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Version finale

37e législature, 1re session
(4 juin 2003 au 10 mars 2006)

Le mercredi 28 janvier 2004 - Vol. 38 N° 27

Consultations particulières sur le projet de loi n° 35 - Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives


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Table des matières

Journal des débats

(Dix heures trente-huit minutes)

Le Président (M. Simard): Alors, nous allons commencer nos travaux. La Commission des institutions, vous le savez, se réunit aujourd'hui pour procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 35, dont l'intitulé est Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives.

Avant de parler de l'horaire de la journée, j'invite le secrétaire à nous dire s'il y a des remplacements aujourd'hui.

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. J'informe cette commission que M. Létourneau (Ungava) sera remplacé par M. Côté (Dubuc) et que Mme Papineau (Prévost) sera remplacée par M. Bédard (Chicoutimi).

Auditions (suite)

Le Président (M. Simard): Alors, ce matin, nous entendrons dans quelques minutes la Fondation pour l'aide aux travailleurs et travailleuses accidentés; d'ailleurs, je les invite à venir nous joindre; ensuite, Me Sylvain Lallier nous présentera un mémoire. Cet après-midi, si les choses se passent comme nous le souhaitons de part et d'autre, nous commencerions nos travaux à 2 heures, à 14 heures.

Alors, vous connaissez nos règles de fonctionnement: vous avez une vingtaine de minutes pour nous donner, tous les trois, l'essentiel de votre mémoire; ensuite, les deux partis, l'opposition et le parti ministériel, vous interrogeront pendant deux fois 20 minutes. Vous feriez bien maintenant de vous identifier, le porte-parole, et d'identifier ceux qui vous accompagnent.

Fondation pour l'aide aux travailleuses
et aux travailleurs accidentés (FATA)

M. Morissette (Jacques): Oui, M. le Président. Alors, bonjour à tout le monde. Je voudrais présenter... Mon nom est Jacques Morissette, président du conseil d'administration de la FATA. Je suis accompagné de Denis Lévesque, qui est directeur général de la FATA, et de Jacques Lauzon, qui est avocat à la FATA. Donc, dans la présentation du mémoire, je vais vous en lire une partie, puis il y a une partie que Me Lauzon va vous présenter.

Alors, j'imagine que tout le monde l'a lu attentivement, le mémoire que nous avons présenté. Alors, le 13 novembre 2003, le ministre de la Justice présentait le projet de loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives. Par ce projet de loi, le ministre entend modifier la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en intégrant la Commission des lésions professionnelles dans un nouveau tribunal, le Tribunal des recours administratifs du Québec, le TRAQ ? alors, vous comprendrez qu'il y a eu une erreur de frappe, là, au lieu du C, c'est un Q, dans le TRAQ, dans le document ? mais également en changeant des dispositions concernant notamment la révision administrative, la conciliation et les délais de contestation.

La Fondation pour l'aide aux travailleurs et travailleuses accidentés est un organisme sans but lucratif qui vient en aide aux accidentés du travail depuis 1982. La FATA vient en aide aux accidentés de différentes façons. Elle offre des services d'information, de consultation, de défense et des services d'expertise médicale. Chaque année, nous recevons près de 10 000 demandes d'information, et, depuis 1982, nous avons représenté près de 15 000 victimes d'une lésion professionnelle devant les différentes instances de la CSST ou devant les tribunaux administratifs.

Nous avons deux bureaux, l'un à Québec et le second à Montréal. Notre clientèle se compose en majeure partie de travailleuses et de travailleurs non syndiqués, de différentes nationalités, souvent démunis financièrement. À ce titre, nous désirons intervenir afin de vous faire part de nos inquiétudes en regard du projet de loi que vous présentez et vous demander de le retirer.

n (10 h 40) n

Avant d'aborder le projet de loi, nous croyons qu'il est important de rappeler certaines caractéristiques de notre système actuel. Une victime d'une lésion professionnelle doit faire face à deux autres parties: la CSST et son employeur. Ces parties sont habituellement représentées par un avocat ou un autre professionnel spécialisé en matière d'indemnisation et disposent de moyens substantiels pour supporter leurs prétentions. À l'opposé, la victime d'une lésion professionnelle est souvent seule, fragilisée, connaît mal ses droits et les procédures et dispose de moyens très limités. Il existe ainsi un déséquilibre structurel qui désavantage grandement la victime que le législateur a le devoir d'atténuer. Ce rôle est d'autant plus crucial que les enjeux sont importants pour la victime qui voit sa santé et sa capacité de travail affectées et qui risque l'appauvrissement financier.

Aspects positifs du projet. Tout d'abord, nous tenons à souligner quelques points positifs du projet de loi, entre autres les délais de contestation. L'article 41 du projet de loi prévoit que le nouveau délai pour contester une décision de la CSST sera de 90 jours. Nous croyons qu'il s'agit d'un geste qui va dans la bonne direction. En effet, les courts délais de contestation des décisions font en sorte que, trop souvent, nous voyons dans l'obligation de recommander aux victimes d'une lésion professionnelle de contester une décision afin de protéger leurs droits.

Cette situation se présente tout particulièrement dans les litiges à caractère médicolégal et de réadaptation. Rappelons ici que très souvent la CSST, suite par exemple à une décision du Bureau d'évaluation médicale, rend une décision portant sur des aspects médicaux que seul le temps nous permettra de vérifier le bien-fondé. En effet, une lésion peut évoluer de façon différente de ce qui était anticipé, et il arrive trop fréquemment qu'une décision soit rendue alors que l'investigation médicale n'est pas complétée. Il en est de même en ce qui concerne les décisions portant sur la réadaptation, plus précisément sur le choix d'un emploi convenable, sur la formation qu'il nécessite et sur le salaire retenu. Ainsi, compte tenu que le bien-fondé de la décision ne peut s'évaluer dans le délai de contestation prescrit par la loi, nous n'avons d'autre choix que de la contester, ce qui a pour effet de congestionner inutilement le système.

Par ailleurs, beaucoup de victimes d'une lésion professionnelle, et tout particulièrement les non-syndiqués, ne connaissent pas leurs droits et les différentes procédures à suivre lorsqu'ils décident de contester une décision, ce qui les oblige à s'adresser à des ressources extérieures. Par conséquent, nous croyons que l'augmentation du délai de contestation ne peut avoir qu'un effet positif sur le nombre de litiges qui se retrouvent devant les tribunaux.

Maintenant, je vais céder la parole à Me Lauzon qui va vous parler des autres points qui suivent, puis je vais revenir par la suite.

Le Président (M. Simard): Très bien.

M. Lauzon (Jacques): Un autre point positif, M. le Président, face à ce projet de loi là, c'est le transfert du tribunal au ministère de la Justice. Évidemment, nous réjouissons de ce transfert; c'est essentiel pour garantir l'indépendance judiciaire et l'impartialité. Et c'était la position déjà de la FATA lors du projet de loi n° 79, en 1997, et ça l'est toujours. Actuellement, le ministère du Travail paraît être à la fois en quelque sorte juge et partie. Il a la responsabilité de la CSST et il a aussi la responsabilité de la CLP qui juge les décisions de la CSST. Et, comme vous le savez, M. le Président, il ne suffit pas que justice soit rendue, encore faut-il qu'il y ait apparence que justice a été rendue, et actuellement, ce n'est pas le cas. Donc, nous réjouissons de cette proposition.

Autre point positif au projet de loi, la nomination des juges durant bonne conduite. C'est un point qui va dans le sens du transfert du tribunal au ministère de la Justice et, comme le transfert du tribunal au ministère de la Justice, ça pourra assurer une plus grande garantie d'indépendance judiciaire et d'impartialité. Et nous croyons que les travailleurs, les victimes d'accident du travail, eux aussi, ont droit à ces garanties fondamentales, que devrait fournir tout tribunal, d'impartialité et d'indépendance judiciaire. Donc, face à ces propositions, nous réjouissons évidemment.

Maintenant, nous avons des réserves importantes face d'abord à ce qu'il conviendrait d'appeler la présomption de désistement, parce que le projet de loi prévoit que, lorsque le travailleur conteste une décision de la CSST devant le TRAQ, si la CSST révise sa décision, alors, le travailleur devra informer le TRAQ qu'il maintient sa contestation. Autrement, le travailleur est réputé s'être désisté.

Ça revient à demander au travailleur de loger à nouveau son recours, alors que l'expérience nous apprend que la décision de la CSST, dans la plupart des cas, sera maintenue, au moins sur ses aspects essentiels. Pourtant, le travailleur a déjà mentionné qu'il contestait la décision de la CSST, et il y a lieu de se questionner sur les motifs du législateur de lui demander à nouveau s'il conteste la décision. Non seulement le travailleur doit loger un recours une première fois, mais encore il doit loger à toutes fins pratiques le même recours une deuxième fois, comme si on n'avait pas bien entendu. Et non seulement il doit loger son recours une deuxième fois, mais en plus, dans un délai précis, un délai de 30 jours. Autrement, il est réputé s'être désisté de son recours. Et ça, M. le Président, ça nous inquiète grandement.

C'est d'autant plus inquiétant que le mot choisi dans le projet de loi est «réputé» plutôt que «présumé s'être désisté de son recours». Et, si je me rappelle bien, à l'école de droit, lorsqu'une chose est réputée, c'est qu'aucune preuve contraire ne peut lui être opposée. Et c'est aussi la définition que retient le Code civil, à son article 2847, du mot «réputé» au chapitre de la présomption. En clair, ce que ça veut dire, c'est que le travailleur aura intérêt à le loger à nouveau, son recours. Autrement, c'est comme si le législateur sortait l'artillerie lourde, et le travailleur perd tous ses droits. Ça, ça vient accentuer le déséquilibre qui existe déjà entre l'État et la victime fragilisée par un accident du travail.

Un autre point, aussi, sur lequel nous avons des réserves touche à l'accès aux décisions du nouveau tribunal. Actuellement, les articles 382 à 384 de la LATMP consacrent le caractère public des décisions de la CLP. Malheureusement, ces articles-là sont abrogés par l'article 99 du projet de loi et, dans les faits, vont être remplacés, tout simplement, par l'article 90 de la Loi sur la justice administrative.

L'expérience nous a démontré qu'il était malheureusement beaucoup plus difficile d'avoir accès aux décisions du TAQ que de la CLP, et je peux vous dire que l'accès aux décisions de la CLP fonctionne très bien. C'est merveilleux, on a accès aux décisions de la CLP sur des sites gratuits, Internet, on a aussi accès via SOQUIJ, alors que pour le TAQ, ce n'est pas du tout ça. Pour le TAQ, on est restreint à avoir accès à des résumés dépersonnalisés, et, si on veut la décision, on doit demander au greffe, c'est très compliqué. Alors, ça comporte un net recul par rapport à la situation actuelle et, ça aussi, ça va augmenter le déséquilibre entre le travailleur et l'État, la CSST, qui est une partie, puisque seule la CSST, qui est une partie, aura accès à l'ensemble des décisions du nouveau tribunal.

Bon, maintenant, quant à l'intégration de la CLP au TRAQ, je cède la parole à Jacques Morissette, et dans le mémoire, on se retrouve à la page 6. Merci.

n (10 h 50) n

M. Morissette (Jacques): Alors, l'un des aspects importants du projet de loi consiste à l'intégration de la CLP au TRAQ. En soi, la création d'une division du TRAQ plutôt que le maintien d'une institution complètement séparée ne pose pas de problème. Notre opposition vient plutôt du fait que cette intégration se fait dans l'ignorance des particularités des lésions professionnelles.

Depuis 1985, les accidentés du travail bénéficient d'un tribunal spécialisé qui a su développer son expertise dans des questions relatives aux lésions professionnelles. Nous croyons qu'il est essentiel que les commissaires ou les juges appelés à rendre une décision finale s'inscrivent dans ce modèle qui a fait ses preuves.

Bien que nous ne remettions pas en question l'expertise des commissaires actuels du Tribunal administratif du Québec, nous croyons qu'elle n'est pas transportable pour les victimes d'une lésion professionnelle. Comment un membre habilité à entendre des litiges relevant des affaires économiques peut équitablement rendre une décision finale portant sur l'application de la LATMP et de la Loi sur la santé et sécurité au travail? On nous répondra peut-être que l'on entend limiter les transferts aux membres du TAQ qui ont de l'expérience avec les accidents de la route. Cette possibilité est tout autant inacceptable, car elle ne tient pas compte de la jurisprudence unique, et même complètement divergente à certains égards, qui s'est développée à la CLP. Faut-il encore rappeler le caractère tripartite des litiges, particularité propre au champ couvert par la LATMP et la Loi sur la santé et sécurité du travail, l'aspect médicolégal et les dimensions se rapportant aux relations de travail?

Par conséquent, nous croyons nécessaire que l'on s'assure que la division des lésions professionnelles maintienne son caractère spécialisé et que l'on restreigne la mobilité des juges et des assesseurs médicaux entre ses diverses sections, et ce, en respect avec l'expertise que nécessite le traitement des litiges.

L'article 97 du projet de loi prévoit des modifications à l'actuel article 365 de la loi. L'essence de ce changement est de retirer une contrainte à la CSST touchant la stabilité des décisions. En effet, actuellement, face à un fait nouveau, la CSST dispose de 90 jours pour modifier une décision. Avec le changement proposé dans le projet de loi, la CSST pourrait, quand elle le juge opportun, modifier une décision quel que soit le temps écoulé depuis que cette décision a été rendue. Pensons, par exemple, à un accidenté dont l'accident a été accepté par la CSST. Rien n'empêche la CSST, trois ans plus tard, de revenir sur sa décision et de refuser la réclamation. Comment le travailleur pourra-t-il véritablement rapporter les faits relatifs à son accident avec un degré de précision suffisant pour ne pas entacher sa crédibilité? Soulignons en outre que la jurisprudence est restrictive quant aux délais imposés pour faire appliquer la présomption lors d'un accident du travail, par exemple, et justifie cette contrainte par le fait qu'il ne faut pas causer préjudice à la partie adverse, en l'occurrence l'employeur.

Nous devons aussi nous élever contre le premier paragraphe de l'article 97 du projet de loi. On imagine facilement la CSST faire pression auprès des accidentés afin qu'ils ne contestent pas une décision, en faisant miroiter la possibilité qu'elle reconsidère sa décision, avant de lui confirmer, une fois les délais de contestation écoulés, qu'elle maintiendra la décision en litige. Ceci aurait ainsi pour effet de lui faire perdre ses droits. De plus, est-il logique que, lorsqu'il y a une contestation alors que se présente un fait nouveau, la CSST ne puisse modifier une décision et qu'elle doive attendre que le litige soit entendu au TRAQ pour qu'elle demande une suspension d'audience pour réexamen? Cette condition est totalement incohérente et doit être retirée.

Nous avons vu précédemment que l'article 41 du projet de loi prévoit que le délai de contestation passerait de 45 à 90 jours. Toutefois, on impose une contrainte supplémentaire en abolissant l'article actuel de la loi portant sur les motifs raisonnables pour son défaut de respecter le délai de contestation. Ainsi, il est de l'intention du ministre d'imposer plutôt l'article 106 de la Loi sur la justice administrative.

Cet article est beaucoup plus restrictif que le régime actuel de deux manières. D'une part, il impose un délai de 90 jours au-delà duquel le tribunal n'aurait plus juridiction pour traiter de ce défaut, et ce, quel que soit le motif en cause, que l'accidenté soit dans l'impossibilité d'agir ou non. D'autre part, il augmente le fardeau du justiciable en introduisant la notion de motifs sérieux et légitimes en remplacement de la notion du simple motif raisonnable. Ces deux restrictions ne tiennent pas compte de la nature de certaines lésions professionnelles et de l'état de vulnérabilité d'un grand nombre de victimes. Que penser d'une situation où un accidenté se manifeste tardivement en raison de problèmes psychologiques et pour lequel le tribunal déclinerait compétence simplement parce qu'il a contesté la décision 100 jours après la fin des délais prescrits? Ces conditions sont totalement inéquitables et devraient être retirées du projet de loi.

La conciliation semble un mode de règlement privilégié dans le projet de loi. Cependant, la section de la loi portant sur la conciliation est abrogée et remplacée, pour l'essentiel, par l'article 47. Le premier constat est sans contredit le caractère minimaliste des règles encadrant ce mode de règlement. Tout d'abord, il faut mentionner la disparition de l'obligation édictée par l'article 429.46 de la loi de faire entériner les accords par un commissaire de la CLP qui s'assure de leur conformité à la loi. Le projet de loi élimine cette obligation habilitant tout membre expert ou un membre du personnel choisi par le président à mener une séance de conciliation. Pourquoi ne pas avoir conservé l'obligation de faire entériner les ententes par un juge du TRAQ? Il s'agit ici d'une assurance pour le justiciable qui doit être maintenue en raison du déséquilibre structurel que nous avons évoqué plus haut.

Il y a plus. En laissant le champ libre à des ententes qui ne sont pas conformes à la loi, le législateur doit comprendre qu'il sape la légitimité même du régime d'indemnisation. Qui plus est, comment justifier l'abandon du garde-fou que constitue la conformité avec la loi à la lumière des préoccupations affichées par le ministre envers la façon dont les représentants des justiciables s'acquittent de leurs devoirs?

D'autre part, notre expérience nous démontre que le succès de la conciliation réside dans le respect de certaines conditions essentielles. La première est sans contredit l'aspect volontaire de ce mode de règlement. La conciliation n'est pas un exercice que l'on peut imposer à l'autre partie ou aux autres parties. Sans une réelle volonté de régler le litige de cette façon, il s'agit d'un exercice voué à l'échec. En second lieu, le conciliateur joue souvent un rôle déterminant, et la justesse de ses démarches est souvent fonction de son expérience et de son habileté. Troisièmement, les discussions lors des rencontres de conciliation doivent demeurer ouvertes, sans crainte que des informations ressurgissent en audience si la conciliation venait à échouer. Quatrièmement, la connaissance de ses droits est essentielle afin d'en arriver à un règlement juste et équitable. Et finalement, elle ne doit pas se dérouler prématurément, alors que nous ne disposons pas de tous les éléments de preuve nécessaires à son règlement.

Nous croyons que le projet de loi ne respecte pas ces conditions. Tout d'abord, l'article 47 stipule que l'autre partie doit participer à la conciliation. La simple participation d'une partie peut-elle à elle seule favoriser l'élaboration d'une entente? Nous croyons que la simple participation, sans volonté réelle, ne peut engendrer une garantie que les parties en arriveront à un règlement. Par conséquent, il s'agit d'une condition totalement inutile.

La nature de l'article 47 nous porte à croire que n'importe qui pourrait tenir une séance de conciliation. Nous croyons que les conciliateurs actuels, qui agissent en fonction d'un code de déontologie, sont les seuls qui devraient être habilités à mener les séances de conciliation. Il s'agit ici encore d'une garantie favorisant les justiciables et la qualité des ententes.

Il apparaît également inutile que le tribunal, comme il est prévu à l'article 47 du projet de loi, offre sur réception de la copie du dossier une séance de conciliation. Cette démarche s'avérera prématurée et en plus occasionnerait des frais supplémentaires pour les justiciables.

Quant à la possibilité pour les juges de suspendre l'audience afin de mener une séance de conciliation, il s'agit d'une pratique à laquelle nous ne pouvons souscrire. Tout d'abord, parce qu'en cas d'échec la loi prévoit que le juge deviendrait inhabile pour poursuivre l'audience, ce qui entraînerait inévitablement des coûts supplémentaires pour les victimes d'une lésion professionnelle. De plus, nous croyons que les victimes risquent d'être intimidées ? nonobstant le comportement du juge ? et en viennent à accepter un règlement qui, dans d'autres conditions, aurait été jugé inacceptable.

Par ailleurs, il faut se questionner sur ce mode de règlement dans des situations de déséquilibre structurel. Nous avons fréquemment constaté, à la lecture de certaines transactions intervenues entre une victime non représentée et connaissant mal ses droits, que plusieurs ont profité de l'ignorance des victimes afin d'en arriver à un règlement à rabais.

Dans ces conditions, nous croyons que la conciliation devrait être davantage encadrée dans des règles afin d'assurer une certaine équité, tout particulièrement pour les personnes non représentées. Ainsi, ces victimes pourraient, avant de signer une entente, avoir la possibilité de consulter une personne compétente en la matière.

Il faut également se questionner sur l'invitation qui est faite par la CSST à la victime qui désire contester une décision «pour examiner la possibilité de la modifier», introduite à l'article 2. Est-ce une invitation à faire une transaction afin qu'elle renonce à ses droits?

D'entrée de jeu, lorsqu'une victime désire contester une décision, deux solutions pourraient s'offrir à elle. D'une part, le projet de loi prévoit, à l'article 2, que la CSST notifie une décision, elle informe la personne qu'elle peut communiquer avec l'agent afin d'examiner la possibilité de modifier cette décision. Cette mesure introduit donc la procédure de reconsidération ou pourrait donner lieu à des négociations afin d'en arriver à une transaction. D'autre part, la personne pourrait introduire directement sa contestation au TRAQ. Ces deux procédures visant la même finalité, c'est-à-dire la modification de la décision, elles entraîneront inévitablement une confusion pour les victimes d'une lésion professionnelle.

Le Président (M. Simard): Je vous interromps une petite seconde. Évidemment, nous avons lu très attentivement le mémoire que vous lisez. Il ne vous reste plus de temps, sauf pour nous dire quelques mots de conclusion.

M. Morissette (Jacques): Bien, disons que la conclusion, si vous l'avez lue, vous la retrouvez à la page 14.

n (11 heures) n

Bien sûr qu'on vous demande... Je pense que, dans les conditions, avec ce que j'ai mentionné, on dit qu'on devrait retirer le projet de loi, même s'il y a, peut-être, des éléments qu'on considère positifs. Je pense que l'ensemble des... ce qui est prévu dans le projet de loi enlève ou va enlever des droits aux travailleurs qui sont les victimes de ces choses-là. Donc, on va terminer là-dessus, mais je vous inviterais à lire attentivement la conclusion.

Le Président (M. Simard): Alors, au cours des prochaines minutes, vous aurez certainement l'occasion de revenir sur les points que vous souhaitez. Alors, j'invite le ministre de la Justice, du côté ministériel, à poser la première question.

M. Bellemare: Alors, merci beaucoup aux dirigeants de la FATA, MM. Morissette, Lévesque et Me Lauzon que je salue encore aujourd'hui, que j'ai eu l'occasion de rencontrer dans différents ateliers de formation permanente au Barreau. Je vois que vous avez fait un travail colossal et que vous connaissez très bien le secteur des lésions professionnelles. Je vous remercie pour votre présence ce matin.

Et je peux vous dire tout de suite que, sur certains points que vous avez soulevés, je crois qu'il y aura lieu de proposer des amendements, notamment sur la question des motifs d'extension de délai, là. Vous souleviez tantôt avec justesse le problème soulevé par la notion de «motifs sérieux et légitimes», qui est plus exigeante que celle du «motif raisonnable». Alors, j'ai déjà annoncé que j'avais l'intention de proposer des changements au projet de loi pour faire en sorte que ce soit le motif raisonnable qui soit la norme d'extension de délai dans toutes les divisions et sur tous les points, sur tous les sujets.

En ce qui concerne la publicité des décisions, on va prendre les moyens également pour que la situation actuelle soit maintenue et que les décisions soient aussi accessibles.

Et il y a d'autres hypothèses d'amendement qui ont été amenées depuis le début des audiences, notamment une qui a été présentée par l'APCHQ et dont on a discuté avec la Commission des services juridiques notamment, qui permettrait à un accidenté d'en appeler directement au tribunal d'appel sans passer par la procédure de reconsidération de révision, dans le cadre d'une contestation d'une décision émanant d'un bureau d'évaluation médicale.

Est-ce que vous seriez favorables à ce que la décision de la CSST, rendue sur la base d'un rapport du Bureau d'évaluation médicale, soit appelable directement au tribunal d'appel plutôt que de faire le détour par la révision, comme c'est le cas actuellement?

M. Morissette (Jacques): Je vais laisser M. Lévesque répondre à cette question-là.

M. Lévesque (Denis): Bon, évidemment, par rapport à la révision, on ne peut pas dire qu'on est totalement... on est contre la révision. La révision ou plutôt les... Essayer de voir si la révision peut jouer un rôle, ça dépend surtout de la marge de manoeuvre du réviseur, si... la marge de manoeuvre et aussi la question s'il doit respecter les directives qui émanent de la CSST. Bon, à savoir s'il faut... s'il peut être appelé directement au nouveau Tribunal, je pense qu'on n'aurait pas d'objection.

M. Bellemare: Si vous permettez, concernant le... Parce qu'il y a une procédure d'évaluation médicale qui est très spécifique en lésions professionnelles, qu'on ne retrouve ni en aide sociale ni en assurance auto, qui prévoit, comme vous le savez, là, les articles 212, 224 qui lient la CSST. Le rapport du BEM, lui, est entériné par une décision de la CSST, et actuellement, quand on conteste une décision suite au Bureau d'évaluation médicale, ça passe par un processus de révision même si on sait que les réviseurs n'ont pas de pouvoir sur le contenu, et donc c'est presque systématiquement maintenu quand c'est... si ce n'est pas la totalité des cas.

Alors, c'est une étape qui est un peu inutile. Alors, l'idée ? et c'est les employeurs et la Commission des services juridiques qui l'ont amenée ? ce serait de faire en sorte qu'une décision émanant d'un BEM ou donnant suite au BEM puisse être appelée directement au tribunal d'appel. C'est juste ça. Là-dessus, avez-vous des objections ou si vous croyez que c'est une bonne idée?

M. Morissette (Jacques): Moi, ce que je peux vous dire par rapport à ça, c'est qu'effectivement, actuellement, c'est inutile parce que la révision administrative est liée par les décisions du BEM. Donc, je veux dire, c'est une foutaise, là. Sauf que, si ceux qui ont à rendre les décisions au niveau de la révision administrative ne seraient pas liés par la CSST, ce serait peut-être différent. Alors, ça, je pense... Je ne sais pas si Denis aurait d'autre chose à rajouter là-dessus, mais je pense que ça... Ou Jacques?

M. Lauzon (Jacques): C'est à peu près ça.

M. Bellemare: O.K. Maintenant, vous discutez, dans le haut de la page 7 de votre mémoire, là, du nouveau tribunal et des sections, évidemment, qui seraient créées, comme la section des lésions professionnelles. Vous semblez être ouverts à l'idée qu'on puisse avoir un nouveau tribunal unifié. Et, par contre, quant aux possibilités de mobilité des juges administratifs d'une section à l'autre, vous dites que vous estimez qu'on devrait restreindre la mobilité des juges et des assesseurs médicaux dans le respect de leur expertise. Effectivement, il y a des remarques qui ont été faites par d'autres intervenants avant vous et qui disaient: Bon, ce n'est pas mauvais en soi que des juges administratifs puissent être déplacés d'une section à l'autre. Même que la Conférence des juges administratifs estimait souhaitable que ce soit le cas pour assurer une plus grande polyvalence au plan des compétences et faire en sorte que les juges puissent vivre des expériences dans d'autres divisions plutôt que de devenir et de demeurer ultraspécialisés jusqu'à la fin de leur fonction, leur tâche, leur mission.

Alors, qu'est-ce que vous entendez par restreindre la mobilité pour préserver l'expertise? Si je prends, par exemple, dans les grandes divisions médicales, là, lésions professionnelles, affaires sociales, actuellement, devant le TAQ, il y a la division des affaires sociales, sous-division assurance auto, aide sociale, victimes d'actes criminels où il y a du médical presque dans tous les cas. Donc, les juges administratifs sont très bien formés, très compétents en matière médicale.

Est-ce que vous voyez un problème à ce que, dans le nouveau tribunal, il puisse y avoir une mobilité possible, qu'il puisse y avoir des transferts possibles de la section des lésions professionnelles à la section des affaires sociales? On parle toujours de médicolégal, là. C'est peut-être un petit peu plus problématique de lésions professionnelles à affaires immobilières, par exemple, mais, lorsqu'il y a une certaine connexité dans les juridictions, est-ce que vous voyez un problème?

M. Morissette (Jacques): Bien, moi, je vais répondre en partie puis je pense que M. Lévesque va rajouter. C'est-à-dire par rapport à la Loi des accidents du travail, c'est-à-dire que là on a la LATMP puis on a la Loi sur la santé et sécurité au travail, alors je pense que, au niveau de la Loi de la santé et sécurité au travail, il s'agit de loi assez... de relations de travail, c'est-à-dire que c'est des conditions dangereuses qui sont dans l'établissement, supposons, et on ne s'entend pas ni avec l'employeur ni... le syndicat et l'employeur ne s'entendent pas ou bien donc, s'ils ne sont pas syndiqués, les travailleurs ne s'entendent pas avec l'employeur, et là il y a un ingénieur ou il y a quelqu'un du département de la Loi sur la santé au travail qui intervient, et, si on n'est pas d'accord, on peut la contester.

Alors, on pense que cette situation-là, qui implique l'employeur, le travailleur, etc., devrait être entendue devant quelqu'un qui connaît un peu comment ça fonctionne dans une usine. On a un peu de problèmes à penser qu'un juge qui est habilité à rendre des décisions sur la loi... qui touchent la loi des affaires sociales ou n'importe quelle autre loi où est-ce qu'ils administrent des budgets, etc., comprenne exactement la problématique d'un milieu de travail. Alors, ça, c'est la partie... Par rapport à la loi sur les lésions professionnelles, je pense que Denis va vous répondre là-dessus.

M. Lévesque (Denis): Bien, souvent, tout au cours du mémoire, on a affirmé ou, en tout cas, on a souligné l'aspect du déséquilibre structurel. Quand on pense aux victimes qui ne sont pas représentées, le fait d'avoir une personne... d'avoir un juge en avant qui connaît déjà bien la question des lésions professionnelles et des maladies professionnelles, je pense que c'est un avantage qui n'est pas à négliger, surtout pour les personnes qui ne sont pas représentées, par rapport à une autre personne qui aurait aucune connaissance dans ce milieu-là. Donc, encore une fois, pour favoriser les victimes, je pense que c'est important d'avoir quelqu'un qui serait spécialisé dans les questions des lésions professionnelles.

M. Bellemare: Est-ce que vous agissez aussi en matière d'assurance auto? Est-ce que vous allez devant le TAQ de temps en temps?

M. Lauzon (Jacques): On ne le fait plus beaucoup, mais on le fait encore.

M. Bellemare: O.K. Parce que, moi, j'ai... C'est mon expérience personnelle, ce n'est pas l'expérience gouvernementale, mais j'ai fait de l'assurance auto puis de la CSST toute ma vie d'avocat et j'allais devant les deux régulièrement, et il y a beaucoup de causes... Une entorse lombaire à la CSST ou une entorse cervicale à la SAAQ, parce que c'est beaucoup plus courant en matière d'assurance auto, il y a beaucoup de juges administratifs qui sont... et d'assesseurs qui sont en mesure de disposer de litiges semblables. Il y a des différences évidemment, mais on ne part pas du secteur médical au secteur immobilier, là, on est quand même dans un secteur connexe. Et, jusqu'en 1985, la Commission des affaires sociales abordait toutes les questions, elle décidait de tous les litiges, et il y avait une section accidents de travail, une section assurance auto. Il y a encore beaucoup de juges administratifs du TAQ, actuellement, qui étaient là, à la Commission des affaires sociales, et qui ont, pendant des années, entendu des litiges en matière de santé et sécurité.

Si on leur donne une formation d'appoint, s'assurer qu'ils ont les compétences, est-ce que vous voyez des difficultés à ce qu'il y ait des transferts lorsque les besoins l'exigent, lorsque les besoins du tribunal l'exigent?

n (11 h 10) n

M. Lévesque (Denis): C'est sûr qu'au niveau strictement médical, à savoir pour évaluer si la personne a une hernie discale ou... Bon, je pense qu'une hernie discale ou une entorse lombaire... je pense que, au niveau du TAQ, ils le font assez fréquemment, mais je ne pense pas que c'est la même chose quand on parle, par exemple, des risques particuliers du travail, je ne pense pas qu'ils ont de compétence à ce niveau-là. Et j'ai l'impression que les commissaires actuels, au niveau de la Commission des lésions professionnelles, ont développé une expertise qui est importante et qui... Et, je ne pense pas que cette expertise-là ait été développée au niveau des autres juges ou au niveau des commissaires au niveau du Tribunal administratif du Québec, donc je pense que les victimes, à ce moment-là, pourraient être désavantagées par cette mobilité-là.

M. Bellemare: Merci.

Le Président (M. Simard): Vous avez terminé pour l'instant? Alors, j'invite le parti de l'opposition officielle et son porte-parole, le député de Chicoutimi, à poser la première question.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, merci, MM. Morissette, Lévesque et Me Lauzon. Votre mémoire est fort intéressant et aborde des questions qui ont été parfois... qui ont été effleurées par cette commission. Et, dans votre cas, vous les poussez vraiment plus loin tant en termes juridiques, je vous dirais, qu'en termes pratiques, ce qui fait que votre mémoire est très particulier et, je vous dirais, très intéressant pour la commission, et sûrement très utile.

Le ministre a fait certaines ouvertures. Je voudrais pousser un peu plus loin les raisonnements, entre autres sur la présomption de désistement. Et là vous faites bien ressortir, je pense, l'incongruité que ça pourrait constituer d'aller de l'avant avec une telle procédure, soit de permettre... Quelqu'un ? et là je vais m'expliquer dans mes mots, vous me direz si ce que je vous dis représente bien le projet de loi ? quelqu'un décide d'aller en appel, évidemment, de porter la décision devant le TAQ. L'instance peut réviser sa décision, donc elle la révise. La personne qui a pourtant pris la décision d'aller devant le TAQ doit à ce moment-là redemander à nouveau, et là aux fonctionnaires, dans un délai de 30 jours, si elle entend maintenir son appel. Et là, devant le fonctionnaire, donc devant le TAQ, elle doit en appeler devant... elle doit dire aux fonctionnaires qu'elle maintient, devant le TAQ, sa décision. Et si, dans 30 jours, elle n'a rien fait, bien là, à ce moment-là, elle est présumée perdre son recours.

Le «réputé», évidemment, ce qui a une bonne conséquence... Le fait d'être réputé, c'est que c'est irréfragable, donc il n'y a aucune défense contre ça. Le ministre a ouvert pour mentionner: Est-ce qu'on pourrait présumer, donc créer une présomption de désistement? Or, vous, vous allez plus loin que ça, vous dites: Non, au contraire, on doit plutôt... comme il y a appel, c'est le maintien de l'appel qui est le fait le plus important, donc on ne devrait pas présumer rien du fait que l'administration décide d'elle-même de réviser. Est-ce que je comprends bien votre raisonnement?

M. Lauzon (Jacques): Tout à fait.

M. Bédard: Et le fait de conclure à la présomption... Et le fait, plutôt, de changer «réputé» par «présumé», est-ce que c'est de nature à vous contenter ou vous voulez tout simplement abolir cette présomption?

M. Lauzon (Jacques): Ce serait une amélioration évidemment. Cependant, ça reste encore, je dirais, un piège pour le travailleur parce qu'il devra faire la preuve qu'il ne s'est pas désisté de son recours, alors que son recours est logé dans sa tête. Et, si la CSST a révisé sa décision sur un point accessoire, mais que l'essentiel de la décision est maintenu, le travailleur perd tous ses droits ici. Alors, si on prend un exemple qui est dans le mémoire, la date de consolidation, la date à laquelle on dit à quelqu'un qu'il est guéri est repoussée de quelques semaines, mais, dans la même décision, on lui dit qu'il est capable de faire le travail, de faire un travail, alors, s'il ne conteste pas cette décision-là en disant: Bon, bien, c'est vrai pour la date de consolidation, j'étais guéri trois semaines plus tard, mais, pour le fond, je vais aller au TRAQ, j'ai déjà logé mon recours, mais non, il est réputé s'être désisté. Alors, ici, le piège est très important.

Maintenant, s'il est présumé s'être désisté, on pourra faire la preuve du contraire, c'est vrai, mais là il y a toute la notion aussi... la notion des délais de 30 jours, parce qu'on sait que le TRAQ aura la compétence pour prolonger le délai seulement de 90 jours. Est-ce que ça veut dire que quelqu'un qui ne se serait pas manifesté 90 jours après le délai de 30 jours... est-ce que ça veut dire que cette personne-là ne pourrait plus être entendue au TRAQ? Ce sont des questions que je me pose, en tout cas. Et je trouve ça très dangereux, je ne peux pas laisser aller ça de cette façon-là.

M. Bédard: Quel avantage, d'abord, aurions-nous à maintenir cette présomption dans le cas où on change la présomption par... plutôt par le fait d'être réputé par la présomption... Mais quel avantage pour le salarié, pour la personne qui conteste, d'avoir un tel délai de 30 jours ou une telle présomption?

M. Lauzon (Jacques): Je pense que l'avantage n'est pas pour le salarié, mais pour la CSST.

M. Bédard: Alors, pourquoi le maintenir?

M. Lauzon (Jacques): Ça ne fait qu'augmenter d'une façon ou d'une autre le déséquilibre entre la victime d'accident de travail et l'État.

M. Bédard: Merci de nous avoir fait bien comprendre cet aspect, parce que je ne voyais aucun autre avantage, effectivement, et vous n'en voyez pas. Vous représentez des salariés, vous représentez des accidentés du travail, vous n'y voyez aucun avantage. Merci.

Sur la publicité totale, le ministre a ouvert, et ça, j'en suis fort heureux. Un des éléments aussi, vous dites dans votre mémoire, vous mentionnez que vous êtes satisfaits du fait qu'on augmente les délais à la page 4: «Par conséquent, nous croyons que l'augmentation du délai de contestation ne peut avoir qu'un effet positif sur le nombre de litiges qui se retrouvent devant les tribunaux.» Vous n'êtes pas les seuls. Vous, vous êtes des praticiens, dans le sens que vous êtes des gens qui représentez des individus. Vous êtes une fondation, donc vous en voyez beaucoup passer. Et on a eu une théoricienne, plus, qui est venue nous affirmer une telle chose, Me Lippel ? je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire son mémoire ? qui nous a dit effectivement que l'augmentation du délai de contestation aurait un impact sur le nombre de contestations.

Alors, poussons un peu plus loin. On le met à trois mois. Si on le mettait à six mois, est-ce que ce serait une avancée? Est-ce que le fait d'augmenter encore un peu plus loin ce délai de contestation aura un effet favorable pour les salariés, pour ceux qui contestent?

M. Lévesque (Denis): Bon, bien, c'est sûr que, moi, je pense que plus le délai va être long, plus on aurait le temps de vérifier si... le bien-fondé, par exemple, d'une contestation. Quand on regarde, par exemple, au niveau du suivi médical, bon, dans certains cas, si, par exemple, on essaie de déterminer si la personne, elle a une hernie discale et que la personne fait une demande pour passer une résonance magnétique pour confirmer ce diagnostic-là ou non, et qu'elle doit attendre environ six mois ou trois mois, bon, si on n'a pas la réponse finale dans le délai, bien évidemment que, pour protéger les droits de la personne, on va contester la décision. Donc, plus le délai va être long, et plus on va avoir le temps, à ce moment-là, de voir le bien-fondé de la décision. Donc, à ce moment-là, moi, si c'était six mois, je serais encore plus heureux, et j'ai l'impression qu'à ce moment-là on pourrait éviter de faire des contestations qu'on fait actuellement pour protéger les droits.

M. Bédard: Si vous aviez la place du ministre, vous indiqueriez quel délai, vous?

M. Lévesque (Denis): On ne s'est pas prononcé sur cette question-là.

M. Bédard: Je vous donne l'occasion.

M. Lévesque (Denis): Pardon?

M. Bédard: Je vous donne l'occasion de le faire, 120, 150, 180?

M. Morissette (Jacques): Bien, je pense qu'en termes... Si je me fie un peu à mon expérience de travail, je pense que six mois, ce serait quand même beaucoup mieux qu'à l'heure actuelle. Puis je pense qu'au niveau de la règle au ministère du Travail, quand tu dois déposer un grief... je pense que tu peux aller jusqu'à six mois aussi. Je pense que c'est une règle qui est reconnue dans les lois du travail. C'est sûr qu'il peut y avoir des délais plus courts, dépendamment des ententes qu'il y a dans les conventions collectives, mais je pense que le six mois, ce serait un délai, à notre avis, qui serait beaucoup mieux que le délai actuel. Si vous voulez mettre un an, on n'a pas d'objection non plus.

M. Bédard: Au niveau de la conciliation ? je vais revenir ? au niveau de la conciliation, vous abordez cet aspect-là qui est vraiment intéressant en termes de réalité pour le travailleur, et là vous dites: L'impact du projet de loi... Actuellement, il y a un processus de conciliation qui est quand même assez ? c'est ce que j'ai compris de vos propos ? assez douloureux ou parfois particulier. Vous dites: Oui, il y a des bons effets, mais souvent le déséquilibre joue contre le travailleur, donc d'où l'importance de maintenir l'approbation par le tribunal. Mais vous dites: Maintenez aussi la réglementation en matière de conciliation. Est-ce que j'ai bien résumé votre intervention?

Il faut bien faire ressortir les problématiques de la conciliation parce que plusieurs nous vantent... Et, c'est normal, plus on concilie, plus ça semble acceptable parce que la conciliation amène normalement une entente entre les parties, donc, sans passer par la voie du jugement. Mais vous, vous dites que c'est une voie qui, parfois, ne mène pas nécessairement aux bons résultats si elle n'est pas encadrée et vous dites que ce que vous avez actuellement dans la LATMP est meilleur que ce qui se retrouve dans le projet de loi actuellement.

n (11 h 20) n

M. Lévesque (Denis): Oui, parce que, actuellement, bon, il y a la règle, là, que les ententes doivent être entérinées par le commissaire et doivent respecter la loi. Bon. Dans le cas d'une personne qui est...

M. Bédard: Parce que la loi est d'ordre public évidemment, donc...

M. Lévesque (Denis): Oui, mais aussi il peut se faire... Parce qu'on a les ententes, mais aussi il est question des transactions qui se font sans... qui ne sont pas... des transactions en vertu du Code civil qui ne sont pas... qui sont vraiment à l'extérieur. Donc, on parle d'une entente, mais ce n'est pas une entente qui est visée dans... Bon. Quand on regarde au niveau de la conciliation, il y a des dangers parce que, quand... Prenons le cas des personnes qui sont non représentées, qui connaissent mal leurs droits, alors comment qu'ils peuvent, s'ils ne connaissent... ils ne savent pas... ils ne connaissent pas leurs droits, ils ne savent pas... ils ne connaissent la loi et aussi les conséquences que ça peut avoir de signer une entente... Donc, quand on leur demande...

M. Bédard: Je vous dirais, les deux conditions de base que vous souhaitez voir apparaître dans le projet de loi, c'est l'approbation, par le Tribunal, de l'entente finalement pour justement, là, éviter des abus que pourrait subir le salarié ? là je me mets du côté de la personne victime ? la deuxième étant celui de maintenir l'encadrement qui existe dans la loi en termes de conciliation.

Une voix: ...

M. Bédard: Dans la loi actuelle. Ce qui existe actuellement, vous voulez le voir reconduit dans la loi actuelle en termes d'encadrement de la conciliation.

M. Lévesque (Denis): Oui. Je pense que c'est des conditions minimales.

M. Bédard: C'est des conditions minimales. O.K. Tout à l'heure, le ministre a aussi ouvert sur la présomption de désistement... plutôt sur la... Non, un autre aspect que je voulais regarder avec vous et qui est différent ? et je veux bien que vous le fassiez ressortir aux membres de la commission ? il y a la révision, mais il y a aussi la reconsidération. Et c'est deux choses, évidemment, différentes et sur lesquelles vous dites dans votre mémoire ? et je pense que c'est fondamental pour les articles qui concernent la reconsidération ? vous dites finalement que l'organisme pourrait profiter de cette reconsidération pour faire perdre des droits et des recours aux individus.

Et, vous en représentez des individus, pourriez-vous vraiment nous faire ressortir dans le concret, là, qu'est-ce que ça veut dire, là, et quelle attitude prend, à ce moment-là, l'organisation ou la CSST dans le cas présent, là, pour... sans être de mauvaise foi, là, mais qui peut conduire effectivement à la perte de droits pour les salariés?

M. Lévesque (Denis): Bon, ce qu'on peut voir, c'est souvent des salariés qui sont... Ou quand ils désirent contester une décision, bon, ils peuvent parler avec leur agent, ils peuvent manifester leur désaccord avec cette décision-là. Beaucoup d'accidentés ne veulent pas entamer des procédures qui pourraient être coûteuses, donc...

M. Bédard: Judiciariser, là, le...

M. Lévesque (Denis): Judiciariser, exactement. Donc, s'il y aurait possibilité d'avoir une décision qui les satisferait, à ce moment-là, ils vont opter pour cette option-là. Donc, moi, j'ai l'impression qu'il y a un risque, là, que l'agent lui dise: Bien, regarde, au lieu de contester la décision, on pourrait peut-être essayer de trouver des aménagements pour vous... le satisfaire et, par contre, lui dire qu'ils peuvent faire ces modifications-là seulement s'il ne loge pas de contestation, et là profiter de cette condition-là qui est exigée à la loi, puis dire, après ça, bon, au bout de trois mois: Bon, bien, regarde, là, finalement on a essayé d'envisager différentes options, puis ça ne fonctionne pas.

M. Bédard: O.K. Après le délai de 90 jours de la première décision.

M. Lévesque (Denis): Après le délai de 90 jours.

M. Bédard: Et là, à ce moment-là, le salarié, lui, il retourne... Parce qu'on en a vu, moi, j'en ai vu, des gens qui, bon, espèrent encore, après des années, se dire: Bon, bien, peut-être qu'ils vont changer. Mais là, à ce moment-là, ça reste presque... c'est une discrétion totale de l'administration, et la personne n'a plus aucun droit.

M. Lévesque (Denis): Exactement.

M. Bédard: Actuellement, il existe, ce pouvoir de reconsidération?

M. Lévesque (Denis): Oui, mais...

M. Bédard: Et c'est quoi, la différence?

M. Lévesque (Denis): Bien, actuellement, avec l'article 365, il est limité à 90 jours suite à la décision, et donc...

M. Bédard: Il est limité à 90 jours?

M. Lévesque (Denis): À 90 jours.

M. Bédard: Donc, au délai de contestation?

M. Lévesque (Denis): Oui. Bien, le délai de contestation prévu dans le projet, parce que ce n'est pas le délai qui est actuellement...

M. Bédard: Qui est actuel, c'est ça.

M. Lévesque (Denis): Oui, qui est actuellement de 30 jours.

M. Bédard: Puis est-ce que c'est arrivé, effectivement, que les gens utilisent, dans le cadre actuel, ce pouvoir de reconsidération pour faire perdre des recours aux gens?

M. Lévesque (Denis): J'ai déjà vu des travailleurs qui espéraient qu'il y ait une reconsidération. Et, si on peut se souvenir... En tout cas, il y a... environ dans les années 1992, 1994, à ce moment-là, quand ils avaient changé ? c'était à ce moment-là le projet de loi n° 35 aussi, là, en 1992 ? donc, ils avaient instauré ça. Souvent, les agents, au niveau de la CSST, demandaient aux travailleurs de faire une demande de reconsidération plutôt que de faire une demande de révision, et c'était très, très populaire. Après un certain temps, bon, la CSST pouvait refuser de faire la reconsidération, et là la personne, elle se retrouvait devant plus de recours parce qu'elle ne pouvait plus contester, elle avait dépassé les délais. Donc, on s'est retrouvé... C'était assez fréquent, je vous dirais, là, dans ces années-là. Moi, j'ai vu ça plusieurs fois. Et là, après ça, il fallait aller au tribunal et dire: Bien, la reconsidération, la demande de reconsidération qui avait été logée par le travailleur était, dans les faits, une demande de révision, parce qu'il faut voir l'intention, tout ça, et là il y a plusieurs décisions au niveau de la jurisprudence qui ont été... qui ont élaboré, là, ce... C'est ça, mais il a fallu se rendre jusqu'au tribunal pour réaffirmer ça.

M. Bédard: Je reviens sur un point, là, je l'ai retrouvé à la page 8 ? le ministre, tantôt, a ouvert relativement... ? de votre mémoire, là, au niveau du critère plus sévère qui existe dans le projet de loi actuel au niveau du fardeau du justiciable lorsqu'il n'inscrit pas son recours dans les délais. O.K.? Par contre, le ministre n'a pas parlé du délai. S'il donne suite, je vous dirais, à son compromis, celui de maintenir le principe actuel qui est celui introduisant la notion de motif sérieux et légitime, alors que, actuellement, il y a le simple motif raisonnable, le maintien du délai de 90 jours, est-ce que c'est un problème pour vous même si on ajoute la notion de... ou on maintient, plutôt, la notion de simple motif raisonnable?

M. Lévesque (Denis): Pour moi, oui, c'est un problème.

M. Bédard: C'est un problème. Donc, vous, vous souhaitez en plus de modifier, de ramener le critère de simple motif raisonnable qui joue dans tous les cas en faveur du salarié, de la victime, évidemment, parce que ce n'est pas l'administration qui en appelle, c'est l'individu. Donc, dans tous les cas, cet article-là est à la faveur du salarié. Donc, vous souhaitez aussi voir disparaître le délai de 90 jours?

M. Lévesque (Denis): Tout à fait.

M. Bédard: Parfait. Je voulais seulement être sûr. Mon collègue avait une question.

Le Président (M. Simard): Il vous reste combien de temps, madame? 1 min 30 s? Donc, ce serait très court si vous avez une question.

M. Côté: Oui, merci. Alors, MM. Morissette, Lévesque, Lauzon, bienvenue. Merci pour votre présentation. Je vais essayer d'être court, là.

Ce que j'ai remarqué surtout, c'est que vous soulignez... D'abord, vous défendez surtout des gens qui sont non syndiqués, vous l'avez dit dans votre mémoire, des gens qui sont démunis financièrement, et vous soulignez à quelques endroits ? M. Lévesque l'a également mentionné ? un déséquilibre structurel lorsque vous dites aussi que «la victime d'une lésion professionnelle est souvent seule et fragilisée, connaît mal ses droits et les procédures et dispose de moyens très limités». Plus loin, également, vous dites que «les différentes procédures à suivre lorsqu'ils décident de contester une décision, ce qui les oblige à s'adresser à des ressources extérieures...»

Qu'est-ce qui ferait que, dans le projet de loi... Quels sont les éléments qu'on pourrait ajouter au projet de loi au sujet de cette représentation auprès des personnes qui sont démunies? Comment pourrait-on améliorer cette représentation-là? Je sais que vous faites certaines propositions versus un peu la conciliation, mais est-ce qu'il y aurait d'autres possibilités pour qu'on permette, par exemple, à des personnes d'être mieux représentées pour justement, là, atténuer ce déséquilibre?

n(11 h 30)n

M. Lévesque (Denis): Oui. Bien, je pense que... Bon, on revient sur ce déséquilibre-là, le déséquilibre est causé par quoi? Parce qu'il y a des gens qui sont démunis, qui connaissent mal leurs droits. Alors, quand on regarde l'expérience dans le reste du Canada, il y a les «Workers' Advisers», bon, les gens peuvent... ils sont beaucoup moins démunis parce qu'ils peuvent compter sur une expertise qui est gratuite dans presque toutes les autres provinces du Canada. Ici, on n'a pas ça. Les travailleurs doivent se débrouiller, là, avec les connaissances qu'ils ont. Bon, il y a peu de ressources. Donc, moi, j'ai l'impression, pas juste moi, là, la FATA plutôt, on considère... ? et ça, c'est un projet, une revendication de la FATA qui date de plus d'une dizaine d'années ? on dit que les gens, les accidentés devraient pouvoir compter sur la représentation, puis les services de représentants...

M. Côté: Seriez-vous d'accord avec la création d'un fonds, par exemple...

M. Lévesque (Denis): Oui, tout à fait.

M. Côté: ...qui servirait justement à ces personnes qui sont sans représentation?

M. Lévesque (Denis): Oui.

M. Côté: Merci.

Le Président (M. Simard): Alors, maintenant, il reste encore du temps à la partie ministérielle, et j'invite la vice-présidente de la commission et députée d'Anjou à poser une question.

Mme Thériault: Merci. MM. Morissette, Lévesque, Me Lauzon, bienvenue. Je vais continuer sur la même lancée que mon collègue de Dubuc. Vous parliez d'un fonds dans vos conclusions, à la dernière page de votre mémoire. Vous mentionnez notamment qu'une... je vais commencer à la page 14: «Ces aspects minent grandement les objectifs visés par le projet de loi n° 35. Nous croyons que ces objectifs auraient eu plus de chances d'être atteints si le projet de loi avait prévu un mécanisme pour s'assurer que les victimes d'une lésion professionnelle disposent d'une représentation gratuite, s'il avait limité le pouvoir des employeurs de contester l'opinion du médecin...» Un petit peu plus loin, vous dites: «Rappelons qu'actuellement le Québec est la seule province qui ne dispose pas d'un fonds de défense pour assurer la représentation des victimes d'une lésion professionnelle.» Hier, le Jeune Barreau de Québec est venu faire une présentation devant les membres de la commission, et ils ont parlé de l'assurance juridique qui existe présentement à 39 $ par année. Qu'est-ce que vous pensez de cette assurance juridique là?

M. Morissette (Jacques): C'est-à-dire, je peux peut-être... Vous m'apprenez ça aujourd'hui. On n'a jamais regardé cet aspect-là. Je ne sais pas si mes collègues ont déjà regardé ça, là, mais... Nous, on regardait plutôt en termes de... On sait qu'il existe, à la grandeur du Canada, les... on les appelle les «Workers' Advisers». Toutes les provinces au Canada ont ce genre de service là, alors on est les seuls au Québec qui n'a pas ce service-là pour les gens qui sont victimes d'un accident de travail. Alors, c'est une de nos revendications. Je pense que, dans les mémoires que la FATA a déjà présentés ici, en commission parlementaire, cette revendication-là revenait aussi. Donc, par rapport à votre question, je ne sais pas si Me Lauzon peut rajouter quelque chose là-dessus.

M. Lauzon (Jacques): Je pense à une travailleuse que j'ai représentée tout dernièrement dans une usine de couture. Elle est couturière, mais à la chaîne, là, toujours faire le même geste des milliers et des milliers de fois par jour. Originaire d'un autre pays, elle a de la difficulté ? comment dire? ? à se débrouiller ici. Je ne crois pas qu'elle va penser à se payer une assurance juridique. Ça, pour moi, c'est clair qu'elle ne le fera pas. Donc, ces travailleuses-là ne feront pas ces démarches-là d'elles-mêmes. Quand elles ont un accident, il est déjà trop tard.

Mme Thériault: O.K. Puis vous ne pensez pas qu'avec un meilleur travail de sensibilisation auprès de la population en général, comme quoi qu'il y a des protections qui existent, puis c'est quand même abordable, là, on parle de 39 $, 40 $ par année, là...

M. Lauzon (Jacques): C'est vrai, mais je ne crois pas que c'est... La partie la plus fragile de la population, je ne crois pas qu'elle va se payer cette assurance juridique là. Elle a bien d'autres priorités que prévoir le jour où elle aura un accident de travail, alors qu'elle n'en a jamais eu.

M. Morissette (Jacques): Je pourrais peut-être... pour rajouter là-dessus, il y a beaucoup de gens qui n'ont pas d'assurance feu puis d'assurance pour le vol, etc., parce qu'ils n'ont pas les moyens de se les payer. Donc, même si l'assurance est minime à 39 $, si la personne, elle a le choix de payer son électricité modulée ou de payer une assurance juridique, je pense qu'elle va choisir de payer son électricité. Alors, c'est pour ça qu'on pense que, effectivement, ça peut peut-être nous paraître pas dispendieux, mais il y a des gens qui n'ont pas les moyens de se payer ça, puis les gens qu'on représente particulièrement.

Mme Thériault: Un autre sujet. Vous parlez, à la page 4 de votre mémoire, de la nomination à vie des juges administratifs. À la fin de votre page 5, plutôt: «Nous croyons cependant que ces nominations à vie ne devraient pas être automatiques lors du transfert des membres de la CLP au TRAQ.» Pourquoi?

M. Lauzon (Jacques): Il nous apparaît que certains membres du tribunal actuel ont été nommés un peu, disons, en contravention de la loi, c'est-à-dire qu'ils n'ont pas nécessairement les qualifications qui étaient exigées par la loi pour devenir commissaires. Je crois qu'avant de leur fournir une garantie à vie l'État doit s'assurer des compétences de ces personnes-là.

Mme Thériault: O.K. Et, dans votre mémoire, vous ne parlez pas de la nomination pour les nouveaux membres. Est-ce que vous avez un processus de recommandation en tête?

M. Lauzon (Jacques): On n'en a pas vraiment discuté au conseil d'administration, ce qui fait qu'il est difficile pour moi de m'avancer à l'heure actuelle sur le processus de sélection qui devrait être mis en place.

Mme Thériault: D'accord. Et il y a un autre point que vous ne parlez pas du tout: la régionalisation des services des tribunaux administratifs. C'est bien évident qu'au niveau de la CLP il n'y a pas de problème, c'est tout partout. Par contre, au niveau de la SAAQ, du Régime de rentes du Québec, ce n'est pas le cas. La justice est difficilement accessible pour les gens qui sont en région. On a eu plusieurs groupes qui sont venus nous parler des problématiques qui y étaient liées. J'aimerais vous entendre parler sur la régionalisation. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Lévesque (Denis): Première chose, au niveau... nous autres, on représente essentiellement des travailleurs accidentés, donc qui relèvent actuellement de la Commission des lésions professionnelles. Le système est actuellement régionalisé. Il n'y a pas de problème à ce niveau-là. Donc, pour nous autres, en ce qui nous concerne...

Mme Thériault: Mais est-ce que, vous, vous voyez un avantage pour les autres tribunaux, dont les citoyens font des représentations, qui peuvent aller en région, utiliser les greffes qui sont déjà sur place, les installations sont là? On a vu des chiffres qui disaient que le tribunal de région qui était le plus utilisé, je pense que la capacité est à 39 %; je pense que la moyenne est à 33 %, 34 % dans l'utilisation des salles, des greffes. Donc, c'est bien évident que ces installations-là, si on s'en servait pour les tribunaux administratifs, ça pourrait être plus favorable pour les citoyens. On a entendu parler des discussions dans des corridors de motel, où la confidentialité entre clients et avocats, bon, on oublie ça, là. C'est assez inusité d'entendre ça, mais il faut croire que c'est vrai.

Donc, je ne sais pas si vous avez une opinion, pas par rapport à la Commission des lésions professionnelles, mais pour les autres tribunaux.

M. Lévesque (Denis): Là, évidemment, je pense qu'on peut être difficilement contre la régionalisation des services, je pense que ça va de soi.

Mme Thériault: Merci.

Le Président (M. Simard): Alors, voilà qui met fin à ces échanges. Il vous reste deux minutes, M. le ministre, si vous souhaitez les utiliser.

M. Bellemare: Oui. Alors, la régionalisation, c'est important. Vous oeuvrez dans le secteur des lésions professionnelles, mais vous souvenez de ce à quoi ça ressemblait avant 1998, hein, dans le temps de la CALP, où il n'y avait pas de greffes régionaux, où les commissaires, à l'instar du TAQ actuel, quittaient Québec et Montréal avec leurs valises pour aller entendre des causes en région, dans des sous-sols d'église, dans des chambres d'hôtel, ce n'était pas tellement agréable pour les gens des régions. Et la décentralisation de la CLP à la faveur de greffes régionaux où les juges résident a eu des effets à mon avis qui sont bénéfiques. Et tout le monde est venu nous en parler.

La question de la députée d'Anjou était celle-là, au fond... Je comprends que vous oeuvrez dans le secteur des lésions professionnelles, mais vous avez une vocation sociale évidente et vous êtes aussi en contact, j'imagine, au quotidien, avec d'autres types de victimes, des gens sur l'aide sociale, des gens en assurance auto aussi. Alors, l'idée du projet de loi est de régionaliser également le TAQ, de faire en sorte que toutes les autres clientèles qui relèvent du Tribunal administratif du Québec puissent être entendues en région, dans un greffe régional élargi qui recevrait non seulement les appels des victimes du travail, mais aussi les autres appels qui sont actuellement logés devant le TAQ, en matière de régime de rentes, victimes d'actes criminels et assurance auto.

La question, c'était ça: Êtes-vous ouverts, êtes-vous favorables? Y voyez-vous des avantages à ce qu'on développe des greffes régionaux qui toucheraient toutes les catégories de citoyens?

Le Président (M. Simard): Une réponse très, très brève.

M. Lauzon (Jacques): Il est évident que la régionalisation, si c'est bon pour les accidentés du travail, c'est aussi important pour les victimes d'accident d'automobile, par exemple. Donc, oui, la régionalisation, c'est une bonne chose. Maintenant, on revient, la régionalisation peut avoir comme conséquence la mobilité des commissaires, et là, ici, la FATA a des réserves face à ce point.

M. Bellemare: Merci.

Le Président (M. Simard): Très bien. Merci beaucoup, messieurs, de votre présence parmi nous et de votre collaboration. Et je suspends, pendant quelques instants, nos travaux et j'invite tout de suite Me Sylvain Lallier à nous rejoindre.

(Suspension de la séance à 11 h 38)

 

(Reprise à 11 h 42)

Le Président (M. Simard): Nous reprenons nos travaux et nous en sommes rendus, dans notre ordre du jour, à l'audition de Me Sylvain Lallier. Nous avons reçu votre mémoire. Nous vous demandons de nous le synthétiser en prenant au maximum une vingtaine de minutes et nous vous poserons ensuite certaines questions.

M. Sylvain Lallier

M. Lallier (Sylvain): O.K. Alors, premièrement, j'aimerais remercier les membres de la commission de m'inviter aujourd'hui à présenter mes observations sur le projet de loi n° 35. Je suis un procureur qui représente des justiciables devant les tribunaux administratifs depuis 1994, tant devant la CLP... devant la CALP que devant le TAQ. J'ai aussi eu l'occasion de pratiquer, à titre de procureur syndical, dans le cadre d'arbitrages de griefs pour différentes organisations syndicales.

Lorsque j'ai pris connaissance du projet de loi, que je considère intéressant et important, je me suis mis dans une position qui est la suivante. Premièrement, j'ai déterminé quels étaient les objectifs les plus importants du projet de loi, qui apparaissent au paragraphe de l'introduction du document de travail que je vous ai soumis. Le deuxième élément, lequel me paraissait important aussi, était de se positionner dans le cas du justiciable en question. Vous savez que, lorsque le justiciable utilise les procédures judiciaires qui sont à sa disposition, c'est souvent des personnes qui sont dans un état de vulnérabilité, je dirais, pour différentes raisons, et je vous donne comme exemple le fait que ces personnes-là sont dans une situation médicale précaire ou une situation financière précaire aussi. Lorsqu'une personne a un problème médical, par exemple une lésion au dos, elle n'est pas dans le même état que s'il n'y avait aucune lésion quelconque, de sorte qu'il faudrait prendre en considération cet élément-là pour à tout le moins s'assurer que les procédures soient les plus simples possible afin que le justiciable puisse comprendre clairement comment il peut exprimer ses droits.

Alors, parmi les objectifs que j'ai soulevés, en fait que j'ai utilisés, parce que je les ai empruntés d'un document dont j'ai eu accès sur Internet via le site du ministère de la Justice, les deux objectifs les plus importants m'apparaissent comme étant de rendre la justice administrative plus accessible pour les citoyens qui demeurent en région éloignée et, évidemment, la réduction des délais pour disposer des contestations produites par le citoyen, et, quand je parle de délais, je ne parle pas des délais de contestation, mais bel et bien des délais entre le moment où il y a dépôt d'une contestation et le moment où il y a une décision finale et sans appel rendue par un organisme quasi judiciaire qui est soit la CLP ou le TAQ, ou bientôt le TRAQ, qui est le Tribunal des recours administratifs du Québec.

Pour moi, ce qui est encore plus important, c'est de simplifier l'appareil judiciaire administratif, de simplifier cet appareil-là en deux étapes. Premièrement, je souligne favorablement la réunion des tribunaux, des deux tribunaux en un seul guichet unique qui est le TRAQ, et, pour atteindre l'objectif de régionalisation, évidemment on n'a pas d'autre choix que de réunir ces tribunaux-là en un seul appareil judiciaire et d'utiliser ce qu'on a actuellement comme structure organisationnelle pour le bien du justiciable afin qu'il puisse exercer ses droits convenablement.

Ce qui a aussi attiré mon attention lorsque j'écoutais les représentations du groupe qui passait avant moi, une question qui a été posée par un membre de la commission concernant la conciliation. Je n'en fais pas état dans mon mémoire, mais je prends l'initiative de vous soumettre quand même une observation eu égard à la conciliation. La conciliation, évidemment, ça a des avantages tant pour le justiciable que l'administration. Par contre, ça peut aussi avoir un certain désavantage au niveau du délai parce que, souvent, lorsqu'il y a une conciliation, l'expérience m'a appris que les parties entreprennent une négociation uniquement lorsqu'on est sur le point de passer en audition, de sorte que la conciliation a lieu habituellement dans les semaines précédant l'audition, ce qui a pour effet souvent de reporter l'audition sur entente entre les parties. Je considère que ce n'est pas nécessairement avantageux, compte tenu des agendas de tous les intervenants.

Alors, au niveau de la conciliation, ce que je proposerais serait une conciliation similaire à ce qu'on retrouve au niveau de la SAAQ, c'est-à-dire une conciliation en présence d'un commissaire et non pas en présence d'un conciliateur dont les pouvoirs sont relativement limités. Mais, en conciliation, lorsqu'on est en présence d'un commissaire ou d'une personne qui est appelée à rendre une décision ultérieurement, bien, à ce moment-là, on a une meilleure vision de l'opinion d'un décideur concernant notre dossier, et ça nous permet dans une certaine mesure, aux parties, de mettre un petit peu plus d'eau dans leur vin qu'elles le feraient si on était uniquement devant un conciliateur. Par exemple, du côté du salarié ou du travailleur que je représente, on serait peut-être moins tenté à essayer notre chance devant une autre personne qui est un conciliateur. Et un autre élément qui serait très important aussi, c'est que, au moment de la conciliation, il faudrait que le dossier soit en état de procéder et que la conciliation ne serve pas uniquement à une partie pour des fins stratégiques.

Maintenant, je vais vous faire des commentaires sur différents aspects du projet de loi qui ont attiré mon attention. Le premier commentaire vise la révision d'une décision et cette possibilité pour l'organisme administratif de réviser sa décision lorsqu'on lui soumet des informations complémentaires. Je trouve intéressante l'approche; par contre, je considère que ça peut s'avérer être source de confusion pour le justiciable. Je m'explique. Le justiciable, lorsqu'une décision est rendue, a 90 jours pour porter en appel ou devant le TRAQ cette décision. Par contre, si la décision est révisée à l'intérieur du délai de 90 jours, à ce moment-là... et que cette nouvelle décision ne fait toujours pas l'affaire du justiciable, si ce dernier n'a pas contesté la décision, quel est le point de départ de la contestation lorsqu'une décision initiale fait l'objet d'une modification? Est-ce que le point de départ débute à partir de la date de la première décision ou à partir de la date de cette seconde décision qui est révisée? À mon sens, il s'agit d'une nouvelle décision. Alors, la loi est muette sur cet aspect-là, et je pense que, pour faciliter le travail des décideurs et éviter des litiges sur cette question-là, ça devrait faire l'objet d'un point dans le projet de loi.

n(11 h 50)n

Un autre élément qui est important à mon avis, c'est... La possibilité pour un fonctionnaire de réviser sa décision sur des informations complémentaires transmises par le justiciable a pour effet de créer chez ce dernier une espérance, de sorte qu'il pourrait ne pas exercer ses droits de façon... et en pensant, en espérant que le fonctionnaire, parce que, lorsque le justiciable soumet des informations complémentaires, évidemment il a toujours confiance que, bon, une décision favorable va lui être rendue, alors, cette espérance-là peut faire en sorte qu'il n'exercera pas ses recours. On sait qu'on est en mode de coupures dans l'ensemble des ministères, et ça, ça touche aussi les agents de la CSST et les agents de la SAAQ qui doivent gérer un plus grand nombre de dossiers, je présume, de sorte que c'est possible que les agents utilisent plus de trois mois pour soit modifier la décision.

Par conséquent, la question que je me posais était la suivante: Est-ce que le fait, pour un justiciable, d'attendre pendant un certain délai une décision modifiée ? il espère que sa décision va être modifiée ? est-ce que ça justifie pour lui... est-ce que c'est un motif qui justifie le fait qu'il n'aurait pas contesté dans le délai de 90 jours si l'organisme ne donne pas suite aux informations complémentaires qui ont été fournies? Alors, si le justiciable attend tout simplement plus de 90 jours pour finalement décider de contester et que cette attente-là repose sur l'espérance que cette décision-là aurait été modifiée, bien, à ce moment-là, on ne pourra pas démontrer, même s'il n'y a rien dans le projet de loi qui nous permet de démontrer l'impossibilité d'agir, on ne pourrait pas le faire, et son recours s'en trouverait complètement annulé.

Alors, pour éviter que cette situation-là se produise, ce que je propose, moi, ce serait que cette possibilité pour le fonctionnaire de réviser sa décision devrait être subordonnée à l'exercice du recours devant le TRAQ. Alors, ce que je propose plutôt, ce serait qu'à partir du moment où le justiciable n'est pas d'accord avec la décision initiale et qu'il conteste cette décision-là devant le tribunal, à partir de ce moment-là, le fonctionnaire pourrait à la rigueur, sur foi d'informations complémentaires, changer sa décision. Alors, cet exercice-là pourrait se faire à la suite de la contestation par le justiciable de la décision en question.

Un autre élément qui est très important aussi sur cet aspect-là, c'est la multiplicité des décisions. Dans plusieurs dossiers, tant en CSST qu'en cas de SAAQ, plusieurs décisions peuvent être rendues relativement à un même événement, surtout au niveau de la SAAQ où il y a des décisions qui sont reliées à... personnel, d'autres décisions qui sont reliées à d'autres dépenses ou d'autres demandes qui sont présentées par le justiciable, ce qui fait en sorte qu'il y a plusieurs décisions qui sont rendues pour un même dossier, et, pour éviter une source de confusion, encore une fois je pense qu'il faudrait à tout le moins que l'exercice se fasse après le dépôt d'une contestation devant le TRAQ.

Quelques commentaires sur l'évaluation des membres du tribunal. Ce qui est important pour moi, ce qui a retenu mon attention quant à l'évaluation des membres du tribunal, c'est premièrement que, lorsque le tribunal est nommé... pardon, lorsque le membre est nommé au sein du tribunal, il faut s'assurer que ce dernier connaisse les barèmes, en fait les barèmes ou les critères d'évaluation de son travail avant même qu'il accepte la nomination qu'on lui propose. Et un autre élément qui est important à souligner, c'est que, dans le projet de loi, on propose, dans les critères d'évaluation, la contribution que le décideur aurait donnée au traitement des dossiers du tribunal. Je vous soumets que ça pourrait affecter l'indépendance judiciaire des décideurs. On ne devrait pas utiliser ce critère-là pour évaluer le décideur en question. Autrement dit, on ne devrait pas utiliser comme critère la position du décideur sur une question ou une autre de nature juridique. Le décideur doit bénéficier d'une impartialité totale, à mon avis.

Quant à la composition du tribunal, cet élément-là est à la fois délicat et à la fois important, important dans le sens que le principe du décideur seul est souhaitable dans tous les cas.

Un autre élément qui est important, c'est la possibilité d'interchanger les décideurs selon les différentes sous-sections du tribunal en raison de la présence des experts. Les experts sont là pour aider et conseiller les membres du tribunal. Par contre, à la lecture des différents articles de la loi, j'ai constaté que, en fait... la difficulté que... le pouvoir de l'expert comme tel s'en trouvait limité. Vous allez peut-être me dire que c'est une approche qui est un peu futile parce que de toute façon le tribunal, étant maître de sa preuve, pourrait permettre à l'expert de poser des questions, mais rien n'est prévu dans la loi que l'expert qui conseille le tribunal puisse poser des questions aux témoins. Alors, ce que j'ai compris de la loi, ma compréhension de la loi, c'est que l'expert qui siège avec le président du tribunal doit se contenter de la preuve qui est administrée devant lui pour exercer son rôle, alors que les membres qui sont issus des associations patronales, syndicales, eux, peuvent tant poser des questions durant l'inscription du dossier que faire des commentaires lors du délibéré de l'audition. Alors, moi, je vous soumettrais qu'il faudrait quand même préciser dans la loi que l'expert en question, qui veut des précisions sur les opinions qui sont émises par ses collègues lors du témoignage du médecin expert de chacune des parties, puisse à tout le moins clarifier certains aspects qu'il considère pertinents pour étayer la preuve qui est présentée devant le tribunal.

Un autre élément qu'il m'apparaît utile de souligner, c'est le paritarisme. Le paritarisme, à mon avis, est une question qui est révolue depuis plusieurs années. On l'a abandonné en 1995 lorsqu'il y a eu l'abolition des bureaux de révision paritaires. Je pratique beaucoup en arbitrage de griefs et, même si c'est possible de procéder devant un comité de trois personnes, composé d'un arbitre, d'un assesseur syndical et d'un assesseur patronal, on n'y a recours que très rarement, et ce qui me laisse croire que l'approche paritarisme n'est plus d'actualité aujourd'hui.

Un autre argument qui milite en faveur de l'abolition du paritarisme, il y en a plusieurs en fait, et rapidement, il y a les coûts. Il y a aussi... pour les justiciables, c'est toujours un peu énervant pour eux de répondre à des questions devant un tribunal composé de trois ou quatre personnes, surtout lorsque les questions portent par exemple sur leur intimité, les maladies qu'ils ont, on a des dossiers qui traitent de plusieurs choses qui peuvent être un peu intimidantes pour le justiciable. Lorsque la personne présente une réclamation pour un problème, par exemple de nature érectile, c'est certain que c'est gênant pour cette personne-là d'en discuter avec une personne. Imaginez-vous d'en discuter avec un groupe de quatre ou cinq personnes devant le tribunal. Alors, c'est difficile pour lui, pour le justiciable, d'exprimer clairement ses impressions et faire valoir valablement ses droits.

n(12 heures)n

Alors, un autre motif qui milite pour l'abolition du paritarisme, c'est... en fait, c'est une critique surtout du paritarisme en question, c'est la sélection des membres du tribunal. Premièrement, le justiciable lui-même n'a aucun mot à dire sur la sélection des membres, des gens qui vont décider de son sort. Alors... Et en ce qui concerne la sélection des membres du tribunal, en fait, des membres issus des associations, la procédure de sélection est d'un ordre privé, l'obligation des associations patronales-syndicales se résume à soumettre une liste au gouvernement. C'est tout. Alors, je trouve ça un peu hasardeux de procéder ainsi.

Et un autre élément qu'il faut prendre en considération et qui est important, c'est que les membres issus des associations patronales-syndicales ont des effets sur l'impartialité du décideur, parce que, évidemment, dans le délibéré, on va tenter de convaincre, d'une manière ou d'une autre, le décideur du bien-fondé ou non de la réclamation. Si les juges de la Cour supérieure ou les juges de la Cour du Québec sont en mesure de prendre des décisions eux-mêmes, sans la présence d'assesseurs à leurs côtés, je ne vois pas pourquoi les juges administratifs ne pourraient pas faire de même. Et je pense que leur impartialité et leur indépendance s'en trouveraient préservées.

J'aborde maintenant le point de la représentation des non-avocats. Évidemment, c'est un sujet...

Le Président (M. Simard): Je dois vous demander, s'il vous plaît, Me Lallier, de conclure parce qu'il ne reste qu'une minute.

M. Lallier (Sylvain): Je m'excuse, M. le Président. Bien, je conclus en traitant de la question de la présomption de désistement pour vous dire que c'est un élément qui est dangereux. La présomption de désistement fait en sorte ? surtout dans des cas de multiplicité de décisions ? fait en sorte que le recours du justiciable s'en trouve... peut se trouver en péril ou même être inexistant, de sorte que, si on maintient cette approche qui est de constituer une présomption, je vous proposerais plutôt une présomption du maintien du recours. Je vous remercie de m'avoir écouté.

Le Président (M. Simard): Merci, Me Lallier. Alors, j'invite maintenant le ministre à vous poser la première question.

M. Bellemare: Bienvenue, Me Lallier, devant la commission, et félicitations pour votre mémoire dont j'aborderai d'entrée de jeu certains aspects qui me frappent davantage.

Vous nous parlez notamment du rôle de l'expert, à la page 8, et vous apportez ici une... Vous soulevez une question qui a été soulevée également par le Collège des médecins, qui questionnait la disposition telle qu'elle est et souhaitait que la loi... que le projet de loi prévoie que l'expert, l'assesseur ? appelons-le l'assesseur, là, pour ne pas qu'il y ait de confusion avec l'expert assigné par les parties ? que l'assesseur puisse poser des questions. Le Collège des médecins souhaitait qu'on l'introduise dans le projet, et je me suis montré ouvert à cette suggestion qu'on le précise ? même si ça nous apparaissait évident, là ? qu'on le précise de façon... par un amendement, que les assesseurs peuvent poser des questions. Et vous avez raison quand vous dites: Bien, au fond, l'assesseur est là pour vérifier certains éléments médicaux, là. S'il ne peut pas poser de questions, c'est un problème. Alors, est-ce que ce serait une suggestion qui vous agréerait?

M. Lallier (Sylvain): Bien sûr. Tout à fait.

M. Bellemare: Ça répondrait à votre préoccupation concernant les questions des experts?

M. Lallier (Sylvain): Ah oui. Voilà.

M. Bellemare: Une autre chose, c'est la présomption d'abandon d'appel ? présomption de désistement, comme vous l'appelez ? qui a fait beaucoup jaser, et la plupart des intervenants nous en ont parlé, incluant ceux qui vous ont précédés.

La Commission des services juridiques est arrivée avec une hypothèse qui semble satisfaire plusieurs personnes, plusieurs groupes. Le Barreau du Québec, hier, semblait également aller dans le même sens. Si on modifiait le terme... on remplaçait le terme «réputé» par le terme «présumé».

Vous, vous souhaitez qu'on renverse la présomption finalement, qu'on prévoie, lorsqu'un citoyen ne répond pas à une décision révisée, qu'il soit présumé maintenir son appel. Mais le problème est purement administratif, là. La raison pour laquelle on a mis une présomption d'abandon, c'est parce qu'on sait très bien que, dans ce domaine-là, il y a beaucoup de gens qui ne sont pas représentés, et même dans les cas où la révision pourrait satisfaire entièrement les attentes de la personne.

Imaginez un cas d'un emploi convenable, le réviseur à la CSST décide de modifier la décision, déclare l'emploi non convenable et retourne le dossier à la CSST pour détermination d'un nouvel emploi convenable, l'indemnité de remplacement de revenu est payée, donc la décision satisfait entièrement les attentes de l'accidenté. On n'a pas de nouvelles de lui. Alors là, s'il n'y a pas de présomption, le recours est maintenu, puis là ça se retrouve devant le tribunal d'appel, ils ne savent pas quoi faire avec ça, ça engorge le système inutilement.

Alors, on a prévu une présomption d'abandon pour faire en sorte que le citoyen se manifeste d'une quelconque façon. Une fois que le réviseur lui dit: Voici ma nouvelle décision révisée, qu'est-ce que vous faites, vous maintenez l'appel ou vous le retirez? S'il ne bouge pas, il y aura une présomption d'abandon. Mais, pour s'assurer que la présomption pourrait être renversée par une preuve contraire, on en ferait une présomption simple, «présumé» plutôt que «réputé», qui serait une présomption irréfragable. Alors, pour permettre une preuve contraire, on prévoirait que ce serait le terme «présumé». Mais la Commission des services juridiques introduit cette suggestion-là, et le Barreau l'a fait sienne aussi hier. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Lallier (Sylvain): Moi, je vous soumettrais que, tant et aussi longtemps qu'on utilise un terme comme «réputé», qu'on utilise un terme comme «présumé», peu importe le terme qu'on utilise, tant et aussi longtemps qu'on va déduire une décision d'une inaction d'une personne et que cette déduction a pour effet de fermer le dossier de cette personne-là et de la priver de ses recours devant le tribunal d'appel, à mon avis, ça demeure dangereux.

Ce que je suggérerais à tout le moins, c'est qu'on exige, d'une façon ou d'une autre, que le justiciable se manifeste de différentes façons, soit par lettre soit par ses actes. Supposons que la nouvelle décision, qui est satisfaisante, traite d'une atteinte, par exemple, et que le versement, le chèque est émis pour un montant qui correspond au pourcentage de l'atteinte et que ce chèque-là est, par exemple, encaissé, alors, à ce moment-là, on pourrait conclure que le justiciable est d'accord avec la décision et qu'implicitement il ne maintient pas son appel. Il ne faudrait pas se baser uniquement sur l'inaction d'un justiciable pour conclure à un désistement, mais, bel et bien, se baser sur des éléments factuels, un écrit, un acte, afin de s'assurer que la personne en question est bel et bien consciente des actes qu'elle porte. Conclure à un désistement suite à l'inaction d'une personne, d'autant plus qu'il n'y a rien dans la loi qui est prévu pour que cette personne-là puisse venir expliquer pourquoi elle n'a pas agi en temps utile, ça m'apparaît dangereux.

M. Bellemare: Me Lallier, si on remplaçait le terme «réputé» par le terme «présumé», on permettrait une preuve contraire. Dans les faits, ça voudrait dire qu'une révision partiellement favorable avec décision en conséquence, l'inaction du citoyen, il serait présumé simplement avoir abandonné son recours. Il pourrait se manifester deux, trois, quatre mois plus tard en disant: Voici, je n'ai pas décidé d'abandonner mon recours, je croyais que... blablabla. Et le tribunal d'appel, lui, serait appelé à décider si, effectivement, la présomption est renversée ou non. Comme c'est une présomption d'intention, bien, une preuve à l'effet contraire, une preuve d'intention contraire pourrait permettre de renverser la présomption.

C'est parce qu'il faut, je crois, qu'on trouve un mécanisme qui va permettre de faire en sorte que ce soit gérable pour l'administration aussi. Et, vous le savez, vous représentez des gens qui sont souvent démunis, il y en a plusieurs qui ne sont pas représentés et, une fois que la décision est renversée, en révision, bien là on risque d'avoir une certain nombre de cas, pour ne pas dire plusieurs cas, où le citoyen ne sera plus rejoignable ou il va hésiter à signer un désistement, parce qu'il va avoir peur de ci, peur de ça. Alors, il faut que ce soit gérable pour l'administration. C'est pour ça que ça prend un mécanisme quelque part pour éviter que tous ces dossiers-là ne demeurent au tribunal d'appel et n'entraînent des frais et beaucoup de tracasseries administratives.

Alors, c'est la préoccupation que nous avons et, si vous avez des suggestions, bien, on va être ouverts à les analyser. Mais il me semble que, au moins, en prévoyant le terme «présumé», on est beaucoup moins drastique et on laisse une porte ouverte à une preuve contraire d'intention. C'est peut-être un moyen terme, là, je ne sais pas. Merci.

n(12 h 10)n

M. Lallier (Sylvain): Écoutez, avec respect, moi, je préférerais qu'il n'y ait pas de présomption d'abandon, ça m'apparaît toujours dangereux. La présomption de maintien... La suggestion que je pourrais vous soumettre serait que cette présomption de maintien du recours persiste pendant une période d'un an et que, si on fait une similitude à l'ancienne possibilité, là, au Code de procédure civile, reliée à la péremption d'instance, si, après une période de temps qui pourrait être de six mois ou un an, le dossier n'a pas bougé, bien, à ce moment-là, on pourrait, après avis au justiciable, conclure à une présomption, mais autrement, je ne vois pas de solution. Je n'aurais pas d'autre solution à vous proposer.

M. Bellemare: Merci.

Le Président (M. Simard): M. le député de l'Acadie.

M. Bordeleau: Merci, M. le Président. Alors, Me Lallier, je veux revenir sur la question du paritarisme. À la page 9 de votre mémoire, vous nous dites, et vous l'avez fait dans votre présentation, que vous trouviez que c'était, bon, une voie qu'il vous paraît futile de poursuivre, au fond, dans la direction, là, du paritarisme. Il y a certains groupes qui sont venus proposer que la question du paritarisme soit optionnelle. Alors, j'aimerais peut-être vous entendre de ce côté-là pour voir s'il y a des avantages que vous y voyez, ou s'il n'y a pas d'avantage, ou comment vous réagissez à ces propositions.

M. Lallier (Sylvain): Oui. Il y aurait des avantages. Il y aurait des avantages parce qu'elle n'est pas imposée. Alors, si le justiciable désire être jugé par un tribunal composé de plusieurs personnes et qu'il en voit des avantages, je ne voudrais pas le priver d'utiliser cette voie-là. Toutefois, cette possibilité devrait être subordonnée à une clarification au niveau de la procédure de sélection des membres qui sont issus des deux organisations. Que cette procédure-là soit publique, premièrement, et que, deuxièmement, l'on connaisse les membres en question pour s'assurer que ces gens ont la compétence requise pour pouvoir siéger devant le tribunal. Alors, c'est un peu...

M. Bordeleau: O.K. Il y a un groupe qui est venu, je crois que c'est hier, Gains Conseils, qui suggérait que les justiciables puissent être représentés à l'intérieur du paritarisme par des bénévoles qui travaillent dans des organismes qu'on connaît, là, de défense des accidentés, des choses comme ça. Quelle est votre position là-dessus?

M. Lallier (Sylvain): Écoutez, au niveau du bénévolat, la problématique que je vois, c'est qu'il va y avoir moins de membres qui vont été intéressés à agir comme membres issus d'une organisation patronale ou syndicale, parce que, souvent, ces auditions-là demandent du travail, un travail sérieux, et je ne serais pas tenté de recommander à mes gens, surtout si l'approche du paritarisme est volontaire, là, je ne serais pas tenté de recommander à mes clients d'embarquer dans ce genre de galère si les membres des associations sont bénévoles. Parce qu'ils porteraient peut-être moins d'attention à la lecture des dossiers qui leur sont confiés, d'autant plus que, souvent, les dossiers sont considérables. Alors, je ne partagerais pas nécessairement cette approche-là.

M. Bordeleau: O.K. Dans votre mémoire, à la même page, vous nous dites: «Un autre motif qui milite en faveur de l'abolition du paritarisme, cela dit avec respect, est le fait qu'il n'est pas certain que les membres issus des associations ont les compétences requises pour traiter des dossiers sur lesquels ils sont appelés à intervenir lors de l'instruction de l'affaire et de donner leur opinion sur son dénouement.»

Deux points que je voudrais soulever. Quand vous parlez des associations, est-ce que vous pouvez nous préciser à quelles associations vous faites référence? Et l'autre point, vous y avez fait référence à plusieurs reprises, la question de s'assurer que les gens, à ce moment-là, ont la compétence nécessaire. C'est quoi, les critères, la compétence nécessaire pour agir dans un tribunal avec paritarisme?

M. Lallier (Sylvain): Alors, les associations que je vise, ce sont évidemment les associations patronales et syndicales. Maintenant, les critères, tout va dépendre des dossiers auxquels ils sont appelés... dans lesquels ils sont appelés à siéger. Toutefois, si, par exemple, je sais que j'ai un dossier dont la difficulté majeure est de nature médicale, j'aimerais bien m'assurer que la personne qui va me représenter auprès du décideur, qui est du côté syndical ou du côté du travailleur, a, à tout le moins, des connaissances, des notions de base. Alors, si cette personne-là, elle a une formation secondaire et une expérience de travail reliée à de l'entretien ménager, et que j'ai le choix de faire une sélection entre cette personne-là et une personne qui provient d'un milieu hospitalier et qui agit à titre d'infirmière, alors, à ce moment-là, évidemment, je serais porté à sélectionner la personne qui a le plus de formation et de connaissances dans le milieu médical.

Alors, je ne peux pas établir des critères comme tels, parce que chaque dossier est un cas d'espèce. Par contre, ce qu'il est important de souligner, c'est qu'il faut s'assurer, pour chacun des cas, que les membres en question possèdent soit des connaissances de nature médicale, des connaissances de nature économique, des connaissances de nature judiciaire, si le litige porte, par exemple, sur une interprétation d'une disposition particulière. Alors, chaque cas devient un cas d'espèce, finalement.

M. Bordeleau: Ça va. Merci.

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup, M. le député de l'Acadie. J'invite maintenant le député de Chicoutimi à poser la question suivante.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, je vous remercie, Me Lallier, pour vos différents commentaires sur le projet de loi.

Votre expertise, évidemment, est principalement dans le domaine de la CLP, des lésions professionnelles?

M. Lallier (Sylvain): ...et aussi l'arbitrage de griefs.

M. Bédard: Arbitrage de griefs aussi. Vous êtes un ? le ministre l'a mentionné ? un de ceux qui met en doute, évidemment, tout le côté de la présomption de désistement qui, effectivement, est assez particulière et qui risque, comme le disait le groupe avant ? et vous étiez présent, là ? finalement de désavantager en grande partie le salarié ou la victime qui se verrait finalement reprocher le désistement.

Le ministre veut éviter que la cour, le tribunal soit accablé, je vous dirais, de recours finalement sur lesquels il n'y a plus personne qui s'en occupe ou à peu près.

Est-ce qu'on pourrait penser à un processus lorsqu'il y a révision de la décision? Et là vous dites, bon, vous: Il faut renverser cette présomption. Ce qui a un autre impact, qui peut sembler séduisant, mais qui ne résout pas le problème du ministre. Est-ce qu'on peut penser d'imposer à l'administration, qui révise la décision, qu'il y ait, je vous dirais, une certaine approbation par le TAQ de cette décision révisée, avec accord de la partie du salarié tout simplement, lorsqu'elle rend sa décision révisée ? normalement, on peut le transmettre par la poste, mais on peut aussi évidemment le faire lors d'une rencontre ? de prévoir finalement un processus formel pour empêcher justement l'application de la présomption, mais, en même temps, éviter que des recours inutiles se retrouvent, finalement, devant le TAQ? Est-ce qu'on pourrait penser à ce type de procédure ou à un autre? Vous êtes praticien dans le domaine, qu'est-ce que vous pensez qui pourrait concilier ces deux...

M. Lallier (Sylvain): C'est certain qu'on pourrait mettre sur pied différentes procédures pour s'assurer que le justiciable réponde d'une façon ou d'une autre, qu'il ne demeure pas inactif. On ne peut pas le... c'est difficilement... La seule façon de le forcer à le faire serait que, si la décision est changée et qu'elle est devenue favorable, il faudrait qu'il transmette son intention véritable au moment de l'exercice de la décision comme tel.

Je m'explique: si, par exemple, la décision révisée octroie au justiciable une atteinte supplémentaire de 2 %, par exemple...

M. Bédard: Il y a un chèque qui...

M. Lallier (Sylvain): ...bien, à ce moment-là, lorsqu'il aurait la transmission du chèque, bien, on aurait... le justiciable devrait, à ce moment-là, émettre son intention quant à son recours, pour pouvoir encaisser le chèque comme tel.

n(12 h 20)n

M. Bédard: Parce que, entre vous puis moi, je me faisais la réflexion, celui qui a une révision favorable, il est plus facile à retrouver que celui qui a une décision défavorable, dans le sens que, normalement, l'administration a conclu effectivement qu'il avait raison, donc on lui verse normalement des montants supplémentaires, ou même récurrents, ou, du moins, il y a une démarche plus concrète auprès de cet individu que lorsqu'il a une décision défavorable. Donc, ce n'est pas quelqu'un qui... Entre vous et moi, et vous êtes dans le domaine, j'aurais tendance à dire que c'est quelqu'un qui est plus facilement repérable pour l'administration que l'inverse. Repérable dans le sens qu'il est plus facilement identifiable. Même, il est plus facile... Si la CSST émet une décision en sa faveur et, lui, il maintient son recours, la décision se retrouverait sans effet, finalement. Est-ce qu'on ne pourrait pas plutôt voir cette façon de voir là? S'il ne se désiste pas de son recours, on maintient la première décision?

M. Lallier (Sylvain): Ce serait peut-être une autre approche d'émettre effectivement des dispositions qui pourraient faire jouer l'effet de la décision quand elle sera rendue.

M. Bédard: Exactement. Bon, allons plus loin. Est-ce que ça pourrait être, par exemple, qu'on lui communique la révision potentielle parce qu'elle n'a pas de statut juridique de toute façon, cette révision? La révision devant le TAQ demeure la première décision. Donc, s'il n'est pas d'accord, s'il ne se désiste pas, on peut en conclure effectivement qu'il n'est pas d'accord. Donc, c'est la première décision qui va s'appliquer.

Est-ce que ça pourrait être une voie? Je comprends que ça pourrait désavantager le salarié en même temps, mais est-ce que ça peut être une voie à privilégier?

M. Lallier (Sylvain): Il y a une autre approche qui est possible afin d'éviter cette impossibilité de retracer le justiciable, c'est: lorsque le justiciable soumet une réclamation, il devrait y avoir une demande d'information additionnelle pour qu'on puisse le retracer, en cas d'incapacité de retracer, en transmettant le nom ou les coordonnées d'une autre personne ayant la possibilité de le retracer. Ce serait une autre...

M. Bédard: Une autre possibilité.

M. Lallier (Sylvain): ...que je pourrais vous soumettre. Mais votre proposition concernant les effets de la décision, ça m'apparaît un peu, là... faire un peu indirectement ce que, moi, je ne veux pas qu'on fasse directement quant à la présomption comme telle de désistement. Je dois vous avouer que j'ai une certaine inquiétude.

M. Bédard: Parfait. Mais, dans ce cas, c'est plus qu'une inquiétude. Vous, qu'elle soit réputée ou présumée, dans tous les cas, vous êtes contre. C'est ce que j'ai compris jusqu'à maintenant.

M. Lallier (Sylvain): Vous avez très bien compris.

M. Bédard: Parfait. Un autre point que vous n'avez pas eu le temps d'aborder dans votre mémoire et qui est quand même important, qui est plus technique mais qui peut avoir son importance quant aux délais. À la page 16 de votre mémoire, vous faites mention du fait que le tribunal aura le pouvoir, pendant une instance, lorsqu'il y a une nouvelle preuve qui est présentée et qui n'a pas été soumise à l'autorité administrative, que l'autorité peut demander d'examiner et de modifier sa décision. Est-ce qu'il existe quelque chose de semblable actuellement?

M. Lallier (Sylvain): Je n'en connais pas, non.

M. Bédard: Pardon?

M. Lallier (Sylvain): Je n'en connais pas. Pardon. Je n'en connais pas, non.

M. Bédard: Vous n'en connaissez pas. Ça me semble particulier. Autrement dit, en termes matériels, là, ou en termes de votre pratique, c'est que vous êtes devant le tribunal, vous plaidez pour votre client, vous avez une nouvelle preuve, un nouveau fait qui n'a pas été soumis à l'autre partie, et là l'autre partie décide, elle dit: Écoutez, face à ces nouveaux faits, moi, ça me semble quand même assez sympathique, je voudrais qu'on suspende l'audience. Je vais vérifier pour voir si c'est de nature à modifier ma décision. Donc, je vous demande un délai pour que je réévalue le tout.

Entre vous et moi, comme praticien, ça peut commencer à être compliqué, là. Vous, si vous avez vos témoins d'assignés puis... ça a un impact pour vous, là, en termes monétaires, puis ça a un impact pour votre client aussi, là.

M. Lallier (Sylvain): Ça a un impact financier, ça a un impact au niveau des délais.

M. Bédard: Quel est l'intérêt finalement? Parce que je suis convaincu que le ministre n'a pas mis cette disposition-là pour nuire aux salariés. Quel intérêt a pour vous l'ajout d'une telle disposition?

M. Lallier (Sylvain): Pour être bien franc avec vous, à titre de représentant du salarié, je n'en vois pas, d'intérêt. Toutefois... Parce que ma compréhension de la disposition proposée, cette disposition-là s'adressait uniquement... elle permettait uniquement à l'organisme, à l'administration de faire valoir le fait qu'une nouvelle preuve est déposée et de demander une suspension d'audition. Ça ne permettait pas à l'administré de bénéficier de cet avantage. Donc, je n'en voyais pas, d'intérêt.

M. Bédard: ...

M. M. Lallier (Sylvain): Il existe des...

M. Bédard: Allez-y.

M. Lallier (Sylvain): Je m'excuse. Il existe dans les procédures... comme, par exemple, devant la CLP, on doit, dans les 15 jours précédant l'audition, soumettre l'ensemble de la preuve qu'on entend soulever, des expertises, bon. Alors, c'est quand même assez rare qu'il y a des faits, qu'il y a des faits nouveaux qui apparaissent lors de l'audition. Ces faits nouveaux là pourraient apparaître, par exemple, lors du témoignage du travailleur. Bon, il soulève des éléments qui n'ont pas été soulevés lorsqu'il a produit sa réclamation.

Alors, moi, ce que je veux éviter ? et c'est la raison pour laquelle je propose la procédure qui apparaît aux pages 13 et 14 du texte ? la raison pour laquelle je proposais ça, c'est pour m'assurer qu'on ne prolonge pas le délai de l'audition comme telle. Si, par exemple, le justiciable fait mention dans son témoignage que, lorsqu'il a été examiné par le médecin de la SAAQ, par exemple, bien, il a omis de mettre des choses, il rajoute des choses qui ont été présentées dans le rapport du médecin, bien, à ce moment-là, c'est un élément qui aurait pu faire en sorte que l'audition s'en trouverait rallongée. Et moi, ce que je veux éviter, c'est ça. Je ne veux pas me retrouver avec des auditions d'un an puis d'un an et demi lorsque j'ai un tribunal composé de trois personnes, mon expert, l'expert de la partie adverse, mon agenda, l'agenda de mon collègue d'en face, l'agenda du tribunal, ce qui fait en sorte qu'on se retrouve avec une deuxième date d'audition ou une troisième dans un délai de sept, huit ou 12 mois. C'est la raison pour laquelle, moi, je voulais éviter ça et je voulais circonscrire cette notion de nouveaux faits ou de faits essentiels.

M. Bédard: À la limite, seriez-vous favorable à l'enlever tout simplement? Quel est, entre vous et moi, l'intérêt que l'administration puisse réviser une décision en cours de procès? Parce que, là, on est devant... on est devant l'ultime décideur. À la limite, il peut essayer de s'entendre avec nous s'il trouve que, finalement, on a raison. On peut conclure une transaction tous les deux avec chacun des représentants puis dire: Écoutez, excusez, je n'avais pas vu celle-là. Je m'amende; effectivement, on a levé la tête. Alors, vous concluez une transaction tous les deux, vous la faites entériner par le tribunal, c'est réglé, ou plutôt qu'à l'instance d'essayer... Écoutez, je me retire. C'est un fait, bon, un fait particulier, une nouvelle information, je retourne devant, on reprend une décision, puis on va revenir, puis... bien, il faudra communiquer cette décision. Il me semble que c'est plus lourd.

M. Lallier (Sylvain): Effectivement, c'est plus lourd, mais, pour le justiciable, l'intérêt serait peut-être que, avec l'information... ? et là je dis «peut-être», on est encore dans... ? bien, cette information pourrait faire en sorte que la décision soit changée, que l'audition ne soit plus nécessaire et que le dossier se règle comme ça. Ça pourrait être ça.

M. Bédard: Mais au lieu de... Allez-y.

M. Lallier (Sylvain): Pardon.

M. Bédard: Mais, au lieu de changer la décision, si on s'entend, on s'entend. Pourquoi ne pas s'entendre sur le fait? Écoutez, je demande une suspension d'une heure. Je vérifie les éléments puis, effectivement...

Le Président (M. Simard): Je propose une suspension, M. le député de Chicoutimi. Il est maintenant 12 h 30. Est-ce que vous voulez poursuivre au-delà de cette heure?

M. Bédard: Non, mais simplement peut-être que maître complète.

M. Lallier (Sylvain): Sur ce point-là, l'intérêt réside dans cette possibilité que la décision soit changée, mais je ne voudrais surtout pas que l'administration utilise... puisse utiliser cette possibilité-là soit pour parfaire sa preuve soit pour rallonger les délais et...

M. Bédard: Ça, on ne peut pas le savoir, on ne le sait pas à l'avance. La bonne foi se présume mais, dans les faits...

M. Lallier (Sylvain): On ne le sait pas d'avance, mais on peut quand même avoir des doutes.

M. Bédard: Oui, effectivement.

Le Président (M. Simard): Merci infiniment de votre collaboration, d'être venu nous présenter ce mémoire, d'avoir collaboré aux travaux de cette commission. Je suspends nos travaux jusqu'à cet après-midi, 14 h 30.

(Suspension de la séance à 12 h 29)

 

(Reprise à 14 h 39)

La Présidente (Mme Thériault): Puisque nous avons quorum, nous allons reprendre les travaux de la commission. Donc, j'aimerais rappeler le mandat de la commission qui est de procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur le projet de loi n° 35, qui est la Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives.

Donc, cet après-midi, nous débuterons nos audiences avec le Dr Guy Bouvier. M. Bouvier, vous connaissez nos règles?

M. Guy Bouvier

M. Bouvier (Guy): Bonjour, Mme la Présidente. Je remercie le ministre de la Justice, M. Bellemare, ainsi que les membres de la présente commission de me permettre de présenter mes commentaires sur le projet de loi n° 35.

n(14 h 40)n

Je suis employé par la Commission des lésions professionnelles, communément appelée la CLP, depuis le mois d'avril 1998 à titre d'adjoint médical à la vice-présidence de l'ouest. Antérieurement, j'ai été assesseur à la défunte Commission d'appel en matière de lésions professionnelles, la CALP, à compter d'avril 1995. Je suis médecin depuis 1965 et je pratique toujours en tant que neurochirurgien. Je ne suis pas un employé permanent de la CLP.

Je pense que ces précisions peuvent aider à comprendre mon intérêt à me prononcer sur certains aspects du projet de loi n° 35 présentement à l'étude. En même temps, elles m'incitent à restreindre mes commentaires sur les sujets où je suis à l'aise pour donner mon opinion. J'éviterai ceux qui ne relèvent pas de ma compétence. De même, j'éviterai des comparaisons avec le travail fait par d'autres médecins dans d'autres tribunaux, puisque je n'ai pas leur expérience.

Je précise aussi que je produis ce mémoire en mon nom personnel. Je n'ai pu consulter mes 30 collègues médecins assesseurs de la CLP en raison du cours délai accordé pour la rédaction du présent mémoire. Je peux par ailleurs vous dire que mes fonctions d'adjoint m'assurent une certaine connaissance de leur point de vue. À ce titre, j'affirme que le groupe d'assesseurs à la CLP est uni et que l'entente y est cordiale, et ce, peu importe dans quelle région de la province les médecins assesseurs exercent leur rôle.

Le rôle du médecin assesseur à la CLP. Quel est donc ce rôle du médecin assesseur au sein de la CLP? Je précise que, dès la création de la CLP en 1998, la question s'est posée. Nous étions parfaitement conscients que le tribunal comme nous l'avions connu avec la CALP était modifié substantiellement dans sa structure. Entre autres, des membres issus des associations d'employeurs et syndicales accompagnaient dorénavant le décideur et l'assesseur médical. Nous avons donc souhaité camper le rôle de chaque membre du banc de manière spécifique. La CLP a fait beaucoup de travail pour élaborer des outils visant à aider chaque intervenant à comprendre et bien assumer son rôle au sein du tribunal, et plus particulièrement celui de l'assesseur médical.

Alors, les outils de référence. Notamment, trois documents qui intéressent mon sujet ont été écrit: un code de déontologie, un document décrivant le rôle de l'assesseur médical et, finalement, un cadre d'intervention des assesseurs. J'aimerais vous rappeler quelques points forts de ces documents, puisqu'ils vous permettront par la suite de mieux comprendre mes commentaires sur le projet de loi.

Je ne m'attarderai pas sur le code de déontologie, puisqu'il comporte des règles assez générales, et je vous invite à le consulter si vous le souhaitez. Je voudrais plutôt vous parler du rôle et du cadre d'intervention de l'assesseur médical à la CLP. Je n'ai pas l'intention de reprendre le texte complet de ces documents, puisqu'ils sont publics et qu'ils peuvent être consultés par tous et chacun. Je veux plutôt profiter de la chance que j'ai de m'adresser à vous pour attirer votre attention sur quelques points qui m'apparaissent importants.

Je commencerai donc par le rôle de l'assesseur à la CLP. Alors, il y a des documents sur le rôle de l'assesseur à la CLP, et je cite en premier lieu l'article 423 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui prévoit ce qui suit: «Le président nomme des assesseurs à temps plein, qui ont pour fonctions de siéger auprès d'un commissaire et de le conseiller sur toute question de nature médicale, professionnelle ou éthique.» Donc, le premier rôle de l'assesseur médical à la CLP est de siéger avec le commissaire pour le conseiller sur les aspects médicaux d'un dossier. À ce rôle il a été ajouté celui de support-conseil et de formateur.

Alors, revenons un peu sur le rôle de siéger avec le commissaire et de le conseiller. Concernant mon rôle en rapport avec le processus décisionnel, je pense qu'à toutes les étapes de mon intervention un mot revient: prudence. Et, je m'explique, le rôle de l'assesseur médical à la CLP, avant, pendant et après l'audience, se résume à éclairer le commissaire et les membres issus des associations sur les aspects médicaux du dossier qui pourraient soulever des questionnements. Je dois donc être très prudent pour ne pas m'écarter de ce rôle de conseiller, n'étant pas décideur. En aucun temps, je ne dois imposer mon opinion et encore moins donner l'impression aux parties que c'est moi qui mène l'enquête et qui décidera sur les questions médicales.

Cela n'exclut nullement que je me sente tout à fait libre de poser les questions qui m'apparaissent pertinentes pour éclairer le débat. Personnellement ? et je témoigne ici de ma longue expérience de médecin assesseur à la CALP et à la CLP ? je ne me suis jamais senti gêné d'intervenir lorsque cela a été nécessaire. J'ai toujours tenté de m'élever au-dessus de la mêlée pour faire apparaître, dans la mesure du possible et de mes compétences, ce qui me semblait le plus juste médicalement parlant dans les circonstances de chaque dossier. Je n'ai jamais été un acteur muet ou peu entendu. Au contraire, les commissaires et les membres issus des associations ont toujours témoigné à mon égard d'un grand respect pour mon rôle, et je n'ai pas de plaintes à formuler à ce propos.

Je veux maintenant ajouter quelques commentaires sur le rôle du médecin assesseur en regard des autres activités du tribunal, et ce ne sont pas les moindres à mon humble avis. Donc, le rôle support- conseil et la formation. Premièrement, chaque assesseur au sein de la CLP doit s'attendre à exercer un rôle support-conseil, particulièrement auprès des commissaires et des conciliateurs. Il a une expertise, et c'est son devoir d'en faire profiter les autres membres du tribunal. Lors de l'élaboration du rôle de l'assesseur, nous avions prévu qu'il devrait consacrer au moins 30 % de son temps pour conseiller les commissaires et les conciliateurs. Dans les faits, je suis souvent consulté par des commissaires sur des questions médicales dans des dossiers où je n'ai pas siégé ou encore où je ne siégerai pas. Le commissaire peut ainsi rechercher un éclairage médical sur un point précis du dossier qu'il doit traiter. Il peut aussi arriver qu'un projet de décision me soit soumis pour que je le lise et que je fasse mes commentaires sur l'exactitude de son contenu médical, et encore plus sur sa qualité rédactionnelle médicale, toujours sans m'immiscer, sans ajouter dans la preuve médicale qui a été présentée devant le tribunal. Je veux préciser ici que je ne change pas la décision du commissaire en faisant cette lecture. Je m'assure strictement qu'au point de vue médical tout est conforme et rapporté correctement.

Le médecin assesseur à la CLP doit aussi s'attendre à donner de la formation s'il détient une expertise médicale particulière. À ce titre, je dois mentionner que les activités de formation médicale à la CLP sont reconnues comme étant d'une qualité exceptionnelle. Tous les efforts ont été entrepris par la CLP afin que les membres du tribunal reçoivent toute l'information médicale dont ils peuvent avoir besoin, et ce, d'une manière régulière.

Par ailleurs, je désire souligner que les médecins assesseurs à la CLP ont participé à l'élaboration d'outils qui permettent à la CLP de gérer des dossiers où la présence d'un assesseur médical est requise. Tous les assesseurs ont ainsi adhéré à un système de repérage des dossiers où la présence d'un assesseur médical à l'audience sera nécessaire. Et, dans les faits, cette méthode a répondu à nos attentes et surtout à celles des parties. Nous avons, à la CLP, très peu de cas où un assesseur médical aurait dû assister à l'audience et qu'il ne l'a pas fait. Les parties d'ailleurs nous ont maintes fois exprimé leur satisfaction à ce sujet.

n(14 h 50)n

Un mot maintenant sur le cadre d'intervention des médecins assesseurs à la CLP. Lorsque ce document sur le cadre d'intervention du médecin assesseur à la CLP a été écrit, nous avions, entre autres, l'objectif suivant: clarifier dans quel carré de sable l'assesseur évoluait. Nous voulions aussi contribuer à l'atteinte de la cohérence décisionnelle par la cohérence médicale et nous assurer que, dans chaque région de la province, les services offerts par la CLP, et plus particulièrement par l'assesseur médical, soient de qualité égale.

Nous avons ainsi beaucoup axé nos interventions sur ce qui est attendu de l'assesseur médical au sein d'un tribunal administratif spécialisé. Cette démarche n'était pas futile étant donné que chaque individu arrive avec un bagage personnel et professionnel. Lorsqu'il se trouve à oeuvrer au sein d'un tribunal administratif spécialisé, il y a quelques ajustements à faire. Nous avons donc voulu aider les assesseurs médicaux à bien comprendre leur rôle au sein de la CLP. Nous avons précisé, dans le cadre d'intervention, la nécessité de comprendre la raison d'être du tribunal, ses rouages, les règles de justice naturelle qui nous gouvernent, les pouvoirs d'enquête que le commissaire possède ou encore la notion de prépondérance de preuve. Nous avons aussi prévu que l'assesseur devrait être capable de faire les liens et les distinctions nécessaires entre le juridique et le médical, toutes choses qui ne sont pas si évidentes pour un médecin. Mais je pense que, pour l'ensemble des assesseurs de la CLP, nous y sommes parvenus. Je peux affirmer que, pour la majorité d'entre nous, nous avons relevé le défi d'accueillir les membres issus des associations syndicales ou d'employeurs. Nous tentons de composer avec les commissaires une équipe où le respect des rôles de chacun est une préoccupation constante.

Pour terminer, je précise que le document sur le rôle de l'assesseur à la CLP rappelle que, dans le cadre du processus décisionnel, le rôle de l'assesseur est d'éclairer et non de convaincre les membres du tribunal. Je trouve intéressant de rapporter qu'on y mentionne que l'assesseur médical n'est pas l'expert des parties, ni un examinateur, et encore moins un décideur.

Voilà une introduction assez longue qui m'amène à la raison d'être du dépôt de mon mémoire. Je veux vous faire part de mes commentaires sur deux aspects du projet de loi. Le premier: Doit-on maintenir le rôle de l'assesseur comme conseiller ou doit-il être codécideur? Mon deuxième commentaire portera sur la régionalisation.

Donc, le rôle de l'assesseur, codécideur ou conseiller? Je sais que le projet de loi prévoit que les dossiers, au sein du nouveau tribunal, seront décidés par un seul membre, soit un juriste. C'est la proposition qui est faite. Je comprends aussi qu'à l'occasion un expert pourrait siéger avec le décideur pour l'aider à éclaircir certains aspects médicaux du dossier. D'emblée, je réponds que le médecin devrait être un conseiller pour le décideur et je me sens personnellement plus à l'aise dans ce rôle. En effet, je pense qu'en limitant mon mandat à conseiller je suis beaucoup plus utile au sein du tribunal, car ma disponibilité est accrue. Si je suis décideur et que je siège, j'aurai beaucoup moins de temps à consacrer à mes autres tâches de support-conseil ou de formateur. Je pense qu'il serait dommage de couper ainsi dans ces rôles qui m'apparaissent très utiles pour le tribunal. Je ne peux m'empêcher de penser qu'en région, où il n'y a qu'un seul médecin, s'il est appelé régulièrement à siéger et à rédiger des décisions, bien, il lui restera très peu de temps pour aider les autres membres du tribunal soit en conseillant soit en donnant de la formation.

Personnellement, je crois que, dans bien des cas, le commissaire est capable de siéger seul, même dans des dossiers où il y a un aspect médical. Je n'ai rien à redire sur les cas où le commissaire siège seul dans les dossiers plutôt simples où la preuve médicale est limitée. Les commissaires de la CLP ont démontré un grand intérêt pour la formation qui leur était offerte et l'ont, à mon sens, très bien mise à profit. Il va sans dire que, dans des dossiers plus complexes où des médecins experts viennent témoigner, il faut privilégier la présence de l'assesseur à l'audience. Il y a aussi certains cas où des pathologies rares ou complexes sont en jeu et qui exigent la présence d'un médecin auprès du commissaire.

J'ajoute que je me sentirais plutôt mal à l'aise de décider d'un dossier à la CLP. Je pense qu'il s'agit de l'application d'une loi et qu'en conséquence je n'ai pas les compétences pour l'interpréter. Je ne peux faire abstraction que les dossiers soumis à la CLP, s'ils comportent beaucoup d'aspects médicaux, sont aussi étroitement liés à des aspects légaux. J'ai rarement eu à siéger avec un commissaire dans des dossiers où seul l'aspect médical était en jeu. Je serais un peu inquiet de modifier mon rôle pour devenir décideur avec une loi qui, nous devons le reconnaître, est plutôt complexe. J'estime que mon rôle actuel m'assure une polyvalence intéressante et surtout extrêmement motivante.

J'aborde maintenant la question de la régionalisation. Je suis pour la régionalisation dans le cas où la fusion de la CLP et du TAQ interviendrait. Vous savez que nous avons relevé ce défi en 1998 au sein de la CLP. La tâche n'a pas toujours été simple, mais nous y sommes parvenus selon moi et avec succès. Personnellement, je pense que le résultat le plus tangible est le rapprochement avec notre clientèle, et, en fait, c'est celui qui m'apparaît prioritaire.

Je ne vous cacherai pas qu'en tant que médecin j'aime échanger avec mes collègues de cas particuliers en médecine. C'est une pratique que tous les médecins ont expérimentée un jour ou l'autre, cela fait partie de notre culture. Il va sans dire que, si nous sommes en région, la réunion pourra ressembler davantage à un monologue. Mais nous avons trouvé d'autres moyens pour se parler, échanger et discuter sur des problématiques médicales et, surtout, faire en sorte qu'aucune jurisprudence médicale régionale n'émerge. Cela serait, à mon sens, contre l'intérêt de notre clientèle.

Nous avons donc institué, en premier lieu, un forum de discussion sur Intranet qui nous est réservé, aux médecins, et où nous pouvons échanger par courrier électronique. Nous avons également des rencontres, trois ou quatre durant l'année, où nous sommes tous regroupés pour discuter d'un ou plusieurs sujets médicaux particuliers. Nous recevons aussi de la formation sur des sujets qui préoccupent les assesseurs. Des rencontres d'assesseurs, également, se tiennent dans les régions où de la formation est donnée. Nous tentons alors de regrouper les médecins assesseurs de deux ou trois régions pour tenir ces rencontres. Bien sûr, malgré ces efforts, tout est perfectible. Rien ne remplace les échanges personnels. Et, encore une fois, je suis convaincu que ces désavantages sont minimes en regard des avantages pour la clientèle.

En effet, avoir un médecin assesseur résidant dans une région assure une plus grande disponibilité et une présence même dans les régions les plus éloignées de la province. Cela n'exclut pas que quelques médecins assesseurs qui détiennent des compétences plus spécialisées aient à se déplacer à l'occasion, car il ne faut pas oublier qu'à la CLP les diagnostics sont multiples, allant des traumas aux maladies professionnelles. Il faut donc répondre à ces demandes d'expertises particulières.

Ce sont là mes principaux commentaires sur le projet de loi, et je termine avec un très bref commentaire sur la conciliation, puisque je suis appelé à l'occasion à travailler avec les conciliateurs de la CLP. Encore ici, je pense ne pas me tromper en disant que l'expérience de la conciliation à la CLP a été plus que positive. Je veux réitérer mon engagement en tant que membre du tribunal à contribuer à cette démarche. Je sais que mon expertise peut être mise à profit en aidant un conciliateur à voir plus clair au point de vue médical dans un dossier ou en explorant avec lui d'autres façons de régler un dossier. Je ne peux que souhaiter que cette relation médecin assesseur et conciliateur se poursuive. Je vous remercie de l'attention que vous avez portée à mes commentaires.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Bouvier. Donc, nous allons débuter les échanges. M. le ministre, la parole est à vous.

n(15 heures)n

M. Bellemare: Merci beaucoup, Dr Bouvier, pour votre présence cet après-midi, en commission parlementaire, sur un projet de loi qui concerne les médecins, bien sûr, les avocats aussi et l'ensemble des justiciables. Et il m'apparaît important d'entendre le point de vue d'un médecin qui a occupé des fonctions importantes à la CALP puis encore à la CLP. Je crois que vous êtes encore à la CLP actuellement?

M. Bouvier (Guy): ...

M. Bellemare: Bon. Ma première question portera sur la multidisciplinarité ou la possibilité, au sein d'un éventuel tribunal unifié, que des médecins, des assesseurs puissent transiter d'une division à l'autre. Vous êtes neurochirurgien, et je crois que vous êtes la personne toute désignée pour répondre à la question qui s'en vient. Nous avons discuté avec plusieurs intervenants de la possibilité que les juges administratifs puissent transiter d'une division à l'autre. La Conférence des juges administratifs voyait d'un bon oeil la possibilité que les juges administratifs puissent être affectés à la division des lésions professionnelles et puissent aller dans d'autres divisions comme, par exemple, la division des affaires sociales qui, à l'heure actuelle, au Tribunal administratif du Québec, entend des causes d'assurance auto, d'aide sociale et d'IVAC, notamment.

En ce qui concerne les médecins, on n'a pas eu beaucoup de sons de cloche, sauf de la part du Collège des médecins qui le voyait positivement aussi. Le Dr Lamontagne semblait, la semaine dernière, ouvert à la possibilité que des médecins puissent transiter d'une division à l'autre. Vous êtes neurochirurgien, vous avez, pendant votre pratique, eu à soigner des malades, des traumatisés crâniens beaucoup aussi. Est-ce que vous voyez d'un bon oeil la possibilité que les médecins puissent agir dans d'autres divisions? Comme là, vous êtes... vous seriez finalement dans la division des lésions professionnelles essentiellement, mais vous pourriez aller agir comme juge administratif, comme assesseur, peu importe le statut, là, en matière d'assurance auto où il y a beaucoup de neurochirurgie aussi. Est-ce qu'il y a un problème, d'après vous? Est-ce qu'il y a des transits possibles d'une division à l'autre?

M. Bouvier (Guy): En tant que neurochirurgien, les conseils ou l'éclairage que je peux donner à la CLP, je pense que je pourrais les donner tout aussi bien au TAQ, hein? Un traumatisme crânien qui survient à la suite d'un accident d'auto, ou suite à un acte criminel, ou suite à un accident de travail, ça demeure un traumatisme crânien, et je pense que je suis capable de donner l'expertise nécessaire. En fait, on parle de fusion. Et, pour moi, ça m'apparaît un guichet unique pour le citoyen et ça favorise le partage des mêmes valeurs, des mêmes objectifs et ça favorise aussi une plus grande expertise du tribunal. Chez nous, à la CLP, nous essayons d'avoir des assesseurs avec... pour toucher le plus grand nombre de sujets possible, et je pense que, pour le tribunal, c'est une excellente chose et que, si ceci pouvait s'appliquer à un autre tribunal administratif, ce serait excellent.

M. Bellemare: Et ça m'amène à vous parler d'une problématique à laquelle on est confronté beaucoup depuis le début des audiences et qui porte sur le rôle de l'avocat, le rôle du médecin sur le banc. On sait que, devant tous les tribunaux civils au Québec, Cour du Québec, Cour supérieure, des litiges de nature spécialisée sont présentés, et les juges de la Cour supérieure, de la Cour du Québec sont généralement appelés à entendre des causes d'assurance salaire, d'incapacité de travailler, avec des assureurs notamment, responsabilité médicale également, sans que les juges ne soient assistés d'un assesseur ou d'un expert, ce qui n'empêche pas les parties, évidemment, de présenter des preuves de nature spécialisée par le biais d'expertises. Et certains intervenants sont venus nous dire que les médecins étaient importants, les travailleurs sociaux étaient importants, et certains allaient jusqu'à dire que, dans la mesure où il y avait des éléments médicaux qui allaient être abordés par le tribunal, qu'il fallait nécessairement qu'il y ait un médecin.

Vous, vous arrivez avec un son de cloche différent en disant: Je n'ai rien contre le fait que des collègues avocats entendent des causes et même qu'ils soient seuls sur le banc, même s'il y a une connotation médicale. Je partage tout à fait ce point de vue là, et il y a très, très souvent des commissaires à la CLP qui entendent des causes où il y a de la médecine, parce qu'il y a de la médecine dans tous les dossiers en réalité, et il n'y a pas nécessairement matière à ce qu'un autre juge ou un assesseur médical ne l'assiste.

J'aimerais que vous précisiez davantage, là, où est la limite, là. On se comprend qu'un cas complexe de trouble postcommotionnel, ou de spondylolisthésis, ou quelque chose de très compliqué exige la présence du médecin, mais, dans bien des cas, les cas médicaux simples peuvent être abordés et jugés entièrement par des avocats.

M. Bouvier (Guy): Bien, écoutez, je vous ai donné mon point de vue à l'effet que, considérant qu'on oeuvre à l'intérieur d'une loi, il m'apparaît plus logique que cette loi-là soit gérée par des juristes. Et, lorsque vous soulevez une problématique comme celle que vous venez de soulever, par exemple un spondylolisthésis, je pense que le commissaire est capable d'analyser son dossier. En tout cas, ceux que je connais à... ceux et celles que je connais à la CLP ont une grande expérience dans ces secteurs-là. Et, le cas échéant, ils vont nous consulter sur un point précis en disant: Écoutez, on a entendu ça, qu'est-ce que vous en pensez? Je ne suis pas là... je suis là pour expliquer, par exemple, ce que c'est qu'un spondylolisthésis et je ne suis pas là pour ajouter quelque chose, simplement pour répondre au questionnement. Et, dans notre quotidien, moi, je trouve que ça se passe très bien. Et là, si je prends mon chapeau pur de neurochirurgien et que je regarde comment ça se passe, moi, je suis tout à fait à l'aise avec la façon dont les choses se déroulent.

M. Bellemare: On a entendu beaucoup de personnes nous parler de la CLP en nous disant qu'il y avait un taux d'à peu près 15 % de cas où il y avait des médecins qui assistaient les commissaires. À la CLP actuellement, là. Je ne sais pas si c'est votre proportion aussi, là.

M. Bouvier (Guy): Bien, écoutez, il y a à peu près 125 commissaires, puis on est, bon an mal an, 30 quelques médecins assesseurs parce qu'il y en a qui sont plein temps, il y en a qui sont contractuels. Bon. Alors, c'est sûr qu'il y a ratio... on ne peut pas assister à toutes les audiences. Et, je vous dirais, comme je l'ai mentionné dans mon rapport, que très souvent ce n'est pas nécessaire qu'on assiste à l'audience.

M. Bellemare: O.K. Vous n'avez jamais siégé au Tribunal administratif du Québec...

M. Bouvier (Guy): Non.

M. Bellemare: ...ou en assurance automobile, ou en...

M. Bouvier (Guy): Non.

M. Bellemare: De sorte que c'est difficile pour vous de vous prononcer là-dessus, mais, dans la division des affaires sociales, au Tribunal administratif du Québec, à l'heure actuelle, il y a nécessairement et toujours deux personnes pour entendre chaque cause, un avocat et un médecin. Si on essaie de faire le parallèle avec ce qui existe au TAQ actuellement en matière d'assurance auto, où il y a beaucoup de traumas crâniens, comme vous le savez, beaucoup de «whiplash», là, des pathologies très, très, très spécifiques à l'assurance automobile qu'on voit beaucoup moins souvent en matière d'accidents de travail, mais... est-ce que, d'après vous, c'est toujours nécessaire que, dans des cas d'assurance automobile, il y ait un médecin et un avocat?

M. Bouvier (Guy): Non, je ne crois pas. Je ne crois pas parce que, à partir de l'expérience qu'on a à la CLP, il y a... je veux dire, les dossiers sont bien évalués, les décisions sont très bonnes, et, même s'il n'y a pas toujours un médecin sur le banc, ça ne change pas. Alors, ne connaissant pas d'une façon plus spécifique le TAQ... Mais je m'imagine que, si un décideur juriste a une problématique médicale, bien, il peut toujours s'adjoindre la présence d'un assesseur, comme c'est fait à la CLP. Éventuellement, il peut toujours aussi consulter un médecin pour avoir un éclairage particulier soit avant l'audience ou après l'audience.

M. Bellemare: O.K. Ma dernière question ira au banc paritaire parce que, comme médecin, vous avez l'habitude d'agir sur des bancs paritaires. Vous n'avez pas le choix parce que j'imagine que vous ne siégez pas dans des causes de financement où il y a uniquement un commissaire. Mais, dans les cas d'indemnisation, la loi prévoit à l'heure actuelle une formation paritaire, donc un commissaire décisionnel, un représentant syndical, un représentant patronal, qui ne sont pas décisionnels, et un médecin. Puis, quand vous êtes médecin, forcément vous êtes sur un banc de quatre, dans tous les cas. Certains nous ont dit que la formule paritaire alourdissait les débats, allongeait les débats. Certains ont mis des mesures là-dessus en nous disant que, sur les bancs paritaires, si on les comparait avec des bancs uniques, il y avait des débats qui étaient plus longs de l'ordre de 15 % à 20 %. Bien, ce n'est pas scientifique, mais certains témoignages ont été dans ce sens-là, notamment certains procureurs qui ont été entendus la semaine passée, dont certains avaient déjà agi comme commissaires à la CLP.

Est-ce que c'est exact que, sur une formation de quatre personnes, c'est plus long, ça prend plus de temps que sur une formation à deux? Vous, vous avez agi à la CALP, donc vous avez vécu les deux systèmes, il y a-tu une différence?

n(15 h 10)n

M. Bouvier (Guy): Bien, c'est ça, j'ai vécu les deux approches, j'ai vécu l'approche sans membre, à la CALP, puis avec les membres. Personnellement, je suis très confortable dans l'un ou l'autre système, «good common sense». C'est sûr que, s'il y a... on est deux personnes, deux ou une... deux, ou trois, ou quatre, bien, forcément, ça va... ça peut prendre un peu plus de temps à deux, ou trois, ou quatre. Maintenant, moi, ce n'est pas à moi de décider, là, je pense que c'est au législateur qui a jugé opportun de faire en sorte qu'il y ait des membres. Moi, je ne me sens pas apte à dire si le paritarisme, c'est bon ou ce n'est pas bon. Moi, je suis très confortable avec ça, et ça ne m'a pas empêché de faire mon travail de conseiller. Et, je l'ai dit dans mon rapport, et c'est mon expérience, je n'ai jamais eu d'expérience désagréable. Au contraire, je peux vous dire que, très souvent, à la fin d'audience, une fois que j'ai eu répondu aux questions des membres du tribunal, j'avais peine à dire qui était patronal ou syndical. Alors, moi, je...

M. Bellemare: La question ne vise pas à savoir si vous êtes d'accord avec le paritarisme ou pas. Ce n'est pas ça du tout que je veux vous poser comme question, c'est simplement au niveau de la durée... de la lourdeur et de la durée, point, là. Est-ce qu'il y a une différence entre la CALP sans paritarisme et la CLP avec le paritarisme en termes de durée et de lourdeur de processus? Si vous voulez répondre, vous y répondez, sinon...

M. Bouvier (Guy): Oui. Écoutez, je peux vous dire que, dans certaines audiences, les membres ne posent pas de questions. Donc, ça n'alourdit pas le processus. Dans d'autres cas, bien, ils vont poser des questions. Alors, c'est sûr que, lorsqu'ils ne posent pas de questions, c'est comme s'il y avait le commissaire puis l'assesseur, comme c'était à la CALP. Lorsqu'ils posent des questions, bien, ça peut allonger le débat un peu, oui. C'est sûr que ça peut allonger. Est-ce que ça, c'est un obstacle majeur? Là...

M. Bellemare: O.K. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Moreau: Merci, Mme la Présidente. Bienvenue, Dr Bouvier. J'ai pris connaissance de votre mémoire, et on y retrouve une approche très cartésienne, je voulais vous le dire. On voit que la main qui l'a écrit procède de façon systématique.

Je voulais vous poser des questions particulièrement sur un passage que l'on retrouve à la page 6 de votre mémoire où vous indiquez que... C'est au dernier alinéa au bas de la page 6, vous dites avoir été souvent consulté par des commissaires sur des questions médicales dans des dossiers où vous n'aviez pas siégé, où vous ne siégeriez pas. Est-ce que, en général, ces questions-là vous étaient adressées alors que le décideur, le commissaire en question avait siégé seul sans l'expertise médicale ou s'il est arrivé que vous ayez été consulté dans des dossiers semblables alors que vous n'aviez pas siégé, mais qu'un médecin agissait comme assesseur auprès du décideur?

M. Bouvier (Guy): Si je comprends la question, c'est: Est-ce que j'ai été consulté par un commissaire où il y avait un assesseur sur le banc?

M. Moreau: Oui.

M. Bouvier (Guy): Ça peut arriver que même l'assesseur vienne me dire: Écoute, on a entendu telle chose, c'est quoi, ton opinion là-dessus? Qu'est-ce que tu penses de ça? Parce que, comme j'ai dit tout à l'heure, on a chacun notre champ d'expertise, chacun notre champ de compétence. Moi, comme neurochirurgien, je suis à l'aise avec le cerveau puis la colonne, mais moins à l'aise dans des lésions musculosquelettiques de l'épaule, par exemple. Alors, si jamais j'entends une cause avec une problématique de l'épaule, je vais écouter correctement puis je vais prendre des notes, puis, après ça, je peux aller consulter un autre collègue qui a davantage d'expertise dans ce sujet-là pour dire: Explique-moi donc ce que ça veut dire, etc. Alors, ça, je pense que ce n'est pas de l'ajout de preuve, là, c'est juste de mieux préciser nos connaissances et de mieux préciser ce qu'on va donner comme conseil, comme avis.

M. Moreau: Mais, à l'évidence, ce type de consultation là qui se fait après l'audition des parties...

M. Bouvier (Guy): Ça peut se faire après.

M. Moreau: Bon, de toute évidence, cela peut avoir une influence sur la décision qui, ultimement, sera rendue par le décideur.

M. Bouvier (Guy): Bien, écoutez, n'étant pas décideur, je ne peux pas répondre à ça. Et ce n'est pas mon objectif, quand je donne une opinion, de faire changer l'opinion... Mais, pour moi, ça ne présente pas une problématique, là...

M. Moreau: C'est-à-dire que pour... Je vous dis tout de suite où je veux aller, c'est que, pour l'avocat, ça peut poser un problème ou, pour la partie, ça peut poser un problème de savoir que, après l'audition des parties, lorsque tout le monde s'est retiré et que le décideur se retire dans le délibéré, il puisse aller chercher une opinion, et là en toute bonne foi ? que vous donnez en toute bonne foi, là, je ne vous fais aucun reproche ? mais une opinion qui va avoir éventuellement une incidence quelconque sur la décision qui sera rendue, alors que les parties, à l'audition, n'ont pas la chance de contre-interroger, ou d'apporter une preuve contraire, ou d'apporter un éclairage contraire, alors... Et vous semblez dire dans votre mémoire que c'est quand même une pratique assez courante parce que vous dites, bon, avoir été souvent consulté comme ça.

M. Bouvier (Guy): Oui, mais, quand je suis consulté comme ça, le commissaire qui me consulte peut me raconter les faits, etc. Au besoin, je veux dire, est-ce que je pourrais voir le dossier? Est-ce que je pourrais entendre ce qui s'est dit? Est-ce que je pourrais voir... Et c'est à partir de ce qui a été dit au tribunal que je vais donner mon opinion essentiellement. Je n'irai pas chercher d'autre chose, je n'irai pas chercher d'autres éléments.

M. Moreau: Je comprends.

M. Bouvier (Guy): Parce que, sinon, ce serait de l'ajout de preuve, et ça, l'ajout de preuve, on sait très bien que c'est inacceptable. Mais l'opinion va toujours être basée à partir: j'ai entendu telle chose, est-ce que... Un exemple, une douleur dans le dos qui irradie dans la jambe, et là est-ce que la douleur va dans le gros orteil ou le petit orteil, hein? Alors, moi, j'ai entendu, me dit le commissaire, que la douleur va dans le gros orteil. Alors, selon les normes médicales, les connaissances d'office, est-ce que c'est la racine L5 ou la racine... Alors, ça va avec ce qui a été dit et rapporté, il n'y a rien de nouveau, là.

M. Moreau: Bon, l'exemple que vous donnez est intéressant, mais il pourrait arriver que, sur une autre question de nature médicale ? et je ne suis pas un expert dans le domaine ? il puisse y avoir deux écoles de pensée. Ça arrive en médecine. Je pense que tous les médecins ne sont pas toujours à 100 % d'accord sur les causes de...

M. Bouvier (Guy): Ah, tout à fait d'accord, et ça, là, ce sera au commissaire de décider. Il y a, voici, cette école de pensée qui dit blanc, voici l'autre école de pensée qui dit noir, et là c'est à vous, monsieur ou madame, de décider à partir de ce qu'il y a... Ce n'est pas à moi à trancher. Je peux répondre à... S'il dit: Est-ce que c'est vrai qu'il y a une réaction chimique qui peut irriter la racine? Oui, parce que c'est des choses qui sont connues, mais je n'irai pas ajouter rien.

M. Moreau: Non, je comprends. Votre collègue, le Dr Lamontagne, qui est passé ici la semaine dernière, nous disait que, évidemment, lui, son intention, c'était de garder les médecins le plus possible dans les cliniques médicales et les hôpitaux, là où ils sont une denrée rare presque, et il suggérait, dans le cadre des mandats donnés aux professionnels, particulièrement dans le domaine médical, que, pour agir à titre d'expert, là, ces mandats-là soient de cinq ans, non renouvelables, parce qu'il estimait qu'il était nécessaire, pour garder une bonne expertise, de conserver un contact étroit avec l'aspect clinique des choses, donc avec la pratique de tous les jours.

Est-ce que vous avez un commentaire sur ça? Est-ce que vous allez dans le même sens que le Dr Lamontagne?

M. Bouvier (Guy): Je pense que j'en suis un bon exemple parce que je travaille une trentaine d'heures à la CLP et je continue à voir des malades. D'ailleurs, je quitte immédiatement après, avec votre permission, parce que j'opère demain matin. Donc, que certains médecins gardent un contact avec les patients, je pense que c'est une chose qui est excellente.

Maintenant, il ne faut pas oublier que, quand... Moi, je l'ai vécu, là, quand je suis arrivé au tribunal, là, il y a une différence entre le tribunal, puis l'hôpital, puis mon cabinet privé. Alors, il y a tout un processus à apprendre à s'incorporer au sein du tribunal, Et, il y a de la formation aussi qui se fait, je pense que ce serait dommage qu'au bout de cinq ans on prenne ces gens qui commencent à être bons et puis qu'on dit: Bien là on en prend cinq autres, d'autant que ? et là, encore une fois, mon expérience à la CLP ? on a fait du recrutement, et la queue à la porte n'est pas longue. Bon, on comprendra que, pour toutes sortes de raisons qui peuvent être économiques en particulier, c'est plus intéressant, peut-être, de travailler en cabinet privé que de travailler au tribunal. C'est un choix. Moi, j'adore ce que je fais, puis j'aime ça... puis j'aime ça parce que je peux faire de la clinique. Je fais, au tribunal, beaucoup de formation, et ça, au niveau de la CLP, c'est incroyable, les efforts qui ont été faits pour améliorer la compétence des gens en donnant beaucoup de formation.

M. Moreau: Il me reste 40 secondes. Très rapidement, est-ce que vous pensez que le fait de favoriser le déplacement des experts médicaux, par exemple, d'une division à l'autre du tribunal soit de nature à permettre de recruter des experts de meilleure qualité?

M. Bouvier (Guy): Je l'espère. Je l'espère, peut-être en leur offrant des conditions de travail qu'ils ne peuvent pas refuser.

M. Moreau: Merci.

M. Bouvier (Guy): Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, je cède maintenant la parole au porte-parole de l'opposition officielle, le député de Chicoutimi.

n(15 h 20)n

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, je vous remercie, M. Bouvier, d'être venu devant nous. Je vais être assez bref dans mes commentaires. Simplement pour continuer sur la discussion, évidemment ça fait longtemps que vous exercez le rôle d'assesseur, et ce que j'ai compris de la discussion avec le ministre, vous n'avez jamais eu le rôle de décideur. Vous n'avez jamais siégé au TAQ, donc vous avez toujours exercé ce rôle-là de façon à éclairer, par exemple, le décideur sur les différents courants médicaux qui peuvent exister sur un sujet en particulier, mais jamais dans le but, évidemment, de prendre la décision comme certains d'autres de vos collègues font au TAQ, par contre, ce qui est différent comme rôle.

M. Bouvier (Guy): Très différent.

M. Bédard: Très différent. Au niveau de la régionalisation, j'ai trouvé ça intéressant parce que certains nous opposent à cette tentative de régionalisation de l'ensemble des attributions du nouveau TAQ, le fait que, bon, il pourrait y avoir moins de décideurs évidemment dans certaines régions, donc... Ce qui se passe d'ailleurs pour les médecins. Ce que vous me dites des médecins spécialistes assesseurs: Dans certaines régions, ils sont relativement peu. Et, vous dites même monologue, ça veut dire même, peut-être, dans certaines régions, ils sont uniques, ils sont seuls comme conseiller, comme assesseur du tribunal, mais à ce moment-là vous avez créé, avec la technologie qu'on connaît bien, des moyens pour s'assurer qu'il y ait un transit d'information continuel entre les différents décideurs dans tout le Québec, c'est ce que j'ai compris. Puis c'est relativement simple et peu coûteux?

M. Bouvier (Guy): Oui, tout à fait. Tout à fait, et les échanges sont constants, sont quotidiens, et entre médecins il y a une très grande collaboration. Encore une fois, au risque de me répéter, il y a des choses avec lesquelles, comme neurochirurgien, je suis très familier puis il y a d'autres choses avec lesquelles je ne suis pas familier.

Alors, un exemple de ça ? et ça, peut-être que Me Bellemare va s'en souvenir ? dans un dossier à Saint-Georges de Beauce où j'étais assesseur médical parce que l'assesseur de la région ici... C'était un cas de dystonie cervicale, et, bon, bien, l'assesseur de Chaudière-Appalaches m'avait demandé ? étant donné que j'ai une certaine expertise dans les dystonies cervicales ? m'avait demandé d'aller siéger, et la première chose que M. Bellemare m'avait dit: Vous êtes bien le Dr Bouvier de 458, Victoria, à Saint-Lambert? J'ai dit oui. Et il m'avait même dit: Vous avez déjà vu ce travailleur-là. Bien, j'ai dit: Peut-être. Effectivement, je l'avais vu quatre ans auparavant. Alors ça, ces échanges-là, pour le tribunal, ça m'apparaît très intéressant et très profitable.

M. Bédard: Parfait. Alors, je vous remercie d'avoir fait profiter de votre expertise aux membres de cette commission. Merci, Dr Bouvier.

M. Bouvier (Guy): Merci.

M. Bédard: Il y a peut-être mon collègue qui avait une question aussi.

La Présidente (Mme Thériault): Oui, il y a le député de Mercier qui a demandé la parole. M. le député.

M. Turp: Oui. Merci, Mme la Présidente. En fait, quand on regarde le projet de loi qui est devant nous, la notion d'assesseur disparaît. Vous avez cité dans votre mémoire l'article 423 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, qui prévoit la notion d'assesseur, hein? «Le président nomme des assesseurs à temps plein, qui ont pour fonctions de siéger auprès d'un commissaire et de le conseiller sur toute question de nature médicale, professionnelle ou technique.» Cet article-là sera abrogé par l'article 99 du projet de loi n° 35, et on lui préfère la notion d'expert, si j'ai bien compris, et les médecins seront des experts auprès du Tribunal administratif du Québec.

Alors, c'est intéressant. Il n'y a pas beaucoup d'assesseurs au Québec, là, il y en a au Tribunal des droits de la personne aussi. C'est une notion qui a été retenue pour dire que ces assesseurs ne participent pas nécessairement à la décision. C'est le rôle que vous aviez à la Commission des lésions professionnelles, et là on croit comprendre que la disparition de la notion d'assesseur en est une qui a aussi pour but de donner parfois aux médecins comme vous un pouvoir de décider de certaines affaires quand ils sont membres du tribunal, et ils sont dans une formation qui décide des affaires.

Dans ce sens-là, est-ce que vous croyez que c'est une bonne chose? Est-ce que l'apport d'un médecin à la décision est parfois utile et nécessaire? Et est-ce qu'on ne devrait pas effectivement associer des médecins à la décision et non pas seulement leur conférer le rôle d'assesseur?

M. Bouvier (Guy): Bien, moi, je vous ai dit dans mon mémoire puis je vous le redis sans hésitation que, personnellement, je me sens beaucoup plus confortable et polyvalent à conseiller et à éclairer. Je ne calcule pas, dans une année, le nombre de conseils que je donne, mais je m'imagine facilement que, si du jour au lendemain je deviens décideur, bien là je vais siéger, je vais rédiger, et l'information que je vais fournir va être forcément réduite. Si, par exemple, actuellement, je donne 200 conseils par année, là, que... Bien, un chiffre, là, que je n'ai pas plus de précisions que ça. Puis, si je commence à siéger puis à rédiger comme décideur, bien, je vais rendre ? je vais «co-rendre» parce que, au TAQ, ils sont deux ? je ne sais pas, 60, 70, 80 décisions.

Donc, je me sentirais moins utile dans cette nouvelle fonction que dans la fonction que j'occupe actuellement parce que, comme médecin, je ne suis pas juriste. Je vous dis que je ne serais pas à l'aise, là. Je me sens à l'aise avec l'aspect médical pour conseiller et éclairer, et, moi, ce rôle-là me convient très bien. Mais ça, c'est mon opinion personnelle, hein, que je vous donne là.

M. Turp: Vous savez, les juristes, là, ne possèdent pas le monopole de la compréhension des choses pour ce qui est de l'application du droit.

M. Bouvier (Guy): Ah, là, je ne peux pas me prononcer là-dessus.

M. Turp: Les juristes, ça devrait être modeste. Et, quand il y a un médecin qui comprend mieux que le juriste les choses, je pense que le juriste, que ce soit le juge au Tribunal des droits de la personne, ou un avocat, ou un notaire qui est membre du tribunal ou qui le préside, peut, je pense, mieux comprendre même le droit s'il est bien éclairé par un médecin. D'ailleurs, la multidisciplinarité, c'est intéressant parce que ça semble même s'élargir à des cours. Le Conseil constitutionnel français, là, le grand tribunal constitutionnel français a maintenant en son sein une sociologue. Dominique Schnapper, là, qui est une grande sociologue très réputée en France, a été désignée par le président de la République comme membre du Conseil constitutionnel français, qui était jadis le lieu où les juristes, les constitutionnalistes avaient un monopole. Alors, si on est capable de faire ça pour une grande cour constitutionnelle, bien, peut-être que, pour un tribunal administratif, la règle de la multidisciplinarité, la participation des médecins, non seulement comme assesseurs, mais comme membres du tribunal, comme experts qui ont un rôle dans la décision, est souhaitable, et peut-être que les médecins vont aider le tribunal à dire mieux le droit.

Alors, peut-être que vous êtes modeste dans votre façon de penser votre rôle et que des médecins comme vous et comme d'autres pourront, si le choix est fait de les associer aux décisions dans le Tribunal administratif du Québec, faire une contribution encore plus importante qu'ils ne l'ont déjà fait.

M. Bouvier (Guy): On verra bien. Ha, ha, ha!

M. Turp: Non, c'était un commentaire.

Une voix: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Donc, c'est beau pour votre côté? D'accord. Donc, Dr Bouvier, merci beaucoup pour votre contribution à nos travaux. Et nous allons suspendre les travaux quelques instants pour permettre au prochain intervenant de s'avancer. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 29)

 

(Reprise à 15 h 35)

La Présidente (Mme Thériault): Nous allons donc reprendre les travaux et nous accueillons Me Viviane Dagenais. Me Dagenais, je vais vous demander de nous présenter la personne qui vous accompagne, et vous avez 20 minutes pour nous faire votre présentation.

Mmes Viviane Dagenais et Monique Harrisson

Mme Dagenais (Viviane): Très bien. Alors, merci, Mme la Présidente. Je vous remercie de me permettre de m'exprimer avec le mémoire. Et bonjour, M. le ministre de la Justice, bonjour, mesdames et messieurs de la commission.

La personne qui est à mes côtés, c'est Mme Monique Harrisson, formation avocate, mais à l'emploi du ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale, à titre d'agente de recherche et de planification socioéconomique, coordonnatrice région ouest du Québec. Et moi-même, je suis à l'emploi du ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale également. Je suis fonctionnaire, classée agente de recherche et de planification socioéconomique, mais de formation avocate, et mes fonctions habituelles sont de plaider devant le Tribunal administratif du Québec depuis 1995.

Alors, nous sommes ici pour vous demander d'abroger un seul paragraphe d'un seul article, qui est l'alinéa deux de l'article 102 de la Loi sur la justice administrative, pour les quatre raisons suivantes: parce que cet alinéa déroge au principe d'égalité protégé par les deux chartes; parce que, dans son application, le citoyen risque de devenir victime d'une erreur déontologique irréparable parce que non protégé par le Code des professions; et parce que la volonté du Barreau et la volonté politique des dernières années encouragent la mise en place de mesures pour élargir les champs de pratique des avocats et non les restreindre; et pour augmenter la célérité et l'efficacité devant le Tribunal administratif, selon le voeu exprimé par le ministre de la Justice lors de ses allocutions.

Dans l'énoncé de mon mémoire, j'ai des rajouts que vous n'avez pas parce que ce sont des informations qui ont été reçues de mes collègues depuis que j'ai expédié le mémoire, mais je vous le mentionnerai.

Alors, la première raison, contravention au principe d'égalité. Le deuxième alinéa de l'article 102 de la Loi de la justice administrative, vous le connaissez, c'est que le ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale a le droit de se faire représenter par une personne de son choix devant la section des affaires sociales au Tribunal administratif, mais pour exercer des fonctions relativement à la loi sur le soutien et l'emploi de la... de l'emploi et de la solidarité sociale.

L'administré qui se trouve opposé au ministre de l'Emploi et de la Solidarité dans un litige devant le Tribunal administratif doit obligatoirement être représenté par avocat, suivant les prescriptions de l'article 128, paragraphe 2a de la Loi du Barreau. Tout de suite ici, et on n'a pas besoin d'être juriste, on constate une exception, une différence, un privilège accordé au ministre ou son délégataire dans le processus d'accessibilité au tribunal. Ce privilège est tout à fait injustifié, les autres administrations telles que la RRQ et la SAAQ étant représentées par avocats. Ça, évidemment, hier... Moi, j'ai eu le temps d'écouter des mémoires seulement hier et, hier, je crois que le groupe du Jeune Barreau de Québec, ils ont mentionné que ça arrivait que des représentants de la SAAQ étaient des non-juristes. Bon, enfin. Mais, d'après nous, selon la loi, ils ne pourraient pas le faire, mais, apparemment, ça se ferait, ce que j'ai appris dans le mémoire d'hier. Et je poursuis.

L'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés établit le droit à l'égalité: «La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination...» Le préambule de la Charte des droits et libertés de la personne nous dit que «tous les être humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi». Conséquemment, le législateur, en imposant une condition d'exercice du recours devant le TAQ plus exigeante pour le citoyen que pour le ministère, c'est-à-dire se faire représenter par avocat, démontre une préférence pour ce dernier au mépris du citoyen. Cette distinction, cette préférence rompt l'équilibre entre les parties et contrevient au principe consacré dans les deux chartes qu'est l'égalité de tous devant la loi ainsi qu'à l'objet de la Loi de la justice administrative, qui est à l'article 1, qui dit: L'objet de la présente loi est «d'assurer le respect des droits fondamentaux des administrés».

n(15 h 40)n

Le citoyen peut être victime d'une erreur déontologique. L'article 32 du Code des professions se lit comme suit: «Nul ne peut de quelque façon prétendre être avocat [...], prétendre avoir le droit de le faire ou agir de manière à donner lieu de croire qu'il est autorisé à le faire [...], sauf si la loi le permet.» Donc, parce qu'il est permis au ministre de l'Emploi ou son délégataire de se faire représenter par une personne de son choix et bien souvent non-juriste, il est normal que les requérants, les mis en cause et même leurs procureurs devant le tribunal croient que leur opposant est avocat. Jusqu'ici, il n'y a pas de problème, puisque la loi le permet. Mais, parce qu'ils croient que leur opposant est avocat, ils croient nécessairement être protégés par les dispositions du Code des professions contre les fautes déontologiques qui peuvent être commises par leur opposant. Je fais référence ici à toute la section VII du Code des professions, plus précisément le chapitre VII.

Or, un acte dérogatoire au Code de déontologie des avocats n'est pas nécessairement un acte dérogatoire au code d'éthique des fonctionnaires. Je vous illustre ma pensée par l'exemple suivant. Le non-juriste se présente devant le TAQ et commet une faute répréhensible suivant le Code de déontologie des avocats. J'ai pris l'exemple de l'article 3.02.01e, qui est: «L'avocat ne doit pas soustraire une preuve que lui-même ou son client a l'obligation légale de conserver, de révéler ou de produire.» Dans cet exemple, le représentant non juriste peut facilement commettre cette faute non intentionnellement bien sûr, mais simplement par ignorance. Alors, quel serait le recours que le citoyen peut exercer et devant qui lorsqu'il est victime d'une faute commise par un représentant non juriste afin d'obtenir réparation aux torts subis suite à la commission de cette faute?

Le représentant non juriste est un agent de recherche, on l'a dit, c'est un fonctionnaire nommé conformément à la Loi de la fonction publique, il exerce ses attributions conformément aux normes d'éthique et de discipline prévues à cette loi et dans un règlement adopté conformément à celle-ci. Dans le règlement sur l'éthique et la discipline dans la fonction publique ? ici, vous avez la référence ? on ne retrouve aucune norme similaire qu'on retrouve au Code de déontologie des avocats. Donc, si le non-juriste commet une faute, tel que mentionné dans mon exemple, dans l'exercice de ses devoirs d'avocat, qu'il n'est pas, peut-on lui reprocher un manquement à son code d'éthique de fonctionnaire et lui imposer en contravention de sa faute une mesure disciplinaire ou une mesure de réparation? À mon avis, non, parce que le code d'éthique est silencieux en ce qui concerne toutes les obligations déontologiques de l'avocat. Peut-il être poursuivi devant le Tribunal des professions? Encore une fois, non, puisque l'exercice de la profession d'agent de recherche et de planification socioéconomique, ce n'est pas une profession reconnue au Code des professions. Conséquemment, le Tribunal des professions n'aurait pas juridiction pour entendre la plainte.

Donc, continuer de permettre au ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale de se faire représenter par une personne de son choix, non juriste, devant le TAQ, c'est prendre le risque que les citoyens soient victimes de fautes déontologiques sans jamais obtenir réparation, à moins qu'ils entreprennent des recours coûteux en dommages et intérêts devant les tribunaux de droit commun.

Ici ? et ce n'est pas dans le mémoire, c'est une information que j'ai reçue ? apparemment, le Vérificateur général du Québec s'est lui-même dit inquiet du privilège accordé au ministère, en 2002, en indiquant dans un de ses rapports annuels, celui de 2002, que la représentation du ministre de la Solidarité sociale n'offrait aucune garantie de qualité dans sa structure actuelle.

Mon troisième point, c'est faire de la place aux avocats. Le tribunal administratif, il s'agrandit, il prend de l'importance, il entend tous les litiges qui opposent les citoyens à l'État pour à peu près toutes les activités que les administrés ont à vivre entre la naissance, le mariage, le divorce et la mort. Le Tribunal administratif va devenir... bien, le TRAQ, mais là je corrige, apparemment que ça va demeurer le TAQ.

Le Journal du Barreau, paru le 15 janvier dernier, nous rapporte que Mme Isabelle Lavoie, directrice du Service du marketing et des communications du Barreau, a annoncé, lors d'une réunion du Conseil général du Barreau, la tenue d'un projet pilote en matière de représentation par avocats devant les tribunaux administratifs: «La justice administrative, précise-t-elle, représente un marché potentiel de plusieurs millions de dollars par année pour les avocats et ils auraient avantage à y être plus présents.» Le 26 octobre dernier, le ministre de la Justice, vous, M. Bellemare, vous rendiez public un règlement permettant la médiation à la Cour des petites créances. Je lisais, toujours dans Le Journal du Barreau, mais cette fois-ci publié le 15 décembre dernier, un article sur le sujet écrit par Mme Guylaine Boucher, qui dit ceci: «Ne sera pas médiateur à la Cour des petites créances qui veut. Seuls les avocats et les notaires peuvent se prévaloir de cette responsabilité.» Donc, le Barreau et le ministre de la Justice unissent leurs efforts pour promouvoir la profession d'avocat dans tous les domaines de la société.

Vous avez une belle occasion ici de continuer d'exercer cette volonté politique d'élargir les créneaux des avocats afin de promouvoir leur rôle d'auxiliaire de la justice en enlevant le privilège au ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale de se faire représenter par une personne de son choix.

Quatrième raison, la célérité et l'efficacité devant le tribunal. Lors de votre présentation, M. le ministre Bellemare, vous avez exprimé le voeu que soient diminués les délais d'attente d'audience et que soit accru le nombre de règlements des litiges. Parce que le ministre de l'Emploi et de la Solidarité sociale peut se faire représenter par une personne de son choix, ces personnes ne sont pas leurs procureurs, elles n'agissent pas en vertu d'une procuration et, n'étant pas procureurs, elles ne peuvent donner effet aux règlements hors cour et aux acquiescements qu'elles acceptent.

Il existe un décret concernant la signature de certains documents au ministère, mais ce décret n'accorde aucune autorisation aux représentants du ministère devant le tribunal pour signer quelque document que ce soit. Les conséquences de cette pratique font en sorte que tous les règlements hors cour qui interviennent entre le citoyen et le représentant ainsi que les acquiescements consentis par le représentant du ministre, puis j'ajouterais le désistement que le client peut produire, doivent obligatoirement être entérinés par le tribunal pour permettre l'exécution. «Être entérinés», ça, ça veut dire qu'il y a une décision qui est écrite, qui est photocopiée, qui est distribuée.

Alors, advenant l'abrogation du deuxième alinéa de l'article 102 de ladite loi, le ministre ou son organisme délégataire aurait l'obligation de se faire représenter par procureur avec tous les pouvoirs que cela emporte. Il y aurait fin des litiges dans toutes les causes qui se concluent par un désistement, acquiescement ou règlement hors cour sans besoin que le tribunal rédige une décision pour donner acte à la conclusion à laquelle en sont arrivées les parties.

Avant de terminer, j'aimerais dire qu'avant 1979 ? et ça a été dit, je crois, hier ou les autres journées ? la représentation par avocat était obligatoire, vous le savez. On a, paraît-il, et c'est tiré d'un exposé de vous encore, M. Bellemare, lors de votre passage ? c'est inscrit, là... vous avez eu envie de revenir à cette situation-là. Mais, pour éviter qu'un problème d'accessibilité refasse surface, vous avez opté pour certaines limitations dans la représentation. C'est ainsi que l'article 38 du projet de loi remplace le premier alinéa de l'article 102 afin d'interdire la représentation par professionnel radié.

Et là un collègue me faisait remarquer, et c'est probablement vrai, ce qui est visé, c'est d'enlever le professionnel radié devant le Tribunal administratif. Mais, si vous maintenez le deuxième alinéa de l'article 102, ce même professionnel radié là pourrait venir se qualifier sur un concours d'agent de recherche et de planification socioéconomique et retourner plaider devant le Tribunal administratif. Il n'y a rien qui l'empêcherait de se qualifier sur un concours comme ça. Alors, ça pourrait faire échec à la volonté de vouloir les mettre de côté du tribunal.

Ensuite, l'article... Mais, lorsqu'on lit le deuxième alinéa de l'article 102 de la Loi sur la justice administrative, on s'aperçoit que le problème d'accessibilité, ce n'est pas le citoyen qui ne l'a plus, c'est le ministère qui ne l'a plus. Pour le ministère, c'est plus facile d'accéder, alors que, le citoyen, ce n'est pas facile.

Si le tribunal est insatisfait d'un représentant, et vous avez ajouté l'article 103.1, d'un représentant du ministre et l'exclut de l'instance, imaginez-vous, en application de 103, les inconforts, les luttes de pouvoir que cela pourrait engendrer de vouloir exclure un représentant du ministre.

n(15 h 50)n

Historiquement, le réviseur partait avec son dossier défendre sa décision devant la Commission des affaires sociales. C'était l'époque où le travail de l'agent se faisait manuellement, la sécurité informatique était moins performante qu'aujourd'hui, les contestations avaient souvent pour origine un mauvais calcul de la réclamation. L'expertise du spécialiste administratif qu'était le réviseur était indispensable, mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. C'est pour ça qu'on n'a plus besoin d'être représenté par des non-juristes. La sécurité informatique est à toute épreuve, les calculs ne sont plus contestés. Ce qui demeure litigieux devant le tribunal, c'est la divergence d'opinions quant à la force probante de la preuve et l'interprétation des différentes lois. Et ce sont les avocats qui peuvent le mieux défendre les intérêts du ministre lorsque le débat contradictoire porte sur des questions de droit.

Le ministère le sait qu'aujourd'hui, devant le tribunal, il doit envoyer des juristes, puisqu'il engage des avocats ou des bacheliers en droit depuis 1998. Sur 38 représentants au TAQ, nous sommes une quinzaine d'avocats maintenant, de juristes. Malheureusement, il s'autorise, s'appuyant sur ce fameux deuxième alinéa de l'article 102, d'éroder le juste salaire d'un juriste pour lui substituer le salaire d'un professionnel de l'État et surtout d'éroder sa juste reconnaissance.

Alors, notre recommandation, et la mienne, ainsi que celle de mes consoeurs et confrères juristes au ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale qui m'appuient dans ma démarche est la suppression du deuxième alinéa de l'article 102 de la Loi sur la justice administrative.

Si vous interrogez sur les personnes ? j'ai dit 38... qui ne sont pas juristes et qui plaident actuellement, c'est évident qu'il serait peut-être bon d'assortir avec un article transitoire pour permettre à ceux qui ont quand même déployé des efforts et des études en droit et qui sont en train de terminer ou qu'il ne reste que le Barreau... de leur permettre de continuer à plaider devant le Tribunal administratif. Je vous remercie.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Dagenais. On me dit qu'il n'y aura pas d'intervention du côté ministériel. Donc, je vais céder la parole au député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Merci, Me Dagenais, puis Mme Harrisson, ou Me Harrisson?

La Présidente (Mme Thériault): Harrisson, maître.

Mme Harrisson (Monique): Me Harrisson.

M. Bédard: Maître aussi? Ça me fait plaisir. Alors, à vous deux... J'ai lu votre mémoire. Si je comprends bien, évidemment, ce que... vous faites le reproche qu'il y ait une exception à la loi actuellement qui prévoit que le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale peut être représenté par une autre personne qu'un avocat. Et ce que vous souhaitez, c'est que finalement on fasse en sorte que le ministère soit représenté par... qu'il ait l'obligation de se faire représenter par avocat, qu'il n'y ait pas d'exception. À votre connaissance, est-ce qu'il existe, dans les autres lois constitutives des autres ministères, d'autres dispositions semblables, de même nature, qui autorisent les différentes entités administratives d'être représentées par des gens autres que des avocats devant les instances administratives?

Mme Dagenais (Viviane): À ma connaissance, il faudrait que je relise l'article 128.2 de la Loi du Barreau, c'est là que se trouvent les exceptions. Parce que l'exception qu'on a chez nous, à notre ministère, on la retrouve à l'article 128.2.5° de la Loi du Barreau. Les exceptions se retrouvent là.

M. Bédard: Elles sont incorporées à la Loi sur le Barreau?

Mme Dagenais (Viviane): Oui, oui.

M. Bédard: Ah oui?

Mme Dagenais (Viviane): Oui.

M. Bédard: Eh bien! je ne le savais même pas. 128?

Mme Dagenais (Viviane): 2.5°. On retrouve le même texte que 102.2.

M. Bédard: Que ce que vous avez dans la loi.

Mme Dagenais (Viviane): Oui.

M. Bédard: O.K. Alors, je vais le vérifier.

Mme Dagenais (Viviane): Alors, quand on dit: Et de nature, sauf... Alors là, il y a 1, 2, 3, 4, 5.

M. Bédard: O.K. Puis, vous, finalement, ce que vous souhaitez, c'est que l'État soit représenté par ses procureurs et que, même que cet aspect aura été évoqué, là, vous me dites: Dans un rapport du vérificateur de 2002, à l'effet qu'il mettait en doute les compétences de ceux et celles qui représentent l'État? Pas les compétences, mais du moins qu'il n'y a pas de... J'ai bien compris?

Mme Dagenais (Viviane): Le Vérificateur général... c'est une information qui m'a été donnée par un collègue, je ne sais pas si ça faisait précisément appel à cet article-là, mais, ça, ça a été retrouvé dans un mandat... C'est parce qu'à un moment donné on a eu un mandat, j'ai fait partie d'un comité qui avait comme mandat de pondre un document pour évaluer la qualité de la représentation devant le Tribunal administratif, et cet énoncé-là était tiré du mandat qui nous était donné. Les raisons pour lesquelles on devait faire les documents pour s'assurer de la qualité des représentations, c'était parce que le Vérificateur général du Québec s'était... bon, inquiet du privilège accordé, etc.

M. Bédard: O.K. Et comme, actuellement, cette disposition n'est pas abordée dans le projet de loi, vous faites cette représentation pour que le ministre modifie. Mais vous n'avez pas d'autres représentations à faire sur le projet de loi actuel.

Mme Dagenais (Viviane): Le projet de loi dans son ensemble. Mais, si vous me posez des questions sur la révision, je vais avoir une opinion.

M. Bédard: Sur la révision?

Mme Dagenais (Viviane): Oui.

M. Bédard: Allez-y.

Mme Dagenais (Viviane): La révision?

M. Bédard: Allez-y sur la révision, oui, parce que, ce qu'on m'a dit, et je vais profiter de votre expertise, ce qu'on m'a dit de la révision, c'est qu'elle était... elle semblait être positive.

Mme Dagenais (Viviane): Chez nous.

M. Bédard: Oui, c'est ça, au ministère.

Mme Dagenais (Viviane): Très positive.

M. Bédard: Et que c'était une instance de révision qui était performante par rapport à d'autres instances de révision qui sont... et ça, ça vient... Si c'étaient des gens de l'État, je vous dirais qu'il faudrait mesurer ce que veut dire «positif», là, mais, dans ce cas-ci, c'est vraiment les représentants de ceux et celles qui font appel des décisions, donc des... pas des salariés, excusez-moi, mais des bénéficiaires et des... qui se déclarent entièrement satisfaits, effectivement... bien, entièrement, entre guillemets, mais que c'est un processus qui est utile pour eux et qu'on doit maintenir. Êtes-vous favorable à ce positionnement?

Mme Dagenais (Viviane): Oui. Moi, j'aimerais qu'il y ait une exception pour notre ministère, garder le statu quo, la révision telle qu'elle existe. Et les procureurs ont là des... les opinions aussi des procureurs qui disent que, chez nous, c'est intéressant parce que, avec la représentation, ils font un bout de chemin, le réviseur souvent fait un bout de chemin. Et, bon, ce n'est pas toujours... ça avance et...

Mme Harrison (Monique): Pour ajouter, si vous me permettez?

Mme Dagenais (Viviane): Oui.

Mme Harrison (Monique): Pour ajouter à ce que vient de dire Me Dagenais. Au niveau de la révision, chez nous, c'est ce qui nous alimente au niveau de la représentation devant le tribunal. À partir du moment où il y a une décision en révision qui a été rédigée, alors les éléments, si vous voulez, pour lesquels cette révision-là a été demandée et la décision est rendue nous permettent, nous, devant le tribunal, déjà, d'avoir une assise au niveau de notre représentation devant le tribunal. À partir du moment où tous les éléments, si vous voulez, de la décision sont fondés sur les articles de loi, sur certaines preuves qui ont été recueillies, ce qui nous permet à nous, représentants, devant le tribunal, d'avoir, si vous voulez, les éléments de preuve, un début d'élément de preuve pour aller faire les représentations devant le tribunal. Et voilà pourquoi la révision chez nous est importante et elle doit, à notre avis, être maintenue.

M. Bédard: Dernière question, et je ne veux pas vous mettre dans une situation difficile. L'Association des juristes de l'État ne sont pas venus témoigner devant cette commission, peu importent les... et je n'ai aucune idée pourquoi ils ne sont pas venus. Mais les arguments que vous invoquez auraient peut-être dû être, j'imagine, repris par une association qui défend les juristes de l'État. Et là je ne veux pas vous mettre mal, soyez bien à l'aise si vous ne souhaitez pas répondre, mais j'imagine que vous faites partie de cette association?

Mme Harrison (Monique): Pas du tout.

M. Bédard: Ah non?

Mme Dagenais (Viviane): On est fonctionnaires, nous.

M. Bédard: Mais vous êtes juristes.

Mme Dagenais (Viviane): On fait partie du Syndicat des professionnels du Québec.

Mme Harrison (Monique): Des professionnels du Québec.

Mme Dagenais (Viviane): C'est là la problématique.

M. Bédard: O.K. Et l'Association des juristes de l'État n'inclut pas les différents fonctionnaires avocats des différents ministères?

Mme Dagenais (Viviane): Non, parce qu'on n'est pas engagés comme avocats. On est des agents. C'est pour ça que je l'ai dit au début, nous sommes des agents de recherche et ? j'ai toujours un peu de difficultés ? et de planification socioéconomique.

M. Bédard: O.K. Et c'est à ce titre...

Mme Dagenais (Viviane): Mais c'est notre diplôme, si vous voulez, ou notre profession de plaider, de plaideur qui est utilisée.

M. Bédard: O.K.

Mme Dagenais (Viviane): C'est ça, on est des plaideurs, mais on est des agents de recherche et de planification. On ne fait pas partie de l'association.

M. Bédard: Ça m'explique, ça me permet de comprendre bien des choses. Alors, je vous remercie à vous deux. Merci beaucoup d'être venues témoigner.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le député. Il y aurait le député de Mercier.

M. Turp: Alors, dans votre mémoire, vous dites que le deuxième alinéa de l'article 102 de la Loi sur la justice administrative, qui, je crois, n'est pas modifié par l'article 38 qui modifie et remplace le premier alinéa, mais le deuxième me semble pas l'être, vous dites ? et c'est quand même assez grave, là ? que cet article-là contreviendrait à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Charte québécoise des droits et libertés. N'est-ce pas? C'est ce que je comprends de votre argument?

Mme Dagenais (Viviane): Oui...

n(16 heures)n

M. Turp: Alors, pourriez-vous peut-être aller un petit peu plus loin sur cet argument. Parce que c'est quand même important que les lois que nous adoptons ici ne soient pas en contravention avec la Charte québécoise et la Charte canadienne. Et je pense que, moi, ce qui m'intéresserait, c'est que vous argumentiez davantage lorsqu'il s'agit de dire que le principe d'égalité est un principe auquel il est... ou qui va être violé dans le cas qui nous occupe.

Mme Dagenais (Viviane): Bon. Alors, je n'ai pas fait, là, toute une étude jurisprudentielle. Je ne peux pas vous répondre avec une étude jurisprudentielle à ce niveau-là. Et l'article, pour le tester comme il faut, on devrait... Je ne sais pas, s'il était testé devant les tribunaux, s'il passerait les barrières. Moi, ce que je vous en dis, c'est que, à première vue, juste à première vue, il y a un privilège qui est autorisé au ministère d'être représenté, alors que le citoyen ne l'est pas.

M. Turp: Si je comprends bien cet argument, c'est que les parties ne sont pas à armes égales devant le Tribunal administratif du Québec.

Mme Dagenais (Viviane): C'est ça. Vous pourriez ? je ne le sais pas ? vous pourriez me dire: Bon, bien, à ce moment-là, on va permettre à l'assisté ? parce que, nous, ce sont les personnes, je dirais, les plus pauvres de la province, les assistés sociaux ? on pourrait permettre à l'assisté social de ne pas être représenté par avocat et ce serait... on serait d'égales forces. Vous pourriez le passer comme ça.

Sauf qu'il y a une dimension ici que j'aimerais vous faire part ? puis je ne sais pas si ça a été dit dans d'autres, dans des mémoires ? toute la dimension du tribunal qui a besoin d'être éclairé, qui a besoin d'avoir une opinion juste sur des questions légales quand il les pose. Et, quand il pose des questions juridiques, je pense qu'il aime bien avoir devant lui des avocats pour répondre aux questions juridiques. Alors, de rendre l'égalité... ministère et citoyen sans avocat, je ne pense pas que ce serait une solution, mais que les deux soient d'égale...

M. Turp: Mais est-ce que c'est l'article 102, paragraphe 2, qui est contraire au principe d'égalité ou est-ce que c'est l'article 128, paragraphe 2a, de la Loi du Barreau qui l'est?

Mme Dagenais (Viviane): 102, paragraphe 2. C'est le même article qui est produit à 128. Alors, si...

M. Turp: Ah, c'est le même.

Mme Dagenais (Viviane): ...si, ici, la... Ça crée une inégalité. Et 122, c'est la même chose, puisque... 128 est la même chose, puisque 128 le reproduit. Et le client, le citoyen, il est obligé de se faire représenter par avocat en conformité avec 128, premier paragraphe.

M. Turp: En tout cas, ce serait intéressant d'aller un petit peu plus loin dans cette recherche-là.

Mme Dagenais (Viviane): Oui, oui. C'est certain. Mais, moi, j'ai effleuré. Je vous le dis, ce n'est pas une recherche approfondie, jurisprudentielle et... Je ne suis pas venue plaider ici l'inconstitutionnalité du deuxième alinéa de l'article 102. Je suis venue démontrer certaines...

M. Turp: Mais vous le faites un peu quand même. Indirectement, vous...

Mme Dagenais (Viviane): Entre vous et moi, je ne suis pas très appuyée au niveau jurisprudentiel pour le moment. Moi, je suis venue vous donner des hypothèses.

M. Turp: Mais, vous savez, quand un ministre présente un projet de loi comme celui-ci devant une commission parlementaire, en principe il a la responsabilité de présenter un projet de loi qui ne va pas à l'encontre de la Charte ou des chartes, là. Puis ses juristes et le Comité de la législation ont comme responsabilité d'assurer que les projets de loi que nous étudions ne soient pas inconstitutionnels.

Alors, ce serait peut-être intéressant de savoir si le ministre pense que cet article-là est inconstitutionnel et contraire à l'une et l'autre des chartes, comme le prétendent nos témoins aujourd'hui.

Mme Harrisson (Monique): Ce que je voudrais ajouter pour votre intervention est: il ne s'agit pas tant d'inconstitutionnalité que, je pense, d'un débat qui pourrait se situer au-delà.

Ce que vous devez comprendre, lorsque les prestataires, c'est-à-dire les requérants, au niveau du tribunal, se présentent devant le tribunal... ma consoeur vient de vous dire que ces gens-là, ce sont les gens les plus démunis de la société. Donc, ils sont prestataires, au départ, et qui dit prestataire dit en fait qu'ils ont droit automatiquement de se prévaloir d'un avocat parce qu'ils sont admissibles à l'aide juridique.

Donc, au départ, il y a, si je peux m'exprimer ainsi, un déphasage à partir du moment où ces gens se présentent devant le tribunal avec leur avocat et lorsque, par exemple, l'autre partie, c'est-à-dire nous qui sommes, si vous voulez, les représentants du ministère, on a certains collègues de travail qui ne sont pas juristes. Et, comme vous le faisait remarquer tout à l'heure ma consoeur, c'est qu'on est là pour éclairer le tribunal. Alors, à partir du moment où on est là pour éclairer aussi le tribunal, je pense qu'on est en mesure de se prémunir, c'est-à-dire de connaître les règles de preuve, la loi sur laquelle on se base. Ce n'est pas tant l'inconstitutionnalité qu'on plaide, mais l'inégalité, si vous voulez, des forces en présence du tribunal à ce moment-là. C'est la précision que je voulais apporter.

M. Turp: Merci.

Mme Harrisson (Monique): Je vous en prie.

La Présidente (Mme Thériault): Ça va? Donc, Me Dagenais, Me Harrisson, merci pour votre contribution à l'avancement de nos travaux. Et nous allons suspendre quelques instants pour laisser le temps au prochain groupe de s'installer, qui est l'Association des juristes en droit social. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 6)

 

(Reprise à 16 h 11)

La Présidente (Mme Thériault): Puisque nous avons le quorum, nous allons continuer nos travaux, et nous avons le plaisir d'accueillir l'Association des juristes en droit social. Donc, Me Ferland, si vous voulez nous présenter... non, désolée. Me Galipeau, si vous voulez nous faire votre présentation et présenter la personne qui vous accompagne.

Association des juristes en droit social (AJDS)

Mme Galipeau (Johanne): C'est Me Annie Gagnon, de l'association, qui va vous lire... Compte tenu que nous vous avons remis notre mémoire in extremis, c'est le cas de le dire, nous allons vous en faire la lecture. On voulait éviter de le faire, mais, comme il est très court, ça ne durera pas trop longtemps si jamais c'est pénible. Donc, je vais laisser la parole à Me Gagnon, qui va débuter.

Mme Gagnon (Annie): Bonjour. Oui, Me Ferland est absente; elle a dû s'absenter effectivement. Alors, oui, bonjour, je suis Annie Gagnon, je suis avocate, je pratique surtout dans le domaine des accidents de travail, des lésions professionnelles, également à l'occasion en accidents d'auto, en Régie des rentes du Québec et pour les victimes d'actes criminels. Alors, je vais commencer la lecture de notre mémoire.

L'Association des juristes en droit administratif est un regroupement d'avocats et intervenants ? intervenants et intervenantes, bien sûr ? dans les domaines suivants: CSST, SAAQ, IVAC, chômage, sécurité du revenu, logement, droit du travail, Régie des rentes, droit de la personne et droit des professions. Nos membres oeuvrent dans des groupes communautaires, des syndicats, ou dans le réseau de l'aide juridique, ou en pratique privée.

Comme vous le voyez, notre association est multidisciplinaire, donc nous faisons une approche du projet de loi qui est aussi multidisciplinaire. Contrairement à des associations, par exemple, qui représentent les accidentés de la route ou les accidentés du travail, nous avons fait une approche plus multidisciplinaire. Et c'est ce que nous expliquons dans le deuxième paragraphe.

Plusieurs de nos membres interviennent lors de la présente commission parlementaire par l'entremise de groupes ou d'associations spécialisés dans un champ de pratique particulier. Ne voulant pas dédoubler ces interventions, nous avons décidé de ne pas examiner le projet de loi article par article, mais d'intervenir sur sa philosophie, sa sagesse et son opportunité ? du moins nous allons tenter de le faire.

Alors, le premier principe d'interprétation des lois est de rechercher l'intention du législateur. Les discours du ministre, parrain de ce projet, nous indiquent des pistes de cette intention: d'abord, renforcer la confiance du public envers l'indépendance et l'impartialité de la justice administrative; réduire les délais, les délais d'attente au tribunal, on s'entend; et augmenter l'accessibilité pour les régions. Vaste programme! Spontanément, la première réaction est de se questionner sur l'état de santé de la justice administrative, qui, il ne faut pas l'oublier, a été réformée il y a à peine cinq ans et dont on vient d'évaluer la performance en soulignant la mise en place de correctifs. Et là nous référons bien sûr au rapport sur la mise en oeuvre de la Loi sur la justice administrative, qui a été déposé en mars 2003 par le gouvernement actuel.

Avant de chercher des modalités d'application concrètes afin d'en améliorer l'accès, les délais, nous croyons important et même essentiel de replacer la justice administrative dans son contexte social. L'administration publique est un énorme appareil bureaucratique où plusieurs de ses officines prennent des décisions qui affectent directement les citoyens, et souvent très lourdement, je dirais, les citoyens. La CSST, la SAAQ et la Sécurité du revenu en sont des exemples. Des litiges naissent de ces décisions administratives, et on a créé des lieux et des procédures pour permettre aux citoyens administrés de contester les décisions et de faire valoir leurs droits. Le Tribunal administratif du Québec et la Commission des lésions professionnelles sont des exemples de ces lieux où le premier devoir est de faire justice aux administrés.

Le déséquilibre des forces et des ressources entre l'administration et l'administré se doit d'être rééquilibré par la Loi sur la justice administrative. Est-ce que le projet de loi répond à cette commande?

Alors, la première question qu'on s'est posée: Le projet de loi préserve-t-il l'indépendance et l'impartialité du tribunal? Dans la foulée de l'arrêt Rochon, la nomination selon bonne conduite des membres du tribunal est une réponse adéquate qui est proposée dans le projet de loi n° 35. Là où le bât blesse, c'est le remplacement d'une instance autonome, à savoir le Conseil de la justice administrative, par un comité intimement lié au tribunal ? je vous réfère aux articles 183.1 et suivants du projet de loi. D'autre part, les critères d'évaluation des membres, tel que «leur contribution dans le traitement des dossiers du tribunal» ? et c'est à l'article 75.3.1 du projet de loi n° 35 ? nous fait craindre une immixtion dans le processus d'adjudication.

Deuxièmement, le projet de loi préserve-t-il le caractère de spécialisation du tribunal? La mobilité entre les divisions, et la réduction des bancs à un seul membre, est diamétralement opposée aux conclusions du tribunal sur son avenir et son caractère spécifique. Encore une fois, je vous réfère au rapport de mise en oeuvre qui, en mars 2003... à plusieurs endroits dans le rapport, on peut lire qu'au contraire il est important de préserver la culture multidisciplinaire du Tribunal administratif qui fait justement sa distinction par rapport aux tribunaux judiciaires. Au contraire, ce qu'on voit, la tendance dans le projet de loi n° 35, c'est de réduire les membres qui vont siéger à un seul membre juriste. Nous croyons que la pérennité de l'expertise du Tribunal administratif du Québec exige la présence d'un banc où le juriste et le non-juriste décident ensemble des litiges. Nous permettons de rajouter, sur la question de la mobilité, qu'elle est d'autant plus controversée qu'elle permettrait, par exemple, à un évaluateur agréé de faire part de son expertise sur la notion de vie maritale, par exemple. On est dans les cas de sécurité du revenu où nous croyons... les membres de l'AJDS qui oeuvrent dans ces domaines-là et les membres qui oeuvrent dans les associations nous ont fait part qu'au contraire l'expertise des travailleurs sociaux, par exemple, est très importante pour compléter celle du juriste lorsqu'ils ont à entendre un tel litige. Alors, nous ne croyons pas que le projet de loi permet de préserver le caractère de spécialisation du tribunal.

Enfin, quel est l'effet de l'abolition du palier de révision? L'abolition du palier de révision, vaguement remplacé par un droit de réexamen de la décision par l'agent responsable de la décision initiale, est en opposition très nette avec le droit d'être entendu par un palier de révision indépendant et impartial. Je vous réfère à l'article 65.2 du projet de loi, où on voit effectivement qu'on maintient un droit à la révision, mais ce droit à la révision là, il n'est pas donné à l'administré, il est donné de façon discrétionnaire à l'administration publique. Et la révision, si on comprend le texte du projet de loi, pourrait être faite directement par la personne même qui a rendu la décision.

n(16 h 20)n

De plus, dans ce même article du projet de loi, la présomption d'abandon d'appel lors de cet éventuel réexamen et, par conséquent, l'obligation de réaffirmer sa volonté de poursuivre sa demande d'appel alourdit le fardeau de l'administré. Enfin, nous croyons que ça pourrait... c'est un piège pour l'administré que cette présomption de désistement au cas où une nouvelle décision était rendue.

Nul n'est censé ignorer la loi, adage déjà trop utilisé en droit administratif pour restreindre la réclamation de droits par un formalisme rigide envers l'administré. Doit-on comprendre que cet adage sera modifié et non allégé? Nul ne doit ignorer les méandres administratifs. Devra-t-on lire des jugements sur l'irrecevabilité d'appel, car l'administré n'a pas contesté la décision initiale, mais le réexamen ou inversement? Parce que, effectivement, le statut de cette nouvelle décision, qui serait révisée, semble imprécis, nous paraît imprécis dans le projet de loi. Est-ce qu'on pourra demander un appel de cette décision-là? Qu'est-ce qui va se passer avec cette nouvelle décision là? Et, dans le cas de la CSST, il ne faut pas oublier qu'il y a deux parties, il y a aussi l'employeur qui a aussi un droit d'appel; alors, ça multiplie les sources de possibilité de faire des appels et que la CSST puisse faire un réexamen par une demande de révision.

Devant l'enflure de l'administration publique, sa propension à multiplier les décisions et son incapacité à respecter les délais prévus par sa loi habilitante, la solution ne peut être dans la transformation des impératifs législatifs en procédures facultatives, même encadrée de délais respectables et respectés. Le laxisme n'a jamais été reconnu comme une solution utile pour réduire la désorganisation.

Dans la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale, elle aussi fruit d'une réforme récente en 1998, dans un effort d'amélioration de l'instance de révision, une plus grande démarcation a été instaurée afin de permettre une indépendance réelle. L'effort est là, nous croyons que l'abolition purement et simplement de la révision ? et là je parle d'un palier de révision, un vrai palier de révision ? est un abandon et un recul inacceptable.

Au contraire, cette expérience devrait être étendue à d'autres instances de révision, comme à la CSST et la SAAQ, et ainsi rencontrer l'objectif de rendre une justice plus rapide et à moindre coût. C'est ce qu'on connaissait à l'époque des bureaux de révision paritaire où environ 40 % des dossiers étaient réglés à cette instance-là, dans un délai plus court et à moindre coût pour le client.

Persévérer dans l'effort d'autonomie du palier de révision. Une plus grande indépendance permettrait à ses membres de respecter la jurisprudence du tribunal plutôt que de suivre servilement les directives de l'administration. On sait qu'actuellement, effectivement, c'est ce qui se passe dans le domaine des accidents de travail et des accidents d'automobile, c'est-à-dire que la révision administrative actuelle, depuis 1998, n'a pas aucune indépendance, finalement, et c'est vrai qu'à ce palier-là il n'y a pas grand dossier qui se règle, mais ce n'est pas une raison, si le mécanisme n'est pas bon, pour tout simplement enlever un palier d'appel aux administrés. Pourquoi plutôt ne pas l'améliorer comme ça a été fait dans le cas du soutien du revenu, où les réponses sont excellentes.

L'accès à la justice ne se calcule pas uniquement au nombre de dossiers traités dans un temps record, et une justice de qualité n'est surtout pas une question d'économie.

Alors, je vais laisser la parole à ma consoeur, Me Johanne Galipeau.

Mme Galipeau (Johanne): La parole étant un grand mot, je vais lire le texte.

Le projet de loi assure-t-il une protection égale pour tous devant la loi? En réduisant la formation du tribunal appelé à statuer sur un litige, le projet de loi n° 35 diminue la protection des droits des administrés non seulement au niveau de l'impartialité, mais aussi et surtout au niveau de l'expertise qu'un tel tribunal possédait et doit toujours posséder.

Le projet de loi n° 35 fait disparaître une étape importante de la contestation des décisions de l'administration, soit celle reliée à la révision, ne laissant plus au justiciable qu'une instance pour lui permettre de bénéficier du droit à une défense pleine et entière, soit celle du Tribunal des recours administratifs du Québec. En réduisant la contestation à une seule étape, soit celle déposée devant le tribunal, le projet de loi n° 35 diminue encore une fois la protection des droits des administrés, cette décision étant finale et sans appel.

Qu'en est-il des autres justiciables dans notre société? Force nous est de constater que tous et toutes les autres justiciables intentant un recours en droit commun bénéficient d'un droit d'appel et peuvent même aller jusqu'à la Cour suprême, sur permission, bien entendu.

Nous croyons que le projet de loi banalise les droits des administrés, car, en ne leur accordant pas la même protection qu'aux autres justiciables de notre société, il ne semble pas leur accorder la même valeur ou importance.

Le projet de loi n° 35 instaure deux régimes de droit, celui des grands droits... Et, en parlant de grands droits, je parle des droits qu'on exerce devant les tribunaux de droit commun... un chien écrasé... Cette personne-là va avoir plus de droits, va avoir plusieurs paliers pour contester les décisions et faire valoir ses droits comparativement à une personne ? dans mon cas, je suis spécialisée, entre guillemets, là, en matière de soutien du revenu ? qu'une personne bénéficiant des prestations du soutien du revenu. Donc, O.K., c'étaient les grands droits? je me suis écartée du texte, et celui des petits droits, ceux des administrés. Est-il nécessaire de vous rappeler que tous et toutes ont droit à une égale protection de la loi?

M. le ministre, nous sommes concernés, car le projet de loi ne remédie pas aux problèmes visés par les réformes. Au contraire, nous y voyons une menace pour l'accessibilité et la qualité de la justice administrative. Réformer la justice administrative risque de créer des délais d'application de la nouvelle réforme sans grande perspective d'amélioration. Le désir de changement ne doit pas occulter le coût que ces changements engendrent.

Et, enfin, très concrètement, créer une chambre de pratique dans les tribunaux administratifs ? ici, on parle du Tribunal administratif du Québec ou du Tribunal des recours administratifs du Québec ? ce qui serait utile pour accélérer le traitement de certains dossiers sans nécessiter une réforme en profondeur.

Une loi qui ne remédie pas à un problème est une loi de trop.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Galipeau et Me Gagnon. Donc, nous allons débuter les échanges, et je cède la parole à M. le ministre.

M. Bellemare: Alors, merci, Me Gagnon, Me Galipeau. Vous nous parlez, à la page 2, de l'indépendance et de l'impartialité des membres du tribunal. Le projet de loi introduit la notion de nomination selon bonne conduite, une innovation qui a reçu la bénédiction de tous les mémoires qui ont été produits. Et je crois comprendre que vous trouvez que c'est une bonne idée aussi. J'aimerais que vous nous disiez, à votre point de vue, en quoi les nominations selon bonne conduite constituent une avancée du projet de loi n° 35.

Mme Galipeau (Johanne): La seule façon de désister ou en tout cas qu'un membre cesse de siéger, ce serait effectivement dans les cas où il y aurait des plaintes sérieuses qui auraient été déposées après qu'un comité d'enquête ait été formé pour étudier effectivement le bien-fondé ou non de cette plainte-là.

Présentement, on sait que les membres... bon, on sait que, dans le passé, les membres étaient nommés pour cinq ans, donc un peu dépendants du gouvernement en place, de leurs contacts politiques, et, bon, on peut imaginer plein de scénarios. Est-ce que, dans les faits, c'était ça? Sauf qu'on sait que l'arrêt Rochon a... la Cour d'appel a déterminé qu'effectivement il manquait un peu d'impartialité, de critères de base, d'indépendance surtout par rapport au Tribunal administratif du Québec.

À ce niveau-là, la seule façon pour un membre de cesser de siéger sera soit sa démission, sa retraite ou encore suite à un examen, là, à une décision du comité des plaintes et du... Ce ne sera plus le Conseil de la justice administrative, ça va être le comité dont je ne me souviens pas le nom, là, mais le comité.

Mme Gagnon (Annie): Effectivement, c'est ce qu'on dit. C'est une bonne chose, on ne peut pas être contre ça. Les commissaires qui décident de décisions devant les tribunaux administratifs ont des décisions à rendre qui auront un impact financier sur l'État. Par exemple, s'ils acceptent une lésion, parfois le délai étant long, le rétroactif d'indemnités est long. Alors, c'est certain que les commissaires se sentiront moins coincés, plus libres dans leurs décisions. À ce moment-là, une plus grande indépendance et impartialité face à l'État.

Par contre, ce qu'on a voulu faire ressortir dans le projet de loi, c'est que le Conseil de la justice administrative, qui avait été créé d'ailleurs en 1997 ou 1998, était un conseil indépendant qui veillait à recevoir les plaintes s'il y avait des plaintes du public contre les commissaires ou les juges du Tribunal administratif. Maintenant, ce que le projet de loi nous dit: Bon, il y a une plus grande indépendance par rapport à l'État. Par contre, les plaintes seront reçues par un comité qui est formé par le président même du tribunal, et le président du tribunal va s'occuper de recevoir les plaintes ou de les rejeter. Et c'est là qu'on pense qu'il y a une avancée d'un côté, mais, par contre, la disparition du Conseil de la justice administrative est un recul, à notre sens, à notre point de vue.

Et, également, les critères d'évaluation des membres par le président. Et là quand on a lu «sera évaluée leur contribution dans le traitement des dossiers du tribunal», ça peut aller loin, ça. Puis leur contribution dans le traitement des dossiers du tribunal, c'est un critère qui est ajouté qui nous dérange.

Une voix: Qui nous questionne.

Mme Gagnon (Annie): Qui nous questionne.

n(16 h 30)n

M. Bellemare: Concernant le Conseil de la justice administrative, on a eu la chance, la semaine dernière, d'entendre les membres du conseil qui nous ont présenté des arguments très convaincants quant au maintien de l'institution et, par contre, à la réduction, peut-être, du mandat du conseil à sa fonction déontologique. Alors, les arguments soumis par le conseil vont être analysés, et je crois bien que le conseil va survivre. En tout cas, quant à sa fonction déontologique, je peux vous rassurer là-dessus.

Quant à la question de l'évaluation, plusieurs personnes sont venues nous dire qu'on avait besoin d'une justice administrative indépendante, une justice administrative de qualité aussi, et la qualité passe avant tout par les adjudicateurs et par leur compétence. Alors, la question de l'évaluation, à mon avis, en tout cas d'après ce que j'entends depuis le 13 janvier, depuis que les audiences ont commencé ici, les gens sont plutôt favorables à ce qu'il y ait une forme d'évaluation. Maintenant, il y a beaucoup de différences dans les points de vue quant à savoir quel type d'évaluation devrait avoir lieu. Certains nous disent: On devrait faire en sorte que l'évaluation soit décrite ou que les critères d'évaluation soient décrits dans la loi et non pas dans un règlement. Mais vous n'êtes pas contre le fait que les membres, les juges administratifs soient évalués, mais quel genre d'évaluation souhaitez-vous? De quelle façon la décririez-vous, cette évaluation? Parce que...

Mme Galipeau (Johanne): Comme association, on ne s'est pas vraiment penché sur la question. C'est vraiment qu'on trouvait que...

Mme Gagnon (Annie): ...ce paragraphe. La contribution, c'est ça, c'est qu'on aimerait que ce soit précisé de façon plus précise, là, que ce soit précisé...

Mme Galipeau (Johanne): Qu'est-ce qu'on va évaluer.

Mme Gagnon (Annie): Leur contribution dans le traitement des dossiers du tribunal, c'est très large, c'est très vaste.

Mme Galipeau (Johanne): Est-ce le nombre de dossiers qu'ils ont traités, de décisions...

Mme Gagnon (Annie): Par année.

Mme Galipeau (Johanne): ...qu'ils ont rendues par année? Ça peut être dangereux. Si on commence à avoir un concours de celui qui rend le plus de décisions dans une année, on comprend qu'il y a un danger sur la qualité des décisions rendues. On ne pense pas que ce soit l'intention, sauf qu'on trouve effectivement, là, que c'est beaucoup trop large comme terme. Il faudrait avoir des paramètres, et là, à ce moment-là, on pourrait dire: Oui, O.K., ça nous convient. Et c'est évident que, comme association, on est tout à fait favorable à l'idée que quelqu'un en quelque part évalue les compétences des membres qui sont appelés à rendre des décisions.

M. Bellemare: Parce que beaucoup de gens sont de votre opinion, du fait qu'il y a une nécessité d'évaluation, mais, quand vient le temps de préciser les critères, on a plus de problèmes, les gens hésitent à nous en parler. Mais je vous dirai simplement que, si on est d'accord sur le fait qu'il ne faut pas que l'évaluation contrevienne à l'indépendance ou à l'autonomie du décideur, il est quand même important de se questionner sur le fait... Par exemple, un décideur rendrait 10 ou 15 décisions par année, alors que les collègues en rendraient 125. Je ne vous dis pas que le côté quantitatif doit interférer avec la liberté de décider. Il y a peut-être des raisons qui font qu'un commissaire ou un juge administratif rend 10 ou 15 décisions par année, c'est possible, mais peut-être qu'il n'y a pas de raison aussi. Alors, l'élément quantitatif ne doit pas contrevenir à l'indépendance du décideur, mais c'est difficile de ne pas en tenir compte du tout dans une évaluation.

Mme Galipeau (Johanne): Si vous permettez, quant aux critères pour évaluer un membre du tribunal, j'ai envie de vous dire: Vous allez avoir besoin d'une autre commission parlementaire, on pourrait en parler longuement, là. Et, dépendamment des juristes et dépendamment de leur expérience devant les tribunaux administratifs, c'est certain que tout le monde a sa petite analyse, ses petites rancunes, ses décisions qu'on n'a pas appréciées, où la qualité, où les compétences... En tout cas, peu importe, ça pourrait être long, là.

M. Bellemare: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Moreau: Merci. Bienvenue Me Gagnon, Me Galipeau. Vous êtes le 40e mémoire entendu par la commission. Alors, évidemment, il y a certaines notions par rapport au projet de loi qui ont subi des évolutions au fil des discussions que nous avons eues, mais il y a un point sur lequel je veux revenir dont vous traitez à la page 2 de votre mémoire. Vous indiquez que... Sous le paragraphe intitulé Le projet de loi préserve-t-il le caractère de spécialisation du tribunal? votre deuxième phrase, vous dites: «Nous croyons que la pérennité de l'expertise du Tribunal administratif du Québec exige la présence d'un banc où le juriste et le non-juriste décident ensemble des litiges.»

Est-ce que vous allez aussi loin que dire que, dans tous les cas, les bancs doivent être composés d'un juriste et d'un non-juriste? Parce que vous avez eu l'occasion, je pense, cet après-midi, d'entendre le Dr Bouvier qui est venu nous dire à peu près la même chose que nous avait dit préalablement le Collège des médecins, à l'effet que dans bien des cas, même s'il peut y avoir des questions médicales, il y a un grand nombre de cas, la grande majorité des cas où un décideur seul qui est un juriste peut très bien permettre de solutionner ou d'arriver à une décision adéquate d'un litige.

Alors, ma question est de savoir... Votre phrase est assez étanche, est-ce que vous pensez qu'il doit y avoir tout le temps un banc de plus d'un décideur?

Mme Galipeau (Johanne): La position de l'association est effectivement... La réponse est oui. Pour ma part, j'oeuvre en matière de soutien de revenu. Pour moi, c'est utile, et même très utile et nécessaire, qu'il y ait un travailleur social ou un psychologue, là, qui siège sur le banc. Je me souviens d'avoir lu, à un moment donné, dans votre projet, là... Dans votre programme politique, on faisait référence que la Cour du Québec et la Cour supérieure, il y a simplement un juge qui siège, et ça n'empêche pas la justice d'être rendue, sauf qu'on est devant un tribunal très spécialisé, et je dois vous dire que, pour ma part, pour aussi me retrouver souvent devant la Cour du Québec ou la Cour supérieure, j'aimerais bien, parfois, quand je représente des personnes bénéficiaires du soutien du revenu, d'avoir l'apport, l'aide ou le conseil au juge, là, d'une personne spécialisée en travail social ou en psychologie. Ce serait fort utile. Je ne dis pas qu'il faut réformer la Cour du Québec, la Cour supérieure, ce n'est pas de votre juridiction. Ce n'est pas ce que je dis, sauf que c'est un plus pour le Tribunal administratif, et je crois que ces gens-là, dans le passé, ont démontré, là... ils ont eu un apport certain.

Pour ce qui est des questions médicales, je suis moins... je ne suis pas très confortable d'y répondre, n'en faisant pratiquement pas, genre... Pour mon cas, les questions médicales se règlent toujours au niveau de la révision. Vous allez comprendre que je déplore et je décrie haut et fort le fait qu'on abolisse le palier de révision parce que toutes les questions de contraintes temporaires et sévères, pour ce qui est de mon «caseload»... presque toutes, quand même pas toutes, là, bien entendu, sont réglées à ce niveau-là. Moi, de voir disparaître ce niveau-là, pour les personnes que je représente, c'est un recul, c'est une perte, et je considère que c'est une perte importante. Mais, pour ces questions médicales, là s'arrête mon expertise. Je vais vous dire, au niveau du SEMS, c'est très utile qu'il y ait un médecin...

M. Moreau: Justement, les médecins, qui, eux, sont des experts des questions médicales, viennent nous dire que la présence d'un médecin n'est pas toujours utile et que, dans la grande majorité des cas, ce n'est pas utile d'avoir et un médecin et un juriste sur le banc. Vous-même, vous référez dans votre réponse à une question d'utilité. O.K.? Ça pourrait être utile d'avoir, parfois, un expert qui vient s'asseoir pour composer le banc. Et précisément, lorsqu'on relit le verbatim de la position du Dr Lamontagne pour le Collège des médecins, il estime justement que les modifications apportées au projet de loi n° 35 où on dit que nous remplaçons le terme «nécessaire» par le mot «utile» lui apparaissent tout à fait correctes. Alors, si vous référez à une question d'utilité, on peut penser que le président du tribunal ou celui qui va former les bancs, s'il peut recourir à la notion d'utilité pour décider qu'il y ait plus d'un décideur, pourrait, dans certains cas, estimer utile de voir un expert s'adjoindre au décideur et, dans d'autres cas, pas.

Mme Galipeau (Johanne): Mon problème, c'est que ça va être le président du tribunal qui va décider si c'est utile ou pas, et pas moi qui vais décider si je veux ou pas. Et peut-être que systématiquement je vais demander qu'il y ait une deuxième personne sur le banc, peut-être qu'avec la pratique, non. Mon problème, c'est qu'il y a un pouvoir discrétionnaire qui est accordé là. Je ne dis pas que la personne ne l'exercera pas de façon judicieuse, judiciairement judicieuse et de bonne foi, sauf qu'il y a un problème là, et fondamentalement, comme association ? et là je vous parle juste à mon niveau personnel ? comme association, notre position est assez claire. Il ne faut pas que j'en déroge, j'ai tendance à l'oublier des fois.

Oui, Annie. Tu veux répondre à ça, toi, je pense?

Mme Gagnon (Annie): Bien, en fait, ce qu'on défend, c'est un principe. Là, vous nous dites: Cas par cas. Si on regarde chaque dossier, est-ce que c'est utile? Est-ce que... Nous, on défend un principe. Le Tribunal administratif du Québec est un tribunal administratif spécialisé, ce n'est pas un tribunal judiciaire. C'est l'objet même des tribunaux administratifs que d'être spécialisés.

n(16 h 40)n

M. Moreau: ...le seul fait d'avoir un décideur unique sur un banc ne ferait pas du tribunal un tribunal moins spécialisé lorsqu'il n'est pas utile d'avoir une expertise, par exemple, dans des cas de volume. Là, je comprends que vous nous parlez de l'aspect qui concerne votre pratique quotidienne, mais on conçoit facilement que, dans d'autres divisions du tribunal, et même dans l'allant de ce que nous disent les médecins eux-mêmes, il y a un grand nombre de cas où on pourrait se satisfaire d'un décideur seul, et c'est un peu ce qui est proposé par le projet de loi.

Mme Gagnon (Annie): Oui, c'est parce qu'on parle toujours des médecins, mais, je pense, c'est important de remettre les autres spécialités qui sont au tribunal et qui augmentent justement sa spécialisation. Il y a les travailleurs sociaux qui sont très importants.

M. Moreau: Mais les évaluateurs sont venus nous dire la même chose, qu'il y avait bien des cas qui pouvaient être décidés seuls, et même eux avaient, dans la Loi sur la justice administrative, une disposition particulière qui leur permettait de siéger seuls dans ce qu'on appelait les cas simples puis ils trouvaient que c'était parfaitement heureux, et que, même, on voyait qu'il y avait, à l'égard de leur charge de travail ou de la rapidité avec laquelle ils pouvaient s'acquitter du travail qui est sur le rôle, une amélioration sensible. Alors, il n'y a pas que les médecins.

Mme Gagnon (Annie): Oui, mais on maintient quand même que le principe est important. Vous comprenez, c'est comme lorsqu'on a vu les bureaux de révision paritaire disparaître pour être transformés par des révisions administratives, et là on nous dit que la révision administrative va disparaître. Alors, si on accepte un émiettement, si vous voulez, de la spécialisation, de la multidisciplinarité du TAQ, on voit un émiettement. Est-ce que, dans cinq ans, on va voir complètement disparaître les médecins au TRAQ, ou les travailleurs sociaux, par une nouvelle réforme? Alors, c'est un peu ça qu'on veut protéger. Et c'est certain que, par rapport au projet de loi n° 4, la modification de la nécessité par utilité nous fait quand même plaisir, là.

M. Moreau: Alors, c'est votre point de vue. Je vous suggère cependant que l'article 40 de la loi n'est pas modifié par le projet de loi n° 35.

Mme Gagnon (Annie): D'accord.

La Présidente (Mme Thériault): Ça va, M. le député?

M. Moreau: Oui.

La Présidente (Mme Thériault): Donc, je vais céder la parole au député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, je vous remercie, à vous deux, d'être venues encore une fois témoigner devant nous aujourd'hui. Je vais évidemment finir par... commencer, plutôt, par ce qui a été abordé par mon collègue de Marguerite-D'Youville et je vous avouerais qu'à ma connaissance... C'est parce qu'on a eu certaines propositions en cette commission, et il semble que la solidarité ministérielle s'arrête au titre de ministre et pas à celui d'adjoint parlementaire, mais ce que j'ai compris des offres que nous avions... Parce que tout l'aspect de la multidisciplinarité a été abordé, et le ministre nous a fait la proposition suivante. Évidemment, elle est simplement en commission, elle n'est pas, là, je vous dirais, là, dans le projet de loi actuel, mais... Et elle n'est pas non plus sanctionnée par le... mais elle a quand même valeur, et c'est la suivante. C'est celle plutôt pour maintenir le caractère multidisciplinaire, mais en même temps rejoindre la préoccupation du ministre qui est celle d'éviter les bancs de deux quand ce n'est pas utile. Et il peut arriver effectivement, sur des questions de droit, où il n'y a pas utilité.

L'article 82 prévoyait le pouvoir au président du tribunal d'assigner un seul juge. Or, il semble que cet article n'est employé que pour des questions, je vous dirais, de gestion interne et administrative et pas pour des jugements sur des causes en particulier, sur des, je vous dirais... des sujets qui sont amenés devant le tribunal. Et la position qu'a prise, il me semble... Et là je pourrais me tromper, mais, dans la première journée, je crois que c'est la Conférence des juges administratifs qui a proposé finalement celui de ramener le critère du maintien de deux membres ? du principe ? par contre, de donner le pouvoir au président du tribunal d'assigner un seul juge lorsqu'il le juge utile.

Est-ce que vous jugez que cette façon de faire maintient le caractère multidisciplinaire et rencontre finalement les deux préoccupations, soit celle du maintien du caractère multidisciplinaire et en même temps celui du... et celui, finalement, de procéder à un lorsqu'il le juge utile, donc d'éviter un dédoublement quand ce n'est pas utile? Et là je n'ai pas parlé du critère de nécessité, évidemment du critère d'utilité, donc un critère discrétionnaire au président du tribunal. Qu'est-ce que vous pensez de cette proposition qui a reçu un accueil heureux du...

Mme Gagnon (Annie): Bien, ce serait quand même... Bien, effectivement, c'est quand même plus heureux parce que ça préserve l'importance d'avoir un banc multidisciplinaire et, exceptionnellement, si ce n'est pas utile d'avoir deux membres, alors on aura un seul membre juriste qui siège. À ce moment-là, ça préserve le principe et, je dirais, le respect, là, de la multidisciplinarité d'un tribunal administratif par rapport à un tribunal judiciaire effectivement. Mais là on ne s'est pas, ma consoeur et moi... Je vais laisser la parole à ma consoeur parce que...

Mme Galipeau (Johanne): ...signe de tête. Dans la mesure...

Mme Gagnon (Annie): ...je parle personnellement en ce moment.

Mme Galipeau (Johanne): Dans la mesure où il y aura une possibilité de contester le fait qu'une personne seule siège sur le banc. On nous laisse une possibilité qu'on sache d'avance qu'il y aura une personne et qu'on ait une possibilité de contester au niveau du président, là, de... qu'on nous laisse une porte ouverte à ce niveau-là. Et, c'est arrivé, là, c'est arrivé à quelques reprises, très, très, très rarement, devant le Tribunal administratif où j'ai eu à plaider devant une personne seule qui était avocate, et c'était sur des questions de fond, là, ce n'était pas simplement, là, sur des questions incidentes.

M. Bédard: Devant quelle instance?

Mme Galipeau (Johanne): Le Tribunal administratif.

M. Bédard: Mais devant quelle section?

Mme Galipeau (Johanne): Affaires sociales toujours.

M. Bédard: Affaires sociales. C'est beau. Non, parce qu'il y avait différentes...

Mme Galipeau (Johanne): Je ne m'aventure pas ailleurs. Je n'ai pas le sens de l'orientation, j'ai peur de me perdre.

M. Bédard: C'est sage de votre part, et on souhaite la même chose aux juges, d'ailleurs. Donc, cette... Et je vous avouerai que j'ai donné mon accord de principe à cette proposition parce qu'elle me semblait effectivement rencontrer les objectifs de multidisciplinarité. Alors, nous allons vérifier certains aspects, mais je ne crois pas qu'il soit possible, effectivement, de contester l'ordre du banc qui est donné, comme c'est difficile de le faire, je vous dirais, devant la Cour d'appel ou devant d'autres instances. Évidemment, c'est du domaine administratif où les juges déterminent évidemment, et il va de leur régie interne de déterminer qui doit entendre les causes, et aller à l'encontre... En tout cas, il y a des questions à vérifier, mais il me semble que ce serait plutôt difficile de rétablir si on maintient le principe.

Mme Galipeau (Johanne): ...la nomination d'une personne en particulier, là, c'est le principe. Quand je dis le droit de pouvoir contester ou de faire des représentations, c'est sur le principe d'une personne ou deux personnes, parce que, effectivement, une personne en particulier, non, ce n'est pas du pouvoir, de la juridiction des avocats de décider, là.

M. Bédard: Parfait, je vous remercie.

Mme Galipeau (Johanne): ...peut tomber malade, mais, bon.

M. Bédard: Pour pousser un peu plus loin, comme il est de l'ordre ? et là je vais me faire un peu l'avocat du diable et même avoir un esprit de contradiction assez développé ? comme il est de l'ordre de... La multidisciplinarité évidemment est de la nature même du Tribunal administratif, comme il est de la nature des tribunaux administratifs, je vous dirais, que les règles soient plus légères évidemment, que le cadre légal soit beaucoup moins strict qu'un tribunal administratif... qu'un tribunal judiciaire, plutôt. Et le fait, d'ailleurs, que ces gens soient nommés pour une période déterminée et non pour une période indéterminée est aussi de la nature même des tribunaux administratifs. Et c'est tellement vrai que l'ensemble des législatures ailleurs qu'au Québec et, je vous dirais, dans celles que je connais... Je n'ai pas fait d'étude exhaustive en Europe, là, mais prenons dans le Canada, l'Ontario et les autres ne reconduisent pas selon bonne conduite. Évidemment, il y a un processus de nomination et de reconduction, et on me dit même parfois qu'il est quand même assez court, et même des fois très court. Et, dans tous les cas, cette nomination a été jugée conforme au devoir... à la règle de l'indépendance judiciaire définie. Et là je vous dis ? et là c'est par esprit de contradiction effectivement: Tous les mémoires sont d'accord avec le fait qu'on nomme selon bonne conduite. Alors, vous êtes des juristes, on va pousser un peu plus loin: Est-ce que vous ne pensez pas que le fait de ramener un critère qui est celui de nommer selon bonne conduite et non plus de reconduire aurait pour effet de travestir d'une certaine façon ce tribunal et de le rapprocher beaucoup plus de l'ordre judiciaire que de l'ordre administratif, un? Deux, est-ce que vous pensez que cette façon de faire pourrait avoir des effets même sur la constitutionnalité de ce tribunal dû au fait qu'on crée un nouvel ordre de droit qui se rapproche du droit judiciaire, et là, à ce moment-là, on pourrait même... certains plaideurs pourraient invoquer la Constitution, qu'il n'est pas dans le pouvoir du gouvernement du Québec de créer un autre ordre de tribunal qui serait, lui, beaucoup plus... qui serait finalement judiciaire?

n(16 h 50)n

Mme Galipeau (Johanne): Tout ce qui peut assurer plus d'indépendance, plus d'impartialité de la part des membres qui siègent au Tribunal administratif du Québec et qui, en fin de compte, a un effet favorable, là, sur l'exercice des droits des administrés, quant à moi, est quelque chose de positif. Au niveau de la constitutionnalité, je ne me suis pas penchée du tout sur cette question. Vous m'en voyez bouche bée, je répondrai en présence de mon avocat spécialisé en matière constitutionnelle. Ha, ha, ha! Mais tout ce qui se rapproche... Et je n'ai aucun problème avec le fait que le Tribunal administratif du Québec devienne un tribunal plus judiciaire que quasi judiciaire. Au contraire, ça ne fait que renforcer les garanties que les droits des personnes seront respectés dans ce processus-là. Et je vais me taire parce que, sinon, je vais...

As-tu quelque chose à rajouter?

Mme Gagnon (Annie): Effectivement, mais par, je crois... par cet objectif-là du ministre, je pense que ça nous montre son désir de calquer le nouveau Tribunal administratif sur un tribunal judiciaire. D'ailleurs, on l'avait vue, là ? c'est ça que je suis en train de chercher ? la vision du gouvernement. On avait eu un document de travail, et c'était l'exemple ? et ça, ça nous avait fait sursauter ? si un juge de la Cour du Québec ou de la Cour supérieure est capable de juger seul, alors pourquoi un juge dans un tribunal administratif n'est pas capable de juger seul? Il fait... Il ramène toujours les comparaisons entre le Tribunal administratif... alors que, effectivement, ce que vous soulevez, je pense, est très intéressant et pourrait causer des problèmes. Mais, d'un autre côté, comme ma consoeur le dit, on ne peut pas s'empêcher, d'un autre côté, de voir là peut-être un caractère d'indépendance qui serait plus protégé, là, parce que les commissaires rendent des décisions qui sont... qui ont un impact financier important, là, pour l'État.

M. Bédard: ...effectivement, puis notre bâtonner dit souvent: Le mieux est l'ennemi du bien. Dans ce cas-ci, effectivement, tout en étant conscient de renforcer ce caractère d'indépendance, peut-être qu'on pourrait arriver à, je vous dirais, un résultat qui serait, lui, beaucoup plus... qui porterait à conséquence, qui serait celui de l'inconstitutionnalité du Tribunal administratif s'il se rapproche de l'ordre judiciaire, d'où, je pense, la préoccupation que vous avez de maintenir du moins cette spécialisation. Parce que, si on en fait des avocats, notaires... avocats, ce statut juridique, je peux vous dire que les tribunaux risquent de conclure effectivement qu'il s'agit strictement de tribunaux de nature judiciaire. Et là je pense que la démarcation va être tellement ténue qu'il risque d'y avoir des conséquences navrantes pour le tribunal. Mais je vous dirais que c'est mon interprétation. Et elle en vaut beaucoup, et je serais curieux d'avoir des avis là-dessus. Peut-être qu'il en existe à l'interne, au ministère de la Justice, ou peut-être par des constitutionnalistes, mais je pense que cette question mérite d'être fouillée.

L'autre aspect... Mes collègues ont d'autres questions, et c'est pour ça que je vais tenter d'être assez rapide, mais vous n'avez pas parlé de la présomption de désistement. J'imagine, c'est un sujet que...

Mme Gagnon (Annie): Bien, on en a parlé, oui...

M. Bédard: Rapidement.

Mme Gagnon (Annie): ...on en a parlé dans la page 2, là, au niveau de l'abolition des paliers d'appel, effectivement. Ça nous semble évident, c'est un piège. Premièrement, la fameuse révision administrative interne, là...

M. Bédard: ...là-dessus. O.K. Donc, vous n'êtes pas d'accord avec la présomption.

Mme Gagnon (Annie): C'est un jeu de serpents et échelles, un peu, avec des pièges, là, pour nous, là.

M. Bédard: Et là je veux revenir là-dessus parce que la révision, il ne faut pas assimiler... Ce n'est pas partout pareil, là, hein? Et, moi, ce que j'ai comme acquis, là, je vous dirais, c'est que la révision, du moins dans la section des affaires sociales, a eu des... a des effets bénéfiques et est utile pour les plaideurs, mais aussi ceux et celles qui... pour les bénéficiaires finalement, là, ceux qui contestent les décisions. En général, on me dit que, à ce stade, bien, que tout peut être amélioré, là, mais que cette révision est utile, et il faut la maintenir et même renforcer cette indépendance qui existe des décideurs réviseurs. Est-ce que je m'exprime bien? Est-ce que je traduis bien votre pensée?

Mme Gagnon (Annie): Oui, effectivement.

M. Bédard: Autrement dit, pas...

Mme Gagnon (Annie): On devrait calquer cet exemple-là plutôt que de se comparer avec la révision administrative telle qu'elle est à la CSST et la SAAQ pour dire: Ça ne fonctionne pas, donc on l'abolit. Donc, on abolit un palier pour l'administré. Avec le projet de loi, la demande de révision, la contestation se fait directement au tribunal d'appel. On vient judiciariser le processus plutôt que le simplifier par, d'abord, un palier d'appel, un vrai palier d'appel, on s'entend, sous certaines conditions d'indépendance, et un palier d'appel... Parce que le palier d'appel... la décision du Tribunal administratif est sans appel, là. La prochaine étape, c'est l'évocation, et les critères sont tellement difficiles... Alors, les gens vont être face à la personne qui a rendu leur décision, on va leur dire ? je pense que ça va être écrit dans la décision: Vous pouvez nous appeler finalement, on pourrait discuter du dossier. Vous pouvez nous soumettre une expertise médicale, mais entre-temps par exemple il faut que vous contestiez au tribunal d'appel. Et là c'est là où je dis: Il y a comme un jeu de serpents et échelles. On va au tribunal, mais, ah, on revient devant l'agent de CSST qui n'a aucune, aucune indépendance, là. Ce n'est pas un palier de révision indépendant, c'est comme une reconsidération finalement à l'interne.

Et, dans les cas d'accidents de travail, il y a l'employeur aussi. Lui, l'employeur, il a les moyens facilement de déposer une expertise médicale qu'il peut obtenir très rapidement par un bureau médical avec qui il fait affaire pour réviser la décision. Puis là il y a des délais encore qui vont se faire, on a calculé, là, des délais... on peut se ramasser avec 300 jours encore avant que le dossier soit au rôle du tribunal d'appel. Alors, on ne voit pas où est le raccourcissement des délais. Il n'y a pas vraiment de raccourcissement des délais et il y a une situation qui est complexe pour l'administré. Parce que, on le sait, dans le rapport sur la mise en oeuvre de la Loi sur la justice administrative, les principales causes des délais, c'est, entre autres, les dossiers qui ne sont pas transmis par l'administration publique. Dans 92 cas pendant l'année 2001-2002 ? c'est à la page 112 du dossier, du rapport ? 92 des dossiers ont été transmis au tribunal en retard. Ça, ça crée déjà un retard.

Le deuxième retard, c'est la mise en état du dossier parce que là on parle de preuve médicale. Alors, le délai ne joue pas nécessairement contre l'administré dans des causes, par exemple, d'accidents d'automobiles ou d'accidents de travail. Parce que, on le sait, le système hospitalier a lui-même des délais, alors souvent on est obligé d'attendre le résultat du ENG, de la résonance magnétique, avant de pouvoir compléter notre preuve médicale. Alors, si la cause est entendue dans les trois mois, de toute façon on va être obligé de demander des remises. Si le client n'est pas représenté, il n'aura peut-être pas le temps de se trouver un avocat compétent, spécialisé dans le domaine avec qui il veut faire affaire. Il va peut-être avoir une décision plus rapide, mais c'est là où on dit: Une justice plus rapide n'est pas nécessairement une justice de qualité.

M. Bédard: Il faut laisser aux gens... de préparer leur preuve. Je vais laisser... Il reste quelques minutes, je vais laisser à mon collègue...

La Présidente (Mme Thériault): Oui. M. le député de Mercier, il vous reste quatre minutes pour compléter votre échange.

M. Turp: Quatre minutes, ça passe vite. D'abord, sur la question de la précarité du tribunal parce qu'on le rapprocherait d'un tribunal judiciaire, il y a une solution à ça, il y a vraiment une solution ? vous ne serez pas surpris venant de ma part ? c'est qu'on devienne indépendant parce que l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 est celui qui est l'obstacle à la réingénierie judiciaire, parce que, s'il n'était pas là et on était indépendant, on n'aurait pas de problème là à repenser la structure de nos tribunaux judiciaires, administratifs et autres. Alors, je suggère que ce soit la solution, un jour, pour remédier au problème qui est évoqué et qui pose un problème de précarité de toutes nos réformes de nos instances judiciaires.

Mais, en fait, j'ai une question pour vous parce que je crois que vous soulevez un problème fort intéressant sur la protection égale de tous devant la loi. Vous évoquez ça aux pages 3 et 4 de votre mémoire, et est-ce que je comprends bien que vous suggérez que l'abolition du deuxième palier, là ? dans certains cas, le palier de révision ? pour qu'il n'y ait qu'une décision finale et sans appel du Tribunal administratif du Québec pose un problème non seulement d'égalité devant la loi, mais de respect même du droit d'appel? Et vous savez qu'il y a des chartes et même des instruments internationaux qui confèrent un droit d'appel, et alors est-ce que c'est ça que je comprends, puis est-ce que vous êtes en train de nous dire, comme le disait le groupe précédent, qu'il y a peut-être des problèmes d'incompatibilité du projet de loi n° 35 et de ses dispositions avec notre Charte québécoise?

n(17 heures)n

Mme Galipeau (Johanne): C'est un questionnement. Le fait d'abolir le palier de révision pose effectivement un problème énorme. On comprend que le palier de révision, ce n'est pas un tribunal de droit commun, il n'y a pas de preuve contradictoire nécessairement qui est effectuée là, mais il y a de la preuve puis il y a moyen aussi, pour le citoyen, de se faire entendre. Et ce que nous avons constaté dans le projet de loi dans la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale, il y avait l'article 133 qui prévoyait expressément que la personne avait le droit de faire des observations, de produire des documents. Au niveau de l'application de cet article-là au niveau du palier de la révision, ça allait beaucoup plus loin, on pouvait faire une preuve, on pouvait faire entendre des témoins, ça ouvrait une porte quand même assez large.

Présentement, ce que le projet de loi prévoit, c'est que... bien, l'administré, la personne pourra demander de l'information, et peut-être qu'on va lui expliquer, peut-être aussi qu'on va modifier la décision, mais il n'y a pas de véritable palier pour se faire entendre, ce n'est pas garanti dans le projet de loi à l'heure actuelle que la personne peut se faire entendre, contrairement à ce qui existait avant. On est toujours sur des bonnes intentions, sur de la bonne volonté de tout le monde, ce que je ne doute pas, sauf que... Et, en plus, bon, il y a le problème ? ça a été soulevé à plusieurs reprises ? que, tel que formulé, le projet de loi, ce qu'on en entend, nous autres, c'est que la personne qui a rendu la décision initiale va réviser sa propre décision. Il y a des fortes chances qu'elle soit maintenue si elle la trouvait assez bonne pour la rendre une fois.

M. Turp: J'avais une autre question. Il semble qu'il n'y a pas de temps, mais est-ce que je peux la poser quand même? Très, très rapidement. Parce que vous avez un autre argument intéressant, de charte. Est-ce que, si on diminue un droit, tel qu'il existe maintenant, comme vous le suggérez, il y a comme une diminution des droits de l'administré, est-ce que le seul fait de diminuer le droit en adoptant une nouvelle loi peut entraîner une violation de la charte?

La Présidente (Mme Thériault): 30 secondes pour répondre à la question.

Mme Galipeau (Johanne): 30 secondes? C'est un peu tourner les coins vite. Oui, en tout cas, le questionnement est là. Je vais vous dire, c'est un groupe identifiable, identifié, les administrés, des personnes vulnérables par rapport à l'État, donc un groupe qu'on peut identifier victime de certaines contraintes sociales. On attaque un droit, le droit d'une défense pleine et entière, puis on vient de le diminuer; il n'est pas nié, mais il est diminué, et ça a des effets concrets plus loin. Je vous dirais oui, mais, bon, sous réserve d'une étude plus approfondie, je vais dire, comme Me Dagenais avant moi.

La Présidente (Mme Thériault): Merci bien. Et nous allons retourner au député de Marguerite-D'Youville, puis il reste encore cinq minutes à la partie ministérielle. M. le député.

M. Moreau: Alors, merci, Mme la Présidente. D'abord, d'entrée de jeu, je voudrais rasséréner et à la fois mon collègue de Mercier et à la fois mon collègue de Chicoutimi sur des aspects différents.

D'abord, pour mon collègue de Mercier, lui dire qu'il existe une autre solution que celle de la souveraineté, puisque, à l'égard des instances de révision, si j'ai bien compris le mémoire actuel... du Barreau et des mémoires antérieurs, il suggère l'abolition des instances de révision justement parce qu'il s'inquiète du fait que ces instances-là ne seraient pas des instances impartiales et indépendantes au sens de l'article 23 et 56 de la charte. Alors, on n'aurait pas besoin d'être souverain, on aurait simplement qu'à s'en remettre au Barreau et aux juristes et aux opinions qui nous ont été données sur ces matières-là et on pourrait donc être sûr d'avoir des instances indépendantes et impartiales.

Quant à mon collègue le député de Chicoutimi, je voudrais aussi le rassurer et lui dire que ce n'est pas une solidarité ministérielle, mais, comme adjoint parlementaire, je suis parfaitement solidaire des opinions du ministre, et que l'ouverture qu'il a faite justement, lors de nos auditions antérieures, quant à la modification de l'article 82 de la loi pour permettre qu'un membre seul puisse décider de causes autres que la simple gestion des recours ou des questions incidentes est toujours une ouverture qui demeure et qui, à mon esprit, est parfaitement compatible avec l'acceptation que semblent avoir eu la plupart des groupes qui ont été entendus devant la commission.

Et je reviens donc sur la question que je vous ai posée pour que, à votre tour, vous puissiez me rassurer. Alors, quand vous nous dites que la pérennité de l'expertise du Tribunal administratif exige la présence d'un banc où le juriste et le non-juriste décident ensemble des litiges, moi, j'avais pris pour acquis que ? et peut-être à tort ? que vous aviez suivi justement les débats dans la partie où le ministre avait fait part de cette ouverture qui a eu l'occasion de rassurer la plupart des groupes qui vous ont précédés. Et donc, si vous avez cette ouverture et que, maintenant que vous la connaissez, c'est-à-dire que le principe ce serait des bancs de deux, mais lorsque... l'élargir, donc la discrétion du président ou du vice-président responsable de la formation des bancs, pour permettre à un membre seul, lorsque c'est possible, d'entendre des recours, donc dans une perspective d'accélération des délais, je comprends donc que vous rallieriez à cette proposition-là.

Mme Galipeau (Johanne): ...de modifier la proposition que nous avons entendue tantôt. On parlait «lorsque le président jugeait utile». Mais est-ce que là, si l'utilité, c'est pour revenir, on va faire de l'exception la règle générale, ça ne va plus. On ne peut pas être d'accord.

M. Moreau: Vous n'êtes pas d'accord avec ça.

Mme Galipeau (Johanne): Si c'est une exception, c'est une exception. Sinon, ça va être trop facile pour le président de revenir exactement à votre projet de loi, là. La règle, ça va être le juriste seul parce que ça va être utile puis ça va accélérer les délais, et l'exception, ça va être le banc de deux. Je préfère de beaucoup qu'on affirme, réaffirme le principe de deux et exceptionnellement que ce soit un juriste seul.

M. Moreau: Donc, alors, même cette ouverture-là ne semble pas être suffisante pour vous...

Mme Galipeau (Johanne): ...

Mme Gagnon (Annie): De la manière que vous la présentez... J'ai laissé entendre, oui, qu'on avait... Mais comprenez, là, que l'Association des juristes en droit social, je le répète, est multidisciplinaire justement. Alors là vous nous soumettez une proposition qu'on n'avait pas du tout discutée ensemble et toujours... Moi, je plaide beaucoup devant la Commission des lésions professionnelles où on a un juriste seul qui décide. Il est assisté, lorsque c'est utile, par un assesseur médical. Alors, je suis habituée de plaider devant un commissaire, et c'est lui seul qui va rendre la décision. Vous comprenez que j'ai une ouverture de par la proposition que vous nous faites.

Par contre, j'ai, en tant qu'Association des juristes en droit social, des membres qui, eux, me disent: C'est très important d'avoir un travailleur social. Et pour répéter ce que d'ailleurs le représentant d'une association de travailleurs sociaux avait dit lors de la dernière assemblée sur le projet de loi n° 4, les choses simples deviennent parfois complexes sans qu'on... À la face même d'un dossier, le dossier peut sembler simple et l'utilité d'un expert ne serait pas jugée utile, alors que, lors de l'audience, le cas devient complexe et, à ce moment-là, on dit: Oups! il y a une perte, là, au niveau du travailleur social qui ne serait pas présent.

Alors, c'est la raison pour laquelle la majorité, l'ensemble de l'association a décidé de maintenir le principe de la multidisciplinarité du Tribunal administratif du Québec, qui est un tribunal qui entend des causes dans différents domaines. On ne parle pas de la Commission des lésions professionnelles, là.

M. Moreau: Alors, j'ai votre position sur la question et je pense que j'ai réussi à rassurer mon collègue le député de Chicoutimi.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, Me Gagnon. Merci, Me Galipeau.

L'ordre du jour étant épuisé, j'ajourne les travaux à jeudi 29 janvier, dans cette même salle, à 9 h 30.

(Fin de la séance à 17 h 8)


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