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Version préliminaire

43e législature, 1re session
(29 novembre 2022 au 10 septembre 2025)

Cette version du Journal des débats est une version préliminaire : elle peut donc contenir des erreurs. La version définitive du Journal, en texte continu avec table des matières, est publiée dans un délai moyen de 2 ans suivant la date de la séance.

Pour en savoir plus sur le Journal des débats et ses différentes versions

Le jeudi 20 mars 2025 - Vol. 47 N° 101

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 91, Loi instaurant le Tribunal unifié de la famille au sein de la Cour du Québec


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Journal des débats

11 h 30 (version non révisée)

(Onze heures trente-huit minutes)

Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour, tout le monde. Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte.

La commission est réunie afin d'entreprendre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 91, Loi instaurant le Tribunal unifié de la famille au sein de la Cour du Québec.

Avant de débuter, M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?

Le Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Massé (Sainte-Marie—Saint-Jacques) est remplacée par M. Cliche-Rivard (Saint-Henri—Sainte-Anne).

Le Président (M. Bachand) :Merci. Nous allons débuter, ce matin, par les remarques préliminaires, puis nous entendrons, après, l'Association professionnelle des notaires du Québec et Mme Régine Laurent, ancienne présidente de la Commission spéciale sur les droits...

Le Président (M. Bachand) :...des enfants et la protection de la jeunesse. Donc, en remarques préliminaires, M. le ministre, vous avez la parole pour six minutes.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Nous débutons aujourd'hui les consultations particulières portant sur le projet de loi n° 91, Loi instaurant le Tribunal unifié de la famille au sein de la Cour du Québec. Nous aurons l'occasion d'entendre des experts provenant de différents milieux. Nous tenons d'ailleurs à les remercier de leur participation aux travaux de la commission.

Au cours des dernières années, nous avons eu l'occasion de travailler sur une importante réforme du droit de la famille, avec l'adoption successive de trois lois : d'abord, l'adoption du projet de loi n° 2, qui est venu moderniser les règles de filiation en plus de consacrer dans la Charte des droits et libertés de la personne le droit fondamental de tous les enfants de connaître leurs origines; soulignons ensuite l'adoption du projet de loi n° 12, via lequel nous avons encadré la grossesse pour autrui en instaurant un processus clair et sécuritaire protégeant à la fois les droits des enfants à naître ainsi que ceux des mères porteuses; et puis l'adoption du projet de loi n° 56, qui lui est venu créer un nouveau régime pour les conjoints de fait avec enfants, le régime d'union parentale. Le projet de loi n° 91 s'inscrit dans l'étape suivante, il vient parachever cette vaste réforme du droit de la famille que nous avons menée tous ensemble.

• (11 h 40) •

Tout au long de nos travaux, l'intérêt des enfants a été mis au cœur de nos décisions. Il doit en être de même aujourd'hui. Avec le projet de loi n° 91, nous posons les premiers jalons d'un tribunal unifié de la famille au Québec. L'objectif est de simplifier autant que possible le parcours des enfants et des familles, un parcours qui peut être tumultueux en cas de litige. Un tribunal unifié permettra aux familles de soumettre l'entièreté de leurs différends à un seul tribunal qui rassemblera au même endroit tous les services de justice familiale. Cela permettra de favoriser l'application du principe «une famille, un juge», qui devrait prévaloir en matière familiale, comme nous l'avons inscrit dans le projet de loi n° 56. Soulignons également que le parcours des personnes victimes de violence familiale, qui doivent actuellement entreprendre des recours devant des entités distinctes, s'en trouvera aussi facilité.

En plus de ses responsabilités actuelles en matière d'adoption, de protection de la jeunesse et de violence familiale, la Cour du Québec aura dorénavant la compétence d'entendre les recours judiciaires liés à l'union parentale, à l'union civile ainsi que ceux impliquant une grossesse pour autrui.

Le projet de loi n° 91 propose aussi d'introduire un parcours simplifié adapté à la nature particulière des conflits familiaux. Les parties devront désormais participer à un processus de médiation en amont de l'instruction d'une affaire devant un juge. Nous estimons qu'une majorité de litiges se régleront en médiation. En effet, actuellement, ce sont 85 % des parents qui entreprennent un processus de médiation familiale qui parviennent à une entente. Évidemment, des exceptions sont prévues lorsqu'un motif sérieux tel que la présence de violence sexuelle, conjugale ou familiale est invoqué. Si les parents ne parviennent pas à s'entendre en médiation, ils se verront proposer une séance de conciliation. Cette séance, à laquelle les deux parties doivent consentir, se déroule devant un juge en présence des deux parents et de leurs avocats s'ils sont représentés. Si lors de la séance les parties parviennent à s'entendre, le juge pourra officialiser l'entente. Si au contraire les parents ne parviennent toujours pas à une entente, une audience sommaire pourra se tenir le même jour afin de permettre au juge de trancher les différends qui demeurent. Un jugement sera rendu au plus tard 30 jours après l'audience.

En somme, nous offrons aux enfants et aux familles un parcours moins dispendieux, plus rapide et surtout plus humain. Les litiges familiaux peuvent être émotifs et stressants. Le parcours judiciaire doit être un outil pour aider les familles à surmonter leurs conflits, et non pas une épreuve qui s'ajoute aux difficultés qu'elles vivent déjà, et selon... et cela passe selon nous par l'instauration d'un tribunal unifié de la famille.

Cette idée d'un tribunal unifié de la famille a d'ailleurs traversé le temps. Le gouvernement libéral de Robert Bourassa supportait déjà l'idée au début des années 70, et j'en ai à preuve ici, M. le Président, un rapport qui date de 1975. Un peu plus tard, le gouvernement de René Lévesque s'était lui aussi positionné en faveur d'une structure unifiée en matière familiale par le biais de l'ancien ministre de la Justice Marc-André Bédard. L'idée a également trouvé écho dans les recommandations du rapport Rebâtir la confiance et du rapport de la commission de Mme Laurent. Mais, malgré cette volonté maintes fois réitérée au cours des 50 dernières années, aucun des précédents gouvernements n'a trouvé la bonne approche pour passer de l'idée au projet concret.

Contrairement à ces gouvernements, qui attendaient d'obtenir l'aval du gouvernement fédéral pour agir, nous avons la conviction qu'il n'appartient qu'à nous de prendre les choses en main au bénéfice des familles du Québec. Depuis 2018, le Québec est entré dans une nouvelle ère constitutionnelle et adopte une nouvelle posture constitutionnelle. Le projet de loi n° 91 en témoigne et traduit la volonté du Québec d'accroître son autonomie et d'affirmer la primauté de son droit privé civil et conséquemment familial, tel que le recommande le Comité consultatif sur les enjeux constitutionnels du Québec au sein de la fédération canadienne, le comité Proulx...

M. Jolin-Barrette : ...de Rousseau. Ce sont là, Mme... M. le Président, les principaux aspects sur lesquels vous serez appelés à vous prononcer au cours des prochains jours. Alors, nous remercions à l'avenir à l'avance les groupes, M. le Président, et je peux les remercie à l'avenir également, d'avoir...

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, M. le ministre.

M. Jolin-Barrette : ...d'avoir... de venir en commission parlementaire, et nous serons à l'écoute. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :Merci, M. le ministre. M. le député de l'Acadie pour 4 min 30 s, s'il vous plaît.

M. Morin : Merci, M. le Président. Permettez-moi d'emblée d'abord de saluer tous les groupes qui... qui vont venir en commission nous parler... nous parler de ce projet de loi. L'Association professionnelle des notaires est présente. Je les remercie.

C'est un projet de loi qui, M. le Président, a un bien long titre pour un petit pas. Nous verrons, après avoir eu l'opportunité de discuter avec les groupes, où ça va... où ça va nous mener. Mais... mais je vous dirais, justement, en parlant des groupes, plusieurs m'ont contacté pour me dire qu'ils manquaient de temps, qu'ils auraient voulu avoir plus de temps pour être capables de réfléchir davantage à ce projet de loi puis être capable aussi de partager, finalement, leurs... leurs recommandations. Alors, on va devoir faire avec le temps qu'on a, M. le Président, puis il va falloir évidemment, évidemment faire vite.

Ce que je comprends du projet de loi pour la lecture que j'en ai... que j'en ai fait, c'est qu'il touche d'abord et avant tout des unions civiles, l'union parentale incluant la garde d'un enfant, filiation relative à la grossesse pour autrui. Différents projets de loi, modifications qui ont été apportées au fil... au fil des ans dans le corpus législatif québécois. Mais il y a évidemment des grands pans qui ne sont pas touchés. Toute la question, évidemment, du divorce, la compétence de la Cour supérieure qui, et je le répète en passant, c'est la Cour supérieure du Québec. Hein, c'est un tribunal québécois? Parfois, on dirait que certains semblent l'oublier, mais non, c'est un... c'est un tribunal québécois, et... et donc ce qu'on va avoir, c'est une possibilité de régler certains dossiers, mais il y en a un nombre important qui ne seront pas touchés. Alors, on verra... on verra où ça va nous mener. Autres éléments qui ont déjà été soulevés par plusieurs groupes, il y a toujours cette idée de médiation obligatoire, donc c'est... c'est loin... c'est loin d'être idéal en matière... en matière de famille.

Alors, moi, je... j'ai lu le projet de loi. J'ai bien hâte de discuter avec... avec les groupes pour voir quels sont... quels sont les enjeux. Mais il y a... il y a aussi un élément que je ne peux passer sous silence, la médiation, la conciliation, l'accompagnement des gens, c'est essentiel. Mais pour ça, encore faut-il avoir de l'argent. Faut-il que le gouvernement investisse dans le système de justice pour que ces gens- là puissent être accompagnés. Et ça aussi, quand on parle aux différents groupes, c'est toujours un enjeu. Je parlais à différents groupes récemment, puis ils nous disaient : Bien, écoutez, on ne sait pas si nos subventions vont être... vont être données à nouveau. Est-ce que ça va être reconduit? Donc, autant d'éléments qui d'une part sur papier, semblent intéressants, mais ça je l'ai dit aussi précédemment, M. le Président, dans cette commission-ci, quand vient le temps, par exemple, de l'application concrète sur le terrain, bien là, c'est beaucoup plus difficile, et là c'est très chaotique et c'est exactement ce qu'on voudrait éviter, surtout, surtout quand on parle d'un Tribunal de la famille, quand on parle de couples, quand on parle de conjoints, quand on parle d'enfants.

Donc, moi, j'aborde ce projet de loi là avec beaucoup d'ouverture, mais j'ai vraiment hâte de discuter avec tous les groupes des différents enjeux puis, je l'espère, que le ministre saura nous écouter, puis, s'il y a lieu, amender son projet de loi pour que ça serve véritablement les Québécois et les Québécoises. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, M. le député de l'Acadie. M. le député de Saint-Henri—Sainte-Anne, pour 1 min 30 s.

M. Cliche-Rivard : Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, merci à vous qui, encore une fois, les... préside nos travaux. Merci aux groupes d'ailleurs qui sont déjà ici et qui défileront dans les prochains jours. Merci aux partis et aux collègues du gouvernement et des oppositions également. On accueille, nous aussi, de manière positive, mais prudente, le projet de loi. Il m'apparaît là qu'il y a des éléments de principe qui visent à faciliter la vie de famille québécoise sur plusieurs éléments fort importants, donc évidemment qu'on ne s'opposera pas à la vertu. Dans l'application de certaines dispositions, là, il va falloir évidemment qu'on étudie puis qu'on entende les groupes concernés, à savoir notamment sur la question de la médiation, puis à l'effet de voir si, réellement, dans le parcours des familles, il y aura des simplifications. Alors, on va rester très vigilants et attentifs...

M. Cliche-Rivard : ...et on va écouter ce que nos experts ont à nous dire en commission. Merci.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, M. le député. Alors, nous allons débuter les auditions. Alors donc, il nous fait plaisir d'accueillir la représentante... des représentants de l'Association professionnelle des notaires du Québec. Merci beaucoup d'être avec nous. Désolé pour le petit retard, c'est ça, le travail parlementaire. Alors donc, je vous invite à faire votre présentation pour 10 minutes. Après ça, on aura un échange avec les membres de la commission. Mais d'abord, vous présenter, s'il vous plaît. Merci beaucoup.

• (11 h 50) •

M. Bibeau (François) :Parfait. M. le Président, Mmes et MM. les membres de la commission, M. le ministre, je vous remercie de nous accueillir aujourd'hui dans le cadre de la... des consultations particulières sur le projet n° 91, Loi instituant... instaurant, pardon, le Tribunal unifié de la famille au sein de la Cour du Québec. Mon nom est François Bibeau, je suis notaire, médiateur familial accrédité et directeur général de l'Association professionnelle des notaires du Québec, communément appelée l'APNQ, pour plus de facilité. Je suis accompagné aujourd'hui de Me Lorena Lopez-Gonzalez, notaire, médiatrice civile et commerciale, vice-présidente de l'APNQ et responsable de notre comité de veille législative. Et c'est avec conviction que nous souhaitons vous faire part des observations de notre association à l'égard de cette réforme importante pour l'avenir du droit de la famille au Québec.

L'APNQ représente près de 1 700 notaires, soit environ la moitié de la profession notariale, répartis aux quatre coins du Québec. Nous avons à cœur de promouvoir le rôle des notaires comme juristes de confiance, impartiaux et engagés envers un accès à la justice plus efficace et plus humain.

Nous saluons l'initiative du législateur qui, avec le projet de loi n° 91, réaffirme l'importance des modes alternatifs de règlement des conflits en matière familiale. Cette réforme s'inscrit dans la continuité des récentes avancées en matière de justice, notamment la Loi visant à améliorer l'efficacité et l'accessibilité de la justice et la loi portant sur la réforme du droit de la famille. L'APNQ est convaincue que le Tribunal unifié de la famille bénéficierait d'une plus grande implication des notaires, qui sont des professionnels aguerris en matière de prévention et de règlement des différends. La médiation, notamment, est un champ d'activité naturel pour le notaire, qui accompagne déjà les citoyens dans les grandes étapes de leur vie, que ce soient en matière matrimoniale, patrimoniale ou successorale.

L'introduction des articles 419.1 et 419.2 au Code de procédure civile, prévoyant le recours accru à la médiation familiale, est une avancée que nous appuyons pleinement. Nous nous permettons de rappeler ici l'expertise développée par les notaires dans ce domaine dans le cadre de leurs interventions auprès des familles québécoises. En effet, plusieurs de nos membres sont déjà médiateurs accrédités et offrent un accompagnement neutre et adapté aux réalités des familles d'aujourd'hui. La médiation pratiquée par le notaire favorise des solutions durables et évite un engorgement judiciaire inutile. Nous croyons donc essentiel d'assurer une grande... une plus grande accessibilité à ces services dans le cadre du Tribunal unifié de la famille.

Nous nous interrogeons, cependant, sur l'absence de certaines compétences au sein de ce tribunal, notamment en ce qui concerne les demandes relatives aux couples en union de fait et aux enfants nés hors mariage avant le 30 juin 2025. La coexistence des deux régimes distincts pourrait créer une inégalité entre ces enfants selon leur date de naissance. Nous encourageons le gouvernement à examiner cette question et à envisager l'uniformisation des règles applicables afin d'assurer un traitement équitable à toutes les familles.

Enfin, nous tenons à souligner que l'intégration des notaires à la magistrature de la Cour du Québec, rendue possible par la Loi visant à améliorer l'efficacité et l'accessibilité de la justice, est une avancée majeure pour notre profession. Avec l'ajout de nouvelles matières couvertes par le Tribunal unifié de la famille, il est naturel que les notaires soient considérés comme des candidats idéaux pour occuper des fonctions de juges spécialisés en droit de la famille. Les notaires ont toujours été et ont toujours joué un rôle de facilitateur et de juriste de l'entente. Leur compétence en matière de résolution amiable des conflits, leur approche collaborative et leur sens de l'équilibre en font des acteurs clés pour le succès du Tribunal unifié de la famille.

En conclusion, le Tribunal unifié de la famille est une avancée majeure qui, nous en sommes convaincus, améliorera la justice familiale au Québec...

M. Bibeau (François) :...Toutefois, pour un maximiser le potentiel, nous recommandons une reconnaissance accrue du rôle des notaires dans ce nouvel écosystème judiciaire tout comme médiateur que comme juges. Nous réitérons notre engagement à collaborer avec le gouvernement et les parties prenantes pour assurer le succès de cette réforme.

Je vous remercie de votre attention et nous sommes à répondre à vos questions.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, Me Bibeau. M. le ministre, pour une période de 12 min 30 s, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Alors, Me Bibeau, Me Lopez-Gonzalez, à l'aise, merci de participer aux travaux de la commission. Alors, je constate que vous envisagez ça positivement, la création d'un tribunal unifié de la famille. Pourquoi c'est important pour les familles du Québec de mettre en place ce tribunal-là?

M. Bibeau (François) :Je pense que vous l'avez dit en note d'ouverture, le fait de simplifier la procédure, de rendre ça plus rapide aussi. Et qu'il y ait une équité dans le traitement des dossiers. En tant que médiateur familial, je peux vous dire que j'ai accompagné nombre de familles qui avaient à passer à travers un processus de séparation, et il y a beaucoup d'angoisses qui se dégagent de ce processus-là pour les gens qui sont impliqués, les enfants. Puis souvent ce n'est pas un processus qu'on fait avec beaucoup d'expérience, malgré que certains citoyens ont malheureusement eu recours à ces services judiciaires là à plus d'une reprise, pas toujours avec le même conjoint, mais enfin, là, je ne veux pas trop m'avancer, mais on comprend que ça peut devenir assez angoissant pour M. et Mme Tout-le-monde. Et on pense que si le traitement est accéléré, simplifié et qu'il y a un accompagnement aussi plus structuré, ça ne peut qu'être bénéfique en ce sens.

M. Jolin-Barrette : O.K. Et les notaires font déjà beaucoup de la médiation, ont une expertise en droit familial, c'est ce que vous nous dites, là?

M. Bibeau (François) : Tout à fait.

Mme Lopez-Gonzalez (Lorena) : Effectivement, on a une expertise en droit familial par notre formation. De plus, il y a beaucoup de notaires qui sont médiateurs en droit familial. Énormément. C'est quelque chose qu'ils font depuis des années. C'est une solution, quant à moi, idéale pour la résolution de la grande majorité des conflits. Et le hic, je dirais, c'est que la population ne sait pas nécessairement c'est quoi la médiation. Quand on rend quelque chose obligatoire, des fois, elle peut être réticente. C'est obligatoire. C'est quoi, ça? Il faudrait qu'elle soit plus au courant de c'est quoi exactement une médiation? Qu'est-ce qu'on va aller faire? Et c'est quoi les bienfaits? Mais effectivement on fait de la médiation depuis des années. Il y a beaucoup de confrères et consœurs qui sont experts, qui font même de la médiation leur unique pratique en droit familial.

M. Bibeau (François) :J'ajouterais, M. le ministre, que certains notaires font de la médiation sans le savoir. Ils ne sont pas nécessairement accrédités comme médiateur, soit civil ou commercial, mais dans le cadre de leur dossier à titre de notaire, comme ils doivent être impartiaux dans le traitement de leurs dossiers, bien, veux veux pas, ils se trouvent à souvent médier avec leur client.

M. Jolin-Barrette : Et puis pour être médiateur en matière familiale, vos membres, dans le fond, quelle est la formation qu'ils ont pour être médiateur familial?

M. Bibeau (François) :Ça prend une formation de base, hein, c'est 60 heures de formation pour tous les corps professionnels, là, qu'on soit psychologue, travailleur social, avocat ou notaire, il y a une formation de base qu'on doit suivre. Et parmi... dans cette formation-là, on doit suivre une formation au moins pour la moitié des heures en... dans la matière complémentaire. Par exemple, un juriste, avocat ou notaire, devra suivre la moitié de sa formation dans le domaine psychosocial. Et donc les travailleurs sociaux, psychologues, c'est l'inverse, devront suivre au moins la moitié de leur formation dans le domaine légal. Donc, ça prend vraiment des techniques pour pouvoir y arriver. Et là on apprend le merveilleux monde de la médiation familiale dans le cadre de ces... cette formation-là.

Il faut savoir aussi, M. le ministre, je sais que vous le savez, mais ça mérite d'être mentionné alentour de cette table, que pendant les deux premières années d'une... de vie d'un médiateur familial, il doit être supervisé pour 10 dossiers minimum. Donc, il se fait comme «coacher» en guillemets par un médiateur plus aguerri pour l'aider à bien traiter ses dossiers.

M. Jolin-Barrette : Puis, du point de vue de l'association, vous pensez que le fait d'imposer la médiation obligatoire, ça va permettre à beaucoup de dossiers de se régler sans aller dans la voie judiciaire?

M. Bibeau (François) :Oui, tout à fait. Et puis ça va être avantageux à ce moment-là, parce qu'à l'heure actuelle la seule chose qui est obligatoire au niveau de la médiation, c'est de suivre une séance de parentalité, je ne me souviens plus le nom qu'on lui donne parce qu'au fil des ans on a changé souvent le vocable, mais c'est une rencontre qui vient informer les parents de ce qui est offert pour eux. Mais, par la suite, ils ne sont pas...

M. Bibeau (François) :...d'engager la médiation familiale. Maintenant, je comprends qu'on pourra les accompagner de façon plus soutenue à ce niveau-là. Et on comprend que, dans le cadre d'une séparation, bien, c'est souvent quand il y a des enfants qui sont impliqués que là ça devient important de faire vraiment le tour de la question, je n'oserais jamais prétendre que les parents n'ont pas à cœur le meilleur intérêt de leur enfant, entendez-moi, je suis moi-même parent et je n'ai jamais pensé comme ça pour mes propres enfants. Mais, parfois, dans le cadre de discussions puis dans le cadre d'un processus de séparation, on oublie certains aspects qui pourraient impacter nos enfants. Alors ça, le fait que ce soit rendu obligatoire, c'est sûr que ça va être facilitant puis ça va désengorger les tribunaux, parce qu'il y a bon nombre des dossiers qui vont passer, là, qui n'iront pas jusqu'à l'audition, là.

M. Jolin-Barrette : Dans le fond, ce que vous nous dites, c'est que, quand il y a un litige de nature familiale, dans le fond, une séparation, les éléments à traiter du dossier, souvent, c'est, bon, le partage des actifs, c'est la garde de l'enfant, la pension alimentaire. Ce que vous nous dites, c'est que la judiciarisation des dossiers peut avoir des conséquences sur la vie des enfants éventuellement.

• (12 heures) •

M. Bibeau (François) :Tout à fait. Dans le partage des biens, par exemple, l'attribution... l'attribution du droit d'usage de la résidence familiale, c'est un bon exemple. La résidence familiale est à madame, et c'est monsieur qui s'occupe des enfants la plupart du temps dans leur quotidien. Il pourrait décider d'attribuer le droit d'usage à résidence familiale pendant x nombre de temps à madame. Alors, le juriste, là, pour ceux qui sont juristes ici, dans sa tête, c'est : Bien non, ça ne marche pas, le droit de propriété, c'est à Mme, c'est elle qui garde la maison. Pourquoi? Alors, en médiation, souvent, on va approcher ça d'une façon beaucoup plus large : Qu'est-ce qui est avantageux pour la famille? Qu'est-ce qui est avantageux pour les enfants? Vous avez droit à telle chose, mais si, vous, vous décidez de partager les biens d'une autre manière, même si on déroge à quelque niveau d'un partage strict du patrimoine familial, il n'y a rien qui interdit ça, si vous vous entendez là-dessus. Le rôle du médiateur, c'est que les gens prennent leurs décisions en toute connaissance de cause.

Moi, je me suis déjà battu avec des clients pour faire sortir les informations du fonds de retraite, puis souvent : Non, non, non, on en a parlé entre nous, on ne veut pas le partager, le fonds de pension. Oui, mais savez-vous c'est combien, le fonds de pension? On ne le sait pas, on ne veut pas le savoir, on ne veut pas le partager. Attendez là, on va faire sortir les montants, ça ne vous engage à rien. Puis quand vous verrez que vous avez droit à 30 000 de plus que vous pensez ou à 100 000 de plus que vous pensez, peut-être que votre décision ne sera pas la même, peut-être qu'elle demeurera la même. Mais rendu là, vous aviez pris une décision éclairée. C'est aussi ça, le rôle du médiateur, comme ça peut être aussi son rôle de dire : Avez-vous pensé qu'il y a un impact psychologique pour votre enfant, si vous venez prévoir une garde partagée trois jours, deux jours? Il va toujours être dans les valises, votre enfant, c'est ce qu'on a appelé, à un moment donné, le phénomène des enfants-valises. Avez-vous pensé à ça? Ah! on n'avait pas pensé à ça. O.K.  D'abord, il n'y aura pas de valise, on va garder des garde-robes complètes à chacun des deux endroits. Ah! O.K.

Voyez-vous, c'est comme ça qu'on va travailler avec la famille. L'idée, ce n'est pas de leur pousser un canevas tout cru dans la bouche, c'est de travailler avec eux en fonction de leurs besoins, pour que leurs décisions soient prises en connaissance de cause.

M. Jolin-Barrette : Les taux de succès en médiation familiale sont bons? 

M. Bibeau (François) :Moi, en tout cas, c'est ce que je connaissais de très, très bon taux, puis ce que vous donniez comme chiffres tout à l'heure, on parle de 85, 86 %. C'est ce que je me souviens comme genre de réussite, oui. 

M. Jolin-Barrette : O.K. Peut-être une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. La simplification des instances, je veux dire, on vient à introduire la médiation obligatoire, premier élément, mais le fait qu'on va vers un premier pas, vers un tribunal unifié, donc, le fait de ne pas avoir la nécessité d'aller à la Cour supérieure, de ramener ça sous la même instance, est-ce que vous pensez que, du point de vue institutionnel de la justice, du système de justice, c'est bénéfique que les familles se retrouvent sous la même instance?

Mme Lopez-Gonzalez (Lorena) : Je crois que oui, ça facilite, c'est plus clair. Idéalement, comme on avait dit, la situation idéale serait que toutes les familles se retrouvent sous le même tribunal. C'est certain que, présentement, ce n'est pas possible pour toutes les familles, mais, à mon avis, ça serait l'idéal souhaité que, quand on a un conflit familial, on sache qu'on s'adresse à notre tribunal qui est spécialisé, qui nous offre une solution plus rapide et plus humaine avec un accompagnement.

M. Jolin-Barrette : Excellent. Je vous remercie pour votre présence.

Le Président (M. Bachand) :Merci. Mme la députée de Vimont, pour 3 min 20 s.

Mme Schmaltz : Merci pour votre présence aujourd'hui. Toujours bien apprécié de recevoir... de vous recevoir en vrai, disons - pardon. Je vous ai écouté tantôt, vous parliez des 60 heures de formation...


 
 

12 h (version non révisée)

Mme Schmaltz : ...de base qui sont nécessaires, donc, pour devenir médiateurs. Vous avez mentionné aussi un peu les écueils que vous rencontrez en tant que médiateur, c'est-à-dire se battre pour obtenir des fois certains papiers, etc. J'imagine qu'avec les années, il y a beaucoup de choses qui ont dû évoluer. Je ne sais pas si on peut dire dans le bon sens ou dans le mauvais sens, là, c'est selon, mais j'imagine qu'au niveau de la formation que vous donnez, elle doit être évolutive, j'imagine. Parce que les parents ont d'autres, peut-être... pas des options, mais disons au dos d'autres enjeux, etc. Est-ce que vous pourriez peut-être juste parler un petit peu, avec le temps qu'il reste, de cette formation, et, justement, qu'est-ce que ça amène au sein de la profession?

M. Bibeau (François) :Il faut savoir que la plupart des ordres professionnels obligent à une formation continue obligatoire, qu'on soit psychologue ou travailleur social, notaire ou avocat, conseiller d'orientation et tout ça. Donc, en tout cas, pour ce qui est des notaires, on a une formation complémentaire à faire et tout médiateur familial accrédité se doit aussi de maintenir sa formation à jour. Techniquement, l'ordre pourrait même nous retirer notre accréditation si on ne maintient pas à jour notre formation. Donc, ça rejoint un peu ce que vous mentionnez parce que la réalité des familles au Québec évolue beaucoup.

Je vous ai parlé du trois jours, deux jours. Il fut un temps où les deux seules options qu'on avait, c'était du temps partagé, une semaine une semaine, ou du temps de... une garde exclusive, hein? C'est ça. Alors là, il y a du «nesting», il y a du... Bon, du «nesting», c'est quoi? Moi, la première fois que j'ai entendu parler de ça avec mes quelque 30 ans d'années de pratique, je me suis dit : Qu'est-ce que c'est que ça, cette affaire-là? Bien, c'est que, là, c'est les parents qui sortent de la maison. Les enfants demeurent dans la maison, les parents se prennent un loyer, puis on revient à la maison. Donc, les enfants, on veut les enrubanner, on veut les... bon, puis eux autres, ils sont le moins traumatisés possible. Mais il y a des enjeux. Quand c'est toi qui es au «nesting» avec les enfants, tu peux-tu amener ta nouvelle conjointe? Tu peux-tu... Tu fais-tu le ménage avant de partir? Comprenez-vous? Il y a des enjeux, puis on néglige ces choses-là. Mais donc il faut se tenir à jour des nouvelles façons de faire et des écueils qui attendent nos clients. Donc, c'est un exemple.

Et je vous avoue que moi, en tant que notaire, quand j'avais à aller chercher ma formation complémentaire annuelle, nous, c'est aux deux ans, j'avais tendance à aller beaucoup plus dans le psychosocial parce que ça m'aidait, ce n'était pas un terrain où je suis habituée de jouer, mais d'aller voir les nouvelles façons d'approcher, de questionner les enfants. Moi, je n'ai jamais été formé pour évaluer que, si sur le dessin d'un bambin de cinq ans, la boucane qui sort de la cheminée s'en va vers la droite, ça veut dire qu'il est heureux, moi, je ne le sais pas, ça, que ça veut dire qu'il est heureux, mais je suis bien content d'avoir un professeur qui vient m'annoncer comment on peut faire ça, parce que, parfois, il faut rencontrer les enfants dans le cadre de nos rencontres en médiation.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de l'Acadie, pour 9 min 22 s, s'il vous plaît.

M. Morin : Merci, M. le Président. Alors, Me Bibeau, Me Lopez-Gonzalez, merci, merci d'être là. Merci pour vos explications. J'aurais quelques questions pour vous. Dans le projet de loi, si ma compréhension est la bonne, quand un couple va déposer une demande introductive d'instance, il faut que ce soit une affaire reliée à l'union civile ou l'union parentale uniquement. Donc, on ne parle pas ici de mariage puis de divorce, là.

M. Bibeau (François) :Non.

M. Morin : Donc, il y aura une session de médiation obligatoire, et, évidemment, je ne sais pas présentement, je n'ai pas fait de statistiques, je ne sais pas si vous en avez de votre côté, mais est-ce que vous avez une idée du nombre de personnes qui vivent en union civile ou en union parentale?

Mme Lopez-Gonzalez (Lorena) : L'union parentale n'est pas encore commencée, et donc c'est pour le futur. C'est sûr qu'à long terme, dans 18 ans, tous les couples non mariés qui ont des enfants vont naître en union parentale. Et union civile, je n'ai pas de statistiques, mais pour célébrer des mariages et des unions civiles, il n'y en a pas beaucoup. Il serait souhaitable, selon ce que nous avons présenté comme mémoire, que les couples en union de fait puissent profiter aussi de ce Tribunal unifié de la famille.

M. Morin : Bon, là, c'est très intéressant, ce que vous dites. Pouvez-vous nous en parler davantage? Puis après ça, je vais avoir une question parce que je comprends que vous vous célébrez aussi des mariages et vous, est-ce que vous avez une demande importante pour célébrer des mariages?

Mme Lopez-Gonzalez (Lorena) : Quand même beaucoup.

M. Morin : Beaucoup, hein? Puis on comprend que tous ces gens-là ne sont pas visés par le projet de loi, donc...

M. Morin : ...on a une partie de la population qui est... complètement à côté, là, qui est... ça ne va rien changer. O.K, parfait. Mais revenons, revenons à quand on parlait des couples en union de fait.

Mme Lopez-Gonzalez (Lorena) :  Donc, présentement, selon le projet de loi que nous avons sous les mains, ils ne sont... ils n'iraient pas au Tribunal unifié de la famille, ces couples-là, ils seraient assujettis à la Cour supérieure. Donc, c'était un peu qu'est-ce qu'on disait, qu'il serait souhaitable que toutes les familles, qu'elles peuvent. Le mariage, on comprend que ce n'est pas possible pour l'instant, mais il faut commencer à quelque part. Comment nous voyons les choses? Il va être créé, ce tribunal, espérons qu'il va être créé, ce tribunal unifié de la famille. On commence avec les compétences qui peuvent être transférées réellement... Et, l'union de fait, quant à nous, quant à l'association, il serait souhaitable, s'il est possible, qu'elle soit assujettie au même tribunal. Pour les mariages, ce n'est pas possible pour l'instant, mais, comme on a dit dans notre mémoire, c'est certain que, dans la mesure du possible, les travaux qui seront faits par le ministre, l'association, on appuierait ces démarches.

• (12 h 10) •

M. Morin : Oui, oui. Ça, j'ai bien compris, c'est très clair dans votre mémoire, mais... puis on comprend aussi que le mariage, divorce, bien là, il y a un enjeu de compétence, alors on est ailleurs. Mais revenons aux couples en union de fait. Là, ces gens-là ne sont pas mariés, donc ils ne vont pas divorcer, donc ils pourraient théoriquement...

Mme Lopez-Gonzalez (Lorena) : Oui.

M. Morin : ...hein, parce que...

Mme Lopez-Gonzalez (Lorena) : Il y a des litiges. Tout à l'heure, on parlait de la médiation qui se fait naturellement chez les notaires. Ils vont souvent nous appeler. Comme on dit dans nos documents, nous, on est très proches des familles, donc une famille qui, il y a cinq ans achetait une propriété avec nous, ils ont eu un enfant, ils ne sont pas mariés, ils se séparent, ils sont copropriétaires d'un immeuble, donc, ils vont nous approcher. Il va y avoir de la médiation qui va être faite naturellement pour les aider à acheter la part du conjoint. Des fois, il y a d'autres considérations économiques qui sont en jeu aussi. Ils vont souvent nous demander de l'aide pour garder... pour avoir des ententes par rapport à la garde d'enfants, des pensions alimentaires pour des enfants. Donc, non, en principe, selon le projet de loi qu'on a présentement, si cette situation a besoin de l'intervention d'un juge, elle ne serait pas présentée au Tribunal unifié de la famille, elle devrait aller à la Cour supérieure.

M. Morin : Exact. Mais ce serait possible d'inclure les couples en une union de fait, non?

M. Bibeau (François) :Bien, c'est notre prétention.

M. Morin : Bien, c'est ça. Au niveau de la compétence, il y a...

M. Bibeau (François) :C'est notre prétention parce que c'est... oui. Et puis on l'a vu dans le cadre des articles du projet de loi, on spécifie très clairement les sujets qui seront traités par le tribunal unifié, c'est-à-dire on parle des questions d'unions... de...

M. Morin : Bien, unions civiles, unions... bon, éventuellement, éventuellement unions parentales. Il y a des cas d'émancipation de tutelle, il y a aussi la filiation relative à la...

M. Bibeau (François) :Mère porteuse.

M. Morin : ...grossesse pour autrui, là.

M. Bibeau (François) :Oui, c'est ça, grossesse pour autrui.

M. Morin : Bon. Mais, tu sais, il y a quand même un nombre très important de personnes qui vivent en union de fait, puis eux, ils ne seront pas visés par le projet de loi. C'est ma compréhension.

M. Bibeau (François) :Tout à fait, non. Par exemple, dans cette énumération-là des sujets, là, ce n'est pas moi, le légiste, là, mais dans l'énumération des sujets, on pourrait parler aussi de toutes autres situations qui impliquent des enfants au Québec de gens qui ne sont pas mariés, par exemple.

M. Morin : Oui. Bien oui, c'est ça, le ministre, dans ses notes... en fait, dans son propos introductif parlait beaucoup de l'importance des enfants, on est tous d'accord avec ça, mais là, eux autres, il y a quand même des groupes importants qui restent, woups, à l'écart de cet élément-là.

J'ai... vous avez parlé aussi beaucoup de la formation que vous recevez en médiation, et j'apprécie, je pense que c'est la collègue de Vimont qui posait une question à cet effet-là, puis ça a permis de mieux comprendre. Maintenant, dans le projet de loi, il y a... il y a une exception, une exemption, en fait, pour les personnes qui vivraient une présence de situations de violence familiale, conjugale ou sexuelle, ce qui est tout à fait normal. Déjà, on peut s'interroger sur l'obligation d'aller en médiation, il y a un débat là-dessus, mais c'est sûr que, quand il y a des cas de violences familiale, conjugale, bien là, on ne veut pas ça, c'est normal. Il y a... Il y a beaucoup de recherches, d'études et beaucoup plus maintenant de littérature qui traite du contrôle coercitif, et là... ça, c'est un petit peu plus difficile des fois à détecter. Dans le cadre de votre formation, quels sont les éléments que vous suivez, que vous appreniez pour être en mesure de détecter s'il y a véritablement du contrôle coercitif ou pas?

M. Bibeau (François) :Je vous disais, dans le cadre de la réponse que j'ai faite à votre collègue, que j'étais souvent plus attiré par la formation du monde psychosocial que la formation du monde légal pour ce genre de considérations là comment détecter une violence dans le couple, comment détecter un contrôle de l'un ou l'autre des deux...

M. Bibeau (François) :...comment on agit quand il y a de la violence conjugale? Est-ce qu'on doit absolument mettre fin à la médiation dans ces cas-là? Alors, c'est des... c'est des éléments qu'on doit apprécier.

Par exemple, de faire venir... à l'époque, moi, c'était en cabinet, là... donc, de faire venir à ton bureau des gens qui subissent... où il y a une violence conjugale, bien, nécessairement, tu t'arranges toujours pour faire arriver le violent en premier, tu le fais attendre dans ta salle d'attente, et, quelques quelques minutes plus tard, genre, 15 minutes plus tard, c'est la deuxième personne qui arrive. Donc, ils n'ont pas monté en même temps dans l'escalier, ils ne s'en vont pas en même temps chez eux, dans la même voiture, et, quand c'est le temps de mettre fin à la rencontre, bien, tu laisses partir la personne qui est violentée avant.

Et détecter les regards, le non-verbal. On nous apprend beaucoup à travailler avec le non-verbal. Ce n'est pas juste une question de bras croisés, ou je regarde ailleurs, mais comment on peut détecter une violence qui s'installe dans le couple par le non-verbal, et, à l'extrême, de bien informer les gens qu'ils peuvent... dans certains cas, ça m'est arrivé de dire : On va mettre fin à la médiation, et je vous suggère d'aller voir un avocat.

M. Morin : Je comprends, merci. Maintenant, si on revient au projet de loi, je comprends que, si jamais, dans le cadre d'une médiation, on détectait une présence de violence familiale, à ce moment-là, le médiateur, normalement, devrait mettre fin à la médiation, parce que ça... en fait, ça peut être compliqué.

M. Bibeau (François) :Pas nécessairement.

M. Morin : O.K., pas nécessairement.

M. Bibeau (François) :Pas nécessairement. Dans certains cas, on peut quand même travailler. Entre autres, il y a des techniques, par exemple, la médiation par caucus. Donc, plutôt que d'avoir à négocier avec les deux personnes en présence l'une de l'autre dans la même salle, on les garde dans deux salles séparées, et le médiateur fait l'aller-retour, et amène des éléments de négociation. Voyez-vous, il y a des techniques où, même dans une situation de violence, on peut le faire, mais c'est vraiment à apprécier, parce que, dans certains cas, même s'ils ne sont pas dans la même salle, ça peut devenir à un tel point sclérosant que la personne violentée ne sera pas capable d'exprimer ses volontés librement. Alors, dans ces cas-là, on mettrait fin.

M. Morin : Parfait. Je vous... Merci beaucoup, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, M. le député d'Acadie. M. le député de Saint-Henri—Sainte-Anne, pour 3 min 8 s, s'il vous plaît.

M. Cliche-Rivard : Merci beaucoup. Je veux rester quand même sur cet élément-là, qui est, selon moi, le plus névralgique sur ce dossier-là. Je vous lis une partie du mémoire, là, de l'Association nationale des... Femmes et droit sur ce point-là puis j'aimerais ça vous entendre, comme commentaires. Je lis : «Une pression à la dénonciation forcée. Si la loi prévoit une exemption pour les victimes de violence conjugale, celles-ci devront tout de même déclarer leur statut de victime, ce qui peut les exposer à des représailles ou à des accusations de fausses allégations. Nombreuses sont celles qui préféreront se taire, plutôt que de subir des conséquences.» Qu'est-ce que ça vous fait de recevoir ce commentaire-là?

M. Bibeau (François) :Je pourrais vous mentionner... C'est que je me souviens qu'à l'époque lorsqu'on... le système était fait que le médiateur pouvait donner une séance d'information sur la médiation familiale. Là, ça a changé, les rencontres se font au palais de justice. Mais, à l'époque, sur le formulaire... parce qu'il y avait un formulaire prescrit, que les gens signaient lorsqu'ils avaient rempli leurs obligations... une des deux parties pouvait dénoncer une incapacité ou une impossibilité, quelle qu'elle soit, de participer à la médiation, et elle n'avait pas à qualifier pourquoi. Est-ce que c'est une question de violence? Est-ce que c'est une question de... géographique, elle demeure trop loin? À l'époque, il n'y avait pas de médiation par visioconférence, et, aujourd'hui, ce serait possible, bon.

Alors, peut-être qu'il serait possible, pour éviter ce genre de situation là, qu'il y ait une dénonciation... je dis ça sous toute condition, là, il y a un gros «peut-être» au début de ma phrase... mais qu'il y a des motifs valables et raisonnables que je... pour lesquels je déclare que je ne peux pas faire de médiation familiale. Et là, bon, il s'agirait de voir quel est le contrôle qu'on pourrait mettre autour de ça.

M. Cliche-Rivard : Il n'y a quand même pas 18 000 interprétations possibles, là.

M. Bibeau (François) :Clairement.

M. Cliche-Rivard : Dans le contexte où ils sont dans la même ville, madame va avoir de la difficulté à invoquer d'autres choses. C'est-tu... c'est-tu un risque réel, selon vous, là?

M. Bibeau (François) :Bien, c'est... moi, je vous dirais, entre deux maux, on choisit le moindre, je ne me souviens plus de la maxime exacte, là. Est-ce que c'est pire de dénoncer qu'il y a une situation qui empêche de tenir la médiation ou on tient la médiation, puis on empire notre situation puis notre condition? La question mérite d'être posée, là, ici. Je ne sais pas, Lorena, si tu as autre chose à...

Mme Lopez-Gonzalez (Lorena) : On a des nouvelles techniques, comme on disait. Elle peut être tenue à distance. Et on est assez sensibilisés, on suit toutes sortes de cours par rapport à la violence et la détection. Donc, je dirais qu'on est capables de les voir, nous, jouer un peu, comme disait Me Bibeau, avec le fait de : je mets quelqu'un dehors... bien, je mets quelqu'un dehors... je finalise, je termine mon rendez-vous avec une certaine personne, je garde l'autre, qui peut peut-être se confier à moi tranquillement. Et donc j'y vais dans les mêmes mots, mais je comprends qu'est-ce qu'elles veulent dire...

Mme Lopez-Gonzalez (Lorena) : …les associations de victimes. Je suis certaine qu'on va être capable de trouver un moyen pour que cette victime ne soit pas victimisée et pouvoir encourager la médiation quand même.

Et je voulais dire également, pour la médiation, qu'il faut être conscient que ça ne se fait pas en une heure. Normalement, ça prend un certain temps pour faire une bonne médiation qui soit complète, qui soit durable et pour que toutes les parties soient satisfaites. Et il faut travailler à chaque… avec chaque famille qui est différente. Donc, chaque cas qui va être présenté, il faut être à l'écoute, il faut comprendre les besoins de chaque famille qui sont peut-être complètement différents de la famille qui s'est… qui s'est présentée avant, pour trouver avec eux des solutions qui sont propres à leur cas.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Le temps file rapidement, Me Lopez-Gozalez, Me Bibeau, merci beaucoup d'avoir été avec nous aujourd'hui. Cela dit, je suspends les travaux quelques instants pour accueillir notre prochaine invitée. Merci.

(Suspension de la séance à 12 h 19)

(Reprise à 12 h 22)

Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Il vous fait plaisir d'accueillir Mme Régine Laurent, ancienne présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et de la protection de la jeunesse. Merci beaucoup d'être avec nous. Comme vous savez, vous avez 10 minutes de présentation. Après ça, on aura un échange avec les membres de la commission, donc la parole est à vous, Mme Laurent.

Mme Laurent (Régine) : Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes, MM. les députés, merci de me recevoir. Alors, comme vous le savez, le mandat dévolu à la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse prévoyait, entre autres, l'examen des dispositifs de protection de la jeunesse, dans les différents réseaux d'intervention concernés, de manière à identifier les enjeux et obstacles et à formuler des recommandations sur les améliorations à apporter. On y précisait également que, pour la rédaction de ce mandat, la commission devrait notamment examiner l'organisation et le mode de fonctionnement des tribunaux en matière de protection de la jeunesse, soit la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, de même que les arrimages avec les tribunaux en matière de garde d'enfants, soit la Cour supérieure, pour s'assurer de l'application des principes généraux de la Loi sur la protection de la jeunesse et des droits des enfants, dont l'étude de la liaison entre les tribunaux et les services de protection de la jeunesse.

Au terme de ses travaux, la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse à formuler des recommandations qui visent à développer une intervention judiciaire collaborative, participative et adaptée aux besoins…

Mme Laurent (Régine) : ...des enfants et des familles. Ces recommandations se retrouvent au chapitre 6 de notre rapport, dont celle d'examiner l'idée d'un tribunal unifié de la famille au Québec. C'est donc avec joie que j'ai pris connaissance de la volonté du gouvernement du Québec d'aller de l'avant avec la mise sur pied d'un tel tribunal qui, je crois, répondra mieux aux besoins des enfants et des familles concernées par des recours judiciaires et évitera les impacts négatifs des différents chemins judiciaires que doivent emprunter actuellement les enfants et les familles.

Dans le cadre de la réalisation de son mandat, les commissaires se sont assurés que l'équipe de la recherche documente et alimente les travaux des commissaires eu égard à ce sujet. J'ai aujourd'hui l'opportunité de partager avec vous un très bref résumé des éléments qui ont mené les commissaires à recommander au gouvernement du Québec d'étudier la possibilité d'instaurer un TUF au Québec.

Au cours des audiences, plusieurs témoins nous ont fait part des effets négatifs qu'entraîne le morcellement des juridictions entre les différents tribunaux sur les enfants et leurs familles, et je vous en donne quelques exemples. La Cour du Québec est perçue par certains citoyens comme une façon détournée de faire appel des décisions de la Cour supérieure.

Alors, trois extraits de témoignages et je cite : Un, «La DPJ a aidé mon conjoint à faire un appel déguisé à la Cour supérieure de la garde ordonnée par cette même Cour supérieure.»

Deuxième exemple. «La DPJ a imposé une visite le mercredi pour accommoder une éducatrice spécialisée malgré une entente légale signée à la Cour supérieure.»

Troisième exemple. «Le tribunal de la jeunesse rend des jugements qui priment? La Cour supérieure du Québec rend partout, elle aussi, des jugements valides pour les parents. Pourquoi les jugements rendus par la Cour supérieure, qui sont payés au prix fort par les parents, sont-ils automatiquement caducs quand la DPJ fait irruption dans le dossier des parents? Le travailleur social change encore les droits d'accès et il admet toutes les demandes du père sans se référer au jugement de la Cour supérieure, mais mon jugement est légal et j'ai la garde exclusive de mon enfant. Il me dit en outre qu'il va demander un arrêt des mesures volontaires pour aller à la Chambre de la jeunesse parce que je lui demande des visites supervisées pour le père.»

Si j'ai choisi de prendre le temps de vous rapporter ces quelques témoignages, c'est pour que nous gardions en tête maintenant et pour toujours les impacts négatifs du statu quo dans le morcellement des juridictions entre différents tribunaux sur des enjeux qui touchent les enfants et leurs familles.

Bien que la lecture du projet de loi puisse donner l'impression qu'il s'agisse d'une affaire, et je lui ai dit en tout respect, de poutine judiciaire qui interpelle la magistrature et les juristes, il n'en est rien. Il s'agit de faire davantage de place aux enfants et aux familles, à leurs réalités, leurs vécus, leurs besoins dans les questions à trancher qui changeront leurs vies personnelles, leurs vies familiales et leurs situations financières, donc des enjeux au cœur de leurs vies.

Je poursuis avec un témoignage qui met en lumière les effets sur les coûts liés aux recours judiciaires, considérant les juridictions différentes, la Cour supérieure, la Cour du Québec, sur les parents et les enfants. Je cite : «Par ailleurs, il existe un réel problème inhérent au fait que les dossiers de la DPJ ne sont pas traités par le même tribunal que les dossiers de séparation. Les procédures qui sont très différentes d'une instance à l'autre et le manque de communication va souvent à l'encontre de l'intérêt de l'enfant.

Dans un cas qui a été rapporté, la DPJ a ordonné à une mère de fournir les services d'un professionnel à son enfant handicapé. Mais lorsque la mère a fait part de son incapacité d'assumer les coûts relatifs à ces services et que c'était au père de l'enfant d'assumer cette dépense selon le jugement de pension alimentaire en vigueur, le juge de la Chambre de la jeunesse a répondu que les questions financières n'étaient pas de son ressort, mais de celui de la Cour supérieure. On fait donc porter à la mère qui a la garde de l'enfant l'entière responsabilité d'obéir à cette ordonnance de la DPJ. Dans cette histoire, la mère a finalement dû se prémunir des services de deux avocats, une pour chaque instance. Il devrait donc y avoir une meilleure collaboration entre la Chambre de la jeunesse et la Cour supérieure afin d'éviter la multiplication des procédures.» Fin de cette longue citation.

À la base des recommandations et de leurs déclinaisons contenues au chapitre 6 du rapport sur les enjeux judiciaires, trois mots : collaboration, participation et adaptation. Il est utile de rappeler...

Mme Laurent (Régine) : ...les cinq recommandactions formulées par la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse à ce chapitre : Valoriser et faciliter le recours aux ententes sur mesures volontaires; favoriser une nouvelle voie, un service de médiation jeunesse indépendant, gratuit et rapide; adopter au tribunal une approche collaborative, participative et adaptée, dont un des éléments proposés sur cette recommandation et celui d'examiner l'idée d'un tribunal unifié de la famille au Québec; s'assurer que l'avocat de l'enfant est d'abord un conseiller; déployer un système d'information fiable, pertinent et accessible en temps réel pour les situations judiciarisée en protection de la jeunesse.

On peut aisément constater à la lumière de ces éléments qu'il est... qu'il était essentiel pour nous, pardon, de diminuer, pour les enfants et leurs familles, les tensions et la confusion créées par la division des compétences entre la Cour supérieure et la Cour provinciale d'assurer leur participation et une approche de médiation partout où cela est possible afin de favoriser la résolution des différends.

• (12 h 30) •

Bien sûr, cette approche d'une intervention judiciaire collaborative, participative et adaptée peut être mise en œuvre sans l'avènement d'un TUF. Cependant, force est d'admettre que le TUF est un outil privilégié pour y arriver, parce que celui-ci intègre cette approche au sein d'une seule instance, plutôt que d'imposer aux enfants et aux familles la fragmentation des compétences entre deux tribunaux qui ne se parlent pas. D'ailleurs, dans le cadre des travaux de la commission, les commissaires ont eu l'occasion de prendre connaissance d'informations colligées par l'équipe de la recherche concernant les différents modèles de TUF, tant au Canada que dans d'autres coins de notre planète. Comme vous le savez, même au Canada, il y a différents modèles de TUF ou modèles simplifiés de justice familiale. Dans certaines provinces, la plupart des demandes peuvent être présentées soit à la Cour provinciale, soit à la Cour supérieure. Mais au-delà des nuances, les tribunaux unifiés sont considérés généralement comme une réussite, tant dans les provinces canadiennes qu'en Australie ou encore dans certains États étasuniens.

Alors, pourquoi ce retard du Québec? Pourquoi ce retard pour les enfants et leurs familles? En toute honnêteté, je n'ai pas de réponse. Je suis plus dans l'incompréhension. D'autant que ça fait des décennies qu'on débat plus sérieusement de cette question qui a eu plusieurs rapports, plusieurs recommandations pour créer un TUF, et ce depuis les années 70-80. Sans parler du sommet sur la justice de 1992 où il y a eu un engagement de discuter avec le gouvernement fédéral des problèmes constitutionnels liés à l'établissement d'un tribunal unifié de la famille. Plus près de nous, le comité de réflexion et d'orientation sur la justice de première instance au Québec, qui était composé, on se le rappelle, de 22 juges de la Cour du Québec et de six avocats, et ça, ça date de 2005. J'ajoute aussi la commission citoyenne sur le droit de la famille, qui a rendu son rapport final en 2018, et je cite : «Maintes fois exprimée au cours des dernières décennies, l'idée d'instaurer un tribunal unifié de la famille a été longuement discutée devant la commission. Tous reconnaissent sans ambages les avantages que représenterait la création d'une instance judiciaire à laquelle tous les dossiers familiaux seraient confiés». Fin de citation. Donc, on ne peut invoquer l'excuse et la méconnaissance pour ne pas avancer enfin dans la bonne direction au Québec.

En conclusion, plus qu'une structure judiciaire unique, le Tribunal unifié de la famille doit porter une vision, une approche participative, collaborative et adaptée où les enfants et leur famille peuvent avoir conseils, soutien, information pour arriver à la résolution de leurs différends. Faisons le pari que cela pourrait aussi contribuer à augmenter la confiance envers le système judiciaire. Mais cette structure, aussi bien planifiée soit-elle, avec les meilleures intentions possibles, doit, pour atteindre ces objectifs, pouvoir compter sur le soutien des ressources financières et humaines nécessaires à l'atteinte de ces objectifs. Le Québec peut faire mieux qu'être un retardataire chronique. Alors oui, enfin un tribunal unifié de la famille au Québec pour simplifier la résolution des litiges qui concernent les enfants et leurs familles. Je vous remercie.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. M. le ministre, pour 16 minutes, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Laurent. Merci de participer aux travaux de la commission. Votre présence est grandement appréciée parce que...


 
 

12 h 30 (version non révisée)

M. Jolin-Barrette : ...parce que, lorsque vous avez présidé la commission en lien avec la protection de la jeunesse, je pense que... bon, vous avez tenu des audiences, vous avez rencontré beaucoup de gens, il y a cet aspect-là que vous en faisiez une recommandation, de dire : Bien, vous devez explorer la possibilité de tenir... de mettre en place un tribunal unifié de la famille.

Mme Laurent (Régine) : Tout à fait.

M. Jolin-Barrette : Vous avez donné quelques exemples tout à l'heure, là, mais est-ce que vous avez d'autres témoignages à nous partager sur l'effet ping-pong entre la Cour supérieure, la Cour du Québec, les enfants de la DPJ? Comme... Qu'est-ce qui vous a été raconté? Qu'est-ce que vous avez retenu, supposons, dans le cadre de la commission à cet effet-là?

Mme Laurent (Régine) : Dans notre rapport... merci. Je peux répondre?

Le Président (M. Bachand) :...

Mme Laurent (Régine) : Ça va. Dans notre rapport, vous allez... les notes de bas de page, on a beaucoup de témoignages dans ce sens-là, qui nous disaient : Bien, écoutez... qui nous mettaient en lumière les incohérences ou le parcours du combattant, ça, ce sont mes mots, pour les enfants et leurs familles. Et c'est ce qu'on a essayé de résumer dans le rapport en parlant du petit William, cinq ans. Pour nous, c'était à peu près tout ce qu'on a entendu qu'on a résumé dans le cas du petit William, cinq ans. Les parents sont séparés, le père a la garde et il a une nouvelle conjointe et la pension alimentaire, aussi, c'est réglé. La DPJ reçoit un signalement comme quoi le petit William, cinq ans, il serait victime de sévices physiques de la part du père. Alors, suite... alors tout le processus. La DPJ dit que, bon, c'est... le signalement, c'est fondé, le père nie cette situation, donc la DPJ n'a pas le choix que de judiciariser le dossier puisqu'il n'y a pas de collaboration du père. Donc, on est à la Cour du Québec, centre de la jeunesse. Centre de la jeunesse dit : On va confier maintenant la garde du petit à la mère — ce qui n'était pas le cas lors de la séparation à la Cour supérieure. Donc, la mère est obligée maintenant de retourner à la Cour supérieure pour demander un changement dans la garde du petit William, qui était auparavant confié au père, puis la pension alimentaire aussi. Le problème, c'est qu'avec cet exemple-là ça vous illustre qu'il n'y a personne qui a une vision globale de la famille, de la dynamique familiale, il n'y a personne qui a une vision globale de ce qui se passe avec le petit William, cinq ans. Tout... C'est comme si... l'image qu'on a eue de certains témoins, ils nous disaient : C'est comme si le ping-pong se fait, mais l'enfant, il est là où... Déjà, c'est difficile pour les parents, mais, quand on se met à la place de l'enfant, on se dit : Bien, là, le petit William, il a cinq ans, ça fait qu'il... peut-être qu'il ne comprend pas tout, mais mettez que William a 13 ans, là, il comprend. Et il se passe quoi dans sa tête? C'est quoi, les impacts sur lui, sur cet enfant-là? Alors, pour moi, c'est assez clair, et c'est pour ça qu'on a fortement recommandé au gouvernement du Québec d'y réfléchir. Et moi, je plaide fortement aujourd'hui pour que le Québec aille de l'avant. Et, je le dis en tout respect, il faut que le Québec arrête d'être le retardataire chronique.

M. Jolin-Barrette : O.K. Encore sur les enfants, là, que vous avez vus qui ont eu une expérience judiciaire, là. On a travaillé à faciliter le parcours judiciaire, notamment, en chambre de la jeunesse, et tout ça, mais les témoignages que vous avez reçus, là, sur les enfants, eux-mêmes, là, qui se retrouvaient à la cour, que ce soit pour des dossiers de protection de la jeunesse, parfois, c'est les jeunes contrevenants qui sont en chambre de la jeunesse aussi, mais aussi sur l'impact du litige sur leur famille, dans le fond, quand ça se transpose, supposons, à la Cour supérieure, comment ils se sentent là-dedans, là? Vous l'avez abordé un peu, le jeune de 13 ans, mais...

Mme Laurent (Régine) : C'est-à-dire que les jeunes, et on en a eu beaucoup, comme... en fait, on a eu en partie à huis clos, mais les jeunes adultes qui, en audiences publiques, nous disaient, à peu près dans les mêmes mots : Je n'avais pas l'impression que quelqu'un était préoccupé par ce que je vivais. Je n'avais pas l'impression que quelqu'un était préoccupé par ce que moi, je souhaite. Il y en a qui nous ont dit : Bien, tu sais, je n'avais pas l'impression que j'avais un avocat. Puis j'ai parlé de vraiment conseillers, parce qu'ils me disaient : Bien, tout se passe avec des articles de loi puis il n'y a personne qui m'a expliqué. Et plusieurs nous ont dit : Quand je suis arrivé de... mettons, en Chambre de la jeunesse, j'arrive devant le juge, mais il y a... le juge, il ne m'explique pas ce qui va m'arriver, là, je ne comprends pas. Alors, il faut se rappeler aussi qu'il y a une partie de ces enfants-là qui ont...

Mme Laurent (Régine) : …des traumatismes. Ces enfants-là qui malheureusement ont été barouettés de familles d'accueil, retour à la maison ou pas, et qui n'ont… dont la confiance envers les adultes, dont la confiance envers les institutions, est entachée. Alors, ils vivent ça, je le mets dans mes mots, comme un autre traumatisme, et qui ne les amène à avoir confiance au système judiciaire, qui ne les amène pas à croire aux adultes et que les adultes, qui sont les représentants devant eux, vont prendre soin d'eux. C'est ça, les impacts.

M. Jolin-Barrette : À la commission, là, à quel point les dossiers familiaux sont liés aux dossiers de protection de la jeunesse? Dans le fond, à quel point l'environnement familial a un impact sur les dossiers de protection de la jeunesse que vous avez vus?

• (12 h 40) •

Mme Laurent (Régine) : Je peux vous citer, à l'époque de l'écriture de notre rapport, donc on… c'est les statistiques de 2020,  mars 2020, 70 % des enfants qui ont un suivi actif en protection de la jeunesse, leur dossier est judiciarisé. Alors, c'est énorme. Et, si je me rappelle bien, c'est… ça représente… ça représentait à l'époque près de 20 000 enfants, 19 500. Donc, à chaque fois que j'entends, 70 % des enfants avec un dossier actif en DPJ, c'est judiciarisé, c'est un jugement du tribunal, 19 500, ce n'est pas 19 500 familles, mais c'est quand même des milliers de familles qui aussi sont touchées, parce que leur enfant, c'est… ça vient d'un jugement d'un tribunal.

Alors, pour moi, c'est quand même assez important et il faut trouver… c'est peut-être une autre façon de le dire, qu'il faut trouver une façon où il va voir la personne… les familles ou les enfants vont être accompagnés par les mêmes personnes pour régler leurs différends, pour être capable de mieux passer au travers. Parce qu'une des choses… quand vous me posiez la question, tout à l'heure, M. le ministre, que les jeunes nous ont dit : Moi, les chicanes entre mes parents, là, une fois, c'était assez, mais, s'il faut l'entendre trois fois, il faut que j'aille trois fois témoigner, c'est l'enfer pour les enfants.

M. Jolin-Barrette : Peut-être une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Vous l'avez un peu abordé dans votre dernière réponse, là, l'impact de l'importance que ce soient les mêmes intervenants. Dans le projet de loi n° 56, le dernier, sur l'union parentale, on a mis un incitatif que… les juges en chef, de favoriser le fait que ce soit le même juge qui suivent une famille. Là, on se retrouve dans des instances souvent différentes, supposons, litige familial est dans une autre instance, DPJ, il est dans la Cour du Québec, le fait qu'on ait un juge pour traiter l'ensemble du dossier familial, là, ça, pour vous, c'est une composante gagnante d'un tribunal unifié?

Mme Laurent (Régine) : Gagnante, vraiment, parce que ce qui est recherché… puis je pars toujours avec ma vision de l'intérêt de l'enfant, d'avoir un juge qui a cette vision globale. Et je me permettrais de dire : C'est tellement important, parce qu'on en a eu, des… en audiences publiques, des gens qui nous ont dit : Bien, la… le juge n'avait même pas tout le dossier au moment où il a pris une décision. Je ne fais pas de reproches aux juges. Les juges prennent une décision avec… à partir de l'information qu'ils ont. Mais s'il n'y a pas l'autre, à côté… et c'est la même chose en chambre de la jeunesse, si s'il n'y a personne qui dit que… voici, il y a eu la violence conjugale. Et c'est pour ça, dans notre rapport, on a ajouté la violence conjugale comme motif de signalement. S'il n'y a personne qui dit ça au juge de la chambre de la jeunesse, il ne sait pas. Donc, c'est pour ça que c'est important d'avoir cette vision globale.

M. Jolin-Barrette : Mais vous avez raison, parce que ça nous a été soulevé, notamment, par la Cour supérieure lorsqu'on a fait le projet de loi n° 56, puis on l'a prévu. Les juges de la Cour supérieure n'avaient pas accès aux dossiers de la DPJ s'ils n'étaient pas allégués par une des parties.

Mme Laurent (Régine) : C'est ça.

M. Jolin-Barrette : Alors, on était vraiment dans les silos, là. Alors, c'est ça qu'on veut régler. Alors, écoutez, un grand merci pour votre présence en commission parlementaire. Je vais céder la parole à mes collègues.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Vanier-Les Rivières, s'il vous plaît.

M. Asselin : Merci beaucoup, M. le Président. Mme Laurent, merci beaucoup pour votre témoignage. Et puis, avec votre parcours à la commission spéciale, on est encore chanceux de pouvoir bénéficier de votre regard. Vous parlez un peu… bien, vous avez parlé beaucoup du… de votre préjugé favorable. Je suis un peu curieux quand même de connaître… malgré que vous ne voulez pas pointer de coupable, on n'a pas de rigueur là-dessus, mais...

M. Asselin : ...si vous aviez à risquer une hypothèse de pourquoi ça fait 50 ans qu'on demande, on cherche à le faire puis qu'on ne l'a pas fait, si vous aviez à risquer un point, là, vous diriez quoi?

Mme Laurent (Régine) : Je dirais que... la résistance au changement et parce qu'il faut être conscient que ce serait un changement, mais moi, je le vois, pour les enfants et leurs familles, un changement positif. Mais c'est sûr que quand quelqu'un a pratiqué pendant 20 ans, 25 ans de la même façon, puis on lui dit : Oups, peut-être l'année prochaine, on change, je comprends cette résistance au changement. C'était peut-être acceptable, mais là, ça ne l'est plus.

M. Asselin : La résistance du changement comparé à la résistance chronique. J'aime bien votre thème. On va espérer qu'effectivement on y passe.

Mme Laurent (Régine) : Bien, M. le député, je vous le dis, qu'est-ce que vous diriez, vous, les parlementaires, qu'est-ce que vous dites aux enfants et aux familles aujourd'hui, en 2025? Est-ce que vous avez... puis moi, je suis quelqu'un qui écoute, est-ce que vous avez un argument valable collectivement pour dire aux enfants et aux familles en 2025 : On ne le fera peut-être pas? Moi, si vous avez un argument, moi, je suis prête à l'entendre. Mais je vous le dis, nous, on n'en a pas trouvé.

M. Asselin : Merci beaucoup. J'ai été directeur d'école avant d'être député, et j'ai toujours été intrigué pourquoi... j'étais dans les pensionnats, et puis l'État payait des frais de scolarité à mes pensionnaires plutôt que de se retrouver en protection de la jeunesse. Il y a peut-être une hypothèse intéressante dans ce que vous dites, la résistance au changement. Merci beaucoup.

Mme Laurent (Régine) : Merci.

Le Président (M. Bachand) :Merci. M. le député de l'Acadie, pour 12 minutes, s'il vous plaît.

M. Morin : Merci, M. le Président. Mme Laurent, merci beaucoup d'être là. On est privilégiés de vous avoir. J'ai lu le document que vous avez déposé à la commission. Vous en avez parlé quand vous avez exposé votre point de vue, entre autres avec le rôle que la DPJ a joué, et je réfère, entre autres, à la page 3 de votre document, un travailleur social qui aurait même changé des droits d'accès alors qu'il avait un jugement de la cour. Vous ne trouvez pas ça alarmant? Moi, quand j'ai lu ça, là, je me disais : Bien, voyons donc, on vit quand même dans un État de droit, il y a des juges qui rendent des décisions, que ce soit la Cour du Québec ou la Cour supérieure. Puis là, bien, on se permet... il y a une entité gouvernementale qui se permet de faire des réalignements, réajustements sans visiblement bien les expliquer aux parents puis à l'enfant. En tout cas, moi, c'est ce que je comprends de ce que vous avez écrit. Êtes-vous d'accord avec moi?

Mme Laurent (Régine) : Je suis d'accord avec vous, M. le député, c'est scandaleux, mais c'est ce qui arrive, parce que vous voyez que la... je pense que c'était l'exemple d'une mère dans ce témoignage-là, la mère a un jugement de la Cour supérieure qui dit : Voici les moments de garde, voici comment ça doit se passer, mais parce que l'autre parent a fait un signalement à la DPJ, évaluation, puis ça a été retenu, donc il y a une organisation des droits de visite qui... la DPJ décide, elle, qu'elle ne va pas tenir compte de ce qui a été légalement rendu par la Cour supérieure. Mettez-vous à la place de ce parent-là, il s'en va où avec ça? Et la crainte des parents, et pas juste là-dessus, c'est que s'ils ne suivent pas les indications de la DPJ et l'orientation, bien, la peur, c'est d'être accusé puis de se faire enlever leur enfant, puis de perdre des droits. C'est ça, le problème aussi. Alors, des témoignages qui sont venus nous dire : La DPJ gère toute, la DPJ est au-dessus de tout, ça, c'est la perception, d'une part, mais il y a des gens qui l'ont vécu comme ça, quand on met en opposition et qu'on ne tient pas compte de ce qui s'est dit à la Cour supérieure, du jugement de la Cour supérieure, pardon.

M. Morin : Oui, puis je vous écoute, puis je lisais votre document avec attention. Pour plusieurs personnes, ce n'est pas uniquement une perception, c'est devenu une réalité...

Mme Laurent (Régine) : Tout à fait.

M. Morin : ...et ils l'ont vécu.

Mme Laurent (Régine) : Oui.

M. Morin : Puis on parle des parents, mais je pense aussi à l'enfant là-dedans, parce que, là, lui, l'enfant, il ne va pas comprendre.

Mme Laurent (Régine) : Vous avez raison, M. le député. L'enfant, non seulement il ne comprend pas, mais dites-vous toujours qu'un enfant, quand il se passe quelque chose entre papa et maman, le premier qui se sent coupable, c'est l'enfant...

Mme Laurent (Régine) : ...parce qu'il ne comprend pas et/ou parce qu'il y a eu... il a entendu des bribes de conversations et il retourne ça contre lui en se disant je suis responsable. Il n'est responsable de rien, l'enfant, mais c'est comme ça qu'il le vit. Alors, vous voyez comment est-ce que ça a un impact négatif, qu'il faut ensuite défaire ce nœud-là pour dire à l'enfant et l'accompagner qu'il n'est pas responsable. Ça se passe entre papa et maman, qu'ils vont toujours continuer de t'aimer, etc. C'est... c'est une couche de plus sur les épaules de l'enfant qu'il ne devrait pas avoir à porter.

M. Morin : Je vous comprends et je vous remercie. Maintenant, vous avez... vous avez expliqué, un peu plus tôt, que ces situations-là se présentent avec les DPJ quand il y a des signalements évidemment. Et là, si je comprends bien le projet de loi, les signalements dans la Loi sur la protection de la jeunesse aux articles 38 et suivants, mais cette compétence-là va demeurer à la Cour du Québec, mais à la Chambre de la jeunesse, pas nécessairement au Tribunal unifié de la famille. Je comprends qu'on parle de la même cour, mais... mais en quoi le projet de loi va nous aider pour régler ce genre de problème là? Puis... puis, comprenez-moi bien, la situation que vous décrivez, moi, elle m'interpelle énormément, puis comme législateur, je voudrais être capable de le corriger. Mais quand je regarde le projet de loi, ça ne semble pas répondre à ce questionnement-là du tout.

Mme Laurent (Régine) : Je ne pensais pas avoir cet effet-là. L'objectif... l'objectif poursuivi, puis moi, je ne suis pas légiste, je laisse ça à votre jugement. L'important, c'est... c'est quelqu'un qui va avoir un regard le plus large possible, qui va être dans la collaboration, qui va être dans... ou la médiation, mais ça prend une cour, une instance qui va avoir un regard le plus large possible sur la dynamique familiale et sur les enfants. Et s'il y a des ajustements, moi, je plaide en ce sens-là, mais je vous fais confiance pour les ajustements selon les articles de loi. Mais ça, ça, c'est... se complète et ça respecte l'esprit des commissaires lors de la Commission spéciale sur les droits des enfants et protection de la jeunesse, c'était d'avoir quelqu'un qui a ce regard le plus large possible parce convaincu qu'il y aura de meilleures décisions dans l'intérêt de l'enfant. Et je n'en ai pas parlé, mais je... j'en profite pour dire : Arriver à cette personne qui aura la vision la plus large possible dans l'intérêt de l'enfant, ça va aussi soutenir le Commissaire au bien-être et aux droits des enfants à remplir son mandat.

M. Morin : Qui était... qui était une recommandation phare de votre...

Mme Laurent (Régine) : Tout à fait.

M. Morin : De votre rapport.

Mme Laurent (Régine) : Oui. D'ailleurs, merci, que vous avez adopté.

M. Morin : Oui, on a travaillé... on a travaillé très fort pour...

Mme Laurent (Régine) : Oui.

M. Morin : ...pour rappeler au gouvernement que, votre rapport, c'était fondamental et qu'il fallait adopter certaines des recommandations. Effectivement, vous avez raison.

Il y a aussi beaucoup de délais dans le processus judiciaire, on les déplore. Avant... avant qu'on ait la chance d'échanger aujourd'hui, je relisais des parties de votre mémoire, entre autres au chapitre 6, quand vous parliez de développer une intervention judiciaire collaborative à la page 227. Vous avez déploré, et je déplore aussi que le ministère de la Justice du Québec n'était pas capable de documenter ou d'expliquer les délais, notamment en matière de DPJ. C'est un enjeu. Votre mémoire... votre rapport date, bon, de quelques années déjà, on espère que ça s'est amélioré, mais pour moi, ça reste... ça reste une préoccupation.

• (12 h 50) •

Les.... le groupe qui vous a précédé, l'Association des notaires, parlait aussi qu'avec le projet de loi on ne touche pas aux couples qui sont en union de fait. Il y en a un grand nombre au Québec, et ça, ce n'est pas du mariage, ce n'est pas du divorce, ce n'est pas de la compétence de la Cour supérieure ou du fédéral. Avez-vous une recommandation à faire à M. le ministre à cet effet-là? Parce qu'il me semble que son... son projet de loi est très ciblé, touche... en fait même va toucher des situations qui ne sont même pas en vigueur, elles vont le devenir au mois de juin, puis après ça, bien, des enfants vont aller plus tard, là. Mais avez-vous une recommandation là-dessus?

Mme Laurent (Régine) : Plus un questionnement, M. le député, c'est-à-dire que pour moi, c'est un souhait aussi, plus un souhait, c'est que tout ce monde-là soit sur...

Mme Laurent (Régine) : ...partie du Tribunal unifié de la famille, qu'ils soient tous de cette compétence-là. Alors, je ne sais pas s'il y a des... des raisons légales ou de concordance de lois, mais si vous me demandez ce que moi, j'en pense, il faudrait que tout ce monde-là soit inclus.

M. Morin : Puis, idéalement, on devrait inclure aussi toute la question du mariage puis du divorce.

Mme Laurent (Régine) : Bien, c'est que, là, je suis plus prudente parce que ce n'est pas pour rien qu'on n'a pas été capables d'en faire une recommandation formelle. Par exemple, si on prend d'autres provinces, prenons l'Ontario, alors l'Ontario a tout envoyé à la Cour supérieure. Donc, cette cour de proximité, comme nous avons au Québec, elle n'existe plus. Ça fait que je ne suis pas sûre qu'on serait tous collectivement gagnants de ne plus avoir cette cour de proximité. Alors, c'est pour ça que je suis très prudente dans ma réponse à ce niveau-là.

M. Morin : Très bien. Je vous remercie. Le projet de loi accorde une importance particulière à toute la question de la médiation, voire la médiation obligatoire, sauf dans certaines circonstances.

Mme Laurent (Régine) : Oui.

M. Morin : Entre autres, de violence, de violence conjugale, de violence physique, d'agression sexuelle. Mais ça prendrait combien de temps, d'après vous, ou combien il faut de temps pour qu'un médiateur soit véritablement capable de régler un dossier avant de l'envoyer pour un jugement final au juge? Puis est-ce que le gouvernement ne devrait pas payer l'ensemble de ces frais-là de médiation, puisqu'il le rend obligatoire dans son projet de loi? Présentement, ma compréhension de la politique, je peux faire erreur, c'est que le ministère paie une partie, un certain nombre d'heures, cinq heures, je crois, mais là je peux me tromper, cinq heures pour régler un dossier avec des enfants, ça ne m'apparaît pas très long. Alors, après ça, les gens sont obligés de payer. Est-ce qu'on ne pourrait pas faire mieux?

Mme Laurent (Régine) : Mais, écoutez, je n'ai pas les statistiques sur ce que ça donne après le cinq heures présentement. Alors, si ça donne de bons résultats ou non, ça, je ne suis pas... je ne suis pas en mesure de vous répondre. Sur la médiation obligatoire, moi, je vous dirais que je suis assez d'accord. Pourquoi? Parce que, par exemple, en jeunesse, il y a possibilité de médiation, c'est même fortement recommandé. Mais quand on a fait nos travaux, bien, c'est peu utilisé, parce que tous les dossiers trop... sont rapidement judiciarisés. Alors, pour moi, il faut envoyer un signal fort et par cette obligation-là que tout le monde, on va passer par la médiation pour être capables de moins judiciariser de moins en moins de dossiers quand on... en jeunesse. Donc, cette obligation-là, moi ça ne me... ça ne me dérange pas vraiment. Et pour ce qui est des... des coûts, moi, je... je... S'il y a des... Comme je vous le disais, j'ai n'ai pas de statistiques pour me dire : Est-ce que cinq heures, c'est suffisant?

Il y a certains dossiers, quand les deux parents collaborent, collaborent et ils veulent s'entendre, généralement, ça va plus vite, vous savez comme moi. Et quand ça bloque bien, des fois, on n'a pas le choix, faut passer à l'étape de le judiciariser. Mais, dans la mesure où on est capables de mettre de l'avant beaucoup, beaucoup la médiation, je pense que la perception que ça envoie, ça enverrait aux parents, c'est qu'on est là pour penser à votre enfant, c'est quoi les impacts. Donc moi, je pense que, ça, ça serait un bon message.

M. Morin : Parfait. Merci beaucoup, Mme Laurent. Merci, M. le Président.

Mme Laurent (Régine) : Je vous en prie.

Le Président (M. Bachand) :Merci, M. le député de l'Acadie. M. le député de Saint-Henri—Sainte-Anne, pour 4 minutes, s'il vous plaît.

M. Cliche-Rivard : Merci beaucoup, Mme Laurent. Merci de votre présentation fort instructive puis, justement, nos travaux commencent, là, ce matin avec ça. Et là, je lisais votre intervention puis ce que vous nous avez dit, puis je relisais les autres mémoires ou d'autres mémoires actuellement puis là je vais vous inviter à nous éclairer un petit peu, parce qu'il semble avoir deux approches, disons.

Mme Laurent (Régine) : O.K.

M. Cliche-Rivard : Je vais relire Me Costanzo qui nous dit : «La création d'une nouvelle chambre à la Cour du Québec constitue une fracture encore plus grande des matières familiales entre deux juridictions. En instaurant une nouvelle structure sans fusionner ou modifier les autres déjà existantes, il apparaît ironique de nommer cette structure le Tribunal unifié, puisqu'elle morcelle davantage le système judiciaire.» C'est ce qu'elle nous écrit.

Elle nous écrit aussi : «Ainsi, la structure proposée unifie... n'unifie, pas les procédures qui concernent les familles. Au contraire, elle morcelle davantage les systèmes judiciaires en retirant de la Cour supérieure, les litiges relatifs aux unions civiles et aux unions parentales et aux conventions de grossesse pour autrui.» Et elle nous fait un tableau dans lequel elle énonce les juridictions de cinq chambres ou lieux. Elle nous fait la juridiction de la Chambre de la famille, de la Chambre criminelle et pénale de la Chambre criminelle et pénale de la Cour du Québec, de la Chambre de la jeunesse, de la Cour du Québec, puis du Tribunal unifié finalement de la famille à la Cour du Québec. Donc, aidez-nous peut-être à...

M. Cliche-Rivard : ...démêler votre intervention, que je trouve tout à fait juste et à propos, de la lecture que j'ai de Me Costanzo.

Mme Laurent (Régine) : Écoutez, je n'ai pas lu son document, alors il aurait fallu y réfléchir un peu plus. Je vais peut-être plus y aller sur ma compréhension et ce que nous souhaitions à la commission. C'est à dire que tout ce qui est... tout ce qui est... qui concerne l'enfant, qui concerne... à part le divorce, que je comprends, là, du monde dûment marié, que je comprends que, constitutionnellement, ça doit rester à la Cour supérieure, pas le choix, même si on comprend... puis j'ai donné l'exemple de l'Ontario tantôt, mais je ne pense pas que ce soit ce qu'on souhaite au Québec. Mais tout le reste, à mon avis, devrait être capable d'être géré par un... parce que l'idée... puis je vous le dis, peut- être qu'il y a des nuances légales que je ne vois pas, mais l'idée de cette globalité est qu'il y ait une personne, un juge, une autorité qui a un regard le plus large possible sur la dynamique familiale, c'est ce qu'on souhaite et je continue de plaider ça.

• (13 heures) •

M. Cliche-Rivard : Donc, vous dites... puis le ministre en parlait, puis c'est un élément qu'on va peut-être avoir à discuter, si ça peut se faire par étapes également, là, on met en place un tribunal qui rapatrie ou obtient quelques éléments, puis là on se revoit dans trois ans puis on en fait un autre paquet, est-ce que vous voyez... ça se peut, ça, comme lecture?

Mme Laurent (Régine) : Écoutez, de toute façon, si le Québec... et moi, je ne dis même pas «si», quand le Québec va arriver à un tribunal unifié de la famille, il devra, de toute façon, y avoir une période de transition. Je ne sais pas si c'est à ça que vous faites référence, il devra y avoir une période de transition, puis on va dire, mettons, au 1ᵉʳ mai de telle année, bien, voici comment dorénavant les dossiers vont être gérés et qui aura... ça va être à quelle juridiction ou à l'autre que ça va se faire. À mon avis, il y aura une période de transition, et, j'insiste aussi, une période d'information très importante pour les familles et leurs enfants.

M. Cliche-Rivard : En terminant, on a peu de temps, mais sur la médiation obligatoire, il y a des groupes de femmes qui nous disent que ça va les forcer possiblement à dénoncer des choses qu'elles n'avaient peut-être pas l'intention de dénoncer. Est-ce que ça vous inquiète, ça?

Mme Laurent (Régine) : Bien, écoutez, je n'ai pas... il aurait fallu... il faudrait que ces groupes-là, j'entende leurs objections, mais je vous dirais que c'est tellement peu utilisé en jeunesse que j'ai envie d'aller du côté obligatoire dans ce cadre-là.

M. Cliche-Rivard : Je comprends. Merci beaucoup.

Mme Laurent (Régine) : Je vous en prie.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Sur ce, Mme Laurent, merci beaucoup d'avoir participé à la commission, c'est très apprécié.

Mme Laurent (Régine) : Merci à vous. Merci.

Le Président (M. Bachand) :Et, compte tenu de l'heure, la commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 13 h 01)


 
 

14 h (version non révisée)

(Reprise à 14 h 04)

Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir d'accueillir Me Suzanne Zaccour, chercheuse et directrice des affaires juridiques à l'Association nationale Femmes et Droit. Merci beaucoup, maître, d'être avec nous. Comme vous connaissez les règles, 10 minutes de présentation, après, on aura un échange avec les membres de la commission. Alors, bienvenue encore une fois, et je vous cède la parole.

Mme Zaccour (Suzanne) : Merci, M. le Président. Bonjour à tous et à toutes. Un immense merci de me recevoir à nouveau, c'est toujours un plaisir et un honneur d'être invitée dans cette commission et, à force d'être invitée, de constater aussi que le droit de la famille, qui est... qui a longtemps été délaissé, comme domaine, continue d'être une priorité pour ce gouvernement. Donc, navrée de ne pas pouvoir être des vôtres en personne, mais très heureuse d'être ici.

Mon nom est Suzanne Zaccour, je suis, effectivement, docteure et chercheuse en droit de la famille, et la directrice des affaires juridiques de l'Association nationale Femmes et Droit. Nous sommes un organisme qui œuvre à la réforme féministe du droit, donc aider la branche législative à améliorer des projets de loi qui touchent les femmes, c'est vraiment au cœur de notre mission.

Et ici, bien sûr, on a bien... on a, évidemment, un projet de loi qui touche les femmes, et, comme souvent, en droit de la famille, ce sont les victimes de violence conjugale qui vont être particulièrement affectées. À mon sens, puisque ce sont ces victimes de violence conjugale et leurs enfants qui sont, en quelque sorte, les justiciables les plus vulnérables, et qui rencontrent le plus d'obstacles à faire valoir leurs droits, eh bien, c'est au regard de leur réalité qu'il faut évaluer tout projet de loi, y compris celui-ci. J'aimerais donc vous inviter à repenser, réfléchir peut-être autrement le choix de rejoindre l'Alberta et la Saskatchewan en rendant la médiation familiale obligatoire au Québec, à moins de dénoncer la violence.

De façon générale, en droit de la famille, je vous soumettrais trois règles assez simples qui peuvent nous guider pour protéger les femmes et les enfants victimes de violence. Premièrement, ce serait minimiser les étapes. Donc, plus on ajoute d'étapes, comme une médiation, qui doit échouer avant qu'on puisse avoir accès au tribunal, plus on ajoute d'occasions, pour le conjoint violent, de tourmenter sa conjointe, et plus on augmente le risque que la femme va abandonner tous ses droits juste pour en finir, et négocier un semblant de paix, ce qui, en passant, serait considéré comme une médiation réussie.

Deuxièmement, une règle générale serait de douter des accords. Lorsqu'il y a violence, intimidation, déséquilibre de pouvoirs, on se dit généralement que l'accord entre deux parties n'est peut-être pas tout à fait juste. La médiation risque de systématiquement désavantager les femmes, qui feront des concessions pour acheter la paix et la sécurité des enfants.

Et, troisièmement, un point important, c'est celui de ne pas punir les soi-disant fausses dénonciations. C'est quelque chose qui est assez acquis, là, dans votre droit. Imaginez, si on se mettait à criminaliser toutes les femmes qui dénoncent à la police, mais ne sont pas crues, ce serait la fin des dénonciations de violence conjugale au Canada. Donc, évidemment, on n'a pas choisi cette voie, et c'est parce qu'une dénonciation elle peut être jugée fausse, même si la violence a, effectivement, eu lieu. Donc, lorsqu'une dénonciation de violence n'est pas démontrée, il vaut mieux, tout simplement, ne pas en tenir compte, plutôt que de chercher à la punir.

C'est vrai que, dans certains contextes, les hommes violents font parfois des fausses dénonciations à l'endroit de leur conjointe, et on peut avoir envie de les dissuader, voire de les punir. Mais je pense qu'il faut réfléchir c'est quoi l'objectif ici. Est-ce qu'on cherche à dissuader les hommes violents de demander une exemption de la médiation? Même si ça marche, ça voudrait dire qu'on aurait plus de médiations en situation de violence, alors qu'on devrait viser l'inverse, ce qui est d'ailleurs reconnu par le projet de loi, qui prévoit cette exemption de violence conjugale. Donc, je vous soumets qu'il vaut mieux continuer à gérer les hommes violents avec nos nouvelles dispositions sur la violence judiciaire et d'autres mesures existantes.

Mais, de toute façon, quelle que soit l'intention, ou qui on s'imagine comme faisant des fausses dénonciations, ce sont surtout les femmes qui vont pâtir d'une politique punitive, parce qu'elles font plus de dénonciations, sont davantage victimes de stéréotypes. Et, en plus, sans entrer dans...

Mme Zaccour (Suzanne) : ...elle détaille les impacts du traumatisme de la violence conjugale rendent souvent les victimes moins crédibles aux yeux des tribunaux. Donc, le risque que je vous soumets, c'est un risque assez grave, parce que ce n'est pas seulement de punir certaines victimes en croyant à tort qu'elles ont menti, c'est aussi de dissuader les dénonciations dans leur ensemble, parce que, désormais, le risque associé au fait de dénoncer aura augmenté considérablement.

Je pense que vous savez sans doute que très peu de femmes font des fausses dénonciations de violence, mais tous les hommes violents disent que la dénonciation qui les vise est fausse. Donc, une politique de punition irait, à notre avis, à l'encontre du progrès qui a été fait dans les dernières années pour, au contraire, encourager les dénonciations de violences conjugales.

Je précise aussi que la médiation obligatoire bénéficie aux hommes violents parce qu'il y a deux cas de figure. Ils pourront soit obtenir ce qu'ils veulent en médiation, super, soit retarder la séparation, encore mieux. Et si la femme refuse, donc demande une exemption, ce projet de loi donne au conjoint violent une arme pour exiger une compensation et rajouter encore un différend à traiter devant le tribunal. Donc, le résultat, ça va être de, à notre avis, pousser des victimes à accepter cette médiation désavantageuse par peur de représailles.

Je veux être claire que même si vous retiriez les mesures punitives, et j'espère que vous considérez de le faire, la médiation obligatoire par défaut resterait problématique, parce qu'aujourd'hui une femme qui ne veut pas participer à la médiation, elle peut simplement la refuser. Et avec ce projet de loi, elle sera forcée, pour refuser la médiation, de révéler avoir été victime de violence conjugale. Mais pensez à toutes ces victimes qui n'auront pas recours à cette exemption, soit parce qu'elles sont mal informées, qu'elles n'ont pas encore mis les mots «violence conjugale» sur leur expérience ou tout simplement qu'elles ne veulent pas dénoncer à cette étape zéro du processus.

• (14 h 10) •

Anciennement, on avait ce concept de dénonciation tardive. Maintenant, on utilise moins cette expression parce qu'on a compris comme société que c'est irréaliste de penser que la première chose qu'une victime va faire, c'est dénoncer. Ça peut prendre des mois ou des années avant qu'une victime se confie même à ses proches. Ah, bon, je vous laisse imaginer une inconnue qui lui sert d'avocate. Et même si la victime est prête à dénoncer, ce n'est pas toujours l'option la plus sécuritaire. Donc, pour éviter des représages... des représailles, une victime peut préférer taire la violence, surtout si la question de la garde est réglée et qu'il ne reste qu'à déterminer des questions financières. Donc, pour donner un exemple, avant l'adoption de ce projet de loi, une victime au Québec n'a pas besoin de dénoncer la violence conjugale pour obtenir une pension alimentaire. Ce n'est pas une mauvaise chose. C'est sûr qu'on veut encourager les dénonciations, mais peut-être que cette victime sait bien que le moment où elle dit «violence conjugale», c'est le moment où tout s'envenime : son ex va l'accuser d'aliénation parentale, va réclamer la garde, va dire que c'est elle qui est violente, va se battre sur tous les points. Donc, à mon sens, cette obligation de médiation, elle aura l'effet pervers de complexifier des différends plutôt que de les régler. Et malheureusement c'est la victime qui va en payer le prix dans ce scénario.

Je vous invite à laisser les adultes juger de si oui ou non la médiation peut les aider. Si la médiation, elle est plus rapide, plus accessible, subventionnée, il y a déjà plein d'incitatifs, et les gens qui peuvent en bénéficier le feront, et c'est tant mieux. Mais les victimes de violences conjugales, elles ne devraient pas avoir à payer leur accès aux tribunaux avec forcément l'un de ces deux coûts, soit accepter une médiation qui va les désavantager et les exposer à plus de violence, soit être forcées de dénoncer la violence avec pour conséquence que son ex va le lui faire payer et peut-être même le tribunal aussi. Je précise aussi qu'honnêtement pour une femme victime de violences, si le droit permet à son ex de refuser la médiation, c'est un peu le dernier de ses soucis, parce que, de toute façon, on ne peut pas forcer des gens à s'entendre. Donc, moi, si je me mets à la place d'une personne qui se sépare, mais si l'autre partie a déjà décidé qu'elle veut un procès, j'aime autant le savoir tout de suite plutôt que d'aller... de faire toutes ces étapes de médiation pour qu'à la fin la personne refuse tout simplement de signer et qu'on reparte à la case zéro. En ce sens, l'objectif de désengorger les tribunaux, il est louable, mais pas au prix de la sécurité des femmes. C'est sûr qu'on aimerait tous et toutes que les séparations se règlent facilement à l'amiable, sans longs procès, mais malheureusement ce n'est pas toujours réaliste. Les femmes quittent les hommes violents, pas pour que le...

Mme Zaccour (Suzanne) : ...vienne après leur dire qu'elles doivent continuer à s'entendre avec, parce que tout le monde sait que s'entendre avec un homme violent, c'est acquiescer à ses demandes. J'aimerais... cette citation d'Anasua Sengupta qui est... aussi mon livre La fabrique du viol, qui est : «Trop de femme dans trop de pays parlent la même langue : le silence». J'ai un peu repensé à cette citation en préparant mon intervention d'aujourd'hui. Parce que je sais qu'on a tous et toutes le même objectif qui est de libérer la parole, on est d'accord là-dessus, mais forcer n'est pas libérer. Les femmes parlent quand c'est sécuritaire. Et on prend toutes sortes de mesures pour rendre ça sécuritaire, mais les forcer à dénoncer au détriment de leur sécurité envoie un signal confus et contradictoire.

En conclusion, depuis des années au Québec, on progresse dans les droits des victimes, la liste est longue, et vous la connaissez bien, on s'est vus à plusieurs de ces occasions. Et, quand je voyage dans d'autres provinces dans le cadre de nos activités et de notre projet de recherche en droit de la famille, je me sers de certains de ces projets de loi récents pour donner le Québec en exemple. Alors, je vous invite, s'il vous plaît, à protéger ce legs et à vraiment retirer cette idée d'obligation de médiation pour qu'on puisse continuer à dire que nos parlementaires font avancer notre droit en se concentrant vraiment sur l'objectif de protéger les victimes de violence. Je vous remercie.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, maître. M. le ministre, pour 16 min 30 s, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, Me Zaccour, un plaisir de vous retrouver. Comme on dit, vous êtes une habituée de nos travaux, de nos projets de loi en matière familiale. C'est toujours un plaisir de vous entendre.

Bon. L'objectif du Tribunal unifié de la famille, c'est un premier pas, c'est de faire en sorte de regrouper le tout sous le chapeau de la même instance, notamment les dossiers en matière de protection de la jeunesse, d'union civile, de grossesse pour autrui, l'union parentale, le nouveau régime qui va venir en place, éventuellement les autres modalités en matière familiale aussi. Donc, c'est le premier pas qu'on a. Très certainement, aussi, c'est de faire en sorte de déjudiciariser, d'assurer que le système de justice soit plus humain, plus efficace ou adapté aussi. Il y a beaucoup de gens qui se ramassent à la cour qui ne souhaiteraient pas s'y ramasser aussi. Alors, il y a un espace de dialogue qui doit être présent, puis c'est pour ça qu'on rend la médiation obligatoire, au bénéfice des familles.

Vous soulevez un excellent point aussi. Pour les victimes de violence conjugale, sexuelle ou en matière familiale, on ne veut pas qu'elles soient prises justement dans l'emprise de leur ex-conjoint puis on ne veut pas qu'elles soient confrontées à leur réalité, puis d'ailleurs... bien, pas à leur réalité, à leur contrôle, je devrais dire. Puis c'est pour ça que, dans le dernier projet de loi que j'ai fait avec les collègues ici présents, autour de la table, dans le 73, on a prévu des modifications en matière civile d'incorporation, pour notamment l'aide aux témoignages, qui d'ailleurs sont contestés actuellement, et la Cour d'appel a accepté d'entendre sur la conditionnalité des dispositions, un procureur général est en train de... bien, en fait, je vous dirais, de défendre les dispositions législatives qui ont été adoptées à l'unanimité à l'Assemble nationale, je pense que c'est important de le rappeler. Et donc on a prévu, dans le cadre du projet de loi n° 91, le fait de... pour un motif sérieux, notamment la violence conjugale, la violence sexuelle, la violence familiale, le fait d'alléguer, puis ce n'est pas une preuve, l'allégation de dire : Bien, moi, je veux être exempté de cela pour ne pas aller en médiation. Alors, loin de nous l'idée de forcer les victimes de violence conjugale à aller en médiation, d'où l'exception. Là, je vous entends, vous nous dites : Écoutez, ça pourrait amener un dévoilement forcé et de faire en sorte que la victime le dise dès le départ pour ne pas se retrouver dans cette situation-là.

Sans aller sur ce que vous nous proposez de retirer complètement l'obligation de médiation obligatoire, parce que moi, je pense que c'est important de l'avoir pour favoriser les modes alternatifs de règlement des différends, avez-vous d'autres propositions? Je vous donne un exemple. Lorsqu'on est en matière d'annulation de loyer pour victime de violence conjugale, bien là, c'est un procureur qui donne une attestation. Dans le projet de loi n° 73, c'est un organisme de soutien aux personnes victimes, comme les CAVAC, supposons, qui permette d'accéder aux témoignages à distance ou de ne pas croiser l'accusé. Alors, est-ce que vous avez réfléchi sur des... différentes modalités si on maintient la médiation obligatoire?

Mme Zaccour (Suzanne) : Merci, M. le ministre. Bien, effectivement, si vous...

Mme Zaccour (Suzanne) : ...c'est de maintenir la médiation obligatoire. Je pense qu'une priorité ce serait de refuser ce risque de punir justement les fausses dénonciations. Parce que la première chose qu'un homme violent fait quand il… quand il y a une allégation de violence conjugale, c'est de répondre : Elle est fausse, et on est en train de lui dire : Bien, tu peux aller chercher de l'argent en faisant ça.

Pour ce qui est des modalités de la médiation elle-même, c'est-à-dire que la… il y a quand même un assez grand consensus pour dire que la médiation familiale, ce n'est pas approprié dans les cas de violence. Et ce n'est pas seulement parce que les médiateurs, médiatrices ne font pas les bonnes affaires, ne mettent pas les choses en place. Les hommes violents, ils vont arriver avec une approche : c'est à prendre ou à laisser. Les hommes violents sont plus susceptibles, par exemple, de demander la garde complète que les hommes non violents. Donc, ils vont faire des demandes plus extrêmes. Et les femmes victimes de violence, soit pour avoir l'air conciliatrice, parce qu'on a ce système juridique qui dit : Il faut que les familles s'entendent et même si on se sépare, il faut concilier, donc les femmes, d'après certaines études, sentent pression à être conciliatrice et vont accepter des ententes qui vont être défavorables.

Il y en a qui disent qu'une entente défavorable, rapidement, c'est quand même mieux qu'une entente plus favorable, mais qui prend très longtemps à s'y rendre avec un procès. Donc, ça, ça dépend un peu de notre perspective, mais donc, c'est… c'est donc… Donc, voilà, je ne pense pas qu'il y a des modalités, vraiment. C'est sûr qu'il y a des médiateurs, médiatrices qui le font mieux ou le font moins bien, mais là on est en train de leur dire, aux médiateurs, médiatrices, les cas de violence sont exclus. Donc, ce n'est peut-être même pas leur idée qu'il faut absolument dépister la violence et y répondre. On leur dit : Les cas de gens sont exclus, mais la… on sait… on ne peut pas faire aucune politique en matière de violence conjugale sans tenir compte des cas non rapportés, parce que c'est une réalité un peu existentielle du problème de violence faite aux femmes. Donc, ces femmes vont s'y… vont s'y retrouver.

• (14 h 20) •

Donc, j'apprécie vraiment l'objectif que… bien, l'observation que beaucoup de gens qui se ramassent à la cour… qu'ils ne souhaiteraient pas y être. S'ils ne souhaiteraient pas y être, qu'on leur dise : Vous pouvez écrire un formulaire et dire : Je demande une médiation, et les gens qui veulent aller en médiation, ce n'est vraiment pas là où on s'objecte, c'est vraiment… quand on change les situations par défaut, il y a toujours des… la relation de pouvoir qui change. Et, en ce moment, on place la relation de pouvoir du côté du conjoint violent qui veut aller en médiation, et on rajoute une difficulté comme ça a été vu dans d'autres provinces qui… je voudrais dire, qui ne sont pas toujours les modèles, là, de… en matière de violence conjugale. Donc, c'est ça. Donc, c'est... c'est pour ça que ma recommandation, c'est d'abandonner la médiation obligatoire, de la financer, de le faciliter, d'informer les gens, mais pas de forcer la main des gens, si c'est ce qui est choisi, bien, au minimum, au moins, d'enlever ces mesures punitives.

M. Jolin-Barrette : O.K. Je reviens au projet de loi n° 73, là. On s'est donné l'obligation d'offrir de la formation également aux acteurs, là, qui sont susceptibles d'intervenir avec les gens qui sont victimes de violence sexuelle, violence conjugale. Ça inclut les médiateurs familiaux. Également pour devenir médiateur familial, bon, il y a de la formation rattachée à ça.

Lorsque vous dites, là : Il faut éviter la pénalisation pour une fausse dénonciation, est-ce que votre commentaire, il est circonscrit sur la question de la violence, supposons, familiale, conjugale et sexuelle? Je vous donne un exemple, là, parce que ce qu'on veut éviter de faire, là, c'est que certains acteurs, certaines parties étirent les procédures, étirent la médiation, qu'ils… qu'ils invoquent de faux motifs, qu'ils… dites qu'ils ne sont pas disponibles. Un peu, dans le fond, la question de la violence judiciaire. Mais mon souci, moi, c'est qu'on ne se serve pas du système de justice pour avoir un impact négatif sur la cellule familiale.

Puis on le sait que parfois c'est utilisé comme ça. C'est pour ça qu'on a légiféré justement pour venir nommer la violence judiciaire. Là, nous, on cherche une façon d'asseoir les parties, parce que, des fois, quand on s'assoit, là, ça permet… puis là je ne vous parle pas des cas de violence conjugale, là. Ça permet d'entendre, d'écouter le point de vue de l'autre partie, puis de diminuer les tensions. Puis les taux de succès sont quand même très bons en médiation. Alors, est-ce que votre commentaire sur la pénalisation ou la conséquence, elle est circonscrite aux cas de violence ou à tous les motifs sérieux?

Mme Zaccour (Suzanne) : C'est une question intéressante. Je dirais que je proposerais de le faire pour tous les motifs sérieux, parce que cette question de mauvaise foi peut être amenée, sinon par la bande, un peu que c'était… c'était basé sur une fausse dénonciation. C'est sûr que le commentaire vise…

Mme Zaccour (Suzanne) : ...principalement les cas de violence, mais les cas compliqués en droit de la famille, ce n'est pas une exception, les cas de violence, c'est les cas qui prennent les ressources, qui se rendent aux tribunaux. Donc, il ne faudrait pas considérer ça comme... C'est parce que je pense que c'est quand même une grande proportion des cas. Je pense qu'il y a beaucoup de risques pour les femmes victimes de violence, qui sont souvent perçues comme entêtées et non conciliatrices, qu'elles soient vues comme, justement, mettant des bâtons dans les roues à cette réconciliation ou médiation. Et dans une étude qui a été faite auprès des femmes qui ont vécu justement cette médiation, elles sentaient qu'il y avait déjà beaucoup de pression à accepter la médiation, beaucoup de pression à acquiescer aux demandes de l'autre partie, sinon elles avaient peur d'être vues comme déraisonnables. Donc, on peut aller chercher un bon taux de succès en médiation, mais ça ne veut pas dire qu'on est allé au milieu de ce que les deux parties voulaient, et, des fois, le milieu de ce que les deux parties voulaient, ce n'étaient même pas des séances qui dans le meilleur intérêt de l'enfant.

Donc, ce que... je pense que ce que je dirais, c'est que les dispositions sur la violence judiciaire sont bonnes. Je sais qu'elles sont récentes et je sais que, bon, on va peut être... il reste peut-être à voir comment elles vont être utilisées, mais, pour moi, quelqu'un qui allonge les procédures pourrait devoir être puni avec ces dispositions violence judiciaire, mais quelqu'un qui dit dès le début : Je ne veux pas aller en médiation, en fait, en quelque part n'allonge pas les procédures parce qu'il ou elle le dit dès le début : Moi, je ne veux pas aller en médiation, on ne va pas s'entendre pour toutes sortes de raisons. Alors, je ne sais pas si ça allonge vraiment les procédures plutôt que de dire : O.K., j'y vais, j'écoute, je hoche la tête et, à la fin, je ne m'entende pas.

Je pense qu'il faut laisser... On a quand même ce droit à régler les différends devant les tribunaux. Donc, ce qui me pose à penser que les dispositions sur la violence judiciaire qui sont... en fait... si je me souviens bien l'a nommé plutôt abus, seraient pertinentes, mais que d'avoir déjà ce défaut ou refuser la médiation, c'est suspicieux, c'est comme déjà de la violence ou déjà un potentiel abus judiciaire alors qu'on fait juste cogner à la porte du tribunal, je pense que ça serait un mauvais signal, surtout si on veut créer justement ce tribunal qui a... Pense que l'objectif, c'est que ce soit plus accessible et non pas seulement la déjudiciarisation, mais aussi l'accès à des tribunaux où vous avez fait toutes sortes de choses pour empêcher les stéréotypes et ci et ça. Donc, voilà, donc ça... Mes propos s'appliquent principalement aux cas de violence, mais je ne sais pas s'il y a un intérêt à garder pour abusivement refuser la médiation, je ne sais pas si c'est un concept qu'on veut vraiment adopter.

M. Jolin-Barrette : Je comprends. Écoutez, une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Un des objectifs, c'est, oui, l'accès aux tribunaux, puis tout le monde a toujours la possibilité de s'adresser aux tribunaux, par contre, ce qu'on constate, c'est que, dans les cas où la médiation est optionnelle, prenez le cas... Mme Laurent était avec nous tout à l'heure puis elle disait : Écoutez, la médiation est disponible en matière jeunesse, ce n'est pas utilisé. Puis elle nous disait : Ça devrait être obligatoire aussi. Aux petites créances, on le fait aussi. Les taux de succès sont très intéressants quand les parties s'assoient et écoutent l'autre partie.

Alors, j'ai une grande préoccupation par rapport à ce que vous nous dites par rapport aux cas de violence conjugale. On va réfléchir à tout ça. Je vous remercie beaucoup, Me Zaccour, d'être venue à nouveau en commission parlementaire, et puis je vais céder la parole à mes collègues. Merci.

Le Président (M. Bachand) :Merci, M. le ministre. Mme la députée de Vimont.

Mme Schmaltz : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Zaccour. Merci d'être présente pour les travaux. Tantôt, vous avez mentionné que la médiation obligatoire bénéficie aux hommes violents, par le fait même rend la femme beaucoup plus conciliante. J'ai bien compris ce que vous vouliez dire. On a reçu ce matin l'APNQ, il y avait deux représentants qui étaient là et ils nous ont parlé de la formation obligatoire aux notaires, bon, pour devenir... bien, en fait, pour être médiateurs. Et puis M. Bibeau qui était... j'espère que je ne me trompe pas, mais M. Bibeau, qui était là, nous a même mentionné que, parfois, il a dû se battre avec ses clients pour exiger des papiers fiscaux ou peu importe, là pour... même si la personne, peut-être en l'occurrence la femme, disait : Non, non, non, c'est correct, moi, je ne veux pas, on s'était arrangé avant, etc. Lui, il insiste. Finalement, le papier sort, puis, après ça, la personne va prendre sa décision. Vous ne pensez pas que, justement, les médiateurs sont bien placés pour détecter ce genre de... peut-être la gravité, là? Ils peuvent... ils sont... il me semble qu'ils sont dans leur formation ou dans l'expérience de vie, ils sont déjà en plus... pendant les deux premières années, ils sont assistés aussi par un collègue, là, pour s'assurer...

Mme Schmaltz : ...vous ne pensez pas qu'ils ont quand même l'expertise pour être capables de détecter un schéma, là, de violence ou... Ou peut-être qu'ils le savent déjà. Je ne le sais pas, là, je vous pose la question.

Mme Zaccour (Suzanne) : Merci pour la question. En quelque part, ce n'est pas juste moi qui ne crois pas que c'est approprié, c'est même le projet de loi lui-même. Donc, le projet de loi dit : On peut demander une exemption en cas de violence. Donc, il y a un peu cette reconnaissance que ce n'est pas approprié en cas de violence. Moi, je ne suis pas pour interdire la médiation en cas de violence. C'est pour laisser le choix. Donc, si une femme dit : Moi, je sais que ça va être compliqué, la médiation, mais ça ne me tente pas plus d'aller devant les tribunaux, je ne suis pas là pour dire que les médiateurs, médiatrices devraient être interdits de traiter de ces cas de violence, parce que l'alternative, soyons honnêtes, n'est pas non plus toute rose. Donc...

Mais il y a quand même un assez grand consensus que ça soulève des difficultés, et des études auprès des femmes qui... C'est-à-dire, il y a des limites avec ce qu'on peut faire avec une formation, et je pense qu'il faudrait entendre les femmes victimes qui ont vécu un processus de médiation plutôt que les... C'est-à-dire, oui, il faut entendre tout le monde. Mais les notaires, s'ils échouent à reconnaître une situation de violence, il y a un peu un problème d'échantillonnage, parce qu'ils ne vont pas le savoir, et donc par définition elles ne peuvent pas vous parler des cas où ils échouent à reconnaître une situation de violence, donc...

Mais, comme je le disais, le problème, ce n'est pas seulement de dire... Parce que ça, ça peut être discuté : Est-ce que les médiateurs, médiatrices sont capables ou pas capables? C'est ... Même si, ils et elles font tous tout leur possible, ça ne change pas le fait que l'impact que les femmes vont être désavantagées par le fait que les hommes violents ont plus tendance à être inflexibles... à prendre ou à laisser par le fait que les femmes victimes vivent la pression... raisonnable et juste à acheter la paix. En fait, peut-être que la médiatrice fait très bien son travail. Mais la femme, elle sait bien que c'est acheter la paix et donc elle va dire : Oui, oui, oui, et ce n'est pas nécessairement au bénéfice des enfants.

• (14 h 30) •

Donc, je pense qu'encore une fois, pour nuancer le propos, ce n'est pas de dire : Laissez-les pas parler à aucune victime de violence dans des cas de violence conjugale, mais plus qu'on ne parte pas déjà avec cette idée que la femme, elle est forcée d'être là. Si elle demande à ne plus être là, elle peut être pénalisée par les tribunaux et donc d'être déjà en position d'infériorité. Une alternative si on s'inquiète que les gens n'utilisent pas la médiation familiale suffisamment, mais c'est ce qu'on a de la séance d'information obligatoire, pas nécessairement ma préférence, mais qui serait déjà vraiment moins pire. On sait que tout le monde le sait, et la question, c'est : Quel est l'avantage à obliger des gens qui ne veulent pas être là à juste faire passer ces étapes? Et c'est dans ces cas-là qu'il faut savoir si la médiation fonctionne ou pas.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de l'Acadie, pour 12 min 22 s, s'il vous plaît.

M. Morin : Merci, M. le Président. Maître Zaccour, bonjour, bon après-midi. Merci. Merci d'être là avec nous. Le document que vous avez produit, en fait, vous l'avez bien expliqué, comporte... il y a deux volets, il y a deux recommandations. Vous vous êtes intéressée beaucoup à la question de la médiation obligatoire puis, après ça, bien, de la possibilité d'imposer une pénalité pour quelqu'un qui ferait une fausse... enfin, fausse déclaration ou autrement, ou qui ferait... qui permettrait ax processus judiciaire de ne pas fonctionner comme il devrait. Moi, j'aimerais qu'on revienne à la médiation, parce qu'à la fin de votre exposé, quand la partie gouvernementale vous a posé des questions, vous avez dit : Bien, il y en a, puis j'ai compris, corrigez-moi si je fais erreur, que c'était surtout des femmes qui vont vouloir acheter la paix.

Et donc ma compréhension de ce que vous dites, c'est donc qu'elles vont se ramasser avec... pas nécessairement pas nécessairement un jugement, mais une entente qui ne va pas les favoriser ou qui ne sera pas équitable pour elles. Est-ce que c'est aussi votre compréhension que, dans le projet de loi, au niveau de la médiation, les parties ne sont pas nécessairement représentées par avocat?

Mme Zaccour (Suzanne) : C'est sûr que ça fait partie peut-être, peut être du problème, mais c'est un peu la raison d'être... pas la raison d'être, mais c'est un peu la définition d'une médiation, c'est qu'on a une personne qui est au milieu. Donc, effectivement, la femme victime de violence n'a pas quelqu'un qui défend spécifiquement ses intérêts, et la personne qui est au milieu ne sait peut-être pas qu'il y a une situation de violence conjugale. Et donc, oui, effectivement, elle peut acheter la paix. On voit ça très...


 
 

14 h 30 (version non révisée)

Mme Zaccour (Suzanne) : ...souvent, déjà, même sans avoir à pousser les femmes en médiation, que les femmes vont accepter d'abandonner des demandes pécuniaires en échange d'un arrangement de garde qui ne met pas les enfants en danger, et, bien, ça, ça mène à des désavantages systématiques sur la pauvreté des femmes et la pauvreté des enfants.

M. Morin : D'ailleurs, j'ai lu votre document, vous avez écrit un article qui traite de cette question-là, qui, je crois, a été publié dans le Canadian Journal of Family Law. Bon, ça date de quelques années, mais est-ce que vous avez pu avoir des échantillons ou des statistiques qui démontrent qu'effectivement, dans des cas comme ça où il y a une médiation des femmes se trouvent véritablement défavorisées?

Mme Zaccour (Suzanne) : Bien, c'est quelque chose qu'on a entendu de nos consultations. On a un projet de réforme de la Loi sur le divorce, qui nous a amenés à faire des consultations dans diverses provinces, le Québec, et d'autres, où on entend, justement, la préoccupation que les femmes victimes de violence se sentent poussées à aller en médiation déjà et à faire des concessions. Et ce que... ce que j'explique dans cet article, c'est un peu une philosophie du droit de la famille, c'est-à-dire, les règles qu'on choisit... s'il y a un couple où il n'y a pas de déséquilibre de pouvoir, il n'y a pas de violence conjugale, les règles ne sont pas si importantes, parce que les gens peuvent s'entendre et choisir d'autres règles. C'est les femmes victimes de violence qui n'ont pas cette capacité de choisir d'autres règles, de négocier des ententes.

Donc, les règles, par défaut, devraient être pensées pour les femmes victimes de violence, en plus du... de l'argument que c'est là où les... l'enjeu est le plus grand. C'est-à-dire que, si le résultat n'est pas optimal pour un couple sans violence, bien, on n'en meurt pas, ce n'est pas... On aimerait que tout le monde aient des résultats optimaux, mais c'est vraiment... dans les situations de violence, ça devrait être... ça ne peut pas être une arrière-pensée, et je ne pense pas que ce le soit non plus. C'est vraiment... ça devrait être la situation principale. Les règles, par défaut, doivent marcher pour les victimes de violence conjugale.

Et si d'autres n'ont pas de violence et veulent, elles, faire une action supplémentaire, s'inscrire à la médiation, par exemple, qu'elles le fassent, mais de ne pas faire porter toujours le fardeau aux femmes victimes de violence de négocier l'exception ou de devoir prouver l'exception, qui est un peu la logique de notre droit de la famille.

M. Morin : Oui, je comprends. Donc, au fond... au fond, ce que vous... ce que vous suggérez, si je vous comprends bien, c'est qu'au Tribunal unifié de la famille qui est proposé par le projet de loi... c'est que les parties s'adressent au tribunal. Si jamais une des parties veut aller en médiation, elle peut en faire la demande. Donc, c'est... en fait, c'est inverser ce qui est écrit dans le projet de loi. Est-ce que je vous comprends bien?

Mme Zaccour (Suzanne) : C'est... en fait, ce serait si les deux personnes... bien, une ou l'autre peut faire la demande, mais la médiation n'irait que si les deux personnes sont d'accord. Et la raison pourquoi je ne pense pas que c'est nécessaire de forcer la médiation, c'est... premièrement, c'est... déjà, il y a tellement d'incitatifs. Si ça va marcher, les gens vont vouloir y aller. Peut-être... Là, j'entends M. le ministre qui dit que les gens ne s'en servent pas assez. Peut-être qu'ils ne sont pas assez informés. Ou peut-être qu'ils ont des bonnes raisons. Peut-être que les cas qui se rendent aux tribunaux, c'est presque juste des cas de violence. Donc, peut-être que c'est pour ça qu'il n'y en a pas tant que ça qui vont en médiation versus des cas, peut-être, non familiaux. Mais donc c'est ça, l'idée, c'est de dire : Si les deux sont d'accord, on va en médiation. C'est là que la médiation va certainement marcher. Et, de toute façon, c'est déjà... c'est ça, les incitatifs à aller en médiation sont immenses, parce que c'est moins long, et ça coûte moins cher.

Mais si on ne veut pas aller en médiation, bien, est-ce qu'une femme peut avoir un droit d'accès aux tribunaux, qu'elle n'a pas besoin de payer en révélant la violence conjugale quand on sait que ce n'est pas toujours sécuritaire de révéler la violence conjugale. Et ce n'est pas toujours nécessaire. Si, justement, le débat est seulement sur une question financière, pourquoi est-ce qu'on la force à se mettre à nu devant les tribunaux, révéler la violence, alors qu'on pourrait simplement dire : O.K., on a besoin des tribunaux pour régler cette question, on va avoir un système où il y aura un juge ou une juge coordinatrice, ça va aller vite, on va... on va bien... on va donner les ressources aux tribunaux, dont ils ont besoin, et il y aura une décision faite par un juge ou une juge? Je ne dis pas que la décision sera toujours parfaite. Bien sûr, j'ai aussi mes réserves face au système judiciaire. Mais peut-être que la femme victime de violence est la mieux placée pour savoir laquelle de ces deux avenues est la plus sécuritaire pour elle à ce moment-là.

M. Morin : Je vous remercie. Dans l'état actuel du projet de loi, donc, le gouvernement a retenu la médiation obligatoire. D'après vous, est-ce que les médiateurs sont suffisamment formés pour être en mesure d'identifier des personnes, surtout des femmes, qui souffrent ou qui sont victimes de contrôle coercitif? Parce que ma compréhension, c'est que c'est quand même... c'est quelque chose qui est très insidieux. C'est... c'est très subtil, mais c'est une forme, définitivement, de violence à l'égard des femmes...

Mme Zaccour (Suzanne) : ...Oui. Je ne pense pas que ça va être... Bien, de toute façon, c'est sûr que ça ne sera pas toujours reconnu. On ne peut pas, comme... En tout cas, je le souhaite, à être détrompée, mais je ne pense pas qu'on ne peut jamais dire qu'il y aura a 100 %, qu'on va identifier tous les cas de violence parce que les femmes ne dénoncent pas, les femmes dénoncent, mais ne sont pas crues, toutes toutes ces raisons. Et il y a une très bonne étude qui s'est faite auprès de médiateurs, médiatrices italiens mais par un chercheur, Simon Lapierre, que la commission sûrement bien connaître, qui montrait que les médiateurs, médiatrices soit ne reconnaissaient pas la violence, soit reconnaissaient la violence mais mettaient en place des règles... Par exemple, on va peut-être venir vous dire : Bien oui, on fait de la médiation par téléphone, ils ne sont pas dans la même salle. Ça, ce n'est ne pas comprendre c'est quoi, le contrôle coercitif, et c'est quoi, la violence conjugale. Ce n'est pas une question d'être dans la même salle, c'est une question de dire : Si tu ne signes pas, je vais te poursuivre pour payer mes frais de justice. Si tu ne paies pas, ah, le chien qui est chez moi, il va peut-être lui arriver quelque chose. C'est vraiment les choses qui sont subtiles.

Donc, je pense que, d'une part, il y a certainement des médiateurs, médiatrices qui ne vont pas identifier la violence, et, même quand ils l'identifient, même si on prenait toutes les meilleures approches possibles pour la médiation, dans certains cas, ce n'était pas approprié. Je pense que c'est pour ça que le projet de loi prévoit cette exemption parce qu'à cause des dynamiques de pouvoir c'est... il y a certaines... il y a certaines dynamiques où les ententes ne sont simplement pas fiables pour protéger les intérêts des deux parties, même si le processus où les choses... vraiment, l'emballage de la médiation ait bien réussi, la peur des représailles, la pression à juste s'entendre et avoir l'acte raisonnable, et aussi des études qui montrent que les hommes violents, ils vont... ils font saboter la médiation, ils vont arriver en retard, ils ne vont pas donner les documents.

• (14 h 40) •

Donc, oui, après ça, on peut charger des médiateurs, médiatrices de passer quelques semaines à talonner l'homme violent pour essayer de faire avancer cette médiation, mais, si la médiation ne va pas marcher de toute façon, on peut sauter cette étape et aller à une résolution devant les tribunaux. D'ailleurs, les résolutions devant les tribunaux, c'est plus long, mais il y a cette idée un peu contre-intuitive en droit de la famille à certaines personnes qui disent que le fait que ce soit long, ça facilite aussi de calmer le jeu. Donc, ce n'est pas... ce n'est pas sûr pour moi qu'on va avoir des meilleurs résultats et certainement pas pour les femmes victimes de violence qui vont soit dénoncer sans être prêtes à dénoncer ou aller en médiation sans dénoncer, même si elles auraient préféré ne pas y être. Donc, ce n'est pas sûr qu'on aura des meilleurs résultats.

M. Morin : Puis, compte tenu de votre expertise, j'aimerais ça vous entendre sur un élément. Un peu plus tôt aujourd'hui, on a entendu l'Association professionnelle des notaires du Québec, et je veux... évidemment, je voudrais citer le plus correctement possible, mais j'ai posé la question aux représentants qui étaient là, et on m'a répondu, et je ne crois pas faire erreur en leur disant : Écoutez, oui, on est bien placés comme médiateurs, mais c'est... s'il y a des cas de violence, ce n'est pas grave, on peut faire des caucus, donc on met des parties dans une pièce, une autre partie dans une pièce. Et là vous venez de dire que vous, si je vous ai bien compris, vous avez... on vous a raconté des possibilités, par exemple, de faire des trucs au téléphone, mais que ça ne fonctionne pas. Remarquez, moi, quand on m'a dit ça, ça m'a... je n'ai pas été convaincu, là. Ce n'est pas parce qu'on sépare des parties puis on les met dans deux pièces que le contrôle coercitif puis la violence va arrêter, là. Mais j'aimerais ça vous entendre là-dessus parce qu'eux avaient de l'air vraiment convaincus que c'était la recette.

Mme Zaccour (Suzanne) : Vraiment, avec beaucoup de respect pour la profession, une réponse de ce type, déjà, par les représentants présents choisis pour discuter de ce projet de loi, ça montre déjà une vision de la violence conjugale comme une interaction physique. On n'est plus là depuis plusieurs années. Donc, oui, c'est sûr que d'être dans la même pièce, ce n'est pas... ce n'est pas idéal, et je ne le recommande pas, mais de penser que ça va régler le problème... Je pourrais aussi vous demander de faire un petit exercice d'imagination. Combien de fois est-ce qu'une organisation professionnelle est venue vous dire : En fait, vous devriez me donner moins de responsabilités parce qu'on n'est pas capables? Comme, l'association des notaires, à chaque projet de loi, dit : C'est super, qu'on ait plus de responsabilités. Les juges : Si on pouvait les inviter direct, bien sûr, nous, on reconnaît la violence. Les avocats, avocates qui viennent vous parler, ils vous disent : Bien sûr, nous, on dépiste la violence, on a des... on a des outils pour le dépistage. La réalité, c'est que la majorité des cas de violence ne vont pas être dépistés. Et ce n'est pas pour dire que telle profession est moins bonne qu'une autre, c'est... Bien, déjà, on pourrait dire qu'elles sont toutes bonnes, alors laissons la victime choisir, l'autonomie, ou on pourrait dire : Bien, elles sont toutes bonnes, mais la médiation, ça ne marche pas en cas de...

Mme Zaccour (Suzanne) : …ce qui semble être un peu la prémisse déjà du projet de loi, auquel cas il faut peut-être juste aller au bout de de donner les moyens. Si on pense que la médiation n'est pas appropriée dans les cas de violence, ça ne peut pas être sur la base d'une exception de type «op-out», parce qu'on met le fardeau sur les victimes. Ça doit être sur la base de «opt in». Donc, vous recevez un pamphlet, on vous dit : C'est super, c'est génial, vous allez adorer la médiation, ça va être fini, ça ne sera pas cher. Voulez-vous vous inscrire? Et on rend ça super simple à s'inscrire, et tant mieux, tous les cas qui sont déjudiciarisés, avec le consentement des parties, d'emblée, c'est un gain. Et les tribunaux vont pouvoir se concentrer sur les cas de violence.

Une voix : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :Merci. Merci. M. le député de Saint-Henri—Sainte-Anne, 4 min 4… 7 s, s'il vous plaît.

M. Cliche-Rivard : Merci beaucoup, Me Zaccour, merci. Bien, je voudrais qu'on reste là-dessus, justement. En fait, là, vous… il y a la disposition telle quelle, puis votre mémoire est assez limpide sur les raisons pour lesquelles il faut aborder les modifications, mais on entendait quand même, puis le ministre l'a soulevé, l'autre point de vue où la médiation est effectivement sous-utilisée. Ça fait que je voudrais comme bien comprendre, puis peut-être… peut-être que la réponse n'est pas législative, là, vous aviez commencé à en parler en termes de campagne de pub et de sensibilisation. C'est quoi, la… c'est-tu celle-là ou il y a-tu d'autres options de… qui vont nous permettre d'arriver dans le bon sens, là, où finalement il va y avoir, effectivement, plus de médiation puis ça va être plus facile quand même?

Mme Zaccour (Suzanne) : …se demander : Est-ce que l'objectif devrait être plus de médiation, que les partis s'entendent? Si c'est cet objectif, effectivement, peut-être les incitatifs plutôt financiers, par exemple, c'est gratuit, vous n'allez pas avoir besoin de payer 50 000 $ de frais juridiques, pour moi, c'est un grand incitatif. Mais, quand on dit : Plus de médiation, il faut vraiment garder en tête que la grande, grande majorité des gens qui se séparent s'entendent. Ils n'ont même pas besoin d'un médiateur, d'une médiatrice. Tout est réglé, on ne les voit jamais. Et, en fait, vous n'écrivez pas le droit pour ces personnes-là, parce que ces gens s'entendent. Donc, les gens qui se rendent aux tribunaux, c'est difficile à quantifier parce que la violence est toujours sous dénoncée, mais c'est probablement une majorité de cas de violence. Donc, si on me dit : Dans la majorité des cas qui vont devant les tribunaux, la médiation n'est pas choisie, ça me… ça ne me choque pas parce que ces cas-là, ce sont les cas de violence qui vont cogner à la porte des tribunaux, qui disent : S'il vous plait, on a besoin d'aide, on n'est plus ensemble, on n'est plus une unité familiale parce qu'on ne s'entend plus, on a besoin d'aide pour trancher. Alors, voilà, je pense… je pense que c'est… il faut questionner cette prémisse de base, mais, si c'est vraiment l'objectif… quelque chose qui coûte 50 000 $ que quelque chose d'autre, on n'a vraiment pas besoin de plus ici, on a besoin de me forcer légalement avec une obligation légale, avec un risque de punition, pour prendre une approche qui me sauverait 50 000 $. Je dois peut-être avoir une très, très, très bonne raison de ne pas vouloir le faire, sinon pourquoi je n'accepterais pas.

M. Cliche-Rivard : Je voudrais quand même vous poser la question sur le moyen qui est identifié, là, le projet de loi parle de faire une déclaration en alléguant le motif. Est-ce que vous avez évalué ça comme étant contraignant? Comment vous le voyez dans, disons, l'éventail des possibilités? Puis, s'il y en aurait une autre, moins contraignante, que vous auriez à proposer, le cas échéant.

Mme Zaccour (Suzanne) : Bien,c'est sûr qu'on peut imaginer pire à un procès pour déterminer si effectivement il y a eu violence. Donc, je comprends que l'objectif, c'est de rendre ça simple et pas compliqué, mais s'il suffit… tu sais, c'est une chose… de deux choses, là, soit c'est compliqué, il faut vraiment vérifier qu'il y a de la violence, et auquel cas, c'est une grosse charge sur les victimes de violence, soit c'est juste de cocher et puis on ne leur manque pas grand-chose. Dans ce cas-là, dites-leur de cocher : Je ne veux pas faire de la médiation, entre parenthèses, pour des raisons qui m'appartiennent et que je ne veux pas nécessairement… je ne suis pas prête à ce moment-ci à coucher sur papier.

Donc, je ne pense pas que c'est onéreux, mais c'est risqué. Bien, évidemment, il y a le risque de devoir payer les frais juridiques et compensations. La première chose que tous les hommes violents vont faire, c'est de… c'est de le demander, donc je pense que c'est risqué. Et, même si ce n'est pas onéreux, toute approche au droit qui présume par défaut vous n'êtes pas victime de violence… et, si vous êtes victime de violence, dites-le-nous, vous allez attraper 10 % des victimes de violence… si vous disiez : Voilà des règles par défaut qui marchent pour les victimes de violence… là, si vous ne dites rien, vous allez être en sécurité. Si vous voulez vous… faire de la médiation, sortez… sortez de ce train qui s'en va au tribunal. C'est là que c'est beaucoup plus sécuritaire. Parce que, même si vous mettez le maximum de ressources, la meilleure… le meilleur ordre professionnel, c'est juste c'est une des premières découvertes dans les recherches sur les violences faites aux femmes, elles ne sont pas toujours dénoncées, peu importe le fardeau. Donc, il faut que les règles par défaut soient sécuritaires.

M. Cliche-Rivard : Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. Alors, Me Zaccour, merci beaucoup d'avoir été avec nous. C'est très, très, très apprécié. Sur ce, je suspends les travaux de la commission quelques instants. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 14 h 48)

(Reprise à 14 h 51)

Le Président (M. Bachand) :À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir d'accueillir Me Valérie Costanzo, professeure au département de sciences juridiques de l'Université du Québec à Montréal. Merci beaucoup d'être avec nous aujourd'hui, c'est très apprécié. Vous connaissez les règles, 10 minutes de présentation, après ça, on a un échange avec les membres de la commission. Alors, maître, la parole est à vous.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Je vous remercie. Alors, merci de l'invitation. Merci pour la possibilité de cette prise de parole que je vais espérer pertinente.

Alors, évidemment, je vais commencer par saluer le courage que ça prend de proposer un projet pour la création d'un tribunal unifié la famille au sein de la Cour du Québec. Ceci étant dit, dans la forme actuelle du projet de loi n° 91, j'ai plusieurs réserves sur la manière qu'on propose le tribunal unifié de la famille. Et donc, dans sa formule actuelle, en ce qui me concerne, on ne parle pas tout à fait d'un tribunal, il n'est pas unifié et c'est seulement certaines familles. Ceci étant dit, tenant pour acquis que les travaux vont se poursuivre, mon intervention va également viser à soumettre des améliorations, des recommandations, réfléchir à qu'est-ce qu'on pourrait faire avec ce qui est proposé pour ce projet de loi n° 91.

Donc, vous avez reçu tardivement, j'en conviens, et je m'en excuse, le mémoire que j'ai rédigé. Je vais donc m'y référer au fur et à mesure de cette présentation, puis on pourra revenir plus dans les détails, là, sur certains éléments. Ça fait plus de 40 ans qu'on parle de cette création d'un tribunal unifié de la famille, alors je vais également tirer des leçons du passé sur qu'est-ce qui a été fait, qu'est-ce qui fonctionne.

Au Québec, vous l'aurez compris, parce qu'on est là aujourd'hui, que ça n'a pas fonctionné. Il y a des échecs successifs qui se sont enchaînés relativement à la création d'un TUF au Québec. Ce qu'on peut retirer, par contre, des études qui ont été faites dans d'autres provinces canadiennes où est-ce qu'il y a des tribunaux unifiés de la famille qui ont été créés, c'est qu'il y a trois composantes fondamentales qu'on s'attend. La première, c'est cette unification des tribunaux. Est-ce qu'on simplifie...

Mme Costanzo (Valérie P.) : ...au sens que les structures judiciaires deviennent moindres. On regroupe des choses, on fusionne des choses, ça, c'est la première chose, et c'est ce dont on parle le plus souvent quand on parle des enjeux et des obstacles constitutionnels, premier élément. Deuxième élément, on ne pense pas juste aux structures, on pense également aux services puis on pense aux personnes qui travaillent dans ces structures, à commencer par des juges qui seraient spécialisés.

Le droit familial, et je l'entends au sens large, le droit familial, ce n'est pas seulement les matières en termes de mariage, séparation, divorce, garde d'enfants, j'inclus aussi et d'autres études incluent aussi la question de la protection de la jeunesse, la question des enjeux criminels lorsqu'il s'agit de membres d'une même famille, dont violence familiale, conjugale, sexuelle, quand ça concerne justement les membres de même famille. Donc, les juges spécialisés, qu'ils puissent avoir une formation particulière par l'expérience, à titre d'avocat, avocate, notaire, par exemple, ou par des formations qu'ils recevraient une fois que ces juges sont nommés pour être prêts à en traiter. Dans la forme actuelle, on parle de prendre des juges de la chambre de la jeunesse, prendre des juges de la chambre civile, leur proposer de traiter de matières familiales, ce n'est pas ce qu'on appelle des juges spécialisés, c'est un problème. C'est d'ailleurs un problème qui est soulevé également à la Cour supérieure depuis bon nombre d'années, cet enjeu de manque de formation auprès de la magistrature. Deuxième élément.

Troisième élément maintenant, c'est l'offre de gamme de services pour les familles. Et là on parle de deux types de services, pour les familles directement, accompagnement psychosocial, médiation, bon, il y a une formule d'accueil, information, orientation. Également les services administratifs, c'est-à-dire là on l'a vu, vous le savez déjà, il y a des enjeux administratifs, de quelle chambre, de quelle cour, se communiquent comment, surtout quand il y a un dédoublement de procédure. Donc, des services administratifs qui sont attendus, il y en a pour faciliter tout ça, donc, pour accompagner les familles, mais également pour simplifier la tâche du personnel de ces cours relativement à ces mêmes familles. C'est de manière réunie dans les études sur d'autres tribunaux unifiés de la famille qui ont été effectuées. C'est quand on réunit ces trois formes-là qu'on considère que ça fonctionne bien.

En l'occurrence, ici, on ne trouve pas de ces trois composantes essentielles. La première, sur le plan de l'attribution à une seule juridiction, je vous réfère à la page 6 du mémoire que j'ai rédigé, ici, ne fusionne pas aucune chambre, on en ajoute une, donc, on fragmente davantage les structures qui existent. On ajoute quelque chose à la Cour du Québec, alors qu'il y avait quatre chambres qui s'en occupaient déjà, là on en crée une cinquième. C'est aussi pour cette raison-là que je considère que ce n'est pas un tribunal, on crée une chambre au sein de la Cour du Québec. En 1988, quand on a créé la Cour du Québec, on a fusionné certaines structures qui existaient déjà. Le Tribunal de la jeunesse avait été intégré à la Cour du Québec. Et puisque les mots ont un sens, le tribunal de la jeunesse est devenu la chambre de la jeunesse. C'est aussi pour cette raison que je propose que, si on poursuit avec ce projet de loi, qu'on réfère plutôt à une chambre des familles, donc, ce serait une chambre, au sein de la Cour du Québec, des familles, pour un concept plutôt inclusif, du type de familles qui peuvent s'y retrouver, que ce soit des familles nucléaires, séparées, recomposées, peu importe le type de filiation. Donc là, on morcelle davantage.

Si on regarde ensuite sur le plan des services, mais on ne parle pas de juge spécialisé pour le moment, c'est donc un élément manquant dans le projet de loi actuel. Puis, en termes de services qui existent déjà, il y a un manque de coordination, il y a un manque de communication entre les différents services. Je vous en nomme quelques-uns des services actuels qui fonctionnent en vase clos :  les différents programmes de médiation, il y en a déjà plusieurs; des programmes qui visent les hauts conflits de séparation, à la Cour supérieure, il y en a un, à la Cour du Québec; des programmes Groupe Confidences, c'est pour les enfants dont les parents sont en médiation; les programmes de coparentalité, services d'aide à l'homologation des des ententes, ça, c'est pour la Cour supérieure; les services d'expertise de la Cour supérieure, les centres de supervision des droits d'accès. Tout ça, ça fonctionne sans beaucoup de communication. Est-ce qu'on ne pourrait pas proposer plutôt qu'il y ait des services de coordination, par exemple, des agents de liaison, des coordonnateurs judiciaires qui puissent effectivement favoriser tout ça en plus des autres services?

Ça m'amène à cet élément des services. On parle de médiation dans le projet de loi, une médiation qui serait obligatoire, puis on parle également de la séance de conciliation, une audience sommaire. Je vais joindre... ma voix, pardon, à d'autres groupes puis d'autres personnes qui sont venus témoigner devant vous déjà pour dire que la médiation obligatoire, en ce qui me concerne, ce n'est pas une bonne idée de rendre ce mécanisme obligatoire. Ça va à l'encontre du principe même fondamental aux... à la médiation. Ça se veut volontaire. Si on est pour se parler, encore faut-il qu'on veuille se parler. C'est un élément principal, à plus forte raison quand il s'agit de situations où il y a des enjeux de violence familiale, intrafamiliale, conjugale.

Ensuite, je soulève également des enjeux relativement à la séance de conciliation qui serait... 

Mme Costanzo (Valérie P.) : ...qui vit par, possiblement, la même journée une instruction. On comprend que ce serait le même juge. Sur le plan de l'éthique et la déontologie, ça soulève des interrogations. Ici, la conciliation, si on l'entend au sens d'une forme de médiation, on discute, c'est un lieu... c'est un moment confidentiel, on ne dévoile pas l'ensemble de ses cartes devant le même juge qui, l'après-midi même, si on n'a pas réussi à régler, va avoir déjà tout entendu. Ça va contre les principes de fonctionnement ici. Je pense que c'est un élément qui devrait être sur... une lumière qui devrait être sur vos radars.

Donc, ça fait un peu le topo de ce que je vous propose. À ce stade, moi, je vous dirais : Avant de créer une nouvelle structure, où est-ce qu'on aurait cinq colonnes, cinq éléments plutôt que quatre, on peut améliorer les services qui existent déjà, améliorer les structures qui existent déjà. Alors, si on pense aux familles, aux parents, aux enfants, aux victimes, aux survivantes, aujourd'hui, ne sont pas le public cible de ce tribunal unifié de la famille. Pourtant, ils ont des besoins réels urgents, je pense qu'on doit s'y attarder. Et si on veut effectivement faire un tribunal unifié de la famille, j'en suis... je suis d'accord, je l'appuie, mais encore faut-il que ce soit un vrai tribunal unifié de la famille. Je vous remercie de votre attention et prête pour vos questions.

• (15 heures) •

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, maître. M. le ministre, s'il vous plaît.

M. Jolin-Barrette : Oui. Me Costanzo, bonjour, merci de participer aux travaux de la commission, c'est grandement apprécié. Je vous dirais, d'entrée de jeu, dans votre mémoire, vous dites : Bien, écoutez, on devrait repousser, on ne devrait pas adopter le projet de loi tout de suite puis... Ça fait 50 ans qu'on en parle, il faut commencer quelque part. Puis, dans le fond, c'est la première étape du tribunal unifié, le droit de la famille. J'ai eu l'occasion de le dire. On vient attribuer le nouveau régime d'union parentale. On prend l'union civile avec la grossesse pour autrui notamment. Puis l'idée, justement, vous l'avez soulevé, là, jeunesse criminelle famille, la Cour du Québec, le plus fort volume, supposons, en matière criminelle, il est là. Le nombre de dossiers qui sont par... devant jury, ce n'est qu'une minime partie du droit criminel, donc le fort volume des dossiers sont à la Cour du Québec à ce niveau-là. Même chose pour l'union parentale. La majorité des gens désormais ont leurs enfants sans être mariés.

Alors, oui, il va y avoir une phase de transition, mais c'est vraiment le premier jalon vers un tribunal unifié qui est complet. Donc, il faut le voir en ce sens là. Mais pour moi, c'est très clair que, pour les familles du Québec, il faut aller de l'avant. Puis, bien entendu, au cours des prochaines années, ça sera bonifié, je le souhaite, mais si on n'agit pas, je crois qu'on va attendre encore pas mal longtemps. Alors...

Mme Costanzo (Valérie P.) : J'entends. Est-ce que vous me permettez de réagir?

M. Jolin-Barrette : Oui, oui, allez-y, allez-y.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Alors, tout à fait, et c'est la raison pour laquelle j'ai salué d'abord le courage politique que ça prend de faire ça, alors que ça fait entre 40, 50 ans qu'on attend. Ceci étant dit, je ne suis pas certaine que ce soit cette bonne première étape ou encore... Ici, quand on parle de... vous me dites, là, le plus grand volume, c'est à la Chambre criminelle, à la Cour du Québec, c'est tout à fait vrai, j'en suis d'accord. Là, ce que j'entends, c'est que c'est la Cour du Québec qui deviendrait le tribunal unifié de la famille. Donc, c'est sous le chapeau de la Cour du Québec qu'on aurait la Chambre criminelle, qu'on aurait la Chambre de la jeunesse, qu'on aurait, ce que moi j'appelle, la Chambre des familles, que vous appelez le Tribunal unifié de la famille et que, sous le chapeau de la Cour du Québec, on aurait une meilleure coordination de ces trois chambres. Entièrement d'accord. Ceci étant dit, et je salue le projet, que ce soit le premier jalon, si c'est l'objectif final d'avoir un tribunal unifié de la famille, il ne faudrait peut-être pas appeler, ce qu'on vient de créer, le tribunal unifié de la famille. Ça crée notamment de la confusion chez les justiciables, chez le... dans le public, de dire : Il y a un tribunal unifié de la famille, tout se passe là, alors qu'en ce moment, c'est faux. J'entends que c'est le projet, je salue le projet, j'en suis d'accord, mais cette chambre additionnelle sous le chapeau ou sous le toit de la Cour du Québec, ce n'est pas un tribunal unifié de la famille.

M. Jolin-Barrette : Bien, je suis en désaccord avec vous, parce que, dans le fond, la façon que le projet de loi est écrit, les dossiers en matière de jeunesse vont aller au Tribunal unifié de la famille, notamment avec le dossier d'union parentale. Bien entendu, il reste les dossiers en matière de mariage et de conjoints de fait qui ne sont pas assujettis à l'union parentale. Cela étant, vous dites aussi, bon, les juges ne sont pas spécialisés, tout dépendamment des cours, le profil des juges... Les juges qui sont en chambre de la jeunesse à la Cour du Québec, la majorité faisait du droit de la jeunesse et/ou du droit familial, certains faisaient du droit criminel, beaucoup d'anciens DPCP qui étaient au bureau des affaires jeunesse aussi. Alors, je suis d'accord avec vous, la formation... plus il y aura de la formation dans les différentes matières dans lesquelles on juge, le mieux, ce sera. Cela étant, c'est le Conseil de la magistrature qui est responsable de la formation. Alors, ce n'est pas...


 
 

15 h (version non révisée)

M. Jolin-Barrette : ...ce n'est pas au législateur à traiter de la nature de la formation des juges.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Si vous me permettez, M. le ministre?

M. Jolin-Barrette : Oui.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Le législateur s'est déjà quand même intéressé aussi à ces questions-là par le passé, il pourrait le refaire. Je dis ça, je ne dis rien.

M. Jolin-Barrette : Oui, je le sais. Bien, j'ai... j'ai joué dans ce film-là. Alors, moi, je suis toujours ouvert à ça. Cela étant, je pense qu'il faut donner les outils aux cours aussi pour assurer leur mission.

Écoutez, je vous remercie pour votre présence en commission parlementaire. Moi, je dois me sauver, mais par contre mes collègues vont échanger avec vous. Merci beaucoup pour votre contribution. Merci.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Ça marche. Merci. Bonne continuation.

Le Président (M. Bachand) :Merci. Donc, du côté gouvernemental, M. le député de Saint-Jean, s'il vous plaît.

M. Lemieux : Merci beaucoup, M. le Président. Me Costanzo, le ministre a commencé à discuter avec vous de la partie qui vous a refroidie par rapport au courage que vous nous accordez, mais aussi à la limite qu'on a atteinte dans ce premier jalon, mais je suis content que vous ayez eu cet échange pour ce premier jalon.

Vous savez ce que c'est un Tribunal unifié de la famille parce que c'était votre... sauf erreur, là, si mes informations sont bonnes, c'était votre mémoire de maîtrise à l'université.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Tout à fait.

M. Lemieux : Et ça s'appelait des Efforts infructueux pour établir un tribunal unifié de la famille au Québec. Donc, quand le ministre nous dit : Ça fait 50 ans qu'on essaie. Je ne sais pas si c'est 50 ou 40, là, mais ça fait une éternité que l'idée est sur la table. On en a donc besoin, on... visiblement, on le veut. Un premier jalon, c'est peut-être la théorie des petits pas, mais au moins on fait un pas.

Mme Costanzo (Valérie P.) : J'entends ce que vous dites. Moi, je me questionne sur est-ce que c'est le bon premier pas?

M. Lemieux : Ah! oui, c'est ça que vous avez dit.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Voilà. Et je... bon, je pense que vous avez compris un peu le principe derrière ça. Effectivement, ça fait plusieurs années, ça a été l'objet de mon mémoire de maîtrise, et les obstacles, ils sont présents pour des raisons constitutionnelles et politiques. C'est la raison pour laquelle il y a eu des échecs, et c'est... si j'entends et si je reprends l'intention du gouvernement, du ministre de dire que pour l'instant c'est ça, mais on va rapatrier aussi la question du mariage, du divorce, bien, là on a un axe... un obstacle majeur devant nous, qui est l'obstacle constitutionnel. Et est-ce que, bon, l'avancement pour les négociations, par exemple, une entente, elle est fondamentale? Si ça doit être à la Cour du Québec, si c'est à la Cour supérieure, ça serait une autre discussion. Mais vu que le projet, c'est d'avoir tout ça à la Cour du Québec, bien, la première étape, c'est de préparer ces ententes, ces négociations. Et le moment dans l'histoire où est-ce qu'on est passé le plus près d'atteindre le but? C'était entre 1979 et 1981, le gouvernement de René Lévesque, avec Marc-André Bédard, qui était ministre de la Justice, avec un plan tout à fait transparent. Le plan était celui sur deux temps, soit on obtient un rapatriement de la Constitution qui satisfait les demandes du Québec ou on a la souveraineté. Donc, il y avait quelque chose qui était transparent dans ce projet-là. Il y a eu une entente de principe en 1979‑1980, elle a échoué. Vous connaissez le reste de l'histoire relativement aux espoirs de souveraineté de ce gouvernement et d'autres qui lui ont succédé. Ça a été le moment le plus proche. Mais cet obstacle conditionnel, il est encore majeur si tout ceci doit se dérouler au sein de la Cour du Québec. Et je pense que ce qu'on crée, c'est un nouveau morcellement, alors qu'on n'a pas nécessairement préparé le terrain pour tout le reste.

M. Lemieux : Ce qui n'avait pas empêché, à l'époque, Marc-André Bédard, le regretté Marc-André Bédard...

Mme Costanzo (Valérie P.) : Tout à fait.

M. Lemieux : ...de déposer une... à l'époque, je ne sais pas s'ils l'ont appelée une réforme, là, mais une loi de la famille revue et corrigée, qui n'a pas empêché notre ministre de faire la réforme. On y est toujours, mais par morceaux. On est en train de combler un petit peu des vides créés par la modernité aussi. Les 45 dernières années, il nous est arrivé des choses qu'on n'avait pas vues venir ou qu'on ne savait pas qu'elles nous arriveraient.

Mme Costanzo (Valérie P.) : ...à une époque.

M. Lemieux : Oui, et il faut, il faut refaire le droit en conséquence. À chaque fois qu'on reçoit... à chaque fois qu'on touche ces projets de loi sur... des lois sur le droit, j'entends toujours des... des spécialistes, plus des professeurs que des des pratiquants, en tout cas, des spécialistes nous dire : Vous savez, c'est normal, on est toujours 10 ans en arrière parce qu'il faut laisser les choses se placer, se tasser. Dans la loi sur la famille, entre autres par rapport à la séparation, c'était vraiment évident qu'il fallait laisser les choses se calmer pour être capables de comprendre jusqu'où les Québécois voulaient aller, et nous, on a décidé de ne pas les marier de force. Ce qui fait qu'on s'est retrouvés avec un régime quand même parental qui va être inclus dans... dans ce qu'on est en train de préparer.

Donc, quand je parlais de petits pas, je me disais c'est plus qu'un petit pas finalement, ça change beaucoup de choses pour beaucoup de monde puis, sauf erreur, ça va changer de plus en plus de choses pour de plus en plus de monde. Mais je comprends votre principe de la première étape qui n'est pas à votre goût. Est-ce qu'on peut quand même parler du reste du projet de loi, nonobstant cette première étape qui n'est pas à votre goût?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Avec plaisir.

M. Lemieux : Parce que dans... dans le...

M. Lemieux : ...la discussion qu'on a eue avant vous, et je vous ai vue, vous étiez dans le coin, donc vous l'avez entendu vous aussi. On a passé beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps dans la... en fait, on a parlé que de la médiation obligatoire. Vous en pensez quoi, vous?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Alors, comme je l'ai annoncé dans la présentation, je ne pense pas que la médiation obligatoire, ce soit la bonne solution. J'entends le succès qu'on attribue à la médiation obligatoire à la Chambre des petites créances. On ne peut pas faire un parallèle, ce n'est pas comparable de le traiter en droit familial, par ailleurs, où est-ce qu'il y a des familles qui ont accès déjà accès à certains services.

Quand on regarde ce qu'il se déroule à la Cour supérieure, et on peut se questionner, le gouvernement provincial à compétence sur l'administration des tribunaux, incluant à la Cour supérieure. Pourquoi modifier les choses à la Cour du Québec et non pas la Cour supérieure? Ça soulève quand même certaines questions. Qu'est-ce qu'on voit à la Cour supérieure? Une séance obligatoire de coparentalité. Puis, à ce moment-là, les parents qui se séparent vont avoir toutes les informations nécessaires, incluant sur la médiation, puis on va leur parler également des heures gratuites de médiation. Il y a plusieurs parents qui vont accepter cette offre-là, qui vont refaire les séances de médiation, donc les cinq heures qui sont gratuites, qui vont être continuées par la suite, avoir une entente ou pas et poursuivre leur chemin. Et il y a des familles pour lesquelles ce n'est pas approprié. Et de créer un régime, je vais reprendre les termes de Me Zaccour, de créer un régime de «opt-out», particulièrement dans un contexte de violence familiale, ce sont des obstacles additionnels où est-ce qu'on amplifie le parcours d'une combattante dans les structures judiciaires existantes. La médiation fonctionne bien, elle ne fonctionne pas toujours. Tant mieux pour les personnes pour qui ça correspond à leurs besoins, mais si ça ne correspond pas à leurs besoins, n'en faisons pas quelque chose d'obligatoire.

• (15 h 10) •

M. Lemieux : Deux questions pour vous, M. le Président. Sauf erreur, il reste six minutes ou à peu près.

Le Président (M. Bachand) :Ah! je pensais que vous me demandiez si j'allais bien. Ça va très bien. Il reste 6 min 25 s.

M. Lemieux : Merci beaucoup. Et je vais... ce n'est pas une question, mais une remarque. J'ai une collègue qui va vouloir enchaîner, mais je n'ai pas eu le temps de poser ma question à Me Zaccour. Mais quand je disais tout à l'heure que les choses évoluent, la coercition est devenue un fléau innommable et la majorité de la conversation avec Me Zaccour, c'était autour de ça. Des fois, elle nommait, des fois elle ne nommait pas. C'est une nouvelle obsession qu'on a d'essayer de voir comment on est capable de travailler. Le mot le dit, la coercition, ce n'est pas évident à prendre à bras le corps. À chaque fois qu'on fait un projet de loi et que ça nous est évoqué, j'essaie toujours de prendre la température des personnes qui viennent nous voir pour voir s'ils ont des suggestions. Et dans ce cas-ci, il me semble que ce serait on ne peut plus pertinent considérant ce qu'on vient d'entendre de Me Zaccour. Alors, pouvez-vous nous aider à voir comment on peut...

Mme Costanzo (Valérie P.) : Sur la question du contrôle coercitif?

M. Lemieux : Oui.

Mme Costanzo (Valérie P.) : O.K. Bon, d'emblée, je vais juste faire la précision que le contrôle coercitif a toujours existé, c'est juste qu'il est sur notre radar depuis quelques années, qu'on a des mots pour nommer des réalités qui sont lointaines. Si je réfère encore tout à fait populaire dans l'histoire du Québec, Chantale Daigle, en 1989, quand elle demandait le droit de se faire avorter puis que son ex voulait l'en empêcher, c'était du contrôle coercitif. C'était une manière de maintenir un contrôle sur elle, un contrôle sur ses choix par le biais encore plus du droit et des tribunaux. À l'époque, personne n'a parlé de contrôle coercitif, on n'avait pas ce mot-là. On a le mot aujourd'hui et on se rend compte que les institutions qui existent n'en ont pas historiquement pris compte et, à ce jour, peinent à s'en saisir et à créer des processus qui vont pouvoir être effectivement aidants et faciliter, je vais dire, une sortie, une désemprise des personnes survivantes dans ces contextes-là.

M. Lemieux : Merci beaucoup, maître. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) :Merci. Mme la députée de Vimont, s'il vous plaît.

Mme Schmaltz : Merci, M. le Président. Bonjour, Me Costanzo. Ça fait deux fois que j'entends parler des TUF — oui, des TUF, je ne vais pas dire TAF, là, mais j'essaie de ne pas faire d'erreur — à la grandeur du Canada. C'est sûr que quand on est arrivé avec notre projet de loi, bon, je me disais : Wow, on sort du lot, mais force est de constater, non, parce que ça existe déjà ailleurs dans le reste du Canada. Sachant que... Tantôt, vous avez mentionné que ça prend des... trois composantes, bref, ça prend quand même des composantes pour donner finalement le vocable de TUF, là. Vous l'avez dit d'ailleurs, ce n'est pas vraiment un tribunal, ce n'est pas vraiment unifié, ce n'est pas vraiment pour toutes les familles. Là, j'ai dit : Oups, là, ça commence, mais c'est correct aussi. En fait, ma question est la suivante : Comment ça se passe dans le reste du Canada? Est-ce que tout le monde marche sur la même... sur le même modèle, je ne sais pas comment l'appeler, où chacun a une particularité qui... avec sa province, finalement? Comment on peut finalement dire que lui, c'en est un vrai, lui, un petit peu moins, lui, oui, lui, non? J'essaie juste de voir le vocable.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Oui. C'est une excellente question...

Mme Costanzo (Valérie P.) : ...je pense que ça mérite qu'on s'y attarde. Je ne pourrais pas vous faire le topo entier de ce que toutes les provinces canadiennes ont pu faire, mais il y a un modèle majoritaire dominant qui est celui d'intégrer au sein de la Cour supérieure l'ensemble des matières. Ça respecte la Constitution. C'est de l'administration à la justice qui est provinciale. On respecte la nomination des juges fédérales et puis on peut avoir, ensuite de ça, bien, des ententes administratives. Est-ce qu'on fait des collaborations ou est-ce qu'il y a des cours nominations, par exemple? Est-ce qu'on favorise certaines choses? En Ontario, pour prendre une province à laquelle on se compare souvent, en Ontario, on a commencé à créer des tribunaux unifiés de la famille en 77 avec quatre projets pilotes qui, à travers le temps, se sont développés à la Cour supérieure. Et on parle de TUF, on parle d'un tribunal unifié de la famille parce qu'ils ont les trois composantes, parce que c'est sous une même juridiction, parce qu'il y a des juges spécialisés et parce qu'il y a des services... une gamme de services accessibles aux familles et, disons, une meilleure... un meilleur suivi administratif, au besoin. Après l'évaluation qu'a fait le ministère de la Justice du Canada en 2009, que j'ai partagée également dans mon mémoire, bien, on identifie finalement qu'il y a des quasi-TUF. Donc, on est venu un peu créer une typologie. Il y a effectivement des TUF, il y a des quasi-TUF, c'est-à-dire on voit certaines caractéristiques, mais pas toutes, puis il y a des... il y a des créations qui ne se sont tout simplement pas qualifiées, qu'on a retirées. Mais je vous dirais que le modèle principal dans les autres provinces canadiennes, ça a été lui, ça a été de le faire à la Cour supérieure. Oui, ça implique une certaine perte sur le plan provincial, mais ça s'est fait dans un esprit d'accès à la justice, en se disant que ça allait favoriser les recours pour les familles, les parents, les enfants aux tribunaux.

Mme Schmaltz : Donc, si je comprends, il y a des provinces qui ont été disqualifiées?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Pour l'évaluation, quand on a fait le ministère de la Justice, oui. Après, est-ce que... est-ce qu'il y a des provinces qui appellent quand même ça un tribunal unifié de la famille? Oui. Est-ce que c'en est vraiment un? Non. Voyez-vous? O.K..

Mme Schmaltz : O.K. Oui. Non, je vois, mais je vois selon ma perception aussi, là, je n'ai pas non plus les compétences que vous avez. Donc, à vos yeux, au Québec, on doit véritablement remplir les cases que vous avez mentionnées au début pour vraiment se définir comme un TUF, finalement.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Oui.

Mme Schmaltz : À vos yeux, on est quoi maintenant? On ressemble...

Le Président (M. Bachand) :...quelques secondes.

Mme Costanzo (Valérie P.) : À mes yeux, c'est une chambre des familles. C'est un peu ça que je disais.

Mme Schmaltz : O.K. D'accord. C'est ça, vous l'avez mentionné.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Exactement, voilà.

Mme Schmaltz : O.K. Merci, merci.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup. M. le député de l'Acadie, pour 12 min 45 s, s'il vous plaît.

M. Morin : Oui. Merci, M. le Président. Pre Costanzo, bonjour, Très heureux de vous rencontrer. On a eu le privilège, M. Bourret et moi, d'aller retracer votre mémoire de maîtrise, qui d'ailleurs est excellent. Alors, je vous en félicite, vous avez développé une expertise dans ce domaine-là, et c'est très, très bien. Je veux vous remercier également pour le mémoire que vous avez produit et pour le tableau, au fond, que l'on retrouve à la page six de votre mémoire. C'est excessivement concis, ça explique très bien ce que c'est puis, au fond, ça démontre la multiplication possible des recours plutôt qu'une unification des recours. Je pense que votre... la façon dont vous le décrivez, c'est très bien fait. Moi j'ai une question pour vous. Parce que ce que je comprends de ce que le gouvernement veut faire... bon, Tribunal de la famille, on pourra parler du titre, mais ça va viser l'union civile, l'union parentale, la filiation relative à la grossesse pour autrui, clairement de la compétence de la Cour du Québec, on ne parle pas de mariage, on ne parle pas de divorce. Mais ça n'inclut pas l'union de fait, et j'essayais de comprendre pourquoi parce qu'il y a quand même plein de gens qui vivent en union de fait au Québec. Ils vont... Donc, s'il y a des séparations, ils vont continuer à se ramasser devant la Cour supérieure. Est-ce que j'ai raison ou?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Je vais faire des précisions.

M. Morin : Oui, oui, allez-y, donc.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Donc, effectivement, l'an dernier, le législateur a adopté le régime d'union parentale qui va s'appliquer pour les couples en union de fait qui ont des enfants à partir du 30 juin 2025. En date des présentes, il y a des couples qui sont en union de fait, qui ont des enfants, qui ne seront pas inclus dans les unions parentales à moins d'avoir d'autres enfants.

M. Morin : ...on s'entend.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Parfait. Ces familles-là, ces couples avec des enfants en union de fait aujourd'hui, s'il n'y a pas d'autre enfant, vont continuer d'aller à la Cour supérieure.

M. Morin : xact. C'est ce que je comprends.

Mme Costanzo (Valérie P.) :  Et là, quand on parle strictement d'union de fait au sens où ce sont des personnes qui sont un couple et qui cohabitent, elles ne sont pas protégées par le droit provincial, donc elles vont se rendre à la Cour du Québec, chambre civile, si elles ont des enjeux patrimoniaux entre elles, mais elles ne sont pas incluses dans ce que le droit québécois considérait être une famille.

M. Morin : Et, si on a une famille qui vit en union de fait avec des enfants maintenant, il y en a plusieurs, et qui se séparent, c'est malheureux, mais ça arrive, et que... bien, en fait, les parents, c'est des parents...

M. Morin : ...ils ne vont pas par leur autorité parentale. Mais qu'en août 2025 ils se forment un couple, et ils ont des enfants, et que là, malheureusement, ils se séparent aussi. Ça aussi, ça arrive. Puis ils ont des problèmes aussi avec tout ce qui touche la gestion de leurs enfants de la première union. Donc, je comprends que ces parents-là vont se ramasser en partie devant la Cour supérieure pour la première union avec des enfants, mais là, avec le projet de loi, ils se ramasseraient devant la Cour du Québec pour des enjeux avec les enfants nés de la deuxième union.

Une voix : ...

M. Morin : C'est ça. Donc là, en fait, on est en train... on multiplie partout les recours devant les tribunaux, et c'est ce que le projet de loi va faire.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Oui. Puis c'est un cas de figure auquel je n'avais pas pensé, mais qui le démontre aussi, à moins de prévoir un recours où est ce qu'on pourrait unifier d'une part ou d'autre, mais autrement, dans l'état actuel, s'il y a un couple qui a des enfants maintenant, qui se sépare, ça se passe à la Cour supérieure. Si les membres forment une nouvelle union avec d'autres personnes, ont de nouveaux enfants, ce serait à la Chambre des familles ou, en tout cas, à la Cour du Québec, Tribunal unifié de la famille.

M. Morin : Exact. Donc, ça ne va pas être plus simple pour les enfants puis ni les citoyens ni les justiciables. C'est clair. Maintenant, c'est sûr que dans les autres provinces, puis vous avez parlé de l'Ontario tout à l'heure, ils ont un tribunal unifié, puis effectivement ils ont... en fait, la pierre angulaire de leur projet, c'était la Cour supérieure. Ce n'est pas ce qu'a retenu le gouvernement. On pourra voir si c'est vraiment le modèle le plus efficace, mais, au moins, là, il y a une unité, ce qu'on n'aura pas avec le projet de loi.

• (15 h 20) •

Maintenant, moi, j'ai une question pour vous, parce qu'on essaye aussi de... Tu sais, moi, je pense beaucoup aux enfants. Mme Laurent était là ce matin avec nous. C'est aussi une grande préoccupation. Puis c'est une grande préoccupation pour moi. L'administration de la justice, ça, c'est de la responsabilité du gouvernement du Québec. Et la Cour supérieure, c'est la Cour supérieure du Québec, c'est ce que je disais ce matin quand j'ai fait mes... fait tout mon laïus introductif. Ce n'est pas une cour fédérale, là. Le gouvernement du Québec a une compétence. Qu'est ce qui arriverait si le gouvernement du Québec créait un greffe unifié, Cour supérieure, Cour du Québec pour gérer tous ces dossiers-là? C'est sûr que ça ne va pas nécessairement régler l'éclatement qu'on décrivait tout à l'heure, mais j'aimerais vous entendre là dessus, puisque vous êtes une experte, ça pourrait offrir une foule de services qui pourraient guider les gens. Puis là, au moins, ce serait comme consolidé. Est-ce que c'est quelque chose qui pourrait être fait puis est-ce que ça pourrait aider les familles et des enfants d'après vous?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Merci pour votre question. Oui, absolument, donc ça fait partie des recommandations qui s'inscrivent avec améliorer les services administratifs, c'est-à-dire, bon, tout ceci est de... l'administration de la justice est de compétence provinciale. Ce serait possible d'envisager la création d'un greffe unifié. Donc, le greffe pourrait être unifié, ou, en tout cas, on pourrait favoriser des manières de créer une coordination et une communication bien meilleures au sein des greffes. Ça fait partie des recommandations qui existent depuis plusieurs années déjà. Oui.

M. Morin : Et ça, le ministre pourrait le faire, pourrait l'inclure dans son projet de loi?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Tout à fait.

M. Morin : Il n'y aurait aucun problème.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Non.

M. Morin : En tout cas, ce serait...

Mme Costanzo (Valérie P.) : Il y aurait une question de ressources, inévitablement, et ça, c'est quelque chose qui revient, mais c'est quelque chose qui est en son pouvoir, que de créer un greffe unifié.

M. Morin : Exact. Puis question de ressources, bien évidemment, on en a parlé un peu plus tôt aujourd'hui, mais là on parle beaucoup de médiation, de conciliation. D'ailleurs, j'ai siégé dans la plupart des projets de loi pour ma formation politique, l'opposition officielle, le Parti libéral du Québec. Dans les autres projets de loi qui touchent le droit de la famille, on ajoute, on ajoute, on ajoute tout le temps, là, sauf que, sur le terrain, malheureusement, des fois ça ne suffit pas, hein? Alors, ça, c'est un enjeu de taille. On va vivre le même enjeu avec le projet de loi. S'il n'y en a pas assez de conciliateurs, de médiateurs, d'accompagnement, ça ne va pas mieux fonctionner, là.

Mme Costanzo (Valérie P.) : C'est une préoccupation que je partage aussi. C'est quelque chose qui a été documenté. Par exemple, je reviens à des évaluations qu'ils ont faites dans d'autres tribunaux unifiés de la famille au Canada, quand les ressources ne suivent pas, ça ne marche pas non plus. Donc, ça fait partie des enjeux. Et si on regarde qu'est-ce qui se passe maintenant, actuellement, en Cour supérieure, cette fois-ci, à la Chambre de la famille, il y a la possibilité d'aller vers des médiateurs, il y a... on en a parlé, là, il y a un service, donc 5 heures ou 6 heures gratuites. Les familles qui cherchent, des parents qui cherchent des médiateurs, il n'y a pas énormément de médiateurs qui acceptent d'être rémunérés seulement avec les honoraires prévus par le gouvernement. Donc, il y a même des enjeux de trouver des médiateurs pour s'entendre, pour avoir ces séances gratuites. Ça fait que si on ne prévoit pas des... des mesures additionnelles, c'est sûr qu'on ne règle pas de problème. Et là, en plus, le problème...

Mme Costanzo (Valérie P.) : ...ajoute, c'est celui d'une médiation obligatoire, au sens où il faudrait absolument aller en médiation avant de poursuivre, puis, si on a de la misère à trouver un ou une médiatrice, bien, on tourne en rond.

M. Morin : D'ailleurs, c'est... c'est aussi ma compréhension que, présentement, l'État offre des services de médiation payés, mais pour une période de cinq heures, vous y avez fait référence. Avec le projet de loi, on va obliger la médiation dans des situations juridiques de différends entre conjoints relativement à la garde d'un enfant, l'exercice de l'autorité parentale, les aliments dus à l'enfant, le partage du patrimoine familial. En cinq heures, on va tout régler ça?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Oh! c'est... c'est une grande question. Je ne peux pas vous dire. C'est-à-dire, il y a des... il y a des familles, il y a... il y a des coparents pour qui ça va fonctionner, puis il y en a beaucoup pour qui ça ne va pas fonctionner.

M. Morin : C'est sûr. Voilà.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Plus on a de choses, plus ça va être long. Plus il y a des enjeux qu'on traîne depuis un moment plus ça va être long. Cinq heures, c'est relativement peu, effectivement.

M. Morin : Effectivement. Puis, après, bien, il faut que les conjoints paient.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Mais si on passe outre les cinq heures, effectivement. Donc...

M. Morin : On n'a pas fini, on n'a pas fini. Donc là, évidemment, le projet de loi ne dit pas : Vous n'avez pas fini après cinq heures, vous allez devant le juge. C'est... là, ils paient. Puis s'ils n'ont pas d'argent, ils font quoi?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Bien, on pourrait comprendre quand même de l'interprétation, que, si les personnes sont allées en médiation, ont atteint les cinq heures, et qu'elles ne veulent pas payer davantage, ce serait un échec de la médiation, là on pourrait interpréter qu'effectivement là, ce sera possible d'aller devant les tribunaux.

M. Morin : Sauf que c'est quand même un peu dommage.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Oui.

M. Morin : Parce qu'au fond, le principe du projet de loi, c'est de dire : Allons en médiation, travaillons. Puis là, bien, on est obligés de constater un échec parce qu'il n'y a pas assez de ressources ou il n'y a pas assez d'argent du gouvernement pour mettre en place une politique que le gouvernement veut mettre en place. Tu sais, c'est comme, hou! spécial, mettons, comme système, on s'entend... on s'entend là-dessus. O.K. Puis, effectivement, moi, j'ai le... j'ai les mêmes... j'ai les mêmes échos que vous à propos de la médiation, c'est que les médiateurs ne sont pas assez payés. Donc, ça ne... bien, il faut qu'ils vivent comme tout le monde, je comprends ça, là, puis ils ne peuvent pas. Alors, ça, c'est un enjeu... c'est un enjeu de taille de faire, finalement, reposer un projet de loi sur ce volet-là alors que, déjà, on éprouve des difficultés.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Il y a deux choses que j'ai envie de dire en réaction à vos propos, Me Morin. C'est, d'une part, si la médiation, c'est quelque chose qu'on valorise encore faut-il qu'on offre les ressources pour la valoriser. Puis, d'un autre côté, on pourrait aussi voir, hein, ce... cette référence, cette tendance à tourner vers la médiation comme une forme de désaveu du système de justice, en disant : Bien, le système de justice, de toute façon, il ne fonctionne pas, ça fait qu'on... ou il ne fonctionne pas bien, ou il y a... il est engorgé, il y a trop de choses, donc on va y aller vers la justice privée.

M. Morin : Exact. Tout à fait, on s'entend... on s'entend là-dessus. Évidemment, il n'y a rien qui empêcherait non plus le ministre de commencer à négocier avec la Cour supérieure et le gouvernement fédéral pour voir s'il n'y aurait pas moyen d'élaborer certains paramètres qui nous amèneraient vers un véritable tribunal de la famille.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Absolument. Puis là, bon, moi, j'ai dit : Si c'est ceci, le premier jalon, ce n'est peut-être pas la bonne. Puis là j'ai sous-entendu qu'il faudrait peut-être négocier. Là, moi, je ne suis pas dans les coulisses. Peut-être que c'est déjà commencé, je l'ignore. Mais, effectivement, ces questions, ces dialogues, ces négociations, elles se font sur un temps qui est long, et qu'il est possible de faire, bon, à tout moment avec la volonté politique.

M. Morin : Et il y a des provinces qui ont réussi.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Il y a des provinces qui ont réussi. Après, on va le souligner quand même, le Québec a une histoire... a eu une histoire, un historique qui est différent. Puis, après l'échec des années 80, ça a été une constante, à travers les gouvernements, de vouloir ce rapatriement des compétences, de refuser que ce soit à la Cour supérieure. Donc, ce n'est pas juste le gouvernement actuel. Ça, c'est quelque chose qui a été constant à travers les 45 dernières années.

M. Morin : Mais je comprends qu'on pourrait quand même travailler sur un greffe unifié...

Mme Costanzo (Valérie P.) : Absolument.

M. Morin : ...qui pourrait... qui pourrait, au moins, faire en sorte que, quand quelqu'un arrive au palais de justice... parce que c'est quand même assez déroutant, que ce n'est pas l'endroit où les gens vont tous les jours, puis on ne souhaite pas qu'ils aillent là tous les jours non plus.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Ils n'ont pas envie d'être là non plus. Voilà.

M. Morin : Non, c'est clair. Mais, au moins, ils pourraient avoir, avec un guichet unique, un ensemble de services, puis, après ça, bien, tout dépendant de la situation, la Cour supérieure gardera sa compétence, la Cour du Québec pourra, effectivement, avoir une compétence puis faire en sorte que des dossiers vont cheminer au bon endroit.

Mme Costanzo (Valérie P.) : Voilà. Puis ça fait écho à la lettre ouverte qui a été publiée par le juge à la retraite de la Cour d'appel, Jacques Chamberland, qui est parue dans La Presse dernièrement, je pense que c'était hier, puis, effectivement, qui réfère à ça. Tout à fait.

M. Morin : Parfait. Merci, merci beaucoup, Pre Costanzo.

Le Président (M. Bachand) :Merci beaucoup, M. le député d'Acadie. M. le député de Saint-Henri—Sainte-Anne, pour 4 min 15 s, s'il vous plaît.

M. Cliche-Rivard : Merci beaucoup. Merci pour votre excellente présentation. Page 11, vous dites... et c'est un point qui me semble intéressant, puis peut-être, probablement, la lacune de ce qui est proposé, une des lacunes... vous dites...

M. Cliche-Rivard : ...aux victimes de violence conjugale, familiale et sexuelle est une priorité, pourquoi couper dans les services de représentation?» Vous en parlez dans votre mémoire. «Par ailleurs, aucun service de soutien aux victimes de violence conjugale n'a été annoncé.» Quelle recommandation vous faites donc, là, spécifiquement là-dessus?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Bien, ça vient avec deux choses. Ça vient d'abord en disant : S'il n'y a pas de services additionnels et, même, si on coupe dans les services qui existent pour les personnes victimes survivantes, n'allons pas en plus leur ajouter une médiation obligatoire de laquelle il faudrait se déprendre. Donc, évidemment, moi... dans un monde idéal, il y aurait des services, il y aurait des ressources, il y aurait de l'accompagnement. Mais, vu qu'on n'est pas dans un monde idéal, bien, dans le contexte du projet de loi n° 91... surtout pas obliger une médiation dans les contextes, on entend, là... Puis là, il y a la question de la déclaration. Elle pourrait faire une déclaration qui est déposée au greffe pour dire qu'il y a un motif sérieux, la violence familiale, conjugale, sexuelle est un motif sérieux, mais ça soulève quand même quelques questions. Si on compare à ce qui se fait à la Cour supérieure, c'est possible de faire ça. Mais ça prend une attestation que la personne, elle s'est présentée dans un service d'aide aux personnes victimes reconnu par le ministère de la Justice en invoquant être victime de violence conjugale, et cette attestation, elle est confidentielle. La déclaration, ici dans le projet de loi n° 91, on n'indique nulle part qu'elle est confidentielle. On comprend donc que la partie adverse serait informée qu'il y a eu ce dépôt. S'il y a effectivement des enjeux de violence conjugale, incluant le contrôle coercitif, bien, ce sera un levier additionnel pour demander une contestation, s'y opposer. Bref, ça soulève beaucoup de questions.

• (15 h 30) •

M. Cliche-Rivard : Ça fait que la mécanique qui est prévue en Cour supérieure, puis c'est ce que vous relevez à l'article 7, alinéa quatre du CPC, semblerait une voie de passage possible, si je vous comprends bien?

Mme Costanzo (Valérie P.) : C'est une voie de passage qui est possible. Les personnes peuvent se présenter dans un service d'aide, peuvent obtenir une attestation, c'est déposé au greffe de manière confidentielle. Au moins avoir des processus qui sont comparables! Et pour l'instant, c'est ce qui fonctionne à la Cour supérieure.

M. Cliche-Rivard : Plutôt que... Puis là vous faites toute la démonstration du caractère «adversarial»,  vous faites la démonstration de l'allégation qui va pouvoir être contestée, comment... Je veux dire, là, tout ça, on pourrait éviter ça par une procédure analogue qui existe déjà?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Tout à fait.

M. Cliche-Rivard : Excellent. Vous parlez aussi — puis je pense qu'on va être, là-dessus, sur une dernière question — des enjeux déontologiques liés avec la conciliation du matin et l'audience sommaire de l'après-midi. J'aimerais ça, vous entendre sur ce point-là.

Mme Costanzo (Valérie P.) : O.K. Donc, les juges qui acceptent de faire des conférences de règlement à l'amiable ou la conciliation, ils ont tendance à utiliser l'expression «j'enlève ma robe», «j'enlève ma toge». Donc, on n'est plus juges, on n'est plus des arbitres adjudicateurs qui prennent des décisions, on est là pour aider les gens à s'entendre. On est dans un rôle, justement, de médiateur ou de conciliateur, et, dans la médiation, c'est un processus qui est confidentiel qui fait en sorte que les juges vont avoir accès à des informations dans la négociation qu'ils n'auraient pas eues autrement, qu'ils vont entendre les propositions qui ont été formulées, qu'ils vont entendre aussi les propositions qui ont été rejetées. Bon. Si la... Si cette conciliation-là, elle ne fonctionne pas et que le même après-midi ce juge entend une instruction, une audience sommaire, il y a un enjeu sur le plan en éthique et la déontologie de la magistrature d'avoir eu accès à l'ensemble de ces informations, puis là de faire semblant de n'avoir rien entendu l'après-midi, puis de prendre une décision cette fois-ci d'adjudicature. C'est un enjeu.

M. Cliche-Rivard : Même miner le... Les gens vont savoir ça, donc ça peut miner le processus de conciliation?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Ça peut miner le processus de conciliation, puis je pense que ça peut miner la confiance en l'administration de la justice, la confiance envers les juges, qui sont supposés être impartiaux. Quand on leur dit : Vous allez faire de la conciliation, parfait, c'est un nouveau rôle, puis il y a des juges qui sont excellents dans ce rôle-là, mais c'est des choses complètement distinctes.

M. Cliche-Rivard : Donc, c'est possible, mais on doit s'assurer surtout que ce n'est pas le même juge?

Mme Costanzo (Valérie P.) : Exactement.

M. Cliche-Rivard : Du moment où ça, c'est rencontré, puis du moment où la cour l'assigne comme ça ou le traite comme ça, là, vous... on n'a plus cet enjeu-là?

Mme Costanzo (Valérie P.) : D'une part, puis ça va me permettre d'ajouter aussi : On prévoit dans la procédure de conciliation avec un juge et d'audience sommaire qu'une fois qu'on demande d'avoir ce processus-là, conciliation, audience sommaire, on ne peut pas se désister. Ça, c'est un enjeu aussi, c'est-à-dire que là, si on ne peut pas se désister... Ça se veut volontaire. Si on n'arrive pas à une entente, là, on va être entendu dans une audience sommaire. On ne précise pas ce qu'est une audience sommaire. Là, si c'est l'audience au fond, puis c'est basé seulement sur une preuve qui est écrite, on n'entend pas de témoignage, ça ressemble à ce qui se produit déjà à la Cour supérieure dans les intérimaires, qui est problématique au sens où on n'entend pas une preuve complète, puis là on prend une décision sur une preuve qui est incomplète. Si les parties ne peuvent pas se désister, c'est un peu le même principe que la médiation obligatoire, ça peut être problématique sur le règlement des différends.

Le Président (M. Bachand) :Merci. Merci beaucoup, Me Costanzo, ça a été un grand privilège de vous avoir cet après-midi.

Et, compte tenu de l'heure, la commission ajourne ses travaux au mardi 25 mars 2025. Merci beaucoup! À bientôt.

(Fin de la séance à 15 h 33)


 
 

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