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Version finale

33e législature, 2e session
(8 mars 1988 au 9 août 1989)

Le mardi 28 février 1989 - Vol. 30 N° 48

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Consultation générale sur l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit de la preuve et de la prescription et du droit international privé


Journal des débats

 

(Dix heures seize minutes)

Le Président (M. Marcil): La commission permanente des institutions commence ses travaux. Je déclare ta séance ouverte. J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les députés, ministériels et de l'Opposition. La commission permanente des institutions a pour mandat de procéder à une consultation générale et de tenir des auditions publiques sur l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit de la preuve et de la prescription et du droit international privé.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Bleau (Groulx) est remplacée par M. Camden (Lotbinière) et M. Kehoe (Chapleau) par M. Audet (Beauce-Nord).

Le Président (M. Marcil): Très bien. Comme ordre du jour, nous allons procéder aux déclarations d'ouverture, en commençant par M. le ministre qui sera suivi par le critique de l'Opposition, le député de Taillon, et ensuite par le député de Marquette.

Nous recevrons ensuite la Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins, de même que l'Association des banquiers canadiens. Nous allons suspendre nos travaux à 12 h 30 pour les reprendre à 14 heures, avec la Commission des services juridiques.

M. le ministre, je vous inviterais à faire votre déclaration d'ouverture.

Déclarations d'ouverture M. Gil Rémillard

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Il mefait plaisir, à titre de ministre de la Justice, de participer aujourd'hui à cette première séance de la commission des institutions. Cette commission va recevoir, dans les prochains jours, les commentaires et les suggestions de plusieurs personnes et organismes sur l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit de la preuve et de la prescription et du droit international privé.

Je souhaite donc la bienvenue à tous les membres de la commission et je remercie tous ceux qui ont bien voulu nous présenter des mémoires. Le gouvernement insiste pour maintenir une collaboration étroite avec ceux qui sont intéressés par un projet de loi présenté devant l'Assemblée nationale et ceci vaut plus particulièrement quand il s'agit d'une tranche importante du Code civil.

À cet égard, l'avant-projet de loi que nous abordons aujourd'hui est sans contredit une pièce législative de toute première importance, puisqu'il constitue le dernier volet de la réforme du Code civil. Il s'inscrit donc dans ce vaste processus pour lequel beaucoup d'énergies ont été investies tant par l'Office de révision du Code civil, jusqu'en 1977, que par le ministère de la Justice depuis. D'ailleurs, depuis 1985, le gouvernement en place a su concrétiser davantage ses efforts pour faire en sorte que ce projet s'achemine vers ses dernières étapes. En effet, nous pouvons enfin considérer que le nouveau Code civil sera en vigueur au début de la prochaine décennie.

M. le Président, plusieurs des étapes de ce long processus ont déjà été franchies. Je vous rappelle ainsi que le projet de loi 89, adopté en décembre 1980 et mis en vigueur peu après, a institué le nouveau Code civil du Québec et a porté réforme au droit de la famille, le livre iI du nouveau code. Le droit des personnes, des successions et des biens a également été revu avec le projet de loi 20, adopté et sanctionné le 15 avril 1987. Ce projet a ajouté les livres I, III et IV du Code civil du Québec.

Parallèlement aux travaux d'adoption du projet de loi 20, d'autres projets ont aussi cheminé. Ainsi, au mois de décembre 1986, le ministre de la Justice déposait devant l'Assemblée nationale l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des sûretés réelles et de la publicité des droits. Cet avant-projet a ajouté les livres VI et IX du nouveau code. Il regroupe des règles relatives aux droits et garanties des créanciers contre leurs débiteurs et revoit en profondeur notre système d'enregistrement. Il a déjà fait l'objet de consultation publique et est actuellement en voie de révision.

Un an plus tard, soit en décembre 1987, le ministre de la Justice déposait devant l'Assemblée nationale un avant-projet de loi portant, cette fois, réforme du droit des obligations. Il s'agit du livre V du code. On y retrouve ce que plusieurs considèrent être le coeur du droit civil: le droit des contrats et les principes de la responsabilité civile. La consultation publique sur ce projet a eu lieu l'automne dernier et il est actuellement en voie de révision. Le ministre de la Justice déposait, enfin, le 16 juin 1988, l'avant-projet de loi qui nous concerne aujourd'hui, portant réforme au Code civil du Québec du droit de la preuve et de la prescription et du droit international privé. Il complète, avec l'ajout des livres VII, VIII, et X du nouveau code, l'ensemble des avant-projets que le présent gouvernement avait promis de déposer pour terminer la réforme du Code civil.

Une fois que cette commission parlementaire publique, la dernière, aura été tenue et que tous les rapports présentés auront été étudiés, le gouvernement reprendra l'ensemble des textes

pour présenter un projet de loi définitif au cours de l'année 1989. Il s'agira du projet de loi réformant le Code civil qui sera étudié par l'Assemblée nationale et, encore une fois, par la commission des institutions amenée à étudier la globalité du projet article par article.

Il s'agit donc là, on doit en convenir, d'un processus relativement long et complexe qui devra encore être complété par une législation d'application. Cette législation aura pour objet de proposer des ajustements à notre Code de procédure civile ou à diverses lois et d'assurer une transition facile entre le Code civil du Bas-Canada et te Code civil du Québec. Cette réforme modifiera considérablement notre environnement juridique et requerra de tous les juristes, magistrats, avocats et notaires un effort particulier pour assurer la mise à jour de leurs connaissances en droit civil. Aussi, je veux souligner à cet égard que le ministère de la Justice a, le 28 novembre dernier, invité les représentants de la magistrature, du Barreau du Québec, de la Chambre des notaires, de SOQUIJ et des facultés de droit des universités de la province à participer à une table de concertation. Ces représentants ont indiqué leur intérêt pour cette concertation et ont accepté de participer à un groupe de travail pour établir un programme de formation générale de base sur la réforme du Code civil pour tous les juristes. La concertation du milieu juridique face au défi majeur que posera le nouveau Code civil est donc en voie de s'établir.

Si Je vous rappelle ainsi, M. le Président, tous ces faits concernant les étapes du processus de la réforme du Code civi, ce n'est pas pour minimiser l'importance du projet qui est devant nous aujourd'hui, mais bien pour démontrer deux choses. D'abord, la volonté du gouvernement de terminer la réforme du Code civil est non seulement toujours présente et active, mais elle se concrétise de plus en plus. Notre objectif est de doter les citoyens et les citoyennes du Québec d'un nouveau Code civil pour 1991, année du 125e anniversaire de l'adoption du Code civil du Bas-Canada. Ensuite, une réforme d'une telle ampleur et d'une telle importance ne peut-être menée à terme qu'avec la participation des nombreux groupes d'intérêts, milieux professionnels ou autres représentants touchés par les diverses questions abordées. Je profite de l'occasion pour les remercier de s'être toujours intéressés à la poursuite de la réforme du Code civil. Les opinions adressées encore aujourd'hui à cette commission démontrent bien que, malgré l'ampleur de la tâche et les difficultés qu'elle peut représenter, les Québécois et les Québécoises ont voulu et veulent encore jouer un rôle actif dans cette réforme. Je crois que nous devons tous nous en réjouir.

L'avant-projet de loi que nous abordons aujourd'hui regroupe trois domaines du droit bien différents les uns des autres: la preuve, la prescription et le droit international privé. La réforme les réunit cependant dans une même volonté de modernisation et d'adaptation plus grande à la réalité contemporaine dans laquelle nous évoluons.

Je voudrais rappeler brièvement les points majeurs de la réforme proposée. La réforme du droit de la preuve ne vise pas à changer les institutions et ne provoque pas de bouleversements profonds dans le régime de la preuve du droit actuel. Le régime de la preuve est fondamentalement lié au fonctionnement de l'esprit humain, aux voies qu'il doit emprunter pour atteindre la connaissance, la conviction; de ce fait, il n'est pas susceptible de changer rapidement et fréquemment. En revanche, l'évolution scientifique et le développement moderne des communications, des techniques de reproduction de documents et de l'Informatique exige une adaptation importante de certaines règles relatives, en particulier, aux moyens de preuve.

Les objectifs de la réforme du droit de la preuve sont donc de trois ordres: d'abord, la modernisation des moyens de preuve; ensuite, la libéralisation de ces moyens dans le but de faciliter la preuve et, finalement, le maintien de la sécurité juridique des parties. En effet, il existe actuellement des techniques d'enregistrement visuel et sonore qui permettent d'établir des faits et de conserver une preuve de manière qu'on puisse s'y fier et de façon aussi parfaite, sinon davantage, que ne le permettent les moyens traditionnels de preuve par l'écrit ou le témoignage. Par ailleurs, un très grand nombre d'actes juridiques se font chaque jour par enregistrement de données sur support informatique sans que les parties soient en présence l'une de l'autre et signent quelque document que ce soit. Enfin, les techniques; de reproduction de documents, en particulier la micrographie, permettent de conserver la preuve du document en le reproduisant.

L'absence de règles au Code civil relativement à ces sujets laisse les parties qui utilisent ces techniques dans l'insécurité juridique, souvent dans la confusion, et prive les parties et les tribunaux de tirer tout le bénéfice possible du développement technologique moderne. La réforme apporte les correctifs nécessaires en introduisant un nouveau moyen de preuve: la présentation d'un élément matériel qui comprend les reproductions sensorielles des objets et des faits. On y ajoute, en second lieu, des règles en matière d'enregistrement informatisé et, enfin, on assouplit les règles concernant la reproduction des documents.

Par ailleurs, l'absence de règles codifiées en matière de connaissance d'office du tribunal et en matière de déclaration de ouï-dire a fait en sorte qu'elles se sont élaborées en jurisprudence et en doctrine à partir surtout de la "common law". La réforme clarifie et complète le régime de preuve actuel en codifiant ces règles et en les adaptant à notre droit civil.

La réforme du droit de la prescription,

quant à elle, vise, d'abord, à actualiser l'institution de manière à lui faire jouer son rôle d'une façon plus complète dans une société aux transformations multiples. Elle vise également à réduire les catégories de délais trop nombreuses qu'on trouve dans le Code civil actuel. La réforme fait courir les prescriptions contre tous: l'Église, l'État, les mineurs et les personnes protégées, sauf, quant à ces derniers, à l'égard des recours contre leurs représentants légaux et de ceux fondés sur des atteintes à l'intégrité de leur personne. Entre époux, cependant, la règle actuelle est maintenue, c'est-à-dire que la prescription ne court point pendant la vie commune. Enfin, l'impossibilité en fait d'agir est retenue comme cause générale de suspension.

Les catégories de délais sont moins nombreuses que dans le Code civil actuel. En matière de prescription acquisitive, on reconnaît trois délais: dix ans, cinq ans et trois ans. La prescription de dix ans est la prescription de droit commun; elle remplace la prescription de trente ans. La prescription abrégée de dix ans est remplacée par celle de cinq ans en faveur du possesseur de bonne foi avec titre publié. En matière mobilière, on conserve, en modifiant son cadre, la prescription abrégée de trois ans, de telle sorte que la possession du meuble confirme le titre à l'expiration de cette période.

Les catégories de prescription extinctive sont également diminuées. Ainsi, l'extinction des droits réels immobiliers s'opère par dix ans. Un même délai est retenu pour les actions relatives à l'état des personnes dont le délai n'est pas autrement fixé. Par contre, l'action qui vise à obtenir la possession d'un immeuble devra, comme en droit actuel, être exercée dans l'année de la dépossession. (10 h 30)

En matière de droits et de recours personnels, la réforme fixe à trois ans le délai de prescription. Ce délai court à compter de la première manifestation du préjudice et il y a déchéance du droit dix ans après le fait qui a causé le dommage. Enfin, l'action en responsabilité contre un membre d'une corporation professionnelle se prescrit par cinq ans à l'intérieur d'un délai de déchéance de dix ans.

Contrairement à ce qui pouvait exister dans d'autres domaines du droit civil, en matière de droit international privé, on ne trouve à l'heure actuelle qu'un très petit nombre de règles disséminées un peu partout dans le Code civil et dans le Code de procédure civile. Depuis 1866 et à partir de bases minimes, ce sont les tribunaux qui ont donné un certain essor à cette branche du droit civil. Les règles de droit international privé actuelles ont un caractère souvent incertain et fragmentaire. Dans ce contexte, une foule de problèmes juridiques surgissent qui ne trouvent pas toujours de solution satisfaisante. Or, les relations que le Québec entretient de plus en plus avec l'extérieur, aussi bien au niveau national qu'international, nécessitent une codifi- cation plus complète.

La réforme apporte les correctifs nécessaires. Tout d'abord, elle réunit dans un seul livre consacré au droit international privé les règles qui se trouvaient disséminées un peu partout. Plusieurs des règles élaborées par la jurisprudence et par la doctrine ont également été codifiées. La réforme tient compte des tendances modernes qui ont été constatées dans les conventions internationales et les codifications récentes de plusieurs pays. Enfin, la réforme fournit un cadre de règles suffisamment souple pour permettre l'évolution constante du droit international privé québécois et son adaptation aux institutions nouvelles.

Il est notamment question dans le livre X des principes fondamentaux du droit international privé et des règles de conflits de lois qui indiquent le système juridique compétent pour résoudre les situations qui comportent un élément d'extranéité. Ce livre X est complété par les règles qui édictent la compétence internationale des tribunaux québécois et, enfin, par celles qui concernent la reconnaissance et l'exécution des décisions étrangères.

Telles sont donc, M. le Président, les grandes lignes de la réforme qu'apporte l'avant-projet à l'étude au droit de la preuve, de la prescription et au droit international privé. Elles témoignent déjà de l'importance des dispositions de l'avant-projet soumis aujourd'hui à l'étude des députés et du public. Je laisse à mon collègue et adjoint parlementaire, le député de Marquette, Me Claude Dauphin, le soin de vous glisser quelques mots plus en détail sur ces dispositions.

Là-dessus, M. le Président, je voudrais terminer en remerciant, encore une fois, tous ceux et celles qui se sont donné la peine de réfléchir sur cet avant-projet de loi et de venir ici pour formuler leurs commentaires et leurs suggestions. Mes collègues et moi sommes ici pour consulter la population avant de nous prononcer plus avant sur une réforme fondamentale qui constituera le droit commun des citoyens et citoyennes du Québec pour plusieurs décennies. Aussi, je peux vous assurer que vos observations recevront toute l'attention qu'elles méritent.

En terminant, je voudrais, M. le Président, remercier tous les gens qui m'accompagnent et, d'une façon plus particulière, les légistes qui ont travaillé à cette tranche du droit civil. Permettez-moi de vous les présenter. Ils sont ici aujourd'hui. Tout d'abord, le notaire André Cossette, qui a été coordonnateur des travaux, Me Frédérique Sabourin, Me Aidée Frenette et Me Albert Bélanger qui ont contribué aux travaux qui ont mené à cet avant-projet de loi. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le ministre. Je vais maintenant reconnaître le député de Taillon, critique de l'Opposition.

M. Claude Fillion

M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Je remercie également le ministre de ses propos. J'ai été enchanté de réentendre sa détermination à faire en sorte que le nouveau Code civil du Québec puisse être adopté le plus rapidement possible. On nous parle de 1991. Cela peut sembler bien long. Comme l'ensemble du processus, sauf erreur, a commencé en 1977, cela fait environ quatorze ans. Il s'agit là véritablement de travaux d'Hercule. Pour les fins de mon propos, Hercule ne désigne pas celui qui vous parle ou ceux qui vous parlent aujourd'hui ou ceux qui sont autour de la table, mais bien plutôt les gens de l'Office de révision du Code civil. Ils sont derrière le ministre. Ils font partie de l'équipe du ministère de la Justice qui, tant à l'office qu'au ministère de la Justice, travaillent depuis déjà plusieurs lunes pour nous doter, en matière de droit civil, d'une loi qui soit adaptée au contexte moderne et qui soit la plus accessible possible non seulement pour les avocats, les notaires et les juristes, mais également pour la population.

Finalement, ce n'est qu'une très infime partie des relations civiles que les citoyens ont entre eux qui se retrouve sous la lumière des tribunaux. La plupart des actes, des contrats, des obligations qui naissent entre les individus, les organismes ou les corporations sont réglés, heureusement d'ailleurs, entre ces personnes elles-mêmes. Je l'ai déjà mentionné: Le peuple québécois est un peuple latin, chicanier. On a des rôles, autant à la Cour des petites créances que dans les cours supérieures, qui sont bien fournis. Souvent, on y retrouve de ces chicanes, de ces querelles, de ces litiges, de ces divergences d'opinions, qui, à mon sens, ne devraient pas se retrouver devant les tribunaux. Mais, la nature étant ce qu'elle est et les Québécois et les Québécoises étant ce qu'ils sont, on retrouve énormément de litiges devant les tribunaux. Ce nouveau Code civil pourra peut-être, je l'espère, diminuer le nombre de ces litiges; il pourra permettre une appréciation plus claire de l'état du droit par les Individus, par les avocats qui pourront conseiller leurs clients conséquemment.

Nous en sommes donc ce matin à l'une des dernières étapes - je ne dis pas à la dernière étape - de l'élaboration de ce nouveau Code civil. Les livres VII, VIII et X, qui concernent respectivement la preuve, la prescription et le droit international privé, sont curieusement relégués à la fin de notre Code civil. Ils n'ont peut-être pas l'importance du chapitre des obligations ou des contrats; néanmoins, il s'agit de blocs Importants du Code civil. J'ose croire que le nombre plus réduit d'intervenants que nous avons à cette commission, surtout comparé au chapitre sur les contrats et les obligations, ne découragera pas les rédacteurs du ministère de la Justice. Et j'ose espérer qu'ils apporteront le même soin à la facture finale du projet de loi que l'ont fait les personnes qui ont oeuvré sur d'autres parties du Code civil.

Cet avant-projet de loi revêt peut-être, a priori, plus d'importance aux yeux des universitaires ou des praticiens, mais il n'en demeure pas moins qu'il contient nombre d'éléments susceptibles d'influencer les citoyens et les citoyennes du Québec. D'abord, en ce qui concerne la preuve, comme je l'ai dit, on serait enclin à penser que ces règles n'auraient d'intérêt que pour les avocats dans l'enceinte du prétoire ou pour les notaires dans la confection de l'acte authentique. Mais, non. Tout comme le souligne la maxime - j'espère que je la rends bien: Idem est non esse aut non probari que je pourrais traduire librement par: Un droit qui ne peut être prouvé est un droit inexistant - la preuve a une importance capitale dans notre système juridique. J'ai été particulièrement fasciné par la lecture de certains passages de l'oeuvre de Henri Kélada. "Notions techniques de preuve civile", dont je vous lis quelques passages au chapitre préliminaire. M. Kélada s'exprime ainsi en ce qui concerne la preuve: "II y a près d'un siècle, Bonnier écrivait que la découverte de la vérité est aussi nécessaire à l'intelligence de l'homme que la justice l'est à la conscience. C'est dans la recherche de la vérité que Domat a puisé la définition suivante de la preuve: Tout ce qui persuade l'esprit d'une vérité. " Les procédés employés pour établir un fait en justice ne créent pas nécessairement la certitude dans l'esprit du juge. Celui-ci, très souvent, décide sur une simple probabilité. La certitude est une chose rarement acquise et la preuve proprement dite, directe et absolue, n'existe presque jamais. Le plus souvent, le point contesté est non pas démontré, mais simplement rendu vraisemblable. " Me Kélada continue en disant: "La vérité que le juge va découvrir n'est pas "la" vérité. C'est plutôt la vérité telle que la révèle la preuve faite conformément aux règles établies par la loi. Ces règles de preuve doivent être objectives afin d'éviter l'arbitraire du juge. Sévères et rigides, elles permettront au juge d'être plus objectif. En effet, le juge est un être humain... " et Me Kéiada continue.

J'ai trouvé cela assez intéressant, finalement, d'exprimer en des termes aussi clairs ce que nombre de citoyens vivent à tous les jours. Quand j'étais avocat, ils venaient nous voir et ils disaient: Moi, j'ai le droit. Mais oui, j'ai le droit, mais encore faut-il le prouver, ce droit. Heureusement, on n'est pas toujours obligé de le prouver parce que, comme je le disais tantôt, la plupart des situations juridiques se règlent entre les individus eux-mêmes.

Donc, ce projet de loi contient des nouvelles règles qui, de façon générale - on peut le dire, le ministre l'a mentionné en ses mots - libéralisent les moyens de preuve. Ces changements pourront possiblement déconcerter une bonne partie du public et contredire des dictons

de la sagesse populaire, du genre: Ce n'est pas écrit, ce n'est pas légal. Ce sont des choses que nous entendons, je dois vous le dire, dans la vraie vie, couramment. De façon générale, ceux qui ont une certaine expérience de la vie ont appris à l'école de la vie, justement, la nécessité de ces règles de la preuve et les conséquences parfois désastreuses pour eux ou pour elles de ne pas avoir suivi ces règles de la preuve. Je reviendrai tantôt sur certaines innovations qui, de ce côté-ci, nous ont frappés en ce qui concerne les règles de la preuve et qui sont contenues dans l'avant-projet de loi.

Le deuxième livre qui fait l'objet de l'avant-projet de loi concerne la prescription. C'est un domaine fondamental parce que cela traite, bien sûr, du délai d'exercice de ses droits. À quoi cela sert-il d'avoir un droit si on ne peut pas l'exercer? Les prescriptions de façon générale, dans l'avant-projet de loi, ont fait l'objet d'une étude, je pense, d'une solide réflexion qui amène une certaine uniformité des prescriptions que l'on peut d'ores et déjà saluer. Il y avait autrefois trop de prescriptions et même le praticien était obligé de vérifier pour s'y retrouver. D'une façon générale, cette uniformisation des prescriptions nous apparaît tout à fait légitime et nous semble être un des actifs importants du projet de loi. Je dois, cependant, immédiatement souligner une réserve qui, à notre sens, doit être faite en ce qui concerne les actions de l'État, par exemple, en recherche de paternité ou de filiation. Il me semble que le projet de loi contient à ce chapitre une prescription un peu trop contraignante compte tenu de l'importance de l'État dans l'ensemble de notre Code civil. Je reviendrai également aux innovations en ce qui concerne les prescriptions tantôt.

Au chapitre du droit international privé, mon Dieu, il y a un gros travail qui a été fait. Je pense que l'ancien Code civil contenait à ce chapitre à peu près trois ou quatre articles. Ce secteur du droit a été adapté avec souplesse, notamment pour faire face possiblement à ce que l'on va vivre dans les années qui viennent avec les conséquences du libre-échange et, même sans libre-échange avec l'ensemble du développement du commerce international, des affaires internationales, etc. Cette extension substantive en termes de droit international privé aura un impact certain, à notre sens, et tout à fait souhaitable sur les affaires en général et sur les tribunaux du Québec. (10 h 45)

J'ai parlé d'innovations tantôt. Permettez-moi d'en souligner quelques-unes. En matière de preuve, le fait que le tribunal puisse connaître d'office le droit du Québec et que les justiciables n'aient donc plus à prouver le droit d'une autre province par un avocat expert d'une autre province entraîne une certaine économie. Étant jeune avocat, j'ai moi-même vécu une situation qui nous avait tous fait sourire au tribunal. On devait prouver le droit étranger, en l'occurrence le droit ontarien. À l'époque, on m'a même dit que, dans certains cas, pour prouver le régime matrimonial ontarien, ils prenaient un témoin. Bref, il y a des limites et les procédures de preuve du droit nous paraissent avoir été changées dans le bon sens.

La mise à jour de notre droit de la preuve pour tenir compte de l'informatique - le ministre en a parlé tantôt - et je pense que nos premiers invités vont nous en parler un peu plus tard - c'est un aspect important qui amènera une certaine simplification des moyens de preuve. Troisième innovation qui m'a particulièrement frappé, c'est cette symbiose harmonieuse entre le nouveau Code civil et la Charte des droits et libertés de la personne déjà annoncée dans les dispositions préliminaires du code, tout particulièrement du fait que le tribunal doit rejeter les éléments de preuve obtenus en violation de la charte et susceptibles de déconsidérer la justice. Ce concept existe en droit criminel, on le sait, est confirmé dans la charte canadienne des droits et est repris ici dans le Code civil. Il m'apparaît qu'il s'agit là d'une innovation intéressante. Il y a également plusieurs simplifications générales des règles d'admissibilité de la preuve, ainsi que des règles concernant le ouï-dire. Nous en traiterons sûrement au cours de nos travaux.

Une deuxième série d'innovations en matière de prescription. On note le fait que les créances de la couronne seront dorénavant soumises aux règles générales de la prescription. On note, comme je l'ai dit tantôt, une simplification importante des délais de prescription. On note également que le fait qu'il y ait tolérance de vue, par exemple, entre voisins pendant un certain temps peut créer des servitudes, mais mettre fin à certaines discordes entre voisins.

Quant à certains délais de prescription, comme je l'ai mentionné tantôt, nous écouterons avec attention les commentaires des intervenants, notamment quant au délai de dix ans pour la prescription extinctive des actions de l'État, sauf celle ayant trait à la filiation. Finalement, en droit international privé, on se retrouve avec un code de normes précises et extensives qui permettent aux tribunaux et aux justiciables de connaître exactement l'état de ce droit au Québec. Il nous est apparu que ces règles, de façon générale, codifient de façon heureuse une jurisprudence qui s'est développée au fil des années.

En termes de droit international privé, signalons l'apport des nouvelles règles abolissant le renvoi, d'où une simplification du débat judiciaire, ainsi que la reconnaissance des jugements étrangers, ce qui conférera, dans certaines juridictions étrangères, un traitement réciproque de nos jugements québécois et, de plus l'obligation pour le tribunal québécois de surseoir s'il y a une action pendante devant un tribunal étranger, pour éviter ainsi au défendeur de faire face à une multiplicité de procès sous

diverses juridictions.

Bref, toutes ces innovations font partie de cette oeuvre maîtresse qu'est l'avant-projet de loi sur le Code civil et sont beaucoup plus qu'une simple mise à jour de notre droit. Elles se veulent plutôt une institution rationnelle, moderne et cohérente en vue du prochain siècle qui s'annonce déjà.

L'Opposition est heureuse de s'associer aux travaux de cette commission parlementaire qui viseront à étudier cet avant-projet de loi et surtout à entendre les commentaires des organismes qui ont bien voulu passer à la loupe cet avant-projet de loi et nous faire part de leurs commentaires vu leur expertise dans certains secteurs particuliers.

Le Président (M. Marcil): Je vous remercie, M. le député de Taillon, et critique de l'Opposition. Je vais maintenant reconnaître le député de Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la Justice.

M. Claude Dauphin

M. Dauphin: Merci, M. le Président. Brièvement, car je sais que nos invités sont anxieux de nous présenter leur mémoire. M. le Président, il me fait plaisir de me joindre aux propos du ministre de la Justice pour y ajouter quelques brèves remarques sur le projet de loi à l'étude afin d'en faire ressortir plus en détail les principales dispositions.

Soulignons, d'abord, que les dispositions générales du droit de la preuve du Code civil actuel sont, d'une part, incomplètes et, d'autre part, concernent spécifiquement l'un ou l'autre des autres chapitres relatifs au droit de la preuve. Pour faciliter l'application des règles de la preuve et pour accélérer la découverte de la vérité tout en préservant la sécurité juridique des parties, il est important de clairement circonscrire, dès le début, certains éléments essentiels à l'ensemble du régime de la preuve.

A cet égard, la réforme précise ou codifie, selon le cas, les règles fondamentales relatives au fardeau, à la qualité ou à l'objet de la preuve, viennent ensuite les définitions et les règles relatives à la force probante des différents moyens de preuve.

Au chapitre des moyens de preuve, les principaux problèmes d'application du Code civil actuel découlent de la rigidité des règles relatives au témoignage et aux écrits semi-authentiques et de l'insuffisance des moyens de preuve traditionnel. Devant le manque de souplesse et le vieillissement du régime actuel, la réforme poursuit des objectifs de libéralisation et de modernisation dans le but ultime de permettre d'établir plus facilement la vérité devant le tribunal. Enfin, cette partie de la réforme vise à uniformiser davantage le droit de la preuve au Canada en proposant des modifications semblables à celles qui sont prévues dans le projet de loi sur la preuve élaboré par la conférence, sur l'uniformisation des lois au Canada.

Dans le but d'atteindre ces objectifs, la réforme propose, d'une part, d'élargir le champ d'application des règles concernant le caractère de semi-authenticité de certains documents étrangers et de considérer comme des témoignages certaines déclarations qui ne sont pas faites dans l'instance par leur auteur, tout ce qui concerne le ouï-dire sur lequel on reviendra tantôt. D'autre part, il est proposé d'ajouter aux moyens traditionnels, déjà réglementés dans notre code actuel, c'est-à-dire l'écrit, le témoignage, la présomption et l'aveu, un nouveau moyen de preuve: la représentation directe au tribunal de choses et d'événements ou leur représentation sensorielle. Concernant la preuve par l'écrit, de nouvelles règles sont Introduites pour tenir compte des techniques récentes en matière d'enregistrements informatisés et pour tenir compte des techniques de reproduction des documents. Enfin, ce livre est complété par les règles traitant successivement de la recevabilité des éléments de preuve et des divers moyens de preuve comme tels.

Le regroupement en un même chapitre de toutes les règles de recevabilité des éléments et moyens de preuve vise à rendre l'ensemble de ces règles plus faciles d'application qu'elles ne le sont actuellement. Les modifications de fond, par ailleurs, ont pour but d'améliorer l'équilibre entre les deux objectifs fondamentaux de tout régime de preuve: la recherche de la vérité et la préservation de la stabilité des relations juridiques entre les parties.

Ainsi, la réforme propose de libéraliser les règles de recevabilité des témoignages en étendant l'exception actuelle des matières commerciales aux actes juridiques faits dans le cours des activités de toute entreprise, même non commerciale, en considérant certaines déclarations de ouï-dire comme des témoignages et en permettant qu'elles soient mises en preuve par d'autres personnes que le déclarant. En revanche, pour assurer la sécurité juridique des parties, la réforme impose au tribunal le rejet de certains éléments de preuve. Ces modifications devraient également permettre une plus grande uniformisation des règles de la preuve au Canada.

Le livre huitième du Code civil du Québec contient, à l'instar du code actuel, les règles relatives au régime de la prescription, à ta prescription acquisitive et à la prescription extinctive. Ces règles sont, cependant, simplifiées et distribuées d'une manière différente: celles étrangères à la prescription sont insérées dans d'autres parties du nouveau code; les articles désuets sont supprimés; des éléments nouveaux puisés dans la jurisprudence, la doctrine et parfois le droit étranger s'ajoutent aux règles conservées. L'agencement retenu permet de faire ressortir les règles communes aux deux sortes de prescriptions, telles que la renonciation, l'interruption et la suspension.

Au chapitre de la renonciation à la prescription, la réforme met fin à certaines incertitudes du droit actuel et elle tient compte des incidences de la renonciation sur la publicité des droits. En matière d'interruption de la prescription, des règles nouvelles viennent s'ajouter à celles qui existent déjà afin d'assurer un meilleur fonctionnement du mécanisme et d'accroître la protection des droits. La suspension de la prescription est un complément nécessaire de l'interruption, mais elle est, par nature, exceptionnelle et temporaire. Aussi a-t-on cherché à mieux en circonscrire le champ. La réforme maintient certaines règles favorables aux mineurs et aux majeurs protégés ou à la paix familiale entre époux.

Viennent ensuite les matières propres à la prescription acquisitive, notamment ses conditions d'exercice et les délais qui la régissent. La prescription acquisitive est un moyen d'acquérir ou de confirmer la propriété par l'effet de la possession. Ce principe du droit actuel demeure et les règles qui l'appuient également. Toutefois, afin d'uniformiser les règles et d'accroître la sécurité des opérations, la réforme du droit de la prescription, suivant en cela les propositions déjà faites au livre de la publicité des droits, innove dans le but d'augmenter la foi publique attachée au registre foncier, de simplifier les recherches de titre de propriété et de leur donner une plus grande valeur de sécurité, de faire jouer, enfin, à la prescription son rôle de façon plus complète. En matière mobilière, la réforme a cherché, par rapport au droit actuel, à obtenir une solution plus simple et plus claire.

La prescription extinctive est, pour sa part, un moyen d'éteindre un droit, une obligation ou d'opposer une fin de non-recevoir à une action. En cette matière, la réforme vise à simplifier les catégories de délais, lesquelles sont moins nombreuses que dans le Code civil actuel; les multiples énumérations sont abandonnées au profit de dispositions plus générales. Sur la question des délais, il est tenu compte, tant pour la prescription acquisitive que pour la prescription extinctive, de la tendance généralisée et presque mondiale vers une réduction substantielle de la durée des divers délais et une diminution de leur nombre.

L'orientation fondamentale de la réforme du droit international privé au livre X est un assouplissement de la méthode conflictuelle classique. La réforme s'inspire en cela des conventions internationales et des codifications récentes de plusieurs pays. Cet assouplissement se manifeste notamment par la consécration législative des autres méthodes de solution des conflits telles les lois d'application nécessaires, c'est-à-dire les lois généralement déclarées impératives, et les règles matérielles qui permettent d'appliquer directement certaines lois spécifiques de notre droit interne, même si le litige a un caractère international.

Toujours dans le but d'assouplir la méthode classique, la réforme propose de nombreuses dispositions prévoyant des règles de conflit comportant des facteurs de rattachement alternatifs permettant de déterminer la loi applicable au litige. Ces règles sont formulées dans certains cas de façon à favoriser un certain résultat, telles la validité des actes juridiques ou la protection de certaines personnes. Par rapport au Code civil actuel, qui ne contient qu'un petit nombre de règles très générales, la réforme propose des règles plus nombreuses destinées à faire face à un plus grand nombre de situations.

En matière de compétence internationale des tribunaux québécois, l'orientation majeure de la réforme est de prévoir des règles spécialement conçues pour les situations impliquant un élément d'extranéité. Les règles proposées sont plus précises et plus nombreuses que celles qui existent actuellement et qui ont été développées par les tribunaux sur la base des articles du Code de procédure civile prévue pour des situations internes.

En matière de reconnaissance et d'exécution des décisions étrangères, contrairement au droit actuel qui démontre beaucoup de méfiance à l'égard des décisions étrangères, l'orientation fondamentale de la réforme est de favoriser la reconnaissance et l'exécution de ces décisions. Cette orientation se manifeste notamment par l'abandon de la révision au fond du jugement étranger et par la simplification des procédures de reconnaissance. Telles sont donc les brèves remarques que je voulais ajouter aux propos du ministre de la Justice.

En terminant, je veux dire que nous sommes très fiers de vous présenter cet avant-projet de loi et que nous sommes heureux de pouvoir recevoir les mémoires et les commentaires de tous ceux et celles que nous allons entendre maintenant et que je remercie de nouveau. Merci, M. le Président. (11 heures)

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le député de Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la Justice. Maintenant, pour rappeler la durée totale de chaque audition c'est environ 60 minutes. Vous avez 20 minutes pour faire l'exposé de votre mémoire, tout en sachant que le mémoire a déjà été lu et analysé par les deux partis, et 40 minutes pour la période de discussions, c'est-à-dire 20 minutes pour chacun des groupes parlementaires.

Auditions

Donc, j'invite les représentants de la Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins à se présenter et je demande au responsable, au représentant officiel de s'identifier et de présenter également la personne qui l'accompagne. Je vous invite immédiatement à procéder à votre exposé et je vous souhaite la bienvenue à cette commission parlementaire.

Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins

M. Dionne (Daniel): Merci, M. le Président. Mon nom est Daniel Dionne. Je suis coordonnateur au suivi à la législation, à la Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins du Québec. Je suis accompagné aujourd'hui de Me Linda Poulin, conseillère juridique, également à la confédération.

J'aimerais, tout d'abord, au nom du président du mouvement Desjardins, M. Claude Béland, remercier le ministre de la Justice, M. Gil Rémillard, ainsi que tous les membres de cette commission d'avoir invité notre organisme à faire valoir son point de vue sur l'avant-projet de loi à l'étude. Comme vous te savez, le mouvement Desjardins a participé activement aux travaux de cette commission portant sur la réforme du Code civil et l'accueil reçu jusqu'à maintenant nous a incités à maintenir notre participation jusqu'à la fin. Certains commentaires visaient à faciliter l'exercice de nos activités, mais nous croyons que ce sont ultimement les membres des caisses qui en bénéficieront indirectement, donc, une partie très importante de ta population québécoise. D'ailleurs, nous n'avons jamais hésité à suggérer des améliorations aux avant-projets de loi, même si les institutions que nous servons n'en retiraient aucun bénéfice. Nous espérons ainsi avoir joué d'une façon différente le rôle social que la population souhaite voir jouer par le mouvement Desjardins.

En ce qui concerne plus particulièrement l'avant-projet de loi sur la preuve et la prescription et le droit international privé, la plupart des modifications qui y sont proposées nous semblent opportunes, tel que le démontre le contenu de notre mémoire. D'ailleurs, plusieurs de nos remarques ne visent qu'à signaler certaines difficultés d'interprétation qui peuvent être évitées par des ajustements mineurs. Nous formulons, cependant, un certain nombre de commentaires pouvant mettre en cause des questions de fond ou des sommes Importantes. On peut les résumer comme suit: au chapitre de la preuve, nous demandons que soit envisagé l'ajout, dans la section traitant des enregistrements informatisés, d'une disposition stipulant que, lorsqu'un acte juridique est fait au moyen d'un code d'identification personnel et qu'il est démontré que ce code a été attribué à une personne à sa connaissance exclusive, l'utilisation de ce code équivaut à la signature par son titulaire d'un écrit constatant cet acte juridique. Il nous apparaît important, en effet, qu'on reconnalse ce qu'on pourrait appeler la signature électronique qui présente, à notre avis, autant, sinon plus de sécurité que certaines autres qui sont reconnues dans l'avant-projet de loi. À titre d'exemple, pensons à la signature au moyen d'une marque personnelle dont la validité est reconnue par l'article 3006 de l'avant-projet de loi. Les articles 3015 à 3017 qui traitent des enregistre- ments Informatisés sont un pas dans cette direction, mais ils ne nous semblent pas aller assez loin lorsque l'enregistrement d'un acte juridique ne peut s'effectuer qu'au moyen d'un code dont seul son titulaire a eu connaissance. L'article 3017 mentionne, en effet, que la force probante du document reproduisant l'acte juridique enregistré est laissée à l'appréciation du tribunal et que le document peut être contredit par tous moyens. Il en est autrement des actes constatés au moyen d'écrit sous seing privé qui ont une force probante beaucoup plus importante, tel que l'indiquent les articles 3008 et 3044.

L'attribution d'un code d'identification personnel, ce qu'on appelle communément un NIP, s'effectue de façon que seul le titulaire le connaisse. D'ailleurs, il peut maintenant choisir lui-même son code en toute confidentialité à l'aide d'un appareil spécialement conçu à cette fin. S'il peut être démontré, à la satisfaction du tribunal et en respectant des conditions comparables à celles prévues aux articles 3015 et 3016, qu'une transaction a été effectuée au moyen du code d'identification et de la carte d'accès, le cas échéant, on devrait pouvoir lui attribuer la même valeur qu'une signature manuscrite. La signature électronique occupera bientôt une place très importante dans l'ensemble de l'activité économique. Nous croyons que la révision du Code civil est l'occasion propice pour réfléchir sur la valeur qu'on veut lui donner sur le plan juridique.

À la section traitant de la reproduction d'un écrit, nous demandons qu'il soit permis d'effectuer la reproduction avant que trois années se soient écoulées depuis la date de cet écrit. En effet, plusieurs personnes morales reproduisent immédiatement après en avoir obtenu la possession les écrits qu'i est important pour elles de conserver et ce, afin d'avoir une preuve secondaire, advenant la destruction des originaux. Or, la Loi sur la preuve photographique de documents les oblige à recommencer cette opération cinq ans plus tard en respectant cette fois les formalités prévues à la loi. Lorsque les articles 3018 et suivants seront en vigueur, elles devront encore recommencer l'opération, mais après trois ans au lieu de cinq.

Nous croyons qu'il y aurait des avantages importants, notamment au plan économique, à permettre que la reproduction des documents soit faite selon les règles prévues aux articles 3018 et suivants avant que trois années se soient écoulées depuis leur date. Évidemment, une reproduction ne deviendrait admissible en preuve qu'après trois ans de la date du document, à moins que la partie qui invoque cette reproduction ne puisse produire l'original pour une raison hors de sa volonté, par exemple, en raison d'un incendie.

En ce qui a trait à la destruction des originaux, nous souhaiterions que soit envisagée la possibilité d'éliminer cette exigence, quitte à ce que deux personnes attestent de ce qui a été

fait avec ceux-ci. En effet, cela nous permettrait, par exemple, d'expédier les effets à nos membres au lieu de les détruire. Ceux-ci pourraient ainsi décider de les conserver s'ils y tiennent ou les détruire eux-mêmes. Quant à la destruction elle-même, il devrait être permis d'en faire la preuve de façon plus simple lorsqu'elle n'est pas faite en même temps que la reproduction. Cette destruction serait alors moins lourde et, par conséquent, moins coûteuse.

Enfin, il n'est pas toujours facile de savoir si un écrit appartient à un tiers et doit lui être remis. Comme la propriété d'un écrit est souvent difficile à déterminer, la possibilité de détruire un document serait plus facile à trancher si l'article se terminait pas les mots "appartenant à un tiers ou qui doit lui être remis". Si un document rencontre l'une ou l'autre de ces conditions, seule la personne qui en est propriétaire ou qui a droit à sa possession pourrait le détruire. Il devrait être permis, même dans le cas de documents qui appartiennent à un tiers et qui doivent lui être remis, d'en faire une reproduction qui ait la même valeur que l'original, après trois ans, sans toutefois qu'il soit détruit.

Au chapitre de la prescription, nous présumons qu'une erreur s'est glissée à l'article 3063, qui stipule qu'on ne peut renoncer à la prescription acquise et au bénéfice du temps écoulé. S'il ne s'agit pas d'une erreur, nous nous interrogeons sur les motifs qui justifient la modification de la règle actuelle permettant une telle renonciation.

Concernant l'interruption de la prescription, nous demandons de prévoir que le fait de se prévaloir du "dépôt volontaire des traitements, salaires ou gages", ou de faire faillite interrompt la prescription pour les dettes mentionnées dans la déclaration ou la liste des créanciers. Cette interruption devrait, d'ailleurs, être valable pour toute la créance et se continuer aussi longtemps que le débiteur fait des dépôts ou, dans le cas d'une faillite, jusqu'à la libération du syndic. Nous expliquons, dans notre mémoire, les raisons qui motivent ces demandes. Soulignons, toutefois qu'elles se justifient surtout par la réduction importante des délais de prescription, c'est-à-dire de trois ans au lieu de 30 ans, dans bon nombre de cas.

Concernant la prescription acquisitive pour les meubles corporels, nous demandons que le propriétaire d'un meuble ne puisse plus le revendiquer s'il a été vendu lors d'une vente par le créancier faite en vertu des articles 2964 et suivants de l'avant-projet de loi sur les sûretés. L'article 3100 de l'avant-projet de loi sur la preuve prévoit, en effet, que le propriétaire d'un bien ne peut le revendiquer s'il a été vendu sous autorité de justice. Comme l'avant-projet de loi sur les sûretés permet également au créancier de vendre lui-même le bien par vente aux enchères ou appels d'offres, il nous paraîtrait logique d'étendre à de telles ventes la règle prévue à l'article 3100 pour les ventes sous autorité de justice; sinon, les acheteurs n'auront pas de protection lors de telles ventes et ce recours sera plus difficile à exercer.

Nous croyons également, pour les motifs exposés dans notre mémoire, que le propriétaire d'un bien ne devrait pas pouvoir le revendiquer lorsque le possesseur l'a acquis d'un commerçant en semblable matière ou lors d'une opération de nature commerciale. Ces exceptions sont importantes parce qu'il est impensable d'obliger ceux qui achètent des biens d'un commerçant en semblable matière à vérifier si ce dernier en est réellement propriétaire. On n'a qu'à penser à la quantité incroyable de biens qui sont vendus tous les jours par des commerçants qui n'en sont pas propriétaires parce qu'ils leur ont été vendus par des grossistes au moyen de contrats de vente conditionnels. D'autre part, les exigences de célérité et d'efficacité en matière commerciale s'opposent à ce qu'on soit obligé d'effectuer de telles vérifications.

En ce qui a irait à la prescription extinc-tive, nous trouvons trop courte la prescription de dix ans pour les jugements. En effet, contrairement aux autres prescriptions, il ne semble pas y avoir de possibilité de l'interrompre ou de la suspendre sans fa volonté du débiteur. Or, la personne qui obtiendra un jugement, parfois à grand frais et après une longue bataille juridique, trouvera sûrement injuste de ne pouvoir l'exécuter après dix ans si elle n'a pu le faire avant et que, pour une raison ou pour une autre, son débiteur se trouve tout à coup en mesure de l'honorer. On n'a qu'à imaginer le sentiment d'injustice que pourrait ressentir la personne rendue paraplégique par la faute d'autrui si, pour une seule question de prescription, elle ne pouvait exécuter son jugement contre le responsable de sa condition. Un délai de 20 ans nous semblerait être un minimum.

Par ailleurs, pour les motifs exposés dans notre mémoire, la prescription de trois ans nous paraît trop courte lorsque le droit personnel découle d'un titre de créance, par exemple, un contrat de prêt ou un chèque. Une prescription réduite à trois ans obligera à plus de formalisme. Mais ce qui nous semble plus grave, c'est que plusieurs créanciers, surtout les particuliers qui ne peuvent connaître toutes les règles du droit, oublieront la prescription et perdront des sommes parfois importantes uniquement en raison d'une prescription trop courte. À notre avis, la prescription ne devrait pas être inférieure à cinq ans lorsque le droit personnel découle d'un titre de créance opposable au débiteur.

Toujours concernant la prescription extinctive, nous demandons de revoir la règle prévoyant que, lorsque le contrat est à exécution successive, la prescription des paiements dus a lieu quoique les parties continuent d'exécuter l'une ou l'autre des obligations du contrat. Cette règle risque, en effet, de créer de sérieux problèmes lorsqu'un débiteur demandera à son créancier une suspension temporaire de ses

paiements dans le cas d'un prêt, par exemple. Nous expliquons en détail ces problèmes dans notre mémoire.

En ce qui concerne le chapitre portant sur le droit international privé, nos commentaires sont d'ordre plutôt technique. Nous ne croyons donc pas opportun d'y revenir au cours de cet exposé, mais nous sommes toutefois disposés à répondre aux questions portant sur le sujet, le cas échéant.

M. le Président, cela complète notre exposé au sujet de cet avant-projet de loi. Nous remercions tous les membres de cette commission, ainsi que l'équipe du ministère de la Justice qui travaille à cette réforme de l'attention qu'ils accordent à nos commentaires et nous serons heureux de répondre à leurs questions au meilleur de notre connaissance.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup pour cet exposé, Me Daniel Dionne. Je vais reconnaître immédiatement M. le ministre de la Justice et ministre de la Sécurité publique.

Une voix: II a d'autres titres.

Le Président (M. Marcil): II est également responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes...

M. Filion: Mais Sécurité publique et Justice, est-ce qu'on peut occuper ces deux postes-là?

Le Président (M. Marcil):... de l'Office de la protection du consommateur, du Bureau de la protection civile. Comment faites-vous, M. le ministre, pour assumer toutes ces responsabilités?

M. Filion: Cela va changer la semaine prochaine.

Une voix: La semaine prochaine, on verra ça.

Le Président (M. Marcil): M. le ministre.

M. Rémillard: Après ces commentaires, M. le Président, il me fait plaisir de souligner la très grande qualité de ce mémoire qui nous est présenté. C'est le premier mémoire que nous entendons à cette commission parlementaire, celui de la Confédération des caisses populaires et d'économie Desjardins. Je veux souhaiter la bienvenue à Me Dionne et à Me Poulin. Je ne suis pas surpris de la qualité de ce mémoire puisque j'ai eu le plaisir de connaître Me Dionne et Me Poulin à l'université, alors qu'ils étaient respectivement étudiant et étudiante. Voilà qui témoigne fort bien de la qualité des études qu'ils ont faites, en particulier, de même que de leur qualité d'étudiants.

M. Filion: C'est de l'autogratification de la part du ministre.

M. Rémillard: M. le Président, je faisaisréférence essentiellement à la qualité d'étudiants de Me Dionne et de Me Poulin.

Dans votre mémoire, vous soulignez quelques points techniques très importants qui vont nous permettre de bonifier le code et je vous en remercie. Entre autres, vous parlez de l'article 3063. Malheureusement, il y a une erreur de typographie à l'article 3063, vous avez parfaitement raison de souligner qu'il y a là une Incohérence. Le texte qu'on doit lire, c'est: "On peut renoncer". L'article au complet se lit comme ceci: "On peut renoncer d'avance à la prescription. On peut renoncer à la prescription acquise et au bénéfice du temps écoulé pour celle commencée. " Donc, votre remarque est particulièrement bien ciblée, si vous voulez, parce que vous avez parfaitement raison de souligner cette erreur.

Vous soulignez certains points très importants en ce qui regarde la pratique bancaire, la pratique des caisses populaires que vous représentez aujourd'hui. Concernant les enregistrements informatisés, aux articles 3015 à 3017, vous suggérez de reconnaître que l'utilisation d'un code d'identification personnel puisse équivaloir à la signature, par son titulaire, d'un écrit constatant un acte juridique. C'est là une proposition qui m'apparaît intéressante. Est-ce que vous pourriez nous préciser le fonctionnement de ce système et les problèmes de preuve qu'on pourrait rencontrer en pratique? Vous avez la pratique de ces choses et je sais que vous pouvez nous éclairer. De quelle façon croyez-vous, par exemple, que l'usager pourrait contester le bilan émis par les guichets automatiques? C'est une question qu'on peut se poser. Si on veut faire référence à la pratique actuelle, je serais curieux de savoir, justement, quelle est la pratique actuelle. La règle que vous proposez semble favoriser l'institution financière, mais est-ce qu'il y a une contrepartie pour le consommateur dans la protection de ses droits? Alors, voilà la première question que j'aimerais vous poser. Me Dionne ou Me Poulin. (11 h 15)

M. Dionne: Merci, M. le ministre. Mentionnons, en premier lieu, que les articles 3015 à 3017, je le répète, sont un pas dans la bonne direction puisqu'il n'existe actuellement dans le Code civil aucune disposition de cette nature et que cela nous donne accès à une preuve éventuelle devant le tribunal. Par contre, l'article 3017 prévoit que la force probante d'un document reproduisant un acte juridique enregistré sur support informatique est laissée à l'appréciation du tribunal et que le document peut être contredit par tous moyens.

Je vais prendre un exemple pour ilustrer simplement ce qu'on demande. Dans le cas où un retrait est effectué au comptoir, l'Individu signe un bordereau de retrait et sa signature apparaît sur le document. S'il prétend éventuellement ne pas avoir signé le document, on peut faire la

preuve que c'est bien lui qui l'a signé, avec un expert en évaluation de signatures. Par contre, dans le cas où le retrait est effectué au moyen d'un terminal, par exemple, au guichet automatique, nous ne sommes pas en mesure de démontrer que l'opération a été faite par lui autrement qu'en démontrant que c'est bien son numéro d'identification qui a été utilisé ou sa carte d'accès, le cas échéant. Cette preuve peut être également faite par des experts, sauf que nous ne sommes pas en mesure de démontrer que c'est bel et bien l'individu concerné qui a fait le retrait. Par exemple, il pourrait avoir donné son numéro d'identification personnel à quelqu'un d'autre qui aurait alors utilisé sa carte. À ce moment-là, le retrait aurait été fait par cette autre personne. Si le titulaire du numéro d'identification personnel démontre au tribunal qu'il était à l'étranger au moment où l'opération a été effectuée, cela nous réfère à l'article 3017 où il est écrit que le document peut être contredit par tous moyens. C'est donc un exemple qui prouve que le numéro d'identification personnel étant attribué à la connaissance exclusive d'une personne, cette personne devrait le maintenir confidentiel. Par conséquent, les opérations faites par la suite au moyen de cette carte et de ce numéro devraient être attribuées, par le Code civil, au détenteur ou au titulaire de ce numéro d'identification personnel. C'est là la façon dont on peut expliquer notre demande.

Les spécialistes de la question disent que le code ou les lois actuelles ne sont pas à jour dans le domaine informatique. C'est la raison pour laquelle on tente, lors de cette révision du Code civil, de faire en sorte qu'il soit au même diapason que la société actuelle. Je ne sais pas si ça répond à votre question.

Évidemment, nous sommes conscients que ça mérite réflexion. Nous pensons que les juristes du ministère de la Justice peuvent examiner attentivement notre demande et voir dans quelle mesure ils peuvent la mettre en application. Il est certain que ça peut créer des difficultés concernant la preuve, qu'il y a une question de rédaction et qu'il faut faire un examen attentif de cette demande, mais nous croyons qu'il était temps, au moment de la révision du Code civil, d'aborder cette question.

M. Rémillard: Si je comprends bien, votre raisonnement est fondé sur la présomption que celui qui utilise un code a la propriété exclusive de ce code; donc, c'est celui qui a la propriété exclusive du code qui a utilisé le code. Mais, s'il y a malfonctionnement de la machine, parce qu'il se peut qu'il y ait malfonctionnement, est-ce que ça ne pourrait pas créer des difficultés en fonction de ce que vous proposez?

M. Dionne: Je ne suis pas un spécialiste en systèmes, mais il semble que les systèmes sont très fiables, du moins d'après ce qu'on nous dit.

De toute façon, je tiens aussi à le mentionner, on ne demande pas de n'avoir aucune preuve à faire devant le tribunal. Si jamais 1 y avait un problème, on aurait à établir la preuve de la fiabilité du système lui-même et c'est une fois qu'on aurait établi devant le tribunal la fiabilité du système à l'aide d'experts en Informatique qu'à ce moment-là l'utilisation du code d'identification personnel serait considérée comme étant l'équivalent de la signature du titulaire de ce code.

Le Président (M. Marcil): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Si vous me le permettez, sur la même question du ministre, dans votre pratique, est-ce que c'est déjà arrivé qu'un individu utilise le code d'un autre individu pour lui soutirer de l'argent? Si oui, qu'est-ce qui est arrivé sur le plan juridique à ce moment-là?

M. Dionne: Jusqu'à maintenant, il semblerait que les problèmes ont été très peu nombreux et que c'était souvent des cas où, justement, le numéro d'identification personnel avait été communiqué à une autre personne de la famille et les enquêteurs finissaient par démontrer que le code avait été utilisé par un proche. Il y a même des cartes parfois qui ont été retrouvées avec le numéro d'identification personnel inscrit à l'endos. C'est, évidemment, très dangereux de faire ça. Comme on ne peut pas avoir la signature de la personne, si la personne prend le risque d'inscrire son code à l'endos de sa carte, ce que nous disons, c'est qu'à ce moment-là c'est elle qui devrait supporter le retrait qui a été effectué dans son compte. C'est pour ça qu'on demande que ça équivaille à une signature dès que la carte et le numéro d'identification personnel sont utilisés, sous réserve, évidemment, d'avoir à faire la preuve de la fiabilité du système. Comme l'indiquent un peu les articles 3015 et 3016, il y a des preuves à faire avant que les enregistrements informatisés soient admissibles. Alors, on est prêts à se soumettre à ces preuves. Mais une fois qu'elle a été faite, on voudrait qu'à ce moment-là l'utilisation du code et de la carte équivaillent à une signature, dans le but de lui donner une force probante aussi forte que les écrits finalement, parce qu'on considère qu'un retrait à un guichet automatique équivaut à la signature d'un bordereau de retrait au comptoir.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. M. le député de Taillon.

M. Filion: Merci, M. le Président. Encore une fois, nos félicitations aux gens des caisses populaires qui ont encore fait un bon travail. Tout au long de l'étude de tous les avant-projets de loi modifiant le Code civil, les juristes des caisses populaires ont fait un travail remarquable

que je tiens à souligner. Je les remercie également de leur présence ce matin.

D'abord, un commentaire sur les modifications à l'article 3063 où certains intervenants avalent vu une erreur de rédaction. Ce que le ministre nous dit, finalement, si j'ai bien compris, c'est qu'on doit lire l'article 3063 de la façon suivante: "On peut renoncer d'avance à la prescription. Et, au deuxième alinéa: "On peut renoncer à la prescription acquise et au bénéfice du temps écoulé pour celle commencée. "

M. Dauphin: Le premier est correct: "On ne peut pas renoncer d'avance... "

M. Filion: Ah bon!

M. Rémillard: II faut bien comprendre. Je m'excuse, je crois que c'est moi qui vous ai induits en erreur tout à l'heure. On m'a donné une information incorrecte et je voudrais la rectifier. L'article 3063 se lirait comme ceci: "On ne peut pas renoncer d'avance à la prescription. On peut renoncer à la prescription acquise et au bénéfice du temps écoulé pour celle commencée. "

M. Filion: D'accord. Alors, maintenant, je pense que c'est plus clair parce que je dois vous dire que, sur la première partie, j'allais vous faire part de notre réticence à faire en sorte que nous puissions renoncer d'avance à la prescription. Alors, c'est réglé.

Le mémoire qui nous est présenté est très bien fait. Plusieurs recommandations et suggestions sont intéressantes, en ce qui consente la reproduction des écrits. Le témoignage et la prescription, notamment. Mais je voudrais peut-être, avec les membres de cette commission ainsi qu'avec nos invités, approfondir cette suggestion sur les enregistrements informatisés et tes paiements électroniques. On a tous un peu à l'esprit les guichets automatiques. J'étais un de ceux qui étalent réticents au départ, mais je dois vous avouer que c'est une machine extraordinaire pour faire nos transactions bancaires 24 heures par jour, sept jours par semaine. Surtout, peut-être, parce que nos vies sont plus tulmutueuses et qu'on a moins de temps libre je dois avouer que les guichets automatiques, comme plusieurs autres citoyens, en tout cas, m'ont carrément séduit.

Maintenant, vous suggérez de faire en sorte - vous me corrigerez - que la signature électronique équivaille à une signature ordinaire et que l'usager, si je suis votre mémoire, ne puisse pas, à toutes fins utiles, contester les relevés Informatisés qui lui sont transmis après l'opération ou qui sont transmis à quelqu'un d'autre après l'opération. Cela me semble aller passablement loin.

Il faut se souvenir, quand même, qu'en termes de cartes de crédit - ce n'est pas la même chose, j'en conviens, ce sont deux secteurs tout à fait différents - le législateur a cru bon, dans la Loi sur la protection du consommateur, de limiter la responsabilité du consommateur dont la carte de crédit a été perdue ou volée à la somme de 50 $, même si l'avis n'a pas été fait par le propriétaire de la carte de crédit. Cette protection a été reprise également dans l'avant-projet de loi qui portait réforme au Code civil du droit des obligations. On y reprend également cette restriction de 50 $, comme étant le montant maximal de la responsabilité du propriétaire d'une carte de crédit qui aurait été perdue, volée ou utilisée par d'autres personnes, pour ce qui a trait à la consommation, bien sûr.

Donc, ce qui me chicote, c'est ceci. D'abord, on a une machine. Comme toutes tes machines sont bâties par des hommes, elles sont susceptibles d'erreurs comme les hommes.

Une voix: Et les femmes.

M. Filion: Le ministre aura compris, j'en suis convaincu. Je suis convaincu que, dans les cours qu'il donnait à nos invités, il ne disait pas hommes et femmes à tout coup. Donc, il y a des erreurs qui sont inhérentes au système informatisé lui-même. On ne peut pas le nier. Il y a des erreurs qui sont possibles, d'une part. D'autre part, il y a aussi du personnel qui travaille à la banque, qui travaille avec ces systèmes Informatisés, et qui peut avoir accès à la manipulation de certains éléments de ces systèmes informatisés qu'il peut peut-être détourner à son avantage. Sans que cela soit des erreurs, cela peut être une utilisation. Par exemple, il n'y a rien qui interdit de croire qu'à un moment donné il n'y a pas des cerveaux, au Québec, qui vont trouver une façon de reproduire nos cartes d'accès au guichet automatique à leur profit. Donc, je ne fais que souligner deux possibilités d'erreur ou de fraude qui peuvent se produire, mais qui n'ont rien à voir avec l'usager.

Si je comprends bien la suggestion ou la recommandation que vous nous faites, ces erreurs ou ces manipulations faites par une autre personne que l'usager ou par ses proches se retrouveraient, finalement, à la charge du propriétaire de ce numéro, de l'usager en quelque sorte. Alors, j'avoue que cela me semble protéger adéquatement l'institution bancaire, J'en suis, mais, en ce qui concerne l'usager, en tout cas, à première vue, j'aimerais vous entendre sur le fardeau que vous faites reposer sur l'usager des guichets automatiques ou, en somme, l'usager de tous les systèmes de paiement électroniques qui vont voir le jour dans les années qui viennent.

M. Dionne: Juste avant d'aborder à nouveau la question, j'aimerais mentionner qu'il y a une différence importante entre ça et une carte de crédit, c'est qu'il n'y a pas de numéro d'identification personnel en ce qui concerne une carte de crédit. Les cartes de crédit sont souvent volées avec d'autres documents qui permettent de

reproduire ou d'imiter la signature. Alors, c'est la raison pour laquelle... On sait aussi qu'il y a beaucoup de vols de cartes de crédit, c'est courant, et qu'il y a des opérations qui sont faites à la suite d'un vol, justement, parce que la signature est imitée. Dans le cas de transfert électronique de fonds ou de retrait au moyen d'un code d'identification personnel, même si quelqu'un vole la carte et tente d'imiter la signature, il ne peut pas effectuer l'opération de toute façon. (11 h 30)

Je voudrais également mentionner que, quand on parle du fardeau de la preuve, il demeurerait toujours sur les épaules de l'institution financière parce qu'elle devrait démontrer au départ qu'elle a respecté les conditions prévues aux articles 3015 et suivants, c'est-à-dire que les données sont enregistrées... Juste une seconde que je retrace les exigences des articles. On dit "Le tribunal doit tenir compte des circonstances dans lesquelles les données ont été enregistrées et le document reproduit. " L'enregistrement (... ) sur support informatique est présumé présenter des garanties suffisamment sérieuses pour qu'on puisse s'y fier lorsqu'il est effectué de façon systématique et sans lacune, et que les données enregistrées sont protégées contre toute altération. "

Il y a quand même une preuve à faire avant d'en arriver à la conclusion que cela équivaut à une signature. Le fardeau est, d'abord, sur les épaules de l'institution financière. Ce n'est qu'une fois cette preuve établie par des experts, des spécialistes de la question qui pourront avoir examiné le système, qu'on pourra en venir à la conclusion que la transaction a bel et bien été faite au moyen du NIP et de la carte d'accès. À ce moment-là, peu importe qui l'a fait, elle devrait être considérée comme étant une opération effectuée par le détenteur ou le titulaire.

M. Filion: Je vous suis bien là-dessus, mais, quand même, cette preuve est de nature générale et va porter sur le fonctionnement non pas spécifique, mais habituel du système de paiement électronique. Cela ne pourra jamais être une preuve spécifique. Vous me saisissez! C'est toujours la même preuve que la banque va faire dans tous les cas. Cela va être une preuve qu'elle pourra même mettre sur cassette et, s'il y a un procès, elle pourra la sortir en disant: Voici la preuve que mon système de paiement électronique ou de transaction électronique est valide. Ce n'est pas une preuve spécifique qui pourrait être nécessaire dans un cas...

Je vais vous donner deux cas bien précis: d'abord, une erreur carrément du système électrique. Ne venez pas me dire que ce n'est pas possible. Les Américains ont envoyé une fusée dans les airs, ce n'était pas possible qu'elle explose et c'est ce qui est arrivé au bout de quinze secondes. Une erreur est toujours pos- sible. Si vous dites qu'une erreur n'est jamais possible, c'est non. Le premier cas que je vous donne c'est, donc, celui d'une erreur. Deuxièmement, le cas où une personne de la banque a accès et peut manipuler une partie du système pour le détourner à son avantage. Cela aussi, il me semble que c'est possible. Ce système est bâti par des êtres humains, donc il peut être modifié par des êtres humains autres que l'usager. Dans ces deux cas bien précis, qu'est-ce que vous me dites? Oui, on fait une preuve générale, mais cela vient de coûter 300 $, 400 $ ou 500 $, peut-être à plusieurs reprises, à l'usager; cela peut faire des sommes assez énormes. On a vu récemment dans les journaux qu'une fraude avait été possible au niveau de la manipulation de l'argent lui-même, par les employés qui étaient chargés de réalimenter le guichet automatique. Cela n'a rien à voir avec l'électronique, mais c'est quand même une fraude qui a été possible. Je ne sais pas si vous avez autre chose à ajouter là-dessus.

M. Dionne: En fait, non. On doit également penser que ce qui s'en vient prochainement, c'est la carte de débit. En plus du guichet automatique, les gens paieront dorénavant au moyen d'une carte identique en quelque sorte. Ils se rendront chez les commerçants et procéderont de la même façon. Ils paieront leurs achats au moyen de cette carte. Donc, les transferts électroniques de fonds risquent de prendre une ampleur très importante au cours des prochaines années. C'est la raison pour laquelle on croyait que c'était opportun, à ce stade-ci de regarder cette question, de la soulever lors de la commission et auprès du ministère de la Justice pour qu'elle soit examinée. Évidemment, je le répète, nous trouvons que les articles 3015 à 3017 ouvrent déjà une porte très intéressante. Je dois vous dire que je serais très surpris, même si on en fait la demande, qu'il y ait beaucoup de procès sur ce genre de choses, sauf qu'on se dit que cette signature électronique va remplacer éventuellement une signature manuscrite. Compte tenu de cette situation, on s'est dit: Est-ce qu'il ne serait pas normal de demander qu'une fois la preuve faite... Quand on parle de preuve, je le mentionne également, on parle non pas d'une preuve générale, mais d'une preuve exhaustive de la part de l'institution financière, d'une preuve convaincante pour le tribunal. Alors, dans ce contexte, on pensait que c'était le moment de soulever la question et de demander qu'elle soit examinée, dans la mesure du possible, évidemment.

M. Filion: D'accord. D'abord, je vous réfère à un article de Me Nicole L'Heureux qui a étudié de façon absolument remarquable toute cette question du transfert électronique de fonds en regard du contrat bancaire, dans la revue du Barreau canadien. C'est probablement une de vos consoeurs. Elle a étudié toute cette question de l'avancement technologique. Je reprends une

partie de la réflexion qu'elle développe aux pages 178, 187 et 188, basée sur deux concepts, dont, d'une part, la négligence de l'usager. À ce sujet, Me Gariépy m'a remis copie d'un jugement rendu le 18 octobre 1988 en Cour provinciale par le juge Genest; c'est une petite créance.

M. Dauphin: Ah! C'est un autre.

M. Filion: II y en a peut-être d'autres. C'est intéressant, il commence à y avoir des jugements là-dessus.

Une voix: II y en a eu un la semaine dernière.

M. Filion: II y en a un de la semaine dernière également. Bon! La jurisprudence se développe, parce qu'encore une fois il y a des choses qui vont se produire dans ce secteur. Il faut se rappeler, M. le Président, qu'en ce qui concerne les chèques, méthode commerciale de paiement toujours valable, on avait toute une loi à ce sujet, la Loi sur les lettres de change, une loi fédérale, et maintenant on fait face au paiement électronique.

Vous nous dites que les articles 3015 à 3017 sont un pas intéressant. L'article 3015 est sérieusement limité par l'article 3017: "La force probante d'un document reproduisant un acte juridique enregistré sur support informatique est laissée à l'appréciation du tribunal. Ce document peut être contredit par tous moyens. " J'aime bien cet article; autrement, cela pourrait être dangereux pour les usagers.

Bref, revenons à ce que Me L'Heureux dit. Deux approches dont l'une est basée sur la négligence du client; d'ailleurs, le jugement que j'ai de ta Cour provinciale reprend un peu cet élément. L'autre approche est basée sur la sécurité et les risques du système. Là-dessus, je fais ouvertement une suggestion. Cela tombe bien puisque l'Association des banquiers canadiens, est en arrière. On sait que, quand on va chez le dépanneur, il y a maintenant des caméras. Je poserais une question au mouvement Desjardins et la reposerai aux banques: Est-ce que vous avez songé, tout simplement, à faire en sorte qu'il y ait une caméra près du guichet, qui pourrait filmer les usagers des guichets automatiques ainsi que l'heure pour qu'on s'y réfère au besoin? Cela n'éliminerait pas tous les cas, mais cela pourrait certainement en éliminer, notamment le cas du jugement de la Cour provinciale, où le type prétend qu'il n'a pas utilisé sa carte. Y avez-vous songé? Les coûts ne seraient pas énormes et, puisque vous avez parlé de la sécurité du système, voilà un élément sécuritaire qui n'est pas dispendieux; les chaînes de dépanneurs en ont maintenant. On peut imaginer que les coûts ne seraient pas, non plus, énormes pour les banques et les autres institutions financières qui décideraient d'utiliser cette méthode. Est-ce qu'on en a discuté ou est-ce qu'il y a des projets de ce côté?

M. Dionne: II y a effectivement un certain nombre de guichets qui sont munis de caméras, mais ils sont peu nombreux, semble-t-il, et je ne crois pas que la seule question que nous sommes en train de regarder justifierait, à mon point de vue, l'utilisation de caméras. En fait, les problèmes sont tellement peu nombreux... Comme je le mentionnais tout à l'heure, il n'y a eu que quelques cas où il s'est avéré que c'étaient des gens à qui le numéro d'identification avait été communiqué, qui avaient utilisé la carte. Je ne crois pas que ce point justifierait que des caméras soient Installées dans tous les guichets. Il y aurait peut-être avantage, par contre, à le considérer au plan de la sécurité des gens qui s'y présentent: je sais qu'il y a eu quelques vois, que des gens se sont fait voler sur les lieux. Il faut dire là-dessus que les guichets appartiennent aux caisses elles-mêmes, donc que ce sont elles qui sont à même de le faire. On ne peut pas donner aux caisses l'instruction d'installer des caméras, elles doivent prendre cette décision individuellement. Comme iI y en a quelque 1300 réparties sur le territoire... Pour résumer, je ne crois pas que la question que nous étudions justifierait à elle seule l'installation de caméras dans les guichets puisque les problèmes sont trop peu nombreux pour cela.

Le Président (M. Marcil): Est-ce que cela va? M. le ministre.

M. Rémillard: J'aimerais peut-être aborder maintenant vos remarques sur le droit international privé. C'est intéressant parce que vous avez une bonne expérience des problèmes reliés à l'application du droit international privé. Plusieurs caisses sont situées près des frontières ou même certaines caisses sont à l'extérieur du Québec. Donc, il y a une relation directe de droit qui peut s'établir en fonction du droit international privé, que ce soit au niveau national ou même au niveau International. J'aimerais peut-être vous entendre, si vous pouviez un peu compléter votre mémoire sur cet aspect. Entre autres, j'ai une question qui me venait, ce matin, en réfléchissant encore à ces aspects que vous soulignez dans votre mémoire. Est-ce qu'il arrive souvent qu'un citoyen étranger, un citoyen qui n'est pas québécois, réclame, dans une caisse populaire, un dépôt à titre d'héritier, par exemple? Est-ce que cela pose, à ce moment-là, certains problèmes de preuve, entre autres?

M. Dionne: M. le ministre, Je dois vous dire que, d'abord, en ce qui a trait au droit international privé à l'époque où j'ai étudié dans ce domaine, le cours était facultatif et vos cours étaient beaucoup plus intéressants. Nous avons beaucoup plus accentué nos connaissances dans le domaine du droit administratif et constitutionnel qu'en droit international privé. Deuxièmement,

même si nous avons des caisses situées sur tes frontières des autres provinces, on doit dire que les questions qui nous sont posées sont très rares. Cela m'est arrivé peut-être à trois reprises, depuis une dizaine d'années chez Desjardins, de répondre à des questions qui concernaient le droit International privé. Donc, notre expertise est très faible à ce chapitre. On a, en fait, examiné les articles au meilleur de notre connaissance et on a fait quelques commentaires d'ordre plutôt technique. Je pense qu'on peut difficilement en faire plus pour le moment.

Vous posez spécifiquement la question en ce qui concerne les héritiers dans le cas des autres provinces. En tout cas, je ne me rappelle pas que la question m'ait été posée. On a eu, à quelques reprises, des cas de sûreté des biens, par exemple, l'entreprise était située au Québec et elle exploitait au Nouveau-Brunswick. On a eu des questions comme celles-là, mais il faut connaître le droit du Nouveau-Brunswick pour y répondre. Donc, on devait, à ce moment-là, communiquer avec des juristes des autres provinces pour leur demander quelle était la situation juridique dans leur province. C'est de cette façon qu'on les réglait. Malheureusement, on s'est dit, d'ailleurs, que, probablement, parmi les juristes du Barreau, il y en a qui pratiquent sur les frontières. Ils sont beaucoup plus à même de commenter cette section du droit international privé.

Le Président (M. Marcil): Cela va. M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Si vous me le permettez, M. le Président, j'aimerais revenir à la preuve de façon plus précise à l'article 3024 qui traite du ouï-dire auquel vous faites référence à la page 11 de votre mémoire. Vous nous dites, à un moment donné, que la présomption prévue au troisième alinéa devrait également s'appliquer au deuxième alinéa où on dit: "Le tribunal doit s'assurer qu'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de l'exiger. " J'aimerais peut-être vous entendre davantage sur votre proposition visant à utiliser la présomption du troisième alinéa au deuxième alinéa comme critère, comme condition pour que le tribunal permette le ouï-dire.

M. Dionne: En fait, le deuxième alinéa se lit comme suit: "Le tribunal doit cependant s'assurer qu'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de l'exiger, et que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier. " (11 h 45)

Le paragraphe suivant dit: "Sont présumés présenter ces garanties, notamment, les documents élaborés au cours des activités d'une entreprise et les documents Inscrits dans un registre dont la tenue est exigée par la loi. " En fait, tel que rédigé, nous croyons que le dernier paragraphe ne s'applique qu'à une partie de l'alinéa précédent. On pense que les documents élaborés au cours des activités d'une Institution financière... Prenons la déclaration qui porte sur ce qu'un membre peut avoir en dépôt. Lors du divorce d'un membre, le conjoint peut demander à l'employé de l'institution financière d'aller témoigner. Le dernier paragraphe de l'article 3024 ne crée la présomption que pour la dernière partie du deuxième alinéa, c'est-à-dire "que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier". On pense que cette présomption devrait s'appliquer également au fait qu'il n'est peut-être pas impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, mais à tout le moins déraisonnable. Les employés des caisses ou le directeur, très souvent, sont appelés à témoigner dans des cas de divorce pour uniquement déclarer quel montant est en dépôt ou quel est le solde d'un prêt. C'est dans le but de pouvoir faire une déclaration plus facilement que nous demandons cette modification.

M. Dauphin: D'accord. Merci beaucoup.

Le Président {M. Marcil): Cela va Donc, en conclusion, M. le député de Taillon.

M. Filion: Oui. Je voudrais, encore une fois, remercier les représentants du mouvement

Desjardins de nous avoir fait part de leurs commentaires sur cet avant-projet de loi. Je veux les remercier également de la qualité de leur mémoire, de la qualité de leur présence ici, ce matin.

Le Président (M. Marcil): M. le ministre.

M. Rémillard: M. le Président, moi aussi je veux remercier Me Dionne, Me Poulin pour ce mémoire, leurs commentaires. Ce qu'ils ont relevé nous permettra d'améliorer certainement la qualité de notre avant-projet de loi. Je veux les assurer en leur disant que nous allons prendre en considération de façon très sérieuse leurs commentaires, leurs remarques. Je les remercie.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. le ministre. Me Dionne, Me Poulin, merci beaucoup de vous être présentés à cette commission. J'inviterai immédiatement l'Association des banquiers canadiens à prendre place à l'avant.

Aux représentants de l'Association des banquiers canadiens, bienvenue à cette commission parlementaire. J'aimerais demander à Me Daniel Ferron et Me Pierre Bienvenu de procéder immédiatement à leur exposé qui sera suivi d'une période de discussion de 40 minutes.

M. Ferron (Daniel): D'accord. Merci beaucoup. L'Association des banquiers canadiens

remercie les membres de la commission...

Le Président (M. Marcil): Juste à titre d'information, vous êtes Me Daniel Ferron?

M. Ferron: Daniel Ferron et Me Bienvenu est notre avocat-conseil de la firme Ogilvy, Renault

Le Président (M. Marcil): Merci.

Association des banquiers canadiens

M. Ferron: L'Association des banquiers canadiens remercie les membres de la commission des institutions d'avoir bien voulu accepter d'entendre le point de vue de l'Industrie bancaire sur la dernière tranche de la réforme du Code civil du Québec contenue dans l'avant-projet de loi portant réforme au chapitre de la preuve, de la prescription et du droit international privé. Comme vous savez, notre association, par le biais de son sous-comité juridique, s'est Impliquée pleinement dans l'ensemble du processus de consultation visant à en arriver à une réforme complète de notre Code civil. Ainsi, en août 1987, notre association présentait ses commentaires sur l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des sûretés et de la publicité des droits. Par la suite, en août 1968, nous produisions un mémoire sur le document de consultation sur les droits économiques des conjoints. Enfin, en octobre 1988, nous comparaissions devant la présente commission pour présenter notre mémoire sur l'ensemble du droit des obligations. C'est donc avec beaucoup d'intérêt et de sérieux que notre association s'est penchée jusqu'à maintenant sur cette réforme qui touche, à maints égards, de multiples aspects des opérations bancaires.

L'avant-projet de loi examiné aujourd'hui ne fait pas exception à la règle. Il est à noter, toutefois, que les commentaires contenus dans notre mémoire ne touchent que les livres Ville sur la prescription et Xe sur le droit international privé. En effet, l'association a choisi de ne pas commenter le livre Vlle sur la preuve étant donné le peu d'incidences des dispositions qui y sont contenues sur les opérations bancaires.

En ce qui concerne le livre Ville sur la presciption, notre association est, de façon générale, très satisfaite des règles qui y sont proposées car elles constituent une nette amélioration par rapport au droit actuel. En effet, l'avant-projet de loi propose de simplifier et d'alléger considérablement les règles de la prescription tout en suivant les grandes lignes des recommandations du rapport de l'ORCC. Au cours de ses présentations antérieures sur les autres tranches de la réforme du Code civil, notre association avait reproché à maintes reprises au législateur de ne pas avoir suffisamment tenu compte du travail effectué par l'ORCC. Nous sommes maintenant heureux de constater que plusieurs des recommandations faites par l'office au chapitre de la prescription ont été retenues et que le plan général de simplification des règles de la prescription proposé par l'ORCC a été suivi.

Compte tenu de cette remarque, l'étude détaillée des dispositions de la prescription n'a suscité que quelques commentaires de la part de l'industrie bancaire. Notre commentaire le plus important concernait l'article 3063. Compte tenu des remarques qui ont été faites, tantôt, par le ministre, la modification qui a été proposée nous satisfait.

Le deuxième commentaire sur lequel on voudrait insister ici concerne l'article 3065. Le premier alinéa de cet article établit le principe que la renonciation à la prescription est soit expresse, soit tacite. Le second alinéa crée une exception à ce principe en ajoutant: Toutefois, en matière immobilière, la renonciation doit être expresse et l'écrit qui la constate doit être publié au registre foncier. " Notre association s'interroge sur le sens exact de l'expression 'en matière immobilière" utilisée dans cette disposition. Le deuxième alinéa de l'article 3065 s'applique-t-il de façon générale à tous les modes d'acquisition des droits réels Immobiliers? Doit-on l'interpréter comme s'appliquant seulement au titre de propriété ou plus largement aux garanties qui peuvent se rattacher au titre? Cet alinéa s'applique-t-il, par exemple, au prêt sur billet assorti d'une garantie hypothécaire? Qu'arrive-t-il si le débiteur renonce à la prescription qui court sur le billet? Cet alinéa s'applique-t-il seulement à la prescription acquisitive ou cou-vre-t-il également la prescription extinctive? Ce sont toutes les questions que cet article a suscité de notre sous-comité juridique. Notre association est d'avis que l'expression "en matière immobilière" aurait grandement avantage à être précisée et que le deuxième alinéa de l'article 3065 devrait être clarifié à la lumière des Interrogations soulevées ci-dessus.

Enfin, le troisième commentaire que nous aimerions porter à votre attention concerne l'article 3085 qui établit que la prescription ne court pas entre les époux pendant la vie commune. Cet article reprend le principe de l'article 2233 du Code civil actuel selon lequel la prescription ne court point entre les époux, en y ajoutant toutefois les mots "pendant la vie commune". À notre avis, les mots "pendant la vie commune" sont inutiles et risquent de porter à Interprétation. Pourquoi ajouter cette notion de vie commune à la disposition actuelle qui paraît tout à fait claire? Que vient d'ailleurs faire la notion de vie commune dans le cadre de cette disposition? En effet, tant que les époux demeurent encore légalement unis par les liens du mariage, la prescription ne devrait pas courir entre eux, peu importe qu'ils fassent ou non vie commune. D'autre part, s'il y avait dissolution du mariage, l'article 3085 ne s'appliquerait plus et la

prescription recommencerait à courir entre les ex-époux, indépendamment de la notion de vie commune. Notre association recommande donc que les mots "pendant la vie commune" soient supprimés.

Quant aux autres commentaires contenus dans notre mémoire au chapire de la prescription, ils visent soit à clarifier certaines expressions proposées dans l'avant-projet de loi, soit à harmoniser les dispositions proposées avec le droit positif. Nous vous invitons donc à prendre connaissance de ces commentaires de nature technique.

La plus grande partie de notre mémoire est consacrée au livre Xe concernant le droit international privé. J'inviterais donc Me Pierre Bienvenu, qui a assisté notre sous-comité juridique dans la préparation de nos commentaires à ce chapitre, à vous faire part des principales préoccupations de l'industrie bancaire sur les nouvelles dispositions proposées.

M. Bienvenu (Pierre): Merci. Mesdames et messieurs, la section du mémoire de l'association qui est consacrée aux dispositions de l'avant-projet portant sur le droit international privé n'aborde que les titres premier et deuxième de ce livre, c'est-à-dire les dispositions générales du livre Xe et les règles proposées en matière de conflits de lois. L'association n'a donc pas commenté les dispositions qui sont proposées en matière de conflits et de juridictions, ni les dispositions proposées dans le titre quatrième qui traite de la reconnaissance et l'exécution des décisions étrangères et de la compétence du tribunal étranger.

Malgré cette portée limitée du mémoire de l'association, je devrai nécessairement l'abréger. Je me propose de vous livrer, outre quelques remarques générales, un résumé de nos commentaires concernant d'abord les règles proposées en matière d'hypothèques mobilières et les règles proposées en matière d'obligations.

Comme pour les autres avant-projets de loi portant réforme du Code civil du Québec, l'Association des banquiers canadiens s'est servi du rapport de l'Office de révision du Code civil comme point de comparaison privilégié pour analyser les dispositions proposées dans l'avant-projet. À cet égard, l'association tient à souligner les efforts des rédacteurs de l'avant-projet pour réorganiser, restructurer et regrouper les règles qu'avait proposées l'ORCC dans son livre consacré au droit international privé. L'association est d'avis que le livre Xe de l'avant-projet comporte dans sa facture une nette amélioration par rapport au livre IXe du rapport de l'Office de révision du Code civil. Les règles proposées sont pour la plupart énoncées dans un langage simple et précis. Elles sont regroupées par sujets et elles se succèdent logiquement.

L'association a également noté que l'avant-projet ne reprend pas les dispositions proposées par l'ORCC dont la constitutionnaiité était douteuse. Je pense, par exemple, aux règles qui avaient été proposées en matière de divorce et au chapitre consacré aux immunités diplomatique et consulaire.

Nous avons toutefois relevé que certains choix de l'Office de révision du Code civil ont été purement et simplement écartés par i'avant-projet. Si l'on ajoute à ce constat l'absence de commentaires des rédacteurs de l'avant-projet, 8 faut reconnaître que, pour une association comme celle que je représente aujourd'hui, le processus de consultation s'en trouve un peu plus compliqué ou plus ardu. Évidemment, ce commentaire ne vaut pas uniquement pour l'avant-projet qui nous occupe aujourd'hui. Peut-être pourrais-je donner un exemple de choix de l'ORCC qui ont été écartés par l'avant-projet.

L'article 3496 de l'avant-projet qui fait partie du titre consacré aux conflits de lois propose que la prescription soit régie par la loi du tribunal saisi. Cette règle est l'inverse de celle qui avait été proposée par l'ORCC, à l'article 46 de son rapport, qui proposait que la prescription soit régie par la loi s'appliquant au fond du litige. L'ORCC avait justifié sa décision, sa proposition, par le désir de clarifier les problèmes d'interprétation suscités en matière mobilière par l'article 2190 du Code civil actuel et par son désir de décourager le "forum shopping". L'ORCC estimait que la prescription ne devait pas être envisagée séparément du rapport de droit auquel elle est attachée et, selon l'ORCC, il n'y avait pas de raison, par exemple, de subordonner la prescription à un changement de domicile du débiteur. L'ORCC optait donc, pour assujettir la prescription, à la loi reconnue applicable au fond du litige et même si, d'après cette loi, la prescription est considérée comme une question de procédure. (12 heures)

La proposition de l'avant-projet laisse d'autant sceptique que des lois ou conventions d'autres juridictions ont opté pour la règle qu'avait proposée l'ORCC. C'est en tout cas le cas de la Convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles qui est ouverte à la signature par les États de la Communauté économique européenne depuis 1980. Cette convention applicable, il est vrai, uniquement en matière contractuelle, stipule à l'article 10 que c'est la loi applicable au contrat déterminé conformément aux termes de la convention qui régit les divers modes d'extinction des obligations, y compris les prescriptions et les déchéances fondées sur l'expiration d'un délai. On peut également signaler la récente Foreign Limitation Periods Act, loi votée par le Parlement anglais en 1984, qui adopte également ce même principe général sujet à une exception d'ordre public dont l'application est laissée évidemment à la discrétion du tribunal saisi. L'association estime donc qu'en l'absence de justification des rédacteurs de l'avant-projet le législateur devrait reconsidérer

le choix porté par l'avant-projet et peut-être revenir à la solution préconisée par l'ORCC en édlctant donc à l'article 3496 que la prescription est régie par la loi qui s'applique au fond du litige.

J'aborde la sous-section consacrée aux hypothèques mobilières en rappelant d'abord que les banquiers ont maintes fois manifesté leur entier appui à l'Introduction de l'hypothèque mobilière dans le Code civil du Québec et ce, bien qu'ils aient par contre eu l'occasion d'exprimer certaines réserves à l'égard des modalités d'application proposées par l'avant-projet sur les sûretés, notamment en matière de publicité des droits. En ce qui a trait à l'avant-projet qui nous occupe, les banquiers s'interrogent dans un premier temps sur l'opportunité d'Insérer les règles proposées aux articles 3467 à 3470 dans le livre consacré au droit international privé où ils se trouvent, plutôt que dans le chapitre de notre futur code consacré aux sûretés immobilières. Même si les règles proposées dans ces articles au sens strict dérogent à la règle générale énoncée à l'article 3462, les règles proposées relèvent, à notre avis, plutôt du droit interne positif. A ce titre, II nous semble qu'il serait préférable de les intégrer dans le chapitre des sûretés. On reprend, en faisant ce commentaire, une remarque qui avait été faite par la doctrine à l'égard des propositions équivalentes du rapport de l'ORCC. Mais, enfin, que ces dispositions se retrouvent dans le titre du droit international privé ou dans le chapitre réservé aux sûretés immobilières, les banquiers ne sont pas d'accord avec certaines des échéances énoncées au premier alinéa des deux articles 3466 et 3469.

Situons d'abord ces dispositions. Par dérogation à la règle générale énoncée à l'article 3462, on se propose de permettre qu'une hypothèque portant sur un bien mobilier qui n'est pas situé au Québec puisse y être créée et publiée. De la même façon, on permet que l'hypothèque mobilière régie par la loi du domicile du constituant - c'est le cas des hypothèques mobilières sur des biens utilisés dans le transport - puisse être publiée au Québec advenant un changement du domicile du constituant. Les articles 3466 et 3469 prévoient un mécanisme qui a pour but d'assurer une continuité de la publicité des droits advenant qu'un bien grevé d'une hypothèque dans un État étranger soit apporté au Québec ou advenant que le constituant d'une hypothèque mobilière change de domicile. Dans ces deux articles, on prévoit qu'il y aura continuité de la publicité à la condition qu'une publication survienne au Québec avant la première des trois échéances suivantes. La première, c'est la cessation de la publication en vertu de la loi où était situé le bien ou encore de la loi où était domicilié le constituant. Il n'y a aucun problème avec cela. La deuxième échéance est l'expiration d'un délai de 60 jours à partir du moment où le bien parvient au Québec ou à partir de la date du changement de domicile du constituant. La troisième échéance, c'est l'expiration d'un délai de quinze jours à partir du moment où le créancier a eu connaissance - je mets ces mots entre guillemets, je vais y revenir - du changement de domicile du constituant ou du changement de situs du bien. En substance, ces dispositions reprennent les règles actuellement établies par the Personal Property Security Act de l'Ontario, dont, Incidemment, la référence à la page 17 de notre mémoire devrait être corrigée pour référer au chapitre 375 des statuts refondus de 1980, tel qu'amendé, plutôt qu'aux statuts refondus de 1970.

En fait, les dispositions proposées se rapprochent beaucoup des règles qui sont proposées en Ontario dans le projet de loi 151, qui est un projet de loi suggéré pour réviser the Personal Property Security Act. L'ABC recommande deux amendements aux articles 3466 et 3469. D'abord, que le délai de 60 jours prévu dans la deuxième échéance de ces deux articles soit prolongé à 90 jours. En vertu de l'article 1979-g) du Code civil, c'est le délai actuellement en vigueur en matière de nantissement commercial et la situation envisagée, très analogue à celle prévue par les articles 3466 et 3469, est celle où les biens qui sont l'objet d'un nantissement commercial sont déplacés. On ne voit pas a priori pourquoi un délai plus court est retenu dans l'avant-projet de loi.

La seconde suggestion de l'association est d'abolir purement et simplement la troisième échéance prévue au premier paragraphe de ces deux articles, c'est-à-dire ce délai de 15 jours qui commence à courir du moment où le créancier a connaissance de l'arrivée du bien au Québec ou du changement de domicile du constituant. Cette échéance, comme nous le signalons dans notre mémoire, est nouvelle par rapport aux propositions de l'ORCC et elle nous paraît faire double emploi au sujet de l'objectif du législateur avec la deuxième échéance mentionnée dans cet article, c'est-à-dire le délai de 60 ou 90 jours, si notre suggestion est acceptée, à partir du moment où le bien parvient au Québec ou à partir du moment où il il a changement de domicile du constituant. A notre avis, cette troisième échéance impose au créancier un délai inutilement court, surtout si l'on tient compte que la connaissance peut très bien être celle d'un établissement secondaire d'une institution bancaire.

Je note finalement qu'il existe une distinction Inexplicable, à notre avis, entre la connaissance qui déclenche le point de départ du délai de 15 jours selon que l'on traite du changement de situs du bien plutôt que du changement de domicile du constituant. Je vous invite à comparer les articles 3466, où il est écrit 'du moment où le créancier a su", et 3469 où, dans la même hypothèse, on écrit "du moment où le créancier reçoit notification". Le bill 151 de l'Ontario auquel j'ai référé et qui semble être

l'inspiration pour cette troisième échéance prévoit, dans les deux cas: "du moment où le créancier reçoit notification du changement". Nous précisons que les modifications que nous demandons à ces deux articles ne préjudicieront pas à un acheteur de bonne foi ou a un créancier hypothécaire de bonne foi qui aurait pu obtenir des droits à l'égard du bien en cause pendant les périodes envisagées par ces articles. Ces personnes sont protégées par l'alinéa 2° des articles 3466 et 3469, qui énonce que la règle du premier alinéa ne leur est pas opposable avant que l'hypothèque ne soit effectivement enregistrée au Québec.

Je saute du statut réel dans lequel s'inscrivaient les dispositions que je viens de commenter au statut des obligations pour consacrer quelques minutes aux commentaires de l'association concernant les articles 3479 et 3480 de l'avant-projet de loi. Ces articles font partie des règles proposées pour déterminer la loi applicable au fond des actes juridiques qui, pour utiliser la terminologie de l'avant-projet de loi, présentent un élément d'extranéité qu'on peut appeler, aux fins d'une discussion profane, des transactions internationales. Rappelons dans quel contexte ces articles sont susceptibles de s'appliquer.

D'abord, voyons le principe. L'article 3477 de l'avant-projet endosse et adopte le principe général de l'autonomie de la volonté. Le principe est donc que les parties pourront désigner la loi régissant un rapport juridique déterminé et notre droit va respecter leur choix sous la seule réserve que ce choix ne rende l'acte invalide. Les articles 3479 et 3480 s'appliqueront lorsque les parties à une transaction internationale n'auront pas expressément ou implicitement désigné la loi applicable. Avant de vous donner lecture de ces articles pour justifier nos commentaires, j'aimerais signaler la pertinence de ces deux dispositions non seulement pour les banquiers mais pour toute entreprise qui fait fréquemment partie des opérations internationales ou qui fait affaire avec des personnes situées en dehors des frontières du Québec. Donc, ces deux dispositions 3479 et 3480 vont s'appliquer à tout acte juridique y compris les opérations bancaires, qui respectera les deux conditions suivantes: d'abord, les parties n'auront pas expressément ou implicitement à désigner la loi d'un État donné pour régir leur rapport juridique et, deuxièmement, le rapport juridique ou l'acte dont II est question n'est pas visé par une des dispositions particulières qui suit ces dispositions générales, c'est-à-dire n'est pas une vente, n'est pas un contrat de travail, n'est pas une cession de créance, par exemple. Il est donc évident qu'une foule de contrats synallagmatiques seront visés par ces deux dispositions et un nombre appréciable de ces contrats pourront impliquer une institution bancaire. Je donne lecture de l'article 3479. "En l'absence de désignation de la loi dans l'acte, les tribunaux appliquent celle de l'État qui, compte tenu de la nature de l'acte et des diverses circonstances qui l'entourent, présente les liens les plus étroits avec cet acte. " Cet article adopte une règle qui est appliquée par un nombre toujours croissant de pays et le critère retenu dans cet article, celui de l'État qui présente les liens les plus étroits avec cet acte, réfère à un concept bien connu en droit international privé. Et, pour déterminer cet État, la jurisprudence impose au juge de tenir compte de plusieurs facteurs. Il tiendra compte de la nature de l'acte, du lieu de sa conclusion, du lieu de son exécution principale ou de la situation du bien qui en est l'objet. Il tiendra compte du domicile, de la résidence, de la nationalité, du centre des affaires des parties. Il tiendra compte de la forme, de la rédaction, parfois même de la langue de l'acte. Il tiendra compte de la monnaie de paiement et il tiendra compte aussi des clauses d'arbitrage et des clauses attributives de juridiction.

Donc, on conçoit facilement que le juge qui est appelé à peser ces facteurs n'a pas la tâche facile. C'est aussi une règle qui, par l'incertitude que nécessite une analyse de tous ces facteurs, ne comporte pas un très grand degré de prévisibilité pour les parties à de telles opérations juridiques. C'est pourquoi l'avant-projet, comme plusieurs corpus de règles de droit international privé, a choisi de compléter l'article 3479 par une présomption et on retrouve cette présomption a l'article 3480 dont je vous donne lecture. "Les liens les plus étroits - critère de l'article 3479 - sont réputés exister avec la loi de l'État dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique de l'acte a sa résidence habituelle ou, si celui-ci est conclu dans l'exercice de l'activité d'une entreprise, son établissement. " Pour bien comprendre l'effet pratique de cette disposition, il faut tenir compte de l'article 3029 de l'avant-projet de loi dans son chapitre consacré à la preuve.

Cet article 3029, que je cite dans le mémoire de l'Association, énonce en substance que lorsqu'une présomption est exprimée par l'utilisation du terme "réputé", elle est absolue et aucune preuve ne peut y être opposée. C'est ce qu'on appelle une présomption irréfragable. L'Association des banquiers est d'avis que l'article 3480 ne devrait pas comporter une présomption irréfragable ou absolue mais que le législateur devrait se contenter d'édicter une présomption simple. Je vous résume les raisons de cette position. (12 h 15)

D'abord, l'article 3480 est une disposition de droit supplétif, donc une disposition susceptible de s'appliquer à une foule de transactions. C'est une chose d'édicter une présomption pour faciliter la tâche d'un juge chargé d'identifier, en vertu de l'article 3479, l'État qui présente les liens les plus étroits avec un acte juridique. Il nous apparaît que cela en est une autre de lier les mains de ce juge en lui Imposant une solution qui pourrait fort bien n'être pas com-

patible avec le principe général de l'article 3479. A notre avis, l'article 3480 pourrait fort bien conduire à ce résultat. En faisant ce commentaire Je ne perds pas de vue l'article 3445 qui prévoit une clause de sauvegarde lorsque la loi désignée par le présent livre n'est pas applicable; mais je vous signale que cet article 3485 ne s'applique qu'à titre exceptionnel et que, si l'on conçoit cette disposition comme la sauvegarde de la présomption absolue qu'on propose à l'article 3480, nous sommes d'avis que ce n'est pas une sauvegarde suffisante.

La deuxième raison qui explique notre position découle du critère même qui est retenu à l'article pertinent, c'est-à-dire le critère de la prestation caractéristique de l'acte. C'est un critère inconnu à ce jour en droit québécois, mais qui n'est pas inusité. J'ajouterais que pour un très grand nombre de contrats ce critère est parfaitement fonctionnel. Par exemple, en présence d'une simple vente ou en présence d'un simple contrat de travail, on n'aura pas de difficulté à juger que la prestation caractéristique du premier est celle du vendeur et que la prestation caractéristique du second est celle de l'employé. Mais il est des conventions beaucoup plus compliquées auxquelles peuvent intervenir plusieurs parties et dont II sera difficile, sinon impossible, d'identifier la prestation caractéristique. Plusieurs opérations bancaires pourraient tomber dans cette catégorie. Les rédacteurs de l'avant-projet, semblent avoir été inspirés par la Convention sur ta loi applicable aux obligations contractuelles, convention de la Communauté économique européenne à laquelle j'ai déjà référé. À la page 24 de notre mémoire, nous citons le texte de l'avant-projet de cette convention et nous avons retenu le texte de l'avant-projet parce qu'il illustrait mieux notre position dans une seule disposition plutôt que dans une série de dispositions. Tant l'avant-projet que le texte final de cette convention reconnaissent la difficulté dont je parle et ne font de la règle de la prestation caractéristique qu'une présomption réfragable. À cet égard je vous cite le texte final de l'article 4, paragraphe 5°, de la convention qui se lit comme suit: L'application du paragraphe 2° - c'est celui de la prestation caractéristique - est écartée lorsque la prestation caractéristique ne peut être déterminée. Les présomptions des paragraphes 2°, 3° et 4° sont écartées lorsqu'il résulte de l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus étroits avec un autre pays.

L'article 3480 comporte également une Imprécision qui pourrait engendrer des problèmes. Ces problèmes découleront des difficultés pratiques qui vont résulter de l'application du terme "établissement" lorsque le débiteur de la prestation caractéristique de l'acte est une entreprise ayant plusieurs établissements. À l'article 34. 80, si vous le lisez, il est Impossible de dire si l'on veut référer à l'établissement principal de l'entreprise ou si l'on peut englober dans ce terme un établissement secondaire, advenant que ce soit cet établissement secondaire qui doive fournir la prestation caractéristique. Notre mémoire signale, d'ailleurs, que le même problème se soulève à l'égard de l'article 3494 qui fait partie de la sous-section consacrée à la responsabilité du fabricant d'un bien meuble.

Le Président (M. Marcil): Juste une petite seconde pour vous dire que vous avez déjà utilisé 30 minutes. Vous aviez 20 minutes à votre disposition. SI les deux parties permettent on va continuer, sauf qu'il va y avoir moins de temps pour la discussion.

M. Bienvenu: Je suis dans les mains des membres de la commission.

M. Filion: Est-ce que vous terminiez?

Le Président (M. Marcil): Vous pouvez terminer sauf qu'on va être limités dans le temps pour la discussion. Allez-y.

M. Bienvenu: Je vais terminer ces remarques sur les dispositions supplétives en matière contractuelle et je ne ferai que résumer le reste des remarques que j'avais préparées pour vous.

J'allais dire, donc, que plusieurs corpus, plusieurs conventions portant des règles de droit international ont jugé bon de prévoir une solution à la difficulté que je viens de mentionner. Dans la Convention de Rome de 1980 dont je viens de parler, on énonce que, lorsqu'il s'agit d'une société, association ou personne morale, "établissement" se réfère à l'administration centrale ou au principal établissement de cette société à moins, ajoute la disposition, que la prestation ne doive être fournie par un établissement autre que l'établissement principal, auquel cas on retient cet autre établissement. Dans la Convention des Nations unies sur le contrat de ventes Internationales de marchandises, adoptée à Vienne de 1980, on prévoit à l'article 10 que, lorsqu'une partie a plus d'un établissement, l'établissement à retenir est celui qui a ta relation la plus étroite avec le contrat et son exécution, eu égard aux circonstances connues des parties ou envisagées par elles. Évidemment, la Convention de Vienne ne prescrit pas des règles de conflit, mais je pense qu'elle atteste de l'Importance de prévoir, lorsqu'on légifère à l'égard d'entreprises en utilisant le terme "établissement", quelle situation on a en tête. Notre mémoire cite également l'article 36 du Code autrichien qui précise, en légiférant à l'égard des entreprises, que la résidence habituelle est remplacée par l'établissement dans le cadre duquel le contrat est conclu.

Donc, en résumé, l'association invite les membres de la commission à réviser l'article 3480 en remplaçant les mots "sont réputés" par les mots 'sont présumés". Deuxièmement, les banquiers vous invitent à étudier la possibilité

d'adopter une disposition générale analogue à l'article 4, paragraphe 2°, de la Convention de Rome afin de pourvoir à la situation d'entreprises ayant une pluralité d'établissements.

Au chapitre des règles particulières applicables à la responsabilité, responsabilité civile du fabricant d'un bien meuble ou responsabilité civile de tout autre auteur d'un acte donnant lieu à l'obligation de réparer, nous signalons à l'égard de l'article 3492 les problèmes qui sont liés aux deux parties, qui permettent à l'auteur du préjudice de s'exonérer de la loi désignée par l'article en signalant qu'il y a peut-être une façon plus heureuse de stipuler cette clause d'exonération. Prenons pour exemple le deuxième paragraphe de l'article 3494. Ce paragraphe est applicable en matière de responsabilité du fabricant d'un bien meuble et il permet au fabricant de ce produit de se soustraire à la loi de l'État dans lequel le bien a été acquis par le consommateur s'il prouve que le produit a été mis en circulation dans cet État sans son consentement. Ce critère d'exonération peut, à mon avis, donner lieu à au moins deux interprétations. Est-ce que le fabricant a à prouver qu'il avait expressément défendu la mise en circulation du produit dans cet État ou est-ce qu'il lui suffit de prouver qu'il n'avait pas dirigé son produit dans cet État? Alors, si l'intention du législateur est la première hypothèse, on pourrait dire: Sauf si le fabricant prouve que le produit a été mis en circulation dans cet État malgré une prohibition expresse du fabricant. Si son intention, celle du législateur que vous représentez aujourd'hui est dans la deuxième hypothèse, on pourrait considérer un critère du genre: Sauf si le fabricant prouve qu'il ne pouvait prévoir que le produit serait mis en circulation dans cet État. Cette dernière suggestion de formulation est analogue à celle qu'a adoptée la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moran versus Pyle, une affaire qui concernait le droit d'un individu de poursuivre, dans sa province, un fabricant étranger d'un produit qui avait causé un dommage. Alors, je signale simplement qu'un problème d'interprétation analogue se soulève à l'égard de la deuxième partie de l'article 3493 où l'on dit: Sauf... Le principe général, c'est la loi du lieu où le fait générateur du préjudice est survenu et l'article ajoute: "Si le préjudice s'est produit dans un autre État, la loi de cet État est applicable si l'auteur devait prévoir que le préjudice s'y produirait. " Alors, on ne dit pas dans cette disposition qui a le fardeau de prouver si l'auteur devait prévoir que le préjudice se produirait dans un autre État. Est-ce que c'est la personne lésée? Est-ce que c'est l'auteur du dommage? Quelle preuve doit être apportée pour tomber dans cette clause d'exonération? On pourrait prévoir - je le mentionne à titre de suggestion, simplement pour clarifier l'intention du législateur - que la loi de cet État est applicable à moins que l'auteur ne prouve qu'il ne pouvait raisonnablement prévoir que le préjudice s'y produirait. Il me semble que la disposition est bonifiée de deux façons. D'abord, on Indique clairement qui a le fardeau de faire cette preuve et on donne un indice sur le type de preuve que la personne qui a le fardeau devra faire pour tomber dans l'exonération.

Je rappelle en terminant que notre mémoire comporte certains commentaires sur la formulation des dispositions générales du livre Xe. Je n'en traite pas, bien que je suis tout à fait prêt à répondre à des questions sur ce sujet, mais je pense que, par leur portée, ces dispositions générales sont importantes et tout commentaire ayant pour but d'en améliorer la formulation vaut l'attention des membres de cette commission.

J'ai entendu l'adjoint parlementaire dire, au début de l'ouverture des travaux de la commission ce matin, que c'est avec une certaine fierté que le gouvernement présentait ce livre dans l'avant-projet de loi. Je pense que tout praticien ayant eu à traiter des problèmes de droit international privé s'enorgueillit de penser que le futur Code civil du Québec comportera un corpus aussi bien pensé et aussi moderne que celui qui est proposé. Espérons que les suggestions modestes que nous faisons aujourd'hui et celles que d'autres intervenants pourront vous faire mèneront à ce livre, qui, nous l'espérons tous, fera la fierté de la province de Québec. Merci beaucoup.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me Bienvenu, pour cet exposé, de même que Me Ferron. Je voudrais vous informer que vous avez dix minutes d'intervention pour chaque groupe parlementaire. M. le ministre de la Justice.

M. Rémillard: Merci, M. le Président Je veux remercier tout d'abord Me Ferron et Me Bienvenu d'avoir accepté de venir nous présenter ce mémoire de l'Association des banquiers canadiens, un mémoire très bien fait, fort précis et qui, je pense, met en évidence d'une façon fort éloquente les arguments soulevés par l'Association des banquiers canadiens.

Nous venons d'entendre Me Bienvenu et Me Ferron qui ont Insisté sur plusieurs points. Pour ma part, M. le Président, j'aimerais revenir sur un aspect qui soulève différentes questions sur cet article 3496. Vous avez insisté dans votre présentation sur cet article 3496 et vous vous opposez à la règle qui y est proposée en matière de prescription. C'est une règle qui est à l'inverse de celle recommandée, de fait, à l'ORCC et qui, selon vous, risque d'encourager ce que vous appelez le "forum shopping". Ne croyez-vous pas que, si on appliquait la loi du fond du litige à la prescription, cela pourrait causer beaucoup de difficulté dans l'administration de la justice? Par exemple, on sait que cette règle suppose que les juristes, les avocats, doivent être parfaitement informés d'un aspect des lois étrangères qui sont parmi les plus complexes, les plus techniques, les

plus difficiles à saisir. Ensuite, dans le cas de victimes multiples d'un accident, cela signtflralt qu'il faudrait à chaque fois prouver la loi étrangère éventuellement applicable. Cela Impliquerait beaucoup de frais et beaucoup de temps. Nous avons préféré que la prescription soit régie par la loi du tribunal saisi parce qu'on voyait des conséquences pratiques difficiles dans le cas d'un changement de règles, comme vous le proposez. J'aimerais que vous puissiez réagir à ces difficultés qu'on pourrait avoir quant à l'administration de la justice.

(12 h 30)

M. Bienvenu: Je pense qu'il faut que je reconnaisse ces difficultés, elles existent. Cependant, il faut également reconnaître l'ajout marginal, si je peux utiliser une expression qui doit comporter un anglicisme, de problèmes que cette règle comporterait et le comparer avec les incongruités que la règle Inverse peut comporter. La règle proposée par l'ORCC, la règle qui est adoptée par certains autres pays dans des lois que j'ai citées, assujettit la prescription à la loi applicable au fond du litige, mais le juge québécois chargé d'entendre ce litige régi par une loi étrangère éprouve ces difficultés liées à la preuve du droit étranger. Est-ce que dans un contexte où cette loi s'appliquant au fond du litige, elle est applicable par ailleurs... Est-ce que d'assujettir la prescription à la même loi dans le même litige comporte des inconvénients additionnels suffisants pour justifier le changement de la règle? Je pose la question.

Le "forum shopping", c'est un problème qui est aussi embêtant dans ses conséquences pratiques que dans ses effets, surtout ses effets au niveau de la conception que se font les Québécois de leur justice et la conception que les étrangers pourraient se faire de leur justice. Cela peut mener à des situations embêtantes. Sans m'étendre outre mesure sur le sujet, je pense qu'une affaire illustre bien le problème de la règle actuelle, la règle de l'article 2190 du Code civil, et une règle comme celle qui est proposée. C'est l'affaire Scottish Métropolitain versus Graves, je pense, une affaire qui a été décidée dans les années cinquante. Les faits sont assez simples. Un Québécois conduisant sa voiture en Ontario cause des dommages à un Ontarien. Qui est indemnisé par qui? L'Ontarien est indemnisé par son assureur qui poursuit, donc par subrogation, le Québécois au Québec, sauf qu'il poursuit le Québécois après l'expiration de la prescription d'un an en vigueur en Ontario en vertu du Highway Traffic Act, ou quelque chose du genre. Le défendeur Graves dit: C'est un délit qui est survenu en Ontario; la loi ontarienne s'applique; elle prescrit que l'assureur ou la victime doit poursuivre à l'intérieur d'un délai d'un an, après quoi... Il s'agissait vraiment d'une prescription qui éteint le droit. On disait: Nulle action ne peut être reçue après l'expiration d'un délai de douze mois de la date de l'accident. Donc, l'assureur ontarien a été reçu à poursuivre devant le tribunal québécois, malgré la prescription acquise en Ontario, à cause du problème très particulier qui résulte de la formulation de l'article 2190, alinéa 1°. Je pense que l'exemple montre seulement une injustice dans l'espèce, mais quand même une injustice qu'on préférerait ne pas avoir dans nos livres de jurisprudence.

M. le ministre, les problèmes que vous évoquez existent et la question que je soulève, sans y apporter de réponse définitive, c'est simplement: Est-ce que la difficulté additionnelle qui résulte d'avoir à composer avec une loi étrangère en ce qui regarde la prescription justifie la règle que vous proposez, compte tenu du fait que le tribunal aura de toute façon à entendre une preuve sur la loi étrangère, si c'est la loi étrangère qui régit l'acte?

Le Président (M. Marcil): Cela va? M. le député de Taillon.

M. Filion: Oui. Je remercie à la fois Me Ferron et Me Bienvenu de la clarté de leur mémoire et, également, de la clarté de leurs propos de ce matin. Leur mémoire contient plusieurs recommandations. Je pense que les explications fournies par le ministre à l'article 3063 ont été entendues. Vous faites également une recommandation en ce qui concerne la suspension de la prescription entre époux. Vous avez longuement élaboré sur les hypothèques mobilières; votre recommandation là-dessus nous a paru fort valable.

En ce qui concerne les articles 3477 et suivants, les propos de Me Bienvenu étaient d'une limpidité totale, en tout cas à nos oreilles. Vous avez également commenté la vente de biens meubles de l'article 3481. La responsabilité, en ce qui concerne l'article 3496, c'était la première question que je m'étais réservée, le ministre l'a évoquée. Vous avez, je pense, Me Bienvenu, fort bien résumé notre pensée à l'heure actuelle. D'une façon ou d'une autre, il y a des inconvénients et des avantages, bien sûr; il n'y a pas de solution parfaite.

Le "forum shopping" rebute un petit peu à notre esprit; Il contient, je pense, des effets apparemment pernicieux; II Inviterait, pour un même délit, le ou les poursuivants à regarder les systèmes de droit et à choisir celui qui convient en termes de prescription. Pour les mêmes raisons exprimées de façon fort éloquentes par Me Bienvenu, il nous semble qu'il y aurait également lieu de s'interroger davantage avant de consacrer une règle qui... D'ailleurs, la lecture même de l'article 3496 nous dit: "La prescription est régie par la loi du tribunal saisi. " Cela me paraît aller un peu loin.

Je comprends que la situation actuelle n'est pas toujours facile. De toute façon, quand j'étudiais à l'Université de Montréal en droit international privé, j'avais découvert - je n'avais pas le ministre de la Justice comme professeur; peut-être que cela aurait été différent, mais

plutôt l'ancien ministre des Affaires internationales - que ce n'était pas un domaine facile. Les conflits de lois, etc., les appréciations des circonstances, il n'y a rien de facile dans ce domaine et on peut d'ores et déjà prévoir que ce ne sera pas plus facile dans les années à venir. À partir de ce moment-là, ne vaut-il pas mieux proposer à la population québécoise une règle qui, à sa face même, respecterait - je ne dis pas que ce qui est suggéré ne le fait pas - totalement une espèce de justice naturelle? J'ajoute mes interrogations à celles de nos intervenants, pour le bénéfice du ministre et de son équipe, tout en remerciant, encore une fois, l'Association des banquiers canadiens et ses représentants de leurs propos.

Je voudrais poser une question sur l'article 3477 qui semble donner pleinement effet à la volonté des parties, consacrer l'autonomie des parties comme étant l'élément clé dans le choix du lieu qui pourrait être appelé à examiner l'acte juridique qui a été conclu. Cependant, l'article 3477 nous dit bien "l'acte juridique présentant un élément d'extranéité"; cela est nouveau, je crois. En deux mots, il ne s'agit pas uniquement de désigner ce forum extérieur qui entendrait un litige découlant de la conclusion d'un acte juridique, mais il faut également que cet acte juridique présente un élément d'extranéité. Pour nos intervenants, est-ce qu'il s'agit là d'une contrainte? Et, si cela en est une, est-elle acceptable?

M. Bienvenu: Oui. Lorsque le législateur propose une règle comportant cette condition, on veut éviter des situations qui sont visées non seulement par la condition exprimée dans cet article, mais par d'autres dispositions de l'avant-projet auxquelles je vais référer dans un instant. Ce qu'on veut éviter, c'est que des choix de lois applicables à un rapport juridique - parce qu'on est dans la partie qui parle de choix de lois, mais des problèmes semblables se posent, et vous avez raison de le mentionner, lorsqu'on parle de choix de forum... Donc, on veut éviter que des choix de lois ne soient pas des choix de bonne foi qui se justifient par un certain rattachement avec la loi choisie. Le rattachement peut être par le centre des affaires d'une partie, le lieu d'exécution ou même par l'autorité du droit choisi sur la matière. Par exemple, en matière d'assurance maritime, on connaît tous la prééminence des règles de droit anglais. Alors, il est tout à fait justifiable, pour cette unique raison, de permettre un choix en faveur du droit anglais.

Donc, lorsqu'on dit "l'acte juridique présentant un élément d'extranéité, " on veut simplement se référer à un acte juridique dont tous tes facteurs pertinents, aux fins du droit international privé, ne seraient pas, par exemple, à l'intérieur du Québec. On ne voudrait pas qu'un contrat convenu entre deux Montréalais qui envisagent une prestation montréalaise soit régi par le droit jamaïcain, parce que c'est un de ces choix qui n'est pas un choix de bonne foi. Donc, c'est ce que le législateur vise par l'exigence qui est là, et c'est également ce genre de situation qu'on a à l'esprit lorsqu'à l'article 3445 on énonce un principe qui est une espèce de "lex non convenient", c'est-à-dire que, si la loi choisie, compte tenu de l'ensemble des circonstances n'a qu'un lien éloigné avec la situation pertinente, on ne lui donnera pas effet. J'essaie de dire en d'autres mots ce que je devrais me contenter de lire. On dit: "À titre exceptionnel, la loi désignée par le présent livre n'est pas applicable si, compte tenu de l'ensemble des circonstances, il est manifeste que la situation n'a qu'un lien éloigné avec cette loi et qu'elle se trouve en relation beaucoup plus étroite avec la loi d'un autre État. " C'est une autre façon de prévenir que des choix de lois qui ne se justifient pas par un rattachement quelconque soient faits. C'étaient mes commentaires. (12 h 45)

Le Président (M. Marcil): En conclusion, M. le député de Taillon.

M. Filion: Je ne sais pas si vous étiez présent dans la salle tantôt lors de l'audition des représentants du mouvement Desjardins en ce qui a trait à la preuve. Je sais que vous n'abordez pas cette question, mais je ne voudrais pas ne pas profiter de votre présence pour vous poser une question là-dessus. Ce que le groupe Desjardins nous recommande en ce qui a trait à la preuve, c'est qu'une disposition soit ajoutée dans l'avant-projet, à savoir que l'utilisation du numéro d'identification personnelle équivaille à la signature d'un écrit sous seing privé. Comme j'ai posé la question à vos collègues et parfois adversaires, j'aimerais savoir ce que vous pensez de cette suggestion.

M. Ferron: Sans, évidemment, présumer de la position de l'association comme telle, notre réaction, à la lecture de ces articles, a été de ne pas les commenter parce qu'ils nous semblaient satisfaisants tels que rédigés. Je veux ajouter quelque chose en ce qui concerne la question que vous posiez tantôt au sujet de la fameuse pose de caméras. Il y a un problème à ce chapitre-là. Il y a des banques qui ont même retiré les caméras parce qu'il y avait du vandalisme. C'est, évidemment, deux poids deux mesures. Si on pose des caméras partout et qu'elles se font briser, on n'est pas plus avancés non plus. Cela ne règle pas nécessairement le problème. Je peux dire quand même que les commentaires du mouvement Desjardins sont assez exacts. Il n'y a pas de nombreux problèmes qui se posent à l'heure actuelle, mais il y en a quand même, et nous admettons volontiers que les machines ne sont pas la perfection même. Il y a des problèmes qui se posent et c'est pour ça que les articles proposés nous semblaient satisfaisants et qu'on a décidé de ne pas les commenter.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le député de Taillon.

En conclusion, M. le député de Marquette et adjoint parlementaire. Il vous reste deux minutes.

M. Dauphin: En conclusion, en deux minutes. J'aurais une brève question, en quelques minutes.

M. Filion: Je pense que le député de Marquette peut prendre le temps qu'il lui faut.

M. Dauphin: D'abord, à mon tour, j'aimerais remercier Me Ferron et Me Bienvenu, non seulement pour la qualité de leur mémoire, mais également pour la qualité de leur présentation. Un peu comme Me Dionne le disait tantôt, mol aussi j'ai eu l'occasion de faire mes études à l'Université Laval et le cours de droit international privé, effectivement, était facultatif; je n'avais pas exercé la faculté de le suivre. À ma connaissance, à l'école professionnelle du Barreau, on ne nous a pas soufflé mot, non plus, du droit international privé, du moins en 1975 et 1976. Par contre, à la lecture des articles, évidemment, le sujet étant très Intéressant, je peux dire que Me Bienvenu plaide très bien et avec une grande compétence, ce qui me rappelle des souvenirs alors que le ministre de la Justice m'enseignait à l'Université Laval en droit administratif, à l'époque. C'était très Intéressant.

J'aimerais revenir au droit international privé pour le bénéfice des membres de la commission ainsi que de l'équipe de réforme du Code civil qui nous entoure. Vous étiez sur le point d'y arriver tantôt lorsque le président vous a demandé de conclure ou presque. Je comprends très bien votre rôle, M. le Président, et c'est votre rôle de faire en sorte que l'on suive notre ordre du jour. À la page 31 de votre mémoire, relativement à la responsabilité du fabricant, vous nous dites qu'il y a deux interprétations possibles de l'article 3494: suivant la première, le fabricant aura à prouver qu'il avait expressément défendu la mise en circulation du produit dans cet État et, suivant la seconde, il lui suffira de prouver qu'il ne l'y avait pas dirigé. On en discutait justement tantôt entre nous et on aimerait savoir laquelle de ces deux interprétations vous préférez.

M. Bienvenu: Votre question évoque un choix politique, ce que les avocats ne sont pas habitués de commenter, surtout pas sur le vif. Je pense que les considérations qui devraient présider à la décision du législateur devraient comprendre le fait que l'article envisage exclusivement la responsabilité du fabricant d'un bien meuble, donc la responsabilité du fabricant d'un produit, ce qui comprend tout le vaste secteur du "product liability". On veut donc énoncer une règle qui n'Impose pas un fardeau trop lourd à la personne lésée et les multiples raisons qui justifient que ce fardeau-là soit imposé au fabricant sont très bien exposées dans la décision à laquelle j'ai référé plus tôt, l'affaire Moran versus Pyle qui, encore une fois, se réfère à la question du choix de forum, mais les considérations sont les mêmes. Essentiellement, ce qu'on dit, c'est: Si un fabricant de produits met ses produits en circulation dans les voies normales du commerce, ce fabricant doit accepter d'avoir à défendre des actions en responsabilité civile dans un forum autre que le sien, parce qu'il a dirigé ses produits dans les voies normales du commerce et il ne pourra pas prétendre qu'il ne pouvait prévoir que le bien se retrouverait dans ce pays et y causerait des dommages.

En ce qui concerne les deux volets de l'alternative qui sont énoncés dans notre mémoire, si vous voulez avoir ma préférence, je pense que le deuxième est le meilleur, c'est-à-dire sauf si le fabricant prouve qu'il ne pouvait prévoir que le produit serait mis en circulation dans cet Etat, parce qu'une prohibition expresse du fabricant c'est quelque chose qui peut être fait mais qui peut aussi n'être pas suivi et à la connaissance, peut-être, du fabricant. C'est un critère qui est assez flou, à mon avis, comme le critère - je le dis avec respect - retenu par le paragraphe 2° de l'article 3494, soit "sans son consentement", lorsqu'on parie d'une entreprise qui a plusieurs centres de décision, lorsqu'on parle d'une entreprise qui distribue ses produits par un réseau de distribution qui peut être extrêmement décentralisé. Allez donc voir du consentement de qui on parie dans le paragraphe 2°!

Je préfère une disposition... Je pense que le législateur peut vouloir préférer, étant donné les considérations d'ordre public et de protection de ses ressortissants que j'ai évoquées, énoncer une réserve qui, d'abord, impose clairement le fardeau au fabricant et, deuxièmement, comporte un aspect objectif dans le texte. Ici, on dit qu'il ne pouvait prévoir que le produit serait mis en circulation dans cet État. C'est un critère que le tribunal pourra apprécier avec un modicum d'objectivité. SI vous dites "sans son consentement", cela va être beaucoup plus difficile pour le tribunal de s'ingérer dans une preuve de consentement ou d'absence de consentement. Lorsqu'on dit lorsqu'il ne pouvait prévoir que", il y a un aspect objectif dans le texte à être appliqué. Je pense que c'est une mesure de prudence, qui laisse aussi prévoir des résultats plus justes, parce que les juges sont là pour apprécier les défenses qui leur sont présentées.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me Bienvenu. Allez-y.

M. Dauphin: Merci, Me Bienvenu. Une autre petite. Puisque vous savez exercer des choix, je vais vous demander de faire un autre choix. À la page 25, relativement à l'article 3481 sur la

vente, il y a également deux interprétations, c'est-à-dire qu'à la page 25 du mémoire vous citez à la fois l'avant-projet de convention sur la loi applicable aux obligations, ainsi que le Code autrichien. Toujours dans la même veine, est-ce que vous préférez que l'article 3481 soit précisé en qualifiant l'établissement de principal ou bien qu'il y soit question de l'établissement dans le cadre duquel le contrat est conclu?

M. Bienvenu: Vous me posez une question en rapport avec l'article 3480.

M. Dauphin: L'article 3481.

M. Bienvenu: L'article 3481, ce n'est pas la disposition à laquelle il est fait référence à la page 25 du mémoire. À la page 25 du mémoire, on est à l'article 3480. L'article 3481 est construit, par contre, sur la présomption irréfragable. En fait, c'est mon interprétation de la logique du rédacteur. Ce que je comprends, c'est que le législateur s'est dit ceci: Nous avons à 3480 une présomption irréfragable portant sur le fait que la loi sera celle de l'État dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique de l'acte a soit sa résidence, soit son établissement. L'article 3481 est rédigé en tenant compte de ce postulat et de ce que je vous ai dit plus tôt, c'est-à-dire qu'en matière de vente, théoriquement du moins, il n'y a pas de problème pour déterminer quelle est la prestation caractéristique: c'est celle du vendeur.

L'article 3481 désigne des cas d'exception à la règle générale qui va valoir en matière de vente, mais pas par l'application de 3481, par l'application de 3480. C'est pour ça que nous émettons l'opinion dans le mémoire que, si on révise l'article 3480, on pourra vouloir réfléchir à la nécessité de réviser 3481. Je dis: On pourra vouloir réfléchir, parce que ce n'est pas nécessairement évident qu'on aura à réviser 3481. Mais il est clair, en lisant 3481 qui s'applique à la vente, que, puisqu'on y énonce une exception, les trois cas où la loi de l'État de l'acheteur est la loi applicable... Toute cette disposition est construite en présumant que, sauf pour les ventes qui tombent expressément dans les deux cas mentionnés, 3481 et 3482, les marchés de bourse, à ce moment-là, ça sera la loi du vendeur, par l'application de l'article 3480.

Alors, si vous me demandez ce que je préfère dans les deux volets de l'alternative qui est énoncée à la page 25 de mon mémoire, qui concerne les dispositions qu'on pourrait vouloir adopter pour préciser quel établissement d'une entreprise on vise dans l'une ou l'autre des dispositions... Est-ce que c'est ça votre question, M. le député?

M. Dauphin: Oui.

M. Bienvenu: II y a deux solutions, il me semble. Une solution serait de prévoir une règle qui s'appliquerait pour toutes les dispositions de l'avant-projet où on retrouve le terme "établissement". L'autre possibilité, c'est de préciser, à chacune des dispositions où on retrouve le terme "établissement", lequel on a en tête lorsqu'on parle d'une entreprise avec plusieurs établissements. Pour répondre à votre question de façon correcte, II faudrait que j'explore les deux hypothèses. Si on parle d'une disposition globale, on pourrait s'inspirer de l'article 10, je pense, de la Convention de Rome. Excusez-moi, c'est le paragraphe 2° de l'article 4 de la Convention de Rome. Je vous en donne lecture. On dit: "Sous réserve du paragraphe 5°, il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société, association ou personne morale, son administration centrale. " Et, là, on ajoute: Toutefois, si le contrat est conclu dans l'exercice de l'activité professionnelle de cette partie, ce pays est celui où est situé son établissement principal ou, si, selon le contrat, la prestation doit être fournie par un établissement autre que l'établissement principal, celui où est situé cet autre établissement. " Alors, c'est une formulation assez... On voit que c'est le résultat d'un compromis entre personnes qui parlent des langues différentes. Mais quand même, vous avez des choix de "policies", si je peux dire, dans cette disposition de même que dans l'article 10 de la Convention de Vienne, encore une fois, qui ne parlent pas de conflit ou qui n'édictent pas des règles de conflit mais qui jugulent ou qui règlent le même problème.

Maintenant, si je réponds à votre question en rapport avec l'article 3480, l'article général donc, je pense que les deux possibilités qui sont mentionnées à la page 25 du mémoire énoncent en fait la même règle en des termes différents. Ce qu'ils énoncent comme règle c'est que l'établissement retenu c'est l'établissement principal, sauf si le contrat a été conclu en ayant en tête un établissement secondaire. Dans le cas de l'avant-projet, on dit: "à moins que la prestation caractéristique du contrat ne doive être fournie par un établissement secondaire de cette partie... ", et le Code autrichien dit: "... l'établissement dans lequel le contrat a été conclu. " Mais la règle envisagée par les deux est la même, et cette règle c'est: Si la prestation caractéristique est envisagée dans le contrat et qu'elle est fournie par un établissement secondaire, l'État dont on tiendra compte pour déterminer la loi sera l'État de l'établissement secondaire.

M. Dauphin: Merci beaucoup. C'est très intéressant.

Le Président (M. Marcil): Cela va? M. Dauphin: Oui.

Le Président (M. Marcil): En conclusion.

M. Filion: Oui, voilà, M. le Président. Je voudrais remercier l'Association des banquiers canadiens. J'ai remarqué qu'ils cheminent avec la révision du Code civil. Ce n'est pas la première fois qu'ils viennent témoigner en commission parlementaire. Je pense que nous devons les remercier de s'associer avec ces travaux de révision que je qualifiais, au début de cette séance, de travaux d'Hercule. Donc, je les invite à continuer à être vigilants. Bien qu'il s'agisse peut-être là de la dernière étape, il demeure qu'il y a un projet de loi qui sera déposé et que ce projet de loi devra également requérir l'attention de l'ensemble des Intervenants. Je remercie donc l'association.

Le Président (M. Marcil): M. le ministre.

M. Rémillard: M. le Président, je veux aussi remercier l'Association des banquiers canadiens qui était représentée ce matin par Me Ferron et Me Bienvenu. Je les remercie pour ce mémoire et je veux leur dire que nous allons évidemment prendre en considération pour étude leurs remarques qui portaient sur des points de fait particulièrement Intéressants, afin que notre réforme soit la plus acceptable et parfaite possible. Et je les remercie.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup de votre présence.

M. Ferron: Merci.

Le Président (M. Marcil): Nous allons supendre les travaux jusqu'à 14 h 30.

(Suspension de la séance à 13 h 5)

(Reprise à 14 h 38)

Le Président (M. Blackburn): La commission reprend ses travaux. Nous souhaitons la bienvenue à la Commission des services juridiques. La commission siégera pendant une heure. Vous avez vingt minutes pour votre exposé, puis le ministre aura vingt minutes pour vous répondre et l'Opposition également. Alors, on commence par la présentation du mémoire.

Commission des services juridiques

M. Lafontaine (Yves): Merci. M. le Président. Je voudrais présenter les personnes qui sont avec moi. À ma gauche, Me Micheline Plante du bureau d'aide juridique de l'Estrie; à ma droite, Georges Massol, qui était du service de recherche et qui est maintenant au bureau d'aide juridique de Laurentides-Lanaudière. On ne voulait pas vous faire faux bond étant donné que c'est le dernier volume et qu'on a suivi la commission depuis le début. On comprend que c'est un volume assez technique. On voit, d'ailleurs, par l'assistance nombreuse qu'il n'y a peut-être pas un grand attachement à suivre nos propos. Par contre, on doit dire qu'on a été saisis par la qualité de la rédaction des textes proposés, par leur concision et par leur clarté. Je pense qu'on doit le signaler parce que c'est tout à l'honneur de ceux qui ont fait ce texte.

Nous nous attarderons, bien entendu, étant donné que notre vocation spécifique est plutôt de nous occuper des personnes défavorisées, sur, entre autres, les témoignages d'enfants mineurs. Nous saluons aussi l'apparition des règles de droit international privé. Je pense que cela nous place maintenant dans un village plus global et qu'on vient d'arriver, un peu, dans une ère plus planétaire. Cela permet au Québec, disons, d'être au diapason. Je vais maintenant demander à Me Massol d'en faire un bout, soit sur la preuve et la prescription et, par la suite, je demanderai à Me Plante de continuer sur le droit international privé. Me Massol.

M. Massol (Georges): Merci, Me Lafontaine. Bon après-midi à tous. Alors, sur ces quelques mots de Me Lafontaine, j'ajouterai qu'à cause du sujet et de la qualité des textes proposés, nos commentaires livrés dans notre mémoire sont souvent du même ordre, c'est-à-dire qu'ils sont techniques. On ne reprendra pas ici tous nos commentaires. On va simplement attirer votre attention sur les principaux.

Nous espérons ne pas outrepasser, encore une fois, outrageusement le temps qui nous est accordé, mais il se peut qu'on vous demande une prolongation de cinq minutes. Je pense qu'avec vingt-cinq minutes on pourra passer à travers. Alors, nous tenterons simplement d'insister sur quelques points plus fondamentaux à l'égard desquels nous entretenons certaines réserves ou dont nous applaudissons grandement la venue dans notre droit. C'est important aussi de souligner la venue de certains changements qui doivent rester dans ce projet. Globalement, comme Me Lafontaine l'a expliqué, nous sommes d'accord avec les principes énoncés et croyons que tout ça respecte la tradition juridique québécoise. Dans le domaine de la preuve on a à la fois simplifié les règles actuelles, tout en les modernisant. En matière de prescription, c'est vraiment épatant de voir comment on a simplifié un domaine qui a toujours paru inutilement complexe. Pensons, par exemple, aux divers délais. Mais c'est en matière de droit international privé que les propositions sont les plus intéressantes puisqu'on a, alors, fait un effort considérable pour codifier un droit, soit coutumier, soit jurisprudents ou, si je peux me permettre l'expression, éparpillé dans d'autres lois. Alors, nous disons, là encore, mission accomplie.

Commençons donc par le domaine de la preuve. J'aurai cinq grandes remarques concer-

nant ce domaine. La première remarque est sur la connaissance d'office par le tribunal. Alors, il en est question au début de ce livre. On remarque simplement que la connaissance d'office par le tribunal est parfois large. On parie du droit en vigueur au Québec. Parfois, elle semble plus restrictive, entre autres, concernant les traités internationaux qui devront être prouvés. Nous nous interrogeons sur la portée et le sens de l'article 2985, à savoir que certains règlements ne soient pas publiés dans la Gazette officielle du Québec. Après la rédaction de notre mémoire, nous comprenons et nous osons espérer qu'il s'agit uniquement de règlements municipaux ou de corporations et non pas des règlements qui, normalement, doivent être publiés dans la Gazette officielle. Nous espérons ne pas voir là un énoncé de principe établissant que certains règlements du gouvernement n'auront plus à être publiés dans la Gazette officielle du Québec.

Notre deuxième grande remarque porte sur les écrits non signés. Il existe dans le projet des dispositions particulières concernant les enregistrements informatisés. Il faut constater que d'autres écrits, non signés cependant, existent et que le projet prévoit, alors, que ces écrits font preuve de leur contenu à l'égard de tous et non, comme l'Office de révision du Code civil le prévoyait, qu'à l'égard de l'auteur de l'écrit. On peut donner un exemple de ça: un assuré appelle son assureur pour l'aviser d'un sinistre. Présumons que l'assureur n'a pas encore de fichier informatisé. La personne qui reçoit l'appel colllge cette information sur une fiche manuelle et la place dans le fichier. Jusqu'ici, ça va bien. Mais il peut arriver le contraire aussi. Il peut être indiqué sur la fiche manuelle qu'il n'y a pas eu d'avis de sinistre donné par l'assuré. L'assuré voudra réclamer, par la suite, ses indemnités, mais on lui répondra qu'il n'y a jamais eu d'avis de sinistre, étant donné que la fiche manuelle atteste qu'il n'y a eu aucun avis de sinistre, du moins dans un délai raisonnable, comme le prescrit le Code civil. Alors, ce que l'article, tel que proposé, dit, c'est que cet avis ou cet écrit, dont l'assuré n'est pas partie, fera preuve contre lui, alors qu'il nous semble plus normal que, dans un tel cas, cet écrit ne soit opposable qu'à l'égard de l'auteur, donc de l'assureur. L'article 3010 devrait donc être modifié pour prévoir qu'un écrit non signé, autre qu'un projet d'acte, fait preuve uniquement contre son auteur.

La troisième remarque concernant le domaine de la preuve porte sur l'introduction partielle de la preuve par ouï-dire. Alors, on connaît - évidemment, on est sensible à ça - la raison historique qui interdit l'introduction de la preuve par ouï-dire. On sait, par ailleurs, que, dans certains cas, la preuve par ouï-dire est inévitable. On peut penser au domaine de la protection des intérêts des enfants, par exemple. Selon l'article 3024, alinéa 2 du projet, le juge doit s'assurer du respect de deux critères. Le premier critère, c'est qu'il faut qu'il soit impossible d'obtenir la comparution du déclarant ou - et là, j'insiste - déraisonnable de l'exiger.

Alors, qu'est-ce que cela veut dire "déraisonnable de l'exiger? C'est peut-être l'application qui nous le dira, mais on peut déjà s'apercevoir de la largeur du terme. Qu'est-ce que cela vise? Est-ce que cela viserait la personne clouée au lit, la personne temporairement à l'étranger, la personne demeurant dans un autre district judiciaire qu'il serait déraisonnable de faire comparaître en raison des coûts de sa comparution ou de son voyagement par rapport à l'importance financière de la cause? Est-ce que, dans ces cas-là, il serait déraisonnable d'exiger la comparution de cette personne et qu'une preuve par ouï-dire pourrait suppléer à la comparution de cette personne? Est-ce que cela viserait également la déclaration d'un enfant faite à un psychiatre qui pourrait rapporter devant le tribunal les paroles d'un enfant?

Sur la question particulière de la recevabilité du témoignage d'un enfant fait à un tiers, nous devons souligner que la Commission des services juridiques a déjà émis des commentaires concernant la proposition gouvernementale touchant les amendements à la Loi sur la protection de la jeunesse, sur laquelle la commission a tenu des auditions en octobre 1988, je crois. Dans nos commentaires d'alors, nous mentionnions que tout enfant apte à témoigner devrait témoigner et que toute déclaration antérieure faite, par exemple, à un psychiatre ou à un psychologue ne devrait servir qu'à corroborer le témoignage de l'enfant. Les passages pertinents des commentaires de notre service, énoncés lors de l'étude des amendements à la Loi sur la protection de la jeunesse, se retrouvent à la fin de notre mémoire, en annexe.

Nous croyons que ce n'est qu'exceptionnellement que la déposition d'un déclarant puisse se faire hors la présence du tribunal. La personne devrait toujours, autant que possible, être présente devant le tribunal. À cette fin, et même au risque d'alourdir le texte de l'article 3024, le législateur devrait prévoir, d'une façon non limitative, ce qu'il entend par l'impossibilité d'obtenir la comparution d'un déclarant ou ce qu'il entend par le caractère déraisonnable d'exiger une telle comparution. Nous admettons que c'est plus facile à dire qu'à faire, par contre. Cela permettrait au tribunal de fixer les limites de ce pouvoir et de ne l'appliquer que dans des cas bien exceptionnels. Nous ajoutons, à la fin de ce critère, qu'il faut cependant noter que l'idée que sous-entend ce deuxième alinéa correspond aux tendances nouvelles et actuelles d'acceptation de la preuve par ouï-dire et recueille à cet effet notre approbation. Voilà pour le premier critère.

Le deuxième critère énoncé par l'article 3024, c'est que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties

suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier. Le troisième alinéa du même article, 3024, énonce deux cas où des documents sont présumés présenter ces garanties sérieuses. Là, on s'interroge sur les motifs qui ont poussé le législateur à ne reconnaître cette présomption qu'aux documents des entreprises. Alors, a cet égard, l'article 43 de l'Office de révision du Code civil nous semblait plus conforme et touchait davantage d'activités que simplement les entreprises, tout en élaborant des critères qui étalent fiables et justes. Ainsi, comme le proposait l'Office de révision du Code civil, la déclaration faite dans l'exercice d'une activité régulière et consignée dans un registre spécialement tenu à cette fin pourrait être présumée présenter des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier. Alors, on élargirait, tout en conservant des balises raisonnables.

J'en viens à la quatrième remarque générale concernant ce domaine de la preuve, cette fois, pour applaudir grandement la venue de l'article 3040 du projet, dont la formulation et le contenu nous semblent tout à fait heureux. Il était temps qu'on puisse apporter une solution juste à certains cas où une déclaration extrajudiciaire était considérée irrecevable dans le domaine criminel à cause de l'article 24 de la charte canadienne. Cette même déclaration pouvait constituer la preuve principale dans une cause civile, alors qu'elle ne pouvait absolument pas passer dans le domaine criminel. Ici, avec le rempart que nous donne l'article 3040, selon l'analyse que nous en avons faite, nous avons retrouvé sensiblement les mêmes critères que ceux énoncés à l'article 24 de la charte. On a nettement amélioré les propositions de l'Office de révision du Code civil qui avaient été faites à cet égard. Là-dessus, nous applaudissons et nous espérons grandement que cet article va rester tel quel.

La cinquième et dernière remarque. La notion de commencement de preuve - c'est une remarque un peu plus technique - est préférable à la notion actuelle de commencement de preuve par écrit puisque, de toute façon, un témoignage pouvait constituer un commencement de preuve par écrit. On a enlevé les mots "par écrit"; évidemment, c'est un amélioration.

Deuxième grand domaine: la prescription. Quelques commentaires très brefs vont suffire; j'en ai six. Le premier: une partie devrait pouvoir renoncer à la prescription. C'est peut-être discutable. C'est un débat. Il y en a qui pensent que cela devrait être d'ordre public; d'autres n'y croient pas. Nous pensons qu'une partie pourrait renoncer à la prescription. Deuxièmement, l'article 3072 devrait être éclairci de manière à ne permettre l'interruption de la prescription que lors d'une demande faite par un créancier en vue de la distribution de sommes d'argent dans le cas des dépôts volontaires, tout comme l'article 2224, paragraphe 4, du Code civil du Bas-Canada le prévoit actuellement. L'article 3072, tel que libellé, peut être Interprété de sorte que le dépôt ou la demande au dépôt volontaire de la part du débiteur constitue une interruption de la prescription. Certes, la jurisprudence et la doctrine ont reconnu dans ce geste un acte interrupt de prescription, parce qu'il y avait reconnaissance de dette. Mais, à notre avis, l'article devrait plutôt reprendre l'article 2224. 4 du Code civil du Bas-Canada et faire en sorte que, comme déclaration de principe, ce soit uniquement la demande du créancier qui soit interruptive de la prescription.

Troisième remarque concernant la prescription. Il serait bon de prévoir que la mise en demeure ou l'interpellation judiciaire n'interrompt pas la prescription. Cela va peut-être de soi, sauf que ce n'est pas Indiqué comme tel dans le projet de loi.

Quatrième remarque sur la diminution du délai de la prescription acquisitive de 30 à 10 ans et de 10 ans à 5 ans. On a été pas mal impressionnés par cette diminution. Évidemment, on ne peut pas dire: On va y aller lentement; actuellement, c'est 30 ans, dans deux ans, ce sera 25 ans, dans six ans, ce sera 19 ans, etc. On ne peut pas revenir changer ces délais toutes les années. Sauf que, de 30 à 10 ans, cela nous semble un peu dur. L'Office de révision du Code civil prévoyait 25 ans. N'y a-t-il pas un milieu entre 30 et 10? Est-ce qu'un délai de 15-20 ans ne serait pas acceptable? Évidemment, c'est très subjectif. Je pense que, de 30 à 10, on coupe beaucoup. Je pense qu'on aurait pu trouver un délai entre les deux. Par contre, en ce qui concerne les délais de la prescription extinctive, il me semble que c'est idéal. Sauf quelques exceptions, les délais ont tous été remis sur le même pied. On a simplifié, et heureusement qu'on l'a fait.

On a vu une incompatibilité possible - c'est ma dernière remarque concernant la prescription - entre l'article 3103 du projet, qui établit une prescription dans le cas d'actions relatives à l'état d'une personne - on établit une prescription de dix ans - et l'article 593 du Code civil du Québec où l'on dit que les actions relatives à la filiation se prescrivent par 30 ans. Peut-être y aurait-il là incompatibilité; nous soulevons la question.

Je passe rapidement au domaine du droit international privé. Je vais commencer en vous présentant quelques commentaires et Me Micheline Plante va compléter, surtout en matière familiale. Pour ma part, je traiterai des dispositions à caractère général et patrimonial, si vous voulez. On a scindé le livre du droit international privé sans respecter le schéma suggéré, comme tel.

D'abord, l'article 3442, tel que rédigé, pourrait permettre une trop grande inclusion de la "common law" dans notre droit. C'est un danger que nous y avons vu; I faudrait peut-être réfléchir davantage ou se poser la question. À cet égard, nous suggérons qu'il y ait toujours un

lien de droit étroit entre la disposition d'une loi étrangère et une situation en cause sur le territoire québécois et non qu'on puisse prendre une disposition d'une loi étrangère pour l'appliquer mutatis mutandis à une situation de fait qui n'a aucun rapport avec la situation en cause. Il faut qu'il y ait un rapport étroit pour qu'on puisse se servir d'une disposition étrangère.

Dans le projet, à l'article 3444, on mentionne qu'une disposition d'une loi étrangère doit être "exclue lorsqu'elle conduit à un résultat contraire à l'ordre public". On se demande si on a volontairement employé l'expression "ordre public" et si on ne devrait pas plutôt employer l'expression "ordre public international" qui est une notion connue, débattue. Des Juristes ont fait des thèses de doctorat là-dessus, et elle est relativement bien comprise par le monde juridique. De toute façon, elle constitue une notion distincte de la notion d'ordre public interne. On pose la question.

Concernant le statut des obligations, nous avons noté une difficulté quant à la détermination de la loi applicable. On mentionne qu'en l'absence de désignation dans l'acte, on applique la loi qui présente les liens les plus étroits avec l'acte. L'article 3480 mentionne que les liens les plus étroits sont réputés exister avec la loi de l'État dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence". C'est comme ça qu'on va déterminer les liens les plus étroits. Le problème provient de la difficulté, dans certains cas, à déterminer exactement qui fournit la prestation caractéristique. Dans le cas du contrat de mariage, qui fournit la prestation caractéristique? L'époux? L'épouse? Dans le cas du mandat, le mandataire ou le mandant? Dans le cas de la vente, lorsque aucune des conditions prévues à l'article 3481 n'est remplie, on doit donc se référer au principe général de l'article 3480. Dans ce cas-là, qui fournit la prestation caractéristique? Est-ce l'acheteur ou le vendeur? L'acheteur paie, le vendeur délivre. Dans le cas de la vente, c'est peut-être la délivrance qui l'emporte, mais ce n'est pas très clair dans mon esprit. Plus particulièrement dans les cas d'achat de biens de consommation, nous suggérons dans le mémoire que la loi applicable soft celle du lieu où l'acheteur a sa résidence habituelle et ce, dans tous les cas, pour, évidemment, donner plus de protection au consommateur.

Dans le domaine de la responsabilité, nous nous sommes attardés, dans un premier temps, au choix retenu par le législateur de favoriser le lex loci delicti. Évidemment, il y a un critère premier, mais, en cas de non-application de ce premier critère, on revient au lex loci delicti. Nous exprimons notre accord avec ce choix puisque, bien que nous ayons comme organisme une tendance toute naturelle à favoriser les victimes, entre autres, celles de délit, nous sommes, tout de même, d'avis que le citoyen québécois a un droit tout naturel à se faire défendre selon sa loi, lorsqu'un délit est commis sur son territoire ou lorsqu'on l'accuse d'un délit. Il est présumé non responsable jusqu'à preuve du contraire, pour employer un principe importé du droit criminel. (15 heures)

En plus des autres commentaires, mentionnons que le législateur devrait prévoir le cas où le fait générateur d'obligation comporte une série d'actes qui se produisent dans différents États. On a vu là un manque dans le projet de loi.

Maintenant, une très difficile question concernant l'article 3493. Nous soulevons cette question de l'option de régime en faisant un lien avec ce que le législateur a prévu à l'article 1516 de l'avant-projet de loi portant réforme du droit des obligations. Lors de notre dernière présence en commission parlementaire, lors de l'étude de ce projet de loi sur les obligations, nous avions longuement traité et débattu cette question de l'option de régime. Nous y revenons, étant donné qu'il sera très important de qualifier la sorte d'obligation à laquelle on a affaire. Est-ce une obligation contractuelle? Est-ce que cela venait d'un contrat ou si cela venait d'une obligation délictuelle? Je prends encore ce vieux terme pour que l'on comprenne bien de quoi il s'agit. Alors, c'est important, puisque l'attribution ou la détermination de la loi applicable dépend de la réponse à cette question-là. Il faut d'abord déterminer si c'est un délit ou un contrat.

Alors, puisque chaque régime comporte des règles d'application des lois différentes, devra-ton se référer, lorsqu'on aura cette question-là devant nous, constamment à l'article 1516 de l'avant-projet de loi portant réforme du domaine des obligations pour solutionner ce dilemme? Alors, nous posons la question sans encore vraiment y répondre, sauf que nous nous demandons s'il ne serait pas utile d'inclure, à la suite de l'article 3493, un principe régissant l'option de régime et ce, particulièrement au domaine du droit international privé. Sinon, on va constamment faire appel à un article du droit interne pour solutionner un problème de droit international privé. On devrait immédiatement prendre cette solution de l'option de régime et l'inclure dans le secteur du droit international privé.

Enfin, toujours en matière de responsabilité, nous nous demandons si l'idée prônée par l'Office de révision du Code civil à l'égard de la responsabilité du fabricant - et là nous insistons beaucoup sur cette matière-là - ne devrait pas être préférée à celle véhiculée par l'avant-projet de loi. Dans sa forme actuelle, l'article 3494 est soit incomplet ou devrait être complètement remanié afin de prévoir que la responsabilité du fabricant est régie par la loi du domicile ou de la résidence de la personne ayant subi le préjudice au moment où ce préjudice s'est produit.

D'autres commentaires concernant cette importante question du fabricant vous sont fournis dans le mémoire. La question a été soulevée lors de l'autre commission parlementaire

concernant la responsabilité des fabricants. On voudrait éviter que la victime d'un bien de consommation ne puisse pas avoir de recours ou n'ait des difficultés à exercer des recours, parce qu'elle doit constamment se référer à une loi étrangère ou prendre ses recours devant un forum étranger. Pensons au cas de la thalldomide ou à d'autres biens tout à fait usuels, quotidiennement utilisés, où le fabricant pourrait facilement s'exonérer en se repliant sur une loi étrangère, ce qui ne faciliterait pas du tout les recours des consommateurs québécois.

En ce qui concerne la loi applicable à l'égard de la prescription, nous exprimons notre désaccord avec le principe formulé à l'article 3495, puisque nous croyons que la prescription doit être régie par la loi qui s'applique au fond du litige et non pas comme le laisse entendre le projet. Les autres commentaires relativement au livre X, concernant particulièrement la matière famliale, vous seront livrés par Me Micheline Plante.

Le Président (M. Marcil): Cela va. Merci beaucoup pour votre exposé. Maintenant, je vais reconnaître M. le ministre de la Justice.

M. Lafontaine: On n'a pas terminé.

Le Président (M. Marcil): Pardon? Vous avez déjà 25 minutes d'écoulées.

M. Filion: Pas de problème. Cela va.

Le Président (M. Marcil): Vous voulez continuer? Cela va.

M. Filion: Me Plante.

Mme Plante (Micheline): Je vais procéder rapidement. Alors, II nous reste à traiter du statut personnel au niveau des conflits de lois et de la compétence Internationale des tribunaux québécois au chapitre des actions personnelles. J'aimerais attirer votre attention sur certains articles tout à fait particuliers qui présentent des implications pratiques. D'abord, l'article 3454, si vous le permettez, où on introduit la notion de résidence pour déterminer la loi applicable en l'absence de domicile commun en matière de séparation de corps. Nous croyons qu'il serait plus simple d'appliquer la loi du tribunal saisi. Nous ne croyons pas opportun d'introduire la notion de résidence, comme c'est le cas pour les effets du mariage.

Maintenant, l'article 3457 qui, à notre avis, revêt une importance particulière puisqu'il traite de la garde des enfants. Le projet régit la loi applicable et le domicile de l'enfant. Nous croyons que le droit de garde devrait être régi par la loi du tribunal saisi. Nous sommes d'avis qu'il est plus facile pour le tribunal d'appliquer la loi de son territoire et que c'est dans l'Intérêt de l'enfant que les litiges au sujet de la garde soient traités de façon rapide et efficace. Le tribunal doit être guidé par le meilleur intérêt de l'enfant, sans tenir compte des dispositions de la loi personnelle. Si la loi du tribunal saisi ne peut être retenue, nous croyons que celle de la résidence devrait l'être à tout le moins.

Si vous le permettez, nous allons traiter Immédiatement de la compétence du tribunal du Québec pour statuer sur la garde, ce qui est prévu à l'article 3505 du projet. Alors, le projet retient comme facteur de rattachement la notion de domicile. Nous croyons que ce critère est beaucoup trop restrictif et que nous devrions donner compétence au tribunal du Québec, si l'enfant y réside habituellement. Ce facteur de rattachement viendrait cristalliser un courant jurisprudenciel où les juges sont hésitants à refuser d'exercer leur juridiction lorsqu'il s'agit d'un problème de garde d'enfant.

La présence physique ou la résidence habituelle ou ordinaire de l'enfant dans le ressort du tribunal devrait suffire. Il ne s'agit pas de déterminer ici l'état de l'enfant, mais son bien-être. Il est vrai que les tribunaux peuvent toujours s'attribuer une compétence en vertu de la doctrine parens patriae, mais la Cour d'appel vient de décider récemment qu'il s'agit d'une compétence exceptionnelle qui doit s'exercer dans des circonstances particulières.

Nous croyons qu'il serait souhaitable d'élargir la compétence des tribunaux québécois dans l'intérêt de l'enfant Ceci peut se faire sans danger d'abus puisque le tribunal pourra toujours refuser d'exercer sa juridiction en vertu de la doctrine du forum non convenions. Nous nous réjouissons ici de la reconnaissance de cette doctrine prévue à l'article 3499. Ceci vient éliminer une réticence d'appliquer cette doctrine au Québec pour les motifs que c'est une notion de "common law". De plus, en matière d'aliments, on reconnaît comme facteur de rattachement la résidence habituelle. Pourquoi ne pas reconnaître aussi ce facteur en matière de garde d'enfants? Nous proposons la même chose en matière de filiation; voir l'article 3510.

Nous aimerions maintenant attirer votre attention sur l'article 3463 qui traite des successions. Cet article prévoit la possibilité de choisir la loi applicable à une succession. Nous croyons que ce choix devrait être fait sous réserve des effets du mariage, afin de ne pas restreindre le régime primaire applicable au mariage. Par exemple, on pourrait contourner la possibilité demander une prestation compensatoire à la succession.

Maintenant, au sujet de la compétence Internationale des tribunaux québécois, nous voulons tout simplement noter que, lorsqu'il y a litispendance, le tribunal du Québec devrait avoir discrétion quant à la possibilité de surseoir à statuer.

Nous voudrions, maintenant, passer à l'article 3508 où on prévoit une année de résidence habituelle pour donner juridiction au

tribunal en matière de séparation de corps.

Nous croyons que le délai d'un an pourrait devenir paralysant lorsque l'on veut protéger des biens contre une dilapidation possible. Ce délai devrait donc être supprimé même s'il y a possibilité d'agir pour les tribunaux, en vertu de l'article 3502, de manière provisoire. Encore ici, le danger d'abus n'est pas menaçant, car le juge pourrait toujours refuser d'exercer sa juridiction en vertu de la doctrine du forum non convenions. Nous avons les mêmes réserves au sujet du délai d'un an prévu à l'article 3516 au sujet de la compétence en matière de régime matrimonial.

Pour terminer, au sujet de la reconnaissance et de l'exécution des décisions étrangères, nous sommes d'avis qu'il serait souhaitable de prévoir dans le titre quatrième le sort futur que l'on réserve à la Loi sur l'exécution réciproque d'ordonnances alimentaires qui comporte des modalités pouvant toucher le projet de loi. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Maintenant, je vais reconnaître M. le ministre.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Je voudrais, tout d'abord, remercier Me Lafontaine, président de la Commission des services juridiques, Me Georges Massol et Me Micheline Plante, de venir témoigner devant nous aujourd'hui et aussi de la qualité de leur mémoire. Ils ont soulevé plusieurs points très intéressants dans ce mémoire. Au début, dans leurs remarques générales, ils soulignent la qualité de la rédaction de l'avant-projet de loi. Je me joins à eux pour souligner la qualité de cette rédaction et rendre hommage à nos rédacteurs qui ont fait un travail vraiment très intéressant. Je crois que cela mérite d'être souligné.

Je voudrais vous dire au départ que, concernant l'article 3063 où vous avez souligné qu'il y avait un problème, vous aviez raison, il y a une erreur de typographie qu'il faut corriger et il faut dire que l'article 3063 se lit comme suit: "On ne peut pas renoncer d'avance à la prescription. On peut, cependant, renoncer à la prescription acquise et au bénéfice du temps écoulé pour celle commencée. " Alors, vous aviez raison de souligner ce problème. Je prends bonne note aussi, concernant l'article 3496, que vous préféreriez que la prescription soit régie par la loi du fond du litige et non pas la loi du tribunal saisi, bien que je suis certain que vous connaissez les problèmes d'administration de la justice que cela pourrait signifier dans bien des cas.

La question que je veux vous poser est relative à la preuve. Vous avez réfléchi abondamment sur ces problèmes qui sont reliés au témoignage des enfants. C'est un point important. Vous suggérez même d'utiliser les déclarations antérieures - en référence à l'article 3025 - des enfants pour corroborer leur témoignage. Il serait intéressant de vous entendre davantage sur ce sujet de façon générale et, en particulier, de savoir si vous êtes favorable ou si vous trouvez opportun que l'on puisse introduire des règles de la preuve spécifiques pour les enfants dans le livre de la preuve.

Mme Plante: Ce serait peut-être intéressant d'introduire des règles spécifiques de la preuve dans ce domaine. Nous sommes souvent aux prises avec des problèmes de preuve devant le Tribunal de la jeunesse au sujet du témoignage des enfants, lorsqu'il s'agit d'enfants maltraités ou de cas d'inceste. Alors, très souvent, les enfants vont rapporter des paroles à un psychologue ou à un psychiatre et nous sommes devant des difficultés de preuve de ouï-dire. Alors, à mon avis, il serait souhaitable d'élargir ou de faciliter la preuve ou le témoignage des enfants devant les tribunaux parce que, très souvent, il s'agit de Jeunes enfants ou d'enfants qui ont plus de difficultés à témoigner. Alors, faciliter la preuve dans ce domaine serait souhaitable, à notre avis. (15 h 15)

M. Rémillard: Je vous remercie.

Le Président (M. Marcil): Cela va? M. le député de Taillon.

M. Filion: À mon tour de remercier Me Lafontaine, Me Massol et Me Plante pour leur participation à nos travaux. Je remarque que l'assiduité de la Commission des services juridiques à ces travaux de révision du Code civil n'a d'égal que la pertinence et la qualité des observations, des commentaires, des suggestions et de l'analyse dont elle nous fait part régulièrement, peut-on dire maintenant, quant à ces avant-projets de loi sur le Code civil.

J'aurais peut-être une question plus précise sur la compétence en ce qui concerne la garde d'enfant. Je dois peut-être comprendre de vos propos que vous considérez que ces questions de garde d'enfant sont tellement importantes qu'elles doivent être réglées le plus facilement possible. Si l'enfant demeure physiquement au Québec, à ce moment-là, un simple critère de résidence permettrait à un tribunal de statuer sur la garde de l'enfant sans avoir à s'interroger sur cette notion de domicile, ce qui est actuellement le cas. J'aimerais vous entendre là-dessus. Finalement, c'est dans l'intérêt de l'enfant qu'on doit situer cette recommandation, l'intérêt de l'enfant devant être le premier des critères auxquels s'attache le tribunal.

Pour commencer, quelle est la situation actuelle à l'intérieur d'une procédure de séparation de corps ou de divorce? Je parle, par exemple, des étrangers qui résident au Québec. Actuellement, est-ce que la cour a juridiction, a compétence pour entendre une garde d'enfant d'un couple d'Américains ou de Canadiens qui ont leur domicile à l'extérieur du Québec, mais qui résident temporairement au Québec?

Mme Plante: Le droit actuel retient la notion de domicile. Je pense que c'est une notion qui est actuellement un peu paralysante. Les juges vont au-delà de cela lorsqu'ils veulent s'attribuer une certaine compétence en utilisant la notion de parens patriae qui est toujours en veilleuse. Le Juge pourrait s'attribuer une compétence, s'il le décide, en disant: L'enfant est présent. Mais la Cour d'appel vient tout récemment de dire que c'est une juridiction exceptionnelle qu'on doit, tout de même, utiliser dans des circonstances spéciales et avec réserve. Il y a un certain courant Jurisprudentiei où on dit: L'enfant est présent - la notion de résidence - on devrait s'attribuer Juridiction. Mais on voit que c'est une notion qui n'est pas claire. C'est pourquoi la commission souhaite peut-être éclaircir ce problème et codifier ou arriver à la notion de résidence plutôt que de retenir celle du domicile.

Évidemment, on peut être inquiets en disant: Des gens vont peut-être vouloir magasiner des questions de garde devant nos tribunaux. Mais, comme le projet amène la notion de forum non convenions en voulant dire: Si le juge trouve que vraiment un autre tribunal serait mieux placé que le tribunal québécois pour exercer la juridiction, il peut toujours décliner juridiction. Or, nous croyons qu'on devrait donner le plus de latitude ou le plus de compétences possible à nos tribunaux, quitte à ce que le juge lui-même décide de ne pas exercer sa juridiction. Donc, on y va largement pour ne pas paralyser le juge lorsqu'il veut statuer sur la garde de l'enfant et qu'il considère que c'est dans son intérêt de statuer et d'appliquer, aussi dans son intérêt, la loi du Québec.

M. Filion: Est-ce que vous faites cette recommandation-là pour élargir, si on veut, la compétence du tribunal en matière de garde d'enfant, indépendamment de la compétence du tribunal en ce qui concerne la séparation de corps...

Mme Plante: Oui.

M. Filion:... dans le cas où l'enfant est issu d'un mariage?

Mme Plante: Pour la question de compétence, quant à la séparation, on retient la notion de résidence.

M. Filion: La résidence, c'est dans l'avant-projet, à l'article 3508, je crois: "y réside habituellement depuis un an. "

Mme Plante: C'est ça. C'est la notion de résidence qui est retenue au point de vue de la compétence en matière de séparation. Et, en matière de garde, c'est la notion de domicile. Notre recommandation était de laisser tomber le délai d'un an de résidence pour...

M. Filion: Ma question, finalement, c'est, si on prend l'avant-projet de toi...

Mme Plante: Oui.

M. Filion: L'article 3505 s'appliquerait uniquement à une requête pour garde d'enfant à l'extérieur d'une procédure de séparation de corps?

Mme Plante: Cela pourrait être ça.

M. Filion: Et l'article 3508 gouvernerait la séparation de corps et ses accessoires? C'est bien ça, si je comprends bien, Me Mas-sol?

Mme Plante: Oui.

M. Massol: Oui. J'ajouterais, comme le dit Me Plante, qu'étant donné la notion véhiculée aux articles 3499 et 3500 de forum non convenions, on aurait, je pense, plus avantage à élargir les possibilités, quitte à les restreindre par la suite à l'aide de l'article 3500 qu'à donner une portée restrictive et, ensuite, à essayer de l'élargir à l'aide de l'article 3499. Ce qu'on dit en matière de séparation de corps, c'est: Pourvu qu'il y ait une résidence, quitte à ce que le tribunal se dessaisisse du dossier à l'aide de l'article 3499, pourquoi exiger un délai d'un an? Peut-être qu'un délai de huit mois satisferait le juge. Peut-être qu'il y aurait en huit mois une situation suffisamment stable pour penser que les gens vont s'établir. Alors, si le juge n'est pas convaincu de ça, il déclinera juridiction. Et, c'est la même chose pour la garde ainsi que les aliments.

M. Lafontaine: Si vous me permettez de compléter, dans le texte actuel, si vous avez une garde d'enfant à l'intérieur d'une séparation, quant à moi, mon opinion juridique, c'est que vous allez employer la loi de la résidence. Par contre, si c'est dans le cadre d'un divorce et que, par la suite, vous prenez une requête pour garde d'enfant, à ce moment-là, le domicile de l'enfant va s'appliquer. J'ai l'impression qu'il peut y avoir une contradiction suivant le genre de procédures et suivant le stade, à savoir si c'est inclus dans une procédure principale qui est une séparation ou si c'est inclus dans une procédure principale qui est un divorce. Si c'est une mesure accessoire à une séparation ou à un divorce ou si c'est une mesure postérieure, j'ai l'Impression qu'il peut y avoir une confusion à ce moment-là.

M. Filion: II est intéressant vraiment de noter qu'en ce qui concerne la demande alimentaire à l'article 3506, à ce moment-ci, évidemment le domicile ouvre la compétence, mais on parle aussi de résidence habituelle. Cela veut dire que, finalement, si je lis bien l'avant-projet

de loi, la compétence d'un tribunal québécois est élargie en termes de demande alimentaire par rapport à une simple demande de garde d'enfant alors que la garde d'enfant est généralement considérée comme une matière relativement urgente, Importante, il va de soi, tout autant que les aliments. Cela va.

Le Président (M. Marcil): Cela va? M. le député de Marquette et adjoint parlementaire.

M. Dauphin: Oui, je crois que le ministre de la Justice aurait une question à poser avant mol? Pas pour le moment. D'accord. J'aimerais vous référer à l'article 3490 de l'avant-projet, soit les dispositions relatives au régime matrimonial. En vertu de cet article 3490, on se fie au domicile, à la loi de leur domicile au moment de leur mariage. Considérant votre expérience pertinente en matière de droit de la famille, j'aimerais savoir ce que vous penseriez si nous faisions régir le régime matrimonial légal par la loi du dernier domicile commun des époux. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus. Au lieu d'appliquer la règle de l'article 3490, si on appliquait la règle du dernier domicile connu des époux, cela veut dire qu'en pratique les...

Mme Plante: Le deuxième alinéa prévoit la loi de la première résidence habituelle commune des époux. Je pense que cet article du projet vient, finalement, cristalliser la jurisprudence qui disait, à un moment donné, soit la loi du domicile ou soit la loi du premier domicile commun. À mon avis, il serait plus pertinent de retenir la résidence du premier domicile que le dernier. L'intention des parties était peut-être à cette époque de se soumettre au régime matrimonial existant à ce moment-là, alors que, pour le dernier domicile, il n'y a absolument aucun contrôle. Ce n'était pas dans l'intention des parties de vouloir que la communauté de biens s'applique à leur mariage. Alors, cela pourrait être soit la loi du domicile ou, dans un deuxième temps, le premier domicile qui était peut-être l'intention recherchée pour l'application de cette loi.

M. Dauphin: Vous savez, quant à l'intention, je suis d'accord avec vous. Par contre, cela faciliterait les choses pour les avocats qui ont à plaider.

Mme Plante: Oui.

M. Dauphin: Je comprends très bien. Merci.

Le Président (M. Marcil): Cela va? M. le ministre.

M. Rémillard: Concernant les délais de la prescription acquisitive dont vous parlez, à la page 31 de votre mémoire, la réduction du délai de 30 à 10 ans en matière de prescription acquisitive d'un immeuble se réfère à une tendance quasi universelle en ce domaine et se rapproche aussi de la position que l'on retrouve dans plusieurs États américains. Vous exprimez des réserves sur ce raccourcissement du délai de prescription, mais je n'ai pas très bien compris pourquoi vous aviez ces réserves. Est-ce que vous pourriez les expliciter un peu?

M. Massol: Oui. Les réserves, c'est tout simplement l'impact immédiat et à moyen terme que cela peut avoir. Nous pouvons convenir qu'il y a des délais différents dans d'autres États, dans d'autres pays. Quelle a été l'évolution de ces délais? Il y avait peut-être des délais moins longs que ceux qu'on connaissait; il y a peut-être eu abrègement de ces délais-là, mais pas de façon aussi importante que ce qu'on propose. La seule réserve que nous avons, c'est de passer du jour au lendemain de 30 à 10 ans.

M. Filion: C'est le choc du futur.

M. Massol: Oui et il y a des questions intéressantes à ce sujet, dont celle de la stabilité. C'est probablement la raison pour laquelle d'autres pays ont adopté des délais plus courts. On se dit: Après dix ans, tu dois savoir un peu si ta propriété t'appartient ou non. Il faut que tu y ailles de temps en temps pour voir ce qui s'y passe; sinon, la personne qui s'est installée là et qui y demeure devrait avoir un droit qui ne serait pas précaire. Mais, c'est tout simplement, l'impact de 30 à 10 ans. Nous entretenons peut-être un relent de conservatisme, je ne le sais pas, mais c'est un changement, le choc du futur peut-être; de 30 ans à 10 ans, ça nous semblait tout bonnement explosif.

M. Rémillard: Vous savez qu'en 1866 c'était 100 ans. On est passé à 30 ans et là, on ferait passer ça à 10 ans.

M. Filion: C'est inversement à la longévité du monde, si je comprends bien.

M. Dauphin: Qu'est-ce que ça va être dans le prochain Code civil?

Des voix: Ha, ha, ha!

Une voix: On ne sera pas là pour le savoir.

Une voix: On va laisser le problème aux autres.

Le Président (M. Marcil): M. le député de Taillon.

M. Filion: Oui, peut-être une question. Ce matin, l'un des mémoires qui nous ont été soumis - vous en traitez à la page 28 de votre mémoire - nous proposait que l'interruption de la prescription causée par l'article 3072 de l'avant-

projet se continue jusqu'au dernier dépôt de salaire ou, en cas de faillite, à la date de libération du syndic, en deux mots, que les demandes ou les dépôts de listes de créanciers constituent une interruption de la prescription. Je ne sais pas si vous avez une réaction là-dessus.

M. Massol: Malgré les termes de l'article 2224, I n'était pas clair que la demande introductive du débiteur au dépôt volontaire constituait - si on lit l'article tel quel - un acte interruptif de prescription sauf que la doctrine - M. Martlneau en tête - dit que cela constitue un acte interruptif de prescription. Mais, s'il fallait que chaque paiement que le débiteur fait, constitue une forme d'interruption de la prescription, ce ne serait pas tellement avantageux pour le débiteur de faire un dépôt volontaire et cela ne l'encouragerait pas, non plus, à régler son endettement en employant ce moyen-là.

La déclaration initiale, cela va, la réclamation du créancier, cela va aussi, mais, s'il fallait que chaque mensualité ou chaque versement que le débiteur fait soit interruptif de prescription, il me semble que ce ne serait pas de nature en encourager le débiteur à employer ce moyen-là.

M. Filon: C'est bien. Cela va.

Le Président (M. Marcil): Cela va? Il n'y a plus de questions? Donc...

M. Filon: II y a beaucoup de questions, mais on va les laisser au rédacteur.

Le Président (M. Maril): Oui, c'est cela. En conclusion, M. le ministre.

M. Rémliard: En conclusion, M. le Président, je voudrais remercier Me Lafontaine, Me Massol et Me Plante pour leur témoignage et leur mémoire, et leur dire que nous allons tenir compte et étudier très sérieusement toutes les répercussions de ce mémoire sur notre avant-projet de loi. Je les remercie.

Le Président (M. Marcil): Au nom de cette commission, nous vous remercions.

Avant d'ajourner les travaux, je voudrais, quand même, informer les membres de cette commission que nous serons en commission à 10 heures jeudi pour recevoir les représentants du Protecteur du citoyen. Donc, j'ajourne les travaux au mercredi 15 mars, mais je vous invite, quand même, à participer aux travaux de la commission pour un autre mandat qui sera d'entendre les gens du Protecteur du citoyen.

(Fin de la séance à 15 h 33)

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