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Version finale

31e législature, 3e session
(21 février 1978 au 20 février 1979)

Le mercredi 8 mars 1978 - Vol. 20 N° 8

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition des mémoires sur le projet de loi no 39 - Loi sur le recours collectif


Journal des débats

 

Audition des mémoires

sur le projet de loi no 39

Loi sur le recours collectif

(Dix heures quinze minutes)

Le Président (M. Marcoux): A l'ordre! La commission de la justice est réunie pour poursuivre l'audition des mémoires concernant le projet de loi no 39, Loi sur le recours collectif.

Les membres de la commission sont... Je n'ai pas à les nommer de nouveau; en fait, ce sont les mêmes que ceux d'hier. Nous continuons la séance d'hier. La seule chose qu'il faudrait faire, c'est désigner un rapporteur, ce qu'on avait oublié de faire hier.

M. Clair: Je proposerais le député de Papineau, M. le Président.

Le Président (M. Marcoux): Est-ce que cette motion est acceptée?

Une Voix: Accepté.

Le Président (M. Marcoux): Le député de Papineau sera rapporteur de cette commission. Aujourd'hui, nous entendrons les mémoires du Conseil du patronat, de la Commission des services juridiques et de la Chambre de commerce de la province de Québec. Quant à l'Association provinciale des marchands d'autos qui a été invitée à venir nous rencontrer aujourd'hui, elle nous a envoyé un télégramme nous indiquant qu'elle ne se présenterait pas. Je vais vous lire ce télégramme: "Notre cliente, l'Association professionnelle des marchands d'automobiles du Québec Ltée désire vous aviser qu'elle considère que le contenu de son mémoire au sujet du projet de loi no 39 est assez explicite quant à sa position et qu'elle ne croit pas qu'il soit nécessaire pour elle de se présenter devant cette commission, mais elle désire réitérer sa position quant aux points soulevés dans son mémoire. MM. Grondin, Lebel et Associés, Louis Vaillancourt".

M. Fontaine: Je fais motion, M. le Président, pour que le mémoire soit transcrit au journal des Débats.

M. Marois: Je suis bien d'accord, M. le Président.

Le Président (M. Marcoux): Le mémoire de l'Association provinciale des marchands d'autos sera inscrit au journal des Débats tel qu'il a été présenté aux membres de cette commission, (voir annexe A).

J'inviterais maintenant M. Dufour à nous présenter ses collègues qui l'accompagnent et à nous présenter son mémoire. Vous connaissez nos règles habituelles. Vous avez une vingtaine de minutes pour présenter votre mémoire et ensuite le dia- logue s'engage avec les membres de la commission.

Conseil du patronat du Québec

M. Dufour (Ghislain): Merci, M. le Président, M. le ministre, messieurs les membres de la commission. Mes collègues, à droite, Me William Hesler, qui est conseiller juridique du CPQ dans ce dossier, qui travaille avec Ogilvie, Montgomery, Renault et Associés; Me Philippe Casgrain, de Byers, Casgrain et Associés; à ma gauche, Me Serge Guérette, associé du bureau de Martineau, Walker et Associés, et Me Bérengère Gaudet, conseiller juridique au Conseil du patronat.

M. le Président, notre mémoire fait 58, 60 pages. C'est bien évident qu'on ne peut pas le reprendre ici. Nous en avons fait un résumé qui a d'ailleurs été distribué aux députés, je pense.

Nous vous remercions de cette possibilité de vous donner nos commentaires sur le projet de loi no 39. Nous disons que le Conseil du patronat ne s'oppose pas au principe du recours collectif. Au contraire, comme nous l'affirmons dans le mémoire, le CPQ estime qu'il est juste d'introduire au Québec une certaine forme de recours collectif quand celui-ci peut correspondre à un besoin social des citoyens québécois.

Dans la mesure où le recours collectif permet d'élargir l'accès à la justice pour des citoyens qui autrement ne pourraient obtenir de compensations adéquates, nous sommes tout à fait favorables au principe d'un tel recours.

Par ailleurs, cette réforme qui nous est proposée s'inscrit dans la même ligne d'évolution que la Loi des petites créances et la Loi de l'aide juridique, elles-mêmes des réformes en vue d'une démocratisation de la justice au Québec, principe auquel nous souscrivons pleinement. Toutefois, là où notre conception diffère de celle qui s'exprime dans le projet de loi, c'est que nous préconisons un système où le recours collectif serait circonscrit à l'intérieur de limites plus précises, plus exigeantes et, croyons-nous, plus équitables pour toutes les parties en cause.

Fondamentalement, le CPQ estime que le recours collectif doit être une mesure compensatoire, dans le cadre de notre droit civil, en dehors de toute connotation punitive ou pénale. Pour nous, le recours collectif doit se justifier selon les paramètres suivants: plusieurs citoyens ont le droit de se regrouper pour réclamer d'un même défendeur une compensation monétaire quand ils ont subi personnellement un dommage lié à une même cause. Ce dommage doit être réel, quantifiable, suffisamment élevé pour justifier une action en justice.

Deux objectifs principaux doivent donc être atteints si on veut privilégier l'exercice du recours collectif par opposition à d'autres recours: permettre la compensation monétaire de plusieurs individus lésés et deuxièmement, faciliter l'administration de la justice. En tenant compte à la fois

des paramètres mentionnés plus haut et de ces objectifs, on peut déterminer les limites d'application du recours collectif ou, si on veut, ce que le recours collectif ne doit pas être. Cela nous amène à quatre limites d'application.

La première, le but recherché, on le répète, ne doit pas être punitif. L'aspect punitif doit être absolument distinct de l'aspect compensatoire, comme le reconnaît le ministère de la Justice des Etats-Unis dans la nouvelle législation proposée. Lorsque les motifs véritables de la poursuite sont de prévenir l'enrichissement injustifié, de faire échec à semblable conduite par d'autres ou tout simplement de punir la personne ou l'entreprise coupable, ce sont là sans doute des fins légitimes, mais elles relèvent de l'initiative gouvernementale et non de l'initiative privée. Il n'appartient pas au citoyen de se faire délateur et d'intenter des poursuites pénales.

Deuxièmement, le recours collectif ne doit pas être possible lorsque la réclamation est de nature telle que le demandeur pourrait exercer un autre recours avec les mêmes avantages. Par exemple, en vertu de ce principe, on devrait exclure de l'application de la loi 39 les cas de poursuites pour dommages corporels car ce genre de recours entraîne toujours une demande de compensation élevée, suffisante pour justifier un recours individuel.

Par contre, l'expertise médicale nécessaire dans chaque cas est si complexe et si coûteuse qu'on ne gagnerait rien en termes de temps et de ressources en utilisant le recours collectif et que rien ne serait simplifié avec une multitude de cas individuels à l'intérieur d'une même instance.

Troisième limite, l'exercice du recours collectif doit s'apprécier en fonction d'une meilleure administration de la justice. Par conséquent, il ne doit pas avoir pour effet d'encombrer les tribunaux plus qu'ils ne le sont actuellement ou plus qu'ils ne le seraient par l'exercice de recours individuels.

Finalement, la quatrième, le recours collectif ne doit pas être basé sur des réclamations pour des sommes minimes ou dérisoires, car plus la compensation recherchée est petite, plus le motif véritable de la poursuite est punitif et non compensatoire. Pour que le recours soit vraiment compensatoire, il faut que l'intérêt soit quantifiable et suffisamment élevé pour justifier un recours en justice.

Abordons maintenant la question de la formation du groupe. La requête à la Cour supérieure constitue évidemment une étape capitale de la procédure car c'est à ce stade que le juge attribue le statut de classe à un groupe, jusqu'alors indéterminé et le statut de représentant à l'individu qui se prétend capable d'assurer adéquatement les intérêts du groupe.

De sa décision, à ce moment-là, dépendra que l'action soit ou non administrable de même que le quantum des dommages auquel fait face le défendeur, en relation avec le nombre d'individus à compenser.

Or, en imposant un minimum de conditions dont le tribunal doit tenir compte, le projet de loi aurait pour effet de faciliter l'accès du recours collectif au plus grand nombre de groupes possible. En somme, il encouragera au maximum les poursuites. Ainsi, à l'article 1003, le tribunal n'a pas à apprécier s'il y a apparence de droit ou si le recours est exercé de bonne foi. Rien n'indique non plus que le tribunal doit en venir à la conclusion que le recours collectif s'avère supérieur aux autres moyens de procédure.

Nous partageons donc ici le point de vue du Barreau selon lequel le projet ne contient aucun mécanisme de sélection ou de tamisage qui permette d'éliminer au départ les poursuites futiles, vexatoires ou vengeresses. Le législateur semble s'en remettre, soit à la sagesse, du juge, soit à celle des administrateurs du fonds d'aide, car ce sont eux qui ont le pouvoir d'examiner la vraisemblance du droit avant d'accorder une demande. Nous reviendrons plus loin sur cette question.

Ce sur quoi nous voulons ici insister, c'est la question des avis aux membres et de la publicité, qui est elle aussi fondamentale pour la formation du groupe. On sait que, pour assurer que les membres de la classe soient liés par le jugement, deux techniques sont possibles, I "opting in" et l'"opting out". Chacune de ces formules a ses avantages et ses inconvénients. Après avoir bien pesé le pour et le contre de chacune des hypothèses, nous avons accepté, M. le ministre, la technique de l'"opting out", telle que prévue par le projet de loi 39, mais quand même une technique assez différente de celle qui est prévue dans votre projet de loi.

Nous voulons un "opting out" assorti d'un certain nombre de conditions qui lui donnent une portée et une signification véritable. Selon la formule que nous préconisons, les exigences de l'étape de la requête seraient beaucoup plus rigoureuses. Ainsi, le groupe au nom de qui on poursuit doit être un groupe identifiable à partir de données objectives contrôlables, par exemple, avoir acheté tel produit, qu'il s'agisse d'automobile, qu'il s'agisse de maison, avoir signé tel contrat, etc.

Deuxièmement, il faut disposer de données suffisantes, pour pouvoir identifier et dénombrer effectivement une partie du groupe dans une proportion qui serait laissée à l'appréciation du juge. Cela pourrait dépendre des dimensions de la classe, par exemple, un groupe de 200 personnes, où toutes pourraient être identifiées par rapport à un groupe de 100 000 personnes. Cette exigence est pour nous très importante, car c'est la seule formule qui permette d'éviter le total anonymat et les responsabilités du groupe.

Quatrièmement; le juge devra enfin exiger du représentant qu'il envoie un avis qui soit le meilleur et le plus précis possible à tous les membres de la classe, ce qui implique la nécessité d'avis individuels chaque fois que c'est impossible.

Problèmes reliés à la publicité et aux avis. Au sujet de ces avis publics, un problème se pose dans les cas où l'action est basée sur une preuve d'acte délictueux ou criminel de la part du défendeur, preuve qui n'est nullement établie au mo-

ment de la requête. Si l'on est prêt à admettre que les avis prendront la forme d'annonces publiées dans les journaux ou lues à la radio et que le motif de l'action y sera mentionné, on risque de causer un préjudice souvent très grave au défendeur. La mauvaise publicité et les effets négatifs qui en résulteront pour l'entreprise poursuivie équivalent en principe à la condamner avant même qu'elle n'ait eu le temps de se faire entendre. Dans tel cas, le CPQ propose que la loi interdise la publication de l'avis relatif à la requête tant qu'il n'y a pas au moins une preuve prima facie à l'appui des accusations qui sont portées.

Nous remarquons, par ailleurs, que le projet de loi ne fait aucune mention des sanctions qui peuvent s'appliquer dans le cas de poursuites futiles ou vengeresses, qui, même rejetées, peuvent néanmoins causer au défendeur un tort considérable et à tout le moins lui occasionner des frais inutiles.

Le CPQ demande que les sanctions soient prévues en pareil cas contre les demandeurs, sans exclure la possibilité d'un recours en dommages et intérêts contre eux pour le préjudice subi. La loi devrait prévoir, tout au moins, que les membres du groupe qui auront été identifiés pourront être appelés à payer certains frais dans le cas de poursuites non fondées. Dans ce contexte, il serait normal que le représentant et les membres du groupe qui seront identifiés soient obligés de déposer un cautionnement suffisant pour couvrir le montant des frais encourus.

Venons maintenant aux deux étapes du recours collectif. Précisons que la conception de l'opting out" nous amène à reconnaître deux étapes — c'est notre conception — distinctes dans le déroulement du recours collectif, une première phase débutant après la requête où s'applique l'opting out" et qui va jusqu'au jugement sur le fonds. Ce dernier statue sur les questions de droit communes à tout le groupe et sur la procédure devant s'appliquer aux réclamations individuelles. Qui a droit à la compensation? Quel est le montant de cette compensation pour chaque membre? A quelle condition et dans quel délai les personnes lésées doivent-elles faire valoir leurs réclamations?

Deuxièmement, l'étape des réclamations individuelles où doit s'appliquer une formule d'"op-ting in" pour obliger les membres de la classe à se faire connaître, s'ils veulent bénéficier de l'indemnité obtenue en leur nom.

Parlons maintenant du Fonds d'aide aux recours collectifs. Le CPQ ne s'oppose pas au principe d'une aide financière de l'Etat, mais à certaines des modalités de l'attribution tel que les prévoit le projet de loi actuellement. A notre avis, les critères proposés sont vagues et laissent une trop grande discrétion aux administrateurs du fonds. Selon les dispositions du projet de loi, en effet, l'aide du fonds peut être attribuée à un requérant: 1- qui est le représentant d'un groupe agissant en demande; 2- qui ne dispose pas de ressources financières suffisantes pour exercer à ses propres risques un recours collectif; 3- qui semble possé- der un bon droit d'action ou, si l'on veut, dont le recours a des chances de succès selon le jugement porté par les administrateurs du fonds appelés à se prononcer sur la vraisemblance du droit du requérant, lorsqu'une demande d'aide leur est soumise avant la présentation de la requête.

Reprenons trois éléments de ces dispositions. Premièrement, l'aide réservée à la poursuite. La décision de réserver l'aide de l'Etat aux seuls demandeurs semble reposer sur le postulat suivant: D'une part, le groupe qui agit en demande a nécessairement une juste cause et le défendeur est a priori coupable. D'autre part, les demandeurs seront toujours des citoyens démunis tandis que les entreprises poursuivies auraient toujours les moyens, elles, d'assumer des frais judiciaires élevés. Ce sont deux postulats qui, quant à nous, ne résistent pas toujours à l'analyse. (10 h 30)

II paraît plus conforme à la justice d'affirmer que l'aide de l'Etat devrait aller à celui qui a une juste cause, qu'il soit en demande ou qu'il soit en défense. Par conséquent, il faudrait prévoir — c'est là une de nos propositions concrètes — que si le défendeur réussit à faire rejeter l'action, il aurait le droit de réclamer du fonds au moins le remboursement de ses frais.

Quant au test des ressources financières, on peut se demander ce que signifie, dans le contexte du recours collectif, le fait de ne pas avoir des ressources suffisantes. Il est clair qu'il ne s'agit pas d'une preuve d'indigence, mais plutôt d'évaluer les ressources du requérant par rapport aux risques financiers qui représentent les frais entraînés par un recours collectif. Or, comme ces derniers seront presque toujours considérables, en comparaison au montant de chaque réclamation individuelle, les administrateurs du fonds en viendront à la conclusion qu'on ne peut imposer à quiconque d'assumer, par exemple, $5000 de frais pour se faire rembourser $50. On voit déjà que ce critère est trop élastique.

De plus, l'article 20, paragraphe 2, oblige le requérant a déclarer son état financier — et j'insiste, déclarer son état financier — et celui des membres du groupe qui se sont fait connaître. Mais le projet de loi n'oblige nullement les membres du groupe à se faire connaître, ce qui revient à dire que les demandeurs n'ont qu'à rester anonymes pour avoir droit à l'aide.

Finalement, l'évaluation de la vraisemblance du droit. Il ne nous paraît pas normal qu'un organisme administratif comme le fonds puisse substituer son jugement au tribunal en préjugeant de l'issue de l'action. Une telle façon de procéder ferait de l'octroi de l'aide financière une sorte de prérequis avant d'intenter le recours collectif, ce dernier devenant, en quelque sorte, conditionnel à la décision du fonds. Cela devrait être exactement le contraire.

On propose que le fonds ne soit autorisé à examiner une demande d'aide qu'après l'acceptation de la requête autorisant l'exercice d'un recours collectif et que le juge chargé de statuer sur cette requête prenne en considération la vraisem-

blance ou l'apparence de droit d'action évalué juridiquement, rien n'empêche que le fonds examine ensuite les ressources financières du requérant.

Un mot sur le recouvrement collectif. Selon le mécanisme prévu dans le projet de loi, il peut y avoir, à l'issue du jugement, à la fois des compensations individuelles et un reliquat pour les sommes non réclamées ou distribuées individuellement. Le juge peut aussi décider qu'il n'y aura aucune compensation individuelle et disposer du reliquat à sa discrétion, selon notre compréhension de l'article 1036.

Dans la mesure où, pour toutes sortes de raisons, les membres de la classe ne peuvent être correctement indemnisés, il ne s'agit plus d'un remboursement ou d'une compensation, il s'agit d'une amende déguisée. C'est justement par le truchement du reliquat et du recouvrement collectif que le projet de loi introduit la possibilité de recours punitif sous l'apparence de recours compensatoires. Bien sûr, le principe invoqué pour justifier le recouvrement collectif se rattache à son aspect préventif ou dis-suasif et dans ce sens il se rapproche beaucoup des dommages exemplaires comme ils existent aux Etats-Unis, par exemple. Le but qui se trouve alors attribué au recours collectif est donc exactement celui que doivent jouer les amendes.

L'objet des amendes et des autres sanctions pénales n'est-il pas, justement, de décourager ceux qui auraient quelque envie de transgresser les lois? Toutes les fois que le recours collectif aboutit à autre chose qu'à la compensation des citoyens pour des dommages réellement encourus par eux, cette procédure change la nature et n'est plus conforme, quant à nous, à la philosophie de notre droit civil.

C'est pourquoi nous nous sommes opposés et nous nous opposons à cet aspect fondamental du projet de loi. Lorsque, au lieu des citoyens lésés qui poursuivent, le véritable bénéficiaire des sommes adjugées est le fonds d'aide, c'est-à-dire l'Etat, nous disons que le recours collectif est détourné de sa fin première pour devenir un recours pénal. Or, une poursuite pénale doit être intentée par le Procureur général, en vertu des lois qui ont soi-disant été transgressées.

En conclusion, il y a également toute la dimension sociale du recours collectif qu'il faudrait aborder et que nous abordons dans le mémoire et sur lequel nous ne revenons à peu près pas ici. Nous y consacrons d'ailleurs un chapitre dans le mémoire dans lequel nous soulignons les dangers et les abus possibles du recours collectif tel qu'il est conçu dans le projet de loi, étant donné sa portée très large et le fait que souvent il nous apparaît à sens unique.

Le CPQ estime que la formule proposée risque de comporter plus d'inconvénients et d'injustices que d'avantages réels par rapport aux objectifs qu'on lui attribue. C'est pourquoi les amendements que nous proposons et qui vont dans le sens de la conception de restreindre et de limiter les dangers d'abus nous amènent à faire le type de suggestions de notre mémoire. Nous croyons que la justice dont on parle dans le cadre du recours collectif ne doit pas être à sens unique.

S'il est vrai qu'il faut introduire un nouveau moyen de procédure pour permettre à une foule de gens de recevoir une compensation juste alors qu'ils ne pourraient pas l'obtenir autrement, il est tout aussi vrai d'affirmer la nécessité de protéger les entreprises légitimes et on pourrait ajouter les entreprises gouvernementales et paragouverne-mentales qui peuvent se voir poursuivies en raison d'un dommage purement accidentel et non pas frauduleux. LE CPQ croit nécessaire d'attirer l'attention du législateur sur la prudence qui s'impose au moment d'introduire dans notre droit une innovation aussi importante et qui demeure, malgré tout, controversée. Les divers mouvements pour la protection du consommateur ont eu tendance, ces dernières années, à réclamer le recours collectif comme une sorte de panacée qui allait régler tous leurs problèmes. Malheureusement, la réalité est un peu différente. L'expérience a montré aux Etats-Unis, notamment, que le recours collectif n'est peut-être pas l'instrument idéal que l'on croyait dans le domaine de la protection du consommateur. On cherche justement à le redéfinir et à le mieux adapter aux fins auxquelles on veut le faire servir.

Ajoutons, en terminant, que, si le recours collectif bien utilisé peut devenir une arme efficace entre les mains de consommateurs lésés, il existe d'autres moyens d'améliorer cette protection nécessaire du consommateur: une application plus sévère des diverses lois existantes, une meilleure éducation économique des citoyens, l'exercice de meilleurs contrôles sur les standards de qualité des produits, par exemple. Il y aurait lieu de songer à perfectionner ces divers moyens avant d'encourager l'utilisation tout à fait généralisée du recours collectif. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Marcoux): Je vous remercie de la présentation que vous avez faite de votre mémoire. M. le ministre.

M. Marois: M. le Président, je voudrais d'abord remercier les porte-parole du Conseil du patronat de leur mémoire, de leur présentation. Comme ils en conviennent eux-mêmes au point de départ, cela supposait un résumé. C'est un mémoire qui est long, qui est étoffé, qui a sa logique, qui a sa propre cohérence. Il y en a aussi, dans votre mémoire, à boire et à manger. Vous évoquez une foule de choses, une foule de dimensions et je tiens à vous dire, au point de départ, comme on l'a dit et mentionné, et cela a été, je pense bien, l'indication unanime des membres de cette commission, que tous et chacun des mémoires seront examinés à la loupe, examinés au mérite, que chacune des propositions et des suggestions sera attentivement regardée avec en tête cet objectif de faire en sorte qu'en introduisant cette procédure nouvelle dans notre Code de procédure civile au Québec, ce soit fait en tenant compte de l'économie générale de notre code et de faire en sorte qu'en l'introduisant, cela se fasse de telle manière que cela puisse assurer aux parties, et je dis bien aux parties, que le déroulement de cette procédure donne lieu essentiellement à toute la justice

et à toute l'équité requises. Je tiens à noter, bien sûr, au point de départ, avec, vous le comprendrez facilement, beaucoup de satisfaction, le fait que le Conseil du patronat reconnaisse dans son mémoire que c'est une nécessité, maintenant, qui répond à un besoin, un besoin de justice, que d'introduire le recours collectif dans notre Code de procédure civile. Effectivement, comme vous le soulignez, et je le note aussi avec satisfaction, parce que je pense que vous avez raison, c'est exact, cela vient pallier, en partie en tout cas, un problème — vous l'évoquez à la page 2 de votre mémoire — qui peut devenir un problème d'engorgement des tribunaux par la multiplication de toute une série de procédures. Il est évident que, si, en une cause, on peut en remplacer 200, cela peut avoir des effets bénéfiques.

Je note aussi avec satisfaction que vous êtes favorables au principe du recours collectif. J'ai noté aussi avec une grande satisfaction, parce qu'il y a des débats, des discussions, des réflexions qui ont été menés au Québec, je pense bien, dans tous les coins, depuis pas loin d'une dizaine d'années maintenant, sur une des choses qui est une clé du recours collectif, c'est-à-dire ce qu'on choisit, l'"opting out", l'"opting in". J'ai noté avec satisfaction que vous retenez aussi l'"opting out". Vous reconnaissez également le bien-fondé du principe de l'introduction d'une forme d'aide financière qui prend dans l'économie générale du projet de loi la forme d'une avance, puisque ça suppose, et on y reviendra dans le détail, des formes diverses de remboursement, le cas échéant, pour que ce soit quelque chose qui s'autofinance.

Au fond, c'est ça l'économie générale du projet, tel qu'il est formulé. Par ailleurs, j'ai eu l'occasion de l'indiquer tout au long des discussions hier avec les divers groupes qui se sont présentés devant nous. J'ai eu l'occasion de le rappeler aussi, j'insiste à nouveau, le projet de loi 39 introduisant le recours collectif ne vient pas changer le droit substantif, ne vient pas donner plus de droits, ne vient pas créer plus d'obligations. Il est essentiellement un outil, un instrument, une pièce de procédure permettant à des citoyens — là je reprends l'expression du bâtonnier du Québec, qui témoignait hier devant la commission — de pousser aussi humainement que faire se peut, il n'y a rien de parfait et ça supposera vraisemblablement comme d'autre chose, des ajustements en cours de route, au fur et à mesure que le vécu permettra de tirer le bilan des expériences, mais de pousser, dis-je, jusque dans son dernier retranchement l'application concrète d'un principe fondamental, et je cite, "d'aller jusqu'à la fine pointe possible de la notion de responsabilité dans notre droit."

Tout ça basé aussi sur des choses qui sont des concepts, mais qui risquent d'être du papier, si on ne se donne pas un outil comme celui-là dans une société, des principes aussi essentiels que cette idée que personne n'a le droit de s'enrichir sans cause, au civil. En conséquence aussi, les citoyens, individuellement et/ou collectivement, ont le droit de disposer de moyens de procédure leur permettant, comme on dit dans le jargon juridique, d'aller dans le sens d'une répétition de l'indu, d'aller chercher ce qui n'était pas dû et d'obtenir la compensation de ce qui n'était pas dû.

Donc, c'est avec beaucoup de satisfaction que je note ces dimensions. Je voudrais revenir sur un certain nombre de points, faire un certain nombre de commentaires et je présume que vous réagirez vraisemblablement en nous faisant part de vos réactions à un certain nombre de ces commentaires. En même temps, vous indiquez déjà un certain nombre de choses.

J'évoquais au point de départ qu'il y a, tout au long de votre mémoire, une chohérence, une logique. Je me demande, j'avoue que j'ai lu très attentivement votre mémoire, s'il n'y a pas une confusion entre des notions de droit criminel, d'une part, de droit civil, d'autre part et, par-dessus ça, l'intervention de certaines notions qui sont inhérentes au droit américain, notamment, et si ma mémoire est bonne, aussi dans certains coins de "common law " mais particulièrement aux Etats-Unis, quand on parle de dommages punitifs, cette notion du "punitive damages", qui est une notion qui existe en droit américain, mais qui n'existe pas dans notre droit civil. Il y a une distinction chez nous entre le criminel, le pénal, qui permet d'aller chercher des amendes en vertu du droit statutaire, et le civil, qui permet d'obtenir des compensations pécuniaires. (10 h 45)

A première vus, je vous le soumets comme je l'ai vu ou comme je l'ai compris, il se peut que j'interprète mal votre mémoire, mais je veux qu'il soit traité avec autant de justice et qu'équité — on va commencer par essayer de l'appliquer ici, ce principe — que n'importe quel autre mémoire. Cela revient à plusieurs reprises, même dans votre résumé. Vous dites — et là-dessus, on est d'accord avec vous, fondamentalement — que le recours collectif doit être une mesure compensatoire dans le cadre de notre droit civil, en dehors de toute connotation punitive ou pénale. Par la suite, vous semblez retrouver, dans le projet de loi, toute une série de choses qui vous amènent à dire qu'il y a du punitif et du pénal. La question et cela revient sous différentes façons de le formuler...

Je vous pose la question qu'on a évoquée, qu'on a discutée longuement avec plusieurs groupes hier. En toute honnêteté, je suis obligé de vous dire ce matin qu'il n'y a personne qui a mis le doigt dessus. Quel est l'article? Quel article? En vertu de quel article — commençons par cela — des citoyens, individuellement et/ou collectivement, obtiendraient-il d'un défendeur, en vertu du présent projet de loi, tel qu'il est formulé, un montant d'argent plus élevé que le montant de la compensation qu'on obtiendrait de l'addition de la poursuite de chacun de ces mêmes individus s'ils avaient pu être tous et chacun identifiés et s'ils avaient, tous et chacun d'entre eux, pris une action devant le tribunal pour faire valoir leurs droits?

Quel est l'article en vertu duquel il est possible d'affirmer qu'un défendeur va être amené à

verser une somme qui excéderait, à cause de la procédure de recours collectif, le montant global, soit l'addition des compensations obtenues suite aux recours de chacun des individus qui interviendraient devant les tribunaux?

J'avoue honnêtement qu'hier, on en a discuté longuement et certains porte-parole de groupes qui sont venus nous ont même indiqué, suite à une bonne discussion en commission parlementaire avec nous, qu'il y avait peut-être effectivement certaines confusions qui tiennent à de l'inquiétude normale qui suit l'introduction d'une mesure comme celle-là dans notre Code de procédure civile. Cette préoccupation, fondée de leur part, est de bien s'assurer — du moins dans les représentations qu'ils nous font — que le recours collectif ne soit pas une mesure qui vienne complètement débalancer les choses, mais au contraire, que cela puisse se faire et être traité de telle façon que ce soit fait sur une pleine base de justice et d'équité pour les parties.

Je vous pose la question parce que c'est une clé. Par la suite, on parle de punitif et de pénal. Mais où ça? Je ne crois pas que cela ressorte clairement. Quand on argumente par le bout du fait que des citoyens ayant obtenu un jugement soient amenés, par pourcentage ou peu importe la formule, quitte à voir les modalités... Je suis bien prêt à regarder les modalités, je l'ai indiqué depuis déjà plusieurs mois, depuis même le dépôt du projet de loi. Nous sommes prêts à regarder les modalités pour s'assurer que ce projet de loi, encore une fois, on essaie de le bonifier ensemble, au maximum, sans se prendre pour d'autres, mais en essayant de faire ce qui est humainement possible.

Quand on dit: II y en a une partie qui va être remboursée au fonds. C'est l'Etat. En quoi est-ce que le petit pourcentage, peu importe le montant qui sera remis au fonds... C'est une forme d'avance aux citoyens. Dans la mesure où c'est possible d'avoir un fonds qui s'autofinance, que chacun y apporte sa contribution sous forme de remise d'une partie des avances qui auront été données, en quoi est-ce que cela pénalise le défendeur? Cela ne surajoute pas au montant de la compensation. C'est une remise, en partie, d'avances faites par un fonds qui est là pour intervenir. C'est un des points; c'est une clé.

L'autre point, qui est une clé, mais qui, à mon avis, va beaucoup plus loin, est celui-ci: Vous évoquez cette idée du corporel. Je sais que d'autres de mes collègues interviendront, je ne veux pas accaparer le temps de tous mes collègues. Il y a beaucoup de questions qui sont soulevées par votre mémoire. Il y a cette question de l'exclusion des recours dans les cas de dommages corporels. J'avoue que j'aurais besoin que vous me souteniez cela un peu. Avec l'introduction de la loi 67, il y a une bonne partie des dommages corporels qui vont sortir des tribunaux, par l'introduction du "no fault", vous le savez comme moi.

Deuxièmement, je me pose une question. D'expérience personnelle, je pense à un dossier très précis que j'ai en tête, de blessures corporelles, mais d'un type très particulier inhérent aux vices et défauts d'un produit, d'un produit pharma- ceutique en l'occurrence. Si on avait pu disposer du recours collectif, on ne se serait pas défendu dans les conditions dans lequelles on a été amené à le faire, sans compter qu'il y a probablement encore des enfants qui sont dans le paysage au Québec et qui vont rester sans compensation. Je pense que personne n'accepte cela, c'est normal. J'avoue que cela suppose des explications.

J'en arrive à la page 4, vous le reprenez à nouveau dans votre résumé, le point 4: "Le recours collectif ne doit pas être basé sur des réclamations pour des sommes minimes ou dérisoires, car plus la compensation recherchée est petite, plus le motif véritable de la poursuite est punitif et non compensatoire ". Je ne veux vraiment pas mal interpréter votre mémoire mais je veux être certain que je vous comprends bien.

De la façon que je lis le texte, vous semblez faire une équation automatique entre une petite compensation recherchée — égale ou équation, c'est dans ce sens que je le dis — et motif véritable de poursuite punitif et non compensatoire. Quelle équation peut-il y avoir entre des petits montants arrachés à une quantité industrielle de citoyens et le fait que cela soit punitif versus un gros montant arraché à un petit nombre de citoyens? Si on suit cette logique, où est-ce qu'on s'en va? Où est-ce qu'on s'en va avec cela?

Je sais que vous faites référence — je voudrais en faire brièvement état — aux réflexions que nos collègues américains font présentement sur le recours collectif, mais où est-ce qu'on s'en va? Si je pousse ce raisonnement jusqu'au bout, cela voudrait dire... Je répète ce que j'ai essayé de dire, je ne sais plus combien de fois, mais, des fois, on traîne des images, d'accord, on va l'assumer et cela finira là. Je répète ce que j'ai dit, mais jamais, parce que vous l'évoquez dans les postulats...

J'avoue bien honnêtement que j'ai mal pris, dans votre chapitre social, les postulats où vous semblez, en tout cas, nous prêter des intentions. Je vous dirai simplement que je trouve qu'il y a un excès de vocabulaire, mais, en tout cas, fermons la parenthèse, c'est oublié, c'est de côté.

Il n'est pas du tout dans notre esprit de tenir pour acquis, en partant, que toutes les entreprises se comportent comme des bandits. J'ai répété je ne sais pas combien de fois les expressions dans le genre: Dieu merci, ce n'est pas le cas de toutes les entreprises, loin de là, et celles qui se comportent comme des citoyens responsables n'ont rien à craindre, de la même façon que, quand je me couche le soir, je n'ai aucune espèce de crainte, si je n'ai pas commis de délit, de me voir poursuivi et traîné en prison — parce qu'il y a des sanctions très sévères sur le plan criminel dans notre société — pas plus que j'ai des craintes de subir une action en dommages épouvantables si je me suis comporté comme un citoyen responsable. Je pense que cela vaut pour les corporations. Je pense qu'il faudrait éviter d'amplifier les craintes. Il ne faut pas oublier non plus qu'on est en Cour supérieure, on y a pensé très sérieusement.

Quand on fait des comparaisons... Je pense bien que vous connaissez la Cour supérieure, elle n'a pas la réputation d'être le tribunal qui, encore

une fois, comme le chevalier de Mark Twain enfourche sa monture et part dans toutes les directions en même temps. C'est dans ce sens que j'évoquais dans la foulée de ce que vous disiez tantôt, M. Dufour, qu'effectivement les gens vont se rendre compte que c'est une procédure. Ce n'est pas parce qu'on l'introduit dans le code que demain matin ce sera l'avalanche des recours collectifs. Il va bien y avoir des avalanches de tentatives, mais cela ne veut pas dire qu'il en résultera des avalanches de réussites, loin de là, même au niveau de la requête, parce que c'est une procédure, il y a des preuves à faire. C'est balisé. On est prêt à regarder le cadre. On est prêt à regarder les modalités pour voir s'il n'y a pas moyen de faire les ajustements qui s'imposeraient.

Mais, de la façon que vous le formulez: "pour des sommes minimes ou dérisoires", cela nous mène où? En d'autres termes, si je pousse la logique au bout — je ne veux vraiment pas encore une fois être injuste, mais je veux comprendre, par exemple — il vaudrait mieux ne plus arracher de gros montants à un petit nombre de citoyens, mais, préférablement, si je ne veux pas être pris sous la coupe d'un recours collectif, je suis mieux d'arracher cela à coût de $0.25, de $0.50, mais d'en "poigner " une quantité industrielle. Il me semble que c'est là que cela mène, comme logique. Quand vous faites allusion aux réflexions des Américains présentement, vous faites allusion à leur "draft ", comme ils disent dans leur jargon, ce qui est l'équivalent d'un mémoire que j'ai lu, que j'ai vu. Vous en évoquez une partie. Vous dites dans votre mémoire qu'il est question — je ne sais pas l'expression que vous utilisez — qu'on enlève à l'individu le recours pour les petites réclamations de $500 et moins, mais vous n'évoquez pas, cependant, d'autres parties de ce "draft " concernant ces petits montants où il est aussi prévu, dans le même "draft ", que le procureur général peut prendre une poursuite ou un citoyen peut prendre la poursuite dans certains cas où le procureur déciderait que c'est comme cela. Vous n'évoquez pas non plus l'autre partie du même document de réflexion dans laquelle il est prévu que le citoyen va pouvoir participer et partager — c'est une forme d'incitation à la poursuite qu'il songe à introduire, c'est loin d'être fait, on réfléchit là-dessus — un simple citoyen qui intenterait une action comme celle-là recevrait le paiement des frais, des honoraires d'avocat, en plus de 20% des premiers $25 000 de pénalité imposée, ce qui veut dire $5000, et de 10% des $50 000 subséquents, ce qui veut dire $5000, ce qui veut dire $10 000, plus le remboursement des frais et des honoraires d'avocat sur un montant de $75 000. Est-ce que vous "achetez " cela aussi? C'est cela que les Américains sont en train d'analyser, ce qui est introduit dans leur "draft". Vous en citez une partie; il y en a un autre bout, dont vous n'avez pas fait nécessairement état.

Maintenant, je voudrais vous indiquer, cependant, ceci étant dit, qu'il y a certaines recommandations que vous nous faites, certaines suggestions que, pour ma part, je trouve particulièrement intéressantes et qu'on est prêt à regarder de très près. C'est le cas de la requête. Vous utilisez l'expression "prima facie"; je vois que, dans le résumé que vous nous soumettez aujourd'hui, vous parlez d'apparence de droit. Si ma mémoire est bonne, cela fait quand même pas loin d'un an et demi que je n'ai pas pratiqué, "prima facie" est une notion de droit criminel. En droit civil, l'équivalent, c'est l'apparence de droit. Je ne vous cache pas qu'on est prêt à examiner très sérieusement la possibilité de l'introduire au niveau de la requête. Cependant, quand vous ajoutez l'introduction de la bonne foi, on en a longuement discuté hier avec d'autres groupes, et je ne veux pas les citer, je ne veux pas tromper leur témoignage, mais on en a discuté aussi avec le Barreau qui admettait lui aussi, de son côté, qu'on ne peut pas introduire cela parce que, dans notre droit, la bonne foi se présume. Alors, il y a un fardeau de preuve. Cette idée de songer à introduire au niveau de la requête l'apparence de droit, c'est une notion qu'on maîtrise en droit civil aujourd'hui, sur la base de la jurisprudence. Je pense que c'est quelque chose qu'on peut regarder.

Il y a aussi une autre chose concernant la publicité. J'ai indiqué hier que j'étais prêt à regarder avec mes collègues, par analogie avec le droit criminel — ne me demandez pas d'en mettre plus que ce qu'il y a dans le droit criminel — d'introduire au niveau — de la même façon qu'il y a l'enquête préliminaire et la requête par analogie pour le recours collectif et, après ton enquête préliminaire, tu es cité ou non à ton procès; il y a requête, et tu es autorisé, oui ou non, au recours collectif, par analogie — à songer peut-être à voir s'il y a moyen d'introduire l'idée d'une ordonnance de non-publication pour la période de la requête. Je pense qu'on est prêt à regarder des avenues comme celle-là.

Quant au fonds à l'aide, par souci d'équité, d'équilibre, on est prêt à regarder aussi la possibilité que le défendeur, dans le cas où il gagne sa cause, avec une preuve, qu'il y a un jugement, à regarder la recommandation que vous nous faites, concernant l'ouverture — en tout cas, vous le disiez dans votre mémoire, en tout ou en partie; dans le résumé, vous dites tout, c'est frais — enfin, à regarder cela d'assez près, en ne perdant pas de vue l'idée de l'équilibre, cependant. Comme je l'ai évoqué hier, un citoyen ce n'est pas le genre de frais et de choses qu'il peut déduire de son impôt; dans le cas d'une corporation, d'une entreprise, il y a une bonne partie de ces frais qui est déductible de l'impôt. On veut maintenir une notion d'équilibre, mais on est prêt à regarder quelque chose de ce côté-là. (11 heures)

Par ailleurs, je voudrais aussi vous indiquer— parce que vous ne l'évoquez pas dans votre mémoire, mais on en a longuement parlé avec les commerçants hier — qu'on est prêt à regarder la possibilité d'introduire la possibilité d'un appel en garantie. Je pense que c'est quelque chose qui peut s'envisager sérieusement, mais on est prêt à le regarder de très près.

Par ailleurs, je voudrais vous rappeler aussi qu'il y a une chose que vous retrouvez dans le projet qui est devant vous qu'on ne retrouve nulle

part, à ma connaissance; cela est venu de suggestions, notamment, d'avocats américains, dans le cas des petites et moyennes entreprises, parce que, là, il peut y avoir un intérêt convergent d'intérêts apparemment divergents au point de départ. Dans le projet de loi, il y a un article qui prévoit que, sur représentation, le juge peut déterminer des modalités de remboursement et de paiement, de telle sorte que les montants en question, par exemple, puissent être remboursés par versements échelonnés sur une certaine période de temps, parce que c'est l'intérêt convergent des parties.

Voilà, M. le Président, pour l'instant les commentaires et les remarques. J'ai déjà abusé assez du temps de la commission.

M. Dufour: M. le Président, M. le ministre a fait un certain nombre de commentaires et il a posé aussi un certain nombre de questions.

Le Président (M. Marcoux): Oui.

M. Dufour: Est-ce qu'on doit engager le dialogue à ce moment-ci? Je vais transférer à mes collègues quatre questions parce que, finalement, ce sont des questions de droit. Peut-être un commentaire général au départ: on ne parlera pas de ce que vous semblez prêts à améliorer ou à bonifier. Je pense que vous avez mentionné à la fin quatre ou cinq grands problèmes qu'on soulève sur lesquels vous nous donnez une ouverture d'esprit qu'on apprécie. Si, dans la recherche de solutions à ces problèmes, nous pouvons y aller d'un "input" additionnel, nous serons heureux, nous, de vous fournir de l'information additionnelle.

Un commentaire sur le chapitre II, l'aspect social, où vous mentionnez qu'on a peut-être eu certains excès de langage, M. le ministre. Je ne pense pas que ces excès de langage — je vais fermer, moi aussi, tout de suite la parenthèse — se réfèrent nécessairement à la vision qu'a le ministre québécois de toute cette possibilité du recours collectif. Notre analyse sociale, on a été obligé de la baser sur ce qui existe ailleurs, notamment aux Etats-Unis. Cette contestation sociale dont nous parlerons ou cette utilisation à mauvais escient souvent du recours collectif, c'est bien évident qu'on ne l'a pas vécue au Québec; on n'a pas encore le recours collectif. Mais c'est ce qui s'est passé aux Etats-Unis et c'est ce qu'on veut ici signifier au législateur; soyons prudents, si on n'a pas l'ensemble des paramètres, pour éviter justement ce que vous avez appelé vous-même une avalanche possible de requêtes. On est d'accord avec vous que ce ne seront pas nécessairement des requêtes qui seront acceptées, mais on peut avoir, tout au moins au tout début, une avalanche de requêtes qui vont faire que la réaction à un projet de loi que tout le monde accepte en principe, deviendra négative parce qu'on voudra peut-être l'utiliser au départ de façon quand même plus ou moins pondérée.

C'est ce qu'on veut véhiculer quand on parle de philosophie sociale, non pas dans l'approche même que peut avoir le gouvernement ou le ministre, mais dans l'utilisation que pourraient en faire certains groupes.

Des quatre questions que, moi, je retiens — parce que j'ai quand même pris des notes très vite — l'une est la confusion entre droit criminel, droit civil, droit américain et, dans notre trame globale, il semble que l'on confond un peu ces différentes notions de droit. Je vais demander à Me Casgrain de reprendre cette trame de fond qu'on a dans le mémoire.

M. Casgrain (Philippe): C'est à moi que revient de répondre à l'odieux de ce qu'il peut y avoir dans notre mémoire, d'après ce que je peux voir. Je pense, M. le ministre, que ce qu'il faut regarder, c'est que l'introduction aux Etats-Unis du recours collectif dès 1933 ou dès avant, je crois, avait pour objet précisément ce que vous-même avez dit dans votre document accompagnant le projet de loi, de permettre à plusieurs personnes de se joindre pour obtenir une compensation lorsque effectivement la question était commune et que les frais individuels seraient fort élevés. Ce n'est qu'au cours des années que la question du recours collectif a "dévié" et j'emploie le mot dessein dans ce qu'on est convenu d'appeler maintenant les réclamations "de minimis". Il est arrivé, justement, que les gens se sont servis du principe même du recours qui n'était que compensatoire pour éventuellement l'amenuiser à telle enseigne qu'on en arrivait au recours "de minimis". Très vite on s'est rendu compte à l'expérience qu'une fois le jugement rendu dans des réclamations "de minimis", des montants, quelquefois assez importants, demeuraient consignés dans une banque sans que personne ne les réclame. C'est ce qui a amené le reliquat dont vous parlez aujourd'hui.

Ce que nous disons, c'est ceci, quant à votre question: Est-ce du droit pénal ou non. Je vous répondrai sans faire de sémantique, que je pense sérieusement et sincèrement que dès qu'un montant d'argent est extrait de la poche d'un citoyen pour le bénéfice de l'Etat il ne peut être que fiscal ou punitif. C'est la seule solution. Mais, à partir du moment où vous avez quelqu'un qui va payer à l'Etat, et non pas à un individu qui l'a réclamé, vous n'êtes plus dans un contexte juridique de réclamation par quelqu'un de lésé contre un autre. Au départ, c'est la réponse.

J'admets bien le raisonnement que vous faites à savoir qu'il ne faut pas mettre de côté les petites réclamations. Ce que nous disons est ceci: L'expérience a démontré aux Etats-Unis, et on verra très vite la même chose ici si on ne prend pas les précautions voulues, que les actions "de minimis" se rendent très rarement jusqu'au procès. Elles sont généralement réglées au départ et à peine 10%, nous dit-on, viennent tenter de recevoir les montants qui leur sont dûs. Nous disons que ces réclamations "de minimis" ont causé ceci, car en plus de la pénalité de principe occasionnée lorsqu'un gouvernement vient prendre l'argent dans la poche du contribuable pour d'autres raisons que fiscalité, cela a donné lieu à ce qu'on a

appelé des règlements "in terrorem" dont on a fait grand état aux Etats-Unis.

C'est-à-dire que si vous avez l'action "de minimis", surtout avec l'anonymat que vous avez dans votre projet de loi, il est facile de dire qu'au-delà de 10 000 personnes auront droit éventuellement à la réclamation de $1, par exemple, par pot de café ou autrement, ou encore 100 000 ou 300 000 personnes. La publicité qui s'ensuit, les dépenses que cela encourt pour une défense seulement, font que, dans l'expérience américaine tout au moins, ne fusse que pour compenser pour les frais de défense, les compagnies se trouvent dans l'obligation de régler ces réclamations. Il a même été dit aux Etats-Unis qu'effectivement si on devait conserver le recours "de minimis" ne fusse que pour la raison que cela force des règlements... La réponse à ceci, M. le ministre, est la suivante: Dans un processus judiciaire normal, c'est une déviation du processus que d'établir des procédures qui font que les parties sont obligées de régler plutôt que d'aller devant la cour pour obtenir justice. C'est ce qui se passe au niveau des réclamations "de minimis".

Ce que nous vous disons simplement est ceci. Le gouvernement est muni du nécessaire pour surveiller ce genre de petites offenses individuelles, si vous voulez, au niveau de la Loi des consommateurs et au niveau de toute espèce de législation gouvernementale dans ce domaine. Qu'il prenne ses responsabilités à cet égard mais qu'il n'introduise pas dans notre contexte une sorte d'action "qui tam ' à toutes fins pratiques qui fait que le citoyen est appelé et invité par le gouvernement à se faire lui-même le justicier parce que si lui, le citoyen, ne doit pas recouvrer personnellement, il le fait pourquoi? Il le fait évidemment pour se faire justicier. Nous ne croyons pas que ce soit une philosophie qui soit acceptable. La philosophie du "qui tam" est dépassée depuis longtemps.

Pour ce qui est de la suggestion que vous retrouvez dans le mémoire américain, évidemment, les Etats-Unis ont vécu avec ce problème. C'est difficile de reculer en autant qu'ils sont concernés; ils tentent de trouver un compromis dans lequel ils disent que les actions "de minimis" seront survel-lées par le procureur général. Ils vont même plus loin pour faire plaisir à d'autres. Ils leur font même une espèce de prime si toutefois ils y vont. La prime dont vous parlez, les 20%, à mon sens, c'est du "qui tam ' pur et simple. Et cela, je pense que c'est abhorrant à l'idée de civilisme. C'est une chose qui n'existe pas dans notre société. C'est la raison pour laquelle nous le disons. Nous prétendons, nous, qu'il faut éliminer absolument les réclamations "de minimis " pour éviter ce problème auquel nous ferons face bientôt et qui se traduira par une espèce de justice individuelle exercée par les citoyens avec l'encouragement du gouvernement sinon son incitation, et qui va placer les compagnies dans une situation qui n'est pas juste quant à elles parce qu'elles devront s'exposer à ce qu'on appelle le règlement "in terrorem". C'est la réponse sur ce domaine-là. Evidemment, si on veut raisonner...

M. Marois: Me Casgrain, si vous me permettez, je m'excuse de vous interrompre. Finalement, ce que vous me dites, c'est que notre droit, dans son état actuel, statutaire — on s'entend — permet normalement au procureur de prendre des poursuites, faire condamner les gens, le cas échéant selon leur comportement, si c'est contraire aux lois, à des amendes. Bien, c'est exact. Vous avez raison. Mais même si je faisais condamner la compagnie Machin à une amende, est-ce que cela rembourserait les citoyens qui ont été lésés? Est-ce que cela permet l'application, pour reprendre l'expression du bâtonnier hier, à la fine pointe de la responsabilité de la répétition de l'indu sur la base du principe de l'enrichissement sans cause. La réponse est non. Vous le savez comme moi. Une amende comme telle ne rembourse pas pour autant les citoyens. J'ajoute l'élément additionnel et, encore une fois, c'est bien évident que ce n'est pas le comportement, loin de là, de la majorité des entreprises, Dieu merci. La Commission d'enquête sur le crime organisé, qui avait examiné des crimes dits économiques, disait elle-même: Vous avez des entreprises qui fonctionnent sans permis, en vertu de la Loi de protection du consommateur notamment, se font prendre, paient l'amende, et parfois ce ne sont pas des détails, cela monte maintenant de plus en plus. Les tribunaux sont portés à être plus sévères. Je pense en particulier à une entreprise d'antennes de télévision condamnée à $2000 d'amende. Je pense que je cite les juges à peu près textuellement. Ils disaient: C'est plus payant de payer l'amende et de continuer à fonctionner sans permis, illégalement, et cela fait un permis d'exploitation bon marché et joyeusement bon marché. Mais, pendant ce temps-là, comment s'applique pour les citoyens le principe de la répétition de ce qui leur est dû individuellement et/ou collectivement. En d'autres termes, je vous retourne la question que je vous posais tantôt. Qu'est-ce qui, dans le projet de loi, va faire qu'un défendeur serait condamné à payer une somme plus élevée que la somme compensatoire, que la somme qu'il aurait eu à payer si chacun des individus impliqués avait pris devant les tribunaux l'action...

M. Casgrain: II ne s'agit pas de cela, M. le ministre. Il s'agit de ceci. Vous me dites: Parce que les amendes ne sont pas assez élevées, on va permettre le "de minimis". Ce que je vous dis, je ne conçois pas que quelqu'un...

M. Marois: Ce n'est pas ce que je dis. Ce n'est pas parce que les amendes ne sont pas assez élevées. Quel que soit le montant de l'amende, cela ne rembourse pas pour autant cela ne donne pas la répétition de l'indu pour les citoyens.

M. Casgrain: La même chose dans le cas du "de minimis". Celui qui a une réclamation de $1, cela coûte $0.50 pour prendre le métro pour aller chercher le $1 en question et $0.50 pour revenir chez soi. Il n'ira pas chercher le $1. Il n'y a aucun doute possible. Dans le cas des "de minimis", les gens ne se présenteront pas pour aller le cher-

cher, à moins que vous vouliez financer le timbre de $0.12 pour le leur envoyer par la poste. C'est ce qui se passe effectivement. Ce que nous disons, c'est que le de minimis dont je parle, c'est ce dont nous parlons, dans ces cas-là, il est bien évident que les gens ne se présenteront pas pour être remboursés. S'ils ne le sont pas et qu'on prévoit quand même le paiement par la partie qui aurait été prise en fraude, notamment la compagnie en question, à ce moment-là, on lui impose une amende qu'on va chercher indirectement par le reliquat que vous établissez.

M. Marois: Ce qui veut dire que vous n'acceptez pas, dans la pratique, ce qui s'est passé par exemple aux Etats-Unis, où une compagnie de taxi a été condamnée à réduire ses tarifs pendant une période de temps correspondant au montant d'argent qu'elle avait extorqué à un certain nombre de citoyens.

M. Casgrain: Pas du tout. Je ne prétends pas, M. le ministre, que punir le voisin pour l'offense qu'a faite un autre peut vraiment être une façon de régler les choses. Qu'est-ce qu'on a fait? On a dit: Ceux qui ont payé très cher pour le taxi, soyez contents, le suivant paie moins cher, vous devez être heureux. Ce n'est pas la vengeance qui doit animer le coeur des citoyens. Qu'est-ce que cela me fait que mon voisin souffre pour me compenser ce que j'ai perdu? Ce n'est pas une compensation, c'est une façon de punir la compagnie au bénéfice d'autres personnes qui n'avaient pas été lésées. Celle qui a pris le taxi pour moins cher le lendemain, cela n'a pas donné grand-chose dans la poche de celui qui avait payé $0.50 de trop la veille. C'est une philosophie qui me paraît un peu étrange. Cela vient des Etats-Unis, mais cela ne veut pas dire que c'est intelligent. Je trouve cela curieux. Je ne peux pas admettre une affaire pareille. Ce n'est pas parce qu'on va battre mon voisin que je vais être content du fait que l'autre qui m'avait battu... Au moins, on s'est remboursé indirectement. Cela ne marche pas comme cela. C'est ce qu'on vous dit très simplement. On vous dit: Faites attention, même aux Etats-Unis, on ne voulait pas du "de minimis". On y est arrivé par la force des choses, à cause d'un projet de loi qui ne l'évitait pas. On tente aujourd'hui désespérément à Washington de faire un projet qui se tient. On a évidemment affaire à toute espèce de gens qui se lèvent de part et d'autre. On fait un compromis. Ce n'est pas le meilleur des compromis, surtout dans le "qui tam". On va dire au gars: On va te donner 20% si tu réussis à faire condamner telle compagnie. A part cela, ne nous en faisons pas, ce n'est pas aux petites qu'ils vont s'attaquer, c'est aux multinationales, qui ont le moyen de payer. Imaginez la compagnie qui se fait poursuivre un jour, dans le contexte actuel, par quelqu'un qui dit: Moi, je suis représentant. J'ai acheté un pot de café et je m'aperçois qu'on a évité d'en mettre une once. Par les temps qui courent, cela vaut $0.50 ou je ne sais trop quoi. Il dit à la cour; Nous sommes dans le Québec à peu près trois millions. Il est certain que personne ne va venir chercher sa tasse de café. Il n'y a aucun doute possible là-dessus. Que fait la compagnie en défense? Elle porte à son bilan une poursuite en dommages de quelques millions de dollars, en attendant tranquillement qu'un jugement intervienne pour qu'ensuite, personne ne se présente pour réclamer et que ça retourne dans les coffres de l'Etat. On dit, nous, que c'est odieux, ce genre de choses. Le mot est peut-être un peu fort, mais c'est le raisonnement. (11 h 15)

Je ne veux pas continuer là-dessus, mais je pense que je ne vous convaincrai pas aujourd'hui.

M. Marois: Non, je veux être certain de bien saisir, c'est important qu'on comprenne bien.

M. Casgrain: Je parlais à mes confrères américains...

M. Marois: Si vous permettez, juste une remarque et, après, je m'arrête. Je pense que vous convenez avec moi que notre droit distingue, fait une distinction importante entre ce qu'on appelle le compensatoire et le pénal, deux choses bien différentes. L'amende ne vise pas le compensatoire, ça vise le pénal. Les deux coexistent présentement dans notre système juridique. Je pense bien que vous allez convenir avec moi qu'on ne peut pas exclure le compensatoire sur le simple motif de l'existence du pénal, d'une amende. Sinon, si on excluait le droit du citoyen à obtenir compensation par des sommes d'argent qui lui auront été indûment arrachées, parce qu'il y a amende d'autre part, alors que les deux cohabitent et coexistent pour des fins bien particulières dans l'économie générale de notre droit, c'est reconnaître la non-application du principe de l'enrichissement sans cause.

M. Casgrain: Je peux seulement vous répondre en faisant appel à une expérience séculaire, qui n'est évidemment pas la mienne, mais c'est celle de nos ancêtres les Romains, au point de vue du droit civil, et ce sont bien eux qui ont dit, à I époque, dans un pays où on peut quand même se permettre pas mal de luxe, d'après ce que j'en sais, on a dit: "De minimis non curat praetor". Pourquoi? Ce n'est pas parce qu'on ne voulait pas compenser les gens, c'est parce qu'on voulait que les tribunaux puissent fonctionner pour compenser vraiment ceux qui devaient l'être et qui voulaient l'être.

J'arrête là-dessus, je n'ai pas l'impression que j'ai fait beaucoup de chemin. Enfin, c'est toujours ça de pris. Avant que je quitte, je voudrais dire un mot; vous parliez tout à l'heure de l'application qui serait faite devant le juge de la requête. Lorsque vous la considérerez, M. le ministre, je vous souligne ceci. Vous excluez, dans votre projet de loi — enfin, le gouvernement exclut, je ne veux pas vous mettre coupable de tout ça — dans le projet de loi, l'article 172 du Code de procédure qui est l'ancienne inscription en droit ou, si vous voulez, la requête en irrecevabilité. Cela procédait de l'es-

prit de la loi. Vous retrouvez ça vers la fin, où on exclut certains articles.

L'article 172 est celui de l'irrecevabilité et je pense que, dans un contexte comme celui-ci, où vous aurez quand même 10, 15, 20, 100 ou même 200 demandeurs, il serait important, je crois, de permettre à la cour de trancher, dès la requête, la question de droit que couvre l'article 172, à savoir si l'action, quels que soient les allégués, est suffisante pour permettre d'en arriver à la conclusion de droit qu'on recherche.

Je sais bien qu'aujourd'hui, de moins en moins, nos cours acceptent de débouter le demandeur, au départ, par inscription en droit, en disant: Faisons l'enquête, on réglera au niveau du jugement. J'en parlais à un de mes confrères, justement ce matin, et nous convenions ensemble que, dans un contexte où vous avez précisément la possibilité de très longs procès, il serait peut-être bon de retenir cette notion, de façon à éviter justement la continuité qui pourrait nuire à la bonne marche.

M. Marois: Article 65.4, je pense.

M. Casgrain: J'appelais ça l'inscription, mais il paraît que ça ne se dit plus comme ça; on dit l'irrecevabilité maintenant.

Le Président (M. Marcoux): II y a d'autres questions que le ministre a touchées...

M. Dufour: Je pense qu'on a touché à trois. Il y a quand même celle des dommages corporels sur laquelle vous avez insisté. Je pense que ça vous préoccupe beaucoup. On a regardé, non pas la situation purement actuelle, mais aussi certaines projections de la situation. Ce qui nous a préoccupés ici, ce sont les maladies professionnelles.

Vous avez actuellement la loi 52, par exemple, qui prévoit les cas d'amiantose et de silicose. On nous dit constamment, au niveau de la Commission des accidents du travail, que le nom des maladies qui seront identifiées dans cinq ans, au niveau professionnel, n'est même pas connu. Donc, on ne sait pas dans quoi on s'embarque à ce moment-ci. Ce que l'on sait d'expérience, en tout cas au niveau des maladies professionnelles, c'est que, dans chaque cas, on peut vraiment justifier des compensations assez élevées, au point où c'est suffisant pour justifier un recours individuel.

Même si c'était en groupe, à ce moment-là, il faudrait des expertises médicales, il faudrait des évaluations ad hoc qui feraient que, finalement, on en viendrait presque sur une base individuelle.

Ce dossier, Me Hesler a eu l'occasion de le traiter et je pense que je vais lui donner l'occasion de s'exprimer davantage sur cette question.

M. Hesler: M. le Président, M. le ministre, j'ai été particulièrement frappé par votre référence à un certain produit pharmaceutique et j'en viens à la conclusion que nous avons, tous les deux, partagé la même expérience dans nos pratiques de droit.

Il y a eu un gros problème dans ce cas-là, qui n'est pas, par contre, un problème de droit procédural. C'est un problème de droit substantif; c'est la prescription. Ce qui a frappé mes confrères américains dans ce contexte, c'était, premièrement, le délai si court accordé dans l'article 2262, un délai d'un an pour poursuivre, et ensuite, la rigidité de cette règle.

Dans les autres juridictions, il existe une flexibilité qui permet au tribunal de rendre justice dans les cas que nous avons vus dans la référence citée par M. le ministre. Je pense que ce que cela nous prend, c'est un amendement aux règles de prescription qui sont dans le Code civil pour régler un problème de droit substantif plutôt que des amendements de nature procédurale, parce que ce n'est pas un problème de procédure. C'est un problème de droit substantif de prescription.

M. Marois: Je ne veux pas rouvrir ce dossier. Il y avait effectivement ce que vous mentionnez, mais il y avait aussi d'autres dimentions; l'hypothèse ou le problème de prescription qu'on prétendait insurmontable, de toute façon, a été surmonté en cours de route. Je ne veux pas revenir là-dessus.

Quant aux cas de maladies professionnelles, je me demande si votre inquiétude est fondée, dans la mesure où il n'y a pas de recours en Cour supérieure. Dans l'hypothèse où un tribunal dirait: Oui, effectivement, je pense que telle entreprise pourrait être tenue responsable de telle maladie professionnelle, il n'a pas juridiction. La Loi des accidents du travail prévoit que c'est la CAT qui a juridiction dans ces cas-là.

En ce sens-là, le problème se pose dans des termes différents chez nous, au Québec, dans l'état actuel de notre droit, par rapport aux situations aux Etats-Unis. Dans cette hypothèse, le tribunal retournerait le dossier à la Commission des accidents du travail. Ne pensez-vous pas?

M. Hesler: M. le ministre, je pense que dans les cas de maladies industrielles, maladies causées par la pollution, etc., c'est le genre de dossier où les questions individuelles l'emportent sur les questions communes. La majeure partie de l'enquête concerne la condition individuelle de chaque demandeur. C'est-à-dire que dans le cadre du recours collectif, c'est le deuxième stade, le recours individuel, qui va être le plus long.

Je ne vois pas, dans le mécanisme du recours collectif, des avantages de nature procédurale dans les cas de maladies ou de blessures corporelles. Le seul avantage que j'y vois, c'est au niveau de la prescription qui, comme je viens de le dire, est un problème de droit substantif qui devrait se régler par des amendements au Code civil.

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Mont-Royal, qui a attendu patiemment depuis le début.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président.

M. Marois: Je m'excuse d'avoir abusé du temps de mes collègues.

M. Ciaccia: Je veux remercier nos invités pour leur mémoire qui est très bien fait et qui nous apporte des points de vue que, définitivement, les membres de cette commission, et ceux de ce côté-ci de la table vont regarder, étudier et prendre en considération lorsque l'étude du projet de loi va se faire en deuxième lecture.

Vous connaissez sans doute le rôle d'une commission parlementaire. Inutile de vous le rappeler. Quelquefois, on a l'impression qu'on a un dialogue de sourds. Mon expérience, depuis un an et demi, dans les commissions parlementaires, est très pénible. Je vais donner le bénéfice du doute au ministre aujourd'hui. Les invités viennent, font leurs représentations bien étudiées avec des points de vue très valables, mais le gouvernement a déjà décidé ce qu'il va faire. J'espère que ce ne sera pas notre expérience aujourd'hui.

M. Marois: Ouf!

M. Ciaccia: Non, c'est pour cela que j'ai dit que je vais donner le bénéfice du doute à ce ministre-ci.

M. Marois: D'accord, je vais m'en tenir au bénéfice du doute.

Le Président (M. Marcoux): La parole est au député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Non, on va voir dans les prochaines étapes du projet de loi ce qui aura été retenu.

M. Lalonde: Cela allait si bien.

M. Ciaccia: Cela allait trop bien hier.

Une Voix: ... bien aussi.

M. Vaillancourt (Jonquière): Prenez donc votre place, M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Marois: Cela continue à bien aller ce matin.

M. Ciaccia: Les arguments, le point de vue que vous nous donnez et le point de vue du ministre sont basés naturellement sur deux philosophies différentes. Le projet de loi reflète la philosophie de notre société telle que perçue par notre gouvernement. Je crois qu'il va falloir, tôt ou tard, et préférablement tôt, écarter certains mythes qui existent dans notre société.

Je sais que vous avez toujours été traités comme le vilain de la pièce. Nous sommes assujettis à un phénomène, depuis un an et demi: ce n'est pas ce que l'invité dit qui compte, mais qui est l'invité. C'est cela qui va influencer le gouvernement dans ce qu'il va faire. Ce n'est pas la substance de vos arguments, mais c'est l'historique, la classe de votre représentativité. C'est pénible d'agir de cette façon.

Il y a deux mythes pour lesquels il va falloir que nous prenions, "come to grips"... Il va falloir traiter de ces deux mythes. Le premier mythe, c'est que...

M. Vaillancourt (Jonquière): Le député de Mont-Royal me permettrait-il une question?

M. Ciaccia: Non, après que j'aurai terminé, s'il vous plaît! Le premier mythe, c'est que la classe patronale, ce sont tous des "pas bons", c'est le mythe no 1. Si on croit cela, naturellement, toutes nos lois seront rédigées en conséquence.

Le deuxième mythe, c'est que tous les mouvements populaires sont bons. Si on pense cela, naturellement, on ne mettra pas de restriction du tout, dans aucune des lois que nous allons proposer à cette Assemblée. Mais si nous examinons d'autres pays, d'autres époques, nous voyons vraiment combien sont ridicules ces deux mythes.

Il y a des abus, sans aucun doute, de la part de la classe patronale. Il y en a eu dans ce pays, dans d'autres pays et à d'autres époques. Mais prétendre qu'il ne peut y avoir d'abus dans les mouvements populaires, je pense que c'est se fermer les yeux à l'histoire non seulement de ce pays, mais d'autres pays. On est d'accord de ce côté-ci de la table avec le projet de loi 39 qui donnera le droit à une "class action". Cela rétablit l'équilibre.

J'interprète quelques-uns de vos propos et de vos recommandations comme voulant vraiment maintenir cet équilibre et imposer certaines restrictions pour ne pas qu'il y ait d'abus dans les soi-disant mouvements populaires. Quand vous parlez du fonds public, des compensations collectives et des montants retenus par le fonds, sans restriction, le ministre donne certaines explications. Il dit bien qu'il faut retenir certains montants, le reliquat, pour que le fonds ait d'autres montants et approvisionne d'autres demandeurs, mais ce n'est pas ce que la loi dit.

Trop souvent, ici, j'ai entendu des explications qui n'étaient pas conformes au projet de loi. Le projet de loi n'impose pas cette restriction, c'est-à-dire que le fonds public ne retiendra que les montants nécessaires pour se tenir à un certain niveau et ainsi permettre d'autres compensations. Il est totalement ouvert. Il n'y a pas de restrictions quant à ceux qui peuvent avoir recours au fonds public.

Il peut y avoir des abus. C'est le rôle du gouvernement de prévenir certains abus, mais c'est aussi le rôle des autres. Parfois cela me répugne un peu de parler de classes, "class action", et de catégories de personnes. C'est pour cela qu'on revient au droit individuel. C'est cela l'important. Si les droits qui sont dans le projet de loi 39 sont une extension des droits individuels, personne ne sera lésé. Mais au moment où on perd de vue les droits individuels de chaque citoyen, que ce soit vous un individu moins avantagé, à ce moment-là, on ouvre la porte aux abus. (11 h 30)

C'est cela la différence que je vois dans vos commentaires et dans certains aspects du projet de loi. Il ne faut pas mal interpréter ce que je dis, je suis pour que les citoyens aient le "class action", mais l'introduire, comme plusieurs autres projets de loi ont été introduits ici, d'une façon improvisée, d'une façon ouverte, sans restriction. Qui aidons-nous? On n'aide pas la société, parce qu'il y a différents moyens de détruire l'entreprise privée. Mes commentaires sont basés sur le fait que l'entreprise privée est en Amérique du Nord la base de notre niveau de vie. Des restrictions, des règlements sont nécessaires. Le gouvernement doit y voir, mais pas par la destruction de l'entreprise privée. Il y a différentes manières, et pas seulement la nationalisation. Cela peut être par des déclarations d'un premier ministre, des déclarations d'autres ministres, par l'introduction de projets de lois qui rongent, qui enlèvent des droits aux individus de ces entreprises privées et qui découragent un citoyen de bâtir une entreprise, qui lui enlèvent l'initiative, l'incitation, parce que l'Etat va tout faire pour lui. Je vois un peu cette philosophie dans ce projet de loi. Je vois la radicalisation possible de notre société en ne mettant pas de restriction, en ne disant pas: Oui, vous allez être protégés, vous allez avoir le droit de prendre une action au nom des autres citoyens contre une entreprise qui a abusé de ses droits, mais pas d'une façon où cette "class action" peut être manipulée, peut avoir des pressions politiques, peut obtenir des fonds du gouvernement, sans restriction. C'est totalement déséquilibrer les forces qui permettent à notre société de nous donner les valeurs, de nous donner le niveau de vie que nous avons. Les commentaires que vous faites, qui servent à ramener cet équilibre, je pense que nous allons vraiment les prendre en considération et que nous allons les porter à l'attention du gouvernement en temps et lieu, à l'étude de la loi article par article, en deuxième lecture.

Quand le ministre dit que le projet de loi ne change pas le droit substantif, je voudrais avoir votre commentaire. Il me semble qu'en instituant un fonds public sans restriction, en donnant le droit aux tribunaux de retenir des montants sans les donner aux individus, aux citoyens, le fait même d'introduire cette action, c'est à mon point de vue du droit substantif. C'est difficile de faire la distinction entre le droit procédurier et le droit substantif. Le fait que je dois aller en cour, c'est déjà un droit substantif. Je peux intenter ou non comme dans l'exemple que vous avez donné, une action de $3 millions. Il n'y a rien dans ce projet de loi qui peut tempérer cet abus, parce que, dans notre société, nous avons des esprits malades de tous les côtés. Le rôle du gouvernement, c'est de ne pas ouvrir la porte, que les esprits malades viennent contrôler la société au détriment des autres. C'est cette optique que le gouvernement perd parfois. On peut rire, on peut traiter cela à la légère, on peut ne pas le prendre au sérieux. Quand on est ici, à Québec, dans cette Chambre, à l'Assemblée nationale, parfois, on perd le sens de la réalité. Il faut aller parmi la population, parler aux gens, voir leurs préoccupations et voir vraiment ce qui les inquiète. Une approche de ce genre, à mon point de vue, est inquiétante. Je voudrais avoir vos commentaires sur la question du droit substantif.

L'autre point que le ministre a soulevé, qu'il ne doit pas y avoir enrichissement sans cause, c'est une doctrine, c'est un droit de notre Code civil. Je crois que personne ne va le mettre en doute, ne va vouloir changer ce droit. Je voudrais avoir votre commentaire aussi sur la façon dont le ministre a introduit la question d'enrichissement sans cause, qu'il divise. L'enrichissement sans cause, c'est que si j'ai posé un acte envers vous ou envers un tiers, par lequel je me suis enrichi, je dois remettre cette somme pas la remettre dans un vacuum ou la remettre à l'Etat, mais la remettre à l'individu qui a été lésé ou aux individus. Alors, l'enrichissement sans cause, selon l'exemple du ministre, je crois que si on le divise et si on dit: Les compagnies ne doivent pas ou le défendeur ne doit pas s'enrichir, et s'il y a remise à l'Etat, ce n'est pas le principe d'enrichissement sans cause. C'est le principe pénal, qui ne devrait pas avoir de place dans un projet de loi de "class action". Les questions pénales, l'Etat devrait s'en occuper non pas les confier aux individus, parce que là, on établit un Etat policier. Si on le donne à un petit groupe, vous allez vous occuper de l'aspect pénal vis-à-vis d'un tel, on ouvre des forces dans notre société qui vont peut-être difficiles à contrôler, et on l'a vu dans d'autres endroits.

Je voudrais aussi avoir votre commentaire sur la question du droit punitif. C'est vrai que, dans notre droit, il n'existe pas le droit punitif dans notre Code civil, les actions en dommages que nous prenons. L'argument du ministre, s'il n'existe pas, c'est qu'on n'ajoute pas de droit substantif. Alors, il n'est pas question d'ajouter un droit punitif, mais n'est-ce pas une étape vers l'introduction du droit punitif quand nous donnons le droit aux tribunaux de retenir un montant et de ne pas le remettre aux individus? N'est-ce pas le commencement du droit punitif? La première étape.

La deuxième étape. Après qu'on a introduit cette notion, après qu'on a les fonds, à l'Etat, et la notion de prendre les fonds des individus et de ne pas les remettre à d'autres individus, une fois que cette notion est introduite, la deuxième étape est très facile et elle consiste à introduire dans la législation, substantiellement, le droit punitif.

Je voudrais aussi avoir vos commentaires sur cet aspect du projet de loi.

Le Président (M. Marcoux): M. Dufour.

M. Dufour: Disons qu'on retient les deux questions, celles du droit substantif et d'enrichissement sans cause. Je vais demander à Me Gaudet de parler du droit substantif, mais je voudrais quand même faire un commentaire sur la vision que vous avez eue de notre mémoire sur cette nécessité de maintenir l'équilibre.

Je pense qu'une vision juste... A un certain moment, on dit qu'effectivement, le projet de loi nous apparaît à sens unique, on le démontrait notamment dans l'utilisation du fonds. Le ministre, tantôt, nous a indiqué une orientation nouvelle,

tout au moins au niveau du défendeur. Ce que je voudrais mentionner ici, au niveau de l'équilibre, c'est que, souvent, on pense recours collectif en termes de lutte de classe; les méchants, les bons, par définition, on sait ce que cela veut dire. Mais il y a tout le problème aussi des multinationales contre les PME parce qu'on sait, par l'expérience américaine, que bon nombre de grandes entreprises utilisent le recours collectif contre des PME. Cela peut être drôlement utilisé pour aller chercher un marché. On ne le voit pas purement, nous, en termes de classe, mais on le voit aussi à l'intérieur du monde patronal: grandes entreprises contre petites entreprises.

Deuxième phénomène aussi, à cause de l'ouverture très large du recours collectif qui sera possible au Québec — on l'a mentionné, mais très rapidement tantôt — le gouvernement ne s'est pas exclu de sa législation. Ce qui veut dire qu'en termes de possibilité éventuelle on pourra avoir des recours collectifs concernant les services non dispensés dans les hôpitaux, la poste — évidemment, c'est fédéral— l'électricité, etc. Donc, cette nécessité d'équilibre, il faut la voir dans une dimension tout à fait autre que cette pure référence à l'once qu'il manque dans le pot de café ou les deux onces dans la boîte de "corn flakes" Kellogg's. Il y a tous ces groupes qui, éventuellement, seront mis en cause dans l'utilisation du recours collectif et on a cette division globale dans notre mémoire, M. le ministre.

Sur la question du droit substantif, Me Gau-det.

Mme Gaudet (Bérengère): Je voudrais répondre à la première question de M. le député Ciaccia quand il parle du droit substantif et de la modification qui est apportée dans le projet de loi. Je pense que M. le ministre a raison à ce sujet. Personnellement, je crois que le projet de loi ne modifie pas le droit substantif; par contre, il apporte des amendements considérables au point de vue de la procédure, en particulier sur la discrétion très large qui est accordée aux juges. Mais je pense que c'est passer à côté de la question que de...

M. Marois: M. le député admettra qu'il y a au moins des points sur lesquels on est en accord. Le climat est bon.

M. Ciaccia: Sûrement, c'est pour cela que je vous accorde le bénéfice du doute, pour voir les changements que vous allez apporter au projet de loi.

M. Marois: C'est pour cela que vous m'aviez donné un bénéfice du doute qui va...

M. Ciaccia: Sûrement.

Le Président (M. Marcoux): Un instant, à l'ordre! La parole est à madame.

M. Marois: C'est la journée de la femme; on ne devrait pas interrompre madame.

Mme Gaudet: Je crois que mes confrères, les avocats qui sont ici, seraient d'accord à ce sujet, mais je leur laisserai la parole sur un autre point tantôt.

Je crois que c'est passer à côté de la question que de formuler la question de cette façon parce que, ce qui est important dans les aspects fondamentaux du projet de loi et ce qui nous fatigue, nous, je pense bien, c'est ce que vous avez soulevé tantôt, c'est-à-dire que les gens qui doivent être indemnisés ne seront pas correctement indemnisés. La compensation ne va pas à ceux qui la réclament, à ceux qui en ont besoin. C'est là, je pense, qu'est notre position fondamentale au recours pour des montants trop petits. Peut-être que, en transférant la discussion sur le pénal par rapport au civil, on se trouve à fausser un petit peu le problème réel. Je ne veux pas m'embarquer là-dedans, en tout cas, parce que je ne plaide ni au criminel ni au civil, mais je pense que cela fausse la notion véritable.

Me Cantin a mentionné tantôt, en passant — il y a seulement fait allusion — le fait qu'aux Etats-Unis l'expérience a démontré que, quand les montants réclamés sont très petits les gens ne vont pas les réclamer. Là-dessus, nous avons des statistiques. Elles ne sont pas mentionnées dans le mémoire, mais des documents que nous avons des Etats-Unis prouve que, dans un grand nombre de causes où il y a eu des montants considérables qui ont été accordés par le jugement, les avis étaient envoyés au demandeur et, dans certains cas, il y avait à peu près 10% des gens qui allaient les réclamer.

L'avis disait: II y a eu un jugement qui a été prononcé tel jour, il y a là un fonds de $20 millions pour compenser ceux qui y ont droit. Vous êtes parmi ces personnes, voici ce que vous avez à faire. Il y avait 10 000 personnes sur 100 000 qui allaient réclamer. Les commentateurs qui essaient d'interpréter cela disent que, dans la majorité des cas, lorsque l'intérêt en jeu est trop petit, les gens ne s'en préoccupent pas. Bien souvent, ils ne savent même pas qu'il y a eu un recours collectif et l'enjeu n'en vaut finalement pas la chandelle.

Il n'y a pas seulement cet aspect, il y a aussi le fait que les procédures sont trop longues. Je pense que c'est un aspect que l'on n'a pas souligné tantôt mais il y a des recours collectifs qui impliquent un nombre considérable de demandeurs; vous avez eu aux Etats-Unis, impliquant des millions de personnes, par exemple. Cela rend l'action très lourde et il y en a qui traînent en cour pendant des années. Ce n'est pas rare que ce soit cinq ans, six ans et il y a une cause, actuellement, qui est en cour depuis huit ans et qui n'est pas terminée.

On ne peut pas voir quel peut être l'intérêt de quelqu'un qui réclame, ne serait-ce que cinq ou dix dollars, il a attendu cinq ans pour avoir ses $5, c'est cela l'injustice fondamentale de la chose.

Je suis d'accord avec vous, M. le ministre, quand vous dites, que, quand une injustice existe, elle ne tient pas au fait que le montant est petit, que la personne ne va pas obtenir justice, c'est tout à fait légitime, c'est sûr que ce n'est pas parce

que ce n'est que $5 qui ont été volés que ce n'est pas un vol ou que ce n'est pas de la fraude, mais il faut qu'il s'agisse vraiment de compensation. C'est ce que nous voulions dire en affirmant que le recours collectif ne devrait pas être possible quand la réclamation est de nature telle que le demandeur pourrait exercer un autre recours avec les mêmes avantages. A ce point de vue, il existe la Cour des petites créances. Si on s'en tient à cet aspect seulement, il est bien sûr que c'est une justice beaucoup plus rapide et plus satisfaisante pour l'individu, parce qu'il peut être compensé presque immédiatement, sauf qu'il a évidemment à se déplacer et qu'il faut qu'il fasse un effort tandis que, dans le recours collectif, il reste chez lui et n'a rien à faire.

J'aimerais donc qu'on discute un peu plus ces points ou bien qu'on passe à autre chose.

M. Dufour: Dans la question de l'enrichissement sans cause, on en a parlé un peu tantôt, en disant que c'était l'Etat qui en faisait. Je vais demander à Me Casgrain de vous répondre là-dessus et peut-être, en même temps, parler de la question que vous avez soulevée, M. le ministre, de l'apparence de droit.

M. Casgrain: Sur l'apparence de droit, si vous me le permettez au départ, nous étions heureux de voir que vous disiez envisager la possibilité de modifier la requête à cet égard. Je pourrais peut-être, si vous le permettez, vous donner le fruit de nos réflexions, à cet égard, en nous mettant dans la peau de celui qui est en défense, par exemple. Je sais qu'il a été question à un moment donné — je pense que vous en parliez vous-même, dans une conférence de presse, du fait qu'on pouvait toujours interroger le réclamant sur son affidavit.

On dit, je ne sais pas trop pourquoi, aujourd'hui, l"'affiant" sur son affidavit. Cela me paraît un anglicisme absolument horrible, mais, enfin! je veux vous dire que, lorsque vous interrogez l'affiant" sur son affidavit, c'est que vous tentez de savoir s'il a dit la vérité ou non dans l'affidavit. Si vous prenez le texte que vous avez dans la loi, il lui suffira de dire, par exemple: "J'ai acheté une voiture et à ma connaissance — et là ce n'est même pas sa connaissance personnelle — je suis croyablement informé que 10 000 autres ont acheté une voiture dont les ailes pourrissent". Tout ce que vous pouvez faire, en examen sur l'affidavit, c'est de lui demander si c'est vrai. Il est certain qu'il va répondre que c'est vrai et vous n'aurez fait aucun chemin avec cela. Effectivement, l'interrogatoire sur l'affidavit est valable au niveau de l'injonction, par exemple, où l'affidavit doit étayer chacun des paragraphes de l'injonction et là vous avez la chance, dans l'interrogatoire, de faire contredire le témoin et de faire mettre de côté son affidavit. Il est valide aussi au niveau de la saisie consommatoire où on dit bien qu'il doit, dans son affidavit, alléguer tous les faits de nature à justifier son droit et là, on peut aussi, à ce niveau, le faire. Mais, dans le contexte actuel tel que lu, je ne vois pas comment je pourrais, au niveau de l'affidavit, faire quoi que ce soit d'utile; et c'est pour cela que nous insistons en disant: Dire au juge tout simplement si vous êtes d'avis que les causes sont mixtes, communes ou reliées entre elles, à ce moment-là, il n'y avait pas de discrétion de la part du juge. Au contraire, il se faisait une espèce de "rubber stamp", mais un "rubber stamp ' qui a vraiment une attitude beaucoup trop grande, surtout si vous tenez compte du fait que vous avez trois expressions qui vont vraiment rattraper tout directement et indirectement, de toute façon. Nous insistons là-dessus, nous croyons que c'est extrêmement important et cela peut, au départ, régler un tas de problèmes qui se présenteraient au cours de l'audition. (11 h 45)

Pour ce qui est de l'enrichissement sans cause j'ajouterai simplement ceci, M. le ministre: je pense que le concept de l'enrichissement sans cause est vraiment un concept de droit civil qui origine du droit français qui est étudié longuement par les auteurs. Je vous rappelle qu'il reste quand même ceci dans le Code civil: Nous avons un système contraire aussi bien au niveau du droit civil que du droit criminel, mais également au niveau du droit civil, et il y a un principe de droit qui dit que l'intérêt est la mesure des actions. Il y a aussi une autre règle de droit qu'il ne faut pas mettre de côté non plus, qu'on est tenté de mettre de côté, je crois, à une certaine époque, au niveau de la rédaction du Code civil, qui est celle du "caveat emptor".

Il arrive, à un moment donné, que si vous mettez totalement de côté toutes ces règles qui, quand même, nous viennent d'une expérience assez considérable avant nous, il faut faire attention d'éliminer totalement cette espèce de fardeau qui incombe au demandeur d'agir par lui-même. A partir du moment où l'Etat lui dit: Je vous invite à prendre une procédure, je vous évite tout déboursé quelconque, et je vous donne même une prime, si vous réussissez au point de vue publicité ou autrement, je pense qu'on fausse totalement tout l'équilibre du Code civil. Je reprends ici ce que disait le député de Mont-Royal: je ne veux pas faire de la politique, mais je pense sérieusement que ces choses-là, sans qu'on s'en rende compte, se trouvent éliminées. Vous avez donc toute une partie de votre Code de procédure qui n'émarge plus au Code civil. Vous n'avez plus cette règle du "caveat emptor". Vous n'avez plus: L'intérêt est la mesure des actions. Vous n'avez plus ce jeu, si vous voulez, mais ce mécanisme qui doit continuer d'exister, il me semble, au niveau du Code civil. Je pense, M. le ministre, que la Commission de réforme du Code civil a étudié très sérieusement à un moment donné cette règle du "caveat emptor" et a pensé à le faire disparaître au niveau de la garantie, au niveau du délit de poursuite et ainsi de suite. Elle n'en est pas arrivée à une conclusion très spécifique jusqu'à maintenant et je pense que cela reste à étudier avec soin avant d'éliminer totalement la règle. Je sais bien qu'au point de vue philosophique on ne peut pas dire: Les petits

n'auront pas de réclamation. Si on dit cela, il n'y a pas de réponse possible; mais, dans ce contexte, je pense que c'est l'introduction d'un changement total à des principes de droit qui nous sont chers.

M. Dufour: Si vous le permettez, M. le Président, sur cette question, en référence à l'article 1036, Me Guérette aimerait faire un commentaire.

M. Guérette (Serge): Mon collègue, Me Gau-det, a fait allusion au fait que le projet de loi ne changeait pas le droit substantif. Je ne voudrais pas débattre avec elle une simple question de vocabulaire. Je crois que l'article 1036 en soi constitue une véritable révolution dans le domaine de notre droit civil, puisque là on arrive avec un reliquat, reliquat auquel le CPQ s'oppose en soi, parce que si le reliquat n'est pas versé aux victimes, il va à des tiers; ce n'est plus une mesure compensatoire, parce que notre droit civil, tel qu'il existe présentement, est fondé sur les relations entre les personnes et non pas sur une compensation sociale ou autre chose dont le soin est laissé à l'Etat. L'article 1036 laisse d'abord au tribunal une grande discrétion quant à la disposition de ce reliquat. On lui attribue, ce faisant, un rôle de nature presque politique auquel les tribunaux américains sont peut-être habitués, mais que les tribunaux canadiens n'ont jamais exercé. Deuxièmement, en rapport toujours avec ce fameux reliquat, l'article 36 du projet semble permettre au gouvernement d'établir, de percevoir un pourcentage différent sur le reliquat pour les fins du fonds, du pourcentage qu'il percevrait des réclamations liquidées de chacun des défendeurs individuellement. A mon avis, la différence entre le pourcentage perçu sur le reliquat et le pourcentage perçu des défendeurs individuellement, s'il en est, est définitivement une mesure punitive, puisque, règle générale, on devrait établir le même montant de perception dans tous les cas. Si l'on veut respecter l'esprit de notre droit civil actuel, le reliquat devrait cesser d'exister, à supposer que l'on puisse évaluer précisément le montant de l'indemnité versable à chaque demandeur ou à chaque membre et c'est seulement dans la mesure où la chose est possible que vraiment on peut affirmer que la somme payable en vertu du recours collectif ne sera pas différente des sommes recouvrables par chaque membre individuellement, que l'on force, comme on le prévoit, le défendeur à déposer au greffe une somme globale, suffisante pour couvrir chaque réclamation individuelle; qu'on laisse un an aux membres, individuellement, pour faire part de leurs réclamations personnelles. Si, au bout de l'année, il reste un solde, ce solde devrait revenir au demandeur et non pas être versée à la discrétion du juge à des fins sociales ou autres, parce qu'à ce moment-là ce n'est plus la compensation des demandeurs que l'on effectue, mais une espèce de compensation de la société en général ou autrement. C'est un concept qui est complètement étranger à notre droit civil, tel qu'il existe actuellement.

Le Président (M. Marcoux): Je préférerais qu'on écoute d'abord le député de Nicolet-Yamaska. Le député de Nicolet-Yamaska.

M. Fontaine: Merci, M. le Président. Je voudrais, à l'instar de mes collègues qui m'ont précédé, remercier le CPQ pour l'excellence de ses remarques. Je veux également profiter de l'occasion pour exprimer ma satisfaction à l'endroit du ministre pour les points où il s'est dit ouvert à des modifications, entre autres, concernant les ordonnances de non-publication. Depuis hier on a touché ce point et on l'a repris ce matin. Je pense que c'est important pour les entreprises de pouvoir bénéficier de cette protection.

Il y a aussi la question de l'apparence de droit. Le ministre nous a dit être prêt à examiner cette question avant de pouvoir permettre que des représentants puissent obtenir de l'aide du fonds. Il y a également les frais au défendeur qu'on est prêt à examiner, l'aide au défendeur. Le ministre est prêt à envisager de pouvoir donner une aide au défendeur qui pourra en bénéficier. Je pense qu'il y a certaines entreprises, quand on parle des petites et moyennes entreprises, qui auront besoin de cette aide, surtout au point de vue technique. Alors, ce point est très important. Il y a également la question de l'appel en garantie qu'on a soulignée tout à l'heure.

En fait, votre mémoire a porté fruit, puisque ces remarques ont touché le gouvernement sur ces points. Il y a bien sûr la question importante dont nous discutons depuis tout à l'heure. Je veux y revenir un peu, pas pour prolonger le débat, mais pour apporter mes réflexions là-dessus.

Ce que le ministre et le gouvernement nous disent... ce qui est préconisé, c'est que l'amende et la compensation soient égales aux dommages réellement subis par l'ensemble des citoyens qui feront partie du groupe. On voit que dans la position du gouvernement, on préconise que la partie que vous appelez pénale et la véritable compensation versée aux gens qui vont faire la réclamation soient égales aux dommages réellement subis par l'ensemble des citoyens.

Par contre, vous du CPQ, dites que ce qui n'est pas versé en compensation aux victimes est véritablement une amende et devrait retourner à l'entreprise poursuivie ou au défendeur.

Je pense qu'il est important dans ce débat de bien situer le problème, parce qu'il s'agit d'un problème qui a deux aspects, l'aspect économique et l'aspect social.

Bien sûr, je ne veux pas dans cette intervention dire que le gouvernement, ou même le CPQ et les entreprises sont prêts à encourager les entreprises à frauder la population. Ce n'est pas le but de l'affaire. Il y a de véritables dommages qu'on réclame. Il y aura sûrement des poursuites où on pourra déterminer qu'il y a eu fraude et il y aura d'autres poursuites où on pourra déterminer que ce sont de véritables dommages. Par exemple, une compagnie distribue un appareil, supposons une balayeuse électrique. Il peut y avoir des défauts

dans cette balayeuse; à ce moment-là le citoyen subit un véritable dommage qui est évaluable.

Je pense être de votre avis: si les membres du groupe ne font pas la réclamation pour toucher leur indemnité, je serais d'avis que les montants qui ne seront pas touchés soient retournés à la compagnie, au défendeur. En fait, probablement que ces réclamations toucheront beaucoup plus les petites et moyennes entreprises.

A ce moment-là, je soutiens que le reliquat devrait être remis à l'entreprise poursuivie parce qu'il s'agit véritablement là d'un dommage, d'un lien de responsabilité entre l'entreprise poursuivie et le membre du groupe qui a poursuivi. Si le membre ne se donne pas la peine de réclamer son montant d'argent, je pense qu'il serait nécessaire qu'on puisse le rembourser. On s'aperçoit qu'il y a des conséquences économiques importantes. Si on se sert de ces réclamations pour mettre en faillite des entreprises... on sait qu'actuellement le nombre d'entreprises qui ferment leurs portes est assez grand au Québec. Il ne faudrait pas, par des mesures qu'on veut sociales, augmenter le nombre de fermetures d'usines et d'entreprises.

Il y aurait peut-être possibilité pour le gouvernement — je ne sais pas si c'est possible dans les faits de le réaliser — de départir la question de la fraude — il y aura des entreprises qui seront poursuivies pour fraude — de la question des dommages et intérêts pour d'autres cas.

Je soumets cette argumentation. Je ne sais pas si c'est réalisable dans les faits, je n'ai pas fait de recherche là-dessus, mais peut-être que le ministre pourra nous faire des commentaires à ce sujet-là.

Le Président (M. Marcoux): Avant d'entendre les commentaires du ministre, on va entendre les commentaires de nos invités.

M. Dufour: Juste un commentaire très bref. La démonstration que vient de faire M. Fontaine a comme but de ne pas avoir de reliquat. C'est la thèse que l'on soutient dans notre mémoire. Quant à différentes distinctions entre fraude et dommages, nous, on ne fait pas la distinction à l'intérieur de ce projet de loi. Ici, on dit: S'il y a des dommages, compensons sans reliquat.

Lorsqu'il y a fraude, il y a toute la législation générale qui doit s'appliquer, que ce soit la loi des poids et mesures ou la loi XYZ, si les amendes — parce qu'il faut souvent rappeler que le ministre dit qu'il faut vraiment décourager l'entreprise à reposer le même geste. A ce moment-là, au niveau des amendes, pour ceux qui sont dans le milieu de l'entreprise, on sait que c'est loin d'être incitatif. C'est évident que si les amendes étaient haussées dans certains cas, à ce moment-là, il n'y aurait pas de récidive.

Je vais changer complètement de sujet. Si je prends la loi du salaire minimum, par exemple, nous sommes les premiers, les employeurs, à dire qu'on donne une mauvaise image de la loi du salaire minimum, parce que les pénalités sont beaucoup trop basses. La journée où les pénalités seraient augmentées, il y aurait beaucoup moins de violation de la Loi du salaire minimum. C'est un exemple très concret qu'on vit au Québec, mais dans l'application, ici, si les amendes étaient plus élevées à l'intérieur d'autres lois, il y aurait découragement.

Mais sur le fond de la thèse qui est d'en arriver à ne pas avoir de reliquat, on est absolument d'accord.

M. Fontaine: En fait, ce que vous proposez, c'est qu'il n'y ait pas de reliquat dans aucun cas.

M. Dufour: Oui.

M. Fontaine: Mais moi, ce que je vous dis, c'est que dans le cas où il y aurait eu fraude, la loi pourrait dire que le reliquat constitue une amende et, à ce moment-là, le fonds s'en saisirait à ce titre. On dit que la population a été fraudée et une amende a été imposée. Le montant est égal à ce qui a été pris dans la population.

Par contre, lorsqu'il s'agit véritablement de dommages-intérêts, qu'il y a un reliquat et qu'il n'y a pas de réclamation pour aller chercher ce reliquat, je pense que le reliquat devrait être remis à l'entreprise, parce que le gouvernement n'y a pas droit. Il s'agit là d'un véritable enrichissement sans cause de la part du gouvernement.

C'est pour cela que je vous dis qu'il y aurait peut-être lieu de penser à faire une telle distinction entre les cas où il y a fraude et les cas de véritables dommages matériels.

M. Dufour: Dans le cas de dommages-intérêts, c'est très clair. Dans le cas de fraude, je vais demander à Me Casgrain...

M. Casgrain: Si vous le permettez, M. le ministre, il y a une chose que je voudrais vous souligner, qui me vient à l'idée. Ce matin, je la considérais. Une fois que vous aurez incorporé cette partie du projet de loi dans le Code de procédure, supposant un instant que si le montant est payé effectivement au fonds ou au gouvernement, il s'agit, sans faire de la sémantique, d'un montant qui va ailleurs qu'au demandeur. Vous aurez dans le Code de procédure les trois dispositions pénales suivantes: la sanction pour mépris de cour, les $500 pour l'usurpation des charges et le cas où les reliquats des actions des "de minimis" seront payés au fonds, constituant en cela une pénalité. (12 heures)

Si c'est ainsi, vous allez très vite avoir le problème suivant en cour: Depuis quelque temps, la jurisprudence a évolué au niveau justement du mépris de cour en disant: Les mépris de cour ne sont pas du droit criminel; mais parce qu'effectivement, ils font encourir une pénalité à l'individu, nous devons traiter ce problème avec ce qu'on appelle le "strictissimi juris", à telle enseigne que la preuve qu'on doit faire, lorsque, justement, selon nos tribunaux, on se dirige vers la pénalité contre un individu, doit être extrêmement rigide, ce qui entraîne toute espèce de problème, notamment le témoignage contre soi oui ou non, etc. La question est loin d'être réglée.

Ce que je veux vous dire, c'est qu'effectivement, si on veut être logique avec nous-mêmes, et avec l'esprit du Code de procédure, je pense qu'à partir du moment où vous introduisez quelque chose qui n'est pas du recours ordinaire, mais qui est une espèce de pénalité — appelez-la comme vous voulez — ou de paiement à un corps public quelconque ou d'une disposition de l'article 1036 qui serait une espèce de justice sociale, comme on le disait tout à l'heure, vous devrez nécessairement aussi tenir compte du fait — on arqumentera là-dessus éventuellement — que toute cette législation devrait être interprétée "strictissimi juris ", puisqu'elle entraîne éventuellement ce genre de pénalité. C'est un des problèmes auxquels vous avez à faire face,

Les juges vont finalement dire qu'avant de condamner la compagnie Y à payer une somme de S3 millions ou de $4 millions, au bénéfice d'un fonds qui n'est autre chose qu'un fonds social, donc administré par le gouvernement, dont le reliquat éventuellement ira au fonds consolidé, nous allons considérer la chose comme étant le même type de peine que celui que vous avez au niveau du mépris de cour. A cause de ceci, nous allons utiliser le "strictissimi juris". Là, vous aurez ce dont on se plaint aujourd'hui, à savoir l'abus de ce genre de procédure et autrement. C'est ce que nous croyons que vous devez surveiller avec attention, avant d'introduire ce concept.

Le Président (M. Marcoux): Avant de donner la parole au ministre, je voudrais demander aux membres de la commission s'ils seraient d'accord pour que nous terminions l'audition de ce mémoire dans cinq minutes, ensuite que nous entendions la présentation du mémoire suivant, jusqu'à 12 h 30, et que le dialogue avec les gens du mémoire suivant se fasse à la reprise, cet après-midi. Seriez-vous d'accord avec cette procédure?

M. Fontaine: Pour ma part, M. le Président, je n'ai que deux autres questions à poser.

M. Clair: Si on peut disposer d'un peu de temps pour les députés ministériels, M. le Président, pour poser quelques questions, on serait d'accord.

Le Président (M. Marcoux): Jusqu'à 12 h 10, à ce moment-là, pour être plus sûr. Les vingt minutes pour l'audition du mémoire seront pris avant le dîner.

M. Marois: Je veux simplement ajouter un commentaire général. J'ai pris bonne note de vos commentaires, on va regarder cela, comme pour tous les autres commentaires et remarques qui nous ont été faits, pour les examiner au mérite. Cela va aussi pour la question du député. On va la regarder. Il y a une question... Au fond, je vous la pose en me la posant aussi en même temps, parce que vous avez évoqué cette idée que le reliquat, c'est une partie de l'économie générale de la loi; si le texte n'est pas fidèle à cette économie générale, il y a toujours moyen de baliser et de serrer les choses. Cela relève du domaine des modalités qui, parfois, sont drôlement importantes. Cela a beau être des modalités, ce ne sont pas nécessairement des détails.

Quand on dit que c'est complètement nouveau, je ne crois pas que ce soit exact. Il y a l'article 40 en droit civil qui touche toute la question des biens en déshérence. Vous savez que, dans ces cas-là... Cela date... Je pense que, quand j'ai commencé à étudier le Code civil, cela y était déjà. Je veux dire que ce n'est pas quelque chose de nouveau. Pardon, c'est 400?

Une Voix: 401.

M. Marois: 401. Ce n'est pas quelque chose de neuf, ce n'est pas quelque chose de nouveau. Dans ce cas-là, dans le cas des biens en déshérence, précisément, forme de reliquat, analogiquement, je dis bien, parce que c'est purement une analogie, notre droit civil considère — là, ce n'est même pas ce que prévoit le projet de loi 39 — que c'est du domaine privé de l'Etat comme tel, alors que ce qu'on introduit et qui est inhérent aussi à l'opting out", qui est dans la logique et dans la foulée de I'"opting out", c'est cette possibilité qu'il y ait un reliquat, que le reliquat soit, comme le dit l'article 1036, sur représentation des parties, forcément, toujours. Le juge détermine de quelle façon, en tenant compte notamment de l'intérêt des membres, le reliquat sera utilisé, affecté, etc. On a donné le cas de certaines causes américaines. Je ne crois pas que ce soit complètement nouveau, mais, évidemment, il y a des choses à ajuster, en tenant compte de l'économie générale de notre Code de procédure civile et aussi de la réalité sociale et économique du Québec.

En terminant, pour laisser la chance à mes collègues de poser des questions, de faire des commentaires, je voudrais vous dire à nouveau, comme l'a rappelé le député, quels que soient les commentaires qui aient pu être faits, que, quant aux modalités du projet de loi, notre intention est vraiment d'être le plus attentif possible à tous les commentaires qui nous ont été faits, à toutes les remarques, et de les examiner attentivement. J'ai déjà indiqué d'ailleurs des pistes où, spontanément, sans m'engager davantage, parce que je voudrais que les juristes l'examinent avant... Il y a déjà des points de repère que j'ai indiqués à partir de vos propres remarques et suggestions où on est spontanément porté à regarder cela de très près, sans compter le reste. Ce sera examiné au mérite, l'objectif étant uniquement celui-ci, en l'introduisant dans notre droit: s'assurer que ce soit une procédure qui ne soit pas une chaloupe qui verse en partant, pas du tout, dans la perspective de quelque chose qui relève de l'économie générale de la procédure civile, ou bien je ne sais plus de quoi on parle, qui doive faciliter normalement l'exercice de la justice au sens strict de ce mot.

Là-dessus je tiens à vous remercier de votre mémoire et de vos commentaires.

M. Fontaine: Je voudrais laisser la chance à mes collègues du gouvernement de parler de

temps en temps. Alors, je vais leur céder mon droit de parole immédiatement. J'aurais eu quelques autres questions, mais peut-être en toucheront-ils. Cela va régler le problème.

Le Président (M. Marcoux): Le député de Drummond.

M. Clair: Merci, M. le Président. Respectueux de notre règlement, je ne prendrai pas le temps de la commission pour faire une mini-conférence de presse, comme l'a fait notre collègue de Mont-Royal. J'irai immédiatement avec trois questions précises sur des points bien précis.

Premièrement, à la page 4 du résumé du mémoire, on parle de la possibilité d'introduire la notion de bonne foi au niveau de la présentation de la requête. J'aimerais savoir, du Conseil du patronat et des avocats qui l'accompagnent, comment ils voient l'introduction de cette notion, de cette preuve de bonne foi au niveau de cette requête, tenant compte de l'esprit général de notre Code civil qui présume la bonne foi et qui prévoit la possibilité, advenant un recours futile ou vexa-toire, d'une action en dommages et intérêts par la suite, à supposer qu'on soit en mesure d'en faire la preuve.

Une deuxième question assez précise concerne les avis individuels qui sont prévus à la page 6 du résumé du mémoire. On y lit, en effet: "Le juge devra enfin exiger du représentant qu'il envoie un avis qui soit le meilleur et le plus précis possible à tous les membres de la classe, ce qui implique la nécessité d'avis individuels chaque fois que c'est possible."

Encore là, j'aimerais savoir, premièrement, comment on voit la répartition du coût de ces avis individuels. Est-ce qu'il est vraiment pensable, advenant le cas d'un recours collectif important, de mettre à la charge du fonds, ou du défendeur, ou du demandeur les frais d'un avis individuel qui devrait être signifié par huissier ou autrement quelque part en Abitibi ou à Sept-lles, etc.? J'aimerais vous entendre là-dessus, parce que d'autres intervenants ont soulevé cela hier. Cela m'apparaît difficilement applicable.

Un troisième point, il s'agit du cautionnement pour frais dont il est question à la page 7. On y dit, en effet: "Dans ce contexte, il serait normal que le représentant et les membres du groupe qui seront identifiés puissent être obligés de déposer un cautionnement suffisant pour couvrir le montant des frais encourus."

Encore là, dans la logique de notre Code de procédure civile, de mémoire, le cautionnement pour frais est exigé des étrangers qui veulent venir intenter une action au Québec. D'autre part, il me semble que, comme tel, il y aurait un déséquilibre face aux gens qui opteraient "out", et qui pourraient, eux, intenter leur recours individuel sans avoir à déposer ce cautionnement pour frais.

Alors, dans la logique, encore une fois, du Code de procédure civile et du Code civil du Québec, je me demande comment on pourrait introduire véritablement un cautionnement pour frais. En définitive, si ce cautionnement pour frais devait être fourni par le représentant sans l'aide du fonds, à ce moment, il me semble que cela viendrait éliminer complètement la possibilité pour un représentant, qui ne ferait pas partie d'un groupe, de pouvoir effectivement déposer ce cautionnement pour frais.

M. le Président, j'ai deux autres questions plus générales, mais, sur ces trois questions plus précises, j'aimerais entendre nos invités.

M. Dufour: Sur la question de la bonne foi, Me Hesler.

M. Hesler: M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, en réponse à cette question, je pense qu'on peut introduire la preuve de la bonne foi au niveau de l'apparence de droit. Ce terme "apparence de droit", il faut bien le distinguer. S'agit-il de l'apparence du droit de celui qui se porte représentant ou l'apparence du droit de tout le groupe qu'il veut représenter? Je pense que c'est ce dernier. S'il faut, au stade de la requête, démontrer qu'il existe non seulement une réclamation, mais une probabilité de plusieurs bonnes réclamations, je pense que cela fait preuve de bonne foi. Ceci évitera qu'un individu — M. le ministre a déjà employé le mot "professionnel", le "plaignant professionnel" — se serve de cette nouvelle procédure pour se bâtir une cause sur un incident, sur un accident de parcours. C'est l'ouverture à ce genre d'abus qu'il faut éliminer du projet de loi. Je me rappelle l'exemple mentionné par M. Dufour: le cas d'un individu qui poursuit son concurrent avec ce nouveau mécanisme.

Alors, si le juge doit faire enquête sur la bonne foi, c'est parce qu'il se pose la question: Est-ce qu'il y a apparence de droit non seulement chez le demandeur individuel, mais en ce qui regarde le groupe dans son entier?

Si vous pensez apporter des modifications sur ce sujet, je vous suggère respectueusement de faire cette distinction entre le droit du représentant et l'apparence du droit de tout le groupe.

Le Président (M. Marcoux): Les autres questions?

M. Dufour: Sur la question des avis individuels, Me Guérette.

M. Guérette: Sur la question des avis, ce que le PQ suggère, c'est que le projet prévoie que l'avis soit le meilleur possible.

M. Clair: Ce que le gouvernement...

M. Alfred: Ce que le gouvernement prévoit!

M. Clair: ... qui le prévoit.

M. Alfred: Ce que le gouvernement prévoit.

M. Clair: J'aime mieux entendre: Ce que le gouvernement prévoit.

M. Alfred: Le Parti québécois forme le gouvernement, je pense.

M. Chevrette: Ça ressemble drôlement à la presse anglophone.

M. Ciaccia: C'est à peu près la même chose ces jours-ci.

Le Président (M. Marcoux): Je m excuse.

M. Alfred: C'est-à-dire que c'est un lapsus qui est un peu révélateur. Non, non, celui-là est plus révélateur qu'autre chose.

Une Voix: On fait souvent des lapsus, P.Q., P.Q....

M. Ciaccia: Cela résulte des déclarations des ministres. Ne blâmez pas nos invités.

M. Chevrette: Vous oubliez toujours le contexte et les intonations que fait M. Dufour.

M. Dufour: Alors, le gouvernement, M. le ministre.

M. Guérette: Vous m'excuserez, c'est tout simplement...

M. Ciaccia: C'est rare qu'ils agissent comme un gouvernement, alors il faut excuser nos invités.

M. Chevrette: II y a eu une absence totale pendant six ans, écoutez...

Le Président (M. Marcoux): A l'ordre!

M. Guérette: Mettez cela sur le compte de ma nervosité étant donné que c'est la première fois que j'ai l'occasion de m'adresser à une commission parlementaire.

Alors, ce que le CPQ suggère c'est que le projet de loi prévoie que l'avis soit le meilleur possible eu égard aux circonstances et non pas que l'on doive envoyer des avis individuels dans chaque cas. Je donne un exemple. S'il s'agit de 200 ou de 300 membres possibles, et que la somme en jeu est quand même relativement importante dans chaque cas, l'avis individuel peut être possible. Dans des cas où on aurait des milliers ou des centaines de milliers de membres possibles, évidemment, l'avis public se révélera être le meilleur avis possible. D'ailleurs, notre procédure civile prévoit déjà l'assignation par avis public et on n'aura qu'à l'appliquer dans le cas de l'action collective comme on l'applique déjà, à l'occasion, dans le cas de réclamations individuelles lorsque la signification à la personne s'avère impossible ou impraticable.

M. Clair: Est-ce qu'il n'y a pas un risque que cela entraîne des frais très élevés justement. Qui paierait les frais et les déboursés occasionnés par une signification individuelle, dans votre optique?

M. Guérette: A mon avis, si le demandeur, par exemple, insiste pour que des avis individuels soient envoyés, aucune partie insiste pour que de tels avis soient envoyés. Le coût de ces avis fait partie des frais de la cause comme dans toute autre action judiciaire. Encore une fois, il faut revenir à l'affaire — "de minimis", si le montant en jeu ne justifie pas qu'on encoure certains déboursés, alors autant renoncer à l'action collective. De toute façon, le coût de cet avis individuel à chaque membre sera sûrement inférieur au coût qu'on aurait encouru s'il avait fallu prendre des actions séparées dans chacun des cas. On parle quand même seulement de $0.12 ou de $0.50 pour un envoi recommandé ou certifié comparativement à des frais beaucoup plus considérables de signification si on avait pris des actions individuelles.

M. Dufour: Pour votre dernière question, celle des cautionnements, Me Casgrain.

M. Casgrain: ... regarder M. le Président, même si je l'ai en arrière de la tête, ce que je veux vous dire, c'est que dans un contexte — quand on a fait le mémoire — d'une loi qui, au départ, assurait l'automatisme complet du recours, sans avoir à justifier de quelque façon que ce soit ce recours extraordinaire, dans un contexte d'une loi qui prévoit encore et qui ne le prévoira probablement pas — je l'espère — l'anonymat total d'au-delà de, quelquefois, 100 000 individus, lorsqu'aux Etats-Unis on a eu des cas où au niveau de la "manageabilité" on a dit: Ecoutez, cela n'a aucun sens commun; vous avez au-delà de 30 millions de personnes qui réclameraient. Si on fait le calcul, ce seraient des milliards. La compagnie ne pourrait jamais payer. Les juges vont renvoyer le recours. Or, dans un contexte où il n'y a pas l'anonymat, dans un contexte où on reconnaît le droit également au défendeur d'une compensation éventuelle, je ne crois pas que le cautionnement, à ce moment-là, soit une chose que nous réclamerions. (12 h 15)

Mais dans un autre contexte, je pense que c'est le "common law". Quand on parle de cautionnement, on s'est posé des questions souvent au Québec sur le fait que l'assurance-hospitalisation, par exemple, ou l'assurance-santé est automatique. On s'est souvent dit qu'il vient du gouvernement; peut-être que celui-ci se le dit aussi que même un dollar par année souvent pourrait éviter bien des dépenses. Le cautionnement n'a pas nécessairement besoin d'être aussi extraordinaire que celui-ci, mais il suffit que quelqu'un sache qu'il doive débourser quelques dollars pour assurer son droit, ce qui pourrait aussi faire vivre ce dont nous parlions, ce principe qui est l'intérêt dans la mesure des actions.

Le Président (M. Marcoux): Je sais que vous aviez deux autres questions qui étaient plus fondamentales? (12 h 15)

M. Vaillancourt (Jonquière): Je pense, M. le Président, que nos prochains intervenants n'auraient aucune objection à commencer cet après-midi la lecture de leur mémoire.

M. Clair: Avec le peu de temps qu'il reste.

Le Président (M. Marcoux): La conséquence de ceci, si vous préférez,...

M. Ciaccia: Ce serait préférable.

Le Président (M. Marcoux): Cela ne change rien.

M. Vaillancourt (Jonquière): Et cela ne briserait pas leur intervention d'ailleurs.

Le Président (M. Marcoux): Sauf que cet après-midi, il faut calculer que nous aurons environ une heure et 45 minutes de délibérations pour entendre deux mémoires.

M. Vaillancourt (Jonquière): Je pense qu'on est assez souple à ce sujet, M. le Président.

M. Clair: II y aura sûrement moyen de s'entendre.

Le Président (M. Marcoux): On va continuer avec...

M. Clair: M. le Président, mon autre question porte sur le reliquat. Si on prend comme hypothèse que, par exemple, le défendeur pourrait effectivement dans certaines circonstances avoir accès au fonds d'aide, si on prend également comme hypothèse le fait que la totalité du reliquat n'irait pas au fonds, puisqu'à ce moment-là on peut effectivement argumenter que cela ressemble un petit peu à une taxe ou cela peut ressembler un petit peu à une pénalité. Si on prend comme hypothèse que, premièrement, le défendeur aurait accès au fonds; deuxièmement, que le reliquat n'est pas systématiquement et complètement envoyé au fonds, mais que simplement une partie visant à l'autofinancement du fonds est effectivement expédié vers ce fonds, est-ce que, dans la logique du cadre civil, l'économie générale du droit civil du Québec, on ne peut pas considérer, à ce moment-là, que la question qui se pose est beaucoup plus celle de savoir quel est le meilleur moyen qu'on peut utiliser pour s'assurer que le plus grand nombre de réclamants et que le groupe de personnes qui ont été victimes d'une erreur ou ont un droit à exercer contre le défendeur puissent effectivement l'exercer.

J'entends par là que, si, par exemple, dans le cas du corn flakes Kellogg's, on ne peut pas identifier effectivement les gens qui ont été fraudés de 1 1/2 once de Kellogg's, à ce moment-là, le meilleur moyen de compenser les gens qui ont effectivement été fraudés, c'est justement, comme le permet je ne me souviens plus quel article, de s'assurer que le tribunal puisse prendre des mesures qui vont assurer une compensation à peu près égale au groupe de mangeurs de corn flakes parce que c'est certain que, si on essaie de retrouver les centaines de milliers de personnes qui ont pu être fraudées, on se trompe, mais, tenant compte du principe de l'enrichissement sans cause, du paiement de la répétition de l'indu et également du principe qui veut que, finalement, le but d'une poursuite civile, c'est de s'assurer que les parties soient remises dans l'état où elles auraient toujours dû être, dans cette hypothèse, est-ce qu'on s'entend pour dire que le véritable problème, c'est celui de trouver les critères et ce sera souvent au juge de les trouver, de s'assurer que le groupe qui a été "fraudé" ou qui a un recours puisse effectivement, autant qu'il est humainement possible de le faire, s'assurer que ce groupe va avoir effectivement une compensation, auquel cas la connotation punitive m'apparaît disparaître?

M. Casgrain: C'est parce qu'encore une fois, on est revenu là-dessus et c'est toute la question de savoir si on fait payer d'autres ou si d'autres vont être compensés. Je ne sais pas ce que le juge pourrait faire avec 1036, d'autant plus qu'il est tellement vague, qu'on se demande un peu ce qu'il pourrait faire avec l'article 1036, surtout concernant l'intérêt des membres. Tout ce que je peux vous dire là-dessus... Je voudrais souligner en passant que je ne comprends pas pourquoi on prend Kellogg's comme exemple, cela pourrait tout aussi bien être toute autre compagnie.

M. Clair: Vous avez tout à fait raison là-dessus.

M. Casgrain: J'ai des raisons spéciales de vous dire cela. De toute façon, ce que je peux vous dire, c'est qu'à toutes fins pratiques, je pense qu'au début de votre question, je voyais la lumière qui était celle-ci. S'il s'agit d'imposer une espèce de taxe de frais, de timbres judiciaires pour aider à l'administration de la justice, cela existe déjà dans le Code de procédure. On paie $50 par bref qu'on sort de la cour aujourd'hui et cela vient aider à subventionner les dépens de cour. S'il s'agissait, par exemple, d'une espèce de taxe aussi bien sur l'action collective que sur les reliquats qui viendrait pour aider au fonds qui existerait pour financer, là-dessus je serais d'accord. Là, vous avez vraiment autre chose qu'une mesure punitive. Vous aidez la population en général. Souvenez-vous bien de ceci. Le seul fait d'être poursuivi comme multinationale pour des millions de dollars, même si l'action ne réussit pas, est déjà en soi une punition extrêmement grave, à cause des dépens que cela entraîne et de ce que cela fait au point de vue publicitaire. Si vous recherchez un moyen d'empêcher ces gens-là de récidiver, rappelez-vous que ce n'est pas nécessairement parce qu'ils auront eu à payer des millions pour bénéficier à des gens qui n'auront pas reçu cet argent, mais en bénéficier indirectement par le gouvernement, c'est une drôle de satisfaction. Je vous dis que c'est déjà quelque chose de penser qu'on expose ces gens-là à des poursuites pour des montants aussi considérables et que c'est seulement après le jugement rendu qu'ils sauront si, oui ou non, ils devront payer la totalité ou une partie du montant. Cela, en soi, c'est vraiment quelque chose qui peut avoir un effet dissuasif. C'est déjà dans la loi. Nous disons que c'est assez. C'est la menace qui est dedans. Mais aller jusqu'à dire: On va prendre cet argent qu'on ne peut distribuer à

des individus et on va le donner à quelque organisation charitable ou au gouvernement, qui n'est pas une organisation charitable, je trouve que, vraiment, ce n'est plus du tout le contexte.

M. Clair: Je ne pense pas que ce soit ce qui est prévu à l'article 1036. On dit bien, concernant le critère, "en tenant compte notamment de l'intérêt des membres". Peut-être qu'on devrait y lire "dans l'intérêt du groupe visé", si on veut.

M. Casgrain: Cela m'amène une remarque, si vous permettez. Dans des ouvrages américains, il y en a de nombreux qui ont été écrits sur le "class action", ce dont on se plaint le plus, c'est précisément qu'à partir du moment où on a laissé à chaque juge le soin de faire ce que lui croyait qui était la chose socialement juste à faire dans le domaine, on a eu des situations absolument abracadabrantes. Là, vous donnez aux juges, à l'article 1036, le privilège absolu de décider ce que lui pourrait faire dans l'intérêt des membres. Quelqu'un a déjà pensé aux taxis. Imaginez-vous, vous avez un juge un peu farfelu qui s'imagine qu'une façon de récompenser tout le monde serait d'obliger tous les joueurs de golf à jouer avec deux balles au lieu d'une. Cela pourrait arriver. Cela dépend du juge que vous avez.

J'en ai vu plus fou que ça, vous savez. Personnellement, donner une latitude aussi absolue au juge, je suis contre ça.

M. Marois: En latin, comment on appelle ça? C'est "reduction ad absurdum".

M. Casgrain: C'est ça, mais il y aurait une autre expression...

M. Chevrette: C'est la seule qui n'était pas sortie.

M. Casgrain: J'étais pour ajouter l'autre, "quidquid recipitur ad modum recipiendis recipi-tur", ça dépendra du juge qui aura à rendre le jugement.

M. Clair: Mais, dans votre esprit, qu'est-ce qui doit primer? Est-ce que c'est... j'ai quasiment réponse à ma question avant de la poser, mais quand même je la pose: Qu'est-ce qui doit primer? Est-ce que c'est de s'assurer que toutes et chacune des personnes qui ont fait une réclamation soient effectivement indemnisées des $0.10 dont elles ont été fraudées ou n'est-ce pas plutôt de s'assurer que la totalité de la somme qui a été perçue, illégalement ou autrement, par un défendeur, que celui-ci ne puisse en jouir? Si, effectivement, il a pu jouir d'une somme qu'il n'avait pas le droit d'avoir c'est grâce à deux choses: soit qu'il ait fraudé, soit encore qu'il ait posé des gestes pour lesquels, en vertu du principe de responsabilité civile du code civil du Québec, on a mis en preuve qu'effectivement, pour une erreur ou autre chose, il a commis une faute où sa responsabilité civile est engagée.

Qu'est-ce qui doit primer? Est-ce que c'est, autant que faire se peut, s'assurer que l'individu, le défendeur qui a ainsi joui d'une somme dont il n'aurait pas dû jouir, que cette somme lui soit retranchée?

Finalement, on n'a pas le droit de mener une compagnie en se disant: On va s'administrer avec des fonds qu'on n'a pas le droit d'avoir. Est-ce, au contraire, s'assurer que, si on n'est pas capable d'indemniser exactement toutes et chacune des personnes qui ont une réclamation, auquel cas on doit retourner cette somme au défendeur qui, lui, continue, dans ses affaires, à bénéficier d'une somme qu'il a obtenue illégalement ou autrement, bref, qu'il ne devrait pas avoir en sa possession.

Il me semble qu'au point de vue du Code civil, encore une fois, qui est réparateur — la loi est réparatrice — et qui vise à prévoir que personne ne puisse bénéficier d'une somme d'argent dont il n'aurait pas le droit autrement de bénéficier, il me semble que la réponse...

M. Casgrain: Je vais vous poser la question. Il s'agit de savoir si, dans des cas où on n'est pas capable de remettre à des tiers qui ont été fraudés, des sommes d'argent, que fait-on? Depuis des siècles, on utilise les procureurs généraux, lorsqu'il en existait et il en existe encore, pour avoir recours à des amendes. C'est cela qu'on fait.

Pour ce qui est de votre inquiétude que ces gens-là aient gardé ces sommes d'argent, je vous répète que le simple fait d'être poursuivis, c'est déjà une punition pour ces gens-là. Il ne faut pas présumer qu'ils vont recommencer constamment.

Pour le reste, vous attaquez tout un contexte qui est le contexte de toute notre société. Tous les jours des gens tentent de vendre des marchandises pour le plus haut prix possible. S'il fallait examiner chaque transaction, on se rendrait compte que dans de nombreuses transactions, un profit raisonnable aurait peut-être été de 10% au lieu de 15% ou 20%. Cela devient de la philosophie. Je pense qu'en droit, il faut descendre sur terre au niveau de nos tribunaux et des procédures ordinaires. Cela ne sera pas parfait.

M. Clair: II me semble que vous êtes en train de nous dire que notre société est basée, finalement, sur l'exagération ou encore sur la fraude, au niveau commercial. Je n'ai pas l'impression que c'est la réalité. Encore une fois, je ne comprends pas...

M. Casgrain: Je n'ai pas voulu dire cela. J'ai dit de bien mauvais mots. Je suis sûr que je n'ai pas à vous l'expliquer. J'essayais simplement de vous faire sentir un peu ce que sont l'entreprise privée et le commerce avec tout ce que cela peut avoir d'odieux, mais qui rapportent quand même des taxes intéressantes qui permettent de faire un paquet de choses sociales. C'est cela le commerce en général. Ce n'est pas nous qui avons inventé cela. Les questeurs romains l'ont inventé; ils ont dit: "caveat emptor". Ils savaient au départ qu'il y aurait des transactions entre les parties. Il faudrait

que les gens puissent se ramasser eux-mêmes. On passe son temps à dire aux gens de se prendre en main. Qu'ils se prennent un peu en main. On n'est pas obligé d'aller, de force, leur dire, je vais te faire avaler les $0.25 que tu n'as pas voulu avoir.

M. Clair: Au niveau du recours collectif, la règle du "caveat emptor", selon moi, continue effectivement à s'appliquer et le juge de la Cour supérieure qui va avoir à trancher la question va avoir, encore une fois, à apprécier cette règle "que l'acheteur prenne garde", pour ceux qui n'ont pas leurs lettres latines.

M. Casgrain: On peut faire du "caveat vendor" aussi.

M. Clair: Je vous remercie.

Le Président (M. Marcoux): Au nom des membres de la commission, je remercie le Conseil du patronat de la présentation de son mémoire. Normalement, nous nous retrouverons vers seize heures ici, suite à l'avis qui sera donné à la Chambre. Pour le moment, la commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 12 h 28)

Reprise de la séance à 16 h 45

Le Président (M. Marcoux): A l'ordre, messieurs!

La commission de la justice est réunie pour poursuivre l'audition des mémoires concernant le projet de loi no 39, Loi sur le recours collectif.

Les membres de la commission sont M. Alfred (Papineau), M. Bédard (Chicoutimi) remplacé par M. Marois (Laporte); M. Blank (Saint-Louis) remplacé par M. Ciaccia (Mont-Royal); M. Charbonneau (Verchères) remplacé par M. Clair (Drummond); M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M. Fontaine (Nicolet-Yamaska), M. Lacoste (Sainte-Anne), M. Lalonde (Marguerite-Bourgeoys), M. Samson (Rouyn-Noranda), M. Vaillancourt (Jonquière).

Les intervenants sont M...

M. Lalonde: Vous avez inscrit M. Ciaccia comme membre, n'est-ce pas?

Le Président (M. Marcoux): Oui. Les intervenants sont M. Cordeau (Saint-Hyacinthe), M. Duhaime (Saint-Maurice), M. Lavigne (Beauharnois), M. Léger (Lafontaine), M. Pagé (Portneuf), M. Roy (Beauce-Sud), M. Tardif (Crémazie).

J'inviterais d'abord la Commission des services juridiques à s'approcher et à nous présenter son mémoire. Me Lafontaine. Veuillez nous présenter vos collègues et nous présenter votre mémoire.

Commission des services juridiques

M. Lafontaine (Yves): Merci, M. le Président. M. le ministre, MM. les députés, à ma droite, M. Pierre Langevin, vice-président de la Commission des services juridiques; à ma gauche, M. Pierre Fowler et M. Jacques Lemaître-Auger, du service de la recherche.

Comme à l'habitude, le mémoire de la Commission des services juridiques a été préparé par un représentant de chacune des corporations régionales qui sont au nombre de onze à travers le Québec. C'est préparé par le service de la recherche avec ces gens. Jusqu'ici, l'aide juridique comprend 304 avocats permanents et 2800 procureurs de l'extérieur qui y participent. Il y a aussi 124 bureaux distribués à travers le Québec.

Il me fait plaisir d'avoir l'opportunité d'abord de m'adresser à vous. Je me souviens que, nous étions venus à l'Assemblée nationale lors de la présentation d'un avant-projet de loi sur la protection du consommateur — il y a déjà un bout de temps — et qu'après avoir terminé cette audition, nous avions dit qu'avec ce projet de loi qui était déposé à ce moment-là et qui n'a jamais vu le jour, et avec la possibilité d'un recours collectif dans le Code de procédure, on pourrait dire qu'on serait en face d'une charte des consommateurs.

Je comprends que le projet de loi sur la protection du consommateur a été déposé à l'état d'avant-projet, mais là, je vois qu'on est devant une réalité qui s'appelle le dépôt d'un projet de loi

sur le recours collectif. Nous nous en réjouissons, définitivement.

Nous sommes contents à plusieurs titres. D'abord, c'est que cela va simplifier des procédures juridiques. Cela rencontre les principaux objectifs que recherchait la Commission des services juridiques de par son rapport annuel. En 1974 déjà, la Commission des services juridiques avait préconisé la plupart des principes qu'on retrouve dans ce nouveau projet de loi.

D'abord, il y avait la formule de l'"opting out" qui avait été retenue par la commission et qui est encore ici retenue. Maintenant, le membre peut bénéficier du jugement sans avoir à signifier son intention d'adhérer au groupe ni encourir des responsabilités pour les dépenses. Ce principe est maintenu. Surtout pour éviter certaines failles du droit américain, les critères d'exercice du recours collectif sont larges et sont souples, pour inclure la plupart des demandes de ce genre. Il y a aussi un souci de simplicité que nous, en tant que légistes, peut-être pas légistes, mais en tant que juristes, nous apprécions, c'est-à-dire qu'on voit très bien que cela s'imbrique dans un Code de procédure et que cela va avec l'ensemble de la législation du Code de procédure.

Nous apprécions aussi le fait que le juge ait une discrétion sur les avis à être donnés, parce qu'on sait qu'aux Etats-Unis, cela a empêché certains recours collectifs, parce que les avis devenaient trop coûteux.

Nous apprécions aussi le fait que ce soit le juge qui ait la discrétion d'arbitrer les débats, ni plus ni moins. Nous apprécions aussi la discrétion qui lui est laissée, de telle sorte que nous disons que ce sera un bon recours ou un mauvais recours, dans la pratique, non pas parce que la loi est mal faite, la loi est bien faite, selon ce que les juges en feront. Quant à nous, nous allons vérifier les premières actions pour voir quelles tendances la magistrature prendra suivant cette nouvelle procédure. Il y a tout ce qu'il faut, croyons-nous, présentement dans la loi, pour permettre au juge d'exercer une discrétion, pour permettre d'arriver aux fins de la "class action" qui sont, dans le fond, de rendre une justice plus équitable pour tout le monde.

Il est évident que l'Etat se devait, de quelque façon, de fournir des moyens de financement aux personnes, parce qu'on sait, de par l'envergure de ce genre d'action, de par les expertises aussi que cela peut demander, qu'un individu n'aurait jamais pris un tel genre d'action s'il n'a pas le secours de l'Etat pour lui aider.

De par le projet de loi actuel, cependant, nous disons que, dans le fond, on étend l'aide juridique à la classe moyenne. L'aide juridique étant un moyen d'accès aux tribunaux, on dit que c'est un nouveau moyen d'accéder aux tribunaux, et on crée un fonds séparé pour aller devant les tribunaux dans le cas de "class action".

C'est bien sûr que beaucoup de "class action " seront pour des citoyens à revenus moyens, plutôt que de dire de classe moyenne. Nous voyons aussi qu'à ce moment-là, s'il n'y a pas d'amendements à la Loi de l'aide juridique, le principe du libre choix ne pourra pas s'appliquer dans le domaine de l'aide juridique. J'y reviendrai tantôt.

Qu'on me permette de passer rapidement sur certains amendements techniques. Un premier est d'abord la question d'appel sur la requête pour autoriser le recours collectif. Nous avons eu la chance de lire quelques mémoires qui ont déjà été déposés devant vous et ces mémoires font état de tamisage. Je crains qu'à force de tamisage, l'eau ne passe même plus à travers le tamis. Voici pourquoi je dis cela: C'est que, présentement, vous avez, pour avoir droit au recours collectif, si vous n'en avez pas les moyens — ce qui est la plupart du temps le fait des gens qui vont venir devant les tribunaux — d'abord à passer devant un fonds où vous devrez établir votre admissibilité financière et votre vraisemblance de droit. C'est déjà dans le projet de loi. Vous devrez ensuite aller faire valoir votre demande devant le tribunal qui, lui, va encore apprécier une fois si, oui ou non, vous avez ouverture à un recours collectif. Ce sont déjà des modes de tamisage qui n'existent pas pour des actions courantes. Il y a déjà ce tamisage qui existe.

La façon dont le projet de loi est conçu à l'article 1010, c'est qu'en plus, on a autorisé un appel de ce premier jugement et, d'un autre côté, on permet aussi au juge, qui entend la cause et qui voit son déroulement à l'article 1022, de changer sa décision au fur et à mesure pour s'accorder aux circonstances et voir si, réellement, cela correspond à une réalité que de continuer un recours collectif ou si cela ne serait pas mieux de revenir à un recours de droit commun habituel sans passer par le recours collectif.

Pourquoi ne pas suivre l'économie du Code de procédure, ce qui me semble être des principes rationnels qui sont en dessous de cette loi, et ne pas autoriser l'appel seulement si le jugement final ne veut pas y remédier, suivant les articles 28 et 29 du Code de procédure qui prévoient déjà ce genre d'appel?

Parce qu'on serait devant une situation où il y a un appel, le juge peut changer la décision une fois que c'est revenu devant lui, après avoir fait le circuit d'appel, et on pourrait peut-être remonter et redescendre d'une cour à l'autre pendant un bon bout de temps. C'est sûr que la corporation ou la multinationale, qui se voit acculée à payer des millions, pourrait être intéressée à faire durer ces procédures pour décourager les gens. Ce sont quand même des choses qui se pratiquent dans la profession d'avocat que d'essayer de décourager un adversaire en l'épuisant avec des recours légaux, qui sont tout à fait légaux d'ailleurs.

Nous disons que nous n'avons aucune crainte. Quant à avoir un tamisage additionnel, il y a déjà beaucoup de tamisage dans cette loi. Mais, au moins, étant donné que le tribunal peut changer sa décision par la suite, qu'il n'y ait pas d'appel sauf dans le cadre d'un jugement interlocutoire. Comme position de repli, s'il faut absolument qu'il y ait un droit d'appel, que ce soit au moins sur permission du juge de la Cour d'appel, encore dans le sens d'un article du Code de pro-

cédure, qui est l'article 26. On prévoit un amendement au quatrième paragraphe.

Quant aux autres amendements, je pense que je vais déposer le mémoire au Journal des débats. Je ne voudrais pas insister là-dessus parce que c'est plutôt technique. Il y a beaucoup d'avocasseries là-dedans.

Qu'on me permette par contre d'attirer votre attention sur le sixième point de notre mémoire, qu'on retrouve à la page 10. Présentement, le recours collectif étant au Code de procédure, il est ouvert devant la Cour supérieure, tribunal de droit commun. Nous sommes déjà venus à l'occasion à des commissions parlementaires. On voit qu'il y a de nouvelles lois qui font que les tribunaux de droit commun ne sont plus les seuls arbitres des litiges. On s'en vient avec plusieurs tribunaux administratifs. Je ne suis pas contre la tendance, remarquez bien, je ne parle pas de ce fait. Ce que je veux dire, c'est que, possiblement, on devrait prévoir que le même recours puisse être ouvert devant des tribunaux de droit administratif.

Je prends un exemple: On a parlé ce matin de l'amiantose. Il est bien évident qu'il y a au Québec des cas d'amiantose ou d'autres maladies industrielles qui devront être entendus par la Commission des accidents du travail. Or, si le recours est bon et arrive à une bonne justice devant les tribunaux de droit commun en employant ce mécanisme — parce que, dans le fond, c'est un mécanisme, le mécanisme du recours collectif — pourquoi ne serait-ce pas bon devant ces organismes administratifs?

C'est la même chose dans le cas de la Régie des loyers. C'est bien sûr que s'il y a une possibilité de faire régler... On l'a déjà fait en pratique, remarquez. On a déjà demandé à la commission des loyers, par exemple, d'entendre quelques locataires d'un immeuble pour fixer les loyers, alors qu'il y avait de nombreux autres locataires dans l'immeuble, plutôt que de recommencer la cause chaque fois. Les tribunaux administratifs, de consentement, à l'occasion, nous l'accordent mais vous comprenez que, normalement, ce ne serait pas strictement légal que de le faire.

On comprend aussi qu'il y a des procédures différentes d'un tribunal administratif à l'autre et d'une régie à l'autre, qu'il y a des procédures qu'il faudrait peut-être harmoniser.

C'est pourquoi nous disons que, de toute façon, il va falloir aller devant ces organismes administratifs, mais il faudrait peut-être dire qu'il y a un délai de deux ans que nous suggérons pour voir comment il serait possible de fonctionner à l'intérieur d'un recours collectif, mais suivant chacun des tribunaux, pour avoir au moins une certaine constance pour établir les comportements des gens devant ces tribunaux, qui pourraient, autant que possible, être un peu uniformes, tout en essayant d'arriver quand même à une justice aussi populaire, aussi facile d'accès, comme cela existe présentement devant les tribunaux administratifs.

On a parlé ce matin aussi, si vous me permettez — ce n'est pas dans le mémoire — du caractère punitif qui pouvait exister quand il y avait des reli- quats qui n'étaient pas distribués aux personnes qui y avaient droit. Je ne vois pas de caractère punitif et je suis d'accord avec le ministre qui disait ce matin que c'était une notion qu'on importait des Etats-Unis. Effectivement, je n'ai vu aucun amendement présentement au droit substantif qui crée ce genre de dommage ici au Québec. Quant à l'option qu'a prise le gouvernement de dire que, quand une compagnie aura agi illégalement ou frauduleusement, elle doit rembourser, je suis d'accord sur cette option. Je ne vois pas que, parce que des individus n'exercent pas leur recours, parce que c'est impossible même qu'ils l'exercent ou parce que c'est impossible qu'on sache à qui verser ce montant, à ce moment-là l'Etat s'en prive ou que le juge soit empêché de remettre à une société déterminée le montant qui peut lui appartenir. A ce moment-là, je rejoins ce que le bâtonnier disait sans l'avoir entendu, puisque vous l'avez cité ce matin, on arrive quand même à une pointe de justice qui est de rendre à chacun son dû. On arrive à cela. Quant à moi, ce n n'est pas à cause de l'ampleur d'un montant qui est formé de petits montants que la justice ne doit pas être appliquée; au contraire, elle devrait être plus appliquée. Quant à moi, ce serait faire fausse route que de dire: II y a peut-être un reliquat qui va rester, donc s'il y a un reliquat qui reste, on va le remettre au défendeur. Ce serait comme si l'Etat approuvait le fait que, quand on commet une illégalité, on peut en bénéficier. Cela reviendrait à ça. Je pense qu'on ne peut dans aucune procédure, en tant qu'Etat, établir un principe semblable, le remboursement existe, que ce soit pour un gros ou pour un petit. Il existe et il doit être exercé. Qu'il y ait des façons de s'y prendre, je pense que les tribunaux vont en trouver. De toute façon, l'article 1036 prévoit aussi que n'importe qui pourrait aller devant le tribunal et démontrer un certain intérêt à expliquer au juge ce qu'il veut. Vous avez ce matin donné l'exemple du Kellogg, où il pouvait en manquer une once il n'y a rien qui empêche les mangeurs de Kellogg qu'il y ait une once de plus dans les boîtes suivantes pendant une période déterminée. (17 heures)

II y a toutes sortes de façon, vous avez l'exemple des taxis ce matin, c'est une autre façon. Que cela ne s'adresse pas spécifiquement aux mêmes individus concernés, peut-être dans 10% des cas, ce sera valable, mais il ne faudrait pas passer à côté d'un principe qui fait que si tu agis illégalement, tu es obligé de rembourser ton illégalité.

Ce n'est pas parce que tu es gros et que tu es puissant, que tu ne seras pas amené à répondre de tes actes, cela revient à ça.

J'en viens plus spécifiquement à l'aide juridique elle-même par rapport aux recours collectifs. C'est quand même avec un certain déchirement qu'on en parle, parce que c'est un peu difficile, parce qu'on parle à la fois des permanents de l'aide juridique et on parle aussi, d'une certaine façon, de notre clientèle. Je veux quand même qu'on nous comprenne bien. Le recours collectif

est bon, quant à nous, suivant l'analyse qu'on en a faite, il est bien fait, il va répondre à ses fins. Nous disons maintenant que l'aide juridique devrait y avoir accès aussi.

Qu'on me permette de donner un exemple pratique qu'on est en train de vivre. A la suite d'une loi du Parlement fédéral, il y a des chômeurs de 65 ans et plus qui avaient commencé à percevoir leur assurance-chômage avant que la loi ne soit adoptée, loi qui prohibe l'accès à l'assurance-chômage pour ces personnes. Cette même loi prévoyait aussi que les chômeurs qui avaient des dépendants auraient, désormais, le droit de recevoir les deux tiers du salaire admissible plutôt que les trois quarts.

Effectivement, par un coup d'ordinateur, on a coupé l'assurance-chômage à toutes ces personnes. Nous sommes allés devant le juge arbitre, devant le tribunal fédéral, qui ont dit, tous les deux: Effectivement, ceux qui avaient commencé à recevoir des montants avant la nouvelle loi, par le principe de non-rétroactivité des lois, continuent à avoir droit à ces montants, dont l'assurance-chômage, vous allez la leur payer.

Ce qui arrive, c'est que ces personnes, s'étant vu refuser l'assurance-chômage, ont reçu de l'aide sociale pour la plupart. Elles sont devenues bénéficiaires de l'aide sociale. Quand le montant est arrivé, l'aide sociale a dit: Ah non! vous recevez des prestations d'aide sociale, vous percevez un montant qui vient de l'extérieur, vous allez nous le rembourser, nous remettre ce montant. Nous avons plaidé devant la Commission d'appel des affaires sociales qui est un tribunal administratif. Devant cette commission, on a dit: Dans le fond, pour ces gens, ça leur était dû au moment où ils étaient en chômage. Ce n'est pas parce que cela a pris des procédures et l'approbation de deux juges en cours de route qui ont dit que vous aviez raison, que dans le fond, ce montant était dû en d'autre temps.

Donc, quand vous l'avez perçu, il était perçu pour le moment où vous étiez en chômage. On ne pourra pas venir le chercher parce que vous recevez aujourd'hui des prestations d'aide sociale. Ce qu'on a fait, c'est qu'au niveau pratique, au niveau du réseau, cela fait une dizaine pour qui on plaide sur ce point. Maintenant, combien de gens ont remboursé ne le sachant pas? On ne le sait pas.

Qu'est-ce que l'Etat va faire avec cela? On ne le sait pas. Bien sûr, si nous avions l'ouverture à un recours collectif ou à quelque chose de semblable, ce serait possiblement une affaire qui se réglerait très rapidement et on pourrait dire que chacun a reçu sa part de justice. Présentement, assez souvent par ignorance, les gens ne savent pas qu'ils pourraient avoir droit à ce montant qui leur appartient. Pour eux, cela devient drôlement important dans des situations semblables.

Est-ce que, parce que je l'ai dit ici, parce que les jugements ont été prononcés et parce que c'étaient des clients de l'aide juridique, demain, si le recours collectif est adopté et que ces clients viennent me voir, je devrai leur dire: Allez voir un avocat de pratique privée parce que la Loi de l'aide juridique fait qu'il s'agit d'un recours payant, un "fee generating"? Etant donné la loi actuelle de l'aide juridique, celle-ci ne pourra pas s'occuper du recours. Vous devrez aller voir un confrère de pratique privée. Il y a déjà une belle "class action" que je soumets ici.

Nous disons, encore dans cette veine, qu'il y a une espèce de dédoublement dans l'accès à la justice, l'aide juridique par rapport au fonds collectif. On aurait pu confier le fonds collectif à l'aide juridique qui est déjà un moyen d'accès à la justice. Nous avons déjà l'équipement, c'est sûr. Nous faisons l'appréciation des comptes et nous avons aussi 124 bureaux répartis à travers le Québec pour recevoir les clients.

Dans le fond, s'il y a un accès additionnel pour les gens, un autre mode d'aide juridique, c'est une bonne chose. Mais qu'on décide de faire un autre organisme, qu'on fasse un autre organisme, c'est quand même le pouvoir de l'Etat de le faire.

Mais là où nous sommes moins d'accord, c'est quand nous disons: Si vous faites un nouvel organisme pour donner l'aide juridique à une classe moyenne, une classe à revenu moyen, qu'au moins ce recours soit aussi ouvert aux permanents de l'aide juridique pour qu'eux aussi puissent en faire dans ce cadre, si on décide d'ouvrir l'aide juridique à la classe moyenne, d'une certaine façon, avec ce projet de loi.

C'est d'autant plus normal qu'en pratique, jusqu'à maintenant, l'aide juridique a fait des recours collectifs d'une certaine façon. Les exemples qu'on donne sont: le Cercle d'économie de la future ménagère, le Foyer de la future ménagère, le Reflet du diamant bleu, etc. Ce sont des petites gens qui avaient passé des contrats avec des entreprises et qui, à un moment donné, se sont aperçus que ces entreprises s'en allaient en faillite, qu'elles n'avaient même pas payé leur taxe de vente et que ces contrats étaient illégaux.

Nous avons dû, dans chacun de ces cas-là, faire appel au réseau et dire aux gens: Vous devez d'abord faire une requête au tribunal des faillites pour demander le transfert au tribunal de droit commun, prendre votre action et amener ce contrat devant le tribunal de droit commun. Une fois que vous aurez votre jugement, il faudra l'envoyer à l'office qui est fiduciaire, étant donné qu'il y a un montant qui a déjà été versé, pour qu'il puisse obtenir un permis de vendeur itinérant.

Cela a pris beaucoup de procédure et beaucoup d'énergie de la part de nos avocats pour quand même aller chercher ces montants. C'est évident que c'était une forme de recours collectif, mais avant son temps, et cela nous a coûté cher et cela a pris beaucoup d'énergie de la part de nos avocats aussi.

Un autre genre d'action qu'on a prise a résulté du "week-end rouge" à Montréal. A la suite de la grève des pompiers, il y a eu des feux dans l'Est de Montréal. Effectivement, personne ne voulait poursuivre, parce qu'il y avait trop de parties défenderesses possibles là-dedans. Nous avons poursuivi, à ce moment-là, parce que personne ne

voulait le faire. La plupart des requérants étaient des assistés sociaux. Nous avons poursuivi pour leurs meubles et leurs vêtements qui avaient brûlé dans ces incendies. Seulement au niveau de la signification de l'action, qu'on me permette de dire que cela a coûté $21 000, étant donné le nombre de parties impliquées là-dedans. Vous comprenez que c'est quand même un coût assez considérable. Il est bien évident qu'en dehors de l'aide juridique, il n'y aurait pas eu grand monde qui aurait été capable d'avancer un tel déboursé, d'autant plus qu'on ne sait pas quand cette procédure va finir, parce qu'on en est encore à la Cour supérieure et cela fait trois fois qu'on va en appel sur des mesures provisoires. Quand même, c'est un genre de "class action" qu'il est possible de faire chez nous.

Vous avez eu le fameux cas de Holiday Magic, par exemple, qu'on a traité comme un recours collectif, qui nous a d'ailleurs quittés, qui est rendue en Ontario et qui fait maintenant l'objet d'un recours collectif en Californie. Il semble qu'on obtienne une condamnation.

C'était la même chose pour les compagnies de gaz, par exemple. A cause de la jurisprudence, les compagnies de gaz, aujourd'hui, ne peuvent plus exiger le dépôt qu'elles exigeaient avant qui était discriminatoire d'ailleurs car c'étaient les plus pauvres qui devaient faire un dépôt tandis que les riches n'avaient pas besoin de faire de dépôt.

Nous disons que d'ouvrir le recours collectif à l'aide juridique, ce serait une façon de diminuer les coûts mêmes de l'aide juridique présentement. Si le libre choix est bon dans le cas de l'aide juridique qui est encore une fois un accès aux tribunaux, pourquoi ne serait-il pas bon aussi, dans le cas du fonds... d'autant plus que c'est un moyen qu'on retrouve au Code de procédure? On dit, ni plus, ni moins, à des avocats permanents de l'aide juridique qu'il y a un moyen de prévu dans les lois, sauf qu'ils ne pourront pas se servir de celui-là. Cela semble un peu curieux.

Je voudrais simplement finir sur ces mots. Ce matin, on s'est posé beaucoup de questions encore sur le reliquat. Je me demande s'il n'y a pas des raisons fondamentales pour lesquelles il reste un reliquat, suite à de petites actions. Je parle tout haut. C'est peut-être parce que des personnes se disent que pour aller chercher cet argent, cela va leur coûter peut-être aussi cher que ce qu'elles pourraient en retirer. Cela devient plus clair.

Si le juge, par exemple, dit: Je condamne le défendeur à, disons, $500 000 et que ce montant de $500 000 auquel le défendeur est condamné est pour des contrats où il y a eu... L'exemple qu'on prend est celui des bouilloires électriques qui auraient été vendues, et dont la soudure aurait été de plomb, ce qui pourrait amener le mal de Minamata, ou quelque chose de semblable.

Effectivement, les gens devront produire leur réclamation individuellement pour y avoir droit. C'est normal aussi. Je ne peux pas faire une livraison à tout le monde, au prorata. Ils devront produire leur réclamation.

Comment vont-ils faire pour produire leur réclamation? Nous avons peur qu'ils ne la produisent pas.

Ou bien ils vont communiquer avec l'avocat dont le nom a paru dans le journal parce qu'il avait gagné cette action et celui-ci aura le droit de leur facturer des honoraires pour s'occuper de leur cas, ou bien ils ne la feront pas, ou bien ils vont aller voir un autre praticien, auquel cas l'autre praticien a le droit de demander des honoraires pour la production du compte, c'est sûr, à moins qu'on ne prévoie que, sur les réclamations individuelles, il y aurait des dépens qui seraient payés par le défendeur; un peu comme on fait pour la Loi des dépôts volontaires où, pour la production de la réclamation, il y a des honoraires qui sont dus au procureur et qui sont payables par le déposant.

Nous pensons qu'en présence de petits montants, il va rester un reliquat, parce qu'effectivement, l'avocat qui produira la réclamation en aura le droit, ou bien le citoyen va la faire lui-même. En pratique privée, on note que les citoyens ne sont pas portés à exercer des recours quand, entre autres, il y a des formules à remplir. D'ailleurs, ils viennent nous voir au bureau pour remplir leur formule. L'expérience veut que les dépôts à la loi Lacombe, c'est très rarement les clients qui les demandent. Les saisies-arrêts, c'est très rarement eux qui les demandent. Pour les réclamations de faillite, c'est la même chose. Alors, on dit: La même chose va peut-être arriver et il y aura des reliquats chaque fois; donc, peut-être un raffinement de la justice afin de permettre que cela se rende jusqu'au client et qu'il y ait quand même quelque chose de prévu sur les frais individuels de perception.

Maintenant, si on l'exige de la partie adverse, par exemple s'il y a des honoraires pour produire la réclamation qui sont transférables à la partie adverse, comme des honoraires judiciaires, cela va peut-être grossir démesurément la condamnation aux dépens que devra subir le défendeur. C'est sûr que, dans le cas de l'aide juridique, à travers les 124 bureaux, l'aide juridique ne peut rien demander pour faire de telles réclamations; c'est bien entendu.

Nous terminons notre mémoire en disant qu'il y a peut-être des mécanismes qui pourraient être institués ou il y a peut-être une réglementation. Si on veut être bien sûr que les permanents de l'aide juridique ne représentent que des gens admissibles à l'aide juridique, il est certainement possible d'arriver à une réglementation qui ferait, entre autres, que ceux qui sont clairement admissibles à l'aide juridique, je veux dire, par exemple, ceux qui reçoivent l'aide sociale, l'assurance-chômage, les personnes âgées qui, à 95%, sont toutes admissibles à l'aide juridique, les étudiants, les détenus ou des gens semblables, ou un groupe dont la majorité serait, de toute façon, admissible à l'aide juridique, ce serait peut-être une façon aussi d'être bien sûr que l'aide juridique n'aille pas prendre des "class action" qui, de toute façon, seraient du domaine de la pratique privée, parce qu'elles sont nécessairement génératrices de frais.

Cela pourrait aussi permettre en même temps que l'expertise qui s'est développée au niveau des permanents de l'aide juridique puisse servir justement aux gens qui en ont besoin et avec qui on traite régulièrement. Parce que, si on maintient l'état actuel, c'est bien sûr que l'avocat qui est chez nous, qui va repérer un recours collectif, c'est possible qu'en plein réseau, avec 124 bureaux et quelque 300 avocats, à un moment donné, les lumières s'allument et qu'on s'aperçoive que c'est généralisé comme pratique. On aura peut-être des difficultés à garder nos gars quand ils vont trouver un recours collectif; je ne peux pas les blâmer non plus, ils vont certainement partir. Au niveau pratique, je ne voudrais pas perdre mes meilleurs gars à cause de cela. C'est quand même une conséquence pratique.

Pour revenir, en conclusion, au recours collectif lui-même, il y a un aspect non négligeable qui n'a pas été souligné en ma présence ce matin, c'est que cela a quand même un aspect préventif que je trouve merveilleux. Plutôt que de présenter un produit et de le retirer par la suite ou de décider de payer des dommages au cas où, à un moment donné, quelqu'un trouverait quelque chose qui ne va pas, on va peut-être l'essayer avant. On va peut-être faire attention. Pour moi, c'est une dimension importante de ce projet. Les gens vont nécessairement "se policer " et c'est normal. Je ne pense pas que cela entraîne de coûts spéciaux. De toute façon, si cela entraîne des coûts pour arriver à quelque chose de concret et de pratique pour les gens, à quelque chose d'utile, ce ne sera pas des coûts qui vont être investis d'une mauvaise façon. Dans le fond, on parlait ce matin — et j'entendais le Conseil du patronat — de faire attention pour garder un équilibre. Je dis que cela nous prend un équilibre. Cela veut dire que, devant une multinationale, l'individu a le droit de se regrouper avec d'autres qui ont les mêmes intérêts que lui pour qu'ils se parlent au même niveau, et que l'Etat y contribue pour lui donner un peu de nerf en lui donnant le nerf de la guerre, qui s'appelle l'argent; je trouve cela absolument normal. Ce qu'on fait, c'est qu'on maintient simplement un équilibre en faisant cela, parce que je ne suis pas d'accord pour dire qu'avant, il y avait un équilibre entre les deux parties devant le tribunal. Il y aura maintenant un équilibre, je le crois. Merci.

Le Président (M. Marcoux): Je vous remercie de la présentation que vous avez faite de votre mémoire. A votre suggestion, je demanderais aux membres de la commission s'ils sont d'accord pour verser au journal des Débats le mémoire intégral.

M. Marois: Oui.

Le Président (M. Marcoux): On a le consentement, cela sera fait. (Voir annexe B). M. le ministre. (17 h 15)

M. Marois: M. le Président, je voudrais d'abord remercier la Commission des services ju- ridiques de son mémoire. Je comprends d'autant plus l'expression que vous avez utilisée, "déchirement", faisant allusion à un coin particulier du projet de loi qui vous concerne directement que je voudrais y revenir très rapidement. Je sais perti-nement que la Commission des services juridiques — il y a déjà plusieurs années, vers 1971 ou 1972 — a été parmi les premiers artisans au Québec, artisans, dans le sens d'essayer de mettre en chantier quelque chose de concret et précis qui avait même presque pris la forme d'une proposition de projet de loi dans un de vos rapports annuels à l'époque. Je profite de cela, parce que je pense que c'est pertinent; vous savez, on ne peut pas toujours tout faire en même temps non plus. C'est une chose qu'on découvre aussi quand on est au gouvernement. On essaie de franchir les étapes au meilleur rythme possible en tenant compte aussi des équilibres nécessaires en cours de route.

Ceci étant dit, soyez assurés de toute manière — je l'ai mentionné à tous les groupes qui se sont présentés devant la commission parlementaire — que toutes et chacune de vos recommandations et remarques vont être examinées au mérite de notre part.

Il y a trois points sur lesquels je voudrais m'ar-rêter particulièrement. Le premier, c'est ce que vous avez évoqué à quelques reprises et qui revient à la page 3 de votre mémoire et ailleurs aussi et qui recoupe votre "déchirement". Vous dites que vous déplorez qu'on n'ait pas accordé au justiciable le libre choix de son avocat en n'accordant pas aux avocats du réseau de l'aide juridique le droit d'utiliser cette procédure. Je suis obligé d'admettre que, pour l'essentiel, vous avez raison en ce sens qu'on a tenu pour acquis, on a fait le constat de fait que l'article 69 ne permet pas les cas et les causes de "fee generating" à l'aide juridique. Vous me direz: Oui, mais si vous en avez fait le constat, c'était peut-être le temps d'aller du constat au changement. Je vous dirai simplement pour l'instant, parce que vous avez soumis une argumentation, sous réserve de l'examiner, comme vos autres recommandations d'ailleurs, avec mon collègue, le ministre de la Justice, qu'encore une fois, on ne peut pas toujours tout faire en même temps. Si ma mémoire est bonne, mon collègue, M. Bédard, le ministre de la Justice, a déjà évoqué l'idée qu'il était prêt, en temps opportun, à examiner la question — je pense qu'il avait même mentionné en commission parlementaire, si ma mémoire est bonne, mais je donne cela de mémoire, donc, sous réserve — à faire le bilan, le point, si on en était rendu au moment opportun pour franchir des étapes additionnelles, faire une ouverture additionnelle à l'aide juridique.

Ceci étant dit, je me demande — et je vous pose la question — si, au fond, il ne faudrait pas nuancer un peu l'affirmation que vous faites lorsque vous dites qu'on n'accorde pas le droit d'utiliser cette procédure. Je me le demande, d'une part, compte tenu de l'article 69, au sujet de toutes causes qui ne sont pas "fee generating". Vous savez que, dans bon nombre d'états américains, — je ne vous apprends sûrement rien — il y a eu bon nom-

bre de recours collectifs qui ont été intentés non pas dans le domaine de ce qu'on appelle en général la protection du consommateur, mais dans le domaine des droits et libertés de la personne, des causes de discrimination, par exemple. Je ne vois pas à première vue, mais j'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet, en quoi le projet de loi, tel qu'il est rédigé, enlève cette possibilité aux avocats de l'aide juridique.

D'autre part, il y a une autre question que je me pose. Dans la première étape, celle de la requête, étant donné que c'est cette requête, si elle était acceptée par le tribunal, qui va mettre en marche le groupe par son représentant dans l'exercice de la procédure du recours collectif, je me demande si, à cette étape, — c'est votre interprétation du projet de loi tel qu'il est libellé — dans l'état actuel de la Loi de l'aide juridique, il ne vous serait pas possible de représenter les citoyens pour les fins de la requête.

Dans la même lancée, sur la même question — quoique je présume que c'est ce que vous avez évoqué rapidement à la fin de votre exposé — j'aimerais que vous me précisiez ce que vous évoquez dans votre mémoire lorsque vous suggérez, à titre de compromis, le cas échéant, de prévoir des barèmes d'admissibilité pour les groupes dont on peut raisonnablement penser qu'une partie importante satisfait aux critères. J'aimerais que vous nous précisiez davantage cet aspect.

Un dernier point, très rapidement, M. le Président. A la page 10, concernant votre sixième recommandation, je ne vous le cacherai pas, vous avez parfaitement raison. A mon point de vue, votre analyse est tout à fait exacte. Le projet de loi no 39 n'ouvre pas le recours collectif aux tribunaux administratifs. On s'est posé la question; je ne vous cacherai pas, en toute honnêteté, qu'on a pensé insérer — je ne sais plus à quelle nième version du projet de loi 39 on en est rendu; on a travaillé longuement sur ce dossier et on a même consulté les présidents, les juges responsables de chacun des tribunaux administratifs du Québec — une espèce d'article omnibus dans le cadre du recours collectif permettant de l'ouvrir devant les tribunaux administratifs.

Après avoir consulté les responsables des différents tribunaux, il ressortait que, effectivement, il y avait des modalités mais qui, dans certains cas, étaient loin d'être des détails d'ajustement des procédures d'un tribunal à l'autre, d'une part; d'autre part, que l'état des travaux de réorganisation de certains de ces tribunaux administratifs, par exemple, la Commission des affaires sociales qui s'est vu octroyer des responsabilités, des compétences nouvelles à la suite des amendements à la Loi de la commission des accidents du travail, de l'introduction de la Loi de l'assurance automobile... Elle est en pleine réorganisation et ne pouvait pas nécessairement respecter des échéances. Il y avait donc toute une série de raisons.

On a donc préféré, en première étape, introduire le recours collectif dans le Code de procédure civile sans insérer l'article omnibus. Rejoignant cependant, en partie, votre préoccupa- tion — vous suggérez un délai de deux ans — je voudrais vous rappeler une chose: Mon collègue, le ministre des Affaires municipales, a rendu public un livre blanc concernant les relations entre locataires et propriétaires. Si vous lisez attentivement le livre blanc, vous verrez que c'est l'intention du gouvernement, lors de la présentation d'une loi — en espérant que cette fois on arrive à une loi permanente, depuis le temps qu'on en parle — d'introduire le recours collectif pour la Régie des loyers. Donc, on irait plutôt par étape, au fur et à mesure, en accord avec les différents tribunaux administratifs, qu'il sera possible de l'introduire dans les meilleurs délais et en examinant les difficultés particulières qui se posent.

Donc, ce n'est pas exclu comme perspective. Il y a déjà des indications très précises dans le livre blanc. Mais c'est la raison essentielle pour laquelle, finalement, on a plutôt choisi de ne pas inclure, comme tel, un article omnibus au moment où, de l'avis même des responsables des tribunaux, on était incapable d'évaluer les possibilités réelles d'assurer une entrée en vigueur correcte, bien organisée, qui ne soit pas juste de l'espoir et qui ne mène à des choses concrètes et pratiques pour les gens.

Voilà, M. le Président, les quelques remarques ou questions que j'avais à faire.

Le Président (M. Marcoux): Est-ce que vous avez des commentaires à ajouter?

M. Lafontaine: Rapidement, pour ne pas prendre le temps d'autres personnes. D'abord, sur les tribunaux administratifs, disons qu'on avait entrevu la difficulté parce qu'on sait les différentes règles qui existent devant les différents tribunaux, lesquels sont plus ou moins orthodoxes. On comprend cela, on voulait avoir un engagement de votre part et je pense qu'on l'a maintenant. Disons que cela devrait venir normalement. Cela va.

Vous avez demandé tantôt s'il était possible d'avoir une certaine réglementation au niveau des critères financiers ou de l'admissibilité à l'Aide juridique, dans le cas de recours collectifs. On a déjà rédigé des amendements possibles et nous nous arrangerons pour vous les faire parvenir, pour vous dire un peu de quelle façon on l'entend. C'est quand même dans le sens où cela devient évident que c'est une majorité de la classe qui requiert de l'aide juridique qui serait admissible. Il s'agit de le rédiger dans un contexte légal et nous avons tenté de le faire. Cela nous fera plaisir de vous le remettre.

Vous avez émis une autre question, ce serait d'accompagner le requérant qui serait admissible à l'aide juridique jusqu'au stade de la requête, qui autoriserait...

M. Marois: Je m'excuse de vous interrompre. Voici en fait, la question que je me posais et que je vous soumettais: Est-ce que, dans l'état actuel du projet de loi tel qu'il est libellé, vous pensez qu'il vous est possible dans l'état actuel de la Loi de l'aide juridique, pour un avocat de l'aide juridique, d'accompagner un requérant pour l'étape de la requête?

M. Lafontaine: II y a des réflexions qui me viennent à l'esprit là-dessus. Je ne voudrais pas qu'on pense que c'est une position ferme et définitive que je prends, parce que, je vous le dis, immédiatement, les choses qui me viennent à l'esprit c'est que, dès qu'on se dirige vers un recours collectif, cela devient maintenant du "fee generating ", parce que la loi du fonds prévoit que tu peux t'adresser au fonds pour obtenir même des avances d'honoraires et puis des expertises et des choses semblables. Autrement dit, c'est devenu de par l'adjonction d'un fonds pour permettre de payer des honoraires, un recours payant, si je peux dire. Il y a une autre difficulté qui va se produire, c'est une difficulté, peut-être réelle. Il va être difficile pour un requérant d'aide juridique, qui est représenté par un avocat d'aide juridique, de se rendre jusqu'au jugement qui autorise le recours collectif et de dire: Voici, monsieur, prenez votre dossier et allez maintenant voir un avocat de pratique privée qui va s'occuper de votre recours, maintenant qu'il est devenu collectif. Ce sont des idées qui me sont passées par l'esprit. Maintenant, que dans l'état actuel de la législation, on puisse représenter quelqu'un jusqu'au stade où il va prendre la requête, je dis, avec la loi du fonds qui existe présentement, que cela serait encore du "fee generating", à moins que vous n'amendiez la loi du fonds pour prévoir qu'il n'y aura pas de fonds à aller jusqu'à l'étape qui prévoirait qu'on peut maintenant procéder par recours collectif, une fois que la requête est accordée. Mais là, il faudra peser les autres inconvénients parce que, souvent, pour pouvoir faire valoir un recours collectif, cela prend des frais encourus avant, qui s'appellent des expertises la plupart du temps. On ne fait pas, en effet un recours collectif avec un affidavit qui prévoit qu'il y aurait tel défaut caché qui pourrait entraîner telle conséquence. Il va falloir quand même faire déjà presque l'expertise au préalable. Dans la plupart des cas, c'est là que les coûts interviennent, d'autant plus qu'il va falloir identifier un peu la classe et cela va obliger à faire quand même une certaine enquête, de telle sorte que l'on arrive devant le juge et que le juge est obligé de déterminer la classe. Il va falloir faire une enquête pour savoir un peu quel est l'ordre de cette classe et, chaque fois, ce sont des déboursés qui surviennent. Donc, cela prend peut-être le fonds aussi. Mais si cela prend le fonds, cela devient un recours payant; donc, ce n'est plus de l'aide juridique. Je vous dis cela rapidement, mais ce sont les réflexions qui me viennent.

Ce que je ne veux pas, dans le fond, c'est qu'on soit dans une position où on doive triturer l'interprétation de la Loi de l'aide juridique pour arriver à des espèces de compromis. Je voudrais que cela se fasse clairement, qu'il n'y ait pas de difficultés d'interprétation, qu'on ait un contexte où cela devient clair, où c'est plus facile.

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Marguerite-Bourgeoys.

M. Lalonde: M. le Président, je vais être très court, parce que les représentants de la Commis- sion du service juridique ont été extrêmement explicites dans leur mémoire. Je veux, en débutant, les remercier d'avoir fait profiter la commission et ses membres de leur expérience tout à fait particulière dans le domaine qui nous occupe actuellement et je me réfère plus particulièrement aux différentes démarches que la commission et les avocats de la commission ont faites dans les cas que vous avez mentionnés.

Quant aux tribunaux administratifs, je voudrais seulement vous poser une question là-dessus, en tenant compte de ce que le ministre vient de nous dire, qu'il y a eu une préoccupation au niveau du gouvernement: on s'est posé la question et on n'a pas fermé la porte pour l'avenir. Est-ce que, par exemple, dans le cas des relations entre locateurs et locataires, le fait que le système permette l'exercice d'un droit, par chacun des locataires isolément, n'est pas justement ce qui fait que ce n'est pas inclus dans la préoccupation du projet de loi 39? Comment pouvez-vous penser qu'on peut réconcilier cela et étendre le caractère collectif du recours, qu'on peut étendre le critère isolément de chacune des personnes qui a un droit à faire valoir avec un cas comme locataire-locateur. (17 h 30)

M. Lafontaine: Seulement une tentative d'explication immédiate. On a à l'esprit, la plupart du temps, une hausse que le locataire prétend abusive et il veut faire déterminer par l'administrateur des loyers si oui ou non elle est abusive. C'est bien sûr que le projet de loi prévoit que si ce sont des recours qui peuvent s'exercer facilement individuellement, il n'y a pas d'intérêt à ce qu'ils viennent tous ensemble. C'est un exemple où il n'y aurait pas raison de prendre une action collective. Cela dépend peut-être aussi du nombre de locataires concernés. Je ne sais pas si, dans le cas d'une conciergerie comme le bâtiment olympique, où il y aura des milliers de locataires, ça ne deviendrait pas un recours plus facile.

C'est peut-être aussi le cas d'un locataire qui voudrait faire décider par la Commission des loyers que l'obligation du propriétaire de tenir les lieux chauffés, ça veut dire de les tenir chauffés à au moins 68 degrés, ou quelque chose de semblable.

Là, on verrait possiblement plus facilement la question du recours collectif, parce que ça ferait établir une jurisprudence pour tous les locataires du Québec qui sont dans des cas semblables. C'est bien sûr que le projet doit essayer de prévoir ces différentes éventualités, qu'elles arrivent ou qu'elles n'arrivent pas, je ne peux pas le dire.

C'est peut-être l'explication.

M. Lalonde: Merci. Quant au tamisage, vous avez insisté sur le fait que les dispositions du projet de loi, actuellement, contiennent suffisamment d'étapes pour ne pas ajouter au tamisage. Vous avez tout d'abord mentionné l'aide qui peut être accordée par le fonds, ce n'est pas tout à fait un tamisage, mais c'est une étape pour quiconque croit avoir besoin de cette aide. Deuxièmement, la demande doit être faite au tribunal. Troisième-

ment, il y a l'appel prévu à l'article 1010 et aussi le droit de révision prévu à l'article 1022. Je suis d'accord avec vous que ça fait pas mal de balises pour faire en sorte qu'il n'y ait pas d'abus.

Mais je ne serais quand même pas scandalisé du fait qu'on pourrait ajouter un critère à travers cela. Parce que malgré le nombre d'étapes possibles à traverser, il reste que les critères sont toujours les mêmes à l'article 1003. S'il y avait un autre critère, on en a discuté hier, ce matin, je n'étais pas ici, mais on a parlé de l'apparence de droit, de la bonne foi, plusieurs concepts ont été échangés. Je ne sais pas quelle est votre réaction mais s'il fallait préciser ou ajouter un critère, ça ne m'apparaîtrait pas de nature à étouffer encore la possibilité que le projet de loi veut offrir, mais plutôt à la préciser.

Peut-être voulez-vous réagir à ça?

M. Lafontaine: Au niveau du fonds lui-même, celui-ci doit vérifier la vraisemblance de droit. Donc, si les gens passent par le fonds, il y a déjà une étape de franchie concernant la vraisemblance de droit.

Maintenant, je pense que le tribunal va aussi s'intéresser à la vraisemblance de droit avant d'arriver à un recours collectif. On n'a pas besoin de l'écrire dans une loi, en tout cas, je ne penserais pas. S'il n'y a pas de possibilité du succès de recours, je pense bien que le juge ne pourrait pas l'exercer.

Le tribunal pourra quand même se prononcer là-dessus. Mais c'est drôle, je crains plutôt l'effet contraire, qu'on ne trouve pas de croisé qui soit prêt à se mettre en avant pour aller exercer des recours au nom d'un paquet d'autres personnes avec tous les troubles qu'il va y avoir de la part de tout le monde qui va se plaindre de son comportement, de sa façon d'agir, ils vont penser que c'est parce qu'untel veut se mettre en avant, c'est parce qu'il veut être connu, etc.

C'est drôle, parce que l'expérience qu'on a, jusqu'à maintenant, c'est qu'on a de la misère à trouver des gens qui sont prêts à prendre le statut de croisé pour aller se battre pour $5, $10, $15, $25, quelquefois, $75. C'est pourquoi je me dis: Si on fait encore exprès pour mettre encore une autre balise, il n'y aura plus personne qui va être prêt à prendre ces recours.

C'est ce qui amène d'ailleurs la position américaine, le "draft ", dont le ministre a parlé ce matin, ce qui fait qu'aux Etats-Unis, on se demande si on ne devrait pas donner une prime à celui qui va prendre l'action. C'est vrai, on lui donnerait un pourcentage sur le montant qu'il pourrait recevoir. Ils se sont aperçus qu'en pratique, dans le fond, s'il vous manque une once dans votre boîte de Kellogg, il faut que vous soyez un peu un croisé pour décider d'avoir tous les problèmes d'aller rencontrer des avocats, d'aller au fond, de venir devant la cour et de plaider pendant des semaines de temps pour une once de Kellogg. Cela prend un croisé quant à moi. Disons qu'il ne faudrait peut-être pas y ajouter trop de barrières, on va le décourager avant de partir.

M. Lalonde: Je partage votre opinion là-dessus, quand on sait que ce représentant n'est pas plus indemnisé qu'un autre. Il y a là un investissement d'énergie et de temps à faire.

Je voudrais terminer en concourant à votre remarque que le projet de loi fait appel — je pense que c'est à bon droit — à la magistrature, pour voir à ce que cela fonctionne. Quant à moi, je suis entièrement d'accord avec cette approche du ministre et je pense qu'on doit espérer et être optimiste quant au résultat que cela peut donner. Je vous remercie.

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Fontaine: Merci, M. le Président. Je voudrais, à mon tour, féliciter les membres de la Commission des services juridiques pour la présentation de leur mémoire. Je pense qu'ils ont fait un excellent travail, surtout dans les propositions concrètes d'amendements qu'apporte leur mémoire. Je pense que le ministre en a pris bonne note. Il y aura sûrement de vos suggestions qui seront retenues dans le projet de loi définitif.

Je voudrais revenir à la question qu'on a abordée tout à l'heure avec le ministre sur ce que vous dites à la page 14 de votre mémoire. Vous dites qu'il serait possible de prévoir des barèmes d'admissibilité pour des groupes dont on peut raisonnablement penser qu'une partie importante des membres répondent aux critères d'admissibilité à l'aide juridique.

J'aurais deux remarques à faire là-dessus. La première, c'est que je pense que vous devez faire allusion, faire référence aux assistés sociaux qui voudraient faire des appels ou des requêtes, peut-être les gens que vous avez représentés au sujet de demandes à l'assurance-chômage ou des choses comme cela. Je pense que c'est à cela que vous faites allusion.

Mais si je me réfère à la remarque que vous avez faite tout à l'heure que, chaque fois qu'il y a une aide du fonds, cela devient un "fee generating case", à ce moment-là, je me demande comment on pourrait mettre en application ce que vous demandez à la page 14.

M. Lafontaine: C'est évident qu'il faudrait quand même amender la Loi de l'aide juridique pour suivre l'argumentation que je faisais tantôt. Plutôt que de l'amender dans le sens de l'ouvrir au recours collectif à tous ceux qui choisiraient d'être représentés par des permanents, comme position de compromis, on pourrait quand même se limiter, une fois qu'on a amendé l'article 69, à la clientèle naturelle de l'aide juridique que sont ces gens. C'est dans ce sens-là que je voulais m'exprimer.

M. Fontaine: C'est un compromis que vous proposez.

M. Lafontaine: Dans le cas de tantôt, où je parlais du montant qui est perçu par l'aide sociale

et qui, normalement, devrait aller à la personne, parce que cela lui appartenait au moment où elle était en chômage, ce qu'on veut essayer d'éviter aussi, c'est que la personne ait à payer un pourcentage à un praticien qui va la représenter là-dessus. Il y a cela aussi qui est un autre élément. Le gars qui va recevoir $1000 d'assurance-chômage, c'est bien normal que l'avocat lui charge 15%, même si c'est un assisté social. S'il passe chez nous, il n'y aurait pas de frais de perception à percevoir, parce que la loi nous le défend.

M. Fontaine: Dans les cas que vous mentionnez, si on acceptait votre proposition, est-ce que vous verriez également que des avocats de pratique privée pourrait recevoir des mandats?

M. Lafontaine: C'est évident. La Loi de l'aide juridique, c'est un libre choix à la base. C'estd'ailleurs excellent pour le réseau, quant à moi, parce que cela fait une saine concurrence. Autrement dit, ce n'est pas pour enlever un recours au praticien de pratique privée, c'est pour rétablir une parité ou un équilibre — c'est un mot cher qu'on a employé ce matin.

M. Fontaine: D'accord. J'ai pris connaissance de votre mémoire. Il y a plusieurs choses qui seront sûrement retenues. Je voudrais tout simplement, en terminant, vous relire une parole que vous avez citée tout à l'heure. Je l'ai prise en note et vous me le direz si cela n'est pas correct.

Vous disiez que les citoyens ne sont pas portés à faire des recours lorsqu'il y a des formules à remplir. Je me rappelle que vous avez déjà témoigné, avant Noël, à la commission parlementaire sur le bill 67. J'aurais aimé que vous fassiez cette remarque à Mme Payette, lorsque c'en était le temps.

Le Président (M. Marcoux): Au nom des membres de la commission, je vous remercie de la présentation de votre mémoire. J'inviterais maintenant la Chambre de commerce de la province de Québec à venir nous présenter son mémoire.

Chambre de Commerce de la province de Québec

M. Létourneau (Jean-Paul): Mon nom est

Jean-Paul Létourneau. Il me fait plaisir de présenter ceux qui m'accompagnent pour vous présenter ce mémoire de la Chambre de commerce de la province de Québec. A ma gauche, Me Pierrette Boivin-Fillion, conseiller juridique à Northern Telecom Canada Ltée, une grande entreprise; Me Francine Charbonneau, avocat à la permanence de la chambre; M. Pierre Morin, directeur général des affaires publiques de la Chambre de commerce et, à ma droite, M. René Clément, de la compagnie Rolmex de Varennes, une PME.

Une remarque préliminaire, M. le Président, m'est inspirée par ce projet de loi, avant de commencer la présentation comme telle du mémoire. C'est, lorsqu'on examine ce document, la complexité technique d'un recours de cette nature. Mon rôle, dans l'association où j'oeuvre, est d'essayer de communiquer à nos membres ce que fait le législateur et de les informer au mieux des conséquences de la loi pour eux, hommes d'affaires.

On s'aperçoit — c'est une réflexion liminaire — que cela devient de plus en plus complexe, de plus en plus difficile. Comme nous représentons de grandes et de petites entreprises, nous nous rendons compte que, pour la plupart d'entre elles, même si elles ont un avocat à temps plein à leur service, cela devient extrêmement complexe de savoir quelles sont les conséquences pour elles de la loi qui est en train d'être adoptée au niveau gouvernemental.

Même si j'ai eu personnellement l'occasion de voir ce projet de loi au conseil consultatif de la Justice, c'est-à-dire d'avoir eu un peu plus de temps que d'autres pour le considérer, cela a été pour moi le même problème que d'essayer d'en évaluer la portée pour l'homme d'affaires qui veut conduire ses affaires légalement, qui est soucieux de respecter la loi et qui veut, le mieux possible, protéger ses intérêts et ses clients dans le cas de lois semblables.

Une seconde remarque liminaire, c'est qu'on a l'impression, lorsqu'on considère ce projet de loi — d'ailleurs, cette impression est confirmée par les exemples qu'apportent ici ceux qui témoignent devant cette commission — la plupart du temps, lorsqu'on fait allusion à des cas concrets, l'impression se dégage très clairement que la présomption, lorsqu'on a préparé ce projet de loi, est que les défendeurs seront presque toujours des gros, des multinationales, alors que cette loi s'appliquera à quiconque est en affaires et a des clients et vend des biens ou des services. Or, ce ne sont pas que des gros, des multinationales, des grosses méchantes multinationales, si on peut s'exprimer ainsi. Il y aura toutes sortes de gens dans le milieu des affaires. Tous les hommes d'affaires seront soumis à cette loi; donc, une majorité de petites et moyennes entreprises. Ceci étant dit, je vais demander à notre directeur général, M. Morin, de vous présenter la première partie de notre document. Aux fins d'économiser le temps le plus possible, pour autant que le mémoire qui n'est pas très long puisse être versé au journal des Débats, nous pourrons nous abstenir de la présentation de la seconde partie qui est plus technique et qui concerne des amendements très spécifiques à la loi que, j'imagine, les membres de la commission ont déjà vus et qui pourront, de toute façon, être discutés au cours de la période de questions. Si cette formule vous convient, nous allons procéder de cette façon. Je demanderai à M. Morin de vous présenter la première partie de notre mémoire, qui en donne l'essentiel. (17 h 45)

M. Morin (Pierre): M. le Président, je vais vous faire sauter rapidement la première page, pour commencer à la deuxième du texte, si vous voulez bien me suivre, au niveau des considérations générales. Dire que le projet de loi sur le recours collectif est bienvenu dans la conjoncture actuelle se-

rait une exagération considérable, surtout lorsqu'on tient compte des propos du ministre d'Etat au développement social lors de son dépôt, le 1er décembre dernier, à l'Assemblée nationale.

Ce n'est pas tant le projet de loi en soi qui soit inopportun, mais plutôt le fait qu'il vienne s'ajouter à un nombre considérable de lois adoptées au cours de la dernière session ou de projets déposés toujours à l'étude, qui touchent l'entreprise et auxquels elle doit s'adapter. Il serait important à cet effet de se souvenir des propos tenus lors de l'ouverture du sommet économique à Pointe-au-Pic, par M. Alfred Rouleau, sur les limites à la capacité d'absorption des réformes par la population et sur la nécessité de ne pas aller trop vite. C'est vrai pour la population. C'est aussi vrai pour l'entreprise. A ce moment, ne connaissant pas la teneur du discours inaugural, je crois que M. Lévesque s'est lui-même prêté à de semblables propos.

Permettez-nous simplement de rappeler aux législateurs et aux membres du gouvernement qui proposent des réformes que celles-ci accaparent presque tout leur temps et produisent des sessions de longueur exceptionnelle. Si la fonction du législateur est de légiférer et celle du gouvernement de gouverner, celle des dirigeants d'entreprises est d'assurer la survie de la croissance de l'entreprise. Dans une période de basse conjoncture économique comme celle que nous traversons, les énergies des dirigeants consacrées à s'adapter à de nouvelles lois sont des énergies perdues aux fins de l'entreprise, si valable que soit la réforme.

Nous avons aussi fait allusion aux propos du ministre, parrain du projet de loi lors de la conférence de presse accompagnant son dépôt. Pour le commun des mortels, ne comprenant rien au charabia juridique habituel et encore moins à des amendements au Code de procédure civile, les propos du ministre sont sa seule source d'information officielle sur le projet du recours collectif. Or, cette information officielle traite exclusivement du citoyen en sa qualité de consommateur lésé par une grande entreprise, totalement démuni du recours et pour qui l'on veut rétablir l'équilibre.

Le choix des exemples relatés dans le communiqué est particulièrement éloquent. L'impression se dégageant de ces propos est que le recours proposé est fondamentalement et essentiellement une mesure de protection du consommateur et "que c'est l'aspect préventif du recours collectif qu'il faut surtout retenir" contre "les gros de notre société".

Combien il est facile d'entretenir et d'alimenter des préjugés défavorables à l'endroit de l'entreprise! Surtout lorsque l'on sait qu'elle ne vote pas, qu'elle ne contribuera plus aux caisses électorales, qu'elle observe généralement mieux la loi que les autres groupes de citoyens et surtout qu'elle ne répliquera pas trop fort, occupée qu'elle est ailleurs à investir et à créer des emplois pour les Québécois!

Pas un mot sur la possibilité pourtant offerte par le projet de loi pour un groupe de commerçants d'exercer un recours collectif contre un fournisseur et ainsi protéger le consommateur.

Pas un mot sur l'utilisation possible du recours collectif soit par un groupe de producteurs ou de consommateurs contre un organisme paragrouvernemental qui limite certaines productions et en fait ainsi augmenter artificiellement les prix.

Pas un mot non plus sur le fait qu'aux Etats-Unis le recours collectif prévu par le gouvernement fédéral n'était en 1972 que fort peu utilisé dans des causes de préjudices occasionnés aux consommateurs. En effet, selon les chiffres cités par le professeur Michael Trebilcock, de la faculté de Droit de l'Université de Toronto, dans un article intitulé "The Class Action Controversy", hormis les causes de droits civils, les hommes d'affaires font une plus grande utilisation du recours collectif que les consommateurs lésés, et la lecture du projet de loi et la compréhension que nous en retirons nous portent à croire qu'il pourrait en être de même au Québec.

Dans l'avant-projet de loi sur la protection du consommateur, une des pratiques interdites est celle de ne pas présenter tous les faits matériels relatifs à un produit ou à un service. Si seulement cette pratique interdite pouvait aussi atteindre l'homme politique!

Avantages et désavantages du recours collectif. Dans les juridictions où il existe, le recours collectif constitue effectivement un moyen additionnel pour les citoyens d'obtenir justice lorsqu'un groupe d'entre eux a subi un préjudice difficilement redressable par d'autres moyens. Les variations dans les formes de recours collectif sont cependant considérables, certaines formes s'adres-sant à des problèmes particuliers, telle la consommation, d'autres prévoyant le recours collectif pour toutes les formes de préjudices incluant ceux résultant d'actions criminelles.

Le seul fait que le recours collectif puisse permettre au degré plus poussé de justice pour l'ensemble des citoyens milite pour son adoption.

Par ailleurs, de par sa nature même et par la lourdeur inévitable de ses mécanismes, le recours collectif doit être considéré à sa seule valeur de moyen, et non pas une panacée à l'ensemble des situations occasionnant des préjudices. D'autres questions de procédures, de frais judiciaires et d'accessibilité à la justice ont dû être réglées par des mécanismes, telles l'assistance judiciaire et la Cour des petites créances, entre autres.

Parmi les principaux avantages mentionnés en appui au recours collectif, mentionnons, au-delà de sa valeur intrinsèque comme outil de justice, l'amoindrissement de la nécessité pour l'Etat d'intervenir sur la place du marché et les économies d'échelle pouvant être réalisées sur les frais judiciaires, par contraste avec la multiplication des causes individuelles.

Théoriquement, à tout le moins, le recours collectif accroît les possibilités d'accessibilité et de justice, tout en étant plus efficace que l'action gouvernementale et plus économique que la multiplication des poursuites individuelles.

Les principaux désavantages intrinsèques au recours collectif tiennent au fait que les véritables personnes malhonnêtes sont rarement touchées, que le processus est très long et peut même

constituer une sorte de déni de justice et, enfin que la seule constitution d'une cause en recours collectif, fondée ou non, peut occasionner un tort à l'intimé bien plus grand que celui que l'on veut redresser.

Au Québec, notre tradition juridique de deux régimes d'inspiration différente et le partage des compétences pour chacun des deux régimes posent un problème particulier. L'économie du Code civil prévoit exclusivement la remise en état de la personne ayant fait la preuve du préjudice subi.

Essentiellement, ce que nous croyons qu'il faille retenir de toute proposition de recours collectif au Québec, c'est le danger réel de créer de faux espoirs et des expectatives démesurées au sein non seulement des organismes de protection du consommateur mais des citoyens eux-mêmes. Fondamentalement, l'économie du Code civil est compensatoire; c'est beaucoup. Le recours collectif constituera un outil additionnel et efficace, mais nous tenons à souligner à nouveau ses limitations par rapport à de semblables recours, surtout aux Etats-Unis.

Enfin, trois derniers points au chapitre des désavantages. Les petites entreprises sont souvent dépourvues des moyens de se défendre adéquatement contre le recours collectif, quoique si elles pouvaient disposer des moyens nécessaires, elles pourraient démontrer leur innocence. De plus, lorsqu'elles sont associées comme intimées avec de grandes entreprises dans une cause, ces dernières peuvent trouver avantage à régler hors cours, laissant peu d'alternative à la petite entreprise de participer au règlement ou demeurer seule dans la cause. Ces deux situations peuvent occasionner un déni de justice tout aussi inexcusable que pour les autres citoyens.

Enfin, le dernier point. Dans un article pour le New York Times paru le 14 avril 1971, et intitulé "Massive Class Actions: A Liability", le professeur Milton Handler écrit: "II est évident que, dans de telles causes, impliquant de très vastes groupes, ce sont les avocats et non les membres du groupe qui sont les véritables bénéficiaires et les véritables parties intéressées." Il se référait là, en particulier, à la cause de Playboy, en Californie, remontant à quelques années. Le Code de déontologie de la profession légale au Québec ne permettrait probablement pas à une telle situation d'avoir cours ici, mais le danger doit être prévu.

Les principes du projet de loi 39. L'examen du projet de loi sur le recours collectif nous a permis de constater qu'à l'exception de la mise sur pied d'un fonds d'aide aux recours collectifs, sujet sur lequel la chambre entretient des réserves fondamentales, et la possibilité de créer un reliquat par le recouvrement collectif, ce à quoi nous nous opposons fermement, l'économie du projet de loi respecte l'orthodoxie générale en matière de recours collectif.

En plus des deux points cités ci-haut,deux autres nous apparaissent d'une extrême importance. Nous proposons de modifier l'article 1003 pour le lire comme suit: Le tribunal autorise l'exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que: a) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67; b) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait communes au groupe; c) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres; d) les procédures ont été engagées de bonne foi et prouvées prima facie; e) le recours collectif est supérieur à tout autre moyen disponible pour trancher le litige de manière efficace et équitable.

Les raisons pour lesquelles nous proposons cet amendement sont d'abord pour enlever l'ambiguïté des termes "identiques, similaires ou connexes", retrouvés au même article, sans modifier l'intention générale du législateur. Les alinéas d) et e) ont été ajoutés d'une part pour permettre l'élimination des causes frivoles et vexatoires et s'assurer non seulement du moyen le plus approprié, mais aussi le plus efficace dans les circonstances; par exemple, le défendeur étant en faillite, il n'existe aucun moyen d'exercer un jugement éventuel.

Deuxièmement, à l'article 1012, nous comprenons et souscrivons à l'objectif du législateur de ne pas voir la cause s'engager dans le dédale des moyens préliminaires. La rédaction de l'article nous permet de croire cependant que l'appel en garantie pourrait être invoqué. La chambre croit que l'importance à la fois pour les requérants et pour le défendeur de l'appel en garantie justifie que ce moyen devrait être explicitement permis.

Sous réserve des oppositions formulées et de la résolution favorable des amendements proposés sur le fond, la chambre apporte un appui circonstancié au projet de loi sur le recours collectif. Parmi les aspects du projet de loi qui nous ont plu, notons d'abord le fait de modifier le Code de procédure civile plutôt que d'en limiter la portée aux seules questions de consommation; deuxièmement la possibilité pour toute personne, morale ou physique, d'entreprendre un recours collectif; troisièmement, la compétence exclusive de la Cour supérieure et, quatrièmement, la non-exclusion de l'Etat de la portée de son application.

Par ailleurs, nous inscrivons notre désaccord sur la latitude laissée au tribunal de disposer du reliquat, c'est l'article 1036, ainsi que sur le pouvoir que se donne le gouvernement, à l'article 36, de fixer par règlement un pourcentage à être prélevé par le fonds sur un reliquat.

A notre avis, tout reliquat résultant d'un recouvrement collectif, une fois écoulée la période d'exécution prévue à l'article 1038 et la collocation des créances, devrait retourner au défendeur.

Il ne devrait pas en être autrement d'un recours collectif que dans toute autre action visée au Code de procédure civile. Dans le cas d'une action individuelle, si le jugement n'est pas exécuté, le défendeur conserve le montant du jugement. Il n'est ni question d'enrichissement sans cause, ni de prélèvement par l'Etat. L'économie du code doit être maintenue.

L'autre question que nous ne pouvons accepter

est celle des modalités d'existence du Fonds d'aide au recours collectif. Ces modalités comportent deux injustices flagrantes: l'impossibilité pour le défendeur d'y avoir accès et la présomption que la condition financière du requérant est un facteur limitatif à son accessibilité. Ce dernier point, en plus de stigmatiser l'existence de différences de traitement devant la loi, ainsi que prévu par l'article 20 du projet, offre une invitation flagrante à ce que seuls les membres les plus démunis se fassent connaître.

La chambre n'en a pas contre le fait qu'il existe des formes d'assistance pour l'accessibilité au recours collectif. A la proposition du projet, nous suggérons deux choix, à notre avis, plus heureux. Un premier serait pour l'Etat d'aider, sous forme de subventions, les corps intermédiaires ou associations voulant soutenir des recours collectifs dans leur domaine d'intérêts; un deuxième choix, au second rang dans notre esprit, serait d'utiliser le véhicule de l'aide juridique en y apportant des modifications appropriées. Ce dernier choix pourrait même avoir l'avantage significatif d'aider au financement global de l'aide juridique.

La principale raison invoquée pour la mise sur pied du fonds est l'absence de fondations telles qu'il en existe ailleurs. Il est normal que n'ayant aucune tradition de recours collectif, nous n'ayons pas les organismes complémentaires. Cependant, il existe au Québec un grand nombre d'organismes voués à la promotion des intérêts de leurs membres ou du public consommateur, de certains produits ou services. Voilà qui pourrait servir de base, bien plus appropriée, à la mise sur pied d'éventuelles fondations ou d'organismes assimilés.

La chambre souhaiterait qu'ils puissent bénéficier directement et temporairement d'une aide gouvernementale pour leur permettre d'aider ces citoyens dans leur recours collectif. Si vous voulez me suivre à la toute dernière page, nous allons au moins vous livrer nos conclusions. (18 heures)

Nonobstant nos considérations sur le projet de loi à l'étude, la chambre croit en la nécessité d'introduire le recours collectif dans la gamme des moyens mis à la disposition du citoyen, à la fois pour se protéger préventivement et pour faire corriger les préjudices qu'il a subis. La chambre souhaite ardemment que le législateur, en inscrivant dans nos lois le recours collectif, conserve à l'esprit l'avantage fondamental du recours collectif, celui de réduire considérablement le besoin d'intervention de l'Etat dans la vie courante des citoyens. Nous songeons particulièrement aux propositions annoncées et non encore connues d'un projet de quelque 800 articles sur la protection du consommateur.

M. Létoumeau (Jean-Paul): M. le Président, pour terminer la présentation de notre mémoire, je vous ai indiqué à l'ouverture que nous avions avec nous des représentants d'une grande, d'une petite et d'une moyenne entreprises. Pour commenter cet aspect qui veut que les grandes entreprises, ce sont surtout les multinationales qui sont visées, les multinationales qu'on appelle, de manière péjorative, en certains milieux, les "grosses méchantes"... puisque nous avons un représentant de multinationales avec nous, je demande à Me Boivin-Filion d'ajouter un commentaire à ce sujet.

Le Président (M. Marcoux): Avant de céder la parole à ceux qui vous accompagnent, je vais demander s'il y a consentement pour que nous puissions poursuivre nos travaux pendant quelques minutes, parce que, normalement, à six heures nous devons ajourner. Est-ce qu'il y a consentement?

M. Fontaine: Pour ma part, il y a consentement, mais on ne pourra tout de même pas s'éterniser. On pourrait peut-être fixer... vingt minutes, d'accord.

Le Président (M. Marcoux): Disons vingt minutes, jusqu'à six heures vingt. Si ceux qui vous accompagnent veulent bien ajouter de brefs commentaires avant que nous passions aux échanges avec les membres de la commission.

M. Létourneau: Me Boivin-Filion.

M. Fontaine: A moins que nos invités ne veuillent revenir demain.

Le Président (M. Marcoux): II y a eu des discussions avant laissant entendre qu'ils préféraient terminer aujourd'hui.

M. Létoumeau: S'il y avait intérêt suffisant, M. le Président, nous sommes prêts à revenir demain.

M. Fontaine: On aurait beaucoup de questions à poser.

M. Ciaccia: Quant à moi, je suis prêt à rester, s'ils veulent terminer ce soir, pendant vingt minutes ou une demi-heure.

Le Président (M. Marcoux): Demain, il y a déjà quatre mémoires en quatre heures et demie à peu près. On va déjà être coincés. Je pense qu'il serait préférable de terminer aujourd'hui. Allez-y.

M. Létourneau: Je veux simplement vous faire part de notre disponibilité, M. le Président, s'il y a lieu. Me Filion.

Mme Boivin-Filion (Pierrette): M. le Président, le commentaire que je vais faire sera très bref. J'aimerais simplement rappeler à la commission et à mes collègues ici que les multinationales ne sont pas toujours de grosses méchantes compagnies, mais qu'elles peuvent contribuer à améliorer l'économie d'un pays.

J'aimerais aussi rappeler une vérité que l'on a tendance, très souvent, à oublier, c'est que $1 dépensé par une compagnie, qu'elle soit multinatio-

nale, petite ou moyenne, c'est toujours le même dollar.

Je voudrais m'associer, en mon nom personnel au nom de la compagnie pour laquelle je travaille — je travaille pour Northern Telecom Canada Ltée qui est une compagnie affiliée à Northern Telecom Ltée qui est, comme vous le savez, une compagnie multinationale — et en tant que membre du contentieux de NTC, aux représentations qui sont faites dans le mémoire. J'aimerais ajouter que les suggestions ou les commentaires que nous faisons seront également utiles et appréciés par une multinationale. Le temps dépensé par une multinationale et les ressources dépensées par une multinationale pour se défendre à un recours collectif se comparent aux sommes et aux ressources dépensées par une compagnie petite ou moyenne.

Le Président (M. Marcoux): Y a-t-il d'autres personnes qui voudraient ajouter quelque chose?

M. Létourneau: Non, M. le Président. Cela termine notre présentation pour le moment. Nous sommes prêts à recevoir...

Le Président (M. Marcoux): M. le ministre.

M. Marois: M. le Président, je voudrais d'abord remercier...

Le Président (M. Marcoux): J'ai simplement une chose à ajouter. Je voudrais indiquer que, selon votre voeu, la deuxième partie de votre mémoire sera versée intégralement au journal des Débats.

M. Létourneau: Le document au complet, M. le Président?

M. Marois: Oui.

M. Létourneau: Le mémoire au complet?

Le Président (M. Marcoux): Comme vous avez lu tout le reste, on va verser la deuxième partie (Voir annexe C).

M. Létourneau: D'accord.

M. Marois: Je voudrais d'abord remercier la Chambre de commerce de la province de Québec de son mémoire. Je pense que c'est effectivement un dossier — cela se voit à la lecture de votre mémoire — que vous avez examiné attentivement. Je voudrais faire un constat au point de départ et je pense que je vous dois cela. Je voudrais rendre témoignage de l'ouverture d'esprit que vous manifestez tout au long de votre mémoire. Je voudrais prendre à témoins, deux points de repère en particulier parmi d'autres, mais ceux-là me semblent significatifs: le fait que vous reconnaissiez, d'une part, la nécessité de répondre aux besoins des gens, besoins de justice, en introduisant une chose comme celle-là dans notre droit, ce qui n est déjà pas un détail, et, deuxièmement de le faire par le biais d'une avenue beaucoup plus large qui est le Code de procédure civile plutôt que par une loi statutaire qui serait une voie beaucoup plus étroite et fermée.

Ceci étant dit, en haut de la page 4 de votre mémoire, vous avez formulé un voeu: Une des pratiques interdites, selon lavant-projet de loi sur la protection du consommateur, serait celle de ne pas présenter tous les faits matériels relatifs à un produit ou à un service. Soyez assurés que je comprends très bien à qui vous destinez le produit. Vous ajoutez: "Si seulement cette pratique interdite pouvait aussi atteindre l'homme politique! "

Je peux vous dire une chose, c'est que vous avez parfaitement bien livré la marchandise aujourd'hui; donc, au point de départ. Deuxièmement, bon nombre de questions que vous soulevez dans votre mémoire ont aussi été soulevées devant nous, depuis le début de nos travaux, par d'autres groupes qui se sont présentés. Je voudrais tout de suite vous indiquer un certain nombre de préoccupations qu'on a, à la suite des commentaires, des remarques qui nous ont été faites, et qui recoupent, d'ailleurs, un certain nombre des recommandations, des commentaires que vous faites. D'une part, je voudrais dire à nouveau que notre préoccupation, même si parfois certains exemples utilisés ont pu laisser entendre ou véhiculer l'image du contraire — parfois, les maudites images, tu deviens "poigné" avec, mais ce n'est pas votre problème, c'est le nôtre...

On a souvent, par ailleurs, utilisé des images, des exemples; je me souviens des antennes de télévision à $4.98. Je pense bien que je ne faisais pas allusion à une multinationale, dans ce cas, mais à une très petite entreprise que je connais. On a été préoccupé par la question des petites et moyennes entreprises. Dans le dernier libellé, avant de sortir le projet de loi, je voudrais attirer votre attention, notamment, sur l'article 1032. Il a été précisément inséré en pensant aux petites et moyennes entreprises, c'est-à-dire à cette idée de permettre au juge, sur représentation, de reconnaître la possibilité, pour une entreprise petite et moyenne qui serait condamnée, de pouvoir disposer de modalités de paiements et de remboursements, donc de pouvoir échelonner, parce que là, il y a un intérêt convergent, encore une fois, et des citoyens et de l'entreprise, l'une de rester là et de continuer à fonctionner et les autres de pouvoir quand même obtenir la compensation à laquelle les citoyens ont droit.

Je voudrais également vous indiquer tout de suite, et je pense que vous l'avez mentionné, que nous sommes prêts à regarder la possibilité d'insérer dans le projet de loi l'ouverture à l'action en garantie. Cela a été évoqué lors de la discussion avec des porte-parole de groupes de commerçants qui sont venus devant nous. Egalement, j'ai fait état du fait, en cours de route — il s'agira de voir de quelle façon c'est possible, mais on est prêt à l'examiner, à l'étudier très sérieusement — de la possibilité d'ouvrir le fonds d'aide aux défen-

deurs — on nous l'a demandé dans le cas des dépens, en partie ou en totalité — . Là aussi, on songe, en particulier, aux petites et moyennes entreprises. Il faudra voir à maintenir l'équilibre, cependant, compte tenu du fait, encore une fois, je l'ai évoqué déjà, que les individus ne peuvent pas déduire ces frais de leur impôt. Cependant, dans le cas d'une entreprise, qu'elle soit petite, moyenne ou grosse, une bonne partie de ces frais, de ces coûts sont déductibles d'impôt. Je suis quand même prêt à regarder de très près, à étudier attentivement cette possibilité.

Par ailleurs, vous évoquez, vous nous suggérez — concernant l'article 1003 — d'ajouter aux critères de l'article 1003 un certain nombre de choses, notamment — je crois que ce sont les expressions que vous utilisez dans votre mémoire — la bonne foi et l'expression "prima facie". On en a longuement discuté tout au long de nos travaux jusqu'à maintenant. La bonne foi est une notion très délicate parce que dans notre droit, dans l'économie générale de notre droit, la bonne foi se présume. C'est très délicat d'insérer une chose comme celle-là.

Par ailleurs, la notion de preuve "prima facie" est une notion de droit criminel dont l'équivalent en droit civil est la notion d'apparence de droit. Mais j'ai déjà indiqué — même certains de nos collègues de l'Opposition se sont dits prêts à la regarder — l'idée, de voir de quelle façon il y aurait moyen d'introduire un critère comme celui-là à l'étape de la requête.

Je ne voudrais pas m'étendre trop longuement. Je me permettrai un dernier commentaire qui vous indiquera, je l'espère, encore une fois, qu'on ne considère pas du tout et on n'a pas émis de postulat selon laquel toutes les entreprises sont méchantes, qu'elles soient grosses ou petites d'ailleurs; pas du tout. Nous voulons simplement introduire une procédure dans notre droit qui ne viendra pas changer le droit substantif, mais qui permettra à des citoyens d'obtenir simplement justice. Les citoyens, que ce soient des personnes morales ou des personnes physiques, qui se comportent comme de bons citoyens de bonne foi, n'ont rien à craindre de quelque procédure qu'elle soit.

C'est vrai dans ce sens-là. Je maintiens mon affirmation qu'il y a un caractère préventif et un caractère dissuasif à certains comportements, qui sont trop souvent des comportements d'exception, mais qui sont là quand même. Parce qu'ils sont là, il n'y a pas de raison que le législateur ne fasse pas en sorte que les notions aussi fondamentales de responsabilité, d'enrichissement sans cause, de ce qu'on appelle dans le jargon juridique le droit de répéter l'indu, d'aller chercher ce qu'on a arraché de façon illégale, que cela ne soit pas seulement du placotage ou des choses écrites sur papier, mais que cela se transpose en réalité pour que le monde en vie soit capable d'obtenir cette justice de façon équilibrée.

J'ai constamment dit tout au long de nos travaux — et je sais que c'est la préoccupation de tous les parlementaires qui sont autour de cette table — on fera en sorte que ce soit introduit dans le droit québécois, mais de façon équilibrée pour assurer que cela se déroule en pleine justice pour toutes et chacune des parties et donc pas à sens unique.

Ma dernière remarque, comme je le disais, c'est le fait qu'on est prêt à regarder aussi, à étudier la possibilité d'introduire cette notion qui existe en droit criminel lors des enquêtes préliminaires, par analogie à l'enquête préliminaire au criminel, et là, tu es cité ou non à ton procès. C'est la deuxième étape, par analogie. Dans le recours collectif, il y a l'étape de la requête, la demande, si vous voulez, on peut comparer cela en étirant un peu les choses à l'enquête préliminaire, et il y a le procès. La requête dira: Oui, tu peux introduire ton recours collectif ou pas. En droit criminel, il existe l'ordonnance de non-application. On va en tout cas y regarder et on va demander aux juristes d'y travailler pour voir si, par analogie, il n'y a pas, en respectant quand même l'économie générale de notre droit, une possibilité d'introduire quelque chose comme cela qui serait peut-être susceptible, de contribuer à réduire des dommages qui pourraient être causés de façon injustifiée, tout en maintenant quand même le fond, ce qui n'enlève rien au fond des possibilités ouvertes et qui ne change rien au principe de fond du droit d'exercer un recours collectif.

En terminant là-dessus, on rappelait qu'il existe tous les recours normaux en dommages. On ne peut pas écrire n'importe quoi dans une pièce de procédure et l'avocat qui le signe ne dispose pas et ne jouit pas de l'immunité parlementaire quand il rédige une pièce de procédure. Ce qu'on écrit là donne ouverture à des recours en dommages, à des recours pour diffamation, pour libelle, etc. Je voulais quand même vous signaler ces choses à la lumière déjà d'un certain nombre de vos recommandations, pour vous indiquer un peu à la fois le climat dans lequel on travaille, l'esprit avec lequel on aborde l'ensemble du projet et aussi les questions qui, déjà, à la lumière des remarques qui nous ont été faites, attirent de façon particulière notre attention. (18 h 15)

M. Morin (Pierre): Peut-être un petit commentaire, M. le ministre nous en a beaucoup donné, dans le vrai sens du mot. Tantôt, la Commission des services juridiques a évoqué un aspect, celui des tribunaux administratifs, et la volonté du ministre d'en venir peut-être éventuellement à ouvrir cette question des sujets traités par les tribunaux administratifs. C'est un domaine qu'on a examiné, sur lequel on n'avait pas complété notre exposé, puisqu'il s'agissait strictement du projet de loi no 39, mais une des voies que l'on a vues, qui pouvait s'offrir, était peut-être de permettre que certaines causes normalement réservées aux tribunaux administratifs, lorsqu'elles pouvaient donner lieu à un recours collectif, soient admises à la Cour supérieure. Je ne sais pas si c'est une possibilité, j'aimerais simplement l'ajouter à l'étude.

M. Marois: On en prend note. J'avoue que ce n'est pas une piste, honnêtement, qu'on a examinée jusqu'à maintenant. Je prends note de cela.

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier nos invités pour leur mémoire. J'apprécie particulièrement la façon non seulement honnête, mais directe avec laquelle vous soulevez certains points, particulièrement aux pages 2 et 3, quand vous rappelez au gouvernement les droits et la position de l'entreprise privée, de vos membres. Je crois qu'il est bon de rappeler ces choses, ces positions au gouvernement et j'espère que le gouvernement va en prendre bonne note. Trop souvent dans le passé il y a eu une certaine crainte de la part de la Chambre de commerce, de l'entreprise privée de dire: Nous aussi sommes citoyens à part égale au Québec et nous avons certains droits. J'apprécie particulièrement qu'en haut de la page 4, vous rappeliez aux hommes politiques qu'eux aussi ont le devoir de dire la vérité.

Je serai très bref. J'ai seulement une question concernant la bonne foi; cela a été soulevé par d'autres invités. C'est difficile de déterminer si quelqu'un est de bonne foi ou non. Il faut, comme le ministre l'a dit, présumer de la bonne foi, mais croyez-vous que si les modalités — parce que si je comprends bien votre mémoire vous n'êtes pas contre le principe de la "class action", vous posez des questions sur certaines des modalités... C'est plutôt une évolution qu'une révolution que vous voulez. S'il y avait des modalités plus spécifiques, par exemple, quand vous parlez de "façons identiques, similaires et connexes", pour enlever certaines ambiguïtés, si on était plus spécifique sur le fonds que le gouvernement va instituer par cette législation, si on changeait les questions de reliquat du fonds, à ce moment-là, est-ce que cela satisferait vos préoccupations sur la question de la bonne foi?

M. Morin (Pierre): En fait, M. le Président, peut-être que Me Charbonneau voudrait intervenir là-dessus. On n'a pas mêlé... Excusez-moi si je regarde le plafond, j'ai entendu dire...

Le Président (M. Marcoux): Accident de travail.

M. Marois: II n'a pas été réparé, celui-là.

M. Morin (Pierre): Mais la question de la bonne foi, vous l'avez liée à la question "identiques, similaires ou connexes; pour nous, ce n'était pas lié. La question "similaires, identiques et connexes", dans l'article 1003, est une ambiguïté en soi. Nous suggérons un autre libellé, soit les questions de droit ou de fait communes au groupe, pour remplacer les mots "identiques, similaires ou connexes". Pour ce qui est de la question de la bonne foi, Me Charbonneau.

Mme Charbonneau (Francine): En fait, ce que M. Morin disait au sujet des faits identiques, similaires ou connexes, si on avait soulevé cette question, c'était essentiellement pour établir les critè- res qui étaient un peu différents de ceux de la réunion d'action. Parce qu'il nous semblait que, dans la mesure où les critères étaient à peu près les mêmes, ça devenait très difficile de distinguer quand le recours collectif pourrait s'appliquer et quand aurait lieu la réunion d'action ou l'action jointe.

Maintenant, quant à la fonne foi, essentiellement, je pense que notre préoccupation visait un cas qu'on avait à l'esprit. Je suis d'accord avec M. Marois que la bonne foi se présume, sauf que, très souvent, lorsqu'on fait une enquête, elle est appuyée par un affidavit dans lequel on dit qu'on est de bonne foi et que les faits allégués sont vrais au meilleur de notre connaissance. On aurait voulu que ça s'applique dans le même cas pour le recours collectif pour la raison très simple qu'à partir du moment où il est possible qu'un recours collectif soit émis ou qu'il y ait une telle possibilité et qu'il soit mal fondé, déjà, la réputation que ça fera à un commerçant, lorsque les avis seront publiés dans les journaux, sera tellement mauvaise que, même si, à la fin, le jugement n'est pas déclaré contre lui, ça peut lui avoir fait un tort tellement considérable, même irréparable qu'on voudrait, dans la mesure du possible, que ce soit filtré pour permettre que seuls les recours qui sont vraiment bien fondés et qui aient une apparence de droit soient permis.

M. Ciaccia: C'est plutôt sur la question de l'apparence de droit que...

Mme Charbonneau: Si vous voulez. M. Ciaccia: ... vous vous attachez.

Mme Charbonneau: On veut quand même s'assurer que le commerçant honnête ne soit pas pénalisé par un recours qui soit mal fondé.

M. Ciaccia: Puisque le temps avance et que je voudrais laisser l'occasion à mon collègue de poser des questions, je pourrais, en terminant, vous assurer que nous allons prendre bonne note des recommandations que vous avez faites, nous allons les utiliser en temps et lieu quand nous en viendrons à discuter le projet de loi article par article.

Le Président (M. Marcoux): M. le député de Nicolet-Yamaska.

M. Fontaine: Merci, M. le Président. Je voudrais, à mon tour, féliciter la chambre de commerce pour la présentation de son mémoire et les recherches que ces gens ont faites. Je voudrais également les féliciter pour les renseignements juridiques qu'ils donnent à leurs membres.

Je pense que tous les députés de l'Assemblée nationale reçoivent votre feuillet que vous distribuez aux membres. Je pense que ces informations que vous donnez sont très importantes pour la population en général et je vous félicite de prendre cette initiative.

Je voudrais aussi ajouter que pour ma part, étant député, membre de la formation politique de l'Union Nationale... Vous savez que M. Biron, le député de Lotbinière, a fait partie des PME et leur voue une dévotion particulière; vous pouvez comprendre que votre témoignage devant cette commission a été hautement apprécié par les députés de l'Union Nationale.

Je voudrais vous ramener à votre mémoire, à la page 3, où vous parlez de la possibilité qui serait offerte pour des commerçants d'exercer un recours collectif contre un fournisseur ou un fabricant. Je ne pense pas que cela ait été évoqué devant la commission jusqu'à maintenant. Je ne pense pas non plus que ce soit interdit par le projet de loi. Je ne sais pas si le ministre peut...

M. Morin (Pierre): Selon nous, c'est permis par le projet de loi.

M. Fontaine: C'est permis.

M. Morin (Pierre): Notre interprétation du projet de loi.

M. Marois: J'avoue que j'aimerais bien l'étudier plus à fond. Spontanément, je n'oserais pas m'engager sur une réponse ferme. Je suis plutôt porté à penser que vous avez raison, mais sous réserve de l'étudier comme il le faut.

M. Fontaine: Cela m'apparaît une possibilité intéressante, parce qu'il est souvent possible que des commerçants puissent avoir des recours contre les fabricants et à ce moment-là, il serait intéressant pour eux de pouvoir se servir de ce recours collectif pour pouvoir être indemnisés.

Je voudrais revenir aux amendements que vous proposez à l'article 1003. On a parlé tout à l'heure de faits communs aux groupes et également des amendements que vous proposiez. Vous parliez de prima facie. On s'entend pour dire que c'est l'apparence de droit. Mais vous dites, au paragraphe e): Le recours collectif est supérieur à tout autre moyen disponible pour trancher le litige de manière efficace et équitable.

Je pense que cela est nouveau. Est-ce que vous pourriez nous donner des explications sur ce paragraphe e) que vous voudriez voir ajouté.

M. Létourneau: Me Charbonneau.

M. Morin (Pierre): Essentiellement, M. le Président, déjà il y a d'autres possibilités. Dans certains cas, il y a la réunion d'actions où il peut y avoir un doute. Ici, le juge, avant d'émettre l'autorisation de procéder au recours collectif, devra déterminer que le recours collectif est un moyen supérieur à tout autre moyen dans les circonstances.

M. Fontaine: D'accord!

M. Morin (Pierre): Simplement, il se présente un certain nombre de cas où on peut, soit penser à la réunion d'actions — est-ce bien cela, la réunion d'action?...

Mme Charbonneau: Oui, oui.

M. Morin (Pierre): Excusez-moi, je suis un profane.

Mme Charbonneau: A 67 ou 59, la jonction des parties.

M. Morin (Pierre): A 67 ou 59, la jonction des parties.

M. Fontaine: Vous avez, à la page 8 de votre mémoire, mentionné que vous ne seriez pas tout à fait d'accord avec la question de la création du fonds d'aide.

Mme Charbonneau: Me permettez-vous d'ajouter quelque chose?

M. Fontaine: Oui.

Mme Charbonneau: II y avait une autre considération qui entrait en ligne de compte dans le paragraphe E. C'est que, dans la mesure où, quand même, le recours collectif s'inscrit dans le cadre du droit civil et que, normalement, le droit civil est compensatoire, c'est-à-dire que, lorsqu'il y a dommages et intérêts, on a recours, on doit prouver les dommages et intérêts. Il y a des cas qu'on a imaginés où les gens ne subissaient pas un dommage ou un préjudice — c'était réel — qui s'estimait en somme d'argent. A ce moment-là, pour eux, c'était plus efficace de passer par certaines lois techniques ou certaines lois spécifiques.

Le cas que j'ai en tête — c'est boiteux, mais enfin! — ce serait le cas d'un étiquetage anglais. Une personne qui comprend parfaitement l'anglais ne subirait pas comme tel un préjudice, suite à la lecture de cet étiquetage. Pourtant, sur la question de principe, elle pourrait vouloir faire valoir un recours. A ce moment-là, à mon sens, ce serait plus approprié de prendre un recours en vertu d'une autre loi, parce qu'il n'y aurait pas de dommages purement matériels, si vous voulez.

M. Fontaine: D'accord, je comprends votre argumentation. Je voudrais revenir à ce que vous soulevez à la page 8. Vous dites que vous n'êtes pas tout à fait d'accord avec la constitution d'un Fonds d'aide aux recours collectifs. Vous donnez une opinion intéressante, à mon avis, et une suggestion, lorsque vous dites qu'il pourrait être possible que le gouvernement donne des subventions à des corps intermédiaires plutôt que de créer un fonds d'aide. Pourriez-vous me donner des exemples pratiques où cela pourrait...

M. Morin (Pierre): Essentiellement, M. le Président, c'est qu'aux Etats-Unis il y a des fondations privées — le ministre y a fait référence — qui sont nées avec la présence du recours collectif; aux Etats-Unis, entre autres, et ailleurs.

Comme on n'avait pas de tradition de recours collectif, il est tout à fait normal qu'on n'ait pas de tradition privée qui milite et qui subventionne ou qui prenne des recours collectifs.

Or, ce qu'on dit, c'est que si la possibilité a été offerte, il serait peut-être beaucoup plus opportun de voir de tels organismes se créer, initialement, peut-être, avec des fonds de l'Etat, avec l'aide de l'Etat, plutôt que de garder strictement un fonds d'aide aux recours collectifs comme soi, qui est une émanation de l'Etat et toujours comme telle. C'est une différence de perspective. L'objectif visé est absolument le même, c'est-à-dire voir et aider les gens à avoir accès, c'est-à-dire faciliter l'accès aux recours collectifs. C'est le moyen que l'on utilise, au départ, c'est-à-dire qu'en créant le fonds, dans cinq ans, il y aura encore un fonds, dans dix ans, il y aura encore un fonds, alors que si l'on aidait, au départ, certains groupes — supposons que ce soit l'APA — qui, à l'occasion, voudraient prendre... On a même évoqué tantôt la question des commerçants. Un organisme tel que les chambres de commerce, par exemple, pourrait prendre un recours collectif contre quelqu'un d'autre, pourrait avoir accès à cette aide et, à partir des frais en résultant, pourrait continuer à militer dans ce même domaine.

Mme Charbonneau: Dans ce sens, cela aurait un aspect préventif, dans la mesure où, si des associations étaient subventionnées pour en permettre l'accès, elles pourraient produire des fonds d'elles-mêmes. A ce moment, elles pourraient informer mieux leurs membres, ce qui permettrait carrément d'éviter la nécessité d'un recours en justice, puisque les gens informés n'achèteraient peut-être pas un bien qui est vicié au point de départ, n'achèteraient pas une auto qui est un citron, ou des choses comme cela.

M. Fontaine: Vous ne croyez pas que, de toute façon, il va falloir un fonds, si on admet qu'il y a des reliquats à chaque cause. A ce moment, le reliquat va aller dans le fonds?

Mme Charbonneau: Si on l'admet.

M. Morin (Pierre): Si on l'admet. Il faut faire attention, parce que le reliquat n'est prévu que dans un seul type de jugement, dans le jugement global. D'accord? Il y a d'autres types de jugements qui sont permis par le projet de loi. Le reliquat est normalement une incidence qui devrait être minoritaire. On reviendra à la question du reliquat. Mais revenons d'abord au fonds. Qu'il y ait, par exemple, un montant mis à la disposition des associations pendant une période donnée, de façon à susciter les initiatives d'associations privées, qui, déjà, se vouent à la défense des intérêts de leurs membres, que ce soient des consommateurs, que ce soient d'autres groupes de citoyens, à ce moment, cela entraînerait effectivement ce que Me Charbonneau mentionnait: cette surveillance, cet effet préventif serait beaucoup plus "pervasif " que ne l'est simplement la création du fonds, qui demeure créature de l'Etat indéfiniment. C'est notre perception de la question. (18 h 30)

M. Fontaine: Suggérez-vous que les organismes en question qui poursuivraient et qui obtiendraient gain de cause dans les cas où il y aurait un reliquat, pourraient garder le reliquat?

M. Morin (Pierre): Non, pas plus, parce que, essentiellement, les organismes qui entreprendraient un recours collectif, qui auraient gain de cause, se verraient généralement facilités, auraient eu un appui pour avoir accès, auraient pu se doter de moyens, peuvent à ce moment-là convenir avec les membres du groupe concerné de prélever un certain pourcentage — il n'est toujours pas question de reliquat — pour continuer à militer dans ce domaine.

M. Fontaine: Si on admet qu'il y a un jugement qui puisse être rendu pour une classe de requérants et qu'on ne peut identifier tous et chacun des requérants, que le jugement condamne le défendeur à payer un certain montant...

M. Morin (Pierre): Un jugement global. M. Fontaine: Un jugement global.

M. Morin (Pierre): A ce moment-là, vous avez un certain nombre de personnes qui ont été lésées, qui viennent devant le protonotaire, font la preuve de leur préjudice, de leur réclamation, et obtiennent dédommagement, tel que fixé par la Cour. Or, qu'arrive-t-il des personnes qui ne se sont pas présentées? Ne peut-on pas présumer que ces personnes n'ont pas été lésées? Qu'elles n'ont pas subi de préjudice? C'est la présomption qu'il faut faire. C'est là toute l'argumentation derrière la question du reliquat. Vous pouvez fort bien avoir acheté un objet "citron " qui est considéré par tout le monde comme un objet "citron ", mais pour vous, c'était l'objet que vous vouliez. Il ne vous a pas causé de préjudice.

M. Létourneau: M. le Président, nous ne sommes pas favorables à l'existence d'un reliquat. Nous le disons clairement dans notre mémoire, et nous ne croyons pas que cela devrait exister comme tel, tel que proposé. C'est pour cela que nous proposons des formules alternatives pour atteindre le même objectif que vise le législateur, mais en évitant cet aspect qui invoque plutôt la question d'enrichissement sans cause que nous n'acceptons pas ici. Nous croyons que cela doit être un redressement de torts. C'est comme cela que nous voyons la proposition législative, comme une proposition pour redresser les torts vis-à-vis des consommateurs lésés et une fois que tout le monde a obtenu sa compensation, du moins ceux qui se sont présentés, à notre avis, il ne doit pas demeurer de reliquat.

M. Fontaine: Je conçois votre argumentation dans le cas où il s'agit de véritables dommages qu'une personne a subis et si elle ne veut pas faire sa réclamation, tant pis pour elle. Mais dans le

cas, par exemple, où il y aurait eu fraude de la part du défendeur, est-ce qu'il ne serait pas possible de considérer que le montant auquel le défendeur a été condamné devient, à ce moment, une amende pour la fraude qu'il a faite?

M. Létourneau: C'est une autre affaire, là.

Mme Charbonneau: A ce moment, je pense qu'on a un Code criminel qui s'applique aux cas de fraude et que les gens peuvent être condamnés à l'amende ou à l'emprisonnement. Je pense que c'est à ce système d'agir dans ces cas.

M. Fontaine: II y a aussi des lois pénales, ici, au Québec.

Mme Charbonneau: II y a des lois pénales, mais le droit pénal n'est pas applicable en vertu du Code civil. Ce sont quand même d'autres lois qui sont parallèles et qui devraient s'appliquer dans ces cas.

Mais j'irais un peu plus loin en ce qui a trait au reliquat; la raison pour laquelle moi, fondamentalement et personnellement, je m'y oppose, c'est que l'article 1040 du recours collectif prévoit que le défendeur peut opposer à un réclamant un moyen préliminaire que l'article 1012 n'a pas empêché d'opposer. Il y a des moyens préliminaires qu'on ne peut pas opposer lorsqu'il y a le procès — par requête même — il y a des moyens préliminaires qu'on ne peut pas opposer.

Or, si le réclamant ne se présente pas et qu'on doit quand même produire l'argent en cour, on n'a pas l'occasion de faire valoir ces moyens préliminaires, au niveau de la réclamation individuelle.

Je me demande — et là je le dis très naïvement parce que je n'ai pas la solution — s'il n'y a pas un déni de justice parce que, normalement, le défendeur peut faire valoir tous les moyens en droit ou en fait pour lesquels la réclamation ne devrait pas être acceptée et, dans ce cas-ci, comme le jugement a été rendu globalement et qu'il n'y a pas eu de réclamation individuelle pour un certain montant, il sera empêché de le faire.

M. Fontaine: Merci.

Le Président (M. Marcoux): Je remercie les membres de la Chambre de commerce de Québec d'avoir eu l'amabilité d'attendre et de prolonger la présentation de leur mémoire. Je remercie également les membres de la commission.

La commission ajourne ses travaux sine die.

Les mémoires que nous entendrons demain seront les mémoires no 8, 7, 14 et 16.

(Fin de la séance à 18 h 37)

ANNEXE A

Mémoire

présenté à la

Commission permanente de la justice

relativement au

Projet de loi no 39

Loi sur le recours collectif

Association provinciale des

Marchands d'automobiles du

Québec Ltée

Janvier 1978

INTRODUCTION

L'Association Provinciale des Marchands d'Automobiles du Québec Ltée., "l'Association", a pris connaissance du projet de loi no 39 intitulé "Loi sur le recours collectif" et déposé par Monsieur Pierre Marois, Ministre d'Etat au développement social. L'Association, corporation sans but lucratif constituée en vertu de la troisième partie de la loi des compagnies du Québec (1964 S.R.Q. c. 271) regroupe plus de huit cent cinquante (850) membres qui sont des concessionnaires de manufacturiers ou distributeurs de véhicules automobiles neufs au Québec. L'Association a cru opportun de faire une étude attentive de ce projet de loi qui implante une notion juridique nouvelle, recours collectif ("class action"), dans notre système de droit et qui n'a pas été sans soulever de nombreux problèmes dans les juridictions où le "class action" existe.

L'Association a constaté que le projet de loi présenté par Monsieur Pierre Marois remédiait à certains problèmes qui étaient causés par le recours collectif, plus particulièrement aux Etats-Unis. Ce-

pendant, il n'en demeure pas moins que plusieurs points énoncés au projet de loi méritent des commentaires car il nous semble que si certains articles étaient adoptés tels que proposés, des situations injustes en découleraient. Dans les lignes qui suivent, nous traiterons d'abord des principes à la base même du projet de loi puis nous verrons par la suite certains articles du projet de loi

CHAPITRE 1 - PRINCIPES GÉNÉRAUX

Parmi les principes qui ont été retenus par le législateur, nous notons d'abord celui de "I'opting out". C'est ainsi qu'aux articles 1007 et 1008 du projet de loi, il est prévu qu'une personne fera partie d'un groupe à moins qu'elle ne soit exclue en suivant une procédure particulière. Selon la méthode retenue par le législateur, il pourra s'écouler plusieurs années avant que le défendeur dans un recours collectif connaisse la composition réelle du groupe poursuivant ainsi que le montant auquel il sera condamné. D'autre part, il arrivera que des personnes qui n'ont jamais été mises au courant d'un recours collectif, soient liées par le recours collectif. A ceci, l'on pourra invoquer le système de publication prévu par le projet de loi mais il est quelque peu présomptueux de croire que le citoyen de Coati-cook sera informé du recours collectif intenté à Sept-lles.

D'autre part, le législateur québécois a choisi de retenir le principe dit du "fluid relief". En vertu de ce principe, une personne peut être condamnée à payer un certain montant d'argent, sans que ce montant soit versé à des membres du groupe. Cette méthode permet d'instaurer en droit québécois le principe des dommages punitifs et elle nous semble aller à l'encontre des principes du droit civil. Il est quelque peu curieux qu'un défendeur ait à payer un montant d'argent alors qu'il lui sera impossible d'identifier le requérant.

CHAPITRE II - DISPOSITIONS PARTICULIÈRES Paragraphe I - Autorisation d'exercer le recours collectif

Plusieurs dispositions prévues au projet de loi du recours collectif méritent une attention particulière. Notre premier commentaire a trait à l'article 1022 qui traite de l'autorisation préalable qui doit être accordée par le Tribunal avant d'exercer un recours collectif. Cet article, dans son deuxième paragraphe, énonce les éléments qui doivent être mentionnés dans la requête devant être présentée au Tribunal, à savoir: a) les faits qui donnent ouverture à la requête; b) la nature des recours pour lesquels l'autorisation est demandée; c) le groupe pour le compte duquel le membre entend agir.

Nous croyons qu'il y aurait lieu de préciser le contenu de la requête pour s'assurer que cette dernière contienne les conclusions recherchées par le requérant et dont il doit être fait mention au jugement octroyant la requête (article 1005 c).

D'autre part, l'article 1003 mentionne certaines conditions qui doivent être remplies pour permettre l'exercice du recours collectif; il y aurait lieu d'ajouter à ces conditions une disposition relativement à la composition du groupe. En effet, il semble tout à fait normal que le recours collectif et ce tel que le dit le mot lui-même soit exercé par plusieurs personnes et non par un simple groupuscule. A cet effet, il y aurait lieu d'ajouter une disposition à l'effet que le Tribunal autorise l'exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que le groupe est si nombreux et que la composition du groupe rendent difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67.

Tel que nous en faisions mention précédemment, le législateur québécois a retenu le principe de "l'opting out" aux articles 1007 et 1008. Nous croyons que cette théorie de "l'opting out" doit être accompagnée d'un système de publicité adéquat si l'on veut que les gens soient dûment informés qu'une action a été intentée, laquelle action pourra aboutir à un jugement qui liera ce membre. C'est ainsi que nous croyons qu'il y a des précisions à ajouter aux articles 1005, 1006 et 1046. Nous croyons qu'il devrait y avoir une disposition additionnelle dans laquelle on devrait exiger la signification personnelle de l'avis prévu à l'article 1006 à toute personne dont les droits seraient supérieurs à la somme de cent dollars ($100). Il ne s'agit pas d'une disposition nouvelle, mais d'une disposition qui existe dans certaines législations américaines à la suite d'un jugement de la Cour Suprême des Etats-Unis dans Mullane-vs-Central Hanover Bank Trust Co., 339 U.S. 306. D'autre part, nous croyons que l'avis prévu à l'article 1006 ne soit pas satisfaisant car il pourrait y être ajouté certaines dispositions qui sont mentionnées au projet de loi afin de permettre à une personne de bien connaître tous les droits qu'elle peut avoir en vertu de la loi sur le recours collectif. C'est ainsi que nous croyons qu'il y aurait lieu d'ajouter à l'avis mentionné à l'article 1006 une disposition à l'effet que tout membre de la classe peut intervenir conformément aux dispositions des articles 1017 et 1018 du projet de loi.

Paragraphe 2 - Déroulement du recours

Tout au long du projet de loi, on constate qu'une grande discrétion est accordée au Tribunal. En effet, il suffit de se référer aux articles 1012, 1014, 1018, 1019, 1020, 1023 et 1024 pour constater que le Tribunal est omniprésent dans tous les actes qui sont posés par le représentant ou le défendeur. Une telle intervention du Tribunal modifie substantiellement le rôle du juge, tel qu'on le connaît aujourd'hui.

Nous ne croyons pas que le rôle du juge soit d'intervenir constamment mais plutôt de juger du litige qui lui est présenté en laissant les parties présenter la preuve pertinente. Le projet de loi tel que conçu ne fait que limiter les moyens mis à la disposition du justiciable. Nous croyons qu'une telle politique ne causera que des préjudices aux justiciables et empêchera que justice soit réellement rendue. Pour ces raisons, nous désirons que les limitations qui dérogent au droit actuel soient retranchées et que les articles 1012, 1016, 1018, 1019, 1020, 1021 et 1025 soient retirés du projet de loi.

Paragraphe 3 - Le jugement et ses effets

Au titre quatrième du projet de loi, chapitre deuxième, on mentionne à l'article 1033 que les sommes qui ne sont pas réclamées constituent le reliquat qui est distribué selon la volonté du Tribunal. A l'article 1032, on constate que le montant auquel le défendeur est condamné doit être déposé au greffe de la cour avant que les demandeurs aient fait leur réclamation. De semblables dispositions ont été l'objet de nombreuses controverses aux Etats-Unis. Il nous semble tout à fait injustifié d'exiger du défendeur le dépôt d'une somme d'argent avant que les membres du groupe aient fait leurs réclamations. D'autre part, advenant que le montant du jugement ne soit pas entièrement réclamé, le solde devrait être remis au défendeur.

L'article 1030 mentionne que lorsque le jugement final est exécutoire, le Tribunal de première instance ordonne la publication d'un avis. Etant donné les coûts importants que peuvent comporter la publication de ces avis soit par la voie des journaux, soit par tout autre moyen de communication, il y aurait lieu de préciser qu'elle est la partie qui devra supporter les frais relatifs à la publication de ces avis.

Les articles 1037 et suivants traitent des réclamations individuelles et l'on mentionne à l'article 1038 qu'un membre peut dans l'année produire sa réclamation lorsque le jugement final est exécutoire. Il semble qu'il y aurait lieu de raccourcir ce délai car un délai d'un an pour produire sa réclamation est long et surtout lorsqu'on a vu au tout début et plus particulièrement aux articles 1005 et suivants qu'un membre du groupe a un délai d'au plus six mois pour s'exclure du groupe. Dans les circonstances, il y aurait lieu de reprendre les mêmes dispositions quant au délai.

L'article 1051 du projet de loi nous semble être l'un des articles les plus importants de tout le projet de loi. Il est mentionné à cet article que les dispositions du code de procédure civile incompatibles avec le présent livre ne s'appliquent pas aux demandes pour lesquelles on exerce le recours collectif. D'autre part, le projet de loi mentionne spécifiquement que l'on ne permettra pas d'exercer certains recours plus particulièrement en vertu de l'article 172, lequel article mentionne que le défendeur peut faire valoir par demande reconventionnelle n'importe quel moyen de défense. L'élimination de cet article par l'avant dernier article du projet de loi nous semble tout à fait condamnable. Encore là, l'élimination de cette disposition a fait l'objet de plusieurs commentaires aux Etats-Unis et l'on a permis dans la plupart des cas à une personne qui était défenderesse en vertu d'un recours collectif d'opposer au demandeur tous les moyens de droit qui pouvaient être opposés à n'importe quel autre défendeur et à toute étape de la procédure. C'est ainsi que l'on a retenu la possibilité de faire valoir toute demande reconventionnelle à l'article 11 du Uniform Class Action Act soumis par le National Conference of Commerce on Uniform State Laws.

CHAPITRE III - CONCLUSION

Dans les lignes qui précèdent nous vous avons indiqué certains passages de la loi proposée qui devraient être revisés. Nous y avons indiqué les points particuliers mais il n'en demeure pas moins que plusieurs de ceux-ci sont reliés à certains principes fondamentaux du projet de loi. A cet effet, le législateur propose de retenir les principes de "l'opting out" et du "fluid relief". Il nous semble tout à fait normal que le membre d'un groupe doive manifester son intention d'intenter une action, et c'est pour cette raison que nous avons suggéré dans le cas de toute réclamation supérieure à cent dollars ($100.00), qu'une signification personnelle de l'avis soit faite aux membres du groupe. D'autre part, la reconnaissance des dommages punitifs en droit civil nous semble tout à fait injustifiée et c'est la raison pour laquelle nous suggérons d'abolir cette notion qui est mentionnée au projet de loi. Finalement, nous croyons que les principes généraux de procédure qui existent présentement doivent être maintenus lors de l'exercice du recours collectif.

ANNEXE B

Mémoire

présenté par la Commission des services

juridiques à la commission parlementaire

chargée d'étudier le projet de loi sur le

recours collectif

13 janvier 1978.

Dans son ensemble le projet de loi sur le recours collectif répond en grande partie aux exigences d'une telle procédure. La formule de I'opting out qui a été retenue représente un avantage certain pour le consommateur. Il pourra bénéficier des effets d'un jugement favorable sans devoir au préalable signifier son intention d'adhérer au groupe ni encourir de responsabilité pour les dépens. Les critères d'exercice du recours collectif sont assez larges et assez souples pour inclure la grande majorité des demandes de ce genre. On remarque également un souci de simplicité qui aidera à restreindre les longs débats stériles. L'entière discrétion laissée au tribunal concernant la forme, la fréquence et les moyens de publication des avis assure une marge de manoeuvres suffisante pour empêcher que les frais de publication des avis ne mettent en péril le recours collectif. Son inclusion au Code de procédure civile lui confère un caractère d'application général à tous les recours de droit commun. Il répond en majeure partie aux exigences formulées par la Commission des services juridiques dans son deuxième rapport annuel de mars 1974.

Tel que conçu, ce projet de loi laisse au juge chargé de présider au débat du commencement à la fin, une grande discrétion. C'est pourquoi la responsabilité du succès ou de l'échec de cette nouvelle procédure reposera en grande partie sur les épaules de la magistrature. Il est impérieux qu'une impulsion favorable à l'exercice des recours collectifs soit donnée dès le départ et qu'on évite de mettre fin prématurément au recours ou de le rendre inefficace par des délais indus.

La participation de l'état au financement du recours collectif est nécessaire pour en assurer l'exercice vu les coûts prohibitifs à la charge du seul représentant. Cette participation de l'état par l'intermédiaire d'un "Fonds d'aide aux recours collectifs" créé par le projet de loi no 39 étend l'aide juridique à l'ensemble des Québécois en matière de recours collectif. C'est le premier jalon en vue de l'extension de l'aide juridique à la classe moyenne. La Commission des services juridiques ne peut que déplorer qu'un système parallèle d'aide juridique soit ainsi créé et qu'on n'ait pas accordé aux justiciables le libre choix de son avocat en n'accordant pas aux avocats du réseau d'aide juridique le droit d'utiliser cette procédure. C'est du moins l'interprétation donnée actuellement de l'article 69 de la Loi de l'aide juridique. Nous espérons que ce n'est pas la bonne et qu'un amendement la rende erronée.

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS CONCERNANT LE RECOURS COLLECTIF 1o. L'article 1010 en introduisant un droit d'appel du jugement accordant une requête pour autoriser l'exercice d'un recours collectif modifie les règles ordinaires de procédures applicables aux jugements interlocutoires. En effet, l'appel n'est accordé que du jugement interlocutoire ordonnant que soit faite une chose à laquelle le jugement final ne peut remédier. *

Or, l'article 1022 permet au juge sur simple requête de modifier en tout temps ou même d'annuler le jugement autorisant le recours collectif. On peut même se demander si les jugements rendus en vertu de cet article (1022) ne seraient pas sujets à appel. En pratique, il est à prévoir que le défendeur peu pressé d'avoir un jugement contre lui en appellera automatiquement du jugement accordant le recours collectif et jusqu'en Cour Suprême si la permission lui en est accordée. Une fois que les plus hautes instances se seront prononcées, la question ne sera pas encore résolue à cause de l'article 1022 qui permettra au juge de première instance de modifier les effets d'un jugement de la Cour Suprême.

Il nous semble que l'article 1022 est suffisant pour protéger les droits du défendeur et que le droit d'appel prévu à l'article 1010 devrait être retranché pour laisser jouer les règles ordinaires concernant l'appel. S'il faut absolument un droit d'appel, que ce soit sur permission de deux juges de la Cour d'Appel suivant les critères prévus à l'article 26 (4) C.P.C.

TEXTE PROPOSE: 26. Sont sujets à appel, à moins d'une disposition contraire: 1. ... 2. ... 3. ... 4. "avec la permission de deux juges de la Cour d'appel, les autres jugements finals de la Cour supérieure et de la Cour provinciale ainsi que le jugement accordant la requête en

recours collectif lorsque, suivant l'opinion de ces juges, la question en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour d'appel". 2o. En vertu de l'article 1011 le représentant doit formuler sa demande dans les trois mois du jugement accordant la requête autorisant l'exercice du recours collectif. S'il ne le fait pas le tribunal peut la déclarer périmée sur requête accompagnée d'un avis de dix jours de sa présentation. Le représentant peut empêcher que la péremption ne soit prononcée en formant sa demande avant qu'il ne soit statué sur la requête.

Ce délai de dix jours nous apparaît trop court vu l'importance de la procédure en cause. Nous suggérons qu'on s'en tienne aux règles de procédures ordinaires qui prévoient à l'article 268 du C.P.C. un avis de trente jours dans les cas de péremption d'instance. 3o. Par le biais de l'article 1016, un représentant peut, même de bonne foi, mettre en péril les droits des membres à leur insu.

En effet, le représentant peut se désister totalement ou partiellement de la demande, d'un acte de procédure ou d'un jugement.

L'article 1016 exige à bon droit qu'il soit autorisé par le tribunal pour ce faire. Mais, qu'en est-il du droit des membres si le tribunal fait droit à ce désistement. Les membres pourraient-ils intervenir et poursuivre la demande telle qu'originellement poursuivie ou alors établie, s'ils sont et restent dans l'ignorance de cet état de faits.

Nous recommandons que dans le cas de désistement, avis en soit donné aux membres avant que le jugement l'autorisant ne soit exécutoire et ne devienne opposable à ces derniers. En conséquence, nous suggérons l'amendement suivant:

Le jugement qui fait droit au désistement a) ordonne la suspension de l'instance dans l'état où elle était avant la demande de désistement et b) ordonne la publication d'un avis aux membres, spécifiant les effets du jugement. c) le jugement détermine également le délai au cours duquel un membre peut demander d'être substitué au représentant dans l'instance suspendue . 4o. En vertu de l'article 1030 un avis doit être donné aux membres au moment où le jugement final est exécutoire.

Comme un jugement déclaratoire ne devient jamais exécutoire il y aurait avantage à préciser l'article 1030 à ce sujet.

En vertu de 1042 le membre peut demander la permission d'en appeler du jugement final dans les soixante jours de l'expiration des délais d'appel, si le représentant n'en appelle pas. Il serait évidemment utile que les membres soient avisés du jugement avant l'expiration des délais. C'est pourquoi nous suggérons que les deux premiers paragraphes de l'article 1030 soient modifiés comme suit:

Lorsque le jugement final est exécutoire, ou dans le cas d'un jugement déclaratoire lorsqu'il est passé en force de chose jugée, le tribunal de première instance ordonne la publication d'un avis.

L'avis contient une description du groupe et il indique la teneur du jugement ainsi que le délai accordé aux membres pour se pourvoir en appel.

Il y aurait lieu d'introduire un amendement de concordance à l'article 1042 de façon à ce que le délai pour faire la demande de permission d'en appeler par un membre qui veut se substituer au représentant qui néglige de loger un appel ne commence à courir qu'à compter de la date de publication de l'avis prévu à l'article 1030. 5o. En vertu de l'article 1038, le délai pendant lequel un membre peut produire sa réclamation est imprécis. On peut supposer qu'il doit agir dans l'année où l'avis ordonné par le juge en vertu de l'article 1030 a été donné. C'est même l'interprétation la plus logique puisqu'on ne s'attend pas à ce qu'un délai court contre quelqu'un sans qu'il le sache. Cependant, la rédaction de l'article est ambiguë et laisse plutôt supposer que le délai court à partir du moment où le jugement final est exécutoire. Pour corriger cette situation qui engendrera sans doute de longs et coûteux débats, il y aurait lieu de modifier l'article 1038 pour qu'il se lise ainsi: "Lorsque le jugement final est exécutoire, un membre peut dans I'année de la publication de l'avis prévu à l'article 1030, produire sa réclamation..." 6o. Tel quel, le recours collectif ne peut être intenté que devant la Cour Supérieure, ce qui signifie qu'aucun recours d'une nature collective ne peut être intenté devant les tribunaux administratifs. A titre d'exemple, les locataires d'un immeuble ne peuvent employer cette procédure pour s'op-

poser collectivement à une hausse abusive de loyer ou pour réclamer collectivement une diminution de loyer dans les cas de diminution des services fournis par le propriétaire. Cette lacune est particulièrement importante au moment où se multiplient les recours devant ces tribunaux alors qu'on diminue la juridiction des tribunaux de droit commun. Nous sommes d'avis qu'il y aurait lieu de prévoir dans cette loi une disposition obligeant les tribunaux administratifs ainsi que les diverses commissions et régies ayant des pouvoirs quasi judiciaires, à adopter dans un délai de deux ans des règles de pratique prévoyant la possibilité d'exercer devant elles un recours collectif.

RECOMMANDATIONS QUANT AU FONDS D'AIDE AUX RECOURS COLLECTIFS

La Commission des services juridiques ne peut être qu'en désaccord avec l'idée de créer un organisme parallèle d'aide juridique qui entraînera un dédoublement des coûts au point de vue administratif alors qu'aucune raison d'ordre juridique ou même d'efficacité ne peut justifier une telle décision. Bien au contraire, il était tout à fait normal d'envisager que toute extension à la couverture de l'aide juridique tombe sous la juridiction du système d'aide déjà en place.

La création d'un "Fonds d'aide aux recours collectifs" indépendant de la Commission des services juridiques bien que nous apparaissant être une décision difficilement justifiable n'est pas en soi préjudiciable à la clientèle qui a besoin d'aide juridique. Nous aurons donc deux lois favorisant l'accès à la justice.

Par contre rien ne va plus quand on se rend compte que la promesse d'amendement à la loi de l'aide juridique contenue aux notes explicatives du projet de loi n'est pas tenue. A ce sujet, il suffit de se référer aux deux dernières lignes du premier paragraphe des notes explicatives accompagnant le projet de loi. Elles se lisent comme suit: "... et le troisième titre prévoit certaines dispositions modifiant le Code civil et la Loi de l'aide juridique".

L'amendement promis ne se retrouve pas dans la loi. Il aurait permis aux avocats du réseau d'aide juridique de continuer à répondre aux besoins de sa clientèle comme par le passé. En effet, l'article 69 de la Loi d'aide juridique empêche un avocat du réseau de représenter un client qui réclame une somme d'argent lorsqu'un avocat de pratique privée accepte d'agir pour ce client. En pratique, lorsque la somme réclamée est peu importante, il arrive fréquemment que le client ne puisse trouver un avocat de pratique privée pour le représenter. C'est donc un avocat du réseau qui s'en charge. C'est d'ailleurs de cette façon que le réseau d'aide juridique a été le premier impliqué dans des recours de nature collective. Plusieurs centaines d'actions ont été intentées contre le Cercle d'Economie de la future ménagère et le Foyer de la future ménagère. Il en fut de même à la suite du Week-End Rouge à Montréal alors qu'un incendie, pendant la grève des pompiers, rasa tout un pâté de maisons dans l'est de Montréal occasionnant la perte de tous les biens meubles et effets personnels d'un grand nombre d'assistés sociaux. Le cas de la compagnie Holiday Magic doit également être souligné d'autant plus qu'il a fait l'objet d'un recours collectif aux Etats-Unis. Au Québec, c'est le réseau d'aide juridique qui a mis fin aux activités illégales de cette compagnie. C'est également le réseau d'aide juridique qui a pris collectivement la défense des chômeurs et des personnes âgées lorsque la Commission d'Assurance-Chômage a par erreur mis fin abruptement aux prestations d'assurance-chômage pour les personnes âgées de 65 ans et plus ainsi qu'aux prestations supplémentaires pour les chômeurs ayant charge de famille. Il en fut de même pour les dépôts exigés par les compagnies de gaz. Tous ces recours d'une nature collective ont dû être intentés individuellement par les avocats du réseau avec les frais supplémentaires de signification que cela implique, sans compter le temps et l'énergie des avocats concernés. Avec l'adoption de ce projet de loi, il est probable, vu les montants en jeu, que les cas de recours collectifs devront être référés à la pratique privée. Cela nous apparaît comme étant une limitation additionnelle au libre choix de l'avocat, principe jusqu'ici ardemment défendu par le Barreau. On ne veut pas empêcher que le bénéficiaire choisisse un avocat de pratique privée, on veut tout simplement qu'il puisse avoir accès au réseau d'aide juridique s'il le désire.

Par le biais de cette nouvelle procédure et du "Fonds d'aide aux recours collectifs ", l'aide juridique, du moins en ce domaine particulier du droit, devient pour la première fois accessible à tous les Québécois. Cette ouverture sur la classe moyenne se fait au détriment de l'organisme chargé de voir à l'application de la loi de l'aide juridique. En ouvrant la porte aux recours collectifs aux seuls avocats de la pratique privée on enlève aux avocats du réseau la possibilité de continuer à représenter une classe ou un groupe de personnes comme par le passé. C'est la première fois également qu'on restreint les moyens d'action de ces avocats en ne leur permettant pas l'usage d'une procédure inscrite au Code. Nous croyons qu'il s'agit là d'un changement majeur de politique face au système d'aide juridique actuel qui devrait faire l'objet d'un débat sérieux.

Cela dit, l'exclusion du réseau d'aide juridique du recours collectif peut entraîner des conséquences imprévisibles pour le public. Le membre qui devra produire et prouver sa réclamation à la suite d'un jugement favorable fera appel à un avocat qui aura droit d'exiger des honoraires pour ses services. Dans l'hypothèse où le jugement ordonne de rembourser tous les acheteurs d'un certain modèle de

bouilloire d'une valeur de $25.00 pièce et qu'un avocat réclame pour l'entrevue, l'examen des documents, la préparation et la rédaction de la réclamation, la vacation à la Cour et la production de la réclamation, des honoraires se situant entre $25.00 et $50.00, autant dire que le recours collectif devient inefficace. Un grand nombre de personnes ne se prévaudront pas de leur droit pour la même raison qu'elles ne le font pas actuellement dans les cas de réclamation en faillite, sur dépôt volontaire ou sur saisie-arrêt. Dès qu'elles agissent, elles encourent un déficit. L'effet dissuasif recherché n'est pas atteint non plus puisque le défendeur n'a pas de réclamation à payer.

Devant cette éventualité nous proposons que la loi de l'aide juridique soit amendée pour permettre l'exercice du recours collectif à la fois par les avocats du réseau d'aide juridique et les avocats de la pratique privée.

Cette recommandation a le mérite de respecter les institutions déjà en place en faisant participer le réseau d'aide juridique aux innovations dans ce domaine et en assurant une aide juridique gratuite à la population tout en maintenant son droit à l'avocat de son choix.

S'il faut absolument empêcher le réseau d'aide juridique de représenter au moyen d'une action collective des groupes dont une partie importante des membres ne rencontre pas les critères actuels de l'aide juridique, il est possible de prévoir des barèmes d'admissibilité pour des groupes dont on peut raisonnablement penser qu'une partie importante des membres rencontre les critères d'admissibilité à l'aide juridique. En ce sens, seraient admissibles à l'aide juridique, pour les besoins du recours collectif, les retraités, assistés sociaux, chômeurs, étudiants, autochtones, détenus et les groupes dont une partie importante des membres a un revenu moyen inférieur à $8,000.00 par année et les groupes dont l'admissibilité d'une partie importante des membres se justifierait par la nature de la cause et le montant en litige. C'est la solution de compromis que nous sommes venus vous proposer.

COMMISSION DES SERVICES JURIDIQUES 13 janvier 1978

ANNEXEC

Mémoire de la Chambre de commerce de la province de Québec

DEUXIEME PARTIE

Tel que mentionné auparavant, cette seconde partie de notre mémoire entend discuter de certaines modifications d'ordre purement technique que la Chambre souhaiterait voir apportées au projet de loi sur le recours collectif.

Certaines des modifications proposées remettent en cause le principe même sous-jacent aux dispositions pertinentes, d'autres espèrent humblement apporter plus de précision et de clarté au texte du projet de loi et finalement un certain nombre de nos remarques seront plutôt des interrogations que la Chambre désire soumettre au législateur. Il est clair, en premier lieu, que l'introduction au sein du Code de procédure civile d'un recours de la nature du recours collectif entraîne des problèmes de concordance et la Chambre aimerait en conséquence soumettre à la Commission certaines interrogations soulevées à ce niveau.

Il est clair, en second lieu, que l'avènement d'un tel recours entraîne à ce moment-ci certains problèmes au niveau de la conceptualisation de son application et la Chambre désire, en conséquence, interroger le législateur quant à la solution de certains problèmes pratiques.

Nonobstant ce préambule, une première disposition qu'il est opportun de signaler est l'article 1000 du projet de loi. La Chambre note avec plaisir que l'attribution du recours collectif à la juridiction exclusive de la Cour supérieure confère ainsi un droit d'appel automatique (art. 26(1) C.P.C.) de la décision rendue sur le recours collectif, et la Chambre croit que l'importance d'un tel recours ne pouvait mériter un autre traitement "moindre".

L'article 1001 du projet de loi a retenu l'attention de la Chambre, à ce point que cette dernière en est venue à proposer l'abrogation du 2e paragraphe de cet article. Cette disposition prévoit, en son premier paragraphe, que le juge en chef désigne le juge qui entendra normalement toutes les procédures inhérentes à un même recours collectif. Le second paragraphe prévoit que te juge en chef peut désigner ce juge s'il estime que l'intérêt de la justice le requiert, sans tenir compte des causes de récusation de ce juge prévues au Code de procédure civile. La Chambre soumet respectueusement que le juge en chef devrait tenir compte des causes de récusation du juge dans tous les cas afin d'éviter à ce juge l'onéreux d'informer le juge en chef du refus de sa désignation et d'éviter à une des parties à l'instance l'onéreux de plaider devant un juge dont elle remet en cause l'impartialité à son endroit.

Un vieux principe de droit évoqué par le Judge Hopkins énonçait ce qui suit: "La justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit paraître être rendue". La Chambre voit avec peine comment, par exemple, le défendeur à un recours collectif pourrait croire que justice paraît avoir été rendue et avoir effectivement été rendue, si son procès se déroule devant un juge dont l'épouse est membre du groupe des demandeurs.

La Chambre désire également proposer des modifications à l'article 1002 du projet de loi. Ces modifications viseraient à inclure trois nouveaux éléments à cet article. En premier lieu, l'affidavit accompagnant la requête devrait mentionner expressément que la requête est présentée de bonne foi et qu'elle n'est ni frivole ni vexatoire. En second lieu, il serait opportun d'obliger le requérant à démontrer par preuve prima facie le bien-fondé de sa requête; en troisième lieu, il serait opportun de permettre à l'intimé de plaider par écrit sur la requête (et de lui accorder pour ce faire un délai plus étendu que 10 jours) et de prouver ses allégués par une enquête. Ces propositions retiennent en fait une disposition prévue lors de la présentation d'une requête pour injonction interlocutoire (art. 754 C.P.C.) et reposent sur des justifications fort sérieuses. La Chambre croit qu'il est extrêmement important de permettre à l'intimé de se défendre pleinement lors de la présentation de cette requête car elle revêt pour l'intimé une importance beaucoup plus marquée qu'on ne le croirait. Prenons un exemple, pour illustrer cette affirmation.

Dès que la requête est accordée, elle donne ouverture au recours collectif. Il y a alors publication d'avis informant les membres d'un groupe donné de l'existence d'un recours collectif et de la possibilité pour eux de s'exclure de ce recours. A partir de ce moment, le public en général est sensibilisé à l'existence d'un recours collectif intenté contre le commerçant X, et déjà cette information nuit à la réputation et aux affaires du commerçant en question.

Même si à la fin de l'instance le recours est rejeté, il en reste toujours quelque chose dans l'esprit des gens et le mal est fait.

Aussi, pour protéger l'intimé, il y aurait lieu de lui permettre une défense complète lors de la présentation de la requête, ce qui permettrait par ricochet une meilleure sélection des recours bien fondés et des recours frivoles et vexatoires.

La Chambre propose aussi de relier les paragraphes a et b de l'article 1003 en ajoutant les mots "et que" à la fin du paragraphe a, après les points virgules. Cette modification vise à préciser le caractère conjonctif des paragraphes a et b de cet article.

La Chambre aimerait voir modifié l'article 1004 du projet de loi, afin que le juge en chef, lorsqu'il désignera le district dans lequel le recours collectif sera exercé, prenne en considération "l'intérêt des parties" et non seulement "l'intérêt des membres". Cette proposition découle d'un souci de justice et d'équité. En effet, il serait normal que le juge en chef, en choisissant le district judiciaire, apprécie du même coup les frais additionnels que ce choix pourra entraîner, par exemple, s'il choisit un district éloigné du domicile du défendeur, etc....

La Chambre avance une nouvelle formulation du paragraphe c de l'article 1005 afin qu'il se lise comme suit: c) "ordonne la publication de l'avis le plus approprié dans les circonstances afin de rejoindre le plus grand nombre de membres possible".

Cette formulation nouvelle laisse au juge la discrétion de choisir le mode d'avis qui permettra d'informer le plus de membres possible de l'existence d'un recours collectif en leur faveur.

L'article 1012 du projet nous amène à recommander deux modifications. La première vise à définir plus précisément la notion d'une "partie importante des membres"; s'agit-il d'une minorité, d'une majorité simple ou d'une majorité absolue des membres? Ou quoi?

Et la seconde vise à prévoir expressément dans cet article que l'appel en garantie sera permis dans tous les cas au défendeur. La Chambre réalise que cette dernière proposition pourrait entraîner des retards importants dans le déroulement des procédures et même des appels en garantie frivoles. Cependant, nous croyons que le recours collectif qui permettra à un certain nombre de personnes lésées de la même façon dans leur droit d'obtenir réparation collectivement en un litige unique devrait permettre simultanément au défendeur d'obtenir une solution complète dans le même litige et de ne pas supporter, même temporairement, le poids d'une condamnation importante (qui pourrait l'acculer à la faillite) jusqu'à ce qu'il puisse obtenir réparation du véritable responsable (ex.: le détaillant pourrait tout de suite appeler le manufacturier en garantie).

L'article 1014 soulève un problème de compréhension. Un aveu, par définition, est une admission préjudiciable à la partie qui le fait. Ainsi, l'aveu du représentant sera toujours préjudiciable à l'intérêt des membres du groupe et le tribunal se verra toujours appelé à déclarer que l'aveu du représentant ne lie pas les membres. Aussi, la seule façon d'interpréter cet article pour lui conférer du sens serait de considérer que l'aveu qu'on mentionne est l'aveu du représentant, mais à titre personnel. Mais cette interprétation soulève alors une nouvelle question s'il s'agit d'un aveu personnel du représentant, pourquoi lierait-il les membres?

L'article 1017 soulève lui aussi une question intéressante. Cet article, de par son libellé, nous semble exclure la possibilité pour un membre de faire une intervention dite "agressive". Si tel est le cas, qu'arrive-t-il d'un membre qui constate alors que son délai d'exclusion est expiré, et qu'il désire faire

une intervention agressive? Peut-il se désister de la demande et se poser valablement comme intervenant agressif?

La Chambre propose des modifications à l'article 1022 du projet de loi.

Elle propose de modifier le premier paragraphe de cet article afin de tenir compte d'une recommandation soumise en la première partie des présentes et qui aurait pour effet de permettre la révision du jugement si le tribunal considère que les conditions énumérées aux paragraphes a-b-d-e ne sont plus remplies.

De plus, la Chambre propose que le tribunal puisse effectuer les opérations prévues aux 2ième et 3ième paragraphes de l'article 1022 dans la mesure où ceci ne causera pas préjudice aux parties, (ex. les modifications permises entraînent une nouvelle demande totalement différente de la première... etc.)

La Chambre propose une modification à l'article 1023 du projet afin que le représentant ne puisse renoncer à son statut que pour cause et avec l'autorisation du tribunal.

L'article 1024 du projet de loi soulève un peu de surprise dans sa rédaction actuelle. Effectivement, comme l'article 1049 du projet de loi prévoit une représentation obligatoire du représentant par un procureur, la Chambre voit mal pourquoi la substitution d'un représentant à un autre entraînerait le désaveu des actes posés par le procureur. Cette disposition signifie-t-elle que la substitution du représentant entraîne alors la récusation du procureur, ce qui a pour conséquence le désaveu des actes posés par le procureur? Quoi qu'il en soit, la Chambre croit que seule la récusation du procureur devrait entraîner le désaveu des actes antérieurs, ce qui est certes plus orthodoxe avec notre régime procédural actuel et plus près de la réalité pratique du mandat procureur-client.

De plus, les dispositions relatives aux dépens dans ce cas sont aberrantes. La Chambre voit mal pourquoi le défendeur qui succomberait devrait défrayer les dépens d'actes désavoués par un nouveau représentant: ce n'est quand même pas sa faute. Il semble y avoir là une entorse sérieuse à l'équité, le nouveau représentant devrait être tenu aux dépens, cela nous semble d'une logique accablante.

L'article 1026 du projet de loi ne nous semble pas très clair. Cet article stipule qu'advenant le rejet du jugement autorisant l'exercice du recours collectif, l'instance se poursuit entre les parties à l'instance. Nous présumons alors que ces parties seraient le représentant et le défendeur. Mais qu'advient-il des membres? Nous présumons encore qu'ils doivent intenter des recours individuels contre le défendeur ou encore intenter un autre recours collectif par l'entremise d'un nouveau représentant.

Nous présumerons de plus que les personnes qui se seraient exclues du recours pourraient se regrouper et intenter un recours collectif contre le défendeur dans la mesure où elles satisferaient aux exigences énoncées à 1003 du projet.

La Chambre apprécierait des éclaircissements quant aux présomptions qu'elle vient d'énoncer!

Une question que se pose la Chambre, c'est de savoir s'il sera possible au défendeur d'opposer des moyens préliminaires au demandeur lors de la liquidation individuelle des créances alors que le jugement aurait permis le recouvrement collectif. Nous pensons que si.

Aussi, y aurait-il lieu de préciser que l'article 1033, lorsqu'il stipule l'application des articles 1037 à 1040, stipule l'application de 1037 à 1040 inclusivement.

Nous proposons aussi une modification à l'article 1051 du projet afin d'éliminer l'impossibilité de l'utilisation d'une demande reconventionnelle (art. 172(2) C.P.C.). Nous croyons en effet que la demande reconventionnelle pourrait être utilisée au sein du recours collectif, ce qui permettrait une solution complète du litige pour toutes les parties impliquées.

La logique derrière le troisième paragraphe de l'article 11 (Chapitre II Le Fonds) nous semble un peu nébuleuse. Il nous semble que si un administrateur est tenu de s'abstenir du vote parce qu'il est en conflit d'intérêt avec une demande d'aide de Fonds, il devrait d'autant plus s'abstenir de voter si son conflit d'intérêts réside dans le fait qu'il est membre du groupe pour le compte duquel la demande d'aide est présentée.

Finalement, nous en arrivons à une question fondamentale omise dans le projet de loi et c'est l'application du recours collectif aux défendeurs.

Outre la question de principe mise en cause, savoir que les avantages pour les demandeurs de se regrouper et de poursuivre collectivement devraient, question de justice et sous réserve "d'équité", pouvoir bénéficier et s'appliquer aux défendeurs, un exemple pratique nous permettra d'apprécier que l'application du recours collectif aux défendeurs permettra l'exercice de droits qui normalement ne seraient pas exercés.

Supposons ainsi une cafétéria qui, par contrat de sous-traitance, a pour objet principal de voir à nourrir 3,000 employés sur un chantier occupé à la construction d'un projet gigantesque.

La cafétéria, depuis son début d'opération, reçoit de nombreuses plaintes de ses convives à l'effet que les couteaux ne coupent pas le "steak".

La cafétéria achète donc 3,000 nouveaux couteaux à steak et les place à l'entrée de la cafétéria. Le premier soir où ces couteaux sont disponibles, la cafétéria reçoit 2,800 convives facilement identifiables puisqu'ils ne paient pas leur repas mais présentent leur carte d'employé afin que la cafétéria enregistre leur nom et le coût de leur repas et que le tout soit déduit directement sur le salaire de l'employé.

Après le repas, alors que tous les convives ont quitté la cafétéria, les autorités se rendent compte qu'il ne reste plus que 200 couteaux à steak dans les comptoirs.

En supposant, pour les fins de notre exemple, que les autorités de la cafétéria puissent prouver que chaque convive a dérobé son ustensible, si le recours collectif était applicable aux défendeurs, les autorités de la cafétéria pourraient demander par requête de poursuivre un individu représentant le groupe des 2,799 convives de la cafétéria au souper du 1er janvier 1978 pour obtenir un jugement global en dommages-intérêts pour une somme de 2,800 convives multipliée par $5 (la valeur du couteau), soit un montant de $14,000.

Il nous semble certain que, sans la procédure du recours collectif, la cafétéria n'intenterait pas 2,800 recours en petites créances d'une valeur de $5 chacun.

Pourtant, avec le recours collectif, la compagnie pourrait récupérer ses $14,000.

Certes cet exemple comme tous les exemples peut comporter quelques failles. Nous croyons cependant qu'il permet d'illustrer les avantages d'appliquer aussi le recours collectif aux défendeurs.

Conclusions

Nonobstant nos considérations sur le projet de loi à l'étude, la Chambre croit en la nécessité d'introduire le recours collectif dans la gamme des moyens mis à la disposition du citoyen à la fois pour se protéger préventivement et pour faire corriger les préjudices qu'il a subis.

La Chambre souhaite ardemment que le législateur, en inscrivant dans nos lois le recours collectif. conserve à l'esprit l'avantage fondamental du recours collectif: celui de réduire considérablement le besoin d'intervention de l'Etat dans la vie courante des citoyens.

Nous songeons particulièrement aux propositions annoncées mais non encore connues d'un projet de quelque 800 articles sur la protection du consommateur.

LA CHAMBRE DE COMMERCE DE LA PROVINCE DE QUEBEC

Montréal, ce 23 janvier 1978.

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