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Version finale

41e législature, 1re session
(20 mai 2014 au 23 août 2018)

Le mardi 8 novembre 2016 - Vol. 44 N° 152

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements religieux dans certains organismes


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Table des matières

Auditions (suite)

Mme Djemila Benhabib

Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec (AMAL-Québec)

Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ)

Les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l'État

Commission scolaire de Montréal (CSDM)

Libres Penseurs athées

Mémoires déposés

Autres intervenants

M. Richard Merlini, président suppléant

M. Guy Ouellette, président

Mme Stéphanie Vallée

Mme Agnès Maltais

Mme Nathalie Roy

*          M. Haroun Bouazzi, AMAL-Québec

*          M. Xavier Daydé, idem

*          Mme Marlyatou Touré-Dosso, idem

*          Mme Diane Francoeur, FMSQ

*          Mme Julie Latour, Les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l'État

*          Mme Catherine Harel Bourdon, CSDM

*          M. Robert Gendron, idem

*          M. David Rand, Libres Penseurs athées

*          M. Pierre-André Renaud, idem

*          M. Pierre Thibault, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures quarante-huit minutes)

Le Président (M. Merlini) : À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour et bienvenue à la Commission des institutions. Ayant constaté le quorum, je déclare donc la séance de notre commission ouverte. Je demande donc à toutes les personnes dans cette salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes.

M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Non, M. le Président, il n'y a pas de remplacement ce matin.

Le Président (M. Merlini) : Très bien. Alors, nous entendrons cet avant-midi Mme Djemila Benhabib, l'Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec et la Fédération des médecins spécialistes du Québec.

Auditions (suite)

Alors, Mme Benhabib, bienvenue à la Commission des institutions. Vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, et ensuite il y aura la période d'échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux groupes d'opposition. Alors, à vous la parole, Mme Benhabib.

Mme Djemila Benhabib

Mme Benhabib (Djemila) : Merci. Merci pour cette invitation pour émettre quelques commentaires, donc, sur un projet de loi important qui est en train d'être débattu ici. Donc, Mme la ministre, Mmes les députées, MM. les députés, je vais commencer par émettre une appréciation, d'abord, d'ordre général sur le projet de loi et, en même temps, je vais faire ressortir, en fait, les éléments qui, à mon sens, sont les plus dangereux.

D'abord, s'agissant du titre, du contenu mêmes du projet de loi, je constate l'absence du concept de laïcité, qu'on a remplacé, en fait, par un concept plus technique, plus froid, plus ambigu aussi, qui est celui de la neutralité religieuse. Alors, le législateur préfère éclipser un concept inclusif, hein, qui est celui de la laïcité, qui renvoie aux principes du respect de la liberté de conscience, de l'égalité des croyants et des non-croyants et de l'universalité de la loi, au profit d'un concept qui est, ma foi, ambigu, qui est flou.

• (9 h 50) •

Ce nouveau concept de neutralité religieuse de l'État laisse croire que le rôle de l'État est d'arbitrer le religieux. Nous sommes clairement dans une démarche de reconnaissance du religieux qui tranche avec l'histoire du Québec, qui s'est inscrit, depuis la Révolution tranquille, dans un processus de rupture avec le religieux. Ce que cherche à faire ce projet de loi à travers ce concept-là de la neutralité religieuse, c'est, en réalité, multiconfessionnaliser l'État québécois à travers la reconnaissance des religions des minorités, et, bien entendu, l'argument juridique qui le permet, qui va donc permettre ce nouvel habillage de l'État, c'est le concept de l'accommodement religieux. Ce que cherche à établir ce projet de loi, c'est l'obligation d'accommodement absolue.

Alors, je résume mon appréciation. Il y a, dans ce projet de loi, clairement une faiblesse théorique d'abord dans l'usage des concepts, une pauvreté intellectuelle qui, disons-le, traduit trois choses essentielles : d'abord, un manque de vision; une incompréhension de la réalité, notamment celle que vivent nos professionnels en santé et en éducation, qui sont venus témoigner ici même pour dire : Il y a des problèmes; celle que subissent des femmes issues des minorités culturelles qui sont prisonnières des pressions de leurs milieux, et le législateur semble, en réalité, totalement indifférent et insensible au combat de ces femmes pour leur émancipation. Nous avons vécu ici un quadruple crime d'honneur en 2009. Nous sommes la seule démocratie occidentale à avoir connu un tel drame et on dirait qu'on a déjà oublié quel était l'objet de la confrontation au sein même de cette famille musulmane afghane. On dirait qu'on préfère mettre un voile sur cette histoire, la reléguer à un simple fait divers, l'oublier carrément, car, en effet, elle est un peu gênante pour nous. Voilà des jeunes filles qui souhaitent vivre en femmes libres, et nous avons été incapables de leur offrir les conditions minimales de l'exercice de leur liberté, c'est-à-dire leur garantir leur propre sécurité. Bref, nous avons failli collectivement, nos institutions ont échoué, et, pire encore, sept années plus tard, eh bien, au lieu de corriger, donc, ce terrible manquement, c'est-à-dire énoncer clairement qu'il y a des principes non négociables au Québec, et en particulier celui de l'égalité, du respect, donc, des femmes, eh bien, nous nous apprêtons à valider le port du tchador dans nos institutions publiques et ouvrir la porte au port du voile intégral.

Alors, vous me permettrez ce commentaire spontané, j'ai envie de dire : Mais quelle farce! Je me demande si nous sommes condamnés à oublier notre histoire collective, marquée par des luttes incessantes pour faire avancer les droits des femmes et la laïcité. C'est d'ailleurs le troisième reproche que je fais à ce projet de loi : une cécité historique. C'est comme si la société québécoise ne s'inscrivait pas dans l'histoire. C'est comme si nous n'avions pas façonné, eh bien, notre évolution à travers la Révolution tranquille. C'est comme si nous n'avions pas déconfessionnalisé nos écoles. C'est comme si nous ne nous étions pas battus pour soustraire les femmes de l'autorité de l'Église et de celle du mari. Ce gouvernement affiche un mépris par rapport à ces luttes collectives et fait fi des avancées historiques en matière d'égalité, puisqu'avec ce projet de loi il veut forcer la main de nos institutions en normalisant des symboles de domination des femmes brandis par des pays totalitaires comme l'Iran et l'Arabie saoudite. Voilà à quoi nous sommes réduits avec ce projet de loi. Mais le plus grotesque dans cette tentative de banalisation et de normalisation du voile dans nos institutions publiques, c'est que le gouvernement prétend le faire, eh bien, soi-disant en respectant la diversité. Alors, je vais être claire par rapport à cet aspect-là. Cette conception de la diversité, qui consiste à ne tenir compte que des extrêmes et jamais des plus modérés, cette conception de la diversité, du respect de la diversité, de la liberté de religion est une insulte pour la majorité des immigrants, qui vivent dans le respect des lois et des exigences de la modernité et de la vie en société au Québec. Vous vous rendez compte que ce gouvernement s'apprête en réalité à amalgamer l'écrasante majorité des musulmans avec une minorité d'islamistes, et cela, pour moi, à mes yeux, c'est inacceptable.

«Le voile n'est pas notre exigence», sont venues dire, défendre des personnes issues des communautés musulmanes. En instaurant un droit de religion, en cédant aux extrémistes les plus radicaux, le gouvernement cherche à légitimer une posture radicale de l'islam au sein même de nos institutions. Il fragilise ainsi notre État. Il contrarie le processus de laïcisation de nos institutions et de notre société et hypothèque l'avenir de nos enfants. À moyen terme, les conséquences d'une telle démarche vont être désastreuses. Notre société va se fragmenter en raison de l'exacerbation des revendications religieuses. Nous le vivons, d'ailleurs, déjà. Ce processus de communautarisation va déboucher sur un repli identitaire de plus en plus grand. Chacun va vouloir, en réalité, se référer à son clergé, s'inventer un clergé et évidemment revendiquer donc ses bébelles ici et là.

Ce projet de loi va nourrir le racisme à l'égard des musulmans, car il fait l'amalgame entre musulmans et islamistes et il laisse croire que les musulmans ne peuvent pas vivre et s'adapter au Québec tel qu'il est aujourd'hui. Il faut baisser, eh bien, les standards et les normes, nos exigences en matière de laïcité et d'égalité à chaque fois qu'il s'agit des musulmans, prétend le gouvernement. Ceci est une grave erreur de jugement. Les musulmans ne demandent rien d'autre, eh bien, que de vivre comme l'ensemble des citoyens, Québécois et Québécoises, et de réaliser pleinement, donc, une vie respectueuse des règles et des normes. Par ailleurs, pour les islamistes, qui sont dans une démarche politique qui vise à reconfigurer les institutions publiques et nos institutions étatiques, eh bien, la vision est différente. Comment ne pas voir cet éléphant dans la pièce? Comment accepter de faire, dans ces conditions, de la liberté de religion un droit absolu de religion? Certes, nos chartes garantissent la liberté de religion. Cependant, il y a une différence entre la liberté de religion et l'expression de la liberté de religion, encore plus entre l'expression absolue de la liberté de religion.

Or, avec ce projet de loi, il n'y a plus aucune nuance, il n'y a plus aucune barrière entre l'ensemble de ces concepts, et c'est cela qui est le plus inquiétant. Je considère...

Le Président (M. Merlini) : Merci, Mme Benhabib. Votre temps est expiré. Maintenant, on va débuter la période d'échange. Merci pour votre exposé. Mme la ministre et députée de Gatineau, la parole est à vous.

• (10 heures) •

Mme Vallée : Merci, M. le Président. Mme Benhabib, merci de votre présentation. C'est la deuxième fois qu'on se rencontre dans le cadre des consultations. Merci de votre engagement.

J'aimerais vous entendre, parce que vous avez votre conception de la laïcité, il y a différentes conceptions de la laïcité. Autant vous disiez que le concept de la neutralité était, à votre avis, flou, bien que reconnu dans les décisions de la Cour suprême, il y a aussi des conceptions différentes de la laïcité. Et certains groupes qui se sont présentés au cours des dernières semaines ont mentionné cet état-là.

D'ailleurs, un des invités de la semaine dernière nous expliquait qu'il y avait cette laïcité républicaine, un petit peu plus rigide, qui était la laïcité à la française, puis la laïcité ouverte, qui défend un modèle qui est axé sur la liberté de religion — je vous entendais, tout à l'heure, vous exprimer à cet égard-là — qui était sur la protection... En fait, la laïcité ouverte est axée sur la liberté de conscience, la liberté de religion, et donc la neutralité de l'État est plutôt dans les interactions et non dans le visage de cette diversité qui va s'exprimer sur le terrain. La manifestation d'une appartenance ou d'une croyance religieuse n'est pas, à proprement dit, proscrite.

Alors, j'aimerais vous entendre, parce que ce que je crois qui... et peut-être à tort, vous êtes davantage tenante d'une laïcité qui est plus rigide et qui s'exprime de façon plus homogène. Est-ce que je me trompe?

Le Président (M. Merlini) : Mme Benhabib.

Mme Benhabib (Djemila) : Oui. Merci. Alors, oui, vous vous trompez. Je ne suis pas rigide. Je crois tout simplement en ce grand concept philosophique qui est celui de la laïcité, qui est issu de la Révolution française, des philosophes des Lumières. Je n'ai pas honte de dire que, oui, mon maître, c'est Voltaire, comme Borduas d'ailleurs, comme différents philosophes, comme Averroès, et ainsi de suite. L'humanité est une. Ce n'est pas parce qu'une idée est née quelque part dans le monde qu'on ne doit pas la reprendre à son compte. J'estime que le principe de la liberté, que le principe de l'égalité, que le principe de la fraternité, ce triptyque républicain est universel, et je m'en réclame.

Par ailleurs, s'agissant de la laïcité, il y a, en effet, deux visions : il y a une laïcité de rupture par rapport au religieux — c'est la démarche historique de la nation québécoise, nous avons rompu avec l'Église — et il y a une démarche de reconnaissance des religions, c'est-à-dire l'État va reconnaître les religions et va arbitrer les religions. Donc, ça, c'est la démarche anglo-saxonne et, en réalité, c'est une démarche qui se reconnaît donc dans les fondements du multiculturalisme, en ce sens que les religions sont bienvenues dans les affaires de la cité, que, les religions, eh bien, on ne les tient pas loin des affaires de la cité, ce qui déroge avec l'expérience historique du Québec que nous avons connue. C'est-à-dire, nous avons choisi, historiquement, de rompre avec la mainmise de l'Église, nous avons déconfessionnalisé nos institutions publiques, nous avons déconfessionnalisé nos écoles, nous nous sommes distanciés du religieux, et, ma foi, ce que nous prenons collectivement, c'est de vivre la religion avec modération. Alors, je ne vois pas ce qu'il y a de rigide, eh bien, dans cette démarche-là.

Mme Vallée : En fait, le qualificatif ne vous visait pas, mais la laïcité était qualifiée comme une conception de laïcité rigide, et le qualificatif ne vous était pas destiné d'aucune façon, soyez-en assurée.

Dans cette démarche-là, donc je comprends que, pour vous, la présence de signes religieux portés par un individu dans le cadre d'une fonction à l'intérieur de l'État ne devrait pas... il ne devrait pas y avoir de port de signes religieux de la part des gens qui oeuvrent au sein de l'État, peu importe le signe. Je sais que votre présentation a été axée principalement sur le port du voile, mais vous comprendrez que, lorsqu'on légifère, on ne vise pas une religion. Si on met de côté toute la question du port des signes religieux, ce sont l'ensemble des religions qui seront visées.

Et donc, dans votre vision et dans votre mise en oeuvre de cette laïcité, est-ce qu'il va sans dire que les signes religieux ne doivent pas faire partie de l'espace public, de l'espace de travail de ceux et celles qui oeuvrent au sein de l'État?

Le Président (M. Merlini) : Mme Benhabib.

Mme Benhabib (Djemila) : En réalité, l'élément constitutif de la modernité, de façon générale, c'est la distanciation avec le religieux. Toutes les démocraties dignes de ce nom qui, disons, ont pris leurs distances avec leurs religions peuvent espérer, donc, être d'abord des sociétés beaucoup plus humanistes, des sociétés où il règne une certaine tolérance, des sociétés qui ont acquis des avancées considérables en matière de droits, de droit à la diversité sexuelle, de droit à l'égalité, une éducation de qualité, une éducation rationnelle. Donc, ça, ce sont les exigences de la modernité. Et donc, inscrire le Québec dans le sillage, eh bien, de cette histoire de la modernité, je pense, eh bien, qu'il est temps de le faire, qu'il est temps de poursuivre cette démarche historique.

Par ailleurs, les États qui, eux, affichent encore aujourd'hui une crispation par rapport au religieux, ce sont des États qui sont marqués, eh bien, par une fragmentation, par de la violence, par des guerres dans le pire des scénarios. Nous vivons dans des États démocratiques où il y a une dualité entre l'espace privé et l'espace public. L'espace public ne peut pas être la continuité de l'espace privé. L'élément, d'ailleurs, constitutif de la modernité, c'est que nous avons deux espaces qui sont distincts, et les institutions publiques sont un espace qui est commun, qui est commun à qui? À des croyants et à des non-croyants. Donc, dans cet espace-là, cette exigence de neutralité, eh bien, pousserait le législateur à interdire le port, eh bien, de tous les signes religieux, parce que c'est une atteinte à la liberté de conscience, eh bien, des non-croyants. Et les non-croyants, dans ce pays-là, doivent avoir exactement le même traitement. Or, la norme de l'accommodement religieux, c'est précisément de briser l'égalité, c'est de briser l'universalité, eh bien, de la loi, donc c'est une grave atteinte aux principes démocratiques.

Et donc c'est pour ça que, majoritairement, les Québécois, lorsqu'ils ont eu à s'exprimer concernant le port des signes religieux au sein de la fonction publique, eh bien, ils ont affiché une frilosité, c'est-à-dire qu'ils sont réfractaires, parce que, précisément, la neutralité de nos institutions publiques constitue, en quelque sorte, la force de notre État, la pérennité de nos institutions, la continuité de notre histoire et notre appartenance à la modernité.

Le Président (M. Merlini) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Nos échanges en consultations sont intéressants, parce qu'on peut avoir des conceptions différentes de la modernité. Moi, je vous dirais, on a vu peu ici, à l'Assemblée nationale... bien qu'on ait eu des élus des communautés autochtones — je pense à notre collègue Alexis en 2007 — mais, du côté fédéral, on a eu, au cours des dernières années, des élus qui ont affiché leurs croyances religieuses : je pense à l'abbé Gravel, qui portait son col romain pour siéger à la Chambre des communes; je pense à notre ministre actuel de la Défense qui porte le turban sikh. Et, pour certains, cette réalité-là, elle appartient également à la modernité et elle appartient également à notre réalité.

Et donc l'échange que nous avons est intéressant, parce que, pour vous, ce que je comprends, c'est que cette modernité, ce passage dans l'ère de la modernité se manifeste par une absence de signes religieux dans l'espace public afin d'assurer de préserver le droit et la liberté de conscience des non-croyants, parce que c'est ce que vous disiez à la fin, alors que, pour d'autres, cette modernité s'exprime en n'émettant pas de préjugés ou en n'ayant pas de préjugés dans la prise de position décisionnelle à l'égard de la manifestation ou de l'absence de manifestation d'une croyance religieuse, concepts différents, conceptions différentes, perceptions différentes mais intéressantes.

Alors, j'aimerais avoir votre point de vue là-dessus concernant cet autre aspect de la modernité, qui est plutôt d'avoir dans l'espace public ces manifestations qui se côtoient et qui se respectent.

Le Président (M. Merlini) : Mme Benhabib.

• (10 h 10) •

Mme Benhabib (Djemila) : Oui. Bien, en réalité, vous venez de confirmer ce que je disais tout à l'heure, c'est-à-dire vous ne tenez pas compte de l'histoire du Québec, vous ne tenez pas compte de la singularité de la nation québécoise. Vous prenez à votre compte exactement le modèle fédéral, multiculturaliste, canadien. Bon. Voilà. Donc, en réalité, je m'inscris dans l'histoire du Québec. Lorsque René Lévesque décide, eh bien, de suspendre la prière... lorsqu'il décide de soustraire la prière de notre Assemblée nationale et d'offrir, donc, cette minute de silence pour tous les parlementaires, c'est un signe de grande modernité. Qu'est-ce qu'il nous dit, en réalité? Il nous dit que la religion, que la spiritualité, que l'option philosophique est quelque chose d'intime, elle n'a pas à être exhibée, chacun la vit dans son coeur, chacun la vit dans son être.

Et donc afficher, d'une façon ostentatoire, des signes religieux m'apparaît totalement incompatible avec le respect de l'autre. Vivre en société exige de nous le respect de l'autre, exige de nous une forme de modération. Or, les gens qui ont choisi d'exhiber, eh bien, leurs choix spirituels ou religieux, qui sont devenus, en quelque sorte, les porte-étendards, dans le pire des cas, eh bien, d'idéologies totalitaires, je pense qu'il faut leur dire que le rôle de l'État québécois, ce n'est pas de valider ces choix-là, ce n'est pas de normaliser ces choix-là. Le rôle de l'État québécois, c'est de leur dire qu'il y a une frontière entre leurs croyances religieuses et entre ce que nous représentons collectivement. Je pense qu'il y a des valeurs qui ne sont pas acceptables en démocratie, je pense qu'il y a des pratiques religieuses qui sont condamnables en démocratie et je pense que le rôle du législateur est de dire cela, est de clarifier cela, est de défendre la démocratie, est de défendre la liberté de conscience, est de défendre le droit des homosexuels, est de défendre l'émancipation des femmes qui souhaitent se soustraire de la pression de leurs communautés. Je pense que c'est ces messages que nous avons besoin d'entendre aujourd'hui dans un monde qui est fragmenté, menacé par la recrudescence des intégrismes religieux, qui menacent en particulier les droits des femmes.

Le Président (M. Merlini) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Je crois que, pour ce qui est du respect et de la protection des droits des communautés LGBT, ce gouvernement a posé des gestes quand même assez historiques. Je tiens simplement à vous rappeler que l'expression de genre a été incluse à titre de motif de discrimination dans la charte par celle qui vous adresse la parole en ce moment. Alors, s'il y a quelqu'un — puis, je pense, ma collègue de Taschereau le sait — qui y a travaillé, un gouvernement qui a travaillé pour soutenir les communautés LGBT, ça a été notre gouvernement, qui a aussi émis la première politique et le plan d'action pour lutter contre l'homophobie et la transphobie. Alors, je veux simplement vous dire que ce travail-là se fait.

Et, ici, les collègues autour de la table, nous avons aussi travaillé à resserrer certaines mesures législatives à travers le projet de loi n° 59. On a beaucoup parlé du projet de loi n° 59 sur le discours haineux. On a peu porté attention à tout le travail qui s'est fait quand même pour venir resserrer les dispositions de la Loi sur la protection de la jeunesse et des dispositions concernant le mariage afin de donner suite, notamment, à un rapport fort éloquent du Conseil du statut de la femme qui faisait suite à l'affaire à laquelle vous avez fait référence un petit peu plus tôt dans votre présentation, l'affaire Shafia, parce qu'il y avait lieu de resserrer certaines dispositions pour protéger davantage les femmes et les filles qui parfois sont aux prises... dans un tourbillon assez préoccupant.

Alors, je comprends qu'on puisse ne pas être en accord sur la façon d'aborder la neutralité ou la laïcité, ça, je comprends ça, mais il faut quand même reconnaître que nous avons posé des gestes législatifs au cours des deux dernières années qui sont quand même non négligeables.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, Mme la ministre. Ça met fin à ce bloc d'échange. Maintenant, vers l'opposition officielle et Mme la députée de Taschereau pour votre bloc d'échange avec notre invitée.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Djemila Benhabib. Bienvenue à cette commission parlementaire.

Une petite introduction sur les LGBT. Effectivement, ça a été un bon geste. Cependant, de se placer dans une perspective historique en disant qu'on est le gouvernement qui a fait le plus... On se rappelle que le gouvernement de René Lévesque a inscrit l'orientation sexuelle dans la Charte des droits et libertés, que l'union civile a été adoptée sous Paul Bégin, ministre de la Justice, et tout. Ça fait que l'histoire est en marche. Il faut savoir se situer là où on est et comprendre où on est, et je pense que, dans ce cas-ci, vous nous ramenez à la compréhension d'où on en est historiquement.

Vous avez dit une phrase importante, pour moi, puis elle est forte, là : Ce projet de loi est un cas de cécité historique, l'autorité de l'Église et du mari, on la tassait, on l'enlevait dans l'histoire du Québec, et pas seulement l'histoire des femmes du Québec, que c'était le combat des femmes, mais c'était aussi — ils s'y sont joints — le combat des hommes et des femmes. Et j'aimerais ça que vous me dites pourquoi votre constat est si dur, parce que «cécité historique», ce sont des mots forts avec lesquels je suis en accord.

Mme Benhabib (Djemila) : Bien, écoutez...

Le Président (M. Merlini) : Mme Benhabib.

Mme Benhabib (Djemila) : Pardon. Excusez-moi. Bien, écoutez, en fait, moi, mes exigences à l'égard de ma société, c'est de l'amener toujours vers le meilleur. Je ne suis pas motivée par éviter le pire. Or, ce projet de loi, c'est vraiment l'impression qu'il donne, c'est-à-dire on est là vraiment pour éviter le pire, le pire étant le port du voile intégral.

En fait, je ne peux pas accepter un tel renoncement de 50 ans de lutte collective. Nous en sommes rendus à ça, à nous questionner si nous devons accepter le port du voile intégral au sein de nos institutions? Mais j'ai envie de rire, sincèrement. Écoutez, les Québécois, les Québécoises méritent mieux. Ils méritent de vivre dans une société qui est franchement démocratique, où nous défendons les valeurs démocratiques, les valeurs de l'égalité, les valeurs de la liberté de conscience pour, ultimement, tendre vers la fraternité. Le but de vivre ensemble, ce n'est pas d'ériger des murs entre les uns et les autres, ce n'est pas le repli communautaire, mais c'est précisément pouvoir construire du commun ensemble, et le rôle du politique, c'est ça. Et donc faire fi de ce processus historique... mais j'ai envie de dire : Pourquoi avons-nous déconfessionnalisé les écoles? Ça a été un moment très fort que nous avons vécu collectivement. D'ailleurs, celle qui a mené ce combat-là, enfin celle qui a conclu ce combat-là, parce que ceux qui l'ont mené, c'est évidemment les Québécoises, et les Québécois, et les associations laïques, c'est Mme Marois. Pourquoi on a fait tout ça? On a fait tout ça pour revenir aujourd'hui en arrière, pour nous demander si, eh bien, nous devons accepter l'exacerbation des revendications identitaires de quelques groupes minoritaires?

Mme Maltais : Vous avez dit aussi que ce projet de loi là normalise le niqab. Écoutez, je suis tout à fait d'accord avec vous après avoir entendu les auditions qu'on a eues, parce qu'il y a une exception et que l'exception est très large, d'autant que, ce projet de loi là, et là ça a été clair dans le discours de la ministre, elle se colle sur la valeur multiculturaliste canadienne, et toute la jurisprudence canadienne fait qu'une femme a pu prêter serment avec un niqab. C'est vraiment, là, l'image où on a eu plus en pleine face, là, à quel point ce multiculturalisme ou cette jurisprudence pouvait permettre des choses qui sont inacceptables à la grande majorité des Québécois et des Québécoises, clairement.

Or, c'est drôle, hein, c'est ça, le niqab, c'est d'abord un outil d'oppression féminin, c'est d'abord un outil. Ça vient du wahhabisme, on le sait, et ça vient de l'étranger. Ce n'est pas une valeur québécoise que de travailler à visage couvert comme ça, mais ça ne touche que les femmes, ce ne sont que les femmes qui sont obligées d'avoir le... Tu sais, des fois, on dit : Oui, mais, dans ce projet de loi là, ça ne touche que les femmes. Mais, oui, mais, justement, le voile ne touche que les femmes... ce voile intégral, parce que c'est, et là je le ramène à votre phrase, c'est l'autorité du mari, c'est l'influence de l'Église et du mari qui est là.

Il y a une forte pression, dans la communauté, qu'on nous a dit, dans la communauté maghrébine, dans la communauté arabe, de la part des gens qui sont des croyants plus intégristes, il y a une forte pression pour amener le reste de la communauté à... Par exemple, il y avait des hommes, parce que c'étaient des hommes qui étaient autour de la table, les Nord-Africains pour la laïcité disaient : Il y a une forte pression pour qu'on aille aux lieux de prière. Quel est le type de pression que vous pouvez sentir autour de vous, dans la communauté, sur les femmes?

Le Président (M. Merlini) : Mme Benhabib.

• (10 h 20) •

Mme Benhabib (Djemila) : Oui. Merci. Bien, écoutez, ce qu'attendent les femmes, disons, qui ont choisi l'émancipation de l'État québécois, c'est qu'il les aide à cheminer dans ce sens, et donc qu'il soit véritablement laïque, que l'État québécois soit véritablement laïque, parce que...

Mme Maltais : Que l'État les protège.

Mme Benhabib (Djemila) : Absolument, que l'État les protège, que l'État assume aussi ces grandes valeurs qui incarnent la démocratie. Je veux dire, tout à l'heure, j'ai évoqué la terrible histoire Shafia. Pourquoi nous avons été, en fait, incapables de les protéger? Parce que nous n'avons pas compris la nature de la confrontation qui existait au centre de cette famille-là. Et donc, par conséquent, on n'a pas pu les aider. Donc, pouvoir leur offrir les conditions de leur émancipation, c'est, minimalement, ne pas reprendre à son compte... c'est-à-dire que l'État québécois ne reprenne pas à son compte les symboles d'asservissement des femmes. Or, c'est que s'apprête à faire ce projet de loi là.

Donc, en réalité, ce projet de loi tend à normaliser ce qu'elles-mêmes combattent dans leur vie de tous les jours, l'asservissement, donc l'autorité du père, l'autorité du frère mais l'autorité, plus largement, de la communauté, parce qu'on sait très bien que les femmes sont les otages, en quelque sorte... Enfin, je parle évidemment des femmes qui ont fait le choix de l'émancipation. Eh bien, il y a des pressions qui sont énormes qui sont exercées sur elles, la communauté les regarde, la communauté les juge, la communauté les excommunie. Je suis bien placée pour le savoir. Lorsque j'ai publié Ma vie  à contre-Coran, écoutez, j'ai subi mais d'énormes pressions pour ne plus parler, pour ne plus dire, pour ne plus témoigner de l'intérieur, parce que, nous, lorsque nous témoignons, nous savons ce qui se passe, nous avons vécu des choses. Et ce qui nous chagrine, en réalité, c'est qu'on ne tient pas compte ni de nos combats, ni de nos aspirations, ni de notre analyse, qui est pertinente à ce moment historique, eh bien, que vit non seulement le Québec, mais que vit le monde entier.

Mme Maltais : Vous dites...

Le Président (M. Merlini) : Une minute, Mme la députée. Il reste une minute.

Mme Maltais : ... — oui — on ne tient pas compte du combat des Québécoises et on ne tient pas compte du combat des Québécoises qui ont vécu à l'interne le poids de la religion.

Avant de vous quitter, Mme Djemila Benhabib, je veux remercier les gens qui sont ici. Ce sont les juristes de l'État qui sont derrière nous. C'est une manière d'appuyer leur grève que de dire : Bonjour, bienvenue, vous êtes silencieux et tranquilles derrière, nous savons que vous menez un combat. Alors, je vous remercie de votre présence. Merci beaucoup, Mme Benhabib, pour ce témoignage.

Mme Benhabib (Djemila) : Merci infiniment.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, Mme la députée de Taschereau. Maintenant, vers le deuxième groupe d'opposition et la députée de Montarville. À vous pour votre bloc d'échange avec notre invitée.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Benhabib. Toujours un plaisir de vous voir, un plaisir de vous entendre. Quelle lucidité, quelle vérité! J'ai peu de temps et je veux dire que vos propos, ça me touche toujours quand je vous entends, et je voudrais vous remercier personnellement mais vous remercier au nom de tous les gens qui pensent comme vous, puis ils sont plusieurs au Québec, et vous remercier pour le combat que vous menez sur plusieurs fronts depuis des années.

Et, sur le plan personnel, vous parliez de votre livre tout à l'heure, mais je crois que vous avez vécu des choses, des expériences, vous avez connu justement les horreurs de l'islamisme, l'Algérie. Et je me dis : Ça m'attriste de voir qu'il semble y avoir une sourde oreille dans ce projet de loi, qu'on ne semble pas entendre ces voix, vos voix, mais la voix de toutes ces femmes, de tous ces hommes qui ont quitté, entre autres, l'Algérie dans les années 90 pour venir vivre au Québec avec nous en paix. Ça me touche profondément. Je vous entends et je suis d'accord avec vous. Je tente de porter le même message parce que je vois dans ce projet de loi n° 62 les mêmes choses que vous, de un, un projet de loi qui n'entend pas votre voix. Et j'ai pris des notes, beaucoup de notes, en tant qu'ancienne journaliste, et vous dites des choses : On s'apprête à valider le port du tchador dans nos institutions publiques, mais quelle farce! Je pense la même chose que vous. Pourtant, personne n'a réagi du côté du gouvernement, on n'a aucun problème.

Vous dites : C'est une tentative de banalisation et de normalisation des voiles dans nos instances soi-disant en valorisant la diversité mais toujours en faveur des minorités islamistes. Ça, j'aimerais que vous m'en parliez un petit peu, puis après j'ai un autre sujet. J'ai peu de temps. Quelles seront, selon vous, les conséquences de l'adoption d'un projet de loi n° 62, tel qu'il est, sur, entre autres, vous, et les femmes, et les hommes qui ont quitté des pays où on a connu les affres de l'islamisme? Alors, quelles seront les conséquences d'un projet de loi n° 62 adopté tel qu'il est?

Le Président (M. Merlini) : Mme Benhabib.

Mme Benhabib (Djemila) : Oui. Merci. D'abord, s'agissant des communautés musulmanes, parce qu'évidemment on ne peut pas parler d'une seule communauté, compte tenu du fait qu'elle est hétéroclite, qu'elle est plurielle et donc elle est traversée par différents courants, évidemment, il y a des extrémistes, mais il y a aussi des modérés qui sont, disons, la grande majorité et qui ne demandent rien. En réalité, que demandent-ils, sinon l'amélioration de nos institutions? Je veux dire, on demande quoi? On demande un système éducatif de qualité pour nos enfants, on demande un système de santé de qualité pour nous soigner, on demande, eh bien, de pouvoir accéder à une offre culturelle importante. Bref, nos exigences sont exactement les mêmes que celles de n'importe quels Québécoise et Québécois.

Or, ce qu'on nous dit, en réalité, c'est que ce n'est pas ça qu'on veut nous offrir. On veut nous enfermer dans une prison religieuse et identitaire, on nous dit : Vous n'êtes que ça, vous n'êtes pas citoyens, vous, vous êtes des sujets religieux, et ce que vous méritez, c'est, en réalité, bien, qu'on accepte quelques bébelles religieuses. S'agissant des conséquences, donc, gravissimes, eh bien, que s'apprête donc à engendrer ce projet de loi, c'est une augmentation du racisme. On veut distiller dans la tête des Québécoises et Québécois que finalement l'ensemble des musulmans demandent des accommodements de type religieux. Ça, c'est inacceptable. On est en train de faire l'amalgame entre musulmans et islamistes, et ça, en réalité, ça va nuire aux musulmans, ça va engendrer une forme de crainte. Les employeurs vont avoir peur d'engager des musulmans, ils vont se dire : Mais, si je les engage... et, comme j'ai l'obligation, donc, d'accommoder, je vais me retrouver avec des poursuites judiciaires. J'ai d'ailleurs pu recueillir des témoignages de médecins, j'ai recueilli des témoignages de directeurs d'école, j'ai recueilli des témoignages d'enseignants qui font face à des pressions et qui ont cédé, qui ont cédé parce qu'ils ne veulent pas avoir affaire, eh bien, à des procès longs et coûteux.

Donc, ultimement, ce projet de loi, c'est une formule perdant-perdant, il n'y a personne qui est gagnant : autant la société d'accueil est perdante, parce qu'on va vivre l'effritement de nos institutions publiques de l'intérieur, et autant la grande majorité des immigrants vont être aussi perdants, parce qu'on les amalgame, eh bien, à des revendications extrémistes.

Mme Roy : J'ai très peu de temps. Vous avez dit quelque chose d'hyperpertinent, naturellement, que la notion de laïcité n'est pas inscrite, là, ce qui me choque profondément également... de laïcité, voilà, on ne parle que d'une neutralité floue, je suis d'accord avec vous, une neutralité qui permet tout, finalement, et vous nous avez dit qu'il y a une différence à faire entre la liberté de la religion et l'expression de la liberté de religion. Dans une démocratie, bien, il y a des choses que... on ne peut pas tout accepter des religions parce qu'elles viennent des religions. Je vous laisse aller là-dessus, cette différence-là, et je pense que certaines personnes ne la voient pas, mais moi, je la vois et je pense comme vous, que la religion devrait être une chose personnelle, privée.

Mais allez-y entre cette différence de liberté de religion et l'expression de la liberté de religion.

Le Président (M. Merlini) : En 30 secondes, s'il vous plaît, en 30 secondes.

Mme Benhabib (Djemila) : Oui. Celle qui m'a ouvert les yeux et qui m'a éclairée sur ce sujet-là, c'est indéniablement Claire L'Heureux-Dubé, donc, qui travaillait, donc, à... enfin, qui siégeait à la Cour suprême et qui, précisément, critique les accommodements, donc, soi-disant raisonnables parce qu'ils ouvrent la porte au droit à l'intégrisme religieux. Donc, lorsqu'on ne fait plus de différence entre la liberté de religion et l'expression de la liberté de religion, lorsqu'on dit que la liberté de religion est pratiquement absolue, eh bien, ça normalise l'intégrisme religieux.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, Mme Djemila Benhabib, pour votre contribution à nos travaux.

Je suspends quelques instants. Et j'invite les représentants de l'Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec de prendre place à notre table. Alors, on suspend quelques instants.

(Suspension de la séance à 10 h 30)

(Reprise à 10 h 32)

Le Président (M. Merlini) : Alors, nous reprenons nos travaux. Je souhaite la bienvenue à l'Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec. Vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, puis nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission. J'invite donc à vous présenter puis commencer votre exposé. À vous la parole, M. Bouazzi.

Association des musulmans et des Arabes pour
la laïcité au Québec (AMAL-Québec)

M. Bouazzi (Haroun) : M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés de l'Assemblée nationale, au nom de l'Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité au Québec, je vous remercie de nous donner l'occasion d'exprimer notre point de vue. Fondée en juin 2012, AMAL-Québec est une association citoyenne et plurielle. Elle regroupe des Québécoises et des Québécois d'origine arabe et/ou musulmane ou n'appartenant à aucune de ces composantes, incluant des personnes pratiquantes, non pratiquantes, juives, chrétiennes, agnostiques ou athées. AMAL-Québec souhaite contribuer positivement aux débats sur les thèmes de la laïcité, des discriminations, du racisme, de la visibilité religieuse, de la cohabitation interethnique et du vivre-ensemble au Québec.

Il convient d'abord de rappeler que nous nous situons encore aujourd'hui dans la continuité d'un débat qui a commencé il y a bientôt 10 ans. Au cours de ces débats, nous avons mené des échanges vigoureux et argumenté autour des questions de la neutralité de l'État, des accommodements raisonnables et de la laïcité. Nous sommes arrivés aujourd'hui à un point déterminant de ce débat interminable. La population québécoise est lassée par les prolongements sans fin de ces discussions, lassitude redoublée pour les citoyens appartenant à des minorités religieuses par l'accablement d'être toujours instrumentalisés à des fins politiques et électoralistes.

Dans ce contexte, il serait important que la nouvelle loi puisse clore définitivement le débat, et c'est dans ce but que nous souhaitons aborder aujourd'hui trois points essentiels : en premier lieu, celui de la laïcité et de son importance dans une société démocratique; dans un deuxième temps, nous traiterons de la question de la prestation de services à visage découvert; puis, troisièmement, nous aborderons le droit à l'égalité.

M. Daydé (Xavier) : L'importance de la laïcité dans un État démocratique.

La laïcité est un outil démocratique dont le but est de favoriser la cohabitation et le vivre-ensemble dans une société pluraliste. Elle se base sur trois fondements principaux : la liberté de conscience et de religion, la neutralité de l'État, la séparation des institutions religieuses et des institutions de l'État. La liberté de conscience est un acquis formidable des démocraties modernes. Un État laïque ne tolère pas mais protège la liberté de conscience et de religion de ses citoyens. Il doit aussi définir des limites à ces croyances. Ces limites doivent être basées sur des critères rationnels et non émotifs. Quant à la neutralité, elle implique que l'État ne doit pas ni favoriser ni défavoriser aucun citoyen ou citoyenne en fonction de ses convictions religieuses. Enfin, la séparation des institutions religieuses et des institutions de l'État nous semble un acquis fondamental de la Révolution tranquille. Elle implique que les institutions religieuses ne peuvent pas instrumentaliser l'État et ses politiques à des fins religieuses et que les institutions religieuses sont protégées et ne peuvent être instrumentalisées par l'État.

Prestation de services à visage découvert. En théorie, l'article 9 ne vise pas un groupe particulier. Dans les faits, néanmoins, il servira à discriminer un groupe précis de citoyennes sur la base de leurs pratiques religieuses. L'argument de la sécurité, de l'identification ou du niveau de communication semblerait tout à fait louable s'il n'existait pas des dizaines de milliers de fonctionnaires qui ne rencontrent jamais de citoyens dans l'exercice de leurs fonctions. De plus, l'article 9 répond à un faux problème, puisque l'on ne répertorie aucun cas de personne au visage couvert qui travaille dans la fonction publique. On peut se demander pourquoi l'État devrait légiférer contre un problème qui n'existe pas. Certains seraient tentés d'argumenter, à l'inverse, que, si le problème n'existe pas, l'Assemblée nationale peut bien légiférer sans crainte. Y voir ainsi un acte offensif serait pourtant une erreur, puisque l'Assemblée nationale commettrait un grave précédent. Il serait maintenant acceptable au Québec de priver des citoyens ou des citoyennes de droits fondamentaux, tels que le droit à la dignité, le droit à l'égalité, le droit à la liberté religieuse, le droit au travail, sans motif réel ou urgent.

Le Président (M. Merlini) : Mme Marlyatou Touré-Dosso, à vous la parole.

Mme Touré-Dosso (Marlyatou) : Le droit à l'égalité. Nous saluons l'initiative du gouvernement qui définit la neutralité de l'État comme impliquant, et je cite, «de veiller à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l'appartenance ou non de cette dernière à une religion». Fin de la citation. Il faut souligner cependant que les politiques publiques s'appliquent dans un contexte où certains citoyens sont favorisés par rapport à d'autres en fonction notamment de leurs croyances. Dans ce qui suit, nous en mentionnons quelques exemples.

Commençons par illustrer l'idée de privilège au moyen d'un exercice comparatif entre deux Québécois : l'un, catholique; et l'autre, musulman. Imaginons que je sois Québécoise de confession chrétienne catholique. Je n'ai pas à demander des accommodements au travail ni à l'école, puisque l'horaire est déjà fait pour m'accommoder. J'ai congé pour fêter le Vendredi saint ou le lundi de Pâques, pour fêter l'Action de grâces, pour fêter Noël et pour aller à la messe le dimanche. Étant donné que la seule matinée où le stationnement est gratuit est le dimanche, mon privilège va jusqu'à me permettre de me garer gratuitement aux heures de la messe. Mon lieu de culte existe depuis un siècle ou plus, il est accessible, il est reconnu, comme tel, et donc est exempté d'impôt. Ces privilèges sont le résultat d'une histoire qui est la nôtre. Donc, il n'est pas question ici de remettre en cause ces facilités, mais plutôt d'en être conscients. Elles existent.

Maintenant, imaginons que je sois Québécoise de confession musulmane. Je n'ai pas de congé le jour de mes fêtes religieuses, je travaille à l'heure de la prière du vendredi, je n'ai pas de stationnement gratuit pour aller prier. Si je suis Québécoise musulmane, je suis peut-être en train de me démener pour obtenir de ma municipalité une autorisation de lieu de culte à un endroit accessible. Si je suis Québécoise musulmane et que j'habite Terrebonne ou Mascouche, je n'aurai tout simplement jamais de lieu de culte, puisque ces deux villes n'acceptent plus d'autre lieu de culte que ceux qui existent déjà et que les lieux de culte déjà existants sont tous des églises.

On peut continuer cette énumération, la liste paraît sans fin. Donc, si je porte un foulard, les risques de me faire agresser dans la rue sont plus élevés que si je n'en porte pas. De fait, je n'ai même pas besoin d'être pratiquante pour être pénalisée, il suffit d'avoir un nom qui sonne musulman, car, si je le remplaçais par un nom canadien-français, j'aurais 60 % de plus de chances d'être appelée à une entrevue d'embauche et 40 % de plus de chances d'être appelée à visiter un appartement à louer, et ainsi de suite.

En somme, il apparaît donc évident que certains Québécois et certaines Québécoises sont privilégiés de par leur religion alors que d'autres sont pénalisés de par leur religion réelle ou présumée. Nous disposons de plusieurs outils pour corriger ces inégalités. Nous en citerons deux des plus importantes : la première étant les accommodements raisonnables, et la seconde, la lutte contre le racisme systémique.

Donc, nous allons passer à présent aux recommandations d'AMAL-Québec.

• (10 h 40) •

M. Bouazzi (Haroun) : Recommandation 1. Plutôt que d'éviter le mot «laïcité», nous pensons qu'il faut le revendiquer et surtout en rappeler constamment la définition afin de pouvoir en faire l'outil du vivre-ensemble et du respect mutuel.

Recommandation 2. Nous pensons qu'étendre le concept de neutralité au palier municipal...

Recommandation 3 : retirer l'article 9.

Recommandation 4. Sur la question des accommodements, il est important de rappeler l'esprit dans lequel cet outil juridique devrait être compris. Ce n'est pas une faveur qu'on octroie à une Québécoise ou à un Québécois, mais bien un droit pour corriger une inégalité.

Recommandation 5 : ne pas traiter les accommodements religieux comme des accommodements à part.

Recommandation 6. Nous pensons que le point 10.2° devrait être retiré, puisque la charte québécoise, qui a un statut semi-constitutionnel, protège déjà de toutes les discriminations définies par l'article 10.

Enfin, la recommandation 7. À l'instar de la Direction générale de l'action contre le racisme en Ontario, nous proposons la création d'un conseil de lutte contre le racisme. Ce conseil serait en charge, entre autres, d'éliminer le racisme systémique au sein des institutions gérées ou réglementées par le gouvernement du Québec, de documenter et illustrer les conditions de vie des personnes racisées au Québec par des études et des recherches ou de transmettre des avis au gouvernement en se prononçant sur les projets de loi, des politiques ou des actions qui présentent des enjeux en ce qui concerne les droits des personnes racisées à l'égalité.

En conclusion, nous espérons que le débat va être clos une fois une fois pour toutes et nous croyons que cela ne sera pas possible si on s'attaque seulement à un problème de perception comme décrit dans le rapport Bouchard-Taylor ni si on se limite à la neutralité. Nous pensons qu'il faut intervenir de manière concrète en tant qu'acteurs pour l'égalité, car le vivre-ensemble n'a de sens que dans l'égalité. Merci.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup. Vous avez tapé le 10 minutes pile, alors je vous félicite. Ce n'est pas toujours facile à faire lorsqu'on vient présenter un mémoire, pour l'avoir déjà fait, mais pour tous les groupes aussi. Alors, je vous en félicite et je vous remercie pour votre exposé.

On débute la période d'échange avec Mme la ministre et députée de Gatineau. À vous la parole.

Mme Vallée : Merci beaucoup. Merci de votre présentation.

Je vais prendre quelques secondes pour saluer les juristes de l'État — je ne savais pas qu'il s'agissait de ce groupe qui était présent — alors, des gens qui travaillent fort pour chacun d'entre nous et plus particulièrement au ministère de la Justice. D'ailleurs, j'ai eu la chance de souligner la semaine dernière que certains avaient contribué à la rédaction du projet de loi qui était devant nous. Et donc je me suis un petit peu insurgée lorsqu'on prétendait que le projet de loi était une bouillabaisse, parce qu'il y a des gens extrêmement compétents qui ont mis leurs connaissances au profit de la rédaction du projet de loi. Alors, je voulais simplement le souligner. Je ne veux pas entrer dans les pourparlers puis dans les motifs qui amènent la présence des gens ici, mais je tenais à les saluer. Si je ne l'avais pas fait, c'est tout simplement parce que je ne savais pas qui étaient les gens que l'on voyait dans la salle.

M. Bouazzi, je vous remercie. Je vais vous dire, vous illustrez à quel point ce dossier-là amène des enjeux d'interprétation qui sont complexes, parce que juste avant vous Mme Benhabib avait une définition de la laïcité qui m'apparaît un peu différente de votre approche de la laïcité. Alors, j'aimerais vous entendre, puisque tout à l'heure on a eu une définition de la laïcité qui était souhaitée par Mme Benhabib et vous souhaitez, vous, de votre côté, que le concept de laïcité soit repris, mais je comprends que vous avez une approche qui est tout autre. Vous souhaitez aussi, ce faisant, vous assurer que la différence de chacun et la liberté de religion seront également respectées à travers tout ça. Alors, j'aimerais vous entendre davantage.

Le Président (M. Merlini) : M. Bouazzi.

M. Bouazzi (Haroun) : Merci beaucoup. Bien, pour nous, la laïcité, c'est trois concepts qu'on pense tous les trois fondamentaux.

Le premier, et on n'en parle jamais assez, c'est la liberté de conscience, hein, la liberté de changer de religion, d'être athée, d'être agnostique, d'être sataniste si on veut, et l'État laïque n'est pas là pour tolérer, mais il est là pour protéger la liberté de conscience. Évidemment, la liberté de conscience a des limites. Donc, par exemple, une limite, c'est la liberté des autres. Donc, si, par exemple, ma liberté de conscience me permet d'enlever des droits fondamentaux à d'autres citoyens, ce n'est pas une liberté de conscience que l'État protège. Une autre limite, c'est la sécurité publique, etc. Donc, il y a des limites qui sont des limites objectives, si on veut.

Le deuxième concept est le concept de neutralité de l'État. Donc, un État neutre est, avant tout, neutre à travers ses politiques, à travers ses lois, et ça veut dire qu'il ne favorise pas ou ne défavorise pas les citoyens en fonction de leur religion. Ça aussi, c'est un concept très noble, hein? On est très heureux que l'État ne favorise pas ou ne défavorise pas les gens en fonction de leur religion. Il y a un point de désaccord, et je rentrerai dans les détails, par exemple, avec plusieurs conceptions de qu'est-ce que c'est que la neutralité. Vous parlez de compréhension. Il y a une compréhension qui dit : Bien, nous, on veut qu'il y ait apparence de neutralité, que la neutralité n'est pas juste dans les actes des fonctionnaires, mais aussi dans leur apparence, et donc on voudrait, pour dire les choses clairement, interdire toutes les personnes portant une kippa et toutes les femmes qui portent un foulard de travailler dans la fonction publique. Dans les faits, quand on prend ce genre de décision, par définition, on va pénaliser les Juifs qui ont décidé de mettre une kippa ou les musulmanes qui ont décidé de mettre un foulard. Donc, pour arriver à l'apparence de neutralité, l'État n'est plus neutre, puisqu'il défavorise des gens en fonction de leurs croyances. Et nous, on ne préfère pas une laïcité d'apparence, on préfère une véritable laïcité qui répond à cet objectif noble qui est de ne pas favoriser ou défavoriser les gens en fonction de leurs croyances.

Le troisième concept, c'est la séparation des institutions religieuses et des institutions de l'État. Et ça, c'est un point très important. Le Québec a fait d'énormes avancées pendant la Révolution tranquille, évidemment. Et ça, ça veut dire quoi? Ça veut dire que, d'un côté, les institutions religieuses n'instrumentalisent pas l'État à leurs propres fins et, de l'autre côté, l'État n'instrumentalise pas les institutions religieuses à leurs propres fins.

Le Président (M. Merlini) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Et c'est là qu'il est intéressant, parce que c'est toute la question du port du signe religieux qui est affecté par la conception et par l'interprétation de la laïcité que chacun peut avoir.

Alors, pour vous, la laïcité peut très bien s'exprimer dans un contexte où il n'y a pas d'interdiction de port de signes religieux de la part de ceux et celles qui oeuvrent au sein de l'État, par exemple.

M. Bouazzi (Haroun) : Absolument, absolument. Je voudrais rajouter un point sur cette question-là particulièrement. On part du principe qu'un fonctionnaire doit servir... dans ses services, il doit être neutre. C'est-à-dire que ce qu'on attend d'un enseignant, qu'il porte un foulard ou pas ou une kippa ou pas, c'est qu'il ne nous parle pas d'«intelligent design» ou je ne sais pas quelle chose, là, qu'il nous parle de Darwin. S'il n'est pas prêt à nous parler de Darwin, bien, il perd sa job, là, parce que ce n'est pas correct d'utiliser ses croyances, si c'est ça, ses croyances, pour infliger ça à nos élèves québécois. Maintenant, s'il ne porte pas de foulard et pas de kippa et qu'il décide de ne pas parler de Darwin, on le met à la porte pareil, là. Ce n'est pas une question de foulard.

Si on arrive à un système où la laïcité met à la porte un médecin... La personne avant moi a milité très, très fort pour pouvoir, entre autres, mettre à la porte un médecin parce qu'il a une kippa sur la tête, mais nous, on pense que cette laïcité-là est tout à fait inacceptable. C'est juste inimaginable qu'on prenne quelqu'un de compétent, on lui demande de nous parler français, on lui demande d'avoir les bons diplômes, on lui demande de bien traiter les citoyens... Et, s'il fait tout ça et qu'on arrive et qu'on lui dit : Sous prétexte que vous avez une kippa sur la tête, on vous met à la porte, pour nous, c'est juste inacceptable. Ce n'est même pas une laïcité qui est imaginable. C'est une laïcité qui est illégale, d'un côté, et elle est immorale, de l'autre. On s'attend à ce qu'on ait un comportement moral envers les gens et qu'on les juge sur leurs actions et non pas sur leur apparence ou si ce qu'on pense que... etc. Je veux dire, ça ne s'arrête pas.

Le Président (M. Merlini) : Mme la ministre.

• (10 h 50) •

Mme Vallée : Vous recommandez de retirer du projet de loi les dispositions concernant la prestation de services à visage découvert. Est-ce que vous ne croyez pas qu'il est important dans l'espace public que les gens puissent se reconnaître, s'identifier, se reconnaître pour se connaître ou se connaître pour se reconnaître, comme certains diront?

Mais aussi est-ce que vous ne croyez pas que le visage découvert est important dans la communication, dans l'échange? Je vous regarde, vous hochez de la tête, je vois que vous me regardez, vous ne regardez pas à côté. Notre communication est plus fluide. Est-ce que vous ne croyez pas qu'il peut être important de bien cibler ce principe de la communication surtout lorsqu'il est question de prestation de services et que le visage devient une... et fait partie de l'expression? Et donc il s'agit là d'un principe du vivre-ensemble qui est tout à fait sain et qui vise une meilleure communication entre ceux et celles qui interagissent ensemble.

Le Président (M. Merlini) : M. Bouazzi.

M. Bouazzi (Haroun) : Absolument. On est tout à fait d'accord avec le fait que, partout où il y a interaction avec les citoyens, cette interaction demande effectivement une communication saine, facilitée, etc., et que la vision du visage facilite ça. On peut très bien comprendre qu'il y a énormément de corps de métier, d'ailleurs, pas juste dans le public, dans le privé aussi qui puissent interdire le fait qu'on se cache le visage.

Bon. Maintenant, l'idée que, sous prétexte que ça, c'est vrai, on va interdire, sur l'ensemble des dizaines de milliers, voire des centaines de milliers de postes à la fonction publique... alors que, personnellement, une fois sur deux que je parle à un fonctionnaire, c'est au téléphone, là, moi, je n'ai pas besoin de savoir que cette personne-là a le visage couvert ou découvert.

Bon. Ça, c'est d'un côté. De l'autre côté, c'est un problème théorique. Aujourd'hui, il y a zéro fonctionnaire... Donc, on est en train de légiférer sur un problème théorique. Or, étant donné qu'il est plutôt facile de prouver que le problème n'est ni réel, puisqu'il n'existe pas, ni urgent et qu'on va se retrouver à enlever des droits fondamentaux à des personnes, on est dans la théorie. Mais, dans la théorie, on se retrouve à transgresser un principe fort, un principe fort de la nation québécoise et de la citoyenneté québécoise tel que défini par les personnes il y a 40 ans aujourd'hui à travers la charte des droits et libertés québécoise et on pense que ce n'est pas correct d'ouvrir cette porte-là, même si ça ne va toucher personne, dans les faits, parce que ça ne touche personne.

Le Président (M. Merlini) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Vous revenez également sur la question des accommodements. Des gens qui vous ont précédés au cours des dernières semaines nous reprochaient de codifier la jurisprudence actuelle, disant que les accommodements étaient un passage vers l'intégrisme religieux. J'aimerais vous entendre sur ce commentaire que nous avons entendu récemment.

Le Président (M. Merlini) : M. Bouazzi.

M. Bouazzi (Haroun) : Bien, écoutez, c'est difficile de répondre à des avis comme ça. Nous, on aime bien les avis. On préfère les avis documentés.

Bon. Je ne pense pas qu'il y a aucune documentation sérieuse au Québec qui dit qu'il y a un rapport entre les demandes d'accommodement raisonnable et l'intégrisme pour voir ce que ça veut dire pour ces gens-là. Est-ce que c'est le fait d'aller combattre en Syrie? Est-ce que c'est des guerres civiles qui se sont passées en Algérie? Bon, ça ne se base pas sur grand-chose. Nous, ce qu'on sait, c'est que les accommodements raisonnables, aujourd'hui, c'est un outil pour atteindre l'égalité, ce n'est pas pour... Deuxièmement, il y a même des gens, je sais, qui ont dit que les accommodements étaient utilisés pour imposer la charia au Québec, etc. Bon, moi, je demande que ces personnes-là nous donnent un seul cas, un cas où on a imposé des règles religieuses basées sur un fantasme de ce que représenterait la charia avec tout ce que ça porte comme poids, hein? Bon, on dit tout de suite... dans la population québécoise, et à travers ce qu'on peut voir à la télé, etc., on pense aux décapitations, aux coups de fouet en Arabie saoudite, au foulard obligatoire en Iran. Je veux dire, c'est une connotation évidemment très négative.

La réalité est plus complexe, mais le problème n'est pas là de toute façon. Je veux dire, dans les faits, il n'y a aucune décision de justice, d'accommodement aujourd'hui qui impose la charia au détriment des droits fondamentaux des Québécoises et des Québécois. Aujourd'hui, c'est très important de comprendre que c'est des outils qui nous permettent d'obtenir une véritable égalité entre citoyens sur la base de quelque chose de discriminatoire qui est défini, donc l'orientation sexuelle, le sexe, la religion. Je veux dire, on a du mal à comprendre cette agressivité envers cela.

Je rajouterai les chiffres. On a regardé les chiffres avant de venir ici. Donc, quand même, un accommodement raisonnable, tel que défini, c'est une décision de justice. Donc, on se retrouve à avoir 3 582 plaintes entre 2009 et 2013 à la commission des droits de la personne et de la jeunesse, dont 35, donc 0,69 % des plaintes, qui sont pour des questions d'accommodements religieux. On s'entend que, s'il y a une invasion de l'islamisme international à travers les accommodements religieux, c'est plutôt raté comme stratégie.

Le Président (M. Merlini) : Mme la ministre.

Mme Vallée : La semaine dernière, en fait, on entendait la Fédération des commissions scolaires nous dire qu'il y avait plusieurs demandes, et on verra la commission scolaire de Montréal un petit peu tard aujourd'hui, mais il semble y avoir plusieurs solutions. Alors, ce qui pourrait expliquer le faible nombre de demandes qui se retrouvent devant la commission, c'est que les parties en arrivent à des solutions de compromis, à la satisfaction de tout le monde.

Alors donc, il ne semble pas y avoir, et là je vous rejoins, une montée qui soit terrible, en ce sens qu'il y a des demandes, les demandes existent, mais il y a aussi cette solution de compromis qui est trouvée et qui amène les parties à passer à autre chose et à continuer leurs activités respectives, je crois.

Le Président (M. Merlini) : M. Bouazzi.

M. Bouazzi (Haroun) : Oui. Alors, les accommodements, c'est des questions au cas par cas entre deux parties, que ce soit dans le privé ou dans le public. Je veux dire, n'importe qui qui y est allé, qui travaille sait très bien qu'il y a une tonne d'accommodements qui sont faits de manière journalière, qu'il y a des personnes qui se marient, des personnes qui déménagent, des personnes qui sont malades, des personnes qui ont besoin de prendre le vendredi après-midi et des personnes... Je veux dire, il y a 1 000 manières de trouver des arrangements entre deux parties qui font en sorte que tout le monde est satisfait, et c'est le quotidien des êtres humains en général.

Maintenant, je tiens à dire quand même qu'il y a un certain nombre... Je veux dire, comment on en est arrivés ici, hein? Le rapport Bouchard-Taylor nous dit qu'il y a un problème de perception. Il y a un problème, mais ce n'est pas la crise des accommodements raisonnables, c'est la crise de perception par rapport aux accommodements raisonnables. Et on en est arrivés ici pour des cas qui ont été médiatisés, qui ne sont pas des décisions de justice. Donc, on a beau légiférer comme on veut... Ou il y a une communauté religieuse qui ne voulait pas voir des gens faire du sport de l'autre côté d'une fenêtre qui est allée voir le YMCA en face pour lui dire : Voilà, je te donne la peinture — je ne sais plus les détails, là — est-ce que vous voulez bien peindre vos fenêtres? Et la personne a dit : Super, quelle bonne idée! je vais peindre mes fenêtres. Bon, dans les faits, si quelqu'un demande quelque chose de pas raisonnable et, de l'autre côté, quelqu'un dit : Super, quelle bonne idée! je vais faire quelque chose qui n'est pas raisonnable, et que ça fait la une d'un journal à gros tirage à Montréal, ça ne fait pas en sorte qu'on est en train de régler ce problème-là. Et demain, après-demain, dans un an, dans deux ans, toujours, s'il y a un groupe qui décide que c'est une bonne idée de peindre les fenêtres de son voisin, il y a un groupe qui décide que c'est une bonne idée de peindre ses propres fenêtres, bien, on va se retrouver avec le même problème qu'on n'aura jamais résolu.

Il y en a d'autres, hein? La question de la cabane à sucre, c'est le même problème. Ce n'est pas des décisions de justice. Et donc ils ne sont jamais passés à travers des questions de juge. Et on n'est pas en train de régler ces problèmes-là, on est en train de régler un problème et, on le sait tous aujourd'hui autour de la table, un problème social qui a été instrumentalisé politiquement pendant très longtemps. On espère vraiment pouvoir passer à autre chose et surtout se concentrer non pas sur l'accommodement, mais sur pour quoi il existe, qui est le droit à l'égalité, et mettre beaucoup plus de politiques publiques et non pas de lois, mais de politiques publiques pour pouvoir atteindre l'égalité pour tous les Québécois, quels que soient leur religion, leur couleur, leur orientation sexuelle ou leur handicap.

Le Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, M. Bouazzi. Ça met un terme à cet échange avec la ministre. Maintenant, à l'opposition officielle, Mme la députée de Taschereau, pour votre bloc d'échange avec nos invités.

• (11 heures) •

Mme Maltais : Merci beaucoup, M. le Président. M. Bouazzi, de l'AMAL, madame, monsieur qui l'accompagnez, bienvenue à cette commission parlementaire.

D'abord, j'apprécie que vous veniez appuyer deux concepts qui, pour nous, sont intéressants, d'abord le fait d'inscrire la laïcité en quelque part dans nos lois québécoises. C'est un concept qui est reconnu maintenant, cette séparation entre l'Église et les religions, entre l'État... pas l'Église et les religions, parce qu'on dit «l'Église» avant, entre les religions et l'État. Je pense que, même si on peut débattre ensuite du résultat, de quel type de laïcité... moi, je ne crois pas qu'il y ait des laïcités ouvertes ni rigides, il y a la laïcité fondée sur certains des préceptes que vous avez nommés, qui sont précis, là, très bien. Le fait aussi d'inclure les municipalités : quelques personnes sont venues nous dire qu'il serait important que les municipalités soient incluses dans cette loi. C'est une des remarques qu'on a faites. J'étais curieuse de voir quelle opinion vous auriez, effectivement. Les demandes d'accommodement, nous dit la Fédération des commissions scolaires, qui est venue ici... du Québec, c'était 500 par année seulement à la CSDM. Alors, on verra cet après-midi avec la CSDM quels types d'accommodement sont demandés, mais c'est effectivement 500 par année, c'est beaucoup.

Maintenant, j'ai quand même été étonnée que vous disiez que la charia est un concept qui semble très loin de nous. L'Assemblée nationale a été obligée d'adopter une motion pour dire que la charia ne passerait pas au Québec, et l'Ontario ensuite a rétrogradé parce qu'elle s'en allait adopter ce mode de jugement. Et je pense que ce mouvement-là a été très important. Donc, il y a des moments où le Québec se lève. Il doit, à mon avis, et je pense que vous touchez un bon point, se lever contre le racisme.

Mais il y a une seule chose qui m'a étonnée, c'est que vous avez l'air de faire un amalgame entre tête de musulman et immigrant ou personne d'une autre couleur de peau. C'est-à-dire que moi, je n'ai jamais pensé que le racisme touchait seulement les musulmans. Les Haïtiens ont des problèmes. Les Jamaïcains ont des problèmes. Le fondamental, c'est l'accès à l'emploi dans les milieux de travail pour les gens qui ont un nom à consonance étrangère ou qui ont une autre couleur de peau. Et ça, je ne suis pas gênée de le dire, c'est dans le monde du travail qu'il y a un problème.

J'ai été étonnée de votre amalgame. Vous dites : «...il suffit d'avoir un nom qui "sonne musulman".» Or, je vais vous dire, là, honnêtement, j'ai été étonnée, parce que c'est comme si ça faisait le jeu des gens qui parlent des musulmans, quand on parle d'une grande communauté large, qu'il y a des personnes qui ont une autre couleur de peau ou les personnes de la communauté maghrébine, de la communauté arabe. Pourquoi vous avez ciblé ça? Ça m'a étonnée.

M. Bouazzi (Haroun) : Alors, il n'y a aucun amalgame dans ce qu'on a dit. Si vous voulez, je pourrai vous parler des concepts de la charia, si vous voulez, après.

Bon, sur les questions du racisme, évidemment, c'est plus large, et vous constaterez que, toute la partie, pour nous, de lutte contre le racisme systémique, le mot musulman n'a été mis nulle part, hein? Il y a toute une section au complet. Nous faisons partie d'une coalition qui a demandé une commission sur le racisme systémique en compagnie d'autres associations militantes contre le racisme, qu'elles soient noires, qu'elles soient autochtones ou d'autres groupes racisés. Donc, pour nous, c'est important effectivement de placer l'islamophobie dans un cadre plus large qu'est le cadre du racisme, étant donné qu'on est capables de racialiser des groupes sur la base de couleur, entre autres, sur la base des origines, sur la base de la religion, et les exemples en sont nombreux.

Maintenant, je veux dire, les recherches prouvent que le nom de famille en soi pénalise une personne pour arriver à un poste de travail. Bon, alors...

Mme Maltais : ...c'est parce que j'ai seulement neuf minutes pour jaser.

M. Bouazzi (Haroun) : Allez-y.

Mme Maltais : C'est parce que j'ai dit être d'accord avec vous sur le fait que, dans le monde du travail, il y a un certain racisme pernicieux, je ne vais pas jusqu'à systémique, je ne pense pas, mais qui s'exerce, mais, je disais, écoutez, il s'exerce sur plusieurs personnes.

L'autre chose, je serais curieuse de savoir : Le niqab, la burqa, ce qu'on cible quand on parle de visage découvert, est-ce que ce sont, pour vous, des vêtements d'asservissement de la femme?

Le Président (M. Merlini) : M. Bouazzi.

M. Bouazzi (Haroun) : De l'asservissement de la femme?

Mme Maltais : Oui.

M. Bouazzi (Haroun) : Alors, c'est très intéressant que vous me posiez la question. Nous, on n'a pas d'avis à avoir sur l'asservissement ou pas. Nous, on pense que d'abord les femmes sont capables de faire des choix. Donc, ce qui est important pour nous, c'est de protéger le droit de la femme à choisir. S'il y a quelqu'un qui impose une burqa à quelqu'un, on sera les premiers, on sera les premiers à se lever contre ces personnes-là.

Par contre, s'il y a une femme qui décide d'être maître de son corps, qu'elle veuille aller avorter, qu'elle veuille se cacher le visage, qu'elle veuille faire ce qu'elle veut, nous, on va soutenir ces femmes-là dans leur libre arbitre tant et aussi longtemps qu'elles n'atteignent pas la liberté des autres. Vous comprenez? Nous, on essaie d'être neutres, hein, on essaie d'être laïques dans notre approche.

Mme Maltais : Mais ce n'est pas être neutre.

M. Bouazzi (Haroun) : Pardon?

Mme Maltais : Dans ce combat-là de l'égalité des hommes et des femmes, ce n'est pas être neutre que d'accepter qu'une femme au Québec puisse porter une burqa sans dire, à tout le moins : Ce vêtement est un symbole d'asservissement entre les hommes et les femmes. On peut dire : Je ne veux pas qu'on légifère. Ça, c'est autre chose. Mais ne pas dire que ce vêtement est un symbole d'asservissement, c'est là où la... Je vous dirais, c'est là où la société québécoise pourtant fait à peu près consensus.

Le débat, il est sur : Est-ce qu'on l'interdit ou pas, et seulement dans la fonction publique en plus, pour les services qui sont donnés ou rendus? Mais vous n'êtes même pas prêts à aller jusqu'à dire que ce vêtement est un symbole d'asservissement à un endroit où on se rejoindrait pour ensuite partir ensemble vers les solutions. Mais, à tout le moins, cette phrase-là, je l'attendais de vous.

Le Président (M. Merlini) : M. Bouazzi.

M. Bouazzi (Haroun) : Combien il reste...

Le Président (M. Merlini) : Il vous reste 2 min 45 s.

Mme Maltais : Il me reste 2 min 30 s.

M. Bouazzi (Haroun) : O.K. Deux choses. D'abord, moi, je voudrais qu'on se rejoigne sur le fait qu'une femme est capable de faire un libre choix, c'est là où on doit se rejoindre, et puis ensuite on pourra parler d'autre chose, mais, si vous n'êtes pas capable de nous dire qu'une femme est capable d'être libre de ses choix, c'est sûr qu'on n'ira pas beaucoup plus loin.

Maintenant, je vais vous dire, nous, on n'a pas d'avis ni sur la minijupe, ni sur le bikini, ni sur le burkini, ça ne nous intéresse pas, là. On pense que les gens sont capables... mais par contre on pense que n'importe quel citoyen a le droit de décider qu'une burqa, un foulard, une kippa, «whatever» — excusez-moi — bon, est en soi quelque chose de négatif. Là où ça ne marche plus, c'est quand il est sur la tête de quelqu'un, qu'on n'est pas capable de prendre la personne comme citoyen à part entière.

Je vais vous raconter une anecdote. Un jour, ma fille rentre dans la salle de bains et elle trouve ma blonde en train de s'épiler. Elle sort de là, effrayée : Papa, qu'est-ce qui se passe dans la salle de bains? Et là j'ai réfléchi. Je me suis dit : C'est incroyable. Une atteinte à l'intégrité physique des femmes basée sur une pression sociale, parce qu'on n'est pas capable de ne pas s'épiler. Hein, Manon Massé en a fait la preuve, elle a gardé ses moustaches, ça fait la une des journaux. Bon.

Mme Maltais : ...

M. Bouazzi (Haroun) : Oui.

Mme Maltais : ...je ne m'épile pas.

M. Bouazzi (Haroun) : Donc, je vais vous dire, on en arrive à une situation où il y a une pression sociale pour que les femmes s'épilent.

Moi, j'ai réfléchi, je me suis dit : O.K., en fin de compte, c'est qui qui est imberbe? C'est une femme qui n'est même pas arrivée à la puberté. Donc, on a une pression sociale, et ça, c'est mon interprétation, pour pouvoir obliger les femmes à ressembler à des gens imberbes, donc, pour faire plaisir à quelque chose d'immonde chez l'être humain, qui est la pédophilie. C'est mon interprétation de l'épilation. Quand je rencontre une femme qui s'épile, là, je ne me dis pas : Ah! bien, tiens! elle est d'accord avec la pédophilie. Non. Elle peut être féministe, elle peut être soumise, elle peut être intelligente, elle peut ne pas l'être, elle peut être au chômage ou ingénieure. C'est sur la base de ce qu'elle fait, de ce qu'elle dit que je vais la juger et non pas sur la base de mon interprétation de qu'est-ce que représente quelque chose qu'elle fait, là. Donc, ce serait important que pour les signes religieux on en arrive à revenir à la citoyenneté réelle des gens.

Bon. Maintenant, la burqa, ce n'est pas un problème de société, parce qu'il n'y en a pas. On peut toujours en parler vraiment longtemps. Il n'y en a pas. C'est sûr que personnellement, à titre personnel, quand je parle à quelqu'un et que je ne vois pas son visage, ça me gêne, c'est évident. Personnellement, ce qui me gêne encore plus, c'est qu'on puisse imposer des choix aux femmes, que ce soit de leur imposer d'enlever des choses ou de les mettre.

Mme Maltais : Vous ne croyez pas que... O.K., donc vous n'êtes pas d'accord avec l'idée que c'est un choix qui est imposé à la femme au fil d'une longue tradition culturelle ou au fil d'une pression religieuse. Donc, vous dites : C'est véritablement un choix personnel que de se mettre une burqa sur la tête.

M. Bouazzi (Haroun) : Pendant deux secondes, j'ai cru que vous parliez de l'épilation. Je pense que c'est important que le libre choix soit reconnu aux femmes, et c'est important de comprendre que notre rôle à nous, c'est que, si quelqu'un veut leur imposer quelque chose, ce n'est pas de les paternaliser en leur disant : Moi, je vais t'arracher ce voile sur la tête, c'est de trouver une situation où elles sont capables... de leur libre choix.

Maintenant, on prend des choix. Quand on interdit des choses, on prend des choix. Si on considère que ces femmes-là doivent s'émanciper de leurs maris, doivent s'émanciper de leurs communautés — et là on est dans la théorie, encore une fois, parce que c'est un problème qui n'existe pas, hein, mais imaginons — à ce moment-là, on se retrouve dans une situation où on va empêcher ces femmes-là d'avoir l'autonomie financière, parce qu'on se dit : Ce n'est pas une bonne idée qu'elles travaillent pour la fonction publique. Ayant dit ça, encore une fois, il y a zéro cas... et donc on est en train de régler un problème qui n'existe pas en transgressant quelque chose qui existe, qui est notre charte des droits et libertés québécoise, qui a été adoptée à l'unanimité avant même le Canada et donc, j'espère, est un pacte citoyen dont on est tous fiers.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. Bouazzi. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Oui. Merci, M. le Président. Madame, messieurs, bonjour. Merci pour le mémoire.

J'ai pris des notes de votre mémoire et je sens quelque chose dont on n'a pas encore parlé, mais j'aimerais vous entendre. J'ai pris des notes. Puis vous avez commencé en disant : C'est un débat qui dure depuis 10 ans. Vous avez tout à fait raison. Vous avez dit des mots, et c'est écrit : Exaspérée, débat interminable, la population est lassée par les prolongements sans fin de ces discussions, et vous parlez de lassitude et d'accablement, d'être toujours instrumentalisés. Je comprends très bien ce que vous dites, là, c'est long, 10 ans, et il y a des choses très exactes dans ce que vous dites. Et vous dites ouvertement, et je vais le lire : «Dans ce contexte, il serait important que la nouvelle loi puisse clore définitivement le débat.»

Je sens, dans la façon dont c'est rédigé, ce que vous nous dites, de l'exaspération mais aussi du dépit : Est-ce qu'on peut en finir?, puis adoptons-la. Est-ce que c'est ça ou est-ce que je me trompe? Et, à la lumière des amendements que vous demandez, ce n'est pas la loi parfaite que vous auriez aimée et peut-être que ce n'est même pas une loi que vous aimeriez. Alors, parlez-m'en, de ce sentiment de dépit.

• (11 h 10) •

M. Bouazzi (Haroun) : Alors, évidemment, ça fait neuf ans, hein, qu'on a démarré ce débat avec ce qui a été appelé la crise des accommodements raisonnables.

Bon. Il y a eu plein de rapports, des commissions, des projets de loi, etc. Nous, ce qu'on pense, c'est qu'il faut réussir à fermer ce débat-là et essayer de régler les vrais problèmes de société. Bon, c'est important qu'on affirme les questions de laïcité. La neutralité est un point fondamental. Les autres points sont dans les chartes, hein? La liberté de conscience, c'est l'article 3 de la charte, etc. Donc, ce n'est pas comme si... Maintenant, on préfère les lois utiles, et c'est pour ça que, dans notre mémoire, on a proposé d'abord la création d'un conseil sur les questions du racisme systémique comme ce qu'il y a déjà aujourd'hui en Ontario, parce qu'il faut élargir le sujet et puis parler des personnes qui souffrent aujourd'hui et qui sont jugées sur la base de leur couleur, qui sont jugées sur la base de leur religion, etc.

Ayant dit ça, effectivement, on voudrait vraiment passer à autre chose. Vous savez, à chaque fois qu'il y a un débat, nous, on le sait dans l'association... on a eu ça pendant le débat sur la charte, on a eu ça avant les... même les actes haineux, les personnes qui se font crier dessus, des mots dans le métro, etc., augmentent. Bon, il faudrait réussir à parler de choses constructives et pas juste à nous lever les uns contre les autres.

Mme Roy : Ma question était : Est-ce que c'est un peu le projet de loi que vous voudriez voir adopter par dépit?

M. Bouazzi (Haroun) : Non, ce n'est pas une question de dépit, on pense qu'il y a quelque chose de très important dans ce projet de loi, c'est la définition de la neutralité de l'État. On pense, c'est important que ce soit clair pour tout le monde, qu'un État neutre, c'est un État qui ne favorise pas ou ne défavorise pas les citoyens en fonction de leur religion.

Mme Roy : Parfait. Alors, je vous reprends là. Vous parlez aussi de laïcité. Est-ce que vous seriez d'accord pour voir inclure dans ce projet de loi le terme «laïcité»? Parce qu'il n'y apparaît pas non plus. Et vous en parlez de façon favorable, de la laïcité de l'État, qui se traduit par une neutralité. Mais d'abord, avant, faut-il l'inclure dans le projet de loi? C'est du moins ce que je crois.

Seriez-vous d'accord pour que nous incluions dans ce projet de loi les termes de «laïcité»?

M. Bouazzi (Haroun) : Oui. On pense que c'est un concept noble et important. Et une des raisons qu'on voudrait qu'il soit inclus, c'est que, malheureusement, il est instrumentalisé aujourd'hui par des gens qui veulent exclure... et on ne pense pas qu'un concept aussi noble devrait être laissé à des gens qui veulent absolument mettre à la porte des gens de leur travail sur la base de pas grand-chose.

Mme Roy : Vous dites que, ce projet de loi là, on devrait abroger l'article 9, abroger l'article 10.2°. Si on revient à l'article 9, c'est effectivement — vous en parliez avec la collègue de Taschereau — le visage découvert, services donnés et reçus à visage découvert. Vous avez un problème, disant que ça va justement pénaliser certaines personnes et que ça n'existe pas, donc on légifère pour quelque chose qui n'existe pas. Entre parenthèses, j'ajouterais que légiférer, c'est prévoir pour l'avenir aussi.

Cela dit, certains nous ont dit que l'article 9 faisait une chose à son premier alinéa et le défaisait au troisième alinéa, puisqu'on va dire : Mais on peut toujours demander un accommodement pour le permettre. Est-ce que vous avez cette lecture-là aussi ou vous ne l'avez pas du tout?

M. Bouazzi (Haroun) : Oui. Alors, comme dans n'importe quel corps de métier, on a le droit demander des accommodements, et puis la jurisprudence sera là pour protéger les personnes si on considère qu'elles ont le droit de le demander.

Nous, notre problème n'est pas là. Aujourd'hui, ce n'est pas parce qu'on pense que ça va pénaliser des gens. On pense que ça ne va pénaliser personne, parce qu'il n'y a personne aujourd'hui qui travaille dans la fonction publique... et vous avez beau prévoir, là, qu'il n'y en aura pas des milliers dans les prochaines années. Ayant dit ça, ce que ça ouvre la porte, c'est que, sur une base tout à fait théorique, on fait quelque chose de bien réel, c'est qu'on transgresse notre charte des droits et libertés québécoise pour régler un problème qui n'existe pas et qui n'est ni réel ni urgent. On aura du mal à expliquer devant une cour que c'est réel ou urgent. On pense que la Charte des droits et libertés, c'est un joyau qu'il faut absolument protéger et ce n'est pas un jouet électoraliste.

Sur le point 10.2°, sur la question d'égalité entre les hommes et les femmes, on trouve très étonnant qu'il n'y ait que celui-là. Nous, pour nous, c'est très important, l'égalité hommes-femmes, mais on a l'impression que c'est plus important que l'égalité entre les Blancs et les Noirs. Il serait temps que, partout où on met quelque chose, on mette : L'égalité entre les Blancs et les Noirs est importante aussi. C'est tout aussi important dans le cadre de notre...

Mme Roy : Et, dans la même lignée de pensée, vous nous dites, à la recommandation 5, et je suis un peu d'accord avec vous : «Ne pas traiter l'accommodement religieux comme un accommodement à part — parce que c'est ce que fait ce projet de loi là.»

Vous dites : «Les accommodements religieux font partie de l'ensemble des accommodements et devraient être traités comme tels. Si cette loi doit introduire de nouvelles balises, c'est à tous les accommodements qu'elles doivent s'appliquer.» Donc, vous aussi, vous voyez qu'il y a quelque chose d'un petit peu, comment dirais-je... je vais faire attention à mes termes, mais d'un petit peu surprenant de ne voir que le terme «accommodement religieux» inscrit dans cette loi-là.

M. Bouazzi (Haroun) : Alors, c'est effectivement surprenant pour vous. Moi, je vais donner une situation ridicule : bon, une femme arrive à l'hôpital et elle demande que son gynéco soit une femme, on va lui dire : Oui, mais sur quelle base? Si elle dit : Sur la base religieuse, on va dire : Ah! non, c'est contraire à l'article 10.2°, c'est contraire à l'égalité hommes-femmes, ça discrimine l'égalité hommes-femmes. Mais par contre, si elle dit : Non, ce n'est pas sur une base religieuse, on va dire : Ah! quelle bonne idée!

Évidemment, on respecte le fait qu'une femme choisisse le sexe de son gynécologue. Je pense que c'est ridicule. Il y a des accommodements qu'on doit faire sur une base plus large et pas juste sur la base religieuse. L'inégalité sur la base religieuse est au même niveau que l'inégalité sur la base de la couleur, des origines, de la langue, etc. C'est comme ça que c'est prévu. Et on voit mal pourquoi est-ce qu'ils auraient quelque chose de particulier qui les entoure, surtout que je rappelle que c'est 0,69 %, donc, des plaintes qui ont été faites à la commission sur les quatre dernières années.

Le Président (M. Ouellette) : Merci.

Mme Roy : Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Merci, M. Haroun Bouazzi, M. Xavier Daydé et Mme Marlyatou Touré-Dosso, représentants l'Association des musulmans et des Arabes pour la laïcité du Québec.

Je suspends quelques minutes. Je demande à la Fédération des médecins spécialistes de s'avancer.

(Suspension de la séance à 11 h 16)

(Reprise à 11 h 18)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant la Fédération des médecins spécialistes du Québec et la Dre Diane Francoeur. Vous allez nous présenter la personne qui vous accompagne. Vous allez avoir 10 minutes pour échanger avec les membres de la commission. Après, il y aura une période avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Dre Francoeur, à vous la parole.

Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ)

Mme Francoeur (Diane) : Merci. M. le Président, distingués membres de la commission. Alors, comme vous le savez, mon nom est Dre Diane Francoeur. Je suis présidente de la Fédération des médecins spécialistes et, par hasard, obstétricienne-gynécologue. Je suis accompagnée, aujourd'hui, de Mme Nicole Pelletier, qui est la directrice des affaires publiques et des communications à la fédération. Alors, au nom de la FMSQ, je vous remercie pour cette invitation à prendre part aux consultations particulières et aux auditions publiques sur le projet de loi n° 62.

Notre fédération regroupe plus de 10 000 médecins spécialistes oeuvrant dans l'une des 59 spécialités médicales. Au cours des dernières années, la FMSQ est intervenue à deux reprises sur des sujets similaires : sur le projet de loi n° 63, visant à réaffirmer l'égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que sur le projet n° 60, sur les valeurs de la laïcité et de la neutralité religieuse de l'État.

Aujourd'hui, il faut saluer la volonté du gouvernement d'embrasser la question de la neutralité religieuse de l'État et des demandes d'accommodements religieux afin de baliser cet aspect du vivre-ensemble. En 2008, on remarquait qu'une nouvelle forme de discrimination fondée sur des préceptes religieux donnait lieu à des demandes d'accommodement inacceptables dans certains centres hospitaliers de la métropole.

• (11 h 20) •

Or, les préceptes culturels et les considérations religieuses s'opposent au fondement même de la médecine et du Code de déontologie, qui régit la profession, notamment l'article 23, qui est très clair à cet égard. La FMSQ croit fermement que ces formes insidieuses de discrimination sont inacceptables, quels que soient la raison ou les motifs invoqués. Un médecin ne peut faire de discrimination à l'égard d'un patient. La réciproque doit dicter les comportements et les relations entre les personnes dans une société civile et laïque comme celle du Québec, a fortiori lorsqu'il est question de soins de santé. Malheureusement, ce projet de loi demeure muet sur cet aspect de la question, ce qui constitue, selon nous, une lacune que le législateur devra corriger.

Il ne saurait y avoir d'obligation unilatérale qui ne s'adresse qu'à une catégorie de personnes, et la recherche d'une forme d'équilibre est primordiale. À cet égard, il ne faudrait pas que le deuxième alinéa de l'article 4, qui prévoit qu'un membre du personnel d'un organisme public doit veiller à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l'appartenance ou non de cette dernière à une religion, vienne s'opposer à ce principe.

Par ailleurs, comme nous l'avions dit lors du projet de loi n° 60, la fédération tient à indiquer aux membres de cette commission et à l'ensemble des ses parlementaires qu'elle s'oppose vivement à l'adoption de ce qui est prévu à l'article 3, alinéa 7°, à l'effet que les médecins exerçant dans les établissements publics de santé sont des membres du personnel de ces dits établissements. Les médecins spécialistes sont des professionnels autonomes, et ce statut constitue le rempart qui garantit l'indépendance du médecin dans l'exercice de sa profession. Les médecins ne touchent pas un salaire. Ils ne sont ni à l'emploi des établissements, ni à l'emploi du gouvernement, ni à l'emploi de la Régie de l'assurance maladie du Québec. Cette indépendance professionnelle du médecin est fortement encadrée par les différentes lois qui régissent l'exercice de la profession médicale, le Code des professions, la Loi médicale, la Loi sur les services de santé et services sociaux, la Loi sur l'assurance maladie, la Loi sur l'assurance-hospitalisation et la Loi sur les laboratoires médicaux, des lois qui à leur tour sont accompagnées de nombreux règlements qui régissent aussi l'activité des médecins, dont le Code de déontologie.

Nous demandons donc de retirer de ce projet de loi toute référence qui est faite aux médecins. Les devoirs et les obligations prévus dans ce projet de loi s'appliquent déjà aux médecins en vertu des lois qui régissent l'exercice de leur profession sans qu'il ne soit nécessaire de les viser à nouveau cette fois-ci. De plus, les applications locales se font via les conseils des médecins, dentistes et pharmaciens dans chacun des établissements.

En ce qui a trait au devoir de neutralité tel qu'annoncé aux articles 4, 5, et 6, la fédération rappelle que les médecins sont déjà soumis à diverses règles et obligations déontologiques. Le milieu de travail qu'est un centre hospitalier impose déjà ses limites et ses contraintes en s'autorégulant. Que ce soit pour des raisons de sécurité, d'hygiène ou en raison de mesures visant à prévenir la propagation d'infections nosocomiales ou le développement de pathologies de nature virale, l'observance de ces règles vient passablement limiter le type de pièce de vêtement ou le type d'accessoire qu'une personne peut se permettre de porter dans un hôpital. En transgressant ces règles, une personne pourrait s'exposer à de sérieux préjudices pour sa propre sécurité, sa santé et celle d'autrui, et un tel comportement ne peut tout simplement pas être toléré.

Au surplus, vu le silence du projet de loi n° 62 au sujet du port des signes religieux, il faudrait s'assurer que le devoir de neutralité religieuse n'entraîne pas indirectement des interdictions à cet égard. La fédération est à nouveau d'avis que cette disposition du projet de loi n'a pas à s'appliquer aux médecins, puisqu'une telle obligation découle déjà des règles et obligations déontologiques auxquelles ils sont soumis. Il est inconcevable de penser qu'un médecin puisse dispenser des soins sans avoir le visage découvert.

Dans le contexte de la prestation des soins de santé, la question des accommodements doit être balisée et ne doit pas remettre en question l'organisation habituelle et normale des soins. Toute personne ayant recours aux services de santé peut et doit recevoir... sans exiger d'accommodement qui pourrait venir alourdir le processus de prestation de soins. Les patients qui, pour des motifs religieux, refusent les soins usuels, notamment en cas de chirurgie, devraient systématiquement être appelés à signer une déclaration qui devrait ensuite être consignée au sein du DSQ. Le CHU Sainte-Justine a mis au point ses propres outils pour éviter le traitement à la pièce de toutes sortes de demandes d'accommodement de nature à entraver la prestation des soins. Ces documents vous ont été déposés en annexe. On sait aussi qu'en physiatrie, par exemple, certaines patientes souhaitent conserver leur foulard, même lorsqu'il s'agit de subir une infiltration au niveau du cou. Il faut alors leur expliquer qu'il est impossible de procéder à l'intervention avec cette pièce de vêtement, et ce, évidemment, pour des raisons médicales.

Il faut nécessairement faire une distinction entre les demandes d'accommodement et l'instauration d'un modus operandi visant la mise en place et la gestion de tels accommodements. En effet, que des patients ou des membres de leurs familles demandent divers accommodements ne... pas signifie que ceux-ci pourront leur être accordés. Et, s'ils le sont, nous sommes d'avis qu'ils doivent en prendre l'entière responsabilité et signer un refus de traitement. Si le présent projet de loi ne peut avoir pour effet d'empêcher des patients de demander toutes sortes d'accommodements, il faut éviter qu'il entraîne une augmentation du nombre de demandes. De plus, si le gouvernement est d'avis que des demandes déraisonnables sont actuellement acceptées, il doit tout mettre en oeuvre pour éviter que de telles situations se produisent, et ce, afin que l'organisation et la prestation des soins restent optimales.

Dans les cas où les accommodements raisonnables demeurent possibles, la fédération insiste pour que ces démarches soient évaluées au cas par cas. Rappelons que les médecins disposent de certains outils pour s'acquitter de cette tâche. En effet, la Loi sur les services de santé et services sociaux prévoit des instances professionnelles dans chaque centre hospitalier, comme le conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, qui, avec leurs chefs de service et de département, a des fonctions et responsabilités qui lui sont propres. Des politiques peuvent donc être élaborées par les instances médicales afin de répondre à de telles demandes d'accommodement, et leurs conclusions pourraient être différentes de celles de l'établissement.

Un projet de loi ne peut comme par magie parvenir à faire changer les mentalités, les valeurs et les comportements des personnes. Il faut des actions concrètes à mettre en vigueur dans les établissements.

La FMSQ est prête à soutenir certaines mesures visant à encadrer, voire à limiter les demandes d'accommodement pour des motifs religieux. Les médecins ne sont pas des membres du personnel d'un organisme public. Si l'assujettissement des médecins ne peut tirer son origine du fait qu'ils incarnent l'État dans leurs rapports avec leurs patients, il semble que cet assujettissement découlerait plutôt du fait qu'ils exercent dans l'espace public. Or, il ne s'agit là d'une justification pas plus acceptable. La FMSQ demande donc avec insistance que les médecins soient soustraits à l'application de cette loi et que, par conséquent, le libellé actuel de ce projet de loi soit modifié par le retrait systématique des mots «un médecin» dans le septième alinéa de l'article 3. Et, dans l'éventualité où le gouvernement persistait à vouloir que les médecins soient visés par le projet, nous demandons que l'article 3 les exclue des membres du personnel et soit remplacé afin d'ajouter et prévoir ceci : Les devoirs et obligations prévus à la loi s'appliquent également à un médecin qui exerce sa profession dans un centre exploité par un établissement public visé au paragraphe 6° du premier alinéa de l'article 2.

Je vous remercie de l'attention que vous portez à nos commentaires et espère qu'ils seront pris en considération dans la pièce législative finale.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci beaucoup. Merci, Mme Francoeur. Donc, je vais aborder, d'entrée de jeu, le sujet que vous abordiez dans votre conclusion. Ce que je comprends de votre demande, ce n'est pas tant de soustraire complètement les médecins de l'application de la loi, mais votre préoccupation est surtout à l'égard du libellé actuel.

Mme Francoeur (Diane) : Tout à fait.

Mme Vallée : Donc, en fait, vous ne souhaitez pas être assimilés à des membres du personnel, compte tenu du statut des médecins, de la relation qui existe entre la prestation de services et les centres hospitaliers, entre les différents intervenants.

Donc, vous reconnaissez qu'il puisse y avoir un besoin d'encadrer le rôle du médecin, mais vous souhaitez simplement que ce soit présenté sous une autre forme.

Le Président (M. Ouellette) : Mme Francoeur.

Mme Francoeur (Diane) : Mme la ministre, vous avez tout à fait bien saisi l'enjeu, c'est que nous ne considérons pas que le projet de loi n° 62 devrait remettre en question l'autonomie professionnelle du médecin.

Cela dit, non seulement nous souhaitons que la pratique soit encadrée, nous souhaitons qu'elle soit clarifiée, parce que c'est un enjeu important dans le système de santé actuel, et nous voulons avoir des outils de travail pour les équipes sur place pour les aider à mieux répondre aux besoins mais surtout à limiter les demandes incessantes d'accommodement, qui ne sont pas toujours raisonnables.

• (11 h 30) •

Mme Vallée : Je suis curieuse de vous entendre davantage sur cette question-là, puisque nous avions aussi transmis des invitations à différents organismes, mais il y a le CUSM qui ne semblait pas avoir de problème, disait qu'ils avaient su faire des accommodements selon les principes annoncés à l'article 10, sans problématique, sans difficulté d'application.

Vous semblez dire qu'il existe, dans la pratique, dans le quotidien de vos membres, des réalités qui sont différentes et qui commanderaient de meilleures balises ou la mise en place de meilleures balises. Alors, j'aimerais vous entendre sur cette question-là.

Le Président (M. Ouellette) : Dre Francoeur.

Mme Francoeur (Diane) : Avec plaisir. Bien, écoutez, je suis en fonction depuis deux ans, mais j'ai rapidement compris que, lorsqu'on ne fait pas de représentations, il y a quelqu'un qui s'empresse de prendre les décisions à notre place.

Dans ma pratique d'obstétricienne-gynécologue, écoutez, je peux vous parler de plein d'exemples mais sans aller chercher très loin. On a eu une jeune mère qui est décédée, parce qu'elle était témoin de Jéhovah. Bon, ça a soulevé beaucoup de passion, beaucoup d'émotions dans les médias. Il faut que vous réalisiez, pour les équipes qui sont en place, comment c'est difficile, un événement comme ça. Ça va prendre des semaines, des mois et, pour certains, certaines, des années avant de se remettre d'un événement comme ça, parce qu'on n'a pas nécessairement l'habitude, on ne pense pas qu'on va être confronté à un événement comme ça.

Bon. Évidemment, nous, à Sainte-Justine — ce n'est pas pour rien qu'on est le CHU mère-enfant du Québec, là — quand j'étais chef du département, il y a plusieurs années, on avait mis des outils de travail en place pour faciliter la vie des équipes et surtout pour rassurer le personnel pour que, lorsqu'une demande si difficile, pour les gens qui ne participent pas à cette religion-là, arrive, ils ne se sentent pas touchés dans leurs valeurs personnelles, mais bien au niveau de leurs obligations professionnelles.

Alors, on vous a mis, par exemple, un consentement, c'était pour vous donner un exemple d'outil de travail qui pourrait rassurer les équipes. Ce consentement-là, par exemple, pour les femmes enceintes, parce qu'on sait que le moment dans la vie où on est plus à risque d'avoir des transfusions, c'est lors de l'accouchement, le consentement... Vous savez, la religion fait partie du questionnaire de la prise en charge d'une femme enceinte. Le consentement est remis à la première visite. On discute de ses valeurs, qu'est-ce qu'elle veut, qu'est-ce qu'elle ne veut pas, sa compréhension des risques d'hémorragie, etc. Il est ressorti dès qu'elle met le pied à salle d'accouchement, on valide avec elle, avec sa famille : Est-ce que vous avez bien compris qu'est-ce que ça veut dire de refuser des transfusions, que ça peut aller jusqu'à la mort? Et on le ressort une troisième fois quand, malheureusement, les événements indésirables arrivent et qu'on est au point où on doit prendre la décision de respecter son choix, parce que les femmes ont le droit de faire leur choix, mais on veut s'assurer qu'il n'y a pas d'influence de la famille, qu'il n'y a pas d'influence du conjoint, qu'elle a vu son petit bébé, qu'elle sait exactement dans quoi elle va s'embarquer. Quand on arrive dans une salle d'accouchement où personne n'a été confronté à ça, les gens ne savent pas quoi faire. Alors, on peut facilement avoir des outils de travail, des consentements qui sont déjà tout faits. Le personnel n'aura pas à s'inquiéter : Mon Dieu! Est-ce qu'il faut que j'écrive trois pages de notes? Qu'est-ce qu'il faut que j'écrive dans la note? Qu'est-ce qu'il faut que je lui dise? D'avoir une espèce de procédure qui va faire en sorte que, dans le traumatisme d'être confronté à une décision difficile comme ça, au moins, ils vont être rassurés qu'ils n'ont rien échappé et qu'ils ont fait ce qu'ils devaient faire, parce que c'est difficile pour tout le monde, vous savez, c'est des situations qui sont vraiment difficiles. Bon, ça, c'est un extrême.

Dans les demandes qui sont moins troublantes, je dirais... Parce que, quand on est confrontés à la mort et qu'on peut l'éviter, pour nous, c'est extrêmement difficile, c'est un échec total. Puis, vous savez, moi, dans ma pratique, ça m'est arrivé une fois en 24 ans de pratique qu'il y a une femme témoin de Jéhovah qui a changé d'idée au moment d'être confrontée à décider de la laisser mourir ou pas, parce que le bébé était né, puis elle a vu son bébé puis elle a changé d'idée. Alors, il faut qu'on valide tout ça, mais pour les équipes ce n'est pas facile, c'est extrêmement difficile.

Maintenant, ça, ça inclut d'autres demandes qui... Par exemple, moi, je travaille dans un hôpital universitaire, je travaille encore à la salle d'accouchement le vendredi de nuit et le dimanche de jour, la fin de semaine, donc, où on a des événements qui arrivent qui ne sont pas prévus, les gens vont refuser de voir des résidents, parce que c'est des hommes, ou des étudiants en médecine parce que c'est des hommes. Dans une situation d'urgence, on ne peut pas commencer à prendre le téléphone puis appeler partout autour, là : Est-ce qu'il y a une femme qui est là, est-ce que c'est un homme dans tel hôpital?, puis on va vous transférer. Vous l'avez vu hier, là, tout le monde a les pattes aux fesses dans les hôpitaux, là. On a pas mal d'autres choses à faire que de commencer à faire le recensement d'où il y a des hommes puis où il y a des femmes pour accoucher sur l'île de Montréal. Ce genre de demande là est irréaliste.

D'une façon élective, qu'une femme décide de prendre un rendez-vous avec un gynécologue ou un pédiatre femme, on n'a pas de problème avec ça, mais, dans les soins aigus, c'est quelque chose qu'on ne peut pas remplir comme obligation, c'est impossible.

Mme Vallée : Sur la question du consentement aux soins, il existe déjà au Code civil toutes les mesures encadrant la directive médicale anticipée, qui a été introduite par le projet de loi sur les soins de fin de vie. Est-ce qu'il n'y a pas là plutôt un outil pour mieux encadrer les enjeux plutôt que... Parce que, là, on est vraiment dans le consentement aux soins, alors on est un peu dans une situation qui est différente simplement de l'accommodement pour motif religieux, là, on est dans des questions très, très intimes. Le droit de refus de traitement, il peut exister aussi chez quelqu'un qui est athée, et ce n'est pas qu'une question religieuse.

Donc, est-ce qu'il n'y a pas lieu de miser surtout sur cet outil qu'est la directive médicale anticipée, qui est prévue au Code civil et qui mériterait peut-être d'être mieux connue de la part des citoyens, et pas seulement pour les citoyens qui sont un petit peu plus âgés, mais l'ensemble des citoyens qui seraient... Ne devraient-ils pas être plus sensibilisés à l'importance de cet outil?

Mme Francoeur (Diane) : Alors, écoutez, ça peut être un beau sujet de réflexion pour l'éducation de nos enfants, qui deviendront des adultes, un jour, responsables, on l'espère.

Écoutez, notre souhait est que ces outils-là soient simplifiés aussi autant pour la population. Bon, on s'entend qu'il y a aussi parfois des barrières de langage, il y a un problème aussi d'analphabétisme avec souvent certains nouveaux immigrants. On ne peut pas arriver avec une grande feuille, là, puis commencer à essayer de leur expliquer tout ça. À chaque fois qu'on met le pied dans un hôpital, on a un consentement de soins à signer. Et nous sommes d'avis que plus on va éduquer la population sur ce qui est acceptable, ce qui ne l'est pas, lorsqu'ils vont se présenter dans des salles d'urgence, dans des salles d'accouchement, à ce moment-là, ils vont s'attendre à se faire poser ces questions-là. Et ce que nous, nous souhaitons, c'est que, si quelqu'un a vraiment des demandes qui ne sont pas raisonnables, elles soient évaluées au préalable, pas dans une situation d'urgence, parce que les équipes sur place n'ont pas d'aide. Quand on voit quelqu'un, pour la première fois, qui ne va pas bien, là ce n'est pas le temps d'aller chercher un ordre de cour, là, on aimerait ça d'abord lui sauver la vie, puis on s'arrangera avec le reste après, là. Alors, grossièrement, là, c'est à peu près comme ça que ça se passe en situation d'urgence.

Mme Vallée : Vous indiquez dans votre mémoire qu'en fait une personne qui a recours aux services de santé, parfois, va avoir des demandes qui sont trop exigeantes pour le système en soi.

Donc, est-ce que vous considérez que, dans le libellé de l'article 10, la référence à la contrainte excessive est de trop? Parce qu'on a eu différentes interprétations. Certains disaient que ça faisait porter le fardeau sur la mauvaise personne. Est-ce que vous considérez que pour le système de santé c'est une exigence qui est trop forte?

• (11 h 40) •

Mme Francoeur (Diane) : Écoutez, tout d'abord, quand on passe de raisonnable à excessif, on s'entend qu'il y a tout un monde entre les deux, là. On souhaite qu'il y ait des mots qui nous aident à baliser davantage les demandes.

Je vais vous donner un exemple concret, là, qui vient exactement illustrer ce dont vous parlez. Une femme est enceinte, elle prend un rendez-vous pour une échographie de dépistage. Alors, elle arrive à l'hôpital. C'est un technicien homme, elle s'en retourne, elle s'en va. Elle prend un autre rendez-vous, elle revient, c'est encore le même la semaine d'après, c'est encore le même la semaine d'après. On ne peut pas garantir... C'est sûr que, si vous prenez un rendez-vous dans un cabinet à l'extérieur de l'hôpital, oui, vous avez plus de chances de rencontrer le médecin avec qui vous avez pris rendez-vous, mais, au niveau du personnel, on est déjà à court de personnel dans les établissements, on ne peut pas garantir ce choix-là aux gens qui en font la demande, même si c'est de façon élective.

Et, vous savez, il y a un enjeu de coûts, là. Quand il y a des listes d'attente qui n'en finissent plus, annuler des rendez-vous à répétition, c'est tout le monde qui paie autour, parce que les délais s'allongent à ce moment-là. Et on pense qu'au niveau des établissements les gens doivent comprendre qu'on essaie de les accommoder, mais ce n'est pas toujours possible, et on ne peut pas tasser tous les autres patients en disant : Bien, cette personne-là va avoir le droit parce qu'elle l'a demandé, puis celle-là, bien, elle va être reculée puis elle va devoir attendre plus longtemps.

Mme Vallée : J'aimerais vous entendre aussi davantage sur la question de la prestation de services et la réception de services à visage découvert. Vous avez fait référence à des règles déontologiques, des règles qui encadrent déjà vos membres, mais j'aimerais vous entendre davantage sur ces règles-là.

Mme Francoeur (Diane) : Bien, écoutez, nous, nous pensons que la médecine, c'est quelque chose qui doit se faire à visage découvert des deux côtés parce que, lorsqu'on évalue un patient, il y a tout le non-verbal qui s'exprime d'abord et avant tout par le visage. Alors, si le médecin a le visage découvert, c'est extrêmement difficile d'avoir un lien de confiance avec le patient, et, si le patient a le visage couvert, pour nous, c'est impossible de comprendre son inquiétude, sa méfiance, sa peine, sa douleur, sa tristesse. Alors, ça nous coupe de toutes ces évaluations de sentiment, qui sont absolument essentielles à l'établissement d'un bon contact médecin-patient.

Mme Vallée : Actuellement, comment interagissez-vous lorsqu'une situation survient? Comment vos membres interagissent avec des gens qui arriveraient... ou qui arrivent avec le visage couvert? Est-ce que c'est survenu? Est-ce que vous avez pu trouver une voie d'atterrissage?

Mme Francoeur (Diane) : Bien, écoutez, c'est toujours du cas par cas, là. Évidemment, c'est sûr que, dans une salle d'accouchement, à un certain moment, il fait chaud, alors il y a certaines pièces de vêtement qui disparaissent, si on peut dire, sans entrer dans les détails. Mais il reste que c'est quand même à souhaiter d'avoir un contact direct, là. Vous savez, la relation, les sentiments, ça s'exprime par le visage. Et, je vous dirais, avant d'arriver dans les détails des prestations de soins, parce que ce n'est pas juste en obstétrique, là, que les médecins peuvent faire des procédures qui font mal aux gens, là, c'est dans d'autres spécialités aussi, mais, tout d'abord, quand la personne s'inscrit au guichet, lorsqu'elle vient s'enregistrer, il y a une raison pourquoi il y a une photo sur la carte d'assurance maladie, là, c'est pour qu'on puisse s'assurer que c'est la bonne personne qui va recevoir les bons soins, là. Lorsqu'on regarde dans les hôpitaux, on s'aperçoit, c'est légion et c'est connu, qu'il y a certaines femmes qui ont accouché plus d'une fois par année, alors que c'est physiquement impossible. Alors donc, c'est pour ça qu'il y a une photo, puis on veut s'assurer de l'identité de la bonne personne qui vient demander une prestation de soins qui est couverte par la Régie de l'assurance maladie.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la ministre. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme la présidente, Mme Francoeur, Mme Pelletier. C'est un plaisir de vous retrouver aujourd'hui. Merci pour votre présentation.

Écoutez, c'est la première fois que j'ai un état, un peu, de situation de ce qui peut se passer dans les hôpitaux avec les demandes d'accommodement. En page 5, vous nous montrez que ça peut être parfois difficile à gérer, vous dites : «Médecins masculins en service victimes d'agressions verbales, de violences physiques, faisant l'objet de menaces répétées [...] d'intimidation — leur seule présence provoque l'ire de certains époux.»

Vous semblez dire que la majorité des demandes d'accommodement, dans ce cas-là, viennent plutôt de la résistance des époux à avoir des médecins masculins ou est-ce qu'il y a d'autres types de cas auxquels il faut faire face dans les cas de demandes d'accommodement?

Mme Francoeur (Diane) : Bien, écoutez, c'est clair que ce n'est pas les femmes qui nous sautent à la gorge, là.

Mme Maltais : Sauter à la gorge?

Mme Francoeur (Diane) : Bien, moi, je peux vous dire, je me suis déjà fait ramasser comme ça. Je trouve que c'est assez intimidant puis ça n'a pas sa place à l'hôpital. On a appelé la Sécurité puis on a fait ce qu'on avait à faire, là.

Mme Maltais : O.K. Mais donc ça peut aller jusqu'à ce niveau-là, des demandes...

Mme Francoeur (Diane) : Oui, oui, oui, tout à fait. Et puis, je veux dire, ce n'est pas juste les problèmes de religion, les gens sont insatisfaits, ils ne sont pas contents, mais il y a déjà assez de difficultés à soigner le monde au quotidien, on n'a pas besoin de se créer des problèmes supplémentaires qui vont faire en sorte que la communication est difficile.

Alors, moi, je vous dirais, mon expérience, parce que j'étais chef en 2006, là, on a mis ces choses-là très au clair, puis la quantité de problèmes a diminué, a fondu comme neige au soleil, parce que les gens signaient un consentement quand ils venaient être pris en charge pour accoucher chez nous puis tout était très clair et tout était dit, puis après ça on leur disait : Bien, vous avez signé le consentement, là, il n'y a pas de discrimination, ça veut dire que les hommes et les femmes sont égaux ici. On essaie toujours d'accommoder, mais on ne peut pas avoir des listes de garde parallèles, c'est impossible. Puis, malheureusement, l'obstétrique, là, ça ne s'apprend pas dans le blanc des yeux, c'est ailleurs que ça se passe, là, puis il faut que les médecins apprennent à développer leurs compétences professionnelles, parce que, même s'ils ne vont pas choisir de devenir des obstétriciens-gynécologues, là, il y a des femmes qui accouchent partout, là, alors ils doivent être bons.

Mme Maltais : O.K. Vous dites : «...le moment est venu de remettre les pendules à l'heure. Les préceptes culturels et les considérations religieuses s'opposent au fondement même de la médecine et du Code de déontologie, qui régit la profession.» Là, vous dites dans votre conclusion : «Un médecin ne peut faire de discrimination[...]. La FMSQ croit fermement que la réciproque doit être la règle de base qui dicte les comportements et les relations entre les personnes dans une société civile et laïque comme celle du Québec.»

C'est une lacune que le législateur devrait corriger. Comment on peut corriger ça? Quel est l'angle par lequel on pourrait corriger ça?

Mme Francoeur (Diane) : Bien, écoutez, moi, je pense que, une des pistes de solution, parce qu'il faut qu'on trouve une solution, on ne doit pas limiter la portée de cette problématique présentement et on doit statuer sur des règles les plus claires possible, ce qui est acceptable, ce qui ne l'est pas et donner des outils de travail aux équipes sur le terrain parce que c'est là que c'est difficile. Et puis ce qui est arrivé à Lévis, probablement que ce n'était jamais arrivé avant. Et puis, s'il y avait juste des guides de référence, que, lorsque ces situations-là arrivent, le personnel ne se sent pas complètement dépourvu, ça aurait été déjà beaucoup plus facile. Au niveau des autres problématiques avec d'autres religions, bien, c'est de mettre les règles claires : au Québec, là, un médecin femme, c'est comme un médecin homme.

Mme Maltais : Donc, il ne saurait y avoir d'accommodements religieux en cette matière, mais c'est possible actuellement de demander... Cette inégalité-là, elle est demandée parfois? J'essaie de voir comment on pourrait résoudre cela. Parce que, là, l'article 4 dit qu'«un membre du personnel d'un organisme public — bon, ou un médecin, on verra comment on tranche la situation — [...] doit veiller à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l'appartenance ou non de cette dernière à une religion».

Vous semblez dire que cet article vous amène une contrainte supplémentaire à gérer les accommodements en fonction de la patiente ou du patient et non pas en fonction du médecin. C'est ce que j'ai lu.

Mme Francoeur (Diane) : Bien, écoutez, je vous répondrais, ce n'est pas qu'elle nous amène une contrainte supplémentaire, c'est qu'elle ne nous enlève pas le fardeau. On souhaiterait que ce soit plus clairement défini. Est-ce qu'on accepte, au Québec, qu'une femme peut refuser et remettre, remettre, remettre une procédure parce qu'elle ne veut pas être traitée soit par un technicien, un infirmier, un résident, un externe homme ou un médecin spécialiste masculin? C'est là qu'il est, l'enjeu, là. Et, je veux dire, de façon élective, de prendre un rendez-vous de façon nominale avec une personne dans un cabinet, c'est autre chose. Lorsqu'on arrive à l'hôpital, c'est le bien public de tout le monde.

Est-ce qu'on va retarder les autres pour essayer d'accommoder sur la base de la religion? Nous sommes d'avis que la réponse est non. Quand on peut, on le fait, mais ça ne doit pas être la règle numéro un.

• (11 h 50) •

Mme Maltais : O.K. On essaie de voir comment la loi actuellement pourrait vous aider à gérer ça.

À votre avis, la loi actuellement ne permet pas de régler ce problème-là. Si vous avez des suggestions, évidemment... par quel angle on l'attaque? Est-ce qu'on l'attaque par des règlements, par le code médical? Est-ce qu'on l'attaque par la loi elle-même en y ajoutant des amendements? Mais on voudrait bien vous dégager cet espace.

Mme Francoeur (Diane) : Alors, ce que nous souhaitons, c'est que la laïcité soit la valeur...

Mme Maltais : Forte.

Mme Francoeur (Diane) : ...forte de ce projet de loi, qui deviendra loi.

Mme Maltais : O.K. Je sais qu'il y a beaucoup de gens qui commencent à dire qu'il faudrait que la laïcité soit inscrite dans les lois québécoises. Si elle était inscrite dans la Charte des droits et libertés, à ce moment-là, pour vous, ça donnerait un sens à tout l'épisode des accommodements religieux, ça donnerait un sens. Vous pourriez l'interpréter dans le cadre de votre pratique?

Mme Francoeur (Diane) : Bien, tout à fait. Vous savez, il va arriver des situations... Par exemple, une femme qui a été victime d'agression sexuelle, est-ce que vous pensez qu'on va faire exprès pour lui envoyer un médecin homme? Bien non, hein, on a du jugement quand même, là, sur le terrain, on essaie d'accommoder les gens. Mais il y a une différence entre : Est-ce que ce serait possible de? ou : Je refuse, prenez le téléphone puis trouvez-moi une salle d'accouchement où il y a un gynécologue femme parce que je ne veux pas voir lui, ou : Je veux me faire accoucher par l'étudiante qui n'a jamais fait d'accouchement de sa vie, puis qu'on demande à ce que le médecin soit à côté de la porte mais qu'il ne rentre pas dans la chambre parce qu'on refuse d'avoir un homme dans la salle. C'est des demandes qui sont tout à fait non recevables et que nous ne recevrons pas, et on souhaite que la loi soit plus claire à cet effet, sur ce qui n'est pas acceptable.

Mme Maltais : Merci. Toujours sur l'article 4, vous dites, vous voudriez que nous enlevions les médecins de l'article 7... non, de l'idée qu'ils sont employés d'un organisme public et vous suggérez un paragraphe : «...qui exerce sa profession dans un centre exploité par un établissement public.» C'est légèrement différent, puisque c'est seulement, à ce moment-là, dans les centres exploités par un établissement public et non pas tous les médecins. J'essaie de comprendre la portée de l'article 4, de l'amendement que vous nous proposez.

Mme Francoeur (Diane) : Alors, l'amendement qu'on propose, c'est parce qu'on ne croit pas que ce projet de loi soit le lieu de discuter de l'autonomie professionnelle du médecin qui n'est pas un membre du personnel hospitalier.

Cela dit, le médecin, comme les autres membres du personnel, aura les mêmes obligations envers ce que sera la loi finale. Mais on ne trouve pas que ce projet de loi soit la place pour discuter de l'autonomie professionnelle du médecin, qui a toujours été la même depuis que l'assurance maladie a été créée.

Mme Maltais : Votre libellé est : «4. Les devoirs et obligations prévus à la présente loi s'appliquent également à un médecin qui exerce sa profession dans un centre exploité par un établissement public...» Donc, ça écarte les établissements privés, en disant : Ça, c'est du privé, on ne se mêle pas du privé, mais, pour le public, pour tous les établissements publics, la loi s'appliquerait. Maintenant, vous semblez dire que... En tout cas, moi, je serais curieuse... D'ici, peut-être, que nous en arrivions à l'étude article par article, si vous avez des modifications qui pourraient nous permettre de renforcer ce besoin de laïcité, outre l'introduction de la laïcité dans la Charte des droits et libertés, bien, je serais heureuse que vous les envoyiez à tout le monde à la commission parlementaire pour qu'on puisse essayer de bien inscrire ce désir, que nous partageons, que la santé soit l'élément primordial qui prime quand vous avez à donner des soins.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la députée de Taschereau. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Mesdames, docteure, merci, merci pour le mémoire, que j'ai lu. Et je vais lire un petit paragraphe, et on va vraiment travailler autour de ça, des accommodements.

Vous nous dites : «En 2008, on remarquait qu'une nouvelle forme de discrimination fondée sur des préceptes religieux donnait lieu à des demandes d'accommodement inacceptables dans certains centres hospitaliers de la métropole. La situation perdure.» Nous sommes en 2016, et vous écrivez ça aujourd'hui. Vous poursuivez : «Les manifestations discriminatoires, notamment en obstétrique et [gynéco], se traduisent par des exigences et des pressions indues qui vont bien au-delà des simples demandes d'accommodement pouvant être traitées de manière raisonnable ou raisonnée.» Et ça se poursuit.

Et vous nous avez donné des exemples tout à l'heure qui sont assez percutants, pertinents, et je lis votre mémoire... Jusqu'à quel point, à la fédération, toute la question des accommodements religieux dans les hôpitaux, là, c'est un problème, ou c'est dérangeant, ou ça ralentit le travail, ça cause des problèmes? Puis ça vous brime aussi dans la liberté ou dans l'exercice de votre profession. Vos codes de déontologie; vous nous parlez pratiquement d'un dédoublement. Vous avez des codes, vous avez le jugement pour trancher.

Juste un petit portrait global. Dans quelle mesure, de un, ça perdure? Y en a-t-il davantage? Et dans quelle mesure il faut trouver une porte de sortie?

Mme Francoeur (Diane) : Bien, écoutez, je vous répondrais, c'est surtout un phénomène montréalais. Évidemment, sur la Côte-Nord ou en Gaspésie, on s'entend que c'est rarement un enjeu problématique, là, parce que les gens qui ont choisi d'aller habiter là-bas, souvent, sont plus au courant des règles et coutumes des régions du Québec.

Bon. C'est quelque chose qui est assez prévalent, au point qu'on a été obligés de faire signer un consentement de prise en charge de la grossesse. C'est que la problématique était hebdomadaire, voire quotidienne. C'est sûr qu'en obstétrique-gynéco c'est un problème qui est plus courant, mais ça va bien au-delà de là.

Je vais vous donner d'autres exemples pour vous, pour bien saisir l'ampleur de la problématique actuelle. C'est au niveau de l'asepsie. On travaille très fort, au Québec, on est des champions pour diminuer les infections dans les hôpitaux, on a des règles très strictes. Avant, tout le monde avait son petit bonnet de salle d'opération avec toutes sortes d'imprimés dessus. On a tout enlevé ça, ça pouvait amener des infections. Le personnel n'a pas le droit de se promener avec ses uniformes à l'extérieur de l'hôpital, et, quand ils se font prendre, ils se font réprimander. Bon, évidemment, si on enlève le petit bonnet personnel, bien, on ne peut pas arriver avec son foulard personnel non plus. Il faut utiliser du matériel jetable qui va être changé régulièrement et qui va respecter les règles d'asepsie. Encore une fois, si on a des étudiantes qui nous disent : Moi, ma religion fait en sorte que je ne peux pas me découvrir les bras, est-ce que vous pensez qu'on peut se... On appelle ça se brosser, là. Quand on se désinfecte les bras avant de faire une chirurgie, si on a des manches qui vont jusque-là, non, parce qu'on doit se brosser jusqu'aux coudes. Ça fait partie des règles d'asepsie. Est-ce qu'on peut accepter un accommodement comme ça? Évidemment, c'est non. Alors, c'est pour ça que je vous dis que ça va bien au-delà du choix du médecin homme ou femme. Il y a d'autres principes qui font en sorte que ça peut avoir des répercussions à plusieurs niveaux, pas seulement dans ma spécialité.

Je vous donnais l'exemple, tout à l'heure, de la physiatrie. Si on a une procédure à faire au niveau du cou, là, bien, des fois, on va être obligé... Ou, en neurochirurgie, on va être obligé de raser, d'enlever tout ce qu'il y a sur le haut de la tête, là. On veut bien respecter, là... mais c'est là que ça se passe, là, alors on n'a pas le choix, là.

Mme Roy : Donc, ce que je comprends, c'est que les accommodements religieux, ça cause pas mal plus de problèmes que ça en règle dans les hôpitaux, ça tombe sur vous, ça tombe sur les professionnels qui doivent justement, cas par cas, arriver à trouver une solution.

À la page 9, vous nous dites : «Si le présent projet de loi ne peut avoir pour effet d'empêcher des patients de demander toutes sortes d'accommodements, il faut éviter qu'il entraîne une augmentation du nombre de demandes.» C'est assez clair, là, ce que vous nous dites.

Puis est-ce que vous voyez, effectivement, une augmentation? Vous dites que c'est pratiquement hebdomadaire, quotidien, à Montréal ça ressemble à ça, là.

Mme Francoeur (Diane) : Bien, plus les règles sont claires, et c'est pour ça que certains hôpitaux... Dans mon département, on a mis des règles claires, et, bon, souvent, ça va amener des plaintes, ou etc. Évidemment, on ne s'en sauve pas, mais, au moins, ça permet au personnel... Quand il y a une journée superéquipée, là on ne peut pas prendre le temps, là, d'appeler l'avocat de garde pour savoir : Puis est-ce qu'on peut faire ci, puis est-ce qu'on peut faire ça?

Il faut que les règles soient claires pour les équipes sur place. Lorsqu'un mari nous dit : Moi, je ne veux pas, là, je ne veux pas être... accoucher ici parce qu'il y a un gynécologue homme, trouvez-moi une salle d'accouchement où il y a une femme de garde, là, si j'en ai 10 en travail, on n'a pas le temps de faire ça, là.

Mme Roy : Vous poursuivez : «Doit-on rappeler que le personnel des établissements est déjà débordé et que la gestion de telles demandes exige un temps précieux?» La gestion. Et vous nous dites : «...si le gouvernement est d'avis que des demandes déraisonnables sont actuellement acceptées, il doit tout mettre en oeuvre pour éviter que de telles situations se produisent.»

Vous allez plus loin et vous demandez, finalement, comme d'autres, comme dans les écoles, entre autres, un guide pour que ce soit clair, là, parce qu'il manque d'information avec le projet de loi, là.

Mme Francoeur (Diane) : Tout à fait.

Mme Roy : Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Dre Diane Francoeur, Mme Nicole Pelletier, représentant la Fédération des médecins spécialistes.

La commission suspend ses travaux jusqu'après les affaires courantes, soit vers 15 heures, où elle poursuivra son mandat.

(Suspension de la séance à 12 heures)

(Reprise à 15 h 14)

Le Président (M. Ouellette) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission des institutions reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes.

Nous entendrons cet après-midi Les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l'État, la commission scolaire de Montréal et les Libres Penseurs athées.

Nous recevons Me Julie Latour pour Les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l'État. Bienvenue, Me Latour. Vous allez avoir 10 minutes pour votre présentation aux membres de la commission. Par la suite, il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Je vous cède la parole.

Les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l'État

Mme Latour (Julie) : Je vous remercie. Mmes et MM. les parlementaires, je vous remercie de cette invitation à m'adresser à vous au sujet du projet de loi n° 62, qui touche à un enjeu qui revêt une grande importance pour l'avenir de notre société. Alors, j'ai le plaisir d'être la porte-parole des Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l'État, et j'y reviendrai, quant à la composition de notre groupe.

Alors, notre objectif, pour que notre société puisse aller de l'avant, alors, c'est de proposer des mesures concrètes pour bonifier de façon significative le projet de loi n° 62. Et ce que j'exposerai en deux temps : d'une part, la nécessité d'agir et, d'autre part, les mesures que nous proposons.

Et je voudrais débuter par une mise en contexte de l'historique menant au projet de loi. Alors, en 2007, le gouvernement du Parti libéral, dont vous faisiez partie, Mme la ministre, disait ceci par le biais d'une proclamation solennelle du premier ministre Jean Charest lors de l'annonce de la mise sur pied de la commission Bouchard-Taylor le 8 février 2007, et je cite : «La nation du Québec a des valeurs, des valeurs solides, dont entre autres : l'égalité entre les femmes et les hommes; la primauté du français; la séparation entre l'État et la religion. Ces valeurs sont fondamentales. Elles sont à prendre avec le Québec. Elles ne peuvent faire l'objet d'aucun accommodement. Elles ne peuvent être subordonnées à aucun autre principe.» Or, ni la teneur de cet énoncé ni les recommandations préconisées par le rapport Bouchard-Taylor, des recommandations minimales, ne se retrouvent au niveau du projet de loi.

Lorsque je parle des recommandations du rapport Bouchard-Taylor, je fais particulièrement référence à l'adoption d'un livre blanc sur la laïcité reconnaissant la séparation de l'Église et de l'État et la prohibition du port de signes religieux chez les employés en autorité. Je note également que ce minimum reçoit un fort consensus social. Alors, à quoi tout cela a-t-il servi si nous avons maintenant un projet de loi qui permet des fonctionnaires en niqab ou des juges en tchador ou arborant d'autres signes religieux? Est-ce que nous sommes en 2016 ou nous retournons en arrière? Nous vous soumettons qu'être religieusement neutre ne veut pas dire être politiquement apathique, bien au contraire, puisque l'inaction de l'État entraîne l'érosion de cette valeur de laïcité.

Alors, qui nous sommes? Je porte à votre attention la qualité et la représentativité des signataires de notre mémoire, notamment par la présence du professeur émérite Henri Brun, constitutionnaliste, et qui est coauteur, avec Guy Tremblay, un autre de nos signataires, de l'ouvrage de référence en droit constitutionnel. Nous avons également M. Guy Rocher, qui se passe de présentation et qui a notamment siégé à la commission Parent; Mme Huguette St-Louis, qui a été juge en chef de la Cour du Québec de 1996 à 2003; l'honorable Céline Hervieux-Payette, qui vient de prendre sa retraite du Sénat; et d'autres juristes, comme Me Denis L'Anglais, ici présent, André Binette, Maurice Arbour. Alors, nous avons donc cette représentation, et, les propositions que nous faisons, nous en démontrons la validité constitutionnelle au sein de notre mémoire.

Alors, la nécessité d'agir. Le message à cet égard vient du plus haut tribunal lui-même dans un arrêt unanime, celui du Mouvement laïque québécois, de 2015, concernant la récitation de la prière au conseil municipal de Saguenay, qui fut invalidée. Alors, au sein de cet arrêt, la Cour suprême déclare notamment que «l'obligation de neutralité [...] de l'État relève d'un impératif démocratique». Ensuite, en traçant les contours de cette obligation de neutralité religieuse de l'État, la Cour suprême opte pour la neutralité réelle, «true neutrality» en anglais, et rejette le concept de neutralité bienveillante, ce qui équivaut donc au rejet du statu quo de la laïcité ouverte. Il s'agit là d'un puissant message. La Cour suprême ajoute également, et je cite : «Ni la charte québécoise ni la Charte canadienne n'énoncent explicitement l'obligation de neutralité religieuse de l'État.»

• (15 h 20) •

Alors, le constat, c'est donc que non seulement la Cour suprême recommande de la définir, mais également de l'inscrire dans la Charte des droits, c'est-à-dire au niveau supralégislatif.

Dans l'immédiat, le statu quo fait en sorte que la liberté de religion est en conflit avec elle-même, puisque son socle n'est pas défini. Or, et la jurisprudence l'a bien établi, les principes de séparation des religions et de l'État et de neutralité de l'État en matière religieuse sont des conditions essentielles de la liberté de religion et de la liberté de conscience. C'est la dimension sociétale de la liberté de religion, et il y a la dimension individuelle de la liberté de religion et de conscience. Alors, le statu quo, c'est également un silence constitutionnel qui est lourd d'impact, puisque notre Acte constitutionnel fondateur de 1867, contrairement à la plupart des démocraties occidentales, ne précise pas l'aménagement du religieux dans la vie civique, hormis la question de l'aménagement scolaire, auquel le Québec a renoncé. Alors, cette absence de balises législatives engendre la confusion et l'insécurité au plan juridique en provoquant le recours systématisé au concept d'accommodement raisonnable. Il y a également urgence d'agir, puisque cette absence de cadre législatif génère trois problèmes majeurs : une insécurité juridique et une confusion croissante, un déficit démocratique et une atteinte à la primauté du droit.

L'insécurité juridique. Une illustration tangible est celle du dossier de la récitation de la prière au conseil municipal de Saguenay, qui a mis sept ans avant d'être résolu. Alors, en voici la chronologie : en 2008, la requête introductive du citoyen Simoneau; en 2011, par la décision du Tribunal des droits de la personne, il a gain de cause; toutefois, ce jugement est cassé... cette décision, en 2013 par la Cour d'appel, qui est elle-même renversée par la Cour suprême en 2015. Alors, il a donc fallu sept ans avant de dénouer ce dossier avec des décisions contradictoires, ce qui non seulement force les citoyens à judiciariser leurs rapports... Et, pendant tout ce temps-là, nous n'avons pas de définition. Alors, à ce rythme-là, il nous faudra 600 ans avant de définir les contours de l'obligation de l'État en vertu des principes de séparation et de neutralité. Pendant ce temps, nous avons aussi une confusion croissante. Et vous avez eu ici des demandes pressées de gestionnaires d'établissement, d'organismes publics, que ce soit la Fédération des commissions scolaires, ou autres, vous exposant la difficulté du volume de gestion des demandes d'accommodement et l'absence de balises.

Nous avons aussi un déficit démocratique de nature politique, puisque l'État a le devoir, à titre de législateur, de donner aux tribunaux les outils nécessaires afin de leur permettre d'interpréter les lois et les chartes des droits en tenant compte des valeurs publiques fondamentales de notre société.

Il y a enfin une atteinte à la primauté du droit, parce qu'on recherche, par les demandes répétées d'accommodement, l'assouplissement d'une norme générale qui n'est pas énoncée.

Alors, ce que nous suggérons pour dénouer cette impasse actuelle : trois éléments majeurs pour donner au projet de loi n° 62 le prestige qu'il mérite. Et je détaillerai davantage dans mes échanges avec vous, mais le premier élément, en premier lieu, si le projet de loi n° 62 aspire à favoriser le respect de la neutralité religieuse de l'État, encore faut-il qu'il reconnaisse et définisse prioritairement le principe de séparation de l'État et de la religion et son corollaire, le principe de neutralité étatique, et les enchâsse comme principes juridiques fondamentaux au sein de la Constitution formelle via la Charte des droits et libertés de la personne. Je vous ferai plus tard la lecture de l'article de cette définition que nous recommandons et des différentes modifications que nous suggérons à la Charte des droits.

En second lieu, puisque la neutralité réelle... Et, M. le Président — je n'abuserai pas du temps, vous verrez — il me reste peut-être 1 min 30 s pour conclure, alors si je peux...

Le Président (M. Ouellette) : Il n'y a pas de trouble.

Mme Latour (Julie) : Donc, puisque la neutralité de l'État doit être réelle et apparente, nous suggérons que le projet de loi devrait également prévoir le devoir de réserve des employés de l'État quant à l'expression de leurs croyances religieuses, et non uniquement le devoir de neutralité, et également l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les personnes exerçant, au sens large, l'autorité de l'État, dont les juges, procureurs de la couronne, policiers, gardiens de prison, et tout le personnel des tribunaux, et les enseignants, de la maternelle au secondaire.

D'ailleurs, nous notons à cet égard... et vous avez mentionné, Mme la ministre, qu'il ne s'agissait pas d'une charte sur les vêtements, mais il faudrait, en partie, que ce le soit, parce que tous les gens que je viens d'énumérer, le personnel en autorité, doivent déjà porter des uniformes. Or, il y a une symbolique qui est liée à ça, qui est, d'une part, le mot «uniforme» mais, d'autre part, que l'individu doit s'abstraire derrière sa fonction. Et procéder ainsi signifie aussi un traitement égal pour toutes les religions. Et, si, dans l'immédiat, un professeur ne peut pas arborer un chandail «Dieu n'existe pas», son corollaire devrait également être possible. Et nous nous appuyons, à cet égard, sur l'arrêt Mouvement laïque québécois, cet arrêt qui a deux parties. Et j'ai remarqué que, dans les mémoires qui vous sont soumis, on parlait juste de la première, du rôle de neutralité de l'État face aux citoyens et les acteurs privés, mais il y a une seconde partie qui est très importante, où la cour dit : «Il est évident que l'État lui-même ne peut se livrer à une pratique religieuse; celle-ci doit [...] être celle d'un ou plusieurs de ses représentants...» Et voici — la cour continue : «Quand, dans l'exercice de leurs fonctions, les représentants de l'État professent, adoptent ou favorisent une croyance à l'exclusion des autres, [il y a un bris de cette neutralité de l'État].» Alors, les indications de la cour sont très claires.

Nous avons aussi des suggestions quant au troisième alinéa, parce que nous avons une inquiétude par rapport au respect de l'égalité hommes-femmes : de prévoir l'accommodement au port du niqab par les fonctionnaires de l'État, nous estimons que l'État faire oeuvre d'exemple à cet égard. Et, si on accepte le port du niqab comme étant conforme à l'égalité hommes-femmes, alors, dans ce cas, que devient l'égalité hommes-femmes, sinon une coquille vide?

Alors, en conclusion, pour des raisons politiques et juridiques, nous sommes d'avis qu'il est hautement souhaitable que le projet de loi n° 62 soit significativement bonifié. À notre avis, ce projet de loi soulève une question de principe, de principe fondamental. Il doit être vu comme un instrument de prévision et de prévention et non simplement comme un remède. L'absence de balises législatives en matière de neutralité de l'État entrave l'ingénierie constitutionnelle et politique essentielle à une démocratie, et c'est également une entorse à cette égalité, cette interrelation entre les trois pouvoirs que Montesquieu a établies. Et, en l'instance, l'inaction du législatif a entraîné l'hyperactivité du judiciaire, via sa création, le principe d'accommodement, sa façon de légiférer dans le vide juridique existant. Au demeurant, le principe d'accommodement et le cas par cas est très antinomique au droit civil, qui est un droit codifié et qui doit être déductif et non inductif.

Alors, si les parlementaires, et tous le reconnaissent, étaient aptes à légiférer pour enchâsser la Charte des droits en 1975, ils sont également les plus aptes à le faire cette fois encore dans l'optique de l'intérêt général afin de l'adopter... de l'adapter, dis-je, à une réalité sociale changeante. Et j'en appelle ici à la responsabilité de tous les parlementaires québécois, toutes allégeances politiques confondues, de résoudre cet important débat de société pour le bien-être général et de donner au projet de loi n° 62 un prestige accru, le prestige qu'une loi fondamentale sur un tel sujet devrait avoir. Alors, je vous remercie, et il va me faire plaisir d'échanger avec vous.

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci. Merci, Me Latour. C'est toujours un plaisir de vous recevoir. Vous êtes rendue... je pense que vous êtes une abonnée de nos consultations, celles de cette session, mais celles aussi des autres sessions, donc...

Mme Latour (Julie) : ...pour le projet de loi n° 63 en 2008; pour le projet de loi n° 94 en 2010; pour le projet de loi n° 60 en 2013; 59; et maintenant. Et je me faisais d'ailleurs la réflexion, le constat : avec les forces vives qui sont sollicitées, toutes les énergies qui sont mises de l'avant — là, c'est la troisième tentative, on dit toujours «jamais deux sans trois» — cette fois-ci, si le projet de loi pouvait faire oeuvre utile et nous amener... réaliser ce jalon, je pense que toute la société québécoise... et cette confiance que les parlementaires veulent maintenir dans les institutions, que l'État agisse pour tous les citoyens, c'est vraiment un élément qui est très tangible.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Latour. Mme la ministre.

• (15 h 30) •

Mme Vallée : Merci. J'aimerais vous entendre, parce que vous avez une conception de la neutralité qui est un petit peu différente dans l'expression de cette neutralité par les agents de l'État. Vous avez fait référence à la décision dans Mouvement laïque et vous lui avez donné une interprétation pour laquelle je ne partage pas... Pendant votre présentation, je feuilletais le jugement dans Mouvement laïque, parce que vous mentionnez à juste titre que la décision prévoit que les agents de l'État doivent s'abstenir de professer, d'adopter et de préférer une religion. Alors, ça, je comprends, dans l'interaction avec le citoyen, le devoir de neutralité et de réserve implique que l'agent de l'État n'accorde aucune préférence ou ne discrimine d'aucune façon sur la base d'une croyance religieuse ou d'une absence de croyance religieuse. Mais en quoi ce passage-là de la décision doit-il s'interpréter comme étant également une exigence quant à la façon dont est vêtu le fonctionnaire, l'agent de l'État? Est-ce que le devoir de neutralité... Parce qu'évidemment c'est ça qui est un petit peu le coeur de nos échanges. Il y a différentes perceptions quant à ce qu'est réellement la neutralité.

Mouvement laïque prévoit aussi à un autre endroit que l'État est neutre mais que l'État est aussi composé d'individus qui, eux, ont leurs croyances ou ont une absence de croyance, et il y a cette interaction-là qui existe, qui est dans la société. Donc, j'essaie de comprendre comment vous en arrivez à adapter ces obligations-là et à les coller sur l'apparence et le port ou l'absence de signes religieux.

Mme Latour (Julie) : Alors, comme on le sait, c'est la suite, les analyses de la charte sont contextuelles, mais il y a vraiment un volet très théorique au sein de ce jugement, et là je le porte à votre attention parce qu'il y a eu confusion, et j'ai été étonnée notamment que la lettre du Barreau n'en fasse pas état, et d'autres mémoires, Lord Reading, avocats musulmans.

Alors, il y a, d'une part, les deux parties. Alors, avant le paragraphe 66 commence la partie 1, «la neutralité de l'État en matière de liberté de conscience et de religion», et là la cour parle de façon générale et dit que c'est un impératif démocratique, la neutralité, et parle de l'État face à toute la population, et, quand elle réfère aux acteurs privés, que ceci ne signifie pas l'homogénéisation des acteurs privés, on réfère ici au citoyen, l'État face au citoyen. Et, nous, tout ce qu'on fait valoir, c'est... Et évidemment ça, c'est une chose acquise, le port de signes religieux sur la place publique ou en privé est totalement une chose acquise, mais là il y a une seconde partie avant le paragraphe 81. Alors, la première partie fait donc des paragraphes 66 à 79... à 80, pardon, et ensuite, la partie 2, là, on parle de «l'atteinte par l'État à la liberté de conscience et de religion», et là la cour parle clairement, dit, bon : «L'État peut porter atteinte...» Au paragraphe 81, là, c'est vraiment l'État par rapport à ses employés, elle dit : «L'État peut porter atteinte à la liberté de conscience et de religion notamment par l'adoption d'une loi ou d'un règlement ou lorsque ses représentants, dans l'exercice de leurs fonctions, se livrent à une pratique qui contrevient à son obligation de neutralité.» Donc, elle dit : L'État s'incarne par ses employés.

Et là, ensuite, au paragraphe 85, elle expose clairement qu'«il est évident que l'État lui-même ne peut se livrer à une pratique religieuse; celle-ci doit donc être celle d'un ou plusieurs de ses représentants, dans la mesure où ils agissent dans le cadre de leurs fonctions.» Et là il dit cette phrase vraiment importante, et je m'explique mal qu'elle soit omise des mémoires du Barreau, ou autres : «Quand, dans l'exercice de leurs fonctions, les représentants de l'État professent, adoptent ou favorisent une croyance à l'exclusion des autres, [il y a là matière à discrimination].» Et ensuite elle analyse le volet L'atteinte objective.

Et donc, si on transpose, le fait, pour le maire Tremblay et ses conseillers, de réciter la prière est une façon pour eux de professer, adopter ou favoriser, et le corollaire, puisque la cour a déjà dit dans d'autres arrêts que la neutralité est réelle et apparente — concernant un employé fédéral qui avait parlé contre le système métrique et l'adoption de la Charte des droits, soi-disant que ça favoriserait les Québécois — le... et elle a parlé de l'importance dans la confiance des institutions, mais donc le même raisonnement s'applique par rapport à la récitation de la prière : quelqu'un qui porte des signes religieux, il professe et il adopte une croyance. C'est une prière silencieuse, ni plus ni moins, les signes religieux, parce que, là, il faut dire les choses telles qu'elles sont, il y a un non-dit autour... Si la personne croit nécessaire de porter des signes religieux, c'est parce qu'il y a un symbole pour elle et pour les autres.

Et je parlais, tout à l'heure, de l'uniforme des agents de l'État en autorité. Les juges doivent porter une toge très précise selon les tribunaux et qui remonte à l'époque de l'Angleterre où les Inns of Court, où c'était quand... les cours itinérantes, et il pouvait y avoir aussi pour les avocats un voisin qui agissait, et c'était pour distinguer la personne de l'individu qu'elle est. Alors, il y a déjà une symbolique, et ce devoir aussi de réserve et de neutralité politique qui existe, bien, de facto, il était vu comme étant applicable en matière religieuse, mais avec ce non-agir il y a eu une tolérance, mais la question n'est pas réglée, et je vous soumets qu'avec ce prononcé jurisprudentiel très détaillé, qui refait une revue de toute la jurisprudence... Et je note aussi qu'il est unanime. Vous savez, dans les premiers arrêts, Multani, Amselem, c'était très divisé, 5-4, et ensuite la cour a rectifié le tir et a donné une beaucoup plus grande place à l'État de légiférer pour le bien commun. Mais là c'est un jalon qui est très important, et les tribunaux, à leur manière, en passent un... ce message à l'État, au législateur, la Cour d'appel avait dit la même chose : en l'absence d'une charte de la laïcité, c'est eux qui doivent décider, mais les juges ne sont pas outillés pour énoncer des politiques publiques, c'est l'État qui doit le faire, et c'est pourquoi on vous le soumet. Vous dites aussi : Les interprétations, c'est... Lorsqu'on bâtit l'évolution du droit uniquement sur la jurisprudence, ça prête parfois plus à interprétation que quand nous avons un énoncé législatif clair. C'est aussi une raison additionnelle qui devrait motiver l'État à agir, parce que nous en avons besoin.

Et j'expliquais un peu dans mon exposé introductif ce qui est la particularité du Canada — puis j'ai fait des recherches à ce niveau — c'est que, notre Acte constitutionnel fondateur de 1867, comme les peuples fondateurs étaient issus de différentes religions, je pense qu'ils étaient un peu chacun sur leur quant-à-soi, alors ils n'ont pas été très prolifiques pour en discuter. Il y a juste l'aménagement de la confessionnalité scolaire. Donc, on a un peu un vacuum. Quand, 100 ans plus tard, on greffe une charte des droits et libertés sur cet édifice constitutionnel, mais une charte des droits qui traite davantage de l'aspect individuel de la liberté de religion et de conscience, alors là ce vacuum devient plus perceptible. Mais, évidemment, dans l'intérim, le Québec a continué ce processus de laïcisation. Nos institutions sont laïques, le Code civil est laïque, mais, vous savez, il y a des acquis laïques qui sont plus récents. Ce n'est que depuis 1982 que la notion d'enfant illégitime est disparue du Code civil.

Donc, en parallèle avec ce processus de laïcisation, nous avons donc ce vacuum, et qui a fait en sorte que... et c'est là où on a besoin de clarté juridique, parce que la Cour suprême a transposé le concept d'accommodement raisonnable en cette matière et le concept d'accommodement raisonnable — et je sais que le juriste Guillaume Rousseau est venu vous en parler — provient du droit américain et, à l'origine, du droit du travail. Or, en droit du travail, c'est un droit qui est fortement balisé par, pour nous au Québec, le Code civil, le Code du travail, la Loi sur les normes du travail, les conventions collectives. Donc, lorsque les juges ont, en matière de droit du travail... ou les arbitres, une demande d'accommodement, ils ont beaucoup de matière pour arriver à l'équilibrage des demandes concurrentes entre l'employé...

Le Président (M. Ouellette) : Me Latour, je vais être obligé...

Mme Latour (Julie) : Alors, je conclus. Mais, quant au contrôle en matière de liberté de religion, là, nous avons la revendication versus rien. Il s'est créé cette jurisprudence de la cour, mais c'est là où apparaît cette disparité.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Latour.

Mme Vallée : ...

• (15 h 40) •

Le Président (M. Ouellette) : Oui, je le sais, Mme la ministre, mais... C'est très intéressant. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Latour. Vous représentez plusieurs juristes éminents, si j'ose dire. À la lecture des noms qui sont derrière votre mémoire, on comprend la qualité de ce mémoire, parce que, je dois vous dire, il est d'une grande qualité. Et, encore une fois, les juristes de l'État sont là dans une fonction, dans une option constructives. Vous voulez améliorer la loi et vous avez eu des critiques que d'autres ont eues, par exemple, sur la portion de l'article 9, enlever l'exception sur les services donnés ou rendus à visage découvert. Bon. J'ai bien vu ça, mais ce que je trouve la portion la plus importante de votre mémoire, son apport le plus sérieux, c'est : d'entrée de jeu, vous nous demandez d'ajouter à la Charte des droits et des libertés... Le projet de loi n° 62 qu'on a devant nous n'a pas de préambule, hein, on commence avec le chapitre I, article 1, «considérant la neutralité religieuse de l'État», mais effectivement à nul endroit on n'explique ni la laïcité ni la neutralité religieuse de l'État actuellement dans nos lois du Québec.

Vous faites toute une proposition, je dois dire. Écoutez, vous le savez, il me reste à peu près huit minutes, là, c'est assez court, mais...

Le Président (M. Ouellette) : Sept.

Mme Maltais : ...sept, huit, puis j'aimerais beaucoup que vous nous décriviez... Pour moi, la portion la plus importante, la nouveauté, c'est cette introduction que vous voulez faire, cet ajout que vous voulez faire à la Charte des droits et libertés, et l'impact que ça aurait sur la lecture de nos lois et particulièrement de cette loi. C'est, pour moi, là, véritablement la partie la plus novatrice de ce qu'on nous a présenté aujourd'hui.

Le Président (M. Ouellette) : Me Latour.

Mme Latour (Julie) : Je vous remercie. Alors, oui, nous suggérons d'ajouter au projet de loi, d'une part, un préambule.

Et ça, je noterais aussi la symétrie surprenante entre les projets de loi nos 59 et 62, le projet de loi n° 59, à l'origine, qui était sur le discours haineux et la protection des personnes — certaines dispositions ont été retirées — et le projet de loi n° 62, qui ont été présentés de façon concomitante. Pour le projet de loi n° 62 contre les discours haineux, vraiment, c'était l'artillerie lourde, là, plusieurs amendements à la Charte des droits, des droits accrus à la Commission des droits pour un mal inexistant, sans étude d'impact, ou autres, et, pour le projet de loi n° 62, où il y a un besoin tangible d'action, il y a une parcimonie... ou une timidité qui est un peu inquiétante. Et, vous savez, pour les juges, le législateur ne parle pas pour rien et ne se tait pas pour rien non plus. Et donc, nous, c'est pour ça, dans cette optique de clarté mais aussi de remettre le volet sociétal de la neutralité de l'État et de la laïcité à égalité... qui est une composante de la liberté de religion, à égalité avec les libertés individuelles... alors, nous suggérons l'ajout d'un préambule détaillé — peut-être que, ça, je n'en ferai pas la lecture exhaustive — mais qui pourrait donner corps au projet de loi. Et le but, selon la Loi sur l'interprétation, d'un préambule, c'est d'en expliquer l'objet.

Ensuite, nous suggérons des modifications à la Charte des droits et libertés pour que ce soit au niveau supralégislatif, pour que cette clarté, cette consécration de la séparation de l'Église et de l'État et de la valeur de neutralité soient à égalité avec les autres droits fondamentaux. Alors, nous suggérons, d'une part, un ajout au préambule de la Charte des droits à l'effet suivant : «Considérant le caractère laïque et la neutralité religieuse de l'État.» Nous suggérons ensuite de modifier l'article 9.1, qui est la clause interprétative, pour y ajouter que «les libertés et les droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, des principes de laïcité [...] et de neutralité religieuse de l'État, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec».

Et enfin, ce qui est peut-être le plus novateur, là, nous suggérons donc l'inclusion d'une définition de ce qu'est le principe de séparation de l'Église et de l'État et de la neutralité de l'État, et je vais en faire la lecture. Alors, ce serait le nouvel article 9.2 à la Charte des droits et des libertés, qui se lit comme suit : «La laïcité est le principe de séparation de l'État et des religions qui implique l'affranchissement de l'État de l'emprise de tout pouvoir tiers — religieux ou issu d'une autre croyance — et la visée de l'intérêt général. De cela découle le principe de neutralité religieuse de l'État, qui signifie que l'État ne favorise aucune religion ou autre croyance et selon lequel les actes de l'État ne sont et n'apparaissent pas posés sous l'influence d'une religion ou autre croyance. Toute personne a droit au principe de laïcité [...] et au principe de neutralité de l'État envers les religions ou autres croyances.»

Alors, il est à noter que la coexistence des termes «religions ou autres croyances» fait en sorte que tant le religieux que l'athéisme sont inclus. Et, en outre, la notion de neutralité inclut en droit non seulement la réalité des choses, mais aussi les apparences, l'image projetée, donc le... Alors, c'est de définir à la fois la neutralité mais la séparation de l'Église et de l'État, qui est l'architecture sociétale de laquelle découle l'obligation de neutralité, parce que l'État n'a pas uniquement à ne pas favoriser une religion plutôt qu'une autre, là, c'est également... doit être à l'abri de l'emprise de tout pouvoir tiers, idéologique, ou autres.

Nous suggérons aussi un nouvel article 50.2 et puis, évidemment, nous avons deux articles quant à l'ajout du devoir de réserve des employés de l'État et une prohibition du port de signes religieux ostentatoires pour le personnel de l'État en exercice d'autorité. Et ça, à cet égard, il y a non seulement, évidemment, les conclusions de la commission Bouchard-Taylor, mais également du Conseil du statut de la femme, qui a émis deux avis très étoffés sur cette question, en 2007 et en 2011, et un mémoire, en 2013, sur le projet de loi n° 60 qui est le reflet d'un grand consensus. Et, vous savez, nous sommes des femmes — et je siégeais, à l'époque, au Conseil du statut de la femme — de toutes provenances, avec deux consoeurs musulmanes de grand talent que je salue, Rakia Larouiet Leila Lesbet, et ce consensus aussi était à l'effet du personnel en autorité, plus tout le personnel des tribunaux, et le personnel de l'enseignement primaire et secondaire, et de tout le personnel des écoles.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Il reste 1 min 30 s, Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Sans cet ajout, est-ce que cette loi a une portée bénéfique pour la société ou a une portée... Parce que beaucoup de gens sont venus nous dire que la portée pourrait même être négative, pourrait constituer un recul. Si on n'a pas cet ajout, est-ce qu'on peut plus bloquer le développement de la société vers la laïcité? Il y a eu beaucoup de commentaires, puis j'aimerais avoir votre opinion.

Le Président (M. Ouellette) : En une minute.

Mme Latour (Julie) : Bien, sans cet ajout, ce qui est inquiétant, c'est qu'on garde une disparité entre la dimension sociétale de... on ne confirme pas le socle.

En ce moment, là, on a l'édifice d'accommodement qui est en train d'être comme ça parce qu'il n'y a pas de socle. Si on a refait tous nos ponts, nos viaducs au Québec pour que ce soit solide, bien, je vous dirais, la métaphore qui s'applique ici, c'est que... Et ça, c'est source de tension sociale aussi. Parce que, vous savez, il y a eu tout un cheminement au Québec, où je parlais de déconfessionnaliser les commissions scolaires, on n'a plus de Loi sur le dimanche, on a tout ce processus inclusif, bon, il n'y a plus de récitation de prières. On veut cette neutralité de l'État. La majorité a renoncé à beaucoup d'éléments, et on souhaite qu'il y ait cette réciprocité de... Cette neutralité de l'État, qui est tangible, tout le reste en découle, et, pour que le vivre-ensemble soit harmonieux, il faut aussi que les assises de la société... et qu'il y ait une clarté, une prévisibilité.

C'est donc une question qui est vraiment très urgente et nécessaire, et, sans ces éléments-là, le projet de loi n° 62 ne réalise pas ce qui est son objet, de favoriser le respect de la neutralité de l'État.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Latour. C'est moi le pas fin, là, qui est obligé de gérer le temps. Mme la députée de Montarville, elle a juste 5 min 30 s, ça fait que j'ai l'impression qu'elle va vous partir avec ses questions puis elle va vous laisser finir. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Me Latour, un plaisir de vous entendre, de vous lire. Vous avez fait une démonstration jurisprudentielle. Vous nous dites : C'est important de nous souvenir de la dernière décision de la Cour d'appel du Québec de 2013.

Vous nous dites, à la toute fin du mémoire, et comme j'ai peu de temps... «Tel que Montesquieu l'a démontré, l'équilibre d'une démocratie réside dans l'interrelation qui doit exister entre chacun des trois pouvoirs qui composent l'État. L'exécutif, le législatif et le judiciaire doivent chacun assumer pleinement leur rôle afin d'assurer la santé d'une démocratie. En l'instance — là, on parle du projet de loi actuel, qui nous intéresse — l'inaction du législatif a entraîné l'hyperactivité du judiciaire, via sa création, le principe d'accommodement, sa façon de "légiférer" dans le vide juridique existant. Ce vacuum est source d'imprévisibilité et de tensions sociales.»

En l'instance, je voulais dire plutôt «l'état du droit actuel» et non «le projet de loi».

Ma question est la suivante : Est-ce qu'en adoptant le projet de loi tel qu'il est actuellement on demeure dans ce statu quo, dans ce vacuum, si on n'adopte pas les amendements que vous nous proposez, si on n'incorpore pas à la charte, par exemple, le concept de laïcité?

• (15 h 50) •

Le Président (M. Ouellette) : Me Latour.

Mme Latour (Julie) : Bien, oui, sans amender la Charte des droits et proclamer... et agir de façon déductive comme on doit le faire en droit civil... En droit civil, contrairement à la common law, le droit précède le juge, ce n'est pas le juge qui dit le droit, et avec l'imprévisibilité que nous pouvons avoir... Alors, d'une part, en mettant le socle, on clarifie et on donne des instruments aux juges pour bien travailler à cet équilibrage et on amène une prévisibilité, parce que l'accommodement est sans balise. Là, avec le projet de loi, à l'article 10, oui, on veut ajouter des balises mais en ne définissant pas la neutralité. C'est un des critères. Comment les juges pourront-ils l'interpréter? L'État fait un demi-pas, mais il faudrait monter la marche au complet.

Et, vous savez, aussi il y a une finalité. Par exemple, certains ont soulevé, bon, que l'article 9 visait une religion plutôt que d'autres, mais, justement, le but de la laïcité, quand on agit avec un véritable... qu'on confirme le principe de séparation de l'Église et de l'État, la neutralité, c'est l'égalité de tous les citoyens, là. La finalité de la laïcité, c'est l'égalité de tous les citoyens, qu'ils soient religieux ou non. Parce qu'aussi, en ce moment, il y a un non-respect de la liberté de conscience des citoyens. Tous les citoyens doivent pouvoir s'identifier à l'État et se reconnaître dans le lien social. Et là, quand je parlais, donc, des trois composantes de... Les résultantes de la laïcité, c'est l'égalité de tous les citoyens, l'émancipation personnelle. On doit pouvoir permettre aux citoyens de s'émanciper de leurs familles ou même de décider de changer d'adhésion religieuse dans leur vie, et là je fais référence à la poursuite du citoyen hassidim qui dit que l'État ne l'a pas habilité à être un citoyen comme les autres. Alors, en n'ayant pas cette laïcité avérée, l'émancipation personnelle peut être remise en question par le communautarisme et aussi la visée de l'intérêt général. C'est ça, le but. Et, nous, là où on veut faire oeuvre utile, c'est qu'en définissant la neutralité de l'État, la séparation de l'Église et de l'État, là, qui est l'équivalent de la laïcité, on donne corps aux articles du projet de loi, notamment l'article 10, on donne corps aussi à l'article 4, au devoir de neutralité, et on ajouterait le devoir de réserve.

Alors, c'est que, vous savez, il semble y avoir comme une peur d'affronter les vrais enjeux, et ça, d'une part, la population le sent, et ça, ce n'est pas susceptible de réconcilier les citoyens. Vous savez, aujourd'hui, tout le monde est aux aguets avec l'élection américaine et la crainte de la montée du populisme, mais cette inaction, c'est le germe du populisme. Quand j'entends, par exemple, que ce sont des débats qui nous divisent et qu'on ne devrait pas les avoir... mais une démocratie, c'est la confrontation des idées, parce que, si on ne procède pas de la sorte, il y a un glissement dans des champs essentialistes comme de la morale, et là ce n'est plus négociable entre les citoyens. Et je vois beaucoup, dans ce domaine... Et, vous savez, il y a aussi en droit — il faut se dire les choses — un militantisme, que ce soit la Commission des droits de la personne... Beaucoup d'autres groupes veulent que les droits individuels continuent de croître et ne la veulent pas, cette réciprocité, mais il réside là-dedans une formidable contradiction, parce que ceux qui veulent s'isoler, s'emmurer en eux-mêmes, qui veulent une société où ils décident de tout et où personne ne peut agir sur eux, alors ils brandissent les chartes des droits pour une liberté complète, mais qui leur a accordé la Charte des droits, sinon l'État et leurs concitoyens?

Or, la Déclaration universelle des droits de l'homme dit : Les êtres humains naissent égaux en qualité et en droits et ils doivent interagir les uns avec les autres dans un esprit de fraternité, et c'est aussi ce à quoi nous faisons référence.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Me Latour. Ça a été très intéressant, Me Julie Latour, représentant Les Juristes pour la laïcité et la neutralité religieuse de l'État.

Je suspends quelques minutes. Je demanderais aux représentants de la commission scolaire de Montréal de bien vouloir s'avancer.

(Suspension de la séance à 15 h 55)

(Reprise à 15 h 57)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons la présidente de la commission scolaire de Montréal, Mme Catherine Harel Bourdon. Vous allez nous présenter la personne qui vous accompagne. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation, et après il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. Et là, comme vous avez vu tantôt, c'est moi qui suis le pas fin et qui gère le temps, ça fait que... Mme Harel Bourdon.

Commission scolaire de Montréal (CSDM)

Mme Harel Bourdon (Catherine) : Alors, bonjour, M. le Président et MM., Mmes les députés. Nous sommes heureux de vous présenter aujourd'hui la réalité terrain de la commission scolaire de Montréal, la CSDM, concernant le projet de loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes. Nous avons fait parvenir un avis plutôt qu'un mémoire, étant donné les courts délais du processus décisionnel de la Commission des institutions.

La commission scolaire de Montréal accueille plus de 113 000 élèves répartis dans 191 000 établissements scolaires : écoles primaires, écoles secondaires, écoles pour nos élèves avec des besoins particuliers, centres de formation professionnelle et centres de formation générale des adultes. Elle offre des services à des élèves nouvellement arrivés au pays, soit près de 4 250 élèves du secteur de l'accueil et du soutien linguistique à la formation générale des jeunes. Plus de 50 % des élèves de la commission scolaire de Montréal sont allophones, ce qui représente près de 121 langues différentes. Ces élèves, jeunes et adultes, sont issus de nombreuses communautés culturelles, ethniques et religieuses.

Dans le cadre de sa mission, la CSDM doit mettre en valeur ses établissements et le système d'éducation public, elle doit également créer des liens essentiels entre l'école et la famille de même qu'une collaboration avec les partenaires de la communauté. En plus de contribuer significativement au développement social, économique et culturel de la société montréalaise, la CSDM joue un rôle fondamental dans le domaine de la scolarisation mais aussi de la socialisation, de la francisation et de l'intégration des nouveaux arrivants au Québec.

• (16 heures) •

De par sa mission, de par son rôle central de promotion des valeurs communes, de par le nombre de personnes qu'elle influence directement ou indirectement et de par l'importance de son réseau, la CSDM est un acteur de premier ordre dans un milieu montréalais caractérisé par une diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse. Elle constitue un des principaux foyers d'intégration des nouveaux arrivants au Québec.

En 1998, l'un des enjeux majeurs de la réforme scolaire du Québec a été la déconfessionnalisation et la laïcisation de l'école publique. À cette époque, la Commission des écoles catholiques de Montréal est devenue la commission scolaire de Montréal, marquant le passage des commissions scolaires confessionnelles aux commissions scolaires linguistiques et laïques.

En tant que langue officielle du Québec, le français est la langue commune qui assure le lien entre les membres de la société québécoise. À cet égard, les établissements scolaires sont un lieu privilégié d'intégration et de valorisation de la langue française pour tous les élèves, sans distinction, immigrants ou non, jeunes et adultes. La CSDM joue un rôle majeur dans la formation de l'identité montréalaise et québécoise en conciliant pluralisme et spécificité de la culture québécoise et en contribuant à préserver la langue française comme vecteur principal de transmission de valeurs communes. Elle désire également mettre en oeuvre davantage de pratiques qui traduisent les valeurs éducatives de culture de la paix, de respect de l'autre, d'accueil de la pluralité, de maintien de rapports égalitaires et de rejet de toute forme d'exclusion ou de violence.

L'application de la loi aux établissements privés. La CSDM estime que les établissements d'enseignement privés devraient eux aussi être assujettis à tous les articles du projet de loi n° 62. Sommes-nous en train de favoriser un système qui permettra à des écoles religieuses privées de se développer en marge du système d'éducation public? Si les balises du projet de loi n° 62 ne s'appliquent pas à toutes les institutions d'enseignement, assisterons-nous à une poussée de certaines communautés vers un repli identitaire qui pourrait être dommageable au climat social?

La question du visage découvert. La diversité croissante de la population scolaire à la CSDM représente un défi d'intégration important. Dans le but de faciliter les apprentissages chez les élèves de toutes origines et de leur donner des chances égales de réussite, l'établissement scolaire est constamment appelé à s'ajuster à leurs caractéristiques et à leurs besoins. Dans ce contexte, la présence de symboles religieux apparents, tels le niqab ou la burqa, soulève des questionnements importants principalement liés à la difficulté d'identifier nos élèves et nos employés ainsi que l'impact possible sur le climat de sécurité dans les établissements. L'anonymat, dans un contexte scolaire et éducatif où la reconnaissance de l'autre est primordiale, ne peut se justifier. La CSDM souhaite rappeler qu'à titre d'institution d'éducation publique les membres de son personnel devraient avoir le visage à découvert dans le cadre de leurs fonctions.

Par ailleurs, que signifie l'expression «lors de la prestation de services», que l'on retrouve à l'article 9 du projet de loi à ce sujet? Dans quelle mesure cette disposition s'appliquera-t-elle aux employés administratifs de la CSDM qui ne sont pas nécessairement en services directs à la population?

Je cède la parole au directeur général de la commission scolaire de Montréal, M. Robert Gendron.

Le Président (M. Ouellette) : M. Gendron.

M. Gendron (Robert) : Bonjour. Mon allocution portera sur trois aspects contextuels vécus depuis les dernières années à la CSDM au sujet des congés payés octroyés pour motif religieux.

Avant d'aborder ces trois aspects, permettez-moi de vous donner quelques données quantitatives. La CSDM a octroyé 647 jours de congé payé pour motif religieux en 2012‑2013; 489 en 2013‑2014; en 2014‑2015, 121; et 441 en 2015‑2016. Les différences annuelles sont dues aux moments où les fêtes religieuses surviennent dans l'année. On peut donc dire que la CSDM octroie annuellement environ 500 journées de congé payé pour des motifs religieux à l'ensemble de ses quelque 18 000 employés, et ce, sur un peu plus de 3 millions de jours travaillés par année. Le coût annuel de cet octroi correspond à environ 150 000 $ sur un budget annuel d'un peu plus de 1 milliard.

Le premier aspect que nous prenons en considération pour répondre positivement à une demande de congé religieux comporte deux niveaux. Dans un premier temps, nous demandons une déclaration solennelle du demandeur afin de s'assurer de son appartenance confessionnelle. Par la suite, nous analysons les impacts organisationnels de cette demande afin de déterminer le niveau de contrainte potentiellement excessive sur les services à rendre par la CSDM. Des contraintes excessives sont souvent présentes dans les services de garde et dans les services administratifs en raison des horaires de travail complexes, du petit nombre de postes et des problématiques de remplacement. Pour les enseignants, les demandes sont généralement octroyées, car ces contraintes excessives ne sont pas présentes. Lorsqu'un tel congé est octroyé, celui-ci constitue un ajout aux banques de congés disponibles pour cet employé, et aucune contrepartie, quelle qu'elle soit, n'est exigée en retour de cet octroi.

Ainsi, le deuxième aspect contextuel que je vous présente touche au fort sentiment d'iniquité engendré par cet octroi sans contrepartie au sein des équipes de travail des écoles de la CSDM. L'incompréhension par l'ensemble des employés crée des tensions entre les personnes en conséquence des impacts de redistribution des horaires de travail et des coûts organisationnels et financiers de ces octrois.

Le troisième aspect est relié au contexte juridique, qui place la CSDM dans une impasse nous empêchant d'agir sur l'intégration de cet octroi dans les banques de congés existantes ou sur toute forme d'exigence que la CSDM peut obtenir pour obtenir une contrepartie compensatoire de la part de l'employé qui se voit octroyer un congé payé supplémentaire. En effet, une décision de la Cour suprême du Canada, commission scolaire régionale de Chambly contre Bergevin, de 1994 et une décision de l'arbitre de griefs Bourguignon, Alliance des professeures et des professeurs de Montréal contre la Commission des écoles catholiques de Montréal, en 1996 nous restreignent dans la possibilité d'exiger une contrepartie, même minime, comme suite à l'octroi d'un congé payé pour motif religieux à un employé dans un contexte où aucune contrainte excessive n'est existante.

Le texte des deux décisions. Cour suprême : «Il est donc évident que le remplacement et la rémunération des enseignants de religion juive, absents le jour du Yom Kippour, ne constituaient pas un fardeau déraisonnable pour l'employeur. La liberté de religion revêt une importance fondamentale dans la démocratie canadienne. Si un employeur peut composer raisonnablement avec [ces] croyances religieuses, il doit le faire.»

Décision de l'arbitre de griefs : «Avant la décision de la Cour suprême, la commission imposait à la plaignante de rembourser en argent sa journée de congé. Avec l'accommodement C1, elle remplace le remboursement en argent par un remboursement en temps, ce qui n'a pas pour effet de faire disparaître ce caractère discriminatoire. Que cette nouvelle contrepartie apparaisse moins exigeante qu'une coupe de traitement ne constitue pas un argument susceptible de justifier la mesure. La Cour suprême a rejeté en ces termes l'application du critère "de minimis" dans l'arrêt Bergevin : "On ne saurait non plus accepter l'idée qu'il n'est pas nécessaire de prendre des mesures d'accommodement raisonnable si l'effet de la discrimination est minime. L'objet même des lois en matière des droits de la personne est d'empêcher la discrimination. S'il peut y avoir discrimination sans conséquence, c'est l'objet même de la loi qui s'en trouve contrecarré."»

Ainsi, afin de permette à la CSDM de se sortir de l'impasse dans laquelle elle se trouve quant aux effets de l'octroi des congés payés à son personnel pour des motifs religieux, la question que nous vous soumettons consiste à savoir si les alinéas 4° et 5°, portant sur la contrepartie possible et l'équité dans les relations de travail, de l'article 11 du projet de loi n° 62 auront préséance sur les décisions juridiques précitées dans le cas où ces articles seront inclus dans une loi adoptée.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci beaucoup. Merci de votre présentation. Merci d'avoir répondu rapidement. Je sais que vous aviez sollicité, souhaité être entendus en commission parlementaire. Alors, parfois, il y a des plages horaires qui se libèrent et qui permettent justement à des groupes de venir échanger avec nous.

On a eu plusieurs représentations, au cours des dernières semaines, concernant les besoins de soutenir, d'encadrer les écoles, d'encadrer les commissions scolaires, d'encadrer ou de mieux accompagner, par le biais de différents outils, ceux et celles qui sont appelés à traiter les demandes d'accommodement.

Vous avez porté votre présentation principalement sur les demandes d'accommodement présentées pour des motifs religieux par des membres de votre personnel. Donc, je voulais simplement vérifier, là, quelque chose. Actuellement, chaque demande d'accommodement est précédée ou est suivie d'une demande de déclaration solennelle.

• (16 h 10) •

Mme Harel Bourdon (Catherine) : Pour les congés religieux.

Mme Vallée : Pour les congés religieux.

M. Gendron (Robert) : Tout à fait. Et on comprend que ces demandes-là peuvent revenir annuellement, les individus étant les mêmes. Alors, on comprend que, lorsque ça a été fait une fois, on continue à avoir la même assermentation. Mais une nouvelle demande entraîne une demande d'assermentation.

Mme Vallée : Et, pour les demandes d'accommodement qui ne concernent pas des congés qui sont présentées par des élèves, des parents ou par des enseignants ou du personnel mais pour d'autres types... d'autre nature, est-ce que vous procédez également de la même façon?

Mme Harel Bourdon (Catherine) : Non. En fait, les accommodements pour les élèves sont différents. Je pense qu'il y a quand même une importance d'avoir des balises globales du législateur puis de l'État concernant les accommodements raisonnables. On ne peut pas vous arriver avec des chiffres aujourd'hui, parce que les délais étaient assez restreints.

À l'époque de la commission Bouchard-Taylor, la commission scolaire de Montréal avait fait une recherche exhaustive auprès de ses établissements pour savoir le nombre, annuellement, de demandes, parce qu'il y a un nombre de demandes d'accommodement raisonnable et il y a un nombre de demandes retenues ou d'accommodements qui ont été faits. Évidemment, la question de la recherche de solution de part et d'autre est toujours une question importante. Mais, si je donne un exemple d'accommodement raisonnable, par exemple des élèves qui suivent un programme de sport dans nos écoles et qui ont accès à une piscine et l'élève ne veut pas aller à la piscine, bien, un des accommodements raisonnables de certaines de nos directions d'école, ça a été de permettre le burkini. Mais l'élève doit suivre le cours, il doit passer à travers le programme éducatif de l'école avec la section de natation qui est prévue au programme. Mais il y a beaucoup de types d'accommodement différents.

Mme Vallée : C'est ça. Donc, vous ne les avez pas chiffrés, mais c'est quand même une réalité, vous, au sein de votre commission scolaire, à laquelle vous êtes confrontés sur une base relativement régulière.

Mme Harel Bourdon (Catherine) : C'est une réalité quotidienne de nos directions d'établissement, et, je dirais, je la qualifierais de quotidienne pour certains... Et aujourd'hui, cet après-midi, je ne veux pas cibler des quartiers ou cibler des écoles, je pense que c'est important pour moi. Mais, par exemple, sur les congés religieux dont on parlait tout à l'heure, une école qui a dix-sept demandes d'employé pour un même congé, c'est une gestion qui est importante pour l'établissement de pouvoir trouver des remplaçants dans tous ces corps d'emploi différents là dans le même établissement scolaire.

Mme Vallée : Parce qu'évidemment on nous présente que les demandes d'accommodement pour motif religieux qui finissent par se retrouver devant la commission des droits de la personne et de la jeunesse, elles ne sont pas représentatives dans le grand ensemble des demandes d'accommodement, point, fort probablement parce qu'entre le moment où la demande est présentée et l'aboutissement les gens arrivent à trouver un terrain d'entente.

Donc, est-ce que vous avez une forte proportion de vos demandes qui, ultimement, doivent être soumises à une tierce partie pour arbitrage ou si, de façon générale, vous arrivez à trouver ce terrain d'entente, ce juste équilibre entre la demande et vos impératifs?

M. Gendron (Robert) : J'ai fait, en prévision de la visite qu'on faisait aujourd'hui, le tour de peut-être une vingtaine de directions d'établissement qui m'ont toutes à peu près dit que ces demandes-là, bien qu'elles soient régulières, étaient dans l'environnement qui pouvait être traité sur le terrain avec les gens en place.

C'est fondamentalement notre position éducative qui fait en sorte que c'est pour nous une autre occasion de faire de l'éducation, de recevoir les gens, de discuter, que ce soient les élèves ou les parents, de trouver un terrain d'entente, de démontrer de l'ouverture, de les faire participer à l'environnement démocratique de l'école. Donc, dans cet esprit-là, les solutions sont rarement hors de notre portée. C'est certain que ça doit bilatéral, c'est-à-dire qu'il doit y avoir un échange constructif et une participation à vraiment trouver une solution des deux côtés. Et quelquefois c'est un peu complexe d'arriver à cette participation commune, mais, lorsqu'on y arrive, on y arrive finalement, on trouve un terrain d'entente. Et je dirais que, même dans le processus, le simple fait de démontrer de l'ouverture souvent fait tomber beaucoup de demandes.

Mme Harel Bourdon (Catherine) : Mais par contre, si je peux me permettre d'ajouter, l'inquiétude de certaines directions d'établissement, quand il n'y a pas d'entente puis qu'il n'y a pas de recours à d'autres paliers, c'est la désinscription d'un enfant du réseau du système public pour aller ailleurs, on ne sait où, donc la perte de contact avec la famille, pour aller dans un autre réseau, peut-être un réseau privé ou un réseau d'écoles, qui est quand même en augmentation dans certains quartiers de Montréal. Donc, c'est l'aspect qui a été mentionné par les directions d'établissement, qui les interpelle sur le fait de ne pas avoir la possibilité de trouver de terrain d'entente et que ce soit un repli de la part de la famille de ne plus être dans le réseau public.

Mme Vallée : Et comment vous vous assurez de l'uniformité du traitement des demandes pour vous assurer qu'il y ait, dans l'évaluation d'une demande présentée par un enseignant ou par un élève... qu'il n'y ait pas d'iniquité avec une autre demande qui pourrait être formulée dans votre réseau, dans une autre école? Est-ce que vous avez centralisé au sein de la commission scolaire? Comment c'est organisé, tout ça?

Mme Harel Bourdon (Catherine) : On est obligés d'avoir, dans une portion de tâches d'un de nos conseillers pédagogiques... une portion de tâches de ce conseiller pédagogique là est d'assister les directions d'établissement dans la question des demandes d'accommodement qui proviennent des élèves, ou des parents, ou des élèves adultes, parce que les demandes peuvent venir de plusieurs personnes différentes, et d'avoir toujours un équilibre puis d'avoir un cadre de commission scolaire. Mais je vous dirais que c'est quand même un investissement en temps puis c'est quand même un investissement financier de la part de la commission scolaire.

La même chose pour les congés religieux. Quand M. Gendron, dans son exposé, parlait de 150 000 $, c'est quand même l'équivalent de trois postes d'orthopédagogue. Donc, dans le contexte financier dans lequel on est... Puis entre le personnel de nos établissements, je pense que M. Gendron l'a exposé, ça crée un climat aussi, parfois, avec une certaine tension quand arrivent les congés religieux et que d'autres membres du personnel doivent faire des remplacements — nous, on appelle ça des remplacements d'urgence — pour pouvoir venir combler l'absence de membres du personnel.

Mme Vallée : Et, dans cet encadrement puis cet accompagnement qui est fait par le conseiller pédagogique, le rôle des établissements d'enseignement, il se situe où?

M. Gendron (Robert) : Il se situe très, très près de l'action. Alors, c'est certain qu'on est dans un environnement décentralisé, chaque établissement ayant son propre code de vie, ayant son propre projet éducatif, donc, évidemment, cet environnement-là est spécifique. Mis à part les grandes tendances qui font en sorte que ce qui serait accordé d'un côté ne pourrait pas être en opposition avec ce qui serait accordé de l'autre, ce que notre conseiller pédagogique fait quand il soutient les directions, les solutions, le caractère créatif ou novateur des solutions appartiennent à chacun des milieux. Donc, il n'y a pas véritablement d'inscription, il n'y a pas de comparaison, il n'y a pas de jurisprudence d'une école vers l'autre. Ça ne fait pas partie vraiment de la culture entre les écoles, spécifiquement.

Mme Vallée : Donc, je comprends qu'il n'y a pas non plus de guide présenté qui sert de tracé pour analyser une demande, outre...

Une voix : ...

Mme Vallée : Exactement.

Mme Harel Bourdon (Catherine) : Bien, il y a un élément sur le programme, hein, quand un... Nous, on se base beaucoup sur la Loi de l'instruction publique puis le fait de suivre le programme éducatif québécois. Donc, par exemple, il arrive qu'on ait des demandes d'accommodement sur les questions artistiques, sur la musique, sur les arts plastiques, sur aller dans un musée voir des nus, des choses comme ça. Et donc ce n'est pas juste l'enseignant qui doit prendre la décision, l'enseignant doit travailler avec la direction d'établissement. Mais on convient que l'expression artistique, c'est quand même quelque chose qui est dans le programme québécois et qu'il faut quand même être prudents sur les accommodements qui sont acceptés, pour faire en sorte que nos élèves aient tous accès au même programme éducatif puis accès à l'ensemble des oeuvres artistiques. Donc, par exemple, il y a quelques années, on avait eu une demande, au préscolaire, d'un enfant de cinq ans de ne pas écouter de la musique, mais ça a été refusé, parce que ça fait partie du programme éducatif préscolaire pour l'apprentissage des sons, l'apprentissage de la langue puis la socialisation avec les autres élèves.

• (16 h 20) •

Mme Vallée : D'ailleurs, le respect du programme pédagogique, on le retrouve dans le projet de loi, là, parce qu'il est important que tous les enfants au Québec aient accès à la même formation et à ce régime pédagogique.

Mme Harel Bourdon (Catherine) : ...Mme Vallée, pour la question de la piscine, dans les services de garde, les sorties éducatives, ça devient complexe, avec le nombre d'employés qu'on a puis la... On a beaucoup d'employés de toutes sortes de confessions religieuses qui n'acceptent pas nécessairement d'aller à la piscine, donc c'est un défi, à la commission scolaire de Montréal, de faire des sorties éducatives à la piscine, je pense qu'il faut l'évoquer. Et, en même temps, apprendre à nager, c'est quand même un élément important pour nos élèves. On sait qu'il y a eu des noyades au Québec puis que c'est un élément qui était primordial. Puis souvent c'est des sorties aussi, quand c'est à la piscine du quartier, qui sont très peu coûteuses pour les élèves.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la ministre. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme la présidente, Mme Harel Bourdon, M. Gendron. Bienvenue à cette commission parlementaire. Merci de vous être pointés, comme on dit, d'être venus nous présenter cet avis, surtout qu'il avait été question, lors de la présentation de la Fédération des commissions scolaires du Québec, de la CSDM et du nombre d'accommodements.

À ce que je comprends, ce que je viens d'entendre, c'est qu'il y a des enseignants qui peuvent demander de ne pas aller à la piscine pour motif religieux. Et est-ce que, dans ce temps-là, c'est un poids supplémentaire pour la commission ou si vous refusez systématiquement, en disant : Non, non, votre travail, la tâche, c'est d'aller à la piscine? Comment vous gérez ça?

M. Gendron (Robert) : Donc, en fait, pour être précis, on parlait, à ce moment-là, de services de garde, donc d'activités parascolaires.

Mme Maltais : Ah! de services de garde.

M. Gendron (Robert) : Ce qui fait que c'était beaucoup plus, je dirais, en périphérie du programme. Et, à ce moment-là, les gens qui accompagnent les élèves, ce sont des techniciennes en service de garde, qui n'ont pas du tout le même profil qu'un enseignant, et qui, elles... ou elles ou eux peuvent refuser d'accompagner les groupes. Donc, l'organisation devient extrêmement complexe. Ce qui fait que plusieurs services de garde n'offrent plus ce type d'activité là, parce que ça devient compliqué de le faire.

Mme Maltais : Donc, tous les enfants, par exemple, d'une classe ou qui sont au service de garde, à ce moment-là, peuvent être lésés, je vais le dire comme ça, ne plus avoir accès à la piscine, parce que la technicienne de service de garde ne veut pas aller à la piscine. Et, comme CSDM, vous ne pouvez pas trancher en disant : Non, non, votre travail est d'amener les enfants à la piscine. Vous ne sentez pas légalement avoir le droit de dire ça ou bien vous ne voulez pas dire ça?

Mme Harel Bourdon (Catherine) : Bien, c'est que, contrairement au programme éducatif québécois, l'offre de services aux services de garde n'a pas comme inclusion la question de l'apprentissage de la nage, par exemple, de la natation. Donc, c'est dans le type de prestation de travail, qu'est-ce qui est inclus dans la prestation de travail. La question de sortir avec des élèves dans une sortie, dans une piscine, ce n'est pas quelque chose qui fait partie des conventions collectives, d'où l'importance d'avoir des balises au niveau du gouvernement du Québec pour être en mesure de pouvoir appliquer les choses.

Mais actuellement certaines écoles vont faire des sorties quand même, mais c'est complexe, c'est compliqué parce qu'il faut... On est une des commissions scolaires puis une institution qui a le plus, je dirais, de... dans l'ouverture à ses employés puis d'avoir des gens de toutes confessions, de toutes communautés culturelles. Je pense qu'on a annoncé l'année dernière qu'on était une des institutions qui avait fait le plus d'apports à l'ensemble des communautés, mais il faut comprendre que, dans les services de garde, on a quand même beaucoup d'éducatrices en service de garde qui sont de confession musulmane et que, dans certains milieux, c'est un grand nombre dans un établissement.

Mme Maltais : C'est parce que les piscines sont mixtes?

M. Gendron (Robert) : C'est une question de pouvoir intervenir, d'accompagner les élèves. Il faut dire aussi que les activités du service de garde, contrairement au programme, puisqu'elles ne sont pas imposées, font l'effet, je dirais, d'un équilibre entre les attentes parentales ainsi que les gens qui organisent ces services-là. Ça fait qu'il y a comme une espèce de mouvance qui fait en sorte qu'on a remarqué qu'à plusieurs endroits ça ne faisait plus partie de ce qui était offert.

Mme Maltais : O.K. Mais aller à la piscine, ce n'est pas le problème. Est-ce que c'est la mixité de...

Mme Harel Bourdon (Catherine) : La problématique, c'est qu'il faut qu'il y ait des employés dans la piscine qui se baignent avec les élèves pour faire une surveillance. Ce n'est pas simplement la surveillance des sauveteurs de la piscine, donc, il faut que les employés aussi soient dans la piscine avec les élèves.

Mme Maltais : Parfait. Je viens de comprendre. Merci.

Prestation de services à visage découvert. Vous attirez notre attention sur le fait qu'il est écrit «lors de la prestation du service».

Bon. C'est sûr que ça mérite d'être spécifié, en tout cas on va en débattre sûrement pendant l'étude article par article, mais est-ce que, pour vous, le fait qu'il y ait possibilité d'accommodement vous dérangeait? Il y a beaucoup de gens qui sont venus nous dire : L'exception, même pour les services qui sont donnés par un membre de la fonction publique, ne devrait pas être là, sauf dans des cas de santé extrêmes, par exemple — c'est l'expression. Là, l'exception, elle est possible, sauf en cas d'identification et communication.

Il y a des gens des commissions scolaires qui sont venus nous dire : Nous, on voudrait que ce soit... il faut que le service soit donné à visage découvert. Est-ce que vous êtes de cette tendance-là?

Mme Harel Bourdon (Catherine) : La prestation de services doit être donnée à visage découvert. Selon la commission scolaire de Montréal, tout type de travail, comme institution publique laïque... Puis il faut comprendre aussi que nos gens changent de postes, donc qu'ils peuvent être dans un poste attribué au téléphone à un moment de leur carrière professionnelle, mais, à un autre moment, ils peuvent être en contact avec des élèves dans un centre pour adultes, dans un centre jeunes. Il y a quand même de grands mouvements à l'intérieur de notre personnel et on pense que l'ensemble des membres de notre personnel devraient donner une prestation de travail, qui est plus large que juste la prestation de services, une prestation de travail à visage découvert pour des raisons aussi de sécurité. Je l'ai évoqué tout à l'heure. On a quand même la responsabilité de mineurs pendant la journée, et, le fait d'avoir des gens à visage découvert et d'être capables de les identifier, d'identifier leur identité, je pense... C'est quand même une question importante, la sécurité de nos élèves quand ils sont dans le milieu scolaire.

Mme Maltais : Donc, ça va être très difficile à vivre en milieu scolaire avec des enfants que la possibilité d'exception, pour deux raisons : d'abord, l'obligation d'identification — on sait comment on fait attention aux gens qui vont dans les écoles; et, deuxièmement, la difficulté, s'il y a des déplacements... puis ça doit être difficile à gérer, les conventions collectives, à ce moment-là, qu'il y ait la possibilité d'avoir de l'avancement et le fait qu'il y ait des postes où on ne pourra pas avoir le visage découvert. Je vois le niveau de difficulté potentielle, si ça se présentait.

Mme Harel Bourdon (Catherine) : Bien, nous, on pense que ça devrait être à visage découvert pour l'ensemble de nos employés.

Mme Maltais : Point final. Et puis, du côté des parents, du côté des gens qui viennent demander des services, quelle est votre opinion là-dessus, sur la possibilité d'avoir des exceptions? Parce que, comme la loi est écrite actuellement, un parent pourrait s'identifier et ensuite continuer à travailler avec la prof à visage couvert. C'est ce que dit cette loi.

Mme Harel Bourdon (Catherine) : C'est sûr que, dans une rencontre sur le bulletin scolaire d'un élève, le fait d'être capable de communiquer puis de pouvoir être à visage découvert entre le parent qui reçoit le service ou l'information sur son enfant et l'enseignante, c'est quand même important dans la communication puis dans l'échange. Et, juste dans l'arrivée à l'école, dans l'entrée à l'école... Parce que, vous savez, on a toute une gestion de la sécurité aussi entourant les établissements, et je pense qu'à l'ère des problématiques de sécurité qu'on a vécues un petit peu partout dans le monde pour toutes sortes de raisons qui sont parfois aussi autres que religieuses il y a quand même un impact important de... On regarde les antécédents judiciaires de nos parents bénévoles qui font des sorties avec les élèves, qui vont à la bibliothèque avec les élèves. Donc, la sécurité est au coeur de notre travail quotidien comme commission scolaire.

Puis, dans les échanges de prestation de services, bien, c'est sûr qu'il peut y avoir des parents qui, dans leur vie privée, ne sont pas à visage découvert. Mais la réalité de ce qu'on voit actuellement, c'est que c'est souvent les pères qui viennent à ces rencontres-là.

M. Gendron (Robert) : Si vous permettez. Dans la tournée que j'ai faite, il était très, très, très clair que, les quelques fois où la présence d'une personne complètement à visage couvert a créé tout un émoi dans les établissements, ces personnes-là étaient accompagnées, ça a permis de pouvoir quand même rendre le service.

Mais, manifestement, l'appel qui m'a été fait, c'est de m'assurer de vous faire comprendre qu'il y avait un besoin de clarifier la chose et de rendre cette occurrence-là impossible, de façon à ce que ça ne devienne pas une responsabilité locale de déterminer si c'est possible ou pas possible. C'est à peu près invivable comme situation, là. Et ce n'est tellement pas acceptable dans un environnement éducatif, à cause de la nécessaire communication à plein de niveaux, verbal, non verbal, la disponibilité, la... Bon, tout ça fait que c'est un appel à quelque chose de très, très clair là-dessus.

Mme Maltais : Merci beaucoup. C'est clair.

• (16 h 30) •

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy : Merci, M. le Président. Madame, monsieur, merci, merci beaucoup. J'ai lu le mémoire. Et il y a quelque chose qui attire mon attention dans le projet de loi, puis vous n'en parlez pas, ça fait que j'aimerais que vous en parliez parce que ça touche les commissions scolaires.

Dans le chapitre II, on nous dit : «Mesures favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État. [...]Champ d'application.» Et, dans l'article 2, on dit : «Les mesures du présent chapitre s'appliquent aux membres du personnel des organismes publics suivants...» On les énumère. On dit : Les commissions scolaires. Donc, c'est vous. Mais plus bas, après le paragraphe 7° : Il est également considéré comme un membre du personnel d'un organisme — ta, ta, ta — administrateur — ta, ta, ti, ta, ta, ta — «à l'exception d'une personne élue». Donc, toute la loi s'applique aux commissions scolaires, à l'exception d'une personne élue, donc les commissaires scolaires.

Donc, les commissaires scolaires sont exclus de l'application de la loi, si je comprends le droit. Alors, qu'en pensez-vous, de cette exception-là? On enlève les élus, et vous avez chez vous, dans les commissions scolaires, des élus.

Mme Harel Bourdon (Catherine) : Bien, écoutez, moi, si c'était juste de moi, on inclurait les élus, dont les commissaires scolaires, dans cette question-là. Je pense que ça vient... puis je ne suis pas juriste comme la personne précédente, ça vient de ce qui existe comme lois au niveau provincial, au niveau fédéral, qu'on exclut les élus de ce type d'article là. Mais, selon moi, les commissaires scolaires devraient être inclus.

Cependant, je ne suis pas, disons, à une surprise près de certains articles de la loi, entre autres, du projet de loi sur la gouvernance des commissions scolaires, où il y avait certains articles qui me semblaient étranges, des nouveaux articles, ou encore de la Loi sur l'instruction publique puis des articles qui sont inclus déjà dans la Loi sur l'instruction publique puis dans la Loi sur les élections scolaires, qui devrait être revue elle aussi.

Mme Roy : J'aime bien votre réponse, surtout que, vous le savez, on a déconfessionnalisé justement nos écoles, nos commissions scolaires. Mais là on crée une exception pour les commissaires scolaires, qui, eux, ne seraient pas soumis à cette loi-là. Je trouvais ça particulier, mais je suis contente d'entendre votre réponse.

Par ailleurs, vous parlez des services rendus, donnés à visage découvert. Eh oui, Montréal, multiculturelle, vous avez des enfants qui viennent de toutes les origines, de toutes les confessions, et également des enseignants, du personnel, et c'est bon qu'il en soit ainsi. Cependant, l'article 9 ouvre la porte, de la façon dont il est rédigé, parce qu'on parle de neutralité religieuse, mais j'ai compris à la lumière de la lecture et aussi de tous les intervenants qui viennent ici qu'on ne parle pas de laïcité, mais cette neutralité garantit le fait qu'aucune religion n'est favorisée ou défavorisée. Donc, le corollaire : on les accepte tous, on accepte tout, et il n'y a aucune interdiction de port de signes religieux.

Alors, à l'article 9, en voulant spécifier que les services doivent être reçus et donnés à visage découvert, on ouvre ici la porte, par exemple, au fait d'avoir une enseignante qui pourrait porter le tchador. Je ne sais pas si vous comprenez ça de la même façon que moi. J'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que c'est ce que vous comprenez de cet article-là?

Mme Harel Bourdon (Catherine) : Bien, ce qu'on comprend, c'est qu'il y a des accommodements qui peuvent être pris qui impliquent un aménagement à l'une ou l'autre des règles possibles, sauf si ça a un lien avec la sécurité, l'identification, le niveau de communication requis qui le justifient. Donc, c'est sûr qu'on ouvre la porte, dans le projet de loi n° 62, à des exceptions sur le visage découvert, et c'est pour ça que je disais à votre collègue tout à l'heure que ça devrait être l'ensemble des employés des commissions scolaires qui doivent donner une prestation de travail à visage découvert.

Mme Roy : ...ma question. Le visage découvert, ça vise, naturellement, le voile, on le comprend, mais ça vise aussi le tchador. Et certains ont déjà dit à une certaine époque que la burqa, le niqab et le tchador étaient des accessoires de soumission de la femme. Et j'aimerais comprendre comment la commission scolaire qui est la vôtre se prépare à l'éventualité du fait que cette loi permettra... sans dire «allez-y», mais permettra, dans la mesure où ce sera possible, à une enseignante de postuler chez vous en portant le tchador, qui est cet accessoire de soumission de la femme.

Alors, dans quelle mesure est-ce que la commission scolaire de Montréal se prépare à cette éventualité, cette possibilité? Parce que ça le deviendra si le projet de loi est adopté tel quel.

Mme Harel Bourdon (Catherine) : En fait, on a déjà des membres de notre personnel, des employés, qui portent le hidjab. C'est assez courant. C'est assez courant chez nos élèves aussi. Et on ne peut pas discriminer une personne qui porte un hidjab ou un tchador lorsqu'on engage, lorsqu'on passe une entrevue, lorsqu'on fait faire la sélection.

Et je vous dirais que, moi, ce qui me préoccupe, puisque vous m'ouvrez la porte, Mme Roy, c'est par rapport aux élèves, sur le fait que, depuis quelques années, c'est de plus en plus jeune, le port du hidjab chez les petites filles de sept ou huit ans, on parle du deuxième cycle et même du premier cycle du primaire, alors qu'avant on était plus à l'école secondaire, et certaines, au troisième cycle du primaire, donc 10, 11, 12 ans. Mais, dans certaines écoles, on voit l'apparition du voile beaucoup plus tôt, avant la puberté.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme Catherine Harel Bourdon, M. Robert Gendron, représentant la commission scolaire de Montréal.

Nous suspendons quelques minutes. Nous demandons aux Libres Penseurs athées de bien vouloir s'approcher, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 16 h 36)

(Reprise à 16 h 38)

Le Président (M. Ouellette) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons les Libres Penseurs athées et son président, M. David Rand. Vous allez nous présenter les gens qui vous accompagnent. Vous avez 10 minutes pour faire votre présentation et, par la suite, vous aurez un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions. M. Rand, à vous la parole.

Libres Penseurs athées

M. Rand (David) : M. le Président, Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, nous vous remercions de nous donner l'occasion de présenter notre point de vue sur ce projet de loi n° 62. Je me présente, David Rand, président de Libres Penseurs athées, une association de défense des droits des athées qui prône le matérialisme philosophique, la pensée critique et la laïcité. Je suis accompagné de mes collègues Pierre Thibault et Pierre-André Renaud, tous deux membres du conseil d'administration de notre association.

Vous avez, sans doute, pris connaissance de notre mémoire. Nous, Libres Penseurs athées, nous opposons à l'adoption du projet de loi n° 62, car il ne traite que de la neutralité religieuse de l'État comprise dans le sens d'accorder des privilèges égaux à chacune des religions. Nous, par contre, prônons la laïcité de l'État, ce qui implique que cet État ne doit accorder de privilège à aucune religion et ne doit en favoriser aucune. Au fait, le projet de loi n° 62 n'arrive même pas à atteindre son but déclaré, de neutralité. Nous demandons donc au gouvernement de le retirer, mais, avant de préciser nos objections, nous voudrions expliquer rapidement notre façon d'aborder les religions et ensuite la position que l'État devrait adopter face au phénomène religieux.

• (16 h 40) •

Nous sommes athées. Notre philosophie est matérialiste. Nous rejetons ainsi toute croyance en des agents et phénomènes surnaturels comme les dieux, les démons, et ainsi de suite. Nous considérons que de telles croyances sont non seulement fausses, mais nuisibles, car elles éloignent le croyant de la réalité. Pire encore, les monothéismes pervertissent dangereusement la morale humaine, cette morale qui est notre patrimoine, produit de notre évolution biologique et culturelle en tant qu'espèce sociale, en attribuant cette morale à une hypothétique autorité parentale tyrannique dans le ciel. Les porte-parole de ces monothéismes — le judaïsme, le christianisme et l'islam, pour les nommer en ordre historique — se prétendent experts en matière de morale, mais ils sont des charlatans, car leur soi-disant expertise est complètement nulle et infondée.

Nous nous opposons donc à tout accommodement pour des motifs religieux dans les services publics comme nous nous opposerions à un accommodement accordé pour des motifs astrologiques, par exemple. Si la demande n'est pas justifiée par des besoins réels et objectifs, par exemple un handicap physique, une question d'hygiène ou de santé, alors elle est irrecevable.

Nous sommes d'avis que la religion est une affaire de vie privée. Les affichages ostentatoires d'apparence religieuse peuvent être tolérés en public, mais seulement en dehors des institutions publiques. Nous nous opposons donc aux signes religieux dans la fonction publique, qu'ils soient affichés dans les lieux physiques, comme le crucifix au salon bleu de l'Assemblée nationale, ou portés par les fonctionnaires en service. Nous prônons la laïcité afin de protéger la liberté de conscience de tous, incluant la liberté de religion et la liberté de s'affranchir de la religion. Les religions sont les plus dangereuses lorsqu'elles s'ingèrent dans les affaires d'État et détiennent ainsi un pouvoir politique. Les tenants d'une religion affichent et portent des signes de leur religion pour la même raison que les commerces font de la publicité : pour faire connaître et vendre leurs produits, pour augmenter le nombre de clients ou d'adeptes. Ce genre de prosélytisme, c'est-à-dire de propagande, est inacceptable chez les fonctionnaires d'État. De plus, nous considérons que la religion est une affaire d'adulte et nous nous opposons à l'endoctrinement religieux des enfants.

Les athées constituent une importante minorité dont le nombre est en croissance constante. Les gens sans religion, c'est-à-dire les athées, les autres incroyants et les gens sans appartenance religieuse constituent une minorité encore plus importante, au fait, la plus importante en matière religieuse. Toutefois, nous sommes discriminés par toute mesure qui privilégie les religions, en particulier par la permission du port de signes religieux et par les accommodements religieux. Vous verrez rarement un athée manifester ostensiblement, par sa tenue vestimentaire, par exemple, ce qu'il pense des religions lorsqu'il est au service de l'État. Il considère que son incroyance relève du domaine privé et il s'impose un devoir de réserve à cet égard. Nous exigeons la même réserve de la part des croyants et nous demandons à l'État de légiférer dans ce sens.

Le Président (M. Ouellette) : M. Renaud.

M. Renaud (Pierre-André) : De plus, les athées sont la cible d'un préjugé vieux de plusieurs millénaires, l'athéophobie, selon lequel les athées n'auraient pas de morale, une superstition qui s'appuie sur l'imposture selon laquelle les théismes posséderaient le monopole de la morale. Le volet culture religieuse du programme d'éthique et culture religieuse est un exemple d'athéophobie implicite, car ce programme néglige presque complètement les incroyants et même les croyants non pratiquants, comme si l'éthique était impossible sans religion.

Des trois religions monothéistes, l'islam mérite une attention particulière, puisqu'une variante hautement politisée et extrêmement virulente, l'islamisme, sévit actuellement et fait des ravages. Ces ravages ne sont pas que physiques, cette idéologie fait aussi des dégâts au niveau des idées et des symboles, ayant une influence très négative sur la liberté d'expression et sur les débats politiques. L'islamisme mène actuellement une campagne de prosélytisme identitaire à l'échelle planétaire dans le but d'imposer ses valeurs, et, pour ce faire, un de ses outils de choix est le voile islamiste sous toutes ses formes. Le voile intégral, en particulier, constitue un aveulissement de la femme, ce qui est justement une des valeurs ainsi véhiculées. Un autre de ses outils préférés est l'utilisation d'accusations spécieuses d'islamophobie dans le but de censurer toute critique légitime de l'islam et de son cousin totalitaire, l'islamisme.

Or, face à tous ces défis, le projet de loi n° 62 s'avère non seulement inutile, mais, encore pire, il ouvre l'État à l'ingérence religieuse. Il ne définit pas la neutralité religieuse de l'État et ne mentionne ni la séparation entre État et religion ni la laïcité. La vision qui est présentée s'apparente davantage au multiconfessionnalisme qu'à la neutralité. Les signes religieux permis par le projet de loi constituent une manifestation de l'appartenance religieuse et une forme de prosélytisme aussi nuisible que l'affichage d'opinions politiques partisanes.

De plus, le projet de loi permet des accommodements, c'est-à-dire des privilèges, sur la base de l'appartenance religieuse accordés à certains croyants au détriment des athées, des autres incroyants et des croyants plus modernistes ou non pratiquants. Cette situation va directement à l'encontre de la neutralité religieuse. Le projet de loi n° 62 institutionnalise les privilèges religieux en expliquant comment faire exception aux règles, déjà faibles, se limitant à peu près à interdire les couvre-visages, qui y sont stipulées, mais de tels privilèges, de tels accommodements ne peuvent se justifier qu'en faisant une fausse équivalence entre les pratiques religieuses et les obligations objectives. Au fait, une pratique religieuse, par exemple le fait de porter un vêtement identitaire en tout temps, n'est jamais une obligation réelle. Au contraire, si le croyant l'exerce volontairement, il s'agit d'un choix libre, tandis que, s'il y est forcé, alors il s'agit d'une atteinte à sa liberté de conscience, une pression indue exercée par certains éléments à tendance intégriste dans son milieu familial ou communautaire. Donc, permettre la pratique ne fait que valider cette atteinte à la liberté. Si, par contre, la pratique est interdite dans la fonction publique, cela crée un espace libre, un espace laïque, un espace où cette pression injuste est inopérante. Quant à la personne qui adopte cette pratique volontairement, sa liberté de religion n'est nullement compromise, car elle peut toujours pratiquer sa religion en dehors de son lieu de travail.

Le projet de loi n° 62 se situe bien en deçà de la commission Bouchard-Taylor, qui au moins recommandait la prohibition des signes religieux chez les agents de l'État en position d'autorité. Pire encore, il néglige le milieu primordial des écoles et des services de garde des enfants. Les enfants étant particulièrement sensibles au message que peuvent véhiculer les vêtements et les symboles, ne pas se préoccuper des signes religieux dans ce milieu relève de la négligence.

Pour conclure, le projet de loi n° 62 est totalement inadéquat. Une législation si mal conçue est pire qu'une absence de législation, car cette loi entérinerait des privilèges religieux et elle nuirait grandement à la neutralité religieuse, qu'elle prétend faussement promouvoir. Dans notre mémoire, nous identifions un certain nombre de mesures que nous considérons nécessaires afin de poursuivre la laïcisation de l'État québécois, un processus déjà en cours depuis plus d'un demi-siècle. Mais l'effet du projet de loi n° 62 serait de bloquer brutalement cette évolution. La priorité immédiate, donc c'est de retirer ce projet. Merci.

Le Président (M. Ouellette) : Merci. Mme la ministre.

Mme Vallée : Merci, messieurs. Merci. Évidemment, comme je l'ai mentionné, on peut avoir des opinions différentes. Je vous dirais que je vous écoute et vous nous indiquez que, bon, ce projet de loi doit être retiré, mais la liberté de conscience, qui inclut celle de ne pas croire, de ne pas adhérer à aucune religion, et la liberté de religion sont protégées par nos chartes. Qu'on le veuille ou non, là, ce sont des droits protégés par la charte québécoise puis par la Charte canadienne des droits et libertés de la personne. Puis ça, ça protège ceux qui, comme vous, n'adhèrent à aucune religion, ne croyez pas, protège cette liberté d'exprimer cette conscience mais protège aussi l'individu qui a le droit de croire à une religion, à une divinité, peu importe, et il n'appartient pas à l'État d'apporter un jugement sur la valeur de cette croyance ou de cette non-croyance-là. C'est ce que le projet de loi vise à faire respecter, c'est-à-dire que les individus, dans la société, ont des droits et de ces droits-là découlent les accommodements. On parle des accommodements. Ici, on parle d'accommodements religieux en lien avec cette liberté de croyance et cette liberté de religion.

Mais les accommodements découlent d'un respect des droits, puisque, comme d'autres groupes sont venus nous le mentionner, les accommodements touchent également les personnes handicapées, toute forme de discrimination, et l'accommodement raisonnable vise à permettre à tous d'être égaux. Donc, je vois difficilement comment, dans une société libre et démocratique comme celle du Québec, on pourrait du coup balayer toute forme d'accommodement ou un accommodement religieux et balayer ces droits, qui sont déjà prévus à la charte. Parce que ce que vous nous demandez, ce que vous demandez aux parlementaires aujourd'hui, c'est de retirer le projet de loi et de ne pas accorder aucune forme d'accommodement basé sur la religion. C'est bien ça?

• (16 h 50) •

Une voix : Oui.

Mme Vallée : Oui. Donc, comment est-il possible de faire ça dans le contexte où le droit à la religion, il est prévu? Je comprends, et la Cour suprême, elle est assez... les décisions de la Cour suprême sont très intéressantes, parce que cette liberté-là de conscience, cette protection de la liberté de conscience visent aussi à protéger ceux qui ne croient pas. Ça ne vise pas à placer quiconque au-dessus de l'autre, ça ne vise pas à procéder à une hiérarchisation des différentes manifestations de cette croyance ou de cette non-croyance, mais ça vise plutôt à protéger tout le monde et s'assurer que personne n'aura de traitement inéquitable de par sa croyance ou son absence de croyance.

Alors, comment pourrions-nous arriver à mettre de côté toute forme d'accommodement, alors que nos chartes, la Charte canadienne... Je comprends que certaines personnes ne sont pas à l'aise avec la Charte canadienne, mais notre charte québécoise prévoit aussi cette liberté de religion. Alors, comment, à partir du moment où on l'a à l'intérieur de nos textes, comment pourrions-nous justifier d'interdire toute forme d'accommodement sur un droit garanti par la charte?

Le Président (M. Ouellette) : M. Rand.

M. Rand (David) : Comment peut-on justifier de faire des accommodements qui sont de la discrimination en faveur des croyants, et contre les incroyants, et contre les croyants qui ne sont pas pratiquants? Et c'est presque surtout les croyants les plus pieux et mêmes intégristes qui demandent des accommodements. Imposer une prohibition des signes religieux dans la fonction publique ne change en rien la liberté de croyance. La personne a la même croyance. Sa croyance n'est pas touchée, elle continue à croire. C'est seulement, la pratique durant les heures de travail pour les fonctionnaires. Ce n'est pas une contrainte sur la liberté de religion, c'est une petite contrainte raisonnable sur la liberté d'expression.

C'est-à-dire que, dans la fonction publique, si vous êtes fonctionnaire, vous travaillez pour l'État, vous êtes au travail, vous devriez être tenu à un devoir de réserve, sans afficher votre appartenance religieuse, comme vous êtes tenu par la Loi sur la fonction publique à ne pas afficher vos couleurs politiques. Il y a déjà dans la loi québécoise une disposition à cet effet, que les fonctionnaires ont un devoir de réserve politique. Le fonctionnaire ne doit pas porter, par exemple, un tee-shirt en disant : Votez péquiste, ou quoi que ce soit. Alors, il faut avoir la même contrainte pour la religion. Les croyances religieuses ont très souvent, sinon toujours des applications politiques, et ce n'est nullement une contrainte sur la liberté de religion. Au contraire, ce sont les accommodements religieux qui sont un avantage accordé de façon discriminatoire, qui favorisent les croyants, qui favorisent les croyants les plus fervents et souvent intégristes et qui discriminent les croyants non pratiquants, les croyants qui acceptent de s'adapter à la modernité. Ça discrimine les athées comme nous.

En ce qui concerne la Cour suprême, je vous rappelle la décision de 2015 dans la question de la prière dans la ville de Saguenay. La cour a stipulé que, lorsque le fonctionnaire d'État agit en tant que fonctionnaire, il doit montrer une neutralité religieuse, tandis que, quand il n'est pas représentant de l'État, il n'a pas ce même devoir. Alors, il n'est pas clair, dans la décision, exactement où tracer la ligne, mais il y a un consensus parmi beaucoup de gens, et nous sommes tout à fait d'accord avec ce consensus, que la ligne doit être tracée entre les fonctionnaires en service et tout le monde qui ne soit pas fonctionnaire en service.

Donc, s'il y a une femme qui est fonctionnaire qui veut porter le hidjab, qu'elle le porte avant d'arriver au bureau, qu'elle l'enlève au bureau et qu'elle le remette en quittant le bureau, si nécessaire. Même chose avec un crucifix, une kippa, n'importe quel symbole évident. Il faut que ces symboles ne soient pas portés par les fonctionnaires pendant les heures de travail.

Mme Vallée : Mais, en fait, vous faites dire à la décision Saguenay quelque chose qu'elle ne dit pas, parce qu'elle ne vient pas déclarer quoi que ce soit quant au port de signes religieux chez les fonctionnaires de l'État. Et il n'y a aucun endroit, au contraire, même si... Au paragraphe 69°, elle dit : «Cet extrait montre que la liberté de conscience et de religion protège d'un côté le droit de croire, de professer ouvertement ses croyances et de les manifester.» L'État est distinct de ceux et celles qui le composent, et ceux et celles qui le composent ont droit à leur liberté de croire et de ne pas croire, mais l'État dans la prestation de services, là, c'est différent.

Et en quoi... et moi, je suis toujours un petit peu étonnée, en quoi quelqu'un qui porte un crucifix, une kippa, un hidjab est privé... et en quoi ce port de signes là vient-il porter atteinte à la neutralité? Parce qu'il ne vient pas entacher d'aucune façon la prestation de services. C'est la prestation de services qui doit être neutre. La personne portant le signe religieux ne doit pas vous discriminer en raison du fait que vous ne croyez pas. On s'entend? Donc, le fait que vous n'ayez pas de croyance ne doit pas être un motif de discrimination par la personne qui porte un signe, au même titre que, si une personne qui ne croit pas, qui est athée, rend un service à une personne qui porte un signe religieux, bien, la prestation de services ne doit pas d'aucune façon être discriminatoire. Alors, quelle est la différence? Parce que je sais que vous allez faire le parallèle avec la liberté politique, mais il y a tout un historique derrière ça, et je pense qu'il y a des décisions qui viennent indiquer que la question politique n'est pas... le devoir de réserve politique puis le devoir de réserve religieuse, ce n'est pas tout à fait les mêmes choses, on n'est pas dans la même sphère.

M. Renaud (Pierre-André) : Ce que je pourrais suggérer par rapport à la hiérarchisation des droits individuels versus, peut-être, collectifs, c'est qu'on a des décisions à prendre.

Les droits individuels, la liberté de conscience, c'est évidemment un des droits fondamentaux. Par contre, que penser d'un employé qui décide de placer ses croyances personnelles au niveau, par exemple, du port de vêtements, de symboles religieux au-dessus de l'importance de servir les citoyens, au-dessus de l'État qu'il est censé représenter de manière neutre? Que penser de cet employé qui décide de faire fi des droits de sa clientèle au nom de ses croyances personnelles, qu'il a décidé de placer au-dessus de toutes les autres valeurs collectives pour lesquelles l'État l'emploie? Et est-ce qu'à ce niveau-là on ne parle pas d'une hiérarchisation qui va être faite par le croyant qui tient à exercer son droit individuel aux dépens des droits collectifs, aux dépens des droits des citoyens qu'il est censé servir?

Un peu comme la justice est censée servir de manière... il faut qu'il y ait justice et apparence de justice. Je crois que toutes les personnes qui sont en position d'autorité, encore plus, que ce soient des professeurs, que ce soient des gens qui travaillent au niveau de la justice... je crois que c'est encore plus important de démontrer une neutralité absolue pour gagner la confiance aussi du citoyen qui vient faire appel à ces services. Parce qu'on peut créer facilement un sentiment de malaise lorsqu'un citoyen se présente et fait face à quelqu'un qui présente des signes clairs de croyance religieuse qui peuvent peut-être lui faire croire, au citoyen, qu'il sera mal servi.

Je crois qu'il y a une hiérarchisation qui est faite, à ce moment-là, dès que l'employé décide de placer ses droits individuels au niveau ou au-dessus des droits collectifs de la clientèle féminine, masculine, peu importe, des citoyens qu'il est censé desservir de manière neutre. Est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de malsain à ce niveau-là, de contradictoire?

• (17 heures) •

Le Président (M. Ouellette) : Mme la ministre, il reste 30 secondes.

Mme Vallée : Mais, en tout cas, simplement, je vois difficilement en quoi la prestation de services est affectée par le port d'une croix, par le port d'une kippa, par le port d'un hidjab. On le mentionnait un peu plus tôt aujourd'hui, on a des élus qui... pas ici, à l'Assemblée nationale, mais on a eu des élus... notamment, je pense à l'abbé Gravel, qui allait à la Chambre des communes portant son col romain, je pense à d'autres élus qui... et d'aucune façon on a pu prétendre que ces gens-là privilégiaient ou hiérarchisaient les droits et privilégiaient une religion au détriment d'une autre. La neutralité, elle est dans la prestation de services, elle n'est pas dans la façon dont la personne exprime sa croyance ou sa non-croyance. Certaines religions ou certaines absences de religion, une non-croyance, par exemple... Les athées n'ont pas... évidemment, on ne peut pas identifier un athée d'un croyant. Mais je vois difficilement en quoi ce port de signes religieux peut porter atteinte à la prestation de services.

Le Président (M. Ouellette) : C'est tout, Mme la ministre. Mme la députée de Taschereau.

Mme Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, Libres Penseurs athées. D'abord, une première question : Qui est membre de Libres Penseurs athées? Comment ça fonctionne? Toutes les autres organisations... c'est arrivé une fois où je l'ai demandé, parce que je n'avais pas d'indication. D'habitude, les gens nous disent : On est affiliés à telle association, notamment. J'aimerais savoir qui vous êtes.

M. Rand (David) : Nous sommes une association basée à Montréal. Nous participons au Rassemblement pour la laïcité parce que c'est un regroupement qui prône la laïcité. Nous sommes aussi affiliés à deux associations internationales : l'Alliance athée internationale et l'Association internationale de la libre pensée.

Mme Maltais : Vous avez plusieurs membres?

M. Rand (David) : Oui. Moins d'une centaine. On est une petite association.

Mme Maltais : O.K. Une petite association, mais c'est important, vous êtes les premiers qui viennent qui sont supporteurs de l'athéisme, si j'ose dire ainsi. Et je peux vous dire que moi, je comprends tout à fait. Je me suis déjà exprimée là-dessus, que, quand je suis devant quelqu'un qui a un signe religieux, je dirais, à tout le moins, ostentatoire, je me pose la question si je vais être traitée de façon neutre religieusement. Je ne comprends même pas que quelqu'un puisse poser la question, puisqu'en matière de religion comme en matière d'intérêts l'apparence veut dire quelque chose. C'est-à-dire que l'apparence, elle est que quelqu'un a considéré que sa religion, surtout en matière d'autorité — je vais juste y aller en matière de personnes en situation d'autorité — est tellement importante, c'est tellement important qu'elle a demandé à dépasser les règles d'usage de l'uniforme pour pouvoir porter les signes religieux. Vous ne trouvez pas que... Est-ce que c'est au citoyen de se poser la question sur la neutralité religieuse du fonctionnaire devant lui ou devant elle? Parce que c'est ça que ça provoque : c'est reporter le poids au citoyen de se demander si la personne est neutre. Il y a quelque chose d'un peu particulier là-dedans. Autrement dit, je suis un petit peu de votre bord, là.

M. Rand (David) : Effectivement, je n'arrive pas à comprendre comment on puisse poser une question comme : En quoi ça peut être discriminatoire? Il est évident que ce qu'on porte, ce qu'on affiche porte un message. Et il faut qu'il y ait neutralité et perception de neutralité. Donc, ça brise au moins la perception, parce que la personne qui porte un signe religieux est associée fortement à cette religion et c'est comme si la personne attachait plus d'importance à son appartenance religieuse qu'à son emploi.

Et moi, j'aurais une question : Qu'est-ce qui va se passer si cette loi est adoptée et les signes religieux sont permis? Alors, est-ce qu'on va permettre des signes antireligieux aussi? Est-ce qu'un fonctionnaire pourrait porter notre tee-shirt, par exemple, au travail, dans la fonction publique ou est-ce qu'il pourrait porter des messages antireligieux comme ce message-là concernant l'homophobie religieuse ou des slogans antireligieux qui impliquent que les religions sont un peu comme des maladies? Est-ce que la personne athée va avoir le droit de porter ce genre de signes? Parce que, normalement, les athées ne font pas ça, parce que nous sommes plus discrets, mais, si on persiste à vouloir permettre aux croyants de porter ostensiblement leurs symboles un peu partout, même quand ils sont au travail et représentent l'État, pourquoi les athées ne pourraient pas faire la même chose avec les messages antireligieux?

Mme Maltais : Vous posez la question des accommodements religieux, vous dites qu'il ne devrait pas y en avoir du tout. S'il n'y a pas de privilège, si, par exemple, ce dont on a parlé beaucoup en commission parlementaire, une personne disait : Bon, bien, je veux un congé religieux, mais je vais le prendre à l'intérieur de ma banque de congés, si c'est inscrit dans la convention collective que, pour une raison de maladie comme pour une raison religieuse, et tout, tu peux prendre ça dans ta banque de congés, à ce moment-là il n'y a aucun privilège, il y a simplement un choix personnel, est-ce que ça vous dérange, ça, ou ça va? Parce que, moi, ce que je comprends, c'est qu'on ne veut pas de privilège envers le phénomène religieux.

On peut être contre les religions, être athée mais comprendre que les autres ont des convictions et accepter qu'ils manifestent ces convictions dans le cadre de règles qu'on se donne ensemble, là. Nous autres, on cherche des règles pour introduire ça.

M. Thibault (Pierre) : Notre organisation est universaliste, dans le sens que nous croyons que toutes les personnes doivent avoir exactement les mêmes droits. Donc, ce qui nous dérange beaucoup avec ce projet de loi, c'est qu'on donne des privilèges à un certain groupe et pour une certaine raison qui est la religion. On comprend difficilement pourquoi nous, on ne pourrait pas manifester notre opinion ou que d'autres gens ne pourraient pas manifester leurs opinions personnelles, leurs convictions personnelles ou leurs convictions politiques. Parce que, quand une personne exprime son appartenance religieuse par un symbole religieux, elle exprime aussi une idée qui est personnelle, qui est politique. C'est cette exception-là qui nous rend profondément mal à l'aise. Et on croit que ça rend mal à l'aise beaucoup de gens et que ça crée une division importante au sein de la société québécoise.

Mme Maltais : Mais, de la même façon qu'on ne peut pas imposer à tout le monde d'être religieux, on ne peut pas imposer à tout le monde d'être athée. Alors, j'essaie vraiment de comprendre, là, jusqu'où vous voulez aller, parce que dire que c'est un privilège, c'est comme si le fait d'être... Quelle est la différence entre le fait d'afficher... pas d'afficher, parce qu'on n'est pas dans une loi sur l'affichage, le fait de vivre sa religion et le fait de ne pas vivre... Le fait de le vivre serait un privilège. Bien, je ne suis pas dans l'affichage, là, mais, là-dedans, il n'y a aucun privilège dans l'idée de la banque de congés, là.

M. Rand (David) : Pour la question des congés, nous avons abordé rapidement cette question dans notre mémoire, et, à notre avis, la solution, c'est d'avoir un certain nombre de congés mobiles disponibles pour tout fonctionnaire. Donc, peu importe la religion ou l'appartenance ou pas de la personne, on donne la même banque de congés, un certain nombre de ces congés sont mobiles, et on s'arrange avec et on ne fait aucun autre privilège, on se limite à ça, et c'est universel et facile à gérer parce que c'est égal pour tout le monde.

Mme Maltais : Donc, ça enlève la notion d'accommodements religieux dans ce cas-là, c'est simplement un accommodement personnel, si vous voulez.

M. Rand (David) : Accordé à tout le monde. Donc, ce n'est pas un privilège.

Mme Maltais : Oui, qui est à tout le monde, puis il est pour tout motif.

M. Thibault (Pierre) : Pour nous, un accommodement, comme par exemple les accommodements qu'il pourrait y avoir dans une cafétéria si les gens veulent manger, par exemple, halal ou cacher, ça doit être vu comme une demande qui est personnelle. Je ne comprendrais pas pourquoi, par exemple, quelqu'un qui est végétarien qui demanderait à avoir un repas végétarien serait traité autrement que quelqu'un qui fait une demande personnelle pour un repas halal ou cacher.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, Mme la députée de Taschereau. Mme la députée de Montarville.

• (17 h 10) •

Mme Roy : Merci, M. le Président. Merci, messieurs. J'ai lu votre mémoire avec intérêt. Il y a vraiment matière à réflexion. Entre autres, il y a un paragraphe très intéressant, je vais le citer tout à l'heure.

Il y a des choses qui me touchent dans ce que vous dites, plusieurs. Entre autres, naturellement, tout comme moi, vous constatez qu'on ne parle pas ici de laïcité, là, que la neutralité religieuse de l'État, ça, malheureusement, porte à confusion. Il y a une confusion des genres ici. D'ailleurs, vous ferez le test, chers collègues, vous demanderez aux citoyens : Que signifie pour vous la neutralité religieuse de l'État?, puis les gens pensent que, bien, ça veut dire que les fonctionnaires vont être neutres, ne porteront pas de signe religieux. Alors, les gens croient ça actuellement, et à juste titre. C'est tout le contraire, c'est l'État qui est neutre. Donc, l'État ne favorise ou ne défavorise qui que ce soit, donc permet tout signe religieux. Et je trouve ça un peu triste, voire même peut-être pernicieux, dans la mesure où le but recherché par ce projet de loi n'est pas le but que la population croit qu'il va atteindre.

Cela dit, on voit la même chose à cet égard-là. Vous dites : On ne va même pas à Bouchard-Taylor. Nous, minimalement, on disait : De grâce, au moins, faire en sorte que les fonctionnaires de l'État en position d'autorité, les enseignants ne portent pas de signe religieux, pour des raisons évidentes. Des signes religieux, c'est un symbole, c'est lourd de significations, ça transmet un message, et c'est une forme de prosélytisme. Et, minimalement, que ceux qui représentent l'État n'en portent pas, ça, je suis d'accord avec vous.

Matière à réflexion. Vous dites, et là c'est intéressant parce que... Vous voyez, c'est une différence d'interprétation, parce que Mme la ministre nous répond : La Cour suprême, la Cour suprême, la Cour suprême. Vous dites : «Nous nous opposons à l'idéologie nommée "multiculturalisme", souvent confondue béatement avec la diversité culturelle, mais plus proche du relativisme culturel et menant inévitablement au communautarisme — page 5. Nous l'avons vu, par exemple, dans le dossier du niqab lors des cérémonies de citoyenneté canadienne. Pire encore, les critiques du multiculturalisme se font souvent diffamer par de fausses accusations de racisme ou de xénophobie, tandis que c'est l'idéologie multiculturaliste elle-même qui s'apparentent à une forme édulcorée de racisme, car elle suppose que les membres de certaines communautés ethnoreligieuses seraient incapables de s'adapter à la modernité, leur accordant parfois des privilèges religieux mais au prix de la ghettoïsation, les condamnant ainsi à rester dans une inertie et un isolement culturels.» Et je rajouterais : Des pratiques ancestrales d'un autre millénaire. Et c'est pour ça que je trouve qu'il y a matière à réflexion là-dedans. Il y a des choses intéressantes.

Moi personnellement, je vais vous dire ce que je pense, personnellement, là, je trouve que nos sociétés démocratiques accordent une beaucoup trop grande place à la religion. On devrait être des États, des États laïques, des États de droit, l'humain devrait passer avant tout. Et là on joue là-dedans, là, on joue dans les accommodements, dans l'importance qu'on accorde aux religions ou à la place qu'on leur fait, au détriment, effectivement, de plusieurs personnes qui sont ou athées, ou agnostiques, ou qui disent : Regardez, là, on a évolué. La religion expliquait bien des choses à d'autres époques, maintenant on est rendus ailleurs. Et confrontons science et religion : on voit qu'il y a des choses qui ne marchent pas, là, dans la religion. C'est ce que vous dites dans les premières pages de votre mémoire. Je trouve ça intéressant de le souligner.

Maintenant, on avait, tout à l'heure, Mme Djemila Benhabib qui disait : Actuellement, le problème, c'est que nos décisions jurisprudentielles, entre autres, et peut-être même nos élus... il y a une confusion des genres entre la liberté de religion — nos chartes garantissent une liberté de religion — et l'expression de la religion, et ici on mêle tout. J'aimerais vous entendre là-dessus.

M. Rand (David) : Bien, c'est une confusion entre la croyance et la pratique. Nous l'avons entendu dans les questions posées par la ministre, imposer une prohibition des signes religieux, c'est une imposition sur la pratique dans un milieu très restreint, et pas une imposition sur la croyance. Ça ne change en rien la croyance. Ce n'est pas une atteinte à la liberté de croire. C'est une petite atteinte raisonnable à la liberté d'expression pour les fonctionnaires au travail seulement. Et je suis content que vous ayez remarqué ce paragraphe parce que c'est très important.

Au fait, le problème avec le multiculturalisme, qui auparavant, dans le bon vieux temps, voulait dire quelque chose de positif... ça voulait dire une diversité de cultures, c'est beau, c'est bien, tout le monde est pour ça, mais maintenant c'est devenu une forme d'essentialisme. On considère que le croyant est essentiellement croyant, comme si cette croyance religieuse faisait partie intime de la personne comme son état physique, comme son âge ou son sexe, et ce n'est pas le cas. On change de religion comme on change d'opinion politique. C'est comme la politique : ce sont des opinions, des croyances, ce qu'on pense, et ça évolue.

Et d'ailleurs le droit de changer de religion est extrêmement important. L'apostasie, c'est-à-dire quitter sa religion, est interdite dans beaucoup de pays de culture musulmane, et c'est une situation vraiment affreuse. Et il faut défendre le droit à l'apostasie. On considère même qu'il faudrait l'inscrire explicitement dans les chartes. «Liberté de religion», ce n'est pas assez. Il doit y avoir liberté de s'affranchir de la religion et liberté d'apostasier, c'est-à-dire de changer de religion, quitter la sienne pour adopter une autre religion ou aucune.

Le Président (M. Ouellette) : Merci, M. David Rand, M. Pierre Thibault, M. Pierre-André Renaud, représentant les Libres Penseurs athées.

Mémoires déposés

Avant de conclure nos auditions, je procède au dépôt des 17 mémoires des organismes et des personnes qui n'ont pas été entendus lors des auditions publiques, ce qui portera le nombre à 51 mémoires qui ont été déposés. Je vous remercie pour votre contribution aux travaux.

La commission, ayant accompli son mandat, suspend ses travaux quelques instants avant de se réunir en séance de travail, à la salle RC.61, sur le mandat de l'éthique.

(Fin de la séance à 17 h 16)

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