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(Dix heures quinze minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission des institutions reprend donc ses travaux de consultation
générale et d'auditions publiques sur le document gouvernemental
intitulé "Les droits économiques des conjoints". L'ordre du jour
pour aujourd'hui, nous recevrons d'abord la Commission des services juridiques,
dont les représentants ont déjà pris place à la
table des invités, et la Fédération des associations de
familles monoparentales. Cet après-midi, la Chambre des notaires du
Québec, la Fédération des femmes du Québec et Me
Paul Laquerre, notaire et professeur de droit à l'Université
Laval. Cette consultation générale se terminera par les remarques
des représentants des deux partis, ce soir, vers 18 heures.
Je demanderais à la secrétaire d'annoncer les
remplacements, s'il y en a pour aujourd'hui.
La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Chevrette
(Joliette) est remplacé par Mme Vermette (Marie-Victorin) et M. Godin
(Mercier) par Mme Harel (Maisonneuve).
Le Président (M. Filion): Cela va. Je remercie Me
Giguère. Les représentants de la Commission des services
juridiques ont pris place devant nous. Pour les fins du Journal des
débats, je demanderais à Me Yves Lafontaine, président
de la Commission des services juridiques, de bien vouloir nous présenter
la personne qui l'accompagne et de commencer l'exposé de son
mémoire.
Commission des services juridiques
M. Lafontaine (Yves): La personne qui m'accompagne est Me Suzanne
Pilon, qui est au service de recherche de la commission. C'est elle qui va
présenter le mémoire, mais elle n'a pas été seule
à le rédiger parce qu'à l'aide juridique les
mémoires sont faits en comités d'avocats qui viennent de
différentes régions. Inutile de vous dire que, par la force des
choses, ils et elles sont devenus des spécialistes dans le domaine des
séparations, des divorces ainsi que du partage des biens, des pensions
alimentaires, etc. À titre d'exemple, pour les cinq premiers mois de
l'année, on a déjà été présents pour
13 000 clients, tant pour des séparations, des divorces que pour des
pensions alimentaires. Donc, cela fait partie de notre réalité
quotidienne.
On doit dire aussi que, d'une certaine façon, notre
clientèle nous a amenés à nous spécialiser dans la
pauvreté féminine parce qu'une grande partie de notre
clientèle, dans ce domaine particulier, ce sont des femmes et des femmes
pauvres, bien entendu, étant donné qu'elles sont admissibles
à l'aide juridique. Il ne faudra pas vous surprendre si vous retrouvez
dans notre mémoire un certain biais vis-à-vis des femmes pauvres.
Je pense que c'est normal; c'est notre clientèle qui nous amène
à parler de cela. Donc, on va représenter seulement une partie de
l'intérêt public, on comprend que c'est votre domaine.
Notre spécialisation nous a amenés aussi, bien entendu,
à aller sur le marché des publications. On pense à Me
Jean-Pierre Sénécal, qui est cité
régulièrement dans la plupart des jugements, et à Me
Suzanne Pilon, qui a commis, à l'occasion, quelques volumes sur le
sujet. Suzanne va d'ailleurs vous présenter le mémoire.
Je voudrais faire deux ajouts, auparavant, étant donné
qu'on n'a pas tellement de temps pour examiner les documents, rédiger
les mémoires et les envoyer à temps. Deux choses nous ont
frappés qu'on ne retrouve pas dans le mémoire. Curieusement, on
en parle dans l'édito-rial du Devoir de ce matin. Qu'en est-il
concernant les enfants issus de conjoints de fait? Je comprends qu'ils ont
droit à une pension alimentaire, mais c'est évident que le
conjoint de fait, qui n'a pas droit aux mêmes avantages que la personne
mariée, n'est peut-être pas dans la même position
vis-à-vis de son enfant qu'une personne mariée pourrait
l'être. Il y a peut-être là une certaine discrimination
qu'il serait bon de réexaminer, quant à se pencher sur le sujet.
Je comprends que c'est un sujet perfectible et qu'avec le temps aussi il a
été amélioré.
L'autre question qui n'a pas été soulevée
jusqu'à présent, mais qui est importante pour nous, c'est qu'on
parle d'un partage à 50-50, mais il existe une réalité qui
s'appelle des honoraires et des frais qui font que ce n'est peut-être pas
50-50. C'est peut-être 40-40 et 20, et le 20, à ce
moment-là, c'est un partage de biens familiaux, mais qui ne retournent
pas dans la famille. Ils s'en vont en honoraires professionnels. Je pense qu'il
n'y a rien d'illégal là-dedans, sauf que cela représente
une partie du patrimoine qui s'en va en honoraires. La pratique de fonctionner
à pourcentage dans ce domaine me semble abusive dans certains cas.
Cela dit, je vais demander à Mme Pilon de présenter notre
mémoire en résumé. Inutile de vous dire qu'on aimerait
procéder par questions aussi, s'il y a des sujets qui n'ont
peut-être pas déjà été vus, mais cela me
surprendrait étant donné que vous en êtes rendus à
la dernière journée. Je vous remercie.
Le Président (M. Filion): Merci, Me Lafontaine.
Mme Pilon (Suzanne): Merci. Dans un premier temps, je vais vous
résumer brièvement le mémoire et surtout faire ressortir
à chaque chapitre les points qui nous semblaient les plus importants et
sur lesquels nous avons davantage insisté ou pour lesquels nous avons
suggéré des modifications différentes de vos
propositions.
Nous avions, quand nous avons abordé le mémoire, certains
objectifs qui nous semblaient très importants compte tenu du genre de
clientèle que nous représentons et aussi du problème,
comme l'a dit Yves, qui nous préoccupe de plus en plus, soit la
féminisation de la pauvreté. Il est important pour nous, dans un
premier temps, de maintenir la liberté contractuelle - c'est un concept
qui est omniprésent au Québec - et la liberté de tester,
qui, on le sait, est importante chez nous. Cela fait au-delà de 100 ans
que les gens font des contrats de mariage. Cela fait partie de la vie courante.
Les gens pensent important à l'occasion de régler leurs
intérêts financiers par contrat et je pense qu'il faut respecter
cette liberté.
Deuxièmement, l'égalité des rôles des
conjoints durant le mariage et au décès, c'est un concept que le
législateur a introduit en 1980 dans sa réforme du droit de la
famille, mais on constate finalement qu'au moment de la dissolution du mariage
ou du régime matrimonial ce concept-là subit peut-être
quelques entailles.
Le troisième principe qui nous tient à coeur, c'est le
traitement équitable des conjoints au moment d'une rupture. Les
nombreuses études qui commencent à surgir sur le
phénomène de la féminisation de la pauvreté et du
partage inégal des biens démontrent une entaille très
grande à ce principe du traitement équitable des conjoints. Je
pense qu'il est important de garder ce principe en tête.
Quatrième principe, la protection accrue du conjoint
défavorisé. Une protection non pas ponctuelle mais à long
terme et surtout une protection au moment de la retraite. Il faut garantir une
sécurité à la retraite à toutes les personnes
résidant au Québec.
En ayant à l'esprit tous ces objectifs il nous semblait que ia
proposition gouvernementale privilégiée par le gouvernement, soit
celle de la création d'un patrimoine familial et l'introduction de la
survie de l'obligation alimentaire au moment du décès,
répondait à ces objectifs.
Pour permettre ensuite les questions, je vais donc rapidement souligner,
dans chacun des chapitres dont vous avez traité dans votre document
d'orientation, les points qui nous semblent les plus importants. Quant à
la création du patrimoine familial, nous sommes d'accord avec la
proposition gouvernementale pour inclure au minimum dans ce patrimoine la
résidence, les meubles et l'automobile. Il faut bien voir que dans de
nombreux cas de séparation ou de divorce, de toute façon,
à l'exclusion de la résidence familiale, les meubles et
l'automobile n'entraînent pas particulièrement de
problèmes.
Les gens sont quand même capables de s'organiser et de partager
déjà ces biens.
Il nous a semblé aussi qu'il faudrait ajouter d'autres biens
à ces biens familiaux, si on veut vraiment s'assurer d'un partage
équitable et égal. On ajouterait, tout comme le Barreau que vous
avez entendu hier, la ou les résidences secondaires, mais celles qui ont
servi à l'usage de la famille. Il faut bien voir que ce sont quand
même des biens qui ont servi à l'usage de la famille et non
à l'utilisation personnelle d'un de ses membres.
C'est évident qu'en corollaire on peut ajouter les meubles qui
garnissent ces mêmes résidences secondaires. On peut aussi penser
- et, d'ailleurs, le ministre Rémillard y a fait allusion tout à
l'heure avant le début des auditions - à d'autres biens qui ne
sont pas nécessairement des résidences ou des meubles qui
garnissent mais qui, aujourd'hui, ont beaucoup d'importance pour certains
membres de la famille. C'est évident que pour notre clientèle je
ne parlerais pas d'un voilier sur le lac Champlain, mais je pourrais
peut-être penser à une ou deux motoneiges ou à des biens un
peu moins luxueux, mais qui sont quand même importants pour certains
membres de la famille. Souvent, ce sont les enfants qui sont
pénalisés parce qu'ils perdent l'usage de ces biens,
Et surtout, ce qui nous tient le plus à coeur et sur lequel nous
insistons davantage dans notre mémoire, plus particulièrement aux
pages 7, 8 et 9, c'est d'inclure dans les biens familiaux les fonds de retraite
privés. De nombreux arguments, que nous avons d'ailleurs cités,
militent en faveur de l'introduction dans les biens familiaux de ces
régimes de retraite privés. Il faut d'abord penser que, dans de
nombreuses familles, il n'y a pas de résidence familiale ou de
résidence secondaire à partager. À Montréal, 70 %
des résidents sont des locataires. Alors, il n'y a pas vraiment d'actifs
à partager pour ces familles.
Deuxièmement, il faut aussi penser qu'on va donner à
chaque conjoint la moitié de la valeur nette de la résidence
familiale, alors que ces montants ne représentent pas souvent des sommes
très considérables permettant d'assurer une protection et une
sécurité pour l'avenir. Troisièmement, comme nous l'avons
précisé, on ne veut pas non plus accorder une protection
ponctuelle, mais davantage favoriser une sécurité pour l'avenir
et s'assurer du bien-être des gens de façon plus
élargie.
Dans son document d'orientation, le gouvernement souligne que les fonds
de retraite privés ne sont pas des revenus différés. Or,
dans la loi actuelle, on voit déjà des distinctions, en ce sens
que, dans le régime actuel de la communauté de biens, les
contributions de l'employé au fonds de retraite doivent être
rapportées à la masse et elles sont sujettes à
récompense. Il y a donc, dans le régime actuel de la
communauté de biens, un certain partage des fonds de retraite
privés.
Nous pensons de toute façon que ces régimes de retraite
sont en fait des revenus différés. Ils constituent
évidemment de l'épargne forcée pour le conjoint qui y
contribue et qui peut finalement s'assurer une retraite "dorée". L'autre
conjoint, pour toutes sortes de raisons de contingence sociale que nous vivons
actuellement - sous-scolarisation, rôle joué durant le mariage,
charges familiales, travail sporadique ou à temps partiel - ne
possède pas de fonds de retraite et ne pourra jamais prétendre
à une protection maximale au moment de la retraite. Il ne faut pas
s'imaginer qu'un conjoint qui retourne sur ie marché du travail à
35 ans ou à 40 ans peut s'assurer une retraite pour 60 ans.
Enfin, comme dernier argument, nous avons souligné la nouvelle
loi fédérale sur les normes de prestation de pension qui
prévoit déjà, pour les employés des corporations
fédérales, un partage des fonds de retraite au moment de la
dissolution du régime, sous réserve d'une concordance avec les
lois provinciales. Tous les autres gouvernements provinciaux ont
légiféré de façon à permettre ce partage.
Pour nous, il semble donc y avoir simplement à ce chapitre une
inégalité et une inéquité entre les
résidents du Québec et ceux des autres provinces, sans parler des
employés des corporations fédérales qui travaillent au
Québec et dans d'autres provinces et qui ne sont pas traités de
la même façon, il nous semble donc important que le gouvernement
légifère de façon à inclure dans les biens
familiaux les régimes de retraite privés.
À ce chapitre du partage des biens familiaux, nous ne sommes pas
d'accord avec la mesure transitoire qui voudrait permettre pendant trois ans
aux conjoints mariés avant l'entrée en vigueur de la loi de se
soustraire à ce régime de partage des biens familiaux. Il faut
bien voir que la législation veut surtout protéger les conjoints
mariés avant l'entrée en vigueur de la loi qui n'ont pas pu
bénéficier des avantages de la loi ou qui n'étaient pas au
courant. Nous pensons qu'il pourrait s'exercer un certain chantage qui ferait
en sorte que ces mêmes conjoints perdraient les avantages de la nouvelle
loi.
On a peut-être simplement à se référer aux
problèmes vécus au chapitre de la déclaration de la
résidence familiale où on oblige le conjoint qui fait la
déclaration à informer son conjoint de cette déclaration.
Simplement à ce niveau - c'est en fait un droit qui ne fait pas de
partage - les conjoints qui enregistrent, qui sont la plupart du temps des
femmes, sont très réticents à informer le conjoint et
craignent beaucoup sa réaction. S'il s'agit en fait de se soustraire
à un régime de partage automatique de certains biens familiaux,
on peut s'imaginer que les pressions seront très fortes dans les trois
ans qui suivront l'entrée en vigueur de cette loi pour forcer certains
conjoints ou les amener à se soustraire à ce régime. Nous
pensons que ce régime est d'ordre public. Il devrait s'appliquer tout de
suite à tous les gens qui seront mariés à la date de
l'entrée en vigueur de la loi.
Au chapitre de la protection de la résidence familiale,
contrairement au document d'orientation, nous avons privilégié
d'abolir purement et simplement la procédure de déclaration de
résidence familiale qui est actuellement prévue dans ie Code
civil pour la remplacer par une déclaration qui serait faite dans tout
acte d'aliénation.
Je me souviens qu'au moment des discussions qu'il y avait eu en
commission parlementaire touchant le projet de l'Office de révision du
Code civil et le nouveau droit de la famille plusieurs intervenants avaient
aussi souligné qu'il serait peut-être plus approprié de
remplacer cette déclaration de résidence par une
déclaration dans l'acte d'aliénation. Nous croyons que ce
processus pourrait peut-être éviter certaines difficultés
que l'on rencontre actuellement.
D'autre part, nous aimerions souligner l'initiative du gouvernement qui
veut permettre la possibilité d'accorder un droit d'habitation de la
résidence à titre alimentaire. Je veux simplement ajouter que
cette initiative est valable et qu'elle va d'ailleurs dans le sens de la
jurisprudence récente, même celle de la Cour d'appel, qui accorde
actuellement des droits d'habitation à titre alimentaire. Mais, si on a
un texte clair et précis, on évitera à des conjoints
d'avoir à assumer des frais pour faire reconnaître ce droit. (10 h
30)
En ce qui concerne la prestation compensatoire, nous ne sommes pas
sûrs, à la lecture du texte, si les propositions qui sont
avancées par le gouvernement veulent restreindre la prestation
compensatoire au conjoint collaborateur, ou si l'on veut ajouter aux
dispositions de l'article 559 afin de préciser les modalités de
la prestation compensatoire en ce qui touche le conjoint collaborateur. Il est
évident, pour nous, que l'article 559 doit demeurer dans le texte de
notre Code civil, parce qu'il peut se révéler nécessaire
pour des biens qui ne seraient pas des biens familiaux. Un conjoint pourrait
vouloir prétendre à une prestation compensatoire en ce qui touche
les biens de son conjoint que je pourrais qualifier de propres À ce
moment-là, il faudrait - c'est important pour nous - que les
recommandations du gouvernement viennent s'ajouter aux dispositions qui
existent déjà. Évidemment, nous sommes d'accord pour
reconnaître de façon particulière le travail du conjoint
collaborateur. Nous aimerions simplement ajouter, puisque le gouvernement offre
Sa possibilité de payer cette prestation compensatoire par un droit de
propriété dans un régime d'épargne-retraite, qu'on
pourrait peut-être aussi étendre cette modalité de paiement
à d'autres types de condamnations. Par exemple, une condamnation
à une somme forfaitaire. Je sais qu'actuellement certains avocats au
Québec essaient de faire valoir devant les tribunaux que la valeur de la
rente actuelle de l'ex-conjoint est assez élevée pour autoriser
le
tribunal à accorder une somme forfaitaire.
On se sert déjà au Québec de cette valeur
actuarielle du régime d'épargne-retraite pour aller chercher une
protection supplémentaire pour l'ex-conjoint. Il serait
intéressant qu'un texte de loi vienne confirmer cette possibilité
et éviter ainsi des plaidoiries longues et ardues. Il est évident
pour nous que, si ces dispositions devaient être adoptées par le
législateur, ce serait toujours sous réserve que le
législateur ne voudrait pas inclure dans le patrimoine des biens
familiaux les fonds de retraite privés. Advenant que ces fonds de
retraite soient inclus dans le patrimoine des biens familiaux, à ce
moment-là, il y a moins d'urgence ou d'utilité à vouloir
prévoir la modalité de paiement d'une prestation compensatoire
par un droit de propriété dans un régime
d'épargne-retraite.
En ce qui touche le régime de la société
d'acquêts, nous n'avons rien de particulier à dire. Nous aimerions
peut-être simplement soulever les commentaires du Barreau qui demandait -
et je pense que c'est implicite dans le contexte de toutes nos recommandations
- que la qualification des fonds de retraite soit modifiée afin que ces
fonds de retraite deviennent des acquêts et non des propres, comme dans
le régime actuel.
En ce qui concerne le régime de la communauté de biens, la
volonté du gouvernement de vouloir transformer les régimes de
communauté en régimes de société d'acquêts
modifiés avec mesures transitoires, nous avons souligné, comme le
Barreau d'ailleurs, que nous n'y voyions pas d'urgence, de
nécessité. Actuellement, les avocats dans le réseau de
l'aide juridique sont capables de régler les problèmes. On
amènerait peut-être beaucoup d'autres problèmes et beaucoup
d'autres difficultés à vouloir essayer de modifier le
régime. Puisqu'il y a de moins en moins de gens qui sont actuellement
mariés sous le régime de la communauté - il faut quand
même constater que c'est depuis 1970 que ce régime n'est plus le
régime légal - il y aurait peut-être avantage de laisser
les choses comme elles étaient. Je sais que le Barreau disait que les
avocats n'avaient pas le texte de loi en main pour être capables de
juger, mais tous ceux qui ont le Code civil Wilson & Lafleur ont les vieux
textes de loi intégrés dans leur Code civil.
Quant à la question de la survie de l'obligation alimentaire,
nous sommes favorables à la proposition du gouvernement,
c'est-à-dire de s'aligner sur cette survie de l'obligation alimentaire
par rapport à la réserve héréditaire. Nous avions
déjà produit un mémoire, d'ailleurs, il y a quelques
années, sur cette question. Alors, dans nos commentaires, nous avons
simplement repris les commentaires que nous avions faits à
l'époque touchant les propositions d'amendement qui avaient
été formulées. J'aimerais simplement souligner que dans
l'ensemble nous sommes d'accord avec la proposition gouvernementale, sous
réserve de deux petites modalités: réduire peut-être
le délai pour intenter les procédures d'un an à six mois,
et aussi prévoir que cette obligation alimentaire devrait se faire
simplement par une somme forfaitaire et non pas par paiements
périodiques, afin qu'aussi bien les héritiers que les
descendants, les conjoints ou les personnes à charge puissent, de
façon assez rapide, clarifier leur situation et éviter que ces
recours traînent en longueur et laissent dans l'insécurité
nombre de personnes qui sont impliquées dans le règlement des
successions.
En gros, ce sont les commentaires que nous avions à formuler sur
le document. Je dois vous dire que nous étions très heureux,
à la Commission des services juridiques, que ce document soit
déposé. Nous sommes, dans l'ensemble, favorables aux propositions
gouvernementales, sous réserve des ajouts que nous aimerions y voir. Je
vous remercie.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me Pilon ainsi
que Me Lafontaine. Mme la ministre déléguée à la
Condition féminine.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mes Pilon et Lafontaine, de votre
présentation. Je pense qu'on voit vraiment que les gens qui ont à
régler, finalement, les cas de rupture sont très près des
préoccupations, des problèmes, de la problématique et
trouvent que cette proposition est tout à fait adéquate dans les
circonstances.
Vous êtes - comme bien d'autres intervenants qui nous en ont fait
part - parmi ceux qui espèrent avoir un patrimoine plus élargi
des biens familiaux, entre autres, la résidence secondaire, comme vous
le mentionnez, et tout ce qui permet à la famille de vivre
convenablement sur le plan des loisirs, des sports, de la motoneige et ainsi de
suite, et aussi sur le plan des régimes privés.
Vous soulignez, peut-être avec raison, le fait qu'à la
suite de la nouvelle loi fédérale on devra adapter notre propre
loi au partage des fonds de retraite privés ou publics lors de la
rupture. Je reviens au régime privé. Si on devait les inclure,
que ce soit sur le plan du partage du patrimoine familial aussi bien que sur
celui du régime privé, j'imagine que vous tenez toujours compte
de la durée de la collaboration, de la durée du mariage, que vous
prenez toujours en considération cette durée?
Mme Pilon: Oui, mais je pense qu'en général, selon
la façon dont les lois sont faites, le partage ne se fait que pour les
années de vie commune. Alors, à ce moment-là, le partage
du régime ne se fait que pour les années de vie commune. On ne
tient pas compte des années où les gens n'ont pas vécu
ensemble.
Mme Gagnon-Tremblay: II y a plusieurs groupes qui nous ont
parlé d'un partage, soit le partage au moment de la rupture ou soit un
partage lors de la retraite du bénéficiaire. Est-ce
que vous vous êtes penchés là-dessus, ou bien si
vous ne I'ave2 pas abordé tellement, pour voir les implications, les
avantages et les inconvénients de l'un ou de l'autre?
Mme Pilon: Non, je peux vous dire qu'on n'a pas tellement
réfléchi sur la question sous réserve de demander le
partage au moment de la rupture, afin d'assurer une sécurité au
conjoint qui serait défavorisé par ce type de partage. On n'a pas
vraiment réfléchi sur la question. Je sais, par exemple, que,
quand on regarde les modalités de partage qui sont prévues dans
la loi fédérale, c'est évident que le conjoint
défavorisé ne reçoit pas immédiatement un
bénéfice, parce que le partage va s'effectuer par un transfert
dans un fonds de retraite prévu pour le conjoint
défavorisé. Alors, c'est vraiment une sécurité
à la retraite. Si on veut partager ces fonds à la retraite, si
les gens vivent ensemble, de toute façon, au moment de la retraite, il y
a une contribution familiale. Alors, il n'y a pas de problème. S'ils ne
vivent plus ensemble et qu'il y a eu un partage, les gens vont
bénéficier du partage qui aurait été fait
antérieurement.
Mme Gagnon-Tremblay: Pour la prestation compensatoire, l'objectif
visé dans le document de consultation était vraiment d'assujettir
uniquement la collaboratrice et, pour tout le travail fait au foyer, le partage
du patrimoine tenait lieu d'une certaine reconnaissance. Par contre, ce qui est
intéressant - je pense que c'est le Conseil du statut de la femme qui
nous soumettait cette hypothèse - au cas où il n'y aurait pas de
biens familiaux à partager, de conserver alors la prestation
compensatoire non seulement pour la collaboratrice, mais pour toutes ces autres
clientèles, lorsqu'il n'y aurait pas de biens familiaux ou insuffisance
de biens familiaux.
Mme Pilon: Dans la première loi ontarienne qui date de
1978, qui a été modifiée depuis ce temps-là et qui
inclut tous les biens de la famille, il y avait une disposition qui
prévoyait la possibilité de demander une prestation compensatoire
pour les biens autres que familiaux. D'ailleurs, la cause de Leatherdale
à la Cour suprême était ce genre de situation où
madame avait contribué à l'enrichissement du fonds de retraite
privé - un genre de REER - de son conjoint, et la Cour suprême a
reconnu sa contribution.
Alors, je pense que c'est important de garder cette disposition, afin de
couvrir les autres biens qui ne sont pas compris dans les biens familiaux. Pour
les petites familles, les familles moyennes, il est évident que, si le
gouvernement allait dans le sens de nos recommandations, de nombreuses familles
verraient la majorité de leurs biens partagés par ce genre de
disposition. Mais il faut quand même tenir compte qu'il y a des gens qui
ont d'autres biens, qui sont des gens plus fortunés. Il faut quand
même respecter ces gens aussi et donner la possibilité à
des conjoints de retirer le maximum, s'il y a lieu.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous êtes d'accord avec la proposition
quant au renversement du fardeau de la preuve concernant la prestation
compensatoire. Je n'ai pas entendu non plus de commentaires dans le sens que
vous étiez en désaccord avec les 30 % suggérés,
parce que je sais que plusieurs groupes sont intervenus pour dire: Mais
pourquoi 30 %? Pourquoi ne serait-ce pas 50 %? Est-ce que vous avez pris
position là-dessus? Est-ce que vous pensez que les 30 % sont
raisonnables ou si vous suggérez également 50 % ou, enfin, ne
mettre aucun pourcentage, finalement?
Mme Pilon: Le fait qu'il y ait présomption, c'est à
l'avantage du conjoint collaborateur, naturellement qui n'était pas
propriétaire de l'entreprise. Je dois dire que nous n'avons pas
réfléchi longtemps sur le pourcentage. Cela nous semblait en tout
cas à ce moment-là... Je puis dire que le commentaire dont je me
souviens, c'est que cela reflétait peut-être plus que ce que les
tribunaux ont tendance à accorder actuellement. On s'est alors dit que
c'était déjà un plus, parce qu'on ne va pas chercher de
façon générale aujourd'hui les 30 %. Si,
déjà, le législateur nous donne les 30 % au
départ... Mais, effectivement, on pourrait peut-être penser
à 50-50, étant donné que dans les biens familiaux on se
dirige vers 50-50. Mais on n'y a pas réfléchi plus que cela.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous ne vous y êtes pas
arrêtés plus que...
Mme Pilon: Mais cela nous semblait avantageux au départ,
parce que cela donnait déjà plus que ce qu'on est capable d'aller
chercher devant les tribunaux.
Mme Gagnon-Tremblay: Mais, pour vous, la présomption
était quand même importante.
Mme Pilon: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: Quant à l'insaisis-sabilité de
ia résidence, dans notre document, nous parlons d'un montant de 10 000 $
qui serait exempté, c'est-à-dire que la résidence serait
exemptée jusqu'à concurrence de 10 000 $ pour une dette,
comparativement à 5000 $ actuellement, et aussi, pour une vente
forcée, 70 % de la valeur. Je n'ai pas vu de commentaires à cet
effet. Plusieurs intervenants nous ont dit que de passer de 5000 $ à 10
000 $, c'est beaucoup en même temps. Quant aux 70 %, entre autres, la
Confédération des caisses populaires craignait que ce serait
difficile dans certains cas, car les 70 % étaient trop
élevés parce qu'on n'est pas
capable de récupérer 70 % dans certains cas de vente
forcée. Est-ce que vous avez une opinion sur cette
insaisissabilité?
Mme Pilon: Selon les clients que nous représentons,
l'intérêt de nos clients est effectivement d'aller chercher le
maximum au chapitre de la vente de ces immeubles. Je pense que, si les caisses
populaires ont des problèmes, il va falloir qu'elles travaillent
davantage avec leurs agents d'immeubles pour vendre les maisons au meilleur
prix possible. Il y avait peut-être une certaine tendance - je ne sais
pas, je vous dis cela simplement en commentaire personnel - et on sait
pertinemment... Je pense que tout le monde connaît des gens qui ont
acheté des maisons par une faillite ou par une dation en paiement, qui
ont acheté de la caisse à de très bons prix, il faudrait
peut-être que les caisses populaires soient moins conciliantes et soient
davantage sensibilisées.
Mme Gagnon-Tremblay: Mais je pense que les caisses visaient
davantage des cas très exceptionnels. Je pense, par exemple, à
une résidence qui est construite et, soudainement, on décide d'y
construire à côté quelque chose de... Disons, une
porcherie. C'est quand même...
Mme Pilon: Oui. Bien sûr. Ce sont les lois du
marché. Oui, c'est comme pour les maisons de
Saint-Basile. J'imagine qu'on va avoir de la difficulté à
les vendre à 70 % dans la prochaine année.
Mme Gagnon-Tremblay: C'est cela. Cela ferait en sorte que les
propriétés perdraient énormément de valeur.
Mme Pilon: C'est cela. Mais remarquez que l'on pourrait toujours
faire des ajustements ou prévoir des modalités dans des cas
exceptionnels, mais je pense que le principe d'essayer d'avoir 70 % de la
valeur municipale est un principe important.
Mme Gagnon-Tremblay: Le partage des biens familiaux pour vous, le
fait qu'on prenne en considération la durée du mariage, cela ne
cause pas de problème, non plus que pour un second mariage ou pour des
gens qui se marieraient en second mariage et qui seraient un peu plus
âgés. Cela ne cause pas de problème pour vous non plus,
n'est-ce pas?
Mme Pilon: Non, je pense que c'était acquis
qu'effectivement on ne doit considérer que les années de vie
commune, il faut voir que les gens, de façon générale au
Québec, ne se marient pas quatre, cinq ou six fois dans une vie. On peut
peut-être penser à deux ou trois mariages. On peut peut-être
dissoudre un mariage, mais cela ne veut pas dire qu'on va se remarier. De toute
façon, je pense que le législateur, comme le souligne Me
Lafontaine, a prévu une disposition où le tribunal pourrait
intervenir parce que le partage serait inéquitable. Je pense qu'il est
important que cette disposition demeure afin que, finalement, ce soient
vraiment les droits des conjoints qui soient protégés.
Mme Gagnon-Tremblay: Enfin, en dernier lieu, pour vous, le
partage du patrimoine familial ne vous paraît pas être un incitatif
aux cas d'union de fait?
Mme Pilon: Non.
Mme Gagnon-Tremblay. D'accord. (10 h 45)
Mme Pilon: Du tout. Je n'ai pas l'impression que c'est la
première préoccupation des gens quand on se marie. De
façon générale, l'ensemble de la population... D'ailleurs,
il suffit de voir, d'après ce qu'on a vécu jusqu'ici, combien de
fois les femmes - parce qu'il faut bien le dire - regardent leur contrat de
mariage. On ne s'intéresse jamais à son contrat de mariage, sauf
quand cela va mal. Alors on ne pense pas vraiment aux intérêts
financiers. Peut-être qu'aujourd'hui on y pense un peu plus parce qu'il y
a plus de publicité, on est plus sensibilisé à ces
problèmes surtout quand on voit la pauvreté des femmes, etc. Mais
c'est vraiment au moment où cela va mal qu'on y réfléchit.
Je ne pense pas que lorsqu'on décide de se marier ou non ce soit d'abord
la question financière qui entre en jeu, ce sont beaucoup d'autres
valeurs morales et sociales.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Pilon. Mme Pilon:
Merci.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme la ministre. Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Je voudrais
également souhaiter la bienvenue au président de la Commission
des services juridiques, Me Lafontaine, et à vous, Me Pilon. On est
vraiment chanceux à cette commission. Me Senécal accompagnait,
hier, la délégation du Barreau et vous-même, aujourd'hui.
Cela nous nous donne un éclairage d'experts sur le document.
Je voudrais me permettre, M. le Président, à ce stade-ci -
et je pense bien que nos invités vont me le permettre également,
c'est la première occasion que j'ai et je ne voudrais pas la manquer
parce que c'est la dernière journée - de transmettre au ministre
de la Justice ce que de nombreux groupes sont venus dire ici devant la
commission, mais il n'était pas là pour les entendre. Hier, il
est venu faire une petite visite, mais il est parti avant que je puisse lui en
parler. Comme c'est la dernière journée, nous voulons
connaître l'échéancier de ce qui suivra
les travaux de la commission.
Je voudrais vous rappeler que nous, de l'Opposition, avons
acquiescé, il y a trois ans, au fait de retirer du projet de loi 20 de
l'époque, qui est devenu loi même si elle n'est pas en vigueur, la
question du partage des biens en cas de décès. Il y avait le
Projet-Partage qui, dès 1985, a, je pense, suscité
l'intérêt d'une révision complète du partage lors de
la rupture du mariage par une séparation, un divorce ou un
décès. Il y a deux ans, un comité a été mis
sur pied. Il y a un an que le rapport du comité est terminé. Nous
en sommes toujours à un document et non pas à un avant-projet de
loi, ni à un projet de loi. Il y a une certaine urgence, pour ne pas
dire une urgence certaine qui a été transmise, au fur et à
mesure que les travaux de la commission avançaient, par l'ensemble des
groupes qui vous ont précédés. Comme nous terminons nos
travaux aujourd'hui, il est bien évident que nous souhaitons, au terme
de nos travaux cet après-midi, connaître
l'échéancier que le gouvernement... Et, comme c'est le ministre
de la Justice, je serais injuste si je n'adressais qu'à sa
collègue, la ministre déléguée à la
Condition féminine, cette demande d'échéancier qui
relève du ministre de la Justice.
Ceci dit, votre mémoire est intéressant. Vous le disiez
vous-même, il apporte un éclairage d'experts qui ont un contact
direct avec des familles pauvres. Vous mentionniez, depuis cinq mois,
au-delà de 13 000 causes en matière de droit familial. Ce sont
là essentiellement des personnes sans revenu puisque même
actuellement je crois comprendre qu'un chômeur qui reçoit des
timbres de l'assurance-chômage n'est pratiquement plus admissible
à vos services. C'est bien le cas?
Mme Pilon: C'est cela.
Mme Harel: D'entrée de jeu, Me Pilon, il y a eu un
échange... J'aimerais simplement vérifier toute la question de la
prestation compensatoire avec vous. Quand Me Senécal est venu hier, le
Barreau souhaitait, selon l'ensemble de son mémoire, qu'il y ait le
moins possible, et je lis exactement les propos qu'il nous tenait: "II faut
éviter la judiciarisation des partages de biens familiaux et, par voie
de conséquence, un trop grande discrétion judiciaire. " Et,
encore plus clairement, les représentants nous ont dit: II faut faire en
sorte d'éviter que des personnes aient à recourir aux tribunaux,
des personnes qui sont en l'occurrence des femmes le plus souvent, donc que les
femmes aient à recourir aux tribunaux pour quémander leur
dû.
Je crois comprendre que le recours à la prestation compensatoire
qui n'est possible que devant un tribunal, vous ne l'envisagez qu'au cas
où il n'y aurait pas de biens familiaux ou qu'ils auraient
été divertis pour toutes sortes de raisons, mais vous ne
souhaitez pas qu'il soit élargi du fait que ces biens seraient
insuffisants parce que le patrimoine serait trop restreint. En d'autres termes,
dans la proposition gouvernementale, on voit un recours à la prestation
qui, elle, permettrait un régime privé de retraite partageable et
le patrimoine, lui, n'inclut pas le régime privé de retraite.
Dans la mesure où le patrimoine ne l'inclut pas, dans la mesure
où, comme vous nous l'avez démontré, ce patrimoine
pourrait être quasi inexistant dans le cas, par exemple, de locataires
qui n'ont pas de résidence, ni principale ni secondaire, qui ont un
vieux "char" ou quelques meubles, cela viendrait sans doute multiplier les
recours devant les tribunaux pour que, par le biais de la prestation
compensatoire, les personnes puissent avoir accès au régime
privé de retraite. Je crois comprendre que ce n'est pas dans ce sens que
vous envisagez d'élargir la prestation compensatoire au conjoint.
Mme Pilon: Pour nous le maintien de la prestation compensatoire
telle qu'elle existe aujourd'hui, avec les précisions qui sont
apportées par le gouvernement, et là simplement pour
compléter un partage possible de biens non familiaux. Mais, dans notre
esprit à nous, le régime privé de retraite est compris
dans les biens familiaux. Alors, si ces régimes privés de
retraite sont compris dans les biens familiaux il y aura partage automatique
non judiciaire de ces régimes. Et, à ce moment, on dit: Laissons
la disposition qui touche la prestation compensatoire pour des biens non
familiaux. Comme Mme la ministre disait: II y a des personnes qui n'auront pas
de biens familiaux, ou presque plus, et qui pourront avoir choisi
d'acquérir chacun de leur côté beaucoup de biens non
familiaux. On peut penser à des actions, à des obligations,
à des résidences non familiales. Il y a des gens qui font de
l'immobilier, qui en font même un commerce. À ce moment, l'autre
conjoint peut avoir d'une certaine façon contribué à
l'enrichissement de ce patrimoine. Je comprends que cela implique une
judiciarisation en ce qui touche cette procédure, mais on dit qu'il faut
tout de même penser, si les gens sont obligés de s'asseoir et de
partager leurs biens familiaux, qu'il y a peut-être possibilité
aussi par la même occasion que certains autres biens soient
réglés en même temps, qu'on s'assoie, qu'on négocie
et finalement qu'on partage d'autres biens ou le reste. Il ne faut pas penser
que tous les cas vont venir devant des tribunaux. Cela va vraiment être
des cas exceptionnels.
Mme Harel: Je comprends donc que c'est pour des situations
très exceptionnelles, possiblement là où les biens
familiaux auraient pu être divertis par des agissements douteux d'un des
conjoints ou dans des cas...
Mme Pilon:... où il n'y en a pas. Mais vous avez raison
lorsque vous dites que, dans le contexte où le gouvernement fait sa
proposition, il est évident que, si les régimes privés
de
retraite ne sont pas compris dans les biens familiaux, on peut penser
qu'il va y avoir de nombreux débats judiciaires. J'ai d'ailleurs
souligné que déjà on commencait devant les tribunaux a
faire la preuve de la valeur actuarielle des rentes de façon à
faire la preuve de la valeur en capital du conjoint pour être capable
d'aller chercher une somme forfaitaire, d'aller chercher une protection pour
l'avenir. On commence à le faire parce qu'on ne peut pas se servir de la
loi fédérale. On a quand même trouvé des moyens
actuellement. Cela coûte très cher de faire la preuve de la valeur
actuarielle d'une rente. Il faut embaucher des actuaires et il y a
différentes façons de faire la preuve de la valeur actuarielle
d'une rente. On peut avoir une rente plus ou moins élevée selon
l'actuaire qu'on a choisi et selon sa façon de calculer. C'est
évident que cela peut amener des débats très coûteux
pour tout le monde.
Mme Harel: Je vous remercie, Me Pilon. M. le Président,
vous me permettez...
Le Président (M. Filion): Oui, sûrement.
Mme Harel:... une autre question? Concernant la loi
fédérale, vous nous en parlez notamment à la page 9 de
votre mémoire, vous venez de l'évoquer. Cette loi
fédérale, nous dites-vous, n'est pas d'application au
Québec, c'est d'ailleurs la seule province où elle ne trouve pas
matière à application puisque la loi provinciale concordante
n'existe pas. Me Pilon - je ne sais pas si je dois aussi poser la question
à Me Lafontaine - la loi fédérale prévoit
déjà qu'en cas de décès ou même en cas de
séparation il y ait partage, autant pour les couples mariés que
pour les couples conjoints de fait. Est-ce que vous avez une opinion sur cette
question? Vous avez fait l'analogie, avec raison, avec le retard que le
Québec accusait actuellement en ces matières. Est-ce que vous
avez une opinion sur cette question?
Mme Pilon: Je dois vous dire qu'au moment où on a
discuté du document d'orientation on n'a pas abordé la question
des conjoints de fait. Effectivement, c'est présentement un
problème. On peut constater qu'il n'y a vraiment pas d'uniformité
au Québec en ce qui touche les lois qui affectent les conjoints de fait.
Il y a de nombreuses lois sociales qui protègent les conjoints de fait.
Le Code civil, à ce jour, n'a pas introduit l'union de fait. Si on veut
faire l'analogie, par exemple, avec le Régime de rentes du
Québec, le conjoint de fait peut actuellement, au Québec, obtenir
une rente de conjoint survivant.
Mme Harel: Seulement lors d'un décès.
Mme Pilon: Oui. I! n'y en a pas actuellement...
Mme Harel: II n'y en a pas encore, lors d'une
séparation.
Mme Pilon: Non. J'aurais beaucoup de misère à vous
dire... C'est évident que, même au plan fiscal, dans tous les
domaines, on sent qu'il y a une certaine confusion, à l'égard des
conjoints de fait par rapport aux gens mariés. On a de la misère
à s'ajuster. On peut se poser la question: Si les gens choisissent...
Actuellement, on avance qu'il y aurait entre 10 % et 12 % des gens vivant en
union de fait. Si on décide d'accorder une protection aux gens qui se
marient - à un moment donné, il y a une décision politique
dans ça - si le gouvernement choisit de favoriser la famille, mais pour
un homme et une femme mariés avec enfants, à ce moment-là,
il y a des conséquences. Est-ce qu'on ne pourrait pas dire que si on
accorde une protection assez complète aux gens mariés, à
ce moment-là, le choix reste à faire aux gens qui ne veulent pas
entrer dans le système, et qu'il y aura des conséquences?
Il faudrait réfléchir plus longtemps sur la question.
Est-ce qu'on pourrait, d'une certaine façon, protéger les gens
mariés simplement avec les fonds de retraite et ne pas inclure les biens
dits familiaux? Je ne le sais pas. il y a de plus en plus de gens non
mariés qui vont devant les tribunaux pour aller chercher leur part du
butin, si je puis me permettre, parce que l'autre conjoint n'est pas prêt
à partager 50-50, et ils ont quand même un bon succès. Ils
y vont sur la base d'un enrichissement sans cause et d'une
société de fait et ils obtiennent des résultats quand
même assez positifs devant les tribunaux. D'ailleurs, certains juristes
vous diront que c'est plus avantageux, actuellement, de vivre en union de fait
pour faire un partage que de vivre marié avec un contrat en
séparation de biens.
C'est évidemment un problème complexe. Je pense qu'il
faudrait peut-être réfléchir sur la question dans une
optique un peu plus globale.
Mme Harel: Ce que vous nous dites est intéressant parce
que, finalement, cette possibilité de recours sur la base d'une
société de fait judiciarise malgré tout et n'est couverte
que lorsqu'il y a des biens, lorsqu'il y a de l'argent, d'une certaine
façon. Lors de la présentation de votre mémoire, Me
Lafontaine a parlé d'un editorial qu'on retrouve dans Le Devoir
d'aujourd'hui et qui, d'une certaine façon, nous rappelle que la
protection familiale... C'est-à-dire qu'il ne faut pas confondre famille
et mariage. Quand on parle de patrimoine familial exclusivement dans le cadre
du mariage, c'est comme si on excluait les familles comme n'en étant pas
quand elles sont hors mariage, d'une certaine façon. Il y a une sorte de
confusion qui est entretenue entre le concept de famille et le concept do
mariage. Finalement, c'est une protection qui n'est pas autant familiale
puisque, si elle l'était, elle chercherait à profiter à
l'ensemble des familles,
quel que soit l'état civil. C'est surtout une protection entre
conjoints mariés en séparation de biens. C'est peut-être
dans cette optique. Je ne vous dis pas qu'il ne faut pas
légiférer de façon urgente pour les conjoints
mariés en séparation de biens compte tenu des
déséquilibres économiques qui semblent assez
évidents qui en résultent. Mais c'est une protection entre
conjoints. (11 heures)
Je pense qu'on parle abusivement de protection familiale, à moins
que l'État ait décidé de confondre famille et mariage.
C'est peut-être la dimension, si vous voulez, la mieux articulée
compte tenu des travaux qu'on complète aujourd'hui. D'une certaine
façon, il y a une intense réflexion à poursuivre sur cette
question parce qu'on est en train de faire des catégories, notamment
celle des enfants nés hors mariage, qui sont extrêmement nombreux.
J'aurai les chiffres cet après-midi. On m'a cité un pourcentage
que je veux vérifier parce qu'il est surprenant. Le nombre d'enfants
nés hors mariage au Québec est en progression constante. Est-ce
que c'est là un peu l'expérience que vous avez? Dans votre
pratique, est-ce que vous avez pu faire un profil? Est-ce que les 13 000, ce
sont uniquement des dossiers de couples mariés?
Mme Pilon: Je n'ai pas les chiffres devant moi, mais de
mémoire je peux vous dire que, sur l'ensemble de ces 13 000 dossiers, le
plus grand pourcentage concernait simplement des demandes de pension
alimentaire. Alors, on peut présumer que ce sont des gens qui ne veulent
pas prendre de procédures actuellement ou qui ne sont pas mariés,
je ne pourrais pas vous faire la distinction, alors que les demandes
spécifiques de divorce ou de séparation doivent être un peu
moins nombreuses. Je pense que vous soulevez un problème
intéressant. Je regarde l'évolution des mentalités,
l'évolution des lois, surtout dans les autres provinces, depuis à
peu près dix ans. Je pense que ce qu'on a surtout voulu protéger
et améliorer, c'est le sort du conjoint lui-même. C'est pour cela
que quand on parle de biens familiaux c'est peut-être large un peu. Il ne
faut pas oublier que toutes ces lois viennent de décisions de la Cour
suprême qui avait, de façon catégorique, refusé
à un conjoint collaborateur, par exemple, la moitié des biens de
la famille. On ne s'était pas intéressé au sort des
enfants à ce moment-là et on avait dit: Cela n'a pas d'allure.
À ce moment-là, on a légiféré, mais c'est
d'abord pour protéger le conjoint dans la famille. C'est tellement vrai
que, qu'il y ait enfant ou pas, dans la proposition gouvernementale on va
partager. On ne partage pas seulement s'il y a des enfants. Je pense que c'est
important de le dire. En tout cas, je le vois un peu comme ça.
Mme Harel: Me Pilon, dans les autres provinces - je pense
à l'Ontario, et j'ai fait vérifier ce matin, dans le "Family Act"
de 1986 - la protection même du conjoint a été
élargie au conjoint de fait puisque la loi reconnaît maintenant
l'obligation alimentaire entre conjoints de fait. Quand vous me dites: Ce n'est
pas tant la protection du conjoint au Québec que la protection du
conjoint marié...
Mme Pilon: Oui, pour les biens. Effectivement, dans les autres
provinces, de façon générale, on a choisi - dans plusieurs
provinces, mais en Ontario, je le sais, c'est vrai - de protéger aussi
le conjoint de fait avec l'obligation alimentaire. C'est évident qu'au
Québec, quand on partage des biens, s'il y a des enfants, les enfants
vont avoir un bénéfice direct parce qu'il y aura plus d'actifs
pour le parent gardien. Mais c'est d'abord voulu, je pense, pour corriger des
inégalités et des inéquités qu'on a vues au fil des
ans, qui touchent le conjoint d'abord et surtout les conjoints mariés en
séparation de biens qui n'ont pas été sur le marché
du travail de façon constante et qui n'ont pas de protection pour la
retraite. Je pense que c'est surtout ça qu'on commence à voir.
C'est ça qui ressort dans l'ensemble des écrits. Quand on parle
de la féminisation de la pauvreté, c'est qu'il est évident
qu'une femme pauvre entraîne le fait qu'il y ait des enfants pauvres
aussi. Si on corrige ça, il reste le problème des enfants issus
d'unions libres qui vont vivre des problèmes. Actuellement, ils sont 12
% au Québec. Il va falloir faire une réflexion et essayer de voir
ce qu'on va faire avec cela.
Mme Harel: Les conjoints de fait sont peut-être 12 % au
Québec, mais leur nombre est en progression chez les couples de moins de
35 ans, et là ça double...
Mme Pilon: Mais il faut voir aussi que ces
couples-là...
Mme Harel: Ce sont surtout les couples en âge, si vous
voulez, de procréer. Quand vous regardez par catégorie
d'âge, vous vous rendez compte que c'est évident que ce
pourcentage a besoin d'être ventilé. Moi, les moyennes! M.
Lévesque, dans le passé, disait qu'on pouvait se noyer dans une
moyenne de trois pieds d'eau. Les moyennes, évidemment, il peut y en
avoir six pieds comme il peut y en avoir un pied. Alors, les moyennes ne
révèlent pas la réalité d'une
société. C'est quand on regarde ça par catégorie
d'âge qu'on voit qu'ii n'y a quasiment pas de conjoints de fait entre 55
ans et plus, mais qu'ils sont tous, enfin ils sont pratiquement tous en bas de
35 ans, c'est-à-dire à l'âge où ils ont plus
facilement la possibilité d'avoir des enfants.
Mme Pilon: Mais les conjoints de fait sont aussi de plus en plus
au courant de leur situation financière et des conséquences
économiques d'une rupture.
Mme Harel: Autant que les...
Mme Pilon: II y a de plus en plus de conjoints de fait, par
exemple, qui vont acheter en copropriété, parce qu'il y a quand
même une certaine publicité qui a été faite. On leur
dit de garder leurs factures, etc. Il y a aussi un phénomène de
baisse de natalité qui fait en sorte que ces gens-là ont moins
d'enfants que les gens en avaient avant. Ils n'ont peut-être pas tous des
enfants non plus, mais...
Mme Harel: Me Pilon, est-ce qu'ils sont plus au courant, selon
vous, que les conjoints en séparation de biens qui, eux, ne le seraient
pas? Finalement, il a été illustré de façon
évidente devant cette commission, Fernand Daoust, de la FTQ, le disait
hier, qu'il y aurait lieu de mener une grande campagne d'information du type de
celle qui s'est menée sur la violence conjugale, pour faire
connaître entre autres les avantages de ta société
d'acquêts. Ce serait surprenant que les conjoints de fait soient plus au
courant de leurs droits que les conjoints en séparation de biens et,
pourtant, ce régime est encore choisi.
Mme Pilon: Oui. Je pense que les gens qui sont en union libre ont
effectivement tendance à s'interroger davantage parce qu'il n'y a pas de
protection juridique, ils ne peuvent pas se rabattre derrière un texte
de loi ou derrière une situation juridique officialisée pour
faire valoir leurs droits. Ils ont donc tendance à s'informer un petit
peu davantage, je pense. Il y a eu aussi beaucoup de publicité de la
part du Conseil du statut de la femme il y a quelques années, sous forme
de brochures, séances d'information, etc., sur l'obligation pour les
conjoints de fait de voir vraiment à leurs affaires. Je me souviens
d'ailleurs qu'ils avaient fait une campagne publicitaire qui disait: Nos
affaires, faut y voir! On visait surtout les conjoints de fait. Je pense que
les gens s'informent de plus en plus. Pourquoi les gens mariés le
font-ils moins?
Mme Harel: Pourquoi le régime légal n'a-t-il pas,
malgré sa progression, le succès qu'il devrait avoir selon vous,
Me Pilon?
Mme Pilon: II y a certainement un manque de publicité. Il
y a peut-être aussi un manque d'encouragement de la part des notaires qui
doivent conseiller les gens qui se marient. Il y a aussi, il faut le voir, la
tradition ici au Québec de faire un contrat de mariage. C'est vraiment
dans les moeurs et dans les traditions de faire un contrat de mariage.
D'ailleurs, on le voit, on est rendu à peu près à 50 %.
Depuis 1970 on ne peut pas dire que la proportion a baissé
énormément. Il y a encore 50 % des gens qui font des contrats de
mariage. C'est encore beaucoup dans les moeurs.
Mme Harel: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme la
députée de Maisonneuve.
M. le ministre de la Justice.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Je voudrais
tout d'abord remercier Me Lafontaine et Me Pilon d'avoir accepté de
venir ici nous faire part de leurs commentaires et de nous avoir
présenté leur mémoire, qui est très bien fait. Je
voudrais les féliciter et les en remercier. Eux aussi apportent, par
leurs commentaires, une vue concernant ce patrimoine familial qui rejoint celle
de bien d'autres intervenants, c'est-à-dire qu'ils sont pour qu'on
puisse agrandir cette notion de patrimoine familial.
Tout à l'heure, Me Pilon nous mentionnait, bien sûr, les
régimes de retraite, mais aussi les maisons secondaires et même
des biens qui seraient chers à la famille, utilisés par la
famille - elle a mentionné la motoneige, c'est une période pour
penser à la neige, évidemment - dans ce contexte fondé
essentiellement sur le partage. Finalement, la notion qui nous garde dans nos
réflexions, c'est le partage en fonction d'un patrimoine que l'on
crée. Certains nous ont dit que cette notion de patrimoine nous venait
de la "common law"; que nous, ici, de tradition civiliste n'avions pas cette
tradition de patrimoine familial comme telle et qu'au lieu de se
référer à une notion de "common law" on pourrait tout
simplement se référer à nos propres institutions ici et
rendre obligatoire, par exemple, le régime de la société
d'acquêts pour régler tous les problèmes.
Vous avez parlé tout à l'heure des conjoints de fait. On
sait que ça peut causer des difficultés dans la
définition. On sait aussi que les conjoints de fait peuvent contracter
entre eux ou peuvent établir leur régime par des contrats dont
ils peuvent convenir entre eux, bien sûr. En ce qui regarde ceux qui
décident de se marier, donc d'établir leur partenariat parce
qu'il y a autant un partenariat, quand on n'est pas marié que quand on
l'est, le partenariat, quand on est marié, est un geste qu'on veut en
fonction de certaines conséquences et une de ces conséquences
serait justement cette notion de patrimoine familial. Est-ce qu'on ne pourrait
pas, Me Pilon, remplacer cette notion de patrimoine familial et tout ce qui
s'ensuit, en rendant obligatoire le régime de société
d'acquêts? C'est le notaire Comtois qui nous a fait cette proposition, je
crois. J'aimerais vous entendre là-dessus.
Mme Pilon: Compte tenu des objectifs que j'ai soulignés au
début, plus particulièrement le maintien de la liberté
contractuelle, j'aurais de la difficulté à vous suivre sur cette
voie. En Ontario, on est actuellement dans un régime qui n'est
même pas de genre société d'acquêts, mais
plutôt de genre communauté universelle. Dans les autres provinces,
la tradition de "common law",
avant 1978, en était une de non-intervention. Les gens
organisaient leurs affaires comme ils l'entendaient et ils n'avaient pas de
protection. J'aurais tendance à penser que les provinces de "common law"
sont de plus en plus clvilistes parce qu'elles légifèrent de plus
en plus et elles déterminent de façon de plus en plus
précise les droits de leurs citoyens. Il semble donc y avoir un
renversement pour protéger les gens.
Je pense qu'il faut quand même laisser aux gens le choix
d'administrer au moins une partie de leurs biens ou de décider du sort
d'une partie de leurs biens, et que la solution gouvernementale répond
à l'ensemble des objectifs des intervenants. On protège ce qu'on
considère être des biens familiaux, tout en laissant quand
même aux gens la possibilité de continuer d'administrer et de
gérer leurs autres biens. Je pense qu'il est important dans notre
tradition et dans notre droit de laisser cette possibilité aux gens. Les
gens sont habitués. Ce n'est pas du "common law" d'agir de la sorte,
mais simplement respecter nos traditions de la liberté contractuelle qui
est très importante au Québec. Les gens aiment s'occuper de leurs
affaires et les régler.
Je ne vois pas une société d'acquêts universelle
pour tous les conjoints qui se marient. D'ailleurs, l'Ontario laisse aux
conjoints la possibilité de se retirer en partie du programme. On
travaille donc à l'inverse en disant aux gens: Vous avez un
régime obligatoire, mais vous pouvez vous y soustraire par contrat.
Naturellement, dans les provinces de "common law", il n'existe pas de tradition
de faire des contrats, mais je peux vous dire qu'il y en aura de plus en plus
parce que de plus en plus de citoyens ne voudront pas se voir imposer un
régime aussi englobant et, par contrat de mariage, ils voudront essayer
de se soustraire à ce régime, sous réserve, naturellement,
qu'il y a des biens familiaux qui sont protégés et sur lesquels
on ne peut transiger. On va vivre le phénomène contraire en
Ontario et je suis certaine que de plus en plus de contrats de mariage et de
débats judiciaires vont se faire devant les tribunaux pour essayer de
contrer ce partage universel obligatoire.
M. Rémillard: Je vous remercie. Mme Pilon:
Merci.
Le Président (M. Filion): J'aurais peut-être une
question avant de vous laisser. Dans le mémoire que vous
présentiez en décembre 1985 au ministre de la Justice sur la
question de la survie d'obligation alimentaire et un peu dans le sens de ce que
vous disiez ce matin au sujet de la société d'acquêts, vous
écriviez, et je résume un peu, que le régime légal
de la société d'acquêts assurait en partie cette protection
nécessaire des conjoints en leur assurant un juste partage de leurs
biens; en somme, que le régime de la société
d'acquêts constituait théoriquement peut-être celui qui
instaurait une justice distributive entre conjoints de la façon la plus
aisée.
En réponse à la question du ministre de la Justice, et
vous le mentionnez dans votre mémoire, vous dites: II y a la
liberté contractuelle et on veut réserver aux conjoints une
partie de la libre administration de leurs biens, etc. De toute façon,
qu'on utilise une voie ou l'autre, tout le monde est d'accord pour qu'on
procède à une meilleure publicité du régime de la
société d'acquêts. Le notaire Comtois suggère qu'il
devienne le seul régime; hier, la FTQ nous disait que, quant à
elle, il constituait le meilleur régime. Mais je pense que, même
si la question n'a pas été posée à tous les
intervenants et à toutes les intervenantes, on s'entend pour dire
qu'à défaut d'en faire le régime obligatoire,
impératif, il faut en faire la publicité. Là, mon esprit
concret de praticien entre en ligne de compte: Qui va faire la publicité
de ce régime de société d'acquêts? Sûrement
pas les notaires puisque c'est le régime légal. (11 h 15)
II est difficile de concevoir que dans les antichambres de notaires on
incite les gens à retourner chez eux le plus rapidement possible parce
que, évidemment, entrer au bureau du notaire, c'est... Sans égard
aux origines de la ministre déléguée à la Condition
féminine, il demeure que c'est un fait. Il faut quand même
être concret. Ce n'est pas un hasard si le régime de
société d'acquêts n'est pas plus popularisé qu'il ne
l'est.
Qui va faire la publicité? Je vais poser la question aux
représentants de la Chambre des notaires quand on va les voir, cet
après-midi je pense. Mais force est de constater que c'est un
régime très peu connu. Deuxièmement, dans l'imagerie
populaire - et, encore hier, je me suis fais dire par des gens qui travaillent
au parlement que le régime de séparation de biens voulait dire
qu'on séparait les biens quand cela allait mal. Me croiriez-vous si je
vous disais qu'une intervenante, cette semaine, est presque entrée dans
cette ligne de pensée? Une personne qui était venue ici au nom
d'un groupe. Alors, je vous laisse imaginer ce que c'est pour le commun des
mortels.
Je vous pose la question. Vous aussi, vous désirez un peu plus de
publicité. Aimeriez-vous que le ministère de la Justice soit plus
vigoureusement impliqué dans une campagne visant à informer
adéquatement souvent des jeunes couples qui veulent se marier des
conséquences de leur choix? Je sais que la Commission des services
juridiques a aussi un excellent service d'information. Ils ont probablement
dû produire une minute juridique ou, avec Me Allard, on a sûrement
dû avoir un programme. Si vous avez réfléchi à cette
question, j'aimerais peut-être vous entendre sur cet aspect du dossier
qui est
administratif, peut-être pas juridique.
M. Lafontaine: Très brièvement. C'est un des
mandats de notre commission de donner de l'information juridique, pas seulement
aux pauvres, mais de façon générale. Nous croyons le faire
en partie parce qu'on n'est pas seuls à avoir un mandat
là-dessus, le ministère de la Justice aussi, et, comme vous le
disiez, le ministère d'État à la Condition
féminine. Ce qui a fonctionné le plus chez nous ce sont des
campagnes d'information où, dans presque tous les cas, ça a
été des avocates quand des mesures gouvernementales sortaient.
Une fois qu'elles sont adoptées par le législateur, on a
l'habitude de faire des séances d'information régionales et
mêmes locales. Nos avocates et, à l'occasion, quelques avocats se
dévouent, une partie des soirées, pour faire le tour de personnes
qui veulent être informées sur le sujet.
À chaque fois qu'il y a eu des modifications dans le domaine de
la famille, étant donné que c'est un domaine qui est important
pour nous, on a ordinairement procédé de cette façon tout
en ne négligeant pas, bien entendu, la radio et la
télévision parce qu'on peut dire que la télévision
est le moyen en or. C'est le moyen en or que tout le monde regarde, mais il y a
seulement ceux qui sont dans la situation qui sont réellement
intéressés et écoutent. À ce moment, ce sont les
séances d'information qui sont notre façon de vendre cela. Mais
on ne peut pas partir d'avance aussi longtemps que la loi n'est pas
adoptée, que la réglementation n'est pas approuvée parce
qu'à ce moment ce serait simplement jeter la confusion.
Ce qu'on peut vous dire c'est que si la commission parlementaire aboutit
à un projet de loi et que le projet de loi est adopté
ultérieurement, on va, comme dans le passé, recommencer, on va
prendre le bâton du pèlerin, on va essayer d'informer les gens de
la nouvelle situation parce que, quant à moi, il y aurait beaucoup de
problèmes à l'égard desquels l'État n'aurait pas
à légiférer et à consacrer beaucoup
d'énergies, de même que les tribunaux, avec les frais que cela
implique, si les gens étaient mieux informés de leurs droits.
Cela est très clair. Je suis vendu à çà à
150 milles à l'heure.
C'est évident que même pour les unions de fait, etc., il y
a toujours une question de culture derrière, il y a une question de
valeur de la société. Mais il faut que ces choses soient dites,
soient exprimées publiquement, que les gens sachent où ils s'en
vont. On aura beau légiférer comme on voudra, si les gens ne sont
pas au courant de la loi qui est votée, quant à moi, ça ne
vaut rien.
Mme Pilon: Je vais juste compléter en disant qu'il est
important que la publicité soit faite sur l'ensemble de ces lois. Avec
la publicité qui est faite dans les journaux depuis environ dix jours,
depuis que ia commission parlementaire siège, c'est Intéressant
de voir le feed-back que je peux avoir au bureau. Les avocats sont
déjà inquiets - c'est dommage, le ministre de la Justice a
déjà quitté - de savoir: Est-ce qu'on attend pour prendre
des procédures pour nos clientes parce qu'on sait déjà
qu'il y a peut-être des droits qu'on va perdre parce qu'on va obtenir un
jugement de divorce dans trois mois, alors que si on attend six mois est-ce
qu'il y aura une mesure transitoire qui va inclure les causes pendantes?
Déjà, les avocats sont très inquiets et commencent
à téléphoner pour savoir ce qu'on fait, quel est
l'échéancier et les gens aussi, les conjoints vont lire ces
informations dans les journaux et on va les voir dans notre bureau parce qu'ils
vont venir nous dire: Là j'ai droit à la moitié de tout.
Non, vous n'avez pas droit, madame. Cela va être dans un an et demi
peut-être que vous allez avoir droit à la moitié de tout.
C'est une publicité, mais c'est une publicité actuellement qui
est vide parce que ça fait mal, dans le fond. On ne peut pas
protéger nos clients actuellement et souvent on ne peut pas attendre
pour prendre les procédures. C'est un cas de violence. Il y a d'autres
problèmes. Il faut prendre les procédures. Il y a de gros
problèmes.
Maintenant, un dernier argument. Quand on parle de la publicité
par rapport à la société d'acquêts, malheureusement,
les clients qui viennent nous voir sont déjà mariés et ils
veulent une séparation ou un divorce. De par notre travail, on est
appelés à rencontrer beaucoup de gens déjà
mariés. Cette publicité doit être faite auprès des
jeunes. Elle peut être faite aussi au niveau secondaire, au niveau
collégial, dans le cadre des informations qui sont données dans
toutes sortes de cours qui se donnent dans les écoles au Québec.
Les enfants, en tout cas les jeunes, sont très mal informés de
leurs droits. Ils ne sont pas conscients non plus des conséquences
économiques, par exemple, de rester à la maison, de ne pas
travailler. On ne comprend pas actuellement tout l'impact financier de la vie
d'aujourd'hui. Je pense qu'il y aurait un travail à faire chez les
jeunes. Je parle chez les très jeunes, de 15 à 20 ans, qui ne
sont pas encore embarqués dans une union; que ce soit une union de fait
ou une union de couple marié, cela n'a pas d'importance. Je pense qu'il
y a beaucoup de travail à faire de ce côté.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Concernant
l'échéancier, je pense que la question a été
posée au ministre de la Justice, qui en a sûrement pris bonne
note. Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Je voulais juste terminer en vous
remerciant. Mais, avant de clore, je voulais vous dire qu'on avait choisi la
voie mitoyenne justement parce qu'elle nous paraissait la meilleure pour
permettre de conserver cette liberté de contracter pour les autres
biens. Cela nous apparaissait important dans
notre droit actuellement de ne pas faire de grands bouleversements.
C'est un premier pas. Après on verra ce qu'on peut faire. Me
Lafon-taine, vous aviez tout à fait raison tout à l'heure lorsque
vous disiez: Lorsqu'on n'est pas dans le pétrin, lorsqu'on n'est pas
face à un problème qui nous arrive, on est très peu
conscients de nos droits, qui qu'on soit; les hommes ne connaissent pas mieux
leur contrat de mariage que les femmes, c'est les deux conjoints. J'avais
l'occasion de dire à un groupe récemment: Quand ça va
bien, ça va bien, on ne se préoccupe pas de ce qu'il y a à
l'intérieur du contrat de mariage, c'est au moment où ça
va mal. Et, si ça va mal pour l'un des conjoints, c'est sûrement
la faute du notaire qui n'a pas bien conseillé le client! Je vous
remercie infiniment de votre présentation, Mes Pilon et Lafontaine.
Le Président (M. Filion): Au nom de tous les membres de
cette commission, merci, Me Pilon, merci, Me Lafontaine.
Je voudrais inviter les représentants et représentantes du
prochain organisme, la Fédération des assocications de familles
monoparentales, à prendre place à la table des
invités.
À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, bienvenue aux
représentantes de la Fédération des associations de
familles monoparentales. Est-ce que Mme Marie-France Pothier,
présidente, pourrait nous présenter les personnes qui sont
à sa gauche et à sa droite?
Mme Pothier (Marie-France): Oui. À ma gauche, Mme
Céline Signori, qui est directrice générale à la
fédération, et, à ma droite, Mme Madeleine Bouvier, qui
est agente de politiques.
Le Président (M. Filion): Vous connaissez nos
règles du jeu.
Mme Pothier: Oui, cela va.
Le Président (M. Filion): Une courte présentation
de votre mémoire suivie d'une période de discussions avec les
membres de cette commission.
Fédération des associations de familles
monoparentales du Québec
Mme Pothier: D'accord. Je voudrais commencer en disant que nous
sommes très heureuses d'être ici, très heureuses aussi
qu'il y ait une réforme qui s'amorce concernant le droit
économique des conjoints. Depuis longtemps, nous attendions des mesures
justes et équitables pour nos représentantes et pour toutes les
familles monoparentales au Québec.
Je voudrais vous dresser un petit portrait de ce qu'est la
Fédération des associations de familles monoparentales du
Québec. Elle regroupe des associations de familles monoparentales de
tout le Québec. Elle rejoint régulièrement ces
associations par des regroupements régionaux situés dans huit
régions du Québec. Elle se veut aussi le porte-parole provincial
de la monoparen-talité par ses membres, toutes les personnes rejointes
par les activités de formation, d'information et d'échange
organisées par les associations à la base, par les services
d'écoute et de relations d'aide de ces associations, par de nombreux
appels reçus à son secrétariat permanent à
Montréal. Même si nous ne sommes pas des avocats et des notaires,
notre expertise de la problématique s'appuie vraiment sur la
réalité et le vécu des familles monoparentales et de tous
ceux et. celles qui ont eu à vivre un jour une séparation ou un
divorce.
Malgré l'institution de la société d'acquêts
depuis les années soixante-dix, beaucoup de femmes, les femmes surtout,
qui se retrouvent aujourd'hui dans nos associations et en situation de famille
monoparentale, qui sont séparées et divorcées se sont
fiées aux conseils professionnels des notaires; elles ont
contracté en séparation de biens. C'est sûr que ces
contrats, au moment où ils sont rédigés, sont faits dans
un climat de confiance et d'amour, mais, souvent, quand arrive une rupture, ces
personnes se retrouvent chez nous et, nous, nous avons vraiment à
travailler avec le cauchemar qu'est une réalité de
séparation ou de divorce quand le contrat de mariage n'a pas
respecté certains droits des conjoints.
On aimerait aussi, par des exemples concrets, vous prouver
jusqu'à quel point... En tout cas, ce qu'on pense, c'est que
l'État devrait être informé des effets des lois qui,
parfois, paraissent très bénéfiques, mais qui, dans les
faits, s'avèrent un petit peu difficiles à vivre. Par exemple,
quand on parle d'indexation automatique des pensions alimentaires, les femmes -
en tout cas, majoritairement - qui ont à aller chercher une pension
alimentaire pour les enfants sont sujettes à du harcèlement;
elles sont sujettes aussi à du chantage par le débiteur de la
pension alimentaire. Au lieu de subir cela, souvent, la femme n'ose pas entamer
de procédure. Je pourrai vous donner des exemples plus concrets
tantôt.
C'estla même chose quant à la perception de la pension
alimentaire. Ce qui se vit dans la réalité, c'est que souvent la
femme a de la difficulté à aller faire une demande de perception
de pension alimentaire. Si l'État prenait en charge le jugement et le
faisait exécuter, cela voudrait dire que la relation entre les
ex-conjoints serait beaucoup moins tendue. La relation entre le demandeur et le
débiteur serait beaucoup plus sereine, et la relation nécessaire
au bien-être de l'enfant serait peut-être
améliorée.
Voici un exemple concret qu'on a vécu à l'intérieur
d'une de nos associations: une femme qui avait fait une demande d'indexation de
pension alimentaire s'est retrouvée avec son exconjoint qui lui a tendu
un chèque en lui disant: Ta pension alimentaire, tu ne pourras jamais
en
profiter. Cette femme a vraiment été victime de
sévices très importants. Une autre femme voyant la
possibilité de faire indexer sa pension alimentaire s'est vu
répondre par une lettre en demande d'annulation de pension alimentaire.
Ce sont toutes des choses qui sont vécues à l'intérieur de
nos groupes, et on les voit tous les jours. (11 h 30)
Pour revenir au mémoire, on veut tout simplement souligner que la
fédération est vraiment le porte-parole des familles
monoparentales et qu'elle prend parti pour le conjoint démuni du couple
séparé, avec un parti pris pour l'enfant aussi, parce qu'on sait
toujours que la famille constitue vraiment l'élément important
dans cette bataille que l'on mène.
Le partage des biens familiaux doit être envisagé comme
constituant un droit des conjoints, et non une compensation pour services
rendus à la famille. La fédération adhère donc au
partage entre les conjoints des biens familiaux acquis durant le mariage,
à la fin de celui-ci ou au décès, et propose une solution
mitoyenne bonifiée. La fédération recommande que le
patrimoine familial consiste en une liste exhaustive des biens familiaux acquis
pendant le mariage et partageables également entre les conjoints, en
tenant compte des charges familiales à la fin du mariage ou au
décès. Quand on parle de charges familiales, on parle des
enfants.
La fédération recommande que le patrimoine familial
comprenne les biens familiaux suivants: la résidence familiale
principale et les résidences familiales secondaires dont un conjoint est
propriétaire, ainsi que les droits qui assurent le logement, les
meubles, les objets d'art, tout autre bien servant à l'usage du
ménage - par exemple, les bateaux, motoneiges, etc. - les
véhicules automobiles des époux propriétaires et les gains
accumulés par l'un ou les deux conjoints à la Régie des
rentes du Québec ou au Régime de pension du Canada, ainsi que les
fonds privés de pension incluant le partage et la contribution de
l'employeur.
Les raisons évoquées dans le document gouvernemental pour
ne pas inscrire les régimes privés dans le patrimoine familial
sont que les régimes privés n'ont pas un caractère
familial et qu'ils ne sont pas utilisés dans le cours de la vie
courante. Par contre, l'État reconnaît de plus en plus que les
régimes privés de retraite sont de la nature de revenus
différés, donc, à tout le moins, des acquêts. I!
faut retenir que ces revenus sont différés en vue d'un but
très précis, celui d'assurer la sécurité
financière du couple à la retraite. Vous savez qu'on ne s'est pas
serré la ceinture durant ie mariage en vue d'assurer la retraite d'un
seul conjoint. On l'a fait toujours en fonction des deux, parce que, quand on
se marie, on se marie pour la vie. Alors, la retraite a été
impliquée là-dedans comme étant la continuité d'une
sécurité financière.
Alors, c'est important de considérer que les revenus de retraite
peuvent aussi entrer dans le patrimoine familial. Le patrimoinne familial doit
comprendre les biens de base au coeur de la vie familiale et ceux qui assurent
la sécurité à la retraite. Comme corollaire, il s'ensuit
que le partage doit tenir compte de la durée de la vie commune.
La fédération recommande instamment que soient inclus dans
le patrimoine familial les régimes de pension privés obligatoires
auxquels participe l'employeur, ainsi que les régimes enregistrés
d'épargne-retraite, les régimes d'épargne-retraite et les
régimes de participation différée aux
bénéfices en tenant compte de la durée de la vie
commune.
Nous recommandons aussi que les mêmes règles
d'évaluation et de dévolution édictées par
règlement pour l'attribution de la prestation compensatoire soient
utiisées dans le partage du patrimoine familial en ce qui regarde les
régimes de retraite privés, de façon à
éliminer l'arbitraire de méthodes d'évaluation
différentes.
On souscrit au droit de renonciation au partage à la fin du
mariage, parce que ce droit respecte le principe du partage, du fait qu'il
oblige le demandant à présenter des règles de partage
équivalentes. La fédération souligne que chaque jour de
retard signifie tant de couples divorcés de plus dont un conjoint est
lésé par le non-partage des crédits de retraite. À
chaque règlement de divorce, c'est final pour le conjoint démuni
de ce couple.
Concernant la mesure transitoire, non seulement on n'inclut qu'une
infime partie des biens familiaux partageables dans la liste, mais on veut
aussi permettre aux personnes déjà mariées en
séparation de biens de s'y soustraire. Au sujet de la mesure
transitoire, il faut pourtant souligner que ce sont ces conjoints mariés
en séparation de biens dont la rupture pose le plus
d'inégalités financières et le plus
d'inéquités dans le partage. Des exemples à cela, on en a
beaucoup. Je pourrais vous faire part du suivant: Voyant venir une
séparation, un conjoint fait pression auprès de sa partenaire
pour faire changer le régime de société d'acquêts
dans lequel il s'était marié pour une séparation de biens.
C'est quelque chose qui s'est vécu et qui se vit souvent au moment de la
séparation. On peut imaginer ce qui se fera en termes de chantage et de
harcèlement pour faire signer la renonciation au partage. On pourra
même aller jusqu'à couper les vivres. Cela s'est
déjà fait. Un conjoint a carrément coupé les vivres
pour un refus d'accepter une situation. Cela pourra servir, encore là,
de moyen de pression. C'est pourquoi on refuse qu'il y ait des mesures
transitoires pour les couples mariés en séparation de biens.
Attendu qu'une mesure d'exception devrait respecter le principe du
partage, attendu que la mesure transitoire proposée nie
complètement le principe du droit au partage du patrimoine familial,
inscrit au régime primaire, la fédération
s'oppose à la mesure transitoire et recommande que les personnes
mariées en séparation de biens puissent se prévaloir du
droit de renonciation au partage à la fin du mariage, pourvu qu'elles
présentent des règles de partage équivalentes.
Le droit familial au Québec ne protège pas vraiment la
famille. Il énonce un grand principe d'égalité des
conjoints entre eux et devant la loi pour ensuite édicter des mesures
qui obligent les conjoints à s'affronter et qui les dressent l'un contre
l'autre. Si on parle de la protection automatique des résidences
familiales, vous savez qu'encore là c'est souvent la cause de plusieurs
malaises, de plusieurs chicanes. On a même vu des ruptures par rapport
à cela. Vous excuserez l'expression, mais j'ai entendu un commentaire
d'une femme qui disait: Si je fais cela à mon mari, il va me tuer. C'est
pour vous dire dans quel climat ou dans quel contexte ces mesures peuvent
s'inscrire.
Aussi, il est certain qu'au chapitre du recours en
dommages-intérêts, quand on parle du recours en
dommages-intérêts contre l'autre conjoint s'il n'y a pas respect
de la résidence familiale, vous savez que souvent le conjoint le plus
démuni n'ira pas affronter le conjoint le plus nanti à
l'intérieur du couple. C'est vraiment toujours une bataille qui se passe
entre le conjoint le plus nanti et le conjoint le plus démuni.
Attendu que le droit du conjoint dans le patrimoine familial ne doit pas
dépendre de quelque chose comme une déclaration ou un
enregistrement, la fédération recommande qu'une loi claire
stipule que les résidences familiales soient automatiquement
enregistrées comme telles et que c'est au tiers qu'il revient de
s'assurer que ce n'est pas une résidence familiale. Si c'est le cas
d'une résidence familiale, la transaction est tout simplement
annulée. Je pense que cela a été dit tantôt par le
groupe qui nous a précédées. Beaucoup de choses,
d'ailleurs, reviennent souvent.
Attendu que le droit du conjoint dans le patrimoine familial ne doit pas
dépendre du genre d'immeuble dans lequel se trouve la résidence
familiale, la fédération demande que soit amendé l'article
453 du Code civil de façon à étendre ia protection
automatique de la résidence familiale aux immeubles de cinq logements et
plus.
Concernant le droit d'habitation non préjudiciable au partage, je
voudrais faire un commentaire très positif concernant cette mesure. Je
crois que cela va éliminer les cas d'injustice qui ont
déjà été faits par rapport à cela. Vraiment,
la fédération appuie cette mesure du droit d'habitation non
préjudiciable au partage.
Concernant les saisies abusives et les ventes forcées, la
fédération réclame que l'immeuble servant de
résidence familiale soit insaisissable lorsque la créance est
inférieure à 25 000 $. La fédération réclame
qu'une vente forcée de la résidence familiale ne puisse avoir
lieu à un prix inférieur à sa valeur totale
uniformisée qui est déjà inférieure à la
valeur courante.
Concernant la survie de la créance alimentaire, la
fédération souscrit à la survie de la créance
alimentaire et apprécie qu'il soit tenu compte de l'ex-conjoint et des
enfants du défunt dont l'ex-conjoint a la garde. La
fédération recommande que des règles claires simplifient
les procédures pour régler rapidement la succession: que la
créancière alimentaire soit informée par
l'exécuteur testamentaire du décès du débiteur et
de la procédure à suivre pour réclamer la créance
alimentaire existante tant pour elle-même que pour l'enfant du
défunt dont elle a fa garde.
Attendu que l'ex-conjoint créancier d'aliments doit avoir un
certain temps pour se réorganiser, la fédération
recommande que le montant forfaitaire payable au comptant ou par versements
à l'ex-conjoint soit d'une valeur d'au moins douze mois d'aliments.
Un autre commentaire positif: le législateur considère sur
le même pied les enfants nés d'une première union et ceux
nés d'une deuxième union. Je pense qu'il est important de le
souligner.
La prestation compensatoire. Je pense que l'expertise des femmes
collaboratrices vous a démontré beaucoup par rapport à la
prestation compensatoire. Nous voudrions ajouter que, s'il n'y a pas de biens
familiaux à partager, il faudrait peut-être penser à un
remplacement de la prestation compensatoire. Toujours concernant ia prestation,
la fédération recommande que la collaboration du conjoint dans
l'entreprise familiale soit évaluée a 50 % de l'actif net durant
la période de collaboration et calculée selon la durée de
celle-ci pour déterminer la valeur de la prestation.
Dans le mémoire qu'on vous a fait parvenir, à la
recommandation 19, une erreur très importante s'est glissée et je
voudrais la corriger. La lecture de la recommandation se fait comme suit: "La
FAFMQ souscrit entièrement aux énoncés suivants: la
prestation compensatoire serait élargie quant à ses modes de
paiement pour permettre au tribunal d'ordonner que le jugement soit
exécuté sous la forme de droit divers... " Il faut rayer
entièrement "incluant les droits à la retraite prévus par
un régime complémentaire de retraite", parce que nous tenons
vraiment à ce que les régimes de retraite privés soient
inclus dans le patrimoine familial. Ce partage ne pourrait excéder 50 %
du total de ces droits. Les règles d'évaluation et de
dévolution seraient édictées par règlement de
façon que ces droits à retraite soient immobilisés, rendus
cessibles et saisissables en ce qui concerne les époux lors du
partage.
La société d'acquêts. La fédération
souscrit aux changements proposés dans la société
d'acquêts. Le conjoint survivant qui renonce aux acquêts du
défunt n'aura plus à partager ses propres acquêts avec les
héritiers.
Pour conclure, le principe de l'égalité de l'homme et de
la femme entre eux et devant la loi est reconnu par le droit familial. Il en
découle des droits et des obligations analogues pour les deux
époux.
Dans tout mariage, il est rare que les conjoints soient d'égale
force de caractère, d'égale autonomie financière et
d'égale richesse. Les droits qui découlent du mariage ne sont
donc pas les mêmes d'un conjoint à l'autre, parce que c'est
l'autre conjoint ou la loi qui donnera force au droit.
Malgré tout le désir que l'on ait de vouloir respecter
l'intimité, l'autonomie et le sens des responsabilités des
conjoints dans le mariage, il faut retenir qu'il y a une disparité des
forces morale, physique, psychologique et financière entre eux. Advenant
un litige, forcément, l'un est de force supérieure à
l'autre. C'est pourquoi le droit de la famille doit suppléer à la
faiblesse du conjoint pour égaliser les forces.
La fédération souligne de nouveau l'importance d'inscrire
le partage du patrimoine familial dans le régime primaire du Code civil
en y incluant les régimes de retraite privés de façon
à ouvrir le droit au partage des crédits de retraite pour les
Québécois et Québécoises.
La fédération recommande aussi que l'État
édicte impérativement les mesures qui accordent et qui font
respecter les droits: une protection automatique des résidences
familiales, un partage égal des biens familiaux comprenant le partage
des droits à retraite publics et privés, un service automatique
d'exécution des pensions alimentaires octroyées par jugement,
c'est-à-dire une prise en charge complète par l'État de
l'exécution des jugements.
Dès que le législateur accorde un droit qui protège
le plus démuni sans mesures impératives, l'exécution de ce
droit relève de la bonne volonté de l'autre conjoint. Sans
mesures impératives, la loi ouvre la porte aux affrontements si le
conjoint démuni essaie de faire respecter son droit par l'autre
conjoint. Dans les rapports de forces qui ont cours entre les conjoints
séparés ou divorcés sur la question financière et
celle des enfants, on rencontre toujours des affrontements. L'obligation
d'avertir l'ex-conjoint débiteur du montant indexé de la pension
alimentaire peut créer des préjudices: l'obligation de faire les
démarches auprès du service de perception pour les pensions
alimentaires en retard ou pour les arriérés, l'obligation de
subir le harcèlement du débiteur qui menace de ne pas payer, qui
est en colère contre le conjoint qui a fait appel au service de
perception. Ce sont toutes des choses vécues dans nos associations.
Si le législateur prône le principe d'égalité
et s'il est réellement intéressé au bien-être des
enfants, il doit envisager des mesures impératives concernant
l'élément financier de la séparation en éliminant
complètement cet échange de coups entre ex-conjoints par
l'établissement d'un service de perception vraiment automatique qui
prenne en main l'exécution du jugement. Chaque conjoint qui demande une
modification fait affaire avec le service et le tribunal, et non avec l'autre
conjoint. Les ponts sont coupés entre les conjoints en ce qui concerne
la pension alimentaire. Du jugement de divorce jusqu'à la fin de la
pension alimentaire, c'est le système qui prend la relève. Seuls
demeurent les rapports des deux ex-conjoints avec les enfants, et c'est sur cet
élément de la garde et de l'accès à l'autre parent
que doivent se bâtir les relations des ex-conjoints. (11 h 45)
Le divorce met fin au mariage mais non à la famille, et les
ex-conjoints parents doivent en accepter la responsabilité. Un parent
demeure toujours un parent pour ses enfants. Merci beaucoup.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Mme Pothier.
Maintenant, je vais reconnaître Mme la ministre
déléguée à la Condition féminine.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Pothier, pour votre
présentation. Cela rejoint assez bien l'opinion des autres intervenants,
entre autres, des groupes de femmes.
Mme Pothier: Effectivement.
Mme Gagnon-Tremblay: II y a quand même certaines petites
choses dont je voudrais m'assu-rer. Lorsque vous dites que toutes les
résidences devraient être incluses, est-ce que vous voulez parler
de la résidence principale et de la résidence secondaire, ou si
vous entendez également d'autres immeubles? Je sais qu'un peu plus loin
dans votre document, à la recommandation 10, vous dites que vous
aimeriez qu'on amende l'article 453 du Code civil "de façon à
étendre la protection automatique de la résidence familiale aux
immeubles de 5 logements et plus". Je reviens à ma question: Lorsque
vous partez de résidence, est-ce que cela inclut seulement la
résidence secondaire ou si cela peut inclure d'autres immeubles
également?
Mme Pothier: Mme Signori.
Mme Signori (Céline): On parle évidemment de
résidence principale et de résidence secondaire. Quand on parle
de l'immeuble de cinq logements et plus, c'est que la famille pourrait habiter
un immeuble de cinq logements et plus. Si elle habite seulement un logement de
cet édifice, évidemment que l'édifice au complet fait
aussi partie de la résidence familiale. C'est dans ce sens.
Mme Gagnon-Tremblay: Mais pas en ce qui a trait au partage?
Mme Signori: En ce qui concerne le parta-
ge, c'est sûr. Pourquoi est-ce qu'on n'engloberait pas tout
l'édifice?
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, mais pas les autres immeubles? Celui
qui est réservé, c'est-à-dire l'immeuble dans lequel est
réservé le logement?
Mme Signori: Si c'est la résidence familiale.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Vous n'êtes pas d'accord non
plus avec les mesures transitoires pour toutes les raisons que vous nous avez
énumérées...
Mme Signori: Absolument pas.
Mme Gagnon-Tremblay:... les pressions qu'on pourrait faire sur un
conjoint, le harcèlement, en somme, pour toutes ces raisons. Comme je le
mentionnais tout à l'heure, j'ai l'impression qu'à la vitesse
où vont se répandre les nouvelles concernant ce que nous sommes
en train de discuter, on n'aura probablement pas besoin de mesures
transitoires; ce qui doit se faire va se faire d'ici à l'entrée
en vigueur de la loi, finalement.
Il y a une chose qui m'étonne et qui est très
différente en ce qui concerne la protection des tiers. Vous dites que
les tiers devront s'assurer du caractère non familial de la
résidence, ce qui est un peu une entorse à notre système
actuel. Ne croyez-vous pas, par exemple, que ces mesures, au lieu d'être
dans le régime primaire, devraient être davantage prévues
dans le code de procédure? Cela a un peu pour effet de gérer les
effets de la séparation de biens plutôt que les effets du
mariage.
Mme Signori: Quand on parle de vente de propriété,
le tiers qui achèterait la propriété, on prétend
que cela pourrait être à cette personne à faire sa preuve;
je ne sais comment vous appelez cela en termes juridiques. Cela pourrait
être aussi que tout logement... Comme le groupe précédent
l'a mentionné, s'il y a une déclaration dans tout acte
d'aliénation, a ce moment, cela élimine ces choses. Quand on
parle de résidence familiale, pour avoir été dans le
domaine immobilier un certain temps, il y a des combines qui se font de toute
façon. C'est toujours la plus démunie qui paie pour cela. Je dis
la plus démunie, je devrais dire les plus démunies. On sait
très bien, entre vous et moi, que c'est toujours la femme qui est la
plus démunie. Si un procédé est établi à
l'avance, pourquoi est-ce que ce serait toujours elle, la victime, qui est
obligée encore de subir cela? Si une déclaration est faite
automatiquement, à ce moment, le problème se règle en
partie.
Mme Gagnon-Tremblay: Si je comprends bien, si on avait cette
clause dans tous les actes d'aliénation, finalement, les tiers seraient
protégés et on n'aurait pas besoin à ce moment... Vous
savez qu'il faut absolument protéger le tiers, parce que vous pouvez
avoir quelqu'un qui fasse une fausse déclaration aussi. Ce n'est
vraiment pas le problème du tiers ou ce n'est pas la faute du tiers. Il
faut quand même assurer une certaine protection au tiers. Mais si je
comprends bien, ce que vous voulez, c'est que, si jamais c'était inclus
dans l'acte d'aliénation, automatiquement, ce soit une preuve en soi;
les tiers sont protégés et les conjoints également,
étant donné qu'ils devront signer chaque fois qu'on aliène
une propriété.
J'imagine que vous êtes d'accord aussi avec la conservation des
dommages-intérêts au cas où, par malheur, au cours de
mesures transitoires... Avant qu'on inclue cette mesure dans tous les contrats
notariés, cela peut prendre quand même un certain temps parce
qu'on ne vend pas une propriété demain matin, on ne
l'hypothèque pas demain matin ou quoi que ce soit. Cela peut prendre
quand même un certain temps à partir de l'entrée en vigueur
de la loi et, aussi, du moment qu'on a à contracter sur cette
propriété avant qu'on ait fait une déclaration de
résidence familiale. J'imagine que vous conservez aussi cette question
de dommages-intérêts au cas où, par toutes sortes de moyens
imaginables, on ait réussi a vendre sans le consentement du
conjoint.
Mme Signori: La protection du tiers, c'est bien, mais pas au
détriment de la personne la plus démunie. Il faudrait trouver un
système où le tiers ne serait pas plus protégé que
le conjoint démuni.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous m'avez dit tout à l'heure, Mme
Signori, que vous aviez beaucoup travaillé dans l'immeuble. Lorsque vous
vendez une propriété à une personne, j'imagine que cette
personne veut bien s'assurer qu'on ne reviendra pas contre elle en
dommages-intérêts ou en annulation de contrat parce que la
personne qui vous a donné le mandat de vendre fait une fausse
déclaration, par exemple.
Mme Signori: Évidemment, il faut qu'elle soit
protégée. J'ai toujours peur que quelqu'un paie au bout et que ce
soit toujours...
Mme Gagnon-Tremblay: En somme, vous voulez que ce soit bien
étanche de sorte que, d'une part, les tiers soient bien
protégés et que, d'autre part, le conjoint soit également
bien protégé.
Mme Signori: Vous touchez à une fibre personnelle à
ce moment-là. La résidence a été comme vendue. Je
suis partie avec mes enfants, j'ai dû changer de ville et qui a repris la
maison après? C'est mon ex-conjoint avec sa nouvelle conjointe. Elle
était supposée être vendue quand on est passés en
cour.
Mme Gagnon-Tremblay: Concernant la prestation compensatoire, vous
êtes aussi pour l'ajustement à 50 % de la prestation. Vous
êtes d'accord, je pense, avec le fait qu'on doive conserver la prestation
au cas où i! y aurait insuffisance de biens à partager. Je pense
que vous êtes d'accord avec cela. J'imagine que 50 %, c'est seulement
parce que vous jugiez que 30 %, ce n'était pas suffisant. Vous
préférez qu'on aille carrément à 50 %?
Mme Pothier: On prévoit 50 % pour en avoir peut-être
30 % justement.
Mme Bouvier (Madeleine): II y a un autre élément
aussi, si je peux me permettre. C'est la présomption et, ensuite, cela
diminue selon la durée de la collaboration et tout cela. Une
présomption de société, c'est 50 %. Alors, pourquoi le
conjoint collaborateur aurait-il moins? On commence et, ensuite, on
vérifie les autres éléments.
Mme Gagnon-Tremblay: Est-ce que vous vous êtes
interrogées... Oui, sûrement. Je le vois dans votre document. Vous
avez parlé, par exemple, de la protection contre l'incessibilité
de la propriété en cas de dettes. Vous passez cette protection de
5000 $ à 25 000 $. Nous nous sommes arrêtés à 10 000
$; c'était déjà jugé très
élevé par plusieurs intervenants. Là, c'est 25 000 $,
c'est sûr que c'est beaucoup. Il y a aussi toute l'autre question des 70
% dans le cas d'une vente forcée, alors que vous ajustez davantage vers
une valeur plus marchande de l'immeuble. Là aussi, la
Confédération des caisses populaires nous mentionnait qu'il y
aurait un certain resserrement de crédit dans un cas comme cela. Il y a
aussi la difficulté à revendre parce que, dans bien des cas, on
ne trouve pas acheteur à 70 % de la valeur.
Mme Bouvier: Le premier élément, les 25 000 $, on a
pensé que c'était facile pour un conjoint bien nanti que les
débiteurs ramassent les dettes facilement pour aller jusqu'à 10
000 $. Ce n'est pas possible une vente à 10 000 $ parce qu'il ramasse
toutes les petites ventes ici et là, et déjà le
créancier a la part des choses. Comme on sait qu'il y a des pirouettes
qui se font... On a dit: 25 000 $, ça donne tout de même un appui
plus solide au conjoint pour ne pas être délesté de la
maison.
Concernant le deuxième élément, la vente
forcée, je trouve toujours déplorable qu'on amène un
montant minimal, quand on sait que chaque élément dans une cause
est pris en compte par beaucoup de choses, qu'il est dilué et
diminué. Une vente de résidence selon le rôle municipal, ce
n'est pas la valeur marchande. C'est pour cela qu'on a demandé !a pleine
valeur au rôle municipal. Il y a trop de maisons qui se sont vendues pour
des "pinottes".
Mme Gagnon-Tremblay: Tout à l'heure, vous avez
parlé des 25 000 $. Est-ce que c'est parce que vous soupçonnez,
par exemple, que le conjoint pourrait s'organiser avec des créanciers
pour créer plusieurs dettes, faire en sorte que la
propriété soit saisie et qu'après il puisse faire un
retransfert? C'est quoi?
Mme Bouvier: Tant de la part du conjoint que d'un
créancier qui veut mettre la main dessus, oui, ça se peut.
L'exemple qu'on a eu chez nous de gens démunis de toutes les
façons, lavés et tout cela, tout est possible. Ce sont des
sûretés qu'on veut. On espère que le gouvernement, dans son
projet de loi, apportera certaines sûretés sur lesquelles on
pourra tabler d'une façon positive, alors que, maintenant, on est
très démunis.
Mme Gagnon-Tremblay: Lorsque vous parlez de partage de biens,
vous incluez également les régimes privés, comme tous les
autres groupes?
Mme Bouvier: Absolument.
Mme Gagnon-Tremblay: J'imagine que vous tenez compte
également de la durée, soit de la collaboration, soit du mariage
aussi.
Mme Bouvier: Absolument.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui. Et vous êtes d'accord, si jamais
la propriété est acquise avant le mariage, ou par donation ou par
legs, qu'à ce moment-là la plus-value soit affectée
seulement?
Mme Bouvier: Absolument.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord. Merci.
Mme Bouvier: C'est pour cela qu'on est surprises de lire les
articles de gens qui disent que c'est effrayant tout ce qui est donné
à l'ex-conjoint, qu'il n'y aura plus de mariage. En fait, c'est
très peu. C'est le temps que dure le mariage. C'est un contrat tacite
qu'on prend et le temps qu'on est ensemble, habituellement, c'est parce qu'on
partage. Autrement...
Mme Gagnon-Tremblay: Vous êtes tout à fait d'accord,
et je pense à Mme Signori, qui siégera au nouveau Conseil de la
famille. Vous croyez, Mme Signori, que le partage des biens familiaux n'aura
pas un effet désincitatif sur le mariage?
Mme Signori: Je pense que, quand les règles sont claires
en partant, les gens savent à quoi s'attendre. Il n'y aura plus de
suprises. Ce va être déjà établi à l'avance.
Ça va donner l'effet contraire, peut-être.
Mme Gagnon-Tremblay: Je ne pense pas que vous vous soyez
prononcées sur l'union de fait,
par contre. On en a parlé et on en parle pratiquement chaque
fois. Même si ça ne fait pas partie du document, parce qu'on a
pensé que c'était un débat qui devait se faire ailleurs
qu'à l'intérieur de ce document, on est quand même toujours
heureux de connaître l'opinion des gens sur la question de l'union de
fait. Est-ce qu'il vous apparaît que les enfants peuvent avoir une
incidence et que c'est important d'assujettir aussi les unions de fait?
Mme Pothier: Effectivement, on n'en a pas tenu compte dans le
document. Il y a quand même beaucoup de choses importantes dont on aurait
pu parler, dont l'union de fait, et on ne l'a pas fait. Je pense que
Céline a un petit commentaire très précis par rapport
à cela.
Mme Signori: On en a parlé un peu \a dernière fois
qu'on s'est rencontrés. Quand les enfants sont impliqués en
partant, il devrait y avoir partage. Le conjoint démuni est bien
pénalisé à la suite d'une séparation ou d'un
divorce, mais il ne faut pas oublier qu'en général l'enfant qui
est avec ce conjoint lui aussi souffre de ça. Donc, que ce soit une
union de fait, on devrait tenir compte de la présence d'enfants au
moment du partage.
Mme Gagnon-Tremblay: Ce qui veut dire qu'on devrait refaire le
débat qui a été fait en 1980 pour voir s'il y a
possiblité d'inclure dans le Code civil les unions de fait.
Mme Signori: D'ailleurs, je pense que dans les autres provinces,
on tient compte de ça aussi. (12 heures)
Mme Gagnon-Tremblay: Oui, sauf qu'ici on avait
décidé...
Mme Signori: Ce n'est pas dans la tradition ici, mais
peut-être qu'on devrait...
Mme Gagnon-Tremblay:... de laisser la liberté de
contracter à ces gens-là, de choisir s'ils veulent être
mariés ou non.
Mme Signori: Je suis d'accord avec ça, mais, quand il y a
présence d'enfants, il faut être un peu plus attentifs, je
pense.
Mme Bouvier: J'aimerais ajouter quelque chose. Le gouvernement
est un peu ambivalent. Dans son droit de la famille, il a rendu tous les
enfants sur le même pied. Autant dans les unions de fait que dans le
mariage, ils ont tous les droits dans le droit de la famille; par contre, ils
font partie d'une famille et leur parent gardien n'a plus de droit. Il y a un
paradoxe et je pense que l'État devra légiférer et
déterminer vraiment si le droit de la famille s'adresse aux familles ou
pas, s'il s'adresse au mariage ou pas, ou seulement au mariage et non à
la famille. Je trouve que la démonstration des membres de la Commis-
sion des services juridiques présentait le problème. Chez nous,
on est très conscients de ça. Les gens nous appellent et nous
demandent ce qui se fait pour les unions de fait. À certains moments, le
gouvernement, par ses lois sociales, considère l'union de fait au
même titre qu'un mariage. Donc, de ce côté-là, je
pense que le gouvernement devra faire sa démarche et rendre plus clairs
les... Si, par votre question, vous nous demandez si on pousse pour que vous
fassiez quelque chose dans ce sens-là, de rendre les unions de fait...
On se dit: Réfléchissez-y, mais soyez conscients que ce sont des
familles.
Mme Gagnon-Tremblay: Mais vous êtes d'accord quand
même, Mme Bouvier, qu'à l'intérieur de notre Code civil
nous avons actuellement prévu des droits pour les enfants issus de ces
unions de fait et que, si le gouvernement devait légiférer dans
le sens de l'union de fait, je pense qu'une consultation devrait être
faite au préalable justement auprès de ces gens qui vivent
l'union de fait qui sont, finalement, les premiers
intéressés.
Mme Bouvier: Absolument.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci infiniment, mesdames.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Mme la
députée de Maisonneuve.
Mme Harel: Oui. Merci, M. le Président. Il me fait
vraiment plaisir de vous saluer, madame Pothier, présidente de la
Fédération des associations de familles monoparentales, Mme
Signori et Mme Bouvier. J'utilise fréquemment vos travaux, comme vous le
savez, dans mon rôle de de parlementaire ici à l'Assemblée
nationale, notamment les actes du colloque sur la monoparentalité qui
sont quasi une bible sur les bouleversements sociaux que la famille a connus au
Québec et qui ont vraiment permis de faire le point.
J'en profite pour vous féliciter, Mme Signori, de votre
nomination au Conseil de la famille. Me permettez-vous de vous demander
immédiatement si le conseil a été convoqué? Est-ce
que des rencontres sont prévues pour cet automne?
Mme Signori: On a une rencontre de prévue au tout
début de novembre.
Mme Harel: Au tout début de novembre. Mme Signori:
Oui.
Mme Harel: Est-ce que vous avez l'intention de discuter, au
conseil, de cette proposition de patrimoine familial?
Mme Signori: Je pense que toute question familiale sera
abordée au Conseil de la famille et
j'ai bien l'intention de faire mes devoirs comme il faut. Si vous croyez
que je ne les fais pas comme il faut, revenez me voir.
Mme Harel: Je peux vous en suggérer. On peut toujours
faire mieux, comme vous le savez, même quand on est
député.
Dans votre mémoire, à la page 3, vous mentionnez: Nous
tenons à souligner que la fédération se veut le
porte-parole des familles monoparentales et prend parti pour le conjoint
démuni du couple séparé avec un parti pris pour l'enfant.
Je ne vois pas le mot "marié". J'imagine que vous avez des membres au
conseil qui constituent des familles monoparentales et qui sont des conjoints
démunis d'un couple marié ou de fait séparé. Est-ce
que vous avez un profil de vos membres? Avez-vous déjà une
certaine idée de la proportion que ça représente chez
vous, à la fédération?
Mme Pothier: C'est difficile d'établir des statistiques
dans ce sens-là. Je pense que majoritairement nos membres composants
sont issus de couples qui avaient un contrat de mariage et qui étaient
mariés. Il y a quand même un certain pourcentage de familles
issues d'unions de fait, conjoints et enfants. On aura probablement davantage
de statistiques quand les associations auront mis en place des systèmes
de fiches statistiques pour nous donner le réel profil de nos membres;
vers la fin de l'année, cela pourra être compilé pas mal
mieux, je crois.
Mme Harel: C'est intéressant d'ailleurs parce que cela se
fait dans plusieurs associations. J'ai obtenu la même réponse de
l'Association des femmes collaboratrices et du Cercle des fermières.
Je félicite également votre fédération pour
la campagne qu'elle mène avec d'autres groupes de femmes dans le cadre
du front commun pour la justice et l'équité pour les femmes
assistées sociales. Je lisais une documentation qui nous parvenait
récemment et qui faisait justement état de cette
incohérence puisque le Code civil ne reconnaît pas d'obligation
alimentaire entre les conjoints de fait contrairement, par exemple, à la
province voisine de l'Ontario, qui ne le reconnaissait pas auparavant - ce
n'était pas dans ses traditions non plus - mais qui a introduit dans le
"Family Act" de 1986 cette reconnaissance d'obligation alimentaire entre
conjoints de fait. Malgré qu'il n'y ait pas cette reconnaissance au
Québec, pourtant, dans le cadre de l'aide sociale, ii y a une sorte
d'inquisition pour mettre la main au collet du nouvel ami de la mère
pour le rendre responsable de son entretien et de celui des enfants dont il
n'est pas le père. Automatiquement, lorsqu'il y a apparence ou
présence d'un homme dans la vie de la mère, il y a
nécessairement annulation de l'aide, comme si cet homme était
chargé de l'entretien de cette femme et de ses enfants, malgré
qu'il n'y ait, et la ministre nous l'a rappelé avec raison, aucune
obligation alimentaire dans le Code civil entre conjoints de fait.
Évidemment, ce n'est pas la moindre des incohérences qu'on vit
présentement.
Avec raison, vous parlez d'un parti pris pour l'enfant. Ce matin, j'ai
pu obtenir des chiffres que j'aimerais soumettre à
l'intérêt de la commission et de vous-mêmes. Il s'agit des
statistiques des naissances hors mariage. C'est surprenant de voir la
progression. Quand on pense qu'en 1976, 10 % des enfants étaient
nés hors mariage, ce pourcentage serait, en 1985, donc à peine
neuf ans plus tard, de 25 % des enfants; en 1986, de 27 %. Selon la projection
de 1987, il y en aurait 29 % et, sur ces naissances, il y aurait seulement 5 %
des cas où le père ne serait pas connu. Ce serait là,
selon les informations que j'ai pu obtenir, des naissances hors mariage, mais
pas nécessairement de femmes célibataires au sens de femmes
seules. On me disait que ce pourcentage était à peu près
le suivant en France - une délégation a pu vérifier tous
ces chiffres-là: en 1987, 25 % des enfants étaient nés
hors mariage. Un mini-colloque s'est tenu ici même au salon rouge avec
des députés de l'Assemblée nationale
française...
Mme Pothier: Nous étions d'ailleurs présents.
Mme Harel:... et sans doute l'une des constatations les plus
surprenantes, c'est que, dans notre société, la progression se
fait de plus en plus vers des naissances hors mariage. Bientôt, presque
une naissance sur trois au Québec sera hors mariage. Pensez-vous qu'il y
a lieu, parce qu'on est dans une telle époque, que l'État
réexamine toutes ces questions?
Mme Pothier: Oui, je le crois. Comme le disait Madeleine
tantôt, on parle de familles et je pense qu'il est important de ne pas
perdre de vue l'élément familial. Quand des droits sont
accordés aux enfants, il devrait aussi y avoir des droits
accordés aux conjoints, que ce soit en union de fait ou dans le mariage,
mais je pense que le législateur devra se pencher sérieusement
là-dessus.
Mme Harel: Je reviens à votre mémoire. Il y a quand
même une urgence de corriger les déséquilibres
économiques créés pour les conjoints mariés en
séparation de biens. C'est en fait l'objet restreint mais essentiel de
la proposition gouvernementale. J'aimerais vous interroger sur la survie de
l'obligation alimentaire. C'est un aspect qui n'est pas fréquent dans
les autres mémoires. Je voulais vérifier avec vous parce que j'ai
cru comprendre que vous souhaitiez que la période des aliments, que la
pension alimentaire puisse être payée douze mois après le
décès pour l'ex-conjoint. Est-ce bien votre proposition?
Mme Bouvier: Oui. La proposition gouvernementale parlait de six
mois d'aliments, parce qu'il n'y aura probablement pas eu un terme à la
durée de la pension alimentaire des personnes impliquées dans ce
jugement. Donc, on a dit que six mois pour se retourner de bord et changer
complètement sa façon de vivre, ce n'est pas assez.
J'aimerais rapporter la proposition du groupe précédent
qui disait qu'au lieu d'être une pension ce soit un montant forfaitaire.
Je trouverais ça fort intéressant parce qu'avec un montant
forfaitaire la personne voit mieux vers quoi elle va et elle peut s'ajuster de
façon plus rapide.
Mme Harel: Mme Bouvier, je vous remercie. Vous savez
peut-être que le Conseil du statut de la femme a plutôt
plaidé devant la commission qu'il n'y avait pas lieu d'instaurer un tel
recours de survie. Les motifs du Conseil du statut de la femme - je reprends sa
position - c'est que, compte tenu du fait que la moyenne des pensions
accordées au Québec se situe aux environs de 350 $ par mois,
l'hypothèse qui peut être faite, c'est qu'une grande partie de ces
sommes récupérées servirait surtout à
défrayer des honoraires d'avocats embauchés pour faire valoir le
droit à la créance puisque la proposition gouvernementale de 350
$ par mois pour six mois représente 1800 $ ou 2000 $ au total. Comme
tout cela entraînerait des procédures à l'égard des
héritiers devant les tribunaux, ça pourrait être un recours
bien illusoire.
J'ai examiné votre proposition. Je me suis dit que vous apportiez
un point de vue important. Le conseil faisait valoir qu'avec l'instauration du
patrimoine familial, dans l'avenir la mesure peut devenir inutile pour les
futurs exconjoints puisqu'ils auraient déjà eu leur part, d'une
certaine façon, au moment de la dissolution. La part du patrimoine
familial étant partagée avec l'ex-conjoint, le premier, pour le
second, les années de vie commune durant, après le
décès, il y a un second partage. Le conseil disait: II ne
subsiste donc que les cas des exconjoints non touchés par la
réforme, ceux qui ont déjà obtenu un jugement et qui
n'auraient pas pu obtenir le partage du patrimoine familial.
Pensez-vous qu'une mesure comme la vôtre qui pourrait faire
survivre les aliments doit s'appliquer à tous les cas, autant pour les
femmes qui auraient eu le partage? N'oubliez pas que, quand il y a des
aliments, c'est que le débiteur - parce que, dans le fond, il y a un
patrimoine - est capable de payer. Si le patrimoine est déjà
partagé, n'aurait-on pas intérêt, pour justement ne
léser personne, a maintenir seulement, dans les cas des ex-conjoints non
touchés par la réforme, la survie de l'obligation et, là,
l'étendre à douze mois?
Mme Pothier: J'aimerais spécifier que la survie de la
créance, c'est à quelqu'un qui reçoit une pension
alimentaire. Si l'ex-conjoint a eu le partage, il ne recevra pas de pension
alimentaire.
Mme Harel: Non, cela se peut qu'il reçoive les deux. Le
patrimoine, c'est simplement le partage des biens familiaux, mais ça ne
vient pas remplacer, en aucune façon, l'obligation alimentaire.
Mme Bouvier: C'est-à-dire que de nos jours l'obligation
alimentaire est tellement petite que le partage des biens familiaux va ni plus
ni moins l'effacer.
Mme Harel: C'est important de le savoir. Le partage des biens
familiaux ne vient pas remplacer l'obligation alimentaire en aucune
façon, ça s'ajoute.
Mme Gagnon-Tremblay: Non. Mme Harel: Ça s'ajoute. Mme
Gagnon-Tremblay: Oui. Mme Harel: Oui.
Mme Bouvier: Ça s'ajoute, mais le juge en tient compte.
Quand déjà il donne peu comme pension alimentaire et qu'il n'y a
même pas partage, quand il y aura partage, je serais surprise qu'il
accorde de bonnes pensions alimentaires.
Mme Harel: Cela dépend, évidemment, des revenus des
conjoints.
Mme Bouvier: C'est ça.
Mme Harel: Là, c'est difficile parce qu'il faut
légiférer pour tout le monde, y compris pour ceux qui ont de
l'argent qui ne se retrouvent peut-être pas majoritairement, disons,
parmi les membres des groupes qui viennent devant la commission. Mais il est
possible aussi qu'un exconjoint puisse obtenir une pension alimentaire en plus
du patrimoine, parce qu'il est possible que les investissements ne se soient
pas faits dans des biens familiaux, que les investissements, par exemple, de
monsieur, pour ne pas être sexiste, enfin, du conjoint, se soient faits
dans d'autres types de biens.
Le Président (M. Marcil): Mme la ministre, je pense que
vous devriez compléter.
Mme Gagnon-Tremblay: Écoutez, je pense que tous vos
commentaires étaient tout à fait à point et pertinents. Je
pense que c'est seulement sur l'utilisation des statistiques. Je pense qu'il
faut être très prudent et prudente sur l'utilisation des
statistiques en ce qui concerne les enfants issus des unions de fait. Il faut
aussi
penser qu'il y a des enfants qui proviennent de mères
célibataires. Il y a des enfants qui sont nés hors mariage mais
dont la mère se marie après avoir eu les enfants aussi. Il y a
les véritables unions de fait. Il y a peut-être aussi plusieurs
enfants qui proviennent d'une même union de fait. Je pense qu'il faut
être assez vigilant dans l'interprétation des statistiques. On
pourra peut-être avoir de meilleures statistiques à un moment
donné, mais je pense qu'il faut faire attention aux pourcentages.
Écoutez, mesdames, Mme Pothier, Mme Signori et Mme Bouvier,
j'aimerais vous remercier de votre présentation. Nous allons
sûrement prendre en considération tout ce qu'il y a de
mentionné dans votre mémoire. Merci infiniment.
Mme Harel: M. le Président, J'aimerais également
profiter de l'occasion pour vous remercier de vos travaux devant la commission
et de vos travaux en général. Dites-vous qu'ils ont des
échos même à l'Assemblée nationale. Je voudrais
également rappeler cette recommandation visant à hausser la
présomption en matière de prestation compensatoire à 50 %.
Vous nous rappelez qu'en matière de société de fait, la
présomption, c'est 50 %. Pourquoi pas en matière de mariage? Je
vous remercie.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, madame. Nous
allons suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 18)
(Reprise à 15 h 29)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! Cette commission des institutions reprend ses travaux. Nous sommes
en séance de consultation générale, d'audition publique
afin de poursuivre l'étude - c'est la fin des travaux - du document
intitulé "Les droits économiques des conjoints". Je demanderais
à notre secrétaire de bien vouloir annoncer des remplacements
s'il y en a des différents de ce matin. Non?
Le
Secrétaire: Non, aucun, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): Aucun. Je pense que vous
connaissez l'ordre du jour de cet après-midi. D'abord, les
représentants et représentantes de la Chambre des notaires pour
une période de 90 minutes, à la suite de quoi nous entendrons la
Fédération des femmes du Québec et Me Paul Laquerre. Nos
travaux vont se terminer aujourd'hui par les remarques finales de la
représentante du parti ministériel et de la représentante
de l'Opposition officielle.
Pendant que je demande aux représentants de la Chambre des
notaires de prendre place à la table des invités, je pourrais
procéder au dépôt de quatre documents: sous la cote 24M, le
mémoire de l'Association de médiation familiale du Québec;
sous la cote 5M, celui de l'ABC, soit l'Association des banquiers canadiens;
23M, de la Fédération de la famille du Québec, et 6M, de
Me Edmond Pinsonnault, avocat.
Bienvenue, Me Lambert! Je pense que vous connaissez nos règles du
jeu. Il s'agit d'abord de nous présenter les gens qui vous accompagnent
et, par la suite, de prendre peut-être une trentaine de minutes pour nous
faire un résumé succinct de votre mémoire. Une
période d'une heure, par la suite, suivra pour échanger avec les
membres de cette commission. Bienvenue, Me Lambert!
Chambre des notaires du Québec
M. Lambert (Jean): Merci, M. le Président. Je voudrais,
dans un premier temps, remercier la commission de nous avoir invités
pour nous permettre de présenter notre point de vue sur cet aspect
important de la réforme du Code civil du Québec.
Sans plus tarder, je vous présente, M. le Président, ainsi
que Mme la ministre et distingués députés, tant
ministériels que de l'Opposition, qui composez la commission, ceux qui
m'accompagnent. Tout d'abord, à ma gauche immédiate, Me Manon
Corriveau, qui est une jeune notaire depuis 1986 et qui fut secrétaire
et responsable de la rédaction du mémoire qui vous a
été présenté. À ma droite, le directeur du
service de la recherche et de l'information à la Chambre des notaires,
Me Julien Mackay, qui est responsable de l'administration
générale des mémoires sur la refonte du Code civil.
À mon extrême gauche, Me Franclne Séguin, notaire depuis
1976 à Rouyn-Noranda et membre du bureau de l'ordre pour le district de
l'Abitibi; elle est également membre du comité administratif de
la Chambre des notaires. À mon extrême droite, Me Ginette Gamache,
notaire depuis 1979 à Saint-Jean-sur-Richelieu et membre du bureau de
l'ordre, représentante du district de Beauharnois-lberville. Je vous
prie d'excuser l'absence de Me Édith Guilbert, également membre
du bureau. Elle devait être présente avec nous cet
après-midi mais elle est retenue à Montréal pour raison de
santé.
Avec votre permission, M. le Président, je vais d'abord demander
à Me Manon Corriveau de nous présenter un résumé du
mémoire. Après quoi, j'ajouterai quelques remarques sur divers
points précis. Par la suite, on procédera à
l'échange.
Le Président (M. Filion): Je vous en prie! M. Lambert:
Me Corriveau.
Mme Corriveau (Manon): La Chambre des notaires du Québec a
toujours défini ses positions à l'endroit de toute intervention
législative en matière de droit contractuel dans le cadre des
paramètres suivants: en affaires, le déséquilibre
entre partenaires résulte presque à coup sûr de
l'inégalité de l'information que chacun des cocontractants
possède, le mal informé étant toujours
défavorisé.
Deuxièmement, le grand principe du consen-sualisme de l'accord
librement consenti entre individus gouverne encore notre société.
Même si son expression connaît parfois des ratés et
malgré ceux-ci l'ensemble des citoyens s'estime encore bien servi par ce
type de société libre et consensualiste. L'intervention
législative ne doit donc pas venir brimer la liberté des
individus si la preuve n'est pas faite irrémédiablement que des
inéquités ne peuvent être autrement corrigées que
par une contrainte d'ordre juridique. Tout accroc à la liberté de
consentir du citoyen doit être circonscrit au règlement
précis du problème soulevé et limité strictement
dans le temps à la période requise à l'implantation de la
solution.
Connaissant maintenant les coordonnées de ces paramètres,
vous comprendrez, j'en suis certaine, la position que la Chambre des notaires
défend dans son mémoire relatif aux droits économiques des
conjoints. D'abord, pour mener à bien l'exercice auquel nous convie
cette commission, il importe de bien cerner le fond du débat. Ainsi, la
préoccupation réelle qui est à l'origine de cette
commission concerne les femmes mariées avant 1970 sous le régime
de la séparation de biens. C'est d'ailleurs ce que reconnaît le
document de consultation du gouvernement, aux pages 1, 4 à 6 et 9.
Dès lors, sans nier qu'il existe chez les couples mariés sous le
régime de la séparation de biens un potentiel de situations
injustes découlant partiellement d'un choix mal éclairé
à la signature du contrat de mariage, la Chambre des notaires se
questionne quant à l'ampleur du problème.
En effet, combien y a-t-il exactement de femmes susceptibles
d'être intéressées par le problème? On a entendu,
semble-t-il, devant cette commission de nombreux chiffres. On s'interroge un
peu sur la fiabilité de certains de ces chiffres. Selon Statistique
Canada, seulement les deux tiers des femmes canadiennes de plus de 35 ans, donc
susceptibles de s'être mariées avant 1970, étaient
mariées en 1986. Au Québec, 46 % des femmes avaient plus de 35
ans en 1986. On peut donc évaluer approximativement à 31 % le
nombre de Québécoises de plus de 35 ans mariées en 1986,
donc susceptibles d'être touchées par le problème en
question. Les autres femmes sont évidemment plus jeunes, soit
célibataires ou déjà veuves, séparées de
corps ou divorcées. Sur ce pourcentage de 31 %, en se basant sur le
pourcentage de femmes dans chaque tranche d'âge et en s'appuyant sur les
données publiées en 1964, on peut évaluer aux deux tiers
le nombre de femmes de plus de 35 ans qui seraient mariées en
séparation de biens aujourd'hui, ce qui équivaut à
seulement 19, 7 % des femmes du Québec.
Au Canada, en 1986, le taux de divorces pour les mariages d'une
durée de 15 à 19 ans était de 13 %; pour les mariages de
20 à 24 ans, de 8 % et pour les mariages de plus de 25 ans, de 5 %. Si
l'on soustrait le pourcentage de femmes québécoises de la
catégorie visée qui sont susceptibles de faire un jour face
à un divorce, on diminue de beaucoup les chiffres. Si on soustrait
également le nombre d'entre elles qui sont indépendantes
financièrement, le pourcentage des victimes potentielles est loin de
représenter la majorité des femmes du Québec. Il ne faut
pas oublier également non plus ces chiffres incluent aussi les
époux mariés en secondes noces. D'après Statistique
Canada, aujourd'hui, un conjoint sur cinq, c'est-à-dire 20 % des
nouveaux mariés en sont déjà à leur deuxième
mariage. Quand on demande au législateur d'agir, il faut d'abord se
poser deux questions fondamentales. La première: S'agit-il d'un malaise
qui s'aggrave avec le temps et qui interpelle alors l'État et le
justifie d'agir? Si oui, quelles devraient-être la nature et
l'étendue de cette intervention? Laissons les statistiques du registre
des régimes matrimoniaux nous éclairer. En 1962, 73 % des
nouveaux époux choisissaient le régime de la séparation de
biens. À compter de 1970, avec l'apparition du régime
légal de la société d'acquêts, la situation commence
à changer. Ainsi, en 1976, ce pourcentage tombe à 57 %; en 1981,
il passe à 45 % et, en 1986, à 34 %. Encore une fois, notons que
ces chiffres diffèrent énormément de certains autres
chiffres qui ont été présentés devant la
commission. On retient donc que, depuis la fin des années soixante-dix,
il y a une nette régression du régime de la séparation de
biens démontrant ainsi que la refonte de 1970 semble porter ses
fruits.
Par ailleurs, lorsqu'on interprète ces mêmes statistiques,
tient-on suffisamment compte du phénomène consécutif aux
nombreux divorces qui rendent plus fréquents les seconds mariages dont
notre expérience révèle qu'ils se concluent presque
toujours en parallèle avec le choix de la séparation de biens
comme régime matrimonial? Pensons à ces conjoints qui ont
déjà des enfants d'un premier mariage. En d'autres termes,
peut-on affirmer que dans ces cas le choix de la séparation de biens ne
soit pas le fruit d'une décision éclairée? Peut-on
soutenir que tous les couples qui ont choisi le régime de la
séparation de biens ont besoin d'être protégés un
peu malgré eux et même contre leur volonté? Bien que la
Chambre des notaires reconnaisse que certaines situations potentiellement
inéquitables peuvent exister, il s'agit quand même d'une situation
qui touche une minorité de personnes, décroissante d'année
en année, donc qui ne justifie pas une intervention législative
coercitive et à portée universelle. La Chambre estime qu'un
réaménagement ponctuel des règles du droit existant serait
suffisant pour protéger adéquatement les droits
économiques des conjoints. Alors
que la situation proposée dans le document gouvernemental vise
essentiellement à corriger les injustices que pourraient subir au moment
du divorce ou du décès du mari les femmes économiquement
faibles, mariées en séparation de biens avant 1970, la Chambre
des notaires est d'avis qu'en raison du contexte législatif
déjà en vigueur depuis un quart de siècle visant à
affirmer la capacité juridique de la femme mariée et à
consacrer à tout égard la parfaite égalité des
époux et leur autonomie, cette tendance est tout a fait
étrangère à la généralisation de la solution
qui aurait pour effet de nier dans les faits la liberté contractuelle de
tous les époux. En effet, la notion de patrimoine familial est
née dans le système de "common law" qui ignorait le choix d'un
régime matrimonial par convention et qui ne connaissait aucune tradition
en matière de partage, de patrimoine entre époux. La Chambre des
notaires soutient que la notion de patrimoine familial est tout à fait
étrangère à l'esprit du droit civil et aura à moyen
et à long terme un effet négatif sur l'expression concrète
de la liberté que les Québécois et
Québécoises ont et tiennent à conserver de choisir
eux-mêmes leur régime matrimonial.
Quant à la résidence familiale, la Chambre des notaires
estime qu'il faut simplifier le processus menant à la reconnaissance des
droits du conjoint bénéficiaire en éliminant l'obligation
d'aviser le conjoint propriétaire de l'enregistrement de la
déclaration puisque, dans les faits, cette obligation a
découragé bon nombre de conjoints de se prévaloir de cette
disposition d'équité. Par ailleurs, la Chambre croit qu'il est
essentiel de maintenir l'obligation d'enregistrement de cette
déclaration afin de préserver les droits acquis par les tiers de
bonne foi, tels les créanciers hypothécaires.
Dans l'ensemble, la Chambre des notaires est d'accord avec les
améliorations proposées en matière de prestation
compensatoire. Cependant, la Chambre estime qu'il faut déjudiciariser le
plus possible la reconnaissance de la prestation compensatoire en permettant
aux époux de recourir, par exemple, à un service de
médiation et, en cas d'échec, à un autre mécanisme
qui pourrait éliminer les tracasseries judiciaires. Ainsi,
l'enregistrement d'une déclaration conjointe de statut devrait
être possible lorsqu'il y a accord des époux, et le
dépôt d'une déclaration unilatérale de statut
devrait également être permise afin d'enclencher le processus de
reconnaissance des droits du conjoint collaborateur. À ce sujet, la
Chambre des notaires formule l'offre déjà exprimée
verbalement à Mme la ministre de participer à un programme
conjoint avec le secrétaire de la Condition féminine favorisant
pour les conjoints collaborateurs le recours à une consultation
juridique gratuite pouvant être suivie d'un accord contractuel, selon une
formulation à être mise au point par ie service de la recherche de
notre corporation et les conseillers juridiques de Mme la ministre.
Enfin, la Chambre reconnaît que la liberté illimitée
de tester n'est pas incompatible avec la reconnaissance pour le conjoint
survivant d'une certaine obligation alimentaire en sa faveur, pourvu que cette
reconnaissance soit facilement déterminable et ne donne par lieu
à une judicia-risation qui serait tout à fait contraire à
l'intérêt des ayants droit du défunt incluant son conjoint
survivant. (15 h 45)
En conclusion, tout en se demandant si toutes les avenues non
coercitives ont été explorées pour venir en aide à
cette minorité de conjoints défavorisés par le
régime de la séparation de biens, la Chambre des notaires du
Québec suggère à l'Etat de créer un programme
incitatif, tout comme il l'a fait dans le monde agricole avec son programme de
subventions à l'établissement agricole, amenant les époux
à régler eux-mêmes les inéquités
économiques qui peuvent exister entre eux. Ainsi, les personnes
pourraient tirer avantage de conventions modificatrices, procédure
grandement simplifiée par la réforme de 1981, en
bénéficiant d'une allocation ou d'une subvention dont
l'administration pourrait être confiée à la Commission des
services juridiques. Après une période permettant aux
intéressés de se prévaloir de cette aide de l'État,
il serait toujours temps pour le législateur de procéder à
une réforme de type coercitif. Pour assurer la réussite de ce
programme, nous croyons qu'il faudrait une vaste campagne d'information
auprès des intéressés. La Chambre des notaires offre donc
sa collaboration dans l'élaboration et la réalisation de cette
campagne d'information à laquelle d'autres partenaires majeurs
pourraient s'associer.
M. Lambert: Merci, Me Corriveau. Sur ce dernier point, je
voudrais seulement faire ressortir l'approche positive qui correspond, je
pense, à ce à quoi l'ensemble de la population du Québec
s'attend lorsqu'il s'agit de corriger une situation. Nous avons vu le
succès, nous l'avons mentionné il y a quelques instants, du
programme de subventions à l'établissement en milieu agricole qui
a permis à de nombreux couples de régulariser leur situation
juridique quant à la propriété de l'entreprise agricole
familiale. Cette approche positive correspond aussi au sondage que la Chambre
des notaires a fait effectuer il y a trois ans sur la liberté de tester.
On touchait à un sujet qui se rapprochait beaucoup de celui dont on
parle actuellement et il était clair que l'ensemble des
Québécois, particulièrement les femmes, était
réfractaire à ce que le législateur intervienne pour
imposer dans ce cas une réserve quelconque, une limitation à leur
droit de tester. Quant à la campagne d'information, qui devrait
être originale et vraiment bien menée - il ne s'agit pas d'une
affaire de seconde catégorie - il y a certainement d'autres acteurs de
la scène québécoise qui pourraient y être
associés. On peut penser à l'Association des banquiers cana-
diens, au mouvement Desjardins ou à d'autres institutions du
genre qui, je pense, pourraient être intéressées à
se joindre aux efforts du secrétariat à la condition
féminine pour vraiment mener à bien cette campagne
d'information.
Concernant les points précis qui ont été
mentionnés au cours des audiences de cette commission et d'autres points
qu'on a voulu approfondir après la rédaction du mémoire,
tout d'abord, et dans l'ordre, dans ses propos intro-ductifs, Mme la ministre
Gagnon-Tremblay mentionnait qu'elle ne croyait pas que la solution
préconisée par le gouvernement désincite les individus
à s'unir par le mariage, et elle donnait des chiffres de l'Ontario
à cet égard. Je pense qu'il faut se réserver de prendre
l'Ontario comme modèle en cette matière. Le sondage auquel je
faisais référence tantôt et l'expérience des
notaires, je pense, prouvent qu'à cet égard les
Québécois ont un comportement tout à fait authentique et
original. Nous croyons que le fait d'augmenter encore les contraintes
n'encouragera pas, c'est le moins qu'on puisse dire, les gens à recourir
au mariage et là-dessus nous rejoignons l'opinion du Conseil du statut
de la femme. On a beaucoup parlé de la loi de l'Ontario et je pense
qu'il est important qu'on comprenne que ce type de loi est récent dans
une province qui ne connaissait que la séparation de biens à
venir jusqu'à il y a une dizaine d'années, que la loi de 1978 fut
modifiée d'une façon importante et majeure en 1986 justement
à la suite de problèmes connus et expérimentés en
Ontario au sujet des biens patrimoniaux et qu'on s'est dirigé, en
Ontario, vers un régime de société d'acquêts.
À peu de choses, cela ressemble étrangement à notre
régime légal de société d'acquêts. Il n'y a
pas de titre de propriété, contrairement à ce que l'on
croit, dans le patrimoine familial de l'Ontario. Il s'agit d'un droit de
possession et là nous voyons, et c'est typique de la "common law", la
judiciarisation poindre à chaque détour. C'est finalement le juge
qui décide s'il y aura un titre de propriété sur tel bien
ou non, ou si cela sera seulement une propriété ou un droit
d'occupation ou d'habitation pendant un certain temps. On voit d'ailleurs que
pour aliéner, le propriétaire n'a qu'à compléter
une simple déclaration, par exemple, concernant la résidence
familiale pour dire qu'elle n'est pas assujettie à un droit des
conjoints pour que le tiers contractant de bonne foi soit
protégé, donc, dans les faits, pour rendre assez illusoires les
recours du conjoint. Au plan successoral, dans cette loi, on voit encore que le
conjoint, par exemple, qui bénéficie de dispositions
testamentaires, aura à faire le choix entre ses droits dans le
patrimoine familial où le legs testamentaire. Nous avons
déjà, depuis bon nombre d'années, "gradué" de ce
dilemme au Québec. Et notons que par contrat familial ou de mariage on
peut déroger au partage des biens patrimoniaux, sauf quant à la
résidence qui, je le répète, est beaucoup plus un droit de
possession. Alors, il faut comprendre que, quand on se réfère
à la loi d'un autre pays ou d'une autre province, il faut la
considérer comme un ensemble, et ne pas prendre seulement les morceaux
qui font notre affaire, et qu'il y a là, dans le fond, une
économie qui est, je pense, encore loin des avantages que compte le
droit du Québec à cet égard.
Sur des points particuliers maintenant. Nous ne nous sommes pas
prononcés dans notre mémoire sur les régimes de rentes
privés. Nous savons par contre que ce point a fait l'objet d'une
revendication constante par ceux qui ont présenté des
mémoires. La Chambre des notaires est d'accord avec ces revendications
et il est difficile de concevoir qu'un régime de rentes privé qui
a été accumulé à partir du salaire ne puisse pas,
dans une optique de partage entre conjoints, être
considéré. Nous avons de la difficulté à
conceptualiser que cela doive rester en dehors d'un partage. Donc, à cet
égard, nous sommes tout à fait d'accord avec les
représentations qui ont été faites à cette
commission.
Pour ce qui est des unions de fait, nous appuyons la position
gouvernementale de ne pas réglementer. Nous sommes également
d'accord avec les positions du Conseil du statut de la femme et de Mme la
ministre. À trop vouloir encadrer les gens, nous allons finir par ne
plus parler d'union de fait, mais de fréquentations de fait, et
après je ne sais pas s'il ne faudra pas aller encore un peu plus loin.
Je pense que la problématique. a déjà été
exposée. C'est simplement pour bien affirmer notre position à cet
égard. Si les gens ont choisi de vivre ensemble, mais sans encadrement,
je pense qu'il faut respecter leur choix.
À la page 24 du document gouvernemental, on associe garde des
enfants et résidence principale. Il y a sûrement au fond de cette
préoccupation une évidence et nous la partageons. Toutefois, nous
aimerions exprimer une crainte: celle que soudain la garde des enfants devienne
une monnaie d'échange pour pouvoir s'assujettir le domicile familial et,
dans le concret des choses, je pense que c'est une crainte qui n'est pas
théorique. Quand on connaît un peu l'agressivité qui existe
lorsqu'il y a séparation, du moins dans certains cas, on sait que les
enfants ne sont généralement pas les gagnants pendant la
période où les sentiments sont vraiment échauffés.
Si jamais le gouvernement décidait d'aller de l'avant avec son
patrimoine familial, nous sommes sensibles et appuyons les
préoccupations que l'Association des banquiers canadiens et que le
mouvement Desjardins ont formulées à cette commission. Il faudra
sans aucun doute, pour permettre que les biens puissent continuer d'être
acquis au moyen du financement à crédit, et que les biens
circulent, ce qui est un principe de fond dans notre droit, que les
créanciers de bonne foi soient protégés.
Je voudrais également attirer votre attention, parce qu'on le vit
dans nos cabinets, sur la réalité que le mouvement Desjardins
vous a
mentionnée hier ou avant-hier concernant, entre autres, la
réduction que les créanciers pourront faire de la valeur en
équité des biens d'un conjoint si, par ailleurs, ces biens qu'on
voudrait grever sont des biens familiaux ou encore des biens d'entreprises. On
sait que dans la réalité le conjoint bénéficiaire
devra apposer sa signature pour qu'effectivement le crédit puisse se
faire. Il y a danger également que les investissements hors du
patrimoine familial soient privilégiés par le conjoint. Nous ne
comprenons pas la règle des 10 000 $ voulant que la résidence ne
puisse être saisie. Nous voyons ce chiffre devenir une espèce de
barrière psychologique qui donnera lieu à toutes sortes
d'événements.
Tout d'abord, lorsque le créancier - vous savez maintenant que
les hypothèques sont à très court terme: un an, deux ans;
trois ans, c'est déjà dans le très long terme - se verra
approcher du solde de 10 000 $, au lieu de renouveler, il exigera le
remboursement de sa créance. Il ne voudra pas se ramasser dans une
situation où il ne pourra pas récupérer sa créance.
L'exigence à 70 % de la valeur également; 25 %, c'est
peut-être trop bas, mais 70 % c'est peut-être trop haut.
Il y a eu des chiffres de mentionnés, nous en avons
présenté à cette commission il y a quelques minutes, mais
je pense qu'il est important... Par exemple, le chiffre de 52 000 couples ayant
choisi la société d'acquêts pour la période de 1970
à 1985, est très incomplet et ne reflète pas la situation.
Il faut absolument ajouter les 300 174 couples qui ont également choisi
ce régime sans contrat de mariage.
Dans le document de l'Association féminine d'éducation et
d'action sociale, on parle de 68, 8 % de maris uniques propriétaires de
la résidence au Québec. Si on reprend les chiffres qui
apparaissent dans le livre vert du gouvernement "Se loger au Québec",
publié il y a quelques années, on est étonné de
voir un tel chiffre. On se demande d'où il provient puisque dans ce
document on mentionnait qu'il y avait seulement 53, 3 % des
propriétaires occupants au Québec qui étaient
propriétaires de leur habitation, de leur résidence. Dans ces 53
%, il faut comprendre qu'il y a des célibataires, des veufs et des
veuves, et beaucoup, contrairement à ce qu'on a affirmé, de
couples. Alors, ces 68 %, on pense que c'est un chiffre qu'il faut prendre avec
beaucoup de précaution. On a affirmé également que la
popularité de la séparation de biens se maintient, mais je pense
que les chiffres qu'on vous a mentionnés démontrent le
contraire.
Concernant l'obligation alimentaire, je voudrais simplement souligner
à cet égard que c'est un sujet sur lequel il n'est pas facile de
se faire une idée. Là-dessus, on a été pour, on a
été contre. Je pense qu'on s'est arrêté sur une
position de compromis reconnaissant que, du jour au lendemain, lorsqu'un
décès survient dans un couple, il y a quand même une
situation qui existe et qu'on ne peut pas du jour au lendemain cesser le
support, par exemple, que reçoit le conjoint survivant. Toutefois - et
là-dessus notre recommandation s'aligne sur les préoccupations
très bien détaillées devant cette commission par le
Conseil du statut de la femme - il faut que cette obligation alimentaire soit
limitée, qu'elle soit quantifiable, qu'elle soit nettement
définie et surtout qu'elle ne donne pas lieu à la
judiciarisa-tion où tout le monde est perdant. C'est pourquoi, dans
notre mémoire, nous avons proposé une formule
d'évaluation. Ce n'est peut-être pas la meilleure, mais je pense
qu'elle en vaut d'autres. (16 heures)
À la page 22 du document de consultation, on mentionne que le
juge, que le tribunal pourra intervenir pour déroger au partage
égal. Nous croyons que, si le gouvernement devait arrêter son
choix sur le patrimoine familial, à ce moment-là, il faudra
être logique et on ne pense pas qu'on devrait permettre au tribunal de
déroger, sauf, peut-être, s'il y a eu effectivement dilapidation
de mauvaise foi ou par fraude; sinon, il faudra qu'il y ait partage. On ne peut
pas laisser le tribunal apprécier les circonstances du partage ou non.
Si on fait notre lit sur le partage, on partagera.
On a soumis devant cette commission, je pense que c'est l'Association
des femmes collaboratrices, une préoccupation concernant la signature
d'hypothèque sur la résidence familiale. Disons que cette
préoccupation déborde le strict cadre des conjoints en affaires.
Je pense que cette situation survient régulièrement. Soit que le
couple, en tant que copropriétaire, a à signer les documents de
ce mode de financement, soit que le conjoint qui a un droit de partage doive y
consentir. Je pense qu'il ne faut pas donner une importance
démesurée à ces craintes parce que le produit de
l'hypothèque, hormis que ce soit pour faire effectuer un voyage sur la
lune, sert généralement soit à l'entreprise du
propriétaire, soit à la famille. Alors, je pense que cela fait
partie des choses qui se négocient dans un couple et je ne crois pas
qu'il faille, à ce moment-là, intervenir; je ne pense pas que
cela soit vraiment un problème.
La renonciation pendant trois ans, toujours dans l'hypothèse
où le gouvernement retient sa proposition de créer un patrimoine
familial. Je dirais qu'en théorie on comprend mal cette
possibilité de renonciation. Même si parfois on trouve que notre
position n'est peut-être pas tout à fait dans le courant, c'est
que dans les faits le gouvernement choisit d'établir un patrimoine
familial, mais permet pendant trois ans à ceux qui, dans le fond,
pourraient en bénéficier de pouvoir y renoncer. On essaie de
trouver le raccord, mais je vous dis que c'est au plan théorique parce
que la pratique nous donne un autre enseignement. Encore une fois, je me
réfère au sondage SORECOM, qui a d'ailleurs été
transmis au secrétariat et à des commissions parlementaires
antérieures sur la refonte du Code
civil, trois Québécois et Québécoises sur
quatre, 75 %, se sont prononcés pour que les conjoints puissent avoir la
faculté de renoncer à une mesure analogue par contrat de mariage.
Dans ce cas-là, c'était la réserve
héréditaire ou une limitation de leur liberté de tester.
Ce sondage est l'opinion de la population québécoise à cet
égard. Les sondages étaient très précis. On voyait
que c'était vraiment une notion très ancrée. Cela touchait
tout le monde. Cela réunissait tout le monde, peu importe leur
degré de scolarité, peu importe leur statut social, leur
état de fortune, leur endroit de résidence sur le territoire
québécois. C'était constant. Il s'agit vraiment d'une
notion importante, forte et bien ancrée, il faut le reconnaître.
La Chambre des notaires appuie la position du gouvernement dans son document
à cet égard.
Voilà, M. le Président, les points additionnels à
notre présentation que je voulais soumettre à cette commission.
Nous sommes maintenant prêts pour la discussion.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie de cette
présentation, Me Lambert et Me Cor-riveau. La parole est maintenant
à Mme la ministre déléguée à la Condition
féminine.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Lambert et Me Corriveau, de votre
présentation. Je dois vous dire que votre mémoire est très
différent. C'est très intéressant, mais, à certains
égards, c'est étonnant aussi. Je comprends, par contre, votre
hypothèse puisque vous semblez prendre comme prémisse, si je
comprends bien, que les gens actuellement mariés en séparation de
biens n'ont pas ou très peu de problèmes lors de la dissolution
ou lors de la rupture. Bon, il y en a de moins en moins, c'est certain. Vous
mentionniez tout à l'heure qu'au-delà de 60 % choisissent
maintenant la société d'acquêts, comparativement à
40 %. Mais il y en a quand même tout près de 50 % qui sont
mariés actuellement sous le régime de la séparation de
biens. J'ai l'impression que vous tenez un peu pour acquis le fait que ces
gens-là ne semblent pas avoir de problèmes ou n'en auront pas
lors de la rupture du mariage. Vous n'êtes pas tellement en faveur d'un
partage des biens familiaux. Par contre, vous préconisez une
amélioration ponctuelle des règles du droit. Pouvez-vous me
préciser exactement lesquelles, à part celles du programme
incitatif sur lequel je reviendrai tout à l'heure? Quelles sont les
autres règles de droit ponctuel auxquelles vous songez pour permettre un
certain équilibre économique entre les conjoints et aussi
permettre certaines mesures correctrices?
M. Lambert: Tout d'abord, en ce qui concerne la résidence
familiale - on l'a mentionné tantôt - c'était
d'éliminer l'obstacle qui, dans les faits, empêchait beaucoup de
conjoints de se prévaloir de cette mesure. L'autre, c'est la prestation
compensatoire. Là, je pense qu'on va plus loin que tout ce qui a
été présenté à cette commission, pour ce que
j'ai pu en être informé ou lire. On veut vraiment que le droit du
conjoint dans l'entreprise soit reconnu dès l'instant où la
collaboration est constatable, c'est-à-dire, donc, qu'il y a un
état de fait. On veut, par la création du registre du commerce,
permettre qu'une déclaration conjointe puisse être faite, donc
d'avoir un mécanisme simple à la portée des couples pour
pouvoir consacrer la reconnaissance mutuelle de leurs droits. S'il n'y a pas
entente, en utilisant ce même mécanisme, qu'il y ait une
possibilité d'enclencher un mécanisme qui en amènera la
reconnaissance plutôt que d'attendre la fin de la collaboration ou encore
le décès ou le divorce. Je pense qu'il est
préférable de clarifier la situation après que cette
collaboration se sera établie. C'est un autre point sur lequel nous
avons présenté...
Mme Gagnon-Tremblay: Me Lambert, je reviens aux gens qui sont
mariés actuellement sous le régime de la séparation de
biens. Lorsque vous parlez de l'amélioration ponctuelle des
règles de droit et que vous me parlez de la prestation compensatoire, si
j'ai bien compris votre mémoire, la prestation compensatoire
s'appliquerait pour la collaboratrice. Mais vous comprendrez que, sur les 50 %
de gens mariés actuellement en séparation de biens, il y a encore
très peu de collaboratrices. Qu'est-ce qu'on fait pour les autres qui ne
sont pas des collaboratrices et qui n'ont pas droit à la prestation
compensatoire, si on en juge, par exemple, par les nombreux jugements qui ont
été rendus précédemment?
M. Lambert: Vous mentionnez le chiffre de 50 %. Je le prends tel
que vous le mentionnez, mais je comprends que, dans ces 50 %, il y a bon nombre
de gens qui ont choisi volontairement et sciemment la séparation de
biens, ne voulant absolument pas partager. On pense, entre autres, à
ceux qui se marient en secondes ou en troisièmes noces. C'est quand
même un nombre important de couples dans vos 50 %. On parle des femmes
collaboratrices. Je voyais dans le mémoire de l'Association des femmes
collaboratrices que 68 % des femmes collaboratrices sont mariées sous le
régime de la séparation de biens. On peut comprendre, ce
régime étant associé aux gens qui se lancent en affaires
et qui entreprennent et qui encourent des risques. Donc, il est possible que,
dans vos 50 %, il y ait une bonne proportion de couples qui soient en fait des
conjoints collaborateurs. Finalement, cela nous ramène à une
proportion assez restreinte de gens. C'est cette proportion qu'on mentionne
dans le mémoire. C'est là que nous pensons qu'il faut proposer
à ces gens-là, par l'information, de convenir de modifier leur
régime matrimonial s'ils le veulent et de faciliter l'opération
au maximum en leur offrant une consultation gratuite, et même de pouvoir
conclure la convention modificatrice
gratuitement. Je pense qu'avec un programme incitatif bien
structuré, comme ce fut le cas pour le programme de subvention
d'établissement en milieu agricole, les gens de bonnes intentions
saisiront l'occasion.
Quant aux récalcitrants, il y a peu de choses que l'on peut faire
et même le partage des biens familiaux proposé par le gouvernement
ne pourra pas régler les problèmes, parce que, comme cela a
été d'ailleurs vécu en Ontario et ailleurs, ceux qui ne le
veulent pas utiliseront toutes sortes de trucs pour dilapider et faire
disparaître les biens. Mais cela devient un nombre très minime et
on ne pense pas que ce soit en provoquant ces quelques-uns que l'on pourra
régler la situation. On pense plutôt qu'un contexte plus positif,
plus favorable, les amènera à...
Mme Gagnon-Tremblay: Me Lambert, comme amélioration
ponctuelle des règles de droit pour ceux et celles qui sont
mariés actuellement en régime de séparation de biens, mais
pour lesquels vous dites... Admettons qu'il y aurait une infime
minorité. Ce que vous proposez, c'est une campagne d'information,
l'amélioration de la prestation compensatoire qui s'adresse uniquement
aux collaboratrices et, ensuite, le programme incitatif - auquel j'arrive,
finalement - lequel serait basé sur celui des femmes collaboratrices,
c'est-à-dire les femmes en agriculture. Par contre, quand on parle de
programme incitatif, j'imagine que ce serait inciter ces personnes à
modifer leur régime matrimonial. Ce seraient peut-être les
honoraires qui pourraient être payés, mais il m'apparaît
que, pour les couples, ce ne sont pas les honoraires qui entrent en ligne de
compte. Je pense bien que n'importe quel conjoint dont cela ferait l'affaire de
passer une société d'acquêts pour une séparation de
biens serait prêt à payer les honoraires. Ce sont beaucoup plus
les pressions que peut subir un conjoint et, malgré un incitatif dans
les honoraires, je ne pense pas que ce soit là le véritable
problème. Je ne pense pas que ce soit cela qui entraînera une
modification des régimes matrimoniaux, par exemple, d'une
séparation à une société d'acquêts.
D'après ce qu'on entend sur ce qui se produit chez ies couples, il
m'apparaît difficile d'aller dans ce sens-là, même avec un
programme incitatif.
Je voudrais vous parler de la prestation compensatoire. Vous citez entre
autres une déclaration possible soit conjointe ou unilatérale
dans certains cas avec signification. Est-ce que vous revenez un peu aux
propositions des femmes collaboratrices, à savoir que dans cette
collaboration il y aurait partage dans les bénéfices, mais non
dans les dettes, ou si c'est un véritable partenariat? D'autre part,
vous dites que, s'il y avait déclaration unilatérale, on devrait
en faire la signification à l'autre conjoint. Si je me fie à
votre jugement du début sur la déclaration de résidence,
vous nous dites que, pour la déclara- tion de résidence
familiale, il faut enrayer cette question de signification, parce qu'il y a
encore là beaucoup de pression. On sait tous les problèmes que
cela a créés entre les couples. On dit: Incluons-les plutôt
dans les actes d'aliénation, mais, en ce qui concerne la prestation
compensatoire, vous êtes d'accord avec une signification qui pourrait
causer les mêmes problèmes que ceux qu'a causés la
signification de la résidence familiale. (16 h 15)
M. Lambert: Sur ce dernier point, Mme la ministre, on peut
difficilement assimiler les deux situations. Dans le cas de la résidence
familiale, les conjoints ne sont pas dans une entreprise au sens de la
collaboration de conjoints à l'entreprise dans l'autre cas. Les
conjoints collaborateurs se côtoient tous les jours, ou à peu
près. Ils sont très près l'un de l'autre, ils discutent
d'affaires à longueur de journée, à longueur de semaine.
Je pense que, si on offre aux conjoints collaborateurs la possibilité
d'avoir recours à un mécanisme qui ne soit pas judiciaire, donc
qui ne provoque pas les déchirements que l'on connaît
généralement lorsqu'on aboutit devant le tribunal, à ce
moment-là, le recours à un mécanisme qui enclenche la
solution du problème qui peut exister dans le couple à ce
niveau-là n'aura pas les mêmes effets que l'enregistrement d'une
déclaration de résidence que souventefois le conjoint est
obligé de faire parce qu'il apprend qu'il se passe quelque chose; il
n'est informé en rien des affaires du couple, ce qui n'est pas le cas
d'un couple collaborateur en entreprise. Je pense que les deux situations sont
différentes. Autant dans un cas il faut vraiment permettre au conjoint
de protéger ses droits dans la résidence familiale, autant dans
l'autre cas je pense que l'ouverture est de mise parce que le contexte est tout
à fait différent. Il s'agit dans notre esprit d'un
véritable partenariat. Donc, on participe aux profits, mais on participe
aussi aux dettes; il y a une logique là-dedans. C'est vraiment un
partenaire en affaires et je crois que c'est ce que les femmes collaboratrices
veulent. Elles ne veulent pas être une partie, une excroissance, elles
veulent être à part entière.
Mme Gagnon-Tremblay: Pour compléter, Me Lambert, avec la
prestation compensatoire, vous seriez d'accord d'augmenter le pourcentage
à 50 %. Par contre, est-ce que pour vous la prestation compensatoire
devrait s'appliquer uniquement aux collaboratrices, aux collaborateurs, ou bien
si cela devrait continuer à s'appliquer tel qu'on le prévoit dans
l'article, ce qui n'a à peu près jamais été
appliqué pour, par exemple, la travailleuse au foyer? Si on devait aller
dans le sens d'un partage des biens familiaux, est-ce que la prestation
compensatoire pourrait servir, par exemple, lorsqu'il y a très peu ou
pas de biens à partager?
M. Lambert: On a eu de profondes discus-
sions sur l'aspect d'étendre la prestation compensatoire pour
tenir compte du travail au foyer. D'ailleurs, c'était vraiment une
option qu'on a arrêtée au départ. On a dit qu'il faudrait
regarder du côté de la prestation compensatoire pour trouver un
moyen d'équilibrer un peu pour ces couples dont on parle depuis
tantôt et on en est arrivés à une espèce de
cul-de-sac où les critères d'appréciation devenaient
flous. On voyait une judiciarisation qui, dans les faits, viendrait annuler,
à toutes fins pratiques, les avantages d'avoir des régimes
matrimoniaux, de sorte qu'après cet exercice nous en sommes venus
à la conclusion que la prestation compensatoire devra être
réservée aux conjoints collaborateurs en entreprise ou au
conjoint qui fournit dans le couple un apport vraiment exceptionnel qui peut
venir, par exemple, de ses gains de travail à l'extérieur du
foyer. À ce moment-là, cela devrait être
réservé à ces situations.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous nous citez aussi, Me Lambert, des
statistiques sur les couples actuellement propriétaires de
résidences qui sont hypothéquées dans bien des cas. Si on
devait aller dans le sens du partage, est-ce que - comme souvent il y a
très peu de résidences ou qu'elles sont
hypothéquées et il peut même ne pas y en avoir - ce serait
important d'inclure les régimes privés de retraite?
M. Lambert: Oui, c'est ce qu'on a mentionné tantôt.
Là-dessus, je pense qu'on est d'accord avec les représentations
qui ont été faites à cette commission par à peu
près tous les intervenants pour la raison que les sommes qui proviennent
du travail... Si le fruit du travail doit être partagé, il y a une
logique à ce que les régimes de pension privés soient
aussi partageables.
Mme Gagnon-Tremblay: Je termine avant de céder la parole
à ma collègue. Vous semblez dire que le fait de
légiférer pourrait avoir un effet désincitatif sur le
mariage. Vous dites qu'on s'est basé un peu sur les statistiques de
l'Ontario en disant: Bien voici, cela existe. Il y a très peu d'unions
de fait comparativement au Québec. Ne trouvez-vous pas que c'est un peu
hypothétique d'affirmer que légiférer pourrait avoir un
effet désincitatif plutôt que ce soit dû à la
véritable mutation sociale qui existe actuellement au sein de notre
population?
M. Lambert: Les mutations s'expliquent sûrement par des
raisons, et nous ne prétendons pas avoir la réponse ou avoir fait
une analyse exhaustive. Ce que nous savons par les réactions que les
gens ont dans nos cabinets, lorsque nous parlons de ces questions, c'est que,
dès l'instant où ils sentent qu'une contrainte leur est
imposée, ils ont généralement une réaction. Je ne
dis pas qu'il n'y aurait plus de mariages du tout, per- sonne ne pourrait
croire à une telle hypothèse, mais il est certain que toute
mesure ajoutant une contrainte additionnelle, qui a pour effet de contrarier un
peu les gens, n'est pas de nature à faire la promotion de l'institution
du mariage. Justement, si au Québec il y a beaucoup plus d'unions de
fait qu'ailleurs, c'est parce qu'il y a aussi un contexte, et je pense que
c'est un peu là-dessus que nous cherchions à attirer l'attention
tantôt en disant qu'il ne fallait peut-être pas seulement regarder
les chiffres de l'Ontario, mais penser plutôt au climat à cet
égard très culturel qui est le nôtre.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Lambert.
Le Président (M. Filion): Exceptionnellement, je vais
prendre la parole avant ma collègue, la députée de
Maisonneuve, parce que je dois malheureusement quitter.
La Chambre des notaires nous présente un mémoire original,
original dans le sens de distinct des autres mémoires, et ce n'est pas
péjoratif, loin de là. La Chambre, et je pense que sa position
est bien résumée en page sept, considère qu'il y a des
situations inéquitables qui sont vécues par une minorité
de conjoints mariés sous le régime de la séparation de
biens. Vous suggérez plutôt une amélioration des
mécanismes existants. Vous suggérez même
l'amélioration de certains de ces mécanismes, par exemple
l'enregistrement, etc. Vous invoquez le fait que les gens, premièrement,
sont libres de contracter et que plusieurs de ces personnes le font en toute
connaissance de cause. Vous signalez également que le nombre de couples
mariés sous le régime de la séparation de biens diminue au
fil des années. Les statistiques que vous donnez sont absolument
probantes. On peut, je pense, dire qu'en 1986 il y a deux couples sur trois qui
se mariaient sous un régime de partage, pour employer votre expression,
et qu'un sur trois se mariait sous le régime de la séparation de
biens. Il n'en demeure pas moins, toujours en me basant sur vos statistiques,
que, si on prend de 1970 à 1987, il y a quand même, grosso modo,
50 % des couples, au moment où l'on se parle, qui sont mariés
sous le régime de la séparation de biens. Là-dessus, vous
avez sourcillé tantôt à l'intervention de la ministre, mais
cela semble être le chiffre que nous avons reçu d'un peu partout
et il me semble que les statistiques que vous nous apportez corroborent un peu
cette donnée-là. Il y a à peu près, au moment
où l'on se parle, au Québec, un couple sur deux qui est
marié sous le régime de la séparation de biens.
Alors, ma question est la suivante: Vous ne fermez pas les yeux, loin de
là, sur les inéquités, vous en reconnaissez l'existence.
Par contre, vous invoquez une espèce de balance d'inconvénients.
Et dans cette balance d'inconvénients, je dois vous dire que...
J'aimerais vous voir l'exposer plus à fond, parce que je ne suis pas
très pesant de l'autre côté de la balance. Vous
nous dites, premièrement qu'il y a une liberté de
contracter généralement et qu'il faut la respecter, c'est vrai.
Une liberté totale de faire tout ce que l'on veut, mais l'ensemble des
lois qu'on passe, vous savez, vient restreindre une partie des libertés
des citoyens et citoyennes, tous les jours, par les lois, les
règlements, etc., et uniquement en instituant un régime
légal, on affecte quand même les libertés, on modifie les
tendances sociales. Vous invoquez le fait que le patrimoine familial n'existe
pas dans nos notions de droit, vous avez raison, c'est un peu nouveau, c'est
emprunté à la "common law". Ce n'est pas la première fois
que nous faisons un emprunt à la "common law". On se promène avec
un corps législatif de plus en plus, disons, mixte. Il y a beaucoup
d'emprunts à la "common law" au Québec.
Vous évoquez l'effet désincitatif possible.
Là-dessus, je dois vous dire qu'il me semble que les gens qui se marient
en général veulent voir clair dans leurs droits, veulent les
choses les plus claires possible. Moi, il n'y a rien qui ne me frappe plus,
pour les gens en général, que la connaissance de leurs droits et
obligations. Ce que les gens n'aiment pas, c'est de ne pas savoir à quoi
s'en tenir. Mais je ne pense pas qu'on puisse raisonnablement déduire
que le nombre de mariages au Québec, qui est déjà en
descente inquiétante et qui cause une problématique
démographique qui n'est pas le sujet de notre étude, que
l'instauration d'un patrimoine familial, tel que le suggère le document
gouvernemental, pourrait accélérer cette tendance au non-mariage.
En tout cas, c'est difficile à percevoir.
Alors, est-ce qu'il y a d'autres éléments que vous
aimeriez mettre dans cette balance quand nous nous dites: Écoutez,
faites attention, ne redressez pas les inéquités? Parce que vous
les reconnaissez, ces inéquités. L'ensemble des intervenants qui
sont venus devant nous les ont reconnues facilement et vous le faites aussi de
façon très lucide. Alors, est-ce qu'il y a d'autres
éléments qui feraient que, comme législateurs, on devrait
s'interdire de redresser des inéquités qui sont, dans bien des
cas, assez alarmantes?
M. Lambert: Je pense que, lorsque le législateur
intervient pour perturber - parce que ce sera réellement le cas - le
droit et les situations, pour imposer un effet rétroactif, il faut
toujours le faire lorsque c'est pleinement justifié. C'étaient
les paramètres de la problématique au départ. On disait:
Lorsqu'il faut le faire, il faut vraiment prouver qu'il n'y a pas d'autres
moyens, qu'on a vraiment tout épuisé. Là-dessus, je pense
qu'on n'a pas fait la preuve qu'on avait effectivement épuisé
tous les moyens. Mais supposons qu'effectivement il n'y ait pas d'autres
avenues pour corriger la situation; à ce moment-là, on le corrige
en se centrant sur le problème. Or, dans le projet qui est
proposé, c'est une mesure universelle et c'est ce sur quoi on en a,
parce que le problème... Souvent, le législateur intervient
lorsqu'il voit se développer un problème, qu'il voit qu'il
grandit, donc qu'il risque de prendre de telles proportions que ce sera au
détriment de la collectivité. Mais le problème que l'on
considère est en régression.
On a, par ailleurs, changé profondément l'approche dans
les régimes matrimoniaux il y a maintenant tout près de 20 ans,
avec la réforme de 1970, et on croit que culturellement il faut laisser
le temps à ces réformes profondes qui touchent les individus dans
leur quotidien de porter leurs fruits, et tout nous porte à croire que
c'est effectivement ce qui se produit, par le nombre grandissant de couples qui
choisissent un régime de partage.
Alors, finalement, on dit que le problème est très
circonscrit. Encore là, chez ceux qui sont mariés en
séparation de biens, il faut éliminer tous ceux qui l'ont
sciemment décidé et voulu comme tel, sans jamais vouloir
partager, parce que chacun a des enfants. Par exemple, dans le cas de secondes
noces, chacun a ses enfants, chacun a son patrimoine. On veut bien vivre
ensemble, mais on ne veut pas confondre les biens qu'on veut transmettre.
Alors, en vertu de quoi allons-nous perturber ces accords? Pour les autres qui
restent, il faut voir si effectivement, au-delà de la
potentialité, il y a matérialisation des victimes réelles.
Quand on dit qu'il y a des inéquités, c'est qu'on voit que c'est
un nombre restreint. On parle de règlements de divorce, par exemple, qui
ont été pénibles - je peux vous dire qu'il y en a, peu
importe le régime - mais on a connu des règlements de divorce qui
ont été fort avantageux pour des conjoints qui étaient
mariés en séparation de biens; pensons à des femmes, on en
connaît. Alors, dire que les femmes mariées en séparation
de biens sont toujours perdantes dans le cas d'un divorce, je pense qu'il
faudrait ventiler, qu'il faudrait vraiment étudier cela et ne pas
seulement faire des affirmations, parce que c'est surtout cela qu'on a vu: il y
a eu beaucoup d'affirmations sur tout, mais on ne ventile pas. Mme la ministre
parle de 50%. Je veux bien, je prends le chiffre, sauf qu'on ne l'a pas
ventilé. C'est quoi, ces 50% de couples mariés en
séparation de biens? Pourquoi l'ont-ils choisi? Ont-ils fait un choix si
mal éclairé que cela? Y a-t-il des conséquences? N'y
a-t-il pas des gens qui sont économiquement égaux
là-dedans? Tout cela n'est pas ventilé, mais on arrive avec une
mesure universelle qui va toucher tout le monde! C'est là-dessus qu'on
dit au législateur: On a de la difficulté à suivre sur ce
plan. (16 h 30)
Le Président (M. Filion): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Oui, M. le Président, je vous remercie.
J'étais heureuse de vous laisser la parole, M. le député
de Taillon, parce que je sais que vous avez des obligations en Chambre. Mais je
m'en serais vraiment voulu de ne pas profiter
de la première occasion qui m'est donnée pour
réagir au mémoire présenté par mes amis de la
Chambre des notaires. Je dis mes amis parce que j'ai eu à travailler
assez régulièrement avec eux, lors de l'étude en
sous-commission des dispositions de la réforme du Code civil en
matière de droit des personnes et des biens. C'est d'ailleurs le
député de Taillon qui va compléter ces obligations. Mais
je veux leur dire immédiatement que je suis très surprise du
mémoire qu'ils nous présentent. Ils sont les seuls à
adopter cette position depuis le début de nos travaux et ils seront sans
doute les seuls d'ici la fin, parce que nous terminons cet après-midi et
que nous connaissons déjà les mémoires.
C'est l'usage même des termes. Je notais, entre autres, le mot
"perturber". Depuis le début, les mots qu'on entend sont "corriger" et
"remédier". Je voudrais tout de suite les mettre en garde de ne pas
invoquer le Conseil du statut de la femme, parce que celui-ci a
présenté, dans un mémoire et ici même en commission,
un point de vue. Je vais vous le citer au texte; c'est le suivant: "Dans les
faits subsistent encore des inéquités à la rupture du
mariage et au décès. Il est maintenant clair que les
réformes effectuées n'ont pas produit tous les effets
recherchés, dont celui de compenser les services au foyer d'une
génération d'épouses séparées de biens pour
qui, pourtant, on reconnaissait consensuellement la nécessité
d'un rectificatif. Mais - et j'insiste sur ce mais auprès de Me
Corriveau - au-delà de cette clientèle immédiatement
visée par la réforme actuelle, le Conseil du statut de la femme
prétend que l'institution du mariage en elle-même devrait
entraîner une certaine forme de partage entre époux. "
D'entrée de jeu, je dois vous dire que je ne pense pas qu'il soit
adéquat de se chicaner sur le pourcentage de conjoints
économiquement faibles qui sont mariés en séparation de
biens ou pas, bien qu'on en ait parlé, bien que vous aient
précédés des personnes venues exprimer, avec
l'expérience qu'elles en avaient, soit pour l'avoir vécu
elles-mêmes ou pour avoir représenté des personnes qui
l'avaient vécu, quelle était la confiance qu'elles avaient
à l'égard de leur fiancé qui les avait amenées
devant un notaire, se disant: II va me protéger, c'est un notaire. Avec
quelle - comment dire - presque stupéfaction elles s'étaient
présentées ensuite devant un avocat quelques années plus
tard pour se rendre compte que ce n'était pas ce qu'elles avaient
pensé.
La première question que je vais vous poser, la plus importante
pour moi, c'est: Croyez-vous à la société
d'acquêts?
M. Lambert: Absolument, sans aucun doute.
Mme Harel: Croyez-vous que c'est le meilleur régime
matrimonial?
M. Lambert: Absolument.
Mme Harel: En faites-vous la promotion?
M. Lambert: Absolument. La preuve en est que si vous regardez,
vous allez voir que le nombre de contrats de mariage signés, admettons,
l'an dernier, équivaut à peu près à trois ou quatre
contrats de mariage par notaire. Là-dessus, il y en a un qui
était en société d'acquêts, probablement parce que
les conjoints voulaient le modifier. Vous voyez donc que c'est minime par
rapport à ce que c'était il y a quinze ou vingt ans, par exemple.
Je peux vous dire que dans 9, 5 % des entrevues que nous avons, nous disons aux
gens: Vous n'avez même pas besoin de payer un contrat de mariage, on ne
vous fera pas faire cette dépense-là, le régime
légal est excellent. J'ai des consoeurs ici qui peuvent vous apporter
des témoignages - c'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles elles
sont ici - pour vous dire comment cela se passe, en réalité,
quand on rencontre les gens dans nos bureaux. C'est pour cela, des fois, qu'on
est étonnés des affirmations qui sont faites. Je sais que notre
position a l'air d'étonner. On a la conviction de nos opinions et on les
soumet au législateur; ensuite, il en tirera profit et avantage.
Mme Harel: C'est intéressant, parce que l'un de vos
collègues qui est à la retraite, mais qui a professé
longtemps et qui a l'estime de sa profession et de bien des gens, le notaire
Comtois, est venu devant la commission. C'était vraiment
intéressant. Au terme de sa présentation, en conclusion, je lui
ai dit: C'est fantastique, vous êtes un non-conformiste traditionaliste.
Le notaire Comtois, comme vous, insiste sur le caractère civiiiste de
notre tradition au Québec, distincte de toutes celles de
l'Amérique du Nord. C'est au nom de ce caractère civiiiste que ce
qu'il propose, c'est l'extension du régime légal de
société d'acquêts à l'ensemble des unions en
mariage. Selon lui, cela serait conforme à nos traditions. Qu'est-ce que
vous en pensez?
M. Lambert: II est indéniable que le régime de
société d'acquêts est parfaitement bien
inséré dans notre structure, notre architecture juridique, si je
puis utiliser ce terme. De là à le rendre obligatoire et
universel, j'ai des réserves. Il y a beaucoup de situations où
les couples ne veulent pas partager. Je me dis: Pourquoi et en vertu de quel
principe allons-nous dire à ces gens-là qui ne le veulent pas:
Savez-vous, vous ne savez pas ce que vous faites; vous ne le voulez pas, mais
on va vouloir pour vous. Je pense que cela heurte des principes de fond qu'on a
dans notre société. Si aujourd'hui deux couples sur trois
choisissent la société d'acquêts, je pense que c'est parce
qu'ils ont été convaincus que ce régime était bon.
Autant l'État que la profession notariale n'ont pas ménagé
leurs efforts pour le faire connaître, l'expliquer, que ce soit dans des
conférences ou par des brochures. Après cela, on laisse les gens
faire leur
choix. M. Gamache, je sais que sur ce point vous vouliez... On va le
faire brièvement.
Mme Harel: Je pense que c'est un aspect important, quand vous
dites "ne veulent pas partager". Est-ce que c'est compatible avec l'institution
du mariage? C'est consensuel. C'est intéressant. À part le
notaire Comtois, je ne pense pas que d'autres se soient présentés
devant la commission... Oui, il y a eu effectivement la FTQ. Il y en a eu
quelques-uns...
Une voix: Le FRAPPE.
Mme Harel: Le FRAPPE également, c'est juste. Le principe
de la liberté de contracter est reconnu par les hommes et par les femmes
dans notre société. Ce principe doit trouver application dans le
respect d'autres principes. Le principe de l'égalité juridique ne
doit pas être uniquement une égalité, disons, de mots, il
doit aussi être une égalité qui s'incarne dans un certain
partage de tâches. Cette réalité incontournable que les
femmes ont à 100 % la présomption du travail au foyer, de la
garde des enfants, même en mariage... Je pourrais vous citer des
chiffres. J'aimerais y revenir avec vous tantôt parce que vous êtes
les seuls à vous questionner quant à l'ampleur du
problème.
Juste un petit aparté pour vous dire que des études ont
été faites qui démontrent notamment que le niveau de vie
des hommes divorcés augmente de 42 % dans l'année qui suit le
divorce et que celui des femmes diminue de 73 %. Ce sont là les
études les plus récentes sur cette question.
Si on revient à la question du partenariat en mariage, les femmes
n'ont pas nécessairement l'occasion de se constituer un patrimoine.
Puisqu'il y a partenariat en mariage, l'esprit n'est pas rebelle à
l'idée que des biens familiaux soient susceptibles d'être
partagés. Cela m'étonne qu'il y ait une sorte de question de
principe, parce que ce patrimoine est compatible avec la liberté de
contracter. L'État ne vient pas étendre impérativement la
société d'acquêts. Je vous laisse réagir.
M. Lambert: Me Corriveau m'a signalé qu'elle voulait
participer à la réponse. Alors, je compléterai s'il y a
lieu.
Mme Harel: D'accord, parfait, je vous écoute.
Mme Corriveau: En fait, il semble que tout dépende de la
philosophie qu'on a du mariage. Il ne s'agit pas juste d'une institution
juridique, c'est une institution hautement morale et émotive. On ne peut
pas nier le fait que les mariages ont une durée de moins en moins
longue. Il y a de plus en plus de divorces, de plus en plus tôt dans la
vie du mariage, et il y a de plus en plus de mariages successifs, ce qui fait
que c'est peut-être normal qu'une bonne partie des couples qui
choisissent la séparation de biens ne voient pas dans l'institution du
mariage l'obligation ou le pacte de partager le sort du conjoint pour le
meilleur et pour le pire. On a envie de vivre ensemble, de faire des choses
ensemble, peut-être de partager des biens, et on achète de plus en
plus en copropriété. Ils sont nombreux; les couples mariés
en séparation de biens qui vont acheter une nouvelle maison en
copropriété maintenant. La mentalité tend à
changer. On se protège parfois d'une autre façon et on choisit
les biens sur lesquels on veut éventuellement faire un partage. Pour le
reste, on ne compte pas nécessairement faire une association
matérielle. L'association sera parfois ailleurs qu'au plan
matériel, d'autant plus si les époux sont autonomes
financièrement; c'est bien différent.
Mme Gamache (Ginette): Vous dites que notre mémoire est
surprenant. Je vous dirai que tous les jours on rencontre M. et Mme
Tout-le-Monde dans nos bureaux; ils sont le reflet de ce que l'on vit. Tout
à l'heure, vous citiez des statistiques, à savoir que
l'enrichissement des femmes diminue de 73 % après un divorce. Je ne sais
pas à quel point la réforme viendrait corriger cette situation,
parce que l'autonomie des femmes passe par une éducation et par
l'autonomie financière plus que par le fait de partager les biens
familiaux. Il y a autre chose derrière cela. Ensuite, vous avez
parlé du notaire Comtois qui vous aurait dit que le régime de
société d'acquêts s'inscrivait dans notre tradition. Je
vous dirais que la liberté de choix s'inscrit aussi dans notre
tradition. Je pense que c'est très important.
Au départ, vous nous avez aussi demandé si on croyait
à la société d'acquêts. Sûrement, parce que la
majorité des contrats de mariage que les notaires font sont en
séparation de biens. Pour choisir ce régime, les gens doivent
faire une convention, laquelle doit être notariée. Mais ce n'est
pas parce qu'on n'y croit pas, c'est parce que les gens l'adoptent sans passer
devant un notaire. Je peux vous dire que les régimes sont clairement
expliqués aux gens qui se présentent devant nous. (16 h 45)
Mme Harel: Je ne mets pas du tout en doute votre pratique
respective. Vous ne pouvez pas, de toute façon, venir nous confirmer ici
toutes les pratiques qui se tiennent dans les bureaux de notaires. Ce qui
m'étonne, c'est que déjà le législateur, dans la
réforme du droit de la famille, en Introduisant la disposition qui s'est
révélée inefficace mais qui, à l'origine, avait
comme intention la disposition de la prestation compensatoire, le
législateur n'avait pas comme seule intention de compenser
l'enrichissement des femmes collaboratrices dans l'entreprise. À
l'origine, l'intention de la prestation compensatoire, c'était de
compenser ce qui pouvait être inéquitable pour les conjoints
économiquement
faibles, mariés en séparation de biens et pour lesquels
les donations pour cause de mort devenaient caduques, avec la
possibilité pour les tribunaux de réviser les donations entre
vifs, etc. Comme on changeait complètement, que tout était
bouleversé, la prestation compensatoire était censée,
d'une certaine façon, donner un recours, mais cela s'est
révélé illusoire, compte tenu de l'interprétation
restrictive des tribunaux. Est-ce qu'il n'est pas souhaitable qu'on ait
clairement dans nos dispositions un patrimoine familial pas trop restreint?
C'est pour cela que je recommande fortement à Mme la ministre de
convaincre ses collègues d'introduire les régimes privés
de retraite dans le patrimoine, pour qu'il y ait le moins possible de
judiciarisation en cas de rupture et qu'en conséquence il y ait le moins
de discrétion judiciaire. Ce que vous nous dites, c'est que les
régimes de séparation, même si c'est pour 34 % des nouveaux
couples et même si Mme la ministre a raison quand elle dit que c'est pour
50 % des couples actuels, lorsqu'il y a rupture - et vous nous dites que c'est
de plus en plus fréquent - les gens se retrouvent devant les tribunaux
pour quémander leur dû. Vous nous proposez de judiciariser.
M. Lambert: Non, non. Il ne faut pas penser...
Mme Harel: En tout cas, ce que vous proposez a comme
conséquence...
M. Lambert: Le divorce doit être constaté par le
tribunal. C'est pour cela que les gens sont devant le tribunal. Mais, dans les
faits, la tendance est à ce point de ne pas vouloir aller se chicaner
devant le tribunal qu'on a tout le phénomène de la
médiation familiale qui se développe. Le gouvernement
fédéral a modifié sa législation pour aller aussi
loin que de déjudicia-riser autant que possible le divorce. Alors, on ne
peut pas...
Mme Harel: Me Lambert, beaucoup de personnes sont venues nous
dire que très souvent on laisse aller parce que c'est trop
compliqué, que c'est coûteux et qu'aussi cela suppose d'aggraver
et de détériorer les relations.
M. Lambert: Oui, mais est-ce qu'on peut dire que tous les cas de
divorce donnent lieu à des situations inéquitables de
déchirement? Encore là, on n'a pas de chiffres, malheureusement.
Cela aurait été intéressant qu'on puisse mesurer ces
faits. C'est certain qu'il y en a et je pense que tout le monde peut dire qu'il
y a des gens qui subissent maintenant assez bien, au moins dans leur aspect
économique, les conséquences de leur divorce.
Vous parliez tantôt de la prestation compensatoire. Voilà
une initiative qui a suivi l'affaire Murdoch qui s'est produite dans une
province de "common law" et qui a amené un peu l'élaboration de
ce concept de "common law". Vous nous donnez le témoignage, justement,
comme législateurs; quand vous l'avez inséré ici en droit
civil, vous aviez des attentes et, oh surprise! cette notion de "common law"
s'est révélée ne pas satisfaire à ces attentes.
C'est pour cela qu'on nous dit qu'il faut faire attention quand on pige dans la
"common law" et je pense que votre témoignage est justement une
illustration de cela.
La seule chose que je puis ajouter à ce moment-ci, c'est qu'on
craint que, si on en arrive à la notion de partage universel, pour tout
le monde, il n'y ait une désaffection envers la société
d'acquêts. Il y en a qui vont dire: Bon, c'est suffisant, l'État a
décidé ce qui était bon pour nous autres et on va s'en
tenir à cela. Cela, c'est une conséquence dangereuse.
Mme Harel: Cela départage les biens familiaux?
M. Lambert: Oui.
Mme Harel: Alors, vous craignez cela? Vous craignez que le
patrimoine partageable pour l'ensemble des couples ne vienne désinciter
à opter pour la société d'acquêts?
M. Lambert: C'est possible. Je vous le dis, quand on
reçoit les gens en entrevue avant leur mariage, c'est incroyable le
nombre de leurs préjugés et l'éclaircissement qu'il faut
faire. Les notaires qui font ces entrevues vont vous dire que ce n'est jamais
une affaire qui se règle en 15, 20 minutes ou une demi-heure. C'est au
moins une à deux heures de discussion, quand il n'y a pas une
deuxième rencontre. Pourquoi? Parce qu'aujourd'hui, d'abord, la
société est devenue tellement complexe dans ses
conséquences économiques, avec la multiplication dés biens
et tout cela, qu'il faut démêler une foule de choses. Je vous le
dis, les gens ayant cette tendance à simplifier, vont peut-être
dire: Bien, l'État a décidé ce qu'il était bon pour
nous de partager; quant au reste, ce sera chacun ses bébelles dans sa
cour. Je vous dis que c'est une conséquence qui est fort possible. On ne
l'a pas mesurée, personne ne s'est penché sur cet aspect.
Mme Harel: En tout cas, chose certaine, notre collègue de
Taillon, qui présidait nos travaux ce matin, nous faisait part des
commentaires que le personnel de l'Assemblée nationale lui avait
transmis; plusieurs constataient avec étonnement qu'un régime de
séparation de biens, auquel ils avaient souscrit, ne signifiait pas de
séparer les biens. Notre collègue nous citait des personnes que
nous connaissons, ici même dans le parlement, qui travaillent comme
employés et qui étaient convaincus qu'en séparation de
biens on se séparait les biens. Vous voyez que ça n'a pas
dû être très long, leur passage au bureau du
notaire, pour se faire expliquer ce qu'il en était de leur
contrat de mariage, mais enfin! De toute façon, c'est certainement
intéressant, la prudence que nous devons avoir en matière de
tradition civiliste, c'est-à-dire qu'il faut le plus possible être
compatibles avec cette tradition civiliste. C'est évident qu'il y a des
différences considérables, qu'on ne peut pas, tout simplement par
analogie totale, adopter des lois voisines. C'est sûr qu'en Ontario, par
exemple, il y a un patrimoine très très large, mais on peut y
renoncer. Mais comme nous l'ont bien expliqué un grand nombre
d'intervenants, en Ontario, si votre fiancé vous amène chez le
notaire - pas chez le notaire parce qu'il n'y en a pas - mais chez un homme de
loi pour signer un contrat, vous vous inquiétez. Au Québec, s'il
vous amène devant un notaire, vous vous rassurez. C'est une tradition
culturellement si différente que c'est évident qu'ici la
renonciation pourrait être fréquente, tandis que là-bas
elle est quand même moins importante.
Ceci dit, est-ce que vous considérez qu'il n'y a pas urgence
d'agir? Est-ce que vous pensez que le ministère de la Justice pourrait
procéder par une simple campagne d'information en faveur de la
société d'acquets et que cela satisferait aux situations qu'on a
portées à notre attention durant les travaux de la
commission?
M. Lambert: Non, je pense que ce serait vraiment trop simplifier.
Mais, si vous me permettez Juste de revenir sur une affirmation que vous avez
faite tantôt, moi, je suis arrivé à la profession en 1969,
donc il y a près de 20 ans; on était encore dans la glorieuse
époque de la séparation de biens. Ayant l'avantage de sortir de
l'université, je connaissais le nouveau régime - qui
n'était pas encore en vigueur, mais qui s'en venait - et j'étais
un apôtre de la société d'acquêts. Je peux vous dire
combien c'était long de convaincre, en particulier les futures
conjointes qu'il y avait autre chose que les meubles de ménage et la
donation de 5000 $, 10 000 $, 15 000 $ ou 20 000 $ à la fin du contrat.
C'était cela qui était bon, c'était simple et facile
à comprendre, alors que là, on leur expliquait un régime
c'était mouvant... À un moment donné, on va avoir un
partage, mais soyez sans crainte, cela n'aura pas... Si votre mari fait de
mauvaises affaires, il ne pourra pas... Et là, on pariait durant deux ou
trois heures, il fallait qu'ils choisissent ceci et cela. Je me souviens
très très bien de ce contexte.
Alors, qu'on dise que les notaires ont mal fait leur travail, je ne suis
pas d'accord. Il y en a peut-être qui l'ont mal fait, comme il y a
d'autres professionnels qui le font mal. Il y a eu des cas de confrères,
que j'ai connus, venant de passer par un divorce; ils auraient dû cesser
de donner des entrevues de régimes matrimoniaux après. Mais cela
demeure des exceptions. Dans l'ensemble, il y avait tout un climat social,
à l'époque. Les gens, c'était cela. C'était bon,
ils se protégeaient. S'il y avait faillite, ils sauvaient les meubles,
ils sauvaient ceci et cela. C'était le contexte de l'époque, et
les premières années où on avait, entre guillemets,
à vendre la société d'acquets, je vous jure que ce
n'était pas facile.
Mais c'était une époque et on pense que les
inéquités qui relèvent de cette époque, parce qu'on
ne les nie pas, mais elles sont quand même en nombre limité, on
doit concentrer notre attention là-dessus, et c'est là qu'on dit:
D'abord, en ce qui concerne la résidence, éliminons cette
obligation d'avoir à informer le conjoint, mais permettons au conjoint
d'assujettir ses droits; le mari ne va pas se promener au bureau
d'enregistrement bien souvent, donc tout le monde peut être bien
rassuré à cet égard. Mais ce n'est pas juste de faire une
campagne en faveur de la société d'acquêts. Je pense que
cela va très bien et que tous les invervenants, autant la Commission des
services juridiques que les associations qui existent pour informer les gens
sur leurs droits, dont, entre autres, ceux de leur convention matrimoniale,
tout ce monde fait bien son travail. Ce qu'on propose, c'est que ce soit une
campagne d'information ciblée sur les gens mariés en
séparation de biens, pouvant virtuellement vivre une situation
d'inéquité, les invitant à avoir une consultation
juridique gratuite, leur disant que, s'ils veulent modifier leur régime,
ils pourront le faire gratuitement. Ce n'est pas négligeable parce qu'on
en parle souvent. On voit des gens dans nos bureaux et on leur dit:
Écoutez, ce serait pas mal mieux si vous changiez. De toute
façon, vous confondez tous vos biens, vous vivez en espèce de
communauté ou de société d'acquêts. Ah! mais on n'a
pas d'argent pour cela. Vous savez, ils ne voient pas de problème. C'est
sûr que, quand cela va bien, on ne voit pas de problème. Pourquoi
ne saisirions-nous pas l'occasion pour dire: Cela ne vous coûte rien,
mais allez-y donc, cela va mettre de l'équilibre. Il me semble qu'on
devrait l'essayer et si, au bout de trois ans, on évalue que cela n'a
pas marché ou que c'est faible et qu'effectivement il y a encore des
situations, le législateur pourra toujours intervenir, mais, au moins,
je pense que cet exercice-là aura été fait. Puis, avant de
présumer que cela ne marchera pas, moi, je regarde seulement le petit
programme de subvention en milieu agricole et j'en conclus que cela a
été étonnant. Il a fallu que le gouvernement remette des
sous là-dedans tellement cela a été populaire.
Le Président (M. Doyon): Je vais devoir vous interrompre,
le temps alloué à l'Opposition officielle étant
terminé. Je cède maintenant la parole au député de
Marquette qui a des questions pour vous.
M. Dauphin: Oui, merci beaucoup, M. le Président. À
mon tour, j'aimerais souhaiter la
bienvenue aux représentants et représentantes de la
Chambre des notaires du Québec. Effectivement, votre mémoire est
un peu différent des autres mémoires que nous avons eu l'occasion
de lire et d'entendre exposer depuis déjà une semaine. Je vous
écoutais, Me Lambert, tantôt et j'ai l'impression - vous me
corrigerez si je me trompe - que vous nous dites qu'il y aurait lieu de voir
à l'amélioration du régime actuel de façon
ponctuelle et vous conseillez au législateur de ne pas
nécessairement opter pour cette notion de patrimoine familial. Par
contre, un peu plus loin dans votre mémoire et dans vos paroles, vous
nous dites: Si jamais vous optez pour cette notion de patrimoine familial,
embarquez à fond de train. Je m'explique. Relativement aux mesures
transitoires, vous nous dites: Si vous optez pour cela, pas de mesures
transitoires, cela s'applique pour tout le monde. Relativement au recours
devant les tribunaux, vous nous dites: S'il y a recours devant le tribunal, que
ce soit dans un seul cas, de façon bien restreinte, c'est-à-dire
en cas de preuve de dilapidation. Alors, j'aimerais un peu vous entendre
là-dessus pour savoir si mon impression est exacte ou pas.
M. Lambert: Non, non. Je pense que vous avez très bien
compris. On a simplement dit: Soyons logiques. Si le gouvernement estime que la
création d'un patrimoine familial est souhaitable, à ce
moment-là, je pense qu'il faudrait en toute logique s'organiser pour que
cela ait un effet concret. Si on crée cette mesure qui a le
désavantage, avons-nous allégué depuis tantôt,
d'être universelle, mais que par ailleurs on donne une période de
trois ans à ceux qui veulent en sortir, bien, finalement, on aura fait
quoi? C'est là que je parle de perturbation, ce n'est plus de la
correction.
Le Président (M. Doyon): Merci. Alors, avez-vous d'autres
questions, M. le député?
M. Dauphin: Vous nous proposez, dans le mémoire,
l'abolition de l'avis au conjoint, l'article 455 du Code civil. J'aimerais
savoir en pratique comment vous procédez. Est-ce que vous faites
toujours intervenir le conjoint dans un acte?
M. Lambert: Bien non!
M. Dauphin: II y a déjà huit ans que je suis
député, moi, puis je me demande, si on enlève l'avis au
conjoint, comment cela se passe.
M. Lambert: C'est plutôt rare qu'un conjoint va intervenir
dans une déclaration. Il intervient pour la faire radier.
M. Dauphin: Non, non. Vous avez dit: Si on enlève
l'avis.
M. Lambert: Non, c'est justement la raison pour laquelle on
préconise que cette exigence qui, d'ailleurs, ne trouvait aucune
sanction réelle... On dit: Dans le fond, c'est seulement embêtant,
cette affaire-là, et cela ne change rien aux choses. Si un conjoint
estime que ses droits dans la résidence familiale sont en jeu ou peuvent
l'être, je pense qu'il a le droit de les protéger. Le fait
d'obliger d'aviser le conjoint par courrier recommandé, c'est ce qu'on
suggérait. Vous prenez une copie et, une fois que c'est fait, avec le
sceau du bureau d'enregistrement, vous l'expédiez par courrier
recommandé à votre conjoint et vous gardez le petit talon. Sinon,
si vous voulez, on va le lui faire signifier par huissier. Là, c'est le
drame total. On voyait tout de suite que cela décourageait tout le
monde. Dans les faits, les gens disaient: Écoutez, je ne suis pas
prêt à affronter une chicane familiale pour cela. Je veux bien
protéger mes biens, mais j'ai un choix à faire, il y a un
équilibre des inconvénients à faire. C'est cela qu'on veut
faire disparaître. Si on veut vraiment qu'il y ait une protection de
résidence, favorisons-la. De toute façon, que le conjoint soit
avisé ou non, cela ne change rien, cela ne lui enlève aucun
droit. Dès l'instant où le droit du conjoint est affirmé,
il est obligé de le respecter. Qu'il ait reçu l'avis ou pas, cela
ne change plus rien.
Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup, Me Lambert.
Alors, le mot de la fin, Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Chers confrères et chères
consoeurs, je vous remercie de la présentation de votre mémoire.
C'est un point de vue différent, mais qu'on doit connaître aussi
pour avoir un bon éclairage avant de prendre position comme
gouvernement. Merci infiniment.
Le Président (M. Doyon): Mme la députée de
Maisonneuve, vous voulez dire un mot?
Mme Harel: Oui, certainement. Je veux également remercier
la Chambre des notaires. Je vois d'ailleurs que vous êtes plus de femmes
que d'hommes à composer la délégation. Je souhaite que
vous puissiez prendre connaissance également des travaux de la
commission. Tout cela est enregistré. Cela vous permettra
peut-être d'avoir un éclairage différent. Je suis toujours
intéressée et soucieuse du point de vue que vous exprimez. C'est
pour cela, d'ailleurs, qu'on est si exigeants à votre égard. Je
vous remercie.
Le Président (M. Doyon): Merci, Mme la
députée. En mon nom et en celui des membres de la commission, je
remercie la Chambre des notaires du Québec de sa
présentation.
Nous allons suspendre nos travaux pour cinq minutes.
(Suspension de la séance à 17 h 2)
(Reprise à 17 h 13)
Le Président (M. Doyon): Je vais rappeler la commission
à l'ordre et inviter Mme la ministre et les membres de la commission
à s'asseoir autour de la table. Nous allons commencer nos travaux
Immédiatement.
Je vois que les représentantes de la Fédération des
femmes du Québec sont déjà à la table de nos
invités. Je leur souhaite la bienvenue. J'inviterais Mme Busque, la
présidente, à nous présenter les deux personnes qui
l'accompagnent.
Fédération des femmes du
Québec
Mme Busque (Ginette): Je vous remercie, M. le Président.
Les deux personnes qui m'accompagnent sont, à ma gauche, Me Jeannine
Kean qui est une personne-ressource bénévole auprès de la
Fédération des femmes du Québec. Elle pratique en droit de
la famille et elle enseigne également le droit de la famille. À
ma droite, Me Hélène Bohémier, qui a pratiqué en
droit de la famille, qui a enseigné le droit de la famille. Elle est
présentement directrice à Relais-Femmes et c'est une
personne-ressource dans le présent dossier.
Le Président (M. Doyon): Très bien. Je vous invite
donc à nous faire la présentation de votre mémoire durant
les vingt prochaines minutes, le reste du temps étant réparti
entre l'Opposition officielle et le côté ministériel.
Mme Busque: Je vous remercie. Je voudrais, d'abord,
présenter très très brièvement la
Fédération des femmes du Québec pour les personnes ici qui
ne la connaîtraient pas. La fédération est un organisme qui
existe depuis 22 ans déjà et qui regroupe 62 groupes de femmes au
Québec et quelques centaines de membres individuelles. La
fédération représente 55 000 Québécoises.
Donc, c'est un groupe qui a une certaine importance au Québec et qui
s'intéresse à l'ensemble des dossiers traitant de condition
féminine, qui fait la promotion des droits économiques des
femmes, de leur participation à la vie politique, de leur droit à
la santé etc. Nous nous présentons ici aujourd'hui, justement,
dans le cadre de la promotion de ces droits économiques des femmes.
Je voudrais, en premier lieu, féliciter Mme Gagnon-Tremblay et M.
Herbert Marx d'avoir pris l'initiative de ce projet de réforme.
J'oserais espérer que M. Gil Rémillard, qui est maintenant
responsable du dossier à la place de M. Marx, prenne le dossier avec
autant de conviction que M. Marx.
J'aimerais aussi souligner que cette réforme arrive à
point. Après la présentation de la Chambre des notaires, je ne
sais pas s'ils ont réussi à créer cette impression que la
réforme n'était pas nécessaire. Je ne peux pas jouer dans
les chiffres comme ils l'ont fait, diviser les pourcentages et soustraire
encore du monde, ce qui donne l'impression que, finalement, il n'y a plus
personne qui souffre des effets de la séparation de biens. Nous, on a
une perception totalement différente de ça, autant par ce qui
nous est rapporté par nos différents groupements que par tous les
autres groupes avec lesquels on est en contact. On s'est senti beaucoup plus
près de la présentation de la Fédération des
associations de familles monoparentales qui vous a très bien
exposé, ce matin, à quel point un très grand nombre de
femmes souffrent encore aujourd'hui de la situation dans laquelle elles se
retrouvent après une séparation ou un divorce.
Si vous le permettez, nous ne ferons pas la lecture de notre
mémoire. Ce serait long et ce serait peut-être un peu fastidieux,
dans la mesure où nous sommes un des derniers groupes à nous
présenter devant cette commission et vu que notre point de vue a
été en grande partie exprimé par d'autres groupes. Mais
j'aimerais mentionner que, parmi les voies qui nous sont
présentées, celles qui proposent une amélioration de
certaines règles de droit ne rencontrent pas du tout nos attentes, nos
expectatives. On a fait des représentations au moment où le droit
de la famille a été réformé, au début des
années quatre-vingt. Nous avions, à ce moment-là,
demandé que, dans l'énoncé de la prestation compensatoire,
on formule d'une façon très expresse que la prestation
compensatoire pourrait venir compenser le travail au foyer. On nous a dit: Non,
ce n'est pas nécessaire. C'est évident que les tribunaux vont
reconnaître cette chose-là. Cela ne s'est pas fait. On croit
qu'une amélioration ponctuelle des règles du droit ne couvrirait
pas l'espèce de problème qui est devenu maintenant beaucoup plus
gros avec le temps.
Pour ce qui est de la deuxième voie proposée,
c'est-à-dire la société d'acquêts comme
régime impératif, je dois dire qu'on a trouvé cette
solution attirante. Il y a quelque chose de très attirant dans cette
solution, parce que, évidemment, elle aurait l'avantage de créer
un patrimoine familial beaucoup plus vaste, beaucoup plus grand que celui qu'on
crée par la catégorie de biens familiaux. Cependant, si cette
solution était proposée pour se rapprocher du régime
ontarien, notre crainte, c'est qu'on ne pourrait pas permettre aux époux
de s'en retirer. À ce moment-là, étant donné, quand
même, la très grande tradition qui existe encore aujourd'hui de
passer chez le notaire continuerait à être suivie, un très
grande nombre de personnes se soustrairaient à l'application de ce
régime et probablement beaucoup plus de gens se retrouveraient dans une
situation encore inéquitable. Bien que ce soit attirant sur le plan du
principe, on pense que, dans la pratique, étant donné, quand
même, cette tradition sociojuridique au Québec, on risque de ne
pas créer les effets voulus.
Pour ce qui est de la voie mitoyenne, la reconnaissance d'un patrimoine
familial, c'est
donc la voie que nous avons choisi d'appuyer à la
Fédération des femmes du Québec. C'est, d'ailleurs, depuis
un petit bout de temps déjà que nous avons fait notre
réflexion sur cette question, dans la mesure où nous avions
déjà approuvé Projet-Partage, en 1986, je pense. Chez
nous, cela a été voté en assemblée
générale d'appuyer la création d'une catégorie de
biens familiaux.
Les motifs invoqués en faveur de la voie mitoyenne nous
apparaissent à la fois justes et pertinents. Il est très exact
d'affirmer que l'introduction d'un patrimoine familial atténuerait les
effets néfastes que peut, dans certains cas, entraîner le
régime de la séparation de biens ou, dans certaines
circonstances, comme le dit le document lui-même, le régime de la
société d'acquêts.
Nous aimerions maintenant suivre l'ordre de présentation du
document de consultation. C'est ce que nous avons fait dans notre
mémoire, de toute façon.
En ce qui concerne la composition de ce patrimoine familial, nous
souhaitons que la ou les résidences secondaires en fassent partie non
pas "à défaut", mais de plein droit. Selon nous, cela se justifie
d'autant plus qu'un nombre croissant de couples vivant en milieu urbain
choisissent d'investir davantage dans la résidence secondaire que dans
la résidence de ville. C'est un phénomène qui est de plus
en plus fréquent. Les gens achètent un petit condo en ville et
ont une maison, qui est, quand même, considérée comme une
résidence secondaire, mais qui est beaucoup plus importante en valeur
que la résidence de ville.
De même, nous croyons que les gains accumulés dans les
régimes privés de pension devraient faire partie de la masse des
biens sujets à partage. Nous regrettons infiniment que la position
gouvernementale n'inclue pas ces biens sous prétexte qu'ils "ne sont pas
utilisés dans le cours de la vie familiale". À notre avis, cet
argument ne tient pas. C'est toute la famille qui a été
privée de cet argent pendant le cours de la vie familiale et c'est pour
la vie familiale au moment de la retraite que ces gains ont été
accumulés. Notre argument est que des associés qui se
protègent contre les mauvais jours partagent ce qu'ils ont
accumulé même s'ils choisissent de dissoudre leur
société avant d'avoir eu à profiter de la protection
qu'ils se sont donnée. Alors, pourquoi en serait-il autrement pour des
époux qui forment une société, dans une
société où on se donne comme objectif de corriger les
inéquités qu'entraîne le déséquilibre des
patrimoines?
Dans la mesure où, sans adopter un régime semblable aux
régimes qui prévalent dans les autres provinces, nous voulons
atteindre des résultats semblables, il nous faut ajouter les fonds de
pension dans le patrimoine familial. Pour les couples qui ne possèdent
pas de résidence familiale, les gains de pension constituent souvent, de
toute façon, l'épargne la plus importante.
Nous n'avons pas l'intention ici - nous ne sommes pas des
spécialistes en cette matière - de discuter de la façon
dont le calcul des gains devrait se faire. Avant de réfléchir
plus avant sur ce qu'on pourrait appeler l'aspect opérationnel de ce
partage, il faudrait commencer par en accepter le principe. Ce serait
extrêmement important. Ce dont il faudrait peut-être convenir de
toute urgence, c'est de l'inclusion de ce bien dans les biens familiaux soumis
au partage au moment de la dissolution du mariage. D'ailleurs, il nous
apparaît, de toute façon, que ce n'est pas tellement le "comment"
qui semble préoccuper le gouvernement, dans la mesure où il est
déjà prévu que les droits de retraite pourraient servir au
paiement de la prestation compensatoire. Donc, on accepte déjà
que les gains soient partagés dans ces circonstances. Si cela est
possible, on ne voit pas pourquoi on ne pourrait pas aussi le faire dans les
autres circonstances.
On aimerait aussi souligner que nous avons été très
heureuses de constater qu'il n'y avait pas que les groupes de femmes qui
étaient favorables à l'inclusion des fonds de pension
privés dans le régime des biens à partager, mais qu'il y
avait aussi bel et bien le Barreau qui a une très bonne argumentation
sur cette question.
Pour ce qui est de la possibilité de renoncer à ce
partage, autant nous affirmions que, si la société
d'acquêts devenait un régime impératif, il faudrait
peut-être permettre aux conjoints de modifier dès le mariage la
qualification de certains biens, autant nous endossons ici l'idée
même qu'on ne puisse renoncer d'avance au droit de partage du patrimoine
familial. La catégorie de biens protégés étant plus
restreinte qu'en société d'acquêts, il est acceptable et
sage à la fois de lui accorder, croyons-nous, une meilleure
protection.
Quant à la mesure transitoire permettant aux époux
déjà mariés de renoncer au partage dans les trois ans qui
suivront l'entrée en vigueur, nous disons dans notre mémoire que
nous aurions tendance à l'éliminer. On a, quand même, eu le
temps de réfléchir depuis le dépôt de notre
mémoire et la tendance est confirmée. Notre proposition serait
d'éliminer cette période transitoire parce que,
généralement, on accorde ce type de période non pas quand
on octroie des droits supplémentaires, mais quand on retire des droits.
Comme il s'agit ici de donner davantage, on ne voit pas pourquoi on
protégerait la liberté contractuelle de personnes qui risquent de
l'utiliser pour faire un certain chantage et qui sont de toute façon,
les personnes les plus récalcitrantes au partage.
L'autre point: nous avons accepté le principe établi dans
le paragraphe qui traite de la renonciation au moment du décès,
mais Me Bohémier aurait probablement des commentaires à
faire sur cette question-là. Nous y avons aussi
réfléchi davantage. À la suite de ma présentation,
Me Bohémier pourrait intervenir sur cette question.
Pour ce qui est du calcul du patrimoine sur la valeur nette, nous
sommes, évidemment, d'accord avec cette proposition dans le document
d'orientation, mais nous nous demandons si, dans le cas de la résidence
familiale, la valeur nette sera calculée à partir de la valeur
marchande ou de la valeur au rôle d'évaluation. Il n'y a pas de
précisions apportées dans le document sur cette
question-là et cela fait une différence considérable dans
certains cas.
Nous avons aussi accepté le principe qui est établi dans
le paragraphe qui traite du calcul des dettes qui grèvent les biens
familiaux. Nous aurions aussi probablement des commentaires à ajouter.
On a vu le mémoire du Barreau depuis que nous avons rédigé
le nôtre. Nous avons vu que le Barreau ajoutait la déduction des
charges fiscales et des autres dettes qui peuvent aussi affecter les biens
familiaux. Nous serions d'accord avec cette proposition du Barreau.
L'autre paragraphe, si je me souviens bien, traite de la
possibilité d'un versement compensatoire quand un bien a
été aliéné sans avoir été
remplacé. Dans notre mémoire, nous nous demandons, plutôt
que d'apporter des solutions, à quel moment pendant le mariage
l'aliénation pouvait avoir été faite. Encore une fois, le
Barreau apporte un certain nombre de précisions sur cette question. Il
suggère que les biens qui ont été vendus dans une
période de trois ans précédant la dissolution du mariage
soient considérés comme des biens pour lesquels il faudrait
apporter une compensation. Nous aurions tendance à aller dans cette
direction, c'est-à-dire qu'on prévoie au moins un moment à
partir duquel on puisse vraiment parler de dilapidation qui nuit au patrimoine
familial. Par contre, la solution du Barreau, à savoir qu'on fasse la
preuve de l'intention lorsque les biens ont été vendus depuis
plus de trois ans, c'est intéressant jusqu'à un certain point,
mais on sait aussi que c'est une preuve qui est extrêmement difficile
à faire.
Pour ce qui est de l'exécution du partage en argent, par dation
en paiement ou par l'attribution de droits, nous reconnaissons
l'intérêt d'un principe qui fournit une certaine souplesse dans
l'acquittement des sommes dues au moment du partage. On se demande, par contre,
comment cela pourra s'"opérationaliser" pour les personnes qui auront un
droit d'habitation de la résidence familiale et qui n'auront pas un
capital pour acquitter la part à l'autre conjoint. On se demandait si
c'était possible que le juge étale la dette sur quelques
années de sorte que le paiement équivaille à un loyer
raisonnable. Ce serait à discuter, mais on trouve qu'il y a
peut-être une certaine faiblesse dans le document sur la façon
dont ces choses peuvent se vivre dans la réalité.
Pour ce qui est de la résidence acquise avant le mariage, la
règle qui veut qu'on ne calcule que la valeur qui s'ajoute après
le mariage est une règle d'équité à laquelle nous
souscrivons entièrement. Nous irions même jusqu'à proposer
d'y ajouter les meubles meublants lorsque ce sont des meubles qui, eux aussi,
ont pris une valeur après le mariage.
Pour ce qui est de la dérogation au partage égal lorsque
ce partage est susceptible de créer des injustices, la question qu'on se
pose, c'est: Quelle est la discrétion qui sera accordée au
tribunal? Nous aurions donc tendance à favoriser une
énumération plus précise des circonstances dont le juge
devra tenir compte, incluant l'origine du bien. (17 h 30)
Pour ce qui est de la protection de la résidence familiale et des
meubles, le point 11 de la proposition gouvernementale introduit en fait, toute
la discussion qui suit dans le document. Nous avons endossé le principe
de la protection de la résidence pour viser toutes les formes
d'aliénation des droits. Je pense que c'était essentiel.
Maintenant, sur la protection des lieux loués et de la
résidence achetée, notre position n'est pas tout à fait
claire. Je pense qu'il faut l'admettre. C'est intéressant,
évidemment, d'amener cette protection, mais nous nous sommes dit qu'une
déclaration automatique pour ce qui est des lieux loués
n'était pas nécessairement facile quand on pense à toutes
les circonstances. Par exemple, si un logement, est loué par une
personne qui est célibataire, c'est un peu gênant qu'il y ait une
présomption de résidence familiale dans un cas comme cela. Je
pense même que ce pourrait être attaquable, le fait qu'on classe la
personne célibataire dans une catégorie sociale dans laquelle
elle ne veut pas se retrouver. Mais le logement, en cours d'occupation, peut
changer de vocation et devenir bel et bien une résidence familiale. Nous
nous sommes demandé s'il n'y avait pas lieu de prévoir, au moment
de l'annulation du bail - un peu comme la Commission des services juridiques
qui ce matin proposait l'abolition de l'enregistrement de la résidence
familiale pour faire en sorte qu'au moment de la vente on affirme que la
résidence n'est pas une résidence familiale - le même
principe pour ce qui est d'un bail. Mais nous serions ouvertes à
discuter de ce point, c'est évident.
Pour ce qui est du moment minimal de la créance qui permet de
saisir la maison, nous pensions que cette créance pourrait être
encore plus élevée et qu'au lieu d'augmentations
périodiques de ce montant nous souhaiterions qu'une formule d'indexation
automatique soit adoptée. Et sans avoir de position à notre
fédération sur le montant sur lequel nous nous arrêterions,
nous serions peut-être favorables au montant proposé par la
Fédération des associations de familles mono-parentales, soit 25
000 $ je pense.
Pour ce qui est de la vente forcée, notre proposition, à
nous, c'est qu'elle ne devrait pas
avoir lieu à un prix inférieur à 100 % de
l'évaluation portée au rôle de la municipalité. En
effet, même si le principe de l'évaluation foncière est un
principe d'évaluation à la valeur marchande, on sait très
bien que, dans plusieurs municipalités, ce n'est pas le cas. Plusieurs
maisons sont évaluées bien en deçà de cette valeur
marchande et plusieurs couples seraient pénalisés. Je suis
très consciente que nous sommes très loin de la Chambre des
notaires et du mouvement Desjardins sur cette question, mais nous avons aussi
un autre type de préoccupation dans ce dossier-là.
Le Président (M. Doyon): Mme Busque, je vous signale que
votre temps est écoulé; si vous voulez bien conclure.
Mme Busque: Alors, j'espère, au moment de la
période des questions, pouvoir aborder la question de la prestation
compensatoire, ainsi que celle de la société d'acquêts, de
la communauté de biens et de la survie de l'obligation alimentaire, sur
laquelle nous n'avons pas eu...
Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Busque. Alors, Mme la
ministre, vous avez la parole.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Busque. Comme vous l'avez
mentionné, plusieurs autres groupes qui sont venus se faire entendre ont
des préoccupations semblables aux vôtres et sont intervenus un peu
dans le même sens que vous, entre autres, tous les groupes de femmes, y
compris le Barreau et la Commission des services juridiques. Puisque vous
vouliez parler de la prestation compensatoire, je vais vous permettre d'en
parler. Cette prestation compensatoire, la voyez-vous, vous, uniquement pour la
collaboratrice ou si elle devrait servir lorsqu'il n'y a pas ou très peu
de biens à partager, ou si elle devrait servir dans tous les cas,
travailleuse au foyer, collaboratrice, insuffisance de biens?
Mme Busque: Nous aurions voulu que la prestation compensatoire
qui est accordée présentement quand la contribution excède
la charge normale puisse continuer à être appliquée. Dans
le document, de toute façon, il semble assez certain qu'on ne pense
qu'à la femme collaboratrice dans une entreprise, et notre
questionnement est: Qu'est-ce qu'on fait de celle qui est collaboratrice pas
dans une entreprise au sens commercial du terme, mais qui est la collaboratrice
d'un professionnel, d'une personne de profession libérale et qui n'est
pas incorporée, la collaboratrice d'un médecin, d'un avocat, d'un
notaire? Elles existent aussi, ces femmes-là. Donc, le concept
d'entreprise n'est pas défini. D'ailleurs, on n'était pas
d'accord, non plus, avec les 30 %. Si on établit une présomption,
on voulait qu'on l'établisse à 50 %, parce que c'est une
présomption de "partnership" et c'est à partir de cela qu'on peut
ensuite la défaire. Mais, si on parle de 30 %, notre crainte est que, de
toute façon, les femmes se ramassent encore avec 25 %, 20 % ou 15 %.
Alors, on voudrait qu'on parte du principe que la collaboration est
équivalente à celle du conjoint.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme Busque. Lorsque j'ai pris
connaissance de votre mémoire, je me suis rendu compte que vous n'aviez
pas pris position sur la survie de l'obligation alimentaire, à ce
moment-là. J'imagine que vous avez maintenant des choses
intéressantes à nous faire connaître sur votre position.
Est-ce que vous avez une position arrêtée sur la survie de
l'obligation alimentaire?
Mme Busque: On n'a pas de position en tant que
fédération là-dessus et, d'ailleurs, j'ai fait le
commentaire, au début du mémoire, que, pour nous, c'était
peut-être un piège. On a compris la logique de votre intervention:
que vous ameniez toute la question des droits économiques non seulement
au moment du divorce ou de la séparation, mais au moment du
décès. Mais, quand nous avions appuyé le partage des biens
familiaux, nous le voulions, ce partage, au moment du divorce, de la
séparation et du décès. Pour nous, cela avait
été comme la solution qui remplaçait la réserve
héréditaire. On disait: Voilà, on va partager, au moins,
cela.
Maintenant, je laisserais peut-être Hélène
Bohémier ou Jeannine Kean intervenir sur cette question, puisqu'elles
ont plus d'informations que moi, je pense, à transmettre.
Le Président (M. Doyon): Mme Kean.
Mme Kean (Jeannine): Oui. J'aurais une remarque à faire.
Depuis ce matin, j'entends parler de notions civilistes; on pense que le
patrimoine est une nouvelle notion dans le droit civil. Je ne sais pas si on
parle de patrimoine familial. À ce titre, c'est vrai que c'est une
nouvelle notion, si on parle de patrimoine familial. Mais, quant à la
notion de patrimoine, il n'y a rien là: elle existe depuis longtemps
dans le droit civil; c'est là et c'est là pour demeurer. On la
retrouve dans différents chapitres de notre droit civil. Alors, ce n'est
pas nouveau. Je rejoins Suzanne Pilon, de la Commission des services
juridiques, qui disait, ce matin, qu'on a une crainte de copier la "common
law". Je pense qu'effectivement c'est plutôt la "common Law" qui imite
ou, enfin, prend certains éléments de notre droit civil en
tentant de légiférer de plus en plus et que ce n'est pas du tout
l'inverse qui se passe. Alors, je pense que les craintes de la commission, en
tout cas du gouvernement, à cet égard devraient être
dissipées et qu'il n'y a pas vraiment de raison de craindre.
Concernant les régimes de pension, j'aimerais apporter, en raison
de la pratique que je
fais depuis treize ans, la remarque suivante. Effectivement, le
régime de pension privé, est un élément essentiel
au partage des biens familiaux, parce que, dans la clientèle qu'on peut
trouver à l'aide juridique où j'ai pratiqué pendant six
ans et maintenant en pratique privée, où l'on touche une autre
couche sociale, il reste, quand même, que, pour la majorité des
couples, la résidence familiale et le régime de pension sont
à peu près les seuls biens qu'ils ont. Malgré qu'on
veuille prévoir d'autres biens familiaux, il reste que, dans la
pratique, il n'y en a pas tellement. Si on touche les gens de l'aide juridique,
on a, par exemple, un salarié au CN ou ailleurs qui n'a pas de maison ni
aucun autre bien dont on a fait mention dans les biens familiaux. Par
conséquent, le seul bien familial qui pourrait assurer une certaine
sécurité de la vieillesse, à tout le moins, à
l'épouse, c'est effectivement le régime de pension privé.
Alors, il est très important, pour la majorité de la population
du Québec, que le régime de pension privé soit inclus, en
plus, évidemment, des autres considérations que les
différents mouvements ont apportées.
Quant au calcul de la valeur nette du patrimoine, je m'en remets
à la position du Barreau. Je parle pour moi. Je pense que la
fédération a peut-être une notion différente. Mais
il est également important de prévoir le délai,
c'est-à-dire à partir de quel moment ce calcul des biens va se
faire, si c'est à la date du jugement, si c'est à la cessation de
vie commune ou à la date de la demande de procédures. Je favorise
la cessation de vie commune évidemment ou la prise de procédures
plutôt que la date du jugement, car il peut se trouver, justement, des
dilapidations, des aliénations, etc., entre le début et la fin
des procédures. En ce qui concerne l'aliénation et la
dilapidation des biens, la fédération n'a pas eu le temps
d'arriver à une position claire, mais je pense qu'on peut suivre
l'idée que le Barreau a soumise.
La prestation compensatoire est un point très important. Il ne
faudrait surtout pas rayer la possibilité d'obtenir une prestation
compensatoire même si on n'est pas un conjoint collaborateur dans le sens
de l'entreprise. Pour la femme collaboratrice dans le sens de l'entreprise,
qu'on fasse un ajout, comme la Commission des services juridiques l'a soumis ce
matin. Que l'article 559 ne change pas, mais qu'on ajoute 559. 1,. 2,. 3, etc.,
pour ajouter quelque chose de particulier quant à la femme
collaboratrice, pour laisser l'ouverture aux cas que Mme Ginette Busque a
mentionnés tantôt où on retrouve toutes sortes de
prestations possibles qui dépassent la question des biens familiaux. Ils
pourraient avoir droit à une participation dans les biens non familiaux,
mais on est obligé d'en laisser la discrétion au tribunal.
Je rejoins la suggestion de Mme Busque, à savoir qu'il faudrait
peut-être... Je pense que les tribunaux ou même la Cour d'appel
l'ont mentionné au législateur et c'est à partir de
là que cette commission a été mise sur pied. Le juge
Nichols avait mentionné que c'était du ressort du
législateur et non pas de la cour de le déterminer. Avec la loi
telle qu'elle était faite, le tribunal ne pouvait plus fonctionner aussi
facilement. Il faudrait peut-être guider le tribunal dans
l'appréciation d'une prestation compensatoire pour amener des jugements
beaucoup plus équitables que ceux qui sont rendus actuellement.
En dernier lieu, quant à la position des notaires, je fus
moi-même, à tout le moins, surprise aussi du mémoire des
notaires pour bien des raisons. Ce qui est très différent - on en
pariait avec Me Bohémier tantôt - c'est qu'on voit nos clients
à des moments très différents, dans les deux professions,
j'entends, celle de notaire et celle d'avocat. Les notaires voient le couple
quand il arrive dans leur bureau et qu'il projette un mariage. L'amour
l'emporte sur le reste en tout cas, les sentiments. Le mariage, c'est tellement
plein de choses. Il reste que nous, nous les voyons au moment de la rupture.
C'est à ce moment-là que les gens prennent conscience de ce
qu'ils ont signé. Ils s'aperçoivent que ce qu'ils ont
signé, ce n'était pas ce qu'ils pensaient, peut-être parce
que la société d'acquêts est un régime assez
compliqué ou complexe à vulgariser auprès des gens en
général. En face de la complexité, on choisit alors le
moyen facile, la séparation de biens et ce n'est peut-être pas
équitable. On doit penser que 50 % des gens sont mariés sous le
régime de la séparation de biens - je crois à ce chiffre
qui a été avancé - et il y a vraiment lieu de faire
quelque chose pour régler cette inéquité.
Mme Gagnon-Tremblay: Vous réfutez l'affirmation que ce
serait une infime minorité de gens mariés sous le régime
de la séparation de biens qui auraient des problèmes?
Mme Kean: Absolument. Dans ma pratique, en général,
je touche tous les âges. D'ailleurs Me Corriveau, qui est notaire et qui
les a représentés, a fait cette remarque: Les gens sont en
séparation de biens et vont de plus en plus vers la
copropriété de la résidence familiale. C'est, justement,
après avoir signé le contrat, un an, deux ans, trois ans
après, quand les remous commencent dans le mariage, que la conjointe
s'aperçoit qu'elle n'aura rien. Elle commence la négociation pour
réussir à avoir au moins la moitié de la maison à
son nom de sorte que, prestation ou pas, il est beaucoup plus difficile pour le
conjoint de venir lui enlever cette copropriété de la
résidence familiale qu'elle a sur un acte notarié. Chacun essaie
de pallier à sa façon au régime de séparation de
biens qu'il a signé au départ de son mariage, ce que la
suggestion du gouvernement quant au partage des biens familiaux viendrait
aplanir.
Mme Gagnon-Tremblay: Est-ce que, pour
vous, le partage d'un patrimoine familial aurait pour effet de
désinciter au mariage? (17 h 45)
Mme Kean: II est bien difficile de savoir quelle serait la
conséquence de cette politique. Mais je ne crois pas que la
décision de se marier réside vraiment dans le fait qu'on doive
partager ou pas certains biens. Je ne pense pas que ce soit là le seul
élément, en tout cas. Je m'en remets à ce que la
Commission des services juridiques a soulevé; dans un sondage Gallup qui
a été fait en 1986, je pense, on dit que 75 % des gens
mariés considèrent normal que l'on partage. Alors, ce sont
d'autres raisons qui motivent les gens à se marier, ce n'est pas le
partage.
Mme Gagnon-Tremblay: Ma dernière question concerne la
survie de l'obligation alimentaire. Dans le document de consultation, on dit
que, pour les six premiers mois après le décès d'un
conjoint, il y aurait survie de la pension alimentaire pour l'ex-conjoint.
Êtes-vous d'accord avec ce délai?
Mme Kean: J'avais cru comprendre qu'on disait que, dans
l'année du décès, une demande pourrait être
faite.
Mme Gagnon-Tremblay: Pour les personnes qui pourraient avoir
droit à certains aliments, mais j'entends pour l'ex-conjointe qui aurait
déjà, en vertu d'un jugement, une pension alimentaire payable au
moment du décès du conjoint.
Mme Kean: Mon opinion personnelle là-dessus: je suis un
peu réticente à prévoir une obligation alimentaire
après le décès, tout autant que j'étais
réticente à la réserve héréditaire dont il
avait été question.
Mme Gagnon-Tremblay: Même pour six mois, pour permettre
à cette personne de...
Mme Kean: Pour six mois, ce n'est pas très dommageable
effectivement, cela ne crée pas vraiment de problème.
Mme Gagnon-Tremblay: Oui.
Mme Kean: C'est peut-être contradictoire, ce qui va suivre,
mais en même temps je me dis que six mois, ce n'est peut-être pas
la solution, non plus. De là à laisser la discrétion au
tribunal, je ne suis pas encore vraiment décidée, non plus.
Disons que le délai pour la demander devrait être réduit
à six mois. Je pense que ce serait suffisant. Pour le temps pendant
lequel on allouerait la pension alimentaire, il m'est plutôt difficile...
Par contre, je souscrirais à la position de la Commission des services
juridiques que ce soit une somme forfaitaire qui réglerait beaucoup plus
les problèmes des successions.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, madame. Oui, Mme Bohémier?
Mme Bohémier (Hélène): Si vous me le
permettez, Mme la ministre, d'ajouter quelques mots à ce
sujet-là. Il faut tenir compte, pour la durée de la pension
alimentaire qui serait possiblement versée, que les gens
budgétisent en général sur un an. Alors, une personne qui
reçoit une pension alimentaire d'un montant X va signer un bail, entre
autres, qui porte un loyer d'un certain montant. Ce ne serait pas
déraisonnable de penser que cette pension, si elle était
accordée, puisse être plutôt d'une durée de douze
mois. Il faut être très réaliste par rapport à cela.
Le projet prévoit qu'une pension alimentaire puisse être
payée à un ex-conjoint qui reçoit déjà une
pension alimentaire. Je ne pense pas que ce soit choquant en soi qu'on lui
donne un an pour se retourner.
La deuxième catégorie d'ex-conjoints serait ceux ou celles
qui n'auraient pas pu exercer en temps opportun le recours alimentaire. On sait
très bien qu'il est de plus en plus difficile présentement, sinon
impossible, d'avoir une pension alimentaire après un jugement de
divorce, sauf dans des cas très exceptionnels. Alors, les tribunaux
reprendraient les mêmes critères d'exception quand il s'agirait de
rouvrir un droit à une pension alimentaire.
Est-ce que je peux profiter du micro pour seulement souligner que
j'abonde tout à fait dans le sens de la Fédération des
femmes du Québec sur la qualité du document
présenté par Mme la ministre, par M. Marx et maintenant par M.
Rémillard? Il y a des petits irritants dont j'aimerais faire part. Je
sais qu'on a un peu débordé le temps de l'allocution. Est-ce que
vous me le permettez, brièvement?
Le Président (M. Doyon): Allez-y, on vous
écoute.
Mme Gagnon-Tremblay: Je devais passer la parole à ma
collègue, la députée de Maisonneuve, M. le
Président.
Le Président (M. Doyon): Mais vous pouvez prendre le
temps...
Mme Bohémier: Est-ce que Mme Harel me le permet?
Mme Harel: Oui.
Mme Bohémier: Je vais essayer d'être très
brève. Je ne me souviens plus à quelle page de votre document on
dit, à l'égard du partage du patrimoine familial, même si
on le met dans le régime primaire, que dans le cas où le conjoint
décéderait, on devrait choisir entre la succession et/ou le
testament et les biens que l'on reçoit du partage. Je dois dire que
juridiquement, logiquement, il y a quelque chose qui m'irrite
là-dedans,
dans le sens que, si on a décidé de faire un
élargissement du régime primaire, je ne pense pas que les futurs
conjoints qui pourraient en bénéficier aient à y renoncer
au moment du décès. Cela me chicote un peu et je fais l'analogie
avec la prestation compensatoire. On ne demande pas aux conjoints qui
reçoivent une prestation compensatoire d'y renoncer, parce que d'un
autre côté ils reçoivent un certain montant d'une
succession. Je me dis: Si le conjoint trouve cela injuste de recevoir la
moitié du patrimoine familial et de recevoir possiblement une autre
partie de la succession, il pourra toujours faire un testament laissant ses
biens à d'autres personnes lorsqu'il décédera.
Une deuxième chose aussi, mais c'est plutôt une
interrogation. On parle beaucoup de la Loi sur l'aide sociale
présentement. Je me demande s'il ne serait pas prudent de prévoir
pour les femmes en général, pas nécessairement pour celles
qui reçoivent de l'aide sociale, que, lorsqu'il y aurait le paiement par
un bien équivalent... J'ai un malaise avec ça. Les femmes
prestataires d'aide sociale, si elles reçoivent une résidence
familiale, on sait qu'elles peuvent posséder une résidence d'une
valeur de 45 000 $ sans être pénalisées au niveau de leurs
prestations d'aide sociale. Si elles reçoivent, par contre, une somme de
45 000 $ en argent comptant, elles devront vivre sur cet argent-là et,
ensuite, redemander des prestations d'aide sociale. Je me demande dans quelle
mesure elles ne seraient pas défavorisées par rapport au principe
général où on voudrait permettre aux femmes d'avoir dans
le partage du patrimoine une possibilité d'obtenir la maison. Ce sera
aussi à négocier pour voir qui restera propriétaire si les
conjoints ne peuvent pas s'entendre, mais il y aurait peut-être quelque
chose à explorer de ce côté-là.
La question de la communauté de biens. Les femmes qui sont sous
la communauté de biens ont vécu pendant de nombreuses
années, pour la plupart d'entre elles, avec une connaissance qu'une
catégorie de leurs biens s'appelait des biens réservés et
qu'à la fin du mariage elles auraient le choix entre partir avec leurs
biens réservés et renoncer à la communauté ou tout
remettre ensemble et donc mettre en commun leurs biens réservés
avec le passif et l'actif de la communauté. Changer les règles en
cours de route, je trouve cela un peu injuste pour ces femmes.
Une question souvent posée aux groupes que j'ai pu écouter
aujourd'hui par rapport à la société d'acquêts,
c'était. Est-ce que ce serait préférable d'avoir une
société d'acquêts obligatoire pour tout le monde? Je pense
que la société d'acquêts est effectivement un excellent
régime sur papier. Pour avoir travaillé avec une clientèle
de femmes pas très riches, j'ai pu constater combien - et je n'ai pas de
statistiques, c'est vraiment mon intuition personnelle -les régimes
matrimoniaux n'étaient pas bien expliqués aux gens ainsi que les
règlements en matière de divorce et de séparation, combien
souvent les femmes en particulier renonçaient au partage de la
société d'acquêts ou ne savaient même pas ce qui
était arrivé avec leur société d'acquêts.
C'est assez étonnant. Quand on demandait aux gens: Vous avez
divorcé, comment votre régime s'est-il réglé? Je ne
le sais pas. Il faut aller chercher la copie du divorce pour constater
qu'effectivement elle a renoncé au partage des acquêts. Il y a un
problème d'application de la société d'acquêts. Cela
me fait pencher personnellement vers la voie mitoyenne qui serait le partage
automatique du patrimoine familial.
La dernière remarque que j'avais à faire: quand on lit
tout ce qui est dans le document concernant le partage du patrimoine familial,
il me semble y avoir un grand absent, c'est la séparation de corps. Il y
a de moins en moins de séparation de corps, mais il y en a encore
beaucoup. Qu'est-ce qu'on va faire du patrimoine familial quand il y aura une
séparation de corps qui sera prononcée? Parce qu'on parle plus de
la fin du mariage et la dissolution du mariage, ce n'est donc pas la
séparation de corps. C'est tout.
Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Bohémier.
Maintenant, je cède la parole à Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: Merci, M. le Président. Me Bohémier, je
devrais dire Me Kean et je dirais Me Busque, tellement la présidente du
Conseil du statut de la femme maîtrise bien... Excusez, du Conseil du
statut. Vous voyez? Mais oui, mais oui, je sais que vous êtes
présidente de la Fédération des femmes, mais quel lapsus
significatif! Vous voyez, ce sera peut-être pour plus tard. Comme
présidente de la Fédération des femmes du Québec,
vous maîtrisez parfaitement bien ces dossiers qui sont complexes.
C'est un des premiers mémoires que j'ai lus, celui de la
fédération, je dirais même avant celui du conseil,
d'ailleurs. Je voulais un peu connaître le point de vue des femmes du
Québec et je sais que la fédération a réussi
à être représentative d'un très large courant
d'opinions de femmes de divers milieux. Il y a un certain nombre d'associations
qui très légitimement représentent, par exemple, des
femmes chefs de famille monoparentale ou des femmes collaboratrices, c'est
excellent, mais la fédération a réussi d'une certaine
façon à orchestrer une sorte de courant... Vous vous dites
féministes; je pense qu'il faut appeler les choses par leur nom.
C'était donc intéressant de prendre connaissance de votre
mémoire. D'ailleurs, on pouvait y lire, et c'était vraiment
très intéressant, cette référence à Me
Mayrand sur l'équité. Pour le bénéfice, d'ailleurs,
de mes collègues à la commission qui n'auraient peut-être
pas tous eu l'occasion de lire le mémoire, je voudrais leur faire
lecture de cette référence parce qu'il faut
s'inquiéter lorsqu'on propose de juger en équité.
La prestation compensatoire a les avantages qu'on lui connaît, mais des
inconvénients aussi. Je lis donc, la remarque de Me Mayrand: "Les
anciens plaideurs priaient Dieu de les garder de l'équité des
Parlements, lui préférant la sécurité des lois.
Saint Louis, il est vrai, rendait justice selon l'équité sous son
chêne de Vincennes, mais il avait l'avantage d'être un saint,
d'être un roi et d'être le seul à pouvoir juger en
équité. " Lequel de nos juges peut prétendre à
cela?
C'est sans doute une constatation qui nous permet de voir et même,
je dirais, d'illustrer les recommandations que nous faisait Me Senécal
qui composait la délégation du Barreau et qui nous disait, par
exemple, en matière de prestation compensatoire, de dissocier,
finalement, la question des biens familiaux. C'est-à-dire que les biens
familiaux ne devraient pas être restreints. Les biens familiaux devraient
être assez larges et précis, de manière à ne pas
avoir besoin d'aller judiciariser le processus avec la discrétion
judiciaire qui en est la conséquence et avec des jugements en
équité qui, jusqu'à maintenant, n'ont pas
démontré qu'ils avaient un préjugé favorable
à l'égard des conjoints économiquement faibles. N'en
déplaise au juge Nichols, ce n'est pas simplement la déficience
des lois des Parlements; c'est aussi l'interprétation restrictive que
les juges ont donnée à des lois qui avaient peut-être des
meilleures intentions que des bons libellés. C'est
intéressant.
Par ailleurs, j'aimerais bien avec vous examiner la question du droit
d'habitation et de la résidence familiale. J'allais dire, encore une
fois, Me Busque. Mme Busque, vous nous avez dit que vous trouviez
intéressante la recommandation de la Commission des services juridiques
que ce soit au moment de l'aliénation qu'il y ait la déclaration
de résidence. La difficulté qui peut se présenter, qui
nous a été soulignée au cours des travaux de la
commission, c'est qu'il y aurait, finalement, un avantage à ce qu'il y
ait la déclaration au moment de l'aliénation uniquement pour
obtenir un recours en dommages. Le tiers étant protégé par
la déclaration au moment de la vente de la résidence par un des
conjoints - le tiers est protégé parce qu'il y a une
déclaration qui est faite disant que cela n'en est pas - le recours en
dommages est plus facile pour l'ex-conjoint qui a la garde des enfants. Mais on
nous a souvent illustré que c'était vraiment illusoire parce que
c'était en tant que tel le maintien dans les lieux qui était
souhaitable plus que la facilité d'avoir un recours en dommages. Ce
qu'on nous a souligné, c'est que la stabilité, la
continuité en ce qui concerne l'école, les amis et les voisins
pour les enfants à qui on évite le plus possible des
bouleversements, devrait nous amener non. pas à choisir la
déclaration de résidence au moment où le bien est vendu,
mais une clause obligatoire au contrat d'acquisition au moment de l'acquisition
pour que le tiers ne puisse pas prétendre ne pas en connaître,
finalement, l'existence indépendamment de ce que pourrait
déclarer un conjoint qui voudrait la vendre. Qu'est-ce que vous en
pensez? (18 heures)
Mme Busque: Au moment de l'acquisition, cela pose encore le
problème de la vocation qui change en cours d'utilisation. Ce n'est pas
évident qu'au moment de l'acquisition, c'est une résidence
familiale. Une personne célibataire peut acheter une maison, comme elle
peut aussi louer un logement; c'est la même problématique. Donc,
ce serait très artificiel d'avoir une déclaration, à ce
moment-là; elle serait fausse, de toute façon. La maison en
question ne servirait pas de résidence familiale. Donc, qu'est-ce qu'on
fait quand elle devient résidence familiale en cours de route? La
question reste entière.
Mme Harel: Est-ce que vous pourriez vous rallier à une
clause au contrat d'acquisition, qui vaudrait pour les propriétés
acquises durant le mariage et qui supposerait que, en cours de mariage,
à défaut d'une clause au moment de l'acquisition, il y ait une
déclaration obligatoire au moment de l'aliénation?
Mme Busque: Écoutez, est-ce qu'il n'y aurait pas moyen
d'avoir, justement, un mécanisme pour que toute maison unifamiliale ou
maison de cinq logements ou moins soit présumée être une
résidence familiale? Donc, dans un système où on pense que
toute résidence unifamiliale risque d'être une résidence
familiale, l'acheteur aussi doit chercher à se protéger. Je
demanderais à Mme Kean ou à Mme Bohémier quel type de
solution elles privilégieraient, mais, pour moi, ce n'est pas
définitif.
Mme Kean: C'est un fait que, comme le dit Mme Busque, on ne
règle pas le problème au moment de l'aliénation ou de
l'acquisition. C'est vrai qu'une maison peut changer de vocation en cours de
route, être le bien d'un conjoint seulement qui se marie. On a dit que,
évidemment, tout serait basé sur la différence
d'évaluation de la maison au moment du mariage et au moment de la
rupture si le bien était déjà à un conjoint
précédemment. Donc, un changement de vocation peut exister. C'est
assez difficile d'essayer de trouver une solution à ce problème.
Comme vous le disiez, si, effectivement, lors de l'acquisition il s'agit d'une
résidence familiale, cela peut se faire dans le contrat d'acquisition
et, certainement, compte tenu du problème que Mme Busque soulève,
au moment de l'aliénation. Le tiers pourrait acheter cette maison
où il n'y a pas de déclaration de résidence familiale
faite au moment de l'acquisition - nécessairement, les tiers ont
été habitués, depuis que la résidence familiale
existe, à s'inquiéter quand ils achètent un immeuble - et
s'assurer qu'effectivement l'immeuble ne sert pas de résidence
familiale. En pratique, surtout si on pense à des résidences
unifamiliales ou à des immeubles de moins de cinq logements, les
tiers sont maintenant très au courant de faire attention à cela.
Aussi, avec l'aide des notaires qui, évidemment, doivent donner des
titres clairs, etc., ils vont nécessairement penser à ce
problème. Mais, pour le logement, ce n'est toujours pas
réglé. Cette solution ne règle pas le problème.
Mme Harel: Vous êtes les seules, je pense, à nous
proposer une présomption de résidence familiale. À votre
connaissance, est-ce qu'il y a d'autres études, d'autres groupes ou
organismes qui auraient étudié la question?
Mme Kean: À ma connaissance, non. J'ai regardé
là-dessus la mémoire de la Commission des services juridiques et
j'en ai, d'ailleurs, parlé à Me Suzanne Pilon quant au logement.
J'avais vu le logement, je n'avais pas vu, effectivement, le problème de
déclaration de résidence automatique. Au niveau du logement, elle
m'a avoué qu'elle n'avait pas pensé aux problèmes qui
pourraient exister à la suite de cela. Évidemment, c'est
malheureux, on a beau être juriste et on a beau se pencher sur des
questions, il reste qu'on ne voit pas tous les problèmes que la pratique
peut susciter. Finalement, je ne pense pas qu'il y ait des mémoires qui
ont vu des problèmes dans la déclaration automatique de
résidence familiale.
Mme Harel: Vous avez souligné également le droit
d'habitation. C'est intéressant que, finalement, ce droit d'habitation,
au maintien dans les lieux, soit distingué du droit au partage du
patrimoine familial et soit aussi distingué de l'attribution de la
prestation compensatoire. Alors, on voit qu'il y a là comme
l'émergence d'un nouveau droit, qui est le droit d'habitation, qui
élargit, finalement le droit d'habitation. Je poserais la question
à Mme Busque: Compte tenu des expériences que vous avez en cette
matière, est-ce que vous pensez - nous en discutons et je sais que vous
êtes depuis le début de la journée avec nous en commission
- qu'il y aurait lieu d'élargir ce droit d'habitation, qui n'est pas un
droit de propriété évidemment, aux conjoints de fait
parents qui ont la garde d'enfants? Donc, cela marquerait une sorte de
gradation où les conjoints de fait parents, sans avoir droit au partage
du patrimoine familial, pourraient, malgré tout, invoquer ce droit
d'habitation quand il y a présence d'enfants pour maintenir les enfants
dans les lieux? Jusqu'à maintenant, cela avait un sens alimentaire, le
droit d'habitation, et on sait bien qu'entre conjoints de fait il n'y a pas
droit aux aliments. Pensez-vous qu'il serait opportun d'élargir ce droit
d'habitation?
Mme Busque: Sauf qu'il faudrait peut-être, justement,
préciser la nature de ce droit-là, parce que, lorsqu'on l'accorde
à un ex-conjoint marié, on l'accorde quand il y a des enfants,
règle générale. Donc, est-ce qu'on l'accorde en vertu de
droits qu'on reconnaîtrait implicitement aux enfants? Si tel est le cas,
quand il s'agit de conjoints de fait, étant donné que les
enfants, de toute façon, sont sur un pied d'égalité qu'ils
naissent d'unions de fait ou de mariages, à ce moment-là les
enfants ayant les mêmes droits, donc ce droit-là pourrait
être concédé aux enfants. Je ne vois pas pourquoi on ne
commencerait pas à voir cela comme étant un droit des
enfants...
Mme Harel: Oui, je vois.
Mme Busque:... plutôt que de voir cela uniquement comme un
droit du conjoint puisqu'on ne le donne pas en général au
conjoint qui n'a pas d'enfant.
Mme Harel: C'était là, d'ailleurs, le point de vue
du Secrétariat à la politique familiale, dans un document de
travail sur l'impact familial des travaux du comité sur les droits
économiques des conjoints, qui disait ceci quant à l'extension du
régime de protection de la résidence familiale aux enfants issus
de parents conjoints de fait: "II nous semble - je vous le cite au texte -
qu'on doit tendre à l'uniformisation des droits et obligations de tous
les conjoints parents à l'égard de leurs enfants et
réciproquement. Par conséquent, le régime de protection de
la résidence familiale devrait être étendu aux enfants
issus de parents conjoints de fait?
Mme Busque: Je n'avais pas lu ce texte-là, mais cela me
rejoint.
Mme Harel: Non, je pense qu'il a été rendu
disponible tout récemment, si ce n'est aujourd'hui même. Mais vous
pouvez en lire la référence dans l'éditorial du journal
Le Devoir aujourd'hui.
Mme Busque: Ce serait peut-être une façon de
consacrer des droits propres aux enfants et ce serait peut-être le temps
qu'on le fasse dans notre société.
Mme Harel: En matière de prestation compensatoire, la
proposition gouvernementale la restreint uniquement aux femmes collaboratrices.
Vous insistez sur le fait qu'elle soit... Oui, je vois tout de suite que vous
réagissez.
Mme Busque: On a eu des informations contradictoires
là-dessus, je dois l'avouer. On a eu une demi-journée de
formation sur cette consultation gouvernementale où j'ai posé
cette question, parce qu'il m'apparaissait clair que la prestation
compensatoire ne servait dorénavant qu'à couvrir le cas des
conjoints collaborateurs. J'ai posé la question: Est-ce que la
prestation compensatoire qui est accordée à d'autres types de
collaboration, d'une part, que celle dans une
entreprise commerciale et à la collaboration qui provient du fait
qu'on a une contribution qui excède la contribution aux charges normale
est maintenue? On m'a dit oui. C'est la réponse qu'on a eue, à ce
moment-là, des experts gouvernementaux et ce matin Mme Gagnon-Trembiay,
répondant à la Commission des services juridiques, je pense, a
semblé clarifier le fait que c'était le partage des biens
familiaux qui venait, en fait, consacrer la participation normale aux charges
du mariage et que la prestation compensatoire ne serait dorénavant
utilisée que pour couvrir le cas du conjoint collaborateur.
Mme Gagnon-Tremblay: Et certains autres cas comme...
Mme Busque: Comme quand il n'y a pas de biens familiaux à
partager?
Mme Gagnon-Tremblay:... les professions libérales. Vous
faisiez mention tout à l'heure de personnes qui travaillent pour des
conjoints de professions libérales comme secrétaires. Cela
incluait également ça, mais pas uniquement la travailleuse au
foyer.
Mme Busque: D'accord.
Mme Harel: Écoutez, Mme Busque, je comprends parfaitement
qu'il y ait une certaine confusion parce qu'à la lecture du document qui
fait l'objet de la consultation, aux pages qui traitent de la prestation
compensatoire, nous retrouvons à la page 25 ceci: "En ce qui concerne la
prestation compensatoire, un conjoint collaborateur pourrait faire valoir son
droit à une prestation. " Et, dans le document, il est exclusivement
mentionné que ce n'est que le conjoint collaborateur. Alors, j'imagine
qu'il a pu y avoir évolution.
Mme Gagnon-Tremblay: Cela manque un peu de précision.
Mme Harel: Alors, cela manque de précision, vous avez
raison. C'est évident que, pour nous de l'Opposition, la seule
interprétation que l'on peut donner à ce texte à sa
lecture, c'est que le conjoint collaborateur seul pouvait avoir un recours en
matière de prestation compensatoire.
Dans la mesure où on l'élargit - je soulève une
difficulté, je ne sais pas comment vous y réagissez - il est
possible que, compte tenu de l'absence du régime privé de
retraite dans la définition du patrimoine familial, on élargisse
la prestation compensatoire aux travailleuses au foyer. Encore là, c'est
une expression que j'aimerais bien vous entendre commenter. Travailleuse au
foyer, est-ce que cela exclut les femmes qui sont aussi sur le marché du
travail? Est-ce que le travail au foyer n'est pas cumulé aussi par les
femmes sur le marché du travail? Comment entendez-vous l'expression
"travailleuse au foyer"?
M. Busque: Bon, généralement, l'expression
"travailleuse au foyer" est appliquée à des femmes qui consacrent
la majeure partie de leur temps au foyer. Mais dans le dossier de la
réforme des régimes de rente, effectivement ce que vous venez
d'apporter comme argument a été soulevé à maintes
reprises. Ce sont les travailleuses rémunérées à
l'extérieur qui sont venues dire: Nous sommes aussi des travailleuses au
foyer parce que c'est nous qui en très grande partie assumons la charge
du travail ménager, de tout ce qui est travail domestique.
Mme Harel: II y avait récemment dans Châtelaine,
je pense, un très bon article là-dessus qui démontrait
que, malgré l'introduction des électro-ménagers, le nombre
d'heures consacrées à l'ententien et, aux travaux ménagers
par les ménagères est le même maintenant qu'il y a 50 ans
et que, pour celles qui cumulent, en plus, un travail à
l'extérieur du foyer, le partage se fait à raison de six minutes
de plus par jour pour leur conjoint. Alors, c'est important, je pense, cette
définition parce que, depuis le début des travaux, Mme la
ministre élargit le possible recours à la prestation
compensatoire à la travailleuse au foyer. À moins qu'elle ne
puisse préciser ce qu'il en sera, enfin, c'est de l'ex-conjoint
économiquement faible qu'il faudrait parler et cet ex-conjoint
économiquement faible peut aussi avoir été sur le
marché du travail avec un salaire inférieur et des conditions
également différentes. Vous avez mentionné, je pense, que,
dans votre pratique, cela vous apparaît essentiel que les régimes
privés de retraite soient inclus dans le patrimoine familial et non pas
qu'ils donnent droit à un recours en prestation compensatoire dans les
cas où le patrimoine serait insuffisant. Parce que cela semble
être un peu la voie dans laquelle le gouvernement veut s'engager, celle
d'ouvrir les régimes privés de retraite comme partageables dans
la prestation compensatoire, avec l'élargissement de l'accès
à la prestation pour la travailleuse au foyer qui pourrait par là
aller chercher une partie d'un patrimoine insuffisant. Qu'est-ce que vous en
pensez?
Le Président (M. Doyon): Avec cette réponse, Mme
Busque, Me Kean ou Mme Bohémier, se terminera le temps qui est
alloué pour cette présentation.
Mme Kean: Alors, je répète ce que j'ai dit
tantôt: Je pense effectivement, qu'il est absolument essentiel que le
régime de pension privé fasse partie de la nomenclature des biens
familiaux obligatoire, du partage des biens familiaux, parce que c'est pour
beaucoup de gens, finalement, le bien familial; il n'y aura pas de
résidence familiale, il n'y aura pas de voiture, pas de résidence
secondaire, il n'y aura pas, enfin,
tous les autres biens familiaux dont nous avons fait mention, mais il y
aura ce régime de pension privé. Le conjoint collaborateur irait
chercher cela dans des biens non désignés familiaux, de toute
façon, le conjoint collaborateur irait chercher cela dans des biens non
désignés familiaux, parce que là on parle d'une
entreprise, on parle d'une ferme, on parle de bien des choses quand on parle de
conjoint collaborateur. Alors, cela dépassera cette nomenclature de
biens familiaux. (18 h 15)
Le. Président (M. Doyon): Merci, Me Kean. M. le
député de Marquette, 30 secondes, pour terminer.
M. Dauphin: 30 secondes! Je vous remercie beaucoup, M. le
Président.
Mme Harel: II est généreux.
M. Dauphin: Oui. Alors, dans le chapitre sur la protection de la
résidence familiale, vous proposez que, dans l'éventualité
d'une vente forcée, le produit minimal soit 100% de l'évaluation
municipale. On a reçu cette semaine la confédération des
caisses populaires du Québec qui, elle - parce que, dans la proposition
gouvernementale, on propose de hausser cela à 70% plutôt que 25%,
comme c'est actuellement - voit cela sous un autre angle - évidemment,
on connaît la motivation des groupes dont vous faites partie - et nous
disait que la hausse du document gouvernemental à 70% était
exagérée, exorbitante. Alors, vous, vous nous proposez 100%.
Évidemment, je comprends la motivation de cette demande de 100%. Les
caisses populaires nous disaient qu'il fallait tenir compte du contexte de
l'offre et de la demande, que les acheteurs n'ont aucune garantie, dans ces
cas-là, contre les défauts cachés et qu'il devrait
être possible d'y déroger avec l'autorisation du tribunal. Je
voudrais savoir, en 10 secondes, M. le Président, ce que vous pensez de
ce commentaire.
Mme Busque: Moi, je reviens à ce que je disais tout
à l'heure. Cela dépend, selon moi, essentiellement de la
différence entre la valeur marchande et l'évaluation municipale.
Un exemple très personnel: la maison que j'habite, la vendre à
70%, cela serait une perte énorme. Même la vendre à 100% de
l'évaluation municipale, ce serait déjà une très
grosse perte et je vous assure que l'acheteur pourrait prendre une couple de
vices cachés là-dedans. Donc, pour moi, c'est cette
différence entre les deux évaluations. Dans la mesure où,
effectivement, l'évaluation foncière est très près
de la valeur marchande, c'est un autre problème. Mais, nous, on a choisi
de dire 100% de l'évaluation municipale plutôt que 70% de la
valeur marchande, parce que la valeur marchande implique toujours, à ce
moment-là, un autre type d'évaluation et d'autres types de
déboursés et que cela complique, d'une certaine manière,
les choses, tandis que l'évaluation municipale nous paraissait comme une
base beaucoup plus simple à partir de laquelle on pouvait se fonder.
Bien, je peux comprendre aussi l'ordre de préoccupation du mouvement
Desjardins, mais peut-être qu'il y aurait moyen d'arriver à un
moyen terme.
Le Président (M. Doyon): Merci, Mme Busque. Mme la
ministre.
M. Dauphin: Merci beaucoup.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci infiniment, mesdames, pour votre
mémoire, nous allons sûrement le prendre en considération.
C'est presque la fin de la commission; il nous reste encore un intervenant.
Alors, comme on le mentionnait, on a eu l'occasion d'avoir différentes
opinions et la vôtre en est quand même une qui cadre beaucoup avec
celle des autres intervenants, entre autres les groupes de femmes.
Mme Busque: Merci.
Le Président (M. Doyon): Mme la députée de
Maisonneuve.
Mme Harel: La vôtre en est une qui est partagée par
un très grand nombre de femmes au Québec. Alors, je vous remercie
d'être venues nous l'exprimer en commission.
Le Président (M. Doyon): Merci beaucoup. J'inviterais
maintenant Me Paul Laquerre à prendre place. Me Laquerre m'a
demandé s'il pouvait s'asseoir. Oui, vous pouvez prendre une place
à la table des invités comme les autres.
J'inviterais les membres de la commission à prendre place, nous
allons continuer nos travaux. À l'ordre, s'il vous plaît! Me
Laquerre, vous avez maintenant l'attention de toute la commission, y compris
celle, bien sûr, du ministre de la Justice qui est ici pour vous entendre
et à qui nous souhaitons la bienvenue.
Me Paul Laquerre
M. Laquerre (Paul): M. le Président, Mme la ministre
déléguée à la Condition féminine, M. le
ministre de la Justice, Mme la députée de Maisonneuve, ainsi que
tous les membres de cette commission, il me fait plaisir d'avoir la chance de
comparaître devant la commission aujourd'hui. Je vous avoue que cela
faisait longtemps que j'attendais cette chance qui m'est donnée
aujourd'hui. En tant que professeur de régimes matrimoniaux à la
Faculté de droit depuis une vingtaine d'années, j'ai eu
l'occasion de souligner à de nombreuses reprises à mes
étudiants les injustices qui pouvaient, découler de la situation
actuelle. J'ai attiré leur attention à de nombreuses reprises
là-dessus et je les ai incités à faire
ce qu'ils pouvaient pour essayer d'obtenir les changements les plus
rapides possible de la part des responsables.
Vu l'heure tardive, je n'ai pas l'intention de faire un exposé
qui sera long et d'entrer dans les détails techniques aujourd'hui. Je
vais me contenter de repasser les principes généraux qui m'ont
amené à proposer certaines solutions qui se trouvent
déjà dans mon mémoire. Avant de passer à ces
principes généraux, je vais regarder avec vous, si vous me le
permettez, pendant quelques minutes - à peu près deux ou trois
minutes - les deux tableaux synoptiques que l'on vient de vous distribuer.
Ces deux tableaux synoptiques représentent... D'abord le premier,
sur la première page, représente la situation actuelle et le
deuxième tableau synoptique représente la situation qui
existerait si les propositions étaient adoptées. Si on regarde la
situation actuelle - et je commence dans le haut du tableau, par la gauche - si
on regarde à gauche, on a la situation des époux mariés et
la situation des époux de fait. En ce qui concerne les époux de
fait, on peut les éliminer tout de suite, parce qu'il y a un vide
juridique, ce n'est pas compliqué, actuellement, il y a un vide
juridique. En ce qui concerne les époux mariés, si on retourne
dans le haut du tableau et si on regarde ce qui se passe pendant la
durée du mariage, il faut bien comprendre que nous avons un
régime primaire impératif et que nous avons un régime
matrimonial secondaire qui vient s'ajouter à ces dispositions
impératives.
Quant au régime matrimonial primaire impératif, si on
regarde à gauche du tableau, nous voyons que nous avons une amorce de
patrimoine familial. Dans un patrimoine, nous avons les éléments
d'actif et les éléments de passif. Pour ce qui est du passif
familial, nous avons déjà un passif familial qui a établi
au Code civil c'est la responsabilité conjointe des époux pour
les dettes à caractère familial, article 446 du Code civil du
Québec. Pour ce qui est de l'actif - normalement, dans un patrimoine,
nous avons toujours l'actif et le passif - j'ai marqué "actif familial
ou presque", parce que nous avons presque un actif familial, mais pas tout
à fait. Nous avons, actuellement, des mesures de protection, mais sans
partage à la dissolution. Donc, nous reconnaissons, dans notre Code
civil, qu'il y a une résidence principale de la famille. La famille a
donc une résidence, la famille a aussi un droit au bail, la famille a
droit à des meubles garnissant la résidence principale de la
famille, affectés à l'usage du ménage, mais nous ne tirons
pas de conclusion économique de cette reconnaissance légale qui
existe déjà de l'actif familial. Alors, la seconde étape
est donc de tirer des conséquences économiques de ce début
d'actif familial.
À ces dispositions impératives s'ajoute,
évidemment, le régime matrimonial secondaire et, là, les
époux peuvent ajouter à cela ia société
d'acquêts. Il en résultera - si vous prenez en allant vers la
droite, société d'acquêts, la colonne vers la droite - un
partage égal des acquêts entre les époux. Si on va un peu
plus bas dans le tableau, il est possible aussi que les époux soient
mariés en communauté de meubles et acquêts, c'est une
communauté soit légale, soit conventionnelle, et, encore
là, il en résultera un partage des biens communs et des biens
réservés, il est possible aussi qu'on ait la séparation de
biens et, dans ce cas, il n'y a aucun partage.
À ceci s'ajoute la prestation compensatoire. J'ai indiqué
que c'était possible dans certains cas. Maintenant, ce qu'il faut bien
constater, c'est que, malgré ce qu'on a dit très souvent depuis
des années à savoir que nous sommes très en retard sur
l'Ontario, entre autres, en matière de régimes matrimoniaux, on
n'est pas en retard à ce point-là et je pense qu'il faut bien le
constater parce que, si on prend d'abord les dispositions impératives et
qu'on ajoute la société d'acquêts qui est automatique pour
tous ceux qui ne la rejettent pas volontairement par un contrat de mariage en
choisissant un autre régime, par exemple, comme la séparation de
biens, il y a quand même une protection qui est, je pense,
raisonnable.
Là où est le problème, c'est que nous avons une
tradition qui est différente de celle de l'Ontario et les gens ont pris
l'habitude de faire un contrat de mariage en société
d'acquêts, en tout cas beaucoup de couples, et de rejeter par le fait
même la société d'acquêts. Alors, par le fait que la
tradition est différente de celle de l'Ontario, on en arrive à
des effets différents dans la société et c'est là
qu'est le principal problème, je pense. Donc, à cause de cela, il
faudra qu'on trouve une solution pour y remédier.
Si on prend le deuxième tableau, c'est la situation telle que
proposée. Vous avez d'abord, en haut, le régime matrimonial
primaire impératif et le régime matrimonial secondaire. En ce qui
concerne le régime primaire impératif, j'aurais dû ajouter,
entre parenthèses, que c'est pour les couples qui sont mariés en
premières noces, selon ma proposition, ou les couples dont un des
époux est marié en premières noces. Je fais cette
distinction dans mon mémoire et, pour moi, c'est fondamental. Je pense
que, lorsque les époux sont tous deux mariés en secondes noces ou
en troisièmes noces, peu importe le nombre de mariages, ils
bénéficient d'une certaine expérience au point de vue des
lois comme telles; ils ont pu s'informer et bénéficier d'une
certaine expérience, soit à la suite d'un divorce ou d'un
décès qui s'est produit dans le couple, et ces
époux-là n'ont pas besoin de la même protection que des
gens qui se marient dans un premier mariage, qui n'ont aucune
expérience, qui ne connaissent pas les lois et qui, souvent, ne
connaissent ni avocat, ni notaire ceux-là ont besoin d'une protection.
En tout cas, je fais une
différence, moi, entre ces couples-là selon aussi, mon
expérience professionnelle comme praticien du notariat. J'ai quand
même 22 ans d'expérience, même s'il y en a une partie qui
est a temps partiel tout en étant à la Faculté de droit,
et je vous avoue que tous les couples qui se marient en deuxièmes ou
troisièmes noces, à peu près sans exception,
préfèrent garder les biens qu'ils ont déjà,
habituellement pour leurs enfants. Alors, ils refusent, habituellement, de
mettre leurs biens en commun, les biens qui leur proviennent de leur premier
mariage, par succession, et aussi, parfois, à la suite d'un divorce
lorsqu'ils ont réussi de peine et de misère à garder
quelque chose; à ce moment-là, ce qu'ils veulent, c'est de
transmettre cela à leurs enfants. Ils font un contrat de mariage en
séparation de biens sans aucune donation et ils font des testaments
ensuite, chacun un testament, en faveur de leurs enfants. C'est selon
l'expérience que j'ai eue dans le passé et je pense qu'il faut
respecter cela. (18 h 30)
Alors, si on jette un petit coup d'oeil, maintenant, sur le
régime matrimonial primaire en allant à la gauche du tableau,
vous avez les époux mariés à qui s'applique le patrimoine
familial. Ici, si on compare à ce qu'on avait tout à l'heure, on
a encore le même passif familial, d'abord, et on a un actif familial,
c'est-à-dire qu'on aurait des biens familiaux. Donc, on tire des
conséquences économiques de ce patrimoine familial qu'on avait
presque au complet tout à l'heure. Alors, qu'est-ce qui entrerait dans
le patrimoine familial? Vous avez d'abord la résidence familiale
principale et la résidence secondaire à titre supplétif.
C'est exactement la même chose que dans la proposition
gouvernementale.
J'attire votre attention - j'ai mis un astérisque - sur le fait
qu'il faudrait peut-être, à ce moment-là, modifier la
notion de résidence principale. Il ne faudrait plus parler de
résidence principale de la famille; il faudrait plutôt parler de
résidence familiale puisque, dans certains cas, c'est la
résidence secondaire, le chalet, qui est la résidence familiale,
alors que les tribunaux nous disent que la résidence principale de la
famille peut être un logement. Alors, si l'endroit où la famille
vit, d'où les enfants partent pour aller à l'école,
d'où les parents partent pour aller travailler, est un logement, c'est
la résidence principale de la famille. La résidence secondaire
sera le chalet.
Alors, si on veut protéger, à titre supplétif, la
résidence secondaire, il ne faudrait peut-être plus parler de
résidence principale, mais plutôt de résidence familiale.
Qu'est-ce qu'on ajoute à cela? Les meubles garnissant la
résidence familiale, affectés à l'usage du ménage,
les véhicules automobiles - les véhicules automobiles sont dans
la proposition gouvernementale, je ne vois pas de raison pour les enlever,
quoiqu'on sache que cela perd énormément de valeur et rapidement
- les gains accumulés en vertu du Régime de rentes du
Québec, les programmes gouvernementaux équivalents et j'ai
ajouté, avec un point d'interrogation - et j'attire votre attention
là-dessus, c'est bien important - les gains de régimes
privés ou l'équivalent accordé par le juge. J'attire
d'autant plus votre attention là-dessus que j'ai hésité
longtemps et que j'hésite encore un peu; c'est pour cela qu'il y a un
point d'interrogation. Dans mon mémoire, après beaucoup
d'hésitation, j'ai dit: C'est non, mais avec beaucoup
d'hésitation et je me suis dit: II faudrait probablement faire d'autres
études techniques pour voir si c'est applicable, si les employeurs vont
avoir beaucoup de difficultés à appliquer cela. Bon.
Je n'avais pas les connaissances techniques pour savoir si
c'était applicable ou pas, si c'était applicable facilement. Je
vous avoue que j'ai eu l'occasion et la chance de lire, par la suite, tous les
mémoires qui ont été présentés et, entre
autres, dans celui de la firme de consultants Mercer - je ne sais pas si c'est
comme cela qu'on le prononce ou en anglais - j'ai constaté qu'ils
semblent nous dire que c'est faisable, que c'est applicable. Ils nous disent
que, évidemment, certaines études vont peut-être devoir
être faites pour compléter cela, mais il n'y a pas vraiment une
réticence à appliquer cela.
Alors, à la suite de cela, je me suis dit: Cela ne semble pas
vraiment présenter de gros problèmes au point de vue technique
et, d'un autre côté, je me dis que, dans certains cas, il n'y aura
pas de résidence principale de la famille qui sera achetée. Ce
sera un logement. Il n'y aura pas de résidence secondaire non plus.
Qu'est-ce qui nous reste comme actif à partager? Pas grand-chose: les
automobiles et la participation au Régime de rentes du Québec.
Donc, il peut y avoir les régimes de rentes privés. Maintenant,
dans certains cas, c'est dangereux. Par exemple, certains professionnels,
certains constructeurs, certains hommes ou femmes d'affaires nous disent: Ma
rente, mon fonds de retraite, ce sont mes immeubles à logements. Alors,
je vais avoir, à ma retraite, 10, 15 ou 20 "blocs" à logements -
comme ils disent - et ce sera mon fonds de retraite. C'est pour cela que je dis
qu'il faut prévoir l'équivalent de régimes privés
qui serait accordé par le juge.
Évidemment, on pourrait ajouter à cela la
société d'acquêts, et, là, on aurait un partage
à peu près complet, ou on peut encore ajouter la
séparation de biens et on a, évidemment, la protection restreinte
au régime primaire impératif. On a aussi le problème de la
communauté. Je pense, et je le dis tout de suite, que ce serait une
bonne chose que la communauté disparaisse. Maintenant, quant aux
modalités de transformation de la communauté en
société d'acquêts, il y a encore des études à
faire pour compléter cela. J'ai proposé quelque chose qui est un
peu différent de la proposition gouvernementale, mais il y a
peut-être encore des retouches à faire en ce qui concerne la
responsabilité des dettes de
chacun des époux, entre autres. Si on va vers la droite, on a la
prestation compensatoire. Je vous dis tout de suite que je pense que la
prestation compensatoire doit subsister et pas seulement dans le cas de
l'époux collaborateur; elle doit subsister dans tous les cas, comme elle
est actuellement. Si, dans un cas donné, on a un conjoint qui ne peut
d'aucune façon avoir droit à une partie du régime
matrimonial primaire impératif parce qu'il n'y a pas de résidence
principale, il n'y a pas de résidence secondaire, il n'y a pas de
régime de retraite autre que le Régime de rentes et
peut-être qu'il n'y a pas d'automobile non plus - de nos jours, il ne
faut pas oublier que beaucoup d'automobiles sont louées - alors il
resterait la possibilité d'avoir recours à la prestation
compensatoire, peut-être pour d'autres biens; en tout cas, c'est une
solution de dernier recours. Je vous avoue que je ne l'aime pas beaucoup, la
prestation compensatoire, parce que c'est un recours qui exige, d'abord de la
part des parties, d'étaler toute leur vie privée en cour, ce qui
est toujours très pénible; il faut repasser, depuis le
début, tout ce qui s'est passé dans leur vie et toutes les
dépenses qu'ils ont faites, les actifs qu'ils ont obtenus. C'est une
difficulté de preuve considérable, cela coûte très
cher à monter ce genre de dossier, et on demande à l'époux
qui n'a rien ou à peu près rien de faire cette preuve-là
et de payer pour cela. Alors, je ne l'aime pas beaucoup, la prestation
compensatoire, mais il faut la garder quand même à titre
supplétif.
Je termine le tableau en attirant votre attention sur les époux
de fait, dans le bas du tableau. Actuellement, on constate que, depuis
plusieurs années, le nombre de gens qui vivent comme des époux de
fait a augmenté de plus en plus. Cela peut être dû à
beaucoup de raisons, mais cela crée une situation qui est quand
même embarrassante, je pense, pour le législateur. Jusqu'à
maintenant, le législateur a toujours dit: On n'intervient pas parce que
il y a une opinion en ce sens que ceux qui sont des époux de fait, c'est
parce qu'ils ne veulent pas qu'il y ait de conséquences légales
à leur union de fait. C'est pour cela qu'ils ne se marient pas et qu'ils
restent des époux de fait. Moi, ce que je dis à mes
étudiants dans mon cours, c'est ceci: Lorsque des gens ont vécu
comme des époux de fait, ont vécu dans une situation de mariage
de fait, ont vécu de la même façon que des époux
mariés pendant 15, 20, 25 ans, dans bien des cas ont eu des enfants
aussi et que, tout à coup, ils se séparent, trouvez-vous cela
normal que ces gens-là disent: On s'en va chacun de notre
côté et il n'y a aucune conséquence à ce qu'on a
fait, à la vie qu'on a menée depuis 15, 20, 25 ans? Je trouve que
c'est tout à fait inacceptable et c'est certain qu'il y a toujours une
responsabilité morale, mais on sait que, dans une société
évoluée, après un certain temps, la responsabilité
purement morale se transforme en obligation naturelle et ensuite l'obligation
naturelle se transforme en obligation civile; le législateur intervient
et cela se transforme en obligation civile. Alors, je me demande si on ne
devrait pas réfléchir à cela sérieusement et si,
après un certain temps de cohabitation, lorsque des gens se sont
comportés comme des époux mariés, cette union de fait ne
devrait peut-être pas apporter des conséquences juridiques qui
devraient être les mêmes que s'ils étaient mariés
tout simplement.
Il y a un autre principe qui est en jeu aussi, c'est que, normalement,
en droit, lorsqu'il y a un fait qui existe, le fait et le droit doivent
concorder, et je pense qu'on en a un bel exemple en matière de droit de
propriété. Si quelqu'un possède un immeuble comme un
propriétaire, se comporte comme un propriétaire aux yeux de tout
le monde - alors, il fait accroire à tout le monde qu'il est le
propriétaire et il se comporte comme un propriétaire - et que le
véritable propriétaire ne s'occupe pas de son bien, après
un certain temps, 30 ans, il y a ce qu'on appelle la prescription acquisitive,
c'est qu'il devient vraiment propriétaire. Le droit doit concorder avec
le fait. Alors, je me demande si on ne devrait pas vraiment
réfléchir à cette situation des époux de fait.
Je vais aller très vite en ce qui concerne mon
mémoire...
Le Président (M. Doyon): Me Laquerre, je vous signale
qu'il y a près de 20 minutes d'écoulées sur la demi-heure
qui vous était allouée...
M. Laquerre: Ah bon! Je peux répondre aux questions tout
simplement; de toute façon, mon mémoire, vous l'avez.
Le Président (M. Doyon): Un instant. Avec l'accord des
membres de la commission on peut peut-être continuer un peu plus
longtemps, mais il va falloir tenir compte de l'heure tardive, maintenant.
Alors, je vous invite à y aller rapidement.
M. Laquerre: Quelques minutes encore, je vais aller très
rapidement. Je vais, si vous voulez, m'en tenir aux chapitres I et II. Le
chapitre I, c'est: La problématique et les objectifs; le chapitre II,
Les principes et les mesures législatives. Évidemment, devant une
question aussi complexe et aussi importante, je me suis dit: II faut
procéder logiquement et, d'abord, j'ai posé le problème
lui-même, j'ai essayé de bien l'identifier, de le circonscrire et,
ensuite, je me suis demandé quels étaient les objectifs qu'on
devait rechercher.
Quant à la problématique, quant au problème
lui-même, en regardant les documents qui ont déjà
été produits, je vous avoue que l'opinion que le Conseil du
statut de la femme avait émise - vous avez la référence
dans les notes qui sont à la fin, je suis à la page 5, au 2e
paragraphe - en ce sens que "l'égalité juridique des
conjoints dans le mariage ou dans la famille ne fait plus problème", je
pense qu'on peut tous y souscrire. Mais à l'égalité
juridique ne correspond pas nécessairement l'égalité
économique, je pense qu'on est aussi tous d'accord là-dessus.
Je passe à la deuxième citation, toujours du Conseil du
statut de la femme qui circonscrit le problème comme suit: "Un consensus
pourrait se faire sur une clientèle minimale à viser au
Québec: au premier chef, les épouses mariées en
séparation de biens dans d'autres circonstances: quand le divorce
n'existait pas, quand l'autre alternative était la communauté de
biens... - un peu plus bas, dans la même citation - celles qui se marient
encore depuis 1970 avec un contrat de type séparatiste... " Si on ajoute
au paragraphe suivant les femmes collaboratrices à l'entreprise de leur
mari, je pense qu'on a fait le tour du problème.
J'ajoute, dans les deux paragraphes qui terminent la page 5, qu'il nous
paraît évident de faire une distinction entre les époux qui
vivent un premier mariage et ceux qui contractent un deuxième ou un
troisième mariage. Dans le cas d'un premier mariage, la plupart du
temps, il est contracté à un âge relativement jeune,
à un moment où ils n'ont à peu près pas de biens ni
de dettes, ni l'un ni l'autre, et ils veulent des enfants; c'est facile pour
eux d'accepter de mettre toutes leurs ressources en commun. À ce
moment-là, l'idée qu'ils se font du mariage - et je pense qu'il
faut respecter cela - c'est que le mariage est une espèce de
société où on peut mettre beaucoup de choses en commun. Il
n'y a pas de problème pour leur faire accepter cela d'une façon
générale. Pour les époux plus expérimentés -
je suis rendu à la page 6, 2e paragraphe - c'est-à-dire ceux qui
sont dans un deuxième ou un troisième mariage, à ce
moment-là, je l'ai dit tantôt, on doit les respecter, respecter
leur idée de conserver leurs biens pour leurs enfants ou les laisser
faire ce qu'ils veulent avec leurs biens. Je ne voudrais pas qu'on intervienne
dans ce cas-là. S'ils n'ont pas profité des expériences
antérieures, je dis: Tant pis pour eux. C'est sûr qu'il y a
toujours des incorrigibles, mais je n'ai pas de pitié pour eux. Je pense
qu'on doit les laisser se débrouiller.
Les objectifs qui découlent de ces constatations, c'est que, dans
un premier mariage - je suis toujours à la page 6, section 2: Les
objectifs - il faut retenir l'idée de partage et, dans un
deuxième mariage, l'idée de la liberté du choix.
Dans les principes et les mesures législatives, page 7 et
suivantes, je reprends les principes directeurs de la réforme du Code
civil du Québec, ce qui a guidé les législateurs dans la
création du Code civil du Québec et, principalement, avec le
projet de loi 89. Les principaux principes, on les a ici, dans la citation:
"l'égalité des conjoints dans le mariage et le respect de la
liberté et de l'autonomie des personnes". On ajoute à cela deux
préoccupations majeures: "la recherche de la plus grande
équité possible... et la volonté de diminuer les
traumatismes que connaissent les couples, et leurs enfants, lorsque le lien
matrimonial est mis en péril ou irrémédiablement atteint.
"
En ce qui concerne les mesures proposées, je ne reviendrai pas
là-dessus parce que j'ai eu l'occasion, tantôt, en expliquant le
tableau, d'en donner les grandes lignes. Je vais cependant souligner seulement
un ou deux points additionnels qui sont importants et, par la suite, je pourrai
répondre aux questions, si vous en avez. En ce qui concerne - c'est
à la page 10 de mon mémoire, dans le commentaire - les
régimes privés de retraite, j'ai donné mon opinion
tantôt: II faudrait enlever le "non" et mettre un "oui", mais, encore une
fois, je pense que cela exige d'autres études techniques, mais c'est
important de changer le "non" par un "oui". Ensuite, le commentaire à la
page 11: Est-ce que les époux peuvent renoncer d'avance aux dispositions
impératives, je dis non. Je pense que c'est un principe qui doit
être respecté. Ils ne peuvent pas y renoncer avant le mariage,
pendant le mariage, ils ne peuvent pas y renoncer à la fin du mariage
non plus, au moment de la dissolution. La seule chose que moi, j'accepte, au
moment de la dissolution, c'est un réaménagement des biens qui
sont partageables en vertu du régime impératif. Alors, si, par
exemple, la maison est au nom du mari et qu'il veut garder la maison, eh bien,
il garde la maison et il pourrait donner à l'épouse une somme
d'argent qui correspond à sa part ou un autre bien. L'époux qui
est propriétaire devrait avoir un droit de préemption. (18 h
45)
La Présidente (Mme Bleau): Me Laquerre, est-ce que je peux
vous rappeler que votre temps est terminé?
M. Laquerre: Oui, je prends encore une minute et je termine
à la page 11 avec les mesures transitoires. Est-ce qu'on doit adopter
les mesures transitoires? C'est au milieu de la page 11. J'ai marqué que
cette mesure me semble acceptable, la mesure transitoire en ce sens que les
époux déjà mariés pourraient renoncer. Mais je suis
en train de changer d'idée, c'est pour cela que je veux en dire un mot,
ce serait important de marquer cela dans le mémoire, je suis en train de
changer d'idée. J'ai peur que, si on permet aux époux qui sont
déjà mariés de renoncer, cela amène beaucoup de
chantage entre les époux, des situations conflictuelles et je pense
qu'on ne devrait pas permettre de renoncer; je crois que cela devrait
s'appliquer à tout le monde et, malgré ce qui est indiqué
ici, je pense qu'on ne devrait pas pouvoir renoncer. Maintenant, entre la
sanction de la loi et l'entrée en vigueur, on devrait prévoir un
délai assez long pour permettre à tout le monde,
créanciers et époux aussi, de s'ajuster en
conséquence. Mais je pense que, contrairement à ce qui est
dit dans mon mémoire, ils ne devraient pas renoncer. Je termine avec
cela.
La Présidente (Mme Bleau): Je vous remercie, Me Laquerre,
et je passe la parole à Mme la ministre.
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Me Laquerre, de votre exposé.
Je dois vous dire que j'ai lu avec intérêt votre mémoire et
les tableaux que vous nous apportez cet après-midi résument bien
aussi votre opinion sur la proposition telle que formulée dans le
document de consultation. Cela m'a aussi fait prendre conscience du souci de
précision d'un bon praticien, notaire et professeur en même temps,
ce petit tableau bien préparé; c'est très utile,
d'ailleurs.
M. Laquerre: II manque une page, malheureusement; on n'a pas eu
le temps de la mettre sur ordinateur.
Mme Gagnon-Tremblay: Compte tenu, Me Laquerre, du temps qui nous
est alloué et de l'heure tardive aussi, je vais m'en tenir à une
précision, à une question, entre autres. Lorsque vous parlez des
biens acquis, vous préférez que les biens acquis par donation
avant le mariage, donation ou testament, ne soient pas inclus, que les
immeubles ne soient pas inclus, par exemple, dans le patrimoine familial.
Est-ce que vous...
M. Laquerre: Voici: lorsque ce sont des biens acquis par donation
ou par testament, il y a le problème de la clause de propre. Vous savez
que, dans tous les testaments qui sont préparés par des avocats
ou des hommes de loi, il y a toujours une clause qui dit que les biens devront
être propres et ne pas être partagés. Cela crée un
problème de concordance avec les dispositions impératives,
évidemment, si c'est une résidence familiale. Je pense qu'on
pourrait aller jusqu'à dire que, lorsqu'il s'agit de la résidence
familiale, on n'aura pas à respecter cette clause de propre en ce qui
concerne la plus-value, je pense qu'on pourrait aller jusque là.
Mme Gagnon-Tremblay: Pour la plus-value vous me dites; c'est
cela?
M. Laquerre: Pour la plus-value seulement.
Mme Gagnon-Tremblay: Pour la plus-value, cela irait?
M. Laquerre: Oui.
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord, mais non...
M. Laquerre: Je pense qu'on doit tenir compte uniquement de la
plus-value, de toute façon...
Mme Gagnon-Tremblay: D'accord.
M. Laquerre:... même si le bien a été
acheté... Dans le cas d'un immeuble qui a été
acheté, par exemple, pour prendre le cas le plus fréquent, par le
mari avant le mariage, je pense qu'on doit tenir compte seulement de la
plus-value que le bien prend par le mariage. Il y a seulement la plus-value qui
sera partageable.
Mme Gagnon-Tremblay: Mais, Me Laquerre, c'est que, depuis le tout
début des interventions, tous les intervenants ou à peu
près, la presque majorité, se sont inquiétés un peu
des inéquités ou du déséquilibre qui existait pour
les gens mariés, entre autres, sous le régime de la
séparation de biens. Par contre, la Chambre des notaires semble
s'inquiéter de l'ampleur du problème, semble dire qu'il n'y a pas
tant de problèmes que cela. Elle ne semble pas être aussi
consciente de ce problème. On semble dire aussi qu'il s'agit d'une
situation qui touche une minorité de personnes, décroissante
d'année en année, donc, qui ne justifie pas une intervention
législative coercitive. Vous qui avez pratiqué à titre de
notaire et qui êtes en même temps professeur, croyez-vous, d'une
part, que, effectivement, ces problèmes n'existent pas ou très
peu et qu'en ce qui concerne le partage d'un patrimoine, d'autre part, il
s'agit d'une mesure législative coercitive à ce point...
Finalement, oui, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus, Me
Laquerre.
M. Laquerre: Écoutez, j'aimerais mieux ne pas parler ou
commenter la position de la Chambre des notaires, je pense qu'ils ont sans
doute leurs raisons; je crois que c'est indispensable que chacun puisse
s'exprimer en toute liberté. Mais, selon moi, il y a un besoin, et je
l'ai évidemment constaté par l'expérience de la pratique
et comme professeur en régimes matrimoniaux, je lis toute la
jurisprudence. On constate qu'il y a aussi énormément de
problèmes et de malheurs qui en résultent, très souvent
pour l'époux le plus faible économiquement. Cela peut aller
très loin, parce que vous n'êtes pas sans savoir que cela va, par
exemple, jusqu'aux enfants, dans bien des cas, qui préfèrent
rester avec l'époux qui conserve le patrimoine le plus important.
Lorsque les enfants ont à choisir entre, par exemple, un époux
qui vit dans une maison de 200 000 $ ou 300 000 $ et l'autre époux qui
est obligé de s'en aller en logement trop souvent c'est très
difficile, même pour les enfants, de choisir d'aller en logement avec
l'époux qui a le patrimoine le plus faible. Cela va très loin,
tout cela, les conséquences.
Mme Gagnon-Tremblay: Même si cette situation, Me Laquerre,
va en décroissant, vous croyez qu'il y a urgence d'agir et non pas de
laisser...
M. Laquerre: Ah! Je le crois et je n'ai jamais manqué une
occasion de le souligner à tout le monde et même, peut-être
que certaines personnes parfois m'ont trouvé un peu agaçant. J'ai
même eu l'occasion parfois, dans des "parties", de le dire à des
sous-ministres. J'avais l'occasion de les rencontrer et je leur disais: Bougez,
agissez, faites quelque chose. Il faut agir rapidement. Alors, j'ai vraiment
cela à coeur et je ne manque jamais l'occasion de le signaler dans mes
cours. Je donne ce cours des régimes matrimoniaux, à la
Faculté de droit, au moins une fois par année et je le souligne
à tout le monde. Des fois, j'ai de 110 à 115 étudiants et
je leur dis: Prene2 les moyens que vous avez pour agir. Oui, je le crois
vraiment.
Mme Harel: Je vous félicite, Me Laquerre. Vous avez la
bonne occasion aujourd'hui de le dire à la personne qui va être
responsable de la législation, le ministre de la Justice lui-même.
C'est intéressant, je souscris aux propos de Mme la ministre, vous devez
certainement être un bon professeur, parce qu'on vous suit bien et c'est
très utile aussi. Mais, comme un bon professeur, vous en avez
ajouté et ajouté.
M. Laquerre: Ha, ha!
Mme Harel: Mais c'est vraiment un tableau qui va être
très utile pour bien voir qu'il y avait déjà
l'introduction de mesures de protection, qui n'étaient peut-être
pas sujettes à partage, mais des mesures de protection. Est-ce que vous
avez l'impression qu'un patrimoine familial est très étranger
à notre tradition civiliste?
M. Laquerre: Je pense que ce qui est le plus important, c'est de
laisser quand même une certaine liberté de choix aux époux
et qu'en prévoyant un patrimoine familial qui est quand même assez
restreint et en laissant la possibilité aux époux de
compléter par un régime secondaire, soit par la séparation
de biens, soit par la société d'acquêts s'ils veulent une
plus forte mise en commun de leurs biens, la liberté de choix est
suffisamment conservée. Il ne faut pas oublier qu'ils ont aussi d'autres
choix de régimes matrimoniaux. Ils peuvent prendre un régime
matrimonial européen ou n'importe quoi. Je crois que !a liberté
est suffisamment conservée.
Mme Harel: Je ne me souviens plus si, en matière de
patrimoine restreint, vous recommandiez l'inclusion des régimes
privés de retraite.
M. Laquerre: Comme je vous l'ai dit dans mon mémoire,
c'est non, mais avec des hésitations. J'ai dit qu'il fallait d'autres
études plus poussées au point de vue technique, entre autres,
pour étudier la faisabilité de cela et, maintenant,
j'hésite encore un peu, mais je serais porté à dire
plutôt oui. J'espère que je ne reviendrai pas en arrière
dans les prochains mois.
Mme Harel: La dernière question que je vais vous poser,
parce que l'ensemble de toutes vos recommandations indiquent que ces
protections, ce partage, ne doivent se faire que dans le cadre d'un premier
mariage...
M. Laquerre: C'est ce que je dis et cela respecte, encore une
fois, la liberté des gens et l'autonomie dans le contexte de notre droit
civil, la tradition civiliste.
Mme Harel: Attendez, j'ai de la difficulté à vous
suivre. Vous avez cité le Conseil du statut de la femme lors de
l'élaboration de la notion de principe...
M. Laquerre: Oui.
Mme Harel:... à savoir que l'institution du mariage, je
pense que c'est dans ce sens que vous le citiez, devrait entraîner une
certaine forme de partage entre époux.
M. Laquerre: Oui, pour des gens...
Mme Harel: C'est un principe auquel vous souscrivez.
M. Laquerre:... qui se marient en premières noces.
Mme Harel: Mais, pour vous, c'est seulement en premières
noces. L'institution du mariage ne doit pas entraîner une certaine forme
de partage pour les autres.
M. Laquerre: Je me base...
Mme Harel: Pourquoi le principe ne vaut-il plus après?
L'institution du mariage reste la même.
M. Laquerre: Ha, ha, ha! Je me base, entre autres, sur mon
expérience personnelle. J'ai eu l'occasion de faire beaucoup de contrats
de mariage pour des gens qui se mariaient en deuxièmes noces, en
troisièmes noces c'est plutôt rare, et, dans presque tous les cas,
c'était très rarement différent, c'était la
séparation de biens, sans donation et sans clause d'institution
contractuelle au dernier vivant des biens à la fin aussi, donc,
séparation de biens purement et simplement, et ils faisaient chacun un
testament et habituellement dans le testament c'était pour leurs
enfants, lorsqu'ils avaient des enfants, parfois, certains biens assez
limités au conjoint et le reste à leurs frères et soeurs,
et membres de la famille. Et c'était comme ça dans presque tous
les cas.
Mme Harel: Vous, c'est votre expérience, disons,
personnelle et...
M. Laquerre: Oui, en parlant avec les gens
aussi, en pariant avec ces gens-là.
Mme Harel:... je la respecte. Mais dans les cas, par exemple, qui
peuvent être nombreux, de personnes qui ont vécu un premier
mariage heureux qui s'est conclu par un veuvage...
M. Laquerre: Oui.
Mme Harel:... alors, ils n'auraient pas, eux, cette
expérience difficile à laquelle vous vous référez
pour justifier que la première fois, c'est la faute du notaire, mais que
la deuxième fois c'est votre faute.
M. Laquerre: Oui; ah! ce sont vos mots à vous,
là.
Mme Harel: Je vous écoutais, et je me disais: Ce qu'il me
propose, c'est que cela concerne uniquement le partage du premier mariage,
parce que cela revient à dire que la première fois, vous
n'étiez pas assez au courant, mais la deuxième fois, si vous
recommencez les mêmes erreurs, c'est plus de votre faute et, en fait,
vous devez en prendre la responsabilité.
M. Laquerre: Bon, écoutez, ce que je dis, c'est que la
première fois, les gens se marient dans un contexte très
différent pour la plupart. Ils se marient dans un contexte où ils
sont jeunes, où ils ont d'abord de très grandes aspirations au
point de vue psychologique, alors, ils sont souvent au début de la
vingtaine, donc, c'est l'amour, vous savez, un peu dans les nuages.
Mme Harel: Vous pensez qu'après un premier échec
les aspirations changent?
M. Laquerre: Peut-être, oui, un peu du moins, un peu. Et
là, ils ont beaucoup d'espoir à tout point de vue, au point de
vue économique et ils n'ont rien, pratiquement. Donc, c'est facile de
tout mettre en commun quand on n'a rien. C'est facile. Mais je pense que cela
correspond à leur mentalité et, aussi, ils veulent habituellement
à cet âge-là avoir une couple d'enfants, ce qui n'est pas
nécessairement le cas lorsqu'ils se marient en deuxièmes ou
troisièmes noces. En tout cas, pas selon mon expérience
personnelle. Je peux me tromper, encore une fois, mais cela correspond à
ce que j'ai vécu avec les clients que j'ai rencontrés. La
mentalité était très différente.
Mme Harel: Alors, je vais vous remercier, Me Laquerre, je vais
vraiment vous remercier, c'est important pour une commission parlementaire
d'avoir des témoignages de groupes de pression, d'opinion, d'influence,
mais c'est aussi vraiment important d'avoir des témoignages d'expert,
que vous êtes, et chacun des témoignages d'expert devant la
commission est un plus dont on profite beaucoup. Je vous remercie, c'est un
geste de bon citoyen et je pense que nous en profitons beaucoup. Je vous
remercie.
M. Laquerre: Je vous remercie pour vos bons mots.
La Présidente (Mme Bleau): Alors, je vais maintenant
passer la parole au ministre de la Justice.
M. Rémillard: Professeur Laquerre, il me fait
particulièrement plaisir de vous accueillir ici, à
l'Assemblée nationale. Vous êtes un professeur de la
Faculté de droit de l'Université Laval, vous êtes un
professeur qui a su montrer sa compétence, un professeur
apprécié de ses étudiants, et vous nous avez montré
votre compétence aujourd'hui par la qualité de votre
exposé. Une question très brève. Certains intervenants,
devant la commission, ont mentionné que l'on pourrait atteindre les
mêmes résultats que nous recherchons, c'est-à-dire ce
principe du partage du patrimoine - au lieu de dire "familial", pour ma part,
j'aime ça dire patrimoine commun - en rendant obligatoire le
régime de la société d'acquêts. Est-ce que vous
pensez que, de fait, c'est vrai?
M. Laquerre: Moi, je me suis fixé certains
paramètres, que je crois qu'il ne faut pas dépasser. Et, par
exemple, le principe de l'autonomie de la volonté qui est un grand
principe du droit civil, je pense qu'il faut essayer de le respecter le plus
possible et c'est pour ça que je crois qu'il ne faut pas aller trop loin
non plus. Il faut rester dans le juste milieu. Alors, je veux bien qu'on prenne
des dispositions impératives qui assurent une protection à ceux
qui en ont vraiment besoin, mais cela ne doit pas aller trop loin, il faut
rester dans le juste milieu. Alors, c'est pour cela que je pense qu'il faut
adopter un régime de base primaire impératif, tel que je l'ai
défini tantôt, mais pour le reste, pour tous les autres biens, je
pense qu'il faut laisser les époux décider eux-mêmes si
leur mariage va entraîner une mise en commun de tous leurs biens ou
presque, ce serait la société d'acquêts, ou si leur mariage
n'entraînera à peu près pas de mise en commun, la seule
mise en commun sera ce qui est prévu dans le régime
impératif à ce moment-là, et ils choisiront la
séparation de biens. (19 heures)
En ce qui me concerne, je pense que c'est plus sage et que c'est un plus
grand respect d'un principe de base du droit civil qui est l'autonomie des
individus, de laisser les individus organiser la gestion et l'administration de
leur patrimoine selon leur désir. En tous les cas, c'est comme ça
que je vois les choses. L'autre aspect qui est important dans tout cela, c'est
qu'on ne doit pas non plus aller trop loin, de
façon à pousser les gens en grande quantité vers
l'union de fait. Il y a aussi cette question qui me préoccupe, je
l'admets. Si on va trop loin dans les dispositions impératives, c'est
bien sûr qu'il y aura des gens qui seront de plus en plus poussés
vers l'union de fait et on ne doit pas oublier cette question, je crois.
La Présidente (Mme Bleau): Alors, au nom de la commission,
est-ce que vous avez d'autres commentaires? Merci beaucoup, Me Laquerre. Je
voudrais maintenant déposer au nom du président de la commission
un mémoire qui porte le numéro 18M, présenté par le
Comité crédit, budget et endettement de la
Fédération nationale des associations de consommateurs du
Québec. Nous sommes rendus à vos remarques officielles finales,
Mme la représentante de l'Opposition officielle.
Conclusions Mme Louise Harel
Mme Harel: Alors, Mme la Présidente, c'est dans des
moments comme ceux-ci, au moment des ouvertures ou clôtures de
commissions que je me rends compte combien, parfois, on est démuni,
finalement, en ressources à l'Opposition, parce que je pensais cette
semaine, que j'avais comme responsabilité la main-d'oeuvre et la
sécurité du revenu, les politiques familiales, la condition
féminine, les services de garde à l'enfance et j'ai le
privilège d'avoir Mme Harnois qui m'assiste dans tous ces dossiers.
Elle, comme moi, souhaiterait pouvoir vous remettre, comme c'est le cas
habituellement du côté ministériel, une intervention
écrite qui nous permette, de part et d'autre, de suivre les travaux.
Alors, j'ai quelques notes dont j'aimerais faire part à la commission et
qui m'apparaissent importantes, parce que cette commission nous aura permis de
mieux saisir, finalement, tous les aspects de la proposition gouvernementale,
mais aussi d'examiner la situation de pauvreté grandissante d'enfants
des conjoints économiquement faibles, mariés en séparation
de biens.
Je voudrais, Mme la Présidente, insister de nouveau - je le
répète, je n'avais pas eu le privilège de le souligner au
moment où le ministre de la Justice était parmi nous - sur le
fait que nous sommes maintenant à plus de trois années du
dépôt du mémoire Projet-Partage concernant les droits
économiques des conjoints, à trois années
d'élection du gouvernement, après deux années de l'annonce
d'un comité sur les droits économiques des conjoints, à
plus d'une année du rapport dudit comité et que nous terminons,
pour tout de suite, l'examen d'un document gouvernemental qui n'est ni un
projet de loi, ni un avant-projet de loi sur lequel nous pensons que nous
aurons, de toute façon, à revenir, puisqu'il nous semble
évident qu'un vrai projet de loi va nécessiter, en cette
matière, une autre consultation sur les choix que le gouvernement va
faire à la suite des recommandations qui lui ont été
faites durant les présents travaux.
Nous devons savoir, je pense, au terme de ces travaux, à quand un
vrai projet de loi, projet de loi qui va évidemment porter sur
l'essentiel de ce que nous avons examiné. Alors, nous acquiesçons
a l'urgence de légiférer, d'abord et avant tout, pour corriger
l'absence de véritable protection du conjoint marié en
séparation de biens. Nous pensons qu'il y a là matière
à légiférer, même si c'est une proposition à
caractère restreint, parce qu'il faut convenir... Il ne faut quand
même pas être dupes des travaux que nous avons faits. Il s'agit, en
partie, de corriger la situation des conjoints les plus économiquement
faibles, mariés en régime de séparation de biens. Alors,
nous pensons que légiférer en ces matières n'amoindrit pas
pour autant l'urgence et l'importance d'examiner l'ensemble des protections qui
doivent être accordées à l'égard de toutes les
familles, indépendamment de l'état civil des parents et
indépendamment du statut conjugal des parents. Le ministre de la Justice
avait raison d'appeler le patrimoine familial "patrimoine commun" puisque, en
l'appelant patrimoine familial, c'est comme si on souscrivait à
l'opinion voulant que les familles doivent être confondues avec le
mariage. Nous savons pourtant qu'il n'en est rien et que, même si elles
doivent être examinées et étudiées avec toute la
réserve que la situation commande, le nombre grandissant de naissances
hors mariage nous amène à considérer comme tout aussi
urgent l'examen de ces questions. Alors, nous proposons qu'un comité
interministériel obtienne immédiatement le mandat d'examiner
à la fois le statut des conjoints de fait dans nos lois sociales,
fiscales, familiales et autres, tout en examinant la nécessaire
protection familiale, quel que soit le statut conjugal des parents qui
cohabitent.
J'ai senti, tout au cours de ces travaux, le besoin de plus en plus
évident d'harmoniser des lois qui sont de plus en plus
incohérentes dans leur application. Je ne voudrais pas revenir sur
l'ensemble de toutes les illustrations qui nous en ont été
faites, mais qu'il me soit simplement permis de citer l'absence d'obligation
alimentaire entre conjoints de fait, dans le Code civil, et la recherche
inquisitrice d'un nouveau conjoint pour la femme assistée sociale, chef
de famille monoparentale, afin d'obliger ce dernier à l'entretien de
cette femme et des enfants dont il n'est pas le père. On pourrait
évidemment - ce qui n'est pas mon intention - faire une liste
impressionnante de ces Incohérences qu'on retrouve entre les diverses
lois, qu'elles soient familiales, fiscales, sociales ou autres. Nous pensons
qu'il est d'autant plus important d'étudier cette question que les
jeunes couples choisissent de plus en plus de vivre en union de fait. Les
statistiques que nous avons pu élucider au cours des travaux de notre
commission nous ont quand
même permis de prendre connaissance de cette réalité
qui est en progression chez les couples de moins de 35 ans.
J'insiste sur la composition interministérielle de ce
comité. Comme l'ont dit plusieurs représentants et, certainement
avec éloquence, les représentants du Barreau hier, c'est à
la fois une question qui concerne la sécurité économique
des conjoints, qui doit voir à intéresser le ministre de la
Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, c'est une question
qui, au premier chef, concerne la famille, qui doit intéresser le
ministre délégué à la Famille, c'est
également une question qui concerne au premier chef le ministre des
Finances. On doit donc voir présents des représentants du
ministre des Finances, bien entendu, du ministère de la Justice et du
secrétariat à la Condition féminine. Nous pensons que
c'est extrêmement important qu'au terme de nos travaux nous puissions
convenir de l'urgence de légiférer sur une proposition
gouvernementale, même à caractère restreint à la
seule protection des droits des conjoints mariés en séparation de
biens, mais il est tout aussi urgent de convenir de la nécessité
d'examiner toute la question du statut des conjoints de fait et la question de
la protection familiale dans ces cas. Mme la Présidente, j'avais
également pris quelques notes pour souligner l'intérêt
démontré par la ministre déléguée à
la Condition féminine, pas uniquement à l'occasion de ces
travaux, mais également depuis quelques mois. Évidemment, on ne
peut que constater l'intérêt de la ministre et le
désintérêt que semblent, tout au moins, manifester ses
collègues. Une sorte de flottement a présidé à leur
présence en commission. Une sorte de flottement qui peut laisser aussi
entendre, avec la meilleure foi du monde, une sorte de flottement dans
l'état de leur opinion sur ces questions. Il nous semble que la ministre
doit être solidement épaulée pour mener rapidement à
terme l'application d'une législation à cet effet.
Je terminerai en vous signalant en conclusion que nous
considérons que, en matière de législation à
l'égard des conjoints économiquement faibles, nous devons avoir
comme objectif d'éviter le plus du possible la judiciarisation du
partage des biens familiaux et que, par voie de conséquence, nous devons
éviter le plus possible une trop grande discrétion judiciaire. En
matière de prestation compensatoire - j'ai eu l'occasion d'en discuter
à l'occasion d'un caucus avec mes collègues députés
pour leur faire prendre conscience de l'importance de cette question et leur
faire adopter une position - nous pensons qu'il faut élargir la
prestation compensatoire aux conjoints économiquement faibles qui,
sinon, pourraient être pénalisés. Nous pensons - à
l'instar, évidemment, de l'ensemble des groupes qui sont venus devant la
commission nous recommander l'inclusion des régimes privés de
retraite - et il nous semble que tous les véhicules de régimes
privés devraient être inclus dans le patrimoine familial. Il
serait inadmissible, selon nous, que des conjoints économiquement
faibles et sans revenus doivent recourir aux tribunaux pour quémander
leur dû, à cause d'un patrimoine familial trop restreint et
insuffisant qui exclurait les régimes de retraite et les régimes
supplémentaires de retraite.
Nous pensons également, en matière de résidence
familiale, qu'il ne faut pas simplement offrir un recours facilité en
dommages-intérêts, mais qu'il faut introduire la clause
obligatoire au moment de l'acquisition de la résidence ou au moment de
la signature d'un bail, de manière à élargir le plus
possible la protection. Nous pensons également bien d'autres choses, Mme
la Présidente, sur ces questions, mais je pense que le temps qui m'est
imparti est terminé.
Je voudrais terminer, par ailleurs, en insistant sur le fait que le
gouvernement doit prendre ses responsabilités en matière
d'accélération de l'adoption d'une législation, d'autant
plus que, en saisissant l'opinion publique de la possibilité d'un
partage, il laisse à des conjoints qui pourraient être
tentés de s'y soustraire en accélérant des
procédures en séparation, il laisse donc, cette
possibilité ouverte. Ce serait encore une fois les conjoints
économiquement faibles qui pâtiraient du retard à
légiférer rapidement en ces matières. À partir du
moment où l'opinion publique ou la société est saisie de
ces questions, il y va de la responsabilité du gouvernement de
légiférer rapidement. Je vous remercie, Mme la
Présidente.
La Présidente (Mme Bleau): Je vous remercie. Je
céderai maintenant la parole pour une réflexion finale au
ministre de la Justice.
M. Gil Rémillard
M. Rémillard: Merci, Mme la Présidente. J'aimerais
d'abord remercier tous ceux et celles qui ont participé au
déroulement des travaux de cette commission sur les droits
économiques des conjoints. J'aimerais tout particulièrement
remercier ceux et celles qui, après avoir analysé le document de
consultation qui avait été présenté, nous ont
livré le fruit de leur analyse par des commentaires et des
recommandations.
La qualité de ces analyses nous permettra d'améliorer la
proposition prévue au document de consultation, de sorte que les
rapports économiques entre les conjoints soient plus justes et plus
équitables puisque c'est là notre but. (19 h 15)
De l'ensemble des mémoires qui nous ont été
présentés, Mme la Présidente, au cours de ces
consultations, une première conclusion s'impose. La très grande
majorité des intervenants sont d'accord avec le principe d'un patrimoine
familial ou commun automatiquement partageable entre les époux à
la fin du mariage, quel que soit le régime matrimonial, et plusieurs
considèrent que la masse de biens partageables devrait être plus
importante que celle suggérée
dans le document de consultation. En effet, Mme la Présidente, la
presque totalité des intervenants qui ont commenté le document de
consultation a réclamé l'inclusion des régimes
privés de retraite dans la masse de biens automatiquement partageables
entre les époux. Nombreux sont ceux qui ont également
réclamé l'inclusion, dans le patrimoine familial, d'autres biens
à l'usage de la famille, telles la résidence secondaire des
époux, les meubles qui la garnissent, les biens servant aux loisirs,
même, comme la motoneige qu'on nous a citée en exemple.
Une deuxième conclusion, Mme la Présidente, ressort de ces
consultations sur les droits économiques des conjoints. On semble
d'accord pour ne pas assimiler, pour l'application du Code civil, l'union de
fait au mariage. De façon générale, les personnes qui ont
abordé cette question sont d'avis qu'il faut respecter le choix des
personnes vivant en union de fait de ne pas être assujetties aux
règles du mariage. D'ailleurs, je me permets, Mme la Présidente,
de souligner que cette position est conforme à la décision prise,
en mars dernier, par le comité des ministres du Conseil de l'Europe, qui
recommandait uniquement à ses États membres de prendre les
mesures nécessaires pour que les contrats de nature patrimoniale entre
des personnes vivant en union de fait ne puissent être
considérés comme nuls pour la seule raison qu'ils ont
été conclus dans ces conditions. Vous vous souviendrez que cette
question a été réglée lors de la réforme de
1980: l'article 768 qui prohibait les donations entre conjoints de fait a
été abrogé. Par conséquent, les conjoints de fait
sont libres aujourd'hui de convenir entre eux des règles qui leur
conviennent pour le partage de leurs biens. Ils peuvent, s'ils le
désirent, adopter par contrat un ensemble de règles qui
équivaudraient à celles que le Code civil rend applicables aux
époux. Toutefois, comme on nous l'a recommandé, des études
seront faites pour assurer une certaine uniformité au sein des lois
statutaires qui assimilent, pour l'application de leurs dispositions, l'union
de fait au mariage.
Je considère que ces consultations, Mme la Présidente, ont
été des plus fructueuses. Vous pouvez être assurée
que nous accorderons toute l'attention nécessaire aux commentaires et
recommandations qui nous ont été faits dans les mémoires
et au cours de ces audiences pour l'élaboration de notre projet de loi.
Des questions ont été soulevées; nous ferons les
études nécessaires pour leur apporter des réponses.
Plusieurs de ces questions sont éminemment complexes: Doit-on
élargir le patrimoine familial pour inclure les régimes
privés de retraite? Comment le tribunal évaluera-t-il cet actif?
Quels seront ses modes de partage? Doit-on, de plus, y inclure la
résidence secondaire et les meubles qui la garnissent? En
définitive, quels sont les biens qui doivent constituer le patrimoine
familial? Il faut également bien réfléchir à
l'opportunité d'adopter une mesure transitoire qui permette aux
personnes mariées, avant l'entrée en vigueur de la loi, de
renoncer à l'application des règles de partage. Dès
maintenant, Mme la Présidente, l'étude de ces questions sera
approfondie de façon à présenter un projet de loi dans les
meilleurs délais.
Je vous remercie encore une fois pour l'éclairage que vous avez
apporté à nos travaux, mesdames et messieurs qui avez
participé à ces travaux; je vous remercie de vos commentaires et
de vos recommandations. Ils contribueront, j'en suis convaincu, à rendre
encore plus équitables les droits et obligations des époux, afin
de mieux répondre aux besoins de notre société
québécoise contemporaine. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Bleau): Merci, M. le ministre. Nous
allons maintenant écouter les dernières remarques de Mme la
ministre.
Mme Monique Gagnon-Tremblay
Mme Gagnon-Tremblay: Merci, Mme la Présidente.
C'est avec un peu de regret que je clos cette commission parlementaire
sur les droits économiques des conjoints. C'était ma
première expérience en commission parlementaire. J'en sors
vraiment enrichie et aussi alimentée de bonnes idées. J'ai
constaté aussi qu'après mes trois années de vie politique
active le droit me passionne toujours et, en particulier, le droit
matrimonial.
Si on fait un bilan sommaire, 26 mémoires ont été
déposés, provenant tant d'organismes, d'associations, de
corporations professionnelles, que de particuliers représentatifs de
tous les milieux sociaux. Sur ces 26 mémoires, 21 groupes ou
particuliers ont été entendus et je dois dire que j'ai
été vraiment impressionnée par la qualité des
mémoires et de leur présentation. L'expertise et
l'expérience propres à chacun des intervenants nous a permis
d'avoir un éventail de points de vue très enrichissant. Ce que
l'on retient de cette commission en ce qui concerne le partage du patrimoine
familial, c'est que la presque totalité des intervenants s'est
prononcées en faveur d'un partage du patrimoine familial, mais d'un
partage élargi, c'est-à-dire en y incluant les régimes
privés de retraite dans certains cas, et pour d'autres cas la
résidence familiale et dans les deux cas, parfois. On nous a
indiqué pour ce partage élargi aussi, dans la presque
totalité des intervenants, qu'on était contre la
possibilité d'y renoncer, que les mesures transitoires de trois ans
mentionnées dans le document de consultation pouvaient causer certains
problèmes quant au couple, lors d'une rupture, entre autres
c'est-à-dire lors de la renonciation. Le fait aussi de pouvoir renoncer
pourrait annuler les effets visés par la réforme pour les
personnes déjà mariées en séparation de biens et,
comme je le mentionnais, toutes les représailles que cela risque de
causer entre les couples.
Quant à la protection de la résidence familiale, on nous a
suggéré de l'inclure dans les contrats d'aliénation, pour
éviter, entre autres, la signification et tous les embêtements que
cette signification peut comporter.
Quant à la prestation compensatoire, il y a un
établissement d'une présomption en faveur du conjoint
collaborateur qui a été endossée par tous. Pour certains,
un pourcentage déterminé, que ce soit de 30 % ou 50 %, pourrait
avoir des incidences sur les pratiques de crédit. Par contre, la grande
préoccupation était de conserver le recours à la
prestation compensatoire en cas d'absence ou d'insuffisance de biens familiaux,
aussi.
Quant aux conjoints de fait, on sait que la proposition gouvernementale
ne les incluait pas pour les raisons que j'ai énumérées au
début des travaux. Alors, nous nous sommes quand même
préoccupés de cette question. Des interventions ont
été représentées à la commission et je pense
que ce qu'il en ressort, finalement, c'est que pour certains on n'a pas
jugé à propos de les assujettir, d'autres ne s'étaient pas
penchés tout simplement sur la question, d'autres voulaient qu'on les
exclue, et, lorsque je dis que certains n'ont pas jugé à propos
de les assujettir, c'était pour le moment. J'avais mentionné que
tôt ou tard on va devoir faire un débat de fond sur la question
des unions de fait. On devra tendre de plus en plus à harmoniser toutes
les lois, nos politiques actuelles qui visent les conjoints de fait, mais
ça ne me semble pas être le lieu privilégié, pour le
moment, pour discuter à fond de ce sujet, mais bien en dehors et dans un
véritable débat.
La commission parlementaire a aussi été l'occasion pour
les intervenants de s'exprimer sur des sujets connexes, comme par exemple la
révision et l'harmonisation de nos lois fiscales, les règles
régissant les régimes de retraite. Et ce que je retiens aussi de
la part de tous les intervenants, c'est qu'on souhaite que la proposition
gouvernementale soit claire, précise, de façon, justement,
à éviter le plus possible les recours aux tribunaux quant
à son interprétation et son application.
Je suis personnellement satisfaite, à titre de ministre
déléguée à la Condition féminine, des
résultats de cette consultation qui rejoignent substantiellement la
proposition gouvernementale. Celle-ci, comme je l'ai mentionné dans mon
allocution d'ouverture, est une mesure correctrice du
déséquilibre dans lequel se retrouvent les conjoints
mariés en séparation de biens lors d'une rupture du mariage. On
se souvient, dans les années soixante il n'y avait pas autant de
divorces. La société d'acquêts de 1970, même si ce
régime est un bon régime - maintenant on se rend compte de plus
en plus qu'on l'adopte - finalement il y a encore tout près de 50 % des
gens mariés sous le régime de la séparation de biens. On
se souviendra également qu'en 1980, avec la réforme du droit de
la famillle, chaque conjoint a engagé l'autre pour les dettes du
ménage, les donations à cause de mort que les époux
s'étaient consenties en considération du mariage sont devenues
caduques, le tribunal s'est vu accorder le pouvoir de réduire ou
d'annuler les donations entre vifs et d'en différer le paiement. Donc,
il apparaissait tout à fait normal maintenant de proposer un partage
d'un patrimoine familial qui pourrait rétablir l'équilibre
économique entre les droits des conjoints au moment de la rupture. C'est
non seulement une mesure correctrice, mais il m'apparaît que c'est aussi
une mesure innovatrice, dans le sens qu'elle constitue une véritable
institution de partenariat servant de base à l'organisation de la
famille, à l'enseigne de l'égalité des conjoints, et aussi
innovatrice par le fait de ne pas pouvoir y renoncer; on conserve cette mesure
de non-renonciation. Je suis persuadée qu'on va certainement être
en avance sur les autres provinces de "common law" avec ce partage en plus de
biens familiaux. Quand je disais tout à l'heure que c'est une
institution de partenariat, c'est tout à fait normal de partager ce que
l'on bâtit au cours du mariage a la rupture. La mise en vigueur
éventuelle d'un partage obligatoire des biens familiaux au Québec
entraînera des changements de nature sociojuridique, c'est
inévitable. Ces changements ont déjà pris place dans les
autres provinces du Canada, dans nombre d'États américains et
dans certains pays européens. Cette approche sociale du mariage viendra
concrétiser l'égalité juridique des conjoints
consacrée par la réforme du droit de la famille de 1980 et
fournira, comme je le disais tout à l'heure, des bases solides à
l'organisation des familles. Hommes et femmes s'engageront dans l'institution
du mariage en toute équité et en toute connaissance de cause.
N'est-ce pas là une façon de contribuer à ce que le
mariage réponde aux aspirations et aux valeurs des
générations montantes?
Comme le mentionnait le ministre de la Justice, nous travaillerons
maintenant à l'élaboration, au cours des prochaines semaines et
des prochains mois, d'un projet de loi. Si on devait inclure les régimes
privés, comme on nous l'a mentionné, je pense qu'on devra
s'associer l'expertise des spécialistes dans le domaine. On devra
prendre aussi en considération toutes les suggestions et commentaires
qui nous ont été apportés au cours de cette
présente commission. Personnellement, je souhaite fortement que l'on
puisse déposer le projet de loi à l'Assemblée nationale
pour adoption au printemps prochain; c'est un souhait que je formule
personnellement.
En terminant, Mme la Présidente, permettez-moi de remercier ceux
et celles qui ont répondu à cette consultation, qui ont
travaillé à l'organisation et au déroulement des travaux.
Je pense au personnel du secrétariat de la commission, au personnel du
ministère de la Justice, du secrétariat à la Condition
féminine. Je voudrais remercier l'Opposition aussi et
particulièrement Mme la députée de Maisonneuve qui, je
l'ai
constaté, est une politicienne chevronnée, qui a beaucoup
de suite dans les idées et qui sait planter le clou constamment au bon
endroit. Malgré tout cela, j'ai énormément
apprécié sa collaboration tout au cours de cette commission
parlementaire. Je sais qu'elle a tout autant à coeur que moi ce dossier
du partage des droits économiques, elle m'a assurée de sa
collaboration de tous les instants et je veux vraiment la remercier.
Je voudrais remercier mes collègues aussi qui ont
participé à cette commission parlementaire. Donc, un merci
à vous tous et toutes et en espérant qu'il y aura des suites
à donner à ce projet. Merci, Mme la Présidente.
La Présidente (Mme Bleau): Alors, merci beaucoup, Mme la
ministre, et nous allons ajourner nos travaux sine die.
(Fin de la séance à 19 h 29)