donne des garanties sur tout autre bien, aille chercher en quelque sorte l'équité et l'investisse ailleurs dans un bien qui ne fait pas partie du patrimoine familial. Avec le document de consultation, tel que rédigé, il n'y a pas de solution à cette situation. Moi, je suis du même avis que vous, je pense qu'il faudrait effectivement prévoir quelque chose pour remédier à ces situations. Je ne sais pas si cela répond bien à votre question.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, oui; cela va. L'autre question et la dernière, c'est concernant la période transitoire. Vous vous prononcez contre la période transitoire pour les couples qui seraient déjà mariés en séparation, contre le fait de pouvoir y renoncer au cours des trois prochaines années; par contre, vous suggérez qu'un seul conjoint, s'il est lésé par les nouvelles règles, puisse s'adresser au tribunal pour être exempté de l'application du partage. Est-ce que ce droit que vous prévoyez pour le conjoint serait limité à la période de trois ans ou s'il pourrait l'invoquer en tout temps?

M. Dionne: D'abord, nous ne sommes pas en désaccord avec la proposition qui permet à des conjoints de renoncer au nouveau régime, en quelque sorte. Tout ce qu'on dit, c'est que cette mesure transitoire, parce qu'elle en est une, ne sera pas nécessairement suffisante. L'exemple qu'on pourrait donner est le suivant: II peut arriver que quelqu'un ait Une valeur en actif

d'environ 100 000 $ et s'endette pour l'équivalent, parce qu'il se dit: Bien, de toute façon, si jamais j'ai de la difficulté à payer mon emprunt, je vendrai mes biens puis je le paierai. Alors, tout à coup on change de régime et on lui dit: Bon, dorénavant, les biens que tu avais, tu dois les partager en moitié avec ton conjoint. Cette personne va rester endettée pour les 100 000 $ qu'elle avait empruntés et, tout à coup, elle n'aura pas nécessairement l'actif correspondant à cette valeur. Actuellement, la mesure transitoire prévoit le consentement des deux conjoints pour y renoncer, mais je pense que cela ne sera pas suffisant, parce que, si l'autre conjoint refuse, il n'y aura pas de solution, il sera pris pour payer toutes ses dettes et il n'aura pas l'actif pour le faire. C'est ce qu'on dit. Quand on dit que cela peut créer une situation d'injustice, c'est que, justement, cela n'a pas été prévu que cela se produirait et il y a des gens qui peuvent se retrouver tout à coup dans une situation comme celle-là.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme la ministre. Mme la députée de Maisonneuve et porte-parole de l'Opposition officielle.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Je vous salue, M. Frenière, M. Dionne et Mme Farley. Vous avez déjà eu l'occasion de venir exposer en commission parlementaire, à d'autres occasions, le point de vue de la confédération. Vous allez peut-être me permettre, très rapidement, puisque nous n'avons pas siégé depuis la semaine dernière, de faire deux remarques avant qu'on puisse échanger à partir de vos recommandations. La première, c'est sur une information que j'ai transmise à la commission la semaine dernière, concernant le pourcentage de couples en union de fait dans la société québécoise. Vous vous rappelez sans doute que j'avais cité un bulletin de Statistique Canada, publié en septembre 1988, qui s'intitule "Pleins feux sur l'avenir" et qui nous donne un résumé des données de recensement de 1986, et que j'avais entre autres fait état de ce que ces gens considéraient - et je le lis - comme "les surprenantes tendances" - c'était d'ailleurs là leur propos - observées au cours des dernières années. Elles montrent des changements dans la structure familiale traditionnelle au Québec. En 1985, 28 % des couples au Québec vivant en union libre, comparativement à 23 % de l'ensemble des couples au Canada. Alors, c'était surprenant, non seulement pour Statistique Canada, mais également pour la commission jusqu'à ce qu'on puisse recommuniquer avec Ottawa cette fois - en fait, ces informations nous venaient de Montréal - avec M. Pierre Turcotte qui, lui, est analyste à Statistique Canada toujours, mais à la division logements, famille et sécurité sociale, qui nous a indiqué qu'il y a là un grave problème d'inter- prétation et qu'il s'agirait plutôt de 12, 6 % des couples au Québec qui vivent en union libre. (17 heures)

M. Turcotte nous faisait cependant remarquer qu'il y a une progression assez phénoménale, surprenante, c'est le moins qu'on puisse dire, puisqu'en 1981 il s'agissait de 120 885 couples et qu'en 1986 il s'agit de 188 685 couples, donc, presque 200 000.

Il nous faisait également remarquer que, dans les groupes d'âge des moins de 30 ans, donc, chez les 15-29 ans où se retrouve le plus fort taux de fertilité, c'est vraiment une très forte proportion. Par exemple, chez les 15-29 ans, cela oscille entre 16 % et 60 %. Alors, c'est selon l'âge, c'est presque 60 % des couples entre 15 et 19 ans, 33 % entre 20 et 24 ans et 17 % entre 25 et 29 ans. Évidemment, les variations selon l'âge nous permettent de voir que tout cela est relativement à la baisse lorsqu'on examine les catégories d'âge plus avancé.

Cela nous permet de prendre l'heure juste sur cette question malgré que 200 000, compte tenu que c'est dans la classe d'âge la plus susceptible d'avoir un taux de fertilité... Quant à moi, le problème reste posé quant à la préoccupation qu'on doit avoir pour les enfants issus de ces unions.

Cela dit, une dernière remarque, M. le Président, très rapidement. C'est simplement pour signaler combien surprise, mais à la fois satisfaite, je suis du débat qu'a enclenché notre étude dans la société québécoise. Je suis surprise du nombre d'émissions de radio... Encore ce matin en montant à Québec j'entendais des commentaires faits sur les ondes. En général, après le premier mouvement de stupéfaction, on peut dire qu'il n'y a pas eu d'indignation. Au pire, ce serait de la résignation et, au mieux, ce serait de la satisfaction. C'est sans doute important aussi de prendre le pouls de la société en rappelant les propos que tenait, sur les ondes d'une émission que je faisais avec Mme la ministre, une avocate des causes familiales et qui disait qu'indépendamment: de l'état des relations quand l'un ou l'autre des conjoints arrivait dans son bureau, avant d'examiner le contrat qui les avait liés elle leur demandait dans quel état d'esprit ils s'étaient mariés. Elle disait que, même avec les rancoeurs, les gens disaient que c'était dans l'optique de partager moitié-moitié. C'est sans doute l'optique dans laquelle on se marie. Ce n'est pas celle avec laquelle on divorce, évidemment. On est à même de le constater avec l'ensemble des inéquités qui nous permettent de constater entre autres que dans l'année du divorce un homme divorcé, en général, double son revenu moyen et une femme et les enfants du divorce le diminuent de moitié et, selon des études, jusqu'à 73 %.

Je reviens à votre mémoire, à la page 6 entre autres parce que c'est un élément qui m'a semblé plaider en faveur de ce que la majorité des organismes qui viendront de la commission

plaideront, un élargissement de la définition du patrimoine familial pour y inclure surtout, c'est ce qui est revendiqué, les régimes privés de retraite. Je vais vous dire en quoi j'ai l'impression que cela plaide. Vous faites la démonstration où un conjoint utilise ses revenus pour acquérir des biens dits du patrimoine familial, maison, automobile, et l'autre utilisera ses revenus, par exemple, pour investir dans son entreprise, pour acheter des actions de sa compagnie.

Imaginons, par exemple, un employé d'Air Canada, homme ou femme, qui dirait à son conjoint ou à sa conjointe: Je vais investir dans les actions de la compagnie, etc. Il pourrait même... J'aimais bien l'exemple parce que, dans le fond, cela pourrait conduire à hypothéquer la maison qui serait l'objet du partage pour acheter seul une résidence secondaire qui, elle, ne l'est pas. Je me disais que, finalement, compte tenu de la situation que vous décrivez bien, avec l'expertise concrète que vous avez de ces choses, plutôt que d'envisager des corrections qui n'en seraient pas vraiment, puisque cela supposerait d'ouvrir la prestation compensatoire pour le travail au foyer - actuellement la prestation compensatoire est vraiment interprétée par les tribunaux comme étant une compensation pour l'apport dans l'entreprise et non pas simplement les travaux ménagers ou le travail au foyer - alors, ouvrir la prestation compensatoire, en cas d'insuffisance de biens, pour aller chercher un partage de biens qui ne sont pas considérés comme faisant partie du patrimoine, est-ce que ce n'est pas passer de midi à 14 heures, d'une certaine façon, parce que les personnes qui auraient à le faire, évidemment, auraient toute une côte à remonter? D'abord, devant les tribunaux avec des frais de cour qui sont quand même pas mal élevés, ne vaudrait-il pas mieux, selon vous, inclure dans le patrimoine familial un certain nombre de biens comme, par exemple, les régimes privés de retraite? Je ne sais pas si la question vous est venue à l'esprit. Pourquoi inclure les régimes publics et non les régimes privés? Est-ce que vous avez pu examiner ces questions-là?

M. Frenière: Je ne sais pas si j'ai parfaitement bien saisi votre question. Ce qu'on veut faire ressortir ici, c'est l'importance de tenir compte, dans l'établissement du patrimoine, des dettes contractées pour l'acquisition de biens qui font partie du patrimoine et celles qui n'en font pas partie. Comme vous l'avez si bien démontré, quand il existe une parfaite communion ou une parfaite entente entre les conjoints, il n'y a pas de problème. À ce moment-là, l'un peut consentir facilement à l'autre d'hypothéquer ou d'engager des biens qui feraient partie de la communauté. Ce n'est pas dans ces cas-là qu'on a des problèmes, c'est toujours dans les cas où il y apparence ou un horizon de rupture. Des personnes pourraient être mal intentionnées, pourraient profiter d'une faille quelconque pour détruire ou, en tout cas, utiliser le patrimoine familial à leur propre avantage au détriment de l'autre, que ce soit l'homme ou la femme. C'est surtout cette partie-là. Quant à la partie des régimes enregistrés d'épargne-retraite, je ne sais pas si on en a tenu compte. Je demanderais à Me Dionne de vous répondre.

M. Dionne: Sur cette question, j'ai constaté qu'il y a au moins un organisme qui a demandé d'inclure les REER, si je ne me trompe pas. Je peux peut-être vous expliquer rapidement le contexte où on a préparé notre mémoire. On venait tout juste de sortir du dossier de la loi sur les caisses, cet été. Alors, on n'a pas pu... C'est un travail de professionnel, tout d'abord. On n'avait pas le temps d'aller, par exemple, présenter notre mémoire au conseil d'administration de la confédération. Peut-être qu'à ce moment-là on aurait appuyé encore plus fort la proposition. Donc, on pouvait difficilement, en tant que professionnels, si on veut, présenter une orientation politique du dossier. C'est la raison pour laquelle on s'est abstenu d'aller encore plus loin que ce que proposait le document de consultation. Si je vous répondais là-dessus, je vous donnerais peut-être mon point de vue personnel et il ne serait peut-être pas le même que celui des autres. Une chose est certaine, en tout cas, c'est que les arguments qui ont...

Mme Harel: Est-ce qu'il serait plus gênéreux?

M. Dionne: Pardon?

Mme Harel: Est-ce qu'il serait plus généreux?

M. Dionne: Je peux vous dire, en tout cas, que j'ai lu hier, je ne me rappelle pas de quel organisme était le mémoire, je pense que c'est le projet Partage, qui demandait que les REER soient inclus. J'ai été très sensible à leur point de vue. Je trouve qu'il est très argumenté, en tout cas. Leur point de vue se défend très bien. Je vais m'abstenir, maintenant, de faire part de mon point de vue personnel...

Mme Harel: Vous êtes mieux, pour faire de la politique.

M. Dionne:... qui ne serait pas nécessairement à rencontre de celui-là.

Mme Harel: Vous êtes mieux, pour venir répondre à la période de questions.

M. Dionne: Peut-être. Est-ce que cela vous convient?

Mme Harel: En tout cas, d'une certaine façon, vous nous dites: Le patrimoine familial peut risquer de produire des déséquilibres,

dépendamment de la nature des biens acquis par l'un ou l'autre des deux conjoints. Moi, je conclus simplement qu'il y a là matière à être, dans le fond, d'une certaine façon, prudents. Sans doute, il faut retenir le fait que, si on définit clairement, en essayant qu'il y ait le moins de judiciarisation possible, les biens qui vont faire partie du patrimoine familial, alors, les conjoints n'auront pas besoin d'aller devant les tribunaux pour se faire partager leurs biens en vertu de la prestation compensatoire.

Peut-être faut-il, malgré tout, maintenir le possible recours des travailleuses au foyer, en vertu de la prestation compensatoire, au cas où, justement, il y aurait des cas d'exception qui font qu'il ne pourrait pas y avoir... Parce que le patrimoine familial ne doit quand même pas être la société d'acquêts, sinon qu'en pensez-vous? Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'examiner cette question, parce que le père de la société d'acquêts, Me Roger Comtois, est venu recommander fortement à la commission d'étendre le régime de la société d'acquêts à l'ensemble...

Une voix:...

Mme Harel: Pardon? Oui, le père. C'est lui-même qui s'est défini comme père. Donc, d'étendre les dispositions de la société d'acquêts, plutôt que de mettre en place un régime primaire distinct. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion d'examiner cette question.

M. Dionne: Non, on n'a pas réfléchi à cette hypothèse, mais il reste qu'une des choses qui nous apparaît... D'ailleurs, on souligne dans notre mémoire que le recours au tribunal devrait être possible. On pensait que certains s'opposeraient au recours au tribunal dans certaines circonstances données. Nous pensons qu'il est parfois important de conserver le recours aux tribunaux même si cela crée des inconvénients, même s'il y a des frais. Il reste que, parfois, c'est la seule solution pour obtenir la justice, pour avoir une situation d'équilibre, une situation juste; parce que telle qu'elle est proposée, comme elle est fragmentaire, la réforme, finalement, peut entraîner des injustices; on l'a souligné dans certains cas.

Nous croyons que l'inconvénient d'avoir à se présenter devant le tribunal, c'est un inconvénient mineur vis-à-vis du sentiment d'injustice avec lequel pourraient finalement vivre certaines personnes. On pense qu'il est préférable de permettre à ces gens, qui pourraient subir une situation d'injustice flagrante et même majeure, dans certains cas, de régler ce problème par le recours aux tribunaux, le cas échéant.

Mme Harel: M. le Président, je pense que la majorité des personnes qui sont venues devant nous nous ont quand même déclaré qu'en général la discrétion judiciaire avait joué à rencontre des intérêts des femmes. Mais vous avez raison de dire qu'on peut réserver un recours sans pour autant le favoriser, c'est-à-dire faire en sorte que cet usage du recours soit vraiment exceptionnel, sans qu'il y ait nécessité d'y avoir recours pour faire reconnaître ses droits. Dans ce sens, je pense que vous avez parfaitement raison.

Une toute dernière question avant que mes collègues veuillent compléter. Quel est le taux moyen des ventes forcées? En moyenne, à quel pourcentage de la valeur de la résidence se fait la vente forcée? Vous devez avoir ces renseignements au mouvement? Vous pourriez peut-être nous le fournir. Cela pourrait être utile. Quelle est la moyenne?

M. Frenière: On n'a pas de...

Mme Harel: Par région. Vous ne l'avez pas par région.

M. Frenière: On n'a pas ces statistiques. Peut-être qu'on les a à la confédération. Malheureusement, je ne peux pas vous répondre. Je ne veux même pas risquer de chiffres. Je ne voudrais pas vous mettre sur une fausse piste. On les a probablement, je ne le sais pas.

Mme Harel: M. Frenière, croyez-vous que ce serait possible de les transmettre à la commission?

M. Frenière: Je dis, oui. Mme Harel: Oui?

M. Frenière: Oui. Si on les a, cela nous fera plaisir de les transmettre, madame.

Mme Harel: Je crois que cela pourrait nous être utile. Cela pourrait certainement nous être utile de le voir actuellement. J'imagine que c'est peut-être par région aussi, ou pas. Mais, enfin, ce que vous pourrez avoir de plus sophistiqué comme renseignements, ce serait certainement utile.

M. Frenière: Cela nous fera plaisir.

Le Président (M. Filion): Y a-t-il d'autres interventions des membres de cette commission? M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Peut-être une petite. M. le Président, merci beaucoup. À mon tour, je voudrais vous remercier pour votre contribution à nos travaux, d'autant plus que votre mémoire touche, à certains égards, des angles différents de ce que nous avons entendu jusqu'à maintenant, c'est-à-dire ce que vous vivez tous les jours avec vos constituantes, les caisses populaires. (17 h 15)

Vous dites, au début de votre mémoire, que,

si le document gouvernemental devenait effectif, si on le mettait en application, de votre part et des autres institutions financières, cela impliquerait évidemment, d'exiger la signature du conjoint, lors de prêts personnels ou autres; on parle des voitures qui seraient incluses dans le patrimoine familial. Effectivement, si le document gouvernemental était appliqué, je présume que cela deviendrait pour vous autres, en tout cas, pour les caisses populaires, une pratique que d'exiger automatiquement la signature du conjoint, puisque le bien... Que ce soit une maison ou autre, automatiquement 50 % deviendraient propriété du conjoint.

M. Frenière: Je ne crois pas que ce sera une mesure automatique. Quand on fait référence à ces possibilités, c'est surtout lorsqu'on fait allusion à la règle des 70 % ou aux autres règles qui nous apparaissaient être doublées, dans certains cas. Chaque cas étant un cas, chaque cas va être évalué à sa plus juste valeur, mais je veux vous dire que les règles générales, les normes générales de crédit devront être ajustées en conséquence. Je vous rappellerai que, dans la Loi sur les caisses d'épargne et de crédit, dans l'avant-projet de loi, on dit que ces règles et normes devront recevoir l'aval de l'Inspecteur général des institutions financières.

C'est évident qu'on devra revoir nos normes si c'était accepté tel quel. Mais, de là à dire que ce sera automatique, je ne le crois pas. Je ne sais pas si cela répond à votre question.

M. Dauphin: Oui. Peut-être une dernière question. Ma collègue...

M. Frenière: Je vous en prie.

M. Dauphin:... de Maisonneuve a fait allusion, tantôt, aux conjoints de fait. Je ne sais pas si vous avez fait une étude là-dessus. Plusieurs nous ont dit de ne pas toucher à cela, notamment Me Comtois, de régler nos problèmes actuels et on verra à autre chose plus tard. Est-ce que vous avez eu...

Mme Harel: Pas tout de suite.

M. Dauphin: Pas tout de suite, plus tard, cela se ressemble un peu.

Mme Harel: II dit: En priorité et après.

M. Dauphin: Est-ce que vous avez eu l'occasion comme organisme...

M. Frenière: Je vous réponds non. M. Dauphin:... d'étudier cet aspect-là?

M. Frenière: Je vous réponds non. On n'a pas évalué ou examiné cet aspect de la question.

Le Président (M. Filion): Très bien. Merci... M. Dauphin: Merci.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Marquette. M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Tout à l'heure, vous avez mentionné que, compte tenu des changements qui seraient effectués dans le patrimoine des personnes qui sont endettées, il y aurait lieu, possiblement, de penser à des mesures transitoires. Est-ce que vous avez eu le temps de réfléchir à la nature de ces mesures transitoires? Comment pourrait-on passer de la situation actuelle à une situation future qui tiendrait compte de la réforme qui est proposée?

M. Frenière: Je vais demander à Me Dionne de vous répondre.

M. Dionne: Est-ce que vous parlez...

M. Doyon: Vous parliez, tout à l'heure, par exemple...

M. Dionne: Oui.

M. Doyon:... de certains droits acquis...

M. Dionne: D'accord.

M. Doyon:... qui garantissaient, jusqu'à un certain point, les créances...

M. Dionne: Je vous demanderais tout simplement de me mentionner si vous parlez de mesures transitoires au niveau de l'injustice qui peut se produire dans le couple lui-même ou vis-à-vis des tiers.

M. Doyon: Vis-à-vis des tiers.

M. Dionne: Vis-à-vis des tiers. Effectivement, on en a souligné quelques-unes dans notre mémoire, vers la toute fin, je pense. On a suggéré, effectivement, quelques mesures transitoires. À la page 13 de notre mémoire, à partir du dernier paragraphe, on dit: "Différentes solutions sont envisageables à cette fin. Celle qui vient naturellement à l'esprit serait de prévoir que les biens faisant dorénavant partie du patrimoine familial ou ceux transférés à l'autre conjoint lors d'un partage ou comme prestation compensatoire demeurent le gage commun des créanciers du conjoint qui en était propriétaire auparavant. En d'autres mots, les biens que les créanciers ont considérés comme leur gage commun lors de la création des dettes devraient le rester jusqu'à l'extinction de celles-ci. "Une autre solution consisterait à permettre aux créanciers dont la créance est antérieure à l'instauration des nouvelles règles de demander

au tribunal de reconnaître leurs droits acquis lorsque le préjudice qu'ils subiront sera important. "On pourrait également envisager de retarder la mise en vigueur des nouvelles règles pendant une période suffisante, après leur adoption, pour diminuer leurs effets sur les droits des tiers. Cela diminuerait également les situations où les nouvelles mesures engendreront de l'injustice entre les conjoints, tout en facilitant leur acceptation par ceux qui y seraient opposés. "

Ce sont quelques-unes des mesures qu'on aborde.

M. Doyon: Mais cela ne résout pas véritablement le problème parce qu'en fait cela demande l'intervention des tribunaux...

M. Dionne: Oui.

M. Doyon:... dans plusieurs cas. Il y a une question d'appréciation, a savoir si le préjudice causé est important ou pas.

M. Dionne: C'est vrai.

M. Doyon: L'autre inquiétude que j'ai à ce sujet: Est-ce que vous ne considérez pas que certains cas, par exemple, où intervient ce partage vont causer des insolvabilités, c'est-à-dire qu'à un moment donné des personnes qui étaient parfaitement solvables se retrouveraient avec un passif qui dépasserait leur actif du fait même de cette situation-là avec, comme conséquence, la possibilité de recours qui les dégagerait de toute responsabilité par la cession de leurs biens, etc., ce qui, finalement, serait au détriment de leurs créanciers? Est-ce que vous avez envisagé cette possibilité, dans les cas de faillite personnelle, d'insolvabilité personnelle due à un passif qui dépasse l'actif, alors que les choses sont parfaitement normales tant que le partage n'a pas eu lieu, le partage se faisant probablement... En tout cas, c'est fort concevable que certaines personnes soient endettées de plus de 50 % de leurs actifs et, à ce moment-là, elles se retrouvent en état d'insolvabilité du fait même du partage.

M. Dionne: Effectivement, on craint que cela n'arrive. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on demande des mesures transitoires. J'ai une remarque à faire. Une des solutions qu'on propose, c'est qu'on permette aux créanciers, dont la créance était antérieure à l'instauration des nouvelles règles, de demander au tribunal de reconnaître leurs droits acquis lorsque le préjudice qu'ils subiront sera important. En fait, si le préjudice n'est pas important, on est prêts à accepter qu'ils perdent des sommes d'argent pas trop élevées, mais, dans certains cas, cela peut faire des pertes très importantes pour un prêteur, pour quelqu'un qui a fourni de la marchandise dans un commerce, par exemple, un individu qui exploite seul son entreprise et qui perd tout à coup la moitié de son actif. Ce pourrait être une solution.

Vous me demandez si on a examiné la question des faillites et ces choses-là. Effectivement. D'abord, en gros, on n'a pas de statistiques précises, mais on a fait des communications et des personnes qu'on a consultées évaluent à environ 20 % le pourcentage de faillites causées par un divorce, faillites personnelles, on entend. Évidemment, si on diminue le patrimoine lors de la faillite parce que, avant, lors du divorce, les conjoints ont fait le partage et que, par la suite, il y a faillite d'un des conjoints parce qu'il y a une pension alimentaire à payer ou encore qu'il faille se loger à deux endroits, payer de nouveaux appareils électroménagers, etc, évidemment l'actif dans ces faillites va être moins élevé. Il y a aussi les dossiers de prêt, des gens qui ne font pas nécessairement faillite et qui ne paient plus leurs dettes parce qu'ils ont vécu un divorce. Tout cela pour dire que, finalement, on a calculé approximativement les pertes possibles. S'il n'y avait pas de mesures transitoires, autant dans les cas de faillite que dans les autres cas, on évalue à environ 2 500 000 $, 3 000 000 $ par année les pertes potentielles pour l'ensemble du mouvement Desjardins. Ce montant-là serait décroissant, par contre, au fur et à mesure que nos vieux prêts s'éteindraient, si on veut, au cours d'une période de cinq, six ou sept ans environ. On ne subirait plus de pertes puisque les prêts seraient soit payés, soit perdus. Sur une période de cinq ans, cela peut se situer autour de montants quand même assez élevés.

M. Doyon: Une dernière question, avec votre permission, M. le Président, toute brève. Compte tenu de la réforme dont vous avez pris connaissance et du projet de réforme que vous avez, est-ce que, dans les faits, vos pratiques de prêts actuellement ont changé par rapport à ce qu'elles étaient précédemment? Puisqu'il est possible qu'un conjoint avec qui vous faites affaire se trouve privé à un moment donné de 50 % de son actif, est-ce que vous avez modifié vos pratiques de prêts au moment où on se parle?

M. Frenière: Non.

M. Doyon: Non.

Une voix: M. le Président.

Le Président (M. Filion): Est-ce que cela va, M. le...

M. Doyon: Je pense que Me... voulait... Le Président (M. Filion): M.Frenière? M. Dionne: Simplement pour dire que, si

cela a pu se faire, c'est isolément, par une ou quelques caisses qui ont entendu parier de la réforme et qui ont pu s'ajuster tout de suite, mais ce serait très surprenant. Actuellement, les caisses ne sont pas informées.

M. Frenière: II n'y a pas eu de directives. M. Doyon: II n'y a pas de recommandations.

M. Frenière: II n'y a pas de recommandations ni de directives qui ont été données par qui que ce soit. Il peut y avoir des cas isolés de caisses qui ont pu le faire, mais on n'en a pas entendu parier.

Le Président (M. Filion): Simplement pour les membres de la commission. Je pense que les échanges avec nos invités sont tellement intéressants qu'on a dépassé notre enveloppe de temps, et il y a trois intervenants... Cela ne me fait rien. Je pense bien que, de consentement, vous êtes d'accord pour filer au-delà de notre temps. Cependant, essayez de résumer vos interventions. Je vais d'abord reconnaître Mme la ministre, ensuite, Mme la députée de Maisonneuve et M. le député de Marquette.

Mme Gagnon-Tremblay: Je voudrais bien que ce soit clair. Lorsqu'on partage un patrimoine familial, on partage l'actif et on partage aussi le passif. C'est sût qu'on devra faire un rééquilibre tout comme on le fait actuellement quand on partage les acquêts d'un couple. C'est certain que, si le conjoint hypothèque la résidence pour l'entreprise et qu'à un moment donné il doit rembourser, advenant un partage quelconque, il aura certaines difficultés parce qu'on ne partage pas l'entreprise. Je pense qu'on partage tout ou on partage les bien familiaux d'une façon restreinte, mais il faut aussi prendre les dettes en considération. Il faut dire aussi qu'actuellement, dans 99, 9 % des cas, lorsqu'il y a une résidence familiale, il y a signature des deux conjoints. On ne court plus de risque au cas où il y aurait une déclaration de résidence qui serait enregistrée entre la signature de l'acte et la date de l'enregistrement. C'est très rare qu'on n'enregistre pas. Dans biens des situations, aussi, on encourage la copropriété autant que possible pour garantir le crédit.

Ma question est la suivante: Vous mentionnez dans vos commentaires généraux que l'adoption des mesures proposées obligera les prêteurs à resserrer leurs normes et pratiques de crédit. Naturellement, c'est certain que, si on partage un bien, on doit également partager les dettes. Alors, si on fait ce genre de partage, est-ce que cela vous obligera encore à resserrer ces normes et ces pratiques de crédit? Et qu'entendez-vous par resserrement? Jusqu'où cela peut-il aller, par exemple, quand vous parlez de resserrement de normes et de pratiques de crédit?

M. Frenière: Tout d'abord, je répondrai non à votre interrogation, si les mesures qu'on soulève sont corrigées. À ce moment-là, il n'y aurait pas lieu de modifier les normes de crédit. Advenant que ce ne le soit pas, de quelle façon entend-on resserrer? Cela veut dire probablement de demander des sûretés additionnelles au moment de l'octroi d'un prêt pour garantir une perte potentielle qui pourrait être évaluée à plus de 70 %. Ça peut être quoi? Ce peut être des valeurs mobilières, des endossements, toute forme de garantie. Au moment où on se parie, je n'ai pas de moyens précis à vous donner, mais c'est l'ensemble des moyens connus par les prêteurs.

Mme Gagnon-Tremblay: Je voulais dire, M. Frenière, que, pour une résidence familiale, je sais que vous ne prêtez pas 100 % de la valeur. Lorsque vous avez prêté 70 %, 75 % de la valeur au maximum, si on met 70 % dans tous les cas, vous avez une propriété donnée en garantie de cet emprunt. À mon avis, parce qu'il y a un partage, demain matin cela ne change en rien, puisque vous avez toujours cette garantie. Cela pourrait s'appliquer dans le cas, par exemple, de la vente forcée si on conservait nos 70 %. Si, par contre, on abaissait la norme de 70 %, à ce moment-là, peut-être que certains cas très, très particuliers... Je voudrais bien qu'on se comprenne. Comme on ne prête pas plus que 70 % de la valeur pour une résidence familiale, à mon avis, cela ne change en rien les pratiques courantes. Est-ce que je me trompe?

M. Frenière: Vous ne vous trompez pas. C'est exact. Je pourrais même vous dire que la majorité des caisses populaires vont jusqu'à 75 % de la valeur de la propriété.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

Le Président (M. Filion): Merci. Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: J'aimerais bien, M. le Président, si Me Dionne me le permet, préciser les chiffres avec lui. Il a dit que 20 % des faillites personnelles sont causées par un divorce. C'est bien le cas?

M. Dionne: C'est-à-dire que c'est une approximation qui nous a été donnée par des personnes qui pratiquent dans le domaine de la faillite, un séquestre officiel, notamment, et d'autres personnes qu'on a consultées. Ce ne sont pas des statistiques. On nous a dit qu'il n'y avait pas de statistiques là-dessus, mais selon leur perception des choses, il y avait entre 15 % et 20 % des faillites personnelles qui étaient causées par un divorce ou une séparation.

Mme Harel: Donc, ce seraient 15 % à 20 % des divorces qui seraient la cause des faillites personnelles. Est-ce bien cela?

M. Dionne: Oui.

Des voix: C'est le contraire!

Mme Harel: 15 % à 20 % des divorces seraient la cause...

M. Dionne: Non, c'est l'inverse.

Mme Harel:... de faillites seraient causées par un divorce.

M. Dionne: C'est cela.

Mme Harel: Donc, les divorces causent 15 % à 20 % des faillites. À ce moment-là, c'est indépendamment du régime matrimonial?

M. Dionne: Je n'ai pas posé la question dans le détail, à savoir si dans un régime il y en a plus.

Mme Harel: Parce que, voyez-vous, en société d'acquêts, le partage est de loin plus exigeant que ce qui est proposé dans le patrimoine familial. (17 h 30)

M. Dionne: Mais ce n'est pas le régime matrimonial qui est habituellement la cause. C'est parce que les dépenses du couple dépassent les dépenses antérieures à cause du fait que les personnes vivent dorénavant dans deux appartements différents, par exemple. Ils ont deux appartements à payer, le coût d'achat de nouveaux meubles, etc. C'est la cause principale. Il y a peut-être aussi un élément...

Mme Harel: Donc, ce n'est pas relié au régime matrimonial?

M. Dionne: Pardon?

Mme Harel: Ce n'est pas lié à des régimes ou ce le serait-il?

M. Dionne: Je ne le croirais pas.

Mme Harel: II n'y a peut-être pas assez d'études pour nous dire si, en régime de séparation de biens, il y a moins de divorces qu'en régime de société d'acquêts. En tout cas, tout ce qu'on peut conclure, c'est que le divorce n'est pas juste un risque pour les femmes, c'est aussi pour les institutions financières.

M. Dionne: Oui, effectivement. Malheureusement, on est incapables d'en tenir compte au moment du prêt parce qu'on ne sait pas qui va divorcer parmi ceux qui empruntent.

Mme Harel: Pas économiquement; effectivement, oui.

M. Dionne: C'est une source importante de pertes sur prêts, effectivement.

Le Président (M. Filion): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Oui, M. le Président. Il serait intéressant d'avoir votre opinion - je reviens encore une fois aux dispositions transitoires - sur le pouvoir de renonciation dans un délai de trois ans, la prise d'effet de ce système, le patrimoine familial. J'aimerais vous entendre sur l'aspect suivant dont certains groupes vous ont d'ailleurs parlé: le fait de pouvoir y renoncer durant trois ans. Est-ce que la crainte d'une forme de chantage de la part d'un des conjoints auprès de l'autre, qui lui demanderait d'aller chez le notaire avec lui pour pouvoir aller en Floride après, ou des chose comme cela... Qu'est-ce que vous pensez de cet aspect-là? C'est sûr que votre mémoire est clair là-dessus; vous voulez non seulement que les dispositions transitoires soient maintenues, mais qu'en plus il y ait possibilité de recours au tribunal pour l'un des conjoints en tout temps. J'aimerais vous entendre là-dessus, parce que plusieurs nous ont parlé de ne pas avoir de possibilité d'y renoncer parce que, lorsque ça va bien durant le mariage, une forme de chantage facile peut s'exercer, apparemment au Québec plus qu'en Ontario - j'ai posé la question pour l'Ontario aussi - parce que nos Québécois étaient plus ratoureurs ou charmeurs que les Ontariens à un moment donné. Ce n'est sûrement pas vrai. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Dionne: Pour une fois, on peut vous dire qu'on avait abordé la question même dans notre première version du mémoire; on avait dit que cela pouvait même amener des litiges dans le couple, parce qu'il y en a un qui peut demander la renonciation et l'autre, refuser. On l'a finalement enlevé parce qu'on trouvait qu'on allait un peu loin en affirmant ça, mais ce n'est effectivement pas impossible.

Je pense qu'il est important de constater qu'on ne dit pas qu'on appuie ou qu'on n'appuie pas cette mesure-là; elle pourrait aussi être enlevée. Par contre, c'est important qu'il y ait une mesure transitoire qui permette d'éliminer l'injustice que peut créer la réforme. C'est ce qui est important. Telle qu'elle est présentée, elle est insuffisante ou inadéquate. Elle ne règle pas le problème de l'injustice vécue par un conjoint parce que, s'il lui faut le consentement de l'autre et qu'il ne l'a pas, il ne règle pas son injustice de cette façon-là.

M. Dauphin: Mais, dans le document gouvernemental, il est prévu qu'en cas d'injustice flagrante ou de choses semblables...

M. Dionne: Oui, on appuie cette...

M. Dauphin: Vous êtes d'accord avec cela?

M. Dionne: Oui, mais dans le document on dit qu'à ce moment-là le conjoint pourra s'adresser au tribunal. On pensait que certaines personnes pourraient voir l'intervention des tribunaux comme un élément négatif. Ce qu'on vient dire en quelque sorte, c'est qu'on ne croit pas que ce soit un élément négatif, au contraire. Cela peut être une façon d'éviter des injustices.

M. Dauphin: Mais c'est déjà prévu dans le document, qu'on peut s'adresser en tout temps...

M. Dionne: Oui, je le sais. On l'appuie parce qu'on pensait que certains pourraient dire...

M. Dauphin: Ah bon!

M. Dionne:... Vous devriez éliminer le recours aux tribunaux. On tenait à dire que, pour nous, c'est important.

M. Dauphin: Ah Bon! Je cherchais à faire confirmer ce qui est écrit dans votre mémoire.

M. Dionne: C'est cela. M. Dauphin: D'accord.

Mme Harel: M. le Président, je ne voudrais pas qu'on laisse entendre que des personnes seraient venues devant nous prétendre que les Québécois avaient plus de charme que les Ontariens.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Harel: Non, non, ce n'est pas exactement là mon propos. En fait, ce sur quoi on a surtout plaidé ici, c'est qu'en Ontario, quand votre fiancé vous dit: On va passer chez le notaire, vous vous méfiez, tandis qu'au Québec, quand votre fiancé vous dit: Viens, chérie, on passe chez le notaire, vous pensez qu'il veut vous protéger. C'est la différence des cultures. Surtout qu'il n'y a pas de notaires en Ontario et qu'ils vont passer devant un avocat. Mais enfin, quand votre fiancé vous dit: On va aller signer un contrat, c'est là que vous vous inquiétez, tandis qu'ici vous pensez être protégée.

Le Président (M. Filion): Dans le même esprit, d'ailleurs, un intervenant ou une intervenante nous a dit que la séparation de biens signifie, pour plusieurs personnes qui vont se marier prochainement, qu'on sépare tout, alors que la séparation de biens veut dire ce que cela veut dire.

J'aurais une question, en terminant avec nos invités. C'était intéressant et on a abordé un sujet sur lequel on ne s'était pas beaucoup penchés, c'est-à-dire les conséquences possibles de la réforme sur le plan du crédit. Je ne vois pas beaucoup de cas, finalement, qui pourraient faire l'objet, advenant le cas où l'hypothèse du gouvernement est transformée et traduite en loi, d'un resserrement des normes de crédits, sauf un peut-être qui me vient à l'esprit, le cas de la femme d'affaires qui est propriétaire de l'immeuble familial et qui se présente à la banque, dépose son bilan et désire obtenir une marge de crédit ou un avantage financier, généralement sous forme de marge de crédit. La banque, prenant connaissance de l'ensemble du bilan de cette femme d'affaires et surtout du fait que l'immeuble a une équité - supposons - de 150 000 $, se dit: II n'y a pas de problème. Ouvrez une marge de crédit de 35 000 $. Mais advenant le cas de la réforme, l'immeuble ayant une valeur nette de 150 000 $, en réalité, aux fins du nouveau bilan tel qu'il sera examiné pour les institutions de crédit - vous me corrigerez si je me trompe - cet immeuble n'aura de valeur et d'équité que pour 75 000 $. Est-ce que je me trompe, Me Dionne?

M. Dionne: Effectivement, et c'est vrai pour l'inverse aussi. Cela peut être un homme qui emprunte. En fait, quand on dit qu'il faudra resserrer les normes de crédit, c'est lorsque la personne présentera son bilan. Actuellement, si la maison est à son nom, elle indique une maison avec une équité d'une valeur de tant, elle indique une voiture avec une valeur de tant ou une équité de tant, etc. Elle énumère tous ses biens, et on peut voir à ce moment-là un montant d'actif. Alors, comme ces biens-là en cas de divorce seront partagés en deux, on est obligé de couper en deux la valeur ou l'équité attribuée à ces biens. C'est pour cela que, lorsqu'on étudiera la demande de crédit, la réponse ne sera peut-être pas toujours la même; le montant ne sera peut-être pas toujours aussi élevé, puisque l'actif sera inférieur.

Le Président (M. Filion): D'accord.

M. Dionne: Par contre, il pourrait arriver qu'on pallie en disant: Comme la moitié de cet actif appartiendra à votre conjoint, à ce moment-là, si vous voulez avoir un emprunt aussi élevé, il se peut que l'on demande la signature de votre conjoint. C'est une question de fait.

Le Président (M. Filion): D'accord. On doit quand même en conclure qu'à part ces cas-là le document présenté, la réforme proposée, n'amènera pas un bouleversement de l'étude par les institutions financières des dossiers des citoyens et des citoyennes, parce qu'à part cela il n'y a pas de modification. Je me place du point de vue de l'institution financière qui généralement réclame des sûretés. Surtout en matière de prêt hypothécaire, elle a la meilleure sûreté qu'il n'y a pas: l'hypothèque. Dans les cas de commerces, on exige des nantissements commerciaux, où on

va chercher à peu près tout ce qui bouge dans le commerce, de la feuille de papier à même ce qui ne bouge pas. Bref, il y a déjà des habitudes de vérification de crédit qui existent. Alors, est-ce que l'on peut quand même conclure, M. Frenière, que la réforme proposée ne modifiera pas sensiblement, de façon substantielle et importante, les habitudes de crédit des institutions?

M. Frenière: Sans vous répondre un non catégorique, je peux vous dire que cela n'entraînera pas de réforme majeure, c'est évident.

Le Président (M. Filion): Cela va? Une voix: Cela va.

Le Président (M. Filion): Vous avez pu voir qu'on était en retard, mais on vous a gardés longtemps. Merci beaucoup de ces commentaires éclairés, de votre mémoire, au nom de tous les membres de cette commission.

J'invite notre prochaine intervenante, Mme Marthe Vaillancourt, à bien vouloir s'approcher.

Bienvenue, Mme Vaillancourt. Vous connaissez un peu notre façon de procéder qui est très simple. Vous nous exposez succinctement les grandes lignes de votre opinion. Je vous rappelle que votre mémoire a déjà été remis aux membres de cette commission sous la cote 25A. Par la suite, il y a une courte période d'échanges avec vous. Donc, sans plus tarder, Mme Vaillancourt, bienvenue et à vous la parole.

Mme Marthe Vaillancourt

Mme Vaillancourt (Marthe): Merci. Mme la ministre, M. le Président, mesdames et messieurs les membres de cette commission, je suis Marthe Vaillancourt. Je suis une intervenante sociale du ministère de la Justice et je travaille auprès des femmes victimes de violence depuis bientôt 15 ans. Je suis de la région de Chicoutimi-Jonquière. Je tenais à venir à la commission parlementaire à cause de certaines particularités qui sont inhérentes à une région où il y a beaucoup de grandes entreprises et où le militantisme syndical a fait que les ouvriers ont commencé à obtenir des avantages sociaux. Je ne vous présenterai pas un mémoire de chiffres; j'espère que la confédération vous en a suffisamment donné pour ne pas être obligée de répondre à des questions concernant les chiffres, parce que je m'y sentirais très mal à l'aise. Je vais donc, plutôt, vous parler du vécu des femmes et d'une catégorie particulière de femmes, celles qui sont victimes de violence.

En introduction, je vous dis qu'on a beaucoup parlé au Québec, au cours de ces dernières années, de la pauvreté économique des femmes et surtout de celle des femmes âgées. On a aussi fait état, à maintes reprises, du nombre élevé de familles monoparentales dirigées par des femmes et vivant sous le seuil de pauvreté. De récession en reprise économique, la situation ne change pas: les femmes forment un pourcentage élevé des personnes en état de difficulté financière. On retrouve surtout dans ce groupe des femmes pauvres celles qui sont demeurées au foyer et qui n'ont pas pu se payer de pension de retraite, celles qui se sont mariées sous le régime de la séparation de biens et qui se voient privées Injustement, lors d'un divorce ou d'une séparation, des biens sur lesquels on pourrait leur reconnaître certains droits car, dans la majorité des cas, elles ont participé à l'acquisition de ces biens et à l'accroissement de ce qui constitue les possessions de la famille au moment du divorce.

Alors, dans la situation actuelle, je dis que l'exercice abusif de la liberté de tester nous place devant des situations pour le moins aberrantes. Des femmes qui, grâce à certaines mesures, auraient pu mener une vie décente se voient contraintes de recourir à l'aide sociale, augmentant ainsi le nombre de bénéficiaires en gonflant indûment le chiffre des dépendantes de cette mesure. Il est surprenant qu'on ait toléré si longtemps au Québec cette situation. On aurait dû penser que les programmes d'aide sociale étaient conçus pour une catégorie de personnes qui en avaient un urgent besoin et ne pas obliger les femmes à recourir à cette mesure, quand on pouvait les protéger autrement et quand on peut préserver les droits qu'elles ont sur les biens familiaux. Mais, comme on n'a pas encore apporté de correctifs au dénuement dans lequel les femmes se retrouvent, les femmes et les enfants de qui elles ont la garde continuent de se voir désavantager lors des séparations, des divorces ou du décès du conjoint.

À l'intérieur de plusieurs unions, la naissance des enfants et l'absence de services de garde ont forcé l'épouse à sacrifier sa propre carrière et à se retirer du marché du travail. Bien que très souvent involontaire, mais circonstancielle, cette décision, par voie de conséquence, l'empêche de se constituer des biens propres, des rentes de retraite, des assurances et la rend donc plus vulnérable économiquement. La liberté du conjoint de disposer des biens de la famille, surtout en cas de mariage en séparation de biens, ajoute à cette insécurité et influence plusieurs aspects de la vie de l'épouse et des enfants qui naissent de ces unions.

C'est sûr que, pour corriger la pauvreté économique des femmes, il faut énormément de mesures au niveau du travail, de l'égalité en emploi, des salaires plus élevés, de l'entrée des femmes dans les métiers et professions non traditionnels, dans les services de garde, enfin, tout ce qui va pouvoir faire que les femmes ne vivront plus constamment dans une insécurité financière. Mais, quand on pense au partage des biens familiaux, il faut éviter le piège des demi-mesures où un conjoint et ses enfants se verraient attribuer une part dérisoire ou inadéquate de ce qui constitue les biens accumulés par

les deux conjoints.

Alors, je vous l'ai dit, je suis engagée auprès des femmes victimes de violence depuis 15 ans et j'essaie de les accompagner dans les démarches qu'elles entreprennent pour acquérir leur autonomie et leur indépendance. La question de l'indépendance économique est particulièrement difficile pour elles. Elles vont souvent continuer à vivre dans l'enfer que constitue le foyer parce qu'elles pensent ne pas avoir le moyen de s'en sortir, sachant que leur départ signifie très souvent misère et pauvreté, une pauvreté qu'elles accepteraient peut-être pour elles-mêmes, mais qu'elles refusent et qu'elles craignent pour leurs enfants. (17 h 45)

Je donne un exemple. J'avais dit que je donnerais plusieurs exemples, mais je me suis restreinte à un. J'accompagne présentement une femme inscrite en Cour supérieure pour un divorce. Les gains annuels du mari dépassent largement et même très largement 50 000 $ annuellement. C'est dire qu'il possède plusieurs maisons, des actions en Bourse, des REA, des REER, etc. Pendant le quart de siècle qu'a duré l'union, bien sûr elle a participé au fait qu'il possède autant de biens, en se restreignant sur ses vêtements, sur ses sorties. Ils sont séparés pour cause de violence. Les enfants subissent le chantage du père qui possède beaucoup de biens; elle va se retrouver avec une maigre pension alimentaire et peu d'accès à tout ce qui a été la possession des deux. Finalement, sa réflexion a été, comme celle de beaucoup d'autres femmes victimes de violence: J'aurais mieux fait de continuer à endurer, puisque je place mes enfants dans une situation aussi difficile. Vous comprendrez que, pour ces femmes, le partage des biens familiaux devient primordial.

Comme la notion de réserve héréditaire n'a pas été acceptée, je suis d'accord, en partie du moins, avec la proposition gouvernementale actuelle. J'insiste pour qu'on y ajoute les fonds de retraite privés et les assurances qui y sont assorties. Vous savez comment fonctionnent les fonds de retraite des compagnies, il y a une part de fonds de retraite et il y a une part d'assurances. Il faut que ce soit ajouté au patrimoine familial déjà décrit dans le document présenté en consultation. On a beaucoup discuté de la question des REER et des assurances privées, pour finalement décider entre nous qu'il ne serait que juste qu'ils fassent partie aussi du patrimoine familial. Les femmes disaient: Ils vont cesser de payer les assurances privées, on ne sera pas plus avancées. Aussi, si on permet de rejeter trop de choses, un conjoint pourrait investir énormément, par exemple, dans des biens qui ne seraient pas partageables, dans des parts de l'Alcan, la grosse entreprise chez nous, dans des REER, dans des choses qui ne feraient pas partie du patrimoine familial. Donc, il faut protéger la famille contre cela.

Dans une région comme la nôtre, les fonds de retraite des compagnies constituent une masse monétaire très importante, la seule, d'ailleurs, dont disposent des milliers de familles dont un conjoint travaille pour ces entreprises. Les exclure du patrimoine familial, c'est exclure de la législation la presque-totalité des femmes et des enfants qui pourraient bénéficier du partage ou de l'héritage du mari ou du père qui est possesseur de ces sommes d'argent.

En ce qui concerne le partage desdites sommes d'argent, on pourrait utiliser la formule de la Régie des rentes du Québec qui dit qu'après trois ans de mariage, après 36 mois consécutifs durant le mariage, si on fait une demande de partage, on peut y avoir droit. La justification de cela est que les fonds de retraite privés et les assurances qui y sont assorties, les REER et autres biens défrayés par l'employé et l'employeur sont payés, pour la partie dévolue, au travailleur à même la masse salariale qui constitue le revenu de la famille. S'il n'y a ni séparation, ni divorce, ni décès, ce sont les deux conjoints qui en profitent. Pourquoi ne les reconnaîtrions-nous pas comme étant susceptibles de faire partie des biens des deux conjoints? En cas de séparation ou de décès, il n'est pas juste qu'une partie de ce qui a été accumulé durant la vie commune soit partageable entre conjoints, pour les années qui ont couvert la vie commune.

Il y a certaines particularités du document de consultation que j'ai reprises en incluant la page où on en parle. Je ne sais pas si cela sera suffisamment clair. On trouvait important de revenir là-dessus.

À la page 6, on dit que la société a évolué, que la séparation de biens n'est plus choisie dans le seul but d'éviter que l'épouse ne perde sa capacité. Enfin, on peut présumer que les époux sont mieux informés et qu'ils sont conscients de la possibilité que le mariage soit dissous autrement que par le décès.

Il me semble que les rédacteurs du document n'ont pas été en contact récemment avec des adolescents et des jeunes adultes. Le retour aux valeurs traditionnelles, la soif d'amour durable, la stabilité qu'on recherche plus ou moins consciemment, les lunettes roses qu'on pose sur le bout de son nez pour envisager son avenir, autant de raisons qui font dire aux filles qu'elles vont se marier, demeurer au foyer et vivre longtemps avec leur ami d'aujourd'hui. Quant aux garçons, la vie confortable avec femme au foyer, maison de banlieue, petit jardin et belle situation paraît encore la seule voie possible et idéale. Alors, il n'y a pas encore tellement d'hommes et de femmes qui croient, au moment où ils se marient, qu'ils vont divorcer. Voyons donc! Sans cela, ils ne se marieraient pas. Il n'y a pas tellement de jeunes hommes et de jeunes femmes qui sont bien informés sur la différence entre la séparation de biens et le régime de société d'acquêts. Ils vont là, les filles font confiance aux garçons et les garçons font confiance au notaire.

En plus - je regrette, Mme la ministre, parce que je sais que vous êtes notaire, mais ce que je vous dis là, je l'ai vécu - je pense que certains notaires influencent le choix des nouveaux époux. Je l'ai constaté à plusieurs reprises. D'ailleurs, Danielle Debbas, du groupe Femmes pour l'accessibilité au pouvoir politique et économique, écrivait dans le journal Le Devoir du 26 septembre dernier: "Que de femmes ont été et sont encore lésées et économiquement dépourvues pour avoir naïvement fait confiance à des conseillers juridiques masculins, soit-disant impartiaux, responsables de leur contrat en séparation de biens qui devait leur assurer une sécurité à toute épreuve. "

Il faut se poser des questions puisqu'on mentionne, dans votre document, qu'en 1985 40 % des couples ont choisi la séparation de biens. Alors, qui influence ce choix? Pourquoi la société d'acquêts ne connaît-elle pas la faveur populaire qui pourrait amener des changements? Est-ce que c'est dû à certaines complications perçues, à tort ou à raison, par les jeunes couples, au manque d'information ou à certaines expériences vécues par des amis si on va hésiter à choisir ce régime? Je dis qu'il y aurait peut-être lieu de refaire une bonne information sur les principes de la société d'acquêts, puisque 40 % choisissent encore la séparation de biens et que nous, qui sommes en séparation de biens, on n'en est pas si enchantés que cela.

Alors, à la page 10, c'est sûr qu'il est nécessaire de souligner les difficultés inhérentes à la prestation compensatoire, à la difficulté pour certains conjoints de faire valoir leurs droits, à l'inefficacité de cette mesure pour le conjoint au foyer. Quant à la résidence familiale, plusieurs groupes de femmes ont déjà présenté des résolutions lors de leur congrès - je fais allusion à l'AFEAS, aux fermières, à la Fédération des femmes du Québec - pour en simplifier le mécanisme, le rendre obligatoire et applicable à toutes les formes de logement habitable par la famille, quitte à y inclure certaines résidences d'été qui sont utilisées tout au long de l'année.

Alors, à la page 13, il est question de modifier le régime de séparation de biens. Effectivement, des époux pourraient vouloir modifier le régime, mais ne le font pas à cause des sommes inhérentes au fait de changer de contrat de mariage. Alors, il pourrait être intéressant de permettre à certains couples de réviser ces contrats sans un coût exagéré. À la page 15 - vous allez voir que je tape toujours sur le même clou - je reviens sur la reconnaissance du patrimoine familial et je dis, encore une fois, qu'il faut y ajouter les fonds de pension, les assurances et les REER.

À la page 16, je dis que peut-être - je suis un peu hésitante là-dessus - il n'est pas tellement utile de bannir tout à fait la séparation de biens. Dans des cas de remariage, cela peut être utile. En tout cas, je trouve très arbitraire, même si on dit qu'on devrait choisir la société d'acquêts, d'en priver la dizaine de couples pour qui cela pourrait être un choix, finalement.

À la page 17, je reviens encore sur le caractère familial des régimes enregistrés de retraite. J'essaie d'abréger parce que le temps passe. À la page 18 - et c'est la raison primordiale pour laquelle je suis venue ici - il s'agit de la possibilité de renoncer au droit au patrimoine familial. Pour nous, il y a plusieurs questions qui ont été soulevées. Les femmes pourraient être les grandes perdantes de cette initiative. Quand on ne détient pas de pouvoir économique, le pouvoir de négociation est limité. Comment va-t-on discuter d'égal à égal quand on n'a jamais vécu comme tel et qu'on nous a toujours fait sentir, surtout aux femmes au foyer, que notre participation vaut si peu, tant en termes de valeur monétaire qu'en termes de reconnaissance?

Quand on est victimes de violence, pour éviter des pressions psychologiques, la continuité des menaces et la violence verbale, on accepte n'importe quel règlement et on signera n'importe quoi, surtout n'importe quel désistement pour avoir la paix. Le problème, c'est qu'on n'a pas la paix, mais, en tout cas, on pense toujours qu'on va l'avoir à un moment donné, alors, on signe. On s'est beaucoup interrogé sur la survie de la pension alimentaire. Il est question de six mois. Cela nous semblait un peu court. J'essaie de passer.

Quant à la présomption selon laquelle la collaboration équivaut à 30 %, à la page 25, on dit: Pourquoi pas 50 %? Au sujet des paiements aussi, on s'est posé des questions, parce qu'une prestation compensatoire qui serait accordée uniquement en droits à la retraite pourrait, selon nous, désavantager certains conjoints parce qu'elle ne donne pas d'argent liquide permettant de se repartir, de s'acheter des meubles, etc. On demandait d'éclaircir la notion de libéralité, à la page 29 parce que cela n'a peut-être pas les mêmes résonances pour tout le monde.

J'arrive à la conclusion. J'espère traduire dans ce que je vous ai dit mes préoccupations pour les femmes au foyer et pour les femmes victimes de violence. Je suis embarrassée par le message qu'on donne aux femmes qui faisait dire à Rolande Allard-Lacerte, toujours dans Le Devoir: "Depuis plusieurs décennies, on dit aux femmes: Allez travailler à l'extérieur. Restez au foyer. Retournez sur le marché du travail. Revenez à la maison. Faites des petits. Faites des profits. Faites carrière. Faites de la soupe. " Tout ce qu'on leur dit, c'est incroyable. Si certaines réussissent ce tour de force d'être à la fois au foyer et hors foyer à temps partiel ou à temps complet, il faudrait éviter que toutes les mesures auxquelles on pense ne créent deux catégories de citoyennes, les unes ayant droit à certains avantages, ayant droit à des prestations compensatoires et d'autres qui n'y auraient pas droit, étant restées au foyer ou parce qu'elles ont travaillé moins longtemps. C'était clair.

Quand les femmes ont lu le document, elles se sont dit: On ne veut plus de catégories de citoyennes, on veut quelque chose qui fasse pour tout le monde.

On ne peut pas croire, de nos jours, qu'une union durera toute la vie. On construit à deux, certes. L'illusion est de croire qu'on vivra confortablement ainsi jusqu'à la fin de ses jours. Il appartient donc au gouvernement de prévoir, parce qu'il y aura des divorces, des séparations et des enfants nés de ces unions. On dit que de plus en plus la durée moyenne des unions tend vers cinq ans. Alors, c'est peu.

Le problème des pensions est sûrement un problème de femmes. J'ai toujours dans ma tête...

Le Président (M. Filion): Mme Vaillancourt? Mme Vaillancourt: Oui.

Le Président (M. Filion): Avec votre permission, j'ai remarqué que vous disiez, à la page 4 de votre mémoire, que vous étiez pour déposer un mémoire plus détaillé.

Mme Vaillancourt: Oui. Je l'ai et je vais vous le remettre.

Le Président (M. Filion): Ah! Excellent! Il fera partie des documents de la commission.

Peut-être pourrais-je vous inviter à tenter de conclure...

Mme Vaillancourt: Oui, oui, je concluais.

Le Président (M. Filion):... pour permettre aux membres de cette commission d'échanger des idées avec vous.

Mme Vaillancourt: Je concluais en disant que le problème des pensions - parce que j'ai toujours en tête les fonds de retraite que je veux absolument faire inclure - est carrément un problème de femmes. Il est présent tout au long de leur vie, dès qu'elles commencent à avoir des enfants. Il y a plusieurs raisons à ça. C'est sûr qu'elles vont demander des pensions parce qu'elles demandent la garde légale des enfants du couple et elles réclament cette garde légale parce qu'il n'y a pas d'autres choix. La seconde raison pour laquelle ce problème est collé à la réalité des femmes, c'est que, à manque d'éducation ou de formation égale, on gagne mieux sa vie comme camionneur, chauffeur d'autobus ou homme à tout faire que comme ménagère ou bonne à tout faire.

Enfin, de 55 à 65 ans, la moitié des femmes vivent sous le seuil de la pauvreté. Passé cet âge, les deux tiers vivent de peine et de misère. Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, région où la grande industrie est présente et où les travailleurs ont réussi à obtenir des avantages sociaux, les femmes non divorcées bénéficient au décès du conjoint des rentes privées accumulées par celui- ci. On dit que, dans l'ensemble du Québec, seulement une femme sur quatre peut compter sur cette possibilité. Il faut donc, en plus de faire des prévisions, que l'État s'engage dans la prise de décisions adéquates pour faire cesser cet état de fait et pour arrêter de grossir le contingent des femmes qui n'ont pas d'argent. (18 heures)

En terminant, permettez-moi de reprendre une citation de Mme Francine McKenzie: "Je ne pense pas qu'une politique de partage des biens qui serait adéquate puisse se faire si on ne veut rien changer ou si on veut modifier quelque chose, mais pas trop, ou encore si personne ne veut perdre une seule plume de son vieux chapeau. "

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme Vaillancourt. Votre document tantôt pourrait être remis au secrétaire de la commission pour qu'il fasse partie des documents de cette consultation.

Mme Vaillancourt: Oui.

Le Président (M. Filion): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, merci, Mme Vaillancourt, de votre présentation et surtout pour votre détermination de venir seule de Chicoutimi pour défendre la cause des femmes, qui vous tient fort à coeur. Tout en étant d'accord avec un partage du patrimoine familial restreint, vous aussi, vous êtes d'accord également pour conserver cette liberté de contracter pour les autres biens. Je pense que vous êtes d'accord avec cela.

Mme Vaillancourt: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous désirez, par contre, qu'on inclue les fonds de retraite privés.

Mme Vaillancourt: C'est essentiel.

Mme Gagnon-Tremblay: Par contre vous incluez également la question des assurances. Si j'ai bien compris, est-ce que ce sont les assurances qui sont sous forme de régime privé ou si cela a une quelconque incidence avec bénéficiaire révocable ou irrévocable?

Mme Vaillancourt: Bon. La question des assurances privées qui sont de compagnies en dehors de celle de l'Alcan, les femmes étaient très conscientes qu'on avait peu de pouvoirs là-dessus et que finalement, bon... Mais, quand j'insiste pour inclure les assurances dans le patrimoine familial, ce sont les assurances qui sont collées à la réalité du fonds de retraite dans les grandes entreprises. Cela veut dire qu'il y a une marge qui pourrait appartenir aux conjoints, qui seraient les assurances privées comme l'Industrielle, la Prudentielle, etc., et

toutes les autres compagnies. Mais, l'assurance qui est collée à la réalité du fonds de retraite, qui est payée à même le salaire dans l'entreprise, à notre avis, elle devrait faire partie du patrimoine familial.

Mme Gagnon-Tremblay: Prenez-vous aussi en considération la durée du mariage? Lorsque, par exemple, vous parlez du partage des régimes privés, tenez-vous compte de la durée du mariage? À la page 3 de votre document, lorsque vous parlez du partage, vous dites: "En ce qui concerne le partage desdites sommes d'argent, on pourrait utiliser la formule de la Régie des rentes. Je cite: 'Toute personne qui a cohabité avec son ex-conjoint pendant au moins 36 mois. " Donc, cela suppose, à ce moment, que vous reconnaissez la notion de conjoint de fait. Est-ce que c'est cela ou bien, tout simplement, si pour vous, les fonds de retraite privés doivent s'appliquer aux gens légalement mariés? Est-ce que vous voulez aussi inclure l'union de fait?

Mme Vaillancourt: Moi, je vais vous dire que j'ai tout le temps pensé de laisser tout à fait libres les couples en union de fait. Je vous dis: J'ai pensé. Maintenant, j'en arrive à penser qu'on devrait les inclure aussi dans une certaine forme de partage des biens parce qu'il y a des femmes qui sont lésées, il y a des enfants issus de ces unions. Mais je dis qu'après 36 mois on pourrait utiliser la même formule qu'à la Régie des rentes.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais tenez-vous compte, Mme Vaillancourt, de la durée du mariage, c'est-à-dire que les gains qui seraient partageables seraient uniquement les gains accumulés au cours du mariage, au cours de l'union?

Mme Vaillancourt: J'en tiens compte pour les fonds de retraite privés. La même chose qu'à la Régie des rentes, 36 mois consécutifs. Mais je dois vous le dire: On a eu énormément de misère à faire consensus là-dessus. Alors, la question sur laquelle on a fait consensus, cela a été d'adopter ce qui était dans la Régie des rentes parce que, vous savez, il y avait toutes les options. Dans un groupe, c'est toujours comme cela et puis, bon, on s'est rallié a la façon de procéder pour les fonds de retraite de compagnies, tel que c'était dans le régime public, à la Régie des rentes du Québec. Je ne suis pas sûre qu'on n'a pas à poursuivre les discussions là-dessus. Je ne sais pas du tout ce que les autres groupes de femmes ont proposé sur la question. Cela m'embête un peu. Je ne sais pas ce que l'AFEAS va vous dire, par exemple, là-dessus.

Mme Gagnon-Tremblay: C'est-à-dire qu'on inclut les régimes privés, mais on ne se prononce pas, en même temps, sur la question de la cohabitation de 36 mois ou quoi que ce soit. Je pense aussi qu'on nous a proposé, à un moment donné, que ce partage se fasse soit lors de la dissolution du régime, c'est-à-dire lorsqu'il y a divorce, ou bien que ce partage se fasse au moment du paiement du bénéfice, c'est-à-dire seulement à la retraite et qu'à ce moment-là les chèques soient divisés moitié-moitié, mais qu'on ne partage pas uniquement les gains, et que ce soit partagé seulement lors de la retraite. Ce sont là aussi des suggestions.

Par contre, vous parlez des effets néfastes de la renonciation au patrimoine familial, ce qui veut dire qu'au départ vous êtes contre les mesures transitoires de trois ans.

Mme Vaillancourt: Tout à fait. Les femmes ont unanimement été contre cette possibilité. C'étaient des femmes victimes de violence, qui savaient donc déjà ce que c'était que signer des papiers sous l'effet de la pression et qui se disaient: Cette mesure, pour nous, vient anéantir le bienfait que pourrait apporter la constitution du patrimoine familial parce qu'on va nous obliger à renoncer.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Vaillancourt.

Mme Vaillancourt: Et, devant le notaire, il faudra avoir le sourire pour ne pas avoir l'air de refuser.

Le Président (M. Filion): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: M. le Président, vous allez me permettre de saluer très chaleureusement Mme Vaillancourt. Je ne la connais pas personnellement, mais je sais que, même si vous êtes seule devant nous cet après-midi, vous représentez beaucoup pour l'ensemble du mouvement des femmes du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Je me rappelle que vous étiez venue aussi vous présenter devant la sous-commission des institutions qui étudiait la réforme en matière de droit des biens et des personnes. À ce moment-là, vous nous aviez aussi fait une démonstration magistrale des difficultés dans lesquelles se retrouvaient un certain nombre de femmes qui avaient été dépossédées complètement par leur ex-conjoint par un testament.

Je vais rapidement vous demander ceci. C'est très intéressant: vous êtes la première à nous proposer une formule de partage en matière de régime privé. Évidemment, pour les unions de fait, il y a déjà un précédent puisqu'il est possible d'obtenir un partage à la suite d'un décès en union de fait. Vous connaissez la formule: il faut prouver trois années de cohabitation ou, encore, qu'il y ait eu un enfant issu du couple durant la première année. À ce moment-là, il est possible, au moment du décès, d'obtenir la prestation de conjoint survivant,

même en union de fait. C'est-à-dire que, finalement, le législateur a déjà introduit cela dans des lois statutaires. Il en va de même pour la santé et la sécurité du travail, pour l'assurance automobile, il y a un certain nombre de lois statutaires où les conjoints de fait ont déjà un statut où il leur est possible d'aller chercher une prestation de conjoint survivant, notamment. Cela n'est pas possible présentement pour les conjoints de fait après une séparation, même après une cohabitation de plusieurs années.

Ce que je retiens, c'est que vous considérez que c'est essentiel d'inclure le partage de la rente des régimes privés de retraite de façon à pouvoir avoir un peu des dispositions semblables au partage en matière de rente publique.

Mme Vaillancourt: Oui. De telle sorte que, s'il y avait deux épouses, j'imagine qu'on procéderait comme pour la rente publique. Vous savez, c'était très difficile parce que, effectivement, à l'intérieur du groupe, il y avait des femmes en union de fait. Alors, adopter la formule du Régime de rentes public, c'est la seule chose sur laquelle on a finalement réussi à faire consensus. Et les femmes...

Mme Harel: Mais votre proposition... Mme Vaillancourt: Excusez, je n'ai pas... Mme Harel: Excusez. Allez-y.

Mme Vaillancourt: Même quand il y avait deux épouses, elles ne se sentaient pas lésées dans ce partage. Elles disaient: Moi, j'ai vécu tant d'années avec lui, j'ai droit à tant, l'autre a vécu tant d'années, elle a droit à tant. Finalement, on a accepté parce que c'est déjà accepté dans le régime public.

Mme Harel: C'est donc dire que votre proposition ne concernerait pas que les conjoints mariés, mais pourrait aussi s'appliquer aux conjoints de fait. Dois-je la lire dans ce sens?

Mme Vaillancourt: Oui.

Mme Harel: Comme c'est le cas lors d'un décès...

Mme Vaillancourt: Oui.

Mme Harel:... cela pourrait être le cas lors d'une séparation ou d'un divorce après qu'il y a eu, quand même, preuve d'une vie commune.

Mme Vaillancourt: Oui.

Mme Harel: C'est cela. C'est dans ce sens.

Mme Vaillancourt: Et surtout s'il y a des enfants.

Mme Harel: Et vous pensez...

Mme Vaillancourt: II y a deux familles.

Mme Harel: Pour ces lois statutaires qui, à l'occasion d'un décès, prévoient déjà une prestation, vous pensez que la présence d'enfants pourrait justifier qu'en cas de séparation après une vie commune d'un certain nombre d'années il y ait aussi un partage. C'est bien le cas?

Mme Vaillancourt: Oui.

Mme Harel: Une dernière question concernant les trois années transitoires. Je vois que vous êtes vraiment contre les mesures transitoires de trois ans. Page par page, vous nous avez commenté le document. Cela prouve, évidemment, que vous en avez fait une lecture attentive...

Mme Vaillancourt: Oui.

Mme Harel:... avec les groupes de femmes de votre région. Je ne sais pas si c'est un argument qui, pour vous, a été retenu comme important, le fait que la Loi sur le divorce, en 1968, s'était appliquée sans mesures transitoires même aux conjoints qui se pensaient mariés pour la vie, parce qu'il fallait avoir une loi spéciale du Parlement d'Ottawa pour déroger avant 1968. Ensuite, les dispositions pour cause de mort, qui sont devenues caduques en 1980, l'ont été également sans mesures transitoires, même si celles qui savaient qu'il y avait un divorce se pensaient protégées puisqu'il était dit "au dernier vivant les biens". Donc, il y avait la possibilité pour le tribunal de revoir même les donations entre vifs au moment du divorce et aussi cette nouvelle jurisprudence qui fait que les juges...

Je ne sais pas si vous, qui accompagnez beaucoup de femmes devant les tribunaux, êtes à même, en conclusion, de nous parler des obligations alimentaires. Est-ce que les juges accordent des pensions alimentaires ou s'ils ont cette tendance, comme c'est le cas ici, au palais de justice de Montréal, de les accorder pour un temps très limité, de ne les accorder que pour le temps où ils considèrent que la femme, quel que soit son âge, doit regagner son autonomie? Qu'en est-il de l'expérience que vous avez sur cette question?

Mme Vaillancourt: Je dirais que c'est très dépendant de celui qui est le juge. Parfois, je vois l'insécurité des avocates avec qui je travaille parce qu'on va passer devant tel juge; celui-ci est moins généreux, celui-là l'est plus. C'est sûr que c'est une région où il y a beaucoup d'argent, par contre. Donc, on va avoir tendance peut-être à être un peu plus généreux, mais vous comprendrez qu'il y a des limites à cette générosité des juges.

Mme Harel: Est-ce que c'est surtout une compensation...

Mme Vaillancourt: Non, cela n'entre pas encore en ligne de compte.

Mme Harel:... jusqu'à la retraite ou si les juges considèrent que ce doit être dans une durée limitée, en général?

Mme Vaillancourt: Non. La durée limitée, je dirais que cela arrive, mais pas assez pour en faire état. Ce qui fait qu'il y a beaucoup de changements dans l'obligation alimentaire, c'est le remariage ou le nouveau foyer qui est créé. Cela amène une insécurité totale dans la première famille, c'est très clair.

Mme Harel: Je vous remercie, Mme Vaillancourt. Je vais me permettre simplement une remarque, en terminant, tout en vous remerciant beaucoup d'être venue devant nous. Je souhaite que le ministre de la Justice - je regrette qu'il n'ait pas été ici pour écouter vos propos, votre expérience et prendre acte de votre expertise - soit présent lors des travaux de la commission, demain.

Mme Vaillancourt: Merci.

Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a d'autres interventions?

M. Dauphin: Seulement une question.

Le Président (M. Filion): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. À mon tour, évidemment, je n'ai que de bons mots à votre égard...

Mme Vaillancourt: Merci.

M. Dauphin:... pour être venue participer à nos auditions publiques. Je n'ai peut-être pas été attentif tantôt, mais avez-vous parlé du recours au tribunal? Est-ce que vous êtes favorable au recours au tribunal en cas d'injustice relativement au partage?

Mme Vaillancourt: Je vous dirais que les femmes ne se sont pas tellement penchées là-dessus. Il y a eu des points particuliers sur lesquels elles se sont attardées, comme cette histoire du retrait de trois ans, l'histoire des fonds de retraite des compagnies et d'autres choses qui sont plus techniques ou qui touchent plus aux chiffres. Vous comprendrez bien que, pour les femmes victimes de violence, le recours au tribunal ne leur apparaît jamais comme une bonne solution, comme quelque chose sur lequel elles doivent s'attarder.

Tantôt, je racontais qu'hier matin j'étais avec une jeune femme qui me disait: Non, non, pas de pension alimentaire et qu'il parte avec tout, je ne veux rien savoir de lui. J'essayais de lui dire qu'après tout il était le père de ces enfants et que, pour eux, elle devait aller chercher des biens qui leur appartenaient, finalement. Elle disait: Ah, non! La justice n'est pas juste pour nous autres.

C'est sûr que, quand on a un vécu chargé comme elles, vous savez, leur parler de recours aux tribunaux, c'est comme leur parler de la neige au Maroc ou du soleil au Québec dans le mois de janvier. Cela a l'air tellement loin et cela a l'air tellement pas présent et tellement pas fait pour elles que ce ne sont pas des points sur lesquels elles vont s'attarder. Alors, le recours au tribunal, cela a passé très rapidement, j'aime autant vous le dire.

M. Dauphin: D'accord.

Le Président (M. Filion): Merci. M. le député de Marquette. Cela va. Donc, au nom de tous les membres de cette commission, Mme Vaillancourt, nous voudrions vous remercier d'avoir rédigé, d'abord, le mémoire qu'on a déjà reçu, d'avoir rédigé le mémoire que nous recevrons...

Mme Vaillancourt: Complémentaire.

Le Président (M. Filion):... et de vous être déplacée pour venir nous livrer vos commentaires personnellement.

Mme Vaillancourt: C'est moi qui vous remercie.

Le Président (M. Filion): C'est tout à fait instructif. Quant à nous, nos travaux sont ajournés à demain, 10 heures, mais on retourne à la salle du Conseil législatif, au salon rouge.

(Fin de la séance à 18 h 16)

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