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(Neuf heures quarante-six minutes)
Le Président (M. Dauphin): À l'ordre, s'il vous
plaît! Mesdames, messieurs, ayant constaté que nous avons quorum,
je déclare donc ouverte la séance de la commission des
institutions qui a pour mandat de procéder à l'étude des
crédits budgétaires du ministère de la Justice, programmes
1 à 10, pour l'année financière 1989-1990. Me
Giguère, secrétaire de la commission, est-ce qu'il y a des
remplacements?
La Secrétaire: II n'y a aucun remplacement.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la
secrétaire. Je crois qu'il y a eu entente entre les deux formations
politiques sur le temps qui nous est imparti. Je crois aussi qu'il y a entente
pour examiner les différents programmes dans leur ensemble et non pas de
façon systématique, programme par programme. J'aimerais en
profiter, si les membres de la commission me le permettent, pour souhaiter la
bienvenue au ministre de la Justice, ainsi qu'au sous-ministre en titre de la
Justice et à la directrice de cabinet du ministre de la Justice et
à toute l'équipe de fonctionnaires qui accompagne le ministre de
la Justice.
Est-ce qu'il y a des remarques préliminaires avant de commencer
l'étude des différents programmes? M. le ministre de la
Justice.
Remarques préliminaires M. Gil
Rémillard
M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. le
Président, mesdames et messieurs les membres de la commission des
institutions, il me fait particulièrement plaisir de procéder
avec vous ce matin à l'étude détaillée des
crédits du ministère de la Justice pour l'année 1989-1990.
Pour que cette étude soit la plus complète possible, pour
répondre à vos questions de la façon la plus
complète possible, j'ai demandé aux principaux fonctionnaires
concernés de m'accompagner ce matin.
Vous me permettrez de souligner la présence, tout d'abord,
à ma gauche, de Mme Suzanne Levesque qui est directrice du cabinet, de
M. Jacques Chamberland, le sous-ministre de la Justice, qui est à ma
droite. Nous accompagnent aussi M. Raymond Benoît, qui est le
sous-ministre associé, personnel et administration. M. Freddy Anderson,
qui est sous-ministre associé, services judiciaires, M. Jean K. Samson,
sous-ministre associé, contentieux, M. Clément Ménard,
sous-ministre associé, à l'enregistrement, M. Michel Bouchard,
sous-ministre associé, affaires criminelles et pénales, M. Roch
Rioux, sous-ministre associé, affaires législatives.
De même, M. le Président, sont aussi présents
quelques présidents et directeurs d'organisme qui travaillent avec le
ministère de la Justice: M. Jacques Lachapelle, président de la
Commission des droits de la personne, M. Dowie, président du
Comité de la protection de la jeunesse, M. le juge Bernard Tellier,
secrétaire du Conseil de la magistrature. Des fonctionnaires qui ont la
responsabilité de certains dossiers sont aussi avec nous pour
compléter des réponses que nous aurons à donner à
certaines questions que vous pourriez poser tout à l'heure.
M. le Président, si vous me permettez, dans un premier temps,
j'aimerais prendre quelques instants pour vous entretenir de l'évolution
du budget et du personnel du ministère, pour ensuite vous indiquer les
principales actions législatives et administratives qui ont
été récemment réalisées ou qui sont en voie
de l'être au ministère de la Justice.
Tout d'abord, en ce qui regarde l'évolution budgétaire,
les crédits du ministère de la Justice, pour l'exercice
1989-1990, s'élèvent à 402 507 400 $, soit une majoration
de 20 969 400 $ ou 5,5 % par rapport à ceux de l'année
financière précédente. Cette augmentation s'explique
principalement par les trois facteurs suivants: premièrement,
l'indexation et l'ajustement de la masse salariale: 10 131 900 $;
deuxièmement, l'ajustement du budget consacré à l'aide
juridique: 6 544 800 $ et, troisièmement, l'ajustement du coût des
loyers payables à la Société immobilière du
Québec: 3 381 300 $.
Il faut noter que la variation des crédits tient compte de la
contribution du ministère de la Justice à l'effort de limitation
de la croissance des dépenses gouvernementales et que nous consacrons
beaucoup d'énergie à ce que cette contribution se fasse sans
porter atteinte à la qualité de nos activités et à
l'accessibilité de nos services.
Les mesures retenues pour atteindre les objectifs d'économie
budgétaire portent donc sur la rationalisation de la gestion du
ministère et sont guidées par une planification accrue des
dépenses et un réaménagement des ressources entre les
programmes. La gestion interne du ministère a été
resserrée et tous ses agents y participent et y collaborent dans cet
esprit.
Le tableau sommaire des crédits fait ressortir qu'une part
importante du budget 1989-1990 est consacrée aux activités
suivantes: 1° l'administration: 99 700 000 $, représentant 24,8 % du
budget; 2° l'aide aux justiciables: 82 200 000 $, représentant 20,4
% du budget; 3° le soutien administratif à l'activité
judiciaire: 78 900 000 $, représentant 19,6 % du budget.
Il importe, M. le Président, de vous donner quelques
précisions sur le montant que l'on
retrouve au chapitre de l'administration. En premier lieu, je vous dirai
que ce montant de 99 700 000 $ inclut le coût des loyers payables
à la Société immobilière du Québec pour tous
les immeubles du ministère, soit 61 000 000 $. Sur les 38 700 000 $
restants, une somme de 19 100 000 $ sera consacrée au
développement et à l'entretien des systèmes informatiques
pour l'ensemble du ministère et une autre de 5 300 000 $ ira au paiement
du compte ministériel de téléphonie et de
télécommunications. Le montant affecté
véritablement à l'administration générale du
ministère est donc de 14 300 000 $ ou 3,5 % du budget total de 402 500
000 $.
Les effectifs autorisés au 1er avril 1989 s'établissent
à 4138 employés permanents, soit une augmentation de 8 par
rapport au 1er avril 1988. Cette augmentation résulte principalement de
la reconnaissance du principe de la permanence des secrétaires de
juge.
Je vous entretiendrai maintenant des principales actions que nous avons
posées depuis l'an dernier et de certains dossiers en cours qui
concernent l'administration de la justice.
Tout d'abord, je suis particulièrement heureux de vous parler du
Bureau d'aide aux victimes d'actes criminels. La Loi sur l'aide aux victimes
d'actes criminels est entrée en vigueur, vous le savez, en juin 1988, et
le règlement sur l'aide financière qui peut être
accordée par le bureau, en janvier dernier. Après les quelques
mois requis pour sa mise sur pied, le bureau est donc prêt à
remplir son rôle.
Je vous rappelle que les principales fonctions du bureau sont de
promouvoir les droits des victimes et de veiller à la coordination des
actions des personnes, organismes et ministères qui jouent un rôle
auprès des victimes. Le bureau a aussi pour mandat principal
d'encourager la participation de groupes ou d'organismes communautaires aux
efforts entrepris pour venir en aide aux victimes d'actes criminels.
La mise sur pied des premiers centres aux victimes, pris en charge par
la communauté, avec le concours de bénévoles soucieux
d'améliorer la situation des victimes, a été l'une des
priorités du bureau au cours des derniers mois. Ces centres locaux ont
pour mission d'offrir sur place aux victimes des services d'accueil, d'appui,
d'information et de référence. Déjà, deux centres
d'aide aux victimes sont en opération, l'un à Montréal et
l'autre à Québec. Par ailleurs, trois autres centres ont
été reconnus par le bureau d'aide et ont
bénéficié d'une aide financière pour assurer leur
implantation. Ces centres sont situés à Rimouski, à Hull
et à Chicoutimi et devraient être pleinement en opération
dès l'automne 1989. Par ailleurs, d'autres projets sont actuellement en
préparation pour leur implantation dans un avenir rapproché. Il
s'agit de Trois-Rivières de Longueuil et de Sherbrooke.
Le bureau fournit une assistance technique et professionnelle à
l'établissement de ces centres et à leur fonctionnement. Il
conçoit et développe des outils pour faciliter la tâche des
groupes communautaires dans la gestion des centres. Il collabore à la
formation des bénévoles en développant des programmes
adaptés à leurs besoins particuliers. Au cours des derniers mois,
des responsables du bureau ont multiplié tes sessions d'information et
les conférences sur l'aide aux victimes d'actes criminels. Je profite
donc de l'occasion, M. le Président, pour féliciter et remercier
la directrice et les membres de ce bureau pour leur très bon
travail.
Dans un autre ordre d'idées, M. le Président, nous avons
poursuivi la réforme du Code civil et présenté à
l'Assemblée nationale, en juin dernier, un important avant-projet
portant sur la preuve, la prescription et le droit international privé.
En février et en mars dernier, la commission des institutions entendait
les représentations des personnes et organismes désireux de
s'exprimer sur ce dernier volet de la réforme du Code civil. Cette
consultation constituait la dernière phase de la série de
consultations entreprises par les parlementaires sur les divers avant-projets
de loi constituant l'ensemble de la réforme du Code civil. Je vous
rappelle en effet qu'une dizaine de consultations publiques ont
été tenues au sujet d'un aspect ou l'autre de la réforme
depuis 1979. Au-delà de 200 mémoires ont été
déposés et chacun d'eux a fait l'objet d'une analyse
soignée de la part des légistes du ministère. Inutile de
dire que ces commissions parlementaires ont constitué un outil
précieux pour les légistes.
En effet, une réforme de cette envergure ne peut
évidemment pas s'élaborer en vase clos. Elle doit s'appuyer
à la fois sur l'expertise des juristes, théoriciens du droit, et
sur l'expérience des juristes, praticiens du droit. Les légistes
du ministère sont en train de terminer l'élaboration de documents
présentant les différentes hypothèses de solution
proposées au cours des commissions parlementaires de même que les
avantages et inconvénients de chacune. À la lumière de ces
documents, j'aurai à prendre les décisions qui assureront
l'homogénéité et la cohérence de la réforme
du Code civil de même que l'atteinte des objectifs fondamentaux du
gouvernement.
Ai-je besoin de dire, M. le Président, que la réforme du
Code civil est une oeuvre magistrale puisque le nouveau code comprendra
près de 3500 dispositions et modifiera de manière très
importante notre environnement juridique. On comprend aisément qu'une
telle loi puisse susciter certaines inquiétudes au sein de la
communauté juridique relativement à la formation qui sera requise
pour utiliser ce nouveau Code civil dans le sens voulu par le
législateur. Pour cette raison, depuis l'automne dernier, le
ministère de la Justice anime une table de concertation à
laquelle ont été conviés les divers intervenants de la
justice au Québec pour discuter de la meilleure façon d'assurer
cette formation. La Magistrature, le Barreau, la Chambre des notaires et les
facultés de droit ont répondu à cette
invitation avec enthousiasme. Tous conviennent de la
nécessité de mettre les ressources en commun de façon que
la période transitoire d'adaptation à ces nouvelles règles
puisse s'accomplir avec souplesse et d'une manière uniforme.
Je voudrais terminer sur ce sujet en vous mentionnant que je souhaite
toujours présenter le nouveau Code civil à l'automne 1989. Ce
code sera suivi d'un projet de loi d'application qui fera aussi l'objet d'une
consultation publique. Cette loi d'application viendra abroger le Code civil du
Bas-Canada, ajuster la procédure civile aux dispositions du nouveau Code
civil, modifier diverses lois et introduire les importantes mesures qui
permettront d'assurer la transition entre l'ancien et le nouveau droit.
L'entrée en vigueur de l'ensemble de la réforme, M. le
Président, pourrait très bien coïncider avec le 125e
anniversaire de l'adoption du Code civil du Bas-Canada, que l'on fêtera
le 1er août 1991.
Outre la réforme du Code civil, l'activité
législative du ministère de la Justice a, encore une fois,
été fort importante au cours de la dernière année.
En matière de justice sociale, je souligne l'adoption de la Loi
modifiant le Code de procédure civile concernant le recouvrement de
pensions alimentaires. Cette loi, qui entrera en vigueur à la date
fixée par le gouvernement, favorise une perception plus efficace des
pensions alimentaires. En effet, elle prévoit que le percepteur est non
seulement chargé d'agir en qualité de saisissant, comme c'est le
cas actuellement, mais aussi qu'il peut percevoir tous les arrérages et
versements à échoir. Pour sa part, le débiteur d'une
pension est tenu de payer directement au percepteur les arrérages ainsi
que les versements à échoir tant que le percepteur demeure
chargé de la perception de la pension. (10 heures)
En plus de se préoccuper de la justice sociale, nous avons
également proposé diverses modifications législatives en
vue d'assurer une meilleure administration de la justice. C'est ainsi que la
Loi modifiant la Loi sur les tribunaux judiciaires et d'autres dispositions
législatives afin d'instituer la Cour du Québec, en vigueur
depuis le 31 août 1988, a permis à la Cour du Québec de
voir le jour. Cette cour unique est venue remplacer la Cour des sessions de la
paix, le Tribunal de la jeunesse et la Cour provinciale. Composée de 279
juges et dirigée par le juge en chef, deux juges en chef associés
et trois juges en chef adjoints, la Cour du Québec a juridiction en
matière civile, criminelle et pénale ainsi qu'en matière
de jeunesse. La cour comporte deux divisions régionales: celle de
Montréal et celle de Québec, chacune comportant trois chambres:
La chambre civile, la chambre criminelle et pénale et la chambre de la
jeunesse. La cour comporte aussi une chambre de l'expropriation
instituée en vertu de la Loi sur l'expropriation.
La loi prévoit également les règles relatives
à la nomination et à la destitution des juges de la cour, aux
fonctions des juges en chef, à la nomination des juges coordonnateurs,
à la compétence et à l'affectation des juges, aux
traitements, indemnités et avantages sociaux des juges, à
l'exercice de leurs fonctions judiciaires et au fonctionnement de la cour.
L'adoption de cette loi constitue un élément important dans notre
constante recherche d'améliorer l'administration de la justice et de la
rendre la plus accessible possible.
Dans cet ordre d'idées, j'ai aussi présenté une loi
modifiant la Loi sur les jurés. Cette loi, qui entrera en vigueur le 15
juin 1989, améliore la Loi sur les jurés à plusieurs
points de vue. Ainsi, il sera dorénavant permis au shérif de ne
procéder qu'à un seul tirage au sort des jurés par
année et non plus à chacun des termes des assises tenues au cours
de l'année. De plus, les jurés sont assignés par le
shérif au moins 30 jours avant la date à laquelle leur
présence est requise en cour, ou dans tout autre délai
ordonné par le juge, plutôt que dans les 30 jours
précédant la date d'ouverture de la session. Finalement, la
présence d'une personne assignée comme juré pour une
session des assises peut être remise à une session
ultérieure lorsque les circonstances l'empêchent d'agir pendant la
session où elle est assignée.
Par ailleurs, M. le Président, j'ai amorcé la
réforme des cours municipales. Dans un premier temps, la loi, sous
certains aspects du statut des juges municipaux, entrée en vigueur en
partie le 1er janvier 1989, établit diverses règles concernant la
nomination, la durée du mandat, la rémunération et les
autres conditions de travail des juges municipaux. Cette loi contient
également de nouvelles dispositions en ce qui a trait au serment que
doivent prêter les juges municipaux et aux principes
déontologiques qu'ils doivent respecter.
Dans un deuxième temps, je compte proposer, dès ce
printemps, un projet de loi regroupant dans une seule loi toutes les
dispositions législatives relatives aux cours municipales à
l'exception de celles de Montréal, Laval et Québec. Ce projet
étendra notamment à toutes les municipalités le pouvoir
d'établir une cour municipale, en plus d'intégrer les
règles sur le statut des juges municipaux et d'établir des
règles relatives à la compétence des cours, à leur
fonctionnement, à la procédure applicable de même que des
dispositions relatives à l'appel de leurs décisions, à
leur financement et a leur administration.
Mentionnons également l'adoption d'une loi modifiant le Code
civil et le Code de procédure civile en matière familiale en
vigueur depuis le 17 juin 1988. Cette loi permet notamment aux parties de
rendre témoignage hors cour dans les demandes conjointes en
séparation de corps présentées sur projet d'accord.
Enfin, je vous signale que la Loi modifiant le Code civil en
matière de copropriétés et d'emphytéose, en vigueur
depuis le 17 juin 1988, permet désormais de résoudre certains
problèmes
reliés à la copropriété et à
l'emphytéose. Outre l'introduction du nouveau concept de
coemphytéose, la loi permet clairement l'enregistrement d'une
déclaration de copropriété sur un immeuble construit par
un emphytéote ainsi que sur un immeuble qui fait l'objet d'une
propriété superficiaire.
Bien évidemment, M. le Président, la brève
description des sujets que je viens d'aborder ne constitue qu'une partie du
fruit des activités du ministère de la Justice et j'ai
l'intention, avec l'aide de mes collaborateurs présents ici ce matin, de
compléter ou de mettre en oeuvre plusieurs autres projets qui viennent
s'inscrire dans ma vision d'une justice accessible, universelle et de
qualité.
Comme vous le savez, l'administration de la justice est en constante
évolution et j'ai une grande préoccupation de constamment
travailler à faire en sorte que la justice soit toujours de plus en plus
accessible. La justice et l'accessibilité sont en effet deux concepts
qu'on ne peut dissocier si on ne veut pas que le premier, la justice, perde son
sens.
Dans cet esprit, M. le Président, il m'apparaît opportun de
revoir la question de l'admissibilité à l'aide juridique pour
éviter que de plus en plus de justiciables ne soient
empêchés d'exercer ou de faire respecter leurs droits pour des
raisons d'ordre économique. J'ai déjà reçu de
nombreux témoignages en ce sens et il s'agit d'une question qu'il
m'apparaît urgent d'analyser. Comme je vous l'indiquais lors de
l'étude des engagements financiers, le processus en vue de
déposer auprès du Conseil du trésor une demande
précise en ce sens est en marche.
D'autre part, et toujours dans cet esprit de rendre la justice
accessible et universelle, je serai probablement en mesure de vous annoncer
d'ici à quelques semaines la mise sur pied d'un groupe de travail dont
le mandat sera, notamment, de voir ce qui peut être fait pour permettre
aux gens de la classe moyenne d'avoir accès à des services
juridiques. Ce groupe de travail au mandat plus vaste remplacera celui dont mon
prédécesseur avait annoncé la mise sur pied le printemps
dernier, auquel j'ai finalement jugé opportun de ne pas donner
formellement suite étant donné les négociations
présentement en cours avec le Barreau du Québec concernant les
tarifs d'aide juridique et mon souhait que le travail de ce groupe soit
étendu aux problèmes propres à la classe moyenne
aussi.
D'autres mesures sont également à l'étude, comme
par exemple l'analyse d'une recommandation émanant de cette commission
et visant à l'institution d'un tribunal des droits de la personne. Dans
ce cas aussi, M. le Président, je considère qu'il s'agit d'un
dossier prioritaire que j'entends mener à terme dans les meilleurs
délais. Je proposerai donc bientôt à mes collègues
du Conseil des ministres l'adoption d'un projet de loi sur ce sujet, qui
donnera suite, notamment, à cet important rapport de la commission des
institutions remis à l'Assemblée nationale le 14 juin dernier et
portant sur l'examen des orientations, des activités et de la gestion de
la Commission des droits de la personne du Québec. On se rappellera que
les travaux de la commission parlementaire sur le sujet se sont
échelonnés sur plus de deux ans et qu'outre la Commission des
droits de la personne une douzaine d'organismes du milieu et cinq organismes
gouvernementaux, tant fédéraux que provinciaux, ont
été entendus ou consultés.
La réforme que j'entends présenter comprendra un ensemble
de mesures s'articulant autour des deux grandes orientations suivantes:
premièrement, une réorientation dans le traitement des plaintes
à la Commission des droits de la personne, par l'application de
plusieurs mesures administratives visant à déjudiciariser le
processus, à accélérer les enquêtes, à
favoriser la conciliation, la médiation et, le cas
échéant, l'arbitrage des différends; deuxièmement,
la création d'un tribunal des droits de la personne ayant
compétence, sur demande de la Commission des droits de la personne, en
matière de discrimination et d'exploitation, notamment dans les domaines
du travail, du logement et de l'accès aux services et en matière
d'implantation de programmes d'accès à
l'égalité.
Sur ce dernier point, M. le Président, alors que la commission
des institutions proposait la mise sur pied d'un tribunal administratif des
droits de la personne, le projet que j'entends déposer proposera
plutôt d'instituer un véritable tribunal des droits de la personne
se distinguant d'un tribunal administratif, notamment parce qu'il n'aura pas
à traiter uniquement de problèmes ou de différends entre
l'État et les citoyens, mais aussi de problèmes entre citoyens
propriétaires-locataires, par exemple, ou employeurs-employés, et
aussi parce qu'il n'aura pas pour mandat de réviser des décisions
initialement rendues par l'administration, comme c'est le cas par exemple de la
Commission des affaires sociales.
J'ai également l'intention de déposer sous peu devant
l'Assemblée nationale un projet de loi visant à réformer
en profondeur la Loi sur la Curatelle publique, de manière à
répondre aux objectifs suivants, M. le Président:
premièrement, donner une plus grande autonomie à la Curatelle
publique, en favorisant son autofinancement; deuxièmement,
établir une plus grande transparence de ses règles de gestion et
de financement; troisièmement, assurer une meilleure protection des
personnes inaptes et, quatrièmement, favoriser l'implication des proches
et des membres de la famille, de façon à garder l'intervention de
l'État dans la vie privée des personnes au minimum. Dans cette
perspective, M. le Président, le rôle du Curateur public sera
davantage préventif que curatif et, là encore, il s'agira de
mesures destinées à rendre la justice davantage de qualité
et plus à la mesure des attentes des justiciables.
En matière de droits économiques des conjoints, je
déposerai sous peu un projet de loi devant l'Assemblée nationale,
conjointement avec ma collègue, Mme la ministre
déléguée à la Condition féminine.
Globalement, ce projet instituerait, comme mesures impératives
applicables à tous les époux, un patrimoine familial
composé de divers biens utilisés par la famille ou
l'intéressant. Lors de la dissolution du mariage, la valeur de ce
patrimoine familial serait partagée également entre les deux
époux. Le projet introduirait aussi en droit successoral la notion de
survie de l'obligation alimentaire.
Les mesures dont je viens de parler, M. le Président, qu'elles
aient été adoptées récemment ou qu'elles soient sur
le point de l'être, témoignent de ma préoccupation
constante de doter nos concitoyens d'une justice de qualité universelle
et accessible à tous. Ces mesures législatives, alliées au
travail effectué par les fonctionnaires du ministère et les
personnes oeuvrant au sein des organismes qui relèvent du
ministère de la Justice, contribueront à mieux satisfaire les
besoins des justiciables.
Je conclus donc, M. le Président, en disant que malgré un
contexte parfois difficile, contexte où il a fallu collaborer à
diverses mesures gouvernementales de rationalisation des dépenses, le
ministère de la Justice a quand même exercé une
activité importante sur le plan législatif et ne renonce pas aux
objectifs fondamentaux qu'il est chargé de promouvoir par son action
législative, à savoir: la réforme du droit, la promotion
de la justice sociale, un meilleur respect des libertés et des droits
fondamentaux et, enfin, une meilleure administration de la justice pour la
rendre la plus accessible possible.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre, de vos
remarques préliminaires. J'invite donc maintenant le porte-parole de
l'Opposition officielle en matière de justice, M. le
député de Taillon, à procéder à ses
remarques préliminaires. (10 h 15)
M. Claude Filion
M. Filion: Je vous remercie, M. le Président. La
commission des institutions entreprend aujourd'hui, et ce, pour la
quatrième fois, l'étude des crédits alloués au
ministère de la Justice. Après presque quatre ans
d'administration libérale, l'heure du bilan est donc
inévitablement venue. Avant d'aborder comme tel ce bilan, j'aimerais
souhaiter la bienvenue au ministre de la Justice, au sous-ministre, Me
Chamberland, de même qu'à tous les fonctionnaires et conseillers
qui les accompagnent, tout en notant qu'il n'y a qu'une seule dame dans toute
cette équipe, la directrice de cabinet du ministre. Vous me permettrez,
M. le Président, de la saluer un peu plus particulièrement.
Une voix: II y en a eu plus qu'une.
M. Filion: II n'y en a pas beaucoup en tout cas. Ce serait un
beau cas pour un programme d'accès à l'égalité
à la haute fonction publique du ministère de la Justice.
Évidemment, je le dis sans en aucune façon dénigrer la
qualité ou la compétence des gens qui accompagnent actuellement
le ministre. On sait que les facultés de droit, un peu partout au
Québec, comptent maintenant pour plus de la moitié
d'étudiantes. Alors, je suis convaincu qu'au ministère de la
Justice il y aurait possibilité d'obtenir une représentation un
peu plus équitable. Ce serait un beau cas, M. le Président, pour
un premier programme d'accès à l'égalité au sein de
la haute fonction publique québécoise.
J'ai écouté attentivement les propos du ministre. Je pense
que le ministre devra convenir avec moi que le bilan du ministère de la
Justice est plutôt maigre, lorsque le ministre de la Justice se sent
obligé, pour sa présentation principale, de meubler son discours
d'explications sur la Loi sur les jurés et sur la loi modifiant le Code
civil pour permettre la construction en copropriété sur des
propriétés qui sont sujettes à des baux
emphytéotiques. Il faudrait convenir que le bilan du ministère de
la Justice est plutôt maigre. Évidemment, il y a beaucoup de
pelletage par en avant.
Je me souviens qu'à l'époque Duplessis disait: Vous savez,
une réalisation gouvernementale, c'est bon pour trois élections.
D'abord, on promet un projet, ensuite, à la deuxième, on
lève la première pelletée de terre et, à la
troisième, on le réalise, on l'inaugure. J'écoute le
ministre de la Justice et plusieurs de ses collègues au sein de la
formation libérale et je me dis que, peut-être, on vient d'innover
et que maintenant il y aura quatre étapes: quatre élections
pourraient se servir d'une même réalisation gouvernementale. La
première, on forme un comité d'étude; la deuxième,
on promet quelque chose; la troisième, on lève la première
pelletée de terre et, la quatrième, on réalise. C'est long
un peu. Le ministre nous dit: Je vais déposer, je vais faire un
comité d'étude, mais c'est long un petit peu.
Quand même, M. le Président, ce gouvernement est en place
depuis trois ans et demi. Il avait toute la latitute voulue pour oeuvrer, faire
certaines réformes urgentes dans le secteur de la justice. À
preuve, la réforme des tribunaux administratifs, mais j'en parlerai un
peu plus longuement tantôt. Le titre du rapport était Urgence
d'agir. À cause des délais, etc., cela devient un
véritable déni de justice. Avec la complexité des
procédures, la multiplicité des instances, etc., les tribunaux
administratifs sont devenus un véritable déni de justice au
Québec. Urgence d'agir, nous disait à l'époque le
député de D'Arcy McGee. Le ministre a formé des
comités et on est rendu à la fin du mandat. D'ailleurs, s'il y
avait des élections de déclenchées dans les prochaines
semaines, on pourrait craindre que le bilan du ministère de la
Justice
ne se résume, finalement, à des paroles, à des
comités d'étude et à des rapports.
M. le Président, l'administration de la justice au Québec,
depuis trois ans et demi, a souffert des mêmes maux que ceux qui ont
affecté l'ensemble de l'appareil gouvernemental depuis l'arrivée
au pouvoir de l'équipe libérale. Elle se caractérise
essentiellement par des réductions importantes d'effectif, une attitude
consommée de pelleter en avant les problèmes sans les
résoudre et, par la même occasion, une indécision
chronique, une faculté étonnante d'oublier les promesses
électorales ou, au mieux, de ne les remplir que partiellement.
Finalement, elle témoigne d'une absence complète d'imagination.
Je m'explique.
En 1988-1989, les dépenses probables du ministère de la
Justice s'élèveront à 383 586 000 $, alors qu'en
1985-1986, dernière année du mandat du Parti
québécois, ces dépenses s'élevaient à 391
192 000 $ en dollars constants de 1989. C'est donc dire, en tenant compte du
facteur de l'inflation, que les dépenses de ce ministère pourtant
si crucial pour nos institutions démocratiques auront diminué de
2 %. Plus significatif encore, depuis moins de quatre ans l'effectif du
ministère de la Justice aura diminué de 12 %, passant de 4696
postes en 1985-1986 à 4138 postes prévus pour l'année
1989-1990. Pourtant, le ministère de la Justice est, somme toute, un
petit ministère qui accapare bien peu les budgets de l'État,
étant donné son importance dans le cadre de nos institutions
démocratiques comme je viens de le dire. Ce qui est plus grave, c'est
que ces coupures de budget et en ressources humaines ne viennent que ternir une
image de la justice qui est bien malade.
Depuis 1987, l'Opposition officielle a dénoncé une crise
de confiance latente au sein de l'appareil judiciaire. À nos
conférences de presse, nous avons insisté sur le fait que le
désintérêt, voire le mépris dans certains cas,
manifesté par le gouvernement Bourassa à l'égard de la
fonction judiciaire a fait de celle-ci le parent pauvre de l'État. Le
manque en ressources humaines et financières a engendré, dans les
palais de justice - j'insiste là-dessus, c'est encore tout à fait
d'actualité - une absence de motivation et une dégradation de
l'image de la justice. Un gouvernement qui ne considère pas son
système judiciaire comme important ne peut s'attendre que, par la suite,
les intervenants eux-mêmes et les citoyens fassent autrement.
Si ces propos que je tenais alors n'ont pas alarmé outre mesure
le gouvernement, un important sondage Créatec-Le Devoir, rendu
public au printemps 1988 et confirmant ces propos, aurait normalement dû
faire réagir tout gouvernement un tant soit peu conscient de
l'importance de l'image de la justice. Celle-ci est malade et toute
dégradation supplémentaire de la perception des citoyens de notre
appareil judiciaire ne pourrait qu'engendrer une crise de confiance
supplémentaire.
Pour comprendre l'étendue du phénomène, il importe
de rappeler certains éléments forts et extrêmement
préoccupants de cette étude, de ce sondage Créatec-Le
Devoir. Les Montréalais et Montréalaises ne croient plus les
tribunaux au-dessus de tout soupçon. Ils doutent de la qualité de
la justice et de l'impartialité des juges et un citoyen sur trois
affirme n'être pas certain d'être traité de façon
juste et équitable par nos tribunaux. Le sondage nous a appris que 57 %
des gens interrogés disent ne pas comprendre la justice tellement elle
est compliquée, que 48 % des gens croient qu'ils seraient
maltraités s'ils étaient victimes et que 68 % croient que les
lois sont en retard sur les mentalités des citoyens. Finalement - nous y
reviendrons abondamment -77 % des Montréalais et Montréalaises
estiment que la justice favorise les riches.
Le ministre pourra me dire: Écoutez, c'est une perception
populaire, elle n'est jamais très bonne, etc. Mais je voudrais lui
rappeler qu'à l'occasion de la commission Prévost une
étude semblable avait été faite et, si l'on compare les
résultats de l'étude de la commission Prévost qui remonte
déjà à belle lurette, je l'admets, mais quand même,
avec les résultats de l'étude Créatec-Le Devoir, on
se rend compte qu'il y a une nette détérioration de la perception
de la justice qu'a la population.
Depuis ce sondage et cette sonnette d'alarme tirée par
l'Opposition officielle, qu'a fait le gouvernement pour redresser cette
situation plus que troublante? Alors que celui-ci aurait dû prendre le
taureau par les cornes et annoncer des mesures importantes, il n'a strictement
rien fait. Malgré le changement de ministre, l'histoire des trois
premières années et de ta dernière année du
ministère sous le régime libéral se répète.
La voracité du Conseil du trésor le rend roi et maître.
L'insensibilité de celui-ci à l'égard de l'appareil
judiciaire est criante. Il ne fait aucun doute que le gouvernement
libéral a contribué, par ses coupures et par son absence de
leadership, à miner l'image de la justice.
Tous savent - je pense que nos invités d'aujourd'hui le
reconnaîtront - que le milieu judiciaire en est un qui traditionnellement
est très peu revendicateur. Les juges, les avocats, les notaires et les
personnes qui, de façon générale, travaillent dans le
milieu de la justice ne sont pas des gens qui vont recourir à des
dénonciations publiques, à de nombreuses conférences de
presse, etc. C'est par définition, je dirais, une des
caractéristiques du milieu judiciaire quand on le compare à
d'autres milieux. Mais, parce que ce milieu est très peu revendicateur
sur la place publique, ça ne veut pas dire que tout va bien, au
contraire. Si on pouvait traduire la situation du ministère de la
Justice, par exemple, dans celle du ministère de la Santé et des
Services sociaux, il y aurait des manifestations devant le parlement et on en
parlerait quotidiennement aux lignes ouvertes,
etc.
Évidemment, dans le secteur de la justice, encore une fois, sa
caractéristique étant cette espèce de retenue, de sens des
responsabilités chez les fonctionnaires et chez tous ceux qui y
travaillent, il y a peu de revendications, mais ça ne veut pas dire que
les revendications qu'ils font ne sont pas fondées. On va parler
tantôt des barèmes d'admissibilité à l'aide
juridique. C'est une situation totalement inacceptable. Si la même chose
se passait à l'assurance-maladie ou dans le milieu de
l'éducation, on crierait au meurtre en disant qu'une partie de la
population est privée d'un service essentiel. Dans le secteur de l'aide
juridique, et pourtant le ministre fait des gorges chaudes autour de
l'accessibilité à la justice, il demeure que les barèmes
d'admissibilité n'ont pas encore été modifiés et
c'est tout à fait inacceptable. J'y reviendrai tantôt.
Donc, le milieu judiciaire est peu revendicateur. Pourtant, depuis trois
ans et demi, malgré le fait que ce milieu soit en général
peu éblouissant, disons, dans ses demandes, nous avons assisté
à des phénomènes tout à fait inédits. Je
pense qu'il convient d'en rappeler quelques-uns. D'abord, croyez-le ou non, les
juges ont dû entreprendre des poursuites judiciaires - eh oui! - pour
forcer le gouvernement à arrêter ses coupures insensées
dans leur personnel de soutien. Ils ont dû menacer de boycotter la "messe
rouge" pour obtenir gain de cause dans leurs revendications salariales. Les
procureurs de la couronne ont dû utiliser des moyens de pression. Les
avocats et avocates de l'aide juridique, les avocats et avocates et les
notaires de la fonction publique ont tous dû avoir recours à des
moyens de pression pour obtenir des ententes jugées encore
insatisfaisantes. Leur motivation et l'image de la justice s'en trouvent
affectées, puisque comme principaux intervenants ils ne sont pas encore
satisfaits et ont dû, malgré leur sens des responsabilités,
avoir recours à des moyens de pression.
Aujourd'hui même, nous assistons à des moyens de pression
de la part des avocats et des avocates qui acceptent des mandats de l'aide
juridique. Encore un dossier qui n'est pas réglé, mais qui est
différent de celui des barèmes d'admissibilité à
l'aide juridique, puisqu'il s'agit des honoraires des avocats de pratique
privée qui acceptent des mandats de l'aide juridique. Les demandes des
avocats et avocates du secteur privé ont été
acheminées il y a longtemps aux autorités concernées, mais
jusqu'à ce jour il n'y a eu aucune négociation réelle.
Pourtant, les demandes de ces avocats et avocates sont raisonnables, elles ne
représentent des déboursés additionnels que de 2 000 000 $
à 3 000 000 $. Alors que, selon le sondage Créatec, encore une
fois, 75 % des gens estiment que la justice favorise les riches, le
gouvernement aurait une belle occasion de maintenir un principe fondamental
énoncé lors de la mise sur pied du système d'aide
juridique, celui du libre choix de son avocat ou de son avocate par le
bénéficiaire de ce système. Pourtant, pour l'instant, il
fait tout le contraire. Le gouvernement sape les principes fondamentaux d'un
système qui accroît la justice sociale pour économiser un
maigre 2 000 000$ à 3 000 000 $ par année. (10 h 30)
La justice favorise-t-elle les riches? D'ailleurs, le
prédécesseur du député de Jean-Talon le disait et,
malgré les invitations que nous lui avons adressées à
l'époque, il ne s'est jamais rétracté. Je me souviens
encore du député de D'Arcy McGee qui disait: II y a deux
systèmes de justice. Il y a deux justices au Québec: une pour les
riches et une autre, pour les pauvres. Cela allait bien. C'était le
ministre de la Justice qui le disait. Excellent! Mais, encore une fois, la
justice favorise-t-elle les riches? À tout le moins, ceux qui ont les
moyens de se payer les avocats et les avocates de leur choix.
Autre exemple démontrant comment l'actuel gouvernement est
insouciant face à cette crise latente de confiance: alors que nous
sommes en pleine réforme du Code civil, que les chartes des droits et
libertés révolutionnent le droit, que la société
québécoise évolue rapidement quant à la
représentation en son sein des communautés ethniques, le
gouvernement a pris la décision ridicule de sabrer dans les montants
alloués pour la déontologie judiciaire et pour le
perfectionnement des juges. Alors qu'en 1985-1986 les dépenses à
cet égard se sont élevées à 629 000 $, en dollars
constants de 1989, les crédits alloués pour l'année
1989-1990 ne sont que de 566 000 $, soit une baisse de 10 %.
Une dernière illustration des conséquences néfastes
des coupures de budget sur l'administration de la justice mérite
d'être relevée. Ainsi, relativement à la situation
vécue dans les palais de justice, le ministre de la Justice sait-il
qu'il y a de 50 000 000 $ à 60 000 000 $ en amendes qui n'ont pas
été perçus, principalement parce qu'on ne dispose pas
d'effectif suffisant pour traiter énergiquement ces dossiers? Là
où le Conseil du trésor sabre pour des raisons d'économie,
paradoxalement, cela se résume en une perte de revenus pour le
gouvernement. Tout cela enfin, devant un ministre de la Justice qui se croise
les bras.
Évidemment, il n'y a pas que les coupures de budgets et
d'effectif qui ont un impact négatif. L'indécision chronique dans
plusieurs dossiers et la propension du gouvernement à repousser les
problèmes jouent également un rôle important dans la
dégradation du système judiciaire. Ainsi, après avoir
dénoncé pendant près de huit ans le cumul des fonctions de
ministre de la Justice et de Solliciteur général, nous sommes
toujours devant la situation soi-disant dramatique d'avant 1985. En fait,
rongé comme il l'est toujours par l'indécision, le premier
ministre a été incapable de nommer un successeur au
député de D'Arcy McGee. Nous n'aurons finalement eu un
Solliciteur générai à plein temps que
durant quelques mois, M. le Président. Pourtant, durant le
rocamboiesque épisode du feu à Alliance Québec, la
pertinence de distinguer les deux fonctions a atteint son point culminant.
Plus récemment encore, un oubli, entre guillemets - pour les fins
du Journal des débats - comme celui de la poursuite jamais
intentée contre Provigo, pourtant en possession d'une grande
quantité de chair de poisson avariée, n'aurait probablement pas
été possible si le député de Jean-Talon n'avait pas
tant de chapeaux à porter chaque jour. Là-dessus, M. le
Président, vous me permettrez de citer immédiatement un
fonctionnaire du ministre de la Justice dont on ne peut pas mettre la parole en
doute, Me Rosaire Vallières, qui est procureur-chef et responsable du
droit pénal au sein du ministère de la Justice, qui disait pas
plus tard que ce matin dans le journal Le Soleil: "Cette erreur est
impardonnable". On parle de l'oubli entre guillemets, dont nous parlait le
ministre de la Justice la semaine dernière en Chambre. "Cette erreur est
impardonnable. Il faut cependant comprendre que ce dossier Provigo surgissait
pendant une période de compressions budgétaires. En
décembre 1987, il faisait partie des 55 000 cas traités par une
direction composée de 42 personnes qui eût dû être le
double." Ce n'est pas mol qui parle. Je cite toujours. "Alors, on a pris les
moyens de contrôle les plus simples pour sauver du temps et on
s'apercevait qu'il nous glissait des dossiers à travers les doigts",
d'ajouter Me Vallières. C'est là, M. le Président, le
résultat des coupures budgétaires. Mais, dans le secteur de la
Justice, je regrette, on ne peut pas se permettre ce type de situation
causée par un Conseil du trésor qui, encore une fois, avec ses
analyses trop souvent déconnectées, vient sabrer dans des budgets
de fonctionnement, d'opération et d'administration au détriment
de la justice et, dans bien des cas, au détriment du Trésor
public.
Si la compagnie Provigo avait été poursuivie, elle aurait
payé une amende qui aurait probablement payé la totalité
du salaire d'un avocat qui serait venu s'ajouter à cet effectif de 42
personnes pour traiter 55 000 dossiers. C'est ce qu'il faut que le Conseil du
trésor comprenne, je pense, mais ce n'est pas notre
responsabilité, M. le Président. Le Conseil du trésor ne
nous appelle pas, nous, les députés. Il faut que les ministres
aillent le voir et, lorsqu'il y a divergence d'opinions, il faut que
l'arbitrage se fasse au Conseil des ministres. S'il y a eu des arbitrages au
Conseil des ministres, je regrette, il semble bien que le ministre de la
Justice les ait perdus et il semble bien qu'il ait perdu ses
représentations au Conseil du trésor, parce qu'on se retrouve
dans une situation qui parle par elle-même. On ne peut pas nier cela. Le
ministre me trouvera peut-être dur dans mes propos, mais je pense que la
justice doit refléter une organisation, une administration impeccable.
Elle doit être au-dessus de tout soupçon.
J'avais commencé à parler de cet incident de Provigo en
mentionnant les multiples chapeaux du ministre de la Justice. Je suis
sûr, quand il s'arrête devant sa garde-robe le matin, qu'il regarde
cela... Je pense qu'il en a six, sauf erreur. Ce n'est pas facile de partager
un homme ou une femme en six responsabilités importantes et que la
dernière de celle-là soit la protection du consommateur.
Ça aussi, c'est très important et on n'en viendra quand
même pas à graduer les six responsabilités du ministre. Il
demeure que chacune est importante et que le ministre cumule ces chapeaux. Un
personnage qui a autant de chapeaux, M. le ministre, cela devient, non pas
à cause de votre personnalité, un peu loufoque; cela n'a pas de
sens, pendant que de l'autre côté sept ministres
délégués se promènent dans des limousines alors
qu'ils sont simples ministres délégués. Il y a dans ce
gouvernement quelques ministres qui concentrent tout le pouvoir et qui font en
sorte que des erreurs se produisent, des situations comme celle de Provigo.
Provigo, on en a entendu parler, mais combien y a-t-il de dossiers dont on
n'entendra jamais parler? Combien y a-t-il d'injustices qui seront commises et
dont on ne sera même pas conscients ou conscientes?
Alors, je pense que poser la question c'est y répondre. On ne
peut pas se permettre, dans ces secteurs névralgiques de nos
institutions, d'avoir une telle concentration de responsabilités dans un
seul homme et de telles compressions du budget et de l'effectif.
L'épisode, M. le Président, du feu à Alliance
Québec n'est pas sans rappeler celui du financement des avocats
d'Alliance Québec. Comme on devait s'en douter, jamais le
ministère de la Justice n'a versé depuis de l'argent pour
défrayer les honoraires d'avocats d'une partie qui contesterait la
constitutionnalité d'une loi québécoise, à
l'exception des avocats d'Alliance Québec pour contester la
constitutionnalité de la loi 101. L'histoire donne donc raison à
l'Opposition officielle: l'épisode d'Alliance Québec était
bel et bien un cas unique.
Second exemple de l'inaction libérale: la réforme des
tribunaux administratifs. Le rapport Ouellette a souligné avec justesse
l'importance de procéder à la réforme d'un système
qui est devenu touffu, complexe, inaccessible, très long et où la
nomination des membres n'offre pas de garanties d'indépendance
suffisantes. Le rapport, tout comme l'ex-ministre de la Justice l'a
rappelé à maintes reprises, invoquait l'urgence d'agir. Rien n'a
encore été fait. Évidemment, il faut une bonne dose de
courage pour entreprendre une réforme majeure. Le ministre a fait les
premiers pas dans ce secteur, ses propos de tantôt étaient
rassurants, mais il demeure qu'à ce jour nous n'avons pas encore vu la
couleur de la réforme des tribunaux administratifs. Encore une fois,
s'il y avait des élections de déclenchées dans les
prochaines semaines ou même avant l'adoption d'une future loi, tout
risquerait d'être à recom-
mencer. Il est bon de se rappeler à ce sujet que le Parti
québécois, lors de son premier mandat, avait mis sur pied la Loi
sur le financement des partis politiques, la politique de sélection par
concours des juges du Québec, le bureau des plaideurs et tout cela pour
écarter le patronage, les listes d'avocats privilégiés et
toutes les nominations partisanes que l'on trouve dans les tribunaux
administratifs actuellement.
Autre exemple d'inaction, il existe encore, au Québec, des
citoyens et citoyennes francophones qui reçoivent de nos tribunaux des
jugements exclusivement rédigés en anglais. Qu'a fait le ministre
de la Justice au sujet de cette situation? Évidemment, il y a un
problème constitutionnel qu'il ne peut pas régler, mais il y a
une chose simple, concrète, positive qu'il pourrait faire
immédiatement. Si le ministre ne connaît pas cette mesure
concrète, je l'invite à relire le projet de loi 191 qui contient
une mesure simple et susceptible de régler, une fois pour toutes, cette
situation inacceptable. J'ai vécu, cela j'ai reçu à mon
bureau de comté un francophone qui a eu une chicane avec un autre
francophone et les deux ont reçu leur jugement en anglais. Je vais vous
le dire, M. le ministre. Il n'a pas été facile d'expliquer
à ces deux personnes pourquoi le jugement était en anglais. Une
fois que je leur ai expliqué qu'on vit dans la constitution canadienne,
qu'on a un encadrement fédéral, etc., je ne peux faire autre
chose que de leur dire qu'administrativement parlant, sans enfreindre aucun des
principes du droit constitutionnel, le ministre de la Justice, comme le propose
le projet de loi 191, pourrait faire en sorte que son ministère traduise
ces jugements pour permettre aux citoyens francophones de connaître le
contenu d'un jugement qui les concerne et décider de la
nécessité de porter en appel cette décision. C'est quand
même un droit fondamental. Ce n'est pas sorcier ce que je demande.
Ça ne coûterait pas des dizaines ni des centaines de millions, M.
le Président. Ce serait simple, concret, positif. Une petite
équipe, pas dans tous les cas, mais dans les cas où un citoyen en
ferait la demande, qui traduirait le jugement en français. Ce n'est pas
la mer à boire, on n'a pas besoin de faire un comité
d'étude ni un comité sur le rapport du comité
d'étude et ainsi de suite. C'est une mesure simple, concrète,
mais le ministère de la Justice - le ministre n'a pas été
là pendant trois ans - n'a rien fait, alors qu'il pourrait agir d'une
façon très ponctuelle pour régler ce problème.
Il nous faut également dénoncer l'inaction du ministre
quant à l'engorgement de nos prisons qui, bien que ce soit un dossier
relevant de la Sécurité publique, a un impact considérable
sur les sentences données par les juges. Vous le savez, M. le ministre
de la Justice, les juges s'interrogent sérieusement sur la valeur des
sentences qu'ils prononcent, puisque, étant donné la
surpopulation des prisons, les peines sont rarement purgées
jusqu'à échéance. Il faut comprendre qu'on enlève
le temps pour comportement exemplaire et tout ça. Des sentences de deux
ans moins un jour en vertu desquelles les gens restent en prison deux mois,
ça existe. Cela existe aussi des sentences qui ne sont pas du tout
purgées. Non, je comprends que c'est un dossier de la
Sécurité publique, mais ça a un impact sur la justice,
parce que les juges, quand ils rendent une sentence, ne veulent pas que cette
sentence soit seulement un voeu pieux. Ifs veulent tout de même que le
temps réellement purgé, bien qu'il ne corresponde jamais en
totalité à la sentence exprimée, en enlevant le tiers, le
temps exemplaire, les permissions, les articles 42 et tout ce que vous voulez,
reste un temps un peu décent, étant donné l'aspect
protection de la société qui est retenu par le juge qui ordonne
l'incarcération d'un individu toujours en dernière limite.
Deuxièmement, j'en profite pour signaler au ministre de la
Justice un autre problème qui a des conséquences sur la justice,
bien que relevant de la Sécurité publique; c'est le
problème de la surpopulation à Parthenais et au palais de justice
de Montréal. En bas, au palais de justice de Montréal, pour
recevoir les détenus, sauf erreur, je pense qu'on a construit une petite
pièce dans le garage, avec les gaz d'automobile qui s'y
échappent. On m'a informé, M. le ministre, qu'à peu
près tous les jours des ambulances se présentent au palais de
justice de Montréal pour prendre des prévenus qui viennent de
s'évanouir. Cela n'a plus de bon sens. Il y a du monde là-dedans.
C'est une cour de triage parce qu'un tel va au 312 et un autre va au 407, etc.,
mais il y a trop de monde dans la cour de triage. (10 h 45)
Cela n'a plus de sens et tout ça est dû, encore une fois,
à la surpopulation de Parthenais et du palais de justice de
Montréal qui fait en sorte qu'on ne peut plus administrer
décemment le quotidien judiciaire avec un lot d'accusés aussi
énorme.
Là-dessus, il est bon de souligner que le ministre faisait des
gorges chaudes il y a une quinzaine de jours en nous disant que l'augmentation
de l'indice de criminalité au Québec était
inférieure à ce que les années antérieures avaient
connu. Il y a, par contre, une augmentation faramineuse., importante du nombre
d'accusés devant les tribunaux. Je ne sais pas comment les statistiques
sont faites, mais il reste qu'en matière de comparutions, chaque jour -
prenons le district judiciaire de Montréal - il y a une augmentation
incroyable, il me semble, de 30 % à 40 %. En tout cas, c'est vraiment
majeur comme augmentation.
Toujours dans la catégorie inaction du gouvernement, on ne
saurait oublier ce qui constitue en fait un dossier prioritaire pour
l'Opposition officielle, soit la plus qu'urgente hausse des critères
d'admissibilité à l'aide
juridique. C'est en 1979 que le gouvernement du Parti
québécois a pris la décision d'indexer au coût de la
vie les critères d'admissibilité. Malheureusement, vu la crise
économique sévère qui a frappé le Québec, il
faut l'admettre, quelques années plus tard, cette mesure
généreuse a dû temporairement être suspendue.
Toutefois, dès que l'état de l'économie
québécoise s'est retrouvé en santé, le
gouvernement, en 1985, a augmenté les barèmes pour les familles
et il s'apprêtait à les augmenter à la hausse pour les
personnes seules lorsque le Parti libéral du Québec a pris le
pouvoir. Depuis lors, il n'y a plus rien et ce, même si depuis quelques
années le gouvernement fédéral doit assumer près de
la moitié de la note de l'aide juridique, et j'insiste là-dessus.
Augmenter les tarifs de l'aide juridique en 1980, c'était le
gouvernement provincial qui assumait cela à 100 %, non pas les tarifs
mais les barèmes d'admissibilité. Maintenant, la note de l'aide
juridique est partagée à tout près de 50 %, je pense que
c'est à 48 % par le gouvernement fédéral. Profitons-en
pour donner accès à la justice et je vais revenir
là-dessus dans mes questions tantôt.
Le ministre a terminé tantôt son intervention en parlant de
l'accessibilité à la justice. Je pense qu'il faut prendre des
mesures concrètes et ne pas se contenter de faire des discours. Alors
que le Québec a vécu une croissance économique
exceptionnelle depuis quatre ans, alors que nous avons eu deux ministres de la
Justice qui ont prétendu et prétendent encore faire une
priorité de l'accessibilité à la justice, le gouvernement,
plus préoccupé de colonnes comptables que de justice sociale, n'a
rien fait, si bien que les critères d'admissibilité à
l'aide juridique sont devenus ridiculement bas. Le ministre sait qu'une
personne seule travaillant au salaire minimum n'est plus admissible à
l'aide juridique, de même qu'un couple ne recevant que les chèques
de pension de vieillesse. De plus, on estime qu'à la fin de 1989 une
personne âgée seule n'ayant pour vivre que sa pension ne sera plus
admissible à l'aide juridique, s'il n'y a pas des mesures draconiennes
qui sont prises rapidement. Il s'agirait d'une augmentation tout à fait
acceptable, vu que l'aide juridique coûte à peine 10 $ par
habitant, ce qui représente le coût le plus bas en Amérique
du Nord. Si les critères à l'aide juridique étaient
simplement rétablis au niveau de 1974 lorsque le législateur
implanta le système, c'est 55 942 dossiers de plus qui seraient
traités et c'est pratiquement 300 000 personnes,
Québécoises et Québécois, de plus qui pourraient,
en cas de pépin juridique, avoir accès à l'aide juridique
alors qu'elles n'y ont pas accès maintenant. Il n'est pas
étonnant que 75 % des Montréalaises et Montréalais
estiment que la justice favorise les riches.
Finalement, il m'apparaît important de revenir, en cette veille
d'élections, sur les promesses électorales non
réalisées ou réalisées partiellement. On attend
toujours la création d'une commission de réforme du droit
permanente. Le ministre n'en a pas parlé dans son discours. Celle-ci
serait chargée de faire évoluer le droit au Québec. Quant
à la réforme civile qui devait être complétée
au cours de ce mandat, finalement, l'entrée en vigueur du nouveau Code
civil est prévue pour 1991, bien que le ministre soit
particulièrement optimiste et nous dise que les travaux devraient
être terminés à l'automne 1989.
En ce qui a trait à l'accès à
l'égalité, malgré les belles paroles de ce gouvernement et
l'adoption par l'Assemblée nationale, le pourcentage des membres des
communautés visibles dans la fonction publique a régressé
depuis 1985. J'en profite pour saluer le président de la Commission des
droits de la personne qui est avec nous.
Les politiques annoncées pour contrer le phénomène
de la violence conjugale ont non seulement été pensées par
le précédent gouvernement, mais demeureront au niveau de l'utopie
tant que les centres de femmes seront sous-financés, au point de devoir
consacrer plus de temps à s'autofinancer qu'à s'occuper des
victimes. Il en est de même pour les centres de réhabilitation
pour conjoints violents. Quant à la nouvelle politique d'arrestation en
cas de violence conjugale, les procureurs de la couronne, on le sait, demeurent
surchargés de travail. Notons d'ailleurs que l'exode des substituts du
Procureur général vers la pratique privée se poursuit.
Pour ce qui est des victimes d'actes criminels, le gouvernement a fait
adopter une loi qui n'est qu'une série de droits déclaratoires ou
voeux pieux qui sont limités dans la mesure où le
prévoient d'autres lois. Les budgets accordés à
l'indemnisation des victimes d'actes criminels n'ont pas augmenté de
façon substantielle. Par surcroît, alors qu'un des principaux
reproches adressés au système est sa méconnaissance par
les citoyens, le gouvernement n'a prévu aucune campagne d'information,
si bien que le nombre de Québécois qui y ont recours est en
constante régression depuis 1985.
Bref, de belles économies pour le Trésor public. Bien
entendu, le gouvernement voudra au moins citer comme réalisation
l'instauration d'un système de perception des pensions alimentaires. Au
moins le ministre a eu la décence tantôt de ne pas parler d'un
système de perception automatique, je lui en suis reconnaissant, en
espérant que sa collègue, Mme la ministre
déléguée à la Condition féminine, va cesser
de parler de perception automatique. Finalement, ce système n'aura
d'automatique que le nom car, pour être enclenché, il faudra
encore qu'il y ait défaut du débiteur et démarche de la
créancière. Certes, il s'agit là d'une
amélioration, mais la véritable réforme remonte encore une
fois au Parti québécois qui, en 1980, a mis sur pied toute
l'institution du percepteur des pensions alimentaires.
Avant de conclure, M. le Président, j'aimerais souligner le
mandat d'initiative exécuté par la commission des institutions
concernant la Commission des droits de la personne. La commission a, comme on
le sait, produit un rapport contenant de multiples recommandations, dont
notamment la création d'un tribunal des droits de la personne. Je sais
que le ministre a prêté une oreille attentive à ce rapport
et j'espère, tout simplement, qu'un projet de loi sera
déposé dans les jours qui viennent à l'Assemblée
nationale, pour que l'on puisse l'adopter avant le déclenchement des
élections.
Évidemment, M. le Président, je n'ai passé en revue
que quelques-uns des aspects de l'administration de la justice au
Québec, une administration qui, finalement, n'a rien de bien enviable et
dont le bilan, somme toute, est bien pauvre. Le ministre actuel,
député de Jean-Talon, a, comme je l'ai dit tantôt,
plusieurs chapeaux à porter. Probablement trop pour se rendre compte que
les palais de justice commencent à craquer sous l'indécision et
les compressions budgétaires. À travers ces fissures, c'est
l'institution même de la justice qui non seulement doit être
rendue, mais doit aussi paraître avoir été rendue, c'est la
justice elle-même, dis-je, qui en souffre.
Je vous remercie de votre patience, M. le Président. Je sais que
j'ai dépassé un petit peu le temps qui m'était
alloué.
Le Président (M. Dauphin): Effectivement. Alors, merci
beaucoup, M. le député de Taillon. Je vous signale que,
normalement, les remarques préliminaires sont de 20 minutes. J'ai
été tolérant. Le ministre de la Justice a utilisé
28 minutes et vous, M. le député de Taillon, près de 40
minutes: 38 minutes.
M. Filion: 38 minutes, bon.
Le Président (M. Dauphin): Alors, je ne sais pas si le
ministre de la Justice veut ajouter des choses. Il est au moins 12 minutes en
dessous, quant au temps qu'il a utilisé. M. le ministre de la
Justice.
M. Rémillard: Alors, M. le Président...
M. Filion: M. le Président, je me souviens des
crédits...
Le Président (M. Dauphin): Mais ce n'est pas un
reproche.
M. Filion: Non, parce que je me souviens d'une étude des
crédits au cours de laquelle le ministre nous avait entretenus pendant
une heure et je l'avais laissé aller.
Le Président (M. Dauphin): Je suis loin de vous faire des
reproches.
M. Filion: Je comprends que le ministre ait parlé un peu
moins longtemps que moi. Il a essayé de faire l'inventaire des points
positifs.
M. Rémillard: M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre de la
Justice.
M. Gil Rémillard (réplique)
M. Rémillard: M. le Président, je comprends
très bien que le député de Taillon, critique de
l'Opposition officielle concernant la justice, ait pu parler pendant 38
minutes. C'est une situation un peu particulière pour lui ce matin et je
voudrais lé souligner. C'est sa dernière étude des
crédits du ministère de la Justice, puisqu'il a annoncé
qu'il quittait. Pour ma part, je voudrais souligner cet
événement. C'est quasiment un testament politique qu'il nous a
livré, cette critique qu'il a faite des quatre dernières
années, ou pas tout à fait quatre années, de
l'administration de la justice par le présent gouvernement.
Je voudrais souligner, M. le Président, les grandes
qualités de juriste de M. le député de Taillon et aussi
ses qualités d'homme honnête, comme sa droiture. C'est un
politicien qui fait ce métier d'une façon qui nous permet de
croire qu'il est possible, M. le Président, d'être politicien, de
se battre pour des idées et, quand on n'est pas d'accord, de situer ce
débat toujours à un bon niveau, surtout lorsqu'on aborde des
questions de justice pour lesquelles il faut être particulièrement
sensible au respect du processus judiciaire. Je dois dire que le respect du
député de Taillon, je l'ai vu aux remarques quand même
assez difficiles qu'il nous a livrées pendant ces 38 minutes, mais ses
remarques se sont toujours situées dans un cadre respectueux de la
justice et de l'appareil judiciaire. D'ailleurs, j'aurai l'occasion d'y revenir
dans quelques minutes.
M. le Président, le député de Taillon a
livré son bilan de critique concernant l'administration de la justice
par le présent gouvernement depuis les trois années et demie que
nous sommes au gouvernement. Il a oublié bien sûr certains petits
aspects. Je dis petits, c'est à lui d'en juger et vous pourrez en juger
vous-mêmes, M. le Président, vous et les membres de cette
commission. Lorsqu'on parle de la Cour du Québec, c'est un
élément majeur et fondamental qui a été fait par la
présente administration gouvernementale et libérale: donner la
possibilité d'avoir une seule cour pour unir ces trois cours que nous
avions précédemment et développer encore plus cette
accessibilité à la justice par une plus grande mobilité
grâce à un ensemble de processus administratifs rendus beaucoup
plus faciles. C'est un élément majeur et je suis certain que M.
le député de Taillon en conviendra.
La réforme du Code civil, c'est majeur. Je l'ai annoncé
tout à l'heure dans mes remarques préliminaires, M. le
Président. Nous voulons respecter un échéancier qui est
quand même
serré et nous sommes en voie de le respecter. On n'est pas en
retard et ça va bien. On a eu une bonne collaboration de tous les
intervenants et il y a des décisions à prendre. Nous
étudions ces différents éléments en fonction des
commentaires que nous avons reçus. Les décisions se prennent et
on respectera l'échéancier.
La réforme du Code de procédure pénale, c'est
très important aussi, M. le Président. La loi sur le Code de
procédure pénale est importante, parce que je relie cette loi
à certaines critiques qu'a faites le député de Taillon
tout à l'heure en ce qui regarde les prisons. D'abord, il a
mentionné que les prisons sont de la juridiction du ministre responsable
de la Sécurité publique, mais que cela a des incidences
importantes sur la justice. Je dois lui dire qu'il a raison. Cependant, il me
reprochait aussi d'avoir plusieurs chapeaux, entre autres, de coiffer ceux de
la Justice et de la Sécurité publique. Je me permets simplement
de lui dire ceci. Le ministre responsable de la Sécurité
publique, responsable de la force policière entre autres, est
responsable de l'enquête, c'est une chose. Le ministre responsable de la
Justice est responsable de la poursuite, c'est une autre chose.
Présentement, M. le Président, c'est la même personne, le
même membre du Conseil des ministres qui exerce ces deux fonctions, mais
il y a cloison étanche entre les deux administrations, ce qui n'existait
pas du temps du gouvernement péquiste. Il y a une administration avec
des sous-ministres, un sous-ministre en titre et des sous-ministres
associés à la Justice. Il y a une administration avec
sous-ministre à la Sécurité publique. Ce sont deux
appareils administratifs complètement différents. Pour des sujets
comme celui qui regarde nos prisons, il est intéressant pour un ministre
de pouvoir voir ce qui se passe des deux côtés: du
côté de la Justice comme du côté de la
Sécurité publique.
J'ai déjà eu l'occasion de mentionner, M. le
Président - je le dis de nouveau - que, de fait, nous avons une
surpopulation dans nos prisons et que nous serons en mesure dans un avenir que
j'espère prochain d'apporter des solutions, du moins en ce qui regarde
certains aspects du problème, pour pouvoir offrir des conditions
acceptables aux détenus qui doivent payer leur dette envers la
société, mais qui ont des droits. Et, nous voulons respecter ces
droits. La question de Parthenais est une question qui me préoccupe
beaucoup. Je suis allé visiter Parthenais et je peux vous dire que j'ai
été très sensible à bien des aspects difficiles
qu'on a à Parthenais. J'espère y apporter des solutions
prochainement. (11 heures)
Je sais que plusieurs ministres de la Justice et solliciteurs
généraux ont tenté d'apporter une solution à
Parthenais. J'ai déjà entendu beaucoup de critiques, le
député de Taillon en a entendu aussi, mais je peux vous dire que
je vais essayer de mettre toutes mes énergies, avec les gens qui
m'aident dans ce dossier, avec les fonctionnaires du ministère de la
Sécurité publique qui font un traval remarquable, pour essayer de
trouver des solutions à court terme et pour trouver une solution plus
durable, plus définitive en ce qui regarde Parthenais.
M. le Président, au fond de tout ça, le
député de Taillon avait raison de dire. Cela regarde la justice
et ce sont les sentences qui sont rendues par les cours de justice, les
tribunaux. Il y a cette loi sur la réforme du Code de procédure
pénale qui, fondamentalement, se réfère à une
nouvelle perception de l'emprisonnement. La prison est là pour
protéger la société, tout d'abord, en mettant à
l'écart un citoyen qui peut être dangereux ou une citoyenne qui
peut être dangereuse pour ses semblables. C'est le premier
élément. L'autre élément, c'est pour punir
lorsqu'il s'agit d'un crime tellement important qu'il mérite
l'emprisonnement comme mesure de découragement, si vous voule2, à
poser de nouveau un tel geste.
Je ne voudrais pas être trop long sur ce sujet, j'aurai
peut-être l'occasion d'y revenir lors des prochaines questions, mais il
demeure que dans la loi sur la réforme du Code de procédure
pénale nous allons aborder une nouvelle philosophie, une nouvelle
approche quant à l'emprisonnement. C'est un moyen de dernier recours.
Lorsqu'on a des billets de stationnement ou des infractions mineures au Code de
la route, on n'a pas à faire de prison, ça n'a pas d'allure.
Ce n'est pas vrai qu'il y a deux justices: une pour les riches et une
pour les pauvres. Non, M. le Président. Les pauvres ont une aide
juridique qui n'est pas tout à fait adéquate, mais qui est
là, qui a été mise en place en 1974 par un
précédent régime libéral et qui a établi des
normes intéressantes pour permettre l'accessibilité à la
justice aux plus démunis de notre société. Il faut
maintenant l'adapter. Le député de Taillon a raison de dire qu'il
faut revoir les normes d'admissibilité, ça n'a pas de bon sens.
Il a raison, c'est vrai que ça n'a pas de bon sens. 170 $ de revenu brut
pour une personne - et c'est comme ça depuis 1981, ça n'a pas
été révisé - pour être admissible à
l'aide juridique, ça n'a pas d'allure, ça n'a pas de bon sens, il
faut revoir ça.
Les notions concernant un couple n'ont pas de bon sens non plus, et
ça n'a pas été indexé. Le député me
disait lui-même qu'on avait indexé jusqu'en 1979 et que, par la
suite, on n'avait plus indexé. Bon, d'accord. Maintenant, je dois
composer avec ces situations, et il admettra avec moi que ce n'est pas facile.
Mais il a raison de dire que ça n'a pas de bon sens. Cela pose bien des
problèmes. J'ai reçu des dizaines de lettres de gens qui me
disaient, par exemple, dans des cas de divorce: Quand on se retrouve devant les
tribunaux pour avoir la garde des enfants, un des conjoints a l'aide juridique,
l'autre ne l'a pas, ça fait une situation injuste, inacceptable
là aussi. J'ai des cas, vraiment, où ça n'a pas de bon
sens. Un conjoint a droit à l'aide juridique et l'autre gagne un
petit montant à peine suffisant pour vivre, mais il n'est pas admissible
à l'aide juridique. Pour le moment... Même si on l'augmente,
même si vous gagnez 30 000 $ par année et que vous faites face
à un procès qui peut vous coûter des milliers de dollars et
que votre ancien conjoint a l'aide juridique - je parle d'une situation qui
regarde des dissolutions de mariage, mais je pourrais prendre d'autres exemples
aussi - on se retrouve dans des situations extrêmement difficiles. C'est
dans ce contexte qu'il faut absolument que des gens se penchent sur cette
question et nous disent ce qu'on peut faire pour vraiment aider les plus
démunis de notre société à avoir accès
à la justice et ce qu'on peut aussi faire pour protéger ceux qui
ont un revenu suffisant pour vivre, qui ne sont pas nécessairement
admissibles à l'aide juridique, mais qui se retrouvent devant l'appareil
judiciaire en opposants à des gens qui ont l'aide juridique et qui
peuvent se rendre jusqu'en Cour suprême sans que ça leur
coûte un cent.
Alors, M. le Président, j'aimerais simplement souligner que d'une
part, les plus démunis de la société ont l'aide juridique
et les plus riches ont l'argent pour payer les tribunaux, et que, d'autre part,
c'est la classe moyenne qui pose un problème majeur. C'est la classe
moyenne qui n'a pas les moyens de se payer un procès, et il va falloir
regarder ça de près. Quelqu'un qui gagne un salaire moyen a-t-il
encore les moyens de se payer un procès au tarif que doivent facturer
les avocats, parce qu'ils ont, eux, toutes leurs dépenses de bureau,
etc., qui coûtent une fortune? La réalité est là!
Comme ministre de la Justice, je peux vous dire que je suis extrêmement
préoccupé par cette situation, de même que je suis
préoccupé par un citoyen poursuivi, à un moment
donné, au niveau criminel, pour avoir fait un crime. On arrive chez lui:
Toc, toc, toc! On entre et on dit: Monsieur, madame, vous êtes
accusé d'avoir fait un meurtre, d'avoir volé, ou je ne sais trop
quoi. Vous avez vos droits, vous êtes présumé innocent.
Maintenant, on vous emmène, vous êtes sous mandat d'arrestation.
Vous êtes présumé Innocent, dans notre système, mais
vous allez vous défendre.
Si vous êtes un citoyen, moyen si vous n'avez pas l'aide
juridique, si vous êtes quelqu'un qui vit au crochet de différents
programmes de l'État ou qui vit un peu difficilement, vous allez vous
retrouver dans une situation difficile et devrez, à ce moment-là,
payer les frais d'un criminaliste. Même si vous êtes
déclaré innocent, au bout de la course, vous devrez toujours
payer quand même les frais de ce criminaliste, et ça peut
être des milliers de dollars. C'est sûr que l'État ne peut
pas rembourser les frais parce que quelqu'un est déclaré
innocent, mais ne peut-on pas imaginer quelque chose? Est-ce qu'il n'y a pas
moyen de voir quelque chose pour que les gens n'hypothèquent pas leur
maison pour être finalement capables de payer leurs frais judiciai- res?
Cette situation existe aussi. Il ne faut pas se fermer les yeux
là-dessus.
M. le Président, on a parlé tout à l'heure d'un cas
particulièrement d'actualité, qui l'était la semaine
dernière, des poursuites concernant la firme Provigo. Le
député de Taillon a soulevé ce cas, l'a situé dans
son contexte réel, et je l'en remercie. Justement, cela confirme ce que
j'ai dit au tout début de mes remarques. Ce que j'ai à dire,
essentiellement ce que j'ai dit la semaine dernière, c'est qu'il s'agit
d'une erreur commise par un procureur. L'erreur est humaine, cela a
été confirmé encore ce matin dans une entrevue que donnait
un fonctionnaire responsable de ce secteur. Bien sûr, nos procureurs ont
du travail à faire. Ils doivent le faire et je dois dire qu'ils le font
d'une façon très consciencieuse. Je dois leur rendre hommage pour
le travail qu'ils font. Ils font un travail remarquable.
C'est vrai qu'il y a eu des compressions budgétaires et c'est
vrai qu'à certains chapitres il a fallu essayer de composer avec une
réalité qui est là et qui a quand même permis au
gouvernement du Québec de diminuer de moitié un déficit
budgétaire, mais jamais sur la qualité essentielle qu'on doit
assurer à nos services en matière de justice. Il se peut, M. le
Président... C'est facile de dire: Tel ou tel cas, à cause des
compressions budgétaires... Je ne dis pas que ça s'est fait de
gaieté de coeur, M. le Président, mais, au ministère de la
Justice, au chapitre de l'administration, nous avons procédé
à un aménagement qui pouvait nous amener à consacrer quand
même une part importante de notre budget à l'aide aux
justiciables. Le député de Taillon pourra se rendre compte qu'on
a quand même consacré 82 200 000 $, soit 20,4 % du budget du
ministère, à l'aide aux justiciables, c'est ce qui est important.
Bien sûr, on a pu retrouver dans l'administration certains
éléments plus difficiles qui méritent de l'ajustement. Je
suis allé dans les palais de justice - je ne reste pas dans mon bureau
de ministre - à Québec, à Montréal, à Hull,
dans les différents palais de justice, même à Percé.
J'en ai fait plusieurs et je vais en faire encore. Je veux les faire tous. J'ai
vu des problèmes. On est venu me montrer du doigt des problèmes.
M. le ministre, on a un problème là. J'étais
accompagné de mon sous-ministre responsable. On a essayé
d'apporter des solutions. On en a apporté à Québec, comme
dans d'autres palais de justice, que ce soit à Hull, qu'on a
visité, ou à Saint-Jérôme.
M. le Président, il reste quand même que 20,4 % du budget a
été consacré à l'aide aux justiciables. Cela
m'apparaît extrêmement important, comme ministre de la Justice
soucieux d'assurer cette accessibilité à la justice à tous
nos citoyens et citoyennes.
Le député de Taillon a parlé d'un projet de loi
concernant la réforme des tribunaux administratifs. Je veux l'informer
qu'il y a un projet de loi en train de se bonifier par différentes
consultations et commentaires que nous
pouvons recevoir à l'interne. J'y travaille très
activement. Nous allons voir ce que nous pouvons faire. Je sais que le
député de Taillon l'a mentionné tout à l'heure
lui-même. C'est un gros morceau. Il ne faut pas y aller à peu
près. Un excellent rapport a été fait. Je veux souligner
sa qualité. Cependant, il reste à le mettre en application. Je
peux dire que j'ai été professeur d'université. Je suis
maintenant politicien. J'ai pu voir de la théorie à la pratique.
Maintenant, il reste à voir comment ce rapport peut s'appliquer dans
notre réalité administrative. C'est pour moi une priorité.
Nous y travaillons activement, je peux vous l'assurer.
M. le Président, j'aurais peut-être d'autres remarques,
mais je ne veux pas être trop long. Je sais qu'on reviendra sur ces
différents aspects. Le député de Taillon a soulevé
différents points. Au fur et à mesure de ses questions, on pourra
y revenir, que ce soit sur la question de la langue, par exemple, qu'il a
abordée brièvement. Je sais qu'il va y revenir, qu'on pourra
aborder ces questions ou ce qui regarde aussi d'autres aspects de
l'administration de la justice. Je veux discuter avec lui de la façon la
plus franche et la plus complète possible.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre de la
Justice. Alors, libre au député de Taillon de continuer la
discussion ou d'aborder des programmes précis. Je sais, M. le ministre,
que vous avez parlé dix-huit minutes dans votre deuxième
étape. Donc, vous êtes en avance sur le député de
Taillon de huit minutes.
M. Filion: Je ne veux pas embarquer dans cette course contre la
montre avec le ministre.
M. Rémillard: On procède par huit. C'est quand
même assez curieux.
M. Filion: Huit, c'est un chiffre magique.
Le Président (M. Dauphin): M. le député de
Taillon.
Discussion générale
M. Filion: Quelques remarques, rapidement, sur les propos du
ministre de la Justice, dont je ne doute pas de la sincérité.
Premièrement, Cour du Québec. Le ministre admettra que
c'est une réforme de structures. Les avocats changent, dans leur
procédure, l'entête; c'est une réorganisation
administrative qui, je n'en doute pas, va probablement, en bout de piste,
améliorer un peu les services aux citoyens qui pourront s'y retrouver
plus facilement. Mais il ne faut quand même pas donner à cette
réforme, qui est un changement de nom en même temps qu'une
réforme de structures, une importance qu'elle n'a pas.
Deuxièmement, en ce qui concerne la réforme du Code de
procédure pénale, je dois vous dire, M. le ministre, que je suis
extrêmement déçu de voir que nous avons
procédé, à l'Assemblée nationale, à
l'adoption d'un nouveau Code de procédure pénale, mais cela prend
une loi de mise en oeuvre. Nulle part dans vos propos n'ai-je entendu quelque
parole qui pourrait être source d'espoir pour l'Opposition officielle,
dans le sens que le Code de procédure pénale pourrait recevoir sa
loi de mise en oeuvre. On sait que pour qu'elle soit appliquée, il faut
une législation additionnelle. (11 h 15)
Le ministre a tenté de répondre à mes arguments sur
le double cumul de fonctions. Je sais que le ministère de la
Sécurité publique et le ministère de la Justice sont deux
ministères différents mais il demeure que le décideur, en
ultime ligne, c'est le ministre lui-même. C'est lui qui est le patron. Il
faut se comprendre. C'est lui qui définit les orientations, les grands
axes et c'est lui qui, dans bien des cas, décide, dossier par dossier,
des mesures à prendre. J'en suis qu'il y a deux ministères, mais
le cumul reste à la tête et, donc, se répercute dans
l'ensemble de la machine.
Un mot sur Parthenais. On ne peut pas être plus d'accord, tout le
monde, en somme. Le problème, à Parthenais, je vais vous le dire,
M. le Président, c'est qu'on est plein de monde à aller le
visiter, mais qu'il ne se fait rien. Je me souviens que le député
de D'Arcy McGee y est allé, j'y suis allé, j'avais écrit
un petit texte dans les journaux, à l'époque, là-dessus.
Le ministre de la Justice est allé le visiter, probablement
vous-même, M. le Président, à titre d'adjoint
parlementaire. Bref, je pense qu'à Parthenais ils sont en train de se
doter d'un excellent système de visites!
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Filion: Mais, finalement, sauf erreur, grosso modo, il y a
environ 375 places en cellules et il y a autour de 600 prévenus. Mon
Dieu! On peut bien aller visiter tout ça, mais on se rend compte qu'ils
font du camping - c'est l'expression qu'ils emploient - il y a des salles de
camping, à Parthenais. On aménage ce qui devrait être des
salles de récréation en salles de camping. Le monde est dans les
couloirs, etc. Je pense que ça rendrait les visites plus
agréables si chacun avait sa cellule. Évidemment, quand je dis
"prévenu", le ministre sait fort bien - il l'a mentionné en
Chambre la semaine dernière - que ça implique présomption
d'innocence. Ce n'est pas drôle d'être présumé
innocent, de ce temps-ci, c'est peut-être mieux d'être
déclaré coupable, ce qui fait en sorte que beaucoup de plaidoyers
de culpabilité sont accélérés. Les gens
étouffent dans cette espèce de cage juchée,
décollée du plancher des vaches. Ne nous souhaitons pas un
incendie à Parthenais. Si Mme Thatcher trouve difficile de vivre
Sheffield... Tous ceux qui l'ont visité vont avoir des comptes à
rendre, et c'est
moins drôle un peu. Évidemment, il y a des mesures de
sécurité. Si le feu prenait là-dedans, ça
deviendrait une immense rôtisserie, dont les responsables auraient
quelque difficulté à dormir. Je sais que ce n'est pas
drôle, le ministre est sincère, mais il faut passer à
l'action.
Il y a une possibilité du côté du pénitencier
fédéral, m'a-t-on dit; il y a une possibilité,
également, du côté de Bordeaux. La solution que je mets de
l'avant, M. le ministre, coûte des sous, c'est vrai. On a
déjà le terrain à Bordeaux, je suggère que vous y
construisiez un centre de prévention. Cela coûte des sous, bien
oui, il faudrait convaincre le Conseil du trésor. C'est une solution
à moyen et à long termes; à court terme, il peut y avoir
l'institut Laval, il peut y avoir Bordeaux, mais, chose certaine, il faut
régler le problème.
Aide juridique. L'aide juridique, M. le ministre, je vous ai
écouté attentivement, je dois vous signaler que je ne partage pas
votre point de vue. Je suis conscient des préoccupations que vous
soulevez quant aux gens qui font partie de ce qu'on appelle la classe moyenne,
ceux qui gagnent 30 000 $ par année, comme vous le disiez tantôt,
mais le problème, c'est que celui qui gagne 8892 $ par année
n'est pas admissible à l'aide juridique. J'ai multiplié 171 $ par
52, j'arrive à un revenu annuel de 8892 $. Je veux bien que le
Québec se dote d'un système pour venir en aide à la classe
moyenne qui est impliquée dans des procédures judiciaires, mais
d'abord, immédiatement, s'occuper de ceux qui gagnent 8892 $ par
année. Peut-être que la réforme, à ce moment, serait
moins vaste, mais, au moins, elle pourrait donner des résultats
immédiats. Personnellement, M. le ministre, je dois vous dire que c'est
une préoccupation qui vous honore, à l'égard de la classe
moyenne, mais ma préoccupation à moi, immédiatement, n'est
pas celle-là. Ma préoccupation est pour ceux qui gagnent entre
8892 $ et 30 000 $ par année - mettez le salaire à 20 000 $, peu
importe - pour ceux qui sont défavorisés. Quand on dit que 171 $
par semaine, aller voir un avocat avec ça et se faire défendre
adéquatement, bonne chance tout le monde!
Bref, j'inviterais le ministre, tout en conservant son objectif à
long terme, à agir beaucoup plus rapidement dans ce secteur
névralgique qu'est l'accessibilité à la justice. 300 000
dossiers. Tout ce que je disais tantôt, c'est uniquement de ramener les
critères d'admissibilité à ce qu'ils étaient
lorsqu'on a mis sur pied l'aide juridique, en 1974; cela donnerait 300 000
personnes qui auraient accès à l'aide juridique et qui ne l'ont
pas aujourd'hui. Quant à moi, ma préoccupation immédiate
va à ces 300 000 personnes. Si on veut régler le cas de 1 000 000
de personnes, on embrasse peut-être trop large et on repousse
peut-être davantage la résolution du problème des
gagne-petit, ceux qui gagnent moins. Dans ce sens-là, j'inviterais le
ministre à peut-être, soit dit aimablement, un peu plus de
réalisme. Je ne pense pas que le Conseil du trésor cède
sous le poids d'une grosse argumentation en faveur de ceux qui gagnent 25 000 $
par année. Je pense qu'à 8892 $ il y a possibilité de
passer un bel avant-midi au Conseil du trésor à le
débattre et à l'obtenir.
Dossier Provigo
Ma première question, M. le Président, porte sur le
dossier Provigo et sur l'impact des coupures sur le ministère.
Évidemment, il y a deux théories dans ce dossier: la
théorie de l'oubli, qui est un peu la théorie gouvernementale, et
l'autre théorie qui voudrait qu'il puisse y avoir eu ce que le ministre
nie - il faut prendre sa parole, à moins d'avoir des
éléments de preuve contraire - à savoir qu'il aurait pu y
avoir influence. Mais si on prend la théorie de l'oubli, M. le ministre,
qui est la vôtre, celle du gouvernement, on se rend compte qu'elle ne
tient pas beaucoup. Me Vallières, toujours dans Le Soleil de ce
matin, nous dit: II est faux de dire que le dossier a passé deux ans
à la justice; pourtant, c'était là la version du
ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de
l'Alimentation.
La question que je vous adresse bien simplement est la suivante:
Étant donné l'importance d'une absence de poursuite quant
à l'image de la justice et de la justice elle-même, le ministre
est-il disposé à annoncer, ce matin, une enquête sur le
dossier Provigo et son traitement au sein de l'appareil gouvernemental? Vous
comprendrez que, lorsque les fonctionnaires se contredisent entre eux,
lorsqu'on parle d'erreur dans un secteur - Mon Dieu! - tellement
névralgique, tellement important, qui est tout ce secteur du droit
pénal, on ne peut pas dire uniquement: Écoutez, c'est un oubli,
errare humanum est, cela peut arriver. Non! Il faut être tout aussi
rigoureux.
Je vais donner un exemple au ministre. Le ministre nous annonce une
enquête parce qu'une personne s'est évadée du quartier
général de la SQ. Mais une compagnie, une chaîne de
distribution en alimentation, qui détient une marchandise impropre
à l'alimentation, tout ça dans un cadre où le dossier
n'est pas suivi adéquatement par le gouvernement, c'est
extrêmement grave. Je demande formellement au ministre, ce matin,
d'instituer une enquête sur le traitement du dossier Provigo. Encore une
fois, pour soutenir ma demande, j'exprime ceci au ministre. C'est un cas qu'on
connaît, celui de Provigo, mais quand M. Vallières nous dit que 55
000 dossiers sont traités par une direction de 42 personnes, alors qu'on
aurait dû avoir le double de personnel, cela veut dire qu'il manque de
gens au ministère de la Justice. Et s'il manque de gens au
ministère de la Justice, qu'on n'intente pas les poursuites, c'est
inacceptable!
Compte tenu, encore une fois, de cette admission par un haut
fonctionnaire du ministère de la Justice, compte tenu également
du fait - je
le signalais dans mon discours d'ouverture - que de 50000000$ à
60000000$ d'amendes sont non perçues par le gouvernement du
Québec parce qu'on manque de personnel, je demande formellement au
ministre de la Justice d'instituer une enquête sur le traitement du
dossier Provigo et sur le traitement, de façon générale,
des dossiers par l'appareil gouvernemental. J'espère que le ministre,
quitte à y réfléchir quelques minutes, nous accordera
cette demande qui, il en conviendra lui-même, est tout à fait
raisonnable dans les circonstances parce qu'elle met en cause la confiance, une
confiance déjà mince - on l'a vu tantôt avec l'étude
Créatec-Le Devoir - du citoyen à l'égard de
l'appareil judiciaire. Pour éviter d'accentuer cette crise de confiance
de la population, il m'apparaît que cette enquête serait tout
à fait raisonnable et à propos.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre de la
Justice.
M. Rémillard: M. le Président, dans toute cette
discussion concernant la compagnie Provigo, je crois qu'il faut être
particulièrement soucieux - je l'ai mentionné tout a l'heure - de
protéger l'intégrité judiciaire. Le ministre de la
Sécurité publique, comme le ministre de la Justice, doit voir
à ce que l'intégrité du système judiciaire soit
respectée. J'ai été informé, pour ma part, de ces
événements qui ont entouré la compagnie Provigo le matin
par la découpure du journal et j'ai demandé au sous-ministre de
la Justice, M. Chamberland, de me faire rapport.
M. le Président, tout à l'heure, le député
de Taillon mentionnait un autre dossier, celui d'hier, en ce qui regarde
l'évasion de M. Charbonneau du poste de police ici, à
Québec. Je peux lui dire que dans ce cas-là, au point de vue
administratif, j'ai fait exactement la même chose que j'ai faite dans le
cas des événements concernant la compagnie Provigo,
c'est-à-dire que j'ai demandé au sous-ministre de la
Sécurité publique, M. Beaudoin, qu'on me fasse rapport, qu'on
demande à la Sûreté du Québec de faire rapport sur
les circonstances de cette évasion. Quand j'aurai le rapport, je pourrai
voir ce qui s'est passé. Si on en arrive à la conclusion qu'on
doit prendre des mesures administratives ou autres pour que ces
événements ne se reproduisent plus, on peut les prendre. Mais,
hier, j'ai demandé qu'on me fasse rapport, comme je l'ai demandé
la semaine dernière. Lorsque j'ai été informé de
ces événements concernant Provigo, j'ai demandé au
sous-ministre de la Justice, M. Chamberland, de me faire rapport. Il m'a fait
rapport. Ce dernier est clair, net et évident. Il y a eu erreur humaine.
Un procureur a fait une erreur.
Lorsque le député de Taillon disait qu'il y avait deux
façons de voir cette affaire, de la voir comme une erreur administrative
ou de la voir comme une ingérence politique, je sais qu'il ne retient
pas la dernière possibilité parce qu'il sait que c'est
complètement faux. Il est complètement faux et impossible de
prétendre qu'il puisse y avoir une ingérence politique dans le
domaine de l'administration de la justice en ce qui regarde les poursuites. M.
le Président, pour ma part, je n'accepterai pas qu'on mette en cause
l'intégrité du processus judiciaire au Québec et je sais
que le député de Taillon ne l'acceptera pas non plus. Donc, on
élimine cette possibilité. Il reste l'erreur qui a
été faite au point de vue administratif et qui a
été faite par un avocat responsable de ce dossier. C'est un
dossier qui est arrivé au ministère de la Justice en
décembre 1987. Il a été analysé le 3 février
1989, mais la prescription s'appliquait à partir du 6 janvier 1989.
M. Filion: II est arrivé le 3 décembre, c'est ce
que vous dites.
M. Rémillard: II est arrivé en décembre 1987
et l'analyse a été faite le 3 février 1989. Il est
resté sur la pile et la prescription s'appliquait le 6 janvier 1989.
M. Filion: 1989.
M. Rémillard: Toujours 1989. Donc, quand il a
été analysé, il était déjà prescrit.
(11 h 30)
M. Filion: M. le ministre, combien y avait-il de dossiers dans la
pile? Vous dites qu'il est resté dans la pile. Provigo est un cas qu'on
connaît. C'est peut-être le dessus d'un iceberg. Vous nous dites
que c'est une erreur, un oubli. C'est la théorie gouvernementale. Comme
je vous le dis, il y a une autre théorie. Vous avez lu les journaux
comme moi. Elle se tient debout.
Premièrement, si cela est vraiment exact, combien y a-t-il de
dossiers impliqués là-dedans? Il y en a un qu'on connaît,
le poisson avarié. Est-ce qu'il y avait d'autres dossiers à
côté? Cela doit. Ce n'est pas juste un dossier unique.
Deuxièmement, s'il est vrai que c'est la théorie de l'oubli ou de
l'erreur, pourquoi ne pas faire d'enquête, à ce moment-là,
qui le dira? On saura à combien de dossiers elle s'applique.
M. Rémillard: L'enquête, c'est un grand mot. Il ne
faut pas exagérer non plus. S'il fallait faire des enquêtes sur
tout ce qui peut causer des problèmes administratifs, on ne finirait
plus d'enquêter. Il faut quand même comprendre la
réalité des choses administratives. Le ministère de la
Justice est un ministère qui administre des éléments
importants de la vie de tous les justiciables. Nous le faisons avec un maximum
de diligence. Dans ce cas-ci, une erreur administrative a été
faite. Lorsque le député de Taillon a, d'une façon
indirecte... Je crois comprendre qu'il se réfère toujours
à une ingérence politique. Je ne sais pas si c'est la situation.
Est-ce vraiment la situation? Se réfère-t-il à une
possibilité d'ingérence politique?
M. Filion: Le ministre admettra avec moi que deux tonnes de
poisson avarié, ce n'est pas un détail. Sauf erreur, ça
fait 4000 livres de poisson avarié. Cela nourrit bien du monde et peut
amener des conséquences sur la santé de bien du monde. Je connais
même, dans l'histoire politique récente, un ministre au
gouvernement fédéral qui a dû démissionner parce
qu'à un moment donné, autour d'une affaire de poisson
avarié aussi, il y avait eu négligence.
Cette erreur est extrêmement grave, M. le ministre. Quand on
reçoit un billet de circulation et qu'on ne le paie pas, ce n'est pas
long qu'on reçoit... On ne nous oublie pas souvent. Le commun des
mortels n'est pas oublié souvent lorsqu'il stationne sa voiture à
un endroit interdit. C'est toute la crédibilité de notre
procédure pénale qui est en cause, finalement. Comment
voulez-vous qu'on apporte la même crédibilité à
notre procédure? Autour de deux tonnes de poisson avarié, vous me
dites: C'est une erreur. Le ministère de l'Agriculture, des
Pêcheries et de l'Alimentation nous dit: On a harcelé le
ministère de la Justice. Il y a quelque chose qui ne marche plus
là-dedans. Je veux bien adhérer à la théorie de
l'oubli ou de l'erreur, mais encore faudrait-il que certains
éléments soient éclaircis.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, il faut qu'on
s'entende, au départ, sur ce qu'on discute. Si on veut discuter de cette
supposée ingérence politique, on va en discuter. Je n'accepterai
pas, comme ministre de la Justice, qu'on mette en cause
l'intégrité de nos procureurs, de nos substituts. C'est mettre en
cause l'intégrité de tout le processus judiciaire
québécois.
Pour ma part, comme ministre de la Justice, M. le Président, je
ne l'accepterai pas. Comment peut-on mettre en cause l'intégrité
de nos procureurs qui prennent des poursuites ou celle d'un processus
judiciaire dans un cas comme celui-ci, comme si on faisait face à une
firme qui n'avait jamais été poursuivie, qui avait une certaine
immunité de par certains liens politiques? Non seulement c'est faux et
mensonger, mais c'est grave de prétendre des choses pareilles. C'est
grave pour l'intégrité du système judiciaire.
Le député de Taillon, au tout début de ses
remarques à cette séance sur l'étude des crédits,
citait un sondage Créatec concernant la perception des
Québécois et des Québécoises face à leur
appareil judiciaire. Il nous le disait lui-même: C'est grave. Il faut
faire attention. Des Québécois et des Québécoises
peuvent percevoir avec beaucoup de nuances l'efficacité du
système judiciaire. Il ne faut pas le nier, il faut y faire face. Mais
j'espère que le député de Taillon va quand même
réaliser que, par des critiques aussi infondées, aussi
mensongères, on vient toucher au coeur même de
l'intégrité de notre système judiciaire.
Je voudrais, M. le Président, une fois pour toutes, qu'on
s'entende bien et qu'on mette de côté, qu'on ne parle plus de
cette ingérence politique. Ce matin, dans les journaux, vous aviez un
fonctionnaire responsable d'un secteur qui est venu dire: C'est une erreur
administrative. Maintenant, le député de Taillon peut me poser
des questions, à savoir: Comment se fait-il qu'il y ait eu une erreur
administrative? Il m'a posé les questions: Combien y avait-il de
dossiers sur le bureau? Pourquoi y a-t-il eu ces erreurs administratives? Je
pense que ce sont des questions qu'il doit nous poser, oui, dans son travail.
Par contre, il y a une question qu'il ne doit pas nous poser, si on veut
respecter l'intégrité de ce système, parce qu'elle n'est
pas fondée, ni de près ni de loin, en aucune façon, c'est
sur l'intégrité de nos procureurs, de nos substituts qui font
leur travail et je veux rendre hommage à ces gens qui font leur travail
en toute Impartialité.
M. Filion: M. le ministre.
Le Président (M. Dauphin): M. le député de
Taillon.
M. Filion: M. le Président, l'intégrité de
la justice, on en est, tout le monde en est, mais on en est d'autant plus
qu'une enquête peut uniquement aider à rétablir une
crédibilité qui pourrait être affectée par des
révélations semblables. Le ministre met de l'emphase sur
l'intégrité du système judiciaire et sur le fait que les
citoyens ne doivent pas en douter, j'en suis. La réalité, c'est
que les citoyens en doutent dans certains cas. Voilà un
événement qui risque d'accentuer leur perception. À ce
moment-là, une enquête pourrait permettre de faire toute la
lumière sur le dossier parce qu'il demeure, M. le ministre... Si je
divise 55 000 dossiers par 42 personnes, ça fait au-dessus de 1000
dossiers par personne. C'est énorme. Si l'enquête
révèle, par exemple, que c'est uniquement un manque d'effectif
qui a causé cette erreur, Bon Dieu! on prendra les mesures
appropriées.
Ce que je dis donc au ministre de la Justice et la demande que je
reformule auprès de lui, c'est: Faites une enquête, mais partiale,
la plus complète possible, pour arriver à faire toute la
lumière sur cet événement et faire en sorte que ceux qui
pourraient croire à autre chose qu'à la théorie de l'oubli
ou de l'erreur soient convaincus du contraire parce que c'est important. Dans
ce sens-là, je repose la question que j'ai posée tantôt au
ministre: Combien de dossiers ont été oubliés et ont fait
le sujet d'erreurs au ministère de la Justice? Le ministre a-t-il une
idée maintenant? Il a dû faire une vérification. Combien de
dossiers ont été prescrits, dont les poursuites n'ont pas
été intentées par suite de prescription?
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, des erreurs
humaines, vous savez, il y en a toujours eu et je pense qu'il y en aura
toujours tant que l'humain demeurera imparfait comme il l'est. Cependant, il
nous appartient - c'est notre responsabilité, comme administrateurs,
comme responsables de l'administration de la justice - de faire en sorte que
ces erreurs humaines soient le moins nombreuses possible.
En ce qui regarde le traitement des dossiers, par exemple, nous sommes
à mettre au point différents moyens qui, entre autres, en nous
aidant de l'informatique, vont nous permettre de limiter
considérablement les risques d'erreurs, en particulier en ce qui regarde
des circonstances comme celles qu'on a vécues concernant les
éléments de l'affaire Provigo. Par un système informatique
adéquat, par un meilleur contrôle des dossiers aussi à la
direction du service - déjà, on a un bon contrôle, on peut
le renforcer - il sera possible de limiter les possibilités
d'erreurs.
M. le Président, il ne faut pas qu'on me demande aujourd'hui,
devant vous, de promettre qu'il n'y aura plus d'erreur. Je ne peux pas vous
promettre ça. Ce que je vais vous promettre, par exemple, et ce que je
peux vous dire qu'on a déjà fait, c'est que j'ai eu un rapport,
parce que j'ai demandé un rapport au sous-ministre, j'ai eu ce rapport
et nous allons agir en conséquence pour resserrer le liens de
contrôle. Mais je ne pourrai pas vous garantir ce matin, M. le
Président, qu'il n'y aura jamais une autre erreur qui pourra être
faite. L'erreur est humaine. Il s'agit de faire en sorte qu'il y en ait le
moins possible. Je peux vous garantir que des moyens sont pris pour qu'il y ait
le moins possible de ces erreurs à l'avenir.
Le Président (M. Dauphin): M. le député.
Coupures administratives
M. Filion: J'ai posé certaines questions qui n'ont pas eu
de réponse. Je voudrais faire noter les chiffres suivants au ministre de
la Justice: le programme 5, Administration, si on regarde les
éléments 1, 2 et 3, en dollars constants de 1989 - il faut tenir
compte de l'inflation, ça ne donne rien de comparer les dollars de 1985
aux dollars de 1989 - le programme a subi des coupures draconiennes de 16%.
L'élément 1: 26 %; l'élément 2: 16 %;
l'élément 3: 9 %. Le chiffre sur lequel je voudrais attirer
l'attention du ministre, le personnel...
M. Rémillard: Peut-on savoir exactement l'endroit auquel
vous vous référez?
M. Filion: Oui, programme 5, les éléments 1, 2 et
3, Administration. Je compare 1985-1986 à 1989-1990, en dollars
constants.
M. Rémillard: Le programme 5, où est le tableau?
J'essaie de trouver le tableau.
M. Filion: II y a un tableau, là. Mais c'est une
comparaison que je fais, vous ne l'avez pas dans vos chiffres.
M. Rémillard: Pourriez-vous nous le décrire?
M. Filion: C'est une comparaison que je fais, à partir
d'un calcul qu'on a fait.
M. Rémillard: Ah! c'est une comparaison! Ah bon!
M. Filion: Vous pouvez vous référer quand
même aux chiffres de 1989-1990, les vôtres. Vous avez
peut-être des fonctionnaires qui vous ont préparé... C'est
très intéressant de comparer avec les années
passées, pour voir en dollars constants. J'espère que c'est
toujours en dollars constants que vous faites les comparaisons. Mais oublions
les chiffres. J'ai donné les chiffres exacts. Juste pour ce qui est du
personnel, M. le ministre, de l'administration au ministère de la
Justice, il est passé de 475 en 1985-1986, à 346 en 1989-1990,
pour une baisse de 27 % en quatre ans. J'aimerais savoir comment vous pouvez
défendre ces coupures, eu égard au fait qu'à la direction
du droit pénal on a 42 personnes qui s'occupent de 55 000 dossiers, il y
a erreur et erreur, M. le ministre. Quand on n'a pas le nombre suffisant de
personnes pour travailler, les erreurs deviennent un petit peu plus courantes.
On dit: C'est une erreur. Mais si on surcharge les fonctionnaires, on n'arrive
plus. Errare humanum est, mais encore faut-il que le titulaire du
ministère prenne tous les moyens raisonnables pour doter son
ministère des ressources humaines suffisantes pour assumer le mandat que
lui ont confié !a population et le premier ministre. J'ai les chiffres:
475, en 1985-1986, à 346 en 1989-1990. Ne croyez-vous pas que les
coupures, au ministère de la Justice, ont déjà
rentré dans la viande et que, finalement, c'est toute l'administration
que s'en ressent, comme on le voit et comme vous le dites un peu
vous-même? Il y avait une pile de dossiers. C'est quand même
incroyable, les dates que vous nous donniez tantôt. Une pile de dossiers.
C'est du droit pénal. Bon Dieu! ce n'est quand même pas - comment
dirais-je - folichon, c'est du droit pénal! C'est toute l'application de
nos lois.
J'aimerais que vous puissiez réagir à ces coupures de
personnel et à ces coupures de budget, eu égard au mandat du
ministère de la Justice.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, je veux bien
apporter des réponses les plus complètes possible à
l'Opposition, au député de Taillon, mais encore faut-il que je
sois capable de le suivre dans ses
comparaisons. Dans nos documents, j'ai de la difficulté... Il
cite ses propres tableaux, se réfère au tableau que je peux avoir
ici, dans mes documents...
M. Filion: Écoutez... Le nombre de personnel. (11 h
45)
M. Rémillard: J'ai un petit peu de difficulté, mais
voici ce que Je peux lui dire. Tout d'abord, il faut bien comprendre qu'il y a
eu, au ministère de la Justice, une scission qui s'est faite, à
un moment donné, et qui a fait qu'on a créé un
ministère de la Sécurité publique. Donc, il y a eu,
à un moment donné, une perte de personnel qui est passé du
ministère de la Justice au ministère de la Sécurité
publique. Il ne faudait quand même pas mélanger les choses. C'est
évident, lorsque vous avez un seul ministère et que vous en
créez deux, c'est parce que vous avez pris du personnel à un
certain niveau d'un ministère pour certaines fins et que vous l'avez mis
dans l'autre ministère. Première des choses, il faut comprendre
que d'un seul ministère on a créé deux
ministères.
Deuxième des choses, on a dit qu'on avait fait des
réaménagements administratifs en fonction des compressions
budgétaires qui sont appliquées à l'ensemble du
gouvernement pour couper de plus de la moitié le déficit
budgétaire énorme dont on a hérité en 1985. Dans ce
contexte-là, M. le Président, il y a eu des compressions
budgétaires dans certains postes, oui, mais jamais au détriment
de la qualité du service que l'on doit rendre.
M. le Président, il se peut fort bien qu'on soit arrivés
maintenant à un stade où il n'est pas possible d'aller plus loin
dans nos coupures. C'est arrivé à mon sens, de par
l'évaluation que je fais avec mes gens, de dire: Écoutez, on est
arrivés à ça. Il y avait du gras; il a été
enlevé. Il y a eu de l'administration de la justice qui s'est faite
d'une façon peut-être plus aménagée sur certains
points, en fonction de certaines priorités qu'on a
déterminées, mais on peut dire que, maintenant, notre vitesse de
croisière, on peut la prendre en fonction d'un réel
équilibre entre les ressources que nous devons avoir et les objectifs
que nous avons, en fonction des besoins que nous avons
déterminés.
Or, M. le Président, il y a quand même eu 128 postes qui
ont été transférés du ministère de la
Justice au ministère de la Sécurité publique lorsqu'il y a
eu la scission ce qui a amené la création de deux
ministères. Or, je crois que ça donne une réponse à
la question du député de Taillon.
M. Filion: Juste une dernière question sur Provigo. Selon
les dates que vous nous avez données tantôt - je m'excuse,
j'aurais dû les prendre en note la première fois - le dossier est
arrivé au ministère de la Justice en 1987.
M. Rémillard: Alors, le dossier est arrivé au
ministère de la Justice, d'après une note qu'on me donne ici, en
décembre 1987. On me mentionne qu'il a été analysé
le 3 février 1989 et que la prescription s'appliquait à partir du
6 janvier 1989. Donc, en conclusion, cela veut dire qu'au moment où il a
été analysé il était déjà prescrit.
En fait, ce qui s'est passé... Je peux vous dire que c'est arrivé
au ministère de la Justice, mais il ne faut pas penser qu'il y a
seulement les avocats du ministère de la Justice qui peuvent faire une
erreur semblable. Le député de Taillon est un avocat et il sait
très bien que cela peut arriver dans les meilleurs bureaux d'avocats
qu'à un moment donné on se fasse jouer et qu'une action soit
prescrite parce qu'on a oublié de prendre l'action ou quelque chose
s'est passé.
Alors, M. le Président, en terminant je voudrais dire ceci:
Lorsqu'on parle d'aménagements administratifs et de compressions
budgétaires qu'on a faits, je veux bien dire au député de
Taillon qu'il n'y a pas eu de coupure d'effectif parmi les procureurs qui
étudient les plaintes. On n'a pas fait de coupure dans ce sens.
M. Filion: Entre 1985 et 1989?
M. Rémillard: Depuis 1986, on n'a pas fait de coupure
d'effectif parmi les procureurs qui étudient les plaintes.
M. Filion: J'aimerais avoir 1985-1986. Une question
précise: Combien de dossiers ont vu leur poursuite prescrite? Combien y
en a-t-il dans les piles qui ont été étudiés un an
plus tard? On sait qu'il y a de courtes prescriptions. La prescription dans le
cas de Provigo, c'était une prescription de deux ans.
M. Rémillard: De deux ans.
M. Filion: On dit, en général, qu'en droit
pénal la prescription est de deux ans. Alors, ce ne sont pas de longues
prescriptions, ce sont d'assez courtes prescriptions. Combien de dossiers ont
été prescrits, M. le ministre?
M. Rémillard: M. le Président, on ne m'a
rapporté aucun autre cas de prescription. Cela ne veut pas dire qu'il
n'y en aurait pas eu et je ne voudrais pas induire l'Opposition en erreur mais,
pour ma part, et aussi pour ce qui regarde le sous-ministre qui m'accompage
aujourd'hui ou d'autres fonctionnaires ici avec nous, on n'a pas d'autre cas.
Je voudrais dire qu'une situation comme celle-là est hautement
exceptionnelle. Ce que je veux dire, c'est que c'est une erreur humaine qui
n'est pas à ce point exceptionnelle qu'elle ne se produit pas ailleurs
et d'autres avocats qui pratiquent dans les bureaux les plus éminents
auront aussi, des fois, à composer avec une telle situation. Il faut
bien comprendre qu'il ne faudrait pas lancer la première pierre à
qui
que ce soit. L'importance du geste est là et je ne veux pas le
minimiser, mais on doit le situer dans sa perspective réelle.
Le Président (M. Dauphin): M. le député de
Taillon.
M. Filion: M. le ministre, peut-être qu'on peut se
comprendre. S'il s'agit d'un oubli, d'une erreur, est-ce que le ministre ne
croit pas qu'à ce moment-là, finalement, c'est la pointe d'un
iceberg? Il est rare qu'un dossier soit porté à la connaissance
du public. Dans ce cas-ci, un journaliste s'est intéressé au
dossier, ce qui fait en sorte que nous en sommes informés. Vous nous
dites: C'est une erreur, c'est un oubli. Par contre, on sait - M.
Vallières l'admet - qu'il y a 55 000 dossiers pour 42 personnes. Je vous
pose la question: Combien y a-t-il eu d'autres dossiers qui ont
été prescrits? Vous me dites: Écoutez, c'est le seul qui a
été porté à ma connaissance. Sûrement, mais
est-ce que vous ne croyez pas, juste logiquement, qu'on peut quand même
en déduire que ce dossier, s'il n'a pas fait l'objet d'un traitement
particulier, comme vous le dites, ferait partie d'un lot de dossiers ou d'un
tas d'autres dossiers qui auraient vu leur analyse reportée d'un an?
Les ministères sectoriels qui vous envoient un dossier prennent
un certain temps à monter leur dossier, leur preuve, leurs
éléments de preuve, le contentieux du ministère analyse
sûrement la possibilité d'une poursuite; ça prend un
certain temps et ça arrive au ministère de la Justice. Avec les
chiffres que vous nous donnez, ça a pris, sauf erreur, treize mois pour
analyser ce dossier. On peut, juste logiquement, sans être
spécialiste en administration gouvernementale, se dire: Cela a pris
treize mois pour étudier ce dossier, ça a pris treize mois pour
étudier d'autres dossiers et, comme il est fort possible qu'une
période de onze mois s'écoule au ministère sectoriel, on
ne peut pas faire autrement que d'en arriver à la possibilité que
c'est un oubli ou une erreur; c'est un oubli ou une erreur qui est plus vaste
et, en somme, le dossier Provigo pourrait être la pointe d'un iceberg
important. Tout cela fait en sorte que l'Opposition officielle vous demande de
faire une enquête, que vous nous refusez. Vous faites allusion au rapport
de votre sous-ministre, mais il faudrait faire une enquête impartiale
pour faire la lumière.
Je ne sais pas si vous me comprenez, c'est uniquement par
déduction que j'en arrive à cette conclusion dans le cas de
l'oubli ou de l'erreur.
M. Rémillard: M. le Président...
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, je ne sais pas si,
de fait, je saisis bien les propos du député de Taillon. Tout
à l'heure, lorsque je disais que je n'étais pas informé
que d'autres situations semblables auraient pu se produire, je disais aussi que
je suis accompagné du sous-ministre en titre au ministère de la
Justice, M. Chamberland, que je suis aussi accompagné, ce matin, du
sous-ministre associé aux affaires criminelles et pénales, M.
Michel Bouchard, et que ces gens sont en mesure de me dire qu'ils ne sont pas
informés non plus, selon leur appareil administratif, d'autres cas
semblables. Si le député de Taillon veut essayer de nous dire que
nous n'avons pas des procureurs de bonne qualité, que les gens ne font
pas leur travail, je dois lui dire que c'est faux. Les procureurs du
ministère de la Justice, en ce qui regarde les affaires criminelles et
pénales comme en ce qui regarde tous les autres domaines, font un
travail remarquable. Depuis 1986, nous avons engagé au moins 40 nouveaux
procureurs en ce qui regarde les affaires criminelles et pénales. Comme
je l'ai mentionné plus tôt, je veux le mentionner à
nouveau, M. le Président, je veux rendre hommage à ces procureurs
qui font un travail remarquable, un travail dont nous pouvons être fiers.
Je n'ai pas, ni de proche ni de loin, à me soucier ni de
l'intégrité ni de la compétence de ces avocats et de ces
avocates qui font un travail remarquable pour l'État.
Le Président (M. Dauphin): M. le député de
Taillon.
Mandats confiés aux avocats de pratique
privée
M. Filion: Cela va. Je voudrais adresser ma prochaine question au
ministre relativement aux relevés des mandats confiés aux avocats
de la pratique privée par le ministère de la Justice ou par un
organisme sous sa responsabilité, entre le 1er avril 1988 et le 31 mars
1989. Je les ai, je ne sais pas si vous retracez ça.
Le Président (M. Dauphin): A quelle page?
M. Filion: Cela dépend quel livre vous avez. Aux pages 127
et suivantes du cahier bleu.
Je ne sais pas si le ministre a un autre document.
M. Rémillard: Vous dites aux pages 127...
M. Filion: C'est la numérotation qui nous est
donnée à nous. Il s'agit du relevé des mandats
confiés aux avocats de la pratique privée par le ministère
de la Justice ou par un organisme sous sa responsabilité entre le 1er
avril 1988 et le 31 mars 1989. Il y a des honoraires et déboursés
approuvés ou payés durant cette période. M. le ministre,
avez-vous le document?
M. Rémillard: Oui.
M. Filion: Outre Me Atkinson, sur lequel je poserai une question
plus tard, qui a préparé un avis juridique concernant la nature
et l'étendue des pouvoirs de la présidente de la Commission de
protection de la langue française dans le cas des articles 162 et 167 de
la Charte de la langue française, j'ai relevé, et vous pourrez me
corriger, les avocats suivants qui ont agi sur mandat dans le dossier de la
langue d'affichage public et de publicité commerciale. D'abord, Me
Gérald A. Beaudoin, pour un montant total de 750 $; Me Décary,
pour un montant total de 13 127 $; Me Louis-Philippe de Grandpré, qu'on
retrouve dans l'autre série un peu plus loin; on connaît le tarif
horaire de 250 $, mais on ne connaît pas le montant complet. Me Jules
Deschesnes... Je tiens à signaler immédiatement qu'il s'agit tous
de juristes éminents et dont la compétence ne doit en aucun cas
être interprétée directement ou indirectement par mes
propos comme devant être mise de côté, etc. On peut
même signaler, en passant, la qualité de la brochette de juristes
qui ont oeuvré pour préparer des opinions juridiques en
matière d'affichage public au Québec. Rarement aura-t-on vu
pareil assemblage de cerveaux expérimentés et reconnus, dont les
avis juridiques n'ont malheureusement pas paru beaucoup ébranler le
gouvernement qui a abouti à la loi 178. Quel fiasco! Mais continuons. Me
Jules Deschesnes, au tarif de 250 $ l'heure. Me René Dussault, au tarif
de 400 $ par jour. Me Yves Pratte, page 137, au tarif horaire de 250 $.
Ces juristes ont reçu des mandats, si on excepte Me
Décary, qui a probablement assumé la représentation du
Procureur général devant la Cour suprême...
M. Rémillard: Michel Décary. M. Filion:
C'est ça.
M. Rémillard: Me Michel Décarie, ancien
sous-ministre associé à la Justice.
(12 heures)
M. Filion: C'est Me Michel Décary, oui. Ah! lui aussi!
D'accord. Tant mieux, parce que j'avais confondu... Me Robert Décary,
semble-t-il... Mais Me Michel Décary, lui aussi, ancien sous-ministre
à la Justice et éminent juriste, juriste, a exécuté
des travaux juridiques en matière d'affichage public. Donc, tous ces
personnages, Me Beaudoin, Me Décary, Me de Grandpré, Me
Deschesnes, Me Dussault et Me Pratte, ont agi dans le dossier de l'affichage
public. Je voudrais savoir du ministre quels sont les montants respectifs et le
total des sommes qui ont été versées pour ces opinions
juridiques?
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, tout d'abord, une
première remarque. Le député de Taillon verra, dans ce
tableau, qu'il y a un montant de mentionné en ce qui regarde le total
des honoraires payés, lorsque ça relève du
ministère de la Justice. Lorsque ça relevait d'autres
ministères - tantôt il mentionnait Me Pratte, de regrettée
mémoire - il n'y a pas de montant de mentionné, parce que ce
n'est pas la Justice qui devait payer les frais, alors ce n'est pas nous qui
avons demandé les services de Me Pratte ni qui les avons payés.
Cependant, comme vous le savez, c'est par le ministère de la Justice que
doivent transiter toutes les demandes d'opinions juridiques à ce niveau.
Dans ce contexte, en ce qui regarde strictement les questions
constitutionnelles, qu'elles regardent la langue ou pas, vous savez à
quel point le gouvernement du Québec est soucieux d'avoir le maximum
d'expertise des meilleurs juristes possible, pour protéger
adéquatement les droits du Québec. Il ne s'agit pas pour nous de
céder des droits, mais bien d'en récupérer et de pouvoir
les exprimer aussi dans leur juste perspective, en fonction de la
réalité québécoise, quand on parle de la langue en
particulier.
Dans ce cas, le député de Taillon a souligné,
à juste titre, la qualité des juristes qui ont eu à donner
des avis au ministère de la Justice ou à d'autres
ministères, concernant ces questions constitutionnelles ou concernant
aussi les questions de langue, que ce soit Me Michel Décary ou que ce
soit Me Gérald Beaudoin, maintenant sénateur et éminent
constitutionnaliste; que ce soit M. Atkinson, qui est un avocat de grand renom
en ce qui regarde les...
M. Filion: Me Atkinson n'a pas agi dans ce dossier. Me Atkinson,
c'est dans un autre dossier...
M. Rémillard: Autre chose.
M. Filion: ...qui y est peut-être relié, je ne le
sais pas.
M. Rémillard: Oui, une autre chose, peut-être
reliée sous certains aspects, mais pas directement. Tous ces avocats et
avocates ont donné leur expertise au ministère de la Justice,
dans certains cas, et, dans d'autres cas, à d'autres ministères,
mais ça a transité par le ministère de la Justice.
M. Filion: Juste pour que soit très clair, le ministre de
la Justice aurait dû comprendre de mes avant-propos que ce n'est pas un
blâme au gouvernement ou au ministre de la Justice d'engager les
meilleurs juristes pour l'éclairer dans l'appréciation d'un
jugement et dans la préparation d'une loi. Pas du tout. Ma question au
ministre de la Justice portait sur le total des sommes qui ont
été allouées à ces six juristes pour leurs travaux.
À ce moment-ci, le ministre ne peut pas me répondre, semble-t-il,
en ce qui concerne les autres ministères. Est-ce que lui ou un de ses
fonctionnaires pourrait faire des
démarches afin que nous puissions avoir réponse à
cette question qui est fort précise et fort d'actualité? Encore
une fois, la compétence des avocats, il n'y a aucun doute
là-dessus. Je l'ai souligné moi-même, rarement a-t-on vu
pareille brochette de juristes réunis. Il en manque quelques-uns, il y
en a qui sont derrière le ministre, alors ceux-là
reçoivent des honoraires systématisés et, dans certains
cas, un peu moins élevés. Donc, est-ce qu'il serait possible, M.
le ministre, d'avoir le total des sommes?
La remarque que je faisais tantôt ne s'appliquait que pour la loi
elle-même. On comprendra que pour le fiasco que constituait la loi 178 le
gouvernement, on peut le conclure, était très bien assisté
dans ses réflexions d'ordre juridique, mais dans ses décisions de
nature politique, la loi 178 - on ne reprendra pas le débat - quant
à nous, c'est évidemment une faillite monumentale. On reviendra
là-dessus. J'ai d'autres questions. Ma question était
précise, sur les honoraires.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, en ce qui regarde la
question linguistique, le député de Taillon dit qu'il va y
revenir et je voudrais absolument qu'il y revienne. Vous savez, on est
peut-être ici dans un contexte qui pourrait bien se prêter à
une étude. J'ai salué, au début de mon intervention de ce
matin, les grandes qualités de juriste du député de
Taillon. Je serais prêt, M. le Président, à ce qu'on
s'assoie, qu'on prenne la loi 178, qu'on regarde les anciens articles de la loi
101 qu'on a modifiés, qu'on regarde cela ensemble, qu'on en fasse
l'étude juridique ensemble. Je peux regarder cela cet après-midi;
en revenant, je suis prêt à faire cela, qu'on regarde l'article 60
de la loi 101, qu'on regarde les articles correspondants qui ont modifié
l'article 60 dans la loi 178.
Le député de Taillon nous dit que c'est une mauvaise loi.
Je peux l'assurer, et on va le voir juridiquement, que c'est une loi qui
était une juste solution à la situation en respect des droits des
Québécoises et Québécois de vivre en
français et en respect de la minorité anglophone qui a des droits
et qu'on doit respecter. Je suis prêt à m'asseoir cet
après-midi, en revenant, prendre nos lois et, étape par
étape, on va regarder cela. Je suis prêt à cela, en
n'importe quel temps, cela me fera un grand plaisir de faire cela.
En ce qui regarde la demande du député de Taillon, il
comprendra très bien que je peux lui faire la somme des montants qu'il
voit sur le tableau et qui ont été payés par le
ministère de la Justice. Mais en ce qui regarde les autres
ministères, je dois simplement lui dire de demander à mes
collègues, lors de l'étude des crédits, de lui dire
combien d'argent ils ont dépensé.
M. Filion: M. le ministre.
M. Rémillard: C'est la façon de procéder...
M. Filion: Oui.
M. Rémillard: ...et je pense qu'il devrait le faire de
cette façon.
M. Filion: M. le ministre.
M. Rémillard: Quant à moi, il me fera un grand
plaisir d'additionner les chiffres qu'il voit et de lui donner le montant total
que le ministère de la Justice a pu payer en opinions juridiques
concernant la protection des droits du Québec, en particulier en ce qui
regarde la langue.
M. Filion: M. le ministre.
Le Président (M. Dauphin): M. le député de
Taillon.
M. Filion: C'est vous qui avez accordé le mandat, c'est
vous qui avez signé le mandat à ces procureurs. Je comprends que
le chèque peut être émis pour différentes raisons
par un ministère sectoriel. Ce que je vous demande... De toute
façon, les contentieux des ministères sectoriels relèvent,
en l'occurrence, du ministre responsable de la Charte de la langue
française à l'époque, le député de Rosemont.
Je pense que ce que je vous demande relève de la plus simple
transparence. Je suis convaincu que cet exercice parce que... Vous savez, pour
l'étude des crédits, nous, on reçoit ce document à
quelques jours d'avis. Je vais vous donner un exemple: les crédits des
Affaires culturelles ont déjà eu lieu. Alors, on ne peut pas
demander à votre collègue...
M. Rémillard: M. le Président.
M. Filion: À ce moment-là, je pense que ce que je
demande est simple et relève d'une transparence qui, j'en suis sûr
d'ailleurs, doit vous honorer.
M. Rémillard: M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: Je comprends très bien que ce n'est
pas toujours facile pour l'Opposition avec tous ses documents administratifs,
elle en a beaucoup à faire, je comprends très bien cela. D'autre
part, je voudrais que le député de Taillon comprenne aussi que je
ne veux pas créer de précédent comme ministre de la
Justice et donner des chiffres qui n'ont pas été des
dépenses du ministère, mais qui ont été les
dépenses d'un autre ministère. Dans ce cas-ci, il ne s'agit pas
de contentieux, il ne s'agit pas d'éléments de contentieux qui
auraient pu être utilisés par des avocats du ministère de
la Justice qui sont en
poste dans d'autres ministères. Cependant, considérant
qu'il ne s'agit pas de faire de précédent d'aucune façon,
considérant aussi que c'est un maximum, je pense, de trois mandats,
à vérifier...
M. Filion: II y en a six; il y en a quatre dont on n'a pas les
chiffres.
M. Rémillard: Bon. Alors, il me fera un très grand
plaisir...
M. Filion: II y en a deux dont on a les chiffres, quatre dont on
n'a pas les chiffres.
M. Rémillard: ...de pouvoir faire la somme, en prenant les
informations dans les autres ministères, des honoraires qui ont
été versés à quelques-uns des plus éminents
juristes du Québec pour le respect des droits du Québec.
M. Filion: M. le ministre, on m'informe - vous me corrigerez -
que la demande au Conseil du trésor pour le paiement des honoraires des
avocats dont vous êtes le mandant, finalement... Ce que je demande, ce
n'est pas sorcier. Je demande au mandant de rendre compte...
M. Rémillard: Non, ce que vous demandez...
M. Filion: Et on m'informe que les demandes adressées au
Conseil du trésor viennent du ministère de la Justice.
M. Rémillard: Oui.
M. Filion: Donc, ces chiffres sont probablement connus au moment
où on se parle.
M. Rémillard: II faut bien se comprendre. Il est vrai que
c'est nous qui allons au Conseil du trésor, surtout quand il s'agit
d'une dérogation où nous avons à faire fixer le taux
horaire qui dépasse 100 $, parce que c'est la norme du Conseil du
trésor. Si ça dépasse 100 $, nous devons aller au Conseil
du trésor pour demander la dérogation. Cependant, on n'est pas au
courant ensuite des honoraires qui sont versés à l'avocat, mais
je peux dire au député de Taillon qu'on s'entend sur un point. Je
ne veux pas créer de précédent. Je ne veux pas
créer de précédent qu'un ministre prenne l'engagement de
dévoiler des sommes d'argent qui relèvent de l'administration
d'un autre ministère. Si on s'entend pour dire qu'il n'y a pas de
précédent, pour rendre service, pour essayer de donner une
réponse la plus complète possible, prenant en
considération les éléments que j'ai mentionnés tout
à l'heure, ça me fera un très grand plaisir de le demander
à nos gens. Je sais que le sous-ministre se fera un grand plaisir de
chercher cette information et de vous la communiquer le plus tôt
possible.
M. Filion: Peut-être cet après-midi, peut-être
en début de séance cet après-midi.
M. Rémillard: Autant que faire se peut!
M. Filion: Ce sont des chiffres qui sont connus. Savez-vous que
les ministères sectoriels nous renvoient au ministère de la
Justice? Ce dernier nous renvoit au ministère sectoriel. Il faudrait que
ça arrête à un moment donné. On n'a pas la chance,
on n'a pas beaucoup d'occasions de passer une couple d'heures ensemble
pour...
M. Rémillard: Je peux vous assurer qu'on va le faire. On
ne veut pas créer de précédent, on va le faire et je vais
essayer de le faire le plus tôt possible. Je ne peux vous assurer que
cela va être fait cet après-midi mais, là encore, je peux
vous dire que j'ai bien confiance en mes gens et, si on dit le plus tôt
possible, on va essayer de le faire le plus tôt possible. Maintenant, si
ce n'est pas possible cet après-midi, ce ne sera pas possible.
M. Filion: J'apprécierais beaucoup pour que cet exercice
parlementaire et démocratique que constitue l'étude des
crédits ait un sens, j'aimerais l'avoir au début de
l'après-midi pour pouvoir, s'il y a lieu, intervenir en posant d'autres
questions.
M. Rémillard: Je peux dire au député de
Taillon, M. le Président, qu'on n'a certainement rien à cacher
dans ce domaine, bien au contraire. Je pense qu'on va simplement
démontrer que, lorsqu'il s'agit des lois du Québec, le
gouvernement ne néglige rien pour avoir toutes les expertises.
M. Filion: Et encore une fois, c'est très bien, mais je
pense que c'est important de savoir aussi combien cet exercice a
coûté au total.
Le Président (M. Dauphin): M. le député de
Taillon.
Contraventions à la Charte de la langue
française
M. Filion: Donc, si c'est possible, au début de
l'après-midi. On va traiter de la loi 178 peut-être un peu plus
tard lors de l'étude des crédits. J'aimerais savoir du ministre
de la Justice, eu égard à la page 117 de notre cahier bleu et
à la page 116, s'il est bien exact qu'entre le 22 décembre 1988
et aujourd'hui, en tout cas du mois d'avril, le Procureur général
du Québec n'a reçu de la Commission de protection de la langue
française que trois dossiers? Je voudrais aussi savoir combien de
poursuites ont été intentées en vertu des dispositions de
la Charte de la
langue française eu égard à l'affichage depuis le
22 décembre 1988?
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, pendant qu'on
vérifie les chiffres très attentivement, je pense qu'il n'est pas
inutile de rappeler comment le processus des plaintes s'effectue en ce qui
regarde la langue française, l'application de la loi 101. (12 h 15)
Dans ce contexte, M. le Président, on sait que la Commission de
protection de la langue française a des inspecteurs qui vérifient
la légalité de certains éléments de
publicité ou en ce qui regarde - peu importe - l'utilisation de la
langue française, vérifient leur conformité avec la loi
101, peuvent en discuter avec les contrevenants s'ils en arrivent à la
conclusion qu'il y a contravention aux dispositions de la loi. S'il n'y a pas
réparation, ils vont s'adresser au ministère de la Justice et
vont voir un procureur. C'est le procureur qui décide de poursuivre ou
pas. Tout comme dans les autres cas, c'est le policier, celui qui a fait
enquête qui vient voir le procureur, dans ce cas-ci, c'est
l'enquêteur qui vient voir le procureur au ministère de la Justice
et qui décide de prendre poursuite ou pas. Encore là, je veux
mentionner que ni de proche, ni de loin, le politique n'est mêlé
à la décision de poursuivre ou de ne pas poursuivre en fonction
de la loi 101. Tout se passe en fonction des procureurs du ministère de
la Justice.
M. Filion: Est-ce que ce sont les mêmes procureurs desquels
Me Vallières nous disait qu'ils sont 42 à traiter 55 000
dossiers? Est-ce qu'il y a des procureurs différents pour s'occuper de
ces dossiers ou si on parle toujours de ces procureurs disponibles à la
Commission de protection de la langue française, mais sous
réserve des milliers de dossiers et plus qu'ils ont sur leur bureau ou
autour?
M. Rémillard: En ce qui regarde la langue, comme dans tout
autre cas où il s'agit de prendre des poursuites en fonction du
non-respect d'une loi, iI est important de garantir la plus grande
objectivité, la plus grande impartialité, donc, de se
référer au processus judiciaire tel qu'il existe dans notre
système...
M. Filion: Actuel.
M. Rémillard: ...démocratique. À partir de
là, c'est la Direction générale des affaires criminelles
et pénales, une direction qui, depuis 1986, a reçu un peu plus de
40 nouveaux procureurs qui sont venus s'ajouter.
M. Filion: II y en a combien au total?
M. Rémillard: Au total, je pourrais vous donner des
chiffres. De fait...
M. Filion: Je ne parle pas des procureurs de la couronne, je
parle de droit pénal, au bureau de Me Vallières. Je ne parie pas
des procureurs de la couronne qui oeuvrent dans les palais de justice, je parie
de la direction des affaires pénales du ministère de la Justice,
là où sont traités les dossiers de Provigo, ceux de la
Commission de protection de la langue française, des dossiers qui
viennent de tous les ministères sectoriels et qui ont trait au respect
des lois québécoises.
M. Rémillard: Je pourrai faire les vérifications,
M. le Président, pour savoir exactement combien...
M. Filion: Me Vallières...
M. Rémillard: ...il y a de gens sur l'ensemble. Il faut
aussi prendre en considération les avocats qui sont en place dans les
régions. On m'informe qu'il faudrait faire des vérifications pour
savoir exactement combien. Mais on me dit bien que les chiffres sont exacts,
c'est trois.
M. Filion: Vous avez reçu trois dossiers comme Procureur
général, depuis le 22 décembre 1988 à aujourd'hui,
relativement à la Charte de fa langue française ou uniquement sur
l'affichage?
M. Rémillard: En fonction de la loi 101, pas de la loi
178. Pour tous les éléments que nous retrouvons dans la loi 178,
qui est venue modifier la loi 101, il n'y a jusqu'à présent aucun
dossier qui a été ouvert. Vous savez, M. le Président, que
c'est important de noter...
M. Filion: Donc, les trois...
M. Rémillard: Si vous me permettez de compléter ma
réponse, c'est important de noter que la loi 178 est venue changer la
loi 101, en ce qui regarde aussi l'article 60 qui permettait à plus de
69 % des commerces au Québec d'afficher en anglais et en
français, tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur, en utilisant les fenêtres, au détriment des
droits de tout le monde. Nos amis anglophones ne savaient pas comment
procéder et les francophones faisaient face à une situation aussi
intolérable. Alors, on a éliminé cet article 60 de la loi
101. Mais il est quand même curieux de noter, M. le Président, que
pendant les quelque dix ans d'existence de cet article 60 dans la loi 101 il
n'y a jamais eu une poursuite qui a été prise. On a changé
cet article 60 avec la loi 178 et il n'y a encore aucune poursuite qui a
été prise depuis ces quelques mois.
M. Filion: Pour se comprendre, comme Procureur
général du Québec, vous avez reçu, depuis le 22
décembre 1988, trois dossiers de la
Commission de protection de la langue française, est-ce que c'est
ça?
M. Rémillard: Ce sont les services des affaires
criminelles et pénales...
M. Filion: Pas vous.
M. Rémillard: ...qui les ont reçus. Ce n'est pas le
Procureur général.
M. Filion: Non, non.
M. Rémillard: C'est important quand même. Je sais
que vous faites la distinction.
M. Filion: Son substitut.
M. Rémillard: Mais il y a peut-être des gens qui
pourraient lire ensuite nos propos... Je voudrais bien qu'on s'entende. Pour
moi, c'est un point très important qu'on réalise bien que le
système qui nous amène à porter plainte devant les
tribunaux est un système qui est fondé sur l'objectivité,
l'impartialité et qu'il n'a rien à faire avec l'aspect politique,
ni de proche ni de loin. Maintenant, comme Procureur général, je
n'ai rien à faire avec l'aspect politique non plus, parce que,
même au Conseil des ministres, j'ai une situation tout à fait
particulière, je n'ai pas à parler - je n'ai même pas le
droit de le faire - de poursuites au Conseil des ministres. Il y a quand
même une distinction qui est là. Mais en ce qui regarde ces
plaintes je veux quand même insister sur le fait qu'elles sont
traitées, tant à la Commission de protection de la langue
française qu'au ministère de la Justice, par les substituts,
comme cela se fait pour toute autre plainte sur le respect de nos lois.
M. Filion: Le ministre est vraiment sur la défensive ce
matin. Jamais...
M. Rémillard: Je suis sur la précision.
M. Filion: Jamais je n'ai évoqué quoi que ce soit,
je sais bien, et tout le monde le sait un petit peu, dans cette enceinte, que
le Procureur général a des substituts. Je pense qu'on sait cela.
Donc, il y a trois dossiers qui ont été reçus par le
bureau du Procureur général. Est-ce que ces trois dossiers ont
trait à l'affichage?
M. Rémillard: Je vais m'en informer, M. le
Président. Si vous permettez que je me réfère quelques
instants aux gens qui sont en contact avec... Alors, on me dit que, cet
après-midi, je pourrai être en mesure de répondre à
cette question.
M. Filion: Combien y a-t-il eu de poursuites d'intentées,
de déposées, à la suite de la réception de ces
trois dossiers depuis décembre 1988?
M. Rémillard: Alors, ce sont trois dossiers qui sont sous
étude, M. le Président. Donc, il n'y a eu aucune poursuite de
prise jusqu'à maintenant. Est-ce que le député de Taillon
voudrait que je lui confirme aussi les poursuites qui ont pu être prises
en fonction de l'ancien article 60 de la loi 101, pour compléter son
information?
M. Filion: Vous l'avez dit tantôt.
M. Rémillard: Je pourrais le vérifier pour
être plus certain, de façon plus exacte.
M. Filion: Cela va, je n'ai pas posé de question
là-dessus.
M. Rémillard: Je pourrais vous revenir cet
après-midi avec cela, si vous le voulez.
M. Filion: Je n'ai pas posé de question à ce sujet,
mais je laisse parler le ministre.
M. Rémillard: On veut vraiment vous donner des
réponses plus complètes. Vous savez mon souci de vous donner les
réponses les plus complètes possible, et je ne voudrais pas vous
laisser dans le doute. Alors, je reviendrai avec les chiffres exacts en ce qui
regarde l'application de l'ancien article 60 de la loi 101, qui a
été changé par la loi 178.
M. Filion: Donc, pour comprendre, il y a la Direction
générale des affaires criminelles et pénales, c'est le
programme 9. Vous disiez qu'il y a 40 personnes de plus, je pense que cela
touchait plus les procureurs de la couronne. J'attire votre attention sur le
cahier bleu, le cahier explicatif des crédits, au programme 9, page 4,
sur une petite note qui dit que le programme voit son effectif diminuer de dix
postes. Je pense que la charge de travail, dans ces bureaux, qui était
déjà d'un millier et quelques centaines de dossiers par avocat,
va juste croître d'autant. On est à la Direction
générale des affaires criminelles et pénales.
Peut-être que cela aide le ministre un peu.
M. Rémillard: Ce que je peux dire, M. le Président,
c'est que les coupures ont été faites parmi les employés
du personnel de bureau, et non pas chez les substituts du Procureur
général. Le nombre de substituts a augmenté, alors que le
personnel de bureau, de fait, a subi quelques compressions.
M. Filion: Cela doit aider, de temps en temps, un bon adjoint qui
attire notre attention sur un dossier dont la prescription pourrait
peut-être s'acquérir, ou aider à mettre sur pied un
système comme il en existe dans les bureaux d'avocats, auquel vous
faisiez allusion tantôt, un système de vérification de la
prescription. Ces avocats sont pas mal occupés.
Est-ce que vous pouvez, M. le ministre,
m'expliquer pourquoi le Procureur général n'a reçu
que trois dossiers? Peut-être que vous ne l'avez pas la réponse.
Peut-être que je vais l'avoir la semaine prochaine quand je vais
interroger votre collègue, le ministre de l'Éducation, qui lui
aussi a toute une série de chapeaux dans sa garde-robe. Mais avez-vous
une explication ou pas du tout?
M. Rémillard: Simplement, je me permets d'Insister de
nouveau, M. le Président, les dossiers nous sont acheminés par la
Commission de protection de la langue française. Donc, les substituts du
Procureur général font leur travail; quand les dossiers arrivent,
on les étudie. S'il n'y a pas de dossiers, on n'a pas besoin de les
étudier. Quand il y en a, on les étudie. Là, iI y en a
trois, ils sont sous étude.
M. Filion: Mais comme Procureur général, à
un moment donné, il vous arrive sûrement de vérifier
l'ensemble des opérations du ministère et de voir: Mon Dieu! il
se passe peut-être quelque chose dans ce secteur-là! On va
vérifier. Si je comprends bien, cela n'a pas été le cas
d'une façon particulière.
M. Rémillard: Vous savez, c'est très important.
Vous avez insisté vous-même sur la distinction entre
l'enquête - quand vous avez fait référence à mes
chapeaux - et la poursuite. C'est vraiment important de protéger cela et
vous avez raison d'insister sur cet aspect-là. Il y a des gens qui font
enquête et des gens qui décident de poursuivre et il faut qu'il y
ait distinction entre ces deux fonctions. Dans ce cas-ci, cette distinction est
vraiment, encore une fois, étanche puisque c'est la commission qui fait
enquête et c'est le ministère de la Justice, par les substituts du
Procureur général, qui décide de prendre action ou pas.
Alors, vraiment, vous avez là la distinction des deux rôles et
c'est essentiel pour la protection de nos droits et de nos libertés en
ce qui regarde notre système judiciaire.
M. Filion: Je fais remarquer au ministre ceci: depuis le 22
décembre 1988, comme Procureur général, il a reçu
trois dossiers. On va prendre une année du gouvernement libéral:
l'année 1988. Je ne parlerai pas des années 1981, 1982, 1983 et
1984, etc., mais j'ai tous les chiffres disponibles. Je vais prendre une
année basse: en 1988, il y a eu 122 dossiers reçus par le
Procureur général et, là, il y en a 3 pour presque le
tiers de l'année. Je soumets ça au ministre.
Je n'ai pas d'autre question sur ce secteur-là. Je voudrais
peut-être... On file jusqu'à quelle heure, M. le
Président?
Le Président (M. Dauphin): L'avis du leader en Chambre
c'était jusqu'à 13 heures. Maintenant, est-ce qu'on se
rend jusqu'à 13 heures?
M. Filion: On recommence à quelle heure?
Le Président (M. Dauphin): Après les affaires
courantes, après la période de questions.
M. Filion: Alors, filons, à ce moment-là, M. le
Président, allons jusqu'à 13 heures.
M. Rémillard: Filons, Filion. Ô mon navire!
Le Président (M. Dauphin): Continuons jusqu'à 13
heures.
M. Rémillard: Dans quel bateau nous embarque-t-il?
Magistrature
M. Filion: Après ces précisions, dont certaines
sont en suspens, apportées par le ministre, j'aimerais l'interroger sur
toute une série de dossiers particuliers en essayant de suivre un peu
les programmes. Dans le programme 1, élément 1, Magistrature, la
détermination du salaire des juges et le comité, alors qu'on sait
qu'à la suite de la loi adoptée par l'Assemblée nationale
on prévoit un comité qui étudie ce problème, qui
n'est pas facile, de la détermination du salaire des juges. Un
comité consultatif a été mis sur pied par le ministre ou
le gouvernement. Ce comité consultatif est formé de M. Jean-Denis
Vincent, président de l'Alliance industrielle, qui administre des bons
fonds de retraite, de M. Charles-Albert Poissant, président du conseil
d'administration de la compagnie Donohue, et de Me René Paquet. On sait
que dans la loi prévoyant la formation de ce comité consultatif
il est prévu que ce comité remette son rapport dans les six mois
de sa formation. Le comité ayant été formé le 9
septembre, nous avons le 9 mars comme date limite des six mois et nous sommes
à la mi-avril. Alors, est-ce que le comité a remis son rapport?
Sinon, quand ce rapport est-il attendu? Le ministre a-t-il l'intention de le
rendre public? Sûrement, parce qu'il doit être déposé
à l'Assemblée nationale, sauf erreur. (12 h 30)
J'aurais aussi peut-être une question sur la formation du
comité - je pose mes questions en vrac. J'ai beaucoup d'estime pour les
présidents des grosses corporations, mais est-ce que le ministre est
d'avis que la formation de ce comité, avec deux personnes sur trois qui
sont à l'extérieur du milieu judiciaire, donc une majorité
du comité... Le ministre ne trouve-t-il pas un peu préoccupant le
fait que la réalité judiciaire ne soit pas connue par la
majorité des membres du comité? Cela m'a frappé au
début, je lui pose la question. Me René Paquet fait partie du
comité, mais les deux autres... Encore une fois, ne doutons pas de leur
compétence dans leur champ d'activité respectif. Ce rapport
est
important, il sera la base de négociations avec les juges pour la
fixation de leur rémunération; donc, la crédibilité
du rapport est extrêmement importante pour guider ces négociateurs
qui auront à traiter d'une matière éminemment difficile,
celle du salaire des juges. Je pose mes questions en vrac au ministre.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: Oui, M. le Président, de fait, la Loi
sur les tribunaux judiciaires demande au gouvernement de former un
comité de trois personnes pour étudier la
rémunération, le régime de retraite et les autres
avantages sociaux des membres de la Cour du Québec. Ces trois personnes
ont été nommées par le gouvernement, le 7 septembre 1988,
par un décret gouvernemental. M. Jean-Denis Vincent a
présidé ce comité. On sait que M. Vincent est
président de l'Alliance industrielle, compagnie d'assurances de grande
importance au Québec, une compagnie québécoise dont on
peut être fiers, un fleuron québécois.
M. Filion: Oui.
M. Rémillard: Me René Paquet, avocat, qui est
membre du comité à cause de l'expertise qu'il a dans le domaine
judiciaire. C'est un éminent juriste impliqué dans son milieu. On
sait que Me Paquet a été notamment président de la Chambre
de commerce régionale de Québec, l'an dernier. M. Charles-Albert
Poissant est le président de la compagnie Donohue inc, et un
éminent membre de notre société par son implication
à différents niveaux.
Je voudrais remercier très sincèrement ces trois personnes
d'avoir accepté de former ce comité et de faire cette
étude. Ils ont consacré plusieurs heures, d'une façon tout
à fait bénévole - ce sont des gens qui travaillent
bénévolement, sans aucune rémunération, leurs frais
de déplacement sont payés en partie, mais ça ne couvre pas
tous les frais que ça peut comporter - et je sais qu'ils n'ont pas
compté leurs heures parce que c'est un travail important, pas toujours
facile. Ils ont rencontré de nombreuses personnes pour faire le point
sur différentes questions, que ce soient les juges en chef, que ce
soient les bâtonniers, plusieurs avocats et avocates; on a discuté
longuement avec eux et je devrais recevoir le rapport de ce comité
vendredi prochain.
Selon la loi, j'ai 30 jours pour rendre ce rapport public. C'est donc
dire que, dans les 30 jours, on rendra ce rapport public en le déposant
à l'Assemblée nationale. Je vais accorder à ce rapport la
plus grande attention possible. Comme ministre de la Justice, je tiens à
ce que nos juges, nos magistrats soient heureux dans leurs fonctions, aient
tous les moyens pour accomplir adéquatement leurs fonctions et aient,
d'une façon générale, des conditions matérielles
qui correspondent à l'importance de leur fonction dans notre
société.
Je peux donc dire, M. le Président, que le rapport que je
recevrai vendredi prochain de la part de ces trois membres du comité, M.
Jean-Denis Vincent, Me René Paquet et M. Charles-Albert Poissant, que je
remercie très sincèrement de la part du ministre de la Justice et
du ministère de la Justice, recevra la plus grande attention et sera
rendu public, comme je l'ai mentionné, dans les 30 jours,
conformément à la loi.
Une voix: D'accord.
Le Président (M. Dauphin): M. le député de
Taillon.
M. Filion: Oui. Pendant que nous en sommes au chapitre de la
magistrature, le ministre a probablement été frappé, comme
moi, par l'étude du journal Le Devoir de ce matin, sauf erreur,
portant sur l'interprétation et l'application de nos chartes dans
l'ensemble de notre droit, par le fait que la jurisprudence, en cette
matière, est en train de s'établir ailleurs au Québec,
à savoir qu'il y a proportionnellement peu de jugements rendus au
Québec comparativement aux autres provinces canadiennes. Le ministre a
dû prendre connaissance de cet article.
M. le ministre peut-il nous indiquer s'il y a une raison ou s'il y a une
justification au fait que nos tribunaux québécois soient,
semble-t-il, moins gourmands, aient moins de propension à établir
une jurisprudence dans ce secteur du droit qui va devenir présent devant
les tribunaux de plus en plus tous les jours, du fait que la charte canadienne
est enchâssée dans la constitution? Cela fait en sorte que les
jugements des tribunaux vont prendre une ampleur énorme dans la vie
collective et dans la vie individuelle. Alors, est-ce que le ministre peut nous
renseigner sur les raisons qui, ma foi, sont assez importantes?
On note, en particulier, que les tribunaux canadiens ont tendance
à emprunter la voie de la jurisprudence américaine par rapport
à la jurisprudence européenne. Le ministre est friand du concept
de la société distincte, et je ne voudrais pas recommencer le
débat là-dessus, il sait ce que nous pensons, de notre
côté, de ce concept qui, à notre avis, n'a pas une
portée tout à fait semblable à celle qu'il y voit.
Donc, concernant la tendance des années futures, est-ce que le
ministre de la Justice a une raison... Est-ce qu'il a l'intention de poser des
gestes concrets pour tenter de favoriser une jurisprudence
québécoise qui s'appliquerait à une société
distincte comme la nôtre?
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, le
député de Taillon soulève une question très
intéressante en ce qui regarde l'application des droits et
libertés
des Québécoises et des Québécois.
Lorsqu'on regarde d'une façon théorique, on
s'aperçoit que les Québécoises et Québécois,
comme Canadiennes et Canadiens, sont probablement parmi les
sociétés les mieux protégées, en théorie, si
on regarde le nombre de lois, de chartes des droits qui s'appliquent. Il y a,
bien sûr, la Charte canadienne des droits et libertés de la
personne, dont nous célébrons le septième anniversaire ce
mois-ci, mais il y a aussi, au palier canadien, en ce qui regarde les lois
canadiennes, deux lois: la déclaration des droits de 1960 et la loi sur
l'égalité de 1976. Il y a, de plus, au palier provincial, au
Québec, la charte édictée en 1975. Cette Charte des droits
et libertés de la personne est toujours l'une des plus progressives et
des plus libérales. Non seulement permet-elle aux
Québécois et aux Québécoises d'avoir des droits et
des libertés, mais elle met en place un mécanisme pour faire
respecter ces droits et ces libertés par une commission des droits et
des libertés.
J'ai mentionné dans mes remarques tout à l'heure que nous
avons l'intention de légiférer, faisant suite à la
commission parlementaire des institutions qui a fait une étude
remarquable à ce sujet, pour créer un tribunal des droits et des
libertés en vue d'aller encore plus loin dans ce désir que nous
devons tous avoir non seulement de garantir des droits, mais de s'assurer que
les citoyens puissent les exercer. C'est une chose que d'avoir un droit, mais,
malheureusement, M. le Président, dans bien des circonstances, c'est
autre chose que de pouvoir les exercer.
Dans ce contexte, on peut se réjouir que nous ayons maintenant,
dans notre constitution, une Charte des droits et libertés. Depuis sept
ans, nous avons cette Charte des droits et libertés, qui est une
garantie constitutionnelle qui ne peut pas être modifiée sans
recourir à la formule d'amendement mais, en plus, qui peut être
interprétée - j'en arrive donc d'une façon plus
précise encore, à la question du député de Taillon
- en fonction des règles larges et généreuses qui
s'appliquent au droit constitutionnel, contrairement à
l'interprétation législative qui veut, entre autres, que ce soit
l'intention du législateur qui soit le premier élément
d'analyse. Il est important d'avoir une charte des droits et libertés
dans notre constitution.
Cependant, M. le Président, nous savons que dans cette charte
canadienne il y a, tout d'abord, un premier article qui se réfère
à une limitation possible, c'est-à-dire une règle de droit
qui, lorsqu'elle est raisonnable et se justifie dans le contexte d'une
société libre et démocratique, qu'elle vienne du
gouvernement fédéral ou de celui des provinces, peut être
considérée comme acceptable par les tribunaux, même si
cette règle de droit limite la portée des droits et des
libertés. C'est ce qu'on appelle la clause de la
légitimité, qui est là comme on retrouve de ces genres de
clauses dans la plupart des chartes des droits et libertés de par le
monde. Lorsqu'on édicte des droits et des libertés individuels,
il est évident qu'à un moment donné on se retrouve dans
une situation où ces droits et ces libertés doivent être
situés dans le contexte d'une société.
On a l'habitude de dire, M. le Président, que les droits des uns
se terminent où ceux des autres débutent. Un droit, une
liberté ne peut s'appliquer dans l'absolu. Cela s'applique dans le
contexte social, culturel, politique, économique d'une
société. Je me refuse, pour ma part, à parler de conflit
entre droits collectifs et droits individuels. J'aime mieux parler d'une
réalité qui doit s'imposer à tout droit, à toute
liberté, c'est-à-dire son application dans le contexte
réel d'une société.
Lorsque le député de Taillon se réfère au
concept de la société distincte, ce concept de la
société distincte, on le retrouve dans l'entente du lac Meech,
qui, je l'espère, sera partie de la constitution prochainement lorsque
le Nouveau-Brunswick et le Manitoba auront finalement accepté cette
entente qu'ils sont en train d'étudier. Donc, ce concept de la
société distincte pourra s'appliquer, entre autres, à ce
test de légitimité de l'article 1 pour apporter une jurisprudence
qui pourra être spécifique au Québec, en fonction de la
réalité sociale, culturelle, économique, politique du
Québec, comme elle peut aussi se faire en fonction du respect de la
règle du multiculturalisme ou de celle du droit de protection des
autochtones déjà dans la Charte des droits et libertés.
(12 h 45)
M. le Président, je me permets une petite parenthèse pour
dire ceci: II est curieux de voir que ceux qui sont les critiques les plus
durs, les plus acerbes de cette notion de société distincte sont
ceux qui ont introduit, en 1982, dans cette Charte des droits et
libertés de la constitution canadienne, des règles
d'interprétation concernant le multiculturalisme et le droit des
autochtones, deux notions qu'on doit respecter dans notre société
canadienne puisqu'ils sont des éléments originaux qui la
composent. Alors, est-ce à dire que la société distincte
ne serait pas un élément d'interprétation pour que l'on
puisse donner à la Charte des droits et libertés sa signification
réelle, tout comme le concept de dualité canadienne que l'on
retrouve dans l'entente du lac Meech et qui, lui aussi, permettra à ces
droits et ces libertés qu'on retrouve dans la constitution canadienne,
dans notre charte, d'avoir une réelle application en fonction du
contexte particulier?
M. le Président, il n'y a pas seulement cette clause limitative
et l'article 1, il y a aussi cette clause dérogatoire, la clause
"nonobstant". Cette clause, que je qualifierais de protection que les
gouvernements ont voulu se garder lorsqu'on a négocié cette
Charte des droits et libertés, ce rapatriement de la constitution en
1981-1982, clause dérogatoire qui a été demandée
par les provinces de l'Ouest en particulier... On
ne peut pas reprocher au Québec d'avoir exigé cette
clause, puisque le Québec n'était pas un des marmitons de la
cuisine dans cette soirée et cette nuit célèbres des 4 et
5 novembre 1981. Donc, le Québec a tout simplement reçu cette
Charte des droits et libertés. C'est un aspect positif du rapatriement.
Il y a d'autres aspects qui sont négatifs et qui font que ce
rapatriement de 1982 est inacceptable parce qu'il nie certains droits
historiques du Québec, dont son droit de veto.
Un des aspects positifs est certainement cette Charte des droits et
libertés. Cette clause "nonobstant", M. le Président, a
été utilisée depuis 1982 par le gouvernement
précédent, le gouvernement péquiste,
systématiquement dans toutes les lois que l'Assemblée nationale
votait et aussi dans une loi, qu'on a appelée la loi-parapluie,
rétroactive pour toutes les lois qui avaient déjà
été votées par l'Assemblée nationale. Donc, on
Introduisait cette clause dérogatoire dans les lois
québécoises. En conclusion, qu'est-ce que cela signifiait? Cela
signifiait que les Québécoises et les Québécois
n'avaient pas le droit, légalement, d'avoir recours à la Charte
canadienne des droits et libertés pour faire valoir leurs droits et
libertés. Bien sûr, ils avaient la charte
québécoise. Comme je le mentionnais tout à l'heure, M. le
Président, la charte québécoise est
interprétée en fonction des règles d'interprétation
législative, suivant l'intention du législateur, donc avec une
interprétation plus restrictive, alors que la Charte canadienne des
droits et libertés que nous retrouvons dans la constitution canadienne
est interprétée en fonction de grandes lois
d'interprétation qui se veulent généreuses, et on
interprète des droits de la façon la plus généreuse
possible pour les citoyens.
M. le Président, c'est facile d'illustrer mes propos par des
exemples qu'on pourrait donner en se référant à l'affaire
Miller, où on avait reconnu que la pendaison était un
châtiment qui n'était pas cruel ni inusité. On a dit: Ce
n'est pas inusité, étant donné qu'on a pendu pendant de
nombreuses années. Donc, si ce n'est pas inusité, ce n'est
certainement pas cruel. Voyez-vous, M. le Président, c'est le genre
d'interprétation qui n'a pas particulièrement fait honneur
à notre société, lorsqu'on se retrouve devant une
interprétation constitutionnelle et beaucoup plus large.
En conclusion, M. le Président, ce que je veux dire, c'est que si
on a eu du côté québécois moins de cas qui ont
été soulevés en fonction de la Charte canadienne des
droits et libertés, c'est causé en très grande partie par
le fait qu'il y avait l'utilisation systématique de cette clause
"nonobstant" qui empêchait les Québécoises et les
Québécois de recourir à la Charte canadienne des droits et
libertés. Nous l'avons éliminée dès 1986 - le
premier geste posé lorsqu'on est arrivé en janvier 1986 - on a
immédiatement éliminé cette utilisation
systématique de la clause "nonobstant" pour utiliser cette clause qui
est précieuse pour le Québec dans les cas où on en a
vraiment besoin. C'est le premier élément de la
réponse.
Le deuxième élément de la réponse, c'est que
nous avons une Charte québécoise des droits et libertés de
la personne, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, qui date de
1975, qui a été ensuite modifiée et qui est
particulièrement une loi progressive par laquelle on établit des
droits, des libertés qu'on ne retrouve même pas dans la charte
constitutionnelle canadienne et par laquelle, surtout, on prévoit un
mécanisme pour la commission des droits et libertés qui permet
une bien plus grande accessibilité à la réalisation des
droits et libertés. Donc, la commission des droits et libertés a
joué aussi son rôle dans ce contexte et c'est pour ces deux
motifs, mais surtout par l'utilisation de la clause "nonobstant", qu'on se
retrouve avec une Charte canadienne des droits et libertés qui a une
jurisprudence beaucoup plus limitée en fonction des cas qui pourraient
provenir du Québec.
Le Président (M. Dauphin): M. le député de
Taillon.
M. Filion: Oui, M. le Président. Je voudrais rappeler au
ministre de la Justice que, par exemple, la clause du Québec a
été invalidée en Cour suprême par l'application de
la Charte canadienne des droits et libertés. Alors, j'aime bien la
partie du discours du ministre qui traite de la charte
québécoise. On se tient debout. D'ailleurs, il y a certains
éléments de la charte québécoise qu'on ne retrouve
même pas dans la charte canadienne et la charte québécoise
convient, quant à nous, à cette société distincte;
j'entends par là un qualificatif auquel tient beaucoup le ministre.
Par ailleurs, il nous dit: Vous savez, il n'y a pas eu beaucoup de
jurisprudence parce qu'il y avait systématiquement l'utilisation de la
clause "nonobstant". Je lui rappellerai que cela n'a pas empêché
des contestations bien organisées et bien financées qui visaient
à faire disparaître la légalité d'une
clause-parapluie, si l'on veut, ce qui aurait permis par la suite que l'on
s'attaque au fond d'un problème. Alors, en ce sens, le ministre ne m'a
convaincu d'aucune façon dans sa réponse, M. le
Président.
Toujours concernant l'élément sur les magistrats,
j'aimerais demander au ministre - je l'ai mentionné dans mon discours, M
en a sûrement pris note tantôt - pourquoi les budgets
octroyés à la magistrature, au chapitre de la déontologie
et du perfectionnement des juges, en dollars constants de 1989, sont
diminués de 10 % depuis 1985. Je vous avoue que j'ai beaucoup de
difficultés à suivre ça, compte tenu de l'importance d'une
magistrature la mieux informée possible, du contexte de réforme
du Code de procédure civile, des chartes canadienne et
québécoise, et même du Code de procédure
pénale qui entrera en vigueur. Finalement, est-ce qu'il n'est pas
tout à fait inapproprié pour le ministère de restreindre
ce budget de déontologie judiciaire année après
année, tranquillement? L'inflation est une mesure réelle. Quand
on accorde des budgets de perfectionnement aux juges - essentiellement, il peut
s'agir de voyages, de congrès, etc. - ça coûte de plus en
plus cher. Les coûts dans ce secteur ne diminuent pas, les coûts de
perfectionnement de n'importe quel secteur ne diminuent pas. Pourtant, en
dollars constants, depuis 1985 le budget alloué à la
déontologie, au perfectionnement des juges a diminué de 10 %.
Est-ce que le ministre ne croit pas que la qualité de la justice risque
d'en souffrir? Ce ne sont pas des chiffres énormes que je cite
là, ce ne sont pas des centaines de millions de dollars, mais c'est un
très mauvais endroit, à notre avis, pour réduire des
crédits.
M. Rémillard: M. le Président, je crois que le
député de Taillon va comprendre qu'il est difficile pour moi de
toujours me référer à 1985.
M. Filion: Mais c'est une année de changement de
gouvernement.
M. Rémillard: Oui, je comprends et je pense que c'est une
bonne chose de s'y référer politiquement pour voir la distinction
entre les deux...
M. Filion: II faut bien avoir certains points de
référence.
M. Rémillard: ...mais les priorités ont
changé et il y a eu une administration qui a diminué un
déficit de moitié et qui a aussi fait en sorte qu'au
ministère de la Justice - et je suis particulièrement fier de le
dire - on a pu développer davantage tous ces moyens
d'accessibilité à la justice.
En ce qui regarde la justice d'une façon générale,
M. le Président, j'ai eu l'occasion de dire à quel point ce qui
était important pour nous, c'était de protéger la
qualité de la justice, son universalité et son
accessibilité. En ce qui regarde la qualité, elle repose bien
sûr sur des intervenants bien formés, compétents et, en
premier lieu, que ce soient nos magistrats ou nos avocats, nos notaires. En ce
qui regarde les magistrats, on a mentionné tout à l'heure ce
comité que nous avons formé en vertu de la Loi sur les tribunaux
judiciaires pour qu'il nous donne son avis sur les conditions
matérielles des juges. En ce qui regarde les autres aspects qui sont
soulevés par le député de Taillon, je peux lui dire, entre
autres, que la dernière année, il y a eu une augmentation de 9
200 000 $, soit une augmentation de 1,7 % par rapport au budget de 1988-1989
à cet élément.
M. Filion: Nous parlons de déontologie. M.
Rémillard: C'est déjà...
M. Filion: Ma question porte sur la déontologie. M. le
ministre, je ne veux pas vous interrompre. Vous savez que je n'aime pas
ça. C'est l'élément 2. Je pense que vous m'avez suivi;
j'étais très clair.
M. Rémillard: Déontologie judiciaire et
perfectionnement.
M. Filion: Voilà.
M. Rémillard: Une augmentation de 9 200 000 $.
M. Filion: Mais non, ce n'est pas possible! On va ressortir les
chiffres pour vous.
M. Rémillard: M. le Président, on va faire les
vérifications.
M. Filion: Oui, parce que, là, les juges vont être
contents. On parle de quelques centaines de milliers de dollars. Grosso modo,
je vous donne l'ordre de grandeur. Je vais vous donner les chiffres exacts.
M. Rémillard: J'ai confondu ici entre le budget global et
une augmentation, M. le Président. L'augmentation de 1,7 %, c'est ce
qu'il faut retenir, et ce sont des crédits permanents et qui n'ont
jamais subi de compressions comme telles.
M. Filion: Oui, mais je vous l'ai expliqué en dollars
constants.
M. Rémillard: Alors, on ne fait pas de compressions. Entre
autres, si vous me le permettez en terminant, pour les subventions aux juges en
1988-1989, nous avons donné plus de 75 000 $, dont 54 122 $ au Centre
canadien de la magistrature qui est un organisme subventionné par toutes
les provinces et qui a justement pour fonctions l'instruction et la formation
des juges. Il n'y a pas de compressions à ce chapitre. Ce sont des
crédits permanents.
M. Filion: Oui, mais en termes d'efficacité du dollar, M.
le ministre, je vous dis: Faites l'exercice vous-même. Vous venez de le
faire, vous me dites que c'est une augmentation de 1,9 %. En fait, 10 000 $ sur
566 000 $, est-ce que ça donne 1 %? Jamais!
M. Rémillard: 1,7 %.
M. Filion: 10 000 $ sur 500 000 $, ça ne doit pas donner 1
%.
Une voix: Cela en donne 2 %.
M. Filion: 10 000 $ sur 500 000 $, ça donne combien?
M. Rémillard: C'est 1,7 %, selon les chiffres que j'ai ici
et qu'on me confirme.
M. Filion: C'est environ 1 %, mais le coût des voyages, des
bouquins et tout ça, ça augmente de 4 % ou 5 % par année.
Cela constitue une diminution, en termes d'argent réel, c'est ça
que je signalais au ministre, alors que les chartes sont de plus en plus
présentes devant les tribunaux et vont l'être, alors que
l'interprétation de ces chartes n'est pas facile. À preuve, la
Cour suprême a signalé que la liberté d'expression
commerciale faisait partie de la liberté d'expression. Ce n'était
quand même pas évident, le ministre en conviendra. Donc,
l'interprétation des chartes n'est pas facile et il y aurait
probablement lieu de faire en sorte qu'au chapitre du perfectionnement des
juges on octroie des sommes importantes d'argent à cet égard, si
l'on veut être à l'ère moderne.
En terminant, j'ai une dernière question.
Le Président (M. Dauphin): Oui, M. le
député.
M. Filion: Je pense que le ministre est conscient des
problèmes de pénurie de ressources et de pénurie de
personnel dans beaucoup de palais de justice. Il a visité celui de
Québec. Il a visité celui de Longueuil, on en parlera un peu plus
tard cet après-midi. Au fur et à mesure qu'il en fait le tour, le
ministre, je pense, reconnaît qu'il y a un manque de personnel de soutien
administratif dans énormément de palais de justice, et je ne
parle pas des problèmes particuliers comme au palais de justice de
Saint-Jean. Je ne parle pas du problème particulier de la perception des
pensions alimentaires, secteur où il manque de personnel un peu partout
dans les palais de justice pour faire appliquer la loi, pour percevoir
adéquatement les pensions alimentaires. Qu'est-ce que le ministre de la
Justice entend faire, d'une part, face à un budget réduit en
dollars constants et, d'autre part, face à une pénurie de
ressources sur le terrain que lui-même reconnaît? De quelle
façon a-t-il l'intention de s'assurer que les services aux citoyens
donnés en première ligne dans les palais de justice soient
adéquats, compte tenu, je le rappelle au ministre, de l'importance de
redresser l'image de la justice auprès de la population pour renforcer
la crédibilité de l'administration de la justice au
Québec?
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre, en
terminant.
M. Rémillard: M. le Président, en terminant, je ne
voudrais pas retenir le temps de cette commission, mais le député
de Taillon revient exactement avec la même question qu'il me posait
précédemment. Je lui ai répondu. La seule chose que je
peux lui dire maintenant est: S'il arrive avec des cas très concrets,
qu'il me mentionne où il y a vraiment cette situation qu'il
décrit et je verrai à lui apporter une réponse en
particulier.
M. Filion: La perception des pensions...
M. Rémillard: Je suis quand même allé au
palais de justice de Québec. On a apporté des correctifs qui
s'imposaient, d'autres pourront suivre. Nous sommes allés à
Longueuil; on pourra en reparler cet après-midi. Je sais que ça
intéresse le député de Taillon d'une façon toute
particulière. On y reviendra. Je suis allé à
Saint-Jérôme, à Hull, à Percé, à
Rimouski, en fait, à plusieurs palais de justice. Je suis allé
voir moi-même les problèmes concrets qu'il pouvait y avoir. On a
apporté des solutions et, s'il reste d'autres problèmes à
régler, on va les régler l'un après l'autre. Donnez-moi
des cas concrets et je vais vous proposer des solutions.
M. Filion: La perception des pensions alimentaires. Il y a un
manque de personnel dans la plupart des palais de justice pour percevoir des
pensions alimentaires, surtout à Montréal et dans la
région de Montréal.
M. Rémillard: Avec la nouvelle loi qu'on a votée,
il va y avoir justement la possibilité d'alléger
considérablement le fardeau de la perception.
M. Filion: Bien non, les gens ont plus de responsabilités
et le percepteur a plus de pouvoirs!
M. Rémillard: II y a un mécanisme beaucoup plus
facile, plus déterminé qui fait que le percepteur va pouvoir
garder le dossier plus longtemps jusqu'à ce que la situation-trouble
soit réglée, ce qui va faire qu'on aura beaucoup moins de
discussions entre les gens qui étaient chargés de cette
perception et les bénéficiaires de la pension comme telle et que
ça va alléger considérablement la situation.
M. Filion: Le problème est que chaque percepteur a trop de
dossiers!
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre. Nous
reprendrons nos travaux après la période des affaires courantes
cet après-midi.
(Suspension de la séance à 13 h 3)
(Reprise à 15 h 29)
Le Président (M. Dauphin): La commission des institutions
reprend ses travaux. On a eu l'information que le député de
Taillon s'en venait, alors nous allons commencer tout de suite. Je
déclare la séance rouverte. Le député
de Chapleau m'a fait part qu'il avait des questions à poser
relativement à la Commission des droits de la personne, si le ministre
de la Justice y consent.
M. Rémillard: M. le Président, si vous me le
permettez, j'ai une question d'information. Est-ce qu'on peut s'entendre...
J'ai un engagement ferme à 17 heures.
Une voix: On s'est déjà entendus.
M. Rémillard: Oui. Je veux bien que ce soit
confirmé parce qu'à 17 heures, c'est l'ouverture du Salon du
livre, ici, à Québec, et je dois être là.
Le Président (M. Dauphin): D'accord. Est-ce que vous devez
quitter avant 17 heures, ou si 17 heures, cela vous irait?
M. Rémillard: 17 heures, au maximum. 17 heures, pour
être là à 17 heures.
Le Président (M. Dauphin): D'accord. Les membres de la
commission présents...
M. Rémillard: M. le Président, une autre chose
aussi, si vous me le permettez, c'est que le président du Comité
de la protection de la jeunesse, M. Dowie, est ici, mais il doit prendre un
avion pour aller en Abitibi, il doit se rendre à Val-d'Or pour le
comité. Il a un horaire assez restreint. Est-ce qu'on pourrait demander
à ceux qui auraient des questions à poser, en ce qui regarde le
Comité de la protection de la jeunesse, de poser ces questions
immédiatement, pendant que M. Dowie est ici, pour qu'on puisse apporter
des réponses les plus complètes possible?
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre. Je crois
que pour le moment il n'y a pas de question sur le Comité de la
protection de la jeunesse, mais le député de Chapleau m'a fait
part qu'il avait certaines questions relativement à la Commission des
droits de la personne, au programme 3. M. le député de
Chapleau.
Commission des droits de la personne
M. Kehoe: Merci, M. le Président. M. le ministre, c'est
plutôt concernant le bureau régional de la Commission des droits
de la personne, spécifiquement en ce qui concerne celui de Hull. Je
pense que depuis que j'assiste à l'étude des crédits, que
ce soit dans l'Opposition ou du côté ministériel, je pose
à peu près la même question d'année en année,
à savoir: Qu'allez-vous faire, M. le ministre de la Justice, en ce qui
concerne les bureaux régionaux de la Commission des droits de la
personne? Je pense qu'il y a quatre bureaux régionaux, actuellement,
dans différents secteurs de la province, dont celui de Hull. J'ai eu
l'occasion d'aller visiter le bureau de Huit et j'ai vu qu'il y avait une seule
personne pour s'occuper d'un bassin de population d'au-delà de 300 000,
dans la région 07, la région de l'Outaouais. Les circonstances
dans lesquelles elle travaille, dans un bureau ouvert, où elle
était obligée de recevoir du monde dans une aire ouverte, de
répondre au téléphone... Il y a des avocats dans son
bureau, il y a des clients... En tout cas, les circonstances dans lesquelles
elle travaille, avec un secrétaire à demi-temps, avec des
dossiers... J'ai tous les chiffres ici, ça ne donne rien de donner en
détail tous les chiffres qu'il y a. Il est absolument impossible pour la
personne responsable du bureau de continuer à donner un service requis,
dans un domaine aussi important que celui-là.
Je pose la question: Est-ce que le ministre lui-même a pris une
décision en ce qui concerne le budget des bureaux régionaux?
J'imagine que c'est ta même chose, que ce soit à Hull ou à
Trois-Rivières. Je pense qu'il y a trois projets pilotes. Je sais que
celui de Hull dure depuis trois ans et demi et, à tour de rôle,
les ministres de la Justice donnent à peu près la même
réponse, jusqu'à maintenant. Je me demande quelle est votre
position à ce sujet. Est-ce que c'est à peu près la
même chose? Il s'agit d'une question fondamentale pour votre
ministère, j'imagine, de décider ce qu'il va faire. Est-ce que
ça va devenir permanent? Est-ce que les bureaux régionaux vont
obtenir le budget requis pour oeuvrer de façon normale ou est-ce que
ça va continuer à être des projets pilotes pour un temps
indéfini?
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: Je remercie le député de
Chapleau de sa question très pertinente concernant la Commission des
droits de la personne. J'ai eu l'occasion ce matin, M. le Président, de
parler de la Charte québécoise des droits et libertés de
la personne. Nous avons même eu l'occasion de la comparer à la
charte canadienne, de dire à quel point la charte
québécoise était intéressante, puisqu'elle contient
même des droits qu'on ne trouve pas dans la charte canadienne, et de
mentionner, entre autres, que la charte québécoise a ceci de
très intéressant: elle prévoit un mécanisme quasi
judiciaire, qui est une commission, qui permet aux justiciables d'avoir recours
à ses services pour faire valoir leurs droits.
Comme on l'a mentionné aussi ce matin, avoir un droit est une
chose, pouvoir l'exercer est souvent autre chose. En ce qui regarde les droits
et les libertés fondamentales, il est extrêmement important qu'on
puisse assurer aux justiciables l'accessibilité à la justice pour
faire respecter ces droits, d'où la très grande importance de
donner à la Commission des droits de la personne les moyens
nécessaires pour qu'elle puisse exercer son mandat correctement, le
plus
complètement possible.
Pour rendre accessibles les services que peuvent offrir la commission
et, donc, permettre aux Québécoises et aux
Québécois de faire valoir leurs droits et leurs libertés
d'une façon la plus complète possible, il est important que l'on
puisse régionaliser l'action de la commission. Déjà, il y
a quatre régions où nous avons des bureaux de la commission:
Huit, Sherbrooke, Sept-Îles et Rouyn. Dans ces quatre bureaux, il y a des
personnes qui peuvent recevoir des plaintes et qui peuvent même les
traiter. Cependant, elles ont le travail souvent difficile et ont beaucoup de
travail à faire. Ce ne sont pas des gens permanents, on m'informe que ce
sont des occasionnels. Cela pose des difficultés, entre autres, en ce
qui regarde le bureau de Hull. J'ai lu dernièrement quelques rapports
mentionnant que la situation n'est pas facile. Je sais que le
député de Chapleau est venu m'en parler et s'est
inquiété de la situation à plusieurs reprises.
Aujourd'hui, il me pose cette question et je l'en remercie.
Nous avons avec nous, aujourd'hui, le président de la commission
et je lui demanderais de compléter ma réponse à la
question que le député de Chapleau a posée.
M. Kehoe: Avant qu'il ne complète la réponse,
j'aimerais dire que vous avez mentionné qu'il y a des personnes qui
travaillent au bureau de Hull. Vous devriez mentionner qu'il y a une personne
et demie qui travaille au bureau de Hull. En effet, il y a une personne
à temps plein et une secrétaire à temps partiel pour une
population de quelque 300 000 habitants.
Je reviens toujours à la même question. Je me souviens de
la réponse que vous avez donnée à ce jour, c'est à
peu près la même que tous les autres ministres de la Justice ont
donnée, que ce soit M. Bédard ou M. Marx. Mais cela fait quand
même trois ans et demi que le projet pilote dure à Hull. Quand
est-ce que cela ne deviendra plus un projet ou quand la décision
sera-t-elle prise et qu'est-ce que vous allez faire avec ça?
Durant trois ans et demi les différents bureaux régionaux
qui sont ouverts ont démontré la nécessité de
décentraliser la commission et le personnel, mais quand le réseau
pourra-t-il avoir le personnel requis ainsi que le budget pour administrer ces
bureaux?
M. Rémillard: M. le Président, en réponse
à la question du député de Chapleau, de fait, nous avons
demandé au Conseil du trésor les crédits
nécessaires pour faire en sorte qu'on puisse avoir du personnel
permanent dans ces bureaux de la commission. C'est une recommandation qui nous
vient de la commission des institutions. On est parfaitement d'accord. Il faut
en arriver à cette conclusion que la commission, comme je l'ai
mentionné tout à l'heure, puisse avoir des bureaux dans toutes
les régions québécoises. Je peux dire au
député de Chapleau que la demande est faite au Conseil du
trésor, le dossier est au Conseil du trésor et que nous plaidons
ce dossier énergiquement parce que nous croyons qu'il est essentiel que
l'on puisse avoir de ces bureaux et qu'ils soient en mesure de répondre
à la demande qui leur est faite, ce qui n'est pas toujours le cas. Je
vais demander à M. Lachapelle, le président de la commission, de
répondre à la question.
Le Président (M. Dauphin): Me Chapdelaine, je sais que
vous êtes habitué.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Lachapelle (Jacques): J'ai déjà entendu
Larochelle aussi.
Le Président (M. Dauphin): Me Lachapelle, nonobstant le
fait que vous soyez un des habitués de la commission des institutions,
pour les fins du Journal des débats, je vous demanderais de vous
identifier et de mentionner votre titre.
M. Lachapelle: J'aime bien, quand vous commencez, que vous me
présentiez en disant "nonobstant le fait".
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Lachapelle: Je voudrais tout simplement dire que les propos de
M. le ministre sont tout à fait exacts et ce que vous dites, M. le
député, aussi. Quant à la nécessité d'avoir
des bureaux régionaux, la démonstration est faite, sauf que
lorsque nous avons fait cette démonstration des bureaux régionaux
nous avons bien pensé qu'une personne et demie pouvait suffire à
la tâche. Nous avions des ententes avec le Comité de la protection
de la jeunesse dans le but justement de rationaliser et d'utiliser au maximum
tous ces services déjà en région.
Nous constatons que le nombre de plaintes adressées à la
commission se multiplie par dix, alors qu'on pensait qu'une personne suffirait
pour remplir cette tâche. Multiplié par dix, cela veut dire qu'il
devrait y avoir au moins deux ou trois personnes pour traiter ces plaintes dans
un délai raisonnable si l'on pense qu'un dossier ou un enquêteur
peut traiter à peu près 25 plaintes par année.
Un autre des problèmes que nous éprouvons en
région, c'est bien sûr le fait qu'on ait une personne qui s'occupe
en même temps de l'enquête et de la recevabilité des
plaintes, de sorte que ça le place très souvent en conflit
d'intérêts, si bien qu'on est obligés d'aller combler via
Montréal, si vous voulez, les enquêtes qui se font en
régions. Ça ajoute encore à la difficulté. Or, nous
espérons et je suis heureux d'entendre le ministre de la Justice
indiquer que le Conseil du trésor est en train d'examiner la demande de
la Commission des droits de la personne non seulement pour ses bureaux
régionaux qui
devraient devenir permanents, mais également pour l'ouverture
d'autres bureaux régionaux, comme l'indiquait d'ailleurs
récemment la commission des institutions.
Le Président (M. Dauphin): Merci. Il n'y a pas d'autres
questions. M. le député de Taillon, sur le même sujet.
M. Filion: Oui, mais avec les propos de Me Lachapelle, cela
devient de plus en plus clair. Je voudrais seulement que ça soit clair
également, je suis sûr que ça l'est dans l'esprit du
ministre, ça l'est de notre côté. C'est une chose que de
rendre permanents les quatre bureaux qui existent actuellement, mais c'est une
autre chose que de prévoir une extension des services régionaux
à tous ces coins du Québec qui ne sont pas desservis. Je crois
comprendre, M. le ministre - vous me corrigerez - que la demande qui est
étudiée par le Conseil du trésor touche les deux volets,
c'est-à-dire rendre permanent ce qui existe et ouvrir des bureaux dans
des régions entières qui ne sont pas desservies par des bureaux
de la Commission des droits de la personne. C'est bien ça, M. le
ministre?
M. Rémillard: Oui, c'est bien ça. Je pourrais
peut-être demander à M. Lachapelle de compléter en ce qui
regarde nos projets d'extension dans d'autres régions.
M. Lachapelle: On pense aux quatre autres régions
administratives du Québec: Chicoutimi, Rimouski, les quatre autres
régions qui ne sont pas actuellement desservies. Je sais que, dans le
rapport de la commission des institutions, c'était beaucoup plus large
que ça. On parlait du Bas-du-Fleuve, mais je pense qu'actuellement la
demande couvre quatre autres régions, en tout cas pour l'instant, quitte
à ce qu'on puisse en ouvrir quatre autres également dans un
avenir rapproché. Je sais que la demande que vous faisiez, que vous
suggériez, je pense, était même de douze bureaux
plutôt que huit.
M. Filion: Étant donné que, finalement, la
commission et le ministre ont déjà exercé un certain choix
concernant les régions, à ce moment-là, je pense qu'on
peut s'attendre que le Conseil du trésor réponde à cette
demande qui est peut-être archiminimale. Sinon, que le ministre de la
Justice aille devant ses collègues du Conseil des ministres expliquer
que le Conseil du trésor ne comprend rien, ou bien que le ministre de la
Justice change son discours parce que, si l'on parle d'accessibilité et
qu'on n'est pas capable d'avoir un petit bureau de la Commission des droits de
la personne en Mauricie, à Rimouski, au Saguenay-Lac-Saint-Jean, je
regrette, mais tous les beaux discours sur l'accessibilité et sur la
charte des droits... Parce que vous savez que les bureaux qui ont
été ouverts à l'époque, sur une base d'essai, et
ils le sont toujours, ont amené une recrudescence d'ouvertures de
dossiers, de plaintes, de demandes d'information de la population. Par exemple,
à Huit, il y a une augmentation, je pense, de 200 % et je l'ai
déjà expliqué à votre prédécesseur.
C'est bien simple parce que quand la population voit qu'il y a quelque part,
pas trop loin un bureau de la Commission des droits de la personne qui n'est ni
à Québec, ni à Montréal, à ce
moment-là, elle a tendance à aller s'y informer. Le discours sur
la charte des droits, j'y crois, mais il faut que ça soit un peu
concret, à ce moment-là. Je pense, ma foi, qu'ouvrir quelques
bureaux en collaboration avec le Comité de la protection de la jeunesse,
peut-être pour diviser le personnel de soutien ou pas... Je laisse
l'appréciation de ces données au président. Cela ne
coûte pas cher. À ce moment-là, on peut tenir un discours
sur la charte qui est basé sur une réalité. Ce que
sous-entend notre discussion, c'est qu'il y a une partie de la population
québécoise qui n'est pas desservie. Je ne devrais pas dire qui
n'est pas desservie, mais qui est difficilement desservie. Encore une fois, ce
n'est pas tout le monde qui peut prendre l'autobus pour aller à
Québec ou à Montréal ou à Hull ou à
Sept-Îles. C'est à Sept-Îles, l'autre bureau actuellement?
(15 h 45)
Le Président (M. Dauphin): Sur le même sujet...
Vouliez-vous répondre?
M. Rémillard: ...donner plus de commentaires sur ces
questions, M. le Président. Le député de Taillon a
parfaitement raison sur la question de l'accessibilité et sur ces
bureaux. Il faut dire aussi qu'avec le projet de loi que l'on veut
déposer à la suite des études faites par la commission
nous allons créer un tribunal des lois, mais nous allons aussi donner
à la commission un rôle plus structuré en fonction d'un
processus contradictoire et non pas inquisitoire, ce qui devrait normalement
aussi faciliter les choses et se répercuter à bien des niveaux.
Tout cela mis ensemble devrait faciliter certainement l'accès, aux
Québécois et aux Québécoises, à la
commission.
Le Président (M. Dauphin): Merci. M. le
député de Chapleau, surtout sur les bureaux régionaux.
M. Kehoe: Juste pour terminer sur ça, M. le ministre.
Avant d'implanter d'autres bureaux dans des régions, je pense qu'il
serait très sage que les bureaux qui existent soient adéquats
pour desservir la population où il y a déjà une
clientèle établie. Je me demande s'il serait bien vu d'implanter
six ou huit autres bureaux dans la province et de laisser ceux qui existent
actuellement sans qu'ils disposent d'un budget adéquat, ou du personnel
nécessaire pour répondre aux demandes. Je pose la question.
Actuellement, vous dites que votre demande est étudiée au
Conseil
du trésor. Y a-t-il une différence entre l'implantation
d'autres bureaux ailleurs dans la province et l'existence des quatre projets
pilotes? Y a-t-il une différence entre les deux? Ou est-ce que les deux
demandes vont ensemble?
M. Rémillard: Cela fait partie de la même demande.
Cependant, le député de Chapleau a parfaitement raison de dire
qu'il faut s'assurer que les quatre bureaux qui existent aient les moyens
nécessaires pour fonctionner et exercer leur mandat. Je veux le rassurer
là-dessus. Soyez assuré, M. le député, que nous
allons, dans un premier temps, certainement accorder l'attention
nécessaire pour que ces bureaux aient tout d'abord les moyens
appropriés pour exercer leur mandat et, ensuite, ouvrir d'autres
bureaux. C'est dans la même demande faite au Conseil du
trésor.
Le Président (M. Dauphin): Justement, si vous le
permettez, M. le ministre, c'est que le député de Chapleau est en
train de rédiger ses engagements électoraux et il veut s'assurer
que cet engagement soit réalisé.
M. Kehoe: ...ce problème-là.
M. Filion: ...les problèmes de tous les bureaux
régionaux, M. le député. Juste...
Le Président (M. Dauphin): Sur la commission toujours. M.
Dowie, qui est président du Comité de la protection de la
jeunesse, doit quitter dans peu de temps.
M. Filion: Peut-être que le président de la
Commission des droits de la personne voudra quitter aussi. Je me rends compte
qu'il y a une quinzaine de points que je veux traiter avec le ministre. En ce
qui concerne la Commission des droits de la personne, peut-être un
dernier point simplement pour dire qu'on attend la réforme, M. le
ministre. Est-ce que vous êtes en mesure de nous donner une date pour le
dépôt du projet de loi?
M. Rémillard: Cela devrait aboutir au Conseil des
ministres dans un avenir très très prochain. Dès que sera
franchie l'étape du Conseil des ministres, c'est le comité de
législation et le dépôt, je l'espère bien, dans les
très prochains jours.
M. Filion: On parle donc d'une adoption possible à cette
session.
M. Rémillard: Oui, c'est définitivement notre
objectif. C'est définitif qu'on vise l'adoption au printemps, dans les
prochaines semaines.
M. Filion: À ce moment-là vous comprendrez que je
vous réserve mes commentaires. Vous me livrez ça par petits
bouts. Je suis en train de reconstruire le mémoire au Conseil des
ministres, que je n'ai pas reçu dans une enveloppe brune, mais
tranquillement je suis en train de voir, avec ce que vous me dites, le
processus contradictoire, le tribunal qui serait un tribunal judiciaire, etc.
Je vais attendre quand même que vous déposiez le projet de loi
pour faire mes commentaires. Vous savez que vous avez l'appui de l'Opposition
pour faire en sorte - évidemment, sous réserve du contenu du
projet de loi - qu'on puisse quand même le plus rapidement possible, pour
autant que faire se peut, modifier les structures d'application de la charte
conformément aux décisions qui seront prises. Là-dessus,
vous avez notre appui inconditionnel. On siégera le temps qu'il faudra
pour adopter cette loi.
M. Rémillard: Tout à l'heure, M. le
Président, j'ai peut-être mentionné les deux termes
"inquisitoire" et "contradictoire" de mauvaise façon. Ce que j'aurais
dû dire, c'est que le projet que nous allons présenter va
établir pour la commission un moyen d'enquête inquisitoire et non
pas contradictoire comme il existe présentement. C'est-à-dire
contradictoire dans le sens que... Oui, c'est l'inverse.
M. Filion: II me semblait aussi que cela...
M. Rémillard: Non. J'ai réduit peut-être...
C'est le processus actuellement que nous connaissons qui est la méthode
contradictoire et qui fait que c'est quasi judiciaire et, en fait, que les
avocats d'un côté ou de l'autre peuvent interroger les
témoins, les contre-interroger, etc. Ce sera plutôt, sur ce plan,
inquisitoire, et il y aura d'autres mécanismes pour aboutir jusqu'au
tribunal qui sera là et qui pourra offrir les services de personnes
spécialisées. Je veux assurer le député de Taillon
en ce qui regarde ce projet de loi - je sais qu'il l'a bien à coeur
comme je l'ai aussi - que dès qu'il aura franchi les étapes du
Conseil des ministres et du comité de législation, aussitôt
que je pourrai lui en envoyer une copie, il n'a pas besoin d'attendre une
enveloppe brune, s'il en a une, elle viendra de moi. Vous pouvez être
certain que vous allez le recevoir immédiatement. Si on a des
commentaires et des critiques et qu'on peut bonifier notre projet, vous pouvez
être certain qu'on va le faire.
Comité de la protection de la jeunesse
M. Filion: Merci. Cela va. Je pense qu'on peut inviter
peut-être... J'ai une question sur le programme 3, élément
2, Comité de la protection de la jeunesse. Je comprends que M. le
président du comité doit nous quitter. Je salue donc M. le
président et je voudrais adresser au ministre de la Justice la question
suivante. En regardant les chiffres, je me suis rendu compte que le budget
alloué au comité a diminué de 11 % depuis 1985
si l'on compare, encore une fois en dollars constants de 1989, les deux
budgets. En 1985, c'était 3 375 000 $ et, en 1989-1990, c'était 2
979 000 $. Encore une fois, ma comparaison est faite sur une base de dollars
constants pour les raisons que j'ai expliquées ce matin.
J'ai également eu l'occasion de feuilleter le rapport
déposé par M. le président du CPJ, récemment,
à l'Assemblée nationale. Cela m'a frappé finalement, en
dehors de la question des budgets en dollars constants. Si l'on prend
l'effectif, il est passé de 59 en 1985-1986 à 51 en 1989-1990, ce
qui représente une baisse de 14 % dans l'effectif du Comité de
protection de la jeunesse. J'aimerais savoir de la part du ministre, si,
finalement, ces coupures, dans un secteur aussi névralgique que celui de
la protection de la jeunesse dont le budget n'est quand même pas
énorme, ne sont pas de nature à nuire à un travail
fondamental et important qui, à la base, fait en sorte qu'on
évite de faire de jeunes délinquants des criminels. En deux mots,
c'est vital pour notre société. Quand on sait combien coûte
un prisonnier dans nos prisons, il coûte au-delà de... Le dernier
chiffre que j'ai vu se rapprochait de 100 $ par jour. Quand on a de jeunes
délinquants, si on est capable de rectifier le tir d'un jeune
délinquant et d'en faire un élément actif dans une
société, bon Dieu, on vient de rendre service non seulement
à l'individu, mais on vient de rendre service à la
société aussi.
Bref, c'est un dossier très sensible. Je ne voudrais pas entrer
dans toutes les listes d'attente qui existent à la DPJ sur les cas de
signalisation, mais quand on voit les chiffres de centaines et de centaines de
cas en attente à la DPJ - ça, c'est autre chose, le CPJ coiffe
tout ça...
Je voudrais savoir de la part du ministre - je sais qu'il est d'accord
sur les principes que j'émets - si, concrètement, cela le
préoccupe de voir cette baisse de l'effectif, cette baisse de ressources
financières au CPJ et, peut-être, s'il veut passer la parole
à M. le président, que M. le président pourrait nous dire
si cette baisse de ressources humaines et financières n'affecte pas
finalement, même de façon minime, les activités, le
rendement, l'ensemble des activités du Comité de la protection de
la jeunesse.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, le Comité de
la protection de la jeunesse reçoit son mandat de par l'article 23 de la
Loi sur la protection de la jeunesse qui en fait le gardien des droits de
l'enfant. C'est donc un rôle très important. Lorsqu'on pense, par
exemple, à un cas d'actualité en ce qui regarde la violence sur
le territoire de la Communauté urbaine de Montréal qui est
relié, à bien des égards, à bien des niveaux,
à ta délinquance juvénile, si l'on veut régler ce
problème de violence, il faut aller à la racine de ce
problème, et la racine de ce problème, ce sont des jeunes qui
sont souvent dans des situations difficiles. Certains viennent de milieux
déshérités, mais d'autres viennent quand même de
milieux aisés. Ils se retrouvent dans des situations difficiles à
la suite de l'éclatement des familles ou à la suite d'une
incompréhension, bref, à cause de différentes situations.
Ne se sentant pas compris, ils peuvent se tourner du côté de la
drogue, du côté de la violence, et c'est la situation qu'on doit
vivre.
Le comité a donc un rôle des plus importants à
jouer, M. le Président, et je dois rendre hommage à son
président et à toute l'organisation pour le travail remarquable
qu'ils font. Il y a eu, de fait, diminution de l'effectif au Comité de
la protection de la jeunesse, et on peut expliquer ce qui s'est passé.
Ce qui s'est passé, c'est qu'il y a eu un projet de fusion entre le
Comité de la protection de la jeunesse et la Commission des droits de la
personne. On voulait fusionner les deux organismes et, les deux organismes
devant se fusionner, certains services, certaines sections étaient
communes et étaient donc doublées. On n'avait donc pas besoin de
doubler, on pouvait se fier à un seul service de communication ou autre
et, par conséquent, on a laissé tomber des postes. Mais quand on
a finalement décidé de ne pas faire cette fusion du Comité
de la protection de la jeunesse et de la Commission des droits de la personne,
le comité s'est retrouvé indépendant, comme il
l'était auparavant, mais en perte d'effectif qu'il n'avait pas
récupéré. C'est ce qui explique un peu la situation
à laquelle nous ferions face aujourd'hui. Je demanderais à M.
Dowie de compléter ma réponse.
Le Président (M. Dauphin): M. Dowie, si vous voulez bien
vous identifier, pour le Journal des débats.
M. Dowie (Vaughan): Vaughan Dowie, président du
Comité de la protection de la jeunesse. Je pense que je n'ai rien
à ajouter. Je pense que le ministre a bien expliqué la situation
ou les raisons de la situation actuelle. Pour répondre à la
question de M. le député, il est clair qu'avec un personnel moins
nombreux cela limite notre capacité de remplir un certain nombre de
mandats en termes de recherche, en termes de communication, et même de
services donnés dans les différentes régions, dans les
douze bureaux qu'on a. Je pense que les faits parlent d'eux-mêmes.
M. Filion: Pardon?
M. Dowie: Les faits parlent d'eux-mêmes. (16 heures)
M. Filion: Alors, M. le ministre, compte tenu que les faits
parlent d'eux-mêmes et que le président nous dit: "Écoutez,
j'ai moins de personnel, donc, c'est évident qu'il y a certains
mandats que je ne peux accomplir comme je voudrais le faire", est-ce que
vous avez l'intention de demander des crédits supplémentaires ou
de modifier l'ordre des crédits pour faire en sorte que le CPJ puisse
recevoir l'aide dont il a besoin pour accomplir son travail?
M. Rémillard: Oui, M. le Président, de fait, j'ai
eu l'occasion de rencontrer à quelques reprises M. Dowie. La conclusion
est très claire pour nous: on doit lui donner l'effectif dont il a
besoin pour accomplir son travail qui est tellement Important. De fait, nous
sommes en demande au Conseil du trésor, dans le cadre d'un plan triennal
de redressement des ressources pour le comité, un plan qui totalise un
besoin de 28 postes. Nous en arrivons à la conclusion qu'il faut ajouter
12 postes immédiatement pour permettre, dans un premier temps, au
Comité de la protection de la jeunesse de réaliser son mandat.
C'est devant le Conseil du trésor présentement et ce sont des
demandes que nous défendons auprès d'eux.
Le Président (M. Dauphin): Si vous me le permettez...
M. Filion: Oui, allez-y, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): ...j'aurais peut-être une
question, possiblement au président du Comité de la protection de
la jeunesse. On a vécu des problèmes, les années
antérieures, relativement aux centres d'accueil pour jeunes. On a
d'ailleurs eu l'occasion de s'en parler tous les deux, en ce qui concerne les
centres d'accueil pour jeunes en milieu ouvert et en milieu fermé. Il y
avait eu des pourparlers avec le ministère de la Santé et des
Services sociaux pour régler ce différend. Est-ce que le dossier
est réglé ou, s'il n'est pas réglé, où
est-ce que ça en est rendu?
M. Dowie: Est-ce que j'ai la permission, M. le
Président?
Le Président (M. Dauphin): Je vous en prie.
M. Dowie: On a fait part au ministère de la Santé
et des Services sociaux des problèmes qu'on a avec la
désignation, en termes de réglementation en vertu de la loi des
jeunes contrevenants, des établissements reconnus pour recevoir des
enfants qui reçoivent un hébergement, en ce qui concerne la
notion de milieu ouvert et de milieu fermé. On a convenu avec le
ministère de la Santé et des Services sociaux de faire une
étude ensemble sur l'ampleur du problème, avant de poser d'autres
gestes. Comme vous le savez, M. le député, on a
déjà fait part de façon officielle au ministère de
la Santé et des Services sociaux du fait qu'on a trouvé que les
règlements en place ne se conforment pas à la loi, et on a
convenu avec eux, d'abord, de faire une étude sur l'état de la
situation et, après ça, d'étudier la possibilité de
rectifier des choses. Nous prévoyons terminer cette étude vers le
mois de juin.
Le Président (M. Dauphin): C'est sous étude, au
moment où on se parle?
M. Dowie: C'est ça.
M. Filion: Au Conseil du trésor?
Le Président (M. Dauphin): Non. C'est une étude
faite par le ministère de la Santé et des Services sociaux et le
Comité de la protection de la jeunesse.
M. Filion: Depuis ce matin que j'interroge le ministre et, bon,
Conseil du trésor, Conseil du trésor, etc. Je me demande si le
Conseil du trésor a remplacé le Conseil des ministres. Non? Cela
me rassure. Il y a des fois où je n'étais pas sûr.
M. Rémillard: M. le Président, on me pose une
question. Le Conseil du trésor joue son rôle, comme il le fait
depuis qu'il a été créé. Le député de
Taillon sait très bien que, lorsqu'on a besoin de crédits
additionnels, cela passe par le Conseil du trésor, qui fait sa
recommandation, mais c'est au Conseil des ministres à décider, en
dernière instance. De fait, le Conseil du trésor a une grande
responsabilité et on essaie de le sensibiliser le mieux possible
à notre réalité. Je compte sur l'expertise, la diplomatie
et aussi l'art de convaincre les gens, en particulier, de mon sous-ministre,
qui oeuvre au ministère de la Justice, pour le convaincre de la
nécessité de nos demandes.
M. Filion: J'allais dire que l'humanité ou l'humanisme du
Conseil du trésor n'est pas toujours évident. Je pense bien
qu'avec tout ce qui s'est dit aujourd'hui - et si on allait encore plus loin,
on irait chercher des arguments additionnels - le sous-ministre est bien
équipé, quitte à vous demander de l'accompagner, de temps
en temps, pour expliquer la vraie vie à ce monde-là. Encore une
fois, on est dans un secteur très important. Notre jeunesse, on en
parle, les hommes politiques en parlent, les femmes politiques en parlent, il
va y avoir une campagne électorale et tout le monde va parler de la
jeunesse. Mais voilà que le Comité de la protection de la
jeunesse nous dit qu'il a besoin d'outils concrets pour pouvoir remplir son
mandat. C'est simple. C'est là qu'est le problème, c'est
peut-être trop simple. Ça ne prend pas de discours, il faudrait
juste livrer la marchandise, faire fonctionner ce qui fonctionne
déjà.
Puisque le ministre a évoqué le problème de la
violence chez les jeunes, qui est un phénomène réel, je
l'ai dit et je ne veux pas reprendre l'argumentation que j'ai eu l'occasion
de
développer, à savoir qu'il faudrait peut-être aider
les ressources de première ligne, c'est-à-dire les maisons de
jeunes... Cela ne pourrait pas nuire, il y a une maison de jeunes dans mon
comté, à Longueuil, où il passe 1000 jeunes par semaine.
Savez-vous ce que le ministère de la Santé et des Services
sociaux a fait? Il a coupé sa subvention, rien de moins. Combien de
maisons de jeunes sont obligées d'aller crier leur désarroi sur
le plan financier? Il y a même une maison sur la rue Saint-Denis, dont je
ne me rappelle pas le nom, qui a été obligée de fermer ses
portes. Cela, c'est simple, il suffit de prendre un peu de sous et d'aider les
maisons de jeunes. Cela ne peut pas nuire à contrer ce
phénomène de la violence et d'explosion de violence chez nos
jeunes. Je suis tout à fait d'accord avec le ministre à savoir
qu'il ne faut pas exagérer, mais il y a un problème.
Occupons-nous-en tout de suite.
Ces jours derniers, aujourd'hui ou hier, on a vu que la CUM ou la STCUM
- probablement la CUM - s'apprêtait à réglementer le port
des armes blanches dans le transport public. Je laisse de côté les
problèmes constitutionnels. Le ministre est bien avisé, bien
entouré de gens qui pourront l'éclairer là-dessus. S'il y
a un jeune ou une autre personne qui décide de contester ça -
parce que ça ne s'appliquera pas juste aux jeunes, j'ai l'impression que
ça va s'appliquer à tout le monde - à ce moment-là,
les tribunaux trancheront. Mais je voudrais savoir, de la part du ministre de
la Justice, s'il a analysé la possibilité de
légiférer en ce qui concerne la vente d'armes blanches aux
mineurs, de la même façon qu'on interdit, sauf erreur, de vendre
des cigarettes aux mineurs...
Une voix: De l'alcool.
M. Filion: ...de l'alcool, etc. Est-ce qu'on a
étudié cette possibilité? Parce qu'on peut
réglementer le port, c'est une chose de l'avoir sur soi, mais la vente,
c'est à la source. On arrêterait peut-être de vendre des
couteaux de toutes les formes et de tout acabit, compte tenu du fait que Rambo,
dans chacun de ses films, nous offre une nouvelle panoplie d'armes plus
sophistiquées les unes que les autres, mais qui sont souvent des armes
blanches. Je suis convaincu que les fabricants ne manquent pas de
modèles originaux et que les jeunes s'en procurent et achètent
ça assez facilement.
J'aimerais savoir, de la part du ministre, s'il a analysé cette
possibilité de légiférer en ce qui concerne la vente
d'armes blanches aux jeunes.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, le
député de Taillon fait référence à la
situation de violence, en particulier chez les jeunes, qu'on peut observer un
peu partout au Québec, comme dans d'autres provinces d'ailleurs. Mais,
depuis quel- ques mois en particulier, on en parle beaucoup en ce qui regarde,
entre autres, le transport en commun dans la région
métropolitaine de Montréal, sur le territoire de la
communauté urbaine de Montréal. De fait, la Commission de la
sécurité publique de la Communauté urbaine de
Montréal va étudier un projet de règlement. Nous avons
participé à différentes discussions, comme
ministère de la Justice, avec des gens du contentieux de la
Communauté urbaine de Montréal et de la ville de Montréal,
et j'ai moi-même réuni à mon bureau, à deux
reprises, les autorités de la Communauté urbaine de
Québec, de la Commission de transport de la Communauté urbaine de
Montréal et de la police de la Communauté urbaine de
Montréal. La dernière rencontre a eu lieu lundi dernier, donc
hier.
À la suite de cette étude par la commission de la
sécurité publique, il sera possible de suggérer aux 29
municipalités qui composent la Communauté urbaine de
Montréal de voter un tel règlement concernant le port des armes
blanches. Il faut bien comprendre, M. le Président, qu'il s'agira
là d'un règlement sur la prévention des agressions au
moyen de couteau ou d'autres objets similaires. La difficulté vient,
bien sûr, de l'aspect constitutionnel, mais nous croyons que ce genre de
règlement peut se défendre au point de vue constitutionnel et,
comme le dit le député de Taillon, je suis bien entouré
pour avoir les conseils qu'il faut sur le pian constitutionnel; je pense donc
que ça ira, à ce niveau.
Cependant, il faut aussi se rendre compte qu'il y a certaines
difficultés d'application. Nous prévoyons d'ailleurs publier un
guide d'utilisation pour les policiers quant à l'application d'un tel
règlement. Cela, c'est un aspect très important. Il ne s'agit pas
de créer une situation qui nous amènerait, par exemple, à
enfreindre des libertés au nom de la recherche d'une
sécurité, ce qui ne se justifie pas en fonction des grands
principes qui nous guident comme société libre et
démocratique. Il y a des journalistes, par exemple, qui m'ont
demandé: Est-ce que vous avez l'intention d'installer, par exemple, des
détecteurs de métal? Écoutez, il ne faut pas
exagérer non plus. On devra préciser comment le règlement
pourra être appliqué. Cependant, il faut bien comprendre que le
port de ces armes est prohibé surtout dans la mesure où elles
sont portées dans une intention qui pourrait être criminelle,
c'est-à-dire pour l'agression. Il peut y avoir des situations où
une personne doit porter un couteau sur elle - je pense à nos scouts, je
pense à d'autres activités qu'une personne peut avoir dans un but
tout à fait pacifique. Cependant, dans un endroit public, lorsque ces
armes seront portées avec l'intention criminelle d'agresser, on pourra
sévir en fonction de dispositions qu'on retrouvera dans ce
règlement et qu'on ne retrouve pas dans le Code criminel.
C'est pourquoi j'ai demandé à mon collègue, le
ministre fédéral de la Justice, d'inscrire ce sujet à
l'ordre du jour de la réunion des minis-
tres de la Justice du Canada, qui aura lieu au mois de juin prochain.
Nous ne sommes pas la seule province à vouloir discuter de ce sujet; la
Colombie britannique et l'Ontario, entre autres, sont des provinces qui doivent
aussi faire face à une situation semblable et qui se préoccupent
des mêmes questions que nous. Je crois bien qu'il sera possible de
discuter de ce sujet à la prochaine réunion des ministres de la
Justice, en juin prochain, pour tenter de revoir le Code criminel et pour le
rendre plus actuel, en fonction de la réalité à laquelle
nous sommes confrontés.
Maintenant, comme je l'ai mentionné tout à l'heure, il est
important de bien comprendre qu'il ne s'agit pas de créer un État
policier à tous les niveaux, mais de faire en sorte que nos policiers,
nos gardiens de la paix aient les moyens nécessaires pour faire
respecter la loi et protéger l'honnête citoyen. Nous avons un bon
système policier, nous avons des policiers consciencieux,
professionnels, capables de faire leur travail et c'est notre devoir de leur
fournir les éléments nécessaires, au point de vue
juridique, qui vont les amener à accorder une protection aux citoyens,
comme on doit le faire.
Dans ce contexte, au ministère de la Justice, nous
étudions présentement différentes possibilités pour
réglementer le port d'armes blanches dans les endroits privés
ouverts au public, que ce soient des endroits où il y a des spectacles,
réunions, par exemple, où on sert des boissons alcooliques. Il
est important que l'on puisse contrôler le port de ces armes.
Le député de Taillon nous parle de la vente de ces armes.
Bien sûr, la vente de certaines armes, de certains genres de couteaux est
déjà prohibée - je pense au "jackknife", par exemple -
mais il y en a d'autres qui sont permises. D'ailleurs, ce ne sont pas
simplement les grands couteaux à la Rambo qui nous causent des
problèmes dans la situation de violence que nous avons, mais souvent les
petits couteaux normalement Inoffensifs qui sont utilisés d'une
façon offensive. C'est évidemment une possibilité qu'on ne
met pas de côté, mais qui peut poser certains problèmes
d'application.
Cependant, il est certain qu'on doit regarder aussi de ce
côté pour avoir le meilleur contrôle possible. Lorsqu'on
parle de revues ou de documents qui sont - on m'a fait perdre mon mot -
pornographique... Je pensais au thé qu'on vient de me servir et j'ai
perdu le mot "pornographique", mais je reviens à la pornographie pour
dire que, bien qu'il n'y ait pas de relation entre le thé et la
pornographie, M. le Président, on contrôle la vente de la
pornographie aux jeunes, on a différents règlements, et tout
ça. On peut regarder cet aspect et, de fait, on le regarde
présentement, mais cela pose des difficultés plus importantes.
(16 h 15)
M. Filion: Rapidement, M est clair qu'une réglementation
ne sera pas facile d'application.
Encore une fois, pour moi, la violence chez les jeunes... Là, on
parle beaucoup des transports publics parce qu'il y a eu quelques attentats,
mais, à notre avis, c'est vraiment un des symptômes. Pour trouver
la cause profonde, il faut aller plus loin que ça. Cela demande une
action concertée de plusieurs intervenants pour essayer de
déraciner les sources, les causes de la violence qui sont, pour moi,
à peu près, pas toujours mais souvent l'expression du
désespoir. Les jeunes, généralement, lorsqu'ils posent des
actes de violence - je ne dis pas dans tous les cas - ce sont souvent des actes
de désespoir. C'est un examen de conscience très sérieux
qui doit être fait par l'ensemble de la société et qui est
en train de se faire tranquillement, mais encore faut-il prendre des mesures
concrètes pour protéger le monde en attendant.
Le règlement, au niveau des transports publics, ne sera pas
facile d'application. On ne peut pas fouiller tout le monde. J'ai comme
l'impression que ce sera bien bon une fois que le dommage sera fait. Tu as un
couteau, voilà une accusation de plus, mais ce ne sera pas facile
d'application et, encore une fois, les couteaux, on les retrouve à
beaucoup d'endroits, ce n'est pas réservé aux bars, auxquels
faisait allusion le ministre, ou aux transports publics. Il m'apparaît
que vouloir examiner la vente de ces armes ne serait peut-être pas une
mauvaise idée. Mais je suis quand même satisfait de la
réponse du ministre à ce sujet. Je n'ai pas d'autre question,
surtout que je vois que le président du comité s'impatiente.
Le Président (M. Dauphin): Bon voyage, M. le
président!
M. Filion: Bon voyage! Je suis prêt à passer
à un autre sujet, mais je pense que le député de
Laurier...
Le Président (M. Dauphin): M. le député de
Laurier.
M. Sirros: Je voudrais juste faire une remarque à la suite
des propos du député de Taillon, pour dire, d'une part, que je
partage son inquiétude par rapport à toute la question de la
violence et même son analyse, à savoir que c'est un symptôme
et que les causes sont plus profondes. Je suis content de l'entendre dire qu'il
faudrait regarder ça de plus près et faire une analyse un peu
plus sérieuse. Mais c'est la deuxième fois - et c'est à
ça que je voulais en venir - que je l'entends lier un peu ce qu'il
appelle le sous-financement des maisons de jeunes à toute la question de
la violence chez les jeunes. C'est effectivement le genre de choses qu'il ne
faudrait pas trop faire, selon moi. Je comprends le besoin du
député de promouvoir et d'appuyer les demandes que font des
regroupements ou des maisons de jeunes dans son comté pour du
financement, mais, pour avoir
participé à une tournée sur la question des maisons
de jeunes et à une analyse un peu plus poussée de la question,
tout en pouvant dire qu'elle font de l'excellent travail, il faut dire que ce
n'est pas nécessairement clair que c'est auprès des
clientèles qui sont concernées par le dossier de ce qu'on peut
appeler l'aliénation sociale, si vous voulez.
Tout en étant d'accord avec lui que cela ne peut peut-être
pas faire de mal si on y ajoute de l'argent, je pense, effectivement, que ce
n'est pas le genre de réponse ou de réflexe qu'il faut avoir
comme société et comme gouvernement, soit simplement mettre de
l'argent là où on pense que cela ne ferait pas de mal. Tout en
étant d'accord avec lui que cela ne ferait pas de mal, dans un contexte
où il faut, je pense, essayer de trouver les moyens les plus efficaces
pour intervenir dans cette problématique sérieuse, et tout en
comprenant le besoin du député d'appuyer certaines causes, il me
semble que c'est trop facile d'associer le sous financement des maisons de
jeunes, en particulier, qui est une ressource spécifique, pour certaines
clientèles non nécessairement bien définies ou non
uniformes, si vous voulez, en termes de clientèle type, au
problème de la violence en disant que c'est le remède ou la
solution. Je pense qu'il serait de beaucoup préférable d'essayer
d'entamer une réflexion sur les réponses à apporter au
dossier de toute la question de la violence, l'utilisation des drogues, le
suicide, toutes ces questions d'un dossier qu'on pourrait appeler
l'aliénation sociale, plutôt que de promouvoir le financement de
certains types de ressources particulières. Je dis ça tout en
soulignant que Je partage les préoccupations et l'intérêt
du député dans ce dossier. Je ne voulais pas
nécessairement ouvrir un dialogue mais...
M. Filion: Je comprends bien.
Le Président (M. Dauphin): Avez-vous des questions pour le
ministre ou pour le député de Laurier?
M. Filion: On verra. Je comprends très bien ce qu'a dit le
député de Laurier mais je vais vous dire, bien honnêtement,
ce qui me fascine là-dedans, c'est de voir qu'on a un problème de
violence chez les jeunes, un problème à plusieurs volets qui
demande probablement plusieurs actions concertées, intelligentes, d'un
tas de gens si on veut enrayer le phénomène et ne pas devenir ce
que d'autres sociétés sont devenues. Ce que je n'endure pas, je
vais vous le dire très directement, M. le député de
Laurier, c'est d'entendre dire que le problème est tellement vaste que
ce n'est pas juste en aidant les maisons de jeunes qu'on va le régler,
donc on ne bouge pas. Ce que je dis, bien simplement, c'est qu'en ce qui
concerne la violence chez les jeunes il faut agir maintenant, ne pas attendre
d'être sûrs d'avoir trouvé le parfait bouton à huit
trous, mais passer à l'action par des mesures ponctuelles qui ne
coûtent pas cher. On n'est pas en train, ici, de parler de milliards de
dollars. Le ministre nous dit: C'est une priorité. Si c'est une
priorité chez ce gouvernement, il faut que cela se traduise en moyens
concrets pour les gens. La CUM fait son bout de chemin, cela a l'air, tant
mieux! Si les maisons de jeunes faisaient leur bout de chemin, si le
ministère de la Santé et des Services sociaux, si le DPJ et le
CPJ avaient un peu plus de moyens, etc. Bref, là-dedans, il n'y a rien
de pire que de se croiser les bras et d'examiner le problème de
façon générale en disant: C'est un problème
énorme, un problème sociétal - pour employer un mot
à la mode depuis une couple d'années - et, voyez-vous, c'est
complexe, ce n'est pas juste ça, etc. Non.
Chose certaine, je vais vous le dire, M. le député de
Laurier, ma maison de jeunes à Longueuil est drôlement efficace.
C'est une maison qui n'est pas un centre d'hébergement. Il y a des
centres d'hébergement également, à Longueuil, qui sont
drôlement efficaces. Je vais aller plus loin que ça, je suis
convaincu que, s'il y avait plus de places d'hébergement pour les jeunes
en difficulté, qui ne sont pas des places institutionnelles... Ce sont
des ressources où les jeunes retrouvent des jeunes et des gens qui
parlent leur langage et qui les aident un petit peu à se
débrouiller, a savoir comment se trouver un emploi, etc. Je vais vous
dire que je trouve que c'est drôlement plus efficace que bien des
discours. Il y aurait une chose concrète à faire, maintenant. Les
maisons de jeunes, je pense que cela fait partie d'une solution
concertée au problème de la violence chez les jeunes et,
là-dessus, je trouve que le gouvernement libéral nous tient un
double langage puisque le ministre de la Justice nous dit que c'est important,
mais le ministre de la Santé et des Services sociaux ne donne pas suite
à certaines demandes des maisons de jeunes sur le plan financier.
Je ne parle même pas du problème de leur reconnaissance,
etc. Mais cela a l'air que vous ne bougerez pas là-dedans pour ce qui
est des demandes financières. Elles ne sont pas énormes. Ce sont
des gens qui travaillent généralement en allant chercher des
articles, je ne sais pas trop quoi, du gouvernement fédéral, des
programmes de développement de l'emploi. Des gens qui font du
bénévolat six mois par année et qui sont payés les
six autres mois. Mais, auprès des jeunes, ça, c'est
drôlement efficace. Dans ce sens - je ne veux pas allonger nos
débats là-dessus - j'invite le ministre à brasser un petit
peu sa collègue, la députée de L'Acadie, pour obtenir des
résultats concrets dans ce secteur; sinon, dans cinq ans, on va dire: Le
problème est énorme, mais il n'y aura rien eu de fait. Je suis
prêt à passer à un autre sujet, M. le Président.
L'autre sujet est l'accès à l'égalité dans
la fonction publique. Brièvement, parce qu'il nous reste un tas de
sujets. Combien de temps nous reste-t-il?
Le Président (M. Dauphin): On a jusqu'à 17
heures.
M. Filion: On a travaillé combien d'heures ce matin, M. le
Président?
Une voix: Trois heures et demie.
M. Filion: M. le Président, on a travaillé combien
d'heures ce matin parce que je pense qu'on n'a pas travaillé trois
heures et demie?
Le Président (M. Dauphin): Trois heures et quinze minutes,
ce matin.
M. Filion: On a travaillé trois heures et quinze, ce
matin.
Le Président (M. Dauphin): Cet après-midi, on a
débuté à 13 h 29, précisément. Par contre,
je crois qu'il y a une entente. Le ministre a un rendez-vous important à
17 heures.
M. Filion: Je sais que le ministre doit quitter à 17
heures. 17 h 15, est-ce que cela vous irait, M. le ministre?
M. Rémillard: Je dois être là pour 17 heures.
Je pourrais quitter à 17 heures. C'est le Salon du livre; on m'attend
pour l'ouverture. C'est bien difficile de faire attendre ces
gens-là.
Accès à l'égalité dans la
fonction publique
M. Filion: D'accord. Allons-y rapidement. L'accès à
l'égalité dans la fonction publique. On sait que la proportion de
minorités ethniques dans la fonction publique va en décroissant.
C'était 4,14 % de l'effectif global en 1987, 4,3 % en 1986 et 3,9 % en
1989. Là, on va exactement dans le sens contraire des engagements
électoraux de votre parti. Vous avez dit: On va accroître la
participation des minorités ethniques au sein de la fonction publique.
Et même, tout récemment encore, les représentants
d'Alliance Québec faisaient valoir qu'ils n'étaient même
pas 1 % de la fonction publique, 0,9 %. Il y a des problèmes. D'abord, M
faut postuler, bien sûr, pour obtenir un emploi. Pour vous aider, dans
votre livre, je suis au programme 3, élément 1, qui touche
indirectement la Commission des droits de la personne. Bref, quelles actions le
gouvernement entend-il prendre pour améliorer ce processus
d'intégration de nos minorités au sein de la fonction publique
québécoise?
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, la question que pose
le député de Taillon est une question importante. Il a
souligné lui-même ce matin, lorsque nous avons commencé nos
travaux, en regardant les gens qui m'accompagnaient, qu'il n'y avait pas
beaucoup de femmes parmi les hauts cadres au ministère de la
Justice.
M. Filion: Là, je parle des minorités
ethniques.
M. Rémillard: Oui, et je sais qu'il a raison, mais j'y
arrive.
M. Filion: D'accord.
M. Rémillard: C'est un aspect et nous...
M. Filion: C'est peut-être le thé du ministre qui
l'amène à considérer une autre forme à ma
question.
M. Rémillard: M. le Président, là aussi, on
veut développer cet aspect et avoir des femmes à tous les niveaux
au ministère de la Justice. En ce qui regarde les minorités
ethniques à mon cabinet, elles sont bien représentées,
mais dans la fonction publique, entre autres, au ministère de la
Justice, je suis conscient que nous devons faire des progrès dans ce
domaine. Ce que nous voulons, c'est pouvoir recourir aux services de plus de
fonctionnaires qui sont de minorités ethniques. Je vais me
référer à M. le sous-ministre Chamberland pour apporter un
complément de réponse.
Le Président (M. Dauphin): M. le sous-ministre.
M. Chamberland (Jacques): M. le Président, merci. Jacques
Chamberland, sous-ministre de la Justice. C'est évidemment un
problème dont on est conscient au ministère de la Justice. Le
député de Taillon réalise sûrement que ce sont des
changements de société qui ne s'effectuent pas d'une
journée à l'autre, particulièrement lorsqu'on
réalise que le ministère de la Justice a, par exemple, beaucoup
d'effectif en région, beaucoup d'effectif à Québec et
aussi beaucoup d'effectif à Montréal. Évidemment, les
minorités ethniques sont surtout concentrées à
Montréal, ce qui complique encore plus l'atteinte d'objectifs
ministériels quant à la représentativité des
minorités ethniques. En ce sens-là, il faut concentrer notre
action sur le personnel à Montréal où se retrouvent les
minorités ethniques. On est attentif, on est conscient du
problème et de la nécessité de faire participer les
minorités ethniques à l'administration de la justice. C'est ce
que je puis dire aujourd'hui. Évidemment, le gouvernement doit proposer
bientôt à l'ensemble des ministères, et non pas uniquement
au ministère de la Justice, un programme d'accès à
l'égalité pour les membres de ce groupe cible que constituent les
minorités culturelles et on attendra. En attendant, on surveille la
situation de près. (16 h 30)
M. Filion: Je remercie le ministre et le sous-ministre. Le
ministre de la Justice est responsable pour le gouvernement, non seulement au
sein de son ministère mais au sein de l'ensemble de la fonction publique
québécoise, de l'application de la charte des droits. C'est
uniquement pour vous signaler que, l'an passé, on avait eu à peu
près le même type de conversation. Je vous disais: Cela diminue;
il y a de moins en moins de minorités dans la fonction publique
québécoise alors que ça devrait augmenter. Vous m'aviez
répondu: On est conscient du problème. Malgré tout,
ça diminue tout le temps. Vous ne m'apportez pas de réponses
concrètes, de moyens d'action concrets pour essayer de favoriser
l'intégration de toutes nos minorités, y compris la
minorité anglophone, dont je me fais le porte-parole - c'est dommage que
le député de Laurier ne soit pas ici - pour vous transmettre
leurs préoccupations face à la réalité qu'elles ne
constituent même pas 1 % de la fonction publique
québécoise. Elles représentent 0,9 % de la fonction
publique québécoise. Cela peut peut-être expliquer des fois
des frustrations. Bref, j'attire l'attention du ministre là-dessus.
Droit à la qualité de
l'environnement
Juste un mot sur le droit à la qualité de l'environnement.
Le ministre sait probablement que sa consoeur, à la conférence
internationale des droits constitutionnels, lors de la dernière ou
à une des dernières conférences constitutionnelles,
recommandait - je pense que c'était un peu le sens de la
conférence - l'insertion dans notre charte québécoise d'un
droit à la qualité de l'environnement. Je trouvais l'idée
tout à fait excellente et le ministre, je pense, est en train de le
regarder, peut-être par le biais de la Commission des droits de la
personne, la charte elle-même, la première partie de la charte et
non seulement la deuxième partie. Est-ce que le ministre a fait part
à ses collègues de sa préoccupation à voir le droit
à la qualité de l'environnement inscrit comme tel dans notre
charte que lui et moi voyons comme étant excellente, mais qui peut
être enrichie, bien sûr? Je lui rappelle aussi, sur le plan
politique, que, dans son programme, le parti politique auquel II appartient
s'est engagé à beaucoup plus. Il s'est engagé à
élaborer une charte de la qualité de la vie. Évidemment,
on n'a pas vu le début d'un commencement d'une ombre d'une amorce de
charte de qualité de vie, mais laissons faire les programmes politiques.
Uniquement en ce qui concerne la modification à la charte
québécoise, je pense que ce serait une belle façon de
prendre le leadership dans ce secteur des droits et libertés. Est-ce que
le ministre est prêt à s'engager aujourd'hui dans ce
sens-là?
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, c'est une
très belle question et, de fait, je dois vous souligner l'excellent
travail qui a été fait à cette Conférence
constitutionnelle sur l'environnement. On se souvient que c'était
Marguerite Yourcenar, de regrettée mémoire, qui était la
conférencière invitée, romancière de grand talent,
qui aura marqué notre époque par sa littérature et qui
nous a amenés, justement, à réfléchir de par son
action pour la protection de l'environnement. Le message qu'elle nous avait
laissé était un message très clair, un message que
maintenant, de plus en plus, nous nous devons d'entendre si on ne veut pas
détruire complètement notre planète, un message qui doit
se traduire dans des termes très concrets et, en particulier, en ce qui
regarde des documents juridiques comme des chartes des droits et des
libertés. De fait, M. le Président, je considère, pour ma
part, et je parle strictement en mon nom personnel, que le droit à la
vie que nous retrouvons dans la charte à tous les niveaux, tant au
niveau fédéral qu'au niveau provincial, doit comprendre le droit
à la protection de la vie, le droit à la qualité de la
vie, le droit de vivre dans un environnement sain. Cela doit être, de
fait, un accessoire au principal. Si on veut garantir le droit à la vie,
on doit, par le fait même, garantir aussi des conditions, une
qualité de vie, entre autres, en ce qui regarde l'environnement. Je
remarque que le député de Taillon fait un geste actuellement qui
pourrait être significatif à certains égards, mais que je
ne reprendrai pas.
M. le Président, dans ce contexte, on pourrait élaborer et
on pourrait inscrire ce droit à un environnement sain dans une charte
des droits et libertés, bien sûr, mais encore faut-il s'assurer
qu'on pourra avoir consensus sur la signification de ce droit et l'application
de ce droit. Or, il y a actuellement beaucoup de discussions qui se font
à ce niveau, discussions extrêmement intéressantes. J'ai eu
l'occasion, quand j'étais professeur d'université, d'assister
à différents forums aux Nations Unies où on a
discuté de ce droit à l'environnement et de la
nécessité de trouver un moyen pour établir un droit pour
chaque citoyen et citoyenne à l'environnement. Cependant, la chose n'est
pas facile si on prend en considération les différents
éléments qui entrent en ligne de compte dans cette protection de
l'environnement.
Mais, M. le Président, je dois dire que je souscris pleinement
à la préoccupation du député de Taillon et
j'espère que nous aurons l'occasion d'inclure dans nos chartes, dans un
avenir prochain, le droit pour chaque citoyen et chaque citoyenne à un
environnement sain. Pour moi, ça veut dire beaucoup de choses.
Peut-être que sur un geste en particulier, on pourra avoir justement une
discussion, le député de Taillon et moi. C'est simplement pour
vous dire à quel point c'est difficile de s'entendre sur cette notion de
qualité de l'environnement.
M. Filion: Est-ce que ça vous dérangerait si le
président de la commission embarquait avec nous dans la discussion?
M. Rémillard: Peut-être que... Une voix: Ha,
ha, ha!
M. Filion: On n'apprend pas grand-chose de précis. Le
ministre nous dit: Encore faudrait-il s'entendre sur la portée d'un
droit semblable. Quand même, quand le Parti libéral - et
lui-même en a probablement parlé, je ne sais pas - a
évoqué ces choses-là, les discussions et les analyses
devaient déjà avoir eu lieu. Je répète ma question:
Est-ce que le ministre est prêt à s'engager à ce que ce
soit inscrit dans la charte? S'il n'est pas prêt maintenant, qu'il dise:
Non, je ne suis pas prêt maintenant.
M. Rémillard: M. le Président, je suis prêt
à m'engager aujourd'hui à faire toutes les démarches qui
sont nécessaires, ce que nous avons déjà commencé
à faire, d'ailleurs, par des rencontres, par des colloques, par des
forums, pour tenter d'inscrire justement, éventuellement... Je ne peux
pas dire que ça va être fait demain ou après-demain, mais
je peux dire que ce serait certainement un élément important
à inscrire, dans notre charte des droits et libertés, le droit
à un environnement sain. Cependant, il faut être conscient, si on
inscrit ce droit, des conséquences que ça peut signifier. Il faut
donner les moyens d'exercer ce droit. C'est toujours le même discours
pour moi. C'est une chose que d'avoir un droit, mais il faut aussi penser aux
moyens qu'on va donner aux citoyens et aux citoyennes pour exercer leur droit.
Alors, dans le cas où vous proclamez bien haut le droit à un
environnement sain, il faut que vous puissiez aussi permettre à ces
citoyens de se présenter devant un tribunal, de se présenter
devant un organisme spécialisé et de dire: Voici, j'ai droit,
selon ma charte, à un environnement sain; cela signifie telle, telle et
telle chose; en fonction de cette signification, je suis dans une situation qui
enfreint mon droit et je vous demande d'agir.
M. Filion: Oui, mais...
M. Rémillard: C'est ce qu'il faut voir très
clairement. Alors, je ne voudrais pas simplement énoncer de grands
principes et faire de grands voeux pieux, mais dans le domaine de
l'environnement, il faut agir avec le plus de célérité
possible, le plus concrètement possible. Ce que je veux, ce sont des
solutions concrètes. Alors, dans la mesure où on s'entendra sur
un droit à l'environnement et ce que ça signifie, parce que
ça peut signifier énormément de choses, un droit a
l'environnement...
M. Filion: Oui.
M. Rémillard: Cela ne fait pas toujours l'affaire de tout
le monde à bien des niveaux, sur bien des aspects de la vie, que de
respecter un droit à l'environnement. S'il y a un domaine où on
peut toucher directement les individus dans certaines de leurs habitudes en
fonction de ce principe que leurs droits se terminent là où ceux
des autres commencent, dans la mesure où vous établissez ce droit
à un environnement sain, vous allez avoir des conséquences
sérieuses. C'est un consensus social qui est nécessaire pour
faire accepter une telle situation. Dans ce contexte, ce que je peux vous dire,
c'est que ce serait souhaitable, et vous avez parfaitement raison, M. le
député de Taillon, parfaitement raison. Maintenant, avant de
l'inscrire dans la charte, il faut être en mesure de pouvoir faire
appliquer ce droit à un environnement sain. C'est pour ça qu'il
serait intéressant d'avoir une charte de l'environnement, dans un
premier temps.
En ce qui regarde le ministère de la Justice, nous avons
augmenté considérablement l'effectif d'avocats au
ministère de l'Environnement pour que celui-ci puisse faire en sorte que
les règlements et les lois qui gouvernent la protection de
l'environnement soient appliqués avec le plus d'efficacité
possible. Neuf nouveaux postes ont été créés aux
services juridiques du ministère de l'Environnement et je pense que
c'est très significatif de la volonté ferme de ce gouvernement de
faire respecter les droits de chacun à un environnement sain.
M. Filion: Je ferai remarquer deux choses au ministre, mais
rapidement. Premièrement, nous serions les premiers au Canada mais
deuxièmement, son discours m'inquiète. S'il attend de voir la
confirmation des conséquences d'une inscription dans la charte du droit
à la qualité de l'environnement pour prendre une décision,
cela m'inquiète. Le ministre est professeur et il sait fort bien
qu'à partir du moment où, par exemple, le gouvernement du Parti
québécois a inscrit dans la charte le droit à
l'orientation sexuelle... Vous savez, il n'y avait pas nécessairement de
consensus social. On ne peut pas prévoir ce que les juges et les
tribunaux vont décider. C'est un des problèmes, d'ailleurs, de la
Charte canadienne des droits et libertés qui ne nous appartient pas,
à cette société distincte, que le ministre connaît
fort bien. À partir du moment où un droit est inscrit dans la
charte, il appartient aux tribunaux d'interpréter à la mesure des
législations qu'ils examinent, et à la mesure des critères
qui sont inscrits dans la charte. Encore une fois, le gouvernement du Parti
québécois n'a pas attendu les calendes grecques pour inscrire
d'une façon tout à fait avant-gardiste le droit à
l'orientation sexuelle. C'est un exemple. Cela m'inquiète. J'attends de
voir les conséquences de ça.
M. le ministre, vous devriez savoir qu'une fois qu'un droit est inscrit
dans la charte, ce sont les tribunaux, le gouvernement par les
juges, le gouvernement avec les juges, peu importent les distinctions
qu'on peut faire, il reste que ce sont des Juges qui seront appelés
à définir la portée de ces droits. On a une
conférence qui le dit. Votre parti a déjà
énoncé des choses. Si on attend l'an 2050 pour inscrire ça
dans la charte, on vient de manquer un peu le bateau. Je suis très
conscient de ce que vous dites. C'est peut-être un droit qu'on inscrirait
et qui ne serait pas facile, mais il n'y a rien de facile en ces
matières. Les tribunaux interpréteront ce qui est raisonnable et
ce qui ne l'est pas. Je ferai remarquer au ministre que, sans attendre la
charte, on a déjà des lois au Québec, dans beaucoup de
secteurs, qui indiquent la limite des droits et obligations de tous et chacun
à beaucoup d'endroits et, notamment, ici, dans cette enceinte.
M. Rémillard: M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: Tout d'abord, le député de
Taillon fait une distinction importante entre ce qu'on peut appeler un
gouvernement par les juges et un gouvernement avec les juges. C'est une
remarque importante parce qu'il se réfère lui-même à
l'interprétation que les juges vont donner à une charte des
droits et libertés en ce qui regarde, en particulier, ce droit à
l'environnement qu'on pourrait inscrire dans une charte des droits et
libertés. Il est certain, M. le Président, que dans la mesure
où on accepte d'inclure, en particulier dans une constitution, des
droits et des libertés qui appartiennent à des citoyens et des
citoyennes qui décident de vivre ensemble parce qu'ils partagent le
même bien commun et qu'ils veulent atteindre les mêmes objectifs,
qui veulent améliorer leur qualité de vie en vivant ensemble dans
une société, dans une communauté, par le fait même,
on doit accepter qu'il y ait interprétation de ces droits et de ces
libertés. Même les droits les plus fondamentaux, comme le droit
à la vie, ne peuvent être appliqués d'une façon
absolue et doivent, à bien des égards, être
interprétés en fonction du contexte social, culturel, politique
ou économique d'une société. Dans ce contexte, certains
commentateurs en sont venus à la conclusion que, parce qu'on aurait une
charte des droits et libertés dans notre constitution canadienne - en
particulier, nous fêtons, nous le savons, ce mois-ci, et je pense que
c'est aujourd'hui, le septième anniversaire de la Charte canadienne des
droits et libertés...
Une voix: C'était hier. (16 h 45)
M. Rémillard: On m'informe que c'était hier, je
suis en retard d'une journée. Parce que nous avons une telle charte,
nous avons, par le fait même, des juges qui deviennent les grands
interprètes de notre société et, par conséquent,
que le pouvoir politique perd de son importance et que nous avons un
gouvernement de juges, c'est faux, M. le Président. C'est faux parce
qu'il faut se référer à ce principe qui nous amène
à distinguer le pouvoir exécutif administratif, le pouvoir
législatif qui fait des lois et le pouvoir judiciaire qui les fait
appliquer.
Dans notre régime parlementaire à nous, il vaut mieux
parler de collaboration entre les pouvoirs que vraiment de séparation.
C'est une séparation, oui, mais fondée sur une collaboration. Je
veux dire, M. le Président, que si, par exemple, l'exécutif qui
est le gouvernement, n'a pas la confiance de la Chambre, qui est le pouvoir
législatif, il ne pourra pas gouverner. Il y a une distinction à
faire entre le législatif et le gouvernement, mais si le gouvernement
n'a pas la confiance de la Chambre, donc la collaboration de la Chambre, il ne
pourra pas gouverner. En ce qui regarde les lois, c'est la même chose. Il
y a une distinction à faire entre le judiciaire, le législatif et
l'exécutif. Si les tribunaux décident que nos lois sont
illégales ou inconstitutionnelles, elles ne s'appliqueront pas. Donc,
nous devons fonder le rapport entre ces trois grands secteurs de notre
activité que, déjà, Aristote, comme on le sait,
distinguait. On doit quand même se référer à une
distinction, oui, mais en fonction d'une collaboration. Dans ce contexte, les
tribunaux sont là pour interpréter d'une façon impartiale
la situation dans laquelle on doit situer l'application de ces droits et de ces
libertés.
En ce qui regarde l'environnement, je ne me suis peut-être pas
bien fait comprendre et je ne me suis peut-être pas exprimé d'une
façon très claire, mais je voudrais dire au député
de Taillon que, certainement, pour légiférer en matière de
droit, il ne faut pas attendre d'avoir l'assentiment de tout le monde. Ce
serait impossible. On n'irait pas loin comme ça. Cependant, il faut
quand même qu'on s'entende sur l'étendue du droit qu'on veut
donner. Bien sûr, on ne pourra jamais prévoir dans ses moindres
détails l'application de certains droits et de certaines
libertés. C'est aux tribunaux à en décider, toujours en
fonction du contexte dans lequel ils auront à préciser
l'application de ces droits. Cependant, on doit être conscient que si on
inscrivait un droit, comme le droit à un environnement sain, dans notre
charte, il faudrait auparavant qu'on puisse savoir ce qu'on entend par le mot
"environnement" et toute la signification qu'on doit lui donner. Le
député de Taillon a raison en disant que nous avons
déjà des lois, que nous avons des règlements qui
s'appliquent. Oui, mais on peut aller bien au-delà de ça
lorsqu'on parle d'un environnement sain, lorsqu'on parle du droit pour chacun
de nous à un environnement sain. Je crois que nous travaillons
présentement à bien des niveaux. Nous travaillons
présentement à faire du droit à l'environnement un droit
fondamental, mais il serait aussi inté-
ressant qu'on puisse l'aborder à l'intérieur d'une charte
sur l'environnement qui pourrait être fort significative et être un
pas déterminant vers une éventuelle inclusion à
l'intérieur de la charte d'un droit à un environnement sain.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. le ministre. M. le
député.
M. Filion: Juste un mot. J'écoute le ministre. La
situation réelle, ce n'est pas que les tribunaux se bornent à
examiner la légalité des lois, mais qu'ils examinent aussi la
légitimité des lois par le biais de l'article 1 de la charte
canadienne et par le biais de l'article 9.1 de la charte
québécoise. Tout ce discours sur l'examen par le pouvoir
judiciaire de l'exercice législatif ou de l'exercice exécutif qui
se bornerait à un examen légal, je pense que le ministre sait
fort bien qu'avec les chartes cet examen déborde le cadre de la
légalité ou, si l'on veut, la légalité inclut - peu
importe, des professeurs pourront résumer ça mieux que moi -
l'examen de la légitimité des lois. Il y a un exemple tout
récent avec la loi 101. Il va y en avoir un autre avec le jugement dans
l'affaire Irwin Togs, etc. On peut dire que la légalité inclut la
légitimité, mais ce sont quand même deux concepts
différents. À mon avis, je préfère dire que,
finalement, avec les chartes, les tribunaux non seulement examinent la
légalité, mais examinent également la
légitimité. Je ne sais pas si le ministre et moi sommes sur la
même longueur d'onde.
M. Rémillard: Ah oui! M. Filion: Oui.
M. Rémillard: Oui. Je suis parfaitement d'accord. Dans un
régime démocratique comme le nôtre, il doit y avoir une
relation très étroite, en fait, une même situation de
consensus en ce qui regarde la légalité et la
légitimité. Lorsqu'on arrive à des situations où on
doit distinguer entre la légitimité et la légalité,
comme dans le cas du rapatriement de la constitution de 1982, on se retrouve
dans une situation très critiquable en ce qui regarde le respect du
principe démocratique. Par conséquent, avec l'entente du lac
Meech, on viendrait réparer une injustice importante et on viendrait
pallier à ce manque de légitimité d'un document qui est
légal, donc qui s'applique au Québec, mais qui est
illégitime. C'est pour ça que je souhaite que l'entente du lac
Meech puisse s'appliquer le plus tôt possible pour pallier à cette
illégitimité d'un geste qui est, par contre, légal et qui
s'applique au Québec sur le plan de la légalité.
M. Filion: On pourrait discuter là-dessus, M. le ministre.
Si le repatriement de la constitution ou les décisions entourant le
rapatriement de la constitution sont illégitimes, je pourrais vous poser
bien des questions à partir de ce moment. Bref, allons-y sur une autre
question concrète. Le gouvernement fédéral a
annoncé la création d'un comité- d'étude, sauf
erreur, ou d'une commission d'enquête, portant sur les méthodes de
conception modernes, les mères porteuses, etc., même la
fécondation par voie artificielle. Quand ça a été
annoncé, ça ma frappé un peu; il me semble qu'on est en
pleine juridiction provinciale. Est-ce que le ministre a réagi à
cette commission d'enquête? Est-ce qu'il ne considère pas,
finalement, que ça devrait être de la compétence du
Québec d'examiner ce secteur d'activité qui va être
appelé à prendre de plus en plus d'ampleur? Je tiens à lui
signaler, soit dit en passant, qu'aux États-Unis, cette
responsabilité relève de chaque État. Je sais qu'on n'est
pas pour se transformer en constitutionnalistes américains, mais il me
semble que le fédéral empiète sur un champ de juridiction
qui est celui du Code civil, finalement, probablement celui du Code civil. On
ne parle pas d'actes criminels, M. le ministre, on parle de matières
tout à fait civiles, en tout cas, me paraît-il. Est-ce que le
ministre peut réagir à ces propos?
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: Oui, M. le Président. De fait, on a
pris connaissance, lors du discours du trône, au niveau
fédéral, qu'il y avait intention, de la part du gouvernement
fédéral, de créer cette commission d'enquête sur les
nouvelles technologies de procréation. C'est un sujet qui, à
certains égards, peut impliquer les compétences provinciales,
entre autres propriétés et droits civils, c'en est un, et
d'autres aspects aussi des compétences provinciales. C'est aussi un
sujet qui peut être relié à certaines compétences
fédérales en ce qui regarde en particulier le Code criminel. Par
exemple, on sait que l'avortement est un sujet de compétence
fédérale...
M. Filion: L'avortement, c'est criminel.
M. Rémillard: ...parce qu'on en a fait un crime comme tel.
Cependant, en ce qui regarde toutes ces technologies nouvelles de
procréation, il y a une distinction qu'on doit faire entre les
compétences provinciales et les compétences
fédérales.
À ce niveau, il faut bien comprendre, M. le Président,
qu'il s'agirait qu'un groupe de travail, donc une commission d'enquête...
Si le fédéral veut faire le point, s'il veut étudier, il
peut faire des enquêtes, il peut étudier, mais il ne s'agit pas de
loi. Lorsqu'il s'agit d'une loi de compétence provinciale, là,
nous pouvons dire: II s'agit d'un champ de compétence provinciale et
vous n'avez pas à légiférer dans un domaine de
compétence provinciale. Lorsqu'il s'agit d'une enquête, bien qu'on
puisse faire valoir notre intérêt dans des domaines qui
relèvent de notre juridiction, le fédéral peut toujours,
par le biais
de son pouvoir de dépenser, étudier différents
aspects. Cependant, là encore, M. le Président, le
député de Taillon me permettra de me référer
à l'entente du lac Meech pour lui dire que, justement, nous aurons une
protection accrue en ce qui regarde le pouvoir de dépenser du
gouvernement fédéral lorsque l'accord du lac Meech sera
accepté comme partie de notre constitution. Nous aurons la
possibilité d'avoir un pouvoir de dépenser, le fameux pouvoir de
dépenser du gouvernement fédéral, qui s'applique depuis de
nombreuses années et qu'on va pouvoir, enfin, circonscrire en fonction
d'un cadre d'application, avec une mention très claire qu'il doit
respecter le partage des compétences législatives. S'il ne
respecte pas les compétences législatives, nous aurons là
une arme de première main pour attaquer les législations
fédérales qui ne respectent pas les compétences
provinciales, même par le biais du pouvoir de dépenser. Dans ce
contexte, M. le Président, ce que je peux dire, c'est que
j'espère, de fait, que le député de Taillon se rend compte
de cette importance, et je sens d'ailleurs, par ses questions, à quel
point il est de plus en plus sensible à l'avenir de l'entente du lac
Meech et à quel point il se préoccupe du sort de cette entente
pour qu'elle se réalise le plus tôt possible et qu'elle donne au
Québec les garanties dont il a besoin, pas simplement en ce qui regarde
la société distincte et la dualité, mais en ce qui regarde
justement le partage des compétences législatives, et là
c'est un cas particulièrement intéressant en ce qui regarde le
pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral.
M. Filion: Je ne partage pas du tout l'avis du ministre de la
Justice. Il avait son vidéoclip à l'occasion de la commission
parlementaire sur le lac Meech, il avait sa présentation visuelle
à tous les intervenants, mais je l'invite à relire les
débats. Je l'invite à relire l'opinion de Me Lajoie, entre
autres, qui rejoint en bonne partie ce que je pense de l'entente du lac Meech.
Il y a une seule chose que j'espère, M. le ministre, et je le dis de
façon très cordiale. À vous écouter parler des
bienfaits de l'entente du lac Meech, je ne souhaite qu'une chose si jamais
cette entente est adoptée, ce qui est loin d'être sûr, parce
que, semble-t-il, certaines provinces anglophones trouvent que cela va trop
loin. Imaginez-vous, se faire dire que nous sommes une société
distincte, qu'elles trouvent que cela va trop loin, je n'avais pas besoin d'une
entente pour savoir cela. La seule chose que j'espère, si cette entente
est entérinée par les provinces récalcitrantes, c'est que
le ministre de la Justice sera à la Cour suprême pour rendre des
jugements qui iront dans le sens de ce qu'il nous dit. Mais à ce sujet,
même si cela lui arrive un jour, il sera probablement en minorité.
Je dois vous dire que vos paroles sont porteuses de grands espoirs
constitutionnels pour le Québec, mais l'expérience passée
démontre plutôt que, dans le cadre fédéral canadien,
bref, les visées québécoises sont rarement atteintes,
à preuve l'optimisme dont faisaient preuve vos procureurs avant le
jugement dans l'affaire Chaussures Brown et à quelques jours du jugement
de la Cour suprême, optimisme dont vous avez peut-être
goûté également.
J'ai quatre brèves questions pour terminer. Premièrement,
c'est pour quand la loi de mise en oeuvre du Code de procédure
pénale? Deuxièmement, que faites-vous au sujet du palais de
justice de Saint-Jean? Le président de l'Assemblée nationale, M.
le Président, peut difficilement s'adresser publiquement au ministre de
la Justice pour lui demander ce qui arrive à Saint-Jean où c'est
une situation intenable. Les juges se plaignent, tout le monde se plaint, mais
il n'y a rien qui bouge. Troisièmement, je l'ai évoqué un
petit peu dans mon discours ce matin, au palais de justice de Montréal,
en ce qui a trait au traitement des prévenus, est-ce qu'on peut
s'attendre à des actions concrètes? Est-ce que ça va?
Alors, la loi de mise en oeuvre du Code de procédure pénale, le
palais de justice de Saint-Jean, le palais de justice de Montréal, la
circulation des prévenus, etc. J'ai gardé, pour le dessert, ma
dernière question, peut-être, comme vous avez signalé que
ce sont les derniers crédits auxquels je participerai...
M. Rémillard: Elle est importante pour vous cette
dernière question.
M. Filion: Pardon?
M. Rémillard: Elle est importante pour vous cette
dernière question...
M. Filion: Non.
M. Rémillard: ...étant donné l'importance de
ces crédits.
M. Filion: Écoutez, elle est un peu égoïste.
Je veux savoir si le ministre de la Justice entend examiner dès
maintenant la possibilité d'un agrandissement du palais de justice de
Longueuil. Je sais qu'il l'a visité, j'ai eu l'occasion de le remercier
de s'être déplacé lors de la journée de la justice
de Longueuil, la semaine dernière. Il a pu prendre connaissance qu'on a
construit un palais de justice, ma foi, qui est agréable, où la
justice sera bien rendue, dans un climat et dans un environnement très
acceptable. Mais il demeure que les besoins étant, je pense que
Longueuil est le troisième ou le quatrième district judiciaire en
volume, en importance, et ce dès maintenant, à peine une ou deux
années après son inauguration. Je lui signale, également
à ce propos, que la Montérégie, de façon
générale, et la grande région de Longueuil en particulier,
c'est la région à plus forte croissance démographique. En
deux mots, dans l'accroissement de la population québécoise, on
absorbe, je pense, environ 50 % de toute l'augmentation de
la population québécoise, et elle se retrouve sur la rive
sud de Montréal. Bref, pour toutes ces raisons, le volume important, ce
qui viendra à Longueuil, etc., ce sera sûrement un accroissement
du nombre de causes. Est-ce que le ministre entend enclencher maintenant un
processus de réflexion pour des travaux devant mener à un
agrandissement possible? On sait que c'est prévu sur les plans,
l'agrandissement possible du palais de justice de Longueuil.
Le Président (M. Dauphin): M. le ministre.
M. Rémillard: Voici, M. le Président. En ce qui
regarde la première question, la loi sur le Code de procédure
pénale, je crois que, dans un avenir prochain, on sera en mesure de
présenter ce projet de loi pour son application. Je crois que c'est
prévu pour ce printemps-ci. Il reste des modalités
administratives à déterminer, mais, ce printemps-ci, c'est mon
intention de procéder à ce projet de loi.
M. Filion: Le ministre pourra compter sur notre
collaboration.
M. Rémillard: Alors, on procédera le plus
rapidement possible. En ce qui regarde le palais de justice de Saint-Jean,
c'est inscrit sur notre liste prioritaire, avec Cowansville, Laval,
Rivière-du-Loup, et avec la Chambre de la jeunesse de Montréal.
Ce sont vraiment nos cinq projets très très prioritaires et nous
voulons procéder le plus rapidement possible. Présentement, il y
a une étude d'alternatives qui est menée par le ministère
des Approvisionnements et Services et nous étudions avec lui les moyens
les plus efficaces, les plus rapides de procéder.
En ce qui regarde maintenant le traitement des prévenus à
Montréal, je suis parfaitement au courant de la situation. Je suis
allé et j'ai visité et on a fait des interventions au Conseil du
trésor pour que ce soit réglé en priorité, et je
pense être en mesure, là aussi, d'apporter des correctifs qui
s'imposent le plus tôt possible.
En ce qui regarde Longueuil, vous me permettrez, M. le Président,
tout d'abord de remercier le député de Taillon de sa
présence lorsque j'ai visité le palais de justice de Longueuil
ainsi que le directeur régional du district, M. Michel Laroche, qui
était là aussi, et le directeur du palais de justice, M. Raymond
Gallant, et de féliciter Me Saint-Jacques pour le succès qu'elle
a remporté lors de cette Semaine de la justice et du droit qui
était particulièrement réussie. J'ai pu me rendre compte
en visitant le palais de justice de Longueuil que, de fait, on avait construit
un très beau palais de justice, très intéressant, mais
malheureusement, dans une couple d'années, ce sera un palais de justice
qui nous laissera à l'étroit. Donc, il va falloir penser à
des agrandissements éventuels et nous sommes à regarder, de
façon très intéressée, des possibilités
d'agrandir éventuellement le palais de justice de Longueuil. Pour le
moment, je pense que cela peut aller pour les prochains mois, les prochaines
années.
Conclusions
M. Filion: En terminant, je voudrais remercier M. le ministre et
l'équipe qui l'accompagne. Également, M. le Président, on
me permettra de profiter de l'occasion pour remercier Me Stéphane
Dolbec, mon recherchiste. C'est la quatrième étude de
crédits que je fais et, depuis deux ans que nous travaillons ensemble,
il a su avec compétence, avec une remarquable précision
également, alimenter celui qui vous parle. Nous n'avons pas dans
l'Opposition, on le sait - vous y avez été, M. le
député de Marquette, mais je ne pense pas que M. le
député de Jean-Talon ait eu cette chance, si on peut appeler cela
une chance, entre guillemets; le député de Chapleau y est
allé également - cette facilité de tirer sur des
ressources administratives pour se préparer adéquatement à
des exercices parlementaires aussi importants que cette étude des
crédits. Je dois, en toute franchise, le remercier pour son travail
impeccable. Durant toute la préparation de ces crédits, cela a
été un plaisir de travailler avec Me Dolbec et ce n'est
sûrement pas pour rien que le ministre de la Justice actuel lui avait
déjà accordé une bourse pour aller se perfectionner
à l'extérieur. Je suis seulement heureux de constater que,
lorsqu'il est rentré de ce voyage de perfectionnement, il a su nous
apporter le meilleur de ses énergies qui sont très
appréciées. Je vous remercie également, Mme la
secrétaire, M. le Président, chers collègues.
Le Président (M. Dauphin): Oui, M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, je veux aussi tout
simplement remercier les membres de cette commission qui ont participé
très attentivement à cette commission. Je vous remercie, M. le
Président, aussi. Je veux remercier le député de Taillon
et M. Stéphane Dolbec qui a fait des études
complémentaires, que j'ai connu comme brillant juriste et qui a su
montrer ses talents avec le député de Taillon. Je sais
très bien, M. le Président, qu'une bonne Opposition fait un bon
gouvernement et quand on connaît la qualité du gouvernement, c'est
qu'il y ait une bonne Opposition, et cela doit demeurer comme cela.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Dauphin): Avant de se laisser, membres de
cette commission, il faudrait, évidemment, adopter les différents
programmes, ce qui était l'objet de notre réunion d'aujourd'hui.
Est-ce que les programmes 1 à 10 du ministère de la Justice sont
adoptés?
M. Filion: Adopté.
Le Président (M. Dauphin): Adopté. J'ai une autre
déclaration à faire. Est-ce que l'ensemble des crédits
budgétaires du ministère de la Justice pour l'année
financière 1988-1969 est adopté?
M. Filion: Adopté.
Le Président (M. Dauphin): Adopté. À mon
tour, je remercie les membres de la commission, le ministre de la Justice et
son équipe. Nous ajournons nos travaux au jeudi 20 avril, 10 heures.
(Fin de la séance à 17 h 7)