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Audition des mémoires
sur le projet de loi no 39
Loi sur le recours collectif
(Dix heures quinze minutes)
Le Président (M. Marcoux): A l'ordre! La commission de la
justice est réunie pour poursuivre l'audition des mémoires
concernant le projet de loi no 39, Loi sur le recours collectif.
Les membres de la commission sont... Je n'ai pas à les nommer de
nouveau; en fait, ce sont les mêmes que ceux d'hier. Nous continuons la
séance d'hier. La seule chose qu'il faudrait faire, c'est
désigner un rapporteur, ce qu'on avait oublié de faire hier.
M. Clair: Je proposerais le député de Papineau, M.
le Président.
Le Président (M. Marcoux): Est-ce que cette motion est
acceptée?
Une Voix: Accepté.
Le Président (M. Marcoux): Le député de
Papineau sera rapporteur de cette commission. Aujourd'hui, nous entendrons les
mémoires du Conseil du patronat, de la Commission des services
juridiques et de la Chambre de commerce de la province de Québec. Quant
à l'Association provinciale des marchands d'autos qui a
été invitée à venir nous rencontrer aujourd'hui,
elle nous a envoyé un télégramme nous indiquant qu'elle ne
se présenterait pas. Je vais vous lire ce télégramme:
"Notre cliente, l'Association professionnelle des marchands d'automobiles du
Québec Ltée désire vous aviser qu'elle considère
que le contenu de son mémoire au sujet du projet de loi no 39 est assez
explicite quant à sa position et qu'elle ne croit pas qu'il soit
nécessaire pour elle de se présenter devant cette commission,
mais elle désire réitérer sa position quant aux points
soulevés dans son mémoire. MM. Grondin, Lebel et Associés,
Louis Vaillancourt".
M. Fontaine: Je fais motion, M. le Président, pour que le
mémoire soit transcrit au journal des Débats.
M. Marois: Je suis bien d'accord, M. le Président.
Le Président (M. Marcoux): Le mémoire de
l'Association provinciale des marchands d'autos sera inscrit au journal des
Débats tel qu'il a été présenté aux membres
de cette commission, (voir annexe A).
J'inviterais maintenant M. Dufour à nous présenter ses
collègues qui l'accompagnent et à nous présenter son
mémoire. Vous connaissez nos règles habituelles. Vous avez une
vingtaine de minutes pour présenter votre mémoire et ensuite le
dia- logue s'engage avec les membres de la commission.
Conseil du patronat du Québec
M. Dufour (Ghislain): Merci, M. le Président, M. le
ministre, messieurs les membres de la commission. Mes collègues,
à droite, Me William Hesler, qui est conseiller juridique du CPQ dans ce
dossier, qui travaille avec Ogilvie, Montgomery, Renault et Associés; Me
Philippe Casgrain, de Byers, Casgrain et Associés; à ma gauche,
Me Serge Guérette, associé du bureau de Martineau, Walker et
Associés, et Me Bérengère Gaudet, conseiller juridique au
Conseil du patronat.
M. le Président, notre mémoire fait 58, 60 pages. C'est
bien évident qu'on ne peut pas le reprendre ici. Nous en avons fait un
résumé qui a d'ailleurs été distribué aux
députés, je pense.
Nous vous remercions de cette possibilité de vous donner nos
commentaires sur le projet de loi no 39. Nous disons que le Conseil du patronat
ne s'oppose pas au principe du recours collectif. Au contraire, comme nous
l'affirmons dans le mémoire, le CPQ estime qu'il est juste d'introduire
au Québec une certaine forme de recours collectif quand celui-ci peut
correspondre à un besoin social des citoyens
québécois.
Dans la mesure où le recours collectif permet d'élargir
l'accès à la justice pour des citoyens qui autrement ne
pourraient obtenir de compensations adéquates, nous sommes tout à
fait favorables au principe d'un tel recours.
Par ailleurs, cette réforme qui nous est proposée
s'inscrit dans la même ligne d'évolution que la Loi des petites
créances et la Loi de l'aide juridique, elles-mêmes des
réformes en vue d'une démocratisation de la justice au
Québec, principe auquel nous souscrivons pleinement. Toutefois,
là où notre conception diffère de celle qui s'exprime dans
le projet de loi, c'est que nous préconisons un système où
le recours collectif serait circonscrit à l'intérieur de limites
plus précises, plus exigeantes et, croyons-nous, plus équitables
pour toutes les parties en cause.
Fondamentalement, le CPQ estime que le recours collectif doit être
une mesure compensatoire, dans le cadre de notre droit civil, en dehors de
toute connotation punitive ou pénale. Pour nous, le recours collectif
doit se justifier selon les paramètres suivants: plusieurs citoyens ont
le droit de se regrouper pour réclamer d'un même défendeur
une compensation monétaire quand ils ont subi personnellement un dommage
lié à une même cause. Ce dommage doit être
réel, quantifiable, suffisamment élevé pour justifier une
action en justice.
Deux objectifs principaux doivent donc être atteints si on veut
privilégier l'exercice du recours collectif par opposition à
d'autres recours: permettre la compensation monétaire de plusieurs
individus lésés et deuxièmement, faciliter
l'administration de la justice. En tenant compte à la fois
des paramètres mentionnés plus haut et de ces objectifs,
on peut déterminer les limites d'application du recours collectif ou, si
on veut, ce que le recours collectif ne doit pas être. Cela nous
amène à quatre limites d'application.
La première, le but recherché, on le répète,
ne doit pas être punitif. L'aspect punitif doit être absolument
distinct de l'aspect compensatoire, comme le reconnaît le
ministère de la Justice des Etats-Unis dans la nouvelle
législation proposée. Lorsque les motifs véritables de la
poursuite sont de prévenir l'enrichissement injustifié, de faire
échec à semblable conduite par d'autres ou tout simplement de
punir la personne ou l'entreprise coupable, ce sont là sans doute des
fins légitimes, mais elles relèvent de l'initiative
gouvernementale et non de l'initiative privée. Il n'appartient pas au
citoyen de se faire délateur et d'intenter des poursuites
pénales.
Deuxièmement, le recours collectif ne doit pas être
possible lorsque la réclamation est de nature telle que le demandeur
pourrait exercer un autre recours avec les mêmes avantages. Par exemple,
en vertu de ce principe, on devrait exclure de l'application de la loi 39 les
cas de poursuites pour dommages corporels car ce genre de recours
entraîne toujours une demande de compensation élevée,
suffisante pour justifier un recours individuel.
Par contre, l'expertise médicale nécessaire dans chaque
cas est si complexe et si coûteuse qu'on ne gagnerait rien en termes de
temps et de ressources en utilisant le recours collectif et que rien ne serait
simplifié avec une multitude de cas individuels à
l'intérieur d'une même instance.
Troisième limite, l'exercice du recours collectif doit
s'apprécier en fonction d'une meilleure administration de la justice.
Par conséquent, il ne doit pas avoir pour effet d'encombrer les
tribunaux plus qu'ils ne le sont actuellement ou plus qu'ils ne le seraient par
l'exercice de recours individuels.
Finalement, la quatrième, le recours collectif ne doit pas
être basé sur des réclamations pour des sommes minimes ou
dérisoires, car plus la compensation recherchée est petite, plus
le motif véritable de la poursuite est punitif et non compensatoire.
Pour que le recours soit vraiment compensatoire, il faut que
l'intérêt soit quantifiable et suffisamment élevé
pour justifier un recours en justice.
Abordons maintenant la question de la formation du groupe. La
requête à la Cour supérieure constitue évidemment
une étape capitale de la procédure car c'est à ce stade
que le juge attribue le statut de classe à un groupe, jusqu'alors
indéterminé et le statut de représentant à
l'individu qui se prétend capable d'assurer adéquatement les
intérêts du groupe.
De sa décision, à ce moment-là, dépendra que
l'action soit ou non administrable de même que le quantum des dommages
auquel fait face le défendeur, en relation avec le nombre d'individus
à compenser.
Or, en imposant un minimum de conditions dont le tribunal doit tenir
compte, le projet de loi aurait pour effet de faciliter l'accès du
recours collectif au plus grand nombre de groupes possible. En somme, il
encouragera au maximum les poursuites. Ainsi, à l'article 1003, le
tribunal n'a pas à apprécier s'il y a apparence de droit ou si le
recours est exercé de bonne foi. Rien n'indique non plus que le tribunal
doit en venir à la conclusion que le recours collectif s'avère
supérieur aux autres moyens de procédure.
Nous partageons donc ici le point de vue du Barreau selon lequel le
projet ne contient aucun mécanisme de sélection ou de tamisage
qui permette d'éliminer au départ les poursuites futiles,
vexatoires ou vengeresses. Le législateur semble s'en remettre, soit
à la sagesse, du juge, soit à celle des administrateurs du fonds
d'aide, car ce sont eux qui ont le pouvoir d'examiner la vraisemblance du droit
avant d'accorder une demande. Nous reviendrons plus loin sur cette
question.
Ce sur quoi nous voulons ici insister, c'est la question des avis aux
membres et de la publicité, qui est elle aussi fondamentale pour la
formation du groupe. On sait que, pour assurer que les membres de la classe
soient liés par le jugement, deux techniques sont possibles, I "opting
in" et l'"opting out". Chacune de ces formules a ses avantages et ses
inconvénients. Après avoir bien pesé le pour et le contre
de chacune des hypothèses, nous avons accepté, M. le ministre, la
technique de l'"opting out", telle que prévue par le projet de loi 39,
mais quand même une technique assez différente de celle qui est
prévue dans votre projet de loi.
Nous voulons un "opting out" assorti d'un certain nombre de conditions
qui lui donnent une portée et une signification véritable. Selon
la formule que nous préconisons, les exigences de l'étape de la
requête seraient beaucoup plus rigoureuses. Ainsi, le groupe au nom de
qui on poursuit doit être un groupe identifiable à partir de
données objectives contrôlables, par exemple, avoir acheté
tel produit, qu'il s'agisse d'automobile, qu'il s'agisse de maison, avoir
signé tel contrat, etc.
Deuxièmement, il faut disposer de données suffisantes,
pour pouvoir identifier et dénombrer effectivement une partie du groupe
dans une proportion qui serait laissée à l'appréciation du
juge. Cela pourrait dépendre des dimensions de la classe, par exemple,
un groupe de 200 personnes, où toutes pourraient être
identifiées par rapport à un groupe de 100 000 personnes. Cette
exigence est pour nous très importante, car c'est la seule formule qui
permette d'éviter le total anonymat et les responsabilités du
groupe.
Quatrièmement; le juge devra enfin exiger du représentant
qu'il envoie un avis qui soit le meilleur et le plus précis possible
à tous les membres de la classe, ce qui implique la
nécessité d'avis individuels chaque fois que c'est
impossible.
Problèmes reliés à la publicité et aux avis.
Au sujet de ces avis publics, un problème se pose dans les cas où
l'action est basée sur une preuve d'acte délictueux ou criminel
de la part du défendeur, preuve qui n'est nullement établie au
mo-
ment de la requête. Si l'on est prêt à admettre que
les avis prendront la forme d'annonces publiées dans les journaux ou
lues à la radio et que le motif de l'action y sera mentionné, on
risque de causer un préjudice souvent très grave au
défendeur. La mauvaise publicité et les effets négatifs
qui en résulteront pour l'entreprise poursuivie équivalent en
principe à la condamner avant même qu'elle n'ait eu le temps de se
faire entendre. Dans tel cas, le CPQ propose que la loi interdise la
publication de l'avis relatif à la requête tant qu'il n'y a pas au
moins une preuve prima facie à l'appui des accusations qui sont
portées.
Nous remarquons, par ailleurs, que le projet de loi ne fait aucune
mention des sanctions qui peuvent s'appliquer dans le cas de poursuites futiles
ou vengeresses, qui, même rejetées, peuvent néanmoins
causer au défendeur un tort considérable et à tout le
moins lui occasionner des frais inutiles.
Le CPQ demande que les sanctions soient prévues en pareil cas
contre les demandeurs, sans exclure la possibilité d'un recours en
dommages et intérêts contre eux pour le préjudice subi. La
loi devrait prévoir, tout au moins, que les membres du groupe qui auront
été identifiés pourront être appelés à
payer certains frais dans le cas de poursuites non fondées. Dans ce
contexte, il serait normal que le représentant et les membres du groupe
qui seront identifiés soient obligés de déposer un
cautionnement suffisant pour couvrir le montant des frais encourus.
Venons maintenant aux deux étapes du recours collectif.
Précisons que la conception de l'opting out" nous amène à
reconnaître deux étapes c'est notre conception
distinctes dans le déroulement du recours collectif, une première
phase débutant après la requête où s'applique
l'opting out" et qui va jusqu'au jugement sur le fonds. Ce dernier statue sur
les questions de droit communes à tout le groupe et sur la
procédure devant s'appliquer aux réclamations individuelles. Qui
a droit à la compensation? Quel est le montant de cette compensation
pour chaque membre? A quelle condition et dans quel délai les personnes
lésées doivent-elles faire valoir leurs réclamations?
Deuxièmement, l'étape des réclamations
individuelles où doit s'appliquer une formule d'"op-ting in" pour
obliger les membres de la classe à se faire connaître, s'ils
veulent bénéficier de l'indemnité obtenue en leur nom.
Parlons maintenant du Fonds d'aide aux recours collectifs. Le CPQ ne
s'oppose pas au principe d'une aide financière de l'Etat, mais à
certaines des modalités de l'attribution tel que les prévoit le
projet de loi actuellement. A notre avis, les critères proposés
sont vagues et laissent une trop grande discrétion aux administrateurs
du fonds. Selon les dispositions du projet de loi, en effet, l'aide du fonds
peut être attribuée à un requérant: 1- qui est le
représentant d'un groupe agissant en demande; 2- qui ne dispose pas de
ressources financières suffisantes pour exercer à ses propres
risques un recours collectif; 3- qui semble possé- der un bon droit
d'action ou, si l'on veut, dont le recours a des chances de succès selon
le jugement porté par les administrateurs du fonds appelés
à se prononcer sur la vraisemblance du droit du requérant,
lorsqu'une demande d'aide leur est soumise avant la présentation de la
requête.
Reprenons trois éléments de ces dispositions.
Premièrement, l'aide réservée à la poursuite. La
décision de réserver l'aide de l'Etat aux seuls demandeurs semble
reposer sur le postulat suivant: D'une part, le groupe qui agit en demande a
nécessairement une juste cause et le défendeur est a priori
coupable. D'autre part, les demandeurs seront toujours des citoyens
démunis tandis que les entreprises poursuivies auraient toujours les
moyens, elles, d'assumer des frais judiciaires élevés. Ce sont
deux postulats qui, quant à nous, ne résistent pas toujours
à l'analyse. (10 h 30)
II paraît plus conforme à la justice d'affirmer que l'aide
de l'Etat devrait aller à celui qui a une juste cause, qu'il soit en
demande ou qu'il soit en défense. Par conséquent, il faudrait
prévoir c'est là une de nos propositions concrètes
que si le défendeur réussit à faire rejeter
l'action, il aurait le droit de réclamer du fonds au moins le
remboursement de ses frais.
Quant au test des ressources financières, on peut se demander ce
que signifie, dans le contexte du recours collectif, le fait de ne pas avoir
des ressources suffisantes. Il est clair qu'il ne s'agit pas d'une preuve
d'indigence, mais plutôt d'évaluer les ressources du
requérant par rapport aux risques financiers qui représentent les
frais entraînés par un recours collectif. Or, comme ces derniers
seront presque toujours considérables, en comparaison au montant de
chaque réclamation individuelle, les administrateurs du fonds en
viendront à la conclusion qu'on ne peut imposer à quiconque
d'assumer, par exemple, $5000 de frais pour se faire rembourser $50. On voit
déjà que ce critère est trop élastique.
De plus, l'article 20, paragraphe 2, oblige le requérant a
déclarer son état financier et j'insiste, déclarer
son état financier et celui des membres du groupe qui se sont
fait connaître. Mais le projet de loi n'oblige nullement les membres du
groupe à se faire connaître, ce qui revient à dire que les
demandeurs n'ont qu'à rester anonymes pour avoir droit à
l'aide.
Finalement, l'évaluation de la vraisemblance du droit. Il ne nous
paraît pas normal qu'un organisme administratif comme le fonds puisse
substituer son jugement au tribunal en préjugeant de l'issue de
l'action. Une telle façon de procéder ferait de l'octroi de
l'aide financière une sorte de prérequis avant d'intenter le
recours collectif, ce dernier devenant, en quelque sorte, conditionnel à
la décision du fonds. Cela devrait être exactement le
contraire.
On propose que le fonds ne soit autorisé à examiner une
demande d'aide qu'après l'acceptation de la requête autorisant
l'exercice d'un recours collectif et que le juge chargé de statuer sur
cette requête prenne en considération la vraisem-
blance ou l'apparence de droit d'action évalué
juridiquement, rien n'empêche que le fonds examine ensuite les ressources
financières du requérant.
Un mot sur le recouvrement collectif. Selon le mécanisme
prévu dans le projet de loi, il peut y avoir, à l'issue du
jugement, à la fois des compensations individuelles et un reliquat pour
les sommes non réclamées ou distribuées individuellement.
Le juge peut aussi décider qu'il n'y aura aucune compensation
individuelle et disposer du reliquat à sa discrétion, selon notre
compréhension de l'article 1036.
Dans la mesure où, pour toutes sortes de raisons, les membres de
la classe ne peuvent être correctement indemnisés, il ne s'agit
plus d'un remboursement ou d'une compensation, il s'agit d'une amende
déguisée. C'est justement par le truchement du reliquat et du
recouvrement collectif que le projet de loi introduit la possibilité de
recours punitif sous l'apparence de recours compensatoires. Bien sûr, le
principe invoqué pour justifier le recouvrement collectif se rattache
à son aspect préventif ou dis-suasif et dans ce sens il se
rapproche beaucoup des dommages exemplaires comme ils existent aux Etats-Unis,
par exemple. Le but qui se trouve alors attribué au recours collectif
est donc exactement celui que doivent jouer les amendes.
L'objet des amendes et des autres sanctions pénales n'est-il pas,
justement, de décourager ceux qui auraient quelque envie de transgresser
les lois? Toutes les fois que le recours collectif aboutit à autre chose
qu'à la compensation des citoyens pour des dommages réellement
encourus par eux, cette procédure change la nature et n'est plus
conforme, quant à nous, à la philosophie de notre droit
civil.
C'est pourquoi nous nous sommes opposés et nous nous opposons
à cet aspect fondamental du projet de loi. Lorsque, au lieu des citoyens
lésés qui poursuivent, le véritable
bénéficiaire des sommes adjugées est le fonds d'aide,
c'est-à-dire l'Etat, nous disons que le recours collectif est
détourné de sa fin première pour devenir un recours
pénal. Or, une poursuite pénale doit être intentée
par le Procureur général, en vertu des lois qui ont soi-disant
été transgressées.
En conclusion, il y a également toute la dimension sociale du
recours collectif qu'il faudrait aborder et que nous abordons dans le
mémoire et sur lequel nous ne revenons à peu près pas ici.
Nous y consacrons d'ailleurs un chapitre dans le mémoire dans lequel
nous soulignons les dangers et les abus possibles du recours collectif tel
qu'il est conçu dans le projet de loi, étant donné sa
portée très large et le fait que souvent il nous apparaît
à sens unique.
Le CPQ estime que la formule proposée risque de comporter plus
d'inconvénients et d'injustices que d'avantages réels par rapport
aux objectifs qu'on lui attribue. C'est pourquoi les amendements que nous
proposons et qui vont dans le sens de la conception de restreindre et de
limiter les dangers d'abus nous amènent à faire le type de
suggestions de notre mémoire. Nous croyons que la justice dont on parle
dans le cadre du recours collectif ne doit pas être à sens
unique.
S'il est vrai qu'il faut introduire un nouveau moyen de procédure
pour permettre à une foule de gens de recevoir une compensation juste
alors qu'ils ne pourraient pas l'obtenir autrement, il est tout aussi vrai
d'affirmer la nécessité de protéger les entreprises
légitimes et on pourrait ajouter les entreprises gouvernementales et
paragouverne-mentales qui peuvent se voir poursuivies en raison d'un dommage
purement accidentel et non pas frauduleux. LE CPQ croit nécessaire
d'attirer l'attention du législateur sur la prudence qui s'impose au
moment d'introduire dans notre droit une innovation aussi importante et qui
demeure, malgré tout, controversée. Les divers mouvements pour la
protection du consommateur ont eu tendance, ces dernières années,
à réclamer le recours collectif comme une sorte de panacée
qui allait régler tous leurs problèmes. Malheureusement, la
réalité est un peu différente. L'expérience a
montré aux Etats-Unis, notamment, que le recours collectif n'est
peut-être pas l'instrument idéal que l'on croyait dans le domaine
de la protection du consommateur. On cherche justement à le
redéfinir et à le mieux adapter aux fins auxquelles on veut le
faire servir.
Ajoutons, en terminant, que, si le recours collectif bien utilisé
peut devenir une arme efficace entre les mains de consommateurs
lésés, il existe d'autres moyens d'améliorer cette
protection nécessaire du consommateur: une application plus
sévère des diverses lois existantes, une meilleure
éducation économique des citoyens, l'exercice de meilleurs
contrôles sur les standards de qualité des produits, par exemple.
Il y aurait lieu de songer à perfectionner ces divers moyens avant
d'encourager l'utilisation tout à fait généralisée
du recours collectif. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Marcoux): Je vous remercie de la
présentation que vous avez faite de votre mémoire. M. le
ministre.
M. Marois: M. le Président, je voudrais d'abord remercier
les porte-parole du Conseil du patronat de leur mémoire, de leur
présentation. Comme ils en conviennent eux-mêmes au point de
départ, cela supposait un résumé. C'est un mémoire
qui est long, qui est étoffé, qui a sa logique, qui a sa propre
cohérence. Il y en a aussi, dans votre mémoire, à boire et
à manger. Vous évoquez une foule de choses, une foule de
dimensions et je tiens à vous dire, au point de départ, comme on
l'a dit et mentionné, et cela a été, je pense bien,
l'indication unanime des membres de cette commission, que tous et chacun des
mémoires seront examinés à la loupe, examinés au
mérite, que chacune des propositions et des suggestions sera
attentivement regardée avec en tête cet objectif de faire en sorte
qu'en introduisant cette procédure nouvelle dans notre Code de
procédure civile au Québec, ce soit fait en tenant compte de
l'économie générale de notre code et de faire en sorte
qu'en l'introduisant, cela se fasse de telle manière que cela puisse
assurer aux parties, et je dis bien aux parties, que le déroulement de
cette procédure donne lieu essentiellement à toute la justice
et à toute l'équité requises. Je tiens à
noter, bien sûr, au point de départ, avec, vous le comprendrez
facilement, beaucoup de satisfaction, le fait que le Conseil du patronat
reconnaisse dans son mémoire que c'est une nécessité,
maintenant, qui répond à un besoin, un besoin de justice, que
d'introduire le recours collectif dans notre Code de procédure civile.
Effectivement, comme vous le soulignez, et je le note aussi avec satisfaction,
parce que je pense que vous avez raison, c'est exact, cela vient pallier, en
partie en tout cas, un problème vous l'évoquez à la
page 2 de votre mémoire qui peut devenir un problème
d'engorgement des tribunaux par la multiplication de toute une série de
procédures. Il est évident que, si, en une cause, on peut en
remplacer 200, cela peut avoir des effets bénéfiques.
Je note aussi avec satisfaction que vous êtes favorables au
principe du recours collectif. J'ai noté aussi avec une grande
satisfaction, parce qu'il y a des débats, des discussions, des
réflexions qui ont été menés au Québec, je
pense bien, dans tous les coins, depuis pas loin d'une dizaine d'années
maintenant, sur une des choses qui est une clé du recours collectif,
c'est-à-dire ce qu'on choisit, l'"opting out", l'"opting in". J'ai
noté avec satisfaction que vous retenez aussi l'"opting out". Vous
reconnaissez également le bien-fondé du principe de
l'introduction d'une forme d'aide financière qui prend dans
l'économie générale du projet de loi la forme d'une
avance, puisque ça suppose, et on y reviendra dans le détail, des
formes diverses de remboursement, le cas échéant, pour que ce
soit quelque chose qui s'autofinance.
Au fond, c'est ça l'économie générale du
projet, tel qu'il est formulé. Par ailleurs, j'ai eu l'occasion de
l'indiquer tout au long des discussions hier avec les divers groupes qui se
sont présentés devant nous. J'ai eu l'occasion de le rappeler
aussi, j'insiste à nouveau, le projet de loi 39 introduisant le recours
collectif ne vient pas changer le droit substantif, ne vient pas donner plus de
droits, ne vient pas créer plus d'obligations. Il est essentiellement un
outil, un instrument, une pièce de procédure permettant à
des citoyens là je reprends l'expression du bâtonnier du
Québec, qui témoignait hier devant la commission de
pousser aussi humainement que faire se peut, il n'y a rien de parfait et
ça supposera vraisemblablement comme d'autre chose, des ajustements en
cours de route, au fur et à mesure que le vécu permettra de tirer
le bilan des expériences, mais de pousser, dis-je, jusque dans son
dernier retranchement l'application concrète d'un principe fondamental,
et je cite, "d'aller jusqu'à la fine pointe possible de la notion de
responsabilité dans notre droit."
Tout ça basé aussi sur des choses qui sont des concepts,
mais qui risquent d'être du papier, si on ne se donne pas un outil comme
celui-là dans une société, des principes aussi essentiels
que cette idée que personne n'a le droit de s'enrichir sans cause, au
civil. En conséquence aussi, les citoyens, individuellement et/ou
collectivement, ont le droit de disposer de moyens de procédure leur
permettant, comme on dit dans le jargon juridique, d'aller dans le sens d'une
répétition de l'indu, d'aller chercher ce qui n'était pas
dû et d'obtenir la compensation de ce qui n'était pas
dû.
Donc, c'est avec beaucoup de satisfaction que je note ces dimensions. Je
voudrais revenir sur un certain nombre de points, faire un certain nombre de
commentaires et je présume que vous réagirez vraisemblablement en
nous faisant part de vos réactions à un certain nombre de ces
commentaires. En même temps, vous indiquez déjà un certain
nombre de choses.
J'évoquais au point de départ qu'il y a, tout au long de
votre mémoire, une chohérence, une logique. Je me demande,
j'avoue que j'ai lu très attentivement votre mémoire, s'il n'y a
pas une confusion entre des notions de droit criminel, d'une part, de droit
civil, d'autre part et, par-dessus ça, l'intervention de certaines
notions qui sont inhérentes au droit américain, notamment, et si
ma mémoire est bonne, aussi dans certains coins de "common law " mais
particulièrement aux Etats-Unis, quand on parle de dommages punitifs,
cette notion du "punitive damages", qui est une notion qui existe en droit
américain, mais qui n'existe pas dans notre droit civil. Il y a une
distinction chez nous entre le criminel, le pénal, qui permet d'aller
chercher des amendes en vertu du droit statutaire, et le civil, qui permet
d'obtenir des compensations pécuniaires. (10 h 45)
A première vus, je vous le soumets comme je l'ai vu ou comme je
l'ai compris, il se peut que j'interprète mal votre mémoire, mais
je veux qu'il soit traité avec autant de justice et
qu'équité on va commencer par essayer de l'appliquer ici,
ce principe que n'importe quel autre mémoire. Cela revient
à plusieurs reprises, même dans votre résumé. Vous
dites et là-dessus, on est d'accord avec vous, fondamentalement
que le recours collectif doit être une mesure compensatoire dans
le cadre de notre droit civil, en dehors de toute connotation punitive ou
pénale. Par la suite, vous semblez retrouver, dans le projet de loi,
toute une série de choses qui vous amènent à dire qu'il y
a du punitif et du pénal. La question et cela revient sous
différentes façons de le formuler...
Je vous pose la question qu'on a évoquée, qu'on a
discutée longuement avec plusieurs groupes hier. En toute
honnêteté, je suis obligé de vous dire ce matin qu'il n'y a
personne qui a mis le doigt dessus. Quel est l'article? Quel article? En vertu
de quel article commençons par cela des citoyens,
individuellement et/ou collectivement, obtiendraient-il d'un défendeur,
en vertu du présent projet de loi, tel qu'il est formulé, un
montant d'argent plus élevé que le montant de la compensation
qu'on obtiendrait de l'addition de la poursuite de chacun de ces mêmes
individus s'ils avaient pu être tous et chacun identifiés et s'ils
avaient, tous et chacun d'entre eux, pris une action devant le tribunal pour
faire valoir leurs droits?
Quel est l'article en vertu duquel il est possible d'affirmer qu'un
défendeur va être amené à
verser une somme qui excéderait, à cause de la
procédure de recours collectif, le montant global, soit l'addition des
compensations obtenues suite aux recours de chacun des individus qui
interviendraient devant les tribunaux?
J'avoue honnêtement qu'hier, on en a discuté longuement et
certains porte-parole de groupes qui sont venus nous ont même
indiqué, suite à une bonne discussion en commission parlementaire
avec nous, qu'il y avait peut-être effectivement certaines confusions qui
tiennent à de l'inquiétude normale qui suit l'introduction d'une
mesure comme celle-là dans notre Code de procédure civile. Cette
préoccupation, fondée de leur part, est de bien s'assurer
du moins dans les représentations qu'ils nous font que le recours
collectif ne soit pas une mesure qui vienne complètement
débalancer les choses, mais au contraire, que cela puisse se faire et
être traité de telle façon que ce soit fait sur une pleine
base de justice et d'équité pour les parties.
Je vous pose la question parce que c'est une clé. Par la suite,
on parle de punitif et de pénal. Mais où ça? Je ne crois
pas que cela ressorte clairement. Quand on argumente par le bout du fait que
des citoyens ayant obtenu un jugement soient amenés, par pourcentage ou
peu importe la formule, quitte à voir les modalités... Je suis
bien prêt à regarder les modalités, je l'ai indiqué
depuis déjà plusieurs mois, depuis même le
dépôt du projet de loi. Nous sommes prêts à regarder
les modalités pour s'assurer que ce projet de loi, encore une fois, on
essaie de le bonifier ensemble, au maximum, sans se prendre pour d'autres, mais
en essayant de faire ce qui est humainement possible.
Quand on dit: II y en a une partie qui va être remboursée
au fonds. C'est l'Etat. En quoi est-ce que le petit pourcentage, peu importe le
montant qui sera remis au fonds... C'est une forme d'avance aux citoyens. Dans
la mesure où c'est possible d'avoir un fonds qui s'autofinance, que
chacun y apporte sa contribution sous forme de remise d'une partie des avances
qui auront été données, en quoi est-ce que cela
pénalise le défendeur? Cela ne surajoute pas au montant de la
compensation. C'est une remise, en partie, d'avances faites par un fonds qui
est là pour intervenir. C'est un des points; c'est une clé.
L'autre point, qui est une clé, mais qui, à mon avis, va
beaucoup plus loin, est celui-ci: Vous évoquez cette idée du
corporel. Je sais que d'autres de mes collègues interviendront, je ne
veux pas accaparer le temps de tous mes collègues. Il y a beaucoup de
questions qui sont soulevées par votre mémoire. Il y a cette
question de l'exclusion des recours dans les cas de dommages corporels. J'avoue
que j'aurais besoin que vous me souteniez cela un peu. Avec l'introduction de
la loi 67, il y a une bonne partie des dommages corporels qui vont sortir des
tribunaux, par l'introduction du "no fault", vous le savez comme moi.
Deuxièmement, je me pose une question. D'expérience
personnelle, je pense à un dossier très précis que j'ai en
tête, de blessures corporelles, mais d'un type très particulier
inhérent aux vices et défauts d'un produit, d'un produit pharma-
ceutique en l'occurrence. Si on avait pu disposer du recours collectif, on ne
se serait pas défendu dans les conditions dans lequelles on a
été amené à le faire, sans compter qu'il y a
probablement encore des enfants qui sont dans le paysage au Québec et
qui vont rester sans compensation. Je pense que personne n'accepte cela, c'est
normal. J'avoue que cela suppose des explications.
J'en arrive à la page 4, vous le reprenez à nouveau dans
votre résumé, le point 4: "Le recours collectif ne doit pas
être basé sur des réclamations pour des sommes minimes ou
dérisoires, car plus la compensation recherchée est petite, plus
le motif véritable de la poursuite est punitif et non compensatoire ".
Je ne veux vraiment pas mal interpréter votre mémoire mais je
veux être certain que je vous comprends bien.
De la façon que je lis le texte, vous semblez faire une
équation automatique entre une petite compensation recherchée
égale ou équation, c'est dans ce sens que je le dis
et motif véritable de poursuite punitif et non compensatoire. Quelle
équation peut-il y avoir entre des petits montants arrachés
à une quantité industrielle de citoyens et le fait que cela soit
punitif versus un gros montant arraché à un petit nombre de
citoyens? Si on suit cette logique, où est-ce qu'on s'en va? Où
est-ce qu'on s'en va avec cela?
Je sais que vous faites référence je voudrais en
faire brièvement état aux réflexions que nos
collègues américains font présentement sur le recours
collectif, mais où est-ce qu'on s'en va? Si je pousse ce raisonnement
jusqu'au bout, cela voudrait dire... Je répète ce que j'ai
essayé de dire, je ne sais plus combien de fois, mais, des fois, on
traîne des images, d'accord, on va l'assumer et cela finira là. Je
répète ce que j'ai dit, mais jamais, parce que vous
l'évoquez dans les postulats...
J'avoue bien honnêtement que j'ai mal pris, dans votre chapitre
social, les postulats où vous semblez, en tout cas, nous prêter
des intentions. Je vous dirai simplement que je trouve qu'il y a un
excès de vocabulaire, mais, en tout cas, fermons la parenthèse,
c'est oublié, c'est de côté.
Il n'est pas du tout dans notre esprit de tenir pour acquis, en partant,
que toutes les entreprises se comportent comme des bandits. J'ai
répété je ne sais pas combien de fois les expressions dans
le genre: Dieu merci, ce n'est pas le cas de toutes les entreprises, loin de
là, et celles qui se comportent comme des citoyens responsables n'ont
rien à craindre, de la même façon que, quand je me couche
le soir, je n'ai aucune espèce de crainte, si je n'ai pas commis de
délit, de me voir poursuivi et traîné en prison
parce qu'il y a des sanctions très sévères sur le plan
criminel dans notre société pas plus que j'ai des craintes
de subir une action en dommages épouvantables si je me suis
comporté comme un citoyen responsable. Je pense que cela vaut pour les
corporations. Je pense qu'il faudrait éviter d'amplifier les craintes.
Il ne faut pas oublier non plus qu'on est en Cour supérieure, on y a
pensé très sérieusement.
Quand on fait des comparaisons... Je pense bien que vous connaissez la
Cour supérieure, elle n'a pas la réputation d'être le
tribunal qui, encore
une fois, comme le chevalier de Mark Twain enfourche sa monture et part
dans toutes les directions en même temps. C'est dans ce sens que
j'évoquais dans la foulée de ce que vous disiez tantôt, M.
Dufour, qu'effectivement les gens vont se rendre compte que c'est une
procédure. Ce n'est pas parce qu'on l'introduit dans le code que demain
matin ce sera l'avalanche des recours collectifs. Il va bien y avoir des
avalanches de tentatives, mais cela ne veut pas dire qu'il en résultera
des avalanches de réussites, loin de là, même au niveau de
la requête, parce que c'est une procédure, il y a des preuves
à faire. C'est balisé. On est prêt à regarder le
cadre. On est prêt à regarder les modalités pour voir s'il
n'y a pas moyen de faire les ajustements qui s'imposeraient.
Mais, de la façon que vous le formulez: "pour des sommes minimes
ou dérisoires", cela nous mène où? En d'autres termes, si
je pousse la logique au bout je ne veux vraiment pas encore une fois
être injuste, mais je veux comprendre, par exemple il vaudrait
mieux ne plus arracher de gros montants à un petit nombre de citoyens,
mais, préférablement, si je ne veux pas être pris sous la
coupe d'un recours collectif, je suis mieux d'arracher cela à coût
de $0.25, de $0.50, mais d'en "poigner " une quantité industrielle. Il
me semble que c'est là que cela mène, comme logique. Quand vous
faites allusion aux réflexions des Américains
présentement, vous faites allusion à leur "draft ", comme ils
disent dans leur jargon, ce qui est l'équivalent d'un mémoire que
j'ai lu, que j'ai vu. Vous en évoquez une partie. Vous dites dans votre
mémoire qu'il est question je ne sais pas l'expression que vous
utilisez qu'on enlève à l'individu le recours pour les
petites réclamations de $500 et moins, mais vous n'évoquez pas,
cependant, d'autres parties de ce "draft " concernant ces petits montants
où il est aussi prévu, dans le même "draft ", que le
procureur général peut prendre une poursuite ou un citoyen peut
prendre la poursuite dans certains cas où le procureur déciderait
que c'est comme cela. Vous n'évoquez pas non plus l'autre partie du
même document de réflexion dans laquelle il est prévu que
le citoyen va pouvoir participer et partager c'est une forme
d'incitation à la poursuite qu'il songe à introduire, c'est loin
d'être fait, on réfléchit là-dessus un simple
citoyen qui intenterait une action comme celle-là recevrait le paiement
des frais, des honoraires d'avocat, en plus de 20% des premiers $25 000 de
pénalité imposée, ce qui veut dire $5000, et de 10% des
$50 000 subséquents, ce qui veut dire $5000, ce qui veut dire $10 000,
plus le remboursement des frais et des honoraires d'avocat sur un montant de
$75 000. Est-ce que vous "achetez " cela aussi? C'est cela que les
Américains sont en train d'analyser, ce qui est introduit dans leur
"draft". Vous en citez une partie; il y en a un autre bout, dont vous n'avez
pas fait nécessairement état.
Maintenant, je voudrais vous indiquer, cependant, ceci étant dit,
qu'il y a certaines recommandations que vous nous faites, certaines suggestions
que, pour ma part, je trouve particulièrement intéressantes et
qu'on est prêt à regarder de très près. C'est le cas
de la requête. Vous utilisez l'expression "prima facie"; je vois que,
dans le résumé que vous nous soumettez aujourd'hui, vous parlez
d'apparence de droit. Si ma mémoire est bonne, cela fait quand
même pas loin d'un an et demi que je n'ai pas pratiqué, "prima
facie" est une notion de droit criminel. En droit civil, l'équivalent,
c'est l'apparence de droit. Je ne vous cache pas qu'on est prêt à
examiner très sérieusement la possibilité de l'introduire
au niveau de la requête. Cependant, quand vous ajoutez l'introduction de
la bonne foi, on en a longuement discuté hier avec d'autres groupes, et
je ne veux pas les citer, je ne veux pas tromper leur témoignage, mais
on en a discuté aussi avec le Barreau qui admettait lui aussi, de son
côté, qu'on ne peut pas introduire cela parce que, dans notre
droit, la bonne foi se présume. Alors, il y a un fardeau de preuve.
Cette idée de songer à introduire au niveau de la requête
l'apparence de droit, c'est une notion qu'on maîtrise en droit civil
aujourd'hui, sur la base de la jurisprudence. Je pense que c'est quelque chose
qu'on peut regarder.
Il y a aussi une autre chose concernant la publicité. J'ai
indiqué hier que j'étais prêt à regarder avec mes
collègues, par analogie avec le droit criminel ne me demandez pas
d'en mettre plus que ce qu'il y a dans le droit criminel d'introduire au
niveau de la même façon qu'il y a l'enquête
préliminaire et la requête par analogie pour le recours collectif
et, après ton enquête préliminaire, tu es cité ou
non à ton procès; il y a requête, et tu es autorisé,
oui ou non, au recours collectif, par analogie à songer
peut-être à voir s'il y a moyen d'introduire l'idée d'une
ordonnance de non-publication pour la période de la requête. Je
pense qu'on est prêt à regarder des avenues comme
celle-là.
Quant au fonds à l'aide, par souci d'équité,
d'équilibre, on est prêt à regarder aussi la
possibilité que le défendeur, dans le cas où il gagne sa
cause, avec une preuve, qu'il y a un jugement, à regarder la
recommandation que vous nous faites, concernant l'ouverture en tout cas,
vous le disiez dans votre mémoire, en tout ou en partie; dans le
résumé, vous dites tout, c'est frais enfin, à
regarder cela d'assez près, en ne perdant pas de vue l'idée de
l'équilibre, cependant. Comme je l'ai évoqué hier, un
citoyen ce n'est pas le genre de frais et de choses qu'il peut déduire
de son impôt; dans le cas d'une corporation, d'une entreprise, il y a une
bonne partie de ces frais qui est déductible de l'impôt. On veut
maintenir une notion d'équilibre, mais on est prêt à
regarder quelque chose de ce côté-là. (11 heures)
Par ailleurs, je voudrais aussi vous indiquer parce que vous ne
l'évoquez pas dans votre mémoire, mais on en a longuement
parlé avec les commerçants hier qu'on est prêt
à regarder la possibilité d'introduire la possibilité d'un
appel en garantie. Je pense que c'est quelque chose qui peut s'envisager
sérieusement, mais on est prêt à le regarder de très
près.
Par ailleurs, je voudrais vous rappeler aussi qu'il y a une chose que
vous retrouvez dans le projet qui est devant vous qu'on ne retrouve nulle
part, à ma connaissance; cela est venu de suggestions, notamment,
d'avocats américains, dans le cas des petites et moyennes entreprises,
parce que, là, il peut y avoir un intérêt convergent
d'intérêts apparemment divergents au point de départ. Dans
le projet de loi, il y a un article qui prévoit que, sur
représentation, le juge peut déterminer des modalités de
remboursement et de paiement, de telle sorte que les montants en question, par
exemple, puissent être remboursés par versements
échelonnés sur une certaine période de temps, parce que
c'est l'intérêt convergent des parties.
Voilà, M. le Président, pour l'instant les commentaires et
les remarques. J'ai déjà abusé assez du temps de la
commission.
M. Dufour: M. le Président, M. le ministre a fait un
certain nombre de commentaires et il a posé aussi un certain nombre de
questions.
Le Président (M. Marcoux): Oui.
M. Dufour: Est-ce qu'on doit engager le dialogue à ce
moment-ci? Je vais transférer à mes collègues quatre
questions parce que, finalement, ce sont des questions de droit.
Peut-être un commentaire général au départ: on ne
parlera pas de ce que vous semblez prêts à améliorer ou
à bonifier. Je pense que vous avez mentionné à la fin
quatre ou cinq grands problèmes qu'on soulève sur lesquels vous
nous donnez une ouverture d'esprit qu'on apprécie. Si, dans la recherche
de solutions à ces problèmes, nous pouvons y aller d'un "input"
additionnel, nous serons heureux, nous, de vous fournir de l'information
additionnelle.
Un commentaire sur le chapitre II, l'aspect social, où vous
mentionnez qu'on a peut-être eu certains excès de langage, M. le
ministre. Je ne pense pas que ces excès de langage je vais
fermer, moi aussi, tout de suite la parenthèse se
réfèrent nécessairement à la vision qu'a le
ministre québécois de toute cette possibilité du recours
collectif. Notre analyse sociale, on a été obligé de la
baser sur ce qui existe ailleurs, notamment aux Etats-Unis. Cette contestation
sociale dont nous parlerons ou cette utilisation à mauvais escient
souvent du recours collectif, c'est bien évident qu'on ne l'a pas
vécue au Québec; on n'a pas encore le recours collectif. Mais
c'est ce qui s'est passé aux Etats-Unis et c'est ce qu'on veut ici
signifier au législateur; soyons prudents, si on n'a pas l'ensemble des
paramètres, pour éviter justement ce que vous avez appelé
vous-même une avalanche possible de requêtes. On est d'accord avec
vous que ce ne seront pas nécessairement des requêtes qui seront
acceptées, mais on peut avoir, tout au moins au tout début, une
avalanche de requêtes qui vont faire que la réaction à un
projet de loi que tout le monde accepte en principe, deviendra négative
parce qu'on voudra peut-être l'utiliser au départ de façon
quand même plus ou moins pondérée.
C'est ce qu'on veut véhiculer quand on parle de philosophie
sociale, non pas dans l'approche même que peut avoir le gouvernement ou
le ministre, mais dans l'utilisation que pourraient en faire certains
groupes.
Des quatre questions que, moi, je retiens parce que j'ai quand
même pris des notes très vite l'une est la confusion entre
droit criminel, droit civil, droit américain et, dans notre trame
globale, il semble que l'on confond un peu ces différentes notions de
droit. Je vais demander à Me Casgrain de reprendre cette trame de fond
qu'on a dans le mémoire.
M. Casgrain (Philippe): C'est à moi que revient de
répondre à l'odieux de ce qu'il peut y avoir dans notre
mémoire, d'après ce que je peux voir. Je pense, M. le ministre,
que ce qu'il faut regarder, c'est que l'introduction aux Etats-Unis du recours
collectif dès 1933 ou dès avant, je crois, avait pour objet
précisément ce que vous-même avez dit dans votre document
accompagnant le projet de loi, de permettre à plusieurs personnes de se
joindre pour obtenir une compensation lorsque effectivement la question
était commune et que les frais individuels seraient fort
élevés. Ce n'est qu'au cours des années que la question du
recours collectif a "dévié" et j'emploie le mot dessein dans ce
qu'on est convenu d'appeler maintenant les réclamations "de minimis". Il
est arrivé, justement, que les gens se sont servis du principe
même du recours qui n'était que compensatoire pour
éventuellement l'amenuiser à telle enseigne qu'on en arrivait au
recours "de minimis". Très vite on s'est rendu compte à
l'expérience qu'une fois le jugement rendu dans des réclamations
"de minimis", des montants, quelquefois assez importants, demeuraient
consignés dans une banque sans que personne ne les réclame. C'est
ce qui a amené le reliquat dont vous parlez aujourd'hui.
Ce que nous disons, c'est ceci, quant à votre question: Est-ce du
droit pénal ou non. Je vous répondrai sans faire de
sémantique, que je pense sérieusement et sincèrement que
dès qu'un montant d'argent est extrait de la poche d'un citoyen pour le
bénéfice de l'Etat il ne peut être que fiscal ou punitif.
C'est la seule solution. Mais, à partir du moment où vous avez
quelqu'un qui va payer à l'Etat, et non pas à un individu qui l'a
réclamé, vous n'êtes plus dans un contexte juridique de
réclamation par quelqu'un de lésé contre un autre. Au
départ, c'est la réponse.
J'admets bien le raisonnement que vous faites à savoir qu'il ne
faut pas mettre de côté les petites réclamations. Ce que
nous disons est ceci: L'expérience a démontré aux
Etats-Unis, et on verra très vite la même chose ici si on ne prend
pas les précautions voulues, que les actions "de minimis" se rendent
très rarement jusqu'au procès. Elles sont
généralement réglées au départ et à
peine 10%, nous dit-on, viennent tenter de recevoir les montants qui leur sont
dûs. Nous disons que ces réclamations "de minimis" ont
causé ceci, car en plus de la pénalité de principe
occasionnée lorsqu'un gouvernement vient prendre l'argent dans la poche
du contribuable pour d'autres raisons que fiscalité, cela a donné
lieu à ce qu'on a
appelé des règlements "in terrorem" dont on a fait grand
état aux Etats-Unis.
C'est-à-dire que si vous avez l'action "de minimis", surtout avec
l'anonymat que vous avez dans votre projet de loi, il est facile de dire
qu'au-delà de 10 000 personnes auront droit éventuellement
à la réclamation de $1, par exemple, par pot de café ou
autrement, ou encore 100 000 ou 300 000 personnes. La publicité qui
s'ensuit, les dépenses que cela encourt pour une défense
seulement, font que, dans l'expérience américaine tout au moins,
ne fusse que pour compenser pour les frais de défense, les compagnies se
trouvent dans l'obligation de régler ces réclamations. Il a
même été dit aux Etats-Unis qu'effectivement si on devait
conserver le recours "de minimis" ne fusse que pour la raison que cela force
des règlements... La réponse à ceci, M. le ministre, est
la suivante: Dans un processus judiciaire normal, c'est une déviation du
processus que d'établir des procédures qui font que les parties
sont obligées de régler plutôt que d'aller devant la cour
pour obtenir justice. C'est ce qui se passe au niveau des réclamations
"de minimis".
Ce que nous vous disons simplement est ceci. Le gouvernement est muni du
nécessaire pour surveiller ce genre de petites offenses individuelles,
si vous voulez, au niveau de la Loi des consommateurs et au niveau de toute
espèce de législation gouvernementale dans ce domaine. Qu'il
prenne ses responsabilités à cet égard mais qu'il
n'introduise pas dans notre contexte une sorte d'action "qui tam ' à
toutes fins pratiques qui fait que le citoyen est appelé et
invité par le gouvernement à se faire lui-même le justicier
parce que si lui, le citoyen, ne doit pas recouvrer personnellement, il le fait
pourquoi? Il le fait évidemment pour se faire justicier. Nous ne croyons
pas que ce soit une philosophie qui soit acceptable. La philosophie du "qui
tam" est dépassée depuis longtemps.
Pour ce qui est de la suggestion que vous retrouvez dans le
mémoire américain, évidemment, les Etats-Unis ont
vécu avec ce problème. C'est difficile de reculer en autant
qu'ils sont concernés; ils tentent de trouver un compromis dans lequel
ils disent que les actions "de minimis" seront survel-lées par le
procureur général. Ils vont même plus loin pour faire
plaisir à d'autres. Ils leur font même une espèce de prime
si toutefois ils y vont. La prime dont vous parlez, les 20%, à mon sens,
c'est du "qui tam ' pur et simple. Et cela, je pense que c'est abhorrant
à l'idée de civilisme. C'est une chose qui n'existe pas dans
notre société. C'est la raison pour laquelle nous le disons. Nous
prétendons, nous, qu'il faut éliminer absolument les
réclamations "de minimis " pour éviter ce problème auquel
nous ferons face bientôt et qui se traduira par une espèce de
justice individuelle exercée par les citoyens avec l'encouragement du
gouvernement sinon son incitation, et qui va placer les compagnies dans une
situation qui n'est pas juste quant à elles parce qu'elles devront
s'exposer à ce qu'on appelle le règlement "in terrorem". C'est la
réponse sur ce domaine-là. Evidemment, si on veut
raisonner...
M. Marois: Me Casgrain, si vous me permettez, je m'excuse de vous
interrompre. Finalement, ce que vous me dites, c'est que notre droit, dans son
état actuel, statutaire on s'entend permet normalement au
procureur de prendre des poursuites, faire condamner les gens, le cas
échéant selon leur comportement, si c'est contraire aux lois,
à des amendes. Bien, c'est exact. Vous avez raison. Mais même si
je faisais condamner la compagnie Machin à une amende, est-ce que cela
rembourserait les citoyens qui ont été lésés?
Est-ce que cela permet l'application, pour reprendre l'expression du
bâtonnier hier, à la fine pointe de la responsabilité de la
répétition de l'indu sur la base du principe de l'enrichissement
sans cause. La réponse est non. Vous le savez comme moi. Une amende
comme telle ne rembourse pas pour autant les citoyens. J'ajoute
l'élément additionnel et, encore une fois, c'est bien
évident que ce n'est pas le comportement, loin de là, de la
majorité des entreprises, Dieu merci. La Commission d'enquête sur
le crime organisé, qui avait examiné des crimes dits
économiques, disait elle-même: Vous avez des entreprises qui
fonctionnent sans permis, en vertu de la Loi de protection du consommateur
notamment, se font prendre, paient l'amende, et parfois ce ne sont pas des
détails, cela monte maintenant de plus en plus. Les tribunaux sont
portés à être plus sévères. Je pense en
particulier à une entreprise d'antennes de télévision
condamnée à $2000 d'amende. Je pense que je cite les juges
à peu près textuellement. Ils disaient: C'est plus payant de
payer l'amende et de continuer à fonctionner sans permis,
illégalement, et cela fait un permis d'exploitation bon marché et
joyeusement bon marché. Mais, pendant ce temps-là, comment
s'applique pour les citoyens le principe de la répétition de ce
qui leur est dû individuellement et/ou collectivement. En d'autres
termes, je vous retourne la question que je vous posais tantôt. Qu'est-ce
qui, dans le projet de loi, va faire qu'un défendeur serait
condamné à payer une somme plus élevée que la somme
compensatoire, que la somme qu'il aurait eu à payer si chacun des
individus impliqués avait pris devant les tribunaux l'action...
M. Casgrain: II ne s'agit pas de cela, M. le ministre. Il s'agit
de ceci. Vous me dites: Parce que les amendes ne sont pas assez
élevées, on va permettre le "de minimis". Ce que je vous dis, je
ne conçois pas que quelqu'un...
M. Marois: Ce n'est pas ce que je dis. Ce n'est pas parce que les
amendes ne sont pas assez élevées. Quel que soit le montant de
l'amende, cela ne rembourse pas pour autant cela ne donne pas la
répétition de l'indu pour les citoyens.
M. Casgrain: La même chose dans le cas du "de minimis".
Celui qui a une réclamation de $1, cela coûte $0.50 pour prendre
le métro pour aller chercher le $1 en question et $0.50 pour revenir
chez soi. Il n'ira pas chercher le $1. Il n'y a aucun doute possible. Dans le
cas des "de minimis", les gens ne se présenteront pas pour aller le
cher-
cher, à moins que vous vouliez financer le timbre de $0.12 pour
le leur envoyer par la poste. C'est ce qui se passe effectivement. Ce que nous
disons, c'est que le de minimis dont je parle, c'est ce dont nous parlons, dans
ces cas-là, il est bien évident que les gens ne se
présenteront pas pour être remboursés. S'ils ne le sont pas
et qu'on prévoit quand même le paiement par la partie qui aurait
été prise en fraude, notamment la compagnie en question, à
ce moment-là, on lui impose une amende qu'on va chercher indirectement
par le reliquat que vous établissez.
M. Marois: Ce qui veut dire que vous n'acceptez pas, dans la
pratique, ce qui s'est passé par exemple aux Etats-Unis, où une
compagnie de taxi a été condamnée à réduire
ses tarifs pendant une période de temps correspondant au montant
d'argent qu'elle avait extorqué à un certain nombre de
citoyens.
M. Casgrain: Pas du tout. Je ne prétends pas, M. le
ministre, que punir le voisin pour l'offense qu'a faite un autre peut vraiment
être une façon de régler les choses. Qu'est-ce qu'on a
fait? On a dit: Ceux qui ont payé très cher pour le taxi, soyez
contents, le suivant paie moins cher, vous devez être heureux. Ce n'est
pas la vengeance qui doit animer le coeur des citoyens. Qu'est-ce que cela me
fait que mon voisin souffre pour me compenser ce que j'ai perdu? Ce n'est pas
une compensation, c'est une façon de punir la compagnie au
bénéfice d'autres personnes qui n'avaient pas été
lésées. Celle qui a pris le taxi pour moins cher le lendemain,
cela n'a pas donné grand-chose dans la poche de celui qui avait
payé $0.50 de trop la veille. C'est une philosophie qui me paraît
un peu étrange. Cela vient des Etats-Unis, mais cela ne veut pas dire
que c'est intelligent. Je trouve cela curieux. Je ne peux pas admettre une
affaire pareille. Ce n'est pas parce qu'on va battre mon voisin que je vais
être content du fait que l'autre qui m'avait battu... Au moins, on s'est
remboursé indirectement. Cela ne marche pas comme cela. C'est ce qu'on
vous dit très simplement. On vous dit: Faites attention, même aux
Etats-Unis, on ne voulait pas du "de minimis". On y est arrivé par la
force des choses, à cause d'un projet de loi qui ne l'évitait
pas. On tente aujourd'hui désespérément à
Washington de faire un projet qui se tient. On a évidemment affaire
à toute espèce de gens qui se lèvent de part et d'autre.
On fait un compromis. Ce n'est pas le meilleur des compromis, surtout dans le
"qui tam". On va dire au gars: On va te donner 20% si tu réussis
à faire condamner telle compagnie. A part cela, ne nous en faisons pas,
ce n'est pas aux petites qu'ils vont s'attaquer, c'est aux multinationales, qui
ont le moyen de payer. Imaginez la compagnie qui se fait poursuivre un jour,
dans le contexte actuel, par quelqu'un qui dit: Moi, je suis
représentant. J'ai acheté un pot de café et je
m'aperçois qu'on a évité d'en mettre une once. Par les
temps qui courent, cela vaut $0.50 ou je ne sais trop quoi. Il dit à la
cour; Nous sommes dans le Québec à peu près trois
millions. Il est certain que personne ne va venir chercher sa tasse de
café. Il n'y a aucun doute possible là-dessus. Que fait la
compagnie en défense? Elle porte à son bilan une poursuite en
dommages de quelques millions de dollars, en attendant tranquillement qu'un
jugement intervienne pour qu'ensuite, personne ne se présente pour
réclamer et que ça retourne dans les coffres de l'Etat. On dit,
nous, que c'est odieux, ce genre de choses. Le mot est peut-être un peu
fort, mais c'est le raisonnement. (11 h 15)
Je ne veux pas continuer là-dessus, mais je pense que je ne vous
convaincrai pas aujourd'hui.
M. Marois: Non, je veux être certain de bien saisir, c'est
important qu'on comprenne bien.
M. Casgrain: Je parlais à mes confrères
américains...
M. Marois: Si vous permettez, juste une remarque et,
après, je m'arrête. Je pense que vous convenez avec moi que notre
droit distingue, fait une distinction importante entre ce qu'on appelle le
compensatoire et le pénal, deux choses bien différentes. L'amende
ne vise pas le compensatoire, ça vise le pénal. Les deux
coexistent présentement dans notre système juridique. Je pense
bien que vous allez convenir avec moi qu'on ne peut pas exclure le
compensatoire sur le simple motif de l'existence du pénal, d'une amende.
Sinon, si on excluait le droit du citoyen à obtenir compensation par des
sommes d'argent qui lui auront été indûment
arrachées, parce qu'il y a amende d'autre part, alors que les deux
cohabitent et coexistent pour des fins bien particulières dans
l'économie générale de notre droit, c'est
reconnaître la non-application du principe de l'enrichissement sans
cause.
M. Casgrain: Je peux seulement vous répondre en faisant
appel à une expérience séculaire, qui n'est
évidemment pas la mienne, mais c'est celle de nos ancêtres les
Romains, au point de vue du droit civil, et ce sont bien eux qui ont dit,
à I époque, dans un pays où on peut quand même se
permettre pas mal de luxe, d'après ce que j'en sais, on a dit: "De
minimis non curat praetor". Pourquoi? Ce n'est pas parce qu'on ne voulait pas
compenser les gens, c'est parce qu'on voulait que les tribunaux puissent
fonctionner pour compenser vraiment ceux qui devaient l'être et qui
voulaient l'être.
J'arrête là-dessus, je n'ai pas l'impression que j'ai fait
beaucoup de chemin. Enfin, c'est toujours ça de pris. Avant que je
quitte, je voudrais dire un mot; vous parliez tout à l'heure de
l'application qui serait faite devant le juge de la requête. Lorsque vous
la considérerez, M. le ministre, je vous souligne ceci. Vous excluez,
dans votre projet de loi enfin, le gouvernement exclut, je ne veux pas
vous mettre coupable de tout ça dans le projet de loi, l'article
172 du Code de procédure qui est l'ancienne inscription en droit ou, si
vous voulez, la requête en irrecevabilité. Cela procédait
de l'es-
prit de la loi. Vous retrouvez ça vers la fin, où on
exclut certains articles.
L'article 172 est celui de l'irrecevabilité et je pense que, dans
un contexte comme celui-ci, où vous aurez quand même 10, 15, 20,
100 ou même 200 demandeurs, il serait important, je crois, de permettre
à la cour de trancher, dès la requête, la question de droit
que couvre l'article 172, à savoir si l'action, quels que soient les
allégués, est suffisante pour permettre d'en arriver à la
conclusion de droit qu'on recherche.
Je sais bien qu'aujourd'hui, de moins en moins, nos cours acceptent de
débouter le demandeur, au départ, par inscription en droit, en
disant: Faisons l'enquête, on réglera au niveau du jugement. J'en
parlais à un de mes confrères, justement ce matin, et nous
convenions ensemble que, dans un contexte où vous avez
précisément la possibilité de très longs
procès, il serait peut-être bon de retenir cette notion, de
façon à éviter justement la continuité qui pourrait
nuire à la bonne marche.
M. Marois: Article 65.4, je pense.
M. Casgrain: J'appelais ça l'inscription, mais il
paraît que ça ne se dit plus comme ça; on dit
l'irrecevabilité maintenant.
Le Président (M. Marcoux): II y a d'autres questions que
le ministre a touchées...
M. Dufour: Je pense qu'on a touché à trois. Il y a
quand même celle des dommages corporels sur laquelle vous avez
insisté. Je pense que ça vous préoccupe beaucoup. On a
regardé, non pas la situation purement actuelle, mais aussi certaines
projections de la situation. Ce qui nous a préoccupés ici, ce
sont les maladies professionnelles.
Vous avez actuellement la loi 52, par exemple, qui prévoit les
cas d'amiantose et de silicose. On nous dit constamment, au niveau de la
Commission des accidents du travail, que le nom des maladies qui seront
identifiées dans cinq ans, au niveau professionnel, n'est même pas
connu. Donc, on ne sait pas dans quoi on s'embarque à ce moment-ci. Ce
que l'on sait d'expérience, en tout cas au niveau des maladies
professionnelles, c'est que, dans chaque cas, on peut vraiment justifier des
compensations assez élevées, au point où c'est suffisant
pour justifier un recours individuel.
Même si c'était en groupe, à ce moment-là, il
faudrait des expertises médicales, il faudrait des évaluations ad
hoc qui feraient que, finalement, on en viendrait presque sur une base
individuelle.
Ce dossier, Me Hesler a eu l'occasion de le traiter et je pense que je
vais lui donner l'occasion de s'exprimer davantage sur cette question.
M. Hesler: M. le Président, M. le ministre, j'ai
été particulièrement frappé par votre
référence à un certain produit pharmaceutique et j'en
viens à la conclusion que nous avons, tous les deux, partagé la
même expérience dans nos pratiques de droit.
Il y a eu un gros problème dans ce cas-là, qui n'est pas,
par contre, un problème de droit procédural. C'est un
problème de droit substantif; c'est la prescription. Ce qui a
frappé mes confrères américains dans ce contexte,
c'était, premièrement, le délai si court accordé
dans l'article 2262, un délai d'un an pour poursuivre, et ensuite, la
rigidité de cette règle.
Dans les autres juridictions, il existe une flexibilité qui
permet au tribunal de rendre justice dans les cas que nous avons vus dans la
référence citée par M. le ministre. Je pense que ce que
cela nous prend, c'est un amendement aux règles de prescription qui sont
dans le Code civil pour régler un problème de droit substantif
plutôt que des amendements de nature procédurale, parce que ce
n'est pas un problème de procédure. C'est un problème de
droit substantif de prescription.
M. Marois: Je ne veux pas rouvrir ce dossier. Il y avait
effectivement ce que vous mentionnez, mais il y avait aussi d'autres
dimentions; l'hypothèse ou le problème de prescription qu'on
prétendait insurmontable, de toute façon, a été
surmonté en cours de route. Je ne veux pas revenir là-dessus.
Quant aux cas de maladies professionnelles, je me demande si votre
inquiétude est fondée, dans la mesure où il n'y a pas de
recours en Cour supérieure. Dans l'hypothèse où un
tribunal dirait: Oui, effectivement, je pense que telle entreprise pourrait
être tenue responsable de telle maladie professionnelle, il n'a pas
juridiction. La Loi des accidents du travail prévoit que c'est la CAT
qui a juridiction dans ces cas-là.
En ce sens-là, le problème se pose dans des termes
différents chez nous, au Québec, dans l'état actuel de
notre droit, par rapport aux situations aux Etats-Unis. Dans cette
hypothèse, le tribunal retournerait le dossier à la Commission
des accidents du travail. Ne pensez-vous pas?
M. Hesler: M. le ministre, je pense que dans les cas de maladies
industrielles, maladies causées par la pollution, etc., c'est le genre
de dossier où les questions individuelles l'emportent sur les questions
communes. La majeure partie de l'enquête concerne la condition
individuelle de chaque demandeur. C'est-à-dire que dans le cadre du
recours collectif, c'est le deuxième stade, le recours individuel, qui
va être le plus long.
Je ne vois pas, dans le mécanisme du recours collectif, des
avantages de nature procédurale dans les cas de maladies ou de blessures
corporelles. Le seul avantage que j'y vois, c'est au niveau de la prescription
qui, comme je viens de le dire, est un problème de droit substantif qui
devrait se régler par des amendements au Code civil.
Le Président (M. Marcoux): M. le député de
Mont-Royal, qui a attendu patiemment depuis le début.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président.
M. Marois: Je m'excuse d'avoir abusé du temps de mes
collègues.
M. Ciaccia: Je veux remercier nos invités pour leur
mémoire qui est très bien fait et qui nous apporte des points de
vue que, définitivement, les membres de cette commission, et ceux de ce
côté-ci de la table vont regarder, étudier et prendre en
considération lorsque l'étude du projet de loi va se faire en
deuxième lecture.
Vous connaissez sans doute le rôle d'une commission parlementaire.
Inutile de vous le rappeler. Quelquefois, on a l'impression qu'on a un dialogue
de sourds. Mon expérience, depuis un an et demi, dans les commissions
parlementaires, est très pénible. Je vais donner le
bénéfice du doute au ministre aujourd'hui. Les invités
viennent, font leurs représentations bien étudiées avec
des points de vue très valables, mais le gouvernement a
déjà décidé ce qu'il va faire. J'espère que
ce ne sera pas notre expérience aujourd'hui.
M. Marois: Ouf!
M. Ciaccia: Non, c'est pour cela que j'ai dit que je vais donner
le bénéfice du doute à ce ministre-ci.
M. Marois: D'accord, je vais m'en tenir au bénéfice
du doute.
Le Président (M. Marcoux): La parole est au
député de Mont-Royal.
M. Ciaccia: Non, on va voir dans les prochaines étapes du
projet de loi ce qui aura été retenu.
M. Lalonde: Cela allait si bien.
M. Ciaccia: Cela allait trop bien hier.
Une Voix: ... bien aussi.
M. Vaillancourt (Jonquière): Prenez donc votre place, M.
le député de Marguerite-Bourgeoys.
M. Marois: Cela continue à bien aller ce matin.
M. Ciaccia: Les arguments, le point de vue que vous nous donnez
et le point de vue du ministre sont basés naturellement sur deux
philosophies différentes. Le projet de loi reflète la philosophie
de notre société telle que perçue par notre gouvernement.
Je crois qu'il va falloir, tôt ou tard, et préférablement
tôt, écarter certains mythes qui existent dans notre
société.
Je sais que vous avez toujours été traités comme le
vilain de la pièce. Nous sommes assujettis à un
phénomène, depuis un an et demi: ce n'est pas ce que
l'invité dit qui compte, mais qui est l'invité. C'est cela qui va
influencer le gouvernement dans ce qu'il va faire. Ce n'est pas la substance de
vos arguments, mais c'est l'historique, la classe de votre
représentativité. C'est pénible d'agir de cette
façon.
Il y a deux mythes pour lesquels il va falloir que nous prenions, "come
to grips"... Il va falloir traiter de ces deux mythes. Le premier mythe, c'est
que...
M. Vaillancourt (Jonquière): Le député de
Mont-Royal me permettrait-il une question?
M. Ciaccia: Non, après que j'aurai terminé, s'il
vous plaît! Le premier mythe, c'est que la classe patronale, ce sont tous
des "pas bons", c'est le mythe no 1. Si on croit cela, naturellement, toutes
nos lois seront rédigées en conséquence.
Le deuxième mythe, c'est que tous les mouvements populaires sont
bons. Si on pense cela, naturellement, on ne mettra pas de restriction du tout,
dans aucune des lois que nous allons proposer à cette Assemblée.
Mais si nous examinons d'autres pays, d'autres époques, nous voyons
vraiment combien sont ridicules ces deux mythes.
Il y a des abus, sans aucun doute, de la part de la classe patronale. Il
y en a eu dans ce pays, dans d'autres pays et à d'autres époques.
Mais prétendre qu'il ne peut y avoir d'abus dans les mouvements
populaires, je pense que c'est se fermer les yeux à l'histoire non
seulement de ce pays, mais d'autres pays. On est d'accord de ce
côté-ci de la table avec le projet de loi 39 qui donnera le droit
à une "class action". Cela rétablit l'équilibre.
J'interprète quelques-uns de vos propos et de vos recommandations
comme voulant vraiment maintenir cet équilibre et imposer certaines
restrictions pour ne pas qu'il y ait d'abus dans les soi-disant mouvements
populaires. Quand vous parlez du fonds public, des compensations collectives et
des montants retenus par le fonds, sans restriction, le ministre donne
certaines explications. Il dit bien qu'il faut retenir certains montants, le
reliquat, pour que le fonds ait d'autres montants et approvisionne d'autres
demandeurs, mais ce n'est pas ce que la loi dit.
Trop souvent, ici, j'ai entendu des explications qui n'étaient
pas conformes au projet de loi. Le projet de loi n'impose pas cette
restriction, c'est-à-dire que le fonds public ne retiendra que les
montants nécessaires pour se tenir à un certain niveau et ainsi
permettre d'autres compensations. Il est totalement ouvert. Il n'y a pas de
restrictions quant à ceux qui peuvent avoir recours au fonds public.
Il peut y avoir des abus. C'est le rôle du gouvernement de
prévenir certains abus, mais c'est aussi le rôle des autres.
Parfois cela me répugne un peu de parler de classes, "class action", et
de catégories de personnes. C'est pour cela qu'on revient au droit
individuel. C'est cela l'important. Si les droits qui sont dans le projet de
loi 39 sont une extension des droits individuels, personne ne sera
lésé. Mais au moment où on perd de vue les droits
individuels de chaque citoyen, que ce soit vous un individu moins
avantagé, à ce moment-là, on ouvre la porte aux abus. (11
h 30)
C'est cela la différence que je vois dans vos commentaires et
dans certains aspects du projet de loi. Il ne faut pas mal interpréter
ce que je dis, je suis pour que les citoyens aient le "class action", mais
l'introduire, comme plusieurs autres projets de loi ont été
introduits ici, d'une façon improvisée, d'une façon
ouverte, sans restriction. Qui aidons-nous? On n'aide pas la
société, parce qu'il y a différents moyens de
détruire l'entreprise privée. Mes commentaires sont basés
sur le fait que l'entreprise privée est en Amérique du Nord la
base de notre niveau de vie. Des restrictions, des règlements sont
nécessaires. Le gouvernement doit y voir, mais pas par la destruction de
l'entreprise privée. Il y a différentes manières, et pas
seulement la nationalisation. Cela peut être par des déclarations
d'un premier ministre, des déclarations d'autres ministres, par
l'introduction de projets de lois qui rongent, qui enlèvent des droits
aux individus de ces entreprises privées et qui découragent un
citoyen de bâtir une entreprise, qui lui enlèvent l'initiative,
l'incitation, parce que l'Etat va tout faire pour lui. Je vois un peu cette
philosophie dans ce projet de loi. Je vois la radicalisation possible de notre
société en ne mettant pas de restriction, en ne disant pas: Oui,
vous allez être protégés, vous allez avoir le droit de
prendre une action au nom des autres citoyens contre une entreprise qui a
abusé de ses droits, mais pas d'une façon où cette "class
action" peut être manipulée, peut avoir des pressions politiques,
peut obtenir des fonds du gouvernement, sans restriction. C'est totalement
déséquilibrer les forces qui permettent à notre
société de nous donner les valeurs, de nous donner le niveau de
vie que nous avons. Les commentaires que vous faites, qui servent à
ramener cet équilibre, je pense que nous allons vraiment les prendre en
considération et que nous allons les porter à l'attention du
gouvernement en temps et lieu, à l'étude de la loi article par
article, en deuxième lecture.
Quand le ministre dit que le projet de loi ne change pas le droit
substantif, je voudrais avoir votre commentaire. Il me semble qu'en instituant
un fonds public sans restriction, en donnant le droit aux tribunaux de retenir
des montants sans les donner aux individus, aux citoyens, le fait même
d'introduire cette action, c'est à mon point de vue du droit substantif.
C'est difficile de faire la distinction entre le droit procédurier et le
droit substantif. Le fait que je dois aller en cour, c'est déjà
un droit substantif. Je peux intenter ou non comme dans l'exemple que vous avez
donné, une action de $3 millions. Il n'y a rien dans ce projet de loi
qui peut tempérer cet abus, parce que, dans notre société,
nous avons des esprits malades de tous les côtés. Le rôle du
gouvernement, c'est de ne pas ouvrir la porte, que les esprits malades viennent
contrôler la société au détriment des autres. C'est
cette optique que le gouvernement perd parfois. On peut rire, on peut traiter
cela à la légère, on peut ne pas le prendre au
sérieux. Quand on est ici, à Québec, dans cette Chambre,
à l'Assemblée nationale, parfois, on perd le sens de la
réalité. Il faut aller parmi la population, parler aux gens, voir
leurs préoccupations et voir vraiment ce qui les inquiète. Une
approche de ce genre, à mon point de vue, est inquiétante. Je
voudrais avoir vos commentaires sur la question du droit substantif.
L'autre point que le ministre a soulevé, qu'il ne doit pas y
avoir enrichissement sans cause, c'est une doctrine, c'est un droit de notre
Code civil. Je crois que personne ne va le mettre en doute, ne va vouloir
changer ce droit. Je voudrais avoir votre commentaire aussi sur la façon
dont le ministre a introduit la question d'enrichissement sans cause, qu'il
divise. L'enrichissement sans cause, c'est que si j'ai posé un acte
envers vous ou envers un tiers, par lequel je me suis enrichi, je dois remettre
cette somme pas la remettre dans un vacuum ou la remettre à l'Etat, mais
la remettre à l'individu qui a été lésé ou
aux individus. Alors, l'enrichissement sans cause, selon l'exemple du ministre,
je crois que si on le divise et si on dit: Les compagnies ne doivent pas ou le
défendeur ne doit pas s'enrichir, et s'il y a remise à l'Etat, ce
n'est pas le principe d'enrichissement sans cause. C'est le principe
pénal, qui ne devrait pas avoir de place dans un projet de loi de "class
action". Les questions pénales, l'Etat devrait s'en occuper non pas les
confier aux individus, parce que là, on établit un Etat policier.
Si on le donne à un petit groupe, vous allez vous occuper de l'aspect
pénal vis-à-vis d'un tel, on ouvre des forces dans notre
société qui vont peut-être difficiles à
contrôler, et on l'a vu dans d'autres endroits.
Je voudrais aussi avoir votre commentaire sur la question du droit
punitif. C'est vrai que, dans notre droit, il n'existe pas le droit punitif
dans notre Code civil, les actions en dommages que nous prenons. L'argument du
ministre, s'il n'existe pas, c'est qu'on n'ajoute pas de droit substantif.
Alors, il n'est pas question d'ajouter un droit punitif, mais n'est-ce pas une
étape vers l'introduction du droit punitif quand nous donnons le droit
aux tribunaux de retenir un montant et de ne pas le remettre aux individus?
N'est-ce pas le commencement du droit punitif? La première
étape.
La deuxième étape. Après qu'on a introduit cette
notion, après qu'on a les fonds, à l'Etat, et la notion de
prendre les fonds des individus et de ne pas les remettre à d'autres
individus, une fois que cette notion est introduite, la deuxième
étape est très facile et elle consiste à introduire dans
la législation, substantiellement, le droit punitif.
Je voudrais aussi avoir vos commentaires sur cet aspect du projet de
loi.
Le Président (M. Marcoux): M. Dufour.
M. Dufour: Disons qu'on retient les deux questions, celles du
droit substantif et d'enrichissement sans cause. Je vais demander à Me
Gaudet de parler du droit substantif, mais je voudrais quand même faire
un commentaire sur la vision que vous avez eue de notre mémoire sur
cette nécessité de maintenir l'équilibre.
Je pense qu'une vision juste... A un certain moment, on dit
qu'effectivement, le projet de loi nous apparaît à sens unique, on
le démontrait notamment dans l'utilisation du fonds. Le ministre,
tantôt, nous a indiqué une orientation nouvelle,
tout au moins au niveau du défendeur. Ce que je voudrais
mentionner ici, au niveau de l'équilibre, c'est que, souvent, on pense
recours collectif en termes de lutte de classe; les méchants, les bons,
par définition, on sait ce que cela veut dire. Mais il y a tout le
problème aussi des multinationales contre les PME parce qu'on sait, par
l'expérience américaine, que bon nombre de grandes entreprises
utilisent le recours collectif contre des PME. Cela peut être
drôlement utilisé pour aller chercher un marché. On ne le
voit pas purement, nous, en termes de classe, mais on le voit aussi à
l'intérieur du monde patronal: grandes entreprises contre petites
entreprises.
Deuxième phénomène aussi, à cause de
l'ouverture très large du recours collectif qui sera possible au
Québec on l'a mentionné, mais très rapidement
tantôt le gouvernement ne s'est pas exclu de sa
législation. Ce qui veut dire qu'en termes de possibilité
éventuelle on pourra avoir des recours collectifs concernant les
services non dispensés dans les hôpitaux, la poste
évidemment, c'est fédéral
l'électricité, etc. Donc, cette nécessité
d'équilibre, il faut la voir dans une dimension tout à fait autre
que cette pure référence à l'once qu'il manque dans le pot
de café ou les deux onces dans la boîte de "corn flakes"
Kellogg's. Il y a tous ces groupes qui, éventuellement, seront mis en
cause dans l'utilisation du recours collectif et on a cette division globale
dans notre mémoire, M. le ministre.
Sur la question du droit substantif, Me Gau-det.
Mme Gaudet (Bérengère): Je voudrais répondre
à la première question de M. le député Ciaccia
quand il parle du droit substantif et de la modification qui est
apportée dans le projet de loi. Je pense que M. le ministre a raison
à ce sujet. Personnellement, je crois que le projet de loi ne modifie
pas le droit substantif; par contre, il apporte des amendements
considérables au point de vue de la procédure, en particulier sur
la discrétion très large qui est accordée aux juges. Mais
je pense que c'est passer à côté de la question que
de...
M. Marois: M. le député admettra qu'il y a au moins
des points sur lesquels on est en accord. Le climat est bon.
M. Ciaccia: Sûrement, c'est pour cela que je vous accorde
le bénéfice du doute, pour voir les changements que vous allez
apporter au projet de loi.
M. Marois: C'est pour cela que vous m'aviez donné un
bénéfice du doute qui va...
M. Ciaccia: Sûrement.
Le Président (M. Marcoux): Un instant, à l'ordre!
La parole est à madame.
M. Marois: C'est la journée de la femme; on ne devrait pas
interrompre madame.
Mme Gaudet: Je crois que mes confrères, les avocats qui
sont ici, seraient d'accord à ce sujet, mais je leur laisserai la parole
sur un autre point tantôt.
Je crois que c'est passer à côté de la question que
de formuler la question de cette façon parce que, ce qui est important
dans les aspects fondamentaux du projet de loi et ce qui nous fatigue, nous, je
pense bien, c'est ce que vous avez soulevé tantôt,
c'est-à-dire que les gens qui doivent être indemnisés ne
seront pas correctement indemnisés. La compensation ne va pas à
ceux qui la réclament, à ceux qui en ont besoin. C'est là,
je pense, qu'est notre position fondamentale au recours pour des montants trop
petits. Peut-être que, en transférant la discussion sur le
pénal par rapport au civil, on se trouve à fausser un petit peu
le problème réel. Je ne veux pas m'embarquer là-dedans, en
tout cas, parce que je ne plaide ni au criminel ni au civil, mais je pense que
cela fausse la notion véritable.
Me Cantin a mentionné tantôt, en passant il y a
seulement fait allusion le fait qu'aux Etats-Unis l'expérience a
démontré que, quand les montants réclamés sont
très petits les gens ne vont pas les réclamer. Là-dessus,
nous avons des statistiques. Elles ne sont pas mentionnées dans le
mémoire, mais des documents que nous avons des Etats-Unis prouve que,
dans un grand nombre de causes où il y a eu des montants
considérables qui ont été accordés par le jugement,
les avis étaient envoyés au demandeur et, dans certains cas, il y
avait à peu près 10% des gens qui allaient les
réclamer.
L'avis disait: II y a eu un jugement qui a été
prononcé tel jour, il y a là un fonds de $20 millions pour
compenser ceux qui y ont droit. Vous êtes parmi ces personnes, voici ce
que vous avez à faire. Il y avait 10 000 personnes sur 100 000 qui
allaient réclamer. Les commentateurs qui essaient d'interpréter
cela disent que, dans la majorité des cas, lorsque
l'intérêt en jeu est trop petit, les gens ne s'en
préoccupent pas. Bien souvent, ils ne savent même pas qu'il y a eu
un recours collectif et l'enjeu n'en vaut finalement pas la chandelle.
Il n'y a pas seulement cet aspect, il y a aussi le fait que les
procédures sont trop longues. Je pense que c'est un aspect que l'on n'a
pas souligné tantôt mais il y a des recours collectifs qui
impliquent un nombre considérable de demandeurs; vous avez eu aux
Etats-Unis, impliquant des millions de personnes, par exemple. Cela rend
l'action très lourde et il y en a qui traînent en cour pendant des
années. Ce n'est pas rare que ce soit cinq ans, six ans et il y a une
cause, actuellement, qui est en cour depuis huit ans et qui n'est pas
terminée.
On ne peut pas voir quel peut être l'intérêt de
quelqu'un qui réclame, ne serait-ce que cinq ou dix dollars, il a
attendu cinq ans pour avoir ses $5, c'est cela l'injustice fondamentale de la
chose.
Je suis d'accord avec vous, M. le ministre, quand vous dites, que, quand
une injustice existe, elle ne tient pas au fait que le montant est petit, que
la personne ne va pas obtenir justice, c'est tout à fait
légitime, c'est sûr que ce n'est pas parce
que ce n'est que $5 qui ont été volés que ce n'est
pas un vol ou que ce n'est pas de la fraude, mais il faut qu'il s'agisse
vraiment de compensation. C'est ce que nous voulions dire en affirmant que le
recours collectif ne devrait pas être possible quand la
réclamation est de nature telle que le demandeur pourrait exercer un
autre recours avec les mêmes avantages. A ce point de vue, il existe la
Cour des petites créances. Si on s'en tient à cet aspect
seulement, il est bien sûr que c'est une justice beaucoup plus rapide et
plus satisfaisante pour l'individu, parce qu'il peut être compensé
presque immédiatement, sauf qu'il a évidemment à se
déplacer et qu'il faut qu'il fasse un effort tandis que, dans le recours
collectif, il reste chez lui et n'a rien à faire.
J'aimerais donc qu'on discute un peu plus ces points ou bien qu'on passe
à autre chose.
M. Dufour: Dans la question de l'enrichissement sans cause, on en
a parlé un peu tantôt, en disant que c'était l'Etat qui en
faisait. Je vais demander à Me Casgrain de vous répondre
là-dessus et peut-être, en même temps, parler de la question
que vous avez soulevée, M. le ministre, de l'apparence de droit.
M. Casgrain: Sur l'apparence de droit, si vous me le permettez au
départ, nous étions heureux de voir que vous disiez envisager la
possibilité de modifier la requête à cet égard. Je
pourrais peut-être, si vous le permettez, vous donner le fruit de nos
réflexions, à cet égard, en nous mettant dans la peau de
celui qui est en défense, par exemple. Je sais qu'il a été
question à un moment donné je pense que vous en parliez
vous-même, dans une conférence de presse, du fait qu'on pouvait
toujours interroger le réclamant sur son affidavit.
On dit, je ne sais pas trop pourquoi, aujourd'hui, l"'affiant" sur son
affidavit. Cela me paraît un anglicisme absolument horrible, mais, enfin!
je veux vous dire que, lorsque vous interrogez l'affiant" sur son affidavit,
c'est que vous tentez de savoir s'il a dit la vérité ou non dans
l'affidavit. Si vous prenez le texte que vous avez dans la loi, il lui suffira
de dire, par exemple: "J'ai acheté une voiture et à ma
connaissance et là ce n'est même pas sa connaissance
personnelle je suis croyablement informé que 10 000 autres ont
acheté une voiture dont les ailes pourrissent". Tout ce que vous pouvez
faire, en examen sur l'affidavit, c'est de lui demander si c'est vrai. Il est
certain qu'il va répondre que c'est vrai et vous n'aurez fait aucun
chemin avec cela. Effectivement, l'interrogatoire sur l'affidavit est valable
au niveau de l'injonction, par exemple, où l'affidavit doit
étayer chacun des paragraphes de l'injonction et là vous avez la
chance, dans l'interrogatoire, de faire contredire le témoin et de faire
mettre de côté son affidavit. Il est valide aussi au niveau de la
saisie consommatoire où on dit bien qu'il doit, dans son affidavit,
alléguer tous les faits de nature à justifier son droit et
là, on peut aussi, à ce niveau, le faire. Mais, dans le contexte
actuel tel que lu, je ne vois pas comment je pourrais, au niveau de
l'affidavit, faire quoi que ce soit d'utile; et c'est pour cela que nous
insistons en disant: Dire au juge tout simplement si vous êtes d'avis que
les causes sont mixtes, communes ou reliées entre elles, à ce
moment-là, il n'y avait pas de discrétion de la part du juge. Au
contraire, il se faisait une espèce de "rubber stamp", mais un "rubber
stamp ' qui a vraiment une attitude beaucoup trop grande, surtout si vous tenez
compte du fait que vous avez trois expressions qui vont vraiment rattraper tout
directement et indirectement, de toute façon. Nous insistons
là-dessus, nous croyons que c'est extrêmement important et cela
peut, au départ, régler un tas de problèmes qui se
présenteraient au cours de l'audition. (11 h 45)
Pour ce qui est de l'enrichissement sans cause j'ajouterai simplement
ceci, M. le ministre: je pense que le concept de l'enrichissement sans cause
est vraiment un concept de droit civil qui origine du droit français qui
est étudié longuement par les auteurs. Je vous rappelle qu'il
reste quand même ceci dans le Code civil: Nous avons un système
contraire aussi bien au niveau du droit civil que du droit criminel, mais
également au niveau du droit civil, et il y a un principe de droit qui
dit que l'intérêt est la mesure des actions. Il y a aussi une
autre règle de droit qu'il ne faut pas mettre de côté non
plus, qu'on est tenté de mettre de côté, je crois, à
une certaine époque, au niveau de la rédaction du Code civil, qui
est celle du "caveat emptor".
Il arrive, à un moment donné, que si vous mettez
totalement de côté toutes ces règles qui, quand même,
nous viennent d'une expérience assez considérable avant nous, il
faut faire attention d'éliminer totalement cette espèce de
fardeau qui incombe au demandeur d'agir par lui-même. A partir du moment
où l'Etat lui dit: Je vous invite à prendre une procédure,
je vous évite tout déboursé quelconque, et je vous donne
même une prime, si vous réussissez au point de vue
publicité ou autrement, je pense qu'on fausse totalement tout
l'équilibre du Code civil. Je reprends ici ce que disait le
député de Mont-Royal: je ne veux pas faire de la politique, mais
je pense sérieusement que ces choses-là, sans qu'on s'en rende
compte, se trouvent éliminées. Vous avez donc toute une partie de
votre Code de procédure qui n'émarge plus au Code civil. Vous
n'avez plus cette règle du "caveat emptor". Vous n'avez plus:
L'intérêt est la mesure des actions. Vous n'avez plus ce jeu, si
vous voulez, mais ce mécanisme qui doit continuer d'exister, il me
semble, au niveau du Code civil. Je pense, M. le ministre, que la Commission de
réforme du Code civil a étudié très
sérieusement à un moment donné cette règle du
"caveat emptor" et a pensé à le faire disparaître au niveau
de la garantie, au niveau du délit de poursuite et ainsi de suite. Elle
n'en est pas arrivée à une conclusion très
spécifique jusqu'à maintenant et je pense que cela reste à
étudier avec soin avant d'éliminer totalement la règle. Je
sais bien qu'au point de vue philosophique on ne peut pas dire: Les petits
n'auront pas de réclamation. Si on dit cela, il n'y a pas de
réponse possible; mais, dans ce contexte, je pense que c'est
l'introduction d'un changement total à des principes de droit qui nous
sont chers.
M. Dufour: Si vous le permettez, M. le Président, sur
cette question, en référence à l'article 1036, Me
Guérette aimerait faire un commentaire.
M. Guérette (Serge): Mon collègue, Me Gau-det, a
fait allusion au fait que le projet de loi ne changeait pas le droit
substantif. Je ne voudrais pas débattre avec elle une simple question de
vocabulaire. Je crois que l'article 1036 en soi constitue une véritable
révolution dans le domaine de notre droit civil, puisque là on
arrive avec un reliquat, reliquat auquel le CPQ s'oppose en soi, parce que si
le reliquat n'est pas versé aux victimes, il va à des tiers; ce
n'est plus une mesure compensatoire, parce que notre droit civil, tel qu'il
existe présentement, est fondé sur les relations entre les
personnes et non pas sur une compensation sociale ou autre chose dont le soin
est laissé à l'Etat. L'article 1036 laisse d'abord au tribunal
une grande discrétion quant à la disposition de ce reliquat. On
lui attribue, ce faisant, un rôle de nature presque politique auquel les
tribunaux américains sont peut-être habitués, mais que les
tribunaux canadiens n'ont jamais exercé. Deuxièmement, en rapport
toujours avec ce fameux reliquat, l'article 36 du projet semble permettre au
gouvernement d'établir, de percevoir un pourcentage différent sur
le reliquat pour les fins du fonds, du pourcentage qu'il percevrait des
réclamations liquidées de chacun des défendeurs
individuellement. A mon avis, la différence entre le pourcentage
perçu sur le reliquat et le pourcentage perçu des
défendeurs individuellement, s'il en est, est définitivement une
mesure punitive, puisque, règle générale, on devrait
établir le même montant de perception dans tous les cas. Si l'on
veut respecter l'esprit de notre droit civil actuel, le reliquat devrait cesser
d'exister, à supposer que l'on puisse évaluer
précisément le montant de l'indemnité versable à
chaque demandeur ou à chaque membre et c'est seulement dans la mesure
où la chose est possible que vraiment on peut affirmer que la somme
payable en vertu du recours collectif ne sera pas différente des sommes
recouvrables par chaque membre individuellement, que l'on force, comme on le
prévoit, le défendeur à déposer au greffe une somme
globale, suffisante pour couvrir chaque réclamation individuelle; qu'on
laisse un an aux membres, individuellement, pour faire part de leurs
réclamations personnelles. Si, au bout de l'année, il reste un
solde, ce solde devrait revenir au demandeur et non pas être
versée à la discrétion du juge à des fins sociales
ou autres, parce qu'à ce moment-là ce n'est plus la compensation
des demandeurs que l'on effectue, mais une espèce de compensation de la
société en général ou autrement. C'est un concept
qui est complètement étranger à notre droit civil, tel
qu'il existe actuellement.
Le Président (M. Marcoux): Je préférerais
qu'on écoute d'abord le député de Nicolet-Yamaska. Le
député de Nicolet-Yamaska.
M. Fontaine: Merci, M. le Président. Je voudrais, à
l'instar de mes collègues qui m'ont précédé,
remercier le CPQ pour l'excellence de ses remarques. Je veux également
profiter de l'occasion pour exprimer ma satisfaction à l'endroit du
ministre pour les points où il s'est dit ouvert à des
modifications, entre autres, concernant les ordonnances de non-publication.
Depuis hier on a touché ce point et on l'a repris ce matin. Je pense que
c'est important pour les entreprises de pouvoir bénéficier de
cette protection.
Il y a aussi la question de l'apparence de droit. Le ministre nous a dit
être prêt à examiner cette question avant de pouvoir
permettre que des représentants puissent obtenir de l'aide du fonds. Il
y a également les frais au défendeur qu'on est prêt
à examiner, l'aide au défendeur. Le ministre est prêt
à envisager de pouvoir donner une aide au défendeur qui pourra en
bénéficier. Je pense qu'il y a certaines entreprises, quand on
parle des petites et moyennes entreprises, qui auront besoin de cette aide,
surtout au point de vue technique. Alors, ce point est très important.
Il y a également la question de l'appel en garantie qu'on a
soulignée tout à l'heure.
En fait, votre mémoire a porté fruit, puisque ces
remarques ont touché le gouvernement sur ces points. Il y a bien
sûr la question importante dont nous discutons depuis tout à
l'heure. Je veux y revenir un peu, pas pour prolonger le débat, mais
pour apporter mes réflexions là-dessus.
Ce que le ministre et le gouvernement nous disent... ce qui est
préconisé, c'est que l'amende et la compensation soient
égales aux dommages réellement subis par l'ensemble des citoyens
qui feront partie du groupe. On voit que dans la position du gouvernement, on
préconise que la partie que vous appelez pénale et la
véritable compensation versée aux gens qui vont faire la
réclamation soient égales aux dommages réellement subis
par l'ensemble des citoyens.
Par contre, vous du CPQ, dites que ce qui n'est pas versé en
compensation aux victimes est véritablement une amende et devrait
retourner à l'entreprise poursuivie ou au défendeur.
Je pense qu'il est important dans ce débat de bien situer le
problème, parce qu'il s'agit d'un problème qui a deux aspects,
l'aspect économique et l'aspect social.
Bien sûr, je ne veux pas dans cette intervention dire que le
gouvernement, ou même le CPQ et les entreprises sont prêts à
encourager les entreprises à frauder la population. Ce n'est pas le but
de l'affaire. Il y a de véritables dommages qu'on réclame. Il y
aura sûrement des poursuites où on pourra déterminer qu'il
y a eu fraude et il y aura d'autres poursuites où on pourra
déterminer que ce sont de véritables dommages. Par exemple, une
compagnie distribue un appareil, supposons une balayeuse électrique. Il
peut y avoir des défauts
dans cette balayeuse; à ce moment-là le citoyen subit un
véritable dommage qui est évaluable.
Je pense être de votre avis: si les membres du groupe ne font pas
la réclamation pour toucher leur indemnité, je serais d'avis que
les montants qui ne seront pas touchés soient retournés à
la compagnie, au défendeur. En fait, probablement que ces
réclamations toucheront beaucoup plus les petites et moyennes
entreprises.
A ce moment-là, je soutiens que le reliquat devrait être
remis à l'entreprise poursuivie parce qu'il s'agit véritablement
là d'un dommage, d'un lien de responsabilité entre l'entreprise
poursuivie et le membre du groupe qui a poursuivi. Si le membre ne se donne pas
la peine de réclamer son montant d'argent, je pense qu'il serait
nécessaire qu'on puisse le rembourser. On s'aperçoit qu'il y a
des conséquences économiques importantes. Si on se sert de ces
réclamations pour mettre en faillite des entreprises... on sait
qu'actuellement le nombre d'entreprises qui ferment leurs portes est assez
grand au Québec. Il ne faudrait pas, par des mesures qu'on veut
sociales, augmenter le nombre de fermetures d'usines et d'entreprises.
Il y aurait peut-être possibilité pour le gouvernement
je ne sais pas si c'est possible dans les faits de le réaliser
de départir la question de la fraude il y aura des
entreprises qui seront poursuivies pour fraude de la question des
dommages et intérêts pour d'autres cas.
Je soumets cette argumentation. Je ne sais pas si c'est
réalisable dans les faits, je n'ai pas fait de recherche
là-dessus, mais peut-être que le ministre pourra nous faire des
commentaires à ce sujet-là.
Le Président (M. Marcoux): Avant d'entendre les
commentaires du ministre, on va entendre les commentaires de nos
invités.
M. Dufour: Juste un commentaire très bref. La
démonstration que vient de faire M. Fontaine a comme but de ne pas avoir
de reliquat. C'est la thèse que l'on soutient dans notre mémoire.
Quant à différentes distinctions entre fraude et dommages, nous,
on ne fait pas la distinction à l'intérieur de ce projet de loi.
Ici, on dit: S'il y a des dommages, compensons sans reliquat.
Lorsqu'il y a fraude, il y a toute la législation
générale qui doit s'appliquer, que ce soit la loi des poids et
mesures ou la loi XYZ, si les amendes parce qu'il faut souvent rappeler
que le ministre dit qu'il faut vraiment décourager l'entreprise à
reposer le même geste. A ce moment-là, au niveau des amendes, pour
ceux qui sont dans le milieu de l'entreprise, on sait que c'est loin
d'être incitatif. C'est évident que si les amendes étaient
haussées dans certains cas, à ce moment-là, il n'y aurait
pas de récidive.
Je vais changer complètement de sujet. Si je prends la loi du
salaire minimum, par exemple, nous sommes les premiers, les employeurs,
à dire qu'on donne une mauvaise image de la loi du salaire minimum,
parce que les pénalités sont beaucoup trop basses. La
journée où les pénalités seraient
augmentées, il y aurait beaucoup moins de violation de la Loi du salaire
minimum. C'est un exemple très concret qu'on vit au Québec, mais
dans l'application, ici, si les amendes étaient plus
élevées à l'intérieur d'autres lois, il y aurait
découragement.
Mais sur le fond de la thèse qui est d'en arriver à ne pas
avoir de reliquat, on est absolument d'accord.
M. Fontaine: En fait, ce que vous proposez, c'est qu'il n'y ait
pas de reliquat dans aucun cas.
M. Dufour: Oui.
M. Fontaine: Mais moi, ce que je vous dis, c'est que dans le cas
où il y aurait eu fraude, la loi pourrait dire que le reliquat constitue
une amende et, à ce moment-là, le fonds s'en saisirait à
ce titre. On dit que la population a été fraudée et une
amende a été imposée. Le montant est égal à
ce qui a été pris dans la population.
Par contre, lorsqu'il s'agit véritablement de
dommages-intérêts, qu'il y a un reliquat et qu'il n'y a pas de
réclamation pour aller chercher ce reliquat, je pense que le reliquat
devrait être remis à l'entreprise, parce que le gouvernement n'y a
pas droit. Il s'agit là d'un véritable enrichissement sans cause
de la part du gouvernement.
C'est pour cela que je vous dis qu'il y aurait peut-être lieu de
penser à faire une telle distinction entre les cas où il y a
fraude et les cas de véritables dommages matériels.
M. Dufour: Dans le cas de dommages-intérêts, c'est
très clair. Dans le cas de fraude, je vais demander à Me
Casgrain...
M. Casgrain: Si vous le permettez, M. le ministre, il y a une
chose que je voudrais vous souligner, qui me vient à l'idée. Ce
matin, je la considérais. Une fois que vous aurez incorporé cette
partie du projet de loi dans le Code de procédure, supposant un instant
que si le montant est payé effectivement au fonds ou au gouvernement, il
s'agit, sans faire de la sémantique, d'un montant qui va ailleurs qu'au
demandeur. Vous aurez dans le Code de procédure les trois dispositions
pénales suivantes: la sanction pour mépris de cour, les $500 pour
l'usurpation des charges et le cas où les reliquats des actions des "de
minimis" seront payés au fonds, constituant en cela une
pénalité. (12 heures)
Si c'est ainsi, vous allez très vite avoir le problème
suivant en cour: Depuis quelque temps, la jurisprudence a évolué
au niveau justement du mépris de cour en disant: Les mépris de
cour ne sont pas du droit criminel; mais parce qu'effectivement, ils font
encourir une pénalité à l'individu, nous devons traiter ce
problème avec ce qu'on appelle le "strictissimi juris", à telle
enseigne que la preuve qu'on doit faire, lorsque, justement, selon nos
tribunaux, on se dirige vers la pénalité contre un individu, doit
être extrêmement rigide, ce qui entraîne toute espèce
de problème, notamment le témoignage contre soi oui ou non, etc.
La question est loin d'être réglée.
Ce que je veux vous dire, c'est qu'effectivement, si on veut être
logique avec nous-mêmes, et avec l'esprit du Code de procédure, je
pense qu'à partir du moment où vous introduisez quelque chose qui
n'est pas du recours ordinaire, mais qui est une espèce de
pénalité appelez-la comme vous voulez ou de
paiement à un corps public quelconque ou d'une disposition de l'article
1036 qui serait une espèce de justice sociale, comme on le disait tout
à l'heure, vous devrez nécessairement aussi tenir compte du fait
on arqumentera là-dessus éventuellement que toute
cette législation devrait être interprétée
"strictissimi juris ", puisqu'elle entraîne éventuellement ce
genre de pénalité. C'est un des problèmes auxquels vous
avez à faire face,
Les juges vont finalement dire qu'avant de condamner la compagnie Y
à payer une somme de S3 millions ou de $4 millions, au
bénéfice d'un fonds qui n'est autre chose qu'un fonds social,
donc administré par le gouvernement, dont le reliquat
éventuellement ira au fonds consolidé, nous allons
considérer la chose comme étant le même type de peine que
celui que vous avez au niveau du mépris de cour. A cause de ceci, nous
allons utiliser le "strictissimi juris". Là, vous aurez ce dont on se
plaint aujourd'hui, à savoir l'abus de ce genre de procédure et
autrement. C'est ce que nous croyons que vous devez surveiller avec attention,
avant d'introduire ce concept.
Le Président (M. Marcoux): Avant de donner la parole au
ministre, je voudrais demander aux membres de la commission s'ils seraient
d'accord pour que nous terminions l'audition de ce mémoire dans cinq
minutes, ensuite que nous entendions la présentation du mémoire
suivant, jusqu'à 12 h 30, et que le dialogue avec les gens du
mémoire suivant se fasse à la reprise, cet après-midi.
Seriez-vous d'accord avec cette procédure?
M. Fontaine: Pour ma part, M. le Président, je n'ai que
deux autres questions à poser.
M. Clair: Si on peut disposer d'un peu de temps pour les
députés ministériels, M. le Président, pour poser
quelques questions, on serait d'accord.
Le Président (M. Marcoux): Jusqu'à 12 h 10,
à ce moment-là, pour être plus sûr. Les vingt minutes
pour l'audition du mémoire seront pris avant le dîner.
M. Marois: Je veux simplement ajouter un commentaire
général. J'ai pris bonne note de vos commentaires, on va regarder
cela, comme pour tous les autres commentaires et remarques qui nous ont
été faits, pour les examiner au mérite. Cela va aussi pour
la question du député. On va la regarder. Il y a une question...
Au fond, je vous la pose en me la posant aussi en même temps, parce que
vous avez évoqué cette idée que le reliquat, c'est une
partie de l'économie générale de la loi; si le texte n'est
pas fidèle à cette économie générale, il y a
toujours moyen de baliser et de serrer les choses. Cela relève du
domaine des modalités qui, parfois, sont drôlement importantes.
Cela a beau être des modalités, ce ne sont pas
nécessairement des détails.
Quand on dit que c'est complètement nouveau, je ne crois pas que
ce soit exact. Il y a l'article 40 en droit civil qui touche toute la question
des biens en déshérence. Vous savez que, dans ces
cas-là... Cela date... Je pense que, quand j'ai commencé à
étudier le Code civil, cela y était déjà. Je veux
dire que ce n'est pas quelque chose de nouveau. Pardon, c'est 400?
Une Voix: 401.
M. Marois: 401. Ce n'est pas quelque chose de neuf, ce n'est pas
quelque chose de nouveau. Dans ce cas-là, dans le cas des biens en
déshérence, précisément, forme de reliquat,
analogiquement, je dis bien, parce que c'est purement une analogie, notre droit
civil considère là, ce n'est même pas ce que
prévoit le projet de loi 39 que c'est du domaine privé de
l'Etat comme tel, alors que ce qu'on introduit et qui est inhérent aussi
à l'opting out", qui est dans la logique et dans la foulée de
I'"opting out", c'est cette possibilité qu'il y ait un reliquat, que le
reliquat soit, comme le dit l'article 1036, sur représentation des
parties, forcément, toujours. Le juge détermine de quelle
façon, en tenant compte notamment de l'intérêt des membres,
le reliquat sera utilisé, affecté, etc. On a donné le cas
de certaines causes américaines. Je ne crois pas que ce soit
complètement nouveau, mais, évidemment, il y a des choses
à ajuster, en tenant compte de l'économie générale
de notre Code de procédure civile et aussi de la réalité
sociale et économique du Québec.
En terminant, pour laisser la chance à mes collègues de
poser des questions, de faire des commentaires, je voudrais vous dire à
nouveau, comme l'a rappelé le député, quels que soient les
commentaires qui aient pu être faits, que, quant aux modalités du
projet de loi, notre intention est vraiment d'être le plus attentif
possible à tous les commentaires qui nous ont été faits,
à toutes les remarques, et de les examiner attentivement. J'ai
déjà indiqué d'ailleurs des pistes où,
spontanément, sans m'engager davantage, parce que je voudrais que les
juristes l'examinent avant... Il y a déjà des points de
repère que j'ai indiqués à partir de vos propres remarques
et suggestions où on est spontanément porté à
regarder cela de très près, sans compter le reste. Ce sera
examiné au mérite, l'objectif étant uniquement celui-ci,
en l'introduisant dans notre droit: s'assurer que ce soit une procédure
qui ne soit pas une chaloupe qui verse en partant, pas du tout, dans la
perspective de quelque chose qui relève de l'économie
générale de la procédure civile, ou bien je ne sais plus
de quoi on parle, qui doive faciliter normalement l'exercice de la justice au
sens strict de ce mot.
Là-dessus je tiens à vous remercier de votre
mémoire et de vos commentaires.
M. Fontaine: Je voudrais laisser la chance à mes
collègues du gouvernement de parler de
temps en temps. Alors, je vais leur céder mon droit de parole
immédiatement. J'aurais eu quelques autres questions, mais
peut-être en toucheront-ils. Cela va régler le
problème.
Le Président (M. Marcoux): Le député de
Drummond.
M. Clair: Merci, M. le Président. Respectueux de notre
règlement, je ne prendrai pas le temps de la commission pour faire une
mini-conférence de presse, comme l'a fait notre collègue de
Mont-Royal. J'irai immédiatement avec trois questions précises
sur des points bien précis.
Premièrement, à la page 4 du résumé du
mémoire, on parle de la possibilité d'introduire la notion de
bonne foi au niveau de la présentation de la requête. J'aimerais
savoir, du Conseil du patronat et des avocats qui l'accompagnent, comment ils
voient l'introduction de cette notion, de cette preuve de bonne foi au niveau
de cette requête, tenant compte de l'esprit général de
notre Code civil qui présume la bonne foi et qui prévoit la
possibilité, advenant un recours futile ou vexa-toire, d'une action en
dommages et intérêts par la suite, à supposer qu'on soit en
mesure d'en faire la preuve.
Une deuxième question assez précise concerne les avis
individuels qui sont prévus à la page 6 du résumé
du mémoire. On y lit, en effet: "Le juge devra enfin exiger du
représentant qu'il envoie un avis qui soit le meilleur et le plus
précis possible à tous les membres de la classe, ce qui implique
la nécessité d'avis individuels chaque fois que c'est
possible."
Encore là, j'aimerais savoir, premièrement, comment on
voit la répartition du coût de ces avis individuels. Est-ce qu'il
est vraiment pensable, advenant le cas d'un recours collectif important, de
mettre à la charge du fonds, ou du défendeur, ou du demandeur les
frais d'un avis individuel qui devrait être signifié par huissier
ou autrement quelque part en Abitibi ou à Sept-lles, etc.? J'aimerais
vous entendre là-dessus, parce que d'autres intervenants ont
soulevé cela hier. Cela m'apparaît difficilement applicable.
Un troisième point, il s'agit du cautionnement pour frais dont il
est question à la page 7. On y dit, en effet: "Dans ce contexte, il
serait normal que le représentant et les membres du groupe qui seront
identifiés puissent être obligés de déposer un
cautionnement suffisant pour couvrir le montant des frais encourus."
Encore là, dans la logique de notre Code de procédure
civile, de mémoire, le cautionnement pour frais est exigé des
étrangers qui veulent venir intenter une action au Québec.
D'autre part, il me semble que, comme tel, il y aurait un
déséquilibre face aux gens qui opteraient "out", et qui
pourraient, eux, intenter leur recours individuel sans avoir à
déposer ce cautionnement pour frais.
Alors, dans la logique, encore une fois, du Code de procédure
civile et du Code civil du Québec, je me demande comment on pourrait
introduire véritablement un cautionnement pour frais. En
définitive, si ce cautionnement pour frais devait être fourni par
le représentant sans l'aide du fonds, à ce moment, il me semble
que cela viendrait éliminer complètement la possibilité
pour un représentant, qui ne ferait pas partie d'un groupe, de pouvoir
effectivement déposer ce cautionnement pour frais.
M. le Président, j'ai deux autres questions plus
générales, mais, sur ces trois questions plus précises,
j'aimerais entendre nos invités.
M. Dufour: Sur la question de la bonne foi, Me Hesler.
M. Hesler: M. le Président, M. le ministre, MM. les
députés, en réponse à cette question, je pense
qu'on peut introduire la preuve de la bonne foi au niveau de l'apparence de
droit. Ce terme "apparence de droit", il faut bien le distinguer. S'agit-il de
l'apparence du droit de celui qui se porte représentant ou l'apparence
du droit de tout le groupe qu'il veut représenter? Je pense que c'est ce
dernier. S'il faut, au stade de la requête, démontrer qu'il existe
non seulement une réclamation, mais une probabilité de plusieurs
bonnes réclamations, je pense que cela fait preuve de bonne foi. Ceci
évitera qu'un individu M. le ministre a déjà
employé le mot "professionnel", le "plaignant professionnel" se
serve de cette nouvelle procédure pour se bâtir une cause sur un
incident, sur un accident de parcours. C'est l'ouverture à ce genre
d'abus qu'il faut éliminer du projet de loi. Je me rappelle l'exemple
mentionné par M. Dufour: le cas d'un individu qui poursuit son
concurrent avec ce nouveau mécanisme.
Alors, si le juge doit faire enquête sur la bonne foi, c'est parce
qu'il se pose la question: Est-ce qu'il y a apparence de droit non seulement
chez le demandeur individuel, mais en ce qui regarde le groupe dans son
entier?
Si vous pensez apporter des modifications sur ce sujet, je vous
suggère respectueusement de faire cette distinction entre le droit du
représentant et l'apparence du droit de tout le groupe.
Le Président (M. Marcoux): Les autres questions?
M. Dufour: Sur la question des avis individuels, Me
Guérette.
M. Guérette: Sur la question des avis, ce que le PQ
suggère, c'est que le projet prévoie que l'avis soit le meilleur
possible.
M. Clair: Ce que le gouvernement...
M. Alfred: Ce que le gouvernement prévoit!
M. Clair: ... qui le prévoit.
M. Alfred: Ce que le gouvernement prévoit.
M. Clair: J'aime mieux entendre: Ce que le gouvernement
prévoit.
M. Alfred: Le Parti québécois forme le
gouvernement, je pense.
M. Chevrette: Ça ressemble drôlement à la
presse anglophone.
M. Ciaccia: C'est à peu près la même chose
ces jours-ci.
Le Président (M. Marcoux): Je m excuse.
M. Alfred: C'est-à-dire que c'est un lapsus qui est un peu
révélateur. Non, non, celui-là est plus
révélateur qu'autre chose.
Une Voix: On fait souvent des lapsus, P.Q., P.Q....
M. Ciaccia: Cela résulte des déclarations des
ministres. Ne blâmez pas nos invités.
M. Chevrette: Vous oubliez toujours le contexte et les
intonations que fait M. Dufour.
M. Dufour: Alors, le gouvernement, M. le ministre.
M. Guérette: Vous m'excuserez, c'est tout
simplement...
M. Ciaccia: C'est rare qu'ils agissent comme un gouvernement,
alors il faut excuser nos invités.
M. Chevrette: II y a eu une absence totale pendant six ans,
écoutez...
Le Président (M. Marcoux): A l'ordre!
M. Guérette: Mettez cela sur le compte de ma
nervosité étant donné que c'est la première fois
que j'ai l'occasion de m'adresser à une commission parlementaire.
Alors, ce que le CPQ suggère c'est que le projet de loi
prévoie que l'avis soit le meilleur possible eu égard aux
circonstances et non pas que l'on doive envoyer des avis individuels dans
chaque cas. Je donne un exemple. S'il s'agit de 200 ou de 300 membres
possibles, et que la somme en jeu est quand même relativement importante
dans chaque cas, l'avis individuel peut être possible. Dans des cas
où on aurait des milliers ou des centaines de milliers de membres
possibles, évidemment, l'avis public se révélera
être le meilleur avis possible. D'ailleurs, notre procédure civile
prévoit déjà l'assignation par avis public et on n'aura
qu'à l'appliquer dans le cas de l'action collective comme on l'applique
déjà, à l'occasion, dans le cas de réclamations
individuelles lorsque la signification à la personne s'avère
impossible ou impraticable.
M. Clair: Est-ce qu'il n'y a pas un risque que cela
entraîne des frais très élevés justement. Qui
paierait les frais et les déboursés occasionnés par une
signification individuelle, dans votre optique?
M. Guérette: A mon avis, si le demandeur, par exemple,
insiste pour que des avis individuels soient envoyés, aucune partie
insiste pour que de tels avis soient envoyés. Le coût de ces avis
fait partie des frais de la cause comme dans toute autre action judiciaire.
Encore une fois, il faut revenir à l'affaire "de minimis", si le
montant en jeu ne justifie pas qu'on encoure certains déboursés,
alors autant renoncer à l'action collective. De toute façon, le
coût de cet avis individuel à chaque membre sera sûrement
inférieur au coût qu'on aurait encouru s'il avait fallu prendre
des actions séparées dans chacun des cas. On parle quand
même seulement de $0.12 ou de $0.50 pour un envoi recommandé ou
certifié comparativement à des frais beaucoup plus
considérables de signification si on avait pris des actions
individuelles.
M. Dufour: Pour votre dernière question, celle des
cautionnements, Me Casgrain.
M. Casgrain: ... regarder M. le Président, même si
je l'ai en arrière de la tête, ce que je veux vous dire, c'est que
dans un contexte quand on a fait le mémoire d'une loi qui,
au départ, assurait l'automatisme complet du recours, sans avoir
à justifier de quelque façon que ce soit ce recours
extraordinaire, dans un contexte d'une loi qui prévoit encore et qui ne
le prévoira probablement pas je l'espère l'anonymat
total d'au-delà de, quelquefois, 100 000 individus, lorsqu'aux
Etats-Unis on a eu des cas où au niveau de la "manageabilité" on
a dit: Ecoutez, cela n'a aucun sens commun; vous avez au-delà de 30
millions de personnes qui réclameraient. Si on fait le calcul, ce
seraient des milliards. La compagnie ne pourrait jamais payer. Les juges vont
renvoyer le recours. Or, dans un contexte où il n'y a pas l'anonymat,
dans un contexte où on reconnaît le droit également au
défendeur d'une compensation éventuelle, je ne crois pas que le
cautionnement, à ce moment-là, soit une chose que nous
réclamerions. (12 h 15)
Mais dans un autre contexte, je pense que c'est le "common law". Quand
on parle de cautionnement, on s'est posé des questions souvent au
Québec sur le fait que l'assurance-hospitalisation, par exemple, ou
l'assurance-santé est automatique. On s'est souvent dit qu'il vient du
gouvernement; peut-être que celui-ci se le dit aussi que même un
dollar par année souvent pourrait éviter bien des
dépenses. Le cautionnement n'a pas nécessairement besoin
d'être aussi extraordinaire que celui-ci, mais il suffit que quelqu'un
sache qu'il doive débourser quelques dollars pour assurer son droit, ce
qui pourrait aussi faire vivre ce dont nous parlions, ce principe qui est
l'intérêt dans la mesure des actions.
Le Président (M. Marcoux): Je sais que vous aviez deux
autres questions qui étaient plus fondamentales? (12 h 15)
M. Vaillancourt (Jonquière): Je pense, M. le
Président, que nos prochains intervenants n'auraient aucune objection
à commencer cet après-midi la lecture de leur mémoire.
M. Clair: Avec le peu de temps qu'il reste.
Le Président (M. Marcoux): La conséquence de ceci,
si vous préférez,...
M. Ciaccia: Ce serait préférable.
Le Président (M. Marcoux): Cela ne change rien.
M. Vaillancourt (Jonquière): Et cela ne briserait pas leur
intervention d'ailleurs.
Le Président (M. Marcoux): Sauf que cet après-midi,
il faut calculer que nous aurons environ une heure et 45 minutes de
délibérations pour entendre deux mémoires.
M. Vaillancourt (Jonquière): Je pense qu'on est assez
souple à ce sujet, M. le Président.
M. Clair: II y aura sûrement moyen de s'entendre.
Le Président (M. Marcoux): On va continuer avec...
M. Clair: M. le Président, mon autre question porte sur le
reliquat. Si on prend comme hypothèse que, par exemple, le
défendeur pourrait effectivement dans certaines circonstances avoir
accès au fonds d'aide, si on prend également comme
hypothèse le fait que la totalité du reliquat n'irait pas au
fonds, puisqu'à ce moment-là on peut effectivement argumenter que
cela ressemble un petit peu à une taxe ou cela peut ressembler un petit
peu à une pénalité. Si on prend comme hypothèse
que, premièrement, le défendeur aurait accès au fonds;
deuxièmement, que le reliquat n'est pas systématiquement et
complètement envoyé au fonds, mais que simplement une partie
visant à l'autofinancement du fonds est effectivement
expédié vers ce fonds, est-ce que, dans la logique du cadre
civil, l'économie générale du droit civil du
Québec, on ne peut pas considérer, à ce moment-là,
que la question qui se pose est beaucoup plus celle de savoir quel est le
meilleur moyen qu'on peut utiliser pour s'assurer que le plus grand nombre de
réclamants et que le groupe de personnes qui ont été
victimes d'une erreur ou ont un droit à exercer contre le
défendeur puissent effectivement l'exercer.
J'entends par là que, si, par exemple, dans le cas du corn flakes
Kellogg's, on ne peut pas identifier effectivement les gens qui ont
été fraudés de 1 1/2 once de Kellogg's, à ce
moment-là, le meilleur moyen de compenser les gens qui ont effectivement
été fraudés, c'est justement, comme le permet je ne me
souviens plus quel article, de s'assurer que le tribunal puisse prendre des
mesures qui vont assurer une compensation à peu près égale
au groupe de mangeurs de corn flakes parce que c'est certain que, si on essaie
de retrouver les centaines de milliers de personnes qui ont pu être
fraudées, on se trompe, mais, tenant compte du principe de
l'enrichissement sans cause, du paiement de la répétition de
l'indu et également du principe qui veut que, finalement, le but d'une
poursuite civile, c'est de s'assurer que les parties soient remises dans
l'état où elles auraient toujours dû être, dans cette
hypothèse, est-ce qu'on s'entend pour dire que le véritable
problème, c'est celui de trouver les critères et ce sera souvent
au juge de les trouver, de s'assurer que le groupe qui a été
"fraudé" ou qui a un recours puisse effectivement, autant qu'il est
humainement possible de le faire, s'assurer que ce groupe va avoir
effectivement une compensation, auquel cas la connotation punitive
m'apparaît disparaître?
M. Casgrain: C'est parce qu'encore une fois, on est revenu
là-dessus et c'est toute la question de savoir si on fait payer d'autres
ou si d'autres vont être compensés. Je ne sais pas ce que le juge
pourrait faire avec 1036, d'autant plus qu'il est tellement vague, qu'on se
demande un peu ce qu'il pourrait faire avec l'article 1036, surtout concernant
l'intérêt des membres. Tout ce que je peux vous dire
là-dessus... Je voudrais souligner en passant que je ne comprends pas
pourquoi on prend Kellogg's comme exemple, cela pourrait tout aussi bien
être toute autre compagnie.
M. Clair: Vous avez tout à fait raison
là-dessus.
M. Casgrain: J'ai des raisons spéciales de vous dire cela.
De toute façon, ce que je peux vous dire, c'est qu'à toutes fins
pratiques, je pense qu'au début de votre question, je voyais la
lumière qui était celle-ci. S'il s'agit d'imposer une
espèce de taxe de frais, de timbres judiciaires pour aider à
l'administration de la justice, cela existe déjà dans le Code de
procédure. On paie $50 par bref qu'on sort de la cour aujourd'hui et
cela vient aider à subventionner les dépens de cour. S'il
s'agissait, par exemple, d'une espèce de taxe aussi bien sur l'action
collective que sur les reliquats qui viendrait pour aider au fonds qui
existerait pour financer, là-dessus je serais d'accord. Là, vous
avez vraiment autre chose qu'une mesure punitive. Vous aidez la population en
général. Souvenez-vous bien de ceci. Le seul fait d'être
poursuivi comme multinationale pour des millions de dollars, même si
l'action ne réussit pas, est déjà en soi une punition
extrêmement grave, à cause des dépens que cela
entraîne et de ce que cela fait au point de vue publicitaire. Si vous
recherchez un moyen d'empêcher ces gens-là de récidiver,
rappelez-vous que ce n'est pas nécessairement parce qu'ils auront eu
à payer des millions pour bénéficier à des gens qui
n'auront pas reçu cet argent, mais en bénéficier
indirectement par le gouvernement, c'est une drôle de satisfaction. Je
vous dis que c'est déjà quelque chose de penser qu'on expose ces
gens-là à des poursuites pour des montants aussi
considérables et que c'est seulement après le jugement rendu
qu'ils sauront si, oui ou non, ils devront payer la totalité ou une
partie du montant. Cela, en soi, c'est vraiment quelque chose qui peut avoir un
effet dissuasif. C'est déjà dans la loi. Nous disons que c'est
assez. C'est la menace qui est dedans. Mais aller jusqu'à dire: On va
prendre cet argent qu'on ne peut distribuer à
des individus et on va le donner à quelque organisation
charitable ou au gouvernement, qui n'est pas une organisation charitable, je
trouve que, vraiment, ce n'est plus du tout le contexte.
M. Clair: Je ne pense pas que ce soit ce qui est prévu
à l'article 1036. On dit bien, concernant le critère, "en tenant
compte notamment de l'intérêt des membres". Peut-être qu'on
devrait y lire "dans l'intérêt du groupe visé", si on
veut.
M. Casgrain: Cela m'amène une remarque, si vous permettez.
Dans des ouvrages américains, il y en a de nombreux qui ont
été écrits sur le "class action", ce dont on se plaint le
plus, c'est précisément qu'à partir du moment où on
a laissé à chaque juge le soin de faire ce que lui croyait qui
était la chose socialement juste à faire dans le domaine, on a eu
des situations absolument abracadabrantes. Là, vous donnez aux juges,
à l'article 1036, le privilège absolu de décider ce que
lui pourrait faire dans l'intérêt des membres. Quelqu'un a
déjà pensé aux taxis. Imaginez-vous, vous avez un juge un
peu farfelu qui s'imagine qu'une façon de récompenser tout le
monde serait d'obliger tous les joueurs de golf à jouer avec deux balles
au lieu d'une. Cela pourrait arriver. Cela dépend du juge que vous
avez.
J'en ai vu plus fou que ça, vous savez. Personnellement, donner
une latitude aussi absolue au juge, je suis contre ça.
M. Marois: En latin, comment on appelle ça? C'est
"reduction ad absurdum".
M. Casgrain: C'est ça, mais il y aurait une autre
expression...
M. Chevrette: C'est la seule qui n'était pas sortie.
M. Casgrain: J'étais pour ajouter l'autre, "quidquid
recipitur ad modum recipiendis recipi-tur", ça dépendra du juge
qui aura à rendre le jugement.
M. Clair: Mais, dans votre esprit, qu'est-ce qui doit primer?
Est-ce que c'est... j'ai quasiment réponse à ma question avant de
la poser, mais quand même je la pose: Qu'est-ce qui doit primer? Est-ce
que c'est de s'assurer que toutes et chacune des personnes qui ont fait une
réclamation soient effectivement indemnisées des $0.10 dont elles
ont été fraudées ou n'est-ce pas plutôt de s'assurer
que la totalité de la somme qui a été perçue,
illégalement ou autrement, par un défendeur, que celui-ci ne
puisse en jouir? Si, effectivement, il a pu jouir d'une somme qu'il n'avait pas
le droit d'avoir c'est grâce à deux choses: soit qu'il ait
fraudé, soit encore qu'il ait posé des gestes pour lesquels, en
vertu du principe de responsabilité civile du code civil du
Québec, on a mis en preuve qu'effectivement, pour une erreur ou autre
chose, il a commis une faute où sa responsabilité civile est
engagée.
Qu'est-ce qui doit primer? Est-ce que c'est, autant que faire se peut,
s'assurer que l'individu, le défendeur qui a ainsi joui d'une somme dont
il n'aurait pas dû jouir, que cette somme lui soit retranchée?
Finalement, on n'a pas le droit de mener une compagnie en se disant: On
va s'administrer avec des fonds qu'on n'a pas le droit d'avoir. Est-ce, au
contraire, s'assurer que, si on n'est pas capable d'indemniser exactement
toutes et chacune des personnes qui ont une réclamation, auquel cas on
doit retourner cette somme au défendeur qui, lui, continue, dans ses
affaires, à bénéficier d'une somme qu'il a obtenue
illégalement ou autrement, bref, qu'il ne devrait pas avoir en sa
possession.
Il me semble qu'au point de vue du Code civil, encore une fois, qui est
réparateur la loi est réparatrice et qui vise
à prévoir que personne ne puisse bénéficier d'une
somme d'argent dont il n'aurait pas le droit autrement de
bénéficier, il me semble que la réponse...
M. Casgrain: Je vais vous poser la question. Il s'agit de savoir
si, dans des cas où on n'est pas capable de remettre à des tiers
qui ont été fraudés, des sommes d'argent, que fait-on?
Depuis des siècles, on utilise les procureurs généraux,
lorsqu'il en existait et il en existe encore, pour avoir recours à des
amendes. C'est cela qu'on fait.
Pour ce qui est de votre inquiétude que ces gens-là aient
gardé ces sommes d'argent, je vous répète que le simple
fait d'être poursuivis, c'est déjà une punition pour ces
gens-là. Il ne faut pas présumer qu'ils vont recommencer
constamment.
Pour le reste, vous attaquez tout un contexte qui est le contexte de
toute notre société. Tous les jours des gens tentent de vendre
des marchandises pour le plus haut prix possible. S'il fallait examiner chaque
transaction, on se rendrait compte que dans de nombreuses transactions, un
profit raisonnable aurait peut-être été de 10% au lieu de
15% ou 20%. Cela devient de la philosophie. Je pense qu'en droit, il faut
descendre sur terre au niveau de nos tribunaux et des procédures
ordinaires. Cela ne sera pas parfait.
M. Clair: II me semble que vous êtes en train de nous dire
que notre société est basée, finalement, sur
l'exagération ou encore sur la fraude, au niveau commercial. Je n'ai pas
l'impression que c'est la réalité. Encore une fois, je ne
comprends pas...
M. Casgrain: Je n'ai pas voulu dire cela. J'ai dit de bien
mauvais mots. Je suis sûr que je n'ai pas à vous l'expliquer.
J'essayais simplement de vous faire sentir un peu ce que sont l'entreprise
privée et le commerce avec tout ce que cela peut avoir d'odieux, mais
qui rapportent quand même des taxes intéressantes qui permettent
de faire un paquet de choses sociales. C'est cela le commerce en
général. Ce n'est pas nous qui avons inventé cela. Les
questeurs romains l'ont inventé; ils ont dit: "caveat emptor". Ils
savaient au départ qu'il y aurait des transactions entre les parties. Il
faudrait
que les gens puissent se ramasser eux-mêmes. On passe son temps
à dire aux gens de se prendre en main. Qu'ils se prennent un peu en
main. On n'est pas obligé d'aller, de force, leur dire, je vais te faire
avaler les $0.25 que tu n'as pas voulu avoir.
M. Clair: Au niveau du recours collectif, la règle du
"caveat emptor", selon moi, continue effectivement à s'appliquer et le
juge de la Cour supérieure qui va avoir à trancher la question va
avoir, encore une fois, à apprécier cette règle "que
l'acheteur prenne garde", pour ceux qui n'ont pas leurs lettres latines.
M. Casgrain: On peut faire du "caveat vendor" aussi.
M. Clair: Je vous remercie.
Le Président (M. Marcoux): Au nom des membres de la
commission, je remercie le Conseil du patronat de la présentation de son
mémoire. Normalement, nous nous retrouverons vers seize heures ici,
suite à l'avis qui sera donné à la Chambre. Pour le
moment, la commission ajourne ses travaux sine die.
(Fin de la séance à 12 h 28)
Reprise de la séance à 16 h 45
Le Président (M. Marcoux): A l'ordre, messieurs!
La commission de la justice est réunie pour poursuivre l'audition
des mémoires concernant le projet de loi no 39, Loi sur le recours
collectif.
Les membres de la commission sont M. Alfred (Papineau), M. Bédard
(Chicoutimi) remplacé par M. Marois (Laporte); M. Blank (Saint-Louis)
remplacé par M. Ciaccia (Mont-Royal); M. Charbonneau (Verchères)
remplacé par M. Clair (Drummond); M. Chevrette (Joliette-Montcalm), M.
Fontaine (Nicolet-Yamaska), M. Lacoste (Sainte-Anne), M. Lalonde
(Marguerite-Bourgeoys), M. Samson (Rouyn-Noranda), M. Vaillancourt
(Jonquière).
Les intervenants sont M...
M. Lalonde: Vous avez inscrit M. Ciaccia comme membre, n'est-ce
pas?
Le Président (M. Marcoux): Oui. Les intervenants sont M.
Cordeau (Saint-Hyacinthe), M. Duhaime (Saint-Maurice), M. Lavigne
(Beauharnois), M. Léger (Lafontaine), M. Pagé (Portneuf), M. Roy
(Beauce-Sud), M. Tardif (Crémazie).
J'inviterais d'abord la Commission des services juridiques à
s'approcher et à nous présenter son mémoire. Me
Lafontaine. Veuillez nous présenter vos collègues et nous
présenter votre mémoire.
Commission des services juridiques
M. Lafontaine (Yves): Merci, M. le Président. M. le
ministre, MM. les députés, à ma droite, M. Pierre
Langevin, vice-président de la Commission des services juridiques;
à ma gauche, M. Pierre Fowler et M. Jacques Lemaître-Auger, du
service de la recherche.
Comme à l'habitude, le mémoire de la Commission des
services juridiques a été préparé par un
représentant de chacune des corporations régionales qui sont au
nombre de onze à travers le Québec. C'est préparé
par le service de la recherche avec ces gens. Jusqu'ici, l'aide juridique
comprend 304 avocats permanents et 2800 procureurs de l'extérieur qui y
participent. Il y a aussi 124 bureaux distribués à travers le
Québec.
Il me fait plaisir d'avoir l'opportunité d'abord de m'adresser
à vous. Je me souviens que, nous étions venus à
l'Assemblée nationale lors de la présentation d'un avant-projet
de loi sur la protection du consommateur il y a déjà un
bout de temps et qu'après avoir terminé cette audition,
nous avions dit qu'avec ce projet de loi qui était déposé
à ce moment-là et qui n'a jamais vu le jour, et avec la
possibilité d'un recours collectif dans le Code de procédure, on
pourrait dire qu'on serait en face d'une charte des consommateurs.
Je comprends que le projet de loi sur la protection du consommateur a
été déposé à l'état d'avant-projet,
mais là, je vois qu'on est devant une réalité qui
s'appelle le dépôt d'un projet de loi
sur le recours collectif. Nous nous en réjouissons,
définitivement.
Nous sommes contents à plusieurs titres. D'abord, c'est que cela
va simplifier des procédures juridiques. Cela rencontre les principaux
objectifs que recherchait la Commission des services juridiques de par son
rapport annuel. En 1974 déjà, la Commission des services
juridiques avait préconisé la plupart des principes qu'on
retrouve dans ce nouveau projet de loi.
D'abord, il y avait la formule de l'"opting out" qui avait
été retenue par la commission et qui est encore ici retenue.
Maintenant, le membre peut bénéficier du jugement sans avoir
à signifier son intention d'adhérer au groupe ni encourir des
responsabilités pour les dépenses. Ce principe est maintenu.
Surtout pour éviter certaines failles du droit américain, les
critères d'exercice du recours collectif sont larges et sont souples,
pour inclure la plupart des demandes de ce genre. Il y a aussi un souci de
simplicité que nous, en tant que légistes, peut-être pas
légistes, mais en tant que juristes, nous apprécions,
c'est-à-dire qu'on voit très bien que cela s'imbrique dans un
Code de procédure et que cela va avec l'ensemble de la
législation du Code de procédure.
Nous apprécions aussi le fait que le juge ait une
discrétion sur les avis à être donnés, parce qu'on
sait qu'aux Etats-Unis, cela a empêché certains recours
collectifs, parce que les avis devenaient trop coûteux.
Nous apprécions aussi le fait que ce soit le juge qui ait la
discrétion d'arbitrer les débats, ni plus ni moins. Nous
apprécions aussi la discrétion qui lui est laissée, de
telle sorte que nous disons que ce sera un bon recours ou un mauvais recours,
dans la pratique, non pas parce que la loi est mal faite, la loi est bien
faite, selon ce que les juges en feront. Quant à nous, nous allons
vérifier les premières actions pour voir quelles tendances la
magistrature prendra suivant cette nouvelle procédure. Il y a tout ce
qu'il faut, croyons-nous, présentement dans la loi, pour permettre au
juge d'exercer une discrétion, pour permettre d'arriver aux fins de la
"class action" qui sont, dans le fond, de rendre une justice plus
équitable pour tout le monde.
Il est évident que l'Etat se devait, de quelque façon, de
fournir des moyens de financement aux personnes, parce qu'on sait, de par
l'envergure de ce genre d'action, de par les expertises aussi que cela peut
demander, qu'un individu n'aurait jamais pris un tel genre d'action s'il n'a
pas le secours de l'Etat pour lui aider.
De par le projet de loi actuel, cependant, nous disons que, dans le
fond, on étend l'aide juridique à la classe moyenne. L'aide
juridique étant un moyen d'accès aux tribunaux, on dit que c'est
un nouveau moyen d'accéder aux tribunaux, et on crée un fonds
séparé pour aller devant les tribunaux dans le cas de "class
action".
C'est bien sûr que beaucoup de "class action " seront pour des
citoyens à revenus moyens, plutôt que de dire de classe moyenne.
Nous voyons aussi qu'à ce moment-là, s'il n'y a pas d'amendements
à la Loi de l'aide juridique, le principe du libre choix ne pourra pas
s'appliquer dans le domaine de l'aide juridique. J'y reviendrai
tantôt.
Qu'on me permette de passer rapidement sur certains amendements
techniques. Un premier est d'abord la question d'appel sur la requête
pour autoriser le recours collectif. Nous avons eu la chance de lire quelques
mémoires qui ont déjà été
déposés devant vous et ces mémoires font état de
tamisage. Je crains qu'à force de tamisage, l'eau ne passe même
plus à travers le tamis. Voici pourquoi je dis cela: C'est que,
présentement, vous avez, pour avoir droit au recours collectif, si vous
n'en avez pas les moyens ce qui est la plupart du temps le fait des gens
qui vont venir devant les tribunaux d'abord à passer devant un
fonds où vous devrez établir votre admissibilité
financière et votre vraisemblance de droit. C'est déjà
dans le projet de loi. Vous devrez ensuite aller faire valoir votre demande
devant le tribunal qui, lui, va encore apprécier une fois si, oui ou
non, vous avez ouverture à un recours collectif. Ce sont
déjà des modes de tamisage qui n'existent pas pour des actions
courantes. Il y a déjà ce tamisage qui existe.
La façon dont le projet de loi est conçu à
l'article 1010, c'est qu'en plus, on a autorisé un appel de ce premier
jugement et, d'un autre côté, on permet aussi au juge, qui entend
la cause et qui voit son déroulement à l'article 1022, de changer
sa décision au fur et à mesure pour s'accorder aux circonstances
et voir si, réellement, cela correspond à une
réalité que de continuer un recours collectif ou si cela ne
serait pas mieux de revenir à un recours de droit commun habituel sans
passer par le recours collectif.
Pourquoi ne pas suivre l'économie du Code de procédure, ce
qui me semble être des principes rationnels qui sont en dessous de cette
loi, et ne pas autoriser l'appel seulement si le jugement final ne veut pas y
remédier, suivant les articles 28 et 29 du Code de procédure qui
prévoient déjà ce genre d'appel?
Parce qu'on serait devant une situation où il y a un appel, le
juge peut changer la décision une fois que c'est revenu devant lui,
après avoir fait le circuit d'appel, et on pourrait peut-être
remonter et redescendre d'une cour à l'autre pendant un bon bout de
temps. C'est sûr que la corporation ou la multinationale, qui se voit
acculée à payer des millions, pourrait être
intéressée à faire durer ces procédures pour
décourager les gens. Ce sont quand même des choses qui se
pratiquent dans la profession d'avocat que d'essayer de décourager un
adversaire en l'épuisant avec des recours légaux, qui sont tout
à fait légaux d'ailleurs.
Nous disons que nous n'avons aucune crainte. Quant à avoir un
tamisage additionnel, il y a déjà beaucoup de tamisage dans cette
loi. Mais, au moins, étant donné que le tribunal peut changer sa
décision par la suite, qu'il n'y ait pas d'appel sauf dans le cadre d'un
jugement interlocutoire. Comme position de repli, s'il faut absolument qu'il y
ait un droit d'appel, que ce soit au moins sur permission du juge de la Cour
d'appel, encore dans le sens d'un article du Code de pro-
cédure, qui est l'article 26. On prévoit un amendement au
quatrième paragraphe.
Quant aux autres amendements, je pense que je vais déposer le
mémoire au Journal des débats. Je ne voudrais pas insister
là-dessus parce que c'est plutôt technique. Il y a beaucoup
d'avocasseries là-dedans.
Qu'on me permette par contre d'attirer votre attention sur le
sixième point de notre mémoire, qu'on retrouve à la page
10. Présentement, le recours collectif étant au Code de
procédure, il est ouvert devant la Cour supérieure, tribunal de
droit commun. Nous sommes déjà venus à l'occasion à
des commissions parlementaires. On voit qu'il y a de nouvelles lois qui font
que les tribunaux de droit commun ne sont plus les seuls arbitres des litiges.
On s'en vient avec plusieurs tribunaux administratifs. Je ne suis pas contre la
tendance, remarquez bien, je ne parle pas de ce fait. Ce que je veux dire,
c'est que, possiblement, on devrait prévoir que le même recours
puisse être ouvert devant des tribunaux de droit administratif.
Je prends un exemple: On a parlé ce matin de l'amiantose. Il est
bien évident qu'il y a au Québec des cas d'amiantose ou d'autres
maladies industrielles qui devront être entendus par la Commission des
accidents du travail. Or, si le recours est bon et arrive à une bonne
justice devant les tribunaux de droit commun en employant ce mécanisme
parce que, dans le fond, c'est un mécanisme, le mécanisme
du recours collectif pourquoi ne serait-ce pas bon devant ces organismes
administratifs?
C'est la même chose dans le cas de la Régie des loyers.
C'est bien sûr que s'il y a une possibilité de faire
régler... On l'a déjà fait en pratique, remarquez. On a
déjà demandé à la commission des loyers, par
exemple, d'entendre quelques locataires d'un immeuble pour fixer les loyers,
alors qu'il y avait de nombreux autres locataires dans l'immeuble, plutôt
que de recommencer la cause chaque fois. Les tribunaux administratifs, de
consentement, à l'occasion, nous l'accordent mais vous comprenez que,
normalement, ce ne serait pas strictement légal que de le faire.
On comprend aussi qu'il y a des procédures différentes
d'un tribunal administratif à l'autre et d'une régie à
l'autre, qu'il y a des procédures qu'il faudrait peut-être
harmoniser.
C'est pourquoi nous disons que, de toute façon, il va falloir
aller devant ces organismes administratifs, mais il faudrait peut-être
dire qu'il y a un délai de deux ans que nous suggérons pour voir
comment il serait possible de fonctionner à l'intérieur d'un
recours collectif, mais suivant chacun des tribunaux, pour avoir au moins une
certaine constance pour établir les comportements des gens devant ces
tribunaux, qui pourraient, autant que possible, être un peu uniformes,
tout en essayant d'arriver quand même à une justice aussi
populaire, aussi facile d'accès, comme cela existe présentement
devant les tribunaux administratifs.
On a parlé ce matin aussi, si vous me permettez ce n'est
pas dans le mémoire du caractère punitif qui pouvait
exister quand il y avait des reli- quats qui n'étaient pas
distribués aux personnes qui y avaient droit. Je ne vois pas de
caractère punitif et je suis d'accord avec le ministre qui disait ce
matin que c'était une notion qu'on importait des Etats-Unis.
Effectivement, je n'ai vu aucun amendement présentement au droit
substantif qui crée ce genre de dommage ici au Québec. Quant
à l'option qu'a prise le gouvernement de dire que, quand une compagnie
aura agi illégalement ou frauduleusement, elle doit rembourser, je suis
d'accord sur cette option. Je ne vois pas que, parce que des individus
n'exercent pas leur recours, parce que c'est impossible même qu'ils
l'exercent ou parce que c'est impossible qu'on sache à qui verser ce
montant, à ce moment-là l'Etat s'en prive ou que le juge soit
empêché de remettre à une société
déterminée le montant qui peut lui appartenir. A ce
moment-là, je rejoins ce que le bâtonnier disait sans l'avoir
entendu, puisque vous l'avez cité ce matin, on arrive quand même
à une pointe de justice qui est de rendre à chacun son dû.
On arrive à cela. Quant à moi, ce n n'est pas à cause de
l'ampleur d'un montant qui est formé de petits montants que la justice
ne doit pas être appliquée; au contraire, elle devrait être
plus appliquée. Quant à moi, ce serait faire fausse route que de
dire: II y a peut-être un reliquat qui va rester, donc s'il y a un
reliquat qui reste, on va le remettre au défendeur. Ce serait comme si
l'Etat approuvait le fait que, quand on commet une illégalité, on
peut en bénéficier. Cela reviendrait à ça. Je pense
qu'on ne peut dans aucune procédure, en tant qu'Etat, établir un
principe semblable, le remboursement existe, que ce soit pour un gros ou pour
un petit. Il existe et il doit être exercé. Qu'il y ait des
façons de s'y prendre, je pense que les tribunaux vont en trouver. De
toute façon, l'article 1036 prévoit aussi que n'importe qui
pourrait aller devant le tribunal et démontrer un certain
intérêt à expliquer au juge ce qu'il veut. Vous avez ce
matin donné l'exemple du Kellogg, où il pouvait en manquer une
once il n'y a rien qui empêche les mangeurs de Kellogg qu'il y ait une
once de plus dans les boîtes suivantes pendant une période
déterminée. (17 heures)
II y a toutes sortes de façon, vous avez l'exemple des taxis ce
matin, c'est une autre façon. Que cela ne s'adresse pas
spécifiquement aux mêmes individus concernés,
peut-être dans 10% des cas, ce sera valable, mais il ne faudrait pas
passer à côté d'un principe qui fait que si tu agis
illégalement, tu es obligé de rembourser ton
illégalité.
Ce n'est pas parce que tu es gros et que tu es puissant, que tu ne seras
pas amené à répondre de tes actes, cela revient à
ça.
J'en viens plus spécifiquement à l'aide juridique
elle-même par rapport aux recours collectifs. C'est quand même avec
un certain déchirement qu'on en parle, parce que c'est un peu difficile,
parce qu'on parle à la fois des permanents de l'aide juridique et on
parle aussi, d'une certaine façon, de notre clientèle. Je veux
quand même qu'on nous comprenne bien. Le recours collectif
est bon, quant à nous, suivant l'analyse qu'on en a faite, il est
bien fait, il va répondre à ses fins. Nous disons maintenant que
l'aide juridique devrait y avoir accès aussi.
Qu'on me permette de donner un exemple pratique qu'on est en train de
vivre. A la suite d'une loi du Parlement fédéral, il y a des
chômeurs de 65 ans et plus qui avaient commencé à percevoir
leur assurance-chômage avant que la loi ne soit adoptée, loi qui
prohibe l'accès à l'assurance-chômage pour ces personnes.
Cette même loi prévoyait aussi que les chômeurs qui avaient
des dépendants auraient, désormais, le droit de recevoir les deux
tiers du salaire admissible plutôt que les trois quarts.
Effectivement, par un coup d'ordinateur, on a coupé
l'assurance-chômage à toutes ces personnes. Nous sommes
allés devant le juge arbitre, devant le tribunal fédéral,
qui ont dit, tous les deux: Effectivement, ceux qui avaient commencé
à recevoir des montants avant la nouvelle loi, par le principe de
non-rétroactivité des lois, continuent à avoir droit
à ces montants, dont l'assurance-chômage, vous allez la leur
payer.
Ce qui arrive, c'est que ces personnes, s'étant vu refuser
l'assurance-chômage, ont reçu de l'aide sociale pour la plupart.
Elles sont devenues bénéficiaires de l'aide sociale. Quand le
montant est arrivé, l'aide sociale a dit: Ah non! vous recevez des
prestations d'aide sociale, vous percevez un montant qui vient de
l'extérieur, vous allez nous le rembourser, nous remettre ce montant.
Nous avons plaidé devant la Commission d'appel des affaires sociales qui
est un tribunal administratif. Devant cette commission, on a dit: Dans le fond,
pour ces gens, ça leur était dû au moment où ils
étaient en chômage. Ce n'est pas parce que cela a pris des
procédures et l'approbation de deux juges en cours de route qui ont dit
que vous aviez raison, que dans le fond, ce montant était dû en
d'autre temps.
Donc, quand vous l'avez perçu, il était perçu pour
le moment où vous étiez en chômage. On ne pourra pas venir
le chercher parce que vous recevez aujourd'hui des prestations d'aide sociale.
Ce qu'on a fait, c'est qu'au niveau pratique, au niveau du réseau, cela
fait une dizaine pour qui on plaide sur ce point. Maintenant, combien de gens
ont remboursé ne le sachant pas? On ne le sait pas.
Qu'est-ce que l'Etat va faire avec cela? On ne le sait pas. Bien
sûr, si nous avions l'ouverture à un recours collectif ou à
quelque chose de semblable, ce serait possiblement une affaire qui se
réglerait très rapidement et on pourrait dire que chacun a
reçu sa part de justice. Présentement, assez souvent par
ignorance, les gens ne savent pas qu'ils pourraient avoir droit à ce
montant qui leur appartient. Pour eux, cela devient drôlement important
dans des situations semblables.
Est-ce que, parce que je l'ai dit ici, parce que les jugements ont
été prononcés et parce que c'étaient des clients de
l'aide juridique, demain, si le recours collectif est adopté et que ces
clients viennent me voir, je devrai leur dire: Allez voir un avocat de pratique
privée parce que la Loi de l'aide juridique fait qu'il s'agit d'un
recours payant, un "fee generating"? Etant donné la loi actuelle de
l'aide juridique, celle-ci ne pourra pas s'occuper du recours. Vous devrez
aller voir un confrère de pratique privée. Il y a
déjà une belle "class action" que je soumets ici.
Nous disons, encore dans cette veine, qu'il y a une espèce de
dédoublement dans l'accès à la justice, l'aide juridique
par rapport au fonds collectif. On aurait pu confier le fonds collectif
à l'aide juridique qui est déjà un moyen d'accès
à la justice. Nous avons déjà l'équipement, c'est
sûr. Nous faisons l'appréciation des comptes et nous avons aussi
124 bureaux répartis à travers le Québec pour recevoir les
clients.
Dans le fond, s'il y a un accès additionnel pour les gens, un
autre mode d'aide juridique, c'est une bonne chose. Mais qu'on décide de
faire un autre organisme, qu'on fasse un autre organisme, c'est quand
même le pouvoir de l'Etat de le faire.
Mais là où nous sommes moins d'accord, c'est quand nous
disons: Si vous faites un nouvel organisme pour donner l'aide juridique
à une classe moyenne, une classe à revenu moyen, qu'au moins ce
recours soit aussi ouvert aux permanents de l'aide juridique pour qu'eux aussi
puissent en faire dans ce cadre, si on décide d'ouvrir l'aide juridique
à la classe moyenne, d'une certaine façon, avec ce projet de
loi.
C'est d'autant plus normal qu'en pratique, jusqu'à maintenant,
l'aide juridique a fait des recours collectifs d'une certaine façon. Les
exemples qu'on donne sont: le Cercle d'économie de la future
ménagère, le Foyer de la future ménagère, le Reflet
du diamant bleu, etc. Ce sont des petites gens qui avaient passé des
contrats avec des entreprises et qui, à un moment donné, se sont
aperçus que ces entreprises s'en allaient en faillite, qu'elles
n'avaient même pas payé leur taxe de vente et que ces contrats
étaient illégaux.
Nous avons dû, dans chacun de ces cas-là, faire appel au
réseau et dire aux gens: Vous devez d'abord faire une requête au
tribunal des faillites pour demander le transfert au tribunal de droit commun,
prendre votre action et amener ce contrat devant le tribunal de droit commun.
Une fois que vous aurez votre jugement, il faudra l'envoyer à l'office
qui est fiduciaire, étant donné qu'il y a un montant qui a
déjà été versé, pour qu'il puisse obtenir un
permis de vendeur itinérant.
Cela a pris beaucoup de procédure et beaucoup d'énergie de
la part de nos avocats pour quand même aller chercher ces montants. C'est
évident que c'était une forme de recours collectif, mais avant
son temps, et cela nous a coûté cher et cela a pris beaucoup
d'énergie de la part de nos avocats aussi.
Un autre genre d'action qu'on a prise a résulté du
"week-end rouge" à Montréal. A la suite de la grève des
pompiers, il y a eu des feux dans l'Est de Montréal. Effectivement,
personne ne voulait poursuivre, parce qu'il y avait trop de parties
défenderesses possibles là-dedans. Nous avons poursuivi, à
ce moment-là, parce que personne ne
voulait le faire. La plupart des requérants étaient des
assistés sociaux. Nous avons poursuivi pour leurs meubles et leurs
vêtements qui avaient brûlé dans ces incendies. Seulement au
niveau de la signification de l'action, qu'on me permette de dire que cela a
coûté $21 000, étant donné le nombre de parties
impliquées là-dedans. Vous comprenez que c'est quand même
un coût assez considérable. Il est bien évident qu'en
dehors de l'aide juridique, il n'y aurait pas eu grand monde qui aurait
été capable d'avancer un tel déboursé, d'autant
plus qu'on ne sait pas quand cette procédure va finir, parce qu'on en
est encore à la Cour supérieure et cela fait trois fois qu'on va
en appel sur des mesures provisoires. Quand même, c'est un genre de
"class action" qu'il est possible de faire chez nous.
Vous avez eu le fameux cas de Holiday Magic, par exemple, qu'on a
traité comme un recours collectif, qui nous a d'ailleurs quittés,
qui est rendue en Ontario et qui fait maintenant l'objet d'un recours collectif
en Californie. Il semble qu'on obtienne une condamnation.
C'était la même chose pour les compagnies de gaz, par
exemple. A cause de la jurisprudence, les compagnies de gaz, aujourd'hui, ne
peuvent plus exiger le dépôt qu'elles exigeaient avant qui
était discriminatoire d'ailleurs car c'étaient les plus pauvres
qui devaient faire un dépôt tandis que les riches n'avaient pas
besoin de faire de dépôt.
Nous disons que d'ouvrir le recours collectif à l'aide juridique,
ce serait une façon de diminuer les coûts mêmes de l'aide
juridique présentement. Si le libre choix est bon dans le cas de l'aide
juridique qui est encore une fois un accès aux tribunaux, pourquoi ne
serait-il pas bon aussi, dans le cas du fonds... d'autant plus que c'est un
moyen qu'on retrouve au Code de procédure? On dit, ni plus, ni moins,
à des avocats permanents de l'aide juridique qu'il y a un moyen de
prévu dans les lois, sauf qu'ils ne pourront pas se servir de
celui-là. Cela semble un peu curieux.
Je voudrais simplement finir sur ces mots. Ce matin, on s'est
posé beaucoup de questions encore sur le reliquat. Je me demande s'il
n'y a pas des raisons fondamentales pour lesquelles il reste un reliquat, suite
à de petites actions. Je parle tout haut. C'est peut-être parce
que des personnes se disent que pour aller chercher cet argent, cela va leur
coûter peut-être aussi cher que ce qu'elles pourraient en retirer.
Cela devient plus clair.
Si le juge, par exemple, dit: Je condamne le défendeur à,
disons, $500 000 et que ce montant de $500 000 auquel le défendeur est
condamné est pour des contrats où il y a eu... L'exemple qu'on
prend est celui des bouilloires électriques qui auraient
été vendues, et dont la soudure aurait été de
plomb, ce qui pourrait amener le mal de Minamata, ou quelque chose de
semblable.
Effectivement, les gens devront produire leur réclamation
individuellement pour y avoir droit. C'est normal aussi. Je ne peux pas faire
une livraison à tout le monde, au prorata. Ils devront produire leur
réclamation.
Comment vont-ils faire pour produire leur réclamation? Nous avons
peur qu'ils ne la produisent pas.
Ou bien ils vont communiquer avec l'avocat dont le nom a paru dans le
journal parce qu'il avait gagné cette action et celui-ci aura le droit
de leur facturer des honoraires pour s'occuper de leur cas, ou bien ils ne la
feront pas, ou bien ils vont aller voir un autre praticien, auquel cas l'autre
praticien a le droit de demander des honoraires pour la production du compte,
c'est sûr, à moins qu'on ne prévoie que, sur les
réclamations individuelles, il y aurait des dépens qui seraient
payés par le défendeur; un peu comme on fait pour la Loi des
dépôts volontaires où, pour la production de la
réclamation, il y a des honoraires qui sont dus au procureur et qui sont
payables par le déposant.
Nous pensons qu'en présence de petits montants, il va rester un
reliquat, parce qu'effectivement, l'avocat qui produira la réclamation
en aura le droit, ou bien le citoyen va la faire lui-même. En pratique
privée, on note que les citoyens ne sont pas portés à
exercer des recours quand, entre autres, il y a des formules à remplir.
D'ailleurs, ils viennent nous voir au bureau pour remplir leur formule.
L'expérience veut que les dépôts à la loi Lacombe,
c'est très rarement les clients qui les demandent. Les
saisies-arrêts, c'est très rarement eux qui les demandent. Pour
les réclamations de faillite, c'est la même chose. Alors, on dit:
La même chose va peut-être arriver et il y aura des reliquats
chaque fois; donc, peut-être un raffinement de la justice afin de
permettre que cela se rende jusqu'au client et qu'il y ait quand même
quelque chose de prévu sur les frais individuels de perception.
Maintenant, si on l'exige de la partie adverse, par exemple s'il y a des
honoraires pour produire la réclamation qui sont transférables
à la partie adverse, comme des honoraires judiciaires, cela va
peut-être grossir démesurément la condamnation aux
dépens que devra subir le défendeur. C'est sûr que, dans le
cas de l'aide juridique, à travers les 124 bureaux, l'aide juridique ne
peut rien demander pour faire de telles réclamations; c'est bien
entendu.
Nous terminons notre mémoire en disant qu'il y a peut-être
des mécanismes qui pourraient être institués ou il y a
peut-être une réglementation. Si on veut être bien sûr
que les permanents de l'aide juridique ne représentent que des gens
admissibles à l'aide juridique, il est certainement possible d'arriver
à une réglementation qui ferait, entre autres, que ceux qui sont
clairement admissibles à l'aide juridique, je veux dire, par exemple,
ceux qui reçoivent l'aide sociale, l'assurance-chômage, les
personnes âgées qui, à 95%, sont toutes admissibles
à l'aide juridique, les étudiants, les détenus ou des gens
semblables, ou un groupe dont la majorité serait, de toute façon,
admissible à l'aide juridique, ce serait peut-être une
façon aussi d'être bien sûr que l'aide juridique n'aille pas
prendre des "class action" qui, de toute façon, seraient du domaine de
la pratique privée, parce qu'elles sont nécessairement
génératrices de frais.
Cela pourrait aussi permettre en même temps que l'expertise qui
s'est développée au niveau des permanents de l'aide juridique
puisse servir justement aux gens qui en ont besoin et avec qui on traite
régulièrement. Parce que, si on maintient l'état actuel,
c'est bien sûr que l'avocat qui est chez nous, qui va repérer un
recours collectif, c'est possible qu'en plein réseau, avec 124 bureaux
et quelque 300 avocats, à un moment donné, les lumières
s'allument et qu'on s'aperçoive que c'est
généralisé comme pratique. On aura peut-être des
difficultés à garder nos gars quand ils vont trouver un recours
collectif; je ne peux pas les blâmer non plus, ils vont certainement
partir. Au niveau pratique, je ne voudrais pas perdre mes meilleurs gars
à cause de cela. C'est quand même une conséquence
pratique.
Pour revenir, en conclusion, au recours collectif lui-même, il y a
un aspect non négligeable qui n'a pas été souligné
en ma présence ce matin, c'est que cela a quand même un aspect
préventif que je trouve merveilleux. Plutôt que de
présenter un produit et de le retirer par la suite ou de décider
de payer des dommages au cas où, à un moment donné,
quelqu'un trouverait quelque chose qui ne va pas, on va peut-être
l'essayer avant. On va peut-être faire attention. Pour moi, c'est une
dimension importante de ce projet. Les gens vont nécessairement "se
policer " et c'est normal. Je ne pense pas que cela entraîne de
coûts spéciaux. De toute façon, si cela entraîne des
coûts pour arriver à quelque chose de concret et de pratique pour
les gens, à quelque chose d'utile, ce ne sera pas des coûts qui
vont être investis d'une mauvaise façon. Dans le fond, on parlait
ce matin et j'entendais le Conseil du patronat de faire attention
pour garder un équilibre. Je dis que cela nous prend un
équilibre. Cela veut dire que, devant une multinationale, l'individu a
le droit de se regrouper avec d'autres qui ont les mêmes
intérêts que lui pour qu'ils se parlent au même niveau, et
que l'Etat y contribue pour lui donner un peu de nerf en lui donnant le nerf de
la guerre, qui s'appelle l'argent; je trouve cela absolument normal. Ce qu'on
fait, c'est qu'on maintient simplement un équilibre en faisant cela,
parce que je ne suis pas d'accord pour dire qu'avant, il y avait un
équilibre entre les deux parties devant le tribunal. Il y aura
maintenant un équilibre, je le crois. Merci.
Le Président (M. Marcoux): Je vous remercie de la
présentation que vous avez faite de votre mémoire. A votre
suggestion, je demanderais aux membres de la commission s'ils sont d'accord
pour verser au journal des Débats le mémoire intégral.
M. Marois: Oui.
Le Président (M. Marcoux): On a le consentement, cela sera
fait. (Voir annexe B). M. le ministre. (17 h 15)
M. Marois: M. le Président, je voudrais d'abord remercier
la Commission des services ju- ridiques de son mémoire. Je comprends
d'autant plus l'expression que vous avez utilisée, "déchirement",
faisant allusion à un coin particulier du projet de loi qui vous
concerne directement que je voudrais y revenir très rapidement. Je sais
perti-nement que la Commission des services juridiques il y a
déjà plusieurs années, vers 1971 ou 1972 a
été parmi les premiers artisans au Québec, artisans, dans
le sens d'essayer de mettre en chantier quelque chose de concret et
précis qui avait même presque pris la forme d'une proposition de
projet de loi dans un de vos rapports annuels à l'époque. Je
profite de cela, parce que je pense que c'est pertinent; vous savez, on ne peut
pas toujours tout faire en même temps non plus. C'est une chose qu'on
découvre aussi quand on est au gouvernement. On essaie de franchir les
étapes au meilleur rythme possible en tenant compte aussi des
équilibres nécessaires en cours de route.
Ceci étant dit, soyez assurés de toute manière
je l'ai mentionné à tous les groupes qui se sont
présentés devant la commission parlementaire que toutes et
chacune de vos recommandations et remarques vont être examinées au
mérite de notre part.
Il y a trois points sur lesquels je voudrais m'ar-rêter
particulièrement. Le premier, c'est ce que vous avez
évoqué à quelques reprises et qui revient à la page
3 de votre mémoire et ailleurs aussi et qui recoupe votre
"déchirement". Vous dites que vous déplorez qu'on n'ait pas
accordé au justiciable le libre choix de son avocat en n'accordant pas
aux avocats du réseau de l'aide juridique le droit d'utiliser cette
procédure. Je suis obligé d'admettre que, pour l'essentiel, vous
avez raison en ce sens qu'on a tenu pour acquis, on a fait le constat de fait
que l'article 69 ne permet pas les cas et les causes de "fee generating"
à l'aide juridique. Vous me direz: Oui, mais si vous en avez fait le
constat, c'était peut-être le temps d'aller du constat au
changement. Je vous dirai simplement pour l'instant, parce que vous avez soumis
une argumentation, sous réserve de l'examiner, comme vos autres
recommandations d'ailleurs, avec mon collègue, le ministre de la
Justice, qu'encore une fois, on ne peut pas toujours tout faire en même
temps. Si ma mémoire est bonne, mon collègue, M. Bédard,
le ministre de la Justice, a déjà évoqué
l'idée qu'il était prêt, en temps opportun, à
examiner la question je pense qu'il avait même mentionné en
commission parlementaire, si ma mémoire est bonne, mais je donne cela de
mémoire, donc, sous réserve à faire le bilan, le
point, si on en était rendu au moment opportun pour franchir des
étapes additionnelles, faire une ouverture additionnelle à l'aide
juridique.
Ceci étant dit, je me demande et je vous pose la question
si, au fond, il ne faudrait pas nuancer un peu l'affirmation que vous
faites lorsque vous dites qu'on n'accorde pas le droit d'utiliser cette
procédure. Je me le demande, d'une part, compte tenu de l'article 69, au
sujet de toutes causes qui ne sont pas "fee generating". Vous savez que, dans
bon nombre d'états américains, je ne vous apprends
sûrement rien il y a eu bon nom-
bre de recours collectifs qui ont été intentés non
pas dans le domaine de ce qu'on appelle en général la protection
du consommateur, mais dans le domaine des droits et libertés de la
personne, des causes de discrimination, par exemple. Je ne vois pas à
première vue, mais j'aimerais avoir votre point de vue à ce
sujet, en quoi le projet de loi, tel qu'il est rédigé,
enlève cette possibilité aux avocats de l'aide juridique.
D'autre part, il y a une autre question que je me pose. Dans la
première étape, celle de la requête, étant
donné que c'est cette requête, si elle était
acceptée par le tribunal, qui va mettre en marche le groupe par son
représentant dans l'exercice de la procédure du recours
collectif, je me demande si, à cette étape, c'est votre
interprétation du projet de loi tel qu'il est libellé dans
l'état actuel de la Loi de l'aide juridique, il ne vous serait pas
possible de représenter les citoyens pour les fins de la
requête.
Dans la même lancée, sur la même question
quoique je présume que c'est ce que vous avez évoqué
rapidement à la fin de votre exposé j'aimerais que vous me
précisiez ce que vous évoquez dans votre mémoire lorsque
vous suggérez, à titre de compromis, le cas
échéant, de prévoir des barèmes
d'admissibilité pour les groupes dont on peut raisonnablement penser
qu'une partie importante satisfait aux critères. J'aimerais que vous
nous précisiez davantage cet aspect.
Un dernier point, très rapidement, M. le Président. A la
page 10, concernant votre sixième recommandation, je ne vous le cacherai
pas, vous avez parfaitement raison. A mon point de vue, votre analyse est tout
à fait exacte. Le projet de loi no 39 n'ouvre pas le recours collectif
aux tribunaux administratifs. On s'est posé la question; je ne vous
cacherai pas, en toute honnêteté, qu'on a pensé
insérer je ne sais plus à quelle nième version du
projet de loi 39 on en est rendu; on a travaillé longuement sur ce
dossier et on a même consulté les présidents, les juges
responsables de chacun des tribunaux administratifs du Québec une
espèce d'article omnibus dans le cadre du recours collectif permettant
de l'ouvrir devant les tribunaux administratifs.
Après avoir consulté les responsables des
différents tribunaux, il ressortait que, effectivement, il y avait des
modalités mais qui, dans certains cas, étaient loin d'être
des détails d'ajustement des procédures d'un tribunal à
l'autre, d'une part; d'autre part, que l'état des travaux de
réorganisation de certains de ces tribunaux administratifs, par exemple,
la Commission des affaires sociales qui s'est vu octroyer des
responsabilités, des compétences nouvelles à la suite des
amendements à la Loi de la commission des accidents du travail, de
l'introduction de la Loi de l'assurance automobile... Elle est en pleine
réorganisation et ne pouvait pas nécessairement respecter des
échéances. Il y avait donc toute une série de raisons.
On a donc préféré, en première étape,
introduire le recours collectif dans le Code de procédure civile sans
insérer l'article omnibus. Rejoignant cependant, en partie, votre
préoccupa- tion vous suggérez un délai de deux ans
je voudrais vous rappeler une chose: Mon collègue, le ministre
des Affaires municipales, a rendu public un livre blanc concernant les
relations entre locataires et propriétaires. Si vous lisez attentivement
le livre blanc, vous verrez que c'est l'intention du gouvernement, lors de la
présentation d'une loi en espérant que cette fois on
arrive à une loi permanente, depuis le temps qu'on en parle
d'introduire le recours collectif pour la Régie des loyers. Donc, on
irait plutôt par étape, au fur et à mesure, en accord avec
les différents tribunaux administratifs, qu'il sera possible de
l'introduire dans les meilleurs délais et en examinant les
difficultés particulières qui se posent.
Donc, ce n'est pas exclu comme perspective. Il y a déjà
des indications très précises dans le livre blanc. Mais c'est la
raison essentielle pour laquelle, finalement, on a plutôt choisi de ne
pas inclure, comme tel, un article omnibus au moment où, de l'avis
même des responsables des tribunaux, on était incapable
d'évaluer les possibilités réelles d'assurer une
entrée en vigueur correcte, bien organisée, qui ne soit pas juste
de l'espoir et qui ne mène à des choses concrètes et
pratiques pour les gens.
Voilà, M. le Président, les quelques remarques ou
questions que j'avais à faire.
Le Président (M. Marcoux): Est-ce que vous avez des
commentaires à ajouter?
M. Lafontaine: Rapidement, pour ne pas prendre le temps d'autres
personnes. D'abord, sur les tribunaux administratifs, disons qu'on avait
entrevu la difficulté parce qu'on sait les différentes
règles qui existent devant les différents tribunaux, lesquels
sont plus ou moins orthodoxes. On comprend cela, on voulait avoir un engagement
de votre part et je pense qu'on l'a maintenant. Disons que cela devrait venir
normalement. Cela va.
Vous avez demandé tantôt s'il était possible d'avoir
une certaine réglementation au niveau des critères financiers ou
de l'admissibilité à l'Aide juridique, dans le cas de recours
collectifs. On a déjà rédigé des amendements
possibles et nous nous arrangerons pour vous les faire parvenir, pour vous dire
un peu de quelle façon on l'entend. C'est quand même dans le sens
où cela devient évident que c'est une majorité de la
classe qui requiert de l'aide juridique qui serait admissible. Il s'agit de le
rédiger dans un contexte légal et nous avons tenté de le
faire. Cela nous fera plaisir de vous le remettre.
Vous avez émis une autre question, ce serait d'accompagner le
requérant qui serait admissible à l'aide juridique jusqu'au stade
de la requête, qui autoriserait...
M. Marois: Je m'excuse de vous interrompre. Voici en fait, la
question que je me posais et que je vous soumettais: Est-ce que, dans
l'état actuel du projet de loi tel qu'il est libellé, vous pensez
qu'il vous est possible dans l'état actuel de la Loi de l'aide
juridique, pour un avocat de l'aide juridique, d'accompagner un
requérant pour l'étape de la requête?
M. Lafontaine: II y a des réflexions qui me viennent
à l'esprit là-dessus. Je ne voudrais pas qu'on pense que c'est
une position ferme et définitive que je prends, parce que, je vous le
dis, immédiatement, les choses qui me viennent à l'esprit c'est
que, dès qu'on se dirige vers un recours collectif, cela devient
maintenant du "fee generating ", parce que la loi du fonds prévoit que
tu peux t'adresser au fonds pour obtenir même des avances d'honoraires et
puis des expertises et des choses semblables. Autrement dit, c'est devenu de
par l'adjonction d'un fonds pour permettre de payer des honoraires, un recours
payant, si je peux dire. Il y a une autre difficulté qui va se produire,
c'est une difficulté, peut-être réelle. Il va être
difficile pour un requérant d'aide juridique, qui est
représenté par un avocat d'aide juridique, de se rendre jusqu'au
jugement qui autorise le recours collectif et de dire: Voici, monsieur, prenez
votre dossier et allez maintenant voir un avocat de pratique privée qui
va s'occuper de votre recours, maintenant qu'il est devenu collectif. Ce sont
des idées qui me sont passées par l'esprit. Maintenant, que dans
l'état actuel de la législation, on puisse représenter
quelqu'un jusqu'au stade où il va prendre la requête, je dis, avec
la loi du fonds qui existe présentement, que cela serait encore du "fee
generating", à moins que vous n'amendiez la loi du fonds pour
prévoir qu'il n'y aura pas de fonds à aller jusqu'à
l'étape qui prévoirait qu'on peut maintenant procéder par
recours collectif, une fois que la requête est accordée. Mais
là, il faudra peser les autres inconvénients parce que, souvent,
pour pouvoir faire valoir un recours collectif, cela prend des frais encourus
avant, qui s'appellent des expertises la plupart du temps. On ne fait pas, en
effet un recours collectif avec un affidavit qui prévoit qu'il y aurait
tel défaut caché qui pourrait entraîner telle
conséquence. Il va falloir quand même faire déjà
presque l'expertise au préalable. Dans la plupart des cas, c'est
là que les coûts interviennent, d'autant plus qu'il va falloir
identifier un peu la classe et cela va obliger à faire quand même
une certaine enquête, de telle sorte que l'on arrive devant le juge et
que le juge est obligé de déterminer la classe. Il va falloir
faire une enquête pour savoir un peu quel est l'ordre de cette classe et,
chaque fois, ce sont des déboursés qui surviennent. Donc, cela
prend peut-être le fonds aussi. Mais si cela prend le fonds, cela devient
un recours payant; donc, ce n'est plus de l'aide juridique. Je vous dis cela
rapidement, mais ce sont les réflexions qui me viennent.
Ce que je ne veux pas, dans le fond, c'est qu'on soit dans une position
où on doive triturer l'interprétation de la Loi de l'aide
juridique pour arriver à des espèces de compromis. Je voudrais
que cela se fasse clairement, qu'il n'y ait pas de difficultés
d'interprétation, qu'on ait un contexte où cela devient clair,
où c'est plus facile.
Le Président (M. Marcoux): M. le député de
Marguerite-Bourgeoys.
M. Lalonde: M. le Président, je vais être
très court, parce que les représentants de la Commis- sion du
service juridique ont été extrêmement explicites dans leur
mémoire. Je veux, en débutant, les remercier d'avoir fait
profiter la commission et ses membres de leur expérience tout à
fait particulière dans le domaine qui nous occupe actuellement et je me
réfère plus particulièrement aux différentes
démarches que la commission et les avocats de la commission ont faites
dans les cas que vous avez mentionnés.
Quant aux tribunaux administratifs, je voudrais seulement vous poser une
question là-dessus, en tenant compte de ce que le ministre vient de nous
dire, qu'il y a eu une préoccupation au niveau du gouvernement: on s'est
posé la question et on n'a pas fermé la porte pour l'avenir.
Est-ce que, par exemple, dans le cas des relations entre locateurs et
locataires, le fait que le système permette l'exercice d'un droit, par
chacun des locataires isolément, n'est pas justement ce qui fait que ce
n'est pas inclus dans la préoccupation du projet de loi 39? Comment
pouvez-vous penser qu'on peut réconcilier cela et étendre le
caractère collectif du recours, qu'on peut étendre le
critère isolément de chacune des personnes qui a un droit
à faire valoir avec un cas comme locataire-locateur. (17 h 30)
M. Lafontaine: Seulement une tentative d'explication
immédiate. On a à l'esprit, la plupart du temps, une hausse que
le locataire prétend abusive et il veut faire déterminer par
l'administrateur des loyers si oui ou non elle est abusive. C'est bien
sûr que le projet de loi prévoit que si ce sont des recours qui
peuvent s'exercer facilement individuellement, il n'y a pas
d'intérêt à ce qu'ils viennent tous ensemble. C'est un
exemple où il n'y aurait pas raison de prendre une action collective.
Cela dépend peut-être aussi du nombre de locataires
concernés. Je ne sais pas si, dans le cas d'une conciergerie comme le
bâtiment olympique, où il y aura des milliers de locataires,
ça ne deviendrait pas un recours plus facile.
C'est peut-être aussi le cas d'un locataire qui voudrait faire
décider par la Commission des loyers que l'obligation du
propriétaire de tenir les lieux chauffés, ça veut dire de
les tenir chauffés à au moins 68 degrés, ou quelque chose
de semblable.
Là, on verrait possiblement plus facilement la question du
recours collectif, parce que ça ferait établir une jurisprudence
pour tous les locataires du Québec qui sont dans des cas semblables.
C'est bien sûr que le projet doit essayer de prévoir ces
différentes éventualités, qu'elles arrivent ou qu'elles
n'arrivent pas, je ne peux pas le dire.
C'est peut-être l'explication.
M. Lalonde: Merci. Quant au tamisage, vous avez insisté
sur le fait que les dispositions du projet de loi, actuellement, contiennent
suffisamment d'étapes pour ne pas ajouter au tamisage. Vous avez tout
d'abord mentionné l'aide qui peut être accordée par le
fonds, ce n'est pas tout à fait un tamisage, mais c'est une étape
pour quiconque croit avoir besoin de cette aide. Deuxièmement, la
demande doit être faite au tribunal. Troisième-
ment, il y a l'appel prévu à l'article 1010 et aussi le
droit de révision prévu à l'article 1022. Je suis d'accord
avec vous que ça fait pas mal de balises pour faire en sorte qu'il n'y
ait pas d'abus.
Mais je ne serais quand même pas scandalisé du fait qu'on
pourrait ajouter un critère à travers cela. Parce que
malgré le nombre d'étapes possibles à traverser, il reste
que les critères sont toujours les mêmes à l'article 1003.
S'il y avait un autre critère, on en a discuté hier, ce matin, je
n'étais pas ici, mais on a parlé de l'apparence de droit, de la
bonne foi, plusieurs concepts ont été échangés. Je
ne sais pas quelle est votre réaction mais s'il fallait préciser
ou ajouter un critère, ça ne m'apparaîtrait pas de nature
à étouffer encore la possibilité que le projet de loi veut
offrir, mais plutôt à la préciser.
Peut-être voulez-vous réagir à ça?
M. Lafontaine: Au niveau du fonds lui-même, celui-ci doit
vérifier la vraisemblance de droit. Donc, si les gens passent par le
fonds, il y a déjà une étape de franchie concernant la
vraisemblance de droit.
Maintenant, je pense que le tribunal va aussi s'intéresser
à la vraisemblance de droit avant d'arriver à un recours
collectif. On n'a pas besoin de l'écrire dans une loi, en tout cas, je
ne penserais pas. S'il n'y a pas de possibilité du succès de
recours, je pense bien que le juge ne pourrait pas l'exercer.
Le tribunal pourra quand même se prononcer là-dessus. Mais
c'est drôle, je crains plutôt l'effet contraire, qu'on ne trouve
pas de croisé qui soit prêt à se mettre en avant pour aller
exercer des recours au nom d'un paquet d'autres personnes avec tous les
troubles qu'il va y avoir de la part de tout le monde qui va se plaindre de son
comportement, de sa façon d'agir, ils vont penser que c'est parce
qu'untel veut se mettre en avant, c'est parce qu'il veut être connu,
etc.
C'est drôle, parce que l'expérience qu'on a, jusqu'à
maintenant, c'est qu'on a de la misère à trouver des gens qui
sont prêts à prendre le statut de croisé pour aller se
battre pour $5, $10, $15, $25, quelquefois, $75. C'est pourquoi je me dis: Si
on fait encore exprès pour mettre encore une autre balise, il n'y aura
plus personne qui va être prêt à prendre ces recours.
C'est ce qui amène d'ailleurs la position américaine, le
"draft ", dont le ministre a parlé ce matin, ce qui fait qu'aux
Etats-Unis, on se demande si on ne devrait pas donner une prime à celui
qui va prendre l'action. C'est vrai, on lui donnerait un pourcentage sur le
montant qu'il pourrait recevoir. Ils se sont aperçus qu'en pratique,
dans le fond, s'il vous manque une once dans votre boîte de Kellogg, il
faut que vous soyez un peu un croisé pour décider d'avoir tous
les problèmes d'aller rencontrer des avocats, d'aller au fond, de venir
devant la cour et de plaider pendant des semaines de temps pour une once de
Kellogg. Cela prend un croisé quant à moi. Disons qu'il ne
faudrait peut-être pas y ajouter trop de barrières, on va le
décourager avant de partir.
M. Lalonde: Je partage votre opinion là-dessus, quand on
sait que ce représentant n'est pas plus indemnisé qu'un autre. Il
y a là un investissement d'énergie et de temps à
faire.
Je voudrais terminer en concourant à votre remarque que le projet
de loi fait appel je pense que c'est à bon droit à
la magistrature, pour voir à ce que cela fonctionne. Quant à moi,
je suis entièrement d'accord avec cette approche du ministre et je pense
qu'on doit espérer et être optimiste quant au résultat que
cela peut donner. Je vous remercie.
Le Président (M. Marcoux): M. le député de
Nicolet-Yamaska.
M. Fontaine: Merci, M. le Président. Je voudrais, à
mon tour, féliciter les membres de la Commission des services juridiques
pour la présentation de leur mémoire. Je pense qu'ils ont fait un
excellent travail, surtout dans les propositions concrètes d'amendements
qu'apporte leur mémoire. Je pense que le ministre en a pris bonne note.
Il y aura sûrement de vos suggestions qui seront retenues dans le projet
de loi définitif.
Je voudrais revenir à la question qu'on a abordée tout
à l'heure avec le ministre sur ce que vous dites à la page 14 de
votre mémoire. Vous dites qu'il serait possible de prévoir des
barèmes d'admissibilité pour des groupes dont on peut
raisonnablement penser qu'une partie importante des membres répondent
aux critères d'admissibilité à l'aide juridique.
J'aurais deux remarques à faire là-dessus. La
première, c'est que je pense que vous devez faire allusion, faire
référence aux assistés sociaux qui voudraient faire des
appels ou des requêtes, peut-être les gens que vous avez
représentés au sujet de demandes à
l'assurance-chômage ou des choses comme cela. Je pense que c'est à
cela que vous faites allusion.
Mais si je me réfère à la remarque que vous avez
faite tout à l'heure que, chaque fois qu'il y a une aide du fonds, cela
devient un "fee generating case", à ce moment-là, je me demande
comment on pourrait mettre en application ce que vous demandez à la page
14.
M. Lafontaine: C'est évident qu'il faudrait quand
même amender la Loi de l'aide juridique pour suivre l'argumentation que
je faisais tantôt. Plutôt que de l'amender dans le sens de l'ouvrir
au recours collectif à tous ceux qui choisiraient d'être
représentés par des permanents, comme position de compromis, on
pourrait quand même se limiter, une fois qu'on a amendé l'article
69, à la clientèle naturelle de l'aide juridique que sont ces
gens. C'est dans ce sens-là que je voulais m'exprimer.
M. Fontaine: C'est un compromis que vous proposez.
M. Lafontaine: Dans le cas de tantôt, où je parlais
du montant qui est perçu par l'aide sociale
et qui, normalement, devrait aller à la personne, parce que cela
lui appartenait au moment où elle était en chômage, ce
qu'on veut essayer d'éviter aussi, c'est que la personne ait à
payer un pourcentage à un praticien qui va la représenter
là-dessus. Il y a cela aussi qui est un autre élément. Le
gars qui va recevoir $1000 d'assurance-chômage, c'est bien normal que
l'avocat lui charge 15%, même si c'est un assisté social. S'il
passe chez nous, il n'y aurait pas de frais de perception à percevoir,
parce que la loi nous le défend.
M. Fontaine: Dans les cas que vous mentionnez, si on acceptait
votre proposition, est-ce que vous verriez également que des avocats de
pratique privée pourrait recevoir des mandats?
M. Lafontaine: C'est évident. La Loi de l'aide juridique,
c'est un libre choix à la base. C'estd'ailleurs excellent pour le
réseau, quant à moi, parce que cela fait une saine concurrence.
Autrement dit, ce n'est pas pour enlever un recours au praticien de pratique
privée, c'est pour rétablir une parité ou un
équilibre c'est un mot cher qu'on a employé ce matin.
M. Fontaine: D'accord. J'ai pris connaissance de votre
mémoire. Il y a plusieurs choses qui seront sûrement retenues. Je
voudrais tout simplement, en terminant, vous relire une parole que vous avez
citée tout à l'heure. Je l'ai prise en note et vous me le direz
si cela n'est pas correct.
Vous disiez que les citoyens ne sont pas portés à faire
des recours lorsqu'il y a des formules à remplir. Je me rappelle que
vous avez déjà témoigné, avant Noël, à
la commission parlementaire sur le bill 67. J'aurais aimé que vous
fassiez cette remarque à Mme Payette, lorsque c'en était le
temps.
Le Président (M. Marcoux): Au nom des membres de la
commission, je vous remercie de la présentation de votre mémoire.
J'inviterais maintenant la Chambre de commerce de la province de Québec
à venir nous présenter son mémoire.
Chambre de Commerce de la province de
Québec
M. Létourneau (Jean-Paul): Mon nom est
Jean-Paul Létourneau. Il me fait plaisir de présenter ceux
qui m'accompagnent pour vous présenter ce mémoire de la Chambre
de commerce de la province de Québec. A ma gauche, Me Pierrette
Boivin-Fillion, conseiller juridique à Northern Telecom Canada
Ltée, une grande entreprise; Me Francine Charbonneau, avocat à la
permanence de la chambre; M. Pierre Morin, directeur général des
affaires publiques de la Chambre de commerce et, à ma droite, M.
René Clément, de la compagnie Rolmex de Varennes, une PME.
Une remarque préliminaire, M. le Président, m'est
inspirée par ce projet de loi, avant de commencer la présentation
comme telle du mémoire. C'est, lorsqu'on examine ce document, la
complexité technique d'un recours de cette nature. Mon rôle, dans
l'association où j'oeuvre, est d'essayer de communiquer à nos
membres ce que fait le législateur et de les informer au mieux des
conséquences de la loi pour eux, hommes d'affaires.
On s'aperçoit c'est une réflexion liminaire
que cela devient de plus en plus complexe, de plus en plus difficile. Comme
nous représentons de grandes et de petites entreprises, nous nous
rendons compte que, pour la plupart d'entre elles, même si elles ont un
avocat à temps plein à leur service, cela devient
extrêmement complexe de savoir quelles sont les conséquences pour
elles de la loi qui est en train d'être adoptée au niveau
gouvernemental.
Même si j'ai eu personnellement l'occasion de voir ce projet de
loi au conseil consultatif de la Justice, c'est-à-dire d'avoir eu un peu
plus de temps que d'autres pour le considérer, cela a été
pour moi le même problème que d'essayer d'en évaluer la
portée pour l'homme d'affaires qui veut conduire ses affaires
légalement, qui est soucieux de respecter la loi et qui veut, le mieux
possible, protéger ses intérêts et ses clients dans le cas
de lois semblables.
Une seconde remarque liminaire, c'est qu'on a l'impression, lorsqu'on
considère ce projet de loi d'ailleurs, cette impression est
confirmée par les exemples qu'apportent ici ceux qui témoignent
devant cette commission la plupart du temps, lorsqu'on fait allusion
à des cas concrets, l'impression se dégage très clairement
que la présomption, lorsqu'on a préparé ce projet de loi,
est que les défendeurs seront presque toujours des gros, des
multinationales, alors que cette loi s'appliquera à quiconque est en
affaires et a des clients et vend des biens ou des services. Or, ce ne sont pas
que des gros, des multinationales, des grosses méchantes
multinationales, si on peut s'exprimer ainsi. Il y aura toutes sortes de gens
dans le milieu des affaires. Tous les hommes d'affaires seront soumis à
cette loi; donc, une majorité de petites et moyennes entreprises. Ceci
étant dit, je vais demander à notre directeur
général, M. Morin, de vous présenter la première
partie de notre document. Aux fins d'économiser le temps le plus
possible, pour autant que le mémoire qui n'est pas très long
puisse être versé au journal des Débats, nous pourrons nous
abstenir de la présentation de la seconde partie qui est plus technique
et qui concerne des amendements très spécifiques à la loi
que, j'imagine, les membres de la commission ont déjà vus et qui
pourront, de toute façon, être discutés au cours de la
période de questions. Si cette formule vous convient, nous allons
procéder de cette façon. Je demanderai à M. Morin de vous
présenter la première partie de notre mémoire, qui en
donne l'essentiel. (17 h 45)
M. Morin (Pierre): M. le Président, je vais vous faire
sauter rapidement la première page, pour commencer à la
deuxième du texte, si vous voulez bien me suivre, au niveau des
considérations générales. Dire que le projet de loi sur le
recours collectif est bienvenu dans la conjoncture actuelle se-
rait une exagération considérable, surtout lorsqu'on tient
compte des propos du ministre d'Etat au développement social lors de son
dépôt, le 1er décembre dernier, à l'Assemblée
nationale.
Ce n'est pas tant le projet de loi en soi qui soit inopportun, mais
plutôt le fait qu'il vienne s'ajouter à un nombre
considérable de lois adoptées au cours de la dernière
session ou de projets déposés toujours à l'étude,
qui touchent l'entreprise et auxquels elle doit s'adapter. Il serait important
à cet effet de se souvenir des propos tenus lors de l'ouverture du
sommet économique à Pointe-au-Pic, par M. Alfred Rouleau, sur les
limites à la capacité d'absorption des réformes par la
population et sur la nécessité de ne pas aller trop vite. C'est
vrai pour la population. C'est aussi vrai pour l'entreprise. A ce moment, ne
connaissant pas la teneur du discours inaugural, je crois que M.
Lévesque s'est lui-même prêté à de semblables
propos.
Permettez-nous simplement de rappeler aux législateurs et aux
membres du gouvernement qui proposent des réformes que celles-ci
accaparent presque tout leur temps et produisent des sessions de longueur
exceptionnelle. Si la fonction du législateur est de
légiférer et celle du gouvernement de gouverner, celle des
dirigeants d'entreprises est d'assurer la survie de la croissance de
l'entreprise. Dans une période de basse conjoncture économique
comme celle que nous traversons, les énergies des dirigeants
consacrées à s'adapter à de nouvelles lois sont des
énergies perdues aux fins de l'entreprise, si valable que soit la
réforme.
Nous avons aussi fait allusion aux propos du ministre, parrain du projet
de loi lors de la conférence de presse accompagnant son
dépôt. Pour le commun des mortels, ne comprenant rien au charabia
juridique habituel et encore moins à des amendements au Code de
procédure civile, les propos du ministre sont sa seule source
d'information officielle sur le projet du recours collectif. Or, cette
information officielle traite exclusivement du citoyen en sa qualité de
consommateur lésé par une grande entreprise, totalement
démuni du recours et pour qui l'on veut rétablir
l'équilibre.
Le choix des exemples relatés dans le communiqué est
particulièrement éloquent. L'impression se dégageant de
ces propos est que le recours proposé est fondamentalement et
essentiellement une mesure de protection du consommateur et "que c'est l'aspect
préventif du recours collectif qu'il faut surtout retenir" contre "les
gros de notre société".
Combien il est facile d'entretenir et d'alimenter des
préjugés défavorables à l'endroit de l'entreprise!
Surtout lorsque l'on sait qu'elle ne vote pas, qu'elle ne contribuera plus aux
caisses électorales, qu'elle observe généralement mieux la
loi que les autres groupes de citoyens et surtout qu'elle ne répliquera
pas trop fort, occupée qu'elle est ailleurs à investir et
à créer des emplois pour les Québécois!
Pas un mot sur la possibilité pourtant offerte par le projet de
loi pour un groupe de commerçants d'exercer un recours collectif contre
un fournisseur et ainsi protéger le consommateur.
Pas un mot sur l'utilisation possible du recours collectif soit par un
groupe de producteurs ou de consommateurs contre un organisme
paragrouvernemental qui limite certaines productions et en fait ainsi augmenter
artificiellement les prix.
Pas un mot non plus sur le fait qu'aux Etats-Unis le recours collectif
prévu par le gouvernement fédéral n'était en 1972
que fort peu utilisé dans des causes de préjudices
occasionnés aux consommateurs. En effet, selon les chiffres cités
par le professeur Michael Trebilcock, de la faculté de Droit de
l'Université de Toronto, dans un article intitulé "The Class
Action Controversy", hormis les causes de droits civils, les hommes d'affaires
font une plus grande utilisation du recours collectif que les consommateurs
lésés, et la lecture du projet de loi et la compréhension
que nous en retirons nous portent à croire qu'il pourrait en être
de même au Québec.
Dans l'avant-projet de loi sur la protection du consommateur, une des
pratiques interdites est celle de ne pas présenter tous les faits
matériels relatifs à un produit ou à un service. Si
seulement cette pratique interdite pouvait aussi atteindre l'homme
politique!
Avantages et désavantages du recours collectif. Dans les
juridictions où il existe, le recours collectif constitue effectivement
un moyen additionnel pour les citoyens d'obtenir justice lorsqu'un groupe
d'entre eux a subi un préjudice difficilement redressable par d'autres
moyens. Les variations dans les formes de recours collectif sont cependant
considérables, certaines formes s'adres-sant à des
problèmes particuliers, telle la consommation, d'autres prévoyant
le recours collectif pour toutes les formes de préjudices incluant ceux
résultant d'actions criminelles.
Le seul fait que le recours collectif puisse permettre au degré
plus poussé de justice pour l'ensemble des citoyens milite pour son
adoption.
Par ailleurs, de par sa nature même et par la lourdeur
inévitable de ses mécanismes, le recours collectif doit
être considéré à sa seule valeur de moyen, et non
pas une panacée à l'ensemble des situations occasionnant des
préjudices. D'autres questions de procédures, de frais
judiciaires et d'accessibilité à la justice ont dû
être réglées par des mécanismes, telles l'assistance
judiciaire et la Cour des petites créances, entre autres.
Parmi les principaux avantages mentionnés en appui au recours
collectif, mentionnons, au-delà de sa valeur intrinsèque comme
outil de justice, l'amoindrissement de la nécessité pour l'Etat
d'intervenir sur la place du marché et les économies
d'échelle pouvant être réalisées sur les frais
judiciaires, par contraste avec la multiplication des causes individuelles.
Théoriquement, à tout le moins, le recours collectif
accroît les possibilités d'accessibilité et de justice,
tout en étant plus efficace que l'action gouvernementale et plus
économique que la multiplication des poursuites individuelles.
Les principaux désavantages intrinsèques au recours
collectif tiennent au fait que les véritables personnes
malhonnêtes sont rarement touchées, que le processus est
très long et peut même
constituer une sorte de déni de justice et, enfin que la seule
constitution d'une cause en recours collectif, fondée ou non, peut
occasionner un tort à l'intimé bien plus grand que celui que l'on
veut redresser.
Au Québec, notre tradition juridique de deux régimes
d'inspiration différente et le partage des compétences pour
chacun des deux régimes posent un problème particulier.
L'économie du Code civil prévoit exclusivement la remise en
état de la personne ayant fait la preuve du préjudice subi.
Essentiellement, ce que nous croyons qu'il faille retenir de toute
proposition de recours collectif au Québec, c'est le danger réel
de créer de faux espoirs et des expectatives démesurées au
sein non seulement des organismes de protection du consommateur mais des
citoyens eux-mêmes. Fondamentalement, l'économie du Code civil est
compensatoire; c'est beaucoup. Le recours collectif constituera un outil
additionnel et efficace, mais nous tenons à souligner à nouveau
ses limitations par rapport à de semblables recours, surtout aux
Etats-Unis.
Enfin, trois derniers points au chapitre des désavantages. Les
petites entreprises sont souvent dépourvues des moyens de se
défendre adéquatement contre le recours collectif, quoique si
elles pouvaient disposer des moyens nécessaires, elles pourraient
démontrer leur innocence. De plus, lorsqu'elles sont associées
comme intimées avec de grandes entreprises dans une cause, ces
dernières peuvent trouver avantage à régler hors cours,
laissant peu d'alternative à la petite entreprise de participer au
règlement ou demeurer seule dans la cause. Ces deux situations peuvent
occasionner un déni de justice tout aussi inexcusable que pour les
autres citoyens.
Enfin, le dernier point. Dans un article pour le New York Times paru le
14 avril 1971, et intitulé "Massive Class Actions: A Liability", le
professeur Milton Handler écrit: "II est évident que, dans de
telles causes, impliquant de très vastes groupes, ce sont les avocats et
non les membres du groupe qui sont les véritables
bénéficiaires et les véritables parties
intéressées." Il se référait là, en
particulier, à la cause de Playboy, en Californie, remontant à
quelques années. Le Code de déontologie de la profession
légale au Québec ne permettrait probablement pas à une
telle situation d'avoir cours ici, mais le danger doit être
prévu.
Les principes du projet de loi 39. L'examen du projet de loi sur le
recours collectif nous a permis de constater qu'à l'exception de la mise
sur pied d'un fonds d'aide aux recours collectifs, sujet sur lequel la chambre
entretient des réserves fondamentales, et la possibilité de
créer un reliquat par le recouvrement collectif, ce à quoi nous
nous opposons fermement, l'économie du projet de loi respecte
l'orthodoxie générale en matière de recours collectif.
En plus des deux points cités ci-haut,deux autres nous
apparaissent d'une extrême importance. Nous proposons de modifier
l'article 1003 pour le lire comme suit: Le tribunal autorise l'exercice du
recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu'il
désigne s'il est d'avis que: a) la composition du groupe rend difficile
ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67; b) les recours des membres
soulèvent des questions de droit ou de fait communes au groupe; c) le
membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en
mesure d'assurer une représentation adéquate des membres; d) les
procédures ont été engagées de bonne foi et
prouvées prima facie; e) le recours collectif est supérieur
à tout autre moyen disponible pour trancher le litige de manière
efficace et équitable.
Les raisons pour lesquelles nous proposons cet amendement sont d'abord
pour enlever l'ambiguïté des termes "identiques, similaires ou
connexes", retrouvés au même article, sans modifier l'intention
générale du législateur. Les alinéas d) et e) ont
été ajoutés d'une part pour permettre l'élimination
des causes frivoles et vexatoires et s'assurer non seulement du moyen le plus
approprié, mais aussi le plus efficace dans les circonstances; par
exemple, le défendeur étant en faillite, il n'existe aucun moyen
d'exercer un jugement éventuel.
Deuxièmement, à l'article 1012, nous comprenons et
souscrivons à l'objectif du législateur de ne pas voir la cause
s'engager dans le dédale des moyens préliminaires. La
rédaction de l'article nous permet de croire cependant que l'appel en
garantie pourrait être invoqué. La chambre croit que l'importance
à la fois pour les requérants et pour le défendeur de
l'appel en garantie justifie que ce moyen devrait être explicitement
permis.
Sous réserve des oppositions formulées et de la
résolution favorable des amendements proposés sur le fond, la
chambre apporte un appui circonstancié au projet de loi sur le recours
collectif. Parmi les aspects du projet de loi qui nous ont plu, notons d'abord
le fait de modifier le Code de procédure civile plutôt que d'en
limiter la portée aux seules questions de consommation;
deuxièmement la possibilité pour toute personne, morale ou
physique, d'entreprendre un recours collectif; troisièmement, la
compétence exclusive de la Cour supérieure et,
quatrièmement, la non-exclusion de l'Etat de la portée de son
application.
Par ailleurs, nous inscrivons notre désaccord sur la latitude
laissée au tribunal de disposer du reliquat, c'est l'article 1036, ainsi
que sur le pouvoir que se donne le gouvernement, à l'article 36, de
fixer par règlement un pourcentage à être
prélevé par le fonds sur un reliquat.
A notre avis, tout reliquat résultant d'un recouvrement
collectif, une fois écoulée la période d'exécution
prévue à l'article 1038 et la collocation des créances,
devrait retourner au défendeur.
Il ne devrait pas en être autrement d'un recours collectif que
dans toute autre action visée au Code de procédure civile. Dans
le cas d'une action individuelle, si le jugement n'est pas
exécuté, le défendeur conserve le montant du jugement. Il
n'est ni question d'enrichissement sans cause, ni de prélèvement
par l'Etat. L'économie du code doit être maintenue.
L'autre question que nous ne pouvons accepter
est celle des modalités d'existence du Fonds d'aide au recours
collectif. Ces modalités comportent deux injustices flagrantes:
l'impossibilité pour le défendeur d'y avoir accès et la
présomption que la condition financière du requérant est
un facteur limitatif à son accessibilité. Ce dernier point, en
plus de stigmatiser l'existence de différences de traitement devant la
loi, ainsi que prévu par l'article 20 du projet, offre une invitation
flagrante à ce que seuls les membres les plus démunis se fassent
connaître.
La chambre n'en a pas contre le fait qu'il existe des formes
d'assistance pour l'accessibilité au recours collectif. A la proposition
du projet, nous suggérons deux choix, à notre avis, plus heureux.
Un premier serait pour l'Etat d'aider, sous forme de subventions, les corps
intermédiaires ou associations voulant soutenir des recours collectifs
dans leur domaine d'intérêts; un deuxième choix, au second
rang dans notre esprit, serait d'utiliser le véhicule de l'aide
juridique en y apportant des modifications appropriées. Ce dernier choix
pourrait même avoir l'avantage significatif d'aider au financement global
de l'aide juridique.
La principale raison invoquée pour la mise sur pied du fonds est
l'absence de fondations telles qu'il en existe ailleurs. Il est normal que
n'ayant aucune tradition de recours collectif, nous n'ayons pas les organismes
complémentaires. Cependant, il existe au Québec un grand nombre
d'organismes voués à la promotion des intérêts de
leurs membres ou du public consommateur, de certains produits ou services.
Voilà qui pourrait servir de base, bien plus appropriée, à
la mise sur pied d'éventuelles fondations ou d'organismes
assimilés.
La chambre souhaiterait qu'ils puissent bénéficier
directement et temporairement d'une aide gouvernementale pour leur permettre
d'aider ces citoyens dans leur recours collectif. Si vous voulez me suivre
à la toute dernière page, nous allons au moins vous livrer nos
conclusions. (18 heures)
Nonobstant nos considérations sur le projet de loi à
l'étude, la chambre croit en la nécessité d'introduire le
recours collectif dans la gamme des moyens mis à la disposition du
citoyen, à la fois pour se protéger préventivement et pour
faire corriger les préjudices qu'il a subis. La chambre souhaite
ardemment que le législateur, en inscrivant dans nos lois le recours
collectif, conserve à l'esprit l'avantage fondamental du recours
collectif, celui de réduire considérablement le besoin
d'intervention de l'Etat dans la vie courante des citoyens. Nous songeons
particulièrement aux propositions annoncées et non encore connues
d'un projet de quelque 800 articles sur la protection du consommateur.
M. Létoumeau (Jean-Paul): M. le Président, pour
terminer la présentation de notre mémoire, je vous ai
indiqué à l'ouverture que nous avions avec nous des
représentants d'une grande, d'une petite et d'une moyenne entreprises.
Pour commenter cet aspect qui veut que les grandes entreprises, ce sont surtout
les multinationales qui sont visées, les multinationales qu'on appelle,
de manière péjorative, en certains milieux, les "grosses
méchantes"... puisque nous avons un représentant de
multinationales avec nous, je demande à Me Boivin-Filion d'ajouter un
commentaire à ce sujet.
Le Président (M. Marcoux): Avant de céder la parole
à ceux qui vous accompagnent, je vais demander s'il y a consentement
pour que nous puissions poursuivre nos travaux pendant quelques minutes, parce
que, normalement, à six heures nous devons ajourner. Est-ce qu'il y a
consentement?
M. Fontaine: Pour ma part, il y a consentement, mais on ne pourra
tout de même pas s'éterniser. On pourrait peut-être fixer...
vingt minutes, d'accord.
Le Président (M. Marcoux): Disons vingt minutes,
jusqu'à six heures vingt. Si ceux qui vous accompagnent veulent bien
ajouter de brefs commentaires avant que nous passions aux échanges avec
les membres de la commission.
M. Létourneau: Me Boivin-Filion.
M. Fontaine: A moins que nos invités ne veuillent revenir
demain.
Le Président (M. Marcoux): II y a eu des discussions avant
laissant entendre qu'ils préféraient terminer aujourd'hui.
M. Létoumeau: S'il y avait intérêt suffisant,
M. le Président, nous sommes prêts à revenir demain.
M. Fontaine: On aurait beaucoup de questions à poser.
M. Ciaccia: Quant à moi, je suis prêt à
rester, s'ils veulent terminer ce soir, pendant vingt minutes ou une
demi-heure.
Le Président (M. Marcoux): Demain, il y a
déjà quatre mémoires en quatre heures et demie à
peu près. On va déjà être coincés. Je pense
qu'il serait préférable de terminer aujourd'hui. Allez-y.
M. Létourneau: Je veux simplement vous faire part de notre
disponibilité, M. le Président, s'il y a lieu. Me Filion.
Mme Boivin-Filion (Pierrette): M. le Président, le
commentaire que je vais faire sera très bref. J'aimerais simplement
rappeler à la commission et à mes collègues ici que les
multinationales ne sont pas toujours de grosses méchantes compagnies,
mais qu'elles peuvent contribuer à améliorer l'économie
d'un pays.
J'aimerais aussi rappeler une vérité que l'on a tendance,
très souvent, à oublier, c'est que $1 dépensé par
une compagnie, qu'elle soit multinatio-
nale, petite ou moyenne, c'est toujours le même dollar.
Je voudrais m'associer, en mon nom personnel au nom de la compagnie pour
laquelle je travaille je travaille pour Northern Telecom Canada
Ltée qui est une compagnie affiliée à Northern Telecom
Ltée qui est, comme vous le savez, une compagnie multinationale
et en tant que membre du contentieux de NTC, aux représentations qui
sont faites dans le mémoire. J'aimerais ajouter que les suggestions ou
les commentaires que nous faisons seront également utiles et
appréciés par une multinationale. Le temps dépensé
par une multinationale et les ressources dépensées par une
multinationale pour se défendre à un recours collectif se
comparent aux sommes et aux ressources dépensées par une
compagnie petite ou moyenne.
Le Président (M. Marcoux): Y a-t-il d'autres personnes qui
voudraient ajouter quelque chose?
M. Létourneau: Non, M. le Président. Cela termine
notre présentation pour le moment. Nous sommes prêts à
recevoir...
Le Président (M. Marcoux): M. le ministre.
M. Marois: M. le Président, je voudrais d'abord
remercier...
Le Président (M. Marcoux): J'ai simplement une chose
à ajouter. Je voudrais indiquer que, selon votre voeu, la
deuxième partie de votre mémoire sera versée
intégralement au journal des Débats.
M. Létourneau: Le document au complet, M. le
Président?
M. Marois: Oui.
M. Létourneau: Le mémoire au complet?
Le Président (M. Marcoux): Comme vous avez lu tout le
reste, on va verser la deuxième partie (Voir annexe C).
M. Létourneau: D'accord.
M. Marois: Je voudrais d'abord remercier la Chambre de commerce
de la province de Québec de son mémoire. Je pense que c'est
effectivement un dossier cela se voit à la lecture de votre
mémoire que vous avez examiné attentivement. Je voudrais
faire un constat au point de départ et je pense que je vous dois cela.
Je voudrais rendre témoignage de l'ouverture d'esprit que vous
manifestez tout au long de votre mémoire. Je voudrais prendre à
témoins, deux points de repère en particulier parmi d'autres,
mais ceux-là me semblent significatifs: le fait que vous reconnaissiez,
d'une part, la nécessité de répondre aux besoins des gens,
besoins de justice, en introduisant une chose comme celle-là dans notre
droit, ce qui n est déjà pas un détail, et,
deuxièmement de le faire par le biais d'une avenue beaucoup plus large
qui est le Code de procédure civile plutôt que par une loi
statutaire qui serait une voie beaucoup plus étroite et
fermée.
Ceci étant dit, en haut de la page 4 de votre mémoire,
vous avez formulé un voeu: Une des pratiques interdites, selon
lavant-projet de loi sur la protection du consommateur, serait celle de ne pas
présenter tous les faits matériels relatifs à un produit
ou à un service. Soyez assurés que je comprends très bien
à qui vous destinez le produit. Vous ajoutez: "Si seulement cette
pratique interdite pouvait aussi atteindre l'homme politique! "
Je peux vous dire une chose, c'est que vous avez parfaitement bien
livré la marchandise aujourd'hui; donc, au point de départ.
Deuxièmement, bon nombre de questions que vous soulevez dans votre
mémoire ont aussi été soulevées devant nous, depuis
le début de nos travaux, par d'autres groupes qui se sont
présentés. Je voudrais tout de suite vous indiquer un certain
nombre de préoccupations qu'on a, à la suite des commentaires,
des remarques qui nous ont été faites, et qui recoupent,
d'ailleurs, un certain nombre des recommandations, des commentaires que vous
faites. D'une part, je voudrais dire à nouveau que notre
préoccupation, même si parfois certains exemples utilisés
ont pu laisser entendre ou véhiculer l'image du contraire
parfois, les maudites images, tu deviens "poigné" avec, mais ce n'est
pas votre problème, c'est le nôtre...
On a souvent, par ailleurs, utilisé des images, des exemples; je
me souviens des antennes de télévision à $4.98. Je pense
bien que je ne faisais pas allusion à une multinationale, dans ce cas,
mais à une très petite entreprise que je connais. On a
été préoccupé par la question des petites et
moyennes entreprises. Dans le dernier libellé, avant de sortir le projet
de loi, je voudrais attirer votre attention, notamment, sur l'article 1032. Il
a été précisément inséré en pensant
aux petites et moyennes entreprises, c'est-à-dire à cette
idée de permettre au juge, sur représentation, de
reconnaître la possibilité, pour une entreprise petite et moyenne
qui serait condamnée, de pouvoir disposer de modalités de
paiements et de remboursements, donc de pouvoir échelonner, parce que
là, il y a un intérêt convergent, encore une fois, et des
citoyens et de l'entreprise, l'une de rester là et de continuer à
fonctionner et les autres de pouvoir quand même obtenir la compensation
à laquelle les citoyens ont droit.
Je voudrais également vous indiquer tout de suite, et je pense
que vous l'avez mentionné, que nous sommes prêts à regarder
la possibilité d'insérer dans le projet de loi l'ouverture
à l'action en garantie. Cela a été évoqué
lors de la discussion avec des porte-parole de groupes de commerçants
qui sont venus devant nous. Egalement, j'ai fait état du fait, en cours
de route il s'agira de voir de quelle façon c'est possible, mais
on est prêt à l'examiner, à l'étudier très
sérieusement de la possibilité d'ouvrir le fonds d'aide
aux défen-
deurs on nous l'a demandé dans le cas des dépens,
en partie ou en totalité . Là aussi, on songe, en
particulier, aux petites et moyennes entreprises. Il faudra voir à
maintenir l'équilibre, cependant, compte tenu du fait, encore une fois,
je l'ai évoqué déjà, que les individus ne peuvent
pas déduire ces frais de leur impôt. Cependant, dans le cas d'une
entreprise, qu'elle soit petite, moyenne ou grosse, une bonne partie de ces
frais, de ces coûts sont déductibles d'impôt. Je suis quand
même prêt à regarder de très près, à
étudier attentivement cette possibilité.
Par ailleurs, vous évoquez, vous nous suggérez
concernant l'article 1003 d'ajouter aux critères de l'article
1003 un certain nombre de choses, notamment je crois que ce sont les
expressions que vous utilisez dans votre mémoire la bonne foi et
l'expression "prima facie". On en a longuement discuté tout au long de
nos travaux jusqu'à maintenant. La bonne foi est une notion très
délicate parce que dans notre droit, dans l'économie
générale de notre droit, la bonne foi se présume. C'est
très délicat d'insérer une chose comme
celle-là.
Par ailleurs, la notion de preuve "prima facie" est une notion de droit
criminel dont l'équivalent en droit civil est la notion d'apparence de
droit. Mais j'ai déjà indiqué même certains
de nos collègues de l'Opposition se sont dits prêts à la
regarder l'idée, de voir de quelle façon il y aurait moyen
d'introduire un critère comme celui-là à l'étape de
la requête.
Je ne voudrais pas m'étendre trop longuement. Je me permettrai un
dernier commentaire qui vous indiquera, je l'espère, encore une fois,
qu'on ne considère pas du tout et on n'a pas émis de postulat
selon laquel toutes les entreprises sont méchantes, qu'elles soient
grosses ou petites d'ailleurs; pas du tout. Nous voulons simplement introduire
une procédure dans notre droit qui ne viendra pas changer le droit
substantif, mais qui permettra à des citoyens d'obtenir simplement
justice. Les citoyens, que ce soient des personnes morales ou des personnes
physiques, qui se comportent comme de bons citoyens de bonne foi, n'ont rien
à craindre de quelque procédure qu'elle soit.
C'est vrai dans ce sens-là. Je maintiens mon affirmation qu'il y
a un caractère préventif et un caractère dissuasif
à certains comportements, qui sont trop souvent des comportements
d'exception, mais qui sont là quand même. Parce qu'ils sont
là, il n'y a pas de raison que le législateur ne fasse pas en
sorte que les notions aussi fondamentales de responsabilité,
d'enrichissement sans cause, de ce qu'on appelle dans le jargon juridique le
droit de répéter l'indu, d'aller chercher ce qu'on a
arraché de façon illégale, que cela ne soit pas seulement
du placotage ou des choses écrites sur papier, mais que cela se
transpose en réalité pour que le monde en vie soit capable
d'obtenir cette justice de façon équilibrée.
J'ai constamment dit tout au long de nos travaux et je sais que
c'est la préoccupation de tous les parlementaires qui sont autour de
cette table on fera en sorte que ce soit introduit dans le droit
québécois, mais de façon équilibrée pour
assurer que cela se déroule en pleine justice pour toutes et chacune des
parties et donc pas à sens unique.
Ma dernière remarque, comme je le disais, c'est le fait qu'on est
prêt à regarder aussi, à étudier la
possibilité d'introduire cette notion qui existe en droit criminel lors
des enquêtes préliminaires, par analogie à l'enquête
préliminaire au criminel, et là, tu es cité ou non
à ton procès. C'est la deuxième étape, par
analogie. Dans le recours collectif, il y a l'étape de la requête,
la demande, si vous voulez, on peut comparer cela en étirant un peu les
choses à l'enquête préliminaire, et il y a le
procès. La requête dira: Oui, tu peux introduire ton recours
collectif ou pas. En droit criminel, il existe l'ordonnance de non-application.
On va en tout cas y regarder et on va demander aux juristes d'y travailler pour
voir si, par analogie, il n'y a pas, en respectant quand même
l'économie générale de notre droit, une possibilité
d'introduire quelque chose comme cela qui serait peut-être susceptible,
de contribuer à réduire des dommages qui pourraient être
causés de façon injustifiée, tout en maintenant quand
même le fond, ce qui n'enlève rien au fond des possibilités
ouvertes et qui ne change rien au principe de fond du droit d'exercer un
recours collectif.
En terminant là-dessus, on rappelait qu'il existe tous les
recours normaux en dommages. On ne peut pas écrire n'importe quoi dans
une pièce de procédure et l'avocat qui le signe ne dispose pas et
ne jouit pas de l'immunité parlementaire quand il rédige une
pièce de procédure. Ce qu'on écrit là donne
ouverture à des recours en dommages, à des recours pour
diffamation, pour libelle, etc. Je voulais quand même vous signaler ces
choses à la lumière déjà d'un certain nombre de vos
recommandations, pour vous indiquer un peu à la fois le climat dans
lequel on travaille, l'esprit avec lequel on aborde l'ensemble du projet et
aussi les questions qui, déjà, à la lumière des
remarques qui nous ont été faites, attirent de façon
particulière notre attention. (18 h 15)
M. Morin (Pierre): Peut-être un petit commentaire, M. le
ministre nous en a beaucoup donné, dans le vrai sens du mot.
Tantôt, la Commission des services juridiques a évoqué un
aspect, celui des tribunaux administratifs, et la volonté du ministre
d'en venir peut-être éventuellement à ouvrir cette question
des sujets traités par les tribunaux administratifs. C'est un domaine
qu'on a examiné, sur lequel on n'avait pas complété notre
exposé, puisqu'il s'agissait strictement du projet de loi no 39, mais
une des voies que l'on a vues, qui pouvait s'offrir, était
peut-être de permettre que certaines causes normalement
réservées aux tribunaux administratifs, lorsqu'elles pouvaient
donner lieu à un recours collectif, soient admises à la Cour
supérieure. Je ne sais pas si c'est une possibilité, j'aimerais
simplement l'ajouter à l'étude.
M. Marois: On en prend note. J'avoue que ce n'est pas une piste,
honnêtement, qu'on a examinée jusqu'à maintenant. Je prends
note de cela.
Le Président (M. Marcoux): M. le député de
Mont-Royal.
M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier
nos invités pour leur mémoire. J'apprécie
particulièrement la façon non seulement honnête, mais
directe avec laquelle vous soulevez certains points, particulièrement
aux pages 2 et 3, quand vous rappelez au gouvernement les droits et la position
de l'entreprise privée, de vos membres. Je crois qu'il est bon de
rappeler ces choses, ces positions au gouvernement et j'espère que le
gouvernement va en prendre bonne note. Trop souvent dans le passé il y a
eu une certaine crainte de la part de la Chambre de commerce, de l'entreprise
privée de dire: Nous aussi sommes citoyens à part égale au
Québec et nous avons certains droits. J'apprécie
particulièrement qu'en haut de la page 4, vous rappeliez aux hommes
politiques qu'eux aussi ont le devoir de dire la vérité.
Je serai très bref. J'ai seulement une question concernant la
bonne foi; cela a été soulevé par d'autres invités.
C'est difficile de déterminer si quelqu'un est de bonne foi ou non. Il
faut, comme le ministre l'a dit, présumer de la bonne foi, mais
croyez-vous que si les modalités parce que si je comprends bien
votre mémoire vous n'êtes pas contre le principe de la "class
action", vous posez des questions sur certaines des modalités... C'est
plutôt une évolution qu'une révolution que vous voulez.
S'il y avait des modalités plus spécifiques, par exemple, quand
vous parlez de "façons identiques, similaires et connexes", pour enlever
certaines ambiguïtés, si on était plus spécifique sur
le fonds que le gouvernement va instituer par cette législation, si on
changeait les questions de reliquat du fonds, à ce moment-là,
est-ce que cela satisferait vos préoccupations sur la question de la
bonne foi?
M. Morin (Pierre): En fait, M. le Président,
peut-être que Me Charbonneau voudrait intervenir là-dessus. On n'a
pas mêlé... Excusez-moi si je regarde le plafond, j'ai entendu
dire...
Le Président (M. Marcoux): Accident de travail.
M. Marois: II n'a pas été réparé,
celui-là.
M. Morin (Pierre): Mais la question de la bonne foi, vous l'avez
liée à la question "identiques, similaires ou connexes; pour
nous, ce n'était pas lié. La question "similaires, identiques et
connexes", dans l'article 1003, est une ambiguïté en soi. Nous
suggérons un autre libellé, soit les questions de droit ou de
fait communes au groupe, pour remplacer les mots "identiques, similaires ou
connexes". Pour ce qui est de la question de la bonne foi, Me Charbonneau.
Mme Charbonneau (Francine): En fait, ce que M. Morin disait au
sujet des faits identiques, similaires ou connexes, si on avait soulevé
cette question, c'était essentiellement pour établir les
critè- res qui étaient un peu différents de ceux de la
réunion d'action. Parce qu'il nous semblait que, dans la mesure
où les critères étaient à peu près les
mêmes, ça devenait très difficile de distinguer quand le
recours collectif pourrait s'appliquer et quand aurait lieu la réunion
d'action ou l'action jointe.
Maintenant, quant à la fonne foi, essentiellement, je pense que
notre préoccupation visait un cas qu'on avait à l'esprit. Je suis
d'accord avec M. Marois que la bonne foi se présume, sauf que,
très souvent, lorsqu'on fait une enquête, elle est appuyée
par un affidavit dans lequel on dit qu'on est de bonne foi et que les faits
allégués sont vrais au meilleur de notre connaissance. On aurait
voulu que ça s'applique dans le même cas pour le recours collectif
pour la raison très simple qu'à partir du moment où il est
possible qu'un recours collectif soit émis ou qu'il y ait une telle
possibilité et qu'il soit mal fondé, déjà, la
réputation que ça fera à un commerçant, lorsque les
avis seront publiés dans les journaux, sera tellement mauvaise que,
même si, à la fin, le jugement n'est pas déclaré
contre lui, ça peut lui avoir fait un tort tellement
considérable, même irréparable qu'on voudrait, dans la
mesure du possible, que ce soit filtré pour permettre que seuls les
recours qui sont vraiment bien fondés et qui aient une apparence de
droit soient permis.
M. Ciaccia: C'est plutôt sur la question de l'apparence de
droit que...
Mme Charbonneau: Si vous voulez. M. Ciaccia: ... vous vous
attachez.
Mme Charbonneau: On veut quand même s'assurer que le
commerçant honnête ne soit pas pénalisé par un
recours qui soit mal fondé.
M. Ciaccia: Puisque le temps avance et que je voudrais laisser
l'occasion à mon collègue de poser des questions, je pourrais, en
terminant, vous assurer que nous allons prendre bonne note des recommandations
que vous avez faites, nous allons les utiliser en temps et lieu quand nous en
viendrons à discuter le projet de loi article par article.
Le Président (M. Marcoux): M. le député de
Nicolet-Yamaska.
M. Fontaine: Merci, M. le Président. Je voudrais, à
mon tour, féliciter la chambre de commerce pour la présentation
de son mémoire et les recherches que ces gens ont faites. Je voudrais
également les féliciter pour les renseignements juridiques qu'ils
donnent à leurs membres.
Je pense que tous les députés de l'Assemblée
nationale reçoivent votre feuillet que vous distribuez aux membres. Je
pense que ces informations que vous donnez sont très importantes pour la
population en général et je vous félicite de prendre cette
initiative.
Je voudrais aussi ajouter que pour ma part, étant
député, membre de la formation politique de l'Union Nationale...
Vous savez que M. Biron, le député de Lotbinière, a fait
partie des PME et leur voue une dévotion particulière; vous
pouvez comprendre que votre témoignage devant cette commission a
été hautement apprécié par les
députés de l'Union Nationale.
Je voudrais vous ramener à votre mémoire, à la page
3, où vous parlez de la possibilité qui serait offerte pour des
commerçants d'exercer un recours collectif contre un fournisseur ou un
fabricant. Je ne pense pas que cela ait été évoqué
devant la commission jusqu'à maintenant. Je ne pense pas non plus que ce
soit interdit par le projet de loi. Je ne sais pas si le ministre peut...
M. Morin (Pierre): Selon nous, c'est permis par le projet de
loi.
M. Fontaine: C'est permis.
M. Morin (Pierre): Notre interprétation du projet de
loi.
M. Marois: J'avoue que j'aimerais bien l'étudier plus
à fond. Spontanément, je n'oserais pas m'engager sur une
réponse ferme. Je suis plutôt porté à penser que
vous avez raison, mais sous réserve de l'étudier comme il le
faut.
M. Fontaine: Cela m'apparaît une possibilité
intéressante, parce qu'il est souvent possible que des
commerçants puissent avoir des recours contre les fabricants et à
ce moment-là, il serait intéressant pour eux de pouvoir se servir
de ce recours collectif pour pouvoir être indemnisés.
Je voudrais revenir aux amendements que vous proposez à l'article
1003. On a parlé tout à l'heure de faits communs aux groupes et
également des amendements que vous proposiez. Vous parliez de prima
facie. On s'entend pour dire que c'est l'apparence de droit. Mais vous dites,
au paragraphe e): Le recours collectif est supérieur à tout autre
moyen disponible pour trancher le litige de manière efficace et
équitable.
Je pense que cela est nouveau. Est-ce que vous pourriez nous donner des
explications sur ce paragraphe e) que vous voudriez voir ajouté.
M. Létourneau: Me Charbonneau.
M. Morin (Pierre): Essentiellement, M. le Président,
déjà il y a d'autres possibilités. Dans certains cas, il y
a la réunion d'actions où il peut y avoir un doute. Ici, le juge,
avant d'émettre l'autorisation de procéder au recours collectif,
devra déterminer que le recours collectif est un moyen supérieur
à tout autre moyen dans les circonstances.
M. Fontaine: D'accord!
M. Morin (Pierre): Simplement, il se présente un certain
nombre de cas où on peut, soit penser à la réunion
d'actions est-ce bien cela, la réunion d'action?...
Mme Charbonneau: Oui, oui.
M. Morin (Pierre): Excusez-moi, je suis un profane.
Mme Charbonneau: A 67 ou 59, la jonction des parties.
M. Morin (Pierre): A 67 ou 59, la jonction des parties.
M. Fontaine: Vous avez, à la page 8 de votre
mémoire, mentionné que vous ne seriez pas tout à fait
d'accord avec la question de la création du fonds d'aide.
Mme Charbonneau: Me permettez-vous d'ajouter quelque chose?
M. Fontaine: Oui.
Mme Charbonneau: II y avait une autre considération qui
entrait en ligne de compte dans le paragraphe E. C'est que, dans la mesure
où, quand même, le recours collectif s'inscrit dans le cadre du
droit civil et que, normalement, le droit civil est compensatoire,
c'est-à-dire que, lorsqu'il y a dommages et intérêts, on a
recours, on doit prouver les dommages et intérêts. Il y a des cas
qu'on a imaginés où les gens ne subissaient pas un dommage ou un
préjudice c'était réel qui s'estimait en
somme d'argent. A ce moment-là, pour eux, c'était plus efficace
de passer par certaines lois techniques ou certaines lois
spécifiques.
Le cas que j'ai en tête c'est boiteux, mais enfin!
ce serait le cas d'un étiquetage anglais. Une personne qui comprend
parfaitement l'anglais ne subirait pas comme tel un préjudice, suite
à la lecture de cet étiquetage. Pourtant, sur la question de
principe, elle pourrait vouloir faire valoir un recours. A ce moment-là,
à mon sens, ce serait plus approprié de prendre un recours en
vertu d'une autre loi, parce qu'il n'y aurait pas de dommages purement
matériels, si vous voulez.
M. Fontaine: D'accord, je comprends votre argumentation. Je
voudrais revenir à ce que vous soulevez à la page 8. Vous dites
que vous n'êtes pas tout à fait d'accord avec la constitution d'un
Fonds d'aide aux recours collectifs. Vous donnez une opinion
intéressante, à mon avis, et une suggestion, lorsque vous dites
qu'il pourrait être possible que le gouvernement donne des subventions
à des corps intermédiaires plutôt que de créer un
fonds d'aide. Pourriez-vous me donner des exemples pratiques où cela
pourrait...
M. Morin (Pierre): Essentiellement, M. le Président, c'est
qu'aux Etats-Unis il y a des fondations privées le ministre y a
fait référence qui sont nées avec la
présence du recours collectif; aux Etats-Unis, entre autres, et
ailleurs.
Comme on n'avait pas de tradition de recours collectif, il est tout
à fait normal qu'on n'ait pas de tradition privée qui milite et
qui subventionne ou qui prenne des recours collectifs.
Or, ce qu'on dit, c'est que si la possibilité a été
offerte, il serait peut-être beaucoup plus opportun de voir de tels
organismes se créer, initialement, peut-être, avec des fonds de
l'Etat, avec l'aide de l'Etat, plutôt que de garder strictement un fonds
d'aide aux recours collectifs comme soi, qui est une émanation de l'Etat
et toujours comme telle. C'est une différence de perspective. L'objectif
visé est absolument le même, c'est-à-dire voir et aider les
gens à avoir accès, c'est-à-dire faciliter l'accès
aux recours collectifs. C'est le moyen que l'on utilise, au départ,
c'est-à-dire qu'en créant le fonds, dans cinq ans, il y aura
encore un fonds, dans dix ans, il y aura encore un fonds, alors que si l'on
aidait, au départ, certains groupes supposons que ce soit l'APA
qui, à l'occasion, voudraient prendre... On a même
évoqué tantôt la question des commerçants. Un
organisme tel que les chambres de commerce, par exemple, pourrait prendre un
recours collectif contre quelqu'un d'autre, pourrait avoir accès
à cette aide et, à partir des frais en résultant, pourrait
continuer à militer dans ce même domaine.
Mme Charbonneau: Dans ce sens, cela aurait un aspect
préventif, dans la mesure où, si des associations étaient
subventionnées pour en permettre l'accès, elles pourraient
produire des fonds d'elles-mêmes. A ce moment, elles pourraient informer
mieux leurs membres, ce qui permettrait carrément d'éviter la
nécessité d'un recours en justice, puisque les gens
informés n'achèteraient peut-être pas un bien qui est
vicié au point de départ, n'achèteraient pas une auto qui
est un citron, ou des choses comme cela.
M. Fontaine: Vous ne croyez pas que, de toute façon, il va
falloir un fonds, si on admet qu'il y a des reliquats à chaque cause. A
ce moment, le reliquat va aller dans le fonds?
Mme Charbonneau: Si on l'admet.
M. Morin (Pierre): Si on l'admet. Il faut faire attention, parce
que le reliquat n'est prévu que dans un seul type de jugement, dans le
jugement global. D'accord? Il y a d'autres types de jugements qui sont permis
par le projet de loi. Le reliquat est normalement une incidence qui devrait
être minoritaire. On reviendra à la question du reliquat. Mais
revenons d'abord au fonds. Qu'il y ait, par exemple, un montant mis à la
disposition des associations pendant une période donnée, de
façon à susciter les initiatives d'associations privées,
qui, déjà, se vouent à la défense des
intérêts de leurs membres, que ce soient des consommateurs, que ce
soient d'autres groupes de citoyens, à ce moment, cela
entraînerait effectivement ce que Me Charbonneau mentionnait: cette
surveillance, cet effet préventif serait beaucoup plus "pervasif " que
ne l'est simplement la création du fonds, qui demeure créature de
l'Etat indéfiniment. C'est notre perception de la question. (18 h
30)
M. Fontaine: Suggérez-vous que les organismes en question
qui poursuivraient et qui obtiendraient gain de cause dans les cas où il
y aurait un reliquat, pourraient garder le reliquat?
M. Morin (Pierre): Non, pas plus, parce que, essentiellement, les
organismes qui entreprendraient un recours collectif, qui auraient gain de
cause, se verraient généralement facilités, auraient eu un
appui pour avoir accès, auraient pu se doter de moyens, peuvent à
ce moment-là convenir avec les membres du groupe concerné de
prélever un certain pourcentage il n'est toujours pas question de
reliquat pour continuer à militer dans ce domaine.
M. Fontaine: Si on admet qu'il y a un jugement qui puisse
être rendu pour une classe de requérants et qu'on ne peut
identifier tous et chacun des requérants, que le jugement condamne le
défendeur à payer un certain montant...
M. Morin (Pierre): Un jugement global. M. Fontaine: Un
jugement global.
M. Morin (Pierre): A ce moment-là, vous avez un certain
nombre de personnes qui ont été lésées, qui
viennent devant le protonotaire, font la preuve de leur préjudice, de
leur réclamation, et obtiennent dédommagement, tel que
fixé par la Cour. Or, qu'arrive-t-il des personnes qui ne se sont pas
présentées? Ne peut-on pas présumer que ces personnes
n'ont pas été lésées? Qu'elles n'ont pas subi de
préjudice? C'est la présomption qu'il faut faire. C'est là
toute l'argumentation derrière la question du reliquat. Vous pouvez fort
bien avoir acheté un objet "citron " qui est considéré par
tout le monde comme un objet "citron ", mais pour vous, c'était l'objet
que vous vouliez. Il ne vous a pas causé de préjudice.
M. Létourneau: M. le Président, nous ne sommes pas
favorables à l'existence d'un reliquat. Nous le disons clairement dans
notre mémoire, et nous ne croyons pas que cela devrait exister comme
tel, tel que proposé. C'est pour cela que nous proposons des formules
alternatives pour atteindre le même objectif que vise le
législateur, mais en évitant cet aspect qui invoque plutôt
la question d'enrichissement sans cause que nous n'acceptons pas ici. Nous
croyons que cela doit être un redressement de torts. C'est comme cela que
nous voyons la proposition législative, comme une proposition pour
redresser les torts vis-à-vis des consommateurs lésés et
une fois que tout le monde a obtenu sa compensation, du moins ceux qui se sont
présentés, à notre avis, il ne doit pas demeurer de
reliquat.
M. Fontaine: Je conçois votre argumentation dans le cas
où il s'agit de véritables dommages qu'une personne a subis et si
elle ne veut pas faire sa réclamation, tant pis pour elle. Mais dans
le
cas, par exemple, où il y aurait eu fraude de la part du
défendeur, est-ce qu'il ne serait pas possible de considérer que
le montant auquel le défendeur a été condamné
devient, à ce moment, une amende pour la fraude qu'il a faite?
M. Létourneau: C'est une autre affaire, là.
Mme Charbonneau: A ce moment, je pense qu'on a un Code criminel
qui s'applique aux cas de fraude et que les gens peuvent être
condamnés à l'amende ou à l'emprisonnement. Je pense que
c'est à ce système d'agir dans ces cas.
M. Fontaine: II y a aussi des lois pénales, ici, au
Québec.
Mme Charbonneau: II y a des lois pénales, mais le droit
pénal n'est pas applicable en vertu du Code civil. Ce sont quand
même d'autres lois qui sont parallèles et qui devraient
s'appliquer dans ces cas.
Mais j'irais un peu plus loin en ce qui a trait au reliquat; la raison
pour laquelle moi, fondamentalement et personnellement, je m'y oppose, c'est
que l'article 1040 du recours collectif prévoit que le défendeur
peut opposer à un réclamant un moyen préliminaire que
l'article 1012 n'a pas empêché d'opposer. Il y a des moyens
préliminaires qu'on ne peut pas opposer lorsqu'il y a le procès
par requête même il y a des moyens
préliminaires qu'on ne peut pas opposer.
Or, si le réclamant ne se présente pas et qu'on doit quand
même produire l'argent en cour, on n'a pas l'occasion de faire valoir ces
moyens préliminaires, au niveau de la réclamation
individuelle.
Je me demande et là je le dis très naïvement
parce que je n'ai pas la solution s'il n'y a pas un déni de
justice parce que, normalement, le défendeur peut faire valoir tous les
moyens en droit ou en fait pour lesquels la réclamation ne devrait pas
être acceptée et, dans ce cas-ci, comme le jugement a
été rendu globalement et qu'il n'y a pas eu de réclamation
individuelle pour un certain montant, il sera empêché de le
faire.
M. Fontaine: Merci.
Le Président (M. Marcoux): Je remercie les membres de la
Chambre de commerce de Québec d'avoir eu l'amabilité d'attendre
et de prolonger la présentation de leur mémoire. Je remercie
également les membres de la commission.
La commission ajourne ses travaux sine die.
Les mémoires que nous entendrons demain seront les
mémoires no 8, 7, 14 et 16.
(Fin de la séance à 18 h 37)
ANNEXE A
Mémoire
présenté à la
Commission permanente de la justice
relativement au
Projet de loi no 39
Loi sur le recours collectif
Association provinciale des
Marchands d'automobiles du
Québec Ltée
Janvier 1978
INTRODUCTION
L'Association Provinciale des Marchands d'Automobiles du Québec
Ltée., "l'Association", a pris connaissance du projet de loi no 39
intitulé "Loi sur le recours collectif" et déposé par
Monsieur Pierre Marois, Ministre d'Etat au développement social.
L'Association, corporation sans but lucratif constituée en vertu de la
troisième partie de la loi des compagnies du Québec (1964 S.R.Q.
c. 271) regroupe plus de huit cent cinquante (850) membres qui sont des
concessionnaires de manufacturiers ou distributeurs de véhicules
automobiles neufs au Québec. L'Association a cru opportun de faire une
étude attentive de ce projet de loi qui implante une notion juridique
nouvelle, recours collectif ("class action"), dans notre système de
droit et qui n'a pas été sans soulever de nombreux
problèmes dans les juridictions où le "class action" existe.
L'Association a constaté que le projet de loi
présenté par Monsieur Pierre Marois remédiait à
certains problèmes qui étaient causés par le recours
collectif, plus particulièrement aux Etats-Unis. Ce-
pendant, il n'en demeure pas moins que plusieurs points
énoncés au projet de loi méritent des commentaires car il
nous semble que si certains articles étaient adoptés tels que
proposés, des situations injustes en découleraient. Dans les
lignes qui suivent, nous traiterons d'abord des principes à la base
même du projet de loi puis nous verrons par la suite certains articles du
projet de loi
CHAPITRE 1 - PRINCIPES GÉNÉRAUX
Parmi les principes qui ont été retenus par le
législateur, nous notons d'abord celui de "I'opting out". C'est ainsi
qu'aux articles 1007 et 1008 du projet de loi, il est prévu qu'une
personne fera partie d'un groupe à moins qu'elle ne soit exclue en
suivant une procédure particulière. Selon la méthode
retenue par le législateur, il pourra s'écouler plusieurs
années avant que le défendeur dans un recours collectif connaisse
la composition réelle du groupe poursuivant ainsi que le montant auquel
il sera condamné. D'autre part, il arrivera que des personnes qui n'ont
jamais été mises au courant d'un recours collectif, soient
liées par le recours collectif. A ceci, l'on pourra invoquer le
système de publication prévu par le projet de loi mais il est
quelque peu présomptueux de croire que le citoyen de Coati-cook sera
informé du recours collectif intenté à Sept-lles.
D'autre part, le législateur québécois a choisi de
retenir le principe dit du "fluid relief". En vertu de ce principe, une
personne peut être condamnée à payer un certain montant
d'argent, sans que ce montant soit versé à des membres du groupe.
Cette méthode permet d'instaurer en droit québécois le
principe des dommages punitifs et elle nous semble aller à l'encontre
des principes du droit civil. Il est quelque peu curieux qu'un défendeur
ait à payer un montant d'argent alors qu'il lui sera impossible
d'identifier le requérant.
CHAPITRE II - DISPOSITIONS PARTICULIÈRES Paragraphe I -
Autorisation d'exercer le recours collectif
Plusieurs dispositions prévues au projet de loi du recours
collectif méritent une attention particulière. Notre premier
commentaire a trait à l'article 1022 qui traite de l'autorisation
préalable qui doit être accordée par le Tribunal avant
d'exercer un recours collectif. Cet article, dans son deuxième
paragraphe, énonce les éléments qui doivent être
mentionnés dans la requête devant être
présentée au Tribunal, à savoir: a) les faits qui donnent
ouverture à la requête; b) la nature des recours pour lesquels
l'autorisation est demandée; c) le groupe pour le compte duquel le
membre entend agir.
Nous croyons qu'il y aurait lieu de préciser le contenu de la
requête pour s'assurer que cette dernière contienne les
conclusions recherchées par le requérant et dont il doit
être fait mention au jugement octroyant la requête (article 1005
c).
D'autre part, l'article 1003 mentionne certaines conditions qui doivent
être remplies pour permettre l'exercice du recours collectif; il y aurait
lieu d'ajouter à ces conditions une disposition relativement à la
composition du groupe. En effet, il semble tout à fait normal que le
recours collectif et ce tel que le dit le mot lui-même soit exercé
par plusieurs personnes et non par un simple groupuscule. A cet effet, il y
aurait lieu d'ajouter une disposition à l'effet que le Tribunal autorise
l'exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au
membre qu'il désigne s'il est d'avis que le groupe est si nombreux et
que la composition du groupe rendent difficile ou peu pratique l'application
des articles 59 ou 67.
Tel que nous en faisions mention précédemment, le
législateur québécois a retenu le principe de "l'opting
out" aux articles 1007 et 1008. Nous croyons que cette théorie de
"l'opting out" doit être accompagnée d'un système de
publicité adéquat si l'on veut que les gens soient dûment
informés qu'une action a été intentée, laquelle
action pourra aboutir à un jugement qui liera ce membre. C'est ainsi que
nous croyons qu'il y a des précisions à ajouter aux articles
1005, 1006 et 1046. Nous croyons qu'il devrait y avoir une disposition
additionnelle dans laquelle on devrait exiger la signification personnelle de
l'avis prévu à l'article 1006 à toute personne dont les
droits seraient supérieurs à la somme de cent dollars ($100). Il
ne s'agit pas d'une disposition nouvelle, mais d'une disposition qui existe
dans certaines législations américaines à la suite d'un
jugement de la Cour Suprême des Etats-Unis dans Mullane-vs-Central
Hanover Bank Trust Co., 339 U.S. 306. D'autre part, nous croyons que l'avis
prévu à l'article 1006 ne soit pas satisfaisant car il pourrait y
être ajouté certaines dispositions qui sont mentionnées au
projet de loi afin de permettre à une personne de bien connaître
tous les droits qu'elle peut avoir en vertu de la loi sur le recours collectif.
C'est ainsi que nous croyons qu'il y aurait lieu d'ajouter à l'avis
mentionné à l'article 1006 une disposition à l'effet que
tout membre de la classe peut intervenir conformément aux dispositions
des articles 1017 et 1018 du projet de loi.
Paragraphe 2 - Déroulement du recours
Tout au long du projet de loi, on constate qu'une grande
discrétion est accordée au Tribunal. En effet, il suffit de se
référer aux articles 1012, 1014, 1018, 1019, 1020, 1023 et 1024
pour constater que le Tribunal est omniprésent dans tous les actes qui
sont posés par le représentant ou le défendeur. Une telle
intervention du Tribunal modifie substantiellement le rôle du juge, tel
qu'on le connaît aujourd'hui.
Nous ne croyons pas que le rôle du juge soit d'intervenir
constamment mais plutôt de juger du litige qui lui est
présenté en laissant les parties présenter la preuve
pertinente. Le projet de loi tel que conçu ne fait que limiter les
moyens mis à la disposition du justiciable. Nous croyons qu'une telle
politique ne causera que des préjudices aux justiciables et
empêchera que justice soit réellement rendue. Pour ces raisons,
nous désirons que les limitations qui dérogent au droit actuel
soient retranchées et que les articles 1012, 1016, 1018, 1019, 1020,
1021 et 1025 soient retirés du projet de loi.
Paragraphe 3 - Le jugement et ses effets
Au titre quatrième du projet de loi, chapitre deuxième, on
mentionne à l'article 1033 que les sommes qui ne sont pas
réclamées constituent le reliquat qui est distribué selon
la volonté du Tribunal. A l'article 1032, on constate que le montant
auquel le défendeur est condamné doit être
déposé au greffe de la cour avant que les demandeurs aient fait
leur réclamation. De semblables dispositions ont été
l'objet de nombreuses controverses aux Etats-Unis. Il nous semble tout à
fait injustifié d'exiger du défendeur le dépôt d'une
somme d'argent avant que les membres du groupe aient fait leurs
réclamations. D'autre part, advenant que le montant du jugement ne soit
pas entièrement réclamé, le solde devrait être remis
au défendeur.
L'article 1030 mentionne que lorsque le jugement final est
exécutoire, le Tribunal de première instance ordonne la
publication d'un avis. Etant donné les coûts importants que
peuvent comporter la publication de ces avis soit par la voie des journaux,
soit par tout autre moyen de communication, il y aurait lieu de préciser
qu'elle est la partie qui devra supporter les frais relatifs à la
publication de ces avis.
Les articles 1037 et suivants traitent des réclamations
individuelles et l'on mentionne à l'article 1038 qu'un membre peut dans
l'année produire sa réclamation lorsque le jugement final est
exécutoire. Il semble qu'il y aurait lieu de raccourcir ce délai
car un délai d'un an pour produire sa réclamation est long et
surtout lorsqu'on a vu au tout début et plus particulièrement aux
articles 1005 et suivants qu'un membre du groupe a un délai d'au plus
six mois pour s'exclure du groupe. Dans les circonstances, il y aurait lieu de
reprendre les mêmes dispositions quant au délai.
L'article 1051 du projet de loi nous semble être l'un des articles
les plus importants de tout le projet de loi. Il est mentionné à
cet article que les dispositions du code de procédure civile
incompatibles avec le présent livre ne s'appliquent pas aux demandes
pour lesquelles on exerce le recours collectif. D'autre part, le projet de loi
mentionne spécifiquement que l'on ne permettra pas d'exercer certains
recours plus particulièrement en vertu de l'article 172, lequel article
mentionne que le défendeur peut faire valoir par demande
reconventionnelle n'importe quel moyen de défense. L'élimination
de cet article par l'avant dernier article du projet de loi nous semble tout
à fait condamnable. Encore là, l'élimination de cette
disposition a fait l'objet de plusieurs commentaires aux Etats-Unis et l'on a
permis dans la plupart des cas à une personne qui était
défenderesse en vertu d'un recours collectif d'opposer au demandeur tous
les moyens de droit qui pouvaient être opposés à n'importe
quel autre défendeur et à toute étape de la
procédure. C'est ainsi que l'on a retenu la possibilité de faire
valoir toute demande reconventionnelle à l'article 11 du Uniform Class
Action Act soumis par le National Conference of Commerce on Uniform State
Laws.
CHAPITRE III - CONCLUSION
Dans les lignes qui précèdent nous vous avons
indiqué certains passages de la loi proposée qui devraient
être revisés. Nous y avons indiqué les points particuliers
mais il n'en demeure pas moins que plusieurs de ceux-ci sont reliés
à certains principes fondamentaux du projet de loi. A cet effet, le
législateur propose de retenir les principes de "l'opting out" et du
"fluid relief". Il nous semble tout à fait normal que le membre d'un
groupe doive manifester son intention d'intenter une action, et c'est pour
cette raison que nous avons suggéré dans le cas de toute
réclamation supérieure à cent dollars ($100.00), qu'une
signification personnelle de l'avis soit faite aux membres du groupe. D'autre
part, la reconnaissance des dommages punitifs en droit civil nous semble tout
à fait injustifiée et c'est la raison pour laquelle nous
suggérons d'abolir cette notion qui est mentionnée au projet de
loi. Finalement, nous croyons que les principes généraux de
procédure qui existent présentement doivent être maintenus
lors de l'exercice du recours collectif.
ANNEXE B
Mémoire
présenté par la Commission des
services
juridiques à la commission
parlementaire
chargée d'étudier le projet de loi sur
le
recours collectif
13 janvier 1978.
Dans son ensemble le projet de loi sur le recours collectif
répond en grande partie aux exigences d'une telle procédure. La
formule de I'opting out qui a été retenue représente un
avantage certain pour le consommateur. Il pourra bénéficier des
effets d'un jugement favorable sans devoir au préalable signifier son
intention d'adhérer au groupe ni encourir de responsabilité pour
les dépens. Les critères d'exercice du recours collectif sont
assez larges et assez souples pour inclure la grande majorité des
demandes de ce genre. On remarque également un souci de
simplicité qui aidera à restreindre les longs débats
stériles. L'entière discrétion laissée au tribunal
concernant la forme, la fréquence et les moyens de publication des avis
assure une marge de manoeuvres suffisante pour empêcher que les frais de
publication des avis ne mettent en péril le recours collectif. Son
inclusion au Code de procédure civile lui confère un
caractère d'application général à tous les recours
de droit commun. Il répond en majeure partie aux exigences
formulées par la Commission des services juridiques dans son
deuxième rapport annuel de mars 1974.
Tel que conçu, ce projet de loi laisse au juge chargé de
présider au débat du commencement à la fin, une grande
discrétion. C'est pourquoi la responsabilité du succès ou
de l'échec de cette nouvelle procédure reposera en grande partie
sur les épaules de la magistrature. Il est impérieux qu'une
impulsion favorable à l'exercice des recours collectifs soit
donnée dès le départ et qu'on évite de mettre fin
prématurément au recours ou de le rendre inefficace par des
délais indus.
La participation de l'état au financement du recours collectif
est nécessaire pour en assurer l'exercice vu les coûts prohibitifs
à la charge du seul représentant. Cette participation de
l'état par l'intermédiaire d'un "Fonds d'aide aux recours
collectifs" créé par le projet de loi no 39 étend l'aide
juridique à l'ensemble des Québécois en matière de
recours collectif. C'est le premier jalon en vue de l'extension de l'aide
juridique à la classe moyenne. La Commission des services juridiques ne
peut que déplorer qu'un système parallèle d'aide juridique
soit ainsi créé et qu'on n'ait pas accordé aux
justiciables le libre choix de son avocat en n'accordant pas aux avocats du
réseau d'aide juridique le droit d'utiliser cette procédure.
C'est du moins l'interprétation donnée actuellement de l'article
69 de la Loi de l'aide juridique. Nous espérons que ce n'est pas la
bonne et qu'un amendement la rende erronée.
PRINCIPALES RECOMMANDATIONS CONCERNANT LE RECOURS COLLECTIF 1o.
L'article 1010 en introduisant un droit d'appel du jugement accordant une
requête pour autoriser l'exercice d'un recours collectif modifie les
règles ordinaires de procédures applicables aux jugements
interlocutoires. En effet, l'appel n'est accordé que du jugement
interlocutoire ordonnant que soit faite une chose à laquelle le jugement
final ne peut remédier. *
Or, l'article 1022 permet au juge sur simple requête de modifier
en tout temps ou même d'annuler le jugement autorisant le recours
collectif. On peut même se demander si les jugements rendus en vertu de
cet article (1022) ne seraient pas sujets à appel. En pratique, il est
à prévoir que le défendeur peu pressé d'avoir un
jugement contre lui en appellera automatiquement du jugement accordant le
recours collectif et jusqu'en Cour Suprême si la permission lui en est
accordée. Une fois que les plus hautes instances se seront
prononcées, la question ne sera pas encore résolue à cause
de l'article 1022 qui permettra au juge de première instance de modifier
les effets d'un jugement de la Cour Suprême.
Il nous semble que l'article 1022 est suffisant pour protéger les
droits du défendeur et que le droit d'appel prévu à
l'article 1010 devrait être retranché pour laisser jouer les
règles ordinaires concernant l'appel. S'il faut absolument un droit
d'appel, que ce soit sur permission de deux juges de la Cour d'Appel suivant
les critères prévus à l'article 26 (4) C.P.C.
TEXTE PROPOSE: 26. Sont sujets à appel, à moins d'une
disposition contraire: 1. ... 2. ... 3. ... 4. "avec la permission de deux
juges de la Cour d'appel, les autres jugements finals de la Cour
supérieure et de la Cour provinciale ainsi que le jugement accordant la
requête en
recours collectif lorsque, suivant l'opinion de ces juges, la question
en jeu en est une qui devrait être soumise à la Cour d'appel". 2o.
En vertu de l'article 1011 le représentant doit formuler sa demande dans
les trois mois du jugement accordant la requête autorisant l'exercice du
recours collectif. S'il ne le fait pas le tribunal peut la déclarer
périmée sur requête accompagnée d'un avis de dix
jours de sa présentation. Le représentant peut empêcher que
la péremption ne soit prononcée en formant sa demande avant qu'il
ne soit statué sur la requête.
Ce délai de dix jours nous apparaît trop court vu
l'importance de la procédure en cause. Nous suggérons qu'on s'en
tienne aux règles de procédures ordinaires qui prévoient
à l'article 268 du C.P.C. un avis de trente jours dans les cas de
péremption d'instance. 3o. Par le biais de l'article 1016, un
représentant peut, même de bonne foi, mettre en péril les
droits des membres à leur insu.
En effet, le représentant peut se désister totalement ou
partiellement de la demande, d'un acte de procédure ou d'un
jugement.
L'article 1016 exige à bon droit qu'il soit autorisé par
le tribunal pour ce faire. Mais, qu'en est-il du droit des membres si le
tribunal fait droit à ce désistement. Les membres pourraient-ils
intervenir et poursuivre la demande telle qu'originellement poursuivie ou alors
établie, s'ils sont et restent dans l'ignorance de cet état de
faits.
Nous recommandons que dans le cas de désistement, avis en soit
donné aux membres avant que le jugement l'autorisant ne soit
exécutoire et ne devienne opposable à ces derniers. En
conséquence, nous suggérons l'amendement suivant:
Le jugement qui fait droit au désistement a) ordonne la
suspension de l'instance dans l'état où elle était avant
la demande de désistement et b) ordonne la publication d'un avis aux
membres, spécifiant les effets du jugement. c) le jugement
détermine également le délai au cours duquel un membre
peut demander d'être substitué au représentant dans
l'instance suspendue . 4o. En vertu de l'article 1030 un avis doit être
donné aux membres au moment où le jugement final est
exécutoire.
Comme un jugement déclaratoire ne devient jamais
exécutoire il y aurait avantage à préciser l'article 1030
à ce sujet.
En vertu de 1042 le membre peut demander la permission d'en appeler du
jugement final dans les soixante jours de l'expiration des délais
d'appel, si le représentant n'en appelle pas. Il serait
évidemment utile que les membres soient avisés du jugement avant
l'expiration des délais. C'est pourquoi nous suggérons que les
deux premiers paragraphes de l'article 1030 soient modifiés comme
suit:
Lorsque le jugement final est exécutoire, ou dans le cas d'un
jugement déclaratoire lorsqu'il est passé en force de chose
jugée, le tribunal de première instance ordonne la publication
d'un avis.
L'avis contient une description du groupe et il indique la teneur du
jugement ainsi que le délai accordé aux membres pour se pourvoir
en appel.
Il y aurait lieu d'introduire un amendement de concordance à
l'article 1042 de façon à ce que le délai pour faire la
demande de permission d'en appeler par un membre qui veut se substituer au
représentant qui néglige de loger un appel ne commence à
courir qu'à compter de la date de publication de l'avis prévu
à l'article 1030. 5o. En vertu de l'article 1038, le délai
pendant lequel un membre peut produire sa réclamation est
imprécis. On peut supposer qu'il doit agir dans l'année où
l'avis ordonné par le juge en vertu de l'article 1030 a
été donné. C'est même l'interprétation la
plus logique puisqu'on ne s'attend pas à ce qu'un délai court
contre quelqu'un sans qu'il le sache. Cependant, la rédaction de
l'article est ambiguë et laisse plutôt supposer que le délai
court à partir du moment où le jugement final est
exécutoire. Pour corriger cette situation qui engendrera sans doute de
longs et coûteux débats, il y aurait lieu de modifier l'article
1038 pour qu'il se lise ainsi: "Lorsque le jugement final est
exécutoire, un membre peut dans I'année de la publication de
l'avis prévu à l'article 1030, produire sa réclamation..."
6o. Tel quel, le recours collectif ne peut être intenté que devant
la Cour Supérieure, ce qui signifie qu'aucun recours d'une nature
collective ne peut être intenté devant les tribunaux
administratifs. A titre d'exemple, les locataires d'un immeuble ne peuvent
employer cette procédure pour s'op-
poser collectivement à une hausse abusive de loyer ou pour
réclamer collectivement une diminution de loyer dans les cas de
diminution des services fournis par le propriétaire. Cette lacune est
particulièrement importante au moment où se multiplient les
recours devant ces tribunaux alors qu'on diminue la juridiction des tribunaux
de droit commun. Nous sommes d'avis qu'il y aurait lieu de prévoir dans
cette loi une disposition obligeant les tribunaux administratifs ainsi que les
diverses commissions et régies ayant des pouvoirs quasi judiciaires,
à adopter dans un délai de deux ans des règles de pratique
prévoyant la possibilité d'exercer devant elles un recours
collectif.
RECOMMANDATIONS QUANT AU FONDS D'AIDE AUX RECOURS COLLECTIFS
La Commission des services juridiques ne peut être qu'en
désaccord avec l'idée de créer un organisme
parallèle d'aide juridique qui entraînera un dédoublement
des coûts au point de vue administratif alors qu'aucune raison d'ordre
juridique ou même d'efficacité ne peut justifier une telle
décision. Bien au contraire, il était tout à fait normal
d'envisager que toute extension à la couverture de l'aide juridique
tombe sous la juridiction du système d'aide déjà en
place.
La création d'un "Fonds d'aide aux recours collectifs"
indépendant de la Commission des services juridiques bien que nous
apparaissant être une décision difficilement justifiable n'est pas
en soi préjudiciable à la clientèle qui a besoin d'aide
juridique. Nous aurons donc deux lois favorisant l'accès à la
justice.
Par contre rien ne va plus quand on se rend compte que la promesse
d'amendement à la loi de l'aide juridique contenue aux notes
explicatives du projet de loi n'est pas tenue. A ce sujet, il suffit de se
référer aux deux dernières lignes du premier paragraphe
des notes explicatives accompagnant le projet de loi. Elles se lisent comme
suit: "... et le troisième titre prévoit certaines dispositions
modifiant le Code civil et la Loi de l'aide juridique".
L'amendement promis ne se retrouve pas dans la loi. Il aurait permis aux
avocats du réseau d'aide juridique de continuer à répondre
aux besoins de sa clientèle comme par le passé. En effet,
l'article 69 de la Loi d'aide juridique empêche un avocat du
réseau de représenter un client qui réclame une somme
d'argent lorsqu'un avocat de pratique privée accepte d'agir pour ce
client. En pratique, lorsque la somme réclamée est peu
importante, il arrive fréquemment que le client ne puisse trouver un
avocat de pratique privée pour le représenter. C'est donc un
avocat du réseau qui s'en charge. C'est d'ailleurs de cette façon
que le réseau d'aide juridique a été le premier
impliqué dans des recours de nature collective. Plusieurs centaines
d'actions ont été intentées contre le Cercle d'Economie de
la future ménagère et le Foyer de la future
ménagère. Il en fut de même à la suite du Week-End
Rouge à Montréal alors qu'un incendie, pendant la grève
des pompiers, rasa tout un pâté de maisons dans l'est de
Montréal occasionnant la perte de tous les biens meubles et effets
personnels d'un grand nombre d'assistés sociaux. Le cas de la compagnie
Holiday Magic doit également être souligné d'autant plus
qu'il a fait l'objet d'un recours collectif aux Etats-Unis. Au Québec,
c'est le réseau d'aide juridique qui a mis fin aux activités
illégales de cette compagnie. C'est également le réseau
d'aide juridique qui a pris collectivement la défense des chômeurs
et des personnes âgées lorsque la Commission
d'Assurance-Chômage a par erreur mis fin abruptement aux prestations
d'assurance-chômage pour les personnes âgées de 65 ans et
plus ainsi qu'aux prestations supplémentaires pour les chômeurs
ayant charge de famille. Il en fut de même pour les dépôts
exigés par les compagnies de gaz. Tous ces recours d'une nature
collective ont dû être intentés individuellement par les
avocats du réseau avec les frais supplémentaires de signification
que cela implique, sans compter le temps et l'énergie des avocats
concernés. Avec l'adoption de ce projet de loi, il est probable, vu les
montants en jeu, que les cas de recours collectifs devront être
référés à la pratique privée. Cela nous
apparaît comme étant une limitation additionnelle au libre choix
de l'avocat, principe jusqu'ici ardemment défendu par le Barreau. On ne
veut pas empêcher que le bénéficiaire choisisse un avocat
de pratique privée, on veut tout simplement qu'il puisse avoir
accès au réseau d'aide juridique s'il le désire.
Par le biais de cette nouvelle procédure et du "Fonds d'aide aux
recours collectifs ", l'aide juridique, du moins en ce domaine particulier du
droit, devient pour la première fois accessible à tous les
Québécois. Cette ouverture sur la classe moyenne se fait au
détriment de l'organisme chargé de voir à l'application de
la loi de l'aide juridique. En ouvrant la porte aux recours collectifs aux
seuls avocats de la pratique privée on enlève aux avocats du
réseau la possibilité de continuer à représenter
une classe ou un groupe de personnes comme par le passé. C'est la
première fois également qu'on restreint les moyens d'action de
ces avocats en ne leur permettant pas l'usage d'une procédure inscrite
au Code. Nous croyons qu'il s'agit là d'un changement majeur de
politique face au système d'aide juridique actuel qui devrait faire
l'objet d'un débat sérieux.
Cela dit, l'exclusion du réseau d'aide juridique du recours
collectif peut entraîner des conséquences imprévisibles
pour le public. Le membre qui devra produire et prouver sa réclamation
à la suite d'un jugement favorable fera appel à un avocat qui
aura droit d'exiger des honoraires pour ses services. Dans l'hypothèse
où le jugement ordonne de rembourser tous les acheteurs d'un certain
modèle de
bouilloire d'une valeur de $25.00 pièce et qu'un avocat
réclame pour l'entrevue, l'examen des documents, la préparation
et la rédaction de la réclamation, la vacation à la Cour
et la production de la réclamation, des honoraires se situant entre
$25.00 et $50.00, autant dire que le recours collectif devient inefficace. Un
grand nombre de personnes ne se prévaudront pas de leur droit pour la
même raison qu'elles ne le font pas actuellement dans les cas de
réclamation en faillite, sur dépôt volontaire ou sur
saisie-arrêt. Dès qu'elles agissent, elles encourent un
déficit. L'effet dissuasif recherché n'est pas atteint non plus
puisque le défendeur n'a pas de réclamation à payer.
Devant cette éventualité nous proposons que la loi de
l'aide juridique soit amendée pour permettre l'exercice du recours
collectif à la fois par les avocats du réseau d'aide juridique et
les avocats de la pratique privée.
Cette recommandation a le mérite de respecter les institutions
déjà en place en faisant participer le réseau d'aide
juridique aux innovations dans ce domaine et en assurant une aide juridique
gratuite à la population tout en maintenant son droit à l'avocat
de son choix.
S'il faut absolument empêcher le réseau d'aide juridique de
représenter au moyen d'une action collective des groupes dont une partie
importante des membres ne rencontre pas les critères actuels de l'aide
juridique, il est possible de prévoir des barèmes
d'admissibilité pour des groupes dont on peut raisonnablement penser
qu'une partie importante des membres rencontre les critères
d'admissibilité à l'aide juridique. En ce sens, seraient
admissibles à l'aide juridique, pour les besoins du recours collectif,
les retraités, assistés sociaux, chômeurs,
étudiants, autochtones, détenus et les groupes dont une partie
importante des membres a un revenu moyen inférieur à $8,000.00
par année et les groupes dont l'admissibilité d'une partie
importante des membres se justifierait par la nature de la cause et le montant
en litige. C'est la solution de compromis que nous sommes venus vous
proposer.
COMMISSION DES SERVICES JURIDIQUES 13 janvier 1978
ANNEXEC
Mémoire de la Chambre de commerce de la
province de Québec
DEUXIEME PARTIE
Tel que mentionné auparavant, cette seconde partie de notre
mémoire entend discuter de certaines modifications d'ordre purement
technique que la Chambre souhaiterait voir apportées au projet de loi
sur le recours collectif.
Certaines des modifications proposées remettent en cause le
principe même sous-jacent aux dispositions pertinentes, d'autres
espèrent humblement apporter plus de précision et de
clarté au texte du projet de loi et finalement un certain nombre de nos
remarques seront plutôt des interrogations que la Chambre désire
soumettre au législateur. Il est clair, en premier lieu, que
l'introduction au sein du Code de procédure civile d'un recours de la
nature du recours collectif entraîne des problèmes de concordance
et la Chambre aimerait en conséquence soumettre à la Commission
certaines interrogations soulevées à ce niveau.
Il est clair, en second lieu, que l'avènement d'un tel recours
entraîne à ce moment-ci certains problèmes au niveau de la
conceptualisation de son application et la Chambre désire, en
conséquence, interroger le législateur quant à la solution
de certains problèmes pratiques.
Nonobstant ce préambule, une première disposition qu'il
est opportun de signaler est l'article 1000 du projet de loi. La Chambre note
avec plaisir que l'attribution du recours collectif à la juridiction
exclusive de la Cour supérieure confère ainsi un droit d'appel
automatique (art. 26(1) C.P.C.) de la décision rendue sur le recours
collectif, et la Chambre croit que l'importance d'un tel recours ne pouvait
mériter un autre traitement "moindre".
L'article 1001 du projet de loi a retenu l'attention de la Chambre,
à ce point que cette dernière en est venue à proposer
l'abrogation du 2e paragraphe de cet article. Cette disposition prévoit,
en son premier paragraphe, que le juge en chef désigne le juge qui
entendra normalement toutes les procédures inhérentes à un
même recours collectif. Le second paragraphe prévoit que te juge
en chef peut désigner ce juge s'il estime que l'intérêt de
la justice le requiert, sans tenir compte des causes de récusation de ce
juge prévues au Code de procédure civile. La Chambre soumet
respectueusement que le juge en chef devrait tenir compte des causes de
récusation du juge dans tous les cas afin d'éviter à ce
juge l'onéreux d'informer le juge en chef du refus de sa
désignation et d'éviter à une des parties à
l'instance l'onéreux de plaider devant un juge dont elle remet en cause
l'impartialité à son endroit.
Un vieux principe de droit évoqué par le Judge Hopkins
énonçait ce qui suit: "La justice ne doit pas seulement
être rendue, elle doit paraître être rendue". La Chambre voit
avec peine comment, par exemple, le défendeur à un recours
collectif pourrait croire que justice paraît avoir été
rendue et avoir effectivement été rendue, si son procès se
déroule devant un juge dont l'épouse est membre du groupe des
demandeurs.
La Chambre désire également proposer des modifications
à l'article 1002 du projet de loi. Ces modifications viseraient à
inclure trois nouveaux éléments à cet article. En premier
lieu, l'affidavit accompagnant la requête devrait mentionner
expressément que la requête est présentée de bonne
foi et qu'elle n'est ni frivole ni vexatoire. En second lieu, il serait
opportun d'obliger le requérant à démontrer par preuve
prima facie le bien-fondé de sa requête; en troisième lieu,
il serait opportun de permettre à l'intimé de plaider par
écrit sur la requête (et de lui accorder pour ce faire un
délai plus étendu que 10 jours) et de prouver ses
allégués par une enquête. Ces propositions retiennent en
fait une disposition prévue lors de la présentation d'une
requête pour injonction interlocutoire (art. 754 C.P.C.) et reposent sur
des justifications fort sérieuses. La Chambre croit qu'il est
extrêmement important de permettre à l'intimé de se
défendre pleinement lors de la présentation de cette
requête car elle revêt pour l'intimé une importance beaucoup
plus marquée qu'on ne le croirait. Prenons un exemple, pour illustrer
cette affirmation.
Dès que la requête est accordée, elle donne
ouverture au recours collectif. Il y a alors publication d'avis informant les
membres d'un groupe donné de l'existence d'un recours collectif et de la
possibilité pour eux de s'exclure de ce recours. A partir de ce moment,
le public en général est sensibilisé à l'existence
d'un recours collectif intenté contre le commerçant X, et
déjà cette information nuit à la réputation et aux
affaires du commerçant en question.
Même si à la fin de l'instance le recours est
rejeté, il en reste toujours quelque chose dans l'esprit des gens et le
mal est fait.
Aussi, pour protéger l'intimé, il y aurait lieu de lui
permettre une défense complète lors de la présentation de
la requête, ce qui permettrait par ricochet une meilleure
sélection des recours bien fondés et des recours frivoles et
vexatoires.
La Chambre propose aussi de relier les paragraphes a et b de l'article
1003 en ajoutant les mots "et que" à la fin du paragraphe a,
après les points virgules. Cette modification vise à
préciser le caractère conjonctif des paragraphes a et b de cet
article.
La Chambre aimerait voir modifié l'article 1004 du projet de loi,
afin que le juge en chef, lorsqu'il désignera le district dans lequel le
recours collectif sera exercé, prenne en considération
"l'intérêt des parties" et non seulement "l'intérêt
des membres". Cette proposition découle d'un souci de justice et
d'équité. En effet, il serait normal que le juge en chef, en
choisissant le district judiciaire, apprécie du même coup les
frais additionnels que ce choix pourra entraîner, par exemple, s'il
choisit un district éloigné du domicile du défendeur,
etc....
La Chambre avance une nouvelle formulation du paragraphe c de l'article
1005 afin qu'il se lise comme suit: c) "ordonne la publication de l'avis le
plus approprié dans les circonstances afin de rejoindre le plus grand
nombre de membres possible".
Cette formulation nouvelle laisse au juge la discrétion de
choisir le mode d'avis qui permettra d'informer le plus de membres possible de
l'existence d'un recours collectif en leur faveur.
L'article 1012 du projet nous amène à recommander deux
modifications. La première vise à définir plus
précisément la notion d'une "partie importante des membres";
s'agit-il d'une minorité, d'une majorité simple ou d'une
majorité absolue des membres? Ou quoi?
Et la seconde vise à prévoir expressément dans cet
article que l'appel en garantie sera permis dans tous les cas au
défendeur. La Chambre réalise que cette dernière
proposition pourrait entraîner des retards importants dans le
déroulement des procédures et même des appels en garantie
frivoles. Cependant, nous croyons que le recours collectif qui permettra
à un certain nombre de personnes lésées de la même
façon dans leur droit d'obtenir réparation collectivement en un
litige unique devrait permettre simultanément au défendeur
d'obtenir une solution complète dans le même litige et de ne pas
supporter, même temporairement, le poids d'une condamnation importante
(qui pourrait l'acculer à la faillite) jusqu'à ce qu'il puisse
obtenir réparation du véritable responsable (ex.: le
détaillant pourrait tout de suite appeler le manufacturier en
garantie).
L'article 1014 soulève un problème de
compréhension. Un aveu, par définition, est une admission
préjudiciable à la partie qui le fait. Ainsi, l'aveu du
représentant sera toujours préjudiciable à
l'intérêt des membres du groupe et le tribunal se verra toujours
appelé à déclarer que l'aveu du représentant ne lie
pas les membres. Aussi, la seule façon d'interpréter cet article
pour lui conférer du sens serait de considérer que l'aveu qu'on
mentionne est l'aveu du représentant, mais à titre personnel.
Mais cette interprétation soulève alors une nouvelle question
s'il s'agit d'un aveu personnel du représentant, pourquoi lierait-il les
membres?
L'article 1017 soulève lui aussi une question
intéressante. Cet article, de par son libellé, nous semble
exclure la possibilité pour un membre de faire une intervention dite
"agressive". Si tel est le cas, qu'arrive-t-il d'un membre qui constate alors
que son délai d'exclusion est expiré, et qu'il désire
faire
une intervention agressive? Peut-il se désister de la demande et
se poser valablement comme intervenant agressif?
La Chambre propose des modifications à l'article 1022 du projet
de loi.
Elle propose de modifier le premier paragraphe de cet article afin de
tenir compte d'une recommandation soumise en la première partie des
présentes et qui aurait pour effet de permettre la révision du
jugement si le tribunal considère que les conditions
énumérées aux paragraphes a-b-d-e ne sont plus
remplies.
De plus, la Chambre propose que le tribunal puisse effectuer les
opérations prévues aux 2ième et 3ième paragraphes
de l'article 1022 dans la mesure où ceci ne causera pas préjudice
aux parties, (ex. les modifications permises entraînent une nouvelle
demande totalement différente de la première... etc.)
La Chambre propose une modification à l'article 1023 du projet
afin que le représentant ne puisse renoncer à son statut que pour
cause et avec l'autorisation du tribunal.
L'article 1024 du projet de loi soulève un peu de surprise dans
sa rédaction actuelle. Effectivement, comme l'article 1049 du projet de
loi prévoit une représentation obligatoire du représentant
par un procureur, la Chambre voit mal pourquoi la substitution d'un
représentant à un autre entraînerait le désaveu des
actes posés par le procureur. Cette disposition signifie-t-elle que la
substitution du représentant entraîne alors la récusation
du procureur, ce qui a pour conséquence le désaveu des actes
posés par le procureur? Quoi qu'il en soit, la Chambre croit que seule
la récusation du procureur devrait entraîner le désaveu des
actes antérieurs, ce qui est certes plus orthodoxe avec notre
régime procédural actuel et plus près de la
réalité pratique du mandat procureur-client.
De plus, les dispositions relatives aux dépens dans ce cas sont
aberrantes. La Chambre voit mal pourquoi le défendeur qui succomberait
devrait défrayer les dépens d'actes désavoués par
un nouveau représentant: ce n'est quand même pas sa faute. Il
semble y avoir là une entorse sérieuse à
l'équité, le nouveau représentant devrait être tenu
aux dépens, cela nous semble d'une logique accablante.
L'article 1026 du projet de loi ne nous semble pas très clair.
Cet article stipule qu'advenant le rejet du jugement autorisant l'exercice du
recours collectif, l'instance se poursuit entre les parties à
l'instance. Nous présumons alors que ces parties seraient le
représentant et le défendeur. Mais qu'advient-il des membres?
Nous présumons encore qu'ils doivent intenter des recours individuels
contre le défendeur ou encore intenter un autre recours collectif par
l'entremise d'un nouveau représentant.
Nous présumerons de plus que les personnes qui se seraient
exclues du recours pourraient se regrouper et intenter un recours collectif
contre le défendeur dans la mesure où elles satisferaient aux
exigences énoncées à 1003 du projet.
La Chambre apprécierait des éclaircissements quant aux
présomptions qu'elle vient d'énoncer!
Une question que se pose la Chambre, c'est de savoir s'il sera possible
au défendeur d'opposer des moyens préliminaires au demandeur lors
de la liquidation individuelle des créances alors que le jugement aurait
permis le recouvrement collectif. Nous pensons que si.
Aussi, y aurait-il lieu de préciser que l'article 1033, lorsqu'il
stipule l'application des articles 1037 à 1040, stipule l'application de
1037 à 1040 inclusivement.
Nous proposons aussi une modification à l'article 1051 du projet
afin d'éliminer l'impossibilité de l'utilisation d'une demande
reconventionnelle (art. 172(2) C.P.C.). Nous croyons en effet que la demande
reconventionnelle pourrait être utilisée au sein du recours
collectif, ce qui permettrait une solution complète du litige pour
toutes les parties impliquées.
La logique derrière le troisième paragraphe de l'article
11 (Chapitre II Le Fonds) nous semble un peu nébuleuse. Il nous semble
que si un administrateur est tenu de s'abstenir du vote parce qu'il est en
conflit d'intérêt avec une demande d'aide de Fonds, il devrait
d'autant plus s'abstenir de voter si son conflit d'intérêts
réside dans le fait qu'il est membre du groupe pour le compte duquel la
demande d'aide est présentée.
Finalement, nous en arrivons à une question fondamentale omise
dans le projet de loi et c'est l'application du recours collectif aux
défendeurs.
Outre la question de principe mise en cause, savoir que les avantages
pour les demandeurs de se regrouper et de poursuivre collectivement devraient,
question de justice et sous réserve "d'équité", pouvoir
bénéficier et s'appliquer aux défendeurs, un exemple
pratique nous permettra d'apprécier que l'application du recours
collectif aux défendeurs permettra l'exercice de droits qui normalement
ne seraient pas exercés.
Supposons ainsi une cafétéria qui, par contrat de
sous-traitance, a pour objet principal de voir à nourrir 3,000
employés sur un chantier occupé à la construction d'un
projet gigantesque.
La cafétéria, depuis son début d'opération,
reçoit de nombreuses plaintes de ses convives à l'effet que les
couteaux ne coupent pas le "steak".
La cafétéria achète donc 3,000 nouveaux couteaux
à steak et les place à l'entrée de la
cafétéria. Le premier soir où ces couteaux sont
disponibles, la cafétéria reçoit 2,800 convives facilement
identifiables puisqu'ils ne paient pas leur repas mais présentent leur
carte d'employé afin que la cafétéria enregistre leur nom
et le coût de leur repas et que le tout soit déduit directement
sur le salaire de l'employé.
Après le repas, alors que tous les convives ont quitté la
cafétéria, les autorités se rendent compte qu'il ne reste
plus que 200 couteaux à steak dans les comptoirs.
En supposant, pour les fins de notre exemple, que les autorités
de la cafétéria puissent prouver que chaque convive a
dérobé son ustensible, si le recours collectif était
applicable aux défendeurs, les autorités de la
cafétéria pourraient demander par requête de poursuivre un
individu représentant le groupe des 2,799 convives de la
cafétéria au souper du 1er janvier 1978 pour obtenir un jugement
global en dommages-intérêts pour une somme de 2,800 convives
multipliée par $5 (la valeur du couteau), soit un montant de
$14,000.
Il nous semble certain que, sans la procédure du recours
collectif, la cafétéria n'intenterait pas 2,800 recours en
petites créances d'une valeur de $5 chacun.
Pourtant, avec le recours collectif, la compagnie pourrait
récupérer ses $14,000.
Certes cet exemple comme tous les exemples peut comporter quelques
failles. Nous croyons cependant qu'il permet d'illustrer les avantages
d'appliquer aussi le recours collectif aux défendeurs.
Conclusions
Nonobstant nos considérations sur le projet de loi à
l'étude, la Chambre croit en la nécessité d'introduire le
recours collectif dans la gamme des moyens mis à la disposition du
citoyen à la fois pour se protéger préventivement et pour
faire corriger les préjudices qu'il a subis.
La Chambre souhaite ardemment que le législateur, en inscrivant
dans nos lois le recours collectif. conserve à l'esprit l'avantage
fondamental du recours collectif: celui de réduire
considérablement le besoin d'intervention de l'Etat dans la vie courante
des citoyens.
Nous songeons particulièrement aux propositions annoncées
mais non encore connues d'un projet de quelque 800 articles sur la protection
du consommateur.
LA CHAMBRE DE COMMERCE DE LA PROVINCE DE QUEBEC
Montréal, ce 23 janvier 1978.