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Version finale

33e législature, 2e session
(8 mars 1988 au 9 août 1989)

Le mercredi 19 octobre 1988 - Vol. 30 N° 31

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur le document intitulé 'Les droits économiques des conjoints'


Journal des débats

 

(Dix heures quinze minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission des institutions reprend ses travaux. Nous sommes en consultation générale et en auditions publiques afin d'étudier le document gouvernemental intitulé "Les droits économiques des conjoints". Il s'agit d'un document déposé par la ministre déléguée à la Condition féminine, ainsi que par le ministre de la Justice.

Je demanderais à notre secrétaire d'annoncer, s'il y a lieu, les remplacements pour notre séance.

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Chevrette (Joliette) est remplacé par Mme Vermette (Marie-Victorin) et. M. Godin (Mercier) par Mme Harel (Maisonneuve).

Le Président (M. Filion): Alors, je voudrais souhaiter la plus cordiale bienvenue aux représentantes et représentants du Barreau du Québec. Je reconnais Me Borenstein, qui a présidé le comité du Barreau qui a étudié le document gouvernemental. D'entrée de jeu, je demanderais à Me Borenstein de bien vouloir nous présenter, pour les fins du Journal des débats et pour le bénéfice des membres de cette commission, les personnes qui l'accompagnent.

Barreau de Québec

Mme Borenstein (Sylviane): Je vous remercie, M. le Président. À ma droite, Me Suzanne Vadboncoeur, directrice de la recherche au Barreau du Québec; à mon extrême droite, Me Jean-Marie Fortin, qui est notre spécialiste en fiscalité et, à ma gauche, Me Jean-Pierre Senécal, un spécialiste reconnu en droit matrimonial.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Grosso modo, nous avons une enveloppe d'environ 90 minutes pour vous entendre. Évidemment, une période est prévue pour la présentation succincte des principaux éléments de votre mémoire et, par la suite, nous pourrons discuter directement avec vous. Les membres de la commission ayant déjà reçu le mémoire du Barreau, on peut présumer que la période de discussion sera la plus fructueuse. Sans vous limiter quand même, je vous redonne la parole pour la présentation de votre mémoire, tout en vous signalant que si, tantôt, le président de cette commission doit quitter, c'est parce que la Chambre l'appellera. Vous voudrez bien m'excuser lorsque je devrai quitter tantôt.

Mme Borenstein: Je vous remercie. Nous allons commencer par Me Vadboncoeur, qui représente le Barreau lui-même.

Mme Vadboncoeur (Suzanne): M. le Président, Mme et Messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, il nous fait plaisir, au Barreau du Québec, de venir, comme nous l'avons fait à de nombreuses reprises, d'ailleurs, présenter les vues de notre corporation professionnelle sur la proposition gouvernementale relative aux droits économiques des conjoints.

Le Barreau a toujours été préoccupé par ce genre de problèmes économiques, sociaux, juridiques et il s'intéresse à cette question-là depuis déjà quelques années. On se rappellera que le Barreau avait été présent lors de la Conférence sur la sécurité économique des Québécoises en 1985. Après le premier volet de cette fameuse conférence, on avait décidé, sans être sollicités d'ailleurs, de préparer un premier mémoire sur les droits économiques des conjoints et tout le problème du partage des biens familiaux, mémoire qu'on a soumis l'an dernier, donc il y a à peu près un an et demi, et à la suite de la proposition gouvernementale le comité du Barreau s'est encore penché sur cette question-là.

Je serai brève. Je voudrais simplement vous indiquer que la composition du comité reflète un peu l'importance que le Barreau attache à ce genre de questions. Le comité était composé de dix personnes, cinq hommes et cinq femmes; de quatre praticiens en droit de la famille, donc quatre sur dix, c'est quand même une minorité, ce qui peut vous prouver que ce n'est pas qu'une question de femmes ou de droit de la famille, c'est beaucoup plus vaste que cela. De ces quatre praticiens, il y en a deux en pratique privée et deux qui pratiquent à l'aide juridique, donc il y a aussi un équilibre là, et il y en a deux de Montréal, un de Québec et un de province. On a également au comité du Barreau deux fiscalistes, dont un de Montréal et un de province. Celui de province est à ma droite et vous parlera tout à l'heure de l'aspect fiscal de la proposition. Il y a également au comité deux spécialistes en droit des assurances et en droit des successions, ainsi que deux spécialistes en rentes ou, enfin, en régimes de retraite.

Alors, le comité était, quand même, composé d'un éventail de spécialistes et était assez bien équilibré, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, cinq hommes et cinq femmes. Cela reflète peut-être la préoccupation que le Barreau a pour ces questions. Je vous dirai tout de suite que cela nous préoccupe à ce point parce que 50 % des couples sont encore mariés sous le régime de la séparation de biens, de sorte que c'est une question qui touche quand même à peu près 50 % des femmes encore, mais ce n'est pas qu'une question de femmes et l'exposé du mémoire que Me Borenstein vous fera dans quelques secondes vous le prouvera. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Merci, Me Vadboncoeur.

Mme Borenstein: M. le Président, je vais continuer en donnant les idées maîtresses qui nous ont animés lorsque nous avons fait le tour de la question. Une des idées maîtresses qui nous a animés était que le mariage est une institution impliquant un partage entre les conjoints. C'est avec grand plaisir que nous avons vu les déclarations de Mme Tremblay récemment où elle se référait au mariage comme à un partenariat et à une institution. Ce sont exactement les idées que nous avons et sur lesquelles nous nous sommes basés pour nos recommandations.

Notre expérience devant les tribunaux nous a amenés à la conclusion qu'on ne peut, ni ne doit ramener la vie de couple à une dimension purement économique et de reddition de comptes. Il faut éviter que l'un des époux n'ait à quémander son dû. Il faut éviter les redditions de comptes sur les attitudes, les gestes posés et les comportements des époux pendant le mariage. C'est tout à fait odieux d'avoir à le faire et c'est la situation qui existe en ce moment lorsqu'on va devant les tribunaux en particulier pour demander une prestation compensatoire.

En 1987, comme le disait Me Vadboncoeur, nous avons présenté un rapport qui voulait fournir aux autorités gouvernementales l'ossature d'une réforme des régimes matrimoniaux et du régime fiscal susceptible d'aplanir les injustices actuelles et de rétablir un meilleur équilibre entre l'égalité de droit et l'égalité de fait des conjoints. Or, plusieurs des recommandations portaient sur l'importance d'inclure les régimes publics et privés de pension dans les biens familiaux à être partagés automatiquement. Nous avons été très déçus de voir que cet élément primordial n'avait pas été retenu.

Un second point de déception consiste dans l'omission de traiter l'aspect fiscal de la vie familiale pourtant intimement relié à la sécurité économique des conjoints et, donc, au bien-être de la famille. Puisque nous parlons de bien-être de la famille, nous sommes également déçus de voir que, à cette table, il n'y a pas de représentant du ministre délégué à la Famille, car il s'agit d'une histoire de famille et qu'il n'y a pas, non plus, de représentant du ministre des Finances pour les réformes fiscales qui vont de pair avec les autres réformes, ainsi que de représentant du ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, car il y aura que des réformes importantes à faire au chapitre des rentes et également parce que les ajustements que nous demandons auront un effet sur la liste des assistés sociaux.

Je m'explique. Ne pas assurer une juste répartition des bénéfices de retraite entre les conjoints à la rupture, c'est, en outre, injustement transférer à un tiers, en l'occurrence à l'État, le fardeau de pourvoir aux besoins essentiels des membres de la famille alors que celle-ci a les moyens de s'en occuper. Donc, un partage des biens familiaux incluant les fonds de pension réduira de façon considérable les listes d'assistés sociaux et freinera le triste phénomène de la féminisation de la pauvreté que nous vivons à présent et qui affecte également les enfants de ces femmes démunies. Nous devons également viser l'implantation d'un régime fiscal susceptible de mieux refléter l'image de la famille et l'égalité des conjoints.

Afin de donner à la proposition gouvernementale sa véritable portée, il faut donc l'accompagner d'un élargissement de la définition des biens familiaux, d'une réforme des régimes privés de pension, comme cela s'est fait dans les autres provinces, de même que d'une réforme des règles fiscales.

Je vais donc passer la parole, premièrement, à Me Senécal, et, deuxièmement, à Me Fortin, qui vont entrer dans les implications plus détaillées des propositions. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Merci, Me Borenstein. Me Senécal.

M. Senécal (Jean-Pierre): Merci. En ce qui concerne les propositions gouvernementales portant sur les biens familiaux, nous sommes, d'abord, heureux de voir que le gouvernement a retenu l'idée que les biens familiaux doivent être définis. Il faut éviter vraiment de tomber dans les problèmes qu'on a connus en Ontario à la suite de la première réforme, celle de 1978, sur les biens familiaux, alors qu'on laissait, finalement, les tribunaux définir cela. On s'est mis à judiciariser à l'extrême les relations familiales, alors que, justement, on voulait plutôt qu'il devienne clair que les gens avaient des droits au plan du partage, par exemple, et qu'ils puissent être exercés facilement. Il est donc important que ce soit défini et nous souscrivons à cette idée.

Nous souscrivons à la proposition sur les biens familiaux présentée par le gouvernement, mais à deux réserves près. D'abord, on croit qu'il faut y inclure non seulement la résidence principale, mais également les résidences secondaires, puisque cela fait souvent partie d'une planification dans la famille. Il est fréquent dans une famille qu'on mette un immeuble au nom de l'un et l'autre, au nom du deuxième conjoint, justement, pour des raisons fiscales et des raisons de planification. C'est injuste si on ne partage pas également ces biens-là.

On peut prendre l'exemple très simple de gens pour qui la résidence familiale a été acquise dès le début du mariage, au nom de l'époux, en séparation de biens; donc, la résidence est à lui. À un moment donné, on fait l'acquisition d'un chalet et on dit à l'épouse: Comme la maison est déjà au nom de monsieur, le chalet sera au nom de madame. Ou, vice versa, la résidence est au nom de madame parce que monsieur a fait des

affaires et le chalet sera au nom de monsieur. On risque de se retrouver dans une situation où, à ce moment-là, la résidence de l'un sera partagée alors que celle qui est au nom de l'autre ne le sera pas. Si, par exemple, monsieur a accepté que la résidence familiale soit au nom de madame parce qu'il faisait des affaires et il voulait la mettre un peu à l'abri et qu'il a mis, ensuite, le chalet à son nom, on risque de se retrouver dans une situation où madame va devoir partager la moitié de la résidence qui lui appartient alors que l'époux conservera la sienne. C'est une situation qui risque de créer des incongruités. Il faut penser que la famille a vu cela dans un ensemble.

Le bien le p/us important qui n'a pas été inclus dans la proposition gouvernementale et qui nous paraît vraiment essentiel, fondamental, c'est l'inclusion des régimes de sécurité à la retraite, de tout ce qui concerne la sécurité à la retraite dans les biens familiaux. C'est véritablement aujourd'hui une nécessité de base au même titre que le logement, au même titre qu'un véhicule pour se déplacer. D'ailleurs, si on rencontre un couple et qu'on discute de sa situation financière, on va s'apercevoir que ce qui est fondamental pour ce couple à la base, c'est de se loger et c'est d'épargner pour ses vieux jours. C'est au coeur de la vie familiale et c'est essentiel.

Ce qui fait qu'un fonds de retraite souvent est au nom d'un seul des conjoints, c'est souvent le hasard de la vie ou la répartition des tâches qui a été faite au sein de la famille. Les époux se sont entendus pour qu'il y en ait un qui aille gagner à l'extérieur et que l'autre fasse sa part à la maison. Les époux ne se sont pas entendus pour qu'il y en ait un qui ne fasse rien et que l'autre travaille. Les époux se sont entendus pour que les deux travaillent, que les deux contribuent à la famille, mais chacun différemment. On ne va quand même pas reprocher à quelqu'un qui a fait le choix de cette répartition de tâches de l'avoir fait, parce que souvent ce sont et les enfants et les autres membres de la famille, et aussi l'État qui vont en profiter. (10 h 30)

L'habitude, les caractères culturels de la chose et des siècles derrière nous font que c'est souvent la femme qui reste à la maison et qui assume ce soin des enfants, encore que cela change. Mais, chose certaine, cela s'insère dans une répartition des tâches entre les conjoints. C'est, à ce moment-là, le hasard qui fait qu'il y en a un qui accumule le fonds de pension a son nom, tandis que l'autre n'accumule pas de fonds de pension en restant à la maison. Mais, pourtant, les deux travaillent pour la famille et les deux font leur part, à leur façon, pour la famille.

La loi ne vient pas reconnaître cela. Et, en faisant cela, la loi pénalise le conjoint qui reste à la maison. La loi fait reproche aux époux d'avoir choisi de faire une répartition des tâches entre eux et, à la limite, la loi encourage la mesquinerie en disant aux gens: Bien, écoutez, battez-vous pour déterminer lequel va aller sur le marché du travail ou, alors, on vous incite à aller tous les deux sur le marché du travail et qu'il n'y en ait pas un qui reste à la maison parce qu'on vous avertit: Celui qui reste à la maison, nous, le législateur, on entend le défavoriser ou ne pas reconnaître sa contribution. Cela n'a aucun sens! À la limite, il faudrait dire aux femmes: Écoutez, si vous voulez avoir la sécurité à la retraite, allez sur le marché du travail, convainquez votre mari de rester à la maison et vous compenserez un peu plus tard parce qu'il est resté à la maison et que vous, vous avez accumulé un fonds de retraite. C'est fondamentalement injuste au départ, cette idée et cela ne reconnaît pas la juste contribution de celui qui reste à la maison.

Je pense aussi que, lorsque la loi, dans le fond, donne des conséquences aux choix que les gens font dans une famille, elle se mêle de ce qui ne la regarde pas, elle s'immisce dans les choix familiaux. Elle n'as pas à faire cela. Elle a à être, me semble-t-il, la plus neutre possible, à offrir des services de garde si les gens veulent tous les deux aller sur le marché du travail et, s'il y en a un qui veut rester à la maison, à ne pas le pénaliser pour cela.

Il faut se rendre compte que la sécurité à la retraite, ce n'est pas un luxe. C'est tellement essentiel, surtout dans une société qui vieillit dans son ensemble, que l'État a mis sur pied un régime public pour assurer un minimum de base et l'État reconnaît que c'est un bien essentiel à la famille, justement, quand on ordonne que les régimes de retraite publics soient partagés advenant la rupture. On comprend mal qu'on ne fasse pas la même chose pour les régimes privés. Il y a comme un traitement différent et discriminatoire ici qui, finalement, ne trouve aucune explication.

La seule explication qu'on retrouve dans la proposition gouvernementale, c'est de dire: Écoutez, ce n'est pas un bien qui est utilisé au cours de la vie familiale. Quant à cela, les régimes publics, non plus. Et, pourtant, on accepte de les partager parce qu'on dit: Oui, mais cela a été préparé pendant la vie de la famille pour plus tard et cela répond aux besoins de base, aux besoins essentiels des individus. En fait, bien sûr, par nature, la sécurité de la retraite, c'est une chose à laquelle on doit penser d'avance. Ce sont des biens qui vont être accumulés pendant un certain temps et dont l'utilisation ne sera possible que s'il y a accumulation. Or, cette accumulation, elle a lieu nécessairement pendant la vie de la famille, pour une bonne part. C'est, au surplus, comme le document gouvernemental le reconnaît, un revenu différé. C'est un revenu qu'on gagne aujourd'hui pour utilisation ultérieure.

Ce revenu-là, la famille en est privée. Lorsqu'il arrive, on le met de côté pour plus

tard. C'est donc vraiment la famille, qui consacre des sommes à la sécurité de la retraite, qui est privée de ces sommes-là, parce qu'il faut bien penser que la plupart des régimes de retraite sont, d'abord et avant tout, contributifs de ia part de l'employé. La famille est privée de ces sommes-là, qui peuvent représenter 6 %, 7 %, 8 %, dans certains cas, 10 %, en disant: Bien, il faut en mettre un peu de côté pour plus tard. Peut-être que cela peut, dans certains cas, empêcher l'acquisition de biens familiaux. Les couples qui ont tout juste ce qu'il faut pour arriver, si, en plus, on prélève sur leur paie des sommes en vue de la sécurité de la retraite, cela fait des sommes de moins dont iis peuvent disposer quotidiennement. C'est peut-être un couple qui aurait pu acheter une résidence familiale, mais qui va rester à logement parce que les 10 $, 20 $ ou 30 $ qu'on enlève par mois ou par semaine pour la sécurité de la retraite auraient pu représenter une partie du paiement hypothécaire et on ne peut pas s'en passer.

Ces gens-là vont être privés d'un bien familial qui s'appelle la résidence familiale simplement parce qu'ils prévoient pour leurs vieux jours. On leur dit: Si vous aviez acquis une résidence familiale, on la partagerait à la rupture, mais parce que ce que vous avez acquis pour les deux, cela ne s'appelle pas résidence familiale, mais fonds de pension, cela, on ne le partage pas. Cela n'a aucun sens. Cela ne reconnaît pas que, pour bien des gens, la sécurité de la retraite est tellement importante qu'elle va probablement passer avant même les dépenses relatives à l'immeuble. Ils ne pourront peut-être même pas acheter de résidence familiale parce qu'on leur enlève cela directement sur leur paie et il n'en restera pas assez pour acquérir cette maison-là.

En fait, la question des fonds de pension ne peut pas être dissociée des autres biens familiaux comme la résidence. Cela s'inscrit dans un ensemble et c'est fréquent, lorsqu'on voit des gens qui font une planification ou qui pensent pour leurs vieux jours, de voir qu'ils le font sur deux niveaux en disant: Bien, d'abord, on se gagne une maison, cela nous donne un acquis. Plus tard, quand les enfants seront partis et que les sept ou huit pièces seront trop grandes, on s'en ira dans un petit logement et on aura de l'argent pour nos vieux jours; avec cela et notre fonds de pension, nous serons heureux. On dit aux gens: Ah, pas cela, une partie de cela est aux deux et le reste n'a rien à voir. Mais pas du tout, les gens ont accumulé cela ensemble, et ils ont mis cela ensemble. C'est tellement vrai que c'est ce qui a été reconnu dans toutes les autres provinces du Canada et dans un très grand nombre d'États américains, que c'était indissociable des autres biens familiaux. C'est assez curieux et un peu paradoxal de voir que le Québec, jusqu'en 1978, était à l'avant-garde au Canada dans la justice économique entre les conjoints, et on s'en est félicité avec raison pendant longtemps. Alors que dans toutes les autres provinces il y avait la séparation de biens, au Québec on avait la société d'acquêts. Il faut bien le dire, la moitié de la population maintenant est sous ce régime qui assure une justice distributive extrêmement importante entre les conjoints. Pendant très longtemps, nous avons eu, d'abord, la communauté de biens, ensuite, la société d'acquêts qui assuraient un partage à une large partie de notre population. Les autres provinces n'avaient rien à ce sujet et nous étions à l'avant-garde. Je me souviens d'une époque où les gens venaient voir ici pour savoir comment cela se passait. On ne vient plus, sur les biens familiaux, voir au Québec comment cela se passe parce qu'on a pris, finalement, depuis dix ans un retard absolument considérable en la matière.

Ce qui est arrivé, c'est qu'en 1978, après les deux premiers jugements de la Cour suprême dans Rathwell et Murdoch, où la Cour suprême a dit: La situation faite aux femmes en séparation de biens est absolument injuste et invraisemblable, cela n'a aucun sens, le ministre fédéral de la Justice a réuni ses homologues provinciaux et ils se sont dit: II faut faire quelque chose parce que c'est inacceptable. Toutes les provinces se sont entendues pour adopter une notion de patrimoine familial avec partage. Au Québec, on s'est dit: On n'en a pas vraiment besoin, on a déjà la société d'acquêts. Toutes les autres provinces, les neuf, et les territoires ont adopté des législations là-dessus prévoyant les biens familiaux, dans tous les cas. Chez nous, pour 50 % de notre population, ça allait, il n'y avait plus de problème pour ceux qui sont en communauté de biens et en société d'acquêts, mais on ne s'est pas préoccupé, sauf par le biais de la prestation compensatoire, de régler le problème de ceux qui étaient en séparation de biens. Or, la prestation compensatoire, c'est un nid à chicanes, cela fonctionne difficilement parce que nous lisons, dans tous les jugements de la Cour d'appel: Comment voulez-vous demander à des époux de tenir une comptabilité fidèle de toutes leurs contributions et de tout ce qu'ils ont fourni? Ce sont des gens qui vivent un partenariat, ce ne sont pas des comptables. Ce sont des gens qui vivent une famille. Et on va essayer de voir ce que cela représente et on ne comptera pas ce que chacun est obligé de fournir, de toute façon, au mariage. C'est tout à fait inacceptable de penser que la prestation compensatoire est la seule solution.

Depuis dix ans, dans les autres provinces, il y a donc partage et au Québec il n'y en a aucun pour les gens qui sont en séparation de biens. Les gens en société d'acquêts, oublions-les et, pour ceux en communauté de biens, il n'y a pas de problème. Mais; pour ceux qui sont en séparation de biens, et c'est 50 %, le problème est énorme et n'a pas été réglé. Dans toutes les provinces, soit que la loi le dise expressément, soit que les tribunaux l'ont décidé avec la loi

qu'il y avait là, il a été décidé que les régimes de retraite faisaient partie des biens familiaux partageables, sauf au Québec. Même le fédéral a adopté une loi sur le partage des régimes supplémentaires de rentes, qui permet aux conjoints de prévoir, lors de la rupture, un partage des fonds de pension, sauf que cette loi est inapplicable au Québec parce qu'il faut que la législation le prévoie. Les gens peuvent bien s'entendre, les tribunaux ne peuvent pas les contraindre à le faire, on ne peut pas en tenir compte.

Est-ce que ce partage est une mesure souhaitée ou est-ce qu'elle fait problème dans la population? Je suis en pratique et je vois régulièrement des gens, toutes les semaines je me retrouve devant le juge pour des divorces, des séparations. Et j'en vois d'autres qui me consultent parce qu'ils veulent savoir ce qui se passe dans leur couple. Tous ceux que je rencontre, y compris les maris, sont étonnés quand ils apprennent, par exemple, que la résidence familiale et les biens familiaux, cela n'existe pas au Québec et qu'il n'y a pas de partage automatique. Cela leur paraît invraisemblable. Tellement que - cela m'est arrivé encore récemment - il y a des maris qui vont carrément soulever la question devant leur avocat: Naturellement, je dois donner la moitié de la résidence à ma femme lors du divorce? On lui dit: Non, vous n'êtes pas obligé en vertu de votre régime matrimonial. Ils disent: Ah, oui? Cela paraît tellement évident que le fait que ce ne soit pas le cas, ils trouvent cela carrément grossier et stupéfiant. Ils sont surpris, carrément.

Qu'on ne me dise donc pas que les gens ne s'attendent pas qu'il y ait un partage des biens familiaux. Quand on leur demande si la sécurité de la retraite fait partie de cela, pour eux, c'est évident puisque c'est quelque chose qu'ils ramassent durant la vie du couple. Je ne dis pas qu'il n'y a pas des gens qui, une fois qu'ils ont appris la nouvelle, disent: Franchement, dans le fond, je suis très content de me retrouver avec plus que ce à quoi je pensais. On est un peu tous comme cela. Mais, au départ, ils auraient trouvé juste qu'il y ait partage et ils sont surpris qu'il n'y en ait pas. Donc, il y a des attentes considérables dans la population à ce sujet. Le partage qui a été vécu dans les autres provinces, il est très bien accepté, il est accepté comme quelque chose de normal. Je ne vous dis pas que tout le monde est heureux d'être obligé de donner la moitié de certains biens au conjoint, quand cela arrive, mais les sondages révèlent que les gens trouvent cela normal. Entre autres, un sondage sur les régimes de retraite a démontré que, effectivement, les gens s'attendent que cela fasse partie des biens partageables. Merci.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me Senécal. Me Fortin.

M. Fortin (Jean-Marie): Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames et messieurs. Un des éléments importants pour le Barreau du Québec concernant le sujet dont nous traitons aujourd'hui est la fiscalité qui entoure toute la question de la sécurité économique des conjoints. C'est un aspect que la proposition gouvernementale semble avoir négligé. C'est pour cette raison qu'à la présentation du mémoire que nous faisons ce matin nous avons également ajouté le mémoire que nous avions présenté il y a un an et demi, où les propositions d'ordre fiscal sont reprises. L'importance de la fiscalité en matière matrimoniale vient du fait que la fiscalité, aujourd'hui, touche tous les aspects de la vie. C'est un avantage pour un fiscaliste de dire: Je fais de la fiscalité parce que je peux faire une multitude de choses, de pratiques à partir de la naissance ou de la conception de quelqu'un jusqu'à son décès. C'est aussi, très souvent, un inconvénient de voir que la fiscalité s'introduit partout, dans la vie de tous les jours.

À partir de la notion de base suggérée par la ministre selon laquelle le mariage est une institution de partenariat, il faut en déduire quelque part que l'on veut favoriser la notion de partage. Quand on parle de sécurité économique, on veut certainement indiquer qu'un partage économique doit se faire également. Quand on parle de sécurité économique, on veut aussi favoriser la notion de partage lors de la dissolution. Avant de parler de dissolution, il faut peut-être se rappeler pourquoi l'institution du mariage a été faite et ce qu'il y a derrière l'institution du mariage. Notre Code civil prévoit déjà que les conjoints, les deux époux sont égaux dans le mariage. Donc, l'institution du mariage doit tendre à une égalité et la discussion sur les biens familiaux amène une base de l'égalité et de la sécurité économique des conjoints. On ne peut que se féliciter que la position du gouvernement veuille assurer une base entre les conjoints pour, justement, éliminer la judiciarisa-tion des débats sur la sécurité économique de base. (10 h 45)

Par contre, les lois fiscales actuelles, et surtout au Québec, ne favorisent pas ce transfert entre conjoints. Je vous donne certains exemples. L'article 2. 1 de la Loi sur les impôts du Québec, ainsi que l'article 256. 1 nous disent que, lorsqu'un régime matrimonial établit d'une façon indéfinie une propriété d'un bien, c'est l'administrateur du régime qui sera présumé le propriétaire de ce bien et, lorsqu'il y a dissolution du régime matrimonial, si le bien part d'un lot qui est celui de l'administrateur et qu'il se ramasse dans l'autre lot, il y a un transfert réputé. Cela veut dire de façon pratique ceci: si vous êtes dans une situation de communauté de biens, monsieur sera réputé être le propriétaire des biens. Lors de la dissolution de la communauté, si lors du partage vous prenez un bien et que vous l'amenez dans le lot de madame, tout

simplement par le mécanisme normal de la séparation de la communauté, vous allez avoir une disposition présumée; toutes les règles d'attribution pouvant s'y appliquer, il pourra aussi y avoir transfert ou non de la fiscalité. On se ramasse très souvent dans des discussions très orageuses parce que la fiscalité ne respecte pas en ce sens au Québec le fait qu'en droit civil on dise: Très bien, madame, dans mon exemple, est présumée être propriétaire depuis le début.

Il y a plusieurs exemples qu'on pourrait donner pour démontrer ici que la fiscalité provoque à l'heure actuelle beaucoup plus d'avantages à divorcer qu'à rester unis par le mariage. En 1982, il y a eu en Ontario une étude où on avait découvert 52 raisons fiscales avantageuses de divorcer plutôt que de rester mariés. Pourquoi favoriser la famille si nos lois fiscales tendent à défaire cette union-là et à faire en sorte que ce soit plus avantageux de divorcer que de rester mariés? On a, d'ailleurs, actuellement au Québec un recours collectif dans le district de Terrebonne qui tente d'établir qu'il y a une équité entre les gens mariés et les gens non mariés et on demande au gouvernement de remettre une grande quantité d'argent aux gens mariés parce qu'ils paient plus d'impôt. Je ne veux pas entrer dans le débat; c'est à se demander qui est préjudicié dans cela, mais, chose certaine, on voit par cet exemple-là que la fiscalité ne favorise pas l'institution du mariage; au contraire, elle la défavorise.

Si, à l'intérieur de l'établissement des biens matrimoniaux, on accepte la notion de copropriété indivise des biens familiaux, il faudrait que nos lois fiscales correspondent à cette volonté-là et n'amènent pas d'inéquités lors de la dissolution pour faire en sorte que cela ne soit pas plus avantageux, dans un sens comme dans l'autre, d'avoir des biens familiaux qui sont au nom de l'un ou de l'autre.

Mais nous pensons que la fiscalité doit aller plus loin que de protéger la notion des biens familiaux et de s'assurer de son équité totale sur le plan fiscal. Si l'institution du mariage doit voir au partage, pourquoi considérer que chaque partage qui se fait entre conjoints se fait dans une notion de fraude ou de tentative de fraude devant le fisc québécois? Et cela, c'est l'attitude que l'on a très souvent. Un exemple: on peut maintenant, depuis 1980 - avant, c'était défendu - partager ses biens ou partager des revenus dans une société. Avant, il était impossible que des conjoints puissent être associés ensemble. Aujourd'hui, on le permet, mais encore faut-il démontrer que les revenus que monsieur donnerait à madame dans un partage de société, ce serait raisonnable, alors que, si moi, comme avocat, je participe dans une société aux revenus d'un associé, que nous participons ensemble, on n'aura pas de discussion sur la façon de faire notre partage. Déjà, là, on voit que, au-delà des biens de base familiaux, la fiscalité n'aide pas plus les couples qui veulent ensemble pratiquer ou avoir une entreprise. Si on veut aller au-delà de cela, si la notion du mariage implique le partage, pourquoi ne pas permettre que tout partage que les parties voudraient faire ensemble, de consentement, puisse également s'intégrer dans la notion du partage familial lui-même et permettre, à ce moment-là, que tout transfert se fasse en franchise d'impôt?

À ce niveau-là, le Barreau avait fait, dans son étude de 1987, certaines recommandations qui permettent d'atteindre ces notions de partage en enlevant l'impression qu'il y a une fraude fiscale qui peut se faire. On a aux États-Unis ce qu'on appelle le "family joint return" où on permet à deux conjoints de produire un rapport d'impôt et de niveler leurs charges fiscales parce qu'on considère, dans ce sens-là, que le partage fiscal, équivaut, sur le plan fiscal - je le dis bien ici - à une sorte d'entité économique. Il y a des revenus qui sont à la base - et en économie, c'est une base économique - de la notion du mariage, sauf que ce que l'on fait à ce moment-là, c'est qu'on permet de payer de l'impôt à un plus bas revenu. On dit à madame: Tu vas payer de l'impôt sur un revenu supérieur pour niveler la charge fiscale, mais on n'assure pas la sécurité économique du conjoint pour autant.

Ce que l'on propose ici, c'est d'être en mesure de faire ce fractionnement de revenu fiscal en disant, par exemple: Si monsieur - mes chiffres sont peut-être exagérés, mais, quand même, ils illustrent bien ce que je veux dire - gagne 75 000 $, que madame en gagne 25 000 $, que l'on veuille faire un partage fiscal de la charge fiscale pour améliorer la situation économique de la famille, monsieur pourra demander à madame de se taxer sur 25 000 $ de plus et, lui, se taxer sur 25 000 $ de moins, chacun payant son impôt sur 50 000 $. Cela, c'est la situation américaine.

Mais on dit ici, pour vraiment assurer la sécurité économique des conjoints, que ceci devrait se faire, mais que, s'il y a un partage, il y a un transfert des revenus qui se fait: que monsieur donne 25 000 $ à madame; elle s'imposera sur 25 000 $ et ils s'imposeront tous les deux sur 50 000 $. À ce moment-là, on pourrait nous demander: Est-ce qu'il n'y a pas un danger que l'argent soit utilisé à d'autres fins que celles du ménage ou de la famille? On n'a qu'à retourner au Code civil où les deux doivent contribuer aux charges du ménage en fonction de leur capacité contributive. Les deux ont la capacité d'un revenu de 50 000 $ et, par cela, la fiscalité, au lieu d'être un empêchement à un mariage et une incitation aux divorces ou aux unions libres, sera un incitatif à l'institution du mariage. Je pense qu'on peut se le dire franchement. La famille est à la base de toute société, qu'elle soit moderne ou ancienne.

Alors, à l'intérieur des propositions que le Barreau a faites, ce partage de la charge fiscale devrait être accepté. On devrait enlever la

notion de fraude ou de collusion négative lorsqu'il y a des transferts de biens qui se font entre conjoints. C'est rare qu'on fait des transferts uniquement pour fins fiscales entre conjoints. On les fait beaucoup plus parce qu'ils sont motivés par le sentiment de la famille ou du couple. Ce qui les désavantage, dans certains cas, c'est, justement, la fiscalité. Sur ce plan, on empêche bien plus souvent qu'autrement la sécurité économique de la Québécoise, au moment où on se parle.

C'étaient les remarques principales que j'avais à faire sur la fiscalité, en incitant la commission à approfondir davantage les recommandations que nous avions faites l'an passé pour, à tout le moins, s'assurer et assurer la population que, si des notions civiles sont modifiées et proposées, le droit fiscal suive. Le droit fiscal doit être du droit d'application et non pas du droit substantif. À l'heure actuelle, ce que l'on fait, c'est que l'on crée de la substance par la fiscalité, qui va à rencontre de la volonté sociale en matière familiale. Merci.

Le Président (M. Filion): Merci. Est-ce que cela complète votre présentation verbale? C'est bien cela, oui. Encore une fois, merci aux représentants du Barreau. J'ai cru, quant à moi, reconnaître, autant dans votre mémoire de mai 1987 que dans celui de septembre 1988, ainsi que dans votre présentation ce matin, le fruit d'un engagement profond du Barreau vers la recherche d'une plus grande justice distributive, comme le disait Me Senécal tantôt, entre conjoints. Donc, c'est avec grand plaisir que je constate que la corporation à laquelle appartiennent plusieurs personnes autour de cette table fait preuve d'autant d'engagement sans, toutefois, être prévenue de quelque façon que ce soit dans un domaine comme celui-là.

Le Barreau nous dit: On a un retard accumulé important au Québec. Je pense que ceux qui ont vécu l'expérience ou ceux qui ont pratiqué un peu ou côtoyé ce milieu du droit matrimonial seront à même de le confirmer. C'est un fait et, au-delà de toute partisanerie politique, je pense bien qu'il, ressort de l'ensemble de nos travaux qu'il est temps de donner un coup de barre de ce côté.

La prestation compensatoire est un échec. Je pense que cela a été constaté. Cela a pris peu de temps, peu d'années. Habituellement, en droit, un nouveau concept est expérimenté pendant au moins une dizaine d'années avant de connaître son jugement. Dans ce cas-ci, la prestation compensatoire a été cernée assez rapidement comme concept. Ses failles sont ressorties très rapidement, autant par les jugements de la Cour supérieure et de la Cour d'appel que par les articles des commentateurs et analystes.

Selon ce que vous nous dites, le patrimoine familial, c'est une bonne idée, sauf qu'il y a une nécessité de bien le définir. Par exemple, vous mettez les législateurs en garde contre le fait d'avoir un beau concept, mais une coquille qui serait trop floue et qui susciterait plus de litiges qu'autre chose. Vous attirez également notre attention sur la question de la résidence secondaire avec des arguments qui méritent d'être bien analysés.

Ma question porte un peu sur le commentaire du Barreau concernant l'inclusion des régimes privés de retraite dans le patrimoine familial. Évidemment, pour moi, la question des fonds de pension privés fait partie d'une certaine façon de l'ensemble des biens des époux. C'est un peu ma question, en fait, et je vais l'adresser à Me Senécal. Évidemment, pour un policier de la Communauté urbaine de Montréal, comme je le disais récemment en commission parlementaire, son fonds de pension est très important. Il est très généreux et il fait partie de ses avantages sociaux, en somme. Il en va de même pour la plupart des salariés à l'emploi des corporations publiques, des corporations parapubliques ou des corporations privées de moyenne et de grande envergure. Mais, pour les travailleurs qui sont à l'emploi d'entreprises de petite envergure ou pour des professionnels, le fonds de pension prend une tout autre forme.

Par exemple, il n'est pas rare de rencontrer des gens qui vont dire: Je boursicote un peu et c'est mon fonds de pension pour mes vieux jours. Bonne chance depuis l'an dernier, mais enfin... D'autres vont nous dire: Je me suis familiarisé avec l'immeuble. J'ai acheté un petit immeuble de quatre logements. Je l'ai revendu. Je viens d'acheter un immeuble de huit logements, etc. Enfin, bref, il y en a qui se bâtissent un petit patrimoine immobilier. D'autres choisiront d'autres formes de sécurité. On le sait, les fonds de pension, c'est une sécurité, mais avec l'inflation, les vieux jours ne sont pas toujours aussi roses quand vient le temps de toucher les chèques des fonds de pension. Donc, plusieurs personnes cherchent des façons plus musclées de protéger leur période d'inactivité à la fin de leur vie et choisissent donc d'investir dans des secteurs d'activité qui ne sont pas des fonds de pension.

Vous voyez venir ma question aisément. Est-ce que se rendre à votre recommandation d'inclure les fonds de pension privés dans le patrimoine familial ne créerait pas une forme d'injustice envers tous ces couples où l'un ou l'autre des deux conjoints choisirait une autre forme de sécurité? Même, en poussant peut-être un peu plus loin, est-ce que cela ne constituerait pas une forme de désincitation économiquement justifiée ou pas, peu importe, à cet investissement? Mais c'est peut-être pousser trop loin, revenons à la question: Est-ce que ce ne serait pas une injustice dans les cas où les fonds de pension ne sont pas des fonds de pension privés, mais plutôt des investissements dans des biens?

J'adresse ma question à Me Senécal parce que c'est lui qui, je pense, a abordé de la façon

la plus directe toute la question des fonds de pension.

M. Senécal: Au fond, ce que vous soulignez avec justesse, c'est que les fonds de pension ne sont pas la seule façon d'investir en vue de la retraite. Effectivement, toutes les économies peuvent servir en vue de la retraite. Ce qui les distingue fondamentalement, c'est que certaines économies ont pour but de faire de la spéculation. C'est tellement vrai que celui qui joue à la Bourse, j'espère que ce n'est pas avec son fonds de pension parce qu'il risque de se ramasser sans fonds de pension. Il y a ici un aspect de spéculation qui s'ajoute, qui est presque à l'opposé de la sécurité de la retraite où l'aspect de la sécurité est très important. S'il est vrai que tous les biens que l'on possède un jour ou l'autre finissent par servir ou devraient finir par servir, il y a des biens qui, spécifiquement, sont rattachés à un but précis, en l'occurrence la retraite. (11 heures)

L'une des choses qu'il faut rappeler dès le départ, c'est que le Barreau trouve importante la liberté de choix. C'est l'une des hypothèses que nous avons posées dans notre mémoire, et nous le disons. On est d'accord que les époux conservent un choix quant à leur régime matrimonial et on ne veut pas imposer à tout le monde, de plein droit, la société d'acquêts parce que cela ne fait pas l'affaire de tout le monde et qu'on veut laisser une certaine liberté aux époux à ce sujet.

Là où on se dit que ce n'est plus une question de liberté, mais vraiment une question sociale et une question de justice fondamentale, c'est pour les biens de base de la famille. Quand on parle de quelqu'un qui a une entreprise, quand on parle de quelqu'un qui fait des investissements à la Bourse, ce ne sont plus les biens de base de la famille. Ce sont les biens de base qui sont au coeur de la vie familiale qui doivent être partagés. Tous les biens ne sont pas nécessairement au coeur de la vie familiale. Ce que nous disons, c'est que les biens qui, spécifiquement, ont été accumulés en vue de la retraite sont au coeur de la vie familiale puisqu'il s'agit d'une nécessité de base par opposition au luxe, au surplus. On compte sur le fait que, déjà, le législateur a tout un train de mesures législatives qui distinguent certains biens et qui créent une incitation à distinguer certains biens d'autres biens par rapport au but de ces biens, en l'occurrence, la retraite.

Je donne ceci comme exemple. Un compte de banque, c'est vrai que, pour bien des gens, cela peut ressembler à un REER - qui est à la banque parce que les deux, dans le fond, sont déposés. Mais à partir du moment où le législateur donne un incitatif fiscal à investir dans la retraite, cela fait qu'une partie des biens est détournée, et la famille et les citoyens sont incités à mettre une étiquette sur ces biens, à les sortir des autres biens. La même chose pour les fonds de pension privés qui jouissent d'un traitement fiscal particulier.

Donc, le législateur incite les citoyens à mettre une étiquette très précise sur certaines de leurs épargnes. Ces épargnes, qui sont au moins la base, qui sont identifiées spécifiquement comme devant servir à la retraite, doivent être considérées comme faisant partie des biens familiaux. Il n'est pas nécessaire d'inclure toutes les épargnes dans les biens familiaux parce que le législateur a déjà créé un incitatif à identifier certaines de ces épargnes et à en faire une catégorie à part.

À partir du moment où le législateur a déjà tout un régime particulier qui pousse le citoyen d'une façon forte, parce que cela peut représenter des économies très importantes qui peuvent aller jusqu'à 50 % dans certains cas ou même 60 % actuellement sur le dollar marginal, on incite le citoyen à dire: Ce dollar, au lieu de te mettre à la banque pour mes vieux jours dans un compte ordinaire, je vais le mettre dans un régime d'épargne-retraite. À ce moment-là, il vient de lui mettre une étiquette particulière: bien familial. Le législateur a dit aussi: On ne peut pas mettre dans ces régimes spéciaux de retraite n'importe quoi, selon un montant indéfini ou indéterminé. Un millionnaire ne peut pas dire: Moi, je mets chaque année 1 000 000 $ de côté pour ma retraite. Il peut bien le faire, mais, fiscalement, ce n'est pas reconnu. On a fixé un plafond pour cela. On a dit, par exemple, 15 000 $, 7500 $, selon les époques, etc. Cela peut donc éviter pour l'État de se ramasser avec des fonds de pension qui n'ont plus d'allure et que, finalement, tous les biens des individus soient à l'épargne pour la retraite. Cela veut dire aussi que, pour le citoyen ordinaire qui sera pris avec le partage des biens familiaux ou qui va le vivre, il y a une espèce de sécurité. Il sait que tous les ans il ne peut mettre plus d'un certain montant dans ses REER ou dans ses fonds de pension. Donc, si, une année, il a vraiment beaucoup d'argent, il n'y a pas de danger que ces sommes entrent dans les biens familiaux et que cela lui soit retiré alors que cela n'est pas son intention parce qu'il y a un plafond au fonds de pension, au régime de retraite, à ce qui est fiscalement déductible d'impôt. Donc, l'État, déjà, par son système, protège un peu le citoyen qui ne voudrait pas que tous ses biens passent dans les biens familiaux et, en même temps, l'État - et cela est magnifique - incite les gens à identifier certains biens en vue de la retraite et, donc, nous facilite la tâche quand on dit: On va les inclure dans les biens familiaux. Je ne sais pas si cela répond complètement?

Mme Harel: Quelle belle démonstration! Le Président (M. Filion): Oui, Me Fortin.

M. Fortin (Jean-Marie): J'aimerais ajouter ceci permettez-moi de relier tout de même la

fiscalité à ce que vous mentionnez: Je pense que la fiscalité répond aussi à votre question. À partir du moment où de plus en plus de lois sont unanimes à faire quelque chose, cela démontre jusqu'à un certain point que l'objectif est à peu près unanime. Toutes les lois fiscales canadiennes permettent exactement les mêmes déductions lorsqu'on parle de Régime enregistré d'épargne-retraite ou de régime de pension enregistré. Par contre, toutes les fiscalités canadiennes n'ont pas la même intonation ou incitation quand on parle de régime spéculatif. Par exemple, on a au Québec le Régime enregistré d'épargne-actions qui est unique au Canada; il n'y a aucune autre province qui a un régime identique parce que c'est un outil d'activité économique que le législateur a voulu imposer. La même chose pour les actions accréditives où on n'a pas le même traitement fiscal que le fédéral. Alors, déjà, il y a une notion différente quant au véhicule fiscal que vous utilisez et l'objectif pour lequel il a été posé.

Maintenant, pour aussi répondre à votre question, si vous avez un particulier qui désire placer à )a retraite, mais qui a un peu plus de notion ou de goût du risque, la fiscalité actuelle des fonds de pension le permet par un Régime enregistré d'épargne-retraite autogéré. Il peut, selon certaines normes, placer aussi à la Bourse ou dans des actions cotées à la Bourse. Déjà, vous permettez, jusqu'à un certain point, dans les régimes enregistrés de retraite actuels, à celui qui veut spéculer un peu plus, même dans l'immobilier, de le faire à l'intérieur de son Régime enregistré d'épargne-retraite. Sur l'aspect spéculation, quand on regarde les commentaires que l'on fait à gauche et à droite sur le krach de l'an passé, au Québec, on avait à peu près 35 % de la population qui avait des placements à la Bourse de Montréal. C'est un phénomène nord-américain inégalé ailleurs. Depuis un an, on est revenu à environ 8 % de la population québécoise qui place à la Bourse.

Alors, l'aspect spéculation, ce n'est pas un aspect de base; l'aspect de placer pour la retraite dans un revenu sûr, un placement plus sécuritaire, c'est une notion de base.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me Fortin, tout en soulignant que c'est malheureux que le ministre des Finances ne soit pas avec nous. Tantôt, j'avais les oreilles bien ouvertes quand vous avez souligné que notre fiscalité actuelle, quand vous avez redit ce qu'on commence à savoir - mais, malheureusement, il se passe peu de choses à ce niveau, il faut quand même le déplorer - que la fiscalité actuelle désavantage les gens mariés. Quant à moi, je retiens la suggestion, et peut-être qu'on pourra en discuter un peu plus tard, la suggestion que vous faites d'une franchise fiscale qui puisse couvrir l'ensemble des transactions issues du partage du patrimoine familial. Je pense que c'est une première. Quant à moi, c'est la pre- mière fois que cet argument est soulevé, mais il est sûrement fort intéressant. Encore une fois, vous devrez m'excuser si je quitte. Je laisse la parole à la ministre déléguée à la Condition féminine.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Merci de votre présentation et de votre excellent mémoire. On voit que, comme plaideurs, vous êtes véritablement au coeur des différends que vous devez régler entre les conjoints et que vous êtes très sensibilisés à toute la problématique que vivent de nombreux couples, et en particulier les femmes.

Je vois que dans votre mémoire vous êtes d'accord avec le partage, mais avec un partage plus élargi. Vous y incluez, entre autres, les résidences secondaires, les régimes privés. Vous y incluez aussi une part plus considérable par rapport aux meubles; je pense aux objets d'art, aux oeuvres d'art, etc., ce qu'on ne voyait pas dans le document. Vous avez aussi d'excellents arguments qui militent en faveur de l'intégration des régimes privés, aux pages 2, 3, 4 et 5 de votre mémoire. Comme Mme la députée de Maisonneuve le faisait remarquer tout à l'heure, vous avez aussi très bien décrit les régimes privés.

L'aspect fiscal. Effectivement, vous êtes le premier groupe à toucher à l'aspect fiscal. Il faut dire que, comme le document est un document de consultation, que ce n'est pas un projet de loi, nous ne sommes pas allés jusqu'à toucher à cet aspect fiscal, mais je dois vous dire qu'il est tout à fait intéressant et tout à fait normal que l'on touche à cet aspect fiscal. Je pense à toutes les règles d'attribution, aux transferts de propriété.

Mes prochaines questions toucheront, entre autres, l'aspect fiscal, à la page 8 de votre mémoire où vous mentionnez qu'il faut considérer la pension alimentaire versée à un conjoint comme un revenu gagné aux fins des régimes de retraite, de rente et de pension. J'aimerais que vous m'expliquiez exactement ce que vous voulez dire par cela. C'est quoi exactement?

M. Fortin (Jean-Marie): Dans la fiscalité actuelle, lorsque quelqu'un veut souscrire à un Régime enregistré d'épargne-retraite, le maximum de sa contribution est basé sur son revenu gagné. Alors, votre revenu gagné sera du revenu de salaire, du revenu d'entreprise, mais on exclura le revenu d'intérêt ou le revenu de bien, parce qu'on dit: Vous ne gagnez pas ce revenu-là, c'est gagné par vos capitaux. À ce moment-là, lorsqu'on est en situation de mariage... Présumons un exemple où monsieur est le seul à avoir du revenu gagné. Il pourra donc, pour le futur, pour la retraite, placer dans un régime d'épargne-retraite des sommes équivalentes, jusqu'à un maximum cette année de 7500 $, à 20 % de son revenu. Cela est en fonction, dans notre concept, de revenu de retraite du couple ou de la famille

dans le futur. À partir du moment où on défait le lien matrimonial et que la seule source de revenu demeure le salaire de monsieur, que monsieur transfère à madame par voie de pension alimentaire des sommes d'argent, pour madame, ce revenu-là n'est pas un revenu gagné et elle ne peut donc pas se constituer un fonds de pension de son côté, même si on allait jusqu'à dire: On va diviser la pension alimentaire de telle sorte que les revenus soient 50-50. Alors, tout simplement en ajoutant dans la notion de revenu gagné la notion de pension alimentaire, on pourra, dans les mains de madame, lui permettre aussi, si elle le désire, à même ce partage économique de ce qu'était avant l'entité de la famille ou du couple, de capitaliser pour le futur et, elle-même, de se constituer un fonds de pension pour le futur.

Mme Gagnon-Tremblay: À la page 14 de votre mémoire, vous suggérez aussi que l'on tienne compte dans le calcul de la valeur nette du patrimoine familial, plus particulièrement, dites-vous, dans le caicul du passif des charges fiscales... C'est-à-dire que vous parlez du passif des charges fiscales éventuelles. Pourriez-vous préciser le type de charges auxquelles vous faites référence quand vous parlez de charges fiscales éventuelles, lorsqu'on parle du calcul de la valeur nette du patrimoine familial?

M. Fortin (Jean-Marie): Par exemple, et je vais revenir au fonds de pension, si vous avez un homme qui a un fonds de pension de 40 000 $ et que, lors de la dissolution du mariage, vous voulez faire ce transfert de 40 000 $, il faut tenir compte du fait que la valeur économique des 40 000 $ n'est pas 40 000 $, mais 40 000 $ moins la charge fiscale qui y est rattachée, parce que le fonds de pension, c'est de l'impôt différé. Très souvent, devant les tribunaux, le juge va dire: Monsieur va transférer 40 000 $ à madame à titre de prestation compensatoire ou de somme globale. Monsieur a un fonds de pension de 40 000 $ et il va le verser à madame, il va le transférer à madame. Cela se fait entre les conjoints à l'heure actuelle en franchise d'impôt. Lorsque madame retirera les 40 000 $, c'est elle qui va payer l'impôt dessus. Et si elle les retire d'un coup sec, c'est 50 % de pénalité ou 47 % et quelque chose. C'est 20 000 $, la valeur nette de ce bien-là. Donc, il faut s'assurer que le partage se fasse en fonction d'une dette fiscale attachée et, en commercial, on appelle cela l'impôt reporté. Alors, il faut en tenir compte.

Un deuxième exemple. On peut avoir sur tous les biens tout autre bien donnant lieu à des gains en capitaux dans le futur. Par les règles d'attribution, à l'heure actuelle, on va faire en sorte que... D'abord, par le roulement fiscal qui se fait entre conjoints, on va permettre le transfert de biens entre conjoints en franchise d'impôt. Si on ne fait pas les bons choix, ce sera madame dans le futur qui va être imposée sur la plus-value de l'immeuble pendant le temps où monsieur l'avait. Alors, si ce n'est pas un bien familial, il faut tenir compte du fait qu'il y a peut-être une plus-value qui a appartenu à monsieur pendant qu'il en était propriétaire et soit forcer un choix fiscal faisant en sorte que la fiscalité s'applique ou bien attribuer une valeur économique nette de cette charge fiscale dans le futur lorsque madame en disposera à ce moment-là. Je pense qu'il y a une équité à aller chercher sur ce plan pour que, lors de la dissolution du mariage, on maintienne cette notion de partage des biens familiaux et non familiaux qu'on avait l'intention de maintenir dès le départ. On part du principe que, quand on est en mariage et quand on se marie, c'est une notion de partage. Quand on divorce, bien, il faut se rappeler qu'initialement c'était l'objectif. Si on veut que le partage se fasse en fonction de l'objectif initial, il faut faire attention que les charges fiscales respectent cette notion-là et n'attribuent pas la fiscalité à l'un ou à l'autre, ou forcent des choix où la plupart du temps c'est celui qui a la force économique la plus importante qui peut imposer sa position. (11 h 15)

Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Je trouve cela très intéressant.

M. Senécal: Excusez-moi. Ce que l'on veut souligner aussi, c'est que c'est important de le préciser dans la législation, parce qu'il arrive à l'occasion ou il est arrivé... Quand Jean-Marie parlait tantôt de fonds de pension, en fait, ce sont les REER, parce que les fonds de pension ne se partagent pas. Ce sont les régimes enregistrés d'épargne-retraite qui peuvent être transférés; actuellement, l'impôt le permet. Il peut arriver dans certains cas, lorsqu'un tel transfert est fait, que le juge à qui s'est présenté oublie de tenir compte de l'impact fiscal et donc ce n'est pas, par exemple, 15 000 $ nets qui sont transférés ou 40 000 $, mais une somme bien moindre. C'est utile de le préciser dans la législation pour que les tribunaux n'oublient pas d'en tenir compte et les praticiens aussi.

Mme Gagnon-Tremblay: Dans votre document, vous semblez être contre l'augmentation du montant minimal de la créance de celui qui entend saisir la résidence familiale, c'est-à-dire qui passerait dans notre document de consultation de 5000 $ à 10 000 $. Par contre, vous semblez d'accord avec les 70 % concernant la vente forcée. Hier, la Confédération des caisses populaires venait nous sensibiliser à toute la problématique de la vente forcée et semblait nous dire que 70 %, c'est beaucoup trop élevé, étant donné la valeur de cet immeuble vendu justement de façon forcée, et que, compte tenu du fait que l'on hypothèque souvent 70 % ou 75 % de la valeur, dans plusieurs cas, il pourrait être difficile de revendre ces immeubles jusqu'à concurrence de 70 %. J'aimerais vous entendre un

peu là-dessus, parce que vous semblez, d'une part, être contre le fart d'augmenter la créance saisissable à 10 000 $ et, d'autre part, vous semblez d'accord avec les 70 % de la vente forcée.

Mme Borenstein: Si vous me permettez de répondre à votre question, ce que l'on veut sur les deux points, sur les 5000 $ ou 10 000 $, ou sur les 70 %, c'est l'uniformité, c'est-à-dire ne pas avoir un traitement spécial lorsque l'on parle de résidence familiale ou de biens meubles. Que ce soit 5000 $ ou 10 000 $, on veut que ce soit uniforme, pas seulement dans le cas de la résidence familiale ou des meubles, mais que ce soient les articles du Code de procédure civile qui s'appliquent en tout cas pour la saisie. De la même façon, la vente d'un immeuble, que ce ne soit pas seulement la vente de la résidence familiale, mais la vente d'un immeuble en général dans le Code de procédure civile. Que ce soit 70 %, ou 60 %, ou 50 %, ce sera à déterminer, mais que ce soit uniforme et non seulement vis-à-vis de la résidence familiale.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Quant à la prestation compensatoire, vous précisez qu'elle ne devrait s'appliquer qu'aux biens dits non familiaux qui toucheraient davantage les femmes collaboratrices. Par contre, on a eu une excellente suggestion du Conseil du statut de la femme et je pense de certains groupes qui sont venus nous dire: II arrive dans plusieurs cas qu'il n'y a pas de résidence familiale, qu'il n'y a pas de résidence secondaire; il peut y avoir un voilier, par exemple, ou des régimes de pension, mais malgré tout cela qu'il y ait une entreprise, et il pourrait arriver que, lors de la dissolution du régime, on n'ait pas ou très peu de biens familiaux à partager, mais qu'on ait quantité d'autres biens. Ces groupes nous suggéraient de conserver la prestation compensatoire pour ces cas très spécifiques, au cas où il n'y aurait pas de biens à partager.

Mme Borenstein: Mais nous sommes tout à fait d'accord avec ceci, parce qu'il s'agirait de la prestation compensatoire pour les biens non familiaux et c'est exactement ce que nous disons. S'il y a des biens familiaux, ils sont partagés; s'il n'y en a pas ou s'il y en a très peu, le principe de la prestation compensatoire serait appliqué aux biens non familiaux tels que l'entreprise.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord, merci.

M. Senécal: Je pourrais ajouter ceci: On est d'accord qu'avec la réforme la prestation compensatoire demeure utile dans son champ d'application. Ce que l'on veut éviter, c'est qu'elle ne s'applique aux biens familiaux, comme on le voit aux États-Unis, par exemple, où ce genre de mesure, loin d'aider, nuit. Si on permettait la prestation compensatoire pour les biens familiaux, ce serait ouvrir la porte à un partage inégal des biens familiaux pour toutes sortes de considérations. Cela veut dire que la moindre cause serait contestée. Un mari pourrait dire: J'ai des chances que ma femme, au lieu d'en avoir la moitié, en ait seulement 30 %, je vais m'essayer. Il faut vraiment éviter les batailles entre époux. Je pense que, si les biens familiaux sont très clairement définis... Ce qui est merveilleux en société d'acquêts et en communauté de biens, c'est qu'il y a très peu de litiges devant les tribunaux, il n'y en a pratiquement pas. Tout se règle parce qu'on sait ce qu'il faut partager. On dit: On n'a pas le choix, la moitié de cela, c'est la moitié de cela. On va discuter un peu sur la valeur du bien, sur les dettes, mais c'est extrêmement rare qu'on plaide en société d'acquêts ou en communauté de biens. Le gros avantage en étant précis sur les biens familiaux et en évitant le plus possible la discrétion judiciaire, c'est qu'on évite toutes les batailles. De toute façon, on ne vient pas prêcher pour qu'il y ait de plus en plus de litiges et donc de plus en plus d'avocats occupés là-dessus, mais, au contraire, pour qu'on évite les litiges qui font tellement mal dans ce domaine.

Mme Gagnon-Tremblay: Je pense que ce que vous dites est tout à fait juste. Cela m'amène à une dernière question concernant les mesures transitoires. Vous êtes contre cette mesure transitoire d'accorder aux couples déjà mariés en séparation de biens une période de trois ans pour pouvoir renoncer. Je comprends que, au départ, ce n'est pas le délai comme tel, je pense que ce que vous voulez éviter, c'est qu'il y ait davantage de pressions sur un conjoint, davantage de disputes aussi. Par contre, on a aussi beaucoup de personnes qui nous contactent depuis que nous sommes en commission parlementaire et qui nous font valoir qu'ils ont déjà réglé, entre conjoints séparés de biens, le partage de certains biens; plusieurs femmes sont déjà propriétaires d'immeubles, et ainsi de suite. Ces personnes semblent un peu troublées du fait qu'on viendrait s'ingérer dans le règlement de vie qu'ils ont déjà choisi. Est-ce que cela veut dire que vous êtes carrément contre toute mesure ou si vous pourriez, malgré tout, être d'accord pour une mesure qui serait de moins longue durée? Êtes-vous carrément contre cette mesure?

M. Senécal: Nous sommes radicalement contre l'idée même, peu importe le délai. Cette question est très importante et on doit y apporter toute la réponse qu'il faut. Souvent, on entend parler des droits acquis: On a des droits acquis pour telle chose. Je pense qu'il faut vraiment placer toute cette question dans son contexte. Il y a une notion juridique au départ qui explique toute votre philosophie sur cela, sans compter les considérations sociales, ne serait-ce que juridiquement. Lorsque le Parlement

adopte une loi correctrice - et c'est de cela qu'il s'agit - c'est une loi qui vise à régler des difficultés, à apporter un remède à des problèmes. Une loi correctrice, c'est nécessairement d'application immédiate; cela vise nécessairement à corriger une situation, actuelle ou passée, puisque cela vise à apporter un remède. Une loi correctrice en droit, par essence, est d'application immédiate et ne fait pas référence aux droits acquis. Quand on veut corriger des iniquités, il ne s'agit plus de droits acquis. En droit, on va discuter des droits acquis, par exemple, au niveau municipal ou à d'autres niveaux régulièrement, mais, quand le Parlement adopte un remède à un problème, il ne s'agit plus de droits acquis, le Parlement dit: Justement, il y a des problèmes, il y a des maux, il y a des bobos, et c'est ce qu'on veut régler actuellement. C'est de cela qu'il s'agit dans une mesure correctrice. Il faut penser aussi que, chaque fois que l'État pense que socialement une mesure est nécessaire, comme c'est le cas du partage des biens familiaux, il est tout à fait justifié de dire: C'est comme cela à partir de maintenant et à partir d'aujourd'hui.

Je souris toujours un peu quand je rencontre des gens qui, à l'occasion, vont me parler des droits acquis. Il faut voir la réforme qui a été faite depuis dix ans en droit de la famille, qui a fait perdre des droits considérables aux femmes, et on n'avait jamais parlé de droits acquis. Quand on a dit aux épouses: Votre contrat de mariage qui contient une donation de 25 000 $ au décès, à partir d'aujourd'hui, ce n'est plus bon, l'État pense que, socialement, lors d'un divorce, il ne faut plus continuer à traîner cela. Comme individu, vous avez pensé le contraire lorsque vous avez fait votre contrat de mariage, mais l'État doit voir le bien général, et le bien général dans notre perspective, ce n'est pas correct qu'une fois divorcés - on veut que vous recréiez une autre famille, etc. - que vous traîniez des boulets. On dit: II faut écarter la loi privée des parties. On l'a fait joyeusement, on a dit: Vos contrats de mariage, mesdames, ne valent plus rien. Quand on a dit à l'épouse qui avait un contrat de mariage... Il y en a des tonnes en séparation de biens, c'était la règle. Les gens écrivaient: Article 1, séparation de biens. Article 2, l'époux s'engage à assumer seul les charges du ménage et on ajoutait à l'occasion: Si madame y consacre quelque chose, elle ne pourra pas réclamer, mais des fois cela n'y était même pas puis elle pouvait réclamer. Donc, elle disait: Je renonce à un partage de biens importants, mais mon mari dit qu'il va être le seul à faire vivre la famille. Mais le 2 avril 1981, ces contrats de mariage-là sont devenus sans effet et nuls. Ces femmes-là ont perdu tout recours, ont perdu tout droit à ce niveau-là, et ce sont des sommes considérables. On leur a dit: Socialement, ce n'est pas acceptable; si on accepte l'égalité, cela veut dire que vous devez assumer les charges de la famille tous les deux.

Eh bien, on le leur a retiré comme cela, joyeusement, sans aucune réserve, en disant: On pense que socialement c'est nécessaire. C'est la même chose ici. Socialement, l'État dit: II faut corriger des injustices; socialement, c'est nécessaire le partage des biens familiaux. Alors, l'État à partir d'aujourd'hui dit: Cela va être comme cela, les biens familiaux vont être partagés. Cela a été comme cela dans à peu près toutes les juridictions où on a adopté la question des biens familiaux, et vous avez mis le doigt sur la raison fondamentale. Si on permet aux gens de s'exclure, les dangers que cela implique, c'est que, finalement, lorsqu'on permet à des époux de se déchirer pour en arriver... Si la pression est assez forte, il ou elle va finir par signer pour renoncer à tel droit. On va finalement défavoriser les familles, leur nuire, et je pense que vous l'avez bien souligné en disant qu'on allait favoriser les déchirements, les engueulades et peut-être même provoquer des ruptures. Merci.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: M. le Président, je vais me retenir du plaisir que j'aurais à vous reposer les questions similaires à celles de Mme la ministre pour avoir le plaisir d'entendre de tous les quatre des réponses aussi claires. D'entrée de jeu, malheureusement, j'ai peu de temps, mais je souhaitais quand même laisser à mon collègue de Taillon la possibilité de vous interroger puisque cela vous a permis de faire l'illustration assez éloquente des arguments qui plaident en faveur de l'inclusion des régimes privés de retraite et, par ce fait même, de contrer les arguments des adversaires qui prétendent qu'il faudrait tout mettre, y compris les épargnes, etc., pour justifier le fait de ne pas y inclure les régimes privés de retraite.

Alors, comme vous avez fait cette démonstration, je voudrais par ailleurs faire une première remarque avant de poser mes questions et elle sera très brève, M. le Président. Il faut le constater, c'est intéressant de voir que le Barreau, loin d'être à la défensive sur ses champs de pratique, est au contraire, je dirais, à "l'avancé" à démontrer sa capacité de proposer des changements majeurs, des changements fondamentaux au législateur. Je vous en félicite, Me Borenstein et Me Vadboncoeur. Je sais que vous suivez de très près depuis maintenant des années toute la question de la réforme, notamment, du Code civil.

J'aurais souhaité que le ministre de la Justice reste avec nous; c'était sa première visite, elle a été un peu courte. J'espère qu'il reviendra parce que je veux, au nom des groupes qui vous ont précédés et de ceux qui vont venir aussi, lui poser une question sur son échéancier. Puisque nous sommes à deux ans de la mise sur pied du comité sur les droits économiques des conjoints, à un an du rapport, nous ne sommes

toujours que devant un document qui n'est ni un avant-projet ni un projet de loi. Nous aurons sans doute, et je l'espère, à vous entendre à nouveau lors du dépôt du projet de loi lui-même pour que nous puissions examiner article par article ce que votre expertise de légistes peut nous y indiquer.

Alors, nous nous trouvons donc devant un document. J'aurai l'occasion, je l'espère, de poser la question de l'échéancier au ministre. Cependant, puisque vous êtes avec nous et qu'il y a des questions vraiment intéressantes, je conclus sur cette remarque en vous disant que c'est quand même intéressant de voir que le Barreau, et je notais, Me Borenstein, à l'introduction de )a prestation que vous nous faites, que vous insistiez sur le fait qu'il faut éviter que l'un des époux ait à quémander son dû. Je note également, dans le mémoire que vous nous présentez, que vous insistez sur la nécessité de déjudicia-riser les rapports et d'éviter les discrétions judiciaires - on retrouve cela à la page 10 - une trop grande discrétion judiciaire, dites-vous. (11 h 30)

Vous notez également - je vais simplement le signaler pour les fins de nos travaux - dans le mémoire... Mme la ministre vous a parlé des mesures transitoires. Vous signaliez qu'il fallait envisager les nouvelles dispositions du patrimoine partageable plus comme une mesure correctrice d'ordre public et, donc, comme une politique à caractère social. Vous notez également dans votre mémoire que la renonciation ne devrait pas être possible, mais vous proposez une modalité intéressante. Je ne sais pas si vous voulez vous prononcer là-dessus. C'est celle qui consiste à signaler que le partage devrait se faire en valeur. Peut-être voudriez-vous prendre les quelques minutes qui nous restent pour nous expliquer ce que vous entendez par là.

J'aimerais également signaler que votre mémoire propose une bonification du mécanisme de partage des rentes publiques. Vous proposez qu'il ne soit plus nécessaire de faire une demande lors d'un jugement, mais qu'au contraire il ne soit plus possible d'y renoncer et que cela ne soit plus sujet à prescription, comme c'est le cas maintenant - je pense que c'est deux années après le jugement - et que, donc, cela devrait se faire à la suite de la signification par le tribunal; cela devrait se faire par la Régie des rentes dès qu'il y a signification du jugement. Je pense que cela serait intéressant de vous entendre là-dessus.

C'est plus à votre collègue qui s'occupe des questions fiscales, Me Fortin, que je voudrais poser mes questions. D'une part, vous êtes le premier - je pense que vous serez sans doute le seul - qui, devant la commission, abordez toute cette dimension du droit fiscal en regard de la famille. C'est à la page 8 essentiellement. J'aimerais vous interroger là-dessus.

Me Fortin, vous nous dites que l'institution du manage est défavorisée par la fiscalité actuellement. Vous nous avez dit, avec raison, que la famille était à la base de toute société. Évidemment, il ne faut pas confondre famille et mariage, étant entendu qu'il y a près de 200 000 familles qui sont en union de fait au Québec et à qui le législateur doit s'intéresser également.

Vous nous avez assez bien illustré - et je vous en remercie - vous nous avez donné divers exemples où il y avait défavorisation. Est-ce qu'il ne faut pas, par ailleurs, faire bien attention au fait qu'actuellement la fiscalité est incohérente pour tout le monde? Parce que, en vous entendant, j'ai craint qu'on n'ait l'impression qu'on favorisait les conjoints de fait et qu'on défavorisait les conjoints en mariage. J'ai eu à travailler de très près à un dossier qui est celui des femmes pauvres dans la société, bénéficiaires de l'aide sociale. Présentement, d'une façon assez systématique, dans le cadre des visites à domicile, l'État cherche un homme dans la vie de ces femmes pour le rendre responsable de leur entretien à elles et de celle de leurs enfants dont il n'est généralement pas le père, puisque c'est le nouvel ami de la mère, sans qu'il y ait pour autant obligation alimentaire en vertu du Code civil et sans que pour autant il y ait possibilité pour cet homme, s'il voit à l'entretien de cette femme et de ses enfants, de bénéficier des déductions fiscales pour personnes mariées ou pour enfants à charge.

D'autre part, si cette femme, comme vous le mentionniez en regard de la pension alimentaire - j'écoutais attentivement la réponse que vous donniez à Mme la ministre - a un revenu d'emploi, la pension est considérée comme un revenu gagné et est imposable. C'est uniquement lorsque madame n'a pas de revenu d'emploi et qu'elle reçoit une pension alimentaire que, là, ce n'est plus un revenu gagné. Par ailleurs, si madame est conjointe de fait, sans revenu d'emploi, son conjoint ne peut pas avoir la déduction, mais, si elle est conjointe de fait, si vous voulez, sans homme dans sa vie et si elle reçoit de l'aide sociale, il est évident que l'aide sociale ne reconnaîtra pas ce revenu comme l'équivalent d'un gain de travail admissible. Mais, si elle va sur le marché du travail, elle devra alors additionner sa pension comme revenu imposable. Il y a une incohérence qui, dans une certaine mesure, présentement, en matière de fiscalité - vous me permettrez une mauvaise expression - arrose un peu tout le monde. Je ne sais pas s'il serait plus opportun d'exiger toute une reconsidération en matière familiale, en examinant d'une certaine façon à la fois les incohérences pour les couples qui sont mariés tout autant que pour ceux qui sont en union de fait. Je ne sais pas si vous avez déjà eu l'occasion d'examiner plus à fond cette question?

M. Fortin (Jean-Marie): À l'heure actuelle, quand on regarde la fiscalité, je pense qu'on peut facilement dire que la fiscalité est beaucoup

plus avantageuse pour les couples de fait que pour les couples mariés. Il y a de moins en moins de raisons fiscales de se marier, si on parle de fiscalité, et, une fois mariés, il y a de plus en plus d'avantages à divorcer fiscalement, sur une base économique. Je ne vous parle pas uniquement...

Mme Harel: Est-ce que cela vaut uniquement pour les couples qui ont des biens à partager?

M. Fortin (Jean-Marie): Pas uniquement pour les couples qui ont des biens à partager. Prenez toute la question des exemptions qui sont maintenant des crédits d'impôt. Je vous donne seulement un exemple sur la question des charges familiales que la fiscalité reconnaît comme devant, d'une part, être en franchise d'impôt, comme mesure de sécurité de base. J'ai déjà eu à plaider ce qu'était l'indigence. Entre autres, un des critères pour moi était la reconnaissance du revenu non imposable, alors que la base politique dit ceci: Si tu veux voter, paie tes impôts. Mais quelque part, on dit qu'il y a des besoins essentiels sur lesquels on ne devrait pas être imposé. Sur cette base, en fiscalité, on avait, jusqu'à la dernière réforme, les exemptions personnelles qui sont maintenant des crédits d'impôt. Les crédits d'impôt sont attachés à la personne. Si vous avez un couple marié qui a deux enfants, fiscalement, il est beaucoup plus avantageux que ces personnes divorcent et qu'une personne prenne un enfant à charge, aille chercher l'exemption ou le crédit d'impôt pour enfant à titre d'équivalent marié, que l'autre conjoint, devenu l'ex-conjoint, prenne l'autre enfant à charge et aille chercher le crédit d'impôt à son tour pour un autre enfant à titre d'équivalent marié également. Vous retirez ainsi plusieurs milliers de dollars en crédits d'impôt supplémentaires.

Vous avez donc là une mesure personnelle qui, quand on l'applique en soi, sans regarder la base même de sa fiscalité, est plus avantageuse pour un couple non marié que pour un couple marié. Je ne veux pas entrer dans la discussion, à savoir si on devrait favoriser les couples non mariés par rapport aux couples mariés. Je pense que c'est une question sociale et que c'est votre rôle de faire un choix là-dessus. Ma réponse n'engage que moi, mais à ce chapitre, vous devez faire le choix, si vous voulez regarder la fiscalité, pour savoir si ia fiscalité doit être un moteur d'activité économique pour les couples. Dans le dernier budget, on a une politique que j'ai qualifiée plus de nataliste que de familiale. J'aurais préféré qu'on y attache le nom de politique familiale par les subventions que l'on donne au premier enfant né, au deuxième et au troisième. Mol qui en ai quatre, je me suis dit: Mon Dou! qu'est-ce qui m'arrive à moi? Est-ce que cette affaire peut être rétroactive?

Je pense que, si on laisse la notion natalis- te à ce programme, on manque une belle possibilité d'être les promoteurs de la famille, de ce lien économique qui peut être beaucoup plus productif et qui est en fait plus productif qu'une union de fait ou que des personnes divorcées. Si vous voulez me parler des familles monoparentales, cela coûte extrêmement cher. La Cour suprême l'a retenu dans l'arrêt Gagnon: il est clair qu'il en coûte plus cher à un couple séparé qu'à une seule entité. C'est pourquoi la loi reconnaît à la base un certain fractionnement de revenu pour les personnes divorcées, quand il y a une pension alimentaire. Rattacher à cela la fiscalité des individus eux-mêmes, je pense qu'on ne parle plus de la même chose. On parle d'une union de fait et c'est un choix social que deux personnes font. La fiscalité y répond actuellement d'une façon très avantageuse. Lorsque deux personnes veulent s'unir pour former un couple, se marier et former ce qu'on appelle une famille, au sens juridique du terme, j'entends, à ce moment-là, la fiscalité les défavorise. Il y a un choix à faire. Il est vrai que des iniquités se font à ce sujet.

Mme Harel: Me Fortin, c'est intéressant. Par ailleurs, je vous avoue que, compte tenu des autres dossiers dont j'ai a m'occuper comme porte-parole de l'Opposition, ce n'est pas convaincant parce que vous me donnez l'exemple de l'équivalent de personnes mariées. Par ailleurs, je pourrais vous citer l'équivalent d'enfants à charge, l'équivalent de personnes mariées pour les enfants à charge qui, malgré tout, avec le dernier budget du ministre des Finances, va se trouver à être bien tempéré par l'introduction de la nouvelle cohabitation d'un an. Vous avez sans doute pris connaissance de cette nouvelle disposition qui va faire que les conjoints de fait, les chefs de famille monoparentale qui ont un nouveau conjoint de fait, même s'il n'est pas le père de leur enfant, vont devoir, après un an, en vertu donc de ce nouveau budget, déclarer la cohabitation et ils ne seront plus admissibles à l'équivalence des gens mariés pour l'enfant. C'est dans le dernier budget.

Par ailleurs, tantôt, vous citiez le droit de voter qui est beaucoup plus associé à la citoyenneté qu'au fait d'être contribuable.

M. Fortin (Jean-Marie): Je vous parle des vieilles notions...

Mme Harel: Oui, mais disons que la notion actuelle...

M. Fortin (Jean-Marie):... de base qui existaient...

Mme Harel:... c'est plus la citoyenneté.

M. Fortin (Jean-Marie):... quand même au Canada.

Mme Harel: Oui.

M. Fortin (Jean-Marie): Quand on fait ces recherches dans le temps, on retrouve la base des exemptions personnelles qui, à ce moment-là, étaient une grosse question. Quand on a introduit au Canada, en 1917, la notion d'exemption de base sur 2000 $ de revenu, c'était énorme dans le temps. La question qu'on se posait: Est-il constitutionnel de le faire parce que, pour que quelqu'un puisse voter, il faut qu'il puisse contribuer? Là, on éliminait une série de gens.

Mme Harel: D'accord.

M. Fortin (Jean-Marie): Alors, ce sont de veilles notions.

Mme Harel: Disons qu'on peut s'entendre certainement sur une chose, c'est que ce n'est pas à l'État de faire des choix. Il faut laisser la pleine possibilité de faire des choix aux personnes dans notre société. Alors, l'État doit certainement réviser complètement la fiscalité qui ne l'a pas été et qui repose toujours sur une sorte de conception du paterfamilias pour toute la fiscalité. C'est pour cela que c'est intéressant - je conclus là-dessus - qu'il est intéressant que vous nous en parliez parce qu'il n'est pas possible d'introduire l'égalité juridique sans introduire pour autant des modifications majeures en matière fiscale et modifier cette conception du paterfamilias de la fiscalité d'un homme pourvoyeur, d'une femme à la maison, et cet homme pourvoyeur peut utiliser des déductions pour cette personne, des déductions pour ses enfants à charge, même quand ils sont adultes, s'ils sont aux études; pour la fille, jusqu'à ce qu'elle se marie et le garçon jusqu'à ce qu'il aille travailler. C'est comme cela, c'est sur ce fondement que notre fiscalité repose. Cela vaut autant pour les conjoints de fait que pour les personnes en mariage.

Je conclus que le Barreau nous indique déjà d'excellentes recommandations, y compris celles d'allouer la déduction de personne mariée, si elle est maintenue au conjoint, plutôt qu'au pourvoyeur - je pense que c'est une excellente recommandation - y compris celle de considérer comme un revenu gagné la pension alimentaire versée au conjoint. Je vous remercie pour ces pistes que vous nous apportez.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Mme la députée de Maisonneuve. Je vais reconnaître M. le député de Marquette, adjoint au ministre de la Justice.

M. Dauphin: Oui, merci, M. le Président. À mon tour, au nom du ministre de la Justice, de vous remercier d'avoir participé à nos travaux et à nos auditions, et pour la qualité de la préparation et de la présentation de votre mémoire. C'était très clair. Je me joins à Mme la ministre déléguée à la Condition féminine et à Mme la députée de Maisonneuve pour vous féliciter de votre excellent mémoire.

Je sais que mon temps est presque écoulé, bien que je n'aie pas ambitionné sur le temps jusqu'à maintenant. Je n'ai pas l'intention non plus de reprendre tout ce qui a été dit. Cependant, Me Senécal, vous disiez tantôt qu'une liste limitative comporterait l'aspect qu'on recourrait moins souvent aux tribunaux, étant donné que ce serait plus clair; quand tout est clair, il y a moins de chances de judiciarisation. Cependant, vous nous proposez à un certain moment que, pour les trois ans précédant la cessation de la vie commune, le tribunal ordonne un versement compensatoire, à moins qu'il ne soit prouvé que le produit du bien aliéné ou grevé a été utilisé au bénéfice de la famille. Et, un peu plus loin, si le bien avait été aliéné en deçà du délai de trois ans, il serait toujours possible de recourir aux tribunaux. (11 h 45)

J'aimerais vous entendre sur cela. Vous dites, d'un côté, qu'il faut judiciariser le moins possible. Par une mesure semblable, est-ce que vous n'êtes pas d'accord que cela - je ne ferai pas de la politique toute ma vie - nous aiderait probablement en pratique à avoir plusieurs causes éventuellement? Vous comprenez le sens de ma question, au fond?

M. Senécal: Oui, absolument. Cela fait référence à l'une des propositions gouvernementales avec laquelle nous étions particulièrement d'accord et que nous avons trouvée très intéressante. Il y a un groupe qui l'a peut-être déjà soulevé, mais nous n'en avions pas fait état et nous étions tout à fait d'accord avec ce que vous avez proposé. Lorsque vous avez dit: Écoutez, si quelqu'un aliène un bien familial et que survient une rupture ensuite, est-ce qu'il ne faudrait pas prévoir pour le tribunal le droit de dire que ce bien fraîchement aliéné fera partie des biens familiaux? Le cas classique. On peut supposer que monsieur vend la résidence familiale, ou prenons une automobile, il n'a pas besoin du consentement de sa femme. Il vend son automobile juste avant le divorce. S'il s'agit de la dernière "minoune" achetée au coin de la rue à 600 $, il n'y a pas trop de problème; mais, s'il s'agit de sa Mercedes, cela fait peut-être une différence.

Alors, si quelqu'un aliène un bien familial juste avant le partage, pour éviter justement qu'il ne fasse partie du partage, c'est peut-être une bonne idée de donner au tribunal le pouvoir d'ordonner que ce bien dont on vient de disposer soit inclus dans les biens partagés. On y voyait une difficulté, mais on était tout à fait d'accord avec la proposition. On s'est dit: Écoutez, c'est quoi la limite? Il faut tout de même favoriser aussi la liberté des transactions. On a dit qu'on était d'accord pour que la personne reste propriétaire du bien pendant le régime pour éviter

que cela ne prenne toujours le consentement des deux, sauf pour la résidence familiale et les meubles. Est-ce qu'on va remonter à il y a 15 ou 20 ans? Madame va dire: II y a 20 ans, monsieur a vendu telle chose. J'ai le droit de réclamer quelque chose, ou monsieur va dire... Alors, on s'est dit: II faut peut-être mettre une limite. On a suggéré trois ans en faisant référence au nouveau livre que vous allez peut-être adopter sur la prescription dans le projet de réforme du Code civil, le délai de trois ans qui est déjà prévu ailleurs dans le Code civil actuellement. On s'est dit: Que votre proposition s'applique, c'est-à-dire que le juge ait le droit de rattacher un bien fraîchement vendu aux biens familiaux au partage après un certain temps, mais qu'à l'intérieur de trois ans cela soit automatique. Autrement dit, pendant les trois premières années, on évite la judiciarisation et on dit à monsieur: Vous avez vendu votre auto il y a six mois, elle fait partie des biens familiaux à partager. Il y a dix ans, vous avez vendu une automobile, cela a été consommé, cela servait à la famille, etc. Sauf qu'il y a peut-être des cas de fraude, passé trois ans, qui vont être rarissimes. Surtout avec le fardeau de la preuve dont on parle, on veut que le conjoint défavorisé dans cela ait le droit de dire: Écoutez, il y a un bien qui a été aliéné il y a quatre ou cinq ans, mais vraiment en fraude de mes droits, allez le chercher et incluez-le dans les biens familiaux. Que ce soit possible de faire cette demande-là, mais il y a toute une côte à remonter. C'est le sens de notre proposition. Dans la mesure où la côte est dure à remonter et plus les années passeront, ce sera évident, il n'y aura pas de litige, ce sera pour les cas frauduleux seulement. Donc, déjà, cela va être plus limité. Je pense que sur ce plan c'était simplement pour apporter une précision a votre proposition.

J'ai oublié tantôt un argument à apporter quand Mme la ministre déléguée à la Condition féminine a posé la question: II y a des femmes actuellement qui sont propriétaires d'une résidence familiale et qui sont très inquiètes, à savoir si cela est inclus dans les biens familiaux. Je dis que c'est une raison supplémentaire pour inclure le partage des rentes. Ces femmes qui sont propriétaires de la résidence familiale, si on ne leur donne rien en retour, elles ne comprendront pas. Si on leur dit: Oui, écoutez, cela s'inscrit dans une réforme globale, vous avez droit à la moitié des fonds de retraite de votre époux, bien, cela fait toute une différence. Souvent, les rentes sont d'un montant supérieur à la résidence familiale. Par ailleurs, il y a bien sûr le principe que, si c'est bon pour les hommes, c'est pour les femmes, etc. Je m'excuse d'avoir oublié cet argument-là.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. En conclusion, Mme la ministre?

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, avant de conclure, je voudrais souligner la présence de mon collègue et ministre délégué à la Famille, Robert Dutil, qui est venu se joindre à nous. Je pense que cela montre bien que c'est un problème. Quand on se marie, on crée une véritable institution, un véritable partenariat. Ce n'est pas uniquement une affaire de femmes, mais bien une affaire de famille. Je suis tout à fait heureuse de constater que notre collègue s'est joint à nous.

Je voulais tout simplement vous remercier, tous quatre, pour l'excellente présentation. On voit que vous avez quand même une expertise qui est de longue date dans ce dossier. Je suis persuadée qu'on aura sûrement recours à vos bons services à un moment donné ou à votre expertise dans l'élaboration d'un projet de loi sur le partage des droits économiques. Merci infiniment.

Le Président (M. Marcil): Bien, merci beaucoup...

Une voix: Merci de nous avoir reçus.

Mme Borenstein: Merci de nous avoir reçus.

Le Président (M. Marcil):... de vous être prêtés à cette audience. Nous allons suspendre les travaux pour une minute.

(Suspension de la séance à 11 h 52)

(Reprise à 11 h 53)

Le Président (M. Marcil): À l'ordre, s'il vous plaît! Je demanderais au Comité exécutif provincial des cercles de fermières du Québec de s'approcher.

Nous reprenons nos travaux. S'il vous plaît, M. Dauphin.

Je demanderais aux membres des... Est-ce que, les membres du Comité exécutif provincial des cercles de fermières du Québec, vous pouvez vous avancer, prendre place en avant? Nous allons débuter immédiatement.

S'il vous plaît, si vous voulez regagner vos places.

Mme Noëlla Huot, présidente provinciale, Mme Lise Nicole, vice-présidente, de même que Mme Marthe Hunt, conseillère régionale. Vous connaissez un peu la procédure de cette audience. Nous avons une enveloppe d'environ 60 minutes et vous laissons immédiatement la parole.

Comité exécutif provincial des cercles de fermières du Québec

Mme Huot (Noëlla): Madame et monsieur les ministres, bonjour à chacun, en tout cas. La présentation de mes compagnes est faite, cela va. Alors, il nous fait plaisir ce matin de présenter le point de vue des cercles de fermières du Québec. Au tout début, nous devons bien admet-

tre, on l'admet bien sincèrement, que nous ne sommes pas des spécialistes en droit, mais que notre spécialité vient du vécu et des besoins de nos membres, c'est-à-dire des femmes. Soit dit en passant, les diverses positions que le Barreau vient d'exprimer nous touchent et nous plaisent; en tout cas, à première vue, il y en a plusieurs et je tiens à le souligner.

Les cercles de fermières du Québec c'est une association sans but lucratif ayant pour principal objectif la défense et la promotion des intérêts de la femme et de la famille. Ils prennent part depuis plusieurs années aux différents débats sociopolitiques. Les cercles de fermières existent depuis 1915; alors ce n'est pas une association qui est née d'hier. L'autonomie des individus et l'égalité entre les hommes et les femmes ont toujours été au coeur de nos préoccupations. Nos 60 000 membres - c'est quelque chose - réparties en 870 cercles locaux proviennent de régions tant rurales qu'urbaines et de tous les milieux sociaux. En cela et en bien d'autres aspects, elles sont représentatives d'une bonne partie de la population québécoise. C'est pourquoi, lorsqu'elles réfléchissent individuellement et collectivement sur des projets ou des politiques à caractère social, elles le font dans une véritable perspective d'équité collective respectueuse de chacun des individus qui composent notre société.

Les cercles de fermières du Québec, selon nos structures démocratiques, fonctionnent très démocratiquement - c'est le cas de le dire - dans les cercles, au palier régional et au palier provincial où sont votées, à chacune de ces instances, toutes les prises de position à la suite d'études que font nos membres. Nos nombreuses prises de position reflètent l'opinion de nos 60 000 membres.

Depuis plusieurs années, les cercles de fermières ont multiplié leurs interventions soit en agissant à titre consultatif en compagnie d'autres associations poursuivant des objectifs similaires, soit en rendant publics des avis et mémoires reflétant concrètement leurs points de vue et formulant leurs recommandations. Déjà, en 1945, les cercles de fermières recommandaient la reconnaissance économique du travail fait au foyer. C'est quasiment honteux de dire que, 40 ans après, le problème n'est pas réglé. Ensuite, en 1979, dans un mémoire sur la politique d'ensemble sur la condition féminine, les cercles de fermières faisaient état de nombreuses recommandations qui touchaient les régimes matrimoniaux et l'autonomie des conjoints dans le mariage. En 1980, à la suite du projet de loi 89, nous présentions également un mémoire qui relatait nos recommandations touchant la résidence familiale, le régime de séparation de biens, etc. En 1984, le mémoire sur les femmes au foyer et les régimes de retraite abordait largement le sujet des droits économiques des conjoints. On pourrait en retenir quelques points majeurs; il y avait entre autres la revision du droit matrimo- nial pour y inclure les rentes de retraite comme actif du ménage, la résidence familiale choisie par les époux reconnue comme telle sans être enregistrée, le partage égal entre les conjoints des crédits de retraite, privés et publics, le partage automatique des crédits de retraite lors du divorce, l'exemption pour personne au foyer transformée en crédit d'impôt remboursable, la participation des femmes au foyer au Régime de rentes du Québec et la réforme en profondeur des régimes de retraite, privés et publics. En 1986, nous insistions auprès des autorités compétentes pour qu'accélère le processus de réforme en profondeur du Code civil du Québec, notamment au chapitre du droit matrimonial, en spécifiant notre volonté d'y voir clairement déterminée la notion de biens familiaux. Nous nous réjouissons, c'est bien sûr, de la décision du gouvernement du Québec de tenir une commission parlementaire sur les droits économiques des conjoints; il répond ainsi à nos demandes. Je voudrais dire aussi en passant que nous avons appuyé les recommandations du projet partage visant la création d'une catégorie de biens familiaux.

Aujourd'hui, appelés à commenter et à émettre leur avis sur le document consultatif présenté en juin 1988 par M. Herbert Marx, ministre de la Justice, et Mme Monique Gagnon-Tremblay, ministre déléguée à la Condition féminine, document intitulé "Les droits économiques des conjoints", les cercles de fermières du Québec accueillent favorablement les orientations générales qu'elles y lisent, tout en nuançant certaines des applications proposées. (12 heures)

Pour nous les notions de "prestation compensatoire" et de "déclaration du droit de résidence familiale", telles qu'elles sont actuellement définies et appliquées, déçoivent et exigent d'être revues et corrigées en profondeur. De plus, l'absence quasi totale de reconnaissance du travail non rémunéré de la femme au foyer, notamment quand il y a présence d'enfants ou collaboration à une entreprise du conjoint, directe ou indirecte, familiale ou non, exige que nous insistions à nouveau pour qu'une telle situation soit rapidement corrigée. À ce sujet, je tiens à rappeller les propos du Conseil du statut de la femme dans son document de novembre 1986, sur le partage des biens familiaux en cas de divorce: "Les insatisfactions qui subsistent se situent plutôt dans les faits et correspondent donc davantage à un principe d'équité. Comment éviter las règlements injustes comme ceux n'accordant aucune compensation à l'épouse au foyer? Un consensus pourrait se faire sur une clientèle minimale à viser au Québec: au premier chef, les épouses mariées en séparation de biens dans d'autres circonstances: quand le divorce n'existait pas, quand l'autre alternative était la communauté de biens, quand une division des rôles rigide reléguait systématiquement la femme au foyer. À celles-là, on peut ajouter celles qui

se marient encore depuis 1970 avec un contrat de type séparatiste et qui n'ont pas ou peu de revenus leur permettant d'acquérir des biens, ou celles qui, pour diverses raisons, choisissent ce régime sans en adopter la philosophie, ou celles qui, par ignorance ou inconscience, le croient mieux adapté à leur situation. Pour toutes ces femmes, il nous semble légitime qu'elles puissent avoir le droit d'obtenir une part du patrimoine commun auquel elles ont contribué. "

C'est dans cet esprit que nous commentons le présent document consultatif et qu'en conclusion nous formulons sous forme de recommandations les éléments majeurs d'une réforme sans lesquels celle-ci ne saurait répondre à nos attentes. Et je voudrais rajouter qu'à la base de cette réforme concernant les droits économiques les cercles de fermières du Québec veuient qu'on tienne compte, premièrement, de l'importance de la famille dans la société québécoise; deuxièmement, de l'égalité des conjoints dans le mariage; troisièmement, du fait que le mariage comporte des obligations, mais aussi des droits entre époux, et, quatrièmement, que le partage des biens familiaux se fasse comme un droit des époux et non comme une compensation pour services rendus. Même s'il doit être perçu comme cela pour plusieurs, je pense que c'est légitime que ce soit perçu comme un droit.

Alors, pour clarifier notre analyse, les commentaires et les avis qui découlent, nous avons opté... Nous allons y revenir point par point. Mais je pense qu'une véritable reconnaissance des droits économiques des conjoints doit nécessairement tenir compte de l'ensemble de la réalité familiale actuelle, soit la reconnaissance du statut du conjoint collaborateur, le partage des droits à la retraite, la rémunération directe ou indirecte du conjoint au foyer, les aménagements du temps de travail, les services de garde, les services de médiation ou de perception des pensions alimentaires. Quant aux "limites du droit actuel et les difficultés qu'il soulève", nous reconnaissons dans les situations retenues les réalités les plus difficiles à vivre et qui demandent des correctifs majeurs, qu'il s'agisse de l'aggravation de la situation du conjoint le plus faible économiquement, de la quasi inefficacité de la prestation compensatoire, de l'ignorance de la valeur du travail au foyer ou de la protection de la résidence familiale.

C'est bien sûr que le gouvernement avait analysé certaines voies d'orientation, par exemple l'amélioration ponctuelle des règles. Alors, adhérant aux énoncés de la section, en ce qui a trait surtout aux principes d'équité, nous n'en considérons pas moins qu'une telle orientation, si elle avait des effets positifs à court terme, devrait seulement être transitoire et laisser présager des modifications en profondeur pour...; en tout cas, ce n'est pas cela qui a été retenu. Ensuite, la société d'acquêts comme régime impératif. Nous trouvons que c'est une voie intéressante à explorer et peut-être devrons-nous y venir un jour, mais pour l'instant peut-être que le premier pas à faire c'est dans la création d'un patrimoine familial. Alors, nous allons nous arrêter sur la reconnaissance d'un patrimoine familial, et je pense que le premier paragraphe mérite d'être souligné avec insistance quand on dit: ce droit au partage permettrait de compenser indirectement le travail au foyer même s'il ne constitue que l'acquittement par l'un des conjoints de son obligation aux charges du mariage, tel que le stipule l'article 445 du Code civil du Québec. Alors, c'est sur cette voie que s'appuie la proposition gouvernementale, en plus d'apporter des palliatifs à une série de situations largement décriées par divers organismes et par la population en général.

En ce qui concerne la définition du patrimoine familial, nous adhérons aux principes énoncés, axés sur l'égalité des époux pendant le mariage, nous appuyant en cela sur les affirmations suivantes: l'inclusion au régime primaire d'un partage minimal de biens familiaux représentant le patrimoine commun atténue pour les femmes mariées en séparation de biens la sévérité d'un non-partage et assure une reconnaissance de leur contribution au couple et à la famille, quelles que soient les tâches effectuées et les fonctions qu'elles aient remplies. Cette solution nous semble donc celle où les notions d'équité et de liberté s'équilibrent le mieux, tout en apportant une réponse susceptible de satisfaire aux besoins de la majorité des couples visés. Les femmes ont jusqu'à maintenant payé cher le prix que la sécurité du mariage devait leur procurer: moins de formation, moins d'incitation à se préparer contre les difficultés de la vie, moins de facilité à intégrer le marché du travail, moins d'autonomie, la responsabilité entière des charges familiales et la dépendance totale à l'égard d'un conjoint. Mais nous ne pouvons cependant accepter de voir exclus du patrimoine familial les régimes privés de retraite et les régimes enregistrés de pension, particulièrement le régime gouvernemental comme le REER. Contrairement à ce que nous pouvons lire, nous croyons qu'ils ont un caractère familial dans la mesure où ils assurent au conjoint une partie du support financier au-delà des années de travail actif.

Alors, nous allons prendre point par point... En tout cas, on va insister davantage sur certains des éléments de la proposition du gouvernement en ce qui concerne l'institution du patrimoine familial. À l'article i, nous sommes d'accord que ce patrimoine familial soit une masse de biens automatiquement partageables entre les époux à la fin d'un mariage. À l'article ii, qui est i'énumération des biens inclus dans le patrimoine familial, à ceux inscrits dans la proposition gouvernementale nous voulons que soient ajoutés tous les biens meubles et immeubles acquis pendant la période du mariage, de même que les gains accumulés par l'un ou l'autre des conjoints en vertu de la Loi sur le régime de

rentes du Québec ou de programmes gouvernementaux équivalents et les régimes privés de retraite. Comme le disait le Barreau du Québec tantôt, ceci aiderait peut-être à réduire la pauvreté d'une bonne partie... En tout cas, c'est le lot des femmes en vieillissant et bon nombre de femmes doivent devenir bénéficiaires de l'aide sociale. Il y a un principe d'équité là-dedans qui est fondamental.

À l'article iii, nous sommes d'accord que les époux ne puissent pas renoncer d'avance, par contrat de mariage ou autrement, à leurs droits dans le patrimoine familial, mais nous sommes en désaccord avec la mesure transitoire d'une durée de trois ans quant à la constitution d'un patrimoine familial. Pourquoi? De crainte qu'efle ne conduise au chantage et à des pressions indues de l'autre conjoint. On ne corrigera pas des inégalités par d'autres; je pense que, si on a trouvé des injustices, des choses inégales, il faut les corriger dès le départ. Pour nous, ces modifications s'appliquent immédiatement aux contrats de mariage en séparation de biens encore valides au moment de la mise en vigueur de la nouvelle loi. À l'article iv, on est d'accord que le conjoint survivant puisse, à la suite du décès de son conjoint, renoncer au partage du patrimoine familial, selon des ententes. À l'article v aussi, nous sommes d'accord que le partage s'effectue à parts égales entre les conjoints sur sa valeur nette. À l'article vi, la valeur nette du patrimoine familial serait établie à la date de la première démarche légale entreprise pour la cessation de vie commune, pas juste au moment où il y a le prononcé du divorce, mais dès le départ, quand il y a une démarche d'entreprise pour la cessation de vie commune, permettant ainsi de pallier aux inconvénients dus aux lenteurs administratives à la suite d'un décès ou avant un jugement et d'éviter la dilapidation des biens.

À l'article vii, on dit: "Lorsqu'un bien qui faisait partie du patrimoine familial aurait été aliéné". On voudrait qu'il soit ajouté: "ou dont la valeur aurait été diminuée de façon disproportionnée à l'usage normal". À l'article viii, nous sommes d'accord avec le mode d'exécution du partage du patrimoine familial. À l'article ix, le droit à un partage concernant la résidence familiale qui est acquise avant le mariage ou par don ou par héritage ne porterait que leur proportion des investissements consacrée à ladite résidence durant le mariage. C'est juste par la valeur qui aurait été rajoutée par des transformations ou des modifications. A l'article x, on est d'accord, en principe, que le tribunal puisse déroger d'office ou à la demande d'un époux dans le partage du patrimoine familial. À l'article xi, on est d'accord aussi que tous les biens inclus au patrimoine familial soient protégés, comme le sont actuellement la résidence familiale et les meubles qui garnissent la résidence et qui servent à l'usage du ménage.

En ce qui concerne fa protection de la résidence familiale, le point 2°, à l'article i, nous sommes d'accord que la protection de la résidence familiale soit étendue de manière à viser toute aliénation des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, y compris l'enregistrement d'un droit réel. Nous sommes aussi d'accord que la protection des lieux loués comme résidence familiale soit automatique et, par conséquent, que l'avis préalable requis à l'article 451 du Code civil soit supprimé.

À ces articles, nous réitérons une demande que nous avons maintes et maintes fois formulée, celle que soit rendue automatique la protection du droit de résidence familiale au moment de la signature du bail et au moment de l'acquisition de la résidence familiale, par une clause au contrat d'acquisition.

Quant à l'article iii, le recours en nullité n'aurait plus sa raison d'être après l'acceptation du projet de loi. Nous sommes d'accord que le droit à un recours possible en dommages et intérêts entre les époux soit conservé pour un certain délai dans le Code civil, le temps de s'habituer à ce changement. À l'article iv, nous demandons que le montant minimal de la créance de saisie soit porté à 20 000 $ afin de protéger la part du patrimoine familial du conjoint non responsable d'une dette contractée à caractère personnel. Là-dessus, on se réfère aux articles 446 et 450 du Code civil. À l'article v, nous sommes d'accord que le prix d'une vente forcée d'une résidence familiale ne soit pas inférieur à 70 % de l'évaluation. Nous sommes aussi d'accord avec l'article vi qui dit que le droit d'habitation de la résidence familiale soit attribué à qui est confiée la garde des enfants mais que la valeur de ce droit ne soit pas prise en compte lors du partage du patrimoine familial ou de l'attribution de la prestation compensatoire.

Au chapitre 3°, c'est la prestation compensatoire. On se souvient que cela concerne surtout le conjoint collaborateur, cette catégorie de femmes. Lors de la dernière assemblée générale des cercles de fermières, quand on a voté la résolution concernant tous les biens meubles et immeubles acquis durant la période de mariage, c'était spécialement pour les conjoints collaborateurs qu'était adoptée cette résolution.

En ce qui concerne le régime légal de la société d'acquêts, nous osons croire que seront compris ià-dedans tous les fonds privés et publics faisant partie des acquêts. En ce qui concerne l'ancien régime de la communauté de biens, après une étude plus approfondie, voici notre position. Considérant la désuétude du régime de communauté de biens, considérant que ce n'est plus la forme d'aujourd'hui, nous en demandons la dissolution. Nous demandons que, dans le nouveau régime, les biens réservés de l'épouse soient considérés comme des biens propres et que la société d'acquêts s'applique uniquement sur les biens acquis après la dissolution. Je voyais tantôt le mémoire du Barreau du Québec. On parle de cela et j'étais contente de

voir qu'on faisait cette recommandation. Nous demandons aussi, bien entendu, que les fonds de retraite publics et privés fassent partie des acquêts, comme on le demande depuis le début.

En ce qui concerne le droit des successions, nous reconnaissons la nécessité d'introduire au droit des successions des règles pour permettre la survie de l'obligation alimentaire après le décès. Voilà, en gros, ce qu'on avait à dire. (12 h 15)

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Mme Huot. Maintenant, je vais reconnaître Mme la ministre déléguée à la Condition féminine.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Huot, de votre bonne présentation. Je vois que vous avez opté pour la voie mitoyenne plutôt que pour la voie un petit peu plus extrémiste et permettre finalement aux gens une certaine liberté de contracter pour les autres biens qui ne feraient pas partie du partage des biens familiaux. Vous reconnaissez aussi le partage des biens comme un début, finalement, de reconnaissance du travail au foyer tout en disant qu'il faut d'autres mesures si on veut atteindre l'égalité économique, l'égalité sur le plan des conjoints, dans l'éducation, le travail, etc. Je pense qu'on doit poursuivre notre travail dans ce sens-là pour être capable d'atteindre cette véritable égalité économique sur tous les plans. Lorsque vous parlez des biens, lorsque vous avez dit, par exemple, qu'on avait voté lors d'une assemblée que tous les biens, que ce soit les biens meubles et immeubles, acquis au cours du mariage soient inclus dans le partage, est-ce que j'ai bien compris ou si vous voulez dire... Est-ce que cela suppose véritablement non seulement la résidence familiale et la résidence secondaire, mais tous les autres immeubles, que ce soit d'autres résidences ou des immeubles de cinq logements et plus, etc. ? Cela comprend tous les immeubles?

Mme Huot: Nos femmes ont été aussi... Comment je dirais... En tout cas, elles en demandaient beaucoup, peut-être, mais elles voulaient tout avoir; il faut demander pour avoir quelque chose. Il y a plusieurs de nos femmes qui vivent sur des fermes, qui travaillent comme femmes collaboratrices ou autre chose. En référant à cela on disait: une façon sûre de se préserver et de l'avoir c'est de demander que tous les biens meubles et immeubles fassent partie des droits.

Mme Gagnon-Tremblay: Si je comprends bien, c'est que vous en avez demandé beaucoup plus pour vous assurer d'avoir véritablement ce que vous voulez.

Mme Huot: Mais on voudrait bien avoir tout aussi!

Mme Gagnon-Tremblay: Parce que si par contre on peut réussir par d'autres mesures à protéger, je pense, par la prestation compensatoire, si la prestation joue son véritable rôle, peut-être que là... Vous êtes le premier groupe qui incluez tous les biens meubles et immeubles, à ma connaissance. Je pense que vous êtes le premier groupe qui incluez... Non, peut-être... Bon, je vois Mme Dolment qui me fait signe là. C'est parce que, naturellement, sauf les groupes qui ont parlé d'une société d'acquêts obligatoire pour tout le monde, mais finalement tous les biens meubles et immeubles... De toute manière, pour en revenir à la prestation compensatoire, comme vous le mentionnez, c'est que dans le document de consultation concernant la prestation compensatoire on visait davantage les femmes collaboratrices, celles qui collaborent dans l'entreprise du conjoint, sauf qu'il y a eu une excellente remarque qui a été faite par le. Conseil du statut de la femme et par d'autres groupes également, à savoir qu'il pourrait arriver dans certains cas qu'il n'y ait pas de partage à faire des biens familiaux puisqu'on investit ailleurs et qu'il n'y ait pas de résidence, ni de résidence secondaire. Qu'est-ce qu'il arrive dans ce cas-là? On suggérait de conserver la prestation compensatoire lorsqu'il y avait d'autres biens, par exemple, comme d'autres immeubles, une entreprise, mais lorsqu'il n'y avait pas de ces biens dits familiaux. Alors, est-ce que vous autres aussi vous le voyez comme cela ou si vous voyez, par exemple, que la prestation compensatoire devrait demeurer également pour la travailleuse au foyer, et cela deviendrait un peu un cumul du partage et de la prestation, ou si c'est davantage facultatif dans le cas où il n'y aurait pas de ces biens à partager?

Mme Huot: Bien, il y a deux questions. C'est que pour les femmes collaboratrices, dans une entreprise agricole ou autre, on tient absolument à ce que le partage se fasse équi-tablement 50-50. Peut-être que vous amènerez d'autres solutions. On a crû comprendre, par les propositions du gouvernement, que la prestation compensatoire pour la femme au foyer pour tout le travail, vous le transformiez, en tout cas vous essayez de combler ce vide en faisant une masse de biens familiaux, en disant: Cela c'est pour vous autres, c'est pour cette catégorie de femmes. Mais pour tout le travail qui est fait, qui dépasse le travail ordinaire au foyer, on veut bien que la prestation compensatoire s'exerce. Ce n'est peut-être pas quelqu'un non plus qui est dans une entreprise, c'est peut-être d'autres sortes de travail, mais il faut absolument qu'il y ait une façon d'aller chercher cette reconnaissance.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Concernant les résidences acquises, vous dites: Toutes les résidences, meubles et immeubles acquis après le mariage. Est-ce que vous tenez compte de la durée du mariage, de la durée de la collaboration, dans le sens que, par exemple, ce qu'on

partage c'est une certaine plus-value si cela a été acquis avant ou par donation ou par testament, ou si c'est carrément l'immeuble...

Mme Huot: Non. Pour cela on est bien d'accord et je pense qu'on l'a dit en appuyant certaines recommandations à un moment donné. Si cela a duré juste quelques années, je pense qu'il y a un principe d'équité aussi. Il faut être capable de le reconnaître. Pour les biens qui ont été acquis avant le mariage, je pense que c'est seulement sur l'augmentation de la valeur au cours des ans. Je pense que là on appuie un article qui dit qu'il ne faut pas être... Il ne faudrait pas réparer une injustice en en créant d'autres.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Vous pariez de la déclaration de résidence familiale qui n'a pas donné les résultats escomptés finalement, parce qu'on se rend compte des nombreux problèmes que cela a pu causer lorsqu'on enregistrait une déclaration, surtout la signification. Je pense que ce n'est pas l'enregistrement qui causait beaucoup de problèmes comme la signification aux conjoints. Dans ce cas-là, vous suggérez qu'on l'inscrive dans les contrats - je pense que c'est tout à fait normal - les contrats d'aliénation, les contrats de vente, entre autres, d'achat. On sait qu'une hypothèque va être radiée tôt ou tard. Donc, on va perdre finalement cette mention à un moment donné. Vous comprendrez, par exemple, qu'on devra quand même avoir certaines mesures transitoires quant à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi, étant donné qu'on ne transfère pas comme cela notre propriété du jour au lendemain. Pour toutes les propriétés existantes, si on veut, par exemple, s'assurer que ce soit véritablement une résidence familiale et aussi que les tiers soient protégés d'une certaine façon, je pense qu'on devra prévoir certaines mesures transitoires entre l'entrée en vigueur et aussi le moment où les gens vont transférer leur propriété et leur immeuble.

Mme Huot: Je suis d'accord avec cela.

Mme Gagnon-Tremblay: Je pense que ma collègue, Mme la députée de Groulx, avait une question à vous poser aussi.

Mme Bleau: Bonjour, madame. Dans votre mémoire, vous ne faites pas mention du tout des conjoints de fait. Est-ce que vous voulez que la loi ne s'applique pas à ces conjoints-là ou si c'est seulement un oubli dans votre mémoire?

Mme Huot: Ce n'est pas un oubli. L'objectif de ce document-là, c'était d'étudier la situation des conjoints pendant le mariage ou lors de la dissolution du mariage pour que ceux-ci soient traités avec équité, etc. Nous autres, on n'a pas d'étude sur le sujet présentement, les cercles de fermières. Je sais bien, par exemple, qu'on va être obligé de s'y pencher un bon jour et faire l'étude sur les conjoints de fait et que leur statut civil soit interprété de la même façon dans tous les textes pour tout ce qui touche les politiques sociales et fiscales. Mais, en aucun moment, il ne faudrait que les conjoints de fait soient plus avantagés que les couples qui sont mariés légalement. Présentement, ce n'est pas parce qu'on les a oubliés, c'est parce que le document portait sur les régimes matrimoniaux seulement. Je vous assure que l'étude va continuer. On s'est d'ailleurs interrogées le printemps dernier quand on a travaillé à la réforme de l'aide sociale. Il y a des choses dans cela qui nous portent à nous poser la question, en ce qui concerne la fiscalité aussi, comme le disait le Barrreau tantôt, et on est conscientes de cela. On y reviendra.

Mme Bleau: Alors, je vous remercie.

Le Président (M. Marcil): Cela va, madame... Je vais reconnaître maintenant Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Alors, M. le Président, je veux moi de même saluer la présidente et les personnes qui accompagnent la présidente des cercles de fermières et leur dire que c'est avec énormément d'intérêt qu'on lit depuis maintenant plusieurs années leur point de vue sur les questions qui, finalement, bouleversent notre société. C'est, évidemment, très rapide, les changements qui s'effectuent présentement. Qu'on pense qu'il y a dix ans la réforme du droit familial était considérée comme extrêmement révolutionnaire et que maintenant on est réuni pour en corriger, dans le fond, les effets. On voit à quel point il y a eu comme une sorte de renégociation des rapports, et ce n'est pas encore terminé évidemment, entre les hommes et les femmes. J'ai pris connaissance du mémoire avec beaucoup d'intérêt. Je lisais, entre autres, une sorte de résumé de l'avis dans les dernières pages où vous disiez: Nous voulons que l'absence quasi totale de reconnaissance du travail non rémunéré de la femme au foyer sort corrigée immédiatement. Je pense que c'est un peu le leitmotiv. Évidemment, le travail non rémunéré n'est pas simplement celui de la femme au foyer puisque toutes les études ont démontré que, malgré l'introduction des appareils électroménagers qui distinguent la nature des travaux ménagers de ce qu'ils étaient il y a 50 ou 100 ans, les femmes, qu'elles soient au foyer ou qu'elles aient un emploi sur le marché du travail, ont une présomption à 100 % de s'occuper des travaux de la maison. Cela me faisait penser... Vous vous rappelez la chanson qui se chante encore: La destinée, la rose aux bois, mais c'est l'affaire des filles de balayer la maison. Cela reste encore une présomption qui vaut pour toutes les femmes, qu'elles soient ministres,

qu'elles soient secrétaires, qu'elles soient "waitress" ou quel que soit leur métier. C'est une présomption qui joue du fait que les femmes ont encore à veiller à l'organisation des soins familiaux, des soins à l'égard des enfants, de leur éducation et du travail au foyer.

Je sais que vous avez représenté, depuis plusieurs années, plus particulièrement - malgré que j'imagine que, dans vos rangs, il y a aussi des femmes qui ont un revenu de travail ou un revenu d'emploi - les femmes - elles méritent de l'être également - qui ont fait le choix d'assurer l'éducation et de rester à la maison. Est-ce que je comprends bien que, parmi les autres distinctions, la distinction fondamentale, c'est que vous dites que la prestation compensatoire, on ne devrait pas y recourir pour le partage des biens familiaux, que la prestation compensatoire devrait être réservée pour la contribution qu'un conjoint a à l'entreprise pour le compenser, si elle n'est pas reconnue déjà dans un contrat? C'est bien cela?

Mme Huot: C'est bien cela. Cela s'appuie sur des biens qui sont non familiaux à ce moment-là.

Mme Harel: Dans le fond, je me suis dit que vous partagez le point de vue qu'exprimait le Barreau avant vous qui disait qu'on ne devrait pas recourir à la prestation compensatoire en ce qui concerne le partage des biens familiaux, c'est-à-dire que les biens familiaux devraient être partagés sans avoir besoin d'avoir à recourir à la prestation compensatoire pour qu'ils le soient.

Mme Huot: C'est cela. Mme Harel: C'est cela? Mme Huot: Oui.

Mme Harel: J'ai l'impression qu'il y a là une distinction qui est pas mal importante, parce que, dans le document, comme vous l'avez sans doute constaté, il n'y a partage en matière de régime privé de retraite, à la page 25, qu'en matière de prestation compensatoire. Les régimes privés sont sujets à partage seulement en matière de prestation compensatoire.

Mme la ministre a ouvert, depuis le début - c'est peut-être une conclusion trop hâtive - la possibilité que, pour la travailleuse au foyer, il puisse y avoir recours à la prestation compensatoire, donc, la possibilité d'avoir recours au régime privé de retraite seulement dans les cas où le patrimoine familial serait insuffisant ou inexistant.

Mme Huot: Là, on n'est pas tout à fait d'accord avec cela.

Mme Harel: Bon!

Mme Huot: Les régimes privés de retraite font partie du patrimoine familial, parce que cet argent n'est pas à la disposition de la famille quand on se paie des fonds de retraite. Alors, au moment où la vie familiale se faisait, on prenait cet argent pour se créer un fonds de retraite pour préparer la famille à la retraite, pour se créer un minimum de revenu à ce moment-là. C'est normal, pour se préserver cet avenir, qu'on soit séparé ou qu'on vive ensemble, que les deux puissent l'avoir. Cela, ce n'est pas négociable.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Harel: À la page 1 du mémoire, vous nous indiquez les points majeurs que l'on retrouvait dans votre mémoire sur les femmes au foyer et les régimes de retraite. Notamment, on y retrouve la participation des femmes au foyer au Régime de rentes du Québec...

Mme Huot: Oui.

Mme Harel:... au moyen d'un crédit d'impôt. On est à trois ans de la venue du nouveau gouvernement. Je ne sais pas si vous vous rappelez cet engagement prioritaire au moment de la campagne électorale, il y a trois ans. Cela devait être dans les mois qui suivaient qu'il y avait une commission parlementaire pour en examiner les divers scénarios.

Vous considérez toujours aussi important cet objectif. J'aimerais vous en entendre parler.

Mme Huot: Si on se rappelle l'engagement, oui. En décembre dernier, je veux juste rappeler que M. le premier ministre a reçu 40 000 cartes postales pour lui rappeler ses promesses électorales. On va revenir là-dessus. Mme Gagnon-Tremblay le sait, d'ailleurs. (12 h 30)

Pour nous, en ce qui a trait à la reconnaissance du travail au foyer, il y a plusieurs mesures. Aujourd'hui, la reconnaissance des droits économiques, c'est un point. Un autre point est celui de l'accès au Régime de rentes du Québec parce qu'il faut que le travail qui s'effectue au foyer pour élever des enfants, etc., soit reconnu. Une façon de le reconnaître, c'est d'adhérer au Régime de rentes du Québec. C'est un principe.

On sait bien, quand on a rencontré Mme Gagnon-Tremblay ou quand on en parle en général, qu'on se fait dire que cela ne représentera pas un gros montant. On sait tout cela. On sait bien que pour certaines femmes cela ne sera pas un gros montant, mais le principe de la justice et de l'égalité, je pense que c'est ce qu'il faut retenir et obtenir également. On n'en démordra pas. Je pense qu'on y reviendra parce que, après ce dossier, on revient sur l'adhésion au Régime de rentes du Québec. Que M. Dutil et

Mme Gagnon-Tremblay sachent qu'on va y revenir. Appuyées par nos 60 000 membres, je pense que cela en vaut la peine et que cela veut dire quelque chose. Nos femmes sont de plus en plus politisées et savent ce que cela veut dire. C'est ferme, ce qu'on dit.

Mme Harel: Selon vous, le partage des régimes privés de retraite qui seraient inclus dans le patrimoine familial ne vient pas satisfaire cette question de la rente parce que vous pensez que les deux, éventuellement, doivent exister concurremment; c'est-à-dire le partage entre conjoints et la rente de la Régie des rentes pour la travailleuse au foyer.

Mme Huot: Oui. On partagera nous aussi, même si elle n'est pas grosse. C'est ce que cela veut dire.

Mme Harel: Mais est-ce une rente au foyer indépendamment du revenu familial ou si vous pensez qu'il faut tenir compte du revenu familial?

Mme Huot: Là, ce sont des modalités que des spécialistes pourraient voir mais que l'on pourrait travailler avec eux. On sait que ce n'est pas sur une base volontaire, c'est universel. C'est pour toutes les femmes qui sont au foyer. De quelle façon cela pourrait-il se faire? C'est qu'à un moment donné, nous, les cercles de fermières, avions dit...

Mme Harel: Avec ou sans un mari, c'est cela? Indépendamment du fait qu'elles aient un mari ou pas, si elles sont chefs de famille monoparentale et qu'elles sont au foyer aussi?

Mme Huot: Oui, la même chose. À un moment donné, en 1984... De toute façon, cela fait longtemps que nous demandons que l'exemption du conjoint au foyer soit transformée en crédit d'impôt remboursable. C'est changé et c'est transformé en crédit d'impôt, mais ce n'est pas remboursable. Nous avions été jusqu'à dire à un moment donné... La ministre du temps nous disait: II n'est pas possible d'adhérer au Régime de rentes du Québec pour les femmes au foyer, mais trouvez-nous des pistes, trouvez-nous des avenues. On s'est mises au travail et on a cherché des moyens pour être capables d'adhérer au Régime de rentes. On avait dit qu'il pourrait peut-être y avoir une partie du crédit d'impôt qui pourrait être affectée à payer notre Régime de rentes. Mais, nous, la payer et non se la faire soutirer comme cela...

Il y a une proposition de certaines avenues qui a été faite au mois de juin par Mme Gagnon-Tremblay. On disait que le crédit d'impôt pourrait être affecté à une autre sorte de rente qui pourrait servir à assurer une retraite convenable aux femmes au foyer. Mais ce n'est pas nous qui nous trouvions à l'administrer, c'est le gouver- nement qui se trouverait à le verser lui-même et on n'en verrait seulement pas la couleur. Ce n'est pas ce qu'on veut. Nous voulions que le crédit d'impôt nous soit remboursé et nous-mêmes nous payer un Régime de rentes. Je conviens que nous ne sommes pas des spécialistes de la cause et qu'il y a des choses à étudier là-dessus, mais on ne démord pas sur le principe.

Mme Harel: Une dernière question là-dessus et je reviendrai sur le sujet de la résidence familiale par la suite.

Mme Huot: Oui.

Mme Harel: Donc, vous insistez sur le caractère volontaire, que cela doit être sur une base volontaire cette adhésion au Régime de rentes pour les travailleuses au foyer. Obligatoire...

Mme Huot: Ce n'est pas volontaire.

Mme Harel: Non, plutôt obligatoire pour toutes les travailleuses au foyer.

Mme Huot: Oui.

Mme Harel: Celles qui n'ont pas de crédit d'impôt remboursable, en souhaitant que cette mesure de rembourser le crédit d'impôt... Ce n'est pas seulement en transformant la déduction en crédit d'impôt que l'on satisfait aux revendications des groupes de femmes qui ont comme principale revendication que cette déduction ne soit plus remise au pourvoyeur mais à la personne qui rend le service au foyer. C'est bien le cas, n'est-ce pas? En la rendant remboursable, vous la proposez remboursable pour la personne qui est au foyer...

Mme Huot: Oui.

Mme Harel:... qui est l'équivalent de la déduction pour personne mariée, qui est le crédit d'impôt pour personne mariée. Dans ce cadre, il y a seulement les travailleuses au foyer qui ont un mari qui peut bénéficier d'un crédit d'impôt remboursable, donc, qui a un revenu imposable supérieur. Il y a aussi la difficulté que les personnes qui sont conjointes, mais qui n'ont pas la déduction pour personne mariée ne pourraient pas en bénéficier non plus. Il y a aussi celles qui n'ont pas de conjoint, mais qui sont aussi parfois des travailleuses au foyer telles que les personnes veuves, séparées ou autres. Avez-vous aussi réfléchi à cette possibilité?

Mme Huot: De toute façon, l'accès au Régime de rentes du Québec n'est pas lié au crédit d'impôt, c'est un moyen.

Mme Harel: D'accord.

Mme Huot: On nous disait: Trouvez-nous des pistes. Cela en est une, mais ce n'est pas attaché à cela. Il faut que ce soit bien clair.

Mme Harel: D'accord. Je vous remercie. Sur la question de la résidence familiale, vous nous dites - je pense que vous avez insisté sur cette question dans votre mémoire: II faut une clause au contrat au moment de l'acquisition. À la page 23 du document gouvernemental, ce qu'on retrouve veut que, en l'absence d'enregistrement, il y ait une sorte de dommages-intérêts qui soit payé, en fait, par le conjoint qui aurait aliéné sans avertir. Pensez-vous que ces dommages-intérêts sont insuffisants et qu'il faudrait qu'il y ait au moment même de l'acquisition une clause au contrat introduisant une déclaration obligatoire? Vous voudriez une déclaration obligatoire? C'est bien cela?

Mme Huot: Oui, mais comme le disait Mme la ministre il va y avoir un certain temps. Il y a des choses qui seront applicables dans un certain temps. Nous disions qu'à un moment donné cela n'aura plus sa raison d'être parce que, nécessairement... Nous pensons que le déclaration sera obligatoire. De toute façon, c'est ce qu'on demande. Mais on voudrait que...

Mme Harel: D'accord.

Mme Huot:... pour un certain temps, il y ait un recours possible en dommages et intérêts. Peut-être que, pour un certain temps, il faudra être plus strict, peut-être pas en allant jusqu'à demander que ces ventes ne soient plus valables et aboutissent à une demande en nullité. Mais en tout cas, pour les dommages et intérêts, il faut absolument qu'on en tienne compte.

Mme Harel: Je ne sais pas, Mme Huot, si vous avez pu faire des études aux cercles de fermières sur la question du régime matrimonial de vos membres. L'Association des femmes collaboratrices est venue nous dire - c'était une surprise pour moi en fait - que 60 % de ses membres étaient mariées en séparation de biens.

Mme Huot: Vous voulez savoir chez nous? Mme Harel: Oui.

Mme Huot: Je ne pourrais pas le dire exactement. On se propose justement, cette année, de connaître le profil de nos membres pour savoir qui sont nos membres exactement, parce qu'on fait l'étude cette année des régimes matrimoniaux, on veut que les femmes connaissent ce qu'elles vivent. On veut faire aussi une enquête pour savoir où en sont nos membres. C'est une question qu'on se posera. Je pense bien que, ce qui est pour les femmes collaboratrices, ce doit être à peu près le même pourcentage chez nos membres.

Mme Harel: Vous savez que, présentement, la société d'acquêts progresse malgré tout. Maintenant, il y a une progression marquée chez les jeunes couples en faveur de la société d'acquêts. C'était surprenant de voir que les études faites par l'Association des femmes collaboratrices démontreraient que ce qui progresse le plus chez elles... C'est-à-dire que le nombre de celles qui sont mariées en séparation de biens était plus grand qu'il y a maintenant, je pense, cinq ans. Donc, je me suis demandé si, là où les femmes sont collaboratrices, il y a plus fréquemment des régimes de séparation de biens. Je lisais aussi dans le document gouvernemental - on n'en a pas parlé encore, je pense que c'est la première fois qu'on aborde cette question - que, lorsqu'il y a changement d'un régime à l'autre, c'est toujours en faveur de la séparation de biens. Cela veut-il dire qu'il y aurait plus fréquemment, lorsqu'il y a des entreprises entre les conjoints, le passage d'un régime d'acquêts à un régime de séparation? Avez-vous pu vérifier ce qui en était?

Mme Huot: Non. Vous me dites cela, mais je ne peux pas parier au nom de l'association, je ne connais pas le nombre. On le saura dans quelques mois, mais je ne le sais pas actuellement.

Mme Harel: Je vous remercie.

Le Président (M. Marcil): Je vous remercie beaucoup. Mme la ministre. M. le député de Marquette, adjoint au ministre de la Justice.

Mme Gagnon-Tremblay:... de petites questions.

M. Dauphin: De petites questions, oui, je vais continuer dans la même tradition.

À mon tour, j'aimerais remercier les cercles de fermières de contribuer à nos travaux. Vous dites dans votre mémoire que vous vous opposez, un peu comme le Barreau tantôt, avec les explications qui allaient avec, relativement à la mesure transitoire, la possibilité d'y renoncer dans les trois années qui suivraient l'application d'une loi éventuelle. Évidemment, la plupart des groupes nous ont mentionné que la raison qui motivait le fait d'être contre cette disposition transitoire avait rapport à la possibilité de pression indue de la part d'un conjoint sur l'autre pour l'amener à se diriger vers un bureau de notaire et de renoncer purement et simplement aux avantages du patrimoine familial. Par contre, il y a d'autres cas, et j'ai justement eu un appel à ma résidence hier, où conventionnellement les couples se sont entendus pour se marier en séparation de biens, en toute connaissance de cause; certains groupes entendent enlever cette disposition transitoire, et ils ont certaines craintes. J'aimerais vous entendre sur cela. Il y a des cas où les gens aimeraient y

renoncer. Je comprends qu'il faut faire à un moment donné, je présume, la balance des inconvénients. Est-ce qu'il y a plus de pour ou de contre? Est-ce qu'on devrait maintenir ces dispositions transitoires ou les enlever?

Vous allez peut-être dire que c'est un cas extrême, mais je prends, par exemple, un couple sans enfant où le mari dit: Bon, je paie la résidence familiale, malgré qu'il n'y a pas d'enfant. Mme la ministre n'aime pas mon exemple, souvent, mais moi, je paie un voilier. Pour ce couple sans enfant, ils ne sont peut-être pas intéressés de s'embarquer dans une affaire comme cela. Ils vont dire: On va aller voir le notaire et on va renoncer à cela. À ce moment, il y aurait injustice pour l'un des conjoints qui aurait la moitié de la maison et l'autre qui conserve le voilier. Il n'a pas besoin de donner la moitié du voilier. C'est dans ce sens que j'aimerais vous entendre. C'est sûr qu'il y a la balance des inconvénients, il y a plus de pour que de contre, mais cela me tracasse, le fait de ne pas pouvoir y renoncer.

Mme Huot: Nous, on dit que ces modifications s'appliquent immédiatement au contrat de mariage, et on a donné raison et je suis bien d'accord avec cela... Là, vous nous amenez sur des cas spéciaux et des cas extrêmes. On ne s'est pas arrêtées à ces cas extrêmes mais nous, en règle générale, c'est cela qu'on veut, que cela s'applique immédiatement. Il me semble qu'il y a un autre article dans cela qui dit qu'on ne peut pas en se mariant renoncer à ce qu'il y ait une masse de biens familiaux. Mais, par contre, à la fin, supposons qu'il arrive une séparation ou un divorce, il peut y avoir un échange d'autres choses, d'autres biens, un partage différent sur les biens. À ce moment, ils le feront, mais au départ, nous, on n'est pas d'accord. Il faut qu'ils respectent cela et que cela se fasse au moment où la loi sera adoptée.

Le Président (M. Marcil): Mme la députée de Maisonneuve, une dernière question.

Mme Harel: M. le Président, c'est intéressant. Parfois, vous savez, dans les commissions parlementaires, cela peut permettre aussi de vérifier ce qui nous arrive à soi. Je ne sais pas si Mme la ministre a eu, elle aussi, lorsqu'elle a discuté au Conseil des ministres de l'ensemble de ces questions, j'imagine que oui, à répondre à des questions qui lui étaient posées, mais qui, dans le fond, se référaient à des situations personnelles que les gens vivaient. Cela va aussi pour les caucus de députés, mais il y a sans doute en cette matière, pour peut-être répondre à l'inquiétude de notre confrère, la suggestion qui est faite par le Barreau qui vient certainement solutionner cette question. Le Barreau dit: Pas de renonciation, mais que le partage se fasse en valeurs. À ce moment, ce couple, notre collègue peut certainement le rassurer, il n'aura ni à partager son voilier ni à partager la maison parce qu'ils s'entendront sur les modalités du règlement en valeurs. Si l'un ou l'autre des biens vaut plus ou moins, ils pourront compenser en liquide.

Mme Huot: Cela rejoint ce que je voulais dire.

Le Président (M. Marcil): Merci, Mme la députée de Maisonneuve. En conclusion, Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Mme Huot, cela m'amuse un peu, car depuis qu'on a commencé la commission parlementaire, les personnes qui nous contactent ou qui nous téléphonent sont généralement des personnes assez fortunées. Ceci étant dit, on a parlé beaucoup du partage de la travailleuse au foyer; la députée de Maisonneuve était sûrement heureuse, il y a longtemps qu'elle veut aborder ce sujet et je lui disais toujours que ce n'était pas l'objet précis de cette commission parlementaire, mais bien le partage des droits économiques. Elle ne semble pas finalement me croire quand je lui dis qu'il nous reste encore un an pour respecter cet engagement. Tout cela pour vous dire, Mme Huot, que je tiens à vous remercier de même que vos collègues. Je sais que vous avez dans l'assistance de nombreuses femmes des cercles de fermières qui sont venues vous appuyer pour la présentation de votre mémoire. Alors, je voudrais les saluer et vous remercier pour la qualité de votre mémoire et votre présentation. (12 h 45)

Mme Huot: Je vous remercie beaucoup. J'ai deux compagnes qui étaient ici et je leur ai dit: Vous autres, ferrez-vous pour répondre. Je ne sais pas, peut-être qu'elles ont des choses à ajouter.

Le Président (M. Marcil): Cela va? Mme Huot: Merci beaucoup.

Le Président (M. Marcil): Vous voulez les remercier?

Mme Harel: Oui, M. le Président. J'aimerais vous remercier, Mme Huot et les personnes qui ont préparé avec vous la présentation d'aujourd'hui, celles qui vous accompagnent et qui témoignent de l'appui aux propos que vous avez tenus. Je veux simplement vous signaler que le temps presse, d'une certaine façon, autant dans ce dossier... Et il y a l'ensemble des intervenants qui sont venus et qui nous ont dit: La réforme, c'est urgent. Incidemment, les avocats qui étaient là où vous êtes maintenant m'ont dit: II faut vraiment, de façon urgente, qu'il y ait des corrections qui soient introduites le plus rapidement possible. C'est ce qui m'amène à tenter d'obtenir des éclaircissements sur l'échéancier,

parce que, là, c'est un document; ce n'est pas encore un projet de loi.

Le premier ministre a dit à une émission de CKAC, dimanche dernier, qu'il fallait s'attendre, à partir d'avril 1989, à la possibilité d'élections. Donc, à partir d'avril, cela ouvrait la porte à la possibilité d'élections. Ce que je veux, c'est qu'on soit, entre nous, bien convaincus que le gouvernement ne va pas promettre de nouveaux engagements sans avoir d'abord réalisé ceux auxquels il s'était engagé, il y a trois ans maintenant. C'est dans ce sens-là que je ne pense pas que ce soit malvenu cet automne de questionner la ministre qui est responsable du dossier sur l'échéancier. Vous vous rendez compte que l'on n'a même pas encore les scénarios. Des personnes qui sont à la Régie des rentes me disent que, pour la Régie des rentes, c'est écarté, tout ce dossier de l'accès de la travailleuse au foyer à la Régie des rentes, parce que les études les amèneraient à conclure que ce n'est pas possible.

Donc, c'est évident que, là, il va falloir avoir la minute de vérité cet automne sur cette question. La minute de vérité à la fois sur la question de la rente pour la travailleuse au foyer, mais également en matière de partage du patrimoine familial. Alors, c'est en ce sens que je pense qu'il nous faut, dès cet automne, vous comme moi, avoir des réponses à nos questions.

Le Président (M. Marcil): En dernier, la conclusion, Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Toute la question de la participation au Régime de rentes, comme je l'ai dit, je n'ai pas l'intention d'aborder le sujet plus longuement étant donné que cela ne fait pas partie de cela. Que le personnel de la Régie des rentes nous dise que ce n'est pas possible ou quoi que ce soit, je pense que ce n'est pas à eux de nous dire quoi faire. C'est à nous de leur dire ce qu'on veut. D'autre part, je pense que nous poursuivons le dossier. Vous êtes très fort au courant qu'il y a un nouveau ministre qui a le dossier en main maintenant. On lui a fait part du dossier au complet. I! doit le regarder. Il a des rencontres de prévues. Jusqu'à maintenant, on n'a pas travaillé dans un seul dossier, mais on a cheminé dans plusieurs dossiers. Comme vous le mentionnez, pour atteindre l'égalité, cela prend plusieurs mesures et c'est ce qu'on fait actuellement.

Quant au dossier, d'ici la fin de la commission parlementaire, on sera en mesure de connaître l'échéancier. Il s'agit d'un dossier du ministre de la Justice aussi. Alors, je pense que d'ici la fin de la commission parlementaire on devrait être en mesure... Même si Mme la députée de Maisonneuve s'inquiète, si jamais il y avait une élection au printemps, j'ose espérer qu'avec une réélection on pourra continuer comme si rien ne se passait, finalement.

Une voix:... le 15 novembre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci infiniment, mesdames.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Mme Huot et vos compagnes. Je vais maintenant immédiatement appeler, compte tenu de notre horaire, le groupe William M. Mercer Itée, représenté par Me Deschênes.

Si vous voulez reprendre vos sièges, s'il vous plaît! Nous sommes un peu en retard sur notre horaire. Me Mireille Deschênes, M. Louis-Georges Simard et M. Rolland Boutin, c'est bien cela, n'est-ce pas? Nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission parlementaire. Sans plus tarder, compte tenu de notre horaire qui est quand même assez limité, nous vous laissons la parole. Nous avons environ 60 minutes dont 20 minutes pour votre exposé et nous procéderons à la période des questions par la suite.

William M. Mercer Itée

M. Boutin (Rolland): D'accord, je vous remercie bien. Bonjour, mesdames et messieurs de la commission. Mon nom est Rolland Boutin. Je suis associé principal à la société William M. Mercer Itée. Avant de me joindre à la société Mercer, j'étais à la Régie des rentes, responsable, entre autres, pendant onze ans, de l'administration de la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes.

Ma collègue, Mireille Deschênes, est spécialiste en droit social et, notamment, en droit des pensions auquel elle s'adonne depuis plus de trois ans chez Mercer. Mon collègue, Louis-Georges Simard, est actuaire et associé principal chez Mercer également. Il est conseiller auprès de plusieurs grandes entreprises d'envergure nationale. Autant Me Deschênes que M. Simard ont pu prendre connaissance des problèmes engendrés par des types de lois où il est question de partage des droits de pension à la rupture du mariage.

William M. Mercer Itée est une société de conseillers en régime de retraite et en assurance collective, la plus importante au Canada, et, au Québec, nous comptons plus de 2500 clients. Nos bureaux s'étendent de l'Atlantique au Pacifique. Notamment, à Montréal, nous avons 150 personnes environ et une douzaine ici à Québec.

Notre mémoire, comme vous avez pu le constater, porte uniquement sur la partie de la proposition gouvernementale qui traite des régimes de retraite, puisque c'est notre champ d'expertise. Ce qui nous a amenés à présenter un mémoire, ce sont deux raisons. D'abord, notre expérience de l'application des dispositions des lois d'autres juridictions en matière de partage des pensions à la rupture du mariage. Plusieurs clients, plusieurs employeurs nous ont consultés à ce sujet.

Le deuxième motif, c'est la perspective

qu'au Québec le droit au partage déborde éventuellement le cadre limité du paiement compensatoire au conjoint collaborateur et devienne une règle de portée générale, comme c'est le cas actuellement dans plusieurs provinces et au Québec, de fait, dans le cas des employés qui sont assujettis à la loi fédérale sur les normes de prestation de pension. Je pense aux entreprises qui sont de juridiction fédérale, comme les stations de radio, de télévision, etc.

Il y a trois objectifs qui sous-tendent nos recommandations. D'abord, s'assurer que l'application des dispositions proposées ne s'avère pas une source importante de complications administratives et juridiques pour les employeurs, les administrateurs de régimes, les conjoints et leurs procureurs. Notre deuxième objectif est d'assurer que la caisse de retraite demeure une partie neutre en ce qui concerne les conjoints et n'encoure pas de pertes comme résultat du partage entre conjoints. Il s'agit quand même d'un fonds en fiducie et les autres participants ne doivent pas perdre ou risquer de perdre quelque chose à l'occasion du partage. Le troisième objectif est d'assurer une certaine protection de l'administrateur du régime de retraite.

Avant d'entrer dans l'étude des recommandations, j'aimerais préciser notre position d'introduction. Nous constatons que le gouvernement ne propose pas d'inclure dans le patrimoine familial les régimes enregistrés de pension ni les régimes de participation différée aux bénéfices. Nous ne voulons pas nous prononcer là-dessus. Ce n'est pas notre rôle. Toutefois, advenant que le gouvernement change d'orientation à cet égard, nous croyons que tous les véhicules d'épargne en vue de la retraite devraient être inclus dans le patrimoine familial, c'est-à-dire les régimes enregistrés d'épargne-retraite et les régimes de participation différée aux bénéfices, en plus des régimes de pension, de façon qu'il y ait une équité entre tous ces véhicules.

Sans plus tarder, je demanderais à Me Mireille Deschênes de vous présenter un certain nombre de recommandations, après quoi M. Simard poursuivra.

Mme Deschênes (Mireille): Je vais traiter des recommandations qui parlent spécifiquement de la proposition du gouvernement d'inclure dans la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes des règles de dévolution des droits aux pensions qui seraient attribuées aux conjoints collaborateurs dans le contexte de la prestation compensatoire. Il faut comprendre que ce dont je vais vous parler, que les mêmes considérations seraient pertinentes si on parlait des règles de dévolution du droit à la retraite dans le cadre d'un partage du patrimoine familial, si le gouvernement incluait les droits aux pensions au patrimoine familial ou, de la même manière, si le gouvernement incluait expressément les pensions parmi les acquêts et que le régime de retraite devenait une partie payante de ces droits-là. Les recommandations dont je vais discuter s'appliqueraient dans tous ces cas-là.

Avant d'aborder cela, j'ai rencontré mes collègues du Barreau au dîner qui m'ont demandé de clarifier un point auprès de vous. Je leur faisais part que, dans l'avant-projet de loi du ministre des Finances fédéral qui contenait des propositions de réforme des mesures d'aide fiscale à l'épargne-retraite, il y avait une proposition spécifique d'inclure les revenus de pension alimentaire dans le revenu gagné pour établir la cotisation possible à un régime enregistré d'épargne-retraite. Cette mesure doit normalement entrer en vigueur en 1990. Généralement, le gouvernement du Québec harmonise sa fiscalité avec celle du gouvernement fédéral en ce qui concerne l'aide fiscale à l'épar-gne-retraite. C'est déjà écrit dans les propositions de Revenu Canada.

Je vais parler maintenant de ce que le gouvernement appelle les règles de dévolution dans son mémoire. Je voudrais signaler en passant que le mot dévolution ne m'apparaît pas tellement approprié et peut porter à confusion. Cela fait référence à la dévolution successorale. Je crois comprendre que c'est un notaire qui a écrit cela dans ce document. Dévolution suppose qu'il y a paiement. En droit des pensions, on va plutôt parler de règles de partage des droits à la retraite comme tels, ce qui n'implique pas nécessairement qu'il y ait un paiement au conjoint.

Une fois cette précision sémantique faite, il faut préciser que, lorsque le droit de la famille prévoit qu'il y a un droit au partage, c'est le droit des pensions qui vient établir les règles pour dire comment la pension comme telle va se partager. Le droit des pensions, c'est la loi qui régit les régimes de retraite et c'est aussi le régime de retraite comme tel, qui est un document écrit, qui fait référence aux droits et obligations des parties qui instituent une caisse de retraite comme telle et qui régit les relations entre l'employeur qui établit le régime et les personnes qui ont droit à des prestations en vertu du régime comme tel.

Dans les juridictions où le droit des pensions aménage les modalités du partage qui a été décidé par le droit de la famille, on retrouve au niveau de la loi fédérale, par exemple, la possibilité qu'il y ait un transfert immédiat d'un montant global au profit du conjoint, alors que l'Ontario a ignoré cette méthode d'acquittement des intérêts attribués au conjoint dans la rente. Il s'avère que c'est une méthode qui est bien pratique, tout à fait conforme au principe de la liquidation définitive des intérêts financiers des parties à la rupture du mariage, et c'est la méthode qui présente le moins de complications administratives pour les employeurs dans ce sens que le montant sort du régime et l'employeur n'est pas obligé d'administrer une entente ou un jugement qui donne des droits qui seront paya-

blés à une date ultérieure. (13 heures)

Je dis que c'est ce qu'il y a de plus simple, cela ne veut pas dire que c'est nécessairement très simple. La difficulté vient de ce que l'employeur doit rajuster la rente qui reste à l'employé. C'est peut-être plus difficile, mais ce n'est pas "infaisable". Ce que je voudrais préciser, c'est qu'un membre du Barreau qui a lu notre mémoire a eu l'impression que c'était la seule méthode de partage que l'on recommandait. Ce n'est pas le cas. Ce qu'on voulait dire ici, c'est: N'oubliez pas cette forme de partage qui a été oubliée selon la loi de l'Ontario, mais cela ne veut pas dire qu'on exclurait d'autres méthodes de partage comme telles auxquelles la loi permet de recourir.

Les autres méthodes de partage comme telles présentent certaines difficultés d'application par rapport au traitement des prestations de décès. Je pense que, si le législateur incorpore des dispositions spécifiques telles que nous les recommandons ici, cela va aider grandement à l'administration des ententes ou à l'exécution du partage comme tel. Lorsqu'il s'agit de partager une rente qui est en cours de versement ou lorsque c'est un retraité qui se sépare, la loi permet que la rente payable au retraité soit réévaluée, rajustée et payable à partir du régime de retraite. À ce moment, le régime sépare la rente et en fait deux rentes viagères qui sont payables de manière totalement indépendante I une de l'autre de sorte que le décès de l'employé n'a pas d'effets sur la rente qui est payable au conjoint. C'est une méthode de partage qui, en conséquence, devrait aussi être introduite.

En ce qui concerne les prestations de décès, la difficulté vient du traitement inégal qui a été accordé à ces prestations par les tribunaux dans les provinces de common law. Peut-être que cette confusion vient un peu d'une mauvaise compréhension du mécanisme des régimes de retraite et du mécanisme des lois qui régissent ces régimes de retraite aussi. Ici, au Québec, la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes n'impose pas l'obligation à l'employeur de verser une prestation au survivant de l'employé qui décède avant sa retraite ou après sa retraite. Par contre, certains régimes, je dirais même plusieurs régimes prévoient le paiement d'une prestation de décès. Certains de ces régimes écrivent qui sera le bénéficiaire de la prestation. L'employé ne peut pas choisir la personne qui recevra la prestation de décès comme telle. Nos régimes prévoient que, lorsqu'il y a un conjoint, cette prestation ira au conjoint - et, en passant, Mme Harel, nos régimes incluent dans la définition de conjoint les conjoints de fait parce que nos régimes ne discriminent pas sur la base de l'état civil - mais c'est le conjoint que l'employé aura au moment du décès, de sorte que la cessation de la cohabitation même avant le décès emporte une déchéance des droits de l'ex-conjoint à cette prestation. Le régime de retraite demeure toujours obligé de verser une prestation au conjoint que l'employé aura au moment du décès. Alors, s'il y a une part de cette prestation qui est incluse dans les droits qui seront cédés à l'ex-conjoint, que ce soit en vertu d'un jugement ou en vertu d'une entente, le deuxième conjoint risque de réclamer une prestation de décès en disant: Bien, je tire mes droits d'une disposition du régime et le régime sera pris à payer deux fois, à même des fonds qui sont là pour le bénéfice de l'ensemble des membres, et le régime n'a pas à prendre le risque d'une double réclamation.

Alors, ce qu'on voudrait qui soit bien écrit dans la loi, c'est que, dans la mesure où une prestation de décès, selon les termes du régime, ou advenant que la réforme des pensions soit édictée au Québec et que la loi requière qu'une prestation de décès soit versée au conjoint, ces prestations sur lesquelles l'employé n'a pas de contrôle soient expressément exclues des droits qui sont assujettis au partage. En ce qui concerne les prestations de décès, lorsque le décès survient après la retraite, nos régimes prévoient que le divorce ou la séparation après la retraite n'a pas d'incidence sur le droit du conjoint à la prestation de décès. C'est uniforme. Les lois dans les autres provinces fonctionnent sur cette base. La loi fédérale sur les normes de prestations a une disposition similaire, ce qui s'éloigne un peu du droit civil qui, lui, rend les prestations d'assurance ou les donations caduques advenant le divorce. Le droit des pensions reconnaît des effets à ces avantages, indépendamment des divorces ou des séparations qui surviennent après la retraite comme telle. Alors, je crois qu'il serait logique que la loi inclue ces prestations parmi les droits qui seraient sujets à partage lorsque le divorce survient après la retraite parce que, de toute façon, il y avait un droit à ces prestations même advenant séparation ou divorce.

En ce qui concerne une certaine protection qui devrait être attribuée à l'administrateur du régime de retraite, je crois qu'il serait normal que l'administrateur ait une certaine immunité s'il agit selon les dispositions d'un jugement qui lui est envoyé pour que l'administrateur ne soit pas exposé à une réclamation d'une autre personne dans l'éventualité où le jugement ne conviendrait pas à un deuxième conjoint ou pourrait créer une situation de litige entre le droit de la famille et le droit des pensions. L'administrateur doit administrer le régime selon les dispositions du régime et selon la loi. S'il donne suite à un jugement ou à une entente entre les conjoints qui aurait été entérinée par le tribunal, qu'il puisse être libéré de responsabilités s'il agit de bonne foi, selon ces dispositions, de sorte que, si un conjoint subséquent se prétend lésé, il devra se plaindre auprès de l'employé et de son conjoint, mais pas auprès de l'administrateur du régime.

Maintenant, en ce qui concerne le point 7 dans notre mémoire où on parle des conflits de loi, nous n'avons pas de recommandations spécifiques à vous faire à cet égard, sauf pour vous signaler que, pour le droit des pensions comme tel, les critères d'assujettissement ne sont pas les mêmes que les critères d'assujettissement au droit de la famille. Cela nous a créé certaines difficultés et j'ai eu plusieurs appels d'avocats de différentes provinces dans les cas d'employés qui passent d'une province à l'autre. C'est quand même assez courant. Ils finissent par se retrouver dans une province qui prétend que c'est la loi de cette province qui est applicable à tout le service en matière de pension, alors que le droit familial d'une autre province viendrait s'appliquer.

Au Québec, par exemple, on pourrait avoir, dans des régions frontalières, un employé qui réside au Québec, qui travaille à Ottawa, dont le régime de retraite est assujetti à la loi sur les retraites de l'Ontario. La loi sur les retraites de l'Ontario prévoit qu'il y a un partage des crédits de rente, mais selon une ordonnance en vertu du "Family Law Act", lequel ne s'applique pas à notre employé du Québec. Alors, un employé du Québec pour lequel le droit de la famille prévoit un partage des crédits de rente ne pourrait pas le faire exécuter par son employeur à cause des dispositions spécifiques de la loi de l'Ontario. Ce sont des problèmes qui surgissent à l'occasion et pour lesquels il n'y a pas de réponse simple à apporter. Cela m'est arrivé à une couple de reprises de dire aux avocats qui me consultaient: Je pense qu'on pourrait écrire une thèse de doctorat en droit international privé strictement sur le problème que vous venez de soulever là. Alors, je le porte à votre attention.

On va maintenant passer aux recommandations de mon collègue actuaire qui touchent plus spécialement aux questions d'évaluation.

M. Simard (Louis-Georges): Merci, Mireille. Je vais traiter initialement de notre première proposition. Nous sommes d'accord avec la proposition du gouvernement de limiter les droits de retraite pouvant être attribués à un conjoint ou à un collaborateur à un maximum de 50 % des droits de retraite du participant attribuables à la période du mariage ou de la vie commune.

Il faut se rappeler qu'un régime de retraite est établi par un employeur dans une politique globale de retraite. Le but de ce régime, c'est de s'assurer que le revenu de l'employé est maintenu en partie après la retraite. D'ailleurs, c'est quelque chose qui est reconnu dans les lois, en ce sens que, jusqu'à présent, au Québec, les prestations ou les sommes d'argent d'un régime de retraite sont incessibles et insaisissables. Par ailleurs, on n'a pas d'objection en principe, dans la mesure où le gouvernement décide qu'il est approprié d'inclure les régimes de retraite dans les actifs familiaux, à ce que le régime de retraite serve ou corresponde à la politique du gouvernement. Mais il est important qu'il y ait un minimum de prestations qui soient protégées pour l'employé. Nous sommes d'accord avec le gouvernement, que ces 50 % représentent une part appropriée de ce minimum qui est protégé pour l'employé.

Dans un deuxième temps, je vais traiter des différentes méthodes d'évaluation. Il faut bien comprendre que, pour déterminer la valeur des droits de retraite, différentes méthodes sont retenues, sont présentement utilisées. Deux méthodes principales sont retenues présentement: une qui est dite en fonction de la cessation d'emploi et l'autre méthode qui est dite en fonction de la retraite. La différence principale entre les deux méthodes peut être bien identifiée dans le cas d'un régime où la rente est basée sur le salaire de fin de carrière. Dans le cas de la méthode de cessation d'emploi, la rente sujette au partage assume que le calcul de la pension va être fait sur le salaire jusqu'à la séparation. Dans le cas de la méthode de la retraite, il y a une présomption que le salaire va continuer jusqu'à la retraite. C'est ce salaire qui va être employé pour le calcul.

Lorsque le régime de retraite est demandé à des fins de règlement, ce que nous proposons, c'est que la méthode de cessation d'emploi soit retenue. Je pense qu'un exemple pourra aider à comprendre les motifs de cette recommandation. Supposons pour un instant que la méthode de retraite soit reconnue, il serait possible de faire une distribution en supposant que le salaire de l'employé va continuer à augmenter jusqu'à sa retraite. Disons que cet employé termine son emploi quelques mois ou quelques années après le règlement, il resterait moins que les 50 % que l'on veut protéger des droits à l'employé puisque le calcul initial aurait été fait sur un salaire de fin de carrière, alors que le calcul de retraite, de fait lorsqu'un employé quitte, va être fait sur un salaire qui va être beaucoup plus bas. Donc, pour fins de règlement à partir du régime de retraite, nous recommandons que la méthode de cessation d'emploi soit reconnue partie intégrante de la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes du Québec.

Maintenant, pour fins d'évaluation du droit de la famille, si les conjoints veulent s'entendre ou si on décide d'employer une autre méthode d'évaluation, soit la méthode de retraite, en l'occurrence, à ce moment-là, je pense qu'on devrait laisser cette porte ouverte. Nous recommandons donc que, pour fins d'évaluation et de détermination du patrimoine familial, la méthode de retraite ou de terminaison soit permise, mais qu'il n'y ait pas de méthode qui soit prescrite.

Quant aux hypothèses, on a parlé de méthode d'évaluation. Une autre chose importante pour déterminer la valeur capitalisée des droits, ce sont les hypothèses de mortalité, par exemple, de retraite à employer dans le calcul; les hypothèses d'intérêt aussi pour escompter les prestations futures. L'Institut canadien des

actuaires présentement est à terminer, des recommandations pour le calcul de la valeur capitalisée qui vont être adoptées fort probablement par l'institut canadien en 1989. En fait, le but de ces recommandations est d'uniformiser la pratique en termes de calcul à effectuer pour s'assurer que des normes professionnelles minimales soient reconnues. Le principe sous-jacent de ces recommandations est explicité au premier paragraphe. Ces recommandations ont comme principe que la valeur actualisée déclarée doit, dans la mesure du possible, être établie d'une manière équitable à la fois pour le participant du régime et son conjoint. Donc, je pense que l'objectif de ces recommandations correspond aux objectifs d'équité; l'objectif est de s'assurer que les valeurs soient déterminées de façon équitable et uniforme.

On recommande donc que les hypothèses ne soient pas partie de législation, mais soient laissées à la profession actuarielle.

Le Président (M. Marcil): C'est complet? Est-ce qu'il vous reste encore un petit bout à dire?

M. Simard: Deux minutes.

Le Président (M. Marcil): D'accord, parce que votre temps est écoulé, mais allez-y! (13 h 15)

M. Simard: Brièvement, notre recommandation numéro 4 stipule strictement que, lorsqu'un régime n'est pas pleinement capitalisé, la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes du Québec permet que la distribution soit faite sur un certain nombre d'années. C'est quelque chose qui est assez commun et qui ne devrait pas poser de problèmes particuliers. Dernier point. D'une façon générale, on croit que la loi devrait stipuler que la valeur capitalisée des prestations après la séparation est égale à la valeur capitalisée des prestations avant la séparation. Le but de cela est de ne pas changer les engagements financiers du régime de retraite lors d'une séparation. Je vous remercie beaucoup.

La Présidente (Mme Bleau): Je cède la parole à Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, merci, madame et messieurs, de votre présentation. Je dois vous avouer que c'est très technique et très spécialisé. Je ne me sens pas à la hauteur pour apporter vraiment tous les arguments nécessaires eu égard à votre mémoire, mais j'ai quand même des interrogations. J'ai cru comprendre que vous nous mettiez en garde, entre autres, en regard du problème du conflit des lois. Je pense que c'est tout à fait important. Vous ne voulez pas vous prononcer sur l'inclusion ou non des régimes faisant partie du partage du patrimoine, mais j'aurais aimé avoir quand même votre opinion même si vous n'en avez pas parlé dans votre document. Par contre, je trouve intéressant que vous nous disiez: Si vous devez l'inclure, vous devrez à ce moment-là inclure tous les véhicules d'épargne en vue de la retraite et il y a plein de moyens pour y parvenir. Il s'agit de s'asseoir, de voir à ce que cela cause le moins de troubles possible pour toutes les parties, mais c'est faisable, il y a plein de moyens pour le faire.

J'aurais une question sur la non-transférabilité des régimes. Il y a des régimes qui ne sont pas transférables. Est-ce que cela pourrait causer un problème? Devrait-on aussi modifier la loi pour que tous les régimes soient transférables parce que certains ne le sont pas actuellement?

M. Simard: Je pense que toute la notion de transférabilité des prestations de retraite fait partie d'un consensus des différentes juridictions canadiennes sur ce qui va arriver des régimes de retraite à l'avenir. Au Québec, ce n'est pas encore partie de la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes, mais c'est déjà prévu en Ontario, dans la loi fédérale et dans plusieurs autres lois.

En principe, le Québec a accepté la notion de transférabilité. C'est une question de temps, pense-t-on, on l'espère, avant que ce soit partie de la loi.

Mme Deschênes: Cela pourrait se faire par un amendement aux dispositions actuelles de la loi comme telle, une exception au principe que les rentes sont incessibles et insaisissables et une modalité de paiement qui permet le transfert en dehors du régime d'un montant comme tel au profit du conjoint, par exemple, dans le REER immobilisé du conjoint. Il n'est pas nécessaire d'attendre la réforme globale des pensions au Québec avant de procéder à ces amendements.

M. Simard: Pour répondre en partie à la première portion de votre question qui traitait de notre suggestion d'inclure les REER et les régimes de prestation différée aux bénéfices au même titre que les régimes de retraite, on pense que c'est quelque chose qui est particulièrement important. Il y a des situations où un régime de retraite d'un employeur, par exemple, va prévoir un minimum de prestations qui sont pleinement payées par l'employeur, et un montant additionnel pourra être payé en partie par l'employé et l'employeur sur une base volontaire. Par exemple, cela pourra prendre la forme d'une cotisation que l'employé pourra faire qui pourra varier de 1 % à 4 % du salaire, auquel l'employeur va ajouter, disons, 50 % de ce que l'employé cotise. On pense qu'il ne serait pas approprié qu'un employé soit hésitant à participer à cette portion du régime de l'employeur sut la base que le régime de l'employeur fait partie du patrimoine familial alors que, s'il faisait une cotisation au REER, par exemple, cela ne serait pas inclus dans le patrimoine familial.

Donc, les employés, et je pense que ce sera vrai de plus en plus, auront un certain choix à l'avenir de faire certaines cotisations au régime de l'employeur ou de les faire dans leur REER personnel. Si on inclut dans le patrimoine familial les deux sur une base différente, cela pourra être au détriment de l'employé qui, à ce moment-là, perdrait évidemment la cotisation que l'employeur fait en pourcentage de celle qu'il peut faire sur une base optionnelle.

Mme Gagnon-Tremblay: Si on devait inclure les régimes privés, comme vous le mentionnez, et les autres véhicules, en ce qui concerne le partage des crédits, est-ce que vous opteriez davantage pour que ces crédits soient partagés lors de la dissolution du régime ou bien si vous souhaiteriez qu'ils soient partagés davantage lorsque le bénéficiaire prend sa retraite et qu'on distribue deux chèques aux ex-conjoints, comme nous l'ont souligné, par exemple, un ou deux groupes qui sont venus ici en commission parlementaire?

Mme Deschênes: Je pense que les différentes options qui sont offertes aux conjoints dans les juridictions où on procède déjà à ces partages offrent des avantages et des inconvénients que les parties peuvent évaluer lorsqu'elles font leur choix. Le transfert immédiat d'un montant global au profit du conjoint a l'avantage de mettre un terme définitif à la relation entre les parties, du point de vue des conjoints comme tels. Par contre, un partage qui est comme différé à la retraite est perçu comme étant un mode de partage qui permet au conjoint de bénéficier des augmentations de salaire futures de l'employé. Cette méthode de partage a été critiquée comme étant contraire au principe que l'évaluation se fait à la date de rupture du mariage et que le conjoint ne devrait pas profiter de la plus-value d'un bien qui survient après la rupture du mariage.

Maintenant, c'est une méthode de partage qui a été employée au départ dans les juridictions où le droit de la famille disait que la pension est partageable, mais le droit des pensions, lui, ne donnait pas accès au fonds du régime. Alors, comme la plupart du temps le mari qui avait un fonds de pension... Si on évaluait la valeur présente de sa rente à 50 000 $, 60 000 $ ou 100 000 $, s'il n'avait pas accès à la caisse de retraite pour liquider les intérêts de son conjoint, au lieu d'avoir à liquider d'autres actifs pour satisfaire la réclamation de son épouse, il disait: Bien, la pension, je la partagerai plus tard quand elle sera payée et le montant qui me sera payable, je t'en donnerai une part. Après que la réforme des pensions soit entrée en vigueur dans ces juridictions, on a continué d'appliquer cette méthode de partage, mais en rendant cette fois-là l'administrateur du régime fiduciaire des intérêts du conjoint. Alors, au lieu que l'employé qui reçoit sa rente soit tenu d'en verser une partie à son conjoint, c'est l'administrateur du régime qui reçoit l'entente des parties disant: Nous nous entendons pour que la rente soit partagée selon une formule prédéterminée lorsqu'elle sera payée et c'est le montant qui sera payable à ce moment qui sera divisé. Donc, le régime paie à l'ex-conjoint.

Par contre, l'inconvénient de cette méthode, c'est que, advenant que l'employé décède avant de prendre sa retraite, le conjoint peut perdre ses droits dans la pension comme telle et cette pension sera aussi payable tant que l'employé sera vivant. S'il décède après sa retraite, cela pourrait être son deuxième conjoint qui reçoive la prestation de décès et non pas le premier conjoint. Disons que c'est peut-être un mode de partage qui pourrait s'avérer pertinent dans un contexte où la pension sert à satisfaire une obligation à caractère alimentaire. Si on se situe dans un contexte de partage d'actif comme tel et si on attribue une valeur capitalisée à cet actif, il faudra bien s'assurer que la rente payable à madame, qu'elle recevra un montant de mensualité suffisant pour liquider cet actif qui lui a été attribué dans son patrimoine et que ce soit sa succession à elle qui reçoive les paiements advenant son décès. C'est une forme de partage qui offre l'avantage qu'on n'a pas nécessairement à faire une évaluation actuarielle du montant comme tel et qu'on devrait peut-être ne pas écarter, compte tenu de l'avantage que cela peut présenter dans certains cas.

Maintenant, il y a une autre forme de partage qui s'appelle le partage des crédits de rente où les crédits de rente sont divisés en services et une rente future est payable cette fois-là calculée sur les deux vies des deux personnes, de sorte que le décès de l'employé n'aura pas d'effet sur la rente payable au conjoint. Cette forme de partage présente des difficultés d'application et je dois dire que cela fait un certain temps qu'on en discute et qu'on a de la difficulté à se comprendre, tant les experts en actuariat qui fournissent l'expertise légale là-dessus. Je ne vois pas tellement l'intérêt que cela pourrait présenter pour les parties de choisir cette forme. Il y a peut-être un travail d'information et d'éducation à faire auprès des juristes pour les amener à faire les choix les plus éclairés possible. Certains peuvent faire le choix d'une forme de règlement et ne pas réaliser exactement tout ce qui part avec cela ou les inconvénients que cela peut présenter de ne pas faire nécessairement les meilleurs choix. Je ne crois pas que la loi devrait écarter une forme de règlement plutôt qu'une autre. Il faudrait que les gens fassent les choix en connaissance de cause.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

La Présidente (Mme Bleau): Je passe la parole à l'Opposition officielle.

Mme Harel: Merci, Mme la Présidente. Je veux profiter le plus possible de votre présence pour obtenir le plus d'éclaircissement possible sur ces questions complexes pour le simple citoyen et pour les membres de la commission parlementaire également.

Alors, je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de prendre connaissance du mémoire du Barreau, mais j'aimerais que vous me disiez si vous considérez que le mode de partage de la rente publique vous semble adéquat. En fait, le Barreau recommandait d'une certaine façon que nous appliquions au régime privé le mécanisme, tout en l'améliorant, déjà en usage quant au partage de la rente publique.

Mme Deschênes: Je ne pense pas que ce soit quant à la mécanique de partage que le Barreau faisait un rapprochement avec le Régime de rentes du Québec, parce que le Régime de rentes du Québec et les régimes de retraite d'employeurs n'ont pas une formule d'accumulation de rentes qui se fait sur la même base; il n'y a pas de comparaison possible. Dans le Régime de rentes du Québec, ce que l'on partage, ce sont les gains admissibles. On ne peut pas partager un régime de retraite privé sur cette base. Le Barreau recommandait que les régimes de retraite soient inclus dans le patrimoine familial, comme ce sera le cas pour le Régime de rentes du Québec pour lequel on recommandait que le partage se fasse de manière automatique sur signification du jugement à la Régie des rentes, mais cela n'allait pas au-delà de ça le rapprochement fait entre les deux.

Mme Harel: Oui, vous avez complètement raison.

Mme Deschênes: S'il y avait une méthode simple de partager ou d'évaluer ces droits, on vous l'aurait décrite et on vous aurait recommandé de légiférer selon cette méthode. Malheureusement, cela n'existe pas une méthode simple, mais on ne dit pas que c'est infaisable. Ce n'est pas si simple que ça, mais cela se fait.

Mme Harel: Vous avez tout à fait raison; je viens justement de me référer à la page 11 du mémoire du Barreau. C'est plus le mécanisme de partage des droits accumulés au titre du régime public de rentes dont il voudrait obtenir des améliorations. Effectivement, c'est un groupe qui vous a précédés hier qui reprenait, d'une certaine façon, l'idée d'un partage analogue, mais ce n'était pas là un groupe d'experts, finalement. Je comprends parfaitement que vous ne soyez ni un groupe de pression ni un groupe d'opinion, vous êtes un groupe d'experts. Je comprends que vous ne vous prononciez pas sur la nécessité ou pas de l'inclusion. D'autres groupes, n'en doutez pas, viennent le faire pour vous mais n'ont pas cette expertise que vous avez.

Alors, j'aimerais que l'on envisage à la page 6 de votre mémoire toute la question de la prestation de décès. Il s'agit de voir comment le partage peut se faire. D'abord, si vous me permettez de vous demander une précision. Vous dites que plusieurs régimes prévoient le versement d'une prestation de survie advenant le décès de l'employé avant sa retraite et vous semblez nous indiquer que ce versement se fait au conjoint qui cohabite avec l'employé, quelle que soit la nature des liens, que ce soit une union de fait ou un couple marié, et vous dites: Les régimes ne discriminent pas sur la base de l'état civil. Est-ce qu'il est fréquent que l'on retrouve des dispositions comme celles-là dans les différents régimes privés?

Mme Deschênes: Dans les avantages sociaux offerts par les employeurs, les employeurs sont assujettis à la Charte des droits et libertés de la personne et à la loi canadienne sur les droits de la personne en ce qui concerne nos clients qui sont des entreprises sous juridiction fédérale. Actuellement, la Charte des droits et libertés de la personne prévoit qu'un employeur ne peut pas faire de discrimination sur la base du sexe, de l'état civil et de tous les autres motifs prohibés dans les conditions d'emploi. Par ailleurs, il y a une exception: l'article 90 de la charte prévoit qu'en ce qui concerne les régimes d'avantages sociaux, la discrimination n'est pas prohibée pour certains motifs tant que le gouvernement n'aura pas adopté un règlement qui prévoit quels sont les facteurs de distinction prescrits qui seront réputés non discriminatoires. Par contre, la plupart des employeurs n'ont pas attendu que le gouvernement prescrive des facteurs de distinction réputés non discriminatoires et dans nos régimes en général nous reconnaissons, dans les définitions de conjoints, autant le conjoint de fait que le conjoint légalement marié.

Mme Harel: Donc, il en va de même pour le Régime de rentes du Québec. Est-ce qu'il s'agit là d'une disposition analogue après trois années de vie commune ou si c'est au moment de la cohabitation, comme cela semble être le cas dans le mémoire que vous nous présentez?

Mme Deschênes: Quand on dit: qui cohabite avec l'employé au moment du décès...

Mme Harel: Oui, au moment du décès. (13 h 30)

Mme Deschênes:... en fait, c'est un critère d'admissibilité à la prestation qu'il cohabite avec l'employé au moment du décès, mais le conjoint, pour se qualifier d'abord comme conjoint, doit satisfaire à certaines normes reliées à la durée de la vie commune. Il y a une certaine disparité d'un employeur à l'autre ou d'un régime à l'autre en ce qui concerne la durée de la cohabitation qui est requise pour qu'une personne se qualifie comme conjoint de fait. Il y en a qui vont mettre trois ans, d'autres un an de cohabitation.

II n'y a pas de règle prescrite actuellement au Québec sur cette question-là.

Mme Harel: C'est intéressant.

Mme Deschênes: Si je peux vous faire aussi un commentaire, cela devient difficile d'administrer des avantages... C'est-à-dire que là où la loi oblige l'employeur à reconnaître !e conjoint de fait pour certaines choses, comme c'est le cas pour la loi fédérale sur les normes de prestation ou la loi de l'Ontario où on reconnaît le conjoint de fait... Cela pose une question de preuve comme telle, que la personne se qualifie bien. Lorsqu'une personne mariée réclame un droit ou une prestation, on lui demande son certificat de mariage et on demande des pièces justificatives sur son âge aussi, lorsque cela est pertinent pour déterminer le montant d'une prestation. En ce qui concerne les conjoints de fait, nous avons développé des formules d'affidavit ou de déclaration qui incluaient les exigences de la loi pour qu'une personne se qualifie comme conjoint de fait, mais on ne sait pas exactement jusqu'à quel point les employés ont fait une fausse déclaration pour peut-être... En ce qui concerne une pension, on pourrait penser qu'ils vont décider de partager une pension parce que cela peut devenir une technique de "income splitting" intéressante. Je crois que, si l'employeur recourt à une déclaration assermentée, il y a une protection légale à l'égard de toute poursuite qui pourrait résulter d'une déclaration frauduleuse, mais les employeurs n'ont pas les moyens d'envoyer des inspecteurs pour vérifier que telle personne qui est représentée comme le conjoint cohabite bien et remplit les critères élaborés par la loi. S'il y avait, en ce qui concerne l'état civil, un papier que les gens pourraient aller chercher à la mairie, un certificat de concubinage ou quoi que ce soit, cela nous faciliterait beaucoup la chose.

Mme Harel: C'est très très intéressant parce que vous nous posez des questions qui vont demander des réponses. Notamment, nous vous dites que plusieurs régimes jusqu'à maintenant prévoient une déchéance automatique des droits du conjoint au moment de la séparation ou du divorce. Vous attirez notre attention, d'une part, qu'il y a conflit, qu'il peut y avoir conflit de droit entre l'ex-conjoint divorcé ou séparé au moment du décès, etc., l'ex-conjoint séparé ou divorcé qui pourrait recourir au partage et le conjoint de fait qui pourrait également faire valoir ses droits. Est-ce que je comprends bien que dans vos recommandations - je pense que c'est la recommandation à la dernière page 7: "Que des dispositions excluent des droits assujettis au partage les prestations de décès préretraite dont l'attribution est liée à l'état matrimonial du participant à la date du décès"...

Mme Deschênes: Oui, dont l'attribution est liée par le régime, par le contrat comme tel à l'état matrimonial du participant. Autrement dit, l'employé n'a aucun contrôle, lui, sur l'attribution de ces prestations-là. Si on en attribuait une part de la valeur à son ex-conjoint, le régime serait quand même contractuellement lié à donner cette prestation-là au deuxième conjoint. Le régime serait pris pour payer deux fois. Par contre, là où l'employé peut désigner un bénéficiaire pour recevoir la prestation de décès, on devrait permettre aux parties de décider si oui ou non if y a une part qui est attribuée à l'ex-conjoint, comme un tribunal va le faire en matière de séparation ou comme un employé peut décider de maintenir sa désignation de bénéficiaire en assurance au profit de son ex-conjoint même s'il y a eu un divorce. Les prestations de décès obéissent à une logique d'assurance. Alors, on devrait leur accorder le même traitement. Mais dans le cas où le régime ne permet pas à l'employé de choisir à qui cela va aller, il faudrait clairement que la loi l'exclue.

Mme Harel: Donc, vous proposez que ce soit exclu des droits assujettis au partage. Vous proposez que ce soit exclu du patrimoine partageable.

Mme Deschênes: C'est-à-dire pas exclu du patrimoine partageable comme tel...

Mme Harel: Non.

Mme Deschênes:... mais que ce ne soit pas pris en compte dans l'évaluation des droits de l'employé pour fins de partage. Lorsqu'on évalue un droit de pension... J'ai droit, moi, à une rente future. Si je veux y donner aujourd'hui une valeur capitalisée, on doit tenir compte des avantages que me procure le régime. Or, le régime prévoit qu'il y aura une prestation de décès qui sera versée advenant mon décès. Il y a une valeur à cela.

M. Simard: La situation dans laquelle on est, c'est qu'on a une rente qui va être payable à un âge présumé de retraite et puis d'autres prestations du régime dont on veut voir aujourd'hui quelle est leur valeur actualisée. Le régime dit qu'en cas de décès du membre avant le commencement de la rente, s'il n'y a pas de conjoint, à ce moment-là, il n'y a pas de prestation payable. Donc, tout ce que l'on dit quand on calcule la valeur actualisée dans un contrat comme celui-là, c'est de ne pas en tenir compte parce qu'elle est inexistante en raison du fait qu'il y a eu une séparation.

Mme Harel: Et que dans la mesure... Oui, excusez-moi.

M. Boutin: Peut-être une petite nuance pour préciser ce que mes deux collègues ont dit et qui semble faire l'objet de l'accrochage d'interpréta-

tion. Quand on dit qu'une rente est payable en vertu du régime au conjoint, c'est que le texte légal du régime le dit comme tel: advenant le décès du participant ou du retraité, la rente sera payable à son conjoint, sans définir plus loin, sans dire qui cela va être. Alors, !e participant est dans la situation où il n'a pas le choix que cela ne soit pas son conjoint du moment qui reçoive la prestation. Ce que l'on dit, c'est que ce genre de prestation-là sur laquelle le participant n'a, de fait, pas le choix de voir qu'elle soit payable à son conjoint de l'époque ne devrait pas être incluse dans le patrimoine.

Mme Harel: Si vous me permettez de reprendre cela en termes un peu plus triviaux, mais l'employé qui a divorcé, donc qui a un exconjoint, dans la mesure où il y aurait inclusion des régimes privés de retraite, se trouve, dans la mesure où il y a partage des régimes privés de retraite, n'aurait plus droit qu'à la moitié, finalement, disons, pour parler en termes un peu simplistes, et son conjoint de fait devrait n'avoir droit qu'à des prestations de cette moitié. Est-ce que c'est dans ce sens-là?

M. Simard: C'est dans ce sens-là, mais, dans l'établissement de cette moitié-là, ce qu'on dit, c'est qu'il n'y a plus de prestations. Étant donné qu'il n'y a plus de conjoint, vu la séparation, il n'y a plus de...

Mme Harel: S'il y a un nouveau conjoint?

M. Simard: S'il y a un nouveau conjoint, il y a de nouvelles prestations de décès qui vont survenir, mais contractuellement ces prestations-là sont conditionnelles à l'existence d'un nouveau conjoint et on ne pense pas que la valeur actualisée de ces prestations de décès en question devrait être prise en considération parce qu'elles sont sujettes à ce qu'un nouveau conjoint survienne.

Mme Deschênes: Par contre, la prestation de décès comme telle est toujours calculée par rapport au bénéfice de l'employé lui-même. Alors, si le bénéfice de l'employé lui-même a été réduit pour tenir compte du fait qu'une part de ce bénéfice-là, qui est attribuabje à un premier mariage, a été versée au premier conjoint, la prestation de décès du deuxième conjoint sera calculée selon ce qui reste à l'employé, une fois que le premier conjoint s'est servi. C'est la logique qui fait que la prestation en cas de décès après la retraite, le montant est payé au conjoint que l'employé avait au moment où il a pris sa retraite. Cette prestation-là est calculée sur la rente accumulée pendant toute la carrière de l'employé, mais s'il y a eu séparation ou divorce en cours de route, on aura pu verser à l'ex-conjoint une part de la rente de l'employé, de sorte que, encore là, la deuxième rente est payée sur ce qui reste à l'employé, une fois que le ou les conjoints antérieurs se sont servis. Alors, c'est comme si le partage fait en sorte que les droits des conjoints antérieurs sont opposables au deuxième conjoint dans une certaine mesure. Par contre...

Mme Harel: Vous exprimez très bien ce conflit, sauf que les droits des conjoints antérieurs doivent être opposables pour pouvoir être satisfaits.

Mme Deschênes: Oui, effectivement.

Mme Harel: Parce qu'il faut prévoir des cas de plus en plus fréquents de remariage.

Mme Deschênes: Oui.

Mme Harel: On dit que presque un couple sur quatre sera remarié, alors c'est vraiment de plus en plus fréquent.

Une dernière question. Vous avez alerté, je pense, la commission sur un aspect très important, et vous êtes les premiers à le faire, sur l'urgence d'une réforme, je pense - en tout cas, c'est ce que je conclus - du droit des pensions. Alors, toute la question de la Loi sur tes régimes supplémentaires de rentes... Il y a d'autres motifs. Évidemment, on voit, avec des cas comme Singer, Simonds, Crédit foncier et autres, la nécessité de réformer cette loi qui est assez vétuste - elle date de 1965 - qui n'a pas connu les modifications que voulait y apporter le projet de loi 58 il y a trois ans.

Alors, il n'y a pas, selon vous, possibilité... Dois-je conclure qu'il n'y a pas de réforme possible qui inclurait les régimes privés, tout véhicule d'épargne dans le patrimoine partageable, sans qu'il y ait nécessité d'amender la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes? Dois-je comprendre cela?

Mme Deschênes: Non. Cela pourrait se faire sans amender la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes. Par ailleurs, en incluant les pensions dans le patrimoine familial, selon le droit de la famille, mais sans modifier les régimes supplémentaires de rentes, les conjoints se trouveraient probablement à être redevables l'un envers l'autre de montants substantiels dont ils n'auraient pas la disponibilité actuelle entre les mains. C'est le problème que cela a créé en Ontario lorsque le droit de la famille de l'Ontario a reconnu que les pensions faisaient partie des biens familiaux, alors que la Loi sur les régimes de retraite de l'Ontario ne donnait pas accès au fonds de la caisse de retraite. Il y avait des maris qui se retrouvaient avec des montants substantiels d'"equalization payment" à verser. La loi leur donnait un délai de dix ans pour s'acquitter de leurs obligations, ils étaient obligés de vendre la maison ou de liquider d'autres actifs pour acquitter ce paiement-là. À partir du moment où la caisse de retraite est

mise à contribution pour satisfaire à ces obligations-là, cela a l'avantage de prévenir la liquidation d'autres éléments d'actif, mais il faut que la loi sur les régimes de retraite elle-même soit modifiée à ce moment-là pour faire échec aux dispositions qui prévoient que les prestations sont incessibles et insaisissables. Si on veut que les droits des conjoints soient satisfaits à même des fonds qui proviennent de la caisse de retraite, ça prend une modification à la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes. Cela pourrait se faire dans le contexte de la loi actuelle. Ce n'est pas nécessaire que toute la réforme des pensions soit mise en vigueur pour que ces dispositions puissent être mises en application ou modifiées.

Mme Harel: Sans des amendements à la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes, il pourrait y avoir une difficulté de satisfaire au partage puisqu'il n'y aurait pas nécessairement accès au régime de retraite.

Mme Deschênes: Effectivement. Mme Harel: D'accord.

M. Boutin: L'accès pourrait être différé au moment de la retraite.

Mme Harel: Une dernière question. Vous nous avez parlé de la loi fédérale sur les normes de prestations de pension. Vous nous avez dit qu'elle semblait poser une difficulté. Le Barreau nous a parlé de ce problème également, je crois, en nous disant que les citoyens du Québec ne pouvaient pas bénéficier des avantages, même ceux qui étaient employés de l'une des 400 compagnies soumises à la juridiction fédérale.

Mme Deschênes: La loi fédérale comme telle, qui encore là s'inscrit dans le contexte d'une relation entre un employeur et un groupe d'employés pour lesquels un régime de retraite est établi, contient des dispositions sur le partage d'une pension, mais, comme le gouvernement fédéral intervenait à ce moment-là dans un champ de compétence provinciale qui est celui du droit de la famille, il a pris bien soin d'inscrire dans sa loi fédérale qu'à la rupture du mariage les droits des parties seront déterminés selon le droit de la famille de chacune des provinces. Par ailleurs, le législateur fédéral a fait un pas de plus et a édicté que, nonobstant le droit provincial, le membre d'un régime peut céder une partie de sa pension à son conjoint à la rupture du mariage. Au Québec, c'est la seule disposition qui peut s'appliquer. Si l'employé consent à céder une partie de sa rente à son ex-conjoint à la suite de la rupture du mariage, la loi fédérale accommode cet aménagement-là, mais c'est une cession volontaire. On ne pourrait pas avoir une ordonnance de tribunal forçant, ordonnant... On ne pourrait pas avoir un jugement qui ordonne à l'administrateur du régime de créditer certains droits à l'employé à cause d'une carence de notre droit de la famille qui ne reconnaît pas que la pension est un actif partageable. Si la pension était incluse, par exemple, parmi les acquêts, les gens qui sont mariés en société d'acquêts pourraient, en vertu de la loi fédérale, avoir un jugement de cour qui permette que les fonds soient payés à même la caisse ou, si c'était inscrit dans le patrimoine familial pour tous les conjoints, alors tous les conjoints qui participent à des régimes assujettis à la loi fédérale pourraient profiter de l'ordonnance du tribunal dans ce sens-là.

M. Simard: Je voudrais ajouter un point. En vertu de la loi fédérale, des conjoints de fait au Québec pourraient en arriver à une entente pour partager. Ça, c'est reconnu aussi par la loi fédérale.

Mme Harel: Au moment du décès ou au moment de...

Mme Deschênes: Non.

M. Simard: Au moment de la séparation.

Mme Harel: De la séparation?

Mme Deschênes: Des conjoints de fait...

M. Simard: Aujourd'hui, au Québec, si un employé est assujetti à la loi fédérale, qu'il vit en union de fait et que l'union de fait se termine, il pourra s'entendre avec la personne avec qui il vivait pour séparer les crédits de rente.

Mme Deschênes: Dans la loi fédérale, le conjoint de fait est reconnu autant pour la question des prestations de décès que pour la question du partage comme tel. Des avocats des institutions financières d'Ottawa avec lesquels je discutais de ces dispositions me disaient qu'il y a des provinces du Canada qui reconnaissent une obligation alimentaire entre les conjoints de fait, de sorte qu'une pension peut être partagée pour satisfaire à une obligation alimentaire, et c'était logique qu'on permette le partage en faveur de ces conjoints. La durée de cohabitation requise pour qu'une personne se qualifie comme conjoint selon la loi fédérale est d'un an.

La Présidente (Mme Bleau): Je vous remercie. Mme la ministre, le mot de la fin?

Mme Gagnon-Tremblay: Je vous remercie beaucoup de votre présentation. Comme je l'ai mentionné au tout début, c'est très technique, mais c'est quand même très enrichissant. Ce que j'en retiens, c'est que, si on devait inclure les régimes privés, c'est faisable, cela se fait, sauf que, naturellement, on devra y apporter les

modifications législatives en conséquence et voir quels sont les meilleurs moyens pour y parvenir parce qu'on doit prendre en considération la durée du mariage, la quantité de conjoints, les nombreux remariages et ce que cela peut représenter pour l'employeur et l'administrateur. Je pense que vous nous avez quand même alertés à bien des points de vue sur ces difficultés et, dans certains cas, des avantages aussi. On vous remercie infiniment de votre présentation. Vous êtes le premier groupe qui se penche vraiment sur le fond de ces régimes privés. Merci.

M. Boutin: II nous a fait plaisir de contribuer à vos travaux.

Mme Harel: Mme la Présidente, je veux remercier le groupe William Mercer Itée. Les informations que vous nous avez apportées sont extrêmement pertinentes. Je vous remercie, M. Simard, Me Deschênes et M. Boutin. Je crois que vous nous avez démontré, peut-être à votre insu, que le Québec n'est pas tant en avance et que, par une loi comme celle-là, il pourrait cesser d'accuser du retard. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Bleau): À mon tour, au nom de la commission, je vous remercie. La commission suspend ses travaux jusqu'à 16 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 48)

(Reprise à 16 h 19)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Cette commission va donc poursuivre ses travaux. Nous sommes en pleine période d'auditions publiques sur le document gouvernemental intitulé "Les droits économiques des conjoints". Alors, nous sommes chanceux; ici, nous avons lumière et son pour recevoir notre prochain groupe. Mais avant, je voudrais peut-être demander à la secrétaire, Me Giguère, d'annoncer les remplacements, s'il y en a.

La Secrétaire: On les a annoncés ce matin.

Le Président (M. Filion): Les mêmes que ce matin, cela va.

Alors, cet après-midi, l'Association féminine d'éducation et d'action sociale, communément appelée l'AFEAS - bonjour, je remarque que les représentantes ont déjà pris place - la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec et Me Pierre Issalys font partie de notre ordre du jour. Donc, sans plus tarder, nos invitées ayant déjà pris place, je leur souhaite la plus cordiale des bienvenues, en particulier à Mme Christine Marion, c'est cela, qui est la présidente, assise au centre. Je lui demanderais de bien vouloir présenter, pour le bénéfice du Journal des débats et des membres de cette commission, ies deux personnes qui l'accompagnent et je l'invite également, par la suite, à nous faire la présentation de son mémoire.

AFEAS

Mme Marion (Christine): Je vous remercie. Alors, c'est avec plaisir que je vous présente les personnes qui m'accompagnent. Il s'agit de Mme Huguette Marcoux, qui est membre de l'exécutif provincial, et de Mme Michelle Houle-Ouellet, qui est chargée du plan d'action à l'AFEAS et qui est co-rédactrice du mémoire.

L'Association féminine d'éducation et d'action sociale, l'AFEAS, est un organisme sans but lucratif qui regroupe 30 000 femmes dans 550 localités du Québec, ces localités étant réparties dans 13 régions distinctes. L'AFEAS offre à ses membres les outils nécessaires à une réflexion individuelle et collective sur les droits et responsabilités des femmes. L'AFEAS incite également ses membres à réaliser des actions concrètes dans leur milieu en vue d'un changement social. Elle est reconnue comme un corps intermédiaire dans la société québécoise.

L'AFEAS fonctionne selon des structures très démocratiques aux paliers local, régional et provincial. Les propositions de ses membres sont discutées et votées lors des assemblées générales de chacune des instances, ce qui permet d'affirmer que les prises de position de l'AFEAS représentent vraiment l'opinion de ses 30 000 membres. J'aimerais ajouter qu'une enquête que nous avons faite tout récemment sur le statut, l'âge, le revenu et la scolarité de nos membres nous permet d'affirmer que l'AFEAS est un fidèle reflet de la société québécoise.

Depuis sa fondation en 1966, l'AFEAS s'est toujours préoccupée de l'égalité des femmes et des hommes. À plusieurs reprises, nos dossiers ont traité de droits économiques des femmes. Ce document de consultation sur les droits économiques des conjoints rejoint donc nos objectifs.

Une recherche-action portant sur la situation des femmes collaboratrices du mari dans une entreprise familiale à but lucratif, en 1975, a permis l'obtention de certaines mesures de reconnaissance de la part des deux paliers de gouvernement en 1980 et la fondation d'un groupe, l'Association des femmes collaboratrices, l'ADFC, qui est vouée à la poursuite de ce dossier. Cette association étudiera le dossier plus à fond et fera sûrement des recommandations spécifiques sur le rôle des collaboratrices dans une entreprise. D'ailleurs, je pense que vous les avez déjà rencontrées.

En 1980, l'AFEAS s'attaquait à un autre dossier complexe, celui des femmes au foyer. À la suite des étapes de recherche, d'étude, d'analyse, de conscientisation, d'information et d'action, les membres ont adopté des recommandations visant à améliorer le sort des travailleuses au foyer. Depuis le début de cette démar-

che, l'AFEAS revendique, d'une part, la reconnaissance sociale de la valeur du travail au foyer et, d'autre part, la reconnaissance économique de ce rôle à l'intérieur de la famille.

Plusieurs sujets étudiés au cours des années touchent certains aspects du document de consultation sur les droits économiques des conjoints. Mentionnons, entre autres, la révision du Code civil, la protection de la résidence familiale, la prestation compensatoire, les régimes de pension, etc.

C'est donc en s'inspirant de ces études et des positions officielles adoptées par les membres en assemblée générale que l'AFEAS réagit aujourd'hui en regard des droits économiques des conjoints.

En 1980, l'AFEAS s'est impliquée dans le processus de la réforme du droit de la famille. Nous avons déploré par la suite que le nouveau Code civil accorde aux époux l'égalité dans le mariage et le partage des responsabilités aux charges du ménage sans accorder, par ailleurs, un partage équitable de la richesse entre les conjoints.

Aujourd'hui, huit années plus tard, nous ne pouvons que nous réjouir de la décision du gouvernement de tenir une commission parlementaire sur les droits économiques des conjoints. Nous sommes parfaitement d'accord pour affirmer avec les membres du comité formé sur ce sujet que "dans l'application du droit actuel le problème central demeure celui du régime de la séparation de biens choisi par près de 40 % des couples en 1985". Depuis 1970, on a enregistré au Québec 390 000 mariages sous le régime de la séparation de biens. Environ un millier de couples ont adopté le régime de la communauté de biens et 52 000 ont préféré se marier en société d'acquêts.

En 1982, l'AFEAS réalisait, en collaboration avec l'Université de Montréal, une enquête auprès des femmes au foyer. Je tiens à préciser que ces femmes n'étaient pas membres de l'AFEAS. Nous avons alors pu constater que, parmi les répondantes, plus de la moitié étaient mariées sous le régime de la séparation de biens et, par la suite, nous avons pu vérifier que la même tendance existait chez nos membres.

Dans le tableau qui suit, on peut voir un taux de 42 % pour les personnes mariées avant 1970 sous le régime de la séparation de biens et, pour les personnes mariées après 1970, un taux de 52, 8 %. Je vous fais grâce des autres chiffres du tableau.

Cette préférence pour le régime de la séparation de biens est étonnante considérant que les répondantes à notre enquête travaillaient exclusivement au foyer, qu'elles exerçaient un travail non rémunéré avec peu de possibilités d'accumuler des biens personnels. Pourquoi ce choix? La popularité du régime de séparation de biens a grandi, d'abord, parce qu'il permettait à la femme de conserver sa pleine capacité juridique. Il permettait aussi de protéger le milieu familial contre les aléas financiers des entreprises du mari.

Comme vous le savez, avant l'accroissement du nombre des divorces, la principale préoccupation des femmes concernait le décès et elle était réglée avec la clause testamentaire. C'est au fur et à mesure de l'augmentation des divorces que les femmes ont pris conscience de la fragilité de la protection offerte par leur contrat de mariage en séparation de biens. La majorité ayant renoncé à tout travail rémunéré pour se consacrer à leur famille, selon les valeurs de l'époque, elles se sont retrouvées sans biens propres, avec des donations et des clauses testamentaires annulées. La prestation compensatoire a suscité de l'espoir pour pallier aux injustices créées, mais, malheureusement, la jurisprudence a vite fait de mettre un terme à ces espoirs.

Malgré tout, la popularité du régime de la séparation de biens se maintient et ce, de manière inquiétante, d'autant plus que le nombre de couples dans cette situation augmente avec l'élévation des revenus: plus le revenu est élevé, plus le nombre de couples choisissant la séparation de biens s'élève, comme le démontre le tableau suivant qui est extrait du "Rapport de l'AFEAS sur la situation des femmes au foyer". On peut voir, au sujet de la séparation de biens, que, quand on a des revenus de moins de 10 000 $, 28, 5 % des couples optent pour ce régime, alors que, quand le revenu est de 30 000 $ et plus, c'est 64, 2 % des couples qui optent pour ce régime.

D'autres données de notre enquête révèlent, de plus, que très peu de couples font leurs achats en copropriété et que la plupart des biens appartiennent au conjoint. Ainsi, 68, 8 % des maris sont les uniques propriétaires du logement. Par conséquent, il est évident qu'une forte proportion de femmes ne peuvent compter sur leur contrat de mariage en séparation de biens pour obtenir une juste part des avoirs du ménage.

Les femmes sont de plus en plus nombreuses à demeurer sur le marché du travail toute leur vie. Pourtant, un nombre encore important de femmes choisissent de demeurer au foyer et cette décision repose sur un besoin familial, comme le démontre le tableau suivant regroupant les raisons pour choisir de demeurer au foyer. Il s'agit, là encore, des résultats de l'enquête menée par l'AFEAS en 1980. On voit que les trois principales raisons sont la présence à assurer auprès des enfants, le travail ménager à assumer à la maison et l'attitude du conjoint souhaitant la présence de sa femme au foyer. Plusieurs facteurs familiaux influencent donc la décision de rester au foyer. Il serait juste et équitable que les femmes ne soient pas les seules à subir les conséquences économiques d'un choix qui se fait en couple. L'établissement de biens familiaux partageables en parts égales permettra de corriger cette injustice.

Bien que nous mettions l'accent sur la

situation des travailleuses au foyer parce que nous avons, bien entendu, particulièrement étudié ce dossier, nous ne pouvons passer sous silence la situation des femmes sur le marché du travail. Elles accomplissent, le plus souvent encore, le travail au foyer, faisant face au problème de la double tâche. De plus, plusieurs études démontrent qu'elles possèdent encore peu de biens durables en propre. Leur revenu est souvent encore considéré comme un salaire d'appoint utilisé pour combler les dépenses courantes diffuses. Elles assumeront, par exemple, les frais de garde, le coût de leurs vêtements et de ceux de leurs enfants, et elles se chargeront des frais de rénovation et de décoration. Les hommes se retrouvent encore souvent propriétaires des biens: maison ou logement, automobile, meubles, résidence secondaire, placements et le reste.

Nous n'avons pas encore atteint le stade d'une société de partenaires égaux. Les attitudes et les comportements sont bien ancrés. La notion de copropriété des biens chez un couple n'est pas encore pratique courante. Le partage des biens rappelle encore la formule traditionnelle: homme pourvoyeur, femme à charge. Pour toutes ces raisons, il est urgent de légiférer afin de rétablir l'équilibre économique entre conjoints, quel que soit le régime matrimonial. Nous croyons que la vie commune amène inévitablement un partage des responsabilités et des rôles et que les deux conjoints contribuent à l'enrichissement de la communauté. (16 h 30)

C'est dans cet esprit que nous reprenons les divers points du document de consultation en y greffant les positions officielles des membres de l'AFEAS. Parmi les voies d'orientation proposées dans le document de consultation, nous nous rallions à celle qui rejoint le mieux la philosophie de nos membres, c'est-à-dire la voie mitoyenne. Cependant, il est nécessaire d'apporter des améliorations aux propositions du document de consultation concernant cette voie d'orientation afin de répondre plus fidèlement aux prises de position de notre association.

L'AFEAS est favorable au fait de conserver la liberté contractuelle des époux, tradition bien ancrée dans les moeurs québécoises. En même temps, par souci de justice et d'équité, nous jugeons primordial de constituer un patrimoine familial pour pallier aux effets néfastes que peuvent entraîner les régimes de la séparation de biens et, dans certaines circonstances, de la société d'acquêts. Ce patrimoine familial devra être applicable à tous les époux, que! que soit leur régime matrimonial. Il devra être formé d'une masse de biens dont la nature serait précisée par le Code civil et partageable à parts égales entre les conjoints à la fin du mariage. Cette mesure serait de nature à corriger les problèmes d'inéquité flagrante entre les patrimoines de certains époux à la fin du mariage. Cette voie est celle qui reflète le mieux la résolution adoptée par les membres de notre association lors de l'assemblée générale d'août 1988 concernant le partage des biens familiaux. Elle rendrait inutile l'élargissement de la prestation compensatoire réclamée depuis de nombreuses années.

Nous sommes conscientes qu'il est difficile d'inclure tous les biens du couple dans un patrimoine familial fixe et applicable à tous lors d'un jugement de séparation, de divorce ou de nullité de mariage. Cependant, nous continuons à croire que tous les biens acquis pendant le mariage ne peuvent appartenir à un seul conjoint.

Le document de consultation propose l'institution d'un patrimoine familial qui serait constitué des biens suivants: la résidence familiale, dont l'un des conjoints est propriétaire, ou, à défaut, la résidence secondaire ou les droits qui assurent le logement familial, s'il en est; les meubles qui garnissent la résidence familiale et qui sont affectés à l'usage du ménage; les véhicules automobiles, ainsi que les gains accumulés par l'un des conjoints en vertu de la Loi sur le Régime de rentes du Québec ou de programmes gouvernementaux équivalents.

Nous demandons d'ajouter le partage des biens accumulés par l'un des conjoints à l'intérieur d'un régime de retraite privé. Pour ce faire, nous nous basons sur une résolution adoptée par nos membres en ce sens et présentée dans notre mémoire sur la réforme des pensions. Cette proposition se lit comme suit: "Qu'on partage tous les crédits de pension accumulés par les deux conjoints pendant leur vie commune: Régime de pension du Canada, Régime de rentes du Québec, Régime enregistré d'épargne-retraite et autres. Que ces crédits soient partagés obligatoirement et automatiquement entre les conjoints. " Nous croyons que les crédits accumulés dans un régime de pension privé doivent être partagés au même titre que les régimes de pension publics. Durant la vie de couple, les deux conjoints se sont privés des montants investis dans un régime de retraite, diminuant ainsi le revenu familial disponible.

Les membres de l'AFEAS ont pris position récemment, lors de l'assemblée générale d'août 1988, sur le partage des biens familiaux et demandent que tous les biens familiaux acquis pendant le mariage (résidence familiale, voiture, meubles meublants, comptes conjoints, entreprise familiale, etc. ) soient partagés à parts égales entre les conjoints.

Nous sommes d'accord pour laisser aux conjoints la possibilité de renoncer au patrimoine familial uniquement à la fin du mariage. L'éventualité de conclure une entente équitable pour les deux conjoints lors de la dissolution du mariage est beaucoup plus réaliste et ne brime aucun droit. L'AFEAS s'oppose, cependant, à toute mesure transitoire. Nous croyons qu'une telle situation pourrait annuler les effets escomptés pour les femmes mariées sous le régime de la séparation de biens depuis un

certain nombre d'années. De telles mesures transitoires risqueraient de provoquer les mêmes problèmes que ceux rencontrés lors des négociations concernant l'enregistrement de la résidence familiale ou lors des demandes de changement de contrat de mariage. Ni l'une ni l'autre de ces dispositions n'a eu l'effet escompté. Plusieurs raisons expliquent cette situation: les discussions pénibles entre conjoints, le peu de pouvoir de négociation des femmes vu qu'elles ne possèdent pas le pouvoir économique dans la famille, les choix déchirants à faire entre le besoin de sécurité personnelle et la bonne entente dans le couple.

Les membres de notre association demandent expressément que ces changements concernant le partage des biens familiaux s'appliquent immédiatement aux contrats de mariage en séparation de biens encore valides au moment de la mise en vigueur de la nouvelle loi.

Nous appuyons le principe d'assurer la protection des biens inclus au patrimoine familial comme le sont actuellement la résidence familiale et les meubles, mais ce, de façon automatique et sans démarche d'enregistrement. Cependant, laisser au tribunal la liberté de déroger, d'office ou à la demande d'un époux, au principe du partage égal, tel que suggéré au point X de la page 22, nous apparaît très aléatoire. Quelle sera l'interprétation des termes "notamment", "brève durée du mariage", "mauvaise foi de l'un d'eux"? Est-ce que cinq ans de vie commune, cela pourrait être considéré comme bref? Quant à la mauvaise foi, on peut en faire plusieurs interprétations. Il serait donc souhaitable que le législateur fournisse un cadre précis de critères de dérogation.

Concernant la protection de la résidence familiale, nous tenons à réaffirmer les positions adoptées par les membres de notre association. Que le ministre de la Justice du Québec amende la loi 89 afin que la résidence familiale soit automatiquement protégée sans démarche d'enregistrement. Que son contenu soit légalement protégé. Que la déclaration de résidence familiale soit une clause qui figure au texte du contrat d'achat d'une résidence familiale et/ou à la signature d'un bail. Qu'un article soit ajouté au chapitre VI de la loi 89 incluant les maisons mobiles comme résidence familiale au même titre que les autres habitations.

Nous demandons, de plus, au législateur de clarifier le recours en nullité de l'acte, ainsi que le recours en dommages-intérêts advenant un acte commis par un conjoint sans le consentement de l'autre. Nous incitons, de plus, le gouvernement à véhiculer auprès de la population toutes les informations relatives à la protection de la résidence familiale.

Tel que nous l'avons mentionné dans l'introduction, nous savons que l'Association des femmes collaboratrices a réagi aux éléments concernant la situation de collaboration dans une entreprise d'une manière probablement plus éclairée que nous pourrions le faire et nous lui reconnaissons l'expertise dans ce domaine. Il est impérieux que le gouvernement statue clairement afin que les femmes collaboratrices dans une entreprise familiale puissent bénéficier d'un partage équitable au moment d'une séparation, d'un divorce ou d'un décès. Pour les membres de notre association, la collaboration à l'entreprise familiale devrait permettre un partage à parts égales de l'actif net que son conjoint possédait dans l'entreprise.

L'AFEAS n'a pas de résolution lui permettant de prendre position en ce qui concerne le régime légal de la société d'acquêts. Cependant, poursuivant toujours un objectif d'égalité entre les conjoints, nous appuyons fortement toutes les mesures pouvant simplifier, clarifier et bonifier l'application de ce régime. Nous croyons que les mesures de partage des biens familiaux entre les conjoints, indépendamment du régime matrimonial, exerceront une influence dans l'avenir sur le choix du contrat de mariage. Nous pensons que davantage de couples opteront pour la société d'acquêts, d'où l'importance de rendre ce régime plus simple.

En ce qui a trait au régime de la communauté de biens, nous réaffirmons que ce régime matrimonial ne reconnaît pas l'égalité des époux dans le mariage, le mari devenant le seul administrateur des biens. Ce régime est en contradiction avec le nouveau Code civil qui stipule que les époux ont les mêmes droits et les mêmes obligations et doivent contribuer également aux charges du ménage. L'AFEAS préconise l'abolition de ce régime plutôt que son adaptation aux régimes existants. Il ne devrait plus être disponible par convention. L'accent devrait être mis plutôt sur le régime légal de la société d'acquêts.

Pour rétablir l'équilibre entre le partage des devoirs et des responsabilités inclus au Code civil depuis 1980, le législateur doit permettre un partage équitable de la richesse familiale. Il est inconcevable que des femmes se retrouvent dépourvues et dépendantes des mesures sociales au moment d'une séparation, d'un divorce ou d'un décès et ce, parce que d'office certains contrats de mariage et la pratique juridique ne reconnaissent pas leur apport au patrimoine familial et les désavantagent injustement. Par souci de justice, l'AFEAS demande au gouvernement d'agir dans les plus brefs délais et de statuer sur les droits économiques des conjoints. Merci.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Mme Marion. Maintenant, je vais reconnaître Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Marion. Je profite de l'occasion, justement, pour vous féliciter publiquement de votre récente nomination comme présidente de l'AFEAS. Je voudrais discuter avec vous du patrimoine familial. Vous parlez d'un patrimoine familial plus élargi que

celui qui est proposé dans le document de consultation. Entre autres, vous dites, si j'ai bien compris, que tous les biens acquis pendant le mariage devraient être inclus, dont les comptes conjoints et l'entreprise familiale. À ce moment-là, est-ce que ce n'est pas un petit peu un genre de société d'acquêts déguisée, de façon obligatoire? Qu'est-ce que vous en pensez?

Mme Marion: Je vais demander à Mme Ouellet de répondre à cette question, parce que c'est elle qui s'est penchée plus particulièrement sur cet aspect de la question. Elle pourra probablement répondre avec plus de justesse à votre question.

Mme Houle-Ouellet (Michelle): Disons que c'est en assemblée générale, finalement, que nos membres ont pris position là-dessus. Des discussions qui ont eu lieu pour arriver à cette proposition faisaient ressortir clairement que ce qu'on entendait par les biens qui devaient constituer le patrimoine familial, c'étaient les biens familiaux acquis pendant la période du mariage. On voulait dire par là bien sûr, ceux qu'on énumère ici: la résidence principale, la voiture, les meubles. On trouvait important d'ajouter aux régimes de pension publics tous les fonds privés de pension, en se basant sur le fait que l'investissement qui avait été fait par le couple dans ces fonds de pension l'avait été un peu à même ce que l'on considère comme le revenu familial. La jouissance de ces biens devait aussi revenir aux deux conjoints, même s'il y avait eu dissolution du mariage.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Finalement, cela se terminait là, c'est-à-dire que c'est à peu près le même partage que le groupe Partage, que le Conseil du statut de la femme, sauf que vous y ajoutez aussi les régimes privés. Mais j'avais cru lire dans votre document que vous alliez un peu plus loin, dans le sens que vous demandiez les comptes conjoints et l'entreprise familiale. Est-ce que cela inclut d'autres immeubles, en somme, tout ce qui a été acquis au cours du mariage?

Mme Houle-Ouellet: Nous voyons tous les biens qui servent à l'usage de la famille et qui sont acquis au cours du mariage. On pense à la résidence secondaire, aux articles de loisir que pourraient être, par exemple, les bateaux, des choses comme cela, même s'ils ne sont pas inclus dans l'énumération, tout ce qui est à l'usage de la famille qui a été acquis pendant le mariage.

Mme Gagnon-Tremblay: Je m'excuse. Quand vous dites: À l'usage de la famille parce qu'il y a l'entreprise familiale, est-ce que vous incluez aussi des immeubles d'appartements acquis au cours du mariage même s'ils ne servent pas uniquement à la famille? Est-ce que c'est inclus également?

Mme Houle-Ouellet: On inclurait cela si c'est acquis avec les revenus qui sont destinés à la famille. On pourrait concevoir, par contre, disons, que les gens ont des intérêts dans une société. Je ne sais pas, je prends l'exemple d'un couple où le conjoint est plombier et a une entreprise et où la conjointe est optométriste et a une clinique. Chacun dans son entreprise pourrait faire des placements qui seraient propres, sauf que, dans les biens à l'usage de la famille, s'il y a des placements qui sont faits avec le revenu familial, on les destinerait au patrimoine, on les inclurait dans le patrimoine.

Mme Gagnon-Tremblay: Donc, finalement, cela comporte un partage de tous les biens acquis au cours du mariage, ce qui veut dire un partage semblable à celui qui existe actuellement en société d'acquêts. Donc, c'est une certaine forme de société d'acquêts obligatoire, si je comprends bien, du fait qu'on inclut tous les biens. Est-ce que ce partage, par contre, vous le voyez rétroactif? Qu'est-ce que vous faites pour les gens qui sont actuellement mariés sous le régime de la société d'acquêts? Est-ce qu'ils seraient affectés par ce partage des biens acquis comme vous le mentionnez actuellement? Est-ce que vous avez pensé aux gens qui sont déjà mariés en société d'acquêts? Est-ce que la rétroactivité devrait jouer dans ce cas aussi?

Mme Houle-Ouellet: Je pense que, lorsqu'on en a débattu, on pensait davantage aux gens qui étaient mariés en séparation de biens, mais la volonté qu'on manifestait, c'était que le patrimoine familial soit applicable à tous les conjoints quel que soit le contrat qui les liait.

Mme Gagnon-Tremblay: C'est parce que je me rends compte que, dans votre document, vous vous opposez aux mesures transitoires, c'est-à-dire que vous vous opposez au fait qu'on renonce pour les gens mariés actuellement sous le régime de la séparation de biens. Donc, vous semblez proposer un patrimoine très large, c'est-à-dire tous les biens acquis au cours du mariage. Donc, comme je le mentionnais, c'est un peu une sorte de société d'acquêts déguisée un peu obligatoire. Par contre, les gens mariés sous le régime de la séparation de biens seraient également affectés de la même façon, c'est-à-dire que, dès l'entrée en vigueur, ces gens devraient aussi partager tous les biens acquis au cours du mariage un peu comme les acquêts, indépendamment de leur régime matrimonial. Est-ce que vous avez des choses à rajouter?

Mme Houle-Ouellet: C'est comme ça qu'on le concevait, oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous savez, il y a le notaire Comtois qui est venu la semaine

dernière. Il suggérait un régime de société d'acquêts obligatoire qui devait naturellement affecter aussi tous les gens mariés, aussi bien maintenant que plus tard, sous le régime de la séparation de biens. C'est sûr que ça va vraiment contre nos traditions actuelles du droit. C'est pour ça que je voulais vraiment savoir si c'était votre pensée. (16 h 45)

Mme Houle-Ouellet: Disons que, de la façon dont nous en discutions, cela ne devenait pas nécessairement une espèce de société d'acquêts obligatoire. Nous croyions qu'avec le régime de la séparation de biens il y avait, quand même, certains liens d'affaires qui pouvaient être préservés. Dans ce sens, notre position n'était pas celle d'une société d'acquêts pour tous les conjoints. Nous préférions nous rallier à un patrimoine familial, la voie qui était proposée. Mais, dans le patrimoine familial, il était important pour nous que tous les biens acquis par la famille pendant le temps du mariage soient partageables entre les conjoints. Les deux conjoints investissent, chacun à sa manière, selon leurs possibilités, dans la responsabilité, dans le fonctionnement de la famille. Cela nous semblait important de reconnaître l'investissement qui était fait par les deux conjoints, de le reconnaître d'une façon équitable, de faire en sorte que la conjointe, parce que c'est la situation la plus fréquente, ne se retrouve pas lésée et sans biens quand arrive une dissolution du mariage parce qu'elle-même n'y a pas vraiment investi de l'argent ou n'a pas eu de biens en son nom.

C'est le principe qu'on trouve absolument important de préserver et de mettre de l'avant. C'est dans ce sens qu'on n'hésite pas à demander que tous les biens acquis pendant le mariage constituent le patrimoine familial et soient partageables à parts égales.

Mme Gagnon-Tremblay: Ces biens pourraient être également des obligations d'épargne, des actions de compagnies.

Mme Houle-Ouellet: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Finalement, c'est vraiment un partage d'acquêts. Cela inclut tous les biens. Donc, ça finit par être des acquêts, finalement, dans le sens qu'on le connaît dans le régime de la société d'acquêts, c'est-à-dire que vous partagez tous les biens acquis. Acquêts veut dire biens acquis au cours du mariage. C'est un peu ça que vous voulez partager.

Mme Houle-Ouellet: Je pense que ça devient assez flagrant qu'on n'est pas spécialistes dans le domaine du droit, sauf que je pense que ce qu'on fait valoir, c'est vraiment la volonté que les femmes nous expriment, que nos membres nous expriment. Dans ce sens, on n'hésite pas à le mettre de l'avant de cette façon.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous parlez des régimes privés que vous aimeriez voir inclure aussi dans le patrimoine. Par contre, ce qui est un peu différent de ce qu'on a vu jusqu'à maintenant, vous dites: Bien, ça pourrait être partageable au divorce, ça pourrait être partageable lorsque le plus jeune a atteint 60 ans ou lorsque le conjoint qui a le plus faible niveau de crédit devient invalide. Est-ce que vous avez, tout simplement, pensé que c'est une forme quelconque de partage qui pourrait se faire ou si vous avez évalué les implications que cette forme de partage pouvait comporter? Etes-vous allées jusqu'à identifier les implications ou bien si, tout simplement, pour vous, cela paraissait peut-être souhaitable sans avoir vérifié les implications?

Mme Marion: II faut comprendre que cette proposition-là a été libellée, quand même, un bon moment avant qu'il soit question du partage des biens familiaux. Il nous apparaissait donc important de l'inclure parce qu'elle avait, quand même, un rapport avec le partage des régimes de rentes. Mais ce libellé-là, au moment du divorce, ainsi de suite, ne serait peut-être plus pertinent si le partage était appliqué. Cependant, on n'en était pas certaines. Alors, nous préférons l'inclure plutôt que de nous retrouver avec un moins.

Mme Gagnon-Tremblay: Concernant la déclaration de résidence familiale, vous suggérez qu'elle fasse l'objet d'une clause dans le contrat...

Mme Marion: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay:... d'aliénation ou à la signature d'un bail et vous mentionnez qu'il ne devrait pas y avoir de démarche d'enregistrement. J'imagine que, lorsque vous parlez de démarche d'enregistrement, c'est plus au niveau de la signification telle qu'elle est exigée actuellement que pour l'enregistrement comme tel du contrat qui, automatiquement, devra s'enregistrer. J'imagine que c'est beaucoup plus au niveau de la signification.

Mme Marion: C'est ça. Oui, c'est exactement ça.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, d'accord. Pour éviter toutes les pressions ou tous les litiges entre les conjoints.

Mme Marion: Les pressions, les difficultés qu'on peut connaître dans un couple quand on fait une demande de la sorte.

Mme Gagnon-Tremblay: Quant à la prestation compensatoire, aussi bien que pour le partage des biens, la durée du mariage a-t-elle une incidence pour vous? Est-ce important qu'on prenne en considération la durée du mariage, c'est-à-dire qu'on fasse le partage toujours en

fonction du temps qu'on a vécu avec une autre personne?

Mme Marion: En fait, l'AFEAS n'a pas de position officielle là-dessus. Je ne peux vraiment pas vous dire ce que nous en pensons. Il n'en a jamais été question dans nos discussions en assemblée générale. Alors, je ne peux vraiment pas vous préciser un nombre d'années, ni en plus ni en moins, ni d'aucune façon. Pas au nom de l'AFEAS, en tout cas.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Marion.

Le Président (M. Marcil): Cela va? Je vais maintenant reconnaître Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Je voudrais également souhaiter la bienvenue aux représentantes de l'AFEAS, à vous, Mme Marion, qui, comme nouvelle présidente, je pense, en êtes à votre baptême de commission parlementaire; à vous, Mme Michelle Houle-Ouellet et Mme Marcoux, qui en êtes également, je pense, à votre première commission parlementaire, malgré que vous soyez déjà venues assister à des commissions pour appuyer les porte-parole de l'AFEAS, comme vos compagnes le font présentement.

Votre mémoire nous permet, à la page 6 notamment, de vérifier et d'illustrer aussi ce que les femmes collaboratrices étaient venues nous dire et qui m'avait étonné, à savoir que, dans leurs rangs, les diverses études qu'elles avaient réalisées leur démontraient la progression du régime de la séparation de biens. C'est-à-dire qu'en regard des études qu'elles avaient faites ii y avait plus de femmes collaboratrices qui étaient mariées en séparation de biens qu'il n'y en avait cinq ans auparavant, je crois. Il s'agit d'une autre étude que l'AFEAS avait conduite en 1984 et qui démontrait que le nombre de couples en séparation de biens augmentait avec l'élévation des revenus. Alors, ça aussi, ça s'ajoute, d'une certaine façon, à ce dossier qui voudrait nous donner un portrait où plus on est en affaires, plus on a des revenus importants et, finalement, plus on serait en séparation de biens. Je n'ai pas d'autre façon de faire le portrait de la situation, mais il me semble que c'est de plus en plus fréquent de voir, avec la présentation des mémoires des différents groupes, ce portrait se dessiner. Cela veut dire que, lorsqu'il y a quelque chose à partager, en tout cas, c'est en séparation de biens que cela se ferait souvent.

Mme Marion: Actuellement, quand il y a quelque chose à partager, il n'y a pas moyen de partager souvent.

Mme Harel: Voilà, c'est ça, d'une certaine façon. Alors, le problème est d'autant décuplé du fait que les couples qui seraient en situation d'avoir des biens à partager sont sans doute plus largement dans le régime de la séparation de biens.

D'autre part, j'aimerais vous interroger sur la question des mesures transitoires, à la page 11 de votre mémoire. Vous recommandez la possibilité de renoncer au patrimoine familial uniquement à la fin du mariage. Effectivement, le Conseil du statut de la femme a fait la même recommandation à l'ouverture des travaux de la commission. Par ailleurs, des groupes qui ont suivi ont mis en garde le législateur d'introduire une telle renonciation. Il s'agissait souvent d'avocates praticiennes en matière de droit familial qui nous faisaient valoir qu'il y a souvent un chantage affectif, qu'il y a souvent une sorte de renonciation offerte parce que ce qui est en cause, c'est la négociation sur la garde des enfants. Comme tout cela intervient à la fin, au moment de la rupture, autant il ne serait pas souhaitable que durant le mariage il y ait cette renonciation, puisque là c'est un autre type de chantage affectif qui peut être fait, autant la fin de la relation peut conduire à un chantage qui se fait concurremment puisqu'il y a des ententes à faire sur la question de la garde des enfants. Je ne sais pas comment vous réagissez à ces témoignages qui ont été faits ici devant la commission.

Mme Marion: En fait, pour les membres de l'AFEAS, il nous semble qu'on est beaucoup moins souple sur une possibilité de partage au moment d'un divorce qu'on peut l'être quand tout va bien. Quand tout va bien, on peut se dire: Tout va bien, pourquoi je ne renoncerais pas? Mais quand on est au moment d'un divorce, il nous semble qu'on est beaucoup moins conciliant dans ce domaine. Certes, il se peut qu'il y ait des possibilités d'un autre type de chantage, mais il nous semble que le danger est beaucoup moins grand.

Mme Harel: Semble-t-il, le danger serait d'autant plus grand qu'il y aurait en cause la garde des enfants. Cela ne vient pas, pour autant, atténuer le point de vue que vous avez durant la vie de couple, mais ça viendrait à la fin justifier bien des femmes de laisser tomber, finalement, des recours auxquels elles auraient droit pour le motif de ne pas augmenter l'acrimonie, pour avoir une sorte de paix et conserver la garde des enfants. Cela n'a-t-il pas été porté à votre attention?

Mme Marion: En tout cas, chez nous, il n'en a pas été question.

Mme Houle-Ouellet: On met en jeu la garde des enfants, mais cela peut être aussi un motif d'être très ferme pour ne pas renoncer au partage. C'est une motivation pour pouvoir préserver le mieux possible les intérêts des enfants, finalement.

Mme Marcoux (Huguette): Dans le fond, à l'intérieur de tout cela, nous, ce qu'on essaie de voir aussi, c'est de vraiment protéger cette entité qu'est la famille. C'est bien clair qu'à partir de cela on se dit à l'AFEAS que... Tout à l'heure, Mme Marion nous disait que, quand tout va bien, on n'a pas de problème. Mais quand arrivent les difficultés et qu'on est devant, effectivement... Vous disiez qu'on demande à la conjointe de renoncer à sa partie à elle. À ce moment-là, il nous apparaît que si devant la loi on était au départ traitées de façon égale, si cette égalité-là existait, si le patrimoine familial était bien clairement précis sur ce que cela contient, à partir de ce moment-là, c'est sûr qu'il y aurait toutes les responsabilités qui sont attachées, tous les avantages, mais que ce serait équitable pour tout le monde. Ce qui nous apparaît, nous autres, c'est que... Bon, cela fait longtemps qu'on parle d'égalité, effectivement, entre les conjoints devant la loi, mais dans la pratique, vous le dites vous-même, cela se résume à quoi? Ce sont toujours les femmes qui sont perdantes. Alors, si cela est bien établi au moment... En tout cas, si les jeux sont clairs, il nous apparaît que ce sera plus facile à ce moment-là pour la femme. C'est sûr que ce n'est pas facile pour elle ce qu'elle vit et que c'est souvent elle qui a la garde des enfants et qui a à assumer toute cette responsabilité parentale; en plus elle doit vivre cela émotionnellement et en plus on fait des pressions sur elle. Alors, nous autres, on se dit: Si le législateur vient vraiment clarifier par une loi - bon, on dit qu'on est égaux - ce qu'on a devant la loi de part et d'autre, à ce moment-là, devant de telles situations, cela sera plus facile.

Mme Harel: Je vous remercie, Mme Marcoux. Vous venez ajouter à cette plaidoirie qui est faite depuis les débuts de la commission sur le caractère des mesures correctrices, lequel caractère ne devrait pas permettre de renoncer à ce qui est un correctif pour corriger des iniquités, finalement. Je comprends votre plaidoyer et je le partage aussi, d'ailleurs. J'aimerais souligner que dans votre mémoire vous insistez, je pense, à la page 8, sur le fait que, même sur le marché du travail, les femmes accomplissent le plus souvent encore le travail au foyer. Je trouverais cela intéressant parce que l'AFEAS, avec ses 30 000 membres, représente certainement... Je ne sais pas si vous avez un profil de vos membres qui vous permette de voir combien sont sur le marché du travail rémunéré et combien sont à la maison. Est-ce que vous avez pu faire des études dans ce sens?

Mme Marion: Les études que nous avons ne sont peut-être pas tout à fait récentes, mais c'était quand même une plus forte proportion de femmes qui sont des travailleuses au foyer que de femmes sur le marché du travail. Il n'en demeure pas moins que de plus en plus la balance semble vouloir pencher dans l'autre sens. Je vous disais tout à l'heure que nous sommes, à l'AFEAS, un fidèle reflet de la société et, comme cette tendance de femmes qui retournent sur le marché du travail est très forte en ce qui concerne la société, cela se fait sentir chez nous ici.

Mme Harel: Oui, vous avez tout à fait raison.

Mme Marion: C'est la raison pour laquelle il nous apparaissait important de le souligner dans notre mémoire, quoique nous n'ayons pas beaucoup d'études faites sur cette problématique. (17 heures)

Mme Harel: Vous avez raison, Mme Marion, parce que non seulement elles y retournent, mais elles ne le quittent pas, d'une certaine façon. J'avais les chiffres, pour 1986, du dernier recensement, où le pourcentage des femmes âgées de 20 à 24 ans qui travaillaient à l'extérieur de la maison était de 75 % et celui pour celles qui avaient entre 25 et 34 ans était de 68 %. C'est donc près de 70 %, en moyenne, le pourcentage des femmes de moins de 35 ans qui sont à l'extérieur de la maison.

À la page 8, vous insistiez sur le fait que, même si elles travaillent, elles ne possèdent pas pour autant des biens durables en propre. Vous indiquiez là un type de consommation qui est comme partagé, un partage des rôles, où l'homme achète les biens durables et la femme tout le reste.

Mme Marion: Oui.

Mme Marcoux: Ce qu'on a voulu souligner à l'intérieur de notre mémoire, c'est que... On dit qu'à l'heure actuelle il y a plus de femmes qui se retrouvent sur le marché du travail, mais souvent c'est à temps partiel. Que font-elles de leur argent? Quand on jase avec elles autour d'une tasse de café, on apprend, effectivement, que leur argent ne va pas dans des biens durables. Quand arrive le moment du divorce, on dit: Qu'est-ce qui t'appartient? Comment pourra-t-elle comptabiliser tous les marchés qu'elle a faits durant cinq ans? Il n'y a pas personne qui ne puisse lui reconnaître cela. Dans ce sens-là, on est très conscientes qu'effectivement les femmes vont sur le marché du travail et, tout probablement, elles vont y aller de plus en plus. Dans le fond, si on ne s'assure pas qu'avec les montants qu'elles vont posséder elles puissent avoir de ces biens durables, on n'est pas plus avantagé.

Quand on parle de responsabilités parentales, il y a une étude Participation-intégration du Conseil canadien du statut de la femme qui disait: Que tu sois travailleuse au foyer, travailleuse à temps partiel ou travailleuse à temps plein, le temps qu'un homme va consacrer au travail à la maison sera d'une heure. Alors...

Mme Harel: Par jour ou par semaine?

Mme Marcoux: Une heure par jour de plus. Imaginez-vous! La responsabilité parentale dont on nous parle souvent, dans la réalité, soyons réalistes, qui l'assume? Ce sont encore les femmes. C'est à partir de ce moment-là que pour nous il nous apparaissait très important de le souligner: souvent, ce n'est pas un travail que les femmes ont à faire, c'est deux et trois.

Mme Marion: J'aimerais rajouter, peut-être pour clarifier ce que vous avez mentionné quant aux statistiques; vous parlez de femmes de moins de 35 ans, alors que, chez nous, la moyenne est un petit peu plus haute que cela, ce qui fait que la problématique, nous ne la voyons pas sous le même angle.

Mme Harel: Oui, je comprends. Je comprends que vous avez d'ailleurs déjà fait un profil des membres de l'AFEAS. Incidemment, il y en a plusieurs qui étaient des femmes collaboratrices. C'est ce qui vous a amenées, dans le fond, à poser toute la problématique des femmes collaboratrices qui a amené, finalement, tous ces changements qu'on a connus par la suite.

J'aimerais, avant que mon temps soit épuisé, vous questionner sur le dossier des régimes de rentes, des régimes de retraite privés. Je comprends qu'à l'instar de l'ensemble des groupes de pression, des groupes d'intérêt ou des groupes qui se présentent devant la commission vous demandez l'inclusion. Je sais, par ailleurs, que vous aviez beaucoup développé tout le dossier de l'accès de la travailleuse au foyer à la Régie des rentes. Est-ce qu'il vous semble que ces deux dossiers sont concurrents? Est-ce que vous pensez que cet accès de la travailleuse au foyer à la Régie des rentes du Québec... Là-dessus, avez-vous des réactions à nous faire? Est-ce que vous, vous attendez qu'il y ait, tout prochainement, des scénarios qui soient proposes? Vous avez sans doute constaté, évidemment, que dans le document gouvernemental il n'y a pas partage des rentes privées de retraite. La seule conclusion qu'on peut en tirer - cela est de l'interprétation - c'est qu'en l'absence de tout partage il y aurait un scénario généreux d'accès des rentes publiques pour la travailleuse au foyer. Est-ce que ce sont des indications dans ce sens qui vous ont été communiquées?

Mme Marion: En tout cas, je ne vois pas de concurrence entre le fait de donner un partage des biens familiaux et d'avoir aussi l'accès au Régime de rentes pour la travailleuse au foyer, loin de là!

Mme Harel: Vous considérez que les deux mesures doivent être mises en application par le gouvernement?

Mme Marion: C'est dans le même ordre d'idées qu'on n'empêchera pas une femme d'acquérir une maison sous prétexte qu'elle va avoir à la partager avec son mari, le cas échéant. Je ne vois pas pourquoi on empêcherait une femme de participer à un régime de rentes, soit-il public ou privé, sous prétexte qu'elle aura éventuellement à le partager. L'accès au Régime de rentes du Québec pour la travailleuse au foyer est une reconnaissance encore plus tangible de la valeur sociale de son travail.

Mme Houle-Ouellet: C'est une reconnaissance que nous demandons finalement au gouvernement au même titre que tous les autres travailleurs. C'est accordé à tous les autres travailleurs et travailleuses, alors nous nous disons que la travailleuse au foyer remplit un rôle, elle joue un rôle social et pour ce rôle elle mérite une compensation. C'est à ce titre que nous demandons l'intégration au Régime de rentes du Québec, mais cela n'exclut pas finalement les demandes que nous pouvons avoir pour la constitution d'un patrimoine familial et, à l'intérieur de cela, des régimes de retraite et publics et privés.

Mme Harel: Je crois donc comprendre que votre proposition est que ce soit la reconnaissance du rôle de la travailleuse au foyer, indépendamment du fait qu'il y ait présence ou non d'un mari. C'est bien cela?

Mme Marcoux: C'est-à-dire que l'AFEAS a toujours... Le dossier de la reconnaissance de la travailleuse au foyer, il y a longtemps que nous y travaillons et nous souhaitons sa reconnaissance. Mais ce que nous touchons dans le fond à travers tout cela, c'est beaucoup plus la reconnaissance sociale de cet homme, de ce monsieur ou de cette madame qui vont choisir... Nous disons bien à l'intérieur de notre mémoire que c'est un choix qu'un couple va faire, parce qu'il est bien clair que, quand il n'y a pas d'enfants, ce choix est moins important, il est moins justifiable. Mais, quand les enfants arrivent, il est justifiable ce choix-là et, à partir de ce moment, qui va prendre la responsabilité de voir au développement de ces enfants? Souvent, ii y a un des deux qui choisit de l'assumer et, à partir du moment où ii fait ce choix, dans la société on lui dit: Tu viens de faire partie de la population qui est inactive, 45 %. Alors, nous disons qu'il peut être très important dans une société comme !a nôtre de voir à la reconnaissance sociale de cette personne. Pour nous c'est la travailleuse au foyer. Il est bien évident que, si on la reconnaît socialement, c'est clair qu'à ce moment-là elle doit participer au moins a un régime de rentes. C'est clair pour nous.

Mme Harel: Mais vous me dites: C'est un choix de couple. Je comprends parfaitement que dans le cadre d'un couple il doit y avoir partage, notamment, des régimes privés de retraite. La

démonstration en a été tellement éloquemment faite que je ne voudrais pas revenir là-dessus. Mais évidemment la responsabilité parentale ne se vit pas que dans le cadre d'un couple. Il peut y avoir des femmes veuves...

Mme Marcoux: Bien oui, c'est clair.

Mme Harel:... il peut y avoir des femmes séparées. Je trouvais très intéressante, à la page 16 de votre mémoire, la conclusion que vous tiriez, qu'il était inconcevable que les femmes se retrouvent dépourvues et dépendantes des mesures sociales au moment d'une séparation, d'un divorce ou d'un décès, et ce, parce que d'office certains contrats de mariage et la pratique juridique ne reconnaissent pas leur apport au patrimoine familial et les désavantagent injustement. Cela me faisait penser, entre autres, aux 105 000 femmes chefs de famille monoparentale sur l'aide sociale actuellement au Québec et aux 165 000 enfants de ces familles. Mais, comme ce sont là des femmes sans conjoint qui sont chefs de famille monoparentale, mais qui ont aussi la garde et la responsabilité d'enfants, envisagez-vous aussi pour ces femmes qui sont des travailleuses au foyer cet accès à la Régie des rentes?

Mme Marcoux: Bien, c'est clair.

Mme Marion: II n'y a jamais rien dans nos positions qui a dit que c'était restreint aux femmes qui sont en...

Mme Marcoux: En vie de couple. Mme Marion:... en vie de couple.

Mme Harel: D'accord, je vous pose la question parce que ce n'est pas la position du Barreau, mais un des quatre représentants qui sont venus insistait, lors de la clôture de leur présentation, pour me signaler que les mesures gouvernementales d'aide aux familles devraient n'être offertes que dans le cadre du mariage.

Mme Marcoux: Non, chez nous cela... Il est évident qu'il y a déjà eu un conjoint à quelque part, s'il y a des enfants c'est sûr. C'est clair que pour nous c'est pour les couples et c'est pour les femmes qui vivent une situation de veuvage ou monoparentale. C'est clair.

Mme Harel: D'accord.

Le Président (M. Filion): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Merci, M. le Président. À mon tour, au nom du ministre de la Justice du Québec, j'aimerais vous souhaiter la bienvenue et vous remercier de votre contribution à nos travaux. J'aurais deux petites questions. Je sais que d'autres collègues ont également des questions. La première est la suivante: Je prends acte que vous vous opposez à ce qu'il y ait des mesures transitoires, c'est-à-dire possibilité de renonciation à l'intérieur d'un délai de trois ans à la suite de la mise en vigueur d'un éventuel projet de loi. Cependant, vous acceptez l'idée d'avoir recours au tribunal dans des cas spéciaux d'injustice flagrante, ce qui est prévu à la proposition gouvernementale, brièveté du ménage, etc., mais vous suggérez de le baliser, c'est-à-dire de l'encadrer pour ne pas laisser trop de place à la discrétion de la justice, du tribunal. Ne craignez-vous pas que par cet encadrement - on sait que tout ce qui est encadré, tout ce qui est défini n'est pas susceptible d'être élargi - des cas spéciaux ne puissent faire l'objet de recours aux tribunaux? Et, s'il y a encadrement, j'aimerais vous entendre, à savoir quel genre d'encadrement vous désireriez.

Mme Marion: Dans un premier temps, j'aimerais dire que nous comprenons très bien à quel point la tâche du législateur sera délicate dans cette question. C'est évident que ce ne sera ni simple ni facile et qu'il faudra bien peser le pour et le contre. Cependant, nous pensons qu'il faut quand même donner certaines balises. J'aimerais vous faire une citation que j'ai lue tout récemment du juge Nichols qui, dans la cause Poirier contre Globensky, disait que la loi québécoise n'est pas aussi équitable envers les conjoints qu'elle ne l'est au pays, mais qu'il s'agit là d'une question de politique générale qui ne relève pas de la compétence des tribunaux. Semble-t-il que les tribunaux se sentent démunis parce qu'il n'y a pas assez de balises et le législateur, je le comprends, est aussi dans une situation délicate face à ça. il reste qu'à un moment donné il faut prendre position quelque part et nous préférons qu'il y ait des balises mises par le législateur plutôt que de laisser ça à l'interprétation des tribunaux. L'interprétation qui a été faite nous a souvent déçues et c'est dans ce sens-là que nous demandons que des balises soient fixées. Quant à vous dire quelles devraient être ces balises, c'est une autre question. Je ne me reconnais pas la compétence pour vous donner exactement quels termes devraient être utilisés et quelles balises devraient être fixées. Peut-être que mes compagnes...

Mme Marcoux: C'est la même chose pour moi. Après que le législateur aura établi certaines balises, il sera toujours plus facile pour les juges de faire respecter la loi comme telle. Tant que ce n'est pas fait, on a souvent l'impression qu'on se garroche la balle de part et d'autre. Dans le fond, qui est perdant à travers tout ça? Ce sont les femmes et les enfants et c'est peut-être à ça qu'il faudrait réfléchir quand on fait les lois, à savoir que ce soit équitable pour tout le monde et souvent peut-être pour ceux qui sont les plus faibles.

M. Dauphin: Merci beaucoup. Avec la permission non pas du tribunal, mais du président, je voudrais vous poser une deuxième question relativement à la protection de la résidence familiale. Ce matin un groupe qui vous a précédées, notamment les cercles de fermières, nous proposait que la créance minimale en cas d'insaisissabilité soit majorée de 5000 $ qu'elle est actuellement à 20 000 $ alors que la proposition gouvernementale prévoit 10 000 $, ainsi qu'une vente forcée qui ne pourrait avoir lieu que pour autant que 70 % de l'évaluation municipale soit retirée de cette vente forcée. Comme groupe, est-ce que vous vous êtes penchées là-dessus ou avez-vous une opinion là-dessus? (17 h 15)

Mme Marion: J'aimerais beaucoup pouvoir vous donner une réponse. Malheureusement, ou heureusement devrais-je dire, nos structures, comme je vous l'ai mentionné au début, sont hautement démocratiques et, comme nous ne nous sommes pas penchées sur celte question, je ne peux pas vous donner de réponse.

M. Dauphin: Merci.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme Marion. Mme la députée de Groulx.

Mme Bleau: Bonjour, mesdames. La réforme envisagée du partage du patrimoine familial vise les conjoints mariés. Mais est-ce que vous avez pensé aussi aux conjoints de fait? Est-ce qu'ils doivent être éliminés de la réforme ou si vous voulez les voir dans la réforme? Quelles sont les conditions?

Mme Marion: Quand on regarde le profil de nos membres, dont il était question tout à l'heure, il est évident que la plupart sont des personnes qui vivent des situations de couples, mais sont mariés. Nécessairement, quand des personnes se penchent sur des problèmes, elles se penchent sur leurs problèmes. Nous n'avons malheureusement pas de position par rapport à cette question des couples qui vivent en union de fait. Nous avons d'ailleurs refait une recherche pour être bien certaines qu'on n'avait rien à vous dire dans ce sens-là et, malheureusement, je ne peux pas me prononcer.

Mme Bleau: Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): II me reste donc, au nom de tous les membres de cette commission, à vous remercier, autant pour l'énergie, le temps et la réflexion que vous avez investis à la préparation de votre mémoire que pour la qualité de vos témoignages cet après-midi. Donc, merci aux représentantes de l'AFEAS.

Mme Marion: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Sans plus tarder, j'inviterais les représentants de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec à bien vouloir prendre place à la table des invités.

Bienvenue aux représentants et représentantes de la FTQ. On reconnaît M. Fernand Daoust, secrétaire général de la FTQ, à qui je demanderais d'abord de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent, autant pour le bénéfice du Journal des débats que pour celui des membres de cette commission.

FTQ

M. Daoust (Fernand): Merci beaucoup, M. le Président. M'accompagnent pour la présentation de ce mémoire quelques-unes des vice-présidentes de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, Lauraine Vaillancourt et Diane Bissonnette, ainsi qu'un des vice-présidents de la FTQ, Edmond Gallant, et notre responsable du dossier de la condition féminine, Carole Gingras-Larivière. Avec votre permission, M. le Président, je voudrais bien vous lire ce mémoire qui n'est pas tellement volumineux, mais qui nous permettra par ta suite de discuter quelques points de son contenu, ici et là.

La FTQ qui représente au-delà de 450 000 membres, dont le tiers sont des femmes, s'est fait un devoir d'intervenir depuis 1981 dans les questions entourant la refonte du Code civil. Devant la complexité des questions soulevées par le sujet, un cours a été mis sur pied par le service d'éducation de la FTQ. Il a d'ailleurs été dispensé à plusieurs reprises dans différents syndicats de notre centrale. Ce sont d'ailleurs les comités de condition féminine qui existent un peu partout dans nos structures qui ont pris en charge ce dossier.

Nous croyons que les syndicats doivent intervenir dans le dossier de la famille. Au cours des dernières années, la FTQ a constamment essayé d'associer les conditions de travail aux conditions de vie des travailleurs et des travailleuses qu'elle représente. Par exemple avec les problèmes accrus de chômage et les taux d'hypothèque élevés, les syndicats sont intervenus activement dans les problèmes que vivent les familles. C'est donc dans une perspective d'une meilleure qualité de vie et d'un véritable partage des responsabilités familiales que nous avons situé nos interventions.

C'est dans un contexte de changements majeurs que le gouvernement du Québec s'amène avec une proposition d'une nouvelle réforme du Code civil. Au cours des dernières décennies, le Québec a connu des bouleversements sociaux importants. La famille n'est plus ce qu'elle était. Le temps où les maris assumaient seuls le rôle de pourvoyeur est sur le point d'être révolu. Les femmes ont intégré massivement le marché du travail et vont continuer à le faire. Nous sommes passés de la famille stable où la femme s'occupait seule de la maison et des enfants à la famille des années quatre-vingt-dix où les deux

conjoints doivent travailler pour assumer les coûts.

Lorsqu'on aborde la question de la réforme des droits économiques des conjoints, on s'aperçoit que ces considérations sont fort importantes. Ces changements que nous connaissons ne se terminent pas là. Il devient difficile de prévoir ce que va devenir la famille de l'an 2000. À la lumière de ces faits, nous croyons que le gouvernement doit agir avec une certaine prudence dans les choix qu'il fera. Il faut qu'il évite de revenir à tous les six ou huit ans pour modifier le Code civil.

La proposition gouvernementale. Le gouvernement nous livre, dans son document "Les droits économiques des conjoints", sa proposition visant la réforme du drort de la famille et plus particulièrement la protection du conjoint le plus économiquement faible en cas de dissolution du mariage. Il serait plus juste de qualifier la proposition de "réforme visant les époux lors d'une rupture ou d'un décès". En effet, rien dans la proposition du gouvernement ne s'adresse à la source du problème d'inégalité économique des conjoints pendant la durée du mariage.

Dans son Mémoire sur la politique familiale d'avril 1985, la FTQ soulignait que, pour détenir véritablement des droits économiques, toute personne doit jouir de l'autonomie financière. Pour les femmes, disions-nous, la fragilité des liens conjugaux rend leur autonomie financière d'autant plus nécessaire. La FTQ avait également mis de l'avant des mesures concrètes visant à permettre aux femmes d'acquérir et de maintenir l'autonomie financière pendant la durée du mariage, soit: modifier l'organisation du travail quant aux horaires, à l'accès au marché du travail, aux congés parentaux, à la protection de la maternité au travail; améliorer les services favorisant l'accès au travail des personnes qui le désirent et on pense à des services de garde, des services aux personnes en perte d'autonomie, des services de santé, et concevoir une fiscalité équitable qui tienne compte des coûts réels encourus par les parents.

Nous tenons à répéter deux des principes sous-jacents aux mesures proposées et qui sont d'une importance cruciale pour les femmes: le droit au travail rémunéré et des conditions de travail qui permettent l'harmonisation du travail rémunéré et de la vie familiale. À défaut de telles mesures, les femmes et les mères surtout sont condamnées à demeurer économiquement faibles et à compter sur des palliatifs insuffisants, telle la proposition du gouvernement.

Ce que la FTQ revendique avant tout, c'est le droit pour les femmes à des avantages économiques distincts, seul garant de l'égalité dans le couple, à la fois pendant la durée du mariage et à la dissolution de celui-ci. D'ailleurs, les mesures préconisées sont également à l'avantage des pères qui désirent s'impliquer davantage dans la vie familiale sans pour autant être pénalisés vis-à-vis de leurs confrères de travail.

Cela dit, il est indéniable que la proposition du gouvernement visant à rétablir un certain équilibre dans les rapports patrimoniaux lors de la dissolution du mariage représente une amélioration par rapport à la situation juridique actuelle. De même, les mesures proposées relativement à la résidence principale offrent une protection accrue au conjoint non propriétaire ou non locataire.

Dans ce mémoire, la FTQ ne reprendra pas l'argumentation pour contrer la faiblesse économique des femmes déjà soumise dans son mémoire. Cependant, nous insisterons pour que les mesures choisies tentent de maintenir un juste équilibre entre le principe d'une liberté de choix et celui d'une nécessaire équité entre les époux. Dans ce sens, elles ne devraient pas être vues strictement sous l'angle de la protection d'un conjoint économiquement plus faible, mais plutôt devraient permettre aux femmes une égalité de droit. Nous réagirons aux options retenues et aux mesures préconisées par le gouvernement dans le document de consultation.

La voie retenue par le gouvernement. Nul n'est besoin de référer spécifiquement aux nombreuses études qui ont constaté la faiblesse économique des femmes mariées, voire la pauvreté qui les guette après un divorce ou après le décès de leur conjoint. Les femmes qui n'ont pas de revenu, que ce soit la femme au foyer ou la chômeuse, n'ont aucun moyen de se constituer elles-mêmes un patrimoine. Elles dépendent des libéralités des autres. Les femmes qui travaillent à l'extérieur du foyer gagnent moins que les hommes à cause de multiples facteurs dont la sous-évaluation des emplois qu'elles occupent et leur concentration dans certains emplois mal rémunérés. Les femmes sont moins syndiquées que les hommes et leurs emplois ne comportent souvent aucun avantage social.

L'inégalité économique entre les hommes et les femmes se retrouve également dans le couple. En principe, les deux personnes unissent leurs capacités affectives, intellectuelles et matérielles pour créer le meilleur niveau de vie possible pour elles et pour leurs enfants. En pratique, quand les conjoints occupent tous les deux un travail rémunéré, l'homme acquitte les comptes pour les biens durables, c'est-à-dire les versements hypothécaires, l'achat des meubles meublant la maison, alors que la femme paie les dépenses hebdomadaires, c'est-à-dire l'épicerie, les vêtements des enfants et le reste. Tant que le ménage va bien, peu importe qui a payé quoi ou qui a fait quoi puisque, dans leur esprit, ils bâtissent un patrimoine commun, peu importe leur régime matrimonial.

Mais tout se gâte lorsque la vie du couple ne va plus. Il faut voir le réveil brutal des femmes mariées en séparation de biens lorsque vient le moment d'évaluer les patrimoines respectifs des conjoints. Le gouvernement a bien raison de noter que ces femmes ont été défavorisées par la réforme de 1980.

Le document "Les droits économiques des conjoints" résume la position comme suit: "En outre, la dernière réforme du droit de la famille, en 1980, a indirectement aggravé la situation du conjoint le plus faible économiquement, marié en séparation de biens: le mari n'est plus le seul responsable des dépenses de la famille, malgré toute clause contractuelle à l'effet contraire; en outre, le divorce rend caduques les donations à cause de mort consenties en considération du mariage - en vertu de l'article 557 du Code civil du Québec et le tribunal peut déclarer caduques les autres donations à cause de mort et celles entre vifs, les réduire ou ordonner que leur paiement soit différé. Quant à la prestation compensatoire, elle ne s'est pas avérée suffisamment efficace pour remédier complètement aux problèmes vécus par certains conjoints mariés... Pour ce qui est des règles relatives à la protection de la résidence familiale, elles soulèvent également les difficultés... " (17 h 30)

Compte tenu de la situation identifiée par le gouvernement, la deuxième voie proposée, soit l'institution de la société d'acquêts comme régime impératif, constituerait la solution, selon nous, la plus appropriée pour garantir un partage réel de toute la richesse familiale acquise pendant ie mariage et la moins onéreuse pour les contribuables compte tenu des fréquents recours aux tribunaux et des coûts qui en découlent, mais également la plus courageuse en termes politiques.

Le gouvernement n'a pas retenu cette voie, bien qu'il souligne que le problème central demeure celui du régime de la séparation de biens. Le gouvernement s'étonne de la faveur dont jouit encore ce régime, mais aucune proposition concrète pour contrer cette tendance ne figure dans le document. Qui plus est, le gouvernement émet l'hypothèse que les époux d'aujourd'hui font leur choix en toute connaissance de cause des dangers de la séparation de biens à la fin du mariage. Or, rien n'est plus loin de la réalité.

La FTQ s'inquiète donc de l'aveuglement du gouvernement face à cette situation. Sans aller jusqu'à recommander que le gouvernement adopte un régime matrimonial impératif, la FTQ souhaite que le gouvernement consacre des efforts plus sérieux à la promotion du régime légal de la société d'acquêts. Il y aurait lieu de monter une campagne d'information à grande échelle diffusée dans les médias d'information, à l'exemple de ia campagne de sensibilisation sur les femmes battues.

Aussi, le gouvernement pourrait, de concert avec la Chambre des notaires, établir des outils d'information expliquant les avantages du régime légal, qui seraient remis aux parties qui se présentent chez le ou la notaire pour obtenir un contrat de mariage. Une telle mesure n'est pas contraire à notre droit. La Loi sur le divorce exige que les avocats et les avocates attirent l'attention de leurs clients et clientes sur certaines dispositions de la loi et discutent inter alia des possibilités de réconciliation. Les dispositions en matière de logement et de protection du consommateur exigent, elles aussi, en matière conventionnelle, que des extraits des législations pertinentes soient remis à l'une ou l'autre des parties contractantes. La FTQ croit que la promotion efficace du régime légal de la société d'acquêts est un jalon nécessaire de l'égalité économique des conjoints.

L'institution d'un patrimoine familial. Le gouvernement a retenu une voie qu'il qualifie d'intermédiaire entre le régime de la séparation de biens et celui de la société d'acquêts, soit l'institution d'un patrimoine familial. Il s'agit d'une solution préconisée en 1986 par Projet-partage et approuvée par le Conseil du statut de la femme. Les deux organismes divergent quant au contenu de ce qui constituerait le patrimoine familial.

La composition du patrimoine familial. Vous avez, d'un côté, le projet Projet-partage dans lequel il est question de la résidence principale, de la résidence secondaire, de la ou des voitures, des meubles, des objets d'art et de tout autre bien servant à l'usage de la famille, tels un bateau et des fonds de retraite. Du côté du Conseil du statut de la femme, il est question de la résidence familiale et des meubles garnissant la résidence familiale. Le CSF a motivé sa définition plus restreinte par un souci de maintenir une certaine distance avec le régime légal. Le gouvernement propose une solution intermédiaire: la résidence familiale ou, à défaut, la résidence secondaire, les véhicules automobiles, les gains accumulés par un des conjoints en vertu de la Loi sur la Régie des rentes du Québec; les meubles affectés à l'usage du ménage et garnissant la résidence familiale.

Le gouvernement préconise que ces biens ont été retenus parce qu'ils ont tous un caractère familial certain. Dans un souci de préciser notre point de vue sur la proposition du gouvernement concernant la composition du patrimoine familial, nous allons, dans les lignes qui suivent, présenter notre réaction face aux différents éléments énoncés.

La résidence familiale, les meubles et les véhicules automobiles. Nous adhérons tout à fait à l'idée d'inclure dans le patrimoine familial les véhicules automobiles et la résidence familiale. Nous croyons cependant qu'il faille préciser davantage la notion de meubles. À cet égard, il nous semble important d'élargir davantage le concept. Nous proposons d'inclure les meubles meublants et les effets mobiliers garnissant la résidence familiale pour empêcher des recours bien inutiles devant les tribunaux pour faire préciser la composition du patrimoine à l'égard des biens se retrouvant dans la résidence familiale.

Par ailleurs, le gouvernement soulève, à juste titre, les problèmes d'application des règles

relatives à la protection de la résidence familiale. Il souligne, d'une part: "... on déplore, notamment, la condition de l'enregistrement de la déclaration de résidence familiale pour permettre l'exercice du recours en nullité de l'acte fait sans le consentement requis du conjoint. "

Pourtant, l'exigence de l'enregistrement d'une déclaration de résidence familiale à l'égard du tiers de bonne foi est reprise parmi les propositions du gouvernement. L'expérience démontre que les conjoints ont peu recours à la formalité de la déclaration. Dans ces circonstances, la protection de la résidence au sein du patrimoine familial est bien aléatoire puisque la valeur nette de la résidence peut être diminuée.

La FTQ estime que le gouvernement évite le vrai problème. Il est tout naturel que les femmes hésitent et retardent à enregistrer une déclaration de résidence familiale puisque ce geste affirmatif peut être perçu, par le conjoint, comme sonnant le glas de leur mariage et témoignant d'un manque de confiance. Par ailleurs, s'il existait des mécanismes d'enregistrement automatique, ce fardeau disparaîtrait.

La FTQ suggère donc que le gouvernement explore des mécanismes d'enregistrement automatique de la déclaration de résidence principale. Par exemple, il pourrait s'agir d'une mention qui s'inscrive à l'intérieur du contrat d'achat d'un immeuble dans une déclaration de l'acheteur disant que l'immeuble servira ou ne servira pas de résidence familiale. Signalons que les contrats font déjà mention de l'état matrimonial des parties.

La résidence secondaire. Si le but est d'inclure tous les biens à caractère familial, il semble illogique d'exclure la résidence secondaire comme élément distinct du patrimoine familial. Peu importe que les conjoints aient disposé à la fois d'une résidence principale et d'une résidence secondaire, celle-ci sert certainement aux besoins de la famille en devenant le lieu de vacances privilégié. Compte tenu du fait que nombre de femmes ont été écartées du titre de propriété des résidences secondaires et compte tenu de l'investissement important que peut représenter une telle résidence de nos jours, il serait non seulement plus logique, mais également plus juste, d'inclure la résidence secondaire, le cas échéant, dans le patrimoine familial. Quant aux meubles qui s'y retrouvent, nous suggérons qu'ils soient également inclus. Il s'agirait des meubles meublant la résidence secondaire.

Les régimes enregistrés de retraite et les régimes de participation aux bénéfices. Le gouvernement justifie l'inclusion de ces biens par le fait qu'ils ne sont pas utilisés dans le cours de la vie familiale, il est vrai que les sommes versées dans ces régimes sont gelées et ne servent pas comme tel à la vie familiale. Mais l'épargne accumulée dans le cours de la vie familiale pour la retraite affecte les revenus disponibles du couple et ne peut donc pas être exclue du patrimoine familial du couple qui a choisi de se constituer des actifs de rentes, en plus des actifs immobiliers.

La participation à des régimes de retraite bien administrés est assurément un moyen pour les travailleurs et les travailleuses d'assurer une retraite décente. D'ailleurs, de plus en plus les syndicats revendiquent l'inclusion, dans les conventions collectives, de modalités afférentes aux régimes de retraite. Selon une étude de la RRQ, 39, 9 % de la population active participait, en 1979, à un régime complémentaire de retraite. Ce pourcentage atteignait 54 % chez les travailleurs et travailleuses à temps plein.

Hélas! la protection de ces régimes est souvent inadéquate, même pour la personne qui y a cotisé. En effet, les contrôles sur la fermeture d'un régime sont encore très élémentaires, leurs pensions ne sont pas toujours indexées, les administrateurs du régime peuvent voter des résolutions avantageuses pour tel ou tel ex-cadre au détriment de la masse assurée, et le reste. Il y aurait donc un urgent besoin de réforme au seul chapitre des régimes privés de retraite.

À son congrès de 1983, la FTQ réclamait notamment, les modifications suivantes au régime privé: La création d'un organisme chargé de garantir le paiement des prestations des régimes privés en cas de terminaison des régimes pour quelque raison que ce soit et aussi - une autre réclamation - qu'il y ait une représentation obligatoire des participants et des participantes, par l'intermédiaire du syndicat, au comité de retraite de chacun de ces régimes.

Pour ce qui est du lien entre de tels régimes et la famille, il faut reconnaître que la quasi-totalité de ces régimes contient une option de conjoint survivant, moyennant une prime supérieure, ou encore un choix d'une rente diminuée, l'assuré peut prévoir qu'à son décès une rente devient payable à son conjoint. Ces dispositions reconnaissent le véritable but des régimes privés de retraite, qui est d'assurer la subsistance de l'assuré et des siens au moment de la retraite. C'est ainsi que les sommes versées dans ces régimes visent à être utilisées éventuellement dans le cours de la vie familiale.

À son congrès de 1983, la FTQ réitérait sa volonté de revendiquer l'élimination de toute discrimination dans tout régime de retraite. Pour ce faire, la FTQ souhaitait que toute discrimination fondée sur le sexe soit éliminée dans les régimes de retraite et qu'à cette fin on utilise seulement les tables de mortalité unisexes; en plus, que le droit à une rente différée soit acquis après deux ans de service et que le montant où les cotisations doivent être laissées dans le régime soit établi à deux ans plutôt qu'à dix ans de service pour les travailleurs qui sont âgés de plus de 45 ans; aussi, que les régimes de retraite prévoient une rente obligatoire au conjoint survivant, sauf s'il y a renonciation des deux conjoints; qu'il y ait partage des gains à la dissolution du mariage ou après une séparation de trois ans; qu'il y ait un versement de la

valeur intégrale de la pension au conjoint survivant d'un membre du couple décédé avant la retraite; enfin, qu'il y ait partage des crédits de rentes dès que le plus jeune membre du couple atteint l'âge normal de la retraite avec légère réduction, de 60 à 50, de la rente de conjoint survivant.

Compte tenu de ce qui précède et du fait que la tendance des autres provinces canadiennes est l'inclusion des régimes de retraite privés dans les biens partageables au moment de la rupture du mariage, la FTQ considère que le gouvernement doit réévaluer sa position quant à l'exclusion de ces régimes du patrimoine familial.

La prestation compensatoire. Dans le cadre de la première voie identifiée dans le document, soit l'amélioration ponctuelle des règles déjà en place, le gouvernement envisage de créer une règle édictant que le travail au foyer donne lieu à la prestation compensatoire. Ayant opté pour la voie du patrimoine familial, le gouvernement délaisse cette proposition et ne retient que la présomption pour faciliter le recours du conjoint collaborateur dans les cas suivants: lors d'une cession d'entreprise, d'une dissolution, liquidation volontaire ou forcée de l'entreprise, d'un décès ou d'un jugement à l'occasion d'une séparation ou d'un divorce.

Nous nous interrogeons sur l'introduction d'une présomption de 30 % de l'actif net du conjoint collaborateur pendant la collaboration. À cet effet, nous désirons vous rappeler qu'il devrait être question d'une présomption de 50 % de l'actif net de l'entreprise pour assurer l'égalité des conjoints. De plus, nous croyons qu'il serait utile que le législateur définisse la collaboration avec des critères très clairs pour éviter de demander aux tribunaux d'éclaircir, notamment, la durée et le type de collaboration.

Comme nous l'avons dit précédemment, la FTQ croit fermement que l'accès à l'autonomie pour les femmes dépend de l'intégration de celles-ci sur le marché du travail avec des conditions de travail qui permettent aux deux parents de remplir leurs obligations familiales. Néanmoins, force est de constater que !e choix de rester au foyer pour s'occuper des enfants pendant une période plus ou moins longue, selon le cas, est exercé par de nombreuses femmes. Dans le but de préserver au moins le droit de retour au travail à la suite de telles absences, la FTQ a déjà recommandé, outre les congés de maternité et de paternité payés, un congé sans solde de deux ans pour le père ou la mère.

La FTQ est consciente que ses recommandations ne règlent pas le problème de l'impact d'un congé sans solde aussi long sur le patrimoine distinct de l'épouse. Or, comment compenser la perte de la mère? Jusqu'à présent, les tentatives de faire intervenir la prestation compensatoire ont échoué. Le gouvernement postule que l'institution du patrimoine familial constitue une compensation adéquate pour le travail au foyer.

La FTQ croit, au contraire, que l'institution du patrimoine familial avec le contenu proposé dans le document du gouvernement n'est pas une solution équitable pour la travailleuse au foyer ou pour celle qui s'est absentée temporairement du marché du travail.

Prenons le seul exemple de la famille qui habite un logement loué, alors que l'époux investit dans un immeuble à revenus, dans des actions à la Bourse ou dans un voilier. Dans ces situations, l'épouse n'aura droit à aucune compensation, du fait de son travail au foyer, ni même de sa contribution aux charges du ménage. N'oublions pas que la jurisprudence récente ne s'est pas contentée d'appliquer rigoureusement l'obligation de l'épouse de contribuer aux charges du ménage, et cela nonobstant son contrat de mariage. En effet, les juges ont considéré que, même si la femme avait acquitté la plupart sinon la totalité des dépenses assimilées aux charges du ménage, celle-ci n'avait droit à aucune compensation puisque, après tout, elle avait profité du train de vie qu'elle avait ainsi créé. (17 h 45)

La FTQ considère que le gouvernement doit intégrer à sa réforme une disposition stipulant que le travail au foyer peut donner lieu à la prestation compensatoire, le tout devant être évalué selon les circonstances. À défaut, le gouvernement pourrait faire intervenir le pouvoir de dérogation au principe du partage égal pour permettre l'attribution d'une part supérieure à la moitié des biens constituant le patrimoine familial à l'épouse qui démontre une participation supérieure aux charges du ménage.

Le droit des successions: l'obligation alimentaire. La FTQ déplore la pauvreté vécue par de nombreuses veuves. Il faut d'ailleurs dénoncer l'inertie du gouvernement à ce chapitre. Le gouvernement déclare réprouver l'usage abusif de la liberté de tester qui prive souvent de leurs moyens de subsistance les personnes qui reçoivent des pensions alimentaires. Le gouvernement oublie toutefois que les lois qu'il a fait adopter offrent peu de secours au conjoint survivant. Prenons le cas de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. On y retrouve la définition suivante du mot "conjoint": "conjoint-conjointe": l'homme ou la femme qui, à la date du décès du travailleur: 1) est marié au travailleur ou cohabite avec lui; ou 2) vit maritalement avec le travailleur et: a) réside avec lui depuis au moins trois ans ou depuis un an si un enfant est né ou à naître de leur union; et b) est publiquement représenté comme son conjoint.

À l'instar des autres lois sociales du Québec, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles a l'avantage d'étendre l'application des bénéfices au conjoint de fait. Si l'on s'en tient toutefois à la situation du conjoint marié, l'on remarque que la conjointe qui ne cohabite pas avec le travailleur à la date de son décès n'a aucun droit, même s'il s'agit d'une

séparation à l'amiable d'une durée relativement courte. Il est possible que le conjoint puisse bénéficier des dispositions visant la personne à charge. Cependant, la définition est très restrictive puisqu'il faut prouver que le travailleur défunt pourvoyait à plus de la moitié des besoins de la personne qui réclame le statut de personne à charge.

Il faut noter, de plus, que les définitions de cette loi sont plus restrictives que celles qui existaient sous l'ancienne Loi sur les accidents du travail. Si la définition du mot "conjoint" était semblable, celle de "personne à charge" était beaucoup plus large en incluant, outre le conjoint: "une personne qui est mariée ou, le cas échéant, avait été mariée au travailleur et: i. qui est séparé de fait ou légalement ou dont le mariage est dissous par un jugement définitf de divorce ou déclaré nul par un jugement en nullité de mariage; et ii. qui, au moment de l'accident, avait droit de recevoir du travailleur une pension alimentaire en vertu d'un jugement ou d'une convention. " Sous l'ancienne loi, il suffisait que le conjoint ait le droit de recevoir une pension alimentaire, peu importe la relation entre le montant de la pension et les besoins à pourvoir.

Si le gouvernement est conséquent avec son désir de veiller à la protection de la subsistance du conjoint survivant, ii devrait aussi corriger les lacunes de la législation sociale actuelle. Dans ce sens, lors du décès d'un conjoint, le patrimoine familial commun devrait revenir totalement et en pleine propriété au conjoint survivant. Pour ce qui est de la proposition concernant l'obligation alimentaire, la FTQ s'inquiète de la complexité du recours. La situation des personnes endeuillées est déjà assez difficile. La Loi sur les normes du travail accorde une période d'absence d'au maximum quatre journées, dont trois sans solde, à l'occasion du décès ou des funérailles d'un conjoint. La femme qui travaille, souvent au salaire minimum, et qui bénéficie d'une pension alimentaire aura donc peu de temps pour s'occuper d'un tel recours. Aussi, la procédure pourrait prendre des proportions hallucinantes si l'on envisage une multiplicité de créances alimentaires, d'une part, et la nécessité de mettre en cause tous les héritiers et légataires particuliers, d'autre part.

En outre, les mesures proposées sont en grande partie bien aléatoires. Entre autres, on suppose que le bénéficiaire de pension alimentaire a accès au testament ou connaît d'avance l'identité des bénéficiaires; est au courant des transactions effectuées par le défunt, soit dans l'année, soit dans les trois ans précédant le décès; a les moyens d'établir la valeur des biens, libéralités et autres formes d'aliénation, ou encore de la succession elle-même. La FTQ est consciente qu'aucun consensus ne s'est dégagé de la première consultation portant sur la réforme du droit des successions. Elle invite toutefois le gouvernement à analyser minutieusement et réalistement les implications du recours proposé. Dans sa forme actuelle, il risque d'être inaccessible pour plusieurs et onéreux à la fois émotivement et financièrement pour celles qui s'y engagent.

Et voilà la conclusion. Dans son Mémoire sur la politique familiale, la FTQ a insisté sur l'urgence de nous doter au Québec d'une véritable politique familiale. Nous faisions les représentations suivantes quant au rôle de l'Etat: "... nous avons besoin d'engagements de la part du gouvernement à l'égard de la mise en place de mesures concrètes qui visent la reconnaissance du libre choix des femmes et des hommes dans l'orientation de leur vie respective. Ce n'est pas simplement par une orientation de politique que nous y arriverons, mais plutôt par une série de mesures qui tiennent compte des changements dans nos valeurs et qui permettront aux travailleuses d'avoir un droit véritable au marché du travail afin d'assurer leur indépendance économique. Le contenu d'une politique familiale doit viser à faire progresser ces mentalités et assurer la transformation des rôles en y greffant des aménagements pour assurer aux familles des services décents et l'aide nécessaire à la qualité de vie des parents et des enfants. "

Il va sans dire que la réforme proposée présente dans son ensemble, soulignons-le, un pas dans la bonne direction d'une plus grande égalité de fait entre les époux lors d'une rupture. Cependant, il reste beaucoup à améliorer. En effet, les mesures fondamentales qui pourraient garantir véritablement les droits économiques des conjoints devraient se situer dans une perspective beaucoup plus large. Elles ne devraient pas dépendre uniquement d'un meilleur partage des biens du patrimoine familial. La réforme ne doit pas être vue comme une solution unique. La nécessité pour les femmes d'avoir pleinement accès au marché du travail avec de vraies possibilités de formation demeure la meilleure façon d'assurer une véritable autonomie financière. Voilà.

Le Président (M. Filion): Merci, M. Daoust. La parole est maintenant a Mme la ministre déléguée à la Condition féminine.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. le Président. Merci, M. Daoust, de votre présentation et je dois souligner que vous êtes le seul syndicat, finalement, à nous faire des représentations sur ce document de consultation. Alors, j'en suis très heureuse.

Avant de parler d'un patrimoine, vous avez mentionné que, naturellement, plusieurs autres mesures devraient s'ajouter à ce partage des droits économiques dans le but d'assurer une meilleure autonomie financière aux femmes et tout ça, et j'étais tellement d'accord, comme je le mentionnais. Il s'agit d'un document de consultation sur un sujet très précis, mais je dois vous dire qu'on se penche sur bien d'autres

sujets aussi, entre autres, qui sont déjà contenus dans le plan d'action en matière de condition féminine. Je pense à toute la question des normes du travail, des services de garde et des programmes d'accès à l'égalité. Alors, il est certain que ce n'est pas uniquement ce partage des biens familiaux qui pourra à lui seul assurer une meilleure autonomie, une meilleure égalité, mais bien beaucoup d'autres mesures qui doivent s'harmoniser les unes aux autres.

Vous parlez d'un patrimoine familial beaucoup plus élargi que celui proposé dans le document de consultation. Vous y incluez aussi les régimes privés, comme bien d'autres groupes l'ont fait, la résidence secondaire et, lorsque vous parlez de préciser davantage la notion de meubles, si je comprends bien, lorsque vous parlez de meubles garnissant la résidence, cela pourrait inclure également les oeuvres d'art, j'imagine. En somme, tout ce qui, effectivement, garnit la résidence. Vous ne semblez pas, par contre, vous être prononcés sur la période transitoire de trois ans. Si on devait faire un partage, ce partage beaucoup plus élargi, est-ce que, pour vous, il serait important que les gens déjà mariés sous le régime de la séparation de biens puissent avoir cette période de trois ans pour y renoncer ou si cela devrait être un régime qui s'appliquerait à l'ensemble de la population dès l'entrée en vigueur de la loi?

M. Daoust: Je voudrais bien passer la parole aux gens qui ont fouillé le sujet, peut-être Lauraine, Carole ou quelqu'un d'autre.

Mme Bissonnette (Diane): Puisque cela n'est pas précisé dans le document, on n'est pas revenu sur le délai qui est mentionné dans ia proposition gouvernementale. Étant donné ce que nous disons, c'est qu'on souhaite que cela s'applique à tout le monde, à tous les couples qui subissent une rupture à la suite d'un décès ou d'un divorce. Donc, c'est immédiatement.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Ce qui veut dire que ce serait rétroactif pour l'ensemble?

Mme Bissonnette: C'est cela.

Mme Gagnon-Tremblay: Quant aux pensions, pensions de régimes privés, si on devait inclure les régimes privés de retraite, est-ce que vous avez prévu, par exemple, des modalités quant au partage de ces régimes? C'est-à-dire, est-ce que cela devrait, pour vous, se partager... Lorsqu'il y a dissolution du régime, lorsque cela devrait se partager davantage, lorsque, par exemple, le bénéficiaire prend sa retraite, est-ce que vous vous êtes penchés sur cela? Je sais, ce matin, il y avait le groupe Mercer qui était ici, qui est très spécialisé, finalement, dans toute la question des régimes et qui nous parlait de certains avantages et désavantages dans certains cas, etc.

Est-ce que, vous autres, vous vous êtes penchés sur cela?

Le Président (M. Filion): Mme Vaillancourt.

Mme Vaillancourt (Lauraine): Lorsqu'on parle du partage des régimes de retraite, on parle au moment de la rupture du couple. Les pensions doivent être partagées à peu près dans le style de la rente du Québec, c'est-à-dire selon la durée du couple, le pourcentage des années vécues en couple. C'est bien sûr, aussi, qu'on parle d'un régime de rentes auquel les femmes auraient accès. On en parle. On s'imagine que dans la politique familiale, cela va être inclus que les femmes au foyer, par exemple, aient droit au régime de rentes.

Mme Gagnon-Tremblay: Lorsque vous parlez de prestation compensatoire, justement, c'est que, j'imagine, comme vous nous l'avez mentionné, vous tenez compte de la durée de la collaboration aussi bien que de la durée du mariage, par exemple, dans le cas du partage des biens familiaux. Vous parlez d'un partage de 50 % au lieu d'un partage, tel que stipulé dans le document, de 30 % et vous dites que la prestation compensatoire devrait être ouverte aussi aux recours pour la travailleuse au foyer. À ce moment, est-ce que cela veut dire que vous auriez ce partage des droits familiaux et qu'en plus on pourrait également partager dans une prestation compensatoire ou si, comme l'a fait valoir le Conseil du statut de la femme, vous auriez droit à la prestation compensatoire s'il n'y avait pas de biens familiaux à partager, par exemple, mais d'autres biens accumulés, comme des obligations d'épargne, d'autres genres d'immeubles qu'une résidence familiale, et ainsi de suite?

Mme Vaillancourt: Quand nous parlons du partage des biens du patrimoine familial, on parle de tous les gains faits pendant la période de la durée du mariage. Donc, dans la prestation compensatoire, ce que nous demandons aussi, c'est le partage des biens à 50 % au moment de la rupture du mariage.

Mme Gagnon-Tremblay: C'est-à-dire non seulement les biens de l'entreprise, mais également tous les biens.

Mme Vaillancourt: Tous les biens, les biens immobiliers, les biens meublant la maison et ce qu'on appelle les biens meubles, l'argent, enfin, pour tout ce qu'on a ramassé dans notre vie commune, on demande le partage à 50 %.

Mme Gagnon-Tremblay: Bon. Alors, je veux bien que nous nous comprenions, parce que, finalement, vous exigez au niveau du régime, c'est-à-dire au niveau d'un partage de biens familiaux, vous êtes d'accord avec plusieurs

groupes sur le partage que nous avons fait, mais vous y ajoutez certains biens, comme la résidence secondaire...

Mme Vaillancourt: Les voitures.

Mme Gagnon-Tremblay:... vous y ajoutez les régimes privés, vous y ajoutez des meubles, alors, il y a déjà un partage de ces biens qui se fait 50-50 de ces biens.

Mme Vaillancourt: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Par contre, par la prestation compensatoire, vous venez chercher les autres 50 % de l'ensemble des biens, si je comprends bien.

Mme Vaillancourt: Non, non. Mme Gagnon-Tremblay: Non?

Mme Vaillancourt: Ce que nous demandons, c'est le partage équitable au moment de la rupture, c'est-à-dire 50 % des biens.

Mme Gagnon-Tremblay: Par la prestation compensatoire. Non seulement les biens de l'entreprise, mais tous les autres biens.

Mme Vaillancourt: Tous les biens acquis pendant les années de mariage.

Mme Gagnon-Tremblay: Alors, ce qui veut dire finalement que, d'une part, vous venez chercher les 50 % du patrimoine familial, tel que stipulé dans votre document, mais par la mesure de la prestation compensatoire, vous venez chercher les autres 50 %.

Mme Vaillancourt: Non, non. Nous ne venons chercher que 50 %.

Mme Gagnon-Tremblay: Je comprends mal.

Mme Vaillancourt: Ce qu'on se dit, c'est qu'il doit y avoir, on parle... Il va y avoir un nouveau régime matrimonial, si vous voulez, la société d'acquêts, mais vraiment établi. C'est-à-dire qu'en ce moment la société d'acquêts est sur papier, mais ce n'est pas une réalité quand on rentre dans la vraie vie. Ce qu'on se dit dans ce mémoire, ce qu'on demande, c'est le partage des biens 50-50 au moment de la dissolution du mariage. La prestation compensatoire s'adresse surtout au moment du décès. Elle s'adresse aussi au moment du décès. (18 heures)

Mme Gagnon-Tremblay: Pas actuellement. Actuellement, elle s'adresse aussi lors de la dissolution du régime.

Mme Vaillancourt: Oui. La prestation compensatoire est la reconnaissance, si vous voulez, du travail des femmes qui n'obtiennent rien au moment de la séparation.

Mme Gagnon-Tremblay: Lorsqu'il y a enrichissement, par exemple, d'un couple.

Mme Vaillancourt: Bon. Alors, en ce moment, qu'on l'obtienne par la prestation compensatoire ou autrement, ce qu'on se dit, c'est qu'on doit avoir 50 % des biens acquis durant le temps qu'on est un couple et on veut que, au moment de la dissolution du mariage ou lors du décès, il y ait 50 % du patrimoine familial qui revienne à la partie économiquement faible, qui est habituellement la femme.

Mme Gagnon-Tremblay: En gros, cela signifie que vous prônez une société d'acquêts obligatoire. À ce moment-là, c'est une société d'acquêts puisque cela inclut, cela englobe tous les biens comme, actuellement, la présente société d'acquêts existe, c'est-à-dire que tous les biens acquis au cours du mariage...

Mme Vaillancourt: Les biens immobiliers.

Mme Gagnon-Tremblay:... sont partagés également entre les conjoints.

Mme Vaillancourt: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Alors, ce que vous prônez, finalement, c'est un partage de tous les biens, que ce soit à partir d'un partage des biens familiaux ou que ce soit à partir d'une mesure de prestation compensatoire, donc, tous les biens. En gros, ce que cela signifie, c'est un partage automatique obligatoire des biens, ce qui veut dire une société d'acquêts obligatoire.

Mme Vaillancourt: C'est cela.

Mme Gagnon-Tremblay: Un peu ce que réclame le notaire Roger Comtois.

Mme Vaillancourt: Et qui reconnaisse le travail des femmes. On demande la prestation obligatoire... Ce qu'on demande présentement, c'est la prestation compensatoire quand on va en cour. La femme demande cela parce qu'on ne reconnaît pas le travail qu'elle a exécuté à la maison. On ne reconnaît pas... Elle a toujours payé les biens périssables et jamais l'hypothèque sur la maison, donc, les biens immobiliers ne sont pas présentement divisés en parts égales, même en société d'acquêts, quand la propriété est au nom du mari.

Mme Gagnon-Tremblay: Je regrette, actuellement, au niveau de la société d'acquêts, tous les biens acquis sont partagés également entre les conjoints à 50-50, c'est-à-dire tout ce qui est acquis au cours du mariage, même l'entreprise, les actions, les obligations d'épargne, le compte

conjoint ou le compte individuel.

Mme Vaillancourt: Ce n'est pas tout à fait une réalité.

Mme Gagnon-Tremblay: Sauf les régimes privés. Oui, c'est cela.

Mme Vaillancourt: Ce n'est pas tout à fait une réalité.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais, actuellement, lorsqu'il y a dissolution du régime, c'est automatique. S'ils sont mariés sous le régime de la société d'acquêts, il y a un partage automatique de l'ensemble des biens acquis par les deux conjoints au cours du mariage. Cela existe actuellement. C'est très...

Mme Vaillancourt: Mais, si cela existait si bien que cela, il n'y aurait pas la prestation compensatoire.

Mme Gagnon-Tremblay: Non, justement, c'est que la prestation compensatoire vient surtout s'appliquer pour les gens mariés en séparation de biens. Alors, c'est davantage pour les gens mariés en séparation de biens, d'une part, pour la collaboratrice lorsqu'elle travaille dans l'entreprise et qu'il y a enrichissement et, d'autre part, actuellement dans le Code civil, cela devrait s'appliquer aussi à la travailleuse au foyer, bien qu'on se rende compte que les juges ne l'ont jamais appliqué. Ils ne l'ont jamais reconnu pour le travail au foyer, mais ils le reconnaissent uniquement pour la collaboration. Cela s'applique davantage pour les conjoints mariés en séparation de biens puisqu'il n'y a pas ce partage 50-50 comme en société d'acquêts ou en communauté universelle, communauté de biens, par exemple.

Mme Vaillancourt: Sauf que, si on obtient qu'il y ait un régime légal qui soit la séparation de biens à 50 % au moment d'une séparation, à ce moment-là, on n'a plus besoin de la prestation compensatoire puisque maintenant on sera reconnu, les femmes seront reconnues comme des personnes à part entière dans le patrimoine familial.

Mme Gagnon-Tremblay: Finalement, malgré ce que vous laissiez entendre au début, si je comprends bien, vous adoptez davantage la position du notaire Comtois, qui dit: La société d'acquêts pour tout le monde à partir de maintenant, même pour les gens déjà mariés en séparation de biens, c'est-à-dire que tout ce qui est acquis au cours du mariage est divisé 50-50 de façon obligatoire.

Mme Vaillancourt: C'est ce que le mémoire dit.

Mme Gagnon-Tremblay: C'est une réforme. C'est une réforme en profondeur.

Mme Vaillancourt: C'est une réforme en profondeur.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous comprenez que c'est un bouleversement de nos traditions assez considérable, finalement.

Mme Vaillancourt: C'est ce qui s'appelle l'égalité des conjoints, l'égalité économique des conjoints. On appelle un chat, un chat. Quand on parle d'égalité économique des conjoints, c'est cela qu'on veut dire.

Mme Gagnon-Tremblay: Cela suppose qu'il n'y a plus aucune liberté de contracter pour les gens qui auraient d'autres biens, finalement...

Mme Vaillancourt: On parle des biens acquis avant le mariage, ils restent les biens acquis avant le mariage, mais les biens... Parce qu'autrement on refait la même injustice qu'on vit depuis que Napoléon a apporté le code au Canada.

Mme Gagnon-Tremblay: Pour les biens acquis avant le mariage, justement, supposons que ce bien qui est acquis avant le mariage n'est pas payé, qu'il est payé avec les acquêts ou au cours du mariage, à ce moment-là est-ce que vous faites la différence entre la plus-value, la durée du mariage, aussi, ou bien si le seul fait qu'il soit acquis avant le mariage...

Mme Vaillancourt: Ce qui a été apporté avant le mariage, on parle d'une propriété, par exemple, disons qu'il y a un quart de la propriété qui est payé, cela reste toujours la propriété de la partie qui l'a apportée et le reste, la plus-value comprise, va dans le régime familial à ce moment-là parce que, je veux dire, on s'enrichit - c'est une façon de parler là - et nos biens acquis pendant le mariage ont pris de la valeur et de la valeur et, au moment de la dissolution des biens, on reprend ce qu'on avait avant le mariage et non ce qu'on a gagné ensemble, intérêts compris.

Mme Gagnon-Tremblay: Ma dernière question concerne surtout les conjoints de fait. Est-ce que vous avez une opinion sur les conjoints de fait parce qu'on ne les inclut pas? Nous, nous pensons que toute la situation des conjoints de fait... Parce que M. Daoust, vous en parliez aussi, vous disiez que dans certaines lois c'est trois ans, dans d'autres c'est une année. On fait quand même des différences, les conjoints de fait sont assujettis à certaines lois sauf que, au niveau du Code civil, lorsqu'on avait fait le débat en 1980, on avait décidé que les conjoints de fait n'étaient pas assujettis et j'ai toujours dit depuis le début que, si on devait faire un

débat, cela devrait être un débat global, un débat de fond sur toute la question d'union de fait dans le but d'harmoniser toutes nos lois. Par contre, vous vous êtes penchés là-dessus et, pour vous autres, est-ce que les conjoints de fait devraient être assujettis à ce partage obligatoire que vous préconisez?

M. Daoust: II est fort évident qu'on ne l'a pas abordé dans ce document-ci. Je connais les points de vue qui s'expriment à l'intérieur de la FTQ sur le sujet, je ne veux pas dire qu'ils s'expriment systématiquement dans tous les milieux de la FTQ, mais lors des débats on est saisi des points de vue qui s'expriment et je pense que, pour ce qui est de la FTQ, cela va demander une réflexion un peu plus poussée à l'égard de la question que vous soulevez pour être en mesure de l'aborder de façon véritablement représentative, je ne dirais pas compétente, mais représentative des points de vue qui peuvent s'exprimer dans un milieu comme le nôtre, et c'est pour cela qu'à ce moment-ci on ne l'a pas abordé. Le fait de ne pas l'aborder, c'est quasiment un choix aussi, mais je pense qu'il faut attendre un certain moment avant qu'on puisse dégager une position là-dessus. Mais je voudrais revenir sur deux de vos questions, sinon trois.

À l'égard de la société d'acquêts, c'est nettement l'orientation qui se dégage de notre document. Si nous avions à faire un choix, nous dirions: société d'acquêts. Vous avez mentionné que cela peut bouleverser, je ne veux pas vous citer au mot, mais c'est dans notre société peut-être des bouleversements un peu trop sévères à ce moment-ci qui font que vous n'ayez pas retenu cette solution-là. On peut être en désaccord avec vous et je pense qu'on l'est, mais on souhaiterait malgré tout, et on le mentionne dans notre mémoire, que, autour de la société d'acquêts, il y ait véritablement une plus grande information. Il y en a déjà eu dans le passé, on s'en souvient tous, mais il me semble que depuis quelques années c'est plus ou moins oublié. Voilà des notions extraordinairement complexes pour l'ensemble des citoyens et des citoyennes du Québec, il faut peut-être inlassablement revenir et publiciser ce type de régime qui peut exister entre époux et c'est pour cela qu'on fait un parallèle avec les campagnes à l'égard des femmes battues ou les campagnes, je ne dirais pas de même nature, mais de grandes campagnes publicitaires, et on souhaiterait que le gouvernement, et cela serait peut-être une façon d'indiquer une voie privilégiée, ait des campagnes plus systématiques autour de la société d'acquêts.

À l'égard des régimes privés de retraite, bien que ce ne soit pas le lieu - ce n'est pas ici qu'on va aborder des problèmes comme ceux qu'on a très rapidement évoqués dans notre document - on estime que l'ensemble des travailleurs et travailleuses qui sont assujettis, qui vivent et connaissent des régimes de retraite privés, sont véritablement laissés pour compte quant à la connaissance intime du fonctionnement de la plupart de ces régimes de retraite, sans compter tous les drames qui peuvent en découler. On peut rappeler le cas de la Singer, à Saint-Jean, ou le cas peut-être un peu plus récent de la Simonds à Granby, des dizaines et des dizaines de cas où des travailleurs et travailleuses ont investi dans des fonds de retraite et ont peu, pas ou aucune espèce de pouvoir ou de renseignement à l'égard de ces fonds de retraite. Et, je le répète, ce n'est pas le lieu - on n'est pas ici pour discuter des fonds de retraite privés - mais on ne peut pas s'empêcher de dire qu'il y a quelque chose d'inacceptable dans le fait que ceux qui y contribuent... On peut parler de salaire différé, quelle que soit la formule, ce sont des formes de gains qu'on investit dans l'épargne et qui deviennent un fonds de retraite éventuellement et c'est inconcevable que les travailleurs soient si mal informés. Il me semble qu'il est temps que le législateur se penche là-dessus et dote les travailleurs de droits qui découlent d'une forme de participation au fonds de retraite. Soit dit en passant, la participation des travailleurs au fonds de retraite peut amener la discussion de problèmes un peu complexes, comme ceux qu'on aborde ici: Qu'arrive-t-il dans le cas du conjoint ou de la conjointe au moment du décès d'un des membres du mariage? Quand les gens sont véritablement bloqués, quand il y a un écran tel qu'ils ne savent même pas ce que leur fonds de retraite peut éventuellement leur donner, comment peut-on avoir des discussions qui puissent faire bouger les mentalités à l'égard de problèmes comme ceux qu'on aborde dans notre document?

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, M. Daoust.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme la ministre, également. Mme la députée de Maison-neuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Il me fait plaisir, au nom de l'Opposition, de saluer les représentants de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. M. Daoust, je sais que vous êtes bien entouré par un comité qui est vigilant sur l'ensemble des pratiques dans notre société et aussi des pratiques à l'intérieur de la fédération elle-même, je pense, et c'est intéressant de voir l'évolution, d'ailleurs, dans l'appellation même du nom, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. Je salue également Mme Vaillancourt, Mme Bissonnette et Mme Gingras-Larivière. Ce n'est vraiment pas par sexisme que j'ai oublié le nom du vice-président qui vous accompagne.

M. Daoust: M. Edmond Gallant.

Mme Harel: Tout de suite, je pense bien qu'on se rend compte que le grand mérite de la

présente commission est de sensibiliser l'opinion publique et aussi les membres de l'Assemblée nationale à une réalité qui est maintenant assez bien clairement démontrée, qui est que le Québec, à l'égard des autres provinces canadiennes, accuse un retard qui va en s'aggravant en matière de droit familial. J'écoutais les réponses et l'échange que vous avez eu avec Mme la ministre et je me disais qu'il va nous falloir avoir des idées claires puisque vous nous faites, avec raison, la recommandation de ne pas être à la remorque de l'évolution de la société pour venir à tous les six ans, dites-vous, rouvrir, finalement, ces questions. Donc, il faut avoir des perspectives, une certaine vision, si on veut légiférer non pas pour le passé, mais pour l'avenir. Donc, ne pas simplement légiférer pour corriger ce que l'égalité juridique des époux aurait pu créer comme déséquilibre économique, mais légiférer aussi pour, je l'espère, plus d'une décennie.

Et, là, on est obligé de regarder ce qui se passe chez les voisins d'à côté, pour se rendre compte, notamment - et je sais que vous avez bon nombre de vos adhérents qui sont employés dans des entreprises fédérales, qui sont assujettis aux lois fédérales - qu'en 1986 la loi fédérale sur les normes de prestations de pension prévoit la possibilité de partager, tout en ouvrant cette possibilité, puisque c'est de compétence provinciale, là où, dans les provinces, il y a des législations qui le permettent. Cette possibilité de partager, la loi fédérale est allée jusqu'à l'inclure non seulement en cas de décès, autant pour les couples mariés que les conjoints de fait, mais aussi en cas de rupture, donc, de la cohabitation, qu'il s'agisse de conjoints de fait ou de personnes mariées. C'est l'état actuel de la !oi fédérale, de même que celle de l'ensemble des autres provinces qui ont déjà légiféré ou simplement qui ont déjà une jurisprudence assez soutenue en matière de patrimoine familial, y incluant les régimes privés de retraite, de même que dans les autres provinces où, déjà, existe l'obligation alimentaire, non seulement entre époux, comme c'est le cas pour notre Code civil, mais entre conjoints de fait. (18 h 15)

Je comprends que vous souhaitez une promotion énergique, systématique du régime légal de société d'acquêts. Notamment, vous mentionnez que dans !es bureaux de notaire on devrait en parler, évidemment, en tenant compte du fait que, lorsque les fiancés ou les couples en instance de se marier vont devant le bureau de notaire, c'est souvent parce qu'ils se pensent obligés de passer un contrat et ne pensent pas simplement convenir entre eux du régime légal qui n'oblige pas à aller devant le notaire. Cela suppose à ce moment-là qu'on amène le notaire à faire la promotion du régime légal qui n'oblige pas à aller devant le notaire. C'est là un paradoxe, qui explique en partie ce pourquoi le régime légal n'a peut-être pas l'intérêt qu'il pourrait avoir. Les notaires n'ont pas à faire de contrat quand on choisit le régime légal. C'est une hypothèse. Je reviendrai sur la question des régimes privés de retraite.

Sur la question des conjoints de fait, vous nous donnez l'exemple de la loi des personnes victimes d'accidents du travail. Vous donnez cet exemple, je pense, de manière à illustrer l'obligation alimentaire; c'est à la page 12 de votre mémoire. Il faut voir que, si on simplifie - mais c'est pas mal proche de la réalité - tout ce qui est de la nature de loi en matière d'assurance sociale, donc, loi en matière d'accidents d'automobile, d'accidents du travail, de régime de retraite et même de régimes privés de retraite, tout, en matière d'assurance, où il y a des cotisations sous une forme ou une autre, que ce soit sous une forme volontaire ou sous la forme d'une cotisation perçue par l'employeur, l'ensemble de ces régimes d'assurance ont finalement des dispositions qui reconnaissent les conjoints de fait. Ce matin même, on avait devant nous des représentants d'un groupe d'actuaires qui nous faisaient part du fait que l'ensemble des régimes, même privés, s'étaient ajustés au fait qu'il ne devait pas y avoir de discrimination fondée sur l'état civil. C'est malgré tout une partie dont il faut tenir compte, parce qu'elle est concomitante à un Code civil qui, lui, n'en tient pas compte, concomitante à des pratiques sociales. Évidemment, je vous réfère à la Loi sur l'aide sociale qui n'en tient pas compte non plus et à un régime fiscal qui en tient compte de façon incohérente. Il est certain que, pour légiférer, il va falloir une vision claire en matière de patrimoine familial.

Vous dites, par exemple, à la page 12, à la toute fin de la page, c'est ce que je voulais clarifier avec vous: "Si l'on s'en tient toutefois à la situation du conjoint marié, l'on remarque que la conjointe qui ne cohabitait pas avec le travailleur à la date de son décès n'a aucun droit, même s'il s'agit d'une séparation à l'amiable d'une durée relativement courte. " Là, vous faites référence à cette notion d'obligation alimentaire. Dois-je conclure que vous êtes pour et en faveur de la survie de l'obligation alimentaire? Dans l'ensemble de votre mémoire ce n'est pas clairement indiqué. Faut-Il y voir une indication que vous souhaitez la survie de l'obligation alimentaire? Il ne faut pas opposer conjoints de fait et personnes mariées, parce qu'il peut s'agir d'un remariage. Dans le cas de toutes les lois statutaires sur les assurances, il n'y a pas de survie de l'obligation alimentaire. Il y a simplement le régime des rentes pour la durée de la cohabitation.

Juste dans un paragraphe suivant, vous nous dites: "Dans ce sens, lors du décès d'un conjoint, le patrimoine familial commun devrait revenir totalement et en pleine propriété au conjoint survivant. " Ce n'est pas à l'ex-conjoint, c'est bien le conjoint survivant qui cohabite avec l'autre à ce moment-là?

Mme Vaillancourt: Je veux juste dire que, pour être reconnu dans certaines lois comme conjoint, il faut avoir vécu avec un travailleur pendant trois ans ou avoir un enfant après une année. En bas, on dit: "même s'il s'agit d'une séparation à l'amiable d'une durée relativement courte. "

Mme Harel: C'est parce que, en d'autres termes, présentement les lois à caractère d'assurances prévoient qu'il doit y avoir cohabitation et preuve, donc, de la cohabitation quel que soit le régime légal entre les époux, mais il n'y a pas de survie de l'obligation alimentaire. Je me demandais si c'était dans ce cadre-là que vous nous indiquiez qu'il fallait améliorer nos lois parce que, dans votre mémoire, de toute façon, cela révèle une chose. Il va falloir continuer à examiner ces questions puisqu'on assiste de plus en plus à des remariages et à des situations de conjoint de fait après la rupture d'un premier mariage. Il y a à réexaminer sans doute toutes ces questions, c'est ce que je conclus à la lecture de votre mémoire sur cet aspect, à moins que vous n'ayez autre chose, Mme Vaillancourt.

Mme Vaillancourt: Finalement, ce que l'on veut dire, vous venez de le donner dans l'explication, c'est qu'il y a plusieurs mariages dans une vie et il va y avoir,. quelque part, une femme mariée qui, à un moment donné, se retrouve séparée; il y a eu une autre personne dans la vie de l'autre et qu'est-ce qu'on fait avec tout ce monde? C'est très complexe et je pense que cela va demander beaucoup d'études en regard du conjoint ou de la conjointe économiquement faible - habituellement c'est la conjointe - et c'est ce que cela veut dire. C'est le partage entre tous les conjoints et conjointes qu'on aura et qui seront économiquement faibles, même si la séparation est très courte et qu'il y a quelqu'un d'autre dans ta vie, peut-être un an, et que tu as eu un enfant. Parfois, cela peut être cinq ou six mois parce que l'enfant a été conçu avant. Alors, qu'est-ce qu'on fait avec l'autre qui a été délaissé? On parle ici surtout de conjoint survivant.

Mme Harel: Vous avez la situation inverse, finalement, d'un mariage qui a duré très peu de temps puis de la présence d'un nouveau conjoint qui dure depuis longtemps. Finalement, c'est pour cela, compte tenu des propos, que je pense qu'il faut se rallier au fait que le patrimoine familial, puisqu'il y a là urgence, devrait être le plus rapidement possible introduit dans nos lois en modifiant le Code civil et que nous devrions au plus pressé examiner l'ensemble des conséquences qu'ont, dans nos lois statutaires, notre Code civil lui-même, toute cette question des conjoints de fait et l'incohérence et, d'une certaine façon, les contradictions entre les lois elles-mêmes et les régimes, qu'ils soient fiscaux, familiaux ou autres.

Mme Vaillancourt: Là-dessus, je peux vous donner un exemple. Un homme a une relation avec une femme qui se trouve enceinte et à ce moment-là il est en train de négocier son divorce. Il va aller cohabiter avec l'autre personne, ce qui va donner une durée courte, les papiers légaux n'ont pas été faits, etc. Alors, qu'est-ce qu'il advient de la première épouse qui n'est pas sur le marché du travail, bien souvent, ou qui gagne un petit salaire et qui a déjà des enfants, et de l'autre? En fait, c'est cela. C'est très complexe, mais actuellement il y a vraiment discrimination et inégalité économique.

Mme Harel: Peut-être que l'objectif auquel on doit tendre, c'est qu'il n'y ait aucune discrimination fondée sur l'état civil. Ce sera un autre sujet, je ne voudrais pas le citer avant que nous ayons examiné la question des régimes de retraite. C'est trop important et trop utile de vous avoir avec nous pour ne pas aborder cette question avec vous.

En matière de sécurité à la retraite, dans le plan d'action à la condition féminine, nous retrouvions pour les années 1987-1988 - mais cela concernait le ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu - à la fois une décision ministérielle sur l'opportunité de reconduire le projet de loi 58 relatif aux régimes complémentaires de retraite et également toujours en regard de la responsabilité du ministère, mais dans le plan d'action à la condition féminine, une décision sur les modalités de participation des travailleuses au foyer au Régime de rentes du Québec. C'est pour l'année 1987-1988. Alors, vous voyez que le temps presse et que, finalement, le compte à rebours est déjà commencé, puisque le gouvernement a jusqu'au 15 novembre pour déposer une loi qui pourrait être adoptée avant la fin de la session. Alors, je ne sais pas si vous avez des recommandations précises à faire à la commission sur ces questions-là.

Donc, je constate que vous proposez l'inclusion des régimes privés de retraite. Cela suppose, comme nous l'ont dit les experts ce matin, une modification à la loi sur les régimes supplémentaires. Cela suppose à ce moment-là qu'on rouvre cette loi. Alors, à l'occasion de la réouverture, il faudrait également, j'imagine, la bonifier, l'amender pour l'améliorer aussi. Est-ce que l'on doit comprendre que l'ensemble de ce que l'on retrouve - vous nous faites des suggestions en cette matière - dans votre mémoire, ce sont des suggestions qui devraient être l'objet d'une loi cet automne?

Mme Gingras-Larivière (Carole): Si je peux me permettre, dans vos propos vous allez encore plus loin que cela, dans le sens que vous parlez de la participation possible des femmes à la maison au Régime de rentes du Québec.

Mme Harel: Ce n'est pas dans mes propos,

c'est dans le plan d'action.

Mme Gingras-Larivière: Dans le plan d'action, excusez-moi. Je fais des liens entre cela, les propositions et les commentaires que l'on retrouve dans notre mémoire. La participation des femmes au RRQ, on n'en parle pas. C'est clair que les pages qui concernent l'inclusion dans le patrimoine familial des régimes privés, les recommandations qui sont là sont des recommandations de congrès et nous pensons vous les soumettre à titre de suggestion pour que vous puissiez vous en inspirer et faire en sorte que l'on élimine toute forme de discrimination à l'intérieur de ces régimes.

Maintenant, pour ce qui est de la participation des femmes au foyer, on a toute une grande réflexion de notre côté à faire à cet effet, c'est-à-dire qu'on entend beaucoup et on a lu aussi dans le plan d'action du gouvernement du Québec pour la condition féminine les mots "travailleuse à la maison". À cet effet, on a de grandes questions à soulever, à savoir ce qu'on entend par travailleuse, alors que pour nous c'est toute la notion d'être sur le marché du travail. On entend, bien sûr, que les femmes à la maison font un travail, sauf que tantôt il faudra s'interroger, à savoir quelles sont les conséquences quand on pariera du mot "travailleuse" à cet égard, ce que cela englobe. Est-ce qu'on va parler d'accident du travail? Est-ce qu'on va parler de congé de maternité? Quelles sont les conséquences que cela aura dans l'ensemble des lois du travail et des lois sociales? Je peux juste vous dire à ce moment-ci que dans le mémoire on ne touche pas à ça. On sait que ce sera un grand débat et, quand l'heure sera venue, nous aurons à nous prononcer là-dessus, mais chose certaine, dans les régimes privés il y a énormément de discrimination et quand on a fait les débats, entre autres au congrès de 1983, on est revenu à des éléments qui, nous pensons, sont importants à l'égard de la réforme du Code civil. Alors, c'est pour cela qu'on les a inclus. On espère que vous allez vous en inspirer.

Mme Harel: À la page 10 notamment, vous proposez qu'il puisse y avoir renonciation des deux conjoints à une rente obligatoire au conjoint survivant, c'est-à-dire que, s'il y a consentement, il pourrait y avoir renonciation. Est-ce là un élément qui a été longuement étudié, puisque cette renonciation, même dans le cadre de partage du patrimoine familial, vous la suggérez comme toujours possible malgré tout? (18 h 30)

M. Daoust: Oui, on la pense toujours actuelle, mais je vais revenir un peu à ce que vous mentionniez au début. S'il faut déposer des projets de loi d'ici le 15 novembre, je doute que ce type de réforme que l'on souhaite à l'égard des régimes de rentes privés puisse se faire dans un si court délai. Écoutez, il reste trois semaines. C'est un débat, et des amendements à l'égard des régimes de rentes privés, des régimes supplémentaires et tout cela exigeraient à mon sens un débat public. On le dit toujours: commission parlementaire, de longues études, peut-être livre blanc ou je ne sais trop quoi. Je doute énormément que vous puissiez y arriver et que la société puisse réagir rapidement d'ici deux ou trois semaines. Mais, d'ici le 15 novembre, sans aucun doute, s'il y a des modifications à y apporter, des modifications parcellaires, préliminaires, oui, mais la grande réforme que l'on souhaite... Parce que là, nous citons un document de la FTQ de 1983, qui contient des dizaines de recommandations à l'égard des régimes privés de retraite. On n'en mentionne que quelques-unes qui exigeraient, évidemment, une longue explication, et j'ai bien mentionné que ce n'était pas le lieu ici, même si on en parle un peu, c'est pour vous alerter et vous sensibiliser.

Je pense que vous nous passez peut-être un message que l'on devrait retenir. Il est peut-être temps qu'on revienne avec ce type de revendication. Je ne parle pas de tel ou tel aspect qui découle de ce mémoire, mais plus globalement à l'égard des régimes privés de retraite où il y a d'Incroyables lacunes. Il tarde que le gouvernement se penche là-dessus et offre des solutions qui pourraient être satisfaisantes ou qui pourraient être accueillies à tout le moins avec une très grande ouverture d'esprit de la part du mouvement syndical.

Mme Harel: Je vais conclure, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Je vous en prie.

Mme Harel: Je vous remercie pour votre présence, pour votre participation. Il n'en demeure pas moins... Et je ne voudrais pas vous laisser l'impression que le gouvernement ne pourrait pas légiférer dès cet automne en matière d'inclusion des régimes privés de retraite au patrimoine familial. J'espère que ce n'était pas là l'objet de mon intervention. Il peut le faire, sauf que, comme la majorité des régimes privés sont incessibles, il ne pourrait pas y avoir de partage. Pour qu'il y ait partage, il faudrait modifier, à ce moment-là, les dispositions. Ce serait fait et ce serait par ailleurs en application lorsque la loi sur les régimes supplémentaires serait modifiée. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Filion): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Je tiens tout simplement à remercier aussi M. Daoust, Mme Gingras-Larivière, Mme Vaillancourt, Mme Bissonnette et M. Gallant de leur présentation. Nous allons sûrement prendre en sérieuse considération toutes les recommandations que vous nous faites.

Le Président (M. Filion): Au nom des autres

membres de cette commission, également, je voudrais vous remercier pour votre mémoire. Je pense que, si la FTQ était la seule centrale syndicale à s'intéresser du moins d'une façon aussi directe à nos travaux, elle a bien représenté l'ensemble du mouvement syndical. Ce n'est pas la première fois que cela arrive.

M. Daoust: Merci beaucoup.

Le Président (M. Filion): Merci. Est-ce que je pourrais inviter Me Pierre Issalys à prendre place à la table des invités?

À l'ordre, s'il vous plaît! Je voudrais, au nom des membres de cette commission, souhaiter la bienvenue à Me Pierre Issalys, professeur agrégé à la Faculté de droit de l'Université Laval. Me Issalys nous a déjà déposé son mémoire sous la cote 13M. J'inviterais Me Issalys à nous faire une courte présentation de son mémoire à l'intérieur d'une enveloppe globale de 30 minutes qui est prévue pour sa comparution devant cette commission parlementaire. À la suite de cette courte présentation, les membres de la commission pourront échanger des points de vue avec Me Issalys.

M. Pierre Issalys

M. Issalys (Pierre): Merci, M. le Président. Je me bornerai effectivement, étant donné surtout l'heure qu'il est, à quelques brèves observations pour rappeler à la mémoire des membres de la commission le contenu du mémoire que je leur ai soumis. Je précise simplement, en commençant, que ce mémoire est présenté à titre purement individuel, je ne représente personne d'autre que moi-même. Si j'ai choisi de me faire entendre devant vous relativement au sujet qui vous occupe aujourd'hui, c'est, d'une part, comme l'indique le mémoire, en qualité de technicien du droit de la sécurité sociale qui est un domaine dans lequel je travaille tous les jours et peut-être surtout en tant que citoyen soucieux de voir se réduire dans notre société les différentes inégalités qui l'affligent et, en particulier, l'inégalité fondamentale - la plus importante, à mon avis - celle qui divise les hommes et les femmes.

Comme les membres de la commission l'auront constaté, mon mémoire comprend deux parties. Dans la première, j'exprime globalement mon appui à la proposition principale du document qui est soumis à la consultation, à savoir l'instauration par le législateur, de façon impérative, d'un patrimoine familial partageable par moitié entre les conjoints à la fin du mariage. Dans la seconde partie, je fais cependant valoir quelques réserves par rapport à certains aspects concernant, notamment, la portée et la mise en oeuvre de cette proposition d'instauration d'un patrimoine familial.

Donc, dans un premier temps, j'ai exprimé mon entier accord avec la proposition de créa- tion d'un patrimoine familial estimant que l'enjeu social que constitue précisément la réduction des inégalités économiques entre hommes et femmes justifiait cette intervention impérative du législateur dans les rapports civils régissant les époux. Mon intérêt pour cette proposition vient, en partie, de l'analogie que j'ai décelée entre l'idée d'un patrimoine et celle qui est déjà présente dans le Régime de rentes du Québec d'un partage des gains admissibles accumulés par les deux conjoints en vertu de ce régime.

Cependant, comme je le souligne, il y a tout de même certaines différences entre le système du partage des gains, tel qu'on le connaît actuellement, et la proposition de partage d'un patrimoine familial. Le partage des gains, à l'heure actuelle, n'est pas automatique. Il doit être demandé. Mais, par contre, une fois qu'il est demandé, il acquiert une valeur impérative, c'est-à-dire que plus personne ne peut, en réalité, s'y opposer.

À l'inverse, la proposition d'un patrimoine familial, telle qu'elle nous est présentée dans le document, consisterait à créer un mécanisme automatique, c'est-à-dire que ce patrimoine familial serait automatiquement partageable, mais, en revanche, la proposition ne confère pas un caractère absolument impératif au mécanisme, puisqu'il reste possible de s'y soustraire, notamment par voie conventionnelle. J'ai fait valoir deux points à ce sujet. J'ai estimé qu'à mon avis le partage du patrimoine familial devait être automatique. En ce sens, je me rallie à ce qui est proposé dans le document. En fait, je me réjouis qu'en incluant les gains admissibles du Régime de rentes dans le patrimoine familial l'on se trouve à faire faire un progrès au système actuel du partage des gains admissibles puisqu'il deviendrait automatique.

D'autre part, j'ai exprimé l'avis que l'intervention du législateur devait être plus impérative qu'elle ne l'est dans ia proposition qui nous est faite. Il s'agit ici, à mon avis, d'une intervention du législateur dans le sens d'un changement social d'importance majeure et je crois que le législateur se doit ici d'intervenir avec fermeté et de laisser une possibilité extrêmement restreinte, à mon avis, de dérogation à la politique qu'il entend mettre en oeuvre par l'instauration d'un patrimoine familial. Je reviendrai dans la deuxième partie sur cet aspect.

Je me suis efforcé de réfléchir à la fin de la première partie du document sur certaines des objections qui pouvaient être avancées face à l'instauration d'un patrimoine familial. Je n'en citerai ici qu'une seule. C'est une objection que je qualifierais de sociologique et consistant à dire que l'introduction impérative du patrimoine familial dans tous les régimes matrimoniaux du Québec introduirait une rigidité telle dans les rapports patrimoniaux entre conjoints que cela risquerait fort d'avoir un effet désincitatif au mariage. Pour ma part, je pense plutôt le contraire. Je crois qu'étant donné l'évolution

relativement lente, mais certaine des conceptions sociales quant à la nature du mariage et au rapport qu'il implique entre les conjoints, l'instauration d'un patrimoine familial aurait plutôt un effet attractif qu'un effet répulsif, dans le sens que l'existence du patrimoine familial comme élément nécessairement concomitant au mariage projettera clairement l'idée dans la société québécoise que le mariage est une association égalitaire et que cette association égalitaire s'exprime dès ie premier jour du mariage par la mise en commun d'un certain nombre d'actifs qui vont être affectés à la vie commune pendant la durée du mariage. Je pense donc que cette objection peut assez facilement être contournée et que, dans la réalité, les faits confirmeront le diagnostic que je pose à propos de cette proposition d'instauration d'un patrimoine familial.

Dans la deuxième partie du document, j'ai fait état de certaines réserves vis-à-vis de la proposition principale avancée par le gouvernement. J'ai souligné que ces réserves n'étaient pas en réalité des remises en cause du bien-fondé de l'idée d'instaurer un patrimoine familial, mais, au contraire, un certain nombre de mises en garde quant à des atténuations ou à des hésitations que j'ai cru déceler dans le document soumis à la consultation, atténuations et hésitations qui me semblent de nature à compromettre l'efficacité de la réforme qui est envisagée.

Le premier point sur lequel j'ai fait valoir certaines réserves n'est pas particulièrement original, d'après ce que j'ai entendu depuis mon arrivée ici, cet après-midi. C'est qu'il y aurait lieu d'élargir la composition du patrimoine familial pour y inclure les gains accumulés par les deux conjoints dans les régimes de rentes privés. On a déjà tellement parlé de ce sujet cet après-midi que je me borne à vous renvoyer à ce que j'ai écrit dans le document à ce sujet. Je pense que aussi bien le régime public que les régimes privés de retraite constituent du salaire différé et qu'il n'y a donc aucune justification logique de les traiter différemment et que, par conséquent, si les gains accumulés dans le régime public doivent être incorporés au patrimoine familial, il n'y a pas de raison que les gains accumulés dans les régimes privés ne le soient pas.

La deuxième réserve concerne la possibilité admise par le document du gouvernement que les conjoints puissent déroger conventionnellement à ce partage égalitaire du patrimoine familial. Je partage entièrement certains des points de vue qu'on a déjà entendus également cet après-midi et qui font valoir que laisser cette porte ouverte au moment de la dissolution du mariage, notamment dans le contexte conflictuel d'un divorce, c'est en fait ouvrir une boîte de Pandore et favoriser l'aggravation des conflits entre les conjoints au lieu de leur stabilisation et de leur résolution aussi harmonieuse que possible. (18 h 45)

Je pense donc qu'on ne devrait pas permettre une dérogation conventionnelle au partage égalitaire du patrimoine familial à la fin du mariage. Je pense que les seules conventions qui seraient admissibles, si on devait permettre une telle dérogation, seraient celles dont l'objet serait d'étendre le principe du partage égalitaire à d'autres biens des conjoints qui n'entrent pas dans le patrimoine familial. Ce serait donc une dérogation qui permettrait à certaines personnes de se dire tellement d'accord avec l'institution du patrimoine familial qu'elles souhaiteraient assujettir à la règle du partage égalitaire un ensemble encore plus vaste de leurs biens.

La troisième réserve concerne la période transitoire d'ajustement, autre sujet qui semble également donner lieu à quelques controverses devant vous. Je suis personnellement opposé à l'idée d'une période transitoire, sauf sous certaines réserves très limitées que j'explique dans un instant. Je pense que cette loi nouvelle doit, comme toute autre loi nouvelle, s'appliquer immédiatement dès son entrée en vigueur et saisir les situations existantes qui tombent sous le coup de ses dispositions dans l'état où elle les trouve. Ce qui signifie que les unions contractées avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle seront soumises, à partir de l'entrée en vigueur de cette loi, à de nouvelles dispositions. À mon sens, il n'y a pas là rétroactivité, c'est la simple application du principe normal de l'entrée immédiate en effet de la loi nouvelle.

La seule atténuation que je ferais à cette idée que la loi doit entrer en vigueur immédiatement et complètement serait pour permettre pendant une période d'un an aux conjoints mariés antérieurement de conclure des conventions du type de celle que j'ai précédemment invoquée, c'est-à-dire des conventions généralisant ou du moins étendant le principe du partage égalitaire à d'autres biens non compris dans le patrimoine familial.

Finalement, la quatrième réserve concerne les possibilités de dérogation judiciaire à la règle du partage égalitaire du patrimoine familial. Je me suis quelque peu inquiété de l'imprécision, sans doute inévitable, des propositions contenues dans le document quant aux critères que le juge serait amené à appliquer pour décider s'il y a lieu de remettre en cause ou non le partage égalitaire du patrimoine familial. Je pense que ces critères devront être précisés de façon relativement concrète dans les textes qui mettraient en oeuvre le patrimoine familial, sans quoi on ouvre encore une fois trop facilement la porte à des dérogations dont l'étendue serait très difficilement prévisible et entièrement laissée à une interprétation discrétionnaire de la part des tribunaux.

Je conclurai simplement en rappelant que, à mon avis, cette proposition d'instaurer un patrimoine familial ne règle pas, comme on semble le croire à certains endroits dans le document soumis à la consultation, la question de

la reconnaissance juridique et économique du travail du conjoint au foyer. À mon sens, le patrimoine familial n'est pas la rétribution de quoi que ce soit, il n'est pas la rétribution du travail d'un conjoint au foyer, il est simplement le constat qu'un certain nombre de biens, pendant la durée du mariage, ont été affectés à un usage commun par les conjoints et doivent donc tout à fait légitimement être partagés également entre eux à la fin du mariage.

Le problème de la rétribution, disons, familiale et de la rétribution sociale du travail du conjoint au foyer est un autre problème qui appelle évidemment d'autres initiatives, d'autres interventions politiques et législatives qui ont d'ailleurs été évoquées depuis le début de l'après-midi et auxquelles je fais également référence dans la conclusion de mon document. Voilà en gros, Mme la Présidente, ce que contient mon mémoire.

La Présidente (Mme Bleau): Merci, M. Issalys. Je céderai la parole à Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me issalys. Je dois vous dire que j'ai eu beaucoup de plaisir à lire votre document provenant, entre autres, d'un spécialiste du droit de la sécurité sociale et, en somme, de tout ce que vous abordez, le sujet du travail au foyer et la différence que vous faites justement avec un partage comme tel du patrimoine. Votre mémoire est très intéressant.

Ma première question concerne ce dont vous parlez à la page 12, c'est-à-dire l'objection de l'effet désincrtatrf au mariage. Vous dites: "Une dernière objection, à caractère plus sociologique, mérite d'être considérée. Elle consiste à prédire qu'en déterminant de façon imperative le sort d'une grande partie du patrimoine des conjoints le législateur ferait du mariage une institution trop contraignante sur le plan patrimonial. Les couples seraient alors amenés à préserver leur autonomie sur ce plan en situant leurs rapports dans le cadre de l'union libre. " Donc, en d'autres mots, ce qui veut dire que si, par contre, on ne laissait pas une certaine liberté de contracter, peut-être qu'à ce moment cela pourrait être perçu comme un effet désin-citatif au mariage. Par contre, ce que vous dites, est-ce que cela pourrait s'appliquer aussi, par exemple, à l'intégration dans le patrimoine familial de tous les régimes privés, si on devait inclure les régimes privés? Est-ce que, par exemple, cela ne permettrait pas à ces conjoints de prévoir d'autres modalités pour leurs épargnes, ce qui ferait qu'à un moment donné cela pourrait avoir un effet désincitatif et qu'ils pourraient davantage investir dans d'autres types d'épargnes?

M. Issalys: Je ne sais pas si c'est un risque réel parce que ces régimes privés de retraite sont généralement à participation obligatoire dans la mesure où vous êtes dans une entreprise où il existe un tel régime où vous êtes impliqué dans ce régime. Par conséquent, vos possibilités d'épargner ailleurs sous d'autres formes qui ne seraient pas incluses dans le patrimoine familial /n'apparaissent assez limitées sauf pour des gens qui ont des revenus très considérables, mais je ne pense pas que ce soit là une population si importante qu'il faille axer la réforme sur son cas.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Quant aux mesures transitoires qui étaient prévues dans le document de consultation, c'est-à-dire des mesures de trois ans, vous préférez, par exemple, qu'on conserve ces mesures transitoires mais, par contre, d'un an et non pas de trois ans. Je trouve cela amusant dans votre document à la page 19 lorsque vous dites: "Lorsqu'un changement de législation met en cause des mentalités et des intérêts aussi profondément imprégnés dans le tissu social, il est préférable d'appuyer sur l'accélérateur plutôt que sur le frein. " Alors, finalement, malgré tout vous préférez quand même conserver cette année à titre de mesure transitoire. On nous a fait valoir, dans bien des cas surtout au niveau des juristes qui ont à plaider lors d'un partage de biens en cas de divorce, les pressions qu'on pourrait mettre davantage sur le conjoint qui aurait à renoncer, peut-être certaines disputes familiales qui pourraient avoir cours à la suite de cela. Est-ce que pour vous cela semble important? Est-ce quelque chose qui vous fait peur ou si, malgré tout, vous jugez nécessaire d'avoir cette année de transition pour les couples qui sont légalement mariés en séparation de biens actuellement?

M. Issalys: Vous aurez noté, Mme la ministre, que, si je suis d'accord avec l'idée d'un régime transitoire d'un an, c'est uniquement pour permettre un certain type de dérogation. Ce ne sont pas des dérogations à la baisse, ce sont des dérogations à la hausse, des dérogations sous forme de convention prévoyant l'extension du partage égalitaire à d'autres biens que ceux qui sont compris dans le patrimoine familial. Par conséquent, à certains égards, il n'y a pas de période transitoire dans ce que je propose.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.

M. Issalys: La loi s'appliquerait immédiatement.

Mme Gagnon-Tremblay: Quant à la prestation compensatoire, vous êtes aussi d'accord pour qu'on puisse l'élargir pour la travailleuse au foyer. Vous étiez ici tout à l'heure lorsque, entre autres, j'ai parlé du Conseil du statut de la femme qui voulait qu'on conserve aussi la prestation compensatoire non pas seulement pour la collaboratrice, mais bien dans tous les autres cas où il n'y aurait pratiquement pas de biens familiaux à partager. Vous êtes d'accord avec

cela aussi, j'imagine.

M. Issalys: Je crois que la prestation compensatoire conserve effectivement son intérêt, même juxtaposée au patrimoine familial.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci.

La Présidente (Mme Bleau): Je céderai la parole maintenant à la porte-parole de l'Opposition.

Mme Harel: Merci, Mme la Présidente. Me Issalys, j'aimerais peut-être reprendre, où vous l'avez laissé, l'échange avec Mme la ministre. Vous dites considérer que la prestation compensatoire conserve son intérêt, même juxtaposée au patrimoine familial. Ce matin, un représentant du Barreau, Me Senécal, qui est praticien en droit familial est venu exhorter la ministre, enfin la commission, de ne pas utiliser ou tout au moins de faire en sorte que la prestation compensatoire concerne le moins possible les biens familiaux. En d'autres termes, son point de vue était clairement le suivant: La prestation compensatoire ne doit pas tenir lieu d'un patrimoine partageable qui serait trop restreint. C'est peut-être là que se situe la difficulté dans la mesure, par exemple, où le patrimoine familial n'inclurait pas les régimes de retraite privés et où il faudrait avoir recours à la prestation compensatoire devant les tribunaux pour faire valoir quand on est travailleuse au foyer qu'on ne peut pas partager des biens qui ont été détournés vers d'autres entreprises, par exemple. Au sujet d'avoir à recourir devant les tribunaux pour quémander son dû, le Barreau disait: Évitez d'introduire des dispositions où des personnes ont à quémander leur dû devant les tribunaux. Je voudrais bien comprendre ce que vous nous dites à la page 24: "... l'instauration d'un patrimoine familial n'enlève rien à la justification d'un élargissement de la base de la prestation compensatoire pour y inclure le travail au foyer. " Donc, vous concevez que la prestation compensatoire ne doit pas simplement compenser l'enrichissement à une entreprise commune pour les femmes collaboratrices, qu'elle pourrait être élargie également aux travaux ménagers, aux travaux domestiques, etc., à l'intérieur du foyer...

M. Issalys:...

Mme Harel:... eî uniquement pour compenser en cas d'insuffisance ou d'absence de patrimoine familial ou encore pour suppléer au fait que le patrimoine familial est trop restreint ou pour ajouter lorsque l'apport aurait été non pas un apport de l'enrichissement de l'entreprise, mais un apport plus important aux charges familiales. Où voyez-vous la justification?

M. Issalys: La justification, je la vois, comme je l'ai dit tantôt, dans le fait que le patrimoine familial et la prestation compensatoire sont deux choses absolument distinctes dans mon esprit qui visent deux réalités différentes. Le patrimoine familial est une réalité qui concerne les biens des conjoints. La prestation compensatoire concerne l'apport d'un des conjoints au bien-être matériel de l'autre.

Mme Harel: Vous nous dites qu'il ne faudrait pas confondre l'une pour l'autre ou, en cas...

M. Issalys: Absolument pas.

Mme Harel:... d'insuffisance de l'une, d'avoir accès à l'autre.

M. Issalys: Absolument pas. Une fois qu'on a réglé la question du patrimoine familial, c'est-à-dire qu'on a partagé également le contenu du patrimoine familial entre les deux conjoints, se pose la question, à savoir si l'un des deux conjoints a tiré sur le plan matériel des avantages déséquilibrés du fait de la participation, notamment de l'autre conjoint, dans une proportion plus grande aux charges du foyer.

Mme Harel: Je comprends très bien le point de vue que vous nous exprimez. Il s'agit là, donc, de deux réalités distinctes, de deux effets cumulatifs distincts, et ce ne serait pas simplement d'utiliser l'un par insuffisance de l'autre.

M. Issalys: Absolument pas.

Mme Harel: D'accord. J'ai noté à la page 9 un point de vue très intéressant sur la stratégie de changement social, nous dites-vous: "Une stratégie de changement social ne peut pas, lorsqu'elle remet en cause des attitudes aussi profondément ancrées que celles qui déterminent les rapports hommes-femmes, se borner à proposer des modèles institutionnels nouveaux en laissant à chacun et chacune la faculté d'y adhérer. Le succès encore imparfait de l'implantation du nouveau régime légal illustre les aléas d'une stratégie incitative. Son choix fait, le législateur doit l'imposer, lorsque l'enjeu le commande. " C'est dit autrement, mais vous ajoutez finalement à la plaidoirie d'un ensemble, ou presque, de personnes, groupes, organismes qui sont venus devant la commission plaider notamment qu'il n'y ait pas de possibilité de renoncer ou encore plaider pour qu'il n'y ait pas de mesures transitoires qui permettent des ententes contraires, donc, au caractère palliatif des dispositions.

J'ai trouvé votre exposé... Mme la ministre a raison de dire que c'était singulier parce que c'est un exposé qui répond à des critiques que l'on entend dans d'autres milieux et dans le nôtre également, mais qui ne se sont pas manifestées ici, qui ne se sont pas exprimées devant la commission. Tout votre exposé est une sorte

de plaidoyer à l'égard de critiques qui surviennent. Donc, c'est intéressant. Je pense que cela va certainement servir à Mme la ministre pour peut-être préparer son mémoire au Conseil des ministres quant aux modifications à apporter au document gouvernemental.

C'est d'autant plus intéressant qu'à la page 25 vous nous parlez du travail du conjoint au foyer. Vous nous en parlez dans le cadre de modifications à la Loi sur le Régime de rentes. Je vois aussi que vous justifiez les retards apportés à présenter des scénarios de réalisation, mais vous pensez que, sur le plan économique, le travail du conjoint au foyer enclencherait, comme tout autre travail, la protection des régimes d'assurance sociale. Est-ce que je dois comprendre que vous l'élargissez aussi au travail au foyer, non pas simplement au travail du conjoint parce qu'en cas d'absence d'un conjoint le travail au foyer peut aussi être réalisé dans le cadre d'une famille monoparentale? C'était assez restrictif le fait de ne le préciser que pour conjoint au foyer, à la page 25.

M. Issalys: Oui, je m'en suis rendu compte en entendant une discussion cet après-midi avec les représentantes de l'AFEAS. Effectivement, il peut s'agir d'une personne seule au foyer. À ce moment-là, le plaidoyer que je fais, quoique encore avec une certaine incertitude quant aux conclusions auxquelles il devrait conduire, est en faveur de la reconnaissance du travail au foyer, évidemment, essentiellement au bénéfice des enfants, par l'un ou l'autre des conjoints ou par une personne qui a, seule, la responsabilité d'une unité familiale. C'est ce travail au foyer dont la reconnaissance juridique et économique, me semble-t-il, tarde à venir.

Mme Harel: Cette reconnaissance pourrait se faire dans le cadre, comme vous le dites, d'un accès à un régime comme le Régime de rentes, mais pourrait se faire aussi dans le cadre, par exemple, d'un crédit d'impôt remboursable ou d'autres formules à cet effet.

M. Issalys: Effectivement.

Mme Harel: Je vous remercie beaucoup, Me Issalys.

La Présidente (Mme Bleau): Je laisse la parole à Mme la ministre. Est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre? M. le député.

M. Dauphin: Juste une question. D'ailleurs, Me Issalys était ici cet après-midi. Nous avons eu l'occasion de poser la même question à presque tous les groupes qui sont venus nous rencontrer ici relativement aux conjoints de fait. Dans l'éventualité de l'implantation, de la mise en vigueur de toutes ces mesures dans le régime impératif, dorénavant la seule possibilité ou la seule façon pour des couples de faire une vie séparatiste, si vous me permettez l'expression, sera effectivement l'union de fait. Maintenant, la plupart des groupes ne nous ont pas nécessairement répondu sur cette question, ils ne se sont pas attardés nécessairement à ce phénomène qui est, quand même, de plus en plus important autant dans la société québécoise que dans d'autres sociétés. Je voudrais connaître votre opinion sur cela. Qu'est-ce que vous suggéreriez au législateur de faire relativement aux conjoints de fait?

M. Issalys: Mon opinion, j'en ai exprimé une partie tout à l'heure. Je pense que l'instauration d'un régime primaire relativement contraignant quant à la propriété des biens ne constituera pas nécessairement un effet désincitatif, donc ne contribuera pas nécessairement à favoriser le développement de l'union de fait aux dépens de l'union légale. Au contraire, cela pourrait fort bien, à mon sens, revaloriser, aux yeux des générations montantes, l'institution du mariage en la situant clairement dans un contexte égalitaire. Cela dit, l'union de fait est un sujet dont il est difficile de dire des choses en détail lorsqu'on parle de réformer le Code civil. En effet, à partir du moment où vous envisagez de mettre l'union de fait dans le Code civil, elle perd sa nature d'union de fait et elle devient un régime juridique organisé. Elle perd vraiment fondamentalement sa raison d'être. Alors, l'union de fait va rester ce qu'elle est. Elle va rester l'union de fait, c'est-à-dire une association tout à fait libre et non structurée de deux personnes avec les avantages et les aléas que cela comporte.

La Présidente (Mme Bleau): Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Une dernière question, Me Issalys. Tous les intervenants pratiquement qui sont venus ici pour nous présenter leurs mémoires ont toujours parlé de rétroactivité, du fait que cela touche également les personnes actuellement mariées sous le régime de la séparation de biens ou même les gens mariés sous le régime de la société d'acquêts. Par contre, vous parlez davantage de loi "remédiatrice", correctrice. Voulez-vous nous dire pourquoi vous ne voyez pas ceia comme une loi rétroactive?

M. Issalys: Parce qu'une loi rétroactive est une loi qui revient sur des faits passés et leur donne une qualification juridique différente. Ce ne serait pas l'objet de la loi envisagée ici. Elle dirait simplement qu'à partir d'un certain jour des contrats de mariage conclus dans le passé produiront des effets différents. Cela n'empêche pas que, jusqu'à ce jour-là, ils auront produit tous les effets qu'ils devaient produire en vertu de leurs termes initiaux. Ils ne seront pas remis en cause en tant que contrats conclus sous une

certaine forme, à une certaine époque, avec un certain objet. Ils seront remis en cause pour leurs effets futurs, mais pas pour le passé. En ce sens, il n'y a pas, à mon avis, rétroactivité. C'est simplement le principe normal d'application immédiate de la loi nouvelle qui s'applique.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci. Je tiens à vous remercier pour votre présentation, Me Issalys. Cela a été très intéressant.

M. Issalys: Merci beaucoup. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bleau): Au nom de la commission, je vous remercie, M. Issalys. Je déclare les travaux ajournés jusqu'à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 19 h 2)

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