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(Neuf heures quarante-deux minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! Il me fait plaisir de constater, une fois de plus, que cette
commission a plus que le quorum.
Je profite de l'occasion pour souligner qu'à la suite d'une
résolution de l'Assemblée nationale, hier, cette commission
compte un nouveau membre permanent. Il s'agit du député de
Laurier, que nous accueillons avec grand plaisir parmi nous, au nom de tous les
membres de la commission. Je suis convaincu que vous saurez apprécier le
climat de nos travaux, qui en fait une des commissions les plus productives,
les plus fructueuses, parfois très vivante. Mais, de façon
générale, surtout lorsque les travaux portent sur des questions
un peu loin de l'actualité politique, nous réussissons des tours
de force comme convaincre parfois certains ministériels à
procéder à certaines réformes.
Cela dit, nous poursuivons notre consultation générale et
nos auditions publiques sur l'avant-projet de loi portant réforme au
Code civil du Québec du droit de la preuve et de la prescription et du
droit international privé.
Nous avons déjà amorcé cette consultation le 28
février lors d'une séance au cours de laquelle nous avons
reçu plusieurs intervenants. Cet avant-midi, notre ordre du jour est le
suivant. D'abord, Me Pierre Patenaude, professeur à la Faculté de
droit de l'Université de Sherbrooke, qui a déjà pris place
à la table des invités. Bonjour, Me Patenaude. Il sera suivi des
représentants du Barreau du Québec. Je reconnais Me Nadeau qui a
déjà pris place et sans doute que ses collègues du Barreau
viendront se joindre à lui dans les prochaines minutes. À 11 h
30, les représentants de la Chambre des notaires du Québec
clôtureront nos travaux.
Me Patenaude, une durée de 30 minutes est prévue. Comme
nous sommes déjà un peu en retard sur notre horaire, on peut
prévoir qu'on poursuivra jusqu'à 10 h 15. Il y aura dix minutes
pour la présentation de votre mémoire, grosso modo, et une
vingtaine de minutes pour discuter avec les parlementaires. En ce qui concerne
le Barreau du Québec et la Chambre des notaires, une durée totale
de 90 minutes est prévue; dont 30 minutes pour la présentation de
son mémoire. Je souligne immédiatement aux membres de la
commission que nous venons de recevoir, ce matin, sous la cote 10M, le
mémoire du Barreau du Québec, la troisième partie, portant
sur le droit international privé. Je ne sais pas si vous avez eu la
chance de l'avoir avant les membres de la commission?
Des voix: Non.
Le Président (M. Filion): Non. Sûrement que les gens
du Barreau comprendront que nos questions là-dessus pourraient
être plus spontanées.
Me Patenaude, encore une fois, bienvenue et, sans plus tarder, je vous
invite à nous faire la présentation de votre mémoire.
M. Pierre Patenaude
M. Patenaude (Pierre): Mon mémoire va porter exclusivement
sur l'article 3047 de votre avant-projet de loi qui stipule que les parties
à un acte juridique ne peuvent en faire la preuve par témoignage
lorsque la valeur en litige excède 1000 $, mais qu'une preuve sera
admissible s'il s'agit d'un commencement de preuve par écrit.
Vous savez que, jadis, l'écrit était le seul support
matériel qui pouvait assurer la permanence des termes d'une entente.
Mais, aujourd'hui, les vidéos et les enregistrements acquièrent
leurs lettres de créance et, à mon avis, vidéos et
enregistrements devraient, dans certains cas, être acceptés en
preuve lorsqu'il y a absence d'écrit, à tout le moins à
titre de commencement de preuve par écrit, et pourraient permettre de
donner ouverture à la preuve testimoniale.
J'ai ajouté un peu à mon rapport écrit que vous
avez. J'étais, jusqu'à il y a trois jours, invité du FBI
National Academy, l'Institut national du FBI, aux États-Unis, là
où on fait les recherches sur les techniques les plus récentes
d'espionnage ou d'enquête. J'ai passé une semaine et demie avec
eux et ce que j'ai vu là-bas confirme ce que je vous ai écrit
dans mon petit rapport.
À titre d'exemple, la vérification visuelle de la voix,
aujourd'hui - j'ai même des graphiques de vérification visuelle de
la voix que j'ai apportés de là-bas, si jamais vous vouliez voir
ça - est rendue à un degré de certitude scientifique
très avancé. Une méthode semi-automatique de
vérification de la voix, à l'aide d'un ordinateur, permet
maintenant d'établir l'identité d'un locuteur à la
condition d'avoir auparavant versé un échantillon de sa voix dans
la mémoire dudit ordinateur. L'armée américaine et de
grandes compagnies des États-Unis utilisent maintenant cette technique
pour permettre l'entrée dans certains locaux. Il suffit que la personne
dise quelques phrases types pour qu'on vérifie l'adéquation de sa
voix au spécimen versé dans l'ordinateur. Or, on prévoit
que, sous peu, plusieurs compagnies utiliseront cette technique pour des fins
de vérification de contrat, par exemple, des appels
téléphoniques, des ententes téléphoniques. On va se
servir de la vérification de la voix simplement pour confirmer qu'il y a
eu entente entre deux parties pour l'achat de
biens.
Cette science est promise à beaucoup plus de certitude que le
simple art de la graphologie. Ne l'oublions pas, la graphologie n'est pas une
science, c'est purement une technique, et si jamais certains d'entre vous
doutaient de ce que je dis, je vous recommanderais d'appeler M. André
Munch qui est le spécialiste graphologue du Laboratoire de police
scientifique à Montréal. La graphologie n'est pas une science.
Donc, essayer de reconnaître la signature d'une personne, c'est
très aléatoire. C'est un art, mais il suffit d'avoir une bonne
loupe et une connaissance suffisante pour devenir un graphologue. Il n'y a pas
de cours universitaire qui se donne en graphologie, alors que la reconnaissance
de la voix devient une science actuellement. Donc, les enregistrements peuvent,
dans certains cas, prouver encore mieux l'identité d'une personne que la
signature d'une personne.
Évidemment, il en est de même du vidéo. Admettons le
cas d'une entente filmée sur vidéo. Non seulement on peut
reconnaître et identifier la voix d'une personne par les techniques
modernes, mais encore l'image nous permet d'identifier cette personne. Il se
pourrait que, dans un avenir rapproché, de plus en plus d'ententes sous
seing privé soient désormais matérialisées, soit au
moyen de l'enregistrement de la voix ou encore mieux de l'enregistrement de la
voix et de l'image au moyen du vidéo. "Si la recherche de la
vérité et, ultimement, de la justice demeurent les objectifs
fondamentaux de tout système de preuve - je cite votre document
d'orientation préparé par la Direction générale des
affaires législatives - comment, à titre d'exemple, pourrait-on
logiquement, d'un côté, refuser la présentation d'un
enregistrement sur bande magnétoscopique ou même d'un
cliché prouvant un acte juridique d'une valeur excédentaire
à 1000 $ et, de l'autre, accepter la photocopie d'un texte confirmant
cette entente?"
Personnellement, je trouve qu'il serait préférable de tout
simplement libéraliser les règles de recevabilité de la
preuve pour laisser au juge une libre appréciation de la preuve, au
même titre que ce qui se fait en droit américain. Alors, la
règle de la meilleure preuve suffirait. S'il y a un écrit sous
seing privé reproduisant l'entente, la présentation de l'original
de celui-ci constituerait évidemment la meilleure preuve. Mais en
l'absence d'écrits - il peut arriver que des contrats, des ententes
n'aient pas été mis par écrit - il serait tout à
fait, à mon avis, convenable de prouver l'acte juridique par tout autre
moyen fiable.
Personnellement, j'approuve la critique que Mme Françoise Chamoux
avait faite dans une étude, dans un ouvrage qui a été
l'aboutissement d'un travail de recherche effectué pour le compte du
ministère français de la Justice. Elle écrivait, et je
cite: "Nous proposons de laisser la preuve libre lorsqu'il n'y a pas eu
rédaction d'un écrit... on ne verrait plus de contrat qui, tout
en réunissant toutes les conditions de validité, demeure sans
force juridique pour n'avoir pas été rédigé par
écrit. Un tel état de fait a de quoi surprendre et on peut se
demander comment, au pays de Descartes, une situation juridique aussi illogique
a pu subsister pendant tant d'années."
En l'absence d'écrit, la preuve d'un acte juridique devrait
pouvoir se faire par tous moyens, particulièrement ceux qui ont une
grande force probante; à titre d'exemple, les enregistrements de la voix
ou les enregistrements magnétoscopiques.
Si, malgré ceci, le législateur décide de garder le
premier paragraphe de l'article 3047 tel qu'il est rédigé,
à mon avis, il faudrait qu'il s'assure de donner au terme
"écrits" une interprétation telle que vidéo et bande
sonore ainsi que rapport d'imprimante soient considérés comme des
écrits et que la signature manuscrite puisse être remplacée
par des nouvelles formes de signatures telles que les empreintes digitales, les
sceaux, les cartes codées, les signatures informatiques ou même la
marque de la voix.
Il se pourrait que l'article 3006 de votre projet réponde
partiellement à cette proposition. Mais il faut que le
législateur soit vigilant, à mon avis, en s'assurant de ne pas
bloquer le droit et de ne pas le rendre imperméable aux nouveaux
développements technologiques. Sa définition de la signature
ainsi que celle de l'écrit doivent être assez libérales
pour donner ouverture à de nouvelles techniques de
matérialisation de l'entente.
En outre, si le premier paragraphe de l'article 3047 du projet demeure
tel quel, je suis d'accord avec le deuxième paragraphe qui devrait
demeurer tel quel, et je vais vous expliquer pourquoi. Dans le deuxième
paragraphe, vous prévoyez qu'on pourra admettre une preuve autre qu'un
écrit s'il y a un commencement de preuve. C'est à la toute fin de
la disposition. Dans l'expression "commencement de preuve", on a enlevé,
on a retiré la suite qui était dans l'ancien Code civil, "le
commencement de preuve par écrit". Je suis entièrement d'accord
avec ceci.
Déjà, il y a plusieurs décennies, Henri Capitant
avait écrit, et je le cite: "Les présomptions graves,
précises et concordantes devraient avoir la même valeur que le
commencement de preuve par écrit, car, de même que celui-ci, elles
rendraient vraisemblable le fait allégué, elles consolident et
corroborent les affirmations des témoins et écartent la crainte
de la subordination et de l'abus qui peut être fait de la preuve par
témoin." L'Office de révision du Code civil avait
déjà, avec justesse à mon avis, recommandé une
libéralisation de la notion de commencement de preuve. Vous comprenez
qu'il serait dangereux de réintroduire l'expression "commencement de
preuve par écrit", parce qu'on risquerait ainsi d'empêcher le
droit de la preuve de bénéficier des progrès scientifiques
et techniques qui permettent la matérialisation de l'accord des
volontés par d'autres moyens que par des écrits.
Donc, à défaut d'opter pour une libéralisation des
règles de la recevabilité de la preuve par témoignage en
supprimant le premier paragraphe de l'article 3047 de l'avant-projet, il
importerait de conserver au second paragraphe une définition
élargie du concept de commencement de preuve de façon qu'on
puisse admettre, au moins à titre de commencement de preuve et de
façon certaine, les vidéos, les ententes constatées par
vidéo ou constatées par enregistrement magnétique.
Je ne veux pas retarder vos travaux plus longtemps. J'ai fait un
résumé du rapport que vous avez entre les mains. Si vous avez
quelques questions, cela me fera plaisir d'y répondre. Vous voyez que
c'est un rapport qui traite d'un petit point infime. Il faudrait s'assurer que
l'adoption de cette disposition du Code civil n'empêche pas l'utilisation
de techniques qui, surtout avec tout ce que j'ai constaté au laboratoire
du FBI, à Quantico, sont près d'arriver dans le domaine
privé. On se sert depuis longtemps de ces techniques dans l'armée
américaine et dans les corps policiers. Il est évident qu'on peut
maintenant prouver l'identité d'une personne par l'identification
visuelle de la voix. Vous pourriez, par exemple, appeler le spécialiste
du laboratoire de Northern Telecom, sur l'île des Soeurs, à
Montréal - vous savez que nous avons un des laboratoires les plus
avancés au monde en matière de détection de la voix et de
l'identification de la voix, ici au Québec - qui pourrait confirmer ce
que je vous dis. Actuellement, on ne peut pas, en matière criminelle,
identifier la voix d'une personne en prenant une personne et en prouvant que
c'est elle qui parle. Il y a peut-être 2 000 000 ou 5 000 000 d'autres
personnes dont on n'a pas l'échantillon de la voix. Si une compagnie ou
une personne a 50, 60 ou 90 voix de personnes qui ont été mises
en mémoire dans un ordinateur et que l'une d'elles se présente,
l'ordinateur va prouver que c'est véritablement l'identité de la
personne qui parle qui est là. On prévoit que, dans quelques
années, les compagnies qui ont un certain nombre d'acheteurs, pourront
mettre tout simplement dans une banque informatique la voix de leurs principaux
acheteurs. Quand ils appelleront, automatiquement cela équivaudra
à une signature.
Si le Code civil ne prévoit pas ce changement, probablement qu'on
devra modifier l'article en conséquence dans quelques années
parce que le code aura été en retard sur la technique et un code
qu'on aura adopté récemment sera déjà
dépassé par l'évolution de la technique. C'est ma crainte,
en tout cas. Je suis ouvert à vos questions.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me Patenaude,
d'avoir attiré notre attention sur l'article 3047 en particulier avec
des commentaires éminemment pertinents. Donc, je vais donner la parole
à M. le ministre de la Justice.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Il me fait
particulièrement plaisir d'accueillir le professeur Patenaude à
cette commission parlementaire. Le professeur Patenaude est un éminent
professeur à la Faculté de droit de l'Université de
Sherbrooke qui a beaucoup publié, dont un livre particulièrement
important, justement, sur ces éléments de preuve
électronique. Je veux souligner en particulier un article, parce que
c'est un article des plus intéressants sur les nouveaux moyens de
reproduction et le droit de fa preuve qui a été publié
dans la Revue du Barreau en 1986.
Professeur Patenaude, votre mémoire, qui est bien fait,
précis, met le doigt sur un article en particulier, l'article 3047. Vous
venez de nous faire aussi un tableau très large, je devrais dire, de ces
nouveaux moyens de preuve électronique qui pourront s'appliquer dans
l'avenir. Vous nous pariez d'identification par la voix; vous nous parlez
d'identification par les vidéos; vous pouvez nous parler aussi
d'identification par d'autres moyens électroniques. Je vous avoue, Me
Patenaude, que cela me fascine, bien sûr. Je vois l'utilité qu'on
peut faire de ces éléments de preuve dans le domaine des
affaires. Vous avez souligné la possibilité pour des compagnies
de pouvoir se référer à la voix pour identifier des
clients ou des partenaires commerciaux. On peut penser aussi en termes de
vidéo pour identifier bien des gens. Comme ministre de la Justice et
aussi comme ministre de la Sécurité publique, j'ai de
sérieux points d'interrogation quant au respect des droits et des
libertés et quant au respect à la vie privée. Je ne peux
m'empêcher de penser - je vous entendais parler tout à l'heure -
au Big Brother d'Orwell. (10 heures)
Je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt,
fasciné par ce que vous nous apportez. Je sais que vous revenez d'un
voyage particulièrement intéressant aux États-Unis
où vous avez pu constater quelles sont les nouvelles méthodes
d'enquête du FBI mais, pour ma part donc, comme ministre de la Justice et
comme ministre responsable de la Sécurité publique, je suis
particulièrement sensible aussi, en ce domaine, au respect des droits et
libertés et en particulier au respect de la vie privée.
Plus particulièrement sur votre mémoire, à la page
3, vous posez une question: "Ne pourrait-on pas tout simplement supprimer
l'article 3047?" À mon sens, c'est là la question que vous nous
posez, mais je n'ai pas tout à fait ou vraiment saisi votre
réponse clairement. Est-ce que vous aimeriez mieux qu'on laisse tomber
l'article 3047? Est-ce que c'est vraiment possible, selon vous, de laisser
tomber l'article 3047?
M. Patenaude: Peut-être que l'expression est mal choisie.
Disons que mon premier choix serait d'opter pour la situation américaine
où on laisse liberté de preuve en matière contractuelle,
c'est-à-dire que c'est le juge qui est à même de
décider quelle est la force probante de la preuve
présentée. Alors, cela concerne le premier paragraphe de
l'article 3047 dans lequel on exige un écrit pour prouver un acte
juridique dont la valeur excède 1000 $. Évidemment, il faudrait
remplacer l'article 3047 par une autre disposition, mais dans le cadre de cette
disposition on pourrait à mon avis, laisser liberté de preuve. Si
un acte juridique est constaté d'une façon telle que preuve peut
en être présentée devant les tribunaux et qu'elle a une
bonne force probante, à ce moment-là, le juge sera libre
d'analyser la force probante de la preuve. C'est un peu cette
situation-là.
Remarquez qu'on ne supprimerait pas tout simplement l'article 3047. Il
faudrait avoir d'autres dispositions comme aux États-Unis, où la
vente d'immeubles doit évidemment être constatée par des
écrits. Les contrats d'assurance doivent être constatés par
des écrits et vous avez des dispositions à l'effet que plusieurs
contrats doivent être constatés par des écrits.
Ordinairement, la disposition majeure - évidemment, cela dépend
des États - la disposition générale aux États-Unis
est que, je vais vous la lire même en anglais: "The contract need not be
in writing unless the statute requires it." Alors, généralement,
il n'est pas essentiel qu'un contrat soit confirmé par un écrit.
Il peut être confirmé par d'autres moyens. Finalement, le
contractant qui est sérieux va utiliser une technique parmi les
meilleurs moyens possible pour matérialiser l'entente des
volontés. Il sait que, si un jour on arrive devant les tribunaux et
qu'il n'y a aucune matérialisation, il ne pourra pas prouver le
contrat.
Ce qui m'inquiète moi, c'est que la règle au premier
paragraphe dit que "les parties à un acte juridique ne peuvent en faire
la preuve par témoignage". Maintenant, le premier paragraphe semble
créer un statut d'exclusivité pour l'écrit, mais le
deuxième paragraphe crée maintenant des exceptions permettant la
preuve par témoignage, s'il y a un commencement de preuve. Donc, la
disposition comme telle, je la trouve meilleure que l'ancienne disposition au
Code civil. Il y a un net avantage: c'est qu'on n'exige plus que le
commencement de preuve soit par écrit. Évidemment, la
jurisprudence dans certains cas, Sirois, Parent et tout ça, a permis des
commencements de preuve qui n'étaient pas nécessairement
basés sur des écrits, mais cette disposition est meilleure que
celle de l'ancien Code civil. Cependant, je me demande si on a des motifs
valables pour que le premier paragraphe soit rédigé tel quel,
c'est-à-dire que la règle soit à l'effet qu'il faut un
écrit lorsqu'une entente porte sur une valeur de plus de 1000 $.
Quand je demande si on ne devrait pas tout simplement retirer l'article
3047, c'est évident que, si on retire celui-là, il va falloir le
remplacer par un autre édictant que le contrat, à moins qu'un
statut ne requière obligatoirement un écrit, puisse être
prouvé par tous moyens valables et laissant les juges libres de
constater la force probante de la preuve présentée. Est-ce que
ça répond à votre question, M. le ministre?
M. Rémillard: Oui, ça répond à ma
question, mais j'essaie de voir des exemples concrets. Donc, deux
commerçants, un à Québec, un à
Montréal...
M. Patenaude: Là, il faudrait faire attention. Si c'est en
matière commerciale, évidemment la preuve testimoniale est
admise, mais imaginons plutôt un contrat civil, une entente civile. Je ne
sais pas, je vends mon piano à mon voisin ou c'est comme dans une cause
en France. À titre d'exemple, une entente concernant une pension
alimentaire avait été constatée par un enregistrement et
les deux personnes se savaient enregistrées. Je suis assez loin du droit
civil. Je fais toujours du droit constitutionnel et surtout du droit criminel.
Je suis venu ici par intérêt. Les exemples peuvent me manquer,
mais, si le contrat purement civil, l'entente purement civile porte sur une
valeur de plus de 1000 $, normalement, il faudrait que cette entente soit
constatée par une preuve par écrit. Je veux m'assurer d'une chose
quel que soit le moyen utilisé, c'est qu'on ne bloque pas la
possibilité de présenter une telle entente lorsqu'elle est
filmée sur vidéo, lorsqu'elle est enregistrée ou
lorsqu'elle est matérialisée par tout autre moyen qu'on ne
connaît peut-être pas encore et qui sera découvert sous
peu.
M. Rémillard: Très intéressant. Je vous
remercie.
Le Président (M. Filion): Je voudrais également
vous remercier Me Patenaude. Pour bien comprendre la portée exacte de
votre intervention, l'article 3047 dit: "Les parties à un acte juridique
ne peuvent en faire la preuve par témoignage lorsque la valeur en litige
excède 1000 $." Le deuxième alinéa, évidemment,
concerne des preuves relatives à des actes juridiques qui auraient
été posés dans le cadre des activités d'une
entreprise.
M. Patenaude: Me permettriez-vous de vous interrompre un
instant?
Le Président (M. Filion): Oui.
M. Patenaude: Si jamais il y a des pressions pour que vous
ajoutiez les mots "par écrit" après "commencement de preuve", ce
qui est important pour moi, c'est qu'on ne l'ajoute pas. C'est le point le plus
important. Certains à la faculté m'avaient mentionné,
peut-être par erreur, qu'il se pouvait qu'il y ait des pressions pour
qu'on remette l'expression "commencement de preuve par écrit" au
deuxième paragraphe. Cela, c'est le point le plus important.
L'autre point, je me demande quels sont les motifs qui sont à ce
point importants pour qu'on doive garder le premier paragraphe qui, en
règle générale, exige un écrit lorsqu'il y a une
entente civile.
Le Président (M. Filion): Je vous pose la question
suivante. L'article 2990 nous dit: "La preuve d'un acte juridique ou d'un fait
peut être établie par écrit, par témoignage, par
présomption, par aveu ou par la présentation d'un
élément matériel". Est-ce que, Me Patenaude, à
votre avis, l'emploi de cette nouvelle terminologie: "ou par la
présentation d'un élément matériel", ne couvrirait
par le type de cas que pourrait nous amener le développement des
technologies ou même que nous amènent carrément aujourd'hui
toutes les formes de reproduction photographique ou orale que vous avez
données? C'est une question que je me pose et que je vous pose.
M. Patenaude: Telle que rédigée, cette disposition,
jointe au deuxième paragraphe de l'article 3047, permettrait la
présentation d'une preuve testimoniale à la condition qu'il y ait
un commencement de preuve et le commencement de preuve peut être, tel que
rédigé ici, un enregistrement ou une photographie. Actuellement,
tel quel, ça le permet.
Le Président (M. Filion): Dans le cas du premier
alinéa de l'article 3047?
M. Patenaude: Pour le premier alinéa, non. Le premier
alinéa, c'est la règle qui dit que tout acte juridique dont la
valeur en litige excède 1000 $ ne peut être prouvé par
témoignage, à moins, au deuxième alinéa, qu'il n'y
ait commencement de preuve. Si la loi est telle que le projet est
rédigé, il n'y a pas de problème à ce
moment-là, les enregistrements et photographies pourront servir à
titre de commencement de preuve. Si le législateur décidait de
modifier ça et d'ajouter "par écrit" après "commencement
de preuve", il pourrait y avoir hésitation. Vous le voyez, dans mon
texte: "Plusieurs soutiennent en effet que les jugements rendus dans les
affaires Matte c. Matte, Borduas c. Ouimet et Malky c. Gauthier consacreraient
une fin de non-recevoir des preuves matérielles à titre de
commencement de preuve par écrit", et cela pour prouver un contrat ou
une entente d'une valeur de plus de 1000 $.
Pour moi, il est important de bien s'assurer qu'en chemin on ne
trébuche pas et qu'on n'ajoute pas un "commencement de preuve par
écrit", mais qu'on laisse toujours uniquement l'expression "commencement
de preuve".
Le Président (M. Filion): D'accord. À ce
moment-là, vos réserves de ce matin en commission parlementaire
ne vont quand même pas, si je comprends bien, jusqu'à faire sauter
la restric- tion contenue au premier alinéa de l'article 3047. M.
Patenaude: Ce n'est pas nécessaire.
Le Président (M. Filion): Le faire sauter
équivaudrait, si j'ai bien compris...
M. Patenaude: Ce n'est pas nécessaire, mais je ne vois pas
la nécessité de le garder.
Le Président (M. Filion): D'accord.
M. Patenaude: D'accord? Pour moi, remarquez, si vous voulez que
je vous donne une opinion globale, que je suis d'accord avec le projet de loi
tel que rédigé, mais il faut s'assurer qu'on n'ajoute pas
l'expression "par écrit" après "commencement de preuve".
Le Président (M. Filion): D'accord.
M. Patenaude: D'accord. Cependant, j'ai des réserves quant
à la nécessité de garder l'article 3047 tel quel, mais le
législateur a des spécialistes qui vont lui expliquer pourquoi il
faut absolument... Vous savez, dans plusieurs pays actuellement, on laisse
tomber la nécessité, la règle voulant qu'il faille
nécessairement un écrit pour prouver un contrat d'une valeur de
plus de 1000 $.
Le Président (M. Filion): D'accord.
M. Patenaude: Alors, je me demande pourquoi, ici, ça
semble une règle importante, nécessaire. Si vous gardez cette
règle, ce n'est pas un désastre pour moi, mais ce qui serait,
à mon avis, très grave, ce serait d'ajouter les mots "par
écrit" après "commencement de preuve".
Le Président (M. Filion): Oui, M. le ministre.
M. Rémillard: Oui, M. le Président. Je me demande,
professeur Patenaude, d'après vos réserves et vos demandes, qui
me paraissent particulièrement intéressantes, étant
donné l'évolution de la technologie quant aux moyens de preuve,
si on ne peut pas trouver, en très grande partie du moins,
réponse à vos interrogations, à vos préoccupations
à l'article 3036. Lorsque l'article 3036 dit dans sa deuxième
partie: "Cet élément matériel peut consister en un objet
autre qu'un écrit, de même qu'en la représentation
sensorielle de cet objet", la voix ne pourrait-elle pas être comprise
comme une "représentation sensorielle de cet objet, d'un fait ou d'un
lieu"? Il y a peut-être là un élément
intéressant qu'on pourrait relier à vos
préoccupations.
M. Patenaude: Je suis d'accord. C'est une nette
amélioration, mais la règle, à l'article 3047, demeure
que, normalement, lorsqu'il y a un acte
juridique ayant une valeur de plus de 1000 $, il faut un écrit
pour le prouver.
C'est évident que c'est une nette amélioration sur
l'ancien code, sur le code actuel. On reconnaît les preuves
matérielles et il était temps qu'on les reconnaisse, parce que,
de plus en plus, ce sont ces moyens de matérialisation de la
pensée qui vont apparaître un peu partout. Mais, même si
vous avez l'article 3036, la règle de l'article 3047 demeure à
l'effet qu'il faut un écrit lorsqu'une entente, un acte juridique est
supérieur à une valeur de 1000 $.
Évidemment, le deuxième paragraphe de l'article 3047 est
le plus important. Maintenant, on reconnaît la possibilité de
faire une preuve testimoniale - c'est textuel - s'il y a un commencement de
preuve.
Je pense que vous le voyez bien. C'est un petit détail, certains
m'ont même dit que c'était un petit détail insignifiant,
mais je pense qu'il fallait le mentionner. C'est particulièrement la
dernière expression "commencement de preuve" qu'il faut laisser. Il faut
s'assurer qu'elle reste telle quelle, de façon qu'on ne bloque pas toute
présentation d'autres méthodes de matérialisation d'une
entente.
Le Président (M. Filion): Me Patenaude, ce n'est pas un
détail, je pense que l'article 3047 est extrêmement important.
D'ailleurs, enlever le premier alinéa inviterait à poursuivre ou
à prouver n'importe quelle créance ou n'importe quelle dette par
témoignage. C'est extrêmement important. (10 h 15)
Maintenant, je dois vous avouer que la lecture que je fais de l'article
3047, par rapport aux articles 2990 et 3036, est un peu différente de la
vôtre. À mon sens, l'article 3047 exclut la preuve par
témoignage...
M. Patenaude: Je m'excuse.
Le Président (M. Filion): Au premier alinéa pour
faire la preuve lorsque la valeur en litige excède 1000 $, il y a bien
sûr l'exception du deuxième alinéa, mais, si on retourne
aux articles 2990 et 3036, les autres moyens de preuve sont autorisés,
et cela, sans commencement de preuve.
M. Patenaude: Pour d'autres choses que le contrat qui vaut plus
de 1000 $. Voyez-vous, à l'article 3047, on prévoit
spécifiquement le cas de l'acte juridique lorsque la valeur en litige
excède 1000 $, alors qu'à l'article 2990, les autres actes
juridiques, on pourra les prouver par présomption, par aveu ou par
présentation d'un élément matériel. N'est-ce pas
cela, selon vous?
Le Président (M. Filion): Ce n'est pas moi qui ai
rédigé l'avant-projet de loi. A l'oeil, non.
M. Patenaude: Écoutez, si l'article 2990 prévoit le
cas de l'acte juridique qui a une valeur de plus de 1000 $ et qu'on dit qu'on
peut le prouver par tout moyen, quelle est l'utilité de l'article 3047
à ce moment-là?
Le Président (M. Filion): C'est d'exclure le
témoignage et d'inclure une exception à cette exclusion.
M. Rémillard: Et il faut un commencement de preuve.
Le Président (M. Filion): Et il faut un commencement de
preuve.
M. Patenaude: II faut un commencement de preuve.
Le Président (M. Filion): Oui.
M. Patenaude: Moi, je vous dis qu'il faut s'assurer qu'au bout de
"commencement de preuve", on n'écrive jamais "par écrit".
Le Président (M. Filion): Est-ce que cela va, M. le
ministre? Voulez-vous intervenir?
M. Rémillard: Je pense que cela va aller.
Le Président (M. Filion): Cela va aller? Alors, Me
Patenaude, on a déjà dépassé le temps.
M. Patenaude: Je vous en prie.
Le Président (M. Filion): Mais je vais vous remercier au
nom de cette commission de nous avoir fait part des résultats de votre
étude de l'avant-projet. Je vais vous signaler également que
j'avais eu l'occasion de parcourir une partie de la littérature que vous
avez commise sur le sujet et partagé la fascination de plusieurs quant
au développement de la technologie dans les moyens de preuve. Notamment,
nous avons eu l'occasion avec d'autres députés membres de cette
commission d'étudier, entre autres au chapitre des communications, le
développement de ce que les auteurs canadiens-anglais et
américains appellent la société de surveillance.
Cette société de surveillance voudra un jour - elle le
fait maintenant - faire des preuves devant les tribunaux. Dans ce
sens-là, vos propos sont tout à fait d'actualité et dans
le sens du proche avenir. Donc, je voudrais vous remercier d'avoir pris le
temps de préparer cet excellent mémoire et de nous avoir fait
cette présentation verbale aussi concise que pertinente.
M. Patenaude: Cela me fait plaisir, merci. Au revoir.
Le Président (M. Filion): Je souhaite la bienvenue aux
représentants du Barreau du Québec. Je voudrais bien sûr
saluer Me Guy Gilbert, bâtonnier, qui est au centre de la table des
invités. Même si les gens qui l'accompagnent
sont bien connus de celui qui vous parle et d'une bonne partie des
membres de cette commission, je vous inviterais quand même, M. le
bâtonnier, à bien vouloir nous présenter l'équipe
qui vous accompagne ce matin.
Barreau du Québec
M. Gilbert (Guy): Merci, M. le Président. M. le
Président, M. le ministre, M. le sous-ministre, mesdames et messieurs
les députés, mesdames et messieurs, le Barreau vous
présente ce matin trois mémoires: un sur la preuve, un sur la
prescription et un sur le droit international privé. J'ai compris que le
dernier de ces trois mémoires vous était arrivé un peu sur
le tard, mais le Barreau est devant vous pour une franche et ouverte discussion
ce matin. Nous avons avec nous l'expertise qui est requise pour aller au fond
des choses.
Je voudrais vous dire, M. le Président, que la présence du
bâtonnier ne viendra pas ajouter à l'ampleur technique de la
présentation de ces trois mémoires. Mais nous avons cru, au
Barreau, que s'imposait la présence du bâtonnier ce matin, ne
serait-ce que pour exprimer de façon concrète à cette
commission l'importance que le Barreau attache à ce qui se passe au
Québec en regard de ce grand projet de la révision de notre Code
civil et dont nous savons ou nous avons lieu de croire que la date cible est
toujours le 1er août 1991. Nous sommes particulièrement attentifs
à tout le travail qu'il faudra accomplir pour préparer la
communauté juridique à recevoir tout ce que comportent ces
changements, ce réaménagement de la société dans
toute sa dimension juridique.
Alors, trois mémoires, trois groupes de travail. Je voudrais vous
dire aussi la qualité des personnes qui s'y sont employées et le
nombre d'heures qu'elles ont consacrées à préparer les
trois mémoires qui sont devant vous. Le mémoire sur le droit
international privé vous sera présenté par le professeur
Patrick Glenn, de l'Université McGill, Mme Madeleine Cantin-Cumyn vous
présentera le mémoire sur la prescription et Me Vadboncoeur
présentera, d'une façon générale, le travail qui a
été fait par le Barreau. Richard Nadeau sera là pour
répondre aux questions, parce qu'il a été un praticien
chevronné très affairé et très consacré au
travail que le Barreau a accordé à ces différents
comités.
Alors, sans plus tarder, je vais demander à Mme Vadboncoeur de
reprendre le fil. Merci.
Le Président (M. Filion): Me Vadboncoeur.
Mme Vadboncoeur (Suzanne): Est-ce que c'est suffisant pour
l'enregistrement?
Le Président (M. Filion): Cela va.
Mme Vadboncoeur: Bon. M. le Président et M. le ministre,
mesdames et messieurs les députés, il me fait plaisir de revenir
devant la commission une fois de plus et probablement la dernière en ce
qui concerne le droit substantif à l'intérieur de cette
réforme du Code civil. Je vais y aller assez rapidement, parce que je
demanderai, après avoir fait un survol, à Me Cantin-Cumyn
d'insister un peu plus sur un point particulier de la prescription, la
prescription accréditive. Étant donné que vous n'avez pas
eu l'occasion de lire le mémoire sur le droit international
privé, une présentation peut-être un peu plus
étendue en sera faite par Me Glenn.
Donc, pour ce qui me concerne, je vais aller assez rapidement en
commencant sur une note positive. Le Barreau voit quand même d'un oeil
plutôt favorable ce dernier avant-projet de loi qui porte sur la preuve,
la prescription et le droit international privé. Entre autres, les
règles de preuve sont rajeunies, les règles de la prescription
sont simplifiées et raccourcies et les principes de droit international
privé qui étaient, pour le moins, vraiment au plus simple dans le
Code civil actuel, ont reçu une élaboration heureuse.
En matière de preuve, nous avons fait des commentaires
généraux sur la structure de l'avant-projet de loi. La structure
nous a semblé un peu confuse, à certains égards, dans la
mesure où on avait certaines règles de recevabilité dans
le chapitre sur les moyens de preuve et vice-versa. On a retrouvé
certaines règles, des façons de présenter des
règles de preuve dans le chapitre sur la recevabilité de sorte
que ça pouvait un peu porter à confusion. Entre autres, le
ouï-dire a été défini dans le chapitre sur le
témoignagne dans les moyens de preuve et c'est un peu malheureux qu'on
ait associé le ouï-dire à un moyen de preuve et à une
sous-catégorie du témoignagne, en quelque sorte, parce que le
ouï-dire a toujours été considéré, à
juste titre d'ailleurs, comme une règle d'irrecevabilité. Donc,
ces principaux éléments devraient se retrouver dans le chapitre
de la recevabilité et non pas dans celui des moyens de preuve.
En ce qui concerne l'utilisation du mot "authentique", certains articles
utilisent le mot "authentique" dans les deux sens qu'on lui connaît,
c'est-à-dire le sens commun, le sens large qui appelle une notion de
véracité et le sens plus restreint que lui accole l'expression
"acte authentique". À certains égards, cela peut amener une
certaine confusion. Vous verrez les commentaires particuliers
là-dessus.
En ce qui concerne le caractère authentique de l'acte
notarié, nous avons fait appel à deux rapports qui ont
été publiés par la commission d'étude sur le
notariat. En guise de conclusion, étant donné les dispositions de
l'avant-projet sur les sûretés, nous sommes d'avis que les devoirs
qui sont imposés tant aux notaires qu'aux avocats, à l'article
3336 de l'avant-projet de loi sur les sûretés, c'est-à-dire
de signer un certificat de vérification sur l'identité desparties, la capacité des parties, l'adéquation entre la
volonté des parties et l'acte, ceci donne au document en question
un caractère d'authencité. C'est pourquoi nous suggérons
d'ajouter un paragraphe à l'article 2993 de l'avant-projet pour
prévoir que les actes signés devant un avocat et admis à
l'enregistrement soient considérés également comme des
actes authentiques.
Finalement, en ce qui concerne le ouï-dire proprement dit,
l'élargissement de l'admissibilité du ouï-dire va un peu
bouleverser les procès dans l'avenir. On se demande comment les
tribunaux pourront interpréter les garanties suffisantes pour pouvoir
s'y fier. On retrouve cela à certains articles. On se demande aussi si
ce n'est pas la consécration de ce qu'on appelle "second hand hearsay",
c'est-à-dire le ouï-dire de second degré. C'est un petit peu
inquiétant de voir la façon dont l'avant-projet traite le
ouï-dire. Ce qui était irrecevable jusqu'à maintenant
devient recevable et sa force probante est laissée à la
discrétion du tribunal. En ce sens, ce ne sont plus les parties qui
seront maîtres de leurs dossiers, de leurs preuves, ce sera davantage le
tribunal. Pour les avocats, c'est un peu inquiétant.
La définition même du ouï-dire, à l'article
3023 - qui, comme je le disais tout à l'heure, est mal placée -
est inexacte dans la mesure où elle prévoit que toutes les
déclarations d'une personne qui ne témoigne pas à
l'audience constituent du ouï-dire. Or, on sait que ce qui constitue du
ouï-dire, c'est surtout une déclaration qui a pour but de prouver
la véracité de son contenu. On peut accepter le ouï-dire -
ou enfin une déclaration d'une personne qui ne témoigne pas
à l'audience - pour plusieurs autres motifs, pour prouver la
présence du déclarant à un endroit, ou à une date
donnée, ou pour prouver la langue parlée par cette personne, ou
pour différents autres motifs. Cette nuance entre la déclaration
d'un tiers qui serait recevable et ce que je peux appeler le vrai ouï-dire
n'apparaît pas dans l'avant-projet et cela nous semble être une
lacune. (10 h 30)
En ce qui concerne la prescription, également nous avons fait
certains commentaires généraux. Les règles
générales en matière de prescription ne sont pas toujours
détachées de façon claire des règles
particulières. À titre d'exemple, je prends l'article 3055
où on prévoit, dans les dispositions générales, que
la prescription est un moyen d'acquérir un droit réel ou de se
libérer d'une obligation. On ne prévoit pas que c'est un moyen
d'éteindre un droit, entre autres. On ne mentionne pas qu'il y a deux
sortes de prescriptions. Dans des dispositions générales, il nous
semble qu'on devrait insister davantage sur ce qui s'applique aux deux formes
de prescriptions, soit la prescription acquisitive et la prescription
extinctive.
En matière de prescription acquisitive justement, Me Cantin-Cumyn
vous en parlera un peu plus longuement tout à l'heure. L'avant-pro- jet
de loi semble mêler la prescription acquisitive et l'enregistrement,
alors que la prescription acquisitive doit être normalement reliée
à la possession. On semble mêler tout le système
d'enregistrement qui se veut un système objectif si on se fie à
l'avant-projet de loi sur la publicité des droits. Me Cumyn vous en dira
un peu plus long là-dessus.
On a aussi un problème avec les droits à caractère
extrapatrimonial. On dit que ce qui est extrapatrimonial est imprescriptible.
Par contre, à l'article 3103, on dit que toutes les actions relatives
à l'état d'une personne, ce que je considère tout à
fait extrapatrimonial, se prescrivent par dix ans. Alors, il y a quelque chose
qui ne fonctionne pas en ce qui concerne les droits extrapatrimoniaux à
l'intérieur de l'avant-projet.
En ce qui concerne les façons de computer les délais de
prescription, vous verrez qu'on a les commentaires techniques; là aussi,
il y a une certaine confusion. On dit que - je parle ici de prescription
extinctive - le jour du point de départ ne compte pas; par contre, les
articles 3059 et 3060 semblent se contredire là-dessus. On a fait des
commentaires là-dessus. On a ajouté également les
règles de prescription en matière de substitution. On a un peu
réaménagé les règles de prescription acquisitive en
matière mobilière. Il n'y a rien, aucun article dans
l'avant-projet ne mentionne la règle de droit commun en matière
de prescription acquisitive des biens-meubles. On mentionne trois ans quelque
part mais ce n'est pas une règle de droit commun, de sorte que nous
avons recommandé de placer une règle de droit commun à
l'article 3096 qui est de dix ans et une dérogation est apportée
à l'article 3100, c'est une prescription abrégée de trois
ans pour le possesseur de bonne foi d'un bien-meuble. Cela nous semble
peut-être un peu mieux refléter la volonté du
législateur.
En ce qui concerne le droit international privé, nous avons fait
quelques commentaires généraux encore là. D'abord, sur la
multiplication de clauses générales à caractère un
peu vague et, en cela, je fais référence à l'expression
"conception québécoise du droit". J'ignore comment les tribunaux
vont interpréter cette expression, d'autant plus qu'à l'article
3442, par exemple, la conception québécoise du droit
s'appliquerait même à l'égard de la loi d'un autre
État. C'est un peu confus.
Le second commentaire porte sur la bilaté-ralisation. Les
règles de droit international privé visent à
déterminer le champ à l'application du droit local et du droit
étranger. À certains égards, il nous a semblé que
ces règles n'étaient pas suffisamment
bilatéralisées et certaines recommandations, article par article,
vont dans ce sens-là.
Finalement, la troisième critique se situe au sujet de l'absence
de concordance ou de création d'une nouvelle notion juridique; par
exemple, prestation caractéristique. Qu'est-ce qu'une près-
tation caractéristique? Encore là, quand on a un contrat
synallagmatique, n'y a-t-il pas deux prestations caractéristiques, l'une
de paiement et l'autre de délivrance d'un bien? Ce sont de nouveaux
concepts qui nous arrivent à la toute fin du Code civil, on n'en a
jamais entendu parler. La même chose pour les patrimoines
organisés, on ne sait pas d'où cela sort, on ne sait pas à
quoi cela fait référence.
En ce qui concerne l'absence de concordance, on parle maintenant de
responsabilité, Dieu merci! alors que dans l'avant-projet de loi sur les
obligations, on parlait plutôt de préjudice causé à
autrui. Encore là, cela nous semble manquer de continuité. On
parle continuellement de résidence habituelle. Là-dessus, cela
ressemble au rapport de l'Office de révision, sauf qu'on a oublié
que dans le projet de loi 20, évidemment, à moins qu'il ne soit
modifié, l'article 81 nous donne une définition de
résidence où le caractère habituel est bien
mentionné, de sorte que ce n'est pas nécessaire, quand on parle
de résidence dans notre Code civil, de répéter le mot
"habituel". Cela va de soi de par la définition que donne l'article 81
du projet de loi 20.
Cela termine mes remarques très générales.
Maintenant, si vous le permettez, M. le Président, j'aimerais que Me
Madeleine Cantin-Cumyn dise un mot sur la prescription acquisitive.
Après cela, Me Glenn vous parlera plus en détail du droit
international privé.
Le Président (M. Filion): Merci, Me Vadboncoeur. Me
Cantin-Cumyn.
Mme Cantin-Cumyn (Madeleine): Merci, M. le Président. Je
vais limiter mes commentaires, à ce moment-ci - quitte
éventuellement à répondre à des questions s'il y en
avait - à l'aspect qui préoccupe le plus le Barreau dans le
projet d'articles sur la prescription. Dans l'ensemble, comme Me Vadboncoeur le
disait, le Barreau aurait plutôt des éloges à faire
à l'égard des articles sur la prescription, sauf lorsqu'on arrive
à la prescription acquisitive et, plus spécifiquement, aux
articles 3096 et suivants, le chapitre intitulé "Les délais de
prescription acquisitive". Pour le Barreau, de deux choses l'une, soit qu'il ne
comprenne pas ces articles, soit qu'il estime que cela ne peut pas fonctionner
et je vais essayer d'expliquer pourquoi. Encore là, il faut
m'arrêter si les explications ne sont pas suffisamment claires. Plusieurs
éléments sont mis en cause ici et il n'est pas toujours facile de
séparer des éléments de façon à s'exprimer
clairement.
Les remarques, tout d'abord, ne vont pas viser les choix qui sont faits
quant à la longueur des délais. On propose essentiellement de
passer d'un délai général de prescription acquisitive de
30 ans à l'heure actuelle à un délai de dix ans. On ne
fait pas de commentaire particulier sur cet aspect. Ce qui nous
préoccupe davantage, c'est la façon d'envisager la prescription
acquisi- tive comme moyen d'acquérir un droit réel principal. Les
premières remarques vont porter sur le lien très étroit
que le projet de loi établit entre l'enregistrement et la prescription
acquisitive. À notre sens, ce lien très étroit est
inédit. On ne trouve pas cela dans le Code civil du Bas-Canada ni dans
le projet de l'Office de révision du Code civil. Cela, c'est du nouveau
et on a de sérieuses réserves dans la mesure où
enregistrement et prescription acquisitive sont deux institutions qui
remplissent des buts, des fonctions qui sont vraiment très
différentes. L'enregistrement, essentiellement, ce sont des
formalités qui sont prévues, qui ont en vue, d'abord, la
protection de l'acquéreur de droit réel sur une chose, protection
contre son auteur, son vendeur qui pourrait envisager de concéder de
nouveaux droits réels aux dépens de l'acquéreur
antérieur. C'est une des premières fonctions de la prescription;
en enregistrant son droit, il se protège à l'égard de ceux
qui peuvent acquérir subséquemment des droits réels sur le
même immeuble. C'est aussi un mécanisme qui vise à
protéger le tiers qui s'intéresse à un immeuble. Par
l'enregistrement, le tiers a le moyen de s'informer de l'état juridique
d'un immeuble. En se rendant au bureau d'enregistrement, on peut, si on
s'intéresse à acquérir un immeuble ou à obtenir des
garanties par le biais de cet immeuble, savoir exactement quel est son statut
juridique, quels sont les droits qui existent au moment où on s'informe.
Cela, c'est la fonction de l'enregistrement.
La prescription acquisitive, c'est bien différent. C'est un mode
d'acquisition d'un droit réel principal, un mode d'acquisition
fondé essentiellement sur la possession, donc sur le fait, ce qui se
produit dans les faits sur l'immeuble. La possession ne s'intéresse pas
vraiment au droit. Éventuellement, elle va aboutir au droit parce que la
loi, après un certain temps de possession, va favoriser le possesseur
aux dépens du propriétaire qui ne s'est pas occupé de sa
chose. La loi va transférer au possesseur le droit du
propriétaire ou autre droit réel principal qu'on est en train de
posséder pendant le temps requis de façon à
éventuellement acquérir. Voilà deux institutions,
enregistrement et prescription, qui ont des fonctions différentes. Du
moins, a priori, on pourrait penser qu'il y a raison de maintenir ces deux
institutions distinctes. Voilà d'abord les premières remarques
quant à la fonction d'enregistrement et de prescription acquisitive.
Deuxième observation sur les articles proposés.
Si on lit les article 3096 et 3097, il semble qu'on nous propose,
à l'article 3096, l'hypothèse qu'un possesseur puisse devenir
propriétaire après dix ans sans qu'il ait à faire
sanctionner cette acquisition par le tribunal alors que, dans le premier
alinéa de l'article 3097, les circonstances prévues sont un peu
différentes et, là, il va falloir une demande en justice pour
faire sanctionner l'acquisition par prescription. Dans
un cas, il ne semble pas qu'on ait à se référer au
tribunal. Dans d'autres types de cas, on aurait à aller devant le
tribunal. Il nous semble que c'est illusoire de penser qu'on puisse dispenser
du recours au tribunal pour faire sanctionner l'acquisition du droit de
propriété par la possession plus le temps. On ne peut pas se
dispenser du recours au tribunal d'abord dans l'intérêt du
propriétaire dépossédé qui a le droit de voir
établir qu'il y a véritablement eu possession, avec les
qualités requises pour que la possession soit utile, et qu'il y a
vraiment eu possession pendant le délai de dix ans, sans interruption,
etc.
On ne voit pas comment on pourrait indirectement empêcher le
propriétaire d'amener le possesseur a justifier son acquisition par
possession. Également, à l'égard du possesseur, il a
intérêt à avoir un titre qui découle de sa
possession pour qu'il puisse l'enregistrer. Donc, lui aussi a
intérêt à voir le jugement qui va servir de titre
désormais de preuve de son droit de propriété. De part et
d'autre, donc, on ne voit pas comment on pourrait se dispenser du recours au
tribunal.
Troisième observation, toujours en rapport avec l'acquisition par
prescription en matière immobilière. Il nous semble que les
articles 3096 et 3097 laissent de côté le cas le plus
fréquent qui donne ouverture à l'acquisition par prescription.
C'est le cas du propriétaire qui possède au-delà de son
titre. Le propriétaire qui a telle étendue de terrain mais qui
possède au-delà de l'étendue déborde chez son
voisin, possède donc une bande de terrain qui dépasse son titre.
C'est le cas - éventuellement la Chambre des notaires pourra nous
éclairer également là-dessus - mais il me semble que
c'est, en tout cas, une hypothèse très fréquente
où, justement, on fait appel à la possession pendant le temps
pour qu'il y ait acquisition par prescription. Ce cas-là ne me
paraît pas être ni à l'article 3096 ni à l'article
3097. Cela me paraît une lacune.
Dans le même cadre de remarques, le projet de loi 20 nous avait
introduit la possibilité d'acquérir une servitude réelle
par prescription. L'acquisition d'une servitude réelle par prescription
ne va pas non plus pouvoir tomber dans l'un ou l'autre de ces articles parce
qu'il n'y aura pas de titre. D'une part, le possesseur n'aura pas de titre qui
soit enregistré et, d'autre part, le propriétaire aura
normalement un titre enregistré. Si on lit attentivement ces deux
articles, on ne trouve pas où tombe cette hypothèse de la
servitude réelle acquise par prescription. (10 h 45)
Quatrième groupe de remarques en rapport avec l'article 3097,
deuxième alinéa, qui fait intervenir la circonstance du
décès du propriétaire, de l'absence du propriétaire
en matière de prescription acquisitive. C'est très difficile
à suivre. On ne voit pas ce que le décès ou l'absence du
propriétaire peut avoir à faire ici. Dans notre système de
droit, le décès ne crée pas de rupture dans la
chaîne des titres. L'héritier, le successeur du
propriétaire succède au patrimoine du propriétaire,
succède au droit de propriété, il n'y a donc pas de
rupture dans la chaîne des titres. En quoi le décès
pourrait-il aider ou nuire au possesseur? Ce n'est certainement pas apparent;
d'ailleurs, ça ne devrait pas intervenir.
Pour l'instant, je me suis essentiellement attardée aux articles
3096 et 3097. Mes remarques porteront maintenant sur les articles 3098 et
3099.
Le Président (M. Filion): Je pourrais me permettre de
signaler à nos invités qu'il y a consentement - en tout cas, de
mon côté, il n'y a pas de problème - pour que vous
poursuiviez la présentation de votre mémoire au-delà des
30 minutes prévues, mais, à ce moment-là, on
écourte la période de discussion avec les parlementaires qui,
parfois, est plus dynamique ou productive, en ce sens qu'elle permet de
confronter certaines opinions de ce côté-ci et de votre
côté. Je ne veux pas réduire le rythme de votre
présentation, M. le bâtonnier et votre équipe. Je veux
simplement vous signaler qu'on en réduit d'autant la période de
discussion. D'autres présentations sont à venir pour d'autres
parties du projet de loi et, bien sûr, il restera un peu moins de
temps.
Mme Vadboncoeur: Me Glenn va vous présenter...
étant donné que vous ne l'avez pas eu, celui-là.
Le Président (M. Filion): Me Cantin-Cumyn, merci. Si je
comprends bien, Me Glenn nous fera sa présentation orale sur la partie
portant sur le droit international privé.
M. Glenn (Patrick): Oui, M. le Président. Il y a trois
points sur lesquels j'aimerais concentrer mes remarques. Un premier point
concerne, comme l'a dit Me Vadboncoeur, l'emploi des clauses
générales dans l'avant-projet; un deuxième point concerne
le caractère unilatéral ou bilatéral des règles
incluses dans l'avant-projet et un troisième point, si le temps le
permet, qui porte sur le contenu de certains articles de l'avant-projet, qui
ont particulièrement retenu l'attention de la sous-commission du
Barreau. Donc, le premier point, c'est l'emploi des clauses
générales dans l'avant-projet.
Le professeur Batiffol, qui est en France le grand spécialiste en
la matière et peut-être le plus grand spécialiste en la
matière sur le continent européen, s'est toujours opposé
à la codification du droit international privé. Il s'est
opposé à la codification du droit international privé
parce que, selon lui, la matière n'est pas suffisamment mûre pour
être codifiée. Aujourd'hui même, la France n'a pas de
codification du droit international privé, c'est l'opinion du professeur
Batiffol qui a plus ou moins régné
dans le domaine. Selon lui, la matière n'est pas suffisamment
mûre parce que, dans sa forme actuelle, elle démontre trop
visiblement une tension profonde entre deux conceptions mômes de la
matière. Il y a une première conception selon laquelle le droit
international privé devrait être composé de règles
d'ordre classique du genre: les conditions de fond du mariage sont soumises
à la foi du domicile de l'individu qui veut se marier. C'est une
règle simple, claire, qui donne compétence à un corpus de
règles précises et relativement faciles à mettre en
vigueur dans la pratique.
Il y a pourtant une autre conception du droit international privé
qui n'admet aucune règle. Selon cette conception du sujet, on ne peut
pas codifier le droit international privé parce que l'application dans
l'espace de règles de droit interne, comme le Code civil du
Québec, devrait dépendre entièrement de la volonté
explicite, ou même implicite du législateur qui a
créé des règles de droit interne. Donc, dans tout cas
où une question se pose dans une matière transfrontalière,
à savoir quelle loi on applique, le praticien et le juge doivent
simplement partir à la recherche de l'intention explicite ou implicite
du législateur. Il n'y a pas de règle qui puisse guider dans
cette recherche. Tout cas est un cas d'espèce. Il faut simplement se
demander ce que le législateur aurait voulu, dans un tel cas, quant
à l'application extraterritoriale de cette loi. Ce sont deux conceptions
différentes du sujet.
En sous-commission, nous avons pensé que si on va codifier le
droit international privé, il faut codifier ce qui peut être
codifié, c'est-à-dire qu'il faut qu'une codification comprenne
des règles de droit international privé. Bien sûr, on peut
avoir une confiance non pas tout à fait totale dans les règles
qu'on crée, on peut admettre des exceptions a des règles
créées, mais, quand même, une codification doit
nécessairement porter sur les règles de droit international
privé. On ne peut pas, dans un code de droit international privé,
tout simplement dire que tout dépend de l'interprétation qu'on
tire de l'intention du législateur.
La critique la plus fondamentale que nous avons à l'égard
de l'avant-projet, c'est que, dans sa forme actuelle, il transfère au
plan législatif cette tension entre ces deux conceptions diverses du
droit international privé. C'est une codification d'une centaine
d'articles, mais l'effet de cette centaine d'articles est radicalement
affectée, on pourrait même dire anéantie, par l'effet de
clauses générales contenues dans les premiers articles de
l'avant-projet qui représentent cette autre idée du sujet qu'il
faut, avant tout, chercher l'intention du législateur pour
déterminer l'application dans l'espace des règles de droit
interne. On essaie d'avoir toute méthodologie possible du droit
international privé contenue dans la codification. Nous sommes d'avis
que, finalement, cette volonté de tout avoir à l'inté-
rieur du code fait en sorte que la codification n'en est pas une. C'est
pourquoi nous sommes particulièrement troublés par trois articles
principaux, tous contenus dans les dispositions générales de
l'avant-projet. L'effet d'ensemble de ces trois articles qui
représentent cette deuxième conception du sujet est d'enlever
l'importance principale que les règles devraient avoir dans toute
codification de la matière. Ces trois articles sont le 3439, le premier
article de la codification, le 3442, encore parmi les dispositions
générales, et l'article 3445. J'aimerais dire un mot, très
brièvement, au sujet de chacun de ces articles.
L'article 3439 fait dépendre la totalité de la
codification d'abord de la non-existence de traités internationaux qui
touchent le sujet. Cela ne nous trouble pas parce que les traités
internationaux devraient avoir priorité; aussi, des règles de
droit en vigueur au Québec dont le champ d'application est
expressément déterminé par la loi. Cela ne nous trouble
pas non plus parce que le législateur devrait avoir la
possibilité, par un texte précis, d'écarter les
dispositions générales du code de droit international
privé. Ce qui nous trouble beaucoup, c'est la fin de cet article qui dit
que toutes les autres dispositions du code sont sujettes à des textes de
droit en vigueur au Québec, dont l'application s'impose en raison de
leur but particulier. C'est-à-dire que si on est devant un cas de droit
privé international, on ne peut pas simplement regarder les articles de
la codification. Il faut d'abord examiner les buts particuliers de chaque
morceau de législation québécoise qui pourrait s'appliquer
pour déterminer si, selon une intention implicite du législateur
québécois, ce texte de loi devrait s'appliquer. C'est de
renserver un peu la priorité. Selon nous, cela devrait être
plutôt des règles qui s'appliquent, à moins que des raisons
exceptionnelles ne justifient la non-application des règles contenues
dans la codification. À ma connaissance, aucune autre codification au
monde n'a tellement renversé les priorités de méthodes en
matière de droit international privé. C'est surtout à
cause de ces deux dernières lignes de l'article 3439 que nous
considérons que la codification n'en est pas effectivement une. Il y a
d'abord une méthodologie qui est présentée. On ne passe
pas à la codification proprement dite, à moins que la
méthodologie ne s'impose.
Le deuxième article qui nous trouble est l'article 3442 qui est
un peu le pendant de l'article 3439 parce que l'article 3442 demande qu'on
fasse application de cette même méthodologie, même à
l'égard des lois étrangères. On ne peut pas simplement
faire application des règles de droit international privé
contenues dans la codification. Il faut aller demander aussi si l'intention
législative derrière un texte étranger dicte son
application par un tribunal québécois dans une affaire devant le
tribunal québécois qui est transnationale, dans une certaine
mesure. On ne sait pas trop bien comment on va décider ce
qu'était l'intention législative étrangère.
Il n'y a rien qui nous aide dans ce processus et les matériaux vont
manquer. Mais, en tout cas, c'est une autre raison pour laquelle on ne peut pas
considérer que la codification a priorité. La codification ne
peut être appliquée qu'après qu'on ait décidé
effectivement qu'il n'y a pas lieu de faire application d'un but
législatif étranger.
Le troisième article qui nous trouble est l'article 3445 sur
lequel je serai très bref. Cet article dit que l'application des
règles de droit international privé est soumise à
l'exception de l'ordre public. L'ordre public n'est pas défini de
façon restreinte, comme il l'est d'habitude dans les textes de droit
international privé où on parie de l'ordre public international
et d'une violation de l'ordre public international qui est manifeste. Alors,
nous craignons que cette référence simple à l'ordre public
soit trop large et diminue nécessairement la possibilité
d'application de ce qui reste de la codification. Voilà donc pour nos
craintes en ce qui concerne les clauses générales dans la partie
introductive de la codification.
Le deuxième point concerne le caractère bilatéral
ou unilatéral des règles incluses dans la codification. Dans
chaque cas de conflit de lois, il s'agit de savoir si on applique la loi
locale, la loi du Québec ou une loi étrangère. Les
règles de droit international privé, traditionnelles et
classiques, sont bilatérales. La règle disant que les conditions
de forme du mariage sont soumises à la loi du domicile résout le
problème du mariage du Québécois qui se marie à
l'étranger et, aussi, le problème de l'étranger qui se
marie au Québec. Donc, une seule règle s'applique à ces
deux situations qu'on qualifie comme règle bilatérale. Nous
pensons que cela est absolument nécessaire dans une codification de
droit international privé parce que si la règle n'est
qu'unilatérale, on ne dicte que l'application dans l'espace de la lof
locale. On ne donne pas les directives nécessaires... Je m'excuse, c'est
l'article 3444 en ce qui concerne l'ordre public et non pas l'article 3445.
Alors, nous considérons donc qu'une règle de droit international
privé qui est unilatérale est incomplète parce que, dans
la mesure où cette règle de droit international privé ne
dit rien au sujet de l'application de l'espace de la loi
étrangère, le juge doit nécessairement faire emploi
d'autres méthodes pour décider effectivement quelle loi devrait
s'appliquer.
Alors, il y a quatre articles en particulier qui ont retenu notre
attention, et nous pensons qu'ils devraient être
"bilatéralisés". Ce sont l'article 3449 en matière de la
capacité de la personne, l'article 3451 en matière des pouvoirs
des représentants des personnes morales, l'article 3456 en
matière de l'adoption Internationale et l'article 3488 en matière
d'arbitrage. Nous recommandons que ces articles soient
reconsidérés dans le but effectivement de les bilatéra-
liser.
(11 heures)
Très brièvement, si le temps me le permet, j'aimerais
soulever six articles particuliers qui ont retenu notre attention, pour
indiquer nos réflexions quant à ces articles. Le premier article,
c'est l'article 3456 en matière d'adoption internationale. C'est un
sujet très controverse et nous pensons que dans sa forme actuelle
l'article 3456 ne reflète pas suffisamment une considération qui
devrait être primordiale, ce qui est le meilleur intérêt de
l'enfant sujet à la procédure d'adoption. Nous avons fait la
recommandation que le meilleur intérêt de l'enfant soit
considéré dans le choix de la loi applicable aux effets de
l'adoption.
Un deuxième article, c'est l'article 3457 relativement à
la garde de l'enfant. Encore une fois, nous pensons que cet article ne
reflète pas les tendances les plus récentes en matière de
droit familial qui reflètent l'importance fondamentale donnée au
meilleur intérêt de l'enfant. Nous pensons que c'est une
considération que l'on devrait retrouver dans une cour de droit
international privé et non pas simplement en droit interne. Pour nous,
le meilleur intérêt de l'enfant ne devrait pas être sujet
à un jeu de règle de droit international privé; cela
devrait être le critère principal par lequel toute question de
garde devrait être résolue.
Un troisième article, c'est l'article 3463 qui innove en
permettant à un individu une liberté très large pour
choisir la loi applicable à la succession. En cela, cet article emprunte
à la convention toute récente de La Haye qui admet, dans une
certaine mesure, une liberté de choix en matière de la loi
applicable à la succession. Cette convention n'est pas encore en
vigueur. Nous ne savons pas encore dans quelle mesure elle sera acceptée
par les États membres de la Convention de La Haye. Nous avons beaucoup
de réticences à l'égard de cette liberté
très large de choisir la loi applicable à ces successions, parce
que nous voyons là un moyen très important d'éviter des
textes impératifs en matière de réserve
héréditaire et les moyens de protéger les personnes qui
restent dans la famille du défunt.
Un quatrième article, c'est l'article 3466 en matière
d'hypothèque mobilière. Nous pensons que cet article
représente une certaine schizophrénie. L'article consacre en
principe la solution retenue dans d'autres juridictions en Amérique du
Nord en accordant une protection transfrontalière aux créanciers
hypothécaires d'une hypothèque mobilière. Dans le cas
où il y a une hypothèque mobilière créée par
exemple, en Ontario ou à New York, le créancier
hypothécaire, au cas où le bien serait amené au
Québec et vendu dans une intention frauduleuse à une tierce
personne au Québec, aurait 60 jours pour venir au Québec pour
enregistrer son hypothèque pour se protéger contre la tierce
personne acquéreur. C'est un principe largement admis en Amérique
du Nord
maintenant pour donner une plus grande protection au créancier
hypothécaire et c'est le principe admis dans le premier alinéa de
cet article.
Mais, dans le deuxième alinéa de l'article, et c'est
pourquoi nous pensons qu'il y a une certaine schizophrénie, cette
protection est enlevée à l'égard d'une vente à la
tierce personne de bonne foi au Québec. C'est exactement ça qui
pose le problème, la vente à la tierce personne dans un
État qui n'est pas l'État d'origine de l'hypothèque
mobilière et nous nous demandons pourquoi on crée une protection
dans le premier article pour ensuite l'enlever dans le cas principal de
difficultés dans le deuxième alinéa.
Un cinquième article, c'est en matière des obligations
contractuelles et c'est l'article 3477 qui, en principe, consacre le principe
de l'autonomie des parties de choisir la loi applicable à leur contrat,
mais restreint cette autonomie de façon difficilement justifiable
à la situation où il y a nécessairement un
élément d'extranéité dans la situation. Or, si les
parties ont la possibilité de choisir la loi applicable à leur
contrat et si le droit des obligations est un droit libéral et non
dirigiste, elles devraient avoir la possibilité de choisir la loi
applicable à leur contrat, même dans le cas où le contrat
ne présente pas d'élément d'extranéité.
C'est la solution adoptée par la convention européenne en
matière d'obligations contractuelles qui ne restreint le libre choix des
parties que dans la situation où le choix irait à l'encontre des
dispositions impératives qui existent dans le lieu où le contrat
a été conclu. Dans le cas d'un contrat conclu au Québec,
on ne pourrait pas, par son libre choix, écarter des textes
impératifs du droit québécois mais, autrement, le
caractère libéral du droit des obligations contractuelles devrait
permettre que le choix des parties soit respecté.
Un dernier article, finalement, c'est l'article 3484, les contrats de
consommation. Dans sa forme actuelle, le projet rattache de façon
obligatoire le contrat de consommation au lieu du domicile du consommateur dans
le but de le protéger en lui accordant la protection accordée par
sa propre loi, mais n'admet pas que les parties choisissent une loi qui accorde
une plus grande protection au consommateur. Nous avons recommandé, dans
notre mémoire, que le choix aux parties soit admis, même dans un
contrat de consommation, au cas où le choix des parties aurait l'effet
d'accorder une plus grande protection au consommateur que la protection
accordée par la loi de son domicile. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup Me Glenn pour
cette présentation, le bâtonnier, Me Gilbert, ainsi que les
personnes qui vous accompagnent. Je vais demander au ministre de la Justice du
Québec de prendre la parole.
M. Rémillard: Je me demande, M. le Président, si la
présentation est complète ou si Me Nadeau n'a pas à
ajouter quelque chose sur la preuve.
M. Nadeau (Richard): Me Nadeau va répondre aux questions
sur la preuve, avec plaisir, M. le ministre.
M. Rémillard: Me Nadeau se prépare donc à
répondre à des questions, M. le Président. J'en prends
bonne note.
Le Président (M. Dauphin): On prend acte.
M. Rémillard: C'est un aspect évidemment
très important. Me Gilbert, M. le bâtonnier, Mme Cantin-Cumyn, M.
le professeur Glenn, Me Nadeau, Mme Vadboncoeur, je voudrais vous remercier
d'être avec nous ce matin pour cette dernière commission
parlementaire sur un avant-projet de loi pour réformer notre Code civil.
Il est toujours très important pour nous d'avoir votre expertise et vos
commentaires sur les avant-projets de loi et en particulier en ce qui regarde
celui que nous étudions aujourd'hui concernant le droit de la preuve ou
de la prescription du droit international privé.
Vous nous avez présenté un mémoire, comme vous
l'aviez fait aussi pour les autres avant-projets, particulièrement bien
à point, bien fait. Celui sur le droit international privé m'est
parvenu - et je le comprends très bien - ce matin, pour ma part. Par la
présentation de M. le professeur Glenn, je comprends certains points qui
sont très pertinents et que vous avez fait valoir, et je me permettrai
peut-être un peu plus tard de revenir sur certains points concernant le
droit international privé.
Je sais que ce n'est pas toujours facile de préparer ces
mémoires. Cela prend beaucoup de temps, beaucoup de préparation
et je veux vous remercier pour la qualité des mémoires que vous
avez présentés et tout le temps que vous avez consacré
à rédiger ces mémoires et à venir les
présenter ici.
Ma première question serait en fonction des remarques que vous
avez faites concernant la prescription. Vous nous demandez de dissocier le
régime de la publicité des droits de celui de la prescription. Je
pense que c'est une remarque très importante. Mais vous dites ceci,
à la page 19 de votre mémoire, et je vous cite: "Si on en arrive
à un régime d'enregistrement vraiment objectif et efficace, on ne
voit pas l'utilité de lier la possession ou la prescription à la
publicité puisque les données figurant au registre foncier seront
nécessairement fiables."
Alors, si ces données sont nécessairement fiables, est-ce
qu'il ne serait pas plus logique, finalement, comme ça se fait dans les
régimes d'inspiration germanique ou Thorens, comme vous le savez,
d'interdire tant la prescription acquisitive que la prescription instinctive en
matière
immobilière, plutôt que de tenter, comme on le fait dans
l'avant-projet de loi, une espèce de conciliation du régime de la
publicité et de celui de la prescription?
J'aimerais peut-être vous entendre, Mme le professeur, sur ce
point.
Mme Cantin-Cumyn: Je suppose que la question s'adresse à
moi?
M. Rémillard: Oui.
Mme Cantin-Cumyn: Le législateur pourrait certainement
décider d'ignorer la prescription acquisitive et de s'en tenir seulement
au système d'enregistrement. Enfin, je ne pense pas que ce soit la
position du Barreau de recommander ça, parce qu'on resterait quand
même, dans cette hypothèse, avec le fait qui, souvent, ne concorde
pas avec le droit. La question qui se pose est celle-ci: Est-ce
qu'éventuellement, on ne va pas faire en sorte que le fait supplante le
droit? C'est ce que la prescription acquisitive fait.
Comme point de départ, la prescription acquisitive ne
s'intéresse pas au droit, n'est-ce pas? C'est le fait, c'est
fondé sur le fait de la possession, après un certain temps, qui
permet d'acquérir le droit. La remarque ou l'extrait auquel vous nous
référez dans le rapport se rapporte plus particulièrement
aux articles 1098 et 1099, le sujet de la prescription abrégée.
Je n'avais pas eu le temps de me rendre là tout à l'heure.
En droit actuel, lorsque l'on envisage la prescription
abrégée qui est, en ce moment, de dix ans, par rapport à
trente ans, qui est la prescription normale, dans ce contexte de prescription
abrégée, on ajoute à la possession, et au temps la
nécessité d'avoir eu un titre translatif au moment où on
entre en possession plus la bonne foi.
C'est au regard de la bonne foi du possesseur qu'on fait intervenir
l'enregistrement, la question de l'enregistrement. Pas l'enregistrement du
titre du possesseur, mais l'enregistrement du titre du véritable
propriétaire, étant entendu, dans cette hypothèse, que le
possesseur a acquis un droit d'un non-propriétaire. La question se pose:
II doit être de bonne foi. Est-il de bonne foi si, s'étant rendu
au bureau d'enregistrement, il aurait pu constater que son vendeur
n'était pas propriétaire?
Dans ce contexte, en droit actuel, on fait intervenir l'enregistrement,
mais il y a une controverse entre la Cour suprême et la Cour d'appel,
celle-ci estimant qu'il ne faut pas donner un effet trop important à
l'enregistrement par rapport à la bonne foi du possesseur, alors que la
Cour suprême renverse la présomption de bonne foi si, étant
allé au bureau d'enregistrement, on aurait pu constater que son vendeur
n'était pas propriétaire.
Ce que l'on dit dans le cadre de la réforme, si on a unsystème objectif d'enregistrement, c'est: Est-ce qu'on ne devrait
pas tenir compte de ça dans le cas d'une prescription
abrégée à cinq ans? Il semble que oui. Le projet de loi ne
paraît pas le faire, ignore cet aspect de la question. Le seul endroit
où l'enregistrement est pertinent en matière de prescription
acquisitive, c'est là, et le projet de loi l'Ignore. (11 h 15)
Quant à la prescription abrégée, il faut dire que
la sous-commission était d'avis qu'étant donné que la
prescription générale serait maintenant de dix ans, il n'y avait
pas lieu d'abréger à cinq ans. C'est déjà
suffisamment bref. Notre proposition serait donc d'éliminer cette
prescription abrégée en matière immobilière,
d'autant plus que, tel que formulé à l'article 3098, ce n'est pas
un délai de possession de cinq ans pour le possesseur, n'est-ce pas? Les
cinq ans se comptent à compter de l'enregistrement du titre du
possesseur, ce qui n'offre pas beaucoup de protection au propriétaire.
Le propriétaire aura à peine le temps de se rendre compte qu'on
est en train de procéder contre lui, puisque ce n'est pas cinq ans de
possession, en réalité, qui est exigé.
M. Rémillard: Je crois que votre mémoire est assez
explicite sur ce point-là. C'est assez clair dans le mémoire.
Mme Cantin-Cumyn: L'article, vous le voyez, c'est très
simple. On se retrouverait avec un seul article en matière de
prescription acquisitive des immeubles. L'article que l'on propose, le 3096,
servirait en matière de prescription acquisitive des droits réels
immobiliers et de délai général de prescription
acquisitive des droits réels mobiliers. Parce qu'en ce moment, on ne
trouve pas, nous en tout cas, à la lecture des textes, de disposition
qui règle le cas général d'acquisition en matière
mobilière. Comme Me Vadboncoeur le mentionnait d'ailleurs, l'article
3100 ne vise que les meubles corporels. En ce moment, on entend droit de
propriété par meubles corporels. Je ne sais pas si, dans le cadre
du projet, c'est comme cela qu'il faut l'entendre. Il n'y a pas d'indication
contraire en tout cas, ce qui laisse une lacune parce qu'on n'a pas
véritablement de délai général de prescription
acquisitive qui soit prévu.
M. Rémillard: Excusez-moi, en ce qui concerne la lacune,
je n'ai pas tout à fait saisi, vous m'excuserez. Est-ce que vous
pourriez revenir sur ça?
Mme Cantin-Cumyn: En matière de droit réel
mobilier, il n'y a pas de délai général de prescription
acquisitive de proposé. Il n'y a qu'un délai spécifique,
soit la prescription abrégée à l'article 3100. Alors,
notre article couvre ce cas-là aussi, l'article que l'on propose.
M. Rémillard: Cela ferait l'ensemble.
Mme Cantin-Cumyn: Oui.
M. Rémillard: Je vous remercie.
Le Président (M. Dauphin): Merci.
M. Rémillard: M. le Président, je voudrais
peut-être revenir maintenant à la preuve. Il y a plusieurs
questions qu'on peut poser sur la preuve mais, en particulier, tout à
l'heure, avec M. le professeur Patenaude, nous avons discuté de
l'article 3047. Nous avons discuté de différents moyens de preuve
en fonction de l'évolution de la technologie. Quant à ces
nouveaux moyens de preuve, la question que j'aimerais poser à Me Nadeau
serait celle-ci: En ce qui concerne la présentation d'un
élément matériel, en fonction des articles 3036 et 3038,
croyez-vous, Me Nadeau, que la codification de ces règles peut vraiment
être utile ou si, au contraire, elle peut engendrer de la confusion avec
d'autres moyens de preuve qui pourraient être acceptables
éventuellement?
M. Nadeau: Généralement, je pense qu'on peut dire
avec raisonnablement de sécurité que la façon dont
l'article 3036 et les articles suivants, y incluant 3044, ont été
construits et les choses qu'on y englobe permettent de croire que ce dont M.
Patenaude nous faisait part tantôt, c'est-à-dire son
inquiétude quant à certains moyens modernes d'enregistrement des
voix, d'un accord, serait couvert, d'après moi, par ces articles. Le
droit sur la preuve, comme vous le savez, tel qu'il existe actuellement est
extrêmement complexe à comprendre. Cela fait plusieurs
décennies, et même plus, que nos tribunaux essaient de
l'interpréter pour permettre d'ouvrir la porte à de nouvelles
techniques de preuve, lors d'une présentation devant les tribunaux, afin
que les parties puissent faire valoir des droits qui ne sont pas toujours
constatés dans des écrits. Je pense que la réforme qui
introduit cette nouvelle notion de ce qu'on appelle des éléments
matériels doit demeurer aussi vague que ça dans la description
qu'on en fait, pour que, justement, on ne soit pas obligés de revenir
devant le législateur, dans quelques années, quand un nouveau
moyen comme ceux que nous a décrits le professeur Patenaude aura
été développé et sera d'utilisation courante.
Quant à "moi, en tout cas, ma compréhension de l'article
3036 et des autres articles qui parlent de ces éléments
matériels ou de la présentation de ces éléments
matériels est suffisamment large pour pouvoir englober toutes ces
nouvelles méthodes de preuve. Ce qu'il faudra que les tribunaux
déterminent, évidemment, c'est où on doit s'arrêter
dans l'acceptation de ces nouveaux moyens de preuve. Est-ce que les tribunaux
accepteront, dans la mesure où il y a des experts qui vont venir en
parler, qu'on identifie visuellement, par enregistrement ou quelle que soit la
méthode acceptée, la voix de quelqu'un qui constatera son accord
ou son engagement à un contrat? il est vraisemblable de le croire. Je
pense qu'on en est au point... Je voyais, l'autre fois, en allant à la
quincaillerie, qu'on a même des commutateurs, maintenant, auxquels on
parle et qui provoquent l'ouverture des lumières dans une pièce.
Je pense donc qu'on est très près de cette époque
où ce sera un autre des moyens de preuve.
Vous me permettrez de faire la liaison avec ce que M. Patenaude
mentionnait tantôt, quant à l'article 3047. Quant à moi, je
n'ai pas bien compris si ce qu'il visait c'était qu'on élimine le
plafond de 1000 $ en matière civile ou si c'était plutôt
qu'on conserve le plafond de 1000 $ en matière civile, mais qu'on
élimine l'écrit ou la nécessité d'un écrit
et d'autres moyens de preuve d'écrits, au deuxième alinéa
de l'article 3047, pour pouvoir faire cette preuve. Est-ce qu'il est
souhaitable - c'est peut-être une question que le législateur
devrait se poser - au moment où on se parle, de conserver ce plafond de
1000 $? Est-ce que les parties civiles peuvent, par entente, dans un
enregistrement magnétoscopique, au téléphone ou autrement,
dans la mesure où on prouvera que c'est bien de cette personne dont il
s'agit, s'engager pour un montant de 5000 $, 10 000 $, 20 000 $? Pourquoi pas?
Est-ce qu'il n'est pas temps d'enlever cette réserve, justement,
puisqu'on le permet en matière commerciale? Est-ce qu'il n'est pas temps
de l'éliminer dans le cas des relations civiles? Aujourd'hui, 1000 $,
vous savez comme moi que ça a une valeur très relative.
Tant qu'à faire, dans la mesure où ces nouveaux moyens de
preuve seront recevables devant les tribunaux, je pense qu'on devrait
carrément sabrer dans le plafond 1000 $ et l'éliminer. C'est
là ce que j'ai compris de l'intervention de Me Patenaude et de vos
questions, M. le ministre.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Me Nadeau. M. le
ministre.
M. Rémillard: Je prends bonne note de ce que vous venez de
nous dire, Me Nadeau, lorsque vous nous dites que 1000 $, ça a une
valeur bien relative. On pense aux petites créances et à bien
d'autres éléments de notre système de justice basé
sur l'accessibilité de la justice pour tous. Si je comprends, vous posez
la question, mais est-ce que vous y répondez vraiment? La question que
vous posez est très importante. Ce plafond de 1000 $, est-ce qu'on ne
devrait pas simplement l'éliminer et avoir le régime que nous
avons en matière commerciale? Est-ce qu'il y a vraiment là une
protection qu'on doit conserver?
Je considère que la question est assez importante. Si vous me
permettez, vous l'avez posée, et je vous la pose. J'aimerais bien
connaître la réflexion du Barreau à ce sujet.
M. Nadeau: M. le bâtonnier, voulez-vous
faire un commentaire ou si vous me permettez de continuer? Partout dans
la réforme proposée sur le droit de la preuve, on se
réfère au pouvoir décisionnel du tribunal qui devra peser
le genre de preuve qui lui sera présenté et déterminer si
cette preuve est suffisante à ses yeux. Je ne vois pas pourquoi on
ferait une distinction lorsqu'il s'agit d'une entente verbale de 5000 $ entre
deux parties civiles, sujet à ce qu'on en fasse la preuve, quel que soit
le moyen qui sera choisi, qu'il sera possible de démontrer et qui sera
retenu par la cour.
Si on est en mesure de démontrer, à l'aide de la
corroboration de trois autres témoins, qu'effectivement, vous vous
êtes engagé à me payer 5000 $, je ne vois pas pourquoi,
entre parties civiles, je ne pourrais pas vous poursuivre parce que la somme
s'adonne à être 5000 $, alors que je pourrais tout autant le faire
et faire une preuve testimoniale de ma demande contre vous si la somme
était de 1000 $ ou moins. Il n'y a plus de raison à ça,
d'après moi; cette notion est périmée, d'après moi.
Avec tout ce que vous permettrez aux tribunaux si ces règles sont
adoptées, je pense qu'ils feront la part des choses. Ils devront
déterminer la qualité et la force probante des moyens de preuve
qui leur seront apportés et ils tireront leurs conclusions. Quant
à moi, on devrait carrément le laisser tomber.
M. Rémillard: Relié surtout à l'article
3036...
M. Nadeau: C'est ça, exactement. S'il y a des moyens de
preuve convaincants, si ces moyens de preuve, que ce soit l'aveu de la partie,
que ce soient des preuves techniques ou des preuves de la nature d'un
commencement de preuve - d'ailleurs, ces moyens sont décrits à
l'article 3044 - si c'est recevable, si c'est probant, le juge n'aura
qu'à décider, selon les circonstances du cas qui lui sera
présenté, que la preuve le satisfait et qu'il y a eu un
engagement. Il pourra alors, comme il le fait régulièrement en
matière commerciale en l'absence d'un écrit, condamner la partie
défenderesse.
M. Rémillard: Cela rejoint les préoccupations du
professeur Patenaude qui est intervenu tout à l'heure. M. le
bâtonnier, avez-vous quelque chose à ajouter sur ce point qui me
paraît particulièrement intéressant?
M. Gilbert: Je voudrais tout simplement, à la suite d'une
réflexion que j'ai eue avec Mme Cantin-Cumyn, qu'on se comprenne bien.
Je suis d'accord avec ce que dit Me Nadeau, mais il peut y avoir des actes
juridiques pour lesquels le législateur aura pris soin de dire: Cela
vous prend un écrit, une donation. Donc, il faudrait qu'on lise quelque
chose qui dirait: À moins que la loi ne l'exprime...
Une voix: Expressément.
M. Gilbert: Oui, ne le dise expressément, et
ensuite...
M. Rémillard: Si je vous comprends bien, on pourrait
laisser tomber le 1000 $, mais il y a toujours la possibilité que, dans
une loi particulière ou sur un aspect particulier, le législateur
restreigne en fonction d'un plafond qu'il voudrait établir. C'est ce que
vous nous dites?
M. Nadeau: II peut imposer un contexte, il peut imposer un
écrit, par exemple, dans certains cas de contrat ou de donation, peu
importe, et il pourrait aussi, dans d'autres cas, par une loi
particulière, décider qu'il y a un plafond.
M. Rémillard: Mais, dans le cas de 3047, on pourrait
laisser tomber les 1000 $.
M. Nadeau: Quant à moi, oui, et je pense qu'on est tous
d'accord avec ça.
M. Rémillard: Une tout autre question, M. le
Président.
Le Président (M. Dauphin): Oui, M. le ministre.
M. Rémillard: Concernant les preuves par ouï-dire,
aux articles 3024 et 3025, est-ce que vous croyez que ces dispositions sont
suffisamment larges pour nous permettre de solutionner les problèmes
reliés au témoignage d'enfants? Ma question est: Est-ce qu'il
serait préférable, selon vous, de prévoir que le tribunal
puisse créer d'autres dérogations qui seraient fondées sur
des critères qui permettraient d'établir qu'une
déclaration est digne de foi ou non? Est-ce qu'on pourrait aller encore
plus loin?
M. Nadeau: Nous en avons discuté à quelques
reprises, lors des rencontres de notre comité sur ce sujet. Je pense
qu'il faut, sauf erreur - à ce sujet, peut-être que Me Vadboncoeur
qui y a participé vous fera des commentaires - faire une distinction
entre la recevabilité du ouï-dire, telle que définie dans le
projet de loi et qui s'applique à tout le monde, et la
recevabilité du ouï-dire dans le cas du problème très
particulier que représentent les témoignages d'enfants. Dans ce
cas, je pense que voilà une situation tout à fait exceptionnelle
où il est évident - et je pense qu'on en a de plus en plus la
démonstration avec les litiges devant les tribunaux - qu'on ne saurait
placer des enfants dans une situation où ils devraient subir un
contre-interrogatoire de procureurs qui, évidemment, pourraient
réussir assez facilement à les mettre en contradiction avec
eux-mêmes et à annihiler, à toutes fins utiles,
l'élément de preuve important qu'on doit aller chercher dans la
candeur de l'enfant. S'il est soumis à un barrage de questions, il est
évident qu'on peut
faire dire n'importe quoi à un enfant, pour ou contre à
peu près n'importe quoi et n'importe qui, et dans n'importe quelle
situation.
Nous pensons que le législateur doit permettre, dans ce domaine,
une grande ouverture à la preuve par ouï-dire, justement pour
éviter que ne soient brimés des enfants et pour essayer de
permettre aux tribunaux d'aller chercher ce qu'ils doivent rechercher,
c'est-à-dire la vérité, ce qui s'est vraiment
passé.
Toutefois, dans le cas de la preuve faite de façon ordinaire
devant les tribunaux, nous pensons que l'introduction de moyens permettant de
se fonder sur le ouï-dire, c'est-à-dire de la permission qui semble
être faite de produire des déclarations d'une personne sans que
cette personne soit présente pour être contre-inter-rogée,
risque de nous placer dans une situation extrêmement compliquée
devant les tribunaux. Il faudra certes faire la démonstration, dans
certains cas, que la personne, l'auteur du document qui n'est pas là n'y
est pas pour des raisons très graves, très valables, très
importantes. Mais il est facile de croire que, dans peu de temps, il y aura
toujours de bonnes raisons. (11 h 30)
L'exemple classique pour ceux qui, comme moi, plaident très
régulièrement devant les tribunaux, c'est d'arriver devant la
cour et de dire: Écoutez, mon client est parti en Floride. Je ne suis
pas pour lui demander de revenir pour ce procès, et vous ne voulez pas
me donner une remise. Dans ce cas, permettez-moi de produire comme
témoignage une déclaration que j'ai prise de lui ou qu'il m'a
envoyée de la Floride.
Cela risque de nous placer dans une situation extrêmement
pénible, surtout si on est de la partie adverse, parce que rendez-vous
compte que, bien des fois, le témoignage écrit d'une personne
sera coloré, alors que, s'il est soumis à un
contre-interrogatoire, on peut obtenir non seulement des précisions,
mais bien plus souvent des contradictions, et on peut détruire, à
toutes fins utiles, la force probante de ce témoignage.
Ce qu'on essaie d'introduire ici, vraiment, c'est-à-dire la
preuve dans certaines circonstances de déclarations, pour faire foi non
pas de la déclaration mais du contenu de la déclaration, c'est
très dangereux, pour autant que nous soyons concernés. Il est
bien beau de donner au tribunal un pouvoir décisionnel et un pouvoir
d'appréciation de la qualité de la preuve écrite qui
serait faite devant lui, mais je pense que c'est priver les autres parties d'un
moyen fondamental, le contre-interrogatoire. Nous pensons que vous êtes
allés trop loin dans l'ouverture de la possibilité d'introduire
des preuves par ouï-dire et nous avons d'ailleurs fait des remarques en ce
sens dans notre rapport. Selon nous, c'est aller trop loin.
Dans le cas des enfants, j'admets que nous sommes tous d'accord sur le
fait qu'il doit y avoir un régime spécial. Il est trop important
que l'on puisse obtenir la vérité dans les cas de
problèmes d'enfants pour ne pas passer à côté de
l'interdiction du ouï-dire.
Mme Vadboncoeur: Si vous me le permettez, M. le
Président.
Le Président (M. Dauphin): Oui, Me Vadboncoeur.
Mme Vadboncoeur: En ce qui concerne le témoignage des
enfants, M. le ministre, j'aurais une petite précision à vous
apporter. Le Barreau est censé présenter son mémoire au
ministère d'ici trois semaines environ, un mémoire assez
volumineux, mais, sur cet aspect précis, je sais que la position du
Barreau telle qu'elle sera présentée au comité
administratif est en ce sens que les déclarations antérieures
prévues à l'article 3025 ne seraient admissibles - toujours en
matière de protection de la jeunesse - que si l'enfant témoigne
lui-même. C'est le principe général. S'il ne
témoigne pas, ces déclarations antérieures ne seraient
admissibles que dans les cas d'abus sexuel. C'est donc dans un cas vraiment
précis que les déclarations antérieures seraient
admissibles même si l'enfant ne témoigne pas. Même à
l'intérieur de cette exception de l'abus sexuel, il y a des
catégories d'âge qui seront explicitées dans le
mémoire du Barreau; entre autres, si l'enfant a sept ans et plus, il est
possible que cet enfant ne témoigne pas s'il subit un préjudice
psychologique ou autre en venant témoigner. Dans ce cas, et toujours en
cas d'abus sexuel, ces déclarations antérieures pourraient
être admissibles. C'est une petite précision que je voulais
apporter en ce qui concerne les déclarations antérieures de
l'article 3025.
M. Rémillard: Me Vadboncoeur, quand vous pariez de votre
mémoire qu'on aura dans trois semaines ou un mois, vous vous
référez à la Loi sur la protection de la jeunesse.
Mme Vadboncoeur: C'est cela.
M. Rémillard: Cela va comprendre aussi...
Mme Vadboncoeur: Pour une partie, mais c'est plus vaste que
ça, parce que, dans les amendements que vous suggérez à la
Loi sur la protection de la jeunesse, il y a toutes les déclarations
antérieures. C'est calqué un peu sur l'avant-projet sur la
preuve. Le Barreau a déjà été appelé
à donner ses commentaires là-dessus, mais, étant
donné qu'on avait un groupe de travail sur le témoignage des
enfants en général, le mémoire sera beaucoup plus vaste
que le simple témoignage des enfants devant le Tribunal de la jeunesse.
Cela pourrait aussi être en Cour supérieure, par exemple, dans le
cadre d'une procédure en divorce ou en séparation de corps, ou
autrement.
M. Rémillard: J'ai hâte de lire ce mémoire.
Je vous remercie.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre.
Permettez-moi d'excuser tout d'abord le porte-parole de l'Opposition qui a
dû nous quitter momentanément pour raison politique. Je
demanderais à l'expert retenu par l'Opposition, Me Gariépy, s'il
a des questions à poser à nos invités.
M. Gariépy (Pierre): J'ai une question à poser qui
porte sur l'enregistrement informatisé, notamment sur l'article 3016.
Aux pages 18 et 19 de votre mémoire, celui portant sur la preuve, vous
arrivez à la conclusion que, compte tenu de l'article 3016, cela
rendrait le moyen de preuve qu'est l'enregistrement informatisé,
à toutes fins, inutile. Vous dites que "nul support informatique n'est
à l'abri des altérations". Je trouve votre remarque troublante et
j'aimerais vous demander si vous avez des suggestions à faire au sujet
du texte de l'article 3016 pour rendre ce moyen de preuve plus disponible, en
tenant compte aussi du fait qu'il faut que le système informatique soit,
d'une certaine façon, à l'abri des altérations pour
protéger l'autre partie. Est-ce que, par exemple, à la fin de
l'article 3016, les mots "sont suffisamment protégés contre toute
altération", pourraient répondre à vos
appréhensions?
M. Nadeau: Vous constatez et nous avons constaté aussi
à la lecture de l'article 3016 que, bien que le législateur nous
propose là un moyen qui aurait pour but de faciliter l'obtention de
certaines preuves, à savoir les preuves par enregistrement
mécanique, il y a un problème considérable qu'on est en
train de vivre de plus en plus de nos jours, c'est-à-dire non seulement
la falsification mais la pénétration dans ces systèmes et
l'utilisation de certaines des données. Est-ce qu'on se rendra un jour -
et je présume que cela existe déjà, mais je ne suis pas
tellement familier avec tout ce qui s'appelle ordinateur - est-ce qu'on pourra
un jour entrer et changer des données? Vraisemblablement. Ce moyen
devrait être permis, je pense, mais avec certaine réserve, et la
réserve... C'est la question qu'on se pose, si vous lisez la fin de
notre commentaire. La question qu'on se pose c'est: est-ce qu'il faudra que
chaque fois, celui qui désire utiliser ce moyen de preuve fasse la
démonstration qu'il n'a pas été altéré ou
qu'il n'a pas été piraté, entre guillemets, ou est-ce que
l'obligation de semer le doute reposera plutôt sur les épaules de
la partie adverse qui devrait dire: Ce moyen-là, en principe, c'est vrai
mais, par contre, dans tel autre cas il y a eu altération, donc, je
conteste l'utilisation de ce moyen de preuve, et, à ce moment-là,
provoquer peut-être un revirement du fardeau? Je ne le sais pas. Il est
souhaitable de pouvoir l'utiliser. La question qu'on se pose - et on n'a pas de
réponse - c'est comment protéger les parties - pas seulement
celui qui l'utilise mais les parties et la cour éventuellement - contre
des falsifications, contre un trafiquage? Ce n'est pas facile. On n'a pas de
réponse et je présume que vous n'en avez pas plus que nous. Il va
falloir, je pense, trouver une façon. Que sera-t-elle? Je n'en ai aucune
idée, mais il va falloir trouver une façon. C'est souhaitable de
l'avoir, mais il faut faire attention parce que cela risque de causer des
préjudices graves et aux tribunaux et à ceux qui veulent utiliser
ce moyen.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Me Nadeau. Mme la
députée de Groulx, je crois, m'avait demandé la
parole.
Mme Bleau: Oui, c'est au sujet de l'article 3456, l'adoption
internationale. Je pense que les parents québécois qui veulent
adopter des enfants doivent de plus en plus aller à l'étranger,
parce que, ici, c'est beaucoup plus long et plus difficile. Vous
suggérez une modification qui vise à faire en sorte que l'enfant
ne soit pas privé d'avantages qui lui seraient reconnus par son pays.
Pourriez-vous me donner un exemple de ce à quoi vous pensez quand vous
suggérez cela?
M. Glenn: C'est qu'on ne sait pas trop bien parce qu'il
s'agirait, dans chaque cas, d'un texte d'un pays étranger qui pourrait
accorder à l'enfant un bénéfice qui ne correspondrait pas
aux bénéfices qui sont reconnus, par exemple, en droit
québécois. Alors, l'enfant originaire d'un pays du tiers monde,
qui serait adopté par un couple québécois aurait les
effets d'adoption reconnus par le droit québécois, mais on a
entendu des représentations très vigoureuses qui disaient qu'en
donnant des bénéfices reconnus par le droit
québécois on ne devrait pas priver cet enfant, en cas de besoin,
de ce qui est reconnu à son bénéfice par son droit
domiciliaire d'origine. Cela pourrait être une succession,
éventuellement, au cas où les bénéfices
successoraux ne sont pas coupés par une adoption dans un autre pays.
Cela pourrait être certains autres bénéfices en
matière de statut personnel, en matière de l'emploi du nom. On ne
sait pas trop bien parce qu'on ne peut pas faire un catalogue de tous les
effets de l'enfance qui sont reconnus dans ces autres pays, mais on craint
qu'en disant que ce ne sont que les effets de la loi de son nouveau domicile on
cause un préjudice à l'enfant. On pense qu'il n'est pas
nécessaire d'être aussi strict en définissant qu'une seule
loi est applicable.
Mme Bleau: Je pense que votre exemple est très...
Mme Vadboncoeur: Si vous me permettez un complément de
réponse, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Oui.
Mme Vadboncoeur: On voulait aussi reconnaître par cela la
possibilité d'une adoption simple. Par exemple, si le pays d'origine
maintient malgré le jugement d'adoption d'ici un lien de filiation avec
les parents d'origine, ce qui amène certains effets forcément, on
ne voulait pas que la loi québécoise empêche cet enfant de
profiter des droits qui découleraient du maintien du lien de filiation
dans son pays d'origine.
Mme Bleau: Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Dauphin): Merci Me Vadboncoeur. M. le
ministre, en conclusion.
M. Rémillard: En conclusion, M. le Président, je
vais d'abord remercier M. le bâtonnier, Mme la professeure Cantin-Cumyn,
M. le professeur Glenn, M. Nadeau et Mme Vadboncoeur pour leur participation
à cette commission parlementaire, ce matin. Je crois que le
mémoire du Barreau, comme à l'accoutumée, est un
mémoire fort pertinent qui soulève des points très
importants. Je crois que nous avons fait le tour des principaux points qu'a
soulevés le Barreau. Je retiens, pour ma part, les recommandations en ce
qui regarde les éléments de preuve et les éléments
de prescription. Quant à toutes les recommandations concernant le droit
international privé, nous allons les étudier. C'est un rapport
que nous venons d'avoir. Donc, nous allons l'étudier très
attentivement et, si on avait des questions, peut-être que M. le
bâtonnier nous permettra de communiquer avec le Barreau pour en discuter
plus avant, dans les prochains jours, et pour voir si nous pouvons comprendre
la réelle portée de vos remarques dans ce rapport.
M. le Président, je voudrais donc remercier le Barreau pour sa
participation particulièrement importante de ce matin.
Le Président (M. Dauphin): Et au nom de tous les autres
membres de la commission, félicitations au Barreau du Québec pour
la qualité de son mémoire.
M. Gilbert: Je peux vous assurer, M. le ministre de la Justice,
puisque l'occasion m'en est donnée, de toute la collaboration du Barreau
pour ce monumental travail qui reste à accomplir et vous assurer de la
préparation de toute la communauté juridique du Québec
afin qu'elle soit prête à affronter la date fatidique quelle
qu'elle soit. Merci.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup. Nous allons
suspendre une ou deux minutes pour recevoir ensuite la Chambre des notaires du
Québec.
(Suspension de la séance à à 11 h 43)
(Reprise à 11 h 52)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! Nous poursuivons nos auditions avec les représentants de la
Chambre des notaires du Québec. Le président de la Chambre des
notaires, Me Jean Lambert, est parmi nous, au centre de la table des
invités. Sans plus tarder je lui demanderai de nous présenter les
personnes qui l'accompagnent et de nous faire également la
présentation de son mémoire. Avant, toutefois, les membres de
cette commission me permettront de procéder au dépôt de
deux mémoires, celui de l'Association de la construction de
Montréal et du Québec, sous la cote 6M, et celui du Conseil
interprofessionnel du Québec, sous la cote 2M. Je crois comprendre que
Me Lambert a été également chargé par le Conseil
interprofessionnel du Québec de répondre aux questions, s'il y a
lieu, sur ce mémoire. À ce moment-ci, nous allons
considérer que ces deux mémoires sont déposés et
nous allons passer immédiatement à la présentation du
mémoire de la Chambre des notaires du Québec.
Chambre des notaires du Québec et Conseil
interprofessionnel du Québec
M. Lambert (Jean): Merci, M. le Président. Avec votre
autorisation, avant de faire la présentation des gens qui
m'accompagnent, je vais disposer rapidement du mémoire du Conseil
interprofessionnel du Québec, pour être pratique et efficace, et
pour respecter le temps précieux des membres de cette commission. Vu que
j'appartiens au comité administratif du Conseil interprofessionnel, j'ai
eu mandat de déposer officiellement - ce qui a été fait
à l'instant, je vous en remercie - ce court mémoire qui touche
surtout l'article 3106 en matière de prescription concernant les
services professionnels. C'est ce qui intéressait le conseil.
L'observation principale de ce mémoire porte sur le libellé de
l'article 3106 qui, à la fin, semble créer une certaine
confusion. Je reprends textuellement le mémoire, parce que c'est court
et succinct: "Le conseil désire souligner que, dans le libellé de
cet article, les mots "mais dans ce cas" de la cinquième ligne peuvent
donner l'impression que la déchéance du droit d'action ne
s'appliquerait que lorsqu'il y a manifestation graduelle d'un préjudice.
Lorsque la manifestation serait subite, la déchéance du droit
d'action ne s'appliquerait pas." Or, un préjudice peut se manifester
subitement après plusieurs années. Nous sommes assurés que
le législateur voudrait prévoir cette éventualité.
Le conseil suggère une nouvelle rédaction de l'article, qui fait
tout simplement disparaître les mots "mais dans ce cas" et la phrase
précédente se terminerait par un point (.) après les mots
"pour la première fois". L'affirmation de la déchéance ne
serait donc pas liée à ce cas; il y aurait
déchéance du droit d'action lorsqu'il se serait
écoulé dix ans depuis le fait
qui a causé le dommage.
Quant aux règles de la prescription trentenaire, le conseil est
d'accord qu'il y a lieu de revenir et d'avoir un délai plus court. Le
conseil se dit d'accord en général avec les périodes
prévues. À la toute fin, il fait toutefois une exception
concernant les notaires. Nous y reviendrons tantôt. Voilà, M. le
Président, succinctement présenté le mémoire du
Conseil interprofessionnel du Québec.
Le Président (M. Filion): Avez-vous des questions à
poser, M. le ministre?
M. Rémillard: Nous reviendrons, si vous voulez, un peu
plus tard, M. le Président.
Le Président (M. Filion): D'accord. Je vous remercie.
M. Lambert: M. le Président, il me fait plaisir de vous
présenter les membres de la délégation de la Chambre des
notaires, les personnes qui ont bien voulu m'accompagner ce matin pour cette
dernière présentation officielle en commission parlementaire sur
ce qu'on appelle, dans notre jargon, notre monument législatif,
c'est-à-dire notre Code civil.
Tout d'abord, à ma droite immédiate, le notaire Julien
Mackay, directeur du Service de la recherche à la Chambre des notaires,
service ou direction qui est responsable du comité de législation
qui a produit les différents mémoires au cours des
dernières années. À mon extrémité droite, le
notaire Chantai Roberge, qui a participé particulièrement aux
travaux de l'actuel mémoire dont nous allons discuter à
l'instant; à ma gauche immédiate, Me Laurence Charest, juriste au
Service de la recherche de la Chambre des notaires et coordonnatrice des
travaux de ce mémoire et de quelques autres antérieurement, puis
enfin, à l'extrémité droite pour vous de la table,
à mon extrême gauche, le notaire Jeffrey Talpis, qui a
participé au volet "Droit international privé". Je dois toutefois
préciser, M. le Président, que ce ne sont pas tous les points mis
de l'avant par le notaire Talpis qui ont été retenus par la
chambre et sur certains points, nous nous sommes permis d'avoir une opinion
divergente. Cela paraîtra probablement tantôt dans les
commentaires. Je tenais à clarifier cette situation. Voilà pour
la présentation des membres de cette délégation.
Je voudrais d'abord vous assurer, M. le Président, que nous
allons tenir compte d'arguments qui ont été
présentés par le Barreau du Québec qui nous
précédait et sur lesquels nous sommes entièrement
d'accord. Cela nous permettra de gagner un peu de temps, entre autres, en
matière de prescriptions acquisitives et extinctives, droit de
l'enregistrement, titres, etc. Il y a peut-être une particularité
que nous allons vous souligner. Donc, à ce moment-là, on pourra
gagner un peu de temps dans l'exposé de notre mémoire pour
essayer de respecter le temps.
Je voudrais profiter de l'occasion, M. le Président, puisque
c'est la dernière réunion que nous avons ensemble sur ce travail
laborieux et extrêmement dynamique de révision de notre Code
civil, pour remercier et féliciter les parlementaires qui ont
participé à l'exercice et les légistes du ministère
de la Justice qui ont travaillé à la rédaction des
nombreux avant-projets de loi et, surtout, pour le travail qui leur restera
à faire de décortiquer, d'analyser et d'intégrer les
commentaires et les observations de tous les intervenants.
Je voudrais également souligner, au passage, parce que je pense
qu'il se doit - on ne le fait peut-être pas assez - le rôle de
l'Office de révision du Code civil qui, de 1966 à 1977, a
réquisitionné les cerveaux de quelque 150 juristes pour produire
un document qui sert de base aux travaux des légistes et de cette
commission depuis de nombreuses années. Je pense qu'il convenait de le
dire.
Un dernier point d'ordre général. Depuis un an et demi, je
ne crois pas qu'il y en ait beaucoup au Québec à qui il a
été donné de circuler un peu partout sur le territoire et
de prononcer des conférences sur le nouveau Code civil, ce que j'ai eu
l'honneur et le grand plaisir de faire, ce qui m'amène à faire
une courte observation sur la réaction de la population du
Québec, enfin, les segments que j'ai rencontrés. Mais cela nous
donne quand même une bonne idée.
Nous aurons, en tant que juristes - là, c'est toute la
collectivité - un travail d'information important à faire
auprès de la population. On sait que le défi est grand pour la
communauté juridique. Le ministre de la Justice en a parlé en
ouverture ce matin et il en a parlé dans ses propos d'ouverture des
travaux de cette commission, il y a quelques jours. Mais il y a aussi la
population.
Je puis vous dire, M. le Président, qu'en général,
les gens sont assez étonnés d'apprendre que le gouvernement est
en train de toucher aux droits civils. La plupart du temps, on a des
réactions ambiguës ou interrogatives. Donc, il ne faudra pas
mesurer l'importance que l'on doit consacrer, après l'adoption du code,
à l'effort d'information du grand public, de la population qui, dans le
fond, vivra ce code.
Nous avons déjà mentionné, lors de nos comparutions
antérieures devant cette commission, que nous avions noté une
tendance à la judiciarisation dans la confection de ce code, tendance
contre laquelle nous nous sommes inscrits d'une façon ferme et qui,
encore une fois, sera peut-être levée. C'est peut-être moins
évident dans le chapitre que nous avons à étudier
aujourd'hui. Mais, quand même, ça demeure la ligne directrice de
notre intervention à cet égard. Il faut donc, à notre
avis, déjudiciariser et décompliquer le droit.
À cet égard, j'aimerais souligner qu'il nous
a été donné, il y a quelque temps, de
vérifier, dans un cas très concret, celui du changement de
régime matrimonial, l'impact immédiat de la
déjudiciarisation, c'est-à-dire lorsqu'on écarte
l'intervention du tribunal qui est, par ailleurs, généralement
superflue ou inutile. De 1970 à 1980, 1970 étant l'année
où a été introduite cette possibilité de modifier
après mariage ces conventions matrimoniales, il n'y en a pas eu plus de
300 et c'est en 1980 que ce nombre maximum a été atteint; en
1981: 925 et en 1982: 1500 et ainsi de suite les années suivantes. On
voit nettement le phénomène qui s'exprime en chiffres. Les
couples, les conjoints, se sont prévalus de cette procédure en
nombre infiniment plus nombreux, au moins de cinq à six fois le nombre
antérieur et ceci parce qu'on a déjudiciarisé la
procédure, on l'a rendue plus simple, plus accessible aux citoyens. Je
cite ces chiffres. J'ai d'ailleurs déposé, avec votre
autorisation M. le Président, quelques copies de ce petit document qui
compile ces données très factuelles du registre des
régimes matrimoniaux du gouvernement du Québec et qui montre donc
l'effet immédiat qu'apporte toute déjudiciarisation à une
mesure qui vise, par ailleurs, le quotidien et les droits des citoyens.
Je pense donc que ceci prouve qu'il faut aller dans cette tendance. Il
faut même, à l'occasion, faire preuve d'originalité et
penser qu'il existe autre chose que le tribunal pour ordonner les droits dans
notre société.
Puisque c'est la dernière fois, M. le Président, que nous
avons l'occasion de venir devant cette commission et comme l'institution
notariale est intimement liée à l'existence de notre droit civil
et à son caractère civiliste, vous me permettrez quelques minutes
pour à nouveau, puisqu'on sent fort bien qu'on a toujours le fardeau de
la preuve d'avoir à expliquer l'existence de notre profession non pas
à l'extérieur du Québec mais bien à
l'intérieur du Québec, donc d'insister à nouveau sur
certains points que nous croyons Important de souligner aux membres de cette
commission parlementaire qui décideront tantôt de la facture
finale de notre Code civil.
Le notariat, c'est, M. le Président, l'expression la plus visible
du caractère distinctif du Québec. En effet, de l'eau, des grands
espaces, de l'électricité, la langue française, du droit
en français, tout cela existe ailleurs au Canada. La seule et
authentique chose distincte du Québec, c'est le droit civil et son
expression visible, le notariat; cela, il n'y en a pas nulle part ailleurs au
Canada. On se pose la question lorsqu'on regarde les différents
documents, les travaux concernant le Code civil, à savoir si
l'État du Québec cherche à utiliser cette institution qui
existe depuis plus de 300 ans. Une institution dont les membres sont partout
présents au Québec jusque dans le moindre petit village,
même là où il n'y a pas de médecin,
évidemment, les avocats étant, eux, concentrés autour des
chefs-lieux, autour des palais de justice. Est-ce qu'on utilise, est-ce qu'on
cherche vraiment à utiliser cette ressource de première ligne?
J'oserais dire, M. le Président, que les notaires sont les juristes du
droit accueillant. Je passe sous silence l'autre volet de la comparaison qu'on
pourrait faire, mais je pense que tout le monde la comprend bien.
Cela m'amène à la page 7 de notre mémoire où
on parle de l'officier public, le notaire, qui est un magistrat du domaine
contractuel, qui permet aux parties qui l'ont librement choisi de
dépasser le conflit immédiat des intérêts
opposés pour adhérer à un acte qui soit le point de
convergence de leur volonté. L'authenticité étant une
parcelle du pouvoir public, le Québec, société distincte,
doit se féliciter d'avoir à sa disposition l'acte authentique
à caractère privé en déléguant au notaire le
pouvoir d'authentification. L'État, d'une façon qui ne se
dément pas depuis plus de trois siècles, a voulu que l'arbitrage
des intérêts par un magistrat impartial puisse se faire au moment
même de l'établissement du contrat. C'est là le fondement
même de l'existence du notariat au Québec. Nous invitons les
légistes à utiliser cette institution. Nous nous sommes
d'ailleurs penchés sur la validité et l'utilité
économique de l'intervention du notaire. Pour être franc, M. le
Président, on s'est demandé un jour: Est-ce que le notariat n'est
qu'un anachronisme du passé, une survivance de nos anciens liens avec la
France, une institution qui ne serait plus moderne, qui ne correspondrait plus
à notre temps, qu'il faudrait peut-être, avec beaucoup de bonheur,
faire disparaître, englober, fusionner? Nous nous sommes
sérieusement posé la question. Nous avons d'ailleurs, au cours de
nos précédentes comparutions devant cette commission,
défendu l'aspect conceptuel de l'intervention du notaire. Au cours de la
dernière année, 1988, nous avons mandaté la firme SECOR de
procéder à une étude sur l'utilité
économique et sociale de l'acte authentique et de son prolongement
complet, ultime, la force exécutoire, et avec votre permission, M. le
Président, on a déposé une vingtaine de copies de ce
rapport pour le bénéfice de cette commission. Je vous en demande
officiellement l'autorisation.
Le Président (M. Filion): À ce stade-ci, je
voudrais faire part aux membres de la commission que j'accepte le
dépôt des documents suivants qui seront cotés
respectivement 1-D, 2-D et 3-D: 1-D, le tableau des changements de
régime matrimonial, auquel a fait allusion Me Lambert tout à
l'heure; 2-D, un article du Scientific American de mars 1989 et, 3-D,
l'étude de la firme SECOR à laquelle Me Lambert vient tout juste
de faire allusion. Ces documents vous seront distribués dans les
prochaines minutes, si ce n'est déjà fait. Excusez-moi, Me
Lambert, vous pouvez poursuivre.
M. Lambert: Aucun problème, M. le Président. C'est
d'ailleurs avec plaisir que je vois que
vous accédez à notre demande de déposer
officiellement ces documents.
Je n'ai malheureusement qu'une seule copie, que je déposerai avec
votre autorisation. Il s'agit du Bencher's Bulletin de janvier 1989 de
la Law Society of British Columbia. Ce sera une très courte citation, M.
le Président. La raison pour laquelle je présente ces propos
à la commission, c'est que vous êtes parfaitement au courant qu'en
matière de divorce, la loi fédérale a innové pour
permettre la requête conjointe des conjoints qui, par ailleurs,
décident sans autre conflit de divorcer, donc de présenter au
tribunal cette requête conjointe.
Le comité des normes de déontologie de la Law Society of
British Columbia vient d'interdire aux membres de la profession, donc aux
avocats de Colombie britannique, d'agir pour les deux conjoints dans ces
requêtes. D'autres Law Society au Canada s'apprêtent à faire
de même, si je me fie aux propos qui ont été tenus lors de
notre récente réunion de la Fédération des
professions juridiques du Canada à Banff, il y a quinze jours. La raison
pour laquelle je le mentionne, c'est pour faire ressortir cette
différence qui existe entre un système juridique qui ne
prévoit que l'approche adversaire au droit. Or, le Barreau de Colombie
britannique fait preuve d'une très grande cohérence quand il
interdit à ses membres de se placer dans une situation contraire au
principe même du système adversaire. Cela pour dire que le
Québec a infiniment plus de possibilités avec son système
de droit, puisque notre système de droit reconnaît cet officier
public original qu'est le notaire, juriste de formation qui, par son devoir de
conseil et son obligation d'impartialité, peut intervenir d'une
façon originale dans l'application des principes du droit.
À nouveau, c'est pour dire: Pourquoi ne pas utiliser davantage
cette formule j'ose dire gagnante et éprouvée? Cela
m'amène, en conclusion de cette introduction, à dire ceci: Dans
le domaine des actes juridiques - je suis à la page 11 de notre
mémoire - l'acte notarié, à cause de son excellence et de
son incontestabilité, demeure une clé du droit substantiel
privé. Il est l'instrument privilégié pour exprimer la
convention des parties, la préciser, la parachever dans un tout
où l'acte juridique et l'écrit qui le constatent se trouvent
indissociablement réunis. (12 h 15)
L'étude de SECOR qui vous a été
présentée et qui a été officiellement
déposée avait donc pour but de vérifier s'il y avait un
avantage à l'existence de l'acte authentique au Québec,
écrit qui fait preuve de son contenu à sa face même.
Effectivement, vous retrouvez un avantage dans cette étude. On l'a,
à cause des ressources énormes que cette étude demandait
limité au contentieux hypothécaire pour l'aspect
économique et à la procuration ou mandat en matière ou
dans son aspect social.
En ce qui concerne le contentieux hypothécaire, l'étude a
été menée dans un premier temps avec un groupe de jeunes
juristes à Toronto qui, au cours de l'été dernier, ont
épluché systématiquement des dizaines de milliers de
dossiers pour connaître et quantifier la judiciarisation que le
marché hypothécaire pouvait connaître dans un
système de droit différent du nôtre et, en
équivalent, de jeunes juristes ont fait la même chose sur le plan
du plumitif du district judiciaire de Montréal, ce qui nous a permis
donc de recueillir des données fort intéressantes. On peut dire
ceci, parce qu'il faut procéder rapidement, M. le Président: deux
points rapides, pour dire que l'étude a prouvé, toute
donnée étant pondérée et compensée, qu'il y
a deux fois et demie plus de judiciarisation, plus de conflits dans le domaine
hypothécaire en Ontario, disons à Toronto pour être plus
précis, qu'à Montréal, pour un marché donné
équivalent.
Le deuxième point que l'étude fait ressortir - et
là, nous avons mis en situation le cas du recouvrement d'une
sûreté de 60 000 $, donc un cas relativement fréquent et
usuel - est les coûts qu'entraînerait la réalisation de la
garantie pour un créancier dans le cas de la dation en paiement actuel,
dans le cas du recours hypothécaire actuel, donc du Code civil du
Bas-Canada. Vous avez aux pages 16 et 17 de cette étude les
résultats qui entraînent des délais de 10 à 19 mois
dans le cas de la dation en paiement, de 12 à 20 mois dans le cas de
l'action hypothécaire et des déboursés ou des manques a
gagner variant entre 11 200 $ et 18 000 $ dans le cas de la dation en paiement
et de 15 000 $ à 21 925 $ dans le cas du recours hypothécaire. Et
nous sommes allés dans les hypothèses du nouveau droit,
c'est-à-dire le délaissement et la prise en paiement d'une part
et la vente sous contrôle de justice. Nous en sommes arrivés
à ceci: dans le cas du délaissement et de la prise en paiement,
les délais varieront de 11 à 20 mois pour réaliser cette
garantie, entraînant des coûts économiques variant de 12 285
$ à 20 050 $, toujours pour la prise en paiement, et dans le cas de la
vente sous contrôle de justice, un délai de 14 à 22 mois
pour des coûts économiques variant de pratiquement 17 000 $
à 23 595 $.
Lorsque le ministre de la Justice parle de l'accès à la
justice pour le plus grand nombre, je pense que ces chiffres commencent
à être fort intéressants, d'autant plus qu'on tient compte
maintenant du nouveau droit qui demande qu'il y ait reddition de comptes et
remise de l'excédent du produit de la réalisation au
débiteur. On voit donc que plusieurs, y compris le consommateur, sont
fort intéressés à ce que ces coûts soient beaucoup
moindres. Vous trouvez à la page 20 de ce document la mise en situation
de l'hypothèque exécutoire où on voit que la
réalisation se fera à l'intérieur d'un délai de
cinq à neuf mois pour des coûts totaux économiques de 5500
$ à 8800 $. On voit donc tout l'avantage qu'il y a de recourir à
cette formule déjudiciarisée de
recouvrement et de réalisation des sûretés.
C'était, en gros, ce qu'on voulait mettre de l'avant par cette
étude. Dans le fond, on réalisait que l'intervention du notaire,
ce juriste original, est non seulement bonne sur le plan des concepts, mais
socialement et économiquement également. Les chiffres sont
éloquents et prouvent qu'il y a avantage à se servir de
l'institution notariale.
Sur le plan international - et le Québec est très sensible
à cette dimension, M. le Président - qu'il me soit permis de
mentionner que le notariat du Québec est l'un des fondateurs de l'Union
internationale du notariat latin, que dans quelques semaines le
président de l'union sera un Québécois qui a reçu
de la Chambre des notaires - qui, par ailleurs, et ce sont des sommes assez
importantes, défraiera le coût de cette présidence pour les
trois prochaines années -mandat d'établir un comité pour
permettre d'étudier la sécurité que les notaires peuvent
apporter aux échanges de propos ou accords électroniques
instantanés sur une base transcontinentale. Juste pour simplifier et
préciser davantage ce qu'on veut dire: on placerait à chaque
terminal d'une conversation électronique ou d'un échange de
propos électronique cet officier public qui, par l'échange de ces
codes, ouvrirait la conversation et la terminerait par l'échange des
codes. Les documents d'imprimantes auraient un caractère
semi-authentique.
Par ailleurs, les notaires garantiraient à chacune des parties
l'identité de la personne qui utilise ce terminal, les pouvoirs de cette
personne de lier l'entreprise, confirmeraient l'existence des cautionnements
financiers nécessaires ou encore les dépôts des sommes
nécessaires à l'exécution de l'entente dans les
institutions financières. L'autre mandat que le prochain
président a reçu de notre part est de voir également
à la mise sur pied, par et sous la responsabilité de l'union
internationale, d'un tableau international de l'Ordre qui tiendrait à
jour donc, le droit et l'appartenance à la profession de tous les
notaires membres de l'union. Il y a maintenant 43 ou 44 pays si je compte les
deux prochains, les pays d'Afrique, qui vont entrer en mai prochain.
Le notariat du Québec est impliqué aussi sur la
scène internationale, M. le Président. Je glisse rapidement pour
vous dire qu'il y a déjà plusieurs années, nous avons
été sans doute le premier groupe de juristes privés du
Canada à être invité en Chine. Par ailleurs, nos contacts
avec nos confrères français nous permettent de croire que nous
parviendrons, dans quelque temps, à faire reconnaître la
validité des actes notariés du Québec en France, donc par
toute la Communauté économique européenne, ce qui
permettrait d'offrir ici au Québec un service juridique tout à
fait distinct qui pourrait faire, j'en suis convaincu, progresser cette notion
de Suisse juridique de l'Amérique du Nord.
Si nous en arrivons maintenant, M. le Président, aux points
précis de notre mémoire, aux pages 13 et suivantes, nous
discutons des propositions concernant l'écrit sous seing privé.
Je glisse rapidement sur notre mémoire, M. le Président, puisque,
ayant été déposé il y a quelque temps, j'imagine
que les membres de cette commission en ont pris connaissance et nous voulons
nous accorder le maximum de temps à répondre à vos
questions. Simplement vous souligner, M. le Président, notre
désaccord avec la proposition voulant que la preuve d'une simple
signature remporte la preuve du contenu de l'acte. On ne trouve aucune
justification à l'élévation de l'écrit sous seing
privé à ce degré de force probante, opinion d'ailleurs
appuyée entre autres par François Aquin et Léo
Ducharme.
Au chapitre de l'élément matériel, bien que nous
reconnaissions qu'il faille maintenant faire droit à de nouveaux moyens
de preuve, nous nous sommes interrogés sur la situation un peu curieuse
qui pourrait se produire, et ça a déjà été
entamé comme discussion plus tôt dans cette journée, de
deux personnes qui auraient pu faire l'objet d'un enregistrement alors qu'elles
échangeaient des propos sur une convention. L'enregistrement serait
reçu comme preuve ou début de preuve alors que ces deux personnes
ne pourraient être appelées à témoigner. On a
trouvé ça assez curieux. L'enregistrement serait admis, mais les
deux personnes elles-mêmes ne seraient pas admises à venir
témoigner lorsque l'enjeu excéderait 1000 $. On vous laisse cette
question. On vous a souligné avoir trouvé ça un peu
curieux. Concernant les enregistrements informatisés, M. le
Président, nous avons formulé des commentaires selon l'une ou
l'autre des hypothèses d'interprétation possibles. Selon la
première interprétation, celle de la reproduction des actes, nous
nous sommes interrogés sur l'intention réelle des légistes
qui a présidé à la rédaction de cet article. Si
l'on veut faire dire à cet article que l'enregistrement de
données par la suite amènera la preuve du contenu ou impliquera
la preuve du contenu de l'acte, ce qui nous amènerait dans la curieuse
situation voulant que, une fois les données inscrites au registre par
sommaire, on pourrait tout simplement déchirer l'acte de la convention,
puisque le registre et ses données feraient preuve du contenu de l'acte.
Ce n'est sûrement pas ce que les légistes ont voulu et cela nous a
amenés à la deuxième des hypothèses dont on a
discuté, je pense, à l'occasion de la présentation du
mémoire du mouvement Desjardins.
Ici aussi nous sommes conscients qu'il s'agit d'un nouveau domaine,
lorsqu'on parle de signature informatisée ou de signature
électronique. Nous n'avons malheureusement pas eu la prétention
de vous présenter une solution, même si nous aurions aimé
le faire. Ce domaine étant fort nouveau, voilà un cas où,
un peu à notre corps défendant, on a laissé large voie
à l'interprétation judiciaire pour l'avenir.
Concernant la prescription, je glisse très rapidement, M. le
Président, puisque nous sommes tout à fait d'accord avec les
propos tenus par la professeure Cantin-Cumyn ce matin, à cette seule
différence que pour la reconnaissance de la situation de fait, donc de
la possession, nous croyons qu'il y a lieu de déjudiciariser, donc de ne
pas faire intervenir le tribunal, à moins qu'il n'y ait contestation. En
d'autres termes, le notaire pourrait dresser un certificat de
propriété attestant de l'écoulement du temps de la
possession et s'il y avait prescription contre un propriétaire connu ou
qu'on pourrait connaître, il y aurait obligation, à ce
moment-là, de publier un avis ou de signifier à
l'intéressé que ce certificat de propriété sera
déposé à l'enregistrement, s'il n'y a pas contestation de
sa part, après l'écoulement d'un délai, disons de 30
jours. Cela aurait l'avantage de déjudiciariser cette procédure
qui, dans les faits... On peut le dire, lorsqu'on présente à
plusieurs reprises de ces requêtes en déclaration judiciaire du
droit de propriété, les juges se demandent souvent quel est leur
rôle et on a souvent l'impression qu'on demande au tribunal d'être
un peu mécanique et automatique dans le traitement de ce genre de
requête. Alors, replaçons le tribunal là où il y a
lieu de le voir, c'est-à-dire lorsqu'il y a contestation, lorsqu'il y a
conflit de droits, mais non pas là où il n'y a pas de conflit et
de contestation.
Concernant le droit international privé, nous présentons
deux suggestions. Tout d'abord, au chapitre du droit successoral, nous
proposons que le critère de l'unité successorale soit retenu et
qu'en conséquence on abandonne la qualification mobilière et
immobilière qui, souvent, donne lieu à l'application de deux
droits nationaux différents pour le règlement d'une succession.
Nous croyons à l'indivisibilité de la succession, à son
unité, et nous proposons donc que le facteur de rattachement soit la loi
nationale du défunt ou la loi de son dernier domicile. Nous pourrons en
discuter, à ce moment-là, à la période de
questions. (12 h 30)
L'autre point que nous suggérons, c'est en matière de
régime matrimonial. Vous trouvez l'essentiel de cette suggestion
à la page 43 du mémoire. Le régime matrimonial dirigeant
la vie économique, juridique et sociale des époux comporte des
répercussions importantes à l'égard des tiers. Ce que nous
proposons c'est le volet suivant: lorsque des époux immigrent et
s'installent au Québec et que, par ailleurs, ces époux sont
gouvernés quant à leur régime matrimonial par le
régime légal de leur pays d'origine ou de leur pays de domicile
au moment de leur mariage, dans ce cas, automatiquement par le seul fait de
leur intention d'immigrer et de s'installer au Québec, qu'ils soient
gouvernés par le régime légal du Québec et que, par
convention, ils aient possibilité d'y déroger s'ils veulent
maintenir les règles de leur régime matrimonial original ou
initial. L'argumentation est étayée dans notre mémoire,
indiquant que cette proposition s'inscrit, dans le fond, dans le sens de
l'uniformisation du droit international privé dans la majorité
des pays du monde occidental.
Deux petits points, M. le Président, qui nous viennent de
présentations qui ont été faites devant cette commission
au cours des derniers jours. Tout d'abord, en ce qui concerne le mouvement
Desjardins, cette institution a demandé que la vente par le
créancier se voie dotée du même effet que de la vente en
justice, donc, au terme de l'article 3100. Nous croyons qu'il n'y a pas lieu
d'accéder à cette demande. Nous croyons que si les institutions
et les distinctions doivent avoir un sens, il faut garder cette distinction et
la vente sous autorité de justice devra avoir, évidemment, un
effet plus important que la vente par le créancier lui-même,
sinon, pourquoi ne pas faire qu'un seul recours si les effets sont les
mêmes? Alors, nous croyons à ce moment-là qu'il faut
maintenir la position de l'avant-projet de loi.
Ce matin, nous avons entendu de nos amis du Barreau telle chose qu'"un
acte reçu devant avocat". Je dois vous dire, M. le Président,
qu'en creusant mes méninges, je n'ai pas réussi à
comprendre la signification parce que utiliser le terme "devant", en tout cas
en droit, signifie comparution. On comparaît devant quelqu'un. Or, pour
comparaître devant quelqu'un, il faut que ce quelqu'un ait un statut
d'officier public quelconque. À ma connaissance, aucun des avocats comme
tels au Québec n'a ce statut d'officier public. Je ne parle pas de
l'avocat qui agit comme juge municipal, commissaire, enquêteur, etc. Nous
ne parlons pas de cela, nous parlons de l'avocat dans l'exercice de sa
profession, normalement. De sorte qu'il est difficile, sur le plan des
concepts, d'imaginer un acte reçu ou signé devant avocat.
D'ailleurs, on peut se poser la question: De quel avocat s'agit-il? De la
partie A, de la partie B ou d'un troisième choisi par les deux
premiers?
Ce que nous croyons, ce que nous avons cru déceler c'est, dans le
fond, l'accord du Barreau sur l'infinie supériorité de l'acte
authentique. Or, cette supériorité est justement
dépendante et intimement liée au caractère tout à
fait particulier de celui qui préside à son élaboration et
à sa confection. La citation que je vous donnais du Bencher's
Broughton de la Colombie britannique c'est que dans le système
adversaire, il ne peut y avoir telle chose qu'un juriste qui peut agir pour
l'ensemble des parties. Au plan des concepts, c'est absolument insoutenable. Ce
n'est possible que lorsque ce juriste, par ailleurs, reçoit de
l'État une délégation de la puissance de l'État lui
permettant de conférer l'authenticité. Or, M. le
Président, je suggère qu'il faut replacer les meubles à
leur place. La plaidoirie appartient aux avocats, mais l'authenticité
appartient à l'officier public notaire. Je pense que le
législateur devrait maintenir cette distinc-
tion qui a toujours été extrêmement favorable au
développement économique de notre société.
Voilà, M. le Président, les remarques que j'avais à
faire pour cette présentation. Nous avons réussi, je pense,
à respecter à peu près le temps. Nous sommes disponibles
pour répondre à vos questions.
Le Président (M. Filion): Je remercie Me Lambert.
J'inviterais le ministre à vous adresser ses premiers propos.
M. Rémillard: M. le Président, merci. Je vais tout
d'abord remercier Me Lambert, Me Charest, Me Mackay, Me Roberge et Me Talpis
d'être avec nous ce matin pour discuter de leur mémoire concernant
ce dernier volet de cette réforme de notre Code civil.
Me Lambert, vous avez insisté sur le fait que, ce matin, nous
travaillions au dernier volet de cette réforme de notre Code civil. Je
garde bonne note de vos remarques concernant cette nécessité
d'informer la population. Je me permettrai d'ajouter ceci: Oui, il faut
informer la population; il va aussi falloir informer nos praticiens, nos juges,
tous ceux qui sont impliqués dans l'exercice des professions juridiques,
qui sont aussi impliqués dans l'administration de la justice et qui
auront à travailler avec ce nouveau Code civil. La tâche est
importante, puisqu'il s'agit de plus de 3500 articles dans son ensemble. Comme
vous le savez, au ministère de la Justice, sous la direction du
sous-ministre, M. Chamberland, nous sommes déjà à l'oeuvre
et nous travaillons à établir une concertation avec les
différents intervenants pour que nous puissions nous mettre tous
à l'étude de ce Code civil tel qu'il sera réformé.
Vous mentionniez aussi que vous vous étiez posé beaucoup de
questions, même une question à savoir si le notariat
n'était pas une exception, un anachronisme dans notre système
juridique qui nous viendrait de notre héritage français. Pour ma
part, je dois vous dire que je considère le notariat comme un
élément original et dynamique de notre concept juridique global,
ici au Québec. Quand je vois les notaires agir avec autant de dynamisme
et prendre leur place dans notre société, en fonction de notre
droit et en fonction de son évolution... Je mentionne en particulier
l'implication de la Chambre des notaires, par vous-mêmes, dans, par
exemple, le centre d'arbitrage international et national qui est ici
établi à Québec et qui amène une dimension nouvelle
à notre droit. Ce sont des éléments qui portent à
croire que nous pouvons tous travailler ensemble dans cette réforme de
notre droit civil. Je vous remercie donc de ce mémoire que vous nous
avez fait parvenir, un mémoire qui s'inscrit très bien dans votre
tradition par sa pertinence et sa qualité.
Je voudrais vous poser tout d'abord une première question
concernant la preuve. Vous vous objectez à l'introduction dans notre
Code civil des règles qui sont relatives aux enregistre- ments
informatisés aux articles 3015 à 3017. Vous vous objectez aussi
à la reproduction de documents que nous retrouvons aux articles 3018
à 3021 et à la preuve matérielle que nous retrouvons aux
articles 3036 à 3038. Ma question est celle-ci: Est-ce que vous ne
trouvez pas aussi des avantages a réglementer ces sujets pour orienter
l'évolution de la pratique dans ces domaines qui sont des domaines en
grande évolution? Est-ce qu'il n'y aurait pas aussi un avantage à
réglementer ces domaines-là?
M. Lambert: II y aurait sûrement des avantages, M. le
ministre. Notre position s'est articulée autour de ce qu'on appelle le
reste des inconvénients. Nous avons vu qu'il y avait peut-être
plus d'inconvénients que d'avantages à utiliser ces formules.
Nous savons combien il est facile d'altérer les supports
magnétiques, les photocopies et tout cela. Non pas que ces documents ou
ces supports ne fassent pas partie de la vie quotidienne, nous en convenons,
mais nous croyons qu'il est peut-être encore trop tôt pour leur
donner une très grande force juridique.
Pour approfondir la réponse à votre question, je vais
demander au notaire Charest, qui a particulièrement travaillé ce
volet avec le professeur Ducharme, de vous donner les points précis qui
étayent cette position par rapport aux trois questions que vous avez
soulevées.
Mme Charest (Laurence): Tout d'abord, concernant les
enregistrements informatisés, on a l'article 3015. La lecture de cet
article est comme suit: "Lorsque les données d'un acte juridique sont
enregistrées sur support informatique, le document reproduisant ces
données fait preuve du contenu de l'acte, s'il est intelligible, etc."
Alors, la première question que l'on se pose, c'est quelle
réalité juridique vise-t-on au juste? D'une part, on le sait,
avec le nouveau système d'enregistrement qui sera proposé -
d'ailleurs, l'informatique a déjà fait son entrée dans les
bureaux d'enregistrement - vise-t-on la reproduction des données, par
exemple celles contenues dans un sommaire, sur support informatique ou encore
vise-t-on la signature informatisée?
On a commencé à s'interroger là-dessus et,
finalement, d'après notre interprétation, on pense que cet
article-là risque de poser certaines difficultés
d'interprétation. Si jamais cela visait effectivement l'enregistrement
sur support informatique au bureau d'enregistrement des droits réels des
données contenues dans un sommaire, à ce moment-là on
trouve qu'il est inadmissible que ce document fasse preuve du contenu de
l'acte, parce que tout ce qui apparaîtra au sommaire, ce sont certaines
informations. Cela ne reproduit pas le texte intégral de l'acte. Cela ne
mentionne par exemple que le nom des parties, si c'est une vente, la nature de
l'acte ou le montant de la vente, etc. Mais, pour les droits et les obligations
des parties, celles-ci devront
toujours avoir recours au document, à l'original de l'acte, pour
faire la preuve de leurs droits et obligations. C'est pour cela que, si jamais
c'est cette réalité juridique qu'on vise, il faudra absolument
modifier l'article 3015 pour dire que, lorsque les données d'un acte
juridique sont enregistrées sur support informatique, elles font
strictement preuve des données y apparaissant et non pas du contenu de
l'acte dont on tire les données.
Pour ce qui est de la signature informatique, comme le disait le notaire
Lambert tout à l'heure, on ne s'est pas vraiment prononcé
là-dessus. Il existe un problème maintenant, on se pose la
question: est-ce que l'on doit légiférer ou pas?
Là-dessus, on avoue humblement qu'on n'a pas réussi à
parvenir à une décision vraiment arrêtée à
l'heure actuelle.
Concernant maintenant la reproduction d'un écrit qui permet de
détruire les originaux, encore là, cela peut poser certains
problèmes. D'ailleurs, je pense que la Confédération des
caisses populaires l'a souligné dans son mémoire en disant qu'il
va falloir penser à quelque chose pour la conservation des originaux,
soit les remettre aux parties ou encore qu'ils soient détruits avec la
signature de deux personnes ou en présence de deux personnes, pour faire
état de ce qu'il est advenu de l'original d'un document.
Si on se fie seulement à la reproduction d'un écrit comme
preuve, à ce moment-là on aura de la difficulté à
prouver les signatures, également à prouver que le document comme
tel a été reproduit intégralement, qu'avant sa
reproduction il n'a pas été altéré ni
modifié et que c'est réellement l'écrit, l'original qui
est reproduit. À ce moment-là, on se dit qu'il faut s'assurer de
la conservation de la preuve écrite. Par exemple, en ce qui concerne les
registres de l'état civil, on permet au registraire, si je ne m'abuse,
de tenir un registre informatisé, sauf qu'on maintient toujours le
registre des actes de l'état civil écrit. Ce n'est que comme
complémentaire. (12 h 45)
Ici, on de dit: L'élargir, lui donner une dimension aussi
vaste... On se demande si ce n'est pas aller un peu trop loin. On se demande
s'il n'est pas préférable de conserver ça à
l'intérieur. Dans certains cas d'exception, d'accord, on est
parfaitement d'accord avec ça, mais en faire une règle
générale, on est un peu inquiets.
Si on pense, par exemple, à un cautionnement dans une banque.
Quelqu'un va dans une banque, signe un cautionnement. La banque ne va pas dire:
Le cautionnement est enregistré sur support informatique,
détruisons l'original. Là, quelques années plus tard, on
voudra faire valoir le fameux cautionnement qui est un cautionnement continu,
par exemple. Là, la personne n'a pas l'original. L'original n'existe
pas. Alors, comment cette reproduction d'un cautionnement, par exemple,
peut-elle vraiment faire la preuve de la signature de la partie du fait,
également, que le document n'a pas été
altéré? On sait maintenant qu'avec l'informatique, il est facile
d'altérer des documents. Alors, ce sont les questions qui sont un peu en
suspens.
En ce qui concerne la preuve de la présentation d'un
élément matériel qui est notre nouveau moyen de preuve qui
est introduit dans l'avant-projet de loi, là encore, on se demande
jusqu'à quel point cette preuve... De toute façon, de la
façon dont elle est réglementée à l'heure actuelle,
on se dit: On en arrive à faire de la présentation d'un
élément matériel, une preuve qui a un statut à peu
près identique à celui de l'écrit.
Élever la présentation d'un élément
matériel à la valeur de la preuve littérale, on trouve que
ça va peut-être un peu loin. Deuxièmement, on se demande
également si ça ne mènera pas à un système
inquisitoire plutôt qu'à un système accusatoire, parce que
si on introduit dans notre droit la présentation d'un
élément matériel, ça veut dire que tous les
plaideurs vont pouvoir l'invoquer. Ils vont pouvoir exiger que les juges se
déplacent sur les lieux, qu'ils vérifient et qu'ils constatent
eux-mêmes les objets, les lieux, etc.
On se demande jusqu'à quel point cela ne va pas en contradiction
avec nos règles de preuve. Il est évident que, dans certains cas,
la présentation d'un élément matériel peut
être souhaitable. Mais de là, encore une fois, à
généraliser la règle et à permettre
l'élément matériel dans tous les cas, à laisser le
choix au plaideur, on pense que ça va peut-être un peu trop loin.
D'autant plus que si jamais on le maintenait, bien... Ce matin, on parlait
justement du témoignage, qu'on ne pouvait pas prouver un contrat dont la
valeur excède 1000 $ par témoin entre les parties, alors qu'il
serait possible, par exemple, par un enregistrement sonore, en utilisant la
présentation d'un élément matériel -
l'enregistrement d'une conversation téléphonique, par exemple -
de prouver le fameux contrat de 1000 $.
Si on maintenait la présentation d'un élément
matériel, il faudrait absolument la réglementer - nous le croyons
- d'une façon un peu plus stricte.
M. Lambert: Un court complément, M. le ministre, si vous
me le permettez. En ce qui concerne l'enregistrement informatisé, nous
avons déjà posé la question et soumis que l'État
n'avait pas a conserver des contenus d'actes. Il devrait laisser ça au
secteur privé, à ceux qui font les conventions. L'État,
à notre avis, n'a qu'à ordonner des droits et, en ce
sens-là, c'est pour ça qu'on s'oppose à cette proposition
voulant que de simples données permettant d'ordonner des droits, par
ailleurs, aient une extension aussi large que faire preuve du contenu d'un
acte. Merci.
M. Rémillard: Dans la réponse que vous m'avez
donnée, Me Charest, je vois les qualités que j'ai pu observer
comme professeur, il y a un certain temps, lorsque que vous étiez
étudiante. Je comprends la difficulté que vous voyez. Par contre,
évidemment, il faut tenir compte de l'évolution de ces techniques
et essayer de trouver le juste équilibre. Soyez assurée que nous
allons prendre bonne note de vos commentaires.
Ma deuxième question serait en fonction de la prescription.
À la page 31 de votre mémoire, vous proposez de remplacer la
prescription acquisitive trentenaire par une prescription de vingt ans
plutôt que de dix ans. Ma question est celle-ci: Ne trouvez-vous pas
qu'il y a une certaine, je dirais, difficulté de concordance dans cette
proposition d'un délai de vingt ans en matière de prescription
acquisitive alors qu'il suffirait de dix ans pour prescrire extinctivement un
droit? N'y a-t-il pas là quelque chose qui est difficile à
concorder?
M. Lambert: Nous avons présenté cette suggestion
parce que nous avons cru déceler un trou. Par exemple, le cas du
propriétaire qui connaît un empiétement ou dont
l'occupation excède le titre, tout comme Mme Cantin-Cumyn en parlait ce
matin. Donc, en vertu du droit actuel, il peut prescrire la
propriété au bout de 30 ans. Or, dans l'avant-projet qui nous a
été soumis, il n'y a plus de solution apportée à ce
cas. Il faut qu'il y ait titre ou on prescrit contre quelqu'un qui est absent,
un propriétaire décédé... Cela nous a fait sourire
parce qu'on croit que cela n'existe pas dans notre droit, un
propriétaire décédé en vertu de cette maxime que:
"Le mort saisit le vif dans l'espace d'un instant instantané", si je
peux me permettre. Il n'y a pas de propriétaire
décédé, mais il y a une transmission rapide. Donc, dans
cette façon-là, où on ne connaît pas le
propriétaire, il y avait là possibilité. Mais si, par
ailleurs, il y a un titre d'enregistré et que le propriétaire
n'est pas absent, il y aurait tout a fait impossibilité de prescrire. Je
peux assurer le ministre que de nombreuses situations se retrouvent et peuvent
être solutionnées actuellement en recourant à la
prescription trentenaire. C'est pour les cas de prescriptions qui n'ont pas
été couvertes par les propositions et pour lesquelles nous avons
donc suggéré une espèce de prescription supplétive
pour les cas non prévus comme celui-là où on pourrait
recourir à la période de vingt ans. On trouvait que dix ans, dans
ce cas-là, c'était trop court. Le notaire Charest veut
compléter... D'ailleurs, je lui laisse la parole.
Mme Charest: J'aimerais poursuivre justement. En
réalité, comme on l'a dit ce matin et comme le notaire Lambert
vient de le redire, avec les nouvelles dispositions de l'avant-projet de loi,
on semble changer complètement les fondements mêmes de
l'institution qui est la prescription. C'est-à-dire que la prescription
ne serait plus basée sur la possession, mais plutôt sur
l'inscription au registre foncier. Quelqu'un, par exemple, qui n'est pas
inscrit au registre foncier ne pourrait prescrire aucune
propriété tant et aussi longtemps que le propriétaire
enregistré n'est pas décédé ou absent. Vous dites:
Oui, mais votre proposition... Nous, ce qu'on a dit là-dessus, c'est
que, finalement, il fallait absolument maintenir nos règles de la
prescription. Ce matin, Mme Cantin-Cumyn disait: Les notaires vont sans doute
vous dire à quel point la prescription est importante pour, par exemple,
régulariser des situations de fait, surtout lorsqu'il y a un
empiétement. Effectivement, je pense que les notaires, à tous les
jours, règlent à leur bureau des problèmes d'occupation
qui ne sont pas conformes au titre par le biais de la prescription.
Vingt ans par rapport à la prescription extinctive, il faut dire
que le droit de propriété est un droit qui ne se perd pas par le
non-usage. Si on dit, par exemple, que le droit s'éteint par la
prescription décennale, on ne vise pas le droit de
propriété parce que le droit de propriété, lui, ne
se perd pas. La seule chose, c'est que si un propriétaire n'exerce pas
son droit de propriété, à ce moment-là, un
possesseur pourra en acquérir la propriété par
prescription. À ce moment-là, par rapport au droit qui sera
éteint, la prescription amènera l'extinction du droit du
véritable propriétaire pour autant qu'il y aura eu prescription.
Je ne pense pas que le fait, par exemple, de maintenir une prescription de dix
ans avec titre et bonne foi, lorsqu'il y un titre d'enregistré, puisse
causer un problème, et de maintenir nos règles de la prescription
acquisitive comme on les connaît actuellement, c'est-à-dire sans
titre, prescription trentenaire. On pourrait cependant, à notre avis,
réduire le délai de 30 ans. L'Office de révision du Code
civil proposait 25 ans. Nous, on dit: On est prêts à mettre 20
ans, qui est un délai quand même suffisamment long, pour que le
véritable propriétaire empêche la prescription de se
réaliser. Sur le plan de l'extinction des droits, sur le plan de la
prescription extinctive, même si on maintenait le délai à
dix ans, je ne pense pas qu'il y aurait là une incohérence.
Le Président (M. Filion): Cela va, M. le ministre? C'est
à mon tour de vous remercier pour votre mémoire, Me Lambert. J'ai
été particulièrement frappé par l'argumentation que
vous avez développée sur l'institution notariale en introduction
aux commentaires précis que vous faites sur l'avant-projet. Ce n'est pas
la première fois que je vous entends là-dessus. Vous avez
également noté la judiciarisation que vous retrouvez dans
plusieurs chapitres de l'avant-projet.
Je dois vous dire que l'étude que vous avez commandée
à SECOR, semble-t-il, est particulièrement intéressante
et, quant à moi, elle me
fait réfléchir. Vous soulevez de façon
générale l'avantage économique, l'avantage social de
l'acte authentique; en partant de l'exemple de l'hypothèque, vous en
arrivez quand même à des conclusions intéressantes. A la
page 21 de cette étude, vous nous dites que l'hypothèque
exécutoire entraîne les coûts les plus bas et le
délai d'exécution le plus court. Le recours actuel sur clause de
dation en paiement produit aujourd'hui les coûts les moins
élevés. Les recours impliquant la vente en justice comportent des
coûts fixes plus élevés que la prise en paiement. Puis, de
façon générale, vous nous redites: L'effet de la
réforme de recours hypothécaire telle que proposée dans
l'avant-projet de loi sur les sûretés est d'augmenter le
coût et le délai d'exécution de la garantie.
J'ai également été frappé par le tableau sur
les contentieux, si on veut, des institutions judiciaires, à la page 10,
entre autres, sur le volume du contentieux hypothécaire des institutions
financières à Montréal, la fréquence des actions
impliquant des particuliers. Évidemment, en 1980, 1981, 1982, il devait
y en avoir un peu plus à cause de la situation économique,
probablement; en 1983, on voit que ça se stabilise, ça va un peu
en diminuant. Tout cela est intéressant. Je pense que c'est une
réflexion qui a déjà été faite, en partie,
lorsque - malheureusement, je ne siégeais pas à cette commission
- vous avez étudié les hypothèques, les privilèges,
etc. Quant à moi, j'en retiens des éléments
intéressants. Ce qui est le plus vite, ce qui ne coûte pas cher,
tant mieux pour les consommateurs de services judiciaires, finalement. Bien
sûr, l'acte authentique, une fois qu'on est chez le notaire, on se fait
expliquer nos droits, on a signé chez le notaire, les contestations sont
moins nombreuses. On n'a pas besoin de discourir longtemps
là-dessus.
Les litiges qui découlent de ces actes se règlent un peu
plus facilement parce que c'est clair. Je ne dis pas qu'il n'y a jamais de
litige, il y en a, bien sûr, mais on est dans un secteur du droit qui est
bien connu, bien délimité.
Je rejoins un peu les commentaires que faisait le ministre tantôt.
On a ici, au Québec, une institution notariale dynamique, active,
originale. Je pense que c'est le dernier coin en Amérique du Nord
où ça existe, sauf erreur. Non?
Une voix: Au Mexique, à Porto Rico...
Le Président (M. Filion): Le Mexique, bon. Dans le Sud, au
soleil, il semble que... Apparemment, en Amérique centrale et en
Amérique latine, l'institution existe encore. Il y a là une
matière à réflexion, M. le ministre, quand viendra le
temps de déposer le projet de loi. Bien sûr, voilà un
côté de la médaille, mais il faut regarder l'objectif
global du Code civil qui est adapté à la réalité
moderne. Si la réalité moderne est de produire de plus en plus de
litiges, sur ça, on les réduit, pour le plus grand bienfait des
consommateurs. (13 heures)
II y a une contrepartie, une lourdeur, bien sûr, attachée
à l'acte authentique, mais si cette lourdeur est garante d'une absence
de litige, il y a une évaluation à faire. Il y a
également, dans ce document, un relevé des actes authentiques
facultatifs, obligatoires, etc. En tout cas, quant à moi, j'ai
trouvé cela intéressant. J'espère que la réflexion
n'est pas terminée de ce côté-là et que vous pourrez
y ajouter une préoccupation dirigée vers une diminution du nombre
de litiges. Je le dis souvent, je le répète: On est un peuple
chicanier. Tout ce qui vise à réduire les chicanes, je trouve que
c'est une bonne chose de façon générale, bien sûr,
mais encore faut-il tenir compte des réalités. On ne demandera
pas aux citoyens de se déplacer à tout bout de champ, d'aller
chez leur notaire trois fois par jour pour signer des documents. Mais à
certains moments importants de leur activité civile et commerciale, je
pense que ça peut s'envisager d'étudier sérieusement cette
possibilité. Ceci étant dit, je ne sais pas si vous voulez
ajouter quelque chose.
M. Lambert: Vos commentaires m'amènent peut-être ce
que j'avais oublié de préciser tantôt, la raison du
dépôt de cet extrait du dernier numéro de Scientific
American. L'article est un condensé d'un livre qui a
été publié il y a quelques mois par un auteur
américain, intitulé Liability, the legal revolution and its
consequences. Dans ce court condensé, l'auteur explique comment la
judiciarisation a tué la spontanéité créatrice
nécessaire, comment les entreprises américaines en sont venues
dans une situation de repli, ne travaillent qu'avec des choses connues et
éprouvées, n'osent plus mettre de l'avant rien d'innovateur,
puisqu'elles craignent d'être ruinées par une amoncellement de
recours. Devant cette commission, lorsqu'elle a siégé en
août 1987, on avait déjà déposé un extrait du
New York Times qui faisait une autopsie de la crise de leadership aux
États-Unis et qui, entre autres, avait identifié la
judiciarisation de la société américaine comme
étant tout à fait contre-productive, qui empêchait les
dirigeants américains, quel que soit le secteur d'activité, de
prendre des décisions sans d'abord être entourés d'une
batterie de conseillers juridiques de toute sorte. Ce document, tout à
fait récent, prolonge davantage encore ce qui avait été
constaté par ces auteurs de l'article qui a été
déposé devant cette commission. Et c'est la raison pour laquelle
nous l'avons déposé, pour dire que si nous ne mettons pas un
frein à la judiciarisation, parce que, à un moment donné,
on peut dans l'absolu vouloir à un tel point le respect de droit jusque
dans son raffinement tellement profond que la société croule sous
le poids de l'inflation judiciaire. Donc, à un moment donné, il y
a un équilibre à
faire et on trouvait important d'éclairer cette commission en lui
déposant, entre autres, cette nouvelle référence.
Le Président (M. Filion): Je vous en remercie. Je pense
que vous vouliez ajouter quelque chose, Me Mackay.
M. Mackay (Julien): Vous me permettrez d'ajouter quelque chose,
parce que c'est la dernière commission sur le dernier volet à
l'occasion de la présentation du droit de la preuve. Cette partie du
Code civil établit l'existence de l'acte authentique,
c'est-à-dire de l'acte reçu devant un officier public comme tiers
témoin. L'authenticité est une qualité de la preuve. Elle
est rendue possible par la présence d'un officier public à qui
l'État délègue une parcelle de cette autorité
publique. La qualité d'authenticité accordée à un
acte est essentielle dans notre système de droit civil et de droit
écrit lorsque, dans certaines matières, on veut accorder une
solennité à l'acte et une sécurité, et s'assurer
que les conséquences découlant de l'acte pour les justiciables
ont été examinées. Une logique de l'acte authentique
existait au début, lors de l'introduction du Code civil du Bas-Canada,
et doit être maintenue et développée dans des
matières où les parties ont avantage à être
proprement informées de leurs droits et de leurs actions. Cette logique
vous est présentée dans nos commentaires et elle aurait avantage
à être encore développée et étendue à
d'autres matières dans un esprit de déjudiciarisation des
relations du public en droit privé et pour un meilleur accès
à la justice naturelle qui doit prévaloir dans une
société développée et adulte où on cherche
à responsabiliser le public. Mais voici, M. le Président, le
point que je voudrais développer ce matin, à l'occasion de la
présentation de notre mémoire sur la preuve. Comme
l'authenticité que le notaire a le pouvoir d'accorder à des actes
privés et, éventuellement, leurs forces exécutoires sont
rendues possibles par la délégation par l'État d'une
partie de l'autorité publique à un officier public, ne serait-il
pas nécessaire que cette délégation soit encadrée,
au gouvernement? Le ministre de la Justice devrait alors prendre le titre et la
qualité de notaire général, comme il a le titre et la
qualité de procureur général. Cela lui permet d'encadrer
toute la fonction de la plaidoirie, qui est l'apanage et la raison fondamentale
de l'autre juriste, l'avocat, chargé de dispenser les services
juridiques à la population dans des domaines particuliers.
En France, le ministre de la Justice est en même temps garde des
sceaux. C'est une fonction qui déborde un peu celle de notaire
général que je propose, parce que dans ce pays, qui est l'un des
membres de l'Union internationale du notariat latin, les études de
notaire sont des offices créés par l'État, en nombre
déterminé par le nombre d'habitants dans certaines régions
et avec des compétences territoriales, selon le cas. Dans certains pays
de l'union, l'État utilise même cette qualité d'officier
public pour percevoir des impôts attachés à certaines
activités juridiques ou commerciales de la population.
Dans une nouvelle organisation de l'administration de la justice, cette
qualité de notaire général rattachée à la
personne du ministre de la Justice permettrait au public en
général, aux avocats et aux fonctionnaires de l'administration
publique d'avoir une meilleure perception de l'essence de cette profession
juridique composée de diplômés en droit des mêmes
universités que leurs confrères avocats et dont la fonction
essentielle liée au caractère d'officier public est souvent
méconnue. Cette distinction, qui deviendrait plus évidente entre
le rôle de procureur général, et celui de notaire
général permettrait de régler l'ambiguïté qui
peut exister quant à la raison d'être fondamentale des deux
professions d'ordre juridique dans une société qui se dit et se
veut distincte du reste du pays où existe un autre système, celui
du "common law". Le fonctionnement des deux systèmes est tellement
différent, comme l'a expliqué le notaire Lambert, tantôt,
qu'en Colombie britannique, on a jugé bon d'avertir les membres de ne
pas agir dans les requêtes conjointes. Ils ont bien compris que, dans ce
système, l'avocat est le représentant des intérêts
d'une partie. Il doit en défendre les intérêts avec
acharnement, par tous les moyens légaux, comme raison d'être
fondamentale de son existence.
Je soumets donc à votre réflexion, M. le ministre, cette
possibilité de souligner ce caractère distinct de la
société québécoise en ajoutant à vos
fonctions la qualité de notaire général, permettant ainsi
d'encadrer la délégation de cette parcelle de l'autorité
publique. L'État a une occasion rêvée de remplacer
l'intervention du tribunal en matière de nomination de curateurs de
personnes incapables par l'intervention exclusive du notaire en qualité
d'officier public. Son rôle serait d'expliquer au public les avantages de
cette loi permettant d'accorder à une personne de son choix des pouvoirs
qui survivront à l'incapacité mentale du mandant, d'indiquer
comment des citoyens pourront d'avance prévoir dans la dignité la
poursuite de cette période difficile de leur vie, alors que quelqu'un de
leur choix sera nommé pour continuer à s'occuper d'eux, de leur
personne et de leurs biens.
Ce sont là les commentaires que j'avais l'intention d'apporter
pour compléter ce qui a été dit. Merci.
Le Président (M. Filion): Voilà une suggestion
originale, innovatrice. Le papier à lettre du député de
Jean-Talon est déjà probablement bien garni. Quant au fond, je
pense que cette suggestion, les propos de Me Lambert, vont dans le sens de ceux
que je tenais tantôt. Je profite
également de votre intervention où vous avez fait, Me
Lambert, allusion au bulletin d'information de la Société de
droit de la Colombie britannique déposé sous la cote 4-D
où il est fait mention que les avocats ne doivent pas agir dans le cas
des requêtes conjointes présentées par les deux
époux dans les causes de divorce.
J'aurais peut-être une petite question, rapidement; je ne voudrais
pas la passer sous silence. Aux pages 42 et suivantes de votre mémoire,
vous proposez, à l'article 3490, que la loi applicable au régime
matrimonial d'époux mariés à l'étranger sans
contrat de mariage soit celle du Québec, avec effet rétroactif
à la date du mariage. Est-ce que ça ne pourrait pas
désavantager les époux qui, mariés de bonne foi dans un
autre coin de terre, sous un autre régime, soit séparation de
biens, soit communauté de biens, se retrouveraient, non pas du jour au
lendemain puisque l'effet est rétroactif, mais avec un nouveau
régime, celui de la société d'acquêts, avec, encore
une fois, un effet rétroactif à la date du mariage? Ne serait-il
pas plus avantageux de laisser aux époux qui auraient contracté
un mariage à l'étranger le soin de réviser leur
régime matrimonial ici, au Québec, après avoir
consulté un fiscaliste, un notaire ou un avocat pour les aider à
prendre une bonne décision? Cela m'apparaît aller un peu loin.
M. Lambert: M. le Président, avant de passer la parole
à mon confrère M. Jeffrey Talpis, j'aimerais situer le contexte
concret et réel derrière cette proposition.
Lorsque des gens ont un régime légal, dans la très
grande majorité des cas, ce n'est pas nécessairement un choix
affirmé qu'ils ont fait. C'est un peu une situation de fait. Ils se sont
mariés à l'intérieur d'une réalité sociale
et économique qui était la leur, dans leur pays de domicile, au
moment de leur mariage. Lorsqu'ils décident d'immigrer et de s'installer
dans une autre société, il y a ce désir de changer de
cadre. Arriver et imposer à ces gens d'avoir à consulter un
juriste pour vérifier leur régime matrimonial et tout cela, je
peux vous dire que c'est la dernière de leur préoccupation, d'une
part. Leurs moyens financiers ne leur permettent pas d'habitude de s'en
prévaloir. Les problèmes surgissent quelques années plus
tard, lorsqu'ils ont commencé à accumuler des biens. Là,
ils s'aperçoivent qu'ils sont pris avec des règles d'un
régime qu'ils ne connaissent pas. À ce moment-là, ils ne
comprennent pas que ce soient les règles de leur nouveau pays d'accueil
qui s'appliquent. Ils ne comprennent pas cela, c'est la réalité.
Je vais laisser à Jeffrey Talpis le soin d'approfondir cette
réponse.
M. Talpis (Jeffrey): M. le Président, permettez-moi
seulement une ou deux remarques sur l'attitude de la Chambre des notaires par
rapport à l'avant-projet de loi en général. J'arriverai
immédiatement après à la question précise de notre
proposition sur le régime matrimonial.
La Chambre des notaires est d'accord avec la nouvelle philosophie de cet
avant-projet de loi qui établit un équilibre remarquable entre la
sécurité juridique et la justice dans le cas individuel. Nous
sommes très favorables - l'absence de commentaires dans notre rapport le
confirme - aux idées directrices de l'avant-projet de loi qui
présente, entre autres, l'abandon du principe de la méthode
classique et unique pour régler les problèmes internationaux
privés, la protection de la partie faible dans les transactions
internationales, la possibilité de prendre en considération
certaines lois étrangères d'ordre public et l'extension de la
volonté d'autonomie.
Évidemment, il y a quelques-unes des règles
particulières avec lesquelles nous ne sommes pas tout à fait
d'accord, notamment les règles de principe importantes que vous avez
soulignées, M. le Président, par rapport à l'article 3490.
Cette règle, l'article 3490, reprend le principe de
l'immutabilité du régime matrimonial. L'idée est
dépassée en droit interne parce que, maintenant, on sait qu'on
peut changer de régime matrimonial par convention. Cet article est une
idée dépassée. Les Juges et la doctrine ont fait des
acrobaties intellectuelles pour tenter de faire appliquer des dispositions de
la loi du Québec aux gens mariés suivant un régime
matrimonial étranger afin qu'ils aient le temps de réaliser
à la fois, dans l'intérêt des parties mêmes, en
respectant leurs ententes, pour une meilleure administration de la justice, que
le principe de l'immutabilité est dépassé. La tendance
internationale va dans le sens de la pleine mutabilité. C'est la
règle en vigueur dans les provinces de "common law". C'est partiellement
en vigueur aux États-Unis. C'est dans le nouveau code suisse. C'est dans
le nouveau projet de loi suédois et dans d'autres lois. (13 h 15)
La Chambre préfère ne pas attendre que tous les autres
pays aient adopté ce qui s'en vient, mais d'être à
l'avant-garde et d'établir une règle qui, finalement, respecte la
volonté des parties. Les parties peuvent bien décider autrement.
Elles n'ont qu'à faire un contrat. Elles doivent être
avisées que, du moment où elles arrivent au Québec, ce
sont nos lois qui s'appliquent. C'est leur pensée, de toute
façon. Prenons un exemple concret. Prenons des immigrants qui sont venus
ici il y a 25 ans, supposons des Italiens qui sont installés au
Québec depuis 25 ans. Ils ne pensent pas une seconde qu'ils sont
régis par le droit italien, quant à leur régime
matrimonial. Ils savent qu'ils sont intégrés dans la
société québécoise, non seulement pour des
questions de régime, mais pour toutes les autres règles sur les
effets du mariage. En somme, au lieu de permettre ces acrobaties judiciaires,
nous sommes favorables à la règle de la pleine mutabilité.
Dès que les époux s'installent ensemble, c'est-à-dire
deviennent domiciliaires ensemble au
Québec, c'est la loi du Québec qui régit le
régime matrimonial.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me Talpis.
M. Rémillard: Je voudrais tout simplement remercier, M. le
Président...
Le Président (M. Filion): Oui.
M. Rémillard: ...Me Lambert, Me Talpis, Me Charest, Me
Mackay et Me Roberge de leur présentation et leur dire que nous allons
étudier très sérieusement les commentaires qu'ils nous ont
faits.
Le Président (M. Filion): Au nom de la commission, encore
une fois merci de votre assiduité à nos travaux et
également de l'excellence de vos présentations orales et
écrites, non seulement à cette occasion, mais à toutes les
autres. Je pense que vous avez été de précieux
collaborateurs à l'édification du monument qui devrait être
inauguré quelque part au début des années 1990. Merci.
Une voix: Merci.
Le Président (M. Filion): Avez-vous des remarques finales?
Oui, Me Lambert?
M. Lambert: Oui, un court commentaire, M. le Président,
qui me vient à l'esprit, grâce aux propos que le bâtonnier
m'a chuchotés. Il m'a dit: Informe donc le ministre de la Justice que
nous offrons notre collaboration pour la diffusion du nouveau code et
l'information à la communauté juridique. Lorsque le ministre en a
parlé, au tout début, je me proposais de revenir sur le sujet
pour dire qu'effectivement, la Chambre des notaires appuie la démarche
du ministère. On a réalisé, toutefois que le Barreau, tout
en étant favorable à cette démarche, en principe, a une
façon un peu différente de voir les choses, concrètement.
Je peux assurer le ministre qu'on travaille à ce que la
collectivité juridique ne fasse qu'un dans cette demarche qu'il ne faut
vraiment pas rater. Merci.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me Lambert.
Nous terminons ici notre processus de consultation publique. Je pense que le
ministre a certains commentaires de clôture.
M. Rémillard: Oui, M. le Président. Tout d'abord,
je voudrais...
Le Président (M. Filion): On me dit que c'est l'Opposition
d'abord. Mes commentaires seront brefs.
M. Rémillard: Alors, à vous, M. le
Président.
Conclusions M. Claude Filion
Le Président (M. Filion): Alors, les miens seront courts.
Évidemment, comme je l'ai mentionné, nous terminons cette phase
importante de consultation sur l'avant-projet du Code civil. C'était des
travaux d'Hercule. C'est 3500 articles. Il faut le faire quand même.
C'est notre Code civil. C'est notre droit civil. J'ai constaté, quant
à moi, durant toutes les séances de la commission, une
qualité impeccable en ce qui concerne les interventions, tant orales
qu'écrites. Cela vient du public et des membres des divers groupes et
institutions, organismes, y compris bien sûr, la Chambre des notaires et
le Barreau. Toutes ces personnes, tous ces organismes sont venus prêter
main forte au législateur dans l'élaboration finale de ce code
qui sera notre première loi civile au Québec. Prêter main
forte, les mots ne sont pas trop forts parce que ce travail, ici en commission,
s'est fait d'une façon absolument positive et dans le but d'en arriver
au meilleur Code civil possible. Vous êtes présents, mais je
remercie tous les groupes, organismes et personnes de leur
générosité et de leur dévouement dans la
préparation de leur mémoire. Ces interventions, quant à
nous, dénotent et soulignent de façon juste l'importance capitale
de cette loi dans toutes les relations, toutes les sphères
d'activités sociales, civiles, commerciales, d'une façon
générale, dans toutes les activités des citoyens et
citoyennes du Québec. Bien sûr, le législateur devra tenir
compte de ces représentations car, comme l'indique l'objectif du projet
de loi, ces observations, ces représentations nous indiquent si le
projet convient bien à la réalité sociale d'aujourd'hui et
à celle qui est en devenir.
Quant aux trois livres qui ont fait l'objet de la présente
commission, on constate que les intervenants étaient
généralement plus que satisfaits, voire même louangeurs
à l'égard de ceux-ci. Le bilan est donc positif de façon
générale et on doit, encore une fois, en féliciter les
rédacteurs.
Enfin, deux mots. D'abord, je réitère auprès du
ministre l'offre de collaboration de l'Opposition officielle que je
représente pour faciliter la mise en place du Code civil soit dans les
plus brefs délais. Le ministre a déjà dû voir les
signes de cette collaboration que je veux permanente dans toutes les
étapes futures de nos travaux. Deuxièmement, je l'ai
déjà mentionné au ministre, et j'ai eu l'occasion de
recevoir des représentations à ce sujet hier, il m'apparaît
souhaitable que le gouvernement aille de l'avant en ce qui concerne le projet
de loi 20 et le mette en vigueur maintenant. Nous avons déjà eu
l'occasion de discuter de cela. Le ministre m'a fait part de son souci, de sa
préoccupation concernant la cohérence et je l'appuie, mais cela
n'a pas empêché le deuxième livre sur la famille
d'être en vigueur depuis le 1er décembre 1982. Pourquoi
hésiter quand nous avons des dispositions à jour sur les
personnes, les successions et les biens qui n'attendent qu'à être
mises en vigueur en y apportant, évidemment, le souci de concordance
nécessaire, bien sûr? Mais ce projet de loi 20 contient des
dispositions extrêmement importantes pour la population en
général. J'ai déjà eu l'occasion de le mentionner
au ministre et quant à nous, encore une fois, nous
réitérons notre préoccupation qui est de faire en sorte
que cette partie du Code civil soit mise en vigueur immédiatement.
En terminant, quant à moi, merci aux membres de la commission,
particulièrement au député de Marquette qui a
été d'une assiduité remarquable, bien au delà des
responsabilités qui incombent à son poste d'adjoint parlementaire
au ministre de la Justice. Il a démontré un intérêt
soutenu pour nos travaux. Il faut se souvenir aussi que le député
de Marquette était le porte-parole sur plusieurs plans de l'étude
de ce dossier du Code civil et, M. le ministre, il vous a remplacé d'une
façon tout à fait remarquable lorsque vos tâches vous
amenaient ailleurs.
Je remercie également les autres membres de cette commission, en
particulier Mme la députée de Groulx qui nous a quittés.
Je remercie la Secrétaire de la commission qui a su faire en sorte que
nos travaux se déroulent avec le maximum de clarté, pour le plus
grand bénéfice également des organismes. On sait que cela
n'est pas facile de construire une liste d'invités même si, dans
ce cas-ci, la liste était plus courte. Au chapitre des obligations,
notre secrétaire a dû faire des acrobaties intellectuelles pour
arriver à satisfaire tout le monde, et les parlementaires et le
président de la commission également. Alors, merci. Merci aussi
à mon conseiller, Me Gariépy, qui a su condenser, pour mon usage,
des mémoires parfois très robustes, sur le plan de la digestion
intellectuelle; ce n'était pas facile, mais il a su nous conseiller
adéquatement en ce qui concerne l'Opposition officielle. Voilà.
M. le ministre.
M. Gil Rémillard
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Tout d'abord,
je désire remercier tous ceux et celles qui ont participé aux
travaux de cette commission chargée d'examiner l'avant-projet de loi
portant réforme au Code civil du Québec, du droit de la preuve et
de la prescription et du droit international privé. Par la
qualité des interventions qui ont été
présentées devant nous aujourd'hui et le 28 février
dernier, nous pouvons conclure que tous les intervenants se sont rendu compte
de l'importance de cet avant-projet de loi qui constitue la dernière
pièce de notre projet de réforme du Code civil.
Plusieurs des milieux intéressés ont été
représentés devant cette commission. Je pense notamment aux
institutions financières, aux asso- ciations directement reliées
au milieu juridique, soit le Barreau, la Chambre des notaires, sans oublier le
milieu universitaire et la Commission des services juridiques. Le rôle
actif de tous les intervenants qui ont participé à cette
commission, par la qualité des analyses et des commentaires qu'ils nous
ont soumis, nous permettra certainement, M. le Président, de mieux
connaître la réalité dans laquelle nous évoluons,
puisque c'est cette réalité qui doit servir de base à
l'élaboration des principes du droit, qu'il s'agisse de la preuve, de la
prescription ou du droit international privé. Sans s'attarder sur tous
les aspects abordés dans l'avant-projet et discutés devant nous,
dans le cadre de cette commission, il m'apparaît important d'en souligner
quelques-uns. Cependant, et j'insiste, je peux vous assurer que tous les
commentaires exprimés feront l'objet d'une analyse et d'une
appréciation adéquates.
En matière de preuve, M. le Président, certaines
interventions visaient à ne pas introduire au Code civil des
règles relatives aux enregistrements informatisés, à la
reproduction de documents et à la preuve matérielle. D'autres
intervenants se sont réjouis, au contraire, de voir ces domaines
couverts dans le cadre de la révision du Code civil et, même, nous
ont fait part de leur voeu de voir le champ d'application de ces dispositions
élargi.
Enfin, d'autres interventions ont proposé des aménagements
à ces règles. Les arguments apportés de part et d'autre
nous permettront de réévaluer les effets de ces principes et
d'étudier la possibilité de concilier les points de vue de
chacun, et ce, dans le but ultime de garder présent à l'esprit la
facilitation de la preuve tout en maintenant la sécurité
juridique des parties. On nous a également transmis des demandes pour
rendre obligatoire l'acte notarié en certains domaines et pour lui
donner la force exécutoire. Par ailleurs, on nous suggère
d'étendre le caractère d'authenticité à d'autres
actes rédigés par des professionnels. Ces demandes
méritent réflexion, comme nous avons pu en discuter ce matin.
On a également fait différents commentaires sur la
connaissance d'office et sur le ouï-dire. On nous a notamment
recommandé de supprimer l'obligation, pour le tribunal, de prendre
connaissance d'office de la jurisprudence applicable au Québec, de
même que l'obligation d'alléguer les traités internationaux
et le droit international coutumier. On nous a suggéré aussi de
maintenir le droit actuel en matière de droit étranger et de
prévoir que la recherche du droit des autres provinces soit assujettie
au même régime que celle du droit en vigueur au Québec.
Enfin, il est proposé de limiter la connaissance d'office aux
faits réellement notoires et de ne pas l'étendre aux faits dont
il est possible d'établir facilement l'exactitude. En ce qui concerne le
ouï-dire, plusieurs suggestions ont été mises de l'avant,
notamment celle de préciser
les notions d'impossibilité du déclarant de
témoigner et celle du caractère déraisonnable d'exiger son
témoignage. Aussi, la possibilité d'admettre des
déclarations antérieures d'un enfant pour servir de corroboration
à son témoignage.
Soyez assurés que nous tiendrons compte de toutes ces
propositions. Enfin, ces interventions ont porté sur la structure de
l'avant-projet. L'objectif de distinguer les règles relatives au moyen
de preuve par rapport aux règles de recevabilité a fait en sorte
de créer une confusion quant à la portée de certaines
dispositions. Nous veillerons à corriger cette situation
créée bien involontairement.
Dans le domaine de la prescription, plusieurs intervenants se sont
interrogés quant à la règle que semblait énoncer
l'article 3063. Il s'agissait, en fait, d'une erreur typographique, comme nous
l'avons déjà souligné. Cette erreur, bien sûr, sera
corrigée. Plusieurs intervenants nous ont également fait part de
leurs réticences à voir les délais de prescription
réduits. Comme il a été dit, nous avons tenu compte de la
tendance quasi universelle de raccourcir de façon appréciable la
durée des prescriptions. Néanmoins, nous analyserons chaque cas
à la lumière des arguments apportés.
D'autres interventions visent à permettre que le
dépôt volontaire et la faillite soient interruptifs de la
prescription; qu'un propriétaire puisse revendiquer l'immeuble acquis
d'un commerçant en semblable matière ou lors d'une
opération de nature commerciale. On a aussi suggéré
d'analyser la possibilité que la reconnaissance d'un droit de
propriété acquis par prescription se fasse par la
délivrance d'un certificat de propriété notarié,
lequel pourrait remplacer la reconnaissance judiciaire actuellement requise et
que d'aucuns demandent de conserver. On a enfin demandé de dissocier, en
matière de prescription acquisitive, les règles de la
publicité de celles de la prescription. Comme il a été
dit, le réaménagement proposé du régime de la
prescription tient compte de l'établissement d'un registre foncier dont
les inscriptions sont assorties de la force probante d'un registre auquel on
peut se fier. Néanmoins, nous réévaluerons la conciliation
proposée des régimes de la publicité et de la
prescription, à la lumière des arguments
présentés.
En droit international privé, nous prenons acte des
réticences exprimées par de nombreux intervenants, en ce qui a
trait à l'absence de précisions quant à la portée
de l'exception d'ordre public, ainsi qu'en ce qui a trait au rattachement de la
garde à la loi du domicile de l'enfant et au rattachement de la
prescription à la loi du tribunal saisi. Également, nous
tiendrons compte des commentaires formulés à l'encontre de
l'établissement d'une présomption irréfragable pour la loi
applicable aux actes juridiques en l'absence de désignation par les
parties. Cette présomption stipule que les liens les plus étroits
sont réputés exister avec la loi de l'État dans lequel la
partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa
résidence habituelle.
Nous nous pencherons aussi sur l'option du régime en
matière de responsabilité civile, dans le but de réaliser
une plus grande harmonie entre nos dispositions de droit interne et nos
règles de droit international privé. De nombreuses observations
ont également été faites en ce qui concerne les
dispositions relatives aux hypothèques mobilières. Ces
dispositions feront l'objet d'une étude approfondie,
préalablement à la rédaction du projet de loi final, en
vue de cerner les objectifs de la réforme et de réévaluer
la façon de les atteindre.
On nous recommande enfin' d'abandonner le principe de la scission en
matière de succession afin que celle-ci soit soumise à une loi
unique: la loi du dernier domicile du défunt. La loi du lieu de la
situation d'un immeuble se trouverait ainsi évincée, à
moins que le testateur ne l'ait choisie expressément.
Il nous est également suggéré de soumettre le
régime matrimonial légal des époux mariés à
l'étranger, qui viendraient s'installer, par la suite, au Québec,
à la loi québécoise. On introduirait ainsi une sorte de
mutabilité automatique du régime matrimonial légal et de
droit actuel, tel qu'il a été établi par nos tribunaux,
qui serait modifié. Nous évaluerons avec soin ces
propositions.
En terminant, je tiens à rappeler que, bien que je ne puisse
m'arrêter sur tous les points soulevés devant nous à cette
commission, tous ont apporté une vision fort intéressante de la
réalité pratique et des enjeux de la réforme. Ce court
exposé qui, je le répète, ne fait transparaître
qu'une partie des recommandations soumises, illustre très bien le
travail que devront maintenant accomplir nos rédacteurs. Comme il a
été dit, je peux assurer au nombreux intervenants que tous les
commentaires qui nous ont été soumis feront l'objet d'une
étude approfondie, préalablement à la rédaction du
projet de loi final. Les consultations des dernières semaines
permettront de faire progresser davantage le processus de la réforme du
Code civil qui, comme vous le savez, est arrivé à ses
dernières étapes.
Je remercie encore une fois les intervenants de leur contribution
à nos travaux, contribution, je le répète, fort
constructive, vu la qualité des représentations. En terminant, M.
le Président, je voudrais vous remercier pour la façon dont vous
avez su diriger ces travaux, à cette dernière séance
concernant cette réforme du Code civil, avant que nous abordions cette
loi globale que nous étudierons dans un avenir prochain, pour
compléter cette réforme. J'aimerais aussi remercier le
député de Marquette et adjoint parlementaire au ministre de la
Justice qui a fait un travail remarquable. Vous l'avez souligné
vous-même, M. le Président, tout à l'heure, et je veux
aussi souligner, non seulement son assiduité, oui, mais son
intérêt dans tous les travaux et la
qualité de ses interventions dans nos travaux. Je voudrais
souligner la très grande participation de Mme la députée
de Groulx à nos travaux et les questions extrêmement pertinentes
qu'elle a su poser pour qu'on puisse faire en sorte que cette réforme de
notre Code civil puisse coller à la réalité que nous
vivons tous les jours.
M. le Président, je voudrais aussi remercier Mme la
secrétaire de cette commission, et remercier les fonctionnaires qui ont
travaillé d'une façon particulièrement intéressante
et efficace, nos rédacteurs et nos conseillers qui nous ont permis de
faire ce travail. Je crois que nous avons réussi à faire un
travail très intéressant. Avec tes questions que nous nous posons
toujours à la lumière des commentaires que nous avons
reçus, nous allons maintenant retourner à notre table de travail,
faire les ajustements qui s'imposent et revenir avec ce projet de loi global
qui devrait nous mener à cette réforme du Code civil que nous
devons avoir prochainement. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre. M. le
député de Marquette.
M. Claude Dauphin
M. Dauphin: Merci beaucoup, M. le Président. Très
brièvement, sans reprendre toutes les belles paroles que vous-même
et le ministre de la Justice avez prononcées tantôt, j'aimerais
à mon tour remercier tous les groupes et organismes qui ont
participé à nos travaux, non seulement nos travaux sur la preuve,
la prescription et le DIP, mais tous nos travaux, en ce qui me concerne,
à commencer par les sûretés. D'ailleurs, nous avons devant
nous la Chambre des notaires qui est un organisme abonné, un organisme
régulier; elle a participé, d'ailleurs, à tous nos
travaux. Cela m'a fait grandement plaisir de rencontrer la Chambre des notaires
à toutes ces occasions de notre consultation publique. C'est la fin de
notre consultation publique.
Je tiens aussi, comme le ministre de la Justice vient de le faire,
à remercier l'équipe de réforme du Code civil qui nous
entoure, M. le juge Chassé, M. le professeur Pineau, Me Cossette. Il y
avait également Marie-Josée Longtin et les autres experts,
Céline Cyr, attachée politique au cabinet du ministre, et le
personnel de la commission.
Un fait que j'ai un peu déploré, M. le Président,
c'est l'absence, malheureusement, des médias. Je pense que vous l'avez
constaté, vous aussi. Ils sont venus faire un tour, peut-être 30
secondes, pour prendre des photos plutôt que pour écouter non
seulement les propos des intervenants, mais les discussions que nous avons eues
avec eux. Comme vous l'avez dit vous-même, c'est la pièce
maîtresse de notre droit, c'est Important, c'est ce qui nous régit
tous les jours et, malheureusement, nous n'avons pas l'écoute
nécessaire. Je n'en fais pas de reproches aux médias; c'est vrai
que cela ne se lit pas avant de se coucher, des textes comme cela, mais, quand
même, c'est d'une importance capitale pour notre société.
Merci beaucoup.
M. Rémillard: M. le Président, si vous me !e
permettez.
Le Président (M. Filion): M. le ministre,
certainement.
M. Rémillard: J'aimerais simplement, en terminant,
très brièvement, souligner aussi la très grande
participation, à cette commission et à tous nos travaux, de mon
prédécesseur, le ministre de la Justice de l'époque, le
député de D'Arcy McGee, qui a fait un travail aussi remarquable.
Il n'est pas avec nous présentement, mais je voudrais souligner le
travail qu'il a fait pour que ces travaux soient menés à
bien.
Le Président (M. Filion): Cela dit, nos travaux sont
ajournés sine die.
(Fin de la séance à 13 h 38)