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Version finale

36e législature, 1re session
(2 mars 1999 au 9 mars 2001)

Le jeudi 28 septembre 2000 - Vol. 36 N° 92

Consultation générale sur les impacts du projet de Zone de libre-échange des Amériques


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Table des matières

Journal des débats

heures trente-cinq minutes)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): La commission des institutions reprend ses travaux dans le cadre de la consultation générale et des auditions publiques sur les impacts du projet d'implantation d'une zone de libre-échange des Amériques. Nous en sommes à la troisième journée de ces consultations.

M. le secrétaire, d'abord, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Pour la séance, M. Gautrin (Verdun) est remplacé par M. Gobé (LaFontaine) et M. Ouimet (Marquette) par Mme Houda-Pepin (La Pinière). Bien sûr, il y a toujours deux remplacements en vertu de l'article 130.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): À l'ordre du jour pour cette troisième journée, nous rencontrons d'abord les représentants de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec. Ensuite, nous rencontrerons les représentants de la Centrale des syndicats du Québec puis du Comité canadien pour combattre les crimes contre l'humanité. Nous suspendons, en principe, vers 12 h 30, pour reprendre à 14 heures avec les représentants du Bloc québécois, de la Chambre des notaires du Québec, et enfin nous rencontrerons M. Jean Cencig. Très bien. Donc, nous devrions ajourner vers 16 h 45. Est-ce que l'ordre du jour est adopté?

Des voix: Adopté.

Auditions

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Adopté. Alors, il nous fait plaisir donc de recevoir les représentants de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec, notamment M. Gilles Nadeau, président du comité du commerce international et directeur des affaires gouvernementales chez CAE électronique ltée, de même que M. Marc-André Veilleux, conseiller en politiques publiques. Alors, M. Nadeau, vous avez la parole.

Alliance des manufacturiers et
des exportateurs du Québec (AMEQ)

M. Nadeau (Gilles): Merci. Au nom de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec, permettez-moi d'abord de vous remercier de nous avoir invités à venir témoigner aujourd'hui au sujet des répercussions du projet de Zone de libre-échange des Amériques. La question du commerce international doit être discutée de façon réfléchie et constructive. Et nous saluons votre initiative de tenir les présentes consultations, d'autant plus que la majorité de nos membres exportent ou oeuvrent dans le domaine des exportations.

L'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec, l'AMEQ, est un organisme à but non lucratif qui regroupe des entreprises du secteur manufacturier et services à l'exportation de toute taille, de tout genre dans l'assemblée des régions du Québec. Elle compte 600 membres. L'Alliance est vouée à l'amélioration continue de la compétitivité de l'industrie québécoise et à la croissance de ses exportations. L'AMEQ travaille à la création des conditions économiques et sociales optimales à la fois pour les entreprises et leurs employés. Avec la création du ZLEA, ce n'est plus simplement l'Amérique du Nord qui sera visée par le libre-échange mais bien l'ensemble des pays des Amériques. On parle ici d'un projet ambitieux de réunir 34 États représentant un marché de 800 millions de consommateurs avec un produit intérieur brut total de 10 000 milliards de dollars US.

L'AMEQ est pleinement en faveur de la création d'une ZLEA, entre autres parce que cette Zone de libre-échange, en éliminant les tarifs douaniers en vigueur, ouvrirait l'accès aux marchés des Amériques aux biens et services produits par nos entreprises. De plus, la ZLEA remplacerait l'incertitude actuelle par des règles juridiques claires et précises. Celles-ci feraient en sorte que nos entreprises seraient traitées sur un pied d'égalité avec les entreprises locales. De même, l'incorporation de mécanismes de règlement des différends dans la ZLEA qui auraient pour mandat de régler de façon juste et équitable tout différend qui surgirait entre les membres favoriserait la stabilité et donc l'accroissement du commerce.

L'accroissement du commerce international qui résulterait de la création de cette Zone de libre-échange signifierait pour nos entreprises et la société québécoise l'augmentation de leur production, l'augmentation de l'embauche, l'accroissement de la demande des biens et services, l'accroissement des revenus, taxes et impôts pour le gouvernement, bref l'accroissement de la richesse collective québécoise. Sur ce dernier point, il reste encore beaucoup de chemin à faire, car on sait que le Québec se classe en cinquante-septième position sur les 61 états et provinces d'Amérique du Nord au chapitre du niveau de vie, selon Statistique Canada.

Depuis l'entrée en vigueur, en 1989, de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, le poids, dans l'économie québécoise et canadienne, du commerce international n'a cessé d'augmenter. Au Canada, un emploi sur cinq dépend des exportations. Les exportations canadiennes de biens et services représentent 40 % du produit intérieur brut. En 1998, les expéditions canadiennes de biens et services à travers le monde s'élevaient à 368 milliards, soit plus de 12 145 $ par personne toutes catégories. Chaque fois que nos exportations augmentent d'un milliard de dollars, elles créent environ 6 000 nouveaux emplois, selon les chiffres du gouvernement fédéral.

Malgré la taille relativement modeste de son économie et en faisant abstraction de ses exportations interprovinciales, le Québec est le trente-deuxième exportateur mondial, avec 0,7 % des exportations de la planète. Au Québec, les exportations internationales de biens et services représentaient 20,5 % du produit intérieur brut québécois en 1988, et ça, une année avant l'entrée en vigueur du libre-échange avec les États-Unis, 25,8 % en 1993 et 36,4 % en 1997, les exportations de biens et services du Québec à l'étranger et dans le reste du Canada équivalant à 56 % du produit intérieur brut en 1997.

n(9 h 40)n

Les résultats d'une telle étude d'impact économique réalisée par la Banque Royale du Canada à l'occasion du dixième anniversaire de l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis sont éloquents quant à l'importance et aux bienfaits du libre-échange: hausse de près de 170 % des exportations, qui ont atteint 271 milliards; hausse de près de 150 % des importations, qui ont atteint 203 milliards. Le commerce bilatéral des services a pratiquement doublé, pour atteindre 60 milliards de dollars. L'ensemble du commerce bilatéral se chiffre à près de 1,5 milliards de dollars par jour au Canada. Les exportations de marchandises vers les États-Unis sont passées de 15 % à 28 % du produit intérieur brut. La part des exportations canadiennes vers les États-Unis est passée de 71 % en 1989 à 84 % en 1998. De même, selon Statistique Canada, en dollars courants, le Canada a exporté pour 271 milliards de dollars de marchandises aux États-Unis en 1998, par rapport à 101 milliards de dollars en 1988, qui fut la dernière année avant l'entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Quant à elles, les importations américaines durant cette période ont progressé de 86 milliards à 203 milliards de dollars.

Pour ce qui du domaine des services, ceux-ci ont presque doublé, depuis 1988, en passant de 30 milliards à 58 milliards de dollars. Le total des exportations canadiennes de marchandises et de services vers les États-Unis en 1998 s'élevait à 297 milliards de dollars. Au chapitre des importations, ce montant totalisait 235 milliards. J'arrive à la fin de mes statistiques.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Parce que c'est important de bien établir effectivement ces données, elles sont très pertinentes. Continuez.

M. Nadeau (Gilles): Un des indices les plus révélateurs de l'effet bénéfique de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis est le fait que les industries dont la production était visée par les clauses de libéralisation ont vu les exportations augmenter beaucoup plus rapidement que les industries non visées. Ainsi, selon une étude de l'Institut C.D. Howe de 1997, les exportations de produits libéralisés ont augmenté de 139 % entre 1988 et 1995 contre 65 % pour les produits exclus de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, ce qui correspond à moins de la moitié du taux de croissance du commerce des marchandises visées par l'Accord de libre-échange.

En ce qui a trait à l'Accord de libre-échange nord-américain, ou l'ALENA, qui a succédé à l'ALE, les exportations canadiennes vers le Mexique sont passées de 800 millions à 1,4 milliards de dollars en cinq ans, et ce, malgré la grave crise du peso en 1995. De plus, pour cette même période, les importations ont plus que doublé pour passer de 3,7 milliards à 7,6 milliards de dollars, avec pour résultat qu'aujourd'hui le Canada est le deuxième plus important client du Mexique après les États-Unis. Depuis 10 ans, l'accroissement important des exportations a permis au Canada d'éviter la dépression économique. En effet, de 1989 à 1998, la progression globale de la production intérieure a augmenté de 18 %. Durant la même période, les achats de produits locaux par les Québécois et les Canadiens ont diminué de 5 %, tandis que les achats par les étrangers ont augmenté de 95 %.

Au chapitre du commerce engendré par l'ALE, on constate que les années quatre-vingt-dix ont connu la plus forte poussée du commerce international canado-américaine depuis le début du XXe siècle. Les exportations canadiennes atteignent un niveau inégalé de 40 % du produit intérieur brut. Le volume des exportations a été multiplié par quatre dans le secteur manufacturier, si l'on exclut l'industrie automobile. Selon l'économiste Pierre Fortin, la hausse des exportations provient en grande partie de l'Ontario et du Québec, qui ont accru leurs ventes aux États-Unis. La production québécoise exportée à l'étranger est passée de 20 % du PIB en 1988 à 36 % en 1997.

Si l'on se fie aux succès engendrés par la mise en place d'une zone de libre-échange avec les États-Unis et le Mexique, il y a tout lieu de croire que la création d'une ZLEA sera extrêmement profitable pour l'économie québécoise et canadienne. En effet, celle-ci ouvrira les marchés des États des Amériques aux produits et services d'ici. En ce sens, nos produits et services pourraient plus facilement trouver des débouchés à l'extérieur de nos frontières, ce qui résulterait en un accroissement économique bénéfique et diversifierait le risque pour l'économie canadienne lié à un ralentissement économique des États-Unis. Les chiffres le prouvent, sans la signature de l'accord du libre-échange avec les États-Unis il y a 10 ans, l'économie québécoise et canadienne serait beaucoup moins bien portante et le gouvernement ne se demanderait probablement pas quoi faire avec des surplus budgétaires, mais bien comment couper davantage dans les programmes sociaux.

L'accès aux marchés étrangers de biens et services est devenu essentiel pour les entreprises de chez nous, compte tenu du poids dans l'économie québécoise et canadienne du commerce international. La création d'une zone de libre-échange des Amériques nous permettra de poursuivre la période de croissance économique actuelle, elle nous permettra de favoriser davantage la création de richesses et la création d'emplois, elle permettra également aux entreprises d'être plus compétitives vis-à-vis leurs concurrents internationaux situés à l'extérieur de la Zone de libre-échange des Amériques.

Par exemple, dans le secteur de la vente de machines produisant des copeaux de bois, CAE a un seul concurrent, il est allemand. Lorsque CAE fait des affaires au Brésil, ses produits se heurtent à un tarif douanier de l'ordre de 18 %. La création de la Zone lui donnerait un avantage extraordinaire par rapport à son concurrent, surtout quand on sait qu'une différence de 5 % seulement peut lui apporter ou non un contrat.

Récemment, le Canada et les États-Unis signaient des ententes commerciales avec la Chine pour faciliter son adhésion à l'OMC. De même, l'Union européenne signe avec le Mexique une entente de libre-échange. Ces accords ne sont pas le fruit du hasard, mais ils témoignent de la volonté et de la nécessité pour les État d'ouvrir leur économie sur le monde pour récolter les fruits de la mondialisation de l'économie. À cet égard, le Québec et le Canada ne peuvent rester indifférents. La création d'une zone permettrait de poursuivre sur le chemin de la croissance économique.

Avec la création d'une zone de libre-échange des Amériques, l'AMEQ croit que les entreprises d'ici sortiront gagnantes d'un accroissement de libéralisation du commerce, et ce, entre autres aux chapitres du commerce des marchandises, de l'agriculture et des produits agroalimentaires, des services commerciaux, de l'accès aux marchés publics, de l'investissement, des droits de propriété intellectuelle, de politique et de droit de la concurrence.

L'expérience avec les États-Unis, le Mexique, le Chili et Israël est éloquente à ce sujet. Bref, la Zone de libre-échange, c'est une occasion unique où 34 États représentant un marché de 800 000 000 de consommateurs avec un produit intérieur brut total de 10 000 milliards de dollars US soit à notre portée pour le bénéfice de nos entreprises et de nos travailleurs. L'AMEQ est convaincue que les entreprises d'ici sauront tirer leur épingle du jeu.

Par ailleurs, plusieurs groupes qui témoigneront lors des audiences de la commission parlementaire sur la création d'une ZLEA viendront affirmer que ce projet est une menace pour l'environnement, les normes du travail, le respect des droits de la personne, la culture. Ces groupes, pour toutes sortes de raisons, s'opposent au phénomène de la mondialisation, et ce, à tort ou à raison. Pour l'AMEQ, il est illusoire de penser que nous pouvons nous opposer ou ralentir le phénomène de mondialisation. Cela ne veut pas dire, par contre, que nous ne pouvons pas essayer de rendre celui-ci plus humain et conforme à nos valeurs. En ce sens, nous croyons que les accords commerciaux internationaux doivent non seulement permettre à des entreprises d'accéder à des marchés étrangers dans un cadre juridique et réglementaire clair mais aussi de refléter certaines de nos préoccupations de société.

La ZLEA ne fait pas exception à ce raisonnement. Au contraire, nous croyons à la nécessité d'inclure dans celle-ci des clauses de protection environnementale et sociale. Actuellement, les entreprises d'ici se soumettent déjà à des normes environnementales et sociales. Elles auraient donc tout intérêt à ce que leurs concurrents internationaux aient à se soumettre eux aussi à des normes équivalentes dans ces différents domaines.

Il ne faudrait pas en arriver à un affaiblissement des normes en vigueur par ce moyen. Cependant, il faut être lucide et constater que plusieurs États en développement croient que des clauses environnementales et du travail ne sont en réalité que des barrières non tarifaires déguisées. Aussi, ils refusent de négocier de telles clauses sous prétexte qu'à l'époque, les pays industrialisés n'ont pas eu ce genre de contraintes pour se développer économiquement. Il y a toutefois d'encourageants précédents dans l'ALENA qui peuvent servir de base à d'autres développements. L'environnement et le travail ne doivent toutefois pas devenir des barrières non tarifaires injustifiées.

n(9 h 50)n

En ce qui a trait au respect des droits de la personne, ici encore plusieurs États refusent de négocier ce type de règle dans les accords économiques internationaux en affirmant que ce genre de sujet n'y a pas sa place. L'AMEQ n'est pas contre l'insertion de dispositions dans la ZLEA faisant référence au respect des droits de la personne. Cependant, elle n'est pas optimiste quant à la concrétisation de telles dispositions. D'autres moyens tels la sensibilisation et l'éducation devraient aussi être envisagés, et l'AMEQ est prête à participer à ces discussions.

Finalement, au sujet de la culture, la ZLEA devrait essayer de refléter notre spécificité culturelle. Il ne faut pas que la mondialisation serve à uniformiser la culture à travers les pays mais bien à refléter les différences existant dans le monde. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Nadeau, pour cette présentation. Nous allons donc passer à la période d'échanges. M. le député de Drummond.

M. Jutras: Oui. Bonjour, M. Nadeau. Vous nous parlez amplement des avantages de la ZLEA et vous vous prononcez en faveur de la ZLEA. Cependant, il y a quand même de vos membres qui sont inquiets par rapport à cela et qui nous disent que, si la ZLEA est mise en vigueur, finalement, on va susciter à leur endroit une concurrence qui va leur être difficile à supporter. Comme, par exemple, quelqu'un, un homme d'affaires, une entreprise qui n'est pas dans le domaine de la nouvelle économie, qui produit la même chose depuis 30, 40 ou 50 ans, il se dit: Bien là, vu les conditions qui existent dans certains pays où les gens sont beaucoup moins payés, les conditions de travail sont bien différentes, les charges sociales ne sont pas ce qu'elles sont ici, bien, ça va nous causer un préjudice et cette concurrence-là va être difficile. Puis on a beau leur dire que, bon, il faut augmenter leur productivité, il faut aller vers les nouvelles technologies, quand quelqu'un n'est pas dans le domaine des nouvelles technologies et qu'il produit quelque chose de base qui est toujours pareil d'une année à l'autre, qu'est-ce que vous dites à ces gens-là? Puis il doit y en avoir dans vos membres qui vous expriment ces inquiétudes-là. En tout cas, moi, il y a des gens de chez nous qui m'ont exprimé cette inquiétude-là. Qu'est-ce que vous leur dites?

M. Nadeau (Gilles): Il n'y a aucun doute que, parmi les 600 membres de l'AMEQ, il y a des différences d'opinions. Alors, les opinions que je vous ai reflété aujourd'hui reflètent l'ensemble des membres. Il n'y a aucun doute pour nous, de plus, que la mondialisation va bon train. Il n'y a aucun doute que la grande majorité des entreprises va vers les nouvelles technologies, va vers l'augmentation de la productivité. Et on vit de plus en plus dans un monde qui est en évolution. Et puis notre succès n'est assuré que sur une seule base maintenant, c'est de s'adapter à l'évolution constante. On ne peut pas marcher, il faut courir, il faut courir à pleine vitesse, il faut être constamment à l'avance de nos compétiteurs. Alors, il faut s'adapter à cette réalité-là. Il n'est plus satisfaisant pour nous d'espérer rester dans le même domaine d'activité et le même environnement dans lequel nous avons opéré depuis 30 ans.

Puis là laissez-moi vous donner un exemple pratique, qui est celui que je connais bien, c'est chez CAE. Je ne veux pas mentionner nécessairement CAE parce que je travaille pour cette compagnie mais plutôt parce que c'est le secteur que je connais le mieux. CAE est chef de file mondial dans la fabrication de simulateurs, donc un produit de haute technologie. Mais, depuis cinq ans, notre moyenne part de marché mondial est d'environ 70 %, depuis trois ans 75 % et l'an dernier 87 % du marché mondial dans la vente de simulateurs. On parle donc d'un chiffre d'affaires d'environ 500 millions. Tout ça est fabriqué ici à Montréal, avec 4 000 employés, avec un contenu québécois très élevé. On opère dans un marché mondial qui est de l'ordre d'environ 600 millions. Mais on réalise, même encore aujourd'hui, que ce marché est en évolution, qu'il y a des compétiteurs à travers le monde et que, même si on a une part de marché de 87 %, qui est encore dominante, ce n'est pas nécessairement une part de marché qu'on va pouvoir soutenir. Donc, il est clair qu'on doit évoluer.

On a fait nos propres études stratégiques. On a déterminé que CAE doit se transformer parce que, de toute évidence, il y a différents facteurs ? que je ne vous expliquerai pas aujourd'hui ? qui nous permettent de croire que le niveau de compétition va augmenter sévèrement, qu'on ne pourra pas maintenir notre part de marché à 87 %. C'est où qu'on va aller, avec notre tête si proche du plafond? Donc, il faut changer malgré le fait que, du point de vue technologique, on est les leaders. Alors, pour nous, il faut se transformer, s'adresser à un nouveau marché. Alors, on fait le saut vers le marché de la formation, qui est un marché de 6 milliards et non plus de 600 millions. Alors, on va vivre, à travers les prochains trois, quatre, cinq ans, la période avec les plus grands défis de notre histoire de 52 ans ? ça fait 52 ans qu'on est en existence. Il faut s'adapter. Alors, même nous, qui sommes dans le domaine de la haute technologie, on doit changer. Les choses ne restent jamais telles qu'elles étaient l'an dernier ou il y a cinq ans ou il y a 10 ans.

M. Jutras: Oui, mais une entreprise comme la vôtre, qui est déjà dans le domaine de la nouvelle technologie, est mieux positionnée parce que, bon, la nouvelle technologie, on la voit plus en Amérique du Nord que, par exemple, dans certains pays moins riches, dans certains pays pauvres. Mais l'industriel, le directeur de PME, le propriétaire d'une PME ? je donnais l'exemple cette semaine ? qui, par exemple, produit un robinet de cuisine, puis, lui, ça fait 50 ans qu'il fait ça, il a beau le perfectionner, son robinet de cuisine, il n'est pas dans le domaine de la nouvelle technologie, lui. Et là ce qu'il craint, c'est que, dans tel pays, à côté de la brousse, bien là on va en produire des robinets de cuisine. Puis cet homme d'affaires là dit: Comment je vais pouvoir concurrencer ça? En tout cas, je comprends ce que vous dites, là, il faut aller de l'avant, je comprends que le processus nous apparaît inéluctable, mais je comprends l'inquiétude, en tout cas, de cette personne-là par rapport à son produit.

M. Nadeau (Gilles): D'accord. Mais, même ce fabricant, qui peut être en Beauce, qui peut être à Rimouski, qui peut être n'importe où, si, lui, il ne se dirige pas vers le monde extérieur, c'est le monde extérieur éventuellement qui va se diriger vers lui sans qu'il ait aucun contrôle. Alors, la meilleure façon de pouvoir survivre, c'est qu'on doit établir un système de règles et de règlement de litiges qui va déborder notre cadre de référence traditionnel, que ça soit en Beauce, que ça soit au Québec, que ça soit au Canada. Il faut faire déborder ce cadre-là puis il faut établir des règles.

Encore une fois, je vais vous parler d'un cas qui va plus dans la haute technologie que la basse technologie, mais les principes sont les mêmes. Pourquoi est-ce que Bombardier et Embraer ont été en litige depuis tant d'années? Ça a été essentiellement parce que le gouvernement du Brésil subventionnait la vente, le prix de vente, directement, des avions, ce qui est une pratique qui a été établie par les Brésiliens pour favoriser l'éclosion de leurs fabricants. Mais le problème, c'est qu'elle causerait un dommage énorme à Bombardier et à d'autres entreprises à travers le monde dans le sens que ça créait un environnement inégal. Comment est-ce que Bombardier ou toute autre compagnie peut compétitionner dans un environnement où il y a des subventions à des niveaux aussi élevés? On parlait de millions de dollars pour un seul avion qui étaient donnés par le gouvernement brésilien. On ne peut pas compétitionner avec ça. C'est un autre cas plus ou moins similaire. Alors, c'est pour ça que Bombardier a fait monter le dossier au niveau de l'OMC, de l'Organisation mondiale du commerce. Et c'est à l'intérieur d'un cadre de règles et d'un système de règlement de litiges et de points de référence qu'on a pu fait ressortir un jugement pour essayer justement d'équilibrer le scénario pour tout le monde.

Alors, c'est ce qu'on espère, pas de tout régler, avec la ZLEA, mais c'est une première étape de créer un champ plus égal pour tout le monde. Autrement, si on n'a aucune communication avec l'Amérique du Sud, de ce côté, ils feront bien ce qu'ils veulent même ça crée un dommage aux entreprises québécoises.

n(10 heures)n

M. Jutras: Vous évoquez une partie de la solution dans votre mémoire, à la page 13, quand vous nous dites: «L'AMEQ n'est pas contre l'insertion de dispositions dans la ZLEA faisant référence au respect des droits de l'homme, cependant elle n'est pas optimiste quant à la concrétisation de telles dispositions.» Alors, premièrement, je remarque la phraséologie. Vous dites que vous n'êtes pas contre. Vous ne dites pas: On est en faveur. Vous dites: On n'est pas contre. Et puis par ailleurs, dans une même venue, vous dites que vous n'êtes pas optimistes.

Mais quelle est votre position exactement là-dessus? Est-ce que vous dites: Oui, il faudrait que les dispositions quant au respect des droits de l'homme soient incluses, premièrement? Puis, deuxièmement, quand vous dites que vous n'êtes pas optimistes, bien, pourquoi vous n'êtes pas optimistes quant à l'inclusion? Mais, premièrement, ce que je veux savoir de vous, c'est concernant l'insertion: Plaidez-vous en faveur de cette insertion-là?

M. Nadeau (Gilles): Ce n'est pas à nous de statuer si de telles clauses doivent être insérées. C'est à nous de statuer que ce qui est important, c'est qu'il y ait un régime égal. Il ne faut pas nécessairement créer des règles qui défavoriseraient les entreprises québécoises versus des entreprises allemandes qui, elles, ne seraient pas assujetties à ces clauses-là, parce que, à toute clause ou règlement, il y a des coûts, des coûts qui affectent notre compétitivité. Alors, je ne voudrais, encore une fois ? je vais me répéter ? passer commentaire sur: Oui ou non devrait-il y avoir ces clauses-là? Ce n'est pas à nous, je crois, en tant qu'entreprise, de donner une opinion, mais simplement de vous dire clairement: Assurez-vous, par contre, dans les clauses qui y sont mises, que ça ne nous défavorise pas d'une façon substantielle envers nos compétiteurs. D'une façon purement théorique, en ne regardant pas les causes en question, vous pouvez mettre toutes les règles que vous voulez, mais il faut regarder le côté pratique.

M. Jutras: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Saint-Jean.

M. Paquin: En fait, quand vous dites que ce n'est pas à vous de déterminer ces règles-là et que vous dites: C'est à nous de s'assurer qu'il y aura des clauses dans la ZLEA qui feront en sorte que vous ne serez pas défavorisés, que vous serez en équité, est-ce que ça signifie que vous considérez que les Parlements doivent avoir une participation plus importante dans les négociations qui ont cours actuellement?

M. Nadeau (Gilles): Je crois que les membres, en général, les membres de l'AMEQ sont satisfaits du processus existant de consultation à tous les niveaux, et nous demeurons satisfaits que les représentants qui vont négocier ces ententes-là vont refléter et prendre en considération les opinions de nos membres.

M. Paquin: Est-ce que vous considérez que la société civile est suffisamment bien représentée ou que les opinions de la société civile sont suffisamment prises en compte et en considération dans les négociations qui ont lieu actuellement?

M. Nadeau (Gilles): Pourriez-vous m'expliquer un peu mieux la définition de «société civile»?

M. Paquin: Bien, regardez, on pourrait prendre l'exemple que vous avez donné tantôt. Je vais y aller a contrario. Vous dites qu'au Brésil on donne des subventions par millions pour des avions. O.K.? C'est visible, c'est ostensible, il y a moyen d'avoir prise là-dessus. Mais par ailleurs vous avez plein de sociétés où il n'y a pas d'exigences environnementales, il n'y a pas de charges sociales, il n'y a pas de respect de certains principes et où, justement à cause de ça, il y a des économies par millions sur les objets qui sont produits. Et, dans votre raisonnement, vous dites: Quand c'est visible, c'est économique, et tout ça, ça, il faut l'empêcher, mais, si c'est parce qu'on abuse des petites gens, on abuse de l'environnement, on abuse de toutes ces considérations-là et que ça a la même incidence économique, ça, ça ne vous regarde plus. Par ailleurs, il y a des gens dans le milieu dans notre société qui sont vigilants sur ces questions-là, des groupes de pression qui considèrent les droits de la personne, d'autres qui considèrent l'environnement, d'autres qui considèrent d'autres de ces dimensions-là. Alors, il est vrai que les gens d'affaires, les gens de commerce sont consultés à travers le processus.

Ma question, c'est: Toutes les autres factions de la société civile, les gens qui ont des préoccupations sur les autres dimensions, est-ce qu'ils ont un lieu suffisant dans le processus pour faire valoir leurs considérations, voire même vous sensibiliser au fait que, lorsqu'on ne respecte pas les droits de la personne ou lorsqu'on ne respecte pas l'environnement dans certaines sociétés, on vous cause un préjudice d'inéquité justement parce que ce n'est peut-être pas aussi visible que les subventions sur des avions, mais ça a exactement le même effet par rapport à l'équilibre commercial?

M. Nadeau (Gilles): Premièrement, je crois que les considérations de société civile sont tout à fait valables, elles doivent être prises en considération. Mais je ne suis pas tellement certain que le mécanisme de la ZLEA est le meilleur mécanisme pour mettre de l'avant des changements de ce côté-là dans les pays visés. J'aurais beaucoup plus tendance à promouvoir des interventions beaucoup plus positives, telles que des échanges parlementaires, telles que des projets d'intervention ciblés pour améliorer les connaissances des dirigeants dans ces pays-là, les connaissances des dirigeants d'entreprises. Les interventions telles que l'Agence canadienne de développement international sont probablement un excellent mécanisme pour essayer d'influencer positivement l'environnement de travail dans ces pays. Ça, c'est l'aspect civil et l'évolution de ces États-là vers des normes auxquelles, nous, on est plus habitués.

En ce qui a trait à l'impact compétitif, il est évident qu'il est de notre intérêt d'essayer de développer des normes plus égales au point de vue strictement compétitif. Il y a des inégalités qui existent, et on doit arriver à graduellement éliminer ces inégalités-là.

Mais il y a des réalités économiques aussi. Si on parle de meilleures façons de voir à ce que les travailleurs soient bien traités dans ces pays-là et si on regarde des statistiques, il me semble qu'elles démontrent que, lorsqu'on a un environnement de libre-échange, il n'y a aucun doute que c'est bénéfique pour le Québec, pour le Canada, mais que c'est aussi bénéfique pour les pays en question, ce qui résulte en un plus haut taux d'emplois et un plus haut taux de revenus pour la masse de la population et donc à une amélioration de son niveau de vie. Avec ça vient aussi une augmentation de leurs attentes, et ça crée inévitablement une pression sur le niveau salarial.

M. Paquin: Alors, en somme, vous me dites: Le mécanisme pour prendre en compte les aspects économiques est adéquat, à ce moment-ci, cependant, on doit, du côté des Parlements, prendre en même temps des actions pour les autres dimensions, qui sont, par exemple, toutes celles qui considèrent les préoccupations de la société civile. Les Parlements devraient être plus actifs, les parlementaires devraient faire plus d'échanges, plus de sensibilisation en même temps que le processus commercial comme tel a lieu. Est-ce que j'abuse?

M. Nadeau (Gilles): Tout à fait.

M. Paquin: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. Alors, j'ai écouté comme tout le monde avec beaucoup d'intérêt votre présentation et je voudrais reprendre la même question qui a été soulevée avant moi par mes collègues mais d'un autre point de vue. Je pense qu'on tomberait assez facilement d'accord sur le fait que c'est plus intéressant de faire des affaires avec des riches que de faire des affaires avec des pauvres parce que, avec des riches, on a plus de chances de faire de l'argent. Pas vrai? Quelqu'un qui n'a pas d'argent ne peut pas bien, bien nous payer nos produits. Alors, dans un contexte comme ça, plus les gens sont à l'aise, plus ils ont des chances d'être consommateurs et, donc, plus ils ont des chances d'acheter des choses. Ce sont des clients plus intéressants du point de vue des entreprises.

Actuellement, il y a plus ou moins 450 millions de personnes en Amérique latine. On peut penser qu'il y a environ 20 % de ces gens-là qui sont des consommateurs effectifs, donc plus ou moins 90 millions de personnes. C'est des appréciations, je pense, qui sont assez proches de la réalité. Et on trouve que c'est un marché très intéressant. Si le marché réel était de 450 millions de personnes de plus, il me semble que ça serait encore beaucoup plus intéressant.

Alors, dans ce contexte-là, les mesures sociales et les normes du travail, et ces choses-là qui visent à redistribuer la richesse sur l'ensemble de la population devraient être des mesures qui sont très attrayantes pour les entreprises qui veulent faire affaire avec ces pays-là. Il me semble que c'est la logique la plus élémentaire. Ou je me trompe, et, si je me trompe, j'espère que vous allez me corriger. Alors, dans ce contexte-là, est-ce que vous n'avez pas un intérêt économique immédiat très important à être favorables aux contraintes sociales comme le respect des normes du travail et les mesures sociales qui visent à redistribuer la richesse parmi la population?

n(10 h 10)n

D'une façon plus précise, vous dites que, si on fait plus d'affaires, nécessairement il y a plus de richesse. Or, il semblerait que les chiffres ne démontrent pas cela. Depuis que le Mexique est dans l'ALENA, il ne semble pas prouvé que, même si le produit intérieur brut a augmenté, même s'il y a 140 milliardaires de plus au Mexique, la population soit plus riche. Alors, dans les «maquiladoras», les gens sont pratiquement dans la jungle, à l'abri de toute intervention légale. Pratiquement, ils peuvent faire n'importe quoi. Et les gens auront des conditions de travail qu'on nous dit absolument inacceptables pour une société civilisée. Alors, dans ce contexte-là, seriez-vous d'accord que, dans des ententes de libre-échange éventuelles, on exclue la possibilité d'avoir des zones franches, par exemple, comme les «maquiladoras» au Mexique, ou qu'on inclue certaines mesures sociales visant à redistribuer la richesse?

M. Nadeau (Gilles): Je suis d'accord avec les principes que vous élaborez, mais je ne suis pas nécessairement d'accord avec les moyens d'application. Je suis d'accord qu'on est pour l'amélioration de la situation sociale des travailleurs à travers le monde et de la population à travers le monde. Puis la meilleure façon de le faire, c'est naturellement de s'assurer que, tout comme au Québec, on ait un meilleur emploi. C'est avec l'emploi que viennent les moyens, les moyens que le gouvernement peut s'offrir pour faire toutes sortes d'interventions telles qu'il peut en déceler la demande de la population québécoise. C'est la même chose dans les pays à l'extérieur. Donc, je suis d'accord avec vous que c'est tout à fait intéressant de voir les façons dont la population au Mexique ou ailleurs peut améliorer son sort.

Mais vous avez cité des statistiques, je ne suis pas tout à fait au courant. Mon impression, c'est que le Mexique a quand même très bien bénéficié, lui aussi, de l'Accord de libre-échange. Mais ce que les statistiques démontrent, c'est que le taux d'augmentation des pauvres n'était pas aussi élevé que le taux d'augmentation des riches. Mais il y a quand même eu, à ma connaissance, une amélioration générale de ce côté-là.

M. Dion: Je vous remercie.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): On va passer à la période réservée à l'opposition en termes de questions. M. le député de Laurier-Dorion et porte-parole de l'opposition en matière de relations internationales.

M. Sirros: Merci beaucoup, M. le Président. Bienvenue. C'est avec beaucoup d'enthousiasme que vous abordez la question de la ZLEA, plus, je pense, que tous les groupes qu'on a vus jusqu'à maintenant. Donc, ce serait intéressant de voir avec vous les fondements de cet enthousiasme, au-delà de la règle générale que le commerce libéralisé accroît la richesse, etc.

On va peut-être commencer avec le processus. Vous avez dit que vous êtes satisfaits du processus actuel des négociations, que vous trouvez ça correct. Est-ce que vous pouvez expliquer un peu où vous êtes, vous, dans le schéma du processus? Par quel biais est-ce que vous y donnez vos points de vue? Quels sont les canaux que vous avez pour vous assurer que les points de vue de ceux que vous représentez sont pris en compte? Comment ça marche? Qu'est-ce qui vous amène à dire que vous êtes satisfaits du processus de négociations? Parce qu'on a entendu beaucoup d'autres groupes qui nous disent qu'ils ne sont pas du tout satisfaits.

M. Nadeau (Gilles): Bien, essentiellement, au niveau de l'Alliance des manufacturiers, il y a différentes activités au cours d'une année ? et donc de plusieurs années ? qui permettent aux manufacturiers exportateurs d'échanger des opinions. Donc, ce sont des forums d'échanges constants, ce qui nous permet, au niveau de l'Association qui s'appelle l'Alliance des manufacturiers, de passer une opinion quant au taux de satisfaction des entreprises québécoises. Et ces entreprises québécoises là, tout comme CAE ou d'autres, expriment leur opinion directement au niveau de l'Alliance, directement au niveau du gouvernement du Québec, comme on le fait aujourd'hui, et directement au niveau du gouvernement fédéral par différentes interventions, que ce soit dans leur ensemble ou individuellement. C'est-à-dire que, par exemple, CAE va participer à des réunions ici, à Montréal, va échanger dans des réunions qui vont impliquer non seulement des représentants du gouvernement provincial mais d'autres entreprises, et on fait de même à Ottawa aussi, dans le même processus d'échanges constants.

M. Sirros: Donc, vous me dites que finalement c'est des contacts informels, réguliers, qui existaient toujours. Il n'y a rien de spécifique par rapport aux négociations sur la ZLEA?

M. Nadeau (Gilles): Bien, c'est-à-dire...

M. Sirros: C'est ce que je crois comprendre, que c'est par des contacts, comme ici, que vous avez régulièrement avec vos membres, des différents intervenants dans les différents ministères, les ministres...

M. Nadeau (Gilles): Bien, c'est quand même assez formel. Au niveau de l'Alliance, vous avez un document qui vous a été présenté qui vous donne une opinion formelle. C'est le même processus qui existe aussi à Ottawa; nous nous assurons que des documents soient présentés. C'est le même processus dans le forum des échanges annuels, le Forum des affaires des Amériques, où ce sont des hommes d'affaires d'un peu partout qui se réunissent pour échanger. Donc, c'est un mélange d'opinions qui sont présentées d'une façon informelle, d'une façon formelle.

M. Sirros: Donc, la jonction avec le processus de négociations spécifique, par rapport à la Zone de libre-échange des Amériques, c'est donc surtout par le Forum des gens d'affaires des Amériques.

M. Nadeau (Gilles): Pas surtout, c'est entre autres.

M. Sirros: O.K.

M. Nadeau (Gilles): Ça comprend tous les niveaux du processus.

M. Sirros: O.K. Maintenant, peut-être qu'on peut revenir un peu sur les questions qui ont été amenées ici à plusieurs reprises comme des sujets qui en préoccupent plusieurs, vous les avez mentionnées, vous dites aussi que ça vous préoccupe, la question environnementale, la question des normes sociales minimales. Au niveau des normes environnementales ? on pourrait peut-être commencer avec ça ? vous dites à un moment donné que vous êtes d'accord effectivement qu'on puisse avoir, à l'intérieur des ententes, des normes, mais qu'il faut être lucide et constater que plusieurs États en développement croient que les clauses environnementales et du travail ne sont en réalité que des barrières non tarifaires déguisées et qu'ils refusent de négocier de telles clauses.

Vous, votre position sur cette question-là, par rapport à une entente qui pourrait avoir des clauses très floues sur les normes environnementales, ça serait quoi? C'est-u un «deal-breaker»? C'est-u quelque chose où vous dites: Bon, on peut quand même... Quelle est la position de l'Alliance sur la question des clauses environnementales à l'intérieur des ententes avec des mécanismes d'applicabilité réels?

M. Nadeau (Gilles): Ce qui va être important, c'est de s'assurer qu'on garde un environnement compétitif pour les entreprises québécoises. Il faut s'assurer qu'on ne crée pas de désavantages particuliers pour les entreprises québécoises face à leurs compétiteurs, qu'ils soient en Europe, qu'ils soient au Japon ou en Chine. Alors, ça ne donne rien d'imposer des règles strictes auxquelles seulement les entreprises québécoises seraient assujetties, si les Européens, eux, ne sont pas assujettis à ces mêmes clauses-là. Tout ce que ça fait comme impact, c'est de déplacer le volume d'affaire vers les pays qui ne sont pas assujettis à ces mêmes clauses-là.

M. Sirros: Mais déjà ici, au pays, nous avons des normes que nos entreprises sont tenues de respecter. Prévoyez-vous qu'il peut y avoir des normes moindres pour le même type d'entreprises dans les pays de la ZLEA autres que le Canada et les États-Unis que celles qui existent ici?

M. Nadeau (Gilles): C'est-à-dire...

M. Sirros: Je prends, par exemple, des exemples qu'on nous a mentionnés ici, je ne sais pas, moi, des mines qui sont exploitées, elles sont exploitées ici, avec des normes... ou des papetières ? encore mieux, peut-être, parce qu'on a fait du chemin de ce côté-là. On a des normes minimales que les entreprises sont tenues de respecter. Est-ce qu'on devrait permettre, dans un accord, que la même entreprise ou des entreprises semblables puissent opérer, je ne sais pas, moi, au Mexique, au Chili, etc., avec des normes environnementales beaucoup moindres, donc beaucoup moins coûteuses?

n(10 h 20)n

M. Nadeau (Gilles): Je crois que des principes sur les questions environnementales devraient être mentionnés mais pas nécessairement des règlements. Comme je l'ai mentionné auparavant, la ZLEA n'est pas nécessairement le meilleur mécanisme pour influencer ces pays-là à avoir des normes environnementales plus élevées. Il y a d'autres mécanismes probablement beaucoup plus appropriés pour essayer d'influencer ces investissements-là.

M. Sirros: On n'arrête pas de dire que la tarte aux pommes, elle est bonne. Pouvez-vous donner quelques exemples de mécanismes qui sont plus efficaces que des règlements d'application?

M. Nadeau (Gilles): Bien, ce que je voulais surtout dire, c'est que, si on impose des critères québécois pour des firmes québécoises qui vont investir en Amérique du Sud, ça cause un sérieux problème que sur un seul front... ça cause un problème sur le niveau de compétitivité de cette entreprise-là parce qu'elle n'est pas la seule au monde. Si...

M. Sirros: Elle opère déjà ici avec une certaine norme. Prenons des exemples concrets. Disons que Domtar opère ici puis elle est tenue de respecter telles normes de déchets, par exemple, dans les cours d'eau. Est-ce qu'on devrait permettre à Domtar d'opérer au Mexique ou ailleurs avec des normes moindres, une fois qu'on aura signé cette entente-là? Peut-être pas de façon immédiate, peut-être qu'on peut prévoir une période de temps, comme on a fait ici. On n'a pas exigé du jour au lendemain que Domtar passe de tel niveau à tel niveau du jour au lendemain, on a donné une période de... je pense c'était cinq ou 10 ans pour que des investissements, etc., puissent être faits au niveau du traitement des effluents, etc. Mais j'ai de la misère à comprendre comment on peut être d'accord avec le principe qu'on devrait respecter les mêmes normes au niveau environnemental sans se donner des mécanismes d'applicabilité à l'intérieur de quelque chose qu'on négocie.

M. Nadeau (Gilles): Oui. Sauf que ce qui est important, c'est de comprendre qu'il y a seulement un certain nombre de pays qui seraient impliqués dans l'accord du libre-échange et qu'il y a un grand nombre de pays à travers le monde qui ne seraient pas impliqués et qui ne seraient pas assujettis à ces clauses-là. Alors, ce que je dis, c'est que ce qui est important, ça serait si on avait une entente globale à travers le monde qui couvre cette question mais d'une façon égale pour tout le monde, outre...

M. Sirros: Vous êtes presque en train d'argumenter pour l'abaissement de nos niveaux ici.

M. Nadeau (Gilles): Non.

M. Sirros: Parce que le même argument peut se faire à l'heure actuelle. Il y a actuellement dans d'autres parties du monde des entreprises qui opèrent avec des niveaux de règlements moindres que ce que nous avons. Pourquoi donc vous ne demandez pas un abaissement des normes ici, selon la même logique?

M. Nadeau (Gilles): Je ne parle pas d'abaissement de normes ici, je parle de rehausser de façon égale à travers le monde et pas nécessairement de créer des inégalités qui vont défavoriser les entreprises québécoises. Si on est pour faire... Je ne parle pas d'abaisser les normes à travers le monde, je parle de faire monter et d'égaliser les normes à travers le monde. Il ne faut pas créer une déficience.

M. Sirros: Mais c'est pour ça que j'ai de la difficulté à vous suivre. Parce que, là, on a la possibilité d'inclure 33 autres pays pour qu'ils montent vers les standards nord-américains, et vous me dites qu'il ne faudrait pas avoir nécessairement des règlements pour appliquer ça parce qu'il y a ailleurs, dans les 150 autres pays dans le monde...

M. Nadeau (Gilles): Parce que vous avez parlé de clauses d'application. Comment voulez-vous être effectif à appliquer des règles s'il y a des grandes économies qui ne seraient pas assujetties à ces mêmes règlements-là? Parce que ça serait que, dans le contexte, tout ce que l'accord du libre-échange contrôlerait, c'est les règlements auxquels seraient assujetties les firmes québécoises qui voudraient aller s'installer en Amérique du Sud. Ça n'irait pas changer les règles et les lois fondamentales de tel ou tel pays en Amérique du Sud.

M. Sirros: Mais c'est justement ça que je voudrais voir, que ça ne serait pas juste les entreprises québécoises qui iraient en Amérique latine qui seraient tenues à respecter ces normes-là mais toutes les entreprises dans ce domaine-là. Alors, peut-être...

M. Nadeau (Gilles): Oui, mais sauf que mon point, c'est simplement que l'accord du libre-échange n'implique que les pays en Amérique du Nord et puis...

M. Sirros: Non, non, on parle de la ZLEA, Amérique du Nord, du Sud et centrale.

M. Nadeau (Gilles): Oui, d'accord, mais il n'y a pas juste la ZLEA... La ZLEA, pour moi, va juste influencer l'influence des pays qui sont concernés, ça ne débordera pas ce cadre-là. Ça va être des lois qui vont être imposées... C'est parce que, vous, vous dites que la ZLEA est un mécanisme pour essayer de forcer un changement des lois fondamentales d'un pays en Amérique du Sud. Est-ce que c'est vraiment...

M. Sirros: Vous avez parlé tantôt d'un champ de concurrence égal. Et un des éléments pour s'assurer qu'il y a un champ de concurrence égal, c'est certaines normes environnementales, entre autres, au niveau de l'opération des usines. Alors, si, dans une partie d'une zone de libre-échange, on peut avoir des normes environnementales ? pour rester sur ce domaine-là ? plus basses, donc moins coûteuses qu'on exige dans d'autres parties de cette même Zone ? et là on parle ici de la Zone Amérique du Sud, centrale et du Nord, donc 34 à 36 pays ? il n'y a pas de champ égal. Donc, on devrait normalement, dans la logique des choses, vouloir que tout le monde ait le même niveau.

Il y a deux façons de le faire: soit on peut abaisser les nôtres pour aller joindre, je ne sais pas, moi, l'Equador, ou faire l'inverse, avec une certaine planification. J'imagine... et vous dites que vous êtes d'accord qu'on puisse le faire, monter vers le haut. Et là je vous demande: À ce moment-là, quels seraient les instruments qu'on pourrait se donner pour s'assurer que ça ne reste pas un voeu pieux, un genre de, tu sais, «j'aime la tarte aux pommes»? Comment est-ce qu'on peut faire ça si ce n'est pas par l'inclusion dans l'accord des mécanismes de contrôle, je ne sais pas, moi, des recours ou des pénalités contre des entreprises qui ne respectent pas ces normes-là, contre les pays éventuellement qui refusent d'appliquer une partie de ce qui aurait été négocié? J'aimerais savoir à quel point votre organisme tient à ce que ça dépasse le niveau des voeux pieux.

Parce que, là, on a vu, dans l'ALENA, par exemple ? pour aller plus loin ? quand ça a été négocié, il n'y avait pas de clauses sur les normes environnementales ou de travail. Ça a créé des problèmes pour plusieurs entreprises, tel qu'on le discute. Les États-Unis et le Canada ont voulu ajouter des clauses; le Mexique ne voulait pas. Et finalement on a conclu une entente parallèle où on a élaboré quelques principes. En tout cas, on ne s'est pas donné de mécanismes réels. Là, il me semble qu'un enjeu dans ce débat actuel, c'est: Est-ce que, dans un éventuel accord sur une zone de libre-échange des Amériques ? on va parler de 34 pays ? les normes qu'on veut identifier comme souhaitables à atteindre au niveau de l'environnement et du travail, entre autres, seraient incluses dans le cadre de l'accord ou seraient quelque chose d'à côté? Et, si elles sont incluses dans le cadre de l'accord, est-ce qu'on va ajouter à côté de ça des instruments pour qu'il y ait une réelle poignée pour actualiser nos voeux? Et je veux comprendre un peu votre position sur ça.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Veilleux.

M. Veilleux (Marc-André): Oui, merci. Je pense qu'il faut comprendre. C'est que, première des choses, ce n'est peut-être pas tous les États qui vont accepter de signer de telles clauses, parce qu'il y a des États, comme on l'expliquait dans notre mémoire, qu'on pense qu'ils n'iront pas dans ce sens-là parce qu'ils vont nous accuser que, nous, on a fait notre développement économique à l'époque puis on n'avait pas ces normes-là, puis là maintenant, on les impose à ces gens-là.

Par contre, si jamais dans l'hypothèse où ça se réalisait puis où tous les États s'entendaient pour dire: Oui, on est capable d'avoir des normes qui soient au même niveau que les normes nord-américaines ou d'autres normes que les États auront décidées entre eux, à ce moment-là, tout le monde joue sur les mêmes règles. Est-ce que ça devrait être dans l'accord ou à l'extérieur de l'accord? Ça, ça sera à décider par les États entre eux autres. Mais, si on prend l'hypothèse où ça serait dans l'accord, les entreprises québécoises et canadiennes doivent déjà se soumettre à des normes sociales et environnementales. Donc, à ce moment-là, quand elles iront à l'étranger, elles vont respecter ce que les lois nationales disent. Et, si les lois nationales disent que les règles sont rendues au niveau des standards nord-américains, les entreprises vont se conformer aux lois, et c'est ça qu'elles vont faire.

M. Sirros: Mais restons dans l'hypothèse qu'il y a des pays qui ne veulent pas mettre ces normes-là dans l'accord, est-ce qu'on les accepte, ces pays-là dans la Zone? Êtes-vous pour qu'on dise: O.K., vous n'acceptez pas, mais on vous accepte pareil dans la Zone? Ou est-ce que vous, votre position, c'est de dire: Non, ça, c'est un sine qua non d'inclusion dans l'accord, l'engagement par les pays d'arriver à respecter des normes minimales?

n(10 h 30)n

M. Veilleux (Marc-André): Je pense que les États... C'est peut-être un débat qui doit être fait par la société au complet, le gouvernement. Si on regarde, par exemple, l'accord avec les États-Unis et le Mexique, on a des accords parallèles sur l'environnement et les normes du travail. Au niveau du respect des droits de la personne, est-ce qu'il y a des choses qui sont dites puis qui sont faites à ce niveau-là qui ne correspondent pas à quelque chose d'irréprochable? On peut se poser la question. À ce moment-là, est-ce qu'on décide quand même de faire des affaires avec ces gens-là ou pas? C'est un peu dans le cadre de la négociation que ça va jouer. Et puis, au niveau des normes sur l'environnement, par exemple, si on est pour avoir un accord et puis qu'on a des règles qui ne sont peut-être pas parfaites, bien, c'est peut-être mieux d'avoir cet accord-là que de ne pas avoir de règles du tout.

M. Sirros: Vous avez parlé d'un débat dans la société sur la question. Est-ce que vous ne sentez pas, comme d'autres, qu'on n'en fait pas vraiment, de débats réels sur cette question-là au niveau de la société, étant donné, entre autres, qu'on parle un peu sans connaissance de cause à l'heure actuelle? On ne sait pas quels sont les textes qui sont négociés. Est-ce que les hypothèses que j'évoque, qu'on devrait avoir ces choses-là dans l'accord, sont vraiment dans les papiers de discussions qui sont tramées à l'heure actuelle? On n'en a aucune idée. Êtes-vous donc favorable à ce qu'on puisse être saisi, comme société, des textes qui circulent actuellement sur les négociations en cours?

M. Nadeau (Gilles): Je suis d'accord que, dans le processus global, il y ait de la transparence, qu'il y ait de la consultation, que chaque regroupement ait l'opportunité de présenter ses opinions, tel que je le fais aujourd'hui. Mais il vient un moment donné que les meilleures négociations ne se font pas nécessairement sur la place publique. Il y a quand même des gens qui sont mandatés, qui sont délégués à négocier pour le meilleur bénéfice du Québec, du Canada, et ces gens-là sont redevables quant à leurs résultats. Je pense que c'est le processus qu'on doit suivre. Je crois qu'à un moment donné, par contre, il faut se fier aux négociateurs choisis et en arriver à une entente la plus équilibrée possible pour nos intérêts, tout en ayant une vision à long terme, et ne pas nécessairement vouloir atteindre tous les objectifs demain. C'est dans ce contexte-là.

M. Sirros: J'en conviens que les élus sont effectivement redevables devant ceux qui les élisent et, ultimement, c'est la population qui tranche. Est-ce que, pour vous, la possibilité de Zone de libre-échange des Amériques est un sujet suffisamment important pour qu'il y ait soit un mandat spécifique qui soit donné pour la conclusion de ces ententes-là, soit un entérinement, soit par le biais d'une élection où c'est un sujet majeur ou référendaire ou est-ce que c'est juste une entente commerciale comme les autres?

M. Nadeau (Gilles): Non, je ne crois pas qu'on doive nécessairement en arriver à un vote de la population sur l'entente du libre-échange des Amériques, mais je crois qu'il y a un processus qui existe et puis on est satisfait du processus. Et, pour autant qu'on ait la chance d'exprimer nos opinions à différents niveaux, ça reste aux élus et aux représentants du gouvernement québécois et canadien de représenter les intérêts de la population.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien.

M. Sirros: Ça serait intéressant de continuer, mais je pense que mon temps est à peu près terminé.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Malheureusement.

M. Sirros: Merci beaucoup pour cet échange.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il me reste effectivement, au nom des membres de la commission, à remercier les représentants de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec, MM. Nadeau et Veilleux. Merci encore une fois.

(Changement d'organisme)

Nous allons enchaîner, dans le cadre de cette consultation générale et de ces auditions publiques sur les impacts du projet de Zone de libre-échange des Amériques, en invitant les représentants et les représentantes de la Centrale des syndicats du Québec à bien vouloir s'avancer, s'il vous plaît. M. Daniel Lachance, deuxième vice-président, Mme Micheline Jourdain, conseillère à l'action politique et M. Richard Langlois.

Je rappelle, comme à l'habitude, là, qu'on a réservé une période d'une heure pour la rencontre, dont une vingtaine de minutes pour la présentation de votre mémoire. Et nous passerons ensuite à la période d'échanges. Bonjour, madame. Alors, vous avez la parole. Je vous demanderais de vous identifier, s'il vous plaît.

Centrale des syndicats du Québec (CSQ)

M. Lachance (Daniel): Oui, Daniel Lachance, je suis vice-président de la Centrale des syndicats du Québec, et je suis accompagné par Mme Micheline Jourdain, qui est conseillère à l'action politique à la Centrale. M. Langlois ne pouvait être présent ce matin.

La Centrale des syndicats du Québec, anciennement la CEQ, comme vous le savez, représente environ 140 000 membres, dont plus de 100 000 font partie du personnel de l'éducation. La CSQ compte 13 fédérations qui regroupent environ 240 syndicats affiliés en fonction des secteurs d'activité de leurs membres. S'ajoute également l'Association des retraités de l'enseignement du Québec. Les membres de la CSQ occupent plus de 350 titres d'emploi et sont présents à tous les ordres d'enseignement de même que dans les services de santé et les services sociaux, du loisir, de la culture et des communications.

Aux plans international et continental, la CSQ est présente depuis 25 ans sur la scène internationale comme membre d'instances syndicales. Elle y a travaillé comme partenaire d'autres syndicats nationaux pour l'évolution des forces syndicales et leur intervention dans les grands forums mondiaux ou sur des questions relevant de la politique internationale. De plus, elle travaille pour le renforcement des solidarités et de la coopération entre les peuples. La CSQ est membre de l'Internationale de l'éducation, dont le siège social est à Bruxelles et qui regroupe plus de 23 millions d'enseignantes et d'enseignants dans à peu près tous les pays de la planète, et l'IE est un des grands secrétariats professionnels de la Confédération internationale des syndicats libres, la CISL, dont vous avez entendu parler par d'autres organisations pendant la présente commission.

Au plan régional ou hémisphérique, la CSQ est membre de la Confédération des éducateurs des Amériques, la CEA, dont je suis un des vice-présidents, dont le siège est à Mexico, et elle a signé un accord de coopération avec la Fédération canadienne des enseignants avec laquelle elle collabore régulièrement. La CSQ a aussi été fondatrice, avec des partenaires européens et africains, du Conseil syndical francophone pour l'éducation et la formation.

Plus près du sujet qui intéresse votre commission, la CSQ est membre du Réseau québécois sur l'intégration continentale, le RQIC, depuis ses tout débuts et, auparavant, de la Coalition québécoise contre l'Accord de libre-échange nord-américain. Au tout début, cette coalition avait participé à une campagne d'opposition systématique à la négociation du traité de libre-échange entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Une fois l'accord signé, la Coalition s'ajusta à cette nouvelle conjoncture. Dorénavant, sous le nom du RQIC, elle travaille à favoriser la participation de la population aux débats sur le libre-échange et à promouvoir des alternatives sociales.

La CSQ s'intéresse depuis plusieurs années à la question du libre-échange dans les Amériques. Nous avons notamment participé au Sommet parallèle des peuples à Santiago au Chili. J'y étais présent personnellement. Il nous semble que le projet de la ZLEA avance assez rapidement et, s'il est mis en place en 2005, on peut croire qu'il marquera l'avenir du Québec et des personnes de façon irrévocable. Notre vie politique, nos choix sociaux, les droits des personnes, l'environnement, les services publics sont des pans de notre vie collective qui seront affectés. Voilà des sujets qui nous préoccupent. Comme organisation syndicale associée à d'autres secteurs de la société civile d'ici et du reste de notre continent, nous avons pu constater que tout ne va pas aussi bien que certains semblent le croire.

Les rapports sur la pauvreté d'ici, comme ceux qui proviennent des grandes institutions internationales, entre autres le PNUD, démontrent bien que la libéralisation du commerce n'a pas produit que des gagnants. Bien au contraire, les disparités entre les revenus des pays riches et des pays pauvres n'ont fait que s'amplifier. Le rapport du PNUD faisait largement état en 1999 de ces déséquilibres.

n(10 h 40)n•

Certains groupes protestent violemment contre la mondialisation, la libéralisation du commerce et la financiarisation des économies. Encore qu'on a pu tout le monde le constater dans la capital tchèque la fin de semaine dernière et au début de la semaine, la mobilisation s'est organisée autour de la rencontre des institutions jumelles que sont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

Nous assistons depuis Seattle à une course à relais continue par les opposants antimondialisation. On les a retrouvés à Davos, à Bangkok, à Washington, à Genève, à Milan et même à Windsor et probablement à la réunion du G20, qui aura lieu au mois d'octobre à Montréal.

Bien que tous les médias aient fait surtout place au spectaculaire comme à l'habituel, c'est-à-dire aux actions des casseurs, ces événements ont été l'occasion à chaque fois d'importantes rencontres studieuses réunissant des groupes de la société civile préoccupés comme nous des effets de la mondialisation et des risques qu'elle fait peser sur nos sociétés. Malheureusement, d'aucuns préfèrent ignorer ces démarches, sonner l'alerte et se préparer au déploiement des armes de la répression douce ou forte.

La CSQ appellera certainement ses membres à manifester contre le processus de mondialisation tel qu'on le connaît actuellement. Elle juge toutefois de sa responsabilité d'intervenir avec d'autres groupes aux plans local, continental et international pour infléchir le processus et les négociations qui se poursuivent actuellement sur la libéralisation du commerce. Cette approche est aussi celle du RQIC au Québec et de l'Alliance sociale continentale sur ce continent.

Nous préparons ensemble le Sommet parallèle des peuples qui se tiendra en marge du Sommet des Amériques en avril prochain. De plus, dans le cadre de ce Sommet parallèle, la CSQ et la Fédération canadienne des enseignants préparent la tenue d'un forum sur l'éducation publique dans les Amériques qui réunira des représentantes et des représentants de la quasi-totalité des organisations syndicales de l'enseignement des pays de tout l'hémisphère.

Lorsqu'en début d'été votre commission annonçait une consultation sur la ZLEA, nous avons pensé qu'il était à la fois un peu tard et un peu tôt. Mais je dois vous signaler notre entière satisfaction de l'existence de cette commission et de la qualité de ses travaux, parce qu'on a pu suivre depuis le début les différents débats qui ont cours ici, y compris le débat qui vient de nous précéder, et je dois vous signaler notre satisfaction sur la nature des discussions et des questions qui sont abordées ici.

Je disais «un peu tard» parce que, depuis le dernier Sommet des Amériques en 1998, deux années complètes se sont écoulées sans que le gouvernement québécois n'ait réagi ou entrepris un débat à l'Assemblée nationale. Pourtant, dans le seul secteur de l'éducation, de hauts responsables sont à l'oeuvre au sein de groupes de travail en suivi du plan d'action de Santiago. On peut aussi rappeler les déclarations du ministre Landry sur l'union monétaire avec les États-Unis tout au cours de l'hiver dernier et se désoler qu'il ait amorcé le débat sur un outil plutôt que sur le projet plus ample de la ZLEA.

«Un peu tôt» aussi, moins parce que vous nous avez obligés à rentrer un peu plus tôt des vacances pour nous mettre à la préparation de nos mémoires, le nôtre et celui du RQIC dont nous sommes membres, mais surtout parce que nous aurions souhaité que le document livré à notre consultation soit plus complet en nous fournissant un bilan économique accompagné d'un bilan social. Nous ne pouvons écarter un tel outil, puisque trop de personnes et trop de peuples sont exclus actuellement de la prospérité et des bénéfices que la libéralisation devait apporter. Le concept de «croissance» tel qu'on le préconise actuellement finira par devenir dangereux et contre-productif. N'êtes-vous pas d'accord avec cette assertion?

Tout en étant préoccupés, comme nos partenaires au sein du RQIC et de l'Alliance sociale continentale, du sort réservé à l'environnement, aux droits humains, à la culture et aux exclus sociaux, nous voulons ce matin attirer votre attention sur l'avenir des services publics et sur la problématique de la démocratie en regard de l'intégration de la mondialisation.

Les vagues de privatisation, de réduction budgétaire et le discours néolibéral qui les accompagnent ouvrent les portes à l'élargissement des textes qui s'adressent déjà à la commercialisation et à la libéralisation des services publics comme l'éducation et la santé. Le GATS comme l'ALENA en 1994 ont initié cette idée des services comme marchandises transférables, mais jusqu'ici le Canada n'a pas beaucoup été touché, alors que des pays de l'Asie-Pacifique comme la Nouvelle-Zélande l'ont été.

L'essor des technologies de l'information, le besoin de main-d'oeuvre avec des qualifications professionnelles élevées transférables nous font supposer que les négociations en cours à l'OMC comme au sein de la ZLEA imposeront toutes sortes de contraintes dans ces secteurs, réduiront les marges de manoeuvre des États nationaux et ramèneront les soins et les services éducatifs au niveau de simples produits à être consommés sur le marché libre, à la limite, sans l'interférence des États.

Deux internationales syndicales, que ce soit l'Internationale de l'éducation ou l'Internationale des services publics, ont déjà témoigné de ce processus dans deux études importantes l'an dernier portant sur l'OMC. Nous ne disposons pas des textes de la ZLEA sur les services, mais son groupe de travail est aussi à l'oeuvre. Dans les deux cas, nous craignons une ouverture trop large sur les services, quoi qu'en ait dit le ministre Pettigrew en novembre dernier avant de partir pour Seattle ou encore à la Conférence des ministres du Commerce à Toronto.

Du point de vue de la démocratie, trois facettes nous préoccupent: la transparence, le droit à l'opposition et la maîtrise du processus par les parlementaires. Premièrement, la transparence est un préalable à toute démocratie. Nous avons le goût de vous dire: Faisons en sorte de libérer ces textes et aidez-nous à libérer ces textes. Libérez les textes, c'est le slogan au Mexique actuellement parce que comment faire une négociation et comment faire en sorte que les parlementaires soient partie prenante à une négociation de même que la société civile et la population en général si personne ne sait de quoi on parle et qu'on fonctionne sur des intuitions ou sur de grands principes comme ceux négociés à l'OMC actuellement et dont la ZLEA dépend à toutes fins utiles entièrement?

Cette clarté, autant pour la société civile que pour vous, parlementaires, ne peut que redonner confiance dans le processus et servir la démocratie. Cette transparence exige à la fois des bilans clairs et des enjeux bien explicités. La démocratie suppose aussi le droit à l'expression de l'opposition, qu'elle se manifeste dans la rue, ici ou dans des forums parallèles. Les gouvernements ont la responsabilité d'assurer la sécurité publique, bien sûr, mais leur ouverture réelle peut contribuer largement à la réduction des tensions.

Ainsi, le fait d'encourager des groupes de la société civile qui sont à l'ouvrage sur des propositions d'alternatives sociales à la ZLEA constitue une initiative que nous voulons saluer ici, le gouvernement du Québec ayant supporté financièrement l'organisation de la tenue du Sommet parallèle et des activités l'entourant. La démocratie suppose enfin que les parlementaires aient la pleine maîtrise du processus. Ils et elles sont là pour recevoir, évaluer, décider des bilans et non pas seulement pour adopter des projets de loi trop généraux ou encore ratifier des traités déjà bien ficelés par les ministres du Commerce ou les plus hauts niveaux des gouvernements.

Plus globalement, la tendance mondiale actuelle à soumettre à la suprématie de l'économique les sphères du politique et du social nous fait dire que la démocratie a du plomb dans l'aile. C'est ce que plusieurs, dont nous sommes, appellent «le déficit démocratique» qui a cours actuellement dans ces négociations de même que dans celles de l'OMC. Il n'y a donc rien de bon dans une telle vision et nous sommes comme plusieurs, que ce soient le PNUD, les églises, l'Institut Nord-Sud, etc., à entrevoir les risques que comporte une telle approche.

Enfin, nous vous demandons si cet exercice peut avoir du sens si vous vous en tenez à la ZLEA sans regarder du côté de Genève et de l'OMC. Certains d'ailleurs croient que la Zone de libre-échange des Amériques avait du sens en 1990 avant la création de l'OMC. Elle n'a présenté que de minces avantages économiques pour le Canada et n'augmenterait que sa dépendance à l'égard des États-Unis. Pour eux, le Canada devrait plutôt profiter des opportunités offertes depuis la création de l'OMC, c'est-à-dire que le monde des affaires s'active sur les deux terrains.

Il faudrait aussi se demander si ces alliances régionales, continentales, commerciales ne se développent pas au risque de l'augmentation des tensions et des confrontations politiques dans le monde. L'accompagnement du processus de la ZLEA, pour ne pas dire plus, par le monde des affaires nous renforce dans nos préoccupations sur la démocratie, les services publics et la culture du catimini, malgré ce qu'en disait hier le Conseil du patronat. Malgré cela, nous sommes heureux de l'initiative de votre commission et nous vous remercions pour votre écoute en espérant que le débat se poursuive démocratiquement non seulement dans les mois à venir, mais, comme c'est un processus qu'il faut voir à moyen et long terme, dans les années à venir. Merci beaucoup de votre attention.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Lachance au nom de la Centrale des syndicats du Québec. Nous passons à la période d'échanges. M. le député de Drummond.

n(10 h 50)n

M. Jutras: Oui, bonjour. Dans un premier temps, je vais faire référence à la première conclusion de votre rapport, dans laquelle conclusion vous dites ceci: «Que la commission demande aux institutions gouvernementales appropriées de produire un bilan social et économique des effets du libre-échange pour le Québec et que ce bilan puisse être discuté publiquement avant la rencontre des chefs d'État en avril 2001.» Alors, c'est sûr que ça, c'est tout à fait logique de dire: Bien, avant d'aller plus loin, faisons le bilan de ce qui s'est fait à date.

Par ailleurs, dans votre mémoire, vous-même, vous reconnaissez que ce n'est pas facile à faire et, effectivement, le sujet a été discuté à date devant la présente commission. Tous disent: Oui, c'est un bilan qui est difficile à faire parce que c'est comme demander de comparer une situation qui est actuelle, qui est présente dans un contexte, avec certaines conditions, et comparer avec si ça ne s'était pas fait, ça serait quoi? C'est un peu la difficulté qu'on a. Et ce n'est pas, nous en convenons tous, aisé.

J'ai une première question par rapport à cette conclusion-là: Est-ce que chez vous, à date, vous vous êtes penchés sur cette question-là? Est-ce que vous avez certaines études à date? J'ai posé la question à d'autres représentants syndicaux. De la façon que vous nous parlez, vous avez suivi les débats, vous avez vu quelles étaient les réponses. Alors donc, c'est ma première question par rapport à cette conclusion-là: À date, chez vous, seraient-elles embryonnaires, est-ce que vous avez des études qui peuvent nous mettre sur certaines pistes?

M. Lachance (Daniel): Bien, je vous dirais bien honnêtement qu'il n'y a pas d'études comme telles à la CSQ. Vous avez reçu, je pense, des experts de l'Université du Québec à Montréal, M. Brunelle et M. Deblock, qui travaillent avec le GRIC. Je pense que le groupe qui a fait le plus de recherches sur cette question et qui avoue en même temps ne pas être capable de tirer à ce moment-ci de conclusions, même des études qui ont été faites, je pense que c'est le GRIC qui est le plus avancé là-dessus.

Par ailleurs, on est conscient qu'une telle étude exhaustive avant la tenue de Québec 2001, bien on pense que l'entièreté de ces études-là ne peut pas être faite. Mais il y a quand même un certain nombre d'études qui ont été commandées par le gouvernement lui-même. Je pense, par exemple, à une étude qui a été commandée sur l'état, une certaine évaluation, une certaine analyse des travaux de la commission créée dans le cadre de l'ALENA. L'ANACT est responsable des accords sur le travail et, au ministère du Travail, il y a des études qui ont été publiées qui sont parcellaires elles aussi, embryonnaires. Mais il me semble que, si le gouvernement, sur la base peut-être d'un comité interministériel... il y aurait comme un début de conditions de créées pour mettre ensemble peut-être des études que nous connaissons ou que nous ne connaissons pas, parce que tout n'est pas public et parce que embryonnaire souvent aussi; on ne rend pas publiques des études qui ne sont pas terminées. Mais, si le gouvernement avait cette préoccupation au moins de mettre ensemble les premières évaluations qui ont été faites, peut-être qu'on aurait là un moyen pour amorcer un débat un peu plus clair sur les effets du libre-échange.

Mais ce qui est clair pour nous, on n'a pas de chiffres à mettre, en termes d'emplois perdus, d'emplois gagnés, et tout ça, mais il y a quand même des études faites par des organisations importantes au Mexique, qui ont été citées ici, je crois, qui montrent que la qualité des emplois, s'il y a eu augmentation en termes de nombre d'emplois ? et ce n'est même pas évident parce qu'il y a des secteurs complets qui ont vu le nombre d'emplois diminuer, il y a du reengineering qui s'est fait au Mexique dans les grandes entreprises comme il s'en est fait au Canada et aux États-Unis ? les emplois créés sont du type qu'on retrouve dans les «maquiladoras». Puis je pense qu'on n'a pas à s'expliquer longtemps la qualité de ces emplois-là et les normes dans lesquelles travaillent... Le problème au Mexique, ce n'est pas l'existence de lois, on sait que la Constitution mexicaine, on pourrait même s'en inspirer. Ce n'est pas le problème des lois, c'est le non-respect et le fait que ces lois-là, particulièrement les lois du travail et les lois environnementales, ne sont appliquées d'aucune manière. On connaît les problèmes de corruption au Mexique; il y a peut-être des choses qui vont changer dans les années qui viennent. Donc, je pense qu'on peut quand même amorcer ce travail-là.

La ZLEA, c'est une négociation qui ne se terminera pas en avril, même si les rumeurs qui courent nous font dire que les textes sont beaucoup plus avancés que ce que nous pensons. Les 900 personnes à l'oeuvre pour la rédaction de ces accords, semble-t-il, sont très avancées et c'est plutôt des problèmes d'ordre politique qui pourraient faire en sorte qu'on ne pourrait pas ratifier ces accords-là avant 2005. Mais nous sommes prêts, par ailleurs, à collaborer aussi dans nos champs de compétence, à mettre ensemble nos données et nos évaluations sur les effets de l'ALE et de l'ALENA, parce que je pense qu'on peut parler des deux.

M. Jutras: Maintenant, dans un autre ordre...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Oui, Mme Jourdain.

M. Jutras: Je m'excuse, madame.

Mme Jourdain (Micheline): Peut-être un peu en complément à ce que mentionnait Daniel, je voulais revenir sur la difficulté du bilan. C'est très vrai que c'est difficile de faire un bilan, mais ce n'est pas impossible cependant d'utiliser une méthode de travail qui permette de vérifier par secteur le travail, la nature de l'emploi, l'évolution du marché intérieur, l'impact, par exemple, des grandes entreprises exportatrices qui ont permis cette croissance au travers de la libéralisation du commerce, l'impact de ces entreprises sur les entreprises manufacturières intérieures. Tu sais, c'est-u du matériel qui vient d'ailleurs qu'on entrepose ici, qu'on transforme un peu puis qu'on revend ou ça relance, comme effet, d'autres entreprises, comme un effet de locomotive? Bon, c'est ce genre de questions-là qu'on peut regarder. Et je trouve génial...

J'espère me trouver quelques jours de congé de mon employeur un jour pour traduire un ouvrage que le réseau mexicain sur le libre-échange a fait. C'est des organisations de la société civile, mais des chercheurs qui ont eu du financement et ils ont dit: Faisons le bilan de la façon suivante: regardons comment était la situation dans les années quatre-vingt au Mexique et faisons un portrait maintenant. Et, pour chacun des secteurs, ils ont regardé l'évolution, mais on a questionné de façon qualitative les affaires, pas juste la croissance, l'augmentation du pourcentage des ventes à l'étranger. Quand on s'enferre juste sur cette façon de juger de la croissance, on ne voit pas la réalité pour les peuples, pour les personnes. Celle qui survient au Mexique dans les «maquilas», on constate très bien qu'il y a peut-être plus d'emplois pour des gens qui avaient perdu leur emploi dans les campagnes environnantes, mais ils gagnent deux fois moins que les gens qui sont juste de l'autre côté de la frontière mexicaine à El Paso, et la consommation coûte la même chose du côté mexicain. Donc, tu sais, ce regard social qualitatif des choses plutôt que ce regard simplement sur des chiffres qui ont rapport au PIB, puis à la croissance, puis à plus richesse. D'autres l'ont dit, il y a la question de la distribution aussi là-dedans.

Donc, c'est autour de ça qu'on pense qu'il doit y avoir du travail. On n'est pas capable de le faire tout seul, c'est pour ça qu'on est en lien avec d'autres. Mais on pense que le gouvernement devrait mettre aussi de l'énergie, créer des centres en partenariat avec des chercheurs pour qu'on puisse, c'est ça, mettre ensemble les affaires. Là il y a toutes sortes de bonnes petites études un peu partout, mais il n'y a personne qui a les moyens de les mettre ensemble. Il y en a une qui vient de sortir du Centre canadien des politiques alternatives. On en a parlé dans les journaux, celle de Scott Sinclair. C'est sur l'OMC, mais elle fait un peu quelques liens avec la ZLEA. Mais, c'est ça, c'est des pièces un peu disparates.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme Jourdain, juste pointu là-dessus, est-ce que vous seriez en mesure de nous transmettre en temps et lieu là la référence plus précise...

Mme Jourdain (Micheline): Bien sûr.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): ...aux études mexicaines auxquelles vous faites...

Mme Jourdain (Micheline): Je me ferai un grand plaisir de le faire là...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien.

Mme Jourdain (Micheline): ...auprès de la personne que vous pourrez nous désigner. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. M. le député de Drummond.

n(11 heures)n

M. Jutras: Ma deuxième question sera d'un autre ordre, elle traitera de la culture. Vous en parlez dans votre mémoire, bon, et vous nous dites que «l'éducation publique et la culture constituent un levier essentiel de notre mieux-être collectif et du développement intégral de chaque Québécoise et de chaque Québécois.» Mais si on va plus loin que ça ? parce que c'est sûr qu'il y a une menace là, bon, puis vous parlez de l'exception culturelle, de la diversité culturelle ? concrètement, vous voyez cela comment? Vos réflexions vous amènent à quelles recommandations à ce chapitre? Et, entre autres, hier ou avant-hier là, je ne sais plus, on entendait l'Union des artistes qui nous disait que, oui, il pourrait y avoir un accord sur la culture, mais ça devrait être un accord tout à fait à part et non pas à l'intérieur de la ZLEA. C'est une recommandation concrète, là, qui nous a été faite, et j'aimerais savoir si, à cet égard, vous avez des suggestions concrètes à nous faire, et de un. Et de deux, cette suggestion-là qui nous a été faite par l'Union des artistes... Je crois que c'est par l'Union des artistes, hein, je ne veux pas leur faire dire...

Une voix: ...

M. Jutras: Oui, c'est ça, hein? Et qu'est-ce que vous en pensez de cette suggestion?

M. Lachance (Daniel): Bien, écoutez, sans voir le contenu de la suggestion, c'est un peu difficile de vous signaler qu'on serait d'accord qu'il y ait un accord parallèle, entre guillemets, sur la culture.

M. Jutras: Mais remarquez que ce n'est pas un piège que je vous tends.

M. Lachance (Daniel): Non, non, je...

M. Jutras: Parce que la suggestion, elle est venue dans la discussion comme celle que nous avons présentement, et ce n'est pas allé plus loin que de dire: Bien, ça pourrait être une solution que de dire: On fait un accord à part, un accord international au niveau de la culture.

M. Lachance (Daniel): Bien, je pense que, connaissant et travaillant avec l'Union des artistes, effectivement, il n'y a pas de piège du tout là-dedans. Que ce soit un accord ou autre chose, je pense qu'il faut être en mesure de mettre la culture à l'abri de cette vision mercantile, marchande qui a cours à l'OMC et qui bien sûr sera transférée dans les négociations de la ZLEA. Et, si les négociations se faisaient à visière ouverte, on saurait comment la culture est traitée dans la ZLEA. Mais on n'aura pas de surprise de voir qu'elle soit traitée de manière à ce que tout ce qu'on appelle subvention, support étatique, etc. soit mis de côté parce que ce sera vu comme une industrie, comme l'éducation et la santé d'ailleurs, dans les discussions qui ont cours à l'OMC actuellement, sont vues.

Puis on sait qu'au Québec tout n'est pas que Cirque du soleil ou Céline Dion et la grande entreprise qu'elle dirige. La culture du Québec, ça ne se résume pas à ces succès culturels et artistiques. On sait que la culture au Québec a besoin encore plus que ce qu'on fait actuellement du support du gouvernement et de l'État du Québec. Alors, tout ce qui permettra de mettre la culture à l'abri de règles contraignantes qui viendraient enlever la juridiction et la souveraineté des États sur le domaine de la culture, il va falloir qu'on regarde ça de très, très près.

Et, vous savez, la fameuse règle de l'exception culturelle, on fait référence à cela dans notre document, mais pas en en parlant négativement. Mais, dans les négociations qui ont cours à l'OMC actuellement, si je ne m'abuse, cette notion d'exception culturelle est quelque chose qui a une fin, à un moment donné, c'est-à-dire que l'exception n'est pas éternelle. Et donc, la culture, dans les négociations de l'OMC actuellement, ou une certaine part de la culture pourrait être protégée. Mais c'est une clause qui dure, si je ne m'abuse, à peu près cinq ans, et après, l'ensemble du domaine de la culture est livré aux règles que l'OMC aura édictées. Mais Mme Jourdain a participé aux discussions avec la ministre de la Culture sur cette question-là, alors je vais lui demander de compléter.

Mme Jourdain (Micheline): Je n'ai pas participé aux discussions avec la ministre de la Culture, mais j'ai regardé les débats du colloque que vous avez tenu. Je pense que les actes devraient être publiés bientôt.

M. Jutras: C'est déjà fait.

Mme Jourdain (Micheline): Ah! C'est déjà fait? Bon. Parce que je n'ai eu accès qu'à ce qui était sur le site. Je ne suis pas une spécialiste de ces questions-là ni une juriste, mais, comme la discussion est ouverte, on va réfléchir tout haut. Je pense que c'est l'intérêt de ce que j'ai lu de vos discussions jusqu'à maintenant, c'est cette ouverture puis cette recherche des meilleures formules puis d'avoir des éclairages. Mais, quand je lis les textes de l'UNESCO sur la diversité culturelle ou des déclarations de Mme Beaudoin ou d'autres déclarations d'organismes s'intéressant à la culture, les débats qui ont eu lieu entre la France puis l'Allemagne sur la question de l'exception au moment de l'OMC, je me dis: Ces affaires-là, c'est des affaires qui sont complémentaires. Tu sais, un est imbriqué dans l'autre.

Des déclarations sur la diversité, j'en suis, c'est des principes qui devraient guider les États s'ils les signent. Mais on se rend compte, par exemple, si on regarde les autres déclarations, les autres conventions internationales portant sur d'autres secteurs comme le travail, elles sont là, puis, quand arrive la question des affaires, de la vraie business ? soyons sérieux ? c'est comme: Oublions ça. J'ai vu les blagues que vous avez faites hier sur les ministres qui étaient dans une salle puis qui allaient signer dans l'autre salle les traités, ça n'avait pas l'air d'être les mêmes tout le temps. Mais, tu sais, c'est un peu ça.

Nous, ce qu'on se dit: Il faut qu'il y ait des dents. Les juristes, il y en a parmi vous, j'ai remarqué, à lire vos curriculum sur le site du gouvernement, vous avez certainement les bons moyens de bien ficeler ça. Nous, on dit: Il en faut pour protéger nos projets de société, notre culture nationale. Tu sais, moi qui suis une amateure de cinéma, à Québec, c'est le pire. Il y avait un article là-dessus récemment. Il y a rien autre que du cinéma américain, sauf dans le petit Festival. Puis les États-Unis, eux autres, c'est 3 % du cinéma étranger qu'ils ont dans toutes leurs salles. Tu sais, c'est eux autres qui parlent de diversité, évidemment parce qu'ils vont faire comme McDonald aux Jeux olympiques, ils vont faire fermer le petit stand d'à côté parce que.. Une fois la diversité leur a servi, une fois la concurrence ne joue plus, ils sont là puis ils prennent la place. Donc, c'est ça qu'il faut vraiment regarder et trouver des moyens à la bonne place ? je ne sais pas où, je ne suis pas juriste ? pour qu'on ait les protections, pour qu'on soit plutôt blindé comme société.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Dubuc.

M. Côté (Dubuc): Merci, M. le Président. Alors, madame, monsieur, bonjour. Moi, je voudrais vous féliciter pour votre mémoire. C'est un mémoire qui est concis mais qui est quand même très riche en informations. Et je voudrais revenir à la page 15 de votre mémoire, où vous dites dans une assertion: «Nous souhaitons que cette commission puisse créer un mécanisme qui permettrait un suivi plus régulier sur l'évolution des enjeux de la mondialisation ainsi que la poursuite du dialogue entrepris dans le cadre de cette consultation.» J'aimerais que vous vous explicitiez davantage sur cette affirmation parce que je la vois liée naturellement à la recommandation n° 3 que vous faites, où vous dites que l'Assemblée nationale doit assurer un suivi sur le processus des négociations commerciales. Vous savez que le Québec n'est pas un participant direct aux négociations. Alors, de quelle façon vous voyez ce mécanisme de suivi là? J'aimerais que vous me donniez plus d'explications à ce sujet-là.

M. Lachance (Daniel): Bien, écoutez, on n'a pas élaboré, dans le mémoire, sur ce mécanisme puis on n'a pas d'idée préconçue sur ce mécanisme, mais ce qui est clair, je pense: même si la négociation de la ZLEA est sous juridiction du gouvernement fédéral, il reste que, dans cette négociation, il y a des éléments qui sont de l'ordre de la juridiction du Québec, ne serait-ce que l'éducation. Et, fait à remarquer, c'est la première fois dans une négociation de cette nature que des chefs d'État s'entendent pour qu'une des priorités de la mise en place de la ZLEA soit une question sociale. La question de l'éducation est sur le dessus de la pile et était le principal élément de la déclaration des chefs d'État de Santiago et du plan d'action qui a été issu des travaux de Santiago.

Donc, un mécanisme, je dirais que, premièrement, ça devrait mettre ensemble les acteurs et les actrices de certains éléments de la négociation qui sont de juridiction provinciale. Et, deuxièmement, même les choses qui ne sont pas de juridiction provinciale, il reste que le Québec est un État ? il n'est peut-être pas un pays, mais il est un État ? et il intervient sur chacune des grandes questions, qu'elles soient sociales ou qu'elles soient commerciales, que ce soit de l'ordre des services publics, des programmes sociaux, des échanges économiques. D'ailleurs, M. Landry a lancé le débat sur la monnaie unique. On voit donc que la monnaie, c'est de juridiction fédérale, mais le ministre des Finances du Québec lance un débat sur quelque chose qui est de juridiction fédérale mais bien sûr avec sa vision des choses. On vous l'a dit tantôt, pour nous, c'est un débat, mais un débat sur un outil et non pas sur le fond de la question.

Donc, donnons-nous un mécanisme qui met ensemble les différents acteurs, que ce soit les parlementaires, que ce soit les représentants des grandes organisations de la société civile et que ce soit les gens de l'Alliance des manufacturiers du Québec ou le Conseil du patronat ou etc. qui ont des choses à dire et qui ont des comptes à rendre. Parce qu'on entendait hier les gens du Conseil du patronat nous dire: Bien, voyons, on n'a pas de forum privilégié, nous, auprès des gens de la négociation de la ZLEA. Peut-être pas le Conseil du patronat, comme tel, mais l'American Business Forum et bien d'autres ? je pourrais vous en faire une liste ça de long juste sur les questions d'éducation ? les grandes transnationales et les grandes multinationales en éducation actuellement, particulièrement sur les nouvelles technologies d'information et de communication, comme SISCO, par exemple, font un lobby incroyable tant auprès de l'OMC qu'auprès des négociateurs de la ZLEA pour libéraliser ces services d'éducation.

n(11 h 10)n

Donc, je pense que, sans avoir une réponse claire à vous donner sur la nature du mécanisme, je dis: Créons une table où les principaux acteurs... Et l'État, le gouvernement, les partis politiques sont des acteurs fort importants dans ce débat qu'on va faire pendant les années à venir. Alors, asseyons-nous autour d'une table, et on ne sera peut-être pas d'accord sur tout tout le temps, mais au moins on mettra cartes sur table et on pourra s'interinfluencer pour faire en sorte qu'au bout de la ligne ce processus, ce soit les personnes, les citoyennes et les citoyens du Québec mais aussi des autres pays de l'hémisphère, qui en profitent.

Parce que, même si nous n'avons pas les textes entre les mains, ce que nous pensons actuellement, c'est que ce processus, sa base fondamentale, la libéralisation de ces échanges, c'est la déréglementation, la privatisation et la diminution du rôle de l'ensemble des États et donc une atteinte à la souveraineté des États. Si c'est ça, la base de la ZLEA ? et c'est ça parce que c'est ça, la base de l'OMC aussi ? les populations ne profiteront pas de la croissance. Il y aura croissance, c'est clair, mais il y a un segment de la population qui profitera de cette croissance-là. Les études nous parlent d'à peu près 20 % de la population qui profitent de la libéralisation des échanges, ici comme ailleurs, mais les autres n'en profiteront pas. Or, il y a un projet de société derrière ça. Nous, on est pour les échanges commerciaux, les échanges sociaux, les échanges culturels entre les États, que ce soit bilatéraux ou multilatéraux mais sur une autre base que celle sur laquelle semble se baser la ZLEA actuellement. Alors, un mécanisme à convenir ensemble.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. En complément, madame, avant de passer aux questions du député de Laurier-Dorion.

Mme Jourdain (Micheline): Il faut voir cette préoccupation-là avec la préoccupation qu'on mentionnait tantôt sur les portraits de cette situation-là, qui sont diffus, qui existent un peu partout. Donc, ça prend plus qu'une démarche de quelques journées d'étude ou d'une commission parlementaire, même si on approfondit assez les choses, ça prend plus que ça, ce qui nous confronte actuellement. L'Accord général sur les services, je pense qu'il y a 25 000 pages d'annexes. Tu sais, c'est sûr que, dit comme ça, ça décourage tout le monde, là ? vous en parliez hier. Mais, si plusieurs groupes s'assoient avec vous ou que vous conviez des groupes à une pérennité dans cette démarche que vous entreprenez maintenant, je pense qu'on va pouvoir voir un peu de lumière, malgré la complexité, des fois, qui est exagérée aussi. Ce n'est pas juste les textes juridiques, qu'il faut regarder, c'est la réalité des effets. Donc, c'est ça, c'est démêler le complexe des enjeux plus simples puis essayer de voir comment on peut marquer la prochaine étape. C'est pour ça que nous avons de l'intérêt dans la pérennité de ces réflexions que nous faisons avec vous cette semaine.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Merci. M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Merci, M. le Président. Merci pour tous vos commentaires. J'ai constaté qu'en bons pédagogues vous encouragez les signes du résultat souhaité en nous disant qu'on fait bien notre travail. Ha, ha, ha! Mais, étant donné qu'on veut faire ressortir un peu les éléments qui nous permettront de mieux situer notre rapport éventuel, moi, ce que j'aimerais aborder avec vous, c'est l'autre pendant, dans le sens que plusieurs des groupes sociaux, entre guillemets, les syndicats surtout, comme vous êtes, sont venus ici puis nous ont dit: C'est épouvantable, ce qui est en train de se passer, c'est gros, c'est dangereux, c'est ? bien, vous venez de le dire ? la souveraineté des États qui est en cause, etc. Et on ramène ça, des fois ? et un des domaines vous concerne plus particulièrement ? à l'éducation puis la santé. On parle de trame de fond de privatisation qui semble être dans les accords, etc., et on lie ça avec la diminution de la souveraineté des États, comme si, du jour au lendemain ou sur une période relativement à moyen terme, disons, on assistera, une fois les accords adoptés, si c'est tel qu'on suppose ? parce qu'on est tous d'accord pour dire qu'on n'a pas les textes ? à un genre d'impuissance des États à légiférer sur des domaines qui sont d'intérêt public aussi fondamentaux que l'éducation et la santé. Alors, s'agit-il là d'un épouvantail que les gens sortent pour, je ne sais pas, moi, attirer l'attention, sonner des cloches pour qu'on regarde d'autres choses ou s'agit-il de quelque chose qui est véritable, qui est justifié? Avant d'avoir peur, j'aimerais comprendre.

M. Lachance (Daniel): Écoutez, il y a un certain nombre de signaux qui nous alertent. Parce qu'on n'a pas de temps à perdre à avoir des scénarios de catastrophe, et tout ça, mais il y a quand même des choses qui nous alertent. Quand les négociations du GATT se sont terminées, la question des services bien sûr, et y compris de l'éducation, était sur la table. La présente négociation de l'OMC vise juste à aller un peu plus loin là-dedans. Et il y a déjà un certain nombre de pays ? et on pourra vous laisser cette pièce, c'est l'étude de l'Internationale de l'éducation sur les enjeux des négociations de l'OMC pour l'éducation publique ? pas loin d'une quarantaine, qui ont ouvert plus ou moins l'éducation publique au libre marché. Il y a des pays qui ont ouvert les niveaux primaire, secondaire, supérieur, éducation des adultes, etc.

Ce qu'on dit, nous, c'est qu'au Québec ou au Canada on ne pense pas que l'année prochaine, voire même dans les quelques années qui sont devant nous, l'éducation primaire et secondaire va être laissée au libre marché et qu'on va assister à une grande entreprise de privatisation, etc. Mais ce qu'on dit par ailleurs, c'est qu'il y a des signaux et dans les accords et dans nos propres politiques ici. Quand je regarde, M. Sirros, ce qui se passe au cégep Limoilou, au cégep Bois-de-Boulogne et au cégep de Matane, où la grande multinationale à laquelle je faisais référence tout à l'heure, SISCO, a négocié un accord avec ces cégeps pour pouvoir, en échange de revamper le laboratoire d'informatique et le système de téléphonie de ces cégeps, introduire dans les attestations d'études collégiales et à une autre étape dans le Diplôme d'études collégiales lui-même, dans le programme d'informatique, l'approche SISCO en termes de réseautage d'Intranet et d'extranet, il y a là donc un lien entre la pénétration du secteur privé en éducation. Et ils n'ont même pas besoin de l'OMC pour faire ça, là. Imaginez si en plus on ouvre parce que la gestion publique serait déloyale ou compétitive par rapport à d'autres offres de formation venant du secteur privé.

Donc, il y a une mentalité aussi, quand on emploie le langage qu'on emploie en éducation actuellement. On a créé une certaine rareté et de besoins et de services à cause des compressions budgétaires. Et maintenant le privé arrive en sauveur en disant: Écoutez, nous, les parents ont besoin de ces services-là, on est prêts à vous les offrir en échange de... Il y a donc des conditions subjectives et objectives qui sont réunies pour que, peut-être, dans 25 ou dans 30 ans, quand on fera le bilan, on se dira: Si on avait empêché cette ouverture il y a 25 ans, on n'en serait peut-être pas au niveau de pénétration du secteur privé en éducation publique.

M. Sirros: Mais justement vous donnez un exemple de quelque chose qui se passe sans qu'il y ait une remise en cause du tout de la souveraineté des États à l'heure actuelle, sans accord, sans ZLEA. Ce n'est pas en vertu de quelque accord international ou commercial que SISCO convainc les cégeps que vous avez mentionnés d'inscrire ça, mais c'est peut-être par rapport à l'intérêt que les cégeps trouvent, d'une part, au niveau de leur budget et, d'autre part, peut-être par l'intérêt que les élèves des cégeps trouveront, sur l'éventuel marché du travail, à avoir cette connaissance du réseautage style SISCO, comme Microsoft le fait avec Microsoft Certified, etc., parce que ce sont là des réalités qui sont vécues sur le marché du travail.

n(11 h 20)n

Mais, moi, j'aimerais que vous précisiez de façon plus pointue, si vous me permettez: Au niveau de l'éducation, la crainte, c'est quoi? Que l'État ne pourra pas décider du niveau d'investissement qu'on veut faire comme société au niveau de l'éducation? Qu'on ne pourra pas identifier les établissements vers lesquels ont va diriger nos ressources comme payeurs de taxes par le biais des subventions ou des budgets qu'on vote à l'Assemblée nationale pour les établissements d'éducation, que ce soit primaires, secondaires, universitaires, parce que quelqu'un va venir dire: Vous ne pouvez pas décider comment vous allez dépenser vos taxes en précisant que ce soit tel ou tel établissement public, il faut que vous me donniez la même chose? C'est quoi, au juste, que vous craignez quand vous parlez de la perte de souveraineté qu'auront les États par rapport à l'éducation, pour s'en tenir à ce secteur-là?

M. Lachance (Daniel): Je vous donne un exemple. Mme Jourdain, qui est spécialiste en éducation, pourra compléter. Aux États-Unis, actuellement, les Américains font pression pour que, dans la liste des emplois qu'on retrouve dans l'ALENA ? donc, libre circulation mais, en même temps, contrainte des secteurs publics et des États sur l'engagement, donc, des contrats collectifs, et tout ça ? de faire ajouter, à la liste des emplois, les emplois d'enseignant, la profession d'enseignant et d'enseignante et...

M. Sirros: Est-ce que ce serait quelque chose que les gens pourraient pratiquer outre-frontières?

M. Lachance (Daniel): Non seulement outre-frontières, mais ça remet en question les contrats collectifs, parce que ça veut dire que...

M. Sirros: Ah, bien là on a touché quelque chose.

M. Lachance (Daniel): ...l'équivalent d'une commission scolaire ici pourrait...

M. Sirros: Engager des gens d'ailleurs.

M. Lachance (Daniel): ...engager des gens du secteur privé. Et ce qui se fait ? j'oublie le nom de l'État ? c'est qu'en français et en mathématiques on engage des gens du secteur privé parce que, dans des plans de réussite scolaire, dans certains quartiers, on a décidé que c'est comme ça que ça devrait marcher. Donc, ça va jusqu'à remettre en question les contrats collectifs. Tout ce qui s'appelle administration publique des établissements, tout ce qui s'appelle immobilier, tout ce qui s'appelle personnel dans les écoles autre qu'enseignant ? quoique, dans ce cas-là, on voit que ça touche même les enseignants ? pourrait ? nous le mettons au conditionnel, et on verra dans la suite des négociations de l'OMC et de la ZLEA ? devoir être des marchés ouverts. Et, aux États-Unis, actuellement, il y a certains États qui ont carrément privatisé tout ce qu'on appelle l'immobilier, donc les bâtisses, l'entretien des bâtisses, de même que la gestion de ce qu'on pourrait appeler une instance régionale ici qu'on appelle les commissions scolaires. Alors, on ne fait pas qu'imaginer des choses; ce sont des choses qui, à ce moment-ci, existent dans la réalité.

M. Sirros: Vous venez de faire une distinction très importante entre la crainte par rapport à la perte de souveraineté des États et l'atteinte à des moyens qui sont utilisés par les États pour atteindre leurs objectifs. Et là vous touchez une question qui vous concerne plus directement comme syndicat, les intérêts collectifs des employés ou des syndicats. Là, vous touchez... Je comprends mieux. Il y a une crainte qu'il y ait des domaines qui actuellement sont protégés... en tout cas, qu'un système que vous connaissez bien soit remis en cause.

Moi, quand vous m'avez dit qu'on pourrait engager des enseignants d'ailleurs et que nos enseignants, donc, par conséquent, pourraient peut-être aussi être engagés ailleurs, ma première réaction, et je vous la donne sans avoir examiné les conséquences de tout ça, c'est de dire: Et puis? Si je peux avoir recours... En tout cas, vous allez me dire peut-être que, donc, on va siphonner les meilleurs parce qu'on va les payer plus cher ailleurs, etc. J'essaie de voir...

Dans la mesure où l'État garde son pouvoir de décider du niveau d'investissement dans le secteur de l'éducation et dans la mesure où on vit dans une démocratie et que les populations cautionnent finalement les gouvernements qui prennent des décisions, je vois difficilement la crainte pour la société, pour la souveraineté des États. Je peux la voir pour les syndicats, je peux la voir pour des groupes d'intérêts, comme je peux voir que, pour le groupe des entreprises puis le patronat, il y a une volonté de... tu sais, on est d'accord que le processus marche bien, ça va, etc., ce n'est pas si grave que ça si ce n'est pas public. Donc, je ne sais pas si vous voyez la différence de distinction que je fais. Commentaires?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme Jourdain.

Mme Jourdain (Micheline): On peut peut-être prendre nos préoccupations, nos interrogations, je dirais, avec d'autres exemples. Bon, il y a l'Accord général sur les services de l'OMC, puis là, de ce qu'on entend autour du comité sur le services au sein de la préparation de l'accord de la ZLEA, l'esprit, c'est d'aller encore plus loin que ce qu'il y avait dans l'OMC, donc une espèce de couverture universelle des services.

Une fois qu'on se dit ça comme fond de scène des affaires, dans les pays où il y a eu des coupures dans les services publics ou dans certains pays où il n'y a pas assez d'argent pour répondre aux besoins de qualification supérieure de la main-d'oeuvre ou de qualification générale des citoyens, il y a de plus en plus d'universités ou de pays qui sont intéressés à envoyer... que ce soit à donner des cours par courrier électronique ou à créer des filiales. L'UQAM a créé une filiale avec Paris-Dauphine. Peut-être que ça joue en notre faveur, cette fois-là, mais peut-être qu'on met le pied dans quelque chose.

Mais mon premier exemple, c'était l'Université Motorola, qui a ouvert plusieurs filiales en Asie du Sud-Est, et l'Open University du Royaume-Uni aussi, qui en a ouvert dans plusieurs pays. Donc, ils s'installent, ils prennent des espaces qui sont disponibles parce qu'il y a des besoins qui ne sont pas répondus par le pays et, après, quand les négociations se continuent dans le cadre des ententes internationales, on craint qu'ils demandent d'avoir du traitement qui ressemble à ce que les institutions publiques reçoivent dans les États. Tu sais, la clause du traitement national, ça, c'est le principe de base des accords de l'OMC.

Donc, plus on essaie d'élargir la couverture sur ce droit-là pour les entreprises extérieures qui s'installent dans d'autres pays, plus, nous, on craint que ça fasse péter les verrous qu'on peut avoir, par exemple, pour continuer d'intervenir sur le genre de curriculum que nous voulons garder parce qu'on a une identité culturelle, parce qu'on a une histoire, parce qu'on a des besoins comme groupe collectif, comme communauté, et qu'on n'ait plus les moyens de ça parce que des normes, des standards, des qualifications...

Prenez juste le cas de l'ISO. Ça m'a renversée. Des commissions scolaires sont en train de se donner des normes ISO, des normes de qualité. Qui les fait, ces normes de qualité là? C'est décidé aux États-Unis, ça répond à des besoins d'entreprises américaines. Ça fait que le petit cours de Littérature 101 puis 102, puis 103 sur le Québec puis l'histoire du Québec puis, je ne sais pas, la sociologie de je ne sais plus trop quoi, tu sais, ça va donner de la pression sur ces formations-là. On sent déjà que notre système a tendance à favoriser, au niveau supérieur, des formations avec des qualifications professionnelles qui ont tendance à ne pas toujours laisser de place justement à ces curriculum, à ces programmes que nous souhaitons développer sur notre terrain, dans notre communauté à nous.

Donc, c'est un peu péremptoire, ce que je vous dis là. Quand on verra le texte de la ZLEA, peut-être qu'on pourra s'en reparler. Mais on sent qu'il y a des pions qui se placent sur l'échiquier. On n'a pas le portrait général, mais ce qui se fait déjà, la combinaison de tout ça nous crée beaucoup d'inquiétudes.

M. Sirros: Je vois que le temps achève, mais j'avais le goût, en vous écoutant, de vous donner un autre exemple, de faire un parallèle. Vous avez parlé des pays ou des endroits ou des sociétés où des universités s'installent pour couvrir des besoins qui ne sont pas couverts. Et vous dites: Par extension, on pourrait éventuellement craindre de voir ici d'autres choses arriver qui auraient un effet d'entraînement qui va changer... qui auraient même des effets sur notre identité, si j'ai bien compris.

n(11 h 30)n

Et, en vous écoutant, ce qui me venait à l'esprit, c'était Hydro-Québec, dans le même contexte de libéralisation, qui dit: Écoutez, nous, on n'a pas peur d'ouvrir les marchés parce qu'on a les prix les plus bas en Amérique du Nord, en tout cas tout au moins autour ici, donc on ne peut qu'être gagnants de la concurrence parce que finalement nos besoins sont assurés correctement; on va donc exporter. Il y a la contrepartie qui dit: Oui, mais ça va conduire à une augmentation des prix ici parce que, effectivement, on va... Bon.

Mais ce qui me venait à l'esprit, c'était de dire: Dans la mesure où, comme société, nous faisons face aux besoins de notre société et il n'y a donc pas de place où les besoins en d'éducation, par exemple, ne sont pas couverts, il y aura peu de place pour d'autres de venir ici. S'ils viennent ici combler des niches qu'on ne comble pas, dans la mesure où ça n'affecte pas notre capacité de décider du niveau d'investissement et des canaux qu'on utilise librement pour dépenser ces niveaux d'investissement, moi, je n'ai pas de problème avec ça. Que Microsoft veuille venir ici faire un collège d'enseignement sur le «networking» de Microsoft sans m'obliger à le subventionner ? sans m'obliger de le subventionner ? si je décide de le faire parce que je trouve que mes citoyens pourraient profiter de ça, c'est mon choix. Comme société, comme gouvernement et dans une démocratie, je n'ai pas de problème avec ça, parce que, ultimement, je me dois de rendre des comptes sur les choix que j'aurai faits.

Alors, je ferme la discussion parce que le temps avance, en disant que je sais qu'il semble y avoir quelque chose qui préoccupe beaucoup de gens au niveau de ce mouvement de privatisation par rapport au secteur public d'éducation et de la santé. Je ne peux pas dire que je saisis précisément encore quel est le niveau de crainte que les représentants de la société devraient avoir. Je peux le comprendre au niveau des intérêts particuliers.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Lachance.

M. Lachance (Daniel): Bien, écoutez, des fois, c'est les exemples de la vie qui donnent une partie de la réponse, même si la réponse n'est pas complète. Mais, en Amérique latine, actuellement... Et c'est avec ces pays que la Zone de libre-échange va se créer. Dans de nombreux pays, on pense à l'Argentine, on pense aussi au Chili, on pense au Mexique, on pense à l'Équateur, dans plusieurs de ces pays, ce qui se passe actuellement, c'est un processus de privatisation de l'éducation. Et vous pouvez vous imaginer l'état de l'éducation dans ces pays. En plus d'être dans un état lamentable, le statut d'enseignant, ça n'existe pas dans de nombreux pays d'Amérique latine. La formation initiale des enseignants, ça n'existe pas dans de nombreux pays d'Amérique latine. Des conventions collectives comme on a ici, ça n'existe pas dans ces pays. J'ai vu, moi, dans nombreux de ces pays, des enfants qui avaient terminé leur 6e année enseigner aux autres. Bon.

Mais, c'est ce qui a cours. Et on n'en entend pas beaucoup parler, mais au Brésil, actuellement, il y a des grèves dans de nombreux États, en Argentine la même chose, au Chili ça s'en vient, sur ce processus de décentralisation. Mais, dans l'état de l'économie de ces pays et de la capacité des États de fournir les subsides aux différentes provinces puis aux différentes régions, décentralisation, dans tous ces pays, ça signifie privatisation. L'école repose entièrement sur les épaules des citoyens et des citoyennes, plus particulièrement des parents. Alors, c'est ça, la vague qu'il y a actuellement.

Aux États-Unis, les «charter schools» et tous les débats qu'il y a actuellement pour privatiser l'immobilier puis privatiser la gestion des écoles, ce sont des courants qui ne se créeront pas dans 25 ans et qui existent à ce moment-ci. Élargir la notion de service sur laquelle a conclu le GATT, l'élargir encore plus, ça fait en sorte que ce qu'on pourrait appeler des initiatives sous la responsabilité des États, bien, à un moment donné, ça va devenir la norme et ça va être standardisé.

Et ce que je veux vous dire, c'est que ce qui se passe actuellement, c'est que ce sont des responsables de l'État canadien qui décident dans ce forum de l'OMC, avec la pression des forums de gens d'affaires, qui ne représentent pas la PME du Québec, là, qui représentent les multinationales et les transnationales. Ce sont des gens de l'État canadien, du gouvernement canadien qui vont négocier avec d'autres le fait de renoncer eux-mêmes à une certaine souveraineté. Vous vous retrouverez, comme députés de l'Assemblée nationale du Québec, à un moment donné, vous n'aurez jamais acquiescé à ça, vous n'aurez, vous, jamais renoncé à une partie de votre souveraineté, mais ces accords, vous ne pourrez pas vous y substituer dans un domaine ou dans l'autre, à un petit niveau à ce moment-ci ou à un niveau pas mal plus élevé dans 15 ans puis dans 20 ans.

Alors, c'est pour ça qu'on vous dit que le rôle des parlementaires est important, que ça ne doit pas être juste entre les mains du fédéral, qu'il faut être capable ensemble d'identifier les négociateurs, les experts, qu'on ait les textes et qu'on puisse travailler ensemble. Peut-être qu'on ne s'entendra pas, M. Sirros ? parce que vous le disiez vous-même tantôt ? sur la finalité ou l'analyse de tel ou tel accord, mais au moins on les aura puis on pourra débattre ensemble des enjeux sous-tendus par ces textes et ces accords et par cette négociation.

M. Sirros: Je ne sais pas s'il me reste du temps?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mais si vous insistez...

M. Sirros: Juste un 30 secondes de commentaires parce que je...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Insistez donc un peu.

M. Sirros: La dernière partie, au niveau de notre responsabilité comme parlementaires à l'Assemblée nationale, vous touchez, par tangente, tout un autre débat. Parce que je vous rappelle qu'on n'est pas juste des parlementaires à l'Assemblée nationale, on est aussi des citoyens canadiens. Je suis non seulement Québécois, mais je suis Canadien, puis c'est mon gouvernement et mon pays, donc redevable à moi, à nous tous. Dans la mesure où on le voit comme ça, cette dichotomie n'a pas les mêmes conséquences que vous semblez lui donner. Nous avons un rôle, comme parlementaires également à l'Assemblée nationale, comme représentants de nos populations, de sonner des cloches par rapport à des choses qui nous touchent, entre autres l'éducation puis la santé. Ça, on le fait, puis je pense qu'on le fait correctement, dans ce contexte-ci. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. En conclusion? Ça va comme ça? Bon, très bien.

Alors, il me reste donc à remercier M. Daniel Lachance, deuxième vice-président de la Centrale des syndicats du Québec, accompagné de Mme Micheline Jourdain, conseillère à l'action sociopolitique, pour leur contribution à nos travaux. Merci.

(Changement d'organisme)

Nous allons enchaîner immédiatement avec les représentants du Comité canadien pour combattre les crimes contre l'humanité, représenté par M. Bruce Katz, son président, de même que M. René Silva, directeur. Alors, j'inviterais les représentants du Comité à bien vouloir s'avancer, en se rappelant que nous réservons une période d'une heure pour la présente rencontre, dont une vingtaine de minutes pour la présentation proprement dite, et ensuite nous passons à la période d'échanges.

Je rappelle que la commission des institutions est réunie afin de procéder à une consultation générale et aux auditions publiques sur les impacts du projet de Zone de libre-échange des Amériques. Alors, vous avez la parole.

Comité canadien pour combattre
les crimes contre l'humanité (CCCCH)

M. Silva (René): C'est moi qui commence.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Vous êtes monsieur...

M. Silva (René): René Silva...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): ...Silva. Bon...

M. Silva (René): ...directeur du CCCCH.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Et M. Katz. Bon.

M. Silva (René): Pardon?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Et vous êtes accompagné de M. Katz.

M. Silva (René): De M. Katz.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien.

M. Silva (René): Alors, notre présentation est en deux parties. Moi, je ferai une sorte d'introduction, et, lui, il va présenter la Zone de libre-échange telle que nous la voyons en perspective.

Le Comité canadien pour combattre les crimes contre l'humanité a été créé en février de cette année, avec le mandat central de mettre en oeuvre les mécanismes jugés opportuns pour traduire en justice les individus dont les actes sont considérés crimes contre l'humanité en vertu du Code criminel du Canada. Un des outils du Comité canadien est de favoriser la recherche dans les domaines de violation des droits de la personne en y incluant les effets d'une économie néolibérale sur le bien-être des populations et leur relation possible avec des crimes contre l'humanité.

n(11 h 40)n

Immédiatement après sa création, le Comité canadien a commencé à recevoir de son réseau de membres un flot d'informations concernant le social, les politiques et l'économie. C'est ainsi qu'au mois de mars dernier nous avons appris que M. Pettigrew, le ministre du Commerce du Canada, partait au mois d'avril en mission économique en Amérique du Sud et qu'il visitait l'Argentine. La dépêche nous a fait sourire, sachant que M. Pettigrew avait été ministre des Ressources humaines du Canada et que son ancien ministère était sous le feu d'un scandale concernant 3 milliards de dollars donnés en subventions sans une graine de supervision. Nous avons donc conclu que le gouvernement canadien cachait M. Pettigrew en Amérique du Sud, loin des caméras de télévision et des journalistes qui désiraient lui poser un certain nombre de questions.

Quelques semaines plus tard, nous avons appris que M. Lucien Bouchard, premier ministre du Québec, se rendait en visite officielle en Argentine. Jusque-là, nous recevions une information éparse faisant état des intérêts commerciaux des deux paliers de gouvernement. Toutefois, l'analyse que le CCCCH a faite de la visite de M. Bouchard a été publiée dans Humanité 2000, la publication officielle du Comité canadien.

Par la même occasion, nous avons appris qu'un bloc commercial, le Mercado del sur, connu sous son nom générique de Mercosur, avait pris un nouvel élan lors d'une réunion au sommet en décembre dernier, une nouvelle quand même étonnante si on considère que tout le monde donnait Mercosur comme étant mort suite à une querelle entre le Brésil et l'Argentine pour des questions tarifaires. Jusque-là, l'Argentine et Mercosur étaient deux entités dans une galaxie nébuleuse quelque part sur cette planète. Et le CCCCH a continué ses activités ici au pays.

Mais voici qu'un document du ministère des Affaires étrangères de l'Argentine nous a donné un élément d'analyse insoupçonné. Mercosur, disait le document, doit bientôt prendre un accord pour adopter une monnaie commune. Le concept de monnaie commune a allumé des lumières un peu partout au CCCCH. Nous savions que le parti Bloc québécois avait présenté en février 1999 une motion au Parlement canadien visant l'adoption d'une monnaie commune pour l'Amérique du Nord, une motion qui n'a pas fait long feu, d'ailleurs. Mais ce qui était quand même bizarre est à l'effet que M. Bernard Landry, ministre des Finances du Québec, ne cachait pas son ardent désir de voir une monnaie commune adoptée pour l'ensemble de l'Amérique du Nord. Et, curieusement également, tant M. Landry que le Bloc québécois sont des ardents défenseurs d'un Québec séparé du reste du Canada. M. Lucien Bouchard n'est pas très éloigné de la même pensée.

Ainsi, les questions qui ont commencé à flotter dans l'air étaient les suivantes: Quelle monnaie commune voulait adopter Mercosur? Pourquoi cet intérêt soudain pour l'Argentine, un pays membre du Mercosur, de la part de M. Lucien Bouchard et de la part de M. Pettigrew? Nous étions à jongler avec les réponses à donner à ces questions lorsque les écrans de nos ordinateurs nous ont apporté la nouvelle qu'un comité parlementaire pour écouter les citoyens concernant la proposition d'une zone de libre-échange des Amériques venait d'être mis sur pied. Nous n'avions jamais entendu parler de l'existence d'une telle proposition. Mais sa seule existence posait encore d'autres questions qui ne faisaient qu'épaissir l'énigme.

Les premiers éléments de réponse nous étaient apportés par l'apparition dans le marché monétaire de l'euro, la nouvelle monnaie créée par l'Union monétaire européenne. Avec ces informations-là en main, le CCCCH a décidé de présenter le résultat de ses analyses à ce comité dans un mémoire dont le fil conducteur dépasse les frontières du Canada et du Québec.

D'abord, l'euro, dont la mise en circulation, dans sa phase C, fera en sorte que les pays du Mercosur auront à se départir de leurs dollars américains pour acheter des euros et ainsi faire face à un commerce international largement tributaire de l'Union européenne, cette intervention sur le marché monétaire risque de réduire la valeur du dollar américain et fera entrer de facto les pays du Mercosur dans la zone d'influence de l'euro.

Ensuite, un bref regard à l'histoire économique contemporaine met en évidence que l'Argentine est le maillon le plus faible de Mercosur, ayant collé la valeur de son peso à la valeur du dollar américain, et que la perte des exportations vers les marchés de la ceinture de l'Asie Pacifique a réduit dangereusement sa balance commerciale, l'Argentine est prise au piège. L'Argentine est donc vulnérable et le pays le plus disposé à l'adoption du dollar américain, suivant l'exemple de l'Équateur. L'Argentine adoptant unilatéralement le dollar américain, une rupture à l'intérieur de Mercosur est indissociable, à moins évidemment que le bloc entier adopte le dollar américain. Si Mercosur adopte alors le dollar américain comme monnaie commune et faisant partie d'une zone de libre-échange des Amériques, le reste des économies plus faibles tombe sous la dollarisation continentale. Le Canada ne fera que suivre.

Qui tire donc un bénéfice de ce jeu au niveau continental? La dollarisation du continent américain facilite l'adoption par le Québec de la même monnaie, en particulier d'un Québec indépendant. Donc, la conclusion logique démontre que le double intérêt de M. Lucien Bouchard tant pour une zone de libre-échange des Amériques que pour une monnaie commune n'est qu'un prétexte de plus pour obtenir la balkanisation du Canada, d'où son intérêt pour l'Argentine, le maillon faible de Mercosur.

Mais, si le premier ministre du Québec tire son épingle du jeu avec une zone de libre-échange, où se situe M. Pettigrew dans ce jeu continental, lui qui ne cache pas son intérêt pour voir la réalisation d'une telle initiative? Nous ne pouvons que conclure que M. Pettigrew marche donc main dans la main avec ceux qui désirent l'éclatement de notre pays afin d'effacer toute frontière. Et, comme M. Pettigrew est membre du gouvernement fédéral du Canada, il s'ensuit que la querelle souverainiste fédéraliste n'est qu'un divertissement populaire visant à cacher à la population la vente à la petite pièce de leur nation.

Ceci pose alors la question la plus pertinente: Qui gouverne ce pays? Existerait-il un ventriloque qui parlerait par la bouche de M. Pettigrew? Existerait-il un maître marionnettiste qui ferait danser ses marionnettes au son de son tambourin au doux bémol de la douce musique du Fonds monétaire international?

Ainsi brièvement expliqué, le contenu de notre mémoire démontre qu'il est possible de voir un lien direct entre l'adoption d'une monnaie commune par un bloc commercial éloigné à des années lumières de chez nous et que l'intégration continentale à l'intérieur d'une zone de libre-échange des Amériques n'est qu'un instrument de plus, un instrument parmi d'autres qui favorise l'adoption de cette même monnaie commune. Quelle que soit cette monnaie commune adoptée par Mercosur, le dollar américain, l'euro, ses propres monnaies, soit le peso argentin, le cruzaro brésilien, peu importe, cette monnaie aurait une valeur proche de celle du dollar américain ou de l'euro. Il ne pourrait pas en être autrement sans risque de déstabiliser dangereusement le commerce international. Quelle que soit cette monnaie commune, elle ne sera certainement pas le dollar canadien. Donc, l'adoption d'une monnaie commune, même si inconnue, donnerait à M. Lucien Bouchard ses conditions gagnantes pour lancer un référendum sur la souveraineté sans avoir les mains bâillonnées par le dollar canadien contrôlé par Ottawa, monnaie qui d'ailleurs cessera d'exister sous la pression d'une zone de libre-échange des Amériques.

Regardons alors cette Zone de libre-échange des Amériques en perspective, en particulier sur ses effets pour le Canada et le Québec.

M. Katz (Bruce): Bonjour, je m'appelle Bruce Katz et je suis président du CCCCH. D'abord, je vais vous présenter l'exemple concret des mécanismes qui soutiennent la mondialisation et comment ces mécanismes dominent l'État même, en vous démontrant comment le Fonds monétaire international a dicté les termes du budget fédéral canadien de 1995-1996 au ministre des Finances Paul Martin. Et ensuite je parlerai de certains impacts néfastes que la Zone de libre-échange risque d'avoir sur le Québec.

Jusqu'ici, on a toujours pensé que le Fonds monétaire international n'intervient pas directement dans les choix politiques faits par les gouvernements des pays développés. Mais vous allez voir, par le moyen de ce document que je vous ai apporté en plusieurs copies pour que vous puissiez le lire, que le contraire est vrai. Vous avez ici, devant vous, un document que nous avons divisé en sections, obtenu par le moyen de l'accès à l'information, au titre de International Monetary Fund, article 4, Consultation Discussions, Canada, en date du 9 décembre 1994. Ceci est le rapport annuel fait par les économistes du Fonds monétaire international chez tous les pays membres du FMI, c'est-à-dire une centaine et quelques-uns. Faute de temps, je ne réviserai pas toutes les coupures suggérées par le FMI au ministre Martin. Je ferai la lecture rapide des diktats ? je dis bien des diktats ? principaux, et vous pourrez toujours étudier le document à votre aise.

n(11 h 50)n

Ce rapport du Fonds monétaire international contient un plan détaillé, lequel est devenu l'essentiel du budget fédéral de 1995-1996. Et vous comprendrez plusieurs choses à la lumière de votre lecture éventuelle du document. Vous comprendrez que le FMI a dicté les 29 milliards en coupures budgétaires qui s'étalaient sur les trois années suivant le budget de 1995, tel qu'annoncé par le ministre des Finances du Canada, Paul Martin. Vous comprendrez que le FMI et le gouvernement Chrétien, par son ministre des Finances, ont été complices des coupures dans les transferts aux provinces en matière de santé. Vous comprendrez que la souveraineté politique n'existe plus au sein de l'État-nation, car ce même exercice d'ajustement structurel du FMI s'impose à tous ses pays membres, sans exception. Finalement, vous comprendrez quel sera le sort du Québec comme futur État indépendant, une fois que la Zone de libre-échange sera établie.

Je voudrais regarder rapidement ? ce document, comme je vous ai dit, a été divisé en quelques sections ? certaines options, entre guillemets, mentionnées dans le document du FMI, devenues diktats, qui ont été appliquées verbatim dans le budget fédéral de 1995. Ainsi, vous saurez véritablement qui gouverne le Canada et, je pense, par surcroît, qui gouvernera le Québec en temps et lieu.

Les coupures que le Fonds monétaire international dicte au ministre Martin sont les suivantes, parmi tant d'autres ? je ne vous lis que les principales, à mon avis: coupure dans la sécurité sociale des aînés, afin de récupérer 3,9 milliards; couper au niveau de l'assurance emploi, pour un autre 4,5 milliards; on suggère, entre guillemets, des coupures dans les transferts aux provinces en matière de santé; au niveau de l'éducation postsecondaire et dans les transferts aux gouvernements des territoires, une épargne de 8 milliards; on demande la réduction des subventions pour les programmes appuyant la culture, les langues officielles, l'industrie des publications, les groupes culturels, l'athlétisme amateur ? bonjour les Jeux olympiques ? et Postes Canada, un autre 500 millions; on demande l'élimination de la programmation régionale de Radio-Canada, qui s'est faite dernièrement; aussi qu'on élimine les transferts à Via Rail, à l'Office national du film, etc., 1,4 milliards; et on demande aussi de couper dans le budget de la défense, pour un autre 1,5 milliards.

J'ai un autre document ici que vous pourrez regarder éventuellement et numéroté avec le n° 3 au coin supérieur gauche. C'est un document fort intéressant. Vous verrez dans ce document une lettre adressée à l'honorable Paul Martin et signée par Michel Candessus, ancien directeur du Fonds monétaire international à l'époque, en date du 18 mai 1995. Et, tout en louangeant le ministre Martin pour son courage politique face au budget de 1995, M. Candessus lui rappelle qu'il faudra couper davantage, dans les prochains budgets, au niveau de la pension de vieillesse, dans l'assurance emploi, au niveau des subventions et davantage au niveau des transferts aux provinces.

Alors, nous voulons vous poser deux questions de pure forme, et je dis bien de pure forme, car on sait déjà la réponse. Primo, qui, alors, gouverne le Canada? Secundo, qui gouvernera une future république du Québec sous la Zone de libre-échange des Amériques, assujetti comme il le sera à la bureaucratie du nouvel ordre mondial à Washington, où siègent la Banque mondiale et le Fonds monétaire international?

Ayant pris connaissance des démarches clandestines de cette bureaucratie de prédateurs ? excusez le terme, désolé, mais c'est ça ? laquelle soutient la mondialisation des marchés et soutiendra évidemment la Zone de libre-échange des Amériques, regardons maintenant les implications pour le Québec face à une zone de libre-échange encore plus large et répandue.

Constatons d'abord qu'une zone de libre-échange des Amériques doit forcément se traduire par l'acceptation d'une monnaie commune, comme M. Silva vient de le mentionner. Il ne peut pas en être autrement. Il serait naïf de songer que l'on pourrait en être membre sans succomber à la pression qui sera exercée pour l'acceptation de cette monnaie commune.

Constatons, en deuxième lieu, que cette monnaie devra être le dollar américain. En termes de réelle politique, d'aucune façon Washington n'acceptera que l'euro soit la devise de la Zone de libre-échange. L'adoption inévitable du dollar américain comme devise, comme unité monétaire continentale, confirmera dans l'absolu l'axe commercial Nord-Sud et la mort éventuelle de l'axe économique Est-Ouest sur lequel le Canada s'est bâti. Par conséquent, le Québec accédera de facto ? sans regarder la question de la loi sur la clarté, ça n'aura plus aucune force en termes de réelle politique ? à la souveraineté, en ce sens que le remplacement du dollar canadien par le dollar américain permettra au Québec de sortir de l'orbe politique canadien en y substituant des relations strictement de nature commerciale ou possiblement administrative, selon les circonstances.

Mais, en effet, de quel genre de souveraineté s'agira-t-il? Ce sera la souveraineté strictement symbolique, car il faut comprendre qu'être assujetti à la Zone de libre-échange des Amériques est synonyme d'être assujetti au principe absolu du marché libre. Et cela veut nécessairement dire qu'il faudra obéir aux règles mises en place par ceux qui gèrent le marché, la Banque mondiale, l'Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international. Alors, la souveraineté réelle dont le Québec pourra se vanter ne sera pas plus que le fait de mettre en application les diktats de la Banque mondiale et du FMI. En effet, sous la Zone de libre-échange des Amériques, la véritable souveraineté du Québec sera moins qu'elle est actuellement comme province canadienne. Ceux qui prétendent que le fait de se distancer du joug canadien doit se traduire par un meilleur contrôle et un plus grand épanouissement du français au Québec ne reconnaissent tout simplement pas la nature assimilatrice du marché libre sans contrainte.

Henri Bourassa parlait de l'«américanisme saxonisant», nous parlons ici de la mondialisation homogénéisante, nivelante, déracinante. Nous croyons qu'il ne prendra que quelques décennies, sous la Zone de libre-échange, avant que le Québec ne commence à perdre ses traditions culturelles ainsi que ses institutions culturelles, devant ce phénomène du marché et sa lingua franca ? l'anglais américain et la culture technocorporative qui le répand ? laquelle supplantera le français comme moyen principal de communication avec facilité. Ceux qui pensent que la loi n° 101 résistera à tout ce mouvement du marché aveugle font l'autruche. Ce n'est pas pour dire que le français disparaîtra, c'est pour dire qu'après un certain nombre de décennies il s'agira d'un français à caractère folklorique.

Outre la question culturelle, il y a ce phénomène de contraintes budgétaires qui seront imposées sur le Québec comme pour les autres participants de la Zone de libre-échange des Amériques par le Fonds monétaire international afin d'assurer le fameux déficit zéro et la politique anti-inflationniste, laquelle s'avère la bannière de la politique monétariste. Alors, il y a des conséquences qui suivent. Il faudra alors réduire la taille du gouvernement; ceci veut dire qu'il faudra réduire la taille des secteurs public et parapublic. Il faudra aussi réduire les salaires des fonctionnaires, comme ce fut le cas pour l'Argentine. Il faudra couper davantage dans les programmes sociaux. Il faudra envisager la privatisation...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Katz, si vous permettez, le temps qui vous était réservé pour la présentation est terminé. Je vous inviterais à conclure. Mais, ce faisant, pourriez-vous également nous dire non seulement quelles pourraient être les conséquences sur l'ensemble canadien ou sur le Québec d'une telle zone de libre-échange des Amériques, mais aussi nous indiquer quelles sont vos recommandations ou vos indications à l'égard de cette commission?

M. Katz (Bruce): Bien, nous avons pensé justement les présenter ces recommandations, lors des échanges et lors des questions.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Bon, très bien.

M. Katz (Bruce): Donc, si je pouvais... Ce n'est qu'une question de deux minutes...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Allons-y.

n(12 heures)n

M. Katz (Bruce): ...si je peux continuer. Bon. Les secteurs qui bénéficieront de l'exportation hors de la province seront les secteurs de haute technologie, comme les télécommunications et l'industrie aéronautique. Il vaut mieux qu'on se rappelle du fait que la grande majorité des entreprises québécoises continuent cependant à produire pour le marché intérieur. Et, selon le ministère de l'Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie, seulement 30,4 % d'entre elles exportent hors de la province. Alors, que feront-elles si jamais le marché intérieur devient redondant, sachant aussi que le revenu per capita en Amérique du Sud se situe à peu près au niveau de 5 000 $US par année? Il n'y aura pas beaucoup de consommation là-bas.

Il faut se dresser devant la réalité que sera la Zone de libre-échange et les forces du marché qu'elle incarne. Cet accord proposé ne pourra bénéficier qu'à une minorité sociale au Québec qui s'avérera, par surcroît, maître de ses concitoyens et concitoyennes devenus à toutes fins pratiques des esclaves, au moins des esclaves salariés.

En 1996, plus de 200 000 assistés sociaux au Québec ont vu leur prestation d'aide sociale réduite, lorsque d'autres choix étaient possibles, parce qu'ils ont été déclarés non-participants, c'est-à-dire ils ont arrêté la recherche d'un emploi. Or, l'économie du Québec n'a créé que 8 000 emplois en 1996, au moment où le taux de chômage était de 11,8 % dans la province. La ségrégation économique à laquelle ces assistés sociaux ont été soumis n'a qu'un nom: persécution politiquement motivée. Mais, si des groupes spécifiques et clairement identifiables dans notre société sont victimes de persécution motivée par des raisons purement économiques, les responsables de ces persécutions devront répondre de leurs actions parce que, en vertu de la section VII, article 3.76 du Code criminel du Canada, une telle persécution constitue un crime contre l'humanité.

Maintenant, tantôt vous avez parlé de quelles seraient nos suggestions, qu'est-ce qu'on pourrait faire de différent, et je pense que, M. Silva, vous aviez quelque chose dont vous vouliez parler.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Est-ce que je peux simplement suggérer que nous passions à la période d'échanges? Et vous aurez l'occasion probablement de nous communiquer quelles pourraient être vos recommandations. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt votre exposé. Évidemment, il y a là beaucoup de matière à réflexion, je pense que c'est la moindre des choses qu'on puisse dire. J'ai parfois l'impression que vous frappez pas mal fort en espérant frapper juste, ce qui est sans doute une chose qu'on devra considérer.

Il est vrai que le peuple québécois est habitué depuis un bon bout de temps à vivre dangereusement. Dans un ensemble où 97 % des gens parlent une autre langue et partagent une autre culture, on est 3 % partageant une culture rattachée au tronc francophone. Alors, non seulement on vit dangereusement comme peuple, mais aussi, ce qui nous embête un peu plus, on a parfois l'impression de vivre par procuration, bien que notre procurateur ne se gène pas pour remettre en cause notre propre existence et inspire d'autres porte-parole qui la nient tout simplement, notre existence. Et ça, c'est notre réalité objective.

Je me souviens d'avoir lu, en 1985, un article dans Le Monde diplomatique, où on faisait état de rencontres qui avaient eu lieu entre banquiers internationaux, où la conclusion de ces gens très brillants était que le monde ordinaire n'est pas assez fin pour comprendre, d'une part, et le monde politique ne mérite pas assez de respect pour qu'on laisse les États entre les mains de ces gens-là, il faudrait que les États soient gouvernés par des banquiers. C'est un résumé de la position que j'avais trouvée là-dedans. Évidemment, ça m'avait secoué un petit peu et j'avais trouvé ça un petit peu caricatural. Mais on a vu, en 1998, avec l'AMI, des choses qui semblaient être la continuité de la même pensée. L'AMI a été un échec, mais, pendant ce temps-là, on sait que, derrière des portes closes, on continue de négocier quelque chose qu'on ne sait pas. Mais on sait que ça se réfère à une zone de libre-échange.

Évidemment, la question: Qui gouverne le Canada? est une grande question. Qui gouverne le Québec? est une grande question. Qui gouverne le monde? est aussi une grande question. Il y a eu certaines réponses qui ont été apportées à ça, entre autres par des organismes qui se sont présentés à Seattle, dans la rue, et d'autres qui se sont présentés dans les cénacles où on discutait. Les mêmes personnes se sont présentées à Windsor, se sont présentées à Prague; on imagine qu'elles seront peut-être présentes à Montréal et à Québec le printemps prochain.

Alors, si on regarde les problèmes de ce point de vue là, on peut penser que c'est des gros problèmes. C'est très vaste et c'est très grand. Et, si on veut les prendre tout d'un coup, je pense qu'il est très difficile d'y trouver une solution. Alors, peut-être qu'il y a possibilité de les prendre un par un et de prendre les choses une par une en espérant pouvoir influencer l'ensemble à partir du particulier.

L'internationalisation de l'économie, premièrement, est-ce qu'on peut l'arrêter? Je pense que non, je vous le dis bien humblement. Est-ce que le Québec peut la contrôler? Je pense que c'est aussi non. Est-ce que le Québec peut l'influencer? Bien là peut-être qu'on peut se poser des questions, peut-être qu'il peut l'influencer. Quels sont les meilleurs moyens pour l'influencer?

Évidemment, on pense qu'on aurait intérêt à contrôler certains mécanismes qui nous permettent de tisser des alliances avec les cultures que l'on voudrait et avec les peuples et avec les économies avec qui on voudrait tisser des alliances. Actuellement, on n'a pas le contrôle de ces alliances-là. Et tout ce qu'on peut désirer passe à travers un filtre qui propose des éléments de solution à travers une autre grille culturelle que la nôtre. Donc, on est très limités. On ne peut même pas arriver et présenter une autre façon de voir l'ensemble des problèmes et l'ensemble des alliances et l'ensemble des exigences. On ne peut même pas faire d'alliance avec des gens qui partagent notre culture, notre tronc commun latin comme culture, parce que tout ça doit passer par d'autres. Vous comprenez pourquoi on est très intéressés à contrôler nos propres affaires.

Alors, la question que je me pose est la suivante. De façon précise, j'aimerais que vous développiez un peu plus: Quelle est l'attitude concrète et précise qui peut nous conduire, comme peuple, d'abord, à exister et à continuer à nous développer et qui peut nous conduire à tisser les alliances qui nous permettent de progresser? Donc, quelque chose d'un peu plus immédiat quant à nos discussions par rapport à la Zone de libre-échange.

M. Katz (Bruce): Bien, moi, je suis d'accord, entièrement d'accord avec vous quand vous parlez de la complexité du problème, de la difficulté qu'on aurait, disons, à empêcher ce mouvement-là, qui est quand même quelque chose d'extraordinaire. Je me demande combien de personnes sont véritablement au courant de la nature de cette énorme bureaucratie qui se trouve à Washington ? je parle de la Banque mondiale, etc. ? et qui pour toutes fins pratiques a fait la mainmise sur l'État, sur la Banque centrale même. Vous savez qu'aujourd'hui, et je cite l'article 104 du traité de Maastricht, le gouvernement n'a plus aucun mot à dire sur le crédit que la Banque centrale pourrait fournir, disons, pour entreprendre des... financer les entreprises de l'État. Maintenant, ce pouvoir est complètement laissé à la discrétion entière de la Banque centrale. Donc, la Banque centrale peut dire oui, peut dire non, mais le gouvernement n'a plus aucun mot à dire là-dessus. C'est ce genre de ce que j'appellerais usurper le pouvoir de l'État auquel il faut faire face.

n(12 h 10)n

Je crois que, tout d'abord, il va falloir que les gens, comme vous-mêmes, à un moment donné, se lèvent debout pour dire: Ça ne peut pas continuer comme ça. Parce que, moi, je crois fermement qu'il va falloir non seulement que ce soit une question que les peuples de la terre, les groupes populaires se lèvent pour dénoncer ce qui se fait, mais qu'il y a obligation morale par rapport à nos élus de se prononcer là-dessus. Et je pense que, oui, il est sûr qu'on peut dire: Non, on ne peut pas l'empêcher. Non, ça va nous bouffer vifs, il n'y a rien qu'on peut faire. Alors, si c'est le cas, il faut faire ce que Voltaire a demandé, on va chacun cultiver son jardin, on va s'étendre et on va mourir tranquille. Ou on va se lever debout puis on va dire: Non, les peuples de la terre ne se feront pas effacer par cette énorme tentative de niveler tout au plus bas dénominateur commun, de faire qu'une bureaucratie de banquiers et 750 corporations, à peu près, au monde tirent les ficelles de tous les États de la terre en y imposant une pauvreté qui est absolument inconcevable, devenue inconcevable dans le monde. J'ai entendu dernièrement qu'il y a un rapport sur la pauvreté qui, normalement, devait sortir, et j'ai entendu des chiffres comme le fait que le taux de la pauvreté aurait doublé quasiment dans le monde et que le FMI était actuellement en train de... au moins faire la tentative de bloquer le rapport.

Alors, quand vous dites complexe: exceptionnellement complexe. Quand je regarde ça, j'ai comme l'impression que je fais face à... Excusez-moi, je ne veux pas commencer à parler en termes de paraboles, mais c'est comme si je regardais cette énorme bête qui fait qu'on ne peut ni vendre ni acheter sans porter son nom. Et ça, à un moment donné, il va falloir que les gens se lèvent debout et le dénonce parce que, je vous dis, nous sommes convaincus qu'au bout de la ligne si jamais c'est établi, d'ici cinq décennies à un siècle, ce qui restera du Québec ne sera qu'une entité transformée dans une espèce d'énorme monde de Disney, exprimée dans les termes d'un français folklorique. Et cela est une tragédie, ce sera une tragédie moderne. Pour ajouter...

M. Silva (René): Oui, j'aimerais ajouter quelque chose à propos de cette alliance dont vous parliez par rapport à la précarité de la culture française, comment est-ce qu'il y a des alliances possibles pour les affaires. C'est ce que j'ai compris. J'imagine qu'en utilisant le mot «alliance», vous vous référez à une zone de libre-échange?

M. Dion: Pas nécessairement. C'est que je me réfère au fait que la problématique, que vous avez soulevée d'ailleurs dans votre document, est de savoir si le Québec a intérêt ou pas à parler en son propre nom dans le but de pouvoir influencer des décisions qui se prendront concernant la Zone de libre-échange. Le Québec étant de culture majoritairement latine, il a peut-être intérêt à parler en son propre nom pour pouvoir créer des alliances pertinentes avec d'autres pays latins qui sont quand même les plus nombreux en Amérique.

M. Silva (René): Oui, je reviens encore à cette mention d'alliance. Lorsque M. Fox, l'actuel président du Mexique, a visité les États-Unis ? il est passé par ici, par le Canada ? il a demandé à M. Clinton d'ouvrir la frontière et de laisser passer les personnes, pas seulement les biens et les services mais une mobilité de personnes, une proposition qui a été reçue très froidement par les États-Unis. Mais vous remarquez là qu'il y a une intention qui n'est pas seulement de Fox mais qui est quand même l'intention de presque tout le continent sud-américain, c'est de passer du sud au nord.

En fait, l'alliance dont vous parlez est en train de se produire. Elle est peut-être un peu loin de la frontière du Canada, mais elle s'est produite. Les Américains ont de la misère à arrêter l'immigration clandestine en provenance du sud. On estime à 15 millions les travailleurs immigrés qui sont aux États-Unis, dont 5 millions totalement illégaux. Et c'est un flux, c'est un flot, c'est une vague qui n'arrête pas d'arriver. Il y a six ans, j'ai fait un voyage de trois, quatre jours en Floride, par terre, et, à partir de New York, je n'ai pas utilisé la langue anglaise, j'utilisais l'espagnol.

Cette précarité de la culture française... Vous serez peut-être surpris que je vous le dise, la précarité de la culture française, elle ne provient pas... Peut-être que, dans l'immédiat, elle est perçue comme étant en danger par une anglophonie. Mais ce qui s'en vient, c'est que c'est le sud, avec son hispanophonie, qui va prendre le dessus tôt ou tard en Amérique du Nord. Il y a 30 millions d'immigrants hispanophones aux États-Unis. Après 1945, ils n'étaient même pas 5 millions. Ils ont quasiment triplé en l'espace d'une génération. D'ici l'année 2050, il y aura un marché de consommation aux États-Unis hispanophone d'environ 50, 60 millions de personnes. La langue espagnole, elle, elle ne pourra être déférée, elle sera présente. Et, de là, latins comme nous autres, Français hispanophones, cette alliance, elle doit se produire quasiment de façon naturelle. Oui.

M. Dion: Mais c'est là que j'ai un problème. C'est que vous dites: L'alliance, elle va se produire de toute façon. Mais, puisque vous êtes convaincus qu'elle va se produire de toute façon, est-ce qu'il n'y a pas lieu de la prévoir et de l'organiser ou s'il vaut mieux laisser faire les choses et que ça se fasse à la façon de la jungle?

M. Silva (René): Pas de jungle du tout. Elle va se faire à travers les mariages, des Québécois qui marient des Chiliennes, des Argentines, des Brésiliennes, et vice versa. Il va y avoir un mélange de cultures, qui d'ailleurs est en train de se produire. Et ce qui est plus... Comment dire? Est-ce que c'est dramatique? Dans ces mariages interculturels que vous observez, un Québécois marié avec une hispanique, quelle langue est-ce qu'on parle à la maison? L'espagnol. Pas toujours, mais ce n'est pas jamais. On parle espagnol.

Regardez, vous allez acheter des Doritos, des Tachos, vous logez au motel La Siesta. Tantôt, au métro de Montréal, je voyais un jeu similaire au scrabble offert pour les enfants. Il y avait une toute petite ligne en bas qui disait: Ce jeu est également offert en espagnol. Il n'est pas offert en grec ni en italien ni en portugais, il est offert en espagnol. C'est drôle.

M. Katz (Bruce): Si je peux ajouter quelque chose à ce que... Parce que je pense que vous parlez aussi de la question d'État à État aussi, si je comprends bien le sens de votre intervention. Évidemment, parler de politique étrangère, c'est la discipline, disons, le champ d'intervention du gouvernement canadien, mais je ne verrais pas pourquoi les élus en soi, comme étant les représentants de la population, ne pourraient pas prendre l'initiative de faire ces contacts-là. On est quand même tous des êtres humains et, si on est capables de faire ce genre d'échanges entre regroupements populaires, pourquoi, par exemple, les parlementaires du Québec n'entreprendraient pas l'initiative justement d'entrer en communication avec ces gens qui ont des intérêts communs? Pourquoi pas?

n(12 h 20)n

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, je vais permettre au député de Laurier-Dorion d'y aller d'une question.

M. Sirros: Merci beaucoup, M. le Président. Le moins qu'on puisse dire, c'est que votre présentation et votre analyse, elles sont intéressantes. Je dois constater que je trouve qu'il y a des éléments de vérité dans l'analyse. Je ne peux pas partager les conclusions que vous tirez à partir de ces quelques éléments. Je trouve que vous êtes allés un peu loin en disant que Pierre Pettigrew, en fait, s'il s'est rendu en Argentine, ça prouve qu'il est souverainiste.

Et, juste sur le dernier échange au niveau de la langue, je pense que vous avez touché un sujet qui peut être fort intéressant. C'est pour ça que, moi, je crois que, peu importe la langue qu'on parle à la maison, ce qui compte, ce qui est important pour le Québec, c'est la langue qu'on parle en public. Et c'est là qu'il faut qu'on mesure puis c'est là qu'il faut qu'on assure que ça puisse continuer, et ça doit à fonctionner en français.

Mais vous avez dit au début que vous aviez réservé vos recommandations pour la période des échanges. Peut-être, je pourrais, dans les quelques minutes qui nous restent, vous donner l'occasion de nous faire part de ces recommandations, avant de clôturer nos travaux, par rapport à toute la question de la ZLEA.

M. Silva (René): Une recommandation d'après la nature de notre présentation, de notre mémoire, évidemment est d'éviter à tout prix ? quels sont les mécanismes, je ne les connais pas ? d'entrer dans cette intégration continentale suggérée par une zone de libre-échange des Amériques.

Les raisons, d'après notre analyse. Nous l'avons présenté, l'intégration continentale favorise l'adoption d'une monnaie commune. Une monnaie commune quelle qu'elle soit, elle doit avoir évidemment la même valeur que le dollar américain ou bien elle doit être le dollar américain. En ce moment, M. Lucien Bouchard obtiendrait ses conditions gagnantes pour lancer un référendum. Donc, il est absolument nécessaire de ne pas accéder, de ne pas permettre l'intégration continentale telle qu'elle est proposée parce que, pour le Québec et pour le Canada, les conséquences seront extrêmement graves.

M. Sirros: Alors, la recommandation, si j'en retiens, c'est qu'il faut qu'on lève la population contre la Zone de libre-échange et qu'on se retire du processus.

M. Silva (René): Dans la mesure du possible.

M. Katz (Bruce): Même s'il faut ? et, moi, j'inciterais les élus québécois ? se lever contre Ottawa. Ça, il ne faut pas avoir peur de dire ce qu'il faut dire. Tantôt, monsieur, vous avez mentionné qu'on avait dit ou parlé de M. Pettigrew comme étant souverainiste. On n'a pas dit qu'il était... On a dit que la politique qu'il poursuit faisait de lui l'allié objectif des souverainistes. Maintenant, si à un moment donné... Personne ici ne peut prédire l'avenir, éventuellement qu'est-ce qui peut arriver. Cependant, pour nous, le Québec comme société devra toujours... Que ce soit une question d'être membre de la famille canadienne, on l'espère, on espère que ça va continuer comme ça, ou si éventuellement ça devenait un État indépendant, le Québec doit être fondé sur les principes suivants: un Québec démocratique, multiracial et tolérant, mais aussi à caractère francophone. Ce que nous disons, c'est que ce ne sera pas possible sous une zone de libre-échange des Amériques où ce ne sera que des intérêts banquiers qui fondent toute leur société virtuelle et économie virtuelle sur des principes cartésiens qui n'ont rien à voir avec la réalité quotidienne des gens, qui n'ont rien à voir avec la réalité que les gens ont à vivre ici, au Québec, ou ailleurs.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): ...resterait du temps pour vraiment un très brève question, M. le député de Saint-Jean.

M. Paquin: Votre organisme a comme objectif central de combattre les crimes contre l'humanité. Or, pour des raisons raciales ou toute autre forme de mépris de certaines collectivités, il y a eu toutes sortes de persécutions politiquement motivées, voire économiquement motivées. Et la façon de gérer l'économie, qui a marqué en particulier le siècle précédent, ça a été d'avoir des États très limités sur le plan de leurs frontières, défendant des intérêts égoïstes par rapport à leurs préoccupations. Et ça a justifié de toutes sortes de façon, par les mépris possibles, des persécutions économiquement motivées et politiquement motivées. Or, la libéralisation économique a comme objectif de permettre à des nations dont les objectifs intérieurs sont bien définis d'avoir une ouverture et une participation à des marchés plus grands et qui permettent de faire des échanges strictement économiques et qui n'ont pas de conséquence sur la limitation à leurs frontières comme telle.

Alors, je perçois dans votre présentation qu'au bout du compte vous avez une réaction très négative par rapport à toute forme de libéralisation économique. Moi, j'aimerais que vous me précisiez, avant qu'on se quitte sur peut-être une mécompréhension de ce que vous avez dit, si vous êtes contre toute libéralisation économique. Et, si ce n'est pas le cas, à quelles conditions une libéralisation vous paraît éthiquement acceptable?

M. Katz (Bruce): Je pense que votre perception qu'on est contre par principe, contre toute forme de libéralisation, ce n'est pas le cas. Bien, je pense qu'il faut quand même différencier entre une véritable libéralisation commerciale, surtout sectorielle, pour le Québec surtout... Je pense que les intérêts du Québec au niveau de la culture seraient mieux protégés si on entrait dans les accords sectoriels, plutôt que «everything in the same basket». Tout dans le même panier, je pense qu'il y a un danger inné dans ça.

Bien, si je peux, si vous me permettez, ce que je dirais et ce que les gens, je pense, ne saisissent pas par rapport à ce système de mondialisation... Et ça, pour moi, quand je parle de libéralisation de commerce, évidemment on ne veut plus jamais se retirer devant un mur en brique de barrières tarifaires, ce n'est pas ça, ça n'est pas à souhaiter non plus. Mais sauf que ce qui caractérise la mondialisation et ce qui constitue sa contradiction fondamentale en soi, c'est que c'est un système qui est pratiqué sur le «cheap labor», ça, c'est évident. C'est comme, je pense, il y a un sénateur ? je ne me rappelle pas son nom ? qui avait dit qu'au XVIIe, XVIIIe siècle, on déplaçait les esclaves vers les centres de production, maintenant on déplace les centres de production vers les esclaves. Je pense que c'est pas mal concis.

n(12 h 30)n

Bien, un système qui est pratiqué sur le «cheap labor» doit forcément faire baisser les salaires, doit augmenter la pauvreté et donc doit faire baisser la demande de consommation. En même temps qu'on essaie de trouver une expansion du capital puis de nouveaux marchés, qu'est-ce qui arrive? C'est qu'il n'y a plus de ces nouveaux marchés-là parce qu'il n'y a plus de consommateurs. Ça fait que qu'est-ce qu'on est en train de faire? Des pays développés, mais on a des corporations qui devront donc, justement pour trouver cette expansion, éliminer les PME locales des pays en voie de développement. On voit des acquisitions, des faillites forcées, etc. Alors, ce que nous critiquons, c'est cet aspect-là, c'est la contradiction du système et non le fait qu'on cherche des accords, et on dit encore «sectoriels». Puis ce n'est pas ça que les intérêts banquiers voulaient.

Et, à un moment donné, monsieur, vous avez parlé d'un banquier ou de quelqu'un qui avait mentionné le fait que les banquiers devaient devenir les maîtres de... tu sais, qu'on pouvait déplacer... Bien, il y en a un autre qui est très bien connu qui l'a dit à un moment donné ? puis je l'ai cité dans un article que j'ai écrit ? il s'appelle David Rockefeller, puis la chose était très claire. Ça, on ne veut pas de ça.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il ne reste...

M. Silva (René): M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très brièvement.

M. Silva (René): Une minute et demie pour répondre à monsieur?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très brièvement.

M. Silva (René): Quand vous demandiez si, nous, on s'oppose à ce type d'échanges commerciaux, vous allez trouver un petit pamphlet ici, en bas, à la cafétéria le Mini-Débat. C'est un document d'OXFAM-Québec, qui indique, qui informe le chemin du café comme, à l'époque, était le chemin de la soie, pour finalement conclure: «Près de 12 milliards de dollars s'échangent annuellement dans l'industrie du café. Ce ne sont pourtant pas les petits producteurs et leurs familles qui bénéficient des profits astronomiques réalisés par la vente du café. Au contraire, la majorité d'entre eux vivent dans des conditions de pauvreté extrême et gagnent en moyenne aussi peu que 1 000 $ par année.»

Lorsque vous allez faire vos propositions à propos de la Zone de libre-échange, j'aimerais que vous portiez ça dans votre conscience. Est-ce que ces petits producteurs-là seront favorisés par les pays du nord en achetant leur café un peu plus cher pour qu'eux, au lieu de faire 1 000 $, ils fassent 1 200 $ par année? Ces échanges-là dont vous parlez, ces échanges commerciaux, à qui vont-ils profiter?

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, c'est sur ce, donc, qu'il me fait plaisir de vous remercier, M. Katz, M. Silva, à titre de représentants du Comité canadien pour combattre les crimes contre l'humanité, vous remercier donc pour votre contribution à nos travaux.

M. Katz (Bruce): De notre part, nous aimerions vous remercier pour l'opportunité d'être venus ici et de participer à cet exercice en démocratie, car je ne crois pas que le même exercice se ferait à Ottawa.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, merci, encore une fois.

Et je suspens les travaux jusqu'à 14 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 34)

 

(Reprise à 14 h 7)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission des institutions reprend ses travaux dans le cadre de la consultation générale et des auditions publiques relativement au projet de Zone de libre-échange des Amériques.

Document déposé

Avant d'amorcer nos travaux avec nos invités de cet après-midi, c'est-à-dire les représentants du Bloc québécois, j'aimerais déposer copie d'une lettre qu'a récemment fait parvenir le premier ministre fédéral, Jean Chrétien, au sénateur McClintock, encore président en exercice de la COPA, et qui faisait suite à la demande de la COPA de pouvoir rencontrer ou de pouvoir exposer les recommandations de la récente assemblée générale lors du prochain Sommet des Amériques. Alors, le document est déposé.

Nous avons donc le plaisir de recevoir des représentants du Bloc québécois comme premier groupe cet après-midi. M. Pierre Paquette, vice-président, Richard Marceau, député de Charlesbourg, et Stéphan Tremblay, député de Lac-Saint-Jean. J'aimerais vous souhaiter la bienvenue, vous rappeler que nous consacrons une heure à nos rencontres, dont une vingtaine de minutes pour la présentation. Alors, j'imagine que M. Paquette... Lequel prend la parole? Enfin, vous avez la parole.

Bloc québécois (BQ)

M. Paquette (Pierre): Bien, merci beaucoup d'avoir accepté de nous entendre. Je veux préciser que Richard Marceau est aussi notre porte-parole pour ce qui est du commerce international et que Stéphan Tremblay, lui, est porte-parole pour toutes les questions touchant la mondialisation. Alors, c'est la raison qui fait qu'ils m'accompagnent.

Bon, le Bloc québécois, c'est un parti souverainiste qui oeuvre sur la scène fédérale, et nos députés sont quotidiennement confrontés à la négociation des divers accords commerciaux internationaux qui se négocient à Ottawa, comme vous le savez, par le biais du gouvernement fédéral. M. Marceau, par exemple, était présent à l'automne 1999 à la réunion des ministres du commerce international des Amériques. Il a été aussi membre de la délégation canadienne à Seattle. Donc, dans son travail de parlementaire, il est à même de voir, je dirais, les enjeux qui entourent ces négociations.

Comme parti politique, aussi, ce sont des préoccupations sur lesquelles les citoyens et les citoyennes du Québec nous interpellent. Et le Bloc québécois a mis sur pied un chantier sur la mondialisation et la souveraineté, qui était présidé par l'ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, et a tenu aussi un forum sur la mondialisation et la souveraineté, qui a attiré plus de 800 participants, avec des invités de tous les continents. M. Tremblay, actuellement, a amorcé une tournée à travers l'ensemble des institutions d'enseignement sur la question de la démocratie à l'ère de la mondialisation.

Alors, comme vous le voyez, notre présence ici s'appuie à la fois sur le travail de l'aile parlementaire et le travail aussi du parti comme tel. Je vais demander à M. Tremblay, tout de suite, de vous présenter la première partie de notre mémoire.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Tremblay.

n(14 h 10)n

M. Tremblay (Stéphan): Merci beaucoup. Alors, effectivement ce sur quoi, moi, je voudrais vous entretenir d'entrée de jeu est surtout la question de la démocratie à l'ère de la mondialisation mais la démocratie sur le plan de cet accord. Il faut dire que je crois que nous vivons des moments historiques sur le plan de la mobilisation populaire. Encore hier, à Prague, vous l'avez bien vu comme moi, de plus en plus de gens descendent dans la rue pour signifier leur inquiétude et signifier leur non-accord face à la direction que prend la mondialisation.

Quant à nous, nous pensons qu'on ne peut pas être contre, on ne peut pas être pour la mondialisation, elle est bien là, mais plutôt, cela dit, il faut se questionner sur la direction que prend cette mondialisation et davantage si elle se fait de façon démocratique, si elle se fait de manière légitime et si elle se fait de manière transparente. Et je pense que l'accord que nous avons devant nous reflète un peu, est un peu à l'image de ce qui se produit dans tout le processus d'intégration économique.

Je pense que nous devrions tirer des leçons importantes de ce qui s'est passé avec l'Accord multilatéral d'investissement. C'est un accord qui était négocié en catimini alors que les parlementaires n'étaient pas au courant, et la population a eu vent de ce qui se passait à l'intérieur des portes de l'OCDE. Et au bout du compte, un tollé de protestations a amené l'échec de l'Accord.

Je crois qu'on a des leçons à tirer de ça. Et ce qu'on remarque également, c'est que de plus en plus la population descend dans la rue, mais aujourd'hui ce qu'on appellerait des organismes de la société civile représentant toutes formes d'organismes, autant environnementaux, sociaux, qu'on pourrait ainsi inclure dans les groupes d'affaires.

J'ai quatre recommandations ici, lesquelles je voudrais commenter étant donné le peu de temps que j'ai. La première recommandation est celle que le gouvernement du Québec se fasse le promoteur d'un fonds d'aide financière alloué aux organismes de la société civile du Sud afin que ceux-ci puissent présenter leur point de vue de façon plus équitable et efficace. Nous croyons en la pertinence d'une vigilance populaire. Nous croyons qu'il est important que des groupes environnementaux ou sociaux puissent s'exprimer, mais nous remarquons que les organismes du Sud, faute de moyens, ont certainement plus de difficulté à exprimer leur point de vue. Donc, si on parle d'un accord des Amériques, il serait tout à fait pertinent que ces organismes du Sud soient représentés davantage et d'où la raison de les aider financièrement à s'organiser. Il est clair que les groupes américains ou canadiens ont davantage de fonds et sont davantage en mesure de faire passer leur idée.

Une autre recommandation qui va dans le même sens demande que tous les groupes dont l'Alliance sociale continentale jouisse de la même accessibilité aux décideurs, qu'ils aient des préoccupations sociales ou commerciales. Et, si je vous parle de l'Alliance sociale continentale, c'est un groupe, justement c'est plusieurs organismes de la société civile qui se sont réunis lors du dernier sommet de Santiago, un contre-sommet. Et ce dont on s'aperçoit, c'est que le secteur privé semble beaucoup plus ? et là j'insiste sur le beaucoup plus ? avoir accès aux négociateurs, avoir la possibilité de s'exprimer et d'influencer les textes de négociations que les groupes de la société civile. Donc, on pense que les deux doivent être en mesure d'exprimer leur point de vue.

Mais, dans cette optique, notre troisième demande sera celle de réclamer du gouvernement fédéral que les textes de base des neuf groupes de négociations ? actuellement pour la ZLEA ? soient rendus publics, et ce, aussitôt qu'ils seront disponibles et avant qu'un accord ne soit signé. Bien entendu, vous comprendrez que c'est dans une optique de transparence.

Et, comme quatrième recommandation, que l'on demande non seulement l'accord des Parlements, notamment l'Assemblée nationale, comme condition sine qua non à la signature et à la mise en oeuvre de la ZLEA, mais l'inclusion de ceux-ci dans le processus formel de négociations. Moi, messieurs dames, je pense que nous avons, en tant que parlementaires et en tant que représentants de la population, une sérieuse réflexion, et ce n'est pas seulement dans le cadre de la ZLEA, à savoir quant au degré de démocratie en cette ère de mondialisation et à savoir quelle est notre place, nous, les parlementaires, dans tout ce processus de mondialisation.

Oui, nous sommes partisans que des groupes de la société civile puissent s'exprimer. Je crois que leur vigilance est importante et qu'ils peuvent nous amener des points de vue dont, nous, parlementaires, ne serions pas directement au fait, mais nous considérons que la présence des parlementaires, autant, enfin probablement dans les négociations mais du moins pour l'accord de ces ententes-là, est absolument nécessaire. Donc, où s'en va le rôle des Parlements, notamment les Parlements provinciaux quand on sait que ça se passera ici, sur la colline, à Québec, en avril 2001, et où le premier ministre Bouchard ne sera pas présent, ne pourra pas être présent à ces négociations? Pourtant, le Québec, qui est un peuple, est concerné par cette question. Et, nous, les parlementaires, quel est notre rôle à jouer? Voilà l'essentiel des points que je voulais soulever, c'est-à-dire les questions soulevant de la transparence et de la démocratie à l'égard de cet accord. Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien.

M. Paquette (Pierre): Alors, dans mon cas, je vais vous présenter les deuxième et troisième parties qui touchent les droits sociaux, environnementaux et culturels.

Je pense qu'on s'entend tous pour dire que l'intégration économique continentale doit chercher comme premier objectif l'amélioration des conditions de vie et de travail de l'ensemble des peuples des Amériques et non pas servir simplement aux intérêts économiques. Et, dans ce contexte-là, il faut inclure dans la négociation de la Zone de libre-échange des Amériques des préoccupations sociales, environnementales et démocratiques.

Moi, j'ai toujours dit que les Québécois et les Québécoises n'auraient jamais accepté de négocier un accord de libre-échange comme on l'a fait avec le Chili avec une dictature comme celle de Pinochet, dans les années soixante-dix, quatre-vingt. Et dans ce sens-là je pense qu'on ne peut pas faire les frais d'un débat sur ces aspects-là. D'autant plus que, dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain, on a négocié deux accords parallèles, qui est la reconnaissance des États canadien, américain et mexicain, des effets sociaux, environnementaux, des effets sur la culture des accords commerciaux.

Il faut se rappeler que ça a été tout un débat, j'y ai participé amplement, jusqu'à 1989. C'est-à-dire, quand il y a eu le débat sur l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, on nous disait que c'étaient des accords commerciaux strictement qui n'avaient pas d'effets sur les autres dimensions de la vie en société. Avec la signature de ces deux accords parallèles là, les États ont reconnu que, oui, il y avait des effets, et, donc, on a maintenant des dispositions qui sont minimales dans l'Accord de libre-échange nord-américain, c'est-à-dire une entente de coopération sur le travail et une entente sur l'environnement.

Nous, on pense que, dans le cadre de la négociation de la Zone de libre-échange des Amériques, il faut aller plus loin. Il faut s'assurer que ces ententes commerciales ne nuisent pas au développement durable et à l'ensemble des positions qui ont été développées lors de la Conférence de Rio. On suggère une voie, c'est l'inclusion dans les textes de l'Accord d'un certain nombre de principes qui découlent de cette conférence et la mise sur pied d'une commission, bon, qui irait plus loin que celle qui existe évidemment actuellement dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain parce qu'elle a été critiquée à quelques reprises.

Et, dans ce contexte-là on a deux recommandations. La première, c'est qu'un éventuel organe environnemental devra détenir non seulement les outils nécessaires pour évaluer de manière pertinente les plaintes, mais également détenir une certain pouvoir conféré par les parlementaires pour lui permettre de contraindre les États fautifs à un comportement différent. Toujours dans la même ligne, et je l'ai déjà mentionné, c'est qu'on considère qu'une des solutions serait de négocier des clauses environnementales inspirées de la Conférence de Rio au sein même du texte établissant la Zone de libre-échange des Amériques.

Concernant le travail, là, bien la voie est bien pavée. Je sais que vous avez rencontré déjà les trois centrales syndicales. On reprend à notre compte, je dirais, la position qui a été développée par la Confédération internationale des syndicats libres, c'est-à-dire que, dans le cadre de l'Accord de la zone de libre-échange des Amériques ? d'ailleurs c'est le même débat au plan de l'Organisation mondiale du commerce ? qu'on inclue les sept conventions de l'OIT, les sept conventions de base sur l'interdiction du travail forcé, l'interdiction du travail des enfants, le respect du droit d'association, de la liberté syndicale, le droit à la négociation collective, l'égalité pour ce qui est de la rémunération entre les hommes et les femmes, et l'interdiction de toute forme de discrimination à l'emploi.

Je rappelle que nous sommes aussi partisans d'un accord de coopération. Il ne s'agit pas ici d'avoir une approche qui vise à sanctionner des pays. Et, dans ce sens-là, il s'agit de s'appuyer sur ces conventions-là pour aider l'ensemble des pays membres d'une éventuelle Zone de libre-échange des Amériques à améliorer leurs lois du travail, leurs lois sociales. Et je rappelle à cet effet-là que déjà, dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain, le Québec a bénéficié, je dirais, du travail de l'aspect de coopération. Parce que rappelez-vous que nous n'avions pas de dispositions particulières sur le travail des enfants, et on s'en est aperçu quand... en échangeant avec les Mexicains, les Américains et les autres législatures canadiennes; on n'y avait pas pensé. Probablement que ça n'avait pas la même pertinence il y a quelque temps. Donc, il ne s'agit pas d'avoir une approche paternaliste mais plus une approche de coopération.

Et je rappelle que ces droits-là peuvent se concrétiser de façons différentes dans les différents pays. Nous avons un régime d'accréditation très particulier en Amérique du Nord, en Europe, ils en ont un autre, mais je pense que, dans les deux cas, les droits d'association et les libertés syndicales sont respectés dans les pays démocratiques. Alors, il ne s'agit pas de dire aux autres comment faire, mais il faut que les États qui font partie de la Zone de libre-échange des Amériques prennent les moyens pour que les droits fondamentaux, qu'ils ont signés d'ailleurs dans le cadre de l'Organisation internationale du travail, soient respectés.

Donc, la recommandation que nous faisons, c'est que les clauses à caractère social fassent directement référence à l'obligation, pour les États, de respecter les règles contenues dans les sept conventions fondamentales du travail de l'Organisation internationale du travail, ce qui leur conférerait ainsi beaucoup plus de poids et de portée.

Finalement, il y a la question de la diversité culturelle. Je sais, bon, que la commission, ici, a tenu déjà un certain nombre de travaux à cet égard-là. Il est clair que nous sommes de ceux qui pensent qu'il faut protéger la diversité culturelle du continent et de la planète, que la culture québécoise est dans une situation où elle est à la fois, bon, une petite culture mais une culture extrêmement dynamique. Donc, on n'a pas une approche qui vise à adopter des mesures protectionnistes, mais on pense que les États doivent disposer des moyens pour développer les cultures des différents peuples qui composent les Amériques.

n(14 h 20)n

Et dans ce sens-là on demande au gouvernement fédéral, et on pense que le gouvernement du Québec devrait demander au gouvernement fédéral ? puisque c'est encore lui qui nous représente au plan de la négociation ? de concevoir et de rendre public un plan d'action en vue de faire progresser l'idée de la diversité culturelle au sein de la Zone de libre-échange des Amériques. On sait qu'il y a une coalition qui existe sur cet aspect-là particulier du débat concernant l'intégration continentale, et, donc, de suivre, je dirais, très étroitement les travaux de cette coalition-là.

On recommande que tout accord commercial continental préserve la capacité d'intervention actuelle et à venir de l'État québécois. Il faut reconnaître le droit des États d'adopter des politiques de soutien aux créateurs, à la création et à sa distribution. La culture doit être exclue des accords commerciaux. Alors, on est en faveur de ce qu'on appelle l'exception culturelle, mais on pense que c'est une mesure qui est temporaire, défensive, et qu'il faille davantage aller sur une charte internationale qui reconnaît le droit à la diversité.

Alors, je pense que ça fait le tour pour ces trois points-là et je céderais maintenant la parole à Richard Marceau, qui va vous présenter les deux derniers aspects de notre mémoire.

M. Marceau (Richard): Merci, M. le Président. Les deux points que j'aborderai sont la place légitime du Québec et aussi la création d'un institut monétaire des Amériques. Concernant la place légitime du Québec, j'étais personnellement ? M. Paquette l'a mentionné ? à la réunion des ministres du Commerce des Amériques, à Toronto, de même qu'à Seattle lors du Sommet de Seattle de 1999-2000. Et il a été pour moi assez frappant de voir que, parmi la quarantaine de personnes qui composaient la délégation canadienne, le ministre délégué au Commerce international, M. Guy Julien, occupait une place qui était égale à celle du Conseil du patronat ou moi-même, simple député de l'opposition au Parlement fédéral.

À une époque où, au niveau international, se négocient des ententes qui touchent les Québécois et les Québécoises dans leur vie de tous les jours, il est très particulier et, à notre avis, dommageable de voir que le gouvernement du Québec, que le Québec n'a pas sa place à ces tables internationales là, même lorsque ce sont des sujets qui le touchent, qui sont de sa compétence. Je vous donnerais un exemple. Pour le monde entier, la personne qui parle au nom du Canada dans le domaine culturel est Mme Sheila Copps, ministre du Patrimoine canadien. Or, vous avez peut-être entendu que Mme Copps a donné une conférence en mai dernier à Boston sur la culture canadienne. Pour illustrer cette culture canadienne, ce qu'elle avait emmené dans ses bagages était une publicité, et c'était la publicité de Molson Canadian. Alors, je ne crois pas que la plupart des Québécoises et des Québécois aiment voir leur culture représentée de façon aussi caricaturale.

Alors, nous demandons que le gouvernement du Québec fasse pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il y ait un mécanisme formel qui soit mis en place et qui fasse en sorte qu'il y ait une présence, une participation officielle de représentants de l'État québécois dans les neuf groupes de négociations sectorielles. Et, nous, de notre côté, au Bloc québécois, nous nous engageons fermement à appuyer la démarche éventuelle du gouvernement du Québec en ce sens et a exercer des pressions sur le gouvernement fédéral. En d'autres mots, ce serait une application très concrète de la thèse Gérin-Lajoie.

L'autre point de vue, c'est celui de l'institut monétaire des Amériques. C'est un débat qui prend de plus en plus d'ampleur. Peut-être savez-vous qu'aux États-Unis un projet de loi, l'«International Monetary Stability Act» a été déposé au Sénat américain par le sénateur Connie Mack, et il y a aussi un «Companion Bill» qui a été déposé à la Chambre des représentants. Il a été étudié en comité; il est sorti du comité et il se retrouvera bientôt sur le plancher du Sénat.

Il y a aussi l'ancien président argentin Carlos Menem qui a pris position en faveur d'une dollarisation. Au Mexique, deux importantes organisations d'affaires ont aussi demandé à ce que leur pays adopte le dollar américain; les 23 et 24 juillet 1999, une conférence sur ce sujet, parrainée par la Banque interaméricaine de développement, a eu lieu au Panama, qui est un des deux seuls pays officiellement dollarisés des Amériques. Et récemment, Vicente Fox, le nouveau président élu du Mexique, qui sera officiellement président dans quelques semaines, a aussi lancé l'idée d'une union monétaire des Amériques.

Alors, nous croyons que, dans le cadre de la mondialisation où l'Europe s'est dotée d'une monnaie qui fonctionne ? bien qu'elle soit un peu plus basse que sa véritable valeur ? à une époque aussi où plusieurs pays des Amériques discutent de leur avenir monétaire, nous croyons qu'il serait important pour les pays d'Amérique de mettre sur pied un institut monétaire des Amériques qui serait, je dirais, un groupe d'experts-conseils qui conseilleraient les différents pays sur les différentes options qui sont possibles, c'est-à-dire statu quo, taux de change fixe, union monétaire, conseil de la monnaie ou encore dollarisation. Et ça pourrait faire en sorte que les pays qui veulent réfléchir sur leur avenir monétaire puissent avoir des avis éclairés techniques et non politiques sur les différentes possibilités qui s'offrent aux différents pays d'Amérique, car nous croyons qu'avec toute intégration économique viendra tôt ou tard la question de l'intégration monétaire.

Alors donc, nous invitons le gouvernement du Québec à faire la promotion de la création de l'institut monétaire des Amériques, ce qui nous permettra de mieux comprendre les enjeux et de mieux s'y préparer lorsque l'heure des choix se présentera. Et cette heure approche. Alors, ça fait le tour.

M. Paquette (Pierre): Peut-être pour conclure, bon, il est clair que les recommandations que nous vous faisons se font dans le cadre du système fédéral actuel. Pour nous, il est clair aussi que l'intégration économique continentale comme l'ensemble de l'intégration à l'échelle mondiale rendent encore plus urgente la souveraineté du Québec pour que les Québécois et les Québécoises aient un gouvernement qui les représente au plan de leurs intérêts en faisant alliance avec d'autres nations, d'autres pays, pour s'assurer que les règles du jeu qui sont en train de se dessiner à l'échelle continentale et à l'échelle planétaire soient dans l'intérêt des peuples, et en particulier du peuple québécois.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Merci pour cette présentation. Nous allons passer à la période d'échanges, mais auparavant, juste une information que j'aimerais avoir en ce qui regarde le processus aux Communes, et là je m'adresse peut-être davantage aux membres de la Chambre des communes que vous êtes. Il y a eu, bien sûr, le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international qui a, comme on le sait, étudié cette question également, qui a produit un rapport. Ça a donné lieu aussi à des opinions dissidentes de la part des principaux groupes parlementaires. Mais, au-delà du dépôt du rapport, est-ce qu'il y a eu d'autres exercices ? ça peut être un débat un Chambre ou autrement ? une autre forme d'implication des parlementaires après le rapport dans la dynamique des négociations, dans les prises de position que peut devoir prendre justement l'exécutif, donc le gouvernement fédéral, à cet égard?

Et je remarquais, à titre d'illustrations, que vous avez beaucoup de suggestions et de recommandations qui s'adressent à nos exécutifs soit au niveau du Québec ou au gouvernement fédéral, mais, en ce qui regarde l'implication et la participation des parlementaires, comment ça se vit à Ottawa au-delà du dépôt du rapport?

M. Marceau (Richard): Après le dépôt du rapport, d'ailleurs qui a été... je dirais que les témoignages et les audiences ont été très constructives. Ceci étant dit, on a eu à se presser pour la production elle-même parce que la rencontre de Toronto avait lieu quelques jours après le dépôt du rapport. La façon dont fonctionnent les comités à la Chambre des communes a fait en sorte que, quelques mois après le dépôt du rapport, le ministre, M. Pettigrew, est venu présenter lui-même la réponse du gouvernement fédéral à ce rapport et il a été convoqué par le Comité.

n(14 h 30)n

Suite à ça, il y a aussi toujours les débats qui ont lieu à la Chambre des communes, et on a eu des journées d'opposition sur la mondialisation et sur la place des parlementaires. Tout ce qui touche la Zone de libre-échange des Amériques, ça a été le rapport, la réponse au rapport de même que la participation des parlementaires, soit la mienne à la rencontre de Toronto ou encore celle de certains de mes collègues, par exemple, à la réunion de la COPA qu'il y a eue à Puerto Rico.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Et avez-vous l'impression que les parlementaires aient quelque influence que ce soit dans les positions du gouvernement fédéral, dans votre cas, dans le processus de la négociation?

M. Marceau (Richard): La réponse franche, c'est non. Les comités aux Communes étant ce qu'ils sont, les parlementaires du parti au pouvoir ont suivi les lignes tracées par l'Exécutif. Alors, c'est un exemple de l'automutilation des parlementaires fédéraux, du point de vue, en tout cas des libéraux fédéraux, qui fait en sorte que malheureusement les comités qui pourraient théoriquement être très puissants sont des eunuques.

M. Tremblay (Stéphan): Dans un même ordre d'idées, vous savez, le 24 octobre prochain se réunira à Montréal le G20. Et puis le G20, ses membres, en fait, c'est des ministres des Finances et des gouverneurs de banque centrale incluant le Fonds monétaire international et la Banque centrale. Paul Martin a dit du G20 que c'était une forme de conseil d'administration de l'économie globale. Donc, je pense que ça a sûrement son importance. Et il a fait une simple consultation avec certains organismes de la société civile pour avoir le pouls, parce qu'il va y avoir sûrement des manifestations à Montréal en octobre prochain comme il y en aura également à Québec en avril. Et j'ai tenté d'y participer à cette rencontre, et ça a été impossible, me disant que, bon, c'était une rencontre entre le ministre et les organismes populaires. Donc, moi, je me dis: Où elle est la transparence à cet égard? Puis de quelle façon peut-on contribuer? C'est assez difficile quand on nous ferme la porte.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Alors, nous amorçons avec les députés ministériels. Tout d'abord, notre collègue de Frontenac.

M. Boulianne: Merci, M. le Président. Alors, M. Paquette, mes collègues, et MM. Marceau et Tremblay, bienvenue à cette commission. Je vous félicite pour le mémoire.

D'abord, j'aurais une question. Vous parlez, comme la majorité des mémoires qu'on a eus, des droits. Il faut considérer les droits sociaux, les droits humains, la protection de l'environnement. Jusqu'où doit-on aller avec ces principes-là au niveau de la signature d'un accord du libre-échange? Est-ce que ça doit primer? Est-ce que ça doit être une priorité? On se situe par rapport à ça. Ou c'est des compromis? Jusqu'à quel point on peut aller avec ces droits-là dans l'Accord du libre-échange?

M. Paquette (Pierre): Bien, moi, je pense que, si on considère que l'intégration économique continentale va avoir des retombées positives pour les populations, il n'y a pas de problème pour que les États prennent des engagements en termes de droits. Comme j'ai bien mentionné, ces droits-là ne donnent pas des réponses, en termes de mécaniques, qui doivent être nécessairement les mêmes. C'est des choses qui sont complexes, j'en conviens.

Par contre, j'ai pu constater que, dans l'Accord de libre-échange nord-américain, même s'il n'en était pas question au début des négociations, on a été capable de s'entendre sur des clauses protégeant la propriété intellectuelle, et puis la propriété intellectuelle, c'est quelque chose de passablement compliqué aussi. Et non seulement on a été capable de négocier cet Accord pour protéger la propriété intellectuelle, mais, en plus de ça, à l'Organisation mondiale du commerce, quand on a négocié la création de l'Organisation puis qu'on a signé l'entente de l'OMC-GATT, le GATT-OMC, on a été capable de reprendre à son compte aussi des mesures de protection de la propriété intellectuelle.

Alors, je me dis que, si on a été capable de s'entendre si rapidement sur des choses aussi complexes, il y a des possibilités de s'entendre aussi sur des protections en termes de droits. Et, encore une fois, ça ne veut pas dire que les mécaniques sont nécessairement les mêmes. Je vous donne encore un autre exemple. Si on dit qu'il doit y avoir un salaire minimum et que ce salaire minimum là doit être respecté, ça ne veut pas dire que tous les pays auront exactement, et loin de là, le même salaire minimum. Mais, par contre, les États s'engagent à respecter le salaire minimum sur lequel ils auront légiféré.

Donc, moi, je pense que c'est une condition sine qua non à l'intégration continentale, sinon ? et puis je pense que Stéphan Tremblay a bien témoigné de ça ? l'opposition qui se fait présentement, la résistance qu'il y a va être grandissante, et on va assister à des situations comme il y aura à Québec où on a à peu près, je dirais... il va y avoir quatre sommets qui vont se faire parallèlement: le sommet des chefs d'État, le sommet des parlementaires ? et on souhaite qu'il joue un grand rôle ? le sommet de l'Alliance sociale continentale, qui sont des gens qui ne sont pas, en principe, contre l'intégration, mais qui veulent y poser un certain nombre de conditions, et un sommet informel, là, qui va être dans la rue, de personnes qui s'opposent à l'intégration économique continentale contre vents et marées.

Alors, c'est dans ce contexte-là, moi, je pense que maintenant on n'a pas le choix que de s'attaquer carrément à ces questions de protection sociale, de protection environnementale, culturelle et démocratique aussi, je pense que ça fait partie de nos préoccupations.

M. Boulianne: Cette protection-là des droits sociaux de l'environnement cause certains problèmes. C'est bien évident que la Zone de libre-échange va s'inspirer de modèles, soit l'ALENA ou l'OMC. Alors, ça cause des problèmes, et je vais juste vous rappeler un exemple, le cas de l'amiante. Alors, je pense qu'on vient d'avoir un jugement, l'OMC. Précisément au nom des droits humains, au nom de la santé, on a décidé de donner raison à la France dans ce dossier-là, sans d'ailleurs de base scientifique, je veux dire, pour des raisons strictement politiques.

Est-ce que, dans toute cette primauté-là... Le marché européen maintenant est presque fermé à une richesse naturelle importante, sécuritaire. Là, on se dirige vers la ZLEA. Est-ce qu'on a ces craintes-là de voir que tout le marché de l'amiante dans ces pays-là va aussi subir le même sort au nom justement de la primauté des droits, de la protection de la santé? Donc, c'est une inquiétude. Est-ce qu'on ne risque pas de voir ça? Contrairement à ce que vous dites, à un moment donné, bon, la région de l'Amérique latine représente un potentiel énorme. Sauf qu'il y aura un prix à payer pour certaines régions si on transporte ces modèles-là et si on est, si vous voulez, très catégorique et radical dans l'exigence de la primauté des droits et de l'environnement qui sont aussi, comme je le dis, dans le cas de l'amiante, sans fondement.

M. Marceau (Richard): Mais, comme vous le dites vous-même, une utilisation sécuritaire de l'amiante ne cause aucun problème. Alors, de vouloir protéger les droits des travailleurs, des travailleuses ou encore environnementaux, je ne crois pas que ça empiétera sur la diffusion sécuritaire ou l'exportation sécuritaire de l'amiante. Il s'agit pour nous ? et je pense que le comité qui a été formé à Montréal la semaine dernière le montre bien ? de faire connaître toutes les vertus de l'amiante et toutes les avancées technologiques qui ont été faites dans l'utilisation sécuritaire de cette importante ressource naturelle qui est si importante pour l'économie du Québec et pour l'économie de votre région que vous défendez.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Paquette.

M. Paquette (Pierre): Mais je voudrais rajouter aussi que c'est sûr qu'il y a une jurisprudence qui va se créer. Et puis l'important, à mon avis, c'est qu'on crée des lieux d'arbitrage des différends. Et, dans ce cas-là, par exemple, si on prend l'Organisation mondiale du commerce, un des grands acquis de la dernière entente, c'est la mise en place de mécanismes d'arbitrage qui défendent les petits pays contre les gros. Et je vous rappelle que toutes les plaintes qui ont été déposées jusqu'à présent ? il y en a 150, si ma mémoire est bonne ? il y en a trois ou quatre qui se sont rendues au bout du processus. Et, en tout cas, il y en a trois qui ont donné raison à des petits pays ? bien, des petits pays, disons, des pays en développement ? contre les États-Unis: le Venezuela, le Costa Rica, puis il y en a un autre que j'oublie. Alors, c'est quand même, je pense, un avantage ou en tout cas, disons, un pas en avant par rapport à ce qui existait avant où c'était la loi du plus fort. Avec le GATT, là, il y avait des obligations morales, mais il n'y avait pas de contrainte.

Dans le cas de l'amiante, à mon avis, c'est un dossier qui a été mal piloté, Richard l'a bien mentionné. Et vous avez tout à fait raison de dire que les produits substituts sont aussi dangereux que l'amiante lui-même. Et on a malheureusement trop tardé à plaider en faveur d'une utilisation sécuritaire de l'amiante au plan international.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Tremblay, en complément.

M. Tremblay (Stéphan): Moi, j'aimerais faire mention d'un exemple qui a été assez flagrant, et je pense que c'est dans le cadre de l'ALENA, où une compagnie américaine, Ethyl Corporation, est revenue contre le gouvernement canadien pour une loi environnementale pour laquelle nous avions votée, une loi interdisant le MMT et où des études ou l'absence d'étude... Enfin, il y avait une certaine démonstration, une certaine inquiétude à l'effet que le MMT avait des effets sur le système nerveux humain. Donc, au Parlement, on passe une loi contre le MMT. Dans le cadre du tribunal de l'ALENA, la compagnie actionne le gouvernement canadien pour perte de marché potentiel. Elle l'actionne pour 350 millions. Les deux parties s'entendent à l'amiable. Le gouvernement canadien est obligé d'abolir sa loi environnementale et de donner une compensation à la compagnie de 15 millions de dollars US. Donc, ça, ça montre quand même une autre facette, un autre côté de la médaille qui peut être inquiétant.

M. Boulianne: Merci. Je vais laisser la parole à mes collègues. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Dubuc.

n(14 h 40)n

M. Côté (Dubuc): Merci, M. le Président. Alors, messieurs, bienvenue. J'ai pris connaissance de votre document. J'ai également regardé les principales recommandations que vous en avez fait. Je pense que ça s'inscrit quand même comme complément important du document que vous aviez déjà publié sur la mondialisation lors des forums auxquels j'ai eu d'ailleurs le plaisir d'assister en 1999 ? vous me corrigerez si je me trompe.

Ce que je voudrais vous poser comme question, M. Paquette ? vous y avez peut-être un petit peu répondu tout à l'heure: vous savez qu'il y aura un forum des peuples en complémentarité avec le Sommet des Amériques, je voulais savoir ? bon, vous avez dit tout à l'heure que vous y participerez ? quelle sera votre participation à ce forum, votre participation. De quelle façon vous voulez y participer? Est-ce que vous voulez... Avez-vous des projets de présenter certains documents ou si vous allez vous présenter... le Bloc va se présenter comme parlementaires ou...

M. Paquette (Pierre): Non, je n'ai pas parlé du Bloc québécois qui allait y participer. J'ai dit: On va se retrouver devant une situation où il y aura quatre sommets, et donc trois que je considère personnellement comme constructifs puis un qui risque d'être assez embêtant pour l'image du Québec. Alors, moi, je dis: On est peut-être mieux de justement travailler dans le sens des consensus qui se dégagent un peu partout à l'effet qu'il faut trouver des moyens de protéger les droits des peuples dans le cadre de cette intégration qui a des effets bénéfiques au plan économique, mais pas nécessairement, mécaniquement au plan social, au plan des conditions de vie des gens.

Alors, je faisais juste mentionner qu'on doit prendre acte de ça puis peut-être travailler dans le sens de tenir compte davantage, en particulier, des propositions qui sont faites par l'Alliance sociale continentale dont le Réseau québécois sur l'intégration continentale fait partie. Je sais qu'ils ont témoigné hier devant vous, là, alors je pense que... Et il n'est pas du tout question que le Bloc québécois participe à ce sommet-là. Peut-être, moi, individuellement, pour aller seiner, parce que j'étais au Sommet de Santiago en 1998, mais, disons qu'officiellement le Bloc va aller peut-être à titre d'observateur, mais pas comme participant. Par contre, à la COPA, nous, on tiendrait beaucoup à ce que nos parlementaires puissent être présents.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Marceau.

M. Marceau (Richard): Oui, voilà, pour la COPA, je ne peux m'empêcher, comment dire, de dire ma frustration ? je suis convaincu que vous la partagez avec moi ? suite à la lettre qui a été envoyée par le premier ministre Chrétien, datée du 20 septembre dernier, dans laquelle il dit: Écoutez, je sais que vous avez une déclaration, vous avez certaines conclusions. Vous avez tiré certaines conclusions lors de la COPA, là, à Porto Rico. Ceci étant dit, nous, chefs d'État, et moi, chef des chefs d'État, parce que c'est moi l'hôte, je ne vous donnerai pas une seconde pour présenter aux chefs d'État et de gouvernement les conclusions auxquelles les parlementaires de tous les États des Amériques sont venus. Alors, je trouve ça extrêmement dommageable de la part du chef de l'exécutif canadien de balayer du revers de la main aussi facilement le travail fait par des parlementaires de tous les pays d'Amérique. Je trouve ça dommage, je trouve ça frustrant et je trouve ça complètement mesquin même, je dirais.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. Bienvenue, messieurs, à l'Assemblée nationale. La question du libre-échange est une question évidemment très vaste qui comporte plusieurs volets. Je me limiterai, dans ma question, à un volet très particulier que vous avez touché un petit peu à la fin de votre présentation, qui est la question de la culture, la politique culturelle. On sait que Mme Maltais, notre ministre de la Culture, est actuellement en Grèce, à Santorin, où elle participe à la troisième rencontre du Réseau international sur la politique culturelle. Elle en a profité pour réaffirmer qu'elle souhaite... que c'est la politique du gouvernement du Québec de mettre en place un nouvel instrument international de protection de la diversité culturelle. Alors donc, l'orientation qui est prise par notre gouvernement, c'est l'exception culturelle, c'est-à-dire une entente parallèle à des ententes commerciales générales de façon à bien marquer que la culture ou le produit culturel est un produit très particulier dans le domaine des choses qui se vendent et qui s'achètent. Et donc, pour mettre en place ce nouvel instrument international de protection de la diversité culturelle, elle propose, et ça, c'est nouveau, un forum international. Et elle dit, je cite: «Je songe à l'UNESCO, à la Banque mondiale, à l'Agence de la francophonie, au Conseil de l'Europe, à la Banque interaméricaine de développement, à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle et au Conseil économique et social de l'ONU. Un tel forum deviendra nécessaire pour ouvrir la voie à la solution internationale forte que nous recherchons.»

Dans votre présentation, vous avez parlé de la mise en place d'une charte des droits de la culture. Je n'ai pas trop saisi exactement parce que ce n'était pas très élaboré. Est-ce que c'est quelque chose de différent de ce dont parle Mme Maltais, qui mentionne un instrument... une solution internationale forte, donc quelque chose qui soit très fort et qui ne soit pas seulement une affirmation de principe auquel tout le monde peut croire, mais qui soit aussi d'une efficacité certaine sur le terrain. Quand vous parlez de charte de la culture, pouvez-vous élaborer un peu plus qu'est-ce que vous entendez par ça et en quoi ça, ça pourrait emmener une protection efficace pour notre culture?

M. Paquette (Pierre): Je pense que, disons, l'approche qu'on a développée ? puis on n'est pas des spécialistes, loin de là ? rejoint exactement ce que la ministre de la Culture québécoise met de l'avant, c'est-à-dire qu'à partir de ce qu'on a compris ? puis j'ai eu l'occasion, moi, de rencontrer, entre autres, la Coalition sur la diversité ? beaucoup de monde pense qu'on n'a pas intérêt à intégrer. Je sais, on m'a dit que l'Union des artistes n'avait pas développé nécessairement cette position-là, mais, en fait, c'est ce que j'ai entendu; qu'on n'avait pas intérêt à mettre dans le cadre des accords commerciaux des dispositions qui touchaient la culture parce qu'on ne s'entend même pas sur la définition de culture. Par exemple, dans l'Accord de libre-échange nord-américain, la traduction anglaise de culture, c'est «mass entertainment». Alors, ce n'est pas tout à fait la même chose.

Alors donc, c'est une idée, là, qui nous semble en tout cas avoir été... qu'on a reprise. Donc, ça veut dire que, d'ici à ce qu'on soit capable de développer une charte universelle des droits à la diversité culturelle avec des organismes ou un organisme qui la fasse appliquer ? ça peut être l'UNESCO, mais on sait que l'UNESCO a ses problèmes aussi ? on devra utiliser l'exception culturelle, c'est-à-dire laisser toute la marge de manoeuvre aux États de pouvoir développer leur propre culture, la distribuer et puis la subventionner, etc.

Et puis la charte serait davantage positive en termes de droit au développement de la diversité culturelle. Et là, évidemment, ça touche, je dirais, différentes réalités. On sait que, quand on parle des Amériques, les nations autochtones, par exemple, ont des cultures qu'il faut protéger, mais qu'il faut développer même. Bon, il y a toute la conception même de la diversité culturelle ou de la société plurielle au plan culturel. Alors, sur le contenu de cette charte-là, j'avoue qu'on n'a pas beaucoup réfléchi, mais on est d'accord avec l'idée qu'il faut avoir un instrument à l'échelle internationale qui permet d'affirmer des droits sur lesquels on va construire cette diversité culturelle là. Et peut-être qu'à l'échelle des Amériques où il y a quand même un certaine homogénéité au plan culturel pour une bonne partie ? bon, si je mets de côté la question des nations autochtones, nous sommes presque tous des immigrants d'Europe pour la plupart, là, pour, disons, le tronc commun culturel, que ce soit Québécois, Canadiens, Latino-Américains ? même s'il y a des différences, il y a peut-être possibilité de bâtir un instrument qui pourra devenir un exemple à l'échelle internationale. Et on est en réaction un peu... Et ça, c'est dans les travaux qu'on a faits concernant le chantier sur la mondialisation puis M. Parizeau d'ailleurs nous a alertés là-dessus. Beaucoup de monde veut transférer à l'OMC un paquet de problèmes qui ne sont pas du ressort de l'OMC et pour lesquels les ministres ou les responsables concernés n'ont pas d'expertise, la culture en étant une. Donc, c'est un peu l'état de notre réflexion.

M. Dion: Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Merci, M. le Président. Permettez-moi à mon tour de souhaiter la bienvenue à des collègues de la Chambre des communes. M. Tremblay, j'ai l'impression qu'on ne devrait pas... Ce n'est pas nécessaire qu'on attache nos chaises, non?

Une voix: ...un peu plus lourde.

M. Sirros: Non, hein. Elles sont plus lourdes ici, effectivement. Bien, je disais l'autre jour, quand vos pendants québécois au niveau du Parti québécois étaient ici, que je trouvais ça toujours un peu cocasse de voir une discussion entre cousins dans ce cas-ci, entre frères, hier ou avant-hier. Et, bon, pour plusieurs des choses que vous avez dites, je pense que le contraire de ce qu'on a entendu nous aurait surpris. Donc, je ne relèverai pas les questions sur la souveraineté, puis tout ça. Je pense que c'est un débat qu'on a déjà fait puis ça a été tranché. Ça serait peut-être intéressant qu'on puisse progresser puis qu'on puisse vivre la réalité dans laquelle on est de façon honnête, sincère et correcte. Donc, je ne relèverai pas des flèches qui sont lancées au premier ministre canadien. On a chacun nos façons d'interpréter ça puis on peut tous donner l'interprétation qu'on veut donner à des réponses, par exemple, sur la COPA, etc.

Maintenant, il me semble qu'une des choses ? et vous avez dit que vous faites vôtres les commentaires de plusieurs des syndicats qui vous ont précédés ? un des enjeux qui sort beaucoup sur la question de la ZLEA, c'est la question de la souveraineté des États vis-à-vis des corporations puis les investissements. On nous réfère souvent au chapitre XI où il y a la possibilité pour des compagnies de porter grief contre des lois. Vous avez mentionné vous-même un exemple d'un grief récent qui a été porté et, du même coup, vous vous dites favorable à la création d'une zone de libre-échange. Comment vous traitez cette question-là dans la question de la ZLEA?

n(14 h 50)n

M. Paquette (Pierre): La question, c'est l'équivalent du chapitre XI.

M. Sirros: La question de ce que les investisseurs appellent la «concurrence loyale» et leur possibilité d'intenter des poursuites contre les gouvernements qui adoptent des règlements qui diminuent leurs profits ou empêchent leurs profits. Ils le font en vertu du chapitre XI de l'ALENA actuellement et, comme on n'a pas les textes ? et, sur ça, je pense qu'on est tous d'accord que ça serait intéressant qu'on puisse savoir de quoi tout le monde parle ? on suppose tous que c'est le même principe qui va se retrouver dans la ZLEA. Et j'aimerais avoir un peu le son de cloche du Bloc sur cette question-là.

M. Paquette (Pierre): Peut-être que Richard pourra développer plus, mais il est clair pour moi que c'est peut-être un des problèmes de l'Accord de libre-échange nord-américain que ce chapitre XI, qu'on a d'ailleurs traduit excessivement dans l'Accord multilatéral sur l'investissement. C'est-à-dire qu'il faut trouver un équilibre entre justement la souveraineté des États, l'espace économique qui dépasse l'État-nation. Donc, ça appelle à, je dirais, l'organisation d'instances supranationales où il y aura un fonctionnement démocratique.

Et la judiciarisation qui accompagne l'Accord de libre-échange nord-américain, à mon avis, est un problème, est un excès. Et je pense que beaucoup de pays, en particulier des pays latino-américains, ne sont pas d'accord avec la conception qu'on retrouve au chapitre XI de l'Accord de libre-échange nord-américain. Et je pense que c'est un débat qu'on doit faire effectivement parce que des États peuvent prendre des...

On a tout le débat, par exemple, sur les organismes génétiquement modifiés qui posent cette question-là. La conception même de ce qu'est une ? voyons, comment est-ce qu'on appelle ça? ? expropriation est en cause parce qu'on sait que l'Accord multilatéral sur l'investissement donnait les droits aux entreprises, aux multinationales, de poursuivre un gouvernement pour des profits qu'elles auraient pu faire sur un procédé qui serait interdit pour des raisons environnementales ou des raisons liées à des choix politiques.

Alors donc, moi, je dis que ? et je ne pense pas que le Bloc québécois ait une position particulière, mais peut-être que Richard pourra me corriger ? ça fait partie du débat de l'équilibre entre les droits des États, je dirais les droits aussi des entreprises, les droits des peuples, et cet équilibre-là n'est pas toujours, disons, évident avec l'Accord de libre-échange nord-américain, qui donne énormément de droits aux entreprises face aux États. Je ne sais pas, Richard...

M. Marceau (Richard): C'est correct.

M. Sirros: Justement, je pense que l'idée initiale du chapitre XI, le principe en tout cas, c'était de donner une certaine protection aux entreprises vis-à-vis des expropriations et il y en a plusieurs qui essaient d'élargir le sens d'«expropriation» puis l'amener à vouloir dire «l'adoption de tout règlement ou toute loi qui empêche des profits».

Je viens de prendre connaissance d'un projet d'interprétation de la Commission du libre-échange sur la question du chapitre XI et, en le lisant, je me dis: Si tout le monde s'entend pour que ce soit comme ça, moi, je pense que plusieurs des craintes qui ont été exprimées diminuent beaucoup, beaucoup parce que, finalement, on dit: La Commission se met d'accord pour affirmer que l'ALENA ne doit pas créer de nouvelles formes d'expropriation, qu'il s'agit strictement des questions d'expropriation faites pour le gouvernement de s'approprier des droits de propriété pour son propre usage ou avantage ou pour... Et, finalement, ça vient encadrer, dans le sens qu'on entend tous, la notion d'«expropriation», de façon générale.

Je ne sais pas si vous êtes au courant de ce projet d'interprétation de la Commission, sinon je pense que ça serait intéressant que vous en preniez connaissance comme la plupart des autres groupes qui nous ont parlé de cette question-là. Parce que, si je le place dans ce contexte-là, je me dis: Bon, on réaffirme le droit des gouvernements d'adopter des lois et des règlements pour la santé, pour le bien-être, pour l'environnement, etc., et on dit qu'on ne peut pas utiliser ces règlements comme des excuses de la part des compagnies pour des poursuites basées sur... ceci étant une autre forme d'expropriation. Donc, on vient d'encadrer ça. Si c'est ça, je pense qu'on aurait pas mal réglé cette question-là.

M. Marceau (Richard): D'abord, comme Pierre le disait... Pour reprendre ce que vous avez dit tout à l'heure, si tout le monde s'entend, c'est un gros «si» pour avoir, comme je vous l'ai dit... Ce n'est pas évident, un, première des choses. Deuxième des choses, l'intégrer à une entente couvrant 34 pays de traditions juridiques différentes, le terme «expropriation» n'étant pas nécessairement la même chose en «common law» qu'en droit civil français ou d'origine française comme au Québec...

M. Sirros: Je vous parle du document de la Commission du libre-échange, l'instrument qui est créé par l'ALENA, qui met sur papier ce qu'eux autres considèrent être l'interprétation du chapitre XI. Alors, peut-être que je pourrais vous le faire parvenir ou...

M. Marceau (Richard): Non, non, mais on l'a, bien entendu. Ceci étant dit, comme je disais, dans le cadre de l'ALENA, tout ce qui touche la Zone de libre-échange des Amériques ne prendra pas... Il y a quelqu'un ? c'était une introduction tantôt ? qui a laissé entendre que ce qui est l'ALENA finalement va simplement s'étendre au 31 autres pays. Je peux vous dire que ce ne sera pas le cas; ça pourra servir peut-être de base, je pense que l'ALENA sert de base de discussion.

Mais, ceci étant dit, il y a beaucoup d'inquiétudes des pays latino-américains et, je dirais, en particulier, du Brésil. Le Brésil n'est pas un chaud, chaud partisan de la ZLEA, on l'a vu à Toronto. Et une des raisons qui, je dirais, chatouillaient sa nervosité était tout ce qui touche le chapitre XI. Alors, même avec les encadrements ou les interprétations telles que données par la Commission du libre-échange, je ne suis pas convaincu que d'autres pays voudront avoir l'équivalent du chapitre XI, même balisé à l'intérieur de ZLEA.

M. Paquette (Pierre): Mais on va prendre connaissance de l'avis. Moi, je ne le connaissais pas. Alors, merci de nous en informer.

M. Sirros: Oui, en tout cas, moi, ça me semble baliser pas mal les craintes qui ont été exprimées. Il reste peut-être encore de la place pour de l'interprétation juridique, mais il me semble qu'il y a quand même des balises intéressantes qui répondent à beaucoup des arguments qui ont été mis de l'avant, en tout cas les trois derniers jours.

L'autre chose, c'est la place, dans une entente éventuelle, des normes environnementales et du travail. Ce que nous avons actuellement, c'est des ententes parallèles qui ont été négociées suite à la négociation de l'ALENA. Et ce qu'on entend encore depuis trois jours de la part tant évidemment des groupes du côté syndical ou social mais également du côté du patronat, c'est leur désir et leur volonté de voir ces ententes-là, ces normes-là incluses dans le cadre de l'Accord.

Donc, il me semble qu'il y a là un autre pas en avant intéressant qui est fait. Il s'agit de voir qu'est-ce qu'on va mettre dedans maintenant et quel instrument on va se donner pour s'assurer de leur applicabilité. Mais il me semble que tout le monde commence à ramer dans la même direction, dans ce sens-là.

M. Marceau (Richard): Je n'en suis pas surpris venant des travaux de ce comité-là, Je dois vous dire M. Sirros, et ce n'est pas une question de partisanerie politique, vous vérifierez les bleus du comité lui-même, lorsque Pierre Pettigrew est venu présenter sa réponse au rapport auquel M. le Président faisait référence au tout début, il disait: Il est hors de question que les ministres du Commerce international se mêlent de tout et qu'ils s'occupent d'environnement et de droits sociaux. Et je trouvais ça, moi personnellement, ironique venant d'un parti qui prônait dans l'ALENA l'inclusion de droits sociaux et environnementaux. Alors, j'ai été un petit peu surpris et je lui ai dit. Il a été un petit peu, je dirais, mis hors d'équilibre par ça.

Ceci étant dit, je pense et je souhaite fortement que votre comité accouche d'un rapport qui ira dans le sens que vous avez mentionné et que ce rapport sera transmis au gouvernement fédéral qui hésite beaucoup à insérer ce genre de clause là en disant: On ne peut imposer à des pays en voie de développement les normes nord-américaines environnementales et de droits sociaux. Et ce qu'on répondait, on disait: Non, non, ce n'est pas ça qu'on veut. Par exemple, le droit au salaire minimum, on ne veut pas que le salaire minimum soit partout le même à travers les Amériques, il n'est même pas le même à travers le Canada.

n(15 heures)n

Ceci étant dit, les États se sont engagés, par exemple à travers l'OIT, à certaines conventions et je crois que ces conventions-là devraient être incluses dans tout accord de la ZLEA pour faire en sorte qu'il y ait un respect des ententes prises à l'OIT qui, malheureusement, est un organisme qui n'a pas assez de dents. Alors, judiciarisons ça, faisons en sorte que le côté du travail et environnemental ait autant de dents que le côté, je dirais, strictement commercial de l'Accord. Et, si votre commission accouche de quelque chose comme ça, je vous en saurai fort gré. Et vous qui parliez de cousinage tout à l'heure, j'espère que vous le ferez, montrerez et vous plaiderez cette cause-là devant vos cousins libéraux fédéraux.

M. Sirros: On a fait du progrès: ils ne sont plus nos grands frères, ils sont nos cousins. C'est parfait.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il y a deux autres de vos collègues qui ont souhaité pouvoir intervenir, M. le député.

M. Sirros: Ah bon, d'accord, M. le Président, on va leur laisser la place.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Très bien. Mme la députée de La Pinière.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup, M. le Président. Je vais être brève, pour partager le temps avec mon collègue. Vous soulevez évidemment la question de l'enjeu culturel dans le cadre de la Zone de libre-échange des Amériques, et vous avez raison, surtout lorsqu'on se réfère au cas du Québec où on a besoin de promouvoir et de protéger la culture québécoise.

Mais, par ailleurs, la notion d'«exception culturelle», sur une échelle beaucoup plus grande, à l'échelle mondiale, prend une signification différente, qui est celle qui amène certains pays à vouloir maintenir des valeurs, des traditions, des pratiques qui sont antidémocratiques dans certains cas, parfois des violations des droits de la personne, carrément, au nom de la diversité culturelle, au nom de l'exception culturelle. Je sais que vous participez à des échanges, vos parlementaires participent aussi à des rencontres internationales, est-ce que vous vous êtes fait une idée sur ça? Et comment on peut contrecarrer ces effets pervers de l'interprétation que l'on donne à la diversité culturelle?

Une voix: C'est embêtant.

M. Paquette (Pierre): Moi, je pense qu'on a les instruments, au plan international, pour baliser ce genre de débat là. Il y a une charte, une Déclaration universelle des droits de l'homme, on doit se baser là-dessus. C'est clair qu'au nom de la diversité culturelle on ne peut pas faire n'importe quoi, de même que, je dirais, au Québec, avec la liberté d'association ? il y a un gros débat actuellement ? on ne peut pas non plus se servir de la liberté d'association pour faire n'importe quoi aussi, la liberté religieuse, exactement la même chose. Alors, je suis d'accord avec vous qu'il faut que ça soit balisé, mais on a des instruments. Au plan environnemental, il y a aussi, à l'ONU, des instances qui travaillent sur ces choses-là, qui devraient être davantage sollicitées par les négociateurs de ces accords internationaux ou continentaux. Même chose pour ce qui est de l'OIT. L'OIT a fait une proposition ? l'Organisation internationale du travail ? à l'OMC pour un comité conjoint. Il y a beaucoup de résistance de la part des gens de l'OMC, alors qu'il y a une expertise, à l'OIT, qui pourrait être extrêmement utile pour, je dirais, débloquer ces débats-là.

Mme Houda-Pepin: Mais j'attire votre attention sur cet aspect de la chose, parce que nous avons eu hier M. Warren Allmand, un ancien député, qui actuellement est dans un organisme, Droits et Démocratie, et qui nous a sensibilisés de façon très, très particulière à cette dimension-là, et qui nous a dit que, dans certains contextes, les gens évoquent même la pratique de la torture au nom de la diversité culturelle et de l'exception culturelle. Donc, je pense que vous êtes interpellés pour élargir un peu votre réflexion. Et, lorsque vous parlez à des homologues parlementaires des autres pays, il faut savoir que ces valeurs de la Charte, notamment, de la Charte des droits, chez nous, et de la Déclaration universelle des droits de l'homme, que ces valeurs-là vont toujours prévaloir.

Ceci étant, ma petite question en rapport avec votre recommandation n° 1, que je trouve très intéressante, vous êtes le seul groupe à avoir amené ça. Vous recommandez au gouvernement du Québec de se faire le promoteur d'un fonds d'aide financière pour aider les organismes non gouvernementaux, les représentants de la société civile des pays du Sud à faire entendre leurs voix. Parce que voyez-vous, chez nous, on est au Parlement, on reçoit les groupes, les gens peuvent s'exprimer démocratiquement, on sait très bien que ce n'est pas la même chose dans les pays du Sud, notamment en Amérique latine. Alors, je trouve cette idée très intéressante. Il existe déjà au ministère des Relations internationales du Québec un fonds d'aide, qui est très, très symbolique, je dois dire. Mais comment est-ce que vous voyez ça, là? Pourriez-vous élaborer davantage, là-dessus?

M. Tremblay (Stéphan): Le mécanisme... Bien, je laisserai Pierre parler, parce qu'il est allé à San Diego, et tu as peut-être une meilleure opinion du fonds. Parce que là, vous nous parlez de la mécanique, du comment nous financerions ce... et qui serait...

Mme Houda-Pepin: C'est ça, exactement.

M. Tremblay (Stéphan): Parce que c'est clair que, si on a des sommes d'argent en main et qu'on dit: Bon, bien qui décide-t-on de subventionner ou de financer? Bien, ça ne sera certainement pas tous les groupes. Donc, est-ce qu'il y aura un encadrement? Par exemple, bon, l'Alliance sociale continentale, qui est à peu près partout en Amérique. Bon, moi, je crois qu'il y a certainement un encadrement ou des balises qu'il faudrait émettre. Mais, encore là, est-ce qu'on est en train de freiner l'expression? C'est une très bonne question. C'est clair que des lieux de débats où ces instances... Peut-être que, si les lieux de débat se transportent sur leur terrain pour faciliter à ces instances-là de s'exprimer... est une chose, mais de financer... Je laisserai le soin à Pierre de peut-être complémenter.

M. Paquette (Pierre): Bien, d'abord, on sait qu'il y a déjà un forum des hommes d'affaires ou des milieux d'affaires qui est reconnu par, disons, le forum des chefs d'État. Alors, il va falloir nécessairement ? puis c'est la position qu'on développe ? qu'il y ait une reconnaissance d'un pendant pour ce qui est des mouvements sociaux. Il y a quelque chose qui existe, qui regroupe à la fois les syndicats, les mouvements populaires de femmes, les organismes de coopération internationale, etc., c'est l'Alliance continentale. Il me semble qu'il doit y avoir une concertation des États. Moi, je voyais ça davantage comme étant une espèce de fonds continental qui pourrait être géré par des ONG, par exemple, pour aider des organismes membres de l'Alliance continentale à préparer leurs choses. Mais je dois dire qu'il y a énormément d'efforts qui ont été fournis par les pays du Sud, probablement plus même que par nos pays.

J'ai eu l'occasion d'aller à la première rencontre, à Belo Horizonte, de l'ensemble des groupes sociaux. Bien, le gouvernement brésilien avait mis à notre disposition énormément de ressources. C'est un grand pays, c'est un pays qui est quand même relativement riche. Quand on est allé au Chili, c'était la même chose. Alors, je pense qu'ici même, quand ce sera à Québec, il y aura aussi des facilités qui seront rendues disponibles par le gouvernement du Québec comme par le gouvernement fédéral.

Donc, je pense que c'est davantage pour la préparation de ces rencontres-là, où chacun, je dirais, des forums a ses propres règles pour les délégations, qu'on devrait penser à des moyens d'aider les organismes des pays du Sud à bien se préparer. Ils sont actuellement très dépendants de la bonne volonté des organisations du Nord, je peux vous le dire. Je sais que les centrales syndicales québécoises font un effort particulier et que le CTC le fait aussi, Common Frontiers au Canada anglais. Ici, il y a l'AQOCI qui travaille très fort. Mais ça demeure toujours qu'il y a une inégalité de moyens effectivement et que, particulièrement du côté des organismes américains, il y a une segmentation, qui n'existe pas en tout cas au Québec, qui fait en sorte qu'il y a certains groupes qui peuvent facilement favoriser un type de débat en finançant des organismes particuliers dans les pays du Sud parce qu'ils n'ont pas les moyens, sur leurs propres bases, de se présenter à ces forums-là.

Alors, ça mérite une réflexion, mais on a ici le réseau québécois qui pourrait nous alimenter ? il y a l'AQOCI qui pourrait le faire aussi ? sur les moyens de s'assurer que cet argent est là. Je rappelle, peut-être en proportion des PIB, il faudrait que l'ensemble des 34 pays fournissent, à la mesure de leurs moyens, dans ce fonds-là. On pourrait imaginer peut-être que la taxe Tobin pourrait être appliquée pour financer ce premier fonds. En fait, il y a toute sorte de formules qui peuvent être imaginées, puis je suis convaincu qu'au Québec on a du monde qui est capable de vous aider peut-être plus que nous, là, aujourd'hui.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de LaFontaine, il nous reste un peu de temps pour vous permettre une question.

M. Gobé: Merci, M. le Président. J'apprécie votre courtoisie pour me donner ce temps. M. Paquette, M. le collègue député au Parlement fédéral. M. Paquette, vos antécédents dans une centrale syndicale importante au Québec ? pour ne pas la nommer ? et vos connaissances dans le milieu du travail font en sorte que j'aimerais peut-être avoir votre opinion et vos commentaires sur au moins un passage de votre mémoire. Vous recommandez que les clauses sociales apparaissant «fassent directement référence à l'obligation, pour les États, de respecter les règles contenues dans les sept conventions [...] de l'OIT». J'en suis avec vous. On parle alors en général de codes du travail, de relations de travail, de lois du travail.

En même temps, un peu plus loin, à la page 12 de votre mémoire, vous nous mentionnez... Peut-être que, si vous me permettez, M. le Président, je peux lire ce cours passage. Vous dites: «Avec la nouvelle architecture mondiale, des ordres juridiques extérieurs au cadre constitutionnel canadien viennent limiter la marge de manoeuvre des provinces et sanctionner les actions pourtant pleinement compatibles avec les compétences constitutionnelles des provinces.»

On sait que les codes du travail au Canada, ça appartient aux provinces. Le Code du travail fédéral ne couvre qu'un certain nombre d'employés, 275 000, ou quelque chose comme ça, qui sont où? Dans la fonction publique fédérale ou dans des entreprises de commerce interprovincial ou de certains secteurs qui ont compétence fédérale.

n(15 h 10)n

Alors, où je m'interroge, c'est un peu sur la contradiction. C'est parce que je ne vois pas, dans votre mémoire, cette dimension qui ferait relever de faire en sorte qu'un État comme l'État canadien ne pourrait pas adopter et mettre en vigueur des accords qui toucheraient les conventions de l'OIT, alors que le Québec, par son Assemblée nationale législative, ne les voterait pas pour les inclure dans son Code du travail ou les rendre compatibles avec les lois du travail québécoises.

Alors, pourquoi votre crainte, là? Est-ce que c'est une crainte purement politique à l'avant-veille de quelque élection ou simplement c'est parce que vous n'avez pas vu cette dimension-là que, pour mettre en vigueur quelque entente que ce soit en ce qui concerne les lois du travail en particulier au Québec, bien, il faut que ce soit dans le Code du travail ou dans les lois du travail, la loi sur les normes minimales au Québec?

M. Paquette (Pierre): C'est pour ça qu'on demande que le Québec soit associé aux différentes négociations au plan international sur ces aspects-là. Ceci dit, c'est un problème de toutes les fédérations. Leur collègue ? parce que ce n'est pas le mien ? Stéphane Dion, a organisé d'ailleurs un Forum des fédérations l'année dernière, au Mont-Tremblant, exactement sur cette question-là. C'est-à-dire que la mondialisation pose des défis aux fédérations qui sont reconnues comme des entités souveraines en totalité, alors que les compétences peuvent être partagées entre différents paliers de gouvernement. Alors, ce n'est pas simplement la Fédération canadienne qui connaît, je dirais, un défi, dans notre cas à nous, supplémentaire en termes de fonctionnement. Toutes les fédérations se questionnent sur cette question-là.

Et, d'ailleurs, dans l'Accord de libre-échange nord-américain ? puis le document de consultation le rappelle ? il y a une clause qui dit que l'État qui est signataire doit prendre les moyens, disons, à sa disposition pour faire respecter l'entente par les autres juridictions, qu'elles soient provinciales ou locales. La même chose se retrouve à l'OMC aussi. C'est l'article 24 qui dit que les États doivent prendre les moyens.

Alors, on est devant une difficulté. Et là on pourrait rentrer dans le débat de la souveraineté. À mon avis, c'est une des choses qui rend encore plus urgente la souveraineté du Québec. Il faut que le Québec soit là comme petit État souverain pour faire valoir, avec d'autres États qui ont les mêmes intérêts que lui, un certain nombre de préoccupations d'économie de petite taille. On en parle d'ailleurs dans la Zone de libre-échange.

Et il y a une dynamique au Canada, entre autres autour de l'entente-cadre sur l'union sociale, où le gouvernement fédéral est en train de se donner les moyens de façonner les programmes sociaux en particulier, mais probablement demain aussi, des éléments qui touchent le travail, pour être capable de rencontrer ses obligations, les obligations qu'il a signées en notre nom dans les ententes internationales.

Tout le débat auquel M. Sirros faisait référence, il se retrouve avec la continentalisation, la mondialisation, avec une nouvelle toile de fond qui rend, je dirais, les choses encore plus concrètes en termes de dynamique politique. Et, moi, il me semble que, dans le reste du Canada, les gens sont beaucoup moins mal à l'aise de voir le gouvernement fédéral parler en leur nom que le sont les Québécois et les Québécoises sur ces questions.

M. Gobé: ...que, en ce qui concerne les lois du travail, le gouvernement fédéral ne peut pas parler en notre nom parce que, comme je vous le répète, les lois qui régissent l'organisation du travail au Québec sont de juridiction québécoise uniquement, hormis les entreprises qui sont assujetties au Code du travail, et que, quand même le gouvernement fédéral signe ou participe à des ententes à l'OIT ou au BIT en Europe, il faut, pour qu'elles aient force de loi et d'application au Québec, qu'elles soient ratifiées par ce Parlement qui est souverain. Alors, je ne vois pas en quoi cela pourrait, d'après moi, enlever ou rabaisser l'intérêt des Québécois.

Il me semble que le gouvernement fédéral aurait intérêt, à ce moment-là, s'il veut que ces ententes qu'il peut ratifier soient appliquées dans les États provinciaux ou dans la province ? en tout cas, appelons ça, pour faire plaisir un peu à chacun d'entre nous ici, on n'est pas là pour se tirer les cheveux ? eh bien, qu'il obtienne auparavant l'accord de chacune de ces législations ou gouvernements provinciaux pour être certain que ça va être voté dans les provinces, comme la loi sur l'ALENA.

Avant d'adopter l'ALENA, avant de signer, que ça entre en force, eh bien, il a fallu que, aussi à l'Assemblée nationale du Québec ? et je m'en souviens ? nous ayons un débat très large d'ailleurs, auquel tous les partis politiques ont participé, y compris le chef de l'opposition de l'époque, qui était M. Jacques Parizeau. Et nous avons voté une loi, une loi qui faisait en sorte que l'ALENA, les lois du Québec allaient être compatibles avec ce qui était pour être voté par l'État fédéral.

Alors, c'est la même chose dans cette chose-là, et je ne vois pas là de baisse de compétences ou de juridiction politique québécoise. Il va falloir que le gouvernement fédéral passe par nous s'il veut que ça ait force de loi, sinon ce serait un accord, une coquille vide. Il va le signer pour lui et sa fonction publique, hein. On parle pour le Code du travail, là, puis pour ses entreprises.

M. Marceau (Richard): Mais ça va plus loin que ça, M. Gobé.

M. Gobé: Alors, il faut faire attention de ne pas vouloir non plus mettre ça dans un cadre tellement partisan qu'à la fin on finit par perdre de vue l'essentiel.

M. Marceau (Richard): Mais, M. Gobé, si le gouvernement fédéral décidait de signer une entente qui touche le travail, qui, normalement, est de juridiction provinciale...

M. Gobé: ...juridiction provinciale.

M. Marceau (Richard): ...qui est de juridiction provinciale et qu'il signe cette entente, par exemple, dans le cas de l'OMC, et qu'il a l'obligation de par l'article 24 de faire respecter cette entente, il pourrait être poursuivi devant un tribunal de l'OMC et pourrait être obligé ? oui, il pourrait être obligé ? de dédommager l'autre État. Alors, d'où l'importance ? et on en revient pour ça sans aller sur... si on peut laisser tomber tout le côté de la souveraineté ? pour nous que le Québec, dans le cadre de la Fédération actuelle, soit présent là pour éviter cette situation-là. Si d'autres provinces veulent le faire, elles pourraient éventuellement le demander, mais il y a danger à l'heure actuelle que le gouvernement fédéral s'engage à faire quelque chose hors de ses compétences et il pourrait être demandé de dédommager un autre État devant un tribunal international. Alors, moi, je trouve ça un peu particulier.

M. Gobé: Je comprends là votre intérêt de député fédéral de vouloir défendre le fédéral contre des poursuites éventuelles. Mais, moi, comme député du Québec, je vais vous dire que je suis assuré que la Constitution, actuellement, on ne pourra pas nous imposer de lois qui seraient signées par le fédéral sans l'accord de l'Assemblée nationale du Québec. C'est ça que je veux dire.

M. Marceau (Richard): Oui, oui.

M. Gobé: Maintenant, s'il est poursuivi parce qu'il a signé des trucs ou des choses sans faire le consensus avec ses provinces, c'est une autre histoire. Et, vous, comme député fédéral, vous verrez à ce moment-là à dénoncer ça. Mais, moi, comme député provincial, je dois vous dire qu'actuellement la Constitution nous garantit qu'on ne pourra pas nous imposer des accords qui seraient signés sans notre consentement du Québec, en particulier dans les lois du travail.

M. Marceau (Richard): Mais, moi, je...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Étant donné le temps qui, malheureusement, est déjà largement dépassé, je vous laisserais, M. Paquette, conclure brièvement.

M. Paquette (Pierre): Bien, moi, je rappelle que l'accord de coopération sur le travail a été signé par le gouvernement fédéral. Ça a pris sept provinces avant qu'il soit mis en application. Mais on pourrait se trouver devant des situations, comme ça a été le cas dans le conflit des magazines ou sur des questions culturelles de compétence québécoise ou provinciale, où on met des secteurs industriels en concurrence les uns avec les autres. Et c'est les opinions publiques qui vont faire des pressions à ce moment-là sur les différentes juridictions.

Il ne faut pas non plus tomber dans la naïveté. Dans le cas du travail, ça ne faisait pas l'affaire du gouvernement fédéral, l'accord parallèle, parce que c'est M. Clinton qui l'a imposé. Le gouvernement fédéral n'avait pas une vision de développement des droits du travail très fort à cette époque-là ? espérons que ça se corrigera ? donc, il s'est un peu traîné les pieds.

Par contre, dans des sphères plus stratégiques pour lui ? et la culture va devenir, comme les services publics d'ailleurs, des enjeux stratégiques de la prochaine ronde de négociations à l'OMC et de la négociation de la Zone de libre-échange des Amériques ? vous allez voir les pressions qu'on va subir, même si c'est sur les compétences du Québec. Et j'espère que l'ensemble des parlementaires du Québec, tous partis confondus, seront extrêmement vigilants pour défendre ces compétences-là dans l'intérêt des Québécois et des Québécoises.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il me reste à remercier...

M. Gobé: ...du Québec...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de LaFontaine, je pense qu'on a bien couvert le sujet.

M. Gobé: ...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il me reste donc à remercier les représentants du Bloc québécois, M. Pierre Paquette, vice-président, M. Richard Marceau, député de Charlesbourg, et Stéphan Tremblay, député de Lac-Saint-Jean, pour leur contribution à nos travaux.

Étant donné l'heure, j'en appellerais à la collaboration des collègues pour qu'on permette aux représentants de la Chambre des notaires du Québec de s'avancer, prendre place afin de poursuivre nos travaux.

(Changement d'organisme)

Je rappelle que la commission des institutions est réunie afin de procéder à une consultation générale et tenir des auditions publiques dans le cadre du mandat sur les impacts du projet de Zone de libre-échange des Amériques et que nous avons le plaisir de recevoir les représentants de la Chambre des notaires, et notamment Me Denis Marsolais, président, accompagné de Me Julie Loranger, juriste, Direction du développement de la profession.

Alors, Me Marsolais, vous connaissez la formule: une heure ensemble, on vous laisse 20 minutes pour la présentation de votre mémoire, et nous procédons ensuite aux échanges. Vous avez la parole. Et je vous signale que votre collègue, le député de Dubuc, est déjà prêt pour une question. Mais enfin, on va vous laisser exposer votre point. Ha, ha, ha!

M. Marsolais (Denis): Puis je vous jure qu'il ne me l'a pas mentionné avant.

n(15 h 20)n

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Alors, vous avez la parole.

Chambre des notaires du Québec (CNQ)

M. Marsolais (Denis): Merci. Alors, M. le Président de la commission des institutions, Mmes et MM. les membres de la commission, c'est toujours avec plaisir que je participe aux travaux de la commission afin de vous faire part des réflexions de la Chambre des notaires du Québec.

Je suis aujourd'hui accompagné de Me Julie Loranger, juriste à la Chambre des notaires, qui se fera un plaisir de répondre à vos questions évidemment lors de la période des questions.

Le document de consultation préparé par la commission des institutions sur le Québec et la Zone de libre-échange des Amériques a retenu l'attention de la Chambre des notaires en raison de l'importance des sujets traités. Nous n'avons certes pas la prétention d'être des experts en matière de choix socioéconomiques. Cependant, nous considérons qu'il est de notre responsabilité, en notre qualité d'institution publique, de participer à cet effort collectif de réflexion, car cet accord est susceptible, selon nous, d'influencer la vie des citoyens d'une manière significative.

La Chambre des notaires du Québec tient à féliciter la commission des institutions d'offrir un forum de discussion aux différents intervenants de la société civile sur un sujet aussi important. La population québécoise a parfois l'impression, en effet, que la signature de l'ALENA était un chèque en blanc au gouvernement fédéral pour conclure tout autre accord du même type. Et, dans le cadre des discussions relatives à la mondialisation, ce sont essentiellement les gouvernements centraux, les grandes entreprises et les organisations internationales qui se font entendre. Nous appuyons donc pleinement les efforts du gouvernement du Québec pour se tailler une place dans le processus de négociations qui s'annonce.

Je tiens à souligner l'excellent travail réalisé dans la préparation du document de consultation. Celui-ci résume bien les grandes questions devant faire l'objet d'un débat. Pour notre part, nous avons examiné le document de consultation sous deux aspects. Tout d'abord, il nous apparaît utile d'appuyer certains éléments ou constats qui commandent la vigilance du gouvernement québécois. Celui-ci doit, en effet, rester vigilant dans l'exercice de son rôle de protecteur des intérêts de la société civile dans le cadre des négociations de cet Accord de libre-échange. Nous avons ensuite examiné le projet sous l'angle du notariat pour déterminer les possibilités qu'offre la Zone de libre-échange aux notaires du Québec.

Vous comprendrez que nous n'étions pas en mesure de commenter toutes les questions soulevées par la commission. Cependant, certaines d'entre elles ont retenu plus particulièrement notre attention. Compte tenu du temps qui m'est alloué, je vous résumerai l'essentiel de nos propos sur ces questions.

En ce qui a trait au projet de la ZLEA dans son ensemble, nous nous sommes attardés à trois facteurs. Premièrement, l'identification des bénéficiaires de l'ALENA, deuxièmement, l'importance de la cohérence avec d'autres initiatives existantes et, finalement, l'absence d'interlocuteurs dans le processus de négociations. Nous aurions aimé partir du bilan de l'Accord de libre-échange américain pour déterminer qui étaient les gagnants et les bénéficiaires de cet Accord. Cependant, cela nous a été impossible. En effet, même les experts ne s'entendent pas à savoir si l'ALENA a été bénéfique pour le Canada et plus particulièrement pour le Québec. La bataille de chiffres est difficile à suivre, et les experts tirent parfois des mêmes chiffres des conclusions totalement opposées.

Prenons, par exemple, le taux d'investissement des Américains au Canada. Pour certains, ce taux d'investissement est très satisfaisant. D'autres font ressortir que la presque totalité de ces investissements s'est traduite par des acquisitions pures et simples d'entreprises canadiennes. Certains ont donc l'impression que les seuls gagnants du libre-échange sont les grandes entreprises et les investisseurs de capitaux. Or, à notre avis, il est essentiel que le gouvernement du Québec soit vigilant afin de s'assurer que ces accords commerciaux bénéficient également aux individus et aux PME.

Les autorités politiques doivent également assurer la cohérence entre l'Accord visant la Zone de libre-échange des Amériques et les différents accords existant déjà entre les États concernés. La cohérence doit également s'étendre aux multiples projets et ententes adoptés parallèlement par des organismes nationaux. Il s'agit là d'un facteur primordial pour assurer le succès et surtout la viabilité d'un tel projet.

Pour illustrer notre préoccupation, posons-nous la question suivante: Quel sera l'impact des 26 disciplines adoptées par l'Organisation mondiale du commerce sur les services comptables qui, selon l'OMC, lient ses quelque 132 pays membres? Ces disciplines sont des règles de conduite. Elles ont pour but d'assurer que les normes techniques et les prescriptions requises par un État en matière de licence ne constituent pas des obstacles non nécessaires au commerce des services. Cet accord a été négocié par Industrie Canada dans le cadre de l'accord général sur le commerce des services.

Industrie Canada a laissé entendre qu'elle examinait la possibilité d'étendre son mandat pour se pencher sur d'autres professions. La Fédération des ordres professionnels des juristes du Canada recueille actuellement les commentaires de ses membres sur la pertinence d'adopter des règles similaires pour les professions juridiques. Ces règles, éventuellement, devront tenir compte de l'entente conclue par les organisations professionnelles compétentes pour le Canada, le Mexique et les États-Unis d'Amérique. Ces organismes se sont en effet entendus sur des recommandations communes et un règlement type concernant les conseillers juridiques étrangers en vertu de l'ALENA. Depuis la signature de cette entente, vous le savez, un notaire ou un avocat étranger peut obtenir un permis d'exercice dans les provinces suivantes: Colombie-Britannique, l'Alberta, Saskatchewan, Manitoba, Ontario, Nouvelle-Écosse, Île-du-Prince-Édouard et, finalement, Terre-Neuve.

Nous reconnaissons la volonté du gouvernement de permettre au Québec de bénéficier de la mondialisation. Dans un même souci de cohérence, cette volonté doit se traduire par un appui des initiatives ayant comme objectif de permettre aux Québécois de se retrouver à forces égales avec les concurrents extérieurs. Une bonne illustration de ce principe est le projet visant à permettre aux professionnels d'exercer leur profession en société par actions. Cette mesure permettra à nos professionnels de faire face, notaires et avocats confondus, notamment à la concurrence américaine. Croyez bien que nous ne voulons pas minimiser l'importance de la Zone de libre-échange des Amériques. Cependant, toujours en matière de cohérence, nous croyons que des efforts supplémentaires devraient être faits pour améliorer le commerce interprovincial, par exemple, avec l'Ontario.

Par ailleurs, la Chambre des notaires est aussi préoccupée par l'absence d'interlocuteurs pour répondre aux inquiétudes et commentaires des membres de la société civile. La rencontre de Windsor illustre malheureusement bien cette situation. L'Organisation des États américains avait, dans le cadre de cette rencontre, invité les organisations non gouvernementales à rencontrer les différents ministres des Affaires étrangères et le secrétaire général de l'organisme. Cette réunion fut boudée par tous les ministres des Affaires étrangères, à l'exception de celui du Canada. Cet exercice a semblé futile aux participants qui ont à tour de rôle fait part de leurs objectifs et de leurs préoccupations mais, malheureusement, sans que personne ne réponde à leurs questions. Nous croyons que le gouvernement du Québec a le pouvoir et le devoir de pallier à cette absence d'interlocuteurs.

Nous croyons à la pertinence, pour la commission des institutions, de recueillir les commentaires et les préoccupations de tous les membres de la société civile. Par la suite, nous comptons sur le gouvernement du Québec pour obtenir du fédéral des réponses aux questions soulevées suite à l'analyse des commentaires et des préoccupations exprimées. L'intervention du gouvernement du Québec est d'autant plus vitale que ces accords négociés par le fédéral auront des impacts sur des domaines de juridiction provinciale ? on en parlait tantôt.

Le document de réflexion questionne également la pertinence de développer de nouveaux débouchés commerciaux au lieu de concentrer nos efforts envers notre principal partenaire commercial, les États-Unis. Nous croyons que l'ouverture de nouveaux marchés, notamment ceux de l'Amérique latine, constitue une belle opportunité. Cela répond tout d'abord à l'inquiétude du Fonds monétaire international qui a déjà mis le Canada en garde quant à sa dépendance envers les États-Unis. De plus, cette ouverture a l'avantage d'éviter au Québec d'être absorbé économiquement et culturellement par les États-Unis pour qui son poids politique n'aurait guère d'importance. Nous encourageons donc l'intensification des démarches du gouvernement visant à rapprocher le Québec des pays d'Amérique latine.

Le document de réflexion questionne également le rôle de la société civile dans les négociations. Il nous semble imprudent pour celle-ci de s'abstenir totalement d'intervenir dans un processus devant conduire à la signature d'engagements commerciaux qui l'affecteront. Nous croyons qu'il est important et possible d'aborder, dans le cadre de ces accords, des sujets autres que commerciaux. À titre d'exemple, il suffit de penser aux droits de l'homme, aux droits du travail et aux droits de l'environnement.

n(15 h 30)n

Nous croyons aussi qu'il serait assurément utile pour la société québécoise de définir ce qui devrait être considéré comme intouchable dans le cadre d'une vision globale et à long terme. Lorsque chaque sujet est traité à la pièce, il est difficile d'en saisir tous les impacts. Le gouvernement du Québec pourrait, par exemple, faire des pressions auprès des représentants fédéraux afin d'exclure les sociétés d'État comme Hydro-Québec d'un tel accord de libre-échange. Ou encore des pressions pourront être exercées pour s'assurer que le Québec conservera la gestion de ses ressources financières et naturelles. Ces ressources, on le sait, font actuellement l'objet de la convoitise de certaines grandes entreprises.

Il ne faut pas conclure de nos propos que nous nous opposons à toute forme de privatisation des actifs collectifs ou de déréglementation. Nous croyons cependant que de tels projets doivent faire préalablement l'objet de débats publics et d'études approfondies avant d'y donner suite.

La Chambre des notaires est également très sensible à la question concernant la place de la culture dans le cadre d'un tel accord de libre-échange. Pour réussir, il nous apparaît essentiel qu'un éventuel projet d'accord respecte le régionalisme et les cultures des pays signataires. Il serait primordial, à notre avis, de se pencher sur l'opportunité d'exiger une exclusion de certaines entreprises de services dans le domaine de la culture. À cet égard, les pays d'Amérique latine constitueront des alliés de choix dans cette bataille qui nous oppose au géant américain.

Nous nous sommes également penchés sur les rapports entre le commerce et l'environnement lors de la signature de telles ententes. Comme nous l'avions fait pour tenter d'identifier les bénéficiaires de l'ALENA, nous avons voulu examiner le bilan de cet accord en matière d'environnement afin d'en tirer certains constats et conclusions. Les considérations de nature environnementale traitées dans l'ALENA sont complétées par l'Accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement conclu par le Canada, les États-Unis et le Mexique. Nous sommes d'avis qu'il serait intéressant de s'inspirer de certaines dispositions de l'Accord nord-américain. Nous pensons notamment à l'instauration d'un mécanisme de plaintes pour l'ensemble des 35 pays appelés à signer l'accord. Un tel mécanisme pourrait permettre la formulation de plaintes par toute personne intéressée lorsqu'il y a non-respect par l'un des États de ses propres lois et règlements en matière environnementale. Nous croyons que le gouvernement du Québec peut se faire le porte-parole de la création d'un tel organisme qui, par ailleurs, devrait bénéficier d'une structure politique indépendante.

Nous croyons que la Zone de libre-échange des Amériques ne devrait pas être considérée sans que l'on ait évalué de façon rigoureuse les répercussions du commerce sur l'environnement. Nous considérons aussi que les gouvernements, dont ceux du Québec et du Canada, ont un rôle actif à jouer dans l'établissement des constats qui permettront de mieux cerner la dynamique environnement-commerce. Ils doivent s'impliquer activement afin de promouvoir à tous les niveaux une approche de développement durable, et ce, dans le plus grand respect de leurs commettants.

Nous devons exprimer le fait que le déroulement prévu des négociations nous absolument surpris. Nous avons constaté que dans l'organigramme de négociations la société civile semble se retrouver sur un même pied d'égalité avec le Forum des gens d'affaires des Amériques. L'audience privilégiée des gens d'affaires apparaît inquiétante et fait ressortir le déficit démocratique du processus et cela d'autant plus que les sujets traités sont fréquemment de compétition ou de compétence provinciale.

D'un côté, les organisateurs du Sommet 2001 prévoient que le processus des sommets des Amériques doit continuer à être perçu comme un processus utile qui répond aux inquiétudes réelles des citoyens du continent américain. De l'autre côté, les principaux acteurs des négociations refusent de laisser une place à la table de négociations aux représentants de la société civile. Il ne fait aucun doute, quant à nous, que l'Assemblée nationale a un rôle important à jouer afin d'assurer la concordance entre les thèmes du Sommet et l'action politique. Cette implication des élus est essentielle pour faciliter la compréhension des citoyens et obtenir leur confiance.

Ces propos, M. le Président, résument bien les commentaires généraux formulés dans notre mémoire. Comme je l'ai déjà mentionné, nous avons une deuxième étape: examiner les possibilités qu'offre la Zone de libre-échange des Amériques au notariat québécois. La question est la suivante: Le libre-échange est-il susceptible d'affecter le notariat québécois? La spécificité du droit québécois apparaît à première vue protéger notre marché, et notre marché surtout interne, mais y regarder de plus près on constate que la concurrence se rapproche dangereusement. Nous n'avons qu'à penser, par exemple, aux firmes internationales qui s'intéressent au règlement des successions et au financement du parc immobilier québécois.

À cet égard, il serait prudent d'agir sur deux fronts. Tout d'abord, en ce qui concerne notre marché interne, il est vital d'obtenir les outils nécessaires afin de mieux nous positionner face à cette concurrence. Ensuite, relativement aux marchés externes, il est essentiel de tirer profit de toutes les occasions qui sont offertes.

La création de grandes zones de libre-échange augmente toujours la pression pour accentuer la mobilité de la main-d'oeuvre professionnelle des pays liés par ces accords. À ce sujet, la Chambre des notaires tient à rappeler ce qu'elle exprimait déjà dans son mémoire sur l'ALENA. L'engagement de ne pas exiger la résidence pour offrir des services professionnels n'est absolument pas acceptable pour les notaires. En effet, les actes rattachés au caractère d'officier public du notaire ne peuvent être effectués par un non-résidant. L'exigence de la résidence du notaire se fonde sur un souci que doit avoir l'État. L'État doit conserver un contrôle efficace sur les activités qui expriment son autorité et sur le résultat de ces activités que sont les documents d'état civil, judiciaires, notariés et d'administration publique.

La Chambre des notaires demande au gouvernement du Québec d'être vigilant sur cet aspect des négociations. Il est essentiel de s'assurer que les éventuels accords de libre-échange ne comportent pas l'engagement des pays signataires d'abroger toute exigence de résidence.

J'aimerais maintenant vous entretenir rapidement des possibilités qu'offre la Zone de libre-échange des Amériques au notariat québécois. Nous croyons que l'ajout dans une zone de libre-échange de nombreux États où le notariat est une institution bien établie et respectée constitue un avantage pour notre société distincte. À la lumière de l'expérience de la Floride qui, faut-il le rappeler, a modifié son système juridique afin d'y instituer un notariat à l'image du notariat latin, nous pensons que notre profession peut s'avérer une porte d'entrée privilégiée dans la Zone de libre-échange des Amériques.

L'expérience de la Floride est remarquable. Un État gouverné par des règles de la «common law» modifie son système juridique afin d'y instituer un notariat à l'image du notariat latin. Pourquoi? Tout simplement pour entretenir des rapports commerciaux plus aisés avec des partenaires régis par la tradition civiliste. Les organisations internationales des notaires déjà existantes peuvent s'avérer aussi des véhicules privilégiés pour initier des projets de coopération avec les pays membres d'Amérique latine. De plus, la Zone de libre-échange des Amériques peut devenir une belle occasion d'exporter le savoir-faire des notaires québécois. Nous pensons plus particulièrement à notre expérience de coopération internationale avec les notariats d'autres pays dans le cadre d'ententes avec l'Agence canadienne de développement international. Nous pensons aussi à notre expertise en matière de certification d'identité et de signature numérique. Ce savoir-faire est aujourd'hui une pièce maîtresse pour contribuer à sécuriser le commerce électronique. Finalement, nous pensons aussi à notre expertise en matière de registre et de publicité des droits.

Vous comprendrez que mon propos se veut un résumé succinct de nos principales préoccupations sur un sujet bien vaste. Comme la commission le mentionnait si bien elle-même, il s'agit d'un point de départ, non d'arrivée. Nous remercions finalement les membres de la commission d'avoir pris connaissance du présent mémoire et de nous avoir permis de le présenter. Nous sommes toujours heureux de participer aux réflexions sur des sujets majeurs qui, comme l'accord de la Zone de libre-échange des Amériques, touchent d'une manière ou d'une autre l'ensemble des citoyens du Québec. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, Me Marsolais. M. le député de Dubuc, pour une première question.

M. Côté (Dubuc): Merci, M. le Président. Alors, Mme Loranger, M. Marsolais, permettez-moi de vous souhaiter particulièrement la bienvenue; il est toujours agréable de recevoir des représentants de la Chambre des notaires. Cela est une preuve supplémentaire que la Chambre des notaires est impliquée, a toujours été partie dans les grands débats de société, et, à ce titre, permettez-moi de vous en féliciter.

n(15 h 40)n

J'ai pris connaissance naturellement de votre mémoire. Dans le document, il y a des questionnements, il y a aussi des informations très intéressantes et surtout très pertinentes. Ce que j'apprécie particulièrement, c'est qu'à travers ce document vous nous présentez, disons, un notariat qui est moderne, qui est ouvert sur le monde et surtout qui est ouvert sur des possibilités que pourra nous offrir la Zone de libre-échange des Amériques.

Mais la question que je voudrais vous poser est celle-ci. Vous ne parlez pas du tout dans votre document d'éducation, de formation universitaire. Vous savez qu'il s'agit d'une question très importante, puisque d'abord c'est un domaine de compétence exclusivement provinciale et en plus c'est que la pratique de profession de notaire requiert des études universitaires. Et vous savez présentement aussi qu'il y a des universités américaines qui offrent des cours et qui offrent même des possibilités de diplôme par Internet.

Hier, nous avons eu l'occasion de recevoir la Fédération étudiante universitaire du Québec, qui nous a soumis certaines appréhensions, justement quant à la formation universitaire, en nous disant: Bien, écoutez, avec le libre-échange, il faudra être très, très prudent, puisque, si des universités américaines viennent chez nous offrir leurs services, quels seront les impacts que ça pourra avoir sur notre formation ici, au Québec même? Et on craint un nivellement, comme on dit, par le bas. Étant donné la puissance américaine, tout le monde se mettrait au niveau des États-Unis.

Alors, j'aimerais peut-être vous entendre sur ça. De quelle façon vous pensez qu'à travers cet accord de libre-échange... Est-ce que vous proposeriez la même chose que la culture, c'est-à-dire prévoir un accord latéral qui permettrait une entente spécifique quant à l'éducation? Le député de LaFontaine tout à l'heure a parlé du travail, des relations de travail. On a aussi l'environnement. Est-ce qu'on va avoir une série d'accords qui seraient distincts de l'accord général et qui permettraient à chaque entité de sauvegarder ses intérêts ou ses droits? Alors, j'aimerais vous entendre sur ça.

M. Marsolais (Denis): Écoutez, avant de céder la parole à Julie, moi, je pense que toutes ces dispositions-là devraient se retrouver au sein d'un même document, donc au sein de l'accord.

Évidemment, comme l'a souligné un des députés tantôt, l'environnement, le travail, l'éducation, une juridiction provinciale. Je présume que le gouvernement fédéral, avant de s'engager de façon unilatérale dans des secteurs qui sont de juridiction provinciale, va s'enquérir auprès des gouvernements provinciaux pour s'assurer que l'alignement qui peut être pris au terme de ces engagements-là ou de ces accords-là correspond et qu'il puisse obtenir l'accord préalable de l'ensemble des gouvernements provinciaux.

J'ai moins d'inquiétudes si par ailleurs le gouvernement fédéral ne procède pas de cette façon-là et y va de façon unilatérale; je suis convaincu que tous les députés qui sont assis autour de la table vont se lever debout et vont dire: Non, non, c'est de juridiction provinciale, et, nous, les orientations que le fédéral a prises concernant notamment le travail, l'environnement ou l'éducation, on n'est pas d'accord avec les positions qui ont été couchées sur l'accord.

Mais de prévoir des ententes parallèles, on va en perdre notre latin tout le monde. Il faut vraiment que l'ensemble des dispositions qui vont régler le libre-échange entre les États, qu'on puisse retrouver l'ensemble de ces dispositions-là au sein d'un même document. Je ne sais pas si Julie, tu veux...

Mme Loranger (Julie): Oui, deux choses. C'est un peu ça... On s'est penché sur les sujets de base, vous savez, c'est un sujet très vaste. On s'est dit: Peut-être que ça serait important d'agir. Les notaires, c'est des gens prudents par définition. On s'est dit: Avant même que ces accords-là soient couchés sur papier, est-ce que, nous, de notre part, on ne peut pas faire l'exercice de dire: Qu'est-ce qui est fondamental dans la société québécoise qu'on ne veut toucher? Puis évidemment il y a tout un exercice de questionnement, à savoir bien le but de l'éducation, qu'est-ce qui est important?

Si je prends les professions de façon générale pour donner un exemple, le but, c'est de contrôler la protection du public, qu'il y ait une certaine qualité. On n'est pas contre le fait que d'autres personnes offrent des cours. Mais je vous donne l'exemple des testaments. On voit circuler par exemple par des firmes, je pense, américaines qui offrent un kit de testament à 10 $, que vous pouvez faire un testament au Québec de telle, telle façon, mais ils ne savent même pas qu'un acte notarié existe. Alors, c'est grave.

Tant qu'il y a un contrôle de qualité qui se fait, on n'a pas de problème à être ouvert à d'autres technologies, en autant qu'il y ait des mécanismes de contrôle. On a cette chance-là pour les professions d'avoir quelqu'un qui supervise l'intérêt du public, mais il faut se demander, en termes de formation universitaire, qui va assurer le contrôle de qualité à ce moment-là.

M. Marsolais (Denis): Je vous donne comme autre exemple le phénomène de l'invasion des assureurs-titres américains. Alors, c'est des firmes américaines qui s'installent tranquillement au Québec et qui donnent une garantie sur la qualité des titres à toute personne qui paie, par exemple, un montant forfaitaire, peu importe le montant. Sauf que le problème, nous bénéficions au Québec du parc immobilier, entre guillemets, le plus propre au monde. Ça fait plus de 150 ans que les notaires font des recherches de titres sur l'ensemble des titres immobiliers au Québec. Alors, évidemment pour ces compagnies-là, ce n'est qu'un calcul de rentabilité, là. Alors, s'il y a un risque, par exemple, de 8 millions potentiel en droit immobilier au Québec, et, selon leurs prévisions, ils vendent des polices qui vont leur procurer 25 millions, bien c'est juste au niveau d'une connotation profit.

Quant à la qualité des titres et la sécurité dite pour le citoyen, vous savez que 95 % des Québécois, l'achat le plus important, c'est l'achat de leur propriété. Alors, il faut faire attention dans les négociations avec d'autres pays dans le cadre du libre-échange. Quand on parlait d'intouchable tantôt, je pense que l'exercice qu'il faut absolument que le gouvernement du Québec fasse, c'est qu'il qualifie tout de suite les intouchables pour préserver d'abord les citoyens et pour préserver aussi notre spécificité.

M. Côté (Dubuc): Merci. Dans votre mémoire, vous parlez du professionnel étranger qui va vouloir venir exercer au Québec et vous parlez du notaire, mais il n'y aura pas seulement le notaire, il y a les avocats, les ingénieurs, les médecins. Comment dans un libre marché pouvez-vous aller pouvoir contrôler la compétence de ces personnes-là?

Mme Loranger (Julie): Il y a deux questions qui sont souvent confondues au niveau des conseillers juridiques étrangers. Je vais faire la précision, peut-être que tout le monde n'est pas aussi à l'aise. Je prendrai l'exemple du notaire mexicain. Puis il y a une autre problématique aussi, c'est que le droit au Québec a cette particularité-là qu'on a hérité de la société distincte qui est exercée par les avocats et les notaires.

Donc, parlons des notaires dans un premier temps. Si un notaire mexicain veut venir donner des conseils juridiques aux Québécois sur le droit mexicain, à ce moment-là c'est régi par l'entente qui a été signée suite à l'ALENA sur les conseillers juridiques étrangers. Ça, c'est une chose. À ce moment-là, c'est le Mexique qui contrôle la qualité, entre guillemets, de son notaire, et, nous, on n'a pas à exercer un contrôle là, sauf si on dit: Bien, il faut que ce soit une université reconnue, etc., et on demande, par exemple, c'est quoi, la formation qui est donnée au notaire mexicain pour s'assurer qu'il ait un minimum.

L'autre question qui est beaucoup plus complexe, c'est de savoir si un notaire mexicain veut venir ici et donner des conseils sur le droit québécois puis il nous demande quelles sont les équivalences et de quelle façon on peut devenir notaire. Il y a un aspect du notariat qui est lié à l'officier public. Si on pense qu'il faut qu'il soit résident ici, on ne voudrait pas qu'un Mexicain reparte avec son greffe et avec nos testaments, nos contrats de mariage et tous les actes que le Québec a jugé important qu'ils soient notariés pour les conserver ici, qu'il reparte au Mexique avec.

Et on veut s'assurer dans un deuxième temps évidemment que cette personne-là soit traitée de la même façon qu'un citoyen québécois, c'est-à-dire qu'un citoyen québécois on lui demande d'avoir une formation universitaire mais pas n'importe laquelle, une en droit civil, qu'il remplisse certains critères, qu'il ait fait un stage, qu'il connaisse les domaines du droit pratiqué par les notaires. Alors, on ne sera pas moins exigeant envers un notaire mexicain qui veut venir ici. S'il ne veut pas s'établir ici, on pourrait lui donner un permis restreint d'exercer pour ne pas bloquer la mobilité de la main-d'oeuvre, mais on pense que, pour la protection du public, il ne faudrait pas être moins sévère sous prétexte qu'on a des accords commerciaux et qu'il y a une libre circulation de la main-d'oeuvre envers les professionnels extérieurs versus les professionnels ici, à l'interne.

M. Marsolais (Denis): Ce pourquoi on tient tant à conserver le critère de résidence: parce que les documents signés par un notaire, ce sont des document d'État. Et, à partir du moment où on exclut le critère de résidence, bien il risque d'arriver ce que Julie vous a expliqué, alors que le notaire mexicain ou autre pratique ici pour quelque temps et décide de quitter la pratique au Québec et de s'en retourner dans son pays avec les documents, qui sont des documents d'État, là. Un acte authentique, c'est un document d'État. Alors, c'est pour ça qu'on tient vraiment au critère du maintien de la résidence pour agir à titre d'officier public au Québec.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Allez-y.

n(15 h 50)n

M. Côté (Dubuc): Alors, dans un autre ordre d'idées, vous parlez dans votre mémoire, à la page 10, «l'absence d'interlocuteur» et vous dites que le gouvernement du Québec a le pouvoir et le devoir de palier à cette absence d'interlocuteur avec les rapports que l'on fera de la commission. Et vous parlez aussi un peu plus loin, à la page 19: «Nous croyons que la Commission des parlementaires d'Amérique ("COPA") devrait se réunir plus régulièrement pour faire contrepoids à ce processus et faire écho des préoccupations.» Quel est le rapport entre les deux? Est-ce que les deux ont des... pour vous, ce sont des choses différentes? Vous voulez que la COPA s'occupe de la société civile, de ce qui se passe avec les associations, les ONG, et que l'Assemblée nationale, ici, la commission des parlementaires, ici, fasse un suivi auprès du gouvernement fédéral? De quelle façon...

Mme Loranger (Julie): Bien, deux chose. C'est que généralement, quand quelqu'un fait la sourde oreille, on se dit que la meilleure façon, c'est de répéter, répéter encore. De la même façon qu'on s'est dit, quand on est venu ici: Nous, on n'est pas des experts, pourquoi on irait répéter des constats d'autres personnes? Mais on s'est dit: Des fois, ajouter sa voix une autre fois, puis une autre fois, c'est faire comprendre de quoi.

Comme le soulignaient certaines personnes, c'est un peu aberrant que le gouvernement fédéral ne donne pas un forum plus large ou un accès aux parlementaires québécois et autres provinces, pour dire: Bien, qu'est-ce que vous en pensez? Le Québec, les parlementaires québécois sont plus près de la réalité québécoise que le gouvernement fédéral, alors, que ce soit par le biais de la COPA... Mais je comprends que, la COPA, ça vise tous les parlementaires des Amériques, c'est très large, alors c'est difficile de ressortir les particularités québécoises. Alors, on s'est dit: Bien, si ce véhicule-là peut servir pour faire valoir les points de vue de façon générale des États et des provinces et, sur un autre plan, interne, de faire valoir nos particularités...

Je pense que beaucoup de gens au fédéral ne savent même pas c'est quoi, un notaire. Alors, je vous donne cet exemple-là, mais il y a d'autres réalités qu'ils ne connaissent pas. Ce n'est pas de la mauvaise volonté, c'est que tout ça est complexe puis, souvent, ils ne connaissent pas la réalité, alors ils signent une entente. Puis c'est déjà fait, à l'OMC, ils ont signé un projet, la résidence ne pourra pas être admise par une des professions juridiques. Alors, la Fédération juridique se retourne et demande notamment aux notaires: Qu'en pensez-vous? On a dit: Bien, on en a déjà parlé et on vous a déjà dit ? pas à vous, mais à d'autres... Mais il y a un problème de communication, alors on s'est dit: On va frapper au plus de portes possible. C'est ça, l'optique.

M. Marsolais (Denis): Dans le fond, vous devez assurément rassurer les intervenants de la société civile que vous allez, de votre côté, faire en sorte que ces gens-là puissent avoir l'occasion de s'exprimer. Le forum d'aujourd'hui en est un bon exemple. Dans le fond, ce qu'on vous dit, c'est de poursuivre dans la même veine, pour permettre aux gens qui composent la société civile d'avoir leur mot à dire dans le libre-échange. Parce que, inévitablement, ça les touche. Et les grandes entreprises, elles, ont leurs façons de faire et ont leurs possibilités de mentionner ou d'indiquer leurs volontés aux gens qui composent le libre-échange, mais, les membres de la société civile, souvent ils n'ont pas le moyen.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sirros: Alors, merci, M. le Président, mais ça va être ma collègue qui prendra les questions avec le groupe.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Mme la députée de La Pinière, alors.

Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président. M. Marsolais, Mme Loranger, bienvenue. Vous faites toujours des mémoires très, très, très développés. J'ai eu l'occasion de vous entendre sur la normalisation des transactions électroniques. Vous demandez, à la page 13, le respect du régionalisme et des cultures. On a entendu plusieurs groupes nous parler de l'exception culturelle, de la diversité culturelle; c'est la première fois que je vois un mémoire qui demande le respect du régionalisme. À quoi faites-vous allusion?

Mme Loranger (Julie): On parlait dans la voiture, et Me Marsolais m'a dit, puis je trouvais ça bon: Quand j'ai rencontré les Mexicains, ils sont encore plus inquiets que nous, de ces choses-là. C'est que, dans les régions, quand il y a des rencontres au niveau international avec les notaires extérieurs... Puis souvent, ce qui est intéressant des notaires, c'est qu'il y a ce volet-là, qu'ils sont plus insérés encore dans ce que j'appelle les régions. Il y a du notariat partout, un peu comme ici, on en a dans des villages, mais eux aussi représentent bien leur partie de la population et sont très, très inquiets du respect de leurs coutumes. C'était dans ce sens-là qu'on entendait «régionalisme», parce que souvent on entend «État», «province», mais, encore plus petit qu'État, province, eux ont des us et coutumes qu'ils veulent respecter.

C'est pour ça qu'on soulevait l'exemple de la Floride. Ce qui est parti avec le fait que le notaire aux États-Unis finalement, ce que c'est, ce n'est pas quelqu'un qui a une formation juridique, c'est un commissaire à l'assermentation. Alors, là-bas, les gens, les commissaires à l'assermentation, beaucoup de Latino-américains qui habitent en Floride se sont dit: Bien, on va s'annoncer notario publico. Puis là les gens allaient, parce que, pour eux, c'est une institution qu'ils connaissent, ils sont rattachés et sont attachés à leur culture, puis ils allaient voir ces gens-là. Ça fait que, là, les avocats évidemment n'ont pas apprécié que des commissaires à l'assermentation fassent des choses comme ça, et avec raison, parce qu'ils n'ont pas de formation universitaire, ont décidé de créer le notariat québécois. C'est dans ce sens-là, qu'on incluait le terme «régionalisme».

Mme Houda-Pepin: ...

M. Marsolais (Denis): Pardon. Et pour vous démontrer l'inquiétude, notamment des Mexicains, ils me disaient en blague, et ça démontre très bien ce que Julie essayait de vous expliquer: «Vous savez, notaire, on se sent plus près des Américains que de Dieu.» Ils ont vraiment une inquiétude d'envahissement des États-Unis par rapport à leur culture, par rapport à leurs croyances, et, dans le cadre des négociations de libre-échange, c'est vraiment une de leurs préoccupations majeures, je vous dirais. Puis je présume que tous les peuples d'Amérique latine ont cette même préoccupation-là, finalement la même que nous là, que dans toute cette négociation-là il est fort important de conserver ce que le citoyen a de plus cher, c'est sa culture, au-delà des engagements commerciaux, là, qui sont inévitables.

Mme Houda-Pepin: Mais j'avoue que c'est particulier, parce que, moi, je pensais que vous faisiez référence au régionalisme au sens politique, en géopolitique. Mais finalement c'est en rapport avec l'exercice d'une profession en particulier.

M. Marsolais (Denis): Pas uniquement, là.

Mme Loranger (Julie): Non, non, pas uniquement. C'est qu'on pensait... ou les régions, c'est... Quand, par exemple, on parle de culture québécoise, quand on regarde la région montréalaise par rapport à la région de Québec, il y a aussi d'autres valeurs qui sont à respecter. C'est dans ce sens-là, c'est encore plus petit que «État», c'était dans ce sens-là qu'on entendait «régionalisme».

Mme Houda-Pepin: D'accord. Je vois que la Chambre des notaires du Québec a une vaste expérience assez respectable dans l'international. Vous êtes impliqué dans différentes missions en Amérique latine et en Asie aussi. C'est bien. C'est un aspect de travail que je ne connaissais pas. Et vous dites qu'il faut favoriser l'exportation du savoir-faire du notaire québécois. Vous êtes préoccupé par ça, parce que vous avez une expertise, une compétence, et vous voulez l'exporter dans le cadre de la Zone de libre-échange des Amériques. Vous dites aussi quelque part qu'il s'agit là de... vous parlez de biens tangibles, comme les biens d'auteurs, les brevets d'invention, etc., le savoir-faire. Est-ce que, quelque part, vous avez quantifié ce que ça représente, ce secteur?

Mme Loranger (Julie): Non, difficilement. C'est toujours la partie qui est ignorée dans les écrits, soulignait un auteur, souvent. C'est qu'il disait: Les Américains se plaignent beaucoup, avec les Japonais par exemple, que la balance commerciale n'est pas bonne, mais ils ne mentionnent jamais, par exemple, je ne sais pas combien en droits d'auteurs pour les livres ou pour leurs films, etc. Alors, c'est comme une donnée truquée. C'est d'ailleurs tout ce qui est difficile quand on lit sur le libre-échange. Il semble toujours manquer une partie du puzzle, et c'en est une qui est importante, parce que souvent la plus value acquise dans les pays comme le nôtre, c'est justement le savoir-faire qui a été acquis, la technologie, tout ce qui est partie intellectuelle et qui n'est pas quantifiable en termes de biens. Et non seulement en termes monétaires, mais... Me Marsolais pourrait le confirmer, les relations qu'on forme avec ces pays-là, par exemple avec l'Ukraine, avec qui ils ont eu des ententes, ça nous permet de connaître puis de comprendre leurs préoccupations puis souvent d'identifier ce qu'ils peuvent nous apporter puis d'identifier ce qu'on peut leur apporter. C'est aussi un mode de communication qui est non quantifiable en termes d'argent, puis on ne pourrait pas identifier ce que ça représente, je pense.

M. Marsolais (Denis): Tout à fait. Les ententes de collaboration, notamment avec les notaires ukrainiens... Vous savez que l'Ukraine est un nouveau pays de l'Est, et, dans tous ces nouveaux pays là, c'est le droit civil qui s'installe et non pas le «common law». Donc, on retrouve des notaires et des avocats. Et, notamment en Ukraine, c'est un notariat public, donc un notaire est engagé par l'État. Et là il y a la transition du notariat vers le notariat privé, comme vous le connaissez au Québec.

Et nous l'expertise qu'on leur a offerte, c'est de les aider d'abord à bien structurer une loi habilitante, la loi sur le notariat ukrainien, et de faire en sorte de structurer un ordre professionnel, qui est le nôtre, avec des régimes de protection du public, cabinet du syndic, inspection professionnelle, et tout ça. Et cette base-là de collaboration, je vous dis qu'on apporte beaucoup aux notaires ukrainiens. Mais vous ne pouvez pas savoir l'expérience qu'on retire, nous, notaires québécois, dans cette expérience-là.

Mme Houda-Pepin: Tout à fait.

M. Marsolais (Denis): Et je pense que, à l'intérieur des 69 pays qui regroupent le notariat ou l'Union internationale du notariat latin, on a toujours l'impression que le notariat n'existe qu'au Québec et qu'il n'y en a pas ailleurs, là. Il existe dans 69 pays. Et, par le biais de ces organisations-là internationales, c'est là, nous, où on dit: On peut participer activement aux discussions du libre-échange, parce que, notamment dans les pays d'Amérique latine et en Europe, le notariat jouit d'un positionnement politiquement très fort dans chacun de ces pays-là, et on peut, par les relations qu'on a établies depuis plusieurs nombres années, établir déjà des ententes. Parce que s'entendre sur des échanges commerciaux, c'est une chose, mais il faut les concrétiser ces échanges-là, puis il y a un aspect juridique dans chacun des cas. Alors là on pourrait évidemment offrir notre apport.

n(16 heures)n

Mme Houda-Pepin: Une dernière petite question. Vous abordez, dans votre mémoire, la problématique du commerce électronique. Alors là les notaires sont face à deux zones de libre-échange, la Zone de libre-échange des Amériques et la zone de libre-échange mondiale, qui est le commerce électronique. Vous exprimez des inquiétudes par rapport à la ZLEA. C'est quoi, le plus menaçant pour vous, comme profession?

M. Marsolais (Denis): Bien, écoutez, il faut s'assurer d'abord, dans ce monde virtuel, que les exigences ou les normes de certification, entre autres, puissent être identiques ou semblables entre les différents pays signataires. Je vous donne un exemple. Si les exigences pour bien identifier un individu qui est partie à une transaction électronique ou virtuelle ne sont pas les mêmes ou avec la même rigueur que dans l'autre pays membre, la fiabilité de cette transaction-là ne pourra pas être efficace.

Alors, je vous expliquais, je pense, lors de la dernière commission, que nous sommes en train de négocier, de travailler sur une reconnaissance de nos signatures numériques entre les notaires français et les notaires québécois, ce qu'on appelle une certification croisée, en termes informatiques ? et je ne suis absolument pas un expert au niveau informatique ? ce qui ferait en sorte qu'un Français pourrait se présenter devant un notaire français, qui est notaire de type latin comme nous, que le notaire français puisse recevoir la signature de son client via une signature numérique, donc encryptée, et que le document, dont l'acte de vente, par exemple, pourrait être transféré par voie électronique au notaire québécois, qui, lui, conclut la transaction avec l'acheteur québécois.

Mais, pour qu'on puisse réussir à faire ça, d'abord, il faut que nos signatures puissent se comprendre, l'encryptage, il faut qu'il soit compatible, et c'est ce sur quoi on travaille actuellement. Et par la suite... Parce que vous savez qu'entre autres le gouvernement français a reconnu l'acte authentique virtuel, là. La réglementation a déjà été adoptée il y a quelques mois. Ça, c'était une première étape. La deuxième, c'est, de votre côté, un jour, vous allez reconnaître l'acte authentique virtuel, un jour très prochain. Mais là, pour qu'on puisse se parler et pour qu'on puisse même favoriser les échanges commerciaux entre le continent européen et Québécois et Américains, bien, il faut qu'on puisse faire en sorte de faire l'arrimage de nos signatures numériques. Et, je vous dis ? je pense que je vous l'avais dit à la commission ? si on réussit à faire ça, ça va être la première fois que des signatures numériques vont pouvoir se reconnaître entre deux continents, au monde.

Alors, évidemment que tout ce qui englobe le commerce électrique... Je veux dire, c'est fascinant, parler du commerce électronique, mais il faut aussi par ailleurs s'assurer que les intervenants, lors d'une transaction virtuelle, puissent avoir la certitude que cette transaction-là va se faire de la même façon, avec la même confiance, je vous dirais, qu'elle se fait sur papier actuellement. Et c'est ça qui est le défi.

Mme Houda-Pepin: Merci.

Mme Loranger (Julie): Juste pour rajouter, les zones de libre-échange, c'est que, généralement, en distance... Traditionnellement, les juristes fonctionnent, les accords commerciaux, par contrat. Là, beaucoup ce qu'on voit à la Chambre des notaires: plusieurs fois par jour, il y a quelqu'un qui vient faire certifier la signature de son notaire. Je vous explique. Quelqu'un signe un contrat au Mexique. Ils se sont entendus par téléphone, ils ont fait une mission d'affaires. Ils vont là-bas, ils veulent ouvrir une usine. Là, les gens sont revenus ici, ils se sont entendus sur le principe, il envoient le contrat, l'acheminent ici. Et la première chose qu'ils demandent, c'est: Bien, va devant ton notaire, puis on veut être sûr que c'est toi qui a signé, alors, demande au notaire, ici, de certifier. La procédure est bien établie. La personne va ensuite à la Chambre des notaires. La Chambre des notaires certifie que cette personne-là est bien notaire, et ensuite l'ambassade concernée certifie que le secrétaire de la Chambre des notaires est bien le secrétaire de la Chambre des notaires. Donc, on sait à qui on a affaire. Parce que, quand on est rendu au Brésil, ça fait tellement loin, le téléphone, l'électronique, on ne sait plus à qui on parle, on ne sait plus à qui on a affaire.

Alors, c'est dans un but de certification, un, c'est pour ça que c'est lié à la Zone de libre-échange. Et, deux, le notaire a le souci de suivre ses clients. On a de plus en plus de clients qui ont besoin soit d'être accompagnés par un juriste et on veut être prêts à suivre nos clients dans ce sens-là. Il y a de plus en plus de personnes qui sont soit mariées avec quelqu'un de l'extérieur ou qui ont des relations qui s'échelonnent sur plusieurs États. Alors, on veut avoir les outils nécessaires pour pouvoir suivre les clients puis bien les desservir.

Mme Houda-Pepin: Merci beaucoup.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Il me reste à vous remercier. Et j'aimerais personnellement vous dire que j'ai beaucoup apprécié le contenu de votre mémoire. Il est très clair, je vous en félicite. Et, au nom des membres de la commission, j'aimerais vous remercier de votre contribution à nos travaux à titre de représentants de la Chambre des notaires du Québec. Merci encore une fois.

Je vais inviter maintenant, toujours dans le cadre de cette consultation générale et de ces audiences sur les impacts du projet de Zone de libre-échange, M. Jean Cencig à bien vouloir s'avancer, s'il vous plaît.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Cencig, je vous indique que nous avons prévu une période de 45 minutes pour la présente rencontre. Alors, je vous inviterais à bien vouloir prévoir à peu près 15 minutes pour la présentation de votre propos proprement dite, à la suite de quoi nous passerons aux échanges.

Mais, avant de vous donner la parole, j'aimerais, à l'adresse du public tout autant que des collègues de la commission, souligner que nous vivons ici une première, puisque M. Cencig nous a fait parvenir son opinion par la voie d'Internet. Vous êtes probablement au courant que nous avions initié une première à l'Assemblée nationale en permettant effectivement à des citoyens de pouvoir transmettre une opinion via le site Internet de l'Assemblée nationale. Les nouvelles technologies de l'information et des communications sont importantes. Je pense que notre collègue de La Pinière supportera certainement nos efforts dans ce sens, donc, de permettre d'utiliser les nouvelles technologies de l'information pour faciliter le contact entre les élus qui doivent examiner des questions importantes et l'ensemble des citoyens. Alors, dans ce cas-ci, M. Cencig nous a fait parvenir son opinion par la voie d'Internet. Et il nous fait plaisir, donc, de vous recevoir et de vous entendre. Vous avez la parole.

M. Jean Cencig

M. Cencig (Jean): Je vous remercie, M. le Président. Pour moi aussi c'est une première. Je n'imaginais pas du tout, en cliquant sur le bouton «envoyer», que j'atterrirais ici. J'avais préparé un mémoire qui a été soumis sur votre site Web. Je ne suis pas un expert ni le délégué d'un groupe, comme tous les autres participants de cette consultation, mais un graveur. Et le libre-échange n'a pas d'impact direct sur mes affaires, sauf si ça fait monter les impôts. Je suis donc ici en tant que citoyen, et c'est mon intérêt pour la démocratie qui m'a amené à copier dans mon ordinateur le document de consultation présent sur le site Web de l'Assemblée nationale.

À la première lecture du document, j'ai été favorablement impressionné par le désir d'intégration continentale économique et par l'attention accordée au respect des sociétés civiles et à l'environnement. Puis j'ai réalisé que le document que je lisais était un projet dans le cadre de négociations et non le texte de l'accord et que cette consultation était menée par une assemblée qui n'avait pas juridiction sur cet accord. J'ai présenté un bref mémoire par Internet en répondant aux questions du document de consultation et je vais reprendre ici ces réponses en élaborant un peu.

À mon avis, la tentative de réaliser la ZLEA est louable et mérite d'être pratiquée, mais les bonnes intentions concernant les sociétés civiles et l'environnement ne doivent pas être sacrifiées au bénéfice d'une libéralisation des échanges. Le modèle de développement économique du nord ne peut pas être exporté au sud, sous peine de catastrophe écologique planétaire. Même sans cette menace, les progrès technologiques à eux seuls contribuent à transformer les sociétés. Ces changements radicaux tant au sud qu'au nord, changements venant de l'intérieur par les pressions démographiques et technologiques, changements venant de l'extérieur par les perturbations climatiques annoncées et la transformation des écosystèmes, vont nécessiter une grande collaboration entre les États pour appliquer des solutions aux problèmes incontournables.

n(16 h 10)n

Le champ de ces solutions est justement celui de la ZLEA. Même si la ZLEA est un échec, l'expérience acquise de convivialité entre nations aidera à jeter les bases d'une intégration étroite nécessaire à affronter les défis du futur proche. La diversité des conditions socioéconomiques sur le continent, parfois douloureuses, impose le désir d'améliorer ces conditions. Le libre-échange est compatible avec l'amélioration des conditions des plus démunis, mais est incompatible avec l'intervention trop directe de l'État dans le développement économique local. À mon avis, ce modèle de développement assisté n'est pas nécessairement le meilleur. Une augmentation générale de l'activité économique par une augmentation des échanges peut se faire selon les lignes de moindre résistance des marchés et bénéficier à des économies en développement à condition que les règles soient les mêmes pour tous les partenaires. En cela, la ZLEA serait une bonne chose. Mais, à mon avis, les règles plus souples de l'OMC ne sont déjà pas respectées. L'exemple Bombardier-Embraer le prouve. Pratiquement, le respect des règles de l'OMC est déjà un objectif en Amérique du Sud, pas un fait, car on peut supposer que l'affaire Embraer a été révélée parce qu'elle impliquait des milliards, et je suppose qu'il existe des interventions plus directes des gouvernements dans des secteurs où il est plus difficile de récolter l'information.

Qu'en sera-t-il du respect des bonnes intentions de la ZLEA? Va-t-il falloir faire une police industrielle continentale, que chaque pays maintienne ses réseaux d'enquêteurs pour surveiller ses voisins? Il me semble un peu utopique de penser qu'un accord comme l'ALENA puisse être accepté au niveau continental ou, s'il est accepté, respecté.

D'autre part, si des normes environnementales sont incluses dans l'accord, elles risquent fort d'être refusées au sud. Avec ou sans la ZLEA, je crois qu'il faut diversifier les marchés d'exportation. Ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier, c'est augmenter la stabilité potentielle d'une économie axée sur l'exportation, comme l'est celle du Québec. Mais ça coûte cher, car ce ne sont pas toutes les entreprises qui réussissent et la pénétration des marchés n'est pas univoque. Certains marchés locaux pourraient souffrir d'une concurrence sud-américaine, car le travail dans ces pays coûte beaucoup moins cher qu'au nord du Rio Grande.

Le libre-échange ne permet pas seulement d'échanger des biens et des services, mais aussi, effectivement, des conditions de travail. On peut s'attendre, si ce libre-échange est instauré, à ce que le revenu d'un travailleur non qualifié au nord devienne le même que celui d'un travailleur non qualifié au sud, si le produit continental brut reste le même; autrement dit, importer de la pauvreté. Mais, comme on s'attend à ce que le libre-échange augmente ce produit continental brut et comme ces échanges et leurs conséquences seront graduels, il est possible que l'effet général, même ici, pour les travailleurs moins qualifiés, soit acceptable. Il est impératif, à mon avis, de préparer la population pour diminuer la proportion des travailleurs non qualifiés, car on peut prévoir que des emplois non qualifiés exportables seront perdus ici.

Quant à la position concernant les normes du travail, elle devrait être discrète, non interventionniste. La ZLEA devrait plutôt insister sur la condition essentielle de démocratie qui permette aux populations de définir elles-mêmes leurs normes du travail. Plutôt que de normes du travail, il faut donc parler de normes démocratiques. Mais, si la ZLEA n'est qu'une façon d'ouvrir les marchés à la concurrence qui repose sur l'exploitation d'une main-d'oeuvre démunie, alors on a un gros problème et il est préférable de ne pas faire partie de la ZLEA. Il est difficile de prévoir quelles seraient les conséquences de la ZLEA pour le Québec, vu l'ampleur des secteurs touchés par cet accord. Il y a tant de facteurs et tant d'acteurs.

Au niveau des inconvénients de la ZLEA, il est désolant de constater que les gouvernements, tant québécois que canadien, sont à la solde ou à la merci des intérêts puissants des corporations et des syndicats et négligent ceux des citoyens. Le dossier des OGM en est un exemple, celui de la forêt un autre. La ZLEA, création d'une structure gouvernementale supplémentaire ? car règles internationales plus règlement des différends égalent embryon législatif judiciaire d'un gouvernement continental ? à l'image des gouvernements que nous subissons, n'est pas très réjouissante, car il deviendrait impossible de faire des améliorations locales sans un consensus continental dans des domaines qui seraient couverts par la ZLEA, c'est-à-dire à peu près tous les secteurs industriels. C'est presque totalitaire.

Il est certain que le libre-échange augmente l'activité économique, mais est-ce la seule chose qui compte? D'autre part, l'activité économique doit s'opérer dans des conditions qui ne sont pas distordues pour favoriser les intérêts particuliers d'un groupe industriel ou d'un autre. Il faut uniformiser les règles du jeu pour les corporations. Et les sous-sections A à H sur les groupes de négociation, dans le document de consultation préparé par la commission, représentent, à mon avis, des objectifs louables. La section F, Droits de propriété intellectuelle, est un domaine que je connais mieux, et je pense qu'il y a beaucoup à gagner de ce côté. Il suffit de considérer que, selon une étude faite il y a quelques années sur les logiciels utilisés dans les grandes entreprises au Brésil, 90 % des copies étaient piratées. La propriété intellectuelle représente une part de plus en plus importante de l'activité économique, et une protection à ce niveau grâce à la ZLEA serait un bénéfice appréciable. Même si le Québec n'est pas un géant du logiciel, il a sa place dans ce marché en expansion phénoménale.

Que faire des niveaux de protection sociale différents entre les États? Souhaiter, comme je l'ai écrit plus haut, que l'importation de pauvreté ici sera compensée par l'augmentation continentale de richesse de façon à maintenir les acquis sociaux locaux. Mais il ne faut pas oublier que ceux-ci sont menacés de toutes parts. Ce ne sont pas les suppressions de 13 % de douanes entre le nord et le sud du continent qui vont changer quelque chose quand les entreprises du sud ou d'une grande partie de l'Asie ont une main-d'oeuvre qui coûte 90 % moins cher qu'au nord. L'augmentation du commerce avec le sud ne doit pas être la carotte qui nous fait renoncer à notre niveau de protection sociale. Nous ne pouvons que souhaiter que notre exemple soit suivi par le sud pour, avec le temps, équilibrer les pressions concurrentielles.

Il y avait, dans le document de consultation de la commission, une question en rapport avec les autochtones, qui sont mis dans la même catégorie que les travailleurs sous-qualifiés. Je ne crois pas qu'ils soient menacés par la mondialisation. Ce serait plutôt le contraire. En effet, la reconnaissance progressive de leurs droits ancestraux au Canada et au Québec pourrait les amener à exploiter les ressources dont ils retrouvent le contrôle avec l'aide d'intérêts étrangers si les règles de libre-échange le permettaient et à notre détriment à nous qui leur avons fait l'affront de les considérer comme une minorité culturelle. Si ZLEA impose le respect des droits, les autochtones seront peut-être mieux traités au sud, où ils ont parfois affaire à des milices meurtrières.

En ce qui concerne l'implication du Québec dans la ZLEA, je crois qu'à part de recevoir les chefs d'État l'année prochaine elle est plutôt nulle. Actuellement, le champ de la ZLEA est fédéral, et le Québec a à y voir quelque chose dans la mesure où le fédéral le permet. À ma connaissance, Ottawa est muet. Le partage du pouvoir n'est pas beaucoup pratiqué au Canada. Quand on a une juridiction, on y tient mordicus. Cette question du rôle du Québec dans la ZLEA en soulève une autre, celle du partage dynamique et démocratique des juridictions ? mais ça sort du cadre actuel de discussion.

Le développement durable doit être une condition essentielle à la création de la ZLEA. Le problème est que ce concept n'est même pas appliqué ici. De toute évidence, le poids des corporations et des syndicats qui exploitent les ressources est plus fort que celui des citoyens qui sont concernés par le concept de développement durable et celui-ci reste un voeu pieux.

Comment réussir à une échelle continentale ce qui a échoué au niveau provincial? Si des normes sont adoptées à une échelle continentale, elles empêcheront des administrations locales de les baisser pour bénéficier ainsi d'un avantage économique sur leurs concurrents qui ont des normes plus sévères. Des normes environnementales contraignantes et sanctionnées sont essentielles au niveau continental et même planétaire, mais il faut commencer quelque part. La libéralisation des échanges avec les voisins du sud est un attrait qui pourra peut-être les amener à accepter de telles normes.

n(16 h 20)n

Culturellement, il est possible que, perdus dans un océan anglophone et hispanophone ? et il y a aussi les Portugais ? nous soyons submergés. Mais, d'autre part, ayant depuis deux siècles chevauché la crête entre une culture latine et une culture anglo-saxonne et ayant l'habitude des productions bilingues, il est aussi possible que nous soyons mieux placés que quiconque pour profiter de ce vaste marché. Les USA sont certainement au centre de gravité culturel, mais, par sa position particulière, le Québec, lui, est au centre géométrique. La vitalité d'une culture, la consistance d'une identité nationale ne dépendent pas seulement des frontières politiques ou des barrières protectionnistes, qui sont en partie illusoires, mais aussi, à mon avis, de la qualité des productions culturelles qui réfléchissent cette identité. Et cette qualité dépend des artistes qui sont au coeur de la production. Il est néanmoins important de maintenir une certaine protection au niveau culturel.

Il y a, comme mentionné dans les questions du document de consultation, un déficit croissant avec la mondialisation. Selon ce document, tous les pays doivent s'assurer que leurs lois, leurs règlements et leurs formalités administratives sont conformes à leurs obligations au sein de l'accord de la ZLEA. Cette obligation me semble similaire à celle imposée aux lois du Québec par le fédéral ou aux règlements municipaux par le provincial. Il me semble qu'un référendum devrait être nécessaire pour autoriser la participation du Canada à cet accord, puisqu'il s'agit de créer un embryon de gouvernement à l'échelle continentale.

Le respect des droits de la personne, celui de la démocratie, sont des conditions essentielles et incontournables à la participation à la ZLEA, et, à part cette assemblée, il me semble que ça commence plutôt mal. La réalisation de la ZLEA implique une cession de notre autonomie à une structure supranationale. Il est hors de question de tolérer à l'intérieur de cette structure le mépris des valeurs sur lesquelles repose notre société. Sinon, l'OMC fait assez bien l'affaire question commerce international.

Pour répondre à la dernière question du document de consultation concernant son rôle dans la ZLEA, je ne sais pas ce que peut faire l'Assemblée nationale, sinon sensibiliser les Québécois à la situation. La commission a déjà commencé en préparant cette consultation. Mais je souligne l'intérêt de sa dimension virtuelle par Internet. Il serait peut-être possible de dresser les partis fédéraux les uns contre les autres sur la ZLEA, à l'occasion des élections à venir, pour obtenir des promesses de référendum sur le sujet. Si l'Assemblée nationale voulait faire quelque chose en plus, de sa propre initiative, ce serait, à mon avis, d'examiner en profondeur le fonctionnement de la démocratie parlementaire, qui est, selon moi, désuet, et de trouver une alternative mieux adaptée à la réalité moderne dont la complexité dépasse de loin l'État-nation. Je vous remercie, M. le Président, mesdames et messieurs les commissaires, de votre attention.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Merci, M. Cencig, pour votre présentation. Nous en venons donc à la période d'échanges. À ce moment-ci, M. le député de Frontenac.

M. Boulianne: Oui, j'ai une question. Bienvenue à la commission, M. Cencig. Je vais commencer ma question par votre conclusion. Alors, vous parlez évidemment qu'il y a des modes de consultation ou d'intervention qui sont désuets. Vous en proposez un, la consultation virtuelle, qui est un pas dans la bonne direction. Et vous dites que le fonctionnement de la démocratie parlementaire, c'est désuet, qu'il faut trouver une alternative qui serait mieux adaptée. Alors, est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus? Quelle pourrait être cette alternative? Quel mécanisme qu'on pourrait mettre en place pourrait être efficace et répondre à la modernité?

M. Cencig (Jean): J'avais un peu prévu cette question-là. Vous m'excuserez si je lis ma réponse. La démocratie parlementaire est née à une époque où la taille d'un forum de discussion était limitée par la portée de voix et où seule une petite partie de la population savait lire. Ça a beaucoup changé. La population est beaucoup plus nombreuse, elle est instruite et les moyens de communiquer sont massifs. Les problèmes aussi sont massifs et leur portée dépasse souvent la juridiction d'un palier de gouvernement.

Je crois que la structure de nos sociétés est trop rigide pour faire face avec souplesse aux défis qui s'en viennent à cause du changement rapide des conditions socioéconomiques et environnementales. Il y a, en géométrie, un principe récemment découvert par un mathématicien français, Benoit Mandelbrot, principe à la base des fractales, qui est celui de la similarité indépendante de l'échelle. Le problème vécu par les municipalités de la région de Québec est comparable avec celui vécu par le Québec au Canada et sera comparable avec ceux vécus par le Canada au sein de la ZLEA ou d'autres organisations supranationales. Cette similarité des problèmes démocratiques est indépendante de l'échelle. Mais on adopte, selon l'échelle, des règles qui sont différentes. Et ces différences sont issues de contingences historiques. Elles ne sont pas actuellement idéales, et de loin, mais elles sont là.

La nature a adopté la solution des fractales dans de nombreux domaines. Cette solution impliquerait, transposée à la démocratie, que les droits et devoirs soient similaires à tous les niveaux, à toutes les échelles, que ce soit individuelle, municipale, provinciale, fédérale ou continentale. L'Assemblée nationale pourrait réfléchir sur une nouvelle forme de démocratie qui sera adaptée à la mondialisation et à notre société de plus en plus technologique et qui pourrait éventuellement servir de constitution proposée lors du prochain référendum. Au moins, on saurait sur quoi on vote.

Vous avez écouté ici des exposés produits par un bon nombre de groupes divers, et cette pluralité montre bien le besoin de suppléer aux lacunes de la démocratie parlementaire. Ni les citoyens ni les groupes n'ont en général d'accès aux prises de décision. Et, si je suis surpris d'être ici, je ne dois pas oublier que vous n'avez aucun pouvoir de négociations sur la ZLEA. M'auriez-vous écouté si le gouvernement québécois avait sa place dans les négociations? Les groupes dont vous avez écouté les représentants appellent l'expression de la volonté des citoyens dans des référendums. L'existence de sa pluralité de groupe ne doit pas masquer la nécessité d'élargir grâce à la technologie la base du pouvoir de décision en systématisant l'usage du référendum.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): On constate effectivement que vous aviez bien vu venir la question. M. le député de Frontenac, toujours.

M. Boulianne: Oui. Bien, vous avez parlé, dans cette réponse-là, de la contradiction entre notre autonomie puis la structure supranationale. Est-ce que vous dites que la ZLEA, ça va consacrer ce principe-là de la cession de notre autonomie nationale vis-à-vis le supra? Parce que c'est ce qu'on nous a démontré. On est inquiets à ce chapitre-là. On voudrait, si on fait le libre-échange, garder les pouvoirs, notre autonomie.

M. Cencig (Jean): On voit, dans la formation de la ZLEA, l'application d'un principe qui, si je ne me trompe pas, n'existe pas au niveau du pouvoir au Canada fédéral ou provincial. Si on arrive à l'accord de la ZLEA, les pays membres vont céder volontairement une part de leur autonomie. S'ils décident de se retirer de la ZLEA, ils peuvent récupérer leur autonomie. Il va y avoir des sanctions éventuellement qui vont être prises contre eux. Autrement dit, en créant la structure supranationale de la ZLEA, le pouvoir vient d'en bas, le pouvoir appartient aux pays qui sont membres de la ZLEA ou qui veulent le devenir, et ils peuvent récupérer ce pouvoir.

Je ne sais pas si j'ai bien compris le système parlementaire, mais il me semble qu'ici vous avez été choisis par la population mais que votre pouvoir vient d'en haut, de la couronne. Je pense que, si on révise les fondements de la démocratie parlementaire, il faut s'attendre à ce qu'on puisse récupérer à volonté certains attributs du pouvoir, comme, par exemple, j'ai parlé à un moment donné des problèmes de juridiction, des gouvernements qui tiennent mordicus à leur juridiction. Il me semble que, si le Québec voulait rapatrier ici ? comme il y a eu dernièrement une commission des affaires sociales sur l'assurance parentale ? il suffirait d'un référendum, par exemple, pour que le fédéral soit obligé de transférer automatiquement le pouvoir au Québec. Et, si, par hasard, les associations des ligues mineures de base-ball voulaient qu'il y ait un organisme fédéral qui s'en occupe, bien, elles pourraient s'entendre pour donner la responsabilité au fédéral pour s'en occuper. C'est juste un exemple concernant cette mobilité. Je verrais aussi, pour aller toujours dans cette direction-là, en rapport avec les... qu'une école anglophone du Québec pourrait dépendre du fédéral et qu'une école francophone en Ontario dépende du ministère de l'Éducation québécois.

J'ai l'impression qu'on est rendu à un stade où les frontières politiques qui existaient à l'origine où on a fait la démocratie parlementaire, ces frontières politiques qui contenaient vraiment un État-nation sont en train d'être dissoutes et que la notion de gouvernement liée à l'État-nation devrait s'adapter à une réalité où les frontières économiques, politiques et culturelles ou industrielles et environnementales ne coïncident plus les unes avec les autres. Et c'est pour ça que je dis que, quand on voit la ZLEA, dans la ZLEA, il y a une participation volontaire avec possibilité de retrait, on voit le fédéral nier au Québec la possibilité du retrait de la Constitution, il me semble que ce n'est pas le même genre de règle qui s'applique. Il y a vraiment deux principes différents de gouvernement. Dans un cas, le pouvoir vient d'en bas, pour la ZLEA, mais, au Canada, le pouvoir vient de la couronne. Ce serait en quelque sorte inverser la pyramide du pouvoir, à mon point de vue.

n(16 h 30)n

M. Boulianne: Vous dites qu'on n'a pas de pouvoir. C'est vrai, le Québec, à l'intérieur de toute cette négociation-là, on l'a vu, donc, a des pouvoirs limités. Mais là quand même on exerce un certain pouvoir, on exerce la démocratie en vous écoutant d'abord, première des choses. Vous parlez de nouvelles technologies, alors vous l'avez démontré aussi sur Internet, et donc on prend compte de ça aussi, on prend compte de vos idées. Et je pense que, même si on avait... et surtout si on avait eu un mot à dire ou plus de pouvoir à l'intérieur de la discussion de la ZLEA, on vous aurait quand même écouté. Je veux répondre à votre question, dire: Est-ce que vous m'auriez écouté, à ce moment-là? On n'aurait pas eu d'ailleurs d'avantage à ne pas vous écouter.

M. Cencig (Jean): J'ai écouté tous les débats de cette Assemblée. Honnêtement, c'est la première fois que je participe à un débat, c'est la première fois que le gouvernement me demande autre chose qu'un X ou de l'argent. Alors, c'est pour ça que je dis que, si vous aviez eu des représentants sur les comités de négociations, auriez-vous eu le besoin de faire cette...

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Au risque de vous décevoir, c'est le Parlement et non pas le gouvernement qui vous donne cette opportunité.

M. Cencig (Jean): Oui, oui.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Ha, ha, ha! Maintenant, j'inviterais le député de Laurier-Dorion à bien vouloir y aller de ses questions.

M. Sirros: M. le Président, peut-être, c'est un des bienfaits de la fédération, des fois, on sent le besoin de pousser là où on trouve qu'on est exclu, alors on a recours aux citoyens. Moi, j'aimerais juste vous accueillir, vous féliciter pour la présentation que vous nous faites. Souvent, ici, comme parlementaires, on a devant nous des gens qui représentent des intérêts, des gens qui sont issus des groupes. C'est rare effectivement qu'il y a des citoyens qui arrivent et qui présentent des mémoires réfléchis, structurés et pensés.

On parlait tantôt de toute la question des nouvelles formes de gouvernance. Vous semblez parler un peu en faveur d'un genre de démocratie directe, en jonction avec les nouvelles technologies. Peut-être, c'est quelque chose... Et d'ailleurs il y a des réflexions qui se font dans ce sens-là dans plusieurs milieux universitaires et autres: Comment est-ce qu'on peut profiter de la nouvelle technologie pour s'assurer qu'il y ait une plus grande participation des citoyens?

Effectivement, je pense que vous avez soulevé une problématique au niveau de la capacité de vraiment atteindre les médias. Puis souvent, nous, on vit la frustration que ce que les gens voient de notre travail ou de nos réflexions, c'est un petit clip de 15 secondes à la télé où finalement tout est tellement canné en fonction des besoins des médias et non pas en fonction des débats réels qui se passent qu'on a souvent le sentiment qu'on n'arrive pas à percer. Alors, on a essayé de contrecarrer ça en disant: Bien, on va au moins téléviser ou rendre publics et accessibles certains de nos débats, sauf que ça n'a pas la même attraction que, je ne sais pas, moi, des séries télévisées, etc. Alors, nos cotes d'écoute ne sont pas très élevées, d'après ce que je peux comprendre.

Une voix: ...les Olypiques.

M. Sirros: Ou les Olympiques, de ce temps-ci. Mais c'est dans ce sens-là que je voulais vous remercier pour votre présentation. Et peut-être une question ou un commentaire supplémentaire de votre part. Je ne sais pas si vous avez des remarques écrites sur ça, mais vous parlez, vous dites à un moment donné, vous semblez dire que ça serait peut-être plus intéressant de passer par l'instauration des normes de démocratie que des normes sur le travail dans l'Accord, dans la mesure où, finalement et ultimement, c'est la démocratie qui fait en sorte que les sociétés peuvent rehausser leurs standards de vie par la pression populaire. Avez-vous réfléchi plus à fond sur ça ou avez-vous d'autres commentaires?

M. Cencig (Jean): J'ai entendu ici, à la télévision, des représentants des syndicats qui disaient qu'il y avait des normes du travail dans des pays comme le Mexique ou d'autres pays et que ces normes-là n'étaient pas tellement respectées. J'ai l'impression que la démocratie n'est pas toujours respectée dans les États du Sud.

Il y avait, entre autres, dans le document de consultation auquel j'ai répondu, une question à propos des coups d'État. Je me suis demandé s'il y avait quelqu'un qui avait rédigé le document qui avait un certain humour noir parce que les coups d'État qu'il y a eu en Amérique du Sud étaient souvent planifiés au nord du Rio Grande. Il me semble qu'il devrait y avoir des... Comment?

M. Sirros: Seulement souvent ou toujours?

M. Cencig (Jean): Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais il reste que c'est scandaleux, quand on y pense. Alors, si la ZLEA s'impose avec la possibilité de représailles économiques sur un pays qui ne respecte pas un minimum de démocratie, dont la liberté de s'associer, l'obligation de tenir des élections décentes, il me semble qu'il devrait y avoir une représailles économique pour leur faire payer cher, aux dictateurs, la violation des droits des citoyens.

M. Sirros: ...récemment que le Canada, par exemple, menaçait d'exclure de la participation au Sommet prochain au moins quatre pays qui, selon le sens commun, ne respectent pas minimalement des règles minimales. Est-ce que, selon vous, une façon de donner ce genre de motivation vers la démocratie, ce serait d'exclure d'un accord sur le libre-échange des Amériques des pays qui ne rencontrent pas des standards minimaux?

M. Cencig (Jean): Là, ce serait appliquer la... Ce serait peut-être aller un peu vite. Parce que, si on veut pouvoir exercer des sanctions, il faut que les gens perdent quelque chose. S'ils ne sont pas déjà dedans, ils n'ont rien à perdre, dans un sens.

M. Sirros: ...argument qui souvent est mis de l'avant par des gens qui disent: Pour qu'on puisse avoir une influence sur des dictatures ou des régimes totalitaires, il faudrait qu'eux ils aient effectivement quelque chose à perdre si on les lâche. Donc, pour qu'on les lâche, il faut qu'on s'y joigne d'abord. C'est ça que je comprends.

M. Cencig (Jean): C'est vraiment un sujet difficile. Et je ne suis pas expert. J'ai des opinions assez générales sur les principes sur lesquels doit reposer la ZLEA, mais ce genre de détail là mérite réflexion.

M. Sirros: Merci beaucoup.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): M. Cencig, j'aimerais vous remercier au nom des membres de la commission pour votre contribution à nos réflexions et à nos travaux.

M. Cencig (Jean): Merci.

Le Président (M. Bertrand, Portneuf): Sur ce, ayant complété notre mandat pour la journée, j'ajourne les travaux sine die. Merci à tous.

(Fin de la séance à 16 h 37)



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