L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission permanente de la justice

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission permanente de la justice

Version finale

30e législature, 4e session
(16 mars 1976 au 18 octobre 1976)

Le jeudi 12 août 1976 - Vol. 17 N° 123

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude du projet de loi no 41 — Loi modifiant la Loi de police, la Loi des commissions d'enquête et d'autres dispositions législatives


Journal des débats

 

Commission permanente de la justice

Etude du projet de loi no 41

Séance du jeudi 12 août 1976

(Dix heures treize minutes)

M. Cornellier (président de la commission permanente de la justice): A l'ordre, messieurs! La commission de la justice reprend ce matin l'étude du projet de loi no 41, Loi modifiant la Loi de police, la Loi des commissions d'enquête et d'autres dispositions législatives. Tel que mentionné à l'ajournement d'hier soir, le premier organisme à se faire entendre ce matin sera l'Association de bienfaisance et de retraite des policiers de Montréal. J'invite donc ses représentants à prendre place au centre de la table.

Association de bienfaisance et de retraite des policiers de Montréal

M. Legault (Claude): M. le Président, mon nom est Claude Legault. Je suis président de l'Association de bienfaisance et de retraite des policiers de Montréal.

Le Président (M. Cornellier): M. Legault, pourriez-vous vous déplacer d'une chaise, s'il vous plaît, afin que tous les membres de la commission puissent bien vous voir?

M. Legault: Je suis accompagné ce matin de M. Roy et de M. DeCaen, deux administrateurs de la caisse de retraite. Nous sommes principalement intéressés par l'article 60 du projet de loi no 41. La seule remarque que nous voudrions vous faire, c'est que nous nous trouvons satisfaits de la façon dont l'article est rédigé actuellement. Egalement, nous pouvons vous dire que nous avons l'autorisation du président de la Fraternité des policiers de Montréal, de la CUM, qui, lui également, se déclare satisfait de cet article.

Je voudrais, par contre, vous dire que, si jamais, au cours des débats de cette commission parlementaire, des gens désiraient y apporter quelque modification que ce soit, à ce moment-là, nous aimerions être réentendus afin de pouvoir discuter en profondeur des changements qui pourraient y être apportés. Nous voudrions également, M. le ministre, vous soumettre une demande concernant l'article 358 de la Loi de la Communauté urbaine de Montréal. Nous aimerions que le dernier paragraphe de l'article 358, se lise: L'article 358 de la Loi de la Communauté urbaine de Montréal est modifié en remplaçant le dernier paragraphe par: "Le présent article s'applique aux policiers de la communauté urbaine."

La raison de ceci est qu'à l'époque, en 1971, devant l'incertitude où se trouvaient les policiers de la communauté urbaine en matière de caisse de retraite, avait été ajouté un paragraphe pour que les policiers soient exclus des possibilités de transférabilité de caisse de retraite, c'est-à-dire d'une caisse de retraite du gouvernement du Canada, de la province de Québec ou d'autres caisses de la communauté urbaine.

Aujourd hui, quoique le règlement ne soit pas encore au point au stade où sont rendues les négociations nous pouvons dire que cet article serait seulement limitatif et enlèverait un droit aux policiers qui voudraient, pour une raison quelconque, retourner travailler à la Communauté urbaine dans un autre service que celui de la police. Donc nous vous demandons si c'était possible, lors de cette étude du projet de loi 41, de faire cette modification. Je peux vous dire que j'en ai discuté avec les intéressés, soit la Communauté urbaine de Montréal et le Conseil de sécurité, et que tout le monde se trouve d'accord sur cette demande que je vous fais ce matin.

M. Lalonde: M. Legault, je vous remercie de votre intervention. Malheureusement, comme vous le voyez, les compliments sont beaucoup plus courts que les autres remarques; alors, je vous remercie de vous être déclaré satisfait de l'article 60. C'était d'ailleurs à la demande de l'ABRPM en bonne partie que cet article avait été fait. En ce qui concerne votre dernière demande, je vous remercie de m'en avoir parlé aussi; je pense que vous avez consulté les officiers du ministère, hier. Il semble que cela ne crée aucun problème. Nous allons l'examiner. Probablement en troisième lecture, lors de l'étude article par article, nous pourrons examiner un amendement dans ce sens.

M. Legault: Je vous remercie, M. le ministre.

M. Burns: Est-ce qu'il y aurait moyen d'avoir copie de cet amendement que vous suggérez?

M. Legault: Oui, sûrement, je vous en ferai parvenir une copie tantôt. Merci, M. le Président, c'est tout.

Le Président (M. Cornellier): Messieurs, je voudrais corriger un oubli que j'ai fait à l'ouverture de la séance. J'ai mentionné quelques changements dans la liste des noms des membres de la commission. M. Côté (Matane) remplace M. Bienvenue (Crémazie); M. Brown (Brome-Missisquoi) remplace M. Ciaccia (Mont-Royal); M. Lachance (Mille-Iles) remplace M. Levesque (Bonaventure); M. Caron (Verdun) remplace M. Springate (Sainte-Anne). J'inviterais maintenant les représentants de la Fraternité des policiers de la CUM à venir faire leurs représentations.

Fraternité des policiers de la CUM

M. Masse (Gilles): M. le Président, messieurs les membres de la commission, mon nom est Gilles Masse, président de la Fraternité des policiers de la Communauté urbaine de Montréal.

Je suis accompagné, à ma gauche, de Gilbert Côté, qui est responsable de la discipline dans le

même syndicat, et, à ma droite, de Pierre Lenoir, qui est le vice-président de la même fraternité.

En débutant, j'aimerais vous remercier de I occasion que vous nous donnez de participer à I élaboration des lois. Je voudrais vous dire que la Fraternité des policiers est en accord avec une très grande majorité des articles qui sont proposés dans le projet de loi no 41. et particulièrement avec l'article 60 qui a laissé plusieurs personnes songeuses d après ce qu'on entend: alors, je tiens à profiter du moment pour vous dire que la Fraternité des policiers est complètement d'accord avec l'article 60. c'est-à-dire de remettre à ' ABRPM tous les pouvoirs de négociation du fonds de pension pour les policiers de la CUM.

Nous n'avons que quelques petits points à soulever concernant ce projet de loi. Le premier se situe à l'article 9 où on peut lire un amendement à l'article 17 de la Loi de police: Le lieutenant-gouverneur en conseil peut, si les circonstances l'exigent, adopter des règlements sur les sujets visés dans le présent article.

Or, l'article 17 vise un certain nombre de sujets dont, entre autres, les codes de déontologie et de discipline pour les policiers et les fonctions que les policiers peuvent accomplir à I intérieur de leur corps de police. La fraternité considère que la Commission de police, étant un organisme neutre qui a été mis en place pour assurer une certaine cohérence sur le plan de l'organisation et de l'administration de tous les corps policiers du Québec, devrait avoir seule le pouvoir de déterminer ces fonctions.

A l'article 18, on constate que le lieutenant-gouverneur en conseil a un droit de veto sur les décisions de la Commission de police. Maintenant, avec cet amendement qui est ajouté à l'article 17. on constate que le lieutenant-gouverneur en conseil se donne le pouvoir de réglementer

Nous considérons que, de façon très hypothétique, il peut s'agir là d un danger pour I'autonomie des corps de police et que ce droit de réglementation devrait continuer d être déterminé par la Commission de police avec un droit de veto par le lieutenant-gouverneur en conseil afin de respecter ce principe qui nous vient de Boston Tea Party "no taxation without representation".

Deuxième point que nous voudrions soulever, c est à I article 36 où on constate qu'"à la demande du lieutenant-gouverneur en conseil il dirige — et on parle du bureau de recherche sur la criminalité du Québec — et coordonne les enquêtes policières menées dans le cadre d'une enquête visée dans l'article 20 de la Loi des commissions d'enquête". Or, la fraternité considère qu'on limite ici la possibilité et la responsabilité des commissaires qui auront à faire des enquêtes spéciales telles que déterminées par (article 20 de la loi. On ne voit pas pourquoi le lieutenant-gouverneur en conseil aurait le pouvoir de demander cela. En fait, le BRQCO ne pourrait que diriger et coordonner les enquêtes policières qui lui sont demandées par le lieutenant-gouverneur en conseil.

Or, on considère qu'une commission d'enquête spéciale, qui est un outil spécial, devrait avoir tous les pouvoirs de coordonner et de diriger elle-même son enquête, si jamais le lieutenant-gouverneur en conseil décide qu'il y a une enquête à faire dans ce domaine.

L'autre point que nous aimerions soulever est à l'article 42 où on reporte dans la loi l'article 20 concernant les commissions d'enquête. On reporte dans cette loi un article de la loi de la Commission de police qui se lit comme suit: La présente section ne s'applique qu'à une enquête sur les activités d une organisation ou d'un réseau, ses ramifications et les personnes qui y concourent, ordonnée par le lieutenant-gouverneur en conseil lorsqu'il a des raisons de croire que dans la lutte contre le crime organisé, le terrorisme ou la subversion il est de I intérêt public de tenir une telle enquête."

Cette loi avait été adoptée en premier en 1971.

La fraternité considère que les commissions d'enquête sont un outil excessivement dangereux pour la démocratie et qu'en fait elles vont à I encontre de l'esprit de notre système juridique fondé sur la common law". Ces commissions d enquête doivent avoir lieu exclusivement dans des circonstances des plus exceptionnelles. Il n y a pas lieu, présentement, de craindre, dans le contexte social actuel, des problèmes de terrorisme ou de subversion qui pourraient impliquer qu'une enquête spéciale soit faite sur ce domaine.

Dans le domaine du crime organisé, je pense qu'il est assez clair qu une enquête est importante et nécessaire. Par contre, dans le domaine du terrorisme et de la subversion — le domaine de la subversion est pratiquement indéfini dans nos lois — la fraternité considère que ce pouvoir de déterminer une enquête sur le sujet devrait être exclusif à I Assemblée nationale et non pas au lieutenant-gouverneur en conseil, que ce ne soit que pour enlever une certaine crainte de danger pour la démocratie politique dans l'esprit de certaines gens.

Autre point que nous aimerions soulever dans l'article 42. Les commissaires peuvent, sur autorisation du lieutenant-gouverneur en conseil et suivant les modalités et conditions qu'il prescrit, établir pour la durée d'une enquête un bureau de recherche multidisciplinaire en vue de mener à bonne fin l'exécution de leur mandat. Or, dans le même sens que tout à l'heure, la fraternité considère que les commissaires devraient avoir toute la latitude pour déterminer eux-mêmes s ils ont besoin d'un bureau de recherche multidisciplinaire pendant la durée de leur enquête.

Comme dernier point, il s'agit de I'article 53. où on peut lire que le Conseil de sécurité peut recommander à la communauté urbaine I adoption d un règlement concernant la déontologie et la discipline des policiers de la communauté et visant ". etc.

La fraternité considère que cet article n'est pas assez rigoureux et qu au lieu de permettre, par les mots le Conseil de sécurité peut recommander à la Communauté urbaine l'adoption d'un code de déontologie ". l'article devrait se lire: "Le Conseil de sécurité doit... "

Je dois vous dire que les policiers de la Communauté urbaine, en plus d'essayer de trouver où est le patron pour négocier, ont un problème, c'est qu'ils n'ont pas de code de discipline depuis un certain temps. Nous avons pas mal hâte d'avoir un code de discipline afin de savoir ce qu'on peut taire et ce qu'on ne peut pas faire.

De plus, nous croyons que la communauté devrait avoir l'obligation d'accepter et de réglementer automatiquement le code de discipline qui serait proposé par le Conseil de sécurité. On est dans une situation où, possiblement — toujours hypothétiquement — la Communauté urbaine pourrait, d'une façon indirecte, amender ce code de discipline en le laissant sur la tablette, pour employer une expression très connue, en disant au Conseil de sécurité: On n'adopte pas votre code tout de suite parce qu'il y a un article qui ne fait pas notre affaire. A un moment donné, le Conseil de sécurité pourrait changer cet article.

Or, on considère qu'on devrait obliger le Conseil de sécurité à présenter un code de discipline dans les plus brefs délais et la communauté urbaine à l'adopter d'une façon systématique.

Messieurs, je vous remercie. Ce sont, grosso modo, les seules remarques que la fraternité a à faire. Je tiens à vous dire que sur le contenu du petit document que je vous ai présenté, l'exécutif de la Fraternité des policiers est unanime. C'est à l'unanimité qu'on vous présente ce document.

Le Président (M. Cornellier): L honorable Solliciteur général.

M. Lalonde: Je remercie M. Masse et ses collègues de la fraternité. Si vous voulez, on peut repasser un à un les points que vous avez soulevés.

Tout d'abord, à l'article 9, vous contestez l'opportunité de donner au lieutenant-gouverneur en conseil l'initiative de la réglementation. Vous savez qu'aujourd'hui, comme vous l'avez décrit, d'ailleurs, c'est la Commission de police qui a l'initiative de préparer les règlements, mais qu'ils ne sont adoptés qu'avec l'approbation du lieutenant-gouverneur en conseil qui n'a pas, dans la loi, le pouvoir de les amender.

Cela peut créer une espèce de goulot d'étranglement au niveau de la réglementation, à savoir que, si une disposition ou quelques dispositions du règlement ne paraissent pas acceptables au lieutenant-gouverneur en conseil, à ce moment, il faut tout rejeter. Dans les faits, ce n'est pas comme cela que cela se passe. Naturellement, il y a consultation avec la Commission de police, mais il reste que cela peut créer une certaine lenteur sur le processus d'adoption des règlements.

Deuxièmement, les priorités de la Commission de police ne sont pas nécessairement celles du gouvernement. Vous l'avez dit, la Commission de police est un organisme autonome et est habilitée à établir ses propres priorités. Il peut arriver en pratique que des priorités différentes ou des urgences différentes apparaissent au gouvernement.

Troisièmement, le pouvoir de réglementation est normalement dévolu au lieutenant-gouverneur en conseil. Ce n'est pas exceptionnel que le lieutenant-gouverneur en conseil ait le pouvoir d'initiative des règlements. Je pense même que c'est la règle générale. Dans les cas particuliers où nous avons des situations où nous avons besoin d'expertise, à ce moment, que l'initiative ou la consultation d'un organisme expert soit prévue, il n'y a pas de mal à cela, mais que l'initiative ne soit qu'à un organisme indépendant du gouvernement et qui doit conserver son indépendance... Il peut arriver que le fait de gouverner ne soit pas conforme aux principes quand même fondamentaux de notre démocratie, à savoir que la responsabilité demeure quand même au gouvernement de poser des gestes pour le bien de la population et ne peut pas être sur les épaules d'un organisme indépendant.

Je vous livre tous ces points pour vous donner l'esprit dans lequel cet amendement a été proposé dans le projet de loi no 41. Ceci permettrait, par exemple, de laisser à la Commission de police le soin de continuer la préparation de ses règlements suivant les priorités qu'elle s est données de façon indépendante, autonome, sans intervention du gouvernement, strictement en vertu de ses propres préoccupations, de sa propre connaissance du milieu, et aussi au gouvernement éventuellement de faire face à une situation inattendue et de prendre l'initiative d'un règlement. Les inquiétudes que vous exprimez sont peut-être en principe possibles, oui, à savoir: Est-ce qu'à ce moment le gouvernement se trouverait à légiférer de façon indirecte, à rencontre de ce que fait, dans le même temps, la commission de police?

Je ne pense pas que ce soit ni dans l'intérêt du gouvernement, ni dans l'intérêt de ses clientèles particulières, qui est la fonction policière; je ne pense pas que ce soit le cas. Je pense qu'un gouvernement qui le ferait travaillerait contre lui-même. Il faut quand même compter un peu sur la cohérence fondamentale de nos gens en place.

M. Masse (Gilles): C'est toujours, M. le ministre, dans un esprit très hypothétique que nous avons fait toutes les remarques qui sont contenues dans ce document. C'est dans un esprit d'efficacité que vous avez introduit cet article dans la loi. Comme vous le dites si bien, c'est ordinairement le lieutenant-gouverneur en conseil qui réglemente. Par contre, on a fait des exceptions dans le domaine de la justice, et c'est notre appareil judiciaire, où il y a danger pour la liberté des citoyens, ou il y a danger pour la justice. A ce moment-là, l'appareil judiciaire, on l'a toujours laissé complètement neutre et avec tous les pouvoirs.

Je pense aux conséquences que cela peut avoir. Effectivement, la responsabilité gouvernementale est toujours là, mais quand il s'agit de justice — je pense aux pouvoirs des tribunaux — il y a possibilité que des juges, qui sont là dans le domaine de la justice, obligent le gouvernement à dépenser l'argent de la population selon l'interprétation qu'ils vont donner de la loi. Comme exemple de cela, je pense au jugement de la Cour su-

prême aux Etats-Unis qui a obligé le gouvernement à laisser les Noirs aller dans les écoles avec les Blancs; cela a amené des dépenses incroyables pour le gouvernement américain et tout le système du "busing". C'est une décision qui a eu des implications économiques très grandes, décision qui a eu des implications politiques aussi très grandes. C'est l'appareil judiciaire qui avait le pouvoir exclusif de déterminer cela. C'est dans ce sens où il y a danger pour la liberté des citoyens, où il y a danger d'ingérence politique dans l'opération policière. C'est dans cet esprit que la Commission de police a été constituée, afin de dépolitiser la police au niveau municipal. Un amendement comme ça dans la loi peut laisser croire qu'il y a possibilité qu'on repolitise la police, mais à ce moment-là à un autre niveau gouvernemental, c'est-à-dire au niveau du provincial.

M. Lalonde: Oui, mais je pense qu'il faut quand même faire la distinction entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir réglementaire. Je ne pense pas qu'on puisse assimiler le fait pour le gouvernement de réglementer, qui est prévu par la loi, à une opération du pouvoir judiciaire. Il n'y a pas de doute que le pouvoir judiciaire doit conserver son indépendance et il le fait dans le quotidien.

M. Masse (Gilles): Prenons un exemple très extrême que je pourrais...

M. Lalonde: Si vous voulez me laisser terminer.

M. Masse (Gilles): Oui.

M. Lalonde: Lorsque vous parlez d'ingérence politique possible, il faut quand même reconnaître que le pouvoir de réglementation ne rejoint pas l'aspect de l'opération policière; c'est simplement le pouvoir de réglementer sur certains aspects. L'opération elle-même n'est pas du tout touchée par ce pouvoir.

M. Masse (Gilles): Bon. Voici où il y a une possibilité. Je vous donne un exemple extrême. L'article 17 donne le pouvoir à la Commission de police de déterminer les fonctions des policiers.

Or, le lieutenant-gouverneur en conseil pourrait déterminer qu'il n'est pas de la fonction des policiers d'enquêter ou de former une escouade qui s'occuperait de la corruption politique, par exemple.

M. Lalonde: A ce moment-là, je pense bien que ce gouvernement-là se ferait battre pas longtemps après.

M. Masse (Gilles): Ah! bien là, c'est une autre question.

M. Lalonde: Bien oui, mais il y a quand même la responsabilité qu'il faut considérer. Le gouvernement, même s'il est formé d'hommes politiques, reste quand même responsable envers la popula- tion et mesure ses gestes en fonction de cette responsabilité-là. Je pense bien que le pouvoir de réglementation d'un gouvernement, quel qu'il soit, ne peut pas être assimilé tout d'abord au pouvoir judiciaire parce que, dans le cas qui nous occupe, il réglemente sur une fonction policière et, deuxièmement, ne peut pas atteindre l'opération quotidienne qui est l'endroit où on déplorait tellement d'ingérence politique autrefois et que l'avènement de la Commission de police et de tous les règlements qui ont été appliqués depuis ce temps ont quand même réussi à éliminer en grande partie.

M. Masse (Gilles): Disons que notre comportement s'explique peut-être par les problèmes que nous avons à la police de la Communauté urbaine de Montréal où nous constatons que l'organisation policière peut être passablement perturbée à la suite de décisions qui sont plus politiques que d'organisation policière. C'est dans ce sens...

M. Lalonde: Alors ce serait surtout... Oui.

M. Masse (Gilles): ... que nous sommes plutôt...

M. Lalonde: Alors ce serait surtout au niveau de la fonction policière que vous craignez. Est-ce qu'il y a d'autres secteurs particuliers?

M. Masse (Gilles): De la fonction aussi et la détermination des grades.

M. Lalonde: Détermination des grades.

M. Masse (Gilles): Ce sont deux points qui nous touchent particulièrement et que nous considérons comme dangereux.

Le Président (M. Cornellier): Sur ce même article, le député de Johnson.

M. Bellemare (Johnson): Je suis sûr, M. le ministre, que la Commission de police a dû être consultée sur cet article en particulier et elle a dû donner son assentiment.

M. Lalonde: Oui, naturellement la Commission de police — je ne peux pas dire la Commission de police comme telle, je ne sais pas si cela fait l'objet d'une étude au niveau de la commission comme telle — mais le président a sûrement été consulté. Je ne veux pas non plus invoquer l'assentiment ou la désapprobation hypothétique du président d'un organisme touché par un projet de loi comme cela pour en prouver le bien-fondé ou non. Vous mettez à ce moment-là un fonctionnaire, un haut fonctionnaire dans une situation, une position difficile où il ne peut pas se défendre.

M. Bellemare (Johnson): A cause des arguments invoqués ce matin. Sans révéler le pour ou le contre de la décision qui a pu être rendue, la consultation qui a pu être faite, il n'y a pas eu de la part de la Commission de police des avis par

exemple qui ont été donnés, ou des restrictions qui ont été fournies au ministre dans la préparation du texte de cet article.

M. Lalonde: Le président de la Commission de police — je présume qu'il a consulté lui-même sa commission nous a sûrement donné son avis sur divers aspects, pas seulement celui-là.

Il nous a fait des suggestions, ce qui se fait quotidiennement avec les organismes des ministères impliqués dans la préparation d'un projet de loi. Mais c'est assez difficile, comme je vous le dis, d'invoquer ou de prendre à témoin un fonctionnaire, si haut fonctionnaire soit-il. parce que cela le met dans une position qui n'est pas juste à son égard. Il n'est pas sur la tribune pour se défendre, faire des représentations ou plaider. Alors, je pense qu'il serait difficile pour moi de me laisser entraîner par le député de Johnson sur ce terrain.

M. Bellemare (Johnson): Ce n'est pas du tout cela. Ce n est pas un piège.

M. Lalonde: Non, non, mais quand même.

M. Bellemare (Johnson): Mais il a été dit tout à l'heure par le représentant de la fraternité qu'il n'y avait jamais eu, je pense, dans l'application de la politique de la justice de dérogation quant à la réglementation. On a dit tout à I'heure qu'il y a eu des dérogations ailleurs au point de vue de la réglementation qui est faite par le lieutenant-gouverneur en conseil, mais que, dans la justice, on ouvrirait peut-être une porte, une nouvelle facette à cette réglementation si on répondait au voeu qui a été exprimé ce matin. Est-ce que ce ne seraient pas des précédents que l'on établirait?

M. Lalonde: Je ne sais pas si je saisis bien la remarque du député de Johnson. Maintenant, s'il se réfère à ce que M. Masse a dit plus tôt; pour dire que ce serait un précédent ici où le lieutenant-gouverneur, en matière de justice ou, enfin, en ce qui concerne le ministère de la Justice, aurait l'initiative de réglementation, je ne pense pas que ce soit ce qu'il a dit.

M. Masse (Gilles): Non, non. ce n est pas ce que j'ai dit.

M. Lalonde: Parce que cela n est sûrement pas un précédent.

M. Masse (Gilles): Avant l'existence de la Commission de police, il y avait cela.

M. Lalonde: Tout d'abord et maintenant vous avez la Commission de contrôle des permis d'alcool, la Commission des loyers où le lieutenant-gouverneur a une initiative de réglementation comme celle que l'on propose actuellement. C'est assez exceptionnel, en fait, la situation actuelle où un organisme indépendant a l'initiative de la réglementation.

M. Burns: Là, je partage les inquiétudes de la fraternité parce que, dans le fond, ramenons-nous à l'aide de base et à l'origine de la Commission de police. Sauf erreur, la Commission de police a été mise sur pied pour agir un peu comme ce tampon entre le pouvoir politique et les divers corps de police affectés. Si je me trompe, bien dites-le tout de suite, mais je ne le pense pas.

M. Lalonde: Vous ne faites pas erreur, mais je voudrais faire la distinction suivante: C'était surtout — M. Masse pourra me corriger si je fais erreur aussi — entre le pouvoir municipal et non pas le pouvoir provincial.

M. Burns: C'est la même chose, à mon avis: c'est le même argument qu'on peut avancer pour soutenir ce tampon entre le pouvoir politique municipal et les corps de police municipaux et le pouvoir politique provincial et les autres corps de police en général. Cela n'a l'air de rien, mais, à mon avis, le petit paragraphe qu'on ajoute à la fin, c'est tout simplement une loi spéciale permanente que vous faites. C'est-à-dire que. lorsque les circonstances, au dire du lieutenant-gouverneur en conseil, s'y prêteront, vous pouvez réglementer sur tous les sujets qui concernent l'article 17 de la Loi de police. Moi. je pense, au contraire, qu'avec ce tampon tel qu'il est actuellement et avec la valeur qu'il a — en tout cas, la Commission de police, comme institution, a cette valeur de tampon, à mon avis — le lieutenant-gouverneur en conseil devrait faire l'impossible pour ne pas se servir de cela de sorte que, s'il veut vraiment s'en servir, il faille procéder par une loi éventuellement et que ce soit l'Assemblée nationale.

Je rejoins les préoccupations de M. Masse là-dessus: ces pouvoirs sont des pouvoirs qui devraient être exposés en public, et non pas une simple réglementation qui se fait en catimini au Conseil des ministres.

M. Bellemare (Johnson): Ma question a été posée au début à savoir si la Commission de police avait été consultée, parce qu'on la soustrait à une de ses obligations.

M. Lalonde: C est-à-dire qu'elle conserve l'initiative.

M. Bellemare (Johnson): Oui. oui. d accord.

M. Lalonde: Mais elle la partage avec le lieutenant-gouverneur.

M. Bellemare (Johnson): Mais c est comme dit l'article, si les circonstances l'exigent. C'est important parce qu'à la Commission de police, comme dit le député de Maisonneuve, il a sûrement été prévu dans sa loi ce que vous lui enlevez maintenant. Vous ne le lui enlevez pas, mais vous vous retenez un pouvoir extraordinaire de plus, par-dessus la Commission de police. Le député de Maisonneuve a parfaitement raison: je pense qu'il y a certaines inquiétudes à y avoir. C'est le droit à la liberté que vous attaquez dans le fond: la liberté d'abord de la décision de la Commission de police

et la liberté des individus qui. dans deux cas particuliers, comme je dis dans les grades et dans l'autre cas...

M. Burns: Déterminer les fonctions qui doivent être exercées et les grades qui peuvent être décernés...

M. Lalonde: Oui. oui.

M. Burns: Je veux dire, si jamais le lieutenant-gouverneur en conseil décide d'intervenir là-dessus, c'est absolument incroyable, on peut passer par-dessus peut-être des choses que vous aurez, vous, de la fraternité ou les autres syndicats de policiers, négociées avec vos employeurs respectifs. Je trouve que c'est exactement cela qu'on appelle une loi spéciale. C est un pouvoir absolument occulte, c est-à-dire que personne ne va publiquement devoir en prendre connaissance parce que c'est un geste administratif que le gouvernement pose.

M. Lalonde: Mais je pense qu'il faut quand même corriger. Dans les faits les règlements jusqu'à maintenant proposés par la Commission de police, même si ce n'était pas exigé par la loi, ont toujours été...

M. Burns: Soumis.

M. Lalonde: ... soumis et sont publiés dans la Gazette officielle.

M. Burns: D'accord, bien oui.

M. Lalonde: Et donc soumis au public. Là, I'espèce de petite patente occulte du député de Maisonneuve en prend pour son rhume.

M. Burns: Non, mais je vous dis ceci, la décision va se prendre où? Elle va se prendre dans le secret, vous savez que je ne charrie pas quand je dis le secret, elle va se prendre dans le secret du Conseil des ministres. Vous-même, le Solliciteur général, ne pouvez pas me dévoiler, même si nous étions bien amis, malgré que nous ne sommes pas des ennemis non plus, mais...

M. Lalonde: Simplement...

M. Burns: Vous ne pourriez pas, autour d'un verre de bière avec moi, me dévoiler les secrets du Conseil des ministres, et c'est à ce point-là

M. Lalonde: Tous les règlements qui sont adoptés par le lieutenant-gouverneur en conseil, je n'en connais pas le nombre, mais je pourrais dire qu'il y a plusieurs centaines de dispositions légales...

M. Burns: Mais oui. mais...

M. Lalonde: ...et je crois que le lieutenant-gouverneur en conseil peut adopter des règle- ments. A ce moment-là, il en a l'initiative. Dans la très grande majorité des cas. c est la règle. Alors, le fait que ce soit adopté au Conseil des ministres, qui, d autre part, est assujetti à la règle de la confidentialité, n'a pas pour effet de lui donner un caractère ombrageux...

M. Burns: Non, non, mais écoutez, comprenez-moi, c'est que je pense qu'à l'origine la Loi de police — qui a été adoptée sagement, d'ailleurs, sous l'Union Nationale à l'époque — prévoyait justement ce tampon pourquoi?

Parce qu'il s'est posé des problèmes d intervention politique au niveau surtout municipal, je I'admets. Mais on a prévu cet organisme justement et on lui a donné des pouvoirs extraordinaires, lesquels, je I admets, habituellement sont entre les mains du lieutenant-gouverneur en conseil, c est-à-dire du cabinet des ministres. Il s'agit d'un domaine tellement délicat, si on peut dire, c'est-à-dire un des rouages importants de l'administration de la justice. Tout à l'heure, vous repreniez M. Masse là-dessus en disant: Ecoutez, ce n est pas l'appareil judiciaire. La police n'est pas I'appareil judiciaire, mais c'est un rouage tellement important de I'administration de la police. C est quand même ce rouage qui met en application des lois que nous votons, que les organismes municipaux mettent de lavant. C est justement pour se protéger et surtout pour garder la crédibilité des corps de police qu on tente d éloigner la politique de cela. C'est l'idée de base de la Commission de police. Je dis que. si les circonstances spéciales exigeaient que le lieutenant-gouverneur en conseil, c est-à-dire le cabinet des ministres doive adopter des règlements qui sont actuellement du ressort de la Commission de police, c est assez important, cette intervention, que cela devrait se faire à I'Assemblée nationale. Donc, il faudrait que vous amendiez carrément la loi pour le faire spécifiquement. C est ce que je dis.

M. Bellemare (Johnson): Je vous repose ma question, M. le ministre. La Commission de police a-t-elle été consultée?

M. Lalonde: Je vous ai dit tantôt quelle a été consultée...

M. Bellemare (Johnson): Non. vous ne m'avez rien dit.

M. Lalonde: ... sur tous les articles.

M. Bellemare (Johnson): Vous ne m'avez pas dit s'il y avait eu une dissidence.

M. Lalonde: Cela, non, je ne vous l'ai pas dit.

M. Bellemare (Johnson): Vous ne m'avez pas dit. non plus, si cela avait été bien accepté. C'était là mon piège.

M. Lalonde: Je ne peux pas sonder les reins et les coeurs.

Je savais qu'il en avait un, le député de Johnson.

M. Masse (Gilles): En fait. M. le ministre, ce qui a préoccupé la fraternité, à la lecture quand on a constaté l'addition de ce paragraphe dans la loi, c'est qu'on s'est demandé pourquoi, après avoir institué une Commission de police pour dépolitiser la police et lui donner un très grand nombre de pouvoirs, et le lieutenant-gouverneur se gardant, par l'article 18, un droit de veto — ce qui est très bien, ce sur quoi nous sommes en parfait accord — à un moment donné, aujourd'hui, on change complètement l'esprit de cette loi qui était: Vous réglementez, et on se garde un droit de veto. Maintenant, on change l'esprit de la loi et on dit: Vous réglementez, on se garde un droit de veto et, en plus de cela, on peut réglementer d'une façon permanente.

M. Lalonde: Bien.

M. Masse (Gilles): C'est dans ce sens qu'est notre intervention.

M. Lalonde: Ma réponse, je l'ai donnée tantôt et je vais la donner dans une autre forme. Etant donné, quand même, l'aspect assez exceptionnel de cette façon de procéder, de cette façon de réglementer, cela a réduit de beaucoup la responsabilité du gouvernement comme telle dans un secteur qui est extrêmement important. Si, par hypothèse, la Commission de police décidait de ne plus préparer de règlements... Par hypothèse... C'est quand même exact qu'une commission, un organisme indépendant comme cela ne peut pas recevoir d'ordres. Il n'est pas question de faire d'intervention politique.

M. Bums: Vous ferez une loi à ce moment.

M. Lalonde: Si, par hypothèse — ce n est pas du tout la réalité — la Commission de police décide que le règlement concernant les normes d'admission, c'est le no 6 dans ses priorités et qu'il y a cinq autres priorités. Or, nous, nous croyons qu'il est urgent de changer les règlements pour permettre l'admission des femmes dans la police, par exemple. Va-t-on devoir attendre que la Commission de police arrive au no 6? C'est encore une hypothèse, ce n'est pas comme cela que c'est arrivé. Je prends cet exemple justement parce que c'est arrivé autrement dans le cas du règlement no 7. Cela enlève un pouvoir au gouvernement qui est, lui, responsable à la population. La Commission de police — c'est fait comme cela — n'a pas de responsabilités vis-à-vis de la population. De là à confier à une commission, à un organisme indépendant — que ce soit à la Commission de police ou à un autre — tellement de responsabilités qui, normalement, devraient peut-être revenir au gouvernement, parce qu'il est responsable vis-à-vis la population, parce qu'il va voir régulièrement la population pour se faire juger... Il ne faut pas, non plus, jouer à l'autruche et dire: On confie toutes nos responsabilités à des organismes indépendants et, ensuite...

C'est pour cela que je pense, sans porter un jugement sur le geste du gouvernement qui a adopté la loi — à ce moment-là probablement que cela paraissait une excellente idée — qu'il y a lieu de récupérer ce pouvoir normal non pas en l'enlevant complètement à la Commission de police, l'expertise est là. Dans les faits, ce qu'il va arriver, c'est que si jamais le gouvernement dit qu'il voit une urgence à adopter tel règlement et qu'après consultation à la Commission de police on s'aperçoit que. pour la Commission de police, ce n'est pas tellement une urgence pour toutes sortes de raisons, question d'effectif, question de budget, tout ce que vous voulez, à ce moment-là il y a une consultation quand même qui peut être faite entre la Commission de police et les services du ministère de la Justice qui préparent le règlement de toute façon.

M. Burns: M. le Président, dans le fond, sur les principes de base, on ne s'obstine pas. Sur les principes de base, que le gouvernement, comme représentant de l'ensemble des citoyens du Québec, dans l'intérêt public, dans l'intérêt général des citoyens du Québec, doive et se sente obligé d'intervenir, il n'y a pas de chicane là-dessus. Tout le monde est d'accord là-dessus. Ce serait prôner l'anarchie que de tenter de soulever une thèse opposée à celle-là. Ce qu'on vous dit, cependant, c'est que l'idée de base — moi, en tout cas, j'y crois très sincèrement — de dépolitiser les corps policiers se retrouve dans la loi par l'existence d'une Commission de police. Les membres de la Commission de police ne sont pas des hommes politiques, ne sont pas des gens qui doivent la permanence de leurs fonctions à une réélection. C'est bon que ce soit comme cela.

Si, vraiment, une bonne journée, vous sentez nécessairement, du côté gouvernemental, que vous avez l'obligation de prendre une position qui n'est pas assumée par les fonctions normales de la Commission de police et disons que, par impossible presque, la Commission de police refuse systématiquement de se préoccuper d'un certain nombre de problèmes qui sont prévus à l'article 17, je dis que, le cas échéant, c'est quelque chose le gouvernement qui a I appareil législatif entre les mains, on le sait, vous faites assez de lois spéciales et de lois matraques contre les travailleurs qui font des grèves légales, vous le faites assez souvent et assez régulièrement qu'on sait que vous avez cet appareil législatif entre les mains — vous le ferez et vous le ferez publiquement, vous porterez les conséquences publiques de ces gestes.

Ce que je ne veux pas, personnellement — en tout cas, quand on étudiera le texte article par article, je vous dis que je serai férocement contre — ce sont toutes ces intrusions du lieutenant-gouverneur en conseil, c'est-à-dire du cabinet des ministres, répétons-le — on ne le dira jamais assez souvent— dans l'administration de la Loi de police. Vous le ferez publiquement et vous aurez, à ce moment-là, à vous justifier publique-

ment et non pas dans le secret du cabinet, publié ou non dans la Gazette officielle. Cela ne me dérange pas du tout. Parce que, publié dans la Gazette officielle après que cela ait été décidé, vous savez, on a beau crier, il n'y a pas grand-chose à faire là.

M. Lalonde: On m'a mal compris. Il est publié, en fait, avant d'être adopté.

M. Burns: Avant ou après, cela ne dérange rien.

M. Lalonde: Avant d'être adopté, c'est publié.

M. Burns: Cela ne dérange rien.

M. Bellemare (Johnson): M. le Président...

M. Burns: Vous me nommerez les 52 personnes, au Québec, qui lisent la Gazette officielle!

M. Bellemare (Johnson): ... est-ce que, depuis l'adoption de cette Loi de la Commission de police et surtout en vertu de l'article 18, où il y a un droit de veto du gouvernement, il y a eu des cas particuliers où le gouvernement se serait senti obligé, selon les circonstances, comme l'exige la fin de l'article, d'agir? Est-ce qu'il y a un seul cas depuis l'adoption de la Loi de police où l'intervention du gouvernement aurait été requise? Je ne pense pas.

M. Lalonde: Le député de Johnson...

M. Bellemare (Johnson): M. le Président, la loi est bonne, non pas parce que c'est nous qui l'avons faite mais...

M. Burns: Mais c'est parfait comme raisonnement! Est-ce qu'il y a un seul cas? Il utilise une expression...

M. Lalonde: II utilise des expressions que j'ai connues ailleurs.

M. Burns: Montrez-moi un seul cas!

M. Bellemare (Johnson): Je ne vous dis pas cela, M. le Président, parce qu'on avait la...

M. Lalonde: En fait, c'est pour donner plus de souplesse.

M. Bellemare (Johnson): En voulant améliorer la loi, vous la rendez pire. Vous mettez des bâtons.

M. Lalonde: C'est ...

M. Bellemare (Johnson): Ah non! vous mettez des gens en tutelle. Et cela, c'est mauvais. La loi, actuellement, donne l'exercice de toute liberté, l'expression de toute liberté. Or, le gouvernement arrive et dit: Maintenant... Et ma question du début: Est-ce que la Commission de police a été consultée?

M. Lalonde: Le député de Johnson m'a dit que c'était un piège.

M. Bellemare (Johnson): Ce n'était pas un piège, c'était pour savoir la vérité vraie.

M. Burns: Je trouve très saine cette approche du député de Johnson, c'est-à-dire que, lorsque vous amenez un amendement aussi important que celui-là, on se dit: Bien, écoutez, est-ce qu'on légifère juste au cas où? Vous faites l'inverse de la situation habituelle de législation, c'est-à-dire...

M. Lalonde: Je regrette, on rétablit simplement...

M. Burns: Savez-vous ce que vous faites là?

M. Lalonde: ...ce qui devait être depuis le début.

M. Burns: Vous me faites penser au gars qui dit: J'ai des solutions, as-tu des problèmes? C'est exactement l'inverse. Vous dites: Au cas où il y en aurait des problèmes, moi je me donne des solutions d'avance. Cela vient de s'éteindre.

M. Bellemare (Johnson): M. le Président, je n'avais pas fini.

M. Burns: Excusez-moi.

M. Bellemare (Johnson): Vous êtes tous les deux là...

M. Burns: Non, mais je trouvais que vous aviez tellement raison.

M. Bellemare (Johnson): Bon, merci pour une fois.

M. Lalonde: Je trouvais que vous aviez tellement tort.

M. Bellemare (Johnson): M. le Président, cette loi, jusqu'à ce jour, a apporté des fruits extraordinaires pour dépolitiser tout le système. Il y a eu des difficultés énormes qui ont été traversées par la Commission de police et qui ont prouvé que cette loi était bonne, sans avoir cette stipulation spéciale qu'on introduit aujourd'hui: Si les circonstances l'exigent.

Est-ce que dans le passé les circonstances l'ont exigé? Je dis non. La Commission de police est de tout repos, la meilleure sécurité pour le gouvernement. A partir de là, le gouvernement n'a pas le droit, je pense, de se donner des responsabilités supplémentaires quand cela peut être réglé autrement et surtout sans que personne ne puisse préjuger de l'attitude du gouvernement. Cela est important dans une loi. Parce que cette loi va rester dans nos statuts et un jour ou l'autre le ministre la met là pour que... Ce n'est pas de la bonne législation. S'il y avait eu un cas particulier où le ministre pourrait nous dire: Oui. cela s'est produit

de telle manière et nous avons agi, mais nous n'avions pas le pouvoir. Mais, en vertu de l'article 18. vous avez le veto; c est sûr et certain que vous pouvez l'exercer

M. Lalonde: Oui. mais le veto, le député de Johnson sait très bien...

M. Bellemare (Johnson): Je vais finir, s il vous plaît, parce que je ne voudrais pas interrompre le ministre, il est tellement éloquent. Mais je dis qu'ils ont parfaitement raison de craindre la loi-bâton. Et puis cette loi-bâton, on la sent; moi qui suis un législateur depuis quelques années, je sens que le gouvernement veut encore mettre sa griffe quelque part. Pourquoi ne pas vivre dans un état de confiance? Pourquoi mettre tous ces gens dans une inquiétude morbide? Je ne sais pas pourquoi le gouvernement va si loin. Est-ce qu'il a une intention particulière? Je dis que la loi doit être saine, elle doit être acceptable, elle doit être remplie de confiance pour ceux qui ont à l'exécuter, ceux qui ont à la mettre en application. Alors je dis que la Commission de police a dû être consultée. Le ministre faisait tout à l'heure des restrictions mentales, en disant: Vous savez, pour tous les articles, on a eu de bonnes opinions. Mais sur cela, par exemple, il a dû avoir des remarques, parce que je connais les membres de la Commission de police, moi, pas mal plus que le ministre. Je sais avec quelle fermeté on a dû vouloir faire respecter les droits acquis. A partir de là. le député de Maisonneuve a parfaitement raison de dire que c est occulte et cela est un pouvoir dont vous n'avez pas besoin.

M. Burns: C'est un chèque en blanc qu'il nous demande.

M. Bellemare (Johnson): Oui.

M. Lalonde: M. le Président, on a l'opinion de la fraternité là-dessus; les questions ont été posées, je pense, à fond. On en a profité pour faire le débat qu on aurait fait...

M. Burns: On va le refaire.

M. Bellemare (Johnson): On va le refaire et vous n'avez pas fini là-dessus.

M. Lalonde: Je remercie le député de Maisonneuve de m avoir annoncé sa férocité.

M. Burns: Ah oui!

M. Bellemare (Johnson): Ah oui! Il a raison.

M. Burns: Bon, non. je vous donnais les indications pour que vous ayez le temps d'y penser.

M. Lalonde: Cela me fait peur!

M. Burns: Non, je sais que cela ne vous fait pas plus peur que cela, parce que de toute façon vous légiférez au Quebec, le gouvernement actuel, comme si le Québec vous appartenait en propriété directe. Cela est une autre affaire.

M. Tardif: ...

M. Burns: Oui. puis vous allez l'entendre souvent, parce que vous faites exactement cela.

M. Lalonde: Bon...

M. Burns: Je veux juste vous dire pour que, si jamais il y a du monde derrière vous, dans vos conseillers, qui peuvent, d ici à ce qu'on discute de I'article en question, le ramener à des normes un petit peu plus logiques, peut-être que cela évitera un débat assez long. Moi en ce qui me concerne, en tout cas...

M. Lalonde: II n'y a pas de doute...

M. Burns: ...je tiens à vous dire que je ne laisserai pas passer cela ainsi.

M. Lalonde: II n'y a pas de doute que...

M. Bellemare (Johnson): Le ministre va s'amender; je ne sais pas s'il va s amender, mais il va regarder cela de près. C'est un homme brillant: il va, lui. comprendre le bien-fondé de la requête qui est faite ce matin.

M. Lalonde: Le député de Johnson a recours à toutes les manoeuvres, même la flatterie.

M. Bellemare (Johnson): Bien, pour faire un bon législateur il faut avoir tout cela.

M. Lalonde: II n y a pas de doute que le gouvernement, en proposant cet amendement, n'avait pas I'intention de spollier ni la Commission de police, ni la population d un droit

M. Bellemare (Johnson): ... que vous autres.

M. Lalonde: S il y avait des modifications à apporter à cet amendement pour rassurer la fraternité, entre autres, et les gens qu elle représente, l'Opposition même, on est prêt à la rassurer de temps en temps...

M. Bellemare (Johnson): Ah!

M. Lalonde: ... il n'y a pas de doute qu'on y songera sérieusement.

M. Bellemare (Johnson): On est la pour cela, pour fournir de bonnes idées.

M. Burns: Une chance que vous nous avez, de plus.

M. Lalonde: On ne vous changera pas, on va vous garder là.

M. Burns: On va dire comme on a déjà dit: Vous autres, la seule chose, votre avenir, il est de ce côté-ci de la table. Ne vous en faites pas.

M. Lalonde: A l'article 36, une inquiétude semblable avait été exprimée par un organisme précédent, peut-être était-ce par le député d Outremont, dans le débat d hier, à savoir que le lieutenant-gouverneur en conseil puisse demander au BRQCO de diriger, de coordonner des enquêtes policières menées dans le cadre d'une enquête visée par I article 20. J'avais expliqué au député d'Outremont et à la commission que ce n est pas exclusif, naturellement, que c'était simplement pour s assurer qu'une collaboration sûre s'établisse entre cet organisme permanent de recherche sur le crime organisé et une enquête ponctuelle, parce que la nature même de la loi ne prévoit pas une enquête permanente, donc, qu'il y ait cette collaboration, ce qui n'a pas toujours été le cas dans un passé plus ou moins éloigné, que cela ne limite pas la commission d'enquête, qui pourrait être instituée sur le crime organisé éventuellement, de recourir à tout autre moyen d'enquête, mais que si le lieutenant-gouverneur le demande au bureau de recherche, il va donner sa collaboration. Pourquoi pas? Comment peut-on penser qu une commission d enquête sur le crime organisé pourrait se passer du BRQCO qui est le seul organisme permanent de recherche sur le crime organisé.

Cela me semble cohérent et cela ne limite pas la commission d'enquête éventuelle à recourir à tout autre moyen d'enquête qu'elle peut penser utile pour mener à bonne fin son enquête.

M. Masse (Gilles): C'est peut-être le texte qui n'est pas clair quand on lit: A la demande du lieutenant-gouverneur en conseil, il dirige et coordonne les enquêtes policières menées dans le cadre de l'article 20. c'est-à-dire les enquêtes spéciales.

On est complètement d'accord. Autant on s opposerait à ce qu'il n'existe au Québec qu'un seul corps de police, autant nous sommes d'accord avec le besoin de l'existence d'un bureau de recherche sur la criminalité qui va coordonner et qui va mettre de l'ordre un peu dans les informations policières.

Là où nous nous posons une question, c'est à savoir s'il y a une enquête spéciale. En vertu de I'article 20, on se dit que cette enquête spéciale doit avoir tous les pouvoirs. On ne veut pas enlever au lieutenant-gouverneur en conseil le choix d'exiger qu'il y ait une enquête sur un point particulier, mais on ne veut pas que ce choix limite la possibilité des membres d'une commission d'enquête, comme on le verra un peu plus loin dans d'autres articles, à établir un bureau de recherche à l'intérieur de la commission sur l'approbation du lieutenant-gouverneur en conseil.

Quant à la commission d'enquête, si jamais on en a besoin d'une — c est une chose extraordinaire, très spéciale — qu'elle ait le pouvoir de déterminer elle-même la coordination de ses enquê- tes. C est tout ce qu'on demande. On ne veut pas qui I y ait quelque chose d'enlevé dans cela, mais on voudrait qu'on ajoute ou qu on éclaircisse cet article afin qu'il soit clair que les commissaires ont carte blanche pour faire leur enquête, même chose que dans l'autre article un peu plus loin.

M. Bellemare (Johnson): En somme, ce n'est qu'une formulation.

M. Lalonde: Je pense que votre message est assez clair. Je n ai pas d autre question là-dessus.

Sur I article 42, je me pose certaines questions à savoir si votre recommandation à l'effet d'enlever les mots terrorisme ' et "subversion", d'enlever ces deux crimes du cadre d'une enquête spéciale, repose, si j'ai bien compris votre mémoire, surtout sur le fait que, depuis l'inscription de ces crimes dans la loi en 1972, il n'y a pas eu d'actes — enfin, il y en a peut-être eu — aussi évidents qu'auparavant.

M. Masse (Gilles): Entre autres, entre autres. Ce qu'on dit. c'est qu'une commission d'enquête spéciale, genre CECO comme celle qu'on a eue, était un mal nécessaire pour la justice. Quand il y a une commission d'enquête, cela démontre certaines faillites, du moins temporaires, de notre système judiciaire. C'est parce que le système judiciaire, qu'on considère comme le plus beau et le plus juste au monde, a failli à un moment donné. L'esprit qui doit motiver quand on fait une commission d'enquête, c'est une commission extraordinaire dans une situation spéciale.

On dit qu'une commission d'enquête sur la subversion, qui est excessivement difficile à définir, est très dangereuse pour la démocratie. On dit que, dans ce cas particulier de la subversion ou du terrorisme, bien cela devrait être l'Assemblée nationale qui détermine le besoin d'une commission d'enquête et non pas le lieutenant-gouverneur en conseil.

M. Lalonde: Mais là, écoutez...

M. Masse (Gilles): On met en parallèle le contexte de 1971 qui a amené cette loi et les changements qui se sont produits depuis 1971, soit que le terrorisme est pas mal disparu en apparence. Il y a eu aussi des changements importants, parce qu on constate que toutes les commissions d'enquête, que ce soit la CECO, que ce soit la commission d'enquête sur la liberté syndicale, se sont toujours faites à l'aide de l'écoute électronique. Or. depuis 1971, il y a eu un changement qui s'est opéré avec le bill C-176, les amendements du Code criminel à l'article 178 où l'outil principal pour faire une commission d'enquête n'appartient plus au pouvoir provincial, mais appartient exclusivement au pouvoir fédéral par la Loi des secrets officiels.

Or, étant donné que le contexte est changé, étant donné que c'est moins dangereux que c'était, étant donné qu'on a moins d'outils pour faire une commission d'enquête sur le terrorisme

et la subversion, parce que c'est remis entre les mains du Solliciteur général du Canada et limité à lui et que c'est un danger pour la démocratie, on se dit qu'on devrait enlever cela et, si jamais il y avait urgence ou il y avait problème de terrorisme, à ce moment-là, l'Assemblée nationale pourrait déterminer que cela prend une commission d'enquête et amender les lois de cette façon. C'est tout simplement...

M. Lalonde: Maintenant, mon problème...

M. Masse (Gilles): ... l'esprit qui a motivé cette position.

M. Lalonde: ... là-dedans, c'est d'abord quand vous dites que c'est le Solliciteur général du Canada, vous ne niez pas que la loi elle-même prévoit que le procureur général d'une province peut l'utiliser.

M. Masse (Gilles): C'est cela.

M. Lalonde: Vous voulez dire que le cadre de l'utilisation de l'écoute électronique a changé depuis 1971.

M. Masse (Gilles): Exactement, je dis que les policiers du Québec n'ont pas la possibilité, sur autorisation du procureur général ou du ministre de la Justice ou des juges, de faire de l'écoute électronique dans le domaine du terrorisme, de la sédition et de la subversion et qu'il n'y a que le Solliciteur général qui peut le permettre. Or, l'outil principal qui permettrait de faire une enquête dans ce domaine, on ne l'a plus. Ensuite de cela, le problème, il n'est plus là. Or, on se dit que, dans ce cas-là, il y a une certaine cohérence aussi; c'est qu'à la CUM on est en train d'augmenter les effectifs pour lutter contre le crime organisé et de diminuer au minimum les effectifs pour lutter contre le terrorisme. Or, on se dit: S'il y a un problème de crime organisé, on fait une enquête sur le crime organisé, on augmente les effectifs policiers pour lutter contre le crime organisé, cela se tient. Si on diminue les effectifs et qu'on perd nos outils dans le domaine de la lutte au terrorisme, et que le terrorisme est disparu on se dit: On peut retirer cela très facilement de la loi, même pour sécuriser certaines personnes dans notre société qui craignent cette partie.

M. Lalonde: Justement, en parlant de crainte, est-ce que vous ne pensez pas — c'est peut-être une opinion que je vous demande, vous n'êtes pas obligé de répondre — que justement l'existence de cette loi, telle qu'elle est actuellement, n'aurait pas été une des raisons pour lesquelles la situation au niveau du terrorisme s'est améliorée au Québec depuis 1972? Je vous pose la question.

M. Masse (Gilles): Vous me demandez une opinion, je peux...

M. Lalonde: Non, mais parce que...

M. Masse (Gilles): Non, je ne crois pas sincèrement que ce soit cette loi qui a été comme une épée de Damoclès, si vous voulez, sur le terrorisme. Je pense que c'est plutôt la loi des mesures de guerre en 1970 qui est encore dans l'esprit de tout le monde.

M. Lalonde: Depuis 1972?

M. Burns: II y a aussi, et il va falloir le dire une fois pour toutes, qu'on s'est aperçu que c'était le fait de quelques individus, quelques rares individus. Pendant la crise d'octobre, on a arrêté environ 460 ou 475 personnes et il y a à peine dix personnes qui ont été condamnées pour cette chose. On s'est rendu compte que c'était très marginal ce problème. Tout le monde avait grimpé dans les rideaux en 1970, en 1971 et même en 1972, mais on s'est rendu compte que de toute façon c'était tout à fait marginal comme problème. C'est surtout cela. Vous voyez des représentants de corps policiers qui viennent nous dire: D'après nous autres, franchement, le problème du terrorisme et de la subversion... C'est sûr qu'il va toujours y en avoir; il y aura toujours un terrorisme et un subversif quelque part, c'est bien sûr, dans n'importe quelle société. Mais que ce ne soit pas un phénomène généralisé, on est rendu au point que tout le monde le reconnaît, excepté le gouvernement, qui brandit tout le temps la possibilité de subversion, puis les méchants, puis toute l'affaire.

M. Lalonde: L'autre problème que j'ai à votre proposition, et cela touche un peu au discours de deuxième lecture du député de Maisonneuve, c'est que vous dites: Si on a une situation de terrorisme, à ce moment on pourra adopter une loi pour permettre de se donner des moyens de le combattre. Mais si j'en crois ce que le député de Maisonneuve nous disait lors de son discours de deuxième lecture, lorsque le gouvernement a proposé en 1972 le texte actuel, tel qu'il existe dans la loi, tout le monde s'est senti obligé de voter pour parce qu'on était juste après les événements d'octobre 1970, alors est-ce qu'on ne se trouve pas...

M. Burns: On avait une très mauvaise perception de la situation que nous voyons d'une façon meilleure aujourd'hui.

M. Lalonde: A ce moment-là, on ne sera pas dans une meilleure situation si on attend que le terrorisme existe pour adopter une autre loi. Ne serait-il pas mieux de le laisser là simplement?

M. Burns: Je conseille au ministre, et c'est un conseil d'ami que je lui fais, de relire les Débats; il n'était même pas à ce moment membre de l'Assemblée nationale. Je lui conseille de lire comment cette loi est venue, je lui conseille de repenser au contexte qui existait à ce moment. Je lui conseille également de se pencher sur l'addition des mots "terrorisme" et "subversion", parce que c'est venu sous forme d'amendement et ce n'était pas dans le texte original, c'était le crime organisé.

Oui. oui. je vois le sous-ministre qui me fait des gros yeux. Il était greffier en loi à ce moment, il devrait s en souvenir: c est lui qui l'a préparée la loi.

M. Lalonde: Le député de Maisonneuve ne devrait pas faire référence au sous-ministre comme cela, il ne peut pas se défendre.

M. Burns: C est parce que c'est un de mes bons amis; alors, je peux bien lui faire cela de temps à autre.

M. Bellemare (Johnson): C est différent, cela

M. Masse (Gilles): Je voudrais simplement faire une remarque pour qu'on n interprète pas mal mes paroles. Nous ne disons pas qu'il n y a pas de problème de terrorisme, nous ne disons pas que la police ne doit pas lutter contre le terrorisme. On dit que la police a un certain nombre d'outils pour lutter contre le terrorisme et que les escouades qui luttent contre le terrorisme et la subversion doivent continuer d exister et de travailler. Ce que nous disons, c'est qu'il n'y a pas lieu présentement d avoir une commission d enquête spéciale sur le terrorisme, genre CECO. Tout ce qu'on dit c'est qu'il faut continuer à lutter contre le terrorisme pour le prévenir et. si jamais il y a urgence, à ce moment, qu'on procède.

M. Lalonde: Vous ne croyez pas que le terrorisme et la subversion sont des crimes qui. comme ce qu'on appelle le crime organisé, font appel à un haut degré de clandestinité et de violence? Je pense que ce sont les deux caractères qui les mettent dans la même catégorie. J'en parle avec assez de détachement parce que. comme le disait tantôt le député de Maisonneuve, je ne faisais pas partie de l'Assemblée nationale quand elle a discute d'inclusion de ces termes dans la loi. Comme j aurai l'occasion de le dire tantôt, le but de I exercice de la loi 41 étant surtout de faire un réaménagement administratif en ce qui concerne I enquête sur le crime organisé et d'ajouter des dispositions pour la protection des droits individuels.

On a simplement pris I'objet tel qu'il se présentait et on l'a remis dans la loi 41. Mais je vous pose la question: Ne trouvez-vous pas sage, à titre de président d'un organisme aussi représentatif que la fraternité, qu un gouvernement — qui que ce soit qui soit au pouvoir, dépolitisons simplement le débat pour une minute — se conserve certains moyens spéciaux, aussi spéciaux vis-à-vis du terrorisme et de la subversion que pour le crime organisé, puisque ce sont des crimes qui ont ces deux caractères bien particuliers de clandestinité et de violence?

M. Masse (Gilles): Nous sommes...

Le Président (M. Cornellier): Le depute de Johnson.

M. Lalonde: Je pose la question à M. Masse, si vous le permettez.

M. Bellemare (Johnson): Oui. mais, avant qu'iI réponde, j aurais mon opinion à donner, si cela ne vous déplaisait pas.

M. Masse (Gilles): Je ne voudrais pas oublier, non plus.

M. Bellemare (Johnson): Mais non. mais vous me répondrez après.

M. Masse (Gilles): Normalement, lorsque le député de Johnson parle, c'est assez long.

M. Lalonde: Non. non. il est tellement éloquent.

M. Bellemare (Johnson): Non. mais ne me félicitez pas parce que je suis disposé à vous approuver. A l'encontre de mon collègue de Maisonneuve, je pense que le commencement de la sagesse, c est la peur.

Je suis un vieux qui circule dans la population et je pense que ce pouvoir qu'on ajoute, c est un pouvoir discrétionnaire, c'est sûr. mais, lorsque le Conseil des ministres a raison de croire qu il y aurait du terrorisme ou de la subversion, le gouvernement se donne un pouvoir. Mais il n'y a pas seulement nous qui devons donner notre opinion: il y a la population en général. Sur cela. I'article, je suis prêt à le voter. Qu on mette le terrorisme ou la subversion. On dit que cela baisse, tant mieux, cela baissera encore plus. Je suis d accord que ces termes doivent figurer dans cet article comme prévention.

On vote de multiples lois pour la prevention des feux de forêt, pour la prévention de toutes sortes de choses, la prévention quant à I environnement, mais dans un domaine aussi spécifique que celui du terrorisme et de la subversion — j'ai lu le débat que vous avez fait en 1971 sur la loi. Lorsque vous avez présenté votre amendement sur le terrorisme et la subversion, je trouve que c'était bien détaillé pour exprimer aujourd nui la raison pour laquelle c est là. A mon avis, et c est celui de mon caucus...

M. Burns: Est-ce unanime?

M. Bellemare (Johnson): C est unanime II n y a pas de problème chez nous.

M. Lalonde: Est-ce le caucus de I alliance?

M. Bellemare (Johnson): Non. non L alliance, c'est possible au mois d octobre. Présentement, je suis encore en titre et en fait. Mais je pense que les corps de police n'auraient pas raison de demander la suppression de ces termes parce qu ils sont véritablement nécessaires pour I avenir. On vit dans un monde qui est en évolution rapide et ce qui était bon il y a un an ne le sera peut-être plus demain.

On a vécu des périodes difficiles dans la province et je pense que ce n est pas de trop d ajouter le terrorisme et la subversion. Je suis prêt à endosser le gouvernement sur cela, pas sur tout.

parce que ces termes sont absolument nécessaires. Il y a bien des termes dans les lois qui sont exigibles, mais ceux-là sont préférables à bien d'autres.

Cela n'a pas été trop long, M. Masse?

M. Masse (Gilles): Non. En fait, pour répondre à la question du ministre, si je résume bien, vous m'avez demandé si je ne trouvais pas sage que le gouvernement se garde une possibilité de loi spéciale dans certains domaines qui sont très dangereux, de moyens spéciaux.

M. Lalonde: Comme ce moyen, l'est.

M. Masse (Gilles): Exactement. Alors, on considère que le gouvernement a toujours la possibilité de recourir à des moyens spéciaux au moment où il en a besoin.

M. Bellemare (Johnson): C'est plus long, cela prend plus de temps.

M. Masse (Gilles): C'est ça, c'est que...

M. Bellemare (Johnson): Le Parlement, la loi, puis les études, la prolongation, tandis que là, si cela se produisait du jour au lendemain, le ministre a le pouvoir. Alors, je pense que "trop fort casse pas " et que c'est une sécurité. Cela vaut la peine.

M. Burns: Vous lirez les débats de la semaine du 10 octobre 1970, vous les lirez, d'accord? Et vous verrez un certain nombre de cas.

M. Bellemare (Johnson): J'ai lu cela.

M. Lalonde: Je n'ai pas d'autres questions à poser là-dessus. Le débat sera repris plus tard.

M. Burns: On reviendra là-dessus. En ce qui me concerne, c'est loin d'être fini.

M. Lalonde: La remarque suivante, je pense, se réfère directement au projet de loi. Vous parlez de l'article qui concerne le bureau de recherche multidisciplinaire. Votre objection est qu'on le soumette à l'approbation du lieutenant-gouverneur en conseil?

M. Masse (Gilles): Le Conseil de sécurité n'a pas le pouvoir de réglementation. Or, le Conseil de sécurité...

M. Lalonde: Je m'excuse, je suis encore dans le bureau de recherche multidisciplinaire.

M. Masse (Gilles): Excusez!

M. Lalonde: Au cas où il y aurait une enquête sur le crime organisé.

M. Masse (Gilles): La loi dit que les commissaires peuvent, sur autorisation du lieutenant-gouverneur en conseil... C'est exactement dans le même sens. On dit qu'on devrait éliminer cela; et les commissaires peuvent avoir un bureau de recherche multidisciplinaire pour le temps de leur enquête sans avoir l'approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, tout simplement. C'est exactement dans le même sens que les autres interventions qu'on a faites pour les autres articles.

M. Lalonde: Je saisis bien votre objection. La question suivante est à propos du code de déontologie. Je comprends votre préoccupation. La raison d'être de cet article est qu'on nous a démontré que la communauté urbaine n'a pas le pouvoir d'adopter une résolution concernant le code de déontologie actuellement, ce qui créerait cette situation indésirable où un corps policier aussi important que celui de la Communauté urbaine de Montréal n'a pas de code moderne et unique de déontologie pour la discipline de ses membres.

Toutefois, j'hésite à vous suivre quand vous nous demandez d'ordonner à la communauté urbaine... C'est pour la raison suivante; on nous reproche souvent d'enlever aux autorités locales élues leurs responsabilités. Il me semble que, dans la mesure que, quand on parle de la force policière, la responsabilité demeure à la Communauté urbaine de Montréal par le biais du Conseil de sécurité, on devrait respecter leurs responsabilités et leur donner la chance d'aller les exercer et aussi leur donner le pouvoir de le faire. L'article veut seulement leur donner le pouvoir de le faire.

M. Masse (Gilles): C'est cela, mais où on a un problème, et je pense que tout le monde le sait, c'est que cela fait longtemps qu'on attend ce code de discipline, et on a mis cet article de loi pour qu'enfin on ait un code de discipline.

Ce qu'on dit, c'est que le Conseil de sécurité, qui est maintenant composé de sept personnes, dont quatre sont élues et trois sont nommées, est très représentatif de la population. Il devrait, lui, avoir le pouvoir de déterminer notre code de discipline et non pas être dans l'obligation d'attendre qu'un autre palier de gouvernement comme la Communauté urbaine de Montréal donne son assentiment.

M. Burns: Dans le fond, ce que vous dites, c'est que le pouvoir de mettre en vigueur ou de déterminer ce code de discipline devrait passer des mains de la communauté urbaine au Conseil de sécurité.

M. Masse (Gilles): Exactement comme on le disait tout à l'heure. On ne veut pas que le lieutenant-gouverneur en conseil puisse déterminer les fonctions des policiers, on ne veut pas que le gouvernement de la Communauté urbaine de Montréal puisse déterminer le code d'éthique des policiers de la CUM. Tout ce qu'on demande, c'est que ce soit le Conseil de sécurité qui ait le pouvoir de le faire et qu'il le fasse. Là, il y a un problème de réglementation où le Conseil de sécurité n'a pas le pouvoir de réglementer. Or, ce qu'on dit. c'est exactement comme le budget du Conseil de sécurité où la communauté urbaine est dans

l'obligation de l'accepter. Qu'on mette la même disposition dans cela et qu'on dise que la communauté urbaine soit dans l'obligation d'accepter le code. Parce que là, il n'y a pas...

M. Burns: A ce moment, sur le plan de la technique législative, il ne sert à rien de dire que le Conseil de sécurité doit recommander à la communauté, laquelle doit adopter... A ce moment, vous transférez le pouvoir.

M. Masse (Gilles): Si c'est possible...

M. Burns: Si l'amendement que vous suggérez est que ce soit le Conseil de sécurité qui ait le pouvoir d'adopter ce code de discipline, auriez-vous objection à dire que le Conseil de sécurité peut adopter un règlement concernant la déontologie, la discipline etc. sur approbation du lieutenant-gouverneur en conseil?

Parce que là, c'est quand même, comme vous le dites, à cette personne qu'on remet un pouvoir assez important. Si vous mettez la protection du lieutenant-gouverneur en conseil — c'est une formule qui est très courante dans nos lois— à l'effet qu'un organisme qui a des pouvoirs délégués de la part du gouvernement peut—c'est le cas, je pense justement, de la Commission de contrôle des permis d'alcoo l— établir des règlements, il a besoin de l'approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, c'est-à-dire du Conseil des ministres, par la suite.

M. Masse (Gilles): En fait, je vous laisse vous amuser avec les textes de loi.

Ce que les policiers veulent, à la CUM, c'est qu'un organisme neutre comme le Conseil de sécurité nous dirige, nous donne un code de déontologie et de discipline dans les plus brefs délais.

M. Lalonde: J'ai bien saisi votre point de vue. Je ne pense pas qu'il y ait d'autres remarques. A moins que d'autres membres de la commission aient des questions à poser. J'aimerais vous remercier de votre intervention et de vos lumières, en mon nom personnel et au nom aussi des membres de la commission.

M. Masse (Gilles): Je vous remercie, messieurs...

M. Burns: On vous remercie.

M. Masse (Gilles): ... d'avoir eu la patience de nous écouter.

M. Burns: Cela a été très intéressant. Vous avez permis d'amorcer un certain débat, même deux.

M. Bellemare (Johnson): Deux.

Le Président (M. Cornellier): J'inviterais maintenant les resprésentants du Barreau à bien vouloir venir faire leurs représentations.

Barreau de la province de Québec

M. Brossard (André): M. le Président, je m'appelle André Brossard. Je suis le bâtonnier du Barreau de la province de Québec. Vous me permettrez tout d'abord de remercier les membres de la commission d'avoir consenti à nous inviter à vous adresser la parole, aujourd'hui, afin de vous faire nos remarques concernant le projet de loi no 41.

Vous me permettrez également de vous présenter les gens qui m'entourent. Vous avez, à ma gauche, Me Philippe Casgrain, qui était un des membres du comité, qui est aujourd'hui désigné comme le comité Yarosky, qui a préparé le premier rapport du Barreau sur les commissions d'enquête. Vous avez autour de moi tous les membres, sans exception, du comité administratif du Barreau de la province de Québec. Nous avions hier, qui n'ont pas pu demeurer avec nous, malheureusement, aujourd'hui, les autres membres du comité Yarosky, soit Me Harvey Yarosky, Me Joseph Nuss ainsi que Me Gilbert Morier.

Vous me permettrez peut-être une petite remarque dans le cas de Me Gilbert Morier pour vous souligner que Me Gilbert Morier est un substitut du procureur général. C'est un procureur de la couronne que nous avions adjoint à notre comité précisément pour nous assurer que nous avions, dans la préparation du mémoire qui vous a été remis, les points de vue de toutes les parties susceptibles d'être impliquées.

Si nous sommes en délégation aussi nombreuse, c'est pour souligner, entre autres choses, l'importance fondamentale que nous attachons aux dispositions du projet de loi.

L'honorable Solliciteur général mentionnait, hier, que le Barreau voulait discuter de la CECO. Vous me permettrez peut-être de rectifier cet énoncé de l'honorable Solliciteur général. Nous ne sommes pas ici pour faire le procès de la CECO ou pour discuter de la CECO. Nous sommes ici pour discuter essentiellement d'amendements à la Loi des commissions d'enquête et d'amendements à la Loi de police et non pas pour faire une lutte au sujet de la CECO, en aucune façon.

Le Barreau — je pense que ce n'est pas nécessaire d'insister longuement — est évidemment contre le crime organisé aussi fortement que les membres de cette commission peuvent l'être et, en aucune façon, nos représentations ne visent à diminuer ou à tenter d'entraver la lutte au crime organisé. Au contraire, comme nous vous le soumettrons tout à l'heure, les propositions que nous allons faire visent à continuer la lutte contre le crime organisé, entre autres choses, et visent également à appuyer certaines des mesures du projet de loi no 41 qui sont de nature à améliorer les outils pour lutter contre le crime organisé.

Nous sommes évidemment conscients que la majorité des dispositions du projet de loi no 41 contre lesquelles nous nous opposons, existaient dans la Loi de police, et qu'elles sont transposées simolement d'une loi à une autre, ce que le ministre Lalonde appelait un réaménagement. Vous nous

permettrez cependant de souligner que si nous trouvons le projet de loi no 41 foncièrement mauvais, c'est que nous trouvons également que les dispositions qui existaient antérieurement dans la Loi de police étaient foncièrement mauvaises. Ce n'est pas parce qu'une loi a existé depuis 1972 qu'elle est devenue bonne pour ces raisons.

Le député de Maisonneuve a donné des explications quant au contexte et quant aux raisons qui. en 1972. ont motivé l'adoption de la Loi de police, et les amendements à la Loi de police à cette époque. Ces raisons, nous les faisons nôtres et je pense que des mesures qui ont été adoptées en 1972 dans un contexte de quasi-psychose à l'époque, il faut l'avoir vécu pour s'en souvenir, n'ont peut-être pas permis une étude aussi sereine et aussi froide que des dispositions aussi exorbitantes auraient dû justifier à l'époque. Mais à l'occasion de l'amendement que propose le Solliciteur général et du transfert de ces dispositions de la Loi de police à la Loi des commissions d'enquête, nous croyons qu'il faut, à ce moment, les étudier de nouveau, et les réanalyser de façon froide, de façon sereine et de façon objective.

Nous craignons également dans ce transfert de la Loi de police à la Loi des commissions d'enquête une sorte de consécration permanente, que l'on confère une certaine respectabilité à des dispositions qui, à notre point de vue, n'auraient jamais dû exister. De plus, dans ces mêmes amendements d'aujourd'hui du projet de loi no 41, on retrouve des dispositions qui vont encore au-delà de ce que nous pouvions retrouver d'exorbitant dans l'ancienne Loi de police et qui leur confèrent un caractère encore plus dangereux, pour ne pas dire davantage.

Peut-être que pour situer la position du Barreau, vous nous permettrez de faire un certain historique de la position du Barreau à ce sujet. Parce que je sais que certains d'entre vous ont considéré que notre réaction avait peut-être été assez violente. Soyez, assuré que. si elle a été violente, M. le Président, c'est parce que quand on regarde, à notre point de vue, ces dispositions du projet de loi no 41. elles nous font sincèrement craindre pour I avenir.

C est dès 1975 que le Barreau, suite à la commission d'enquête Cliche et aux premières phases de la Commission d enquête sur le crime organisé, s'est penché de façon plus particulière à I occasion d'un congrès ici à Québec, sur les commissions d'enquête. C'est à la suite de cette étude ou de ce premier jet d expression d'opinions sur les commissions d'enquête qu'un comité spécial a été formé par le Barreau. Ce comité spécial a fourni son rapport au mois de mai, a été entériné à I unanimité par le Conseil général du Barreau, a été remis aux autorités gouvernementales, malheureusement, dans les deux ou trois jours qui ont précédé le dépôt du projet de loi no 41.

Suite au dépôt du projet de loi no 41. considérant que ce projet de loi no 41 ne tenait compte, en aucune façon, des recommandations que le Barreau pouvait avoir faites dans son rapport initial, nous avons demandé, à ce moment-là, la tenue d'une commission parlementaire Nous avons fait livrer aux députés, au mois de juin, un premier mémoire préliminaire jeté sur papier en 48 heures, évidemment, parce qu'à ce moment-là tout nous indiquait que le gouvernement voulait faire adopter le projet de loi en troisième lecture avant la fin de session, le 29 juin. Le temps, évidemment, nous manquait à ce moment-là pour faire une critique et une analyse exhaustive des dispositions du projet de loi no 41.

Comme le projet de loi n'a pas été adopté et a été déféré à cette commission parlementaire, nous vous avons fait remettre, avant-hier ou hier suivant le cas. le mémoire beaucoup plus détaillé, beaucoup plus fouillé que nous avons préparé dans l'intérim. C'est pour cela que vous remarquerez peut-être, ceux qui ont pu comparer les deux mémoires, que celui que nous vous avons remis hier va beaucoup plus loin que celui que nous vous avions remis au début de juin.

Ce que nous vous proposons aujourd'hui, c'est simplement de profiter de l'occasion de l'étude article par article d un projet de loi qui vise à amender la Loi des commissions d'enquête, entre autres, pour donner au Québec une nouvelle Loi des commissions d enquête, une loi générale et globale des commissions d'enquête, qui pourrait couvrir toutes les commissions d'enquête, tout en donnant à toutes les sortes de commissions d'enquête, que ce soit contre le crime organisé, le terrorisme ou la sédition — j'emploie le mot "sédition" volontairement parce que je n'aime pas le mot "subversion" qui est absolument indéfinissable et qui peut englober toutes sortes de choses tous les pouvoirs qui peuvent leur être nécessaires.

Avant de passer aux recommandations du Barreau, vous me permettrez de résumer ce à quoi nous nous opposons, de façon violente pour certains, dans le projet de loi qui est devant vous actuellement et qui fait que ce projet de loi nous semble totalement inacceptable. D'abord, notre philosophie de base, notre position de base est que toutes les commissions d'enquête doivent être soumises à une même procédure, aux mêmes règles fondamentales de protection des droits des témoins. Par conséquent, nous nous opposons donc au départ à l'article 20 qui est prévu pour la Loi des commissions d'enquête et qui créerait un statut d'exception pour certains types de commissions d enquête. C est la première objection que nous avons.

Comme nous vous lavons dit. nous craignons la permanence, parce que nous croyons sincèrement qu'une commission d enquête doit porter sur une situation donnée, limitée dans le temps. Cela est nouveau de la loi 41. c'est nouveau de 1976. Par la rédaction actuelle de l'article 73a et de I article 73b projetés dans la Loi de police, nous voyons une force de police parallèle qui serait même une supracommission d'enquête puisqu'on lui confère, dans sa rédaction actuelle, le pouvoir de diriger les commissions d enquête qui pourraient être constituées pour lutter contre le crime organisé, le terrorisme et la subversion.

Ceci nous paraît absolument contraire à un autre principe de base: c'est que les commissions d'enquête doivent être autonomes, elles doivent avoir elles-mêmes tous les pouvoirs de décider de

la nature et des enquêtes qui doivent être faites. Elles doivent avoir les pouvoirs de diriger elles-mêmes, d'orienter elles-mêmes ces enquêtes, alors que le dernier alinéa de l'article 73b, tel qu'il est rédigé actuellement, confère ce pouvoir à une force policière dépendant directement du lieutenant-gouverneur en conseil et ayant un caractère permanent. Ceci nous semble constituer une police parallèle qui risque d'être même éventuellement une police politique.

Le projet de loi no 41 consacre aux commissaires des pouvoirs qui sont absolument exorbitants et inconnus ailleurs, si ce n'est au Québec depuis 1972, quant aux perquisitions. On donne non seulement aux commissaires le pouvoir d'émettre eux-mêmes leurs propres mandats, mais on leur donne le pouvoir de les exécuter eux-mêmes s'ils le désirent. Vous avez le juge-enquêteur qui est susceptible de descendre dans la rue et de se faire policier en même temps pour perquisitionner lui-même.

On donne à ceux qui exécuteront ces mandats le pouvoir d'utiliser la force nécessaire pour effectuer les fouilles et pour contraindre les personnes à remettre les objets devant faire l'objet de la saisie. Pendant un instant, imaginez-vous l'officier muni d'un tel mandat, qui a le pouvoir d'utiliser la force nécessaire et qui demande à un individu chez qui il perquisitionne de lui remettre un objet défini. Cet objet peut être sur la personne de l'individu, il peut être ailleurs et l'individu peut refuser de le lui remettre.

Qu'est-ce que c'est, messieurs, à ce moment-là, que la force nécessaire pour le contraindre à le remettre? Il y a un mot, cela peut paraître violent, mais il y a un mot qui peut venir à l'esprit, quand on pense à ce qui se fait dans certains pays comme le Brésil ou l'Algérie pendant la guerre d'Algérie, pour contraindre une personne à révéler où sont les objets que l'on veut saisir. On donne également le pouvoir de perquisitionner sans mandat, en cas d'urgence. Le cas d'urgence est évidemment laissé à la discrétion des policiers-enquêteurs. Ce sont là les deux dernières dispositions en particulier concernant des pouvoirs que vous ne retrouvez nulle part, dans aucune loi dans un pays démocratique ou qui se veut démocratique.

Le projet de loi ne confère non plus aucune protection réelle aux témoins. C'est un des buts du projet de loi, tel que l'a expliqué l'honorable Solliciteur général lors du débat en deuxième lecture, de conférer aux témoins, d'une part, et aux personnes qui pourraient être impliquées, d'autre part, le droit de témoigner s'ils le veulent, le droit de contre-interroger d'autres témoins, le droit d'être contre-interrogés. Or le projet de loi que vous avez devant vous ne confère aucun de ces droits. Il en laisse l'octroi à la discrétion des commissaires. La commission Cliche par exemple, la CECO à l'occasion, dans leur discrétion, ont déjà accordé certains de ces droits, ont déjà permis certains contre-interrogatoires, mais dans des formes qui sur le plan pratique ne voulaient rien dire. La situation demeure absolument inchangée avec le projet de loi.

Les personnes qui sont impliquées dans une commission d'enquête comme témoins ou comme accusés éventuels ou comme accusés par un tiers ou comme faussement accusés, ce n est pas une faveur des commissaires à laquelle ils ont droit. C'est un droit réel. Les commissaires doivent être obligés de l'accorder et de le respecter ce droit-là, et le projet de loi 41 ne le donne pas.

Vous avez également, dans ce projet de loi, une disposition qui est absolument — on me pardonnera l'expression — aberrante; c'est l'article 40 projeté. Son seul et unique effet possible est de soustraire à toutes fins pratiques les commissions d'enquête de la juridiction et du contrôle des tribunaux supérieurs, ce qui n'existe nulle part ailleurs non plus. Pensez-vous qu'un seul individu, même dans le cas d'un abus flagrant de procédure par les commissions d'enquête, osera s'adresser aux tribunaux supérieurs, en se sachant passible d'un emprisonnement minimum automatique de trois mois et d'une amende minimum automatique de $25 000, si le juge, à la demande des trois commissaires-enquêteurs ou d'un commissaire-enquêteur, décidait que son recours est frivole. Personne n'oserait, dans aucun cas.

C'est une disposition que vous ne retrouvez non plus nulle part ailleurs, dans aucun pays dit civilisé ou démocratique. Le Solliciteur général a voulu faire, dans son discours en deuxième lecture, un parallèle entre cette mesure et ce qui existe dans le Code de procédure civile à l'article 527, mais il n'y a aucun parallèle possible. Ce que le Code de procédure civile prévoit en matière civile, c'est que, si vous faites un appel jugé frivole et dilatoire par trois juges d'une cour d'Appel, vous êtes passible des dommages-intérêts que vous avez causés, mais pas d'une amende minimum et pas d'un emprisonnement minimum. Ce sont des dommages-intérêts réels si vous avez occasionné des frais à la couronne en portant votre cause en appel. Je parle de commissions d'enquête, je sors du domaine civil. Le parallèle qui aurait pu être fait c est que, si en allant devant un tribunal supérieur vous occasionnez des frais inutiles à la couronne, on condamne l'appelant frivole à payer ces frais.

Cela aurait été un parallèle auquel nous nous serions peut-être quand même opposés, mais le parallèle aurait été valable, mais pas entre un emprisonnement et une amende.

Les principes que nous soumettons et qui doivent être considérés dans l'étude de nos recommandations sont assez simples. Nous sommes d'abord entièrement d'accord, évidemment, pour que le pouvoir exécutif soit muni d'instruments efficaces pour lutter contre le crime organisé. Nous croyons, cependant, que les forces policières telles que constituées, telles que structurées et avec la coordination et les outils de renseignement et de coordination que le projet de loi no 41 entend leur donner sont suffisantes pour lutter contre le crime organisé.

Nous avons entendu, depuis hier après-midi, plusieurs groupements policiers et je pense qu'en faisant un peu la somme de ce que nous avons entendu, nous nous rendons compte que ce qui

semble manquer à ces gens c'est une espèce de cohésion et de coordination, mais qu'ils ont vraiment tout ce qu'il faut pour lutter efficacement contre le crime organisé. Il suffisait d'entendre le représentant de la Fraternité des policiers de la CUM tout à l'heure vous dire exactement la même chose.

Nous croyons fondamentalement que le rôle d'une commission d'enquête n'est pas de lutter contre le crime organisé ou le terrorisme. Par définition, le rôle d'une commission d'enquête est de rechercher des faits dans les cadres d'une situation précise et donnée et de faire des recommandations au gouvernement, au lieutenant-gouverneur en conseil, quant aux moyens d'action qui devraient être pris dans tel ou tel cas qui faisait l'objet de leur étude.

Nous ne croyons pas non plus — je sais que sur ce point nous ne sommes pas en accord avec beaucoup d'autres organismes — que le rôle d'une commission d'enquête soit d'éduquer ou de sensibiliser la population. Nous croyons que le rôle essentiel d'une commission d'enquête, c'est la stricte recherche de faits. Quant à l'éducation et la sensibilisation, le gouvernement, le législateur remplira ce rôle.

Si nous donnons à une commission d'enquête, s'appelle-t-elle la CECO, ce rôle de sensibiliser le public, cela mène à donner à une commission d'enquête le rôle de condamner sur la place publique des individus qui n'auront jamais été trouvés coupables par un tribunal de droit commun. Je sais que vous entendrez probablement ou possiblement après nous un porte-parole de la CECO qui viendra tout probablement vous dire que le seul moyen de lutter efficacement contre le crime organisé, c'est de l'étaler sur la place publique et que cela mène à des résultats foudroyants tels le remplacement quasi immédiat d'un chef d'un réseau — j'aimerais qu'on définisse un jour ce qu'est un réseau — son remplacement par un autre. Est-ce que c'est vraiment efficace comme lutte contre le crime organisé?

C'est pour cela que nous nous sommes adjoints, dans notre comité un procureur de la couronne qui, lui, est essentiellement d'accord avec ce que nous présentons aujourd'hui.

Le droit des témoins, c'est un droit fondamental; le droit des parties impliquées, c'est un droit fondamental. Que comprend ce droit? Il comprend d'abord le droit de se défendre, c'est-à-dire de témoigner si on l'implique à sa demande et non pas à la discrétion des commissaires. Il a, évidemment, le droit d'être représenté et assisté d'un avocat, il a le droit de contre-interroger les témoins qui l'accusent ou qui l'impliquent, il a le droit de ne pas être blâmé par une commission d'enquête sans avoir eu le chance de se faire entendre ou sans être avisé qu'on allait le blâmer.

Là-dessus, je reconnais une nette amélioration sur ce qui existe dans le projet de loi 41. Il a droit également, le témoin ou cette personne, au respect de ce qu'il y a de plus sacré pour un citoyen et qui est son domicile; en d'autres mots, il a le droit qu'on ne le perquisitionne pas sans que tous les éléments de contrôle possibles existent avant l'émission d'un mandat de perquisition. Il a un droit d'appel sur une décision qui le concerne parce que personne n'a le monopole de la vérité, fût-il commissaire dans une commission d'enquête. Il a droit également à une discrétion, c'est-à-dire qu'il peut avoir le droit d'être entendu à huis clos dans certains cas. Il a surtout droit à un procès juste et équitable s'il doit être éventuellement poursuivi devant les tribunaux de droit commun; un procès objectif, ce qui implique qu'il ne doit pas avoir été condamné déjà dans l'opinion publique avant d'être poursuivi devant les tribunaux.

Ceci implique également que, si on a suffisamment de preuves contre un individu pour le traduire devant les tribunaux, on n'a pas à le parader devant une commission d'enquête préalable; on doit le traduire avec la preuve qu'on a immédiatement devant le tribunal, si cette preuve est déjà suffisante. Si on n'a jamais de preuve suffisante pour le traduire devant les tribunaux, on n'a pas le droit de le condamner dans l'opinion publique. Et c'est entre les deux que se situe le véritable rôle d'une commission d'enquête, que ce soit sur la liberté syndicale ou sur le crime organisé. C'est lorsque peut-être il n'y a pas assez de preuves et qu'on cherche cette preuve, mais non pour condamner sur place l'individu pour le traduire éventuellement devant les tribunaux. Agir autrement, c'est court-circuiter notre système judiciaire, c'est faire un constat public d'échec. Si on dit qu'il n'y a pas moyen d'agir autrement, c'est faire un constat public d'échec de notre système judiciaire qui existe depuis des générations et qui a fait ses preuves dans plusieurs autres juridictions. C'est faire un constat d'échec aussi pour la province de Québec parce qu'aucune autre province au pays n'a semblé trouver nécessaire de sortir des tribunaux de droit commun pour condamner les individus sur la place publique. Si c'est le constat d'échec qu'on veut faire, messieurs, les conséquences peuvent en être graves pour l'avenir.

Nous croyons également qu'une commission d'enquête doit être soumise aux tribunaux de droit commun. Ce contrôle doit s'exercer à deux niveaux, à deux étapes, dans l'émission des mandats de perquisition et également ces tribunaux de droit commun doivent avoir la possibilité de réviser, d'une part, certaines décisions rendues par les commissions d'enquête lorsqu'elles impliquent les droits des individus et des citoyens et, d'autre part, le droit d'intervenir si une commission d'enquête excède ou abuse de sa juridiction.

Nous croyons, enfin, que les commissaires-enquêteurs doivent être là comme des juges, c'est-à-dire des personnes absolument objectives, impartiales, sereines, qui ne sont pas là pour poursuivre elles-mêmes, qui sont là simplement et froidement pour rechercher les faits et une vérité, toute relative que la vérité puisse toujours être.

C'est dans ce contexte que nous faisons les recommandations que nous vous avons faites et qui sont dans le mémoire. Nous vous invitons évidemment à lire le mémoire. Je n'ai pas l'intention, sinon peut-être en réponse aux questions que les

membres de la commission pourront m adresser, de détailler devant vous verbalement ou de répéter ce qui est déjà par écrit devant vous.

Vous me permettrez simplement de résumer essentiellement les recommandations que nous vous faisons d amendements au projet de loi 41. D'abord, en ce qui concerne les articles 73a et 73b. nous n avons pas d objection de principe à la formation ou à I institutionnalisation de ce bureau. C'est dans les cadres de la recherche par le gouvernement d'une structure administrative adéquate pour lutter contre le crime organisé.

Nous demandons simplement la suppression du dernier alinéa de l'article 73b pour les raisons que je vous ai déjà mentionnées. Cet alinéa confère au lieutenant-gouverneur en conseil un pouvoir direct sur ce bureau, dans les cadres d'une commission d'enquête, et confère à ce bureau la direction des enquêtes, alors que la commission d'enquête doit demeurer libre et autonome de faire appel à qui elle veut pour diriger et coordonner les enquêtes. Comme nous le mentionnons dans notre mémoire en regard de l'article 3 de la Loi des commissions d'enquête et de l'article 42 projeté, la commission d'enquête, d après nos recommandations, jouira de tous les pouvoirs voulus pour faire appel à ce bureau, mais elle le décidera elle-même.

Nous recommandons également qu'en principe, tel que le projet de loi 41 le prévoit à l'article 5a de la Loi des commissions d enquête — avec laquelle nous sommes d'accord — les commissions d enquête doivent être publiques. Mais entendons-nous sur la portée du mot public". Quel est le but, dans quel but voulons-nous qu'une commission d'enquête soit publique? C est essentiellement pour que l'on puisse contrôler la procédure et pour que les représentants du public qui assistent à de telles commissions d'enquête soient en mesure de garantir que les règles normales de la procédure et que les droits des témoins soient observés. Si nous voulons que ce soit public, ce n'est pas dans un but d'information ou d'éducation populaire, c est dans un but de protection des témoins et des parties qui seront traînés devant cette commission d'enquête. C est pour cela que nous concluons, dans une de nos recommandations essentielles, que toute diffusion électronique soit interdite.

Nous pourrons revenir tout à Iheure. en réponse à vos questions, sur les motifs pour lesquels nous demandons l'interdiction de diffusion de séance ou de partie de séance de commission d enquête par les media et les moyens électroniques.

Nous recommandons également que les moyens de perquisition soient émis par un juge de la Cour supérieure et non par les commissaires eux-mêmes. Nous recommandons que, quant au reste des perquisitions, elles soient soumises aux dispositions du droit commun, du code criminel, qui a fait ses preuves et qui est suffisant dans toutes les autres juridictions pour effectuer quelque perquisition que ce soit. Il n'y a aucune raison d'aller au-delà des dispositions du code criminel en matière de perauisition.

Nous demandons également que les droits des témoins soient consacrés, mais de façon absolue. Droit de se faire entendre lorsqu ils ont un intérêt direct et sérieux dans l'objet de l'enquête ou qu'ils sont impliqués par un tiers: droit de contre-interroger un témoin qui les impliquerait, par leur avocat: un témoin a droit d être contre-interrogé par son propre avocat: un témoin ou une partie impliquée a également le droit de contre-interroger d'autres témoins sur des faits pertinents qui la concernent, droit d'être prévenu d'un blâme possible et droit, surtout, d'être entendu. Si vous vous référez à larticle 38 du projet de loi 41. nous recommandons des amendements majeurs à cet article 38. parce que nous jugeons que. dans sa rédaction actuelle, il pourrait évidemment être rendu inopérant tout simplement par une application arbitraire de cet article. Par exemple, on pourrait aviser une personne douze heures à l'avance, en sachant qu'elle est en vacances ou dans l'incapacité de se présenter devant la commission, qu'elle va être blâmée et l'inviter à se présenter devant la commission d'enquête, sachant fort bien qu'elle ne pourra pas le faire. Si vous regardez la rédaction de cet article actuellement, c'est l'effet possible. Nous proposons à ce sujet un amendement à la rédaction.

Evidemment, nous apportons, dans les amendements que nous suggérons, certains qualificatifs à ces droits des témoins, parce que nous sommes conscients qu'il ne faut pas que la permission de contre-interroger ou que la permission d être entendu vise ou vienne à paralyser les travaux de l'enquête.

Alors, nous acceptons certaines limitations à ce droit de contre-interroger. à ce droit de témoigner, qui sont dans les amendements que nous vous suggérons.

Nous recommandons également l'institution d un droit d appel de toute décision qui serait rendue par les commissaires dans les cadres de la Loi des commissions d'enquête. Nous devons évidemment accepter la possibilité d'un excès ou d un abus de juridiction, donc d'une demande d'émission de bref de prérogative.

Nous sommes conscients qu'un abus de ces procédures d appel ou d'évocation pourrait effectivement paralyser complètement une commission d enquête. C est pour cela que. dans les amendements que nous vous recommandons, il est prévu qu'un appel et que l'émission d'un bref d'évocation ne contient aucun sursis, aucun ordre de sursis en soi et que. par conséquent, les procédures d une commission d'enquête peuvent continuer nonobstant appel, nonobstant émission d un bref d'évocation, à moins d'une ordonnance spécifique du juge du tribunal supérieur, ordonnance qu il ne pourrait pas émettre sinon sur requête écrite signifiée au préalable au procureur général avec un avis suffisant pour que le procureur général puisse contester cette demande de sursis.

Nous croyons que. si vous acceptez ces dispositions, vous répondez aux objections de ceux qui prétendent que I'appel ou la procédure d'évocation risque de paralyser une commission d enquête. Si. malgré une telle procédure que nous re-

commanderions, on continuait à craindre que les procédures d'appel entravent la bonne marche d'une commission d'enquête, je pense que ce serait encore là faire un constat d'échec ou tout au moins manifester à l'égard de nos tribunaux supérieurs un manque de confiance. Lorsqu'un gouvernement manifeste un manque de confiance envers les tribunaux supérieurs, là encore je vous invite à penser aux conséquences à long terme que cela peut avoir dans l'opinion publique.

Pour conclure, et avant de répondre à vos questions, finalement, ce que nous vous soumettons, ce n'est rien d'extraordinaire. Vous allez retrouver la moitié, au moins, de ce que nous vous suggérons, sinon plus, dans la Loi des commissions d'enquête de l'Ontario. Je pense que la province d'Ontario a eu des commissions d'enquête qui ont bien fonctionné, a eu des commissions d'enquête sur certains aspects du crime organisé. Nous vous suggérons également, suivant les informations qu'on a, les recommandations de la Commission de réforme du droit au ministre de la Justice fédéral, mutatis mutandis, dans la généralité des principes que nous vous recommandons.

Le principe émis dans le mémoire du comité Yarosky, qui est reproduit sous forme législative dans notre mémoire d'aujourd'hui, n'est pas si extraordinaire que la province de la Colombie-Britannique a pris la peine de consulter le Barreau du Québec sur cette question. Il n'y a donc pas à craindre de ce que nous vous proposons, mais nous soumettons, d'autre part, que si vous acceptez les recommandations et les amendements qu'on vous suggère, le Québec pourra se vanter, après coup, d'avoir peut-être la Loi des commissions d'enquête la plus complète et la plus efficace d'aucune juridiction au Canada, d'une part, et d'avoir également une des lois qui respectera le mieux et le plus complètement les droits fondamentaux des citoyens, des témoins et des individus susceptibles d'être impliqués devant de telles commissions d'enquête.

Je vous remercie et je vous invite à poser toutes les questions que vous désirez.

Le Président (M. Cornellier): L'honorable Solliciteur général.

M. Lalonde: Me Brossard, je vous remercie de votre présentation. Je pourrais aussi en profiter pour remercier le Barreau de s'être imposé l'effort qu'il a fait relativement à cette question des commissions d'enquête par la voie de l'étude du comité Yarosky.

Cela fait déjà, quand même, plus d'un an, je crois, que vous vous êtes penchés sur cette question. Il n'y a aucun doute que les conclusions auxquelles vous en êtes venus vont aider cette commission en particulier et les citoyens en général à mieux comprendre quels sont les problèmes qu'une société comme la nôtre rencontre dans la recherche du meilleur équilibre entre, d'une part, la lutte à la criminalité et, d'autre part, la plus grande liberté possible au niveau individuel.

Comme j'ai eu l'occasion de le dire — je pense que c'est ici qu'il faut le dire de façon plus for- melle — la présentation du projet de loi no 41 n'avait pas pour prétention de remettre en question tous les éléments, tous les problèmes fondamentaux que la discussion que nous avons eue depuis hier et depuis votre présentation soulève. D'autre part — c'est le bienfait, je pense, du jeu démocratique et parlementaire— la présentation du projet de loi no 41, en ce qui concerne simplement la question des enquêtes, qui se voulait un réaménagement administratif avec l'addition de quelques dispositions concernant la protection des gens, c'est le cas, soulève une discussion fondamentale. Loin de moi l'intention de l'éviter. Votre présence ici et la tenue de cette commission parlementaire en sont l'illustration.

Le mémoire du Barreau fait suite et est très fidèle, je crois, à l'étude Yarosky et à ses conclusions fondamentales. Il soulève des problèmes d'équilibre tels que, sachant votre venue ici, je vous ai avisé, Me Brossard, et aussi le député de Maisonneuve que je demanderais a la CECO de nous déléguer un représentant qui pourrait agir à titre de conseiller expert en matière d'enquête sur le crime organisé. Je l'ai dit hier. Me Dagenais, le procureur-chef de la Commission d'enquête sur le crime organisé, est ici et, après l'examen de votre mémoire, je lui demanderai de nous éclairer aussi.

Il faut bien comprendre que cette demande, cette procédure n'a pas pour but de faire mettre en doute les conclusions du Barreau par quelqu'un qui devrait normalement être contre. Ce n'est pas du tout la question. Mais vous vous souvenez, lorsque j'avais, avec le juge Dutil, consulté le comité Yarosky en présence des deux bâtonniers d'alors, c'est-à-dire qu'on était dans un interrègne, je crois, à ce moment, et Me Brossard, vous étiez là, que nous recherchions justement la formule qui permettrait de donner le plus de protection possible aux témoins tout en permettant à une enquête de fonctionner. De là les aménagements concernant la protection des témoins et qui sont constamment, comme vous le reconnaissez, soumis à la discrétion des commissaires. Nous demanderons à Me Dagenais de nous faire des remarques à ce sujet.

Vous concluez, à différents titres, que les forces policières sont suffisantes pour lutter contre le crime organisé. A quelle étude le Barreau s'est-il astreint pour faire cette conclusion? Quoique vous l'aménagez ou l'assaisonnez de cette réserve, c'est compte tenu des dispositions de la loi 41 qui en assure la coordination.

M. Brossard: Disons que c'est plutôt une déclaration de principe que, dans toute société bien structurée et bien organisée, les forces policières doivent être adéquates pour lutter contre le crime organisé.

M. Lalonde: C est un voeu plus qu'une conclusion.

M. Brossard: Vous dites vous-même qu'elles ne sont pas adéquates ou qu'elles ne sont pas structurées adéquatement ou qu'elles ne sont pas suffisantes. Quant à nous, nous croyons qu'elles

doivent être suffisamment structurées, suffisamment bien organisées. Pour autant que votre projet de loi no 41 vise à améliorer les structures existantes, nous sommes d'accord avec ce but, mais nous ne pouvons pas accepter comme prémisses, dans une société qui se veut structurée et organisée, l'affirmation de principe que nos forces policières ne sont pas suffisantes. Là, on va se poser la question, si c'est le cas: Le problème, il est où? C'est peut-être à ce niveau qu'une commission d'enquête devrait enquêter. C'est notre position.

Une commission d'enquête vis-à-vis du crime organisé, si les forces policières sont inadéquates, doit enquêter pour savoir pourquoi les forces policières sont inadéquates et faire des recommandations, mais pas lutter elle-même contre le crime organisé.

M. Lalonde: L'insuffisance des forces policières peut être de deux ordres; soit au niveau des effectifs, au niveau de la formation, du budget, de l'équipement et aussi au niveau des moyens qu'on donne aux forces policières pour combattre un certain type de criminalité. Le policier, à part le renseignement qu'il recueille de différentes manières, par l'interview de témoins ou de suspects, de façon électronique mais combien limitée de plus en plus...

M. Brossard: Disons que le Barreau aurait peut-être des divergences d'opinions à ce sujet.

M. Lalonde: Comme d'habitude. Ce n'est pas un reproche. Le policier n'est quand même pas muni des mêmes moyens qu'un organisme comme une commission d'enquête, par exemple pouvoir contraindre un témoin à venir témoigner sous serment. Le policier n'a pas ce moyen. Vous voulez dire, quand vous déclarez que les forces policières sont suffisantes pour lutter contre le crime organisé, qu'on n'a pas besoin de recourir à l'enquête?

M. Brossard: Pas du tout. M. Lalonde: Non?

M. Brossard: D'abord, il y a un principe de base auquel nous croyons fortement, nous, dans un système judiciaire et qui veut que toute personne est présumée innocente à moins de preuve du contraire. Nous croyons à ce principe de base et nous croyons évidemment au principe corollaire qui veut que, normalement, un individu ne puisse pas être contraint de témoigner contre lui-même. Si c'est dans un but de simple recherche de faits, ce principe peut, à l'occasion, subir certaines exceptions, mais si c'est dans le but de faire condamner l'individu dans l'opinion publique...

M. Lalonde: Je comprends.

M. Casgrain: Est-ce que vous permettez une remarque? Si vous me permettez. Vous brandissez le mot...

M. Lalonde: C'est Me Philippe Casgrain, pour les fins du journal des Débats.

M. Brossard: Comme j'ai demandé aux autres membres du comité Yarosky de m'accompagner précisément pour pouvoir répondre sur des aspects peut-être plus techniques à l'occasion, si vous n'avez pas d'objection, je demanderais à Me Casgrain de répondre.

M. Casgrain: Je ne savais pas que j'avais besoin de la permission. De toute façon, merci. Ce que je voulais dire, M. le Solliciteur général, avec tout le respect que je vous dois, c'est que vous mentionnez, vous brandissez, pour ainsi dire, les mots "crime organisé". A partir du moment où vous dites à quelqu'un: II y a un crime organisé, c'est terrible, il faut faire quelque chose, vous pourriez, demain, utiliser un autre terme. Ce pourrait être le viol qui est en recrudescence et vous diriez que cela prend des moyens spéciaux pour régler ce problème.

Il est évident, dans n'importe quel système judiciaire, que, si vous pouvez manipuler un témoin, hors la présence du juge ou autrement, il va témoigner beaucoup plus facilement. Il est certain également qu'administrer une justice punitive se fait beaucoup plus facilement, lorsqu'on est à l'abri des regards indiscrets. A cette enseigne, chaque fois qu'on parle de péché ou de crime ou d'état de ce genre, il est bien certain que le désir intime, serait de régler le problème au plus vite, en éliminant justement cet appareil judiciaire qui puisse avoir semblé, au premier abord, encombrant.

Ce que nous vous disons, nous, c'est qu'on ne peut pas, dans une société, décider qu'on aura un système de droit spécial pour combattre un crime quelconque, fut-il le crime organisé. C'est ce qu'on dit. On vous dit que vous formez, dans le bill 41, un bureau chargé de coordonner les recherches, cela nous paraît une des solutions les plus recherchées. Mais à partir du moment où est formé ce bureau, et à partir du moment où une commission d'enquête peut-être vous aidera à l'améliorer en ayant découvert les failles qui peuvent exister au sein des forces policières ou même des gens en place, vous pouvez encore l'améliorer.

On ne peut pas changer le système judiciaire à l'occasion de pareilles choses. Vous me permettrez, sans vous en accuser, de vous rappeler le début de l'inquisition, le mot paraît extraordinaire, mais je vous souligne en passant que l'inquisition a été instaurée précisément dans le même contexte, alors que les papes disaient: II y a des gens qui ont l'audace de penser différemment de l'Eglise. On va faire un petit système d'inquisition très ordinaire pour permettre cette question exceptionnelle. Cela n'a pas pris tellement de temps avant qu'effectivement cela devienne un instrument politique et puis on s'est rendu compte... puis là aussi, on avait des situations spéciales. On se disait: Bien c'est effrayant, il y a des gens qui

sont des schismatiques ou, autrement, trouvons un moyen d'enquête exceptionnel.

On est en 1976, il n'y a rien de tellement changé dans la face du monde. On a fini par instaurer des systèmes qui sont peut-être un peu encombrants, mais qui ont éliminé le pilori et qui ont éliminé les moyens spéciaux, qui ont éliminé les chambres rouges. Je ne vous fais pas un blâme et je ne pense pas que ce soit votre désir, mais, selon nous, consacrer dans la loi et dans les faits, un moyen quelconque spécial de combattre un crime quelconque, fut-il le plus horrible, c'est effectivement instaurer dès maintenant, le désir éventuellement de s'en servir pour d'autres fins.

Et c est à cet égard que, lorsqu'on voit dans votre article le mot subversion", cela nous effraye. J'ai confiance en vous; mais, disons que demain matin un autre gouvernement en qui vous, vous n'auriez peut-être pas confiance, veuille instaurer pareille enquête, sur un parti politique quel qu'il soit, il n'y aurait pas de raison pour que les mêmes considérations s'y appliquent; il n'aurait qu'à dire; On considère, nous, le gouvernement, qu'il y a une circonstance très spéciale.

Faites enquête dès maintenant sur cet horrible organisme qui est un réseau de gens pensant mal et faites-le surtout sur la place publique et là, on va les détruire rapidement. C'est ce qu'on vous dit.

M. Lalonde: Moi, je fais confiance à la population; alors, il n'y a aucun problème.

M. Casgrain: Bien moi, je suis du peuple, vous savez, alors!

M. Lalonde: Mais, si je comprends bien, l'idéal serait qu'on puisse combattre toute forme de criminalité par les moyens ordinaires, conventionnels de I administration de la justice.

M. Brossard: Vous ne devez avoir qu'un seul système judiciaire.

M. Lalonde: C est I idéal, n'est-ce pas?

M. Casgrain: Je serais consentant là-dessus.

M. Lalonde: Oui. c'est cela.

M. Brossard: Ce n'est pas seulement un idéal.

M. Lalonde: Pour toute forme de criminalité.

M. Brossard: Bien, ce n'est pas un idéal.

M. Burns: C est cela.

M. Brossard: C est cela et il faut que cela reste cela.

M. Lalonde: Oui, mais, quand...

M. Brossard: On a un système judiciaire.

M. Lalonde: ...je dis conventionnel, je veux dire sans faire appel à des commissions d'enquête.

M. Casgrain: Non. non. les commissions d enquêtes sont là pour rechercher les faits. Si vous constatez que votre corps policier, dans la municipalité de Saint-Glin-Glin qui n'a pas 5000 habitants ou qui devrait avoir un corps policier, je ne sais pas trop, fonctionne mal. faites-en une commission d'enquête. Ils vont vous faire rapport en disant: II arrive que, dans ce coin-là, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas et qui n'est pas très catholique, même si on ne parle pas d'inquisition, entre le maire et le chef de police. Là, vous réglerez votre problème à la lumière de ce qu'on vous dira, mais vous n'instaurerez pas, à ce moment, un système spécial de police qui sera chargé de régler ce problème en utilisant le genre de moyens dont vous parlez ici.

M. Brossard: Je pense qu'il faudrait éviter une confusion. Nous ne nous opposons pas à ce qu'il y ait une commission d'enquête, à l'occasion, sur le crime organisé. Ce n'est pas du tout ce à quoi nous nous opposons.

M. Lalonde: On a déjà émis des doutes à savoir ce qu'est le crime organisé.

M. Brossard: Non, non, on ne s'oppose pas à cela. Je voudrais qu'on se comprenne bien.

M. Lalonde: Oui.

M. Brossard: Ce que nous disons d abord, c est que l'article 1 de la Loi des commissions d'enquête actuelle vous donne tous les pouvoirs nécessaires pour en constituer des commissions d'enquête sur le crime organisé à l'occasion d'un problème bien défini, tel qu'on le mentionnait tout à l'heure, par exemple, pourquoi telle force policière est inefficace contre tel crime. On a aucune objection de principe à cela. Ce à quoi nous nous opposons fondamentalement, c'est que le but de la commission d'enquête devienne non pas la recherche de faits ou de causes à un mal donné, mais devienne un tribunal parallèle servant à condamner sur la place publique des gens qu'on est incapable de traduire devant les tribunaux.

M. Burns: Avec un budget spécial.

M. Brossard: Là. vous court-circuitez votre système judiciaire. Vous faites un système judiciaire parallèle.

M. Lalonde: Je comprends bien votre point de vue. D ailleurs, c'est ce qui sous-tend toute votre position en tant que Barreau vis-à-vis du projet de loi no 41.

Et c'est, d'ailleurs, je pense, à moins que vous ne me corrigiez, la raison qui préside à votre conclusion, à savoir que le rôle d'une commission d'enquête sur le crime organisé n'est pas de lutter contre le crime organisé, mais de lutter contre des criminels organisés.

M. Brossard: C est-à-dire que ce n'est pas son rôle de suppléer à des lacunes policières: son rôle est de trouver pourquoi il peut y avoir des lacunes policières et là de vous faire les recommandations voulues.

M. Lalonde: Ce n'est pas non plus son rôle, vous concluez, de sensibiliser la population.

M. Brossard: Ah! cela non.

M. Lalonde: Vous savez que la commission Prévost avait demandé justement que la population soit sensibilisée.

M. Brossard: Nous n'avons pas d objection à ce que la population soit sensibilisée à lexistence du crime organisé, mais nous disons: Vous avez tous les autres moyens à votre disposition. Je pense que le gouvernement dans ses structures. l'Assemblée nationale, avec tous vos moyens de communication, vous avez tout ce qu'il faut pour sensibiliser la population.

M. Lalonde: Mais cela n'appartient pas à la commission d'enquête?

M. Brossard: Ce n'est pas le rôle de la commission d enquête. Si la commission d'enquête remplit ce rôle, elle ne peut en arriver qu à une seule conclusion, qu'un seul résultat qui va être de condamner sur la place publique des individus contre lesquels il n'existe pas de preuve suffisante.

Prenons un exemple. Vous avez eu la phase CECO sur la viande avariée. La CECO, à ce moment-là, agissait dans un rôle de sensibilisation publique et également dans un rôle de condamnation. Elle a fait des recommandations au gouvernement quant à un certain nombre de plaintes criminelles qui devaient être apportées; je pense qu'il y avait 25 à 30 noms dans ces recommandations. Mais vos substituts en ont porté combien de plaintes après et ils ont obtenu combien de condamnations? La preuve était insuffisante pour obtenir une condamnation contre les autres, mais les autres ont quand même été condamnés à jamais dans l'opinion publique. Là vous avez vraiment court-circuité notre système judiciaire.

M. Lalonde: Vous soulevez un point qui est tout à fait pertinent. En effet, on s'est aperçu, après avoir soumis la preuve qui avait justifié la commission d'enquête de recommander telles poursuites contre un tel, un tel et un tel, que la preuve, dans plusieurs cas, n'était pas suffisante à l'opinion de nos experts en la matière, c est-à-dire les procureurs de la couronne. Donc, il y a peut-être eu, un moment donné, un court-circuit dans les communications.

Mais c'est une question qui peut être réglée facilement. Il n'est plus question que la CECO fasse des recommandations de poursuivre un tel pour tel crime, du moins dans un rapport écrit. Les relations, les communications entre les procureurs de la couronne et la CECO sont assez immédiates pour que nous assumions nos responsabilités. Si une preuve que nous ne connaissions pas est révélée, à I'occasion d'une commission d enquête, que ce soit le système judiciaire conventionnel qui I examine et amène le suspect devant les tribunaux, si la preuve est suffisante. Je pense que c'était très vrai dans le cas de la viande avariée. Nous n avons pu amener devant les tribunaux qu une certaine partie des personnes mentionnées et seulement une partie des plaintes recommandées. C est quand même une parenthèse. Il reste le fait que ce soit fait publiquement, cela a pu sensibiliser la population sur l'existence d'une forme de criminalité sournoise que l'on ne soupçonnait pas. La pègre était rendue dans notre assiette et on ne le savait pas. Ne trouvez-vous pas qu'il y a une certaine valeur positive à ce qu'une commission sur le crime organisé fasse justement ce genre de sensibilisation?

M. Brossard: Encore là, il faut s entendre. La sensibilisation qui a résulté de la phase de la commission d'enquête sur la viande avariée a été une conséquence de la recherche de certains faits. Ce à quoi nous nous opposons, c'est que cela devienne le but de la commission d enquête. A ce moment, pour atteindre cet effet, cela devient le but. Vous risquez d'enlever aux commissaires-enquêteurs leur objectivité, leur impartialité. Selon notre opinion, ces gens qui président à une commission d'enquête doivent être très froids. Ils ne sont pas là pour préjuger du résultat final de la commission d enquête. Si vous leur donnez comme but de sensibiliser l'opinion publique, quel est le risque? C'est que la commission d'enquête, alors, devienne orientée vers ce but. Pour orienter la commission d'enquête vers ce but et pour l'atteindre, il va falloir que les commissaires choisissent les éléments de preuve qui leurs paraissent efficaces à cette fin.

A ce moment-là, ils perdent complètement de vue ce qui doit être le but premier, qui est la recherche de tous les faits même ceux qui peuvent ne pas faire leur affaire dans une orientation d'éducation populaire.

M. Lalonde: M. le Président, je sais qu'on doit suspendre immédiatement. J'aurais seulement une question avant la suspension, si vous me le permettez. Je disais tantôt que, quoique ce n'était pas le but de l'exercice, on en est rendu à se poser des questions sur les aspects fondamentaux de ce problème. Le Barreau, en 1972, lorsque cela a été étudié, a-t-il fait des représentations? Je vous demande cela seulement par curiosité, je n'étais pas là. Elles n ont pas été écoutées?

M. Brossard: Je répondrais ceci à l'honorable Solliciteur général. Souvenez-vous, encore une fois, de la façon dont les amendements ont été adoptés en 1972, sanctionnés le 8 juillet, rapidement, à la fin de la session...

M. Burns: En fin de session...

M. Brossard: ...enfouis entre 82 autres projets

de loi, d'une part; deuxièmement dans la psychose qui existait à cette époque et, troisièmement, dans une époque de changement d'administration au Barreau. La réponse: En 1972, le Barreau, malheureusement— je le regrette— n'a pas fait les représentations qu'il aurait dû faire.

M. Lalonde: Mieux vaut tard que jamais.

M. Brossard: Mais ce n'est pas une raison pour que nous ne les fassions pas aujourd'hui.

M. Lalonde: Mieux vaut tard que jamais.

M. Casgrain: Vous admettrez qu'on se reprend bien!

M. Lalonde: Cela peut peut-être expliquer l'intensité de l'indignation!

M. Casgrain: Vous admettrez qu'on se reprend très bien!

M. Lalonde: Cela peut peut-être expliquer l'intensité de l'indignation, mais mieux vaut tard que jamais!

M. Burns: C'est, d'ailleurs, pour la même raison, M. le ministre, qu'aujourd'hui je suis férocement, aussi férocement contre le projet de loi, parce que je me le suis fait passer entre les dents en 1972.

D'ailleurs, pour ajouter à cette réponse du Barreau, je peux vous dire qu'à ma connaissance, en 1972, le seul organisme qui nous avait mis la puce à l'oreille était la Ligue des droits de l'homme, par la voix de son président du temps, M. Champagne, qui est heureusement, maintenant, vice-président, je pense, de la Commission des droits et libertés de la personne du Québec. C'est le seul, véritablement — je tiens à lui rendre ce témoignage — qui avait soulevé le problème, qui même nous avait, dans un échange public de lettres, dans les colonnes aux lecteurs dans les journaux, engueulés assez vertement. Là-dessus, je pense que c'est le seul véritable organisme qui s'était manifesté à l'époque. En tout cas, on n'a pas à faire le procès de cette période.

M. Lalonde: C'est simplement pour montrer la perspective dans laquelle cela se passe.

M. Burns: En terminant, je veux très sincèrement remercier le Barreau pour cette présentation. La seule chose que je regrette, Me Brossard, M. le bâtonnier, c'est que vous ne soyez pas à mes côtés quand on discutera article par article. Je suis sûr que vous feriez un très bon avocat à la commission lorsqu'on discutera de ce projet.

Je dois vous dire que je partage l'ensemble de vos recommandations. En tout cas, au nom de l'Opposition, on peut vous dire qu'on partage cette position. Cela va peut-être vous étonner, mais je peux même vous dire que je ne suis pas loin d'être convaincu sur le seul point de désaccord que j'avais sur le mémoire du Barreau, c'est-à-dire l'aspect de la publicité. Je pense que vous touchez très sérieusement au coeur du problème lorsque vous dites que la publicité qu'on accorde à ce type de commission d'enquête résulte, dans les faits, à condamner quelqu'un qui ne l'a pas été par les voies normales des tribunaux et par les règles précises qu'on a expérimentées depuis de nombreuses années et qui se sont trouvées efficaces pour protéger les individus.

En terminant, à cause de la façon désintéressée avec laquelle vous apportez ce mémoire devant la commission et l'engagement, si vous voulez, au sens social du mot, je ne suis pas loin de vous dire que cela me rend encore plus fier d'être membre du Barreau, et je vous remercie de cette présentation.

Le Président (M. Cornellier): Messieurs, la commission suspend ses travaux jusqu'à quinze heures. Le Barreau pourra revenir pour continuer l'étude et sera suivi de la Fédération des policiers.

(Suspension de la séance à 12 h 37)

Reprise de la séance à 15 h 10

M. Cornellier (président de la commission permanente de la justice): A I ordre, messieurs! La commission de la justice reprend ses travaux. Nous en sommes toujours à l'étude du mémoire du Barreau. Je cède immédiatement la parole au Solliciteur général.

M. Lalonde: La présentation qui a été faite par M. le Bâtonnier me semble assez exhaustive. Il n'est pas question, naturellement, de commencer l'étude article par article de cette loi à ce stade-ci de nos travaux. Je n'aurais pas de question — sauf celles plus générales que j'ai posées au début — à poser actuellement sur les idées fondamentales, générales, les grands principes de la présentation du Barreau.

Quant à moi, je pense que son mémoire est très clair, il repose sur des principes très clairement exprimés et j en félicite le Barreau. Puisqu il n est pas question d'aborder l'étude article par article maintenant, je n'aurais pas d'autres questions à moins que des membres de cette commission désirent aller plus avant.

M. Burns: J aurais simplement une question à l'endroit de M. le Bâtonnier. Vous avez, ce matin, exprimé l'inquiétude du Barreau relativement à la publicité qui doit être donnée ou qui est donnée actuellement aux travaux de la Commission d enquête sur le crime organisé en particulier.

Cela m'a particulièrement frappé lorsque vous nous avez dit qu'à toutes fins pratiques — je vous l'ai mentionné à la fin de la séance ce matin — cela équivalait à condamner quelqu'un, dans de nombreux cas, sans que véritablement un procès ait eu lieu. C'était, dans votre présentation, un des aspects. Vous nous disiez: Si vous voulez avoir des explications additionnelles, c'est là que je pourrai vous en donner Est-ce que cela vous tenterait de nous donner plus de détails sur la position du Barreau relativement à ce sujet?

M. Brossard: Nous sommes évidemment d'accord pour que les commissions soient publiques. Je pense que c'est très clair.

M. Bellemare (Johnson): Que les commissions soient?

M. Brossard: Publiques. Essentiellement publiques, ouvertes au public, sauf dans certains cas bien définis qui sont prévus par l'article 33 projeté et auquel nous suggérons quand même certains amendements. Ce à quoi nous nous opposons essentiellement dans la publicité qui est donnée aux commissions et de façon très claire, c'est à la diffusion par les media électroniques. Les raisons sont multiples, elles sont de deux ordres. D'abord il y a la position de principe de base que ce n'est quand même pas un procès qui doit viser à condamner des individus dans I opinion publique. Je pense qu'on en a parlé abondamment ce matin.

Il y a d'autres raisons d ordre également plus pratique, plus concrètes pour s'opposer à la télé- diffusion par exemple ou même à la reproduction à la radio en direct ou en différé. L'expérience que nous avons dans la pratique devant les tribunaux est telle que l'on sait fort bien que pour quiconque qui est appelé comme témoin devant un tribunal, même dans la cause la plus simple qui soit, c est déjà un traumatisme jusqu'à un certain point. Demandez à quiconque qui a été appelé à témoigner devant un tribunal, même un avocat appelé à témoigner devant un tribunal, c est quelque chose d'un peu traumatisant.

M. Lalonde: Peut-être surtout un avocat. M. Brossard: Peut-être...

M. Bellemare (Johnson): Un premier ministre surtout.

M. Brossard: ...mettez-lui...

M. Burns: Dans le cas du premier ministre ils remettent la cause indéfiniment, puis ce n est pas grave.

M. Bellemare (Johnson): Cela a pris dix ans mais elle a passé.

M. Burns: Oui?

M. Bellemare (Johnson): C était la cause des témoins de Jéhovah.

M. Burns: Oui. mais il y en a une autre actuellement, la baie James; on n'en entend plus parler, je ne sais pas, on a oublié cela.

M. Brossard: C'est sub judice. C est sub judice.

M. Lalonde: C est une cause civile.

M. Burns: La cause d'outrage au tribunal du premier ministre actuel.

M. Lalonde: M. le Bâtonnier aurait des... M. Burns: Je parle...

M. Lalonde: ...des commentaires à faire là-dessus.

M. Brossard: Je vais être obligé de me récuser.

M. Burns: Je ne parlerai pas de la liste. M. le Bâtonnier.

M. Brossard: Ceci dit, pour continuer dans la ligne amorcée, mettez à ce témoin, en plus de cela, des projecteurs, des caméras.

Même si la technique d'aujourd'hui fait en sorte qu'on peut filmer sans projecteur, en cachant les caméras, mettez-lui dans la tète qu il témoigne non pas devant trois commissaires, quelques spectateurs et quelques avocats, mais devant

deux millions de personnes et ce témoin, qu'on le veuille ou non, ta vérité que vous allez en sortir dans un interrogatoire, cela va être une vérité qualifiée en fonction des deux millions d auditeurs qui l'écoutent. C'est inévitable. Le même phénomène va jouer inévitablement dans le cas des commissaires et dans le cas des procureurs. Tout être est humain. Que ce soit un juge, un avocat, il sait que deux millions de personnes le regardent ou un million. Il va vouloir se présenter non seulement sous son meilleur jour, mais sous le jour qu'il peut croire le meilleur pour les gens qui le regarderont.

Humainement parlant, cela va fausser sa propre attitude vis-à-vis de l'enquête à laquelle il participe. Cela va lui enlever un certain élément d'objectivité et de sérénité. Cela va plus loin. J'ai vécu une partie minime de la commission d'enquête Cliche. Vous avez des témoins qui — je ne donnerai pas de noms, il y en a qui sont quand même très près du gouvernement et qui ont témoigné devant la commission d'enquête Cliche — par un souci d'honnêteté, par exemple, à une question donnée, vont non pas hésiter, mais réfléchir quelques secondes à la réponse qu'ils sont appelés à donner pour donner la réponse la plus exacte, la plus précise qui soit.

Nous, qui sommes dans le métier, savons que ce témoin est un témoin honnête qui cherche la réponse précise. Les journalistes de la presse parlée ou écrite ou électronique ont également l'expérience et sont capables de faire la distinction entre ce témoin qui cherche la réponse précise et le témoin qui cherche à fuir la question, de sorte que, dans leur rapport après coup, ils vont faire la distinction. Projetez cela devant deux millions de téléspectateurs, qui n'ont pas l'expérience de la cour, qui n'ont peut-être jamais été appelés comme témoins devant un tribunal, et montrez-leur, à un moment donné, des hésitations d'un témoin ou ce qui paraît être une hésitation.

Ou laissez-leur écouter à la radio, comme j'en ai écouté, des silences de témoins avant que la réponse vienne et le risque, ce n'est même plus un risque, c'est une quasi certitude que leur conclusion, c'est que ce témoin, quel qu'il soit, cherche à fuir la question, hésitant et réticent, cherche un faux-fuyant. C'est une objection additionnelle que nous avons au media électronique.

De plus, il y a des témoins qui sont appelés devant des commissions d'enquête qui ont des rôles absolument secondaires, accessoires, qui sont convoqués quelquefois pour faire le lien entre un individu x et un individu y, mais un lien vraiment accidentel sans que cela les implique.

Les journalistes, quand ils font leurs rapports, font cette distinction, souvent n'en parlent même pas de ces témoins. Mettez-les à la télévision et imaginez le tort que cela peut causer à ces individus parce que malheureusement et quels que soient les avertissements que les commissaires peuvent donner au préalable, dans l'opinion publique, quand vous êtes appelé à comparaître devant une commission d'enquête qui s appelle une commission d'enquête sur le crime organisé, si on vous assigne, c'est parce que vous faites partie de cela. C'est inévitable. Alors, ce témoin accidentel, accessoire, dont les journalistes ignoreraient même l'existence dans leurs rapports, a été vu par un million de personnes.

On le dit dans notre mémoire, je pense que vous allez me dispenser de donner des noms de cas précis, nous avons des cas précis de témoins qui ont perdu, à la suite d une simple comparution devant la CECO, des prêts dont les hypothèques sont exigées par des banques parce que, selon

Iopinion du gérant de la compagnie de fiducie et du gérant de banque, ce bonhomme avait été assigné devant la CECO, on I avait vu à la télévision, c'était un mauvais risque, alors que la presse parlée n'en avait jamais glissé un mot dans ses rapports.

Ce sont des risques qui existent à la télédiffusion. Ensuite, si vous voulez, on peut revenir maintenant sur le plan du principe. La télévision nous fait penser un peu à l'époque où. pour mettre fin à la sorcellerie, on brûlait les sorcières sur la place publique. Je ne pense pas que cela ait mis fin à la sorcellerie à l'époque. Je n'ai pas l'impression que brûler les gens sur la place publique dans une commission d'enquête sur le crime organisé, c est ce qui va mettre fin au crime organisé.

Nous n'y voyons aucune utilité pratique: nous y voyons une série d'inconvénients qui sont très sérieux et très graves. C'est pour cela que nous nous opposons à ce genre de publicité.

M. Lalonde: M. le président, pour reprendre cette même question, j aimerais faire une distinction entre, justement, ce que Me Brossard décrit comme étant le témoin accidentel et I autre témoin. Je pense que vous le reconnaissez, il a existé, en particulier à la CECO, ce qu'on appelle des ordonnances de non-communication. Ce genre de témoins n'apparaissait pas à la télévision. Son nom n'était pas mentionné du tout, ni à la télévision, ni sur les ondes. Pensez-vous qu'on peut prendre soin au moins de cet aspect particulier par la voie de l'ordonnance de non-publication?

M. Brossard: Non. Je ne pense pas que l'ordonnance de non-publication soit suffisante. Ce témoin peut être un témoin vraiment assigné par erreur et l'ordonnance de publication règle son cas. Ce que j'appelle le témoin accidentel peut être un témoin, quand même, essentiel à la commission d'enquête pour faire le lien entre deux individus. A ce moment, ce témoin accidentel peut être un témoin qui va venir contredire un autre témoin sur un détail de relation individuelle.

II est accidentel en ce sens que lui n'a rien à voir avec le crime organisé, mais il peut être essentiel, à un moment donné, à la commission d'enquête pour faire le lien entre deux personnes. A ce moment, la commission d'enquête n'émettra pas une ordonnance de non-publication parce que son témoignage devient un élément essentiel à sa preuve.

M. Casgrain: Si vous me le permettez, je pense également que, si vous commencez à négocier à savoir combien il y aura de couverture de télévision, vous violez le principe même que nous entendons soumettre. Ce que nous disons, c'est

que le principe même d'une saine administration de la justice et d'une commission d'enquête, c'est le calme et la sérénité dans lesquels doivent se dérouler ces séances. C'est ce qui est l'essentiel. Il ne s'agit pas pour nous de dire que la commission jugera, elle, qui devra ou non passer à la télévision. Elle peut faire une erreur en choisissant ses vedettes et elle peut être tentée à l'occasion de se choisir des vedettes, parce que c'est justement là que nous en sommes. A partir du moment où vous permettez que ce soit véritablement une série de télévision, un spectacle populaire, c'est fini.

On peut bien négocier et éviter que quelques-uns soient souillés, mais l'erreur est possible et elle continuera à se répéter au fur et à mesure. La tentation est là aussi d'assurer la continuité de la série en question. Il ne faut pas se leurrer, c'est évident que c'est extrêmement populaire ce genre de chose, il n'y a pas de doute là-dessus. Et puis, à cette enseigne, s'il fallait se fier là-dessus, évidemment, on serait pour une télévision en couleur avec tout ce qu'il faut. Mais ce n'est pas parce que c'est populaire que c'est nécessairement bon. A cette enseigne, je ne me souviens pas, mais il paraît qu'il y a eu une époque où les pendaisons se faisaient en public, ensuite on les faisait devant un petit groupe; c'était une faveur pratiquement extraordinaire que d'avoir un billet pour assister à la pendaison. Cela a l'air fou, mais on rejoint en fait la justice faite sur une place publique. Ce n'est pas un principe qui est bien, bien nouveau.

M. Burns: Les films d'horreur, Me Casgrain, sont très populaires de ce temps-là.

M. Casgrain: Certainement. Quand on a fait le film Jaws — je vais vous donner un exemple — on a cru que les gens n'iraient plus se baigner. Savez-vous que c'est le contraire qui s'est produit? Il y a encore plus de gens qui sont allés, pour vous montrer que l'exemple qu'on veut faire n'est pas nécessairement celui qui va empêcher les gens de commettre le délit. Je prétends que ce qui est important dans le principe c'est le calme et la sérénité dans lesquels pareilles commissions doivent fonctionner. A partir du moment où vous leur dites: Vous vous donnez en spectacle, que ce soit une partie du spectacle, que ce soit en différé ou non, je pense que nous ne pouvons pas violer ce principe.

M. Burns: Concernant un autre des points que vous avez soulevés, M. le Bâtonnier, je partage entièrement votre avis à l'effet qu'une commission d'enquête n'a pas pour but de lutter contre le crime organisé ou tout autre mandat qu'on pourrait lui soumettre, mais beaucoup plus de rechercher des faits. Dans les commissions d'enquête, je pense que vous avez fait référence principalement à la CECO et à la commission qu'on appelle la commission Cliche maintenant sur la liberté syndicale, avez-vous — soit vous-même du bureau de direction du Barreau ou encore par des remarques qui ont pu vous être faites par des membres — remarqué que ces commissions avaient, en pratique, fait autre chose ou tenté de faire autre chose que de simplement rechercher les faits? Là-dessus, j'aimerais avoir vos commentaires, par exemple, sur la CECO, sur la commission Cliche.

D'après vous, est-ce que ces deux commissions jusqu'à maintenant, ont été beaucoup plus des commissions d'enquête, au vrai sens du mot, au véritable sens du mot — je me restreins, je ne vous donne même pas mon opinion là-dessus, mais je la demande à des spécialistes du milieu, à des gens qui sont des avocats et qui savent un peu comment fonctionne une commission d'enquête et comment cela fonctionne devant les tribunaux — ont-elles respecté le désir que vous exprimez dans votre mémoire, ou bien, d'autre part, n'ont-elles pas un peu débordé ce cadre que vous nous indiquez?

M. Brossard: Je suis convaincu, Me Burns, que vous ne nous demandez pas un jugement sur l'efficacité des deux commissions d'enquête?

M. Burns: Non, non, pas du tout sur l'efficacité, mais sur la façon dont les séances ont été tenues et par rapport aux remarques que vous faites.

M. Brossard: Ce que nous avons à reprocher, je pense, c'est un reproche commun que l'on peut faire à la commission Cliche et à la CECO. Ce n'est pas un blâme que je leur porte, parce que les dispositions juridiques qui les gouvernaient à l'époque étaient évidemment inadéquates, mais certainement que les droits des témoins, devant ces deux commissions d'enquête, n'ont pas été respectés. Je m'explique. Tant à la commission d'enquête Cliche qu'à la Commission d'enquête sur le crime organisé, voici la procédure qui a été suivi. Quand un témoin se présentait assisté d'un avocat, le témoin était interrogé par le procureur ad hoc de la commission et interrogé par les commissaires qui, évidemment, savent les points sur lesquels ils veulent interroger le témoin. L'avocat du témoin ne pouvait pas, par exemple, contre-interroger ce témoin, sinon en soumettant sa question à l'avance, au procureur ad hoc de la commission qui. lui, la posait au témoin après avoir obtenu la permission des commissaires. Vous avez exercé, à un moment donné, et je pense que tous les avocats qui ont pratiqué devant les tribunaux savent pertinemment qu'une réponse à une question donnée, plus souvent qu'autrement, entraîne une autre question en ce qu'elle était incomplète.

Il est impossible de contre-interroger un témoin, même son propre client, en passant par l'entremise d'un autre et en lui donnant la question, quand elle est un peu longue, par écrit au préalable ou verbalement quand elle n'est pas trop longue, en espérant qu'il l'interprète fidèlement en la posant au témoin; ce n'est pas un contre-interrogatoire valable. Surtout que vous êtes bloqué là, ça arrête là.

Je ne sache pas que la commission Cliche ou que la CECO ait permis le contre-interrogatoire de témoins par les avocats d'autres parties impli-

quées ou d'autres témoins impliqués par le témoignage de celui qui est dans la boîte. Remarquez bien que cela s'est fait dans le passé. La commission Cliche et la CECO ne sont pas les deux premières commissions d'enquête que le gouvernement du Québec a ordonnées. Il y a eu l'enquête Coffin, il y a eu l'enquête Caron et il y en a eu un tas d'autres.

M. Burns: Prévost.

M. Brossard: II y a eu l'enquête Prévost. Vous avez eu, au fédéral, l'enquête Estey sur Air Canada. Dans toutes ces enquêtes — je ne parle pas de Prévost, je l'ignore — l'enquête Coffin, l'enquête Caron, l'enquête Estey, l'enquête Dorion sur l'affaire Lucien Rivard, vous aviez une batterie d'avocats, de personnes impliquées dans cette enquête ou susceptibles de l'être, qui avaient le droit de contre-interroger les témoins. Les commissaires les invitaient à les contre-interroger et cela n'a jamais paralysé la bonne marche de ces commissions d'enquête. Le contre-interrogatoire, dans ces conditions, doit être limité. On ne contre-interroge pas à tort et à travers. Dans nos recommandations, on demande des précisions au contre-interrogatoire.

M. Burns: Je m'excuse, M. le Bâtonnier, mais est-ce que je peux vous poser une question? Quand vous dites que cela ne peut pas paralyser le travail de la commission, cet aspect du contre-interrogatoire, est-ce que vous avez des règles précises ou bien si vous me dites que les règles actuelles de droit commun peuvent s'appliquer sans aucun empêchement au déroulement de la commission?

M. Brossard: Ce que nous vous suggérons en matière de contre-interrogatoire, par exemple, ce sont certaines limitations. L'avocat qui contre-interroge son propre client après qu'il a été interrogé par le procureur ad hoc, nous disons qu'il l'interroge sur les faits qui ont été mentionnés dans son examen en chef. C est déjà une première limite. Si c'est l'avocat d'un tiers impliqué par ce témoin, nous disons que le contre-interrogatoire doit porter sur les faits allégués par ce témoin qui implique ce tiers. En plus de ces limites, vous avez la règle que le commissaire dispose de tous les pouvoirs d'un juge de la Cour supérieure. Or, un des pouvoirs inhérents d'un juge de la Cour supérieure est d'interrompre un contre-interrogatoire qui sort complètement des cadres de l'objet qui est discuté ou du témoignage en chef. Non seulement on suggère des règles, mais il y a, en plus, les pouvoirs inhérents du juge de la Cour supérieure qui peut l'interrompre.

Il y a un élément qui est aussi très important. Je me souviens d'un nom. A un moment donné, vous avez eu, à la première phase de la CECO, un nommé Abud, si mes souvenirs sont bons, qui est venu témoigner sur...

M. Burns: Les chevaux.

M. Brossard: ...des chevaux, puis des vedettes sportives. Je pense qu'il a passé un gardien de but puis tout cela; il en a passé du monde dans son témoignage. Dans un cas semblable, suivant la proposition qu'on vous fait, non seulement l'avocat de cette personne-là aurait droit de contre-interroger le témoin sur les faits mentionnés par le témoin, mais également sur sa crédibilité, sur les causes de reproches qui peuvent lui être faits.

Or cela peut devenir essentiel, à un moment donné, que ce soit un avocat d'un tiers qui le fasse ce contre-interrogatoire. Si, pour le procureur ad hoc de la commission, ce témoin est un témoin important dans un élément de preuve qu'il veut apporter devant la commission d'enquête, ce ne sera certainement pas son intérêt à lui de faire des reproches à ce témoin après coup, puis d'attaquer sa crédibilité. Cela prend un avocat autre que le procureur ad hoc pour le faire à un moment donné. Alors nous disons que l'avocat de la personne accusée par ce bonhomme a le droit de venir contre-interroger ce témoin-là, mais dans certaines limites, pour ne pas paralyser. Comme je vous dis, l'expérience passée révèle que cela s'est fait et que cela n'a jamais paralysé les commissions d'enquête.

Or, pourquoi l'a-t-on empêché lors de la commission d'enquête Cliche, pourquoi l'empêche-t-on actuellement dans l'enquête sur le crime organisé? Or ce que nous vous suggérons nous c'est que ce soit un droit strict dans la loi. Et je ne suis pas sûr que les commissaires vont être contre cela, parce que dans le rapport Yarosky, avant qu'il soit rédigé, il y en a plusieurs qui ont été interrogés, dont le juge Cliche lui-même. Ils ont été consultés tous ces gens-là, avant que le rapport Yarosky soit publié. On a eu la somme d'impressions de plusieurs commissaires. En toute honnêteté, cependant, je dois dire que les commissaires de la Commission d'enquête sur le crime organisé n'ont pas été rencontrés, à la suite d'un accident de parcours.

Vous demandez quelle expérience on a eue. Le Barreau a suivi la commission d'enquête Cliche, c'est-à-dire certains membres ont été appelés à suivre une partie des séances de la commission d'enquête Cliche. Nous avons même désigné à un moment donné un représentant permanent pour assister aux séances de la Commission d'enquête sur le crime organisé. Ce qu'on vous livre c'est un peu le fruit de ces expériences.

M. Burns: D'accord.

Le Président (M. Cornellier): Est-ce qu'il y a d'autres questions à l'endroit des représentants du Barreau?

M. Lalonde: M. le Président, je voudrais remercier les représentants du Barreau de leur mémoire, de leur présentation, de leur disponibilité. J'aimerais, après l'audition du Barreau, demander à Me Jacques Dagenais de nous éclairer sur certains aspects des questions qui ont été soulevées. Après, il y aura peut-être lieu de faire des remarques que je me réserve pour ce moment-là.

M. Burns: II y a la Fédération des policiers municipaux aussi.

M. Lalonde: Cela n'élimine pas la fédération, je parle sur le mémoire du Barreau.

M. Burns: Ah bon! D accord. Alors, merci encore une fois, messieurs du Barreau, merci. M. le Bâtonnier.

Le Président (M. Cornellier): Merci bien, messieurs. On inviterait Me Dagenais à venir faire ses représentations.

Commission d'enquête sur le crime organisé

M. Dagenais: Je ne voudrais pas que vous ayez l'impression, puisque je viens ici seul, qu'on ne prend pas la chose au sérieux.

M. Lalonde: Me Dagenais, j'ai demandé au président de la Commission d enquête sur le crime organisé de nous désigner quelqu un qui pourrait éclairer la commission relativement à certaines recommandations du rapport du Barreau. Pourquoi le rapport du Barreau?

Tout d'abord parce que je ne pense pas qu'il ait été convenable que nous demandions à un organisme du gouvernement de venir commenter le projet de loi lui-même. Nous ne voulons pas vous imposer ce rôle. Ce n'est pas du tout le but de ma demande. Tout simplement, parce que le rapport du Barreau est fondé sur une approche, sur des principes qui semblent fondamentalement différents, sinon contraires à ceux qui ont été suivis actuellement, tout d'abord qui ont été inscrits dans la loi en 1972 et qui ont été suivis par les différentes commissions depuis, y compris la commission actuelle formée par le ban actuel depuis le début de l'an dernier. Je comprends que vous avez été mandaté par la commission pour venir répondre à nos questions là-dessus. C'est exact?

M. Dagenais: C'est exact.

M. Burns: Ecoutez, le préalable m'inquiète un peu. Je pense que le mémoire soumis par le Barreau est tout à fait valable, à mon avis; je vous conseille très sérieusement de le relire et de l'approfondir; il ne se base pas sur des prémisses tout à fait limitées, comme il semble que vous veuillez le faire, M. le ministre. Le Barreau, comme j'ai compris son mémoire, est préoccupé par l'ensemble de la mentalité qui préside à ce type de commissions d'enquête et à cette façon d'envisager une commission d'enquête, en particulier, par le fait — je retiens cette expression qui m'apparaît très valable pour qualifier le projet de loi — d'instituer un système de justice parallèle à la justice traditionnelle que nous connaissons et qui a déjà fait ses preuves. J'aimerais bien que vous ne le lanciez pas, et cela, dans l'intérêt de Me Dagenais lui-même, dans un corridor qui n'est pas du tout celui qui nous a été présenté par le Barreau. Le

Barreau nous a dit tout simplement que ce n'était pas possible d'envisager un système de justice parallèle de ce style. Comme je disais à quelqu'un à l'heure du lunch, à midi, il est bien sûr qu'il y a des correctifs qu'il faut apporter à un certain nombre de problèmes, en particulier, concernant le crime organisé. Quand on entend le Barreau nous dire: Ecoutez, si vous voulez apporter des correctifs, apportez-les aux bons endroits. Il ne faut pas tout simplement mettre de côté tout le système et empêcher le système judiciaire de fonctionner comme tel. Il y a un vieux proverbe russe que je vous rappelle qui est assez...

M. Lalonde: En russe?

M. Burns: Non, je ne le dirai pas en russe. Il y a un vieux proverbe russe qui s'applique à la situation actuelle. Il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Quand, à un moment donné, le bébé a été nettoyé, il ne faut pas jeter l'eau du bain avec le bébé et toute la patente.

M. Lalonde: Je ne sais pas qui est le bébé là-dedans.

M. Burns: Non, mais je vous dis qu'actuellement la question est de savoir si on se pose les véritables problèmes ou si on ne se les pose pas. Est-ce que vous-même, M. le ministre, vous ne tentez pas de faire bifurquer la discussion sur des cas qui touchent l'ensemble de la population, parce quelle a pu voir ses petits films d'horreur régulièrement à la télévision, qui s'appellent les séances de la commission d'enquête sur le crime organisé ou pas. Il ne faudrait pas se mêler. C'est uniquement cette précaution que je mets de lavant à ce moment.

M. Lalonde: Je vais rassurer le député de Maisonneuve. Si j'ai donné cette impression, je vais me corriger, ce n'était pas du tout mon intention de vouloir limiter...

M. Burns: Vous avez fait votre introduction avec Me Dagenais...

M. Lalonde: Ce que je veux dire, c'est que je n'ai pas demandé à la CECO de venir commenter tout le projet de loi comme tel. C'est simplement qu'il est évident et il était évident depuis la production du rapport Yarosky et ensuite le rapport entériné par le Barreau, ensuite par le mémoire que nous avons, qu'on est devant deux approches assez différentes.

Je pense qu'il est désirable que cette commission parlementaire qui est appelée à étudier le projet de loi article par article, qui a été appelée hier et aujourd'hui à entendre des représentants de divers groupements et plus particulièrement du Barreau sur la question de l'enquête sur le crime organisé, doive quand même profiter de l'expérience qui a été faite depuis quelques années des articles tels qu'ils existaient jusqu'à maintenant et qui sont reproduits presque verbatim...

M. Burns: M. le ministre, je vous mets en garde contre vos "provisoes" à l'égard de Me Da-genais, surtout que Me Dagenais est, je pense, un salarié à l'emploi de l'Etat du Québec, si je ne me trompe pas. Les personnes qu'il a sans doute consultées sont nommées par le bureau du Solliciteur général, tout au moins par le ministère de la Justice en général, peu importe le moment où les divisions ont été faites. Dans le fond, c'est une expertise intraministérielle que vous voulez nous donner.

M. Lalonde: Oui, oui.

M. Burns: Alors, il ne faudrait quand même pas charrier, non plus, à ce niveau-là. C'est un de vos employés à qui vous demandez actuellement de venir nous donner son opinion.

M. Lalonde: Je ne pense pas que Me Dagenais accepterait d'être étiqueté de cette façon.

M. Burns: Je m'excuse, je ne veux pas charrier là-dessus...

M. Lalonde: Laissez-moi terminer.

M. Burns: ... mais on pourrait demander d'où vient le chèque de paie de Me Dagenais. Je veux dire que ce sera aussi clair que cela.

M. Lalonde: Là, il n'y a pas de doute, naturellement; comme procureur de la CECO, c'est un employé de l'Etat. Mais il y a aussi le fait que la CECO comme telle est la seule à avoir vécu l'expérience quotidiennement que la loi telle qu'elle existe actuellement et telle qu'elle est reproduite dans ses grandes lignes dans le projet de loi no 41. Alors, c'est à ce titre-là. Par exemple, on nous dit: Les droits des témoins devraient être reconnus de façon absolue sans contrainte, sans qu'on recoure à la discrétion des commissaires.

Me Dagenais a vécu des enquêtes à la CECO. Est-ce pratique, dans son opinion? C'est une question d'opinion. Une enquête faite de cette façon peut-elle, quand même, demeurer sous le contrôle de la commission d'enquête? C'est l'enquête à ce moment-là; ce n'est pas un procès. Alors, c'est le genre de question. Perquisition sans mandat qui est dans la loi actuellement. C'est reproduit tel quel.

M. Burns: Malheureusement.

M. Lalonde: Ce serait peut-être bon de demander à Me Dagenais: Est-ce que cela a été utilisé, est-ce que c'est utile? Pensez-vous que ce soit utile? Le Barreau s'est soulevé contre cela.

M. Burns: Je n'ai pas d'objection à poser ce genre de questions à Me Dagenais, sauf que, de la façon dont vous avez fait votre introduction, je me sens l'obligation, aussi bête que cela puisse paraître, de rappeler qu'il s'agit d'une personne qui est à votre emploi, à qui vous posez cette question. D'accord?

M. Lalonde: Alors, Me Dagenais, justement, les préoccupations du Barreau — c'est mon opinion — sont partagées par plusieurs personnes et groupements. Le fait, par exemple — et là je parle encore pour moi — d'avoir tenté de reproduire un certain nombre de dispositions qui avaient été prises par la CECO pour protéger dans une certaine mesure le droit des témoins ou des personnes mentionnées et de prévoir un mécanisme d'intervention dans l'enquête en est une illustration.

Maintenant, nous avons dans le projet de loi assujetti ce genre d'exercice au contrôle des commissaires. Le Barreau nous propose de laisser le contre-interrogatoire complètement sans contrainte de la part des commissaires.

Ayant participé à une telle enquête, est-ce que vous pensez que ce serait possible, pratique, que le contrôle de l'enquête pourrait être maintenu et que la marche de l'enquête pourrait quand même être ordonnée?

M. Dagenais: Avant de répondre à cette question, je ne sais pas si vous me permetteriez de faire un peu un retour en arrière. Je voudrais tout d'abord faire un préambule, parce que je dois dire que le siège que j'occupe est très inconfortable. On m'a demandé de venir ici présenter le point de vue de ceux qui avaient vécu l'enquête sur le crime, un peu de ceux qui s'occupent du "law enforcement" l'application de la loi. Je viens vraiment ici non pas en tant que salarié qui veut préserver un emploi. Quant à moi, mon emploi se termine dans quelques semaines. Je veux bien, si cela peut intéresser les gens autour de la table, répondre à l'invitation du Solliciteur général. Cela fait quelque huit années que je travaille dans le domaine comme procureur de la couronne, ensuite comme conseiller juridique de la police. J'ai aussi été à la Ligue des droits de l'homme comme secrétaire et je me suis posé pas mal de questions. C'est un peu dans ce sens, si cela a quelque intérêt, que je peux livrer des observations qui ont été le fruit d'une réflexion constante, aussi pour avoir côtoyé des organismes analogues qui se trouvent aux Etats-Unis et pour avoir discuté constamment de la question.

Je pense que toutes les questions, et en particulier la question que vous me posez, M. le Solliciteur général, la réponse découle pas mal d'un postulat de base et d'une philosophie ou d'une approche à la question du crime organisé. C'est pour cela que je sollicitais tout à l'heure la permission de faire un retour en arrière parce que cela dépend dans quelle voie on s'engage et quelle est la façon de voir le problème du crime organisé. Avec beaucoup de respect pour le mémoire du Barreau, qui est d'une rigueur et d'une cohérence remarquables, je pense qu'il est un mémoire qui méconnaît une certaine réalité. Je concède que c'est assez normal qu'il en soit ainsi parce que j'ai noté que les membres qui ont conçu le comité du Barreau, aucun d'entre eux ne s'est jamais occupé de "law enforcement" comme tel. Aucun n'a vraiment, à ma connaissance, fonctionné à l'intérieur du système de l'application de la loi. C'est pour cela que c'est assez difficile. On a parlé de Me Mo-

rier ce matin, mais ]e crois que Me Morier a été recruté dans les dernières semaines. Il ne faisait pas partie du comité Yarosky. Egalement, je ne sache pas non plus que les corps policiers... Je sais pertinemment que les corps policiers n'ont pas été consultés et que tous ceux qui auraient pu parler de leur expertise du crime organisé ne l'ont pas été. Je voudrais apporter I'envers de la médaille, si vous le voulez.

M. Burns: Me Dagenais, je vois que vous avez le nom de Me Joseph Nuss qui a participé à une enquête. C est connu cela, mais peut-être que vous étiez trop jeune à ce moment pour le savoir. Il a participé à l'enquête concernant l'Union des marins. C'est justement ce type d'enquête qui a eu lieu. Je me souviens que Me Joseph Nuss était très directement impliqué dans ce type d enquête.

M. Dagenais: Faites-vous une équation entre l'Union des marins et le crime organisé?

M. Burns: Non, je ne fais pas une équation. Si vous voulez faire le finfin cela ne me fait rien, je vais continuer à le faire. Je n'étais pas parti à faire le finfin. mais je vous dis tout simplement que le comité qui a présidé au rapport du Barreau, vous tentez de le discréditer au départ en disant: C est du monde qui ne connaît pas cela. Je vous dis: Je suis prêt à en discuter, mais cela m'inquiète un peu, quand vous partez avec ces prémisses-là Votre crédibilité, à ce moment, à mes yeux, en est d'autant plus diminuée. Non seulement vous êtes un salarié du ministère qui présente ce projet de loi, mais en plus vous nous démontrez actuellement carrément que vous avez même des préjugés à l'endroit de certaines remarques qui sont faites par le Barreau, qui, à mon avis, agit de façon absolument désintéressée. Ce ne sont pas des clients qu'il représente ici, aujourd'hui.

M. Lalonde: Je ne veux pas interrompre le député de Maisonneuve, mais je pense que je devrais quand même laisser continuer...

M. Burns: II y a bien des choses que je ne peux pas accepter.

M. Lalonde: II y a des genres d'interruption qui ne sont pas de nature à permettre un débat ordonné.

M. Burns: II y a des patentes que je ne peux pas accepter, comme par exemple...

M. Lalonde: II donne son opinion.

M. Burns: ... je ne peux pas accepter qu'il n'y ait pas quorum actuellement. M. le Président, je signale qu'il n'y a pas quorum.

M. Dagenais: Je regrette, M. le député. . M. Burns: Non. on n'a pas quorum.

Le Président (M. Cornellier): On vient de signaler qu'il n'y a pas quorum. Je me vois donc dans l'obligation de suspendre la commission pour quelques minutes. A l'ordre messieurs!

M. Caron: M. le Président, avant de commencer, je voudrais bien, pour le journal des Débats, spécifier qu'il n'y a qu un membre de l'Opposition. C'est pour cela que c'est difficile pour le parti ministériel...

M. Burns: Cela ne fait rien, I'Opposition est là.

M. Caron: Oui, elle est bien représentée, mais elle est représentée par une personne seulement.

M. Burns: C est cela. Mais, avec 100 députés, si vous n êtes pas capables d obtenir un quorum de neuf D'accord? Cherchez-vous des problèmes?

M. Desjardins: Qui sont les membres? M. Caron: Nommez donc les membres. M. Burns: Les membres... M. Caron: Les membres qui sont absents?

M. Desjardins: II n'y a pas 100 membres de la commission.

M. Burns: Cela ne me fait rien, je suis là.

M. Caron: Quels sont les membres qui manquent?

M. Burns: En tout cas. moi. j'ai été là tout le temps.

M. Caron: On ne dit pas un mot pour vous, mais pour nous, qu'on nous donne une chance aussi.

M. Burns: II n'y a pas de chance à vous donner.

Le Président (M. Cornellier): A l'ordre!

M. Burns: On vous demande à peine 10% de votre députation. Voyons donc!

Le Président (M. Cornellier): A Tordre! La parole est à Thonorable Solliciteur général.

M. Burns: Un sur six, je vous dis qu'on nous en donne un maudit paquet par rapport à ce qu on vous demande.

M. Lalonde: M. le Président, j'aimerais, à ce stade-ci, quand même, inviter, non pas tous les membres, parce qu'il ne s'agit que d'un membre qui a eu cette attitude, le député de Maisonneuve, à offrir aux témoins, à Me Dagenais. toute la courtoisie que tous les autres membres ont offerte à tous les autres témoins qui ont été ici. à qui on n a pas posé de question de façon à essayer de les discréditer auprès de la commission et de le lais-

ser éclairer la commission, poser des questions pertinentes. Je n'accepterai pas, quant à moi, de manoeuvre d'intimidation à l'endroit de qui que ce soit, à l'endroit de quelque témoin que ce soit.

M. Burns: Ce n'est pas possible.

Le Président (M. Cornellier): L'honorable député de Maisonneuve.

M. Burns: M. le Président, d'accord, bien calmement, pas choqué, ni rien et tout gentiment, je veux seulement dire ceci: J'espère que Me Dage-nais a compris le message que je lui ai fait passer, soit qu'il ne peut pas venir ici et intimider la commission parlementaire, comme, possiblement... parce que ce n'est pas moi qui ai parlé d'intimidation, d'accord, c'est vous...

M. Lalonde: Ce n'est sûrement pas... M. Burns: C'est vous qui en avez parlé.

M. Lalonde: Ce n'est sûrernent pas Me Dage-nais qui a fait de l'intimidation.

M. Burns: Non. il ne viendra pas ici pour intimider la commission, comme il peut peut-être intimider un certain nombre de personnes devant la commission d'enquête sur le crime organisé. Je ne porte même pas de jugement. Mais je vous dis simplement ceci: On est ici pour entendre Me Da-genais comme expert, d'accord? C'est en tant qu'expert qu'on veut entendre Me Dagenais et j'y ai consenti. J'ai donné mon consentement et au chef de cabinet du Solliciteur général et au Solliciteur général lui-même lorsqu ils m'ont demandé si je croyais à propos d'entendre Me Dagenais. Je suis d'accord, je répète cet accord. Mais il faudrait qu'on s'entendre sur le fait que Me Dagenais n'est pas ici pour défendre le projet de loi, mais pour nous donner, justement, des faits, comme le demandait le Barreau. On forme un peu une commission d'enquête, actuellement. On recherche des faits pour nous éclairer, pour éventuellement prendre les décisions les plus sages possible relativement à cet amendement de la loi. Dans ce cadre, je vous dis tout de suite que je ne serai pas un antagoniste à l'endroit de Me Dagenais et je présume que Me Dagenais n'en sera pas un à mon endroit non plus. Je m'excuse auprès de Me Dagenais, parce que ce n'est pas de sa faute la façon dont s'est amorcée cette affaire. C'est plutôt votre faute, M. le ministre, vous avez ouvert le débat dans ce sens et, malheureusement, Me Dagenais a été obligé de se lancer à toutes fins pratiques dans une défense du projet de loi. D'accord, je vous dis ce que j'en pense.

Si vous voulez continuer comme cela, cela ne me fait rien, mais c'est sur Me Dagenais que cela va retomber.

M. Lalonde: Je ne veux pas prolonger la discussion là-dessus, mais je me demande comment le député de Maisonneuve peut conclure que Me Dagenais défend le projet de loi à ce stade-ci — et j'ai bien précise au début qu'il n'avait pas été demandé ici pour le faire — quand il a à peine eu le temps de donner son opinion sur le rapport du Barreau. C'est justement ce pourquoi on l'a demandé.

M. Burns: Je ne veux pas revenir là-dessus, mais Me Dagenais se sent obligé de dire qu'à toutes fins pratiques les personnes qui faisaient partie du comité Yarosky ne sont peut-être pas des gens qui connaissent le sujet autant que cela.

M. Lalonde: C'est-à-dire...

M. Burns: A ce moment, on est rendu dans le mérite de l'affaire.

M. Lalonde: ... "sportsman".

M. Burns: Bien oui, qu'est-ce que vous voulez, c'est votre question qui a provoqué cela. Rendez-vous compte de cela.

M. Lalonde: Si cela peut vous faire plaisir, je peux accepter la responsabilité pour ne pas prolonger le débat.

M. Burns: D'accord.

Le Président (M. Cornellier): Me Dagenais, voulez-vous poursuivre?

M. Dagenais: Je regrette que le député de Maisonneuve ait pris mes paroles comme de l'insolence. En réalité, ce que je voulais dire, c est que le domaine du crime organisé est un domaine à part de tous les autres. Là où je voulais en venir, c'est qu'une commission d'enquête, traditionnellement parlant, a effectivement pour but de renseigner les corps publics afin qu'ils prennent action; en ce sens, des moyens extraordinaires comme la télévision ou la publicité ne sont pas absolument nécessaires. Mais, à mon sens et à celui des gens avec qui je travaille, une commission d'enquête sur le crime organisé est une commission d'enquête extrêmement originale, si on peut dire, en ce sens que la participation du public dans la lutte au crime organisé est absolument indispensable.

Si je prends par comparaison une commission d'enquête sur l'immigration, pour donner cet exemple, il n'est vraiment pas nécessaire de mettre le public dans le coup, de demander la participation du public, de le sensibiliser et de le renseigner, pas nécessairement, parce que les remèdes peuvent être de nature législative ou encore cela peut être un changement de structures. Dans le domaine du crime organisé, que vous doubliez les effectifs de police, que vous doubliez les budgets, l'équipement, vous ne changerez rien si la situation demeure ce qu'elle est, c'est-à-dire que le public ne marche pas. Vous avez besoin, pour trouver des gens coupables, pour faire condamner des criminels, de témoins. Vous avez également besoin, pour prendre connaissance des activités du crime orqanisé, de citoyens qui vont les dénoncer.

Et le gros problème dans le domaine du crime organisé—c'est le problème de base — c'est qu'il n'y a pas de dénonciateurs. Ce n'est pas nécessairement parce que le crime organisé ne procure que des services qui sont les bienvenus, mais vous avez un problème de confiance de la part du public, puis un problème de peur. Vous n'avez pas de dénonciateurs et, si parfois vous en avez, ce sont des dénonciateurs qui ne voudront jamais aller à la cour. C'est pour cela que c'est absolument indispensable que le public soit dans le coup. C'est l'expérience que j'ai eue. C'est pour cela qu'il semble, et c'est mon opinion, qu'à l'heure actuelle on n'ait trouvé rien de mieux que les commissions d'enquête sur le crime organisé, les commissions qui démasquent, qui mettent sur la place publique des activités de ces gens qui fonctionnent dans le secret, des activités mêmes de ces sociétés qu'on peut appeler les sociétés secrètes.

On peut voir qu'aux Etats-Unis c'est aussi la formule qui a été retenue, notamment dans les Etats où le crime organisé est le plus actif. Il y a des commissions aux Etats-Unis qui s'occupent du crime organisé dans l'Etat du New Jersey, dans l'Etat de New York, l'Etat de Pennsylvanie, où vous avez notamment la ville de Philadelphie. Vous avez également une commission législative dans l'Illinois. Ce sont, à ma connaissance, les quatre commissions qui s'occupent de crime organisé. Il y en a une cinquième également qui est la commission sénatoriale, qui est une commission permanente. Alors c'est, si vous voulez...

M. Burns: Vous remarquez qu'il n'y en a pas au Nevada.

M. Dagenais: II y a d'autres Etats aussi, il y a la Californie, mais cela marche. C'est la raison principale. Quand on a commencé notre travail, nous, enfin quand j'ai débuté à la Commission d'enquête sur le crime organisé, on a rencontré une résistance considérable de la part des citoyens. Personne ne voulait venir témoigner. Les choses ont commencé à embrayer, parce qu'on leur a dit: Ecoutez, vous n'êtes pas isolés, vous n'êtes pas des personnes qui viennent au bâton contre une organisation. Nous allons en regrouper un certain nombre; comme cela vous ne serez pas seuls, vous ne serez pas les seuls à être cloués au pilori, les seuls à encourir des dangers, vous allez bénéficier de la protection d'un groupe.

On prenait même des engagements avec eux On leur disait: On s'engage à ne pas vous assigner si vous êtes seuls ou si, à votre avis, il n'y a pas un groupe suffisamment considérable pour dénoncer un certain racket qui vous apporterait de la protection, une certaine sécurité. Quand la roue a commencé à tourner et quand les audiences ont démarré, c'est incroyable, pendant les audiences, la quantité de témoins qui sont venus nous voir et qui ont dit: On voudrait embarquer, nous aussi, dans cette grande caravane. On voit qu'il y a un effort, qu'il y a une volonté déterminée de faire échec au crime organisé ou de démasquer des gens qui n'ont jamais été démasqués.

Il y a des gens qui ont offert, parfois sans qu'on les connaisse même, de venir témoigner et de raconter leur expérience. C'est un phénomène qui est un peu difficile à expliquer, c'est un phénomène qui est complexe, mais c'est en ce sens-là que nous voyons une utilité à une commission d'enquête sur le crime organisé. Il faut bien comprendre que, dans le processus judiciaire traditionnel, aucune organisation n'est jamais démasquée. Le droit criminel en vertu duquel on fonctionne, et qui est un droit magnifique, n'est vraiment pas fait pour démasquer des complots.

Je peux vous donner un exemple pratique de ceci. Quelqu'un qui aurait un établissement licencié et qui ferait l'objet de menaces d'extorsion encourrait vraisemblablement des ennuis connus, par exemple, des groupes qui viennent commencer des batailles chez lui si le type ne se plie pas aux demandes du milieu. Ou encore on va descendre ses vitrines ou on va lancer des bombes puantes, lui faire toutes sortes d'ennuis dans ce genre.

Le résultat brut d'une action comme celle-ci en cour, c'est que vous avez une plainte, par exemple, pour assaut sur un individu. Généralement, l'assaut va faire partie d'un complot très vaste, souvent qui s'oriente dans un secteur donné, avec des bandes assez considérables. Mais, avec le droit criminel que l'on connaît — il est normal, il est bien qu'il en soit ainsi — la dénonciation n'est faite que pour un acte criminel bien spécifique. Que vous ayez tout un ensemble d'actes posés par d'autres personnes qui sont toujours faits dans le même but, ce n'est pas possible d'en faire la preuve à l'intérieur du même procès. J'insiste bien qu'il est normal qu'il en soit ainsi. Le droit criminel est un droit qui vise à châtier un seul acte et on ne peut pas prendre connaissance de tout ce qui gravite autour de cela.

Si, pendant le cours du procès, le cabaretier a des menaces d'une tierce personne, c'est impossible d'en parler. C'est impossible de parler également d'une autre personne qui n'a rien à voir avec l'accusé, qui serait allée demander des paiements de protection. C'est impossible de parler d'une autre personne qui serait venue le menacer dans son établissement. Les complots et les sociétés secrètes ne sont jamais exposés et vous n'avez devant le magistrat qu'un acte isolé qui peut consister à lancer une chaise dans une fenêtre.

M. Burns: Me Dagenais, est-ce que vous me permettez simplement une question incidente à ce que vous dites actuellement?

NI. Dagenais: Certainement.

M. Burns: Est-ce que justement ce que vous dites là ne soutient pas la thèse qu'une commission d'enquête se doit d'être une commission qui recherche des faits et, dans ce sens-là, qui fait un travail supplétif à celui fait par les tribunaux dans le grand cadre de l'administration de la justice? Donc, elle essaie de trouver des liens entre MM. X, Y et Z, alors qu'une plainte normale devant les tribunaux pour assaut, pour extorsion ou pour quoi que ce soit, ou pour fraude— en tout cas. mettez

tous les actes criminels que vous voulez — ne peut pas nous apporter une certaine réponse comme élément de solution.

A ce moment-là, est-ce qu'on n'est pas en mesure de croire que la commission d'enquête, même sur le crime organisé, peut prendre son véritable sens en recherchant des faits de cette nature, évidemment, pour autant que les individus concernés, c'est-à-dire les témoins convoqués devant la commission, puissent avoir les droits qu'on reconnaît devant les tribunaux à quelque personne que ce soit? Pour vous, est-ce impossible de fonctionner dans ce type d'organisation au niveau d'une commission d enquête?

M. Dagenais: Je ne suis pas sûr si je saisis bien la question. Bien sûr. les tribunaux ont un rôle capital à jouer. Est-ce que le rôle d'une enquête sur le crime organisé peut être qualifié de supplétif. C'est un rôle différent. A mon sens, c'est écrit nulle part, ce n'est pas une vérité éternelle qu'une commission d'enquête sur le crime organisé doit nécessairement n'être qu'une commission qui a pour but de rechercher les faits et d'en informer le gouvernement, en mettant de côté I'aspect lutte contre le crime et l'aspect sensibilisation du public. Comme je l'ai expliqué tout a I'heure, à cause de la réalité particulière du crime organisé qui est une vaste conspiration puissante et secrète, il est nécessaire de noliser la participation du public. Jusqu'ici, la façon la plus efficace qu'on a trouvée, c'est la Commission d'enquête sur le crime organisé et c'est dans ce cadre qu'elle s'insère.

Je ne vois pas nécessairement la Commission d enquête sur le crime organisé comme une chose permanente, mais il est nécessaire de créer un mouvement, de créer une confiance dans le public, de rassurer le public, de le convaincre d embarquer. Comme je le disais, le moyen qui a semblé le plus efficace, c est le fait de démasquer, sur la place publique, l'ampleur des organisations, c est de pointer du doigt, d'identifier des gens et de décrire les activités. En même temps, vous avez un second rôle à une telle commission: en informant le public, cela aide également le public à mieux se protéger contre les activités de ces gens-là.

Je pourrais vous décrire, par exemple, la façon dont les organisations prennent possession des endroits licenciés ' pour pouvoir, on le sait mieux trafiquer leurs activités, comme le prêt usuraire ou encore la vente de la drogue. On a eu, à la commission, le cas de l'hôtel Iroquois par lequel on a décrit avec passablement de détails comment s est faite une véritable prise de possession, prise en main de I hôtel par un groupe. Des leçons comme celles-là semblent être très utiles et très bénéfiques pour I'ensemble de la population des hôteliers ou des gens qui possèdent des commerces munis d'un permis de vente d'alcool.

Il y a beaucoup de témoignages qui nous sont venus en ce sens-là. Ils ont dit: Cela a été très intéressant, très instructif pour nous, de voir comment on s'y prend, cela nous permet de mieux y réagir. Je ne peux pas vous parler librement d'autres dos- siers que la commission étudie, mais je pourrais vous parler en termes généraux d une fraude qui existe dans toute la province présentement, par des groupements qui utilisent ce qu'on appelle la publicité sympathique, c'est-à-dire la publicité en faveur des paralytiques ou des sourds-muets. Il y a des millions de dollars, de fait, des millions de dollars qui sont soutirés par ces organismes qui empochent l'argent pour leurs fins personnelles. Or. une façon très efficace de mettre la population en garde contre cela, il me semble, c'est de la divulguer sur la place publique.

M. Burns: Cela, d'après vous, ferait partie du mandat de la Commission d'enquête sur le crime organisé.

M. Dagenais: Cela en découle naturellement, que de faire une enquête publique sur les activités qui sont précisées au mandat. Vous avez, de plus, vos paroles du 29 mai: II y a des gens pour qui il faut passablement de publicité pour les faire bouger.

M. Burns: Je pense que c est juin.

M. Dagenais: Excusez-moi, c est juin. Alors une des grandes fiertés que nous avons des enquêtes qui ont lieu cette année, c est que, pour la première fois, depuis très longtemps, la police de la CUM, à cause de la publicité massive qui a été faite sur un certain qroupe d individus, soit le groupe Dubois, a construit une escouade spécialisée de vingt enquêteurs qui vont étudier le problème de cette organisation extrêmement puissante qui contrôle bon nombre d'activités et bon nombre de secteurs de la ville.

C'est une chose qui n'était jamais arrivée jusqu'ici. Le président de la fraternité a dit ce matin même, il me l'a appris, qu'il se faisait une grosse intensification de la part du corps de police de la CUM sur la lutte contre le crime organisé au point de vue des effectifs.

Alors, c est une autre façon de publiciser la dangerosité' et l'étendue des pouvoirs de ces groupes: les corps publics, les organismes publics intéressés sont un peu acculés à la nécessité de réagir. On a pu voir, lors des dernières audiences, que bien peu des clients de la commission d enquête payaient de I impôt.

Je sais que. depuis lors, le ministère du Revenu, semble-t-il, prend l'affaire en main et va tenter de s'occuper avec beaucoup plus de dynamisme des gens du monde interlope qui, contrairement aux contribuables, ne semblent pas être ennuyés outre mesure par le fisc. Bien sûr, ce sont tous des effets qui n'auraient probablement pas été atteints si la commission avait siégé d'une façon moins publique.

M. Lalonde: Si je comprends bien, Me Dagenais, oui. au départ, le premier but ou le but ultime d'une commission d'enquête, par exemple sur le crime organisé, c est de trouver des faits. En ce qui concerne le crime organisé particulièrement, la seule façon de trouver des faits, c'est en même

temps de sensibiliser la population, de là la publicité. Est-ce que j'ai bien saisi votre raisonnement?

M. Dagenais: Ce n'est pas exactement ce que j'ai voulu dire. Le premier objectif, à mon sens, d'une commission d'enquête sur le crime organisé, n'est pas comme pour une commission d'enquête classique, de renseigner le gouvernement sur la criminalité, parce que le gouvernement pourrait s adresser au corps de police concerné et en avoir un assez bon portrait. Dans mon esprit, la raison d être d'une commission d'enquête sur le crime organisé, c'est de sensibiliser la population. C'est son objectif. Comment le fait-elle? En démasquant sur la place publique les activités de ces organisations criminelles secrètes.

M. Burns: Quand vous dites "sensibiliser' , qu est-ce que vous voulez dire? Qu'il faille montrer à la population que cela existe, le crime organisé, et que cela existe dans tel ou tel domaine? Est-ce cela que vous voulez dire? Sensibiliser la population, qu est-ce que c'est?

M. Dagenais: C'est faire la démonstration des activités. Les gens savent que le crime organisé existe, mais cela reste quand même une notion très vague.

M. Burns: Oui.

M. Dagenais: Vous savez, de la même façon que, si on se faisait dire que, dans le temps de la guerre au Vietnam, 1000 personnes étaient mortes lors d un certain assaut, ceia restait une chose extrêmement vague. Tout le monde savait que des gens se faisaient tuer au Vietnam. Tout le monde sait qu'il y a du crime organisé à Montréal, mais cela reste abstrait. La seule façon vraiment de stimuler un esprit, c'est de lui démontrer d'une façon concrète comment cela fonctionne, l'ampleur de cela.

M. Burns: M. Dagenais, moi qui suis probablement un des 95% ou peut-être même plus que cela de la population qui n'ont jamais rien eu à faire avec le crime organisé, comment pensez-vous que je puisse vous être utile si vous me sensibilisez à l'existence que je connais déjà du crime organisé? Qu'est-ce que je peux faire? Je me prends, non pas comme membre de l'Assemblée nationale, mais je me prends comme simple citoyen. Je n'ai jamais rien eu et je suis convaincu que tout le monde dans la salle ici n'a jamais rien eu à faire avec le crime organisé, sauf vous qui, comme procureur de la couronne, heureusement, avez eu quelque chose à faire avec cela. Je pense qu'à part vous dans la salle on peut dire qu'à peu près tout le monde n'a jamais rien eu à faire avec le crime organisé. Le fait que je sois sensibilisé à l'existence du crime organisé, qu'est-ce que cela vous donne comme procureur de la commission, sinon de satisfaire mon instinct de badaud qui est de dire: Regarde donc cela, c'est de cela qu'il a l'air, Claude Dubois. Il répond comme cela aux questions de Me Dagenais. Regarde donc cela, c'est cela. Dans le fond, c'est un peu avec I'aide des services publics poursuivre ce désir, à mon avis, très bas de I'ensemble des citoyens de voir des films d'horreur. Dans le fond, c est cela.

M. Dagenais: II est très difficile de faire abstraction de...

M. Burns: C'est le lien que j'aimerais faire dans vos remarques entre le besoin de rendre public... Là-dessus, je vous avoue que le Barreau m'a très sérieusement ébranlé, alors que je n'étais pas convaincu qui I faille mettre de côté les aspects de rendre publics les travaux d une commission parlementaire telle que la vôtre.

M. Lalonde: Pas parlementaire.

M. Burns: Excusez-moi, une commission d enquête telle que la vôtre. J'ai été très sérieusement touché ce matin. Je suis à la recherche d'une solution.

C'est justement de la part d'un témoin expert comme vous que je cherche une voie pour essayer d en arriver à me fixer. Je me pose très sérieusement des questions quand vous parlez de sensibiliser la population. J'admets, comme vous l'avez fait il y a quelques minutes, que le crime organisé est reconnu, qu'il existe en particulier à Montréal. Tout le monde sait que, dans toutes les grandes capitales le crime organisé existe, cette société parallèle, avec ses règles à elle qui n'ont rien à faire avec les règles de la société démocratique que tout le monde s'impose. Tout le monde reconnaît que cela existe. Mais là où j'ai de la difficulté à vous suivre, c'est le fait que rendre publiques les auditions, par exemple, de la CECO, ce soit un élément important dans une poursuite d'un objectif, qui est d'enrayer le crime organisé. En tout cas, jusqu'à maintenant je ne vous saisis pas là-dessus. A moins que vous me sensibilisiez là-dessus, que vous me disiez que Paolo Violi existe et que son système existe et que les Dubois existent et que vous mettiez ces gens devant l'opinion publique, que vous les montriez à la télévision, je ne suis pas convaincu que le fait de me sensibiliser à l'existence de tels "réseaux ", comme disait Me Casgrain tout à l'heure, cela vous aide beaucoup de me sensibiliser à cela.

M. Dagenais: Bien, j'espère que c'est utile de sensibiliser un législateur.

M. Burns: C'est cela que je cherche. Je ne parle pas de moi en tant que législateur, je parle de moi en tant que citoyen.

M. Dagenais: Vous savez, les citoyens occupent différentes fonctions dans la société. J'étais pour vous dire que cela m'est difficile, quand vous me posez cette question, de faire abstraction du fait que vous êtes un législateur parce qu'on aura des recommandations...

M. Burns: Oui, oui, d'accord.

M. Dagenais: ... dans un rapport qui va suivre. Le fait que les législateurs soient sensibilisés pour nous est quelque chose qui rend la...

M. Burns: Vous n'avez pas besoin de la télévision pour nous sensibiliser, les législateurs. Nous sommes 110 et vous pouvez nous mettre au courant de vos travaux régulièrement. D'ailleurs, j'aurai des questions tout à l'heure qui, peut-être, vont nous aider à être plus au courant de vos travaux. En tout cas, on y reviendra.

M. Dagenais: Je répondrai à ceci, M. Burns. Vous dites que les législateurs n'ont pas besoin d'être sensibilisés par la télévision ou par la publicité; à la suite de l'enquête sur la viande avariée qui touchait quand même marginalement le crime organisé, je pense que cela n'a pas pris un mois avant que l'enquête soit finie pour qu'une loi, qui était en préparation depuis cinq ans, soit votée. Alors, cela a semblé avoir un certain effet du côté du législateur.

M. Burns: Mais pensez-vous que c'est la télévision, que c'est la radio qui a...

M. Dagenais: C'est la publicité, c'est le fait que le problème a été souligné avec tellement de force et de publicité sur la place publique que cela en faisait une chose qui était devenue intolérable pour tout le monde et où une action immédiate était demandée. Je peux me tromper, mais c'est comme cela que j'interprète en dedans de moi-même la vivacité de l'action de la Législature par la suite.

Vous savez, pour lutter contre le crime organisé, des tas de gens ont des responsabilités en ce sens. Je peux vous donner un exemple du point de vue de la magistrature. Il y a eu, par le banc précédent, des auditions sur le prêt usuraire. Le prêt usuraire était considéré avant comme une chose assez bénigne et on imposait généralement des amendes qui étaient purement des amendes. Ce n'était pas considéré comme une plaie sociale. On situait mal le prêt usuraire comme une source de revenu majeure du crime organisé. A la suite de l'exposé public du prêt usuraire, on a constaté que la magistrature a pris conscience de l'importance du phénomène et on a assisté à des sentences qui étaient beaucoup plus adéquates. Un autre exemple que je pourrais vous donner du point de vue de la Législature, c'est en matière de possession d'arme à feu. Des statistiques que nous avons recueillies à la commission d'enquête démontrent que pour être trouvé en possession d'un révolver chargé à bloc, même pour des récidivistes, la sentence moyenne était $50 d'amende.

Un juge me disait récemment que, depuis qu'il avait entendu une certaine preuve faite à la CECO... Il s'agissait d'une conversation dans laquelle quelqu'un du milieu disait à son interlocuteur qu'il s'était fait poigner comme un cave, parce qu'il n'avait pas son révolver sur lui. L'autre lui disait: Voyons, Roger, c'est $75 d'amende. Roger lui disait: Je ne l'avais pas proche. Impliquant que, par mesure de prudence, il l'avait laissé dans le tiroir de son bureau, ou peut-être dans le sac à main de sa femme. L'autre lui disait: Voyons, Roger, c'est $75 d'amende, que tu l'aies sur toi ou que tu l'aies sur la personne d'un autre.

Cela sensibilise la magistrature; mais je ne voudrais pas m'étendre et abonder en exemples dans ce domaine. Cela sensibilise également les gens qui sont pris avec ces énormes problèmes et qui se sentent tout à fait isolés et qui ne veulent pas encourir des risques qu'ils entrevoient comme énormes pour faire des héros solitaires et aller eux seuls contre une organisation. Le fait de voir qu'une commission qui siège publiquement révèle les activités des gens, et qu'il y a une série de témoins qui viennent en groupe les démasquer crée — c'est peut-être difficile à expliquer — ce mouvement, crée cette roue qui fait dire aux gens: Ça y est, l'époque est révolue; dorénavant il y a un effort marqué de la part de l'administration publique, il y a un désir de déraciner le crime organisé, de déraciner les grands du crime organisé. On les dévoile sur la place publique, on les identifie et il y a ce phénomène de caravane, si je peux dire, qui se produit. C'est une chose qu'on constate.

M. Burns: Vous qui êtes avocat, l'argument qui nous a été livré, ce matin, par le Barreau, voulant que le fait de rendre publics, dans certains cas — on nous citait comme exemple, les cas de la viande avariée — des phénomènes, dans le sens large du mot, de crime organisé, cela équivaut à condamner quelqu'un sur la place publique sans que le processus normal judiciaire ait été suivi, vous touche-t-il? Cela dérange-t-il un peu votre argumentation voulant qu'il soit nécessaire que ces auditions puissent être non seulement publiques, mais l'objet de publicité, par la télédiffusion, la radiodiffusion, les journaux et qu'il n'y ait pas de possibilité à toutes fins pratiques de huis clos, parce que le cas est jugé nécessaire? Pour vous, est-ce que cela vous préoccupe? Je m'adresse à vous comme avocat, comme expert, même si vous êtes plus spécialisé en poursuite qu'en défense, qui êtes, je pense, préoccupé, comme tous les membres du Barreau à ce que l'administration de la justice se fasse dans les meilleures conditions possible à l'intérieur du Québec.

M. Dagenais: Je vous dirais tout d'abord là-dessus que ce phénomène n'est pas l'apanage d'une commission d'enquête sur le crime organisé, c'est l'apanage de toute commission d'enquête. A ce que je sache, dans les statuts québécois, toutes les commissions d'enquête sont publiques. C'est forcément une chose qu'on doit voir comme un mal nécessaire, parce que, qu'elle que soit la situation sur laquelle vous enquêtez publiquement, si on enquête, c'est qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond et, inévitablement, vous allez devoir identifier des personnes qui sont à l'origine de ce qui ne va pas, des personnes qui n'auront pas rempli les devoirs que leur impose la loi ou qui auront violé la loi. A ce moment, la question se pose pour tout type d'enquête, quel qu'il soit.

Pour terminer ma réponse, je vous dirais que, pour autant que les personnes qui sont ainsi dénoncées le sont en tant que membres de société criminelle, cela me fait beaucoup moins mal que si on faisait une enquête sur la dissidence politique ou sur quelque autre forme d'activité légitime que ce soit. Jusqu'ici, je ne crois pas qu'on se soit amusé à apporter des preuves sans queue ni tète ou sans force.

En général, les gens qui ont été ainsi exposés fonctionnaient en marge de la société, fonctionnaient à l'intérieur du crime, et ne cherchaient qu'à exploiter la société.

M. Burns: Je reviens toujours à cet aspect publicitaire. Qu'on s'entende bien, je n'ai aucune espèce d'objection à ce que ces enquêtes soient tenues de façon publique, c'est-à-dire que le public y accède et puisse être informé. C'est l'aspect de publicité de ces commissions qui me préoccupe actuellement. Croyez-vous, par exemple, que cela aide nécessairement au citoyen moyen, qui n a rien à faire avec le crime organisé et qui n'a jamais rien eu à faire avec le crime organisé? Tout à l'heure, vous preniez mon cas. Ce n'est pas en tant que législateur. Je vous parle de mon voisin qui s'appelle Joe Blow. Pensez-vous que mon voisin qui s'appelle Joe Blow est très sérieusement touché par le fait qu'un prostitué mâle se présente devant la commission avec cagoule et derrière un écran et qu'on dramatise tout cela et que cela va vraiment le sensibiliser? Est-ce cela? Vous n'avez pas répondu à ma question encore. Ce prostitué mâle, cagoulé et derrière un écran, avec sa voix masquée — encore tel autre personnage; en tout cas, il y a eu quelques témoins cagoulés et masqués, derrière un écran— cela fait quoi pour sensibiliser la population? Cette sensibilisation, si elle existe, qu'est-ce que cela donne dans les faits?

M. Dagenais: On peut, pour répondre à cette question, catégoriser les effets ou les groupes de gens et la façon spécifique dont eux peuvent être touchés. J'ai mentionné, tout à l'heure, les gens qui détiennent des responsabilités dans la société. Je pense que ce point est couvert.

M. Burns: Que les juges soient sensibilisés et que les législateurs le soient, je suis entièrement d'accord. Mais vous n'avez pas besoin d'une commission d'enquête pour cela.

M. Dagenais: Les corps publics, également la police.

M. Burns: D'accord. La police, ils sont dedans. S il y en a qui le savent, c'est bien eux.

M. Lalonde: Pas dans le crime organisé.

M. Burns: Ils ne sont pas dans le crime organisé — excusez, là — mais ils sont tellement proches qu'ils savent drôlement que cela existe. Ce n'est pas eux qu'il faut sensibiliser. Ils sont aux prises avec cela régulièrement.

M. Dagenais: Mais c est encore drôle. Si vous me permettez juste d'insister un peu sur cet aspect même de la police: c est qu il en va de la police comme de toutes les grosses organisations. Souvent, elles ont tellement à faire à court terme quelles oublient le long terme. Pour combattre des organisations qui ont le moindrement d ampleur, cela demande de délaisser le court terme, de délaisser le flot constant de plaintes qui parviennent chaque jour dans un poste de police, pour créer une escouade qui mettra le temps que cela prendra et lui donner l'équipement. Cette escouade travaillera sur un projet qui durera deux ans...

M. Burns: Pour autant qu'on les laisse travailler. C est une autre affaire II faudrait peut-être aussi — ce n est peut-être pas votre problème: c est peut-être à mon vis-à-vis qu il faudrait que je dise cela— qu'on les laisse travailler et qu'on leur laisse faire leur boulot.

M. Lalonde: Je vais demander une motion pour détails.

M. Burns: Je vais vous en donner une motion pour détails. Je vais vous sortir les quelque 22 questions que je vous ai posées au cours de la dernière session. Les enquêtes traînent...

M. Lalonde: On les laisse travailler là.

M. Burns: Vous les laissez travailler, certain.

M. Lalonde: Sans I'interférence du public ou de la politique.

M. Burns: Vous expérez qu ils travaillent le plus longtemps possible.

M. Lalonde: Me Dagegais. si vous me le permettez, pour prendre un peu le même genre de questions, vous avez parlé des juges, des législateurs. Le simple citoyen, le commerçant au coin de telle rue, est-ce que c est important, pour lui. qu'il sache ce qu'est le crime organisé?

M. Dagenais: Vous avez, dans la population, toute cette catégorie de gens qui sont susceptibles d être des victimes du crime organise. Ceux-là, cela leur permet de mieux se protéger, de mieux réagir. Il y a des témoignages qui nous sont parvenus à l'effet suivant: Avoir su que tel individu était membre du crime organisé, j'aurais avisé... C'est un exemple pratique d'un commerçant que je vous donne, qui nous a dit que son beau-frère s'était fait embarquer pour $30 000 dans un "joint venture" avec un individu, qui s'était fait lessiver. Avoir su que cette personne fonctionnait en marge des lois, c est sûr qu'il ne l'aurait pas fait et c est sûr que moi, en ayant eu connaissance, je laurais conseillé autrement. Cela permet aux gens de mieux se protéger.

Vous avez différents types, vous avez la clientèle des gens qui sont victimes plus ou moins

consentantes du "shylock". J'imagine que les gens embarquent là-dedans sans trop savoir que, comme disait un témoin, le "shylock" c'est comme Bell Canada; une fois que vous avez contracté avec eux c'est jusqu'à la fin de vos jours. Cela les met en garde dans le domaine de la drogue; c'est la même chose que de divulguer le fait que la drogue qui est mise sur le marché est souvent d'une qualité qui met en danger la vie des gens. C'est utile pour les gens qui ont des commerces, des ateliers — cela ne sert à rien de revenir là-dessus, on l'a dit tout à l'heure — ils peuvent savoir quelles sont les méthodes d'infiltration.

Enfin pour tous les genres d'activité du crime organisé où une couche de citoyens peuvent être touchés, cela leur permet de mieux se prémunir, de la même façon que lorsqu'il y a eu des auditions dans le passé sur le jeu. C'est très innocemment que les gens parient et, effectivement, le jeu n'est pas en soi un acte qui est moralement repréhensible et qui fait frémir d'indignation les gens. Mais je peux vous dire, par exemple, que dans l'Etat du Texas il y a un organisme qui s'occupe de l'application de la loi, qui fait des annonces à la télévision pour dire que dans cet Etat le jeu est la deuxième source de revenu du crime organisé et que tous les gens qui bien innocemment parient par l'entremise d'un "bookmaker " enrichissent la caisse de ces gens et leur permettent de diversifier leurs activités. Enfin, pour les gens qui n'auraient rien à faire avec ces activités, l'utilité c'est que ça crée une indignation qui est absolument nécessaire pour que la société réagisse vis-à-vis de cela. Si vous n'avez pas d'information et de sensibilisation et d'indignation, la situation va se perpétuer.

M. Lalonde: Me Dagenais, on parle de publicité; je pense qu'il faut distinguer entre une publicité télévisée ou radiodiffusée — du moins, je pense que c'est dans ce sens que le Barreau a fait la distinction — et le fait de tenir des auditions publiques qui sont rapportées dans les journaux. Si on éliminait la publicité télévisée ou radiodiffusée — c'est comme si je vous contre-interrogeais — n'est-il pas vrai qu'il y aurait quand même connaissance, de la part de la population, de l'activité de ces gens qui seraient démasqués, comme vous le dites, dans vos auditions? Autrement dit, on parle d'impact ici. On parle de plus ou de moins de publicité.

M. Dagenais: C'est cela, c'est exactement cela, c'est la question de plus ou moins d'impact. Je ne voudrais pas qu'on pense qu'à la commission on est des maniaques de la télévision. Personnellement, on en a fait l'expérience pendant un an de temps et, maintenant, on s'interroge nous-mêmes sur les grandeurs et les misères de la télévision. C'est que la télévision, bien sûr, augmente l'impact. D'ailleurs on l'a vu; d'après un sondage dont i'ai pu prendre connaissance, qui a été fait par un organisme qui n'a rien à voir avec nous, le sujet numéro 1 de discussion des gens au Québec — ce sondage a été fait à l'échelle de la province — était la question du crime organisé. C'est sûr que cela est dû à la télévision. Maintenant, si vous voulez, comment dire, les limites inhérentes à la télévision, ce sont certaines des limites qui ont été touchées par le Barreau ce matin. Par exemple, cela ne permet pas dans l'interrogatoire d'un individu de pouvoir aller aussi à fond qu'on le voudrait, parce qu'inévitablement, pour chercher la vérité ou chercher des renseignements chez quelqu'un qui est un témoin hostile, qui ne veut pas répondre, cela demande un interrogatoire très long, cela demande beaucoup de répétitions. Le media de la télévision apporte nécessairement — et là je rejoins les propos du bâtonnier Brassard — des limitations à cela. Il y a des choses, à la télévision, qui ne sont pas possibles parce que, forcément, cela rendrait une chose que l'on veut intéressante— si l'on veut que les gens écoutent, il faut que la chose soit intéressante— beaucoup moins intéressante. Forcément, ce sont des limitations...

M. Burns: ... pas maintenir une cote d'écoute.

M. Dagenais: Je comprends que cela peut sembler risible. Mais, si vous avez un objectif qui est celui d'informer les gens, vous devez le faire d'une façon intéressante.

M. Burns: Cela m'inquiète beaucoup de vous entendre dire cela parce que c'est beaucoup plus, dans le fond, une recherche de faits que vous devez faire plutôt que d'avoir une cote d'écoute à la télévision ou à la radio.

Je fais simplement une parenthèse non pas à votre endroit, Me Dagenais, mais à l'endroit du Solliciteur général qui est membre du cabinet. Je lui rappelle que depuis 1970, je réclame la télédiffusion des débats à l'Assemblée nationale. Or, on se refuse, du côté gouvernemental, à le faire à cause de problèmes de cadrage, de "mixing " ou je ne sais pas quoi, je ne connais pas les termes techniques. Peut-être que nos amis de la Tribune de la presse peuvent nous les donner. A cause du montage qui peut être fait et qu'à un moment donné on trouve un député, en gros plan, en train de se jouer dans le nez, ou une histoire comme cela, ce sont des choses aussi bêtes qui, depuis 1970, empêchent la télédiffusion des débats à l'Assemblée nationale. Ce serait bien grave de montrer nos députés dans des situations qui ne sont pas conformes aux règles, etc.

M. Lalonde: Surtout ceux qui font des colères. M. Burns: Moi, cela ne me fait rien.

M. Caron: Vous êtes le seul membre de l'Opposition.

M. Burns: Si je fais une colère, je la ferai, la colère, elle passera à la télévision et j'en prendrai la responsabilité si elle est mal faite. C'est tout. Ce sont des risques qu'on est en droit de prendre. C'est drôle comme on est... Il n'y a pas de problème quand un citoyen est amené devant une commission d'enquête. C'est sa réputation. Dieu

sait que nous autres, notre réputation comme politicien, vous savez, elle n'est pas extraordinaire. Vous avez vu les derniers sondages.

M. Caron: On le sait, quant à vous.

M. Burns: Elle n'est pas extraordinaire, comme politicien. Je ne parle pas de parti.

M. Caron: Non, non.

M. Burns: Parce que là, c est encore pire chez vous.

Une Voix: Attendez les élections.

M. Burns: Comme politicien, c'est quelque chose. J'en parle en toute liberté. Moi, j'ai à peu près la plus basse cote. Les trois cotes les plus basses dans la société sont actuellement: les politiciens, les avocats et les syndicalistes. Moi, je les réunis toutes les trois. Quant à moi, ce n'est pas grave, je n'ai pas de complexe là-dessus. Cela m'étonne énormément qu'on soit aussi ouvert à l'égard de la télédiffusion des enquêtes comme celle de la CECO et que, du côté des débats de l'Assemblée nationale, où on ne parle pas quand même de choses méchantes, en principe, on parle, du moins habituellement, de choses qui sont supposément être faites pour l'amélioration de la condition du citoyen, mais cela, il ne faut pas le montrer à la télévision, ce serait péché. Je ne sais pas, mais je me pose un certain nombre de questions sur ces deux attitudes.

M. Lalonde: Je ne sais pas si la question était posée au témoin ou si elle nous était posée à nous.

M. Burns: Non. j'ai dit à Me Dagenais que je ne le mêlais pas à cela, parce que là. évidemment, j'ai bifurqué politiquement un peu.

M. Lalonde: Oui.

M. Burns: Je ne veux pas vous embarquer là-dedans, Me Dagenais.

Le Président (M. Cornellier): L'honorable député de l'Assomption.

M. Perreault: J'aurais une question à poser au témoin. J'ai regardé quelques émissions de la CECO à la télévision. Ne trouvez-vous pas qu'à quelques occasions c'est plutôt une affaire de showmanship" qu'on essayait de faire plutôt qu'autre chose?

M. Burns: "Showmanship". C'est cela. La cote d'écoute.

M. Perreault: "Showmanship".

M. Burns: C est un peu ce que Me Dagenais nous disait tout à l'heure. Il faut que ce soit intéressant.

Une Voix: Une vedette.

M. Perreault: Pour répondre au député de Maisonneuve, c'est une des raisons pour lesquelles je me suis toujours opposé — je n'ai pas peur de le dire — aux débats télévisés de I Assemblée nationale. Parce qu'on vivra la même chose, du showmanship ".

M. Burns: Cela veut dire que vous êtes contre le fait que cela passe à la télévision, à la radio...

M. Perreault: Les débats de l'Assemblée nationale?

M. Burns: ...les débats de la CECO?M. Perreault: Absolument!

M. Burns: Non. non, on parle des débats de la CECO.

M. Perreault: Oui. je suis contre. Oui. M. Burns: Vous êtes contre? M. Perreault: Oui M. Burns: Bon.

M. Perreault: Je suis contre toutes ces affaires-là.

M. Burns: Allez-vous être présent au vote, quand on votera là-dessus?

M. Perreault: Oui. Je suis contre. M. Burns: Vous allez être là? Oui? M. Perreault: Oui.

M. Desjardins: II fera comme le député de Maisonneuve, il s absentera.

M. Burns: Je ne m absente pas. moi.

M. Perreault: Je reviens à ma question. Cela a été l'opinion de plusieurs, que j'ai rencontrés, et qui. à l'occasion de certains débats de la CECO. ont trouvé qu'on n'a pas recherché les faits tellement mais on a plutôt créé une image de vedette devant la population.

M. Dagenais: Ecoutez, si c'est votre impression personnelle, je peux difficilement faire quoi que ce soit pour vous empêcher de l'avoir, si c'est ce que vous avez ressenti en regardant les débats télévisés. Ce que j'ai dit précédemment, je pense, expliquait suffisamment que ce n'était pas ce que l'on recherchait. On a toujours essayé d'exposer une situation de la façon la plus complète possible. Avant qu'un témoin soit amené en audience publique, je peux vous assurer qu'il y avait des centaines d'heures, dans le cas des témoins les plus importants, qui ont été utilisées à vérifier mi-

nutieusement toutes les affirmations du témoin. Ce que I'on recherchait, c'était d exposer de la façon la plus complète, la plus vraie et la plus juste une situation qu'on croyait néfaste et qui devait être corrigée.

M. Perreault: Ma deuxième question est celle-ci: Est-ce qu'il n'y a pas aussi danger, avec la télévision, d'avoir dans le passé peut-être marqué certains hommes par association? On a, par association mentionné des noms et tout de suite ils sont impliqués comme responsables dans le crime organisé. On a nui à des réputations, comme l'a mentionné le Barreau tout à l'heure. C'est absolument vrai. J ai des cas que je connais, dont la réputation a été détruite à la manière dont on a procédé. En présentant leur image, c'est aussi grave que s il était le premier caïd de la pègre et bien souvent, on n'a rien prouvé même.

Je vais mentionner le cas d'un député ici qui a été traîné devant la CECO. Qu'est-ce qu'on a prouvé dans le rapport? Conduite, on n'a rien prouvé. Par contre, on l'a détruit, c'est ce qui est mauvais. On n'a rien prouvé. Qu'on se ferme ou bien donc qu'on prouve. C est cela mon point de vue. On a détruit un député ici; qu'on le prouve s'il a fait quelque chose: qu'on arrête de laisser soupçonner. Qu on l'accuse!

M. Burns: De plus en plus je veux vous voir présent au vote là, vous.

M. Perreault: Quand j'ai quelque chose à dire, je n'ai pas peur de le dire.

M. Lalonde: Quand vous parlez de sensibiliser la population, vous ne parlez pas d'augmenter votre cote d'écoute.

M. Dagenais: Vous voulez dire?

M. Lalonde: Comme vous nous l'avez expliqué tantôt, la télévision pour vous, à part de sensibiliser la population, est-ce qu'il y a d'autres fins que vous recherchez?

M. Dagenais: Je pense bien que l'utilité majeure de la télévision, c est précisément d'informer et de sensibiliser avec le maximum d'impact. Je vous réponds en toute candeur, c'est l'utilité de la télévision. En fait, c'est de maximiser la connaissance du public sur un phénomène; à part cela, cela n'a pas de raison d'être.

M. Lalonde: II y a un autre aspect des droits des témoins, à part la publicité qui est dans l'esprit de nous tous, non seulement à cause du mémoire du Barreau, mais aussi je pense que cela a été partagé par les commissaires de la CECO, c'est d'essayer de trouver des mécanismes pour permettre aux témoins de rétablir la vérité s'ils ont été l'objet de remarques défavorables. On a proposé, dans le rapport du Barreau, de laisser appliquer à la Commission d'enquête sur le crime organisé comme à d'autres commissions d'enquête — Me Brossard en a donné des exemples, vous l'avez entendu, il a mentionné la commission Dorion, je pense, et il y en a une autre — le contre-interrogatoire du témoin totalement libre aux avocats qui étaient désireux de le faire, soit pour rétablir la vérité, soit même pour attaquer sa crédibilité et le discréditer auprès de la commission.

Est-ce qu'à l'enquête sur le crime organisé ce système serait acceptable?

M. Dagenais: Je pense que c'est une des recommandations du rapport de la CECO d'institutionnaliser une chose au sujet de laquelle on avait ouvert la porte. En toutes lettres dans nos recommandations, on recommande d'instaurer le contre-interrogatoire des témoins par l'avocat du témoin lui-même, ainsi que l'avocat de toute personne qui serait visée par le témoignage de cette personne.

M. Lalonde: A moins que je fasse erreur, et corrigez-moi, il me semble que dans le rapport de la CECO, le rapport préliminaire, on assujettissait ce mécanisme à l'autorisation préalable des commissaires dans chaque cas.

M. Dagenais: Oui.

M. Lalonde: Mais le Barreau suggère de le laisser libre, totalement à l'initiative des avocats qui représentent les parties.

M. Dagenais: D'accord, je vois la distinction que vous faites.

M. Lalonde: Elle est majeure. M. Dagenais: Elle est majeure.

M. Lalonde: Cela fait la différence avec un contrôle complet dans le rapport de la commission. Je ne vous demande pas d'opinion. Le projet de loi— c'est inscrit dans les dispositions nouvelles de la loi 41 — prévoit un mécanisme de demande aux commissaires, à huis clos, etc. C'est beaucoup plus rigide. Dans l'autre système, préconisé par le Barreau, c'est totalement libre. Est-ce que vous pensez que le deuxième système pourrait facilement être acceptable dans l'enquête sur le crime organisé?

M. Dagenais: Personnellement, je pense qu'il faudrait quand même maintenir une distinction entre une commission d'enquête et un tribunal. C'est pour cela que je suis personnellement en faveur d'un contrôle par les commissaires du droit au contre-interrogatoire. Mais que ce droit soit octroyé sur justification de l'intérêt de la personne et de la pertinence du contre-interrogatoire, pour qu'on ne se retrouve pas avec des situations qu'on vit quotidiennement devant les tribunaux où des contre-interrogatoires durent des journées et des journées de temps et s'éloignent passablement du sujet.

M. Burns: Me Dagenais, si vous lisez le texte que le Barreau nous recommande — je vous le dis,

peut-être que vous n'avez pas eu le temps d'en prendre connaissance, je ne vous blâme pas — le texte se lit comme suit: Les commissaires doivent, sur demande, autoriser l'interrogatoire du témoin par son avocat sur les faits, aux conditions qu'il fixe, etc. — que propose le projet de loi — sur les faits pertinents mentionnés lors de son examen en chef, ou le contre-interrogatoire du témoin par l'avocat d'une personne dont le nom ou les activités ont été mentionnés par ce témoin ou par l'avocat d'un témoin, tant sur les faits mentionnés par le témoin et impliquant cette personne ou cet autre témoin que les causes de reproche pouvant exister contre ce témoin. Est-ce que vous pensez que cela peut empêcher les travaux d'une commission telle que celle sur l'enquête du crime organisé?

M. Dagenais: Oui, c'est que si on se réfère à l'expérience vécue, la commission a surmonté peut-être 70 brefs. Disons qu'on a passé une grande partie de nos activités à contester ou à répondre à des contestations à notre sujet. On a été constamment l'objet de procédures qui, dans bien des cas, avaient pour but avoué ou inavoué de retarder ou d'empêcher l'interrogatoire de certains témoins. Il y a encore des contestations qui sont pendantes depuis trois ou quatre ans. C'est pour cela qu'il me semblerait qu'il serait utile de conserver aux commissaires une certaine discrétion qui serait exercée publiquement sur la façon dont seraient conduits les interrogatoires et sur les sujets qui pourraient faire l'objet des contre-interrogatoires.

M. Burns: C'est bien bizarre, Me Dagenais, mais depuis 1944, c'est-à-dire depuis la date à laquelle l'accréditation syndicale existe par voie d'autorité quasi judiciaire, c'est-à-dire depuis que vous avez soit la loi des relations du travail ou la loi des relations ouvrières ou le Code du travail, vous avez eu un grand nombre — et je vous défie de me le dire, c'est dans les quatre chiffres, sinon dans les cinq chiffres — de brefs d'évocation ou, en général, de brefs de prérogatives, qui ont été émis à l'encontre de la Commission des relations du travail, maintenant du commissaire-enquêteur, dans le temps de la Commission des relations ouvrières. Jamais personne n'a pensé mettre des empêchements à tout cela.

M. Dagenais: Là, vous me comprenez mal...

M. Burns: C'est bien bizarre. Pourtant c'est un droit fondamental, le droit d'association.

M. Dagenais: Je n'ai jamais dit qu'il fallait limiter les recours contre la commission.

M. Burns: Mais oui, mais là...

M. Dagenais: Je vous ai tout simplement dit que la façon dont on avait vécu l'expérience...

M. Burns: Vous me parlez du nombre...

M. Dagenais: ... on pourrait s'attendre à des contre-interrogatoires qui dureraient des journées et des journées.

M. Burns: Tant mieux. Je veux dire, si cela se fait dans le cadre légal, si cela se fait dans un cadre tout à fait normal d'une société qui permet aux gens de s'exprimer. C'est bien sûr qu'on ne vous demandera jamais l'unanimité dans quelque société que ce soit et surtout pas dans le domaine qui vous concerne actuellement, c'est-à-dire le domaine du crime organisé. C'est bien sûr que vous allez avoir des gens pour et des gens contre, surtout ceux qui font du crime organisé. Ils vont tout faire pour essayer d'être contre, mais, si je m'adonne par hasard à passer dans ce groupe et si on décide que je fais partie du crime organisé, je vais être en maudit si je ne peux pas utiliser tous mes droits, si je ne peux pas être contre-interrogé par mon avocat, si mon avocat ne peut pas contre-interroger des témoins qui mentionnent mon nom, si, à un moment donné, je ne peux pas me plaindre d'un certain nombre d'irrégularités à l'endroit d'une telle commission d'enquête. Je vous fais le parallèle qui est quand même aussi important, soit dit en passant. C'est tellement important qu'on a une autre commission d'enquête qui a été, disons, aussi populaire, puisqu'on parle de cote d'écoute, que la Commission d'enquête sur le crime organisé, la commission Cliche. Dans ce cas-là, comme dans tous les autres, on a parlé de liberté syndicale, etc. Et, depuis 1944, il y a pourtant un tas de gens qui font des brefs d'évocation et ce sont particulièrement des patrons qui le font.

Le mouvement syndical dit: On va attendre le temps que cela prendra et ces gens passent à travers toutes les procédures. On n'a pas décidé que c'était tellement grave, cette attaque directe à l'endroit de la liberté et du droit de l'association, qu'il faille dire: Les enquêtes, ce sera le commissaire-enquêteur qui va mettre cela de côté et il entendra qui il voudra, il contre-interrogera qui il voudra et, quand ces gens iront devant les tribunaux de façon frivole ou dilatoire, à ce moment-là, il y aura une amende de $25 000 ou une peine d'emprisonnement de trois mois; jamais personne n'a pensé à cela. Tout à coup, dans le cas du crime organisé, qui vise des marginaux dans la société — il faut bien se le dire, qui ne vise pas l'ensemble de la société, mais vise des gens très précisément, non identifiables peut-être, mais précisément limités au point de vue du nombre — on se retrouve avec une autre loi des mesures de guerre parce que c'est bien important et que, peut-être, sur le plan politique, un certain gouvernement a décidé de refaire sa crédibilité avec cela.

M. Lalonde: M. le Président...

M. Dagenais: Juste pour répondre très brièvement à la position que je mets de l'avant. La position que je défends est une position qui est mitoyenne et elle provient de nous, de notre rapport

où nous avons suggéré que le droit au contre-interrogatoire soit instauré formellement dans la loi...

M. Burns: Bon.

M. Dagenais: ...et qu'également, les personnes puissent faire entendre des témoins à l'appui de leurs prétentions. Ce n'est quand même pas une position extrême, mais nous disons, comme position médiane, que nous réservons quand même aux commissaires le droit de pouvoir, à un moment donné, dire: Eh bien! Voici, le sujet que l'on veut toucher n est pas pertinent ou le droit est utilisé d'une façon qui se veut dilatoire ou abusive.

M. Burns: Me Dagenais, je me rappelle l'époque — je ne suis pas un vieil avocat, mais j'ai quand même une quizaine d'années de... bien, je commence à être vieux, j'en regarde d'autres qui sont plus vieux que moi. mais...— où des avocats qui voyaient leurs services réservés par des gens qui, éventuellement, pouvaient être accusés de meurtre, avaient toutes les difficultés du monde à participer à un contre-interrogatoire devant la cour du coroner; je me rappelle cette époque qui a heureusement changé. Elle n a pas changé dans la loi, elle a changé dans les faits, c'est-à-dire qu'on s'est accommodé, à un moment donné, de l'existence de l'avocat de l'éventuel accusé de meurtre. C'est quand même cela. Il ne faut pas poser de problème là-dessus. Je me disais: Cela n'a pas de bon sens, c'est quelqu'un qui, éventuellement, a des chances de mettre son cou sur la planche ou, en tout cas, dans la corde, à qui on dit: Tu n'as pas le droit d'avoir un avocat qui te représente ici.

A l'époque — je me souviens de cela — dans les années 1957, 1958 et 1960, on avait toutes les difficultés du monde, à une enquête du coroner, d'intervenir en disant: Je suis le procureur de M. Untel. On disait: M. Untel n'est accusé de rien et vous n'avez rien à faire ici. C'est quand même extraordinaire quand on savait que c'était le témoin important. Je n'ai pas à vous raconter ce que cela veut dire, un témoin important dans une enquête du coroner. C'est le gars qui, éventuellement, s'il y a responsabilité criminelle, risque d'être accusé.

Je me demande si, dans le fond, on ne fait pas un peu la même chose. Remarquez que c'est moins grave. On ne dit pas qu'il s'agit de peine de mort, qui est attachée à cela. Mais il s'agit quand même, dans bien des cas de la réputation des gens et peut-être même, éventuellement, de leur liberté, s'il y a des poursuites qui sont intentées à la suite de cela. Il me semble que c'est un minimum de dire que l'individu qui est amené devant la commission a le droit d'être représenté par avocat, de se faire interroger par son avocat, de se faire contre-interroger et de faire contre-interroger les autres témoins qui, éventuellement, pourraient l'impliquer dans cette affaire. Cela m'apparaît comme une chose des plus normales et des plus décentes. Je ne vois pas en quoi une telle mesure, telle que suggérée par le Barreau, pourrait empêcher le travail légitime, normal de la Commission d'enquête sur le crime organisé ou de toute autre commission d'enquête.

M. Dagenais: Ce sur quoi on discute présentement, c'est à savoir si les commissaires devraient ou non conserver une discrétion.

M. Burns: C'est cela.

M. Dagenais: Je vous réponds là-dessus que je pense que la discrétion n'est pas incompatible avec un bon exercice des libertés civiles de chacun et, en même temps, serait de nature à assurer une plus grande efficacité aux travaux de la commission.

M. Burns: Est-ce que ce n'est pas un droit fondamental, d'après vous, de pouvoir avoir ce droit? Est-ce que ce n'est pas fondamental pour n'importe quel individu de recourir aux services d'un avocat s'il le désire et de se faire représenter devant quelque organisme judiciaire ou quasi judiciaire qui existe? Est-ce que ce n'est pas fondamental pour un individu de dire: Jusqu'à preuve du contraire, je suis encore innocent? Est-ce que ce n'est pas fondamental de dire à cet individu: On va se mettre de ton côté pour prouver que, jusqu'à preuve du contraire, tu es innocent et tu vas avoir toutes les chances de t'en tirer si c'est nécessaire. C'est cela, dans le fond, la représentation d'un avocat devant ces tribunaux.

M. Lalonde: Me Dagenais, si vous me le permettez, on sait que l'aspect intimidation...

M. Burns: J'aimerais bien que Me Dagenais me réponde au nom de la CECO.

M. Dagenais: Je suis bien d'accord avec vous. C'est absolument fondamental.

M. Lalonde: Est-ce que l'aspect intimidation, qui est inhérent à tout le système du crime organisé, serait une des raisons pour lesquelles il serait préférable que les commissaires aient un droit de regard dans l'exercice de contre-interrogatoire? Par exemple, est-ce que vous craindriez que des témoins victimes pourraient être intimidés indirectement par des contre-interrogatoires d'avocats représentant les personnes qu'ils accusent plus ou moins? Est-ce que ce n'est pas dans ce sens?

M. Dagenais: C'est une chose avec laquelle il faut vivre. Je dirais que, plus fondamentalement, je ne verrais pas pourquoi une preuve qui voudrait être faite par la partie adverse ne pourrait pas également être auscultée de la même façon que les preuves que la commission désire apporter. Je peux vous donner un exemple concret d'une expérience qu'on a vécue où on s'est félicité d avoir voulu faire cette vérification auparavant. Il s'agissait d'une accusation de meurtre qui avait été lancée par le témoin McSween concernant Roger Fontaine. Ce sont des faits qui sont publics: on

peut en parler en toute liberté. Au lendemain de l'audition de McSween, l'avocat de Fontaine nous est arrivé avec un témoin et il nous a dit qu'il voulait faire la preuve que son client n'était pas sur les lieux lors du meurtre. Les commissaires ont dit: Très bien, on va entendre le témoin à huis clos auparavant et, si vos prétentions sont exactes, vous en ferez la preuve. Il s'est passé ce phénomène étrange. Je me souviens très bien de l'incident. C'était à cinq heures, quelques minutes après la fin des audiences, où le témoin s'est adressé aux commissaires, est entré dans la salle, quasiment poussé par son avocat et a demandé aux commissaires, l'air quelque peu hébété: Est-ce que je suis obligé de témoigner ici, est-ce que je peux m'en retourner chez moi?

On lui a demandé: Est-ce qu'on pourrait savoir qui vous êtes, tout d'abord? Il a dit: Est-ce que je suis obligé de donner mon nom? Je vous demande juste une chose; je suis un citoyen qui respecte les lois, je vis avec ma famille tranquillement et je voudrais m'en retourner chez nous. Les commissaires se sont adressés à son avocat, qui nous a assurés que le témoin était un témoin volontaire qui venait faire la lumière. Tout le monde était très surpris de la situation. Le témoin nous a quasiment implorés — c'est en toutes lettres dans le huis clos — de s'en retourner chez lui sans avoir à dire qui il était et quoi que ce soit d'autre.

M. Burns: Si vous avez un cas comme cela et si vraiment vous avez un avocat qui a intimidé son client à ce point, c'est une plainte directe au Barreau que vous devez faire. C'est une situation qui, vous allez l'admettre, est tout à fait exceptionnelle. Ce n'est pas en amendant la loi de façon à brimer les droits fondamentaux de la personne que vous allez corriger un cas tout à fait, mais vraiment tout à fait exceptionnel. Je suis prêt à...

M. Dagenais: Je m'excuse, mais cela va beaucoup plus loin que cela.

M. Burns: Voulez-vous dire que tous les avocats amènent leurs clients de force devant la Commission d'enquête sur le crime organisé ou ailleurs devant les tribunaux?

M. Dagenais: Le principe qu'il faut comprendre là-dedans, M. Burns, c'est que, si la commission s'impose la discipline, s'impose avec rigueur de vérifier les témoignages qu'elle produira, il me semble que ce serait normal également que la même chose se fasse pour les témoins qui soient produits par les personnes qui sont amenées devant la commission ou qui sont mentionnées devant la commission. A ce moment-là, vous pourriez vous retrouver avec la même situation que vous déplorez, à savoir que des témoins viennent en public lancer des accusations à gauche et à droite. Il faut absolument vérifier la portée, l'authenticité des témoignages qui vont être produits devant la commission, que cela vienne d'un côté ou de l'autre.

M. Burns: Mon argument est le suivant. Si vous avez des cas aussi aberrants que celui que vous venez de mentionner — je vous crois sur parole, je ne mets pas du tout votre parole en doute — c'est un cas disciplinaire du Barreau. Cela devrait être de votre devoir, même, de porter plainte contre cet avocat, si vous avez suffisamment de preuves à l'effet que c est lavocat qui a forcé ce témoin à venir témoigner. Il a excédé son rôle, il a même outrepassé tout ce qu'on peut imaginer comme rôle d'un avocat. A part cela, il faudrait peut-être interroger cet avocat, comme témoin, devant la Commission d'enquête sur le crime organisé. Il a peut-être des intérêts dans cette affaire-là.

Mais je vous dis que, peu importe I'exemple que vous me donnez, cela ne justifie pas, dans mon esprit, un amendement aussi grave et important quant aux droits fondamentaux de la personne que celui qu'on nous propose dans le projet de loi no 41. Je n'accepte même pas la discrétion qu'on pourrait donner aux commissaires de dire: Ils décideront s'il doit y avoir contre-interrogatoire ou pas. Les droits fondamentaux, les libertés civiles des personnes, on ne joue pas avec cela. S il y a des abus, ce sont les abus qu'il faut corriger, pas par une loi générale. Comme on le dit souvent, pour guérir une situation, il ne faut pas tout balayer. Il ne faut pas jeter le bébé avec I'eau du bain!

M. Dagenais: Mais je pense qu'il serait quand même prudent d'imposer les mêmes vérifications aux témoins qui sont produits par les avocats de certaines personnes représentées ou qui sont visés par la commission. Il faudrait imposer la même vérification que celle qui est faite pour les témoins qui sont produits par la commission. Il me semble que ce serait prudent parce que, sans cela, vous pouvez avoir la même situation que vous déplorez, dans vos paroles, de quelqu'un qui viendrait dire n'importe quoi sur n'importe qui.

M. Burns: Mais la loi, actuellement, telle que projetée par le gouvernement, nous dit: Les commissaires peuvent, sur demande et aux conditions qu'ils fixent, autoriser l'interrogatoire, le contre-interrogatoire, etc. La suggestion qui nous est faite, que je trouve beaucoup plus en accord avec le respect des libertés individuelles et des droits fondamentaux de la personne, nous dit que les commissaires, non pas peuvent mais doivent, sur demande, autoriser, sans aucune condition, I'interrogatoire et le contre-interrogatoire. Cela m'apparaît comme beaucoup plus normal, en tout cas, surtout quand on est dans un domaine où cela devient...

Depuis le début on parle surtout de commission d'enquête sur le crime organisé, mais cela pourrait s'appliquer à tout autre type d'enquête qui pourrait s'insérer dans un domaine aussi difficile à cadrer que le crime organisé, aussi difficile au point de vue des personnes et de la nature des choses qui sont discutées, mais particulièrement quand on est dans ce domaine, au moins qu'on laisse les libertés fondamentales aux personnes, leurs droits fondamentaux. Il me semble que c est

la première chose qu'on va respecter. Moi, je ne serais pas satisfait, en tout cas, d'être convoqué demain devant la CECO avec un texte qui me dit que peut-être — parce que c'est cela que cela veut dire — mon avocat pourra m'interroger, peut-être mon avocat pourra contre-interroger des gens qui parlent à mon sujet. Ce peut-être c'est uniquement dû à la discrétion des commissaires. J'ai bien du respect pour les gens qui sont là, mais, je m'excuse, mes droits sont pas mal plus importants que leur peut-être à eux autres. C'est dans ce sens que je n'accepte pas ce genre de texte. Je ne vois pas comment décemment on peut accepter de commettre une telle incartade aux droits communs puis aux libertés fondamentales. Je ne pense pas, d'autre part, si vous me prouviez — c'est un peu le sens de mes questions, Me Dage-nais, depuis le début — que le fait d'inscrire un texte permet véritablement l'exercice en vertu du droit commun que tout le monde on connaît, l'exercice du droit à l'interrogatoire puis au contre-interrogatoire, je ne pense pas que cela nuise aux travaux de votre commission. Bien là, j'y songerais, mais je ne pense pas que vous soyez en mesure de me prouver cela.

M. Lalonde: II ne semble pas que le témoin ait quelque chose à ajouter sur cette question.

M. Oagenais: Peut-être sur la question du contre-interrogatoire, il y aurait peut-être possibilité effectivement de — je ne veux pas prendre position sur le projet de loi ou non... Mais je pense bien que le point que vous faites, à mon point de vue, en matière de discrétion de contre-interrogatoire, pourrait être "phrasé" de telle sorte que le contre-interrogatoire soit un droit de plein droit pour quelqu'un mais que le contrôle des commissaires existe au niveau de la pertinence et au niveau de la tactique dilatoire. Je pense que là-dessus on se rejoint très bien. Sur la question de la preuve du témoin, je persiste à penser qu'il faudrait quand même vérifier cela auparavant.

M. Burns: Est-ce que...

M. Lalonde: Quand vous parlez de la pertinence...

M. Burns: Sur la pertinence, c'est un droit qui existe en vertu de la Loi de la preuve. Qu'est-ce que vous voulez, si quelqu'un veut absolument témoigner relativement à un sujet qui n'a rien à faire avec la discussion qui est en cours, je pense bien que c'est la discrétion totale des commissaires, parce qu'ils ont, en vertu du chapitre 11 de nos lois, les mêmes pouvoirs qu'un juge de la Cour supérieure en matière de preuve puis ils peuvent simplement dire: Ecoutez, monsieur, on n'a pas le goût d'entendre parler de la couleur des culottes de votre belle-mère, si on est en train de parler d'autre chose. Moi, il me semble que c'est évident, on n'a pas besoin de le dire dans la loi, cela existe déjà dans notre législation actuelle.

M. Dagenais: II reste que...

M. Burns: Sur l'aspect pertinence, moi, il me semble que c'est une discrétion qu'on n'a même pas besoin de remettre dans la loi à la faveur des commissaires. Mais, quant aux droits, par exemple, fondamentaux de l'individu qui se présente devant cette commission, qui est convoqué devant cette commission, il me semble qu'on doit tout au moins les répéter, parce que cela est important. Ou tout au moins, si on ne le répète pas, qu'on ne mette pas des textes comme celui qu'on nous propose, qui empêche le libre exercice de droits fondamentaux. C'est dans ce sens. Je vous suis parfaitement et je suis d'accord avec vous, c'est bien évident que, si par des témoignages dilatoires, on veut empêcher les travaux de la commission, les commissaires devraient, à ce moment, dans la mesure de l'exercice de leurs pouvoirs normaux, dire: Ecoutez, monsieur ou madame, on n'a pas le goût de vous entendre là -dessus, parce que vous nous parlez de quelque chose qui ne nous concerne pas. Pour moi, cela ne se pose pas comme problème. Ce qui cause comme problème, c'est le genre de texte où on soumet à la possibilité et aux humeurs, sans jeu de mots, des commissaires et aux conditions qu'ils fixent le droit à l'interrogatoire et au contre-interrogatoire. Cela m'inquiète beaucoup.

M. Lalonde: Me Dagenais, je ne voudrais pas prendre trop de temps, parce qu'il y a une autre partie, un autre témoin qu'il faudra entendre avant la fin de la séance de cet après-midi, mais il y a une question — il y en a certainement plusieurs autres — plus particulièrement la question des perquisitions sans mandat.

La loi actuelle contient une disposition permettant de procéder à une perquisition sans mandat en cas d'urgence. Pourriez-vous me dire si, selon votre expérience, cette procédure a été utilisée et si elle est donc utile à l'enquête sur le crime organisé?

M. Dagenais: Elle n'a jamais été utilisée et, pour aller droit au but, ce n'est pas une chose qui nous semble nécessaire ou utile. C'était dans la loi. On n'a jamais cru bon de l'utiliser. Il ne s'est jamais présenté d'occasion et, en plus de cela, je pense bien que le principe du mandat de perquisition et d'un mandat pour entrer chez qui que ce soit est un des principes qu'il faut maintenir dans notre droit. Je ne sais pas exactement ce qu'on recherchait dans cette disposition spécifique, mais il reste que, si jamais un policier découvre une chose qui constitue une preuve d'importance, il y a toujours moyen pour lui d'aller chercher un mandat de perquisition, quitte à laisser un confrère, si l'objet n'est pas couvert par un mandat de perquisition, sur les lieux, si c'est une preuve vitale, et d'aller se chercher un mandat de perquisition.

M. Burns: Cela va nous aider. J'espère que c'est un article qui va sauter. Cela va faire une chicane de moins, cela, M. le ministre.

M. Lalonde: II en reste assez d'autres!

Bon! Compte tenu du peu de temps qui! nous reste, je m'en tiendrais, quant à moi. à ces questions qui nous donnent une bonne perception de l'approche...

M. Burns: J ai simplement, si vous le voulez bien, une ou deux questions encore à Tendrait de Me Dagenais. et je suis bien content d avoir quelqu'un de la CECO pour recevoir ces questions.

Le Président (M. Cornellier): ...

M. Burns: M. le Président, vous m intimidez.

Le Président (M. Cornellier): C est une question que je pose.

M. Burns: C'est très bref. Ce ne sont peut-être pas des aspects qu on a touchés actuellement, mais jusqu à maintenant un certain nombre d intervenants devant la commission nous ont laisse entendre qu un certain nombre de pouvoirs que le lieutenant-gouverneur en conseil se réservait, entre autres le pouvoir de réglementation dans le cas des corps policiers au-dessus de la Commission de police ou des choses comme cela, pour moi. me laissent songeur quant à un problème global, c'est-à-dire I'intervention politique.

Je ne vous prends pas par surprise, je fais une introduction disant que c est dans ce sens que je vous la fais. Est-ce que. jusqu'à maintenant, il y a des dossiers que vous avez étudiés à huis clos, a la CECO. qui ont été mis de côté à cause d interventions politiques?

M. Dagenais: Jamais.

M. Burns: Ce n est jamais arrive?

M. Dagenais: Jamais arrivé.

M. Burns: Jamais arrivé?

M. Dagenais: Je dois vous dire...

M. Burns: Ce n est jamais arrive depuis que vous êtes là ou avant?

M. Dagenais: Je peux parler de ce que je connais.

M. Burns: Depuis quand êtes-vous la?

M. Dagenais: Je suis là depuis février 1975.

M. Burns: Février 1975.

M. Dagenais: Cela couvre les dossiers auxquels vous pensez.

M. Burns: Cela couvre les dossiers, par exemple, de Loto-Quebec...

M. Dagenais: De la Société des alcools.

M. Burns: ...et de la SAQ.

M. Dagenais: Je peux vous dire tout.

M. Burns: Je vais vous poser une question. N'y a-t-il pas eu — je prends la formule que ma indiquée tout à I heure le Solliciteur general — des enquêtes à huis clos sur ces deux domaines...

M. Dagenais: Oui.

M. Burns: ...de Loto-Quebec et de la SAQ?

M. Dagenais: La Loto-Québec? Pas que ]e sache.

M. Burns: Non.

M. Dagenais: Je pense bien que la réponse est non. Pas que je sache. Je n ai pas toujours été procureur-chef, mais je ne crois pas. Il y a eu une enquête à huis clos sur les dossiers de la Société des alcools.

M. Burns: La SAQ. Bon! Comment se fait-il qu à la suite des enquêtes à huis clos il n y ait pas eu d audition publique relativement à cela?

M. Dagenais: La genèse de ce dossier s est présentée de la façon suivante. A I'occasion de I'étude des rubans du projet Vegas, qui est un projet bien connu de la Sûreté du Québec, il y avait eu...

M. Burns: Bien connu tout court.

M. Dagenais: ... une conversation au cours de laquelle on pouvait voir qu un fonctionnaire de la Société des alcools — la Régie à l'époque — faisait I'objet d une tentative de manipulation par des gens du milieu. Alors pour nous, c est un filon intéressant et c est un filon sur lequel on a enquêté. Quand je parle de gens du milieu, il s'agissait de Frank Dasti. A la suite de l'enquête, on s est aperçu que dans le cours de deux semaines, ce fonctionnaire avait été muté. C'était un fonctionnaire qui était mal pris, il y a des gens qui essayaient de le faire chanter, et semble-t-il. d après ce qu on pouvait voir, les gens du milieu voulaient utiliser cela, étant donné qu'il était à la Société des alcools, pour I aider vis-à-vis des gens qui le faisaient chanter et en retirer des avantages.

L enquête a démontré que — je crois que c est a peu près juste, je ne voudrais pas épingler une date précise — dans les deux semaines qui ont suivi la conversation, question qui laissait supposer bien des choses, le fonctionnaire a été muté et cette tentative a avorté complètement. Maintenant, dans le cours du dossier, comme on l'a déjà mentionné, il y a un certain nombre de pratiques dont on a pris connaissance, dont on a fait rapport au Solliciteur general, pardon au ministre de la Justice de I'époque, le Procureur général, qui était Jérôme Choquette. Quant à nous, la raison pour la-

quelle on n'a pas poursuivi les travaux, c'était qu'il ne s agissait aucunement de crime organisé.

C était mon opinion également à l'époque et c'était l'opinion de tout le groupe avec qui je travaillais. On comprenait que c'était hors mandat. Je peux même vous dire, étant donné l'aspect délicat du dossier, que des opinions ont été sollicitées de la part de gens indépendants de l'extérieur Ces derniers ont formulé des opinions juridiques, savoir si c était ou non dans le mandat; or, les trois opinions concordaient.

M. Burns: Alors ce que vous avez...

M. Dagenais: C'est une précaution supplémentaire qui a été prise à cause de l'implication particulière de ce dossier.

M. Burns: Cela va. cela m éclaire. Alors, à quelle époque avez-vous fait rapport au Procureur général?

M. Dagenais: Je l'ai remis à I'été. je ne peux pas vous dire le mois, je crois que c était en mai ou juin.

M. Bums: 1976? M. Dagenais: 1975.

M. Burns: 1975. cela fait déjà un an et plus. Vous ne le savez pas, mais je suis en train de me bâtir un dossier J'ai donc hâte que la session recommence.

M. Lalonde: Vous saviez déjà cela.

M. Burns: Ah! mais je l'ai, comme disent les Anglais directly from the horse's mouth. Je m excuse, je ne vous traite pas de cheval, monsieur.

M. Lalonde: Cela vous prouve que vous utilisez toujours la vérité.

M. Burns: Non, non, mais c est parce que là vous allez avoir de la difficulté à me dire que vous faites encore enquête, alors que vous avez des rapports. Cela fait déjà un an.

M. Lalonde: Puis, d'ailleurs, le député de Maisonneuve a remarqué que malgré, je n ose pas dire son impertinence, mais la non-pertinence de ses questions au débat, je l'ai laissé aller jusqu à maintenant.

M. Burns: Pour une fois qu'on a quelqu'un de la CECO devant nous, puis une personne autorisée...

M. Lalonde: Je ne vois pas beaucoup ce que ces questions ont à voir avec le rapport du Barreau.

M. Burns: Non, non, je ne parle pas du rapport du Barreau, écoutez, il est venu témoigner ici, il me semble que je ne suis pas limité au rapport du Barreau.

M. Lalonde: Au rapport du Barreau et il faut quand même reconnaître...

M. Burns: Depuis quand? Je n'ai vu cela nulle part. Quant à vous, M. le Président, avez-vous décidé cela, vous?

M. Lalonde: ... reconnaître...

M. Burns: Je n'ai pas vu cela, est-ce que vous avez décidé qu'on ne pouvait pas sortir de...

M. Lalonde: ... que Me Dagenais, dans ses fonctions, a. il le sait, je n'ai pas besoin de lui dire, habituellement...

M. Burns: Oui, je sais ce que vous allez lui dire, vous allez lui dire de se fermer la boîte à la prochaine question que je vais lui poser.

M. Lalonde: ... il y a un caractère de confidentialité à respecter.

M. Burns: Je sais ce que vous allez lui dire. C'est un avertissement gentil que vous êtes en train de lui faire. Bon!

M. Lachance: II n'a n'en à cacher.

M. Burns: II n'y a rien à cacher. Bon, tant mieux!

Quand cette décision a-t-elle été prise que c'était hors mandat, m'avez-vous dit, des consultations à l'extérieur? Quelle définition vous donniez-vous à votre mandat sur le crime organisé? Vous êtes capable de nous le dire.

M. Dagenais: Oui. Pour nous, le crime organisé est un ensemble de gens dans une société dont I'objectif est de vivre du crime. Il ne s'agirait pas, par exemple, d'individus qui, dans le cours de leurs affaires, vont à l'occasion faire des choses malhonnêtes, pour faciliter un profit.

Pour nous, les gens du crime organisé sont des gens qui font une profession du crime.

M. Burns: C'est-à-dire...

M. Dagenais: Ce sont des criminels professionnels.

M. Burns: ...que leur travail, c'est de gagner de l'argent avec le crime.

M. Dagenais: En marge des lois.

M. Burns: En marge des lois. Bon. Est-ce que cela irait, dans votre esprit, jusqu'à englober des gens qui ont un commerce tout à fait légitime, par exemple, au hasard, un commerce comme la vente de fromage et qui à l'occasion de la vente de fromage, se mettraient à faire des profits de façon irrégulière en vertu de la loi? Est-ce que cela irait aussi loin que cela ou si cela n'est pas couvert?

M. Dagenais: Vous savez, c'est difficile de

parler sur un exemple aussi vague que celui-là. Dans notre esprit, il faut que le caractère majeur des activités ou du gagne-pain de ces gens soit une façon continue de violer les lois et d'en tirer des profits.

M. Burns: Si, par exemple, j'ai une entreprise tout à fait légitime qui, en soit, me rapporte des revenus et que cela me sert, à toutes fins pratiques, même si cela me rapporte seulement 25% de mes revenus, un peu de couverture pour faire des actes illégaux de façon systématique, cela, à vos yeux, n'apparaîtrait pas comme du crime organisé.

M. Dagenais: C'est un peu différent. Si vous me dites que l'ensemble de vos activités, c'est-à-dire 75%, c'est de vivre du crime et que l'entreprise est une couverture...

M. Burns: Non, l'exemple que je vous donne, c'est 75% tout à fait légitime. Je vends des pommes de terre ou je vends du fromage ou je vends... Est-ce qu'on a des experts ici qui veulent m'éclairer?

M. Caron: Si ce n'est pas de la marchandise volée.

M. Burns: Bon. Je m'excuse. Je demandais aux témoins experts, à moins qu'il n'y ait des témoins experts ici.

M. Caron: Vous êtes un expert.

M. Burns: Non, je ne suis pas un expert. Je pose des questions.

M. Caron: Je suis expert à Loto-Québec; alors, lorsque cela viendra...

M. Burns: On vous réserve pour cela. Me Dagenais, dans le cas que je vous donne, disons qu'au maximum 75% de mes activités sont tout à fait légitimes. Je vends des pommes de terre ou je vends des casquettes. Cela me rapporte 75% de mes revenus, sauf que, de façon régulière et de façon systématique, il y a au moins 25% de mes revenus qui me viennent d'actes illégaux qui sont faits sous le couvert de mon opération tout à fait légitime. Pour vous autres, est-ce que c'était considéré comme hors mandat?

M. Dagenais: C'est très difficile. J'opinerais plutôt que ce serait hors mandat.

M. Burns: Ah bon!

M. Dagenais: En général, le crime organisé ne fonctionne pas de cette façon. Ce sont des gens qui, d'emblée, fonctionnent dans le crime d'une façon continue et régulière.

M. Burns: C'est-à-dire qu'il ne faut pas gagner sa vie à autre chose que de vendre de la crème glacée, si c'est nécessaire, et faire d'autre chose à côté.

M. Lalonde: M. le Président... M. Burns: Est-ce cela?

M. Dagenais: Ecoutez, pour répondre à votre question, qui n'a rien à se reprocher? S'il fallait qu'une commission d'enquête sur le crime organisé enquête sur toutes les irrégularités du fonctionnement de chaque groupe d'individus, il faudrait enquêter sur tous les acheteurs dans toutes les grandes compagnies qui, certainement, — je ne veux pas trop m'avancer — ...

M. Burns: Ce que je veux savoir, c'est si, dans la définition que vous faites de votre mandat, il est absolument nécessaire que vous puissiez déceler un système et peu importe l'activité principale.

M. Dagenais: Assurément. Ce sont les normes en fonction desquelles on fonctionne.

M. Burns: Vous dites...

M. Dagenais: C'est la définition qu'on s'est donnée.

M. Burns: ...qu'un système d'actes illégaux ou criminels ou, en tout cas, poursuivables devant les tribunaux, pour vous autres, c'est du crime organisé, peu importe l'importance de l'entreprise légitime qui puisse être le couvert de cela. Est-ce que je vous comprends bien là-dessus?

M. Dagenais: Oui, je vous donne un exemple; si vous avez dans un bureau un type qui est un administrateur et qui, plutôt que de louer des photocopieurs Xerox, loue des photocopieurs IBM parce qu'il est avantagé par IBM, vous avez une partie de ses activités qui sont illégales.

Mais allons-nous appeler cela du crime organisé? Le caractère de crime organisé nécessite un contexte tout à fait différent.

M. Burns: C'est assez difficile à définir, c'est cela?

M. Dagenais: J'ai proposé une définition. Ce qui est difficile, c'est d'appliquer la définition à un exemple aussi vague que celui que vous me donnez. Vous dites que c'est 25% de ses activités. Quelles sont ses activités, ce type se fait $5000 par années et il perçoit $1250 en commission, il est seul et il agit seul et n'a aucun lien avec le milieu et ne recourt pas à l'intimidation? Là je vous dirais carrément non, cela ne nous regarde pas.

M. Burns: D'accord. Vous venez de lâcher le mot. Pour vous, le crime organisé est-ce une référence au milieu, ce qu'on appelle le milieu, c'est-à-dire la pègre, le monde interlope? Pour vous est-ce un élément essentiel?

M. Dagenais: Non. M. Burns: Non?

M. Dagenais: Non. Mais il y a...

M. Lalonde: M. le Président, excusez-moi, je ne veux pas interrompre ce cours sur le crime organisé extrêmement intéressant.

M. Burns: Ce n est pas un cours, au contraire c'est...

M. Lalonde: Ecoutez, j'aimerais prendre la parole; excusez-moi une seconde, parce que je veux me référer, M. le Président, aux travaux de cette commission. Il reste un organisme à entendre d'ici l'ajournement à 18 heures; M. Marcil est ici depuis hier. Sans trop insister sur la pertinence, j'aimerais quand même rappeler au député de Maisonneuve, pour au moins être aussi disponible et courtois que possible à l'endroit de la Fédération des policiers, s'il n y aurait pas lieu de passer à la fédération. Je fais appel à la compréhension du député de Maisonneuve.

M. Burns: Vous avez ma compréhension la plus totale, M. le Président, mais je vais vous dire aussi que dans votre projet de loi il est fortement question du crime organisé, que déjà des gens qui sont venus devant nous nous ont pointé entre autres un certain nombre de références à l'article 20 de la loi qui est amendée par l'article 42 de la loi.

M. Lalonde: Oui, mais j'ai dit que je ne faisais pas trop de cas de la pertinence. Je veux tout simplement faire appel à sa collaboration.

M. Burns: J'aime mieux cela parce que, si vous me dites que je pose des questions en dehors du projet de loi, je vais m'insulter.

M. Lalonde: Non, non.

M. Burns: Je suis habituellement gentil, avec un caractère affable. Je veux tout simplement vous demander en conclusion, Me Dagenais, si d'après vous c'est difficile de cadrer, de définir véritablement ce qu'est le crime organisé. Est-ce que je vous comprends mal si j'interprète la suite de vos réponses comme étant une affirmation à l'effet que de définir le crime organisé, c'est très difficile?

M. Dagenais: C est sûr que c'est difficile. C'est sûr; on a quand même, malgré que ce soit difficile, un certain nombre de critères, de normes que je vous ai énoncés tout à l'heure. C'est sûr que ce n'est pas facile.

M. Burns: Quand arrivent des problèmes de définition du mandat, du cadre de votre mandat, à ce moment, est-il habituel à votre connaissance, soit par vous ou soit encore par les commissaires, de consulter l'autorité du ministère de la Justice?

M. Dagenais: En l'occurrence, ce ne sont pas des gens du ministère de la Justice qui ont été consultés, il s'agit de personnes qui étaient indépendantes. Il y a un juge à la retraite, un juge émi- nent d'une des plus hautes instances. Il y avait également en l'occurrence des juristes de grand renom qui étaient considérés par nous comme des gens absolument neutres, qui n avaient pas d'affiliation politique comme telle.

M. Burns: Mais, règle générale, est-ce au ministère de la Justice que vous en référez pour vérifier si c'est dans le cadre de votre mandat?

M. Dagenais: Ni en règle générale, ni en règle spécifique. On aime bien penser qu'on est indépendant et on le pense actuellement.

M. Burns: Alors ce n est pas arrivé dans d'autres cas que ceux auxquels on s'est référé?

M. Dagenais: Non, absolument pas. c'était la seule situation cocasse qui s'est produite. Enquêtant sur un filon où manifestement il y avait une tentative d'influence du crime organisé sur un fonctionnaire du gouvernement ou, enfin, d'une régie gouvernementale, on s'est trouvé à prendre connaissance de faits qui constituaient des actions repréhensibles, mais qui étaient tout à fait en dehors du genre de sujets que l'on couvre d'habitude.

M. Burns: Mais qui représentaient une certaine constance, une certaine permanence, si on peut dire, dans les actes irréguliers?

M. Dagenais: Vous me permettrez de réfléchir. Oui.

M. Burns: ...qui représentait une certaine continuité.

Merci, Me Dagenais. Je m'excuse d'avoir été si long et d'avoir, au dire même du Solliciteur-général...

M. Dagenais: Vous n'avez pas à vous excuser, je suis venu ici pour répondre aux questions.

M. Burns: ...qui a l'habitude de m interrompre comme cela, outrepassé le mandat de la commission alors que, même au dire de notre président vaillant et vigilant, j'étais dans le cadre de la commission.

M. Lalonde: Je remercie Me Dagenais.

Le Président (M. Cornellier): J'inviterais maintenant le représentant de la Fédération des policiers. M. Marcil, vous avez la parole.

Fédération des policiers

M. Marcil (Guy): M. le Président, je tiens premièrement à remercier les membres de la commission de nous entendre. Comme j'ai eu l'occasion de le dire. hier, nous avions été I'un des groupes qui avait prôné cette commission. En fait, on accepte le fait que nous sommes passés, hier, pour nous retrouver peut-être à la fin coincés avec l'heure de l'ajournement. Tout de même, il

reste qu'on a pris cette chance et nous apprécions le fait que la commission nous entende.

Je suis accompagné, à ma gauche, du président de la fédération qui a été élu au dernier congrès de la fédération, M. André Nadon et à ma droite, du procureur de la fédération, Me Louis-Claude Trudel.

Si on n'a pas préparé de mémoire, je voudrais simplement indiquer aux membres de la commission que nous avons mis plusieurs heures à regarder ce projet de loi. D'ailleurs, nous avons fait un voyage en avion au moment où la grève d'Air Canada sévissait et c'est un voyage qui restera mémorable pour moi et pour notre procureur. Partis de Rouyn pour Québec, le pilote s est perdu, on s'est retrouvé à Mirabel. De toute façon, cela nous aura permis au cours de cette envolée d'étudier le projet et, par la suite, de l'approfondir au cours des semaines qui ont suivi

M. Burns: Vous êtes comme nous. M. Marcil, vous étudiez des projets de loi. sous tension.

M. Marcil: Sous tension. A la remarque du député de Maisonneuve, je tiens à souligner que cette tension, je l'ai connue personnellement au cours des dernières années. En fait, depuis 1969, j'ai toujours été ici, au mois de décembre, à la fin de la session. Historiquement, j'ai passé le mois de décembre à Québec, parce que c'était toujours à ce moment que le ministre de la Justice, dans le temps, présentait ses projets de loi, ainsi qu'à la clôture de la session au mois de juin. Si bien et je pense dans ces remarques, tout de même, pour nous... Quand on considère que la session s'est terminée le mercredi et que votre projet a été déposé le jeudi précédent par l'honorable leader du gouvernement, M. Lévesque, notre congrès commençait le dimanche.

Nous sommes venus vous rencontrer, mais nous savions, à ce moment-là, que le temps était court et nous avions demandé cette commission parlementaire parce que nous pensions, tout de même, qu'il y avait certaines implications assez sérieuses au niveau des principes du bill comme tels. Je vous ai référé à ce bill comme à une salade de fruits dans laquelle on trouvait tous les éléments qui, en fait, composent une telle salade, peut-être avec un peu de raifort à l'occasion ou un peu de noyaux!

Tout de même, je voudrais, avant de commencer à parler sur l'ensemble du projet, dire en passant, que cela m'a permis de constater quelles étaient les objections, quelle était la philosophie du bill qui a été exprimée par les membres de la commission et aussi par les personnes intéressées à se faire entendre.

Dans les remarques de Me Dagenais, tout de même, qui vient de terminer, il y en a une qui mérite certaines considérations. C'est peut-être, dans l'ensemble de la police du Québec, un problème où nous les policiers, on se pose de sérieuses questions. Quand il dit que les commissions d'enquête ont eu pour but ou pour effet de sensibiliser les hommes politiques, la population, je peux comprendre un peu les nuances. J'accepte la par- tie de son exposé, qui est valable, qui est fondée. Mais, quand il dit qu'elles sensibilisent la police. )e me pose de sérieuses questions. Qu'on fasse une commission d enquête pour sensibiliser la police, je trouve cela pas mal fort, surtout quand on parle du groupe des Dubois et qu'on dit — depuis 20 ans que les Dubois font la pluie et le beau temps, si ce n est pas 25 ans — que cela prend une commission d enquête pour sensibiliser la police à former une escouade qui va essayer de contrôler le groupe des Dubois. Ce n'est pas la base, ce n est pas la base comme telle. Moi, j'ai tout de même vécu 25 ans et je connais, je pense, l'esprit qui anime les policiers à la base, mais je dis qui I y a un problème sérieux quand le procureur de la CECO vient nous dire qu'un des effets obtenus par la commission, cela a été de sensibiliser la police.

Je voudrais tout de même souligner un des problèmes des policiers: le moral qui existe présentement est un moral qui, soit à la communauté urbaine ou au niveau du Québec, n'est pas simplement dû à une question de salaire — j'y reviendrai tantôt — mais surtout à une question d'appartenance, une question dans laquelle aussi on trouve un certain sens professionnel de la fonction.

Malheureusement, le principe de Peter s est établi dans les hautes directions de la police, aussi bien de la Communauté urbaine de Montréal que dans une grande majorité des corps de police dans le Québec et cela, ce n'est pas sans nous sensibiliser à la base.

Ceci étant dit, je reprends les discussions du mémoire comme tel. Il y a beaucoup de questions qui ont été posées et, en fait, il faut peut-être faire un peu d'histoire pour essayer de comprendre la philosophie du bill 41. Je pense qu'ici, à la commission parlementaire, nous nous sommes toujours fait un devoir de venir vous rencontrer, de rencontrer les membres du gouvernement aussi bien que l'Opposition, et mes prédécesseurs ont fait la même chose. Tout de même, nous étions à lavant-garde quand le ministre du temps, M. Cho-quette, avait présenté un projet: la police et la sécurité des citoyens. Le projet comme tel. si je me souviens, avait eu l'assentiment de l'Opposition et même de la presse écrite. Les quelques groupes qui se sont fait entendre ont été trois groupes de policiers et le Barreau, à ce moment-là.

Cependant, nous avions dit, sur le livre blanc de M. Choquette, après l'avoir décortiqué pendant une semaine, que si le livre blanc était mis en vigueur tel quel, nous nous dirigions vers un Etat policier. C'étaient les conclusions de notre mémoire que j'ai ici, que nous avions fait entendre dans le temps.

Cependant, on regarde depuis ce temps et on s aperçoit que les mécanismes qui étaient prévus dans le livre blanc sont à s'instaurer de façon assez subtile parmi les services de police.

Cela je ne sais pas s'il y a quelqu'un qui est conscient de cela. Mais, tout de même, on regarde le rôle que le législateur se donne, on regarde le rôle que le Solliciteur général se donne, et on commence à se poser de sérieuses questions: qui contrôle la police par le biais?

Si on regarde la Communauté urbaine de Montréal, 5000 policiers; si on regarde la Sûreté du Québec, tout le monde sait que la Sûreté du Québec, par le mécanisme, relève du Solliciteur général. Si on regarde la Communauté urbaine de Montréal, quatre membres sont élus et trois sont nommés d'office par le gouvernement ou par le cabinet des ministres. Sur les trois qui sont élus, le président, pour qu'une motion soit acceptée, il faut qu'il fasse partie de la majorité. Je ne fais pas de procès d'intention, je vous dis simplement les questions qu'on peut se poser sur le contrôle du gouvernement, du Solliciteur général et du lieutenant-gouverneur à différents paliers.

Quand on regarde en fait le projet comme tel, on y retrouve encore une fois le mécanisme du lieutenant-gouverneur, le mécanisme du Solliciteur général, le mécanisme du BRQCO, le mécanisme de la direction générale. Tout cela on l'avait exprimé dans le livre blanc, nous avions exprimé certaines réserves quant à la création d'un ministère de l'intérieur. Souvenons-nous que c'était la création d'un ministère de l'intérieur, souvenons-nous aussi du moment où le livre blanc a été écrit, c'est après la crise d'octobre 1970. Le livre blanc a alors été écrit en grande partie par les membres de la Commission de police et la préface a été faite par le ministre du temps. Cela s'était fait sous le couvert d'un grand secret, les déplacements de la Commission de police à travers l'Europe. On nous a amenés en commission parlementaire les grandes philosophies du Home Office alors qu'on retrouvait les mécanismes du ministère de l'Intérieur en France. On s'était opposé, surtout quand on regarde certains articles, et je vous en citerai simplement un ou deux pour vous sensibiliser. On parlait au niveau des relations du travail et on y revient encore dans le mécanisme; dans la loi, on parle des fonctions et tantôt j'y toucherai. On disait dans les propositions que la question des relations du travail dans les corps policiers, la composition des unités de négociation, la négociation des conventions collectives et l'établissement des conditions de travail fassent l'objet d'une étude et de recommandations par un comité conjoint formé de représentants du ministère du Travail et du ministère de la Justice ou du nouveau ministère et que le comité travaille en étroite collaboration avec les représentants des syndicats policiers, les membres de la direction des corps policiers et les principaux employeurs et représentants d employeurs de policiers. L'article 66 était réellement la cerise sur le sundae: Que l'on élimine les conventions collectives, les clauses susceptibles d'entraver l'efficacité des corps de police ou de nuire à leur gestion efficace — cela voulait dire ce qui était le contenu entre les deux couverts, cela voulait dire me tenir dans le panier. Mais on voit, encore une fois, dans le mécanisme qui est prévu ici, dont je vous parlerai tantôt à l'article 18, que déjà ces mécanismes sont en voie de s'installer.

La première remarque qu'on vous fait est le rôle de la Commission de police. La Commission de police comme telle a été créée en 1968 — M. Bellemare, ce matin, en faisait mention. Nous autres, nous l'avons demandée la Commission de po- lice dans le but évident de sortir de la politique. Même si ce matin on disait que c'était au niveau des policiers municipaux, il y avait certainement l'aspect politique au niveau de la Sûreté provinciale, si on se situe à l'époque de 1968. La Commission de police a été créée. Je pense qu'elle a fait un bon boulot avec le personnel qu'elle avait; au fur et à mesure qu'elle en fait, elle a obtenu plus de personnel; elle a aussi obtenu plus de pouvoirs.

A cet article, on s'aperçoit que la Commission de police a le pouvoir de faire de la réglementation, de déterminer les statistiques, de prévoir la façon dont agit un membre de la Sûreté du Québec, un policier des autoroutes ou un policier municipal, etc., déterminer les fonctions qui peuvent être exercées et les grades qui peuvent être exercés dans un corps de police municipal ou dans un corps de police des autoroutes.

Ce qui est arrivé, c'est que la Commission de police pouvait tout au moins nous rencontrer, former des comités. Les comités étaient des comités multidisciplinaires dans lesquels on retrouvait des gérants de ville, des représentants des municipalités, des présidents des municipalités, l'état-major, etc., il y avait un groupe avec qui on pouvait discuter sur un projet de règlement. Il n'y a pas de doute que la partie syndicale s'est opposée fondamentalement à certains règlements de la Commission de police. Il n'y a pas de doute, il y a des choses qui venaient directement de front avec des principes que nous connaissions dans notre mouvement depuis des années.

Mais si c'est simplement cela, je n'impute pas d'intention, en fait, j'ai toujours prôné que la Commission de police ne devrait pas avoir des pouvoirs décisionnels pour une foule de raisons et ce n'est pas mon intention aujourd'hui de faire le procès de la Commission de police. Si on s'est toujours opposé fondamentalement, tout au moins, on avait un mécanisme qui nous sécurisait et dans lequel nous étions consultés. Mais il est arrivé à un moment donné que la consultation, il n'y en a plus eu parce qu'en fait, les documents ou les projets sont allés sur les tablettes.

Si, aujourd'hui, par le biais, on dit: C'est d'accord la Commission de police peut déterminer les fonctions qui vont être exercées dans un corps de police et les grades, si elle sait que la fédération, la fraternité et les policiers, de front, vont faire des objections sérieuses; tout au moins, on va savoir qu'un règlement va être fait et on va au moins avoir la chance de se défendre. Je ne dis pas que c'est simpliste, je dis que la Commission de police aujourd'hui sait que, sur la fonction des sergents détectives, elle va avoir une bataille rangée. Je ne sais pas, elle peut simplement... Encore une fois, je ne fais pas de procès d'intention, mais il s'agira tout simplement pour le législateur, le lieutenant-gouverneur en conseil de nous passer un beau règlement et de sortir les sergents détectives d'une unité de négociation, de déterminer telle fonction, etc. C'est vrai, cela va être publié dans la Gazette, mais qui rencontre qui, qui lit la Gazette et qui a un pouvoir de représentation afin de faire voir notre point de vue?

Si vous me dites que c est simplement d engager des femmes policières, je termine mon argument. Vous dites que le lieutenant-gouverneur en conseil peut, si les circonstances l'exigent, adopter des règlements sur les sujets visés dans le présent article: le présent article parle des fonctions qui peuvent être exercées, les grades, et. chez nous, cela nous affecte depuis longtemps...

Il y a une chose que je veux souligner entre parenthèses.

Quand vous permettrez que les policiers perdent des droits fondamentaux que les travailleurs ont dans le mouvement syndical au niveau du Code du travail, la société, si elle est permissive, aura permis elle-même que puisse se créer un Etat policier puis de perdre certains de ses privilèges. Cela, je le dis, puis c'est fondamental. On nous a donné des droits, à nous policiers, on a mis des mécanismes, mais, aujourd'nui. d'un côte — j'en parlerai tantôt — il y a une régie qui vient de nous statuer, de l'autre côté, la Commission de police qui vient de nous faire des règlements ou des recommandations qui sont aussi fondamentales que de dire à un employeur: Vous devrez vous adresser au commissaire-enquêteur pour réviser le certificat d'accréditation des policiers, le cas des policiers de Laval; ou aussi bien nous imposer aussi des horaires de travail.

En fait, si on n'a plus le droit à l'intérieur de nos conventions de négocier des choses aussi fondamentales, puis, de lautre côté, qu'il y a une régie, là on sent certainement que I étau se resserre. Je n'ai pas besoin des chefs de police pour venir dire: Vous devriez nous enlever le droit d'association. C'est justement ce qu'on est en train de faire présentement avec les mécanismes qu'on essaie de nous passer.

Ceci étant dit, c'est la même chose dans la Commission de police. Présentement, elle a un pouvoir de recommandation. Pourquoi mettre dans la loi qu'elle a, en fait, le droit de donner un avertissement, une réprimande, une mutation, qu elle détermine une suspension avec ou sans traitement? Déjà, simplement elle a un pouvoir de recommandation. Pourquoi, si elle a un pouvoir de recommandation, lui donner, en fait, cette définition dans une loi, dont l'employeur va pouvoir se servir au niveau de l'arbitrage des griefs? Déjà, il s'en sert à toutes sortes de sauces. Le mécanisme qui est prévu par le Code du travail nous permet d'aller devant un arbitre et permet, à un moment donné, de rectifier la situation selon ce que la convention collective prévoit.

C'est l'article 18, à la page 11. Quand on parle de la direction générale de la sécurité publique, c est là qu est un peu l'histoire. Au lendemain de la crise d'octobre 1970, nous avons dit à la fédération, au ministre, à la Commission de police, dans un colloque, que cette situation, à notre point de vue, ne devait pas se répéter. Nous avons fait l'analyse des événements d octobre et nous avons dit au ministre: Vous vous êtes fait passer un sapin.

Nous avons dit: Pourquoi n'avez-vous pas eu quelqu'un de compétent qui aurait pu vous mettre en garde de peser sur un bouton rouge ou sur un bouton panique et qui aurait pu vous dire: La situation était celle-là, celle-là? Je sais que c était du morning quarterback". Je sais que c'était ce qu'on peut appeler dans le langage du football des décisions du lendemain matin.

Mais nous avons insisté en commentant le livre blanc en disant qu'il ne devrait pas y avoir de ministre de l'intérieur et nous avons soutenu que le ministre, tout au moins, aurait pu avoir quelqu'un de qualifié qu il aurait pu consulter dans les événements comme la crise d'octobre 1970.

Aujourd hui. face aux discussions que nous avons entendues, nous avons cherché à quelle place la direction générale de la police était créée. Je peux vous dire, M. le ministre, que longuement nous nous sommes attachés à cet article qui. tout de même, si on le regarde, comprend environ une dizaine de lignes. On cherche, en fait, dans une direction qui se veut administrative, quand on dit collaborer dans les domaines de sa comptétence. On recherche où est sa compétence, on cherche où est sa création, quels sont ses besoins et quelle est la nécessité d'une direction générale de la police, du moins dans le texte qu'on peut voir. Cette direction, tout de même, ce qu on a pu constater, c est que vous avez pris de la Commission de police surtout les... C était au niveau du domaine de la prévention, que la Commission de police avait auparavant et qui. aujourd hui. a été transféré à la direction générale de la police. Le grand thème, le grand changement de la Commission de police versus la direction générale a été au niveau de la prévention.

Cependant, si on regarde bien I'article, je crois qu elle est sous I autorité du procureur général. On voit aussi qu elle doit collaborer dans les domaines de sa competence avec les organismes oeuvrant en matière policière et les commissaires aux enquêtes visées dans I'article 20. Si on regarde l'article 20...

M. Lalonde: ... pour le crime organisé. C est I'article 20 de la Loi des commissions d'enquête.

M. Marcil: C est pour le crime organisé. Cependant, qu est-ce qu'on fait aussi à l'article 20. quand on dit: Contre le crime organisé, le terrorisme ou la subversion? C'est bien cela...

M. Lalonde: Oui. vous avez raison. C est le crime organisé, le territoire et la subversion.

M. Marcil: En fait, si on peut regarder, dans un premier temps, on situe dans l'organigramme une direction générale qui est sous l'autorité du procureur général, qui collabore dans les domaines de sa compétence. Dans les domaines de sa compétence, on se réfère à l'article 20. A I article 20, en plus du crime organisé, on parle de terrorisme et de subversion. Je pense à l'exposé qui a été fait par le président de la fraternité ce matin: sans élaborer tout de même, nous nous accordons avec I'exposé qu il a fait sur les termes employés, terrorisme et subversion et sur la situation actuelle du terrorisme et de la subversion. Je ne sais pas les

réponses que vous me donnerez sur la direction générale, une direction administrative, l'inclure dans une loi. alors qu'on ne connaît pas le champ de sa compétence.

L'arrêté en conseil, je ne l'ai jamais lu; alors, je ne sais pas ce qui est indiqué dans l'arrêté en conseil comme tel.

M. Lalonde: M. Marcil, je ne veux pas vous interrompre. Préférez-vous que je vous réponde immédiatement? Parce que j'ai laissé...

M. Marcil: Oui. oui.

M. Lalonde: Alors, pour prendre ce point-là en particulier, la direction générale de la sécurité publique, il faut d'abord dire: Cela a été peut-être un hiatus tantôt de votre part. Ce n'est pas la direction générale de la police, c'est de la sécurité publique.

M. Marcil: Je m'excuse, cela a été un hiatus.

M. Lalonde: Ses devoirs sont bien définis par la loi. le nouvel article 27a. Elle est chargée d'élaborer des politiques et des programmes de sécurité publique et d'en promouvoir l'implantation: de favoriser et de promouvoir la coordination des activités policières et parapolicières; d'informer, naturellement, le procureur général sur la situation et l'évolution de la criminalité et de favoriser et de promouvoir la prévention de la criminalité et ensuite d'avoir la collaboration.

Vous avez raison, cela donne suite au livre blanc qui avait été élaboré au sein du ministère, mais cela n'a pas pour effet, je pense, de créer une ingérence politique dans la fonction policière parce qu il est bien normal que ceux qui sont responsables du gouvernement, de gouverner, soient ceux qui élaborent les politiques et les programmes concernant la population. Dans ce cas-ci, ce sont des politiques et des programmes de sécurité publique.

Lorsque nous n'avions que la commission de police... La distinction est essentielle entre la commission de police, qui est un organisme indépendant, autonome, qui doit le demeurer, et la direction générale de la sécurité publique, qui fait partie du ministère de la Justice, donc, fait partie du gouvernement directement.

On ne peut pas compter et on ne doit pas compter sur un organisme indépendant pour élaborer des politiques qui pourraient entraîner des dépenses. C'est, je pense, un principe fondamental du gouvernement que la responsabilité de dépenser entraîne aussi la responsabilité d'élaborer les politiques pour dépenser.

Alors, c'est tout à fait normal que ce soit au ministère de la Justice; cela aurait bien pu être une direction qui existe actuellement ou qui existait avant la création de celle-ci qui aurait été chargée, même sans avoir besoin de le mettre dans la loi, d'élaborer des politiques dans le secteur de la sécurité publique.

On — j'exclus la personne qui parle — a choisi il y a deux ans, je crois, de créer cette direction générale de la sécurité publique pour bien établir I'assiette administrative où ces travaux se feraient. Pourquoi, maintenant, arrive-t-on avec un article de loi? Je pense que j'ai eu l'occasion de l'expliquer, soit hier ou aujourd'hui. C'est pour bien déterminer la fonction respective de la commission de police, d'une part, et de la direction générale de la sécurité publique, d'autre part. Cet article de loi n'a pas pour effet de créer la direction, elle existe déjà. Ce n'est qu'un service administratif qui fait partie du ministère de la Justice. Mais, il est bon pour la population en général, il est bon aussi pour les clientèles spécifiques, en particulier les corps de police et tout le milieu policier, que ce soit bien détermine, quelle est la fonction de chacun, pour éviter qu'il y ait confusion. Naturellement, de la confusion naît le désordre. C'est le but d'inclure cet article dans ce projet de loi. Je ne vois pas qu'on puisse présumer quelque effet malfaisant de I'inclusion. Si vous avez des préoccupations particulières là-dessus, j'aimerais que vous me les expliquiez.

M. Marcil: Au fait, les préoccupations, c'est qu'on ne voit pas pourquoi vous ne le donneriez pas à la direction si elle doit avoir certain pouvoir dans sa compétence. Elle ne devrait pas être institutionnalisée de la même façon qup la commission de police l'a été dans la loi.

M. Lalonde: C'est strictement une question de mécanisme législatif. On n'a pas besoin de créer par loi les services administratifs qui font partie des ministères. Le ministère de la Justice, oui, mais les organismes spécifiques, comme la commission de police, d'accord, on n'a pas besoin de le faire. On en parle à cette loi-ci, parce qu'il s'agit, je pense, d'une question importante pour tout le milieu policier en particulier, de savoir quelle est le mandat spécifique de la commission de police et vis-à-vis de la direction générale de la sécurité publique.

Si je peux revenir quelques instants aux questions que vous avez soulevées, me le permettez-vous ou préférez-vous continuer?

M. Marcil: Oui, parfait.

M. Lalonde: Vous vous opposez au fait que le lieutenant-gouverneur en conseil puisse réglementer... J'ai aussi expliqué aujourd hui dans quel but nous avons partagé les initiatives de la réglementation entre la commission de police et le lieutenant-gouverneur en conseil. Le fait pour le lieutenant-gouverneur en conseil d'avoir l'autorité dans la réglementation étant la règle générale et l'exception étant la situation actuelle, j'ai dit que j'étais prêt à examiner les préoccupations qui pourraient se faire jour à cause du fait que le lieutenant-gouverneur en conseil aurait peut-être désormais le droit de légiférer sur des questions bien particulières, comme la fonction.

Ce n'est surtout pas un but d'ingérence politique dans la question. Alors, s'il faut apporter des précautions dans la rédaction, je pense qu'on est prêt à l'examiner. D'ailleurs, dans l'étude article

par article, on pourra apporter les précautions nécessaires.

Vous avez parlé de l'article 18. L'article 18 donne une liste des différentes sanctions qui pourraient être recommandées. Comme vous le savez, les décisions à la commission ne sont pas exécutoires. Ce sont des recommandations qui sont faites aux autorités municipales en question. Toutefois, il est arrivé, dans le passé, que des recommandations, la loi ne prévoyant pas un éventail suffisamment divers de sanctions, devaient être faites en termes généraux. Les conseils municipaux les interprétaient parfois de façon exorbitante. Je pense que cela va permettre à la Commission de police de préciser spécifiquement quel genre de sanctions elle prévoit dans sa recommandation. Cela est, je pense, au point de vue de l'efficacité de son travail vis-à-vis des conseils municipaux, une amélioration. C'est strictement pour cela.

M. Marcil: Remarquez bien, si vous me permettez, dans la dernière partie, j'ai tout de même connu la naissance de la commission, j'ai été partie à ses premières décisions. Je pourrai vous dire, entre autres, celle qui nous a touchés, à la Fraternité des policiers de Montréal, qui s'appelait comme telle dans le temps. Suite aux événements du 7 octobre, la commission, clairement et précisément avait recommandé un renvoi, la dégradation, une suspension de 15 jours. C'est aux environs de 1970 que la décision a sorti, à l'automne 1970.

Dans un autre cas, celui de Trois-Rivières, les types ont été renvoyés. On a fait un grief, on a gagné. On a fait toutes les cours. Ils n'ont jamais voulu les réintégrer. Je peux vous dire que c'est une histoire qui prendrait peut-être plus de temps mais tout de même la commission, dans le temps, avait été assez catégorique.

La seule chose, sur cet article, lorsque la commission rend une décision, que la ville prend charge de cette décision, pour l'amener en arbitrage ou pour le renvoyer, je peux vous dire qu'on a une côte à remonter. Je ne vois pas, si ce sont des recommandations, pourquoi expliquer de façon aussi déterminée des recommandations ou des sanctions que la Commission de police peut imposer. C'est simplement l'observation qu'on voulait faire.

M. Lalonde: C'est-à-dire, il faut éviter l'arbitraire.

M. Trudel: Si vous me permettez, M. le Président, je pense qu'en fait, à l'égard de cet article 18 du projet, on comprend mal — étant donné que la Commission de police est un organisme qui fait des recommandations dans cette partie de sa compétence, pour ce qui touche les enquêtes sur les corps policiers ou les membres des services policiers, comme c'est uniquement une compétence de recommandations — pourquoi on est obligé de définir à ce point le type de recommandation qui peut être fait. Ce que l'on craint, on le vit à certaines occasions, c'est qu'au moment où l'employeur, c'est-à-dire les municipalités, ou encore l'arbitre, saisi d'un grief à la suite d'une recommandation de la Commission de police qui aurait été entérinée par l'employeur, se trouve embarrassé, alors il se pose des problèmes de juridiction, l'on se dise: Jusqu'à quel point, étant donné que maintenant c'est prévu dans l'article 18 que la commission peut faire des recommandations aussi précises, l'arbitre peut-il intervenir? C'est ce qu'on craint.

M. Burns: Ce que vous craignez, Me Trudel, dans le fond, c'est que l'arbitre se sente lié par la recommandation de la Commission de police?

M. Trudel: Oui. Je comprends que le temps passe, on pourrait peut-être donner certains exemples. M. Marcil parlait du cas de Trois-Rivières. On l'a vécu le cas de Trois-Rivières. C'est dans les premières recommandations qui ont été faites par la Commission de police. On a eu énormément de difficulté à convaincre l'arbitre qu'il pouvait aller au-delà de l'enquête faite par la Commission de police et au-delà de la recommandation de la Commission de police. Parce que, quant à la ville de Trois-Rivières, l'employeur avait, à ce moment, pris la position suivante devant l'arbitre: La Commission de police a fait une enquête, la Commission de police a fait des recommandations en conséquence, ces recommandations ont été entérinées par le conseil municipal, vous, comme arbitre, n'avez pas à reprendre une enquête qui a déjà été faite. Et on a eu un certain nombre d'heures de débat pour parvenir à convaincre l'arbitre, à ce moment, à dire: Vous avez une juridiction pleine et entière. Nous craignons beaucoup que l'on répète ce genre de confusion, étant donné que dans le projet de loi ici on fixe de façon précise ce que la Commission de police peut dire.

M. Burns: Est-ce que cela vous rassurerait d'ajouter — je pense tout haut, tout simplement, à ce moment-ci — à cet article le maintien, par exemple, du droit de l'arbitre, nonobstant les dispositions de l'article 18, de modifier quelque décision qui aurait pu être prise à la suite de la recommandation? Si on ajoutait quelque chose pour le clarifier, pour ne pas que vous ayez à faire face à des problèmes juridiques et à de longs débats devant les conseils d'arbitrage.

M. Trudel: Oui.

M. Burns: Cela aiderait.

M. Lalonde: Alors nous prenons note de vos remarques à ce sujet. Nous avons passé la question de la DGSP où nous étions sur cela, M. Marcil, si vous voulez continuer.

M. Marcil: A l'article 36, en fait ce qui a été souligné aussi par des groupes qui nous ont précédés, notre appréhension est que la création ou ce qui existe présentement, le bureau de la recherche sur le crime organisé où on retrouve à la

page 18: A la demande du lieutenant-gouverneur en conseil il dirige et coordonne des enquêtes policières menées dans le cadre dune enquête visée dans l'article 20. En fait, là-dessus, dirige et coordonne les enquêtes . quant à nous, nous nous posons certaines questions et nous avons certaines appréhensions quant au rôle que ce bureau de la recherche sur le crime organisé peut exercer.

Je vous ferai grâce de toute l'argumentation qui a été donnée sur le sujet.

M. Lalonde: Je vous ferai grâce de ma réponse. Je pense qu'on est pas mal sensibilisé sur les appréhensions qui sont ressenties dans divers milieux.

M. Marcil: A première vue. quand on a regardé ce projet de loi. ce qui nous a sauté aux yeux, je pense que c'était évident, c est l'abolition des corps de police, en fait, la possibilité d'abolir les corps de police dans une municipalité de 5000 habitants et moins.

A l'article 25 de la page 13. on dit: Une municipalité de 5000 habitants ou plus est tenue d'établir par règlement et de maintenir sur son territoire un corps de police: le lieutenant-gouverneur en conseil peut toutefois, pour la période qu il détermine, dispenser une telle municipalité de cette obligation s'il est d'avis que les circonstances le justifient. "

Je pense que des chiffres ont été avancés et cela peut représenter environ une soixantaine de municipalités. Le chiffre que vous avez donné, qui vous a été soumis est pas mal exact, c'est environ 400 policiers. Je reprends la dernière partie du mémoire de I'APPQ. le dernier paragraphe où ils ont une certaine appréhension quant à leur avenir. Je peux vous dire aussi que c est probablement le problème no 1 des policiers du Québec. Qu est-ce qui arrive? C est un manque de sécurité. Cela part de la communauté urbaine, cela va à la Sûreté du Québec tel qu énoncé, cela va chez les policiers municipaux. Ces policiers, qui ont peut-être oeuvré pendant quinze ou vingt ans dans des situations assez pénibles, qui ont donné de bons services à une communauté, aujourd'hui, sont sous le coup de I'abolition d un service de police et risquent de perdre leur emploi. Tout de même, je pense que ces gens jouent un rôle fondamental.

La solution au problème serait peut-être de regarder la police dans son ensemble, ce qu'on n'a pas fait depuis plusieurs années. Depuis 1968-1969. il y a eu la création de la Commission de police, l'Institut de police à Nicolet, la communauté urbaine, l'intégration. Nous avons dit à plusieurs reprises que nous aurions dû faire le point. Nous aurions peut-être dû intéresser une partie, un segment de la population. L Ontario l'a fait: elle a créé un task force' sur les besoins futurs de la police, ses coûts, s'est demandé: Est-ce que la population reçoit la même qualité de services, etc?Je pense que. dans cet article de la loi. il y a un manque de planification qui devra se corriger, à mon point de vue, dans un avenir très rapproché. Le problème d'insécurité, je le dis,. existe à la communauté urbaine depuis l'abolition de I escouade ou. en fait, de postes. Cela existe aussi en vertu de la loi et dans d'autres domaines. D'ailleurs, I'APPQ vous l'a fait sentir ou l'a fait voir dans son mémoire.

Nous comprenons qu une ville qui serait créée dans l'avenir ne serait pas tenue de le faire. La première chose qu'une ville se donne, quand elle est fondée, c'est un service de police et d'incendie. Ce sont les deux premiers services qu'on peut donner à une communauté. Je ne vois pas les raisons pour lesquelles on pourrait dire qu une ville de 5000 habitants et moins ne serait pas tenue de maintenir un service de police. Nous faisons la recommandation que les corps de police existants devraient être maintenus.

M. Lalonde: D'abord, je peux vous dire que l'intention du gouvernement n'est pas, par ce changement de critère, critère de la population au lieu du critère de I'organisation municipale, de permettre ou d encourager I'abolition de corps de police dans des municipalités qui en auraient déjà, mais qui. ayant une population de moins de 5000 habitants, pourraient strictement et en principe les abolir.

Au contraire, j'ai l'intention, au moment de I examen article par article de cette loi. d examiner avec la commission parlementaire les aménagements qui pourraient être apportés pour au moins assujettir l'abolition qui pourrait, en principe, être possible à une approbation quelconque, peut-être celle du lieutenant-gouverneur en conseil, comme, par exemple, la dispense est actuellement assujettie à l'approbation du lieutenant-gouverneur en conseil.

M. Burns: Vous n iriez pas aussi loin que de garantir le maintien des corps de police existants qui sont visés par les municipalités de moins de 5000 habitants.

M. Lalonde: Parce que cela crée un problème pratique, tout simplement. En inscrivant dans la loi une obligation de les maintenir, cela pourrait créer une situation, par exemple, où une municipalité qui est en voie de disparition, littéralement, serait obligée, tout simplement parce qu'elle avait moins de 5000 habitants le x octobre ou novembre 1976 et que la loi a été changée à ce moment-là, de le maintenir indéfiniment.

M. Burns: Qu est-ce que vous feriez alors de la protection des droits des policiers qui sont déjà en poste dans ce métier-là?

M. Lalonde: Oui. c est cela. Moi. je ne vois pas comment une municipalité de cité ou de ville, qui a un corps de police jusqu à maintenant, à moins que sa population ne diminue et que la ville ne soit en état de disparition, pourrait, sans démontrer un tel fait, se départir de son corps de police actuel. C'est pour cela que je proposerais — je ne peux pas donner la forme actuellement, mais peut-être simplement le principe — d'assujettir l'abolition d'un corps de police d une municipalité qui en

avait un actuellement, mais qui aurait moins de 5000 habitants à l'approbation du lieutenant-gouverneur en conseil, comme la dispense actuellement l'est.

M. Burns: Mais cela ne protège pas les droits des policiers qui pourraient être visés par une telle disposition, par exemple.

M. Lalonde: Cela les protège dans les faits. D'un autre côté, comment peut-on obliger une municipalité qui a un corps de police, mettons de trois policiers à maintenir son corps de police, si elle est en voie de disparition?

M. Perreault: Oui, mais, M. le ministre, il ne faudrait pas penser juste aux policiers; il faudrait penser à la population. Moi, j'ai dans mon cas la ville de l'Epiphanie chez nous qui a 3500 habitants et qui a un corps de police. Si le conseil municipal disait demain matin, en vertu de la loi, on le fait disparaître, la population serait privée d'un service qu'elle a depuis des années et vous laissez cela à la merci d'un conseil municipal.

M. Lalonde: Non, non, c'est cela, j'ai l'intention...

M. Perreault: Cela ne marche pas.

M. Lalonde: Est-ce que le député m'a bien compris?

M. Perreault: Oui. j'ai très bien compris, mais disons que. .

M. Lalonde: Justement l'amendement que je voulais apporter éventuellement lors de l'étude de la loi article par article serait pour assujettir l'abolition au consentement préalable du lieutenant-gouverneur en conseil, comme, actuellement, des municipalités de cité ou de ville qui, d'après la loi actuelle, sont obligées d'avoir un corps de police peuvent avoir la dispense avec le même genre de mécanisme.

M. Nadon: M. le Président, si vous le permettez, je me demande si la sotution concernant les corps de police où la population est de 5000 habitants et moins ne serait pas justement de régionaliser une partie de ces secteurs pour rendre à la population une protection à laquelle elle a droit. J'imagine que, si éventuellement on vient à tendre vers la disparition de ces corps de police là, c'est bien sûr que le fardeau de la protection reviendrait à la Sûreté du Québec.

Alors, moi, je pense qu'à l'heure actuelle, dans des grosses municipalités où il y a un corps de police établi, on paye, en somme, deux formes de taxation en ce qui concerne la police, une au niveau municipal et l'autre au niveau provincial. Alors, je me demande s'il n'y a pas une discrimination qui existe présentement là où il y a un corps de police, où on doit payer sous forme de taxation municipale pour une police et également pour la Sûreté du Québec.

On a créé à un moment donné la Communauté urbaine de Montréal. J'imagine que. dans le temps, c était possiblement pour alléger le fardeau financier de la police de Montréal qui devrait être réparti au niveau de toutes les municipalités sur I'île de Montréal. Alors, je me demande si on ne pourrait pas adopter la même philosophie en ce qui concerne le reste des municipalités à travers la province. Alors, on pourrait, évidemment, améliorer la protection, mais évidemment la population devra peut-être supporter un fardeau financier qui serait supérieur à celui qu'elle supporte déjà par ses impôts concernant la Sûreté du Québec, ou la police de la Sûreté du Québec.

Je pense, moi. qu'à ce moment-là on en arriverait à un certain équilibre. Je pense que la Fédération l'a manifesté dans le passé: en ce qui concerne la régionalisation, lorsque même cela avait été annoncé, en 1974, sur la rive sud. on s est réjoui de cette décision. Par la suite, je ne sais pas ce qui s'est passé, mais on a tout simplement abandonné la question de la régionalisation sur la rive sud. Alors, moi. je pense, au nom de la fédération, que la population serait certainement mieux desservie en ayant des corps de police mieux structurés.

Cette structure pourrait être possible à l'intérieur d'un corps de police qui deviendrait régionalisé au niveau des différentes parties de la province. Alors, c est la question que je vous pose. A ce moment-là, ne serait-il pas plus utile de pallier, plutôt que d'affaiblir un secteur au niveau de la population concernant la protection à laquelle elle a droit? Ne devrons-nous pas plutôt tenter de l'améliorer? Cette forme serait peut-être la régionalisation.

M. Marcil: Si vous permettez. M. le Président, peut-être juste pour renchérir, présentement il y a des comtés; dans le comté de Laprairie, il y a un corps de police intermunicipal dans lequel vous avez trois villes, dont deux ont moins de 5000 habitants et une est aux environs de 5000 habitants, soit Delson. Ce corps de police a environ 12 policiers. Déjà on a permis, par le biais du comté, de créer un service de police dont les frais sont en-courrus par trois municipalités. Mais peut-être la question, pour faire suite à ce que M. Nadon dit: Quel est le besoin réel de mettre cet article dans la loi? Est-ce un cas d'espèce? Est-ce une ville? Est-ce deux villes? Mais pourquoi, pour une ville, peut-on mettre dans une loi généralisée de cette façon les besoins de la communauté? Je pense à ce qui a été dit par le député de L'Assomption tout de même. Je pense bien qu'on a la responsabilité aussi de protéger la population d'abus d abolitions de corps de police. Je ne vois pas pourquoi le procureur général serait encore une fois habilité à donner sa permission.

Déjà on a beaucoup de misère. Il y a du chantage qui se fait au niveau des négociations. Par exemple, la ville de Bedford; chaque fois qu'on va négocier avec la ville de Bedford, ils nous mettent sous le nez qu'ils vont abolir le corps de police. Là, nous sommes toujours pris dans des sentiments: on dit: On va accepter cela pour ne pas

qu'ils abolissent le corps de police. Nous sommes toujours pris dans une question de chantage. Alors, je ne vois pas le besoin de cet article dans la loi; d'ailleurs, il vous a été soumis par le ministre des Affaires municipales, remarquez bien.

M. Lalonde: Cela a été discuté sûrement avec les Affaires municipales, mais comme j'ai dit tantôt, et je ne l'ai peut-être pas dit assez clairement, je n'ai pas l'intention de laisser tomber des corps de police. Au contraire, je pense que les aménagements qu'on peut apporter par voie d'amendements à l'étape de l'étude article par article pourraient être l'affirmation du principe du maintien des corps de police dans ces municipalités, sauf en cas d'exception, avec le consentement du lieutenant-gouverneur en conseil. Ce serait donc l'affirmation du principe du maintien.

M. Marcil: Mais c'est parce qu'on a toujours cette épée de Damoclès, c'est l'insécurité; elle existe à la Communauté urbaine, aussi paradoxal que cela peut paraître. Mais elle existe, avec cette article, lorsqu'une ville va dire qu'elle abolira son corps de police. Avant que le corps de police puisse être au courant, cela va prendre peut-être cinq ou six mois. Pendant cinq ou six mois, tout le monde va être sur les nerfs; le corps de police va-t-il être aboli, oui ou non? Je prends un article de la Loi de police qui permet la fusion des villes. Là j'ai un problème de fusion de Brossard et de Saint-Lambert. Cela fait à peu près 30 appels téléphoniques que nous recevons: Brossard va-t-il être fusionné avec Saint-Lambert? Il faut que la Commission de police donne son autorisation.

Il n'y a pas un gars qui sait de quelle façon la fusion va se faire. Je vous ai écrit, vous m'avez répondu qu'en fait vous n'étiez pas au courant; mais depuis il y a des développements et la Commission de police en a été saisie. Mais encore une fois, au niveau de cette fusion, vous avez un corps de police jeune et un corps de police plus âgé à Saint-Lambert; déjà il y a des conflits d'adaptation, il y a une insécurité. Allons-nous être fusionnés avec Brossard? J'ai dit: Je ne le sais pas, c'est la Commission de police. Encore une fois on revient à cela: Ton corps de police va-t-il être aboli? Je ne le sais pas, la ville l'a envoyé au lieutenant-gouverneur en conseil ou au procureur général, cela peut se faire ou non.

Mais pourquoi toujours ce climat d'insécurité, pourquoi ne ferait-on pas réellement un corps de police qui va être créé pour les besoins d'une population qui va avoir une planification au lieu de marcher toujours avec des articles, marcher au pifomètre, pour faire de l'expression, et dire: Cela devrait marcher dans le contexte actuel? Pourquoi ne ferions-nous pas une planification à long terme des services de police au lieu de créer des articles semblables?

M. Lalonde: Pour répondre à la première question de M. Nadon, la question de la régionalisation, j'ai exprimé — mon prédécesseur aussi — l'intention d'adopter une politique de régionalisation des corps policiers, sauf qu'il nous apparaît désirable qu'une telle politique soit en même temps appuyée par une politique financière.

C'est actuellement la période de restrictions budgétaires qu'on connaît qui ne m'a pas permis de faire du progrès tel que désiré. Il n'y a pas de doute, M. Nadon, que nous encourageons la régionalisation, dépendant naturellement de tous les critères démographiques et géographiques, des corps policiers qui seuls sont un peu démunis ou insuffisants.

M. Marcil, pour revenir à votre question, le principe, c'est le maintien; l'exception serait tout simplement avec le consentement. Je pense que cela constituerait un tampon suffisant pour empêcher que des corps de police ne disparaissent tout simplement parce qu'ils ont moins de 5000 habitants, alors qu'il y en avait un. Je ne pense pas, non plus, que cela pourrait encourager, au contraire, le chantage dont vous nous faites part en ce qui concerne une ville en particulier, parce que cela ne dépendrait pas d'elle, ni des autorités municipales à savoir si elle pourrait abolir le corps policier.

NI. Burns: Si vous me le permettez, M. le ministre, M. Marcil a soulevé un point qui m'intéresse, mais sur lequel vous avez passé rapidement, c'est l'aspect consultation avec le ministère des Affaires municipales. Dans cette affaire, quel est le type de consultations que vous avez eues en dehors, évidemment, du fait que le ministre des Affaires municipales fait partie du cabinet? Nécessairement, en principe, il est d'accord avec ce projet de loi. Mais quel est le type de consultations que vous avez eues avec le ministère des Affaires municipales relativement à ce critère de 5000 habitants que vous mettez dans la loi?

M. Lalonde: Au niveau des fonctionnaires et, ensuite, j'ai eu des discussions avec le ministre des Affaires municipales, de sorte que le ministère des Affaires municipales est en accord avec cette nouvelle approche.

M. Burns: Cela date d'il y a longtemps? M. Lalonde: C'est tout à fait récent. M. Burns: Après la fermeture...

M. Lalonde: En ce qui me concerne, c'est récent. C'est possible que les fonctionnaires en parlent depuis un bon moment. Il y a un tas de choses dans la loi 41 qui avaient été discutées depuis pas mal longtemps, soit avec les fonctionnaires, soit aussi avec les divers organismes qu'on a entendus depuis hier. Je ne pourrais pas vous dire à partir de quelle date les fonctionnaires ont commencé à en parler, mais moi, j'en ai discuté avec le ministre des Affaires municipales quelque temps avant le dépôt de la loi, lorsqu'on a traversé l'étape du conseil des ministres et du comité de législation.

M. Perreault: C'est un bon point.

M. Lalonde: On m'informe aussi que le comité de réforme des lois municipales songe justement à recommander l'abolition de cette distinction entre cité et ville. Cette distinction était le critère qu on avait dans le projet de loi 41. On se trouve à le prévoir, à le précéder. Est-ce que l'honorable député de L'Assomption veut ajouter quelque chose?

M. Perreault: II y a un bon point là-dedans, parce qu il y a des municipalités de 5000 habitants qui n'ont pas de corps de police. Là. vous allez leur faire I obligation d'en avoir un, ce qui est très bon.

M. Lalonde: II y en a quelques-unes qui n en ont pas

M. Perreault: Qui n en ont pas.

M. Lalonde: II n'y en a pas tellement.

M. Perreault: II y en a de 5000 habitants qui n'en ont pas.

M. Lalonde: II y a cinq municipalités au sens du Code municipal, dont deux sont immenses, celle du Témiscamingue, la partie nord-ouest, et la Côte-Nord du golfe Saint-Laurent, et il y a Ascot, Notre-Dame-des-Prairies, près de Joliette, et Saint-Louis-de-Terrebonne.

M. Perreault: Je parlais justement du cas de Notre-Dame-des-Prairies. C'est un cas typique, c est une banlieue de Joliette où il n y a pas de système policier.

M. Marcil: A l'article 46, disons que le président de l'association des policiers d autoroutes est ici, M. Ouellet. Je crois qu'il concourt avec la grande majorité des articles qui déterminent le statut des policiers des autoroutes. Je crois qui I y a environ 20 à 25 articles dont plusieurs sont de concordance. Simplement, nous aimerions, après consultation, que les règles prévues pour I alinéa précédent, ce qui est au Code du travail, déterminent le droit d'affiliation entre policiers municipaux, qu'en fait les mêmes droits leurs soient conférés, parce qu'en fait l'Office des autoroutes, c'est très limité comme nombre.

On demanderait à ce moment qu'ils aient les mêmes privilèges que les policiers municipaux, soit de faire partie de la Fédération des policiers du Québec.

M. Lalonde: M. Marcil, vous vouliez attirer notre attention sur peut-être la défectuosité de la rédaction qui semblait ne permettre au nouveau corps de police des autoroutes de ne s affilier qu avec un autre corps de policiers d autoroutes, ce qui serait un non-sens, étant donné qu il n'y en a pas. Ce n est pas du tout l'intention; des amendements, encore là, seront apportés pour clarifier la situation et laisser la liberté d'affiliation aux membres de ce corps de police.

M. Marcil: Aux articles 58 et 59. c est en fait les pouvoirs d'une municipalité d'engager des constables spéciaux pour l'émission des billets de stationnement Cela a été souligné par les chefs de police, ils ont souligné leur objection, on se demande pourquoi. On aurait peut-être pu comprendre cela de l'Union des municipalités, mais nous aimerions tout de même que ces gens, si jamais ils sont engagés, aient une protection syndicale, qu'ils aient un droit de parole ou un droit d'association. Dans les circonstances on n est pas ici pour vendre à quelque association ou à quelque syndicat ou centrale, mais nous aimerions peut-être, nous, la fédération des policiers, avoir le droit de négocier les salaires, des conditions de travail de ces gens qui seront engagés. Nous sommes conscients que cela pourrait apporter certainement des conditions de travail ou des salaires qui pourraient être différents, vu la nature de leur emploi et de leur travail. Je dois vous souligner qu à Toronto. l'Association des policiers négocie pour les cols blancs qui sont affectés à leur service aussi bien que les mécaniciens, aussi bien les gens qui sont préposés à l'émission des billets de stationnement. Ce sont des unités distinctes du certificat d accréditation des policiers de Toronto. Nous ne voyons pas pourquoi ces gens qui seraient engagés pourraient être au gré des vents ou au gré d'un conseil municipal qui statuerait sur des salaires minimums ou des conditions de travail qui seraient réellement déplorables. Nous vous demandons tout de même qu ils aient le privilège ou le droit d'association. Nous vous recommandons de permettre au syndicat d avoir une unité différente; il pourrait négocier pour ces gens.

M. Lalonde: M. Marcil, je ne vois pas de dispositions dans le projet de loi qui empêchent ces employés de s associer. La loi ne prétend pas du tout réglementer toute la question d'association de ces employés. Si ce sont des employés municipaux ils peuvent s'associer avec d'autres services et faire partie des syndicats qui sont en place. Est-ce que vous suggérez qu ils puissent s associer avec la Fédération des policiers...

M. Marcil: Disons que la ville de Québec on engagerait quinze; pourquoi, un niveau du certificat d accréditation, ne pourrait-on pas avoir une unité de négociation distincte pour ces gens? C est un travail qui pourrait être similaire ou quelque chose de semblable. On pourrait avoir une unité distincte, on pourrait avoir le droit de négocier les conditions de travail, les salaires de ces gens.

M. Lalonde: Oui, mais la loi. telle quelle est là. laisse la liberté totale.

M. Marcil: C est parce qu'elle ne le permet pas aux policiers municipaux; au niveau de notre certificat d accréditation, ils seront engagés comme agents spéciaux. Ils n auront pas le statut qui est déterminé par la Loi de police ou le Code du travail au niveau du droit d'affiliation, au niveau du droit d accréditation. Si on va devant les

commissaires-enquêteurs, automatiquement, on regardera les lois et les objections, mais on dira qu'on n'a pas le droit d accréditer ces gens, parce qu'ils ne sont pas des policiers...

M. Lalonde: Parce que ce ne sont pas des policiers, le principe étant que seulement les policiers...

M. Marcil: C est cela. C est pour cela qu'on vous demande de le mettre dans la loi.

M. Burns: Les policiers ne forment qu'exclusivement en somme des unités de négociation précises. C est cela que vous soulevez comme problème.

M. Marcil: C est cela.

M. Lalonde: ...s'affilier qu à d'autres.

M. Trudel: C est-à-dire, M. le Président, si vous me permettez. M. le ministre, évidemment, il y a la règle de l'article 4 du Code du travail qui dit qu'une association de policiers municipaux ne peut regrouper que des policiers municipaux et que ces associations ne peuvent se regrouper en fédération que pour autant que ce sont des associations de policiers municipaux.

Il y a aussi la Loi de police qui définit, qui parle des membres de la Sûreté du Québec, des policiers municipaux et, maintenant, avec le projet qu on étudie, des policiers des autoroutes et des constables spéciaux. Ici, on ne parle pas de constables spéciaux, on parle d'agent spécial. On se demandait où pouvait se situer ce nouveau type de fonction policière ou parapolicière. Les faits qu'on soulevait, c'est à la suite de l'intervention de l'association des chefs, hier, qui a justement souligné cela. Quel sera le statut et où vont se situer les personnes qui seront engagées comme agents spéciaux par une municipalité, par une cité, par une ville? Seront-elles reconnues comme cols bleus, seront-elles reconnues comme cols blancs ou si elles doivent se rattacher à l'accréditation, à la juridiction syndicale des policiers?

M. Lalonde: Ce ne sont sûrement pas des policiers. C'est justement pour cela qu'on permet la création, par les municipalités, de ce genre de service. Il nous paraît que coller des billets de stationnement n'est pas une fonction strictement policière. La fonction policière a été promue ces dernières années, la formation du policier a augmenté et les coûts du service policier ont augmenté. Il nous paraît, à la demande de plusieurs municipalités, désirable de donner le feu vert à ces municipalités de faire ce genre de service sans que ce soit limité à des policiers. Ce que vous nous demandez ne semble pas suivre, ou enfin, ne pas tenir compte de ce principe voulant que ce soient maintenant des non-policiers qui fassent ce genre de travail.

M. Marcil: Même à cela, pourquoi ne serait-ce pas une unité distincte dans laquelle on prendra en considération ce que vous dites? Je vous l'ai dit tantôt, Toronto négocie pour les mécaniciens, négocie pour les cols blancs. C'est le syndicat de policiers qui négocie. Vous avez quatre unités de négociation à l'intérieur.

En fait, la crainte que j'exprime, c'est la création, encore une fois, d'autres organismes de billets de stationnement. Déjà, la Sûreté du Québec vous a fait connaître son point de vue dans son mémoire. Quant à nous, nous avons essayé. Il y a beaucoup de gens d'agences privées qui sont venus me voir, ils sont exploités de façon honteuse. Encore une fois, il n'y a aucune réglementation. Le grand public, à l'occasion, les mélange à des policiers. Ils sont appelés pour des conflits ouvriers, ils ont leur force de frappe, etc., ou leurs unités mobiles. Vous avez, encore une fois, la création... On l'a compris, c'est ici que j'ai perdu— en fait, je peux dire que j'ai perdu — la bataille des billets de stationnement, un certain soir, il y a deux ans, quand le ministre Choquette n'était pas de bonne humeur. Il m'a dit, le matin: "Vous avez gagné" et, le soir: "Vous perdez". J'ai perdu simplement parce que le matin j'avais gagné. Je n'aurais pas dû perdre le matin et gagner le soir. Il s'agissait de billets de stationnement de la ville de Québec. C'est un débat qui a duré deux heures. Le principe a été établi, le principe a été créé.

Je dis, aujourd'hui, qu'on élargit le principe pas simplement à la ville de Québec, mais à toutes les municipalités. Là, on va encore avoir des gars comme on en a engagé à Montréal, défavorisés, des gens infirmes qui vont se tenir sur les coins de rue à des salaires stupides, dans le danger, en plus, sur des coins très achalandés; des personnes âgées avec aucune condition de travail ou de salaire. On s'en vient avec tout ce que je vous ai dit, encore avec les pauvres de la société qu'on va engager pour distribuer les billets de stationnement. Ils n ont pas de mécanisme pour s'intégrer à un syndicat.

Nous aurions aimé avoir une unité distincte.

M. Lalonde: II y a deux choses, là-dedans. Qu'ils aient les mécanismes pour s'intégrer à un syndicat, d'accord; mais, ce que vous demandez, c'est davantage, c est que ce soit avec le syndicat des policiers.

M. Marcil: Oui.

M. Lalonde: Cela va un peu plus loin.

M. Marcil: Oui.

M. Burns: Si je comprends bien les remarques de M. Marcil et de Me Trudel, ils veulent tenter de nous souligner, avant que le problème ne se pose, le type de problèmes auxquels, ils auront à faire face tout à l'heure. C'est-à-dire que vous allez avoir le problème, d'abord, de la détermination d'une telle unité de négociation qui, fort probablement, si on laissait le cas comme il est là, sera déterminée comme une unité distincte; mais, après cela, il va y avoir un problème en vertu du Code du travail, de l'affiliation ou non. Peut-être

que de ces gens-là vont être intéressés à être représentés par des syndicats de policiers, à cause de la proximité du travail des deux.

C'est quand même, actuellement, un travail qui est effectué par des policiers à travers le Québec en général et, le jour où vous créez ce type de fonction spéciale, à ce moment-là vous avez tout le problème de l'affiliation syndicale et l'aspect que soulevait Me Trudel tout à l'heure, c'est-à-dire le fait que les policiers essentiellement font ensemble partie d'une seule et même unité de négociation.

Moi, je ne le sais pas, mais je trouve cela sage que vous nous souleviez le problème dès ce moment-ci et qu'on tente de le prévoir pour que vous ne vous lanciez pas dans des contestations judiciaires inutiles et longues pour rien. Entre autres, moi, je verrais très bien qu'on laisse la liberté à ces gens, quitte à ce qu'on dise qu'il peut se former une unité de négociation distincte. Qu'ils aient au moins la possibilité de s'affilier et de demander à des associations de policiers de les représenter, à cause de la proximité du travail. C'est beaucoup plus au travail parapolicier que du travail para col bleu, si on veut être précis.

M. Lalonde: Cela demanderait un amendement à l'article 4.

M. Burns: Ou, en tout cas, qu'on fasse une référence. Enfin, il n'y a rien qui nous empêche, à l'intérieur de cette loi-ci, de faire des amendements au Code du travail pour préciser des choses.

M. Lalonde: Non.

M. Trudel: Vous en faites un actuellement.

M. Lalonde: Alors, vous en faites plus qu'un, parce que dans les articles qui traitent de l'Office des autoroutes, il y en a plusieurs.

M. Burns: A l'article 50 on en a fait.

M. Lalonde: Alors, je prends note de vos représentations, M. Marcil. Merci beaucoup.

M. Marcil: En fait, j'aurais peut-être un autre point à vous soulever sur le projet comme tel, cela termine nos représentations. En fait, les craintes qu'on vous a soumises, c'est sur le rôle du procureur général, sur le rôle du lieutenant-gouverneur en conseil qu'on voit apparaître à peu près au niveau de tous les organismes. Le voeu qu'on vous exprime, c'est peut-être de planifier les services de police à long terme, quels sont leurs besoins. En réalité, moi, je pense que, dans le Québec, vous avez des gars qui à la base sont drôlement motivés. Mais, comme la pluie vient d'en haut, la motivation aussi doit venir d'en haut et, malheureusement, ce n'est pas le contexte. Je ne peux pas jeter le blâme exclusivement sur les chefs de police. Il y a des aspects politiques dans l'affaire aussi bien au niveau des décisions que vous pouvez prendre ou au niveau des décisions que certaines municipalités peuvent prendre. Mais, tout de même, le voeu que j'exprime depuis plusieurs années: il est temps qu'on fasse le point sur les services de police, qu'on regarde de fond une réorganisation sérieuse pour tous les policiers du Québec. Si on doit s'en aller vers une police unique, au moins qu'on dise ouvertement qu'on s'en va vers une police unique. On pourra vous dire, comme je vous le disais antérieurement, qu'on est conscient des dangers d'une telle police unique, mais, par le biais du projet qui est proposé et déjà par le rôle que le gouvernement peut jouer à l'intérieur de la Sûreté du Québec ou de la Communauté urbaine de Montréal, on s'aperçoit déjà que vous contrôlez environ 75% à 80% des effectifs policiers, disons, dans le Québec.

Par le biais, je ne vous fais pas de procès d'intention, mais déjà votre contribution à la communauté urbaine se situe à $30 millions et déjà vous avez un mot à dire au niveau du service de police de la communauté urbaine, par des gens qui sont nommés par le gouvernement. Je ne fais pas de procès d'intention, mais je vous dis que, dans les faits, c'est ce qui existe.

M. Lalonde: Oui, M. Marcil, je vous ai bien écouté. D'ailleurs, vous aviez déjà touché ce point-là au début, mais je ne pense pas que je puisse ne pas vous répondre au moins de façon préliminaire. Ce n'est sûrement pas l'intention du gouvernement de créer une police unique, loin de là. En fait, la création du corps de police des autoroutes en est peut-être justement une indication. C'est un nouveau corps de police, c'est loin d'être une intégration ou une régionalisation ou, enfin, une généralisation d'une seule police. Toutefois, de plus en plus, oui, on peut retourner dans l'historique que vous avez effleuré. Vous partiez, disons, de la Commission de police il y a presque dix ans. De plus en plus, les gouvernements précédents et le gouvernement s'impliquent dans la définition du service de sécurité publique et du service que le citoyen a droit d'attendre dans ce secteur. Je pense que cela a été pour le bien de la population en général et aussi, si vous regardez ce qui s'est passé depuis 1968, du policier en particulier qui se retrouve, je pense, beaucoup mieux actuellement, beaucoup plus détaché de l'intervention politique directe qu'on retrouvait quotidiennement, autrefois.

Je pense donc que le projet de loi 41 apporte des correctifs. C'est un projet de loi qui n'est pas tellement commode à étudier parce qu'il touche à un tas de choses, mais qui ont été ramassées à l'expérience souvent à la demande d'organismes comme le vôtre et qui ont été, à un moment donné, un peu comme un bill omnibus, ramenées ensemble pour corriger certaines choses. Ce n'est donc pas du tout, je pense, à l'occasion de ce projet de loi qu'on peut prétendre que le gouvernement fait une intervention à la planche dans le domaine policier pour prendre le contrôle de la police, loin de là.

On définit de façon plus précise le rôle de la Commission de police; on définit de façon plus précise aussi celui de la direction générale de la

sécurité publique: on apporte quelques aménagements tout à fait spécifiques concernant certaines fonctions policières, certains aspects policiers, mais, dans l'ensemble, la situation reste telle quelle.

Le souhait que vous faites, par exemple, est peut-être très pertinent: il faudrait peut-être s'asseoir tranquillement et songer à ce qu'est la fonction policière, à ce qu'est l'avenir du policier au Québec, de la police en général, et où nous nous en allons. Là-dessus, je suis totalement d'accord avec lidée. Quelle forme cela devrait-il prendre? Naturellement, il y a peut-être lieu justement de confier à quelqu'un ou à un groupe de travail cette charge, cette fonction de préparer un travail là-dessus et qu'ensemble toutes les parties concernées s'assoient et définissent, comprennent ce qui nous arrive et ce qui va arriver à la population en matière de sécurité publique dans l'avenir.

M. Marcil: En terminant, disons que dans leur exposé, les chefs de police ont glissé un moment donné sur les ralentissements qui pouvaient exister présentement. Dans certains corps de police où cela a été effleuré, je pense que personne de la commission a relevé les propos des chefs de police. J'aimerais tout simplement tout de même profiter de cette commission parlementaire pour vous dire qu'il y a un problème sérieux qui existe dans les corps municipaux de la province. Présentement, il y a environ 14 villes où les négociations ont été modifiées par la régie des mesures antiinflation. Environ la moitié de ces décisions étaient des sentences artibrales basées sur les principes du Code du travail et où l'arbitre a jugé selon l'équité et la preuve.

Cela nous a pris à peu près 20 ans pour avoir des décisions arbitrales qui avaient du bon sens parce qu'auparavant on avait des types qui venaient de la Cour provinciale ou d autres milieux, qui n'avaient pas la formation qu aujourd'hui certains arbitres ont; je vous le dis, la situation est sérieuse. On m'a déjà reproché de ne pas avoir avisé certaines personnes de problèmes qui pouvaient exister il y a environ cinq ou six ans à Montréal. Je peux vous dire que. présentement, la situation pour nous est sérieuse. Dans la ville de Sen-neterre, les gars gagnent à peu près $7000 à $8000 de moins que ceux qui sont mieux nantis; ce sont trois policiers qui vont à l'arbitrage, ils y rapportent dans les $180 par semaine et l'arbitre leur donne 40%. Ils s'hypothèquent avec la caisse populaire pour un emprunt de $3500; les trois gars ont peut-être quelques années.

Cela sort de façon stéréotypée. Toutes les décisions partent de 41% à 12%. Shawinigan, Grand'Mère, Trois-Rivières ont été les régions pauvres des policiers pendant des années. Au moment où une décision leur est favorable quelque temps après le 14 octobre, ils partent de $303, perdent $50 par semaine et sont obligés de rembourser $1500. Là j'arrête, mais j'ai Baie-Comeau, Senneterre, Shawinigan.

M. Lalonde: Beauport.

M. Marcil: J ai aussi Charlesbourg, Beauport et d ici I automne, j'ai certainement encore 30 villes où nous prévoyons en fait aller à l'arbitrage. Si vous nous avez enlevé le droit de grève ou si le législateur a cru que nous n'avions pas le droit de grève et que vous avez donné un mécanisme de conciliation et d'arbitrage et qu'aujourd'hui, en fait, le rôle de l'arbitre, on s en fout éperdument. cela veut-il dire qu'on a le droit de grève?

Si en fait, dans les mécanismes qui ont prévu larbitrage. la sentence qui était ce qu'on dit en anglais binding' , ce qui liait, est partie, si, au-jourd'hui on ne l'a plus, revient-on au mécanisme antérieur?

En fait, c est peut-être pour démontrer, pour prouver qu'il y a eu une injustice. Je tiens à vous souligner que nous autres, nous attendons de prendre nos responsabilités. Je ne sais pas les décisions que nous allons prendre. Mais, vous admettrez avec moi que pendant des années les villes ont dit. pour ne pas qu'il y ait parité avec les grands frères ou les mieux nantis, qu'ils n avaient pas la formation. Aujourd'hui, en vertu de la Loi de police, tout le monde a les mêmes critères d'embauche, tout le monde a la même formation, tout le monde a le même recyclage. On aura le même uniforme, la même couleur d'auto. Vous avez des disparités, si je prends Tracy et Trois-Rivières, d'au-delà $115 par semaine avec une ville qui est à 30 milles près de Montréal, où ils gagnent $225 par semaine. Je ne le sais pas. Je ne peux pas arriver et dire à des gars: Honnêtement, les gars, vous allez être les "tétés " de la société encore pendant trois ans. Malheureusement, comme je vous ai dit, on a négocié, on a apporté devant tout le monde notre preuve, qui nous a semblé très bonne. On nous a donné raison dans la grande majorité des cas. C est ce qu on a exposé en capsule devant les arbitres. Au moment où on obtient des sentences, on s aperçoit aujourd hui qu'on revient et que les gars sont obligés de rembourser de l'argent. Ils sont encore hypothéqués. Dans le cas de Trois-Rivières, c'est un arbitrage qui a coûté au moins $15 000 aux gars. Je vous souligne simplement cet état de fait. Je ne sais pas ce qu'on peut faire là-dedans. Je peux vous dire que nous autres, nous allons prendre nos responsabilités.

M. Lalonde: M. Marcil, j'ai pris connaissance des décisions de la Régie des mesures antiinflationnistes concernant certains corps policiers. Vous savez que ces lois s'appliquent à divers groupements, enfin presque à tout le monde. Je dis presque tout le monde pour ne pas dire tout le monde, y compris les députés, qui se voient enlever un pourcentage d augmentation prévu soit par la loi, dans le cas des députés, soit par la négociation, négociation qui comprend, dans tout le processus, même le droit de grève.

Je sais que c'est une consolation très pauvre que de dire: II y en a d'autres qui sont dans la même situation que nous autres. Il est possible que l'introduction de cette mesure qui est radicale, anti-inflationniste doive éventuellement être accompagnée de concepts différents de négocia-

tion puisque cela vient changer les règles du jeu de façon pas mal frustrante. A ce stade-ci, la seule chose que je peux constater c'est que la loi des mesures anti-inflationniste s'applique autant aux policiers qu'aux autres citoyens.

M. Marcil: Vous admettrez, comme travailleur, que c'est une injustice, une loi qui est aussi rétrograde que cette loi. Il n'y a pas de mots pour décrire, à mon point de vue, les principes de cette loi qui fausse ce qu'on a essayé, au cours de 100 à 125 ans, d'obtenir, soit un statut dans une société. On le fait d'une façon arbitraire et avec des mécanismes de contrôle aussi rétrogrades. Je pense que le prédécesseur de M. Bourassa a dit en 1963 ou 1964: Quand les lois sont injustes, il n'y a rien qu'on puisse y faire. On ne peut pas empêcher un certain désordre. En fait, c'est peut-être aussi dans ce contexte qu'on vous fait nos représentations. Pour nous, la loi est là. Il reste que nous prendrons sans doute les moyens que nous croyons légitimes pour obtenir la satisfaction de certaines revendications.

M. Lalonde: Je suis content de vous l'entendre dire. Je ne m'attendais pas à autre chose que ce soit des moyens légitimes. Il n'y a aucun doute que les citoyens qui sont assujettis à cette loi, lorsqu'elle est appliquée, ne peuvent pas, naturellement, l'apprécier. Je ne veux pas faire, naturellement, l'apologie de cette loi. Je ne pense pas que ce soit ici la tribune.

M. Burns: Vous auriez de la difficulté à faire l'apologie de cette loi.

M. Lalonde: II reste que l'inflation attaque toujours les plus faibles et qu'il est bon que des mesures soient prises à un moment donné et que ce soient les plus faibles qui en profitent. Je m'en tiens à ces mots en référence avec ce projet de loi anti-inflationniste; mais il reste que chacun des citoyens est, à un moment donné, victime de cette loi, victime dans son sentiment personnel, parce qu'il n'a pas obtenu ce qu'il pensait obtenir, non seulement ce qu'il pensait avoir droit d'obtenir, mais ce qu'un autre mécanisme lui avait reconnu, que ce soit une convention collective, que ce soit un arbitrage. L'analogie...

M. Marcil: Si vous lisiez simplement les lettres qui sont envoyées aux municipalités la façon stéréotypée, la façon réellement dégradante... une lettre envoyée le 21, prenez-la, ils ont seulement changé les chiffres, cela passe dans la machine, signe-moi cela, puis on fout tout par-dessus bord, un mécanisme dans lequel on a essayé d'améliorer notre standing. Il n'y a aucun sérieux pour moi là-dedans. Je ne sais pas, au niveau de l'appel, premièrement, c'est une recommandation; deuxièmement, c'est lorsqu'il y a une ordonnance qu'il a droit à l'appel puis, pour avoir le droit d'appel, il faut que les gars remboursent. Pour avoir justice, aller en appel, puis pas le mouvement syndical, pas le côté syndical, le côté patronal qui a le droit d'aller en appel, seulement lorsque les deniers auront été remboursés. Vous savez la caricature qui illustrait à Trois-Rivières la Régie antiinflation, on poigne le policier, on le secoue, puis la ville est là pour ramasser les deniers. Quand on regarde tout le mécanisme qui est prévu là-dedans, on ne peut pas être étouffé de rire, puis on ne peut pas s'en aller devant nos membres et dire: Les gars, vous allez baisser la tête, encore une fois, pendant trois ans et au moment où on a obtenu de quoi, vous allez continuer d'être les tétés" d'une société. Alors, comme je vous ai dit auparavant, tout le monde a à peu près le même travail à faire aujourd'hui, tout le monde a à peu près les mêmes compétences. Comment voulez-vous que j'aille expliquer cela à des membres et qu'on va prendre cela avec un sourire et avec un suçon. Bien non.

M. Lalonde: Alors, M. Marcil, je comprends votre sentiment. Je prends acte aussi des remarques que vous faites sur la procédure apparemment qui, d'après vous, est inacceptable, enfin la façon d'envoyer ces ordonnances. Il y a peut-être moyen d'améliorer la procédure. Maintenant, la réalité de la vie, dans la lutte contre l'inflation, c'est cela.

M. Marcil: C'est justement I'apologie de la loi. les principes. L'inflation, c'est quoi? Elle touche qui? Les plus tétés sont encore... c'est impossible, pour marcher avec 18% à $17 000. puis 8%. $12 000 et puis cela continue pendant trois ans... C est aussi simple que cela. Vous ne pouvez jamais essayer de faire le rattrapage que tout le monde pensait, qu'on s'attendait de faire, les plus grosses forces de police qui, au cours des années, j'ai tout de même été le président pendant six ans puis on s'est comparé avec Toronto à cause de tout un contexte d'une ville qui pouvait se comparer avec Toronto... Mais d un autre côté aussi, on a essayé de rattraper les autres, parce qu on a dit: Tout le monde fait le même boulot.

Je voulais simplement vous souligner à la fin, cet état de choses, et remercier la commission parlementaire de nous avoir entendus sur le projet.

M. Lalonde: Je vous remercie, M. Marcil, M. Trudel, M. Nadon de vos représentations et de votre patience surtout à vous faire entendre devant la commission. Quant à vos dernières remarques, j'enregistre le message que vous avez fait de façon publique par le truchement de cette commission.

M. Burns: Je vous remercie, M. Marcil. Me Trudel, M. Nadon, de votre collaboration et surtout des lumières que vous nous apportez à l'examen de ce projet de loi.

Le Président (M. Cornellier): Merci. Messieurs. La commission ajourne sine die.

(Fin de la séance à 19 h 4)

Document(s) associé(s) à la séance