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Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le jeudi 16 mai 2019 - Vol. 45 N° 40

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l’État


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Table des matières

Auditions (suite)

Fédération des femmes du Québec (FFQ)

Coalition Inclusion Québec

Document déposé

Ligue des droits et libertés (LDL)

Rassemblement pour la laïcité (RPL)

Document déposé

Mémoires déposés

Intervenants

M. André Bachand, président

M. Simon Jolin-Barrette

Mme Lucie Lecours

Mme Hélène David

M. Sol Zanetti

M. Pascal Bérubé

M. Ian Lafrenière

Mme Paule Robitaille

M. Mathieu Lévesque

M. Donald Martel

M. Denis Lamothe

*          Mme Gabrielle Bouchard, FFQ

*          Mme Idil Issa, idem

*          Mme Perri Ravon, Coalition Inclusion Québec

*          M. Taran Singh, idem

*          Mme Bouchera Chelbi, idem

*          M. Gregory Bordan, idem

*          M. Christian Nadeau, LDL

*          M. Maxim Fortin, idem

*          Mme Alexandra Pierre, idem

*          Mme Michèle Sirois, RPL

*          M. Claude Kamal Codsi, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures trente-trois minutes)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour, et bienvenue. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite encore une fois la bienvenue et je vous demande, comme vous le savez, de bien vouloir éteindre la sonnerie de vos appareils électroniques.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État.

Avant de débuter, Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Lachance (Bellechasse) est remplacée par M. Poulin (Beauce-Sud); Mme Anglade (Saint-Henri—Sainte-Anne) est remplacée par Mme David (Marguerite-Bourgeoys); M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par M. Zanetti (Jean-Lesage); et M. LeBel (Rimouski) est remplacé par M. Bérubé (Matane-Matapédia).

Auditions (suite)

Le Président (M. Bachand) : Ce matin, nous entendrons la Fédération des femmes du Québec de même que la coalition inclusive Québec.

Cela dit, je souhaite la bienvenue aux femmes de la Fédération des femmes du Québec. Je vous rappelle que vous avez 10 minutes de présentation et après nous aurons un échange avec les membres. Mesdames, bienvenue, et la parole est à vous. Merci.

Fédération des femmes du Québec (FFQ)

Mme Bouchard (Gabrielle) : Merci beaucoup à la commission. Merci à vous, les députés qui sont ici pour écouter nos voix, pour participer à ces échanges, qui sont importants pour la vie démocratique au Québec. Et on va faire une courte présentation et on a hâte aussi de faire des échanges avec vous durant notre période de questions qu'on aura.

Comme premier point, ce que j'aimerais apporter, c'est que la conversation qu'on a ici, en commission parlementaire, est une conversation qu'on a depuis plus de 10 ans à la Fédération des femmes du Québec. On avait pris une première position en 2009 et, depuis ce temps-là, on a eu la chance de faire évoluer notre position. Donc, bien qu'on avait une position en 2009, on n'est pas restées stagnantes avec et on a évolué, on a continué à avancer et on a continué à comprendre mieux les enjeux. Ce qui a été au centre de notre capacité d'avancer et de voir les choses différemment de celle qu'on avait en 2009 est fondamental au féminisme de la fédération, qui est d'écouter les premières concernées. Et présentement une des raisons pour lesquelles Idil est ici avec nous, c'est pour vous permettre d'entendre les premières concernées.

Ce projet de loi là, pour nous, est un projet de loi qui vise particulièrement les femmes musulmanes. On le voit dans les débats depuis qu'on a commencé ces conversations-là, que les femmes musulmanes vivent les contrecoups de nos conversations sur la laïcité depuis plus de 10 ans. À chaque fois que ça revient un enjeu, les femmes doivent vivre les impacts de nos conversations. Pour nous, attendu que les femmes musulmanes sont celles qui sont visées depuis longtemps, sont celles qui auront des impacts significatifs, pour la fédération, ce projet de loi là qui est présenté est un projet de loi qui est fondamentalement sexiste. Il est sexiste, parce qu'un des points fondamentaux du féminisme au Québec, du mouvement féministe au Québec est le concept de «nos corps, nos choix». De tous les temps, depuis le droit de vote, au droit à l'avortement, aux conversations qu'on a aujourd'hui, «nos corps, nos choix» reste un principe fondamental qui est important pour nous toujours à garder en tête, et le projet de loi qui est présenté ici est une attaque directe aux choix des femmes et à leurs corps. De la même façon où est-ce que la fédération va toujours soutenir les femmes qui ont une imposition de quoi que ce soit, on va aussi soutenir les femmes lorsque les États, lorsque les provinces, lorsque les institutions, lorsque les entreprises imposent des restrictions à leurs corps et à leurs choix.

Ce qui est fait ici présentement est inquiétant, pour nous, parce que ça ouvre une brèche sur les droits fondamentaux et spécifiquement sur les droits fondamentaux des femmes, et on croit que le projet de loi manque la cible au niveau de la laïcité. Un exemple tout récent que, j'assume, vous êtes au courant : l'Alabama fait partie d'un des États qui ont voté une loi contre l'avortement, un État qui est supposé être laïque, qui n'a pas de signe religieux apparent, mais qui clairement a pris des décisions de contrôle du corps des femmes basé sur un extrémisme religieux. On voit des signes des mêmes tendances en Ontario, on voit la même chose dans d'autres provinces. Et, pour nous, de savoir que la Charte des droits et libertés est quelque chose qui peut être modifié aussi facilement, sans consensus social, sans consensus de l'Assemblée nationale, avec une imposition de bâillon et en empêchant les tribunaux de jouer le contrepoids nécessaire qu'ils doivent jouer dans un processus démocratique et dans une démocratie, pour nous, nous laisse croire qu'un gouvernement qui serait dans des extrêmes conservateurs pourrait attaquer d'autres droits que les femmes ont, donc pourrait attaquer encore nos corps et encore nos choix.

Le projet de loi présentement crée des barrières à l'égalité. On ne croit pas non plus que la clause grand-père qui est présentée est vraiment une clause grand-père qui va permettre aux femmes de continuer, mais elle est beaucoup plus un outil qui va permettre de minimiser la visibilité des impacts vraiment vécus, parce que ces impacts-là se feront sur plus long... seront remis entre les mains des institutions, des commissions scolaires, des groupes, et donc collectivement on ne pourra pas voir cet impact-là, et il sera dur à calculer. Mais nous, étant à l'écoute des femmes, on les voit, on les entend, ils nous sont dits.

La fédération a réussi à trouver une sortie vers le haut, depuis 2009, de cette conversation-là qu'on a sur la laïcité. Elle a été basée sur l'écoute, la compréhension des expériences des femmes, et j'espère qu'aujourd'hui vous aurez la chance de faire une partie de cette réflexion-là aussi, d'où la raison pour le partage de notre temps avec Idil, à qui je vais passer la parole.

• (11 h 40) •

Mme Issa (Idil) : Merci, Gabrielle. Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes et MM. les députés de l'Assemblée, merci de m'accorder ces quelques minutes pour vous entretenir à propos du projet de loi n° 21. Je regrette seulement que plus d'associations représentant les minorités religieuses du Québec n'aient pas été invitées à s'exprimer, compte tenu qu'elles seront les plus affectées par cette loi.

Je suis ici devant vous en tant que citoyenne qui appartient à plusieurs groupes minoritaires. Je suis une femme, je suis Noire et je suis musulmane. À cause de qui je suis, je subis plusieurs barrières en termes de discrimination. Toutefois, j'ai réussi à compléter un bac en philosophie et sciences politiques à l'Université McGill, où j'ai commencé mes études avec huit bourses de mérite. Hier, il y avait le lancement d'une consultation sur le racisme systémique à Montréal, un pas important pour reconnaître les effets négatifs que les institutions peuvent avoir sur les expériences vécues des citoyens et citoyennes quand la discrimination est validée par les lois et les politiques de l'État. Entre-temps, ici, à l'Assemblée nationale du Québec, on était en train de légiférer un nouveau plafond de verre qui empêchera les femmes musulmanes, entre autres minorités religieuses, d'atteindre des postes d'autorité ou d'être enseignantes.

Durant ces auditions parlementaires, on a dit que la loi n° 21 est une continuation de la Révolution tranquille, un héritage du passé. On a aussi dit que la loi n° 21 représente la culmination inévitable du mandat de la CAQ, un consensus, mais on n'a pas encore parlé du futur. Alors, je suis ici pour parler du futur du Québec. Je représente aussi le futur de cette nation, intelligente, intégrée, contribuant d'une façon positive à ma société, ayant la confiance de mes pairs, utilisant ma voix non pour renforcer les préjugés de la majorité envers l'autre, mais pour créer l'espace pour le dialogue.

Là, je m'adresse directement au gouvernement de la CAQ. J'ai l'intention de briser ce plafond de verre que vous êtes en train de construire, qui va amoindrir mes options et va me stigmatiser dans la société. Si ça me prend cinq, 10, 15 ou 20 ans, je briserai ce plafond de verre et tout autre plafond de verre qui m'empêchera d'atteindre mon potentiel. M. le ministre, j'aurai une position d'autorité et je serai plus juste que vous et je ne nuirai pas aux intérêts d'une minorité déjà vulnérable dans l'exercice de mes fonctions.

Pour conclure, l'élément le plus important que cette loi n'a pas pris en considération, c'est une femme comme moi, parfaitement soumise à ma propre volonté, avec aucune intention de me reculer de l'espace public ou de me récuser d'une position d'autorité.

Maintenant, j'aimerais lire quelques témoignages de femmes qui seront affectées par cette loi.

Messaadi, enseignante : «Je vis dans le stress quotidiennement. Je ne pourrai pas changer de commission. Je ne pourrai pas postuler pour un autre poste.»

Messaadi : «Dès mon arrivée au Québec, je me suis très bien intégrée. J'ai fait toutes les démarches nécessaires pour avoir mon permis d'enseigner. J'ai investi mon temps et mon argent. C'est inhumain, c'est discriminatoire de m'interdire d'enseigner parce que je porte un signe religieux.»

 Jaouadi, enseignante : «Ça serait la précarité financière, car je contribue financièrement dans l'éducation de mes enfants. De plus, comment expliquer à mon enfant que sa maman est discriminée dans la société parce qu'elle a fait des choix?» Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, mesdames. M. le ministre, s'il vous plaît, vous avez la parole.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames. Merci de participer aux travaux de la commission parlementaire.

Écoutez, d'entrée de jeu — je vous écoutais tout à l'heure — vous disiez : Le projet de loi n° 21 est une attaque à nos choix, à nos corps, c'est extrême, on attaque les droits, c'est une barrière à l'égalité, c'est un plafond de verre. Je souhaite vous dire que je ne partage pas votre opinion, pas du tout. Le projet de loi, ce n'est pas ça du tout qu'il fait.

Le projet de loi vise vraiment à assurer la laïcité de l'État, et ce qu'il fait, c'est qu'il fait en sorte de placer toutes les religions sur un pied d'égalité, il fait en sorte de séparer l'État des religions, il assure l'égalité de tous les citoyens et citoyennes. Il assure aussi le fait que les citoyens et citoyennes peuvent exercer leur liberté de conscience et leur liberté de religion. Le droit, au Québec et au Canada, ne fait pas référence à la laïcité. On a eu beaucoup de débats avec les différents intervenants qui sont venus ici, en commission parlementaire, et, parfois, ceux qui étaient contre le projet de loi, ils disaient : Écoutez, déjà le Canada, et le Québec, est un État laïque. C'est faux. C'est faux, parce qu'on ne retrouve aucunement dans le corpus législatif cette référence à la laïcité. Et même la Cour suprême se mélange entre «laïcité» et «neutralité». Alors là, ce qu'on fait, c'est qu'on vient établir clairement quelle est la définition de la laïcité et quels seront les rapports entre l'État et les religions.

Tout à l'heure, vous avez fait référence à l'avortement. Ça provoque un malaise chez moi, parce que ce n'est pas du tout de la même nature et le même débat, on ne parle pas du tout des mêmes choses. On parle, dans certaines fonctions spécifiques de l'État, en raison du pouvoir exercé, en raison de la figure d'autorité, du fait qu'il ne sera pas possible de porter, durant la prestation de travail, des signes religieux. C'est un choix de société. Je ne pense pas que c'est approprié de comparer ça à l'avortement. Alors, je vous dirais que le projet de loi qu'on a développé, c'est un projet de loi qui est modéré et qui vise notamment à assurer aussi les droits de tous et chacun. Alors, je comprends que vous ne partagez pas l'opinion et le choix du gouvernement. Par contre, je ne peux pas me réconcilier non plus avec l'opinion que vous formulez en regard du projet de loi, bien que je la respecte.

Je voulais vous demander : Par rapport au visage à découvert, le fait de donner des services à visage découvert et de les recevoir à visage découvert pour des motifs de sécurité et d'identification, est-ce que vous êtes d'accord avec ça?

Mme Bouchard (Gabrielle) : Sur la question des visages découverts, bon, c'est une conversation qui est encore en cours au niveau de la fédération, et un des points qu'on s'est dits, c'est : Lorsqu'on arrivera à une vraie discussion sur ça, au lieu de discussion hypothétique, on va s'engager dans cette conversation-là avec plaisir pour être capables de le faire. Présentement, on utilise la question du visage découvert pour créer... ou c'est ce qui est créé dans la population, un épouvantail sans qu'il y ait d'encadrement sur qu'est-ce qu'on veut dire.

Présentement, le projet de loi est tellement flou et il n'y a tellement pas d'encadrement réglementaire autour et il y aura tellement peu de débats à l'Assemblée nationale, et les tribunaux ne seront pas capables non plus d'apporter leur voix là-dessus, qu'on se retrouve dans des situations où est-ce qu'on a vécu, par exemple... je pense, c'est l'année passée, où est-ce qu'on n'était même pas sûr si les chauffeurs d'autobus ne pourraient pas avoir, par exemple, le droit d'empêcher une femme ayant le visage découvert de rentrer dans l'autobus. Donc, le gouvernement, par le fait qu'il y a peu de clarté dans la loi et qu'il n'y a aucune réglementation qui va l'encadrer, s'assure que ça va être laissé à toute personne en position de semi-autorité dans sa sphère de prendre des décisions d'interpréter la loi à ce niveau-là. Donc, de parler à visage découvert, je pense qu'on aurait beaucoup de conversations à avoir là-dessus autres que le cinq minutes qu'on a là présentement, mais pour dire qu'est-ce qu'on veut dire par «visage découvert», qu'est-ce qu'on veut dire par «sécurité», qu'est-ce qu'on veut dire pour des questions d'identification, dans quel contexte est-ce que c'est important pour l'État, et tout ce genre de choses là, habituellement, sont justement faites dans une réglementation et dans une conversation qu'on a autour d'une réglementation.

Donc, c'est difficile de répondre à votre question, M. le ministre, parce qu'on n'a pas les outils et on n'a pas le contexte pour être capables de le faire de façon efficace, et là on doit donner des versions Twitter un petit peu de ces conversations-là, et je crois qu'on est mieux que ça comme société, d'être capable d'avoir les conversations de la bonne façon.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, écoutez, avec égard, je ne partage pas encore votre point de vue relativement au visage à découvert, parce que, c'est très clair, à toutes les fois où un... en fait, tous les fonctionnaires de l'État devront oeuvrer à visage découvert, et, lorsqu'on demande un service, s'il y a des motifs de sécurité ou d'identification, on devra avoir le visage à découvert. Et il y a eu énormément de débats là-dessus dans le cadre du projet de loi n° 62 que la précédente ministre de la Justice a déposé.

Et d'ailleurs vous avez soulevé, à juste titre, le cas de l'autobus. Dans le projet de loi n° 62, ce qui était prévu notamment, c'étaient les motifs de sécurité et d'identification mais aussi les questions de communication et d'interaction. Alors, ça a été suspendu par la Cour supérieure, la disposition. Donc, actuellement, ce n'est pas en vigueur au Québec, la loi ne s'applique pas, la loi n° 62 ne s'applique pas.

Nous, ce que nous avons fait, c'est que nous avons précisé le fait de devoir se découvrir le visage uniquement pour les motifs de sécurité et d'identification. On n'a pas pris le critère de l'interaction et de la communication, notamment dû aux difficultés d'application.

Alors, là-dessus, est-ce que vous trouvez que c'est une avancée qu'on vienne préciser le champ d'application au niveau des services publics, de la réception des services publics?

• (11 h 50) •

Mme Bouchard (Gabrielle) : Je vous invite à laisser les tribunaux être capables de vérifier cette interprétation-là. Donc, le projet de loi n° 62 a été puis il est encore, je pense, officiellement entre les mains des tribunaux pour être capables de peaufiner, d'améliorer, de donner des guides pour être capables de faire cette analyse-là. Et vous l'avez mentionné vous-même. Donc, vous avez utilisé l'outil des tribunaux pour faire un ajustement à votre projet de loi. Donc, je crois que votre projet de loi doit être soumis au processus judiciaire pour qu'on s'assure qu'il n'y aura pas d'empiètement et qu'on va avoir un cadre clair. Présentement, ce ne sera pas le cas.

Donc, est-ce que c'est une avancée? Je ne le sais pas, parce qu'on n'a pas le même cadre de référence entre les deux.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Bien, une des... que vous me suggérez, c'est justement, lorsqu'on attend après les tribunaux... Ça fait deux ans que le projet de loi n° 62 a été adopté, et le droit n'a pas évolué à ce niveau-là. Et moi, je pense que, dans un cas, supposons, pour le fait de donner des services et la réception de services, sur le fait qu'ils doivent être faits à visage découvert... moi, je pense que, dans notre société, c'est la base, c'est la base de la société québécoise, ça fait partie de l'organisation de la société et que ça n'a pas à être défini par les tribunaux, mais plutôt par le biais des députés élus à l'Assemblée nationale.

Je pense que ça, c'est une question de société et que le forum approprié, ce n'est pas les tribunaux. Je pense que ça, c'est une question qui relève du législateur à l'Assemblée nationale. Même chose pour la question des rapports entre l'État et les religions, avec ce qu'on fait avec le projet de loi sur la laïcité, et de l'interdiction du port de signes religieux. Et c'est pour ça qu'on utilise la disposition de dérogation, parce qu'en utilisant la disposition de dérogation, bien, ça assure que, dans le cas du visage à découvert, de la prestation et de la réception de services, bien, le cadre défini va être celui qui va être défini par l'Assemblée nationale, et même chose également pour la laïcité, la définition de la laïcité et le port de signes religieux, l'interdiction du port de signes religieux.

Donc, il y a comme deux visions qui s'affrontent, je vous dirais. Ceux qui sont contre le projet de loi n° 21 disent : Vous ne devez pas avoir recours aux dispositions de dérogation, laissez ça aux tribunaux. Et ceux qui sont en faveur du projet de loi disent : Bien, effectivement, ça devrait être décidé par les élus à l'Assemblée nationale. Comment vous voyez ça quand je vous présente ça comme ça?

Mme Bouchard (Gabrielle) : La clause «nonobstant» n'a pas été faite pour contrôler les minorités, elle a été faite pour protéger des minorités. Lorsqu'on l'a utilisée avec la loi 101, on l'a utilisée parce que le fait français au Canada était minoritaire dans une mare, une mer anglophones. Donc, on se devait, pour la protection de la langue française, d'utiliser la clause «nonobstant». Je ne crois pas que les créateurs de la clause «nonobstant» avaient en tête qu'une majorité utiliserait la clause «nonobstant» pour créer des barrières à une minorité. Je ne crois pas que c'était son intention.

Ça reste encore, au départ, une question de nos corps et de nos choix. Et les tribunaux sont là pour jouer un contrepoids, M. le ministre. Et on est dans des processus qui doivent prendre le temps de faire le travail correctement. On a plein de cas où est-ce que vous qui êtes ici dites : On ne peut pas en parler, parce que c'est devant les tribunaux. On a un ministre de la Justice qui est là, où est-ce que son rôle, c'est de s'assurer que le temps est pris pour être capable de faire les débats, de faire les échanges et d'aller chercher les solutions les meilleures en incluant l'ensemble des outils qu'on a, et de retirer ça en prévention, pour nous, est clairement un problème. Dans toutes les conversations qu'on a, les tribunaux jouent un rôle important de contrepoids. Et d'enlever en plus, avec un potentiel de bâillon... et de faire un changement à la charte québécoise est définitivement problématique et, pour nous, est une porte ouverte.

M. le ministre, on est dans les groupes féministes et on voit les impacts des politiques conservatrices et des politiques de droite sur les femmes, sur le terrain. On est avec elles, nos groupes sont avec elles, sont là pour les soutenir, et on entend quotidiennement des histoires où est-ce que nos droits sont sous attaque. Je comprends que vous ne le voyez pas, mais on est ici pour vous le dire, à toutes et à tous ici, que ce pas-là d'ouverture, cette ouverture-là où est-ce que n'importe quel gouvernement qui sera majoritaire aura le droit de faire un changement à la charte, est dangereux. Et de mettre un bâillon pour empêcher ce changement-là est aussi dangereux. On se doit d'utiliser l'ensemble de nos outils lorsqu'on prend des décisions aussi importantes que de restreindre des droits pour des minorités autant au Québec qu'ailleurs.

M. Jolin-Barrette : Encore une fois, en tout respect, je ne partage pas votre avis. Les seules personnes qui parlent de bâillon présentement, outre vous, c'est le Parti libéral. Moi, je crois qu'on peut adopter le projet de loi d'ici le 15 si les parlementaires y mettent du leur. Alors, ça va dépendre des oppositions, M. le Président.

Relativement à l'utilisation de la disposition de dérogation, ça a été utilisé à plus d'une centaine de reprises à titre préventif par tous les gouvernements successifs du Québec. D'ailleurs, on a des lois à renouveler cet automne qui touchent les régimes de retraite aussi. Alors, je pense que le législateur doit avoir cette possibilité-là de toujours le faire.

Autre élément aussi. Au niveau de la Charte des droits et libertés de la personne, la charte québécoise, il n'y a pas de procédure formelle de modification. C'est arrivé à plusieurs reprises qu'elle a été modifiée au cours des années. Et moi, je pense que le fait d'inscrire la laïcité de l'État dans la Charte des droits et libertés de la personne, c'est une avancée qui est positive. Je pense que, notre société, depuis 50 ans, on dit qu'elle est laïque. Il est temps de l'inscrire formellement dans nos lois. Il est temps aussi que ça devienne un outil d'interprétation, parce qu'au Québec on décide que ça... pas on décide, je pense que c'est avéré que la laïcité, c'est une valeur fondamentale, et il est temps qu'elle fasse partie de nos textes de droit, nos textes fondamentaux.

Autre élément. Je ne crois pas que la laïcité, ce soit une politique conservatrice. Je pense que la laïcité de l'État, c'est une avancée pour tous les citoyens et citoyennes du Québec. Honnêtement, je le crois véritablement. Alors, je vous remercie d'être venues en commission. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. Alors, je me tourne vers les collègues ministériels. Mme la députée de Les Plaines, vous avez la parole.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci, M. le Président. Tout d'abord, je me permets de vous remercier d'être ici aujourd'hui, de nous faire entendre votre position.

Je vais par contre me permettre de vous citer. À quelques mots près, là, vous avez dit au tout début que le projet de loi n° 21 vise principalement les femmes musulmanes. Il ne vise personne, en fait, le projet de loi n° 21. Le projet de loi ne vise pas les personnes, il vise les personnes en autorité... en fait, il ne vise pas, il s'adresse aux personnes en autorité pour qu'elles n'arborent aucun signe religieux. On n'attaque pas personne, ce n'est pas un projet de loi pour attaquer personne.

Or, ceci étant dit, pour moi, la laïcité, il faut qu'elle s'applique. Ce n'est pas juste un grand principe. Il faut qu'elle s'applique. Puis un des gens qu'on a entendus ici hier nous parlait de faits et en fait et en apparence. Je pense que c'est important qu'on l'applique en fait et en apparence, la laïcité. Ce n'est pas juste un principe, c'est une application. Il y a sept projets de loi qui, au cours des dernières années... Vous avez dit que votre position a évolué au cours des années. Il y a sept projets de loi qui ont été déposés sur les relations entre l'État et les religions, dont un a été déposé par Françoise David, que vous connaissez très bien, d'ailleurs.

Alors, ma question est bien simple : Est-ce qu'il y a un de ces projets de loi là, est-ce qu'il y a une de ces positions-là qui aurait été quelque chose d'intéressant pour vous, si le projet de loi n° 21 n'en est pas?

Mme Bouchard (Gabrielle) : Je ne sais pas à quoi vous faites référence, là, je ne peux pas vous répondre. Vous parlez de sept projets de loi, puis j'avoue que je n'ai pas la connaissance de ces sept projets de loi là pour être capable de vous répondre, malheureusement.

Mme Lecours (Les Plaines) : Bien, il y a quand même eu le projet de loi n° 60, le n° 62. On a parlé abondamment, dans les dernières années, des liens entre l'État et la religion. Alors, y a-tu quelque chose qui, selon vous, serait l'application de la laïcité, si le projet de loi n° 21 n'en est pas un? Parce que vous dites dans votre mémoire que c'est important, la laïcité.

• (12 heures) •

Mme Bouchard (Gabrielle) : La laïcité, c'est important, mais il faut qu'on parle de la bonne laïcité. Donc, de parler d'enlever des signes religieux... Enlever des signes religieux n'amène pas la laïcité, n'empêche pas le prosélytisme, n'empêche pas les gens de prendre des décisions sur la base de leur religion. On pourra tout enlever les signes religieux, et, si quelqu'un décide d'offrir des services en disant : C'est ce que ma religion me demande de faire, ses décisions seront teintées à ce moment-là. Donc, ce n'est pas les signes religieux qui vont faire une différence dans la laïcité de l'État. On manque la cible avec ce projet de loi là. Donc, de parler de laïcité, de la séparation de l'État et des structures et de la religion, c'est effectivement quelque chose qui est important, mais on doit bien le faire.

Ce n'est pas à cause qu'on met l'étiquette «laïcité» sur un projet de loi qu'on touche les fondements de ce que doit être la laïcité. D'enlever des signes ne permettra pas d'atteindre votre objectif. Pour ce qui est des sept...

Une voix : ...

Mme Bouchard (Gabrielle) : Pour ce qui est des sept projets de loi, bien, ils doivent répondre aux principes fondamentaux féministes qu'on a, qui est du respect de nos corps et de nos choix. Si un projet de loi va à l'encontre de ces principes fondamentaux là du féminisme québécois et d'un féminisme international, à ce moment-là on n'aura pas d'autre choix que de s'y opposer, parce que c'est fondamental pour la fédération de défendre l'ensemble des femmes, et, si on veut faire ça, on doit les écouter, écouter les impacts et s'assurer que leurs corps, leurs choix, leurs décisions, leurs parcours de vie seront respectés. Donc, si on étudiait chacun des sept projets de loi, c'est l'angle avec lequel on le prendrait. Et je pense qu'Idil voulait ajouter quelque chose.

Le Président (M. Bachand) : Malheureusement, je dois céder la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys. Merci. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme David : Oui. Merci beaucoup, Mme Bouchard, Mme Issa, d'être ici avec nous. C'est non seulement extrêmement important, mais j'oserais même dire que c'est très courageux d'être ici avec les positions que vous présentez. Et, qu'on parle d'identité de genre, qu'on parle de race, qu'on parle de couleur de la peau, qu'on parle de religion, vous incarnez et vous défendez toutes ces positions-là devant un auditoire, j'oserais dire, très majoritairement masculin. Alors, ça ajoute à votre courage et au défi que ça comporte, je crois.

Maintenant, vous avez une proposition de mémoire qui est effectivement assez complexe et qui nous ramène à de très longues discussions sur le féminisme dans les 50 dernières années. Et vous faites avec beaucoup, je pense, de transparence et d'authenticité état des différentes positions. Et je pense que vous nous instruisez sur la complexité de votre démarche, le sérieux, la rigueur que les femmes ont eus à se poser la question : Qu'est-ce qu'être féministe, pas en 1970, où peut-être ces questions-là ne se posaient pas, en 2019 et pour les années à venir? Et ça, ce n'est pas simple.

Alors, quand vous dites dès le début : «Au Québec, il y a des féministes croyantes tout comme il y a des athées réactionnaires. Combien de féministes croyantes ont activement participé aux mouvements féministes au Québec?», bien, heureusement que vous posez la question, parce que, oui, il y avait des gens très progressistes qui étaient aussi des femmes chrétiennes. Pensons aux féministes chrétiennes qui ont lutté pour le droit à l'avortement libre et gratuit. Pensons à toutes ces féministes musulmanes qui, en tant que membres de la Fédération des femmes du Québec, se battent avec nous pour les droits de toutes les femmes au quotidien. Vous ajoutez : «Il n'y a aucune raison de croire que de réprimer une femme croyante est un acte féministe et émancipatoire.» Alors, vous dites un peu plus loin : «Nous avons choisi un féminisme qui enlève les barrières que rencontrent les femmes plutôt qu'un féminisme qui utilise l'appareil de l'État pour limiter les choix des femmes. [...]le féminisme ne doit exclure aucune femme ni leur enlever des droits.»

«Nos corps, nos choix», c'est vraiment, je pense, ce qui résume le mieux votre position, mais j'aimerais vous donner l'occasion d'en parler un peu plus pour que les gens entendent la rigueur de votre position en même temps et les conséquences, évidemment, sur le projet de loi.

Mme Bouchard (Gabrielle) : Donc, la fédération est faite de plusieurs membres individuels, de plusieurs groupes, de plusieurs centres de femmes qui offrent des services, au quotidien, aux femmes dans la société québécoise, qui les voient dans leur quotidien, dans leurs moments de détresse, dans leurs moments de joie, dans leur vulnérabilité, et au final, dans les outils qu'on doit voir, qu'est-ce qui émancipe une femme, qu'est-ce qui lui permet de remplir son plein potentiel, à toutes les fois, c'est lorsqu'on réserve notre jugement, lorsqu'on la soutient dans ses décisions et lorsqu'on respecte son corps.

Donc, le choix qu'on a fait de revenir à «nos corps, nos choix» était pour se donner un outil collectif simple pour être capables d'analyser nos discussions. Donc, lorsqu'on dit, par exemple, que ce projet de loi là a un impact spécifique sur les femmes, que ce projet de loi est sexiste, c'est qu'on voit qu'il a un impact direct sur le corps et les choix de femmes. On sait qu'il y a d'autres groupes qui vont être touchés. On sait qu'il y a des hommes sikhs qui vont être touchés, et là ce sera intéressant de voir si, par exemple, le bracelet sikh va être considéré comme un signe religieux et si on va leur demander de l'enlever. Il y a aussi un arbitraire au niveau de qui est en position d'autorité et sur qui l'État va jouer. Mais, d'une façon ou d'une autre, peu importe où est-ce que la loi s'applique, on voit que l'impact est au niveau du corps et des choix des femmes. Donc, on pourrait prendre d'autres outils d'analyse, on pourrait parler d'intersectionnalité, on pourrait parler de beaucoup de choses qui peut-être nous perdraient dans cette conversation-là. Donc, pour nous, le mémoire vous donne, MM. et Mmes les députés, un outil qui va vous permettre de voir le point de vue de la fédération à travers un outil simple qui est «le corps, nos choix». Donc, si vous regardez chacun des points qui sont dans le projet de loi, regardez-les avec la question : Est-ce que ça porte atteinte aux droits et aux choix des femmes?, et vous verrez que oui.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme David : Merci, M. le Président. Vous dites : «Il n'y a rien de courageux — je vous cite — à faire une loi qui contrôle le corps des femmes et leur accès à la société civile. Il n'y a rien de courageux à négocier au rabais les droits humains.» C'est une phrase importante, je pense, de votre mémoire.

Mme Bouchard (Gabrielle) : C'est beaucoup plus courageux d'avoir une conversation d'inclusion, d'avoir une conversation qui va défaire les stéréotypes, une conversation qui va nous obliger collectivement à regarder qui on est et à se voir dans le miroir qu'une loi qui va répondre à des inquiétudes, qui va répondre à des malaises, qui va répondre à des incompréhensions. Ça demande un travail de longue haleine, ça demande des efforts, ça demande de penser de façon collective pour être capables de faire ça. Donc, oui, pour nous, ce n'est pas courageux de faire cette loi-là, c'est la voie de la facilité.

Pour nous, de faire une conversation qui va nous faire comprendre l'ensemble de la diversité et la beauté de cette diversité-là à travers le Québec va nous permettre d'avoir un Québec qui va être beaucoup plus inclusif, un Québec qui va être beaucoup plus acceptant et où est-ce qu'on va défaire les mythes, les stéréotypes et comprendre l'autre qui est en avant de nous, qu'on ne connaît pas. C'est votre rôle, comme gouvernement et comme députés, de faire ce travail-là.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.

Malheureusement, je dois suspendre les travaux, on est appelés pour aller voter. Alors, demeurez en place, le temps va demeurer à vous. Alors, on suspend les travaux pour quelques instants. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 12 h 8)

(Reprise à 12 h 24)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci. La commission reprend ses travaux. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, vous avez la parole, s'il vous plaît.

Mme David : Merci beaucoup. Alors, nous reprenons. Et, tout à l'heure, vous avez eu un échange avec le ministre sur la clause dérogatoire et puis le fait de bloquer un peu le recours aux tribunaux. Et vous avez une citation quand même assez puissante de quelqu'un, je pense, qui est passablement respecté à travers l'histoire, qui s'appelle Simone de Beauvoir, qui rappelle l'importance du rôle des tribunaux lorsqu'elle déclarait «ne jamais oublier qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en cause. Les droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.»

Alors, ces paroles ont traversé l'histoire. Justement, elle le mettait au futur. Nous sommes au présent. J'aimerais que vous reveniez sur cette citation-là en rapport justement avec la clause dérogatoire.

Mme Bouchard (Gabrielle) : Je sais que M. le ministre était mal à l'aise avec l'exemple de l'avortement, mais je crois que cette analogie-là est importante pour qu'on soit capables de bien comprendre les risques d'impact toujours à partir des premières concernées et à partir d'une analyse féministe.

Donc, lorsqu'on dit qu'il ne suffit que d'un gouvernement, qu'il ne suffit que d'un groupe, qu'il ne suffit que d'un changement politique pour voir nos droits être changés, pour nous, on le voit présentement. Lorsque le ministre plus tôt a parlé qu'il y a eu plusieurs changements qui ont été faits à la charte... tous les changements ont été faits pour bonifier la charte et ajouter des protections à d'autres groupes, être sûr qu'on ajoute, qu'on protège plus, qu'on défende plus les droits.

Présentement, l'ajout de la laïcité comme telle n'est pas problématique. L'ajout de la laïcité, telle que définie dans le projet de loi, l'est. Donc, si on veut avoir un bon ajout, on doit s'assurer que cet ajout-là est encadré dans un cadre législatif, dans un cadre réglementaire, dans une validation des tribunaux pour s'assurer qu'on fasse la bonne job. On le voit présentement partout où est-ce que les groupes minoritaires sont attaqués à cause de l'inquiétude majoritaire. Et c'est de ça que Simone de Beauvoir parlait et c'est de ça que nous, on parle aussi. L'inquiétude majoritaire ne peut pas justifier une restriction des droits des minorités. On se doit collectivement d'être mieux que ça. Et, nous, notre rôle, comme Simone de Beauvoir l'a fait par le passé, comme d'autres féministes l'ont fait aussi, comme les groupes de femmes au Québec le font, c'est de s'assurer qu'on lève les drapeaux lorsque c'est le temps. Et là, présentement, la fédération lève un drapeau, on dit : Présentement, il y a un danger. Les femmes le vivent. Les femmes vivent ces impacts-là. On ne vous demande pas si vous êtes d'accord, on vous dit que c'est ce qui se passe. Les groupes de femmes, c'est leur rôle.

Mme David : On avait un expert juriste hier qui s'appelle Pierre Bosset, qui, en réponse à une question, je pense, ou... je ne sais pas s'il l'a dit spontanément ou si c'était dans son mémoire, qui a dit par rapport au projet de loi et dès le début du mémoire que ce n'était pas un projet de loi sur la laïcité, mais il faudrait renommer le titre, l'intitulé du projet de loi, et qu'il proposait que c'était bien un projet de loi sur l'interdiction des signes religieux et non pas un projet de loi sur la laïcité.

Vous dites un peu dans les mêmes termes que la laïcité n'est pas un enjeu négatif pour vous, l'État laïque. D'ailleurs, s'il y a un des consensus sur lesquels on peut s'entendre rapidement, je pense, c'est la question de la laïcité. Mais l'interdiction des signes religieux, c'est principalement de ça dont il est question dans le projet de loi. Vous parlez beaucoup de protéger, justement, non seulement les droits des minorités, mais d'avoir une approche féministe. Et on a parlé beaucoup d'ADS. On a même eu une motion, ce matin, où Québec solidaire proposait — la CAQ a voté contre — de faire une ADS+ sur le projet de loi.

Mais je voudrais vous entendre sur le fait que les femmes sont quand même, probablement — moi, c'est ma prétention — beaucoup plus touchées que les hommes.

Mme Bouchard (Gabrielle) : Comme j'ai dit en début de présentation et comme on note dans le mémoire, les femmes font les frais de ces conversations-là. Donc, qu'on soit conscients ou non du fait qu'elles font les frais de nos conversations, sachez qu'elles font les frais de nos conversations. Nos outils de mesure ne doivent pas être : Est-ce qu'il y a des signes religieux ou non? Et je suis d'accord avec vous, Mme David, que ça devrait être un projet de loi qui est nommé plus sur l'interdiction des signes religieux. Et notre outil de mesure sur la laïcité de l'État ne peut pas être le nombre de signes religieux portés par les gens qui y travaillent.

On doit trouver des outils de mesure qui sont à la hauteur de notre responsabilité collective et qui vont nous permettre de vraiment mesurer la valeur ou la laïcité de notre État, et ce n'est définitivement pas avec ça qu'on va être capables de le faire. On doit aller plus loin que juste les signes religieux, effectivement. Merci.

Mme David : Merci.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

• (12 h 30) •

M. Zanetti : Je vous remercie, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présence ici. J'aimerais vous entendre parler sur l'expérience concrète des femmes qui vont subir les conséquences de ce projet de loi là.

Celles qui vont devoir choisir entre leurs convictions et leurs emplois, est-ce que leur sort va s'améliorer, et vont-elles s'émanciper grâce au p.l. n° 21?

Mme Issa (Idil) : Non, pas du tout. Je connais mes amies. J'ai plusieurs amies qui sont des femmes musulmanes comme moi, qui sont voilées, et elles seront touchées par cette loi. Leur position financière serait précarisée. Plusieurs d'entre elles prennent soin de leurs enfants. C'est elles qui paient le loyer. Alors, ça va être très difficile pour elles. En plus, ce débat a contribué à la montée de la haine et de la violence. Moi, j'ai une amie qui s'appelle Fatima Ahmad, qui a été agressée cette semaine pendant que les auditions sont ici, à l'Assemblée. Quelqu'un a tiré son voile et l'a frappée à Montréal. Alors, je vis les conséquences de ces débats dans la société et je trouve que, si on veut vraiment assurer la laïcité, que j'aime aussi, parce que ça me permet d'avoir ma religion dans la liberté, ce n'est pas en... interdire les signes religieux, une loi qui ne touche même pas au financement des écoles privées qui ont un mandat explicite d'enseigner la religion.

M. Zanetti : Qu'est-ce que vous répondez lorsqu'on entend le ministre dire que ce projet de loi là ne touche pas particulièrement les femmes, qu'il s'applique à tout le monde de façon égale?

Mme Issa (Idil) : Je pense qu'il faut avoir une compréhension plus sophistiquée, à l'Assemblée nationale, de la discrimination. C'est des années qu'on sait que, le concept du racisme ou de la discrimination systémique, il faut s'instruire là-dessus.

Mme Bouchard (Gabrielle) : Si je peux rajouter sur...

Le Président (M. Bachand) : ...

Mme Bouchard (Gabrielle) : Je vais me référer à Facebook, où est-ce qu'il y avait une image, un «cartoon» qui passait, puis je trouvais que ça parlait beaucoup... lorsqu'on dit que ça touche tout le monde, et il y avait un arbre, il y avait un professeur qui était en animal — je ne sais pas si c'était un hibou ou un singe, ou peu importe — et ensuite il y avait une rangée d'animaux. Donc, il y avait un hippopotame, il y avait une girafe, il y avait un singe, il y avait un poisson, et là le professeur disait : Comme test final, vous allez grimper à l'arbre. Et c'est parlant, cette image-là, parce que ce qu'on dit, c'est qu'on met un test que tout le monde peut passer, et, à cause que tout le monde est soumis au même test, on le met comme si c'était un test qui ne visait pas certaines personnes. Bien, dans cette image-là, le poisson puis l'hippopotame ne monteront pas à l'arbre et ne passeront pas le test final.

Dans la loi qu'on a ici présentement, on a quelque chose de similaire où est-ce que, bien qu'on dise que ça vise tout le monde, celles qui vont être impactées principalement... et ceux aussi qui vont être impactés sont ceux qui portent des signes visibles de leur religion.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît.

M. Bérubé : ...M. le Président. Mesdames, bienvenue à l'Assemblée nationale. Déjà, en page 1 de votre mémoire, on peut lire une phrase en gras : «La Fédération des femmes du Québec rejette en bloc le projet de loi n° 21.» Alors, quand vous évoquez la conversation, ça va être difficile, parce que nous, on soutient plusieurs mesures, on considère qu'il y a des tests de cohérence avec une volonté de pleine laïcité. Alors, en ce sens, je respecte votre position, qui est cohérente avec vos positions antérieures, et je préfère utiliser ce temps pour vous permettre d'exposer une de vos propositions que vous faites dans votre mémoire. Peut-être également vous dire d'entrée de jeu que, nous aussi, notre formation politique se définit comme féministe, profondément, à travers des grandes mesures qui ont été amenées au plan législatif au Québec, puis on n'a pas la même définition, mais on se respecte mutuellement.

Alors, vous indiquez que «d'autres améliorations au principe de séparation pourraient être menées», vous parlez de «mettre fin aux prières dans les conseils municipaux ou abolir les privilèges accordés aux organismes religieux, par exemple». Alors, pouvez-vous nous dire à quoi vous pensez, par exemple, comme privilège qui est accordé présentement à des organismes religieux?

Mme Bouchard (Gabrielle) : Certains des privilèges, par exemple, c'est les exemptions fiscales qui y sont données. Il y a d'autres, aussi, privilèges, par exemple comme les écoles privées qui peuvent continuer à enseigner le religieux et qui vont continuer à apporter ces idées-là.

Mais, au-delà de ces points-là précis, ce qu'on annonce là-dedans et la raison pour laquelle on le rejette en bloc, c'est que présentement il y a un manque de cohésion dans cette loi-là, il y a un manque d'encadrement dans cette loi-là, la conversation est mal partie, il n'y a pas une bonne base. Donc, d'essayer de rapiécer des bouts, de faire des ajouts ou de faire des modifications va quand même garder le coeur de la loi, qui, lui, rate profondément la cible qu'on essaie d'atteindre, qu'est la laïcité. Donc, pour nous, on doit avoir une prise deux à un projet de loi sur la laïcité qui va être parti sur d'autres bases, qui va être parti sur des bases féministes et qui va nous permettre collectivement d'avoir une conversation qui inclura au lieu d'exclure.

Le Président (M. Bachand) : M. le député, s'il vous plaît.

M. Bérubé : ...préciser que c'est surtout au plan fiscal pour les lieux de culte, quelles que soient les religions. Là où on a une divergence, parce que vous amenez comment que le projet de loi est apporté, tout ça... fondamentalement, nous, on considère que la pratique religieuse ou les signes ostentatoires, en privé, dans les lieux de culte, dans les lieux communautaires, ça va, mais, quand on travaille pour l'État, on a le droit de définir des règles, il y a des responsabilités également. Il m'apparaît que ça devrait être respecté par tout le monde. Et je suis convaincu que, lorsque la loi sera adoptée, parce qu'elle sera adoptée — le gouvernement est majoritaire — on pourra poursuivre les échanges sur des mesures d'intégration, par exemple, des femmes. Nous, on a proposé 20 mesures, au cours de la dernière année, qui vont favoriser l'intégration des femmes en emploi et aussi faire en sorte que, par d'autres mesures, on puisse continuer de faire avancer la cause des femmes.

Mais nous ne sommes pas d'avis que cette cause-là fait reculer la cause des femmes. Nous sommes d'avis que la laïcité, c'est bon pour tout le monde, hommes et femmes, sans distinction, et qu'on peut...

Le Président (M. Bachand) : En terminant, M. le député.

M. Bérubé : Bien, voilà. C'est un peu la conclusion que je voulais vous indiquer. Voilà.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Cela complète cette période de la commission. Mesdames, merci beaucoup de vos contributions aux travaux.

Je vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain groupe, Coalition Inclusion Québec, de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 37)

(Reprise à 12 h 40)

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. À l'ordre, s'il vous plaît!

Je souhaite la bienvenue à la Coalition Inclusion Québec. D'ailleurs, je leur cède la parole pour 10 minutes, pour leur exposé, et après on aura une période d'échange avec les membres de la commission. Bienvenue, et vous avez la parole.

Coalition Inclusion Québec

Mme Ravon (Perri) : M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, nous sommes cinq membres de la Coalition Inclusion Québec, une coalition d'organismes et d'individus qui s'est formée au mois de mars en opposition au projet de loi n° 21. Nos membres incluent des personnes de tous les horizons, de toutes les religions ainsi que des personnes sans religion. Ils incluent des personnes dont les familles sont au Québec depuis des générations ainsi que des personnes nouvellement arrivées. Bouchera Chelbi est enseignante en anglais langue seconde dans deux écoles de la commission scolaire de Montréal. La révérende Diane Rollert est pasteure de l'Église unitarienne de Montréal et cofondatrice de la Coalition Inclusion Québec. Taran Singh est représentant de la communauté sikhe du Québec. À ma gauche, Gregory Bordan, il est avocat à Montréal. Et moi-même, Perri Ravon, je suis avocate en droit constitutionnel à Montréal.

Tout d'abord, nous sommes déçus qu'il n'y ait pas eu plus de personnes invitées à participer à ces consultations, en particulier les minorités religieuses qui seront les plus affectées par le projet de loi s'il est adopté. La coalition a tenu ses propres consultations populaires le lundi de cette semaine, où nous avons entendu 26 individus et organismes, pour la plupart représentant différents groupes religieux au Québec. Ils ont témoigné des effets très tangibles qu'aura et qu'a déjà le projet de loi n° 21 sur leur vie. L'organisme Justice Femme, par exemple, a soulevé de façon très inquiétante que le nombre de femmes musulmanes victimes de harcèlement au Québec et qui se tournent vers l'organisme pour de l'appui a nettement augmenté depuis le dépôt du projet de loi. Ils ont documenté plus de 40 cas de harcèlement contre les femmes musulmanes portant le hidjab, depuis le dépôt du projet de loi n° 21. Le Conseil canadien des femmes musulmanes nous a, pour sa part, partagé l'expérience de plusieurs femmes enseignantes dans leurs pays d'origine qui ont passé des années à refaire leurs études afin d'obtenir leurs certificats d'enseignement au Québec et qui maintenant se voient dans l'impossibilité de trouver un emploi. Tous ces groupes et ces individus ont des perspectives et des préoccupations qui méritent d'être entendues. Nous avons apporté avec nous les mémoires qu'ils nous ont soumis et nous vous les laisserons à la fin de cette présentation.

Dans le temps qui me reste, j'aimerais aborder quatre points.

Premièrement, à notre avis, le gouvernement fait fausse route en tentant de tenir en opposition les droits fondamentaux et les valeurs québécoises. Au Québec, nous avons été les premiers au Canada à adopter une charte des droits complète. Adoptée en 1975 par un vote unanime de l'Assemblée nationale, la charte québécoise représente un véritable consensus québécois sur les valeurs québécoises, et nous devrions en être fiers. À ce sujet, nous aimerions souligner qu'un sondage effectué la semaine dernière par Léger Marketing, commandé par l'Association des études canadiennes et la coalition, dont nous vous remettrons une copie à la fin de cette présentation, révèle que l'appui au projet de loi n° 21 diminue sensiblement d'autour de 20 % lorsqu'il est mentionné que le projet de loi viole la charte québécoise.

Deuxièmement, dans la mesure où le gouvernement veut restreindre les droits fondamentaux des Québécois et Québécoises, il est primordial qu'il le justifie. Dans la mesure où le gouvernement juge que le projet de loi n° 21 constitue un compromis raisonnable, il peut en faire la démonstration devant les tribunaux. Nous ne sommes certainement pas les premiers intervenants à critiquer l'utilisation de la clause «nonobstant», mais, selon nous, l'empressement à invoquer cette clause indique à certains membres de la société que leurs droits ne sont tout simplement pas suffisamment importants pour devoir justifier leur limitation. Une société reconnaît la valeur de ses membres lorsqu'elle est prête à expliquer toute atteinte aux droits et lorsque ces atteintes ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire.

Troisièmement, on ne saurait trop insister sur les incohérences du projet de loi n° 21. Il est impossible de déterminer clairement les motifs ayant conduit aux choix particuliers qui ont été faits. Il est vrai que certains des groupes ciblés par le projet de loi sont en position d'autorité. Toutefois, d'autres groupes sont visés par l'interdiction du port de signes religieux, bien qu'ils n'exercent aucune autorité. Si nous prenons les avocats et les notaires, par exemple, l'interdiction de porter un signe religieux s'appliquerait à un avocat travaillant dans un cubicule, qui fait de la recherche, par exemple, à la Régie du logement, bien que cette personne n'interagisse pas avec le public et ne soit pas en position d'autorité. Par contre, l'interdiction ne s'appliquerait pas au Vérificateur général du Québec, véritable figure d'autorité. Les limites aux droits fondamentaux au Québec exigent des objectifs pressants et des moyens rationnels, et ce n'est pas ce que révèlent les incohérences que nous retrouvons dans le projet de loi n° 21.

Sur la question des avocats, nous aimerions souligner que le projet de loi n° 21 aura également un impact sur le secteur privé. Les avocats et les notaires en pratique privée seront privés de mandats du gouvernement ou de nombreuses commissions et régies s'ils portent un signe religieux. Un cabinet qui reçoit régulièrement des mandats gouvernementaux ne pourra plus se permettre d'engager un avocat ou une avocate qui porte un signe religieux.

Finalement, la question du hidjab. Certains partisans du projet de loi affirment qu'il créera des conditions propices à la pleine et entière participation des femmes musulmanes dans la société québécoise. En réalité, c'est tout le contraire. Le projet de loi n° 21 ne vise que les femmes très scolarisées qui travaillent déjà au sein de la collectivité en tant qu'enseignantes, en tant que fonctionnaires, qui sont pleinement intégrées à la société, qui interagissent avec des collègues d'autres religions et sans religion. Le projet de loi n° 21 renverra ces femmes à la maison en leur disant qu'à moins de se conformer à un code vestimentaire différent elles n'auront plus leur place dans le secteur public. En aucun cas cela ne constitue de l'émancipation.

Certes, vous répondrez que le projet de loi contient une clause de droits acquis, mais cette clause est extrêmement limitée : elle ne s'attache pas aux personnes elles-mêmes, mais à leurs postes. Les personnes ciblées seront forcées d'occuper le même poste, au même endroit, durant toute leur carrière. L'enseignante chevronnée candidate à un poste de direction ou à un emploi plus prometteur dans une autre commission scolaire ne pourra pas être promue à l'échelon supérieur si elle porte le hidjab. Celui qui travaille au sein d'une des nombreuses régies et tribunaux énumérés au paragraphe 3° de l'annexe II du projet de loi ne pourra pas changer de fonction s'il porte la kippa. Le projet de loi ne crée, ni plus ni moins... ou, plutôt, le projet de loi crée ni plus ni moins différentes catégories de citoyens.

Le gouvernement dit vouloir tourner la page sur la question des signes religieux, mais il ne tournera pas la page. Premièrement, l'impact social du projet de loi est très grand. Les personnes qui ne pourront pas réaliser leurs rêves professionnels après des années d'études, les personnes victimes de harcèlement au travail, dans le métro parce qu'elles portent un signe religieux, toutes ces personnes vivront les conséquences concrètes de la loi. Empêcher des citoyens de participer pleinement à la société sur un pied d'égalité avec les autres entraînera des incidences sociales qui se feront sentir longtemps dans l'avenir.

Ensuite, il est clair que des batailles judiciaires auront lieu, peu importe l'utilisation de la clause «nonobstant». Plutôt que d'utiliser cette clause, si le gouvernement cherche à éviter des batailles judiciaires, il devrait soumettre la question de la constitutionnalité du projet de loi à la Cour d'appel. C'est la façon la plus rapide de déterminer s'il est possible de concilier le projet de loi avec la charte québécoise ou si, comme nous le croyons, le projet de loi constitue une violation grave et injustifiée des droits des Québécoises et des Québécois.

Nous demandons donc, en conclusion, en tant que représentants et membres de la Coalition Inclusion Québec, le retrait du projet de loi n° 21 ou son renvoi à la Cour d'appel du Québec. Nous vous remercions pour votre attention.

Le Président (M. Bachand) : Merci infiniment. Avant de passer la parole au ministre, j'aurais besoin d'un consentement pour ajouter au temps de séance 25 minutes, s'il vous plaît.

Une voix : ...

Le Président (M. Bachand) : Consentement. Merci beaucoup. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Mesdames messieurs, bonjour, bienvenue à l'Assemblée nationale. Merci pour votre témoignage et votre participation aux travaux de la commission.

Vous demandez le retrait du projet de loi et un renvoi en Cour d'appel. Est-ce que vous trouvez certains éléments positifs à l'intérieur du projet de loi n° 21?

• (12 h 50) •

M. Singh (Taran) : Donc, en fait, c'est évident qu'il y a certains... L'élément positif, c'est de pouvoir... De votre côté, vous avez une certaine volonté de vouloir inscrire dans une charte ou dans une constitution le concept de la laïcité, qu'on voit dans l'article 2. Par contre, la question qui est importante, la question primordiale, c'est : Quelle interprétation est-ce qu'on va donner à ce concept?

Donc, pour nous, au Québec, la laïcisation des institutions publiques, elle a été très utile et elle a permis une meilleure intégration de certaines communautés. Donc, notre propre suivi québécois, dans notre contexte québécois, c'est que la laïcité de l'État et des institutions publiques, elle a permis une meilleure participation, entre autres, dans notre contexte, à la communauté juive, à nos institutions publiques et à notre société.

Donc, par contre, le projet que vous proposez et l'interprétation que vous proposez de la laïcité excluraient d'une manière très importante plusieurs communautés de manière significative. Donc, c'est à ce moment-là qu'on voit qu'il y a vraiment une différence critique entre la laïcisation et l'histoire de la laïcisation au Québec depuis les années 60 et le projet que vous avancez, et c'est vraiment dans cette optique-là qu'on vous demande de revérifier comment on pourrait avoir un projet de loi qui nous permettrait d'avoir ce concept de la laïcité, mettons, dans une charte ou dans un document, mais en continuant sa conception à la québécoise, qui a justement permis une meilleure intégration des gens, parce que, présentement, ce que vous proposez, c'est exactement l'opposé qu'elle fait.

M. Jolin-Barrette : Bien, là-dessus, je vais exprimer mon désaccord avec vos propos. Mais je voudrais savoir, quand on dit, à l'article 1 : L'État du Québec est un État laïque, à l'article 2 : «La laïcité de l'État repose sur les principes suivants : 1° la séparation de l'État et des religions; 2° la neutralité religieuse de l'État; 3° l'égalité de tous les citoyens et citoyennes; [et] 4° la liberté de conscience et la liberté de religion», en quoi vous êtes en désaccord avec cette proposition-là et les principes qui sous-tendent la laïcité québécoise, qui va être inscrite à la fois dans la loi mais à la fois aussi comme valeur fondamentale de la société québécoise dans la Charte des droits et libertés de la personne, considérant le fait que tout le monde se réclame du fait que le Québec est un État laïque mais que ce n'est inscrit nulle part.

M. Singh (Taran) : ...dit que l'article 2, il était bien. Par contre, c'est une question de comment vous allez vouloir l'interpréter.

Et donc, lorsque vous étendez cette conception de la manière que vous le faites, d'une restriction significative et importante aux gens qui portent... ou qui pratiquent leur religion en portant un symbole x, on exclut... Et, en fait, M. Jolin-Barrette, vous, est-ce que vous êtes en désaccord avec le fait que la laïcisation des institutions publiques, dans l'histoire du Québec, a permis une meilleure intégration, entre autres, à la communauté juive? Est-ce que vous êtes peut-être conscient ou moins conscient du fait qu'auparavant on a déjà eu deux systèmes, dans un... certaines communautés étaient exclues et donc avaient leurs propres institutions? Et puis là, maintenant, puisque les institutions publiques ne sont pas si restrictives et permettent leur pleine participation, justement ils sont rentrés dans le système public au niveau éducatif, au niveau des hôpitaux, et ainsi de suite.

Donc, peut-être que vous ne le savez pas, mais je vous pose la question : Vous-même, est-ce que vous ne croyez pas qu'au Québec, dans notre avancement et dans notre laïcisation des institutions publiques, on a permis une meilleure intégration? Et, le projet que vous proposez, est-ce qu'il continue dans cette vague ou est-ce qu'il va à l'opposé? Parce que mon interprétation, c'est qu'il va catégoriquement à l'opposé.

Le Président (M. Bachand) : M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, je comprends que vous nous formulez votre point de vue. Ce n'est pas le point de vue du gouvernement, l'interprétation que vous faites du projet de loi.

Le projet de loi vise notamment à assurer que toutes les religions sont traitées de la même façon, et le processus de sécularisation de la société québécoise, depuis les 50 dernières années, va justement en ce sens-là. Et, dans le cadre du rapport Bouchard-Taylor, notamment on recommandait que les personnes en situation d'autorité ne portent pas de signes religieux dans l'exercice de leurs fonctions, en raison du fait du pouvoir qu'ils exercent sur leurs concitoyens, et on a fait ce choix-là, d'aller dans cette direction-là et comme société, effectivement, c'est réclamé par la société. Il y a eu énormément de débats.

Tout à l'heure, dans le cadre des interventions, vous avez dit : Écoutez, les minorités sont visées par le projet de loi. On a entendu des gens qui sont venus témoigner ici, notamment Mme Lesbet, et elle disait : «Les minorités qui sont ici, au Québec, disent bravo au projet de loi n° 21, qui nous permet d'exister, de respirer et de ne plus être considérées en tant que musulmanes, mais en tant que citoyennes à part entière. Je suis fière d'être citoyenne québécoise.»

Donc, de l'avis de plusieurs femmes, le projet de loi, il est favorable. Comment est-ce que vous opposez votre point de vue à ces femmes-là, qui réclament le projet de loi n° 21?

Mme Chelbi (Bouchera) : Je pense que, de prendre une personne qui n'est pas concernée par quelque chose et de lui demander de donner son opinion ou d'imposer son choix sur ce que devrait être une autre personne qui n'est pas d'accord avec elle, je trouve ça un petit peu osé, mettons. C'est correct pour elle de ne pas être d'accord avec mon choix personnel, mais, le fait qu'on veuille... parce que je ne suis pas d'accord avec vous et que je veuille vous imposer mon choix, mes valeurs... je pense que, là, c'est un problème pour la laïcité et pour la neutralité.

M. Bordan (Gregory) : J'aimerais ajouter un mot.

Une voix : ...

M. Bordan (Gregory) : Tout simplement que la liberté de religion comprend, en fait, la liberté de manifester la religion, et c'est à chaque personne de décider qu'est-ce qui constitue la religion, sa pratique.

M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la question du visage découvert, je voudrais vous entendre. Est-ce que vous êtes favorables au fait que les services publics soient donnés à visage découvert et qu'ils soient reçus également à visage découvert pour des motifs de sécurité et d'identification?

Mme Ravon (Perri) : O.K. Premièrement, on trouve intéressant que vous reveniez toujours sur cette question, étant donné que c'est simplement un paragraphe d'un long projet de loi et que c'est peut-être le paragraphe qui aura le moins d'impact pratique au Québec. Dans tous les cas, a priori, il semble déraisonnable que quelqu'un qui travaille dans un cubicule, qui parle au téléphone et qui n'interagit pas avec les membres du public ait une obligation de faire son travail à visage découvert. Donc, ça, c'est pour parler de certains excès qui semblent évidents. C'est ce qu'on aura à dire là-dessus.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, vous trouvez ça excessif de demander à un fonctionnaire de l'État québécois que, dans le cadre de ses heures de travail, il travaille avec le visage découvert.

Mme Ravon (Perri) : Donc, ce que j'ai dit, c'est qu'on trouve excessif qu'un fonctionnaire de l'État québécois qui travaille dans un cubicule, qui parle au téléphone et qui n'interagit pas avec les membres du public doive le faire à visage découvert.

M. Jolin-Barrette : O.K. C'est votre opinion. Je ne la partage aucunement. Et vous comprendrez qu'au Québec, là-dessus, ça fait pas mal consensus, du fait qu'on devrait, lorsqu'on travaille pour l'État québécois, avoir le visage découvert. Et la même chose au niveau de la réception des services... Je ne vous ai pas entendus relativement à la réception des services.

Est-ce que vous êtes d'accord avec le fait que, pour des questions d'identification et de sécurité, on doive se découvrir le visage?

Mme Ravon (Perri) : Donc, déjà, sur la question du fait que ça fasse consensus, dans tous les cas, quand on restreint les droits fondamentaux, on doit avoir des objectifs pressants, des mesures rationnelles, des mesures proportionnelles, et c'est tout ce débat qui aurait lieu devant les tribunaux si ce projet de loi était évalué par la cour. Donc, sur toute la question de : Est-ce que c'est raisonnable que les gens qui offrent des services ou les reçoivent le fassent à visage découvert ?, ce serait le genre de décision précise qu'évaluerait un tribunal en fonction de la Constitution.

Pour ce qui est de la réception des services, en effet, le projet de loi n° 21 évite certains excès du projet de loi n° 62 en utilisant des critères plus restreints de l'identification et de la sécurité. Par contre, ça semble être une restriction beaucoup trop large pour ce qui est de l'offre des services. Et je reviens à mon exemple de tout à l'heure, de la personne qui n'interagit aucunement avec le public et qui se verrait obligée de suivre ce genre de restriction.

M. Jolin-Barrette : Donc, de ce que je comprends de votre réponse, pour vous, on ne devrait pas légiférer sur le fait que les personnes qui demandent un service public, elles ne soient pas obligées de se découvrir pour des motifs de sécurité ou d'identification. Vous n'êtes pas d'accord avec ça, là, le fait que, quand une...

Mme Ravon (Perri) : ...d'accord.

M. Jolin-Barrette : Ah! vous êtes d'accord avec ça.

Mme Ravon (Perri) : Oui, que ce projet de loi évitait les excès du dernier projet de loi. Donc, vous avez mieux encadré les deux motifs — de sécurité, identification — avec lesquels on est d'accord.

M. Jolin-Barrette : O.K.

M. Bordan (Gregory) : Et d'ailleurs ce projet de loi n'est même pas nécessaire, c'est déjà prévu. Alors, on n'ajoute, à cet égard, pas grand-chose, mais on est d'accord avec le principe.

M. Jolin-Barrette : C'est déjà prévu où?

M. Bordan (Gregory) : Tous les tribunaux, certainement, respecteraient une obligation de s'identifier pour des fins d'identification ou de sécurité. On peut l'ajouter dans une loi, mais sans doute ce serait respecté, de toute façon.

M. Jolin-Barrette : Ah! «sans doute». Il n'y a pas de décision des tribunaux là-dessus.

M. Bordan (Gregory) : Si vous voulez ajouter une loi à cet effet, c'est une chose, mais c'est intéressant que, pendant un 30 minutes qui est donné, on veut discuter de la partie la moins importante, de façon pratique, de la loi.

• (13 heures) •

M. Jolin-Barrette : Non, non, c'est quand même très important, parce que, quand on se présente en commission parlementaire, là on vient témoigner sur certains éléments qui sont factuels. Et, dans votre mémoire, vous dites : Écoutez, le Québec, ça a été la première province à se doter d'une charte des droits. Or, il y a eu la Déclaration canadienne, en 1960, des droits.

Là, vous nous dites : Écoutez, sans doute, les tribunaux diraient : Bien, non, les services publics, les tribunaux trancheraient. Or, vous ne soutenez pas de décisions de tribunaux, vous ne présentez pas de décisions de tribunaux qui avaliseraient ça, et c'est une hypothèse. Alors, moi, ce que je fais, c'est que je l'inscris concrètement dans la loi, parce qu'au Québec c'est une balise de la société québécoise. On détermine ensemble, et le Parti libéral est d'accord avec moi là-dessus, que, lorsqu'on donne un service public, lorsqu'on est un fonctionnaire de l'État, on a le visage à découvert, et, lorsqu'on reçoit un service, pour l'identification et la sécurité, c'est le minimum, au Québec, qu'on se découvre le visage.

Cela étant dit, je sais que mes collègues, M. le Président, veulent poser certaines questions.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le ministre. M. le député de Vachon, s'il vous plaît.

M. Lafrenière : Merci, M. le Président. Il nous reste combien de temps?

Le Président (M. Bachand) : Six minutes.

M. Lafrenière : Six minutes. Parfait. Merci beaucoup. Merci de votre visite aujourd'hui. Très apprécié.

Tout à l'heure, j'ai une dame qui a dit : Lorsqu'on n'est pas concerné par quelque chose, de donner son opinion, c'est osé un peu. Je vais me permettre de vous dire que j'ai trouvé ça osé, dans votre mémoire, au point 5... Là, vous parlez des policiers. Ça fait que c'est sûr que vous avez attiré mon attention. Alors, j'aimerais vous en parler un peu. Au point 5, vous parlez des agents de la paix, et j'aimerais vous dire que les syndicats de policiers sont venus ici, devant nous, nous dire qu'ils étaient d'accord avec l'importance de la neutralité et de l'apparence de neutralité aussi. Alors, ils nous ont confirmé ça. L'ex-policier que je suis vous dit la même chose aussi.

Et je veux juste vérifier une chose avec vous. Probablement que vous savez que, dans plusieurs pays du Maghreb, on interdit ou on demande aux policiers et aux militaires de ne pas travailler au visage couvert. Vous le savez?

Une voix : ...

M. Lafrenière : Dans plusieurs endroits. Vous savez aussi que, dans votre mémoire, vous dites que, lorsqu'on demande aux agents de la paix... Et, lorsqu'ils portent un signe, on dit : Ils ne sont pas dignes d'enseigner ou de protéger nos citoyens ou nos citoyennes et qu'on ne saurait leur faire confiance.

C'est votre résumé que vous avez émis, mais je vais vous faire un parallèle. Vous savez que les constables que vous avez rencontrés en venant ici aujourd'hui n'ont pas le droit de porter un signe qui serait un signe politique, donc un simple macaron, une petite pine. Ils n'ont pas le droit. Pourtant, ils seraient dignes quand même de faire leur travail. Cependant, on leur demande une apparence de neutralité. Ce n'est pas qu'ils ne seraient pas dignes de le faire. Je veux juste corriger ce qui est écrit là, que je trouve grossier un peu. Ce n'est pas qu'ils ne sont pas dignes, c'est que nous...

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Vachon, attention à vos mots aussi, s'il vous plaît, «grossier» et... Il faut faire attention.

M. Lafrenière : Excusez-moi, excusez-moi. Je pensais que vous parliez de «dignes». Excusez-moi. «Particulier». Je suis désolé, je ne voulais pas vous offenser du tout. C'est juste que, lorsqu'on... Puis le terme «dignes», je veux juste mettre ça clair, c'est dans le papier qui est devant moi.

Ce n'est pas qu'ils ne sont pas dignes, c'est juste qu'on demande une apparence de neutralité. Alors, vous comprenez, si je fais le parallèle avec la religion, ce n'est pas qu'on croit que les gens qui auraient un signe religieux ne sont pas dignes d'être policiers, mais pas du tout, c'est juste qu'on veut une apparence de neutralité.

Mme Chelbi (Bouchera) : Je peux commencer. Est-ce que vous êtes au courant que, dans le reste du Canada, il y a des policiers qui portent des symboles religieux? Est-ce que vous pensez qu'avec ces symboles religieux là ils sont moins aptes à faire leur travail?

M. Lafrenière : On ne dit pas qu'ils ne sont pas aptes. Je reviens à ce que je vous ai dit tout à l'heure, madame. Ce n'est pas qu'ils ne sont pas aptes. La même chose que nos constables ici, s'ils portaient un petit signe d'un parti politique... Ce n'est pas qu'ils ne sont pas aptes. On leur demande une apparence de neutralité, et c'est ce que les syndicats nous ont dit, c'est ce que les policiers nous disent aussi, qui l'ont vécu sur le terrain. Et je peux vous dire que j'ai patrouillé à Montréal pendant 25 ans, je l'ai vécu sur le terrain. Et l'apparence de neutralité est importante, parce que, si j'ai une victime qui ne vient pas me voir, croyant que j'ai une opinion qui est différente, c'est là qu'on va perdre des victimes, et c'est là-dessus... Puis je ne remets pas en cause tout ce que vous avez écrit, je vous dis juste la partie policière que j'ai vécue du terrain. C'est là que je suis en total désaccord.

M. Bordan (Gregory) : Je pense qu'il y a une distinction importante à faire. Un message politique est un message qu'on communique à quelqu'un d'autre pour l'inviter à adhérer à une opinion. C'est un débat politique. Le port d'un signe religieux, ma kippa, n'est certainement pas une demande à quelqu'un d'adhérer à une opinion ou une pratique quelconques. C'est tout à fait différent d'un message politique.

M. Lafrenière : Donc, pour vous, la neutralité politique et la neutralité religieuse, ça serait à deux niveaux?

M. Bordan (Gregory) : On parle de deux choses différentes. Un, c'est, en fait, au fond, une sorte de... prosélytisme — puis je m'en excuse — une invitation à quelqu'un d'autre d'adhérer... Ma kippa à moi, et je suis certain que c'est la même chose pour les autres signes religieux, c'est une décision purement personnelle, ce n'est pas un... On n'impose pas un dialogue, on n'impose rien à qui que ce soit d'autre.

M. Lafrenière : Est-ce que vous êtes d'accord avec moi que, dans les deux cas, on est vraiment dans les apparences? Parce que la personne qui a la petite pine d'un parti politique peut être très neutre aussi, mais, dans l'apparence, on enlève cette apparence de neutralité.

M. Bordan (Gregory) : Dans un cas d'un message politique, on le met pour communiquer un message, on exige une réponse, on impose un point de vue. Ce n'est pas vrai d'un signe religieux.

Je vous pose une question, avec égard. Vous me voyez dans une kippa. Est-ce que ça vous donne le sentiment de vouloir vous convertir au judaïsme? Je ne le crois pas. Il n'y a pas de débat. Et, si vous me posez des questions à cet égard, honnêtement, ce serait malvenu. Ce n'est pas vrai...

M. Lafrenière : Vous savez, je suis un député de la CAQ puis je ne pense pas vous avoir converti aujourd'hui non plus, ça fait que je ne pense pas que ça va changer là-dessus.

M. Bordan (Gregory) : Mais c'est un débat...

M. Lafrenière : Je suis en désaccord. Je suis désolé.

M. Bordan (Gregory) : Mais ce serait légitime d'essayer d'avoir un débat, essayer de me convaincre. C'est ça qui arrive pendant les élections, au cours des élections. Ce ne serait pas vrai de la religion.

M. Lafrenière : Je veux juste revenir au terrain, parce que mon exemple est vraiment très opérationnel, terrain. Vous comprenez où je veux vous amener, surtout dans ce que vous avez envoyé comme mémoire. Je parle vraiment de l'apparence de neutralité. Puis, je vous le dis, en aucun temps on ne dit que les gens ne sont pas dignes d'être policiers. Ce n'est pas ça. Ça, ce mot-là, je ne l'ai pas aimé. C'est vraiment dans l'apparence de neutralité où on veut s'assurer qu'une victime puisse venir voir le policier — et, je vous le dis, je l'ai vécu sur le terrain pendant 25 ans — et s'assurer qu'elle est à l'aise à venir nous rencontrer, nous parler sans avoir cette apparence de non-neutralité.

M. Singh (Taran) : Pour la question, parce que vous nous donnez un exemple du Maghreb, moi, je préfère rester quand même au Canada. Il y a quand même neuf autres provinces, et on peut prendre l'exemple de la GRC et des neuf autres provinces qui sont plus près d'ici.

Vous savez, il y a aussi d'autres concepts en démocratie. Il y a le concept de la représentation bureaucratique, qui dit que le corps civique ou le corps policier devrait représenter... ou moindrement être représentatif de la communauté et de la population qu'il sert. Or, on le sait, et toutes nos études nous le démontrent, au Québec, on a quand même un déficit important de représentation de communautés ethnoculturelles dans le corps policier. Je suis certain que vous en êtes conscient. On fait quand même des recrutements importants dans certaines classes de... pour la diversification, et ainsi de suite.

Deuxièmement, c'est aussi important, et il y a plusieurs études qui nous le démontrent — si vous les voulez, je pourrais vous les fournir — qui nous indiquent que, lorsqu'on a des communautés minoritaires, ethnoculturelles ou ethnoreligieuses, parce que maintenant, en fait, je ne suis même pas dans l'ethnoreligieux, je suis juste dans l'ethnoculturel... Donc, lorsqu'on a des communautés minoritaires, c'est beaucoup plus facile pour eux d'avoir un rapprochement avec un corps policier qui aurait une diversité plus importante, même si ce n'était pas celle de leur propre identification culturelle ou religieuse.

Donc, je crois que l'apparence de la neutralité, c'est quelque chose... c'est-à-dire, les autres services de police des autres villes du Canada en sont aussi inquiets, mais ils sont évidemment capables de gérer cette diversité sans restreindre ces droits aux gens de participer. Et, en fait, eux autres, ils vous diraient qu'ils auraient une meilleure prestation auprès de certaines communautés minoritaires.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. Singh. Je cède maintenant la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Une voix : ...

Le Président (M. Bachand) : S'il vous plaît, s'il vous plaît! Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme David : Merci beaucoup, M. le Président. Et merci d'être venus et de représenter la diversité non seulement des opinions, mais la diversité culturelle, la diversité religieuse.

On a l'occasion comme ça, probablement, et c'est pour ça que ma première question va s'adresser à Mme Chelbi, de voir ici, en consultations, si je ne m'abuse, la première enseignante voilée, donc, directement, directement touchée par le projet de loi. Je ne pense pas me tromper en disant que vous êtes la première et probablement la seule avec qui nous allons avoir le plaisir d'échanger. Alors, je vais vous laisser toute la place nécessaire. Vous êtes venue, vous avez du temps pour expliquer comment vous vivez ce projet de loi — je dis bien «vous vivez», parce que ce n'est pas juste intellectuel, il y a toutes sortes de démonstrations comme quoi il y a des effets émotifs, il y a des effets factuels, il y a des gestes — et comment vous vivez, comme enseignante voilée, la situation, et celle, éventuellement, de vos consoeurs.

• (13 h 10) •

Mme Chelbi (Bouchera) : La première chose que je peux dire, c'est qu'en voyant ce projet de loi je me suis dit... j'ai trouvé ça un peu paternaliste, je dois avouer. C'est comme si la femme devait toujours satisfaire certaines personnes de comment elle devait s'habiller. Et je dois dire que je le rejette profondément, parce que je suis une personne totalement autonome. Les gens qui me connaissent savent que j'ai un petit caractère, mettons. N'allons pas trop loin. Donc, j'ai trouvé ça totalement paternaliste. Puis j'ai eu des contacts avec des collègues qui me disaient : Oui, mais, Bouchera, tu ne connais pas l'histoire du Québec. J'ai dit : Oui, c'est vrai que je ne l'ai pas vécue personnellement, mais je me suis informée, je lis beaucoup, je suis très curieuse de nature. Mais j'ai fait un parallèle avec ce projet de loi.

Ils me disaient : Tu n'es pas au courant? L'Église, elle entrait dans les foyers puis elle obligeait les gens... puis etc. Puis je me suis dit : Je fais un parallèle, et ce que je vois dans ce projet de loi, c'est comme une volonté inconsciente, peut-être, de vouloir remplacer l'Église, justement. Par la façon de dicter aux gens : Comment vous devez vous habiller, comment vous devez être en public, vous avez le droit de faire ça en public, mais chez... pas le droit de faire ça en public, mais, chez vous, vous avez le droit, c'est comme me dicter comment je dois vivre ma vie, et je dois avouer que je rejette ça profondément.

Par contre, je suis très chanceuse, j'ai des amis, des collègues formidables qui me supportent, qui me disent que c'est une aberration, ce projet de loi. Il y a même une collègue qui m'a dit : Mais pourquoi... Une collègue québécoise blanche qui me disait : Mais pourquoi ce projet de loi? J'ai dit : Je pense que le gouvernement de la CAQ a peur que je vous convertisse. Et vous savez ce qu'elle m'a dit? Elle m'a dit : Juste avec tes gâteaux, tu pourrais nous convertir. Avec ton foulard, ça ne marchera pas. Donc, juste pour vous dire... Puis j'ai des parents qui m'écrivent des messages, qui me disent... Là, je le dis, mais je suis touchée, parce que ces parents-là s'excusent... qui m'écrivent des messages en disant : Je m'excuse de ce que le gouvernement vous fait vivre. Je trouve ça extrêmement gênant, ce que vous êtes en train de vivre. Et je ne me suis pas plainte, je ne me suis pas épanchée sur mes malheurs, mais c'est des parents qui voient le travail que je fais avec leurs enfants. Je ne suis pas le meilleur prof au monde, mais j'ai quand même des élèves qui, quand je m'absente... ils me chicanent le lendemain : Pourquoi tu n'étais pas là hier?, pour vous dire...

Là, je me dis : On parle de majorité tout le temps, mais est-ce qu'on prend en considération ces personnes-là qui sont affectées? Moi, je m'en sors bien, je ne vais pas pleurer, mais j'ai des collègues qui le vivent très, très mal. J'en ai plein qui font des dépressions. Il y en a plein qui se sentent comme ostracisés. Ils se sentent rejetés par la communauté. Il y en a qui enseignent depuis 30 ans, il y en a qui enseignent depuis 20 ans. Ça n'a jamais été un souci majeur ni avec les élèves ni avec les parents, puis là, tout d'un coup, on va passer une loi qui dit que : Toi, là, le fait que tu enseignes, tu es un gros problème pour le Québec, alors que ces personnes-là pensent qu'elles sont un atout pour le Québec, elles veulent construire le Québec, elles sont bien intégrées. Mais c'est comme si on venait leur dire : Toi, là, oh! non. À moins que tu enlèves ton symbole religieux, tu ne fittes plus dans le système. Si la...

Le Président (M. Bachand) : Allez-y, madame, si vous voulez.

Mme Chelbi (Bouchera) : Je peux continuer?

Le Président (M. Bachand) : Oui, oui.

Mme Chelbi (Bouchera) : Là, je vais utiliser un mot très, très fort, parce qu'il y en a qui me disent : Oui, mais la clause grand-père va s'appliquer sur toi, donc tu es sauve quand même. Vous savez, la première pensée qui m'est venue à l'esprit quand j'ai lu ce qu'il en était dans cette clause grand-père, c'était : O.K., tu n'as pas commis de crime, mais on va te faire une fleur, on ne t'emmènera pas en prison, mais...

Le Président (M. Bachand) : Attention dans vos propos, s'il vous plaît.

Mme Chelbi (Bouchera) : O.K. Je dis ce qui m'est venu à l'esprit en premier. Mme Hélène me demande qu'est-ce que j'en pense, et je dis ce qui me venait à l'esprit tout de suite après. Là, je me dis, c'est comme : tu as le droit tant que tu restes dans la même position que tu es, c'est-à-dire enseigner dans ta commission scolaire, tu es sauve, mais il ne faudrait surtout pas aspirer à devenir directrice, à devenir conseillère pédagogique, à changer de champ. Ou, même si je voulais déménager, je n'aurais pas le droit de changer de commission scolaire. Je me suis dit : Mais pourquoi ne pas me mettre un bracelet électronique? Désolée, mais...

Le Président (M. Bachand) : ...Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme Chelbi (Bouchera) : ...c'est exactement comme ça que je l'ai vécu.

Mme David : Il y a peut-être un mythe aussi à enlever, mais je vais revenir sur le début. Vous dites : Je porte le voile et je suis une femme très autonome, et même avec un petit caractère. Ce que j'en comprends, c'est que vous n'êtes pas forcée à porter le voile.

Mme Chelbi (Bouchera) : Pas du tout. Je l'ai porté de mon propre chef et je dois avouer que je n'ai pas eu l'aval de mes amis ni de ma famille. Mais je me suis imposée puis je ne l'ai jamais regretté depuis.

Mme David : Et il est souvent apporté ici, en commission, que : Ah! mais ce n'est pas un problème, mais elle l'enlèvera entre 9 heures et 5 heures.

Mme Chelbi (Bouchera) : Demandez à un végan : O.K., à midi, tu n'as pas le droit d'être végan, O.K., donc tu vas devoir manger de la viande, puis, une fois que tu rentres chez toi, tu as le droit de faire ce que tu veux et de manger ce que tu veux. Bien, je me sens exactement dans la même position pour deux raisons. La première, c'est qu'en tant que femme je n'accepte pas qu'on me dicte comment m'habiller. La deuxième chose, c'est que j'ai la liberté de religion, la liberté de conscience. On entend que je n'essaie pas... Est-ce que j'ai essayé de vous convertir depuis que je suis là? Je serais très mauvaise, de toute façon.

Mme David : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : Bonjour à tous. Merci d'être ici aujourd'hui.

Je vais d'abord poser une question à M. Singh. J'ai lu le mémoire de la communauté sikhe. Il est expliqué très clairement que le turban est essentiel à votre identité, c'est une partie intégrante de votre identité. Alors, un sikh comme vous, M. Singh, au Québec, ne pourra pas être greffier, greffier adjoint, policier, garde-chasse, enseignant, commissaire d'un tribunal, pas seulement un procureur de la couronne, mais aussi vous ne pourrez pas être avocat pour le gouvernement provincial.

Alors, je me demandais : Comment on se sent là-dedans, quel message ça envoie à votre communauté, ça, et puis quel impact sur l'intégration de votre communauté dans la société québécoise ça va avoir?

M. Singh (Taran) : Bien, en fait, vous voyez — merci pour votre question — moi, ça fait 32 ans que j'habite au Québec, O.K., je suis un gars de la rue Saint-Denis. Maintenant, je suis en train de faire une maîtrise en sciences politiques. Je ne suis absolument pas sévère, pour ne pas utiliser le mot «radical», dans ma pratique religieuse. Ma femme est juive. J'ai un mariage interreligieux.

Juste pour donner un exemple du fait que même des gens qui ne sont pas nécessairement en train de pratiquer quoi que ce soit... Parce que le message qu'on envoie, il est quand même assez important. C'est que justement je ne vais pas être capable de m'intégrer. Justement, en fait, on s'attaque aux gens qui sont les mieux intégrés de communautés minoritaires. On est en train de dire à des gens qui sont qualifiés, qui sont compétents, qui occupent des bons postes, qui auraient l'opportunité justement de continuer à mieux vivre au Québec et à participer et à... On paie des impôts, et ainsi de suite, on participe, on veut construire la société ici avec vous. Je parle français comme ça, je suis un allophone, je parle quatre langues, mais, non, je ne peux pas travailler dans certaines occupations. Et ce qui est particulièrement sidérant présentement... et je sais que, bon, il y a une question Québec-Canada ici, mais ce qui est particulièrement sidérant présentement pour les jeunes sikhs, c'est justement un peu ce qu'on parlait tantôt, c'est qu'ils se retrouvent avec un ministre national de la Défense sikh, mais eux, ils ne peuvent pas avoir une ambition à être policiers sur les rues de Montréal. Donc, ils se posent des questions profondes, et moi, comme père de famille, je me pose la question : Comment est-ce que je peux, malgré que je suis complètement intégré ici, malgré que j'ai un vécu et une histoire ici et que j'ai de la famille, de la parenté et des amis ici... mais comment est-ce que je peux élever mes enfants ici en leur donnant des limites qui sont assez importantes?

D'autre part, M. Jolin-Barrette, ce qui est particulièrement inquiétant, c'est l'approche législative que le gouvernement a décidé d'entreprendre, parce que, l'approche que vous prenez, en amendant la charte québécoise, pas une charte qui nous a été imposée par des immigrants ou par le Moyen-Orient — non, non, c'est notre propre charte — en utilisant la clause dérogatoire et en, potentiellement, utilisant le bâillon, vous êtes en train d'établir un précédent qu'un gouvernement avec une simple majorité à l'Assemblée nationale pourrait de manière importante redéfinir quelles seraient les restrictions pour les gens qui travaillent dans... Parce que qu'est-ce qui prévient, demain, un gouvernement d'utiliser justement le même processus législatif pour étendre ses restrictions? Comment est-ce que je peux avoir un sentiment de sécurité dans un emploi? C'est quelque chose qui crée une précarité économique très importante, et pas juste au privé. Le gouvernement, il établit explicitement et implicitement des normes.

Donc, quelle autorité morale est-ce que le gouvernement aurait demain, après l'adoption d'une loi comme celle-ci, vers une compagnie privée? Donc, si une compagnie privée, elle se dit : Bien, moi, je suis les traces du gouvernement, le gouvernement, il dit qu'on ne veut pas avoir de gens qui travaillent dans certains emplois publics, d'avoir un certain rôle parce que le gouvernement, il dit : Bien, présentement, la loi ne touche pas le privé... et vous avez raison. Par contre, le privé se doit... et, souvent, ce qu'il fait, c'est qu'il adhère à certaines normes qui sont établies par le gouvernement.

Donc, comment est-ce qu'on pourrait prévenir une discrimination dans certains domaines privés? Quelle autorité morale est-ce que le gouvernement aurait face à cette situation-là si elle s'élevait demain? Donc, c'est très inquiétant, c'est très inquiétant, c'est malheureux. Et pour moi personnellement c'est triste, parce que je suis un Québécois, et je me pose comme question : Dans l'avenir, quelle sera la position que je pourrais avoir pour pouvoir contribuer pleinement à la société?

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Singh. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Je vous remercie. Est-ce que je pourrais avoir le temps du député de Matane-Matapédia, qui est...

Le Président (M. Bachand) : Est-ce que vous demandez le consentement pour utiliser le temps du troisième groupe?

M. Zanetti : Oui.

Le Président (M. Bachand) : Consentement?

Une voix : ...

Le Président (M. Bachand) : Pas de consentement. M. le député, s'il vous plaît. Votre temps avance, là. C'est le temps.

M. Zanetti : C'est quand même incroyable. Ayoye! J'aimerais vous entendre, M. Singh, en particulier sur la question de l'intégration. Vous avez dit quelque chose de très intéressant par rapport aux conséquences que ça a quand des personnes se sentent exclues et que finalement, au lieu de s'intégrer, bien, elles se créent leurs propres institutions ou elles se replient sur leurs communautés.

Est-ce que j'ai bien compris — puis pourriez-vous le développer davantage? — les conséquences sur l'intégration que vous pensez que ça va avoir au Québec?

• (13 h 20) •

M. Singh (Taran) : Bien, en fait — merci, encore une fois, pour la question — bien, on l'a vécu au Québec avec la communauté juive. La communauté juive, antérieurement, dans notre propre vécu, dans notre propre contexte québécois, a établi des institutions parallèles parce qu'ils et elles n'étaient pas bienvenus dans certaines institutions publiques. Et là, ici, c'est évident, parce que c'est un message d'exclusion : c'est un message d'exclusion pour certaines communautés qui pratiquent leur religion de certaines manières.

Donc, ça va immédiatement... et, vous me permettez, c'est sûr, c'est difficile de restreindre un certain sentiment émotif, parce qu'évidemment ça vient nous toucher profondément. Donc, il y a des réactions de stigmatisation, il y a des communautés qui vont être marginalisées. Ça, c'est évident. Mais, au-delà de là, ce qui se passe et ce qui me concerne... ce qui m'inquiète, pardon, le plus, c'est qu'on est en train de créer un environnement où, les jeunes qui se sentent rejetés ou qui se sentent exclus par un projet de loi comme celui-ci, c'est beaucoup plus facile, pour certains éléments qui pourraient exister, pour les radicaliser. Donc, c'est ça qui est aussi un peu problématique, c'est que, lorsqu'on a une société qui nous exclut d'une manière explicite, d'une manière légale, elle crée justement ce danger qu'il y a des gens qui pourraient... particulièrement les jeunes qui présentement se cherchent des emplois, et ainsi de suite, se cherchent un cheminement professionnel.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. Singh. Parce que je veux vraiment laisser le temps aussi au député. Désolé. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : C'est très parlant. Je pense qu'une chose de laquelle toutes les Québécoises et tous les Québécois... à laquelle ils sont sensibles, c'est la question du sentiment d'appartenance, de l'unité nationale, de l'intégration, puis, s'il y a une chose que tout le monde craint, bien, c'est la radicalisation en général, l'intégrisme, qu'il soit religieux ou autre. Et, au fond, ce projet de loi là, à vous entendre, il va contribuer à toutes ces choses que nous craignons.

Une voix : Selon moi, oui.

Le Président (M. Bachand) : S'il vous plaît! Malheureusement — désolé — c'est tout le temps qu'on a. Alors, j'aimerais vous remercier pour votre contribution aux travaux de la commission.

Document déposé

Avant de suspendre les travaux, je vais déposer une lettre datée du 27 mars 2019 de l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec.

Cela dit, la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 13 h 22)

(Reprise à 15 h 6)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bienvenue. La Commission des institutions reprend ses travaux. Je demande, bien sûr, à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons donc les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État. Cet après-midi, nous entendrons la Ligue des droits et libertés et le Rassemblement pour la laïcité. Je souhaite donc la bienvenue aux représentants de la Ligue des droits et libertés. Je leur cède la parole pour une période de 10 minutes. Après ça, nous aurons un échange avec les membres de la commission. À vous la parole, et bienvenue.

Ligue des droits et libertés (LDL)

M. Nadeau (Christian) : Merci. Mon nom est Christian Nadeau. Merci de nous recevoir. Je suis président de la Ligue des droits et libertés. Je suis accompagné d'Alexandra Pierre, qui est membre du conseil d'administration de la ligue, et de Maxim Fortin, qui est coordonnateur de la section Québec de la Ligue des droits et libertés. Nous allons présenter le mémoire en trois temps, mais soyez assurés que nous allons respecter notre temps de parole.

Fondée en 1963, la Ligue des droits et libertés est un organisme à but non lucratif, indépendant et non partisan qui vise à faire connaître, à défendre et à promouvoir l'universalité, l'indivisibilité et l'interdépendance des droits reconnus dans la Charte internationale des droits de l'homme. La Ligue des droits est affiliée à la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme. La Ligue des droits et libertés poursuit comme elle l'a fait tout au long de son histoire différentes luttes contre la discrimination et contre toute forme d'abus de pouvoir, pour la défense des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Son action a influencé plusieurs politiques publiques et a contribué à la création d'institutions vouées à la défense et à la promotion des droits humains, notamment l'adoption de la charte des droits et libertés de la personne du Québec et la création de la commission des droits et libertés de la personne et de la jeunesse... des droits de la jeunesse, pardon, et des droits de la jeunesse.

Rappelons que la Ligue des droits et libertés a, notamment, participé aux travaux de la commission Bouchard-Taylor ainsi qu'à la consultation et aux auditions publiques sur le projet de loi n° 63, Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne; le projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement; le projet de loi n° 60, Charte affirmant les valeurs de la laïcité; et le projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État.

Depuis les controverses sur les accommodements raisonnables en 2006 et surtout depuis l'épisode de la charte dite des valeurs et de ses suites en 2013, la Ligue des droits et libertés a commencé à réfléchir sur la question de la laïcité sous l'angle du racisme systémique. Pourquoi? Les enjeux de la laïcité et du racisme ne devraient pas, par principe, être liés, mais la ligue a constaté très tôt que les débats sur la laïcité au Québec ont trop souvent pour conséquence de cibler et d'exclure certains groupes, en particulier les personnes racisées, en plus de contribuer à rendre le débat social extrêmement toxique.

Pour la ligue, la laïcité de l'État ne peut avoir comme conséquence l'exclusion de certaines populations ou l'imposition aux minorités de prétendues valeurs d'une majorité. Elle ne peut pas non plus être utilisée pour dicter une certaine manière de vivre ses croyances. C'est pourquoi, suite au dépôt du projet de loi n° 21, la ligue a demandé au gouvernement de faire marche arrière avec ce projet de loi, qui, selon elle, est discriminatoire, et que plusieurs autres groupes considèrent comme tel, et qui viole, selon nous, la charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Depuis son adoption en 1975, la charte québécoise a connu de nombreuses modifications, mais toutes ces modifications visaient à renforcir et non à affaiblir les protections des droits des personnes, et cela, toujours dans le plus grand respect pour un texte qui doit être au coeur de toutes les lois québécoises. La modification de la charte par le biais du projet de loi n° 21 est aux antipodes, selon nous, d'un tel respect, puisqu'à ce jour aucune urgence, aucun argument démontrant la nécessité absolue d'agir n'a été apporté.

• (15 h 10) •

M. Fortin (Maxim) : Pour la Ligue des droits et libertés, le projet de loi n° 21 ne sert ni la justice ni l'égalité, car il compromet les conditions de leur réalisation. Il a plutôt pour effet d'encourager la recherche d'une société homogène ou, du moins, conforme aux exigences pressenties de la majorité.

Dans les notes explicatives du projet de loi n° 21, il est mentionné que la laïcité de l'État repose sur quatre principes, soit la séparation de l'État et des religions, la neutralité religieuse de l'État, l'égalité de tous les citoyens et citoyennes ainsi que la liberté de conscience et la liberté de religion. Or, selon la Ligue des droits et libertés, le projet de loi n° 21 va à l'encontre de chacun de ces principes fondamentaux, à commencer par celui de l'égalité de tous les citoyens et citoyennes.

La Ligue des droits de libertés croit que la liste des considérants qui apparaît en tête du projet de loi repose sur un certain idéal d'uniformité de la nation québécoise, qui serait vue comme ayant des caractéristiques propres, des valeurs sociales distinctes et un parcours historique spécifique. Ce sont là les ingrédients d'une rhétorique qui a pour objectif de forger une identité sur l'identique, c'est-à-dire en tordant la complexité de l'histoire du Québec de façon telle à l'interpréter comme un récit portant sur un seul peuple et en unifiant de force les valeurs diverses qui cohabitent présentement au Québec.

L'égalité dont il est question ici suppose, en fait, la conformité à une sélection de modes vie acceptables dans la sphère publique non pas en vertu... légitime de ne pas causer aucun... et préjudice à autrui, mais afin de correspondre à une certaine représentation de notre société. L'égalité signifierait alors l'aplanissement du pluralisme sous prétexte que celui-ci donnerait cours à des valeurs incompatibles avec celles d'une majorité. Selon le projet de loi n° 21, parmi ces valeurs compterait l'importance que la nation québécoise accorde à l'égalité entre les femmes et les hommes. Or, ce projet de loi aura justement pour effet d'exclure des femmes de certaines professions. Si le gouvernement souhaitait véritablement assurer le respect des droits des femmes, il mettrait, par exemple, en oeuvre des mesures visant à assurer leur autonomie économique et l'élimination des violences faites à leur endroit, soit de véritables moyens pour permettre aux femmes de participer à la société québécoise.

Le projet de loi n° 21 est défendu par le gouvernement parce que, selon celui-ci, ses objectifs s'inscrivent dans l'histoire de la sécularisation des institutions québécoises. La Ligue des droits et libertés s'interroge sur la façon dont le projet de loi pourrait à la fois affirmer un principe de neutralité et en même temps s'inspirer de la spécificité de l'histoire du Québec. Si la laïcité a pour but de protéger la neutralité de l'État, elle ne peut pas de surcroît jouer le rôle de gardienne d'une certaine vision de l'identité québécoise, qui serait en danger. C'est pourtant le double rôle qu'on tente de lui faire jouer par le biais du projet de loi n° 21.

Mme Pierre (Alexandra) : La ligue s'oppose à une telle représentation de la société, de son identité et de ses valeurs, à plus forte raison si cette représentation est défendue comme un équilibre entre les droits collectifs de la nation québécoise et les droits et libertés de la personne. La ligue considère comme artificiel un tel équilibre, puisqu'il suppose une opposition entre le droit des groupes et les droits et les libertés des individus. Dans le cas actuel, il est impossible de voir en quoi les droits collectifs seraient menacés par les libertés individuelles, d'autant plus que la nation québécoise est plurielle et qu'elle est divisée au sujet de ce projet de loi. Un conflit politique n'est pas un conflit entre des droits, et c'est encore moins une raison légitime de bafouer les droits de minorités.

La ligue défend l'indivisibilité et l'interdépendance de tous les droits humains. Elle estime que le principe de l'interdépendance des droits humains est mis en péril par le p.l. n° 21. Les personnes qui verront leur liberté de religion et leur droit à l'égalité bafoués seront, dans un même temps, privées d'exercer leur droit au travail et leur droit à un revenu décent, sans discrimination. On sait par ailleurs que l'intégration économique est un vecteur important de contribution à la société et de participation citoyenne duquel seront exclues ces personnes. Plus encore, ce qui est en jeu, c'est le droit collectif des Québécois et des Québécoises de vivre dans un État de droit qui protège les droits de tous et toutes.

Par définition, une loi permet et interdit de faire certaines choses. Parce qu'elle limite les libertés, elle doit être justifiée, sinon elle ne serait que la manifestation d'un pouvoir arbitraire. Dans le cas présent, le gouvernement défend son projet de loi n° 21 en parlant de la nécessité d'un devoir de neutralité religieuse en ciblant les signes religieux portés par les personnes employées de l'État et en situation d'autorité. Selon la ligue, le projet de loi n° 21 n'a pas comme objectif de favoriser un devoir de neutralité religieuse ou bien une réelle laïcité de l'État. En effet, la laïcité requiert que les institutions de l'État soient neutres à l'égard des religions et séparées de celles-ci. La neutralité et la séparation visent à garantir la liberté de religion et de conscience ainsi que l'égalité de toutes et tous. Or, dans les faits, le projet de loi porte atteinte aux deux droits que la laïcité doit protéger.

Il est difficile de voir en quoi ce projet de loi sert vraiment ce devoir de neutralité religieuse, comme si la neutralité se prouvait par l'absence de tout signe religieux. Cela reviendrait à croire que la neutralité d'un juge, par exemple, l'apparence de partialité ou d'impartialité de sa part ne dépendrait pas, en dernière instance, des actions qu'il pose, mais reposerait uniquement sur son apparence vestimentaire. La ligue rappelle que la neutralité religieuse de l'État se vérifie avant tout par des comportements et non à l'apparence des personnes en situation d'autorité. Or, le projet de loi n° 21 est basé sur l'idée selon laquelle il serait légitime de soupçonner qu'une personne en situation d'autorité portant un signe religieux n'exerce pas sa fonction en toute impartialité et sans discrimination. Ceci est impossible à démontrer, et le gouvernement est incapable de citer un cas de tentative de prosélytisme de la part de ces personnes. Tout l'argumentaire du p.l. n° 21 est donc basé sur un préjugé.

Finalement, la ligue ne peut passer sous silence le fait que le projet de loi est une manifestation de ce qu'on appelle le racisme systémique. En effet, le racisme systémique repose, entre autres, sur un ensemble de règles ou de pratiques formelles ou informelles qui peuvent être neutres en apparence et sans intention raciste mais qui, dans les faits, désavantagent de façon disproportionnée les personnes racisées. Merci.

Le Président (M. Bachand) : ...s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Madame messieurs, bonjour. Merci d'être en commission parlementaire pour nous présenter votre point de vue sur le projet de loi n° 21.

D'entrée de jeu, tout à l'heure, vous parliez du premier considérant du projet de loi : «Considérant que la nation québécoise a des caractéristiques propres, dont sa tradition civiliste, des valeurs sociales distinctes et un parcours historique spécifique l'ayant amenée à développer un attachement particulier à la laïcité de l'État.»

Donc, vous êtes en désaccord avec cet énoncé?

M. Nadeau (Christian) : En fait, nous ne sommes pas en désaccord avec l'énoncé en lui-même, c'est plutôt de la manière dont il s'inscrit dans la logique du projet de loi.

Ce que nous pensons, c'est qu'il est indéniable qu'il y a une histoire du Québec et une évolution de ses institutions sur des questions et des enjeux comme, par exemple, la séparation de l'Église et de l'État. Le problème, en fait, c'est que nous pensons que la manière même dont le projet de loi interprète cette histoire consiste, en fait, à vouloir unifier l'histoire de ce progrès social de façon telle à ce que ce soit vu comme une espèce d'histoire rectiligne, comme s'il n'y avait pas, en fait, plusieurs valeurs qui étaient en cause dans l'histoire de ce mouvement. Et ce que nous disons, en fait, c'est que, lorsque l'État québécois s'est développé avec des institutions et que ces institutions ont permis, notamment, une indépendance par rapport, par exemple, au clergé, cela a toujours été fait aussi avec la préoccupation de l'ensemble des droits. C'est l'équilibre des droits entre eux qui nous intéresse, puisqu'encore une fois la ligue défend par-dessus tout le principe d'interdépendance des droits.

M. Jolin-Barrette : Je comprends votre position, mais le projet de loi n° 21 prévoit justement un équilibre entre les droits. Au dernier considérant, là, on l'indique également : «Considérant qu'il y a lieu d'affirmer la laïcité de l'État en assurant un équilibre entre les droits collectifs de la nation québécoise et les droits et libertés de la personne.» Donc, on a ce souci-là d'assurer un équilibre.

Et je vous référerais au premier considérant, là, du projet de loi, là. Ce sont les mots mêmes de la Cour suprême de dire que la société québécoise a des valeurs sociales distinctes, la tradition civiliste, des caractéristiques propres. Moi, je crois que c'est un état de fait historique de dire qu'il y a eu un parcours de sécularisation de la société québécoise. Il y a eu des avancées. On sait à quel point l'État et certaines religions au Québec étaient côte à côte, étaient interreliés, et, on l'a vu au cours des 50, 60 dernières années, il y a eu un processus. C'est la logique dans laquelle le projet de loi s'inscrit, de dire : On sépare formellement, dans un texte de loi, l'État et les religions. Vous ne pensez pas?

• (15 h 20) •

M. Nadeau (Christian) : Ce que nous pensons, c'est que cette logique historique, jusqu'à maintenant, en a été une de protection des droits.

Là, on se retrouve dans une situation où, en fait, on veut retirer des droits. Donc, l'incohérence logique vient plutôt de voir dans un projet de loi la suite d'un processus qui ne ressemble pas à ce à quoi nous avons assisté jusqu'ici, du moins, si je compte, disons, dans les premières années, c'est-à-dire l'époque vraiment des premiers moments d'une séparation entre l'Église et l'État. Là, on se retrouve dans une autre logique complètement, c'est ce que notre mémoire dit, surtout depuis, disons, à peu près une dizaine d'années.

Ce que nous voyons, en fait, c'est que le problème, c'est lorsque nous essayons de montrer, en fait, que la protection des droits relève d'un caractère national, alors qu'en fait c'est l'affirmation de prérogatives et de devoirs d'État. Donc, c'est l'État qui doit accomplir un certain nombre de fonctions, qui doit aussi se justifier lorsqu'il tente de faire des modifications, le gouvernement, bien sûr, qui doit se justifier au moment de faire des modifications aux lois, a fortiori si cela perturbe, comme l'a montré, par exemple, Pierre Bosset à cette tribune il n'y a pas longtemps, perturbe l'équilibre des droits.

En fait, encore une fois, c'est toujours le même principe : si l'interdépendance des droits est remise en cause, c'est l'édifice global, en fait, de la structure des droits, et donc de l'État de droit, qui se retrouve également remis en cause.

M. Jolin-Barrette : Et donc, selon vous, on ne devrait pas inscrire la laïcité de l'État dans nos lois et dans la Charte des droits et libertés de la personne comme valeur fondamentale de la société québécoise et comme un outil d'interprétation en lien avec les droits et libertés fondamentaux?

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, évidemment que nous sommes, à la ligue, pour la laïcité, mais il faudrait s'entendre sur ce que signifie la laïcité.

La laïcité, c'est lorsque les lois, les règles, les façons de s'appliquer ne sont pas déterminées par les religions et que l'État ne favorise ni ne défavorise une croyance ou l'incroyance. C'est l'État qui doit être laïque, pas les individus. On veut cette laïcité-là, mais, pour nous, elle ne s'inscrit pas dans l'habillement des individus, elle s'inscrit dans les lois, les règles et les façons de l'appliquer de l'État.

M. Jolin-Barrette : O.K. Mais séparons les choses. Premier principe, le principe de laïcité de l'État. On a une définition, à l'article 2, qui reprend une partie de ce que vous venez de dire, notamment que l'État doit être neutre, doit traiter, d'une façon neutre sur le plan religieux, toutes les religions. C'est ce qu'on fait. Également, on sépare formellement l'État des religions, deuxième principe... bien, en fait, c'est le premier, là, je les ai inversés. Troisième principe, l'égalité de tous les citoyens et citoyennes devant la loi; et, quatrième principe, la liberté de religion et la liberté de conscience. Ça, êtes-vous d'accord avec cette partie-là?

M. Nadeau (Christian) : ...de la même manière, et là je répéterais les arguments de Pierre Bosset, c'est qu'en fait il y a une confusion par rapport à l'idée même de laïcité et que ce qui est proposé par le projet de loi va à l'encontre de cette idée générale.

Nous pouvons avoir une représentation d'ensemble sur l'idée générale, tout dépend de la manière dont elle est appliquée et ensuite du sens qu'on lui donne. Lorsque vous présentez, par exemple, la laïcité comme une valeur, alors là il y a déjà un problème, dans la mesure où on veut charger la notion de laïcité d'un sens, alors que précisément elle repose sur l'idée d'une neutralité de la procédure. Il y a bien sûr une différence entre le principe de neutralité et le principe de laïcité, mais il n'en demeure pas moins que la laïcité, c'est un instrument afin de rendre la société plus juste. Si la laïcité de l'État introduit des mesures qui rendent la société injuste pour certaines de ses composantes, par exemple des groupes précis de personnes à l'intérieur de la société, alors nous avons un effet contraire à ce qui est normalement recherché par la laïcité.

M. Jolin-Barrette : Mais revenons sur le principe de base, là. Dans nos lois, là, moi, je pense que c'est important de dire formellement, là, qu'au Québec il y a une séparation formelle entre l'État et les religions. Tout le monde dit ça, là. Tout le monde dit ça, mais ce n'est présent dans aucun texte de loi. Nous, on vient l'inscrire. Bon, vous n'êtes pas d'accord avec le volet Les personnes en situation d'autorité qu'on interdit de porter un signe religieux, mais tassons ça pour un instant.

Sur le concept même de laïcité, ça, vous êtes d'accord avec nous que ça doit être dans la Charte des droits et libertés de la personne puis que ça constitue une valeur de la société, comme...

M. Nadeau (Christian) : À condition...

M. Jolin-Barrette : Non, mais je veux juste terminer. Comme exemple, l'égalité entre les femmes et les hommes, on s'entend qu'au Québec c'est une valeur importante de la société québécoise à ce même titre là.

Mme Pierre (Alexandra) : L'égalité entre les hommes et les femmes, ça fait partie d'un certain nombre de droits qu'on a, et la difficulté qu'on a avec ce projet de loi, c'est la façon dont il hiérarchise ces droits-là. Notamment, quand on parle d'égalité hommes-femmes et qu'on prétend que cette égalité-là a une certaine préséance, ça nous pose un problème, et ça pose d'autant plus un problème que le projet de loi va, de fait, discriminer de façon disproportionnelle un certain nombre de femmes, les femmes musulmanes, pour ne pas les nommer.

M. Jolin-Barrette : Bien, je ne suis pas d'accord avec vous, parce que nulle part on ne hiérarchise les droits. Et, comme vous voyez, les droits s'interprètent les uns par rapport aux autres.

Bon, certains vous diront : La Cour suprême a placé le droit à la liberté de religion d'une façon supérieure à tous les autres droits — je ne ferai pas cette prétention-là ici, mais on a entendu ça, notamment, dans les témoignages — à cause de la jurisprudence. Mais, dans tous les cas, moi, dans la conception, c'est que je placerais tous les droits et libertés sur le même pied d'égalité, et les droits et libertés s'interprètent les uns par rapport aux autres.

Et là ce qu'on fait, c'est qu'on vient insérer la notion de la laïcité, le droit à avoir un État laïque. Ça, c'est important pour la société québécoise, c'est une avancée. Et, vous savez, il y a plusieurs personnes qui sont venues et qui ont dit qu'elles étaient favorables à l'interdiction du port de signes religieux, que c'était dans la suite historique de la démocratie québécoise. Guy Rocher a dit ça. Les juristes de l'État, avec Julie Latour, Henri Brun, Guy Tremblay, Daniel Turp, Maurice Arbour, ont parlé d'un projet de loi sobre et substantif, mesuré et efficace, le reflet d'une société mature qui se projette dans l'avenir. L'Association québécoise des Nord-Africains a dit que l'interdiction du port de signes religieux, c'était un minimum qui garantit le bien-vivre-ensemble et la bonne intelligence. Et même M. Bouchard a eu certains bons mots à l'égard du projet de loi.

Alors, je me dis, en quoi ce n'est pas une avancée d'inscrire la laïcité dans nos lois et dans notre charte?

Mme Pierre (Alexandra) : Parce que cette laïcité, telle que vous l'interprétez et telle qu'elle est dans le projet de loi, va avoir des effets discriminatoires très clairs sur un certain nombre de personnes qui portent des signes religieux et que ces discriminations-là sont réelles.

D'ailleurs, vous parliez de cette laïcité, mais, dans ce cas-là, l'État a quand même l'obligation de démontrer en quoi le port d'un signe religieux porte atteinte à cette laïcité de l'État ou à la réalisation des fonctions des fonctionnaires en état d'autorité et des professeurs. Et il n'y a pas eu de démonstration là-dessus, il n'y a pas eu de fait là-dessus. Donc, ça serait notre point de vue sur le projet de loi n° 21.

Le Président (M. Bachand) : ...s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Pensez-vous que, Gérard Bouchard et Charles Taylor, au moment d'écrire leur rapport, qui visait à interdire, notamment, le port de signes religieux pour les personnes en situation d'autorité — juges, policiers, gardiens de prison, procureurs — avec la même définition de «laïcité» que je présente dans le projet de loi, leur intention, c'est de discriminer des gens?

Mme Pierre (Alexandra) : Il faudrait demander à Bouchard, Taylor. Nous, ce qu'on dit, c'est que ce projet de loi, en l'occurrence, va impacter de façon disproportionnée les personnes qui portent des signes religieux... dont la manière de pratiquer la religion inclut cet aspect-là, et, dans ce cas-là, les femmes musulmanes seront particulièrement touchées par ce projet de loi là.

M. Jolin-Barrette : O.K. Bien, je suis en désaccord avec vous, parce que ça s'applique à tous de la même façon.

Juste une question. Sur le projet de loi n° 62, on visait une interdiction relativement à la réception de services pour... à visage découvert pour des motifs de sécurité, d'identification, de communication et d'interaction. Nous, dans le projet de loi, maintenant, ce qu'on dit, c'est : On doit s'identifier, on doit recevoir le service à visage découvert pour des motifs de sécurité et d'identification. Êtes-vous d'accord avec ça?

M. Nadeau (Christian) : Ce qui est déjà balisé par la Charte des droits et libertés permet de répondre à ces cas. Ensuite, on se retrouve devant des cas qui sont complexes et qui doivent se vérifier cas par cas. Il est très difficile de répondre de manière générale à cette question si on en fait simplement un principe aveugle aux réalités. Donc, ce qu'il est important de voir... Ça, c'est une première chose.

Maintenant, pour revenir sur votre première question, le fait qu'il y a eu plusieurs personnes qui étaient d'accord avec le projet de loi ne signifie pas... dont plusieurs collègues éminents, ne signifie pas pour autant que cela renforce l'autorité en tant que telle du projet. Il y a toujours la possibilité d'une dissidence ou d'un désaccord. C'est la raison même d'une institution comme celle-ci.

M. Jolin-Barrette : Ah! bien, c'est pour ça qu'on vous entend et c'est pour ça qu'on entend les gens qui sont favorables aussi.

Alors, M. le Président, je sais que j'ai des collègues qui souhaitent poser des questions.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. Mme la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Permettez-moi à mon tour de vous remercier d'être ici aujourd'hui, de nous donner votre point de vue.

Écoutez, en 2011, le Conseil du statut de la femme... Et je vais vous rappeler la mission du Conseil du statut de la femme, qui est un organisme gouvernemental de consultation et d'étude. Il conseille le ou la ministre et le gouvernement du Québec sur tout sujet lié à l'égalité, au respect des droits et au statut de la femme, dans un objectif de justice sociale. Alors, je disais donc qu'en 2011 le Conseil du statut de la femme a produit un avis selon lequel il appuyait une interdiction de porter des signes religieux pour les agents de l'État et recommandait de modifier la charte québécoise pour consacrer la laïcité de l'État.

Que pensez-vous que notre gouvernement... devrions-nous faire avec cet avis?

• (15 h 30) •

Mme Pierre (Alexandra) : Alors, sur la question de... Désolée. Est-ce que vous pouvez répéter votre dernière partie de la question?

Mme Lecours (Les Plaines) : Que pensez-vous que nous devrions faire avec cet avis, qui n'est quand même pas...

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, pour nous, du point de vue de la ligue, la liberté de religion, l'égalité hommes-femmes, tous ces droits sont des droits interdépendants.

Le Conseil du statut de la femme a émis cet avis, et on ne serait pas d'accord avec cet avis-là, notamment parce qu'on considère que les signes religieux sont polysémiques, ils peuvent avoir plusieurs sens. Ce n'est pas à l'État de s'immiscer dans la tête des croyants et des croyantes pour donner cet avis-là, pour dire qu'est-ce qu'ils doivent faire de ces signes-là. Nous, ce qui nous importe, c'est la laïcité et la neutralité de l'État. S'il y a un lien qu'on peut prouver et déterminer entre ces signes religieux là et la laïcité de l'État, on est prêts à les entendre. Mais, pour nous, il n'y a donc pas de lien entre ces deux choses-là. Je ne sais pas si ça répond à votre question.

Mme Lecours (Les Plaines) : Petite question additionnelle. Je vais laisser mon collègue poursuivre après. Vous disiez aussi que, dans le préambule, il y a évidemment la séparation des religions et de l'État et que ça va à l'encontre... Vous considérez que ça va à l'encontre... Pourquoi?

Mme Pierre (Alexandra) : En fait, le projet de loi là, tel qu'il a été présenté, va à l'encontre de la neutralité de l'État et notamment parce qu'il dicte, en quelque sorte, aux croyants comment ces croyants-là doivent ou pas exercer leurs croyances. Et on voit bien que l'idée de la neutralité de l'État, c'est que l'État ne doit pas s'immiscer ni dans la façon de croire ni dans la façon d'exercer sa non-croyance. Et, pour nous, ça va donc à l'encontre de cette idée de neutralité, puisque l'État dicte quel signe est valable ou si un signe religieux... comment on peut le porter et à quel moment, etc.

Ce qui est important pour nous, c'est de savoir, lorsqu'un fonctionnaire en autorité ou un professeur est devant une personne à qui il est en interaction, s'il est capable de faire ce travail-là, et on ne peut pas présumer que le port d'un signe ait une quelconque influence sur son travail. Pour nous...

Le Président (M. Bachand) : ...parce que le temps file. Le député de Chapleau a la parole pour une minute, s'il vous plaît. Rapidement.

M. Lévesque (Chapleau) : ...M. le Président. Donc, bonjour, tout le monde.

Une petite question rapide : Dans la mesure où la Charte canadienne des droits réfère à la suprématie de Dieu, vous ne pensez pas qu'il serait opportun, voire pertinent que la charte québécoise réfère justement, elle, à la laïcité? Il n'y a pas une certaine incongruité là?

M. Nadeau (Christian) : En fait, qu'il y ait la volonté... et on revient sur une question qui nous a déjà été posée, qu'il y ait une volonté d'inscrire la laïcité, à la limite, nous pouvons en convenir. Le problème n'est pas là. Le problème, c'est qu'à partir du moment où on veut définir un certain type de laïcité qui, lui, serait incompatible avec la vision d'interdépendance des droits, selon nous, bien sûr... et, en ce sens, nous pensons que le concept de laïcité se trouve falsifié, c'est-à-dire qu'il est utilisé pour des finalités qui ne sont pas celles pour lesquelles le concept existe en réalité. Donc, la querelle ne devrait pas être sur la présence du mot, la querelle devrait être sur le sens de l'utilisation de ce mot dans un dispositif législatif.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

Mme David : Merci beaucoup. Bonjour, messieurs madame. Merci beaucoup d'être ici.

Écoutez, c'est peut-être un scoop qu'on a, mais on a le mémoire, tout chaud encore, du Conseil du statut de la femme de mai 2019. Donc, on réfère beaucoup à 2011, mais je vais vous lire maintenant la position du Conseil du statut de la femme et je voudrais avoir, donc, vos commentaires, parce que c'est quand même un conseil gouvernemental qui est très respecté et donc auquel la CAQ se réfère souvent. Donc, ils vont devoir se mettre à jour par rapport à ça.

Alors, «considérant que les inégalités entre les femmes et les hommes de même qu'entre les femmes que génère l'interdiction de signes religieux dans l'exercice de certaines fonctions», considérant «les difficultés à identifier les signes religieux», considérant «les questions qui subsistent quant aux répercussions du port de signes religieux par le personnel du milieu scolaire sur les élèves», considérant «le fait que le foulard islamique revêt différentes significations pour les femmes qui le portent, ne représentant pas pour certaines d'entre elles un symbole d'infériorisation et de soumission des femmes, le conseil recommande au gouvernement [...] d'identifier les signes religieux visés par une interdiction du port dans l'exercice de certaines fonctions; [...]de veiller à la réalisation d'études et de consultations afin de clarifier pour les autres fonctions exercées au sein de l'État — à part celle de l'autorité coercitive, avec laquelle ils sont en accord, donc — les arguments pouvant fonder l'interdiction de port de signes religieux; [et de] cerner les effets du port de signes religieux par l'ensemble du personnel des écoles».

Donc, il est très clair qu'ils sont contre l'élargissement au milieu scolaire, alors, ce qui est une position évidemment importante quand ça vient du Conseil du statut de la femme.

Évidemment, je peux présupposer que vous êtes d'accord avec la partie qui concerne les écoles, parce que vous êtes contre l'interdiction de port de signes religieux pas mal partout, mais je voulais justement voir, en lien avec ce que le conseil vient de dire, quel est le lien que vous pouvez faire avec la notion souvent mal comprise — et, comme vous y référez, vous êtes très bien placés pour l'expliquer — celle du racisme systémique.

M. Nadeau (Christian) : Alors, d'une part, évidemment, nous ne pourrons pas réagir au mémoire, que nous, nous ne connaissons pas, mais tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'il serait très dangereux pour l'État de jouer à un jeu d'identification de ce qui est un signe religieux et ce qui ne l'est pas. Ça nous semble très problématique. Je pense que la question a été déjà discutée. Est-ce que, par exemple, cet anneau est un signe religieux? Est-ce qu'il ne l'est pas? Ça peut devenir extrêmement complexe et très hasardeux et ouvrir la porte à un très grand arbitraire.

Maintenant, par rapport à la question du racisme systémique, je laisserai à d'autres le soin de compléter ma réponse, mais ce que nous voyons, en fait, c'est qu'à partir du moment où il y a une forme de discrimination qui serait indirecte mais qui a un effet très clair sur un groupe de personnes en particulier, les femmes musulmanes, alors ça nous semble la preuve que ce que nous essayons de faire dans notre société, c'est loin de réfléchir à la problématique du racisme systémique, mais, au contraire, par la modalité, donc, d'un projet de loi, de l'instituer, et ça, ça nous semble totalement inacceptable. Encore une fois, il faut rappeler ce qu'est le racisme systémique. Ça n'a absolument rien à voir avec le fait que des individus soient racistes ou aient une conscience ou un projet racistes en tant que tels. Le racisme systémique, c'est le mode de fonctionnement des institutions qui donne lieu à des effets que nous pouvons juger comme étant racistes. Je ne sais pas si tu veux compléter.

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, j'aimerais compléter en disant aussi que ce racisme systémique affecte de nombreux droits. Dans le cas présent, on peut penser aux femmes musulmanes, entre autres, qui vont être privées d'un certain nombre de métiers, donc potentiellement du droit au travail, notamment celles qui sont... ou qui veulent devenir professeures, et tout ça est relié aussi au droit à un revenu décent et à toute la question de la notion d'égalité, donc mêmes fonctions mais avec des droits différents, notamment quand on pense à la clause grand-père, où est-ce que certaines vont pouvoir avancer dans leur carrière, et d'autres non, en lien avec ce signe religieux là et jamais en lien avec leurs compétences, jamais en lien avec les interactions qu'elles peuvent avoir avec les élèves, par exemple, puisqu'encore une fois la preuve n'a pas été faite... de lien entre les signes religieux et une quelconque influence, ou etc. Donc là, il y a aussi une atteinte à l'égalité. Pour nous, c'est extrêmement dangereux.

Mme David : Je continue. Il y a un paragraphe à la page 12 du mémoire du Conseil du statut de la femme : «Ainsi, le conseil reconnaît l'importance de prendre en considération la diversité des points de vue sur la signification du foulard islamique de même que l'impact de son interdiction eu égard aux enjeux d'égalité — donc, égalité hommes-femmes. Il souhaite que des efforts continuent d'être déployés pour trouver les meilleures façons de poursuivre les idéaux de la société québécoise en matière d'égalité et de justice sociale.»

Je ferais référence à la page 3, ce que vous dites comme titre d'un chapitre, qui est Ce que le projet de loin° 21 veut faire, mais ne dit pas : forger une «identité québécoise» au détriment du pluralisme et des minorités, et je citerais le premier ministre, qui a dit justement en entrevue... Le premier ministre justifie l'utilisation de la clause dérogatoire par la nécessité de protéger les valeurs, notre langue, protéger ce qu'on a de différent au Québec. «Ce n'est [pas] une décision facile, mais je pense qu'il faut [le faire pour] protéger notre identité.»

Alors, je trouve qu'il y a là différents points de vue sur une chose qu'on appelle l'identité québécoise. J'aimerais vous entendre.

• (15 h 40) •

M. Nadeau (Christian) : Ce que nous voyons comme motivation... et d'ailleurs notre présentation porte à la fois sur le projet de loi, mais aussi est une réponse à différents arguments que nous avons entendus à la fois ici et dans l'espace public, qui tentent de justifier, en fait, ce projet à la fois par un souci d'une majorité et, d'autre part, par une espèce de vision d'une identité collective qui serait totalement homogène et qui a une certaine représentation des choses où le pluralisme est exclus, le pluralisme étant identifié à d'autres modèles de valeurs, comme si, au Québec, nous n'étions pas déjà de facto une société plurielle, quelque chose dont nous devrions nous enorgueillir au lieu de vouloir, au contraire, le contraindre.

Donc, je pense qu'effectivement ce qu'il faut, c'est éviter toute forme de référence à un soi-disant idéal d'identité qui serait vu comme étant celui d'un souci de la majorité qu'il reste, d'ailleurs, à démontrer.

Une voix : ...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît. Pardon.

Mme Robitaille : Bonjour. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Moi, je vous écoute et j'aimerais savoir... À la lumière de ce que vous dites, si je comprends bien, cette idée d'interdiction du port des signes religieux est quelque chose d'inutile qui va, en fait, causer des divisions, qui va, en fait, causer des problèmes.

Selon vous, et j'aimerais vous entendre là-dessus, quelle est la conséquence d'une loi comme ce projet de loi n° 21 sur notre société québécoise?

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, je pense qu'il y a plusieurs conséquences. Déjà, il y a des conséquences directement sur les personnes concernées, leurs droits vont être bafoués, on l'a expliqué... droit à l'égalité, droit à un revenu décent, droit au travail dans certains cas. Ça, c'est directement une des conséquences du projet de loi.

Une autre conséquence du projet de loi, c'est d'alimenter un climat extrêmement toxique. Pour nous, c'est quand même un élément important. Et aussi toute la question du processus, notamment cette commission, l'éventuel recours à la clause dérogatoire, pour nous, c'est très... puis juste le fait que, probablement, ce projet de loi là ne va pas passer d'une façon consensuelle à l'Assemblée nationale. Pour nous, de banaliser comme ça la Charte des droits et libertés... C'est extrêmement important. La charte est un texte quasi constitutionnel que les Québécois et Québécoises se sont donné en 1975 pour établir cette société de droit dans laquelle nous vivons. Donc, ça, pour nous, c'est aussi une... Le processus, et le fait de banaliser donc cette charte-là, est aussi extrêmement inquiétant, pour nous.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : Et quel message vous pensez que ça envoie, ça, aux communautés immigrantes, aux différentes communautés culturelles?

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, pour nous, c'est clair qu'une nation, une société ne peut pas se bâtir par la négative, en écartant un certain nombre de groupes sociaux et en fragilisant leurs droits fondamentaux. Le Québec peut et doit se bâtir sur un projet positif qui ne viole pas les droits fondamentaux et qui se base sur cette charte, sur les principes de cette charte qu'on s'est donnée collectivement. Ça envoie un bien mauvais message, notamment en regard de cette question de racisme systémique, sur qui est vraiment Québécois et Québécoise et qui ne l'est pas. Pour nous, c'est troublant sur une question de droits, de droits fondamentaux, mais sur la question sociétale aussi.

Mme Robitaille : Le fait qu'on veut interdire les signes religieux et on ne définit pas c'est quoi, un signe religieux, j'aimerais vous entendre là-dessus. C'est quoi, pour vous, un... justement, c'est quoi, le danger? C'est quoi, un signe religieux?

Mme Pierre (Alexandra) : ...danger, c'est que l'État définisse qu'est-ce qu'un signe religieux, puisque ça reviendrait à dire aux croyants et aux non-croyants comment exercer, en quelque sorte, leur liberté de conscience. C'est d'ailleurs un des problèmes de cette loi-là. Est-ce qu'une main de Fatima que j'aurais achetée, dans mon voyage au Maroc, comme souvenir... comment ce sera interprété, alors qu'un autre va l'avoir pour une autre raison? Ou, la croix que ma grand-mère m'aura donnée en héritage, est-ce que c'est ça, un signe religieux? Puis comment on fait pour... C'est un gros problème, pour nous.

M. Nadeau (Christian) : Et surtout, je vous dirais, c'est qu'indépendamment même de la difficulté d'interpréter ce qu'est un signe religieux le fait même que l'État souhaite définir, s'il le souhaitait, ce qu'est un signe religieux est contradictoire avec l'idée même de la laïcité.

Mme Robitaille : Je vous écoute. En fait, j'en conclus qu'il n'y a pas d'urgence, en fait, qu'il n'y en a pas, de problème, que cette loi-là, de la façon dont elle est écrite, va créer beaucoup plus de problèmes qu'elle va aider à une cohésion sociale.

M. Nadeau (Christian) : ...c'est qu'il y a peut-être une urgence, mais ce n'est pas celle à laquelle nous pensons. C'est-à-dire qu'en fait il y a peut-être une urgence qui consisterait à avoir un calcul politique, à essayer de voir quelle serait la meilleure stratégie pour alimenter ou remettre sur la table un débat qui n'a pas lieu d'être, parce que précisément il n'y a pas de problème...

Le Président (M. Bachand) : En terminant.

M. Nadeau (Christian) : Et voilà, donc.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présence ici.

Selon vous, qu'est-ce qui va se passer si ce projet de loi là est adopté? C'est-à-dire, en termes de recours légal ou de lutte pour les droits et libertés, comment entrevoyez-vous la suite si le projet devait être adopté comme il est?

M. Nadeau (Christian) : Alors, il peut y avoir plusieurs stratégies, d'accord? Je ne vais pas être devin en essayant de voir quelles seront celles des autres groupes. Il va y avoir des stratégies qui pourront être juridiques. Il y aura des moyens d'action politique, mais ce qui peut être certain, en tout cas, quand on pense à qu'est-ce qui va se passer, c'est plutôt qu'elles seront les victimes.

C'est-à-dire, avant même de penser à la manière dont nous allons nous défendre, ce qu'il faut essayer de voir aussi, c'est que d'emblée il y a des victimes et ces victimes sont déjà présentes, parce que, le simple fait d'interpeller un groupe en particulier et de le mettre sur la sellette et sans cesse d'alimenter un discours qui, au final, ne veut rien dire d'autre qu'une forme de xénophobie, alors nous nous retrouvons avec des victimes directes, quels que soient les effets même immédiats, structurels du débat. Donc, il y a, si vous voulez, comme une espèce d'effet performatif, en fait, de ces débats, qui s'éternisent et qu'on veut résoudre tout simplement en aggravant...

Mme Pierre (Alexandra) : Si je peux rajouter aussi. Je pense qu'une des conséquences directes, ça va être d'affaiblir la charte, d'affaiblir l'État de droit dans lequel on se trouve, et qu'on veut valoriser, en quelque sorte. Les différentes modifications à la charte, tout au long de l'histoire, ont toujours été pour bonifier la charte, c'est-à-dire pour accorder des nouveaux droits. Là, on est complètement dans une logique différente, et ça, je pense que ça va être une conséquence très claire de ce projet de loi et de l'ensemble du processus, par ailleurs, autour de ce projet de loi.

Le Président (M. Bachand) : M. le député, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Merci. C'est très éclairant, la question de «ça va affaiblir la charte et l'État de droit». Les conséquences pour les autres, à part les personnes qui portent des signes religieux... Est-ce que vous voyez des conséquences plus larges, pas pour... Parce qu'on parle beaucoup des minorités, mais, en fait, c'est les droits de la personne qui sont attaqués, et tout le monde est une personne au Québec, là. Alors, c'est quoi, plus largement, les conséquences?

M. Nadeau (Christian) : Pour nous, en fait, c'est : à partir du moment où on interroge ou qu'on confronte un principe comme celui de l'interdépendance des droits, ce qui est remis en cause, c'est ce qui fait même le lien social. Donc, lorsqu'on veut essayer de penser à un projet collectif et que ce qui est remis en cause, c'est ce qui permet, en fait, la communication entre les personnes et... ou, au contraire, qui renforce l'exclusion, alors on se retrouve exactement à l'inverse de ce que nous pourrions appeler construire une société. En fait, on détruit une société dans la mesure où on fait ce qu'on fait. C'est qu'on joue à choisir ce qui nous semble compatible avec une certaine idée de ce qu'est la société, et, du coup, nous séparons, en fait, les personnes plutôt que les unir.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Malheureusement, c'est tout le temps qu'on a. Je tiens à vous remercier pour votre collaboration et votre implication au niveau des travaux de la commission.

Je suspends les travaux quelques instants, et après nous allons accueillir le Rassemblement pour la laïcité. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 15 h 49)

(Reprise à 15 h 52)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux.

Je souhaite maintenant la bienvenue au Rassemblement pour la laïcité. Je vous invite à prendre la parole pour une période de 10 minutes, et après ça nous aurons une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, à vous la parole, s'il vous plaît.

Rassemblement pour la laïcité (RPL)

Mme Sirois (Michèle) : Merci. Je suis Michèle Sirois et je suis accompagnée de Claude Kamal Codsi. Nous coordonnons ensemble le Rassemblement pour la laïcité.

Depuis la Révolution tranquille, la laïcité est au coeur de la modernisation de l'État. Le projet de loi n° 21 est une étape majeure pour la Québec afin de formaliser la laïcité dans une loi et l'enchâsser dans la charte québécoise. En 2007, lors de la création de la commission Bouchard-Taylor, le premier ministre Jean Charest a fait une déclaration officielle quant aux valeurs qui sont prioritaires pour la société québécoise. Je cite : «L'égalité entre les femmes et les hommes, la primauté du français et la séparation entre l'État et la religion constituent des valeurs fondamentales. Elles ne peuvent faire l'objet d'aucun accommodement. Elles ne peuvent être subordonnées à aucun autre principe.» Jean Charest rappelait alors ce qui est considéré comme les valeurs fondatrices du Québec moderne. Ainsi, la laïcité est un projet de la société québécoise qui transcende les partis politiques au pouvoir, depuis plus de 30 ans.

Le projet de loi sur la laïcité de l'État s'appuie sur quatre principes. Le premier principe énoncé dans le projet de loi n° 21 est la séparation entre l'État et la religion, qui a pris la forme, au Québec, d'un mouvement de déconfessionnalisation progressive des institutions de l'État. Le second principe est la neutralité religieuse, qui doit être une neutralité de fait, sans prosélytisme, mais elle doit aussi être une neutralité d'apparence. En fait, cela se vit tous les jours pour ce qui est de l'interdiction d'afficher ses préférences politiques, conformément à la Loi de la fonction publique. Dans les sociétés plurireligieuses, on doit élargir ce devoir de réserve en interdisant d'afficher également ses préférences religieuses et en mettant les lois démocratiques au-dessus des règles religieuses. Le troisième principe affirme l'égalité de tous les citoyens et citoyennes. Nous sommes heureux que la valeur d'égalité entre les femmes et les hommes ait été prise en compte dans le projet de loi n° 21. L'État laïque s'appuie aussi sur l'égalité de tous les citoyens, qui peuvent jouir des mêmes droits et assument les mêmes responsabilités. L'État ne doit accorder aucun privilège à aucune conviction spirituelle. Ainsi, tous les citoyens, qu'ils soient de sexe féminin ou masculin, croyants ou non, homosexuels ou hétérosexuels, Blancs, Noirs, Métis, ou autres, qu'ils soient de souche ou nouvellement arrivés, tous les citoyens ont droit au même accès aux services gouvernementaux, au même traitement devant les tribunaux et à l'exercice, sans entrave, des mêmes libertés fondamentales. Enfin, le quatrième principe est la liberté de conscience et la liberté de religion.

Le Rassemblement pour la laïcité soutient la liberté religieuse conformément à l'article 3 de la charte québécoise, mais ce droit fondamental implique aussi un devoir, celui de respecter les droits des autres. La liberté religieuse des employés de l'État doit s'exercer dans le respect de la liberté de conscience de l'ensemble des citoyens, puisque c'est aussi une liberté reconnue par le même article 3.

La question fondamentale est la suivante : Que faire quand des droits s'opposent? La réponse relève du simple bon sens : établir un territoire neutre où les citoyens vont se sentir respectés, quelles que soient les croyances des employés de l'État, un terrain neutre où les citoyens de toutes origines vont pouvoir interagir de façon pacifique. Cela est encore plus important à l'école pour respecter le droit à la liberté de conscience des enfants et de leurs parents. Dans un rapport de recherche de la Commission des droits de la personne, on notait que le crucifix était attentatoire à la liberté de conscience des enfants, qui constituent une clientèle captive et vulnérable. Alors, que dire des signes religieux portés par des professeurs qui exercent une autorité, des profs qui constituent des modèles pour les enfants et avec qui les enfants entretiennent une relation affective? La loi 101, votée en 1977, a contribué à apaiser les conflits linguistiques, et nous parlons maintenant avec fierté des enfants de la loi 101. Dans quelques années, ce sera aussi une fierté de parler des enfants de la loi n° 21, des enfants à qui le Québec aura offert enfin une école laïque, neutre, ouverte à toutes et à tous, sans égard à leur appartenance religieuse.

M. Codsi (Claude Kamal) : Ce projet de loi affirme que l'État du Québec est laïque. Cette laïcité-là exige que les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires respectent les énoncés et les principes de la laïcité, notamment la neutralité religieuse de l'État, dans les faits et dans les apparences.

Or, la neutralité de l'État n'est pas désincarnée. Elle s'incarne par son personnel, comme l'a reconnu elle-même la Cour suprême du Canada. Et, pour que l'État soit neutre et ne favorise aucune religion en fait et en apparence, son personnel doit être neutre, que ce soit dans ses décisions ou dans son apparence, de là la logique de l'interdiction d'affichage de signes religieux aux employés de l'État, qui sont au service de l'ensemble des citoyens. C'est d'ailleurs la même logique que celle du devoir de réserve et de neutralité qui est exigé de tous les fonctionnaires de l'État pour ce qui est de leurs opinions politiques, qu'ils ne peuvent pas afficher pendant leurs heures de travail.

Le Rassemblement pour la laïcité salue aussi l'intention du gouvernement d'inclure le principe de la laïcité dans la charte québécoise des droits et libertés, de recourir à la clause dérogatoire et d'exprimer ainsi sa détermination à proposer un modèle de gestion du rapport du religieux avec l'État qui soit propre au Québec, à son histoire et à son évolution. Lorsqu'il est question d'établir des équilibres entre les droits individuels et les droits collectifs dans une société en constante évolution, le rôle du législateur devrait primer, et le politique devrait avoir préséance sur le judiciaire.

D'autre part, on ne saurait trop insister sur le fait que cette interdiction porte seulement sur l'affichage de signes religieux pendant les heures de travail d'un sous-ensemble des employés de l'État. Le gouvernement a, en effet, choisi d'imposer cette obligation de neutralité d'affichage seulement aux personnes en situation d'autorité coercitive et aux directions et enseignants des écoles du primaire et du secondaire du réseau public. Nous comprenons que le gouvernement du Québec a choisi la voie du compromis en décidant d'avancer sur la voie de la laïcité et en limitant l'interdiction d'affichage à ces catégories d'emploi. L'inclusion des enseignants reconnaît que l'école publique est le lieu de l'éducation laïque. Dans cette logique, nos enfants, qui sont à l'âge vulnérable de la construction de leurs croyances, de leur jugement, de leur identité et de leurs convictions, n'ont pas à être exposés à des signes religieux portés en permanence par leurs enseignants, qui sont aussi des modèles et des figures d'autorité. Il y va de la liberté de conscience des enfants. Le Rassemblement pour la laïcité recommande que cette obligation de neutralité soit étendue à tout le personnel de l'école, des services de garde aux services spécialisés, et ce, dans un souci de cohérence.

Aussi, et compte tenu de la volonté du gouvernement d'autoriser certains enseignants à afficher leur appartenance religieuse à travers une clause grand-père, le rassemblement recommande, au nom de la liberté de conscience des élèves et des parents, de prévoir un mécanisme par lequel les parents et leurs enfants pourront recevoir, s'ils le souhaitent, des services qui respectent la neutralité de l'État.

Ce projet est modéré mais constitue quand même une percée importante et un minimum en ce qui a trait à l'idéal de la laïcité de l'État. Nous comprenons cependant le souci du gouvernement d'y aller avec précaution, surtout dans le contexte nord-américain et multiculturaliste, qui comprend mal les intentions de la laïcité et qui lui a toujours préféré l'affichage multiconfessionnel en guise de neutralité. Selon nous, la laïcité est davantage porteuse d'harmonie, de cohésion sociale dans des sociétés multiconfessionnelles qui sont la réalité de nos jours.

Alors, en conclusion, nous disons oui au projet de loi n° 21 sur la laïcité, qui constitue un minimum et qui est largement appuyé par la population. Nous allons appuyer le gouvernement dans sa démarche, même si nous aurions souhaité aller un peu plus loin, et nous allons insister pour que les améliorations que nous proposons soient prises en compte pour assurer une plus grande cohérence dans l'application de la laïcité de l'État, parce que la laïcité, c'est un des socles de la démocratie et une condition essentielle de l'harmonie et du mieux-vivre ensemble dans une société de plus en plus diversifiée, pluraliste, multiethnique et multiconfessionnelle.

En terminant, je voudrais vous dire qu'en tant qu'immigrant et fils d'immigrant, pour moi comme pour beaucoup d'autres immigrants, ce projet de loi est perçu comme un véritable cadeau. Merci.

• (16 heures) •

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Avant d'aller plus loin, j'aurais besoin d'un consentement unanime pour ajouter cinq minutes à la séance d'aujourd'hui.

Des voix : Consentement.

Le Président (M. Bachand) : Consentement. Merci. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Mme Sirois, M. Codsi, bonjour, merci pour votre présentation ici, au salon bleu, sur le projet de loi n° 21. Vous êtes nos derniers invités à témoigner, et je pense qu'on boucle la boucle des consultations avec vous. Alors, merci de votre présence.

Tout au long des consultations que nous avons eues, on a beaucoup de gens qui sont venus nous dire : Écoutez, le Québec est déjà laïque, le Canada est déjà laïque. De facto, c'est comme ça. Ça ne va rien apporter de plus de faire une loi sur la laïcité ou d'inscrire la laïcité dans la Charte des droits et libertés de la personne.

Pourquoi, pour vous, c'est pertinent qu'il y ait une loi sur la laïcité et qu'on l'inscrive dans la charte?

M. Codsi (Claude Kamal) : D'abord, M. le ministre, vous mentionner que la laïcité du Canada anglais n'est pas la laïcité du Québec. On a fait un petit passage là-dessus. Nous avons une approche spécifique, au Québec, et nous n'avions pas défini formellement la laïcité.

Une des avancées qu'apporte ce projet de loi, c'est qu'il définit la laïcité, comme l'a mentionné Mme Sirois, avec plusieurs axes, et la neutralité de l'État puis l'égalité des hommes et des femmes, etc. Il la définit premièrement. Il l'inscrit comme un élément fondateur en l'inscrivant dans la Charte des droits et libertés, et, à cet égard, elle va devenir une source d'éclairage lorsqu'il est question de quoi que ce soit, lorsqu'il est question aussi d'accommodements, et nous trouvons que c'est une très heureuse percée et c'est l'établissement d'un nouveau droit, pour nous, un nouveau droit collectif, et c'est à cet égard que nous disons que... C'est sûr qu'il y a plusieurs intervenants qui parlent de limiter les droits individuels, mais, quand on définit un nouveau droit collectif, bien, il faut lui faire de la place. C'est-à-dire que, dans tous les cas de droit, moi, j'ai le droit de m'exprimer, mais je n'ai pas le droit de diffamer. Donc, ma liberté d'expression va s'arrêter à un moment donné. J'ai le droit de me promener, mais je ne peux pas aller sur le terrain du voisin. Et on crée... en fait, on reconnaît, plutôt, un nouveau droit, qui est le droit à la laïcité de l'État, et, en ce faisant, on limite de façon très chirurgicale les droits de ceux qui sont dans l'exercice de leurs fonctions pour reconnaître le droit à la laïcité de tous pendant leurs heures de travail. Alors, quand on en fait un immense enjeu, il faut peut-être ramener ça à sa juste mesure.

M. Jolin-Barrette : Donc, pour vous, c'est véritablement un équilibre, dans le fond. J'ai bien aimé votre exemple au niveau de la liberté d'expression versus la diffamation. Vous dites : C'est un peu la même chose, il s'agit d'un équilibre, donc c'est quelque chose qui est pondéré et qui vient s'appliquer mais qui fait un équilibre entre les droits individuels et les droits collectifs. C'est un peu ça, le sens de votre propos.

M. Codsi (Claude Kamal) : Absolument. Puis la responsabilité de cela n'incombe pas aux cours. C'est-à-dire, la cour va interpréter le droit existant. Vous reconnaissez un nouveau droit collectif et vous devez l'établir et le définir pour que les cours, qui naviguaient une peu à l'aveuglette, puissent l'appliquer. C'est le bon sens.

M. Jolin-Barrette : Dans votre mémoire, vous dites que le rapport Bouchard-Taylor ne va pas assez loin au niveau de l'interdiction des signes religieux, parce que, dans Bouchard-Taylor, ils ne visent pas les enseignants comme nous, on vise dans le projet de loi n° 21... Pourquoi est-ce que les enseignants devraient être visés par le projet de loi n° 21?

M. Codsi (Claude Kamal) : Pour plusieurs raisons. La première raison, c'est que, si vous regardez un peu dans le monde, là, toutes les chartes de laïcité, tous les mouvements s'attaquent à l'école, parce que c'est la clientèle la plus vulnérable. On veut bien, et on l'a reconnu à plusieurs égards, reconnaître comme dans Bouchard-Taylor les droits des accusés, des intimés, des détenus, qui sont des adultes qui pourraient se défendre. Ils peuvent se défendre, ces gens-là. Mais, les droits et la liberté de conscience des enfants, qui va les défendre, donc? Et les enseignants sont des figures d'autorité et les enseignants diffusent des messages, et nous croyons profondément que l'école, comme bras de l'État, devrait refléter la laïcité de l'État.

M. Jolin-Barrette : O.K. En raison de la figure particulière de l'influence, pour les enseignants ainsi que pour toutes les autres personnes qui portent des signes religieux et qui sont visés par l'interdiction dans le cadre du projet de loi, on prévoit une clause de maintien en emploi, une clause de droits acquis.

Dans le mémoire, vous dites : Écoutez, on n'est pas très favorables à la clause de droits acquis. Pourquoi?

M. Codsi (Claude Kamal) : La première chose qui a été soulignée par plusieurs intervenants, c'est que ça crée un peu deux catégories difficiles à gérer dans les organisations. Nous comprenons qu'il y a des enjeux d'emploi, là, nous comprenons cela, mais, dans un monde idéal... Je ne sais pas comment vous dire ça. Quand on a eu la loi sur l'interdiction de la cigarette, est-ce qu'on a maintenu en emploi... et on a maintenu les gens qui fumaient déjà depuis de très nombreuses années et pour qui c'était un besoin immense? On les a maintenus en emploi, et ça a été... On a établi la loi, ils s'y sont conformés. Et ce qu'on dit dans notre rapport, c'est qu'on comprend et on voudrait qu'il y ait, idéalement, un délai pour lequel tout le monde soit conforme à cet idéal qui constitue la laïcité de l'État.

M. Jolin-Barrette : Je reviendrai. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions. S'il reste du temps, je reviendrai, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Nicolet-Bécancour, s'il vous plaît.

M. Martel : ...merci pour votre très bon témoignage. Je veux profiter de l'occasion pour... Je suis un membre permanent de la commission, et ça adonne que, ma première et seule intervention, je dois la faire avec les derniers invités, mais je veux mentionner, féliciter le travail de mon collègue ministre, de l'opposition. Je veux vous dire que je suis très, très fier de faire partie d'un Parlement qui est capable de parler de sujets aussi émotifs que ça dans un très, très grand respect. Donc, je vous exprime ma fierté, chers collègues.

Juste une petite question. Vous comprenez que, très délibérément, on a mis la clause dérogatoire à l'intérieur du projet de loi. Certains pensent que, même si on fait ça... Puis nous, on a un objectif d'essayer de clore ce dossier-là, qui traîne depuis très longtemps. Certains disent que ça ne réglera pas le problème, les tensions sociales, le débat va continuer. Je pense que vous penchez un peu du même avis que nous, que la clause dérogatoire était utile. Est-ce que vous pouvez vous exprimer par rapport à ça?

• (16 h 10) •

M. Codsi (Claude Kamal) : On a conclu au bout de nombreuses années que, chaque fois qu'on posait un geste, y compris un geste pour avoir des services au visage découvert, deux semaines après, cette volonté exprimée par le gouvernement précédent, le gouvernement du Parti libéral, était mise en brèche et suspendue. À chaque fois que le législateur veut poser un geste, en vertu de droits et libertés et des chartes, ce geste-là est contrecarré.

Et là on parle d'une situation, comme on le mentionnait, où on reconnaît une nouvelle réalité pluraliste qui exige une action et une nouvelle définition des choses. Dans ce contexte-là, on estime que... et puis, en considérant le nombre d'années et en considérant le fait, comme on l'a déjà écrit dans notre mémoire, qu'on voudrait que ceci prenne le temps d'être vécu et d'être assimilé et qu'on voit dans cinq ans de quoi il s'agit, nous sommes tout à fait en faveur de l'utilisation et de l'invocation de la clause dérogatoire.

Mme Sirois (Michèle) : Est-ce que je peux ajouter quelque chose?

Une voix : ...

Mme Sirois (Michèle) : O.K. Merci. J'ai entendu beaucoup d'auditions, et puis il y a eu des débats autour de la clause dérogatoire qui étaient avec une connotation juridique. Et puis moi, je suis anthropologue et j'ai enseigné plusieurs années la sociologie. Je pense que c'est la dimension sociale qui, en tout cas, pour moi, m'intéresse dans cette clause. Et, comme Claude Kamal l'a mentionné, aussitôt que la loi n° 62 est arrivée, il y a eu des contestations qui ont gelé l'application. Alors donc, ça nourrit continuellement... Ça fait plus de 30 ans qu'on revient toujours sur quelque chose, puis on n'aboutit pas. Et la population, de plus en plus, devient... Il y a des gens qui veulent... de toutes origines, de toutes origines. Dans le rassemblement, il y a des gens de toutes origines et qui veulent que ça avance au Québec. Ils ne veulent pas se retrouver dans la société comme on était dans la société soit au Québec traditionnellement ou dans leur société, ils veulent que ça avance et qu'il y ait un respect.

Et on ne parle pas beaucoup de la liberté de conscience. On parle toujours de la liberté religieuse des employés, mais, la liberté de conscience, je n'ai pas entendu beaucoup de gens la défendre, et ça semble être négligeable. Pourtant, pourquoi on hiérarchise les libertés religieuses avant les autres? Puis, la liberté des enfants, on en fait quoi? Est-ce que la liberté des prisonniers, c'est plus important... liberté de conscience des prisonniers que la liberté des enfants? Ça continue toujours. MM. Bouchard-Taylor... hein, Bouchard, puis après Taylor a quitté le bateau, là, mais il parlait seulement que de la coercition, des employés avec coercition, mais qu'est-ce qu'il venait nous dire? Il venait nous dire que c'était une atteinte aux libertés de conscience quand il y avait des employés avec une autorité coercitive. Ces mêmes signes là, qui causent problème quand ils sont juges, gardiens de prison, policiers, ne causeraient plus de problème quand ce sont des enfants? Eh bien, moi, je pense qu'il a vraiment déconnecté de ce que c'est vraiment, un signal.

J'ai entendu aussi beaucoup de gens qui parlaient des signes polysémiques. Ça veut dire toutes sortes de choses. Peut-être que la personne... il y a toutes sortes de personnes qui ont dans leur tête différents sens, mais les personnes qui reçoivent, elles, elles ont un sens qu'elles donnent, et c'est ce sens-là, c'est le citoyen ou c'est l'enfant. Et, même si on dit : Ah! mais c'est un professeur qui ne va pas influer sur les enfants, n'a pas d'acte de prosélytisme, j'espère, mais ça ne veut pas dire... Parce que l'enfant, lui, il n'est pas bête. L'enfant, lui, a des cours d'éthique et culture religieuse, il a des manuels avec moult photos. Il a juste à identifier : Que veut dire ce signe que je vois sur la tête de mon professeur? Je regarde dans mon livre et j'ai le code pour décoder qu'est-ce que veut dire le message. Donc, ce ne sont pas des vêtements ordinaires, il y a des messages, il y a un cours qui le forme à décoder ce qu'il voit. Alors, ce qu'il décode transmet un message. Que la personne ait dans sa tête toutes sortes de sens, ça n'a rien à voir.

Et j'ai entendu des commissions scolaires qui disent : Ce n'est pas applicable, on ne saura pas quels signes... Eh bien, je leur recommande de lire les livres, d'ouvrir les livres qu'ils passent à leurs propres élèves, et ils vont comprendre qu'effectivement ils vont être capables de les décoder. C'est un cours de base pour des enfants. Ça devrait être un cours de base pour des commissaires scolaires.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Autre question du côté ministériel? M. le député d'Ungava, s'il vous plaît.

M. Lamothe : Bonjour à vous. Expliquez-nous pourquoi le Rassemblement pour la laïcité est favorable à l'enchâssement du principe de laïcité dans la charte québécoise.

M. Codsi (Claude Kamal) : Nous estimons que ce droit-là à la laïcité est un droit important, nouveau qui est un droit citoyen duquel même pourrait se réclamer tout le monde. Ce n'est pas une loi parmi d'autres. Dans une société beaucoup plus pluraliste, multiethnique et multiconfessionnelle, nous affirmons un droit à ce que toutes les personnes qui sont en rapport avec l'État aient un État qui est neutre en fait et en apparence, et c'est une façon très saine, très harmonieuse, très tournée vers l'avenir d'envisager les rapports dans une société qui est maintenant beaucoup plus fragmentée. C'est ce que nous souhaitons.

Nous voyons toutes sortes d'exemples dans le monde où cette laïcité se vit bien, la Turquie par exemple ou d'autres pays dans le monde, où le fait d'avoir instauré la laïcité de l'État règle des problèmes de conflit, de tension interreligieuse dans le rapport qu'on a avec l'État. Donc, on trouve que cette chose-là est suffisamment importante et va éclairer d'autres choses pour être inscrite dans la Charte des droits et libertés.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Vous souhaiteriez qu'on étende la portée du projet de loi aux centres de la petite enfance. Pourquoi?

M. Codsi (Claude Kamal) : En fait, M. le ministre, nous souhaitons l'étendre à plus qu'aux centres de la petite enfance, nous souhaitons l'étendre à l'ensemble de l'école. Nous souhaitons l'étendre aussi aux écoles privées et nous souhaitons l'étendre aux centres de la petite enfance, toujours dans la même logique. La logique, c'est qu'il faut protéger l'enfant.

M. Jolin-Barrette : Bien, en fait, je vous dirais, pourquoi aux centres de la petite enfance et pas aux garderies privées subventionnées et aux garderies privées non subventionnées? Est-ce que vous les viseriez aussi?

M. Codsi (Claude Kamal) : Oui. Nous croyons que, dans le projet de la laïcité de l'État, les garderies privées, peut-être, ont un statut particulier. Et nous estimons que c'est une percée déjà de faire cela dans les CPE et dans l'équipe-école et dans les écoles privées, puisqu'elles sont subventionnées à hauteur de 60 %.

M. Jolin-Barrette : Donc, pour vous, le critère pour quoi est-ce qu'on devrait les viser, c'est le critère de la subvention.

M. Codsi (Claude Kamal) : Voilà. La subvention, qui en fait, en fait, une extension d'une forme de l'État, voyez-vous.

M. Jolin-Barrette : Et, le fait que la fréquentation de l'école privée n'est pas obligatoire, même chose pour le CPE, c'est argument-là ne vous rejoint pas?

Une voix : ...

M. Jolin-Barrette : ...supposons, à l'école publique, où, l'école publique, la fréquentation, elle l'est, obligatoire?

M. Codsi (Claude Kamal) : Bien, c'est sûr que le statut de l'école publique est prioritaire. C'est très clair pour nous. Nous, notre raisonnement, ça a été de dire : Pourquoi défendrions-nous... et ça a été le cas d'organismes qui ont témoigné devant vous, pourquoi défendre seulement l'école publique et ne pas défendre les autres? Et pourquoi créer deux statuts? Il y a une question de cohérence, et nous acquiesçons à cet argument.

M. Jolin-Barrette : Vous nous invitez également à, parmi les personnes qui devraient ne pas porter de signes religieux... vous nous invitez à viser également le directeur de la protection de la jeunesse. Pourquoi cette proposition?

M. Codsi (Claude Kamal) : Le directeur de la protection de la jeunesse et ses représentants sont investis d'une autorité qui représente l'autorité de l'État. Ils interviennent, des fois, dans des situations complexes où ils prennent des décisions importantes qui affectent le cours important de la vie des gens et, à cet égard, ils représentent l'État. Et l'État est laïque et l'État, dans ces représentants... ils sont laïques aussi. C'est juste une question de cohérence.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.

• (16 h 20) •

Mme David : Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui.

Je vais reprendre une phrase de madame, parce que je voudrais la comprendre vraiment, que vous puissiez élaborer un petit peu plus, quand vous avez dit : Est-ce que la liberté de conscience des prisonniers est plus importante que la liberté de conscience des enfants? J'aimerais ça que vous élaboriez pour que je comprenne bien.

Mme Sirois (Michèle) : Je me mettais dans la logique du rapport Bouchard-Taylor, où on limitait d'enlever les signes religieux pour le personnel, les employés qui ont une autorité coercitive. Donc, ça veut dire soit des justiciables ou des prisonniers. Donc, leur liberté de conscience, d'un certain sens, serait davantage respectée. Et là je me suis posé la question : Pourquoi M. Bouchard, qui est un humaniste, n'a pas étendu ça aux enfants, qui sont davantage une clientèle influençable, et vulnérable, et captive? Parce que ce sont des jeunes enfants. C'est dans ce sens-là.

Mme David : Mais, en même temps, vous dites... je ne sais pas si c'est à l'occasion de la même réponse, là, mais vous dites : Mais l'enfant n'est pas bête, il va aller fouiller, etc. Moi, il me semble, dans le langage courant, quand on dit ça, c'est qu'il n'est pas si vulnérable que ça.

Mme Sirois (Michèle) : C'est-à-dire qu'il est vulnérable d'un certain sens, parce qu'on peut lui transmettre des messages, d'accord? Comme moi, j'ai un enfant que je connais qui avait vu dans son livre d'éthique et culture religieuse l'archange Saint-Michel. Il était sûr qu'il existait et qu'il l'avait vu. Alors, c'est dans ce sens-là qu'on peut voir que, oui, les enfants peuvent être influençables. En même temps, ils sont capables de décoder, ils sont en formation. Donc, à mesure qu'ils vont vieillir, c'est ça, on doit former les enfants de façon à ce qu'ils aient accès au savoir, mais il faut le respecter, parce qu'il y a des enfants de toutes croyances et également des parents qui ont différentes convictions spirituelles.

Mme David : ...parce que c'est beaucoup un vocabulaire de protection des enfants que vous employez, «vulnérabilité», «il faut protéger les enfants», donc c'est comme... Vous dites : Les adultes peuvent se défendre. Donc, les enfants sont encore vulnérables. Je vous soumets respectueusement qu'on veut tous, dans l'école québécoise — c'est même dans le programme d'études québécoises — exposer les enfants à la diversité de notre monde fort complexe, j'en suis, fort complexe, du monde — je parle de la planète aussi — sur des enjeux qui sont compliqués, sur ce qui est différent de nous. Alors, c'est comme si c'était un très grand danger de les exposer à un type de diversité mais pas à d'autres types de diversité.

Mme Sirois (Michèle) : Bien, j'aimerais juste terminer. Je ne sais pas si vous avez vu la recherche à la Commission des droits de la personne que M. Pierre Bosset avait... était directeur de la recherche, a publiée, où il disait que le crucifix pouvait être attentatoire à la liberté de conscience d'enfants qui étaient non catholiques. Donc, il ne parlait pas d'empêcher la diversité, il disait simplement de ne pas être attentatoire. Si un crucifix sur un mur que des enfants regardaient pouvait être attentatoire, peut-on imaginer qu'un professeur peut transmettre un message? Parce que beaucoup de gens ont essayé de minimiser les messages des signes religieux. Mais les messages des signes religieux, on... ce que je disais, on fournit à l'enfant un code aussi pour comprendre. Donc, quand il est en première année, l'enfant, il prend tout ça, puis, tout à coup, il se forme tranquillement un jugement. Mais on essaie que ce jugement soit respectueux de la liberté de conscience de l'enfant qui est en formation, mais aussi celle de ses parents.

M. Codsi (Claude Kamal) : Vous me permettez de rajouter un élément?

Le Président (M. Bachand) : Rapidement, allez-y, oui.

Mme David : Rapidement.

M. Codsi (Claude Kamal) : Vous me permettez de rajouter un élément. Je suis très sensible à votre désir d'exposer les jeunes à la diversité de toutes les opinions, etc., et d'ailleurs ils sont exposés : ils sont exposés dans la société, ils sont exposés dans l'école. La question qu'on débat ici, c'est : Est-ce que l'État, qui manifeste une volonté d'être neutre... Est-ce qu'on ne devrait pas exposer aussi nos jeunes au fait qu'un État veuille être neutre? Ils ont la diversité dans la cafétéria, dans l'école, dans la classe, dans les convictions des enseignants, mais ils savent aussi que l'État a décidé d'être neutre vis-à-vis les religions, donc, et les enseignants respectent cela.

Mme David : On réfléchit, là. À ce titre-là, pourquoi vous n'incluriez pas dans cette notion de neutralité une homogénéité de plein d'autres droits et libertés qui ont été acquis de chaudes luttes, comme d'avoir des professeurs de race différente, de couleur de peau différente, d'orientation sexuelle différente? Celle-là, c'est de la diversité, on en conviendra aussi.

M. Codsi (Claude Kamal) : ...les enseignants de race... et de diversité d'orientations, nous en avons.

Mme David : Exactement. Et pourquoi, celle-là, il ne faut pas protéger les enfants, tout le discours...

M. Codsi (Claude Kamal) : Mais nous ne la protégeons pas. Je m'excuse, je me suis peut-être mal exprimé. Nous avons des enseignants de toutes les races, et de toutes les orientations sexuelles, et de toutes les religions, mais est-ce que nous souhaiterions avoir un enseignant qui rentre avec un macaron, qui dit : Moi, je suis de telle race ou de telle orientation sexuelle ou de telle... et voici ma publicité que je fais tous les jours? Nous disons non, même par quel parti politique... d'un parti politique. Nous avons les mêmes contraintes vis-à-vis les opinions politiques. Et nous avons même, dans la Loi de la fonction publique — nous l'avons cité dans notre mémoire — des enjeux très clairs et même des enjeux de mise à pied pour ceux qui ne respecteraient pas... parce qu'effectivement nous avons une variété d'opinions politiques, mais nous ne voulons pas les afficher, les exposer, parce qu'on n'est plus neutres. C'est aussi simple que ça.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : Bonjour. Merci d'être là. Écoutez, ce matin, on avait un représentant de la communauté sikhe... bien, il était sikh de religion, et c'était intéressant, parce que — je pense qu'il venait du Plateau—Mont-Royal — il parlait un français parfait, il était marié avec une femme d'origine juive, et c'est un gars qui connaissait plein de choses. Je lis, dans le mémoire, justement, de la communauté sikhe, et on l'explique très, très bien, là, que le port du turban, c'est une partie intégrante de l'identité sikhe. Il ne peut pas l'enlever, son turban, ça fait partie de lui.

Qu'est-ce que vous faites avec cet homme-là? Il ne pourrait pas être greffier, il ne pourrait pas être greffier adjoint, il ne pourrait être pas procureur de la couronne, il ne pourrait pas être avocat du gouvernement provincial. Vous ne trouvez pas qu'il y a une injustice là-dedans? On va faire quoi avec lui? On va le faire choisir entre sa foi et puis une carrière? Qu'est-ce que vous répondez, qu'est-ce que vous dites à ce gars-là?

M. Codsi (Claude Kamal) : Moi, je trouve votre question très légitime, et elle revient à la question de l'arbitrage des droits. C'est-à-dire que nous allons poser... ou nous allons peut-être poser un nouveau droit qui est un droit collectif, à avoir un État laïque, neutre, sans affichage, en apparence. Pour ce faire, il y a des conséquences, et une des conséquences, c'est qu'on ne l'affiche pas. Et, pour cela, ceux qui affichent... et ils ont le droit d'afficher et ils vont afficher partout... au moment où ils sont au service de l'État, pendant leurs heures de travail. Ils vont rentrer dans la classe et ils ne vont pas afficher... et, en sortant, ils vont afficher et...

Une voix : ...

M. Codsi (Claude Kamal) : Je m'excuse. Juste pour terminer. C'est la même question que pour l'expression des convictions politiques, c'est la même chose. Moi, je peux être de Québec solidaire, du PQ, etc. Quand je rentre en classe, je n'ai pas le droit... on suspend mon droit pendant mes heures de travail, et là je ressors puis...

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : Vous comprenez, monsieur, qu'on exclut les sikhs, vous comprenez qu'on exclut certains pans de la population, c'est de l'exclusion.

• (16 h 30) •

Mme Sirois (Michèle) : Moi, j'aimerais préciser que la majorité des sikhs n'en portent pas, de signe religieux. Certains sikhs ont fait le choix de porter des signes religieux. C'est un choix comme qui... chaque choix a des conséquences ou des... On choisit une carrière, on ne peut pas aller dans l'autre. On choisit une option au cégep et on ne veut pas aller dans une autre... à l'université. Chaque choix aussi... ils ont fait un choix, et puis moi, je ne vois pas... ils peuvent percevoir ça comme une injustice. Mais, en même temps, mettons-nous dans la peau des parents ou de certains citoyens qui, eux, dans leur liberté de conscience, peuvent se sentir heurtés.

Donc, quand il y a un droit à la liberté de conscience et qu'on a un droit à la liberté religieuse, comment on concilie ça? Comment on arbitre les droits? Ça, c'est la question. Et c'est ça qui fait que, depuis une trentaine d'années, on a essayé d'arbitrer ça, et on arrive à nourrir des extrémismes, extrémismes à gauche, extrémismes à droite. Je pense qu'il faut retisser le tissu social, parce qu'actuellement il est dans une mauvaise situation.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme Robitaille : Donc, si je comprends bien, les gens qui portent des signes religieux comme le monsieur de ce matin, en fait, ils véhiculent un certain extrémisme, ils sont...

Mme Sirois (Michèle) : Non, ce n'est pas du tout ça que j'ai dit.

Mme Robitaille : Non? O.K. Je voudrais être sûre de ce que vous dites.

Mme Sirois (Michèle) : Non. Je l'ai écouté, puis il m'a semblé être une personne non seulement affable, gentille, bien articulée, bien intégrée... Aucun problème. On ne parle pas de cas personnels, on parle de choix de société, des projets de société, un projet de société d'avenir. Plus nos sociétés vont être multiculturelles... Écoutez, on est rendu, à Toronto, à avoir, pour respecter les choix religieux... on est rendu à avoir sept, huit, neuf, 10 prières. Au Sud des États-Unis, certains sont rendus à demander des prières sataniques. Oui, oui, malheureusement, on est rendu là. Donc, on est en surenchère.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée de Bourassa-Sauvé, en terminant.

Mme Robitaille : ...cet homme-là n'a pas sa place, nécessairement, dans la fonction publique provinciale s'il veut devenir avocat ou s'il veut être enseignant.

M. Codsi (Claude Kamal) : Si la...

Le Président (M. Bachand) : Rapidement, s'il vous plaît, oui.

M. Codsi (Claude Kamal) : Bien, si la règle de la société québécoise est que nous avons un État laïque, les gens qui ne veulent pas respecter cette règle de la laïcité s'excluent de cet emploi. C'est comme dans d'autres métiers : si quelqu'un ne se conforme pas... Mais c'est un privilège que d'être au service de la collectivité. On abandonne nos droits... ou à nos convictions politiques affichées quand on le fait.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Je vous remercie beaucoup. Et je demanderais le consentement, peut-être, pour avoir le temps du député du Parti québécois.

Des voix : ...

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député, allez-y.

M. Zanetti : Pour une deuxième fois aujourd'hui, il n'y a pas de consentement. Je pense qu'ils sont tannés de vous entendre. Ça se peut-u?

Des voix : ...

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Beauce, s'il vous plaît!

Une voix : ...

M. Zanetti : Parfait.

Le Président (M. Bachand) : Non, il n'y a pas d'interpellation, vous le savez très bien, en consultations publiques. M. le député de Jean-Lesage, rapidement, s'il vous plaît.

M. Zanetti : Oui. Qu'est-ce qui va se passer au Québec si on n'interdit pas les signes religieux? Concrètement, qu'est-ce qui va se passer au Québec, qu'est-ce qu'on peut craindre?

M. Codsi (Claude Kamal) : Si on n'interdit pas les signes religieux?

M. Zanetti : Si on n'interdit pas les signes religieux au Québec, qu'est-ce qu'on peut craindre?

M. Codsi (Claude Kamal) : Donc, on ne fait rien puis on... O.K.

M. Zanetti : Si on n'interdit pas les signes religieux au Québec, qu'est-ce qui va se passer au Québec?

M. Codsi (Claude Kamal) : Bon, qu'est-ce qui se passerait au Québec si on n'interdisait pas, M. le député, d'afficher les convictions politiques des enseignants? Qu'est-ce qui va se passer?

M. Zanetti : C'est ça. Bien, c'est ce que je vous demande.

Mme Sirois (Michèle) : Moi, j'aimerais répondre.

M. Zanetti : Je n'ai pas beaucoup de temps, là.

Mme Sirois (Michèle) : J'aimerais vous répondre avec une citation, monsieur, O.K.? J'aimerais vous répondre une citation d'un philosophe que vous connaissez, que «la première religion qui a été écartée des institutions, c'est — le Québec — la sienne : le christianisme. Les signes ostentatoires religieux ont été retirés des écoles publiques, dont la déconfessionnalisation s'est réalisée en 1998 seulement — citation. Les raisons pour lesquelles ils ont été retirés sont les mêmes pour lesquelles nous devrions empêcher que d'autres s'y introduisent.» L'auteur, c'est un certain Sol Zanetti.

M. Zanetti : ...je peux intervenir?

Une voix : ...

M. Zanetti : C'est un bel effet de toge pour...

Mme Sirois (Michèle) : Alors, qu'est-ce qui arriverait...

Le Président (M. Bachand) : Mme Sirois, s'il vous plaît...

M. Zanetti : C'est un bel effet de toge pour éviter la question.

Le Président (M. Bachand) : M. le député.

M. Zanetti : C'est un bel effet, Mme Sirois, pour éviter la question. Là, j'ai comme une minute, mais je veux savoir, vous, qu'est-ce que vous pensez. Qu'est-ce que vous pensez qu'il va arriver au Québec si on n'interdit pas les signes religieux? Parce que, là, vous avez répondu : Rien, il ne se passera rien, et vous voulez qu'on limite les droits des gens pour rien. Qu'est-ce qui va se passer au Québec? Est-ce que votre rassemblement n'a rien à dire là-dessus?

M. Codsi (Claude Kamal) : Non, nous avons des choses à dire.

M. Zanetti : Allez-y.

M. Codsi (Claude Kamal) : Nous avons une volonté populaire, générale d'avoir une séparation entre l'État et les religions.

Une voix : ...

M. Codsi (Claude Kamal) : Non, je vais y répondre, je vais répondre. Si on ne fait rien, on n'aura pas cette séparation et on aura l'influence de plus en plus grandissante du religieux dans l'État, dans l'école, dans les institutions. Et ce n'est pas une chose... si vous regardez l'exemple de plein de pays dans le monde, ce n'est pas une chose heureuse. Donc, ce que je vous réponds, c'est que, si nous ne faisons pas cela, nous allons avoir, tranquillement, dans l'avenir, avec les années, une plus grande interpénétration du religieux dans l'État avec les influences et les pressions...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Bien, j'en profite pour vous remercier beaucoup de votre participation aux travaux.

Document déposé

Et puis, cela dit, avant de conclure, j'aimerais déposer un document de la Coalition Inclusion Québec concernant un sondage.

Mémoires déposés

Également, je procède au dépôt des mémoires des organismes qui n'ont pas été entendus lors des auditions publiques.

Sur ce, la commission ajourne ses travaux jusqu'au lundi 27 mai, à 14 heures, où elle va entreprendre un autre mandat. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 16 h 36)

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