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(Dix heures dix-sept minutes)
Le Président (M. Kehoe): À l'ordre, s'il vous
plaît! Je déclare la séance de ta commission des
institutions ouverte. Je rappelle le mandat de la commission qui est d'entendre
le Protecteur du citoyen dans le cadre de l'examen de son rapport annuel
1987-1988. Je demande à la secrétaire d'annoncer les
remplacements.
La Secrétaire: M. le Président, il y a un seul
remplacement. M. Godin (Mercier) par M. Garon (Lévis).
Le Président (M. Kehoe): Je rappelle aux membres de la
commission que la durée du mandat de la commission est de six heures et
demie, donc de 10 heures ce matin jusqu'à 12 h 30 et de 14 heures
à 18 heures. Je rappelle aussi que le temps alloué pour
l'exposé d'ouverture est de 1 h 40 et le temps alloué pour les
discussions est de 4 h 50. Je souhaite ta bienvenue au Protecteur du citoyen et
lui demande de nous présenter les personnes qui l'accompagnent et de
nous présenter ensuite son exposé.
Exposé du Protecteur du citoyen M. Daniel
Jacoby
M. Jacoby: Merci, M. le Président. Mesdames et messieurs
les députés, permettez-moi de vous présenter mes
collaborateurs immédiats. D'abord, à ma gauche, Me Jacques
Meunier, adjoint du Protecteur du citoyen et à ma droite Me Jean-Pierre
Marcotte, directeur générai des enquêtes au bureau du
Protecteur du citoyen.
C'est, à ma connaissance, M. le Président, la
première fois que le Protecteur du citoyen se présente devant la
commission des institutions et je tiens à vous remercier, à ce
titre et au nom des concitoyens et concitoyennes, de me donner l'occasion de
faire le point sur cette institution qui a été
créée par l'Assemblée nationale il y a déjà
20 ans.
J'énoncerai d'abord quelques généralités sur
le mandat du protecteur et je le situerai par rapport à d'autres
organismes de protection des droits. Je montrerai par la suite les moyens
d'action dont nous disposons. Je décrirai brièvement le
cheminement des plaintes. Je présenterai quelques statistiques pour
parler des différents secteurs où nous intervenons principalement
et aussi pour mettre en relief les principales causes d'injustices qui sont
commises par l'administration.
Je parlerai également, et surtout, de l'augmentation des
plaintes, du déséquilibre des forces entre l'appareil de
l'État et les citoyens, de certains recours illusoires prévus par
nos lois et des secteurs où la population est en droit de recourir
à un mécanisme plus humain de règlement de litiges envers
l'appareil de l'État Je discuterai aussi des problèmes
inhérents au statut du Protecteur du citoyen, de ses ressources, et je
terminerai mon exposé en expliquant quelques-unes des principales
prloritées de notre bureau.
D'abord, un peu d'histoire. La Loi sur le Protecteur du citoyen est
entrée en vigueur à la fin de 1968 et elle est devenue
opérationnelle en mai 1969. L'institution du Protecteur du citoyen n'est
pas une création purement québécoise, car
déjà en 1968, notamment en Alberta, il existait des protecteurs
du citoyen que l'on appelle dans les provinces canadiennes des ombudsmen.
Aujourd'hui on a des ombudsmen dans toutes les provinces canadiennes, sauf
à l'île-du-Prince-Édouard. Il n'y a pas d'ombudsman
général au gouvernement fédérai, il y a quelques
ombudsmen spécialisés comme le Commissaire à la protection
à la vie privée et le Commissaire aux langues officielles.
L'institution de l'ombudsman remonte à une époque
très lointaine. On raconte même qu'il en existait en
Égypte. Les pharaons avaient créé ce poste. On parte
même de certaines dynasties chinoises, mais l'exemple le plus souvent
cité, qui a été peut-être à l'origine du
développement de l'institution dans plusieurs pays, c'est l'ombudsman
suédois qui, dès le début du XIXe siècle, avait
pour mission d'enquêter sur les officiers publics qui outrepassaient
leurs pouvoirs. Cet ombudsman faisait rapport au Parlement. En somme,
l'ombudsman a été conçu comme une espèce d'outil
dont se dotent les Parlements pour les aider à exercer leur devoir de
contrôle de l'Exécutif. L'ombudsman est là pour surveiller
les négligences ou les abus qui peuvent être commis par
l'administration qui constitue, elle, un volet du pouvoir exécutif.
Le mandat général du Protecteur du citoyen. Il intervient
sur plainte de toute personne qui s'estime lésée par un acte ou
une omission de l'administration provinciale. Cette personne peut se
considérer une victime, notamment de négligence, d'abus de
pouvoir, d'un manque de considération, de délais excessifs, des
erreurs ou encore d'interprétation abusive d'une norme
législative ou autre. Lorsque nous avons des motifs raisonnables de
croire que cette personne a été lésée, qu'un
préjudice a pu être commis à son égard, et dans la
mesure où nous avons juridiction, nous procédons, selon le cas,
à des interventions, des vérifications, des enquêtes
auprès des fonctionnaires concernés. Si nous concluons que la
plainte est fondée, qu'il y a véritablement eu lésion,
nous demandons immédiatement à l'administration de corriger la
situation. Dans les mêmes circonstances, la loi prévoit que le
Protecteur du citoyen peut agir de
sa propre initiative, sans qu'il y ait nécessairement de plainte
du public.
Le Protecteur du citoyen ne remplace pas les élus. Il les
complète d'une certaine manière faisant partie de
l'éventail des recours qui visent à corriger les Injustices qui
peuvent être commises par l'administration. Le Protecteur du citoyen, qui
est une personne désignée par l'Assemblée nationale,
intervient pour voir à ce que les personnes qui s'adressent à lui
soient traitées correctement et dans un délai raisonnable. Il
constitue une espèce de mécanisme de recours léger,
gratuit, qui non seulement permet de réparer des torts sur une base ad
hoc, mais dont la seule existence constitue un frein contre les abus et les
négligences. Le Protecteur du citoyen joue donc, d'une certaine
manière, un rôle préventif et un rôle curatif,
même s'il n'est pas le seul à s'occuper des plaintes de la
population.
Si on situe maintenant le Protecteur du citoyen par rapport à
d'autres organismes de protection des droits, on peut dire qu'il y a une
différence essentielle entre le Protecteur du citoyen et la Commission
des droits de la personne. La Commission des droits de la personne a un pouvoir
d'enquête limité aux actes discriminatoires posés par
l'administration provinciale et qui vont à rencontre de l'article 10 de
la charte québécoise des droits et libertés de la
personne. Cela signifie que le Protecteur du citoyen, pour toutes les autres
libertés et droits fondamentaux que l'on retrouve dans la charte,
possède un pouvoir d'enquête à l'égard de
l'administration provinciale.
Le Protecteur du citoyen peut également utiliser la charte
canadienne des droits et faire enquête et utiliser les dispositions de la
charte canadienne même en matière de discrimination pour
déterminer s'il y a eu lésion ou pas de la part des
fonctionnaires provinciaux. Le Comité de protection de la jeunesse, lui,
a une juridiction qui s'étend à la défense des
intérêts et des droits des jeunes dont la sécurité
ou le développement est compromis, notamment en ce qui concerne les
pouvoirs publics, dans les réseaux décentralisés du
gouvernement, comme les directions de protection de la jeunesse, qui
relèvent du ministère de la Santé et des Services sociaux
ou encore le réseau scolaire qui relève du ministre de
l'Éducation.
L'Office de la protection du consommateur a juridiction
particulièrement sur les conflits entre personnes privées,
généralement le consommateur versus l'entreprise. La Commission
d'accès à l'Information voit a faire respocter la
confidentialité des renseignements personnels qui sont détenus
par les administrations. Elle vise également à permettre que le
public ait accès à des documents détenus par les pouvoirs
publics. En résumé, le Protecteur du citoyen a un pouvoir
général d'intervention à l'égard des actes ou des
omissions de l'administration provinciale, et il faut noter de plus,
qu'à titre de personne désignée par l'Assemblée
nationale, il ne relève pas du pouvoir exécutif mais bien du
pouvoir législatif.
Comment exerçons-nous notre mandat? Nous avons certains moyens
d'action. Nous avons notamment une forme d'Indépendance de statut et des
pouvoirs d'enquête. Le Protecteur du citoyen est nommé par
l'Assemblée nationale sur recommandation du premier ministre pour une
période déterminée. II ne peut se livrer à aucune
activité partisane et est assujetti à l'exclusivité de
fonction. Les employés du Protecteur du citoyen sont nommés par
lui. Ce ne sont pas des fonctionnaires régis par la Loi sur la fonction
publique, mais des employés de l'État non assujettis à la
Loi sur la fonction publique.
Cette indépendance a été voulue, |e crois, par le
législateur pour que le Protecteur du citoyen et son personnel puissent
exercer librement leur rôle sans pression ou risque de menaces ou de
représailles de la part des autorités sur lesquelles il
enquête et le non-assujettissement des employés du Protecteur du
citoyen à la Loi sur la fonction publique a été
également voulu par le législateur pour que les employés
puissent agir en toute indépendance de la fonction publique sans risque
de complaisance ou de favoritisme à l'égard des fonctionnaires
provinciaux.
Cette indépendance, je crois, est essentielle. Elle donne d'une
certaine manière au public l'assurance que l'intervention du Protecteur
du citoyen sera faite sans parti pris, en toute neutralité et en toute
objectivité. Les personnes qui ont recours au Protecteur du citoyen
n'ont pas à s'inquiéter du fait qu'il pourrait être
biaisé ou partial parce qu'il aurait des comptes à rendre
à un ministre, comme chef d'un ministère sur lequel il a
juridiction, ou encore au premier ministre, comme chef de l'Exécutif.
Les personnes n'ont pas à s'inquiéter non plus de la
crédibilité des employés du Protecteur du citoyen qui
transigent avec des fonctionnaires du gouvernement provincial.
Si cette indépendance vis-à-vis le pouvoir exécutif
et le pouvoir administratif s'avère essentielle, non seulement sur un
plan philosophique, mais également sur un plan pratique, dans la vie de
tous les jours, on le vit, il faut malheureusement souligner qu'elle n'est pas
tout à fait complète sous un angle administratif et qu'elle pose
certains problèmes de fonctionnement. Je vous en parlerai un peu plus
tard. (10 h 30)
Quant aux pouvoirs d'enquête, pour assurer l'efficacité de
nos Interventions, la loi prévoit que nous possédons les pouvoirs
des commissions d'enquête. Nous pouvons donc Interroger les
témoins et requérir des documents sous peine d'outrage. Les
fonctionnaires doivent répondre aux questions posées et fournir
les documents pertinents. Il s'agit là de pouvoirs que, dans l'exercice
quotidien de ses fonctions, le Protecteur du citoyen délègue aux
employés chargés de
l'étude des plaintes.
Les plaintes, maintenant. Comment une plainte chemine-t-elle? C'est
d'abord au service d'accueil que la personne qui s'estime lésée
explique les démêlés qu'elle peut avoir avec
l'administration. Dans plusieurs cas, on communique avec nous pour avoir des
renseignements, mais s'il s'agit d'une plainte et que celle-ci est jugée
recevable par le service d'accueil - Je veux dire par là s'il s'agit
d'une plainte qui peut faire l'objet d'une Intervention de notre part, parce
que nous avons juridiction, nous avons compétence - cette plainte est
alors acheminée à la direction des enquêtes.
Au contraire, si la plainte n'entre pas dans le domaine de notre
juridiction, nos préposés à l'accueil indiquent à
la personne qui se plaint l'organisme auquel elle doit ultimement acheminer son
dossier et les démarches qu'elle devrait entreprendre pour sauvegarder
ses droits. C'est dire qu'à l'accueil, notre personnel agit
également comme service de référence.
Quant aux enquêtes, une fois que la plainte est rendue aux
enquêtes, un enquêteur, que l'on appelle chez nous un
délégué du Protecteur du citoyen ou, encore, son
collaborateur ou sa collaboratrice immédiate, que l'on appelle l'aide
aux enquêtes, procède à une analyse de la plainte,
communique, au besoin, avec la personne pour avoir des renseignements
complémentaires, fait venir le dossier détenu par
l'administration et interroge le fonctionnaire qui a pris la décision.
Si la plainte s'avère fondée, le délégué du
Protecteur du citoyen demande au fonctionnaire en cause de corriger la
situation, de modifier sa décision et, en même temps, en avise le
plaignant.
Mais il peut arriver - cela arrive - que des fonctionnaires refusent
d'obtempérer à la demande du personnel du bureau. Ultimement,
après être intervenu à différents paliers
hiérarchiques d'une organisation, d'un ministère ou d'un
organisme, le personnel de notre bureau qui continue d'essuyer un refus de la
part de l'administration, transmet le dossier personnellement au Protecteur du
citoyen qui, lui-même, conformément à la loi, demande alors
officiellement au dirigeant d'organisme ou au ministre concerné de se
saisir du dossier et de lui faire part de ses commentaires. Si, après
avoir entendu le dirigeant d'organisme ou le ministre, le protecteur maintient
le bien-fondé de la plainte, il lui recommande alors de prendre les
mesures nécessaires à la correction de la situation. S'il
arrivait qu'aucune suite satisfaisante ne soit donnée à cette
recommandation, le Protecteur du citoyen peut porter le dossier à
l'attention du Conseil des ministres et, ultimement, soumettre un rapport
spécial à l'Assemblée nationale.
Par contre, si la plainte s'est avérée, après
enquête, injustifiée, non fondée, on communique avec le
plaignant pour lui expliquer notre position et les motifs de celle-ci, et le
tout est généralement confirmé par un écrit. Si le
citoyen n'est pas satisfait de la décision prise par un
délégué du Protecteur du citoyen, il arrivera qu'il
s'adresse à la personne même du Protecteur du citoyen pour
reconsidération de notre position.
Pour couvrir l'ensemble des ministères et organismes du
gouvernement sur lesquels nous avons juridiction, nous disposons pour ces
opérations d'un peu plus de 46 personnes qui sont soit à
l'accueil, soit à la direction des enquêtes. À
côté des services d'accueil et d'enquête, bien sûr
nous avons des services administratifs et un service de documentation. Nous
avons un bureau à Montréal, au Village olympique, et le
siège social est à Sainte-Foy.
Comment se plaint-on au Protecteur du citoyen? La personne qui se croit
lésée peut déposer sa plainte par écrit, se rendre
en personne à nos bureaux mais, selon nos statistiques, dans 94 % des
cas les plaintes sont acheminées par téléphone, sans
frais. La personne peut se faire représenter par un tiers. Nous n'avons
pas de formulaire particulier à faire remplir par les plaignants.
Il faut noter également que les citoyens et les citoyennes
peuvent se plaindre mais aussi que tout organisme, toute association, toute
société, toute compagnie peut le faire. C'est donc que le
Protecteur du citoyen peut intervenir autant au nom des personnes physiques que
des personnes morales.
Quelques chiffres. Comme on a pu le noter au rapport annuel qui a
été déposé en décembre dernier, nous avons,
sur une période de 15 mois qui s'étendait du 1er janvier 1987 au
31 mars 1988, reçu plus de 22 000 demandes dont plus de 5000 demandes de
renseignements et plus de 17 000 demandes d'enquête. Sur les 17 000
demandes d'enquête, un bon nombre n'étaient pas recevables parce
que, pour la plupart, nous n'avions pas juridiction. Nous avons effectivement
procédé à des enquêtes et des interventions dans
près de 6500 dossiers.
Si l'on compare avec quelques années antérieures et qu'on
ramène la période 1987-1988 sur douze mois pour pondérer
les résultats, on constate que de 1980 à 1987-1988, sur une
période de douze mois, on est passé finalement de 9717 demandes
à 17 997 demandes. On constate donc une augmentation croissante des
demandes notamment une augmentation de 510 % des demandes de renseignements en
huit ans et une augmentation de 58 % des interventions. Je vais vous fournir
quelques données plus actuelles pour l'année en cours. Au moment
où l'on se parle, avec les 19 260 demandes qui sont en date du 25
février de cette année et par extrapolation pour le reste de
l'année financière, nous assistons à une augmentation de
18 % par rapport au rapport annuel dont vous avez pris connaissance, pour un
total de 21 300 demandes en 1988-1989. Notre taux de solution était de
l'ordre de 99 %.
Maintenant, les secteurs d'intervention et les causes de lésion.
Le Protecteur du citoyen,
conformément à la loi, a juridiction sur les
ministères et les organismes du gouvernement dont le personnel est
composé de fonctionnaires, c'est-à-dire près de 110
ministères ou organismes. Nous n'avons pas juridiction sur les
décisions du Conseil des ministres ou du Conseil du trésor, sur
les organismes dont le personnel n'est pas dans la fonction publique comme les
sociétés d'État telles qu'Hydro-Québec, la
Société des alcools ou encore d'organismes comme la Commission
des services juridiques. Nous n'avons pas juridiction sur les
municipalités, sur le réseau de la santé et des services
sociaux, le réseau scolaire, évidemment pas sur les
décisions des tribunaux qu'ils soient administratifs ou judiciaires.
Nous déclinons juridiction lorsque, dans nos lois, un recours
légal est prévu qui, selon notre appréciation, est
susceptible de remède adéquatement à la situation dans un
délai relativement raisonnable.
Les interventions que nous avons pu faire l'an dernier, nous montrent
les différentes sources d'injustice. On peut constater que 40 % des
plaintes formulées l'an dernier étaient des plaintes sur les
délais excessifs de l'administration; 16 % des plaintes, des cas de
négligence; 14 %, des erreurs de droit ou de fait; 10 %, des actes
illégaux et 8 % d'actes déraisonnables ou abus de pouvoir.
Bien sûr, les ministères et organismes à
l'égard desquels nous intervenons le plus sont ceux qui traitent un
grand nombre de dossiers et qui, généralement, sont des
organismes distributeurs de prestations.
Nous avons ainsi enquêté, l'an dernier, et je vais aussi
vous donner les chiffres pour l'année en cours... Par exemple, si on
prend le secteur de l'aide sociale, on constate cette année une
augmentation de 13,6 % des plaintes pour lesquelles nous intervenons; en
matière de santé et sécurité du travail, une
augmentation, au moment où on se parie, de 70 % des plaintes par rapport
à l'an dernier; en assurance automobile, une augmentation de 16,5 %;
Revenu, 17,5 %; Sécurité publique, 60 % d'augmentation;
Enseignement supérieur, une légère baisse, Régime
de rentes, une augmentation de 110 % des plaintes; Justice, une augmentation de
83 % des plaintes et aux Affaires sociales, une augmentation de l'ordre de 30 %
des plaintes.
Ce que l'on constate, dans les secteurs que je mentionne ici ainsi que
dans d'autres secteurs, c'est que, par rapport à l'année
dernière, période couverte par le rapport annuel, nous avons une
croissance des interventions dans tous les secteurs, à peu près.
Sans pouvoir en conclure que le tiers des personnes qui transigent avec le
gouvernement sont lésées, nous constatons, à même
nos statistiques, que près du tiers des plaintes adressées au
Protecteur du citoyen sont fondées, c'est-à-dire que presque une
personne sur trois qui s'adressent à nous et pour lesquelles nous
faisons enquête avait raison de se plaindre.
La croissance des demandes d'enquête est substantielle. Cette
augmentation substantielle ainsi que le taux de lésion de 30 % ne peut
laisser, je crois, personne indifférent, et la situation commence
à m'inquiéter. Bien sûr, la croissance des plaintes peut
s'expliquer par le fait que le Protecteur du citoyen est, après 20 ans,
un peu plus connu, mais cette explication est Insuffisante. Il faut
certainement chercher ailleurs les causes de ce phénomène. Est-ce
que ce sont les compressions budgétaires qui, cumulativement depuis
1979, ont un effet négatif sur la qualité des services rendus par
l'administration? Est-ce que c'est la diminution accrue de postes
réguliers dans plusieurs ministères ou organismes et
l'accroissement de postes temporaires? Est-ce qu'il y a une diminution de la
sensibilisation de l'appareil administratif à l'égard des
administrés? Est-ce que les fonctionnaires, entraînés
depuis plusieurs années à faire plus ou à faire autant
avec moins, sont à ce point débordés qu'Us consacrent
nécessairement de moins en moins de temps aux dossiers dont ils sont
responsables? Est-ce que ça peut être le nouvel environnement
juridique créé en grande partie par l'adoption des chartes
canadienne et québécoise? Devant l'utilisation accrue des recours
en révision ou en appel par la population, est-ce qu'on peut conclure
que le public est de moins en moins satisfait des décisions prises par
les fonctionnaires de première ligne?
Je ne peux pas, à ce stade, répondre à ces
questions, mais je peux au moins constater une judiciarisation accrue dans
plusieurs secteurs comme, par exemple, les secteurs de la santé et
sécurité au travail, en matière de logement et en
matière d'assurance automobile.
Je constate qu'il y a un déséquilibre de plus en plus
considérable entre les citoyens et l'appareil gouvernemental. Le citoyen
est dans une situation d'Inégalité vis-à-vis de l'appareil
de l'État qui s'est transformé en dispensateur de services
multiples et qui, en même temps, est devenu beaucoup plus lourd et
beaucoup plus complexe.
Dès qu'un litige survient avec un citoyen, l'État qui
décide de contester est muni d'avocats et de professionnels en grand
nombre. Les moyens de l'État à cet égard sont
illimités; si le gouvernement ne peut trouver des spécialistes
à l'intérieur de la machine, il ira les chercher à
l'extérieur. Les moyens du citoyen, eux, sont toujours limités.
De plus, l'État a les connaissances du milieu, alors que le citoyen est
généralement peu ou, encore, mal Informé. S'il veut
revendiquer et exercer ses droits, le citoyen sera souvent obligé d'agir
seul. Il n'aura recours à des spécialistes et à des
avocats que s'il en a les moyens alors que l'État, lui, a toujours les
moyens. Par conséquent ce sont surtout les citoyens les plus riches ou
les bénéficiaires de l'aide juridique qui ont la
possibilité d'intenter des procédures ou de faire valoir leurs
droits. D'ailleurs, c'est prouvé: une large couche de la
population n'a plus accès à la justice de façon
générale et pas plus dans ses démêlés avec
l'administration.
Enfin, le citoyen qui fait affaire avec l'appareil gouvernemental est un
client captif: il n'a pas le choix des services. L'assisté social, le
rentier, la personne Incarcérée, la personne malade,
l'accidenté du travail ou de la route, l'immigrant et l'étudiant
qui a besoin d'aide financière, sont autant de personnes qui n'ont pas
d'autre choix que de recourir à l'État. Et l'appareil de
l'État se trouve donc dans une situation de monopole avec les effets
négatifs que cela peut comporter pour les citoyens et les
citoyennes.
Sans vouloir en faire un principe absolu, M. faut reconnaître que
le citoyen est donc généralement plus démuni par rapport
à une décision gouvernementale dont il n'est pas satisfait. Il le
sera d'autant plus s'il est une personne rendue plus vulnérable par
l'âge, la pauvreté, la maladie physique ou mentale. Et que dire de
l'immigrant traumatisé par l'appareil gouvernemental? Je pense donc
qu'il faut que l'Etat montre tous les égards et le respect qui
s'imposent lorsqu'il transige avec un citoyen ou une citoyenne. Ce n'est
malheureusement pas toujours le cas. (10 h 45)
Pour améliorer la situation, M faudrait que l'État
envisage des mesures qui auraient pour effet de réduire ou, à
tout le moins de stabiliser, le nombre de plaintes et, surtout, le nombre de
plaintes fondées, sans nécessairement ajouter des ressources
significatives dans les ministères et les organismes.
Il faudrait que les ministères et organismes du gouvernement se
dotent de mécanismes internes de traitement des plaintes ou
améliorent les mécanismes qu'ils possèdent
déjà, de manière non seulement à régler des
dossiers ponctuels mais aussi pour Identifier d'une manière
systémi-que et systématique les sources de lésion et ainsi
modifier des politiques, des directives, des règlements, voire la loi en
cause. Un tel contrôle de qualité aura inévitablement pour
effet de réduire les lésions.
Il faudrait également que les autorités des
ministères et organismes prennent les moyens nécessaires pour
réduire les mouvements de personnel chez les décideurs de
première ligne.
Il faudrait, je pense aussi, que ce personnel de première ligne
recoive la formation, l'apprentissage et les outils adéquats pour
être en mesure de prendre les décisions correctes. Dans certains
secteurs, l'on constate que les décisions de première ligne sont
renversées, dans un grand nombre de cas, par des instances de
révision et d'appel. il faudrait également que les
autorités des ministères et des organismes adoptent des
directives très claires pour que les décideurs de première
ligne, lorsqu'ils recoivent une demande dans le cadre d'un programme
gouvernemental, s'assurent que non seulement le dossier est complet, mais
informent aussi le demandeur des pièces manquantes ou
Incomplètes, ce qui n'est pas toujours le cas. Quand on ne fait pas
cela, ceia produit des effets négatifs. Le citoyen demandeur subit un
délai d'attente sans qu'il ne soit informé des raisons. Bien
plus, il apprend plus tard que sa demande a été rejetée
à cause du manque ou de l'insuffisance des pièces et cela
l'oblige souvent à contester la décision initiale pour pouvoir
compléter son dossier devant une instance de révision ou d'appel,
lorsque cette Instance existe.
Je pense qu'il faudrait également repenser la philosophie de nos
lois qui, pour toute décision, multiplient les mécanismes de
révision ou d'appel. Ces mécanismes, même s'ils sont
inspirés par la vertu, provoquent souvent des effets dévastateurs
comme l'engorgement des rôles, les délais excessifs, la justice
expéditive.
Si l'on se place au niveau du citoyen, je crois que la situation est
encore plus grave. Il arrive qu'une personne, par exemple la victime d'un
accident du travail ou de la route, qui attend la révision ou une
décision par une instance d'appel, se voit privée indûment
de bénéfices, préjudice qui s'aggrave en proportion du
temps nécessaire à la prise de décision définitive;
même si, ultimement, la décision de l'organisme est
révisée et que des paiements lui sont versés
rétroactivement, il reste que, pendant le délai d'attente, la
victime est privée de revenus ou d'indemnités, et ce n'est pas
tout le monde qui a un compte en banque avec l'argent nécessaire pour
subvenir aux besoins immédiats en attendant.
Que dire des autres victimes qui, lors d'une décision ultime,
apprennent qu'elles n'ont pas droit à tel avantage ou à tel
bénéfice et qui, même si elles ont dû se serrer la
ceinture pendant le délai d'attente, ne pourront pas toucher
rétroactivement des prestations d'assurance-chômage ou d'aide
sociale?
J'invite donc ta commission des institutions à encourager les
ministères et organismes à consacrer plus d'efforts à
identifier les causes de lésion, à mieux former les
décideurs de première ligne et à mieux informer les
citoyens de leurs droits.
Certains recours légaux. Dans le rapport annuel, j'ai mis en
doute les mécanismes de recours contre les décisions de
l'administration, non pas que ces recours soient inopportuns, mais
l'utilisation qu'on en fait me paraît de plus en plus anormale dans
plusieurs secteurs. L'exercice d'un recours devant une instance de
révision ou d'appel suppose nécessairement une insatisfaction,
à tort ou a raison, de la part du citoyen quant aux décisions qui
ont pu être prises par l'administration. Je suis content de voir que
presque toutes nos lois, maintenant, prévoient ces recours car on peut
ainsi, à tout le moins sur papier, être assuré que
l'exercice d'un droit ne sera pas compromis par la seule décision prise
par un seul employé de l'état.
Comme je l'ai mentionné auparavant, il faut certainement pour
limiter la fréquence de ces recours, que les décisions prises
soient de meilleure qualité, donner les outils aux décideurs. Il
faut que les citoyens reçoivent une meilleure information de la part des
ministères. Déjà là, des progrès pourraient
être réalisés à moyen ou à long terme. Mais
je pense que cela ne suffit pas.
On se limite trop souvent, lorsqu'une des parties n'est pas satisfaite
d'une décision, à lui indiquer qu'il existe des recours et
qu'elle peut les exercer dans un délai donné. On a trop souvent
développé ce que je pourrais appeler le "réflexe du
contentieux, qui a pour effet de transférer à d'autres,
finalement, la responsabilité de rendre la décision la plus
opportune.
Je me demande alors si les administrations ne doivent pas modifier
certaines de leurs pratiques et de leurs mentalités. Je me demande si
plutôt que de ramener souvent le problème à une affaire de
contentieux, les administrations ne devraient pas prendre les moyens pour
prévenir les litiges en développant des mécanismes de
règlement amiable, de conciliation, de médiation et donner ainsi
à tous l'opportunité de régler leurs différends par
le dialogue dans un délai plus court. Sans vouloir reprendre un adage
discutable voulant que "le pire des règlements vaut mieux que le
meilleur des procès", je suis convaincu que l'utilisation de techniques
de justice légère, de justice douce, serait non seulement plus
satisfaisante pour le monde ordinaire, mais encore désengorgerait les
instances de révision et d'appel qui, comme on le constate dans
plusieurs secteurs, sont confrontées à des délais
négatifs qui entraînent des coûts financiers, sociaux et
psychologiques Inacceptables.
On peut certes se vanter d'avoir les plus beaux mécanismes
d'exercice des droits, mais on ne peut pas toujours se vanter de leurs effets
bénéfiques. Qu'il s'agisse de la Régie du logement, de la
CSST, de la RAAO, du Revenu, je crois qu'il est nécessaire de
développer une orientation nouvelle. À la Régie du
logement, par exemple, je crois qu'il serait opportun de
généraliser les mécanismes de conciliation en faisant en
sorte que les préposés à l'accueil puissent, lorsqu'un
locataire ou un propriétaire communique avec la régie, que ces
préposés à l'accueil aient le temps de communiquer avec
l'autre partie et de favoriser le règlement du différend
plutôt que de se limiter à expliquer au monde. Vous avez des
droits et des obligations. Je crois opportun également que la
conciliation puisse se faire avant que la cause ne soit en état. Je
crois nécessaire que le personnel de la régie favorise non
seulement la conciliation, mais aussi une véritable médiation. On
peut sûrement, en faisant les adaptations requises, appliquer cette
philosophie à nombre de secteurs de l'activité gouvernementale.
Préalablement ou à la place de la révision ou de l'appel,
on pourrait envisager des mécanismes efficaces de
reconsidération, de conciliation et de médiation. À mon
point de vue, ces mécanismes de justice douce sont l'avenir des
règlements des litiges.
Je crois que les légistes du gouvernement et les administrateurs
de ministères et d'organismes gouvernementaux devraient se pencher
rapidement sur la question et développer une position commune en la
matière. Avant d'adopter une loi qui prévoit des
mécanismes de recours, il faudrait se demander si la loi favorise le
règlement amiable et comment elle le favorise.
J'ai pu constater que des initiatives ont été prises ici
et là, mais l'approche gouvernementale n'est ni coordonnée ni
globale. Je pense que les pouvoirs publics devraient favoriser la tenue de
séminaires sur cette question, et ce, ultimement pour le
bénéfice de la population.
Je souhaite donc que la commission des institutions examine ces
mécanismes de justice douce, sensibilise la déportation à
cette question et formule éventuellement les recommandations
appropriées aux autorités.
Dans le rapport annuel 1987-1988, j'ai indiqué que les citoyens,
qui ne font pas affaire avec les fonctionnaires du gouvernement provincial, ne
disposent pas toujours de recours efficaces et rapides lorsqu'ils
considèrent avoir été victimes d'une injustice, te seul
recours étant souvent le recours aux tribunaux, recours qui, on le sait,
s'avère soit trop long soit trop coûteux pour un grand nombre de
personnes.
Je vise particulièrement les services publics qui sont
financés par les pouvoirs publics à même les impôts,
les taxes. Il en est ainsi du réseau scolaire, du réseau de la
santé et des services sociaux, des sociétés d'État
et des gouvernements municipaux. Dans ces secteurs d'activité, les
citoyens, en plus d'être là aussi des clients captifs, sont
souvent vulnérables à plusieurs points de vue. Ainsi, je suis
informé que des étudiants ou des parents qui se
considèrent lésés par l'action d'un professeur de
l'école, ou de la commission scolaire, renoncent à leurs droits
parce qu'ils craignent qu'une plainte ait pour effet de nuire à la
progression normale de l'enfant. On appréhende des
représailles.
Dans les hôpitaux, les centres ou les foyers d'accueil, les
personnes qui séjournent en longue durée sont en contact
quotidien avec le personnel de l'hôpital et les risques d'être
lésées sont alors plus élevés. Qu'il s'agisse de
personnes qui souffrent de problème physique ou qui éprouvent des
problèmes d'ordre mental, la situation fait en sorte qu'elles sont
souvent démunies et vulnérables et que les mécanismes de
respect des droits ne sont pas efficaces, d'autant plus que là, plus
qu'ailleurs, on craint aussi les représailles.
Que dire du propriétaire d'un petit commerce qui a des
démêlés avec la Société des alcools ou de
l'abonné d'Hydro-Québec qui se plaint d'une injustice ou de la
négligence de l'institution? Que dire des citoyens qui ont des
démêlés avec les administrations des municipali-
tés? Inutile de dire que certaines municipalités
desservent des populations bien supérieures à celles de certaines
provinces.
Ce que je veux dire, c'est qu'il ne suffit pas de croire que les
mécanismes de recours traditionnels ou même statutaires sont une
panacée. Il faut se demander si ces recours sont accessibles à la
majorité de la population et s'ils sont efficaces. Sinon, il faut songer
à instaurer des mécanismes souples et légers qui
permettraient un meilleur exercice des droits. Il faudrait, bien sûr,
encourager la médiation et la conciliation, mais il faut, je crois,
songer également à instaurer, au bénéfice de
l'ensemble de la population des mécanismes de règlement des
griefs à l'instar de celui du Protecteur du citoyen. Ce que je dis est
tellement actuel que plusieurs organisations, tant dans le secteur public,
parapubiic, péripublic que dans le secteur privé, commencent
à se doter d'ombudsmen, c'est-à-dire de personnes bien
identifiées dans l'organisation et qui sont là pour
répondre aux doléances de la population. On en trouve dans
certains hôpitaux, dans certaines commissions scolaires, dans certains
collèges et même dans certaines municipalités. Je pense que
c'est déjà un pas dans la bonne direction, mais ces
mécanismes ne sont pas suffisants à mon point de vue, parce que
les personnes qui jouent le rôle d'ombudsman dans ces institutions sont
toujours, il faut se le rappeler, des employés des institutions
elles-mêmes et se trouvent sous l'autorité d'un conseil
d'administration ou d'un directeur général. À ce titre, il
leur est très difficile et délicat de faire modifier des
décisions qui remettraient en cause des politiques de l'institution ou
des décisions prises par des personnes ou des groupes plus influents
dans l'institution. Ces ombudsmen n'ont pas toujours la liberté
nécessaire pour mener à bien leurs dossiers. Dans certains cas,
ces personnes sont confinées à un simple rôle d'agent de
relations publiques.
Par ailleurs, ces personnes, n'ayant pas de pouvoir d'enquête, ont
parfois de la difficulté à obtenir des réponses à
leurs questions ou les documents qui sont nécessaires à
l'étude complète d'une plainte. Malgré toute leur bonne
volonté, ces personnes, faute d'indépendance et faute de pouvoir
d'enquête, ont une efficacité limitée; elles ont bien
sûr la responsabilité spécifique du traitement des plaintes
et, à ce titre, elles constituent certainement un mécanisme
intéressant de reconsidération des décisions de
l'Institution. C'est pour cette raison, à cause des imperfections du
système, que je suggérais dans mon rapport annuel que les
institutions para et périgouvernementales ainsi que les administrations
municipales se dotent d'un mécanisme externe de contrôle.
Depuis le dépôt du rapport, j'ai pu constater avec
satisfaction, pour ce qui est du domaine municipal notamment, que la ville de
Québec a fait modifier sa charte par l'Assemblée nationale pour
être autorisée à conclure une entente assujettissant son
administration municipale au pouvoir d'intervention du Protecteur du citoyen.
(11 heures)
De plus, la ministre de la Santé et des Services sociaux a
déposé, en janvier 1989, sa politique de santé mentale
où elle propose que soit élargi le mandat du Protecteur du
citoyen sur le réseau de la santé, de manière que les
personnes qui éprouvent des problèmes d'ordre mental ou leurs
représentants puissent ultimement recourir au Protecteur du citoyen
lorsqu'elles s'estiment lésées par un établissement
psychiatrique ou d'autres intervenants du milieu.
Quant au domaine de l'éducation, le ministre n'a pas jugé
bon, à ce stade, d'Instituer dans la loi 107 un recours au Protecteur du
citoyen pour les élèves ou les parents qui s'estiment
lésés dans leurs droits par l'école, la commission
scolaire ou le collège.
M. le Président, je souhaiterais ardemment que les
clientèles des secteurs parapubiic et péripublic puissent avoir
recours à un mécanisme léger de règlement des
différends, un mécanisme indépendant qui permettrait aux
personnes qui s'estiment lésées de voir leurs plaintes
traitées en toute objectivité. Je pense que c'est le prix qu'il
faut payer pour que la population, qui fait affaire avec les services publics
financés ou contrôlés par l'État, puisse valablement
exercer ses droits ou tirer les avantages que lui confèrent les lois du
Québec. Des recours sur papier ou des recours complexes ou
onéreux ne répondent en rien aux besoins de la majorité de
la population. Il faut s'enlever de la tête que l'État fait la
charité à la population; l'État doit être, selon
moi, le citoyen corporatif le plus exemplaire car, par ses lois votées
par les représentants du peuple, il s'astreint à des obligations
et à des devoirs. Les administrations qui appliquent ces lois doivent
traiter les citoyens et les citoyennes avec les égards et la
considération qui leur sont dus, surtout que ces personnes n'ont pas le
choix de recourir aux programmes publics. Je souhaite donc que la commission
des institutions examine avec ouverture cette approche.
L'indépendance du Protecteur du citoyen. Si je me réjouis
du fait que l'Assemblée nationale, dont le Protecteur du citoyen est une
personne désignée, entende aujourd'hui le Protecteur du citoyen
par la voie de la commission des institutions, je peux vous dire que mon
plaisir est d'autant plus grand que, jusqu'ici, le Protecteur du citoyen n'a
pas eu de forum politique pour se faire entendre et pour faire entendre la voix
des personnes qui s'adressent régulièrement à lui.
Vous savez, je croyais, lorsque j'ai accepté cette charge, que le
Protecteur du citoyen avait continuellement l'appui sinon l'écoute des
représentants des élus qui l'ont nommé. Malheureusement,
j'ai vite réalisé que, vraisemblablement pour des raisons
historiques, le Protecteur du citoyen, une fois nommé, est laissé
à lui-même
pour le temps qu'il dure. On ne semble pas accorder d'attention
particulière au rapport qu'il publie annuellement depuis vingt ans et
qui témoigne des activités de son bureau. Quand il s'agit de
discuter d'orientations, d'objectifs et de clientèles cibles, le
Protecteur du citoyen n'a pas le loisir de les soumettre aux élus du
peuple pour discussion; II doit travailler en vase clos. Même le
président de l'Assemblée nationale, à cause de sa
nécessaire Indépendance, ne peut intervenir.
Or, le Protecteur du citoyen n'est pas un élu du peuple. À
la différence d'un ministre ou d'un député, le Protecteur
du citoyen ne peut, par voie démocratique, tester ses orientations. Par
ailleurs, même si le Protecteur du citoyen, par ses contacts, a parfois
l'occasion de discuter d'orientations avec certains ministres ou certains
députés de toutes les formations politiques, il na aucun
porte-parole politique au niveau du pouvoir public. À la
différence d'un sous-ministre ou d'un dirigeant d'organisme
gouvernemental, le Protecteur du citoyen n'a pas de ministre qui puisse,
à l'occasion, l'appuyer ou débattre des questions de fond. En
somme, le Protecteur du citoyen est dans l'isolement presque total.
Contrairement au Vérificateur général ou au Directeur
général des élections, sa loi ne prévoit aucun
mécanisme où il puisse discuter systématiquement de ses
activités, de ses budgets ou de ses orientations.
J'ai pu constater, dans quelques provinces canadiennes, que l'ombudsman
a l'occasion de pouvoir compter sur un comité spécial de la
Chambre, appelé généralement "select committee", pour se
faire entendre par les députés lorsque les recommandations du
Protecteur du citoyen ne sont pas suivies par l'administration, ou encore,
l'ombudsman, dans ces provinces, a l'occasion de discuter de ses budgets devant
une commission parlementaire. Ici, au Québec, rien de cela! Le
Protecteur du citoyen est encore laissé à lui-même.
Je souhaite donc que la commission des institutions recommande que, de
façon régulière, l'Assemblée nationale, par le
biais d'une commission ou d'un comité, entende le Protecteur du citoyen.
Je souhaite, pour l'avenir, que vous acceptiez cette demande et que je ne sois
pas obligé de négocier pour que l'Assemblée nationale
m'entende, même si, à cet égard, l'article 116 du
règlement de l'Assemblée nationale prévoit depuis
plusieurs années que la commission de l'Assemblée nationale doit
entendre le Protecteur du citoyen annuellement.
Parlant de budget - et voilà une illustration de mes frustrations
- je peux vous dire que mes demandes budgétaires pour l'année
financière qui commence le 1er avril, c'est-à-dire dans quelques
jours, n'ont pas encore été étudiées. Le budget de
l'année en cours sera tout simplement reconduit sans modification autre
que celles de ses dépenses de téléphonie, de loyer et
d'occasionnels qui étalent déjà
sous-budgétisées. On m'a cependant promis que l'étude du
budget se fera au cours des prochaines semaines et que le dossier sera
étudié à une séance du Conseil du trésor en
avril.
Voici ce qui s'est passé. En décembre 1988, le
président du Conseil du trésor, réalisant la position
délicate et ambiguë du Conseil du trésor, qui relève
du pouvoir exécutif, par rapport aux budgets du Protecteur du citoyen,
qui relève du législatif, décide, après m'avoir
consulté, d'inviter le Bureau de l'Assemblée nationale,
c'est-à-dire le Conseil du trésor de l'Assemblée
nationale, à examiner les demandes budgétaires du Protecteur du
citoyen - ce qui serait normal -et de soumettre son avis au gouvernement aux
fins du livre des crédits. Or, à la fin de janvier 1989 - cela ne
fait pas longtemps - le président de ''Assemblée nationale
explique qu'il ne peut demander que le bureau statue et ce, pour des motifs
d'ordre juridique. Résultat: fin janvier, les demandes ne peuvent
être étudiées à leur mérite, car c'est le 3
février 1989 que l'on ferme le livre des crédits pour l'exercice
financier qui commence le 1er avril.
Sans porter de jugement, je peux vous dire que cette situation est
intenable et inacceptable. Je n'ai jamais vu cela au cours des 18 ans où
j'ai travaillé au sein de l'administration publique. Cette situation
démontre, bien sûr, à quel point le Protecteur du citoyen
éprouve des difficultés à faire avancer ses dossiers
budgétaires mais encore paraît être oublié dans la
machine gouvernementale!
Vous aurez noté que les budgets du Protecteur du citoyen sont
présentement étudiés par le Conseil du trésor. Mes
prédécesseurs ont dénoncé cette situation où
le Conseil du trésor, qui détermine la répartition des
budgets dans les ministères et organismes du gouvernement,
détermine aussi les budgets du protecteur comme s'il s'agissait d'un
organisme du gouvernement. Le Conseil du trésor impose par ailleurs au
protecteur la Loi sur l'administration financière, ses
règlements, ses directives d'application alors que, légalement,
cette loi ne s'applique pas, pour une bonne partie de ses dispositions, au
Protecteur du citoyen qui n'est ni un organisme, ni un ministère du
gouvernement.
Je pense que tout cela constitue une situation potentielle de conflit
d'Intérêts. C'est un peu comme si les budgets du
Vérificateur général ou du Directeur général
des élections étaient étudiés par le gouvernement
lui-même. On se demanderait alors ce qu'il advient du principe de la
séparation des pouvoirs et de la démocratie. Il y aurait
certainement des tollés! Mais, pour le Protecteur du citoyen, cela ne
semble déranger personne.
Je souhaite donc que la commission des institutions prenne position sur
cette question et recommande aux autorités gouvernementales et
législatives de faire en sorte que les budgets du protecteur soient
éventuellement étudiés par le Bureau de l'Assemblée
nationale ou par une
commission de l'Assemblée nationale. Je pense qu'il faut rendre
à César ce qui est à César. C'est, à mon
point de vue, la seule façon démocratique de détermination
de budget qui rende compte du rattachement du bureau du Protecteur du citoyen
à l'Assemblée nationale. C'est également la seule
façon de permettre aux parlementaires eux-mêmes d'exercer un
contrôle sur l'amplitude et la qualité des services de cette
personne qu'ils ont désignée avec le mandat d'assurer une plus
grande harmonie dans les rapports entre l'État et la population.
Je veux dire quelques mots des ressources du Protecteur du citoyen.
Depuis l'année où le gouvernement a, la dernière fois,
ajouté des effectifs en 1985, le nombre de demandes de citoyens et de
citoyennes qui s'estiment lésés a augmenté de plus de
6000. La situation est devenue intenable. Elle se traduira bientôt par
une perte d'efficacité, une baisse de la qualité, une
augmentation des délais de traitement des plaintes, et c'est le citoyen
qui en souffrira en fin de compte.
La charge de travail est telle que nos délais augmentent. Comment
vais-je expliquer à un citoyen qui se plaint, notamment du délai
excessif de traitement de son dossier par des fonctionnaires provinciaux, que
nous ne pouvons nous-mêmes répondre à sa plainte dans un
délai raisonnable? Il faut, je pense, ne pas ignorer que les personnes
qui s'adressent à nous sont déjà terriblement
angoissées, anxieuses et souvent fâchées, pour ne pas
employer d'autres mots, parce qu'elles ont déjà frappé
à bien d'autres portes avant de nous rejoindre. Il faut également
se rappeler que plus nous prenons du temps à traiter un dossier, plus
ces personnes communiquent avec nous pour se plaindre, et là elles se
plaignent de nous, et qu'il nous faut, dans chaque cas, prendre le temps de
leur expliquer que nous n'avons pas pu procéder et, ce faisant, les
délais continuent d'augmenter. Les délais appellent les
délais.
De plus, le personnel de notre bureau doit connaître toutes les
lois, tous les règlements, les directives, les politiques
administratives; non seulement notre personnel doit connaître les normes
mais il doit également savoir comment elles sont
interprétées et appliquées par l'administration, comment
elles sont interprétées par les instances de révision, les
tribunaux administratifs et par les tribunaux judiciaires. Or, dans la plupart
des secteurs, nos délégués n'ont même plus le temps,
même en travaillant en dehors des heures normales, de se tenir au courant
et de se mettre à jour.
Notre rôle également ne se limite pas à
vérifier si les fonctionnaires ont bien respecté les normes. Il
nous faut souvent nous demander si la norme ou le processus est adéquat
et ne donne pas lieu à des abus; donc, eh plus de vérifier la
légalité, nous devons étudier parfois
l'opportunité. Or, le manque de temps fait en sorte que les risques
d'erreur de notre part augmentent, que nous risquons de ne plus nous poser
nécessairement les bonnes questions et que la tentation de fermer trop
hâtivement un dossier existe.
De plus, la surcharge de travail a pour effet de limiter nos rencontres
avec l'administration, rencontres absolument essentielles pour les dossiers de
nature systémique ou les dossiers très complexes.
J'ajouterai à cela que nos services d'accueil, à
Montréal comme à Sainte-Foy, sont débordés, que nos
lignes téléphoniques sont souvent engagées; enfin, des
groupes et des associations nous demandent souvent de venir sur place expliquer
notre rôle et nous ne pouvons plus répondre à leurs
demandes.
Même si j'ai adopté des mesures d'urgence au niveau de la
réorganisation du travai pour augmenter la productivité, je n'ai
pas réussi à ce jour à juguler le problème. Mais,
au-delà du problème ponctuel, je me dis que ce sont finalement
les dossiers des personnes qui s'adressent à nous qui risquent d'obtenir
de notre part un service diminué ou un service trop lent.
Je ne peux pas, comme Protecteur du citoyen, fermer les yeux. J'ai donc
demandé quelques postes additionnels pour redresser la situation. J'ai
également demandé quelques postes pour privilégier
certaines clientèles cibles. Ces deux demandent n'ont pas, à ce
jour, fait l'objet d'analyse et de décision, pour les raisons que
j'évoquais précédemment.
Si les plaintes continuent d'augmenter à un rythme aussi
Impressionnant, il faudra se poser des questions fondamentales. On ne peut
indéfiniment ajuster les effectifs du Protecteur du citoyen, car cela
nous mènerait à la situation paraxodale où, pour
résoudre les différends entre l'administration et les citoyens,
il faudrait continuer à grossir le bureau du Protecteur du citoyen. Il
faudra donc rechercher et élaborer des mécanismes sectoriels ou
gouvernementaux qui permettent de limiter, à moyen ou à long
terme, les situations susceptibles de léser les administrés. (11
h 15)
Je demande donc à la commission d'appuyer la demande du
Protecteur du citoyen pour que le gouvernement lui accorde les effectifs
nécessaires pour bien mener sa mission. Je demande également
à la commission parlementaire de cautionner le Protecteur du citoyen
dans son offre de collaboration avec les ministères qui voudront
s'attaquer sérieusement aux irritants et aux causes de lésions
qui nuisent à des rapports harmonieux entre l'administation provinciale
et la population.
Pour terminer, M. le Président, je voudrais brièvement
parler des priorités de notre bureau. Après quelques mois
d'expérience, j'ai constaté la nécessité de
privilégier certaines parties de la population. J'ai
réalisé la vulnérabilité de plu-
sieurs personnes, soit en raison de leur âge, soit en raison de
leur condition de victimes, soit en raison de barrières linguistiques ou
culturelles. J'ai donc demandé à mes collaborateurs et
collaboratrices de réfléchir sur ces questions et l'ai mis sur
pied différents comités de travail qui m'ont soumis des rapports
sur ces clientèles, rapports pour lesquels nous avons établi des
plans d'action. Ces plans d'action visent à mieux nous faire
connaître de ces personnes ou de leurs représentants, de
manière que celles-ci, si elles se considèrent
lésées par l'administration gouvernementale, sachent qu'il existe
un recours simple et accessible qui leur permet d'avoir l'heure juste.
Sans négliger la population en général, nous
pensons donc que nous nous devrons de mieux nous faire connaître des
membres des communautés culturelles, des populations autochtones, des
personnes âgées, des personnes plus vulnérables comme les
assistés sociaux, les accidentés du travail ou de la route qui
ont besoin d'un règlement plus rapide et plus léger de leur
problème.
Je crois fondamentalement, comme le mentionnait d'ailleurs un document
récent du Conseil du trésor, que la raison d'être de
l'administration provinciale est la population et qu'N y a lieu, pour les
ministères et organismes du gouvernement, de faire mieux connaître
leurs services. Je crois que ces principes, qui devraient actuellement guider
les ministères et organismes, s'appliquent aussi au Protecteur du
citoyen. Mais je crois qu'il faut prioriser les dossiers en tenant compte des
personnes les plus démunies et les plus vulnérables. Voici,
à cet égard, les actions que j'ai entreprises.
Nous avons pris position sur le rapport Harnois en matière de
santé mentale et, comme je révoquais précédemment,
la ministre de la Santé et des Services sociaux a déjà
déposé une politique qui demandera éventuellement au
gouvernement l'élargissement de la juridiction du Protecteur du citoyen.
Nous avons également pris position à l'égard des personnes
âgées en soumettant un mémoire au comité
Bussières. J'ai demandé au Conseil du trésor des
ressources pour que je puisse oeuvrer davantage auprès des membres des
communautés culturelles et des populations autochtones, ainsi
qu'auprès des assistés sociaux, à cause notamment de la
nouvelle Loi sur l'aide sociale.
Mon but, croyez-moi, n'est pas d'augmenter le nombre de plaintes au
bureau du Protecteur du citoyen. Mon objectif est double: d'abord, faire
connaître nos services à des personnes qui pourraient, à
cause de leur condition, avoir avantage à recourir à nos
services; en second lieu, faire en sorte que le droit à
l'égalité, dont sont imbues chez nous les chartes
québécoise et canadienne, signifie quelque chose pour la
population.
À quoi sert-il d'affirmer solennellement que tous et toutes sont
égaux devant les lois et qu'ils ont des libertés et des droits
fondamentaux, si certaines parties de la population ne connaissent même
pas les lois et les avantages qu'elles leur confèrent, si une partie de
nos concitoyens et concitoyennes n'a pas l'égalité des moyens ou
des opportunités parce que plus démunis ou plus
vulnérables que d'autres, ou encore si ces personnes n'ont pas les
ressources financières pour défendre leurs droits à
l'égard de l'appareil gouvernemental? Le protecteur veut et, surtout, se
doit de faire mieux connaître ses services aux personnes qui, pour une
raison ou une autre, sont, par rapport à l'appareil gouvernemental, dans
un déséquilibre plus grand que la moyenne de la population.
Ce que je souhaite vraiment, M. le Président, c'est que la
société n'ait plus besoin d'un Protecteur du citoyen, parce que
alors, l'administration agira avec l'égard et la conscience
professionnelle qui s'imposent envers la population. Ce peut être
utopique mais, à tout le moins, entre-temps, je souhaite
sincèrement que les ministères et organismes se soucient
davantage du contrôle de la qualité des services, et je
collaborerai dans ce sens pour les aider à atteindre l'objectif.
D'ailleurs, je me réjouis de voir que depuis quelque temps, des
ministres, sous-ministres et dirigeants d'organismes témoignent plus que
jamais de leur volonté de corriger les choses.
Pour conclure, M. le Président, mesdames et messieurs de la
commission, vous avez pu noter que je n'ai pas parlé des
problématiques particulières des ministères ou organismes
que j'ai mentionnés dans le rapport annuel mais je croyais
nécessaire d'abord de faire le point sur le rôle du Protecteur du
citoyen et sur ses préoccupations. Je m'attends, évidemment, dans
le temps qui suivra, que vous me posiez des questions sur les ministères
et les organismes où on semble déceler des problèmes.
Comme vous dans votre rôle de députés, je suis,
selon le mandat qui m'a été confié, au service de la
population. Je ne suis pas un élu. Je suis et nous sommes, je
l'espère, mon équipe et moi, les dignes représentants du
pouvoir législatif. Le Protecteur du citoyen est une sorte de mal
nécessaire pour l'administration gouvernementale qui a certes
démontré cette nécessité au cours de ses 20
années d'existence. Je veux, en conclusion, réitérer que
nous pouvons être un outil de travail pour les députés au
bénéfice de la population. Je veux redire que le Protecteur du
citoyen, dans le cadre de son mandat, se préoccupe au plus haut point
des intérêts de la population comme vous, d'ailleurs, à
titre de parlementaires.
Je sollicite donc votre compréhension et votre appui pour m'aider
à remplir correctement ma mission et pour faire en sorte que les
citoyens et citoyennes du Québec reçoivent de la part de
l'administration provinciale, les égards et l'attention auxquels ils ont
droit. Je vous remercie.
Exposés des membres de la commission
Le Président (M. Kehoe): Merci, M. le
Protecteur du citoyen. Je cède maintenant la parole au
député de Louis-Hébert pour faire un exposé pour la
partie ministérielle.
M. Réjean Doyon
M. Doyon: Merci, M. le Président. Mes premiers mots,
évidemment, seront pour réitérer la bienvenue que vous
avez déjà manifestée à l'égard de nos
invités. L'événement que nous vivons aujourd'hui est un
événement d'importance. Le Protecteur du citoyen l'a
signalé. Je souhaite aussi la bienvenue aux nombreuses personnes de son
équipe qui l'accompagnent. J'espère que même s'ils sont
nombreux, la boutique continue de fonctionner chez eux -vous avez beaucoup de
travail - et que toute la machine n'est pas arrêtée pour autant.
Mais je vois dans cette présence nombreuse l'importance que vous
attachez à cette rencontre avec les parlementaires que nous sommes.
Vous nous avez tracé un tableau réaliste et, en même
temps, sous certains aspects, inquiétant, du rôle que vous avez
à jouer, des perspectives que vous envisagez et de la situation
actuelle. Comme parlementaires, il est exact que nous avons une certaine
communauté d'Intérêts. Nous avons une façon de voir
les choses qui nous rapproche instinctivement. Il est sûr que le travail
de député, au-delà de celui d'être un
législateur, a aussi un aspect très important qui est
d'être un ombudsman dans sa circonscription électorale pour
régler les problèmes en autant que faire se peut.
Les difficultés que vous rencontrez, nous les vivons, comme
députés, à un degré moindre et avec des moyens
beaucoup plus limités. Nous sommes aussi obligés de nous rendre
compte que les besoins sont immenses et que très souvent la
réaction instinctive des gens qui ont des difficultés avec
l'administration est d'aller trouver le député et de l'en saisir,
de lui expliquer ce qui ne va pas et de s'en remettre à lui.
Il y a évidemment, depuis maintenant 20 ans, le Protecteur du
citoyen qui est un recours de seconde ligne jusqu'à un certain point. Il
reste que, comme députés, nous avons aussi un rôle
important à jouer de ce côté-là. Nous l'assumons
chacun à notre manière du mieux que nous le pouvons, avec, comme
je le disais, le peu de moyens qui nous sont alloués. Et c'est une
plainte qui est constante chez les députés. Nous avons beaucoup
à faire et peu d'outils pour faire le travail. Alors tout ça pour
vous dire que nous comprenons la frustration qui est la vôtre. Nous la
comprenons et nous la vivons.
En même temps que vous nous faites ce tableau-là, vous nous
adressez, à titre de commission des institutions, un certain nombre de
demandes. Elles sont nombreuses et elles méritent une étude
approfondie, que ce soit sur la façon dont les budgets vous seront
accordés ou ne vous seront pas accordés, la façon dont
vous avez ou n'avez pas l'occasion d'en discuter, etc. Je pense que cette
commission aura avantage à se pencher sur ces demandes et on peut
possiblement, en se réunissant, en le demandant à notre
président et à notre vice-président, voir s'il n'y aurait
pas lieu de convoquer une séance de travail restreinte qui nous
permettrait de prendre connaissance des demandes spécifiques que vous
nous faites dans le rapport que vous venez de nous exposer.
Les situations que vous soulevez nous obligent à remettre un
certain nombre de choses en question. L'augmentation des plaintes est
sûrement significative. Vous avez évoqué un certain nombre
de raisons et je vous dis qu'il peut y en avoir d'autres. Par exemple, les gens
sont de plus en plus conscients des lois qui sont les leurs, sont plus
prêts à les faire valoir. Il y a des choses qu'on acceptait ou que
la population semblait accepter qui ne sont plus acceptées
présentement. Tout cela fait que les besoins peuvent sembler augmenter,
pas nécessairement parce que des gens font moins bien leur travail, mais
tout simplement parce que la population, avec raison, d'après moi,
considère que les fonctionnaires sont à son service et qu'ils
doivent lui rendre des services satisfaisants. Ce sont des clientèles
captives, comme vous l'avez signalé, et les fonctionnaires doivent se
sentir et agir en tant que serviteurs publics. C'est peut-être un
état d'esprit qu'il faut développer, cela ne se fait pas du jour
au lendemain. Il y a des moyens internes que vous préconisez et je pense
que vous avez raison de tenter de dénouer des conflits potentiels au
plus ras du soi possible. Je pense que c'est désirable. Il y a là
du travail à faire et vous avez besoin, probablement, d'instruments pour
pouvoir le faire.
Vous nous parlez, par exemple, de vos problèmes
budgétaires, de discussions de budget et d'allocations de ressources
avec le Conseil du trésor, et vous suggérez que cette commission,
un comité de cette commission ou le Bureau de l'Assemblée
nationale, en tout cas qu'un bras législatif, quelque part, puisse agir
en conformité avec le statut qui est le vôtre en tant que
prolongement de l'Assemblée nationale et des membres qui la
composent.
Je vous signalerai à ce sujet que l'une des explications qui fait
qu'en tant que député - je parle en mon nom personnel - nous nous
sentions un peu à l'écart de tout cela, c'est que, bien que vous
soyez une personne désignée, une persona designata, dans les
faits, l'Assemblée nationale a peu ou pas à dire sur votre
nomination en l'occurrence. Il faudrait peut-être regarder cet aspect des
choses. Je me dis que si, comme député, je vous avais vu parader
devant cette commission avec d'autres candidats, je vous aurais demandé
votre approche vis-à-vis de ce qu'est l'office de la protection du
citoyen, j'aurais comparé votre philosophie de la protec-
tion du citoyen avec celle d'autres candidats potentiels qui seraient
venus nous expliquer leur façon de voir les choses. Nous aurions eu
l'audition, un petit peu sur le modèle américain, d'une personne
très Importante dans notre système, qui est l'ombudsman, et nous
aurions pu, après cela, faire un certain choix et recommander que le
premier ministre propose à l'Assemblée nationale un certain
nombre de personnes qui nous seraient parues aptes à remplir ces
fonctions. Je pense que l'implication que nous aurions eue comme
députés aurait été beaucoup plus réelle. (11
h 30)
Ce qui s'est passé, Me Jacoby, quand vous avez été
nommé, ne nous leurrons pas, c'est que le premier ministre s'est
levé en Chambre et a annoncé à cette honorable
Assemblée dont nous étions membres que nous étions
sollicités à donner notre accord pour que vous obteniez le vote
des deux tiers des membres dont vous aviez besoin pour être nommé.
Cela a été à peu près notre seule intervention.
Cela s'est fait dans une espèce de brouhaha général de
début ou de fin de période de questions. Cela fait en sorte que
les problèmes que vous vivez, qui sont réels, on a de la
difficulté à les identifier, et vous n'êtes pas responsable
de cet état de choses. Je me dis, comme politicien, comme membre de
l'Assemblée nationale, comme législateur, comme membre du pouvoir
législatif: Est-ce que je ne devrais pas, primordialement, être le
premier intéressé à la personne qui va dépendre de
moi et qui devrait normalement faire le travail que je ne suffis pas à
faire à mon bureau de comté, si on le prend comme ça d'une
façon très subjective et très égoïste, le
choix de cette personne pour qui j'ai eu un mot à dire? Personne ne m'a
demandé véritablement si l'étais d'accord pour que Daniel
Jacoby soit le Protecteur du citoyen. Je me suis levé et j'ai
accepté, bien sûr, mais je l'ai fait sans savoir ce que vous
pensiez de votre rôle de Protecteur du citoyen et sans savoir ce que vous
aviez effectivement fait. Je le sais un peu parce que vous êtes connu
dans la fonction publique, mais j'aurais aimé qu'on ait une discussion
là-dessus et que vous disiez: SI je suis nommé, j'aimerais donner
telle orientation, j'aimerais qu'on puisse faire ça; Cela va me prendre
tel moyen, etc. Là, il y aurait eu une continuité. Je me dis que
c'est peut-être quelque chose...
On se demande souvent à quoi ça sert des
députés, au-delà de voter un certain nombre de lois qui
sont proposées par le gouvernement, et c'est notre système qui
exige ça. Les lois doivent émaner du Conseil exécutif.
Pourquoi ne pas tenter de récupérer ce qui, finalement, est un
restant de pouvoir au pouvoir législatif que nous sommes, en ce qui
concerne des personae designatae comme vous? Je pense que ça nous
permettrait d'avoir une certaine continuité, une certaine suite dans les
difficultés que vous connaissez et dans les objectifs que vous
poursuivez avec un certain nombre d'alliés importants dont nous sommes
et dont vous auriez grandement besoin et qui, en même temps, vous
rendraient le service de vous permettre de faire votre travail, ce qui nous
permettrait, à nous, de savoir que la personne qu'on a choisie, parce
qu'on l'a choisie, parce qu'on a fait des vérifications, parce qu'on a
eu des discussions et parce qu'on a eu des échanges de vues avec elle,
puisse remplir le rôle qu'on lui a dévolu.
On aura sûrement l'occasion de se parler de beaucoup de choses.
Vous parlez des pièges que peuvent constituer, par exemple, la
pléthore de recours en révision et en appel de toute nature,
c'est intéressant. Il faut aussi éviter la contrepartie de
ça. Il faut éviter que les fonctionnaires qui sont les
décideurs de première ligne soient en même temps les
attributeurs de droits. C'est difficile, en tout cas c'est probablement
faisable, mais ayant moi-même été fonctionnaire pendant de
nombreuses années, II existe un risque que le fonctionnaire, qui tente
de concilier souvent des intérêts divergents, soft celui qui
attribue les droits et fasse pencher la balance d'un bord ou de l'autre, ce qui
aurait pour effet, premièrement, évidemment, de décharger
le Protecteur du citoyen d'un certain nombre de causes. Mais il faut regarder
cela de près pour éviter que le citoyen lui-même, le
contribuable, ait l'impression qu'on l'a amené, qu'on l'a guidé
dans une direction et qu'on a soutiré son accord à une situation
avec laquelle il n'est pas totalement d'accord.
Au-delà de ça, la présentation que vous nous avez
faite est extrêmement intéressante. Elle nous oblige à une
profonde réflexion sur les difficultés que vous rencontrez, sur
le rôle que vous jouez et sur la façon qu'on peut vous aider
à donner satisfaction à tout le monde.
Je remarque que votre statut est très spécial. Vous
êtes évidemment quelqu'un dont les décisions sont finales,
sans appel et sans objet de révision. Par exemple, une plainte est
déclarée non recevable. À qui se plaint-on du Protecteur
du citoyen? Au député? au ministre? à l'Assemblée
nationale? La question se pose: Qui protège le citoyen du Protecteur du
citoyen? Évidemment, on peut toujours dire: On n'en sortira jamais, il
faut que ça arrête quelque part. Mais, philosophiquement en tout
cas, la question se pose. Vous rejetez un nombre Important de plaintes comme
étant non fondées. Imaginez la situation de la personne
fondamentalement convaincue que sa plainte est fondée et qu'elle est
rejetée en disant: Elle n'est pas recevable; nous n'avons pas
juridiction; nous n'avons pas compétence, etc. Il est rare que les
choses sont soit noires, soft blanches; il y a des espaces gris quelque part
dont il faut tenir compte. Je me pose la question. Vous Indiquez que, parfois,
on fait appel à votre honorable personne et que vous regardez cela d'une
façon particulière. Je suis bien prêt à le croire,
mais au-delà de ça, cela ne me paraît pas être un
recours vraiment indépendant de l'ensemble de l'organisme qu'est
le Protecteur du citoyen. Y a-t-il à l'Intérieur de votre
machine une espèce de petit service mi-indépendant qui sert
à vous conseiller ou à avoir un deuxième regard sur des
cas qui sont contestés par le citoyen? Est-ce que cela existe ou cela
peut-il exister? Vous manquez peut-être de moyens pour le faire.
En tout cas, je sais que mon collègue de l'Opposition, le
député de Taillon, a aussi des remarques à faire à
la suite de votre rapport, et mon collègue de Marquette en a aussi. Je
suis extrêmement heureux que vous ayez eu ce forum pour vous adresser
à nous. Je regrette comme vous que l'occasion n'ait pu se
présenter plus tôt. Vous pouvez d'ores et déjà
compter sur la collaboration et la compréhension de cette commission.
Nous ne sommes pas maîtres des deniers publics, comme vous le savez. Nous
ne sommes pas maîtres de l'attribution des ressources. Nous avons, au
maximum, possiblement un certain pouvoir moral de persuasion et,
peut-être éventuellement, de recommandations. C'est dans ce
sens-là que j'imagine que vous faites appel à nos humbles
services, mais soyez assuré que c'est avec beaucoup d'attention que nous
examinerons votre rapport et que nous poursuivrons la discussion pendant les
heures qui nous restent.
Encore une fois, sentez-vous à l'aise maintenant de nous saisir
spécifiquement de ce que vous attendez de nous, compte tenu de ce que
sont aussi nos moyens. Vous nous avez fait grand état des limites que
vous aviez vis-à-vis des vôtres et je vous demanderais en retour
de considérer les limites que nous avons de nos propres moyens. Mais
au-delà de ça, nous allons faire ce que nous allons pouvoir pour
faciliter votre travail. Merci.
Le Président (M. Kehoe): Merci, M. le député
de Louis-Hébert. Je cède maintenant la parole au
député de Taillon, le porte-parole de l'Opposition.
M. Claude Filon
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. J'aimerais
tout d'abord souhaiter la bienvenue à Me Jacoby ainsi qu'aux nombreux
membres de son équipe qui se sont joints à lui ce matin. Cette
rencontre revêt, pour nous, une importance capitale pour l'exercice de la
démocratie au Québec. C'est la première fois, sauf erreur,
que les parlementaires ont l'occasion d'entendre et de dialoguer avec le
Protecteur du citoyen. Signalons immédiatement qu'en ce qui nous
concerne, il est nécessaire que cette rencontre devienne une institution
annuelle, un rite, de la même façon qu'avec le Vérificateur
général et de la même façon qu'avec d'autres
organismes qui sont entendus de façon annuelle par l'Assemblée
nationale.
Je déplore donc au plus au haut point le fait que notre propre
règlement de l'Assemblée nationale n'ait pas été
suivi au cours des der- nières années. Je crois utile, M. le
Président, de rappeler qu'en vertu de notre règlement, c'est de
la commission de l'Assemblée nationale que nous avons reçu le
mandat de vous entendre ce matin. Ce n'est pas le mandat de la commission des
institutions, mais plutôt le mandat de la commission de
l'Assemblée nationale. Ce fait Indique à quel point les
rédacteurs de notre règlement, en 1984, lors de la réforme
parlementaire, ont cru important et l'institution a jugé importante
l'institution du Protecteur du citoyen, puisqu'il était prévu,
dans notre règlement, qu'annuellement le Protecteur du citoyen soit
entendu par la commission de l'Assemblée nationale, de la même
façon que le Directeur général des élections et le
Vérificateur général.
En ce qui concerne le Vérificateur général, on se
souviendra que les visites, les passages du Vérificateur
général ici ont eu un écho considérable et qu'ils
sont l'objet d'une attention toute particulière de la part non seulement
des parlementaires, mais aussi des médias qui, eux, transmettent
à la population les recommandations, les suggestions, les commentaires
et les analyses du Vérificateur général. De la même
façon, cette Assemblée nationale - plus particulièrement,
c'est la commission de l'Assemblée nationale - aurait dû appliquer
l'article 116, paragraphe 4°, de notre règlement qui stipule
clairement que la commission de l'Assemblée nationale, outre les
fonctions que lui confèrent la loi et le présent
règlement, entend, chaque année, le Directeur
général des élections, le Vérificateur
général et le Protecteur du citoyen, et l'on comprend pourquoi.
Il s'agit là d'institutions dont les membres sont nommés par
l'Assemblée nationale.
Encore une fois, cette nomination par l'Assemblée nationale
reflète bien l'importance que l'on doit accorder à certaines des
institutions indépendantes qui examinent l'ensemble des activités
gouvernementales et qui viennent faire rapport avec une parfaite
neutralité, une neutralité qui, d'ailleurs, se voit à
chaque page du rapport annuel très intéressant du Protecteur du
citoyen et qui s'entend, à chaque mot de la présentation de Me
Jacoby ce matin. En ce sens-là, la commission de l'Assemblée
nationale, présidée par le président de l'Assemblée
nationale, regroupe, outre les leaders parlementaires et peut-être les
leaders parlementaires adjoints, les présidents de commissions. Je suis
heureux, quant à moi, de m'être associé au processus qui a
créé une certaine forme de pressions visant à faire en
sorte que le Protecteur du citoyen soit ici aujourd'hui et qu'il puisse nous
livrer ses considérations concernant son travail.
Donc, 1 est Impérieux et indiscutable - je l'ai dit et je le
redirai à chacune des occasions qu'il me sera donnée de le faire
- que cette rencontre que nous vivons ce matin devienne une institution
annuelle à laquelle ni le gouvernement, ni les parlementaires, ni le
Protecteur du citoyen ne pourront se dérober. D'ailleurs, il m'a
semblé que le désir du Protecteur du citoyen allait
exactement dans le sens contraire et que, loin de vouloir s'esquiver, au
contraire il recherchait un forum, une tribune où il pourrait exprimer
tout haut ce que des milliers de citoyens pensent tout bas et ce dont ses
collaborateurs lui font part quotidiennement, ce qu'il vit, en somme, dans sa
position qui est, encore une fois, cruciale dans notre
société.
Nul ne pourra douter que l'ombudsman, le Protecteur du citoyen, est
appelé à jouer un rôle crucial dans notre
société. En ce sens, M constitue, bien souvent, le recours en
dernier ressort - il l'a dit lui-même - de citoyens et citoyennes aux
prises avec une administration publique qui devient gigantesque, qui l'est
déjà et qui le deviendra sûrement, et qui apparaît
à certains égards, inhumaine, d'ailleurs. (11 h 45)
Là-dessus, si on me permet une parenthèse,
j'écoutais attentivement les propos du député de
Louis-Hébert. Je fais du bureau de comté, moi aussi, comme tous
mes collègues. Bien sûr, nous rencontrons des citoyens le lundi,
mais aussi les autres journées, dans toutes nos
pérégrinations dans nos beaux comtés respectifs. Mais ce
travail, pour moi, est loin d'être comparable avec le travail du
Protecteur du citoyen qui, lui, 365 jours par année, avec son personnel,
fait office, sans partisanerie et dans une complète neutralité,
de dernier recours pour des milliers de citoyens et citoyennes. Notre travail
est méritoire dans un bureau de comté; je ne voudrais pas le
dénigrer, M. le député de Louis-Hébert. J'en suis
et j'apprécie moi-même le travail que je fais. Je vois les
conséquences sur les électeurs et électrices qui viennent
à nos bureaux de comté. Ils ne sont pas toujours de notre
comté d'ailleurs, ils viennent de partout. Mais comparer ces deux
institutions, cela m'apparaît vraiment un petit peu
déplacé, de la même façon, d'ailleurs, que je
voudrais immédiatement me dissocier de la création d'une future
commission d'appel des décisions de l'ombudsman, soit dit en passant.
Donc, les membres de cette l'Assemblée nationale sont à
même de constater les dédales bureaucratiques et administratifs
à leur bureau de comté et également par leur travail en
commission et à l'Assemblée nationale.
Il n'est pas mauvais, loin d'être mauvais, qu'une institution, en
l'occurrence le Protecteur du citoyen, vienne nous rappeler que
l'administration qui applique des lois votées par les
législateurs peut avoir des failles et des ratés. Me Jacoby
représente, en définitive, le dernier maillon et on pourrait
probablement s'exprimer autrement et dire que c'est un peu comme le retour du
boomerang des gestes que posent quotidiennement les députés et le
gouvernement. C'est là qu'on voit, en somme, les conséquences des
décisions qui sont prises lorsque nous votons des lois, lorsque nous
étudions des règlements, ce qu'on ne fait pas souvent, car c'est
généralement le gouvernement qui le fait, mais les commissions
parlementaires ont également la possibilité, on le sait,
d'étudier les règlements.
Le Protecteur du citoyen a signalé que cette fonction d'ombudsman
est née iI y a une vingtaine d'années au Québec. Lorsqu'on
consulte le dernier rapport annuel du Protecteur du citoyen, on se convainc
instantanément, si je peux m'expriimer ainsi, de la
nécessité de cette institution. Son utilité et son
efficacité méritent, d'ailleurs, maints éloges et on n'a
qu'à consulter le taux de réussite des interventions du
Protecteur du citoyen qui, à tous égards, est exemplaire. Il est
remarquable, phénoménal même, que 46 personnes, si j'ai
bien compris, traitent 5274 demandes de renseignements, 17 110 demandes
d'interventions et fassent 6429 interventions ou enquêtes. Ce sont
là des chiffres qui devraient inviter l'institut de productivité
à aller faire un tour du côté duProtecteur du citoyen pour
savoir comment il arrive à boucler ses fins de mois, mais on a eu la
réponse ailleurs dans sa présentation verbale lorsqu'il nous a
fait part de ses problèmes budgétaires. Nous aurons
sûrement l'occasion de revenir, au cours des heures qui nous restent en
commission, sur les travaux et les succès du Protecteur du citoyen.
Je voudrais quand même immédiatement signaler deux points
qui m'ont particulièrement frappé, outre la situation
vécue par le Protecteur du citoyen dans ses démêlés
avec le gouvernement, notamment pour la fixation de son budget, et
également les interrogations justifiées en ce qui concerne la
compétence du Protecteur du citoyen. Je retiens deux choses qui ne
m'étaient pas apparues aussi évidentes à la lecture du
rapport et qui ont été signalées ce matin dans la
présentation verbale de Me Jacoby: premièrement, l'importance de
la formation des décideurs de première ligne et,
deuxièmement, ce réflexe de contentieux qu'évoquait
tantôt le député de Louis-Hébert et qui constitue
une invitation à la judiciarisation. Il m'apparaît que ce sont des
pistes de réflexion extrêmement Importantes dans les années
qui viennent dans l'ensemble des sociétés occidentales, mais,
puisqu'on est ici, au Québec en particulier. Donc, nous reviendrons plus
tard sur ces considérations.
Pour l'instant, j'aimerais plutôt faire part de certaines de mes
préoccupations non pas en ce qui concerne le travail du Protecteur du
citoyen, mais plutôt vis-à-vis de ce qui fait l'objet de son
travail. Le Protecteur du citoyen reconnaîtra sûrement certaines de
mes critiques pour les avoir déjà énumérées
dans un rapport annuel ou même pour en avoir déjà fait part
publiquement, lors de sorties publiques. Ce sera là la preuve qu'il aura
convaincu au moins un parlementaire que ses Interventions n'auront pas
été vaines.
Pour commencer, je dirais que, de façon générale,
l'institution de l'ombudsman s'inscrit dans un souci d'humanisation de
l'appareil étatique. Dans le fond, on le dit souvent à
l'Assemblée nationale et je le répète ici aujour-
d'hui, ce sont les contribuables, par leurs impôts, par leurs
taxes, qui défraient les coûts de l'administration publique, il
est donc tout à fait normal que l'administration soit au service de ces
contribuables et non pas l'inverse. Je pense que cela a été dit
sous toutes les formes à l'Assemblée nationale, mais c'est bon de
le rappeler crûment. Conscient de cette réalité, le
gouvernement précédent avait fait une série d'efforts dans
le but d'humaniser la fonction publique et, parmi les plus importants, on peut
noter la création du poste de ministre d'Etat aux Relations avec les
citoyens. Sauf erreur, je pense que c'est en 1981 ou en 1982 que le
gouvernement précédent avait créé ce poste de
ministre d'État ou délégué aux Relations avec les
citoyens - je ne sais pas si le titre est exact - et ce poste-là avait
été occupé par différents ministres. En 1982, sauf
erreur, le ministre titulaire avait produit un document qui s'appelait AGIR,
Amélioration des relations avec les citoyens, et je voudrais profiter de
l'occasion pour en rappeler certaines des grandes lignes.
D'abord, la nature de ce plan était l'amélioration des
services gouvernementaux aux citoyens. Le contenu était un plan
d'amélioration du service à la clientèle à l'aide
de tables régionales comportant les secteurs d'intervention prioritaire
suivants: régionalisation des services accompagnée d'une
délégation de pouvoirs équivalente; l'amélioration
de la signalisation des édifices et bureaux gouvernementaux avec la
collaboration du ministère des Communications et de la SIQ;
amélioration de l'accessibilité téléphonique; mise
sur pied de programmes d'information sur les services offerts par le
gouvernement; aménagement de postes d'accueil dans tous les
édifices où sont localisés plusieurs services
gouvernementaux; réduction des délais par les organismes
appelés à rendre des décisions judiciaires ou quasi
judiciaires - je le répète, réduction des délais
par les organismes appelés à rendre des décisions
judiciaires ou quasi judiciaires, parce qu'on reviendra souvent
là-dessus - mise en vigueur de mécanismes internes de
révision et étalement de la délivrance des permis.
Alors, ce programme avait été appliqué en bonne
partie et avait donné ceci: 830 des 1200 bureaux gouvernementaux sont
maintenant ouverts le midi, le téléphone, accueil, renseignements
généraux, 3 000 000 $ pour la réorganisation du
système d'accueil au ministère du Revenu en ajoutant 80 postes
pour les services au public; instauration du système de pilote unique
des dossiers à la CSST, aux centres Travail-Québec pour les
jeunes ou les handicapés et au MIC pour les entreprises; mise sur pied
de tables régionales d'amélioration des services gouvernementaux
dans toutes les régions du Québec; diminution marquée des
délais dans le traitement des demandes et services aux
handicapés.
On se souviendra aussi, si ma mémoire est bonne, du programme
d'identification des fonc- tionnaires au téléphone dont on voit
encore les bienfaits quotidiennement, alors qu'anciennement les citoyens ne se
retrouvaient pas quand ils appelaient au gouvernement. Les fonctionnaires ne
s'identifiaient pas, les citoyens parlaient à douze personnes, ils ne
savaient même plus à qui ils avaient parlé et qui
était la bonne personne. Il s'agissait là de petites mesures qui
ne bouleversaient rien, mais qui avaient pour but d'humaniser, de façon
générale, les rapports des citoyens et des citoyennes avec leur
État de qui ils défraient les coûts et qui détient -
le Protecteur du citoyen l'a rappelé aujourd'hui -une situation de
monopole.
Le citoyen qui a un accident d'automobile et qui doit être
indemnisé n'a pas le choix de son forum: il doit faire affaire avec la
Régie de l'assurance automobile du Québec; il ne peut pas aller
ailleurs. Il est dans une situation où I est obligé de faire
affaire avec la Régie de l'assurance automobile du Québec, comme
la plupart des services gouvernementaux qui détiennent une
compétence absolue et exclusive sur la situation problématique
qui fait l'objet du dossier, d'où l'importance pour l'État
détenant ce pouvoir exclusif de démontrer une
accessibilité totale à l'égard des citoyens sinon, je
pense qu'on passe complètement à côté du rôle
même de l'État.
Il s'agissait là, M. le Président, de petites mesures de
réflexion. Il est intéressant de noter que ce poste de ministre
d'État des relations avec les citoyens, un, a été aboli
par le présent gouvernement et, deux, que nous n'avons vu aucune mesure
- sauf peut-être à l'exception du ministère du Revenu -
aucune planification, aucun programme de la part du gouvernement qui viserait
à poursuivre ces efforts d'humanisation qui avaient été
entrepris au début des années quatre-vingt. Donc, M. le
Président, nous dénonçons l'immobilisme du gouvernement en
matière d'humanisation des services gouvernementaux aux citoyens et il
est malheureux que la venue de l'actuel gouvernement semble avoir mis un terme
aux nombreux efforts de l'administration précédente pour arriver
à accentuer ce souci d'offrir des services humains à ceux qui
paient la note, en définitive. Encore une fois, je fais exception du
ministère du Revenu où il semble y avoir eu une
préoccupation relativement constante, en particulier chez l'actuel
ministre du Revenu.
Il apparaît évident, lorsqu'on doit faire face à un
gouvernement de gestionnaires, de comptables si intéressé aux
colonnes de chiffres qu'il n'hésite pas, d'ailleurs, à refuser 4
000 000 $ à l'OPHQ, à l'Office des personnes handicapées
du Québec, que les coupures qui ont affecté l'appareil
gouvernemental n'ont pu faire autrement que de compromettre la qualité
des services offerts. Les coupures d'effectifs ont inévitablement
entraîné une surcharge de travail et iI est Intéressant de
noter, d'ailleurs, à la page 7 du rapport du Protecteur du citoyen, au
5e paragraphe de son introduction, et je le cite: "On ne peut conclure pour
autant - après avoir dénoncé
la situation d'augmentation des plaintes, le rapport de force
inégal - que les fonctionnaires sont incompétents ou inefficaces.
Un très grand nombre d'entre eux sont sensibilisés à ces
questions et soucieux d'améliorer les services à ta population.
Mais, en dépit de ces efforts, la surcharge de travail et l'insuffisance
d'effectifs, entre autres, entraînent souvent des erreurs et des lenteurs
qui peuvent constituer des dénis de justice." C'est contenu dans le
rapport du Protecteur du citoyen, pour ceux qui auraient des difficultés
à entendre ce qui vient d'un député de l'Opposition.
Le Président (M. Kehoe): M. le député de
Taillon, vos 20 minutes sont terminées. Avec le consentement des autres
membres, peut être qu'on peut vous donner quelques minutes pour
terminer.
M. Filon: Je termine. Donc, les coupures d'effectifs ont
inévitablement entraîné une surcharge de travail. On sait
qu'en 1987, 40 % des causes de lésions constatées par le
Protecteur du citoyen étaient dues à des délais
déraisonnables. Ce pourcentage était de 33 %, on 1986 et, par
conséquent, il y a eu augmentation notable.Cette obsession à
couper a d'ailleurs amené, par exemple, le problème de la
surpopulation endémique dans les prisons du Québec;
problème qui fut d'ailleurs dénoncé dans le dernier
rapport annuel du Protecteur du citoyen.
À cette gestion inhumaine du Conseil du trésor, qui se
réflète invariablement sur l'administration, il faut ajouter une
incapacité chronique d'un gouvernement incapable de décider de la
couleur de la margarine et encore moins des heures d'affaires, d'entreprendre
les réformes majeures qui s'imposent. A cet égard, je pense ici
plus particulièrement à la réforme des tribunaux
administratifs et à la déréglementation. Il s'agit
là de deux promesses qu'on a beaucoup entendues en 1985, mais dont on ne
parle plus depuis quelques années. (12 heures)
Me Jacoby nous disait tantôt que l'institution du Protecteur du
citoyen remontait au temps des pharaons et, à voir l'immobilisme du
gouvernement, cela m'a amené tout de suite à faire un
rapprochement qui va de soi. D'abord, en ce qui concerne la réforme des
tribunaux administratifs, le rapport Ouellette fut déposé
à l'automne 1987 à peu près au même moment où
Me Jacoby devenait Protecteur du citoyen et qu'il s'appliquait, comme il l'a
fait à plusieurs reprises, à dénoncer les délais de
la commission, notamment de la Commission des affaires sociales et de la
Commission de la santé et de la sécurité du travail. Cette
réforme d'envergure qui avait, entre autres, comme objectif de diminuer
substantiellement les délais devant les tribunaux administratifs, avait
comme titre "L'urgence d'agir". Malgré la mise en garde des auteurs du
rapport qui avaient peur de voir leur rapport tabletté, on attend
toujours cette réforme qui est de nature à venir régler
les problèmes chroniques dans notre société et à
rendre moins illusoires les recours qui sont offerts aux citoyens et aux
citoyennes.
Ensuite, l'actuel gouvernement avait promis d'entreprendre un vaste
ménage de notre réglementation, de légiférer moins
et mieux. Or, force est de constater qu'il a failli à la tâche et
ce n'est pas nous qui le disons, mais l'ex-député, Reed Scowen,
dans le rapport qu'il a signé avant de nous quitter pour Londres: "Je
rejoins ici une des préoccupations du Protecteur du citoyen qui, dans
son dernier rapport, s'inquiète de la complexificatlon d'un
système en face duquel le citoyen ne fait pas le poids." Souvenons-nous
de ces images cocasses, mais combien dramatiques en termes d'impact pour les
citoyens, des parlementaires, y compris le ministre de la
Sécurité du revenu, qui étaient Incapables de comprendre
les règlements d'aide sociale. Donc, rien n'a été fait au
chapitre de la déréglementation et, au contraire, la situation
empire, tel que le Protecteur du citoyen le mentionne d'ailleurs à la
page 49 de son rapport.
Avant de terminer j'aimerais souligner - je termine là-dessus, M.
le Président - que, évidemment, notre formation politique est
plus que sensible à l'élargissement de juridiction dont a
traité le Protecteur du citoyen tantôt. Je pense que, comme
exemple, on peut prendre la loi 3 qui, en termes d'éducation, faisait en
sorte que ce réseau puisse être soumis à la
compétence du Protecteur du citoyen. Le Protecteur du citoyen - on aura
l'occasion d'en parler tantôt - nous parie en longueur et en profondeur
de ses priorités pour les années qui viennent. Comme le temps me
manque je reviendrai là-dessus, mais je tiens à signaler
Immédiatement que les irois objectifs contenus aux pages 11 et 12 du
rapport du Protecteur du citoyen pour l'année qui vient nous
apparaissent tout à fait fondés.
En conclusion, M. le Président, face au gouvernement qui se
déshumanise de plus en plus, un vigoureux coup de barre s'impose et
prendra sa source, nous l'espérons, dans une écoute plus
attentive des recommandations du Protecteur du citoyen. Et, afin que le
Protecteur du citoyen sache dès ce matin que nous ne sommes pas
insensibles, loin de là, à la situation qu'il a décrite
dans son rapport et dans sa présentation, en tant que président
de la commission des institutions, je lui annonce que j'inviterai mes
collègues, comme d'ailleurs le député de
Louis-Hébert en a fait part tantôt, à étudier les
suites à donner à son rapport. Comme vous le savez, la
réforme parlementaire permet à une commission parlementaire
d'étudier en séance de travail et de se donner, s'il y a lieu, un
mandat d'initiative. Donc, le Protecteur du citoyen peut ainsi être
assuré dès immédiatement, face à la
démonstration magistrale qu'il a faite dans son rapport et dans sa
présentation verbale, qu'il ne
repart pas les mains vides. Donc, les membres de cette commission des
Institutions seront convoqués en séance de travail pour
déterminer les suites que nous pourrons donner à son rapport et
à sa présentation ce matin.
Je vous remercie de votre patience, M. le Président et mes
collègues.
Le Président (M. Kehoe): Merci, M. le député
de Taillon. Je cède maintenant la parole au député de
Marquette.
M. Claude Dauphin
M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. À mon
tour, j'aimerais souhaiter la bienvenue à Me Jacoby, M. Meunier et M.
Marcotte. Évidemment, je pense que je parle aussi au nom de mes autres
collègues du parti ministériel. Nous sommes très heureux
de les recevoir. Je n'ai pas l'intention de répéter ce qui a
été dit par mes deux collègues. Par contre, j'aimerais
aborder certains points particuliers.
Tout d'abord, J'aimerais vous dire que, en effet, le Protecteur du
citoyen relève de la commission de l'Assemblée nationale. Vous
savez, M. le Président, que la commission de l'Assemblée
nationale siège très rarement. C'est peut-être
déjà là une explication des visites rarissimes du
Protecteur du citoyen au Parlement. C'est de fait l'explication. D'ailleurs je
rejoins le président de la commission des institutions lorsqu'il dit
qu'éventuellement cela pourrait faire l'objet d'un mandat d'initiative
de recevoir le Protecteur du citoyen et développer plusieurs sujets,
parler de ses juridictions, parler de bonifier la législation
habilitante. Je serais d'accord avec lui que le Protecteur du citoyen pourrait
faire l'objet d'un mandat d'Initiative. Il s'agirait de savoir si nous avons
les compétences, comme commission des institutions politiques, d'agir
dans ce sens, c'est-à-dire, avoir un mandat d'initiative.
Évidemment, cela pourrait se discuter avec les autorités, s'il
pourrait y avoir une délégation de pouvoir à notre
commission afin qu'on puisse travailler dans ce sens.
Un autre point que je veux aborder, et le Protecteur du citoyen nous en
a fait part lors de son exposé, c'est la situation de conflit
d'intérêts qui existe par rapport à son indépendance
en ce qui concerne ses budgets. Personnellement, je suis d'accord avec lui. Je
trouve un peu byzantin le fait que l'indépendant que doit être le
Protecteur du citoyen se fasse accorder ses budgets par le Conseil du
trésor qui . n'est pas nécessairement indépendant. Je peux
pratiquement m'engager face à lui aujourd'hui. Je vais faire les
recommandations nécessaires à notre collègue,
président du Conseil du trésor, pour essayer de trouver une
solution. On pourrait discuter là-dessus tantôt, lors de la
période de discussion.
Quant à ses juridictions, j'ai lu moi aussi attentivement son
dernier rapport annuel. D'ailleurs, je fais du bureau de comté, moi
aussi, et à 50 %, dans mon bureau de comté, on parle souvent de
problèmes de santé et de services sociaux. J'ai été
sensible au fait qu'il n'ait aucune juridiction, sauf évidemment en
certains points, en matière de santé et de services sociaux Je
pense à une personne qui désire être admise dans un centre
d'accueil. Le comité étudiant son dossier décide qu'elle
est trop autonome pour être admise dans un centre d'accueil. A ce
moment-là quel est le mécanisme? Il y a peut-être un
recours au CRSSS, au conseil régional, mais ce sont des situations que
l'on voit régulièrement. Quant à ses juridictions, je suis
également très sensible. Je ne veux pas non plus passer tout le
temps qui nous est alloué à faire des remarques
préliminaires.
Cela étant dit j'aimerais, encore une fois, remercier le
Protecteur du citoyen. Il nous a fait part de situations problématiques.
Je suis persuadé que les collègues ici présents pourront
discuter avec lui et ses collaborateurs afin de lui faciliter la tâche -
un peu comme mes autres collègues l'ont dit, c'est un peu notre bras
droit comme parlementaires - de voir à ce que l'administration - je suis
habitué de dire l'administration de la justice - publique soit bien
rendue aux citoyens et citoyennes du Québec. A ce stade, M. le
Président, je ne sais si d'autres collègues veulent faire des
remarques préliminaires. J'aimerais que l'on procède à la
période de discussion.
Le Président (M. Kehoe): Merci, M. le député
de Marquette. C'est justement la période de discussion qui va commencer.
Chaque député a une période de 20 minutes pour faire des
interventions. C'est la règle d'alternance qui s'applique. Y a-t-il des
députés qui ont des... Mme ta députée de
Groulx.
Discussion générale
Mme Bleau: C'est seulement une remarque que je voudrais faire au
départ. Quand on pariait d'Immobilisme tout à l'heure, du
côté de l'Opposition, je voudrais faire remarquer quand même
qu'en 1983-1984, le personnel qui vous était alloué était
de 37 personnes et en 1987-1988, on retrouve 59 personnes. Il y a quand
même eu un ajout d'à peu près le tiers, c'est
déjà à considérer. Ce n'est pas dire que je trouve
que vous en avez assez, on va regarder cela, mais un effort a quand même
été fait de côté-là. Je voulais bien le faire
remarquer à l'Opposition. C'est ma remarque pour tout de suite.
Le Président (M. Kehoe): M. le député de
Taillon.
Provenance des demandes
M. Filion: Oui. Dans les tableaux qui sont annexés au
rapport, qui sont à ta fin du rapport, je vous invite à jeter un
coup d'oeil sur des
tableaux qui décrivent fort bien les activités du
Protecteur du citoyen. Quant à moi, en tout cas, |'ai trouvé
absolument fascinantes les statistiques qui y sont contenues ainsi que celles
que nous a livrées tantôt le Protecteur du citoyen. En
particulier, le tableau C, page 49. Quand on dit que les chiffres parlent par
eux-mêmes, j'invite mes collègues à jeter un coup d'oeil
là-dessus. Juste quelques-uns, peut-être, sur les demandes
reçues, qui contiennent des demandes de renseignements et des demandes
d'intervention. Il est tout à fait remarquable, par exemple, qu'en 1970,
évidemment, c'était à peu près quelques
années après la naissance, un ou deux ans après la
naissance du bureau du Protecteur du citoyen, 3342, ce n'est pas beaucoup.
Regardons la croissance. Pour 1975, 6000; 1980, 9000; là, on est
rendu à 22 000. C'est absolument extraordinaire. Dans les causes de
cette augmentation, il demeure le fait que le citoyen en général
est mieux informé qu'il existe toujours des recours pour les plaintes
qu'il a à adresser, à mon avis. C'est peut-être le sens de
la première question que je vais adresser au Protecteur du citoyen. Dans
la revue Justice de septembre 1988, vous disiez, Me Jacoby que selon un sondage
effectué, je pense, par le Protecteur du citoyen, 80 % des personnes
interrogées ne savent pas eu qu'il fait. Cela veut dire qu'ils or!
l'impression, est-ce que je me trompe, que le bureau du Protecteur du citoyen,
c'est l'endroit où on va essayer de voir à qui Us doivent
s'adresser exactement? Mais je combine cette statistique avec votre rapport, a
la page 11, si ma mémoire est bonne, et cela m'a paru
particulièrement intéressant.
Vous avez étudié les sources, les provenances des demandes
qui sont adressées au bureau du Protecteur du citoyen. Exception faite
de la région de Québec qui est une région, on le sait,
où on retrouve beaucoup d'employés de l'État, donc, ils
sont plus au courant de l'existence du bureau du Protecteur du citoyen, toutes
les autres régions ont une proportion inférieure de demandes
adressées au bureau du Protecteur du citoyen. Je note que les
Québécois anglophones ne représentent que 4 % des demandes
adressées au Protecteur du citoyen. Je combine ça avec une autre
de vos déclarations, alors que vous disiez qu'il y a 1 % des membres des
communautés culturelles seulement qui ont recours à vos services.
Alors, j'aimerais peut-être vous entendre là-dessus, sur les
problèmes ou les raisons, en fait, qui amènent ces chiffres.
M. Jacoby: II est exact qu'il a été
procédé à un sondage au début de 1987 par notre
organisme. Ce sondage démontre qu'il n'y a pas plus de 20 % de la
population qui ont entendu parler de l'institution. Quand on creuse ce sondage,
on réalise qu'il y en a plus de 80 % de ceux qui ont entendu parler de
l'institution qui ne savent pas ce que c'est, ce qui fait qu'on est parfois
considérés comme le département des miracles. Parmi les
plaintes pour lesquelles nous devons décliner juridiction à
l'accueil, on réalise par exemple que 40 % des plaintes qui nous sont
adressées, pour lesquelles on n'a pas juridiction, ce sont des conflits
entre personnes privées. Là, nous devons expliquer aux personnes
que nous n'avons pas juridiction et nous leur indiquons les voies à
suivre.
Alors, à mon point de vue, il y a une méconnaissance
réelle de l'institution du Protecteur du citoyen et ce que j'ai pu
constater, depuis les quinze ou seize mois que je suis là, c'est que
cette méconnaissance est inégale. Comme vous le souligniez, la
région de Québec, probablement parce que la plupart des bureaux
gouvernementaux sont à Québec, parce que les fonctionnaires ont
l'habitude de voir venir à l'occasion des employés du bureau, les
gens se parlent et il y a certainement une connaissance plus grande. Cependant,
quand on prend par exemple le tableau qui est à la page 52 du dernier
rapport annuel, suivant les régions administratives du Québec -
j'ai fait une comparaison Ici entre la proportion, le pourcentage de population
dans les régions et le nombre de demandes adressées chez nous en
1986-1987 - on constate qu'il y a des régions éloignées
notamment où, véritablement, on ne semble pas nou3
connaître. Ce n'est pas propre au Protecteur du citoyen, c'est
généralement vrai pour l'ensemble du réseau
gouvernemental, mais il y a des différences qui me font croire que le
droit à légalité ne s'applique pas de la même
manière à travers le Québec, en ce sens que j'ai pu
constater que dans plusieurs régions on renonçait à des
droits, on tenait pour acquis des décisions négatives de
fonctionnaires pour une foule de raisons, mais y compris le fait qu'on ne
connaisse pas l'existence de ce recours assez léger. (12 h 15)
Pour ce qui est maintenant des anglophones, des minorités
culturelles et ethniques et des populations autochtones du Québec, pour
ce qui est des populations autochtones au Québec, je crois comprendre,
d'une certaine manière, que le fait que ces populations autochtones
fassent souvent affaire avec le gouvernement fédéral minimise les
relations avec le gouvernement provincial et cela peut expliquer en partie, je
dis bien en partie, le fait que nous n'ayons pratiquement pas de demande
émanant des populations autochtones. Il y a bien sûr
également pour ces populations autochtones la barrière culturelle
et la barrière linguistique.
Pour ce qui est des anglophones, des Canadiens anglais, j'ai pu
constater en effet qu'on n'a pratiquement pas recours au Protecteur du citoyen.
J'ai cru naïvement, après analyse, que le milieu
anglo-québécois était peut-être mieux
organisé que les francophones, mais j'ai réalisé avec le
temps que ce n'était pas ça du tout. J'ai pu constater qu'il y
avait des poches de personnes démunies de langue anglaise qu'on retrouve
dans plusieurs circonscriptions élec-
totales dans ta région de Montréal et dans d'autres
régions. Je pense que c'est peut-être la barrière
linguistique, la barrière culturelle qui fait qu'on n'a pas tellement
recours à nos services.
Pour ce qui est des minorités culturelles et ethniques,
là, le problème est beaucoup plus complexe, à mon point de
vue. Quand on parte de minorités culturelles comme ça, c'est un
beau concept, mais au Québec, il y a au-delà de 100
communautés culturelles et ethniques. Depuis les années
cinquante, il y a une immigration qui, d'une manière
générale, est devenue plus considérable.
Ce que j'ai pu constater jusqu'ici, ayant eu l'occasion de rencontrer
des organismes à la fois de défense des droits de
communautés culturelles, des agents relayeurs de communautés
culturelles ou des organismes sans but lucratif, comme le Centre de recherche
action sur les relations raciales ou, encore, SOS, ce que j'ai pu constater,
c'est que, pour ce qui est des minorités culturelles et ethniques, outre
la barrière linguistique... parce que Je pense que c'est de l'ordre de
35 % des membres des communautés qui ne parlent ni le français ni
l'anglais, un immigrant qui arrive ici, sur le pian culturel, est très
conditionné par son pays d'origine. Ainsi, s'il vient de pays où
l'État est un État dictatorial ou un État tyrannique, les
immigrants importent cette culture ici. Ce que j'ai pu constater, c'est
qu'à ce moment-là, quand ils réclament des services, pour
plusieurs, auprès du gouvernement et qu'ils essuient un refus de la part
des services gouvernementaux, ils n'osent pas - les membres de certaines
communautés culturelles - en aucune manière contester parce que,
dans leur culture, ça peut être très dangereux de contester
des décisions de l'administration. Cela, on le constate dans plusieurs
communautés culturelles. Alors, c'est pour cette raison que je
considère que pour cette partie de la population, pour cette partie de
Québécois qui sont chez nous et qui continuent à venir
chez nous, je pense que le Protecteur du citoyen, mais pas seulement le
Protecteur du citoyen, les ministères et organismes doivent
peut-être se préoccuper davantage de ces personnes qui sont dans
une situation que je qualifierais de plus vulnérable que d'autres
à cause du problème à la fois linguistique et
culturel.
Le Président (M. Kehoe): Mme la députée de
Groulx.
Communautés culturelles
Mme Bleau: Au point de vue publicité, je pense que ce que
vous nous avez présenté, on le comprend et je pense bien que
chacun de nous le vit probablement dans chacun de nos comtés. Pour ma
part, j'ai une grosse clientèle portugaise dans mon comté et je
sais que ces gens n'ont pas l'habitude de... Au départ, ce n'est pas
dans leurs moeurs de se plaindre tellement. Ils ont peut-être aussi la
pensée: On va peut-être se faire du tort ou mal se faire voir si
on commence à se plaindre. Mais comme Protecteur du citoyen, est-ce que
vous auriez le loisir de vous préparer un plan de communication
auprès des clientèles-cibles ou, si vous n'en avez pas
déjà le moyen, est-ce qu'il y aurait quelque chose dans la loi
qui vous le permettrait? D'après ce que j'en sais, de ce que j'ai pu
lire, vous auriez déjà le loisir de le faire si
nécessité se faisait sentir.
M. Jacoby: D'une certaine manière, oui. Comme je l'ai
mentionné plus tôt dans mon exposé, nous avons
examiné la situation des membres des communautés culturelles et
nous avons réalisé des choses. Il faut peut-être se faire
mea culpa aussi au bureau du Protecteur du citoyen, on n'a pas de personnel qui
parle plusieurs langues. Bien sûr, l'anglais et le français, cela
va, mais on n'en a pas pour d'autres langues. On a déjà notre
propre problème systémique comme dans bien des administrations de
l'État. Donc, ce que j'ai envisagé avec mon personnel, c'est un
plan d'action dont l'objectif serait de se faire mieux connaître
auprès des membres des communautés culturelles suivant un
échéancier bien défini, parce que je pense qu'il serait
irréaliste et cela ne rendrait service à personne que de vouloir
se faire connaître de toutes les communautés culturelles en
même temps. Il va falloir qu'on établisse des priorités
là où on pense que les gens sont peut-être plus
vulnérables. J'ai songé, évidemment, aussi à
recruter dans notre personnel des personnes qui émanent des
communautés culturelles, notamment une personne qui pourrait
peut-être chez nous coordonner l'ensemble de ce projet. Cela prend une
certaine coordination parce qu'il y a au-delà de 100 communautés
culturelles. Également au service d'accueil et au service des
enquêtes, pouvoir engager des personnes qui émanent de ces
communautés culturelles et aussi prévoir une stratégie, si
l'on veut, de communication auprès de ces communautés.
Alors, notre plan d'action est prêt et, bien sûr, je dois
encore une fois le dire, même si je n'aime pas en parler, on n'a pas les
ressources nécessaires pour réaliser cela. Parmi les demandes que
j'ai présentées au Conseil du trésor, l'automne dernier,
j'en ai fait une pour qu'on nous alloue, je crois, si je me rappelle bien, sept
ou huit postes additionnels afin de pouvoir répondre aux besoins de ces
communautés. Parmi ces postes, il y aurait bien sûr un certain
nombre d'enquêteurs de niveau professionnel ou de techniciens, des
préposés à l'accueil, un agent d'information et du
personnel de soutien. C'est une demande que j'ai faite au moment où on
se parle et voici la situation.
Mme Bleau: Lorsque vous parlez d'avoir des interprètes ou
des gens qui parleraient plusieurs langues, entre autres, la communauté
à laquelle
je pense parle et comprend très bien le français. Vraiment
leur intégration à notre communauté
thérésienne est faite, il n'y a pas de problème de ce
côté-là. Je comprends bien qu'il y a certaines
communautés qui ne parlent peut-être pas et qui ne comprennent pas
très bien le français. À ce moment-là, un
interprète par contrat, si nécessaire, est-ce que cela pourrait
vous satisfaire ou...
M. Jacoby: Oui, sûrement. Pour ce qui est
particulièrement de la communauté portugaise, à partir du
moment où ces personnes parlent généralement
français ou anglais, il me serait possible éventuellement
peut-être de rencontrer, si vous le jugez opportun, les leader? de
l'organisation pour qu'on leur explique davantage les services que l'on peut
rendre éventuellement à ces citoyens.
Mme Bleau: Alors, merci beaucoup. Ressources
budgétaires
M. Filon: En terminant, il me reste peut-être deux minutes,
un peu sur le même sujet. Sur cette question budgétaire, le budget
1988-1989 est de 3 000 000 $ sauf erreur?
M. Jacoby: Oui.
M. Filion: Vous nous dites que sur le plan des effectifs, des
ressources humaines, vous avez demandé sept à huit postes
additionnels. En termes budgétaires, ça représente
combien, l'augmentation de ressources nécessaires pour permettre au
Protecteur du citoyen d'accomplir le boulot qu'on lui demande de faire?
M. Jacoby: En ce qui a trait aux communautés culturelles
et des populations autochtones, ça représenterait un budget de
fonctionnement, pour ce qui a trait au traitement de l'ordre de 290 000 $, et
comme budget d'opération, de l'ordre de 50 000 $, pour un total de 340
000 $.
M. Filion: D'accord. Et de façon générale,
maintenant, pour vous permettre d'avoir les ressources suffisantes pour mener
à bien votre mandat?
M. Jacoby: Voici, l'augmentation du nombre de demandes fait en
sorte que nous avons besoin, pour continuer de nous tenir à flot, de 22
postes additionnels. J'ai fait une comparaison et J'ai pu constater que de 1980
à 1985, on nous a alloué, au bureau du Protecteur du citoyen, 21
postes additionnels, pour une augmentation des demandes, à
l'époque, de l'ordre de 6000 dossiers par année. La demande que
je présente en 1988 est également pour une augmentation de 6000
demandes, mais, cette fois-ci, cette augmentation s'est traduite sur trois ans,
et non pas sur cinq ans. C'est pour ça que j'ai demandé un ordre
de grandeur tout à fait identique à ce qui avait
été alloué au Protecteur du citoyen, à
l'époque. Il faut se rappeler qu'à l'époque, comme
aujourd'hui d'ailleurs, ces effectifs ont été donnés au
bureau, malgré le fait que l'on vive des compressions budgétaires
depuis l'année 1979.
Le Président (M. Kehoe): Merci, maître.
M. Filon: Juste pour terminer, j'ai une dernière question,
M. le Président. Donc, c'est 20 %, grosso modo, de 3 000 000 $,
c'est-à-dire environ 600 000 $.
M. Jacoby: Pour ce qui est des effectifs d'un plan de
redressement, pour nous tenir à flot, ça représente
à peu près je dirais 906 000 $.
M. Filion: Merci.
Le Président (M. Kehoe): Merci Me Jacoby. Vu l'heure, nous
allons suspendre les travaux jusqu'à 14 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 31)
(Reprise à 14 h 22)
Le Président (M. Kehoe): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission des Institutions reprend ses travaux. Je rappelle son
mandat: il s'agit d'entendre le Protecteur du citoyen dans le cadre de l'examen
de son rapport annuel 1987-1988. Lorsque nous avons suspendu ce matin, à
12 h 30, nous en étions à la discussion entre les membres de la
commission et le Protecteur du citoyen. Le député de
Louis-Hébert m'a demandé de prendre la parole.
M. Doyon: C'est ça.
Le Président (M. Kehoe): M. le député de
Louis-Hébert.
Le rôle du député
M. Doyon: Merci, M. le Président On a déjà
eu l'occasion de discuter d'un certain nombre de choses. Tout d'abord, en
commençant, afin qu'il n'y ait pas d'ambiguïté et pour faire
suite aux propos du député de Taillon qui disait que les bureaux
de comté des députés n'étalent pas
l'équivalent du Protecteur du citoyen, etc., je n'ai jamais
prétendu ça. J'ai dit que le travail que nous étions
appelés à faire, dans une mesure très modeste, s'y
apparentait dans plusieurs cas, que ce soit concernant les bourses
d'études, les prêts ou des problèmes avec le
ministère du Revenu ou avec la CSST.
Vous auriez peut-être un travail à faire
auprès de nous, M. le Protecteur du citoyen. Vous suggérez
qu'il y ait un certain nombre de choses qui se règlent autrement que par
votre Intermédiaire. Une bonne façon, c'est de mettre à
contribution les 122 pauvres hères que nous sommes et qui ne demandons
pas mieux que de nous démêler dans le fatras administratif. Je
vous assure que les résultats qu'on obtient sont surprenants et ce sont
autant de cas auxquels vous n'avez pas affaire et qui ne vous demandent pas
d'intervention. Il est surprenant de voir que, parfois, un appel
téléphonique bien placé à un fonctionnaire qui
accepte de réviser un cas, de l'examiner puisse donner des
résultats à la satisfaction de l'administré.
Cela peut se produire aussi du côté de la CSST ou du
côté des prêts et bourses, comme je le disais. Cela peut se
produire du côté de l'aide sociale. Qu'on appelle ça du
travail d'ombudsman ou du travail de conciliateur ou comme on le voudra, en
tout cas, c'est du travail de député. C'est du travail qui
évite, dans plusieurs cas, que les griefs, si on peut les appeler comme
ça, se retrouvent sur votre bureau. Chez les 122 députés -
je ne voudrais pas parler pour tout le monde, mais en tout cas, je suis
sûr que c'est la majorité d'entre eux - vous avez des gens qui
sont prêts à faire ce qu'ils peuvent pour que la machine
fonctionne mieux. Nous avons tous, comme députés, une
préoccupation; premièrement, nous voulons nous assurer que nos
commettants ne subissent aucune discrimination, qu'ils ne sont victimes
d'aucune sorte de discrimination, que les décisions sont prises en
conformité avec la réglementation existante et avec les pratiques
courantes. Alors, à tort ou à raison, les gens ont
développé, au fil des ans - parce qu'il y a eu des
députés avant des ombudsmen - une espèce de réflexe
d'aller en parler au député. Je voudrais avoir votre
réaction. Comment nous situez-vous là-dedans, nous les
députés? En fait, l'idée, c'est de ne pas vous porter
ombrage d'aucune façon. Mais je pense que notre travail - en tout cas je
vous dis mon idée comme elle vient - peut, jusqu'à un certain
point se compléter en mettant un tant soit peu d'huile dans la machine
et de cette façon permettre qu'elle roule un peu mieux avec un peu moins
de friction et un peu moins de grincements.
Le Président (M. Kehoe): M. le Protecteur du citoyen.
M. Jacoby: La position que j'ai prise ce matin, venait du fait
que nous avions un problème de ressources; d'autre part, du fait que le
Protecteur du citoyen travaille d'une certaine manière dans l'isolement.
Pour répondre à votre question, je voudrais peut-être
apporter certaines précisions.
Je comprends très bien qu'il puisse y avoir une certaine
méconnaissance du rôle du Protecteur du citoyen par la
députation et je comprends très bien qu'à partir du moment
où la députation n'est pas véritablement impliquée
dans la nomination du Protecteur du citoyen, ça la rend moins
intéressée peut-être. Ce que je peux vous dire, c'est que
dans quelques provinces canadiennes et dans certains pays d'ombudsmen
législatifs comme ici, la nomination des ombudsmen se fait,
effectivement, par voie de concours de recrutement et de sélection par
le Parlement lui-même. Et, selon les juridictions, dans certains cas, le
comité parlementaire fait des recommandations au premier ministre ou
l'équivalent dans certains pays. Dans d'autres cas, c'est
complément pris en charge par le Parlement. En d'autres termes, c'est le
Parlement qui nomme. C'est le Parlement qui recrute. C'est le Parlement qui
fait témoigner les candidats. Et, sur cette question, je n'ai pas
personnellement d'objection, sauf que je pense que c'est la loi qui doit
être modifiée. L'autre question, pour répondre plus
précisément à ce que vous suggérez, cela me
poserait un peu problème. Comme institution, autant le Parlement que le
Protecteur du citoyen, cela nous poserait certains problèmes. Suivant la
philosophie de la Loi sur le Protecteur du citoyen, le Protecteur du citoyen
est une personne désignée par l'Assemblée nationale.
Même si dans certains cas, ça peut paraître bidon comme
processus, on a donné aux personnes désignées, comme le
Protecteur du citoyen, comme le Vérificateur général,
comme le Directeur général des élections, une
indépendance et une autonomie pour éviter, à tout le
moins, l'apparence qu'il y ait par le Parlement des Influences de nature
partisane. C'était ça la philosophie de l'institution.
Je pense que. dans cette optique, la plupart des lois d'ombudsman dans
le monde disent cela. En somme, une personne désignée, comme le
Protecteur du citoyen ou le Vérificateur général, a
l'indépendance la plus complète pour appliquer ses lois. À
cet égard, il y a peut-être autre chose. Quand vous
suggériez qu'il y ait un appel des décisions - vous posiez la
question - de l'ombudsman, je pense que le meilleur forum, à partir du
moment où l'ombudsman est une personne désignée par
l'Assemblée nationale, serait un forum politique, lors d'une commission
qui siégerait à l'occasion. Ce serait le temps de poser des
questions au Protecteur du citoyen pour lui demander pourquoi, dans tel dossier
en particulier, il a décidé que la personne n'était pas
lésée. Je pense que c'est le rôle d'un parlementaire. Si on
prévoit un mécanisme d'appel, le Parlement se trouve à
abdiquer ses responsabilités vis-à-vis de l'institution. C'est
mon point de vue.
Sur l'autre plan, la question de la complémentarité du
travail de député dans son bureau de comté et le travail
d'ombudsman, je dois vous remercier pour l'offre que vous faites d'utiliser les
122 députés, mais j'ai un problème qui est institutionnel
et d'apparence. À partir du moment où le Protecteur du citoyen se
sert, entre guillemets, de la députation pour faire
faire son travail, le risque encore c'est l'apparence de justice.
Pourquoi des gens s'adressent au Protecteur du citoyen concurremment,
simultanément ou exclusivement par rapport au député? Il y
a une foule de questions politiques et sociologiques qui entrent en ligne de
compte. Je serais très mal placé, si je veux remplir mon mandat
adéquatement, de faire en sorte que les députés deviennent
à toutes fins utiles, entre guillemets, des aides. Pour des raisons
d'image, on se comprend, sur un plan pratique.
Ce que je voulais vous dire également, c'est que, vous savez, on
ne travaille pas en vase clos, même si nous vivons en vase clos. Lorsque
nous avons un dossier et que nous devons intervenir auprès d'un
ministère ou d'un organisme, nous avons des interlocuteurs partout. Nous
avons des Interlocuteurs dans les différents services
généralement les services où nous avons le plus de
problèmes, et je vous dirais que dans 70 % des cas, par un simple appel
téléphonique, nous réglons des dossiers. Le
problème se pose lorsqu'un dossier est plus complexe et met en cause des
systèmes, des processus, des politiques et des directives.
Donc, ma position, enfin ma réflexion - je pense tout haut - par
rapport à votre suggestion est de dire que je renverserais
peut-être la proposition en disant que le Protecteur du citoyen, qui est
une émanation, une créature de l'Assemblée nationale,
pourrait être un outil de travail, avec ses pouvoirs d'enquête,
pour le député dans certains cas. Et Je comprends très
bien que la tradition parlementaire chez nous veuille que le
député, depuis fort longtemps, et bien avant que les ombudsmen
existent, comprenne la problématique des gens qui se plaignent et tout
ça. Je pense que les députés font une job absolument
admirable à ce point de vue. D'ailleurs, on a très peu de
plaintes qui passent par l'intermédiaire des députés. Je
sais que cela se fait et qu'au bureau de comté et ailleurs, vous avez
l'occasion de vous saisir de dossiers qui sont apportés par les
commettants et vous réglez beaucoup de dossiers. Mais je pense qu'il ne
faut pas, à mon point de vue en tout cas - je pense toujours tout haut -
mélanger les genres. Je pense qu'il y aurait moyen de développer
une approche plus complémentaire, étant donné que le
Protecteur du citoyen est une créature de l'Assemblée
nationale.
M. Doyon: Merci de vos réflexions.Je n'ai jamais
envisagé comme tel un appel proprement dit des décisions du
Protecteur du citoyen. Ce que j'avais à l'idée et la question en
était une d'information: Est-ce qu'il y a une boîte avec un statut
un peu particulier à l'intérieur de vos bureaux qui jette un
deuxième regard sur des décisions qui peuvent être
contestées? Ce n'était pas un appel proprement dit, parce qu'un
appel présuppose un tribunal supérieur ou, en tout cas, un
organisme supérieur. Enfin, je m'informais s'il y avait un processus
Interne qui faisait qu'on pouvait réviser à l'interne des
décisions qui étaient contestées. D'après ce que je
comprends, cela n'existe pas comme tel et le rôle est rempli par le
Protecteur du citoyen en titre qui, dans certains cas, se réserve un
certain pouvoir de deuxième regard sur un certain nombre de
décisions.
Pour ce qui est du rôle de député, je ne songeais
pas non plus à une véritable intégration - comment
l'appeler? - soit administrative, sort bureaucratique. Ce que je voulais
signaler au passage, c'est que par une intervention améliorée et
améliorable très sûrement des députés, cela
fart en sorte - par mon expérience personnelle quand même de
plusieurs années comme député - qu'il y a un paquet de
choses qui n'aboutissent pas sur le bureau de l'ombudsman. Pour nous, la
solution facile dans la plupart des cas, pour les gens qui viennent nous voir,
ce serait de leur donner votre adresse et votre numéro de
téléphone. Je ne pense pas que ce soit ce que vous souhaitiez. On
sert jusqu'à un certain point de moyen de première ligne, de
premier recours qui permet d'éviter un encombrement
supplémentaire sur vos lignes téléphoniques ou ailleurs
à votre bureau. C'est dans ce sens que je signalais qu'il y a une
utilité qui me paraît évidente en ce qui concerne le
rôle que les députés Jouent dans cette affaire
précise. On pourrait toujours, le lundi matin, recevoir les gens
à la queue leu leu et la plupart du temps on aurait fini à 10 h
30 ou 10 h 45 en leur remettant une adresse et un numéro de
téléphone qui seraient les vôtres mais je sais que ce n'est
pas ce que les députés font. C'est dans ce sens que je me disais
qu'on ne nuisait sûrement pas, enfin je pensais qu'on ne nuisait pas
à vos véritables fonctions.
L'autre chose dont je voudrais vous parler, qui me chicote un peu en
passant, c'est ce pouvoir qu'a obtenu la ville de Québec d'avoir recours
à vos services en ce qui concerne ses administrés. Comment
voyez-vous cela? Le fait que ce soit un projet de loi privé qui vous a
donné ce pouvoir que vous n'avez pas dans votre loi constitutive vous
permet de dépenser des fonds et des deniers que justifient justement les
dispositions qui vous gouvernent. Dans votre loi constitutive, on ne retrouve
pas ce pouvoir-là de vous occuper des administrés de la ville de
Québec. Cela vous crée-t-il un problème de dépenser
des fonds qui, finalement, ne sont pas attribués à cette
fin-là par le Parlement ou par le gouvernement - laissons faire les
distinctions subtiles - si on tient compte du fait que, finalement, la loi a
été adoptée le 23 décembre au soir très tard
que c'est ce qu'on appelle un projet de loi privé et que votre loi
constitutive n'a pas pour autant été amendée? Comment
conciliez-vous tout cela? Est-ce que vous avez réfléchi à
cela?
M. Jacoby: Au fait, ma première réaction c'est de
dire que c'est quand même une loi, qu'elle soit de nature privée
parce qu'elle
concerne la municipalité ou qu'elle soit de nature publique
suivant la tradition parlementaire que l'on connaît, c'est une loi qui a
tout de même été votée par l'Assemblée
nationale. La deuxième chose que je pourrais dire, c'est que si la ville
de Québec a pris la décision d'assujettir son administration
municipale à la Juridiction du Protecteur du citoyen et que le Parlement
l'a acceptée, je me dis qu'il n'y a pas de problème de ce
côté-là. Pour ce qui est maintenant des budgets comme tels
et des finances, la charte prévoit un protocole d'entente, pour la mise
en oeuvre, qui doit être conclu. Actuellement, nous sommes en discussion
avec les autorités de la ville de Québec, et il est clairement
établi, au moment où l'on se parle, que les dépenses
encourues pour l'application de cette loi, sont à la charge de la ville
de Québec. Alors, je dirais, parce que, évidemment, il y a
peut-être des frais très indirects qu'il est difficile
d'identifier ou d'imputer, je suis à peu près, au pif, sûr
qu'à 95 %, c'est la ville de Québec qui va financer tant la
rémunération des personnes additionnelles que nécessitera
ce projet que les opérations.
M. Doyon: Je termine là-dessus. C'est vrai qu'une loi est
une loi, mais il y a une différence entre un projet de loi privé,
de nature limitée, spécifique, destiné à
régler un problème bien particulier - en l'occurrence, celui
d'amender la charte d'une ville - et une loi, celle qui vous gouverne,
d'envergure générale, qui dort jouir d'une
pérennité beaucoup plus grande et d'un certain respect. Je
m'inquiéterais, si j'étais vous - je ne veux pas me substituer
à vous, loin de là - de voir que ma loi est modifiée par
des lois ancillaires ou des lois qui viennent d'un peu partout. Est-ce que vous
avez, par exemple, l'intention, si vous le jugez nécessaire, de demander
que votre loi constitutive soit amendée, de façon que ce nouveau
rôle qu'on vous a confié soit prévu à
l'intérieur même de cette loi constitutive?
M. Jacoby: Votre inquiétude que vous me prêtez, je
l'ai, parce que je peux vous dire qu'il n'y a pas très longtemps, par un
projet de loi anciliaire qui, heureusement, ne s'est pas rendu en Chambre, sans
que le Protecteur du citoyen ne soit consulté, on était sur le
point de lui enlever les pouvoirs. Cela dit. si on revient sur le fameux
rapport sur les municipalités qui date, je pense, de 1985 ou 1986, il
était proposé que le Protecteur du citoyen ait juridiction sur
l'ensemble des municipalités du Québec, et si le gouvernement
avait donné suite à ça, on aurait une législation
de type général, des modifications à la Loi sur le
Protecteur du citoyen. Cependant, ce que j'ai compris dans ce dossier, pour des
raisons que je n'ai pas à juger, c'est que l'UMQ, à 80 %, a
rejeté cette proposition. Alors, je me dis la chose suivante - et je
pense tout haut - c'est que, si le gouvernement avait l'intention de faire
quelque chose sur un plan plus global, on pourrait peut-être
prévoir une loi-cadre qui, avec le principe de l'opting In" et de
l'opting out", comme on le fait en matière d'amendes dans les
municipalités, permettrait à la fois de préserver
l'autonomie des municipalités qui ne désirent pas s'assujettir
à la juridiction, et aux municipalités qui le désirent de
s'assujettir à la Loi sur le Protecteur du citoyen. Je pense que
ça pourrait être une façon d'aborder le problème
d'une manière globale, qui respecte à la fois l'autonomie des
municipalités et à la fois une volonté gouvernementale de
faire en sorte que certaines municipalités puissent être
assujetties à un genre de mécanisme externe comme le Protecteur
du citoyen.
Le Président (M. Kehoe): M. le député
de
Taillon.
Tribunaux administratifs
M. Filon: Au cours de l'après-midi, j'aurai plusieurs
questions sur la compétence du Protecteur du citoyen -
"compétence" devant s'entendre dans le sens de juridiction. J'aurai
également de nombreuses questions sur les objectifs, les
priorités de votre bureau pour l'année qui vient. Ma
première question porte sur les principales causes de lésions -
lésions étant entendues un peu dans le sens de préjudices
- que vous avez constatées dans vos interventions, dans vos
enquêtes. Je vous réfère au tableau 7 de la page 57 de
votre rapport. Vous en avez également parlé, sauf erreur, lors de
votre présentation verbale.
On sait qu'il existe finalement au Québec, si ma mémoire
est bonne, au-dessus de 70 tribunaux administratifs. Je ne pense pas me tromper
sur le chiffre. Je sais que dans le rapport Ouellette, on en fait l'inventaire.
Donc, il existe au Québec 70 tribunaux administratifs qui ont des
juridictions différentes. Évidemment, il y en a certaines qu'on
retrouve plus souvent: Commission d'appel en matière de lésions
professionnelles, Bureau de révision de l'aide sociale, Bureau de
révision de la Régie de l'assurance automobile du Québec,
etc., mais on ne sait pas - et c'est effarant de voir la liste de ces tribunaux
administratifs - on n'a pas idée de tout ce qui a été mis
sur pied. Il y en a 78 finalement et non pas 73. Certaines sont très
connues par les citoyens, d'autres pas du tout. C'est absolument effarant. (14
h 45)
On parlait de justice douce tantôt, je trouve le concept
intéressant et je sais qu'ailleurs, en Occident, cela bouge de ce
côté-là, mais on a tendance en tout cas au Québec,
semble-t-il quand il y a un problème, on met une structure sur pied,
puis lorsqu'on reçoit des citoyens qui ont des dossiers relatifs
à cette problématique-là, on leur dit: "II y a telle
structure." On s'imagine qu'on vient de régler le problème. Mais
entre-temps, ce qui est arrivé,
c'est qu'on a créé un véritable monstre - je pense
que le mot n'est pas trop fort - qu'est l'ensemble des tribunaux
administratifs.
Dans bien des cas, les délais devant ces tribunaux administratifs
ont atteint des proportions honteuses, pour n'en citer qu'un cas. Je ne
voudrais pas, en citant celui-là, avoir l'air de négliger les
autres ou avoir l'air de dire que ce cas-là est pire que les autres,
mais c'est juste un cas, parce que c'est un organisme récent. La
Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, cela
ne fait pas longtemps que ça existe; cela fait environ cinq ans. Donc on
ne peut pas dire que c'est une espèce de surcharge de travail
imprévue, etc. Saviez-vous qu'il faut compter neuf mois en
révision et jusqu'à une année et demie en Commission
d'appel, pour parler de la Commission d'appel en matière de
lésions professionnelles, comme délai? C'est tout à fait
inacceptable. On a créé les tribunaux administratifs soi-disant
sur la base suivante: on va créer des tribunaux
spécialisés; étant spécialisés, ils vont
avoir une expertise particulière; ayant une expertise
particulière. Ils vont pouvoir disposer des litiges qui leur sont soumis
plus rapidement que les tribunaux ordinaires. Dans bien ces cas, c'est plus
long de s'adresser à des tribunaux administratifs que d'aller en Cour du
Québec pour obtenir justice. Cela fait trois ans, en tout cas, depuis
que je suis au Parlement, que je le dis et que je le redis. À
l'époque, on me disait: Écoutez, on a un comité, qui est
le comité Ouellette, qui s'occupe de ça. Tout le monde
connaît le professeur Oueilette, il fait un bon travail. Il fait son
étude assez rapidement et dépose son rapport qu'il intitule:
Urgence d'agir. Cela fait 18 mois de ça. Cela fait 18 mois qu'on est sur
l'urgence d'agir. Si le député de Louis-Hébert
était ici, puisqu'il aime beaucoup nous parler de son bureau de
comté... Moi aussi, je pourrais en parler longuement, mais je n'ai pas
de problème philosophique et existentiel ou d'aucune sorte avec mon
bureau de comté. Dans la même journée, Je serais curieux de
connaître le nombre de cas que l'ensemble des députés
reçoivent en ce qui concerne les délais en termes de santé
et sécurité au travail. Cela n'a pas de sens! Cela n'a pas
d'allure.
En feuilletant votre rapport, M. l'ombudsman - c'est un terme qui est
francisé, l'ombudsman...
M. Jacoby. Oui.
M. Filon: ...il faut que je fasse attention, je suis très
surveillé quand je parle, quand je lance un anglicisme - alors, quelle
ne fut pas, bien pas ma surprise, mais peut-être un peu ma surprise de
constater - vous me corrigerez si mon interprétation du tableau n'est
pas la bonne - que 40 % des causes de préjudices ou de lésions
subis par les citoyens et les citoyennes du Québec - ce sont des causes
identifiées, donc justifiées - qui portent sur un délai
dé- raisonnable.
Je pense que c'est la première fois - parce que dans le rapport
Oueilette, sauf erreur, on disait 'évidemment, les délais sont
trop longs, etc.", mais on n'avait pas de chiffres - qu'on voit aussi
clairement, de façon aussi limpide, l'Importance pour le gouvernement,
pour le législateur d'agir dans le secteur des tribunaux administratifs,
sinon on se conduit comme des Ponce-Pilate. On crée les structures. Les
députés, sur invitation un peu forte du gouvernement, c'est le
système parlementaire qui le veut, disent: Bien, allez-y. Pendant ce
temps, iI s'écoule douze mois, un an, deux ans avant que leur cause soit
entendue. La Commission des affaires sociales; je pourrais parler de l'ensemble
des dix organismes dont on parie le plus souvent, il y en a 78 Ma question est
la suivante: Est-ce que vous avez fait une étude sur ces délais
devant nos tribunaux administratifs? Est-ce qu'il y a des documents qui
existent, qui nous feraient part, par exemple, de ce qu'est le délai
moyen devant tel ou tel organisme ou l'ensemble de ces organismes? Est-ce que
le bureau du Protecteur du citoyen, devant cette constatation que 40 % des
causes de lésions provenaient du délai raisonnable, a
réussi à aborder de façon plus particulière cette
question des délais raisonnables? Est-ce qu'il existe des études?
Si oui, est-ce que vous pouvez - peut-être pas les déposer
aujourd'hui - nous en faire part ultérieurement, afin que nous soyons
correctement informés de la situation réelle? Car
là-dessus, on se fait répondre qu'on exagère. Mais par
contre, notre vécu quotidien nous amène à croire que les
délais, comme source de lésions, loin de s'atténuer, sont
en train de s'aggraver. Et d'ailleurs, vous avez ici les chiffres. En 1986, il
y avait 33 % des dossiers qui étaient fondés sur un délai
déraisonnable et en 1987, c'est 40 %. Donc, ma question: Est-ce que vous
avez fouillé ça un peu plus? Est-ce que vous êtes en mesure
de nous faire part un peu du résultat de vos analyses, de vos
observations sur, précisément, ce facteur-là?
M. Jacoby: Sur la question des délais, les 40 %
évidemment comprennent les délais devant les tribunaux
administratifs et aussi les délais dans le processus administratif
normal. Il est certain que nous avons pu constater que, pour ce qui est des
tribunaux administratifs que j'appellerais à haut volume, notamment, la
Commission des affaires sociales et la Commission d'appel en matière de
lésions professionnelles de même que pour certaines instances de
révision au chapitre de la santé et de la sécurité
du travail, au chapitre de l'assurance automobile, les délais ne font
qu'augmenter. Ce sont des secteurs à haut volume.
Nous avons commencé, l'automne dernier, une analyse
systémlque de cette problématique et, au moment où nous
nous parions, nous avons - parce que j'ai moi-même eu quelques
délais déraisonnables - préparé un document de
méthodologie. Je pense que nous aurons terminé notre
analyse sur cette question-là dans les prochains mois. Mais je peux vous
dire tout de suite que les chiffres correspondent à une
réalité. Par exemple, à la CALP - ces données
remontent à quelques semaines, mais je pense que c'est un ordre de
grandeur - les dossiers dits urgents, c'est-à-dire principalement deux
types de dossiers: le retrait préventif et le droit de refus, sont mis
en priorité par la CALP, et le délai moyen d'audition est de huit
mois.
M. Filion: La Commission d'appel en matière de
lésions professionnelles. C'est ça?
M. Jacoby: Oui. Huit mois pour des dossiers mis en
priorité parce qu'il y a plus d'urgence en matière de retrait
préventif et en matière de droit de refus.
Maintenant, pour ce qui est des dossiers dits réguliers, ceux qui
n'ont pas ce caractère d'urgence, à la commission d'appel, pour
Québec et Montréal, le délai se situe à pas loin de
20 mois et, dans les régions, le délai frise les deux ans. Cela
est un exemple et je pense que ces données sont relativement publiques.
Voici un exemple. Si, maintenant, je descends d'un cran en matière de
santé et sécurité du travail, au niveau des bureaux de
révision paritaire, quoique je constate des améliorations depuis
quelque temps, la moyenne pour la région de Montréal et de
Québec n'est pas loin, je pense, si mes données sont bonnes, de
dix à onze mois. Dans les régions, ça varie, suivant la
région. Ce que j'ai comme données, c'est entre trois et douze
mois au niveau des bureaux de révision. Je pourrais en passer plusieurs
comme ça. À la Régie du logement, les dossiers augmentent
également. Pour la Commission des affaires sociales en matière
d'accidents du travail sous l'ancienne loi, qui est le "backlog" de l'ancienne
loi, le délai moyen se situe entre 30 et 36 mois. On frise les trois
ans.
Cela dit, quand on parle de délai d'audition, il faut bien penser
qu'on parle de délai d'audition d'une manière très
administrative, comme les délais judiciaires, quand on dit que ça
prend six mois, etc. Pour le citoyen, le délai, ce n'est pas ça.
Pour le citoyen son délai, c'est le jour où, par exemple, il a un
accident du travail, qu'il prétend, à tort ou à raison,
que c'est un accident du travail, qu'il y a une relation entre
l'incapacité et l'accident, il fait sa demande et pour quelque raison
que ce soit, la demande est contestée et on embarque dans la machine
à saucisse. Le vrai délai pour le citoyen, si la cause se rend
jusqu'à la CALP - ça peut arriver; ça arrive souvent,
parce que je pense qu'à la CALP, ils sont rendus à 12 000
dossiers en attente et dans certains cas, ça va même devant la
Cour supérieure en évocation parce qu'il arrive que l'on conteste
la juridiction du tribunal administratif - pour le citoyen, quand on parle de
12 mois, 24 mois, 36 mois, ce n'est plus ça - ajoutons au moins un
minimum d'un an dans tous les cas. C'est ça la vraie
réalité pour les citoyens.
Je trouve qu'il y a un problème majeur. Alors, si je pousse plus
loin mon analyse, même si on ajoute des effectifs au niveau de la CALP,
cela ne régie pas nécessairement le problème. Le
problème est beaucoup plus profond que ça. La question qu'il faut
se poser, c'est pourquoi il y a autant de dossiers qui montent à la
CALP. Je pense que si on fait une analyse ou une enquête
systémique de ce problème, on risque de découvrir des
choses. On risque de découvrir que la Loi sur la santé et la
sécurité du travail, qui est une loi remplie de bonnes
intentions, qui a été discutée fort longtemps, produit des
effets qui n'étalent pas prévus a mon point de vue et en toute
humilité, en toute déférence, par l'Assemblée
nationale quand cette loi a été adoptée.
On ne pouvait pas imaginer, je pense, à l'époque, qu'on
aurait autant de contentieux dans cette machine à saucisse, en
commençant de la décision initiale, en passant pour les questions
d'ordre juridique par le Bureau de révision paritaire, en passant, pour
les questions médicales, par l'arbitrage médical, doublé
d'un certain pouvoir de reconsidération qui n'est presque pas utilisable
par la commission parce qu'elle est liée par la plupart des
décisions dans le système et doublé du fait qu'on a une
instance d'appel qui s'appelle le fameux tribunal administratif. La source du
problème est peut-être dans la structure de la loi.
Prenons cet exemple qui a été réglé d'une
certaine manière par la CALP. On dit: Le médical, c'est
l'arbitrage. Le juridique, c'est le Bureau de révision paritaire.
À un moment donné, la CALP, en 1987, a rendu une décision
pour dire que la relation entre l'accident et l'incapacité, ce
n'était pas une question d'ordre médical, mais une question
d'ordre juridique. Cela a forcé la CSST à modifier beaucoup sa
structure et ses pratiques. (15 heures)
Je pense qu'un travailleur accidenté est une personne unique.
Elle ne se disperse pas entre le juridique et le médical quand il s'agit
d'un accident de travail, d'une aggravation ou d'une rechute. La question que
je me pose est, si on devait faire certaines réflexions, ne devrait-on
pas trouver un mécanisme - je n'ai pas la solution au moment où
on se parle - où soit intégré l'ensemble du dossier si on
doit avoir une instance de révision intermédiaire? Les dossiers
se promènent d'une instance à l'autre. Ils se promènent et
ce n'est pas normal, je ne pense pas. Je pense qu'il faut peut-être
repenser la structure de cette loi.
Deuxièmement, si je prends toujours le secteur de la santé
et de la sécurité du travail, mon hypothèse de
départ, et je l'ai mentionné ce matin et dans le rapport annuel,
c'est qu'à partir du moment où on met des structures
contentieuses qui ne semblent pas être des structures
de dernier recours, inévitablement on a un contentieux. On a un
contentieux de masse.
À mon point de vue, les Instances de révision ou les
instances d'appel devraient être vraiment le mécanisme ultime
après qu'on aurait épuisé tous les autres moyens de
conciliation, de médiation et de discussion, à toutes fins
utiles. Qu'on assoie un employeur et un employé, et ainsi de suite.
Qu'on fasse parler le monde. D'ailleurs, il y a des expériences qui se
font dans certains secteurs et même en matière d'administration de
justice judiciaire. C'est beaucoup plus efficace. On peut se poser des
questions comme ça.
Je crois qu'il faut qu'on garde des recours devant les tribunaux
administratifs ou Judiciaires. C'est essentiel, absolument essentiel, mais
encore faut-il que les structures ne fassent pas en sorte que !e moindre
conflit déclenche la machine à saucisse. Et ça part
d'autant plus dans la machine à saucisse qu'il arrive très
souvent que les fonctionnaires, et ce n'est pas leur faute, sont
entraînés à répondre aux personnes qui
présentent des demandes, qui se plaignent. Le fonctionnaire, dans sa
culture, est très sécurisé de dire: Si vous n'êtes
pas d'accord avec moi, vous avez un recours. Et je trouve cela normal dans la
culture mais c'est là que je me pose des questions.
Est-ce qu'on doit continuer de penser comme ça? Je pense
plutôt qu'on devrait travailler davantage au niveau des premières
lignes de décision pour faire en sorte que le fonctionnaire, quel que
soit le secteur dans lequel il se trouve, quand iI reçoit une plainte
d'une personne, communique avec l'autre partie, s'il y en a une, si c'est une
personne privée comme en matière de santé et de
sécurité du travail ou l'État, l'administration, et essaie
tout de suite de prévenir le contentieux. Alors, l'enquête qu'on
pourra amener, je ne veux pas préjuger des rapports de cette
enquête sur les délais, les tribunaux administratifs... Ce que
nous allons essayer de faire, c'est d'identifier toutes les causes possibles de
délais dans deux ou trois tribunaux administratifs et ensuite, essayer
d'identifier comment on peut jouer sur les causes pour minimiser les
délais. C'est un peu dans ce sens-là que nous nous orientons.
M. Filion: Je pense que les chiffres que vous avez donnés
tantôt sont proprement indicatifs finalement quant à une situation
qui, à mon point de vue, est scandaleuse. Vous soulignez des
façons de régler un problème qui est issu du monstre qu'on
a créé. Les solutions que vous mettez de l'avant sont fort
intéressantes. Elles méritent d'être
considérées très attentivement par le pouvoir
législatif, bien sûr, mais aussi par le pouvoir exécutif.
Il est malheureux, d'ailleurs, qu'on n'ait personne du pouvoir exécutif
avec nous aujourd'hui. Mais, l'adjoint parlementaire du ministre de la Justice
est ici et il pourrait sûrement se faire le porte-parole plus informel
que je le ferais à l'Assemblée nationale de ce que j'ai lu et
entendu ici aujourd'hui.
Ces chiffres confirment finalement les pires de nos
appréhensions. Ils nous indiquent des voies de solution. Il en existe
d'autres également mais surtout, quant à moi, nous devons retenir
l'urgence d'agir dans ce secteur autrement, je l'ai dit tantôt, on peut
aller à la Cour des petites créances relativement rapidement, on
peut être entendu très rapidement par un juge de la Cour
provinciale pour un litige qui ne dépasse pas 10 000 $ ou 15 000 $, je
ne me souviens plus de la juridiction de la Cour des petites créances,
mais si on a un accident du travail et qu'on manque trois jours, on vient de
rentrer dans ce que le Protecteur du citoyen appelait tantôt "la machine
à saucisse". Cela est long et les délais... Il y a plusieurs
juges qui répètent souvent qu'une justice qui retarde n'est plus
une justice. Cela s'applique aussi à ce que les citoyens vivent,
d'autant plus que les citoyens, quant à moi, ont beaucoup plus de
problèmes avec l'administration gouvernementale qu'ils ne peuvent en
avoir entre eux et avec les tribunaux.
Je pense qu'à ce sujet, je ne sais pas s'il y a d'autres
questions de mes collègues sur les délais mais, quant à
mol, Je retiens, M. le Protecteur du citoyen, une urgence de prise de
conscience qui s'impose et une urgence d'agir. Sinon, dans le prochain rapport
annuel du Protecteur du citoyen, on verra que les causes de lésions
continuent d'augmenter et que le pourcentage continue d'augmenter aussi.
Finalement, il n'y a rien de pire que de ne pas savoir à quoi s'en
tenir, sans parler de tous les drames humains qui se vivent pour ceux et celles
qui ne savent pas à quoi s'en tenir, et que nous constatons quand nous
rencontrons les gens, non seulement à savoir s'ils sont susceptibles
d'être indemnisés pour leur accident mais sur le montant de leur
indemnité en plus de cela. En bref, Je pense que c'est une
démonstration éclatante et, quant à moi, s'il n'y a pas
d'autres questions sur les délais, j'aimerais passer à un autre
aspect.
Le Président (M. Keboe): Mme la députée de
Groulx, sur les délais?
Appels téléphoniques
Mme Bleau: J'ai deux questions dont une qui pourrait se rapporter
aux délais. Vraiment, quand vous avez parlé tout à l'heure
d'appels téléphoniques, est-ce que vous voulez dire qu'une
personne - vous en aviez parlé dans votre rapport aussi - qui se sent
lésée peut, par un simple appel téléphonique, vous
soumettre son cas sans être obligée d'aller signer un million de
formules et que vous vous en occupez quand même?
M. Jacoby: Oui. La manière dont nous
fonctionnons est la suivante. Je peux vous dire que dans 94 % ou 95 %
des cas, cela se fait par téléphone. La personne appelle au
bureau et nous sommes à Québec et à Montréal. Le
service d'accueil vérifie si nous avons juridiction et dés qu'on
est convaincus que nous avons juridiction, le dossier est
transféré aux enquêtes. Dès que cela arrive aux
enquêtes, la personne chargée de l'intervention regarde le
dossier. SI elle a besoin de renseignements complémentaires pour les
fins de l'analyse du dossier, elle va communiquer tout de suite avec le
plaignant.
Parallèlement à cela, la personne va faire sortir le
dossier dans le ministère ou l'organisme concerné, parler au
besoin aux fonctionnaires et tout se fait, si on se place du point de vue de la
victime, enfin de la personne qui se prétend lésée, d'une
manière très informelle. Nous n'avons pas voulu établir
des formules sacramentelles.
Ce qu'on a réalisé finalement, c'est que très
souvent, je ne peux pas vous donner de chiffres là-dessus, mais
très souvent les personnes qui communiquent avec nous ont beaucoup de
difficultés, d'abord, à Identifier leur problème. On fait
affaire avec un appareil de l'État et les gens ont beaucoup de
difficulté à identifier. Si on faisait des tests pour dire aux
gens: Voici, remplissez donc les huit lignes qui sont blanches, mettez votre
problème, je pense qu'en termes d'efficacité, souvent on ne
serait pas plus avancés, il faudrait parler à la personne. Des
fois, on va se plaindre, par exemple, d'un délai déraisonnable.
Si on découvre que la source de lésion est pire que cela, parce
qu'on a pu constater également que, d'une manière
générale, lorsqu'un délai paraît être excessif
aux yeux de la personne qui communique avec nous, on réalise, en
creusant le dossier, que si le dossier "stâle", c'est parce qu'y y a
d'autres affaires dedans mais la personne n'est pas avisée. Normalement,
elle n'est pas toujours avisée par l'administration que son dossier est
"stâlé" pour telle raison. On découvre d'autres causes de
lésions à l'occasion d'une plainte strictement sur le
délai.
En pratique, notre façon de fonctionner est très
informelle, de la même façon qu'on fonctionne de manière
relativement informelle avec les ministères et organismes du
gouvernement. Même si nous avons les pouvoirs des commissions
d'enquête, on ne sent pas le besoin de les utiliser et de tenir des
audiences publiques. À ma connaissance, en tout cas, je peux dire, au
moins depuis que je suis là, qu'on n'a pas utilisé ce pouvoir. Il
faut dire que nous avons établi nos contacts dans les ministères
et organismes, et cela facilite les choses. Nous avons des points de contact.
Nous essayons d'être le plus informel possible. D'une certaine
manière, on se met à la place de la population. La population ne
comprend rien à la structure de l'administration gouvernementale. Quand
bien même on lui ferait de beaux POAS qu'on lui déposerait et
qu'on tiendrait des séminaires, elle n'en voudrait rien savoir.
Mme Bleau: Votre réponse me plaît beaucoup.
Justement, pour la population en général, ça doit beaucoup
simplifier les choses que de n'avoir qu'un coup de téléphone
à donner. C'est pour faire suite à ce dont on a parlé ce
matin, quand on a parlé des clientèles cibles qui sont, pour la
plupart, des défavorisés. On a convenu que ça ne
nécessitait pas de modification à la loi. Par contre, vous
souhaiteriez également élargir votre juridiction pour accrocher
ces clientèles. Votre rapport parte, entre autres, d'éducation,
de la santé et des services sociaux et des municipalités.
Qu'est-ce qui constitue vos priorités et quel est votre plan d'action
pour amener des modifications législatives nécessaires à
votre travail?
M. Jacoby: Pour ce qui est des personnes clientèles cibles
vulnérables ou démunies ou dans une condition telle qu'elles ont
peut-être besoin d'être mieux connues par nous, il y a des
clientèles pour lesquelles nous avons besoin de modifications
législatives. Il y en a d'autres pour lesquelles nous n'en avons pas
besoin. Par exemple, si je prends le secteur de l'aide sociale, j'ai pu
constater beaucoup de choses intéressantes. J'ai pu constater que la loi
du silence régnait très souvent chez les assistés sociaux
parce qu'ils ont très souvent peur, à tort ou à raison, je
ne porte pas de jugement, des représailles. Combien de personnes n'osent
pas, même par rapport aux organismes de défense des droits qui
existent dans les régions, en parler à ces organismes de
défense des droits qui sont des bénévoles et qui sont des
assistés sociaux, de peur que, un jour ou l'autre, un employé de
l'État ne revienne après? Bon, la loi du silence. Des rencontres
que j'ai faites, je peux constater qu'il y a un très grand traumatisme
chez les assistés sociaux. Cela risque d'être longtemps comme
ça. Alors, je me suis dit: Mon Dieu, parce qu'on a vu des cas où
des dossiers se perdent. Je vous donne un exemple très simple - je ne
nommerai pas la région - en matière d'aide sociale, qui est
arrivé cet automne. Nous avons été demandés pour
aller faire une conférence à un groupe de personnes. Parmi ce
groupe de personnes, il y avait des personnes âgées. Une petite
madame s'est adressée à l'un de mes collaborateurs et a dit: Moi,
ça fait cinq ans que je demande telle aide spéciale, du monde m'a
dit que j'y avais droit. Puis, là, je pense que ce que vous avez dit,
j'y ai peut-être droit, mais, moi, je vais régulièrement au
bureau d'aide sociale. L'agent qui était là m'a dit: Vous n'y
avez pas droit, madame. Alors, ce qu'on a fait a été très
simple. On a dit à la dame: Écoutez... D'abord, on lui a sorti
une copie d'une fameuse directive qui, généralement, est inconnue
des citoyens. On a dit: Madame, allez voir le monsieur avec la directive et
dites-lui que ça vient
du bureau du Protecteur du citoyen. Le dossier s'est réglé
le lendemain matin.
Ce que je veux dire, c'est que dans le milieu de l'aide sociale - et ce
n'est pas propre au Québec, c'est comme ça un peu partout - il y
a la loi du silence. Les gens qui sont déjà, sur un plan de la
dignité humaine, défavorisés non seulement
économiquement parlant mais qui en prennent un coup sur le plan de leur
dignité, ces gens-là ont peur. D'autant plus que les couches de
la population que représentent les assistés sociaux ne sont
généralement pas des personnes bien informées et bien
scolarisées. Cela double encore le sentiment que ces gens peuvent
ressentir. Je me dis, d'autant plus qu'une nouvelle loi s'en vient et que le
monde ordinaire ne va pas nécessairement comprendre, les lois sont
très complexes, je me dis: On va mettre une priorité sur les
assistés sociaux. Nous avons commencé dans ce secteur à
rencontrer des groupements. Nous prenons des ententes de fonctionnement avec
ces groupements, etc. Cela ne nécessite pas de modification
législative. (15 h 15)
Par ailleurs, si je prends les personnes âgées, selon le
type de dossiers, il y en a certains pour lesquels on a besoin d'une
modification législative et, pour d'autres, on n'en a pas besoin. Par
exemple, pour la personne âgée qui transige avec les
ministères et organismes provinciaux où il y a des fonctionnaires
sur lesquels nous avons juridiction, il est certain qu'on n'a pas besoin de
modification législative, mais si on prend la personne âgée
qui veut être admise dans un centre ou un foyer d'accueil ou qui a des
problèmes dans l'Institution où elle se trouve, pour que nous
ayons juridiction, il faudra nécessairement modifier la Loi sur le
Protecteur du citoyen, de manière à donner juridiction sur le
réseau des services sociaux, parce que ce n'est pas ça. A cet
égard, nous avons déposé un mémoire au
comité Bussières, créé par la ministre de la
Santé et des Services sociaux qui doit remettre son rapport
bientôt, où nous avons proposé d'avoir une juridiction, par
rapport aux personnes âgées, dans le réseau de la
santé et des services sociaux.
Si je prends les personnes qui éprouvent des problèmes
d'ordre mental, que ce soit des déficients mentaux ou des malades
mentaux au sens médical du mot, nous avons fait une proposition, aussi,
au ministère concerné et, en janvier, un rapport a
été présenté à la ministre pour dire qu'elle
demandera l'élargissement de la juridiction. Pour ce qui est des
minorités, on en a parlé. Nous avons aussi un plan d'action pour
les membres des communautés culturelles que, je l'espère, nous
pourrons réaliser dans les meilleurs délais. En ce qui nous
concerne, c'est à peu près la situation par rapport aux personnes
défavorisées.
J'inclus, bien sûr, là-dedans les accidentés du
travail et les accidentés de la route. Ces personnes, pour des raisons
qui leur sont étran- gères, sont dans une condition telle
qu'elles se trouvent plus démunies, à partir d'un moment
donné, et elles risquent de débarquer de tous les programmes pour
tomber dans l'aide sociale. Et compte tenu des délais et des
problématiques particulières à certains secteurs, on fait
plus d'efforts, maintenant, pour s'occuper davantage des accidentés du
travail et des accidentés de la route.
Mme Bleau: Merci beaucoup.
Le Président (M. Kehoe): M. le député de
Marquette.
M. Dauphin: Sur le même sujet, avant d'aborder une autre
question. Je crois qu'en matière de santé mentale,
également, il y a un plan d'action, dans la nouvelle politique de
santé mentale où le Protecteur du citoyen a un rôle accru,
une extension.
M. Jacoby: Effectivement. La ministre, dans son plan d'action, en
ce qui touche, notamment, la question de l'exercice des droits, a prévu
un plan d'action global, un plan d'action global qui fait que, par exemple, les
comités de bénéficiaires, dans les institutions, auront un
financement garanti, ce qui n'était pas le cas. Deuxièmement, il
y aura des comités de bénéficiaires dans toutes les
Institutions. Troisièmement, le rôle des CRSSS sera quelque peu
modifié, parce que ce sont aussi des organismes de plaintes. Le plan
d'action prévoit justement que le Protecteur du citoyen pourrait
intervenir en ultime recours. Je me dis la chose suivante: Je ne pense pas que
le Protecteur du citoyen devrait être le premier recours, sauf pour des
cas d'urgence. Le jour où nous devenons les premiers recours, ça
veut dire, en pratique, qu'avec les années, nous risquons de faire en
sorte, et bien involontairement, de déresponsabiliser les personnes qui
doivent prendre des décisions dans les organisations. Je
préfère que notre statut, entre guillemets, soit de dernier
recours. Évidemment, les cas d'urgence seront là, et ainsi de
suite. Alors, c'est la proposition qui est faite dans le pian d'action de la
ministre dont elle prévoit la mise en oeuvre le 1 er avril 1990.
Pouvoir de recommandation ou pouvoir
décisionnel
M. Dauphin: Merci. Sur un autre sujet, si vous me le permettez,
M. le Président, depuis, effectivement, un bon bout de temps, on cherche
de plus en plus à doter nos organismes de pouvoirs d'adjudication ou
décisionnels. Qu'on songe à la Commission des droits et
libertés de la personne, il est question d'un tribunal administratif
Indépendant, également, en matière de tribunal de
déontologie, la réforme policière que nous venons
récemment d'adopter. Je lisais le texte d'une de vos conférences,
que vous avez
eu l'amabilité, d'ailleurs, de nous transmettre, où vous
dites que, pour vous, c'est l'inverse, vous souhaitez conserver un pouvoir
strictement de recommandation et non pas décisionnel. Est-ce que vous
pourriez expliciter sur le sujet?
M. Jacoby: Oui. D'abord, j'ai pu constater que notre taux de
résolution de dossiers était relativement élevé.
Alors, je me suis dit... Il faut dire qu'avant d'accepter la charge, je me
posais des questions sur ce fameux pouvoir de recommandation. Il y avait
ça. Je me suis posé la question: Pourquoi, dans le fond, a-t-on
prévu un pouvoir de recommandation? Alors, je me suis dit que si on
avait prévu un pouvoir de recommandation, c'était pour
éviter, par exemple, que le Protecteur du citoyen n'ait une juridiction
administrative sur les employés du gouvernement, pas de pouvoir
hiérarchique ou décisionnel, pas de pouvoir quasi judiciaire et
je me suis dit: Dans le fond, qu'est-ce que ça donnerait de plus, je dis
bien, au moment où on se parle? Je me suis dit la chose suivante: Une
bonne partie de notre efficacité dépend du type de rapport qu'on
entretient avec les ministères et organismes du gouvernement. D'une
manière générale, je ne peux pas dire dans tous les cas,
ce sont des rapports harmonieux, en ce sens que, dans les organismes où
on a bien compris le rôle du Protecteur du citoyen, on a bien compris que
le Protecteur du citoyen n'est pas là pour trouver des coupables ou
faire des notations sur les employés, que le Protecteur du citoyen
n'était pas du tout là pour sanctionner des gens, mais simplement
pour essayer de corriger des situations qui étaient Inacceptables.
À partir du moment où les gens comprennent ça dans
les ministères ou organismes, il y a une bonne collaboration. Cela ne
veut pas dire que ça marche tout le temps, il y a des dossiers qui sont
très compliqués, mais, dans l'ensemble, cela va relativement
bien. La deuxième chose que je me suis dite: Si nous avions un pouvoir
de rendre des ordonnances, ce serait peut-être trop facile. Je regarde
les organismes que je ne nommerai pas qui ont à la fois ce pouvoir
d'enquête d'une main et de l'autre un pouvoir de rendre des ordonnances.
Dans ces organismes, je constate qu'on n'utilise à peu près pas
le pouvoir d'enquête pour amener une solution à l'amiable. On sort
trop rapidement le gros bout du bâton et on rend des ordonnances. En
pratique, cela veut dire que la partie visée par l'ordonnance, on est
rendu dans le contentieux. Une ordonnance et une décision, c'est une
décision du tribunal. Je ne serais pas surpris que, si le Protecteur du
citoyen avait un pouvoir de rendre des décisions quasi judiciaires,
demain matin, le Procureur général du Québec, très
souvent se trouverait à contester l'ordonnance ou la décision du
Protecteur du citoyen. Dans certains cas, on risquerait de se retrouver
peut-être devant la Cour suprême du Canada.
Autant je dis qu'il faut faire attention à la judiciarisation,
autant je pense que le fait que nous ne soyons pas judiciarisables, c'est
peut-être un plus. Cela nous permet de discuter plus avec les
administrations, de les convaincre davantage des choses qui doivent être
faites. Je n'aime pas avoir le gros bout du bâton, en tout cas, ce n'est
pas ma philosophie. Je pense que par le dialogue, les discussions, on peut
certainement amener des choses. C'est peut-être un peu plus lent, par
exemple, mais cela donne des résultats assez intéressants, je
pense.
M. Dauphin: Dans l'éventualité où il
n'obtempère pas à votre demande, que faites-vous? Allez-vous voir
votre député?
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Jacoby: Quand il arrive qu'au niveau de notre organisation il
n'y ait pas eu d'entente possible avec le ministère ou l'organisme
concerné, après qu'on ait épuisé beaucoup les
paliers hiérarchiques - et dans certains ministères et
organismes, il y en a un maudit paquet - la loi prévoit que le
Protecteur du citoyen, à ce moment-là, fait une demande au
responsable de l'organisme ou au ministre responsable, lui soumettant la
situation et lui demandant ses commentaires. C'est ce que dit la loi. Dans les
faits, parce que je me dis: Avant de monter à ce niveau-là,
même si la loi ne le prévoit pas, dans la majorité des cas,
sauf des cas d'urgence, je m'adresse d'abord d'une manière officieuse,
soit par lettre, soit par téléphone au sous-ministre ou au
dirigeant d'organisme. Beaucoup de dossiers se règlent là. Quand
ça bloque à ce niveau, c'est là que je vais devant le
ministre. Si le ministre, après avoir donné ses explications, ne
nous convainc pas que la personne n'a pas été
lésée, la loi prévoit un mécanisme de recours,
entre guillemets, devant le Conseil des ministres. La loi prévoit
qu'ultimement, nous pouvons déposer un rapport à
l'Assemblée nationale.
Ce sont les mécanismes que nous avons. Il y a aussi le fait que
la loi a été modifiée en 1987 pour donner
expressément au Protecteur du citoyen le pouvoir de faire des
interventions publiques. Je n'ai pas eu à l'utiliser. Je crois beaucoup
plus au processus de discussion, le règlement à l'amiable, mais
dans certains cas ça ne donne rien, je peux vous le dire; ce n'est pas
toujours aussi clair que ça. Disons que, dans l'ensemble, je vous dis
que ça marche relativement bien. C'est pour ça que je ne veux pas
de pouvoir quasi judiciaire. En tout cas, au moment où on se parle, je
pense que...
M. Dauphin: Excusez-moi, M. le Président. Sans donner de
nom, est-ce que, dans vos seize mois d'expérience comme Protecteur du
citoyen, il vous est arrivé...
Mme Bleau: Oui, c'est ce que j'allais dire.
M. Dauphin: ...de vous rendre au Conseil des ministres?
M. Jacoby: Oui, c'est arrivé deux fois et ça n'a
rien donné.
M. Dauphin: Cela n'a rien donné. Mme Bleau: Ce
n'est pas encourageant.
L'effectif du bureau et la collaboration des
ministères
Le Président (M. Kehoe): M. Jacoby, dans vos notes, ce
matin, vous avez mentionné que vous demandiez à la commission des
institutions d'appuyer la demande du Protecteur du citoyen, afin que le
gouvernement lui accorde les effectifs nécessaires pour mener à
bien sa mission. Dans votre discours de ce matin, vous avez posé aussi
une question fondamentale, à savoir si on peut indéfiniment
ajouter des effectifs au bureau du Protecteur du citoyen. Je me demande ce que
vous voulez dire au juste par ça. Vous nous demandez de cautionner votre
demande.Est ce que c'est de plus d'effectifs dont vous avez besoin? Mais, ce
faisant, vous posez la question à savoir, on grossissant le bureau. ce
qui arriverait en fin de compte?
M. Jacoby: Bien, c'est ça. La demande que nous avons
présentée pour avoir des effectifs additionnels, je me dis: Bon,
on en a besoin, c'est du rattrapage. C'est simplement un plan de redressement
plus quelques postes pour des clientèles cibles. Une fois que j'ai dit
ça, je me suis dit: Où est-ce qu'on va avec ça à
long terme? Est-ce que pour pallier ou compenser des lésions qui peuvent
être commises par les ministères ou par les organismes, est-ce que
pour régler ces lésions on va augmenter Indéfiniment les
effectifs du Protecteur du citoyen? Je ne veux pas devenir un ministère,
une grosse structure, il faut s'entendre. Je ne veux pas devenir une grosse
machine. Dans le fond, plus je vais augmenter mes effectifs, ce qui va se
produire à un moment donné, c'est que je vais finalement doubler
les ministères et organismes et faire leur job à leur place. Il
me semble que la première responsabilité de faire les choses
correctement revient aux dirigeants d'organismes et aux ministres responsables
des organismes. Ce sont ces personnes qui, je crois, doivent être les
premières à voir à ce que la qualité des services
soit là.
Donc, je me dis, il y a une demande de rattrapage d'un côté
parce qu'on est complètement débordé, mais maintenant, sur
du moyen et du long terme, il faut travailler sur autre chose. Cela, le
Protecteur du citoyen ne peut pas le faire tout seul. Il faut une
sensibilisation des organisations gouvernementales au problème de la
qualité du service et de sa rapidité; il faut,
parallèlement à ça, mettre sur pied des struc- tures plus
légères de règlement de conflits. Je me dis que, dans
quelques années, que ça prenne deux, trois, quatre ou cinq ans,
on va avoir des effets bénéfiques. On va pouvoir stabiliser les
lésions, à toutes fins utiles. C'est un peu ça, mon point
de vue.
Le Président (M. Kehoe): Plus loin, quand vous parlez dans
votre Intervention de la collaboration des ministres, sous-ministres et
dirigeants d'organismes, etc., quand vous dites qu'ils ont
démontré une volonté de corriger les choses, est-ce qu'il
y a quelque chose de concret? Y a-t-il un changement d'attitude qui serait en
train de s'installer? Est-ce que des gestes concrets ont été
posés jusqu'à présent? (15 h 30)
M. Jacoby: Oui. Il y a un changement d'attitude depuis quelque
temps. Il faut dire que peut-être le rapport annuel a aidé un peu.
Je dois remarquer... Je peux vous dire qu'en ce moment il se passe des choses
Intéressantes. Les résultats ne seront pas pour demain matin,
mais... Par exemple, je peux vous dire qu'avec le ministère du Revenu
qui, à mon point de vue, est déjà très
préoccupé par la qualité du service - même si ce
ministère aurait tout pour se faire haïr parce qu'il va chercher de
l'argent dans les poches du monde - ils étalent déjà bien
partis. Et là, on est actuellement en négociation avec le
ministère du Revenu pour développer un protocole d'entente entre
le Protecteur du citoyen et le ministère du Revenu qui permettrait
encore d'améliorer notre fonctionnement sur une base réciproque
tout en maintenant notre autonomie. Il y a une volonté politique et
administrative au ministère du Revenu d'aller encore plus que ce qu'ils
ont fait actuellement.
Je dirais également que du côté de ta Régie
du logement, j'ai eu l'occasion récemment de rencontrer les
autorités de la régie et elles sont très
sensibilisées à ce problème. Les autorités
réalisent que cela n'a pas de maudit bon sens. Parce qu'un locataire et
un propriétaire, ça vit très longtemps ensemble. Or, qu'a
fait la régie jusqu'ici? C'est de judiciariser tout ça. Alors je
pense que la régie va développer une nouvelle philosophie qui
sera beaucoup plus axée sur la conciliation.Et, pour ce
dossier-là aussi, il y a une concertation qui risque de se faire entre
le bureau du Protecteur du citoyen et la Régie du logement.
Également au ministère de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu, concernant l'aide sociale, même si nous
avons dénoncé la facture du projet de loi et le trop grand nombre
de pouvoirs habilitants, il n'en reste pas moins que là aussi j'ai
commencé à avoir des discussions bilatérales avec les
autorités administratives du ministère et elles aussi veulent
véritablement qu'on les aide à cerner les problèmes, ce
qui va leur permettre de modifier la réglementation au besoin et de
changer les directives. Il y a, là aussi, une volonté de se
concerter pour améliorer les choses.
Du côté maintenant du secteur qui est peut-être le
plus critiqué, soit le secteur de la santé et
sécurité au travail, je peux vous dire également que
depuis quelques mois - et particulièrement depuis quelques semaines - il
y a une ouverture très grande de la part de la direction de la
Commission de la santé et de la sécurité du travail. J'ai
eu l'occasion d'avoir certaines rencontres récemment, et je vais en
avoir dans les prochaines semaines, pour faire en sorte que le Protecteur du
citoyen ne soit pas perçu par la CSST comme un "stranger in the house",
mais comme une personne qui est peut-être là pour aider la CSST
avec l'éclairage particulier que nous pouvons avoir à même
nos dossiers et pour tenter aussi de bonifier le traitement des dossiers sous
un angle un peu plus humain. Je peux dire, en toute honnêteté, que
Je constate des volontés actuellement dans certains secteurs.
Le Président (M. Kehoe): M. le député de
Lévis.
Consultation
M. Garon: Je me posais une question. Quand il y a des
modifications aux lois, je pense par exemple aux amendements au projet de loi
92, l'assurance automobile, où les modifications peuvent influencer les
comportements ou les procédures, est-ce que le Protecteur du citoyen est
consulté pour voir si la loi va vraiment améliorer la
procédure ou l'empirer?
M. Jacoby: La réponse c'est que... Enfin,
l'expérience que je vis depuis que je suis là c'est que nous ne
sommes jamais consultés et on évite de nous consulter. Ce qui
fait que je me dis qu'il y a quelque chose qui ne marche pas dans le
système. Il y a peut-être des gens qui pensent que nous sommes des
ennemis, mais avec la petite expérience que nous avons, je me dis qu'il
y a des choses sur lesquelles on pourrait faire la lumière et dire: Cela
ne marche pas. Alors ce que nous avons fait, nous avons pris l'initiative
depuis quelque temps, dans certains projets de loi, de transmettre des demandes
formelles ou des commentaires très formels aux personnes responsables du
projet de loi. Nous n'avons pas déposé de mémoire; nous ne
sommes pas venus en commission parlementaire, mais dans quelques projets de
loi, nous avons fait des propositions très précises. Mais je peux
vous dire que jusqu'ici, mon expérience c'est qu'on n'était pas
consulté à un point tel que dans certains cas j'ai
accroché juste à temps une loi qui enlevait des pouvoirs au
Protecteur du citoyen sans qu'on me consulte, sans que personne ne soit
consulté. Il n'y a pas très longtemps, je viens encore d'y
échapper, on était en train do faire autre chose... Cela dit, je
pense la chose suivante. Évidemment, ça va dépendre de nos
disponibilités. Je pense qu'avec l'expérience - notre petite
expérience que nous avons - nous pouvons certainement aider les
fonctionnaires, les administrateurs qui préparent des projets de loi et
les autorités de niveau politique et leur souligner des
problèmes. Parce que, avec l'expérience que nous avons, il est
facile de déceler, par exemple, un "loophole" dans un projet de loi ou
dans un projet de réglementation, peut-être pas dans tous les cas,
mais on peut voir, à cause de ces expériences que nous avons, il
y des "loopholes". Je pense que le rôle du Protecteur du citoyen pour
l'avenir devrait être aussi de tenter de bonifier les projets de loi
lorsque nous considérons que c'est opportun, de même que les
projets de réglementation.
Le Président (M. Kehoe): M. le député de
Taillon. Excusez-moi, êtes-vous... M. le député de
Lévis.
Augmentation du nombre de cas
M. Garon: J'ai remarqué une chose après avoir
été plusieurs années au gouvernement et trois ans dans
l'Opposition. J'ai remarqué que depuis deux ans, des cas de comté
sur l'assurance automobile et la CSST, je n'en avais pas beaucoup. Aujourd'hui,
il y a un bon pourcentage de gens qui viennent à mon bureau et je me
dis: II y a quelque chose qui ne va pas. Il me semble que les gens ont plus
tendance à aller voir quelqu'un qui est au pouvoir en disant: II va me
régler ça, que de venir voir quelqu'un qui est dans l'Opposition.
Je me dis: Comment se fait-il que le nombre de cas... J'ai souligné en
commission parlementaire, lors de l'étude de la Loi sur la Régie
de l'assurance automobile, l'augmentation du nombre de personnes qui viennent
nous voir - en tout cas, je ne parierai pas pour les autres, je vais parler
pour mol - qui viennent au bureau de comté avec des cas d'assurance
automobile, des cas d'accident du travail. Je remarque que, en 1986, non, mais
depuis deux ans ça m'a frappé, le nombre de cas a augmenté
considérablement. Y a-t-il une explication?
M. Jacoby: Moi j'ai pu constater, en tout cas cette année,
par rapport à l'an dernier, que nous avons dans à peu près
tous les secteurs d'activité gouvernementale une augmentation des
plaintes. Est-ce que c'est simplement dû au fait que le Protecteur du
citoyen est plus connu? Je ne pense pas parce que même avec les
organismes qui ont des mécanismes de traitement des plaintes, je
réalise en parlant aux personnes responsables de ces organismes qu'il y
a aussi une augmentation des plaintes. Je présume qu'il y a des
augmentations des plaintes au niveau des députés
également.
Les causes de ça, il peut y en avoir plusieurs. II y a le fait
que, c'est un pou paradoxal de dire ça, peut-être les gens
connaissent plus leurs droits, mais Je ne suis pas convaincu de cela ou ils
sont peut-être plus combatifs dû à
cet environnement juridique des chartes. On parle beaucoup de droit chez
nous au Québec; on est très sensibilisé à cette
question. Il y a beaucoup plus de groupements de défense des droits qui
se créent. Par exemple, au niveau de l'aide sociale, dans toutes les
régions du Québec, maintenant, il y a des groupes de
défense des droits qui sont des associations bona fide, des associations
de personnes qui sont elles-mêmes des assistées sociales et qui
voient à la défense des intérêts des assistés
sociaux. C'est un phénomène qui ne remonte pas à hier,
mais qui semble être en recrudescence.
En matière d'accident du travail, également, il existe au
Québec, dans chaque région, des mouvements de défense des
droits des accidentés. On dirait que ça se crée de plus en
plus ces organismes. Il y a sûrement des raisons sociologiques que
J'ignore, mais c'est là. Alors, des organismes qui jouent des
rôles d'"advocacy", de "lobbying" et tout ça, c'est sûr que
ces gens vont parfois inciter leurs membres à revendiquer des droits,
à poser des questions à l'administration, etc. Il y a ce
phénomène qui est un phénomène sociologique. Il y a
aussi le fait que, inévitablement, depuis 1979 que l'on effectue des
compressions budgétaires, ces compressions budgétaires ont des
effets cumulatifs. Je ne veux pas mettre en cause la politique de faire des
compressions budgétaires. Au contraire, Je crois que ça s'impose.
Mais ce que cela a produit en bout de ligne, ce que ça semble produire,
c'est que la manière dont à l'intérieur des
ministères et des organismes on absorbe ces compressions, Je n'ai pas
toujours l'impression qu'on les absorbe au bon endroit. C'est mon
"feeilng".
J'ai pu constater, avec l'expérience de certains dossiers, par
exemple que dans certains ministères ou organismes, le service
d'accueil, les gens de première ligne, c'est peut-être la moindre
des préoccupations des autorités pour des raisons que Je n'ai pas
à juger. Mais on dirait, dans certains organismes, qu'on ne met pas les
ressources nécessaires en termes de formation, d'apprentissage, d'outils
de travail aux personnes qui sont les premières sur la ligne de feu. Or,
si les personnes qui sont sur la ligne de feu, les premiers décideurs,
sont des personnes qui sont là pour un temps trop limité, des
personnes qui n'ont pas nécessairement une formation adéquate,
les outils de travail adéquats, il ne faudrait pas s'étonner
qu'il y ait de plus en plus de décisions prises par des fonctionnaires
de première ligne qui soient portées en appel devant les
instances administratives lorsqu'elles existent ou pour lesquelles il y a de
plus en plus de gens qui vont se plaindre aux autorités politiques, au
Protecteur du citoyen. II y a, je pense, un problème sérieux. Par
contre, je dois dire en même temps que dans certains ministères et
organismes, on fait beaucoup d'efforts pour que les gens de première
ligne aient plus de permanence et plus d'outils de travail, ainsi de suite.
Mais il n'y a rien de coordonné. Il n'y a pas de coordination dans tout
cela et ça varie suivant peut-être les philosophies de tous et
chacun. Donc, c'est une cause qui peut, à long terme, expliquer qu'il y
ait beaucoup plus de plaintes. C'était la deuxième cause.
Il y a aussi le fait... Par exemple, on a une augmentation de l'ordre de
110 % à la Régie des rentes. Pourquoi la Régie des rentes?
Je ne peux faire la démonstration, on n'est pas équipé
pour ça et je n'ai pas eu le temps de le faire, mais c'est à
cause du vieillissement de la population. Avec le vieillissement de la
population, il y a de plus en plus de personnes qui entrent dans le
régime de rentes et ces gens aussi ont des organisations, aussi bien un
club de l'âge d'or et tout ça et il y a des gens qui viennent leur
donner des conférences sur leurs droits et ainsi de suite. La personne
âgée ou la personne qui est en voie de devenir
bénéficiaire du régime de rentes, tout cela mis ensemble,
et le plus grand nombre et le plus d'informations font en sorte qu'il y a
certaines personnes qui se disent: On ne peut plus accepter comme ça les
décisions qui sont prises. Il y a beaucoup de facteurs. Je ne peux vous
donner le plus important de tous ces facteurs. Mais aussi il y a le fait des
délais dont on parlait tout à l'heure. Les délais
véritablement ce sont 40 % de nos dossiers et les pires délais
sont au chapitre des tribunaux administratifs à haut volume. C'est une
source de plaintes continuelles. Il y a beaucoup de facteurs.
M. Garon: Je n'ai pas remarqué que les gens étalent
plus au courant de leurs droits. J'ai l'Impression qu'ils trouvent que le
traitement qu'ils ont n'a pas do sens et ils ne savent pas où aller.
J'en ai dirigé plusieurs chez vous parce que vous avez des moyens que
nous n'avons pas et les cas qui m'embêtent le plus - il y a deux cas qui
m'embêtent le plus et qui reviennent souvent dans l'assurance automobile
ou à la CSST - ce sont les contradictions des médecins. On est
vraiment embêté quand le gars nous dit: Mon médecin me dit
telle chose, et le médecin de la CSST ou le médecin de
l'assurance automobile... On est un peu démuni comme
député, pas un peu mais complètement, de voir ces rapports
contradictoires. Et vous avez dû en avoir plusieurs cas chez vous aussi.
Voyez-vous une façon d'améliorer ça? Je comprends qu'il
peut y avoir des analyses ou des choses de complaisance. Cela peut arriver,
mais des fois c'est beaucoup plus complexe que ça.
Le rapport de complaisance n'a pas plusieurs pages habituellement, mais
lorsque vous voyez deux rapports, un à côté de l'autre, qui
sont des analyses compliquées, difficiles même à suivre,
vos deux grands spécialistes disent le contraire. La personne, qui est
dans le milieu, est mal prise. Comme député vous lisez ça
et vous trouvez ça incompréhensible. Il me semble, lorsqu'on va
devant les tribunaux, quand il y a un doute, le doute va en faveur de la
victime et
je n'ai pas le sentiment, d'après ce que je vois, que le doute va
en faveur de la victime. En tout cas, je ne dis pas... Ceux qui sont heureux on
ne les voit pas, on voit ceux qui ne sont pas contents. Mais ça arrive
très souvent et, en tout cas, je me sens mal à l'aise devant ces
contradictions d'analyse médicale d'un dossier. (15 h 45)
M. Jacoby: Effectivement, nous avons beaucoup de plaintes qui
portent sur ce sujet et particulièrement dans les secteurs des
accidents, que ce soit les accidents de la route ou les accidents du travail.
C'est un fait que, dans le processus de décision quant à un
dossier, il y a de plus en plus d'intervenants. Il y a des intervenants dans le
processus, par exemple, au niveau médical. Par exemple, concernant le
régime de santé et de sécurité du travail,
jusqu'à l'arrêt Blouin on disait que la relation, c'était
le rapport du médecin traitant. L'arrêt Blouin est venu changer
les choses et dire que, finalement, c'était une question juridique et
non pas une question médicale, ce qui fait que la CSST, compte tenu de
cette décision, a été obligée de réorganiser
complètement son système, de créer une direction
médicale et, maintenant, cette direction médicale joue un
rôle. De plus, dans un secteur comme la CSST, santé et
sécurité du travail, d'une manière générale,
que ce soit l'État, la CSST ou les employeurs, ils sont beaucoup plus
dotés de ressources pour aller chercher des expertises et des
contre-expertises. Il arrive très souvent de constater que, pour la
victime, il y a le simple rapport du médecin traitant de huit à
dix lignes et qu'il y a quatre ou cinq experts médicaux pour
l'entreprise. Il y a des intervenants au niveau médical, des
intervenants du bureau de révision et des intervenants des tribunaux
administratifs. Un des grands problèmes que vivent les tribunaux
administratifs, c'est qu'il n'y a pas toujours d'unité de
décision. Je ne donnerai pas d'exemple, mais je peux vous dire que,
régulièrement, des membres d'organismes administratifs se
contredisent.
Quel est l'effet que cela produit sur les organisations et, ultimement,
sur les victimes? D'abord, à partir du moment où un organisme qui
administre une loi dit: À tel tribunal administratif d'appel on se
contredit, le réflexe d'un administrateur, c'est de dire: On va attendre
un peu s'ils en sortent d'autres comme cela. C'est un réflexe. Je ne le
justifie pas et je ne le légitime pas. Alors, on attend et, à un
moment donné, selon beaucoup de choses, on décide de suivre la
décision du tribunal. Je me mets à la place d'un administrateur,
ayant moi-même été sous-ministre pendant quelque temps, qui
a des décisions qui se contredisent venant d'un même tribunal
administratif d'appel qui était censé être un tribunal
expéditif, spécialisé, et tout ça. Je ne dis pas
que c'est la faute des tribunaux s'ils se contredisent, mais il y a bien des
choses qui expliquent cela. Finalement, je dis qu'il y a, dans certains
secteurs d'indemnisation de programmes gouvernementaux, beaucoup trop de
marmitons dans la cuisine et les gens ne s'y retrouvent plus. Quand l'organisme
lui-même ne s'y retrouve pas, vous pouvez imaginer à quel point
les accidentés et les victimes ne s'y retrouvent pas, et cela met tout
le monde en maudit. Tout le monde! Alors, il y a quelque chose qui ne marche
pas dans le processus décisionnel pour des cas d'accidents du travail
comme pour des cas d'accidents de la route, mais peut-être plus pour les
cas d'accidents du travail, il y a trop de structures de décisions.
La loi est ainsi faite qu'elle donne ouverture à beaucoup
d'interprétations contradictoires. On n'en sort pas. Je pense qu'une des
façons de régler cela, c'est de repenser, non pas la philosophie
de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, mais
tout le processus décisionnel de façon que, par exemple, on
joigne le médical et le juridique. Cela n'a pas de maudit bon sens. Il y
a certainement eu des études là-dessus, mais je trouve
qu'à première vue cela n'a pas de bon sens de dissocier les
dossiers. Un jour, on dit oui et, le lendemain, on dit non, parce qu'il y a un
autre organisme à l'intérieur du même réseau qui dit
non, et ainsi de suite. Cela n'a pas de bon sens. Les tribunaux judiciaires
n'ont même pas ce régime-là, mais on se permet d'avoir des
structures tellement sophistiquées à l'endroit du droit
administratif que c'est rendu que cela n'a pas de bon sens. C'est comme si,
à la cour des petites créances, on se divisait en deux, il y
avait des juges qui s'occupaient d'un aspect de la responsabilité et
d'autres d'un autre aspect. Cela n'a pas de maudit bon sens. Je pense qu'il
faut rechercher une certaine unicité dans le processus de
décision.
Il y a aussi le fait, comme je le mentionnais tout à l'heure,
qu'il va falloir développer parallèlement ou préalablement
à ces processus des mécanismes de conciliation. Il y a des
exemples dans la vraie vie de tous les jours. Prenons l'exemple du tribunal des
petites créances dans le district de Montréal et de
Québec. On a mis sur pied un mécanisme de médiation sur
une base volontaire parce qu'il y a quand même des délais
même s'ils ne sont pas très longs. Ce que j'ai pu constater, c'est
que la majorité des gens préféraient régler leur
dossier ensemble plutôt que le dossier parte dans les mains d'un tiers et
alors Us ne savent plus ce qui se passe. Alors, l'expérience de la
médiation aux petites créances à Montréal et
à Québec est absolument extraordinaire. Sur une base volontaire,
le requérant et le défendeur vont voir un médiateur. Le
médiateur les écoute et quand i sent qu'il y a peut-être un
lieu de rencontre ou de règlement, il propose sa solution. Dans 85 % des
dossiers - c'est sur une base volontaire - les deux parties s'entendent pour
accepter la proposition du médiateur. Alors, qu'est-ce qui se passe? Ils
signent une entente, le juge à la cour des petites créances fait
une simple homo-
location de l'entente et ça désengorge les rôles de
la cour des petites créances.
À la suite de ces expériences pilotes de conciliation, et
il y en a d'autres dans le secteur des loyers, je me dis la chose suivante: Une
façon de désengorger les tribunaux administratifs, ou les
tribunaux judiciaires ce serait de prévoir tous ces mécanismes
avant qu'on soit rendu au recours ultime et je suis convaincu que ça
correspond bien plus à la mentalité du monde ordinaire. Ce n'est
pas vrai que, moi, accidenté du travail ou, moi, PME qui n'est pas
d'accord avec une décision du secteur de la santé et de la
sécurité du travail, en général je suis bien
content d'embarquer dans cette machine à saucisse. Je dis que si nous
faisions des sondages, 95 % des gens, y compris les entreprises, diraient: On
voudrait régler les choses pour qu'on puisse se parler. Il ne faudrait
pas que ces dossiers nous échappent parce que le sentiment d'un citoyen,
c'est que son dossier lui échappe.
II y a une foule de raisons à cela. Un bon jour, on reçoit
une décision et, si la décision est favorable, on peut dire.
Bien, ça a pris du temps, mais au moins on a gagné quelque chose.
Si la décision n'est pas favorable, on dit: Si j'avais pu m'occuper de
mon dossier. Le vrai monde, à mon point de vue,
préférerait se parler. Beaucoup de locataires et ce
propriétaires se parleraient si, à la Régie du logement,
on ne leur disait pas: Vous avez des droits et des obligations; puis venez-vous
en, il y a une régie. C'est la même chose en matière de
santé et de sécurité du travail.
Évidemment, les médiations, II faudrait les adapter
à chaque secteur. C'est sûr qu'en matière d'accidents de la
route ou d'accidents du travail, la médiation pourrait être faite
par des personnes qui ont la formation, à déterminer quand ce
sont des questions médicales, etc., d'amener les parties à
s'entendre. C'est quoi l'intérêt, dans le fond, pour l'entreprise,
ultimement, de tout contester? Puisque les entreprises contestent et qu'en plus
la CSST agit comme partie prenante - en tout cas, l'apparence que, ça
donne l'apparence des fois - les syndicats, qu'est-ce qu'ils disent? On
conteste. Alors, tout le monde conteste. Envoie donc, tout le monde conteste,
on embarque dans le train et on conteste. Dans le fond, si on pose la question
aux bonnes personnes, elles vont dire: On est tannées de contester; y
a-t-il moyen de trouver une autre solution que celle-là? On est Imbus de
la contestation. Cela n'a pas de bon sens. On est pire que les
Américains.
Le Président (M. Kehoe): Avez-vous terminé, M. le
député de Lévis?
M. Garon: Je peux revenir, ça ne me dérange pas.
J'aurais une autre question, mais un peu à part.
Le Président (M. Kehoe): On va suspendre cinq minutes
après la question de M. le député de Lévis.
M. Garon: D'accord. Après ma question ou avant?
Le Président (M. Kehoe): Oui, après votre
question.
Administration de la Loi sur l'assurance
automobile
M. Garon: D'accord. Il y a un autre point qui m'a frappé
dans l'administration de la Loi sur l'assurance automobile. C'est lorsqu'on
suppose des emplois à des gens. Il y a eu un cas, dont j'ai parlé
à plusieurs reprises, où cela ne m'apparaît pas
raisonnable. On suppose un emploi à quelqu'un en vue de diminuer le
montant qu'on va lui payer. On supposait, à Lévis, que quelqu'un
pourrait être gardien d'un terrain de stationnement. Évidemment,
il faut que ce soit un terrain de stationnement payant. Je ne connais pas,
à Lévis, de terrain de stationnement payant. On peut bien
supposer un emploi à quelqu'un qui a une soixantaine d'années,
mais dans l'administration de la loi - je ne voudrais pas poser une question
pour vous embêter - ça m'apparaît abusif de supposer un
emploi inexistant, qui a pour but, au fond, de réduire la rente que
retirerait quelqu'un de son accident en disant: Vous pourriez faire
ça.
Souvent, dans d'autres domaines, on suppose que vous pourriez faire de
l'entretien ménager, sauf que si tous les gens qualifiés pour
faire de l'entretien ménager en faisaient, il faudrait avoir des
machines à poussière, parce qu'il en manquerait. Alors, on
suppose des emplois, mais est-ce que c'est ça, l'esprit de la loi? J'ai
l'impression que le seul but de supposer des emplois, comme ça - je
parle du terrain de stationnement - c'est de réduire le montant à
payer, mais la personne est faite, parce qu'elle ne se trouvera pas un emploi
dans ce secteur, à moins de déménager. Elle a
déjà une soixantaine d'années...
M. Jacoby: Dans certains régimes, effectivement,
après quelques années, après cinq ans, je pense, la
personne est vraiment dans l'obligation de prouver qu'elle n'est plus capable
de travailler du tout, d'aucune manière. Le système est
là, un système où l'on essaie de trouver de l'emploi aux
gens. Il y a, d'abord, une question de marché, de disponibilité.
Deuxièmement, il y a aussi le fait qu'on peut avoir un réflexe,
que je comprends très bien, que je n'accepte pas, cependant, le
réflexe de dire qu'il faut que le système nous coûte te
moins cher possible. Et je pense que parfois, on fait des économies de
bouts de chandelle.
Je suis convaincu que même si on faisait jouer un peu plus
l'équité en faveur de certains types de victimes, ça ne
créerait pas d'augmenta-
tion significative des budgets, parce que, dans le fond, quand on
regarde les régimes, que ce soit l'IVAC, la CSST ou d'autres, tout ce
que ça coûte pour administrer, parce que la structure et le
processus de décision sont énormes et délirants, les
quelques dollars, ici et là, que l'on pourrait dépenser en ayant
une approche un peu plus humaine dans le cas de doute... Dans le doute, surtout
s'il s'agit d'accidentés, il ne faut pas compter nécessairement
sur une expertise médicale ou un rapport de réadaptation quand,
à la lecture des documents, II demeure un doute dans l'esprit de la
personne qui doit prendre la décision, à mon avis, le doute doit
être favorable à la victime. Il me semble que, dans notre Justice
traditionnelle, c'est toujours comme ça qu'on a tout
interprété: nos lois, nos gestes dans l'administration.
Je n'ai pas de solution miracle. Il y aurait lieu de changer les
mentalités, mais chose certaine, si l'on changeait ces
mentalités, ça n'entraînerait pas des coûts
significatifs pour l'administration, et de plus le taux de satisfaction de la
clientèle serait beaucoup plus élevé.
Le Président (M. Kehoe): Merci, M. Jacoby. Tel que
prévu, les travaux sont suspendus pour cinq minutes.
(Suspension de la séance à 16 heures)
(Reprise à 16 h 10)
Le Président (M. Kehoe): A l'ordre, s'il vous plaît!
La commission reprend ses travaux. On était à l'étape de
la discussion entre les différents membres de la commission et le
Protecteur du citoyen.
M. le député de Taillon a demandé la parole et Mme
la députée de Groulx.
Les prisonniers
M. Filion: Merci, M. le Président. Ceux ou celles qui
peuvent douter de l'utilité de l'exercice démocratique et
parlementaire qui se fait aujourd'hui n'auront qu'à relire le Journal
des débats. C'est très dense et remarquable comme produit et de
plus, extrêmement intéressant. J'en félicite le Protecteur
du citoyen.
Comme je l'avais annoncé un peu plus tôt, j'aimerais
regarder avec vous vos priorités pour l'année à venir. Si
l'on s'en tient à la description que vous faites de la situation
actuelle, c'est tellement riche qu'on pourrait y consacrer toute notre
période de temps, mais il est également du devoir des
parlementaires d'examiner les priorités pour l'année qui
vient.
La première priorité: faire en sorte que le bureau du
Protecteur du citoyen soit mieux connu... je ne dis pas plus connu mais mieux
connu. Là-dessus, on a étudié la question, mais encore
faudrait-il que le bureau du Protecteur du citoyen reçoive les
ressources suffisantes, sinon cet exercice pourrait être rendu tellement
difficile qu'il pourrait devenir illusoire. Les chiffres qu'on a
examinés ensemble ce matin quant à la connaissance de
l'Institution du Protecteur du citoyen par les minorités, par la
communauté anglophone, par d'autres régions que celles de
Québec sont fort révélatrices. Là-dessus j'ai un
seul commentaire, c'est qu'il faudrait s'assurer, et cela rejoint vos
préoccupations sur le budget dont vous nous avez fait part ce matin, que
les ressources suffisantes existent.
La deuxième priorité: Le Protecteur du citoyen doit aider
les plus vulnérables, les plus démunis, ainsi que les groupes qui
sont le plus susceptibles d'être lésés. On a parlé
des bénéficiaires d'aide sociale; vous avez également
traité de la question des immigrants. On n'a pas encore abordé la
question des bénéficiaires du réseau de la santé et
des services sociaux. Vous en avez dit quelques mots dans votre
présentation verbale. La même chose pour les Amérindiens et
les Inuit.
Vous soulevez dans votre rapport, à juste titre, vous l'avez fait
verbalement aussi, le rapport de force qui existe entre le gouvernement et les
citoyens. C'est un rapport de force éclatant, bien que les citoyens ont
de plus en plus tendance à se regrouper et à défendre
collectivement leurs droits.
Ma question porte précisément sur ces citoyens-là,
ceux qui sont le moins en mesure de faire valoir leurs droits. Je veux plus
précisément traiter de la question des prisonniers,
c'est-à-dire ceux qui sont détenus dans nos prisons, à la
suite de sentences imposées par les tribunaux. Dans votre rapport, vous
parlez aux pages 33 et 34 de la surpopulation endémique dans les prisons
du Québec. Lorsque je m'occupais du dossier du Solliciteur
général, j'ai eu à plusieurs reprises l'occasion de
traiter du fait que dans les grandes prisons, il n'y a plus de place, c'est
absolument bondé, de sorte que: premièrement, les gardiens de
prison - et J'ai eu l'occasion de discuter récemment avec certains
d'entre eux - ont plus de difficulté à offrir la qualité
de rapports qu'ils voudraient offrir aux prisonniers; deuxièmement, les
prisonniers eux-mêmes se retrouvent devant les faits suivants: les
prisons étant bondées, les visites des parents et amis sont
annulées ou se font plus rares, la distribution du courrier se fait avec
beaucoup de retard, les nombreux transferts d'objets personnels occasionnent
des pertes et enfin une augmentation de la fréquence des fouilles
perturbe encore les individus. Je cite des parties de votre rapport à la
page 34.
Vous nous dites qu'en 1968 le bureau du Protecteur du citoyen apportait
une attention particulière au phénomène de la
surpopulation dans les centres de détention. Il est bon de rappeler,
à ce sujet, que le gouvernement a fermé six prisons, de
façon précipitée, dites-vous dans votre rapport, et sans
se préoccuper des inconvénients qui pouvaient en résulter
dans
l'immédiat. Vous nous dites également, je reviens
là-dessus, 'qu'en 1988, le bureau apportera une attention plus
particulière au phénomène de la surpopulation dans les
centres de détention et des conséquences qui peuvent en
découler pour plus de 3000 incarcérés." Ma question est la
suivante: De quelle façon...
D'abord, pouvez-vous illustrer davantage les conséquences
désastreuses que vous avez constatées en ce qui concerne la
surpopulation de nos prisons? Deuxièmement, de quelle façon
entendez-vous accorder une attention particulière à ce groupe de
citoyens qui, bien qu'Us soient privés de leur liberté, n'en sont
pas moins des citoyens à part entière au Québec?
M. Jacoby: Pour ce qui est de la population carcérale,
effectivement, nous avons noté - depuis une couple d'années et
encore au moment où l'on se parle, je pense que la situation ne fait que
s'aggraver - que dans certaines régions, particulièrement celle
de Montréal et ici à Québec, les établissements
étalent occupés au maximum et même plus. Lorsque dans une
institution carcérale, le taux d'occupation frise les 100 % ou est de
100 %, il se passe les choses suivantes: d'abord, on n'a pas assez de places,
on est obligé de transférer du monde, parfois dans des endroits
éloignés. Par exemple, dans la région de Montréal,
vous avez toutes les prisons en périphérie de Parthenais,
où on est obligé maintenant de faire de la prévention,
c'est-à-dire de garder des prévenus. Le transfert de personnes
incarcérées ont des conséquences, et ce, à
plusieurs points de vue. Premièrement, pour des raisons de
sécurité, on ne transfère pas immédiatement les
objets personnels des prisonniers, mais il arrive que des objets personnels se
perdent. Deuxièmement, on se trouve à éloigner ces
personnes, qui font l'objet de ces transferts dus à la surpopulation, de
leur agent de probation, de leur agent de libération conditionnelle,
même de leur procureur. On les éloigne aussi de leurs proches, de
leur famille. Ces faits touchent la personne même de
l'incarcéré.
Mais il y a bien plus que ça. Un milieu carcéral est en
soi un milieu de tension, ce n'est pas un milieu normal; c'est une
clientèle captive qui n'est pas toujours facile. Les gardiens de prison
n'ont pas la vie facile non plus. Plus le taux d'occupation est
élevé, plus les tensions montent entre les
incarcérés eux-mêmes et entre les incarcérés
et les gardiens de prison. Cela est bien indépendant des
problèmes de négociations de conventions collectives et de tout
ça. C'est une vie qui est très dure, à mon point de vue,
tant pour les incarcérés que pour le personnel des centres de
détention.
Quand le taux d'occupation est très élevé, on n'est
plus capables d'avoir des plans de séjour individualisés pour les
prisonniers, dans le cadre de leur réinsertion sociale
éventuelle. On n'est plus capables, on ne suffit plus à la
tâche. Et, en fin de compte, cela se traduit chez nous par une
augmentation du nombre de plaintes émanant des incarcérés
qui ont une ligne directe avec le bureau du Protecteur du citoyen. Cela nous
oblige, évidemment, à réagir assez vite.
Pour régler les problèmes de surpopulation, qui sont des
problèmes qui reviennent maintenant régulièrement,
malgré tous les beaux programmes qu'on peut mettre sur pied... Il faut
mettre sur pied ces programmes, mais dans la vraie vie de tous les jours, ces
programmes ne sont pas nécessairement utilisés
adéquatement ou encore n'a-t-on pas toutes les ressources
nécessaires pour appliquer ces programmes alternatifs. Ce que je pense -
j'ai d'ailleurs fait la proposition... Déjà en 1985, le bureau du
Protecteur du citoyen, lors de l'enquête systémique qui avait
été faite sur l'ensemble du système carcéral,
demandait la fermeture de Parthenais. Il y a quelques mois, J'ai aussi
demandé la fermeture de Parthenais. J'ai procédé chez nous
à une réorganisation et nous avons actuellement une
présence accrue dans les centres de détention. Lorsqu'il y a des
plaintes, généralement, nous nous rendons sur place et nous
examinons les dossiers. Évidemment, notre attitude fait en sorte que le
personnel des prisons nous trouve peut-être un peu plus achalant
qu'avant. Mais chacun fait sa job, je pense. De notre côté, une
présence accrue dans les centres de détention. Le
problème, ce n'est pas une fausse surpopulation. Au moment où
l'on se parle, à l'occasion des enquêtes que nous faisons, on
m'informe que, tous les jours, environ 900 personnes sont en dehors des centres
de détention alors qu'elles devraient être à
l'intérieur. Pour moi, cela illustre une chose très claire: nous
avons un problème de surpopulation; 900 personnes par jour sont à
l'extérieur alors qu'elles devraient être en dedans.
Il y a un problème. Il va falloir revoir les équipements.
II va falloir aussi développer davantage des alternatives à
l'incarcération. Au chapitre de la prévention, c'est un
phénomène que j'appellerais sociologique, c'est bien difficile.
Je pense que beaucoup d'efforts ont été faits dans la
prévention du crime, mais il y a un phénomène qui se
produit. Il y a de plus en plus de prévenus. La seule façon de
garder la population et les personnes et le personnel en dedans, c'est d'avoir
de nouvelles installations. C'est mon point de vue bien personnel. Je sais que
ça coûte très cher. L'on peut envisager une planification
à moyen ou à long terme; il doit y avoir cette volonté de
penser qu'on peut, par des mesures alternatives, éviter
l'emprisonnement. Il y a du vrai là-dedans, mais c'est un peu utopique
aussi. Quand on regarde dans nos sociétés le développement
et l'augmentation de certains types de crimes, je pense qu'il ne faut pas
rêver en couleur et se dire que nos équipements ne sont
peut-être pas suffisants. C'est un peu mon "feelling" à ce
stade-ci
M. Filion: Je vous remercie. Sur le même
sujet, dans votre rapport annuel, vous citez certains cas que
j'appellerais peut-être d'application de décisions administratives
ou de décisions à caractère disciplinaire, à
l'intérieur des murs des prisons. J'ai été
particulièrement sensible à ces cas-là, d'autant plus que
de façon générale, c'est mon avis que le moindre sentiment
d'injustice perçu par un détenu ou un prisonnier compromet
souvent, de façon directe, sa réhabilitation. Si, par exemple, au
cours d'un transfert, on perd les objets du détenu, essayez donc de lui
expliquer qu'il doit se réhabiliter, se réinsérer dans la
société. Bonne chance, tout le monde! Et sa
réhabilitation... On en connaît le coût. Avant, on disait
qu'un prisonnier coûtait à l'État 85 $ par jour. Mais les
derniers chiffres que j'ai vus, ça coûte au-dessus de 100 $ par
jour à l'État. Alors, il ne faut pas se poser longtemps la
question sur la nécessité de la réhabilitation. Uniquement
sur le plan financier, au lieu de débourser 100 $ par jour, si un
individu est réhabilité et retourne en société, M
devient un actif. Il travaille et il paie des taxes. Je pense qu'on a
intérêt, de façon générale, sur le plan
humain, sur le plan de la justice humaine, à la réhabilitation
des détenus. On a aussi un intérêt pécuniaire, aussi
curieux que ça puisse paraître, à faire en sorte que nos
prisons soient tenues de façon décente et sans qu'il existe cette
surpopulation absolument Incroyable. On parle même de 900 détenus
qui devraient être à l'intérieur des murs et qui ne le sont
pas.
Sans compter qu'on bafoue également les ordonnances judiciaires.
Les juges condamnent les individus à des sentences de prison qu'ils ne
purgent pas aujourd'hui. Les détenus se présentent, ils signent
un formulaire et s'en retournent chez eux. Les juges les ont pourtant
condamnés à une sentence de prison. Je ne sais pas si le
gouvernement va s'éveiller un jour là-dessus ou s'il attend que
ça éclate. Peut-être qu'il attend des bingos. Probablement.
Tout le monde a réclamé la fermeture de Parthenais, mais
ça ne bouge pas.
Une voix: Ce n'est pas de ce matin. À Orsainville...
M. Filion: Non, ce n'est pas de ce matin, je suis d'accord avec
vous. Sauf que le gouvernement, lui, est là, ce matin. À Bordeaux
et à Orsainville... D'ailleurs, j'ai eu l'occasion avec mon
collègue, le député de Lévis, de me rendre à
Orsainville et de me promener aussi ailleurs. Cela n'a plus de sens. Allez donc
parler de réhabilitation dans un climat comme ça! Quand vous
recevez les gardiens de prison, laissez-les parler un peu. Vous allez vous
apercevoir qu'ils n'ont pas beaucoup de temps pour faire de la
réhabilitation. Ce n'est pas facile dans un climat où la
population est surchargée, où il y a du monde qui dort dans les
couloirs ou à peu près.
Bref, ma sous-question sur cet aspect est la suivante. Est-ce que le
Protecteur du citoyen considère qu'il y a un problème au niveau
de la justice, du processus, disciplinaire? Un problème qui demande une
solution plus systémique, pour employer un mot à la mode. Vous
citez deux cas et je sais que le bureau du Protecteur du citoyen en a
reçu davantage. Les cas cités dans votre rapport annuel sont
uniquement des illustrations du type d'amende que vous recevez et du type de
travail que vous faites. J'aimerais vous entendre à ce sujet. Est-ce que
le processus administratif et disciplinaire, à l'intérieur des
murs, offre toutes les garanties voulues d'indépendance? Avez-vous
déjà songé à d'autres solutions?
Considérez-vous que ce qui se passe maintenant est un mal un peu
nécessaire et qu'on ne peut pas inventer de nouvelles façons pour
assurer la discipline à l'intérieur des murs? J'aimerais vous
entendre à ce sujet.
M. Jacoby: Mon sentiment, avec le genre de plaintes que nous
recevons, c'est que d'une manière générale, au niveau du
régime displinaire dans les maisons de détention, ça va
relativement bien. Il y a toujours - parce que ce sont des organisations -
évidemment, soit des irritants, soit des accrocs. On en a vu
quelques-uns dans le rapport annuel. Je ne pourrais pas avancer de chiffres,
mais c'est certainement, à mon point de vue, dans une situation normale,
un pourcentage infime. Cependant, à partir du moment où il y a
une surpopulation dans certaines prisons, I y a un manque d'effectifs dans
d'autres prisons, indépendamment de la surpopulation. Il est
évident que la tension monte entre les personnes
incarcérées et le personnel de prison.
La tension montant, cela a nécessairement un effet négatif
sur les relations et sur la manière dont doivent être
traitées les personnes incarcérées. Je voudrais cependant
dire qu'en tout cas, l'année dernière, je n'ai pas les chiffres
pour cette année, dans le domaine carcéral, le taux ou la
proportion de plaintes fondées était relativement bas. Je pense
que l'année dernière, nous avions un taux de plaintes
fondées d'environ 14 %. Donc, pour répondre
précisément à votre question, je n'ai pas fait
d'études poussées là-dessus. (16 h 30)
Je peux vous dire que les problèmes ne font que s'amplifier,
lorsqu'il y a de la surpopulation ou un manque d'effectifs. Je peux vous dire
également que nous avons, malgré le fait que nous sommes plus
présents dans les centres de détention, une très bonne
collaboration de la part des autorités administratives et du personnel,
d'une manière générale. Il n'y a pas des cas
problématiques mais, d'une manière générale, sur ce
plan-la, nos relations sont assez bonnes. Pour revenir à ce que j'ai
déjà dit quand je parlais des clientèles captives, c'est
véritablement un réseau captif et je pense qu'on se doit,
à l'égard de ces citoyens et citoyennes, de faire plus attention,
à cause du milieu très particulier et des raisons pour lesquelles
ce milieu existe. Cela
signifie pour moi que, de ce côté-là, s'il y avait
des choix à faire quant à dégager certains budgets, je
pense qu'il y aurait certainement une plus grande répartition et
distribution à faire en milieu carcéral.
M. Filion: Une dernière question sur ce sujet, M. le
Président. Vous savez en ce qui concerne le fédéral,
l'application de la charte a amené des changements importants au
chapitre de l'administration des pénitenciers fédéraux,
notamment en faisant en sorte qu'il puisse y avoir une instance
indépendante qui vérifie et, dans certains cas, qui prenne des
décisions qui sont de nature à influencer la liberté des
individus. Évidemment, dans les prisons de juridiction provinciale, les
gens ne demeurent pas là aussi longtemps. Ils ont peut-ètre moins
le temps de préparer leurs contestations, en vertu de la Charte des
droits. C'est un peu le sens de ma question. Est-ce que vous croyez qu'il y a
une réflexion à faire sur l'avenir, en ce qui concerne toute la
reddition de la justice administrative ou disciplinaire à
l'Intérieur des murs? C'est là-dessus, plus
précisément, que j'aimerais vous entendre, si vous avez des
commentaires à nous faire.
M. Jacoby: A mon avis, la problématique des
pénitenciers fédéraux et des prisons provinciales est
relativement différente. En général, les durées de
séjour sont moindres dans nos prisons provinciales, et de plus, le
délai maximal est moindre. Bien sûr, le séjour est de moins
de deux ans, sauf dans les cas de transfert de pénitencier dans
certaines de nos prisons, pour différentes raisons, à cause de
certains protocoles en vigueur. La problématique est un peu
différente, du fait qu'il s'agit de séjours de moins longue
durée. À mon avis, en tout cas, jusqu'ici je n'ai pas preuve du
contraire, l'administration carcérale respecte d'une manière
générale les chartes. Je ne dis pas que c'est tout le monde, mais
je dis que c'est mon sentiment. Je pense également qu'il y a un
problème dans nos prisons provinciales. À mon point de vue, le
détenu, comme n'importe quel citoyen, devrait connaître ses
droits. À cet égard, nous avons recommandé, il y a un
certain temps, que l'on donne à la personne prévenue ou à
la personne détenue un document, une brochure vulgarisant ce qu'est la
prison, les programmes, les droits, les obligations et ainsi de suite, pour que
ces personnes puissent, dans une certaine mesure, si des abus se produisent,
connaître un peu plus leurs droits. On a proposé de rassembler
différents documents comme les chartes, la Loi favorisant la
libération conditionnelle des détenus, tous les règlements
et une bonne partie des politiques administratives, des directives
administratives et de les remettre aux détenus non pas comme cela se
fait à l'occasion, mais d'une manière un peu plus
intégrée et un peu plus à la portée de tout le
monde. Je pense que déjà, ce serait un plus à
apporter.
La Président (M. Kehoe): Mme la députée de
Groulx.
Recours aux CRSSS
Mme Bleau: D'abord, une remarque et ensuite une question. C'est
sûr qu'on retourne un peu en arrière. On doit conserver nos
questions assez longtemps et pour les retenir, il faut souvent les
écrire. J'ai beaucoup appris depuis ce matin, à la suite de la
lecture de votre rapport et aussi par les réponses que vous avez
apportées à nos questions sur le rôle du Protecteur du
citoyen. Je dois vous dire que dans ma pratique de députée, cela
va certainement m'aider dans beaucoup de cas. Je ne sais pas si cela va aider
les autres, mais je pense entre autres à des cas où j'ai
épuisé à peu près tous les moyens d'intervention et
de persuasion. Je songe à vous les référer maintenant. Je
ne sais pas si vous allez être aussi content que moi je le suis
aujourd'hui.
Il y a une question qui me vient à l'esprit. Votre rôle
d'appel au CRSSS ne vient-il pas un peu en contradiction avec la critique que
vous faites dans votre rapport sur les recours trompeurs?
M. Jacoby: C'est peut-être en contradiction, mais je veux
dire exactement... Les CRSSS, normalement, sont des organismes de traitement de
plaintes qui émanent des institutions. C'est ce que j'appelle un recours
qui est censé être un recours léger et non pas un recours
trompeur. C'est censé être un recours léger mais le
problème, c'est qu'il s'avère trompeur. D'ailleurs, il y a des
études qui ont été faites, je n'invente rien. Un
traité a été écrit il y a une couple
d'années par des universitaires qui ont examiné toute la
situation, tout le rôle des CRSSS en matière de traitement des
plaintes. On arrive à ta conclusion suivante, d'abord le CRSSS, d'une
manière générale, est une Institution qui est en conflit
d'intérêts. II est en conflit d'Intérêts parce que
c'est le CRSSS, suivant les normes actuelles, qui répartit les budgets
dans la région. Effectivement, il peut y avoir un conflit
d'Intérêts parce que si une plainte porte sur le manque de
services dans telle Institution de la région, je me dis: Comment le
CRSSS fait-il pour gérer cela, une plainte comme cela, quand c'est
lui-même qui est à l'origine de la répartition des budgets?
Deuxième chose qu'on a pu remarquer - et cela a été
remarqué par d'autres - c'est que très peu de CRSSS, semble-t-il,
prennent véritablement leur rôle d'analyse de plaintes au
sérieux, pour des raisons que je n'ai pas à juger. La
réalité, c'est qu'il y en a très peu. Je ne les nommerai
pas pour ne pas déplaire aux autres. Troisièmement, les analyses
démontrent que plus un dossier est compliqué, plus un dossier est
délicat, plus il prend du temps à se régler. Souvent iI
ne
se règle pas; très souvent, il ne se règle pas.
C'est un mécanisme de recours assez léger mais je pense qu'il y a
des problèmes de faux conflits d'intérêts. Ensuite, en
pratique, ce que |e peux comprendre, c'est que très souvent lorsqu'une
plainte est acheminée à un CRSSS, cette plainte est transmise
à l'Institution même au sujet de laquelle on porte plainte.
L'institution concernée fait son enquête interne, soumet le
résultat de sa propre enquête qui a été
déléguée par le CRSSS au CRSSS et, finalement, je
m'Interroge sur l'efficacité de la transparence du système. Si on
changeait le rôle des CRSSS de manière qu'Us ne soient plus en
conflit d'intérêts, je pense qu'on pourrait certainement avoir une
meilleure justice.
Mme Bleau: Merci.
Le Président (M. Kehoe): M. le député de
Roberval.
Appels téléphoniques (suite)
M. Blackburn: Moi aussi, Me Jacoby, depuis ce matin, je participe
à cette commission et j'ai entendu les explications que vous avez
données sur le rôle du Protecteur du citoyen. Pour moi c'est une
découverte, je pense, très intéressante et très
importante de l'Importance du rôle que vous avez. Ce matin, vous avez
aussi mentionné le fait qu'il y a certaines régions - et je viens
de l'une de ces régions - où il y avait, par rapport à
Québec entre autres, une moins grande utilisation de vos services. Je
voulais vous demander si, pratiquement, il n'y a pas une raison à cela.
En ce qui a trait aux lignes téléphoniques qui communiquent avec
vos bureaux, est-ce que vous avez une ligne watt par exemple?
M. Jacoby: Oui, nous avons un service zenith. Ce n'est pas un
problème de ville. Nous avons un numéro pour l'Est du
Québec, un numéro pour l'Ouest. Il n'y a pas de problème
d'accessibilité par la voie du téléphone. C'est un service
gratuit. Ce qui peut se produire, c'est qu'à l'occasion, les lignes
soient occupées. Peut-être que dans votre région, c'est une
région où nos services sont peu connus.
M. Blackburn: C'est un des facteurs importants et aussi
sûrement que la publicisation de votre rôle s'impose car,
peut-être, la méconnaissance de ce rôle dans nos
régions, est encore grande. Une autre question. En revenant ce matin,
vous disiez que c'était la première fois que le Protecteur du
citoyen était Invité à participer à un forum depuis
votre accession à ce rôle. Vos prédécesseurs, est-ce
qu'ils ont eu l'occasion, eux, de participer à des forums comme cette
commission parlementaire?
M. Jacoby: À ma connaissance - on me corrigera
peut-être - cela s'est produit une fois mais il y a fort longtemps.
C'était peut-être à l'époque... Cela s'est produit
une fois mais ce n'était pas devant la commission des institutions.
C'était à l'occasion d'un dossier particulier. Mon
prédécesseur immédiat n'a jamais eu l'occasion de se faire
entendre durant les 5 ans et demi au cours desquels I a occupé sa
charge. Le deuxième prédécesseur je pense qu'il a eu
l'occasion une fois de se présenter.
M. Blackburn:Merci.
Mme Bleau: Une autre question qui se rapporte toujours... Selon
vous, ne vaudrait-il pas mieux éliminer le CRSSS et le remplacer par le
Protecteur du citoyen?
M. Jacoby: Bien, écoutez, vous me posez une question. Je
vais vous répondre comme ça, ce qui me passe à l'esprit.
Partons du principe suivant: à mon point de vue, il ne faut pas que le
Protecteur du citoyen soit nécessairement le mécanisme de recours
de première ligne parce que je pense qu'à long terme, cela peut
déresponsabiliser le personnel des différentes organisations
parapubliques ou péripubliques. Je pense que notre rôle devrait
normalement se situer en deuxième ligne. Par ailleurs, dans le secteur
de la santé et des services sociaux il est évident que si l'on ne
modifie pas les responsabilités du CRSSS, le mécanisme de plainte
ne serait pas plus efficace qu'il ne l'est aujourd'hui. Par ailleurs, il y a
des comités de bénéficiaires dans plusieurs institutions.
Ces comités de bénéficiaires n'existent pas partout et
là, où ils existent ils ont des budgets assez maigres qui ne leur
donnent pas les moyens peut-être de jouer leur rôle pleinement. Je
crois beaucoup au rôle des comités de bénéficiaires.
C'est une prise en charge par les personnes qui vivent ces problèmes. Je
pense que la politique de santé mentale notamment qui a
été déposée fait en sorte que les comités de
bénéficiaires auront un budget garanti, un minimum et un maximum,
un certain pourcentage du budget de l'institution et peut-être un peu
plus d'autonomie. Au moment où l'on se parle, ce n'est pas drôle.
Le comité de bénéficiaires, quand il veut acheter un
crayon, il est obligé de demander l'autorisation au conseil
d'administration. C'est le monde à l'envers. Moi, je trouve que cela n'a
pas de bon sens. (16 h 45)
Troisièmement, il existe dans plusieurs institutions des
"ombudspersons", des "ombudswomen", des personnes qui particulièrement,
je dirais, dans la région montréalaise - ce n'est pas
généralisé dans tout le Québec - font
généralement du bon travail. Elles sont sur place, d'abord, elles
sont sous l'autorité du directeur général du conseil
d'administration et je pense qu'elles règlent pas mal de
problèmes. Je ne voudrais pas dire que c'est comme ça partout.
Dans certaines organisations - il ne faut pas se le cacher - l'ombudsperson"
est un agent de
relations publiques, parce qu'elle n'est pas tellement "backée"
par le directeur général, son conseil d'administration ou par le
directeur des services professionnels de l'institution, et je trouve que cela
n'est pas... En tout cas, je ne porterai pas de jugement.
Je pense, dans un régime d'amélioration du
mécanisme de protection et exercice des droits et intérêts
des bénéficiaires, qu'il faut maintenir les comités de
bénéficiaires, leur donner un peu plus d'autonomie
financière et de moyens d'action. Je crois qu'il faudrait
peut-être aussi continuer à les encourager, mais dans la mesure
où les règles du jeu sont claires, et avoir, dans les
organisations de ces "ombudspersons" qui, bien sûr, sont des
employés de l'institution, mais ils font un maudit bon bout de
chemin.
Quand aux CRSSS, si on leur enlève leur conflit
d'Intérêts, d'accord cela marchera, d'une certaine manière,
mais si on ne leur enlève pas ce conflit d'Intérêts, cela
ne donnera rien de plus qu'actuellement. Et dans tout ça, si jamais le
gouvernement décidait que nous ayons juridiction, à tout le moins
sur certains types de clientèle, je pense qu'on devrait toujours
être en deuxième ligne, sauf pour les cas d'urgence ou pour mettre
de la pression sur certains dossiers. C'est comme cela que je le vois.
Le Président (M. Kehoe): M. le député de
Taillon.
Les personnes
âgées
M. Filion: Merci, M. le Président. Toujours au chapitre de
votre deuxième priorité, c'est-à-dire cette attention plus
spéciale accordée aux citoyens les plus vulnérables dans
notre société, vous mentionnez les personnes âgées,
d'une part, vous l'avez évoqué tantôt, en expliquant un
petit peu plus l'accroissement des demandes qui concernent la Régie des
rentes du Québec. II demeure que ce phénomène de
vieillissement de la population est présent et est maintenant le sujet
d'une prise de conscience généralisée, au Québec.
Il y a aussi tout le secteur de la santé et des services sociaux, en
incluant la Régie de l'assurance-maladie où une bonne partie,
j'ai l'impression, de votre clientèle pourrait être les personnes
âgées.
J'aimerais, à partir de la priorité que vous avez
fixée, savoir quels sont les champs d'intervention plus
spécifiques, les sources de lésions plus spécifiques
réservés à cette clientèle que constituent les
personnes âgées. J'aimerais aussi savoir quelles sont vos
orientations en ce qui concerne ces personnes âgées qui, souvent -
on le sait, c'est le problème qui m'a le plus frappé - quand
elles reçoivent une communication d'un ministère ou d'un
organisme du gouvernement, étant donné leur âge, sont
souvent beaucoup plus désemparées que les plus jeunes ou que les
personnes d'âge adulte. Des fois, une lettre de la Régie de
l'assurance automobile du Québec les invitant à aller passer un
examen médical de la vue va causer tout un émoi chez ces gens qui
sont des citoyens à part entière et qui ont passé leur
temps à payer des taxes pour que l'État puisse continuer à
entretenir toute sa structure. Donc, compte tenu du caractère
particulièrement fragile de cette clientèle, j'aimerais savoir
quelle est l'expérience que vous avez vécue et quels sont les
champs d'intervention que vous désirez privilégier.
M. Jacoby: Au moment où on se parle, notre juridiction,
par rapport aux personnes âgées, est la même que pour
l'ensemble de la population, c'est-à-dire que dans la mesure où
les personnes âgées font affaires avec des ministères ou
organismes, que ce soit au niveau de !.a Régie des rentes du
Québec, que ce soit la RAMQ, que ce sort le ministère du Revenu
et tous les autres organismes, c'est la juridiction que nous avons. Et puis les
sources de lésions, d'une manière générale, enfin,
celles que je peux voir, sont lorsqu'une personne âgée se plaint,
cela revient, statistiquement parlant, à peu près aux mêmes
sources de lésions puis dans les mêmes proportions. Sauf qu'en
examinant de plus près la condition des personnes âgées,
j'ai réalisé que ces personnes, peut-être pour des raisons
culturelles d'éducation, d'une part, lorsqu'elles transigent avec
l'administration publique, se sentent relativement démunies. J'ai
noté dans plusieurs cas que ces personnes très craintives
parfois, ont peur des représailles à tort ou à raison.
J'ai noté également qu'à partir du moment où, pour
un dossier particulier, on leur demande de se déplacer, je dis qu'il y a
quelque chose qui ne marche pas. Cela dépend du déplacement, mais
d'une manière générale, il faut penser à la
condition d'une personne âgée. Ce que je pense, c'est qu'une
personne âgée qui a élevé une famille, des enfants,
qui a travaillé toute sa vie, il me semble que rendu à un certain
âge, on doit se sentir comme personne humaine, on doit vouloir avoir la
paix d'une certaine manière. On se dit qu'on a contribué au
progrès de la société, qu'on y a contribué de bien
des manières et on se dit que l'État devrait être plus
sensible à nos préoccupations, que l'État devrait
peut-être faciliter les choses pour les personnes âgées. Ce
n'est pas toujours ce qui se produit.
Si on prend maintenant le secteur sur lequel nous n'avons pas
juridiction, c'est-à-dire le secteur où véritablement les
personnes âgées se retrouvent très souvent, le secteur de
la santé et des services sociaux, eh bien! le sentiment que peuvent
avoir ces personnes-là, c'est te même que par rapport à
l'administration bien connue provinciale et tout. Dans bien des cas, les
Informations que j'ai ou les plaintes non recevables qu'on est obligés
de rejeter démontrent que ces personnes âgées sont parfois
abusées. Je trouve cela terriblement grave, parce que ces
personnes-là, par ailleurs, pratiquent elles aussi la loi du silence. Je
me dis: II faudrait... Bien
sûr, il y a différentes organisations, différentes
associations qui s'occupent des droits et des intérêts des
personnes âgées, mais l'efficacité, je ne suis pas
sûr que ce soit très significatif en termes de défense des
droits et exercice des droits. Alors, c'est pour ça que je me dis: Que
ce soit l'Institution du Protecteur du citoyen elle-même ou que ce soit
une autre institution - on n'est pas ici pour aller chercher des champs de
juridiction - il faut un mécanisme léger pour les personnes
âgées.
Le mécanisme que nous avons au bureau du Protecteur du citoyen
pour une personne âgée est terriblement intéressant et on
se l'est fait dire combien de fois? Une personne âgée qui a des
problèmes avec l'administration provinciale, elle n'a qu'à
prendre le téléphone: elle téléphone, elle explique
son problème, après on recommunique avec elle. On ne lui demande
pas de remplir des formulaires. On ne lui demande pas de nous expliquer tous
les tenants et les aboutissants de son dossier. On ne lui demande pas de venir
à nos bureaux. Cette personne-là d'une certaine manière se
plaint chez nous. Nous la prenons en charge et nous évitons qu'elle soit
astreinte à des inconvénients de tout ordre. C'est pour cela que
je pense qu'un mécanisme comme celui du Protecteur du citoyen, que ce
soit le Protecteur du citoyen ou une autre Institution, je pense que c'est un
mécanisme qui, pour les personnes âgées, est
sécurisant, qui minimise les irritants et qui devrait, en fin de compte,
faire en sorte que les personnes âgées puissent être et se
sentir mieux traitées par les administrations du réseau
parapublic.
La Présidente (Mme Bleau): M. le député de
Taillon.
M. Filion: Cela va. J'ai d'autres questions, mais...
La Présidente (Mme Bleau): Je peux seulement dire que cet
aspect de votre travail, je le trouve extraordinaire. Les explications que vous
donniez concernant les personnes âgées et quand on pense à
toutes les personnes démunies, qu'elles n'aient qu'à faire un
appel téléphonique chez vous pour avoir une réponse, je
trouve ça extraordinaire et ce n'est pas assez connu, hélas.
M. le député de Marquette.
M. Dauphin: Merci, Mme la Présidente.
M. Blackburn: Est-ce que c'est sur le même point?
M. Dauphin: Non, c'est sur un point différent,
allez-y.
M. Blackburn: Me Jacoby, est-ce que vous avez communiqué
avec les associations représentant les personnes âgées pour
justement leur parler du service que vous offrez?
M. Jacoby: Disons que nous avons fait certaines démarches,
mais je ne suis pas rendu là encore. Je vais vous expliquer pourquoi.
Les démarches que nous avons faites, c'est... D'abord, quant au
comité qui a été créé par le gouvernement
sur la question des abus à l'égard des personnes
âgées, nous avons présenté un mémoire
à la ministre dans lequel nous nous proposons pour avoir juridiction
à l'égard des personnes âgées,
particulièrement dans le secteur de la santé et des services
sociaux. Ce comité ou le ministère, je pense, d'ici une couple de
mois, va annoncer ses politiques. Timidement, la deuxième chose que j'ai
faite, j'ai accepté de donner une entrevue dans le journal qui a un
très fort tirage et qui s'adresse aux personnes âgées -
cela remonte à l'automne dernier. Je dois l'avouer bien franchement, je
n'ai pas encore préparé un plan d'action et je n'ai pas
commencé à parler aux associations et aux groupes. Ma crainte,
c'est que je ne puisse pas donner le service. Je ne veux pas créer de
fausses attentes, je veux être en mesure d'avoir les ressources
nécessaires. C'est pour ça que j'évite d'aller trop loin
un peu, comme j'évite de le faire à peu près dans tout. Je
ne veux pas créer de faux espoirs, mais je pense que c'est essentiel.
Que ce soit le Protecteur du citoyen ou un autre organisme du genre, c'est
essentiel, surtout pour les personnes âgées et surtout parce que
la population grandissante chez nous est une population plus vulnérable
que n'importe qui dans la société. Ce sont des personnes qui
méritent que quelqu'un s'occupe d'elles et qu'on ne leur fasse pas vivre
les formalités à n'en plus finir, créées par nos
grands processus administratifs.
La Présidente (Mme Bleau): Alors, M. le
député de Lévis.
Défaut de juridiction
M. Garon: Mme la Présidente, je suis un peu
étonné quand je vois que les députés ne sont pas au
courant de la fonction du Protecteur du citoyen. Je vais vous dire que
même comme ministre, j'ai utilisé ses fonctions dans des cas
où je n'étais pas certain d'avoir l'heure juste dans mon
ministère. J'ai dit à des gens: Allez donc faire ça chez
le Protecteur du citoyen. Lui fait la fonction, c'est de voir si vous avez
été traités correctement par rapport à
l'administration.
Le rapport annuel que vous remettez est très utile, à la
condition que le ministre et le sous-ministre le regardent ensemble. Cela
permet d'apporter des correctifs dans l'administration du ministère. Je
pense que c'est un organisme qui est vraiment apolitique. C'est pour ça
que je disais que même lorsque j'étais ministre et que des gens me
parlaient de choses et que je n'étais pas sûr que la personne,
quand elle me disait:
"Qu'est-ce que vous voulez, j'ai l'impression que le fonctionnaire me
hait", c'est peut-être bon de ne pas le faire passer par ce canal et de
lui dire: Va faire un tour chez le Protecteur du citoyen. Des conflits de
personnalité, cela arrive. Sans référer à des cas,
je dois vous dire que dans un cas le Protecteur du citoyen avait
été plus loin et avait dit: Étes-vous sûr que vous
avez assez fouillé la question? Il nous avait démontré que
dans un certain service, c'était le temps de faire du ménage.
Cela aide à l'administration, ce n'est pas politique. Une fois que la
loi est adoptée, les règlements sont là. Cela est
administré par la fonction publique. Il peut arriver que quelque chose
fonctionne mal et qu'il faille corriger le tir. (17 heures)
La question que j'aimerais vous poser, c'est ce qui m'a frappé
ici... Dans vos représentations, à la page 11, quand vous dites,
au bas... Et je dois dire qu'une chose qui est à l'honneur du Protecteur
du citoyen c'est quand vous dites que cela doit être fait d'une
façon informelle, moi je le... Quand les gens viennent à mon
bureau et que je sens que vous êtes le meilleur organisme, c'est vrai que
c'est informel. C'est vrai que cela se fart sur un coup de
téléphone souvent avec les bureaux d'aide sociale, pour trouver
le dossier plus rapidement, pour que les gens n'aient pas besoin de se
rendre... J'ai vu cela se faire plusieurs fois et c'est vrai que les
réponses sont rapides. En tout cas, dans les cas que j'ai vus... Et vous
dites que dans un cas sur trois, un sur deux, les gens avaient raison et qu'ils
n'avaient pas été traités correctement mais ils ne le
savaient pas.
Ce qui m'a frappé dans votre rapport c'est quand vous dites,
à la page 11, les deux dernières lignes: Un bon nombre
n'étaient pas recevable, 10 681, parce que pour la plupart nous n'avions
pas juridiction. Est-ce que vous avez fart la ventilation de ces 10 681 cas
pour lesquels vous n'aviez pas juridiction? Cela peut être des cas
privés qui ne regardent pas le gouvernement d'aucune façon. Mais
est-ce que vous avez identifié dans ces pourcentages-là des
secteurs Importants - J'ai aussi vu les statistiques à la fin -
où si c'est parce que tout simplement vous n'aviez pas juridiction et
qu'il serait souhaitable que vous ayez juridiction? Je ne dis pas ça
dans une perspective de recherche de clientèle. Mais c'est parce qu'il y
a un pan de mur à un moment donné ou des gros points... Si on
ventile les 10 681 cas, c'est beaucoup qui pourraient être des cas
où il serait souhaitable que le Protecteur du citoyen art
juridiction.
M. Jacoby: Oui, je pense qu'il serait souhaitable que le
Protecteur du citoyen ait juridiction ou qu'il y art un mécanisme
équivalent. Notamment... Évidemment on ne parlera pas des
matières d'ordre privé. Ce sont pratiquement 50 % des gens qui
appellent pour des problèmes avec le voisin. Évidemment, on les
réfère, lorsqu'ils sont admissibles, à l'aide juridique ou
on les réfère à d'autres Instances. Nous avons une banque
d'interlocuteurs dans toutes les organisations où nous n'avons pas
juridiction. Alors on agit comme service de référence.
Ce qui me frappe c'est le secteur de la santé et des services
sociaux. Nous avons eu, en 1987, 446 plaintes que nous avons dû
déclarer non recevables malgré les problèmes que les
personnes nous Indiquaient. Alors ce que nous faisions dans des situations
comme ça, nous les référions, lorsqu'il y en avait,
à l'ombudsman de l'Institution ou encore au comité de
bénéficiaires. Je pense que le secteur de la santé et des
services sociaux est un secteur...
M. Garon: De quelle nature... Je vois dans les statistiques...
Organismes hospitaliers... ce que vous venez de dire. De quelle nature?
M. Jacoby: Toutes sortes de plaintes. Le fart que... Par exemple,
des questions de vie privée, que ce sort simplement le fart qu'on art
une toilette pour 20 personnes, qu'on oblige parfois certaines personnes
à se promener nues devant d'autres, des cas comme ça. Et cela ce
sont des cas de dignité humaine et je trouve ça fort un peu. Il y
a aussi les personnes qui nous appellent parce qu'elles apprennent qu'un jour
elles sont tombées sous la Curatelle publique. Les proches nous
appellent aussi pour nous demander ce que c'est. Alors on intervient par le
biais de la Curatelle publique. Ce sont les conditions de vie très
souvent. Il y a aussi, j'ai l'impression, dans certains cas, qu'on se sert un
peu des bénéficiaires comme des otages. C'est ce genre de
plaintes. Et il y en a vraiment dont je me dis: Cela n'a pas de maudit bon
sens. Je me dis qu'il y a certainement un secteur où il faut avoir un
ombudsman ou quelque chose d'équivalent et c'est bien ce
secteur-là.
Les cas aussi de personnes qui communiquent avec vous parce qu'elles ont
des besoins spéciaux qui ne sont pas comblés. Par exemple, je ne
sais pas, des lunettes, des abus au niveau familial, mais on ne peut pas faire
grand-chose là-dessus. il y a aussi des personnes qui communiquent avec
nous de centres d'accueil, de foyers d'accueil et nous n'avons pas juridiction
dans ce domaine. On a ce genre de clientèle. Moi, Je pense que c'est un
secteur, d'une manière ou d'une autre, où il faut
véritablement une Institution comme la nôtre, en tout cas,
l'équivalent de, à tout le moins. C'est le secteur qui
m'apparaît le plus problématique. Pour une foule de raisons que je
ne voudrais pas nécessairement relater ici.
Ensuite, nous avons des plaintes, évidemment, concernant les
organismes gouvernementaux sur lesquels nous n'avons pas juridiction. Par
exemple, de petits commerçants qui se plaignent de l'application de tout
le processus. Par exemple, la personne qui paie un permis à la
Régie des permis d'alcool, un restaurateur qui,
un bon matin, voit arriver la police, se fait saisir tout son inventaire
sans qu'il ait jamais été avisé de quoi que ce soit.
Là, c'est pris en charge par la société d'État qui
s'appelle la Société des alcools. On élimine de
l'inventaire la valeur marchande toutes les bouteilles sur lesquelles il y a
une étiquette qui est un peu grafignée. On élimine la
valeur marchande les bouteilles qui sont entamées. J'ai un cas
récemment où l'on a saisi un restaurateur sans qu'il ait
été avisé du fait qu'il était sur le point de
perdre son permis. Il s'est fait saisir pour 10 000 $, a reçu un
chèque en bout de ligne d'à peu près 1500 $.
Là j'ai vérifié les lois. Nous avons une petite
juridiction sur la Régie des permis d'alcool parce que c'est un
organisme quasi judiciaire. L'examen de la législation, la
réglementation. J'en suis arrivé à la conclusion qu'il y
avait des possibilités d'abus absolument incroyables, même en
respectant le processus qui est dans les lois. L'autre bout, celui qui va
à la Société des alcools, là-dessus nous n'avons
pas juridiction parce que les employés ne sont pas des fonctionnaires.
Ce bout là, je me demande qui protège la PME à
l'intérieur de l'organisation. Nous avons des plaintes de ce genre.
À mon point de vue, les sociétés d'État devraient,
à tout le moins, que ce soit Hydro-Québec, la
Société des alcools, se doter de mécanismes efficaces de
traitement des plaintes et idéalement qui a une espèce de
mécanisme comme le Protecteur du citoyen aussi. Je pense que c'est
absolument essentiel parce que notre juridiction, celle que le
législateur a donnée par la Loi sur le Protecteur du citoyen, est
complètement, je dirais, anachronique, paradoxale, cela n'a pas de bon
sens, pour la raison suivante: si vous êtes un employé de
l'État non assujetti à la Loi sur la fonction publique, le
Protecteur du citoyen ne peut pas vous poser de question. Par exemple, si vous
êtes un employé de la Commission des services juridiques, si vous
êtes un employé de la Société des alcools, si vous
êtes un employé de tel conseil, de tel organisme du gouvernement,
ou contrôlé par le gouvernement, le Protecteur du citoyen ne peut
pas poser de question, il n'a pas juridiction et il se le fait dire à
part cela. Que voulez-vous qu'on fasse? C'est ça la
réalité. Même si à l'occasion je me suis
essayé. Comme j'ai certains contacts, des fois on peut obtenir une
certaine collaboration, mais je veux dire, cela c'est à cause des
contacts. Ce n'est pas de même qu'on peut vraiment régler des
problèmes.
Alors, la loi est ainsi faite que, parce qu'on est fonctionnaire, on est
sous la juridiction du protecteur; mais si dans l'organisme à
côté tu n'es pas fonctionnaire, mais que tu es payé par
l'État, le protecteur n'a pas juridiction. On ne s'est pas mis à
la place du citoyen, quand on a fait cette loi. C'est bête à dire
ce que je dis, mais c'est ce que je pense. Il faut dire que cela remonte
à 1968 et il y avait peut-être moins d'administration et
d'organismes et tout ça. Le citoyen, lui, n'est pas divisé. Il a
un problème avec l'aide juridique, il a un problème avec le
ministère du Revenu. Pour lui c'est tout le gouvernement ça.
C'est payé par les fonds publics. Il ne comprend pas. Alors, il est en
maudit quand on lui dit qu'on n'a pas juridiction et on se fait enguirlander.
Là on nous traite d'incapables, d'impuissants, qu'on a les mains et les
poings liés.
On protège le monde et c'est ça que cela donne. Il faut
qu'on prenne un soin extraordinaire auprès de ces personnes qui
deviennent encore plus en maudit qu'elles n'étaient parce qu'elles
avaient pensé que le Protecteur du citoyen était, à tort,
le département des miracles. Alors, vous imaginez! Prenons un autre cas.
Systématiquement, lorsque nous terminons une enquête quelle qu'en
soit l'issue, le résultat de l'enquête, que la plainte soit
fondée ou non, on prend le temps de rappeler la personne. On lui
explique au téléphone les motifs de notre position. Quand on
appelle un plaignant et qu'on lui dit: Vous aviez raison, madame, monsieur,
bien vous comprenez. Enfin, quelqu'un a trouvé la solution et
j'étais une victime, c'est vrai qu'on m'a fourré. Ces
cas-là vont bien, c'est parlait. Mais les deux personnes sur trois qui
se font dire: Nous n'avons pas juridiction. Alors, on fait une lettre de deux
ou trois pages pour expliquer qu'on n'a pas juridiction. En bout de ligne,
c'est un sentiment d'impuissance. On leur dit de s'adresser ailleurs. Elles
nous disent: On s'est adressé ailleurs et justement, cela ne marche pas.
Bien, voyons donc! Et en plus, dans les cas où on enquête, on a
juridiction, il y a deux personnes sur trois à qui, en moyenne, on est
obligé de dire: Vous n'aviez pas un bon dossier. Vous comprenez que
là aussi les gens se posent des questions sur notre
crédibilité, sur notre complaisance envers l'administration. On
se pose de sérieuses questions.
Cependant, ce qui est consolant, ce qui est très consolant dans
ces cas-là c'est que très souvent, ces citoyens à qui l'on
explique avec moult détails au téléphone et par
écrit que leur plainte n'est pas fondée, très souvent, ils
nous disent: Mon Dieu, si quelqu'un nous avait expliqué ça au
début, on ne se serait jamais plaint de ça. Cela est
réconfortant d'une certaine manière. Au moins, quand on arrive
à la conclusion que la plainte n'est pas fondée, au moins, on a
le sentiment, on espère et on réalise plusieurs fois que la
personne a enfin compris pourquoi elle ne s'était pas fait fourrer. Je
ne veux pas dire qu'elle est contente, contente, qu'elle applaudit. On se
comprend. C'est un peu ça le dilemme.
M. Garon: Je me demande, Mme la Présidente, en
écoutant le Protecteur du citoyen et l'organisme qui a maintenant 20
ans, qui entreprend sa 21 ième année, si ce ne serait pas une
bonne chose, à la fin de cette commission, avant 6 heures, d'avoir un
genre de proposition de la
commission demandant au Protecteur du citoyen, s'il avait à
amender la loi, quels sont les amendements que vous suggéreriez à
la loi? Parce que, au fond, le Protecteur du citoyen nous dit: II y a des
domaines où j'aimerais avoir Juridiction, il y a des secteurs où
j'aimerais que dans la loi, ce ne soit pas dit comme ça. Au fond, vous
nous dites qu'elle n'a pas vraiment été modifiée depuis
1968, comme le Protecteur du citoyen dépend de l'Assemblée
nationale, il ne dépend pas du gouvernement, ce n'est pas un organisme
partisan au fond ou de l'administration et je ne pense pas que le Protecteur du
citoyen ait jamais été utilisé de façon partisane
non plus jusqu'à maintenant. Est-ce que ce ne serait pas une bonne
chose, comme commission parlementaire, d'avoir une résolution demandant
au Protecteur du citoyen des amendements qu'il suggérerait à la
loi, étant donné les 20 ans d'expérience du Protecteur du
citoyen?
La Présidente
(Mme Bleau): Si vous le voulez, M. le
député de Lévis, je vais laisser poser sa question au
député de Marquette et on va revenir à votre
proposition.
M. Filon: Justement M. le Président.
M. Dauphin: D'ailleurs sur la question, c'est là-dessus
que je voulais intervenir.
M. Filion: Juste un point d'information. Je pense que le
député de Lévis n'était pas là tantôt
quand, en fin d'avant-midi, on a annoncé que les membres de cette
commission des institutions étaient pour se pencher sur les suites
à donner au rapport du Protecteur du citoyen ainsi que sur sa
présentation. Donc, les membres de cette commission seront
appelés d'ici les prochaines semaines, très prochainement en ce
qui me concerne, à se pencher là-dessus.
La Présidente (Mme Bleau): Oui. M. le député
de Marquette.
M. Dauphin: Justement, le président de la commission des
institutions a fait sa proposition ce matin, endossée d'ailleurs par le
parti ministériel. On s'est entendu justement pour avoir une
séance spéciale afin de tenir compte des recommandations du
Protecteur du citoyen et vous serez le bienvenu à assister à
notre réunion, même si vous n'êtes pas membre
officiellement. C'est sans problème. (17 h 15)
La Présidente (Mme Bleau): J'étais pour vous
transmettre cette Invitation moi aussi.
M.
Filon. J'ai peut-être une question mais je pense
que vous aviez une question.
M. Dauphin: Sur le même sujet? M. Filon:
Allez-y.
M. Garon: Est-ce que cela comportait des modifications à
la loi, parce que ce matin j'étais à une autre commission
parlementaire?
M. Filion: Cela pourrait comprendre des suggestions de
modifications.
M. Garon: Je ne suis pas membre de toutes les commissions
parlementaires mais cela fait douze ans que je suis député et
j'ai recommandé à beaucoup de gens d'aller chez le Protecteur du
citoyen parce que je trouvais que plusieurs obtenaient justice ou
étaient traités équitablement et en ressortaient
satisfaits. C'est pour cela que je pense que faire le ménage dans la loi
au bout de 20 ans ce n'est pas mauvais mais c'est... Les suivis au rapport
c'est une affaire mais je pense aux cas, notamment, les 10 681 cas où le
protecteur n'avait pas juridiction. Je pense que là-dedans il y en a,
comme on vient de nous l'indiquer, un certain nombre pour lesquels, sans doute,
cela pourrait être souhaitable que le protecteur ait juridiction. Je
pense à un amendement, à Noël, qui était excellent
où vous donniez un Protecteur du citoyen pour la ville de Québec.
Sur le plan municipal, s'il y avait - je ne dis pas dans tout le Québec,
c'est une autre affaire - une façon... Souvent les gens viennent et sont
démunis. Leur seule façon c'est d'aller prendre des actions en
justice et souvent des questions... J'ai vu un cas récemment et je
trouvais cela épouvantable. C'est une erreur dans les papiers,
sembie-t-il. II va sans doute être obligé d'aller devant les
tribunaux, le diable à quatre, pour une erreur qui a été
faite à un moment donné dans les papiers et les gens sont
morts.
La Présidente (Mme Bleau): Justement, M. le
député de Lévis, la sous-commission se réunirait
pour voir s'il n'y aurait pas des amendements ou des choses nouvelles à
apporter pour aider le Protecteur du citoyen à mieux exercer ses
fonctions. À ce moment-là, si vous avez des recommandations
à faire ou des suggestions à faire, elles seront les bienvenues.
M. le député de Marquette.
Initiatives municipales
M. Dauphin: Justement, M. le député de Lévis
vient de parler des municipalités. On sait pertinemment que certaines
municipalités du Québec ont leur propre protecteur ou ombudsman,
notamment, ce qui intéresse peut-être mon collègue de
Taillon, la ville de Longueuil, la ville de Dorval, Laval je crois aussi.
Alors, J'aimerais avoir votre réaction là-dessus s'il n'y aurait
pas possibilité d'extrapoler cela dans tout le Québec. C'est
sûr que cela n'est pas pour demain matin mais je ne sais pas si vous avez
une réaction là-dessus.
M. Jacoby: Il y a plusieurs municipalités qui
se sont dotées "d'ombudspersons" portant ou des bureaux portant
différents noms, services de renseignements et de plaintes ou d'autres
services qui portent des noms différents. Cela n'existe pas dans toutes
les municipalités mais ce que je peux constater c'est que dans les
municipalités où il y a une grosse administration, des gros
effectifs administratifs, généralement cela existe.
Évidemment, c'est déjà beaucoup. C'est déjà
un pas dans la bonne direction mais il ne reste pas moins que ces personnes,
malgré toute leur bonne volonté d'une part et d'autre part
malgré tout l'intérêt qu'elles peuvent porter aux plaintes
des citoyens demeurent essentiellement des employées de l'administration
municipale. Quand il s'agit, par exemple, de remettre en cause plus que des
dossiers bien ponctuels, une erreur de calcul, quand il s'agit de remettre en
cause des politiques administratives, la réglementation municipale, des
directives, des processus, il est évident que ces personnes sont un peu
mal placées. Elles n'ont pas tellement de marge de manoeuvre pour
convaincre les autorités qu'il faut changer nécessairement telle
politique. Elles font un bout de chemin mais ont une marge de manoeuvre
réduite. Mais je trouve que ce sont des initiatives louables et c'est
vraiment... Au moins il y a un intérêt parent d'un meilleur
traitement de dossiers.
Sur un plan plus global, au niveau municipal, il y a déjà
eu une proposition dans un rapport d'étude, il y a quelques
années, en ce sens que le Protecteur du citoyen a juridiction sur
l'ensemble des municipalités, mais je pense que l'UMQ a rejeté
à l'époque à 80 % la recommandation voulant que le
Protecteur du citoyen ait juridiction sur les municipalités. Je peux
comprendre la réaction d'une certaine manière. Tout simplement le
sentiment de cette autonomie nécessaire dans le monde municipal qui est
parfois un contentieux même entre le gouvernement et les
municipalités. Mais, ce qui pourrait peut-être être
étudié ce serait la possibilité d'avoir une loi
provinciale qui permettrait aux municipalités qui le désirent de
s'assujettir à la juridiction du Protecteur du citoyen ou à un
autre mécanisme et laissant, à la fois, aux municipalités
leur autonomie et en même temps celles qui le désirent avoir une
espèce de personne externe indépendante, un peu neutre, de voir
ce qui se passe dans leur administration, la possibilité de faire un
"opting in". Comme d'ailleurs, cela s'est déjà fait dans
plusieurs lois, notamment en matière de perception, des
possibilités à l'emprisonnement pour défaut de paiement
d'amendes, c'est un système d'opting in". Au moins, cela donnerait aux
élus municipaux qui le désirent la possibilité d'entrer
dans le système. Avec les années, je me dis, cela pourrait porter
des fruits. Évidemment, il y a les coûts financiers. Je ne peux
pas tellement me prononcer sur cela, mais cela serait peut-être une
solution. Vous ne forceriez personne et on dirait: C'est là l'affaire,
si vous voulez l'utiliser.
M. Dauphin: Merci.
La Présidente (Mme Bleau): M. le député de
Taillon.
M. Dauphin: Mepermettez-vous une deuxième
question, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme Bleau): Oui.
M. Dauphin: Oui. À la page 12 de votre rapport, vous
suggérez à un moment donné, dans le chapitre traitant de
l'action préventive d'Intervention, que le Protecteur du citoyen puisse
faire changer des directives, faire des enquêtes systémiques
plutôt que de procéder cas par cas, de façon Individuelle.
Je crois qu'actuellement, en vertu de la loi habilitante vous avez ce
pouvoir-là. Alors, évidemment, vous semblez favoriser ce genre
d'approche. Ma question est tout simplement celle-ci: En quoi la commission des
institutions ou le gouvernement pourrait-il vous aider davantage si
effectivement vous aviez ce pouvoir-là?
M. Jacoby: D'une certaine manière la commission pourrait
favoriser certaines approches et cela ne prend pas de modifications
législatives, c'est déjà fait, mais, évidemment,
quand on constate un nombre répété de problèmes
dans une organisation et que ce sont toujours les mêmes problèmes,
des fois on découvre que ce n'est pas le système en soi qui est
mauvais c'est parce que, malheureusement, c'est toujours le même
fonctionnaire qui est la source de problème. Je n'appelle pas ça
un problème systémique, j'appelle ça un problème de
personnalité. Mais parfois on réalise que, les problèmes
viennent du fait que des directives, par exemple, sont très larges,
laissent trop de discrétion et il y a peut-être des abus qui se
font dans l'exercice de sa discrétion. Ou encore, les directives - et
c'est selon les secteurs - sont trop étroites et ne donnent pas assez de
marge de manoeuvre aux décideurs de première ligne. Cela donne
une série de cas de même nature. Alors, moi, je dis: Régler
les dossiers cas par cas, c'est une chose, mais c'est dossier par dossier,
personne par personne. Je me dis, le Protecteur du citoyen doit jouer un
rôle plus préventif et à partir d'analyses
systémiques et particulièrement dans les organisations où
il y a des processus extraordinaires, les plus sophistiqués au monde,
quand on a mis le doigt sur le bobo qui ne marche pas dans le processus, on
peut certainement proposer au ministère ou à l'organisme
concerné une modification à son processus ou à son
système. On le fait, à l'occasion, sauf que, ce qu'on
réalise, c'est qui y a de plus en plus de problèmes
systémiques et là on est inondés.
Cela étant dit, on ne va pas se noyer encore. Il y a des
problèmes systémiques et les collaborations que je mentionnais
plus tôt avec certains ministères et organismes vont faire en
sorte que nous allons pouvoir nous asseoir et regarder avec eux les
problèmes systémiques, que ce sort simplement, je ne sais, les
règlements de l'aide sociale. Il y a des problèmes
systémiques, nous les avons mentionnés; il y a des rencontres qui
doivent avoir lieu, ainsi de suite.
Ce que je veux dire, c'est qu'on peut faire de la prévention,
j'en suis convaincu. On va être bien plus efficaces finalement si on fait
de la prévention, parce que le jour où on aura trouvé le
bobo dans le système, ce sera tout un paquet de gens à qui le
système ne pourra, éventuellement, causer de préjudice.
Dans cette optique, lorsque je disais, ce matin, dans ma présentation,
que je demande l'appui de la commission dans les démarches que l'on fait
depuis quelque temps auprès d'organismes et de ministères pour
essayer d'améliorer les systèmes, c'est dans ce sens,
peut-être, que la commission pourrai; nous donner un coup de main.
M. Dauphin: Merci.
La Présidente (Mme Bleau): M. le député de
Taillon.
Régies, organismes, ministères
M. Filion: Sur le même sujet: le caractère
préventif de votre action. Je saisis très bien ce que vous mettez
de l'avant, mais, d'un autre côté, je dois vous dire que vous le
faites déjà. Vous le faites déjà, dans de
très nombreux cas. Lorsque, par exemple, vous arrivez à
convaincre un fonctionnaire, un ministère ou un organisme de modifier
telle ou telle directive, à ce moment-là, vous venez,
évidemment, d'enlever le problème à la source. L'exemple
qui me vient à l'esprit, je pense qu'il est contenu dans votre rapport,
c'est à la Cour des petites créances où l'on n'informait
pas les citoyens du fait qu'ils avaient droit au paiement
d'intérêts lorsque leur cause était jugée bien
fondée. En enquêtant sur un cas, vous vous êtes probablement
rendu compte que, systématiquement, ce n'était pas fait. Donc,
à la suite de votre intervention, j'ai l'Impression qu'on le fait et
que, dorénavant, le greffier ou le personnel de la Cour des petites
créances doit aviser les citoyens, les justiciables, de leur droit
à des intérêts sur le capital d'une somme qui leur est
due.
Donc, d'une certaine façon, vous le faites déjà et
j'aimerais que vous soyez plus précis. Il y a des organismes, des
ministères où il y a des actions systémiques ou
systématiques qui sont entreprises - par exemple, les règlements
d'aide sociale - et, à titre préventif, vous pourriez vous
asseoir avec les fonctionnaires et étudier avec eux tel ou tel
règlement ou idéalement, tel ou tel projet de règlement.
Est-ce à dire que vous avez des problèmes à le faire
maintenant? Est-ce à dire que vous rencontrez des organismes
récalcitrants, qui ne veulent pas remettre en question l'ensemble de
leurs directives ou un aspect de leur réglementation? Je suis toujours
resté sous l'impression que les ministères ou organismes
étaient réceptifs à ce type d'action.
Si ce n'est pas le cas, j'aimerais que vous soyez un peu plus
précis, quitte même à nous dire où vous rencontrez
une forme d'obstination qui ne serait pas à propos. Et Je vous invite
à être très à l'aise. Vous savez, l'un de vos
collègues, aussi nommé par l'Assemblée nationale, le
président de la Commission d'accès à l'information,
à chacune de ses visites annuelles, nous présente - et
étant donné que la question est posée
systématiquement, il nous répond systématiquement et
même, il prend de l'avance - la liste des organismes
récalcitrants. Je sais que vous désirez conserver cette
neutralité - et je sais que vous allez le fait et agir également
avec courtoisie, mais dans le meilleur Intérêt des citoyens, Je
vous Invite à mettre le doigt sur ces régies, organismes ou
ministères qui n'auraient pas cette attitude ouverte face à une
collaboration totale avec le Protecteur du citoyen, pour faire en sorte de
déraciner à la source les causes de lésions
identifiées.
M. Jacoby: Disons que peut-être, contrairement au
président de la Commission d'accès à l'information, nous
n'avons pas l'habitude des commissions au bureau du Protecteur du citoyen. (17
h 30)
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Jacoby: Deuxièmement, oui, nous avons des
problèmes avec certains ministères ou organismes, Je dois
l'avouer. Il y en a plusieurs qui vont se résorber, j'en suis sûr;
pour d'autres, je n'en suis pas sûr.
Voici comment cela se passe dans la vraie vie, mais j'éviterai
d'identifier des ministères et organismes. Pour ma première
expérience, vous me permettrez, quoique je crois que vous avez comme
membres de la commission tous les pouvoirs, d'être relativement discret,
mais Je vais vous donner des exemples, notamment dans les systèmes
à réseaux, les systèmes où nous avons des
directions régionales dans toute la province et où, à
l'intérieur des directions régionales, nous avons des bureaux. Il
y a plusieurs organismes et ministères qui fonctionnent comme ça,
qui sont déconcentrés et décentralisés sur le
territoire.
On peut constater, à un moment donné, que dans une
région particulière, le taux de lésions est très
élevé. Par exemple, dans un organisme ou ministère que je
ne nommerai pas, je dirais Québec-Nord, le taux de lésions est
très éievé. Alors, on remonte tranquillement les paliers
hiérarchiques, on arrive aux hautes autorités de la direction et
là, on a une sorte de blocage. Bon! Ça c'est dans une
région X. Dans telle autre région, on a le même type de
problèmes, mais peut-être en moins grand nombre. Dans d'autres
régions, on réalise que les directives ou
les politiques sont appliquées différemment des autres
régions précédentes. On a un problème
systémique énorme. Une direction régionale va appliquer
ces normes et procéder de telle manière; dans telle autre
direction régionale, on va les appliquer autrement. Alors, ]e me dis
qu'il y a là un sérieux problème. Cela veut dire que les
citoyens, selon la région où ils sont, n'ont pas les mêmes
services, n'ont plus les mêmes droits et de ça, l'en al des
exemples. Dans certains endroits, on n'accorde pas de bénéfices,
alors que dans d'autres on les accorde. Quand on creuse, on se rend compte que
là où on est très restrictifs, c'est souvent attribuable
à des facteurs au sujet desquels je ne prolongerai pas.
Cela dit, voici un problème systémique, un problème
de région: loi appliquée différemment d'une place à
l'autre. Là, on remonte dans le système, parce qu'il y a des
"boss" au-dessus de tout cela. On arrive un peu comme un chien dans un jeu de
quilles. D'abord, on nous pose la question: Qu'est-ce que vous faites dans nos
affaires? Deuxièmement, qui êtes-vous? Pour qui vous prenez-vous?
Alors, on n'a pas toujours la collaboration, et comme la mentalité
revient très souvent à dire que le Protecteur du citoyen, c'est
une espèce de contrôleur et qu'il n'a pas d'affaire là,
alors, on bloque des dossiers. Pendant ce temps-là, tous nos dossiers
sont bloqués, parce qu'ils ne se règlent pas. Pour en faire une
démonstration, pour convaincre les autorités supérieures
de l'organisme au ministère, il nous faut amasser des données
parce qu'on sait qu'on a une maudite côte à remonter. Il s'agit de
démontrer que ce ne sont pas des caprices de notre bureau, que ce sont
des réalités. On doit monter des dossiers. Or, monter des
dossiers, cela suppose aussi une collaboration de l'organisme ou du
ministère, et si on ne l'a pas au départ, on est un peu
"jammés" dans nos dossiers, mais pendant ce temps-là les gens se
plaignent, car on ne règle pas leurs dossiers; personne ne règle
leurs dossiers. Je peux vous dire que ça existe dans plusieurs
organismes et ministères. On n'a pas toute la collaboration voulue et
alors, cela devient de plus en plus difficile, surtout dans les grosses
organisations gouvernementales, de régler des problèmes
systémiques, parce qu'on n'a pas de collaboration. On pourrait en avoir
plus, à tout le moins.
C'est une chose que je trouve très grave. Je le dis, je le
répète et j'essaie de le faire comprendre - je suppose que c'est
Interprété différemment - on n'est pas là pour
chercher des coupables; on n'est pas là pour faire une évaluation
de programme du ministère ou d'un organisme; on n'est pas là pour
évaluer les employés du gouvernement, hauts fonctionnaires ou
moindres et ainsi de suite. On veut corriger une situation que l'on trouve
injuste. De plus, le phénomène qui se produit depuis quelques
années, c'est que le résultat de tout ce que je disais plus
tôt - nos lois qui comportent des systèmes de plus en plus
complexes, des lois nouvelles qui datent de quelques années et des
systèmes de plus en plus complexes - c'est qu'on dirait qu'il y a des
gens qui sont payés pour compliquer les choses. Alors, on a des
problèmes de système attribuables à des structures
législatives; des problèmes, non pas avec la philosophie de la
loi, mais avec la manière dont on règle ou dont on veut
régler les problèmes. On est débordé par la
systémique. C'est rendu, au moment où l'on se parle, que dans des
dossiers d'importance, qui toucheraient des centaines de personnes, eh bien, on
n'est plus capable d'avancer.
Je vais donner un exemple de problème systémique qui
touche justement des personnes âgées. On l'a réglé
parce qu'on a eu une bonne collaboration de l'organisme en question. L'an
dernier, une veuve communique avec nous pour nous dire que la Régie de
l'assurance automobile avait arrêté le paiement d'une rente. Son
mari était décédé dans un accident du travail et de
voiture. Or, sous l'ancienne loi, on pouvait aller chercher - on le peut
peut-être encore en ce moment - à la Régie de l'assurance
automobile des suppléments de rente ou encore des choses qui ne sont pas
payées à la CSST, par exemple, les frais pour l'utilisation des
mâchoires de vie. En tout cas, jusqu'à récemment, les frais
encourus pour l'emploi des mâchoires de vie n'étaient pas
défrayés par la CSST, même s'il s'agissait d'un accident du
travail, alors que la Régie de l'assurance automobile paie pour
l'utilisation des mâchoires de vie.
Alors, les régimes sont un peu complémentaires. La petite
dame nous explique tout ça. On fait enquête. On intervient. En fin
de compte, on réalise la chose suivante: une décision prise par
la régie, basée vraisemblablement, je le suppose, sur un avis
juridique, avait interprété la loi de telle manière que
toutes les personnes qui avaient capitalisé leur rente à la CSST
ne pouvaient plus toucher la rente supplémentaire de la Régie de
l'assurance automobile. Nous avons pris le temps qu'il fallait - on a pris le
temps, ce n'est pas pire, seulement deux mois - et on a fait accepter à
la Régie de l'assurance automobile que sa position, quant à
l'interprétation de cette loi, était déraisonnable et
même qu'elle allait à l'encontre des chartes. Elle a
accepté notre point de vue; ça touchait une personne.
Là, on s'est dit que ce n'était peut-être pas la
seule personne qui se faisait couper ses rentes comme ça et qu'il y
avait peut-être d'autres personnes qui allaient se les faire couper
bientôt. Alors, on a demandé à la régie de
"pitonner" sur ses ordinateurs. On voulait connaître tous les cas
où les personnes se sont fait couper les rentes dans ces circonstances
et tous les cas où elles étaient sur le point de se les faire
couper. Les ordinateurs nous ont produit les noms de 55 veuves, dont la
moitié s'étaient fait couper leur rente, l'autre était sur
le point de l'être. On leur a dit: Si vous faites capitaliser votre rente
de la CSST, vous êtes faites.
Alors, on a demandé au ministère, à l'or-
ganisme ou à la régie qui a collaboré,
d'écrire à toutes ces personnes et de leur dire que la rente
était rétablie et, quant à celles qui n'avaient pas subi
de coupures encore, qu'elles pouvaient capitaliser et que cela n'affecterait
pas leur rente supplémentaire venant de la régie. On a
touché 55 veuves dans la province. C'était un problème
systémique parce que c'était l'interprétation de la loi
comme telle.
Alors, vous savez ce que cela a provoqué: les avantages auxquels
ces personnes avaient droit, ça se chiffrait - si on prend en
considération l'espérance de vie des veuves concernées -
et c'est un règlement qui, en fin de compte, a fait en sorte que nous
avons épargné 5 000 000 $ pour ces 55 personnes. On ne s'est pas
tapé les bretelles sur la place publique, mais c'est un dossier qui
s'est réglé de manière douce, par le dialogue et la
compréhension. Cela a pris deux mois; on a eu une bonne collaboration.
Alors, quand ça collabore, ça collabore bien, mais quand
ça ne collabore pas, ça empire. Tout comme les délais
appellent les délais, la confrontation appelle la confrontation.
La Présidente (Mme Bleau): M. le député de
Roberval.
M. Blackburn: Ce matin, Me Jacoby, vous mentionniez dans votre
rapport qu'il y avait des secteurs d'interventions où vous n'aviez pas
juridiction, en particulier celui de l'éducation.
Dans le réseau scolaire, actuellement, en vertu de la loi 84, la
Loi sur l'instruction publique, un élève, qui est visé par
une décision qui ne le favorise pas ou qui ne lui convient pas, peut
effectivement revenir. À ce moment-là, c'est la commission
scolaire qui peut même aller jusqu'à avoir son propre ombudsman
qui étudiera le cas. Dans ce secteur, Me Jacoby, comment verriez-vous
l'élargissement de votre mandat?
M. Jacoby: II existe, bien sûr, en vertu de la loi ou
même sur une base administrative dans certaines commissions scolaires,
dans certaines écoles, dans certains collèges, des personnes qui
sont généralement des professeurs ou même des
administrateurs et qui jouent ce rôle d'ombudsman. Et puis, il y a le
recours à la commission scolaire.
J'avais fait des représentations au ministre de
l'Éducation à l'occasion de la loi 107. Notre position
était celle-ci: II serait peut-être opportun qu'il y ait un
protecteur de l'élève dans le réseau de l'éducation
aux niveaux primaire et secondaire. Telle a été notre position.
Le ministre nous a expliqué qu'à ce stade, il n'était pas
prêt à ce que le Protecteur du citoyen soit le protecteur de
l'élève.
M. Blackburn: Merci.
M. Filon: Alors, à ce moment-là, je dois
comprendre, toujours sur le même sujet que, finalement, vous seriez
heureux de voir se reproduire dans un texte législatif la disposition
législative qui était contenue dans la loi 3.
M. Jacoby: Écoutez. Je croyais, avec l'expérience
que j'ai depuis plusieurs mois, que c'était une bonne chose et que
ça ne remettait pas du tout en question l'autorité des
commissions scolaires ni l'autorité des écoles, parce qu'il ne
faut jamais oublier que nous n'avons qu'un pouvoir de recommandation. Nous
n'imposons rien. On peut très bien ne pas suivre notre recommandation.
Donc, ça ne mettait pas le réseau dans un état de tutelle
ou de dépendance. On pensait que c'était un compromis, d'une
certaine manière, qui aurait permis que des droits soient exercés
pleinement. Parce que dans le domaine scolaire, mon point de vue - avec le peu
de plaintes qu'on a, mais il y en a pas mal sur lesquelles on doit
décliner juridiction - c'est qu'il y a des gens qui ne se plaignent pas.
Que ce soit des parents ou des élèves, ils ne se plaignent pas,
car ils ont peur. Ils s'en parlent entre eux et ils ne se plaignent pas et je
vais vous en donner la raison. Ils ont peur que leur enfant fasse l'objet de
préjudice parce qu'ils se sont plaints du comportement d'un professeur
ou qu'ils se sont plaints du comportement d'un administrateur. Le
système en soi fait que l'élève change de classe
d'année en année. Bien sûr, il existe des mécanismes
de protection. Mais la question est la suivante: Est-ce que ces
mécanismes sont vraiment efficaces? Ils jouent un rôle.
C'était mon point de vue.
M. Filion: D'accord. Mme la Présidente, je vais
peut-être me permettre une suggestion aux membres de cette commission. Il
reste quinze minutes à nos travaux. Peut-être qu'on pourrait
suspendre une minute ou deux. Et j'inviterais - le cas échéant,
si ça l'Intéresse - le Protecteur du citoyen à prendre
cinq minutes peut-être pour nous faire part de ses remarques en
conclusion de l'exercice que nous avons fait aujourd'hui, en conclusion de
cette commission parlementaire. Je pense qu'on pourrait également se
partager les dix minutes en deux fois cinq minutes. Le temps a filé
rapidement. Alors, J'en fais une proposition aux membres de cette commission,
si ça convient. On peut peut-être suspendre une minute. Le temps
de ramasser vos dernières idées et nous permettre de faire de
même. À ce moment-là, vous pourriez fort bien commencer ces
quinze dernières minutes par quelques minutes en conclusion. On fera de
même.
La Présidente (Mme Bleau): Nous allons suspendre la
séance pour une ou deux minutes.
(Suspension de la séance à 17 h 44)
(Reprise à 17 h 46)
La Présidente (Mme Bleau): La commission reprend sa
séance de travail. M. Jacoby, avez-vous des réflexions finales
à nous faire?
Conclusions
M. Jacoby: Mme la Présidente, mesdames et messieurs.
D'abord, je peux vous dire que je suis particulièrement heureux d'avoir
pu me faire entendre devant la commission et que j'ai été
très agréablement surpris de l'intérêt que vous avez
tous et toutes manifesté à l'institution du Protecteur du
citoyen, car j'ai bien compris que votre intérêt était
basé sur le fait que, comme le Protecteur du citoyen, vous tenez, en
tant qu'élu de la population, à ce que l'administration traite,
avec les égards qui lui sont dus, la personne humaine. Dans le fond, je
peux vous dire que - je ne veux pas reprendre toutes et chacune des suggestions
ou recommandations que j'ai pu faire, ce serait un peu long - le Protecteur du
citoyen a besoin à tout le moins d'être écouté par
ce que j'appellerais le canal politique. Je voudrais qu'un jour, le rapport
annuel soit lu. Il l'a été cette fois-ci. J'espère que
c'est un précédent; je le souhaite en tout cas. Je pense que,
dans une société démocratique et d'une certaine
manière riche comme la nôtre, on peut se permettre de faire en
sorte d'avoir des mécanismes, quels qu'ils soient, pour que la
population soit mieux traitée.
Ce que je souhaite c'est que cela ne s'arrête pas là. Comme
vous l'avez mentionné, vous allez examiner les différentes
suggestions que j'ai pu faire à l'occasion de ma présentation et
celles qui sont dans le rapport annuel. Ce que je voudrais vous dire aussi,
c'est que, malgré tout ce que nous faisons, nous avons de sérieux
problèmes de ressources. Je sais que ce n'est pas vous qui
décidez des budgets, mais Je crois comprendre que vous prêtez une
oreille attentive à ce que je vous dis. Sachez que mon objectif, ce
n'est pas de bâtir un empire mais, puisqu'on m'a nommé, il y a
quelques mois, comme Protecteur du citoyen, j'ai l'intention de faire ma job
pour les quelques années qu'il me reste comme Protecteur du citoyen.
Chacun joue son rôle. Je veux que cela soit fait comme ça, qu'on
m'aide et qu'on m'écoute, mais je ne veux pas nécessairement que
vous soyez d'accord avec moi, ce n'est pas ça du tout que je veux dire.
Je ne veux pas me bâtir un empire. Ce que je souhaite, c'est que vous
convainquiez les autorités qu'il y a moyen que le Protecteur du citoyen
s'assoie avec des organisations gouvernementales pour tenter d'améliorer
des choses à la source même des causes des lésions. Je
pense que c'est bien important, sinon on ne s'en sortira plus. Si on suit la
logique des ressources nécessaires chez le Protecteur du citoyen, dans
dix ans d'ici, on va être rendus à peu près 560 au
Protecteur du citoyen. Cela ne marche pas là. Il y a des choses plus
fondamentaies et je suis convaincu que vous êtes sensibilisés
à ça. Je vous remercie au nom des citoyens et citoyennes du
Québec et au nom de mon bureau.
La Présidente (Mme Bleau): Merci. Je vais maintenant
passer la parole à l'Opposition officielle. M. le député
de Taillon.
M. Filion: À mon tour de vous remercier, M. le Protecteur
du citoyen, pour la qualité de la présentation que vous nous avez
faite autant en ce qui concerne votre rapport annuel que votre discours
d'ouverture, qui va plus loin que le rapport annuel sur beaucoup d'aspects.
Votre rapport foisonne littéralement de suggestions, de recommandations
tout à fait remarquables pour les élus du peuple que nous sommes,
qui ont à coeur, évidemment, la défense de
l'intérêt de la population.
C'est une première, en tout cas une première de
l'ère moderne, réussie, quant à moi, que cette commission
parlementaire. Elle aura même permis, dans certains cas, si j'ai bien
compris nos collègues d'en face, à certaines personnes de
découvrir quelle est l'institution du Protecteur du citoyen, etc. C'est
une première grandement réussie.
J'ai pris bonne note du fait que, de la même façon que le
Protecteur du citoyen est souvent un recours de dernière instance pour
les citoyens, j'ai cru comprendre que la commission des institutions pouvait
l'être pour le Protecteur du citoyen vis-à-vis de certaines
questions d'ordre pratique, d'ordre concret mais éminemment Importantes
lorsqu'on a à coeur de donner un service adéquat à la
population. Nul doute que vous avez - et c'est manifeste - plus qu'à
coeur ce mandat que vous a confié l'Assemblée nationale par la
nomination qui a été faite et également par la loi
elle-même. Nous avons bien perçu, autour de cette table, je pense
bien des deux côtés de cette table, cette fragilité de
l'institution elle-même si elle devait être privée des
ressources suffisantes pour fonctionner adéquatement. C'est dans ce sens
que je vous dis que vous ne repartez pas les mains vides. La commission des
institutions sera convoquée, et, évidemment, à partir de
ce moment-là ce sera aux membres de la commission de décider des
travaux ultérieurs. Il n'appartiendra pas qu'au président d'en
décider. Ce sera une décision de tous les membres de cette
commission, qui sera gouvernée par la règle de la double
majorité.
Cependant, dès à présent et sans égard aux
suites qui seront données à votre rapport, je dois vous dire que,
de ce côté-ci de la table, nous avons perçu, parmi cette
multitude de suggestions et de remarques tout à fait pertinentes,
plusieurs contenus qui pourraient être appliqués assez rapidement
par le pouvoir exécutif. Nul doute que les députés que
nous sommes pourrons faire pression pour que des choses se réalisent,
notamment - et ce n'est pas
une énumération limitative que je fais - en ce qui
concerne votre réflexion sur les mécanismes de conciliation et de
médiation, qui m'a beaucoup frappé, de même que toute votre
réflexion autour de la "judiciarisation" des recours qui amène,
finalement, comme vous l'avez dit, une déresponsabilisation des
fonctionnaires. Je relie à ça la formation des décideurs
en première ligne et le fait que, lorsque des ministères ou
organismes ont à effectuer des coupures, il est très important de
veiller à ce que, sur la ligne de feu, on ne soit pas privés des
ressources humaines et financières nécessaires pour contacter les
citoyens. Là-dessus, je dois vous dire que cette perception, quant
à moi, je l'avais profondément.
J'ai l'impression qu'on coupe trop souvent là où ça
compte, parce que les coupures se font en haut, alors on ne s'en
aoerçoit pas mais on charcute un peu la ligne de feu. Les gens qui sont
en bas deviennent démotivés, surchargés etc. Cela m'a
beaucoup frappé également, cette approche un peu plus humaine que
vous voulez mettre de l'avant, que vous suggérez, en cas de doute, de
façon générale également, en ce qui concerne les
personnes âgées. Je pense que ce sont là des pistes de
réflexion sur lesquelles le pouvoir exécutif et le pouvoir
législatif doivent absolument s'engager. J'ai noté
particuiièrment le chapitre concernant la réalité telle
que vécue dans les prisons. Je pourrais en énumérer
d'autres, aussi, parce que ce fut éminemment instructif.
Je vous dis immédiatement, comme président de cette
commission des institutions, que vous ne repartez pas les mains vides. La suite
appartiendra à la démocratie et à l'histoire
parlementaire, mais, quand même, vous pouvez repartir avec cet engagement
et surtout avec l'assurance que votre travail a été
extrêmement et remarquablement bien présenté, aujourd'hui.
Je vous en remercie, je remercie également les membres de votre
équipe qui ont, sans nul doute, collaboré très
énergiquement à cette présentation.
La Présidente (Mme Bleau): Pour le parti
ministériel, le député de Marquette.
M. Dauphin: Merci, Mme la Présidente. À notre tour,
effectivement, nous aimerions féliciter et remercier Me Jacoby, ainsi
que tous ses collaborateurs et collaboratrices qui sont avec lui à
l'avant, Me Meunier et Me Marcotte. Je crois que de ce côté-ci de
la table, on pense la même chose, soit que ce fut une expérience
très enrichissante, et Me Jacoby, je suis d'accord avec vous que, tel
que prescrit d'ailleurs par notre règlement, ce serait un minimum que
vous ayez au moins une rencontre annuelle avec les parlementaires sur vos
objectifs ou vos priorités, tel que vous l'avez si bien mentionné
dans votre rapport. La qualité de vos propos était non seulement
agréable mais fortement impressionnante.
L'expérience fut valable, non seulement valable mais très
enrichissante. On retient, évidemment, les principaux points, tel qu'on
le mentionnait ce matin, notamment l'indépendance quant à vos
budgets, de même que la juridiction élargie que vous nous
demandez. Je pense qu'après 20 ans, il se doit que l'Assemblée
nationale se penche sur vos juridictions. D'ailleurs, des deux cotés de
cette table, d'un commun accord, ce matin, on s'est entendus pour que nous
ayons prochainement une séance de travail. Évidemment, tout
ça, dans un contexte, vous l'avez dit vous-même, depuis 1979, de
compressions budgétaires. Il est vrai que les effectifs ont
augmenté de 37 à 59, depuis 1983-1984, mais il est vrai, aussi,
que vos demandes ont doublé ou triplé, depuis 1983-1984, en
termes de services.
Je pense que de ce côté-ci de la table, tout comme le
président de la commission des institutions le mentionnait tantôt,
on pense que vous avez un rôle extrêmement important et vous avez
d'ailleurs fait la démonstration que vous l'accomplissez très
bien, malgré certaines restrictions que vous avez, de par la loi. Je
suis persuadé que la commission des Institutions va donner suite
à toutes les revendications que vous nous avez présentées
aujourd'hui. Merci beaucoup.
La Présidente (Mme Bleau): À mon tour je vous
remercie, M. Jacoby. Je ne formule qu'un espoir c'est que nous nous revoyions
bientôt à cette commission. J'ajourne les travaux sine die.
(Fin de la séance à 17 h 59)