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(Dix heures seize minutes)
Le Président (M. Marcil): La commission permanente des
institutions commence ses travaux. Je déclare ta séance ouverte.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les députés,
ministériels et de l'Opposition. La commission permanente des
institutions a pour mandat de procéder à une consultation
générale et de tenir des auditions publiques sur l'avant-projet
de loi portant réforme au Code civil du Québec du droit de la
preuve et de la prescription et du droit international privé.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
La Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Bleau
(Groulx) est remplacée par M. Camden (Lotbinière) et M. Kehoe
(Chapleau) par M. Audet (Beauce-Nord).
Le Président (M. Marcil): Très bien. Comme ordre du
jour, nous allons procéder aux déclarations d'ouverture, en
commençant par M. le ministre qui sera suivi par le critique de
l'Opposition, le député de Taillon, et ensuite par le
député de Marquette.
Nous recevrons ensuite la Confédération des caisses
populaires et d'économie Desjardins, de même que l'Association des
banquiers canadiens. Nous allons suspendre nos travaux à 12 h 30 pour
les reprendre à 14 heures, avec la Commission des services
juridiques.
M. le ministre, je vous inviterais à faire votre
déclaration d'ouverture.
Déclarations d'ouverture M. Gil
Rémillard
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Il mefait plaisir, à titre de ministre de la Justice, de participer
aujourd'hui à cette première séance de la commission des
institutions. Cette commission va recevoir, dans les prochains jours, les
commentaires et les suggestions de plusieurs personnes et organismes sur
l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du Québec du
droit de la preuve et de la prescription et du droit international
privé.
Je souhaite donc la bienvenue à tous les membres de la commission
et je remercie tous ceux qui ont bien voulu nous présenter des
mémoires. Le gouvernement insiste pour maintenir une collaboration
étroite avec ceux qui sont intéressés par un projet de loi
présenté devant l'Assemblée nationale et ceci vaut plus
particulièrement quand il s'agit d'une tranche importante du Code
civil.
À cet égard, l'avant-projet de loi que nous abordons
aujourd'hui est sans contredit une pièce législative de toute
première importance, puisqu'il constitue le dernier volet de la
réforme du Code civil. Il s'inscrit donc dans ce vaste processus pour
lequel beaucoup d'énergies ont été investies tant par
l'Office de révision du Code civil, jusqu'en 1977, que par le
ministère de la Justice depuis. D'ailleurs, depuis 1985, le gouvernement
en place a su concrétiser davantage ses efforts pour faire en sorte que
ce projet s'achemine vers ses dernières étapes. En effet, nous
pouvons enfin considérer que le nouveau Code civil sera en vigueur au
début de la prochaine décennie.
M. le Président, plusieurs des étapes de ce long processus
ont déjà été franchies. Je vous rappelle ainsi que
le projet de loi 89, adopté en décembre 1980 et mis en vigueur
peu après, a institué le nouveau Code civil du Québec et a
porté réforme au droit de la famille, le livre iI du nouveau
code. Le droit des personnes, des successions et des biens a également
été revu avec le projet de loi 20, adopté et
sanctionné le 15 avril 1987. Ce projet a ajouté les livres I, III
et IV du Code civil du Québec.
Parallèlement aux travaux d'adoption du projet de loi 20,
d'autres projets ont aussi cheminé. Ainsi, au mois de décembre
1986, le ministre de la Justice déposait devant l'Assemblée
nationale l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du
Québec du droit des sûretés réelles et de la
publicité des droits. Cet avant-projet a ajouté les livres VI et
IX du nouveau code. Il regroupe des règles relatives aux droits et
garanties des créanciers contre leurs débiteurs et revoit en
profondeur notre système d'enregistrement. Il a déjà fait
l'objet de consultation publique et est actuellement en voie de
révision.
Un an plus tard, soit en décembre 1987, le ministre de la Justice
déposait devant l'Assemblée nationale un avant-projet de loi
portant, cette fois, réforme du droit des obligations. Il s'agit du
livre V du code. On y retrouve ce que plusieurs considèrent être
le coeur du droit civil: le droit des contrats et les principes de la
responsabilité civile. La consultation publique sur ce projet a eu lieu
l'automne dernier et il est actuellement en voie de révision. Le
ministre de la Justice déposait, enfin, le 16 juin 1988, l'avant-projet
de loi qui nous concerne aujourd'hui, portant réforme au Code civil du
Québec du droit de la preuve et de la prescription et du droit
international privé. Il complète, avec l'ajout des livres VII,
VIII, et X du nouveau code, l'ensemble des avant-projets que le présent
gouvernement avait promis de déposer pour terminer la réforme du
Code civil.
Une fois que cette commission parlementaire publique, la
dernière, aura été tenue et que tous les rapports
présentés auront été étudiés, le
gouvernement reprendra l'ensemble des textes
pour présenter un projet de loi définitif au cours de
l'année 1989. Il s'agira du projet de loi réformant le Code civil
qui sera étudié par l'Assemblée nationale et, encore une
fois, par la commission des institutions amenée à étudier
la globalité du projet article par article.
Il s'agit donc là, on doit en convenir, d'un processus
relativement long et complexe qui devra encore être
complété par une législation d'application. Cette
législation aura pour objet de proposer des ajustements à notre
Code de procédure civile ou à diverses lois et d'assurer une
transition facile entre le Code civil du Bas-Canada et te Code civil du
Québec. Cette réforme modifiera considérablement notre
environnement juridique et requerra de tous les juristes, magistrats, avocats
et notaires un effort particulier pour assurer la mise à jour de leurs
connaissances en droit civil. Aussi, je veux souligner à cet
égard que le ministère de la Justice a, le 28 novembre dernier,
invité les représentants de la magistrature, du Barreau du
Québec, de la Chambre des notaires, de SOQUIJ et des facultés de
droit des universités de la province à participer à une
table de concertation. Ces représentants ont indiqué leur
intérêt pour cette concertation et ont accepté de
participer à un groupe de travail pour établir un programme de
formation générale de base sur la réforme du Code civil
pour tous les juristes. La concertation du milieu juridique face au défi
majeur que posera le nouveau Code civil est donc en voie de
s'établir.
Si Je vous rappelle ainsi, M. le Président, tous ces faits
concernant les étapes du processus de la réforme du Code civi, ce
n'est pas pour minimiser l'importance du projet qui est devant nous
aujourd'hui, mais bien pour démontrer deux choses. D'abord, la
volonté du gouvernement de terminer la réforme du Code civil est
non seulement toujours présente et active, mais elle se
concrétise de plus en plus. Notre objectif est de doter les citoyens et
les citoyennes du Québec d'un nouveau Code civil pour 1991, année
du 125e anniversaire de l'adoption du Code civil du Bas-Canada. Ensuite, une
réforme d'une telle ampleur et d'une telle importance ne peut-être
menée à terme qu'avec la participation des nombreux groupes
d'intérêts, milieux professionnels ou autres représentants
touchés par les diverses questions abordées. Je profite de
l'occasion pour les remercier de s'être toujours intéressés
à la poursuite de la réforme du Code civil. Les opinions
adressées encore aujourd'hui à cette commission démontrent
bien que, malgré l'ampleur de la tâche et les difficultés
qu'elle peut représenter, les Québécois et les
Québécoises ont voulu et veulent encore jouer un rôle actif
dans cette réforme. Je crois que nous devons tous nous en
réjouir.
L'avant-projet de loi que nous abordons aujourd'hui regroupe trois
domaines du droit bien différents les uns des autres: la preuve, la
prescription et le droit international privé. La réforme les
réunit cependant dans une même volonté de modernisation et
d'adaptation plus grande à la réalité contemporaine dans
laquelle nous évoluons.
Je voudrais rappeler brièvement les points majeurs de la
réforme proposée. La réforme du droit de la preuve ne vise
pas à changer les institutions et ne provoque pas de bouleversements
profonds dans le régime de la preuve du droit actuel. Le régime
de la preuve est fondamentalement lié au fonctionnement de l'esprit
humain, aux voies qu'il doit emprunter pour atteindre la connaissance, la
conviction; de ce fait, il n'est pas susceptible de changer rapidement et
fréquemment. En revanche, l'évolution scientifique et le
développement moderne des communications, des techniques de reproduction
de documents et de l'Informatique exige une adaptation importante de certaines
règles relatives, en particulier, aux moyens de preuve.
Les objectifs de la réforme du droit de la preuve sont donc de
trois ordres: d'abord, la modernisation des moyens de preuve; ensuite, la
libéralisation de ces moyens dans le but de faciliter la preuve et,
finalement, le maintien de la sécurité juridique des parties. En
effet, il existe actuellement des techniques d'enregistrement visuel et sonore
qui permettent d'établir des faits et de conserver une preuve de
manière qu'on puisse s'y fier et de façon aussi parfaite, sinon
davantage, que ne le permettent les moyens traditionnels de preuve par
l'écrit ou le témoignage. Par ailleurs, un très grand
nombre d'actes juridiques se font chaque jour par enregistrement de
données sur support informatique sans que les parties soient en
présence l'une de l'autre et signent quelque document que ce soit.
Enfin, les techniques; de reproduction de documents, en particulier la
micrographie, permettent de conserver la preuve du document en le
reproduisant.
L'absence de règles au Code civil relativement à ces
sujets laisse les parties qui utilisent ces techniques dans
l'insécurité juridique, souvent dans la confusion, et prive les
parties et les tribunaux de tirer tout le bénéfice possible du
développement technologique moderne. La réforme apporte les
correctifs nécessaires en introduisant un nouveau moyen de preuve: la
présentation d'un élément matériel qui comprend les
reproductions sensorielles des objets et des faits. On y ajoute, en second
lieu, des règles en matière d'enregistrement informatisé
et, enfin, on assouplit les règles concernant la reproduction des
documents.
Par ailleurs, l'absence de règles codifiées en
matière de connaissance d'office du tribunal et en matière de
déclaration de ouï-dire a fait en sorte qu'elles se sont
élaborées en jurisprudence et en doctrine à partir surtout
de la "common law". La réforme clarifie et complète le
régime de preuve actuel en codifiant ces règles et en les
adaptant à notre droit civil.
La réforme du droit de la prescription,
quant à elle, vise, d'abord, à actualiser l'institution de
manière à lui faire jouer son rôle d'une façon plus
complète dans une société aux transformations multiples.
Elle vise également à réduire les catégories de
délais trop nombreuses qu'on trouve dans le Code civil actuel. La
réforme fait courir les prescriptions contre tous: l'Église,
l'État, les mineurs et les personnes protégées, sauf,
quant à ces derniers, à l'égard des recours contre leurs
représentants légaux et de ceux fondés sur des atteintes
à l'intégrité de leur personne. Entre époux,
cependant, la règle actuelle est maintenue, c'est-à-dire que la
prescription ne court point pendant la vie commune. Enfin,
l'impossibilité en fait d'agir est retenue comme cause
générale de suspension.
Les catégories de délais sont moins nombreuses que dans le
Code civil actuel. En matière de prescription acquisitive, on
reconnaît trois délais: dix ans, cinq ans et trois ans. La
prescription de dix ans est la prescription de droit commun; elle remplace la
prescription de trente ans. La prescription abrégée de dix ans
est remplacée par celle de cinq ans en faveur du possesseur de bonne foi
avec titre publié. En matière mobilière, on conserve, en
modifiant son cadre, la prescription abrégée de trois ans, de
telle sorte que la possession du meuble confirme le titre à l'expiration
de cette période.
Les catégories de prescription extinctive sont également
diminuées. Ainsi, l'extinction des droits réels immobiliers
s'opère par dix ans. Un même délai est retenu pour les
actions relatives à l'état des personnes dont le délai
n'est pas autrement fixé. Par contre, l'action qui vise à obtenir
la possession d'un immeuble devra, comme en droit actuel, être
exercée dans l'année de la dépossession. (10 h 30)
En matière de droits et de recours personnels, la réforme
fixe à trois ans le délai de prescription. Ce délai court
à compter de la première manifestation du préjudice et il
y a déchéance du droit dix ans après le fait qui a
causé le dommage. Enfin, l'action en responsabilité contre un
membre d'une corporation professionnelle se prescrit par cinq ans à
l'intérieur d'un délai de déchéance de dix ans.
Contrairement à ce qui pouvait exister dans d'autres domaines du
droit civil, en matière de droit international privé, on ne
trouve à l'heure actuelle qu'un très petit nombre de
règles disséminées un peu partout dans le Code civil et
dans le Code de procédure civile. Depuis 1866 et à partir de
bases minimes, ce sont les tribunaux qui ont donné un certain essor
à cette branche du droit civil. Les règles de droit international
privé actuelles ont un caractère souvent incertain et
fragmentaire. Dans ce contexte, une foule de problèmes juridiques
surgissent qui ne trouvent pas toujours de solution satisfaisante. Or, les
relations que le Québec entretient de plus en plus avec
l'extérieur, aussi bien au niveau national qu'international,
nécessitent une codifi- cation plus complète.
La réforme apporte les correctifs nécessaires. Tout
d'abord, elle réunit dans un seul livre consacré au droit
international privé les règles qui se trouvaient
disséminées un peu partout. Plusieurs des règles
élaborées par la jurisprudence et par la doctrine ont
également été codifiées. La réforme tient
compte des tendances modernes qui ont été constatées dans
les conventions internationales et les codifications récentes de
plusieurs pays. Enfin, la réforme fournit un cadre de règles
suffisamment souple pour permettre l'évolution constante du droit
international privé québécois et son adaptation aux
institutions nouvelles.
Il est notamment question dans le livre X des principes fondamentaux du
droit international privé et des règles de conflits de lois qui
indiquent le système juridique compétent pour résoudre les
situations qui comportent un élément d'extranéité.
Ce livre X est complété par les règles qui édictent
la compétence internationale des tribunaux québécois et,
enfin, par celles qui concernent la reconnaissance et l'exécution des
décisions étrangères.
Telles sont donc, M. le Président, les grandes lignes de la
réforme qu'apporte l'avant-projet à l'étude au droit de la
preuve, de la prescription et au droit international privé. Elles
témoignent déjà de l'importance des dispositions de
l'avant-projet soumis aujourd'hui à l'étude des
députés et du public. Je laisse à mon collègue et
adjoint parlementaire, le député de Marquette, Me Claude Dauphin,
le soin de vous glisser quelques mots plus en détail sur ces
dispositions.
Là-dessus, M. le Président, je voudrais terminer en
remerciant, encore une fois, tous ceux et celles qui se sont donné la
peine de réfléchir sur cet avant-projet de loi et de venir ici
pour formuler leurs commentaires et leurs suggestions. Mes collègues et
moi sommes ici pour consulter la population avant de nous prononcer plus avant
sur une réforme fondamentale qui constituera le droit commun des
citoyens et citoyennes du Québec pour plusieurs décennies. Aussi,
je peux vous assurer que vos observations recevront toute l'attention qu'elles
méritent.
En terminant, je voudrais, M. le Président, remercier tous les
gens qui m'accompagnent et, d'une façon plus particulière, les
légistes qui ont travaillé à cette tranche du droit civil.
Permettez-moi de vous les présenter. Ils sont ici aujourd'hui. Tout
d'abord, le notaire André Cossette, qui a été
coordonnateur des travaux, Me Frédérique Sabourin, Me
Aidée Frenette et Me Albert Bélanger qui ont contribué aux
travaux qui ont mené à cet avant-projet de loi. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le ministre.
Je vais maintenant reconnaître le député de Taillon,
critique de l'Opposition.
M. Claude Fillion
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. Je remercie
également le ministre de ses propos. J'ai été
enchanté de réentendre sa détermination à faire en
sorte que le nouveau Code civil du Québec puisse être
adopté le plus rapidement possible. On nous parle de 1991. Cela peut
sembler bien long. Comme l'ensemble du processus, sauf erreur, a
commencé en 1977, cela fait environ quatorze ans. Il s'agit là
véritablement de travaux d'Hercule. Pour les fins de mon propos, Hercule
ne désigne pas celui qui vous parle ou ceux qui vous parlent aujourd'hui
ou ceux qui sont autour de la table, mais bien plutôt les gens de
l'Office de révision du Code civil. Ils sont derrière le
ministre. Ils font partie de l'équipe du ministère de la Justice
qui, tant à l'office qu'au ministère de la Justice, travaillent
depuis déjà plusieurs lunes pour nous doter, en matière de
droit civil, d'une loi qui soit adaptée au contexte moderne et qui soit
la plus accessible possible non seulement pour les avocats, les notaires et les
juristes, mais également pour la population.
Finalement, ce n'est qu'une très infime partie des relations
civiles que les citoyens ont entre eux qui se retrouve sous la lumière
des tribunaux. La plupart des actes, des contrats, des obligations qui naissent
entre les individus, les organismes ou les corporations sont
réglés, heureusement d'ailleurs, entre ces personnes
elles-mêmes. Je l'ai déjà mentionné: Le peuple
québécois est un peuple latin, chicanier. On a des rôles,
autant à la Cour des petites créances que dans les cours
supérieures, qui sont bien fournis. Souvent, on y retrouve de ces
chicanes, de ces querelles, de ces litiges, de ces divergences d'opinions, qui,
à mon sens, ne devraient pas se retrouver devant les tribunaux. Mais, la
nature étant ce qu'elle est et les Québécois et les
Québécoises étant ce qu'ils sont, on retrouve
énormément de litiges devant les tribunaux. Ce nouveau Code civil
pourra peut-être, je l'espère, diminuer le nombre de ces litiges;
il pourra permettre une appréciation plus claire de l'état du
droit par les Individus, par les avocats qui pourront conseiller leurs clients
conséquemment.
Nous en sommes donc ce matin à l'une des dernières
étapes - je ne dis pas à la dernière étape - de
l'élaboration de ce nouveau Code civil. Les livres VII, VIII et X, qui
concernent respectivement la preuve, la prescription et le droit international
privé, sont curieusement relégués à la fin de notre
Code civil. Ils n'ont peut-être pas l'importance du chapitre des
obligations ou des contrats; néanmoins, il s'agit de blocs Importants du
Code civil. J'ose croire que le nombre plus réduit d'intervenants que
nous avons à cette commission, surtout comparé au chapitre sur
les contrats et les obligations, ne découragera pas les
rédacteurs du ministère de la Justice. Et j'ose espérer
qu'ils apporteront le même soin à la facture finale du projet de
loi que l'ont fait les personnes qui ont oeuvré sur d'autres parties du
Code civil.
Cet avant-projet de loi revêt peut-être, a priori, plus
d'importance aux yeux des universitaires ou des praticiens, mais il n'en
demeure pas moins qu'il contient nombre d'éléments susceptibles
d'influencer les citoyens et les citoyennes du Québec. D'abord, en ce
qui concerne la preuve, comme je l'ai dit, on serait enclin à penser que
ces règles n'auraient d'intérêt que pour les avocats dans
l'enceinte du prétoire ou pour les notaires dans la confection de l'acte
authentique. Mais, non. Tout comme le souligne la maxime - j'espère que
je la rends bien: Idem est non esse aut non probari que je pourrais traduire
librement par: Un droit qui ne peut être prouvé est un droit
inexistant - la preuve a une importance capitale dans notre système
juridique. J'ai été particulièrement fasciné par la
lecture de certains passages de l'oeuvre de Henri Kélada. "Notions
techniques de preuve civile", dont je vous lis quelques passages au chapitre
préliminaire. M. Kélada s'exprime ainsi en ce qui concerne la
preuve: "II y a près d'un siècle, Bonnier écrivait que la
découverte de la vérité est aussi nécessaire
à l'intelligence de l'homme que la justice l'est à la conscience.
C'est dans la recherche de la vérité que Domat a puisé la
définition suivante de la preuve: Tout ce qui persuade l'esprit d'une
vérité. " Les procédés employés pour
établir un fait en justice ne créent pas nécessairement la
certitude dans l'esprit du juge. Celui-ci, très souvent, décide
sur une simple probabilité. La certitude est une chose rarement acquise
et la preuve proprement dite, directe et absolue, n'existe presque jamais. Le
plus souvent, le point contesté est non pas démontré, mais
simplement rendu vraisemblable. " Me Kélada continue en disant: "La
vérité que le juge va découvrir n'est pas "la"
vérité. C'est plutôt la vérité telle que la
révèle la preuve faite conformément aux règles
établies par la loi. Ces règles de preuve doivent être
objectives afin d'éviter l'arbitraire du juge. Sévères et
rigides, elles permettront au juge d'être plus objectif. En effet, le
juge est un être humain... " et Me Kéiada continue.
J'ai trouvé cela assez intéressant, finalement, d'exprimer
en des termes aussi clairs ce que nombre de citoyens vivent à tous les
jours. Quand j'étais avocat, ils venaient nous voir et ils disaient:
Moi, j'ai le droit. Mais oui, j'ai le droit, mais encore faut-il le prouver, ce
droit. Heureusement, on n'est pas toujours obligé de le prouver parce
que, comme je le disais tantôt, la plupart des situations juridiques se
règlent entre les individus eux-mêmes.
Donc, ce projet de loi contient des nouvelles règles qui, de
façon générale - on peut le dire, le ministre l'a
mentionné en ses mots - libéralisent les moyens de preuve.
Ces changements pourront possiblement déconcerter une bonne partie du
public et contredire des dictons
de la sagesse populaire, du genre: Ce n'est pas écrit, ce n'est
pas légal. Ce sont des choses que nous entendons, je dois vous le dire,
dans la vraie vie, couramment. De façon générale, ceux qui
ont une certaine expérience de la vie ont appris à l'école
de la vie, justement, la nécessité de ces règles de la
preuve et les conséquences parfois désastreuses pour eux ou pour
elles de ne pas avoir suivi ces règles de la preuve. Je reviendrai
tantôt sur certaines innovations qui, de ce côté-ci, nous
ont frappés en ce qui concerne les règles de la preuve et qui
sont contenues dans l'avant-projet de loi.
Le deuxième livre qui fait l'objet de l'avant-projet de loi
concerne la prescription. C'est un domaine fondamental parce que cela traite,
bien sûr, du délai d'exercice de ses droits. À quoi cela
sert-il d'avoir un droit si on ne peut pas l'exercer? Les prescriptions de
façon générale, dans l'avant-projet de loi, ont fait
l'objet d'une étude, je pense, d'une solide réflexion qui
amène une certaine uniformité des prescriptions que l'on peut
d'ores et déjà saluer. Il y avait autrefois trop de prescriptions
et même le praticien était obligé de vérifier pour
s'y retrouver. D'une façon générale, cette uniformisation
des prescriptions nous apparaît tout à fait légitime et
nous semble être un des actifs importants du projet de loi. Je dois,
cependant, immédiatement souligner une réserve qui, à
notre sens, doit être faite en ce qui concerne les actions de
l'État, par exemple, en recherche de paternité ou de filiation.
Il me semble que le projet de loi contient à ce chapitre une
prescription un peu trop contraignante compte tenu de l'importance de
l'État dans l'ensemble de notre Code civil. Je reviendrai
également aux innovations en ce qui concerne les prescriptions
tantôt.
Au chapitre du droit international privé, mon Dieu, il y a un
gros travail qui a été fait. Je pense que l'ancien Code civil
contenait à ce chapitre à peu près trois ou quatre
articles. Ce secteur du droit a été adapté avec souplesse,
notamment pour faire face possiblement à ce que l'on va vivre dans les
années qui viennent avec les conséquences du libre-échange
et, même sans libre-échange avec l'ensemble du
développement du commerce international, des affaires internationales,
etc. Cette extension substantive en termes de droit international privé
aura un impact certain, à notre sens, et tout à fait souhaitable
sur les affaires en général et sur les tribunaux du
Québec. (10 h 45)
J'ai parlé d'innovations tantôt. Permettez-moi d'en
souligner quelques-unes. En matière de preuve, le fait que le tribunal
puisse connaître d'office le droit du Québec et que les
justiciables n'aient donc plus à prouver le droit d'une autre province
par un avocat expert d'une autre province entraîne une certaine
économie. Étant jeune avocat, j'ai moi-même vécu une
situation qui nous avait tous fait sourire au tribunal. On devait prouver le
droit étranger, en l'occurrence le droit ontarien. À
l'époque, on m'a même dit que, dans certains cas, pour prouver le
régime matrimonial ontarien, ils prenaient un témoin. Bref, il y
a des limites et les procédures de preuve du droit nous paraissent avoir
été changées dans le bon sens.
La mise à jour de notre droit de la preuve pour tenir compte de
l'informatique - le ministre en a parlé tantôt - et je pense que
nos premiers invités vont nous en parler un peu plus tard - c'est un
aspect important qui amènera une certaine simplification des moyens de
preuve. Troisième innovation qui m'a particulièrement
frappé, c'est cette symbiose harmonieuse entre le nouveau Code civil et
la Charte des droits et libertés de la personne déjà
annoncée dans les dispositions préliminaires du code, tout
particulièrement du fait que le tribunal doit rejeter les
éléments de preuve obtenus en violation de la charte et
susceptibles de déconsidérer la justice. Ce concept existe en
droit criminel, on le sait, est confirmé dans la charte canadienne des
droits et est repris ici dans le Code civil. Il m'apparaît qu'il s'agit
là d'une innovation intéressante. Il y a également
plusieurs simplifications générales des règles
d'admissibilité de la preuve, ainsi que des règles concernant le
ouï-dire. Nous en traiterons sûrement au cours de nos travaux.
Une deuxième série d'innovations en matière de
prescription. On note le fait que les créances de la couronne seront
dorénavant soumises aux règles générales de la
prescription. On note, comme je l'ai dit tantôt, une simplification
importante des délais de prescription. On note également que le
fait qu'il y ait tolérance de vue, par exemple, entre voisins pendant un
certain temps peut créer des servitudes, mais mettre fin à
certaines discordes entre voisins.
Quant à certains délais de prescription, comme je l'ai
mentionné tantôt, nous écouterons avec attention les
commentaires des intervenants, notamment quant au délai de dix ans pour
la prescription extinctive des actions de l'État, sauf celle ayant trait
à la filiation. Finalement, en droit international privé, on se
retrouve avec un code de normes précises et extensives qui permettent
aux tribunaux et aux justiciables de connaître exactement l'état
de ce droit au Québec. Il nous est apparu que ces règles, de
façon générale, codifient de façon heureuse une
jurisprudence qui s'est développée au fil des années.
En termes de droit international privé, signalons l'apport des
nouvelles règles abolissant le renvoi, d'où une simplification du
débat judiciaire, ainsi que la reconnaissance des jugements
étrangers, ce qui conférera, dans certaines juridictions
étrangères, un traitement réciproque de nos jugements
québécois et, de plus l'obligation pour le tribunal
québécois de surseoir s'il y a une action pendante devant un
tribunal étranger, pour éviter ainsi au défendeur de faire
face à une multiplicité de procès sous
diverses juridictions.
Bref, toutes ces innovations font partie de cette oeuvre maîtresse
qu'est l'avant-projet de loi sur le Code civil et sont beaucoup plus qu'une
simple mise à jour de notre droit. Elles se veulent plutôt une
institution rationnelle, moderne et cohérente en vue du prochain
siècle qui s'annonce déjà.
L'Opposition est heureuse de s'associer aux travaux de cette commission
parlementaire qui viseront à étudier cet avant-projet de loi et
surtout à entendre les commentaires des organismes qui ont bien voulu
passer à la loupe cet avant-projet de loi et nous faire part de leurs
commentaires vu leur expertise dans certains secteurs particuliers.
Le Président (M. Marcil): Je vous remercie, M. le
député de Taillon, et critique de l'Opposition. Je vais
maintenant reconnaître le député de Marquette, adjoint
parlementaire au ministre de la Justice.
M. Claude Dauphin
M. Dauphin: Merci, M. le Président. Brièvement, car
je sais que nos invités sont anxieux de nous présenter leur
mémoire. M. le Président, il me fait plaisir de me joindre aux
propos du ministre de la Justice pour y ajouter quelques brèves
remarques sur le projet de loi à l'étude afin d'en faire
ressortir plus en détail les principales dispositions.
Soulignons, d'abord, que les dispositions générales du
droit de la preuve du Code civil actuel sont, d'une part, incomplètes
et, d'autre part, concernent spécifiquement l'un ou l'autre des autres
chapitres relatifs au droit de la preuve. Pour faciliter l'application des
règles de la preuve et pour accélérer la découverte
de la vérité tout en préservant la sécurité
juridique des parties, il est important de clairement circonscrire, dès
le début, certains éléments essentiels à l'ensemble
du régime de la preuve.
A cet égard, la réforme précise ou codifie, selon
le cas, les règles fondamentales relatives au fardeau, à la
qualité ou à l'objet de la preuve, viennent ensuite les
définitions et les règles relatives à la force probante
des différents moyens de preuve.
Au chapitre des moyens de preuve, les principaux problèmes
d'application du Code civil actuel découlent de la rigidité des
règles relatives au témoignage et aux écrits
semi-authentiques et de l'insuffisance des moyens de preuve traditionnel.
Devant le manque de souplesse et le vieillissement du régime actuel, la
réforme poursuit des objectifs de libéralisation et de
modernisation dans le but ultime de permettre d'établir plus facilement
la vérité devant le tribunal. Enfin, cette partie de la
réforme vise à uniformiser davantage le droit de la preuve au
Canada en proposant des modifications semblables à celles qui sont
prévues dans le projet de loi sur la preuve élaboré par la
conférence, sur l'uniformisation des lois au Canada.
Dans le but d'atteindre ces objectifs, la réforme propose, d'une
part, d'élargir le champ d'application des règles concernant le
caractère de semi-authenticité de certains documents
étrangers et de considérer comme des témoignages certaines
déclarations qui ne sont pas faites dans l'instance par leur auteur,
tout ce qui concerne le ouï-dire sur lequel on reviendra tantôt.
D'autre part, il est proposé d'ajouter aux moyens traditionnels,
déjà réglementés dans notre code actuel,
c'est-à-dire l'écrit, le témoignage, la présomption
et l'aveu, un nouveau moyen de preuve: la représentation directe au
tribunal de choses et d'événements ou leur représentation
sensorielle. Concernant la preuve par l'écrit, de nouvelles
règles sont Introduites pour tenir compte des techniques récentes
en matière d'enregistrements informatisés et pour tenir compte
des techniques de reproduction des documents. Enfin, ce livre est
complété par les règles traitant successivement de la
recevabilité des éléments de preuve et des divers moyens
de preuve comme tels.
Le regroupement en un même chapitre de toutes les règles de
recevabilité des éléments et moyens de preuve vise
à rendre l'ensemble de ces règles plus faciles d'application
qu'elles ne le sont actuellement. Les modifications de fond, par ailleurs, ont
pour but d'améliorer l'équilibre entre les deux objectifs
fondamentaux de tout régime de preuve: la recherche de la
vérité et la préservation de la stabilité des
relations juridiques entre les parties.
Ainsi, la réforme propose de libéraliser les règles
de recevabilité des témoignages en étendant l'exception
actuelle des matières commerciales aux actes juridiques faits dans le
cours des activités de toute entreprise, même non commerciale, en
considérant certaines déclarations de ouï-dire comme des
témoignages et en permettant qu'elles soient mises en preuve par
d'autres personnes que le déclarant. En revanche, pour assurer la
sécurité juridique des parties, la réforme impose au
tribunal le rejet de certains éléments de preuve. Ces
modifications devraient également permettre une plus grande
uniformisation des règles de la preuve au Canada.
Le livre huitième du Code civil du Québec contient,
à l'instar du code actuel, les règles relatives au régime
de la prescription, à ta prescription acquisitive et à la
prescription extinctive. Ces règles sont, cependant, simplifiées
et distribuées d'une manière différente: celles
étrangères à la prescription sont insérées
dans d'autres parties du nouveau code; les articles désuets sont
supprimés; des éléments nouveaux puisés dans la
jurisprudence, la doctrine et parfois le droit étranger s'ajoutent aux
règles conservées. L'agencement retenu permet de faire ressortir
les règles communes aux deux sortes de prescriptions, telles que la
renonciation, l'interruption et la suspension.
Au chapitre de la renonciation à la prescription, la
réforme met fin à certaines incertitudes du droit actuel et elle
tient compte des incidences de la renonciation sur la publicité des
droits. En matière d'interruption de la prescription, des règles
nouvelles viennent s'ajouter à celles qui existent déjà
afin d'assurer un meilleur fonctionnement du mécanisme et
d'accroître la protection des droits. La suspension de la prescription
est un complément nécessaire de l'interruption, mais elle est,
par nature, exceptionnelle et temporaire. Aussi a-t-on cherché à
mieux en circonscrire le champ. La réforme maintient certaines
règles favorables aux mineurs et aux majeurs protégés ou
à la paix familiale entre époux.
Viennent ensuite les matières propres à la prescription
acquisitive, notamment ses conditions d'exercice et les délais qui la
régissent. La prescription acquisitive est un moyen d'acquérir ou
de confirmer la propriété par l'effet de la possession. Ce
principe du droit actuel demeure et les règles qui l'appuient
également. Toutefois, afin d'uniformiser les règles et
d'accroître la sécurité des opérations, la
réforme du droit de la prescription, suivant en cela les propositions
déjà faites au livre de la publicité des droits, innove
dans le but d'augmenter la foi publique attachée au registre foncier, de
simplifier les recherches de titre de propriété et de leur donner
une plus grande valeur de sécurité, de faire jouer, enfin,
à la prescription son rôle de façon plus complète.
En matière mobilière, la réforme a cherché, par
rapport au droit actuel, à obtenir une solution plus simple et plus
claire.
La prescription extinctive est, pour sa part, un moyen d'éteindre
un droit, une obligation ou d'opposer une fin de non-recevoir à une
action. En cette matière, la réforme vise à simplifier les
catégories de délais, lesquelles sont moins nombreuses que dans
le Code civil actuel; les multiples énumérations sont
abandonnées au profit de dispositions plus générales. Sur
la question des délais, il est tenu compte, tant pour la prescription
acquisitive que pour la prescription extinctive, de la tendance
généralisée et presque mondiale vers une réduction
substantielle de la durée des divers délais et une diminution de
leur nombre.
L'orientation fondamentale de la réforme du droit international
privé au livre X est un assouplissement de la méthode
conflictuelle classique. La réforme s'inspire en cela des conventions
internationales et des codifications récentes de plusieurs pays. Cet
assouplissement se manifeste notamment par la consécration
législative des autres méthodes de solution des conflits telles
les lois d'application nécessaires, c'est-à-dire les lois
généralement déclarées impératives, et les
règles matérielles qui permettent d'appliquer directement
certaines lois spécifiques de notre droit interne, même si le
litige a un caractère international.
Toujours dans le but d'assouplir la méthode classique, la
réforme propose de nombreuses dispositions prévoyant des
règles de conflit comportant des facteurs de rattachement alternatifs
permettant de déterminer la loi applicable au litige. Ces règles
sont formulées dans certains cas de façon à favoriser un
certain résultat, telles la validité des actes juridiques ou la
protection de certaines personnes. Par rapport au Code civil actuel, qui ne
contient qu'un petit nombre de règles très
générales, la réforme propose des règles plus
nombreuses destinées à faire face à un plus grand nombre
de situations.
En matière de compétence internationale des tribunaux
québécois, l'orientation majeure de la réforme est de
prévoir des règles spécialement conçues pour les
situations impliquant un élément d'extranéité. Les
règles proposées sont plus précises et plus nombreuses que
celles qui existent actuellement et qui ont été
développées par les tribunaux sur la base des articles du Code de
procédure civile prévue pour des situations internes.
En matière de reconnaissance et d'exécution des
décisions étrangères, contrairement au droit actuel qui
démontre beaucoup de méfiance à l'égard des
décisions étrangères, l'orientation fondamentale de la
réforme est de favoriser la reconnaissance et l'exécution de ces
décisions. Cette orientation se manifeste notamment par l'abandon de la
révision au fond du jugement étranger et par la simplification
des procédures de reconnaissance. Telles sont donc les brèves
remarques que je voulais ajouter aux propos du ministre de la Justice.
En terminant, je veux dire que nous sommes très fiers de vous
présenter cet avant-projet de loi et que nous sommes heureux de pouvoir
recevoir les mémoires et les commentaires de tous ceux et celles que
nous allons entendre maintenant et que je remercie de nouveau. Merci, M. le
Président. (11 heures)
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le
député de Marquette, adjoint parlementaire au ministre de la
Justice. Maintenant, pour rappeler la durée totale de chaque audition
c'est environ 60 minutes. Vous avez 20 minutes pour faire l'exposé de
votre mémoire, tout en sachant que le mémoire a
déjà été lu et analysé par les deux partis,
et 40 minutes pour la période de discussions, c'est-à-dire 20
minutes pour chacun des groupes parlementaires.
Auditions
Donc, j'invite les représentants de la
Confédération des caisses populaires et d'économie
Desjardins à se présenter et je demande au responsable, au
représentant officiel de s'identifier et de présenter
également la personne qui l'accompagne. Je vous invite
immédiatement à procéder à votre exposé et
je vous souhaite la bienvenue à cette commission parlementaire.
Confédération des caisses populaires et
d'économie Desjardins
M. Dionne (Daniel): Merci, M. le Président. Mon nom est
Daniel Dionne. Je suis coordonnateur au suivi à la législation,
à la Confédération des caisses populaires et
d'économie Desjardins du Québec. Je suis accompagné
aujourd'hui de Me Linda Poulin, conseillère juridique, également
à la confédération.
J'aimerais, tout d'abord, au nom du président du mouvement
Desjardins, M. Claude Béland, remercier le ministre de la Justice, M.
Gil Rémillard, ainsi que tous les membres de cette commission d'avoir
invité notre organisme à faire valoir son point de vue sur
l'avant-projet de loi à l'étude. Comme vous te savez, le
mouvement Desjardins a participé activement aux travaux de cette
commission portant sur la réforme du Code civil et l'accueil reçu
jusqu'à maintenant nous a incités à maintenir notre
participation jusqu'à la fin. Certains commentaires visaient à
faciliter l'exercice de nos activités, mais nous croyons que ce sont
ultimement les membres des caisses qui en bénéficieront
indirectement, donc, une partie très importante de ta population
québécoise. D'ailleurs, nous n'avons jamais hésité
à suggérer des améliorations aux avant-projets de loi,
même si les institutions que nous servons n'en retiraient aucun
bénéfice. Nous espérons ainsi avoir joué d'une
façon différente le rôle social que la population souhaite
voir jouer par le mouvement Desjardins.
En ce qui concerne plus particulièrement l'avant-projet de loi
sur la preuve et la prescription et le droit international privé, la
plupart des modifications qui y sont proposées nous semblent opportunes,
tel que le démontre le contenu de notre mémoire. D'ailleurs,
plusieurs de nos remarques ne visent qu'à signaler certaines
difficultés d'interprétation qui peuvent être
évitées par des ajustements mineurs. Nous formulons, cependant,
un certain nombre de commentaires pouvant mettre en cause des questions de fond
ou des sommes Importantes. On peut les résumer comme suit: au chapitre
de la preuve, nous demandons que soit envisagé l'ajout, dans la section
traitant des enregistrements informatisés, d'une disposition stipulant
que, lorsqu'un acte juridique est fait au moyen d'un code d'identification
personnel et qu'il est démontré que ce code a été
attribué à une personne à sa connaissance exclusive,
l'utilisation de ce code équivaut à la signature par son
titulaire d'un écrit constatant cet acte juridique. Il nous
apparaît important, en effet, qu'on reconnalse ce qu'on pourrait appeler
la signature électronique qui présente, à notre avis,
autant, sinon plus de sécurité que certaines autres qui sont
reconnues dans l'avant-projet de loi. À titre d'exemple, pensons
à la signature au moyen d'une marque personnelle dont la validité
est reconnue par l'article 3006 de l'avant-projet de loi. Les articles 3015
à 3017 qui traitent des enregistre- ments Informatisés sont un
pas dans cette direction, mais ils ne nous semblent pas aller assez loin
lorsque l'enregistrement d'un acte juridique ne peut s'effectuer qu'au moyen
d'un code dont seul son titulaire a eu connaissance. L'article 3017 mentionne,
en effet, que la force probante du document reproduisant l'acte juridique
enregistré est laissée à l'appréciation du tribunal
et que le document peut être contredit par tous moyens. Il en est
autrement des actes constatés au moyen d'écrit sous seing
privé qui ont une force probante beaucoup plus importante, tel que
l'indiquent les articles 3008 et 3044.
L'attribution d'un code d'identification personnel, ce qu'on appelle
communément un NIP, s'effectue de façon que seul le titulaire le
connaisse. D'ailleurs, il peut maintenant choisir lui-même son code en
toute confidentialité à l'aide d'un appareil spécialement
conçu à cette fin. S'il peut être démontré,
à la satisfaction du tribunal et en respectant des conditions
comparables à celles prévues aux articles 3015 et 3016, qu'une
transaction a été effectuée au moyen du code
d'identification et de la carte d'accès, le cas échéant,
on devrait pouvoir lui attribuer la même valeur qu'une signature
manuscrite. La signature électronique occupera bientôt une place
très importante dans l'ensemble de l'activité économique.
Nous croyons que la révision du Code civil est l'occasion propice pour
réfléchir sur la valeur qu'on veut lui donner sur le plan
juridique.
À la section traitant de la reproduction d'un écrit, nous
demandons qu'il soit permis d'effectuer la reproduction avant que trois
années se soient écoulées depuis la date de cet
écrit. En effet, plusieurs personnes morales reproduisent
immédiatement après en avoir obtenu la possession les
écrits qu'i est important pour elles de conserver et ce, afin
d'avoir une preuve secondaire, advenant la destruction des originaux. Or, la
Loi sur la preuve photographique de documents les oblige à recommencer
cette opération cinq ans plus tard en respectant cette fois les
formalités prévues à la loi. Lorsque les articles 3018 et
suivants seront en vigueur, elles devront encore recommencer
l'opération, mais après trois ans au lieu de cinq.
Nous croyons qu'il y aurait des avantages importants, notamment au plan
économique, à permettre que la reproduction des documents soit
faite selon les règles prévues aux articles 3018 et suivants
avant que trois années se soient écoulées depuis leur
date. Évidemment, une reproduction ne deviendrait admissible en preuve
qu'après trois ans de la date du document, à moins que la partie
qui invoque cette reproduction ne puisse produire l'original pour une raison
hors de sa volonté, par exemple, en raison d'un incendie.
En ce qui a trait à la destruction des originaux, nous
souhaiterions que soit envisagée la possibilité d'éliminer
cette exigence, quitte à ce que deux personnes attestent de ce qui a
été
fait avec ceux-ci. En effet, cela nous permettrait, par exemple,
d'expédier les effets à nos membres au lieu de les
détruire. Ceux-ci pourraient ainsi décider de les conserver s'ils
y tiennent ou les détruire eux-mêmes. Quant à la
destruction elle-même, il devrait être permis d'en faire la preuve
de façon plus simple lorsqu'elle n'est pas faite en même temps que
la reproduction. Cette destruction serait alors moins lourde et, par
conséquent, moins coûteuse.
Enfin, il n'est pas toujours facile de savoir si un écrit
appartient à un tiers et doit lui être remis. Comme la
propriété d'un écrit est souvent difficile à
déterminer, la possibilité de détruire un document serait
plus facile à trancher si l'article se terminait pas les mots
"appartenant à un tiers ou qui doit lui être remis". Si un
document rencontre l'une ou l'autre de ces conditions, seule la personne qui en
est propriétaire ou qui a droit à sa possession pourrait le
détruire. Il devrait être permis, même dans le cas de
documents qui appartiennent à un tiers et qui doivent lui être
remis, d'en faire une reproduction qui ait la même valeur que l'original,
après trois ans, sans toutefois qu'il soit détruit.
Au chapitre de la prescription, nous présumons qu'une erreur
s'est glissée à l'article 3063, qui stipule qu'on ne peut
renoncer à la prescription acquise et au bénéfice du temps
écoulé. S'il ne s'agit pas d'une erreur, nous nous interrogeons
sur les motifs qui justifient la modification de la règle actuelle
permettant une telle renonciation.
Concernant l'interruption de la prescription, nous demandons de
prévoir que le fait de se prévaloir du "dépôt
volontaire des traitements, salaires ou gages", ou de faire faillite interrompt
la prescription pour les dettes mentionnées dans la déclaration
ou la liste des créanciers. Cette interruption devrait, d'ailleurs,
être valable pour toute la créance et se continuer aussi longtemps
que le débiteur fait des dépôts ou, dans le cas d'une
faillite, jusqu'à la libération du syndic. Nous expliquons, dans
notre mémoire, les raisons qui motivent ces demandes. Soulignons,
toutefois qu'elles se justifient surtout par la réduction importante des
délais de prescription, c'est-à-dire de trois ans au lieu de 30
ans, dans bon nombre de cas.
Concernant la prescription acquisitive pour les meubles corporels, nous
demandons que le propriétaire d'un meuble ne puisse plus le revendiquer
s'il a été vendu lors d'une vente par le créancier faite
en vertu des articles 2964 et suivants de l'avant-projet de loi sur les
sûretés. L'article 3100 de l'avant-projet de loi sur la preuve
prévoit, en effet, que le propriétaire d'un bien ne peut le
revendiquer s'il a été vendu sous autorité de justice.
Comme l'avant-projet de loi sur les sûretés permet
également au créancier de vendre lui-même le bien par vente
aux enchères ou appels d'offres, il nous paraîtrait logique
d'étendre à de telles ventes la règle prévue
à l'article 3100 pour les ventes sous autorité de justice; sinon,
les acheteurs n'auront pas de protection lors de telles ventes et ce recours
sera plus difficile à exercer.
Nous croyons également, pour les motifs exposés dans notre
mémoire, que le propriétaire d'un bien ne devrait pas pouvoir le
revendiquer lorsque le possesseur l'a acquis d'un commerçant en
semblable matière ou lors d'une opération de nature commerciale.
Ces exceptions sont importantes parce qu'il est impensable d'obliger ceux qui
achètent des biens d'un commerçant en semblable matière
à vérifier si ce dernier en est réellement
propriétaire. On n'a qu'à penser à la quantité
incroyable de biens qui sont vendus tous les jours par des commerçants
qui n'en sont pas propriétaires parce qu'ils leur ont été
vendus par des grossistes au moyen de contrats de vente conditionnels. D'autre
part, les exigences de célérité et d'efficacité en
matière commerciale s'opposent à ce qu'on soit obligé
d'effectuer de telles vérifications.
En ce qui a irait à la prescription extinc-tive, nous trouvons
trop courte la prescription de dix ans pour les jugements. En effet,
contrairement aux autres prescriptions, il ne semble pas y avoir de
possibilité de l'interrompre ou de la suspendre sans fa volonté
du débiteur. Or, la personne qui obtiendra un jugement, parfois à
grand frais et après une longue bataille juridique, trouvera
sûrement injuste de ne pouvoir l'exécuter après dix ans si
elle n'a pu le faire avant et que, pour une raison ou pour une autre, son
débiteur se trouve tout à coup en mesure de l'honorer. On n'a
qu'à imaginer le sentiment d'injustice que pourrait ressentir la
personne rendue paraplégique par la faute d'autrui si, pour une seule
question de prescription, elle ne pouvait exécuter son jugement contre
le responsable de sa condition. Un délai de 20 ans nous semblerait
être un minimum.
Par ailleurs, pour les motifs exposés dans notre mémoire,
la prescription de trois ans nous paraît trop courte lorsque le droit
personnel découle d'un titre de créance, par exemple, un contrat
de prêt ou un chèque. Une prescription réduite à
trois ans obligera à plus de formalisme. Mais ce qui nous semble plus
grave, c'est que plusieurs créanciers, surtout les particuliers qui ne
peuvent connaître toutes les règles du droit, oublieront la
prescription et perdront des sommes parfois importantes uniquement en raison
d'une prescription trop courte. À notre avis, la prescription ne devrait
pas être inférieure à cinq ans lorsque le droit personnel
découle d'un titre de créance opposable au débiteur.
Toujours concernant la prescription extinctive, nous demandons de revoir
la règle prévoyant que, lorsque le contrat est à
exécution successive, la prescription des paiements dus a lieu quoique
les parties continuent d'exécuter l'une ou l'autre des obligations du
contrat. Cette règle risque, en effet, de créer de sérieux
problèmes lorsqu'un débiteur demandera à son
créancier une suspension temporaire de ses
paiements dans le cas d'un prêt, par exemple. Nous expliquons en
détail ces problèmes dans notre mémoire.
En ce qui concerne le chapitre portant sur le droit international
privé, nos commentaires sont d'ordre plutôt technique. Nous ne
croyons donc pas opportun d'y revenir au cours de cet exposé, mais nous
sommes toutefois disposés à répondre aux questions portant
sur le sujet, le cas échéant.
M. le Président, cela complète notre exposé au
sujet de cet avant-projet de loi. Nous remercions tous les membres de cette
commission, ainsi que l'équipe du ministère de la Justice qui
travaille à cette réforme de l'attention qu'ils accordent
à nos commentaires et nous serons heureux de répondre à
leurs questions au meilleur de notre connaissance.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup pour cet
exposé, Me Daniel Dionne. Je vais reconnaître immédiatement
M. le ministre de la Justice et ministre de la Sécurité
publique.
Une voix: II a d'autres titres.
Le Président (M. Marcil): II est également
responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes...
M. Filion: Mais Sécurité publique et Justice,
est-ce qu'on peut occuper ces deux postes-là?
Le Président (M. Marcil):... de l'Office de la protection
du consommateur, du Bureau de la protection civile. Comment faites-vous, M. le
ministre, pour assumer toutes ces responsabilités?
M. Filion: Cela va changer la semaine prochaine.
Une voix: La semaine prochaine, on verra ça.
Le Président (M. Marcil): M. le ministre.
M. Rémillard: Après ces commentaires, M. le
Président, il me fait plaisir de souligner la très grande
qualité de ce mémoire qui nous est présenté. C'est
le premier mémoire que nous entendons à cette commission
parlementaire, celui de la Confédération des caisses populaires
et d'économie Desjardins. Je veux souhaiter la bienvenue à Me
Dionne et à Me Poulin. Je ne suis pas surpris de la qualité de ce
mémoire puisque j'ai eu le plaisir de connaître Me Dionne et Me
Poulin à l'université, alors qu'ils étaient respectivement
étudiant et étudiante. Voilà qui témoigne fort bien
de la qualité des études qu'ils ont faites, en particulier, de
même que de leur qualité d'étudiants.
M. Filion: C'est de l'autogratification de la part du
ministre.
M. Rémillard: M. le Président, je faisaisréférence essentiellement à la qualité
d'étudiants de Me Dionne et de Me Poulin.
Dans votre mémoire, vous soulignez quelques points techniques
très importants qui vont nous permettre de bonifier le code et je vous
en remercie. Entre autres, vous parlez de l'article 3063. Malheureusement, il y
a une erreur de typographie à l'article 3063, vous avez parfaitement
raison de souligner qu'il y a là une Incohérence. Le texte qu'on
doit lire, c'est: "On peut renoncer". L'article au complet se lit comme ceci:
"On peut renoncer d'avance à la prescription. On peut renoncer à
la prescription acquise et au bénéfice du temps
écoulé pour celle commencée. " Donc, votre remarque est
particulièrement bien ciblée, si vous voulez, parce que vous avez
parfaitement raison de souligner cette erreur.
Vous soulignez certains points très importants en ce qui regarde
la pratique bancaire, la pratique des caisses populaires que vous
représentez aujourd'hui. Concernant les enregistrements
informatisés, aux articles 3015 à 3017, vous suggérez de
reconnaître que l'utilisation d'un code d'identification personnel puisse
équivaloir à la signature, par son titulaire, d'un écrit
constatant un acte juridique. C'est là une proposition qui
m'apparaît intéressante. Est-ce que vous pourriez nous
préciser le fonctionnement de ce système et les problèmes
de preuve qu'on pourrait rencontrer en pratique? Vous avez la pratique de ces
choses et je sais que vous pouvez nous éclairer. De quelle façon
croyez-vous, par exemple, que l'usager pourrait contester le bilan émis
par les guichets automatiques? C'est une question qu'on peut se poser. Si on
veut faire référence à la pratique actuelle, je serais
curieux de savoir, justement, quelle est la pratique actuelle. La règle
que vous proposez semble favoriser l'institution financière, mais est-ce
qu'il y a une contrepartie pour le consommateur dans la protection de ses
droits? Alors, voilà la première question que j'aimerais vous
poser. Me Dionne ou Me Poulin. (11 h 15)
M. Dionne: Merci, M. le ministre. Mentionnons, en premier lieu,
que les articles 3015 à 3017, je le répète, sont un pas
dans la bonne direction puisqu'il n'existe actuellement dans le Code civil
aucune disposition de cette nature et que cela nous donne accès à
une preuve éventuelle devant le tribunal. Par contre, l'article 3017
prévoit que la force probante d'un document reproduisant un acte
juridique enregistré sur support informatique est laissée
à l'appréciation du tribunal et que le document peut être
contredit par tous moyens.
Je vais prendre un exemple pour ilustrer simplement ce qu'on demande.
Dans le cas où un retrait est effectué au comptoir, l'Individu
signe un bordereau de retrait et sa signature apparaît sur le document.
S'il prétend éventuellement ne pas avoir signé le
document, on peut faire la
preuve que c'est bien lui qui l'a signé, avec un expert en
évaluation de signatures. Par contre, dans le cas où le retrait
est effectué au moyen d'un terminal, par exemple, au guichet
automatique, nous ne sommes pas en mesure de démontrer que
l'opération a été faite par lui autrement qu'en
démontrant que c'est bien son numéro d'identification qui a
été utilisé ou sa carte d'accès, le cas
échéant. Cette preuve peut être également faite par
des experts, sauf que nous ne sommes pas en mesure de démontrer que
c'est bel et bien l'individu concerné qui a fait le retrait. Par
exemple, il pourrait avoir donné son numéro d'identification
personnel à quelqu'un d'autre qui aurait alors utilisé sa carte.
À ce moment-là, le retrait aurait été fait par
cette autre personne. Si le titulaire du numéro d'identification
personnel démontre au tribunal qu'il était à
l'étranger au moment où l'opération a été
effectuée, cela nous réfère à l'article 3017
où il est écrit que le document peut être contredit par
tous moyens. C'est donc un exemple qui prouve que le numéro
d'identification personnel étant attribué à la
connaissance exclusive d'une personne, cette personne devrait le maintenir
confidentiel. Par conséquent, les opérations faites par la suite
au moyen de cette carte et de ce numéro devraient être
attribuées, par le Code civil, au détenteur ou au titulaire de ce
numéro d'identification personnel. C'est là la façon dont
on peut expliquer notre demande.
Les spécialistes de la question disent que le code ou les lois
actuelles ne sont pas à jour dans le domaine informatique. C'est la
raison pour laquelle on tente, lors de cette révision du Code civil, de
faire en sorte qu'il soit au même diapason que la société
actuelle. Je ne sais pas si ça répond à votre
question.
Évidemment, nous sommes conscients que ça mérite
réflexion. Nous pensons que les juristes du ministère de la
Justice peuvent examiner attentivement notre demande et voir dans quelle mesure
ils peuvent la mettre en application. Il est certain que ça peut
créer des difficultés concernant la preuve, qu'il y a une
question de rédaction et qu'il faut faire un examen attentif de cette
demande, mais nous croyons qu'il était temps, au moment de la
révision du Code civil, d'aborder cette question.
M. Rémillard: Si je comprends bien, votre raisonnement est
fondé sur la présomption que celui qui utilise un code a la
propriété exclusive de ce code; donc, c'est celui qui a la
propriété exclusive du code qui a utilisé le code. Mais,
s'il y a malfonctionnement de la machine, parce qu'il se peut qu'il y ait
malfonctionnement, est-ce que ça ne pourrait pas créer des
difficultés en fonction de ce que vous proposez?
M. Dionne: Je ne suis pas un spécialiste en
systèmes, mais il semble que les systèmes sont très
fiables, du moins d'après ce qu'on nous dit.
De toute façon, je tiens aussi à le mentionner, on ne
demande pas de n'avoir aucune preuve à faire devant le tribunal. Si
jamais 1 y avait un problème, on aurait à établir la
preuve de la fiabilité du système lui-même et c'est une
fois qu'on aurait établi devant le tribunal la fiabilité du
système à l'aide d'experts en Informatique qu'à ce
moment-là l'utilisation du code d'identification personnel serait
considérée comme étant l'équivalent de la signature
du titulaire de ce code.
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Si vous me le permettez, sur la même question
du ministre, dans votre pratique, est-ce que c'est déjà
arrivé qu'un individu utilise le code d'un autre individu pour lui
soutirer de l'argent? Si oui, qu'est-ce qui est arrivé sur le plan
juridique à ce moment-là?
M. Dionne: Jusqu'à maintenant, il semblerait que les
problèmes ont été très peu nombreux et que
c'était souvent des cas où, justement, le numéro
d'identification personnel avait été communiqué à
une autre personne de la famille et les enquêteurs finissaient par
démontrer que le code avait été utilisé par un
proche. Il y a même des cartes parfois qui ont été
retrouvées avec le numéro d'identification personnel inscrit
à l'endos. C'est, évidemment, très dangereux de faire
ça. Comme on ne peut pas avoir la signature de la personne, si la
personne prend le risque d'inscrire son code à l'endos de sa carte, ce
que nous disons, c'est qu'à ce moment-là c'est elle qui devrait
supporter le retrait qui a été effectué dans son compte.
C'est pour ça qu'on demande que ça équivaille à une
signature dès que la carte et le numéro d'identification
personnel sont utilisés, sous réserve, évidemment, d'avoir
à faire la preuve de la fiabilité du système. Comme
l'indiquent un peu les articles 3015 et 3016, il y a des preuves à faire
avant que les enregistrements informatisés soient admissibles. Alors, on
est prêts à se soumettre à ces preuves. Mais une fois
qu'elle a été faite, on voudrait qu'à ce moment-là
l'utilisation du code et de la carte équivaillent à une
signature, dans le but de lui donner une force probante aussi forte que les
écrits finalement, parce qu'on considère qu'un retrait à
un guichet automatique équivaut à la signature d'un bordereau de
retrait au comptoir.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. M. le
député de Taillon.
M. Filion: Merci, M. le Président. Encore une fois, nos
félicitations aux gens des caisses populaires qui ont encore fait un bon
travail. Tout au long de l'étude de tous les avant-projets de loi
modifiant le Code civil, les juristes des caisses populaires ont fait un
travail remarquable
que je tiens à souligner. Je les remercie également de
leur présence ce matin.
D'abord, un commentaire sur les modifications à l'article 3063
où certains intervenants avalent vu une erreur de rédaction. Ce
que le ministre nous dit, finalement, si j'ai bien compris, c'est qu'on doit
lire l'article 3063 de la façon suivante: "On peut renoncer d'avance
à la prescription. Et, au deuxième alinéa: "On peut
renoncer à la prescription acquise et au bénéfice du temps
écoulé pour celle commencée. "
M. Dauphin: Le premier est correct: "On ne peut pas renoncer
d'avance... "
M. Filion: Ah bon!
M. Rémillard: II faut bien comprendre. Je m'excuse, je
crois que c'est moi qui vous ai induits en erreur tout à l'heure. On m'a
donné une information incorrecte et je voudrais la rectifier. L'article
3063 se lirait comme ceci: "On ne peut pas renoncer d'avance à la
prescription. On peut renoncer à la prescription acquise et au
bénéfice du temps écoulé pour celle
commencée. "
M. Filion: D'accord. Alors, maintenant, je pense que c'est plus
clair parce que je dois vous dire que, sur la première partie, j'allais
vous faire part de notre réticence à faire en sorte que nous
puissions renoncer d'avance à la prescription. Alors, c'est
réglé.
Le mémoire qui nous est présenté est très
bien fait. Plusieurs recommandations et suggestions sont intéressantes,
en ce qui consente la reproduction des écrits. Le témoignage et
la prescription, notamment. Mais je voudrais peut-être, avec les membres
de cette commission ainsi qu'avec nos invités, approfondir cette
suggestion sur les enregistrements informatisés et tes paiements
électroniques. On a tous un peu à l'esprit les guichets
automatiques. J'étais un de ceux qui étalent réticents au
départ, mais je dois vous avouer que c'est une machine extraordinaire
pour faire nos transactions bancaires 24 heures par jour, sept jours par
semaine. Surtout, peut-être, parce que nos vies sont plus tulmutueuses et
qu'on a moins de temps libre je dois avouer que les guichets automatiques,
comme plusieurs autres citoyens, en tout cas, m'ont carrément
séduit.
Maintenant, vous suggérez de faire en sorte - vous me corrigerez
- que la signature électronique équivaille à une signature
ordinaire et que l'usager, si je suis votre mémoire, ne puisse pas,
à toutes fins utiles, contester les relevés Informatisés
qui lui sont transmis après l'opération ou qui sont transmis
à quelqu'un d'autre après l'opération. Cela me semble
aller passablement loin.
Il faut se souvenir, quand même, qu'en termes de cartes de
crédit - ce n'est pas la même chose, j'en conviens, ce sont deux
secteurs tout à fait différents - le législateur a cru
bon, dans la Loi sur la protection du consommateur, de limiter la
responsabilité du consommateur dont la carte de crédit a
été perdue ou volée à la somme de 50 $, même
si l'avis n'a pas été fait par le propriétaire de la carte
de crédit. Cette protection a été reprise également
dans l'avant-projet de loi qui portait réforme au Code civil du droit
des obligations. On y reprend également cette restriction de 50 $, comme
étant le montant maximal de la responsabilité du
propriétaire d'une carte de crédit qui aurait été
perdue, volée ou utilisée par d'autres personnes, pour ce qui a
trait à la consommation, bien sûr.
Donc, ce qui me chicote, c'est ceci. D'abord, on a une machine. Comme
toutes tes machines sont bâties par des hommes, elles sont susceptibles
d'erreurs comme les hommes.
Une voix: Et les femmes.
M. Filion: Le ministre aura compris, j'en suis convaincu. Je suis
convaincu que, dans les cours qu'il donnait à nos invités, il ne
disait pas hommes et femmes à tout coup. Donc, il y a des erreurs qui
sont inhérentes au système informatisé lui-même. On
ne peut pas le nier. Il y a des erreurs qui sont possibles, d'une part. D'autre
part, il y a aussi du personnel qui travaille à la banque, qui travaille
avec ces systèmes Informatisés, et qui peut avoir accès
à la manipulation de certains éléments de ces
systèmes informatisés qu'il peut peut-être détourner
à son avantage. Sans que cela soit des erreurs, cela peut être une
utilisation. Par exemple, il n'y a rien qui interdit de croire qu'à un
moment donné il n'y a pas des cerveaux, au Québec, qui vont
trouver une façon de reproduire nos cartes d'accès au guichet
automatique à leur profit. Donc, je ne fais que souligner deux
possibilités d'erreur ou de fraude qui peuvent se produire, mais qui
n'ont rien à voir avec l'usager.
Si je comprends bien la suggestion ou la recommandation que vous nous
faites, ces erreurs ou ces manipulations faites par une autre personne que
l'usager ou par ses proches se retrouveraient, finalement, à la charge
du propriétaire de ce numéro, de l'usager en quelque sorte.
Alors, j'avoue que cela me semble protéger adéquatement
l'institution bancaire, J'en suis, mais, en ce qui concerne l'usager, en tout
cas, à première vue, j'aimerais vous entendre sur le fardeau que
vous faites reposer sur l'usager des guichets automatiques ou, en somme,
l'usager de tous les systèmes de paiement électroniques qui vont
voir le jour dans les années qui viennent.
M. Dionne: Juste avant d'aborder à nouveau la question,
j'aimerais mentionner qu'il y a une différence importante entre
ça et une carte de crédit, c'est qu'il n'y a pas de numéro
d'identification personnel en ce qui concerne une carte de crédit. Les
cartes de crédit sont souvent volées avec d'autres documents qui
permettent de
reproduire ou d'imiter la signature. Alors, c'est la raison pour
laquelle... On sait aussi qu'il y a beaucoup de vols de cartes de
crédit, c'est courant, et qu'il y a des opérations qui sont
faites à la suite d'un vol, justement, parce que la signature est
imitée. Dans le cas de transfert électronique de fonds ou de
retrait au moyen d'un code d'identification personnel, même si quelqu'un
vole la carte et tente d'imiter la signature, il ne peut pas effectuer
l'opération de toute façon. (11 h 30)
Je voudrais également mentionner que, quand on parle du fardeau
de la preuve, il demeurerait toujours sur les épaules de l'institution
financière parce qu'elle devrait démontrer au départ
qu'elle a respecté les conditions prévues aux articles 3015 et
suivants, c'est-à-dire que les données sont
enregistrées... Juste une seconde que je retrace les exigences des
articles. On dit "Le tribunal doit tenir compte des circonstances dans
lesquelles les données ont été enregistrées et le
document reproduit. " L'enregistrement (... ) sur support informatique est
présumé présenter des garanties suffisamment
sérieuses pour qu'on puisse s'y fier lorsqu'il est effectué de
façon systématique et sans lacune, et que les données
enregistrées sont protégées contre toute
altération. "
Il y a quand même une preuve à faire avant d'en arriver
à la conclusion que cela équivaut à une signature. Le
fardeau est, d'abord, sur les épaules de l'institution
financière. Ce n'est qu'une fois cette preuve établie par des
experts, des spécialistes de la question qui pourront avoir
examiné le système, qu'on pourra en venir à la conclusion
que la transaction a bel et bien été faite au moyen du NIP et de
la carte d'accès. À ce moment-là, peu importe qui l'a
fait, elle devrait être considérée comme étant une
opération effectuée par le détenteur ou le titulaire.
M. Filion: Je vous suis bien là-dessus, mais, quand
même, cette preuve est de nature générale et va porter sur
le fonctionnement non pas spécifique, mais habituel du système de
paiement électronique. Cela ne pourra jamais être une preuve
spécifique. Vous me saisissez! C'est toujours la même preuve que
la banque va faire dans tous les cas. Cela va être une preuve qu'elle
pourra même mettre sur cassette et, s'il y a un procès, elle
pourra la sortir en disant: Voici la preuve que mon système de paiement
électronique ou de transaction électronique est valide. Ce n'est
pas une preuve spécifique qui pourrait être nécessaire dans
un cas...
Je vais vous donner deux cas bien précis: d'abord, une erreur
carrément du système électrique. Ne venez pas me dire que
ce n'est pas possible. Les Américains ont envoyé une fusée
dans les airs, ce n'était pas possible qu'elle explose et c'est ce qui
est arrivé au bout de quinze secondes. Une erreur est toujours pos-
sible. Si vous dites qu'une erreur n'est jamais possible, c'est non. Le premier
cas que je vous donne c'est, donc, celui d'une erreur. Deuxièmement, le
cas où une personne de la banque a accès et peut manipuler une
partie du système pour le détourner à son avantage. Cela
aussi, il me semble que c'est possible. Ce système est bâti par
des êtres humains, donc il peut être modifié par des
êtres humains autres que l'usager. Dans ces deux cas bien précis,
qu'est-ce que vous me dites? Oui, on fait une preuve générale,
mais cela vient de coûter 300 $, 400 $ ou 500 $, peut-être à
plusieurs reprises, à l'usager; cela peut faire des sommes assez
énormes. On a vu récemment dans les journaux qu'une fraude avait
été possible au niveau de la manipulation de l'argent
lui-même, par les employés qui étaient chargés de
réalimenter le guichet automatique. Cela n'a rien à voir avec
l'électronique, mais c'est quand même une fraude qui a
été possible. Je ne sais pas si vous avez autre chose à
ajouter là-dessus.
M. Dionne: En fait, non. On doit également penser que ce
qui s'en vient prochainement, c'est la carte de débit. En plus du
guichet automatique, les gens paieront dorénavant au moyen d'une carte
identique en quelque sorte. Ils se rendront chez les commerçants et
procéderont de la même façon. Ils paieront leurs achats au
moyen de cette carte. Donc, les transferts électroniques de fonds
risquent de prendre une ampleur très importante au cours des prochaines
années. C'est la raison pour laquelle on croyait que c'était
opportun, à ce stade-ci de regarder cette question, de la soulever lors
de la commission et auprès du ministère de la Justice pour
qu'elle soit examinée. Évidemment, je le répète,
nous trouvons que les articles 3015 à 3017 ouvrent déjà
une porte très intéressante. Je dois vous dire que je serais
très surpris, même si on en fait la demande, qu'il y ait beaucoup
de procès sur ce genre de choses, sauf qu'on se dit que cette signature
électronique va remplacer éventuellement une signature
manuscrite. Compte tenu de cette situation, on s'est dit: Est-ce qu'il ne
serait pas normal de demander qu'une fois la preuve faite... Quand on parle de
preuve, je le mentionne également, on parle non pas d'une preuve
générale, mais d'une preuve exhaustive de la part de
l'institution financière, d'une preuve convaincante pour le tribunal.
Alors, dans ce contexte, on pensait que c'était le moment de soulever la
question et de demander qu'elle soit examinée, dans la mesure du
possible, évidemment.
M. Filion: D'accord. D'abord, je vous réfère
à un article de Me Nicole L'Heureux qui a étudié de
façon absolument remarquable toute cette question du transfert
électronique de fonds en regard du contrat bancaire, dans la revue du
Barreau canadien. C'est probablement une de vos consoeurs. Elle a
étudié toute cette question de l'avancement technologique. Je
reprends une
partie de la réflexion qu'elle développe aux pages 178,
187 et 188, basée sur deux concepts, dont, d'une part, la
négligence de l'usager. À ce sujet, Me Gariépy m'a remis
copie d'un jugement rendu le 18 octobre 1988 en Cour provinciale par le juge
Genest; c'est une petite créance.
M. Dauphin: Ah! C'est un autre.
M. Filion: II y en a peut-être d'autres. C'est
intéressant, il commence à y avoir des jugements
là-dessus.
Une voix: II y en a eu un la semaine dernière.
M. Filion: II y en a un de la semaine dernière
également. Bon! La jurisprudence se développe, parce qu'encore
une fois il y a des choses qui vont se produire dans ce secteur. Il faut se
rappeler, M. le Président, qu'en ce qui concerne les chèques,
méthode commerciale de paiement toujours valable, on avait toute une loi
à ce sujet, la Loi sur les lettres de change, une loi
fédérale, et maintenant on fait face au paiement
électronique.
Vous nous dites que les articles 3015 à 3017 sont un pas
intéressant. L'article 3015 est sérieusement limité par
l'article 3017: "La force probante d'un document reproduisant un acte juridique
enregistré sur support informatique est laissée à
l'appréciation du tribunal. Ce document peut être contredit par
tous moyens. " J'aime bien cet article; autrement, cela pourrait être
dangereux pour les usagers.
Bref, revenons à ce que Me L'Heureux dit. Deux approches dont
l'une est basée sur la négligence du client; d'ailleurs, le
jugement que j'ai de ta Cour provinciale reprend un peu cet
élément. L'autre approche est basée sur la
sécurité et les risques du système. Là-dessus, je
fais ouvertement une suggestion. Cela tombe bien puisque l'Association des
banquiers canadiens, est en arrière. On sait que, quand on va chez le
dépanneur, il y a maintenant des caméras. Je poserais une
question au mouvement Desjardins et la reposerai aux banques: Est-ce que vous
avez songé, tout simplement, à faire en sorte qu'il y ait une
caméra près du guichet, qui pourrait filmer les usagers des
guichets automatiques ainsi que l'heure pour qu'on s'y réfère au
besoin? Cela n'éliminerait pas tous les cas, mais cela pourrait
certainement en éliminer, notamment le cas du jugement de la Cour
provinciale, où le type prétend qu'il n'a pas utilisé sa
carte. Y avez-vous songé? Les coûts ne seraient pas énormes
et, puisque vous avez parlé de la sécurité du
système, voilà un élément sécuritaire qui
n'est pas dispendieux; les chaînes de dépanneurs en ont
maintenant. On peut imaginer que les coûts ne seraient pas, non plus,
énormes pour les banques et les autres institutions financières
qui décideraient d'utiliser cette méthode. Est-ce qu'on en a
discuté ou est-ce qu'il y a des projets de ce côté?
M. Dionne: II y a effectivement un certain nombre de guichets qui
sont munis de caméras, mais ils sont peu nombreux, semble-t-il, et je ne
crois pas que la seule question que nous sommes en train de regarder
justifierait, à mon point de vue, l'utilisation de caméras. En
fait, les problèmes sont tellement peu nombreux... Comme je le
mentionnais tout à l'heure, il n'y a eu que quelques cas où il
s'est avéré que c'étaient des gens à qui le
numéro d'identification avait été communiqué, qui
avaient utilisé la carte. Je ne crois pas que ce point justifierait que
des caméras soient Installées dans tous les guichets. Il y aurait
peut-être avantage, par contre, à le considérer au plan de
la sécurité des gens qui s'y présentent: je sais qu'il y a
eu quelques vois, que des gens se sont fait voler sur les lieux. Il faut dire
là-dessus que les guichets appartiennent aux caisses elles-mêmes,
donc que ce sont elles qui sont à même de le faire. On ne peut pas
donner aux caisses l'instruction d'installer des caméras, elles doivent
prendre cette décision individuellement. Comme iI y en a quelque 1300
réparties sur le territoire... Pour résumer, je ne crois pas que
la question que nous étudions justifierait à elle seule
l'installation de caméras dans les guichets puisque les problèmes
sont trop peu nombreux pour cela.
Le Président (M. Marcil): Est-ce que cela va? M. le
ministre.
M. Rémillard: J'aimerais peut-être aborder
maintenant vos remarques sur le droit international privé. C'est
intéressant parce que vous avez une bonne expérience des
problèmes reliés à l'application du droit international
privé. Plusieurs caisses sont situées près des
frontières ou même certaines caisses sont à
l'extérieur du Québec. Donc, il y a une relation directe de droit
qui peut s'établir en fonction du droit international privé, que
ce soit au niveau national ou même au niveau International. J'aimerais
peut-être vous entendre, si vous pouviez un peu compléter votre
mémoire sur cet aspect. Entre autres, j'ai une question qui me venait,
ce matin, en réfléchissant encore à ces aspects que vous
soulignez dans votre mémoire. Est-ce qu'il arrive souvent qu'un citoyen
étranger, un citoyen qui n'est pas québécois,
réclame, dans une caisse populaire, un dépôt à titre
d'héritier, par exemple? Est-ce que cela pose, à ce
moment-là, certains problèmes de preuve, entre autres?
M. Dionne: M. le ministre, Je dois vous dire que, d'abord, en ce
qui a trait au droit international privé à l'époque
où j'ai étudié dans ce domaine, le cours était
facultatif et vos cours étaient beaucoup plus intéressants. Nous
avons beaucoup plus accentué nos connaissances dans le domaine du droit
administratif et constitutionnel qu'en droit international privé.
Deuxièmement,
même si nous avons des caisses situées sur tes
frontières des autres provinces, on doit dire que les questions qui nous
sont posées sont très rares. Cela m'est arrivé
peut-être à trois reprises, depuis une dizaine d'années
chez Desjardins, de répondre à des questions qui concernaient le
droit International privé. Donc, notre expertise est très faible
à ce chapitre. On a, en fait, examiné les articles au meilleur de
notre connaissance et on a fait quelques commentaires d'ordre plutôt
technique. Je pense qu'on peut difficilement en faire plus pour le moment.
Vous posez spécifiquement la question en ce qui concerne les
héritiers dans le cas des autres provinces. En tout cas, je ne me
rappelle pas que la question m'ait été posée. On a eu,
à quelques reprises, des cas de sûreté des biens, par
exemple, l'entreprise était située au Québec et elle
exploitait au Nouveau-Brunswick. On a eu des questions comme celles-là,
mais il faut connaître le droit du Nouveau-Brunswick pour y
répondre. Donc, on devait, à ce moment-là, communiquer
avec des juristes des autres provinces pour leur demander quelle était
la situation juridique dans leur province. C'est de cette façon qu'on
les réglait. Malheureusement, on s'est dit, d'ailleurs, que,
probablement, parmi les juristes du Barreau, il y en a qui pratiquent sur les
frontières. Ils sont beaucoup plus à même de commenter
cette section du droit international privé.
Le Président (M. Marcil): Cela va. M. le
député de Marquette.
M. Dauphin: Si vous me le permettez, M. le Président,
j'aimerais revenir à la preuve de façon plus précise
à l'article 3024 qui traite du ouï-dire auquel vous faites
référence à la page 11 de votre mémoire. Vous nous
dites, à un moment donné, que la présomption prévue
au troisième alinéa devrait également s'appliquer au
deuxième alinéa où on dit: "Le tribunal doit s'assurer
qu'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme
témoin, ou déraisonnable de l'exiger. " J'aimerais
peut-être vous entendre davantage sur votre proposition visant à
utiliser la présomption du troisième alinéa au
deuxième alinéa comme critère, comme condition pour que le
tribunal permette le ouï-dire.
M. Dionne: En fait, le deuxième alinéa se lit comme
suit: "Le tribunal doit cependant s'assurer qu'il est impossible d'obtenir la
comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de
l'exiger, et que les circonstances entourant la déclaration donnent
à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y
fier. " (11 h 45)
Le paragraphe suivant dit: "Sont présumés présenter
ces garanties, notamment, les documents élaborés au cours des
activités d'une entreprise et les documents Inscrits dans un registre
dont la tenue est exigée par la loi. " En fait, tel que
rédigé, nous croyons que le dernier paragraphe ne s'applique
qu'à une partie de l'alinéa précédent. On pense que
les documents élaborés au cours des activités d'une
Institution financière... Prenons la déclaration qui porte sur ce
qu'un membre peut avoir en dépôt. Lors du divorce d'un membre, le
conjoint peut demander à l'employé de l'institution
financière d'aller témoigner. Le dernier paragraphe de l'article
3024 ne crée la présomption que pour la dernière partie du
deuxième alinéa, c'est-à-dire "que les circonstances
entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties
suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier". On pense que cette
présomption devrait s'appliquer également au fait qu'il n'est
peut-être pas impossible d'obtenir la comparution du déclarant
comme témoin, mais à tout le moins déraisonnable. Les
employés des caisses ou le directeur, très souvent, sont
appelés à témoigner dans des cas de divorce pour
uniquement déclarer quel montant est en dépôt ou quel est
le solde d'un prêt. C'est dans le but de pouvoir faire une
déclaration plus facilement que nous demandons cette modification.
M. Dauphin: D'accord. Merci beaucoup.
Le Président {M. Marcil): Cela va Donc, en conclusion, M.
le député de Taillon.
M. Filion: Oui. Je voudrais, encore une fois, remercier les
représentants du mouvement
Desjardins de nous avoir fait part de leurs commentaires sur cet
avant-projet de loi. Je veux les remercier également de la
qualité de leur mémoire, de la qualité de leur
présence ici, ce matin.
Le Président (M. Marcil): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, moi aussi je veux
remercier Me Dionne, Me Poulin pour ce mémoire, leurs commentaires. Ce
qu'ils ont relevé nous permettra d'améliorer certainement la
qualité de notre avant-projet de loi. Je veux les assurer en leur disant
que nous allons prendre en considération de façon très
sérieuse leurs commentaires, leurs remarques. Je les remercie.
Le Président (M. Marcil): Merci, M. le ministre. Me
Dionne, Me Poulin, merci beaucoup de vous être présentés
à cette commission. J'inviterai immédiatement l'Association des
banquiers canadiens à prendre place à l'avant.
Aux représentants de l'Association des banquiers canadiens,
bienvenue à cette commission parlementaire. J'aimerais demander à
Me Daniel Ferron et Me Pierre Bienvenu de procéder immédiatement
à leur exposé qui sera suivi d'une période de discussion
de 40 minutes.
M. Ferron (Daniel): D'accord. Merci beaucoup. L'Association des
banquiers canadiens
remercie les membres de la commission...
Le Président (M. Marcil): Juste à titre
d'information, vous êtes Me Daniel Ferron?
M. Ferron: Daniel Ferron et Me Bienvenu est notre avocat-conseil
de la firme Ogilvy, Renault
Le Président (M. Marcil): Merci.
Association des banquiers canadiens
M. Ferron: L'Association des banquiers canadiens remercie les
membres de la commission des institutions d'avoir bien voulu accepter
d'entendre le point de vue de l'Industrie bancaire sur la dernière
tranche de la réforme du Code civil du Québec contenue dans
l'avant-projet de loi portant réforme au chapitre de la preuve, de la
prescription et du droit international privé. Comme vous savez, notre
association, par le biais de son sous-comité juridique, s'est
Impliquée pleinement dans l'ensemble du processus de consultation visant
à en arriver à une réforme complète de notre Code
civil. Ainsi, en août 1987, notre association présentait ses
commentaires sur l'avant-projet de loi portant réforme au Code civil du
Québec du droit des sûretés et de la publicité des
droits. Par la suite, en août 1968, nous produisions un mémoire
sur le document de consultation sur les droits économiques des
conjoints. Enfin, en octobre 1988, nous comparaissions devant la
présente commission pour présenter notre mémoire sur
l'ensemble du droit des obligations. C'est donc avec beaucoup
d'intérêt et de sérieux que notre association s'est
penchée jusqu'à maintenant sur cette réforme qui touche,
à maints égards, de multiples aspects des opérations
bancaires.
L'avant-projet de loi examiné aujourd'hui ne fait pas exception
à la règle. Il est à noter, toutefois, que les
commentaires contenus dans notre mémoire ne touchent que les livres
Ville sur la prescription et Xe sur le droit international privé. En
effet, l'association a choisi de ne pas commenter le livre Vlle sur la preuve
étant donné le peu d'incidences des dispositions qui y sont
contenues sur les opérations bancaires.
En ce qui concerne le livre Ville sur la presciption, notre association
est, de façon générale, très satisfaite des
règles qui y sont proposées car elles constituent une nette
amélioration par rapport au droit actuel. En effet, l'avant-projet de
loi propose de simplifier et d'alléger considérablement les
règles de la prescription tout en suivant les grandes lignes des
recommandations du rapport de l'ORCC. Au cours de ses présentations
antérieures sur les autres tranches de la réforme du Code civil,
notre association avait reproché à maintes reprises au
législateur de ne pas avoir suffisamment tenu compte du travail
effectué par l'ORCC. Nous sommes maintenant heureux de constater que
plusieurs des recommandations faites par l'office au chapitre de la
prescription ont été retenues et que le plan
général de simplification des règles de la prescription
proposé par l'ORCC a été suivi.
Compte tenu de cette remarque, l'étude détaillée
des dispositions de la prescription n'a suscité que quelques
commentaires de la part de l'industrie bancaire. Notre commentaire le plus
important concernait l'article 3063. Compte tenu des remarques qui ont
été faites, tantôt, par le ministre, la modification qui a
été proposée nous satisfait.
Le deuxième commentaire sur lequel on voudrait insister ici
concerne l'article 3065. Le premier alinéa de cet article établit
le principe que la renonciation à la prescription est soit expresse,
soit tacite. Le second alinéa crée une exception à ce
principe en ajoutant: Toutefois, en matière immobilière, la
renonciation doit être expresse et l'écrit qui la constate doit
être publié au registre foncier. " Notre association s'interroge
sur le sens exact de l'expression 'en matière immobilière"
utilisée dans cette disposition. Le deuxième alinéa de
l'article 3065 s'applique-t-il de façon générale à
tous les modes d'acquisition des droits réels Immobiliers? Doit-on
l'interpréter comme s'appliquant seulement au titre de
propriété ou plus largement aux garanties qui peuvent se
rattacher au titre? Cet alinéa s'applique-t-il, par exemple, au
prêt sur billet assorti d'une garantie hypothécaire?
Qu'arrive-t-il si le débiteur renonce à la prescription qui court
sur le billet? Cet alinéa s'applique-t-il seulement à la
prescription acquisitive ou cou-vre-t-il également la prescription
extinctive? Ce sont toutes les questions que cet article a suscité de
notre sous-comité juridique. Notre association est d'avis que
l'expression "en matière immobilière" aurait grandement avantage
à être précisée et que le deuxième
alinéa de l'article 3065 devrait être clarifié à la
lumière des Interrogations soulevées ci-dessus.
Enfin, le troisième commentaire que nous aimerions porter
à votre attention concerne l'article 3085 qui établit que la
prescription ne court pas entre les époux pendant la vie commune. Cet
article reprend le principe de l'article 2233 du Code civil actuel selon lequel
la prescription ne court point entre les époux, en y ajoutant toutefois
les mots "pendant la vie commune". À notre avis, les mots "pendant la
vie commune" sont inutiles et risquent de porter à
Interprétation. Pourquoi ajouter cette notion de vie commune à la
disposition actuelle qui paraît tout à fait claire? Que vient
d'ailleurs faire la notion de vie commune dans le cadre de cette disposition?
En effet, tant que les époux demeurent encore légalement unis par
les liens du mariage, la prescription ne devrait pas courir entre eux, peu
importe qu'ils fassent ou non vie commune. D'autre part, s'il y avait
dissolution du mariage, l'article 3085 ne s'appliquerait plus et la
prescription recommencerait à courir entre les ex-époux,
indépendamment de la notion de vie commune. Notre association recommande
donc que les mots "pendant la vie commune" soient supprimés.
Quant aux autres commentaires contenus dans notre mémoire au
chapire de la prescription, ils visent soit à clarifier certaines
expressions proposées dans l'avant-projet de loi, soit à
harmoniser les dispositions proposées avec le droit positif. Nous vous
invitons donc à prendre connaissance de ces commentaires de nature
technique.
La plus grande partie de notre mémoire est consacrée au
livre Xe concernant le droit international privé. J'inviterais donc Me
Pierre Bienvenu, qui a assisté notre sous-comité juridique dans
la préparation de nos commentaires à ce chapitre, à vous
faire part des principales préoccupations de l'industrie bancaire sur
les nouvelles dispositions proposées.
M. Bienvenu (Pierre): Merci. Mesdames et messieurs, la section du
mémoire de l'association qui est consacrée aux dispositions de
l'avant-projet portant sur le droit international privé n'aborde que les
titres premier et deuxième de ce livre, c'est-à-dire les
dispositions générales du livre Xe et les règles
proposées en matière de conflits de lois. L'association n'a donc
pas commenté les dispositions qui sont proposées en
matière de conflits et de juridictions, ni les dispositions
proposées dans le titre quatrième qui traite de la reconnaissance
et l'exécution des décisions étrangères et de la
compétence du tribunal étranger.
Malgré cette portée limitée du mémoire de
l'association, je devrai nécessairement l'abréger. Je me propose
de vous livrer, outre quelques remarques générales, un
résumé de nos commentaires concernant d'abord les règles
proposées en matière d'hypothèques mobilières et
les règles proposées en matière d'obligations.
Comme pour les autres avant-projets de loi portant réforme du
Code civil du Québec, l'Association des banquiers canadiens s'est servi
du rapport de l'Office de révision du Code civil comme point de
comparaison privilégié pour analyser les dispositions
proposées dans l'avant-projet. À cet égard, l'association
tient à souligner les efforts des rédacteurs de l'avant-projet
pour réorganiser, restructurer et regrouper les règles qu'avait
proposées l'ORCC dans son livre consacré au droit international
privé. L'association est d'avis que le livre Xe de l'avant-projet
comporte dans sa facture une nette amélioration par rapport au livre IXe
du rapport de l'Office de révision du Code civil. Les règles
proposées sont pour la plupart énoncées dans un langage
simple et précis. Elles sont regroupées par sujets et elles se
succèdent logiquement.
L'association a également noté que l'avant-projet ne
reprend pas les dispositions proposées par l'ORCC dont la
constitutionnaiité était douteuse. Je pense, par exemple, aux
règles qui avaient été proposées en matière
de divorce et au chapitre consacré aux immunités diplomatique et
consulaire.
Nous avons toutefois relevé que certains choix de l'Office de
révision du Code civil ont été purement et simplement
écartés par i'avant-projet. Si l'on ajoute à ce constat
l'absence de commentaires des rédacteurs de l'avant-projet, 8 faut
reconnaître que, pour une association comme celle que je
représente aujourd'hui, le processus de consultation s'en trouve un peu
plus compliqué ou plus ardu. Évidemment, ce commentaire ne vaut
pas uniquement pour l'avant-projet qui nous occupe aujourd'hui. Peut-être
pourrais-je donner un exemple de choix de l'ORCC qui ont été
écartés par l'avant-projet.
L'article 3496 de l'avant-projet qui fait partie du titre
consacré aux conflits de lois propose que la prescription soit
régie par la loi du tribunal saisi. Cette règle est l'inverse de
celle qui avait été proposée par l'ORCC, à
l'article 46 de son rapport, qui proposait que la prescription soit
régie par la loi s'appliquant au fond du litige. L'ORCC avait
justifié sa décision, sa proposition, par le désir de
clarifier les problèmes d'interprétation suscités en
matière mobilière par l'article 2190 du Code civil actuel et par
son désir de décourager le "forum shopping". L'ORCC estimait que
la prescription ne devait pas être envisagée
séparément du rapport de droit auquel elle est attachée
et, selon l'ORCC, il n'y avait pas de raison, par exemple, de subordonner la
prescription à un changement de domicile du débiteur. L'ORCC
optait donc, pour assujettir la prescription, à la loi reconnue
applicable au fond du litige et même si, d'après cette loi, la
prescription est considérée comme une question de
procédure. (12 heures)
La proposition de l'avant-projet laisse d'autant sceptique que des lois
ou conventions d'autres juridictions ont opté pour la règle
qu'avait proposée l'ORCC. C'est en tout cas le cas de la Convention sur
la loi applicable aux obligations contractuelles qui est ouverte à la
signature par les États de la Communauté économique
européenne depuis 1980. Cette convention applicable, il est vrai,
uniquement en matière contractuelle, stipule à l'article 10 que
c'est la loi applicable au contrat déterminé conformément
aux termes de la convention qui régit les divers modes d'extinction des
obligations, y compris les prescriptions et les déchéances
fondées sur l'expiration d'un délai. On peut également
signaler la récente Foreign Limitation Periods Act, loi votée par
le Parlement anglais en 1984, qui adopte également ce même
principe général sujet à une exception d'ordre public dont
l'application est laissée évidemment à la
discrétion du tribunal saisi. L'association estime donc qu'en l'absence
de justification des rédacteurs de l'avant-projet le législateur
devrait reconsidérer
le choix porté par l'avant-projet et peut-être revenir
à la solution préconisée par l'ORCC en édlctant
donc à l'article 3496 que la prescription est régie par la loi
qui s'applique au fond du litige.
J'aborde la sous-section consacrée aux hypothèques
mobilières en rappelant d'abord que les banquiers ont maintes fois
manifesté leur entier appui à l'Introduction de
l'hypothèque mobilière dans le Code civil du Québec et ce,
bien qu'ils aient par contre eu l'occasion d'exprimer certaines réserves
à l'égard des modalités d'application proposées par
l'avant-projet sur les sûretés, notamment en matière de
publicité des droits. En ce qui a trait à l'avant-projet qui nous
occupe, les banquiers s'interrogent dans un premier temps sur
l'opportunité d'Insérer les règles proposées aux
articles 3467 à 3470 dans le livre consacré au droit
international privé où ils se trouvent, plutôt que dans le
chapitre de notre futur code consacré aux sûretés
immobilières. Même si les règles proposées dans ces
articles au sens strict dérogent à la règle
générale énoncée à l'article 3462, les
règles proposées relèvent, à notre avis,
plutôt du droit interne positif. A ce titre, II nous semble qu'il serait
préférable de les intégrer dans le chapitre des
sûretés. On reprend, en faisant ce commentaire, une remarque qui
avait été faite par la doctrine à l'égard des
propositions équivalentes du rapport de l'ORCC. Mais, enfin, que ces
dispositions se retrouvent dans le titre du droit international privé ou
dans le chapitre réservé aux sûretés
immobilières, les banquiers ne sont pas d'accord avec certaines des
échéances énoncées au premier alinéa des
deux articles 3466 et 3469.
Situons d'abord ces dispositions. Par dérogation à la
règle générale énoncée à l'article
3462, on se propose de permettre qu'une hypothèque portant sur un bien
mobilier qui n'est pas situé au Québec puisse y être
créée et publiée. De la même façon, on permet
que l'hypothèque mobilière régie par la loi du domicile du
constituant - c'est le cas des hypothèques mobilières sur des
biens utilisés dans le transport - puisse être publiée au
Québec advenant un changement du domicile du constituant. Les articles
3466 et 3469 prévoient un mécanisme qui a pour but d'assurer une
continuité de la publicité des droits advenant qu'un bien
grevé d'une hypothèque dans un État étranger soit
apporté au Québec ou advenant que le constituant d'une
hypothèque mobilière change de domicile. Dans ces deux articles,
on prévoit qu'il y aura continuité de la publicité
à la condition qu'une publication survienne au Québec avant la
première des trois échéances suivantes. La
première, c'est la cessation de la publication en vertu de la loi
où était situé le bien ou encore de la loi où
était domicilié le constituant. Il n'y a aucun problème
avec cela. La deuxième échéance est l'expiration d'un
délai de 60 jours à partir du moment où le bien parvient
au Québec ou à partir de la date du changement de domicile du
constituant. La troisième échéance, c'est l'expiration
d'un délai de quinze jours à partir du moment où le
créancier a eu connaissance - je mets ces mots entre guillemets, je vais
y revenir - du changement de domicile du constituant ou du changement de situs
du bien. En substance, ces dispositions reprennent les règles
actuellement établies par the Personal Property Security Act de
l'Ontario, dont, Incidemment, la référence à la page 17 de
notre mémoire devrait être corrigée pour
référer au chapitre 375 des statuts refondus de 1980, tel
qu'amendé, plutôt qu'aux statuts refondus de 1970.
En fait, les dispositions proposées se rapprochent beaucoup des
règles qui sont proposées en Ontario dans le projet de loi 151,
qui est un projet de loi suggéré pour réviser the Personal
Property Security Act. L'ABC recommande deux amendements aux articles 3466 et
3469. D'abord, que le délai de 60 jours prévu dans la
deuxième échéance de ces deux articles soit
prolongé à 90 jours. En vertu de l'article 1979-g) du Code civil,
c'est le délai actuellement en vigueur en matière de nantissement
commercial et la situation envisagée, très analogue à
celle prévue par les articles 3466 et 3469, est celle où les
biens qui sont l'objet d'un nantissement commercial sont
déplacés. On ne voit pas a priori pourquoi un délai plus
court est retenu dans l'avant-projet de loi.
La seconde suggestion de l'association est d'abolir purement et
simplement la troisième échéance prévue au premier
paragraphe de ces deux articles, c'est-à-dire ce délai de 15
jours qui commence à courir du moment où le créancier a
connaissance de l'arrivée du bien au Québec ou du changement de
domicile du constituant. Cette échéance, comme nous le signalons
dans notre mémoire, est nouvelle par rapport aux propositions de l'ORCC
et elle nous paraît faire double emploi au sujet de l'objectif du
législateur avec la deuxième échéance
mentionnée dans cet article, c'est-à-dire le délai de 60
ou 90 jours, si notre suggestion est acceptée, à partir du moment
où le bien parvient au Québec ou à partir du moment
où il il a changement de domicile du constituant. A notre avis, cette
troisième échéance impose au créancier un
délai inutilement court, surtout si l'on tient compte que la
connaissance peut très bien être celle d'un établissement
secondaire d'une institution bancaire.
Je note finalement qu'il existe une distinction Inexplicable, à
notre avis, entre la connaissance qui déclenche le point de
départ du délai de 15 jours selon que l'on traite du changement
de situs du bien plutôt que du changement de domicile du constituant. Je
vous invite à comparer les articles 3466, où il est écrit
'du moment où le créancier a su", et 3469 où, dans la
même hypothèse, on écrit "du moment où le
créancier reçoit notification". Le bill 151 de l'Ontario auquel
j'ai référé et qui semble être
l'inspiration pour cette troisième échéance
prévoit, dans les deux cas: "du moment où le créancier
reçoit notification du changement". Nous précisons que les
modifications que nous demandons à ces deux articles ne
préjudicieront pas à un acheteur de bonne foi ou a un
créancier hypothécaire de bonne foi qui aurait pu obtenir des
droits à l'égard du bien en cause pendant les périodes
envisagées par ces articles. Ces personnes sont protégées
par l'alinéa 2° des articles 3466 et 3469, qui énonce que la
règle du premier alinéa ne leur est pas opposable avant que
l'hypothèque ne soit effectivement enregistrée au
Québec.
Je saute du statut réel dans lequel s'inscrivaient les
dispositions que je viens de commenter au statut des obligations pour consacrer
quelques minutes aux commentaires de l'association concernant les articles 3479
et 3480 de l'avant-projet de loi. Ces articles font partie des règles
proposées pour déterminer la loi applicable au fond des actes
juridiques qui, pour utiliser la terminologie de l'avant-projet de loi,
présentent un élément d'extranéité qu'on
peut appeler, aux fins d'une discussion profane, des transactions
internationales. Rappelons dans quel contexte ces articles sont susceptibles de
s'appliquer.
D'abord, voyons le principe. L'article 3477 de l'avant-projet endosse et
adopte le principe général de l'autonomie de la volonté.
Le principe est donc que les parties pourront désigner la loi
régissant un rapport juridique déterminé et notre droit va
respecter leur choix sous la seule réserve que ce choix ne rende l'acte
invalide. Les articles 3479 et 3480 s'appliqueront lorsque les parties à
une transaction internationale n'auront pas expressément ou
implicitement désigné la loi applicable. Avant de vous donner
lecture de ces articles pour justifier nos commentaires, j'aimerais signaler la
pertinence de ces deux dispositions non seulement pour les banquiers mais pour
toute entreprise qui fait fréquemment partie des opérations
internationales ou qui fait affaire avec des personnes situées en dehors
des frontières du Québec. Donc, ces deux dispositions 3479 et
3480 vont s'appliquer à tout acte juridique y compris les
opérations bancaires, qui respectera les deux conditions suivantes:
d'abord, les parties n'auront pas expressément ou implicitement à
désigner la loi d'un État donné pour régir leur
rapport juridique et, deuxièmement, le rapport juridique ou l'acte dont
II est question n'est pas visé par une des dispositions
particulières qui suit ces dispositions générales,
c'est-à-dire n'est pas une vente, n'est pas un contrat de travail, n'est
pas une cession de créance, par exemple. Il est donc évident
qu'une foule de contrats synallagmatiques seront visés par ces deux
dispositions et un nombre appréciable de ces contrats pourront impliquer
une institution bancaire. Je donne lecture de l'article 3479. "En l'absence de
désignation de la loi dans l'acte, les tribunaux appliquent celle de
l'État qui, compte tenu de la nature de l'acte et des diverses
circonstances qui l'entourent, présente les liens les plus
étroits avec cet acte. " Cet article adopte une règle qui est
appliquée par un nombre toujours croissant de pays et le critère
retenu dans cet article, celui de l'État qui présente les liens
les plus étroits avec cet acte, réfère à un concept
bien connu en droit international privé. Et, pour déterminer cet
État, la jurisprudence impose au juge de tenir compte de plusieurs
facteurs. Il tiendra compte de la nature de l'acte, du lieu de sa conclusion,
du lieu de son exécution principale ou de la situation du bien qui en
est l'objet. Il tiendra compte du domicile, de la résidence, de la
nationalité, du centre des affaires des parties. Il tiendra compte de la
forme, de la rédaction, parfois même de la langue de l'acte. Il
tiendra compte de la monnaie de paiement et il tiendra compte aussi des clauses
d'arbitrage et des clauses attributives de juridiction.
Donc, on conçoit facilement que le juge qui est appelé
à peser ces facteurs n'a pas la tâche facile. C'est aussi une
règle qui, par l'incertitude que nécessite une analyse de tous
ces facteurs, ne comporte pas un très grand degré de
prévisibilité pour les parties à de telles
opérations juridiques. C'est pourquoi l'avant-projet, comme plusieurs
corpus de règles de droit international privé, a choisi de
compléter l'article 3479 par une présomption et on retrouve cette
présomption a l'article 3480 dont je vous donne lecture. "Les liens les
plus étroits - critère de l'article 3479 - sont
réputés exister avec la loi de l'État dans lequel la
partie qui doit fournir la prestation caractéristique de l'acte a sa
résidence habituelle ou, si celui-ci est conclu dans l'exercice de
l'activité d'une entreprise, son établissement. " Pour bien
comprendre l'effet pratique de cette disposition, il faut tenir compte de
l'article 3029 de l'avant-projet de loi dans son chapitre consacré
à la preuve.
Cet article 3029, que je cite dans le mémoire de l'Association,
énonce en substance que lorsqu'une présomption est
exprimée par l'utilisation du terme "réputé", elle est
absolue et aucune preuve ne peut y être opposée. C'est ce qu'on
appelle une présomption irréfragable. L'Association des banquiers
est d'avis que l'article 3480 ne devrait pas comporter une présomption
irréfragable ou absolue mais que le législateur devrait se
contenter d'édicter une présomption simple. Je vous résume
les raisons de cette position. (12 h 15)
D'abord, l'article 3480 est une disposition de droit supplétif,
donc une disposition susceptible de s'appliquer à une foule de
transactions. C'est une chose d'édicter une présomption pour
faciliter la tâche d'un juge chargé d'identifier, en vertu de
l'article 3479, l'État qui présente les liens les plus
étroits avec un acte juridique. Il nous apparaît que cela en est
une autre de lier les mains de ce juge en lui Imposant une solution qui
pourrait fort bien n'être pas com-
patible avec le principe général de l'article 3479. A
notre avis, l'article 3480 pourrait fort bien conduire à ce
résultat. En faisant ce commentaire Je ne perds pas de vue l'article
3445 qui prévoit une clause de sauvegarde lorsque la loi
désignée par le présent livre n'est pas applicable; mais
je vous signale que cet article 3485 ne s'applique qu'à titre
exceptionnel et que, si l'on conçoit cette disposition comme la
sauvegarde de la présomption absolue qu'on propose à l'article
3480, nous sommes d'avis que ce n'est pas une sauvegarde suffisante.
La deuxième raison qui explique notre position découle du
critère même qui est retenu à l'article pertinent,
c'est-à-dire le critère de la prestation caractéristique
de l'acte. C'est un critère inconnu à ce jour en droit
québécois, mais qui n'est pas inusité. J'ajouterais que
pour un très grand nombre de contrats ce critère est parfaitement
fonctionnel. Par exemple, en présence d'une simple vente ou en
présence d'un simple contrat de travail, on n'aura pas de
difficulté à juger que la prestation caractéristique du
premier est celle du vendeur et que la prestation caractéristique du
second est celle de l'employé. Mais il est des conventions beaucoup plus
compliquées auxquelles peuvent intervenir plusieurs parties et dont II
sera difficile, sinon impossible, d'identifier la prestation
caractéristique. Plusieurs opérations bancaires pourraient tomber
dans cette catégorie. Les rédacteurs de l'avant-projet, semblent
avoir été inspirés par la Convention sur ta loi applicable
aux obligations contractuelles, convention de la Communauté
économique européenne à laquelle j'ai déjà
référé. À la page 24 de notre mémoire, nous
citons le texte de l'avant-projet de cette convention et nous avons retenu le
texte de l'avant-projet parce qu'il illustrait mieux notre position dans une
seule disposition plutôt que dans une série de dispositions. Tant
l'avant-projet que le texte final de cette convention reconnaissent la
difficulté dont je parle et ne font de la règle de la prestation
caractéristique qu'une présomption réfragable. À
cet égard je vous cite le texte final de l'article 4, paragraphe 5°,
de la convention qui se lit comme suit: L'application du paragraphe 2° -
c'est celui de la prestation caractéristique - est écartée
lorsque la prestation caractéristique ne peut être
déterminée. Les présomptions des paragraphes 2°,
3° et 4° sont écartées lorsqu'il résulte de
l'ensemble des circonstances que le contrat présente des liens plus
étroits avec un autre pays.
L'article 3480 comporte également une Imprécision qui
pourrait engendrer des problèmes. Ces problèmes
découleront des difficultés pratiques qui vont résulter de
l'application du terme "établissement" lorsque le débiteur de la
prestation caractéristique de l'acte est une entreprise ayant plusieurs
établissements. À l'article 34. 80, si vous le lisez, il est
Impossible de dire si l'on veut référer à
l'établissement principal de l'entreprise ou si l'on peut englober dans
ce terme un établissement secondaire, advenant que ce soit cet
établissement secondaire qui doive fournir la prestation
caractéristique. Notre mémoire signale, d'ailleurs, que le
même problème se soulève à l'égard de
l'article 3494 qui fait partie de la sous-section consacrée à la
responsabilité du fabricant d'un bien meuble.
Le Président (M. Marcil): Juste une petite seconde pour
vous dire que vous avez déjà utilisé 30 minutes. Vous
aviez 20 minutes à votre disposition. SI les deux parties permettent on
va continuer, sauf qu'il va y avoir moins de temps pour la discussion.
M. Bienvenu: Je suis dans les mains des membres de la
commission.
M. Filion: Est-ce que vous terminiez?
Le Président (M. Marcil): Vous pouvez terminer sauf qu'on
va être limités dans le temps pour la discussion. Allez-y.
M. Bienvenu: Je vais terminer ces remarques sur les dispositions
supplétives en matière contractuelle et je ne ferai que
résumer le reste des remarques que j'avais préparées pour
vous.
J'allais dire, donc, que plusieurs corpus, plusieurs conventions portant
des règles de droit international ont jugé bon de prévoir
une solution à la difficulté que je viens de mentionner. Dans la
Convention de Rome de 1980 dont je viens de parler, on énonce que,
lorsqu'il s'agit d'une société, association ou personne morale,
"établissement" se réfère à l'administration
centrale ou au principal établissement de cette société
à moins, ajoute la disposition, que la prestation ne doive être
fournie par un établissement autre que l'établissement principal,
auquel cas on retient cet autre établissement. Dans la Convention des
Nations unies sur le contrat de ventes Internationales de marchandises,
adoptée à Vienne de 1980, on prévoit à l'article 10
que, lorsqu'une partie a plus d'un établissement, l'établissement
à retenir est celui qui a ta relation la plus étroite avec le
contrat et son exécution, eu égard aux circonstances connues des
parties ou envisagées par elles. Évidemment, la Convention de
Vienne ne prescrit pas des règles de conflit, mais je pense qu'elle
atteste de l'Importance de prévoir, lorsqu'on légifère
à l'égard d'entreprises en utilisant le terme
"établissement", quelle situation on a en tête. Notre
mémoire cite également l'article 36 du Code autrichien qui
précise, en légiférant à l'égard des
entreprises, que la résidence habituelle est remplacée par
l'établissement dans le cadre duquel le contrat est conclu.
Donc, en résumé, l'association invite les membres de la
commission à réviser l'article 3480 en remplaçant les mots
"sont réputés" par les mots 'sont présumés".
Deuxièmement, les banquiers vous invitent à étudier la
possibilité
d'adopter une disposition générale analogue à
l'article 4, paragraphe 2°, de la Convention de Rome afin de pourvoir
à la situation d'entreprises ayant une pluralité
d'établissements.
Au chapitre des règles particulières applicables à
la responsabilité, responsabilité civile du fabricant d'un bien
meuble ou responsabilité civile de tout autre auteur d'un acte donnant
lieu à l'obligation de réparer, nous signalons à
l'égard de l'article 3492 les problèmes qui sont liés aux
deux parties, qui permettent à l'auteur du préjudice de
s'exonérer de la loi désignée par l'article en signalant
qu'il y a peut-être une façon plus heureuse de stipuler cette
clause d'exonération. Prenons pour exemple le deuxième paragraphe
de l'article 3494. Ce paragraphe est applicable en matière de
responsabilité du fabricant d'un bien meuble et il permet au fabricant
de ce produit de se soustraire à la loi de l'État dans lequel le
bien a été acquis par le consommateur s'il prouve que le produit
a été mis en circulation dans cet État sans son
consentement. Ce critère d'exonération peut, à mon avis,
donner lieu à au moins deux interprétations. Est-ce que le
fabricant a à prouver qu'il avait expressément défendu la
mise en circulation du produit dans cet État ou est-ce qu'il lui suffit
de prouver qu'il n'avait pas dirigé son produit dans cet État?
Alors, si l'intention du législateur est la première
hypothèse, on pourrait dire: Sauf si le fabricant prouve que le produit
a été mis en circulation dans cet État malgré une
prohibition expresse du fabricant. Si son intention, celle du
législateur que vous représentez aujourd'hui est dans la
deuxième hypothèse, on pourrait considérer un
critère du genre: Sauf si le fabricant prouve qu'il ne pouvait
prévoir que le produit serait mis en circulation dans cet État.
Cette dernière suggestion de formulation est analogue à celle
qu'a adoptée la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moran versus
Pyle, une affaire qui concernait le droit d'un individu de poursuivre, dans sa
province, un fabricant étranger d'un produit qui avait causé un
dommage. Alors, je signale simplement qu'un problème
d'interprétation analogue se soulève à l'égard de
la deuxième partie de l'article 3493 où l'on dit: Sauf... Le
principe général, c'est la loi du lieu où le fait
générateur du préjudice est survenu et l'article ajoute:
"Si le préjudice s'est produit dans un autre État, la loi de cet
État est applicable si l'auteur devait prévoir que le
préjudice s'y produirait. " Alors, on ne dit pas dans cette disposition
qui a le fardeau de prouver si l'auteur devait prévoir que le
préjudice se produirait dans un autre État. Est-ce que c'est la
personne lésée? Est-ce que c'est l'auteur du dommage? Quelle
preuve doit être apportée pour tomber dans cette clause
d'exonération? On pourrait prévoir - je le mentionne à
titre de suggestion, simplement pour clarifier l'intention du
législateur - que la loi de cet État est applicable à
moins que l'auteur ne prouve qu'il ne pouvait raisonnablement prévoir
que le préjudice s'y produirait. Il me semble que la disposition est
bonifiée de deux façons. D'abord, on Indique clairement qui a le
fardeau de faire cette preuve et on donne un indice sur le type de preuve que
la personne qui a le fardeau devra faire pour tomber dans
l'exonération.
Je rappelle en terminant que notre mémoire comporte certains
commentaires sur la formulation des dispositions générales du
livre Xe. Je n'en traite pas, bien que je suis tout à fait prêt
à répondre à des questions sur ce sujet, mais je pense
que, par leur portée, ces dispositions générales sont
importantes et tout commentaire ayant pour but d'en améliorer la
formulation vaut l'attention des membres de cette commission.
J'ai entendu l'adjoint parlementaire dire, au début de
l'ouverture des travaux de la commission ce matin, que c'est avec une certaine
fierté que le gouvernement présentait ce livre dans
l'avant-projet de loi. Je pense que tout praticien ayant eu à traiter
des problèmes de droit international privé s'enorgueillit de
penser que le futur Code civil du Québec comportera un corpus aussi bien
pensé et aussi moderne que celui qui est proposé. Espérons
que les suggestions modestes que nous faisons aujourd'hui et celles que
d'autres intervenants pourront vous faire mèneront à ce livre,
qui, nous l'espérons tous, fera la fierté de la province de
Québec. Merci beaucoup.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me Bienvenu,
pour cet exposé, de même que Me Ferron. Je voudrais vous informer
que vous avez dix minutes d'intervention pour chaque groupe parlementaire. M.
le ministre de la Justice.
M. Rémillard: Merci, M. le Président Je veux
remercier tout d'abord Me Ferron et Me Bienvenu d'avoir accepté de venir
nous présenter ce mémoire de l'Association des banquiers
canadiens, un mémoire très bien fait, fort précis et qui,
je pense, met en évidence d'une façon fort éloquente les
arguments soulevés par l'Association des banquiers canadiens.
Nous venons d'entendre Me Bienvenu et Me Ferron qui ont Insisté
sur plusieurs points. Pour ma part, M. le Président, j'aimerais revenir
sur un aspect qui soulève différentes questions sur cet article
3496. Vous avez insisté dans votre présentation sur cet article
3496 et vous vous opposez à la règle qui y est proposée en
matière de prescription. C'est une règle qui est à
l'inverse de celle recommandée, de fait, à l'ORCC et qui, selon
vous, risque d'encourager ce que vous appelez le "forum shopping". Ne
croyez-vous pas que, si on appliquait la loi du fond du litige à la
prescription, cela pourrait causer beaucoup de difficulté dans
l'administration de la justice? Par exemple, on sait que cette règle
suppose que les juristes, les avocats, doivent être parfaitement
informés d'un aspect des lois étrangères qui sont parmi
les plus complexes, les plus techniques, les
plus difficiles à saisir. Ensuite, dans le cas de victimes
multiples d'un accident, cela signtflralt qu'il faudrait à chaque fois
prouver la loi étrangère éventuellement applicable. Cela
Impliquerait beaucoup de frais et beaucoup de temps. Nous avons
préféré que la prescription soit régie par la loi
du tribunal saisi parce qu'on voyait des conséquences pratiques
difficiles dans le cas d'un changement de règles, comme vous le
proposez. J'aimerais que vous puissiez réagir à ces
difficultés qu'on pourrait avoir quant à l'administration de la
justice.
(12 h 30)
M. Bienvenu: Je pense qu'il faut que je reconnaisse ces
difficultés, elles existent. Cependant, il faut également
reconnaître l'ajout marginal, si je peux utiliser une expression qui doit
comporter un anglicisme, de problèmes que cette règle
comporterait et le comparer avec les incongruités que la règle
Inverse peut comporter. La règle proposée par l'ORCC, la
règle qui est adoptée par certains autres pays dans des lois que
j'ai citées, assujettit la prescription à la loi applicable au
fond du litige, mais le juge québécois chargé d'entendre
ce litige régi par une loi étrangère éprouve ces
difficultés liées à la preuve du droit étranger.
Est-ce que dans un contexte où cette loi s'appliquant au fond du litige,
elle est applicable par ailleurs... Est-ce que d'assujettir la prescription
à la même loi dans le même litige comporte des
inconvénients additionnels suffisants pour justifier le changement de la
règle? Je pose la question.
Le "forum shopping", c'est un problème qui est aussi
embêtant dans ses conséquences pratiques que dans ses effets,
surtout ses effets au niveau de la conception que se font les
Québécois de leur justice et la conception que les
étrangers pourraient se faire de leur justice. Cela peut mener à
des situations embêtantes. Sans m'étendre outre mesure sur le
sujet, je pense qu'une affaire illustre bien le problème de la
règle actuelle, la règle de l'article 2190 du Code civil, et une
règle comme celle qui est proposée. C'est l'affaire Scottish
Métropolitain versus Graves, je pense, une affaire qui a
été décidée dans les années cinquante. Les
faits sont assez simples. Un Québécois conduisant sa voiture en
Ontario cause des dommages à un Ontarien. Qui est indemnisé par
qui? L'Ontarien est indemnisé par son assureur qui poursuit, donc par
subrogation, le Québécois au Québec, sauf qu'il poursuit
le Québécois après l'expiration de la prescription d'un an
en vigueur en Ontario en vertu du Highway Traffic Act, ou quelque chose du
genre. Le défendeur Graves dit: C'est un délit qui est survenu en
Ontario; la loi ontarienne s'applique; elle prescrit que l'assureur ou la
victime doit poursuivre à l'intérieur d'un délai d'un an,
après quoi... Il s'agissait vraiment d'une prescription qui
éteint le droit. On disait: Nulle action ne peut être reçue
après l'expiration d'un délai de douze mois de la date de
l'accident. Donc, l'assureur ontarien a été reçu à
poursuivre devant le tribunal québécois, malgré la
prescription acquise en Ontario, à cause du problème très
particulier qui résulte de la formulation de l'article 2190,
alinéa 1°. Je pense que l'exemple montre seulement une injustice
dans l'espèce, mais quand même une injustice qu'on
préférerait ne pas avoir dans nos livres de jurisprudence.
M. le ministre, les problèmes que vous évoquez existent et
la question que je soulève, sans y apporter de réponse
définitive, c'est simplement: Est-ce que la difficulté
additionnelle qui résulte d'avoir à composer avec une loi
étrangère en ce qui regarde la prescription justifie la
règle que vous proposez, compte tenu du fait que le tribunal aura de
toute façon à entendre une preuve sur la loi
étrangère, si c'est la loi étrangère qui
régit l'acte?
Le Président (M. Marcil): Cela va? M. le
député de Taillon.
M. Filion: Oui. Je remercie à la fois Me Ferron et Me
Bienvenu de la clarté de leur mémoire et, également, de la
clarté de leurs propos de ce matin. Leur mémoire contient
plusieurs recommandations. Je pense que les explications fournies par le
ministre à l'article 3063 ont été entendues. Vous faites
également une recommandation en ce qui concerne la suspension de la
prescription entre époux. Vous avez longuement élaboré sur
les hypothèques mobilières; votre recommandation là-dessus
nous a paru fort valable.
En ce qui concerne les articles 3477 et suivants, les propos de Me
Bienvenu étaient d'une limpidité totale, en tout cas à nos
oreilles. Vous avez également commenté la vente de biens meubles
de l'article 3481. La responsabilité, en ce qui concerne l'article 3496,
c'était la première question que je m'étais
réservée, le ministre l'a évoquée. Vous avez, je
pense, Me Bienvenu, fort bien résumé notre pensée à
l'heure actuelle. D'une façon ou d'une autre, il y a des
inconvénients et des avantages, bien sûr; il n'y a pas de solution
parfaite.
Le "forum shopping" rebute un petit peu à notre esprit; Il
contient, je pense, des effets apparemment pernicieux; II Inviterait, pour un
même délit, le ou les poursuivants à regarder les
systèmes de droit et à choisir celui qui convient en termes de
prescription. Pour les mêmes raisons exprimées de façon
fort éloquentes par Me Bienvenu, il nous semble qu'il y aurait
également lieu de s'interroger davantage avant de consacrer une
règle qui... D'ailleurs, la lecture même de l'article 3496 nous
dit: "La prescription est régie par la loi du tribunal saisi. " Cela me
paraît aller un peu loin.
Je comprends que la situation actuelle n'est pas toujours facile. De
toute façon, quand j'étudiais à l'Université de
Montréal en droit international privé, j'avais découvert -
je n'avais pas le ministre de la Justice comme professeur; peut-être que
cela aurait été différent, mais
plutôt l'ancien ministre des Affaires internationales - que ce
n'était pas un domaine facile. Les conflits de lois, etc., les
appréciations des circonstances, il n'y a rien de facile dans ce domaine
et on peut d'ores et déjà prévoir que ce ne sera pas plus
facile dans les années à venir. À partir de ce
moment-là, ne vaut-il pas mieux proposer à la population
québécoise une règle qui, à sa face même,
respecterait - je ne dis pas que ce qui est suggéré ne le fait
pas - totalement une espèce de justice naturelle? J'ajoute mes
interrogations à celles de nos intervenants, pour le
bénéfice du ministre et de son équipe, tout en remerciant,
encore une fois, l'Association des banquiers canadiens et ses
représentants de leurs propos.
Je voudrais poser une question sur l'article 3477 qui semble donner
pleinement effet à la volonté des parties, consacrer l'autonomie
des parties comme étant l'élément clé dans le choix
du lieu qui pourrait être appelé à examiner l'acte
juridique qui a été conclu. Cependant, l'article 3477 nous dit
bien "l'acte juridique présentant un élément
d'extranéité"; cela est nouveau, je crois. En deux mots, il ne
s'agit pas uniquement de désigner ce forum extérieur qui
entendrait un litige découlant de la conclusion d'un acte juridique,
mais il faut également que cet acte juridique présente un
élément d'extranéité. Pour nos intervenants, est-ce
qu'il s'agit là d'une contrainte? Et, si cela en est une, est-elle
acceptable?
M. Bienvenu: Oui. Lorsque le législateur propose une
règle comportant cette condition, on veut éviter des situations
qui sont visées non seulement par la condition exprimée dans cet
article, mais par d'autres dispositions de l'avant-projet auxquelles je vais
référer dans un instant. Ce qu'on veut éviter, c'est que
des choix de lois applicables à un rapport juridique - parce qu'on est
dans la partie qui parle de choix de lois, mais des problèmes semblables
se posent, et vous avez raison de le mentionner, lorsqu'on parle de choix de
forum... Donc, on veut éviter que des choix de lois ne soient pas des
choix de bonne foi qui se justifient par un certain rattachement avec la loi
choisie. Le rattachement peut être par le centre des affaires d'une
partie, le lieu d'exécution ou même par l'autorité du droit
choisi sur la matière. Par exemple, en matière d'assurance
maritime, on connaît tous la prééminence des règles
de droit anglais. Alors, il est tout à fait justifiable, pour cette
unique raison, de permettre un choix en faveur du droit anglais.
Donc, lorsqu'on dit "l'acte juridique présentant un
élément d'extranéité, " on veut simplement se
référer à un acte juridique dont tous tes facteurs
pertinents, aux fins du droit international privé, ne seraient pas, par
exemple, à l'intérieur du Québec. On ne voudrait pas qu'un
contrat convenu entre deux Montréalais qui envisagent une prestation
montréalaise soit régi par le droit jamaïcain, parce que
c'est un de ces choix qui n'est pas un choix de bonne foi. Donc, c'est ce que
le législateur vise par l'exigence qui est là, et c'est
également ce genre de situation qu'on a à l'esprit
lorsqu'à l'article 3445 on énonce un principe qui est une
espèce de "lex non convenient", c'est-à-dire que, si la loi
choisie, compte tenu de l'ensemble des circonstances n'a qu'un lien
éloigné avec la situation pertinente, on ne lui donnera pas
effet. J'essaie de dire en d'autres mots ce que je devrais me contenter de
lire. On dit: "À titre exceptionnel, la loi désignée par
le présent livre n'est pas applicable si, compte tenu de l'ensemble des
circonstances, il est manifeste que la situation n'a qu'un lien
éloigné avec cette loi et qu'elle se trouve en relation beaucoup
plus étroite avec la loi d'un autre État. " C'est une autre
façon de prévenir que des choix de lois qui ne se justifient pas
par un rattachement quelconque soient faits. C'étaient mes commentaires.
(12 h 45)
Le Président (M. Marcil): En conclusion, M. le
député de Taillon.
M. Filion: Je ne sais pas si vous étiez présent
dans la salle tantôt lors de l'audition des représentants du
mouvement Desjardins en ce qui a trait à la preuve. Je sais que vous
n'abordez pas cette question, mais je ne voudrais pas ne pas profiter de votre
présence pour vous poser une question là-dessus. Ce que le groupe
Desjardins nous recommande en ce qui a trait à la preuve, c'est qu'une
disposition soit ajoutée dans l'avant-projet, à savoir que
l'utilisation du numéro d'identification personnelle équivaille
à la signature d'un écrit sous seing privé. Comme j'ai
posé la question à vos collègues et parfois adversaires,
j'aimerais savoir ce que vous pensez de cette suggestion.
M. Ferron: Sans, évidemment, présumer de la
position de l'association comme telle, notre réaction, à la
lecture de ces articles, a été de ne pas les commenter parce
qu'ils nous semblaient satisfaisants tels que rédigés. Je veux
ajouter quelque chose en ce qui concerne la question que vous posiez
tantôt au sujet de la fameuse pose de caméras. Il y a un
problème à ce chapitre-là. Il y a des banques qui ont
même retiré les caméras parce qu'il y avait du vandalisme.
C'est, évidemment, deux poids deux mesures. Si on pose des
caméras partout et qu'elles se font briser, on n'est pas plus
avancés non plus. Cela ne règle pas nécessairement le
problème. Je peux dire quand même que les commentaires du
mouvement Desjardins sont assez exacts. Il n'y a pas de nombreux
problèmes qui se posent à l'heure actuelle, mais il y en a quand
même, et nous admettons volontiers que les machines ne sont pas la
perfection même. Il y a des problèmes qui se posent et c'est pour
ça que les articles proposés nous semblaient satisfaisants et
qu'on a décidé de ne pas les commenter.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. le
député de Taillon.
En conclusion, M. le député de Marquette et adjoint
parlementaire. Il vous reste deux minutes.
M. Dauphin: En conclusion, en deux minutes. J'aurais une
brève question, en quelques minutes.
M. Filion: Je pense que le député de Marquette peut
prendre le temps qu'il lui faut.
M. Dauphin: D'abord, à mon tour, j'aimerais remercier Me
Ferron et Me Bienvenu, non seulement pour la qualité de leur
mémoire, mais également pour la qualité de leur
présentation. Un peu comme Me Dionne le disait tantôt, mol aussi
j'ai eu l'occasion de faire mes études à l'Université
Laval et le cours de droit international privé, effectivement,
était facultatif; je n'avais pas exercé la faculté de le
suivre. À ma connaissance, à l'école professionnelle du
Barreau, on ne nous a pas soufflé mot, non plus, du droit international
privé, du moins en 1975 et 1976. Par contre, à la lecture des
articles, évidemment, le sujet étant très
Intéressant, je peux dire que Me Bienvenu plaide très bien et
avec une grande compétence, ce qui me rappelle des souvenirs alors que
le ministre de la Justice m'enseignait à l'Université Laval en
droit administratif, à l'époque. C'était très
Intéressant.
J'aimerais revenir au droit international privé pour le
bénéfice des membres de la commission ainsi que de
l'équipe de réforme du Code civil qui nous entoure. Vous
étiez sur le point d'y arriver tantôt lorsque le président
vous a demandé de conclure ou presque. Je comprends très bien
votre rôle, M. le Président, et c'est votre rôle de faire en
sorte que l'on suive notre ordre du jour. À la page 31 de votre
mémoire, relativement à la responsabilité du fabricant,
vous nous dites qu'il y a deux interprétations possibles de l'article
3494: suivant la première, le fabricant aura à prouver qu'il
avait expressément défendu la mise en circulation du produit dans
cet État et, suivant la seconde, il lui suffira de prouver qu'il ne l'y
avait pas dirigé. On en discutait justement tantôt entre nous et
on aimerait savoir laquelle de ces deux interprétations vous
préférez.
M. Bienvenu: Votre question évoque un choix politique, ce
que les avocats ne sont pas habitués de commenter, surtout pas sur le
vif. Je pense que les considérations qui devraient présider
à la décision du législateur devraient comprendre le fait
que l'article envisage exclusivement la responsabilité du fabricant d'un
bien meuble, donc la responsabilité du fabricant d'un produit, ce qui
comprend tout le vaste secteur du "product liability". On veut donc
énoncer une règle qui n'Impose pas un fardeau trop lourd à
la personne lésée et les multiples raisons qui justifient que ce
fardeau-là soit imposé au fabricant sont très bien
exposées dans la décision à laquelle j'ai
référé plus tôt, l'affaire Moran versus Pyle qui,
encore une fois, se réfère à la question du choix de
forum, mais les considérations sont les mêmes. Essentiellement, ce
qu'on dit, c'est: Si un fabricant de produits met ses produits en circulation
dans les voies normales du commerce, ce fabricant doit accepter d'avoir
à défendre des actions en responsabilité civile dans un
forum autre que le sien, parce qu'il a dirigé ses produits dans les
voies normales du commerce et il ne pourra pas prétendre qu'il ne
pouvait prévoir que le bien se retrouverait dans ce pays et y causerait
des dommages.
En ce qui concerne les deux volets de l'alternative qui sont
énoncés dans notre mémoire, si vous voulez avoir ma
préférence, je pense que le deuxième est le meilleur,
c'est-à-dire sauf si le fabricant prouve qu'il ne pouvait prévoir
que le produit serait mis en circulation dans cet Etat, parce qu'une
prohibition expresse du fabricant c'est quelque chose qui peut être fait
mais qui peut aussi n'être pas suivi et à la connaissance,
peut-être, du fabricant. C'est un critère qui est assez flou,
à mon avis, comme le critère - je le dis avec respect - retenu
par le paragraphe 2° de l'article 3494, soit "sans son consentement",
lorsqu'on parie d'une entreprise qui a plusieurs centres de décision,
lorsqu'on parle d'une entreprise qui distribue ses produits par un
réseau de distribution qui peut être extrêmement
décentralisé. Allez donc voir du consentement de qui on parie
dans le paragraphe 2°!
Je préfère une disposition... Je pense que le
législateur peut vouloir préférer, étant
donné les considérations d'ordre public et de protection de ses
ressortissants que j'ai évoquées, énoncer une
réserve qui, d'abord, impose clairement le fardeau au fabricant et,
deuxièmement, comporte un aspect objectif dans le texte. Ici, on dit
qu'il ne pouvait prévoir que le produit serait mis en circulation dans
cet État. C'est un critère que le tribunal pourra
apprécier avec un modicum d'objectivité. SI vous dites "sans son
consentement", cela va être beaucoup plus difficile pour le tribunal de
s'ingérer dans une preuve de consentement ou d'absence de consentement.
Lorsqu'on dit lorsqu'il ne pouvait prévoir que", il y a un aspect
objectif dans le texte à être appliqué. Je pense que c'est
une mesure de prudence, qui laisse aussi prévoir des résultats
plus justes, parce que les juges sont là pour apprécier les
défenses qui leur sont présentées.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, Me Bienvenu.
Allez-y.
M. Dauphin: Merci, Me Bienvenu. Une autre petite. Puisque vous
savez exercer des choix, je vais vous demander de faire un autre choix.
À la page 25, relativement à l'article 3481 sur la
vente, il y a également deux interprétations,
c'est-à-dire qu'à la page 25 du mémoire vous citez
à la fois l'avant-projet de convention sur la loi applicable aux
obligations, ainsi que le Code autrichien. Toujours dans la même veine,
est-ce que vous préférez que l'article 3481 soit
précisé en qualifiant l'établissement de principal ou bien
qu'il y soit question de l'établissement dans le cadre duquel le contrat
est conclu?
M. Bienvenu: Vous me posez une question en rapport avec l'article
3480.
M. Dauphin: L'article 3481.
M. Bienvenu: L'article 3481, ce n'est pas la disposition à
laquelle il est fait référence à la page 25 du
mémoire. À la page 25 du mémoire, on est à
l'article 3480. L'article 3481 est construit, par contre, sur la
présomption irréfragable. En fait, c'est mon
interprétation de la logique du rédacteur. Ce que je comprends,
c'est que le législateur s'est dit ceci: Nous avons à 3480 une
présomption irréfragable portant sur le fait que la loi sera
celle de l'État dans lequel la partie qui doit fournir la prestation
caractéristique de l'acte a soit sa résidence, soit son
établissement. L'article 3481 est rédigé en tenant compte
de ce postulat et de ce que je vous ai dit plus tôt, c'est-à-dire
qu'en matière de vente, théoriquement du moins, il n'y a pas de
problème pour déterminer quelle est la prestation
caractéristique: c'est celle du vendeur.
L'article 3481 désigne des cas d'exception à la
règle générale qui va valoir en matière de vente,
mais pas par l'application de 3481, par l'application de 3480. C'est pour
ça que nous émettons l'opinion dans le mémoire que, si on
révise l'article 3480, on pourra vouloir réfléchir
à la nécessité de réviser 3481. Je dis: On pourra
vouloir réfléchir, parce que ce n'est pas nécessairement
évident qu'on aura à réviser 3481. Mais il est clair, en
lisant 3481 qui s'applique à la vente, que, puisqu'on y énonce
une exception, les trois cas où la loi de l'État de l'acheteur
est la loi applicable... Toute cette disposition est construite en
présumant que, sauf pour les ventes qui tombent expressément dans
les deux cas mentionnés, 3481 et 3482, les marchés de bourse,
à ce moment-là, ça sera la loi du vendeur, par
l'application de l'article 3480.
Alors, si vous me demandez ce que je préfère dans les deux
volets de l'alternative qui est énoncée à la page 25 de
mon mémoire, qui concerne les dispositions qu'on pourrait vouloir
adopter pour préciser quel établissement d'une entreprise on vise
dans l'une ou l'autre des dispositions... Est-ce que c'est ça votre
question, M. le député?
M. Dauphin: Oui.
M. Bienvenu: II y a deux solutions, il me semble. Une solution
serait de prévoir une règle qui s'appliquerait pour toutes les
dispositions de l'avant-projet où on retrouve le terme
"établissement". L'autre possibilité, c'est de préciser,
à chacune des dispositions où on retrouve le terme
"établissement", lequel on a en tête lorsqu'on parle d'une
entreprise avec plusieurs établissements. Pour répondre à
votre question de façon correcte, II faudrait que j'explore les deux
hypothèses. Si on parle d'une disposition globale, on pourrait
s'inspirer de l'article 10, je pense, de la Convention de Rome. Excusez-moi,
c'est le paragraphe 2° de l'article 4 de la Convention de Rome. Je vous en
donne lecture. On dit: "Sous réserve du paragraphe 5°, il est
présumé que le contrat présente les liens les plus
étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation
caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa
résidence habituelle ou, s'il s'agit d'une société,
association ou personne morale, son administration centrale. " Et, là,
on ajoute: Toutefois, si le contrat est conclu dans l'exercice de
l'activité professionnelle de cette partie, ce pays est celui où
est situé son établissement principal ou, si, selon le contrat,
la prestation doit être fournie par un établissement autre que
l'établissement principal, celui où est situé cet autre
établissement. " Alors, c'est une formulation assez... On voit que c'est
le résultat d'un compromis entre personnes qui parlent des langues
différentes. Mais quand même, vous avez des choix de "policies",
si je peux dire, dans cette disposition de même que dans l'article 10 de
la Convention de Vienne, encore une fois, qui ne parlent pas de conflit ou qui
n'édictent pas des règles de conflit mais qui jugulent ou qui
règlent le même problème.
Maintenant, si je réponds à votre question en rapport avec
l'article 3480, l'article général donc, je pense que les deux
possibilités qui sont mentionnées à la page 25 du
mémoire énoncent en fait la même règle en des termes
différents. Ce qu'ils énoncent comme règle c'est que
l'établissement retenu c'est l'établissement principal, sauf si
le contrat a été conclu en ayant en tête un
établissement secondaire. Dans le cas de l'avant-projet, on dit:
"à moins que la prestation caractéristique du contrat ne doive
être fournie par un établissement secondaire de cette partie... ",
et le Code autrichien dit: "... l'établissement dans lequel le contrat a
été conclu. " Mais la règle envisagée par les deux
est la même, et cette règle c'est: Si la prestation
caractéristique est envisagée dans le contrat et qu'elle est
fournie par un établissement secondaire, l'État dont on tiendra
compte pour déterminer la loi sera l'État de
l'établissement secondaire.
M. Dauphin: Merci beaucoup. C'est très
intéressant.
Le Président (M. Marcil): Cela va? M. Dauphin:
Oui.
Le Président (M. Marcil): En conclusion.
M. Filion: Oui, voilà, M. le Président. Je voudrais
remercier l'Association des banquiers canadiens. J'ai remarqué qu'ils
cheminent avec la révision du Code civil. Ce n'est pas la
première fois qu'ils viennent témoigner en commission
parlementaire. Je pense que nous devons les remercier de s'associer avec ces
travaux de révision que je qualifiais, au début de cette
séance, de travaux d'Hercule. Donc, je les invite à continuer
à être vigilants. Bien qu'il s'agisse peut-être là de
la dernière étape, il demeure qu'il y a un projet de loi qui sera
déposé et que ce projet de loi devra également
requérir l'attention de l'ensemble des Intervenants. Je remercie donc
l'association.
Le Président (M. Marcil): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, je veux aussi
remercier l'Association des banquiers canadiens qui était
représentée ce matin par Me Ferron et Me Bienvenu. Je les
remercie pour ce mémoire et je veux leur dire que nous allons
évidemment prendre en considération pour étude leurs
remarques qui portaient sur des points de fait particulièrement
Intéressants, afin que notre réforme soit la plus acceptable et
parfaite possible. Et je les remercie.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup de votre
présence.
M. Ferron: Merci.
Le Président (M. Marcil): Nous allons supendre les travaux
jusqu'à 14 h 30.
(Suspension de la séance à 13 h 5)
(Reprise à 14 h 38)
Le Président (M. Blackburn): La commission reprend ses
travaux. Nous souhaitons la bienvenue à la Commission des services
juridiques. La commission siégera pendant une heure. Vous avez vingt
minutes pour votre exposé, puis le ministre aura vingt minutes pour vous
répondre et l'Opposition également. Alors, on commence par la
présentation du mémoire.
Commission des services juridiques
M. Lafontaine (Yves): Merci. M. le Président. Je voudrais
présenter les personnes qui sont avec moi. À ma gauche, Me
Micheline Plante du bureau d'aide juridique de l'Estrie; à ma droite,
Georges Massol, qui était du service de recherche et qui est maintenant
au bureau d'aide juridique de Laurentides-Lanaudière. On ne voulait pas
vous faire faux bond étant donné que c'est le dernier volume et
qu'on a suivi la commission depuis le début. On comprend que c'est un
volume assez technique. On voit, d'ailleurs, par l'assistance nombreuse qu'il
n'y a peut-être pas un grand attachement à suivre nos propos. Par
contre, on doit dire qu'on a été saisis par la qualité de
la rédaction des textes proposés, par leur concision et par leur
clarté. Je pense qu'on doit le signaler parce que c'est tout à
l'honneur de ceux qui ont fait ce texte.
Nous nous attarderons, bien entendu, étant donné que notre
vocation spécifique est plutôt de nous occuper des personnes
défavorisées, sur, entre autres, les témoignages d'enfants
mineurs. Nous saluons aussi l'apparition des règles de droit
international privé. Je pense que cela nous place maintenant dans un
village plus global et qu'on vient d'arriver, un peu, dans une ère plus
planétaire. Cela permet au Québec, disons, d'être au
diapason. Je vais maintenant demander à Me Massol d'en faire un bout,
soit sur la preuve et la prescription et, par la suite, je demanderai à
Me Plante de continuer sur le droit international privé. Me Massol.
M. Massol (Georges): Merci, Me Lafontaine. Bon après-midi
à tous. Alors, sur ces quelques mots de Me Lafontaine, j'ajouterai
qu'à cause du sujet et de la qualité des textes proposés,
nos commentaires livrés dans notre mémoire sont souvent du
même ordre, c'est-à-dire qu'ils sont techniques. On ne reprendra
pas ici tous nos commentaires. On va simplement attirer votre attention sur les
principaux.
Nous espérons ne pas outrepasser, encore une fois, outrageusement
le temps qui nous est accordé, mais il se peut qu'on vous demande une
prolongation de cinq minutes. Je pense qu'avec vingt-cinq minutes on pourra
passer à travers. Alors, nous tenterons simplement d'insister sur
quelques points plus fondamentaux à l'égard desquels nous
entretenons certaines réserves ou dont nous applaudissons grandement la
venue dans notre droit. C'est important aussi de souligner la venue de certains
changements qui doivent rester dans ce projet. Globalement, comme Me Lafontaine
l'a expliqué, nous sommes d'accord avec les principes
énoncés et croyons que tout ça respecte la tradition
juridique québécoise. Dans le domaine de la preuve on a à
la fois simplifié les règles actuelles, tout en les modernisant.
En matière de prescription, c'est vraiment épatant de voir
comment on a simplifié un domaine qui a toujours paru inutilement
complexe. Pensons, par exemple, aux divers délais. Mais c'est en
matière de droit international privé que les propositions sont
les plus intéressantes puisqu'on a, alors, fait un effort
considérable pour codifier un droit, soit coutumier, soit jurisprudents
ou, si je peux me permettre l'expression, éparpillé dans d'autres
lois. Alors, nous disons, là encore, mission accomplie.
Commençons donc par le domaine de la preuve. J'aurai cinq grandes
remarques concer-
nant ce domaine. La première remarque est sur la connaissance
d'office par le tribunal. Alors, il en est question au début de ce
livre. On remarque simplement que la connaissance d'office par le tribunal est
parfois large. On parie du droit en vigueur au Québec. Parfois, elle
semble plus restrictive, entre autres, concernant les traités
internationaux qui devront être prouvés. Nous nous interrogeons
sur la portée et le sens de l'article 2985, à savoir que certains
règlements ne soient pas publiés dans la Gazette officielle du
Québec. Après la rédaction de notre mémoire, nous
comprenons et nous osons espérer qu'il s'agit uniquement de
règlements municipaux ou de corporations et non pas des
règlements qui, normalement, doivent être publiés dans la
Gazette officielle. Nous espérons ne pas voir là un
énoncé de principe établissant que certains
règlements du gouvernement n'auront plus à être
publiés dans la Gazette officielle du Québec.
Notre deuxième grande remarque porte sur les écrits non
signés. Il existe dans le projet des dispositions particulières
concernant les enregistrements informatisés. Il faut constater que
d'autres écrits, non signés cependant, existent et que le projet
prévoit, alors, que ces écrits font preuve de leur contenu
à l'égard de tous et non, comme l'Office de révision du
Code civil le prévoyait, qu'à l'égard de l'auteur de
l'écrit. On peut donner un exemple de ça: un assuré
appelle son assureur pour l'aviser d'un sinistre. Présumons que
l'assureur n'a pas encore de fichier informatisé. La personne qui
reçoit l'appel colllge cette information sur une fiche manuelle et la
place dans le fichier. Jusqu'ici, ça va bien. Mais il peut arriver le
contraire aussi. Il peut être indiqué sur la fiche manuelle qu'il
n'y a pas eu d'avis de sinistre donné par l'assuré.
L'assuré voudra réclamer, par la suite, ses indemnités,
mais on lui répondra qu'il n'y a jamais eu d'avis de sinistre,
étant donné que la fiche manuelle atteste qu'il n'y a eu aucun
avis de sinistre, du moins dans un délai raisonnable, comme le prescrit
le Code civil. Alors, ce que l'article, tel que proposé, dit, c'est que
cet avis ou cet écrit, dont l'assuré n'est pas partie, fera
preuve contre lui, alors qu'il nous semble plus normal que, dans un tel cas,
cet écrit ne soit opposable qu'à l'égard de l'auteur, donc
de l'assureur. L'article 3010 devrait donc être modifié pour
prévoir qu'un écrit non signé, autre qu'un projet d'acte,
fait preuve uniquement contre son auteur.
La troisième remarque concernant le domaine de la preuve porte
sur l'introduction partielle de la preuve par ouï-dire. Alors, on
connaît - évidemment, on est sensible à ça - la
raison historique qui interdit l'introduction de la preuve par ouï-dire.
On sait, par ailleurs, que, dans certains cas, la preuve par ouï-dire est
inévitable. On peut penser au domaine de la protection des
intérêts des enfants, par exemple. Selon l'article 3024,
alinéa 2 du projet, le juge doit s'assurer du respect de deux
critères. Le premier critère, c'est qu'il faut qu'il soit
impossible d'obtenir la comparution du déclarant ou - et là,
j'insiste - déraisonnable de l'exiger.
Alors, qu'est-ce que cela veut dire "déraisonnable de l'exiger?
C'est peut-être l'application qui nous le dira, mais on peut
déjà s'apercevoir de la largeur du terme. Qu'est-ce que cela
vise? Est-ce que cela viserait la personne clouée au lit, la personne
temporairement à l'étranger, la personne demeurant dans un autre
district judiciaire qu'il serait déraisonnable de faire
comparaître en raison des coûts de sa comparution ou de son
voyagement par rapport à l'importance financière de la cause?
Est-ce que, dans ces cas-là, il serait déraisonnable d'exiger la
comparution de cette personne et qu'une preuve par ouï-dire pourrait
suppléer à la comparution de cette personne? Est-ce que cela
viserait également la déclaration d'un enfant faite à un
psychiatre qui pourrait rapporter devant le tribunal les paroles d'un
enfant?
Sur la question particulière de la recevabilité du
témoignage d'un enfant fait à un tiers, nous devons souligner que
la Commission des services juridiques a déjà émis des
commentaires concernant la proposition gouvernementale touchant les amendements
à la Loi sur la protection de la jeunesse, sur laquelle la commission a
tenu des auditions en octobre 1988, je crois. Dans nos commentaires d'alors,
nous mentionnions que tout enfant apte à témoigner devrait
témoigner et que toute déclaration antérieure faite, par
exemple, à un psychiatre ou à un psychologue ne devrait servir
qu'à corroborer le témoignage de l'enfant. Les passages
pertinents des commentaires de notre service, énoncés lors de
l'étude des amendements à la Loi sur la protection de la
jeunesse, se retrouvent à la fin de notre mémoire, en annexe.
Nous croyons que ce n'est qu'exceptionnellement que la déposition
d'un déclarant puisse se faire hors la présence du tribunal. La
personne devrait toujours, autant que possible, être présente
devant le tribunal. À cette fin, et même au risque d'alourdir le
texte de l'article 3024, le législateur devrait prévoir, d'une
façon non limitative, ce qu'il entend par l'impossibilité
d'obtenir la comparution d'un déclarant ou ce qu'il entend par le
caractère déraisonnable d'exiger une telle comparution. Nous
admettons que c'est plus facile à dire qu'à faire, par contre.
Cela permettrait au tribunal de fixer les limites de ce pouvoir et de ne
l'appliquer que dans des cas bien exceptionnels. Nous ajoutons, à la fin
de ce critère, qu'il faut cependant noter que l'idée que
sous-entend ce deuxième alinéa correspond aux tendances nouvelles
et actuelles d'acceptation de la preuve par ouï-dire et recueille à
cet effet notre approbation. Voilà pour le premier critère.
Le deuxième critère énoncé par l'article
3024, c'est que les circonstances entourant la déclaration donnent
à celle-ci des garanties
suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier. Le troisième
alinéa du même article, 3024, énonce deux cas où des
documents sont présumés présenter ces garanties
sérieuses. Là, on s'interroge sur les motifs qui ont
poussé le législateur à ne reconnaître cette
présomption qu'aux documents des entreprises. Alors, a cet égard,
l'article 43 de l'Office de révision du Code civil nous semblait plus
conforme et touchait davantage d'activités que simplement les
entreprises, tout en élaborant des critères qui étalent
fiables et justes. Ainsi, comme le proposait l'Office de révision du
Code civil, la déclaration faite dans l'exercice d'une activité
régulière et consignée dans un registre
spécialement tenu à cette fin pourrait être
présumée présenter des garanties suffisamment
sérieuses pour pouvoir s'y fier. Alors, on élargirait, tout en
conservant des balises raisonnables.
J'en viens à la quatrième remarque générale
concernant ce domaine de la preuve, cette fois, pour applaudir grandement la
venue de l'article 3040 du projet, dont la formulation et le contenu nous
semblent tout à fait heureux. Il était temps qu'on puisse
apporter une solution juste à certains cas où une
déclaration extrajudiciaire était considérée
irrecevable dans le domaine criminel à cause de l'article 24 de la
charte canadienne. Cette même déclaration pouvait constituer la
preuve principale dans une cause civile, alors qu'elle ne pouvait absolument
pas passer dans le domaine criminel. Ici, avec le rempart que nous donne
l'article 3040, selon l'analyse que nous en avons faite, nous avons
retrouvé sensiblement les mêmes critères que ceux
énoncés à l'article 24 de la charte. On a nettement
amélioré les propositions de l'Office de révision du Code
civil qui avaient été faites à cet égard.
Là-dessus, nous applaudissons et nous espérons grandement que cet
article va rester tel quel.
La cinquième et dernière remarque. La notion de
commencement de preuve - c'est une remarque un peu plus technique - est
préférable à la notion actuelle de commencement de preuve
par écrit puisque, de toute façon, un témoignage pouvait
constituer un commencement de preuve par écrit. On a enlevé les
mots "par écrit"; évidemment, c'est un amélioration.
Deuxième grand domaine: la prescription. Quelques commentaires
très brefs vont suffire; j'en ai six. Le premier: une partie devrait
pouvoir renoncer à la prescription. C'est peut-être discutable.
C'est un débat. Il y en a qui pensent que cela devrait être
d'ordre public; d'autres n'y croient pas. Nous pensons qu'une partie pourrait
renoncer à la prescription. Deuxièmement, l'article 3072 devrait
être éclairci de manière à ne permettre
l'interruption de la prescription que lors d'une demande faite par un
créancier en vue de la distribution de sommes d'argent dans le cas des
dépôts volontaires, tout comme l'article 2224, paragraphe 4, du
Code civil du Bas-Canada le prévoit actuellement. L'article 3072, tel
que libellé, peut être Interprété de sorte que le
dépôt ou la demande au dépôt volontaire de la part du
débiteur constitue une interruption de la prescription. Certes, la
jurisprudence et la doctrine ont reconnu dans ce geste un acte interrupt de
prescription, parce qu'il y avait reconnaissance de dette. Mais, à notre
avis, l'article devrait plutôt reprendre l'article 2224. 4 du Code civil
du Bas-Canada et faire en sorte que, comme déclaration de principe, ce
soit uniquement la demande du créancier qui soit interruptive de la
prescription.
Troisième remarque concernant la prescription. Il serait bon de
prévoir que la mise en demeure ou l'interpellation judiciaire
n'interrompt pas la prescription. Cela va peut-être de soi, sauf que ce
n'est pas Indiqué comme tel dans le projet de loi.
Quatrième remarque sur la diminution du délai de la
prescription acquisitive de 30 à 10 ans et de 10 ans à 5 ans. On
a été pas mal impressionnés par cette diminution.
Évidemment, on ne peut pas dire: On va y aller lentement; actuellement,
c'est 30 ans, dans deux ans, ce sera 25 ans, dans six ans, ce sera 19 ans, etc.
On ne peut pas revenir changer ces délais toutes les années. Sauf
que, de 30 à 10 ans, cela nous semble un peu dur. L'Office de
révision du Code civil prévoyait 25 ans. N'y a-t-il pas un milieu
entre 30 et 10? Est-ce qu'un délai de 15-20 ans ne serait pas
acceptable? Évidemment, c'est très subjectif. Je pense que, de 30
à 10, on coupe beaucoup. Je pense qu'on aurait pu trouver un
délai entre les deux. Par contre, en ce qui concerne les délais
de la prescription extinctive, il me semble que c'est idéal. Sauf
quelques exceptions, les délais ont tous été remis sur le
même pied. On a simplifié, et heureusement qu'on l'a fait.
On a vu une incompatibilité possible - c'est ma dernière
remarque concernant la prescription - entre l'article 3103 du projet, qui
établit une prescription dans le cas d'actions relatives à
l'état d'une personne - on établit une prescription de dix ans -
et l'article 593 du Code civil du Québec où l'on dit que les
actions relatives à la filiation se prescrivent par 30 ans.
Peut-être y aurait-il là incompatibilité; nous soulevons la
question.
Je passe rapidement au domaine du droit international privé. Je
vais commencer en vous présentant quelques commentaires et Me Micheline
Plante va compléter, surtout en matière familiale. Pour ma part,
je traiterai des dispositions à caractère général
et patrimonial, si vous voulez. On a scindé le livre du droit
international privé sans respecter le schéma
suggéré, comme tel.
D'abord, l'article 3442, tel que rédigé, pourrait
permettre une trop grande inclusion de la "common law" dans notre droit. C'est
un danger que nous y avons vu; I faudrait peut-être
réfléchir davantage ou se poser la question. À cet
égard, nous suggérons qu'il y ait toujours un
lien de droit étroit entre la disposition d'une loi
étrangère et une situation en cause sur le territoire
québécois et non qu'on puisse prendre une disposition d'une loi
étrangère pour l'appliquer mutatis mutandis à une
situation de fait qui n'a aucun rapport avec la situation en cause. Il faut
qu'il y ait un rapport étroit pour qu'on puisse se servir d'une
disposition étrangère.
Dans le projet, à l'article 3444, on mentionne qu'une disposition
d'une loi étrangère doit être "exclue lorsqu'elle conduit
à un résultat contraire à l'ordre public". On se demande
si on a volontairement employé l'expression "ordre public" et si on ne
devrait pas plutôt employer l'expression "ordre public international" qui
est une notion connue, débattue. Des Juristes ont fait des thèses
de doctorat là-dessus, et elle est relativement bien comprise par le
monde juridique. De toute façon, elle constitue une notion distincte de
la notion d'ordre public interne. On pose la question.
Concernant le statut des obligations, nous avons noté une
difficulté quant à la détermination de la loi applicable.
On mentionne qu'en l'absence de désignation dans l'acte, on applique la
loi qui présente les liens les plus étroits avec l'acte.
L'article 3480 mentionne que les liens les plus étroits sont
réputés exister avec la loi de l'État dans lequel la
partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa
résidence". C'est comme ça qu'on va déterminer les liens
les plus étroits. Le problème provient de la difficulté,
dans certains cas, à déterminer exactement qui fournit la
prestation caractéristique. Dans le cas du contrat de mariage, qui
fournit la prestation caractéristique? L'époux? L'épouse?
Dans le cas du mandat, le mandataire ou le mandant? Dans le cas de la vente,
lorsque aucune des conditions prévues à l'article 3481 n'est
remplie, on doit donc se référer au principe
général de l'article 3480. Dans ce cas-là, qui fournit la
prestation caractéristique? Est-ce l'acheteur ou le vendeur? L'acheteur
paie, le vendeur délivre. Dans le cas de la vente, c'est peut-être
la délivrance qui l'emporte, mais ce n'est pas très clair dans
mon esprit. Plus particulièrement dans les cas d'achat de biens de
consommation, nous suggérons dans le mémoire que la loi
applicable soft celle du lieu où l'acheteur a sa résidence
habituelle et ce, dans tous les cas, pour, évidemment, donner plus de
protection au consommateur.
Dans le domaine de la responsabilité, nous nous sommes
attardés, dans un premier temps, au choix retenu par le
législateur de favoriser le lex loci delicti. Évidemment, il y a
un critère premier, mais, en cas de non-application de ce premier
critère, on revient au lex loci delicti. Nous exprimons notre accord
avec ce choix puisque, bien que nous ayons comme organisme une tendance toute
naturelle à favoriser les victimes, entre autres, celles de
délit, nous sommes, tout de même, d'avis que le citoyen
québécois a un droit tout naturel à se faire
défendre selon sa loi, lorsqu'un délit est commis sur son
territoire ou lorsqu'on l'accuse d'un délit. Il est
présumé non responsable jusqu'à preuve du contraire, pour
employer un principe importé du droit criminel. (15 heures)
En plus des autres commentaires, mentionnons que le législateur
devrait prévoir le cas où le fait générateur
d'obligation comporte une série d'actes qui se produisent dans
différents États. On a vu là un manque dans le projet de
loi.
Maintenant, une très difficile question concernant l'article
3493. Nous soulevons cette question de l'option de régime en faisant un
lien avec ce que le législateur a prévu à l'article 1516
de l'avant-projet de loi portant réforme du droit des obligations. Lors
de notre dernière présence en commission parlementaire, lors de
l'étude de ce projet de loi sur les obligations, nous avions longuement
traité et débattu cette question de l'option de régime.
Nous y revenons, étant donné qu'il sera très important de
qualifier la sorte d'obligation à laquelle on a affaire. Est-ce une
obligation contractuelle? Est-ce que cela venait d'un contrat ou si cela venait
d'une obligation délictuelle? Je prends encore ce vieux terme pour que
l'on comprenne bien de quoi il s'agit. Alors, c'est important, puisque
l'attribution ou la détermination de la loi applicable dépend de
la réponse à cette question-là. Il faut d'abord
déterminer si c'est un délit ou un contrat.
Alors, puisque chaque régime comporte des règles
d'application des lois différentes, devra-ton se référer,
lorsqu'on aura cette question-là devant nous, constamment à
l'article 1516 de l'avant-projet de loi portant réforme du domaine des
obligations pour solutionner ce dilemme? Alors, nous posons la question sans
encore vraiment y répondre, sauf que nous nous demandons s'il ne serait
pas utile d'inclure, à la suite de l'article 3493, un principe
régissant l'option de régime et ce, particulièrement au
domaine du droit international privé. Sinon, on va constamment faire
appel à un article du droit interne pour solutionner un problème
de droit international privé. On devrait immédiatement prendre
cette solution de l'option de régime et l'inclure dans le secteur du
droit international privé.
Enfin, toujours en matière de responsabilité, nous nous
demandons si l'idée prônée par l'Office de révision
du Code civil à l'égard de la responsabilité du fabricant
- et là nous insistons beaucoup sur cette matière-là - ne
devrait pas être préférée à celle
véhiculée par l'avant-projet de loi. Dans sa forme actuelle,
l'article 3494 est soit incomplet ou devrait être complètement
remanié afin de prévoir que la responsabilité du fabricant
est régie par la loi du domicile ou de la résidence de la
personne ayant subi le préjudice au moment où ce préjudice
s'est produit.
D'autres commentaires concernant cette importante question du fabricant
vous sont fournis dans le mémoire. La question a été
soulevée lors de l'autre commission parlementaire
concernant la responsabilité des fabricants. On voudrait
éviter que la victime d'un bien de consommation ne puisse pas avoir de
recours ou n'ait des difficultés à exercer des recours, parce
qu'elle doit constamment se référer à une loi
étrangère ou prendre ses recours devant un forum étranger.
Pensons au cas de la thalldomide ou à d'autres biens tout à fait
usuels, quotidiennement utilisés, où le fabricant pourrait
facilement s'exonérer en se repliant sur une loi
étrangère, ce qui ne faciliterait pas du tout les recours des
consommateurs québécois.
En ce qui concerne la loi applicable à l'égard de la
prescription, nous exprimons notre désaccord avec le principe
formulé à l'article 3495, puisque nous croyons que la
prescription doit être régie par la loi qui s'applique au fond du
litige et non pas comme le laisse entendre le projet. Les autres commentaires
relativement au livre X, concernant particulièrement la matière
famliale, vous seront livrés par Me Micheline Plante.
Le Président (M. Marcil): Cela va. Merci beaucoup pour
votre exposé. Maintenant, je vais reconnaître M. le ministre de la
Justice.
M. Lafontaine: On n'a pas terminé.
Le Président (M. Marcil): Pardon? Vous avez
déjà 25 minutes d'écoulées.
M. Filion: Pas de problème. Cela va.
Le Président (M. Marcil): Vous voulez continuer? Cela
va.
M. Filion: Me Plante.
Mme Plante (Micheline): Je vais procéder rapidement.
Alors, II nous reste à traiter du statut personnel au niveau des
conflits de lois et de la compétence Internationale des tribunaux
québécois au chapitre des actions personnelles. J'aimerais
attirer votre attention sur certains articles tout à fait particuliers
qui présentent des implications pratiques. D'abord, l'article 3454, si
vous le permettez, où on introduit la notion de résidence pour
déterminer la loi applicable en l'absence de domicile commun en
matière de séparation de corps. Nous croyons qu'il serait plus
simple d'appliquer la loi du tribunal saisi. Nous ne croyons pas opportun
d'introduire la notion de résidence, comme c'est le cas pour les effets
du mariage.
Maintenant, l'article 3457 qui, à notre avis, revêt une
importance particulière puisqu'il traite de la garde des enfants. Le
projet régit la loi applicable et le domicile de l'enfant. Nous
croyons que le droit de garde devrait être régi par la loi du
tribunal saisi. Nous sommes d'avis qu'il est plus facile pour le tribunal
d'appliquer la loi de son territoire et que c'est dans l'Intérêt
de l'enfant que les litiges au sujet de la garde soient traités de
façon rapide et efficace. Le tribunal doit être guidé par
le meilleur intérêt de l'enfant, sans tenir compte des
dispositions de la loi personnelle. Si la loi du tribunal saisi ne peut
être retenue, nous croyons que celle de la résidence devrait
l'être à tout le moins.
Si vous le permettez, nous allons traiter Immédiatement de la
compétence du tribunal du Québec pour statuer sur la garde, ce
qui est prévu à l'article 3505 du projet. Alors, le projet
retient comme facteur de rattachement la notion de domicile. Nous croyons que
ce critère est beaucoup trop restrictif et que nous devrions donner
compétence au tribunal du Québec, si l'enfant y réside
habituellement. Ce facteur de rattachement viendrait cristalliser un courant
jurisprudenciel où les juges sont hésitants à refuser
d'exercer leur juridiction lorsqu'il s'agit d'un problème de garde
d'enfant.
La présence physique ou la résidence habituelle ou
ordinaire de l'enfant dans le ressort du tribunal devrait suffire. Il ne s'agit
pas de déterminer ici l'état de l'enfant, mais son
bien-être. Il est vrai que les tribunaux peuvent toujours s'attribuer une
compétence en vertu de la doctrine parens patriae, mais la Cour d'appel
vient de décider récemment qu'il s'agit d'une compétence
exceptionnelle qui doit s'exercer dans des circonstances
particulières.
Nous croyons qu'il serait souhaitable d'élargir la
compétence des tribunaux québécois dans
l'intérêt de l'enfant Ceci peut se faire sans danger d'abus
puisque le tribunal pourra toujours refuser d'exercer sa juridiction en vertu
de la doctrine du forum non convenions. Nous nous réjouissons ici de la
reconnaissance de cette doctrine prévue à l'article 3499. Ceci
vient éliminer une réticence d'appliquer cette doctrine au
Québec pour les motifs que c'est une notion de "common law". De plus, en
matière d'aliments, on reconnaît comme facteur de rattachement la
résidence habituelle. Pourquoi ne pas reconnaître aussi ce facteur
en matière de garde d'enfants? Nous proposons la même chose en
matière de filiation; voir l'article 3510.
Nous aimerions maintenant attirer votre attention sur l'article 3463 qui
traite des successions. Cet article prévoit la possibilité de
choisir la loi applicable à une succession. Nous croyons que ce choix
devrait être fait sous réserve des effets du mariage, afin de ne
pas restreindre le régime primaire applicable au mariage. Par exemple,
on pourrait contourner la possibilité demander une prestation
compensatoire à la succession.
Maintenant, au sujet de la compétence Internationale des
tribunaux québécois, nous voulons tout simplement noter que,
lorsqu'il y a litispendance, le tribunal du Québec devrait avoir
discrétion quant à la possibilité de surseoir à
statuer.
Nous voudrions, maintenant, passer à l'article 3508 où on
prévoit une année de résidence habituelle pour donner
juridiction au
tribunal en matière de séparation de corps.
Nous croyons que le délai d'un an pourrait devenir paralysant
lorsque l'on veut protéger des biens contre une dilapidation possible.
Ce délai devrait donc être supprimé même s'il y a
possibilité d'agir pour les tribunaux, en vertu de l'article 3502, de
manière provisoire. Encore ici, le danger d'abus n'est pas
menaçant, car le juge pourrait toujours refuser d'exercer sa juridiction
en vertu de la doctrine du forum non convenions. Nous avons les mêmes
réserves au sujet du délai d'un an prévu à
l'article 3516 au sujet de la compétence en matière de
régime matrimonial.
Pour terminer, au sujet de la reconnaissance et de l'exécution
des décisions étrangères, nous sommes d'avis qu'il serait
souhaitable de prévoir dans le titre quatrième le sort futur que
l'on réserve à la Loi sur l'exécution réciproque
d'ordonnances alimentaires qui comporte des modalités pouvant toucher le
projet de loi. Je vous remercie de votre attention.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup. Maintenant, je
vais reconnaître M. le ministre.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Je voudrais,
tout d'abord, remercier Me Lafontaine, président de la Commission des
services juridiques, Me Georges Massol et Me Micheline Plante, de venir
témoigner devant nous aujourd'hui et aussi de la qualité de leur
mémoire. Ils ont soulevé plusieurs points très
intéressants dans ce mémoire. Au début, dans leurs
remarques générales, ils soulignent la qualité de la
rédaction de l'avant-projet de loi. Je me joins à eux pour
souligner la qualité de cette rédaction et rendre hommage
à nos rédacteurs qui ont fait un travail vraiment très
intéressant. Je crois que cela mérite d'être
souligné.
Je voudrais vous dire au départ que, concernant l'article 3063
où vous avez souligné qu'il y avait un problème, vous
aviez raison, il y a une erreur de typographie qu'il faut corriger et il faut
dire que l'article 3063 se lit comme suit: "On ne peut pas renoncer d'avance
à la prescription. On peut, cependant, renoncer à la prescription
acquise et au bénéfice du temps écoulé pour celle
commencée. " Alors, vous aviez raison de souligner ce problème.
Je prends bonne note aussi, concernant l'article 3496, que vous
préféreriez que la prescription soit régie par la loi du
fond du litige et non pas la loi du tribunal saisi, bien que je suis certain
que vous connaissez les problèmes d'administration de la justice que
cela pourrait signifier dans bien des cas.
La question que je veux vous poser est relative à la preuve. Vous
avez réfléchi abondamment sur ces problèmes qui sont
reliés au témoignage des enfants. C'est un point important. Vous
suggérez même d'utiliser les déclarations
antérieures - en référence à l'article 3025 - des
enfants pour corroborer leur témoignage. Il serait intéressant de
vous entendre davantage sur ce sujet de façon générale et,
en particulier, de savoir si vous êtes favorable ou si vous trouvez
opportun que l'on puisse introduire des règles de la preuve
spécifiques pour les enfants dans le livre de la preuve.
Mme Plante: Ce serait peut-être intéressant
d'introduire des règles spécifiques de la preuve dans ce domaine.
Nous sommes souvent aux prises avec des problèmes de preuve devant le
Tribunal de la jeunesse au sujet du témoignage des enfants, lorsqu'il
s'agit d'enfants maltraités ou de cas d'inceste. Alors, très
souvent, les enfants vont rapporter des paroles à un psychologue ou
à un psychiatre et nous sommes devant des difficultés de preuve
de ouï-dire. Alors, à mon avis, il serait souhaitable
d'élargir ou de faciliter la preuve ou le témoignage des enfants
devant les tribunaux parce que, très souvent, il s'agit de Jeunes
enfants ou d'enfants qui ont plus de difficultés à
témoigner. Alors, faciliter la preuve dans ce domaine serait
souhaitable, à notre avis. (15 h 15)
M. Rémillard: Je vous remercie.
Le Président (M. Marcil): Cela va? M. le
député de Taillon.
M. Filion: À mon tour de remercier Me Lafontaine, Me
Massol et Me Plante pour leur participation à nos travaux. Je remarque
que l'assiduité de la Commission des services juridiques à ces
travaux de révision du Code civil n'a d'égal que la pertinence et
la qualité des observations, des commentaires, des suggestions et de
l'analyse dont elle nous fait part régulièrement, peut-on dire
maintenant, quant à ces avant-projets de loi sur le Code civil.
J'aurais peut-être une question plus précise sur la
compétence en ce qui concerne la garde d'enfant. Je dois peut-être
comprendre de vos propos que vous considérez que ces questions de garde
d'enfant sont tellement importantes qu'elles doivent être
réglées le plus facilement possible. Si l'enfant demeure
physiquement au Québec, à ce moment-là, un simple
critère de résidence permettrait à un tribunal de statuer
sur la garde de l'enfant sans avoir à s'interroger sur cette notion de
domicile, ce qui est actuellement le cas. J'aimerais vous entendre
là-dessus. Finalement, c'est dans l'intérêt de l'enfant
qu'on doit situer cette recommandation, l'intérêt de l'enfant
devant être le premier des critères auxquels s'attache le
tribunal.
Pour commencer, quelle est la situation actuelle à
l'intérieur d'une procédure de séparation de corps ou de
divorce? Je parle, par exemple, des étrangers qui résident au
Québec. Actuellement, est-ce que la cour a juridiction, a
compétence pour entendre une garde d'enfant d'un couple
d'Américains ou de Canadiens qui ont leur domicile à
l'extérieur du Québec, mais qui résident temporairement au
Québec?
Mme Plante: Le droit actuel retient la notion de domicile. Je
pense que c'est une notion qui est actuellement un peu paralysante. Les juges
vont au-delà de cela lorsqu'ils veulent s'attribuer une certaine
compétence en utilisant la notion de parens patriae qui est toujours en
veilleuse. Le Juge pourrait s'attribuer une compétence, s'il le
décide, en disant: L'enfant est présent. Mais la Cour d'appel
vient tout récemment de dire que c'est une juridiction exceptionnelle
qu'on doit, tout de même, utiliser dans des circonstances
spéciales et avec réserve. Il y a un certain courant
Jurisprudentiei où on dit: L'enfant est présent - la notion de
résidence - on devrait s'attribuer Juridiction. Mais on voit que c'est
une notion qui n'est pas claire. C'est pourquoi la commission souhaite
peut-être éclaircir ce problème et codifier ou arriver
à la notion de résidence plutôt que de retenir celle du
domicile.
Évidemment, on peut être inquiets en disant: Des gens vont
peut-être vouloir magasiner des questions de garde devant nos tribunaux.
Mais, comme le projet amène la notion de forum non convenions en voulant
dire: Si le juge trouve que vraiment un autre tribunal serait mieux
placé que le tribunal québécois pour exercer la
juridiction, il peut toujours décliner juridiction. Or, nous croyons
qu'on devrait donner le plus de latitude ou le plus de compétences
possible à nos tribunaux, quitte à ce que le juge lui-même
décide de ne pas exercer sa juridiction. Donc, on y va largement pour ne
pas paralyser le juge lorsqu'il veut statuer sur la garde de l'enfant et qu'il
considère que c'est dans son intérêt de statuer et
d'appliquer, aussi dans son intérêt, la loi du Québec.
M. Filion: Est-ce que vous faites cette recommandation-là
pour élargir, si on veut, la compétence du tribunal en
matière de garde d'enfant, indépendamment de la compétence
du tribunal en ce qui concerne la séparation de corps...
Mme Plante: Oui.
M. Filion:... dans le cas où l'enfant est issu d'un
mariage?
Mme Plante: Pour la question de compétence, quant à
la séparation, on retient la notion de résidence.
M. Filion: La résidence, c'est dans l'avant-projet,
à l'article 3508, je crois: "y réside habituellement depuis un
an. "
Mme Plante: C'est ça. C'est la notion de résidence
qui est retenue au point de vue de la compétence en matière de
séparation. Et, en matière de garde, c'est la notion de domicile.
Notre recommandation était de laisser tomber le délai d'un an de
résidence pour...
M. Filion: Ma question, finalement, c'est, si on prend
l'avant-projet de toi...
Mme Plante: Oui.
M. Filion: L'article 3505 s'appliquerait uniquement à une
requête pour garde d'enfant à l'extérieur d'une
procédure de séparation de corps?
Mme Plante: Cela pourrait être ça.
M. Filion: Et l'article 3508 gouvernerait la séparation de
corps et ses accessoires? C'est bien ça, si je comprends bien, Me
Mas-sol?
Mme Plante: Oui.
M. Massol: Oui. J'ajouterais, comme le dit Me Plante,
qu'étant donné la notion véhiculée aux articles
3499 et 3500 de forum non convenions, on aurait, je pense, plus avantage
à élargir les possibilités, quitte à les
restreindre par la suite à l'aide de l'article 3500 qu'à donner
une portée restrictive et, ensuite, à essayer de l'élargir
à l'aide de l'article 3499. Ce qu'on dit en matière de
séparation de corps, c'est: Pourvu qu'il y ait une résidence,
quitte à ce que le tribunal se dessaisisse du dossier à l'aide de
l'article 3499, pourquoi exiger un délai d'un an? Peut-être qu'un
délai de huit mois satisferait le juge. Peut-être qu'il y aurait
en huit mois une situation suffisamment stable pour penser que les gens vont
s'établir. Alors, si le juge n'est pas convaincu de ça, il
déclinera juridiction. Et, c'est la même chose pour la garde ainsi
que les aliments.
M. Lafontaine: Si vous me permettez de compléter, dans le
texte actuel, si vous avez une garde d'enfant à l'intérieur d'une
séparation, quant à moi, mon opinion juridique, c'est que vous
allez employer la loi de la résidence. Par contre, si c'est dans le
cadre d'un divorce et que, par la suite, vous prenez une requête pour
garde d'enfant, à ce moment-là, le domicile de l'enfant va
s'appliquer. J'ai l'impression qu'il peut y avoir une contradiction suivant le
genre de procédures et suivant le stade, à savoir si c'est inclus
dans une procédure principale qui est une séparation ou si c'est
inclus dans une procédure principale qui est un divorce. Si c'est une
mesure accessoire à une séparation ou à un divorce ou si
c'est une mesure postérieure, j'ai l'Impression qu'il peut y avoir une
confusion à ce moment-là.
M. Filion: II est intéressant vraiment de noter qu'en ce
qui concerne la demande alimentaire à l'article 3506, à ce
moment-ci, évidemment le domicile ouvre la compétence, mais on
parle aussi de résidence habituelle. Cela veut dire que, finalement, si
je lis bien l'avant-projet
de loi, la compétence d'un tribunal québécois est
élargie en termes de demande alimentaire par rapport à une simple
demande de garde d'enfant alors que la garde d'enfant est
généralement considérée comme une matière
relativement urgente, Importante, il va de soi, tout autant que les aliments.
Cela va.
Le Président (M. Marcil): Cela va? M. le
député de Marquette et adjoint parlementaire.
M. Dauphin: Oui, je crois que le ministre de la Justice aurait
une question à poser avant mol? Pas pour le moment. D'accord. J'aimerais
vous référer à l'article 3490 de l'avant-projet, soit les
dispositions relatives au régime matrimonial. En vertu de cet article
3490, on se fie au domicile, à la loi de leur domicile au moment de leur
mariage. Considérant votre expérience pertinente en
matière de droit de la famille, j'aimerais savoir ce que vous penseriez
si nous faisions régir le régime matrimonial légal par la
loi du dernier domicile commun des époux. J'aimerais avoir votre opinion
là-dessus. Au lieu d'appliquer la règle de l'article 3490, si on
appliquait la règle du dernier domicile connu des époux, cela
veut dire qu'en pratique les...
Mme Plante: Le deuxième alinéa prévoit la
loi de la première résidence habituelle commune des époux.
Je pense que cet article du projet vient, finalement, cristalliser la
jurisprudence qui disait, à un moment donné, soit la loi du
domicile ou soit la loi du premier domicile commun. À mon avis, il
serait plus pertinent de retenir la résidence du premier domicile que le
dernier. L'intention des parties était peut-être à cette
époque de se soumettre au régime matrimonial existant à ce
moment-là, alors que, pour le dernier domicile, il n'y a absolument
aucun contrôle. Ce n'était pas dans l'intention des parties de
vouloir que la communauté de biens s'applique à leur mariage.
Alors, cela pourrait être soit la loi du domicile ou, dans un
deuxième temps, le premier domicile qui était peut-être
l'intention recherchée pour l'application de cette loi.
M. Dauphin: Vous savez, quant à l'intention, je suis
d'accord avec vous. Par contre, cela faciliterait les choses pour les avocats
qui ont à plaider.
Mme Plante: Oui.
M. Dauphin: Je comprends très bien. Merci.
Le Président (M. Marcil): Cela va? M. le ministre.
M. Rémillard: Concernant les délais de la
prescription acquisitive dont vous parlez, à la page 31 de votre
mémoire, la réduction du délai de 30 à 10 ans en
matière de prescription acquisitive d'un immeuble se
réfère à une tendance quasi universelle en ce domaine et
se rapproche aussi de la position que l'on retrouve dans plusieurs États
américains. Vous exprimez des réserves sur ce raccourcissement du
délai de prescription, mais je n'ai pas très bien compris
pourquoi vous aviez ces réserves. Est-ce que vous pourriez les
expliciter un peu?
M. Massol: Oui. Les réserves, c'est tout simplement
l'impact immédiat et à moyen terme que cela peut avoir. Nous
pouvons convenir qu'il y a des délais différents dans d'autres
États, dans d'autres pays. Quelle a été l'évolution
de ces délais? Il y avait peut-être des délais moins longs
que ceux qu'on connaissait; il y a peut-être eu abrègement de ces
délais-là, mais pas de façon aussi importante que ce qu'on
propose. La seule réserve que nous avons, c'est de passer du jour au
lendemain de 30 à 10 ans.
M. Filion: C'est le choc du futur.
M. Massol: Oui et il y a des questions intéressantes
à ce sujet, dont celle de la stabilité. C'est probablement la
raison pour laquelle d'autres pays ont adopté des délais plus
courts. On se dit: Après dix ans, tu dois savoir un peu si ta
propriété t'appartient ou non. Il faut que tu y ailles de temps
en temps pour voir ce qui s'y passe; sinon, la personne qui s'est
installée là et qui y demeure devrait avoir un droit qui ne
serait pas précaire. Mais, c'est tout simplement, l'impact de 30
à 10 ans. Nous entretenons peut-être un relent de conservatisme,
je ne le sais pas, mais c'est un changement, le choc du futur peut-être;
de 30 ans à 10 ans, ça nous semblait tout bonnement explosif.
M. Rémillard: Vous savez qu'en 1866 c'était 100
ans. On est passé à 30 ans et là, on ferait passer
ça à 10 ans.
M. Filion: C'est inversement à la longévité
du monde, si je comprends bien.
M. Dauphin: Qu'est-ce que ça va être dans le
prochain Code civil?
Des voix: Ha, ha, ha!
Une voix: On ne sera pas là pour le savoir.
Une voix: On va laisser le problème aux autres.
Le Président (M. Marcil): M. le député de
Taillon.
M. Filion: Oui, peut-être une question. Ce matin, l'un des
mémoires qui nous ont été soumis - vous en traitez
à la page 28 de votre mémoire - nous proposait que l'interruption
de la prescription causée par l'article 3072 de l'avant-
projet se continue jusqu'au dernier dépôt de salaire ou, en
cas de faillite, à la date de libération du syndic, en deux mots,
que les demandes ou les dépôts de listes de créanciers
constituent une interruption de la prescription. Je ne sais pas si vous avez
une réaction là-dessus.
M. Massol: Malgré les termes de l'article 2224, I
n'était pas clair que la demande introductive du débiteur au
dépôt volontaire constituait - si on lit l'article tel quel - un
acte interruptif de prescription sauf que la doctrine - M. Martlneau en
tête - dit que cela constitue un acte interruptif de prescription. Mais,
s'il fallait que chaque paiement que le débiteur fait, constitue une
forme d'interruption de la prescription, ce ne serait pas tellement avantageux
pour le débiteur de faire un dépôt volontaire et cela ne
l'encouragerait pas, non plus, à régler son endettement en
employant ce moyen-là.
La déclaration initiale, cela va, la réclamation du
créancier, cela va aussi, mais, s'il fallait que chaque
mensualité ou chaque versement que le débiteur fait soit
interruptif de prescription, il me semble que ce ne serait pas de nature en
encourager le débiteur à employer ce moyen-là.
M. Filon: C'est bien. Cela va.
Le Président (M. Marcil): Cela va? Il n'y a plus de
questions? Donc...
M. Filon: II y a beaucoup de questions, mais on va les laisser au
rédacteur.
Le Président (M. Maril): Oui, c'est cela. En conclusion,
M. le ministre.
M. Rémliard: En conclusion, M. le Président, je
voudrais remercier Me Lafontaine, Me Massol et Me Plante pour leur
témoignage et leur mémoire, et leur dire que nous allons tenir
compte et étudier très sérieusement toutes les
répercussions de ce mémoire sur notre avant-projet de loi. Je les
remercie.
Le Président (M. Marcil): Au nom de cette commission, nous
vous remercions.
Avant d'ajourner les travaux, je voudrais, quand même, informer
les membres de cette commission que nous serons en commission à 10
heures jeudi pour recevoir les représentants du Protecteur du citoyen.
Donc, j'ajourne les travaux au mercredi 15 mars, mais je vous invite, quand
même, à participer aux travaux de la commission pour un autre
mandat qui sera d'entendre les gens du Protecteur du citoyen.
(Fin de la séance à 15 h 33)