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(Dix heures quinze minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission des institutions reprend ses travaux. Nous sommes en
consultation générale et en auditions publiques afin
d'étudier le document gouvernemental intitulé "Les droits
économiques des conjoints". Il s'agit d'un document déposé
par la ministre déléguée à la Condition
féminine, ainsi que par le ministre de la Justice.
Je demanderais à notre secrétaire d'annoncer, s'il y a
lieu, les remplacements pour notre séance.
La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Chevrette
(Joliette) est remplacé par Mme Vermette (Marie-Victorin) et. M. Godin
(Mercier) par Mme Harel (Maisonneuve).
Le Président (M. Filion): Alors, je voudrais souhaiter la
plus cordiale bienvenue aux représentantes et représentants du
Barreau du Québec. Je reconnais Me Borenstein, qui a
présidé le comité du Barreau qui a étudié le
document gouvernemental. D'entrée de jeu, je demanderais à Me
Borenstein de bien vouloir nous présenter, pour les fins du Journal
des débats et pour le bénéfice des membres de cette
commission, les personnes qui l'accompagnent.
Barreau de Québec
Mme Borenstein (Sylviane): Je vous remercie, M. le
Président. À ma droite, Me Suzanne Vadboncoeur, directrice de la
recherche au Barreau du Québec; à mon extrême droite, Me
Jean-Marie Fortin, qui est notre spécialiste en fiscalité et,
à ma gauche, Me Jean-Pierre Senécal, un spécialiste
reconnu en droit matrimonial.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Grosso modo,
nous avons une enveloppe d'environ 90 minutes pour vous entendre.
Évidemment, une période est prévue pour la
présentation succincte des principaux éléments de votre
mémoire et, par la suite, nous pourrons discuter directement avec vous.
Les membres de la commission ayant déjà reçu le
mémoire du Barreau, on peut présumer que la période de
discussion sera la plus fructueuse. Sans vous limiter quand même, je vous
redonne la parole pour la présentation de votre mémoire, tout en
vous signalant que si, tantôt, le président de cette commission
doit quitter, c'est parce que la Chambre l'appellera. Vous voudrez bien
m'excuser lorsque je devrai quitter tantôt.
Mme Borenstein: Je vous remercie. Nous allons commencer par Me
Vadboncoeur, qui représente le Barreau lui-même.
Mme Vadboncoeur (Suzanne): M. le Président, Mme et
Messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, il
nous fait plaisir, au Barreau du Québec, de venir, comme nous l'avons
fait à de nombreuses reprises, d'ailleurs, présenter les vues de
notre corporation professionnelle sur la proposition gouvernementale relative
aux droits économiques des conjoints.
Le Barreau a toujours été préoccupé par ce
genre de problèmes économiques, sociaux, juridiques et il
s'intéresse à cette question-là depuis déjà
quelques années. On se rappellera que le Barreau avait été
présent lors de la Conférence sur la sécurité
économique des Québécoises en 1985. Après le
premier volet de cette fameuse conférence, on avait
décidé, sans être sollicités d'ailleurs, de
préparer un premier mémoire sur les droits économiques des
conjoints et tout le problème du partage des biens familiaux,
mémoire qu'on a soumis l'an dernier, donc il y a à peu
près un an et demi, et à la suite de la proposition
gouvernementale le comité du Barreau s'est encore penché sur
cette question-là.
Je serai brève. Je voudrais simplement vous indiquer que la
composition du comité reflète un peu l'importance que le Barreau
attache à ce genre de questions. Le comité était
composé de dix personnes, cinq hommes et cinq femmes; de quatre
praticiens en droit de la famille, donc quatre sur dix, c'est quand même
une minorité, ce qui peut vous prouver que ce n'est pas qu'une question
de femmes ou de droit de la famille, c'est beaucoup plus vaste que cela. De ces
quatre praticiens, il y en a deux en pratique privée et deux qui
pratiquent à l'aide juridique, donc il y a aussi un équilibre
là, et il y en a deux de Montréal, un de Québec et un de
province. On a également au comité du Barreau deux fiscalistes,
dont un de Montréal et un de province. Celui de province est à ma
droite et vous parlera tout à l'heure de l'aspect fiscal de la
proposition. Il y a également au comité deux spécialistes
en droit des assurances et en droit des successions, ainsi que deux
spécialistes en rentes ou, enfin, en régimes de retraite.
Alors, le comité était, quand même, composé
d'un éventail de spécialistes et était assez bien
équilibré, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, cinq
hommes et cinq femmes. Cela reflète peut-être la
préoccupation que le Barreau a pour ces questions. Je vous dirai tout de
suite que cela nous préoccupe à ce point parce que 50 % des
couples sont encore mariés sous le régime de la séparation
de biens, de sorte que c'est une question qui touche quand même à
peu près 50 % des femmes encore, mais ce n'est pas qu'une question de
femmes et l'exposé du mémoire que Me Borenstein vous fera dans
quelques secondes vous le prouvera. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Merci, Me Vadboncoeur.
Mme Borenstein: M. le Président, je vais continuer en
donnant les idées maîtresses qui nous ont animés lorsque
nous avons fait le tour de la question. Une des idées maîtresses
qui nous a animés était que le mariage est une institution
impliquant un partage entre les conjoints. C'est avec grand plaisir que nous
avons vu les déclarations de Mme Tremblay récemment où
elle se référait au mariage comme à un partenariat et
à une institution. Ce sont exactement les idées que nous avons et
sur lesquelles nous nous sommes basés pour nos recommandations.
Notre expérience devant les tribunaux nous a amenés
à la conclusion qu'on ne peut, ni ne doit ramener la vie de couple
à une dimension purement économique et de reddition de comptes.
Il faut éviter que l'un des époux n'ait à quémander
son dû. Il faut éviter les redditions de comptes sur les
attitudes, les gestes posés et les comportements des époux
pendant le mariage. C'est tout à fait odieux d'avoir à le faire
et c'est la situation qui existe en ce moment lorsqu'on va devant les tribunaux
en particulier pour demander une prestation compensatoire.
En 1987, comme le disait Me Vadboncoeur, nous avons
présenté un rapport qui voulait fournir aux autorités
gouvernementales l'ossature d'une réforme des régimes
matrimoniaux et du régime fiscal susceptible d'aplanir les injustices
actuelles et de rétablir un meilleur équilibre entre
l'égalité de droit et l'égalité de fait des
conjoints. Or, plusieurs des recommandations portaient sur l'importance
d'inclure les régimes publics et privés de pension dans les biens
familiaux à être partagés automatiquement. Nous avons
été très déçus de voir que cet
élément primordial n'avait pas été retenu.
Un second point de déception consiste dans l'omission de traiter
l'aspect fiscal de la vie familiale pourtant intimement relié à
la sécurité économique des conjoints et, donc, au
bien-être de la famille. Puisque nous parlons de bien-être de la
famille, nous sommes également déçus de voir que, à
cette table, il n'y a pas de représentant du ministre
délégué à la Famille, car il s'agit d'une histoire
de famille et qu'il n'y a pas, non plus, de représentant du ministre des
Finances pour les réformes fiscales qui vont de pair avec les autres
réformes, ainsi que de représentant du ministre de la
Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, car il y aura que des
réformes importantes à faire au chapitre des rentes et
également parce que les ajustements que nous demandons auront un effet
sur la liste des assistés sociaux.
Je m'explique. Ne pas assurer une juste répartition des
bénéfices de retraite entre les conjoints à la rupture,
c'est, en outre, injustement transférer à un tiers, en
l'occurrence à l'État, le fardeau de pourvoir aux besoins
essentiels des membres de la famille alors que celle-ci a les moyens de s'en
occuper. Donc, un partage des biens familiaux incluant les fonds de pension
réduira de façon considérable les listes d'assistés
sociaux et freinera le triste phénomène de la féminisation
de la pauvreté que nous vivons à présent et qui affecte
également les enfants de ces femmes démunies. Nous devons
également viser l'implantation d'un régime fiscal susceptible de
mieux refléter l'image de la famille et l'égalité des
conjoints.
Afin de donner à la proposition gouvernementale sa
véritable portée, il faut donc l'accompagner d'un
élargissement de la définition des biens familiaux, d'une
réforme des régimes privés de pension, comme cela s'est
fait dans les autres provinces, de même que d'une réforme des
règles fiscales.
Je vais donc passer la parole, premièrement, à Me
Senécal, et, deuxièmement, à Me Fortin, qui vont entrer
dans les implications plus détaillées des propositions. Je vous
remercie.
Le Président (M. Filion): Merci, Me Borenstein. Me
Senécal.
M. Senécal (Jean-Pierre): Merci. En ce qui concerne les
propositions gouvernementales portant sur les biens familiaux, nous sommes,
d'abord, heureux de voir que le gouvernement a retenu l'idée que les
biens familiaux doivent être définis. Il faut éviter
vraiment de tomber dans les problèmes qu'on a connus en Ontario à
la suite de la première réforme, celle de 1978, sur les biens
familiaux, alors qu'on laissait, finalement, les tribunaux définir cela.
On s'est mis à judiciariser à l'extrême les relations
familiales, alors que, justement, on voulait plutôt qu'il devienne clair
que les gens avaient des droits au plan du partage, par exemple, et qu'ils
puissent être exercés facilement. Il est donc important que ce
soit défini et nous souscrivons à cette idée.
Nous souscrivons à la proposition sur les biens familiaux
présentée par le gouvernement, mais à deux réserves
près. D'abord, on croit qu'il faut y inclure non seulement la
résidence principale, mais également les résidences
secondaires, puisque cela fait souvent partie d'une planification dans la
famille. Il est fréquent dans une famille qu'on mette un immeuble au nom
de l'un et l'autre, au nom du deuxième conjoint, justement, pour des
raisons fiscales et des raisons de planification. C'est injuste si on ne
partage pas également ces biens-là.
On peut prendre l'exemple très simple de gens pour qui la
résidence familiale a été acquise dès le
début du mariage, au nom de l'époux, en séparation de
biens; donc, la résidence est à lui. À un moment
donné, on fait l'acquisition d'un chalet et on dit à
l'épouse: Comme la maison est déjà au nom de monsieur, le
chalet sera au nom de madame. Ou, vice versa, la résidence est au nom de
madame parce que monsieur a fait des
affaires et le chalet sera au nom de monsieur. On risque de se retrouver
dans une situation où, à ce moment-là, la résidence
de l'un sera partagée alors que celle qui est au nom de l'autre ne le
sera pas. Si, par exemple, monsieur a accepté que la résidence
familiale soit au nom de madame parce qu'il faisait des affaires et il voulait
la mettre un peu à l'abri et qu'il a mis, ensuite, le chalet à
son nom, on risque de se retrouver dans une situation où madame va
devoir partager la moitié de la résidence qui lui appartient
alors que l'époux conservera la sienne. C'est une situation qui risque
de créer des incongruités. Il faut penser que la famille a vu
cela dans un ensemble.
Le bien le p/us important qui n'a pas été inclus dans la
proposition gouvernementale et qui nous paraît vraiment essentiel,
fondamental, c'est l'inclusion des régimes de sécurité
à la retraite, de tout ce qui concerne la sécurité
à la retraite dans les biens familiaux. C'est véritablement
aujourd'hui une nécessité de base au même titre que le
logement, au même titre qu'un véhicule pour se déplacer.
D'ailleurs, si on rencontre un couple et qu'on discute de sa situation
financière, on va s'apercevoir que ce qui est fondamental pour ce couple
à la base, c'est de se loger et c'est d'épargner pour ses vieux
jours. C'est au coeur de la vie familiale et c'est essentiel.
Ce qui fait qu'un fonds de retraite souvent est au nom d'un seul des
conjoints, c'est souvent le hasard de la vie ou la répartition des
tâches qui a été faite au sein de la famille. Les
époux se sont entendus pour qu'il y en ait un qui aille gagner à
l'extérieur et que l'autre fasse sa part à la maison. Les
époux ne se sont pas entendus pour qu'il y en ait un qui ne fasse rien
et que l'autre travaille. Les époux se sont entendus pour que les deux
travaillent, que les deux contribuent à la famille, mais chacun
différemment. On ne va quand même pas reprocher à quelqu'un
qui a fait le choix de cette répartition de tâches de l'avoir
fait, parce que souvent ce sont et les enfants et les autres membres de la
famille, et aussi l'État qui vont en profiter. (10 h 30)
L'habitude, les caractères culturels de la chose et des
siècles derrière nous font que c'est souvent la femme qui reste
à la maison et qui assume ce soin des enfants, encore que cela change.
Mais, chose certaine, cela s'insère dans une répartition des
tâches entre les conjoints. C'est, à ce moment-là, le
hasard qui fait qu'il y en a un qui accumule le fonds de pension a son nom,
tandis que l'autre n'accumule pas de fonds de pension en restant à la
maison. Mais, pourtant, les deux travaillent pour la famille et les deux font
leur part, à leur façon, pour la famille.
La loi ne vient pas reconnaître cela. Et, en faisant cela, la loi
pénalise le conjoint qui reste à la maison. La loi fait reproche
aux époux d'avoir choisi de faire une répartition des
tâches entre eux et, à la limite, la loi encourage la mesquinerie
en disant aux gens: Bien, écoutez, battez-vous pour déterminer
lequel va aller sur le marché du travail ou, alors, on vous incite
à aller tous les deux sur le marché du travail et qu'il n'y en
ait pas un qui reste à la maison parce qu'on vous avertit: Celui qui
reste à la maison, nous, le législateur, on entend le
défavoriser ou ne pas reconnaître sa contribution. Cela n'a aucun
sens! À la limite, il faudrait dire aux femmes: Écoutez, si vous
voulez avoir la sécurité à la retraite, allez sur le
marché du travail, convainquez votre mari de rester à la maison
et vous compenserez un peu plus tard parce qu'il est resté à la
maison et que vous, vous avez accumulé un fonds de retraite. C'est
fondamentalement injuste au départ, cette idée et cela ne
reconnaît pas la juste contribution de celui qui reste à la
maison.
Je pense aussi que, lorsque la loi, dans le fond, donne des
conséquences aux choix que les gens font dans une famille, elle se
mêle de ce qui ne la regarde pas, elle s'immisce dans les choix
familiaux. Elle n'as pas à faire cela. Elle a à être, me
semble-t-il, la plus neutre possible, à offrir des services de garde si
les gens veulent tous les deux aller sur le marché du travail et, s'il y
en a un qui veut rester à la maison, à ne pas le pénaliser
pour cela.
Il faut se rendre compte que la sécurité à la
retraite, ce n'est pas un luxe. C'est tellement essentiel, surtout dans une
société qui vieillit dans son ensemble, que l'État a mis
sur pied un régime public pour assurer un minimum de base et
l'État reconnaît que c'est un bien essentiel à la famille,
justement, quand on ordonne que les régimes de retraite publics soient
partagés advenant la rupture. On comprend mal qu'on ne fasse pas la
même chose pour les régimes privés. Il y a comme un
traitement différent et discriminatoire ici qui, finalement, ne trouve
aucune explication.
La seule explication qu'on retrouve dans la proposition gouvernementale,
c'est de dire: Écoutez, ce n'est pas un bien qui est utilisé au
cours de la vie familiale. Quant à cela, les régimes publics, non
plus. Et, pourtant, on accepte de les partager parce qu'on dit: Oui, mais cela
a été préparé pendant la vie de la famille pour
plus tard et cela répond aux besoins de base, aux besoins essentiels des
individus. En fait, bien sûr, par nature, la sécurité de la
retraite, c'est une chose à laquelle on doit penser d'avance. Ce sont
des biens qui vont être accumulés pendant un certain temps et dont
l'utilisation ne sera possible que s'il y a accumulation. Or, cette
accumulation, elle a lieu nécessairement pendant la vie de la famille,
pour une bonne part. C'est, au surplus, comme le document gouvernemental le
reconnaît, un revenu différé. C'est un revenu qu'on gagne
aujourd'hui pour utilisation ultérieure.
Ce revenu-là, la famille en est privée. Lorsqu'il arrive,
on le met de côté pour plus
tard. C'est donc vraiment la famille, qui consacre des sommes à
la sécurité de la retraite, qui est privée de ces
sommes-là, parce qu'il faut bien penser que la plupart des
régimes de retraite sont, d'abord et avant tout, contributifs de ia part
de l'employé. La famille est privée de ces sommes-là, qui
peuvent représenter 6 %, 7 %, 8 %, dans certains cas, 10 %, en disant:
Bien, il faut en mettre un peu de côté pour plus tard.
Peut-être que cela peut, dans certains cas, empêcher l'acquisition
de biens familiaux. Les couples qui ont tout juste ce qu'il faut pour arriver,
si, en plus, on prélève sur leur paie des sommes en vue de la
sécurité de la retraite, cela fait des sommes de moins dont iis
peuvent disposer quotidiennement. C'est peut-être un couple qui aurait pu
acheter une résidence familiale, mais qui va rester à logement
parce que les 10 $, 20 $ ou 30 $ qu'on enlève par mois ou par semaine
pour la sécurité de la retraite auraient pu représenter
une partie du paiement hypothécaire et on ne peut pas s'en passer.
Ces gens-là vont être privés d'un bien familial qui
s'appelle la résidence familiale simplement parce qu'ils
prévoient pour leurs vieux jours. On leur dit: Si vous aviez acquis une
résidence familiale, on la partagerait à la rupture, mais parce
que ce que vous avez acquis pour les deux, cela ne s'appelle pas
résidence familiale, mais fonds de pension, cela, on ne le partage pas.
Cela n'a aucun sens. Cela ne reconnaît pas que, pour bien des gens, la
sécurité de la retraite est tellement importante qu'elle va
probablement passer avant même les dépenses relatives à
l'immeuble. Ils ne pourront peut-être même pas acheter de
résidence familiale parce qu'on leur enlève cela directement sur
leur paie et il n'en restera pas assez pour acquérir cette
maison-là.
En fait, la question des fonds de pension ne peut pas être
dissociée des autres biens familiaux comme la résidence. Cela
s'inscrit dans un ensemble et c'est fréquent, lorsqu'on voit des gens
qui font une planification ou qui pensent pour leurs vieux jours, de voir
qu'ils le font sur deux niveaux en disant: Bien, d'abord, on se gagne une
maison, cela nous donne un acquis. Plus tard, quand les enfants seront partis
et que les sept ou huit pièces seront trop grandes, on s'en ira dans un
petit logement et on aura de l'argent pour nos vieux jours; avec cela et notre
fonds de pension, nous serons heureux. On dit aux gens: Ah, pas cela, une
partie de cela est aux deux et le reste n'a rien à voir. Mais pas du
tout, les gens ont accumulé cela ensemble, et ils ont mis cela ensemble.
C'est tellement vrai que c'est ce qui a été reconnu dans toutes
les autres provinces du Canada et dans un très grand nombre
d'États américains, que c'était indissociable des autres
biens familiaux. C'est assez curieux et un peu paradoxal de voir que le
Québec, jusqu'en 1978, était à l'avant-garde au Canada
dans la justice économique entre les conjoints, et on s'en est
félicité avec raison pendant longtemps. Alors que dans toutes les
autres provinces il y avait la séparation de biens, au Québec on
avait la société d'acquêts. Il faut bien le dire, la
moitié de la population maintenant est sous ce régime qui assure
une justice distributive extrêmement importante entre les conjoints.
Pendant très longtemps, nous avons eu, d'abord, la communauté de
biens, ensuite, la société d'acquêts qui assuraient un
partage à une large partie de notre population. Les autres provinces
n'avaient rien à ce sujet et nous étions à l'avant-garde.
Je me souviens d'une époque où les gens venaient voir ici pour
savoir comment cela se passait. On ne vient plus, sur les biens familiaux, voir
au Québec comment cela se passe parce qu'on a pris, finalement, depuis
dix ans un retard absolument considérable en la matière.
Ce qui est arrivé, c'est qu'en 1978, après les deux
premiers jugements de la Cour suprême dans Rathwell et Murdoch, où
la Cour suprême a dit: La situation faite aux femmes en séparation
de biens est absolument injuste et invraisemblable, cela n'a aucun sens, le
ministre fédéral de la Justice a réuni ses homologues
provinciaux et ils se sont dit: II faut faire quelque chose parce que c'est
inacceptable. Toutes les provinces se sont entendues pour adopter une notion de
patrimoine familial avec partage. Au Québec, on s'est dit: On n'en a pas
vraiment besoin, on a déjà la société
d'acquêts. Toutes les autres provinces, les neuf, et les territoires ont
adopté des législations là-dessus prévoyant les
biens familiaux, dans tous les cas. Chez nous, pour 50 % de notre population,
ça allait, il n'y avait plus de problème pour ceux qui sont en
communauté de biens et en société d'acquêts, mais on
ne s'est pas préoccupé, sauf par le biais de la prestation
compensatoire, de régler le problème de ceux qui étaient
en séparation de biens. Or, la prestation compensatoire, c'est un nid
à chicanes, cela fonctionne difficilement parce que nous lisons, dans
tous les jugements de la Cour d'appel: Comment voulez-vous demander à
des époux de tenir une comptabilité fidèle de toutes leurs
contributions et de tout ce qu'ils ont fourni? Ce sont des gens qui vivent un
partenariat, ce ne sont pas des comptables. Ce sont des gens qui vivent une
famille. Et on va essayer de voir ce que cela représente et on ne
comptera pas ce que chacun est obligé de fournir, de toute façon,
au mariage. C'est tout à fait inacceptable de penser que la prestation
compensatoire est la seule solution.
Depuis dix ans, dans les autres provinces, il y a donc partage et au
Québec il n'y en a aucun pour les gens qui sont en séparation de
biens. Les gens en société d'acquêts, oublions-les et, pour
ceux en communauté de biens, il n'y a pas de problème. Mais; pour
ceux qui sont en séparation de biens, et c'est 50 %, le problème
est énorme et n'a pas été réglé. Dans toutes
les provinces, soit que la loi le dise expressément, soit que les
tribunaux l'ont décidé avec la loi
qu'il y avait là, il a été décidé que
les régimes de retraite faisaient partie des biens familiaux
partageables, sauf au Québec. Même le fédéral a
adopté une loi sur le partage des régimes supplémentaires
de rentes, qui permet aux conjoints de prévoir, lors de la rupture, un
partage des fonds de pension, sauf que cette loi est inapplicable au
Québec parce qu'il faut que la législation le prévoie. Les
gens peuvent bien s'entendre, les tribunaux ne peuvent pas les contraindre
à le faire, on ne peut pas en tenir compte.
Est-ce que ce partage est une mesure souhaitée ou est-ce qu'elle
fait problème dans la population? Je suis en pratique et je vois
régulièrement des gens, toutes les semaines je me retrouve devant
le juge pour des divorces, des séparations. Et j'en vois d'autres qui me
consultent parce qu'ils veulent savoir ce qui se passe dans leur couple. Tous
ceux que je rencontre, y compris les maris, sont étonnés quand
ils apprennent, par exemple, que la résidence familiale et les biens
familiaux, cela n'existe pas au Québec et qu'il n'y a pas de partage
automatique. Cela leur paraît invraisemblable. Tellement que - cela m'est
arrivé encore récemment - il y a des maris qui vont
carrément soulever la question devant leur avocat: Naturellement, je
dois donner la moitié de la résidence à ma femme lors du
divorce? On lui dit: Non, vous n'êtes pas obligé en vertu de votre
régime matrimonial. Ils disent: Ah, oui? Cela paraît tellement
évident que le fait que ce ne soit pas le cas, ils trouvent cela
carrément grossier et stupéfiant. Ils sont surpris,
carrément.
Qu'on ne me dise donc pas que les gens ne s'attendent pas qu'il y ait un
partage des biens familiaux. Quand on leur demande si la sécurité
de la retraite fait partie de cela, pour eux, c'est évident puisque
c'est quelque chose qu'ils ramassent durant la vie du couple. Je ne dis pas
qu'il n'y a pas des gens qui, une fois qu'ils ont appris la nouvelle, disent:
Franchement, dans le fond, je suis très content de me retrouver avec
plus que ce à quoi je pensais. On est un peu tous comme cela. Mais, au
départ, ils auraient trouvé juste qu'il y ait partage et ils sont
surpris qu'il n'y en ait pas. Donc, il y a des attentes considérables
dans la population à ce sujet. Le partage qui a été
vécu dans les autres provinces, il est très bien accepté,
il est accepté comme quelque chose de normal. Je ne vous dis pas que
tout le monde est heureux d'être obligé de donner la moitié
de certains biens au conjoint, quand cela arrive, mais les sondages
révèlent que les gens trouvent cela normal. Entre autres, un
sondage sur les régimes de retraite a démontré que,
effectivement, les gens s'attendent que cela fasse partie des biens
partageables. Merci.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me
Senécal. Me Fortin.
M. Fortin (Jean-Marie): Merci, M. le Président. Bonjour,
mesdames et messieurs. Un des éléments importants pour le Barreau
du Québec concernant le sujet dont nous traitons aujourd'hui est la
fiscalité qui entoure toute la question de la sécurité
économique des conjoints. C'est un aspect que la proposition
gouvernementale semble avoir négligé. C'est pour cette raison
qu'à la présentation du mémoire que nous faisons ce matin
nous avons également ajouté le mémoire que nous avions
présenté il y a un an et demi, où les propositions d'ordre
fiscal sont reprises. L'importance de la fiscalité en matière
matrimoniale vient du fait que la fiscalité, aujourd'hui, touche tous
les aspects de la vie. C'est un avantage pour un fiscaliste de dire: Je fais de
la fiscalité parce que je peux faire une multitude de choses, de
pratiques à partir de la naissance ou de la conception de quelqu'un
jusqu'à son décès. C'est aussi, très souvent, un
inconvénient de voir que la fiscalité s'introduit partout, dans
la vie de tous les jours.
À partir de la notion de base suggérée par la
ministre selon laquelle le mariage est une institution de partenariat, il faut
en déduire quelque part que l'on veut favoriser la notion de partage.
Quand on parle de sécurité économique, on veut
certainement indiquer qu'un partage économique doit se faire
également. Quand on parle de sécurité économique,
on veut aussi favoriser la notion de partage lors de la dissolution. Avant de
parler de dissolution, il faut peut-être se rappeler pourquoi
l'institution du mariage a été faite et ce qu'il y a
derrière l'institution du mariage. Notre Code civil prévoit
déjà que les conjoints, les deux époux sont égaux
dans le mariage. Donc, l'institution du mariage doit tendre à une
égalité et la discussion sur les biens familiaux amène une
base de l'égalité et de la sécurité
économique des conjoints. On ne peut que se féliciter que la
position du gouvernement veuille assurer une base entre les conjoints pour,
justement, éliminer la judiciarisa-tion des débats sur la
sécurité économique de base. (10 h 45)
Par contre, les lois fiscales actuelles, et surtout au Québec, ne
favorisent pas ce transfert entre conjoints. Je vous donne certains exemples.
L'article 2. 1 de la Loi sur les impôts du Québec, ainsi que
l'article 256. 1 nous disent que, lorsqu'un régime matrimonial
établit d'une façon indéfinie une propriété
d'un bien, c'est l'administrateur du régime qui sera
présumé le propriétaire de ce bien et, lorsqu'il y a
dissolution du régime matrimonial, si le bien part d'un lot qui est
celui de l'administrateur et qu'il se ramasse dans l'autre lot, il y a un
transfert réputé. Cela veut dire de façon pratique ceci:
si vous êtes dans une situation de communauté de biens, monsieur
sera réputé être le propriétaire des biens. Lors de
la dissolution de la communauté, si lors du partage vous prenez un bien
et que vous l'amenez dans le lot de madame, tout
simplement par le mécanisme normal de la séparation de la
communauté, vous allez avoir une disposition présumée;
toutes les règles d'attribution pouvant s'y appliquer, il pourra aussi y
avoir transfert ou non de la fiscalité. On se ramasse très
souvent dans des discussions très orageuses parce que la
fiscalité ne respecte pas en ce sens au Québec le fait qu'en
droit civil on dise: Très bien, madame, dans mon exemple, est
présumée être propriétaire depuis le
début.
Il y a plusieurs exemples qu'on pourrait donner pour démontrer
ici que la fiscalité provoque à l'heure actuelle beaucoup plus
d'avantages à divorcer qu'à rester unis par le mariage. En 1982,
il y a eu en Ontario une étude où on avait découvert 52
raisons fiscales avantageuses de divorcer plutôt que de rester
mariés. Pourquoi favoriser la famille si nos lois fiscales tendent
à défaire cette union-là et à faire en sorte que ce
soit plus avantageux de divorcer que de rester mariés? On a, d'ailleurs,
actuellement au Québec un recours collectif dans le district de
Terrebonne qui tente d'établir qu'il y a une équité entre
les gens mariés et les gens non mariés et on demande au
gouvernement de remettre une grande quantité d'argent aux gens
mariés parce qu'ils paient plus d'impôt. Je ne veux pas entrer
dans le débat; c'est à se demander qui est
préjudicié dans cela, mais, chose certaine, on voit par cet
exemple-là que la fiscalité ne favorise pas l'institution du
mariage; au contraire, elle la défavorise.
Si, à l'intérieur de l'établissement des biens
matrimoniaux, on accepte la notion de copropriété indivise des
biens familiaux, il faudrait que nos lois fiscales correspondent à cette
volonté-là et n'amènent pas d'inéquités lors
de la dissolution pour faire en sorte que cela ne soit pas plus avantageux,
dans un sens comme dans l'autre, d'avoir des biens familiaux qui sont au nom de
l'un ou de l'autre.
Mais nous pensons que la fiscalité doit aller plus loin que de
protéger la notion des biens familiaux et de s'assurer de son
équité totale sur le plan fiscal. Si l'institution du mariage
doit voir au partage, pourquoi considérer que chaque partage qui se fait
entre conjoints se fait dans une notion de fraude ou de tentative de fraude
devant le fisc québécois? Et cela, c'est l'attitude que l'on a
très souvent. Un exemple: on peut maintenant, depuis 1980 - avant,
c'était défendu - partager ses biens ou partager des revenus dans
une société. Avant, il était impossible que des conjoints
puissent être associés ensemble. Aujourd'hui, on le permet, mais
encore faut-il démontrer que les revenus que monsieur donnerait à
madame dans un partage de société, ce serait raisonnable, alors
que, si moi, comme avocat, je participe dans une société aux
revenus d'un associé, que nous participons ensemble, on n'aura pas de
discussion sur la façon de faire notre partage. Déjà,
là, on voit que, au-delà des biens de base familiaux, la
fiscalité n'aide pas plus les couples qui veulent ensemble pratiquer ou
avoir une entreprise. Si on veut aller au-delà de cela, si la notion du
mariage implique le partage, pourquoi ne pas permettre que tout partage que les
parties voudraient faire ensemble, de consentement, puisse également
s'intégrer dans la notion du partage familial lui-même et
permettre, à ce moment-là, que tout transfert se fasse en
franchise d'impôt?
À ce niveau-là, le Barreau avait fait, dans son
étude de 1987, certaines recommandations qui permettent d'atteindre ces
notions de partage en enlevant l'impression qu'il y a une fraude fiscale qui
peut se faire. On a aux États-Unis ce qu'on appelle le "family joint
return" où on permet à deux conjoints de produire un rapport
d'impôt et de niveler leurs charges fiscales parce qu'on
considère, dans ce sens-là, que le partage fiscal,
équivaut, sur le plan fiscal - je le dis bien ici - à une sorte
d'entité économique. Il y a des revenus qui sont à la base
- et en économie, c'est une base économique - de la notion du
mariage, sauf que ce que l'on fait à ce moment-là, c'est qu'on
permet de payer de l'impôt à un plus bas revenu. On dit à
madame: Tu vas payer de l'impôt sur un revenu supérieur pour
niveler la charge fiscale, mais on n'assure pas la sécurité
économique du conjoint pour autant.
Ce que l'on propose ici, c'est d'être en mesure de faire ce
fractionnement de revenu fiscal en disant, par exemple: Si monsieur - mes
chiffres sont peut-être exagérés, mais, quand même,
ils illustrent bien ce que je veux dire - gagne 75 000 $, que madame en gagne
25 000 $, que l'on veuille faire un partage fiscal de la charge fiscale pour
améliorer la situation économique de la famille, monsieur pourra
demander à madame de se taxer sur 25 000 $ de plus et, lui, se taxer sur
25 000 $ de moins, chacun payant son impôt sur 50 000 $. Cela, c'est la
situation américaine.
Mais on dit ici, pour vraiment assurer la sécurité
économique des conjoints, que ceci devrait se faire, mais que, s'il y a
un partage, il y a un transfert des revenus qui se fait: que monsieur donne 25
000 $ à madame; elle s'imposera sur 25 000 $ et ils s'imposeront tous
les deux sur 50 000 $. À ce moment-là, on pourrait nous demander:
Est-ce qu'il n'y a pas un danger que l'argent soit utilisé à
d'autres fins que celles du ménage ou de la famille? On n'a qu'à
retourner au Code civil où les deux doivent contribuer aux charges du
ménage en fonction de leur capacité contributive. Les deux ont la
capacité d'un revenu de 50 000 $ et, par cela, la fiscalité, au
lieu d'être un empêchement à un mariage et une incitation
aux divorces ou aux unions libres, sera un incitatif à l'institution du
mariage. Je pense qu'on peut se le dire franchement. La famille est à la
base de toute société, qu'elle soit moderne ou ancienne.
Alors, à l'intérieur des propositions que le Barreau a
faites, ce partage de la charge fiscale devrait être accepté. On
devrait enlever la
notion de fraude ou de collusion négative lorsqu'il y a des
transferts de biens qui se font entre conjoints. C'est rare qu'on fait des
transferts uniquement pour fins fiscales entre conjoints. On les fait beaucoup
plus parce qu'ils sont motivés par le sentiment de la famille ou du
couple. Ce qui les désavantage, dans certains cas, c'est, justement, la
fiscalité. Sur ce plan, on empêche bien plus souvent qu'autrement
la sécurité économique de la Québécoise, au
moment où on se parle.
C'étaient les remarques principales que j'avais à faire
sur la fiscalité, en incitant la commission à approfondir
davantage les recommandations que nous avions faites l'an passé pour,
à tout le moins, s'assurer et assurer la population que, si des notions
civiles sont modifiées et proposées, le droit fiscal suive. Le
droit fiscal doit être du droit d'application et non pas du droit
substantif. À l'heure actuelle, ce que l'on fait, c'est que l'on
crée de la substance par la fiscalité, qui va à rencontre
de la volonté sociale en matière familiale. Merci.
Le Président (M. Filion): Merci. Est-ce que cela
complète votre présentation verbale? C'est bien cela, oui. Encore
une fois, merci aux représentants du Barreau. J'ai cru, quant à
moi, reconnaître, autant dans votre mémoire de mai 1987 que dans
celui de septembre 1988, ainsi que dans votre présentation ce matin, le
fruit d'un engagement profond du Barreau vers la recherche d'une plus grande
justice distributive, comme le disait Me Senécal tantôt, entre
conjoints. Donc, c'est avec grand plaisir que je constate que la corporation
à laquelle appartiennent plusieurs personnes autour de cette table fait
preuve d'autant d'engagement sans, toutefois, être prévenue de
quelque façon que ce soit dans un domaine comme celui-là.
Le Barreau nous dit: On a un retard accumulé important au
Québec. Je pense que ceux qui ont vécu l'expérience ou
ceux qui ont pratiqué un peu ou côtoyé ce milieu du droit
matrimonial seront à même de le confirmer. C'est un fait et,
au-delà de toute partisanerie politique, je pense bien qu'il, ressort de
l'ensemble de nos travaux qu'il est temps de donner un coup de barre de ce
côté.
La prestation compensatoire est un échec. Je pense que cela a
été constaté. Cela a pris peu de temps, peu
d'années. Habituellement, en droit, un nouveau concept est
expérimenté pendant au moins une dizaine d'années avant de
connaître son jugement. Dans ce cas-ci, la prestation compensatoire a
été cernée assez rapidement comme concept. Ses failles
sont ressorties très rapidement, autant par les jugements de la Cour
supérieure et de la Cour d'appel que par les articles des commentateurs
et analystes.
Selon ce que vous nous dites, le patrimoine familial, c'est une bonne
idée, sauf qu'il y a une nécessité de bien le
définir. Par exemple, vous mettez les législateurs en garde
contre le fait d'avoir un beau concept, mais une coquille qui serait trop floue
et qui susciterait plus de litiges qu'autre chose. Vous attirez
également notre attention sur la question de la résidence
secondaire avec des arguments qui méritent d'être bien
analysés.
Ma question porte un peu sur le commentaire du Barreau concernant
l'inclusion des régimes privés de retraite dans le patrimoine
familial. Évidemment, pour moi, la question des fonds de pension
privés fait partie d'une certaine façon de l'ensemble des biens
des époux. C'est un peu ma question, en fait, et je vais l'adresser
à Me Senécal. Évidemment, pour un policier de la
Communauté urbaine de Montréal, comme je le disais
récemment en commission parlementaire, son fonds de pension est
très important. Il est très généreux et il fait
partie de ses avantages sociaux, en somme. Il en va de même pour la
plupart des salariés à l'emploi des corporations publiques, des
corporations parapubliques ou des corporations privées de moyenne et de
grande envergure. Mais, pour les travailleurs qui sont à l'emploi
d'entreprises de petite envergure ou pour des professionnels, le fonds de
pension prend une tout autre forme.
Par exemple, il n'est pas rare de rencontrer des gens qui vont dire: Je
boursicote un peu et c'est mon fonds de pension pour mes vieux jours. Bonne
chance depuis l'an dernier, mais enfin... D'autres vont nous dire: Je me suis
familiarisé avec l'immeuble. J'ai acheté un petit immeuble de
quatre logements. Je l'ai revendu. Je viens d'acheter un immeuble de huit
logements, etc. Enfin, bref, il y en a qui se bâtissent un petit
patrimoine immobilier. D'autres choisiront d'autres formes de
sécurité. On le sait, les fonds de pension, c'est une
sécurité, mais avec l'inflation, les vieux jours ne sont pas
toujours aussi roses quand vient le temps de toucher les chèques des
fonds de pension. Donc, plusieurs personnes cherchent des façons plus
musclées de protéger leur période d'inactivité
à la fin de leur vie et choisissent donc d'investir dans des secteurs
d'activité qui ne sont pas des fonds de pension.
Vous voyez venir ma question aisément. Est-ce que se rendre
à votre recommandation d'inclure les fonds de pension privés dans
le patrimoine familial ne créerait pas une forme d'injustice envers tous
ces couples où l'un ou l'autre des deux conjoints choisirait une autre
forme de sécurité? Même, en poussant peut-être un peu
plus loin, est-ce que cela ne constituerait pas une forme de
désincitation économiquement justifiée ou pas, peu
importe, à cet investissement? Mais c'est peut-être pousser trop
loin, revenons à la question: Est-ce que ce ne serait pas une injustice
dans les cas où les fonds de pension ne sont pas des fonds de pension
privés, mais plutôt des investissements dans des biens?
J'adresse ma question à Me Senécal parce que c'est lui
qui, je pense, a abordé de la façon
la plus directe toute la question des fonds de pension.
M. Senécal: Au fond, ce que vous soulignez avec justesse,
c'est que les fonds de pension ne sont pas la seule façon d'investir en
vue de la retraite. Effectivement, toutes les économies peuvent servir
en vue de la retraite. Ce qui les distingue fondamentalement, c'est que
certaines économies ont pour but de faire de la spéculation.
C'est tellement vrai que celui qui joue à la Bourse, j'espère que
ce n'est pas avec son fonds de pension parce qu'il risque de se ramasser sans
fonds de pension. Il y a ici un aspect de spéculation qui s'ajoute, qui
est presque à l'opposé de la sécurité de la
retraite où l'aspect de la sécurité est très
important. S'il est vrai que tous les biens que l'on possède un jour ou
l'autre finissent par servir ou devraient finir par servir, il y a des biens
qui, spécifiquement, sont rattachés à un but
précis, en l'occurrence la retraite. (11 heures)
L'une des choses qu'il faut rappeler dès le départ, c'est
que le Barreau trouve importante la liberté de choix. C'est l'une des
hypothèses que nous avons posées dans notre mémoire, et
nous le disons. On est d'accord que les époux conservent un choix quant
à leur régime matrimonial et on ne veut pas imposer à tout
le monde, de plein droit, la société d'acquêts parce que
cela ne fait pas l'affaire de tout le monde et qu'on veut laisser une certaine
liberté aux époux à ce sujet.
Là où on se dit que ce n'est plus une question de
liberté, mais vraiment une question sociale et une question de justice
fondamentale, c'est pour les biens de base de la famille. Quand on parle de
quelqu'un qui a une entreprise, quand on parle de quelqu'un qui fait des
investissements à la Bourse, ce ne sont plus les biens de base de la
famille. Ce sont les biens de base qui sont au coeur de la vie familiale qui
doivent être partagés. Tous les biens ne sont pas
nécessairement au coeur de la vie familiale. Ce que nous disons, c'est
que les biens qui, spécifiquement, ont été
accumulés en vue de la retraite sont au coeur de la vie familiale
puisqu'il s'agit d'une nécessité de base par opposition au luxe,
au surplus. On compte sur le fait que, déjà, le
législateur a tout un train de mesures législatives qui
distinguent certains biens et qui créent une incitation à
distinguer certains biens d'autres biens par rapport au but de ces biens, en
l'occurrence, la retraite.
Je donne ceci comme exemple. Un compte de banque, c'est vrai que, pour
bien des gens, cela peut ressembler à un REER - qui est à la
banque parce que les deux, dans le fond, sont déposés. Mais
à partir du moment où le législateur donne un incitatif
fiscal à investir dans la retraite, cela fait qu'une partie des biens
est détournée, et la famille et les citoyens sont incités
à mettre une étiquette sur ces biens, à les sortir des
autres biens. La même chose pour les fonds de pension privés qui
jouissent d'un traitement fiscal particulier.
Donc, le législateur incite les citoyens à mettre une
étiquette très précise sur certaines de leurs
épargnes. Ces épargnes, qui sont au moins la base, qui sont
identifiées spécifiquement comme devant servir à la
retraite, doivent être considérées comme faisant partie des
biens familiaux. Il n'est pas nécessaire d'inclure toutes les
épargnes dans les biens familiaux parce que le législateur a
déjà créé un incitatif à identifier
certaines de ces épargnes et à en faire une catégorie
à part.
À partir du moment où le législateur a
déjà tout un régime particulier qui pousse le citoyen
d'une façon forte, parce que cela peut représenter des
économies très importantes qui peuvent aller jusqu'à 50 %
dans certains cas ou même 60 % actuellement sur le dollar marginal, on
incite le citoyen à dire: Ce dollar, au lieu de te mettre à la
banque pour mes vieux jours dans un compte ordinaire, je vais le mettre dans un
régime d'épargne-retraite. À ce moment-là, il vient
de lui mettre une étiquette particulière: bien familial. Le
législateur a dit aussi: On ne peut pas mettre dans ces régimes
spéciaux de retraite n'importe quoi, selon un montant indéfini ou
indéterminé. Un millionnaire ne peut pas dire: Moi, je mets
chaque année 1 000 000 $ de côté pour ma retraite. Il peut
bien le faire, mais, fiscalement, ce n'est pas reconnu. On a fixé un
plafond pour cela. On a dit, par exemple, 15 000 $, 7500 $, selon les
époques, etc. Cela peut donc éviter pour l'État de se
ramasser avec des fonds de pension qui n'ont plus d'allure et que, finalement,
tous les biens des individus soient à l'épargne pour la retraite.
Cela veut dire aussi que, pour le citoyen ordinaire qui sera pris avec le
partage des biens familiaux ou qui va le vivre, il y a une espèce de
sécurité. Il sait que tous les ans il ne peut mettre plus d'un
certain montant dans ses REER ou dans ses fonds de pension. Donc, si, une
année, il a vraiment beaucoup d'argent, il n'y a pas de danger que ces
sommes entrent dans les biens familiaux et que cela lui soit retiré
alors que cela n'est pas son intention parce qu'il y a un plafond au fonds de
pension, au régime de retraite, à ce qui est fiscalement
déductible d'impôt. Donc, l'État, déjà, par
son système, protège un peu le citoyen qui ne voudrait pas que
tous ses biens passent dans les biens familiaux et, en même temps,
l'État - et cela est magnifique - incite les gens à identifier
certains biens en vue de la retraite et, donc, nous facilite la tâche
quand on dit: On va les inclure dans les biens familiaux. Je ne sais pas si
cela répond complètement?
Mme Harel: Quelle belle démonstration! Le
Président (M. Filion): Oui, Me Fortin.
M. Fortin (Jean-Marie): J'aimerais ajouter ceci permettez-moi de
relier tout de même la
fiscalité à ce que vous mentionnez: Je pense que la
fiscalité répond aussi à votre question. À partir
du moment où de plus en plus de lois sont unanimes à faire
quelque chose, cela démontre jusqu'à un certain point que
l'objectif est à peu près unanime. Toutes les lois fiscales
canadiennes permettent exactement les mêmes déductions lorsqu'on
parle de Régime enregistré d'épargne-retraite ou de
régime de pension enregistré. Par contre, toutes les
fiscalités canadiennes n'ont pas la même intonation ou incitation
quand on parle de régime spéculatif. Par exemple, on a au
Québec le Régime enregistré d'épargne-actions qui
est unique au Canada; il n'y a aucune autre province qui a un régime
identique parce que c'est un outil d'activité économique que le
législateur a voulu imposer. La même chose pour les actions
accréditives où on n'a pas le même traitement fiscal que le
fédéral. Alors, déjà, il y a une notion
différente quant au véhicule fiscal que vous utilisez et
l'objectif pour lequel il a été posé.
Maintenant, pour aussi répondre à votre question, si vous
avez un particulier qui désire placer à )a retraite, mais qui a
un peu plus de notion ou de goût du risque, la fiscalité actuelle
des fonds de pension le permet par un Régime enregistré
d'épargne-retraite autogéré. Il peut, selon certaines
normes, placer aussi à la Bourse ou dans des actions cotées
à la Bourse. Déjà, vous permettez, jusqu'à un
certain point, dans les régimes enregistrés de retraite actuels,
à celui qui veut spéculer un peu plus, même dans
l'immobilier, de le faire à l'intérieur de son Régime
enregistré d'épargne-retraite. Sur l'aspect spéculation,
quand on regarde les commentaires que l'on fait à gauche et à
droite sur le krach de l'an passé, au Québec, on avait à
peu près 35 % de la population qui avait des placements à la
Bourse de Montréal. C'est un phénomène
nord-américain inégalé ailleurs. Depuis un an, on est
revenu à environ 8 % de la population québécoise qui place
à la Bourse.
Alors, l'aspect spéculation, ce n'est pas un aspect de base;
l'aspect de placer pour la retraite dans un revenu sûr, un placement plus
sécuritaire, c'est une notion de base.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me Fortin,
tout en soulignant que c'est malheureux que le ministre des Finances ne soit
pas avec nous. Tantôt, j'avais les oreilles bien ouvertes quand vous avez
souligné que notre fiscalité actuelle, quand vous avez redit ce
qu'on commence à savoir - mais, malheureusement, il se passe peu de
choses à ce niveau, il faut quand même le déplorer - que la
fiscalité actuelle désavantage les gens mariés. Quant
à moi, je retiens la suggestion, et peut-être qu'on pourra en
discuter un peu plus tard, la suggestion que vous faites d'une franchise
fiscale qui puisse couvrir l'ensemble des transactions issues du partage du
patrimoine familial. Je pense que c'est une première. Quant à
moi, c'est la pre- mière fois que cet argument est soulevé, mais
il est sûrement fort intéressant. Encore une fois, vous devrez
m'excuser si je quitte. Je laisse la parole à la ministre
déléguée à la Condition féminine.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Merci de
votre présentation et de votre excellent mémoire. On voit que,
comme plaideurs, vous êtes véritablement au coeur des
différends que vous devez régler entre les conjoints et que vous
êtes très sensibilisés à toute la
problématique que vivent de nombreux couples, et en particulier les
femmes.
Je vois que dans votre mémoire vous êtes d'accord avec le
partage, mais avec un partage plus élargi. Vous y incluez, entre autres,
les résidences secondaires, les régimes privés. Vous y
incluez aussi une part plus considérable par rapport aux meubles; je
pense aux objets d'art, aux oeuvres d'art, etc., ce qu'on ne voyait pas dans le
document. Vous avez aussi d'excellents arguments qui militent en faveur de
l'intégration des régimes privés, aux pages 2, 3, 4 et 5
de votre mémoire. Comme Mme la députée de Maisonneuve le
faisait remarquer tout à l'heure, vous avez aussi très bien
décrit les régimes privés.
L'aspect fiscal. Effectivement, vous êtes le premier groupe
à toucher à l'aspect fiscal. Il faut dire que, comme le document
est un document de consultation, que ce n'est pas un projet de loi, nous ne
sommes pas allés jusqu'à toucher à cet aspect fiscal, mais
je dois vous dire qu'il est tout à fait intéressant et tout
à fait normal que l'on touche à cet aspect fiscal. Je pense
à toutes les règles d'attribution, aux transferts de
propriété.
Mes prochaines questions toucheront, entre autres, l'aspect fiscal,
à la page 8 de votre mémoire où vous mentionnez qu'il faut
considérer la pension alimentaire versée à un conjoint
comme un revenu gagné aux fins des régimes de retraite, de rente
et de pension. J'aimerais que vous m'expliquiez exactement ce que vous voulez
dire par cela. C'est quoi exactement?
M. Fortin (Jean-Marie): Dans la fiscalité actuelle,
lorsque quelqu'un veut souscrire à un Régime enregistré
d'épargne-retraite, le maximum de sa contribution est basé sur
son revenu gagné. Alors, votre revenu gagné sera du revenu de
salaire, du revenu d'entreprise, mais on exclura le revenu
d'intérêt ou le revenu de bien, parce qu'on dit: Vous ne gagnez
pas ce revenu-là, c'est gagné par vos capitaux. À ce
moment-là, lorsqu'on est en situation de mariage... Présumons un
exemple où monsieur est le seul à avoir du revenu gagné.
Il pourra donc, pour le futur, pour la retraite, placer dans un régime
d'épargne-retraite des sommes équivalentes, jusqu'à un
maximum cette année de 7500 $, à 20 % de son revenu. Cela est en
fonction, dans notre concept, de revenu de retraite du couple ou de la
famille
dans le futur. À partir du moment où on défait le
lien matrimonial et que la seule source de revenu demeure le salaire de
monsieur, que monsieur transfère à madame par voie de pension
alimentaire des sommes d'argent, pour madame, ce revenu-là n'est pas un
revenu gagné et elle ne peut donc pas se constituer un fonds de pension
de son côté, même si on allait jusqu'à dire: On va
diviser la pension alimentaire de telle sorte que les revenus soient 50-50.
Alors, tout simplement en ajoutant dans la notion de revenu gagné la
notion de pension alimentaire, on pourra, dans les mains de madame, lui
permettre aussi, si elle le désire, à même ce partage
économique de ce qu'était avant l'entité de la famille ou
du couple, de capitaliser pour le futur et, elle-même, de se constituer
un fonds de pension pour le futur.
Mme Gagnon-Tremblay: À la page 14 de votre mémoire,
vous suggérez aussi que l'on tienne compte dans le calcul de la valeur
nette du patrimoine familial, plus particulièrement, dites-vous, dans le
caicul du passif des charges fiscales... C'est-à-dire que vous parlez du
passif des charges fiscales éventuelles. Pourriez-vous préciser
le type de charges auxquelles vous faites référence quand vous
parlez de charges fiscales éventuelles, lorsqu'on parle du calcul de la
valeur nette du patrimoine familial?
M. Fortin (Jean-Marie): Par exemple, et je vais revenir au fonds
de pension, si vous avez un homme qui a un fonds de pension de 40 000 $ et que,
lors de la dissolution du mariage, vous voulez faire ce transfert de 40 000 $,
il faut tenir compte du fait que la valeur économique des 40 000 $ n'est
pas 40 000 $, mais 40 000 $ moins la charge fiscale qui y est rattachée,
parce que le fonds de pension, c'est de l'impôt différé.
Très souvent, devant les tribunaux, le juge va dire: Monsieur va
transférer 40 000 $ à madame à titre de prestation
compensatoire ou de somme globale. Monsieur a un fonds de pension de 40 000 $
et il va le verser à madame, il va le transférer à madame.
Cela se fait entre les conjoints à l'heure actuelle en franchise
d'impôt. Lorsque madame retirera les 40 000 $, c'est elle qui va payer
l'impôt dessus. Et si elle les retire d'un coup sec, c'est 50 % de
pénalité ou 47 % et quelque chose. C'est 20 000 $, la valeur
nette de ce bien-là. Donc, il faut s'assurer que le partage se fasse en
fonction d'une dette fiscale attachée et, en commercial, on appelle cela
l'impôt reporté. Alors, il faut en tenir compte.
Un deuxième exemple. On peut avoir sur tous les biens tout autre
bien donnant lieu à des gains en capitaux dans le futur. Par les
règles d'attribution, à l'heure actuelle, on va faire en sorte
que... D'abord, par le roulement fiscal qui se fait entre conjoints, on va
permettre le transfert de biens entre conjoints en franchise d'impôt. Si
on ne fait pas les bons choix, ce sera madame dans le futur qui va être
imposée sur la plus-value de l'immeuble pendant le temps où
monsieur l'avait. Alors, si ce n'est pas un bien familial, il faut tenir compte
du fait qu'il y a peut-être une plus-value qui a appartenu à
monsieur pendant qu'il en était propriétaire et soit forcer un
choix fiscal faisant en sorte que la fiscalité s'applique ou bien
attribuer une valeur économique nette de cette charge fiscale dans le
futur lorsque madame en disposera à ce moment-là. Je pense qu'il
y a une équité à aller chercher sur ce plan pour que, lors
de la dissolution du mariage, on maintienne cette notion de partage des biens
familiaux et non familiaux qu'on avait l'intention de maintenir dès le
départ. On part du principe que, quand on est en mariage et quand on se
marie, c'est une notion de partage. Quand on divorce, bien, il faut se rappeler
qu'initialement c'était l'objectif. Si on veut que le partage se fasse
en fonction de l'objectif initial, il faut faire attention que les charges
fiscales respectent cette notion-là et n'attribuent pas la
fiscalité à l'un ou à l'autre, ou forcent des choix
où la plupart du temps c'est celui qui a la force économique la
plus importante qui peut imposer sa position. (11 h 15)
Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Je trouve cela très
intéressant.
M. Senécal: Excusez-moi. Ce que l'on veut souligner aussi,
c'est que c'est important de le préciser dans la législation,
parce qu'il arrive à l'occasion ou il est arrivé... Quand
Jean-Marie parlait tantôt de fonds de pension, en fait, ce sont les REER,
parce que les fonds de pension ne se partagent pas. Ce sont les régimes
enregistrés d'épargne-retraite qui peuvent être
transférés; actuellement, l'impôt le permet. Il peut
arriver dans certains cas, lorsqu'un tel transfert est fait, que le juge
à qui s'est présenté oublie de tenir compte de l'impact
fiscal et donc ce n'est pas, par exemple, 15 000 $ nets qui sont
transférés ou 40 000 $, mais une somme bien moindre. C'est utile
de le préciser dans la législation pour que les tribunaux
n'oublient pas d'en tenir compte et les praticiens aussi.
Mme Gagnon-Tremblay: Dans votre document, vous semblez être
contre l'augmentation du montant minimal de la créance de celui qui
entend saisir la résidence familiale, c'est-à-dire qui passerait
dans notre document de consultation de 5000 $ à 10 000 $. Par contre,
vous semblez d'accord avec les 70 % concernant la vente forcée. Hier, la
Confédération des caisses populaires venait nous sensibiliser
à toute la problématique de la vente forcée et semblait
nous dire que 70 %, c'est beaucoup trop élevé, étant
donné la valeur de cet immeuble vendu justement de façon
forcée, et que, compte tenu du fait que l'on hypothèque souvent
70 % ou 75 % de la valeur, dans plusieurs cas, il pourrait être difficile
de revendre ces immeubles jusqu'à concurrence de 70 %. J'aimerais vous
entendre un
peu là-dessus, parce que vous semblez, d'une part, être
contre le fart d'augmenter la créance saisissable à 10 000 $ et,
d'autre part, vous semblez d'accord avec les 70 % de la vente
forcée.
Mme Borenstein: Si vous me permettez de répondre à
votre question, ce que l'on veut sur les deux points, sur les 5000 $ ou 10 000
$, ou sur les 70 %, c'est l'uniformité, c'est-à-dire ne pas avoir
un traitement spécial lorsque l'on parle de résidence familiale
ou de biens meubles. Que ce soit 5000 $ ou 10 000 $, on veut que ce soit
uniforme, pas seulement dans le cas de la résidence familiale ou des
meubles, mais que ce soient les articles du Code de procédure civile qui
s'appliquent en tout cas pour la saisie. De la même façon, la
vente d'un immeuble, que ce ne soit pas seulement la vente de la
résidence familiale, mais la vente d'un immeuble en
général dans le Code de procédure civile. Que ce soit 70
%, ou 60 %, ou 50 %, ce sera à déterminer, mais que ce soit
uniforme et non seulement vis-à-vis de la résidence
familiale.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Quant à la prestation
compensatoire, vous précisez qu'elle ne devrait s'appliquer qu'aux biens
dits non familiaux qui toucheraient davantage les femmes collaboratrices. Par
contre, on a eu une excellente suggestion du Conseil du statut de la femme et
je pense de certains groupes qui sont venus nous dire: II arrive dans plusieurs
cas qu'il n'y a pas de résidence familiale, qu'il n'y a pas de
résidence secondaire; il peut y avoir un voilier, par exemple, ou des
régimes de pension, mais malgré tout cela qu'il y ait une
entreprise, et il pourrait arriver que, lors de la dissolution du
régime, on n'ait pas ou très peu de biens familiaux à
partager, mais qu'on ait quantité d'autres biens. Ces groupes nous
suggéraient de conserver la prestation compensatoire pour ces cas
très spécifiques, au cas où il n'y aurait pas de biens
à partager.
Mme Borenstein: Mais nous sommes tout à fait d'accord avec
ceci, parce qu'il s'agirait de la prestation compensatoire pour les biens non
familiaux et c'est exactement ce que nous disons. S'il y a des biens familiaux,
ils sont partagés; s'il n'y en a pas ou s'il y en a très peu, le
principe de la prestation compensatoire serait appliqué aux biens non
familiaux tels que l'entreprise.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord, merci.
M. Senécal: Je pourrais ajouter ceci: On est d'accord
qu'avec la réforme la prestation compensatoire demeure utile dans son
champ d'application. Ce que l'on veut éviter, c'est qu'elle ne
s'applique aux biens familiaux, comme on le voit aux États-Unis, par
exemple, où ce genre de mesure, loin d'aider, nuit. Si on permettait la
prestation compensatoire pour les biens familiaux, ce serait ouvrir la porte
à un partage inégal des biens familiaux pour toutes sortes de
considérations. Cela veut dire que la moindre cause serait
contestée. Un mari pourrait dire: J'ai des chances que ma femme, au lieu
d'en avoir la moitié, en ait seulement 30 %, je vais m'essayer. Il faut
vraiment éviter les batailles entre époux. Je pense que, si les
biens familiaux sont très clairement définis... Ce qui est
merveilleux en société d'acquêts et en communauté de
biens, c'est qu'il y a très peu de litiges devant les tribunaux, il n'y
en a pratiquement pas. Tout se règle parce qu'on sait ce qu'il faut
partager. On dit: On n'a pas le choix, la moitié de cela, c'est la
moitié de cela. On va discuter un peu sur la valeur du bien, sur les
dettes, mais c'est extrêmement rare qu'on plaide en société
d'acquêts ou en communauté de biens. Le gros avantage en
étant précis sur les biens familiaux et en évitant le plus
possible la discrétion judiciaire, c'est qu'on évite toutes les
batailles. De toute façon, on ne vient pas prêcher pour qu'il y
ait de plus en plus de litiges et donc de plus en plus d'avocats occupés
là-dessus, mais, au contraire, pour qu'on évite les litiges qui
font tellement mal dans ce domaine.
Mme Gagnon-Tremblay: Je pense que ce que vous dites est tout
à fait juste. Cela m'amène à une dernière question
concernant les mesures transitoires. Vous êtes contre cette mesure
transitoire d'accorder aux couples déjà mariés en
séparation de biens une période de trois ans pour pouvoir
renoncer. Je comprends que, au départ, ce n'est pas le délai
comme tel, je pense que ce que vous voulez éviter, c'est qu'il y ait
davantage de pressions sur un conjoint, davantage de disputes aussi. Par
contre, on a aussi beaucoup de personnes qui nous contactent depuis que nous
sommes en commission parlementaire et qui nous font valoir qu'ils ont
déjà réglé, entre conjoints séparés
de biens, le partage de certains biens; plusieurs femmes sont
déjà propriétaires d'immeubles, et ainsi de suite. Ces
personnes semblent un peu troublées du fait qu'on viendrait
s'ingérer dans le règlement de vie qu'ils ont déjà
choisi. Est-ce que cela veut dire que vous êtes carrément contre
toute mesure ou si vous pourriez, malgré tout, être d'accord pour
une mesure qui serait de moins longue durée? Êtes-vous
carrément contre cette mesure?
M. Senécal: Nous sommes radicalement contre l'idée
même, peu importe le délai. Cette question est très
importante et on doit y apporter toute la réponse qu'il faut. Souvent,
on entend parler des droits acquis: On a des droits acquis pour telle chose. Je
pense qu'il faut vraiment placer toute cette question dans son contexte. Il y a
une notion juridique au départ qui explique toute votre philosophie sur
cela, sans compter les considérations sociales, ne serait-ce que
juridiquement. Lorsque le Parlement
adopte une loi correctrice - et c'est de cela qu'il s'agit - c'est une
loi qui vise à régler des difficultés, à apporter
un remède à des problèmes. Une loi correctrice, c'est
nécessairement d'application immédiate; cela vise
nécessairement à corriger une situation, actuelle ou
passée, puisque cela vise à apporter un remède. Une loi
correctrice en droit, par essence, est d'application immédiate et ne
fait pas référence aux droits acquis. Quand on veut corriger des
iniquités, il ne s'agit plus de droits acquis. En droit, on va discuter
des droits acquis, par exemple, au niveau municipal ou à d'autres
niveaux régulièrement, mais, quand le Parlement adopte un
remède à un problème, il ne s'agit plus de droits acquis,
le Parlement dit: Justement, il y a des problèmes, il y a des maux, il y
a des bobos, et c'est ce qu'on veut régler actuellement. C'est de cela
qu'il s'agit dans une mesure correctrice. Il faut penser aussi que, chaque fois
que l'État pense que socialement une mesure est nécessaire, comme
c'est le cas du partage des biens familiaux, il est tout à fait
justifié de dire: C'est comme cela à partir de maintenant et
à partir d'aujourd'hui.
Je souris toujours un peu quand je rencontre des gens qui, à
l'occasion, vont me parler des droits acquis. Il faut voir la réforme
qui a été faite depuis dix ans en droit de la famille, qui a fait
perdre des droits considérables aux femmes, et on n'avait jamais
parlé de droits acquis. Quand on a dit aux épouses: Votre contrat
de mariage qui contient une donation de 25 000 $ au décès,
à partir d'aujourd'hui, ce n'est plus bon, l'État pense que,
socialement, lors d'un divorce, il ne faut plus continuer à
traîner cela. Comme individu, vous avez pensé le contraire lorsque
vous avez fait votre contrat de mariage, mais l'État doit voir le bien
général, et le bien général dans notre perspective,
ce n'est pas correct qu'une fois divorcés - on veut que vous
recréiez une autre famille, etc. - que vous traîniez des boulets.
On dit: II faut écarter la loi privée des parties. On l'a fait
joyeusement, on a dit: Vos contrats de mariage, mesdames, ne valent plus rien.
Quand on a dit à l'épouse qui avait un contrat de mariage... Il y
en a des tonnes en séparation de biens, c'était la règle.
Les gens écrivaient: Article 1, séparation de biens. Article 2,
l'époux s'engage à assumer seul les charges du ménage et
on ajoutait à l'occasion: Si madame y consacre quelque chose, elle ne
pourra pas réclamer, mais des fois cela n'y était même pas
puis elle pouvait réclamer. Donc, elle disait: Je renonce à un
partage de biens importants, mais mon mari dit qu'il va être le seul
à faire vivre la famille. Mais le 2 avril 1981, ces contrats de
mariage-là sont devenus sans effet et nuls. Ces femmes-là ont
perdu tout recours, ont perdu tout droit à ce niveau-là, et ce
sont des sommes considérables. On leur a dit: Socialement, ce n'est pas
acceptable; si on accepte l'égalité, cela veut dire que vous
devez assumer les charges de la famille tous les deux.
Eh bien, on le leur a retiré comme cela, joyeusement, sans aucune
réserve, en disant: On pense que socialement c'est nécessaire.
C'est la même chose ici. Socialement, l'État dit: II faut corriger
des injustices; socialement, c'est nécessaire le partage des biens
familiaux. Alors, l'État à partir d'aujourd'hui dit: Cela va
être comme cela, les biens familiaux vont être partagés.
Cela a été comme cela dans à peu près toutes les
juridictions où on a adopté la question des biens familiaux, et
vous avez mis le doigt sur la raison fondamentale. Si on permet aux gens de
s'exclure, les dangers que cela implique, c'est que, finalement, lorsqu'on
permet à des époux de se déchirer pour en arriver... Si la
pression est assez forte, il ou elle va finir par signer pour renoncer à
tel droit. On va finalement défavoriser les familles, leur nuire, et je
pense que vous l'avez bien souligné en disant qu'on allait favoriser les
déchirements, les engueulades et peut-être même provoquer
des ruptures. Merci.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: M. le Président, je vais me retenir du plaisir
que j'aurais à vous reposer les questions similaires à celles de
Mme la ministre pour avoir le plaisir d'entendre de tous les quatre des
réponses aussi claires. D'entrée de jeu, malheureusement, j'ai
peu de temps, mais je souhaitais quand même laisser à mon
collègue de Taillon la possibilité de vous interroger puisque
cela vous a permis de faire l'illustration assez éloquente des arguments
qui plaident en faveur de l'inclusion des régimes privés de
retraite et, par ce fait même, de contrer les arguments des adversaires
qui prétendent qu'il faudrait tout mettre, y compris les
épargnes, etc., pour justifier le fait de ne pas y inclure les
régimes privés de retraite.
Alors, comme vous avez fait cette démonstration, je voudrais par
ailleurs faire une première remarque avant de poser mes questions et
elle sera très brève, M. le Président. Il faut le
constater, c'est intéressant de voir que le Barreau, loin d'être
à la défensive sur ses champs de pratique, est au contraire, je
dirais, à "l'avancé" à démontrer sa capacité
de proposer des changements majeurs, des changements fondamentaux au
législateur. Je vous en félicite, Me Borenstein et Me
Vadboncoeur. Je sais que vous suivez de très près depuis
maintenant des années toute la question de la réforme, notamment,
du Code civil.
J'aurais souhaité que le ministre de la Justice reste avec nous;
c'était sa première visite, elle a été un peu
courte. J'espère qu'il reviendra parce que je veux, au nom des groupes
qui vous ont précédés et de ceux qui vont venir aussi, lui
poser une question sur son échéancier. Puisque nous sommes
à deux ans de la mise sur pied du comité sur les droits
économiques des conjoints, à un an du rapport, nous ne sommes
toujours que devant un document qui n'est ni un avant-projet ni un
projet de loi. Nous aurons sans doute, et je l'espère, à vous
entendre à nouveau lors du dépôt du projet de loi
lui-même pour que nous puissions examiner article par article ce que
votre expertise de légistes peut nous y indiquer.
Alors, nous nous trouvons donc devant un document. J'aurai l'occasion,
je l'espère, de poser la question de l'échéancier au
ministre. Cependant, puisque vous êtes avec nous et qu'il y a des
questions vraiment intéressantes, je conclus sur cette remarque en vous
disant que c'est quand même intéressant de voir que le Barreau, et
je notais, Me Borenstein, à l'introduction de )a prestation que vous
nous faites, que vous insistiez sur le fait qu'il faut éviter que l'un
des époux ait à quémander son dû. Je note
également, dans le mémoire que vous nous présentez, que
vous insistez sur la nécessité de déjudicia-riser les
rapports et d'éviter les discrétions judiciaires - on retrouve
cela à la page 10 - une trop grande discrétion judiciaire,
dites-vous. (11 h 30)
Vous notez également - je vais simplement le signaler pour les
fins de nos travaux - dans le mémoire... Mme la ministre vous a
parlé des mesures transitoires. Vous signaliez qu'il fallait envisager
les nouvelles dispositions du patrimoine partageable plus comme une mesure
correctrice d'ordre public et, donc, comme une politique à
caractère social. Vous notez également dans votre mémoire
que la renonciation ne devrait pas être possible, mais vous proposez une
modalité intéressante. Je ne sais pas si vous voulez vous
prononcer là-dessus. C'est celle qui consiste à signaler que le
partage devrait se faire en valeur. Peut-être voudriez-vous prendre les
quelques minutes qui nous restent pour nous expliquer ce que vous entendez par
là.
J'aimerais également signaler que votre mémoire propose
une bonification du mécanisme de partage des rentes publiques. Vous
proposez qu'il ne soit plus nécessaire de faire une demande lors d'un
jugement, mais qu'au contraire il ne soit plus possible d'y renoncer et que
cela ne soit plus sujet à prescription, comme c'est le cas maintenant -
je pense que c'est deux années après le jugement - et que, donc,
cela devrait se faire à la suite de la signification par le tribunal;
cela devrait se faire par la Régie des rentes dès qu'il y a
signification du jugement. Je pense que cela serait intéressant de vous
entendre là-dessus.
C'est plus à votre collègue qui s'occupe des questions
fiscales, Me Fortin, que je voudrais poser mes questions. D'une part, vous
êtes le premier - je pense que vous serez sans doute le seul - qui,
devant la commission, abordez toute cette dimension du droit fiscal en regard
de la famille. C'est à la page 8 essentiellement. J'aimerais vous
interroger là-dessus.
Me Fortin, vous nous dites que l'institution du manage est
défavorisée par la fiscalité actuellement. Vous nous avez
dit, avec raison, que la famille était à la base de toute
société. Évidemment, il ne faut pas confondre famille et
mariage, étant entendu qu'il y a près de 200 000 familles qui
sont en union de fait au Québec et à qui le législateur
doit s'intéresser également.
Vous nous avez assez bien illustré - et je vous en remercie -
vous nous avez donné divers exemples où il y avait
défavorisation. Est-ce qu'il ne faut pas, par ailleurs, faire bien
attention au fait qu'actuellement la fiscalité est incohérente
pour tout le monde? Parce que, en vous entendant, j'ai craint qu'on n'ait
l'impression qu'on favorisait les conjoints de fait et qu'on
défavorisait les conjoints en mariage. J'ai eu à travailler de
très près à un dossier qui est celui des femmes pauvres
dans la société, bénéficiaires de l'aide sociale.
Présentement, d'une façon assez systématique, dans le
cadre des visites à domicile, l'État cherche un homme dans la vie
de ces femmes pour le rendre responsable de leur entretien à elles et de
celle de leurs enfants dont il n'est généralement pas le
père, puisque c'est le nouvel ami de la mère, sans qu'il y ait
pour autant obligation alimentaire en vertu du Code civil et sans que pour
autant il y ait possibilité pour cet homme, s'il voit à
l'entretien de cette femme et de ses enfants, de bénéficier des
déductions fiscales pour personnes mariées ou pour enfants
à charge.
D'autre part, si cette femme, comme vous le mentionniez en regard de la
pension alimentaire - j'écoutais attentivement la réponse que
vous donniez à Mme la ministre - a un revenu d'emploi, la pension est
considérée comme un revenu gagné et est imposable. C'est
uniquement lorsque madame n'a pas de revenu d'emploi et qu'elle reçoit
une pension alimentaire que, là, ce n'est plus un revenu gagné.
Par ailleurs, si madame est conjointe de fait, sans revenu d'emploi, son
conjoint ne peut pas avoir la déduction, mais, si elle est conjointe de
fait, si vous voulez, sans homme dans sa vie et si elle reçoit de l'aide
sociale, il est évident que l'aide sociale ne reconnaîtra pas ce
revenu comme l'équivalent d'un gain de travail admissible. Mais, si elle
va sur le marché du travail, elle devra alors additionner sa pension
comme revenu imposable. Il y a une incohérence qui, dans une certaine
mesure, présentement, en matière de fiscalité - vous me
permettrez une mauvaise expression - arrose un peu tout le monde. Je ne sais
pas s'il serait plus opportun d'exiger toute une reconsidération en
matière familiale, en examinant d'une certaine façon à la
fois les incohérences pour les couples qui sont mariés tout
autant que pour ceux qui sont en union de fait. Je ne sais pas si vous avez
déjà eu l'occasion d'examiner plus à fond cette
question?
M. Fortin (Jean-Marie): À l'heure actuelle, quand on
regarde la fiscalité, je pense qu'on peut facilement dire que la
fiscalité est beaucoup
plus avantageuse pour les couples de fait que pour les couples
mariés. Il y a de moins en moins de raisons fiscales de se marier, si on
parle de fiscalité, et, une fois mariés, il y a de plus en plus
d'avantages à divorcer fiscalement, sur une base économique. Je
ne vous parle pas uniquement...
Mme Harel: Est-ce que cela vaut uniquement pour les couples qui
ont des biens à partager?
M. Fortin (Jean-Marie): Pas uniquement pour les couples qui ont
des biens à partager. Prenez toute la question des exemptions qui sont
maintenant des crédits d'impôt. Je vous donne seulement un exemple
sur la question des charges familiales que la fiscalité reconnaît
comme devant, d'une part, être en franchise d'impôt, comme mesure
de sécurité de base. J'ai déjà eu à plaider
ce qu'était l'indigence. Entre autres, un des critères pour moi
était la reconnaissance du revenu non imposable, alors que la base
politique dit ceci: Si tu veux voter, paie tes impôts. Mais quelque part,
on dit qu'il y a des besoins essentiels sur lesquels on ne devrait pas
être imposé. Sur cette base, en fiscalité, on avait,
jusqu'à la dernière réforme, les exemptions personnelles
qui sont maintenant des crédits d'impôt. Les crédits
d'impôt sont attachés à la personne. Si vous avez un couple
marié qui a deux enfants, fiscalement, il est beaucoup plus avantageux
que ces personnes divorcent et qu'une personne prenne un enfant à
charge, aille chercher l'exemption ou le crédit d'impôt pour
enfant à titre d'équivalent marié, que l'autre conjoint,
devenu l'ex-conjoint, prenne l'autre enfant à charge et aille chercher
le crédit d'impôt à son tour pour un autre enfant à
titre d'équivalent marié également. Vous retirez ainsi
plusieurs milliers de dollars en crédits d'impôt
supplémentaires.
Vous avez donc là une mesure personnelle qui, quand on l'applique
en soi, sans regarder la base même de sa fiscalité, est plus
avantageuse pour un couple non marié que pour un couple marié. Je
ne veux pas entrer dans la discussion, à savoir si on devrait favoriser
les couples non mariés par rapport aux couples mariés. Je pense
que c'est une question sociale et que c'est votre rôle de faire un choix
là-dessus. Ma réponse n'engage que moi, mais à ce
chapitre, vous devez faire le choix, si vous voulez regarder la
fiscalité, pour savoir si ia fiscalité doit être un moteur
d'activité économique pour les couples. Dans le dernier budget,
on a une politique que j'ai qualifiée plus de nataliste que de
familiale. J'aurais préféré qu'on y attache le nom de
politique familiale par les subventions que l'on donne au premier enfant
né, au deuxième et au troisième. Mol qui en ai quatre, je
me suis dit: Mon Dou! qu'est-ce qui m'arrive à moi? Est-ce que cette
affaire peut être rétroactive?
Je pense que, si on laisse la notion natalis- te à ce programme,
on manque une belle possibilité d'être les promoteurs de la
famille, de ce lien économique qui peut être beaucoup plus
productif et qui est en fait plus productif qu'une union de fait ou que des
personnes divorcées. Si vous voulez me parler des familles
monoparentales, cela coûte extrêmement cher. La Cour suprême
l'a retenu dans l'arrêt Gagnon: il est clair qu'il en coûte plus
cher à un couple séparé qu'à une seule
entité. C'est pourquoi la loi reconnaît à la base un
certain fractionnement de revenu pour les personnes divorcées, quand il
y a une pension alimentaire. Rattacher à cela la fiscalité des
individus eux-mêmes, je pense qu'on ne parle plus de la même chose.
On parle d'une union de fait et c'est un choix social que deux personnes font.
La fiscalité y répond actuellement d'une façon très
avantageuse. Lorsque deux personnes veulent s'unir pour former un couple, se
marier et former ce qu'on appelle une famille, au sens juridique du terme,
j'entends, à ce moment-là, la fiscalité les
défavorise. Il y a un choix à faire. Il est vrai que des
iniquités se font à ce sujet.
Mme Harel: Me Fortin, c'est intéressant. Par ailleurs, je
vous avoue que, compte tenu des autres dossiers dont j'ai a m'occuper comme
porte-parole de l'Opposition, ce n'est pas convaincant parce que vous me donnez
l'exemple de l'équivalent de personnes mariées. Par ailleurs, je
pourrais vous citer l'équivalent d'enfants à charge,
l'équivalent de personnes mariées pour les enfants à
charge qui, malgré tout, avec le dernier budget du ministre des
Finances, va se trouver à être bien tempéré par
l'introduction de la nouvelle cohabitation d'un an. Vous avez sans doute pris
connaissance de cette nouvelle disposition qui va faire que les conjoints de
fait, les chefs de famille monoparentale qui ont un nouveau conjoint de fait,
même s'il n'est pas le père de leur enfant, vont devoir,
après un an, en vertu donc de ce nouveau budget, déclarer la
cohabitation et ils ne seront plus admissibles à l'équivalence
des gens mariés pour l'enfant. C'est dans le dernier budget.
Par ailleurs, tantôt, vous citiez le droit de voter qui est
beaucoup plus associé à la citoyenneté qu'au fait
d'être contribuable.
M. Fortin (Jean-Marie): Je vous parle des vieilles notions...
Mme Harel: Oui, mais disons que la notion actuelle...
M. Fortin (Jean-Marie):... de base qui existaient...
Mme Harel:... c'est plus la citoyenneté.
M. Fortin (Jean-Marie):... quand même au Canada.
Mme Harel: Oui.
M. Fortin (Jean-Marie): Quand on fait ces recherches dans le
temps, on retrouve la base des exemptions personnelles qui, à ce
moment-là, étaient une grosse question. Quand on a introduit au
Canada, en 1917, la notion d'exemption de base sur 2000 $ de revenu,
c'était énorme dans le temps. La question qu'on se posait: Est-il
constitutionnel de le faire parce que, pour que quelqu'un puisse voter, il faut
qu'il puisse contribuer? Là, on éliminait une série de
gens.
Mme Harel: D'accord.
M. Fortin (Jean-Marie): Alors, ce sont de veilles notions.
Mme Harel: Disons qu'on peut s'entendre certainement sur une
chose, c'est que ce n'est pas à l'État de faire des choix. Il
faut laisser la pleine possibilité de faire des choix aux personnes dans
notre société. Alors, l'État doit certainement
réviser complètement la fiscalité qui ne l'a pas
été et qui repose toujours sur une sorte de conception du
paterfamilias pour toute la fiscalité. C'est pour cela que c'est
intéressant - je conclus là-dessus - qu'il est intéressant
que vous nous en parliez parce qu'il n'est pas possible d'introduire
l'égalité juridique sans introduire pour autant des modifications
majeures en matière fiscale et modifier cette conception du
paterfamilias de la fiscalité d'un homme pourvoyeur, d'une femme
à la maison, et cet homme pourvoyeur peut utiliser des déductions
pour cette personne, des déductions pour ses enfants à charge,
même quand ils sont adultes, s'ils sont aux études; pour la fille,
jusqu'à ce qu'elle se marie et le garçon jusqu'à ce qu'il
aille travailler. C'est comme cela, c'est sur ce fondement que notre
fiscalité repose. Cela vaut autant pour les conjoints de fait que pour
les personnes en mariage.
Je conclus que le Barreau nous indique déjà d'excellentes
recommandations, y compris celles d'allouer la déduction de personne
mariée, si elle est maintenue au conjoint, plutôt qu'au pourvoyeur
- je pense que c'est une excellente recommandation - y compris celle de
considérer comme un revenu gagné la pension alimentaire
versée au conjoint. Je vous remercie pour ces pistes que vous nous
apportez.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Mme la
députée de Maisonneuve. Je vais reconnaître M. le
député de Marquette, adjoint au ministre de la Justice.
M. Dauphin: Oui, merci, M. le Président. À mon
tour, au nom du ministre de la Justice, de vous remercier d'avoir
participé à nos travaux et à nos auditions, et pour la
qualité de la préparation et de la présentation de votre
mémoire. C'était très clair. Je me joins à Mme la
ministre déléguée à la Condition féminine et
à Mme la députée de Maisonneuve pour vous féliciter
de votre excellent mémoire.
Je sais que mon temps est presque écoulé, bien que je
n'aie pas ambitionné sur le temps jusqu'à maintenant. Je n'ai pas
l'intention non plus de reprendre tout ce qui a été dit.
Cependant, Me Senécal, vous disiez tantôt qu'une liste limitative
comporterait l'aspect qu'on recourrait moins souvent aux tribunaux,
étant donné que ce serait plus clair; quand tout est clair, il y
a moins de chances de judiciarisation. Cependant, vous nous proposez à
un certain moment que, pour les trois ans précédant la cessation
de la vie commune, le tribunal ordonne un versement compensatoire, à
moins qu'il ne soit prouvé que le produit du bien aliéné
ou grevé a été utilisé au bénéfice de
la famille. Et, un peu plus loin, si le bien avait été
aliéné en deçà du délai de trois ans, il
serait toujours possible de recourir aux tribunaux. (11 h 45)
J'aimerais vous entendre sur cela. Vous dites, d'un côté,
qu'il faut judiciariser le moins possible. Par une mesure semblable, est-ce que
vous n'êtes pas d'accord que cela - je ne ferai pas de la politique toute
ma vie - nous aiderait probablement en pratique à avoir plusieurs causes
éventuellement? Vous comprenez le sens de ma question, au fond?
M. Senécal: Oui, absolument. Cela fait
référence à l'une des propositions gouvernementales avec
laquelle nous étions particulièrement d'accord et que nous avons
trouvée très intéressante. Il y a un groupe qui l'a
peut-être déjà soulevé, mais nous n'en avions pas
fait état et nous étions tout à fait d'accord avec ce que
vous avez proposé. Lorsque vous avez dit: Écoutez, si quelqu'un
aliène un bien familial et que survient une rupture ensuite, est-ce
qu'il ne faudrait pas prévoir pour le tribunal le droit de dire que ce
bien fraîchement aliéné fera partie des biens familiaux? Le
cas classique. On peut supposer que monsieur vend la résidence
familiale, ou prenons une automobile, il n'a pas besoin du consentement de sa
femme. Il vend son automobile juste avant le divorce. S'il s'agit de la
dernière "minoune" achetée au coin de la rue à 600 $, il
n'y a pas trop de problème; mais, s'il s'agit de sa Mercedes, cela fait
peut-être une différence.
Alors, si quelqu'un aliène un bien familial juste avant le
partage, pour éviter justement qu'il ne fasse partie du partage, c'est
peut-être une bonne idée de donner au tribunal le pouvoir
d'ordonner que ce bien dont on vient de disposer soit inclus dans les biens
partagés. On y voyait une difficulté, mais on était tout
à fait d'accord avec la proposition. On s'est dit: Écoutez, c'est
quoi la limite? Il faut tout de même favoriser aussi la liberté
des transactions. On a dit qu'on était d'accord pour que la personne
reste propriétaire du bien pendant le régime pour
éviter
que cela ne prenne toujours le consentement des deux, sauf pour la
résidence familiale et les meubles. Est-ce qu'on va remonter à il
y a 15 ou 20 ans? Madame va dire: II y a 20 ans, monsieur a vendu telle chose.
J'ai le droit de réclamer quelque chose, ou monsieur va dire... Alors,
on s'est dit: II faut peut-être mettre une limite. On a
suggéré trois ans en faisant référence au nouveau
livre que vous allez peut-être adopter sur la prescription dans le projet
de réforme du Code civil, le délai de trois ans qui est
déjà prévu ailleurs dans le Code civil actuellement. On
s'est dit: Que votre proposition s'applique, c'est-à-dire que le juge
ait le droit de rattacher un bien fraîchement vendu aux biens familiaux
au partage après un certain temps, mais qu'à l'intérieur
de trois ans cela soit automatique. Autrement dit, pendant les trois
premières années, on évite la judiciarisation et on dit
à monsieur: Vous avez vendu votre auto il y a six mois, elle fait partie
des biens familiaux à partager. Il y a dix ans, vous avez vendu une
automobile, cela a été consommé, cela servait à la
famille, etc. Sauf qu'il y a peut-être des cas de fraude, passé
trois ans, qui vont être rarissimes. Surtout avec le fardeau de la preuve
dont on parle, on veut que le conjoint défavorisé dans cela ait
le droit de dire: Écoutez, il y a un bien qui a été
aliéné il y a quatre ou cinq ans, mais vraiment en fraude de mes
droits, allez le chercher et incluez-le dans les biens familiaux. Que ce soit
possible de faire cette demande-là, mais il y a toute une côte
à remonter. C'est le sens de notre proposition. Dans la mesure où
la côte est dure à remonter et plus les années passeront,
ce sera évident, il n'y aura pas de litige, ce sera pour les cas
frauduleux seulement. Donc, déjà, cela va être plus
limité. Je pense que sur ce plan c'était simplement pour apporter
une précision a votre proposition.
J'ai oublié tantôt un argument à apporter quand Mme
la ministre déléguée à la Condition féminine
a posé la question: II y a des femmes actuellement qui sont
propriétaires d'une résidence familiale et qui sont très
inquiètes, à savoir si cela est inclus dans les biens familiaux.
Je dis que c'est une raison supplémentaire pour inclure le partage des
rentes. Ces femmes qui sont propriétaires de la résidence
familiale, si on ne leur donne rien en retour, elles ne comprendront pas. Si on
leur dit: Oui, écoutez, cela s'inscrit dans une réforme globale,
vous avez droit à la moitié des fonds de retraite de votre
époux, bien, cela fait toute une différence. Souvent, les rentes
sont d'un montant supérieur à la résidence familiale. Par
ailleurs, il y a bien sûr le principe que, si c'est bon pour les hommes,
c'est pour les femmes, etc. Je m'excuse d'avoir oublié cet
argument-là.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. En conclusion,
Mme la ministre?
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, avant de conclure, je voudrais
souligner la présence de mon collègue et ministre
délégué à la Famille, Robert Dutil, qui est venu se
joindre à nous. Je pense que cela montre bien que c'est un
problème. Quand on se marie, on crée une véritable
institution, un véritable partenariat. Ce n'est pas uniquement une
affaire de femmes, mais bien une affaire de famille. Je suis tout à fait
heureuse de constater que notre collègue s'est joint à nous.
Je voulais tout simplement vous remercier, tous quatre, pour
l'excellente présentation. On voit que vous avez quand même une
expertise qui est de longue date dans ce dossier. Je suis persuadée
qu'on aura sûrement recours à vos bons services à un moment
donné ou à votre expertise dans l'élaboration d'un projet
de loi sur le partage des droits économiques. Merci infiniment.
Le Président (M. Marcil): Bien, merci beaucoup...
Une voix: Merci de nous avoir reçus.
Mme Borenstein: Merci de nous avoir reçus.
Le Président (M. Marcil):... de vous être
prêtés à cette audience. Nous allons suspendre les travaux
pour une minute.
(Suspension de la séance à 11 h 52)
(Reprise à 11 h 53)
Le Président (M. Marcil): À l'ordre, s'il vous
plaît! Je demanderais au Comité exécutif provincial des
cercles de fermières du Québec de s'approcher.
Nous reprenons nos travaux. S'il vous plaît, M. Dauphin.
Je demanderais aux membres des... Est-ce que, les membres du
Comité exécutif provincial des cercles de fermières du
Québec, vous pouvez vous avancer, prendre place en avant? Nous allons
débuter immédiatement.
S'il vous plaît, si vous voulez regagner vos places.
Mme Noëlla Huot, présidente provinciale, Mme Lise Nicole,
vice-présidente, de même que Mme Marthe Hunt, conseillère
régionale. Vous connaissez un peu la procédure de cette audience.
Nous avons une enveloppe d'environ 60 minutes et vous laissons
immédiatement la parole.
Comité exécutif provincial des cercles
de fermières du Québec
Mme Huot (Noëlla): Madame et monsieur les ministres, bonjour
à chacun, en tout cas. La présentation de mes compagnes est
faite, cela va. Alors, il nous fait plaisir ce matin de présenter le
point de vue des cercles de fermières du Québec. Au tout
début, nous devons bien admet-
tre, on l'admet bien sincèrement, que nous ne sommes pas des
spécialistes en droit, mais que notre spécialité vient du
vécu et des besoins de nos membres, c'est-à-dire des femmes. Soit
dit en passant, les diverses positions que le Barreau vient d'exprimer nous
touchent et nous plaisent; en tout cas, à première vue, il y en a
plusieurs et je tiens à le souligner.
Les cercles de fermières du Québec c'est une association
sans but lucratif ayant pour principal objectif la défense et la
promotion des intérêts de la femme et de la famille. Ils prennent
part depuis plusieurs années aux différents débats
sociopolitiques. Les cercles de fermières existent depuis 1915; alors ce
n'est pas une association qui est née d'hier. L'autonomie des individus
et l'égalité entre les hommes et les femmes ont toujours
été au coeur de nos préoccupations. Nos 60 000 membres -
c'est quelque chose - réparties en 870 cercles locaux proviennent de
régions tant rurales qu'urbaines et de tous les milieux sociaux. En cela
et en bien d'autres aspects, elles sont représentatives d'une bonne
partie de la population québécoise. C'est pourquoi, lorsqu'elles
réfléchissent individuellement et collectivement sur des projets
ou des politiques à caractère social, elles le font dans une
véritable perspective d'équité collective respectueuse de
chacun des individus qui composent notre société.
Les cercles de fermières du Québec, selon nos structures
démocratiques, fonctionnent très démocratiquement - c'est
le cas de le dire - dans les cercles, au palier régional et au palier
provincial où sont votées, à chacune de ces instances,
toutes les prises de position à la suite d'études que font nos
membres. Nos nombreuses prises de position reflètent l'opinion de nos 60
000 membres.
Depuis plusieurs années, les cercles de fermières ont
multiplié leurs interventions soit en agissant à titre
consultatif en compagnie d'autres associations poursuivant des objectifs
similaires, soit en rendant publics des avis et mémoires
reflétant concrètement leurs points de vue et formulant leurs
recommandations. Déjà, en 1945, les cercles de fermières
recommandaient la reconnaissance économique du travail fait au foyer.
C'est quasiment honteux de dire que, 40 ans après, le problème
n'est pas réglé. Ensuite, en 1979, dans un mémoire sur la
politique d'ensemble sur la condition féminine, les cercles de
fermières faisaient état de nombreuses recommandations qui
touchaient les régimes matrimoniaux et l'autonomie des conjoints dans le
mariage. En 1980, à la suite du projet de loi 89, nous
présentions également un mémoire qui relatait nos
recommandations touchant la résidence familiale, le régime de
séparation de biens, etc. En 1984, le mémoire sur les femmes au
foyer et les régimes de retraite abordait largement le sujet des droits
économiques des conjoints. On pourrait en retenir quelques points
majeurs; il y avait entre autres la revision du droit matrimo- nial pour y
inclure les rentes de retraite comme actif du ménage, la
résidence familiale choisie par les époux reconnue comme telle
sans être enregistrée, le partage égal entre les conjoints
des crédits de retraite, privés et publics, le partage
automatique des crédits de retraite lors du divorce, l'exemption pour
personne au foyer transformée en crédit d'impôt
remboursable, la participation des femmes au foyer au Régime de rentes
du Québec et la réforme en profondeur des régimes de
retraite, privés et publics. En 1986, nous insistions auprès des
autorités compétentes pour qu'accélère le processus
de réforme en profondeur du Code civil du Québec, notamment au
chapitre du droit matrimonial, en spécifiant notre volonté d'y
voir clairement déterminée la notion de biens familiaux. Nous
nous réjouissons, c'est bien sûr, de la décision du
gouvernement du Québec de tenir une commission parlementaire sur les
droits économiques des conjoints; il répond ainsi à nos
demandes. Je voudrais dire aussi en passant que nous avons appuyé les
recommandations du projet partage visant la création d'une
catégorie de biens familiaux.
Aujourd'hui, appelés à commenter et à
émettre leur avis sur le document consultatif présenté en
juin 1988 par M. Herbert Marx, ministre de la Justice, et Mme Monique
Gagnon-Tremblay, ministre déléguée à la Condition
féminine, document intitulé "Les droits économiques des
conjoints", les cercles de fermières du Québec accueillent
favorablement les orientations générales qu'elles y lisent, tout
en nuançant certaines des applications proposées. (12 heures)
Pour nous les notions de "prestation compensatoire" et de
"déclaration du droit de résidence familiale", telles qu'elles
sont actuellement définies et appliquées, déçoivent
et exigent d'être revues et corrigées en profondeur. De plus,
l'absence quasi totale de reconnaissance du travail non
rémunéré de la femme au foyer, notamment quand il y a
présence d'enfants ou collaboration à une entreprise du conjoint,
directe ou indirecte, familiale ou non, exige que nous insistions à
nouveau pour qu'une telle situation soit rapidement corrigée. À
ce sujet, je tiens à rappeller les propos du Conseil du statut de la
femme dans son document de novembre 1986, sur le partage des biens familiaux en
cas de divorce: "Les insatisfactions qui subsistent se situent plutôt
dans les faits et correspondent donc davantage à un principe
d'équité. Comment éviter las règlements injustes
comme ceux n'accordant aucune compensation à l'épouse au foyer?
Un consensus pourrait se faire sur une clientèle minimale à viser
au Québec: au premier chef, les épouses mariées en
séparation de biens dans d'autres circonstances: quand le divorce
n'existait pas, quand l'autre alternative était la communauté de
biens, quand une division des rôles rigide reléguait
systématiquement la femme au foyer. À celles-là, on peut
ajouter celles qui
se marient encore depuis 1970 avec un contrat de type séparatiste
et qui n'ont pas ou peu de revenus leur permettant d'acquérir des biens,
ou celles qui, pour diverses raisons, choisissent ce régime sans en
adopter la philosophie, ou celles qui, par ignorance ou inconscience, le
croient mieux adapté à leur situation. Pour toutes ces femmes, il
nous semble légitime qu'elles puissent avoir le droit d'obtenir une part
du patrimoine commun auquel elles ont contribué. "
C'est dans cet esprit que nous commentons le présent document
consultatif et qu'en conclusion nous formulons sous forme de recommandations
les éléments majeurs d'une réforme sans lesquels celle-ci
ne saurait répondre à nos attentes. Et je voudrais rajouter
qu'à la base de cette réforme concernant les droits
économiques les cercles de fermières du Québec veuient
qu'on tienne compte, premièrement, de l'importance de la famille dans la
société québécoise; deuxièmement, de
l'égalité des conjoints dans le mariage; troisièmement, du
fait que le mariage comporte des obligations, mais aussi des droits entre
époux, et, quatrièmement, que le partage des biens familiaux se
fasse comme un droit des époux et non comme une compensation pour
services rendus. Même s'il doit être perçu comme cela pour
plusieurs, je pense que c'est légitime que ce soit perçu comme un
droit.
Alors, pour clarifier notre analyse, les commentaires et les avis qui
découlent, nous avons opté... Nous allons y revenir point par
point. Mais je pense qu'une véritable reconnaissance des droits
économiques des conjoints doit nécessairement tenir compte de
l'ensemble de la réalité familiale actuelle, soit la
reconnaissance du statut du conjoint collaborateur, le partage des droits
à la retraite, la rémunération directe ou indirecte du
conjoint au foyer, les aménagements du temps de travail, les services de
garde, les services de médiation ou de perception des pensions
alimentaires. Quant aux "limites du droit actuel et les difficultés
qu'il soulève", nous reconnaissons dans les situations retenues les
réalités les plus difficiles à vivre et qui demandent des
correctifs majeurs, qu'il s'agisse de l'aggravation de la situation du conjoint
le plus faible économiquement, de la quasi inefficacité de la
prestation compensatoire, de l'ignorance de la valeur du travail au foyer ou de
la protection de la résidence familiale.
C'est bien sûr que le gouvernement avait analysé certaines
voies d'orientation, par exemple l'amélioration ponctuelle des
règles. Alors, adhérant aux énoncés de la section,
en ce qui a trait surtout aux principes d'équité, nous n'en
considérons pas moins qu'une telle orientation, si elle avait des effets
positifs à court terme, devrait seulement être transitoire et
laisser présager des modifications en profondeur pour...; en tout cas,
ce n'est pas cela qui a été retenu. Ensuite, la
société d'acquêts comme régime impératif.
Nous trouvons que c'est une voie intéressante à explorer et
peut-être devrons-nous y venir un jour, mais pour l'instant
peut-être que le premier pas à faire c'est dans la création
d'un patrimoine familial. Alors, nous allons nous arrêter sur la
reconnaissance d'un patrimoine familial, et je pense que le premier paragraphe
mérite d'être souligné avec insistance quand on dit: ce
droit au partage permettrait de compenser indirectement le travail au foyer
même s'il ne constitue que l'acquittement par l'un des conjoints de son
obligation aux charges du mariage, tel que le stipule l'article 445 du Code
civil du Québec. Alors, c'est sur cette voie que s'appuie la proposition
gouvernementale, en plus d'apporter des palliatifs à une série de
situations largement décriées par divers organismes et par la
population en général.
En ce qui concerne la définition du patrimoine familial, nous
adhérons aux principes énoncés, axés sur
l'égalité des époux pendant le mariage, nous appuyant en
cela sur les affirmations suivantes: l'inclusion au régime primaire d'un
partage minimal de biens familiaux représentant le patrimoine commun
atténue pour les femmes mariées en séparation de biens la
sévérité d'un non-partage et assure une reconnaissance de
leur contribution au couple et à la famille, quelles que soient les
tâches effectuées et les fonctions qu'elles aient remplies. Cette
solution nous semble donc celle où les notions d'équité et
de liberté s'équilibrent le mieux, tout en apportant une
réponse susceptible de satisfaire aux besoins de la majorité des
couples visés. Les femmes ont jusqu'à maintenant payé cher
le prix que la sécurité du mariage devait leur procurer: moins de
formation, moins d'incitation à se préparer contre les
difficultés de la vie, moins de facilité à intégrer
le marché du travail, moins d'autonomie, la responsabilité
entière des charges familiales et la dépendance totale à
l'égard d'un conjoint. Mais nous ne pouvons cependant accepter de voir
exclus du patrimoine familial les régimes privés de retraite et
les régimes enregistrés de pension, particulièrement le
régime gouvernemental comme le REER. Contrairement à ce que nous
pouvons lire, nous croyons qu'ils ont un caractère familial dans la
mesure où ils assurent au conjoint une partie du support financier
au-delà des années de travail actif.
Alors, nous allons prendre point par point... En tout cas, on va
insister davantage sur certains des éléments de la proposition du
gouvernement en ce qui concerne l'institution du patrimoine familial. À
l'article i, nous sommes d'accord que ce patrimoine familial soit une masse de
biens automatiquement partageables entre les époux à la fin d'un
mariage. À l'article ii, qui est i'énumération des biens
inclus dans le patrimoine familial, à ceux inscrits dans la proposition
gouvernementale nous voulons que soient ajoutés tous les biens meubles
et immeubles acquis pendant la période du mariage, de même que les
gains accumulés par l'un ou l'autre des conjoints en vertu de la Loi sur
le régime de
rentes du Québec ou de programmes gouvernementaux
équivalents et les régimes privés de retraite. Comme le
disait le Barreau du Québec tantôt, ceci aiderait peut-être
à réduire la pauvreté d'une bonne partie... En tout cas,
c'est le lot des femmes en vieillissant et bon nombre de femmes doivent devenir
bénéficiaires de l'aide sociale. Il y a un principe
d'équité là-dedans qui est fondamental.
À l'article iii, nous sommes d'accord que les époux ne
puissent pas renoncer d'avance, par contrat de mariage ou autrement, à
leurs droits dans le patrimoine familial, mais nous sommes en désaccord
avec la mesure transitoire d'une durée de trois ans quant à la
constitution d'un patrimoine familial. Pourquoi? De crainte qu'efle ne conduise
au chantage et à des pressions indues de l'autre conjoint. On ne
corrigera pas des inégalités par d'autres; je pense que, si on a
trouvé des injustices, des choses inégales, il faut les corriger
dès le départ. Pour nous, ces modifications s'appliquent
immédiatement aux contrats de mariage en séparation de biens
encore valides au moment de la mise en vigueur de la nouvelle loi. À
l'article iv, on est d'accord que le conjoint survivant puisse, à la
suite du décès de son conjoint, renoncer au partage du patrimoine
familial, selon des ententes. À l'article v aussi, nous sommes d'accord
que le partage s'effectue à parts égales entre les conjoints sur
sa valeur nette. À l'article vi, la valeur nette du patrimoine familial
serait établie à la date de la première démarche
légale entreprise pour la cessation de vie commune, pas juste au moment
où il y a le prononcé du divorce, mais dès le
départ, quand il y a une démarche d'entreprise pour la cessation
de vie commune, permettant ainsi de pallier aux inconvénients dus aux
lenteurs administratives à la suite d'un décès ou avant un
jugement et d'éviter la dilapidation des biens.
À l'article vii, on dit: "Lorsqu'un bien qui faisait partie du
patrimoine familial aurait été aliéné". On voudrait
qu'il soit ajouté: "ou dont la valeur aurait été
diminuée de façon disproportionnée à l'usage
normal". À l'article viii, nous sommes d'accord avec le mode
d'exécution du partage du patrimoine familial. À l'article ix, le
droit à un partage concernant la résidence familiale qui est
acquise avant le mariage ou par don ou par héritage ne porterait que
leur proportion des investissements consacrée à ladite
résidence durant le mariage. C'est juste par la valeur qui aurait
été rajoutée par des transformations ou des modifications.
A l'article x, on est d'accord, en principe, que le tribunal puisse
déroger d'office ou à la demande d'un époux dans le
partage du patrimoine familial. À l'article xi, on est d'accord aussi
que tous les biens inclus au patrimoine familial soient protégés,
comme le sont actuellement la résidence familiale et les meubles qui
garnissent la résidence et qui servent à l'usage du
ménage.
En ce qui concerne fa protection de la résidence familiale, le
point 2°, à l'article i, nous sommes d'accord que la protection de
la résidence familiale soit étendue de manière à
viser toute aliénation des droits par lesquels est assuré le
logement de la famille, y compris l'enregistrement d'un droit réel. Nous
sommes aussi d'accord que la protection des lieux loués comme
résidence familiale soit automatique et, par conséquent, que
l'avis préalable requis à l'article 451 du Code civil soit
supprimé.
À ces articles, nous réitérons une demande que nous
avons maintes et maintes fois formulée, celle que soit rendue
automatique la protection du droit de résidence familiale au moment de
la signature du bail et au moment de l'acquisition de la résidence
familiale, par une clause au contrat d'acquisition.
Quant à l'article iii, le recours en nullité n'aurait plus
sa raison d'être après l'acceptation du projet de loi. Nous sommes
d'accord que le droit à un recours possible en dommages et
intérêts entre les époux soit conservé pour un
certain délai dans le Code civil, le temps de s'habituer à ce
changement. À l'article iv, nous demandons que le montant minimal de la
créance de saisie soit porté à 20 000 $ afin de
protéger la part du patrimoine familial du conjoint non responsable
d'une dette contractée à caractère personnel.
Là-dessus, on se réfère aux articles 446 et 450 du Code
civil. À l'article v, nous sommes d'accord que le prix d'une vente
forcée d'une résidence familiale ne soit pas inférieur
à 70 % de l'évaluation. Nous sommes aussi d'accord avec l'article
vi qui dit que le droit d'habitation de la résidence familiale soit
attribué à qui est confiée la garde des enfants mais que
la valeur de ce droit ne soit pas prise en compte lors du partage du patrimoine
familial ou de l'attribution de la prestation compensatoire.
Au chapitre 3°, c'est la prestation compensatoire. On se souvient
que cela concerne surtout le conjoint collaborateur, cette catégorie de
femmes. Lors de la dernière assemblée générale des
cercles de fermières, quand on a voté la résolution
concernant tous les biens meubles et immeubles acquis durant la période
de mariage, c'était spécialement pour les conjoints
collaborateurs qu'était adoptée cette résolution.
En ce qui concerne le régime légal de la
société d'acquêts, nous osons croire que seront compris
ià-dedans tous les fonds privés et publics faisant partie des
acquêts. En ce qui concerne l'ancien régime de la
communauté de biens, après une étude plus approfondie,
voici notre position. Considérant la désuétude du
régime de communauté de biens, considérant que ce n'est
plus la forme d'aujourd'hui, nous en demandons la dissolution. Nous demandons
que, dans le nouveau régime, les biens réservés de
l'épouse soient considérés comme des biens propres et que
la société d'acquêts s'applique uniquement sur les biens
acquis après la dissolution. Je voyais tantôt le mémoire du
Barreau du Québec. On parle de cela et j'étais contente de
voir qu'on faisait cette recommandation. Nous demandons aussi, bien
entendu, que les fonds de retraite publics et privés fassent partie des
acquêts, comme on le demande depuis le début.
En ce qui concerne le droit des successions, nous reconnaissons la
nécessité d'introduire au droit des successions des règles
pour permettre la survie de l'obligation alimentaire après le
décès. Voilà, en gros, ce qu'on avait à dire. (12 h
15)
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Mme Huot.
Maintenant, je vais reconnaître Mme la ministre
déléguée à la Condition féminine.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Huot, de votre bonne
présentation. Je vois que vous avez opté pour la voie mitoyenne
plutôt que pour la voie un petit peu plus extrémiste et permettre
finalement aux gens une certaine liberté de contracter pour les autres
biens qui ne feraient pas partie du partage des biens familiaux. Vous
reconnaissez aussi le partage des biens comme un début, finalement, de
reconnaissance du travail au foyer tout en disant qu'il faut d'autres mesures
si on veut atteindre l'égalité économique,
l'égalité sur le plan des conjoints, dans l'éducation, le
travail, etc. Je pense qu'on doit poursuivre notre travail dans ce
sens-là pour être capable d'atteindre cette véritable
égalité économique sur tous les plans. Lorsque vous parlez
des biens, lorsque vous avez dit, par exemple, qu'on avait voté lors
d'une assemblée que tous les biens, que ce soit les biens meubles et
immeubles, acquis au cours du mariage soient inclus dans le partage, est-ce que
j'ai bien compris ou si vous voulez dire... Est-ce que cela suppose
véritablement non seulement la résidence familiale et la
résidence secondaire, mais tous les autres immeubles, que ce soit
d'autres résidences ou des immeubles de cinq logements et plus, etc. ?
Cela comprend tous les immeubles?
Mme Huot: Nos femmes ont été aussi... Comment je
dirais... En tout cas, elles en demandaient beaucoup, peut-être, mais
elles voulaient tout avoir; il faut demander pour avoir quelque chose. Il y a
plusieurs de nos femmes qui vivent sur des fermes, qui travaillent comme femmes
collaboratrices ou autre chose. En référant à cela on
disait: une façon sûre de se préserver et de l'avoir c'est
de demander que tous les biens meubles et immeubles fassent partie des
droits.
Mme Gagnon-Tremblay: Si je comprends bien, c'est que vous en avez
demandé beaucoup plus pour vous assurer d'avoir véritablement ce
que vous voulez.
Mme Huot: Mais on voudrait bien avoir tout aussi!
Mme Gagnon-Tremblay: Parce que si par contre on peut
réussir par d'autres mesures à protéger, je pense, par la
prestation compensatoire, si la prestation joue son véritable
rôle, peut-être que là... Vous êtes le premier groupe
qui incluez tous les biens meubles et immeubles, à ma connaissance. Je
pense que vous êtes le premier groupe qui incluez... Non,
peut-être... Bon, je vois Mme Dolment qui me fait signe là. C'est
parce que, naturellement, sauf les groupes qui ont parlé d'une
société d'acquêts obligatoire pour tout le monde, mais
finalement tous les biens meubles et immeubles... De toute manière, pour
en revenir à la prestation compensatoire, comme vous le mentionnez,
c'est que dans le document de consultation concernant la prestation
compensatoire on visait davantage les femmes collaboratrices, celles qui
collaborent dans l'entreprise du conjoint, sauf qu'il y a eu une excellente
remarque qui a été faite par le. Conseil du statut de la femme et
par d'autres groupes également, à savoir qu'il pourrait arriver
dans certains cas qu'il n'y ait pas de partage à faire des biens
familiaux puisqu'on investit ailleurs et qu'il n'y ait pas de résidence,
ni de résidence secondaire. Qu'est-ce qu'il arrive dans ce
cas-là? On suggérait de conserver la prestation compensatoire
lorsqu'il y avait d'autres biens, par exemple, comme d'autres immeubles, une
entreprise, mais lorsqu'il n'y avait pas de ces biens dits familiaux. Alors,
est-ce que vous autres aussi vous le voyez comme cela ou si vous voyez, par
exemple, que la prestation compensatoire devrait demeurer également pour
la travailleuse au foyer, et cela deviendrait un peu un cumul du partage et de
la prestation, ou si c'est davantage facultatif dans le cas où il n'y
aurait pas de ces biens à partager?
Mme Huot: Bien, il y a deux questions. C'est que pour les femmes
collaboratrices, dans une entreprise agricole ou autre, on tient absolument
à ce que le partage se fasse équi-tablement 50-50.
Peut-être que vous amènerez d'autres solutions. On a crû
comprendre, par les propositions du gouvernement, que la prestation
compensatoire pour la femme au foyer pour tout le travail, vous le
transformiez, en tout cas vous essayez de combler ce vide en faisant une masse
de biens familiaux, en disant: Cela c'est pour vous autres, c'est pour cette
catégorie de femmes. Mais pour tout le travail qui est fait, qui
dépasse le travail ordinaire au foyer, on veut bien que la prestation
compensatoire s'exerce. Ce n'est peut-être pas quelqu'un non plus qui est
dans une entreprise, c'est peut-être d'autres sortes de travail, mais il
faut absolument qu'il y ait une façon d'aller chercher cette
reconnaissance.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Concernant les résidences
acquises, vous dites: Toutes les résidences, meubles et immeubles acquis
après le mariage. Est-ce que vous tenez compte de la durée du
mariage, de la durée de la collaboration, dans le sens que, par exemple,
ce qu'on
partage c'est une certaine plus-value si cela a été acquis
avant ou par donation ou par testament, ou si c'est carrément
l'immeuble...
Mme Huot: Non. Pour cela on est bien d'accord et je pense qu'on
l'a dit en appuyant certaines recommandations à un moment donné.
Si cela a duré juste quelques années, je pense qu'il y a un
principe d'équité aussi. Il faut être capable de le
reconnaître. Pour les biens qui ont été acquis avant le
mariage, je pense que c'est seulement sur l'augmentation de la valeur au cours
des ans. Je pense que là on appuie un article qui dit qu'il ne faut pas
être... Il ne faudrait pas réparer une injustice en en
créant d'autres.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Vous pariez de la
déclaration de résidence familiale qui n'a pas donné les
résultats escomptés finalement, parce qu'on se rend compte des
nombreux problèmes que cela a pu causer lorsqu'on enregistrait une
déclaration, surtout la signification. Je pense que ce n'est pas
l'enregistrement qui causait beaucoup de problèmes comme la
signification aux conjoints. Dans ce cas-là, vous suggérez qu'on
l'inscrive dans les contrats - je pense que c'est tout à fait normal -
les contrats d'aliénation, les contrats de vente, entre autres, d'achat.
On sait qu'une hypothèque va être radiée tôt ou tard.
Donc, on va perdre finalement cette mention à un moment donné.
Vous comprendrez, par exemple, qu'on devra quand même avoir certaines
mesures transitoires quant à l'entrée en vigueur d'une nouvelle
loi, étant donné qu'on ne transfère pas comme cela notre
propriété du jour au lendemain. Pour toutes les
propriétés existantes, si on veut, par exemple, s'assurer que ce
soit véritablement une résidence familiale et aussi que les tiers
soient protégés d'une certaine façon, je pense qu'on devra
prévoir certaines mesures transitoires entre l'entrée en vigueur
et aussi le moment où les gens vont transférer leur
propriété et leur immeuble.
Mme Huot: Je suis d'accord avec cela.
Mme Gagnon-Tremblay: Je pense que ma collègue, Mme la
députée de Groulx, avait une question à vous poser
aussi.
Mme Bleau: Bonjour, madame. Dans votre mémoire, vous ne
faites pas mention du tout des conjoints de fait. Est-ce que vous voulez que la
loi ne s'applique pas à ces conjoints-là ou si c'est seulement un
oubli dans votre mémoire?
Mme Huot: Ce n'est pas un oubli. L'objectif de ce
document-là, c'était d'étudier la situation des conjoints
pendant le mariage ou lors de la dissolution du mariage pour que ceux-ci soient
traités avec équité, etc. Nous autres, on n'a pas
d'étude sur le sujet présentement, les cercles de
fermières. Je sais bien, par exemple, qu'on va être obligé
de s'y pencher un bon jour et faire l'étude sur les conjoints de fait et
que leur statut civil soit interprété de la même
façon dans tous les textes pour tout ce qui touche les politiques
sociales et fiscales. Mais, en aucun moment, il ne faudrait que les conjoints
de fait soient plus avantagés que les couples qui sont mariés
légalement. Présentement, ce n'est pas parce qu'on les a
oubliés, c'est parce que le document portait sur les régimes
matrimoniaux seulement. Je vous assure que l'étude va continuer. On
s'est d'ailleurs interrogées le printemps dernier quand on a
travaillé à la réforme de l'aide sociale. Il y a des
choses dans cela qui nous portent à nous poser la question, en ce qui
concerne la fiscalité aussi, comme le disait le Barrreau tantôt,
et on est conscientes de cela. On y reviendra.
Mme Bleau: Alors, je vous remercie.
Le Président (M. Marcil): Cela va, madame... Je vais
reconnaître maintenant Mme la députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Alors, M. le Président, je veux moi de
même saluer la présidente et les personnes qui accompagnent la
présidente des cercles de fermières et leur dire que c'est avec
énormément d'intérêt qu'on lit depuis maintenant
plusieurs années leur point de vue sur les questions qui, finalement,
bouleversent notre société. C'est, évidemment, très
rapide, les changements qui s'effectuent présentement. Qu'on pense qu'il
y a dix ans la réforme du droit familial était
considérée comme extrêmement révolutionnaire et que
maintenant on est réuni pour en corriger, dans le fond, les effets. On
voit à quel point il y a eu comme une sorte de renégociation des
rapports, et ce n'est pas encore terminé évidemment, entre les
hommes et les femmes. J'ai pris connaissance du mémoire avec beaucoup
d'intérêt. Je lisais, entre autres, une sorte de
résumé de l'avis dans les dernières pages où vous
disiez: Nous voulons que l'absence quasi totale de reconnaissance du travail
non rémunéré de la femme au foyer sort corrigée
immédiatement. Je pense que c'est un peu le leitmotiv.
Évidemment, le travail non rémunéré n'est pas
simplement celui de la femme au foyer puisque toutes les études ont
démontré que, malgré l'introduction des appareils
électroménagers qui distinguent la nature des travaux
ménagers de ce qu'ils étaient il y a 50 ou 100 ans, les femmes,
qu'elles soient au foyer ou qu'elles aient un emploi sur le marché du
travail, ont une présomption à 100 % de s'occuper des travaux de
la maison. Cela me faisait penser... Vous vous rappelez la chanson qui se
chante encore: La destinée, la rose aux bois, mais c'est l'affaire des
filles de balayer la maison. Cela reste encore une présomption qui vaut
pour toutes les femmes, qu'elles soient ministres,
qu'elles soient secrétaires, qu'elles soient "waitress" ou quel
que soit leur métier. C'est une présomption qui joue du fait que
les femmes ont encore à veiller à l'organisation des soins
familiaux, des soins à l'égard des enfants, de leur
éducation et du travail au foyer.
Je sais que vous avez représenté, depuis plusieurs
années, plus particulièrement - malgré que j'imagine que,
dans vos rangs, il y a aussi des femmes qui ont un revenu de travail ou un
revenu d'emploi - les femmes - elles méritent de l'être
également - qui ont fait le choix d'assurer l'éducation et de
rester à la maison. Est-ce que je comprends bien que, parmi les autres
distinctions, la distinction fondamentale, c'est que vous dites que la
prestation compensatoire, on ne devrait pas y recourir pour le partage des
biens familiaux, que la prestation compensatoire devrait être
réservée pour la contribution qu'un conjoint a à
l'entreprise pour le compenser, si elle n'est pas reconnue déjà
dans un contrat? C'est bien cela?
Mme Huot: C'est bien cela. Cela s'appuie sur des biens qui sont
non familiaux à ce moment-là.
Mme Harel: Dans le fond, je me suis dit que vous partagez le
point de vue qu'exprimait le Barreau avant vous qui disait qu'on ne devrait pas
recourir à la prestation compensatoire en ce qui concerne le partage des
biens familiaux, c'est-à-dire que les biens familiaux devraient
être partagés sans avoir besoin d'avoir à recourir à
la prestation compensatoire pour qu'ils le soient.
Mme Huot: C'est cela. Mme Harel: C'est cela? Mme Huot:
Oui.
Mme Harel: J'ai l'impression qu'il y a là une distinction
qui est pas mal importante, parce que, dans le document, comme vous l'avez sans
doute constaté, il n'y a partage en matière de régime
privé de retraite, à la page 25, qu'en matière de
prestation compensatoire. Les régimes privés sont sujets à
partage seulement en matière de prestation compensatoire.
Mme la ministre a ouvert, depuis le début - c'est peut-être
une conclusion trop hâtive - la possibilité que, pour la
travailleuse au foyer, il puisse y avoir recours à la prestation
compensatoire, donc, la possibilité d'avoir recours au régime
privé de retraite seulement dans les cas où le patrimoine
familial serait insuffisant ou inexistant.
Mme Huot: Là, on n'est pas tout à fait d'accord
avec cela.
Mme Harel: Bon!
Mme Huot: Les régimes privés de retraite font
partie du patrimoine familial, parce que cet argent n'est pas à la
disposition de la famille quand on se paie des fonds de retraite. Alors, au
moment où la vie familiale se faisait, on prenait cet argent pour se
créer un fonds de retraite pour préparer la famille à la
retraite, pour se créer un minimum de revenu à ce
moment-là. C'est normal, pour se préserver cet avenir, qu'on soit
séparé ou qu'on vive ensemble, que les deux puissent l'avoir.
Cela, ce n'est pas négociable.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Harel: À la page 1 du mémoire, vous nous
indiquez les points majeurs que l'on retrouvait dans votre mémoire sur
les femmes au foyer et les régimes de retraite. Notamment, on y retrouve
la participation des femmes au foyer au Régime de rentes du
Québec...
Mme Huot: Oui.
Mme Harel:... au moyen d'un crédit d'impôt. On est
à trois ans de la venue du nouveau gouvernement. Je ne sais pas si vous
vous rappelez cet engagement prioritaire au moment de la campagne
électorale, il y a trois ans. Cela devait être dans les mois qui
suivaient qu'il y avait une commission parlementaire pour en examiner les
divers scénarios.
Vous considérez toujours aussi important cet objectif. J'aimerais
vous en entendre parler.
Mme Huot: Si on se rappelle l'engagement, oui. En décembre
dernier, je veux juste rappeler que M. le premier ministre a reçu 40 000
cartes postales pour lui rappeler ses promesses électorales. On va
revenir là-dessus. Mme Gagnon-Tremblay le sait, d'ailleurs. (12 h
30)
Pour nous, en ce qui a trait à la reconnaissance du travail au
foyer, il y a plusieurs mesures. Aujourd'hui, la reconnaissance des droits
économiques, c'est un point. Un autre point est celui de l'accès
au Régime de rentes du Québec parce qu'il faut que le travail qui
s'effectue au foyer pour élever des enfants, etc., soit reconnu. Une
façon de le reconnaître, c'est d'adhérer au Régime
de rentes du Québec. C'est un principe.
On sait bien, quand on a rencontré Mme Gagnon-Tremblay ou quand
on en parle en général, qu'on se fait dire que cela ne
représentera pas un gros montant. On sait tout cela. On sait bien que
pour certaines femmes cela ne sera pas un gros montant, mais le principe de la
justice et de l'égalité, je pense que c'est ce qu'il faut retenir
et obtenir également. On n'en démordra pas. Je pense qu'on y
reviendra parce que, après ce dossier, on revient sur l'adhésion
au Régime de rentes du Québec. Que M. Dutil et
Mme Gagnon-Tremblay sachent qu'on va y revenir. Appuyées par nos
60 000 membres, je pense que cela en vaut la peine et que cela veut dire
quelque chose. Nos femmes sont de plus en plus politisées et savent ce
que cela veut dire. C'est ferme, ce qu'on dit.
Mme Harel: Selon vous, le partage des régimes
privés de retraite qui seraient inclus dans le patrimoine familial ne
vient pas satisfaire cette question de la rente parce que vous pensez que les
deux, éventuellement, doivent exister concurremment; c'est-à-dire
le partage entre conjoints et la rente de la Régie des rentes pour la
travailleuse au foyer.
Mme Huot: Oui. On partagera nous aussi, même si elle n'est
pas grosse. C'est ce que cela veut dire.
Mme Harel: Mais est-ce une rente au foyer indépendamment
du revenu familial ou si vous pensez qu'il faut tenir compte du revenu
familial?
Mme Huot: Là, ce sont des modalités que des
spécialistes pourraient voir mais que l'on pourrait travailler avec eux.
On sait que ce n'est pas sur une base volontaire, c'est universel. C'est pour
toutes les femmes qui sont au foyer. De quelle façon cela pourrait-il se
faire? C'est qu'à un moment donné, nous, les cercles de
fermières, avions dit...
Mme Harel: Avec ou sans un mari, c'est cela?
Indépendamment du fait qu'elles aient un mari ou pas, si elles sont
chefs de famille monoparentale et qu'elles sont au foyer aussi?
Mme Huot: Oui, la même chose. À un moment
donné, en 1984... De toute façon, cela fait longtemps que nous
demandons que l'exemption du conjoint au foyer soit transformée en
crédit d'impôt remboursable. C'est changé et c'est
transformé en crédit d'impôt, mais ce n'est pas
remboursable. Nous avions été jusqu'à dire à un
moment donné... La ministre du temps nous disait: II n'est pas possible
d'adhérer au Régime de rentes du Québec pour les femmes au
foyer, mais trouvez-nous des pistes, trouvez-nous des avenues. On s'est mises
au travail et on a cherché des moyens pour être capables
d'adhérer au Régime de rentes. On avait dit qu'il pourrait
peut-être y avoir une partie du crédit d'impôt qui pourrait
être affectée à payer notre Régime de rentes. Mais,
nous, la payer et non se la faire soutirer comme cela...
Il y a une proposition de certaines avenues qui a été
faite au mois de juin par Mme Gagnon-Tremblay. On disait que le crédit
d'impôt pourrait être affecté à une autre sorte de
rente qui pourrait servir à assurer une retraite convenable aux femmes
au foyer. Mais ce n'est pas nous qui nous trouvions à l'administrer,
c'est le gouver- nement qui se trouverait à le verser lui-même et
on n'en verrait seulement pas la couleur. Ce n'est pas ce qu'on veut. Nous
voulions que le crédit d'impôt nous soit remboursé et
nous-mêmes nous payer un Régime de rentes. Je conviens que nous ne
sommes pas des spécialistes de la cause et qu'il y a des choses à
étudier là-dessus, mais on ne démord pas sur le
principe.
Mme Harel: Une dernière question là-dessus et je
reviendrai sur le sujet de la résidence familiale par la suite.
Mme Huot: Oui.
Mme Harel: Donc, vous insistez sur le caractère
volontaire, que cela doit être sur une base volontaire cette
adhésion au Régime de rentes pour les travailleuses au foyer.
Obligatoire...
Mme Huot: Ce n'est pas volontaire.
Mme Harel: Non, plutôt obligatoire pour toutes les
travailleuses au foyer.
Mme Huot: Oui.
Mme Harel: Celles qui n'ont pas de crédit d'impôt
remboursable, en souhaitant que cette mesure de rembourser le crédit
d'impôt... Ce n'est pas seulement en transformant la déduction en
crédit d'impôt que l'on satisfait aux revendications des groupes
de femmes qui ont comme principale revendication que cette déduction ne
soit plus remise au pourvoyeur mais à la personne qui rend le service au
foyer. C'est bien le cas, n'est-ce pas? En la rendant remboursable, vous la
proposez remboursable pour la personne qui est au foyer...
Mme Huot: Oui.
Mme Harel:... qui est l'équivalent de la déduction
pour personne mariée, qui est le crédit d'impôt pour
personne mariée. Dans ce cadre, il y a seulement les travailleuses au
foyer qui ont un mari qui peut bénéficier d'un crédit
d'impôt remboursable, donc, qui a un revenu imposable supérieur.
Il y a aussi la difficulté que les personnes qui sont conjointes, mais
qui n'ont pas la déduction pour personne mariée ne pourraient pas
en bénéficier non plus. Il y a aussi celles qui n'ont pas de
conjoint, mais qui sont aussi parfois des travailleuses au foyer telles que les
personnes veuves, séparées ou autres. Avez-vous aussi
réfléchi à cette possibilité?
Mme Huot: De toute façon, l'accès au Régime
de rentes du Québec n'est pas lié au crédit d'impôt,
c'est un moyen.
Mme Harel: D'accord.
Mme Huot: On nous disait: Trouvez-nous des pistes. Cela en est
une, mais ce n'est pas attaché à cela. Il faut que ce soit bien
clair.
Mme Harel: D'accord. Je vous remercie. Sur la question de la
résidence familiale, vous nous dites - je pense que vous avez
insisté sur cette question dans votre mémoire: II faut une clause
au contrat au moment de l'acquisition. À la page 23 du document
gouvernemental, ce qu'on retrouve veut que, en l'absence d'enregistrement, il y
ait une sorte de dommages-intérêts qui soit payé, en fait,
par le conjoint qui aurait aliéné sans avertir. Pensez-vous que
ces dommages-intérêts sont insuffisants et qu'il faudrait qu'il y
ait au moment même de l'acquisition une clause au contrat introduisant
une déclaration obligatoire? Vous voudriez une déclaration
obligatoire? C'est bien cela?
Mme Huot: Oui, mais comme le disait Mme la ministre il va y avoir
un certain temps. Il y a des choses qui seront applicables dans un certain
temps. Nous disions qu'à un moment donné cela n'aura plus sa
raison d'être parce que, nécessairement... Nous pensons que le
déclaration sera obligatoire. De toute façon, c'est ce qu'on
demande. Mais on voudrait que...
Mme Harel: D'accord.
Mme Huot:... pour un certain temps, il y ait un recours possible
en dommages et intérêts. Peut-être que, pour un certain
temps, il faudra être plus strict, peut-être pas en allant
jusqu'à demander que ces ventes ne soient plus valables et aboutissent
à une demande en nullité. Mais en tout cas, pour les dommages et
intérêts, il faut absolument qu'on en tienne compte.
Mme Harel: Je ne sais pas, Mme Huot, si vous avez pu faire des
études aux cercles de fermières sur la question du régime
matrimonial de vos membres. L'Association des femmes collaboratrices est venue
nous dire - c'était une surprise pour moi en fait - que 60 % de ses
membres étaient mariées en séparation de biens.
Mme Huot: Vous voulez savoir chez nous? Mme Harel:
Oui.
Mme Huot: Je ne pourrais pas le dire exactement. On se propose
justement, cette année, de connaître le profil de nos membres pour
savoir qui sont nos membres exactement, parce qu'on fait l'étude cette
année des régimes matrimoniaux, on veut que les femmes
connaissent ce qu'elles vivent. On veut faire aussi une enquête pour
savoir où en sont nos membres. C'est une question qu'on se posera. Je
pense bien que, ce qui est pour les femmes collaboratrices, ce doit être
à peu près le même pourcentage chez nos membres.
Mme Harel: Vous savez que, présentement, la
société d'acquêts progresse malgré tout. Maintenant,
il y a une progression marquée chez les jeunes couples en faveur de la
société d'acquêts. C'était surprenant de voir que
les études faites par l'Association des femmes collaboratrices
démontreraient que ce qui progresse le plus chez elles...
C'est-à-dire que le nombre de celles qui sont mariées en
séparation de biens était plus grand qu'il y a maintenant, je
pense, cinq ans. Donc, je me suis demandé si, là où les
femmes sont collaboratrices, il y a plus fréquemment des régimes
de séparation de biens. Je lisais aussi dans le document gouvernemental
- on n'en a pas parlé encore, je pense que c'est la première fois
qu'on aborde cette question - que, lorsqu'il y a changement d'un régime
à l'autre, c'est toujours en faveur de la séparation de biens.
Cela veut-il dire qu'il y aurait plus fréquemment, lorsqu'il y a des
entreprises entre les conjoints, le passage d'un régime d'acquêts
à un régime de séparation? Avez-vous pu vérifier ce
qui en était?
Mme Huot: Non. Vous me dites cela, mais je ne peux pas parier au
nom de l'association, je ne connais pas le nombre. On le saura dans quelques
mois, mais je ne le sais pas actuellement.
Mme Harel: Je vous remercie.
Le Président (M. Marcil): Je vous remercie beaucoup. Mme
la ministre. M. le député de Marquette, adjoint au ministre de la
Justice.
Mme Gagnon-Tremblay:... de petites questions.
M. Dauphin: De petites questions, oui, je vais continuer dans la
même tradition.
À mon tour, j'aimerais remercier les cercles de fermières
de contribuer à nos travaux. Vous dites dans votre mémoire que
vous vous opposez, un peu comme le Barreau tantôt, avec les explications
qui allaient avec, relativement à la mesure transitoire, la
possibilité d'y renoncer dans les trois années qui suivraient
l'application d'une loi éventuelle. Évidemment, la plupart des
groupes nous ont mentionné que la raison qui motivait le fait
d'être contre cette disposition transitoire avait rapport à la
possibilité de pression indue de la part d'un conjoint sur l'autre pour
l'amener à se diriger vers un bureau de notaire et de renoncer purement
et simplement aux avantages du patrimoine familial. Par contre, il y a d'autres
cas, et j'ai justement eu un appel à ma résidence hier, où
conventionnellement les couples se sont entendus pour se marier en
séparation de biens, en toute connaissance de cause; certains groupes
entendent enlever cette disposition transitoire, et ils ont certaines craintes.
J'aimerais vous entendre sur cela. Il y a des cas où les gens aimeraient
y
renoncer. Je comprends qu'il faut faire à un moment donné,
je présume, la balance des inconvénients. Est-ce qu'il y a plus
de pour ou de contre? Est-ce qu'on devrait maintenir ces dispositions
transitoires ou les enlever?
Vous allez peut-être dire que c'est un cas extrême, mais je
prends, par exemple, un couple sans enfant où le mari dit: Bon, je paie
la résidence familiale, malgré qu'il n'y a pas d'enfant. Mme la
ministre n'aime pas mon exemple, souvent, mais moi, je paie un voilier. Pour ce
couple sans enfant, ils ne sont peut-être pas intéressés de
s'embarquer dans une affaire comme cela. Ils vont dire: On va aller voir le
notaire et on va renoncer à cela. À ce moment, il y aurait
injustice pour l'un des conjoints qui aurait la moitié de la maison et
l'autre qui conserve le voilier. Il n'a pas besoin de donner la moitié
du voilier. C'est dans ce sens que j'aimerais vous entendre. C'est sûr
qu'il y a la balance des inconvénients, il y a plus de pour que de
contre, mais cela me tracasse, le fait de ne pas pouvoir y renoncer.
Mme Huot: Nous, on dit que ces modifications s'appliquent
immédiatement au contrat de mariage, et on a donné raison et je
suis bien d'accord avec cela... Là, vous nous amenez sur des cas
spéciaux et des cas extrêmes. On ne s'est pas
arrêtées à ces cas extrêmes mais nous, en
règle générale, c'est cela qu'on veut, que cela s'applique
immédiatement. Il me semble qu'il y a un autre article dans cela qui dit
qu'on ne peut pas en se mariant renoncer à ce qu'il y ait une masse de
biens familiaux. Mais, par contre, à la fin, supposons qu'il arrive une
séparation ou un divorce, il peut y avoir un échange d'autres
choses, d'autres biens, un partage différent sur les biens. À ce
moment, ils le feront, mais au départ, nous, on n'est pas d'accord. Il
faut qu'ils respectent cela et que cela se fasse au moment où la loi
sera adoptée.
Le Président (M. Marcil): Mme la députée de
Maisonneuve, une dernière question.
Mme Harel: M. le Président, c'est intéressant.
Parfois, vous savez, dans les commissions parlementaires, cela peut permettre
aussi de vérifier ce qui nous arrive à soi. Je ne sais pas si Mme
la ministre a eu, elle aussi, lorsqu'elle a discuté au Conseil des
ministres de l'ensemble de ces questions, j'imagine que oui, à
répondre à des questions qui lui étaient posées,
mais qui, dans le fond, se référaient à des situations
personnelles que les gens vivaient. Cela va aussi pour les caucus de
députés, mais il y a sans doute en cette matière, pour
peut-être répondre à l'inquiétude de notre
confrère, la suggestion qui est faite par le Barreau qui vient
certainement solutionner cette question. Le Barreau dit: Pas de renonciation,
mais que le partage se fasse en valeurs. À ce moment, ce couple, notre
collègue peut certainement le rassurer, il n'aura ni à partager
son voilier ni à partager la maison parce qu'ils s'entendront sur les
modalités du règlement en valeurs. Si l'un ou l'autre des biens
vaut plus ou moins, ils pourront compenser en liquide.
Mme Huot: Cela rejoint ce que je voulais dire.
Le Président (M. Marcil): Merci, Mme la
députée de Maisonneuve. En conclusion, Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Mme Huot, cela m'amuse un peu, car depuis
qu'on a commencé la commission parlementaire, les personnes qui nous
contactent ou qui nous téléphonent sont
généralement des personnes assez fortunées. Ceci
étant dit, on a parlé beaucoup du partage de la travailleuse au
foyer; la députée de Maisonneuve était sûrement
heureuse, il y a longtemps qu'elle veut aborder ce sujet et je lui disais
toujours que ce n'était pas l'objet précis de cette commission
parlementaire, mais bien le partage des droits économiques. Elle ne
semble pas finalement me croire quand je lui dis qu'il nous reste encore un an
pour respecter cet engagement. Tout cela pour vous dire, Mme Huot, que je tiens
à vous remercier de même que vos collègues. Je sais que
vous avez dans l'assistance de nombreuses femmes des cercles de
fermières qui sont venues vous appuyer pour la présentation de
votre mémoire. Alors, je voudrais les saluer et vous remercier pour la
qualité de votre mémoire et votre présentation. (12 h
45)
Mme Huot: Je vous remercie beaucoup. J'ai deux compagnes qui
étaient ici et je leur ai dit: Vous autres, ferrez-vous pour
répondre. Je ne sais pas, peut-être qu'elles ont des choses
à ajouter.
Le Président (M. Marcil): Cela va? Mme Huot: Merci
beaucoup.
Le Président (M. Marcil): Vous voulez les remercier?
Mme Harel: Oui, M. le Président. J'aimerais vous
remercier, Mme Huot et les personnes qui ont préparé avec vous la
présentation d'aujourd'hui, celles qui vous accompagnent et qui
témoignent de l'appui aux propos que vous avez tenus. Je veux simplement
vous signaler que le temps presse, d'une certaine façon, autant dans ce
dossier... Et il y a l'ensemble des intervenants qui sont venus et qui nous ont
dit: La réforme, c'est urgent. Incidemment, les avocats qui
étaient là où vous êtes maintenant m'ont dit: II
faut vraiment, de façon urgente, qu'il y ait des corrections qui soient
introduites le plus rapidement possible. C'est ce qui m'amène à
tenter d'obtenir des éclaircissements sur
l'échéancier,
parce que, là, c'est un document; ce n'est pas encore un projet
de loi.
Le premier ministre a dit à une émission de CKAC, dimanche
dernier, qu'il fallait s'attendre, à partir d'avril 1989, à la
possibilité d'élections. Donc, à partir d'avril, cela
ouvrait la porte à la possibilité d'élections. Ce que je
veux, c'est qu'on soit, entre nous, bien convaincus que le gouvernement ne va
pas promettre de nouveaux engagements sans avoir d'abord réalisé
ceux auxquels il s'était engagé, il y a trois ans maintenant.
C'est dans ce sens-là que je ne pense pas que ce soit malvenu cet
automne de questionner la ministre qui est responsable du dossier sur
l'échéancier. Vous vous rendez compte que l'on n'a même pas
encore les scénarios. Des personnes qui sont à la Régie
des rentes me disent que, pour la Régie des rentes, c'est
écarté, tout ce dossier de l'accès de la travailleuse au
foyer à la Régie des rentes, parce que les études les
amèneraient à conclure que ce n'est pas possible.
Donc, c'est évident que, là, il va falloir avoir la minute
de vérité cet automne sur cette question. La minute de
vérité à la fois sur la question de la rente pour la
travailleuse au foyer, mais également en matière de partage du
patrimoine familial. Alors, c'est en ce sens que je pense qu'il nous faut,
dès cet automne, vous comme moi, avoir des réponses à nos
questions.
Le Président (M. Marcil): En dernier, la conclusion, Mme
la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Toute la question de la participation au
Régime de rentes, comme je l'ai dit, je n'ai pas l'intention d'aborder
le sujet plus longuement étant donné que cela ne fait pas partie
de cela. Que le personnel de la Régie des rentes nous dise que ce n'est
pas possible ou quoi que ce soit, je pense que ce n'est pas à eux de
nous dire quoi faire. C'est à nous de leur dire ce qu'on veut. D'autre
part, je pense que nous poursuivons le dossier. Vous êtes très
fort au courant qu'il y a un nouveau ministre qui a le dossier en main
maintenant. On lui a fait part du dossier au complet. I! doit le regarder. Il a
des rencontres de prévues. Jusqu'à maintenant, on n'a pas
travaillé dans un seul dossier, mais on a cheminé dans plusieurs
dossiers. Comme vous le mentionnez, pour atteindre l'égalité,
cela prend plusieurs mesures et c'est ce qu'on fait actuellement.
Quant au dossier, d'ici la fin de la commission parlementaire, on sera
en mesure de connaître l'échéancier. Il s'agit d'un dossier
du ministre de la Justice aussi. Alors, je pense que d'ici la fin de la
commission parlementaire on devrait être en mesure... Même si Mme
la députée de Maisonneuve s'inquiète, si jamais il y avait
une élection au printemps, j'ose espérer qu'avec une
réélection on pourra continuer comme si rien ne se passait,
finalement.
Une voix:... le 15 novembre.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci infiniment, mesdames.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Mme Huot et vos
compagnes. Je vais maintenant immédiatement appeler, compte tenu de
notre horaire, le groupe William M. Mercer Itée,
représenté par Me Deschênes.
Si vous voulez reprendre vos sièges, s'il vous plaît! Nous
sommes un peu en retard sur notre horaire. Me Mireille Deschênes, M.
Louis-Georges Simard et M. Rolland Boutin, c'est bien cela, n'est-ce pas? Nous
vous souhaitons la bienvenue à cette commission parlementaire. Sans plus
tarder, compte tenu de notre horaire qui est quand même assez
limité, nous vous laissons la parole. Nous avons environ 60 minutes dont
20 minutes pour votre exposé et nous procéderons à la
période des questions par la suite.
William M. Mercer Itée
M. Boutin (Rolland): D'accord, je vous remercie bien. Bonjour,
mesdames et messieurs de la commission. Mon nom est Rolland Boutin. Je suis
associé principal à la société William M. Mercer
Itée. Avant de me joindre à la société Mercer,
j'étais à la Régie des rentes, responsable, entre autres,
pendant onze ans, de l'administration de la Loi sur les régimes
supplémentaires de rentes.
Ma collègue, Mireille Deschênes, est spécialiste en
droit social et, notamment, en droit des pensions auquel elle s'adonne depuis
plus de trois ans chez Mercer. Mon collègue, Louis-Georges Simard, est
actuaire et associé principal chez Mercer également. Il est
conseiller auprès de plusieurs grandes entreprises d'envergure
nationale. Autant Me Deschênes que M. Simard ont pu prendre connaissance
des problèmes engendrés par des types de lois où il est
question de partage des droits de pension à la rupture du mariage.
William M. Mercer Itée est une société de
conseillers en régime de retraite et en assurance collective, la plus
importante au Canada, et, au Québec, nous comptons plus de 2500 clients.
Nos bureaux s'étendent de l'Atlantique au Pacifique. Notamment, à
Montréal, nous avons 150 personnes environ et une douzaine ici à
Québec.
Notre mémoire, comme vous avez pu le constater, porte uniquement
sur la partie de la proposition gouvernementale qui traite des régimes
de retraite, puisque c'est notre champ d'expertise. Ce qui nous a amenés
à présenter un mémoire, ce sont deux raisons. D'abord,
notre expérience de l'application des dispositions des lois d'autres
juridictions en matière de partage des pensions à la rupture du
mariage. Plusieurs clients, plusieurs employeurs nous ont consultés
à ce sujet.
Le deuxième motif, c'est la perspective
qu'au Québec le droit au partage déborde
éventuellement le cadre limité du paiement compensatoire au
conjoint collaborateur et devienne une règle de portée
générale, comme c'est le cas actuellement dans plusieurs
provinces et au Québec, de fait, dans le cas des employés qui
sont assujettis à la loi fédérale sur les normes de
prestation de pension. Je pense aux entreprises qui sont de juridiction
fédérale, comme les stations de radio, de
télévision, etc.
Il y a trois objectifs qui sous-tendent nos recommandations. D'abord,
s'assurer que l'application des dispositions proposées ne s'avère
pas une source importante de complications administratives et juridiques pour
les employeurs, les administrateurs de régimes, les conjoints et leurs
procureurs. Notre deuxième objectif est d'assurer que la caisse de
retraite demeure une partie neutre en ce qui concerne les conjoints et
n'encoure pas de pertes comme résultat du partage entre conjoints. Il
s'agit quand même d'un fonds en fiducie et les autres participants ne
doivent pas perdre ou risquer de perdre quelque chose à l'occasion du
partage. Le troisième objectif est d'assurer une certaine protection de
l'administrateur du régime de retraite.
Avant d'entrer dans l'étude des recommandations, j'aimerais
préciser notre position d'introduction. Nous constatons que le
gouvernement ne propose pas d'inclure dans le patrimoine familial les
régimes enregistrés de pension ni les régimes de
participation différée aux bénéfices. Nous ne
voulons pas nous prononcer là-dessus. Ce n'est pas notre rôle.
Toutefois, advenant que le gouvernement change d'orientation à cet
égard, nous croyons que tous les véhicules d'épargne en
vue de la retraite devraient être inclus dans le patrimoine familial,
c'est-à-dire les régimes enregistrés
d'épargne-retraite et les régimes de participation
différée aux bénéfices, en plus des régimes
de pension, de façon qu'il y ait une équité entre tous ces
véhicules.
Sans plus tarder, je demanderais à Me Mireille Deschênes de
vous présenter un certain nombre de recommandations, après quoi
M. Simard poursuivra.
Mme Deschênes (Mireille): Je vais traiter des
recommandations qui parlent spécifiquement de la proposition du
gouvernement d'inclure dans la Loi sur les régimes
supplémentaires de rentes des règles de dévolution des
droits aux pensions qui seraient attribuées aux conjoints collaborateurs
dans le contexte de la prestation compensatoire. Il faut comprendre que ce dont
je vais vous parler, que les mêmes considérations seraient
pertinentes si on parlait des règles de dévolution du droit
à la retraite dans le cadre d'un partage du patrimoine familial, si le
gouvernement incluait les droits aux pensions au patrimoine familial ou, de la
même manière, si le gouvernement incluait expressément les
pensions parmi les acquêts et que le régime de retraite devenait
une partie payante de ces droits-là. Les recommandations dont je vais
discuter s'appliqueraient dans tous ces cas-là.
Avant d'aborder cela, j'ai rencontré mes collègues du
Barreau au dîner qui m'ont demandé de clarifier un point
auprès de vous. Je leur faisais part que, dans l'avant-projet de loi du
ministre des Finances fédéral qui contenait des propositions de
réforme des mesures d'aide fiscale à l'épargne-retraite,
il y avait une proposition spécifique d'inclure les revenus de pension
alimentaire dans le revenu gagné pour établir la cotisation
possible à un régime enregistré d'épargne-retraite.
Cette mesure doit normalement entrer en vigueur en 1990.
Généralement, le gouvernement du Québec harmonise sa
fiscalité avec celle du gouvernement fédéral en ce qui
concerne l'aide fiscale à l'épar-gne-retraite. C'est
déjà écrit dans les propositions de Revenu Canada.
Je vais parler maintenant de ce que le gouvernement appelle les
règles de dévolution dans son mémoire. Je voudrais
signaler en passant que le mot dévolution ne m'apparaît pas
tellement approprié et peut porter à confusion. Cela fait
référence à la dévolution successorale. Je crois
comprendre que c'est un notaire qui a écrit cela dans ce document.
Dévolution suppose qu'il y a paiement. En droit des pensions, on va
plutôt parler de règles de partage des droits à la retraite
comme tels, ce qui n'implique pas nécessairement qu'il y ait un paiement
au conjoint.
Une fois cette précision sémantique faite, il faut
préciser que, lorsque le droit de la famille prévoit qu'il y a un
droit au partage, c'est le droit des pensions qui vient établir les
règles pour dire comment la pension comme telle va se partager. Le droit
des pensions, c'est la loi qui régit les régimes de retraite et
c'est aussi le régime de retraite comme tel, qui est un document
écrit, qui fait référence aux droits et obligations des
parties qui instituent une caisse de retraite comme telle et qui régit
les relations entre l'employeur qui établit le régime et les
personnes qui ont droit à des prestations en vertu du régime
comme tel.
Dans les juridictions où le droit des pensions aménage les
modalités du partage qui a été décidé par le
droit de la famille, on retrouve au niveau de la loi fédérale,
par exemple, la possibilité qu'il y ait un transfert immédiat
d'un montant global au profit du conjoint, alors que l'Ontario a ignoré
cette méthode d'acquittement des intérêts attribués
au conjoint dans la rente. Il s'avère que c'est une méthode qui
est bien pratique, tout à fait conforme au principe de la liquidation
définitive des intérêts financiers des parties à la
rupture du mariage, et c'est la méthode qui présente le moins de
complications administratives pour les employeurs dans ce sens que le montant
sort du régime et l'employeur n'est pas obligé d'administrer une
entente ou un jugement qui donne des droits qui seront paya-
blés à une date ultérieure. (13 heures)
Je dis que c'est ce qu'il y a de plus simple, cela ne veut pas dire que
c'est nécessairement très simple. La difficulté vient de
ce que l'employeur doit rajuster la rente qui reste à l'employé.
C'est peut-être plus difficile, mais ce n'est pas "infaisable". Ce que je
voudrais préciser, c'est qu'un membre du Barreau qui a lu notre
mémoire a eu l'impression que c'était la seule méthode de
partage que l'on recommandait. Ce n'est pas le cas. Ce qu'on voulait dire ici,
c'est: N'oubliez pas cette forme de partage qui a été
oubliée selon la loi de l'Ontario, mais cela ne veut pas dire qu'on
exclurait d'autres méthodes de partage comme telles auxquelles la loi
permet de recourir.
Les autres méthodes de partage comme telles présentent
certaines difficultés d'application par rapport au traitement des
prestations de décès. Je pense que, si le législateur
incorpore des dispositions spécifiques telles que nous les recommandons
ici, cela va aider grandement à l'administration des ententes ou
à l'exécution du partage comme tel. Lorsqu'il s'agit de partager
une rente qui est en cours de versement ou lorsque c'est un retraité qui
se sépare, la loi permet que la rente payable au retraité soit
réévaluée, rajustée et payable à partir du
régime de retraite. À ce moment, le régime sépare
la rente et en fait deux rentes viagères qui sont payables de
manière totalement indépendante I une de l'autre de sorte que le
décès de l'employé n'a pas d'effets sur la rente qui est
payable au conjoint. C'est une méthode de partage qui, en
conséquence, devrait aussi être introduite.
En ce qui concerne les prestations de décès, la
difficulté vient du traitement inégal qui a été
accordé à ces prestations par les tribunaux dans les provinces de
common law. Peut-être que cette confusion vient un peu d'une mauvaise
compréhension du mécanisme des régimes de retraite et du
mécanisme des lois qui régissent ces régimes de retraite
aussi. Ici, au Québec, la Loi sur les régimes
supplémentaires de rentes n'impose pas l'obligation à l'employeur
de verser une prestation au survivant de l'employé qui
décède avant sa retraite ou après sa retraite. Par contre,
certains régimes, je dirais même plusieurs régimes
prévoient le paiement d'une prestation de décès. Certains
de ces régimes écrivent qui sera le bénéficiaire de
la prestation. L'employé ne peut pas choisir la personne qui recevra la
prestation de décès comme telle. Nos régimes
prévoient que, lorsqu'il y a un conjoint, cette prestation ira au
conjoint - et, en passant, Mme Harel, nos régimes incluent dans la
définition de conjoint les conjoints de fait parce que nos
régimes ne discriminent pas sur la base de l'état civil - mais
c'est le conjoint que l'employé aura au moment du décès,
de sorte que la cessation de la cohabitation même avant le
décès emporte une déchéance des droits de
l'ex-conjoint à cette prestation. Le régime de retraite demeure
toujours obligé de verser une prestation au conjoint que
l'employé aura au moment du décès. Alors, s'il y a une
part de cette prestation qui est incluse dans les droits qui seront
cédés à l'ex-conjoint, que ce soit en vertu d'un jugement
ou en vertu d'une entente, le deuxième conjoint risque de
réclamer une prestation de décès en disant: Bien, je tire
mes droits d'une disposition du régime et le régime sera pris
à payer deux fois, à même des fonds qui sont là pour
le bénéfice de l'ensemble des membres, et le régime n'a
pas à prendre le risque d'une double réclamation.
Alors, ce qu'on voudrait qui soit bien écrit dans la loi, c'est
que, dans la mesure où une prestation de décès, selon les
termes du régime, ou advenant que la réforme des pensions soit
édictée au Québec et que la loi requière qu'une
prestation de décès soit versée au conjoint, ces
prestations sur lesquelles l'employé n'a pas de contrôle soient
expressément exclues des droits qui sont assujettis au partage. En ce
qui concerne les prestations de décès, lorsque le
décès survient après la retraite, nos régimes
prévoient que le divorce ou la séparation après la
retraite n'a pas d'incidence sur le droit du conjoint à la prestation de
décès. C'est uniforme. Les lois dans les autres provinces
fonctionnent sur cette base. La loi fédérale sur les normes de
prestations a une disposition similaire, ce qui s'éloigne un peu du
droit civil qui, lui, rend les prestations d'assurance ou les donations
caduques advenant le divorce. Le droit des pensions reconnaît des effets
à ces avantages, indépendamment des divorces ou des
séparations qui surviennent après la retraite comme telle. Alors,
je crois qu'il serait logique que la loi inclue ces prestations parmi les
droits qui seraient sujets à partage lorsque le divorce survient
après la retraite parce que, de toute façon, il y avait un droit
à ces prestations même advenant séparation ou divorce.
En ce qui concerne une certaine protection qui devrait être
attribuée à l'administrateur du régime de retraite, je
crois qu'il serait normal que l'administrateur ait une certaine immunité
s'il agit selon les dispositions d'un jugement qui lui est envoyé pour
que l'administrateur ne soit pas exposé à une réclamation
d'une autre personne dans l'éventualité où le jugement ne
conviendrait pas à un deuxième conjoint ou pourrait créer
une situation de litige entre le droit de la famille et le droit des pensions.
L'administrateur doit administrer le régime selon les dispositions du
régime et selon la loi. S'il donne suite à un jugement ou
à une entente entre les conjoints qui aurait été
entérinée par le tribunal, qu'il puisse être
libéré de responsabilités s'il agit de bonne foi, selon
ces dispositions, de sorte que, si un conjoint subséquent se
prétend lésé, il devra se plaindre auprès de
l'employé et de son conjoint, mais pas auprès de l'administrateur
du régime.
Maintenant, en ce qui concerne le point 7 dans notre mémoire
où on parle des conflits de loi, nous n'avons pas de recommandations
spécifiques à vous faire à cet égard, sauf pour
vous signaler que, pour le droit des pensions comme tel, les critères
d'assujettissement ne sont pas les mêmes que les critères
d'assujettissement au droit de la famille. Cela nous a créé
certaines difficultés et j'ai eu plusieurs appels d'avocats de
différentes provinces dans les cas d'employés qui passent d'une
province à l'autre. C'est quand même assez courant. Ils finissent
par se retrouver dans une province qui prétend que c'est la loi de cette
province qui est applicable à tout le service en matière de
pension, alors que le droit familial d'une autre province viendrait
s'appliquer.
Au Québec, par exemple, on pourrait avoir, dans des
régions frontalières, un employé qui réside au
Québec, qui travaille à Ottawa, dont le régime de retraite
est assujetti à la loi sur les retraites de l'Ontario. La loi sur les
retraites de l'Ontario prévoit qu'il y a un partage des crédits
de rente, mais selon une ordonnance en vertu du "Family Law Act", lequel ne
s'applique pas à notre employé du Québec. Alors, un
employé du Québec pour lequel le droit de la famille
prévoit un partage des crédits de rente ne pourrait pas le faire
exécuter par son employeur à cause des dispositions
spécifiques de la loi de l'Ontario. Ce sont des problèmes qui
surgissent à l'occasion et pour lesquels il n'y a pas de réponse
simple à apporter. Cela m'est arrivé à une couple de
reprises de dire aux avocats qui me consultaient: Je pense qu'on pourrait
écrire une thèse de doctorat en droit international privé
strictement sur le problème que vous venez de soulever là. Alors,
je le porte à votre attention.
On va maintenant passer aux recommandations de mon collègue
actuaire qui touchent plus spécialement aux questions
d'évaluation.
M. Simard (Louis-Georges): Merci, Mireille. Je vais traiter
initialement de notre première proposition. Nous sommes d'accord avec la
proposition du gouvernement de limiter les droits de retraite pouvant
être attribués à un conjoint ou à un collaborateur
à un maximum de 50 % des droits de retraite du participant attribuables
à la période du mariage ou de la vie commune.
Il faut se rappeler qu'un régime de retraite est établi
par un employeur dans une politique globale de retraite. Le but de ce
régime, c'est de s'assurer que le revenu de l'employé est
maintenu en partie après la retraite. D'ailleurs, c'est quelque chose
qui est reconnu dans les lois, en ce sens que, jusqu'à présent,
au Québec, les prestations ou les sommes d'argent d'un régime de
retraite sont incessibles et insaisissables. Par ailleurs, on n'a pas
d'objection en principe, dans la mesure où le gouvernement décide
qu'il est approprié d'inclure les régimes de retraite dans les
actifs familiaux, à ce que le régime de retraite serve ou
corresponde à la politique du gouvernement. Mais il est important qu'il
y ait un minimum de prestations qui soient protégées pour
l'employé. Nous sommes d'accord avec le gouvernement, que ces 50 %
représentent une part appropriée de ce minimum qui est
protégé pour l'employé.
Dans un deuxième temps, je vais traiter des différentes
méthodes d'évaluation. Il faut bien comprendre que, pour
déterminer la valeur des droits de retraite, différentes
méthodes sont retenues, sont présentement utilisées. Deux
méthodes principales sont retenues présentement: une qui est dite
en fonction de la cessation d'emploi et l'autre méthode qui est dite en
fonction de la retraite. La différence principale entre les deux
méthodes peut être bien identifiée dans le cas d'un
régime où la rente est basée sur le salaire de fin de
carrière. Dans le cas de la méthode de cessation d'emploi, la
rente sujette au partage assume que le calcul de la pension va être fait
sur le salaire jusqu'à la séparation. Dans le cas de la
méthode de la retraite, il y a une présomption que le salaire va
continuer jusqu'à la retraite. C'est ce salaire qui va être
employé pour le calcul.
Lorsque le régime de retraite est demandé à des
fins de règlement, ce que nous proposons, c'est que la méthode de
cessation d'emploi soit retenue. Je pense qu'un exemple pourra aider à
comprendre les motifs de cette recommandation. Supposons pour un instant que la
méthode de retraite soit reconnue, il serait possible de faire une
distribution en supposant que le salaire de l'employé va continuer
à augmenter jusqu'à sa retraite. Disons que cet employé
termine son emploi quelques mois ou quelques années après le
règlement, il resterait moins que les 50 % que l'on veut protéger
des droits à l'employé puisque le calcul initial aurait
été fait sur un salaire de fin de carrière, alors que le
calcul de retraite, de fait lorsqu'un employé quitte, va être fait
sur un salaire qui va être beaucoup plus bas. Donc, pour fins de
règlement à partir du régime de retraite, nous
recommandons que la méthode de cessation d'emploi soit reconnue partie
intégrante de la Loi sur les régimes supplémentaires de
rentes du Québec.
Maintenant, pour fins d'évaluation du droit de la famille, si les
conjoints veulent s'entendre ou si on décide d'employer une autre
méthode d'évaluation, soit la méthode de retraite, en
l'occurrence, à ce moment-là, je pense qu'on devrait laisser
cette porte ouverte. Nous recommandons donc que, pour fins d'évaluation
et de détermination du patrimoine familial, la méthode de
retraite ou de terminaison soit permise, mais qu'il n'y ait pas de
méthode qui soit prescrite.
Quant aux hypothèses, on a parlé de méthode
d'évaluation. Une autre chose importante pour déterminer la
valeur capitalisée des droits, ce sont les hypothèses de
mortalité, par exemple, de retraite à employer dans le calcul;
les hypothèses d'intérêt aussi pour escompter les
prestations futures. L'Institut canadien des
actuaires présentement est à terminer, des recommandations
pour le calcul de la valeur capitalisée qui vont être
adoptées fort probablement par l'institut canadien en 1989. En fait, le
but de ces recommandations est d'uniformiser la pratique en termes de calcul
à effectuer pour s'assurer que des normes professionnelles minimales
soient reconnues. Le principe sous-jacent de ces recommandations est
explicité au premier paragraphe. Ces recommandations ont comme principe
que la valeur actualisée déclarée doit, dans la mesure du
possible, être établie d'une manière équitable
à la fois pour le participant du régime et son conjoint. Donc, je
pense que l'objectif de ces recommandations correspond aux objectifs
d'équité; l'objectif est de s'assurer que les valeurs soient
déterminées de façon équitable et uniforme.
On recommande donc que les hypothèses ne soient pas partie de
législation, mais soient laissées à la profession
actuarielle.
Le Président (M. Marcil): C'est complet? Est-ce qu'il vous
reste encore un petit bout à dire?
M. Simard: Deux minutes.
Le Président (M. Marcil): D'accord, parce que votre temps
est écoulé, mais allez-y! (13 h 15)
M. Simard: Brièvement, notre recommandation numéro
4 stipule strictement que, lorsqu'un régime n'est pas pleinement
capitalisé, la Loi sur les régimes supplémentaires de
rentes du Québec permet que la distribution soit faite sur un certain
nombre d'années. C'est quelque chose qui est assez commun et qui ne
devrait pas poser de problèmes particuliers. Dernier point. D'une
façon générale, on croit que la loi devrait stipuler que
la valeur capitalisée des prestations après la séparation
est égale à la valeur capitalisée des prestations avant la
séparation. Le but de cela est de ne pas changer les engagements
financiers du régime de retraite lors d'une séparation. Je vous
remercie beaucoup.
La Présidente (Mme Bleau): Je cède la parole
à Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, merci, madame et messieurs, de votre
présentation. Je dois vous avouer que c'est très technique et
très spécialisé. Je ne me sens pas à la hauteur
pour apporter vraiment tous les arguments nécessaires eu égard
à votre mémoire, mais j'ai quand même des interrogations.
J'ai cru comprendre que vous nous mettiez en garde, entre autres, en regard du
problème du conflit des lois. Je pense que c'est tout à fait
important. Vous ne voulez pas vous prononcer sur l'inclusion ou non des
régimes faisant partie du partage du patrimoine, mais j'aurais
aimé avoir quand même votre opinion même si vous n'en avez
pas parlé dans votre document. Par contre, je trouve intéressant
que vous nous disiez: Si vous devez l'inclure, vous devrez à ce
moment-là inclure tous les véhicules d'épargne en vue de
la retraite et il y a plein de moyens pour y parvenir. Il s'agit de s'asseoir,
de voir à ce que cela cause le moins de troubles possible pour toutes
les parties, mais c'est faisable, il y a plein de moyens pour le faire.
J'aurais une question sur la non-transférabilité des
régimes. Il y a des régimes qui ne sont pas transférables.
Est-ce que cela pourrait causer un problème? Devrait-on aussi modifier
la loi pour que tous les régimes soient transférables parce que
certains ne le sont pas actuellement?
M. Simard: Je pense que toute la notion de
transférabilité des prestations de retraite fait partie d'un
consensus des différentes juridictions canadiennes sur ce qui va arriver
des régimes de retraite à l'avenir. Au Québec, ce n'est
pas encore partie de la Loi sur les régimes supplémentaires de
rentes, mais c'est déjà prévu en Ontario, dans la loi
fédérale et dans plusieurs autres lois.
En principe, le Québec a accepté la notion de
transférabilité. C'est une question de temps, pense-t-on, on
l'espère, avant que ce soit partie de la loi.
Mme Deschênes: Cela pourrait se faire par un amendement aux
dispositions actuelles de la loi comme telle, une exception au principe que les
rentes sont incessibles et insaisissables et une modalité de paiement
qui permet le transfert en dehors du régime d'un montant comme tel au
profit du conjoint, par exemple, dans le REER immobilisé du conjoint. Il
n'est pas nécessaire d'attendre la réforme globale des pensions
au Québec avant de procéder à ces amendements.
M. Simard: Pour répondre en partie à la
première portion de votre question qui traitait de notre suggestion
d'inclure les REER et les régimes de prestation différée
aux bénéfices au même titre que les régimes de
retraite, on pense que c'est quelque chose qui est particulièrement
important. Il y a des situations où un régime de retraite d'un
employeur, par exemple, va prévoir un minimum de prestations qui sont
pleinement payées par l'employeur, et un montant additionnel pourra
être payé en partie par l'employé et l'employeur sur une
base volontaire. Par exemple, cela pourra prendre la forme d'une cotisation que
l'employé pourra faire qui pourra varier de 1 % à 4 % du salaire,
auquel l'employeur va ajouter, disons, 50 % de ce que l'employé cotise.
On pense qu'il ne serait pas approprié qu'un employé soit
hésitant à participer à cette portion du régime de
l'employeur sut la base que le régime de l'employeur fait partie du
patrimoine familial alors que, s'il faisait une cotisation au REER, par
exemple, cela ne serait pas inclus dans le patrimoine familial.
Donc, les employés, et je pense que ce sera vrai de plus en plus,
auront un certain choix à l'avenir de faire certaines cotisations au
régime de l'employeur ou de les faire dans leur REER personnel. Si on
inclut dans le patrimoine familial les deux sur une base différente,
cela pourra être au détriment de l'employé qui, à ce
moment-là, perdrait évidemment la cotisation que l'employeur fait
en pourcentage de celle qu'il peut faire sur une base optionnelle.
Mme Gagnon-Tremblay: Si on devait inclure les régimes
privés, comme vous le mentionnez, et les autres véhicules, en ce
qui concerne le partage des crédits, est-ce que vous opteriez davantage
pour que ces crédits soient partagés lors de la dissolution du
régime ou bien si vous souhaiteriez qu'ils soient partagés
davantage lorsque le bénéficiaire prend sa retraite et qu'on
distribue deux chèques aux ex-conjoints, comme nous l'ont
souligné, par exemple, un ou deux groupes qui sont venus ici en
commission parlementaire?
Mme Deschênes: Je pense que les différentes options
qui sont offertes aux conjoints dans les juridictions où on
procède déjà à ces partages offrent des avantages
et des inconvénients que les parties peuvent évaluer lorsqu'elles
font leur choix. Le transfert immédiat d'un montant global au profit du
conjoint a l'avantage de mettre un terme définitif à la relation
entre les parties, du point de vue des conjoints comme tels. Par contre, un
partage qui est comme différé à la retraite est
perçu comme étant un mode de partage qui permet au conjoint de
bénéficier des augmentations de salaire futures de
l'employé. Cette méthode de partage a été
critiquée comme étant contraire au principe que
l'évaluation se fait à la date de rupture du mariage et que le
conjoint ne devrait pas profiter de la plus-value d'un bien qui survient
après la rupture du mariage.
Maintenant, c'est une méthode de partage qui a été
employée au départ dans les juridictions où le droit de la
famille disait que la pension est partageable, mais le droit des pensions, lui,
ne donnait pas accès au fonds du régime. Alors, comme la plupart
du temps le mari qui avait un fonds de pension... Si on évaluait la
valeur présente de sa rente à 50 000 $, 60 000 $ ou 100 000 $,
s'il n'avait pas accès à la caisse de retraite pour liquider les
intérêts de son conjoint, au lieu d'avoir à liquider
d'autres actifs pour satisfaire la réclamation de son épouse, il
disait: Bien, la pension, je la partagerai plus tard quand elle sera
payée et le montant qui me sera payable, je t'en donnerai une part.
Après que la réforme des pensions soit entrée en vigueur
dans ces juridictions, on a continué d'appliquer cette méthode de
partage, mais en rendant cette fois-là l'administrateur du régime
fiduciaire des intérêts du conjoint. Alors, au lieu que
l'employé qui reçoit sa rente soit tenu d'en verser une partie
à son conjoint, c'est l'administrateur du régime qui
reçoit l'entente des parties disant: Nous nous entendons pour que la
rente soit partagée selon une formule prédéterminée
lorsqu'elle sera payée et c'est le montant qui sera payable à ce
moment qui sera divisé. Donc, le régime paie à
l'ex-conjoint.
Par contre, l'inconvénient de cette méthode, c'est que,
advenant que l'employé décède avant de prendre sa
retraite, le conjoint peut perdre ses droits dans la pension comme telle et
cette pension sera aussi payable tant que l'employé sera vivant. S'il
décède après sa retraite, cela pourrait être son
deuxième conjoint qui reçoive la prestation de
décès et non pas le premier conjoint. Disons que c'est
peut-être un mode de partage qui pourrait s'avérer pertinent dans
un contexte où la pension sert à satisfaire une obligation
à caractère alimentaire. Si on se situe dans un contexte de
partage d'actif comme tel et si on attribue une valeur capitalisée
à cet actif, il faudra bien s'assurer que la rente payable à
madame, qu'elle recevra un montant de mensualité suffisant pour liquider
cet actif qui lui a été attribué dans son patrimoine et
que ce soit sa succession à elle qui reçoive les paiements
advenant son décès. C'est une forme de partage qui offre
l'avantage qu'on n'a pas nécessairement à faire une
évaluation actuarielle du montant comme tel et qu'on devrait
peut-être ne pas écarter, compte tenu de l'avantage que cela peut
présenter dans certains cas.
Maintenant, il y a une autre forme de partage qui s'appelle le partage
des crédits de rente où les crédits de rente sont
divisés en services et une rente future est payable cette fois-là
calculée sur les deux vies des deux personnes, de sorte que le
décès de l'employé n'aura pas d'effet sur la rente payable
au conjoint. Cette forme de partage présente des difficultés
d'application et je dois dire que cela fait un certain temps qu'on en discute
et qu'on a de la difficulté à se comprendre, tant les experts en
actuariat qui fournissent l'expertise légale là-dessus. Je ne
vois pas tellement l'intérêt que cela pourrait présenter
pour les parties de choisir cette forme. Il y a peut-être un travail
d'information et d'éducation à faire auprès des juristes
pour les amener à faire les choix les plus éclairés
possible. Certains peuvent faire le choix d'une forme de règlement et ne
pas réaliser exactement tout ce qui part avec cela ou les
inconvénients que cela peut présenter de ne pas faire
nécessairement les meilleurs choix. Je ne crois pas que la loi devrait
écarter une forme de règlement plutôt qu'une autre. Il
faudrait que les gens fassent les choix en connaissance de cause.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci.
La Présidente (Mme Bleau): Je passe la parole à
l'Opposition officielle.
Mme Harel: Merci, Mme la Présidente. Je veux profiter le
plus possible de votre présence pour obtenir le plus
d'éclaircissement possible sur ces questions complexes pour le simple
citoyen et pour les membres de la commission parlementaire
également.
Alors, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de prendre connaissance
du mémoire du Barreau, mais j'aimerais que vous me disiez si vous
considérez que le mode de partage de la rente publique vous semble
adéquat. En fait, le Barreau recommandait d'une certaine façon
que nous appliquions au régime privé le mécanisme, tout en
l'améliorant, déjà en usage quant au partage de la rente
publique.
Mme Deschênes: Je ne pense pas que ce soit quant à
la mécanique de partage que le Barreau faisait un rapprochement avec le
Régime de rentes du Québec, parce que le Régime de rentes
du Québec et les régimes de retraite d'employeurs n'ont pas une
formule d'accumulation de rentes qui se fait sur la même base; il n'y a
pas de comparaison possible. Dans le Régime de rentes du Québec,
ce que l'on partage, ce sont les gains admissibles. On ne peut pas partager un
régime de retraite privé sur cette base. Le Barreau recommandait
que les régimes de retraite soient inclus dans le patrimoine familial,
comme ce sera le cas pour le Régime de rentes du Québec pour
lequel on recommandait que le partage se fasse de manière automatique
sur signification du jugement à la Régie des rentes, mais cela
n'allait pas au-delà de ça le rapprochement fait entre les
deux.
Mme Harel: Oui, vous avez complètement raison.
Mme Deschênes: S'il y avait une méthode simple de
partager ou d'évaluer ces droits, on vous l'aurait décrite et on
vous aurait recommandé de légiférer selon cette
méthode. Malheureusement, cela n'existe pas une méthode simple,
mais on ne dit pas que c'est infaisable. Ce n'est pas si simple que ça,
mais cela se fait.
Mme Harel: Vous avez tout à fait raison; je viens
justement de me référer à la page 11 du mémoire du
Barreau. C'est plus le mécanisme de partage des droits accumulés
au titre du régime public de rentes dont il voudrait obtenir des
améliorations. Effectivement, c'est un groupe qui vous a
précédés hier qui reprenait, d'une certaine façon,
l'idée d'un partage analogue, mais ce n'était pas là un
groupe d'experts, finalement. Je comprends parfaitement que vous ne soyez ni un
groupe de pression ni un groupe d'opinion, vous êtes un groupe d'experts.
Je comprends que vous ne vous prononciez pas sur la nécessité ou
pas de l'inclusion. D'autres groupes, n'en doutez pas, viennent le faire pour
vous mais n'ont pas cette expertise que vous avez.
Alors, j'aimerais que l'on envisage à la page 6 de votre
mémoire toute la question de la prestation de décès. Il
s'agit de voir comment le partage peut se faire. D'abord, si vous me permettez
de vous demander une précision. Vous dites que plusieurs régimes
prévoient le versement d'une prestation de survie advenant le
décès de l'employé avant sa retraite et vous semblez nous
indiquer que ce versement se fait au conjoint qui cohabite avec
l'employé, quelle que soit la nature des liens, que ce soit une union de
fait ou un couple marié, et vous dites: Les régimes ne
discriminent pas sur la base de l'état civil. Est-ce qu'il est
fréquent que l'on retrouve des dispositions comme celles-là dans
les différents régimes privés?
Mme Deschênes: Dans les avantages sociaux offerts par les
employeurs, les employeurs sont assujettis à la Charte des droits et
libertés de la personne et à la loi canadienne sur les droits de
la personne en ce qui concerne nos clients qui sont des entreprises sous
juridiction fédérale. Actuellement, la Charte des droits et
libertés de la personne prévoit qu'un employeur ne peut pas faire
de discrimination sur la base du sexe, de l'état civil et de tous les
autres motifs prohibés dans les conditions d'emploi. Par ailleurs, il y
a une exception: l'article 90 de la charte prévoit qu'en ce qui concerne
les régimes d'avantages sociaux, la discrimination n'est pas
prohibée pour certains motifs tant que le gouvernement n'aura pas
adopté un règlement qui prévoit quels sont les facteurs de
distinction prescrits qui seront réputés non discriminatoires.
Par contre, la plupart des employeurs n'ont pas attendu que le gouvernement
prescrive des facteurs de distinction réputés non
discriminatoires et dans nos régimes en général nous
reconnaissons, dans les définitions de conjoints, autant le conjoint de
fait que le conjoint légalement marié.
Mme Harel: Donc, il en va de même pour le Régime de
rentes du Québec. Est-ce qu'il s'agit là d'une disposition
analogue après trois années de vie commune ou si c'est au moment
de la cohabitation, comme cela semble être le cas dans le mémoire
que vous nous présentez?
Mme Deschênes: Quand on dit: qui cohabite avec
l'employé au moment du décès...
Mme Harel: Oui, au moment du décès. (13 h 30)
Mme Deschênes:... en fait, c'est un critère
d'admissibilité à la prestation qu'il cohabite avec
l'employé au moment du décès, mais le conjoint, pour se
qualifier d'abord comme conjoint, doit satisfaire à certaines normes
reliées à la durée de la vie commune. Il y a une certaine
disparité d'un employeur à l'autre ou d'un régime à
l'autre en ce qui concerne la durée de la cohabitation qui est requise
pour qu'une personne se qualifie comme conjoint de fait. Il y en a qui vont
mettre trois ans, d'autres un an de cohabitation.
II n'y a pas de règle prescrite actuellement au Québec sur
cette question-là.
Mme Harel: C'est intéressant.
Mme Deschênes: Si je peux vous faire aussi un commentaire,
cela devient difficile d'administrer des avantages... C'est-à-dire que
là où la loi oblige l'employeur à reconnaître !e
conjoint de fait pour certaines choses, comme c'est le cas pour la loi
fédérale sur les normes de prestation ou la loi de l'Ontario
où on reconnaît le conjoint de fait... Cela pose une question de
preuve comme telle, que la personne se qualifie bien. Lorsqu'une personne
mariée réclame un droit ou une prestation, on lui demande son
certificat de mariage et on demande des pièces justificatives sur son
âge aussi, lorsque cela est pertinent pour déterminer le montant
d'une prestation. En ce qui concerne les conjoints de fait, nous avons
développé des formules d'affidavit ou de déclaration qui
incluaient les exigences de la loi pour qu'une personne se qualifie comme
conjoint de fait, mais on ne sait pas exactement jusqu'à quel point les
employés ont fait une fausse déclaration pour peut-être...
En ce qui concerne une pension, on pourrait penser qu'ils vont décider
de partager une pension parce que cela peut devenir une technique de "income
splitting" intéressante. Je crois que, si l'employeur recourt à
une déclaration assermentée, il y a une protection légale
à l'égard de toute poursuite qui pourrait résulter d'une
déclaration frauduleuse, mais les employeurs n'ont pas les moyens
d'envoyer des inspecteurs pour vérifier que telle personne qui est
représentée comme le conjoint cohabite bien et remplit les
critères élaborés par la loi. S'il y avait, en ce qui
concerne l'état civil, un papier que les gens pourraient aller chercher
à la mairie, un certificat de concubinage ou quoi que ce soit, cela nous
faciliterait beaucoup la chose.
Mme Harel: C'est très très intéressant parce
que vous nous posez des questions qui vont demander des réponses.
Notamment, nous vous dites que plusieurs régimes jusqu'à
maintenant prévoient une déchéance automatique des droits
du conjoint au moment de la séparation ou du divorce. Vous attirez notre
attention, d'une part, qu'il y a conflit, qu'il peut y avoir conflit de droit
entre l'ex-conjoint divorcé ou séparé au moment du
décès, etc., l'ex-conjoint séparé ou divorcé
qui pourrait recourir au partage et le conjoint de fait qui pourrait
également faire valoir ses droits. Est-ce que je comprends bien que dans
vos recommandations - je pense que c'est la recommandation à la
dernière page 7: "Que des dispositions excluent des droits assujettis au
partage les prestations de décès préretraite dont
l'attribution est liée à l'état matrimonial du participant
à la date du décès"...
Mme Deschênes: Oui, dont l'attribution est liée par
le régime, par le contrat comme tel à l'état matrimonial
du participant. Autrement dit, l'employé n'a aucun contrôle, lui,
sur l'attribution de ces prestations-là. Si on en attribuait une part de
la valeur à son ex-conjoint, le régime serait quand même
contractuellement lié à donner cette prestation-là au
deuxième conjoint. Le régime serait pris pour payer deux fois.
Par contre, là où l'employé peut désigner un
bénéficiaire pour recevoir la prestation de décès,
on devrait permettre aux parties de décider si oui ou non if y a une
part qui est attribuée à l'ex-conjoint, comme un tribunal va le
faire en matière de séparation ou comme un employé peut
décider de maintenir sa désignation de bénéficiaire
en assurance au profit de son ex-conjoint même s'il y a eu un divorce.
Les prestations de décès obéissent à une logique
d'assurance. Alors, on devrait leur accorder le même traitement. Mais
dans le cas où le régime ne permet pas à l'employé
de choisir à qui cela va aller, il faudrait clairement que la loi
l'exclue.
Mme Harel: Donc, vous proposez que ce soit exclu des droits
assujettis au partage. Vous proposez que ce soit exclu du patrimoine
partageable.
Mme Deschênes: C'est-à-dire pas exclu du patrimoine
partageable comme tel...
Mme Harel: Non.
Mme Deschênes:... mais que ce ne soit pas pris en compte
dans l'évaluation des droits de l'employé pour fins de partage.
Lorsqu'on évalue un droit de pension... J'ai droit, moi, à une
rente future. Si je veux y donner aujourd'hui une valeur capitalisée, on
doit tenir compte des avantages que me procure le régime. Or, le
régime prévoit qu'il y aura une prestation de décès
qui sera versée advenant mon décès. Il y a une valeur
à cela.
M. Simard: La situation dans laquelle on est, c'est qu'on a une
rente qui va être payable à un âge présumé de
retraite et puis d'autres prestations du régime dont on veut voir
aujourd'hui quelle est leur valeur actualisée. Le régime dit
qu'en cas de décès du membre avant le commencement de la rente,
s'il n'y a pas de conjoint, à ce moment-là, il n'y a pas de
prestation payable. Donc, tout ce que l'on dit quand on calcule la valeur
actualisée dans un contrat comme celui-là, c'est de ne pas en
tenir compte parce qu'elle est inexistante en raison du fait qu'il y a eu une
séparation.
Mme Harel: Et que dans la mesure... Oui, excusez-moi.
M. Boutin: Peut-être une petite nuance pour préciser
ce que mes deux collègues ont dit et qui semble faire l'objet de
l'accrochage d'interpréta-
tion. Quand on dit qu'une rente est payable en vertu du régime au
conjoint, c'est que le texte légal du régime le dit comme tel:
advenant le décès du participant ou du retraité, la rente
sera payable à son conjoint, sans définir plus loin, sans dire
qui cela va être. Alors, !e participant est dans la situation où
il n'a pas le choix que cela ne soit pas son conjoint du moment qui
reçoive la prestation. Ce que l'on dit, c'est que ce genre de
prestation-là sur laquelle le participant n'a, de fait, pas le choix de
voir qu'elle soit payable à son conjoint de l'époque ne devrait
pas être incluse dans le patrimoine.
Mme Harel: Si vous me permettez de reprendre cela en termes un
peu plus triviaux, mais l'employé qui a divorcé, donc qui a un
exconjoint, dans la mesure où il y aurait inclusion des régimes
privés de retraite, se trouve, dans la mesure où il y a partage
des régimes privés de retraite, n'aurait plus droit qu'à
la moitié, finalement, disons, pour parler en termes un peu simplistes,
et son conjoint de fait devrait n'avoir droit qu'à des prestations de
cette moitié. Est-ce que c'est dans ce sens-là?
M. Simard: C'est dans ce sens-là, mais, dans
l'établissement de cette moitié-là, ce qu'on dit, c'est
qu'il n'y a plus de prestations. Étant donné qu'il n'y a plus de
conjoint, vu la séparation, il n'y a plus de...
Mme Harel: S'il y a un nouveau conjoint?
M. Simard: S'il y a un nouveau conjoint, il y a de nouvelles
prestations de décès qui vont survenir, mais contractuellement
ces prestations-là sont conditionnelles à l'existence d'un
nouveau conjoint et on ne pense pas que la valeur actualisée de ces
prestations de décès en question devrait être prise en
considération parce qu'elles sont sujettes à ce qu'un nouveau
conjoint survienne.
Mme Deschênes: Par contre, la prestation de
décès comme telle est toujours calculée par rapport au
bénéfice de l'employé lui-même. Alors, si le
bénéfice de l'employé lui-même a été
réduit pour tenir compte du fait qu'une part de ce
bénéfice-là, qui est attribuabje à un premier
mariage, a été versée au premier conjoint, la prestation
de décès du deuxième conjoint sera calculée selon
ce qui reste à l'employé, une fois que le premier conjoint s'est
servi. C'est la logique qui fait que la prestation en cas de
décès après la retraite, le montant est payé au
conjoint que l'employé avait au moment où il a pris sa retraite.
Cette prestation-là est calculée sur la rente accumulée
pendant toute la carrière de l'employé, mais s'il y a eu
séparation ou divorce en cours de route, on aura pu verser à
l'ex-conjoint une part de la rente de l'employé, de sorte que, encore
là, la deuxième rente est payée sur ce qui reste à
l'employé, une fois que le ou les conjoints antérieurs se sont
servis. Alors, c'est comme si le partage fait en sorte que les droits des
conjoints antérieurs sont opposables au deuxième conjoint dans
une certaine mesure. Par contre...
Mme Harel: Vous exprimez très bien ce conflit, sauf que
les droits des conjoints antérieurs doivent être opposables pour
pouvoir être satisfaits.
Mme Deschênes: Oui, effectivement.
Mme Harel: Parce qu'il faut prévoir des cas de plus en
plus fréquents de remariage.
Mme Deschênes: Oui.
Mme Harel: On dit que presque un couple sur quatre sera
remarié, alors c'est vraiment de plus en plus fréquent.
Une dernière question. Vous avez alerté, je pense, la
commission sur un aspect très important, et vous êtes les premiers
à le faire, sur l'urgence d'une réforme, je pense - en tout cas,
c'est ce que je conclus - du droit des pensions. Alors, toute la question de la
Loi sur tes régimes supplémentaires de rentes... Il y a d'autres
motifs. Évidemment, on voit, avec des cas comme Singer, Simonds,
Crédit foncier et autres, la nécessité de réformer
cette loi qui est assez vétuste - elle date de 1965 - qui n'a pas connu
les modifications que voulait y apporter le projet de loi 58 il y a trois
ans.
Alors, il n'y a pas, selon vous, possibilité... Dois-je conclure
qu'il n'y a pas de réforme possible qui inclurait les régimes
privés, tout véhicule d'épargne dans le patrimoine
partageable, sans qu'il y ait nécessité d'amender la Loi sur les
régimes supplémentaires de rentes? Dois-je comprendre cela?
Mme Deschênes: Non. Cela pourrait se faire sans amender la
Loi sur les régimes supplémentaires de rentes. Par ailleurs, en
incluant les pensions dans le patrimoine familial, selon le droit de la
famille, mais sans modifier les régimes supplémentaires de
rentes, les conjoints se trouveraient probablement à être
redevables l'un envers l'autre de montants substantiels dont ils n'auraient pas
la disponibilité actuelle entre les mains. C'est le problème que
cela a créé en Ontario lorsque le droit de la famille de
l'Ontario a reconnu que les pensions faisaient partie des biens familiaux,
alors que la Loi sur les régimes de retraite de l'Ontario ne donnait pas
accès au fonds de la caisse de retraite. Il y avait des maris qui se
retrouvaient avec des montants substantiels d'"equalization payment" à
verser. La loi leur donnait un délai de dix ans pour s'acquitter de
leurs obligations, ils étaient obligés de vendre la maison ou de
liquider d'autres actifs pour acquitter ce paiement-là. À partir
du moment où la caisse de retraite est
mise à contribution pour satisfaire à ces
obligations-là, cela a l'avantage de prévenir la liquidation
d'autres éléments d'actif, mais il faut que la loi sur les
régimes de retraite elle-même soit modifiée à ce
moment-là pour faire échec aux dispositions qui prévoient
que les prestations sont incessibles et insaisissables. Si on veut que les
droits des conjoints soient satisfaits à même des fonds qui
proviennent de la caisse de retraite, ça prend une modification à
la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes. Cela pourrait
se faire dans le contexte de la loi actuelle. Ce n'est pas nécessaire
que toute la réforme des pensions soit mise en vigueur pour que ces
dispositions puissent être mises en application ou modifiées.
Mme Harel: Sans des amendements à la Loi sur les
régimes supplémentaires de rentes, il pourrait y avoir une
difficulté de satisfaire au partage puisqu'il n'y aurait pas
nécessairement accès au régime de retraite.
Mme Deschênes: Effectivement. Mme Harel:
D'accord.
M. Boutin: L'accès pourrait être
différé au moment de la retraite.
Mme Harel: Une dernière question. Vous nous avez
parlé de la loi fédérale sur les normes de prestations de
pension. Vous nous avez dit qu'elle semblait poser une difficulté. Le
Barreau nous a parlé de ce problème également, je crois,
en nous disant que les citoyens du Québec ne pouvaient pas
bénéficier des avantages, même ceux qui étaient
employés de l'une des 400 compagnies soumises à la juridiction
fédérale.
Mme Deschênes: La loi fédérale comme telle,
qui encore là s'inscrit dans le contexte d'une relation entre un
employeur et un groupe d'employés pour lesquels un régime de
retraite est établi, contient des dispositions sur le partage d'une
pension, mais, comme le gouvernement fédéral intervenait à
ce moment-là dans un champ de compétence provinciale qui est
celui du droit de la famille, il a pris bien soin d'inscrire dans sa loi
fédérale qu'à la rupture du mariage les droits des parties
seront déterminés selon le droit de la famille de chacune des
provinces. Par ailleurs, le législateur fédéral a fait un
pas de plus et a édicté que, nonobstant le droit provincial, le
membre d'un régime peut céder une partie de sa pension à
son conjoint à la rupture du mariage. Au Québec, c'est la seule
disposition qui peut s'appliquer. Si l'employé consent à
céder une partie de sa rente à son ex-conjoint à la suite
de la rupture du mariage, la loi fédérale accommode cet
aménagement-là, mais c'est une cession volontaire. On ne pourrait
pas avoir une ordonnance de tribunal forçant, ordonnant... On ne
pourrait pas avoir un jugement qui ordonne à l'administrateur du
régime de créditer certains droits à l'employé
à cause d'une carence de notre droit de la famille qui ne
reconnaît pas que la pension est un actif partageable. Si la pension
était incluse, par exemple, parmi les acquêts, les gens qui sont
mariés en société d'acquêts pourraient, en vertu de
la loi fédérale, avoir un jugement de cour qui permette que les
fonds soient payés à même la caisse ou, si c'était
inscrit dans le patrimoine familial pour tous les conjoints, alors tous les
conjoints qui participent à des régimes assujettis à la
loi fédérale pourraient profiter de l'ordonnance du tribunal dans
ce sens-là.
M. Simard: Je voudrais ajouter un point. En vertu de la loi
fédérale, des conjoints de fait au Québec pourraient en
arriver à une entente pour partager. Ça, c'est reconnu aussi par
la loi fédérale.
Mme Harel: Au moment du décès ou au moment
de...
Mme Deschênes: Non.
M. Simard: Au moment de la séparation.
Mme Harel: De la séparation?
Mme Deschênes: Des conjoints de fait...
M. Simard: Aujourd'hui, au Québec, si un employé
est assujetti à la loi fédérale, qu'il vit en union de
fait et que l'union de fait se termine, il pourra s'entendre avec la personne
avec qui il vivait pour séparer les crédits de rente.
Mme Deschênes: Dans la loi fédérale, le
conjoint de fait est reconnu autant pour la question des prestations de
décès que pour la question du partage comme tel. Des avocats des
institutions financières d'Ottawa avec lesquels je discutais de ces
dispositions me disaient qu'il y a des provinces du Canada qui reconnaissent
une obligation alimentaire entre les conjoints de fait, de sorte qu'une pension
peut être partagée pour satisfaire à une obligation
alimentaire, et c'était logique qu'on permette le partage en faveur de
ces conjoints. La durée de cohabitation requise pour qu'une personne se
qualifie comme conjoint selon la loi fédérale est d'un an.
La Présidente (Mme Bleau): Je vous remercie. Mme la
ministre, le mot de la fin?
Mme Gagnon-Tremblay: Je vous remercie beaucoup de votre
présentation. Comme je l'ai mentionné au tout début, c'est
très technique, mais c'est quand même très enrichissant. Ce
que j'en retiens, c'est que, si on devait inclure les régimes
privés, c'est faisable, cela se fait, sauf que, naturellement, on devra
y apporter les
modifications législatives en conséquence et voir quels
sont les meilleurs moyens pour y parvenir parce qu'on doit prendre en
considération la durée du mariage, la quantité de
conjoints, les nombreux remariages et ce que cela peut représenter pour
l'employeur et l'administrateur. Je pense que vous nous avez quand même
alertés à bien des points de vue sur ces difficultés et,
dans certains cas, des avantages aussi. On vous remercie infiniment de votre
présentation. Vous êtes le premier groupe qui se penche vraiment
sur le fond de ces régimes privés. Merci.
M. Boutin: II nous a fait plaisir de contribuer à vos
travaux.
Mme Harel: Mme la Présidente, je veux remercier le groupe
William Mercer Itée. Les informations que vous nous avez
apportées sont extrêmement pertinentes. Je vous remercie, M.
Simard, Me Deschênes et M. Boutin. Je crois que vous nous avez
démontré, peut-être à votre insu, que le
Québec n'est pas tant en avance et que, par une loi comme
celle-là, il pourrait cesser d'accuser du retard. Je vous remercie.
La Présidente (Mme
Bleau): À mon tour, au
nom de la commission, je vous remercie. La commission suspend ses travaux
jusqu'à 16 heures.
(Suspension de la séance à 13 h 48)
(Reprise à 16 h 19)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Cette commission va donc poursuivre ses travaux. Nous sommes en pleine
période d'auditions publiques sur le document gouvernemental
intitulé "Les droits économiques des conjoints". Alors, nous
sommes chanceux; ici, nous avons lumière et son pour recevoir notre
prochain groupe. Mais avant, je voudrais peut-être demander à la
secrétaire, Me Giguère, d'annoncer les remplacements, s'il y en
a.
La Secrétaire: On les a annoncés ce matin.
Le Président (M. Filion): Les mêmes que ce matin,
cela va.
Alors, cet après-midi, l'Association féminine
d'éducation et d'action sociale, communément appelée
l'AFEAS - bonjour, je remarque que les représentantes ont
déjà pris place - la Fédération des travailleurs et
travailleuses du Québec et Me Pierre Issalys font partie de notre ordre
du jour. Donc, sans plus tarder, nos invitées ayant déjà
pris place, je leur souhaite la plus cordiale des bienvenues, en particulier
à Mme Christine Marion, c'est cela, qui est la présidente, assise
au centre. Je lui demanderais de bien vouloir présenter, pour le
bénéfice du Journal des débats et des membres de
cette commission, ies deux personnes qui l'accompagnent et je l'invite
également, par la suite, à nous faire la présentation de
son mémoire.
AFEAS
Mme Marion (Christine): Je vous remercie. Alors, c'est avec
plaisir que je vous présente les personnes qui m'accompagnent. Il s'agit
de Mme Huguette Marcoux, qui est membre de l'exécutif provincial, et de
Mme Michelle Houle-Ouellet, qui est chargée du plan d'action à
l'AFEAS et qui est co-rédactrice du mémoire.
L'Association féminine d'éducation et d'action sociale,
l'AFEAS, est un organisme sans but lucratif qui regroupe 30 000 femmes dans 550
localités du Québec, ces localités étant
réparties dans 13 régions distinctes. L'AFEAS offre à ses
membres les outils nécessaires à une réflexion
individuelle et collective sur les droits et responsabilités des femmes.
L'AFEAS incite également ses membres à réaliser des
actions concrètes dans leur milieu en vue d'un changement social. Elle
est reconnue comme un corps intermédiaire dans la société
québécoise.
L'AFEAS fonctionne selon des structures très démocratiques
aux paliers local, régional et provincial. Les propositions de ses
membres sont discutées et votées lors des assemblées
générales de chacune des instances, ce qui permet d'affirmer que
les prises de position de l'AFEAS représentent vraiment l'opinion de ses
30 000 membres. J'aimerais ajouter qu'une enquête que nous avons faite
tout récemment sur le statut, l'âge, le revenu et la
scolarité de nos membres nous permet d'affirmer que l'AFEAS est un
fidèle reflet de la société québécoise.
Depuis sa fondation en 1966, l'AFEAS s'est toujours
préoccupée de l'égalité des femmes et des hommes.
À plusieurs reprises, nos dossiers ont traité de droits
économiques des femmes. Ce document de consultation sur les droits
économiques des conjoints rejoint donc nos objectifs.
Une recherche-action portant sur la situation des femmes collaboratrices
du mari dans une entreprise familiale à but lucratif, en 1975, a permis
l'obtention de certaines mesures de reconnaissance de la part des deux paliers
de gouvernement en 1980 et la fondation d'un groupe, l'Association des femmes
collaboratrices, l'ADFC, qui est vouée à la poursuite de ce
dossier. Cette association étudiera le dossier plus à fond et
fera sûrement des recommandations spécifiques sur le rôle
des collaboratrices dans une entreprise. D'ailleurs, je pense que vous les avez
déjà rencontrées.
En 1980, l'AFEAS s'attaquait à un autre dossier complexe, celui
des femmes au foyer. À la suite des étapes de recherche,
d'étude, d'analyse, de conscientisation, d'information et d'action, les
membres ont adopté des recommandations visant à améliorer
le sort des travailleuses au foyer. Depuis le début de cette
démar-
che, l'AFEAS revendique, d'une part, la reconnaissance sociale de la
valeur du travail au foyer et, d'autre part, la reconnaissance
économique de ce rôle à l'intérieur de la
famille.
Plusieurs sujets étudiés au cours des années
touchent certains aspects du document de consultation sur les droits
économiques des conjoints. Mentionnons, entre autres, la révision
du Code civil, la protection de la résidence familiale, la prestation
compensatoire, les régimes de pension, etc.
C'est donc en s'inspirant de ces études et des positions
officielles adoptées par les membres en assemblée
générale que l'AFEAS réagit aujourd'hui en regard des
droits économiques des conjoints.
En 1980, l'AFEAS s'est impliquée dans le processus de la
réforme du droit de la famille. Nous avons déploré par la
suite que le nouveau Code civil accorde aux époux
l'égalité dans le mariage et le partage des
responsabilités aux charges du ménage sans accorder, par
ailleurs, un partage équitable de la richesse entre les conjoints.
Aujourd'hui, huit années plus tard, nous ne pouvons que nous
réjouir de la décision du gouvernement de tenir une commission
parlementaire sur les droits économiques des conjoints. Nous sommes
parfaitement d'accord pour affirmer avec les membres du comité
formé sur ce sujet que "dans l'application du droit actuel le
problème central demeure celui du régime de la séparation
de biens choisi par près de 40 % des couples en 1985". Depuis 1970, on a
enregistré au Québec 390 000 mariages sous le régime de la
séparation de biens. Environ un millier de couples ont adopté le
régime de la communauté de biens et 52 000 ont
préféré se marier en société
d'acquêts.
En 1982, l'AFEAS réalisait, en collaboration avec
l'Université de Montréal, une enquête auprès des
femmes au foyer. Je tiens à préciser que ces femmes
n'étaient pas membres de l'AFEAS. Nous avons alors pu constater que,
parmi les répondantes, plus de la moitié étaient
mariées sous le régime de la séparation de biens et, par
la suite, nous avons pu vérifier que la même tendance existait
chez nos membres.
Dans le tableau qui suit, on peut voir un taux de 42 % pour les
personnes mariées avant 1970 sous le régime de la
séparation de biens et, pour les personnes mariées après
1970, un taux de 52, 8 %. Je vous fais grâce des autres chiffres du
tableau.
Cette préférence pour le régime de la
séparation de biens est étonnante considérant que les
répondantes à notre enquête travaillaient exclusivement au
foyer, qu'elles exerçaient un travail non rémunéré
avec peu de possibilités d'accumuler des biens personnels. Pourquoi ce
choix? La popularité du régime de séparation de biens a
grandi, d'abord, parce qu'il permettait à la femme de conserver sa
pleine capacité juridique. Il permettait aussi de protéger le
milieu familial contre les aléas financiers des entreprises du mari.
Comme vous le savez, avant l'accroissement du nombre des divorces, la
principale préoccupation des femmes concernait le décès et
elle était réglée avec la clause testamentaire. C'est au
fur et à mesure de l'augmentation des divorces que les femmes ont pris
conscience de la fragilité de la protection offerte par leur contrat de
mariage en séparation de biens. La majorité ayant renoncé
à tout travail rémunéré pour se consacrer à
leur famille, selon les valeurs de l'époque, elles se sont
retrouvées sans biens propres, avec des donations et des clauses
testamentaires annulées. La prestation compensatoire a suscité de
l'espoir pour pallier aux injustices créées, mais,
malheureusement, la jurisprudence a vite fait de mettre un terme à ces
espoirs.
Malgré tout, la popularité du régime de la
séparation de biens se maintient et ce, de manière
inquiétante, d'autant plus que le nombre de couples dans cette situation
augmente avec l'élévation des revenus: plus le revenu est
élevé, plus le nombre de couples choisissant la séparation
de biens s'élève, comme le démontre le tableau suivant qui
est extrait du "Rapport de l'AFEAS sur la situation des femmes au foyer". On
peut voir, au sujet de la séparation de biens, que, quand on a des
revenus de moins de 10 000 $, 28, 5 % des couples optent pour ce régime,
alors que, quand le revenu est de 30 000 $ et plus, c'est 64, 2 % des couples
qui optent pour ce régime.
D'autres données de notre enquête révèlent,
de plus, que très peu de couples font leurs achats en
copropriété et que la plupart des biens appartiennent au
conjoint. Ainsi, 68, 8 % des maris sont les uniques propriétaires du
logement. Par conséquent, il est évident qu'une forte proportion
de femmes ne peuvent compter sur leur contrat de mariage en séparation
de biens pour obtenir une juste part des avoirs du ménage.
Les femmes sont de plus en plus nombreuses à demeurer sur le
marché du travail toute leur vie. Pourtant, un nombre encore important
de femmes choisissent de demeurer au foyer et cette décision repose sur
un besoin familial, comme le démontre le tableau suivant regroupant les
raisons pour choisir de demeurer au foyer. Il s'agit, là encore, des
résultats de l'enquête menée par l'AFEAS en 1980. On voit
que les trois principales raisons sont la présence à assurer
auprès des enfants, le travail ménager à assumer à
la maison et l'attitude du conjoint souhaitant la présence de sa femme
au foyer. Plusieurs facteurs familiaux influencent donc la décision de
rester au foyer. Il serait juste et équitable que les femmes ne soient
pas les seules à subir les conséquences économiques d'un
choix qui se fait en couple. L'établissement de biens familiaux
partageables en parts égales permettra de corriger cette injustice.
Bien que nous mettions l'accent sur la
situation des travailleuses au foyer parce que nous avons, bien entendu,
particulièrement étudié ce dossier, nous ne pouvons passer
sous silence la situation des femmes sur le marché du travail. Elles
accomplissent, le plus souvent encore, le travail au foyer, faisant face au
problème de la double tâche. De plus, plusieurs études
démontrent qu'elles possèdent encore peu de biens durables en
propre. Leur revenu est souvent encore considéré comme un salaire
d'appoint utilisé pour combler les dépenses courantes diffuses.
Elles assumeront, par exemple, les frais de garde, le coût de leurs
vêtements et de ceux de leurs enfants, et elles se chargeront des frais
de rénovation et de décoration. Les hommes se retrouvent encore
souvent propriétaires des biens: maison ou logement, automobile,
meubles, résidence secondaire, placements et le reste.
Nous n'avons pas encore atteint le stade d'une société de
partenaires égaux. Les attitudes et les comportements sont bien
ancrés. La notion de copropriété des biens chez un couple
n'est pas encore pratique courante. Le partage des biens rappelle encore la
formule traditionnelle: homme pourvoyeur, femme à charge. Pour toutes
ces raisons, il est urgent de légiférer afin de rétablir
l'équilibre économique entre conjoints, quel que soit le
régime matrimonial. Nous croyons que la vie commune amène
inévitablement un partage des responsabilités et des rôles
et que les deux conjoints contribuent à l'enrichissement de la
communauté. (16 h 30)
C'est dans cet esprit que nous reprenons les divers points du document
de consultation en y greffant les positions officielles des membres de l'AFEAS.
Parmi les voies d'orientation proposées dans le document de
consultation, nous nous rallions à celle qui rejoint le mieux la
philosophie de nos membres, c'est-à-dire la voie mitoyenne. Cependant,
il est nécessaire d'apporter des améliorations aux propositions
du document de consultation concernant cette voie d'orientation afin de
répondre plus fidèlement aux prises de position de notre
association.
L'AFEAS est favorable au fait de conserver la liberté
contractuelle des époux, tradition bien ancrée dans les moeurs
québécoises. En même temps, par souci de justice et
d'équité, nous jugeons primordial de constituer un patrimoine
familial pour pallier aux effets néfastes que peuvent entraîner
les régimes de la séparation de biens et, dans certaines
circonstances, de la société d'acquêts. Ce patrimoine
familial devra être applicable à tous les époux, que! que
soit leur régime matrimonial. Il devra être formé d'une
masse de biens dont la nature serait précisée par le Code civil
et partageable à parts égales entre les conjoints à la fin
du mariage. Cette mesure serait de nature à corriger les
problèmes d'inéquité flagrante entre les patrimoines de
certains époux à la fin du mariage. Cette voie est celle qui
reflète le mieux la résolution adoptée par les membres de
notre association lors de l'assemblée générale
d'août 1988 concernant le partage des biens familiaux. Elle rendrait
inutile l'élargissement de la prestation compensatoire
réclamée depuis de nombreuses années.
Nous sommes conscientes qu'il est difficile d'inclure tous les biens du
couple dans un patrimoine familial fixe et applicable à tous lors d'un
jugement de séparation, de divorce ou de nullité de mariage.
Cependant, nous continuons à croire que tous les biens acquis pendant le
mariage ne peuvent appartenir à un seul conjoint.
Le document de consultation propose l'institution d'un patrimoine
familial qui serait constitué des biens suivants: la résidence
familiale, dont l'un des conjoints est propriétaire, ou, à
défaut, la résidence secondaire ou les droits qui assurent le
logement familial, s'il en est; les meubles qui garnissent la résidence
familiale et qui sont affectés à l'usage du ménage; les
véhicules automobiles, ainsi que les gains accumulés par l'un des
conjoints en vertu de la Loi sur le Régime de rentes du Québec ou
de programmes gouvernementaux équivalents.
Nous demandons d'ajouter le partage des biens accumulés par l'un
des conjoints à l'intérieur d'un régime de retraite
privé. Pour ce faire, nous nous basons sur une résolution
adoptée par nos membres en ce sens et présentée dans notre
mémoire sur la réforme des pensions. Cette proposition se lit
comme suit: "Qu'on partage tous les crédits de pension accumulés
par les deux conjoints pendant leur vie commune: Régime de pension du
Canada, Régime de rentes du Québec, Régime
enregistré d'épargne-retraite et autres. Que ces crédits
soient partagés obligatoirement et automatiquement entre les conjoints.
" Nous croyons que les crédits accumulés dans un régime de
pension privé doivent être partagés au même titre que
les régimes de pension publics. Durant la vie de couple, les deux
conjoints se sont privés des montants investis dans un régime de
retraite, diminuant ainsi le revenu familial disponible.
Les membres de l'AFEAS ont pris position récemment, lors de
l'assemblée générale d'août 1988, sur le partage des
biens familiaux et demandent que tous les biens familiaux acquis pendant le
mariage (résidence familiale, voiture, meubles meublants, comptes
conjoints, entreprise familiale, etc. ) soient partagés à parts
égales entre les conjoints.
Nous sommes d'accord pour laisser aux conjoints la possibilité de
renoncer au patrimoine familial uniquement à la fin du mariage.
L'éventualité de conclure une entente équitable pour les
deux conjoints lors de la dissolution du mariage est beaucoup plus
réaliste et ne brime aucun droit. L'AFEAS s'oppose, cependant, à
toute mesure transitoire. Nous croyons qu'une telle situation pourrait annuler
les effets escomptés pour les femmes mariées sous le
régime de la séparation de biens depuis un
certain nombre d'années. De telles mesures transitoires
risqueraient de provoquer les mêmes problèmes que ceux
rencontrés lors des négociations concernant l'enregistrement de
la résidence familiale ou lors des demandes de changement de contrat de
mariage. Ni l'une ni l'autre de ces dispositions n'a eu l'effet
escompté. Plusieurs raisons expliquent cette situation: les discussions
pénibles entre conjoints, le peu de pouvoir de négociation des
femmes vu qu'elles ne possèdent pas le pouvoir économique dans la
famille, les choix déchirants à faire entre le besoin de
sécurité personnelle et la bonne entente dans le couple.
Les membres de notre association demandent expressément que ces
changements concernant le partage des biens familiaux s'appliquent
immédiatement aux contrats de mariage en séparation de biens
encore valides au moment de la mise en vigueur de la nouvelle loi.
Nous appuyons le principe d'assurer la protection des biens inclus au
patrimoine familial comme le sont actuellement la résidence familiale et
les meubles, mais ce, de façon automatique et sans démarche
d'enregistrement. Cependant, laisser au tribunal la liberté de
déroger, d'office ou à la demande d'un époux, au principe
du partage égal, tel que suggéré au point X de la page 22,
nous apparaît très aléatoire. Quelle sera
l'interprétation des termes "notamment", "brève durée du
mariage", "mauvaise foi de l'un d'eux"? Est-ce que cinq ans de vie commune,
cela pourrait être considéré comme bref? Quant à la
mauvaise foi, on peut en faire plusieurs interprétations. Il serait donc
souhaitable que le législateur fournisse un cadre précis de
critères de dérogation.
Concernant la protection de la résidence familiale, nous tenons
à réaffirmer les positions adoptées par les membres de
notre association. Que le ministre de la Justice du Québec amende la loi
89 afin que la résidence familiale soit automatiquement
protégée sans démarche d'enregistrement. Que son contenu
soit légalement protégé. Que la déclaration de
résidence familiale soit une clause qui figure au texte du contrat
d'achat d'une résidence familiale et/ou à la signature d'un bail.
Qu'un article soit ajouté au chapitre VI de la loi 89 incluant les
maisons mobiles comme résidence familiale au même titre que les
autres habitations.
Nous demandons, de plus, au législateur de clarifier le recours
en nullité de l'acte, ainsi que le recours en
dommages-intérêts advenant un acte commis par un conjoint sans le
consentement de l'autre. Nous incitons, de plus, le gouvernement à
véhiculer auprès de la population toutes les informations
relatives à la protection de la résidence familiale.
Tel que nous l'avons mentionné dans l'introduction, nous savons
que l'Association des femmes collaboratrices a réagi aux
éléments concernant la situation de collaboration dans une
entreprise d'une manière probablement plus éclairée que
nous pourrions le faire et nous lui reconnaissons l'expertise dans ce domaine.
Il est impérieux que le gouvernement statue clairement afin que les
femmes collaboratrices dans une entreprise familiale puissent
bénéficier d'un partage équitable au moment d'une
séparation, d'un divorce ou d'un décès. Pour les membres
de notre association, la collaboration à l'entreprise familiale devrait
permettre un partage à parts égales de l'actif net que son
conjoint possédait dans l'entreprise.
L'AFEAS n'a pas de résolution lui permettant de prendre position
en ce qui concerne le régime légal de la société
d'acquêts. Cependant, poursuivant toujours un objectif
d'égalité entre les conjoints, nous appuyons fortement toutes les
mesures pouvant simplifier, clarifier et bonifier l'application de ce
régime. Nous croyons que les mesures de partage des biens familiaux
entre les conjoints, indépendamment du régime matrimonial,
exerceront une influence dans l'avenir sur le choix du contrat de mariage. Nous
pensons que davantage de couples opteront pour la société
d'acquêts, d'où l'importance de rendre ce régime plus
simple.
En ce qui a trait au régime de la communauté de biens,
nous réaffirmons que ce régime matrimonial ne reconnaît pas
l'égalité des époux dans le mariage, le mari devenant le
seul administrateur des biens. Ce régime est en contradiction avec le
nouveau Code civil qui stipule que les époux ont les mêmes droits
et les mêmes obligations et doivent contribuer également aux
charges du ménage. L'AFEAS préconise l'abolition de ce
régime plutôt que son adaptation aux régimes existants. Il
ne devrait plus être disponible par convention. L'accent devrait
être mis plutôt sur le régime légal de la
société d'acquêts.
Pour rétablir l'équilibre entre le partage des devoirs et
des responsabilités inclus au Code civil depuis 1980, le
législateur doit permettre un partage équitable de la richesse
familiale. Il est inconcevable que des femmes se retrouvent dépourvues
et dépendantes des mesures sociales au moment d'une séparation,
d'un divorce ou d'un décès et ce, parce que d'office certains
contrats de mariage et la pratique juridique ne reconnaissent pas leur apport
au patrimoine familial et les désavantagent injustement. Par souci de
justice, l'AFEAS demande au gouvernement d'agir dans les plus brefs
délais et de statuer sur les droits économiques des conjoints.
Merci.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Mme Marion.
Maintenant, je vais reconnaître Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Marion. Je profite de l'occasion,
justement, pour vous féliciter publiquement de votre récente
nomination comme présidente de l'AFEAS. Je voudrais discuter avec vous
du patrimoine familial. Vous parlez d'un patrimoine familial plus élargi
que
celui qui est proposé dans le document de consultation. Entre
autres, vous dites, si j'ai bien compris, que tous les biens acquis pendant le
mariage devraient être inclus, dont les comptes conjoints et l'entreprise
familiale. À ce moment-là, est-ce que ce n'est pas un petit peu
un genre de société d'acquêts déguisée, de
façon obligatoire? Qu'est-ce que vous en pensez?
Mme Marion: Je vais demander à Mme Ouellet de
répondre à cette question, parce que c'est elle qui s'est
penchée plus particulièrement sur cet aspect de la question. Elle
pourra probablement répondre avec plus de justesse à votre
question.
Mme Houle-Ouellet (Michelle): Disons que c'est en
assemblée générale, finalement, que nos membres ont pris
position là-dessus. Des discussions qui ont eu lieu pour arriver
à cette proposition faisaient ressortir clairement que ce qu'on
entendait par les biens qui devaient constituer le patrimoine familial,
c'étaient les biens familiaux acquis pendant la période du
mariage. On voulait dire par là bien sûr, ceux qu'on
énumère ici: la résidence principale, la voiture, les
meubles. On trouvait important d'ajouter aux régimes de pension publics
tous les fonds privés de pension, en se basant sur le fait que
l'investissement qui avait été fait par le couple dans ces fonds
de pension l'avait été un peu à même ce que l'on
considère comme le revenu familial. La jouissance de ces biens devait
aussi revenir aux deux conjoints, même s'il y avait eu dissolution du
mariage.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Finalement, cela se terminait
là, c'est-à-dire que c'est à peu près le même
partage que le groupe Partage, que le Conseil du statut de la femme, sauf que
vous y ajoutez aussi les régimes privés. Mais j'avais cru lire
dans votre document que vous alliez un peu plus loin, dans le sens que vous
demandiez les comptes conjoints et l'entreprise familiale. Est-ce que cela
inclut d'autres immeubles, en somme, tout ce qui a été acquis au
cours du mariage?
Mme Houle-Ouellet: Nous voyons tous les biens qui servent
à l'usage de la famille et qui sont acquis au cours du mariage. On pense
à la résidence secondaire, aux articles de loisir que pourraient
être, par exemple, les bateaux, des choses comme cela, même s'ils
ne sont pas inclus dans l'énumération, tout ce qui est à
l'usage de la famille qui a été acquis pendant le mariage.
Mme Gagnon-Tremblay: Je m'excuse. Quand vous dites: À
l'usage de la famille parce qu'il y a l'entreprise familiale, est-ce que vous
incluez aussi des immeubles d'appartements acquis au cours du mariage
même s'ils ne servent pas uniquement à la famille? Est-ce que
c'est inclus également?
Mme Houle-Ouellet: On inclurait cela si c'est acquis avec les
revenus qui sont destinés à la famille. On pourrait concevoir,
par contre, disons, que les gens ont des intérêts dans une
société. Je ne sais pas, je prends l'exemple d'un couple
où le conjoint est plombier et a une entreprise et où la
conjointe est optométriste et a une clinique. Chacun dans son entreprise
pourrait faire des placements qui seraient propres, sauf que, dans les biens
à l'usage de la famille, s'il y a des placements qui sont faits avec le
revenu familial, on les destinerait au patrimoine, on les inclurait dans le
patrimoine.
Mme Gagnon-Tremblay: Donc, finalement, cela comporte un partage
de tous les biens acquis au cours du mariage, ce qui veut dire un partage
semblable à celui qui existe actuellement en société
d'acquêts. Donc, c'est une certaine forme de société
d'acquêts obligatoire, si je comprends bien, du fait qu'on inclut tous
les biens. Est-ce que ce partage, par contre, vous le voyez rétroactif?
Qu'est-ce que vous faites pour les gens qui sont actuellement mariés
sous le régime de la société d'acquêts? Est-ce
qu'ils seraient affectés par ce partage des biens acquis comme vous le
mentionnez actuellement? Est-ce que vous avez pensé aux gens qui sont
déjà mariés en société d'acquêts?
Est-ce que la rétroactivité devrait jouer dans ce cas aussi?
Mme Houle-Ouellet: Je pense que, lorsqu'on en a débattu,
on pensait davantage aux gens qui étaient mariés en
séparation de biens, mais la volonté qu'on manifestait,
c'était que le patrimoine familial soit applicable à tous les
conjoints quel que soit le contrat qui les liait.
Mme Gagnon-Tremblay: C'est parce que je me rends compte que, dans
votre document, vous vous opposez aux mesures transitoires, c'est-à-dire
que vous vous opposez au fait qu'on renonce pour les gens mariés
actuellement sous le régime de la séparation de biens. Donc, vous
semblez proposer un patrimoine très large, c'est-à-dire tous les
biens acquis au cours du mariage. Donc, comme je le mentionnais, c'est un peu
une sorte de société d'acquêts déguisée un
peu obligatoire. Par contre, les gens mariés sous le régime de la
séparation de biens seraient également affectés de la
même façon, c'est-à-dire que, dès l'entrée en
vigueur, ces gens devraient aussi partager tous les biens acquis au cours du
mariage un peu comme les acquêts, indépendamment de leur
régime matrimonial. Est-ce que vous avez des choses à
rajouter?
Mme Houle-Ouellet: C'est comme ça qu'on le concevait,
oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous savez, il y a le notaire Comtois qui
est venu la semaine
dernière. Il suggérait un régime de
société d'acquêts obligatoire qui devait naturellement
affecter aussi tous les gens mariés, aussi bien maintenant que plus
tard, sous le régime de la séparation de biens. C'est sûr
que ça va vraiment contre nos traditions actuelles du droit. C'est pour
ça que je voulais vraiment savoir si c'était votre pensée.
(16 h 45)
Mme Houle-Ouellet: Disons que, de la façon dont nous en
discutions, cela ne devenait pas nécessairement une espèce de
société d'acquêts obligatoire. Nous croyions qu'avec le
régime de la séparation de biens il y avait, quand même,
certains liens d'affaires qui pouvaient être préservés.
Dans ce sens, notre position n'était pas celle d'une
société d'acquêts pour tous les conjoints. Nous
préférions nous rallier à un patrimoine familial, la voie
qui était proposée. Mais, dans le patrimoine familial, il
était important pour nous que tous les biens acquis par la famille
pendant le temps du mariage soient partageables entre les conjoints. Les deux
conjoints investissent, chacun à sa manière, selon leurs
possibilités, dans la responsabilité, dans le fonctionnement de
la famille. Cela nous semblait important de reconnaître l'investissement
qui était fait par les deux conjoints, de le reconnaître d'une
façon équitable, de faire en sorte que la conjointe, parce que
c'est la situation la plus fréquente, ne se retrouve pas
lésée et sans biens quand arrive une dissolution du mariage parce
qu'elle-même n'y a pas vraiment investi de l'argent ou n'a pas eu de
biens en son nom.
C'est le principe qu'on trouve absolument important de préserver
et de mettre de l'avant. C'est dans ce sens qu'on n'hésite pas à
demander que tous les biens acquis pendant le mariage constituent le patrimoine
familial et soient partageables à parts égales.
Mme Gagnon-Tremblay: Ces biens pourraient être
également des obligations d'épargne, des actions de
compagnies.
Mme Houle-Ouellet: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Finalement, c'est vraiment un partage
d'acquêts. Cela inclut tous les biens. Donc, ça finit par
être des acquêts, finalement, dans le sens qu'on le connaît
dans le régime de la société d'acquêts,
c'est-à-dire que vous partagez tous les biens acquis. Acquêts veut
dire biens acquis au cours du mariage. C'est un peu ça que vous voulez
partager.
Mme Houle-Ouellet: Je pense que ça devient assez flagrant
qu'on n'est pas spécialistes dans le domaine du droit, sauf que je pense
que ce qu'on fait valoir, c'est vraiment la volonté que les femmes nous
expriment, que nos membres nous expriment. Dans ce sens, on n'hésite pas
à le mettre de l'avant de cette façon.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous parlez des régimes privés
que vous aimeriez voir inclure aussi dans le patrimoine. Par contre, ce qui est
un peu différent de ce qu'on a vu jusqu'à maintenant, vous dites:
Bien, ça pourrait être partageable au divorce, ça pourrait
être partageable lorsque le plus jeune a atteint 60 ans ou lorsque le
conjoint qui a le plus faible niveau de crédit devient invalide. Est-ce
que vous avez, tout simplement, pensé que c'est une forme quelconque de
partage qui pourrait se faire ou si vous avez évalué les
implications que cette forme de partage pouvait comporter? Etes-vous
allées jusqu'à identifier les implications ou bien si, tout
simplement, pour vous, cela paraissait peut-être souhaitable sans avoir
vérifié les implications?
Mme Marion: II faut comprendre que cette proposition-là a
été libellée, quand même, un bon moment avant qu'il
soit question du partage des biens familiaux. Il nous apparaissait donc
important de l'inclure parce qu'elle avait, quand même, un rapport avec
le partage des régimes de rentes. Mais ce libellé-là, au
moment du divorce, ainsi de suite, ne serait peut-être plus pertinent si
le partage était appliqué. Cependant, on n'en était pas
certaines. Alors, nous préférons l'inclure plutôt que de
nous retrouver avec un moins.
Mme Gagnon-Tremblay: Concernant la déclaration de
résidence familiale, vous suggérez qu'elle fasse l'objet d'une
clause dans le contrat...
Mme Marion: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay:... d'aliénation ou à la
signature d'un bail et vous mentionnez qu'il ne devrait pas y avoir de
démarche d'enregistrement. J'imagine que, lorsque vous parlez de
démarche d'enregistrement, c'est plus au niveau de la signification
telle qu'elle est exigée actuellement que pour l'enregistrement comme
tel du contrat qui, automatiquement, devra s'enregistrer. J'imagine que c'est
beaucoup plus au niveau de la signification.
Mme Marion: C'est ça. Oui, c'est exactement ça.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, d'accord. Pour éviter toutes les
pressions ou tous les litiges entre les conjoints.
Mme Marion: Les pressions, les difficultés qu'on peut
connaître dans un couple quand on fait une demande de la sorte.
Mme Gagnon-Tremblay: Quant à la prestation compensatoire,
aussi bien que pour le partage des biens, la durée du mariage a-t-elle
une incidence pour vous? Est-ce important qu'on prenne en considération
la durée du mariage, c'est-à-dire qu'on fasse le partage toujours
en
fonction du temps qu'on a vécu avec une autre personne?
Mme Marion: En fait, l'AFEAS n'a pas de position officielle
là-dessus. Je ne peux vraiment pas vous dire ce que nous en pensons. Il
n'en a jamais été question dans nos discussions en
assemblée générale. Alors, je ne peux vraiment pas vous
préciser un nombre d'années, ni en plus ni en moins, ni d'aucune
façon. Pas au nom de l'AFEAS, en tout cas.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Marion.
Le Président (M. Marcil): Cela va? Je vais maintenant
reconnaître Mme la députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Je voudrais
également souhaiter la bienvenue aux représentantes de l'AFEAS,
à vous, Mme Marion, qui, comme nouvelle présidente, je pense, en
êtes à votre baptême de commission parlementaire; à
vous, Mme Michelle Houle-Ouellet et Mme Marcoux, qui en êtes
également, je pense, à votre première commission
parlementaire, malgré que vous soyez déjà venues assister
à des commissions pour appuyer les porte-parole de l'AFEAS, comme vos
compagnes le font présentement.
Votre mémoire nous permet, à la page 6 notamment, de
vérifier et d'illustrer aussi ce que les femmes collaboratrices
étaient venues nous dire et qui m'avait étonné, à
savoir que, dans leurs rangs, les diverses études qu'elles avaient
réalisées leur démontraient la progression du
régime de la séparation de biens. C'est-à-dire qu'en
regard des études qu'elles avaient faites ii y avait plus de femmes
collaboratrices qui étaient mariées en séparation de biens
qu'il n'y en avait cinq ans auparavant, je crois. Il s'agit d'une autre
étude que l'AFEAS avait conduite en 1984 et qui démontrait que le
nombre de couples en séparation de biens augmentait avec
l'élévation des revenus. Alors, ça aussi, ça
s'ajoute, d'une certaine façon, à ce dossier qui voudrait nous
donner un portrait où plus on est en affaires, plus on a des revenus
importants et, finalement, plus on serait en séparation de biens. Je
n'ai pas d'autre façon de faire le portrait de la situation, mais il me
semble que c'est de plus en plus fréquent de voir, avec la
présentation des mémoires des différents groupes, ce
portrait se dessiner. Cela veut dire que, lorsqu'il y a quelque chose à
partager, en tout cas, c'est en séparation de biens que cela se ferait
souvent.
Mme Marion: Actuellement, quand il y a quelque chose à
partager, il n'y a pas moyen de partager souvent.
Mme Harel: Voilà, c'est ça, d'une certaine
façon. Alors, le problème est d'autant décuplé du
fait que les couples qui seraient en situation d'avoir des biens à
partager sont sans doute plus largement dans le régime de la
séparation de biens.
D'autre part, j'aimerais vous interroger sur la question des mesures
transitoires, à la page 11 de votre mémoire. Vous recommandez la
possibilité de renoncer au patrimoine familial uniquement à la
fin du mariage. Effectivement, le Conseil du statut de la femme a fait la
même recommandation à l'ouverture des travaux de la commission.
Par ailleurs, des groupes qui ont suivi ont mis en garde le législateur
d'introduire une telle renonciation. Il s'agissait souvent d'avocates
praticiennes en matière de droit familial qui nous faisaient valoir
qu'il y a souvent un chantage affectif, qu'il y a souvent une sorte de
renonciation offerte parce que ce qui est en cause, c'est la négociation
sur la garde des enfants. Comme tout cela intervient à la fin, au moment
de la rupture, autant il ne serait pas souhaitable que durant le mariage il y
ait cette renonciation, puisque là c'est un autre type de chantage
affectif qui peut être fait, autant la fin de la relation peut conduire
à un chantage qui se fait concurremment puisqu'il y a des ententes
à faire sur la question de la garde des enfants. Je ne sais pas comment
vous réagissez à ces témoignages qui ont été
faits ici devant la commission.
Mme Marion: En fait, pour les membres de l'AFEAS, il nous semble
qu'on est beaucoup moins souple sur une possibilité de partage au moment
d'un divorce qu'on peut l'être quand tout va bien. Quand tout va bien, on
peut se dire: Tout va bien, pourquoi je ne renoncerais pas? Mais quand on est
au moment d'un divorce, il nous semble qu'on est beaucoup moins conciliant dans
ce domaine. Certes, il se peut qu'il y ait des possibilités d'un autre
type de chantage, mais il nous semble que le danger est beaucoup moins
grand.
Mme Harel: Semble-t-il, le danger serait d'autant plus grand
qu'il y aurait en cause la garde des enfants. Cela ne vient pas, pour autant,
atténuer le point de vue que vous avez durant la vie de couple, mais
ça viendrait à la fin justifier bien des femmes de laisser
tomber, finalement, des recours auxquels elles auraient droit pour le motif de
ne pas augmenter l'acrimonie, pour avoir une sorte de paix et conserver la
garde des enfants. Cela n'a-t-il pas été porté à
votre attention?
Mme Marion: En tout cas, chez nous, il n'en a pas
été question.
Mme Houle-Ouellet: On met en jeu la garde des enfants, mais cela
peut être aussi un motif d'être très ferme pour ne pas
renoncer au partage. C'est une motivation pour pouvoir préserver le
mieux possible les intérêts des enfants, finalement.
Mme Marcoux (Huguette): Dans le fond, à l'intérieur
de tout cela, nous, ce qu'on essaie de voir aussi, c'est de vraiment
protéger cette entité qu'est la famille. C'est bien clair
qu'à partir de cela on se dit à l'AFEAS que... Tout à
l'heure, Mme Marion nous disait que, quand tout va bien, on n'a pas de
problème. Mais quand arrivent les difficultés et qu'on est
devant, effectivement... Vous disiez qu'on demande à la conjointe de
renoncer à sa partie à elle. À ce moment-là, il
nous apparaît que si devant la loi on était au départ
traitées de façon égale, si cette
égalité-là existait, si le patrimoine familial
était bien clairement précis sur ce que cela contient, à
partir de ce moment-là, c'est sûr qu'il y aurait toutes les
responsabilités qui sont attachées, tous les avantages, mais que
ce serait équitable pour tout le monde. Ce qui nous apparaît, nous
autres, c'est que... Bon, cela fait longtemps qu'on parle
d'égalité, effectivement, entre les conjoints devant la loi, mais
dans la pratique, vous le dites vous-même, cela se résume à
quoi? Ce sont toujours les femmes qui sont perdantes. Alors, si cela est bien
établi au moment... En tout cas, si les jeux sont clairs, il nous
apparaît que ce sera plus facile à ce moment-là pour la
femme. C'est sûr que ce n'est pas facile pour elle ce qu'elle vit et que
c'est souvent elle qui a la garde des enfants et qui a à assumer toute
cette responsabilité parentale; en plus elle doit vivre cela
émotionnellement et en plus on fait des pressions sur elle. Alors, nous
autres, on se dit: Si le législateur vient vraiment clarifier par une
loi - bon, on dit qu'on est égaux - ce qu'on a devant la loi de part et
d'autre, à ce moment-là, devant de telles situations, cela sera
plus facile.
Mme Harel: Je vous remercie, Mme Marcoux. Vous venez ajouter
à cette plaidoirie qui est faite depuis les débuts de la
commission sur le caractère des mesures correctrices, lequel
caractère ne devrait pas permettre de renoncer à ce qui est un
correctif pour corriger des iniquités, finalement. Je comprends votre
plaidoyer et je le partage aussi, d'ailleurs. J'aimerais souligner que dans
votre mémoire vous insistez, je pense, à la page 8, sur le fait
que, même sur le marché du travail, les femmes accomplissent le
plus souvent encore le travail au foyer. Je trouverais cela intéressant
parce que l'AFEAS, avec ses 30 000 membres, représente certainement...
Je ne sais pas si vous avez un profil de vos membres qui vous permette de voir
combien sont sur le marché du travail rémunéré et
combien sont à la maison. Est-ce que vous avez pu faire des
études dans ce sens?
Mme Marion: Les études que nous avons ne sont
peut-être pas tout à fait récentes, mais c'était
quand même une plus forte proportion de femmes qui sont des travailleuses
au foyer que de femmes sur le marché du travail. Il n'en demeure pas
moins que de plus en plus la balance semble vouloir pencher dans l'autre sens.
Je vous disais tout à l'heure que nous sommes, à l'AFEAS, un
fidèle reflet de la société et, comme cette tendance de
femmes qui retournent sur le marché du travail est très forte en
ce qui concerne la société, cela se fait sentir chez nous
ici.
Mme Harel: Oui, vous avez tout à fait raison.
Mme Marion: C'est la raison pour laquelle il nous apparaissait
important de le souligner dans notre mémoire, quoique nous n'ayons pas
beaucoup d'études faites sur cette problématique. (17 heures)
Mme Harel: Vous avez raison, Mme Marion, parce que non seulement
elles y retournent, mais elles ne le quittent pas, d'une certaine façon.
J'avais les chiffres, pour 1986, du dernier recensement, où le
pourcentage des femmes âgées de 20 à 24 ans qui
travaillaient à l'extérieur de la maison était de 75 % et
celui pour celles qui avaient entre 25 et 34 ans était de 68 %. C'est
donc près de 70 %, en moyenne, le pourcentage des femmes de moins de 35
ans qui sont à l'extérieur de la maison.
À la page 8, vous insistiez sur le fait que, même si elles
travaillent, elles ne possèdent pas pour autant des biens durables en
propre. Vous indiquiez là un type de consommation qui est comme
partagé, un partage des rôles, où l'homme achète les
biens durables et la femme tout le reste.
Mme Marion: Oui.
Mme Marcoux: Ce qu'on a voulu souligner à
l'intérieur de notre mémoire, c'est que... On dit qu'à
l'heure actuelle il y a plus de femmes qui se retrouvent sur le marché
du travail, mais souvent c'est à temps partiel. Que font-elles de leur
argent? Quand on jase avec elles autour d'une tasse de café, on apprend,
effectivement, que leur argent ne va pas dans des biens durables. Quand arrive
le moment du divorce, on dit: Qu'est-ce qui t'appartient? Comment pourra-t-elle
comptabiliser tous les marchés qu'elle a faits durant cinq ans? Il n'y a
pas personne qui ne puisse lui reconnaître cela. Dans ce sens-là,
on est très conscientes qu'effectivement les femmes vont sur le
marché du travail et, tout probablement, elles vont y aller de plus en
plus. Dans le fond, si on ne s'assure pas qu'avec les montants qu'elles vont
posséder elles puissent avoir de ces biens durables, on n'est pas plus
avantagé.
Quand on parle de responsabilités parentales, il y a une
étude Participation-intégration du Conseil canadien du statut de
la femme qui disait: Que tu sois travailleuse au foyer, travailleuse à
temps partiel ou travailleuse à temps plein, le temps qu'un homme va
consacrer au travail à la maison sera d'une heure. Alors...
Mme Harel: Par jour ou par semaine?
Mme Marcoux: Une heure par jour de plus. Imaginez-vous! La
responsabilité parentale dont on nous parle souvent, dans la
réalité, soyons réalistes, qui l'assume? Ce sont encore
les femmes. C'est à partir de ce moment-là que pour nous il nous
apparaissait très important de le souligner: souvent, ce n'est pas un
travail que les femmes ont à faire, c'est deux et trois.
Mme Marion: J'aimerais rajouter, peut-être pour clarifier
ce que vous avez mentionné quant aux statistiques; vous parlez de femmes
de moins de 35 ans, alors que, chez nous, la moyenne est un petit peu plus
haute que cela, ce qui fait que la problématique, nous ne la voyons pas
sous le même angle.
Mme Harel: Oui, je comprends. Je comprends que vous avez
d'ailleurs déjà fait un profil des membres de l'AFEAS.
Incidemment, il y en a plusieurs qui étaient des femmes collaboratrices.
C'est ce qui vous a amenées, dans le fond, à poser toute la
problématique des femmes collaboratrices qui a amené, finalement,
tous ces changements qu'on a connus par la suite.
J'aimerais, avant que mon temps soit épuisé, vous
questionner sur le dossier des régimes de rentes, des régimes de
retraite privés. Je comprends qu'à l'instar de l'ensemble des
groupes de pression, des groupes d'intérêt ou des groupes qui se
présentent devant la commission vous demandez l'inclusion. Je sais, par
ailleurs, que vous aviez beaucoup développé tout le dossier de
l'accès de la travailleuse au foyer à la Régie des rentes.
Est-ce qu'il vous semble que ces deux dossiers sont concurrents? Est-ce que
vous pensez que cet accès de la travailleuse au foyer à la
Régie des rentes du Québec... Là-dessus, avez-vous des
réactions à nous faire? Est-ce que vous, vous attendez qu'il y
ait, tout prochainement, des scénarios qui soient proposes? Vous avez
sans doute constaté, évidemment, que dans le document
gouvernemental il n'y a pas partage des rentes privées de retraite. La
seule conclusion qu'on peut en tirer - cela est de l'interprétation -
c'est qu'en l'absence de tout partage il y aurait un scénario
généreux d'accès des rentes publiques pour la travailleuse
au foyer. Est-ce que ce sont des indications dans ce sens qui vous ont
été communiquées?
Mme Marion: En tout cas, je ne vois pas de concurrence entre le
fait de donner un partage des biens familiaux et d'avoir aussi l'accès
au Régime de rentes pour la travailleuse au foyer, loin de
là!
Mme Harel: Vous considérez que les deux mesures doivent
être mises en application par le gouvernement?
Mme Marion: C'est dans le même ordre d'idées qu'on
n'empêchera pas une femme d'acquérir une maison sous
prétexte qu'elle va avoir à la partager avec son mari, le cas
échéant. Je ne vois pas pourquoi on empêcherait une femme
de participer à un régime de rentes, soit-il public ou
privé, sous prétexte qu'elle aura éventuellement à
le partager. L'accès au Régime de rentes du Québec pour la
travailleuse au foyer est une reconnaissance encore plus tangible de la valeur
sociale de son travail.
Mme Houle-Ouellet: C'est une reconnaissance que nous demandons
finalement au gouvernement au même titre que tous les autres
travailleurs. C'est accordé à tous les autres travailleurs et
travailleuses, alors nous nous disons que la travailleuse au foyer remplit un
rôle, elle joue un rôle social et pour ce rôle elle
mérite une compensation. C'est à ce titre que nous demandons
l'intégration au Régime de rentes du Québec, mais cela
n'exclut pas finalement les demandes que nous pouvons avoir pour la
constitution d'un patrimoine familial et, à l'intérieur de cela,
des régimes de retraite et publics et privés.
Mme Harel: Je crois donc comprendre que votre proposition est que
ce soit la reconnaissance du rôle de la travailleuse au foyer,
indépendamment du fait qu'il y ait présence ou non d'un mari.
C'est bien cela?
Mme Marcoux: C'est-à-dire que l'AFEAS a toujours... Le
dossier de la reconnaissance de la travailleuse au foyer, il y a longtemps que
nous y travaillons et nous souhaitons sa reconnaissance. Mais ce que nous
touchons dans le fond à travers tout cela, c'est beaucoup plus la
reconnaissance sociale de cet homme, de ce monsieur ou de cette madame qui vont
choisir... Nous disons bien à l'intérieur de notre mémoire
que c'est un choix qu'un couple va faire, parce qu'il est bien clair que, quand
il n'y a pas d'enfants, ce choix est moins important, il est moins justifiable.
Mais, quand les enfants arrivent, il est justifiable ce choix-là et,
à partir de ce moment, qui va prendre la responsabilité de voir
au développement de ces enfants? Souvent, ii y a un des deux qui choisit
de l'assumer et, à partir du moment où ii fait ce choix, dans la
société on lui dit: Tu viens de faire partie de la population qui
est inactive, 45 %. Alors, nous disons qu'il peut être très
important dans une société comme !a nôtre de voir à
la reconnaissance sociale de cette personne. Pour nous c'est la travailleuse au
foyer. Il est bien évident que, si on la reconnaît socialement,
c'est clair qu'à ce moment-là elle doit participer au moins a un
régime de rentes. C'est clair pour nous.
Mme Harel: Mais vous me dites: C'est un choix de couple. Je
comprends parfaitement que dans le cadre d'un couple il doit y avoir partage,
notamment, des régimes privés de retraite. La
démonstration en a été tellement éloquemment
faite que je ne voudrais pas revenir là-dessus. Mais évidemment
la responsabilité parentale ne se vit pas que dans le cadre d'un couple.
Il peut y avoir des femmes veuves...
Mme Marcoux: Bien oui, c'est clair.
Mme Harel:... il peut y avoir des femmes séparées.
Je trouvais très intéressante, à la page 16 de votre
mémoire, la conclusion que vous tiriez, qu'il était inconcevable
que les femmes se retrouvent dépourvues et dépendantes des
mesures sociales au moment d'une séparation, d'un divorce ou d'un
décès, et ce, parce que d'office certains contrats de mariage et
la pratique juridique ne reconnaissent pas leur apport au patrimoine familial
et les désavantagent injustement. Cela me faisait penser, entre autres,
aux 105 000 femmes chefs de famille monoparentale sur l'aide sociale
actuellement au Québec et aux 165 000 enfants de ces familles. Mais,
comme ce sont là des femmes sans conjoint qui sont chefs de famille
monoparentale, mais qui ont aussi la garde et la responsabilité
d'enfants, envisagez-vous aussi pour ces femmes qui sont des travailleuses au
foyer cet accès à la Régie des rentes?
Mme Marcoux: Bien, c'est clair.
Mme Marion: II n'y a jamais rien dans nos positions qui a dit que
c'était restreint aux femmes qui sont en...
Mme Marcoux: En vie de couple. Mme Marion:... en vie de
couple.
Mme Harel: D'accord, je vous pose la question parce que ce n'est
pas la position du Barreau, mais un des quatre représentants qui sont
venus insistait, lors de la clôture de leur présentation, pour me
signaler que les mesures gouvernementales d'aide aux familles devraient
n'être offertes que dans le cadre du mariage.
Mme Marcoux: Non, chez nous cela... Il est évident qu'il y
a déjà eu un conjoint à quelque part, s'il y a des enfants
c'est sûr. C'est clair que pour nous c'est pour les couples et c'est pour
les femmes qui vivent une situation de veuvage ou monoparentale. C'est
clair.
Mme Harel: D'accord.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Merci, M. le Président. À mon tour, au
nom du ministre de la Justice du Québec, j'aimerais vous souhaiter la
bienvenue et vous remercier de votre contribution à nos travaux.
J'aurais deux petites questions. Je sais que d'autres collègues ont
également des questions. La première est la suivante: Je prends
acte que vous vous opposez à ce qu'il y ait des mesures transitoires,
c'est-à-dire possibilité de renonciation à
l'intérieur d'un délai de trois ans à la suite de la mise
en vigueur d'un éventuel projet de loi. Cependant, vous acceptez
l'idée d'avoir recours au tribunal dans des cas spéciaux
d'injustice flagrante, ce qui est prévu à la proposition
gouvernementale, brièveté du ménage, etc., mais vous
suggérez de le baliser, c'est-à-dire de l'encadrer pour ne pas
laisser trop de place à la discrétion de la justice, du tribunal.
Ne craignez-vous pas que par cet encadrement - on sait que tout ce qui est
encadré, tout ce qui est défini n'est pas susceptible
d'être élargi - des cas spéciaux ne puissent faire l'objet
de recours aux tribunaux? Et, s'il y a encadrement, j'aimerais vous entendre,
à savoir quel genre d'encadrement vous désireriez.
Mme Marion: Dans un premier temps, j'aimerais dire que nous
comprenons très bien à quel point la tâche du
législateur sera délicate dans cette question. C'est
évident que ce ne sera ni simple ni facile et qu'il faudra bien peser le
pour et le contre. Cependant, nous pensons qu'il faut quand même donner
certaines balises. J'aimerais vous faire une citation que j'ai lue tout
récemment du juge Nichols qui, dans la cause Poirier contre Globensky,
disait que la loi québécoise n'est pas aussi équitable
envers les conjoints qu'elle ne l'est au pays, mais qu'il s'agit là
d'une question de politique générale qui ne relève pas de
la compétence des tribunaux. Semble-t-il que les tribunaux se sentent
démunis parce qu'il n'y a pas assez de balises et le législateur,
je le comprends, est aussi dans une situation délicate face à
ça. il reste qu'à un moment donné il faut prendre position
quelque part et nous préférons qu'il y ait des balises mises par
le législateur plutôt que de laisser ça à
l'interprétation des tribunaux. L'interprétation qui a
été faite nous a souvent déçues et c'est dans ce
sens-là que nous demandons que des balises soient fixées. Quant
à vous dire quelles devraient être ces balises, c'est une autre
question. Je ne me reconnais pas la compétence pour vous donner
exactement quels termes devraient être utilisés et quelles balises
devraient être fixées. Peut-être que mes compagnes...
Mme Marcoux: C'est la même chose pour moi. Après que
le législateur aura établi certaines balises, il sera toujours
plus facile pour les juges de faire respecter la loi comme telle. Tant que ce
n'est pas fait, on a souvent l'impression qu'on se garroche la balle de part et
d'autre. Dans le fond, qui est perdant à travers tout ça? Ce sont
les femmes et les enfants et c'est peut-être à ça qu'il
faudrait réfléchir quand on fait les lois, à savoir que ce
soit équitable pour tout le monde et souvent peut-être pour ceux
qui sont les plus faibles.
M. Dauphin: Merci beaucoup. Avec la permission non pas du
tribunal, mais du président, je voudrais vous poser une deuxième
question relativement à la protection de la résidence familiale.
Ce matin un groupe qui vous a précédées, notamment les
cercles de fermières, nous proposait que la créance minimale en
cas d'insaisissabilité soit majorée de 5000 $ qu'elle est
actuellement à 20 000 $ alors que la proposition gouvernementale
prévoit 10 000 $, ainsi qu'une vente forcée qui ne pourrait avoir
lieu que pour autant que 70 % de l'évaluation municipale soit
retirée de cette vente forcée. Comme groupe, est-ce que vous vous
êtes penchées là-dessus ou avez-vous une opinion
là-dessus? (17 h 15)
Mme Marion: J'aimerais beaucoup pouvoir vous donner une
réponse. Malheureusement, ou heureusement devrais-je dire, nos
structures, comme je vous l'ai mentionné au début, sont hautement
démocratiques et, comme nous ne nous sommes pas penchées sur
celte question, je ne peux pas vous donner de réponse.
M. Dauphin: Merci.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme Marion. Mme la
députée de Groulx.
Mme Bleau: Bonjour, mesdames. La réforme envisagée
du partage du patrimoine familial vise les conjoints mariés. Mais est-ce
que vous avez pensé aussi aux conjoints de fait? Est-ce qu'ils doivent
être éliminés de la réforme ou si vous voulez les
voir dans la réforme? Quelles sont les conditions?
Mme Marion: Quand on regarde le profil de nos membres, dont il
était question tout à l'heure, il est évident que la
plupart sont des personnes qui vivent des situations de couples, mais sont
mariés. Nécessairement, quand des personnes se penchent sur des
problèmes, elles se penchent sur leurs problèmes. Nous n'avons
malheureusement pas de position par rapport à cette question des couples
qui vivent en union de fait. Nous avons d'ailleurs refait une recherche pour
être bien certaines qu'on n'avait rien à vous dire dans ce
sens-là et, malheureusement, je ne peux pas me prononcer.
Mme Bleau: Je vous remercie.
Le Président (M. Filion): II me reste donc, au nom de tous
les membres de cette commission, à vous remercier, autant pour
l'énergie, le temps et la réflexion que vous avez investis
à la préparation de votre mémoire que pour la
qualité de vos témoignages cet après-midi. Donc, merci aux
représentantes de l'AFEAS.
Mme Marion: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Sans plus tarder, j'inviterais
les représentants de la Fédération des travailleurs et
travailleuses du Québec à bien vouloir prendre place à la
table des invités.
Bienvenue aux représentants et représentantes de la FTQ.
On reconnaît M. Fernand Daoust, secrétaire général
de la FTQ, à qui je demanderais d'abord de bien vouloir nous
présenter les personnes qui l'accompagnent, autant pour le
bénéfice du Journal des débats que pour celui des
membres de cette commission.
FTQ
M. Daoust (Fernand): Merci beaucoup, M. le Président.
M'accompagnent pour la présentation de ce mémoire quelques-unes
des vice-présidentes de la Fédération des travailleurs et
travailleuses du Québec, Lauraine Vaillancourt et Diane Bissonnette,
ainsi qu'un des vice-présidents de la FTQ, Edmond Gallant, et notre
responsable du dossier de la condition féminine, Carole
Gingras-Larivière. Avec votre permission, M. le Président, je
voudrais bien vous lire ce mémoire qui n'est pas tellement volumineux,
mais qui nous permettra par ta suite de discuter quelques points de son
contenu, ici et là.
La FTQ qui représente au-delà de 450 000 membres, dont le
tiers sont des femmes, s'est fait un devoir d'intervenir depuis 1981 dans les
questions entourant la refonte du Code civil. Devant la complexité des
questions soulevées par le sujet, un cours a été mis sur
pied par le service d'éducation de la FTQ. Il a d'ailleurs
été dispensé à plusieurs reprises dans
différents syndicats de notre centrale. Ce sont d'ailleurs les
comités de condition féminine qui existent un peu partout dans
nos structures qui ont pris en charge ce dossier.
Nous croyons que les syndicats doivent intervenir dans le dossier de la
famille. Au cours des dernières années, la FTQ a constamment
essayé d'associer les conditions de travail aux conditions de vie des
travailleurs et des travailleuses qu'elle représente. Par exemple avec
les problèmes accrus de chômage et les taux d'hypothèque
élevés, les syndicats sont intervenus activement dans les
problèmes que vivent les familles. C'est donc dans une perspective d'une
meilleure qualité de vie et d'un véritable partage des
responsabilités familiales que nous avons situé nos
interventions.
C'est dans un contexte de changements majeurs que le gouvernement du
Québec s'amène avec une proposition d'une nouvelle réforme
du Code civil. Au cours des dernières décennies, le Québec
a connu des bouleversements sociaux importants. La famille n'est plus ce
qu'elle était. Le temps où les maris assumaient seuls le
rôle de pourvoyeur est sur le point d'être révolu. Les
femmes ont intégré massivement le marché du travail et
vont continuer à le faire. Nous sommes passés de la famille
stable où la femme s'occupait seule de la maison et des enfants à
la famille des années quatre-vingt-dix où les deux
conjoints doivent travailler pour assumer les coûts.
Lorsqu'on aborde la question de la réforme des droits
économiques des conjoints, on s'aperçoit que ces
considérations sont fort importantes. Ces changements que nous
connaissons ne se terminent pas là. Il devient difficile de
prévoir ce que va devenir la famille de l'an 2000. À la
lumière de ces faits, nous croyons que le gouvernement doit agir avec
une certaine prudence dans les choix qu'il fera. Il faut qu'il évite de
revenir à tous les six ou huit ans pour modifier le Code civil.
La proposition gouvernementale. Le gouvernement nous livre, dans son
document "Les droits économiques des conjoints", sa proposition visant
la réforme du drort de la famille et plus particulièrement la
protection du conjoint le plus économiquement faible en cas de
dissolution du mariage. Il serait plus juste de qualifier la proposition de
"réforme visant les époux lors d'une rupture ou d'un
décès". En effet, rien dans la proposition du gouvernement ne
s'adresse à la source du problème d'inégalité
économique des conjoints pendant la durée du mariage.
Dans son Mémoire sur la politique familiale d'avril 1985, la FTQ
soulignait que, pour détenir véritablement des droits
économiques, toute personne doit jouir de l'autonomie financière.
Pour les femmes, disions-nous, la fragilité des liens conjugaux rend
leur autonomie financière d'autant plus nécessaire. La FTQ avait
également mis de l'avant des mesures concrètes visant à
permettre aux femmes d'acquérir et de maintenir l'autonomie
financière pendant la durée du mariage, soit: modifier
l'organisation du travail quant aux horaires, à l'accès au
marché du travail, aux congés parentaux, à la protection
de la maternité au travail; améliorer les services favorisant
l'accès au travail des personnes qui le désirent et on pense
à des services de garde, des services aux personnes en perte
d'autonomie, des services de santé, et concevoir une fiscalité
équitable qui tienne compte des coûts réels encourus par
les parents.
Nous tenons à répéter deux des principes
sous-jacents aux mesures proposées et qui sont d'une importance cruciale
pour les femmes: le droit au travail rémunéré et des
conditions de travail qui permettent l'harmonisation du travail
rémunéré et de la vie familiale. À défaut de
telles mesures, les femmes et les mères surtout sont condamnées
à demeurer économiquement faibles et à compter sur des
palliatifs insuffisants, telle la proposition du gouvernement.
Ce que la FTQ revendique avant tout, c'est le droit pour les femmes
à des avantages économiques distincts, seul garant de
l'égalité dans le couple, à la fois pendant la
durée du mariage et à la dissolution de celui-ci. D'ailleurs, les
mesures préconisées sont également à l'avantage des
pères qui désirent s'impliquer davantage dans la vie familiale
sans pour autant être pénalisés vis-à-vis de leurs
confrères de travail.
Cela dit, il est indéniable que la proposition du gouvernement
visant à rétablir un certain équilibre dans les rapports
patrimoniaux lors de la dissolution du mariage représente une
amélioration par rapport à la situation juridique actuelle. De
même, les mesures proposées relativement à la
résidence principale offrent une protection accrue au conjoint non
propriétaire ou non locataire.
Dans ce mémoire, la FTQ ne reprendra pas l'argumentation pour
contrer la faiblesse économique des femmes déjà soumise
dans son mémoire. Cependant, nous insisterons pour que les mesures
choisies tentent de maintenir un juste équilibre entre le principe d'une
liberté de choix et celui d'une nécessaire équité
entre les époux. Dans ce sens, elles ne devraient pas être vues
strictement sous l'angle de la protection d'un conjoint économiquement
plus faible, mais plutôt devraient permettre aux femmes une
égalité de droit. Nous réagirons aux options retenues et
aux mesures préconisées par le gouvernement dans le document de
consultation.
La voie retenue par le gouvernement. Nul n'est besoin de
référer spécifiquement aux nombreuses études qui
ont constaté la faiblesse économique des femmes mariées,
voire la pauvreté qui les guette après un divorce ou après
le décès de leur conjoint. Les femmes qui n'ont pas de revenu,
que ce soit la femme au foyer ou la chômeuse, n'ont aucun moyen de se
constituer elles-mêmes un patrimoine. Elles dépendent des
libéralités des autres. Les femmes qui travaillent à
l'extérieur du foyer gagnent moins que les hommes à cause de
multiples facteurs dont la sous-évaluation des emplois qu'elles occupent
et leur concentration dans certains emplois mal rémunérés.
Les femmes sont moins syndiquées que les hommes et leurs emplois ne
comportent souvent aucun avantage social.
L'inégalité économique entre les hommes et les
femmes se retrouve également dans le couple. En principe, les deux
personnes unissent leurs capacités affectives, intellectuelles et
matérielles pour créer le meilleur niveau de vie possible pour
elles et pour leurs enfants. En pratique, quand les conjoints occupent tous les
deux un travail rémunéré, l'homme acquitte les comptes
pour les biens durables, c'est-à-dire les versements
hypothécaires, l'achat des meubles meublant la maison, alors que la
femme paie les dépenses hebdomadaires, c'est-à-dire
l'épicerie, les vêtements des enfants et le reste. Tant que le
ménage va bien, peu importe qui a payé quoi ou qui a fait quoi
puisque, dans leur esprit, ils bâtissent un patrimoine commun, peu
importe leur régime matrimonial.
Mais tout se gâte lorsque la vie du couple ne va plus. Il faut
voir le réveil brutal des femmes mariées en séparation de
biens lorsque vient le moment d'évaluer les patrimoines respectifs des
conjoints. Le gouvernement a bien raison de noter que ces femmes ont
été défavorisées par la réforme de 1980.
Le document "Les droits économiques des conjoints" résume
la position comme suit: "En outre, la dernière réforme du droit
de la famille, en 1980, a indirectement aggravé la situation du conjoint
le plus faible économiquement, marié en séparation de
biens: le mari n'est plus le seul responsable des dépenses de la
famille, malgré toute clause contractuelle à l'effet contraire;
en outre, le divorce rend caduques les donations à cause de mort
consenties en considération du mariage - en vertu de l'article 557 du
Code civil du Québec et le tribunal peut déclarer caduques les
autres donations à cause de mort et celles entre vifs, les
réduire ou ordonner que leur paiement soit différé. Quant
à la prestation compensatoire, elle ne s'est pas avérée
suffisamment efficace pour remédier complètement aux
problèmes vécus par certains conjoints mariés... Pour ce
qui est des règles relatives à la protection de la
résidence familiale, elles soulèvent également les
difficultés... " (17 h 30)
Compte tenu de la situation identifiée par le gouvernement, la
deuxième voie proposée, soit l'institution de la
société d'acquêts comme régime impératif,
constituerait la solution, selon nous, la plus appropriée pour garantir
un partage réel de toute la richesse familiale acquise pendant ie
mariage et la moins onéreuse pour les contribuables compte tenu des
fréquents recours aux tribunaux et des coûts qui en
découlent, mais également la plus courageuse en termes
politiques.
Le gouvernement n'a pas retenu cette voie, bien qu'il souligne que le
problème central demeure celui du régime de la séparation
de biens. Le gouvernement s'étonne de la faveur dont jouit encore ce
régime, mais aucune proposition concrète pour contrer cette
tendance ne figure dans le document. Qui plus est, le gouvernement émet
l'hypothèse que les époux d'aujourd'hui font leur choix en toute
connaissance de cause des dangers de la séparation de biens à la
fin du mariage. Or, rien n'est plus loin de la réalité.
La FTQ s'inquiète donc de l'aveuglement du gouvernement face
à cette situation. Sans aller jusqu'à recommander que le
gouvernement adopte un régime matrimonial impératif, la FTQ
souhaite que le gouvernement consacre des efforts plus sérieux à
la promotion du régime légal de la société
d'acquêts. Il y aurait lieu de monter une campagne d'information à
grande échelle diffusée dans les médias d'information,
à l'exemple de ia campagne de sensibilisation sur les femmes
battues.
Aussi, le gouvernement pourrait, de concert avec la Chambre des
notaires, établir des outils d'information expliquant les avantages du
régime légal, qui seraient remis aux parties qui se
présentent chez le ou la notaire pour obtenir un contrat de mariage. Une
telle mesure n'est pas contraire à notre droit. La Loi sur le divorce
exige que les avocats et les avocates attirent l'attention de leurs clients et
clientes sur certaines dispositions de la loi et discutent inter alia des
possibilités de réconciliation. Les dispositions en
matière de logement et de protection du consommateur exigent, elles
aussi, en matière conventionnelle, que des extraits des
législations pertinentes soient remis à l'une ou l'autre des
parties contractantes. La FTQ croit que la promotion efficace du régime
légal de la société d'acquêts est un jalon
nécessaire de l'égalité économique des
conjoints.
L'institution d'un patrimoine familial. Le gouvernement a retenu une
voie qu'il qualifie d'intermédiaire entre le régime de la
séparation de biens et celui de la société
d'acquêts, soit l'institution d'un patrimoine familial. Il s'agit d'une
solution préconisée en 1986 par Projet-partage et
approuvée par le Conseil du statut de la femme. Les deux organismes
divergent quant au contenu de ce qui constituerait le patrimoine familial.
La composition du patrimoine familial. Vous avez, d'un
côté, le projet Projet-partage dans lequel il est question de la
résidence principale, de la résidence secondaire, de la ou des
voitures, des meubles, des objets d'art et de tout autre bien servant à
l'usage de la famille, tels un bateau et des fonds de retraite. Du
côté du Conseil du statut de la femme, il est question de la
résidence familiale et des meubles garnissant la résidence
familiale. Le CSF a motivé sa définition plus restreinte par un
souci de maintenir une certaine distance avec le régime légal. Le
gouvernement propose une solution intermédiaire: la résidence
familiale ou, à défaut, la résidence secondaire, les
véhicules automobiles, les gains accumulés par un des conjoints
en vertu de la Loi sur la Régie des rentes du Québec; les meubles
affectés à l'usage du ménage et garnissant la
résidence familiale.
Le gouvernement préconise que ces biens ont été
retenus parce qu'ils ont tous un caractère familial certain. Dans un
souci de préciser notre point de vue sur la proposition du gouvernement
concernant la composition du patrimoine familial, nous allons, dans les lignes
qui suivent, présenter notre réaction face aux différents
éléments énoncés.
La résidence familiale, les meubles et les véhicules
automobiles. Nous adhérons tout à fait à l'idée
d'inclure dans le patrimoine familial les véhicules automobiles et la
résidence familiale. Nous croyons cependant qu'il faille préciser
davantage la notion de meubles. À cet égard, il nous semble
important d'élargir davantage le concept. Nous proposons d'inclure les
meubles meublants et les effets mobiliers garnissant la résidence
familiale pour empêcher des recours bien inutiles devant les tribunaux
pour faire préciser la composition du patrimoine à l'égard
des biens se retrouvant dans la résidence familiale.
Par ailleurs, le gouvernement soulève, à juste titre, les
problèmes d'application des règles
relatives à la protection de la résidence familiale. Il
souligne, d'une part: "... on déplore, notamment, la condition de
l'enregistrement de la déclaration de résidence familiale pour
permettre l'exercice du recours en nullité de l'acte fait sans le
consentement requis du conjoint. "
Pourtant, l'exigence de l'enregistrement d'une déclaration de
résidence familiale à l'égard du tiers de bonne foi est
reprise parmi les propositions du gouvernement. L'expérience
démontre que les conjoints ont peu recours à la formalité
de la déclaration. Dans ces circonstances, la protection de la
résidence au sein du patrimoine familial est bien aléatoire
puisque la valeur nette de la résidence peut être
diminuée.
La FTQ estime que le gouvernement évite le vrai problème.
Il est tout naturel que les femmes hésitent et retardent à
enregistrer une déclaration de résidence familiale puisque ce
geste affirmatif peut être perçu, par le conjoint, comme sonnant
le glas de leur mariage et témoignant d'un manque de confiance. Par
ailleurs, s'il existait des mécanismes d'enregistrement automatique, ce
fardeau disparaîtrait.
La FTQ suggère donc que le gouvernement explore des
mécanismes d'enregistrement automatique de la déclaration de
résidence principale. Par exemple, il pourrait s'agir d'une mention qui
s'inscrive à l'intérieur du contrat d'achat d'un immeuble dans
une déclaration de l'acheteur disant que l'immeuble servira ou ne
servira pas de résidence familiale. Signalons que les contrats font
déjà mention de l'état matrimonial des parties.
La résidence secondaire. Si le but est d'inclure tous les biens
à caractère familial, il semble illogique d'exclure la
résidence secondaire comme élément distinct du patrimoine
familial. Peu importe que les conjoints aient disposé à la fois
d'une résidence principale et d'une résidence secondaire,
celle-ci sert certainement aux besoins de la famille en devenant le lieu de
vacances privilégié. Compte tenu du fait que nombre de femmes ont
été écartées du titre de propriété
des résidences secondaires et compte tenu de l'investissement important
que peut représenter une telle résidence de nos jours, il serait
non seulement plus logique, mais également plus juste, d'inclure la
résidence secondaire, le cas échéant, dans le patrimoine
familial. Quant aux meubles qui s'y retrouvent, nous suggérons qu'ils
soient également inclus. Il s'agirait des meubles meublant la
résidence secondaire.
Les régimes enregistrés de retraite et les régimes
de participation aux bénéfices. Le gouvernement justifie
l'inclusion de ces biens par le fait qu'ils ne sont pas utilisés dans le
cours de la vie familiale, il est vrai que les sommes versées dans ces
régimes sont gelées et ne servent pas comme tel à la vie
familiale. Mais l'épargne accumulée dans le cours de la vie
familiale pour la retraite affecte les revenus disponibles du couple et ne peut
donc pas être exclue du patrimoine familial du couple qui a choisi de se
constituer des actifs de rentes, en plus des actifs immobiliers.
La participation à des régimes de retraite bien
administrés est assurément un moyen pour les travailleurs et les
travailleuses d'assurer une retraite décente. D'ailleurs, de plus en
plus les syndicats revendiquent l'inclusion, dans les conventions collectives,
de modalités afférentes aux régimes de retraite. Selon une
étude de la RRQ, 39, 9 % de la population active participait, en 1979,
à un régime complémentaire de retraite. Ce pourcentage
atteignait 54 % chez les travailleurs et travailleuses à temps
plein.
Hélas! la protection de ces régimes est souvent
inadéquate, même pour la personne qui y a cotisé. En effet,
les contrôles sur la fermeture d'un régime sont encore très
élémentaires, leurs pensions ne sont pas toujours
indexées, les administrateurs du régime peuvent voter des
résolutions avantageuses pour tel ou tel ex-cadre au détriment de
la masse assurée, et le reste. Il y aurait donc un urgent besoin de
réforme au seul chapitre des régimes privés de
retraite.
À son congrès de 1983, la FTQ réclamait notamment,
les modifications suivantes au régime privé: La création
d'un organisme chargé de garantir le paiement des prestations des
régimes privés en cas de terminaison des régimes pour
quelque raison que ce soit et aussi - une autre réclamation - qu'il y
ait une représentation obligatoire des participants et des
participantes, par l'intermédiaire du syndicat, au comité de
retraite de chacun de ces régimes.
Pour ce qui est du lien entre de tels régimes et la famille, il
faut reconnaître que la quasi-totalité de ces régimes
contient une option de conjoint survivant, moyennant une prime
supérieure, ou encore un choix d'une rente diminuée,
l'assuré peut prévoir qu'à son décès une
rente devient payable à son conjoint. Ces dispositions reconnaissent le
véritable but des régimes privés de retraite, qui est
d'assurer la subsistance de l'assuré et des siens au moment de la
retraite. C'est ainsi que les sommes versées dans ces régimes
visent à être utilisées éventuellement dans le cours
de la vie familiale.
À son congrès de 1983, la FTQ réitérait sa
volonté de revendiquer l'élimination de toute discrimination dans
tout régime de retraite. Pour ce faire, la FTQ souhaitait que toute
discrimination fondée sur le sexe soit éliminée dans les
régimes de retraite et qu'à cette fin on utilise seulement les
tables de mortalité unisexes; en plus, que le droit à une rente
différée soit acquis après deux ans de service et que le
montant où les cotisations doivent être laissées dans le
régime soit établi à deux ans plutôt qu'à dix
ans de service pour les travailleurs qui sont âgés de plus de 45
ans; aussi, que les régimes de retraite prévoient une rente
obligatoire au conjoint survivant, sauf s'il y a renonciation des deux
conjoints; qu'il y ait partage des gains à la dissolution du mariage ou
après une séparation de trois ans; qu'il y ait un versement de
la
valeur intégrale de la pension au conjoint survivant d'un membre
du couple décédé avant la retraite; enfin, qu'il y ait
partage des crédits de rentes dès que le plus jeune membre du
couple atteint l'âge normal de la retraite avec légère
réduction, de 60 à 50, de la rente de conjoint survivant.
Compte tenu de ce qui précède et du fait que la tendance
des autres provinces canadiennes est l'inclusion des régimes de retraite
privés dans les biens partageables au moment de la rupture du mariage,
la FTQ considère que le gouvernement doit réévaluer sa
position quant à l'exclusion de ces régimes du patrimoine
familial.
La prestation compensatoire. Dans le cadre de la première voie
identifiée dans le document, soit l'amélioration ponctuelle des
règles déjà en place, le gouvernement envisage de
créer une règle édictant que le travail au foyer donne
lieu à la prestation compensatoire. Ayant opté pour la voie du
patrimoine familial, le gouvernement délaisse cette proposition et ne
retient que la présomption pour faciliter le recours du conjoint
collaborateur dans les cas suivants: lors d'une cession d'entreprise, d'une
dissolution, liquidation volontaire ou forcée de l'entreprise, d'un
décès ou d'un jugement à l'occasion d'une
séparation ou d'un divorce.
Nous nous interrogeons sur l'introduction d'une présomption de 30
% de l'actif net du conjoint collaborateur pendant la collaboration. À
cet effet, nous désirons vous rappeler qu'il devrait être question
d'une présomption de 50 % de l'actif net de l'entreprise pour assurer
l'égalité des conjoints. De plus, nous croyons qu'il serait utile
que le législateur définisse la collaboration avec des
critères très clairs pour éviter de demander aux tribunaux
d'éclaircir, notamment, la durée et le type de collaboration.
Comme nous l'avons dit précédemment, la FTQ croit
fermement que l'accès à l'autonomie pour les femmes dépend
de l'intégration de celles-ci sur le marché du travail avec des
conditions de travail qui permettent aux deux parents de remplir leurs
obligations familiales. Néanmoins, force est de constater que !e choix
de rester au foyer pour s'occuper des enfants pendant une période plus
ou moins longue, selon le cas, est exercé par de nombreuses femmes. Dans
le but de préserver au moins le droit de retour au travail à la
suite de telles absences, la FTQ a déjà recommandé, outre
les congés de maternité et de paternité payés, un
congé sans solde de deux ans pour le père ou la mère.
La FTQ est consciente que ses recommandations ne règlent pas le
problème de l'impact d'un congé sans solde aussi long sur le
patrimoine distinct de l'épouse. Or, comment compenser la perte de la
mère? Jusqu'à présent, les tentatives de faire intervenir
la prestation compensatoire ont échoué. Le gouvernement postule
que l'institution du patrimoine familial constitue une compensation
adéquate pour le travail au foyer.
La FTQ croit, au contraire, que l'institution du patrimoine familial
avec le contenu proposé dans le document du gouvernement n'est pas une
solution équitable pour la travailleuse au foyer ou pour celle qui s'est
absentée temporairement du marché du travail.
Prenons le seul exemple de la famille qui habite un logement
loué, alors que l'époux investit dans un immeuble à
revenus, dans des actions à la Bourse ou dans un voilier. Dans ces
situations, l'épouse n'aura droit à aucune compensation, du fait
de son travail au foyer, ni même de sa contribution aux charges du
ménage. N'oublions pas que la jurisprudence récente ne s'est pas
contentée d'appliquer rigoureusement l'obligation de l'épouse de
contribuer aux charges du ménage, et cela nonobstant son contrat de
mariage. En effet, les juges ont considéré que, même si la
femme avait acquitté la plupart sinon la totalité des
dépenses assimilées aux charges du ménage, celle-ci
n'avait droit à aucune compensation puisque, après tout, elle
avait profité du train de vie qu'elle avait ainsi créé.
(17 h 45)
La FTQ considère que le gouvernement doit intégrer
à sa réforme une disposition stipulant que le travail au foyer
peut donner lieu à la prestation compensatoire, le tout devant
être évalué selon les circonstances. À
défaut, le gouvernement pourrait faire intervenir le pouvoir de
dérogation au principe du partage égal pour permettre
l'attribution d'une part supérieure à la moitié des biens
constituant le patrimoine familial à l'épouse qui démontre
une participation supérieure aux charges du ménage.
Le droit des successions: l'obligation alimentaire. La FTQ
déplore la pauvreté vécue par de nombreuses veuves. Il
faut d'ailleurs dénoncer l'inertie du gouvernement à ce chapitre.
Le gouvernement déclare réprouver l'usage abusif de la
liberté de tester qui prive souvent de leurs moyens de subsistance les
personnes qui reçoivent des pensions alimentaires. Le gouvernement
oublie toutefois que les lois qu'il a fait adopter offrent peu de secours au
conjoint survivant. Prenons le cas de la Loi sur les accidents du travail et
les maladies professionnelles. On y retrouve la définition suivante du
mot "conjoint": "conjoint-conjointe": l'homme ou la femme qui, à la date
du décès du travailleur: 1) est marié au travailleur ou
cohabite avec lui; ou 2) vit maritalement avec le travailleur et: a)
réside avec lui depuis au moins trois ans ou depuis un an si un enfant
est né ou à naître de leur union; et b) est publiquement
représenté comme son conjoint.
À l'instar des autres lois sociales du Québec, la Loi sur
les accidents du travail et les maladies professionnelles a l'avantage
d'étendre l'application des bénéfices au conjoint de fait.
Si l'on s'en tient toutefois à la situation du conjoint marié,
l'on remarque que la conjointe qui ne cohabite pas avec le travailleur à
la date de son décès n'a aucun droit, même s'il s'agit
d'une
séparation à l'amiable d'une durée relativement
courte. Il est possible que le conjoint puisse bénéficier des
dispositions visant la personne à charge. Cependant, la
définition est très restrictive puisqu'il faut prouver que le
travailleur défunt pourvoyait à plus de la moitié des
besoins de la personne qui réclame le statut de personne à
charge.
Il faut noter, de plus, que les définitions de cette loi sont
plus restrictives que celles qui existaient sous l'ancienne Loi sur les
accidents du travail. Si la définition du mot "conjoint" était
semblable, celle de "personne à charge" était beaucoup plus large
en incluant, outre le conjoint: "une personne qui est mariée ou, le cas
échéant, avait été mariée au travailleur et:
i. qui est séparé de fait ou légalement ou dont le mariage
est dissous par un jugement définitf de divorce ou déclaré
nul par un jugement en nullité de mariage; et ii. qui, au moment de
l'accident, avait droit de recevoir du travailleur une pension alimentaire en
vertu d'un jugement ou d'une convention. " Sous l'ancienne loi, il suffisait
que le conjoint ait le droit de recevoir une pension alimentaire, peu importe
la relation entre le montant de la pension et les besoins à
pourvoir.
Si le gouvernement est conséquent avec son désir de
veiller à la protection de la subsistance du conjoint survivant, ii
devrait aussi corriger les lacunes de la législation sociale actuelle.
Dans ce sens, lors du décès d'un conjoint, le patrimoine familial
commun devrait revenir totalement et en pleine propriété au
conjoint survivant. Pour ce qui est de la proposition concernant l'obligation
alimentaire, la FTQ s'inquiète de la complexité du recours. La
situation des personnes endeuillées est déjà assez
difficile. La Loi sur les normes du travail accorde une période
d'absence d'au maximum quatre journées, dont trois sans solde, à
l'occasion du décès ou des funérailles d'un conjoint. La
femme qui travaille, souvent au salaire minimum, et qui bénéficie
d'une pension alimentaire aura donc peu de temps pour s'occuper d'un tel
recours. Aussi, la procédure pourrait prendre des proportions
hallucinantes si l'on envisage une multiplicité de créances
alimentaires, d'une part, et la nécessité de mettre en cause tous
les héritiers et légataires particuliers, d'autre part.
En outre, les mesures proposées sont en grande partie bien
aléatoires. Entre autres, on suppose que le bénéficiaire
de pension alimentaire a accès au testament ou connaît d'avance
l'identité des bénéficiaires; est au courant des
transactions effectuées par le défunt, soit dans l'année,
soit dans les trois ans précédant le décès; a les
moyens d'établir la valeur des biens, libéralités et
autres formes d'aliénation, ou encore de la succession elle-même.
La FTQ est consciente qu'aucun consensus ne s'est dégagé de la
première consultation portant sur la réforme du droit des
successions. Elle invite toutefois le gouvernement à analyser
minutieusement et réalistement les implications du recours
proposé. Dans sa forme actuelle, il risque d'être inaccessible
pour plusieurs et onéreux à la fois émotivement et
financièrement pour celles qui s'y engagent.
Et voilà la conclusion. Dans son Mémoire sur la politique
familiale, la FTQ a insisté sur l'urgence de nous doter au Québec
d'une véritable politique familiale. Nous faisions les
représentations suivantes quant au rôle de l'Etat: "... nous avons
besoin d'engagements de la part du gouvernement à l'égard de la
mise en place de mesures concrètes qui visent la reconnaissance du libre
choix des femmes et des hommes dans l'orientation de leur vie respective. Ce
n'est pas simplement par une orientation de politique que nous y arriverons,
mais plutôt par une série de mesures qui tiennent compte des
changements dans nos valeurs et qui permettront aux travailleuses d'avoir un
droit véritable au marché du travail afin d'assurer leur
indépendance économique. Le contenu d'une politique familiale
doit viser à faire progresser ces mentalités et assurer la
transformation des rôles en y greffant des aménagements pour
assurer aux familles des services décents et l'aide nécessaire
à la qualité de vie des parents et des enfants. "
Il va sans dire que la réforme proposée présente
dans son ensemble, soulignons-le, un pas dans la bonne direction d'une plus
grande égalité de fait entre les époux lors d'une rupture.
Cependant, il reste beaucoup à améliorer. En effet, les mesures
fondamentales qui pourraient garantir véritablement les droits
économiques des conjoints devraient se situer dans une perspective
beaucoup plus large. Elles ne devraient pas dépendre uniquement d'un
meilleur partage des biens du patrimoine familial. La réforme ne doit
pas être vue comme une solution unique. La nécessité pour
les femmes d'avoir pleinement accès au marché du travail avec de
vraies possibilités de formation demeure la meilleure façon
d'assurer une véritable autonomie financière. Voilà.
Le Président (M. Filion): Merci, M. Daoust. La parole est
maintenant a Mme la ministre déléguée à la
Condition féminine.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Merci, M.
Daoust, de votre présentation et je dois souligner que vous êtes
le seul syndicat, finalement, à nous faire des représentations
sur ce document de consultation. Alors, j'en suis très heureuse.
Avant de parler d'un patrimoine, vous avez mentionné que,
naturellement, plusieurs autres mesures devraient s'ajouter à ce partage
des droits économiques dans le but d'assurer une meilleure autonomie
financière aux femmes et tout ça, et j'étais tellement
d'accord, comme je le mentionnais. Il s'agit d'un document de consultation sur
un sujet très précis, mais je dois vous dire qu'on se penche sur
bien d'autres
sujets aussi, entre autres, qui sont déjà contenus dans le
plan d'action en matière de condition féminine. Je pense à
toute la question des normes du travail, des services de garde et des
programmes d'accès à l'égalité. Alors, il est
certain que ce n'est pas uniquement ce partage des biens familiaux qui pourra
à lui seul assurer une meilleure autonomie, une meilleure
égalité, mais bien beaucoup d'autres mesures qui doivent
s'harmoniser les unes aux autres.
Vous parlez d'un patrimoine familial beaucoup plus élargi que
celui proposé dans le document de consultation. Vous y incluez aussi les
régimes privés, comme bien d'autres groupes l'ont fait, la
résidence secondaire et, lorsque vous parlez de préciser
davantage la notion de meubles, si je comprends bien, lorsque vous parlez de
meubles garnissant la résidence, cela pourrait inclure également
les oeuvres d'art, j'imagine. En somme, tout ce qui, effectivement, garnit la
résidence. Vous ne semblez pas, par contre, vous être
prononcés sur la période transitoire de trois ans. Si on devait
faire un partage, ce partage beaucoup plus élargi, est-ce que, pour
vous, il serait important que les gens déjà mariés sous le
régime de la séparation de biens puissent avoir cette
période de trois ans pour y renoncer ou si cela devrait être un
régime qui s'appliquerait à l'ensemble de la population
dès l'entrée en vigueur de la loi?
M. Daoust: Je voudrais bien passer la parole aux gens qui ont
fouillé le sujet, peut-être Lauraine, Carole ou quelqu'un
d'autre.
Mme Bissonnette (Diane): Puisque cela n'est pas
précisé dans le document, on n'est pas revenu sur le délai
qui est mentionné dans ia proposition gouvernementale. Étant
donné ce que nous disons, c'est qu'on souhaite que cela s'applique
à tout le monde, à tous les couples qui subissent une rupture
à la suite d'un décès ou d'un divorce. Donc, c'est
immédiatement.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Ce qui veut dire que ce serait
rétroactif pour l'ensemble?
Mme Bissonnette: C'est cela.
Mme Gagnon-Tremblay: Quant aux pensions, pensions de
régimes privés, si on devait inclure les régimes
privés de retraite, est-ce que vous avez prévu, par exemple, des
modalités quant au partage de ces régimes? C'est-à-dire,
est-ce que cela devrait, pour vous, se partager... Lorsqu'il y a dissolution du
régime, lorsque cela devrait se partager davantage, lorsque, par
exemple, le bénéficiaire prend sa retraite, est-ce que vous vous
êtes penchés sur cela? Je sais, ce matin, il y avait le groupe
Mercer qui était ici, qui est très spécialisé,
finalement, dans toute la question des régimes et qui nous parlait de
certains avantages et désavantages dans certains cas, etc.
Est-ce que, vous autres, vous vous êtes penchés sur
cela?
Le Président (M. Filion): Mme Vaillancourt.
Mme Vaillancourt (Lauraine): Lorsqu'on parle du partage des
régimes de retraite, on parle au moment de la rupture du couple. Les
pensions doivent être partagées à peu près dans le
style de la rente du Québec, c'est-à-dire selon la durée
du couple, le pourcentage des années vécues en couple. C'est bien
sûr, aussi, qu'on parle d'un régime de rentes auquel les femmes
auraient accès. On en parle. On s'imagine que dans la politique
familiale, cela va être inclus que les femmes au foyer, par exemple,
aient droit au régime de rentes.
Mme Gagnon-Tremblay: Lorsque vous parlez de prestation
compensatoire, justement, c'est que, j'imagine, comme vous nous l'avez
mentionné, vous tenez compte de la durée de la collaboration
aussi bien que de la durée du mariage, par exemple, dans le cas du
partage des biens familiaux. Vous parlez d'un partage de 50 % au lieu d'un
partage, tel que stipulé dans le document, de 30 % et vous dites que la
prestation compensatoire devrait être ouverte aussi aux recours pour la
travailleuse au foyer. À ce moment, est-ce que cela veut dire que vous
auriez ce partage des droits familiaux et qu'en plus on pourrait
également partager dans une prestation compensatoire ou si, comme l'a
fait valoir le Conseil du statut de la femme, vous auriez droit à la
prestation compensatoire s'il n'y avait pas de biens familiaux à
partager, par exemple, mais d'autres biens accumulés, comme des
obligations d'épargne, d'autres genres d'immeubles qu'une
résidence familiale, et ainsi de suite?
Mme Vaillancourt: Quand nous parlons du partage des biens du
patrimoine familial, on parle de tous les gains faits pendant la période
de la durée du mariage. Donc, dans la prestation compensatoire, ce que
nous demandons aussi, c'est le partage des biens à 50 % au moment de la
rupture du mariage.
Mme Gagnon-Tremblay: C'est-à-dire non seulement les biens
de l'entreprise, mais également tous les biens.
Mme Vaillancourt: Tous les biens, les biens immobiliers, les
biens meublant la maison et ce qu'on appelle les biens meubles, l'argent,
enfin, pour tout ce qu'on a ramassé dans notre vie commune, on demande
le partage à 50 %.
Mme Gagnon-Tremblay: Bon. Alors, je veux bien que nous nous
comprenions, parce que, finalement, vous exigez au niveau du régime,
c'est-à-dire au niveau d'un partage de biens familiaux, vous êtes
d'accord avec plusieurs
groupes sur le partage que nous avons fait, mais vous y ajoutez certains
biens, comme la résidence secondaire...
Mme Vaillancourt: Les voitures.
Mme Gagnon-Tremblay:... vous y ajoutez les régimes
privés, vous y ajoutez des meubles, alors, il y a déjà un
partage de ces biens qui se fait 50-50 de ces biens.
Mme Vaillancourt: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Par contre, par la prestation compensatoire,
vous venez chercher les autres 50 % de l'ensemble des biens, si je comprends
bien.
Mme Vaillancourt: Non, non. Mme Gagnon-Tremblay: Non?
Mme Vaillancourt: Ce que nous demandons, c'est le partage
équitable au moment de la rupture, c'est-à-dire 50 % des
biens.
Mme Gagnon-Tremblay: Par la prestation compensatoire. Non
seulement les biens de l'entreprise, mais tous les autres biens.
Mme Vaillancourt: Tous les biens acquis pendant les années
de mariage.
Mme Gagnon-Tremblay: Alors, ce qui veut dire finalement que,
d'une part, vous venez chercher les 50 % du patrimoine familial, tel que
stipulé dans votre document, mais par la mesure de la prestation
compensatoire, vous venez chercher les autres 50 %.
Mme Vaillancourt: Non, non. Nous ne venons chercher que 50 %.
Mme Gagnon-Tremblay: Je comprends mal.
Mme Vaillancourt: Ce qu'on se dit, c'est qu'il doit y avoir, on
parle... Il va y avoir un nouveau régime matrimonial, si vous voulez, la
société d'acquêts, mais vraiment établi.
C'est-à-dire qu'en ce moment la société d'acquêts
est sur papier, mais ce n'est pas une réalité quand on rentre
dans la vraie vie. Ce qu'on se dit dans ce mémoire, ce qu'on demande,
c'est le partage des biens 50-50 au moment de la dissolution du mariage. La
prestation compensatoire s'adresse surtout au moment du décès.
Elle s'adresse aussi au moment du décès. (18 heures)
Mme Gagnon-Tremblay: Pas actuellement. Actuellement, elle
s'adresse aussi lors de la dissolution du régime.
Mme Vaillancourt: Oui. La prestation compensatoire est la
reconnaissance, si vous voulez, du travail des femmes qui n'obtiennent rien au
moment de la séparation.
Mme Gagnon-Tremblay: Lorsqu'il y a enrichissement, par exemple,
d'un couple.
Mme Vaillancourt: Bon. Alors, en ce moment, qu'on l'obtienne par
la prestation compensatoire ou autrement, ce qu'on se dit, c'est qu'on doit
avoir 50 % des biens acquis durant le temps qu'on est un couple et on veut que,
au moment de la dissolution du mariage ou lors du décès, il y ait
50 % du patrimoine familial qui revienne à la partie
économiquement faible, qui est habituellement la femme.
Mme Gagnon-Tremblay: En gros, cela signifie que vous prônez
une société d'acquêts obligatoire. À ce
moment-là, c'est une société d'acquêts puisque cela
inclut, cela englobe tous les biens comme, actuellement, la présente
société d'acquêts existe, c'est-à-dire que tous les
biens acquis au cours du mariage...
Mme Vaillancourt: Les biens immobiliers.
Mme Gagnon-Tremblay:... sont partagés également
entre les conjoints.
Mme Vaillancourt: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Alors, ce que vous prônez, finalement,
c'est un partage de tous les biens, que ce soit à partir d'un partage
des biens familiaux ou que ce soit à partir d'une mesure de prestation
compensatoire, donc, tous les biens. En gros, ce que cela signifie, c'est un
partage automatique obligatoire des biens, ce qui veut dire une
société d'acquêts obligatoire.
Mme Vaillancourt: C'est cela.
Mme Gagnon-Tremblay: Un peu ce que réclame le notaire
Roger Comtois.
Mme Vaillancourt: Et qui reconnaisse le travail des femmes. On
demande la prestation obligatoire... Ce qu'on demande présentement,
c'est la prestation compensatoire quand on va en cour. La femme demande cela
parce qu'on ne reconnaît pas le travail qu'elle a exécuté
à la maison. On ne reconnaît pas... Elle a toujours payé
les biens périssables et jamais l'hypothèque sur la maison, donc,
les biens immobiliers ne sont pas présentement divisés en parts
égales, même en société d'acquêts, quand la
propriété est au nom du mari.
Mme Gagnon-Tremblay: Je regrette, actuellement, au niveau de la
société d'acquêts, tous les biens acquis sont
partagés également entre les conjoints à 50-50,
c'est-à-dire tout ce qui est acquis au cours du mariage, même
l'entreprise, les actions, les obligations d'épargne, le compte
conjoint ou le compte individuel.
Mme Vaillancourt: Ce n'est pas tout à fait une
réalité.
Mme Gagnon-Tremblay: Sauf les régimes privés. Oui,
c'est cela.
Mme Vaillancourt: Ce n'est pas tout à fait une
réalité.
Mme Gagnon-Tremblay: Mais, actuellement, lorsqu'il y a
dissolution du régime, c'est automatique. S'ils sont mariés sous
le régime de la société d'acquêts, il y a un partage
automatique de l'ensemble des biens acquis par les deux conjoints au cours du
mariage. Cela existe actuellement. C'est très...
Mme Vaillancourt: Mais, si cela existait si bien que cela, il n'y
aurait pas la prestation compensatoire.
Mme Gagnon-Tremblay: Non, justement, c'est que la prestation
compensatoire vient surtout s'appliquer pour les gens mariés en
séparation de biens. Alors, c'est davantage pour les gens mariés
en séparation de biens, d'une part, pour la collaboratrice lorsqu'elle
travaille dans l'entreprise et qu'il y a enrichissement et, d'autre part,
actuellement dans le Code civil, cela devrait s'appliquer aussi à la
travailleuse au foyer, bien qu'on se rende compte que les juges ne l'ont jamais
appliqué. Ils ne l'ont jamais reconnu pour le travail au foyer, mais ils
le reconnaissent uniquement pour la collaboration. Cela s'applique davantage
pour les conjoints mariés en séparation de biens puisqu'il n'y a
pas ce partage 50-50 comme en société d'acquêts ou en
communauté universelle, communauté de biens, par exemple.
Mme Vaillancourt: Sauf que, si on obtient qu'il y ait un
régime légal qui soit la séparation de biens à 50 %
au moment d'une séparation, à ce moment-là, on n'a plus
besoin de la prestation compensatoire puisque maintenant on sera reconnu, les
femmes seront reconnues comme des personnes à part entière dans
le patrimoine familial.
Mme Gagnon-Tremblay: Finalement, malgré ce que vous
laissiez entendre au début, si je comprends bien, vous adoptez davantage
la position du notaire Comtois, qui dit: La société
d'acquêts pour tout le monde à partir de maintenant, même
pour les gens déjà mariés en séparation de biens,
c'est-à-dire que tout ce qui est acquis au cours du mariage est
divisé 50-50 de façon obligatoire.
Mme Vaillancourt: C'est ce que le mémoire dit.
Mme Gagnon-Tremblay: C'est une réforme. C'est une
réforme en profondeur.
Mme Vaillancourt: C'est une réforme en profondeur.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous comprenez que c'est un bouleversement
de nos traditions assez considérable, finalement.
Mme Vaillancourt: C'est ce qui s'appelle l'égalité
des conjoints, l'égalité économique des conjoints. On
appelle un chat, un chat. Quand on parle d'égalité
économique des conjoints, c'est cela qu'on veut dire.
Mme Gagnon-Tremblay: Cela suppose qu'il n'y a plus aucune
liberté de contracter pour les gens qui auraient d'autres biens,
finalement...
Mme Vaillancourt: On parle des biens acquis avant le mariage, ils
restent les biens acquis avant le mariage, mais les biens... Parce qu'autrement
on refait la même injustice qu'on vit depuis que Napoléon a
apporté le code au Canada.
Mme Gagnon-Tremblay: Pour les biens acquis avant le mariage,
justement, supposons que ce bien qui est acquis avant le mariage n'est pas
payé, qu'il est payé avec les acquêts ou au cours du
mariage, à ce moment-là est-ce que vous faites la
différence entre la plus-value, la durée du mariage, aussi, ou
bien si le seul fait qu'il soit acquis avant le mariage...
Mme Vaillancourt: Ce qui a été apporté avant
le mariage, on parle d'une propriété, par exemple, disons qu'il y
a un quart de la propriété qui est payé, cela reste
toujours la propriété de la partie qui l'a apportée et le
reste, la plus-value comprise, va dans le régime familial à ce
moment-là parce que, je veux dire, on s'enrichit - c'est une
façon de parler là - et nos biens acquis pendant le mariage ont
pris de la valeur et de la valeur et, au moment de la dissolution des biens, on
reprend ce qu'on avait avant le mariage et non ce qu'on a gagné
ensemble, intérêts compris.
Mme Gagnon-Tremblay: Ma dernière question concerne surtout
les conjoints de fait. Est-ce que vous avez une opinion sur les conjoints de
fait parce qu'on ne les inclut pas? Nous, nous pensons que toute la situation
des conjoints de fait... Parce que M. Daoust, vous en parliez aussi, vous
disiez que dans certaines lois c'est trois ans, dans d'autres c'est une
année. On fait quand même des différences, les conjoints de
fait sont assujettis à certaines lois sauf que, au niveau du Code civil,
lorsqu'on avait fait le débat en 1980, on avait décidé que
les conjoints de fait n'étaient pas assujettis et j'ai toujours dit
depuis le début que, si on devait faire un
débat, cela devrait être un débat global, un
débat de fond sur toute la question d'union de fait dans le but
d'harmoniser toutes nos lois. Par contre, vous vous êtes penchés
là-dessus et, pour vous autres, est-ce que les conjoints de fait
devraient être assujettis à ce partage obligatoire que vous
préconisez?
M. Daoust: II est fort évident qu'on ne l'a pas
abordé dans ce document-ci. Je connais les points de vue qui s'expriment
à l'intérieur de la FTQ sur le sujet, je ne veux pas dire qu'ils
s'expriment systématiquement dans tous les milieux de la FTQ, mais lors
des débats on est saisi des points de vue qui s'expriment et je pense
que, pour ce qui est de la FTQ, cela va demander une réflexion un peu
plus poussée à l'égard de la question que vous soulevez
pour être en mesure de l'aborder de façon véritablement
représentative, je ne dirais pas compétente, mais
représentative des points de vue qui peuvent s'exprimer dans un milieu
comme le nôtre, et c'est pour cela qu'à ce moment-ci on ne l'a pas
abordé. Le fait de ne pas l'aborder, c'est quasiment un choix aussi,
mais je pense qu'il faut attendre un certain moment avant qu'on puisse
dégager une position là-dessus. Mais je voudrais revenir sur deux
de vos questions, sinon trois.
À l'égard de la société d'acquêts,
c'est nettement l'orientation qui se dégage de notre document. Si nous
avions à faire un choix, nous dirions: société
d'acquêts. Vous avez mentionné que cela peut bouleverser, je ne
veux pas vous citer au mot, mais c'est dans notre société
peut-être des bouleversements un peu trop sévères à
ce moment-ci qui font que vous n'ayez pas retenu cette solution-là. On
peut être en désaccord avec vous et je pense qu'on l'est, mais on
souhaiterait malgré tout, et on le mentionne dans notre mémoire,
que, autour de la société d'acquêts, il y ait
véritablement une plus grande information. Il y en a déjà
eu dans le passé, on s'en souvient tous, mais il me semble que depuis
quelques années c'est plus ou moins oublié. Voilà des
notions extraordinairement complexes pour l'ensemble des citoyens et des
citoyennes du Québec, il faut peut-être inlassablement revenir et
publiciser ce type de régime qui peut exister entre époux et
c'est pour cela qu'on fait un parallèle avec les campagnes à
l'égard des femmes battues ou les campagnes, je ne dirais pas de
même nature, mais de grandes campagnes publicitaires, et on souhaiterait
que le gouvernement, et cela serait peut-être une façon d'indiquer
une voie privilégiée, ait des campagnes plus systématiques
autour de la société d'acquêts.
À l'égard des régimes privés de retraite,
bien que ce ne soit pas le lieu - ce n'est pas ici qu'on va aborder des
problèmes comme ceux qu'on a très rapidement
évoqués dans notre document - on estime que l'ensemble des
travailleurs et travailleuses qui sont assujettis, qui vivent et connaissent
des régimes de retraite privés, sont véritablement
laissés pour compte quant à la connaissance intime du
fonctionnement de la plupart de ces régimes de retraite, sans compter
tous les drames qui peuvent en découler. On peut rappeler le cas de la
Singer, à Saint-Jean, ou le cas peut-être un peu plus
récent de la Simonds à Granby, des dizaines et des dizaines de
cas où des travailleurs et travailleuses ont investi dans des fonds de
retraite et ont peu, pas ou aucune espèce de pouvoir ou de renseignement
à l'égard de ces fonds de retraite. Et, je le
répète, ce n'est pas le lieu - on n'est pas ici pour discuter des
fonds de retraite privés - mais on ne peut pas s'empêcher de dire
qu'il y a quelque chose d'inacceptable dans le fait que ceux qui y
contribuent... On peut parler de salaire différé, quelle que soit
la formule, ce sont des formes de gains qu'on investit dans l'épargne et
qui deviennent un fonds de retraite éventuellement et c'est inconcevable
que les travailleurs soient si mal informés. Il me semble qu'il est
temps que le législateur se penche là-dessus et dote les
travailleurs de droits qui découlent d'une forme de participation au
fonds de retraite. Soit dit en passant, la participation des travailleurs au
fonds de retraite peut amener la discussion de problèmes un peu
complexes, comme ceux qu'on aborde ici: Qu'arrive-t-il dans le cas du conjoint
ou de la conjointe au moment du décès d'un des membres du
mariage? Quand les gens sont véritablement bloqués, quand il y a
un écran tel qu'ils ne savent même pas ce que leur fonds de
retraite peut éventuellement leur donner, comment peut-on avoir des
discussions qui puissent faire bouger les mentalités à
l'égard de problèmes comme ceux qu'on aborde dans notre
document?
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. Daoust.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme la ministre,
également. Mme la députée de Maison-neuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Il me fait plaisir, au
nom de l'Opposition, de saluer les représentants de la
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. M.
Daoust, je sais que vous êtes bien entouré par un comité
qui est vigilant sur l'ensemble des pratiques dans notre société
et aussi des pratiques à l'intérieur de la
fédération elle-même, je pense, et c'est intéressant
de voir l'évolution, d'ailleurs, dans l'appellation même du nom,
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. Je
salue également Mme Vaillancourt, Mme Bissonnette et Mme
Gingras-Larivière. Ce n'est vraiment pas par sexisme que j'ai
oublié le nom du vice-président qui vous accompagne.
M. Daoust: M. Edmond Gallant.
Mme Harel: Tout de suite, je pense bien qu'on se rend compte que
le grand mérite de la
présente commission est de sensibiliser l'opinion publique et
aussi les membres de l'Assemblée nationale à une
réalité qui est maintenant assez bien clairement
démontrée, qui est que le Québec, à l'égard
des autres provinces canadiennes, accuse un retard qui va en s'aggravant en
matière de droit familial. J'écoutais les réponses et
l'échange que vous avez eu avec Mme la ministre et je me disais qu'il va
nous falloir avoir des idées claires puisque vous nous faites, avec
raison, la recommandation de ne pas être à la remorque de
l'évolution de la société pour venir à tous les six
ans, dites-vous, rouvrir, finalement, ces questions. Donc, il faut avoir des
perspectives, une certaine vision, si on veut légiférer non pas
pour le passé, mais pour l'avenir. Donc, ne pas simplement
légiférer pour corriger ce que l'égalité juridique
des époux aurait pu créer comme déséquilibre
économique, mais légiférer aussi pour, je l'espère,
plus d'une décennie.
Et, là, on est obligé de regarder ce qui se passe chez les
voisins d'à côté, pour se rendre compte, notamment - et je
sais que vous avez bon nombre de vos adhérents qui sont employés
dans des entreprises fédérales, qui sont assujettis aux lois
fédérales - qu'en 1986 la loi fédérale sur les
normes de prestations de pension prévoit la possibilité de
partager, tout en ouvrant cette possibilité, puisque c'est de
compétence provinciale, là où, dans les provinces, il y a
des législations qui le permettent. Cette possibilité de
partager, la loi fédérale est allée jusqu'à
l'inclure non seulement en cas de décès, autant pour les couples
mariés que les conjoints de fait, mais aussi en cas de rupture, donc, de
la cohabitation, qu'il s'agisse de conjoints de fait ou de personnes
mariées. C'est l'état actuel de la !oi fédérale, de
même que celle de l'ensemble des autres provinces qui ont
déjà légiféré ou simplement qui ont
déjà une jurisprudence assez soutenue en matière de
patrimoine familial, y incluant les régimes privés de retraite,
de même que dans les autres provinces où, déjà,
existe l'obligation alimentaire, non seulement entre époux, comme c'est
le cas pour notre Code civil, mais entre conjoints de fait. (18 h 15)
Je comprends que vous souhaitez une promotion énergique,
systématique du régime légal de société
d'acquêts. Notamment, vous mentionnez que dans !es bureaux de notaire on
devrait en parler, évidemment, en tenant compte du fait que, lorsque les
fiancés ou les couples en instance de se marier vont devant le bureau de
notaire, c'est souvent parce qu'ils se pensent obligés de passer un
contrat et ne pensent pas simplement convenir entre eux du régime
légal qui n'oblige pas à aller devant le notaire. Cela suppose
à ce moment-là qu'on amène le notaire à faire la
promotion du régime légal qui n'oblige pas à aller devant
le notaire. C'est là un paradoxe, qui explique en partie ce pourquoi le
régime légal n'a peut-être pas l'intérêt qu'il
pourrait avoir. Les notaires n'ont pas à faire de contrat quand on
choisit le régime légal. C'est une hypothèse. Je
reviendrai sur la question des régimes privés de retraite.
Sur la question des conjoints de fait, vous nous donnez l'exemple de la
loi des personnes victimes d'accidents du travail. Vous donnez cet exemple, je
pense, de manière à illustrer l'obligation alimentaire; c'est
à la page 12 de votre mémoire. Il faut voir que, si on simplifie
- mais c'est pas mal proche de la réalité - tout ce qui est de la
nature de loi en matière d'assurance sociale, donc, loi en
matière d'accidents d'automobile, d'accidents du travail, de
régime de retraite et même de régimes privés de
retraite, tout, en matière d'assurance, où il y a des cotisations
sous une forme ou une autre, que ce soit sous une forme volontaire ou sous la
forme d'une cotisation perçue par l'employeur, l'ensemble de ces
régimes d'assurance ont finalement des dispositions qui reconnaissent
les conjoints de fait. Ce matin même, on avait devant nous des
représentants d'un groupe d'actuaires qui nous faisaient part du fait
que l'ensemble des régimes, même privés, s'étaient
ajustés au fait qu'il ne devait pas y avoir de discrimination
fondée sur l'état civil. C'est malgré tout une partie dont
il faut tenir compte, parce qu'elle est concomitante à un Code civil
qui, lui, n'en tient pas compte, concomitante à des pratiques sociales.
Évidemment, je vous réfère à la Loi sur l'aide
sociale qui n'en tient pas compte non plus et à un régime fiscal
qui en tient compte de façon incohérente. Il est certain que,
pour légiférer, il va falloir une vision claire en matière
de patrimoine familial.
Vous dites, par exemple, à la page 12, à la toute fin de
la page, c'est ce que je voulais clarifier avec vous: "Si l'on s'en tient
toutefois à la situation du conjoint marié, l'on remarque que la
conjointe qui ne cohabitait pas avec le travailleur à la date de son
décès n'a aucun droit, même s'il s'agit d'une
séparation à l'amiable d'une durée relativement courte. "
Là, vous faites référence à cette notion
d'obligation alimentaire. Dois-je conclure que vous êtes pour et en
faveur de la survie de l'obligation alimentaire? Dans l'ensemble de votre
mémoire ce n'est pas clairement indiqué. Faut-Il y voir une
indication que vous souhaitez la survie de l'obligation alimentaire? Il ne faut
pas opposer conjoints de fait et personnes mariées, parce qu'il peut
s'agir d'un remariage. Dans le cas de toutes les lois statutaires sur les
assurances, il n'y a pas de survie de l'obligation alimentaire. Il y a
simplement le régime des rentes pour la durée de la
cohabitation.
Juste dans un paragraphe suivant, vous nous dites: "Dans ce sens, lors
du décès d'un conjoint, le patrimoine familial commun devrait
revenir totalement et en pleine propriété au conjoint survivant.
" Ce n'est pas à l'ex-conjoint, c'est bien le conjoint survivant qui
cohabite avec l'autre à ce moment-là?
Mme Vaillancourt: Je veux juste dire que, pour être reconnu
dans certaines lois comme conjoint, il faut avoir vécu avec un
travailleur pendant trois ans ou avoir un enfant après une année.
En bas, on dit: "même s'il s'agit d'une séparation à
l'amiable d'une durée relativement courte. "
Mme Harel: C'est parce que, en d'autres termes,
présentement les lois à caractère d'assurances
prévoient qu'il doit y avoir cohabitation et preuve, donc, de la
cohabitation quel que soit le régime légal entre les
époux, mais il n'y a pas de survie de l'obligation alimentaire. Je me
demandais si c'était dans ce cadre-là que vous nous indiquiez
qu'il fallait améliorer nos lois parce que, dans votre mémoire,
de toute façon, cela révèle une chose. Il va falloir
continuer à examiner ces questions puisqu'on assiste de plus en plus
à des remariages et à des situations de conjoint de fait
après la rupture d'un premier mariage. Il y a à réexaminer
sans doute toutes ces questions, c'est ce que je conclus à la lecture de
votre mémoire sur cet aspect, à moins que vous n'ayez autre
chose, Mme Vaillancourt.
Mme Vaillancourt: Finalement, ce que l'on veut dire, vous venez
de le donner dans l'explication, c'est qu'il y a plusieurs mariages dans une
vie et il va y avoir,. quelque part, une femme mariée qui, à un
moment donné, se retrouve séparée; il y a eu une autre
personne dans la vie de l'autre et qu'est-ce qu'on fait avec tout ce monde?
C'est très complexe et je pense que cela va demander beaucoup
d'études en regard du conjoint ou de la conjointe économiquement
faible - habituellement c'est la conjointe - et c'est ce que cela veut dire.
C'est le partage entre tous les conjoints et conjointes qu'on aura et qui
seront économiquement faibles, même si la séparation est
très courte et qu'il y a quelqu'un d'autre dans ta vie, peut-être
un an, et que tu as eu un enfant. Parfois, cela peut être cinq ou six
mois parce que l'enfant a été conçu avant. Alors,
qu'est-ce qu'on fait avec l'autre qui a été
délaissé? On parle ici surtout de conjoint survivant.
Mme Harel: Vous avez la situation inverse, finalement, d'un
mariage qui a duré très peu de temps puis de la présence
d'un nouveau conjoint qui dure depuis longtemps. Finalement, c'est pour cela,
compte tenu des propos, que je pense qu'il faut se rallier au fait que le
patrimoine familial, puisqu'il y a là urgence, devrait être le
plus rapidement possible introduit dans nos lois en modifiant le Code civil et
que nous devrions au plus pressé examiner l'ensemble des
conséquences qu'ont, dans nos lois statutaires, notre Code civil
lui-même, toute cette question des conjoints de fait et
l'incohérence et, d'une certaine façon, les contradictions entre
les lois elles-mêmes et les régimes, qu'ils soient fiscaux,
familiaux ou autres.
Mme Vaillancourt: Là-dessus, je peux vous donner un
exemple. Un homme a une relation avec une femme qui se trouve enceinte et
à ce moment-là il est en train de négocier son divorce. Il
va aller cohabiter avec l'autre personne, ce qui va donner une durée
courte, les papiers légaux n'ont pas été faits, etc.
Alors, qu'est-ce qu'il advient de la première épouse qui n'est
pas sur le marché du travail, bien souvent, ou qui gagne un petit
salaire et qui a déjà des enfants, et de l'autre? En fait, c'est
cela. C'est très complexe, mais actuellement il y a vraiment
discrimination et inégalité économique.
Mme Harel: Peut-être que l'objectif auquel on doit tendre,
c'est qu'il n'y ait aucune discrimination fondée sur l'état
civil. Ce sera un autre sujet, je ne voudrais pas le citer avant que nous ayons
examiné la question des régimes de retraite. C'est trop important
et trop utile de vous avoir avec nous pour ne pas aborder cette question avec
vous.
En matière de sécurité à la retraite, dans
le plan d'action à la condition féminine, nous retrouvions pour
les années 1987-1988 - mais cela concernait le ministère de la
Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu - à la fois une
décision ministérielle sur l'opportunité de reconduire le
projet de loi 58 relatif aux régimes complémentaires de retraite
et également toujours en regard de la responsabilité du
ministère, mais dans le plan d'action à la condition
féminine, une décision sur les modalités de participation
des travailleuses au foyer au Régime de rentes du Québec. C'est
pour l'année 1987-1988. Alors, vous voyez que le temps presse et que,
finalement, le compte à rebours est déjà commencé,
puisque le gouvernement a jusqu'au 15 novembre pour déposer une loi qui
pourrait être adoptée avant la fin de la session. Alors, je ne
sais pas si vous avez des recommandations précises à faire
à la commission sur ces questions-là.
Donc, je constate que vous proposez l'inclusion des régimes
privés de retraite. Cela suppose, comme nous l'ont dit les experts ce
matin, une modification à la loi sur les régimes
supplémentaires. Cela suppose à ce moment-là qu'on rouvre
cette loi. Alors, à l'occasion de la réouverture, il faudrait
également, j'imagine, la bonifier, l'amender pour l'améliorer
aussi. Est-ce que l'on doit comprendre que l'ensemble de ce que l'on retrouve -
vous nous faites des suggestions en cette matière - dans votre
mémoire, ce sont des suggestions qui devraient être l'objet d'une
loi cet automne?
Mme Gingras-Larivière (Carole): Si je peux me permettre,
dans vos propos vous allez encore plus loin que cela, dans le sens que vous
parlez de la participation possible des femmes à la maison au
Régime de rentes du Québec.
Mme Harel: Ce n'est pas dans mes propos,
c'est dans le plan d'action.
Mme Gingras-Larivière: Dans le plan d'action, excusez-moi.
Je fais des liens entre cela, les propositions et les commentaires que l'on
retrouve dans notre mémoire. La participation des femmes au RRQ, on n'en
parle pas. C'est clair que les pages qui concernent l'inclusion dans le
patrimoine familial des régimes privés, les recommandations qui
sont là sont des recommandations de congrès et nous pensons vous
les soumettre à titre de suggestion pour que vous puissiez vous en
inspirer et faire en sorte que l'on élimine toute forme de
discrimination à l'intérieur de ces régimes.
Maintenant, pour ce qui est de la participation des femmes au foyer, on
a toute une grande réflexion de notre côté à faire
à cet effet, c'est-à-dire qu'on entend beaucoup et on a lu aussi
dans le plan d'action du gouvernement du Québec pour la condition
féminine les mots "travailleuse à la maison". À cet effet,
on a de grandes questions à soulever, à savoir ce qu'on entend
par travailleuse, alors que pour nous c'est toute la notion d'être sur le
marché du travail. On entend, bien sûr, que les femmes à la
maison font un travail, sauf que tantôt il faudra s'interroger, à
savoir quelles sont les conséquences quand on pariera du mot
"travailleuse" à cet égard, ce que cela englobe. Est-ce qu'on va
parler d'accident du travail? Est-ce qu'on va parler de congé de
maternité? Quelles sont les conséquences que cela aura dans
l'ensemble des lois du travail et des lois sociales? Je peux juste vous dire
à ce moment-ci que dans le mémoire on ne touche pas à
ça. On sait que ce sera un grand débat et, quand l'heure sera
venue, nous aurons à nous prononcer là-dessus, mais chose
certaine, dans les régimes privés il y a énormément
de discrimination et quand on a fait les débats, entre autres au
congrès de 1983, on est revenu à des éléments qui,
nous pensons, sont importants à l'égard de la réforme du
Code civil. Alors, c'est pour cela qu'on les a inclus. On espère que
vous allez vous en inspirer.
Mme Harel: À la page 10 notamment, vous proposez qu'il
puisse y avoir renonciation des deux conjoints à une rente obligatoire
au conjoint survivant, c'est-à-dire que, s'il y a consentement, il
pourrait y avoir renonciation. Est-ce là un élément qui a
été longuement étudié, puisque cette renonciation,
même dans le cadre de partage du patrimoine familial, vous la
suggérez comme toujours possible malgré tout? (18 h 30)
M. Daoust: Oui, on la pense toujours actuelle, mais je vais
revenir un peu à ce que vous mentionniez au début. S'il faut
déposer des projets de loi d'ici le 15 novembre, je doute que ce type de
réforme que l'on souhaite à l'égard des régimes de
rentes privés puisse se faire dans un si court délai.
Écoutez, il reste trois semaines. C'est un débat, et des
amendements à l'égard des régimes de rentes privés,
des régimes supplémentaires et tout cela exigeraient à mon
sens un débat public. On le dit toujours: commission parlementaire, de
longues études, peut-être livre blanc ou je ne sais trop quoi. Je
doute énormément que vous puissiez y arriver et que la
société puisse réagir rapidement d'ici deux ou trois
semaines. Mais, d'ici le 15 novembre, sans aucun doute, s'il y a des
modifications à y apporter, des modifications parcellaires,
préliminaires, oui, mais la grande réforme que l'on souhaite...
Parce que là, nous citons un document de la FTQ de 1983, qui contient
des dizaines de recommandations à l'égard des régimes
privés de retraite. On n'en mentionne que quelques-unes qui exigeraient,
évidemment, une longue explication, et j'ai bien mentionné que ce
n'était pas le lieu ici, même si on en parle un peu, c'est pour
vous alerter et vous sensibiliser.
Je pense que vous nous passez peut-être un message que l'on
devrait retenir. Il est peut-être temps qu'on revienne avec ce type de
revendication. Je ne parle pas de tel ou tel aspect qui découle de ce
mémoire, mais plus globalement à l'égard des
régimes privés de retraite où il y a d'Incroyables
lacunes. Il tarde que le gouvernement se penche là-dessus et offre des
solutions qui pourraient être satisfaisantes ou qui pourraient être
accueillies à tout le moins avec une très grande ouverture
d'esprit de la part du mouvement syndical.
Mme Harel: Je vais conclure, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Je vous en prie.
Mme Harel: Je vous remercie pour votre présence, pour
votre participation. Il n'en demeure pas moins... Et je ne voudrais pas vous
laisser l'impression que le gouvernement ne pourrait pas
légiférer dès cet automne en matière d'inclusion
des régimes privés de retraite au patrimoine familial.
J'espère que ce n'était pas là l'objet de mon
intervention. Il peut le faire, sauf que, comme la majorité des
régimes privés sont incessibles, il ne pourrait pas y avoir de
partage. Pour qu'il y ait partage, il faudrait modifier, à ce
moment-là, les dispositions. Ce serait fait et ce serait par ailleurs en
application lorsque la loi sur les régimes supplémentaires serait
modifiée. Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Filion): Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Je tiens tout simplement à remercier
aussi M. Daoust, Mme Gingras-Larivière, Mme Vaillancourt, Mme
Bissonnette et M. Gallant de leur présentation. Nous allons
sûrement prendre en sérieuse considération toutes les
recommandations que vous nous faites.
Le Président (M. Filion): Au nom des autres
membres de cette commission, également, je voudrais vous
remercier pour votre mémoire. Je pense que, si la FTQ était la
seule centrale syndicale à s'intéresser du moins d'une
façon aussi directe à nos travaux, elle a bien
représenté l'ensemble du mouvement syndical. Ce n'est pas la
première fois que cela arrive.
M. Daoust: Merci beaucoup.
Le Président (M. Filion): Merci. Est-ce que je pourrais
inviter Me Pierre Issalys à prendre place à la table des
invités?
À l'ordre, s'il vous plaît! Je voudrais, au nom des membres
de cette commission, souhaiter la bienvenue à Me Pierre Issalys,
professeur agrégé à la Faculté de droit de
l'Université Laval. Me Issalys nous a déjà
déposé son mémoire sous la cote 13M. J'inviterais Me
Issalys à nous faire une courte présentation de son
mémoire à l'intérieur d'une enveloppe globale de 30
minutes qui est prévue pour sa comparution devant cette commission
parlementaire. À la suite de cette courte présentation, les
membres de la commission pourront échanger des points de vue avec Me
Issalys.
M. Pierre Issalys
M. Issalys (Pierre): Merci, M. le Président. Je me
bornerai effectivement, étant donné surtout l'heure qu'il est,
à quelques brèves observations pour rappeler à la
mémoire des membres de la commission le contenu du mémoire que je
leur ai soumis. Je précise simplement, en commençant, que ce
mémoire est présenté à titre purement individuel,
je ne représente personne d'autre que moi-même. Si j'ai choisi de
me faire entendre devant vous relativement au sujet qui vous occupe
aujourd'hui, c'est, d'une part, comme l'indique le mémoire, en
qualité de technicien du droit de la sécurité sociale qui
est un domaine dans lequel je travaille tous les jours et peut-être
surtout en tant que citoyen soucieux de voir se réduire dans notre
société les différentes inégalités qui
l'affligent et, en particulier, l'inégalité fondamentale - la
plus importante, à mon avis - celle qui divise les hommes et les
femmes.
Comme les membres de la commission l'auront constaté, mon
mémoire comprend deux parties. Dans la première, j'exprime
globalement mon appui à la proposition principale du document qui est
soumis à la consultation, à savoir l'instauration par le
législateur, de façon impérative, d'un patrimoine familial
partageable par moitié entre les conjoints à la fin du mariage.
Dans la seconde partie, je fais cependant valoir quelques réserves par
rapport à certains aspects concernant, notamment, la portée et la
mise en oeuvre de cette proposition d'instauration d'un patrimoine
familial.
Donc, dans un premier temps, j'ai exprimé mon entier accord avec
la proposition de créa- tion d'un patrimoine familial estimant que
l'enjeu social que constitue précisément la réduction des
inégalités économiques entre hommes et femmes justifiait
cette intervention impérative du législateur dans les rapports
civils régissant les époux. Mon intérêt pour cette
proposition vient, en partie, de l'analogie que j'ai décelée
entre l'idée d'un patrimoine et celle qui est déjà
présente dans le Régime de rentes du Québec d'un partage
des gains admissibles accumulés par les deux conjoints en vertu de ce
régime.
Cependant, comme je le souligne, il y a tout de même certaines
différences entre le système du partage des gains, tel qu'on le
connaît actuellement, et la proposition de partage d'un patrimoine
familial. Le partage des gains, à l'heure actuelle, n'est pas
automatique. Il doit être demandé. Mais, par contre, une fois
qu'il est demandé, il acquiert une valeur impérative,
c'est-à-dire que plus personne ne peut, en réalité, s'y
opposer.
À l'inverse, la proposition d'un patrimoine familial, telle
qu'elle nous est présentée dans le document, consisterait
à créer un mécanisme automatique, c'est-à-dire que
ce patrimoine familial serait automatiquement partageable, mais, en revanche,
la proposition ne confère pas un caractère absolument
impératif au mécanisme, puisqu'il reste possible de s'y
soustraire, notamment par voie conventionnelle. J'ai fait valoir deux points
à ce sujet. J'ai estimé qu'à mon avis le partage du
patrimoine familial devait être automatique. En ce sens, je me rallie
à ce qui est proposé dans le document. En fait, je me
réjouis qu'en incluant les gains admissibles du Régime de rentes
dans le patrimoine familial l'on se trouve à faire faire un
progrès au système actuel du partage des gains admissibles
puisqu'il deviendrait automatique.
D'autre part, j'ai exprimé l'avis que l'intervention du
législateur devait être plus impérative qu'elle ne l'est
dans ia proposition qui nous est faite. Il s'agit ici, à mon avis, d'une
intervention du législateur dans le sens d'un changement social
d'importance majeure et je crois que le législateur se doit ici
d'intervenir avec fermeté et de laisser une possibilité
extrêmement restreinte, à mon avis, de dérogation à
la politique qu'il entend mettre en oeuvre par l'instauration d'un patrimoine
familial. Je reviendrai dans la deuxième partie sur cet aspect.
Je me suis efforcé de réfléchir à la fin de
la première partie du document sur certaines des objections qui
pouvaient être avancées face à l'instauration d'un
patrimoine familial. Je n'en citerai ici qu'une seule. C'est une objection que
je qualifierais de sociologique et consistant à dire que l'introduction
impérative du patrimoine familial dans tous les régimes
matrimoniaux du Québec introduirait une rigidité telle dans les
rapports patrimoniaux entre conjoints que cela risquerait fort d'avoir un effet
désincitatif au mariage. Pour ma part, je pense plutôt le
contraire. Je crois qu'étant donné l'évolution
relativement lente, mais certaine des conceptions sociales quant
à la nature du mariage et au rapport qu'il implique entre les conjoints,
l'instauration d'un patrimoine familial aurait plutôt un effet attractif
qu'un effet répulsif, dans le sens que l'existence du patrimoine
familial comme élément nécessairement concomitant au
mariage projettera clairement l'idée dans la société
québécoise que le mariage est une association égalitaire
et que cette association égalitaire s'exprime dès ie premier jour
du mariage par la mise en commun d'un certain nombre d'actifs qui vont
être affectés à la vie commune pendant la durée du
mariage. Je pense donc que cette objection peut assez facilement être
contournée et que, dans la réalité, les faits confirmeront
le diagnostic que je pose à propos de cette proposition d'instauration
d'un patrimoine familial.
Dans la deuxième partie du document, j'ai fait état de
certaines réserves vis-à-vis de la proposition principale
avancée par le gouvernement. J'ai souligné que ces
réserves n'étaient pas en réalité des remises en
cause du bien-fondé de l'idée d'instaurer un patrimoine familial,
mais, au contraire, un certain nombre de mises en garde quant à des
atténuations ou à des hésitations que j'ai cru
déceler dans le document soumis à la consultation,
atténuations et hésitations qui me semblent de nature à
compromettre l'efficacité de la réforme qui est
envisagée.
Le premier point sur lequel j'ai fait valoir certaines réserves
n'est pas particulièrement original, d'après ce que j'ai entendu
depuis mon arrivée ici, cet après-midi. C'est qu'il y aurait lieu
d'élargir la composition du patrimoine familial pour y inclure les gains
accumulés par les deux conjoints dans les régimes de rentes
privés. On a déjà tellement parlé de ce sujet cet
après-midi que je me borne à vous renvoyer à ce que j'ai
écrit dans le document à ce sujet. Je pense que aussi bien le
régime public que les régimes privés de retraite
constituent du salaire différé et qu'il n'y a donc aucune
justification logique de les traiter différemment et que, par
conséquent, si les gains accumulés dans le régime public
doivent être incorporés au patrimoine familial, il n'y a pas de
raison que les gains accumulés dans les régimes privés ne
le soient pas.
La deuxième réserve concerne la possibilité admise
par le document du gouvernement que les conjoints puissent déroger
conventionnellement à ce partage égalitaire du patrimoine
familial. Je partage entièrement certains des points de vue qu'on a
déjà entendus également cet après-midi et qui font
valoir que laisser cette porte ouverte au moment de la dissolution du mariage,
notamment dans le contexte conflictuel d'un divorce, c'est en fait ouvrir une
boîte de Pandore et favoriser l'aggravation des conflits entre les
conjoints au lieu de leur stabilisation et de leur résolution aussi
harmonieuse que possible. (18 h 45)
Je pense donc qu'on ne devrait pas permettre une dérogation
conventionnelle au partage égalitaire du patrimoine familial à la
fin du mariage. Je pense que les seules conventions qui seraient admissibles,
si on devait permettre une telle dérogation, seraient celles dont
l'objet serait d'étendre le principe du partage égalitaire
à d'autres biens des conjoints qui n'entrent pas dans le patrimoine
familial. Ce serait donc une dérogation qui permettrait à
certaines personnes de se dire tellement d'accord avec l'institution du
patrimoine familial qu'elles souhaiteraient assujettir à la règle
du partage égalitaire un ensemble encore plus vaste de leurs biens.
La troisième réserve concerne la période
transitoire d'ajustement, autre sujet qui semble également donner lieu
à quelques controverses devant vous. Je suis personnellement
opposé à l'idée d'une période transitoire, sauf
sous certaines réserves très limitées que j'explique dans
un instant. Je pense que cette loi nouvelle doit, comme toute autre loi
nouvelle, s'appliquer immédiatement dès son entrée en
vigueur et saisir les situations existantes qui tombent sous le coup de ses
dispositions dans l'état où elle les trouve. Ce qui signifie que
les unions contractées avant l'entrée en vigueur de la loi
nouvelle seront soumises, à partir de l'entrée en vigueur de
cette loi, à de nouvelles dispositions. À mon sens, il n'y a pas
là rétroactivité, c'est la simple application du principe
normal de l'entrée immédiate en effet de la loi nouvelle.
La seule atténuation que je ferais à cette idée que
la loi doit entrer en vigueur immédiatement et complètement
serait pour permettre pendant une période d'un an aux conjoints
mariés antérieurement de conclure des conventions du type de
celle que j'ai précédemment invoquée, c'est-à-dire
des conventions généralisant ou du moins étendant le
principe du partage égalitaire à d'autres biens non compris dans
le patrimoine familial.
Finalement, la quatrième réserve concerne les
possibilités de dérogation judiciaire à la règle du
partage égalitaire du patrimoine familial. Je me suis quelque peu
inquiété de l'imprécision, sans doute inévitable,
des propositions contenues dans le document quant aux critères que le
juge serait amené à appliquer pour décider s'il y a lieu
de remettre en cause ou non le partage égalitaire du patrimoine
familial. Je pense que ces critères devront être
précisés de façon relativement concrète dans les
textes qui mettraient en oeuvre le patrimoine familial, sans quoi on ouvre
encore une fois trop facilement la porte à des dérogations dont
l'étendue serait très difficilement prévisible et
entièrement laissée à une interprétation
discrétionnaire de la part des tribunaux.
Je conclurai simplement en rappelant que, à mon avis, cette
proposition d'instaurer un patrimoine familial ne règle pas, comme on
semble le croire à certains endroits dans le document soumis à la
consultation, la question de
la reconnaissance juridique et économique du travail du conjoint
au foyer. À mon sens, le patrimoine familial n'est pas la
rétribution de quoi que ce soit, il n'est pas la rétribution du
travail d'un conjoint au foyer, il est simplement le constat qu'un certain
nombre de biens, pendant la durée du mariage, ont été
affectés à un usage commun par les conjoints et doivent donc tout
à fait légitimement être partagés également
entre eux à la fin du mariage.
Le problème de la rétribution, disons, familiale et de la
rétribution sociale du travail du conjoint au foyer est un autre
problème qui appelle évidemment d'autres initiatives, d'autres
interventions politiques et législatives qui ont d'ailleurs
été évoquées depuis le début de
l'après-midi et auxquelles je fais également
référence dans la conclusion de mon document. Voilà en
gros, Mme la Présidente, ce que contient mon mémoire.
La Présidente (Mme Bleau): Merci, M. Issalys. Je
céderai la parole à Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me issalys. Je dois vous dire que
j'ai eu beaucoup de plaisir à lire votre document provenant, entre
autres, d'un spécialiste du droit de la sécurité sociale
et, en somme, de tout ce que vous abordez, le sujet du travail au foyer et la
différence que vous faites justement avec un partage comme tel du
patrimoine. Votre mémoire est très intéressant.
Ma première question concerne ce dont vous parlez à la
page 12, c'est-à-dire l'objection de l'effet désincrtatrf au
mariage. Vous dites: "Une dernière objection, à caractère
plus sociologique, mérite d'être considérée. Elle
consiste à prédire qu'en déterminant de façon
imperative le sort d'une grande partie du patrimoine des conjoints le
législateur ferait du mariage une institution trop contraignante sur le
plan patrimonial. Les couples seraient alors amenés à
préserver leur autonomie sur ce plan en situant leurs rapports dans le
cadre de l'union libre. " Donc, en d'autres mots, ce qui veut dire que si, par
contre, on ne laissait pas une certaine liberté de contracter,
peut-être qu'à ce moment cela pourrait être perçu
comme un effet désin-citatif au mariage. Par contre, ce que vous dites,
est-ce que cela pourrait s'appliquer aussi, par exemple, à
l'intégration dans le patrimoine familial de tous les régimes
privés, si on devait inclure les régimes privés? Est-ce
que, par exemple, cela ne permettrait pas à ces conjoints de
prévoir d'autres modalités pour leurs épargnes, ce qui
ferait qu'à un moment donné cela pourrait avoir un effet
désincitatif et qu'ils pourraient davantage investir dans d'autres types
d'épargnes?
M. Issalys: Je ne sais pas si c'est un risque réel parce
que ces régimes privés de retraite sont
généralement à participation obligatoire dans la mesure
où vous êtes dans une entreprise où il existe un tel
régime où vous êtes impliqué dans ce régime.
Par conséquent, vos possibilités d'épargner ailleurs sous
d'autres formes qui ne seraient pas incluses dans le patrimoine familial
/n'apparaissent assez limitées sauf pour des gens qui ont des revenus
très considérables, mais je ne pense pas que ce soit là
une population si importante qu'il faille axer la réforme sur son
cas.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Quant aux mesures transitoires qui
étaient prévues dans le document de consultation,
c'est-à-dire des mesures de trois ans, vous préférez, par
exemple, qu'on conserve ces mesures transitoires mais, par contre, d'un an et
non pas de trois ans. Je trouve cela amusant dans votre document à la
page 19 lorsque vous dites: "Lorsqu'un changement de législation met en
cause des mentalités et des intérêts aussi
profondément imprégnés dans le tissu social, il est
préférable d'appuyer sur l'accélérateur
plutôt que sur le frein. " Alors, finalement, malgré tout vous
préférez quand même conserver cette année à
titre de mesure transitoire. On nous a fait valoir, dans bien des cas surtout
au niveau des juristes qui ont à plaider lors d'un partage de biens en
cas de divorce, les pressions qu'on pourrait mettre davantage sur le conjoint
qui aurait à renoncer, peut-être certaines disputes familiales qui
pourraient avoir cours à la suite de cela. Est-ce que pour vous cela
semble important? Est-ce quelque chose qui vous fait peur ou si, malgré
tout, vous jugez nécessaire d'avoir cette année de transition
pour les couples qui sont légalement mariés en séparation
de biens actuellement?
M. Issalys: Vous aurez noté, Mme la ministre, que, si je
suis d'accord avec l'idée d'un régime transitoire d'un an, c'est
uniquement pour permettre un certain type de dérogation. Ce ne sont pas
des dérogations à la baisse, ce sont des dérogations
à la hausse, des dérogations sous forme de convention
prévoyant l'extension du partage égalitaire à d'autres
biens que ceux qui sont compris dans le patrimoine familial. Par
conséquent, à certains égards, il n'y a pas de
période transitoire dans ce que je propose.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.
M. Issalys: La loi s'appliquerait immédiatement.
Mme Gagnon-Tremblay: Quant à la prestation compensatoire,
vous êtes aussi d'accord pour qu'on puisse l'élargir pour la
travailleuse au foyer. Vous étiez ici tout à l'heure lorsque,
entre autres, j'ai parlé du Conseil du statut de la femme qui voulait
qu'on conserve aussi la prestation compensatoire non pas seulement pour la
collaboratrice, mais bien dans tous les autres cas où il n'y aurait
pratiquement pas de biens familiaux à partager. Vous êtes d'accord
avec
cela aussi, j'imagine.
M. Issalys: Je crois que la prestation compensatoire conserve
effectivement son intérêt, même juxtaposée au
patrimoine familial.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci.
La Présidente (Mme Bleau): Je céderai la parole
maintenant à la porte-parole de l'Opposition.
Mme Harel: Merci, Mme la Présidente. Me Issalys,
j'aimerais peut-être reprendre, où vous l'avez laissé,
l'échange avec Mme la ministre. Vous dites considérer que la
prestation compensatoire conserve son intérêt, même
juxtaposée au patrimoine familial. Ce matin, un représentant du
Barreau, Me Senécal, qui est praticien en droit familial est venu
exhorter la ministre, enfin la commission, de ne pas utiliser ou tout au moins
de faire en sorte que la prestation compensatoire concerne le moins possible
les biens familiaux. En d'autres termes, son point de vue était
clairement le suivant: La prestation compensatoire ne doit pas tenir lieu d'un
patrimoine partageable qui serait trop restreint. C'est peut-être
là que se situe la difficulté dans la mesure, par exemple,
où le patrimoine familial n'inclurait pas les régimes de retraite
privés et où il faudrait avoir recours à la prestation
compensatoire devant les tribunaux pour faire valoir quand on est travailleuse
au foyer qu'on ne peut pas partager des biens qui ont été
détournés vers d'autres entreprises, par exemple. Au sujet
d'avoir à recourir devant les tribunaux pour quémander son
dû, le Barreau disait: Évitez d'introduire des dispositions
où des personnes ont à quémander leur dû devant les
tribunaux. Je voudrais bien comprendre ce que vous nous dites à la page
24: "... l'instauration d'un patrimoine familial n'enlève rien à
la justification d'un élargissement de la base de la prestation
compensatoire pour y inclure le travail au foyer. " Donc, vous concevez que la
prestation compensatoire ne doit pas simplement compenser l'enrichissement
à une entreprise commune pour les femmes collaboratrices, qu'elle
pourrait être élargie également aux travaux
ménagers, aux travaux domestiques, etc., à l'intérieur du
foyer...
M. Issalys:...
Mme Harel:... eî uniquement pour compenser en cas
d'insuffisance ou d'absence de patrimoine familial ou encore pour
suppléer au fait que le patrimoine familial est trop restreint ou pour
ajouter lorsque l'apport aurait été non pas un apport de
l'enrichissement de l'entreprise, mais un apport plus important aux charges
familiales. Où voyez-vous la justification?
M. Issalys: La justification, je la vois, comme je l'ai dit
tantôt, dans le fait que le patrimoine familial et la prestation
compensatoire sont deux choses absolument distinctes dans mon esprit qui visent
deux réalités différentes. Le patrimoine familial est une
réalité qui concerne les biens des conjoints. La prestation
compensatoire concerne l'apport d'un des conjoints au bien-être
matériel de l'autre.
Mme Harel: Vous nous dites qu'il ne faudrait pas confondre l'une
pour l'autre ou, en cas...
M. Issalys: Absolument pas.
Mme Harel:... d'insuffisance de l'une, d'avoir accès
à l'autre.
M. Issalys: Absolument pas. Une fois qu'on a réglé
la question du patrimoine familial, c'est-à-dire qu'on a partagé
également le contenu du patrimoine familial entre les deux conjoints, se
pose la question, à savoir si l'un des deux conjoints a tiré sur
le plan matériel des avantages déséquilibrés du
fait de la participation, notamment de l'autre conjoint, dans une proportion
plus grande aux charges du foyer.
Mme Harel: Je comprends très bien le point de vue que vous
nous exprimez. Il s'agit là, donc, de deux réalités
distinctes, de deux effets cumulatifs distincts, et ce ne serait pas simplement
d'utiliser l'un par insuffisance de l'autre.
M. Issalys: Absolument pas.
Mme Harel: D'accord. J'ai noté à la page 9 un point
de vue très intéressant sur la stratégie de changement
social, nous dites-vous: "Une stratégie de changement social ne peut
pas, lorsqu'elle remet en cause des attitudes aussi profondément
ancrées que celles qui déterminent les rapports hommes-femmes, se
borner à proposer des modèles institutionnels nouveaux en
laissant à chacun et chacune la faculté d'y adhérer. Le
succès encore imparfait de l'implantation du nouveau régime
légal illustre les aléas d'une stratégie incitative. Son
choix fait, le législateur doit l'imposer, lorsque l'enjeu le commande.
" C'est dit autrement, mais vous ajoutez finalement à la plaidoirie d'un
ensemble, ou presque, de personnes, groupes, organismes qui sont venus devant
la commission plaider notamment qu'il n'y ait pas de possibilité de
renoncer ou encore plaider pour qu'il n'y ait pas de mesures transitoires qui
permettent des ententes contraires, donc, au caractère palliatif des
dispositions.
J'ai trouvé votre exposé... Mme la ministre a raison de
dire que c'était singulier parce que c'est un exposé qui
répond à des critiques que l'on entend dans d'autres milieux et
dans le nôtre également, mais qui ne se sont pas
manifestées ici, qui ne se sont pas exprimées devant la
commission. Tout votre exposé est une sorte
de plaidoyer à l'égard de critiques qui surviennent. Donc,
c'est intéressant. Je pense que cela va certainement servir à Mme
la ministre pour peut-être préparer son mémoire au Conseil
des ministres quant aux modifications à apporter au document
gouvernemental.
C'est d'autant plus intéressant qu'à la page 25 vous nous
parlez du travail du conjoint au foyer. Vous nous en parlez dans le cadre de
modifications à la Loi sur le Régime de rentes. Je vois aussi que
vous justifiez les retards apportés à présenter des
scénarios de réalisation, mais vous pensez que, sur le plan
économique, le travail du conjoint au foyer enclencherait, comme tout
autre travail, la protection des régimes d'assurance sociale. Est-ce que
je dois comprendre que vous l'élargissez aussi au travail au foyer, non
pas simplement au travail du conjoint parce qu'en cas d'absence d'un conjoint
le travail au foyer peut aussi être réalisé dans le cadre
d'une famille monoparentale? C'était assez restrictif le fait de ne le
préciser que pour conjoint au foyer, à la page 25.
M. Issalys: Oui, je m'en suis rendu compte en entendant une
discussion cet après-midi avec les représentantes de l'AFEAS.
Effectivement, il peut s'agir d'une personne seule au foyer. À ce
moment-là, le plaidoyer que je fais, quoique encore avec une certaine
incertitude quant aux conclusions auxquelles il devrait conduire, est en faveur
de la reconnaissance du travail au foyer, évidemment, essentiellement au
bénéfice des enfants, par l'un ou l'autre des conjoints ou par
une personne qui a, seule, la responsabilité d'une unité
familiale. C'est ce travail au foyer dont la reconnaissance juridique et
économique, me semble-t-il, tarde à venir.
Mme Harel: Cette reconnaissance pourrait se faire dans le cadre,
comme vous le dites, d'un accès à un régime comme le
Régime de rentes, mais pourrait se faire aussi dans le cadre, par
exemple, d'un crédit d'impôt remboursable ou d'autres formules
à cet effet.
M. Issalys: Effectivement.
Mme Harel: Je vous remercie beaucoup, Me Issalys.
La Présidente (Mme Bleau): Je laisse la parole à
Mme la ministre. Est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre? M. le
député.
M. Dauphin: Juste une question. D'ailleurs, Me Issalys
était ici cet après-midi. Nous avons eu l'occasion de poser la
même question à presque tous les groupes qui sont venus nous
rencontrer ici relativement aux conjoints de fait. Dans
l'éventualité de l'implantation, de la mise en vigueur de toutes
ces mesures dans le régime impératif, dorénavant la seule
possibilité ou la seule façon pour des couples de faire une vie
séparatiste, si vous me permettez l'expression, sera effectivement
l'union de fait. Maintenant, la plupart des groupes ne nous ont pas
nécessairement répondu sur cette question, ils ne se sont pas
attardés nécessairement à ce phénomène qui
est, quand même, de plus en plus important autant dans la
société québécoise que dans d'autres
sociétés. Je voudrais connaître votre opinion sur cela.
Qu'est-ce que vous suggéreriez au législateur de faire
relativement aux conjoints de fait?
M. Issalys: Mon opinion, j'en ai exprimé une partie tout
à l'heure. Je pense que l'instauration d'un régime primaire
relativement contraignant quant à la propriété des biens
ne constituera pas nécessairement un effet désincitatif, donc ne
contribuera pas nécessairement à favoriser le
développement de l'union de fait aux dépens de l'union
légale. Au contraire, cela pourrait fort bien, à mon sens,
revaloriser, aux yeux des générations montantes, l'institution du
mariage en la situant clairement dans un contexte égalitaire. Cela dit,
l'union de fait est un sujet dont il est difficile de dire des choses en
détail lorsqu'on parle de réformer le Code civil. En effet,
à partir du moment où vous envisagez de mettre l'union de fait
dans le Code civil, elle perd sa nature d'union de fait et elle devient un
régime juridique organisé. Elle perd vraiment fondamentalement sa
raison d'être. Alors, l'union de fait va rester ce qu'elle est. Elle va
rester l'union de fait, c'est-à-dire une association tout à fait
libre et non structurée de deux personnes avec les avantages et les
aléas que cela comporte.
La Présidente (Mme Bleau): Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Une dernière question, Me Issalys.
Tous les intervenants pratiquement qui sont venus ici pour nous
présenter leurs mémoires ont toujours parlé de
rétroactivité, du fait que cela touche également les
personnes actuellement mariées sous le régime de la
séparation de biens ou même les gens mariés sous le
régime de la société d'acquêts. Par contre, vous
parlez davantage de loi "remédiatrice", correctrice. Voulez-vous nous
dire pourquoi vous ne voyez pas ceia comme une loi rétroactive?
M. Issalys: Parce qu'une loi rétroactive est une loi qui
revient sur des faits passés et leur donne une qualification juridique
différente. Ce ne serait pas l'objet de la loi envisagée ici.
Elle dirait simplement qu'à partir d'un certain jour des contrats de
mariage conclus dans le passé produiront des effets différents.
Cela n'empêche pas que, jusqu'à ce jour-là, ils auront
produit tous les effets qu'ils devaient produire en vertu de leurs termes
initiaux. Ils ne seront pas remis en cause en tant que contrats conclus sous
une
certaine forme, à une certaine époque, avec un certain
objet. Ils seront remis en cause pour leurs effets futurs, mais pas pour le
passé. En ce sens, il n'y a pas, à mon avis,
rétroactivité. C'est simplement le principe normal d'application
immédiate de la loi nouvelle qui s'applique.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Je tiens à vous remercier pour
votre présentation, Me Issalys. Cela a été très
intéressant.
M. Issalys: Merci beaucoup. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Bleau): Au nom de la commission, je
vous remercie, M. Issalys. Je déclare les travaux ajournés
jusqu'à demain, 10 heures.
(Fin de la séance à 19 h 2)