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Version finale

33e législature, 2e session
(8 mars 1988 au 9 août 1989)

Le jeudi 20 octobre 1988 - Vol. 30 N° 32

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur le document intitulé 'Les droits économiques des conjoints'


Journal des débats

 

(Dix heures quinze minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission des institutions reprend donc ses travaux de consultation générale et d'auditions publiques sur le document gouvernemental intitulé "Les droits économiques des conjoints". L'ordre du jour pour aujourd'hui, nous recevrons d'abord la Commission des services juridiques, dont les représentants ont déjà pris place à la table des invités, et la Fédération des associations de familles monoparentales. Cet après-midi, la Chambre des notaires du Québec, la Fédération des femmes du Québec et Me Paul Laquerre, notaire et professeur de droit à l'Université Laval. Cette consultation générale se terminera par les remarques des représentants des deux partis, ce soir, vers 18 heures.

Je demanderais à la secrétaire d'annoncer les remplacements, s'il y en a pour aujourd'hui.

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Chevrette (Joliette) est remplacé par Mme Vermette (Marie-Victorin) et M. Godin (Mercier) par Mme Harel (Maisonneuve).

Le Président (M. Filion): Cela va. Je remercie Me Giguère. Les représentants de la Commission des services juridiques ont pris place devant nous. Pour les fins du Journal des débats, je demanderais à Me Yves Lafontaine, président de la Commission des services juridiques, de bien vouloir nous présenter la personne qui l'accompagne et de commencer l'exposé de son mémoire.

Commission des services juridiques

M. Lafontaine (Yves): La personne qui m'accompagne est Me Suzanne Pilon, qui est au service de recherche de la commission. C'est elle qui va présenter le mémoire, mais elle n'a pas été seule à le rédiger parce qu'à l'aide juridique les mémoires sont faits en comités d'avocats qui viennent de différentes régions. Inutile de vous dire que, par la force des choses, ils et elles sont devenus des spécialistes dans le domaine des séparations, des divorces ainsi que du partage des biens, des pensions alimentaires, etc. À titre d'exemple, pour les cinq premiers mois de l'année, on a déjà été présents pour 13 000 clients, tant pour des séparations, des divorces que pour des pensions alimentaires. Donc, cela fait partie de notre réalité quotidienne.

On doit dire aussi que, d'une certaine façon, notre clientèle nous a amenés à nous spécialiser dans la pauvreté féminine parce qu'une grande partie de notre clientèle, dans ce domaine particulier, ce sont des femmes et des femmes pauvres, bien entendu, étant donné qu'elles sont admissibles à l'aide juridique. Il ne faudra pas vous surprendre si vous retrouvez dans notre mémoire un certain biais vis-à-vis des femmes pauvres. Je pense que c'est normal; c'est notre clientèle qui nous amène à parler de cela. Donc, on va représenter seulement une partie de l'intérêt public, on comprend que c'est votre domaine.

Notre spécialisation nous a amenés aussi, bien entendu, à aller sur le marché des publications. On pense à Me Jean-Pierre Sénécal, qui est cité régulièrement dans la plupart des jugements, et à Me Suzanne Pilon, qui a commis, à l'occasion, quelques volumes sur le sujet. Suzanne va d'ailleurs vous présenter le mémoire.

Je voudrais faire deux ajouts, auparavant, étant donné qu'on n'a pas tellement de temps pour examiner les documents, rédiger les mémoires et les envoyer à temps. Deux choses nous ont frappés qu'on ne retrouve pas dans le mémoire. Curieusement, on en parle dans l'édito-rial du Devoir de ce matin. Qu'en est-il concernant les enfants issus de conjoints de fait? Je comprends qu'ils ont droit à une pension alimentaire, mais c'est évident que le conjoint de fait, qui n'a pas droit aux mêmes avantages que la personne mariée, n'est peut-être pas dans la même position vis-à-vis de son enfant qu'une personne mariée pourrait l'être. Il y a peut-être là une certaine discrimination qu'il serait bon de réexaminer, quant à se pencher sur le sujet. Je comprends que c'est un sujet perfectible et qu'avec le temps aussi il a été amélioré.

L'autre question qui n'a pas été soulevée jusqu'à présent, mais qui est importante pour nous, c'est qu'on parle d'un partage à 50-50, mais il existe une réalité qui s'appelle des honoraires et des frais qui font que ce n'est peut-être pas 50-50. C'est peut-être 40-40 et 20, et le 20, à ce moment-là, c'est un partage de biens familiaux, mais qui ne retournent pas dans la famille. Ils s'en vont en honoraires professionnels. Je pense qu'il n'y a rien d'illégal là-dedans, sauf que cela représente une partie du patrimoine qui s'en va en honoraires. La pratique de fonctionner à pourcentage dans ce domaine me semble abusive dans certains cas.

Cela dit, je vais demander à Mme Pilon de présenter notre mémoire en résumé. Inutile de vous dire qu'on aimerait procéder par questions aussi, s'il y a des sujets qui n'ont peut-être pas déjà été vus, mais cela me surprendrait étant donné que vous en êtes rendus à la dernière journée. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Merci, Me Lafontaine.

Mme Pilon (Suzanne): Merci. Dans un premier temps, je vais vous résumer brièvement le mémoire et surtout faire ressortir à chaque chapitre les points qui nous semblaient les plus importants et sur lesquels nous avons davantage insisté ou pour lesquels nous avons suggéré des modifications différentes de vos propositions.

Nous avions, quand nous avons abordé le mémoire, certains objectifs qui nous semblaient très importants compte tenu du genre de clientèle que nous représentons et aussi du problème, comme l'a dit Yves, qui nous préoccupe de plus en plus, soit la féminisation de la pauvreté. Il est important pour nous, dans un premier temps, de maintenir la liberté contractuelle - c'est un concept qui est omniprésent au Québec - et la liberté de tester, qui, on le sait, est importante chez nous. Cela fait au-delà de 100 ans que les gens font des contrats de mariage. Cela fait partie de la vie courante. Les gens pensent important à l'occasion de régler leurs intérêts financiers par contrat et je pense qu'il faut respecter cette liberté.

Deuxièmement, l'égalité des rôles des conjoints durant le mariage et au décès, c'est un concept que le législateur a introduit en 1980 dans sa réforme du droit de la famille, mais on constate finalement qu'au moment de la dissolution du mariage ou du régime matrimonial ce concept-là subit peut-être quelques entailles.

Le troisième principe qui nous tient à coeur, c'est le traitement équitable des conjoints au moment d'une rupture. Les nombreuses études qui commencent à surgir sur le phénomène de la féminisation de la pauvreté et du partage inégal des biens démontrent une entaille très grande à ce principe du traitement équitable des conjoints. Je pense qu'il est important de garder ce principe en tête.

Quatrième principe, la protection accrue du conjoint défavorisé. Une protection non pas ponctuelle mais à long terme et surtout une protection au moment de la retraite. Il faut garantir une sécurité à la retraite à toutes les personnes résidant au Québec.

En ayant à l'esprit tous ces objectifs il nous semblait que ia proposition gouvernementale privilégiée par le gouvernement, soit celle de la création d'un patrimoine familial et l'introduction de la survie de l'obligation alimentaire au moment du décès, répondait à ces objectifs.

Pour permettre ensuite les questions, je vais donc rapidement souligner, dans chacun des chapitres dont vous avez traité dans votre document d'orientation, les points qui nous semblent les plus importants. Quant à la création du patrimoine familial, nous sommes d'accord avec la proposition gouvernementale pour inclure au minimum dans ce patrimoine la résidence, les meubles et l'automobile. Il faut bien voir que dans de nombreux cas de séparation ou de divorce, de toute façon, à l'exclusion de la résidence familiale, les meubles et l'automobile n'entraînent pas particulièrement de problèmes.

Les gens sont quand même capables de s'organiser et de partager déjà ces biens.

Il nous a semblé aussi qu'il faudrait ajouter d'autres biens à ces biens familiaux, si on veut vraiment s'assurer d'un partage équitable et égal. On ajouterait, tout comme le Barreau que vous avez entendu hier, la ou les résidences secondaires, mais celles qui ont servi à l'usage de la famille. Il faut bien voir que ce sont quand même des biens qui ont servi à l'usage de la famille et non à l'utilisation personnelle d'un de ses membres.

C'est évident qu'en corollaire on peut ajouter les meubles qui garnissent ces mêmes résidences secondaires. On peut aussi penser - et, d'ailleurs, le ministre Rémillard y a fait allusion tout à l'heure avant le début des auditions - à d'autres biens qui ne sont pas nécessairement des résidences ou des meubles qui garnissent mais qui, aujourd'hui, ont beaucoup d'importance pour certains membres de la famille. C'est évident que pour notre clientèle je ne parlerais pas d'un voilier sur le lac Champlain, mais je pourrais peut-être penser à une ou deux motoneiges ou à des biens un peu moins luxueux, mais qui sont quand même importants pour certains membres de la famille. Souvent, ce sont les enfants qui sont pénalisés parce qu'ils perdent l'usage de ces biens,

Et surtout, ce qui nous tient le plus à coeur et sur lequel nous insistons davantage dans notre mémoire, plus particulièrement aux pages 7, 8 et 9, c'est d'inclure dans les biens familiaux les fonds de retraite privés. De nombreux arguments, que nous avons d'ailleurs cités, militent en faveur de l'introduction dans les biens familiaux de ces régimes de retraite privés. Il faut d'abord penser que, dans de nombreuses familles, il n'y a pas de résidence familiale ou de résidence secondaire à partager. À Montréal, 70 % des résidents sont des locataires. Alors, il n'y a pas vraiment d'actifs à partager pour ces familles.

Deuxièmement, il faut aussi penser qu'on va donner à chaque conjoint la moitié de la valeur nette de la résidence familiale, alors que ces montants ne représentent pas souvent des sommes très considérables permettant d'assurer une protection et une sécurité pour l'avenir. Troisièmement, comme nous l'avons précisé, on ne veut pas non plus accorder une protection ponctuelle, mais davantage favoriser une sécurité pour l'avenir et s'assurer du bien-être des gens de façon plus élargie.

Dans son document d'orientation, le gouvernement souligne que les fonds de retraite privés ne sont pas des revenus différés. Or, dans la loi actuelle, on voit déjà des distinctions, en ce sens que, dans le régime actuel de la communauté de biens, les contributions de l'employé au fonds de retraite doivent être rapportées à la masse et elles sont sujettes à récompense. Il y a donc, dans le régime actuel de la communauté de biens, un certain partage des fonds de retraite privés.

Nous pensons de toute façon que ces régimes de retraite sont en fait des revenus différés. Ils constituent évidemment de l'épargne forcée pour le conjoint qui y contribue et qui peut finalement s'assurer une retraite "dorée". L'autre conjoint, pour toutes sortes de raisons de contingence sociale que nous vivons actuellement - sous-scolarisation, rôle joué durant le mariage, charges familiales, travail sporadique ou à temps partiel - ne possède pas de fonds de retraite et ne pourra jamais prétendre à une protection maximale au moment de la retraite. Il ne faut pas s'imaginer qu'un conjoint qui retourne sur ie marché du travail à 35 ans ou à 40 ans peut s'assurer une retraite pour 60 ans.

Enfin, comme dernier argument, nous avons souligné la nouvelle loi fédérale sur les normes de prestation de pension qui prévoit déjà, pour les employés des corporations fédérales, un partage des fonds de retraite au moment de la dissolution du régime, sous réserve d'une concordance avec les lois provinciales. Tous les autres gouvernements provinciaux ont légiféré de façon à permettre ce partage. Pour nous, il semble donc y avoir simplement à ce chapitre une inégalité et une inéquité entre les résidents du Québec et ceux des autres provinces, sans parler des employés des corporations fédérales qui travaillent au Québec et dans d'autres provinces et qui ne sont pas traités de la même façon, il nous semble donc important que le gouvernement légifère de façon à inclure dans les biens familiaux les régimes de retraite privés.

À ce chapitre du partage des biens familiaux, nous ne sommes pas d'accord avec la mesure transitoire qui voudrait permettre pendant trois ans aux conjoints mariés avant l'entrée en vigueur de la loi de se soustraire à ce régime de partage des biens familiaux. Il faut bien voir que la législation veut surtout protéger les conjoints mariés avant l'entrée en vigueur de la loi qui n'ont pas pu bénéficier des avantages de la loi ou qui n'étaient pas au courant. Nous pensons qu'il pourrait s'exercer un certain chantage qui ferait en sorte que ces mêmes conjoints perdraient les avantages de la nouvelle loi.

On a peut-être simplement à se référer aux problèmes vécus au chapitre de la déclaration de la résidence familiale où on oblige le conjoint qui fait la déclaration à informer son conjoint de cette déclaration. Simplement à ce niveau - c'est en fait un droit qui ne fait pas de partage - les conjoints qui enregistrent, qui sont la plupart du temps des femmes, sont très réticents à informer le conjoint et craignent beaucoup sa réaction. S'il s'agit en fait de se soustraire à un régime de partage automatique de certains biens familiaux, on peut s'imaginer que les pressions seront très fortes dans les trois ans qui suivront l'entrée en vigueur de cette loi pour forcer certains conjoints ou les amener à se soustraire à ce régime. Nous pensons que ce régime est d'ordre public. Il devrait s'appliquer tout de suite à tous les gens qui seront mariés à la date de l'entrée en vigueur de la loi.

Au chapitre de la protection de la résidence familiale, contrairement au document d'orientation, nous avons privilégié d'abolir purement et simplement la procédure de déclaration de résidence familiale qui est actuellement prévue dans ie Code civil pour la remplacer par une déclaration qui serait faite dans tout acte d'aliénation.

Je me souviens qu'au moment des discussions qu'il y avait eu en commission parlementaire touchant le projet de l'Office de révision du Code civil et le nouveau droit de la famille plusieurs intervenants avaient aussi souligné qu'il serait peut-être plus approprié de remplacer cette déclaration de résidence par une déclaration dans l'acte d'aliénation. Nous croyons que ce processus pourrait peut-être éviter certaines difficultés que l'on rencontre actuellement.

D'autre part, nous aimerions souligner l'initiative du gouvernement qui veut permettre la possibilité d'accorder un droit d'habitation de la résidence à titre alimentaire. Je veux simplement ajouter que cette initiative est valable et qu'elle va d'ailleurs dans le sens de la jurisprudence récente, même celle de la Cour d'appel, qui accorde actuellement des droits d'habitation à titre alimentaire. Mais, si on a un texte clair et précis, on évitera à des conjoints d'avoir à assumer des frais pour faire reconnaître ce droit. (10 h 30)

En ce qui concerne la prestation compensatoire, nous ne sommes pas sûrs, à la lecture du texte, si les propositions qui sont avancées par le gouvernement veulent restreindre la prestation compensatoire au conjoint collaborateur, ou si l'on veut ajouter aux dispositions de l'article 559 afin de préciser les modalités de la prestation compensatoire en ce qui touche le conjoint collaborateur. Il est évident, pour nous, que l'article 559 doit demeurer dans le texte de notre Code civil, parce qu'il peut se révéler nécessaire pour des biens qui ne seraient pas des biens familiaux. Un conjoint pourrait vouloir prétendre à une prestation compensatoire en ce qui touche les biens de son conjoint que je pourrais qualifier de propres À ce moment-là, il faudrait - c'est important pour nous - que les recommandations du gouvernement viennent s'ajouter aux dispositions qui existent déjà. Évidemment, nous sommes d'accord pour reconnaître de façon particulière le travail du conjoint collaborateur. Nous aimerions simplement ajouter, puisque le gouvernement offre Sa possibilité de payer cette prestation compensatoire par un droit de propriété dans un régime d'épargne-retraite, qu'on pourrait peut-être aussi étendre cette modalité de paiement à d'autres types de condamnations. Par exemple, une condamnation à une somme forfaitaire. Je sais qu'actuellement certains avocats au Québec essaient de faire valoir devant les tribunaux que la valeur de la rente actuelle de l'ex-conjoint est assez élevée pour autoriser le

tribunal à accorder une somme forfaitaire.

On se sert déjà au Québec de cette valeur actuarielle du régime d'épargne-retraite pour aller chercher une protection supplémentaire pour l'ex-conjoint. Il serait intéressant qu'un texte de loi vienne confirmer cette possibilité et éviter ainsi des plaidoiries longues et ardues. Il est évident pour nous que, si ces dispositions devaient être adoptées par le législateur, ce serait toujours sous réserve que le législateur ne voudrait pas inclure dans le patrimoine des biens familiaux les fonds de retraite privés. Advenant que ces fonds de retraite soient inclus dans le patrimoine des biens familiaux, à ce moment-là, il y a moins d'urgence ou d'utilité à vouloir prévoir la modalité de paiement d'une prestation compensatoire par un droit de propriété dans un régime d'épargne-retraite.

En ce qui touche le régime de la société d'acquêts, nous n'avons rien de particulier à dire. Nous aimerions peut-être simplement soulever les commentaires du Barreau qui demandait - et je pense que c'est implicite dans le contexte de toutes nos recommandations - que la qualification des fonds de retraite soit modifiée afin que ces fonds de retraite deviennent des acquêts et non des propres, comme dans le régime actuel.

En ce qui concerne le régime de la communauté de biens, la volonté du gouvernement de vouloir transformer les régimes de communauté en régimes de société d'acquêts modifiés avec mesures transitoires, nous avons souligné, comme le Barreau d'ailleurs, que nous n'y voyions pas d'urgence, de nécessité. Actuellement, les avocats dans le réseau de l'aide juridique sont capables de régler les problèmes. On amènerait peut-être beaucoup d'autres problèmes et beaucoup d'autres difficultés à vouloir essayer de modifier le régime. Puisqu'il y a de moins en moins de gens qui sont actuellement mariés sous le régime de la communauté - il faut quand même constater que c'est depuis 1970 que ce régime n'est plus le régime légal - il y aurait peut-être avantage de laisser les choses comme elles étaient. Je sais que le Barreau disait que les avocats n'avaient pas le texte de loi en main pour être capables de juger, mais tous ceux qui ont le Code civil Wilson & Lafleur ont les vieux textes de loi intégrés dans leur Code civil.

Quant à la question de la survie de l'obligation alimentaire, nous sommes favorables à la proposition du gouvernement, c'est-à-dire de s'aligner sur cette survie de l'obligation alimentaire par rapport à la réserve héréditaire. Nous avions déjà produit un mémoire, d'ailleurs, il y a quelques années, sur cette question. Alors, dans nos commentaires, nous avons simplement repris les commentaires que nous avions faits à l'époque touchant les propositions d'amendement qui avaient été formulées. J'aimerais simplement souligner que dans l'ensemble nous sommes d'accord avec la proposition gouvernementale, sous réserve de deux petites modalités: réduire peut-être le délai pour intenter les procédures d'un an à six mois, et aussi prévoir que cette obligation alimentaire devrait se faire simplement par une somme forfaitaire et non pas par paiements périodiques, afin qu'aussi bien les héritiers que les descendants, les conjoints ou les personnes à charge puissent, de façon assez rapide, clarifier leur situation et éviter que ces recours traînent en longueur et laissent dans l'insécurité nombre de personnes qui sont impliquées dans le règlement des successions.

En gros, ce sont les commentaires que nous avions à formuler sur le document. Je dois vous dire que nous étions très heureux, à la Commission des services juridiques, que ce document soit déposé. Nous sommes, dans l'ensemble, favorables aux propositions gouvernementales, sous réserve des ajouts que nous aimerions y voir. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me Pilon ainsi que Me Lafontaine. Mme la ministre déléguée à la Condition féminine.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mes Pilon et Lafontaine, de votre présentation. Je pense qu'on voit vraiment que les gens qui ont à régler, finalement, les cas de rupture sont très près des préoccupations, des problèmes, de la problématique et trouvent que cette proposition est tout à fait adéquate dans les circonstances.

Vous êtes - comme bien d'autres intervenants qui nous en ont fait part - parmi ceux qui espèrent avoir un patrimoine plus élargi des biens familiaux, entre autres, la résidence secondaire, comme vous le mentionnez, et tout ce qui permet à la famille de vivre convenablement sur le plan des loisirs, des sports, de la motoneige et ainsi de suite, et aussi sur le plan des régimes privés.

Vous soulignez, peut-être avec raison, le fait qu'à la suite de la nouvelle loi fédérale on devra adapter notre propre loi au partage des fonds de retraite privés ou publics lors de la rupture. Je reviens au régime privé. Si on devait les inclure, que ce soit sur le plan du partage du patrimoine familial aussi bien que sur celui du régime privé, j'imagine que vous tenez toujours compte de la durée de la collaboration, de la durée du mariage, que vous prenez toujours en considération cette durée?

Mme Pilon: Oui, mais je pense qu'en général, selon la façon dont les lois sont faites, le partage ne se fait que pour les années de vie commune. Alors, à ce moment-là, le partage du régime ne se fait que pour les années de vie commune. On ne tient pas compte des années où les gens n'ont pas vécu ensemble.

Mme Gagnon-Tremblay: II y a plusieurs groupes qui nous ont parlé d'un partage, soit le partage au moment de la rupture ou soit un partage lors de la retraite du bénéficiaire. Est-ce

que vous vous êtes penchés là-dessus, ou bien si vous ne I'ave2 pas abordé tellement, pour voir les implications, les avantages et les inconvénients de l'un ou de l'autre?

Mme Pilon: Non, je peux vous dire qu'on n'a pas tellement réfléchi sur la question sous réserve de demander le partage au moment de la rupture, afin d'assurer une sécurité au conjoint qui serait défavorisé par ce type de partage. On n'a pas vraiment réfléchi sur la question. Je sais, par exemple, que, quand on regarde les modalités de partage qui sont prévues dans la loi fédérale, c'est évident que le conjoint défavorisé ne reçoit pas immédiatement un bénéfice, parce que le partage va s'effectuer par un transfert dans un fonds de retraite prévu pour le conjoint défavorisé. Alors, c'est vraiment une sécurité à la retraite. Si on veut partager ces fonds à la retraite, si les gens vivent ensemble, de toute façon, au moment de la retraite, il y a une contribution familiale. Alors, il n'y a pas de problème. S'ils ne vivent plus ensemble et qu'il y a eu un partage, les gens vont bénéficier du partage qui aurait été fait antérieurement.

Mme Gagnon-Tremblay: Pour la prestation compensatoire, l'objectif visé dans le document de consultation était vraiment d'assujettir uniquement la collaboratrice et, pour tout le travail fait au foyer, le partage du patrimoine tenait lieu d'une certaine reconnaissance. Par contre, ce qui est intéressant - je pense que c'est le Conseil du statut de la femme qui nous soumettait cette hypothèse - au cas où il n'y aurait pas de biens familiaux à partager, de conserver alors la prestation compensatoire non seulement pour la collaboratrice, mais pour toutes ces autres clientèles, lorsqu'il n'y aurait pas de biens familiaux ou insuffisance de biens familiaux.

Mme Pilon: Dans la première loi ontarienne qui date de 1978, qui a été modifiée depuis ce temps-là et qui inclut tous les biens de la famille, il y avait une disposition qui prévoyait la possibilité de demander une prestation compensatoire pour les biens autres que familiaux. D'ailleurs, la cause de Leatherdale à la Cour suprême était ce genre de situation où madame avait contribué à l'enrichissement du fonds de retraite privé - un genre de REER - de son conjoint, et la Cour suprême a reconnu sa contribution.

Alors, je pense que c'est important de garder cette disposition, afin de couvrir les autres biens qui ne sont pas compris dans les biens familiaux. Pour les petites familles, les familles moyennes, il est évident que, si le gouvernement allait dans le sens de nos recommandations, de nombreuses familles verraient la majorité de leurs biens partagés par ce genre de disposition. Mais il faut quand même tenir compte qu'il y a des gens qui ont d'autres biens, qui sont des gens plus fortunés. Il faut quand même respecter ces gens aussi et donner la possibilité à des conjoints de retirer le maximum, s'il y a lieu.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous êtes d'accord avec la proposition quant au renversement du fardeau de la preuve concernant la prestation compensatoire. Je n'ai pas entendu non plus de commentaires dans le sens que vous étiez en désaccord avec les 30 % suggérés, parce que je sais que plusieurs groupes sont intervenus pour dire: Mais pourquoi 30 %? Pourquoi ne serait-ce pas 50 %? Est-ce que vous avez pris position là-dessus? Est-ce que vous pensez que les 30 % sont raisonnables ou si vous suggérez également 50 % ou, enfin, ne mettre aucun pourcentage, finalement?

Mme Pilon: Le fait qu'il y ait présomption, c'est à l'avantage du conjoint collaborateur, naturellement qui n'était pas propriétaire de l'entreprise. Je dois dire que nous n'avons pas réfléchi longtemps sur le pourcentage. Cela nous semblait en tout cas à ce moment-là... Je puis dire que le commentaire dont je me souviens, c'est que cela reflétait peut-être plus que ce que les tribunaux ont tendance à accorder actuellement. On s'est alors dit que c'était déjà un plus, parce qu'on ne va pas chercher de façon générale aujourd'hui les 30 %. Si, déjà, le législateur nous donne les 30 % au départ... Mais, effectivement, on pourrait peut-être penser à 50-50, étant donné que dans les biens familiaux on se dirige vers 50-50. Mais on n'y a pas réfléchi plus que cela.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous ne vous y êtes pas arrêtés plus que...

Mme Pilon: Mais cela nous semblait avantageux au départ, parce que cela donnait déjà plus que ce qu'on est capable d'aller chercher devant les tribunaux.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais, pour vous, la présomption était quand même importante.

Mme Pilon: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: Quant à l'insaisis-sabilité de ia résidence, dans notre document, nous parlons d'un montant de 10 000 $ qui serait exempté, c'est-à-dire que la résidence serait exemptée jusqu'à concurrence de 10 000 $ pour une dette, comparativement à 5000 $ actuellement, et aussi, pour une vente forcée, 70 % de la valeur. Je n'ai pas vu de commentaires à cet effet. Plusieurs intervenants nous ont dit que de passer de 5000 $ à 10 000 $, c'est beaucoup en même temps. Quant aux 70 %, entre autres, la Confédération des caisses populaires craignait que ce serait difficile dans certains cas, car les 70 % étaient trop élevés parce qu'on n'est pas

capable de récupérer 70 % dans certains cas de vente forcée. Est-ce que vous avez une opinion sur cette insaisissabilité?

Mme Pilon: Selon les clients que nous représentons, l'intérêt de nos clients est effectivement d'aller chercher le maximum au chapitre de la vente de ces immeubles. Je pense que, si les caisses populaires ont des problèmes, il va falloir qu'elles travaillent davantage avec leurs agents d'immeubles pour vendre les maisons au meilleur prix possible. Il y avait peut-être une certaine tendance - je ne sais pas, je vous dis cela simplement en commentaire personnel - et on sait pertinemment... Je pense que tout le monde connaît des gens qui ont acheté des maisons par une faillite ou par une dation en paiement, qui ont acheté de la caisse à de très bons prix, il faudrait peut-être que les caisses populaires soient moins conciliantes et soient davantage sensibilisées.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais je pense que les caisses visaient davantage des cas très exceptionnels. Je pense, par exemple, à une résidence qui est construite et, soudainement, on décide d'y construire à côté quelque chose de... Disons, une porcherie. C'est quand même...

Mme Pilon: Oui. Bien sûr. Ce sont les lois du marché. Oui, c'est comme pour les maisons de

Saint-Basile. J'imagine qu'on va avoir de la difficulté à les vendre à 70 % dans la prochaine année.

Mme Gagnon-Tremblay: C'est cela. Cela ferait en sorte que les propriétés perdraient énormément de valeur.

Mme Pilon: C'est cela. Mais remarquez que l'on pourrait toujours faire des ajustements ou prévoir des modalités dans des cas exceptionnels, mais je pense que le principe d'essayer d'avoir 70 % de la valeur municipale est un principe important.

Mme Gagnon-Tremblay: Le partage des biens familiaux pour vous, le fait qu'on prenne en considération la durée du mariage, cela ne cause pas de problème, non plus que pour un second mariage ou pour des gens qui se marieraient en second mariage et qui seraient un peu plus âgés. Cela ne cause pas de problème pour vous non plus, n'est-ce pas?

Mme Pilon: Non, je pense que c'était acquis qu'effectivement on ne doit considérer que les années de vie commune, il faut voir que les gens, de façon générale au Québec, ne se marient pas quatre, cinq ou six fois dans une vie. On peut peut-être penser à deux ou trois mariages. On peut peut-être dissoudre un mariage, mais cela ne veut pas dire qu'on va se remarier. De toute façon, je pense que le législateur, comme le souligne Me Lafontaine, a prévu une disposition où le tribunal pourrait intervenir parce que le partage serait inéquitable. Je pense qu'il est important que cette disposition demeure afin que, finalement, ce soient vraiment les droits des conjoints qui soient protégés.

Mme Gagnon-Tremblay: Enfin, en dernier lieu, pour vous, le partage du patrimoine familial ne vous paraît pas être un incitatif aux cas d'union de fait?

Mme Pilon: Non.

Mme Gagnon-Tremblay. D'accord. (10 h 45)

Mme Pilon: Du tout. Je n'ai pas l'impression que c'est la première préoccupation des gens quand on se marie. De façon générale, l'ensemble de la population... D'ailleurs, il suffit de voir, d'après ce qu'on a vécu jusqu'ici, combien de fois les femmes - parce qu'il faut bien le dire - regardent leur contrat de mariage. On ne s'intéresse jamais à son contrat de mariage, sauf quand cela va mal. Alors on ne pense pas vraiment aux intérêts financiers. Peut-être qu'aujourd'hui on y pense un peu plus parce qu'il y a plus de publicité, on est plus sensibilisé à ces problèmes surtout quand on voit la pauvreté des femmes, etc. Mais c'est vraiment au moment où cela va mal qu'on y réfléchit. Je ne pense pas que lorsqu'on décide de se marier ou non ce soit d'abord la question financière qui entre en jeu, ce sont beaucoup d'autres valeurs morales et sociales.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Pilon. Mme Pilon: Merci.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme la ministre. Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Je voudrais également souhaiter la bienvenue au président de la Commission des services juridiques, Me Lafontaine, et à vous, Me Pilon. On est vraiment chanceux à cette commission. Me Senécal accompagnait, hier, la délégation du Barreau et vous-même, aujourd'hui. Cela nous nous donne un éclairage d'experts sur le document.

Je voudrais me permettre, M. le Président, à ce stade-ci - et je pense bien que nos invités vont me le permettre également, c'est la première occasion que j'ai et je ne voudrais pas la manquer parce que c'est la dernière journée - de transmettre au ministre de la Justice ce que de nombreux groupes sont venus dire ici devant la commission, mais il n'était pas là pour les entendre. Hier, il est venu faire une petite visite, mais il est parti avant que je puisse lui en parler. Comme c'est la dernière journée, nous voulons connaître l'échéancier de ce qui suivra

les travaux de la commission.

Je voudrais vous rappeler que nous, de l'Opposition, avons acquiescé, il y a trois ans, au fait de retirer du projet de loi 20 de l'époque, qui est devenu loi même si elle n'est pas en vigueur, la question du partage des biens en cas de décès. Il y avait le Projet-Partage qui, dès 1985, a, je pense, suscité l'intérêt d'une révision complète du partage lors de la rupture du mariage par une séparation, un divorce ou un décès. Il y a deux ans, un comité a été mis sur pied. Il y a un an que le rapport du comité est terminé. Nous en sommes toujours à un document et non pas à un avant-projet de loi, ni à un projet de loi. Il y a une certaine urgence, pour ne pas dire une urgence certaine qui a été transmise, au fur et à mesure que les travaux de la commission avançaient, par l'ensemble des groupes qui vous ont précédés. Comme nous terminons nos travaux aujourd'hui, il est bien évident que nous souhaitons, au terme de nos travaux cet après-midi, connaître l'échéancier que le gouvernement... Et, comme c'est le ministre de la Justice, je serais injuste si je n'adressais qu'à sa collègue, la ministre déléguée à la Condition féminine, cette demande d'échéancier qui relève du ministre de la Justice.

Ceci dit, votre mémoire est intéressant. Vous le disiez vous-même, il apporte un éclairage d'experts qui ont un contact direct avec des familles pauvres. Vous mentionniez, depuis cinq mois, au-delà de 13 000 causes en matière de droit familial. Ce sont là essentiellement des personnes sans revenu puisque même actuellement je crois comprendre qu'un chômeur qui reçoit des timbres de l'assurance-chômage n'est pratiquement plus admissible à vos services. C'est bien le cas?

Mme Pilon: C'est cela.

Mme Harel: D'entrée de jeu, Me Pilon, il y a eu un échange... J'aimerais simplement vérifier toute la question de la prestation compensatoire avec vous. Quand Me Senécal est venu hier, le Barreau souhaitait, selon l'ensemble de son mémoire, qu'il y ait le moins possible, et je lis exactement les propos qu'il nous tenait: "II faut éviter la judiciarisation des partages de biens familiaux et, par voie de conséquence, un trop grande discrétion judiciaire. " Et, encore plus clairement, les représentants nous ont dit: II faut faire en sorte d'éviter que des personnes aient à recourir aux tribunaux, des personnes qui sont en l'occurrence des femmes le plus souvent, donc que les femmes aient à recourir aux tribunaux pour quémander leur dû.

Je crois comprendre que le recours à la prestation compensatoire qui n'est possible que devant un tribunal, vous ne l'envisagez qu'au cas où il n'y aurait pas de biens familiaux ou qu'ils auraient été divertis pour toutes sortes de raisons, mais vous ne souhaitez pas qu'il soit élargi du fait que ces biens seraient insuffisants parce que le patrimoine serait trop restreint. En d'autres termes, dans la proposition gouvernementale, on voit un recours à la prestation qui, elle, permettrait un régime privé de retraite partageable et le patrimoine, lui, n'inclut pas le régime privé de retraite. Dans la mesure où le patrimoine ne l'inclut pas, dans la mesure où, comme vous nous l'avez démontré, ce patrimoine pourrait être quasi inexistant dans le cas, par exemple, de locataires qui n'ont pas de résidence, ni principale ni secondaire, qui ont un vieux "char" ou quelques meubles, cela viendrait sans doute multiplier les recours devant les tribunaux pour que, par le biais de la prestation compensatoire, les personnes puissent avoir accès au régime privé de retraite. Je crois comprendre que ce n'est pas dans ce sens que vous envisagez d'élargir la prestation compensatoire au conjoint.

Mme Pilon: Pour nous le maintien de la prestation compensatoire telle qu'elle existe aujourd'hui, avec les précisions qui sont apportées par le gouvernement, et là simplement pour compléter un partage possible de biens non familiaux. Mais, dans notre esprit à nous, le régime privé de retraite est compris dans les biens familiaux. Alors, si ces régimes privés de retraite sont compris dans les biens familiaux il y aura partage automatique non judiciaire de ces régimes. Et, à ce moment, on dit: Laissons la disposition qui touche la prestation compensatoire pour des biens non familiaux. Comme Mme la ministre disait: II y a des personnes qui n'auront pas de biens familiaux, ou presque plus, et qui pourront avoir choisi d'acquérir chacun de leur côté beaucoup de biens non familiaux. On peut penser à des actions, à des obligations, à des résidences non familiales. Il y a des gens qui font de l'immobilier, qui en font même un commerce. À ce moment, l'autre conjoint peut avoir d'une certaine façon contribué à l'enrichissement de ce patrimoine. Je comprends que cela implique une judiciarisation en ce qui touche cette procédure, mais on dit qu'il faut tout de même penser, si les gens sont obligés de s'asseoir et de partager leurs biens familiaux, qu'il y a peut-être possibilité aussi par la même occasion que certains autres biens soient réglés en même temps, qu'on s'assoie, qu'on négocie et finalement qu'on partage d'autres biens ou le reste. Il ne faut pas penser que tous les cas vont venir devant des tribunaux. Cela va vraiment être des cas exceptionnels.

Mme Harel: Je comprends donc que c'est pour des situations très exceptionnelles, possiblement là où les biens familiaux auraient pu être divertis par des agissements douteux d'un des conjoints ou dans des cas...

Mme Pilon:... où il n'y en a pas. Mais vous avez raison lorsque vous dites que, dans le contexte où le gouvernement fait sa proposition, il est évident que, si les régimes privés de

retraite ne sont pas compris dans les biens familiaux, on peut penser qu'il va y avoir de nombreux débats judiciaires. J'ai d'ailleurs souligné que déjà on commencait devant les tribunaux a faire la preuve de la valeur actuarielle des rentes de façon à faire la preuve de la valeur en capital du conjoint pour être capable d'aller chercher une somme forfaitaire, d'aller chercher une protection pour l'avenir. On commence à le faire parce qu'on ne peut pas se servir de la loi fédérale. On a quand même trouvé des moyens actuellement. Cela coûte très cher de faire la preuve de la valeur actuarielle d'une rente. Il faut embaucher des actuaires et il y a différentes façons de faire la preuve de la valeur actuarielle d'une rente. On peut avoir une rente plus ou moins élevée selon l'actuaire qu'on a choisi et selon sa façon de calculer. C'est évident que cela peut amener des débats très coûteux pour tout le monde.

Mme Harel: Je vous remercie, Me Pilon. M. le Président, vous me permettez...

Le Président (M. Filion): Oui, sûrement.

Mme Harel:... une autre question? Concernant la loi fédérale, vous nous en parlez notamment à la page 9 de votre mémoire, vous venez de l'évoquer. Cette loi fédérale, nous dites-vous, n'est pas d'application au Québec, c'est d'ailleurs la seule province où elle ne trouve pas matière à application puisque la loi provinciale concordante n'existe pas. Me Pilon - je ne sais pas si je dois aussi poser la question à Me Lafontaine - la loi fédérale prévoit déjà qu'en cas de décès ou même en cas de séparation il y ait partage, autant pour les couples mariés que pour les couples conjoints de fait. Est-ce que vous avez une opinion sur cette question? Vous avez fait l'analogie, avec raison, avec le retard que le Québec accusait actuellement en ces matières. Est-ce que vous avez une opinion sur cette question?

Mme Pilon: Je dois vous dire qu'au moment où on a discuté du document d'orientation on n'a pas abordé la question des conjoints de fait. Effectivement, c'est présentement un problème. On peut constater qu'il n'y a vraiment pas d'uniformité au Québec en ce qui touche les lois qui affectent les conjoints de fait. Il y a de nombreuses lois sociales qui protègent les conjoints de fait. Le Code civil, à ce jour, n'a pas introduit l'union de fait. Si on veut faire l'analogie, par exemple, avec le Régime de rentes du Québec, le conjoint de fait peut actuellement, au Québec, obtenir une rente de conjoint survivant.

Mme Harel: Seulement lors d'un décès.

Mme Pilon: Oui. I! n'y en a pas actuellement...

Mme Harel: II n'y en a pas encore, lors d'une séparation.

Mme Pilon: Non. J'aurais beaucoup de misère à vous dire... C'est évident que, même au plan fiscal, dans tous les domaines, on sent qu'il y a une certaine confusion, à l'égard des conjoints de fait par rapport aux gens mariés. On a de la misère à s'ajuster. On peut se poser la question: Si les gens choisissent... Actuellement, on avance qu'il y aurait entre 10 % et 12 % des gens vivant en union de fait. Si on décide d'accorder une protection aux gens qui se marient - à un moment donné, il y a une décision politique dans ça - si le gouvernement choisit de favoriser la famille, mais pour un homme et une femme mariés avec enfants, à ce moment-là, il y a des conséquences. Est-ce qu'on ne pourrait pas dire que si on accorde une protection assez complète aux gens mariés, à ce moment-là, le choix reste à faire aux gens qui ne veulent pas entrer dans le système, et qu'il y aura des conséquences?

Il faudrait réfléchir plus longtemps sur la question. Est-ce qu'on pourrait, d'une certaine façon, protéger les gens mariés simplement avec les fonds de retraite et ne pas inclure les biens dits familiaux? Je ne le sais pas. il y a de plus en plus de gens non mariés qui vont devant les tribunaux pour aller chercher leur part du butin, si je puis me permettre, parce que l'autre conjoint n'est pas prêt à partager 50-50, et ils ont quand même un bon succès. Ils y vont sur la base d'un enrichissement sans cause et d'une société de fait et ils obtiennent des résultats quand même assez positifs devant les tribunaux. D'ailleurs, certains juristes vous diront que c'est plus avantageux, actuellement, de vivre en union de fait pour faire un partage que de vivre marié avec un contrat en séparation de biens.

C'est évidemment un problème complexe. Je pense qu'il faudrait peut-être réfléchir sur la question dans une optique un peu plus globale.

Mme Harel: Ce que vous nous dites est intéressant parce que, finalement, cette possibilité de recours sur la base d'une société de fait judiciarise malgré tout et n'est couverte que lorsqu'il y a des biens, lorsqu'il y a de l'argent, d'une certaine façon. Lors de la présentation de votre mémoire, Me Lafontaine a parlé d'un editorial qu'on retrouve dans Le Devoir d'aujourd'hui et qui, d'une certaine façon, nous rappelle que la protection familiale... C'est-à-dire qu'il ne faut pas confondre famille et mariage. Quand on parle de patrimoine familial exclusivement dans le cadre du mariage, c'est comme si on excluait les familles comme n'en étant pas quand elles sont hors mariage, d'une certaine façon. Il y a une sorte de confusion qui est entretenue entre le concept de famille et le concept do mariage. Finalement, c'est une protection qui n'est pas autant familiale puisque, si elle l'était, elle chercherait à profiter à l'ensemble des familles,

quel que soit l'état civil. C'est surtout une protection entre conjoints mariés en séparation de biens. C'est peut-être dans cette optique. Je ne vous dis pas qu'il ne faut pas légiférer de façon urgente pour les conjoints mariés en séparation de biens compte tenu des déséquilibres économiques qui semblent assez évidents qui en résultent. Mais c'est une protection entre conjoints. (11 heures)

Je pense qu'on parle abusivement de protection familiale, à moins que l'État ait décidé de confondre famille et mariage. C'est peut-être la dimension, si vous voulez, la mieux articulée compte tenu des travaux qu'on complète aujourd'hui. D'une certaine façon, il y a une intense réflexion à poursuivre sur cette question parce qu'on est en train de faire des catégories, notamment celle des enfants nés hors mariage, qui sont extrêmement nombreux. J'aurai les chiffres cet après-midi. On m'a cité un pourcentage que je veux vérifier parce qu'il est surprenant. Le nombre d'enfants nés hors mariage au Québec est en progression constante. Est-ce que c'est là un peu l'expérience que vous avez? Dans votre pratique, est-ce que vous avez pu faire un profil? Est-ce que les 13 000, ce sont uniquement des dossiers de couples mariés?

Mme Pilon: Je n'ai pas les chiffres devant moi, mais de mémoire je peux vous dire que, sur l'ensemble de ces 13 000 dossiers, le plus grand pourcentage concernait simplement des demandes de pension alimentaire. Alors, on peut présumer que ce sont des gens qui ne veulent pas prendre de procédures actuellement ou qui ne sont pas mariés, je ne pourrais pas vous faire la distinction, alors que les demandes spécifiques de divorce ou de séparation doivent être un peu moins nombreuses. Je pense que vous soulevez un problème intéressant. Je regarde l'évolution des mentalités, l'évolution des lois, surtout dans les autres provinces, depuis à peu près dix ans. Je pense que ce qu'on a surtout voulu protéger et améliorer, c'est le sort du conjoint lui-même. C'est pour cela que quand on parle de biens familiaux c'est peut-être large un peu. Il ne faut pas oublier que toutes ces lois viennent de décisions de la Cour suprême qui avait, de façon catégorique, refusé à un conjoint collaborateur, par exemple, la moitié des biens de la famille. On ne s'était pas intéressé au sort des enfants à ce moment-là et on avait dit: Cela n'a pas d'allure. À ce moment-là, on a légiféré, mais c'est d'abord pour protéger le conjoint dans la famille. C'est tellement vrai que, qu'il y ait enfant ou pas, dans la proposition gouvernementale on va partager. On ne partage pas seulement s'il y a des enfants. Je pense que c'est important de le dire. En tout cas, je le vois un peu comme ça.

Mme Harel: Me Pilon, dans les autres provinces - je pense à l'Ontario, et j'ai fait vérifier ce matin, dans le "Family Act" de 1986 - la protection même du conjoint a été élargie au conjoint de fait puisque la loi reconnaît maintenant l'obligation alimentaire entre conjoints de fait. Quand vous me dites: Ce n'est pas tant la protection du conjoint au Québec que la protection du conjoint marié...

Mme Pilon: Oui, pour les biens. Effectivement, dans les autres provinces, de façon générale, on a choisi - dans plusieurs provinces, mais en Ontario, je le sais, c'est vrai - de protéger aussi le conjoint de fait avec l'obligation alimentaire. C'est évident qu'au Québec, quand on partage des biens, s'il y a des enfants, les enfants vont avoir un bénéfice direct parce qu'il y aura plus d'actifs pour le parent gardien. Mais c'est d'abord voulu, je pense, pour corriger des inégalités et des inéquités qu'on a vues au fil des ans, qui touchent le conjoint d'abord et surtout les conjoints mariés en séparation de biens qui n'ont pas été sur le marché du travail de façon constante et qui n'ont pas de protection pour la retraite. Je pense que c'est surtout ça qu'on commence à voir. C'est ça qui ressort dans l'ensemble des écrits. Quand on parle de la féminisation de la pauvreté, c'est qu'il est évident qu'une femme pauvre entraîne le fait qu'il y ait des enfants pauvres aussi. Si on corrige ça, il reste le problème des enfants issus d'unions libres qui vont vivre des problèmes. Actuellement, ils sont 12 % au Québec. Il va falloir faire une réflexion et essayer de voir ce qu'on va faire avec cela.

Mme Harel: Les conjoints de fait sont peut-être 12 % au Québec, mais leur nombre est en progression chez les couples de moins de 35 ans, et là ça double...

Mme Pilon: Mais il faut voir aussi que ces couples-là...

Mme Harel: Ce sont surtout les couples en âge, si vous voulez, de procréer. Quand vous regardez par catégorie d'âge, vous vous rendez compte que c'est évident que ce pourcentage a besoin d'être ventilé. Moi, les moyennes! M. Lévesque, dans le passé, disait qu'on pouvait se noyer dans une moyenne de trois pieds d'eau. Les moyennes, évidemment, il peut y en avoir six pieds comme il peut y en avoir un pied. Alors, les moyennes ne révèlent pas la réalité d'une société. C'est quand on regarde ça par catégorie d'âge qu'on voit qu'ii n'y a quasiment pas de conjoints de fait entre 55 ans et plus, mais qu'ils sont tous, enfin ils sont pratiquement tous en bas de 35 ans, c'est-à-dire à l'âge où ils ont plus facilement la possibilité d'avoir des enfants.

Mme Pilon: Mais les conjoints de fait sont aussi de plus en plus au courant de leur situation financière et des conséquences économiques d'une rupture.

Mme Harel: Autant que les...

Mme Pilon: II y a de plus en plus de conjoints de fait, par exemple, qui vont acheter en copropriété, parce qu'il y a quand même une certaine publicité qui a été faite. On leur dit de garder leurs factures, etc. Il y a aussi un phénomène de baisse de natalité qui fait en sorte que ces gens-là ont moins d'enfants que les gens en avaient avant. Ils n'ont peut-être pas tous des enfants non plus, mais...

Mme Harel: Me Pilon, est-ce qu'ils sont plus au courant, selon vous, que les conjoints en séparation de biens qui, eux, ne le seraient pas? Finalement, il a été illustré de façon évidente devant cette commission, Fernand Daoust, de la FTQ, le disait hier, qu'il y aurait lieu de mener une grande campagne d'information du type de celle qui s'est menée sur la violence conjugale, pour faire connaître entre autres les avantages de ta société d'acquêts. Ce serait surprenant que les conjoints de fait soient plus au courant de leurs droits que les conjoints en séparation de biens et, pourtant, ce régime est encore choisi.

Mme Pilon: Oui. Je pense que les gens qui sont en union libre ont effectivement tendance à s'interroger davantage parce qu'il n'y a pas de protection juridique, ils ne peuvent pas se rabattre derrière un texte de loi ou derrière une situation juridique officialisée pour faire valoir leurs droits. Ils ont donc tendance à s'informer un petit peu davantage, je pense. Il y a eu aussi beaucoup de publicité de la part du Conseil du statut de la femme il y a quelques années, sous forme de brochures, séances d'information, etc., sur l'obligation pour les conjoints de fait de voir vraiment à leurs affaires. Je me souviens d'ailleurs qu'ils avaient fait une campagne publicitaire qui disait: Nos affaires, faut y voir! On visait surtout les conjoints de fait. Je pense que les gens s'informent de plus en plus. Pourquoi les gens mariés le font-ils moins?

Mme Harel: Pourquoi le régime légal n'a-t-il pas, malgré sa progression, le succès qu'il devrait avoir selon vous, Me Pilon?

Mme Pilon: II y a certainement un manque de publicité. Il y a peut-être aussi un manque d'encouragement de la part des notaires qui doivent conseiller les gens qui se marient. Il y a aussi, il faut le voir, la tradition ici au Québec de faire un contrat de mariage. C'est vraiment dans les moeurs et dans les traditions de faire un contrat de mariage. D'ailleurs, on le voit, on est rendu à peu près à 50 %. Depuis 1970 on ne peut pas dire que la proportion a baissé énormément. Il y a encore 50 % des gens qui font des contrats de mariage. C'est encore beaucoup dans les moeurs.

Mme Harel: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme la députée de Maisonneuve.

M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Je voudrais tout d'abord remercier Me Lafontaine et Me Pilon d'avoir accepté de venir ici nous faire part de leurs commentaires et de nous avoir présenté leur mémoire, qui est très bien fait. Je voudrais les féliciter et les en remercier. Eux aussi apportent, par leurs commentaires, une vue concernant ce patrimoine familial qui rejoint celle de bien d'autres intervenants, c'est-à-dire qu'ils sont pour qu'on puisse agrandir cette notion de patrimoine familial.

Tout à l'heure, Me Pilon nous mentionnait, bien sûr, les régimes de retraite, mais aussi les maisons secondaires et même des biens qui seraient chers à la famille, utilisés par la famille - elle a mentionné la motoneige, c'est une période pour penser à la neige, évidemment - dans ce contexte fondé essentiellement sur le partage. Finalement, la notion qui nous garde dans nos réflexions, c'est le partage en fonction d'un patrimoine que l'on crée. Certains nous ont dit que cette notion de patrimoine nous venait de la "common law"; que nous, ici, de tradition civiliste n'avions pas cette tradition de patrimoine familial comme telle et qu'au lieu de se référer à une notion de "common law" on pourrait tout simplement se référer à nos propres institutions ici et rendre obligatoire, par exemple, le régime de la société d'acquêts pour régler tous les problèmes.

Vous avez parlé tout à l'heure des conjoints de fait. On sait que ça peut causer des difficultés dans la définition. On sait aussi que les conjoints de fait peuvent contracter entre eux ou peuvent établir leur régime par des contrats dont ils peuvent convenir entre eux, bien sûr. En ce qui regarde ceux qui décident de se marier, donc d'établir leur partenariat parce qu'il y a autant un partenariat, quand on n'est pas marié que quand on l'est, le partenariat, quand on est marié, est un geste qu'on veut en fonction de certaines conséquences et une de ces conséquences serait justement cette notion de patrimoine familial. Est-ce qu'on ne pourrait pas, Me Pilon, remplacer cette notion de patrimoine familial et tout ce qui s'ensuit, en rendant obligatoire le régime de société d'acquêts? C'est le notaire Comtois qui nous a fait cette proposition, je crois. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Pilon: Compte tenu des objectifs que j'ai soulignés au début, plus particulièrement le maintien de la liberté contractuelle, j'aurais de la difficulté à vous suivre sur cette voie. En Ontario, on est actuellement dans un régime qui n'est même pas de genre société d'acquêts, mais plutôt de genre communauté universelle. Dans les autres provinces, la tradition de "common law",

avant 1978, en était une de non-intervention. Les gens organisaient leurs affaires comme ils l'entendaient et ils n'avaient pas de protection. J'aurais tendance à penser que les provinces de "common law" sont de plus en plus clvilistes parce qu'elles légifèrent de plus en plus et elles déterminent de façon de plus en plus précise les droits de leurs citoyens. Il semble donc y avoir un renversement pour protéger les gens.

Je pense qu'il faut quand même laisser aux gens le choix d'administrer au moins une partie de leurs biens ou de décider du sort d'une partie de leurs biens, et que la solution gouvernementale répond à l'ensemble des objectifs des intervenants. On protège ce qu'on considère être des biens familiaux, tout en laissant quand même aux gens la possibilité de continuer d'administrer et de gérer leurs autres biens. Je pense qu'il est important dans notre tradition et dans notre droit de laisser cette possibilité aux gens. Les gens sont habitués. Ce n'est pas du "common law" d'agir de la sorte, mais simplement respecter nos traditions de la liberté contractuelle qui est très importante au Québec. Les gens aiment s'occuper de leurs affaires et les régler.

Je ne vois pas une société d'acquêts universelle pour tous les conjoints qui se marient. D'ailleurs, l'Ontario laisse aux conjoints la possibilité de se retirer en partie du programme. On travaille donc à l'inverse en disant aux gens: Vous avez un régime obligatoire, mais vous pouvez vous y soustraire par contrat. Naturellement, dans les provinces de "common law", il n'existe pas de tradition de faire des contrats, mais je peux vous dire qu'il y en aura de plus en plus parce que de plus en plus de citoyens ne voudront pas se voir imposer un régime aussi englobant et, par contrat de mariage, ils voudront essayer de se soustraire à ce régime, sous réserve, naturellement, qu'il y a des biens familiaux qui sont protégés et sur lesquels on ne peut transiger. On va vivre le phénomène contraire en Ontario et je suis certaine que de plus en plus de contrats de mariage et de débats judiciaires vont se faire devant les tribunaux pour essayer de contrer ce partage universel obligatoire.

M. Rémillard: Je vous remercie. Mme Pilon: Merci.

Le Président (M. Filion): J'aurais peut-être une question avant de vous laisser. Dans le mémoire que vous présentiez en décembre 1985 au ministre de la Justice sur la question de la survie d'obligation alimentaire et un peu dans le sens de ce que vous disiez ce matin au sujet de la société d'acquêts, vous écriviez, et je résume un peu, que le régime légal de la société d'acquêts assurait en partie cette protection nécessaire des conjoints en leur assurant un juste partage de leurs biens; en somme, que le régime de la société d'acquêts constituait théoriquement peut-être celui qui instaurait une justice distributive entre conjoints de la façon la plus aisée.

En réponse à la question du ministre de la Justice, et vous le mentionnez dans votre mémoire, vous dites: II y a la liberté contractuelle et on veut réserver aux conjoints une partie de la libre administration de leurs biens, etc. De toute façon, qu'on utilise une voie ou l'autre, tout le monde est d'accord pour qu'on procède à une meilleure publicité du régime de la société d'acquêts. Le notaire Comtois suggère qu'il devienne le seul régime; hier, la FTQ nous disait que, quant à elle, il constituait le meilleur régime. Mais je pense que, même si la question n'a pas été posée à tous les intervenants et à toutes les intervenantes, on s'entend pour dire qu'à défaut d'en faire le régime obligatoire, impératif, il faut en faire la publicité. Là, mon esprit concret de praticien entre en ligne de compte: Qui va faire la publicité de ce régime de société d'acquêts? Sûrement pas les notaires puisque c'est le régime légal. (11 h 15)

II est difficile de concevoir que dans les antichambres de notaires on incite les gens à retourner chez eux le plus rapidement possible parce que, évidemment, entrer au bureau du notaire, c'est... Sans égard aux origines de la ministre déléguée à la Condition féminine, il demeure que c'est un fait. Il faut quand même être concret. Ce n'est pas un hasard si le régime de société d'acquêts n'est pas plus popularisé qu'il ne l'est.

Qui va faire la publicité? Je vais poser la question aux représentants de la Chambre des notaires quand on va les voir, cet après-midi je pense. Mais force est de constater que c'est un régime très peu connu. Deuxièmement, dans l'imagerie populaire - et, encore hier, je me suis fais dire par des gens qui travaillent au parlement que le régime de séparation de biens voulait dire qu'on séparait les biens quand cela allait mal. Me croiriez-vous si je vous disais qu'une intervenante, cette semaine, est presque entrée dans cette ligne de pensée? Une personne qui était venue ici au nom d'un groupe. Alors, je vous laisse imaginer ce que c'est pour le commun des mortels.

Je vous pose la question. Vous aussi, vous désirez un peu plus de publicité. Aimeriez-vous que le ministère de la Justice soit plus vigoureusement impliqué dans une campagne visant à informer adéquatement souvent des jeunes couples qui veulent se marier des conséquences de leur choix? Je sais que la Commission des services juridiques a aussi un excellent service d'information. Ils ont probablement dû produire une minute juridique ou, avec Me Allard, on a sûrement dû avoir un programme. Si vous avez réfléchi à cette question, j'aimerais peut-être vous entendre sur cet aspect du dossier qui est

administratif, peut-être pas juridique.

M. Lafontaine: Très brièvement. C'est un des mandats de notre commission de donner de l'information juridique, pas seulement aux pauvres, mais de façon générale. Nous croyons le faire en partie parce qu'on n'est pas seuls à avoir un mandat là-dessus, le ministère de la Justice aussi, et, comme vous le disiez, le ministère d'État à la Condition féminine. Ce qui a fonctionné le plus chez nous ce sont des campagnes d'information où, dans presque tous les cas, ça a été des avocates quand des mesures gouvernementales sortaient. Une fois qu'elles sont adoptées par le législateur, on a l'habitude de faire des séances d'information régionales et mêmes locales. Nos avocates et, à l'occasion, quelques avocats se dévouent, une partie des soirées, pour faire le tour de personnes qui veulent être informées sur le sujet.

À chaque fois qu'il y a eu des modifications dans le domaine de la famille, étant donné que c'est un domaine qui est important pour nous, on a ordinairement procédé de cette façon tout en ne négligeant pas, bien entendu, la radio et la télévision parce qu'on peut dire que la télévision est le moyen en or. C'est le moyen en or que tout le monde regarde, mais il y a seulement ceux qui sont dans la situation qui sont réellement intéressés et écoutent. À ce moment, ce sont les séances d'information qui sont notre façon de vendre cela. Mais on ne peut pas partir d'avance aussi longtemps que la loi n'est pas adoptée, que la réglementation n'est pas approuvée parce qu'à ce moment ce serait simplement jeter la confusion.

Ce qu'on peut vous dire c'est que si la commission parlementaire aboutit à un projet de loi et que le projet de loi est adopté ultérieurement, on va, comme dans le passé, recommencer, on va prendre le bâton du pèlerin, on va essayer d'informer les gens de la nouvelle situation parce que, quant à moi, il y aurait beaucoup de problèmes à l'égard desquels l'État n'aurait pas à légiférer et à consacrer beaucoup d'énergies, de même que les tribunaux, avec les frais que cela implique, si les gens étaient mieux informés de leurs droits. Cela est très clair. Je suis vendu à çà à 150 milles à l'heure.

C'est évident que même pour les unions de fait, etc., il y a toujours une question de culture derrière, il y a une question de valeur de la société. Mais il faut que ces choses soient dites, soient exprimées publiquement, que les gens sachent où ils s'en vont. On aura beau légiférer comme on voudra, si les gens ne sont pas au courant de la loi qui est votée, quant à moi, ça ne vaut rien.

Mme Pilon: Je vais juste compléter en disant qu'il est important que la publicité soit faite sur l'ensemble de ces lois. Avec la publicité qui est faite dans les journaux depuis environ dix jours, depuis que ia commission parlementaire siège, c'est Intéressant de voir le feed-back que je peux avoir au bureau. Les avocats sont déjà inquiets - c'est dommage, le ministre de la Justice a déjà quitté - de savoir: Est-ce qu'on attend pour prendre des procédures pour nos clientes parce qu'on sait déjà qu'il y a peut-être des droits qu'on va perdre parce qu'on va obtenir un jugement de divorce dans trois mois, alors que si on attend six mois est-ce qu'il y aura une mesure transitoire qui va inclure les causes pendantes? Déjà, les avocats sont très inquiets et commencent à téléphoner pour savoir ce qu'on fait, quel est l'échéancier et les gens aussi, les conjoints vont lire ces informations dans les journaux et on va les voir dans notre bureau parce qu'ils vont venir nous dire: Là j'ai droit à la moitié de tout. Non, vous n'avez pas droit, madame. Cela va être dans un an et demi peut-être que vous allez avoir droit à la moitié de tout. C'est une publicité, mais c'est une publicité actuellement qui est vide parce que ça fait mal, dans le fond. On ne peut pas protéger nos clients actuellement et souvent on ne peut pas attendre pour prendre les procédures. C'est un cas de violence. Il y a d'autres problèmes. Il faut prendre les procédures. Il y a de gros problèmes.

Maintenant, un dernier argument. Quand on parle de la publicité par rapport à la société d'acquêts, malheureusement, les clients qui viennent nous voir sont déjà mariés et ils veulent une séparation ou un divorce. De par notre travail, on est appelés à rencontrer beaucoup de gens déjà mariés. Cette publicité doit être faite auprès des jeunes. Elle peut être faite aussi au niveau secondaire, au niveau collégial, dans le cadre des informations qui sont données dans toutes sortes de cours qui se donnent dans les écoles au Québec. Les enfants, en tout cas les jeunes, sont très mal informés de leurs droits. Ils ne sont pas conscients non plus des conséquences économiques, par exemple, de rester à la maison, de ne pas travailler. On ne comprend pas actuellement tout l'impact financier de la vie d'aujourd'hui. Je pense qu'il y aurait un travail à faire chez les jeunes. Je parle chez les très jeunes, de 15 à 20 ans, qui ne sont pas encore embarqués dans une union; que ce soit une union de fait ou une union de couple marié, cela n'a pas d'importance. Je pense qu'il y a beaucoup de travail à faire de ce côté.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Concernant l'échéancier, je pense que la question a été posée au ministre de la Justice, qui en a sûrement pris bonne note. Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Je voulais juste terminer en vous remerciant. Mais, avant de clore, je voulais vous dire qu'on avait choisi la voie mitoyenne justement parce qu'elle nous paraissait la meilleure pour permettre de conserver cette liberté de contracter pour les autres biens. Cela nous apparaissait important dans

notre droit actuellement de ne pas faire de grands bouleversements. C'est un premier pas. Après on verra ce qu'on peut faire. Me Lafon-taine, vous aviez tout à fait raison tout à l'heure lorsque vous disiez: Lorsqu'on n'est pas dans le pétrin, lorsqu'on n'est pas face à un problème qui nous arrive, on est très peu conscients de nos droits, qui qu'on soit; les hommes ne connaissent pas mieux leur contrat de mariage que les femmes, c'est les deux conjoints. J'avais l'occasion de dire à un groupe récemment: Quand ça va bien, ça va bien, on ne se préoccupe pas de ce qu'il y a à l'intérieur du contrat de mariage, c'est au moment où ça va mal. Et, si ça va mal pour l'un des conjoints, c'est sûrement la faute du notaire qui n'a pas bien conseillé le client! Je vous remercie infiniment de votre présentation, Mes Pilon et Lafontaine.

Le Président (M. Filion): Au nom de tous les membres de cette commission, merci, Me Pilon, merci, Me Lafontaine.

Je voudrais inviter les représentants et représentantes du prochain organisme, la Fédération des assocications de familles monoparentales, à prendre place à la table des invités.

À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, bienvenue aux représentantes de la Fédération des associations de familles monoparentales. Est-ce que Mme Marie-France Pothier, présidente, pourrait nous présenter les personnes qui sont à sa gauche et à sa droite?

Mme Pothier (Marie-France): Oui. À ma gauche, Mme Céline Signori, qui est directrice générale à la fédération, et, à ma droite, Mme Madeleine Bouvier, qui est agente de politiques.

Le Président (M. Filion): Vous connaissez nos règles du jeu.

Mme Pothier: Oui, cela va.

Le Président (M. Filion): Une courte présentation de votre mémoire suivie d'une période de discussions avec les membres de cette commission.

Fédération des associations de familles monoparentales du Québec

Mme Pothier: D'accord. Je voudrais commencer en disant que nous sommes très heureuses d'être ici, très heureuses aussi qu'il y ait une réforme qui s'amorce concernant le droit économique des conjoints. Depuis longtemps, nous attendions des mesures justes et équitables pour nos représentantes et pour toutes les familles monoparentales au Québec.

Je voudrais vous dresser un petit portrait de ce qu'est la Fédération des associations de familles monoparentales du Québec. Elle regroupe des associations de familles monoparentales de tout le Québec. Elle rejoint régulièrement ces associations par des regroupements régionaux situés dans huit régions du Québec. Elle se veut aussi le porte-parole provincial de la monoparen-talité par ses membres, toutes les personnes rejointes par les activités de formation, d'information et d'échange organisées par les associations à la base, par les services d'écoute et de relations d'aide de ces associations, par de nombreux appels reçus à son secrétariat permanent à Montréal. Même si nous ne sommes pas des avocats et des notaires, notre expertise de la problématique s'appuie vraiment sur la réalité et le vécu des familles monoparentales et de tous ceux et. celles qui ont eu à vivre un jour une séparation ou un divorce.

Malgré l'institution de la société d'acquêts depuis les années soixante-dix, beaucoup de femmes, les femmes surtout, qui se retrouvent aujourd'hui dans nos associations et en situation de famille monoparentale, qui sont séparées et divorcées se sont fiées aux conseils professionnels des notaires; elles ont contracté en séparation de biens. C'est sûr que ces contrats, au moment où ils sont rédigés, sont faits dans un climat de confiance et d'amour, mais, souvent, quand arrive une rupture, ces personnes se retrouvent chez nous et, nous, nous avons vraiment à travailler avec le cauchemar qu'est une réalité de séparation ou de divorce quand le contrat de mariage n'a pas respecté certains droits des conjoints.

On aimerait aussi, par des exemples concrets, vous prouver jusqu'à quel point... En tout cas, ce qu'on pense, c'est que l'État devrait être informé des effets des lois qui, parfois, paraissent très bénéfiques, mais qui, dans les faits, s'avèrent un petit peu difficiles à vivre. Par exemple, quand on parle d'indexation automatique des pensions alimentaires, les femmes - en tout cas, majoritairement - qui ont à aller chercher une pension alimentaire pour les enfants sont sujettes à du harcèlement; elles sont sujettes aussi à du chantage par le débiteur de la pension alimentaire. Au lieu de subir cela, souvent, la femme n'ose pas entamer de procédure. Je pourrai vous donner des exemples plus concrets tantôt.

C'estla même chose quant à la perception de la pension alimentaire. Ce qui se vit dans la réalité, c'est que souvent la femme a de la difficulté à aller faire une demande de perception de pension alimentaire. Si l'État prenait en charge le jugement et le faisait exécuter, cela voudrait dire que la relation entre les ex-conjoints serait beaucoup moins tendue. La relation entre le demandeur et le débiteur serait beaucoup plus sereine, et la relation nécessaire au bien-être de l'enfant serait peut-être améliorée.

Voici un exemple concret qu'on a vécu à l'intérieur d'une de nos associations: une femme qui avait fait une demande d'indexation de pension alimentaire s'est retrouvée avec son exconjoint qui lui a tendu un chèque en lui disant: Ta pension alimentaire, tu ne pourras jamais en

profiter. Cette femme a vraiment été victime de sévices très importants. Une autre femme voyant la possibilité de faire indexer sa pension alimentaire s'est vu répondre par une lettre en demande d'annulation de pension alimentaire. Ce sont toutes des choses qui sont vécues à l'intérieur de nos groupes, et on les voit tous les jours. (11 h 30)

Pour revenir au mémoire, on veut tout simplement souligner que la fédération est vraiment le porte-parole des familles monoparentales et qu'elle prend parti pour le conjoint démuni du couple séparé, avec un parti pris pour l'enfant aussi, parce qu'on sait toujours que la famille constitue vraiment l'élément important dans cette bataille que l'on mène.

Le partage des biens familiaux doit être envisagé comme constituant un droit des conjoints, et non une compensation pour services rendus à la famille. La fédération adhère donc au partage entre les conjoints des biens familiaux acquis durant le mariage, à la fin de celui-ci ou au décès, et propose une solution mitoyenne bonifiée. La fédération recommande que le patrimoine familial consiste en une liste exhaustive des biens familiaux acquis pendant le mariage et partageables également entre les conjoints, en tenant compte des charges familiales à la fin du mariage ou au décès. Quand on parle de charges familiales, on parle des enfants.

La fédération recommande que le patrimoine familial comprenne les biens familiaux suivants: la résidence familiale principale et les résidences familiales secondaires dont un conjoint est propriétaire, ainsi que les droits qui assurent le logement, les meubles, les objets d'art, tout autre bien servant à l'usage du ménage - par exemple, les bateaux, motoneiges, etc. - les véhicules automobiles des époux propriétaires et les gains accumulés par l'un ou les deux conjoints à la Régie des rentes du Québec ou au Régime de pension du Canada, ainsi que les fonds privés de pension incluant le partage et la contribution de l'employeur.

Les raisons évoquées dans le document gouvernemental pour ne pas inscrire les régimes privés dans le patrimoine familial sont que les régimes privés n'ont pas un caractère familial et qu'ils ne sont pas utilisés dans le cours de la vie courante. Par contre, l'État reconnaît de plus en plus que les régimes privés de retraite sont de la nature de revenus différés, donc, à tout le moins, des acquêts. I! faut retenir que ces revenus sont différés en vue d'un but très précis, celui d'assurer la sécurité financière du couple à la retraite. Vous savez qu'on ne s'est pas serré la ceinture durant ie mariage en vue d'assurer la retraite d'un seul conjoint. On l'a fait toujours en fonction des deux, parce que, quand on se marie, on se marie pour la vie. Alors, la retraite a été impliquée là-dedans comme étant la continuité d'une sécurité financière.

Alors, c'est important de considérer que les revenus de retraite peuvent aussi entrer dans le patrimoine familial. Le patrimoinne familial doit comprendre les biens de base au coeur de la vie familiale et ceux qui assurent la sécurité à la retraite. Comme corollaire, il s'ensuit que le partage doit tenir compte de la durée de la vie commune.

La fédération recommande instamment que soient inclus dans le patrimoine familial les régimes de pension privés obligatoires auxquels participe l'employeur, ainsi que les régimes enregistrés d'épargne-retraite, les régimes d'épargne-retraite et les régimes de participation différée aux bénéfices en tenant compte de la durée de la vie commune.

Nous recommandons aussi que les mêmes règles d'évaluation et de dévolution édictées par règlement pour l'attribution de la prestation compensatoire soient utiisées dans le partage du patrimoine familial en ce qui regarde les régimes de retraite privés, de façon à éliminer l'arbitraire de méthodes d'évaluation différentes.

On souscrit au droit de renonciation au partage à la fin du mariage, parce que ce droit respecte le principe du partage, du fait qu'il oblige le demandant à présenter des règles de partage équivalentes. La fédération souligne que chaque jour de retard signifie tant de couples divorcés de plus dont un conjoint est lésé par le non-partage des crédits de retraite. À chaque règlement de divorce, c'est final pour le conjoint démuni de ce couple.

Concernant la mesure transitoire, non seulement on n'inclut qu'une infime partie des biens familiaux partageables dans la liste, mais on veut aussi permettre aux personnes déjà mariées en séparation de biens de s'y soustraire. Au sujet de la mesure transitoire, il faut pourtant souligner que ce sont ces conjoints mariés en séparation de biens dont la rupture pose le plus d'inégalités financières et le plus d'inéquités dans le partage. Des exemples à cela, on en a beaucoup. Je pourrais vous faire part du suivant: Voyant venir une séparation, un conjoint fait pression auprès de sa partenaire pour faire changer le régime de société d'acquêts dans lequel il s'était marié pour une séparation de biens. C'est quelque chose qui s'est vécu et qui se vit souvent au moment de la séparation. On peut imaginer ce qui se fera en termes de chantage et de harcèlement pour faire signer la renonciation au partage. On pourra même aller jusqu'à couper les vivres. Cela s'est déjà fait. Un conjoint a carrément coupé les vivres pour un refus d'accepter une situation. Cela pourra servir, encore là, de moyen de pression. C'est pourquoi on refuse qu'il y ait des mesures transitoires pour les couples mariés en séparation de biens.

Attendu qu'une mesure d'exception devrait respecter le principe du partage, attendu que la mesure transitoire proposée nie complètement le principe du droit au partage du patrimoine familial, inscrit au régime primaire, la fédération

s'oppose à la mesure transitoire et recommande que les personnes mariées en séparation de biens puissent se prévaloir du droit de renonciation au partage à la fin du mariage, pourvu qu'elles présentent des règles de partage équivalentes.

Le droit familial au Québec ne protège pas vraiment la famille. Il énonce un grand principe d'égalité des conjoints entre eux et devant la loi pour ensuite édicter des mesures qui obligent les conjoints à s'affronter et qui les dressent l'un contre l'autre. Si on parle de la protection automatique des résidences familiales, vous savez qu'encore là c'est souvent la cause de plusieurs malaises, de plusieurs chicanes. On a même vu des ruptures par rapport à cela. Vous excuserez l'expression, mais j'ai entendu un commentaire d'une femme qui disait: Si je fais cela à mon mari, il va me tuer. C'est pour vous dire dans quel climat ou dans quel contexte ces mesures peuvent s'inscrire.

Aussi, il est certain qu'au chapitre du recours en dommages-intérêts, quand on parle du recours en dommages-intérêts contre l'autre conjoint s'il n'y a pas respect de la résidence familiale, vous savez que souvent le conjoint le plus démuni n'ira pas affronter le conjoint le plus nanti à l'intérieur du couple. C'est vraiment toujours une bataille qui se passe entre le conjoint le plus nanti et le conjoint le plus démuni.

Attendu que le droit du conjoint dans le patrimoine familial ne doit pas dépendre de quelque chose comme une déclaration ou un enregistrement, la fédération recommande qu'une loi claire stipule que les résidences familiales soient automatiquement enregistrées comme telles et que c'est au tiers qu'il revient de s'assurer que ce n'est pas une résidence familiale. Si c'est le cas d'une résidence familiale, la transaction est tout simplement annulée. Je pense que cela a été dit tantôt par le groupe qui nous a précédées. Beaucoup de choses, d'ailleurs, reviennent souvent.

Attendu que le droit du conjoint dans le patrimoine familial ne doit pas dépendre du genre d'immeuble dans lequel se trouve la résidence familiale, la fédération demande que soit amendé l'article 453 du Code civil de façon à étendre ia protection automatique de la résidence familiale aux immeubles de cinq logements et plus.

Concernant le droit d'habitation non préjudiciable au partage, je voudrais faire un commentaire très positif concernant cette mesure. Je crois que cela va éliminer les cas d'injustice qui ont déjà été faits par rapport à cela. Vraiment, la fédération appuie cette mesure du droit d'habitation non préjudiciable au partage.

Concernant les saisies abusives et les ventes forcées, la fédération réclame que l'immeuble servant de résidence familiale soit insaisissable lorsque la créance est inférieure à 25 000 $. La fédération réclame qu'une vente forcée de la résidence familiale ne puisse avoir lieu à un prix inférieur à sa valeur totale uniformisée qui est déjà inférieure à la valeur courante.

Concernant la survie de la créance alimentaire, la fédération souscrit à la survie de la créance alimentaire et apprécie qu'il soit tenu compte de l'ex-conjoint et des enfants du défunt dont l'ex-conjoint a la garde. La fédération recommande que des règles claires simplifient les procédures pour régler rapidement la succession: que la créancière alimentaire soit informée par l'exécuteur testamentaire du décès du débiteur et de la procédure à suivre pour réclamer la créance alimentaire existante tant pour elle-même que pour l'enfant du défunt dont elle a fa garde.

Attendu que l'ex-conjoint créancier d'aliments doit avoir un certain temps pour se réorganiser, la fédération recommande que le montant forfaitaire payable au comptant ou par versements à l'ex-conjoint soit d'une valeur d'au moins douze mois d'aliments.

Un autre commentaire positif: le législateur considère sur le même pied les enfants nés d'une première union et ceux nés d'une deuxième union. Je pense qu'il est important de le souligner.

La prestation compensatoire. Je pense que l'expertise des femmes collaboratrices vous a démontré beaucoup par rapport à la prestation compensatoire. Nous voudrions ajouter que, s'il n'y a pas de biens familiaux à partager, il faudrait peut-être penser à un remplacement de la prestation compensatoire. Toujours concernant ia prestation, la fédération recommande que la collaboration du conjoint dans l'entreprise familiale soit évaluée a 50 % de l'actif net durant la période de collaboration et calculée selon la durée de celle-ci pour déterminer la valeur de la prestation.

Dans le mémoire qu'on vous a fait parvenir, à la recommandation 19, une erreur très importante s'est glissée et je voudrais la corriger. La lecture de la recommandation se fait comme suit: "La FAFMQ souscrit entièrement aux énoncés suivants: la prestation compensatoire serait élargie quant à ses modes de paiement pour permettre au tribunal d'ordonner que le jugement soit exécuté sous la forme de droit divers... " Il faut rayer entièrement "incluant les droits à la retraite prévus par un régime complémentaire de retraite", parce que nous tenons vraiment à ce que les régimes de retraite privés soient inclus dans le patrimoine familial. Ce partage ne pourrait excéder 50 % du total de ces droits. Les règles d'évaluation et de dévolution seraient édictées par règlement de façon que ces droits à retraite soient immobilisés, rendus cessibles et saisissables en ce qui concerne les époux lors du partage.

La société d'acquêts. La fédération souscrit aux changements proposés dans la société d'acquêts. Le conjoint survivant qui renonce aux acquêts du défunt n'aura plus à partager ses propres acquêts avec les héritiers.

Pour conclure, le principe de l'égalité de l'homme et de la femme entre eux et devant la loi est reconnu par le droit familial. Il en découle des droits et des obligations analogues pour les deux époux.

Dans tout mariage, il est rare que les conjoints soient d'égale force de caractère, d'égale autonomie financière et d'égale richesse. Les droits qui découlent du mariage ne sont donc pas les mêmes d'un conjoint à l'autre, parce que c'est l'autre conjoint ou la loi qui donnera force au droit.

Malgré tout le désir que l'on ait de vouloir respecter l'intimité, l'autonomie et le sens des responsabilités des conjoints dans le mariage, il faut retenir qu'il y a une disparité des forces morale, physique, psychologique et financière entre eux. Advenant un litige, forcément, l'un est de force supérieure à l'autre. C'est pourquoi le droit de la famille doit suppléer à la faiblesse du conjoint pour égaliser les forces.

La fédération souligne de nouveau l'importance d'inscrire le partage du patrimoine familial dans le régime primaire du Code civil en y incluant les régimes de retraite privés de façon à ouvrir le droit au partage des crédits de retraite pour les Québécois et Québécoises.

La fédération recommande aussi que l'État édicte impérativement les mesures qui accordent et qui font respecter les droits: une protection automatique des résidences familiales, un partage égal des biens familiaux comprenant le partage des droits à retraite publics et privés, un service automatique d'exécution des pensions alimentaires octroyées par jugement, c'est-à-dire une prise en charge complète par l'État de l'exécution des jugements.

Dès que le législateur accorde un droit qui protège le plus démuni sans mesures impératives, l'exécution de ce droit relève de la bonne volonté de l'autre conjoint. Sans mesures impératives, la loi ouvre la porte aux affrontements si le conjoint démuni essaie de faire respecter son droit par l'autre conjoint. Dans les rapports de forces qui ont cours entre les conjoints séparés ou divorcés sur la question financière et celle des enfants, on rencontre toujours des affrontements. L'obligation d'avertir l'ex-conjoint débiteur du montant indexé de la pension alimentaire peut créer des préjudices: l'obligation de faire les démarches auprès du service de perception pour les pensions alimentaires en retard ou pour les arriérés, l'obligation de subir le harcèlement du débiteur qui menace de ne pas payer, qui est en colère contre le conjoint qui a fait appel au service de perception. Ce sont toutes des choses vécues dans nos associations.

Si le législateur prône le principe d'égalité et s'il est réellement intéressé au bien-être des enfants, il doit envisager des mesures impératives concernant l'élément financier de la séparation en éliminant complètement cet échange de coups entre ex-conjoints par l'établissement d'un service de perception vraiment automatique qui prenne en main l'exécution du jugement. Chaque conjoint qui demande une modification fait affaire avec le service et le tribunal, et non avec l'autre conjoint. Les ponts sont coupés entre les conjoints en ce qui concerne la pension alimentaire. Du jugement de divorce jusqu'à la fin de la pension alimentaire, c'est le système qui prend la relève. Seuls demeurent les rapports des deux ex-conjoints avec les enfants, et c'est sur cet élément de la garde et de l'accès à l'autre parent que doivent se bâtir les relations des ex-conjoints. (11 h 45)

Le divorce met fin au mariage mais non à la famille, et les ex-conjoints parents doivent en accepter la responsabilité. Un parent demeure toujours un parent pour ses enfants. Merci beaucoup.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Mme Pothier. Maintenant, je vais reconnaître Mme la ministre déléguée à la Condition féminine.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Pothier, pour votre présentation. Cela rejoint assez bien l'opinion des autres intervenants, entre autres, des groupes de femmes.

Mme Pothier: Effectivement.

Mme Gagnon-Tremblay: II y a quand même certaines petites choses dont je voudrais m'assu-rer. Lorsque vous dites que toutes les résidences devraient être incluses, est-ce que vous voulez parler de la résidence principale et de la résidence secondaire, ou si vous entendez également d'autres immeubles? Je sais qu'un peu plus loin dans votre document, à la recommandation 10, vous dites que vous aimeriez qu'on amende l'article 453 du Code civil "de façon à étendre la protection automatique de la résidence familiale aux immeubles de 5 logements et plus". Je reviens à ma question: Lorsque vous partez de résidence, est-ce que cela inclut seulement la résidence secondaire ou si cela peut inclure d'autres immeubles également?

Mme Pothier: Mme Signori.

Mme Signori (Céline): On parle évidemment de résidence principale et de résidence secondaire. Quand on parle de l'immeuble de cinq logements et plus, c'est que la famille pourrait habiter un immeuble de cinq logements et plus. Si elle habite seulement un logement de cet édifice, évidemment que l'édifice au complet fait aussi partie de la résidence familiale. C'est dans ce sens.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais pas en ce qui a trait au partage?

Mme Signori: En ce qui concerne le parta-

ge, c'est sûr. Pourquoi est-ce qu'on n'engloberait pas tout l'édifice?

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, mais pas les autres immeubles? Celui qui est réservé, c'est-à-dire l'immeuble dans lequel est réservé le logement?

Mme Signori: Si c'est la résidence familiale.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Vous n'êtes pas d'accord non plus avec les mesures transitoires pour toutes les raisons que vous nous avez énumérées...

Mme Signori: Absolument pas.

Mme Gagnon-Tremblay:... les pressions qu'on pourrait faire sur un conjoint, le harcèlement, en somme, pour toutes ces raisons. Comme je le mentionnais tout à l'heure, j'ai l'impression qu'à la vitesse où vont se répandre les nouvelles concernant ce que nous sommes en train de discuter, on n'aura probablement pas besoin de mesures transitoires; ce qui doit se faire va se faire d'ici à l'entrée en vigueur de la loi, finalement.

Il y a une chose qui m'étonne et qui est très différente en ce qui concerne la protection des tiers. Vous dites que les tiers devront s'assurer du caractère non familial de la résidence, ce qui est un peu une entorse à notre système actuel. Ne croyez-vous pas, par exemple, que ces mesures, au lieu d'être dans le régime primaire, devraient être davantage prévues dans le code de procédure? Cela a un peu pour effet de gérer les effets de la séparation de biens plutôt que les effets du mariage.

Mme Signori: Quand on parle de vente de propriété, le tiers qui achèterait la propriété, on prétend que cela pourrait être à cette personne à faire sa preuve; je ne sais comment vous appelez cela en termes juridiques. Cela pourrait être aussi que tout logement... Comme le groupe précédent l'a mentionné, s'il y a une déclaration dans tout acte d'aliénation, a ce moment, cela élimine ces choses. Quand on parle de résidence familiale, pour avoir été dans le domaine immobilier un certain temps, il y a des combines qui se font de toute façon. C'est toujours la plus démunie qui paie pour cela. Je dis la plus démunie, je devrais dire les plus démunies. On sait très bien, entre vous et moi, que c'est toujours la femme qui est la plus démunie. Si un procédé est établi à l'avance, pourquoi est-ce que ce serait toujours elle, la victime, qui est obligée encore de subir cela? Si une déclaration est faite automatiquement, à ce moment, le problème se règle en partie.

Mme Gagnon-Tremblay: Si je comprends bien, si on avait cette clause dans tous les actes d'aliénation, finalement, les tiers seraient protégés et on n'aurait pas besoin à ce moment... Vous savez qu'il faut absolument protéger le tiers, parce que vous pouvez avoir quelqu'un qui fasse une fausse déclaration aussi. Ce n'est vraiment pas le problème du tiers ou ce n'est pas la faute du tiers. Il faut quand même assurer une certaine protection au tiers. Mais si je comprends bien, ce que vous voulez, c'est que, si jamais c'était inclus dans l'acte d'aliénation, automatiquement, ce soit une preuve en soi; les tiers sont protégés et les conjoints également, étant donné qu'ils devront signer chaque fois qu'on aliène une propriété.

J'imagine que vous êtes d'accord aussi avec la conservation des dommages-intérêts au cas où, par malheur, au cours de mesures transitoires... Avant qu'on inclue cette mesure dans tous les contrats notariés, cela peut prendre quand même un certain temps parce qu'on ne vend pas une propriété demain matin, on ne l'hypothèque pas demain matin ou quoi que ce soit. Cela peut prendre quand même un certain temps à partir de l'entrée en vigueur de la loi et, aussi, du moment qu'on a à contracter sur cette propriété avant qu'on ait fait une déclaration de résidence familiale. J'imagine que vous conservez aussi cette question de dommages-intérêts au cas où, par toutes sortes de moyens imaginables, on ait réussi a vendre sans le consentement du conjoint.

Mme Signori: La protection du tiers, c'est bien, mais pas au détriment de la personne la plus démunie. Il faudrait trouver un système où le tiers ne serait pas plus protégé que le conjoint démuni.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous m'avez dit tout à l'heure, Mme Signori, que vous aviez beaucoup travaillé dans l'immeuble. Lorsque vous vendez une propriété à une personne, j'imagine que cette personne veut bien s'assurer qu'on ne reviendra pas contre elle en dommages-intérêts ou en annulation de contrat parce que la personne qui vous a donné le mandat de vendre fait une fausse déclaration, par exemple.

Mme Signori: Évidemment, il faut qu'elle soit protégée. J'ai toujours peur que quelqu'un paie au bout et que ce soit toujours...

Mme Gagnon-Tremblay: En somme, vous voulez que ce soit bien étanche de sorte que, d'une part, les tiers soient bien protégés et que, d'autre part, le conjoint soit également bien protégé.

Mme Signori: Vous touchez à une fibre personnelle à ce moment-là. La résidence a été comme vendue. Je suis partie avec mes enfants, j'ai dû changer de ville et qui a repris la maison après? C'est mon ex-conjoint avec sa nouvelle conjointe. Elle était supposée être vendue quand on est passés en cour.

Mme Gagnon-Tremblay: Concernant la prestation compensatoire, vous êtes aussi pour l'ajustement à 50 % de la prestation. Vous êtes d'accord, je pense, avec le fait qu'on doive conserver la prestation au cas où i! y aurait insuffisance de biens à partager. Je pense que vous êtes d'accord avec cela. J'imagine que 50 %, c'est seulement parce que vous jugiez que 30 %, ce n'était pas suffisant. Vous préférez qu'on aille carrément à 50 %?

Mme Pothier: On prévoit 50 % pour en avoir peut-être 30 % justement.

Mme Bouvier (Madeleine): II y a un autre élément aussi, si je peux me permettre. C'est la présomption et, ensuite, cela diminue selon la durée de la collaboration et tout cela. Une présomption de société, c'est 50 %. Alors, pourquoi le conjoint collaborateur aurait-il moins? On commence et, ensuite, on vérifie les autres éléments.

Mme Gagnon-Tremblay: Est-ce que vous vous êtes interrogées... Oui, sûrement. Je le vois dans votre document. Vous avez parlé, par exemple, de la protection contre l'incessibilité de la propriété en cas de dettes. Vous passez cette protection de 5000 $ à 25 000 $. Nous nous sommes arrêtés à 10 000 $; c'était déjà jugé très élevé par plusieurs intervenants. Là, c'est 25 000 $, c'est sûr que c'est beaucoup. Il y a aussi toute l'autre question des 70 % dans le cas d'une vente forcée, alors que vous ajustez davantage vers une valeur plus marchande de l'immeuble. Là aussi, la Confédération des caisses populaires nous mentionnait qu'il y aurait un certain resserrement de crédit dans un cas comme cela. Il y a aussi la difficulté à revendre parce que, dans bien des cas, on ne trouve pas acheteur à 70 % de la valeur.

Mme Bouvier: Le premier élément, les 25 000 $, on a pensé que c'était facile pour un conjoint bien nanti que les débiteurs ramassent les dettes facilement pour aller jusqu'à 10 000 $. Ce n'est pas possible une vente à 10 000 $ parce qu'il ramasse toutes les petites ventes ici et là, et déjà le créancier a la part des choses. Comme on sait qu'il y a des pirouettes qui se font... On a dit: 25 000 $, ça donne tout de même un appui plus solide au conjoint pour ne pas être délesté de la maison.

Concernant le deuxième élément, la vente forcée, je trouve toujours déplorable qu'on amène un montant minimal, quand on sait que chaque élément dans une cause est pris en compte par beaucoup de choses, qu'il est dilué et diminué. Une vente de résidence selon le rôle municipal, ce n'est pas la valeur marchande. C'est pour cela qu'on a demandé !a pleine valeur au rôle municipal. Il y a trop de maisons qui se sont vendues pour des "pinottes".

Mme Gagnon-Tremblay: Tout à l'heure, vous avez parlé des 25 000 $. Est-ce que c'est parce que vous soupçonnez, par exemple, que le conjoint pourrait s'organiser avec des créanciers pour créer plusieurs dettes, faire en sorte que la propriété soit saisie et qu'après il puisse faire un retransfert? C'est quoi?

Mme Bouvier: Tant de la part du conjoint que d'un créancier qui veut mettre la main dessus, oui, ça se peut. L'exemple qu'on a eu chez nous de gens démunis de toutes les façons, lavés et tout cela, tout est possible. Ce sont des sûretés qu'on veut. On espère que le gouvernement, dans son projet de loi, apportera certaines sûretés sur lesquelles on pourra tabler d'une façon positive, alors que, maintenant, on est très démunis.

Mme Gagnon-Tremblay: Lorsque vous parlez de partage de biens, vous incluez également les régimes privés, comme tous les autres groupes?

Mme Bouvier: Absolument.

Mme Gagnon-Tremblay: J'imagine que vous tenez compte également de la durée, soit de la collaboration, soit du mariage aussi.

Mme Bouvier: Absolument.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Et vous êtes d'accord, si jamais la propriété est acquise avant le mariage, ou par donation ou par legs, qu'à ce moment-là la plus-value soit affectée seulement?

Mme Bouvier: Absolument.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Merci.

Mme Bouvier: C'est pour cela qu'on est surprises de lire les articles de gens qui disent que c'est effrayant tout ce qui est donné à l'ex-conjoint, qu'il n'y aura plus de mariage. En fait, c'est très peu. C'est le temps que dure le mariage. C'est un contrat tacite qu'on prend et le temps qu'on est ensemble, habituellement, c'est parce qu'on partage. Autrement...

Mme Gagnon-Tremblay: Vous êtes tout à fait d'accord, et je pense à Mme Signori, qui siégera au nouveau Conseil de la famille. Vous croyez, Mme Signori, que le partage des biens familiaux n'aura pas un effet désincitatif sur le mariage?

Mme Signori: Je pense que, quand les règles sont claires en partant, les gens savent à quoi s'attendre. Il n'y aura plus de suprises. Ce va être déjà établi à l'avance. Ça va donner l'effet contraire, peut-être.

Mme Gagnon-Tremblay: Je ne pense pas que vous vous soyez prononcées sur l'union de fait,

par contre. On en a parlé et on en parle pratiquement chaque fois. Même si ça ne fait pas partie du document, parce qu'on a pensé que c'était un débat qui devait se faire ailleurs qu'à l'intérieur de ce document, on est quand même toujours heureux de connaître l'opinion des gens sur la question de l'union de fait. Est-ce qu'il vous apparaît que les enfants peuvent avoir une incidence et que c'est important d'assujettir aussi les unions de fait?

Mme Pothier: Effectivement, on n'en a pas tenu compte dans le document. Il y a quand même beaucoup de choses importantes dont on aurait pu parler, dont l'union de fait, et on ne l'a pas fait. Je pense que Céline a un petit commentaire très précis par rapport à cela.

Mme Signori: On en a parlé un peu \a dernière fois qu'on s'est rencontrés. Quand les enfants sont impliqués en partant, il devrait y avoir partage. Le conjoint démuni est bien pénalisé à la suite d'une séparation ou d'un divorce, mais il ne faut pas oublier qu'en général l'enfant qui est avec ce conjoint lui aussi souffre de ça. Donc, que ce soit une union de fait, on devrait tenir compte de la présence d'enfants au moment du partage.

Mme Gagnon-Tremblay: Ce qui veut dire qu'on devrait refaire le débat qui a été fait en 1980 pour voir s'il y a possiblité d'inclure dans le Code civil les unions de fait.

Mme Signori: D'ailleurs, je pense que dans les autres provinces, on tient compte de ça aussi. (12 heures)

Mme Gagnon-Tremblay: Oui, sauf qu'ici on avait décidé...

Mme Signori: Ce n'est pas dans la tradition ici, mais peut-être qu'on devrait...

Mme Gagnon-Tremblay:... de laisser la liberté de contracter à ces gens-là, de choisir s'ils veulent être mariés ou non.

Mme Signori: Je suis d'accord avec ça, mais, quand il y a présence d'enfants, il faut être un peu plus attentifs, je pense.

Mme Bouvier: J'aimerais ajouter quelque chose. Le gouvernement est un peu ambivalent. Dans son droit de la famille, il a rendu tous les enfants sur le même pied. Autant dans les unions de fait que dans le mariage, ils ont tous les droits dans le droit de la famille; par contre, ils font partie d'une famille et leur parent gardien n'a plus de droit. Il y a un paradoxe et je pense que l'État devra légiférer et déterminer vraiment si le droit de la famille s'adresse aux familles ou pas, s'il s'adresse au mariage ou pas, ou seulement au mariage et non à la famille. Je trouve que la démonstration des membres de la Commis- sion des services juridiques présentait le problème. Chez nous, on est très conscients de ça. Les gens nous appellent et nous demandent ce qui se fait pour les unions de fait. À certains moments, le gouvernement, par ses lois sociales, considère l'union de fait au même titre qu'un mariage. Donc, de ce côté-là, je pense que le gouvernement devra faire sa démarche et rendre plus clairs les... Si, par votre question, vous nous demandez si on pousse pour que vous fassiez quelque chose dans ce sens-là, de rendre les unions de fait... On se dit: Réfléchissez-y, mais soyez conscients que ce sont des familles.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais vous êtes d'accord quand même, Mme Bouvier, qu'à l'intérieur de notre Code civil nous avons actuellement prévu des droits pour les enfants issus de ces unions de fait et que, si le gouvernement devait légiférer dans le sens de l'union de fait, je pense qu'une consultation devrait être faite au préalable justement auprès de ces gens qui vivent l'union de fait qui sont, finalement, les premiers intéressés.

Mme Bouvier: Absolument.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci infiniment, mesdames.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Oui. Merci, M. le Président. Il me fait vraiment plaisir de vous saluer, madame Pothier, présidente de la Fédération des associations de familles monoparentales, Mme Signori et Mme Bouvier. J'utilise fréquemment vos travaux, comme vous le savez, dans mon rôle de de parlementaire ici à l'Assemblée nationale, notamment les actes du colloque sur la monoparentalité qui sont quasi une bible sur les bouleversements sociaux que la famille a connus au Québec et qui ont vraiment permis de faire le point.

J'en profite pour vous féliciter, Mme Signori, de votre nomination au Conseil de la famille. Me permettez-vous de vous demander immédiatement si le conseil a été convoqué? Est-ce que des rencontres sont prévues pour cet automne?

Mme Signori: On a une rencontre de prévue au tout début de novembre.

Mme Harel: Au tout début de novembre. Mme Signori: Oui.

Mme Harel: Est-ce que vous avez l'intention de discuter, au conseil, de cette proposition de patrimoine familial?

Mme Signori: Je pense que toute question familiale sera abordée au Conseil de la famille et

j'ai bien l'intention de faire mes devoirs comme il faut. Si vous croyez que je ne les fais pas comme il faut, revenez me voir.

Mme Harel: Je peux vous en suggérer. On peut toujours faire mieux, comme vous le savez, même quand on est député.

Dans votre mémoire, à la page 3, vous mentionnez: Nous tenons à souligner que la fédération se veut le porte-parole des familles monoparentales et prend parti pour le conjoint démuni du couple séparé avec un parti pris pour l'enfant. Je ne vois pas le mot "marié". J'imagine que vous avez des membres au conseil qui constituent des familles monoparentales et qui sont des conjoints démunis d'un couple marié ou de fait séparé. Est-ce que vous avez un profil de vos membres? Avez-vous déjà une certaine idée de la proportion que ça représente chez vous, à la fédération?

Mme Pothier: C'est difficile d'établir des statistiques dans ce sens-là. Je pense que majoritairement nos membres composants sont issus de couples qui avaient un contrat de mariage et qui étaient mariés. Il y a quand même un certain pourcentage de familles issues d'unions de fait, conjoints et enfants. On aura probablement davantage de statistiques quand les associations auront mis en place des systèmes de fiches statistiques pour nous donner le réel profil de nos membres; vers la fin de l'année, cela pourra être compilé pas mal mieux, je crois.

Mme Harel: C'est intéressant d'ailleurs parce que cela se fait dans plusieurs associations. J'ai obtenu la même réponse de l'Association des femmes collaboratrices et du Cercle des fermières.

Je félicite également votre fédération pour la campagne qu'elle mène avec d'autres groupes de femmes dans le cadre du front commun pour la justice et l'équité pour les femmes assistées sociales. Je lisais une documentation qui nous parvenait récemment et qui faisait justement état de cette incohérence puisque le Code civil ne reconnaît pas d'obligation alimentaire entre les conjoints de fait contrairement, par exemple, à la province voisine de l'Ontario, qui ne le reconnaissait pas auparavant - ce n'était pas dans ses traditions non plus - mais qui a introduit dans le "Family Act" de 1986 cette reconnaissance d'obligation alimentaire entre conjoints de fait. Malgré qu'il n'y ait pas cette reconnaissance au Québec, pourtant, dans le cadre de l'aide sociale, ii y a une sorte d'inquisition pour mettre la main au collet du nouvel ami de la mère pour le rendre responsable de son entretien et de celui des enfants dont il n'est pas le père. Automatiquement, lorsqu'il y a apparence ou présence d'un homme dans la vie de la mère, il y a nécessairement annulation de l'aide, comme si cet homme était chargé de l'entretien de cette femme et de ses enfants, malgré qu'il n'y ait, et la ministre nous l'a rappelé avec raison, aucune obligation alimentaire dans le Code civil entre conjoints de fait. Évidemment, ce n'est pas la moindre des incohérences qu'on vit présentement.

Avec raison, vous parlez d'un parti pris pour l'enfant. Ce matin, j'ai pu obtenir des chiffres que j'aimerais soumettre à l'intérêt de la commission et de vous-mêmes. Il s'agit des statistiques des naissances hors mariage. C'est surprenant de voir la progression. Quand on pense qu'en 1976, 10 % des enfants étaient nés hors mariage, ce pourcentage serait, en 1985, donc à peine neuf ans plus tard, de 25 % des enfants; en 1986, de 27 %. Selon la projection de 1987, il y en aurait 29 % et, sur ces naissances, il y aurait seulement 5 % des cas où le père ne serait pas connu. Ce serait là, selon les informations que j'ai pu obtenir, des naissances hors mariage, mais pas nécessairement de femmes célibataires au sens de femmes seules. On me disait que ce pourcentage était à peu près le suivant en France - une délégation a pu vérifier tous ces chiffres-là: en 1987, 25 % des enfants étaient nés hors mariage. Un mini-colloque s'est tenu ici même au salon rouge avec des députés de l'Assemblée nationale française...

Mme Pothier: Nous étions d'ailleurs présents.

Mme Harel:... et sans doute l'une des constatations les plus surprenantes, c'est que, dans notre société, la progression se fait de plus en plus vers des naissances hors mariage. Bientôt, presque une naissance sur trois au Québec sera hors mariage. Pensez-vous qu'il y a lieu, parce qu'on est dans une telle époque, que l'État réexamine toutes ces questions?

Mme Pothier: Oui, je le crois. Comme le disait Madeleine tantôt, on parle de familles et je pense qu'il est important de ne pas perdre de vue l'élément familial. Quand des droits sont accordés aux enfants, il devrait aussi y avoir des droits accordés aux conjoints, que ce soit en union de fait ou dans le mariage, mais je pense que le législateur devra se pencher sérieusement là-dessus.

Mme Harel: Je reviens à votre mémoire. Il y a quand même une urgence de corriger les déséquilibres économiques créés pour les conjoints mariés en séparation de biens. C'est en fait l'objet restreint mais essentiel de la proposition gouvernementale. J'aimerais vous interroger sur la survie de l'obligation alimentaire. C'est un aspect qui n'est pas fréquent dans les autres mémoires. Je voulais vérifier avec vous parce que j'ai cru comprendre que vous souhaitiez que la période des aliments, que la pension alimentaire puisse être payée douze mois après le décès pour l'ex-conjoint. Est-ce bien votre proposition?

Mme Bouvier: Oui. La proposition gouvernementale parlait de six mois d'aliments, parce qu'il n'y aura probablement pas eu un terme à la durée de la pension alimentaire des personnes impliquées dans ce jugement. Donc, on a dit que six mois pour se retourner de bord et changer complètement sa façon de vivre, ce n'est pas assez.

J'aimerais rapporter la proposition du groupe précédent qui disait qu'au lieu d'être une pension ce soit un montant forfaitaire. Je trouverais ça fort intéressant parce qu'avec un montant forfaitaire la personne voit mieux vers quoi elle va et elle peut s'ajuster de façon plus rapide.

Mme Harel: Mme Bouvier, je vous remercie. Vous savez peut-être que le Conseil du statut de la femme a plutôt plaidé devant la commission qu'il n'y avait pas lieu d'instaurer un tel recours de survie. Les motifs du Conseil du statut de la femme - je reprends sa position - c'est que, compte tenu du fait que la moyenne des pensions accordées au Québec se situe aux environs de 350 $ par mois, l'hypothèse qui peut être faite, c'est qu'une grande partie de ces sommes récupérées servirait surtout à défrayer des honoraires d'avocats embauchés pour faire valoir le droit à la créance puisque la proposition gouvernementale de 350 $ par mois pour six mois représente 1800 $ ou 2000 $ au total. Comme tout cela entraînerait des procédures à l'égard des héritiers devant les tribunaux, ça pourrait être un recours bien illusoire.

J'ai examiné votre proposition. Je me suis dit que vous apportiez un point de vue important. Le conseil faisait valoir qu'avec l'instauration du patrimoine familial, dans l'avenir la mesure peut devenir inutile pour les futurs exconjoints puisqu'ils auraient déjà eu leur part, d'une certaine façon, au moment de la dissolution. La part du patrimoine familial étant partagée avec l'ex-conjoint, le premier, pour le second, les années de vie commune durant, après le décès, il y a un second partage. Le conseil disait: II ne subsiste donc que les cas des exconjoints non touchés par la réforme, ceux qui ont déjà obtenu un jugement et qui n'auraient pas pu obtenir le partage du patrimoine familial.

Pensez-vous qu'une mesure comme la vôtre qui pourrait faire survivre les aliments doit s'appliquer à tous les cas, autant pour les femmes qui auraient eu le partage? N'oubliez pas que, quand il y a des aliments, c'est que le débiteur - parce que, dans le fond, il y a un patrimoine - est capable de payer. Si le patrimoine est déjà partagé, n'aurait-on pas intérêt, pour justement ne léser personne, a maintenir seulement, dans les cas des ex-conjoints non touchés par la réforme, la survie de l'obligation et, là, l'étendre à douze mois?

Mme Pothier: J'aimerais spécifier que la survie de la créance, c'est à quelqu'un qui reçoit une pension alimentaire. Si l'ex-conjoint a eu le partage, il ne recevra pas de pension alimentaire.

Mme Harel: Non, cela se peut qu'il reçoive les deux. Le patrimoine, c'est simplement le partage des biens familiaux, mais ça ne vient pas remplacer, en aucune façon, l'obligation alimentaire.

Mme Bouvier: C'est-à-dire que de nos jours l'obligation alimentaire est tellement petite que le partage des biens familiaux va ni plus ni moins l'effacer.

Mme Harel: C'est important de le savoir. Le partage des biens familiaux ne vient pas remplacer l'obligation alimentaire en aucune façon, ça s'ajoute.

Mme Gagnon-Tremblay: Non. Mme Harel: Ça s'ajoute. Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Mme Harel: Oui.

Mme Bouvier: Ça s'ajoute, mais le juge en tient compte. Quand déjà il donne peu comme pension alimentaire et qu'il n'y a même pas partage, quand il y aura partage, je serais surprise qu'il accorde de bonnes pensions alimentaires.

Mme Harel: Cela dépend, évidemment, des revenus des conjoints.

Mme Bouvier: C'est ça.

Mme Harel: Là, c'est difficile parce qu'il faut légiférer pour tout le monde, y compris pour ceux qui ont de l'argent qui ne se retrouvent peut-être pas majoritairement, disons, parmi les membres des groupes qui viennent devant la commission. Mais il est possible aussi qu'un exconjoint puisse obtenir une pension alimentaire en plus du patrimoine, parce qu'il est possible que les investissements ne se soient pas faits dans des biens familiaux, que les investissements, par exemple, de monsieur, pour ne pas être sexiste, enfin, du conjoint, se soient faits dans d'autres types de biens.

Le Président (M. Marcil): Mme la ministre, je pense que vous devriez compléter.

Mme Gagnon-Tremblay: Écoutez, je pense que tous vos commentaires étaient tout à fait à point et pertinents. Je pense que c'est seulement sur l'utilisation des statistiques. Je pense qu'il faut être très prudent et prudente sur l'utilisation des statistiques en ce qui concerne les enfants issus des unions de fait. Il faut aussi

penser qu'il y a des enfants qui proviennent de mères célibataires. Il y a des enfants qui sont nés hors mariage mais dont la mère se marie après avoir eu les enfants aussi. Il y a les véritables unions de fait. Il y a peut-être aussi plusieurs enfants qui proviennent d'une même union de fait. Je pense qu'il faut être assez vigilant dans l'interprétation des statistiques. On pourra peut-être avoir de meilleures statistiques à un moment donné, mais je pense qu'il faut faire attention aux pourcentages.

Écoutez, mesdames, Mme Pothier, Mme Signori et Mme Bouvier, j'aimerais vous remercier de votre présentation. Nous allons sûrement prendre en considération tout ce qu'il y a de mentionné dans votre mémoire. Merci infiniment.

Mme Harel: M. le Président, J'aimerais également profiter de l'occasion pour vous remercier de vos travaux devant la commission et de vos travaux en général. Dites-vous qu'ils ont des échos même à l'Assemblée nationale. Je voudrais également rappeler cette recommandation visant à hausser la présomption en matière de prestation compensatoire à 50 %. Vous nous rappelez qu'en matière de société de fait, la présomption, c'est 50 %. Pourquoi pas en matière de mariage? Je vous remercie.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, madame. Nous allons suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 18)

(Reprise à 15 h 29)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! Cette commission des institutions reprend ses travaux. Nous sommes en séance de consultation générale, d'audition publique afin de poursuivre l'étude - c'est la fin des travaux - du document intitulé "Les droits économiques des conjoints". Je demanderais à notre secrétaire de bien vouloir annoncer des remplacements s'il y en a des différents de ce matin. Non?

Le Secrétaire: Non, aucun, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Aucun. Je pense que vous connaissez l'ordre du jour de cet après-midi. D'abord, les représentants et représentantes de la Chambre des notaires pour une période de 90 minutes, à la suite de quoi nous entendrons la Fédération des femmes du Québec et Me Paul Laquerre. Nos travaux vont se terminer aujourd'hui par les remarques finales de la représentante du parti ministériel et de la représentante de l'Opposition officielle.

Pendant que je demande aux représentants de la Chambre des notaires de prendre place à la table des invités, je pourrais procéder au dépôt de quatre documents: sous la cote 24M, le mémoire de l'Association de médiation familiale du Québec; sous la cote 5M, celui de l'ABC, soit l'Association des banquiers canadiens; 23M, de la Fédération de la famille du Québec, et 6M, de Me Edmond Pinsonnault, avocat.

Bienvenue, Me Lambert! Je pense que vous connaissez nos règles du jeu. Il s'agit d'abord de nous présenter les gens qui vous accompagnent et, par la suite, de prendre peut-être une trentaine de minutes pour nous faire un résumé succinct de votre mémoire. Une période d'une heure, par la suite, suivra pour échanger avec les membres de cette commission. Bienvenue, Me Lambert!

Chambre des notaires du Québec

M. Lambert (Jean): Merci, M. le Président. Je voudrais, dans un premier temps, remercier la commission de nous avoir invités pour nous permettre de présenter notre point de vue sur cet aspect important de la réforme du Code civil du Québec.

Sans plus tarder, je vous présente, M. le Président, ainsi que Mme la ministre et distingués députés, tant ministériels que de l'Opposition, qui composez la commission, ceux qui m'accompagnent. Tout d'abord, à ma gauche immédiate, Me Manon Corriveau, qui est une jeune notaire depuis 1986 et qui fut secrétaire et responsable de la rédaction du mémoire qui vous a été présenté. À ma droite, le directeur du service de la recherche et de l'information à la Chambre des notaires, Me Julien Mackay, qui est responsable de l'administration générale des mémoires sur la refonte du Code civil. À mon extrême gauche, Me Franclne Séguin, notaire depuis 1976 à Rouyn-Noranda et membre du bureau de l'ordre pour le district de l'Abitibi; elle est également membre du comité administratif de la Chambre des notaires. À mon extrême droite, Me Ginette Gamache, notaire depuis 1979 à Saint-Jean-sur-Richelieu et membre du bureau de l'ordre, représentante du district de Beauharnois-lberville. Je vous prie d'excuser l'absence de Me Édith Guilbert, également membre du bureau. Elle devait être présente avec nous cet après-midi mais elle est retenue à Montréal pour raison de santé.

Avec votre permission, M. le Président, je vais d'abord demander à Me Manon Corriveau de nous présenter un résumé du mémoire. Après quoi, j'ajouterai quelques remarques sur divers points précis. Par la suite, on procédera à l'échange.

Le Président (M. Filion): Je vous en prie! M. Lambert: Me Corriveau.

Mme Corriveau (Manon): La Chambre des notaires du Québec a toujours défini ses positions à l'endroit de toute intervention législative en matière de droit contractuel dans le cadre des

paramètres suivants: en affaires, le déséquilibre entre partenaires résulte presque à coup sûr de l'inégalité de l'information que chacun des cocontractants possède, le mal informé étant toujours défavorisé.

Deuxièmement, le grand principe du consen-sualisme de l'accord librement consenti entre individus gouverne encore notre société. Même si son expression connaît parfois des ratés et malgré ceux-ci l'ensemble des citoyens s'estime encore bien servi par ce type de société libre et consensualiste. L'intervention législative ne doit donc pas venir brimer la liberté des individus si la preuve n'est pas faite irrémédiablement que des inéquités ne peuvent être autrement corrigées que par une contrainte d'ordre juridique. Tout accroc à la liberté de consentir du citoyen doit être circonscrit au règlement précis du problème soulevé et limité strictement dans le temps à la période requise à l'implantation de la solution.

Connaissant maintenant les coordonnées de ces paramètres, vous comprendrez, j'en suis certaine, la position que la Chambre des notaires défend dans son mémoire relatif aux droits économiques des conjoints. D'abord, pour mener à bien l'exercice auquel nous convie cette commission, il importe de bien cerner le fond du débat. Ainsi, la préoccupation réelle qui est à l'origine de cette commission concerne les femmes mariées avant 1970 sous le régime de la séparation de biens. C'est d'ailleurs ce que reconnaît le document de consultation du gouvernement, aux pages 1, 4 à 6 et 9. Dès lors, sans nier qu'il existe chez les couples mariés sous le régime de la séparation de biens un potentiel de situations injustes découlant partiellement d'un choix mal éclairé à la signature du contrat de mariage, la Chambre des notaires se questionne quant à l'ampleur du problème.

En effet, combien y a-t-il exactement de femmes susceptibles d'être intéressées par le problème? On a entendu, semble-t-il, devant cette commission de nombreux chiffres. On s'interroge un peu sur la fiabilité de certains de ces chiffres. Selon Statistique Canada, seulement les deux tiers des femmes canadiennes de plus de 35 ans, donc susceptibles de s'être mariées avant 1970, étaient mariées en 1986. Au Québec, 46 % des femmes avaient plus de 35 ans en 1986. On peut donc évaluer approximativement à 31 % le nombre de Québécoises de plus de 35 ans mariées en 1986, donc susceptibles d'être touchées par le problème en question. Les autres femmes sont évidemment plus jeunes, soit célibataires ou déjà veuves, séparées de corps ou divorcées. Sur ce pourcentage de 31 %, en se basant sur le pourcentage de femmes dans chaque tranche d'âge et en s'appuyant sur les données publiées en 1964, on peut évaluer aux deux tiers le nombre de femmes de plus de 35 ans qui seraient mariées en séparation de biens aujourd'hui, ce qui équivaut à seulement 19, 7 % des femmes du Québec.

Au Canada, en 1986, le taux de divorces pour les mariages d'une durée de 15 à 19 ans était de 13 %; pour les mariages de 20 à 24 ans, de 8 % et pour les mariages de plus de 25 ans, de 5 %. Si l'on soustrait le pourcentage de femmes québécoises de la catégorie visée qui sont susceptibles de faire un jour face à un divorce, on diminue de beaucoup les chiffres. Si on soustrait également le nombre d'entre elles qui sont indépendantes financièrement, le pourcentage des victimes potentielles est loin de représenter la majorité des femmes du Québec. Il ne faut pas oublier également non plus ces chiffres incluent aussi les époux mariés en secondes noces. D'après Statistique Canada, aujourd'hui, un conjoint sur cinq, c'est-à-dire 20 % des nouveaux mariés en sont déjà à leur deuxième mariage. Quand on demande au législateur d'agir, il faut d'abord se poser deux questions fondamentales. La première: S'agit-il d'un malaise qui s'aggrave avec le temps et qui interpelle alors l'État et le justifie d'agir? Si oui, quelles devraient-être la nature et l'étendue de cette intervention? Laissons les statistiques du registre des régimes matrimoniaux nous éclairer. En 1962, 73 % des nouveaux époux choisissaient le régime de la séparation de biens. À compter de 1970, avec l'apparition du régime légal de la société d'acquêts, la situation commence à changer. Ainsi, en 1976, ce pourcentage tombe à 57 %; en 1981, il passe à 45 % et, en 1986, à 34 %. Encore une fois, notons que ces chiffres diffèrent énormément de certains autres chiffres qui ont été présentés devant la commission. On retient donc que, depuis la fin des années soixante-dix, il y a une nette régression du régime de la séparation de biens démontrant ainsi que la refonte de 1970 semble porter ses fruits.

Par ailleurs, lorsqu'on interprète ces mêmes statistiques, tient-on suffisamment compte du phénomène consécutif aux nombreux divorces qui rendent plus fréquents les seconds mariages dont notre expérience révèle qu'ils se concluent presque toujours en parallèle avec le choix de la séparation de biens comme régime matrimonial? Pensons à ces conjoints qui ont déjà des enfants d'un premier mariage. En d'autres termes, peut-on affirmer que dans ces cas le choix de la séparation de biens ne soit pas le fruit d'une décision éclairée? Peut-on soutenir que tous les couples qui ont choisi le régime de la séparation de biens ont besoin d'être protégés un peu malgré eux et même contre leur volonté? Bien que la Chambre des notaires reconnaisse que certaines situations potentiellement inéquitables peuvent exister, il s'agit quand même d'une situation qui touche une minorité de personnes, décroissante d'année en année, donc qui ne justifie pas une intervention législative coercitive et à portée universelle. La Chambre estime qu'un réaménagement ponctuel des règles du droit existant serait suffisant pour protéger adéquatement les droits économiques des conjoints. Alors

que la situation proposée dans le document gouvernemental vise essentiellement à corriger les injustices que pourraient subir au moment du divorce ou du décès du mari les femmes économiquement faibles, mariées en séparation de biens avant 1970, la Chambre des notaires est d'avis qu'en raison du contexte législatif déjà en vigueur depuis un quart de siècle visant à affirmer la capacité juridique de la femme mariée et à consacrer à tout égard la parfaite égalité des époux et leur autonomie, cette tendance est tout a fait étrangère à la généralisation de la solution qui aurait pour effet de nier dans les faits la liberté contractuelle de tous les époux. En effet, la notion de patrimoine familial est née dans le système de "common law" qui ignorait le choix d'un régime matrimonial par convention et qui ne connaissait aucune tradition en matière de partage, de patrimoine entre époux. La Chambre des notaires soutient que la notion de patrimoine familial est tout à fait étrangère à l'esprit du droit civil et aura à moyen et à long terme un effet négatif sur l'expression concrète de la liberté que les Québécois et Québécoises ont et tiennent à conserver de choisir eux-mêmes leur régime matrimonial.

Quant à la résidence familiale, la Chambre des notaires estime qu'il faut simplifier le processus menant à la reconnaissance des droits du conjoint bénéficiaire en éliminant l'obligation d'aviser le conjoint propriétaire de l'enregistrement de la déclaration puisque, dans les faits, cette obligation a découragé bon nombre de conjoints de se prévaloir de cette disposition d'équité. Par ailleurs, la Chambre croit qu'il est essentiel de maintenir l'obligation d'enregistrement de cette déclaration afin de préserver les droits acquis par les tiers de bonne foi, tels les créanciers hypothécaires.

Dans l'ensemble, la Chambre des notaires est d'accord avec les améliorations proposées en matière de prestation compensatoire. Cependant, la Chambre estime qu'il faut déjudiciariser le plus possible la reconnaissance de la prestation compensatoire en permettant aux époux de recourir, par exemple, à un service de médiation et, en cas d'échec, à un autre mécanisme qui pourrait éliminer les tracasseries judiciaires. Ainsi, l'enregistrement d'une déclaration conjointe de statut devrait être possible lorsqu'il y a accord des époux, et le dépôt d'une déclaration unilatérale de statut devrait également être permise afin d'enclencher le processus de reconnaissance des droits du conjoint collaborateur. À ce sujet, la Chambre des notaires formule l'offre déjà exprimée verbalement à Mme la ministre de participer à un programme conjoint avec le secrétaire de la Condition féminine favorisant pour les conjoints collaborateurs le recours à une consultation juridique gratuite pouvant être suivie d'un accord contractuel, selon une formulation à être mise au point par ie service de la recherche de notre corporation et les conseillers juridiques de Mme la ministre.

Enfin, la Chambre reconnaît que la liberté illimitée de tester n'est pas incompatible avec la reconnaissance pour le conjoint survivant d'une certaine obligation alimentaire en sa faveur, pourvu que cette reconnaissance soit facilement déterminable et ne donne par lieu à une judicia-risation qui serait tout à fait contraire à l'intérêt des ayants droit du défunt incluant son conjoint survivant. (15 h 45)

En conclusion, tout en se demandant si toutes les avenues non coercitives ont été explorées pour venir en aide à cette minorité de conjoints défavorisés par le régime de la séparation de biens, la Chambre des notaires du Québec suggère à l'Etat de créer un programme incitatif, tout comme il l'a fait dans le monde agricole avec son programme de subventions à l'établissement agricole, amenant les époux à régler eux-mêmes les inéquités économiques qui peuvent exister entre eux. Ainsi, les personnes pourraient tirer avantage de conventions modificatrices, procédure grandement simplifiée par la réforme de 1981, en bénéficiant d'une allocation ou d'une subvention dont l'administration pourrait être confiée à la Commission des services juridiques. Après une période permettant aux intéressés de se prévaloir de cette aide de l'État, il serait toujours temps pour le législateur de procéder à une réforme de type coercitif. Pour assurer la réussite de ce programme, nous croyons qu'il faudrait une vaste campagne d'information auprès des intéressés. La Chambre des notaires offre donc sa collaboration dans l'élaboration et la réalisation de cette campagne d'information à laquelle d'autres partenaires majeurs pourraient s'associer.

M. Lambert: Merci, Me Corriveau. Sur ce dernier point, je voudrais seulement faire ressortir l'approche positive qui correspond, je pense, à ce à quoi l'ensemble de la population du Québec s'attend lorsqu'il s'agit de corriger une situation. Nous avons vu le succès, nous l'avons mentionné il y a quelques instants, du programme de subventions à l'établissement en milieu agricole qui a permis à de nombreux couples de régulariser leur situation juridique quant à la propriété de l'entreprise agricole familiale. Cette approche positive correspond aussi au sondage que la Chambre des notaires a fait effectuer il y a trois ans sur la liberté de tester. On touchait à un sujet qui se rapprochait beaucoup de celui dont on parle actuellement et il était clair que l'ensemble des Québécois, particulièrement les femmes, était réfractaire à ce que le législateur intervienne pour imposer dans ce cas une réserve quelconque, une limitation à leur droit de tester. Quant à la campagne d'information, qui devrait être originale et vraiment bien menée - il ne s'agit pas d'une affaire de seconde catégorie - il y a certainement d'autres acteurs de la scène québécoise qui pourraient y être associés. On peut penser à l'Association des banquiers cana-

diens, au mouvement Desjardins ou à d'autres institutions du genre qui, je pense, pourraient être intéressées à se joindre aux efforts du secrétariat à la condition féminine pour vraiment mener à bien cette campagne d'information.

Concernant les points précis qui ont été mentionnés au cours des audiences de cette commission et d'autres points qu'on a voulu approfondir après la rédaction du mémoire, tout d'abord, et dans l'ordre, dans ses propos intro-ductifs, Mme la ministre Gagnon-Tremblay mentionnait qu'elle ne croyait pas que la solution préconisée par le gouvernement désincite les individus à s'unir par le mariage, et elle donnait des chiffres de l'Ontario à cet égard. Je pense qu'il faut se réserver de prendre l'Ontario comme modèle en cette matière. Le sondage auquel je faisais référence tantôt et l'expérience des notaires, je pense, prouvent qu'à cet égard les Québécois ont un comportement tout à fait authentique et original. Nous croyons que le fait d'augmenter encore les contraintes n'encouragera pas, c'est le moins qu'on puisse dire, les gens à recourir au mariage et là-dessus nous rejoignons l'opinion du Conseil du statut de la femme. On a beaucoup parlé de la loi de l'Ontario et je pense qu'il est important qu'on comprenne que ce type de loi est récent dans une province qui ne connaissait que la séparation de biens à venir jusqu'à il y a une dizaine d'années, que la loi de 1978 fut modifiée d'une façon importante et majeure en 1986 justement à la suite de problèmes connus et expérimentés en Ontario au sujet des biens patrimoniaux et qu'on s'est dirigé, en Ontario, vers un régime de société d'acquêts. À peu de choses, cela ressemble étrangement à notre régime légal de société d'acquêts. Il n'y a pas de titre de propriété, contrairement à ce que l'on croit, dans le patrimoine familial de l'Ontario. Il s'agit d'un droit de possession et là nous voyons, et c'est typique de la "common law", la judiciarisation poindre à chaque détour. C'est finalement le juge qui décide s'il y aura un titre de propriété sur tel bien ou non, ou si cela sera seulement une propriété ou un droit d'occupation ou d'habitation pendant un certain temps. On voit d'ailleurs que pour aliéner, le propriétaire n'a qu'à compléter une simple déclaration, par exemple, concernant la résidence familiale pour dire qu'elle n'est pas assujettie à un droit des conjoints pour que le tiers contractant de bonne foi soit protégé, donc, dans les faits, pour rendre assez illusoires les recours du conjoint. Au plan successoral, dans cette loi, on voit encore que le conjoint, par exemple, qui bénéficie de dispositions testamentaires, aura à faire le choix entre ses droits dans le patrimoine familial où le legs testamentaire. Nous avons déjà, depuis bon nombre d'années, "gradué" de ce dilemme au Québec. Et notons que par contrat familial ou de mariage on peut déroger au partage des biens patrimoniaux, sauf quant à la résidence qui, je le répète, est beaucoup plus un droit de possession. Alors, il faut comprendre que, quand on se réfère à la loi d'un autre pays ou d'une autre province, il faut la considérer comme un ensemble, et ne pas prendre seulement les morceaux qui font notre affaire, et qu'il y a là, dans le fond, une économie qui est, je pense, encore loin des avantages que compte le droit du Québec à cet égard.

Sur des points particuliers maintenant. Nous ne nous sommes pas prononcés dans notre mémoire sur les régimes de rentes privés. Nous savons par contre que ce point a fait l'objet d'une revendication constante par ceux qui ont présenté des mémoires. La Chambre des notaires est d'accord avec ces revendications et il est difficile de concevoir qu'un régime de rentes privé qui a été accumulé à partir du salaire ne puisse pas, dans une optique de partage entre conjoints, être considéré. Nous avons de la difficulté à conceptualiser que cela doive rester en dehors d'un partage. Donc, à cet égard, nous sommes tout à fait d'accord avec les représentations qui ont été faites à cette commission.

Pour ce qui est des unions de fait, nous appuyons la position gouvernementale de ne pas réglementer. Nous sommes également d'accord avec les positions du Conseil du statut de la femme et de Mme la ministre. À trop vouloir encadrer les gens, nous allons finir par ne plus parler d'union de fait, mais de fréquentations de fait, et après je ne sais pas s'il ne faudra pas aller encore un peu plus loin. Je pense que la problématique. a déjà été exposée. C'est simplement pour bien affirmer notre position à cet égard. Si les gens ont choisi de vivre ensemble, mais sans encadrement, je pense qu'il faut respecter leur choix.

À la page 24 du document gouvernemental, on associe garde des enfants et résidence principale. Il y a sûrement au fond de cette préoccupation une évidence et nous la partageons. Toutefois, nous aimerions exprimer une crainte: celle que soudain la garde des enfants devienne une monnaie d'échange pour pouvoir s'assujettir le domicile familial et, dans le concret des choses, je pense que c'est une crainte qui n'est pas théorique. Quand on connaît un peu l'agressivité qui existe lorsqu'il y a séparation, du moins dans certains cas, on sait que les enfants ne sont généralement pas les gagnants pendant la période où les sentiments sont vraiment échauffés. Si jamais le gouvernement décidait d'aller de l'avant avec son patrimoine familial, nous sommes sensibles et appuyons les préoccupations que l'Association des banquiers canadiens et que le mouvement Desjardins ont formulées à cette commission. Il faudra sans aucun doute, pour permettre que les biens puissent continuer d'être acquis au moyen du financement à crédit, et que les biens circulent, ce qui est un principe de fond dans notre droit, que les créanciers de bonne foi soient protégés.

Je voudrais également attirer votre attention, parce qu'on le vit dans nos cabinets, sur la réalité que le mouvement Desjardins vous a

mentionnée hier ou avant-hier concernant, entre autres, la réduction que les créanciers pourront faire de la valeur en équité des biens d'un conjoint si, par ailleurs, ces biens qu'on voudrait grever sont des biens familiaux ou encore des biens d'entreprises. On sait que dans la réalité le conjoint bénéficiaire devra apposer sa signature pour qu'effectivement le crédit puisse se faire. Il y a danger également que les investissements hors du patrimoine familial soient privilégiés par le conjoint. Nous ne comprenons pas la règle des 10 000 $ voulant que la résidence ne puisse être saisie. Nous voyons ce chiffre devenir une espèce de barrière psychologique qui donnera lieu à toutes sortes d'événements.

Tout d'abord, lorsque le créancier - vous savez maintenant que les hypothèques sont à très court terme: un an, deux ans; trois ans, c'est déjà dans le très long terme - se verra approcher du solde de 10 000 $, au lieu de renouveler, il exigera le remboursement de sa créance. Il ne voudra pas se ramasser dans une situation où il ne pourra pas récupérer sa créance. L'exigence à 70 % de la valeur également; 25 %, c'est peut-être trop bas, mais 70 % c'est peut-être trop haut.

Il y a eu des chiffres de mentionnés, nous en avons présenté à cette commission il y a quelques minutes, mais je pense qu'il est important... Par exemple, le chiffre de 52 000 couples ayant choisi la société d'acquêts pour la période de 1970 à 1985, est très incomplet et ne reflète pas la situation. Il faut absolument ajouter les 300 174 couples qui ont également choisi ce régime sans contrat de mariage.

Dans le document de l'Association féminine d'éducation et d'action sociale, on parle de 68, 8 % de maris uniques propriétaires de la résidence au Québec. Si on reprend les chiffres qui apparaissent dans le livre vert du gouvernement "Se loger au Québec", publié il y a quelques années, on est étonné de voir un tel chiffre. On se demande d'où il provient puisque dans ce document on mentionnait qu'il y avait seulement 53, 3 % des propriétaires occupants au Québec qui étaient propriétaires de leur habitation, de leur résidence. Dans ces 53 %, il faut comprendre qu'il y a des célibataires, des veufs et des veuves, et beaucoup, contrairement à ce qu'on a affirmé, de couples. Alors, ces 68 %, on pense que c'est un chiffre qu'il faut prendre avec beaucoup de précaution. On a affirmé également que la popularité de la séparation de biens se maintient, mais je pense que les chiffres qu'on vous a mentionnés démontrent le contraire.

Concernant l'obligation alimentaire, je voudrais simplement souligner à cet égard que c'est un sujet sur lequel il n'est pas facile de se faire une idée. Là-dessus, on a été pour, on a été contre. Je pense qu'on s'est arrêté sur une position de compromis reconnaissant que, du jour au lendemain, lorsqu'un décès survient dans un couple, il y a quand même une situation qui existe et qu'on ne peut pas du jour au lendemain cesser le support, par exemple, que reçoit le conjoint survivant. Toutefois - et là-dessus notre recommandation s'aligne sur les préoccupations très bien détaillées devant cette commission par le Conseil du statut de la femme - il faut que cette obligation alimentaire soit limitée, qu'elle soit quantifiable, qu'elle soit nettement définie et surtout qu'elle ne donne pas lieu à la judiciarisa-tion où tout le monde est perdant. C'est pourquoi, dans notre mémoire, nous avons proposé une formule d'évaluation. Ce n'est peut-être pas la meilleure, mais je pense qu'elle en vaut d'autres. (16 heures)

À la page 22 du document de consultation, on mentionne que le juge, que le tribunal pourra intervenir pour déroger au partage égal. Nous croyons que, si le gouvernement devait arrêter son choix sur le patrimoine familial, à ce moment-là, il faudra être logique et on ne pense pas qu'on devrait permettre au tribunal de déroger, sauf, peut-être, s'il y a eu effectivement dilapidation de mauvaise foi ou par fraude; sinon, il faudra qu'il y ait partage. On ne peut pas laisser le tribunal apprécier les circonstances du partage ou non. Si on fait notre lit sur le partage, on partagera.

On a soumis devant cette commission, je pense que c'est l'Association des femmes collaboratrices, une préoccupation concernant la signature d'hypothèque sur la résidence familiale. Disons que cette préoccupation déborde le strict cadre des conjoints en affaires. Je pense que cette situation survient régulièrement. Soit que le couple, en tant que copropriétaire, a à signer les documents de ce mode de financement, soit que le conjoint qui a un droit de partage doive y consentir. Je pense qu'il ne faut pas donner une importance démesurée à ces craintes parce que le produit de l'hypothèque, hormis que ce soit pour faire effectuer un voyage sur la lune, sert généralement soit à l'entreprise du propriétaire, soit à la famille. Alors, je pense que cela fait partie des choses qui se négocient dans un couple et je ne crois pas qu'il faille, à ce moment-là, intervenir; je ne pense pas que cela soit vraiment un problème.

La renonciation pendant trois ans, toujours dans l'hypothèse où le gouvernement retient sa proposition de créer un patrimoine familial. Je dirais qu'en théorie on comprend mal cette possibilité de renonciation. Même si parfois on trouve que notre position n'est peut-être pas tout à fait dans le courant, c'est que dans les faits le gouvernement choisit d'établir un patrimoine familial, mais permet pendant trois ans à ceux qui, dans le fond, pourraient en bénéficier de pouvoir y renoncer. On essaie de trouver le raccord, mais je vous dis que c'est au plan théorique parce que la pratique nous donne un autre enseignement. Encore une fois, je me réfère au sondage SORECOM, qui a d'ailleurs été transmis au secrétariat et à des commissions parlementaires antérieures sur la refonte du Code

civil, trois Québécois et Québécoises sur quatre, 75 %, se sont prononcés pour que les conjoints puissent avoir la faculté de renoncer à une mesure analogue par contrat de mariage. Dans ce cas-là, c'était la réserve héréditaire ou une limitation de leur liberté de tester. Ce sondage est l'opinion de la population québécoise à cet égard. Les sondages étaient très précis. On voyait que c'était vraiment une notion très ancrée. Cela touchait tout le monde. Cela réunissait tout le monde, peu importe leur degré de scolarité, peu importe leur statut social, leur état de fortune, leur endroit de résidence sur le territoire québécois. C'était constant. Il s'agit vraiment d'une notion importante, forte et bien ancrée, il faut le reconnaître. La Chambre des notaires appuie la position du gouvernement dans son document à cet égard.

Voilà, M. le Président, les points additionnels à notre présentation que je voulais soumettre à cette commission. Nous sommes maintenant prêts pour la discussion.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie de cette présentation, Me Lambert et Me Cor-riveau. La parole est maintenant à Mme la ministre déléguée à la Condition féminine.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Lambert et Me Corriveau, de votre présentation. Je dois vous dire que votre mémoire est très différent. C'est très intéressant, mais, à certains égards, c'est étonnant aussi. Je comprends, par contre, votre hypothèse puisque vous semblez prendre comme prémisse, si je comprends bien, que les gens actuellement mariés en séparation de biens n'ont pas ou très peu de problèmes lors de la dissolution ou lors de la rupture. Bon, il y en a de moins en moins, c'est certain. Vous mentionniez tout à l'heure qu'au-delà de 60 % choisissent maintenant la société d'acquêts, comparativement à 40 %. Mais il y en a quand même tout près de 50 % qui sont mariés actuellement sous le régime de la séparation de biens. J'ai l'impression que vous tenez un peu pour acquis le fait que ces gens-là ne semblent pas avoir de problèmes ou n'en auront pas lors de la rupture du mariage. Vous n'êtes pas tellement en faveur d'un partage des biens familiaux. Par contre, vous préconisez une amélioration ponctuelle des règles du droit. Pouvez-vous me préciser exactement lesquelles, à part celles du programme incitatif sur lequel je reviendrai tout à l'heure? Quelles sont les autres règles de droit ponctuel auxquelles vous songez pour permettre un certain équilibre économique entre les conjoints et aussi permettre certaines mesures correctrices?

M. Lambert: Tout d'abord, en ce qui concerne la résidence familiale - on l'a mentionné tantôt - c'était d'éliminer l'obstacle qui, dans les faits, empêchait beaucoup de conjoints de se prévaloir de cette mesure. L'autre, c'est la prestation compensatoire. Là, je pense qu'on va plus loin que tout ce qui a été présenté à cette commission, pour ce que j'ai pu en être informé ou lire. On veut vraiment que le droit du conjoint dans l'entreprise soit reconnu dès l'instant où la collaboration est constatable, c'est-à-dire, donc, qu'il y a un état de fait. On veut, par la création du registre du commerce, permettre qu'une déclaration conjointe puisse être faite, donc d'avoir un mécanisme simple à la portée des couples pour pouvoir consacrer la reconnaissance mutuelle de leurs droits. S'il n'y a pas entente, en utilisant ce même mécanisme, qu'il y ait une possibilité d'enclencher un mécanisme qui en amènera la reconnaissance plutôt que d'attendre la fin de la collaboration ou encore le décès ou le divorce. Je pense qu'il est préférable de clarifier la situation après que cette collaboration se sera établie. C'est un autre point sur lequel nous avons présenté...

Mme Gagnon-Tremblay: Me Lambert, je reviens aux gens qui sont mariés actuellement sous le régime de la séparation de biens. Lorsque vous parlez de l'amélioration ponctuelle des règles de droit et que vous me parlez de la prestation compensatoire, si j'ai bien compris votre mémoire, la prestation compensatoire s'appliquerait pour la collaboratrice. Mais vous comprendrez que, sur les 50 % de gens mariés actuellement en séparation de biens, il y a encore très peu de collaboratrices. Qu'est-ce qu'on fait pour les autres qui ne sont pas des collaboratrices et qui n'ont pas droit à la prestation compensatoire, si on en juge, par exemple, par les nombreux jugements qui ont été rendus précédemment?

M. Lambert: Vous mentionnez le chiffre de 50 %. Je le prends tel que vous le mentionnez, mais je comprends que, dans ces 50 %, il y a bon nombre de gens qui ont choisi volontairement et sciemment la séparation de biens, ne voulant absolument pas partager. On pense, entre autres, à ceux qui se marient en secondes ou en troisièmes noces. C'est quand même un nombre important de couples dans vos 50 %. On parle des femmes collaboratrices. Je voyais dans le mémoire de l'Association des femmes collaboratrices que 68 % des femmes collaboratrices sont mariées sous le régime de la séparation de biens. On peut comprendre, ce régime étant associé aux gens qui se lancent en affaires et qui entreprennent et qui encourent des risques. Donc, il est possible que, dans vos 50 %, il y ait une bonne proportion de couples qui soient en fait des conjoints collaborateurs. Finalement, cela nous ramène à une proportion assez restreinte de gens. C'est cette proportion qu'on mentionne dans le mémoire. C'est là que nous pensons qu'il faut proposer à ces gens-là, par l'information, de convenir de modifier leur régime matrimonial s'ils le veulent et de faciliter l'opération au maximum en leur offrant une consultation gratuite, et même de pouvoir conclure la convention modificatrice

gratuitement. Je pense qu'avec un programme incitatif bien structuré, comme ce fut le cas pour le programme de subvention d'établissement en milieu agricole, les gens de bonnes intentions saisiront l'occasion.

Quant aux récalcitrants, il y a peu de choses que l'on peut faire et même le partage des biens familiaux proposé par le gouvernement ne pourra pas régler les problèmes, parce que, comme cela a été d'ailleurs vécu en Ontario et ailleurs, ceux qui ne le veulent pas utiliseront toutes sortes de trucs pour dilapider et faire disparaître les biens. Mais cela devient un nombre très minime et on ne pense pas que ce soit en provoquant ces quelques-uns que l'on pourra régler la situation. On pense plutôt qu'un contexte plus positif, plus favorable, les amènera à...

Mme Gagnon-Tremblay: Me Lambert, comme amélioration ponctuelle des règles de droit pour ceux et celles qui sont mariés actuellement en régime de séparation de biens, mais pour lesquels vous dites... Admettons qu'il y aurait une infime minorité. Ce que vous proposez, c'est une campagne d'information, l'amélioration de la prestation compensatoire qui s'adresse uniquement aux collaboratrices et, ensuite, le programme incitatif - auquel j'arrive, finalement - lequel serait basé sur celui des femmes collaboratrices, c'est-à-dire les femmes en agriculture. Par contre, quand on parle de programme incitatif, j'imagine que ce serait inciter ces personnes à modifer leur régime matrimonial. Ce seraient peut-être les honoraires qui pourraient être payés, mais il m'apparaît que, pour les couples, ce ne sont pas les honoraires qui entrent en ligne de compte. Je pense bien que n'importe quel conjoint dont cela ferait l'affaire de passer une société d'acquêts pour une séparation de biens serait prêt à payer les honoraires. Ce sont beaucoup plus les pressions que peut subir un conjoint et, malgré un incitatif dans les honoraires, je ne pense pas que ce soit là le véritable problème. Je ne pense pas que ce soit cela qui entraînera une modification des régimes matrimoniaux, par exemple, d'une séparation à une société d'acquêts. D'après ce qu'on entend sur ce qui se produit chez ies couples, il m'apparaît difficile d'aller dans ce sens-là, même avec un programme incitatif.

Je voudrais vous parler de la prestation compensatoire. Vous citez entre autres une déclaration possible soit conjointe ou unilatérale dans certains cas avec signification. Est-ce que vous revenez un peu aux propositions des femmes collaboratrices, à savoir que dans cette collaboration il y aurait partage dans les bénéfices, mais non dans les dettes, ou si c'est un véritable partenariat? D'autre part, vous dites que, s'il y avait déclaration unilatérale, on devrait en faire la signification à l'autre conjoint. Si je me fie à votre jugement du début sur la déclaration de résidence, vous nous dites que, pour la déclara- tion de résidence familiale, il faut enrayer cette question de signification, parce qu'il y a encore là beaucoup de pression. On sait tous les problèmes que cela a créés entre les couples. On dit: Incluons-les plutôt dans les actes d'aliénation, mais, en ce qui concerne la prestation compensatoire, vous êtes d'accord avec une signification qui pourrait causer les mêmes problèmes que ceux qu'a causés la signification de la résidence familiale. (16 h 15)

M. Lambert: Sur ce dernier point, Mme la ministre, on peut difficilement assimiler les deux situations. Dans le cas de la résidence familiale, les conjoints ne sont pas dans une entreprise au sens de la collaboration de conjoints à l'entreprise dans l'autre cas. Les conjoints collaborateurs se côtoient tous les jours, ou à peu près. Ils sont très près l'un de l'autre, ils discutent d'affaires à longueur de journée, à longueur de semaine. Je pense que, si on offre aux conjoints collaborateurs la possibilité d'avoir recours à un mécanisme qui ne soit pas judiciaire, donc qui ne provoque pas les déchirements que l'on connaît généralement lorsqu'on aboutit devant le tribunal, à ce moment-là, le recours à un mécanisme qui enclenche la solution du problème qui peut exister dans le couple à ce niveau-là n'aura pas les mêmes effets que l'enregistrement d'une déclaration de résidence que souventefois le conjoint est obligé de faire parce qu'il apprend qu'il se passe quelque chose; il n'est informé en rien des affaires du couple, ce qui n'est pas le cas d'un couple collaborateur en entreprise. Je pense que les deux situations sont différentes. Autant dans un cas il faut vraiment permettre au conjoint de protéger ses droits dans la résidence familiale, autant dans l'autre cas je pense que l'ouverture est de mise parce que le contexte est tout à fait différent. Il s'agit dans notre esprit d'un véritable partenariat. Donc, on participe aux profits, mais on participe aussi aux dettes; il y a une logique là-dedans. C'est vraiment un partenaire en affaires et je crois que c'est ce que les femmes collaboratrices veulent. Elles ne veulent pas être une partie, une excroissance, elles veulent être à part entière.

Mme Gagnon-Tremblay: Pour compléter, Me Lambert, avec la prestation compensatoire, vous seriez d'accord d'augmenter le pourcentage à 50 %. Par contre, est-ce que pour vous la prestation compensatoire devrait s'appliquer uniquement aux collaboratrices, aux collaborateurs, ou bien si cela devrait continuer à s'appliquer tel qu'on le prévoit dans l'article, ce qui n'a à peu près jamais été appliqué pour, par exemple, la travailleuse au foyer? Si on devait aller dans le sens d'un partage des biens familiaux, est-ce que la prestation compensatoire pourrait servir, par exemple, lorsqu'il y a très peu ou pas de biens à partager?

M. Lambert: On a eu de profondes discus-

sions sur l'aspect d'étendre la prestation compensatoire pour tenir compte du travail au foyer. D'ailleurs, c'était vraiment une option qu'on a arrêtée au départ. On a dit qu'il faudrait regarder du côté de la prestation compensatoire pour trouver un moyen d'équilibrer un peu pour ces couples dont on parle depuis tantôt et on en est arrivés à une espèce de cul-de-sac où les critères d'appréciation devenaient flous. On voyait une judiciarisation qui, dans les faits, viendrait annuler, à toutes fins pratiques, les avantages d'avoir des régimes matrimoniaux, de sorte qu'après cet exercice nous en sommes venus à la conclusion que la prestation compensatoire devra être réservée aux conjoints collaborateurs en entreprise ou au conjoint qui fournit dans le couple un apport vraiment exceptionnel qui peut venir, par exemple, de ses gains de travail à l'extérieur du foyer. À ce moment-là, cela devrait être réservé à ces situations.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous nous citez aussi, Me Lambert, des statistiques sur les couples actuellement propriétaires de résidences qui sont hypothéquées dans bien des cas. Si on devait aller dans le sens du partage, est-ce que - comme souvent il y a très peu de résidences ou qu'elles sont hypothéquées et il peut même ne pas y en avoir - ce serait important d'inclure les régimes privés de retraite?

M. Lambert: Oui, c'est ce qu'on a mentionné tantôt. Là-dessus, je pense qu'on est d'accord avec les représentations qui ont été faites à cette commission par à peu près tous les intervenants pour la raison que les sommes qui proviennent du travail... Si le fruit du travail doit être partagé, il y a une logique à ce que les régimes de pension privés soient aussi partageables.

Mme Gagnon-Tremblay: Je termine avant de céder la parole à ma collègue. Vous semblez dire que le fait de légiférer pourrait avoir un effet désincitatif sur le mariage. Vous dites qu'on s'est basé un peu sur les statistiques de l'Ontario en disant: Bien voici, cela existe. Il y a très peu d'unions de fait comparativement au Québec. Ne trouvez-vous pas que c'est un peu hypothétique d'affirmer que légiférer pourrait avoir un effet désincitatif plutôt que ce soit dû à la véritable mutation sociale qui existe actuellement au sein de notre population?

M. Lambert: Les mutations s'expliquent sûrement par des raisons, et nous ne prétendons pas avoir la réponse ou avoir fait une analyse exhaustive. Ce que nous savons par les réactions que les gens ont dans nos cabinets, lorsque nous parlons de ces questions, c'est que, dès l'instant où ils sentent qu'une contrainte leur est imposée, ils ont généralement une réaction. Je ne dis pas qu'il n'y aurait plus de mariages du tout, per- sonne ne pourrait croire à une telle hypothèse, mais il est certain que toute mesure ajoutant une contrainte additionnelle, qui a pour effet de contrarier un peu les gens, n'est pas de nature à faire la promotion de l'institution du mariage. Justement, si au Québec il y a beaucoup plus d'unions de fait qu'ailleurs, c'est parce qu'il y a aussi un contexte, et je pense que c'est un peu là-dessus que nous cherchions à attirer l'attention tantôt en disant qu'il ne fallait peut-être pas seulement regarder les chiffres de l'Ontario, mais penser plutôt au climat à cet égard très culturel qui est le nôtre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Lambert.

Le Président (M. Filion): Exceptionnellement, je vais prendre la parole avant ma collègue, la députée de Maisonneuve, parce que je dois malheureusement quitter.

La Chambre des notaires nous présente un mémoire original, original dans le sens de distinct des autres mémoires, et ce n'est pas péjoratif, loin de là. La Chambre, et je pense que sa position est bien résumée en page sept, considère qu'il y a des situations inéquitables qui sont vécues par une minorité de conjoints mariés sous le régime de la séparation de biens. Vous suggérez plutôt une amélioration des mécanismes existants. Vous suggérez même l'amélioration de certains de ces mécanismes, par exemple l'enregistrement, etc. Vous invoquez le fait que les gens, premièrement, sont libres de contracter et que plusieurs de ces personnes le font en toute connaissance de cause. Vous signalez également que le nombre de couples mariés sous le régime de la séparation de biens diminue au fil des années. Les statistiques que vous donnez sont absolument probantes. On peut, je pense, dire qu'en 1986 il y a deux couples sur trois qui se mariaient sous un régime de partage, pour employer votre expression, et qu'un sur trois se mariait sous le régime de la séparation de biens. Il n'en demeure pas moins, toujours en me basant sur vos statistiques, que, si on prend de 1970 à 1987, il y a quand même, grosso modo, 50 % des couples, au moment où l'on se parle, qui sont mariés sous le régime de la séparation de biens. Là-dessus, vous avez sourcillé tantôt à l'intervention de la ministre, mais cela semble être le chiffre que nous avons reçu d'un peu partout et il me semble que les statistiques que vous nous apportez corroborent un peu cette donnée-là. Il y a à peu près, au moment où l'on se parle, au Québec, un couple sur deux qui est marié sous le régime de la séparation de biens.

Alors, ma question est la suivante: Vous ne fermez pas les yeux, loin de là, sur les inéquités, vous en reconnaissez l'existence. Par contre, vous invoquez une espèce de balance d'inconvénients. Et dans cette balance d'inconvénients, je dois vous dire que... J'aimerais vous voir l'exposer plus à fond, parce que je ne suis pas très pesant de l'autre côté de la balance. Vous

nous dites, premièrement qu'il y a une liberté de contracter généralement et qu'il faut la respecter, c'est vrai. Une liberté totale de faire tout ce que l'on veut, mais l'ensemble des lois qu'on passe, vous savez, vient restreindre une partie des libertés des citoyens et citoyennes, tous les jours, par les lois, les règlements, etc., et uniquement en instituant un régime légal, on affecte quand même les libertés, on modifie les tendances sociales. Vous invoquez le fait que le patrimoine familial n'existe pas dans nos notions de droit, vous avez raison, c'est un peu nouveau, c'est emprunté à la "common law". Ce n'est pas la première fois que nous faisons un emprunt à la "common law". On se promène avec un corps législatif de plus en plus, disons, mixte. Il y a beaucoup d'emprunts à la "common law" au Québec.

Vous évoquez l'effet désincitatif possible. Là-dessus, je dois vous dire qu'il me semble que les gens qui se marient en général veulent voir clair dans leurs droits, veulent les choses les plus claires possible. Moi, il n'y a rien qui ne me frappe plus, pour les gens en général, que la connaissance de leurs droits et obligations. Ce que les gens n'aiment pas, c'est de ne pas savoir à quoi s'en tenir. Mais je ne pense pas qu'on puisse raisonnablement déduire que le nombre de mariages au Québec, qui est déjà en descente inquiétante et qui cause une problématique démographique qui n'est pas le sujet de notre étude, que l'instauration d'un patrimoine familial, tel que le suggère le document gouvernemental, pourrait accélérer cette tendance au non-mariage. En tout cas, c'est difficile à percevoir.

Alors, est-ce qu'il y a d'autres éléments que vous aimeriez mettre dans cette balance quand nous nous dites: Écoutez, faites attention, ne redressez pas les inéquités? Parce que vous les reconnaissez, ces inéquités. L'ensemble des intervenants qui sont venus devant nous les ont reconnues facilement et vous le faites aussi de façon très lucide. Alors, est-ce qu'il y a d'autres éléments qui feraient que, comme législateurs, on devrait s'interdire de redresser des inéquités qui sont, dans bien des cas, assez alarmantes?

M. Lambert: Je pense que, lorsque le législateur intervient pour perturber - parce que ce sera réellement le cas - le droit et les situations, pour imposer un effet rétroactif, il faut toujours le faire lorsque c'est pleinement justifié. C'étaient les paramètres de la problématique au départ. On disait: Lorsqu'il faut le faire, il faut vraiment prouver qu'il n'y a pas d'autres moyens, qu'on a vraiment tout épuisé. Là-dessus, je pense qu'on n'a pas fait la preuve qu'on avait effectivement épuisé tous les moyens. Mais supposons qu'effectivement il n'y ait pas d'autres avenues pour corriger la situation; à ce moment-là, on le corrige en se centrant sur le problème. Or, dans le projet qui est proposé, c'est une mesure universelle et c'est ce sur quoi on en a, parce que le problème... Souvent, le législateur intervient lorsqu'il voit se développer un problème, qu'il voit qu'il grandit, donc qu'il risque de prendre de telles proportions que ce sera au détriment de la collectivité. Mais le problème que l'on considère est en régression.

On a, par ailleurs, changé profondément l'approche dans les régimes matrimoniaux il y a maintenant tout près de 20 ans, avec la réforme de 1970, et on croit que culturellement il faut laisser le temps à ces réformes profondes qui touchent les individus dans leur quotidien de porter leurs fruits, et tout nous porte à croire que c'est effectivement ce qui se produit, par le nombre grandissant de couples qui choisissent un régime de partage.

Alors, finalement, on dit que le problème est très circonscrit. Encore là, chez ceux qui sont mariés en séparation de biens, il faut éliminer tous ceux qui l'ont sciemment décidé et voulu comme tel, sans jamais vouloir partager, parce que chacun a des enfants. Par exemple, dans le cas de secondes noces, chacun a ses enfants, chacun a son patrimoine. On veut bien vivre ensemble, mais on ne veut pas confondre les biens qu'on veut transmettre. Alors, en vertu de quoi allons-nous perturber ces accords? Pour les autres qui restent, il faut voir si effectivement, au-delà de la potentialité, il y a matérialisation des victimes réelles. Quand on dit qu'il y a des inéquités, c'est qu'on voit que c'est un nombre restreint. On parle de règlements de divorce, par exemple, qui ont été pénibles - je peux vous dire qu'il y en a, peu importe le régime - mais on a connu des règlements de divorce qui ont été fort avantageux pour des conjoints qui étaient mariés en séparation de biens; pensons à des femmes, on en connaît. Alors, dire que les femmes mariées en séparation de biens sont toujours perdantes dans le cas d'un divorce, je pense qu'il faudrait ventiler, qu'il faudrait vraiment étudier cela et ne pas seulement faire des affirmations, parce que c'est surtout cela qu'on a vu: il y a eu beaucoup d'affirmations sur tout, mais on ne ventile pas. Mme la ministre parle de 50%. Je veux bien, je prends le chiffre, sauf qu'on ne l'a pas ventilé. C'est quoi, ces 50% de couples mariés en séparation de biens? Pourquoi l'ont-ils choisi? Ont-ils fait un choix si mal éclairé que cela? Y a-t-il des conséquences? N'y a-t-il pas des gens qui sont économiquement égaux là-dedans? Tout cela n'est pas ventilé, mais on arrive avec une mesure universelle qui va toucher tout le monde! C'est là-dessus qu'on dit au législateur: On a de la difficulté à suivre sur ce plan. (16 h 30)

Le Président (M. Filion): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Oui, M. le Président, je vous remercie. J'étais heureuse de vous laisser la parole, M. le député de Taillon, parce que je sais que vous avez des obligations en Chambre. Mais je m'en serais vraiment voulu de ne pas profiter

de la première occasion qui m'est donnée pour réagir au mémoire présenté par mes amis de la Chambre des notaires. Je dis mes amis parce que j'ai eu à travailler assez régulièrement avec eux, lors de l'étude en sous-commission des dispositions de la réforme du Code civil en matière de droit des personnes et des biens. C'est d'ailleurs le député de Taillon qui va compléter ces obligations. Mais je veux leur dire immédiatement que je suis très surprise du mémoire qu'ils nous présentent. Ils sont les seuls à adopter cette position depuis le début de nos travaux et ils seront sans doute les seuls d'ici la fin, parce que nous terminons cet après-midi et que nous connaissons déjà les mémoires.

C'est l'usage même des termes. Je notais, entre autres, le mot "perturber". Depuis le début, les mots qu'on entend sont "corriger" et "remédier". Je voudrais tout de suite les mettre en garde de ne pas invoquer le Conseil du statut de la femme, parce que celui-ci a présenté, dans un mémoire et ici même en commission, un point de vue. Je vais vous le citer au texte; c'est le suivant: "Dans les faits subsistent encore des inéquités à la rupture du mariage et au décès. Il est maintenant clair que les réformes effectuées n'ont pas produit tous les effets recherchés, dont celui de compenser les services au foyer d'une génération d'épouses séparées de biens pour qui, pourtant, on reconnaissait consensuellement la nécessité d'un rectificatif. Mais - et j'insiste sur ce mais auprès de Me Corriveau - au-delà de cette clientèle immédiatement visée par la réforme actuelle, le Conseil du statut de la femme prétend que l'institution du mariage en elle-même devrait entraîner une certaine forme de partage entre époux. "

D'entrée de jeu, je dois vous dire que je ne pense pas qu'il soit adéquat de se chicaner sur le pourcentage de conjoints économiquement faibles qui sont mariés en séparation de biens ou pas, bien qu'on en ait parlé, bien que vous aient précédés des personnes venues exprimer, avec l'expérience qu'elles en avaient, soit pour l'avoir vécu elles-mêmes ou pour avoir représenté des personnes qui l'avaient vécu, quelle était la confiance qu'elles avaient à l'égard de leur fiancé qui les avait amenées devant un notaire, se disant: II va me protéger, c'est un notaire. Avec quelle - comment dire - presque stupéfaction elles s'étaient présentées ensuite devant un avocat quelques années plus tard pour se rendre compte que ce n'était pas ce qu'elles avaient pensé.

La première question que je vais vous poser, la plus importante pour moi, c'est: Croyez-vous à la société d'acquêts?

M. Lambert: Absolument, sans aucun doute.

Mme Harel: Croyez-vous que c'est le meilleur régime matrimonial?

M. Lambert: Absolument.

Mme Harel: En faites-vous la promotion?

M. Lambert: Absolument. La preuve en est que si vous regardez, vous allez voir que le nombre de contrats de mariage signés, admettons, l'an dernier, équivaut à peu près à trois ou quatre contrats de mariage par notaire. Là-dessus, il y en a un qui était en société d'acquêts, probablement parce que les conjoints voulaient le modifier. Vous voyez donc que c'est minime par rapport à ce que c'était il y a quinze ou vingt ans, par exemple. Je peux vous dire que dans 9, 5 % des entrevues que nous avons, nous disons aux gens: Vous n'avez même pas besoin de payer un contrat de mariage, on ne vous fera pas faire cette dépense-là, le régime légal est excellent. J'ai des consoeurs ici qui peuvent vous apporter des témoignages - c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles elles sont ici - pour vous dire comment cela se passe, en réalité, quand on rencontre les gens dans nos bureaux. C'est pour cela, des fois, qu'on est étonnés des affirmations qui sont faites. Je sais que notre position a l'air d'étonner. On a la conviction de nos opinions et on les soumet au législateur; ensuite, il en tirera profit et avantage.

Mme Harel: C'est intéressant, parce que l'un de vos collègues qui est à la retraite, mais qui a professé longtemps et qui a l'estime de sa profession et de bien des gens, le notaire Comtois, est venu devant la commission. C'était vraiment intéressant. Au terme de sa présentation, en conclusion, je lui ai dit: C'est fantastique, vous êtes un non-conformiste traditionaliste. Le notaire Comtois, comme vous, insiste sur le caractère civiiiste de notre tradition au Québec, distincte de toutes celles de l'Amérique du Nord. C'est au nom de ce caractère civiiiste que ce qu'il propose, c'est l'extension du régime légal de société d'acquêts à l'ensemble des unions en mariage. Selon lui, cela serait conforme à nos traditions. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Lambert: II est indéniable que le régime de société d'acquêts est parfaitement bien inséré dans notre structure, notre architecture juridique, si je puis utiliser ce terme. De là à le rendre obligatoire et universel, j'ai des réserves. Il y a beaucoup de situations où les couples ne veulent pas partager. Je me dis: Pourquoi et en vertu de quel principe allons-nous dire à ces gens-là qui ne le veulent pas: Savez-vous, vous ne savez pas ce que vous faites; vous ne le voulez pas, mais on va vouloir pour vous. Je pense que cela heurte des principes de fond qu'on a dans notre société. Si aujourd'hui deux couples sur trois choisissent la société d'acquêts, je pense que c'est parce qu'ils ont été convaincus que ce régime était bon. Autant l'État que la profession notariale n'ont pas ménagé leurs efforts pour le faire connaître, l'expliquer, que ce soit dans des conférences ou par des brochures. Après cela, on laisse les gens faire leur

choix. M. Gamache, je sais que sur ce point vous vouliez... On va le faire brièvement.

Mme Harel: Je pense que c'est un aspect important, quand vous dites "ne veulent pas partager". Est-ce que c'est compatible avec l'institution du mariage? C'est consensuel. C'est intéressant. À part le notaire Comtois, je ne pense pas que d'autres se soient présentés devant la commission... Oui, il y a eu effectivement la FTQ. Il y en a eu quelques-uns...

Une voix: Le FRAPPE.

Mme Harel: Le FRAPPE également, c'est juste. Le principe de la liberté de contracter est reconnu par les hommes et par les femmes dans notre société. Ce principe doit trouver application dans le respect d'autres principes. Le principe de l'égalité juridique ne doit pas être uniquement une égalité, disons, de mots, il doit aussi être une égalité qui s'incarne dans un certain partage de tâches. Cette réalité incontournable que les femmes ont à 100 % la présomption du travail au foyer, de la garde des enfants, même en mariage... Je pourrais vous citer des chiffres. J'aimerais y revenir avec vous tantôt parce que vous êtes les seuls à vous questionner quant à l'ampleur du problème.

Juste un petit aparté pour vous dire que des études ont été faites qui démontrent notamment que le niveau de vie des hommes divorcés augmente de 42 % dans l'année qui suit le divorce et que celui des femmes diminue de 73 %. Ce sont là les études les plus récentes sur cette question.

Si on revient à la question du partenariat en mariage, les femmes n'ont pas nécessairement l'occasion de se constituer un patrimoine. Puisqu'il y a partenariat en mariage, l'esprit n'est pas rebelle à l'idée que des biens familiaux soient susceptibles d'être partagés. Cela m'étonne qu'il y ait une sorte de question de principe, parce que ce patrimoine est compatible avec la liberté de contracter. L'État ne vient pas étendre impérativement la société d'acquêts. Je vous laisse réagir.

M. Lambert: Me Corriveau m'a signalé qu'elle voulait participer à la réponse. Alors, je compléterai s'il y a lieu.

Mme Harel: D'accord, parfait, je vous écoute.

Mme Corriveau: En fait, il semble que tout dépende de la philosophie qu'on a du mariage. Il ne s'agit pas juste d'une institution juridique, c'est une institution hautement morale et émotive. On ne peut pas nier le fait que les mariages ont une durée de moins en moins longue. Il y a de plus en plus de divorces, de plus en plus tôt dans la vie du mariage, et il y a de plus en plus de mariages successifs, ce qui fait que c'est peut-être normal qu'une bonne partie des couples qui choisissent la séparation de biens ne voient pas dans l'institution du mariage l'obligation ou le pacte de partager le sort du conjoint pour le meilleur et pour le pire. On a envie de vivre ensemble, de faire des choses ensemble, peut-être de partager des biens, et on achète de plus en plus en copropriété. Ils sont nombreux; les couples mariés en séparation de biens qui vont acheter une nouvelle maison en copropriété maintenant. La mentalité tend à changer. On se protège parfois d'une autre façon et on choisit les biens sur lesquels on veut éventuellement faire un partage. Pour le reste, on ne compte pas nécessairement faire une association matérielle. L'association sera parfois ailleurs qu'au plan matériel, d'autant plus si les époux sont autonomes financièrement; c'est bien différent.

Mme Gamache (Ginette): Vous dites que notre mémoire est surprenant. Je vous dirai que tous les jours on rencontre M. et Mme Tout-le-Monde dans nos bureaux; ils sont le reflet de ce que l'on vit. Tout à l'heure, vous citiez des statistiques, à savoir que l'enrichissement des femmes diminue de 73 % après un divorce. Je ne sais pas à quel point la réforme viendrait corriger cette situation, parce que l'autonomie des femmes passe par une éducation et par l'autonomie financière plus que par le fait de partager les biens familiaux. Il y a autre chose derrière cela. Ensuite, vous avez parlé du notaire Comtois qui vous aurait dit que le régime de société d'acquêts s'inscrivait dans notre tradition. Je vous dirais que la liberté de choix s'inscrit aussi dans notre tradition. Je pense que c'est très important.

Au départ, vous nous avez aussi demandé si on croyait à la société d'acquêts. Sûrement, parce que la majorité des contrats de mariage que les notaires font sont en séparation de biens. Pour choisir ce régime, les gens doivent faire une convention, laquelle doit être notariée. Mais ce n'est pas parce qu'on n'y croit pas, c'est parce que les gens l'adoptent sans passer devant un notaire. Je peux vous dire que les régimes sont clairement expliqués aux gens qui se présentent devant nous. (16 h 45)

Mme Harel: Je ne mets pas du tout en doute votre pratique respective. Vous ne pouvez pas, de toute façon, venir nous confirmer ici toutes les pratiques qui se tiennent dans les bureaux de notaires. Ce qui m'étonne, c'est que déjà le législateur, dans la réforme du droit de la famille, en Introduisant la disposition qui s'est révélée inefficace mais qui, à l'origine, avait comme intention la disposition de la prestation compensatoire, le législateur n'avait pas comme seule intention de compenser l'enrichissement des femmes collaboratrices dans l'entreprise. À l'origine, l'intention de la prestation compensatoire, c'était de compenser ce qui pouvait être inéquitable pour les conjoints économiquement

faibles, mariés en séparation de biens et pour lesquels les donations pour cause de mort devenaient caduques, avec la possibilité pour les tribunaux de réviser les donations entre vifs, etc. Comme on changeait complètement, que tout était bouleversé, la prestation compensatoire était censée, d'une certaine façon, donner un recours, mais cela s'est révélé illusoire, compte tenu de l'interprétation restrictive des tribunaux. Est-ce qu'il n'est pas souhaitable qu'on ait clairement dans nos dispositions un patrimoine familial pas trop restreint? C'est pour cela que je recommande fortement à Mme la ministre de convaincre ses collègues d'introduire les régimes privés de retraite dans le patrimoine, pour qu'il y ait le moins possible de judiciarisation en cas de rupture et qu'en conséquence il y ait le moins de discrétion judiciaire. Ce que vous nous dites, c'est que les régimes de séparation, même si c'est pour 34 % des nouveaux couples et même si Mme la ministre a raison quand elle dit que c'est pour 50 % des couples actuels, lorsqu'il y a rupture - et vous nous dites que c'est de plus en plus fréquent - les gens se retrouvent devant les tribunaux pour quémander leur dû. Vous nous proposez de judiciariser.

M. Lambert: Non, non. Il ne faut pas penser...

Mme Harel: En tout cas, ce que vous proposez a comme conséquence...

M. Lambert: Le divorce doit être constaté par le tribunal. C'est pour cela que les gens sont devant le tribunal. Mais, dans les faits, la tendance est à ce point de ne pas vouloir aller se chicaner devant le tribunal qu'on a tout le phénomène de la médiation familiale qui se développe. Le gouvernement fédéral a modifié sa législation pour aller aussi loin que de déjudicia-riser autant que possible le divorce. Alors, on ne peut pas...

Mme Harel: Me Lambert, beaucoup de personnes sont venues nous dire que très souvent on laisse aller parce que c'est trop compliqué, que c'est coûteux et qu'aussi cela suppose d'aggraver et de détériorer les relations.

M. Lambert: Oui, mais est-ce qu'on peut dire que tous les cas de divorce donnent lieu à des situations inéquitables de déchirement? Encore là, on n'a pas de chiffres, malheureusement. Cela aurait été intéressant qu'on puisse mesurer ces faits. C'est certain qu'il y en a et je pense que tout le monde peut dire qu'il y a des gens qui subissent maintenant assez bien, au moins dans leur aspect économique, les conséquences de leur divorce.

Vous parliez tantôt de la prestation compensatoire. Voilà une initiative qui a suivi l'affaire Murdoch qui s'est produite dans une province de "common law" et qui a amené un peu l'élaboration de ce concept de "common law". Vous nous donnez le témoignage, justement, comme législateurs; quand vous l'avez inséré ici en droit civil, vous aviez des attentes et, oh surprise! cette notion de "common law" s'est révélée ne pas satisfaire à ces attentes. C'est pour cela qu'on nous dit qu'il faut faire attention quand on pige dans la "common law" et je pense que votre témoignage est justement une illustration de cela.

La seule chose que je puis ajouter à ce moment-ci, c'est qu'on craint que, si on en arrive à la notion de partage universel, pour tout le monde, il n'y ait une désaffection envers la société d'acquêts. Il y en a qui vont dire: Bon, c'est suffisant, l'État a décidé ce qui était bon pour nous autres et on va s'en tenir à cela. Cela, c'est une conséquence dangereuse.

Mme Harel: Cela départage les biens familiaux?

M. Lambert: Oui.

Mme Harel: Alors, vous craignez cela? Vous craignez que le patrimoine partageable pour l'ensemble des couples ne vienne désinciter à opter pour la société d'acquêts?

M. Lambert: C'est possible. Je vous le dis, quand on reçoit les gens en entrevue avant leur mariage, c'est incroyable le nombre de leurs préjugés et l'éclaircissement qu'il faut faire. Les notaires qui font ces entrevues vont vous dire que ce n'est jamais une affaire qui se règle en 15, 20 minutes ou une demi-heure. C'est au moins une à deux heures de discussion, quand il n'y a pas une deuxième rencontre. Pourquoi? Parce qu'aujourd'hui, d'abord, la société est devenue tellement complexe dans ses conséquences économiques, avec la multiplication dés biens et tout cela, qu'il faut démêler une foule de choses. Je vous le dis, les gens ayant cette tendance à simplifier, vont peut-être dire: Bien, l'État a décidé ce qu'il était bon pour nous de partager; quant au reste, ce sera chacun ses bébelles dans sa cour. Je vous dis que c'est une conséquence qui est fort possible. On ne l'a pas mesurée, personne ne s'est penché sur cet aspect.

Mme Harel: En tout cas, chose certaine, notre collègue de Taillon, qui présidait nos travaux ce matin, nous faisait part des commentaires que le personnel de l'Assemblée nationale lui avait transmis; plusieurs constataient avec étonnement qu'un régime de séparation de biens, auquel ils avaient souscrit, ne signifiait pas de séparer les biens. Notre collègue nous citait des personnes que nous connaissons, ici même dans le parlement, qui travaillent comme employés et qui étaient convaincus qu'en séparation de biens on se séparait les biens. Vous voyez que ça n'a pas dû être très long, leur passage au bureau du

notaire, pour se faire expliquer ce qu'il en était de leur contrat de mariage, mais enfin! De toute façon, c'est certainement intéressant, la prudence que nous devons avoir en matière de tradition civiliste, c'est-à-dire qu'il faut le plus possible être compatibles avec cette tradition civiliste. C'est évident qu'il y a des différences considérables, qu'on ne peut pas, tout simplement par analogie totale, adopter des lois voisines. C'est sûr qu'en Ontario, par exemple, il y a un patrimoine très très large, mais on peut y renoncer. Mais comme nous l'ont bien expliqué un grand nombre d'intervenants, en Ontario, si votre fiancé vous amène chez le notaire - pas chez le notaire parce qu'il n'y en a pas - mais chez un homme de loi pour signer un contrat, vous vous inquiétez. Au Québec, s'il vous amène devant un notaire, vous vous rassurez. C'est une tradition culturellement si différente que c'est évident qu'ici la renonciation pourrait être fréquente, tandis que là-bas elle est quand même moins importante.

Ceci dit, est-ce que vous considérez qu'il n'y a pas urgence d'agir? Est-ce que vous pensez que le ministère de la Justice pourrait procéder par une simple campagne d'information en faveur de la société d'acquets et que cela satisferait aux situations qu'on a portées à notre attention durant les travaux de la commission?

M. Lambert: Non, je pense que ce serait vraiment trop simplifier. Mais, si vous me permettez Juste de revenir sur une affirmation que vous avez faite tantôt, moi, je suis arrivé à la profession en 1969, donc il y a près de 20 ans; on était encore dans la glorieuse époque de la séparation de biens. Ayant l'avantage de sortir de l'université, je connaissais le nouveau régime - qui n'était pas encore en vigueur, mais qui s'en venait - et j'étais un apôtre de la société d'acquêts. Je peux vous dire combien c'était long de convaincre, en particulier les futures conjointes qu'il y avait autre chose que les meubles de ménage et la donation de 5000 $, 10 000 $, 15 000 $ ou 20 000 $ à la fin du contrat. C'était cela qui était bon, c'était simple et facile à comprendre, alors que là, on leur expliquait un régime c'était mouvant... À un moment donné, on va avoir un partage, mais soyez sans crainte, cela n'aura pas... Si votre mari fait de mauvaises affaires, il ne pourra pas... Et là, on pariait durant deux ou trois heures, il fallait qu'ils choisissent ceci et cela. Je me souviens très très bien de ce contexte.

Alors, qu'on dise que les notaires ont mal fait leur travail, je ne suis pas d'accord. Il y en a peut-être qui l'ont mal fait, comme il y a d'autres professionnels qui le font mal. Il y a eu des cas de confrères, que j'ai connus, venant de passer par un divorce; ils auraient dû cesser de donner des entrevues de régimes matrimoniaux après. Mais cela demeure des exceptions. Dans l'ensemble, il y avait tout un climat social, à l'époque. Les gens, c'était cela. C'était bon, ils se protégeaient. S'il y avait faillite, ils sauvaient les meubles, ils sauvaient ceci et cela. C'était le contexte de l'époque, et les premières années où on avait, entre guillemets, à vendre la société d'acquets, je vous jure que ce n'était pas facile.

Mais c'était une époque et on pense que les inéquités qui relèvent de cette époque, parce qu'on ne les nie pas, mais elles sont quand même en nombre limité, on doit concentrer notre attention là-dessus, et c'est là qu'on dit: D'abord, en ce qui concerne la résidence, éliminons cette obligation d'avoir à informer le conjoint, mais permettons au conjoint d'assujettir ses droits; le mari ne va pas se promener au bureau d'enregistrement bien souvent, donc tout le monde peut être bien rassuré à cet égard. Mais ce n'est pas juste de faire une campagne en faveur de la société d'acquêts. Je pense que cela va très bien et que tous les invervenants, autant la Commission des services juridiques que les associations qui existent pour informer les gens sur leurs droits, dont, entre autres, ceux de leur convention matrimoniale, tout ce monde fait bien son travail. Ce qu'on propose, c'est que ce soit une campagne d'information ciblée sur les gens mariés en séparation de biens, pouvant virtuellement vivre une situation d'inéquité, les invitant à avoir une consultation juridique gratuite, leur disant que, s'ils veulent modifier leur régime, ils pourront le faire gratuitement. Ce n'est pas négligeable parce qu'on en parle souvent. On voit des gens dans nos bureaux et on leur dit: Écoutez, ce serait pas mal mieux si vous changiez. De toute façon, vous confondez tous vos biens, vous vivez en espèce de communauté ou de société d'acquêts. Ah! mais on n'a pas d'argent pour cela. Vous savez, ils ne voient pas de problème. C'est sûr que, quand cela va bien, on ne voit pas de problème. Pourquoi ne saisirions-nous pas l'occasion pour dire: Cela ne vous coûte rien, mais allez-y donc, cela va mettre de l'équilibre. Il me semble qu'on devrait l'essayer et si, au bout de trois ans, on évalue que cela n'a pas marché ou que c'est faible et qu'effectivement il y a encore des situations, le législateur pourra toujours intervenir, mais, au moins, je pense que cet exercice-là aura été fait. Puis, avant de présumer que cela ne marchera pas, moi, je regarde seulement le petit programme de subvention en milieu agricole et j'en conclus que cela a été étonnant. Il a fallu que le gouvernement remette des sous là-dedans tellement cela a été populaire.

Le Président (M. Doyon): Je vais devoir vous interrompre, le temps alloué à l'Opposition officielle étant terminé. Je cède maintenant la parole au député de Marquette qui a des questions pour vous.

M. Dauphin: Oui, merci beaucoup, M. le Président. À mon tour, j'aimerais souhaiter la

bienvenue aux représentants et représentantes de la Chambre des notaires du Québec. Effectivement, votre mémoire est un peu différent des autres mémoires que nous avons eu l'occasion de lire et d'entendre exposer depuis déjà une semaine. Je vous écoutais, Me Lambert, tantôt et j'ai l'impression - vous me corrigerez si je me trompe - que vous nous dites qu'il y aurait lieu de voir à l'amélioration du régime actuel de façon ponctuelle et vous conseillez au législateur de ne pas nécessairement opter pour cette notion de patrimoine familial. Par contre, un peu plus loin dans votre mémoire et dans vos paroles, vous nous dites: Si jamais vous optez pour cette notion de patrimoine familial, embarquez à fond de train. Je m'explique. Relativement aux mesures transitoires, vous nous dites: Si vous optez pour cela, pas de mesures transitoires, cela s'applique pour tout le monde. Relativement au recours devant les tribunaux, vous nous dites: S'il y a recours devant le tribunal, que ce soit dans un seul cas, de façon bien restreinte, c'est-à-dire en cas de preuve de dilapidation. Alors, j'aimerais un peu vous entendre là-dessus pour savoir si mon impression est exacte ou pas.

M. Lambert: Non, non. Je pense que vous avez très bien compris. On a simplement dit: Soyons logiques. Si le gouvernement estime que la création d'un patrimoine familial est souhaitable, à ce moment-là, je pense qu'il faudrait en toute logique s'organiser pour que cela ait un effet concret. Si on crée cette mesure qui a le désavantage, avons-nous allégué depuis tantôt, d'être universelle, mais que par ailleurs on donne une période de trois ans à ceux qui veulent en sortir, bien, finalement, on aura fait quoi? C'est là que je parle de perturbation, ce n'est plus de la correction.

Le Président (M. Doyon): Merci. Alors, avez-vous d'autres questions, M. le député?

M. Dauphin: Vous nous proposez, dans le mémoire, l'abolition de l'avis au conjoint, l'article 455 du Code civil. J'aimerais savoir en pratique comment vous procédez. Est-ce que vous faites toujours intervenir le conjoint dans un acte?

M. Lambert: Bien non!

M. Dauphin: II y a déjà huit ans que je suis député, moi, puis je me demande, si on enlève l'avis au conjoint, comment cela se passe.

M. Lambert: C'est plutôt rare qu'un conjoint va intervenir dans une déclaration. Il intervient pour la faire radier.

M. Dauphin: Non, non. Vous avez dit: Si on enlève l'avis.

M. Lambert: Non, c'est justement la raison pour laquelle on préconise que cette exigence qui, d'ailleurs, ne trouvait aucune sanction réelle... On dit: Dans le fond, c'est seulement embêtant, cette affaire-là, et cela ne change rien aux choses. Si un conjoint estime que ses droits dans la résidence familiale sont en jeu ou peuvent l'être, je pense qu'il a le droit de les protéger. Le fait d'obliger d'aviser le conjoint par courrier recommandé, c'est ce qu'on suggérait. Vous prenez une copie et, une fois que c'est fait, avec le sceau du bureau d'enregistrement, vous l'expédiez par courrier recommandé à votre conjoint et vous gardez le petit talon. Sinon, si vous voulez, on va le lui faire signifier par huissier. Là, c'est le drame total. On voyait tout de suite que cela décourageait tout le monde. Dans les faits, les gens disaient: Écoutez, je ne suis pas prêt à affronter une chicane familiale pour cela. Je veux bien protéger mes biens, mais j'ai un choix à faire, il y a un équilibre des inconvénients à faire. C'est cela qu'on veut faire disparaître. Si on veut vraiment qu'il y ait une protection de résidence, favorisons-la. De toute façon, que le conjoint soit avisé ou non, cela ne change rien, cela ne lui enlève aucun droit. Dès l'instant où le droit du conjoint est affirmé, il est obligé de le respecter. Qu'il ait reçu l'avis ou pas, cela ne change plus rien.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, Me Lambert. Alors, le mot de la fin, Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Chers confrères et chères consoeurs, je vous remercie de la présentation de votre mémoire. C'est un point de vue différent, mais qu'on doit connaître aussi pour avoir un bon éclairage avant de prendre position comme gouvernement. Merci infiniment.

Le Président (M. Doyon): Mme la députée de Maisonneuve, vous voulez dire un mot?

Mme Harel: Oui, certainement. Je veux également remercier la Chambre des notaires. Je vois d'ailleurs que vous êtes plus de femmes que d'hommes à composer la délégation. Je souhaite que vous puissiez prendre connaissance également des travaux de la commission. Tout cela est enregistré. Cela vous permettra peut-être d'avoir un éclairage différent. Je suis toujours intéressée et soucieuse du point de vue que vous exprimez. C'est pour cela, d'ailleurs, qu'on est si exigeants à votre égard. Je vous remercie.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme la députée. En mon nom et en celui des membres de la commission, je remercie la Chambre des notaires du Québec de sa présentation.

Nous allons suspendre nos travaux pour cinq minutes.

(Suspension de la séance à 17 h 2)

(Reprise à 17 h 13)

Le Président (M. Doyon): Je vais rappeler la commission à l'ordre et inviter Mme la ministre et les membres de la commission à s'asseoir autour de la table. Nous allons commencer nos travaux Immédiatement.

Je vois que les représentantes de la Fédération des femmes du Québec sont déjà à la table de nos invités. Je leur souhaite la bienvenue. J'inviterais Mme Busque, la présidente, à nous présenter les deux personnes qui l'accompagnent.

Fédération des femmes du Québec

Mme Busque (Ginette): Je vous remercie, M. le Président. Les deux personnes qui m'accompagnent sont, à ma gauche, Me Jeannine Kean qui est une personne-ressource bénévole auprès de la Fédération des femmes du Québec. Elle pratique en droit de la famille et elle enseigne également le droit de la famille. À ma droite, Me Hélène Bohémier, qui a pratiqué en droit de la famille, qui a enseigné le droit de la famille. Elle est présentement directrice à Relais-Femmes et c'est une personne-ressource dans le présent dossier.

Le Président (M. Doyon): Très bien. Je vous invite donc à nous faire la présentation de votre mémoire durant les vingt prochaines minutes, le reste du temps étant réparti entre l'Opposition officielle et le côté ministériel.

Mme Busque: Je vous remercie. Je voudrais, d'abord, présenter très très brièvement la Fédération des femmes du Québec pour les personnes ici qui ne la connaîtraient pas. La fédération est un organisme qui existe depuis 22 ans déjà et qui regroupe 62 groupes de femmes au Québec et quelques centaines de membres individuelles. La fédération représente 55 000 Québécoises. Donc, c'est un groupe qui a une certaine importance au Québec et qui s'intéresse à l'ensemble des dossiers traitant de condition féminine, qui fait la promotion des droits économiques des femmes, de leur participation à la vie politique, de leur droit à la santé etc. Nous nous présentons ici aujourd'hui, justement, dans le cadre de la promotion de ces droits économiques des femmes.

Je voudrais, en premier lieu, féliciter Mme Gagnon-Tremblay et M. Herbert Marx d'avoir pris l'initiative de ce projet de réforme. J'oserais espérer que M. Gil Rémillard, qui est maintenant responsable du dossier à la place de M. Marx, prenne le dossier avec autant de conviction que M. Marx.

J'aimerais aussi souligner que cette réforme arrive à point. Après la présentation de la Chambre des notaires, je ne sais pas s'ils ont réussi à créer cette impression que la réforme n'était pas nécessaire. Je ne peux pas jouer dans les chiffres comme ils l'ont fait, diviser les pourcentages et soustraire encore du monde, ce qui donne l'impression que, finalement, il n'y a plus personne qui souffre des effets de la séparation de biens. Nous, on a une perception totalement différente de ça, autant par ce qui nous est rapporté par nos différents groupements que par tous les autres groupes avec lesquels on est en contact. On s'est senti beaucoup plus près de la présentation de la Fédération des associations de familles monoparentales qui vous a très bien exposé, ce matin, à quel point un très grand nombre de femmes souffrent encore aujourd'hui de la situation dans laquelle elles se retrouvent après une séparation ou un divorce.

Si vous le permettez, nous ne ferons pas la lecture de notre mémoire. Ce serait long et ce serait peut-être un peu fastidieux, dans la mesure où nous sommes un des derniers groupes à nous présenter devant cette commission et vu que notre point de vue a été en grande partie exprimé par d'autres groupes. Mais j'aimerais mentionner que, parmi les voies qui nous sont présentées, celles qui proposent une amélioration de certaines règles de droit ne rencontrent pas du tout nos attentes, nos expectatives. On a fait des représentations au moment où le droit de la famille a été réformé, au début des années quatre-vingt. Nous avions, à ce moment-là, demandé que, dans l'énoncé de la prestation compensatoire, on formule d'une façon très expresse que la prestation compensatoire pourrait venir compenser le travail au foyer. On nous a dit: Non, ce n'est pas nécessaire. C'est évident que les tribunaux vont reconnaître cette chose-là. Cela ne s'est pas fait. On croit qu'une amélioration ponctuelle des règles du droit ne couvrirait pas l'espèce de problème qui est devenu maintenant beaucoup plus gros avec le temps.

Pour ce qui est de la deuxième voie proposée, c'est-à-dire la société d'acquêts comme régime impératif, je dois dire qu'on a trouvé cette solution attirante. Il y a quelque chose de très attirant dans cette solution, parce que, évidemment, elle aurait l'avantage de créer un patrimoine familial beaucoup plus vaste, beaucoup plus grand que celui qu'on crée par la catégorie de biens familiaux. Cependant, si cette solution était proposée pour se rapprocher du régime ontarien, notre crainte, c'est qu'on ne pourrait pas permettre aux époux de s'en retirer. À ce moment-là, étant donné, quand même, la très grande tradition qui existe encore aujourd'hui de passer chez le notaire continuerait à être suivie, un très grande nombre de personnes se soustrairaient à l'application de ce régime et probablement beaucoup plus de gens se retrouveraient dans une situation encore inéquitable. Bien que ce soit attirant sur le plan du principe, on pense que, dans la pratique, étant donné, quand même, cette tradition sociojuridique au Québec, on risque de ne pas créer les effets voulus.

Pour ce qui est de la voie mitoyenne, la reconnaissance d'un patrimoine familial, c'est

donc la voie que nous avons choisi d'appuyer à la Fédération des femmes du Québec. C'est, d'ailleurs, depuis un petit bout de temps déjà que nous avons fait notre réflexion sur cette question, dans la mesure où nous avions déjà approuvé Projet-Partage, en 1986, je pense. Chez nous, cela a été voté en assemblée générale d'appuyer la création d'une catégorie de biens familiaux.

Les motifs invoqués en faveur de la voie mitoyenne nous apparaissent à la fois justes et pertinents. Il est très exact d'affirmer que l'introduction d'un patrimoine familial atténuerait les effets néfastes que peut, dans certains cas, entraîner le régime de la séparation de biens ou, dans certaines circonstances, comme le dit le document lui-même, le régime de la société d'acquêts.

Nous aimerions maintenant suivre l'ordre de présentation du document de consultation. C'est ce que nous avons fait dans notre mémoire, de toute façon.

En ce qui concerne la composition de ce patrimoine familial, nous souhaitons que la ou les résidences secondaires en fassent partie non pas "à défaut", mais de plein droit. Selon nous, cela se justifie d'autant plus qu'un nombre croissant de couples vivant en milieu urbain choisissent d'investir davantage dans la résidence secondaire que dans la résidence de ville. C'est un phénomène qui est de plus en plus fréquent. Les gens achètent un petit condo en ville et ont une maison, qui est, quand même, considérée comme une résidence secondaire, mais qui est beaucoup plus importante en valeur que la résidence de ville.

De même, nous croyons que les gains accumulés dans les régimes privés de pension devraient faire partie de la masse des biens sujets à partage. Nous regrettons infiniment que la position gouvernementale n'inclue pas ces biens sous prétexte qu'ils "ne sont pas utilisés dans le cours de la vie familiale". À notre avis, cet argument ne tient pas. C'est toute la famille qui a été privée de cet argent pendant le cours de la vie familiale et c'est pour la vie familiale au moment de la retraite que ces gains ont été accumulés. Notre argument est que des associés qui se protègent contre les mauvais jours partagent ce qu'ils ont accumulé même s'ils choisissent de dissoudre leur société avant d'avoir eu à profiter de la protection qu'ils se sont donnée. Alors, pourquoi en serait-il autrement pour des époux qui forment une société, dans une société où on se donne comme objectif de corriger les inéquités qu'entraîne le déséquilibre des patrimoines?

Dans la mesure où, sans adopter un régime semblable aux régimes qui prévalent dans les autres provinces, nous voulons atteindre des résultats semblables, il nous faut ajouter les fonds de pension dans le patrimoine familial. Pour les couples qui ne possèdent pas de résidence familiale, les gains de pension constituent souvent, de toute façon, l'épargne la plus importante.

Nous n'avons pas l'intention ici - nous ne sommes pas des spécialistes en cette matière - de discuter de la façon dont le calcul des gains devrait se faire. Avant de réfléchir plus avant sur ce qu'on pourrait appeler l'aspect opérationnel de ce partage, il faudrait commencer par en accepter le principe. Ce serait extrêmement important. Ce dont il faudrait peut-être convenir de toute urgence, c'est de l'inclusion de ce bien dans les biens familiaux soumis au partage au moment de la dissolution du mariage. D'ailleurs, il nous apparaît, de toute façon, que ce n'est pas tellement le "comment" qui semble préoccuper le gouvernement, dans la mesure où il est déjà prévu que les droits de retraite pourraient servir au paiement de la prestation compensatoire. Donc, on accepte déjà que les gains soient partagés dans ces circonstances. Si cela est possible, on ne voit pas pourquoi on ne pourrait pas aussi le faire dans les autres circonstances.

On aimerait aussi souligner que nous avons été très heureuses de constater qu'il n'y avait pas que les groupes de femmes qui étaient favorables à l'inclusion des fonds de pension privés dans le régime des biens à partager, mais qu'il y avait aussi bel et bien le Barreau qui a une très bonne argumentation sur cette question.

Pour ce qui est de la possibilité de renoncer à ce partage, autant nous affirmions que, si la société d'acquêts devenait un régime impératif, il faudrait peut-être permettre aux conjoints de modifier dès le mariage la qualification de certains biens, autant nous endossons ici l'idée même qu'on ne puisse renoncer d'avance au droit de partage du patrimoine familial. La catégorie de biens protégés étant plus restreinte qu'en société d'acquêts, il est acceptable et sage à la fois de lui accorder, croyons-nous, une meilleure protection.

Quant à la mesure transitoire permettant aux époux déjà mariés de renoncer au partage dans les trois ans qui suivront l'entrée en vigueur, nous disons dans notre mémoire que nous aurions tendance à l'éliminer. On a, quand même, eu le temps de réfléchir depuis le dépôt de notre mémoire et la tendance est confirmée. Notre proposition serait d'éliminer cette période transitoire parce que, généralement, on accorde ce type de période non pas quand on octroie des droits supplémentaires, mais quand on retire des droits. Comme il s'agit ici de donner davantage, on ne voit pas pourquoi on protégerait la liberté contractuelle de personnes qui risquent de l'utiliser pour faire un certain chantage et qui sont de toute façon, les personnes les plus récalcitrantes au partage.

L'autre point: nous avons accepté le principe établi dans le paragraphe qui traite de la renonciation au moment du décès, mais Me Bohémier aurait probablement des commentaires à

faire sur cette question-là. Nous y avons aussi réfléchi davantage. À la suite de ma présentation, Me Bohémier pourrait intervenir sur cette question.

Pour ce qui est du calcul du patrimoine sur la valeur nette, nous sommes, évidemment, d'accord avec cette proposition dans le document d'orientation, mais nous nous demandons si, dans le cas de la résidence familiale, la valeur nette sera calculée à partir de la valeur marchande ou de la valeur au rôle d'évaluation. Il n'y a pas de précisions apportées dans le document sur cette question-là et cela fait une différence considérable dans certains cas.

Nous avons aussi accepté le principe qui est établi dans le paragraphe qui traite du calcul des dettes qui grèvent les biens familiaux. Nous aurions aussi probablement des commentaires à ajouter. On a vu le mémoire du Barreau depuis que nous avons rédigé le nôtre. Nous avons vu que le Barreau ajoutait la déduction des charges fiscales et des autres dettes qui peuvent aussi affecter les biens familiaux. Nous serions d'accord avec cette proposition du Barreau.

L'autre paragraphe, si je me souviens bien, traite de la possibilité d'un versement compensatoire quand un bien a été aliéné sans avoir été remplacé. Dans notre mémoire, nous nous demandons, plutôt que d'apporter des solutions, à quel moment pendant le mariage l'aliénation pouvait avoir été faite. Encore une fois, le Barreau apporte un certain nombre de précisions sur cette question. Il suggère que les biens qui ont été vendus dans une période de trois ans précédant la dissolution du mariage soient considérés comme des biens pour lesquels il faudrait apporter une compensation. Nous aurions tendance à aller dans cette direction, c'est-à-dire qu'on prévoie au moins un moment à partir duquel on puisse vraiment parler de dilapidation qui nuit au patrimoine familial. Par contre, la solution du Barreau, à savoir qu'on fasse la preuve de l'intention lorsque les biens ont été vendus depuis plus de trois ans, c'est intéressant jusqu'à un certain point, mais on sait aussi que c'est une preuve qui est extrêmement difficile à faire.

Pour ce qui est de l'exécution du partage en argent, par dation en paiement ou par l'attribution de droits, nous reconnaissons l'intérêt d'un principe qui fournit une certaine souplesse dans l'acquittement des sommes dues au moment du partage. On se demande, par contre, comment cela pourra s'"opérationaliser" pour les personnes qui auront un droit d'habitation de la résidence familiale et qui n'auront pas un capital pour acquitter la part à l'autre conjoint. On se demandait si c'était possible que le juge étale la dette sur quelques années de sorte que le paiement équivaille à un loyer raisonnable. Ce serait à discuter, mais on trouve qu'il y a peut-être une certaine faiblesse dans le document sur la façon dont ces choses peuvent se vivre dans la réalité.

Pour ce qui est de la résidence acquise avant le mariage, la règle qui veut qu'on ne calcule que la valeur qui s'ajoute après le mariage est une règle d'équité à laquelle nous souscrivons entièrement. Nous irions même jusqu'à proposer d'y ajouter les meubles meublants lorsque ce sont des meubles qui, eux aussi, ont pris une valeur après le mariage.

Pour ce qui est de la dérogation au partage égal lorsque ce partage est susceptible de créer des injustices, la question qu'on se pose, c'est: Quelle est la discrétion qui sera accordée au tribunal? Nous aurions donc tendance à favoriser une énumération plus précise des circonstances dont le juge devra tenir compte, incluant l'origine du bien. (17 h 30)

Pour ce qui est de la protection de la résidence familiale et des meubles, le point 11 de la proposition gouvernementale introduit en fait, toute la discussion qui suit dans le document. Nous avons endossé le principe de la protection de la résidence pour viser toutes les formes d'aliénation des droits. Je pense que c'était essentiel.

Maintenant, sur la protection des lieux loués et de la résidence achetée, notre position n'est pas tout à fait claire. Je pense qu'il faut l'admettre. C'est intéressant, évidemment, d'amener cette protection, mais nous nous sommes dit qu'une déclaration automatique pour ce qui est des lieux loués n'était pas nécessairement facile quand on pense à toutes les circonstances. Par exemple, si un logement, est loué par une personne qui est célibataire, c'est un peu gênant qu'il y ait une présomption de résidence familiale dans un cas comme cela. Je pense même que ce pourrait être attaquable, le fait qu'on classe la personne célibataire dans une catégorie sociale dans laquelle elle ne veut pas se retrouver. Mais le logement, en cours d'occupation, peut changer de vocation et devenir bel et bien une résidence familiale. Nous nous sommes demandé s'il n'y avait pas lieu de prévoir, au moment de l'annulation du bail - un peu comme la Commission des services juridiques qui ce matin proposait l'abolition de l'enregistrement de la résidence familiale pour faire en sorte qu'au moment de la vente on affirme que la résidence n'est pas une résidence familiale - le même principe pour ce qui est d'un bail. Mais nous serions ouvertes à discuter de ce point, c'est évident.

Pour ce qui est du moment minimal de la créance qui permet de saisir la maison, nous pensions que cette créance pourrait être encore plus élevée et qu'au lieu d'augmentations périodiques de ce montant nous souhaiterions qu'une formule d'indexation automatique soit adoptée. Et sans avoir de position à notre fédération sur le montant sur lequel nous nous arrêterions, nous serions peut-être favorables au montant proposé par la Fédération des associations de familles mono-parentales, soit 25 000 $ je pense.

Pour ce qui est de la vente forcée, notre proposition, à nous, c'est qu'elle ne devrait pas

avoir lieu à un prix inférieur à 100 % de l'évaluation portée au rôle de la municipalité. En effet, même si le principe de l'évaluation foncière est un principe d'évaluation à la valeur marchande, on sait très bien que, dans plusieurs municipalités, ce n'est pas le cas. Plusieurs maisons sont évaluées bien en deçà de cette valeur marchande et plusieurs couples seraient pénalisés. Je suis très consciente que nous sommes très loin de la Chambre des notaires et du mouvement Desjardins sur cette question, mais nous avons aussi un autre type de préoccupation dans ce dossier-là.

Le Président (M. Doyon): Mme Busque, je vous signale que votre temps est écoulé; si vous voulez bien conclure.

Mme Busque: Alors, j'espère, au moment de la période des questions, pouvoir aborder la question de la prestation compensatoire, ainsi que celle de la société d'acquêts, de la communauté de biens et de la survie de l'obligation alimentaire, sur laquelle nous n'avons pas eu...

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Busque. Alors, Mme la ministre, vous avez la parole.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Busque. Comme vous l'avez mentionné, plusieurs autres groupes qui sont venus se faire entendre ont des préoccupations semblables aux vôtres et sont intervenus un peu dans le même sens que vous, entre autres, tous les groupes de femmes, y compris le Barreau et la Commission des services juridiques. Puisque vous vouliez parler de la prestation compensatoire, je vais vous permettre d'en parler. Cette prestation compensatoire, la voyez-vous, vous, uniquement pour la collaboratrice ou si elle devrait servir lorsqu'il n'y a pas ou très peu de biens à partager, ou si elle devrait servir dans tous les cas, travailleuse au foyer, collaboratrice, insuffisance de biens?

Mme Busque: Nous aurions voulu que la prestation compensatoire qui est accordée présentement quand la contribution excède la charge normale puisse continuer à être appliquée. Dans le document, de toute façon, il semble assez certain qu'on ne pense qu'à la femme collaboratrice dans une entreprise, et notre questionnement est: Qu'est-ce qu'on fait de celle qui est collaboratrice pas dans une entreprise au sens commercial du terme, mais qui est la collaboratrice d'un professionnel, d'une personne de profession libérale et qui n'est pas incorporée, la collaboratrice d'un médecin, d'un avocat, d'un notaire? Elles existent aussi, ces femmes-là. Donc, le concept d'entreprise n'est pas défini. D'ailleurs, on n'était pas d'accord, non plus, avec les 30 %. Si on établit une présomption, on voulait qu'on l'établisse à 50 %, parce que c'est une présomption de "partnership" et c'est à partir de cela qu'on peut ensuite la défaire. Mais, si on parle de 30 %, notre crainte est que, de toute façon, les femmes se ramassent encore avec 25 %, 20 % ou 15 %. Alors, on voudrait qu'on parte du principe que la collaboration est équivalente à celle du conjoint.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Busque. Lorsque j'ai pris connaissance de votre mémoire, je me suis rendu compte que vous n'aviez pas pris position sur la survie de l'obligation alimentaire, à ce moment-là. J'imagine que vous avez maintenant des choses intéressantes à nous faire connaître sur votre position. Est-ce que vous avez une position arrêtée sur la survie de l'obligation alimentaire?

Mme Busque: On n'a pas de position en tant que fédération là-dessus et, d'ailleurs, j'ai fait le commentaire, au début du mémoire, que, pour nous, c'était peut-être un piège. On a compris la logique de votre intervention: que vous ameniez toute la question des droits économiques non seulement au moment du divorce ou de la séparation, mais au moment du décès. Mais, quand nous avions appuyé le partage des biens familiaux, nous le voulions, ce partage, au moment du divorce, de la séparation et du décès. Pour nous, cela avait été comme la solution qui remplaçait la réserve héréditaire. On disait: Voilà, on va partager, au moins, cela.

Maintenant, je laisserais peut-être Hélène Bohémier ou Jeannine Kean intervenir sur cette question, puisqu'elles ont plus d'informations que moi, je pense, à transmettre.

Le Président (M. Doyon): Mme Kean.

Mme Kean (Jeannine): Oui. J'aurais une remarque à faire. Depuis ce matin, j'entends parler de notions civilistes; on pense que le patrimoine est une nouvelle notion dans le droit civil. Je ne sais pas si on parle de patrimoine familial. À ce titre, c'est vrai que c'est une nouvelle notion, si on parle de patrimoine familial. Mais, quant à la notion de patrimoine, il n'y a rien là: elle existe depuis longtemps dans le droit civil; c'est là et c'est là pour demeurer. On la retrouve dans différents chapitres de notre droit civil. Alors, ce n'est pas nouveau. Je rejoins Suzanne Pilon, de la Commission des services juridiques, qui disait, ce matin, qu'on a une crainte de copier la "common law". Je pense qu'effectivement c'est plutôt la "common Law" qui imite ou, enfin, prend certains éléments de notre droit civil en tentant de légiférer de plus en plus et que ce n'est pas du tout l'inverse qui se passe. Alors, je pense que les craintes de la commission, en tout cas du gouvernement, à cet égard devraient être dissipées et qu'il n'y a pas vraiment de raison de craindre.

Concernant les régimes de pension, j'aimerais apporter, en raison de la pratique que je

fais depuis treize ans, la remarque suivante. Effectivement, le régime de pension privé, est un élément essentiel au partage des biens familiaux, parce que, dans la clientèle qu'on peut trouver à l'aide juridique où j'ai pratiqué pendant six ans et maintenant en pratique privée, où l'on touche une autre couche sociale, il reste, quand même, que, pour la majorité des couples, la résidence familiale et le régime de pension sont à peu près les seuls biens qu'ils ont. Malgré qu'on veuille prévoir d'autres biens familiaux, il reste que, dans la pratique, il n'y en a pas tellement. Si on touche les gens de l'aide juridique, on a, par exemple, un salarié au CN ou ailleurs qui n'a pas de maison ni aucun autre bien dont on a fait mention dans les biens familiaux. Par conséquent, le seul bien familial qui pourrait assurer une certaine sécurité de la vieillesse, à tout le moins, à l'épouse, c'est effectivement le régime de pension privé. Alors, il est très important, pour la majorité de la population du Québec, que le régime de pension privé soit inclus, en plus, évidemment, des autres considérations que les différents mouvements ont apportées.

Quant au calcul de la valeur nette du patrimoine, je m'en remets à la position du Barreau. Je parle pour moi. Je pense que la fédération a peut-être une notion différente. Mais il est également important de prévoir le délai, c'est-à-dire à partir de quel moment ce calcul des biens va se faire, si c'est à la date du jugement, si c'est à la cessation de vie commune ou à la date de la demande de procédures. Je favorise la cessation de vie commune évidemment ou la prise de procédures plutôt que la date du jugement, car il peut se trouver, justement, des dilapidations, des aliénations, etc., entre le début et la fin des procédures. En ce qui concerne l'aliénation et la dilapidation des biens, la fédération n'a pas eu le temps d'arriver à une position claire, mais je pense qu'on peut suivre l'idée que le Barreau a soumise.

La prestation compensatoire est un point très important. Il ne faudrait surtout pas rayer la possibilité d'obtenir une prestation compensatoire même si on n'est pas un conjoint collaborateur dans le sens de l'entreprise. Pour la femme collaboratrice dans le sens de l'entreprise, qu'on fasse un ajout, comme la Commission des services juridiques l'a soumis ce matin. Que l'article 559 ne change pas, mais qu'on ajoute 559. 1,. 2,. 3, etc., pour ajouter quelque chose de particulier quant à la femme collaboratrice, pour laisser l'ouverture aux cas que Mme Ginette Busque a mentionnés tantôt où on retrouve toutes sortes de prestations possibles qui dépassent la question des biens familiaux. Ils pourraient avoir droit à une participation dans les biens non familiaux, mais on est obligé d'en laisser la discrétion au tribunal.

Je rejoins la suggestion de Mme Busque, à savoir qu'il faudrait peut-être... Je pense que les tribunaux ou même la Cour d'appel l'ont mentionné au législateur et c'est à partir de là que cette commission a été mise sur pied. Le juge Nichols avait mentionné que c'était du ressort du législateur et non pas de la cour de le déterminer. Avec la loi telle qu'elle était faite, le tribunal ne pouvait plus fonctionner aussi facilement. Il faudrait peut-être guider le tribunal dans l'appréciation d'une prestation compensatoire pour amener des jugements beaucoup plus équitables que ceux qui sont rendus actuellement.

En dernier lieu, quant à la position des notaires, je fus moi-même, à tout le moins, surprise aussi du mémoire des notaires pour bien des raisons. Ce qui est très différent - on en pariait avec Me Bohémier tantôt - c'est qu'on voit nos clients à des moments très différents, dans les deux professions, j'entends, celle de notaire et celle d'avocat. Les notaires voient le couple quand il arrive dans leur bureau et qu'il projette un mariage. L'amour l'emporte sur le reste en tout cas, les sentiments. Le mariage, c'est tellement plein de choses. Il reste que nous, nous les voyons au moment de la rupture. C'est à ce moment-là que les gens prennent conscience de ce qu'ils ont signé. Ils s'aperçoivent que ce qu'ils ont signé, ce n'était pas ce qu'ils pensaient, peut-être parce que la société d'acquêts est un régime assez compliqué ou complexe à vulgariser auprès des gens en général. En face de la complexité, on choisit alors le moyen facile, la séparation de biens et ce n'est peut-être pas équitable. On doit penser que 50 % des gens sont mariés sous le régime de la séparation de biens - je crois à ce chiffre qui a été avancé - et il y a vraiment lieu de faire quelque chose pour régler cette inéquité.

Mme Gagnon-Tremblay: Vous réfutez l'affirmation que ce serait une infime minorité de gens mariés sous le régime de la séparation de biens qui auraient des problèmes?

Mme Kean: Absolument. Dans ma pratique, en général, je touche tous les âges. D'ailleurs Me Corriveau, qui est notaire et qui les a représentés, a fait cette remarque: Les gens sont en séparation de biens et vont de plus en plus vers la copropriété de la résidence familiale. C'est, justement, après avoir signé le contrat, un an, deux ans, trois ans après, quand les remous commencent dans le mariage, que la conjointe s'aperçoit qu'elle n'aura rien. Elle commence la négociation pour réussir à avoir au moins la moitié de la maison à son nom de sorte que, prestation ou pas, il est beaucoup plus difficile pour le conjoint de venir lui enlever cette copropriété de la résidence familiale qu'elle a sur un acte notarié. Chacun essaie de pallier à sa façon au régime de séparation de biens qu'il a signé au départ de son mariage, ce que la suggestion du gouvernement quant au partage des biens familiaux viendrait aplanir.

Mme Gagnon-Tremblay: Est-ce que, pour

vous, le partage d'un patrimoine familial aurait pour effet de désinciter au mariage? (17 h 45)

Mme Kean: II est bien difficile de savoir quelle serait la conséquence de cette politique. Mais je ne crois pas que la décision de se marier réside vraiment dans le fait qu'on doive partager ou pas certains biens. Je ne pense pas que ce soit là le seul élément, en tout cas. Je m'en remets à ce que la Commission des services juridiques a soulevé; dans un sondage Gallup qui a été fait en 1986, je pense, on dit que 75 % des gens mariés considèrent normal que l'on partage. Alors, ce sont d'autres raisons qui motivent les gens à se marier, ce n'est pas le partage.

Mme Gagnon-Tremblay: Ma dernière question concerne la survie de l'obligation alimentaire. Dans le document de consultation, on dit que, pour les six premiers mois après le décès d'un conjoint, il y aurait survie de la pension alimentaire pour l'ex-conjoint. Êtes-vous d'accord avec ce délai?

Mme Kean: J'avais cru comprendre qu'on disait que, dans l'année du décès, une demande pourrait être faite.

Mme Gagnon-Tremblay: Pour les personnes qui pourraient avoir droit à certains aliments, mais j'entends pour l'ex-conjointe qui aurait déjà, en vertu d'un jugement, une pension alimentaire payable au moment du décès du conjoint.

Mme Kean: Mon opinion personnelle là-dessus: je suis un peu réticente à prévoir une obligation alimentaire après le décès, tout autant que j'étais réticente à la réserve héréditaire dont il avait été question.

Mme Gagnon-Tremblay: Même pour six mois, pour permettre à cette personne de...

Mme Kean: Pour six mois, ce n'est pas très dommageable effectivement, cela ne crée pas vraiment de problème.

Mme Gagnon-Tremblay: Oui.

Mme Kean: C'est peut-être contradictoire, ce qui va suivre, mais en même temps je me dis que six mois, ce n'est peut-être pas la solution, non plus. De là à laisser la discrétion au tribunal, je ne suis pas encore vraiment décidée, non plus. Disons que le délai pour la demander devrait être réduit à six mois. Je pense que ce serait suffisant. Pour le temps pendant lequel on allouerait la pension alimentaire, il m'est plutôt difficile... Par contre, je souscrirais à la position de la Commission des services juridiques que ce soit une somme forfaitaire qui réglerait beaucoup plus les problèmes des successions.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, madame. Oui, Mme Bohémier?

Mme Bohémier (Hélène): Si vous me le permettez, Mme la ministre, d'ajouter quelques mots à ce sujet-là. Il faut tenir compte, pour la durée de la pension alimentaire qui serait possiblement versée, que les gens budgétisent en général sur un an. Alors, une personne qui reçoit une pension alimentaire d'un montant X va signer un bail, entre autres, qui porte un loyer d'un certain montant. Ce ne serait pas déraisonnable de penser que cette pension, si elle était accordée, puisse être plutôt d'une durée de douze mois. Il faut être très réaliste par rapport à cela. Le projet prévoit qu'une pension alimentaire puisse être payée à un ex-conjoint qui reçoit déjà une pension alimentaire. Je ne pense pas que ce soit choquant en soi qu'on lui donne un an pour se retourner.

La deuxième catégorie d'ex-conjoints serait ceux ou celles qui n'auraient pas pu exercer en temps opportun le recours alimentaire. On sait très bien qu'il est de plus en plus difficile présentement, sinon impossible, d'avoir une pension alimentaire après un jugement de divorce, sauf dans des cas très exceptionnels. Alors, les tribunaux reprendraient les mêmes critères d'exception quand il s'agirait de rouvrir un droit à une pension alimentaire.

Est-ce que je peux profiter du micro pour seulement souligner que j'abonde tout à fait dans le sens de la Fédération des femmes du Québec sur la qualité du document présenté par Mme la ministre, par M. Marx et maintenant par M. Rémillard? Il y a des petits irritants dont j'aimerais faire part. Je sais qu'on a un peu débordé le temps de l'allocution. Est-ce que vous me le permettez, brièvement?

Le Président (M. Doyon): Allez-y, on vous écoute.

Mme Gagnon-Tremblay: Je devais passer la parole à ma collègue, la députée de Maisonneuve, M. le Président.

Le Président (M. Doyon): Mais vous pouvez prendre le temps...

Mme Bohémier: Est-ce que Mme Harel me le permet?

Mme Harel: Oui.

Mme Bohémier: Je vais essayer d'être très brève. Je ne me souviens plus à quelle page de votre document on dit, à l'égard du partage du patrimoine familial, même si on le met dans le régime primaire, que dans le cas où le conjoint décéderait, on devrait choisir entre la succession et/ou le testament et les biens que l'on reçoit du partage. Je dois dire que juridiquement, logiquement, il y a quelque chose qui m'irrite là-dedans,

dans le sens que, si on a décidé de faire un élargissement du régime primaire, je ne pense pas que les futurs conjoints qui pourraient en bénéficier aient à y renoncer au moment du décès. Cela me chicote un peu et je fais l'analogie avec la prestation compensatoire. On ne demande pas aux conjoints qui reçoivent une prestation compensatoire d'y renoncer, parce que d'un autre côté ils reçoivent un certain montant d'une succession. Je me dis: Si le conjoint trouve cela injuste de recevoir la moitié du patrimoine familial et de recevoir possiblement une autre partie de la succession, il pourra toujours faire un testament laissant ses biens à d'autres personnes lorsqu'il décédera.

Une deuxième chose aussi, mais c'est plutôt une interrogation. On parle beaucoup de la Loi sur l'aide sociale présentement. Je me demande s'il ne serait pas prudent de prévoir pour les femmes en général, pas nécessairement pour celles qui reçoivent de l'aide sociale, que, lorsqu'il y aurait le paiement par un bien équivalent... J'ai un malaise avec ça. Les femmes prestataires d'aide sociale, si elles reçoivent une résidence familiale, on sait qu'elles peuvent posséder une résidence d'une valeur de 45 000 $ sans être pénalisées au niveau de leurs prestations d'aide sociale. Si elles reçoivent, par contre, une somme de 45 000 $ en argent comptant, elles devront vivre sur cet argent-là et, ensuite, redemander des prestations d'aide sociale. Je me demande dans quelle mesure elles ne seraient pas défavorisées par rapport au principe général où on voudrait permettre aux femmes d'avoir dans le partage du patrimoine une possibilité d'obtenir la maison. Ce sera aussi à négocier pour voir qui restera propriétaire si les conjoints ne peuvent pas s'entendre, mais il y aurait peut-être quelque chose à explorer de ce côté-là.

La question de la communauté de biens. Les femmes qui sont sous la communauté de biens ont vécu pendant de nombreuses années, pour la plupart d'entre elles, avec une connaissance qu'une catégorie de leurs biens s'appelait des biens réservés et qu'à la fin du mariage elles auraient le choix entre partir avec leurs biens réservés et renoncer à la communauté ou tout remettre ensemble et donc mettre en commun leurs biens réservés avec le passif et l'actif de la communauté. Changer les règles en cours de route, je trouve cela un peu injuste pour ces femmes.

Une question souvent posée aux groupes que j'ai pu écouter aujourd'hui par rapport à la société d'acquêts, c'était. Est-ce que ce serait préférable d'avoir une société d'acquêts obligatoire pour tout le monde? Je pense que la société d'acquêts est effectivement un excellent régime sur papier. Pour avoir travaillé avec une clientèle de femmes pas très riches, j'ai pu constater combien - et je n'ai pas de statistiques, c'est vraiment mon intuition personnelle -les régimes matrimoniaux n'étaient pas bien expliqués aux gens ainsi que les règlements en matière de divorce et de séparation, combien souvent les femmes en particulier renonçaient au partage de la société d'acquêts ou ne savaient même pas ce qui était arrivé avec leur société d'acquêts. C'est assez étonnant. Quand on demandait aux gens: Vous avez divorcé, comment votre régime s'est-il réglé? Je ne le sais pas. Il faut aller chercher la copie du divorce pour constater qu'effectivement elle a renoncé au partage des acquêts. Il y a un problème d'application de la société d'acquêts. Cela me fait pencher personnellement vers la voie mitoyenne qui serait le partage automatique du patrimoine familial.

La dernière remarque que j'avais à faire: quand on lit tout ce qui est dans le document concernant le partage du patrimoine familial, il me semble y avoir un grand absent, c'est la séparation de corps. Il y a de moins en moins de séparation de corps, mais il y en a encore beaucoup. Qu'est-ce qu'on va faire du patrimoine familial quand il y aura une séparation de corps qui sera prononcée? Parce qu'on parle plus de la fin du mariage et la dissolution du mariage, ce n'est donc pas la séparation de corps. C'est tout.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Bohémier. Maintenant, je cède la parole à Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: Merci, M. le Président. Me Bohémier, je devrais dire Me Kean et je dirais Me Busque, tellement la présidente du Conseil du statut de la femme maîtrise bien... Excusez, du Conseil du statut. Vous voyez? Mais oui, mais oui, je sais que vous êtes présidente de la Fédération des femmes, mais quel lapsus significatif! Vous voyez, ce sera peut-être pour plus tard. Comme présidente de la Fédération des femmes du Québec, vous maîtrisez parfaitement bien ces dossiers qui sont complexes.

C'est un des premiers mémoires que j'ai lus, celui de la fédération, je dirais même avant celui du conseil, d'ailleurs. Je voulais un peu connaître le point de vue des femmes du Québec et je sais que la fédération a réussi à être représentative d'un très large courant d'opinions de femmes de divers milieux. Il y a un certain nombre d'associations qui très légitimement représentent, par exemple, des femmes chefs de famille monoparentale ou des femmes collaboratrices, c'est excellent, mais la fédération a réussi d'une certaine façon à orchestrer une sorte de courant... Vous vous dites féministes; je pense qu'il faut appeler les choses par leur nom.

C'était donc intéressant de prendre connaissance de votre mémoire. D'ailleurs, on pouvait y lire, et c'était vraiment très intéressant, cette référence à Me Mayrand sur l'équité. Pour le bénéfice, d'ailleurs, de mes collègues à la commission qui n'auraient peut-être pas tous eu l'occasion de lire le mémoire, je voudrais leur faire lecture de cette référence parce qu'il faut

s'inquiéter lorsqu'on propose de juger en équité. La prestation compensatoire a les avantages qu'on lui connaît, mais des inconvénients aussi. Je lis donc, la remarque de Me Mayrand: "Les anciens plaideurs priaient Dieu de les garder de l'équité des Parlements, lui préférant la sécurité des lois. Saint Louis, il est vrai, rendait justice selon l'équité sous son chêne de Vincennes, mais il avait l'avantage d'être un saint, d'être un roi et d'être le seul à pouvoir juger en équité. " Lequel de nos juges peut prétendre à cela?

C'est sans doute une constatation qui nous permet de voir et même, je dirais, d'illustrer les recommandations que nous faisait Me Senécal qui composait la délégation du Barreau et qui nous disait, par exemple, en matière de prestation compensatoire, de dissocier, finalement, la question des biens familiaux. C'est-à-dire que les biens familiaux ne devraient pas être restreints. Les biens familiaux devraient être assez larges et précis, de manière à ne pas avoir besoin d'aller judiciariser le processus avec la discrétion judiciaire qui en est la conséquence et avec des jugements en équité qui, jusqu'à maintenant, n'ont pas démontré qu'ils avaient un préjugé favorable à l'égard des conjoints économiquement faibles. N'en déplaise au juge Nichols, ce n'est pas simplement la déficience des lois des Parlements; c'est aussi l'interprétation restrictive que les juges ont donnée à des lois qui avaient peut-être des meilleures intentions que des bons libellés. C'est intéressant.

Par ailleurs, j'aimerais bien avec vous examiner la question du droit d'habitation et de la résidence familiale. J'allais dire, encore une fois, Me Busque. Mme Busque, vous nous avez dit que vous trouviez intéressante la recommandation de la Commission des services juridiques que ce soit au moment de l'aliénation qu'il y ait la déclaration de résidence. La difficulté qui peut se présenter, qui nous a été soulignée au cours des travaux de la commission, c'est qu'il y aurait, finalement, un avantage à ce qu'il y ait la déclaration au moment de l'aliénation uniquement pour obtenir un recours en dommages. Le tiers étant protégé par la déclaration au moment de la vente de la résidence par un des conjoints - le tiers est protégé parce qu'il y a une déclaration qui est faite disant que cela n'en est pas - le recours en dommages est plus facile pour l'ex-conjoint qui a la garde des enfants. Mais on nous a souvent illustré que c'était vraiment illusoire parce que c'était en tant que tel le maintien dans les lieux qui était souhaitable plus que la facilité d'avoir un recours en dommages. Ce qu'on nous a souligné, c'est que la stabilité, la continuité en ce qui concerne l'école, les amis et les voisins pour les enfants à qui on évite le plus possible des bouleversements, devrait nous amener non. pas à choisir la déclaration de résidence au moment où le bien est vendu, mais une clause obligatoire au contrat d'acquisition au moment de l'acquisition pour que le tiers ne puisse pas prétendre ne pas en connaître, finalement, l'existence indépendamment de ce que pourrait déclarer un conjoint qui voudrait la vendre. Qu'est-ce que vous en pensez? (18 heures)

Mme Busque: Au moment de l'acquisition, cela pose encore le problème de la vocation qui change en cours d'utilisation. Ce n'est pas évident qu'au moment de l'acquisition, c'est une résidence familiale. Une personne célibataire peut acheter une maison, comme elle peut aussi louer un logement; c'est la même problématique. Donc, ce serait très artificiel d'avoir une déclaration, à ce moment-là; elle serait fausse, de toute façon. La maison en question ne servirait pas de résidence familiale. Donc, qu'est-ce qu'on fait quand elle devient résidence familiale en cours de route? La question reste entière.

Mme Harel: Est-ce que vous pourriez vous rallier à une clause au contrat d'acquisition, qui vaudrait pour les propriétés acquises durant le mariage et qui supposerait que, en cours de mariage, à défaut d'une clause au moment de l'acquisition, il y ait une déclaration obligatoire au moment de l'aliénation?

Mme Busque: Écoutez, est-ce qu'il n'y aurait pas moyen d'avoir, justement, un mécanisme pour que toute maison unifamiliale ou maison de cinq logements ou moins soit présumée être une résidence familiale? Donc, dans un système où on pense que toute résidence unifamiliale risque d'être une résidence familiale, l'acheteur aussi doit chercher à se protéger. Je demanderais à Mme Kean ou à Mme Bohémier quel type de solution elles privilégieraient, mais, pour moi, ce n'est pas définitif.

Mme Kean: C'est un fait que, comme le dit Mme Busque, on ne règle pas le problème au moment de l'aliénation ou de l'acquisition. C'est vrai qu'une maison peut changer de vocation en cours de route, être le bien d'un conjoint seulement qui se marie. On a dit que, évidemment, tout serait basé sur la différence d'évaluation de la maison au moment du mariage et au moment de la rupture si le bien était déjà à un conjoint précédemment. Donc, un changement de vocation peut exister. C'est assez difficile d'essayer de trouver une solution à ce problème. Comme vous le disiez, si, effectivement, lors de l'acquisition il s'agit d'une résidence familiale, cela peut se faire dans le contrat d'acquisition et, certainement, compte tenu du problème que Mme Busque soulève, au moment de l'aliénation. Le tiers pourrait acheter cette maison où il n'y a pas de déclaration de résidence familiale faite au moment de l'acquisition - nécessairement, les tiers ont été habitués, depuis que la résidence familiale existe, à s'inquiéter quand ils achètent un immeuble - et s'assurer qu'effectivement l'immeuble ne sert pas de résidence familiale. En pratique, surtout si on pense à des résidences

unifamiliales ou à des immeubles de moins de cinq logements, les tiers sont maintenant très au courant de faire attention à cela. Aussi, avec l'aide des notaires qui, évidemment, doivent donner des titres clairs, etc., ils vont nécessairement penser à ce problème. Mais, pour le logement, ce n'est toujours pas réglé. Cette solution ne règle pas le problème.

Mme Harel: Vous êtes les seules, je pense, à nous proposer une présomption de résidence familiale. À votre connaissance, est-ce qu'il y a d'autres études, d'autres groupes ou organismes qui auraient étudié la question?

Mme Kean: À ma connaissance, non. J'ai regardé là-dessus la mémoire de la Commission des services juridiques et j'en ai, d'ailleurs, parlé à Me Suzanne Pilon quant au logement. J'avais vu le logement, je n'avais pas vu, effectivement, le problème de déclaration de résidence automatique. Au niveau du logement, elle m'a avoué qu'elle n'avait pas pensé aux problèmes qui pourraient exister à la suite de cela. Évidemment, c'est malheureux, on a beau être juriste et on a beau se pencher sur des questions, il reste qu'on ne voit pas tous les problèmes que la pratique peut susciter. Finalement, je ne pense pas qu'il y ait des mémoires qui ont vu des problèmes dans la déclaration automatique de résidence familiale.

Mme Harel: Vous avez souligné également le droit d'habitation. C'est intéressant que, finalement, ce droit d'habitation, au maintien dans les lieux, soit distingué du droit au partage du patrimoine familial et soit aussi distingué de l'attribution de la prestation compensatoire. Alors, on voit qu'il y a là comme l'émergence d'un nouveau droit, qui est le droit d'habitation, qui élargit, finalement le droit d'habitation. Je poserais la question à Mme Busque: Compte tenu des expériences que vous avez en cette matière, est-ce que vous pensez - nous en discutons et je sais que vous êtes depuis le début de la journée avec nous en commission - qu'il y aurait lieu d'élargir ce droit d'habitation, qui n'est pas un droit de propriété évidemment, aux conjoints de fait parents qui ont la garde d'enfants? Donc, cela marquerait une sorte de gradation où les conjoints de fait parents, sans avoir droit au partage du patrimoine familial, pourraient, malgré tout, invoquer ce droit d'habitation quand il y a présence d'enfants pour maintenir les enfants dans les lieux? Jusqu'à maintenant, cela avait un sens alimentaire, le droit d'habitation, et on sait bien qu'entre conjoints de fait il n'y a pas droit aux aliments. Pensez-vous qu'il serait opportun d'élargir ce droit d'habitation?

Mme Busque: Sauf qu'il faudrait peut-être, justement, préciser la nature de ce droit-là, parce que, lorsqu'on l'accorde à un ex-conjoint marié, on l'accorde quand il y a des enfants, règle générale. Donc, est-ce qu'on l'accorde en vertu de droits qu'on reconnaîtrait implicitement aux enfants? Si tel est le cas, quand il s'agit de conjoints de fait, étant donné que les enfants, de toute façon, sont sur un pied d'égalité qu'ils naissent d'unions de fait ou de mariages, à ce moment-là les enfants ayant les mêmes droits, donc ce droit-là pourrait être concédé aux enfants. Je ne vois pas pourquoi on ne commencerait pas à voir cela comme étant un droit des enfants...

Mme Harel: Oui, je vois.

Mme Busque:... plutôt que de voir cela uniquement comme un droit du conjoint puisqu'on ne le donne pas en général au conjoint qui n'a pas d'enfant.

Mme Harel: C'était là, d'ailleurs, le point de vue du Secrétariat à la politique familiale, dans un document de travail sur l'impact familial des travaux du comité sur les droits économiques des conjoints, qui disait ceci quant à l'extension du régime de protection de la résidence familiale aux enfants issus de parents conjoints de fait: "II nous semble - je vous le cite au texte - qu'on doit tendre à l'uniformisation des droits et obligations de tous les conjoints parents à l'égard de leurs enfants et réciproquement. Par conséquent, le régime de protection de la résidence familiale devrait être étendu aux enfants issus de parents conjoints de fait?

Mme Busque: Je n'avais pas lu ce texte-là, mais cela me rejoint.

Mme Harel: Non, je pense qu'il a été rendu disponible tout récemment, si ce n'est aujourd'hui même. Mais vous pouvez en lire la référence dans l'éditorial du journal Le Devoir aujourd'hui.

Mme Busque: Ce serait peut-être une façon de consacrer des droits propres aux enfants et ce serait peut-être le temps qu'on le fasse dans notre société.

Mme Harel: En matière de prestation compensatoire, la proposition gouvernementale la restreint uniquement aux femmes collaboratrices. Vous insistez sur le fait qu'elle soit... Oui, je vois tout de suite que vous réagissez.

Mme Busque: On a eu des informations contradictoires là-dessus, je dois l'avouer. On a eu une demi-journée de formation sur cette consultation gouvernementale où j'ai posé cette question, parce qu'il m'apparaissait clair que la prestation compensatoire ne servait dorénavant qu'à couvrir le cas des conjoints collaborateurs. J'ai posé la question: Est-ce que la prestation compensatoire qui est accordée à d'autres types de collaboration, d'une part, que celle dans une

entreprise commerciale et à la collaboration qui provient du fait qu'on a une contribution qui excède la contribution aux charges normale est maintenue? On m'a dit oui. C'est la réponse qu'on a eue, à ce moment-là, des experts gouvernementaux et ce matin Mme Gagnon-Trembiay, répondant à la Commission des services juridiques, je pense, a semblé clarifier le fait que c'était le partage des biens familiaux qui venait, en fait, consacrer la participation normale aux charges du mariage et que la prestation compensatoire ne serait dorénavant utilisée que pour couvrir le cas du conjoint collaborateur.

Mme Gagnon-Tremblay: Et certains autres cas comme...

Mme Busque: Comme quand il n'y a pas de biens familiaux à partager?

Mme Gagnon-Tremblay:... les professions libérales. Vous faisiez mention tout à l'heure de personnes qui travaillent pour des conjoints de professions libérales comme secrétaires. Cela incluait également ça, mais pas uniquement la travailleuse au foyer.

Mme Busque: D'accord.

Mme Harel: Écoutez, Mme Busque, je comprends parfaitement qu'il y ait une certaine confusion parce qu'à la lecture du document qui fait l'objet de la consultation, aux pages qui traitent de la prestation compensatoire, nous retrouvons à la page 25 ceci: "En ce qui concerne la prestation compensatoire, un conjoint collaborateur pourrait faire valoir son droit à une prestation. " Et, dans le document, il est exclusivement mentionné que ce n'est que le conjoint collaborateur. Alors, j'imagine qu'il a pu y avoir évolution.

Mme Gagnon-Tremblay: Cela manque un peu de précision.

Mme Harel: Alors, cela manque de précision, vous avez raison. C'est évident que, pour nous de l'Opposition, la seule interprétation que l'on peut donner à ce texte à sa lecture, c'est que le conjoint collaborateur seul pouvait avoir un recours en matière de prestation compensatoire.

Dans la mesure où on l'élargit - je soulève une difficulté, je ne sais pas comment vous y réagissez - il est possible que, compte tenu de l'absence du régime privé de retraite dans la définition du patrimoine familial, on élargisse la prestation compensatoire aux travailleuses au foyer. Encore là, c'est une expression que j'aimerais bien vous entendre commenter. Travailleuse au foyer, est-ce que cela exclut les femmes qui sont aussi sur le marché du travail? Est-ce que le travail au foyer n'est pas cumulé aussi par les femmes sur le marché du travail? Comment entendez-vous l'expression "travailleuse au foyer"?

M. Busque: Bon, généralement, l'expression "travailleuse au foyer" est appliquée à des femmes qui consacrent la majeure partie de leur temps au foyer. Mais dans le dossier de la réforme des régimes de rente, effectivement ce que vous venez d'apporter comme argument a été soulevé à maintes reprises. Ce sont les travailleuses rémunérées à l'extérieur qui sont venues dire: Nous sommes aussi des travailleuses au foyer parce que c'est nous qui en très grande partie assumons la charge du travail ménager, de tout ce qui est travail domestique.

Mme Harel: II y avait récemment dans Châtelaine, je pense, un très bon article là-dessus qui démontrait que, malgré l'introduction des électro-ménagers, le nombre d'heures consacrées à l'ententien et, aux travaux ménagers par les ménagères est le même maintenant qu'il y a 50 ans et que, pour celles qui cumulent, en plus, un travail à l'extérieur du foyer, le partage se fait à raison de six minutes de plus par jour pour leur conjoint. Alors, c'est important, je pense, cette définition parce que, depuis le début des travaux, Mme la ministre élargit le possible recours à la prestation compensatoire à la travailleuse au foyer. À moins qu'elle ne puisse préciser ce qu'il en sera, enfin, c'est de l'ex-conjoint économiquement faible qu'il faudrait parler et cet ex-conjoint économiquement faible peut aussi avoir été sur le marché du travail avec un salaire inférieur et des conditions également différentes. Vous avez mentionné, je pense, que, dans votre pratique, cela vous apparaît essentiel que les régimes privés de retraite soient inclus dans le patrimoine familial et non pas qu'ils donnent droit à un recours en prestation compensatoire dans les cas où le patrimoine serait insuffisant. Parce que cela semble être un peu la voie dans laquelle le gouvernement veut s'engager, celle d'ouvrir les régimes privés de retraite comme partageables dans la prestation compensatoire, avec l'élargissement de l'accès à la prestation pour la travailleuse au foyer qui pourrait par là aller chercher une partie d'un patrimoine insuffisant. Qu'est-ce que vous en pensez?

Le Président (M. Doyon): Avec cette réponse, Mme Busque, Me Kean ou Mme Bohémier, se terminera le temps qui est alloué pour cette présentation.

Mme Kean: Alors, je répète ce que j'ai dit tantôt: Je pense effectivement, qu'il est absolument essentiel que le régime de pension privé fasse partie de la nomenclature des biens familiaux obligatoire, du partage des biens familiaux, parce que c'est pour beaucoup de gens, finalement, le bien familial; il n'y aura pas de résidence familiale, il n'y aura pas de voiture, pas de résidence secondaire, il n'y aura pas, enfin,

tous les autres biens familiaux dont nous avons fait mention, mais il y aura ce régime de pension privé. Le conjoint collaborateur irait chercher cela dans des biens non désignés familiaux, de toute façon, le conjoint collaborateur irait chercher cela dans des biens non désignés familiaux, parce que là on parle d'une entreprise, on parle d'une ferme, on parle de bien des choses quand on parle de conjoint collaborateur. Alors, cela dépassera cette nomenclature de biens familiaux. (18 h 15)

Le. Président (M. Doyon): Merci, Me Kean. M. le député de Marquette, 30 secondes, pour terminer.

M. Dauphin: 30 secondes! Je vous remercie beaucoup, M. le Président.

Mme Harel: II est généreux.

M. Dauphin: Oui. Alors, dans le chapitre sur la protection de la résidence familiale, vous proposez que, dans l'éventualité d'une vente forcée, le produit minimal soit 100% de l'évaluation municipale. On a reçu cette semaine la confédération des caisses populaires du Québec qui, elle - parce que, dans la proposition gouvernementale, on propose de hausser cela à 70% plutôt que 25%, comme c'est actuellement - voit cela sous un autre angle - évidemment, on connaît la motivation des groupes dont vous faites partie - et nous disait que la hausse du document gouvernemental à 70% était exagérée, exorbitante. Alors, vous, vous nous proposez 100%. Évidemment, je comprends la motivation de cette demande de 100%. Les caisses populaires nous disaient qu'il fallait tenir compte du contexte de l'offre et de la demande, que les acheteurs n'ont aucune garantie, dans ces cas-là, contre les défauts cachés et qu'il devrait être possible d'y déroger avec l'autorisation du tribunal. Je voudrais savoir, en 10 secondes, M. le Président, ce que vous pensez de ce commentaire.

Mme Busque: Moi, je reviens à ce que je disais tout à l'heure. Cela dépend, selon moi, essentiellement de la différence entre la valeur marchande et l'évaluation municipale. Un exemple très personnel: la maison que j'habite, la vendre à 70%, cela serait une perte énorme. Même la vendre à 100% de l'évaluation municipale, ce serait déjà une très grosse perte et je vous assure que l'acheteur pourrait prendre une couple de vices cachés là-dedans. Donc, pour moi, c'est cette différence entre les deux évaluations. Dans la mesure où, effectivement, l'évaluation foncière est très près de la valeur marchande, c'est un autre problème. Mais, nous, on a choisi de dire 100% de l'évaluation municipale plutôt que 70% de la valeur marchande, parce que la valeur marchande implique toujours, à ce moment-là, un autre type d'évaluation et d'autres types de déboursés et que cela complique, d'une certaine manière, les choses, tandis que l'évaluation municipale nous paraissait comme une base beaucoup plus simple à partir de laquelle on pouvait se fonder. Bien, je peux comprendre aussi l'ordre de préoccupation du mouvement Desjardins, mais peut-être qu'il y aurait moyen d'arriver à un moyen terme.

Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Busque. Mme la ministre.

M. Dauphin: Merci beaucoup.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci infiniment, mesdames, pour votre mémoire, nous allons sûrement le prendre en considération. C'est presque la fin de la commission; il nous reste encore un intervenant. Alors, comme on le mentionnait, on a eu l'occasion d'avoir différentes opinions et la vôtre en est quand même une qui cadre beaucoup avec celle des autres intervenants, entre autres les groupes de femmes.

Mme Busque: Merci.

Le Président (M. Doyon): Mme la députée de Maisonneuve.

Mme Harel: La vôtre en est une qui est partagée par un très grand nombre de femmes au Québec. Alors, je vous remercie d'être venues nous l'exprimer en commission.

Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup. J'inviterais maintenant Me Paul Laquerre à prendre place. Me Laquerre m'a demandé s'il pouvait s'asseoir. Oui, vous pouvez prendre une place à la table des invités comme les autres.

J'inviterais les membres de la commission à prendre place, nous allons continuer nos travaux. À l'ordre, s'il vous plaît! Me Laquerre, vous avez maintenant l'attention de toute la commission, y compris celle, bien sûr, du ministre de la Justice qui est ici pour vous entendre et à qui nous souhaitons la bienvenue.

Me Paul Laquerre

M. Laquerre (Paul): M. le Président, Mme la ministre déléguée à la Condition féminine, M. le ministre de la Justice, Mme la députée de Maisonneuve, ainsi que tous les membres de cette commission, il me fait plaisir d'avoir la chance de comparaître devant la commission aujourd'hui. Je vous avoue que cela faisait longtemps que j'attendais cette chance qui m'est donnée aujourd'hui. En tant que professeur de régimes matrimoniaux à la Faculté de droit depuis une vingtaine d'années, j'ai eu l'occasion de souligner à de nombreuses reprises à mes étudiants les injustices qui pouvaient, découler de la situation actuelle. J'ai attiré leur attention à de nombreuses reprises là-dessus et je les ai incités à faire

ce qu'ils pouvaient pour essayer d'obtenir les changements les plus rapides possible de la part des responsables.

Vu l'heure tardive, je n'ai pas l'intention de faire un exposé qui sera long et d'entrer dans les détails techniques aujourd'hui. Je vais me contenter de repasser les principes généraux qui m'ont amené à proposer certaines solutions qui se trouvent déjà dans mon mémoire. Avant de passer à ces principes généraux, je vais regarder avec vous, si vous me le permettez, pendant quelques minutes - à peu près deux ou trois minutes - les deux tableaux synoptiques que l'on vient de vous distribuer.

Ces deux tableaux synoptiques représentent... D'abord le premier, sur la première page, représente la situation actuelle et le deuxième tableau synoptique représente la situation qui existerait si les propositions étaient adoptées. Si on regarde la situation actuelle - et je commence dans le haut du tableau, par la gauche - si on regarde à gauche, on a la situation des époux mariés et la situation des époux de fait. En ce qui concerne les époux de fait, on peut les éliminer tout de suite, parce qu'il y a un vide juridique, ce n'est pas compliqué, actuellement, il y a un vide juridique. En ce qui concerne les époux mariés, si on retourne dans le haut du tableau et si on regarde ce qui se passe pendant la durée du mariage, il faut bien comprendre que nous avons un régime primaire impératif et que nous avons un régime matrimonial secondaire qui vient s'ajouter à ces dispositions impératives.

Quant au régime matrimonial primaire impératif, si on regarde à gauche du tableau, nous voyons que nous avons une amorce de patrimoine familial. Dans un patrimoine, nous avons les éléments d'actif et les éléments de passif. Pour ce qui est du passif familial, nous avons déjà un passif familial qui a établi au Code civil c'est la responsabilité conjointe des époux pour les dettes à caractère familial, article 446 du Code civil du Québec. Pour ce qui est de l'actif - normalement, dans un patrimoine, nous avons toujours l'actif et le passif - j'ai marqué "actif familial ou presque", parce que nous avons presque un actif familial, mais pas tout à fait. Nous avons, actuellement, des mesures de protection, mais sans partage à la dissolution. Donc, nous reconnaissons, dans notre Code civil, qu'il y a une résidence principale de la famille. La famille a donc une résidence, la famille a aussi un droit au bail, la famille a droit à des meubles garnissant la résidence principale de la famille, affectés à l'usage du ménage, mais nous ne tirons pas de conclusion économique de cette reconnaissance légale qui existe déjà de l'actif familial. Alors, la seconde étape est donc de tirer des conséquences économiques de ce début d'actif familial.

À ces dispositions impératives s'ajoute, évidemment, le régime matrimonial secondaire et, là, les époux peuvent ajouter à cela ia société d'acquêts. Il en résultera - si vous prenez en allant vers la droite, société d'acquêts, la colonne vers la droite - un partage égal des acquêts entre les époux. Si on va un peu plus bas dans le tableau, il est possible aussi que les époux soient mariés en communauté de meubles et acquêts, c'est une communauté soit légale, soit conventionnelle, et, encore là, il en résultera un partage des biens communs et des biens réservés, il est possible aussi qu'on ait la séparation de biens et, dans ce cas, il n'y a aucun partage.

À ceci s'ajoute la prestation compensatoire. J'ai indiqué que c'était possible dans certains cas. Maintenant, ce qu'il faut bien constater, c'est que, malgré ce qu'on a dit très souvent depuis des années à savoir que nous sommes très en retard sur l'Ontario, entre autres, en matière de régimes matrimoniaux, on n'est pas en retard à ce point-là et je pense qu'il faut bien le constater parce que, si on prend d'abord les dispositions impératives et qu'on ajoute la société d'acquêts qui est automatique pour tous ceux qui ne la rejettent pas volontairement par un contrat de mariage en choisissant un autre régime, par exemple, comme la séparation de biens, il y a quand même une protection qui est, je pense, raisonnable.

Là où est le problème, c'est que nous avons une tradition qui est différente de celle de l'Ontario et les gens ont pris l'habitude de faire un contrat de mariage en société d'acquêts, en tout cas beaucoup de couples, et de rejeter par le fait même la société d'acquêts. Alors, par le fait que la tradition est différente de celle de l'Ontario, on en arrive à des effets différents dans la société et c'est là qu'est le principal problème, je pense. Donc, à cause de cela, il faudra qu'on trouve une solution pour y remédier.

Si on prend le deuxième tableau, c'est la situation telle que proposée. Vous avez d'abord, en haut, le régime matrimonial primaire impératif et le régime matrimonial secondaire. En ce qui concerne le régime primaire impératif, j'aurais dû ajouter, entre parenthèses, que c'est pour les couples qui sont mariés en premières noces, selon ma proposition, ou les couples dont un des époux est marié en premières noces. Je fais cette distinction dans mon mémoire et, pour moi, c'est fondamental. Je pense que, lorsque les époux sont tous deux mariés en secondes noces ou en troisièmes noces, peu importe le nombre de mariages, ils bénéficient d'une certaine expérience au point de vue des lois comme telles; ils ont pu s'informer et bénéficier d'une certaine expérience, soit à la suite d'un divorce ou d'un décès qui s'est produit dans le couple, et ces époux-là n'ont pas besoin de la même protection que des gens qui se marient dans un premier mariage, qui n'ont aucune expérience, qui ne connaissent pas les lois et qui, souvent, ne connaissent ni avocat, ni notaire ceux-là ont besoin d'une protection. En tout cas, je fais une

différence, moi, entre ces couples-là selon aussi, mon expérience professionnelle comme praticien du notariat. J'ai quand même 22 ans d'expérience, même s'il y en a une partie qui est a temps partiel tout en étant à la Faculté de droit, et je vous avoue que tous les couples qui se marient en deuxièmes ou troisièmes noces, à peu près sans exception, préfèrent garder les biens qu'ils ont déjà, habituellement pour leurs enfants. Alors, ils refusent, habituellement, de mettre leurs biens en commun, les biens qui leur proviennent de leur premier mariage, par succession, et aussi, parfois, à la suite d'un divorce lorsqu'ils ont réussi de peine et de misère à garder quelque chose; à ce moment-là, ce qu'ils veulent, c'est de transmettre cela à leurs enfants. Ils font un contrat de mariage en séparation de biens sans aucune donation et ils font des testaments ensuite, chacun un testament, en faveur de leurs enfants. C'est selon l'expérience que j'ai eue dans le passé et je pense qu'il faut respecter cela. (18 h 30)

Alors, si on jette un petit coup d'oeil, maintenant, sur le régime matrimonial primaire en allant à la gauche du tableau, vous avez les époux mariés à qui s'applique le patrimoine familial. Ici, si on compare à ce qu'on avait tout à l'heure, on a encore le même passif familial, d'abord, et on a un actif familial, c'est-à-dire qu'on aurait des biens familiaux. Donc, on tire des conséquences économiques de ce patrimoine familial qu'on avait presque au complet tout à l'heure. Alors, qu'est-ce qui entrerait dans le patrimoine familial? Vous avez d'abord la résidence familiale principale et la résidence secondaire à titre supplétif. C'est exactement la même chose que dans la proposition gouvernementale.

J'attire votre attention - j'ai mis un astérisque - sur le fait qu'il faudrait peut-être, à ce moment-là, modifier la notion de résidence principale. Il ne faudrait plus parler de résidence principale de la famille; il faudrait plutôt parler de résidence familiale puisque, dans certains cas, c'est la résidence secondaire, le chalet, qui est la résidence familiale, alors que les tribunaux nous disent que la résidence principale de la famille peut être un logement. Alors, si l'endroit où la famille vit, d'où les enfants partent pour aller à l'école, d'où les parents partent pour aller travailler, est un logement, c'est la résidence principale de la famille. La résidence secondaire sera le chalet.

Alors, si on veut protéger, à titre supplétif, la résidence secondaire, il ne faudrait peut-être plus parler de résidence principale, mais plutôt de résidence familiale. Qu'est-ce qu'on ajoute à cela? Les meubles garnissant la résidence familiale, affectés à l'usage du ménage, les véhicules automobiles - les véhicules automobiles sont dans la proposition gouvernementale, je ne vois pas de raison pour les enlever, quoiqu'on sache que cela perd énormément de valeur et rapidement - les gains accumulés en vertu du Régime de rentes du

Québec, les programmes gouvernementaux équivalents et j'ai ajouté, avec un point d'interrogation - et j'attire votre attention là-dessus, c'est bien important - les gains de régimes privés ou l'équivalent accordé par le juge. J'attire d'autant plus votre attention là-dessus que j'ai hésité longtemps et que j'hésite encore un peu; c'est pour cela qu'il y a un point d'interrogation. Dans mon mémoire, après beaucoup d'hésitation, j'ai dit: C'est non, mais avec beaucoup d'hésitation et je me suis dit: II faudrait probablement faire d'autres études techniques pour voir si c'est applicable, si les employeurs vont avoir beaucoup de difficultés à appliquer cela. Bon.

Je n'avais pas les connaissances techniques pour savoir si c'était applicable ou pas, si c'était applicable facilement. Je vous avoue que j'ai eu l'occasion et la chance de lire, par la suite, tous les mémoires qui ont été présentés et, entre autres, dans celui de la firme de consultants Mercer - je ne sais pas si c'est comme cela qu'on le prononce ou en anglais - j'ai constaté qu'ils semblent nous dire que c'est faisable, que c'est applicable. Ils nous disent que, évidemment, certaines études vont peut-être devoir être faites pour compléter cela, mais il n'y a pas vraiment une réticence à appliquer cela.

Alors, à la suite de cela, je me suis dit: Cela ne semble pas vraiment présenter de gros problèmes au point de vue technique et, d'un autre côté, je me dis que, dans certains cas, il n'y aura pas de résidence principale de la famille qui sera achetée. Ce sera un logement. Il n'y aura pas de résidence secondaire non plus. Qu'est-ce qui nous reste comme actif à partager? Pas grand-chose: les automobiles et la participation au Régime de rentes du Québec. Donc, il peut y avoir les régimes de rentes privés. Maintenant, dans certains cas, c'est dangereux. Par exemple, certains professionnels, certains constructeurs, certains hommes ou femmes d'affaires nous disent: Ma rente, mon fonds de retraite, ce sont mes immeubles à logements. Alors, je vais avoir, à ma retraite, 10, 15 ou 20 "blocs" à logements - comme ils disent - et ce sera mon fonds de retraite. C'est pour cela que je dis qu'il faut prévoir l'équivalent de régimes privés qui serait accordé par le juge.

Évidemment, on pourrait ajouter à cela la société d'acquêts, et, là, on aurait un partage à peu près complet, ou on peut encore ajouter la séparation de biens et on a, évidemment, la protection restreinte au régime primaire impératif. On a aussi le problème de la communauté. Je pense, et je le dis tout de suite, que ce serait une bonne chose que la communauté disparaisse. Maintenant, quant aux modalités de transformation de la communauté en société d'acquêts, il y a encore des études à faire pour compléter cela. J'ai proposé quelque chose qui est un peu différent de la proposition gouvernementale, mais il y a peut-être encore des retouches à faire en ce qui concerne la responsabilité des dettes de

chacun des époux, entre autres. Si on va vers la droite, on a la prestation compensatoire. Je vous dis tout de suite que je pense que la prestation compensatoire doit subsister et pas seulement dans le cas de l'époux collaborateur; elle doit subsister dans tous les cas, comme elle est actuellement. Si, dans un cas donné, on a un conjoint qui ne peut d'aucune façon avoir droit à une partie du régime matrimonial primaire impératif parce qu'il n'y a pas de résidence principale, il n'y a pas de résidence secondaire, il n'y a pas de régime de retraite autre que le Régime de rentes et peut-être qu'il n'y a pas d'automobile non plus - de nos jours, il ne faut pas oublier que beaucoup d'automobiles sont louées - alors il resterait la possibilité d'avoir recours à la prestation compensatoire, peut-être pour d'autres biens; en tout cas, c'est une solution de dernier recours. Je vous avoue que je ne l'aime pas beaucoup, la prestation compensatoire, parce que c'est un recours qui exige, d'abord de la part des parties, d'étaler toute leur vie privée en cour, ce qui est toujours très pénible; il faut repasser, depuis le début, tout ce qui s'est passé dans leur vie et toutes les dépenses qu'ils ont faites, les actifs qu'ils ont obtenus. C'est une difficulté de preuve considérable, cela coûte très cher à monter ce genre de dossier, et on demande à l'époux qui n'a rien ou à peu près rien de faire cette preuve-là et de payer pour cela. Alors, je ne l'aime pas beaucoup, la prestation compensatoire, mais il faut la garder quand même à titre supplétif.

Je termine le tableau en attirant votre attention sur les époux de fait, dans le bas du tableau. Actuellement, on constate que, depuis plusieurs années, le nombre de gens qui vivent comme des époux de fait a augmenté de plus en plus. Cela peut être dû à beaucoup de raisons, mais cela crée une situation qui est quand même embarrassante, je pense, pour le législateur. Jusqu'à maintenant, le législateur a toujours dit: On n'intervient pas parce que il y a une opinion en ce sens que ceux qui sont des époux de fait, c'est parce qu'ils ne veulent pas qu'il y ait de conséquences légales à leur union de fait. C'est pour cela qu'ils ne se marient pas et qu'ils restent des époux de fait. Moi, ce que je dis à mes étudiants dans mon cours, c'est ceci: Lorsque des gens ont vécu comme des époux de fait, ont vécu dans une situation de mariage de fait, ont vécu de la même façon que des époux mariés pendant 15, 20, 25 ans, dans bien des cas ont eu des enfants aussi et que, tout à coup, ils se séparent, trouvez-vous cela normal que ces gens-là disent: On s'en va chacun de notre côté et il n'y a aucune conséquence à ce qu'on a fait, à la vie qu'on a menée depuis 15, 20, 25 ans? Je trouve que c'est tout à fait inacceptable et c'est certain qu'il y a toujours une responsabilité morale, mais on sait que, dans une société évoluée, après un certain temps, la responsabilité purement morale se transforme en obligation naturelle et ensuite l'obligation naturelle se transforme en obligation civile; le législateur intervient et cela se transforme en obligation civile. Alors, je me demande si on ne devrait pas réfléchir à cela sérieusement et si, après un certain temps de cohabitation, lorsque des gens se sont comportés comme des époux mariés, cette union de fait ne devrait peut-être pas apporter des conséquences juridiques qui devraient être les mêmes que s'ils étaient mariés tout simplement.

Il y a un autre principe qui est en jeu aussi, c'est que, normalement, en droit, lorsqu'il y a un fait qui existe, le fait et le droit doivent concorder, et je pense qu'on en a un bel exemple en matière de droit de propriété. Si quelqu'un possède un immeuble comme un propriétaire, se comporte comme un propriétaire aux yeux de tout le monde - alors, il fait accroire à tout le monde qu'il est le propriétaire et il se comporte comme un propriétaire - et que le véritable propriétaire ne s'occupe pas de son bien, après un certain temps, 30 ans, il y a ce qu'on appelle la prescription acquisitive, c'est qu'il devient vraiment propriétaire. Le droit doit concorder avec le fait. Alors, je me demande si on ne devrait pas vraiment réfléchir à cette situation des époux de fait.

Je vais aller très vite en ce qui concerne mon mémoire...

Le Président (M. Doyon): Me Laquerre, je vous signale qu'il y a près de 20 minutes d'écoulées sur la demi-heure qui vous était allouée...

M. Laquerre: Ah bon! Je peux répondre aux questions tout simplement; de toute façon, mon mémoire, vous l'avez.

Le Président (M. Doyon): Un instant. Avec l'accord des membres de la commission on peut peut-être continuer un peu plus longtemps, mais il va falloir tenir compte de l'heure tardive, maintenant. Alors, je vous invite à y aller rapidement.

M. Laquerre: Quelques minutes encore, je vais aller très rapidement. Je vais, si vous voulez, m'en tenir aux chapitres I et II. Le chapitre I, c'est: La problématique et les objectifs; le chapitre II, Les principes et les mesures législatives. Évidemment, devant une question aussi complexe et aussi importante, je me suis dit: II faut procéder logiquement et, d'abord, j'ai posé le problème lui-même, j'ai essayé de bien l'identifier, de le circonscrire et, ensuite, je me suis demandé quels étaient les objectifs qu'on devait rechercher.

Quant à la problématique, quant au problème lui-même, en regardant les documents qui ont déjà été produits, je vous avoue que l'opinion que le Conseil du statut de la femme avait émise - vous avez la référence dans les notes qui sont à la fin, je suis à la page 5, au 2e

paragraphe - en ce sens que "l'égalité juridique des conjoints dans le mariage ou dans la famille ne fait plus problème", je pense qu'on peut tous y souscrire. Mais à l'égalité juridique ne correspond pas nécessairement l'égalité économique, je pense qu'on est aussi tous d'accord là-dessus.

Je passe à la deuxième citation, toujours du Conseil du statut de la femme qui circonscrit le problème comme suit: "Un consensus pourrait se faire sur une clientèle minimale à viser au Québec: au premier chef, les épouses mariées en séparation de biens dans d'autres circonstances: quand le divorce n'existait pas, quand l'autre alternative était la communauté de biens... - un peu plus bas, dans la même citation - celles qui se marient encore depuis 1970 avec un contrat de type séparatiste... " Si on ajoute au paragraphe suivant les femmes collaboratrices à l'entreprise de leur mari, je pense qu'on a fait le tour du problème.

J'ajoute, dans les deux paragraphes qui terminent la page 5, qu'il nous paraît évident de faire une distinction entre les époux qui vivent un premier mariage et ceux qui contractent un deuxième ou un troisième mariage. Dans le cas d'un premier mariage, la plupart du temps, il est contracté à un âge relativement jeune, à un moment où ils n'ont à peu près pas de biens ni de dettes, ni l'un ni l'autre, et ils veulent des enfants; c'est facile pour eux d'accepter de mettre toutes leurs ressources en commun. À ce moment-là, l'idée qu'ils se font du mariage - et je pense qu'il faut respecter cela - c'est que le mariage est une espèce de société où on peut mettre beaucoup de choses en commun. Il n'y a pas de problème pour leur faire accepter cela d'une façon générale. Pour les époux plus expérimentés - je suis rendu à la page 6, 2e paragraphe - c'est-à-dire ceux qui sont dans un deuxième ou un troisième mariage, à ce moment-là, je l'ai dit tantôt, on doit les respecter, respecter leur idée de conserver leurs biens pour leurs enfants ou les laisser faire ce qu'ils veulent avec leurs biens. Je ne voudrais pas qu'on intervienne dans ce cas-là. S'ils n'ont pas profité des expériences antérieures, je dis: Tant pis pour eux. C'est sûr qu'il y a toujours des incorrigibles, mais je n'ai pas de pitié pour eux. Je pense qu'on doit les laisser se débrouiller.

Les objectifs qui découlent de ces constatations, c'est que, dans un premier mariage - je suis toujours à la page 6, section 2: Les objectifs - il faut retenir l'idée de partage et, dans un deuxième mariage, l'idée de la liberté du choix.

Dans les principes et les mesures législatives, page 7 et suivantes, je reprends les principes directeurs de la réforme du Code civil du Québec, ce qui a guidé les législateurs dans la création du Code civil du Québec et, principalement, avec le projet de loi 89. Les principaux principes, on les a ici, dans la citation: "l'égalité des conjoints dans le mariage et le respect de la liberté et de l'autonomie des personnes". On ajoute à cela deux préoccupations majeures: "la recherche de la plus grande équité possible... et la volonté de diminuer les traumatismes que connaissent les couples, et leurs enfants, lorsque le lien matrimonial est mis en péril ou irrémédiablement atteint. "

En ce qui concerne les mesures proposées, je ne reviendrai pas là-dessus parce que j'ai eu l'occasion, tantôt, en expliquant le tableau, d'en donner les grandes lignes. Je vais cependant souligner seulement un ou deux points additionnels qui sont importants et, par la suite, je pourrai répondre aux questions, si vous en avez. En ce qui concerne - c'est à la page 10 de mon mémoire, dans le commentaire - les régimes privés de retraite, j'ai donné mon opinion tantôt: II faudrait enlever le "non" et mettre un "oui", mais, encore une fois, je pense que cela exige d'autres études techniques, mais c'est important de changer le "non" par un "oui". Ensuite, le commentaire à la page 11: Est-ce que les époux peuvent renoncer d'avance aux dispositions impératives, je dis non. Je pense que c'est un principe qui doit être respecté. Ils ne peuvent pas y renoncer avant le mariage, pendant le mariage, ils ne peuvent pas y renoncer à la fin du mariage non plus, au moment de la dissolution. La seule chose que moi, j'accepte, au moment de la dissolution, c'est un réaménagement des biens qui sont partageables en vertu du régime impératif. Alors, si, par exemple, la maison est au nom du mari et qu'il veut garder la maison, eh bien, il garde la maison et il pourrait donner à l'épouse une somme d'argent qui correspond à sa part ou un autre bien. L'époux qui est propriétaire devrait avoir un droit de préemption. (18 h 45)

La Présidente (Mme Bleau): Me Laquerre, est-ce que je peux vous rappeler que votre temps est terminé?

M. Laquerre: Oui, je prends encore une minute et je termine à la page 11 avec les mesures transitoires. Est-ce qu'on doit adopter les mesures transitoires? C'est au milieu de la page 11. J'ai marqué que cette mesure me semble acceptable, la mesure transitoire en ce sens que les époux déjà mariés pourraient renoncer. Mais je suis en train de changer d'idée, c'est pour cela que je veux en dire un mot, ce serait important de marquer cela dans le mémoire, je suis en train de changer d'idée. J'ai peur que, si on permet aux époux qui sont déjà mariés de renoncer, cela amène beaucoup de chantage entre les époux, des situations conflictuelles et je pense qu'on ne devrait pas permettre de renoncer; je crois que cela devrait s'appliquer à tout le monde et, malgré ce qui est indiqué ici, je pense qu'on ne devrait pas pouvoir renoncer. Maintenant, entre la sanction de la loi et l'entrée en vigueur, on devrait prévoir un délai assez long pour permettre à tout le monde, créanciers et époux aussi, de s'ajuster en

conséquence. Mais je pense que, contrairement à ce qui est dit dans mon mémoire, ils ne devraient pas renoncer. Je termine avec cela.

La Présidente (Mme Bleau): Je vous remercie, Me Laquerre, et je passe la parole à Mme la ministre.

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Laquerre, de votre exposé. Je dois vous dire que j'ai lu avec intérêt votre mémoire et les tableaux que vous nous apportez cet après-midi résument bien aussi votre opinion sur la proposition telle que formulée dans le document de consultation. Cela m'a aussi fait prendre conscience du souci de précision d'un bon praticien, notaire et professeur en même temps, ce petit tableau bien préparé; c'est très utile, d'ailleurs.

M. Laquerre: II manque une page, malheureusement; on n'a pas eu le temps de la mettre sur ordinateur.

Mme Gagnon-Tremblay: Compte tenu, Me Laquerre, du temps qui nous est alloué et de l'heure tardive aussi, je vais m'en tenir à une précision, à une question, entre autres. Lorsque vous parlez des biens acquis, vous préférez que les biens acquis par donation avant le mariage, donation ou testament, ne soient pas inclus, que les immeubles ne soient pas inclus, par exemple, dans le patrimoine familial. Est-ce que vous...

M. Laquerre: Voici: lorsque ce sont des biens acquis par donation ou par testament, il y a le problème de la clause de propre. Vous savez que, dans tous les testaments qui sont préparés par des avocats ou des hommes de loi, il y a toujours une clause qui dit que les biens devront être propres et ne pas être partagés. Cela crée un problème de concordance avec les dispositions impératives, évidemment, si c'est une résidence familiale. Je pense qu'on pourrait aller jusqu'à dire que, lorsqu'il s'agit de la résidence familiale, on n'aura pas à respecter cette clause de propre en ce qui concerne la plus-value, je pense qu'on pourrait aller jusque là.

Mme Gagnon-Tremblay: Pour la plus-value vous me dites; c'est cela?

M. Laquerre: Pour la plus-value seulement.

Mme Gagnon-Tremblay: Pour la plus-value, cela irait?

M. Laquerre: Oui.

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord, mais non...

M. Laquerre: Je pense qu'on doit tenir compte uniquement de la plus-value, de toute façon...

Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.

M. Laquerre:... même si le bien a été acheté... Dans le cas d'un immeuble qui a été acheté, par exemple, pour prendre le cas le plus fréquent, par le mari avant le mariage, je pense qu'on doit tenir compte seulement de la plus-value que le bien prend par le mariage. Il y a seulement la plus-value qui sera partageable.

Mme Gagnon-Tremblay: Mais, Me Laquerre, c'est que, depuis le tout début des interventions, tous les intervenants ou à peu près, la presque majorité, se sont inquiétés un peu des inéquités ou du déséquilibre qui existait pour les gens mariés, entre autres, sous le régime de la séparation de biens. Par contre, la Chambre des notaires semble s'inquiéter de l'ampleur du problème, semble dire qu'il n'y a pas tant de problèmes que cela. Elle ne semble pas être aussi consciente de ce problème. On semble dire aussi qu'il s'agit d'une situation qui touche une minorité de personnes, décroissante d'année en année, donc, qui ne justifie pas une intervention législative coercitive. Vous qui avez pratiqué à titre de notaire et qui êtes en même temps professeur, croyez-vous, d'une part, que, effectivement, ces problèmes n'existent pas ou très peu et qu'en ce qui concerne le partage d'un patrimoine, d'autre part, il s'agit d'une mesure législative coercitive à ce point... Finalement, oui, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus, Me Laquerre.

M. Laquerre: Écoutez, j'aimerais mieux ne pas parler ou commenter la position de la Chambre des notaires, je pense qu'ils ont sans doute leurs raisons; je crois que c'est indispensable que chacun puisse s'exprimer en toute liberté. Mais, selon moi, il y a un besoin, et je l'ai évidemment constaté par l'expérience de la pratique et comme professeur en régimes matrimoniaux, je lis toute la jurisprudence. On constate qu'il y a aussi énormément de problèmes et de malheurs qui en résultent, très souvent pour l'époux le plus faible économiquement. Cela peut aller très loin, parce que vous n'êtes pas sans savoir que cela va, par exemple, jusqu'aux enfants, dans bien des cas, qui préfèrent rester avec l'époux qui conserve le patrimoine le plus important. Lorsque les enfants ont à choisir entre, par exemple, un époux qui vit dans une maison de 200 000 $ ou 300 000 $ et l'autre époux qui est obligé de s'en aller en logement trop souvent c'est très difficile, même pour les enfants, de choisir d'aller en logement avec l'époux qui a le patrimoine le plus faible. Cela va très loin, tout cela, les conséquences.

Mme Gagnon-Tremblay: Même si cette situation, Me Laquerre, va en décroissant, vous croyez qu'il y a urgence d'agir et non pas de laisser...

M. Laquerre: Ah! Je le crois et je n'ai jamais manqué une occasion de le souligner à tout le monde et même, peut-être que certaines personnes parfois m'ont trouvé un peu agaçant. J'ai même eu l'occasion parfois, dans des "parties", de le dire à des sous-ministres. J'avais l'occasion de les rencontrer et je leur disais: Bougez, agissez, faites quelque chose. Il faut agir rapidement. Alors, j'ai vraiment cela à coeur et je ne manque jamais l'occasion de le signaler dans mes cours. Je donne ce cours des régimes matrimoniaux, à la Faculté de droit, au moins une fois par année et je le souligne à tout le monde. Des fois, j'ai de 110 à 115 étudiants et je leur dis: Prene2 les moyens que vous avez pour agir. Oui, je le crois vraiment.

Mme Harel: Je vous félicite, Me Laquerre. Vous avez la bonne occasion aujourd'hui de le dire à la personne qui va être responsable de la législation, le ministre de la Justice lui-même. C'est intéressant, je souscris aux propos de Mme la ministre, vous devez certainement être un bon professeur, parce qu'on vous suit bien et c'est très utile aussi. Mais, comme un bon professeur, vous en avez ajouté et ajouté.

M. Laquerre: Ha, ha!

Mme Harel: Mais c'est vraiment un tableau qui va être très utile pour bien voir qu'il y avait déjà l'introduction de mesures de protection, qui n'étaient peut-être pas sujettes à partage, mais des mesures de protection. Est-ce que vous avez l'impression qu'un patrimoine familial est très étranger à notre tradition civiliste?

M. Laquerre: Je pense que ce qui est le plus important, c'est de laisser quand même une certaine liberté de choix aux époux et qu'en prévoyant un patrimoine familial qui est quand même assez restreint et en laissant la possibilité aux époux de compléter par un régime secondaire, soit par la séparation de biens, soit par la société d'acquêts s'ils veulent une plus forte mise en commun de leurs biens, la liberté de choix est suffisamment conservée. Il ne faut pas oublier qu'ils ont aussi d'autres choix de régimes matrimoniaux. Ils peuvent prendre un régime matrimonial européen ou n'importe quoi. Je crois que !a liberté est suffisamment conservée.

Mme Harel: Je ne me souviens plus si, en matière de patrimoine restreint, vous recommandiez l'inclusion des régimes privés de retraite.

M. Laquerre: Comme je vous l'ai dit dans mon mémoire, c'est non, mais avec des hésitations. J'ai dit qu'il fallait d'autres études plus poussées au point de vue technique, entre autres, pour étudier la faisabilité de cela et, maintenant, j'hésite encore un peu, mais je serais porté à dire plutôt oui. J'espère que je ne reviendrai pas en arrière dans les prochains mois.

Mme Harel: La dernière question que je vais vous poser, parce que l'ensemble de toutes vos recommandations indiquent que ces protections, ce partage, ne doivent se faire que dans le cadre d'un premier mariage...

M. Laquerre: C'est ce que je dis et cela respecte, encore une fois, la liberté des gens et l'autonomie dans le contexte de notre droit civil, la tradition civiliste.

Mme Harel: Attendez, j'ai de la difficulté à vous suivre. Vous avez cité le Conseil du statut de la femme lors de l'élaboration de la notion de principe...

M. Laquerre: Oui.

Mme Harel:... à savoir que l'institution du mariage, je pense que c'est dans ce sens que vous le citiez, devrait entraîner une certaine forme de partage entre époux.

M. Laquerre: Oui, pour des gens...

Mme Harel: C'est un principe auquel vous souscrivez.

M. Laquerre:... qui se marient en premières noces.

Mme Harel: Mais, pour vous, c'est seulement en premières noces. L'institution du mariage ne doit pas entraîner une certaine forme de partage pour les autres.

M. Laquerre: Je me base...

Mme Harel: Pourquoi le principe ne vaut-il plus après? L'institution du mariage reste la même.

M. Laquerre: Ha, ha, ha! Je me base, entre autres, sur mon expérience personnelle. J'ai eu l'occasion de faire beaucoup de contrats de mariage pour des gens qui se mariaient en deuxièmes noces, en troisièmes noces c'est plutôt rare, et, dans presque tous les cas, c'était très rarement différent, c'était la séparation de biens, sans donation et sans clause d'institution contractuelle au dernier vivant des biens à la fin aussi, donc, séparation de biens purement et simplement, et ils faisaient chacun un testament et habituellement dans le testament c'était pour leurs enfants, lorsqu'ils avaient des enfants, parfois, certains biens assez limités au conjoint et le reste à leurs frères et soeurs, et membres de la famille. Et c'était comme ça dans presque tous les cas.

Mme Harel: Vous, c'est votre expérience, disons, personnelle et...

M. Laquerre: Oui, en parlant avec les gens

aussi, en pariant avec ces gens-là.

Mme Harel:... je la respecte. Mais dans les cas, par exemple, qui peuvent être nombreux, de personnes qui ont vécu un premier mariage heureux qui s'est conclu par un veuvage...

M. Laquerre: Oui.

Mme Harel:... alors, ils n'auraient pas, eux, cette expérience difficile à laquelle vous vous référez pour justifier que la première fois, c'est la faute du notaire, mais que la deuxième fois c'est votre faute.

M. Laquerre: Oui; ah! ce sont vos mots à vous, là.

Mme Harel: Je vous écoutais, et je me disais: Ce qu'il me propose, c'est que cela concerne uniquement le partage du premier mariage, parce que cela revient à dire que la première fois, vous n'étiez pas assez au courant, mais la deuxième fois, si vous recommencez les mêmes erreurs, c'est plus de votre faute et, en fait, vous devez en prendre la responsabilité.

M. Laquerre: Bon, écoutez, ce que je dis, c'est que la première fois, les gens se marient dans un contexte très différent pour la plupart. Ils se marient dans un contexte où ils sont jeunes, où ils ont d'abord de très grandes aspirations au point de vue psychologique, alors, ils sont souvent au début de la vingtaine, donc, c'est l'amour, vous savez, un peu dans les nuages.

Mme Harel: Vous pensez qu'après un premier échec les aspirations changent?

M. Laquerre: Peut-être, oui, un peu du moins, un peu. Et là, ils ont beaucoup d'espoir à tout point de vue, au point de vue économique et ils n'ont rien, pratiquement. Donc, c'est facile de tout mettre en commun quand on n'a rien. C'est facile. Mais je pense que cela correspond à leur mentalité et, aussi, ils veulent habituellement à cet âge-là avoir une couple d'enfants, ce qui n'est pas nécessairement le cas lorsqu'ils se marient en deuxièmes ou troisièmes noces. En tout cas, pas selon mon expérience personnelle. Je peux me tromper, encore une fois, mais cela correspond à ce que j'ai vécu avec les clients que j'ai rencontrés. La mentalité était très différente.

Mme Harel: Alors, je vais vous remercier, Me Laquerre, je vais vraiment vous remercier, c'est important pour une commission parlementaire d'avoir des témoignages de groupes de pression, d'opinion, d'influence, mais c'est aussi vraiment important d'avoir des témoignages d'expert, que vous êtes, et chacun des témoignages d'expert devant la commission est un plus dont on profite beaucoup. Je vous remercie, c'est un geste de bon citoyen et je pense que nous en profitons beaucoup. Je vous remercie.

M. Laquerre: Je vous remercie pour vos bons mots.

La Présidente (Mme Bleau): Alors, je vais maintenant passer la parole au ministre de la Justice.

M. Rémillard: Professeur Laquerre, il me fait particulièrement plaisir de vous accueillir ici, à l'Assemblée nationale. Vous êtes un professeur de la Faculté de droit de l'Université Laval, vous êtes un professeur qui a su montrer sa compétence, un professeur apprécié de ses étudiants, et vous nous avez montré votre compétence aujourd'hui par la qualité de votre exposé. Une question très brève. Certains intervenants, devant la commission, ont mentionné que l'on pourrait atteindre les mêmes résultats que nous recherchons, c'est-à-dire ce principe du partage du patrimoine - au lieu de dire "familial", pour ma part, j'aime ça dire patrimoine commun - en rendant obligatoire le régime de la société d'acquêts. Est-ce que vous pensez que, de fait, c'est vrai?

M. Laquerre: Moi, je me suis fixé certains paramètres, que je crois qu'il ne faut pas dépasser. Et, par exemple, le principe de l'autonomie de la volonté qui est un grand principe du droit civil, je pense qu'il faut essayer de le respecter le plus possible et c'est pour ça que je crois qu'il ne faut pas aller trop loin non plus. Il faut rester dans le juste milieu. Alors, je veux bien qu'on prenne des dispositions impératives qui assurent une protection à ceux qui en ont vraiment besoin, mais cela ne doit pas aller trop loin, il faut rester dans le juste milieu. Alors, c'est pour cela que je pense qu'il faut adopter un régime de base primaire impératif, tel que je l'ai défini tantôt, mais pour le reste, pour tous les autres biens, je pense qu'il faut laisser les époux décider eux-mêmes si leur mariage va entraîner une mise en commun de tous leurs biens ou presque, ce serait la société d'acquêts, ou si leur mariage n'entraînera à peu près pas de mise en commun, la seule mise en commun sera ce qui est prévu dans le régime impératif à ce moment-là, et ils choisiront la séparation de biens. (19 heures)

En ce qui me concerne, je pense que c'est plus sage et que c'est un plus grand respect d'un principe de base du droit civil qui est l'autonomie des individus, de laisser les individus organiser la gestion et l'administration de leur patrimoine selon leur désir. En tous les cas, c'est comme ça que je vois les choses. L'autre aspect qui est important dans tout cela, c'est qu'on ne doit pas non plus aller trop loin, de

façon à pousser les gens en grande quantité vers l'union de fait. Il y a aussi cette question qui me préoccupe, je l'admets. Si on va trop loin dans les dispositions impératives, c'est bien sûr qu'il y aura des gens qui seront de plus en plus poussés vers l'union de fait et on ne doit pas oublier cette question, je crois.

La Présidente (Mme Bleau): Alors, au nom de la commission, est-ce que vous avez d'autres commentaires? Merci beaucoup, Me Laquerre. Je voudrais maintenant déposer au nom du président de la commission un mémoire qui porte le numéro 18M, présenté par le Comité crédit, budget et endettement de la Fédération nationale des associations de consommateurs du Québec. Nous sommes rendus à vos remarques officielles finales, Mme la représentante de l'Opposition officielle.

Conclusions Mme Louise Harel

Mme Harel: Alors, Mme la Présidente, c'est dans des moments comme ceux-ci, au moment des ouvertures ou clôtures de commissions que je me rends compte combien, parfois, on est démuni, finalement, en ressources à l'Opposition, parce que je pensais cette semaine, que j'avais comme responsabilité la main-d'oeuvre et la sécurité du revenu, les politiques familiales, la condition féminine, les services de garde à l'enfance et j'ai le privilège d'avoir Mme Harnois qui m'assiste dans tous ces dossiers. Elle, comme moi, souhaiterait pouvoir vous remettre, comme c'est le cas habituellement du côté ministériel, une intervention écrite qui nous permette, de part et d'autre, de suivre les travaux. Alors, j'ai quelques notes dont j'aimerais faire part à la commission et qui m'apparaissent importantes, parce que cette commission nous aura permis de mieux saisir, finalement, tous les aspects de la proposition gouvernementale, mais aussi d'examiner la situation de pauvreté grandissante d'enfants des conjoints économiquement faibles, mariés en séparation de biens.

Je voudrais, Mme la Présidente, insister de nouveau - je le répète, je n'avais pas eu le privilège de le souligner au moment où le ministre de la Justice était parmi nous - sur le fait que nous sommes maintenant à plus de trois années du dépôt du mémoire Projet-Partage concernant les droits économiques des conjoints, à trois années d'élection du gouvernement, après deux années de l'annonce d'un comité sur les droits économiques des conjoints, à plus d'une année du rapport dudit comité et que nous terminons, pour tout de suite, l'examen d'un document gouvernemental qui n'est ni un projet de loi, ni un avant-projet de loi sur lequel nous pensons que nous aurons, de toute façon, à revenir, puisqu'il nous semble évident qu'un vrai projet de loi va nécessiter, en cette matière, une autre consultation sur les choix que le gouvernement va faire à la suite des recommandations qui lui ont été faites durant les présents travaux.

Nous devons savoir, je pense, au terme de ces travaux, à quand un vrai projet de loi, projet de loi qui va évidemment porter sur l'essentiel de ce que nous avons examiné. Alors, nous acquiesçons a l'urgence de légiférer, d'abord et avant tout, pour corriger l'absence de véritable protection du conjoint marié en séparation de biens. Nous pensons qu'il y a là matière à légiférer, même si c'est une proposition à caractère restreint, parce qu'il faut convenir... Il ne faut quand même pas être dupes des travaux que nous avons faits. Il s'agit, en partie, de corriger la situation des conjoints les plus économiquement faibles, mariés en régime de séparation de biens. Alors, nous pensons que légiférer en ces matières n'amoindrit pas pour autant l'urgence et l'importance d'examiner l'ensemble des protections qui doivent être accordées à l'égard de toutes les familles, indépendamment de l'état civil des parents et indépendamment du statut conjugal des parents. Le ministre de la Justice avait raison d'appeler le patrimoine familial "patrimoine commun" puisque, en l'appelant patrimoine familial, c'est comme si on souscrivait à l'opinion voulant que les familles doivent être confondues avec le mariage. Nous savons pourtant qu'il n'en est rien et que, même si elles doivent être examinées et étudiées avec toute la réserve que la situation commande, le nombre grandissant de naissances hors mariage nous amène à considérer comme tout aussi urgent l'examen de ces questions. Alors, nous proposons qu'un comité interministériel obtienne immédiatement le mandat d'examiner à la fois le statut des conjoints de fait dans nos lois sociales, fiscales, familiales et autres, tout en examinant la nécessaire protection familiale, quel que soit le statut conjugal des parents qui cohabitent.

J'ai senti, tout au cours de ces travaux, le besoin de plus en plus évident d'harmoniser des lois qui sont de plus en plus incohérentes dans leur application. Je ne voudrais pas revenir sur l'ensemble de toutes les illustrations qui nous en ont été faites, mais qu'il me soit simplement permis de citer l'absence d'obligation alimentaire entre conjoints de fait, dans le Code civil, et la recherche inquisitrice d'un nouveau conjoint pour la femme assistée sociale, chef de famille monoparentale, afin d'obliger ce dernier à l'entretien de cette femme et des enfants dont il n'est pas le père. On pourrait évidemment - ce qui n'est pas mon intention - faire une liste impressionnante de ces Incohérences qu'on retrouve entre les diverses lois, qu'elles soient familiales, fiscales, sociales ou autres. Nous pensons qu'il est d'autant plus important d'étudier cette question que les jeunes couples choisissent de plus en plus de vivre en union de fait. Les statistiques que nous avons pu élucider au cours des travaux de notre commission nous ont quand

même permis de prendre connaissance de cette réalité qui est en progression chez les couples de moins de 35 ans.

J'insiste sur la composition interministérielle de ce comité. Comme l'ont dit plusieurs représentants et, certainement avec éloquence, les représentants du Barreau hier, c'est à la fois une question qui concerne la sécurité économique des conjoints, qui doit voir à intéresser le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, c'est une question qui, au premier chef, concerne la famille, qui doit intéresser le ministre délégué à la Famille, c'est également une question qui concerne au premier chef le ministre des Finances. On doit donc voir présents des représentants du ministre des Finances, bien entendu, du ministère de la Justice et du secrétariat à la Condition féminine. Nous pensons que c'est extrêmement important qu'au terme de nos travaux nous puissions convenir de l'urgence de légiférer sur une proposition gouvernementale, même à caractère restreint à la seule protection des droits des conjoints mariés en séparation de biens, mais il est tout aussi urgent de convenir de la nécessité d'examiner toute la question du statut des conjoints de fait et la question de la protection familiale dans ces cas. Mme la Présidente, j'avais également pris quelques notes pour souligner l'intérêt démontré par la ministre déléguée à la Condition féminine, pas uniquement à l'occasion de ces travaux, mais également depuis quelques mois. Évidemment, on ne peut que constater l'intérêt de la ministre et le désintérêt que semblent, tout au moins, manifester ses collègues. Une sorte de flottement a présidé à leur présence en commission. Une sorte de flottement qui peut laisser aussi entendre, avec la meilleure foi du monde, une sorte de flottement dans l'état de leur opinion sur ces questions. Il nous semble que la ministre doit être solidement épaulée pour mener rapidement à terme l'application d'une législation à cet effet.

Je terminerai en vous signalant en conclusion que nous considérons que, en matière de législation à l'égard des conjoints économiquement faibles, nous devons avoir comme objectif d'éviter le plus du possible la judiciarisation du partage des biens familiaux et que, par voie de conséquence, nous devons éviter le plus possible une trop grande discrétion judiciaire. En matière de prestation compensatoire - j'ai eu l'occasion d'en discuter à l'occasion d'un caucus avec mes collègues députés pour leur faire prendre conscience de l'importance de cette question et leur faire adopter une position - nous pensons qu'il faut élargir la prestation compensatoire aux conjoints économiquement faibles qui, sinon, pourraient être pénalisés. Nous pensons - à l'instar, évidemment, de l'ensemble des groupes qui sont venus devant la commission nous recommander l'inclusion des régimes privés de retraite - et il nous semble que tous les véhicules de régimes privés devraient être inclus dans le patrimoine familial. Il serait inadmissible, selon nous, que des conjoints économiquement faibles et sans revenus doivent recourir aux tribunaux pour quémander leur dû, à cause d'un patrimoine familial trop restreint et insuffisant qui exclurait les régimes de retraite et les régimes supplémentaires de retraite.

Nous pensons également, en matière de résidence familiale, qu'il ne faut pas simplement offrir un recours facilité en dommages-intérêts, mais qu'il faut introduire la clause obligatoire au moment de l'acquisition de la résidence ou au moment de la signature d'un bail, de manière à élargir le plus possible la protection. Nous pensons également bien d'autres choses, Mme la Présidente, sur ces questions, mais je pense que le temps qui m'est imparti est terminé.

Je voudrais terminer, par ailleurs, en insistant sur le fait que le gouvernement doit prendre ses responsabilités en matière d'accélération de l'adoption d'une législation, d'autant plus que, en saisissant l'opinion publique de la possibilité d'un partage, il laisse à des conjoints qui pourraient être tentés de s'y soustraire en accélérant des procédures en séparation, il laisse donc, cette possibilité ouverte. Ce serait encore une fois les conjoints économiquement faibles qui pâtiraient du retard à légiférer rapidement en ces matières. À partir du moment où l'opinion publique ou la société est saisie de ces questions, il y va de la responsabilité du gouvernement de légiférer rapidement. Je vous remercie, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bleau): Je vous remercie. Je céderai maintenant la parole pour une réflexion finale au ministre de la Justice.

M. Gil Rémillard

M. Rémillard: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais d'abord remercier tous ceux et celles qui ont participé au déroulement des travaux de cette commission sur les droits économiques des conjoints. J'aimerais tout particulièrement remercier ceux et celles qui, après avoir analysé le document de consultation qui avait été présenté, nous ont livré le fruit de leur analyse par des commentaires et des recommandations.

La qualité de ces analyses nous permettra d'améliorer la proposition prévue au document de consultation, de sorte que les rapports économiques entre les conjoints soient plus justes et plus équitables puisque c'est là notre but. (19 h 15)

De l'ensemble des mémoires qui nous ont été présentés, Mme la Présidente, au cours de ces consultations, une première conclusion s'impose. La très grande majorité des intervenants sont d'accord avec le principe d'un patrimoine familial ou commun automatiquement partageable entre les époux à la fin du mariage, quel que soit le régime matrimonial, et plusieurs considèrent que la masse de biens partageables devrait être plus importante que celle suggérée

dans le document de consultation. En effet, Mme la Présidente, la presque totalité des intervenants qui ont commenté le document de consultation a réclamé l'inclusion des régimes privés de retraite dans la masse de biens automatiquement partageables entre les époux. Nombreux sont ceux qui ont également réclamé l'inclusion, dans le patrimoine familial, d'autres biens à l'usage de la famille, telles la résidence secondaire des époux, les meubles qui la garnissent, les biens servant aux loisirs, même, comme la motoneige qu'on nous a citée en exemple.

Une deuxième conclusion, Mme la Présidente, ressort de ces consultations sur les droits économiques des conjoints. On semble d'accord pour ne pas assimiler, pour l'application du Code civil, l'union de fait au mariage. De façon générale, les personnes qui ont abordé cette question sont d'avis qu'il faut respecter le choix des personnes vivant en union de fait de ne pas être assujetties aux règles du mariage. D'ailleurs, je me permets, Mme la Présidente, de souligner que cette position est conforme à la décision prise, en mars dernier, par le comité des ministres du Conseil de l'Europe, qui recommandait uniquement à ses États membres de prendre les mesures nécessaires pour que les contrats de nature patrimoniale entre des personnes vivant en union de fait ne puissent être considérés comme nuls pour la seule raison qu'ils ont été conclus dans ces conditions. Vous vous souviendrez que cette question a été réglée lors de la réforme de 1980: l'article 768 qui prohibait les donations entre conjoints de fait a été abrogé. Par conséquent, les conjoints de fait sont libres aujourd'hui de convenir entre eux des règles qui leur conviennent pour le partage de leurs biens. Ils peuvent, s'ils le désirent, adopter par contrat un ensemble de règles qui équivaudraient à celles que le Code civil rend applicables aux époux. Toutefois, comme on nous l'a recommandé, des études seront faites pour assurer une certaine uniformité au sein des lois statutaires qui assimilent, pour l'application de leurs dispositions, l'union de fait au mariage.

Je considère que ces consultations, Mme la Présidente, ont été des plus fructueuses. Vous pouvez être assurée que nous accorderons toute l'attention nécessaire aux commentaires et recommandations qui nous ont été faits dans les mémoires et au cours de ces audiences pour l'élaboration de notre projet de loi. Des questions ont été soulevées; nous ferons les études nécessaires pour leur apporter des réponses. Plusieurs de ces questions sont éminemment complexes: Doit-on élargir le patrimoine familial pour inclure les régimes privés de retraite? Comment le tribunal évaluera-t-il cet actif? Quels seront ses modes de partage? Doit-on, de plus, y inclure la résidence secondaire et les meubles qui la garnissent? En définitive, quels sont les biens qui doivent constituer le patrimoine familial? Il faut également bien réfléchir à l'opportunité d'adopter une mesure transitoire qui permette aux personnes mariées, avant l'entrée en vigueur de la loi, de renoncer à l'application des règles de partage. Dès maintenant, Mme la Présidente, l'étude de ces questions sera approfondie de façon à présenter un projet de loi dans les meilleurs délais.

Je vous remercie encore une fois pour l'éclairage que vous avez apporté à nos travaux, mesdames et messieurs qui avez participé à ces travaux; je vous remercie de vos commentaires et de vos recommandations. Ils contribueront, j'en suis convaincu, à rendre encore plus équitables les droits et obligations des époux, afin de mieux répondre aux besoins de notre société québécoise contemporaine. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bleau): Merci, M. le ministre. Nous allons maintenant écouter les dernières remarques de Mme la ministre.

Mme Monique Gagnon-Tremblay

Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme la Présidente.

C'est avec un peu de regret que je clos cette commission parlementaire sur les droits économiques des conjoints. C'était ma première expérience en commission parlementaire. J'en sors vraiment enrichie et aussi alimentée de bonnes idées. J'ai constaté aussi qu'après mes trois années de vie politique active le droit me passionne toujours et, en particulier, le droit matrimonial.

Si on fait un bilan sommaire, 26 mémoires ont été déposés, provenant tant d'organismes, d'associations, de corporations professionnelles, que de particuliers représentatifs de tous les milieux sociaux. Sur ces 26 mémoires, 21 groupes ou particuliers ont été entendus et je dois dire que j'ai été vraiment impressionnée par la qualité des mémoires et de leur présentation. L'expertise et l'expérience propres à chacun des intervenants nous a permis d'avoir un éventail de points de vue très enrichissant. Ce que l'on retient de cette commission en ce qui concerne le partage du patrimoine familial, c'est que la presque totalité des intervenants s'est prononcées en faveur d'un partage du patrimoine familial, mais d'un partage élargi, c'est-à-dire en y incluant les régimes privés de retraite dans certains cas, et pour d'autres cas la résidence familiale et dans les deux cas, parfois. On nous a indiqué pour ce partage élargi aussi, dans la presque totalité des intervenants, qu'on était contre la possibilité d'y renoncer, que les mesures transitoires de trois ans mentionnées dans le document de consultation pouvaient causer certains problèmes quant au couple, lors d'une rupture, entre autres c'est-à-dire lors de la renonciation. Le fait aussi de pouvoir renoncer pourrait annuler les effets visés par la réforme pour les personnes déjà mariées en séparation de biens et, comme je le mentionnais, toutes les représailles que cela risque de causer entre les couples.

Quant à la protection de la résidence familiale, on nous a suggéré de l'inclure dans les contrats d'aliénation, pour éviter, entre autres, la signification et tous les embêtements que cette signification peut comporter.

Quant à la prestation compensatoire, il y a un établissement d'une présomption en faveur du conjoint collaborateur qui a été endossée par tous. Pour certains, un pourcentage déterminé, que ce soit de 30 % ou 50 %, pourrait avoir des incidences sur les pratiques de crédit. Par contre, la grande préoccupation était de conserver le recours à la prestation compensatoire en cas d'absence ou d'insuffisance de biens familiaux, aussi.

Quant aux conjoints de fait, on sait que la proposition gouvernementale ne les incluait pas pour les raisons que j'ai énumérées au début des travaux. Alors, nous nous sommes quand même préoccupés de cette question. Des interventions ont été représentées à la commission et je pense que ce qu'il en ressort, finalement, c'est que pour certains on n'a pas jugé à propos de les assujettir, d'autres ne s'étaient pas penchés tout simplement sur la question, d'autres voulaient qu'on les exclue, et, lorsque je dis que certains n'ont pas jugé à propos de les assujettir, c'était pour le moment. J'avais mentionné que tôt ou tard on va devoir faire un débat de fond sur la question des unions de fait. On devra tendre de plus en plus à harmoniser toutes les lois, nos politiques actuelles qui visent les conjoints de fait, mais ça ne me semble pas être le lieu privilégié, pour le moment, pour discuter à fond de ce sujet, mais bien en dehors et dans un véritable débat.

La commission parlementaire a aussi été l'occasion pour les intervenants de s'exprimer sur des sujets connexes, comme par exemple la révision et l'harmonisation de nos lois fiscales, les règles régissant les régimes de retraite. Et ce que je retiens aussi de la part de tous les intervenants, c'est qu'on souhaite que la proposition gouvernementale soit claire, précise, de façon, justement, à éviter le plus possible les recours aux tribunaux quant à son interprétation et son application.

Je suis personnellement satisfaite, à titre de ministre déléguée à la Condition féminine, des résultats de cette consultation qui rejoignent substantiellement la proposition gouvernementale. Celle-ci, comme je l'ai mentionné dans mon allocution d'ouverture, est une mesure correctrice du déséquilibre dans lequel se retrouvent les conjoints mariés en séparation de biens lors d'une rupture du mariage. On se souvient, dans les années soixante il n'y avait pas autant de divorces. La société d'acquêts de 1970, même si ce régime est un bon régime - maintenant on se rend compte de plus en plus qu'on l'adopte - finalement il y a encore tout près de 50 % des gens mariés sous le régime de la séparation de biens. On se souviendra également qu'en 1980, avec la réforme du droit de la famillle, chaque conjoint a engagé l'autre pour les dettes du ménage, les donations à cause de mort que les époux s'étaient consenties en considération du mariage sont devenues caduques, le tribunal s'est vu accorder le pouvoir de réduire ou d'annuler les donations entre vifs et d'en différer le paiement. Donc, il apparaissait tout à fait normal maintenant de proposer un partage d'un patrimoine familial qui pourrait rétablir l'équilibre économique entre les droits des conjoints au moment de la rupture. C'est non seulement une mesure correctrice, mais il m'apparaît que c'est aussi une mesure innovatrice, dans le sens qu'elle constitue une véritable institution de partenariat servant de base à l'organisation de la famille, à l'enseigne de l'égalité des conjoints, et aussi innovatrice par le fait de ne pas pouvoir y renoncer; on conserve cette mesure de non-renonciation. Je suis persuadée qu'on va certainement être en avance sur les autres provinces de "common law" avec ce partage en plus de biens familiaux. Quand je disais tout à l'heure que c'est une institution de partenariat, c'est tout à fait normal de partager ce que l'on bâtit au cours du mariage a la rupture. La mise en vigueur éventuelle d'un partage obligatoire des biens familiaux au Québec entraînera des changements de nature sociojuridique, c'est inévitable. Ces changements ont déjà pris place dans les autres provinces du Canada, dans nombre d'États américains et dans certains pays européens. Cette approche sociale du mariage viendra concrétiser l'égalité juridique des conjoints consacrée par la réforme du droit de la famille de 1980 et fournira, comme je le disais tout à l'heure, des bases solides à l'organisation des familles. Hommes et femmes s'engageront dans l'institution du mariage en toute équité et en toute connaissance de cause. N'est-ce pas là une façon de contribuer à ce que le mariage réponde aux aspirations et aux valeurs des générations montantes?

Comme le mentionnait le ministre de la Justice, nous travaillerons maintenant à l'élaboration, au cours des prochaines semaines et des prochains mois, d'un projet de loi. Si on devait inclure les régimes privés, comme on nous l'a mentionné, je pense qu'on devra s'associer l'expertise des spécialistes dans le domaine. On devra prendre aussi en considération toutes les suggestions et commentaires qui nous ont été apportés au cours de cette présente commission. Personnellement, je souhaite fortement que l'on puisse déposer le projet de loi à l'Assemblée nationale pour adoption au printemps prochain; c'est un souhait que je formule personnellement.

En terminant, Mme la Présidente, permettez-moi de remercier ceux et celles qui ont répondu à cette consultation, qui ont travaillé à l'organisation et au déroulement des travaux. Je pense au personnel du secrétariat de la commission, au personnel du ministère de la Justice, du secrétariat à la Condition féminine. Je voudrais remercier l'Opposition aussi et particulièrement Mme la députée de Maisonneuve qui, je l'ai

constaté, est une politicienne chevronnée, qui a beaucoup de suite dans les idées et qui sait planter le clou constamment au bon endroit. Malgré tout cela, j'ai énormément apprécié sa collaboration tout au cours de cette commission parlementaire. Je sais qu'elle a tout autant à coeur que moi ce dossier du partage des droits économiques, elle m'a assurée de sa collaboration de tous les instants et je veux vraiment la remercier.

Je voudrais remercier mes collègues aussi qui ont participé à cette commission parlementaire. Donc, un merci à vous tous et toutes et en espérant qu'il y aura des suites à donner à ce projet. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Bleau): Alors, merci beaucoup, Mme la ministre, et nous allons ajourner nos travaux sine die.

(Fin de la séance à 19 h 29)

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