L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission permanente de la justice

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission permanente de la justice

Version finale

32e législature, 3e session
(9 novembre 1981 au 10 mars 1983)

Le mercredi 7 octobre 1981 - Vol. 25 N° 2

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Présentation de mémoires en regard des modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne


Journal des débats

Débats de la Commission permanente de la justice, Le mercredi 7 octobre 1981

 

Les travaux parlementaires
32e législature, 2e session
(du 30 septembre 1981 au 2 octobre 1981)

Journal des débats

 

Commission permanente de la justice

Le mercredi 7 octobre 1981 _ No 2

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Présentation de mémoires en regard

des modifications à apporter

à la Charte des droits

et libertés de la personne (2)

(Dix heures quinze minutes)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, mesdames et messieurs!

La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux. Le mandat de la commission est de tenir des auditions publiques en regard des modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne.

Les membres de la commission sont: M. Beaumier (Nicolet), M. Bédard (Chicoutimi), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. Brouillet (Chauveau), M. Charbonneau (Verchères) remplacé par Mme Marois (La Peltrie), M. Dauphin (Marquette), Mme Juneau (Johnson), M. Kehoe (Chapleau), M. Lafrenière (Ungava), M. Marx (D'Arcy McGee), M. Paradis (Brome-Missisquoi).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Bissonnet (Jeanne-Mance), M. Blank (Saint-Louis) remplacé par Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Brassard (Lac-Saint-Jean), M. Ciaccia (Mont-Royal), M. Dussault (Châteauguay), Mme Lachapelle (Dorion), M. Martel (Richelieu) et M. Pagé (Portneuf).

J'appelle le Conseil du patronat, représenté par M. Ghislain Dufour. M. Dufour, je vous souhaite la bienvenue et je vous demanderais de présenter ceux qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

Conseil du patronat

M. Dufour (Ghislain): Merci, M. le Président. Je suis accompagné de M. Jacques Tremblay, à ma gauche, qui est le directeur de la recherche au Conseil du patronat et, à ma droite, par M. Philippe Beaudet, qui est conseiller en avantages sociaux à la firme TPFC Ltée.

M. le Président, deux brefs commentaires au départ, le premier pour vous signaler que notre mémoire a quelque chose comme 27 pages.

Le Président (M. Desbiens): M. Dufour, les micros sont un peu loin et on a un peu de difficulté avec le son, voulez-vous vous tasser d'un siège peut-être pour que, des deux côtés, on puisse bien vous voir.

M. Dufour: Ah bon! Ce n'est pas une question de voix!

Le Président (M. Desbiens): De vue et de voix.

M. Dufour: Comme quoi chacun a sa définition! Deux commentaires, le premier pour dire que notre mémoire a à peu près 27 pages, alors on ne pourra pas le résumer dans vingt minutes. On a déposé à nouveau, M. le ministre, un bref schéma de 13 ou 14 pages. Le deuxième commentaire, c'est pour dire que nous avons dû faire des choix, le mandat de cette commission étant très large. Tous les thèmes qui se rapportent à la Charte des droits et libertés pouvaient être abordés, on aurait pu écrire plusieurs volumes. Quant à nous, nous nous sommes arrêtés à quatre questions particulières, les programmes d'action positive et votre projet de loi no 24, M. le ministre, l'importante question du recours collectif, la non-discrimination dans les avantages sociaux et la non-discrimination selon l'âge.

On a pu prendre connaissance hier d'un bon nombre d'autres dossiers qui nous intéresseraient aussi, notamment le droit au travail. J'espère qu'on aura l'occasion, n'ayant pas touché à ces questions dans notre mémoire, en d'autres circonstances, de les débattre.

Sur les programmes d'action positive, le 19 décembre 1980, le ministre de la Justice déposait en première lecture un projet de loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne, le projet de loi 24, et constituant une réponse partielle aux demandes maintes fois formulées par la Commission des droits de la personne qui souhaite introduire au Québec les programmes dits d'action positive.

Le projet de loi 24 modifierait la Charte des droits et libertés de la personne en y ajoutant une disposition qui permet l'adoption de programmes de redressement. Il établit un principe au nom duquel pourraient être autorisées des exceptions aux règles fondamentales de la charte, qui interdisent toute discrimination.

Qu'il soit permis d'adopter des programmes de redressement destinés à favoriser des personnes jusqu'à présent désavantagées, les employeurs n'y ont aucune objection. On présume que les mots disent bien ce qu'ils veulent dire et qu'il s'agirait de programmes qui pourraient être adoptés de façon volontaire - on insiste pour dire de façon volontaire - par des entreprises ou des organismes publics ou parapublics. En fait,

certaines entreprises du secteur privé, à tout le moins - on ne sait pas trop ce qui s'est passé dans le secteur public - ont déjà adopté, de façon volontaire, des programmes de redressement. L'amendement proposé pourrait d'ailleurs protéger les employeurs qui favoriseront certaines catégories de personnes dans l'embauche et la promotion en vue de se conformer à une norme d'égalité dans la composition de leur personnel.

Cet appui de principe doit être assorti cependant de certaines réserves qui portent principalement sur la rédaction ambiguë du texte proposé.

Ainsi, au deuxième alinéa - c'est un exemple - de l'article 20.1 de la charte, la rédaction même du texte est une façon d'admettre que les programmes de redressement pourraient être considérés comme discriminatoires et donc contraires aux dispositions actuelles de la charte. En effet, "toute distinction, exclusion ou préférence établie par ces programmes donc toute discrimination établie par ces programmes - est réputée n'être pas discriminatoire si elle n'est pas utilisée à des fins abusives." En d'autres termes, cette sorte de discrimination, exercée dans un but de redressement, est de la bonne discrimination. Le législateur la permettrait par exception, parce qu'elle sert une bonne cause.

On peut se demander si l'exception prévue au deuxième alinéa est absolument étanche comme moyen de défense dans le cas, par exemple, d'une poursuite où une personne, membre d'un groupe majoritaire, se prétendrait victime de discrimination à cause de ces programmes. Par exemple, les tribunaux pourraient-ils décider que même si on veut réparer une injustice passée, le traitement préférentiel accordé à un membre d'une minorité ethnique ne doit pas avoir pour effet d'exercer de la discrimination contre une personne du groupe majoritaire?On pourrait avancer l'hypothèse, et la portée réelle des programmes de redressement sera la suivante: à compétence égale, c'est la personne faisant partie d'une minorité défavorisée qui doit être préférée aux autres candidats.

Tout en maintenant notre appui de principe, nous souhaitons que l'on étudie à nouveau cette question afin d'éliminer tout simplement les ambiguïtés que nous avons signalées dans notre mémoire et que nous ne reprenons pas ici.

Par ailleurs, la Commission des droits de la personne désire obtenir un pouvoir de réglementation dans l'élaboration et la mise en oeuvre des programmes de redressement. Il s'agirait là d'une modification importante du rôle de la Commission des droits de la personne. Premièrement, le pouvoir de réglementation réclamé par la commission représenterait, quant à nous, une intrusion inacceptable dans la gestion interne de l'entreprise. S'appuyant sur le rapport de la mission effectuée aux États-Unis en 1979, la commission semble convaincue que "sans programmes d'action positive imposés et rigoureusement contrôlés, aucune mesure sérieuse n'aurait été mise en oeuvre par l'entreprise", selon l'expérience américaine. Puisqu'on ne peut se fier à la seule bonne foi de l'entreprise - selon la commission, toujours - quelqu'un d'autre doit donc faire en sorte que les choses changent. Or, l'organisme habilité à réaliser ces changements doit être, en toute logique, celui qui est chargé d'apporter des remèdes à la discrimination, c'est-à-dire la Commission des droits de la personne. D'où le pouvoir de réglementation qui est réclamé.

Que la fonction publique du Québec soit également susceptible d'être assujettie donc, l'État-employeur - à semblable réglementation n'atténue en rien les problèmes posés pour l'entreprise privée. Toute réglementation est en nature coercitive, et on peut se demander comment il est possible de concilier ce fait avec "l'approche incitative" que la commission déclare privilégier par ailleurs. L'extension proposée du rôle de la commission soulève inévitablement la question des chevauchements de juridiction avec d'autres organismes ayant un mandat analogue auprès de certains groupes sociaux.

On pense à divers programmes spéciaux administrés, par exemple, par le ministère du Travail, au programme PUE, aux emplois d'été pour les étudiants, aux programmes du ministère de l'Immigration, aux subventions, aux mesures spéciales, au MAS, à d'autres ministères, mais, surtout, on pense à l'action d'autres organismes comme le Conseil du statut de la femme et l'Office des personnes handicapées. Dans ce dernier cas en particulier, qu'adviendra-t-il du plan d'embauche des handicapés prévu à l'article 63? Auquel des deux organismes - et vous vous rappellerez qu'il y a un caractère coercitif dans cet article 63 - un employeur devra-t-il se référer pour la mise en oeuvre d'un programme?

Il y aurait donc d'inévitables chevauchements et conflits de juridiction, entraînant dédoublement des efforts, inefficacité administrative, multiplication des coûts etc. Dans les autres provinces canadiennes dont on invoque volontiers les lois existantes qui permettent des programmes de redressement, il y a certes partout des "Human Rights Commissions", mais y a-t-il dans chaque cas autant de ministères et d'organismes publics chargés spécifiquement de la promotion des femmes, des droits des handicapés ou des minorités ethniques? En tout cas, nous posons carrément le problème.

Finalement, une autre question fondamentale qui est mise en cause par les propositions de la commission, c'est la conception même qu'elle se fait de son rôle. Comme le définit actuellement la Charte des droits et libertés de la personne, le rôle de la commission est essentiellement celui de gardien des libertés individuelles. Elle peut avoir d'autres droits, mais c'est essentiellement celui-là. C'est donc la protection des droits de la personne, lorsque cette dernière est menacée, qui constitue la mission propre que lui a confiée le législateur. Celle-ci relève du domaine quasi judiciaire. Toutefois, en prétendant se rendre responsable de l'application d'un système de programmes, qu'il soit aussi incitatif que l'on voudra, la commission veut en fait se donner un rôle d'agent qui en ferait un prolongement du pouvoir exécutif. Il y a là, quant à nous toujours, une confusion entre l'exécutif et le judiciaire qui n'est certainement pas souhaitable au point de vue de l'intérêt social.

Sur cette question, en résumé, comment voyons-nous le rôle de l'État? À notre avis, ce rôle serait double: 1- sensibilisation et information auprès des entreprises; démontrer, si possible, que ces programmes peuvent être rentables, chiffres à l'appui; 2- développer une expertise sur ce sujet afin de pouvoir offrir des services de soutien aux entreprises qui seraient intéressées à introduire des programmes volontaires chez elles; des services tels que consultation, évaluation, expertise technique, etc.

C'est une action incitative de cette sorte que nous préconisons; l'État joue ce rôle, par exemple, déjà, dans le cas de l'Office des personnes handicapées.

Sur la question du recours collectif. À propos de l'avis adopté par la Commission des droits de la personne, le 2 octobre 1980, sur la possibilité qu'elle utilise le recours collectif, nos trois commentaires sont les suivants: 1) Le fait, pour la Commission des droits de la personne d'agir comme représentant pour intenter un recours collectif au nom d'un groupe de personnes lésées affaiblirait son autorité morale auprès du gouvernement, du public et des divers groupes sociaux avec lesquels elle est appelée à traiter. Le rôle de la commission consiste actuellement en celui d'un ombudsman ou d'un chien de garde chargé d'assurer le respect d'une loi fondamentale qui est la Charte des droits et libertés de la personne. Si on considère qu'un tel rôle est important dans une société, la commission -et on le dit sous forme interrogative - ne risque-t-elle pas de perdre de sa crédibilité en s'identifiant, en tant que demandeur, à des intérêts qui auront à subir toute l'épreuve du processus judiciaire et de ses multiples tracasseries? 2. La Commission des droits de la personne affirme que, grâce à son expérience et à ses pouvoirs d'enquête, elle pourrait mieux servir les intérêts d'un groupe, ce qui la rendrait très efficace dans l'exercice d'un recours collectif. Cet argument est effectivement juste, tout au moins à première vue, si l'on considère l'expertise acquise par la commission en matière de plaintes qui pourraient faire l'objet de ce genre de litiges, ainsi que le support technique qu'elle serait en mesure d'assurer aux groupes qu'elle veut aider.

Aussi, n'est-ce pas sur la compétence ou la capacité de la commission à assumer le statut de représentant que nous avons des réserves à exprimer, mais plutôt sur certains problèmes inhérents à la nature même du recours collectif. Nous pensons en particulier à la preuve du préjudice subi et à l'évaluation du quantum des dommages subis par un groupe, qui seraient encore plus difficiles à établir dans les cas de discrimination que ne l'est la preuve dans les cas de contrats entre clients et commerçants, par exemple. 3. La commission estime que le fait pour elle d'agir comme procureur pour représenter des groupes permettrait à ces derniers d'épargner de l'argent; elle mentionne en particulier que l'existence du "fonds d'aide aux recours collectifs" n'assure pas nécessairement que tout groupe lésé aura les fonds requis pour intenter un recours collectif et elle fait aussi allusion aux honoraires élevés des avocats.

Il nous semble que, si la commission veut se donner ce rôle, il lui faudra engager, en plus de ses conseillers juridiques actuels, d'autres avocats qui se spécialiseront dans des dossiers de recours collectif. D'où, la nécessité d'un service du contentieux de plus ou moins grande envergure qui entraînera d'une façon automatique une augmentation du budget de la commission. Or, à moins de considérer comme une économie de faire porter par les fonds publics des dépenses qui seraient autrement supportées par les citoyens intéressés à une affaire, on ne voit pas très bien en quoi cette façon de procéder serait plus économique.

Nous sommes donc tout à fait contre l'idée que la Commission des droits de la personne agisse à titre de demandeur dans un recours collectif. (10 h 30)

M. le Président, troisième volet, la non-discrimination dans les avantages sociaux. L'article 97 de la Charte des droits et libertés de la personne exclut de l'application les articles 11, 13, 16, 17 et 19, les régimes de rentes ou de retraite, les régimes d'assurance de personnes et tout autre régime d'avantages sociaux. L'une des raisons de cette exclusion est la difficulté d'imposer

une même règle générale de non-discrimination à ces divers régimes.

À divers moments depuis 1975, le Conseil du patronat a transmis, soit au comité d'étude Boutin soit à la commission, son opinion sur les questions posées. Il a exprimé son accord pour biffer l'article 97 de la charte, mais à condition de le remplacer par des articles qui vont venir préciser ce qui est ou n'est pas de la discrimination dans les avantages sociaux. Le Conseil du patronat réaffirme donc son accord sur l'idée de réviser l'article 97. Notre mémoire fait état d'un certain nombre de remarques générales et techniques quant à cet accord.

Au niveau des remarques générales, l'une des difficultés des débats sur les problèmes de discrimination vient de l'ambivalence des termes utilisés. La discrimination, dans un sens large, non seulement n'est pas un mal, mais une nécessité imposée par la vie. Chaque action est un choix et donc aussi l'exclusion de quelques possibilités et les différences dont il faut tenir compte ne sont pas toutes l'effet d'une action malicieuse. Il arrive cependant que le mot "discrimination" pris dans un sens péjoratif soit appliqué à tort et à travers dans tous les cas où s'exerce un choix et dans tous les cas où on observe des différences entre les personnes.

Ce que la loi doit donc interdire - et c'est bien, croyons-nous, l'esprit de la Charte des droits et libertés de la personne - c'est la discrimination injuste, non pas la discrimination en général. Ce point est particulièrement important lorsqu'on parle des divers régimes d'avantages sociaux puisque l'objectif de ces régimes est précisément de couvrir les besoins réels de protection des personnes en tenant compte le plus possible de la diversité de ces besoins.

On se serait attendu à ce que les propositions sur la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux - on ne parle pas des propositions gouvernementales, il n'y en a pas eu encore; on parle notamment des propositions du comité Boutin, de la Commission des droits de la personne -donnent davantage de définitions précises, limitatives, administrables de la "discrimination à interdire", ce avec quoi nous sommes d'accord, mais nous constatons que tous les rapports sont insuffisants à ce point de vue.

Deuxièmement, la complémentarité des régimes publics et privés. Les études sur la discrimination dans les avantages sociaux ont porté spécifiquement sur les régimes supplémentaires de rentes, les régimes d'assurance-vie, les régimes d'assurance-invalidité et les régimes d'assurance-accident-maladie, à la condition qu'il y ait relation employeur-employé. Ont été exclus les régimes universels d'État. Mais c'est en bonne partie fausser les données du problème que de traiter ces régimes particuliers comme en vase clos. Les régimes privés de rentes et d'assurances sont la plupart du temps coordonnés aux divers régimes publics et à un grand nombre de lois. Le Régime de rentes du Québec est fondé sur l'âge et détermine en bonne partie les régimes supplémentaires de rentes. La Loi sur les assurances, la Loi de l'assurance-chômage, la Loi sur la santé et la sécurité du travail, le Régime d'assurance-maladie du Québec sont autant de systèmes qui n'ont pas la même définition, de la discrimination. Toutes ces lois ont des "interfaces" et toutes influencent les régimes privés.

Une étude en vase clos des régimes privés risque fort de conduire à des propositions irréalistes qui pourraient même créer bien des embêtements à l'État dans l'application de ses propres lois. Nous croyons que la coordination entre les diverses lois est nécessaire. Nous croyons aussi que le gouvernement doit viser à coordonner ses lois le plus possible avec l'ensemble des régimes du Canada puisque, dans nombre de cas, la gestion des régimes d'avantages sociaux au niveau des entreprises est nationale.

Finalement, les implications monétaires. Ni le rapport Boutin, ni la Commission des droits de la personne ne semblent se préoccuper des coûts de leurs diverses recommandations. Or, certaines recommandations peuvent représenter des coûts énormes puisqu'il serait nécessaire de rebâtir en bonne partie les programmes d'avantages sociaux.

Nous croyons que le gouvernement ne peut pas se contenter de considérations sur les principes. Il lui appartient de faire des analyses de coûts précises et de les situer publiquement avant de prendre des décisions.

Notre mémoire, sur ce sujet toujours, s'attarde ensuite à l'analyse d'un certain nombre de questions techniques. Nous soulevons, par exemple, le problème des catégories d'emplois et de la durée du service. Nous soulevons la question de la non-discrimination selon le sexe. Là-dessus, nous donnons notre appui à plusieurs recommandations du rapport Boutin concernant la non-discrimination selon le sexe dans les avantages sociaux. Plus particulièrement, quand, à l'intérieur d'une même catégorie d'emplois - on précise, d'une même catégorie d'emplois - le comité relève dans les régimes de rentes des exigences différentes d'âge d'admissibilité pour les hommes et pour les femmes, nous ne pouvons qu'être d'accord avec le comité pour tendre à redresser ces situations.

Nous abordons également la question de la non-discrimination selon l'état matrimonial et selon l'âge dans les avantages sociaux. Il faut signaler que cette dernière question soulève des problèmes très complexes. On est

d'accord qu'on doit tendre à redresser certaines situations.

Parmi les problèmes importants posés, par ailleurs, par la non-discrimination selon l'âge, nous notons tout le problème des montants d'assurance-vie. Plusieurs assurances sur la vie prévoient des montants décroissants selon l'âge. Cette pratique permet à un employé d'obtenir des montants élevés d'assurance lorsqu'il fonde sa famille et ce, à des coûts très réduits.

Par contre, le rapport Boutin préconise que les montants de base et les montants facultatifs accessibles d'assurance-vie ne puissent varier en raison de l'âge de l'employé. On interprète cette recommandation comme signifiant l'élimination tout simplement de tous les régimes d'avantages sociaux qui comportent actuellement cette forme d'assurance-vie. On dit que, dans un tel cas, on ne rend service à personne, on ne fait qu'éliminer un choix.

Brièvement, la non-discrimination selon l'âge. Selon la Commission des droits de la personne toujours, l'inscription de l'âge comme motif illicite de discrimination, à l'article 10 de la charte, constitue l'une de ses préoccupations majeures, et des plus anciennes. Elle rappelle, d'ailleurs, que l'ensemble des lois définissant les droits de la personne dans les provinces canadiennes, de même que la loi fédérale incluent, bien que d'une façon variable, cette interdiction de faire de la discrimination en raison de l'âge.

Nous n'avons pas d'objections de principe à ce que la charte déclare illégale la discrimination selon l'âge, sous réserve cependant que l'on respecte les paramètres que se sont donnés les autres provinces, le fameux 13-65. Nous croyons, cependant, qu'il serait prématuré d'adopter un tel amendement dans l'immédiat. Voici pourquoi. D'une part, une commission parlementaire siégera la semaine prochaine, celle des affaires sociales, de M. Lazure, pour entendre les commentaires sur le projet de loi sur l'abolition de la retraite obligatoire. Pour avoir aussi déposé un mémoire sur ce projet de loi, on sait qu'il est excessivement complexe et qu'il soulève des problèmes pratiques très nombreux. On ne peut pas préjuger des résultats auxquels conduiront les travaux de cette autre commission parlementaire, mais on ne peut pas, quand on parle d'âge ici, oublier les travaux de cette commission parlementaire.

D'autre part, en plus des questions portant spécifiquement sur l'âge de la retraite, le principe de la non-discrimination selon l'âge dans les avantages sociaux soulève, comme on vient de l'indiquer, des problèmes très complexes que la commission Boutin a déjà analysés en 1975 - n'oublions pas que cela fait six ans, il y aurait peut-être des remises à jour à faire - sans pour autant apporter toujours des réponses satisfaisantes. Signalons encore que la commission n'a pas démontré de façon satisfaisante "que dans le secteur du travail - parce qu'on parle aussi de l'âge dans le secteur travail - l'âge intervient de façon particulièrement dramatique." Pour toutes ces raisons, nous croyons donc qu'il y a lieu d'être excessivement prudent en ce domaine. Voilà nos principales préoccupations à ce moment-ci.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre de la Justice.

M. Bédard: Je tiens à vous remercier, au nom des membres de la commission, de votre participation à nos travaux. Je sais que vous devez quitter d'ici 11 heures, ce qui nous donne vingt minutes de questions. Je me limiterai à en formuler quelques-unes en vrac, de manière à permettre à mes collègues de la commission d'y aller d'autres interrogations, parce que je ne doute pas que beaucoup d'interrogations ou de questions sont sur les lèvres, sont prêtes à vous être adressées par l'ensemble des membres de la commission.

D'une façon générale, au début de votre mémoire, vous proclamez votre appui de principe à des programmes de redressement, mais à condition, si on vous comprend bien, que ce soit fait de façon volontaire par des entreprises ou des organismes publics ou parapublics. Vous nous dites que le secteur privé a déjà adopté de façon volontaire des programmes de redressement. Premièrement, j'aimerais que vous nous donniez des exemples de cette affirmation. Deuxièmement, j'aimerais connaître votre réponse. Si une situation se présentait, en ce sens qu'il y ait une discrimination facilement identifiable à l'endroit des femmes dans une entreprise donnée et, malgré toutes les suggestions ou les appels à la raison, si cette entreprise ne voulait pas accepter de programmes de redressement alors qu'il y a véritablement discrimination prouvée, ne croyez-vous pas qu'à ce moment-là le volontariat n'est pas une réponse possible dans un cas comme celui-là et qu'il faut y aller de programmes de redressement d'une façon obligatoire?

Vous dites également que la commission, en matière d'implantation de programmes de redressement, pourrait être juge et partie. Vous nous faites part de vos inquiétudes sur cette situation. N'existe-t-il pas un très grand nombre d'organismes publics, régies ou commissions qui jouent ce rôle de juge et partie sans que personne s'en plaigne? On pourrait fournir plusieurs exemples de ce côté-là.

Autre question. Au niveau des avantages sociaux, vous parlez de coûts énormes, à la page 18 de votre mémoire.

Vous y revenez d'ailleurs dans votre résumé. Vous parlez de coûts énormes concernant l'abolition de la discrimination dans les avantages sociaux. Pourriez-vous expliciter un peu plus ce point? Vous l'affirmez; vous nous dites que, tant du côté gouvernemental que du côté de la commission, il ne semble pas y avoir d'études satisfaisantes qui ont été faites pour affirmer qu'il n'y aurait pas de coûts énormes. J'imagine que, si vous pouvez nous affirmer qu'il y aurait des coûts énormes, il y a probablement des études que vous avez fait faire qui vous permettent d'opiner dans ce sens. Ce seraient les questions que j'aurais à poser. J'en ai bien d'autres, mais, encore une fois, je veux permettre à mes collègues d'en poser quelques-unes.

Le Président (M. Desbiens): M. Dufour.

M. Dufour: Sur la question des programmes de redressement, je suis très heureux de voir qu'on a le même vocabulaire et qu'on ne parle pas d'action positive, mais qu'on parle vraiment de programmes de redressement, parce qu'il y a une question de français qu'on souligne dans notre mémoire. Je pense que c'est important.

M. Bédard: Le vocabulaire est peut-être un peu mélangé de part et d'autre, mais, à un moment donné, il va falloir qu'il se précise pour tout le monde en même temps.

M. Dufour: Votre question en fait est de dire: Bon, de façon volontaire, est-ce que cela se fait? Nous disons: La loi pourrait le permettre, on est d'accord qu'il y ait un amendement à la charte pour le permettre et, pour nous, cela paraît même important, parce que, quand on le fait dans certaines entreprises aujourd'hui, on se dit: On le fait sans base légale. Lorsque vous privilégiez aujourd'hui un certain groupe d'employés, par exemple des handicapés, un autre groupe majoritaire pourrait, à partir de la même charte, établir une preuve de discrimination, parce qu'il y a des choix; il y a un choix qui est fait par l'entreprise et l'un est discriminatoire par rapport à l'autre, aux fins de la charte. C'est là qu'est notre acceptation de principe.

Ce que vous posez comme problème, c'est tout le caractère coercitif d'un programme par rapport au caractère incitatif. Il ne faut jamais nous demander d'embarquer dans un régime coercitif, par définition. On dit qu'il y a déjà des entreprises qui le font. Je vous suggère, par exemple, d'aller à Bell Canada et vous allez voir qu'il y a des programmes de redressement pour certains groupes de travailleurs. Je vous suggère très honnêtement d'y aller. Il y a d'autres grandes entreprises qui l'ont fait aussi. On ne dit pas que c'est courant dans toutes les entreprises, mais, de toute façon, ne nous le reprochez pas parce que, actuellement, la charte ne le permet pas. On va subir des reproches de l'autre côté, par l'autre groupe qui, lui, penserait qu'il a été discriminé. (10 h 45)

M. Bédard: M. Dufour, je ne veux rien vous reprocher pour le moment, on ne fait qu'en discuter.

M. Dufour: Pour le moment?

M. Bédard: C'est ce que j'ai dit. À partir du moment où il y a - on est obligé d'essayer d'être réaliste de part et d'autre; on verra les amendements qu'il faut faire en fonction de cette réalité - une discrimination qui est clairement établie par rapport à une entreprise en fonction d'un groupe, et que cette entreprise ne veut accepter aucun programme aux fins de corriger la situation de discrimination qui existe, est-ce que vous ne croyez pas qu'il faut que le programme ait un caractère obligatoire? Sinon, cela équivaut à accepter que la discrimination et l'injustice continuent.

M. Dufour: Oui, c'était le troisième volet de votre question, à savoir comment vous allez le faire respecter, éventuellement, si l'entreprise refuse. J'en étais seulement à l'affirmation que ça existe et que, sur un choix global, on va choisir l'incitatif. C'est pour ça qu'à la fin on dit que le rôle du gouvernement ou d'un organisme d'État qu'il mandatera, avant de passer à quelque forme coercitive, sera de sensibiliser, d'informer, un peu comme l'Office des personnes handicapées le fait actuellement. Aux fins de l'intégration d'un pourcentage X de travailleurs dans les entreprises de plus de 50 employés, l'article 63 n'a jamais été promulgué, ce quota n'est pas obligatoire. Ces entreprises n'ont pas, actuellement, à déposer un programme à l'Office des personnes handicapées aux fins de l'embauche. On a procédé de façon incitative, on s'est donné deux ans pour essayer de voir ce que ça donnerait.

Transposons l'expérience ici. Si, éventuellement, ce genre de situation se présente, d'abord, je ne suis pas sûr que ce seraient, à ce moment-là, les programmes de redressement qui seraient en cause; ce seraient des problèmes de discrimination qui peuvent être administrés selon la charte actuellement. On n'a pas besoin de parler des programmes pour ça, ça existe. Pour tout l'autre aspect, à ce moment-là, laissons courir les choses. Si, dans deux ans ou trois ans, après une campagne de sensibilisation, d'information, etc., ça ne marche pas, je ne suis pas sûr qu'il faudra légiférer; il faudra remettre en cause les méthodes de ceux qui auront échoué avec leurs programmes de

nature incitative.

Pour les situations de discrimination -je pense qu'on ne se refusera pas à le dire, il y en a - c'est la charte qui va s'appliquer. Actuellement, des plaintes devant la Commission des droits de la personne, il y en a et il va continuer d'y en avoir, sauf que c'est un cumul de plaintes. Au lieu d'en avoir une, il y en aura cinq, il y en aura dix. Quand certains groupes vont devant la Commission des droits de la personne, actuellement, pour le fameux problème de l'article 19, à travail équivalent, salaire égal, ce n'est pas un individu, c'est une somme d'individus, c'est un groupe de travailleurs qui est concerné, comme pourrait l'être, selon votre exemple, un autre groupe pour une autre question donnée.

Sur la question de juge et partie, vous avez probablement raison, M. le ministre, ça existe actuellement des organismes d'État qui sont juge et partie. Mais nous, on ne sera jamais d'accord avec ça.

M. Bédard: Cela a le mérite d'être clair.

M. Dufour: Un organisme ne peut pas être juge et partie, il faut toujours qu'on ait une possibilité d'appel quelque part dans notre régime. Devant une commission parlementaire récente, ici, celle sur l'information gouvernementale où on proposait, justement, une commission et où on lui donnait le rôle de juge et partie, nous avons pris une position tout à fait à l'opposé de cela.

Sur la question plus précise des coûts -elle est importante parce que, comme groupe du secteur privé, les coûts nous intéressent toujours - c'est vrai qu'il y a des coûts énormes. On pourrait demander à quelqu'un qui vit ça à longueur d'année d'en parler. M. Beaudet est chez TPFC.

M. Beaudet (Philippe): M. le ministre, parmi les recommandations, on recommande qu'il n'y ait pas de variation dans les régimes de rentes supplémentaires selon l'âge de l'employé pour aucune prévision dans ces régimes. Dans certains régimes, peut-être dans la majorité des régimes, on accorde certains privilèges à des employés ayant atteint un certain âge. Par exemple, un employé ayant atteint l'âge de 60 ans peut prendre une retraite anticipée, sans aucune réduction de rente. Si la variation selon l'âge n'est pas permise, ça veut dire que nous sommes obligés d'accorder ce même privilège à tout autre employé. Ceci augmenterait considérablement le coût d'un régime de rentes.

Également, parmi ces régimes de rentes, on accorde très souvent une rente payable au conjoint en cas de décès, après un certain âge, disons après l'âge de 55 ans.

Si nous sommes obligés d'accorder des rentes payables au survivant à tout âge, c'est encore une augmentation considérable dans le coût de ce régime.

On suggère également d'accorder au personnel féminin qui prend un congé de maternité pour grossesse à terme un bénéfice d'indemnité hebdomadaire, un bénéfice d'accident-maladie, quand la période de congé n'a pas été causée par maladie et peut-être même pas par accident. On suggère d'accorder ce bénéfice et de continuer à profiter des bénéfices payables par l'assurance-chômage; l'employeur serait en mesure d'établir un régime de prestation supplémentaire de chômage; c'est un régime enregistré et c'est encore un coût considérable pour établir ce genre de régime.

Voici trois exemples, mais je dois dire que beaucoup de ces recommandations n'affecteraient pas beaucoup le coût.

M. Bédard: J'aurais bien d'autres questions, mais...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Malheureusement, on n'a pas beaucoup de temps pour poser des questions, mais, quand le ministre va déposer son projet de loi, vous allez revenir et on posera les autres questions.

Il me semble qu'il faut que, dans la charte, ce soit bien clair que la discrimination entre hommes et femmes est illégale et illicite et que ce soit ça le principe.

Je conviens que ça pourrait être nécessaire de classifier les hommes d'une façon différente des femmes ou, si vous voulez, de classifier les femmes d'une façon différente des hommes. Mais est-ce que j'ai raison de dire que ce doit peut-être être à ceux qui proposent de faire cette classification d'avoir le fardeau de faire la preuve pas seulement que cette classification est raisonnable, mais aussi que cette classification est nécessaire? Donc, celui qui veut classifier des femmes d'une façon différente des hommes aurait le fardeau de prouver qu'une telle classification est nécessaire pour des raisons actuarielles ou pour toute autre raison. Je peux prendre l'exemple dans un autre domaine; vous avez soulevé le problème de l'âge, qu'il n'y a pas de discrimination entre 18 et 65 ans, mais, dans la loi actuelle sur l'aide sociale, ceux qui ont moins de 30 ans et qui sont aptes à travailler reçoivent moins que ceux qui ont 30 ans. Ainsi, prenons l'exemple d'un homme qui a 29 ans, il va recevoir peut-être 120 $ par mois de l'aide sociale, mais, quand elle aura atteint 30 ans, cette personne va recevoir environ 325 $. On peut dire que c'est une classification raisonnable; je ne sais

pas si c'est nécessaire; ça peut être nécessaire pour le gouvernement actuel du Québec, étant donné les compressions. Mais est-ce que c'est raisonnable dans le sens qu'on peut dire: Le gouvernement veut encourager les jeunes à travailler? Donc, on dit: Quelqu'un qui est apte à travailler et qui a moins de 30 ans va recevoir moins, dès lors il va essayer de se trouver un emploi le cas échéant. Pour résumer, avec un principe de non-discrimination, je pense que ça pourrait exiger que celui qui veut différencier entre les hommes et les femmes ait le fardeau de prouver que c'est nécessaire d'agir de telle façon.

M. Dufour: II y a deux volets dans votre intervention. Il y a l'âge et, quand vous dites hommes-femmes, c'est la discrimination selon le sexe où vous référez à des calculs actuariels. Sur cette question de hommes-femmes, je vais demander à M. Beaudet de réagir. Je réagirai sur celle de l'âge.

M. Beaudet: C'est un fait qu'il y a une différence actuarielle entre les hommes et les femmes, mais je crois que ce fait cause très peu de discrimination dans les régimes d'avantages sociaux. Dans un régime où c'est l'accumulation de fonds, où un achète une rente pour la retraite, il est entendu qu'une femme peut acheter une rente un peu moindre que celle d'un homme car elle doit vivre un peu plus longtemps. Toutefois, je crois que, sur une base actuarielle, la différence entre le coût est généralement, sinon toujours, absorbée par l'employeur. Je vois donc très peu de discrimination basée sur des calculs actuariels.

M. Marx: J'ai donné les raisons actuarielles comme exemple, mais dans les avantages sociaux, est-ce que vous êtes d'accord que le fardeau de la preuve incomberait au patron, que le patron devrait prouver que cette classification est nécessaire? C'est ça le point: à qui incomberait le fardeau de la preuve? Est-ce qu'on va demander aux femmes de prouver qu'elles méritent d'être sur un plan d'égalité avec les hommes ou est-ce qu'on va demander au patron de prouver l'inverse, le cas échéant?

M. Beaudet: Il peut y avoir deux variations, une sur les bénéfices et l'autre sur le coût de ces bénéfices sur une base actuarielle. Je crois qu'on doit permettre aux actuaires de faire la distinction dans le coût.

Je ne comprends pas exactement le sens de la question que vous voulez poser. Par exemple, on parle de discrimination basée sur l'âge. Il y a très peu de discrimination basée sur l'âge. Dans un régime, on établit un âge d'admissibilité, par exemple, et, ensuite, il n'y a pas de discrimination quant à l'âge de la retraite anticipée ou à l'âge exigé pour certaines choses prévues dans le régime. Mais le coût de ces bénéfices est basé sur des coûts établis par les actuaires; donc, il y a une variation dans le coût qui est normalement absorbée par l'employeur même. On ne peut pas l'identifier sur une base individuelle, car le travail est fait sur une base collective.

M. Marx: Si je comprends bien, vous voyez qu'il y aurait des différences en ce qui concerne les avantages sociaux entre hommes et femmes.

M. Beaudet: Par exemple?

M. Marx: Je n'ai pas maintenant d'exemple concret, ce n'est pas mon domaine. On va le dire clairement dans la loi: pas de discrimination à cause des avantages sociaux si personne n'a d'exemple, c'est bien clair. Mais si j'ai bien compris les mémoires, cela va exister dans certains domaines pour des raisons précises.

M. Dufour: Oui, ça doit exister.

M. Marx: Cela doit exister, voilà! Mais à qui incombera le fardeau de la preuve pour dire que cette classification n'est pas seulement raisonnable - cela pourrait être trop facile - mais que cette classification est nécessaire? C'est le sens de ma question. Est-ce que ce sera à l'employée femme qu'incombera le fardeau de la preuve ou est-ce que ce sera au patron?

M. Dufour: M. Tremblay.

M. Tremblay (Jacques): Notre position serait qu'il ne doit pas y avoir de discrimination fondée, par exemple, sur le sexe dans un régime d'avantages sociaux, mais cela ne doit pas signifier qu'il ne doit pas y avoir de différences qui s'appliquent effectivement aux hommes ou aux femmes pour des raisons autres que des questions de sexe.

L'exemple qui a été donné tantôt est rapide. À 65 ans, il y a une rente liée à ce qui a été payé. Or, si les calculs actuariels disent que tel groupe a une espérance de vie de 20 ans, la même rente, répartie sur 20 ans, ne donne pas, par mois, la même rente que si elle est répartie sur quinze ans. Ce n'est pas une question de discrimination, c'est que la même rente sur 20 ans est différente mensuellement de la même rente sur quinze ans.

M. Marx: Mais dans les... (11 heures)

M. Tremblay (Jacques): Quant à la preuve, elle est faite nécessairement par les

actuaires. Tout régime supplémentaire de rentes est nécessairement enregistré avec certificat d'actuaire... toujours, chaque fois, et c'est la responsabilité de la régie de vérifier si les structures, les calculs, les bases qui sont en cause sont conformes à tous les règlements, à toutes les règles, à tous les calculs avant de l'enregistrer. C'est vraiment non seulement l'employeur qui doit ici faire la preuve, mais c'est également lui qui paie les travaux pour faire ces choses, qui paie l'enregistrement et la régie a toujours le droit de réviser un rapport quelconque avant de l'enregistrer. Il n'y a pas de difficulté de ce côté-là. S'il y avait un calcul actuariel qui était faux, bien sûr, c'est la responsabilité de la régie de dire à l'employeur: Révisez vos calculs.

M. Marx: Donc, si je comprends bien, vous êtes d'accord que ce soit toujours le patron qui va avoir le fardeau de la preuve pour prouver que la distinction qu'on fait entre un homme et une femme est nécessaire. Pour des raisons actuarielles, c'est plus ou moins objectif, je le comprends, mais, dans d'autres domaines, est-ce que M. Dufour est prêt à l'accepter?

M. Dufour: Je ne suis pas sûr d'accepter votre première partie quand vous dites que ce sont les patrons qui auront toujours cette responsabilité.

M. Marx: Ou l'État, le cas échéant.

M. Dufour: Ou l'État. Je pense qu'il y a des actuaires au service et des syndicats, et du gouvernement, et des employeurs. Quand on discute ces grands plans de bénéfices sociaux, c'est toujours généralement à partir de conventions collectives et tout le monde a ses spécialistes, tout le monde est impliqué. Je pense que c'est une question d'objectivité, purement et simplement.

M. Marx: Mais si le principe est l'égalité hommes-femmes, quelqu'un qui trouve ou qui pense qu'il a une raison de ne pas respecter ce principe, à mon avis, doit avoir le fardeau de la preuve, doit prouver qu'il est nécessaire de ne pas respecter ce principe. Sinon, on va demander aux femmes de toujours faire la preuve, ce qui est souvent difficile pour des individus, des femmes non organisées dans les usines, non syndiquées, etc.

J'admets qu'il peut y avoir des classifications, mais qui va prouver que c'est nécessaire? Je pense que cela pourrait être "the bottom line" quant à cette question.

M. Dufour: Ce pourrait être des études supplémentaires que l'on demande, pour remettre à jour le rapport Boutin. Je pense que c'est une question très précise: Qui va trancher, à un moment donné?

Vous aviez quand même un deuxième aspect, M. Marx, dans votre intervention, la question du principe de l'âge, mais cette fois dans l'emploi, pas nécessairement en référence aux bénéfices sociaux comme tels. Je veux dire un mot là-dessus parce qu'on a accepté le principe dans notre mémoire, mais il faut bien se comprendre: Quand on accepte ce principe dans notre mémoire, on réfère à l'âge comme motif de distinction illicite en matière d'emploi exclusivement, non pas en matière de bénéfices sociaux et ceci pour une simple raison. J'ai ici un tableau des différentes lois provinciales, fédérales et tout le monde reconnaît l'âge comme ne devant pas être un motif de discrimination, sauf qu'on établit les paramètres que je mentionnais, 18 à 65 ans. Mais c'est pour des questions de sélection, d'embauche, de transfert; ce n'est pas le problème des échelles d'assistance sociale dont vous parliez tantôt qui revient, un problème de bénéfice social, si on veut, à ce moment-là.

D'autres groupes du monde patronal vont peut-être s'opposer ici à l'âge, contrairement à nous, mais il ne faudra pas opposer les groupes parce qu'ils vont parler du transport. Le problème du transport est un problème en soi quant à l'âge. Pour nous, c'est très clair, c'est dans l'emploi, entre 18 et 65 ans, pour des questions de sélection, de transfert, de promotion.

M. Marx: D'accord, on va le noter.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Merci. J'ai un certain nombre de commentaires à faire. Mon collègue, le ministre de la Justice, a déjà posé des questions sur l'action positive ou ce qu'on appelle maintenant, ce sur quoi la Commission des droits de la personne a déjà fait un certain nombre de recherches, l'accès à l'égalité. C'est déjà beaucoup plus positif comme approche, si on veut.

Premier commentaire. Je ne pense pas qu'aucun des groupes qui sont venus hier -d'autres groupes viendront par la suite s'exprimer sur cela - ait mis en doute la notion du calcul actuariel. Comme le disait le député de D'Arcy McGee, c'est un fait objectif, il n'y a rien à faire, on ne peut pas le remettre en cause. Sauf que c'est son fondement subjectif qui est remis en cause.

Deuxième commentaire sur l'action positive ou l'accès à l'égalité. Vous dites dans votre mémoire, à la page 3 - vous laissez supposer, on va se donner le bénéfice du doute - que l'action positive est une forme de discrimination qui constituerait une exception aux règles fondamentales de la

charte qui interdisent toute discrimination. Vous remettez, en question particulièrement le rapport de la commission, qui dit que cela ne devrait pas être sur une base volontaire, mais qu'il devrait y avoir des éléments coercitifs, je trouve que c'est un bien gros mot, mais disons des éléments d'obligation.

Cela m'inquiète un peu si finalement on définit ces programmes d'accès à l'égalité comme discriminatoires. Certains organismes tentent de prouver le contraire. Vous dites: sur une base volontaire. En plus de ça toutes les études, partout, toutes les expériences, pas seulement les expériences américaines parce que l'expérience américaine s'adresse beaucoup au problème racial, en plus du programme d'égalité entre les hommes et les femmes, mais même l'expérience canadienne, l'expérience du fédéral sont très probantes par rapport à ça. Cela m'inquiète un peu qu'on pense uniquement base volontaire.

D'autre part, cela soulève une autre question. Quelle est la place qu'on laisse à la volonté des travailleurs ou des travailleuses qui voudraient souhaiter ces programmes? Cela m'amuse un peu finalement. Est-ce que l'employeur n'est pas à ce moment juge et partie pour prendre la décision surtout dans un cas de programme d'accès à l'égalité sur une base volontaire?

Dernier commentaire et je vais poser ma question. Je trouve que c'est un peu faux de poser le problème comme ça. Dans votre mémoire, vous parlez des différents organismes qui sont déjà chargés de promouvoir l'égalité chez les handicapés; vous faites référence aussi au Conseil du statut de la femme. Dans le cas de l'Office des personnes handicapées, il y a un article dans la loi, plus précis et, dans le cas du Conseil du statut de la femme, ils n'ont absolument pas cette fonction. Ils ont une fonction d'information, de promotion, mais ils n'ont pas un rôle. Ils dénoncent des situations, mais ils n'ont pas de rôle de représentation, ils n'ont pas de rôle d'intervention dans les entreprises dans toute espèce d'organisme pour faire des pressions. C'est une espèce de pouvoir moral. C'est un peu faux de poser le problème de cette façon.

Évidemment, toute espèce de changement devrait faire en sorte qu'il y ait concordance apportée aux différents organismes sans préjuger des décisions, des orientations, qu'on pourrait prendre.

Voici ma question, compte tenu de ces commentaires. Vous dites, dans votre présentation: L'âge n'intervient pas de façon dramatique dans le secteur du travail. Vous ajoutez: La commission n'a pas été très probante à ce sujet. Par contre, d'autres groupes qui se sont présentés hier devant nous l'ont identifié comme un problème aigu pour les femmes et ce, à tous les moments de leur vie.

On dit: Avant 30 ou 35 ans, la femme est trop jeune, tout à coup elle tomberait enceinte, cela ne serait pas très drôle. À 40 ans, elle est trop vieille pour entrer sur le marché du travail. C'est ce que nous disaient hier certains organismes qui vivent concrètement et quotidiennement ces situations et qui défendent des femmes aux prises avec ces situations.

J'aimerais avoir votre évaluation de ces problèmes aigus que les femmes vivent. Vous ne semblez pas les soulever.

M. Dufour: Si vous me permettez, on reviendra à l'action, au programme de redressement.

Mme Marois: Ou d'accès à l'égalité.

M. Dufour: M. Tremblay fera un commentaire additionnel là-dessus. Nous citons, oui, c'est vrai, cette phrase; ce serait dramatique. On dit qu'elle n'a pas fait la preuve. Peut-être qu'elle a déposé un mémoire ici en commission parlementaire; on n'a pas vu le mémoire de la Commission des droits de la personne. On n'a pas vu encore celui du Conseil du statut de la femme. Les mémoires n'étaient pas disponibles avant hier matin. On ne les a pas vus. Peut-être qu'on fait état d'un certain nombre de situations qui, de toute façon, existeront toujours, quelles que soient les lois. Mais avec ce dont on a pris connaissance, à ce jour, on a dit: On est ouvert. On est prêt à en discuter. Sauf qu'on ne nous a pas fait, dans les travaux publiés à ce jour par la commission, cette démonstration.

Autre chose qui nous inquiète, c'est qu'on veut éviter aussi d'arriver dans une société très compartimentée. Quand vous parlez des problèmes des femmes de moins de 30 ans, j'en suis. J'ai fait de l'administration de personnel. J'ai vécu cette expérience. Les jeunes nous reprochent exactement la même chose, jusqu'à 23 ou 24 ans. Les hommes de 50 ans nous disent: Je ne suis plus capable de me trouver un emploi. Les prisonniers viennent nous voir et nous disent: Quel programme allez-vous lancer pour nous? Il y a tous ces problèmes de groupes où on peut faire des démonstrations de problèmes réels, de problèmes vécus au travail. On travaille très étroitement avec les handicapés, certains groupes de handicapés. J'ai en tête un groupe de handicapés visuels qui ont des problèmes énormes sur le plan du travail et les postes disponibles pour ce genre de handicap sont quand même assez rares.

Face à tout cela, problèmes qu'on reconnaît, est-ce qu'on règle cela par ce que vous n'appelez pas du coercitif, mais des obligations? Dans ma tête, une obligation et la coercition, cela se ressemble pas mal.

Mme Marois: Cela peut se ressembler. C'est moins négatif.

M. Dufour: Je suis d'accord, coercitif est moins négatif.

Mme Marois: Non l'inverse.

M. Dufour: Évidemment, c'est une question d'évaluation de la situation. C'est toujours dans notre approche de dire: Allons-y sur une base incitative. Si cela ne fonctionne pas... On ne voudrait pas non plus compartimenter la société et avoir pour chaque problème, chaque groupe des programmes particuliers. On n'en sortira jamais. Pour revenir à votre question de fond, on va regarder ces démonstrations qui vous ont été faites dans les mémoires, mais à ce moment-ci on ne les connaît pas.

Sur la question des programmes de redressement, M. Tremblay voudrait ajouter quelque chose.

M. Tremblay (Jacques): À vos commentaires sur notre mémoire, on pourrait ajouter d'autres commentaires en répétant notre mémoire. Vous semblez surprise que l'on analyse l'idée de programmes de redressement comme étant une exception aux règles de discrimination. Cela ne peut pas être autre chose. On parle de programmes de redressement. On demande une correction à la charte parce que, si la charte s'appliquait dans sa forme générale, elle interdirait ce type de programmes, le programme de redressement. L'amendement que l'on veut avoir dans ce sens est nécessairement une exception à la règle générale de la non-discrimination. Il s'agit de permettre des programmes qui favorisent un groupe et, donc, qui en défavorisent un autre pour des raisons de correction de situations historiques. Or, vis-à-vis de cela, les réactions des entreprises que l'on a pu consulter sont extrêmement positives. Quand on dit qu'on est d'accord avec cela, ce n'est pas un accord de principe seulement, c'est un fait. Effectivement, les entreprises, depuis des années, ont des programmes de redressement avec lesquels ils ont des difficultés quand il s'agit de les ajuster aux exigences de la Commission des droits de la personne.

Comment peut-on convaincre, dans le climat culturel actuel, des femmes de monter dans les poteaux de téléphone? Faites ce que vous voulez, si une compagnie n'insiste pas et ne fait pas des programmes spéciaux pour réussir à avoir au moins quelques candidats, elle n'y parviendra pas. En pratique, dans un cas comme cela, une compagnie est obligée de donner des faveurs à une catégorie particulière dans l'espoir d'obtenir un certain résultat. Techniquement, ces programmes pourraient apparaître comme discriminatoires pour le candidat qui croyait être capable de monter dans les poteaux sans formation spécifique.

Quand vous parlez des organismes, le Conseil du statut de la femme n'est peut-être pas le meilleur exemple. Prenons les programmes d'emplois pour étudiants; ces programmes sont spécifiquement fondés sur une discrimination selon le statut social. Techniquement, tous ces programmes gouvernementaux pourraient être considérés actuellement comme contraires à la Charte des droits et libertés de la personne.

Mme Marois: En fait, comme je sais que le temps est limité, je vais juste vous répondre une chose. Il faut lire - je comprends que vous n'ayez pas eu le temps de le faire - les rapports qui ont été présentés hier à la commission, qui répondent d'abord à la notion de discrimination systémique, qui répondent à vos questions ou à vos interrogations ou à vos inquiétudes. Il faut lire Action travail des femmes sur les métiers non traditionnels des femmes pour voir comment c'est possible qu'effectivement on incite ou on mobilise ou on fasse en sorte qu'ils soient en faveur que des femmes accèdent à des métiers non traditionnels. Dans le fond, ces groupes ont probablement une argumentation beaucoup plus intéressante que celle que je pourrais vous apporter ce matin. Merci. (11 h 15)

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Châteauguay, en rappelant que le temps normalement alloué est terminé.

M. Bédard: M. le Président, je m'excuse, je ne voudrais priver personne du droit de parole, sauf que M. le président du Conseil du patronat semblait vouloir disposer, il y a déjà un quart d'heure. On s'est limité. Remarquez que j'en aurais peut-être encore pour une heure de questions à poser. À moins que vous ne reveniez plus tard...

M. Dufour: Est-ce votre intention de revenir en commission parlementaire pour discuter des amendements à la charte, du projet de loi éventuel? Vous ne le savez pas.

M. Bédard: Étape par étape. Il y a premièrement l'audition.

M. Dufour: C'est oui ou c'est non? M. Bédard: La deuxième étape, c'est... M. Marx: Si...

M. Bédard: Vous me permettez, je pense que la question m'est adressée.

M. Marx: Oui.

M. Bédard: La deuxième étape va consister dans le dépôt d'un projet de loi. S'il s'avérait que tout le monde soit d'accord, si, dès le dépôt du projet de loi, on sent qu'il y a accord, je ne vois pas pourquoi on tarderait à donner suite au projet de loi pour faire en sorte que des discriminations disparaissent. Si on sentait que le projet de loi est encore très discuté, on avisera en conséquence.

M. Dufour: En fait, pour...

Le Président (M. Desbiens): Je regrette. M. le député de Châteauguay avait la parole tantôt, à moins qu'il ne rejette son droit de parole.

M. Dussault: M. le Président, je ne voudrais pas retenir non plus nos invités plus qu'il ne le faut. J'avais une question à poser sur l'engagement des jeunes comme une occasion. Cela a été évoqué hier en commission. Si nos invités sont pressés, il ne faudrait pas les retenir.

M. Dufour: Non, allez-y, allez-y.

M. Dussault: Vous avez dit, quelque part dans votre mémoire, que vous souhaiteriez que le gouvernement s'en tienne aux paramètres fixés dans les autres lois ou les autres chartes des droits de la personne à travers le Canada. Sans doute qu'il doit y avoir un dénominateur commun basé sur un esprit de justice. J'étais absent hier des travaux de la commission, mais cela a été évoqué qu'à certains endroits - d'ailleurs, on entend souvent parler de cela aussi; dans notre expérience de députés, cela nous est souvent évoqué - des jeunes étaient engagés comme une situation de "bargain", pour employer une expression bien connue. Si on devait suivre l'exemple des autres provinces, s'en tenir aux paramètres dont vous nous parliez - je sais que ce qui devrait nous guider, c'est l'esprit de justice et l'esprit d'équité sans doute - j'aimerais savoir si ces paramètres nous amèneraient à tolérer - je ne connais pas beaucoup ce qui existe dans les autres chartes au Canada - encore que, dans le monde des affaires, on engage des jeunes en bas de 18 ans à des prix en bas du salaire minimum, ce qui est désavantageux pour eux-mêmes et aussi pour les autres personnes qui pourraient aussi se chercher du travail. J'aimerais avoir votre point de vue là-dessus.

M. Dufour: Je vais oublier le débat pour situer votre question de façon plus générale, notamment relativement à la Commission des normes du travail. Il y a des taux de salaire minimum au Québec, bien sûr, qui s'appliquent de façon différente pour les jeunes de moins de 18 ans et, selon certains secteurs aussi, il y a des différences de salaire; encore là, c'est une loi qui crée de la discrimination à l'intérieur des mêmes classifications d'emplois. C'est une discrimination gouvernementale, mais ce n'est pas le sens de votre question. Le sens de votre question, c'est s'il y a possibilité d'éviter qu'il y ait du travail au noir finalement, selon l'expression du milieu, un salaire en dessous de la table et le non-paiement du salaire minimum. Notre position, M. le député, est claire là-dessus. Nous sommes prêts à avoir plus d'inspecteurs à la Commission des normes du travail, de façon que les normes minimales du travail soient respectées au Québec, incluant les salaires. On ne se fait pas une bonne image patronale lorsque des employeurs paient des taux inférieurs au salaire minimum ou paient du travail au noir. Dans ce sens-là, n'importe quand, on appuiera la Commission des normes du travail si elle vous demande, comme législateurs, de lui donner des inspecteurs additionnels.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, en concluant.

M. Bédard: Ma seule conclusion, c'est de remercier le Conseil du patronat au nom de tous les membres de la commission.

M. Dufour: Merci, M. le ministre. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Merci. Je demanderais maintenant au Congrès juif canadien, région de Québec, de s'approcher.

Pendant qu'il le fait, je rappelle qu'aujourd'hui la commission entendra en audition, comme troisième intervenant, le Conseil des minorités du Québec; quatrième intervenant, Jody Freeman; ensuite, l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes Inc. (L'Association); William M. Mercer; la Chambre de commerce de Québec; l'Association pour les droits de la communauté gaie du Québec et, pour dépôt seulement, le Comité de liaison des handicapés physiques.

Congrès juif canadien, région de Québec

Je vous souhaite la bienvenue, M. Cutler, et je vous demanderais de présenter les personnes qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

M. Cutler (Sid): M. le Président, pour la présentation de nos délégués, je laisse la parole à Me Frank Schlesinger, à ma droite, président du Congrès juif canadien, région de l'Est.

M. Schlesinger (Frank): M. le Président,

M. le ministre, membres de la commission, nous sommes très heureux d'avoir été invités à vous rencontrer aujourd'hui afin de présenter notre mémoire relativement aux modifications à apporter à la Charte des droits et libertés de la personne. Tel qu'indiqué dans notre mémoire, celui-ci est un travail conjoint du Congrès juif canadien, région de Québec, qui est le porte-parole de la communauté juive au Canada, démocratiquement élu, et du B'nai B'rith, l'organisation des services juifs la plus ancienne et la plus vaste au Québec, qui est porte-parole de ses membres, représentant approximativement 10 000 familles au Québec.

Il me fait plaisir de présenter les membres de la délégation. À ma gauche, Me Sidney Cutler, avocat, qui est le coprésident du sous-comité de notre comité sur les relations communautaires et qui était coprésident, avec Me Harvey Crestohl, du B'nai B'rith, qui, malheureusement, n'a pas été capable d'être ici aujourd'hui; Mme Sheila Finestone, du Congrès juif canadien, membre du congrès juif et du sous-comité; M. Jack Kantrowitz, directeur exécutif du Congrès juif canadien, région de Québec, qui forment la délégation du Congrès juif canadien. M. Ted Greenfield, président national sortant du B'nai B'rith du Canada et, à l'extrême gauche, M. Arthur Heiss, directeur général du B'nai B'rith du Canada, région de Québec. Enfin, moi-même, Franck Schlesinger, président du Congrès juif canadien, région de Québec.

I would like to point out that this brief is the result of many hours of discussions, study and deliberations by the joined subcommittee and represents a consensus. The brief does not address every point which could have been touched, but attempts to bring forward those areas which we feel of most pressing importance.

Sans autre délai, je demanderai à Me Cutler de commencer sa présentation. Merci.

M. Cutler: M. le Président, M. le ministre, membres de la commission parlementaire, au nom du Congrès juif canadien, région du Québec, et de B'nai B'rith du Canada, je tiens à remercier la commission de nous avoir accordé cette occasion de dialoguer avec vous concernant la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Aux yeux de la communauté juive, cette charte constitue un élément capital dans la vie démocratique de notre société. Le travail continu pour l'améliorer et étendre les droits et libertés de la personne constitue une des fonctions les plus importantes de l'Assemblée nationale du Québec.

La communauté juive, au Québec comme à travers le monde, s'est toujours intéressée à ces questions. Cet intérêt, que je pourrais qualifier de passion, pour les droits de l'individu trouve ses racines non seulement dans l'expérience et l'histoire de notre communauté à travers les âges, une histoire caractérisée par le racisme, la discrimination et l'oppression que notre peuple a subis, mais de façon encore plus importante dans la religion, les traditions et la culture juives. Depuis 3500 ans, la culture juive a bâti des concepts fondés sur les valeurs inaliénables, inébranlables du caractère humain, de l'individualité et de l'originalité de chaque personne, quels que soient son sexe, son origine nationale, ethnique, sa race ou sa religion. Les droits de l'individu, dans notre religion et dans notre tradition, sont si importants que même les intérêts de la collectivité ne peuvent pas les limiter.

Notre présentation à cette commission, ce matin, se place dans cette optique et dans cette tradition. Nous considérons que la Charte des droits et libertés de la personne du Québec constitue à beaucoup d'égards une excellente défense des droits de la personne. Cependant, comme texte de droit, la charte actuelle peut et doit être améliorée afin d'avancer encore plus loin sur le chemin des droits des personnes et des groupes du Québec. Il nous semble que des amendements doivent être apportés à la charte pour agrandir sa capacité de défendre les droits individuels et collectifs de tous les citoyens du Québec.

Ainsi, nous proposons que, dans l'article 10 de la charte, la liste des formes de discrimination interdite par la loi doit comprendre également la discrimination fondée sur l'âge. Nous prévoyons que les droits de toute personne au Québec ayant atteint l'âge de la majorité doivent être garantis par la charte, surtout en ce qui concerne les droits d'accès à l'emploi et à l'hébergement, droits qui ont été limités pour nos concitoyens âgés. Ces droits à la non-discrimination fondée sur l'âge devraient s'appliquer à toute personne ayant atteint l'âge de la majorité. Ceci permettrait au législateur de déterminer l'applicabilité de certains textes législatifs relatifs à la protection de la jeunesse, etc.

Dans le même ordre d'idées, il nous paraît inadmissible qu'une charte des droits et libertés de la personne contienne en son sein des articles qui permettent la discrimination. Vous avez déjà entendu avant nous des porte-parole de différentes associations qui vous ont demandé de biffer l'article 97, qui est maintenant l'article 90. Quant à nous, l'article 90, qui permet une discrimination fondée sur le sexe ou le statut civil afférents à des problèmes propres au droit de retraite et autres avantages sociaux, devrait être abrogé dans son entier.

Quelles que soient les motivations économiques de l'inclusion d'un tel article -

cela veut dire, anciennement, l'article 97 qui est maintenant l'article 90 - il nous paraît inadmissible que ce soit dans une charte des droits et libertés de la personne.

Dans notre mémoire, nous avons proposé des modifications à l'article 52 de la charte. Ces modifications élimineraient tous les mots après "qui leur serait contraire". La Charte des droits et libertés de la personne ne devrait pas être ouverte à une violation par quelque geste que ce soit de l'Assemblée nationale. Ces principes doivent s'appliquer à toute loi. Dans le cas où la Législature penserait que certains droits compris dans la charte devraient être modifiés, ce sera l'obligation de la Législature de modifier directement les clauses de la Charte des droits et libertés de la personne. En l'absence d'une telle modification, aucun geste, ni de l'Assemblée nationale, ni du gouvernement du Québec ne devrait enfreindre les droits y compris.

Nous sommes d'accord avec l'intention de l'article 36 de garantir le droit à accusé de comprendre les charges qui lui sont imposées. Si nécessaire, un interprète devrait être mis à sa disposition gratuitement. Il nous semble utile d'étendre cette assistance d'interprétation gratuite, si nécessaire, à toutes les procédures légales, à tous les procès administratifs dont un individu est partie. Ceci aurait l'effet de renforcer la position de tout individu face aux structures de l'État et des organismes publics, y compris la police et les tribunaux administratifs.

L'article 11 de la charte devrait, à notre avis, être élargi afin de permettre une protection aux groupes culturels, religieux ou raciaux qui constituent le point de mire d'attaques écrites, verbales et autres. Des membres de ces groupes, bien que n'étant pas individuellement sujets à ces attaques, devraient trouver le moyen d'être protégés par la Charte des droits et libertés de la personne. (11 h 30)

Dans le même esprit, l'article 13 devrait être modifié, afin d'exclure, de façon explicite, toute obligation d'observer des clauses discriminatoires d'un acte juridique. Cette disposition nous semble particulièrement importante afin de protéger des individus d'une discrimination qui pouvait leur être imposée dans un contrat privé. Les termes d'un tel contrat ne peuvent en aucune façon limiter les droits garantis par la charte et notamment l'observance des croyances religieuses. Il serait important pour la charte de garantir ces droits de cette façon.

Nous avons noté, pendant la dernière session de l'Assemblée nationale, le projet de loi proposé par le ministre de la Justice concernant l'action affirmative, ce que j'ai entendu appeler aujourd'hui action progressiste, action positive, accès à l'égalité et toutes sortes d'autres expressions, mais tout le monde est d'accord, j'en suis sûr, pour dire qu'on parle de la même chose. Il nous semble important qu'une telle possibilité d'action affirmative soit inscrite comme permissible dans la Charte des droits et libertés de la personne. L'enchâssement, selon nous, offre la meilleure assurance que le Québec passerait de l'égalité de chances en théorie à l'égalité de chances en pratique.

La formulation de normes appropriées pour une politique d'action affirmative juste et efficace exige la recherche des moyens harmonieux garantissant les intérêts des groupes et ceux des personnes, et l'équilibre entre le principe d'action affirmative et celui de non-discrimination. Fondés sur ces principes conjoints de non-discrimination et d'égalité de chances, nous avons recommandé à la commission l'enchâssement dans la charte des droits d'un article relatif à l'action affirmative. Nous espérons que tel article puisse servir de base à l'action dans ce domaine.

Enfin, nous souhaiterions souligner l'importance de la Commission des droits de la personne et la nature vitale de son travail. La charte est garante des droits de la personne au Québec, mais sans l'activité efficace de la commission ces garanties peuvent rester lettre morte.

Actuellement, nous sommes informés qu'il faut entre six à neuf mois après le dépôt d'une plainte auprès de la commission pour que l'investigation sur celle-ci commence. Ce retard est dû à la limitation des ressources dont dispose la commission et au nombre important de plaintes. Si la commission n'a pas à sa disposition les ressources financières et le personnel pour lui permettre de jouer un rôle complet tel que décrit aux termes de la loi dans une période de temps acceptable et d'une façon expéditive, les objectifs de la charte peuvent, dans bien des cas, devenir seulement des voeux pieux sans aucun effet réel. Nous devons donc mettre l'emphase pour que la commission puisse avoir un budget adéquat afin de remplir les fonctions qui lui sont conférées par la charte.

Le Congrès juif canadien et B'nai B'rith Canada, au nom de toute la communauté juive du Québec, réitèrent leur appui entier pour les idéaux et principes de la Charte des droits et libertés de la personne et pour la suprématie des droits fondamentaux de toutes les personnes. Nous sommes persuadés que la commission de la justice de l'Assemblée nationale considérera de façon favorable la révision de la Charte des droits et libertés de la personne à la lueur des recommandations contenues dans notre mémoire.

Je devrais ajouter, si vous me le permettez, que dans notre mémoire on a fait

état de la suspension de prescription qui est déjà comprise dans notre mémoire. Au lieu de demander que ce soit une suspension de prescription, nous considérons qu'une fois qu'une plainte est logée à la Commission des droits de la personne cela devrait être considéré comme étant une demande en justice. Cela peut avoir l'effet d'interrompre la prescription et, pour être conforme à cette demande, je pense qu'un amendement au Code civil peut être ajouté, ou à la charte même.

Si vous me le permettez je vais passer la parole... Excusez-moi, j'ai oublié quelque chose. Dans notre mémoire, vous remarquerez qu'un changement devrait être fait à l'article 52 qui se trouve aux pages 3 et 4 de notre mémoire. On a demandé de rayer les mots contraires; on devrait élargir les articles nos 9 à 38 tels qu'ils existent dans la charte actuellement pour demander l'inclusion des articles nos 39 à 48.

Je vous remercie infiniment.

Maintenant, si vous me le permettez, je vais passer la parole à ma collègue Sheila Finestone.

Mme Finestone (Sheila): Merci. M. le Président, M. le ministre, Mme la ministre et MM. les membres de la commission, la commission et toute la société québécoise reconnaissent de nos jours la discrimination ouverte et latente subie à travers les âges par les femmes, les autochtones, les handicapés et les minorités. Des mouvements féministes, tels que le Conseil du statut de la femme et la Fédération des femmes du Québec, de même que la Commission des droits de la personne, ont exposé les faits de cette discrimination, ont formulé des griefs et ont proposé des actions concrètes à cette commission et aux autres autorités gouvernementales.

Il ne m'est pas nécessaire d'y revenir ce matin car toute personne de bonne foi reconnaît les changements qui s'imposent à cet égard au niveau du changement des mentalités, du changement de la culture ambiante et des milieux familial et professionnel. On a vécu, pendant les 20 dernières années, une société en mutation. La société québécoise a effectué des changements sociaux, politiques et économiques considérables. À la base de cette évolution, on trouve une volonté politique collective, ferme et déterminée. Nous croyons qu'un effort semblable est exigé afin d'assurer la justice sociale, l'égalité des chances et le traitement égal aux femmes, aux communautés minoritaires et aux autochtones.

Il nous semble évident qu'afin d'achever ce but la société québécoise devrait subir un changement systémique impliquant des programmes, surtout ce qui concerne l'éducation, l'embauche, les programmes de recyclage, la promotion, etc., qui touchent à chaque niveau de l'organisation sociale. Il s'agit d'un changement culturel général qui assurera la justice sociale et économique pour tous nos concitoyens et concitoyennes. Un tel changement systémique ne peut et ne doit pas être imposé d'en haut. Au contraire, pour être efficace, sa mise en oeuvre dépend en grande partie de la participation des centres de décision économique, social et culturel. Il faudrait, une fois pour toutes, cesser de traiter cette question d'une façon vague dans les perspectives générales des droits humains. Ceci constitue un domaine essentiel de l'action gouvernementale.

Le gouvernement a évidemment les pouvoirs suffisants pour obliger à certaines actions par la loi. Il nous semble que dans cette matière il s'agisse surtout d'un changement d'attitude, de comportement et de valeur. Ainsi, nous croyons que des clauses incitatrices telles que l'octroi de subventions, les bénéfices accordés sur l'impôt et les règlements concernant les conditions pour l'accorder des contrats seront les plus efficaces; dans un tel cas, il convient d'employer des méthodes de concertation plutôt que de coercition.

M. le Président, merci de votre attention.

Le Président (M. Desbiens): Merci.

M. Cutler: M. le Président, nous avons terminé la partie viva voce.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: Je remercie très sincèrement les représentants du Congrès juif canadien et le B'nai B'rith de leur contribution très positive au niveau des travaux de cette commission. Plusieurs des recommandations dont vous faites état, comme vous le savez, se retrouvent dans des suggestions ou des représentations déjà faites par d'autres groupes. Je serais peut-être porté à discuter avec vous de points sur lesquels vous avez porté une attention plus particulière que les autres groupes. Je pense, par exemple, au niveau des amendements que vous nous demandez à l'article 11. Je conçois très bien qu'il doit y avoir une protection pour les groupes qui peuvent constituer un point de mire, d'attaques écrites, verbales ou autres qui soient fondés sur la race, la religion, l'orientation sexuelle ou bien le régime national ou ethnique. J'aimerais avoir plus d'explicitation de votre part parce qu'il y a le Code civil qui à des stipulations concernant la diffamation. Il y a des dispositions également dans le Code criminel. Il y a l'article 11, auquel vous référez, de la charte.

J'aimerais que vous explicitiez jusqu'à

quel point cet ensemble de législation ne couvre pas, ne protège pas ce que vous évoquez, qui est très légitime.

M. Cutler: M. le ministre, je suis entièrement d'accord avec vous quand vous dites qu'il existe déjà dans le Code civil un recours possible. Si quelqu'un était victime de libelle, la difficulté quant à nous c'est que la jurisprudence a déjà établi à maintes reprises que si un groupe était victime de libelle, les personnes qui font partie de ce groupe ne seront pas protégées sauf si la personne qui prétend être victime de libelle s'identifie.

Cela veut dire que peu importe s'il existe en vertu de l'article 1053 du Code civil un recours individuel, on devrait identifier que tel article qui parle des Juifs, des Noirs, de n'importe quel groupe, si je fais partie de ce groupe, je devrais prouver auprès du tribunal que je considère que ce libelle m'attaque personnellement et que j'ai subi des dommages. Cela serait presque impossible. Vu que ce serait presque impossible, ce que nous demandons, c'est que la charte devrait, comme étant un de ses points fondamentaux, indiquer que la discrimination contre les groupes sera interdite et à la lumière des pénalités prévues dans la charte, on devrait prévoir quelque chose comme étant une pénalité pour telle violation.

C'est le problème que nous vivons actuellement. Nous voulons que la commission parlementaire fasse des suggestions à l'Assemblée nationale pour corriger ce qui semble être une lacune dans la loi.

M. Bédard: Est-ce que la jurisprudence que vous évoquez est basée sur le Code civil...

M. Cutler: Oui, sur le Code civil...

M. Bédard: ... ou encore sur l'article 11?

M. Cutler: Non, sur le Code civil plutôt que sur la charte qui, dans le temps de l'existence de la jurisprudence dans toutes ces causes dont je parle, n'existait pas. C'était avant 1975. Si vous voulez, mon collègue, Me Schlesinger, peut ajouter quelque chose.

M. Schlesinger: Ce à quoi mon collègue réfère est la question d'intérêt légal qui, est très difficile à prouver quand on est membre parce que comme vous savez bien, il faut prouver un intérêt légal. Est-ce que j'ai l'intérêt légal si je fais partie d'un groupe qui est vaguement défini?

Il y a deux autres aspects de ce point sur lesquels j'aimerais attirer votre attention.

La charte doit servir de principe de base, un énoncé de principe de base. Si c'est clairement décrit que le libelle de groupe est quelque chose qui est défendu en notre province, ce serait quelque chose qui va déjà donner une idée d'exemple à toute la population de ce qui est permis dans notre société démocratique et ce qui n'est pas toléré. Ne pas tout simplement avoir recours à l'article 1053 du Code civil. (11 h 45)

Enfin, j'aimerais attirer votre attention, malheureusement je ne l'ai pas avec moi, sur la Colombie britannique. On vient d'adopter, dans cette province, une loi qui défend toute discrimination ou toute attaque écrite ou verbale basée sur une discrimination ou libelle diffamatoire et ce genre d'affichage ou de discrimination. Malheureusement, je ne l'ai pas avec moi. Je pourrais vous l'envoyer aussitôt mon retour chez nous, mais vous l'avez peut-être déjà.

M. Bédard: Je vous pose la question. Je comprendrais que vous ne soyez peut-être pas au courant. Est-ce qu'aux États-Unis il y a des dispositions de cette nature par rapport à la liberté d'expression?

M. Cutler: Cela varie selon l'État. Je pense que c'est une question qui relève de la juridiction de chaque État plutôt de la juridiction fédérale.

M. Bédard: Je comprends que la jurisprudence que vous évoquez est basée surtout sur le Code civil. On n'a pas fait encore l'expérience devant les tribunaux de la portée du...

M. Cutler: On veut éviter, M. le ministre, une telle expérience en le disant en termes clairs et larges, pour que tout le monde le sache d'avance et que ce ne soit pas nécessaire de faire une jurisprudence semblable et créer pour toute la population une image que c'est quelque chose d'interdit.

M. Bédard: II y en a plusieurs qui semblent craindre l'interprétation des tribunaux. Je remarque cela chez les groupes qu'on a eu l'occasion de rencontrer.

Un autre point que vous soulevez, lorsque vous parlez du droit à l'interprète, s'agit-il d'un droit qui s'appliquerait à la condition expresse que la personne ne puisse s'exprimer en français ou en anglais?

M. Cutler: Bien sûr. Si vous me permettez, le but, c'est que chaque personne qui vient devant un tribunal, qui devra subir un procès administratif ou autre, quasi judiciaire, judiciaire, une enquête, sache quelles sont les procédures et quelles sont ses obligations, quels sont les griefs, les plaintes contre lui. Naturellement, on évite

l'anglais ainsi que le français.

M. Bédard: Comme vous le savez, ici au Québec, il y a déjà les services d'interprètes quand il s'agit du droit criminel. Nous avons également le droit à l'interprète au niveau de certains tribunaux administratifs. Est-ce que votre demande va jusqu'à exiger qu'il y ait des services d'interprètes dont les coûts sont défrayés par l'État lorsqu'il s'agit d'un procès privé?

M. Cutler: Vous voulez dire quand il s'agit...

M. Bédard: Est-ce que vous pensez que le droit à l'interprète pourrait s'appliquer lorsqu'il y a des procédures qui mettent en cause l'État et des citoyens ou des groupes? Pourriez-vous, si vous êtes au courant, me dire quel est l'état de la situation dans les autres provinces sur ce sujet précis?

M. Cutler: Je vais répondre à la dernière question. Je ne sais pas ce qui existe dans les autres provinces, mais je dois vous dire franchement que je pense qu'il n'existe pas de tels services gratuits d'interprètes. Sur une question de principe, nous pensons que si la Charte des droits et libertés de la personne doit être la couronne de toute la justice dans la province, la connaissance des procédures sera plus importante au point de vue des principes, par exemple, des autochtones, des immigrants qui sont appelés à témoigner devant un tribunal administratif, etc. Pour eux, c'est très important, ainsi que pour la province.

M. Bédard: Je dois vous faire remarquer qu'ici, au Québec, lorsqu'il s'agit d'immigrants, le ministère de l'Immigration fournit déjà des services d'interprètes. Ce que je voudrais savoir, c'est si votre demande va jusqu'à croire qu'il serait normal que, dans un procès privé, l'État défraie ces coûts d'interprète?

M. Cutler: Si vous me permettez, je vais donner la parole à Jack Kantrowitz sur ce point.

M. Kantrowitz (Jack): Si vous me le permettez, M. le ministre, M. le Président, je pense qu'en théorie, on aimerait avoir les droits les plus larges possible. On reconnaît les difficultés...

M. Bédard: Je le comprends.

M. Kantrowitz: ... budgétaires et autres. Cependant, il y a aussi un certain principe. C'est que, quand l'État établit pour les résidents du Québec certains droits et certaines procédures administratives - je pense, par exemple, aux commissions des loyers et des rentes à Montréal - le fait même qu'un locataire ne parle ni l'anglais, ni le français ne doit aucunement l'empêcher de poursuivre ses droits en justice devant une telle procédure administrative. Il n'est aucunement mis en cause; il n'est pas l'accusé, mais, s'il ne peut pas, à cause de ses lacunes linguistiques, poursuivre les pistes établies par la loi et ne peut pas avoir accès à de l'interprétation suffisante pour le faire, je pense que ce qu'il subit, en fait, est une discrimination sur une base culturelle qui devrait être inadmissible.

Ce que nous avons à l'esprit, ce n'est pas seulement les cas où nécessairement l'État est remis en question, mais ceux où les droits du citoyen établis par la Charte des droits et libertés de la personne ou par d'autres textes gouvernementaux peuvent être effectivement mis en vigueur pas des personnes qui ne parlent ni l'anglais, ni le français.

M. Bédard: Oui, vous ramenez cela à l'État, mais ma question, c'est: Est-ce que vous croyez que, dans un procès privé, l'État doit défrayer des coûts d'interprète ou est-ce qu'à ce moment-là, ce n'est pas tout simplement aux parties à les défrayer, selon l'attribution des frais qui se fait par le tribunal? Parce que déjà, ici au Québec, je pense qu'il y a une situation, en tout cas, des attitudes qui sont très positives si on les compare à celles des autres provinces où l'État fournit dans de nombreux cas les services d'interprètes. Mais, comme vous l'avez dit, on veut toujours, que ce soit comme groupe ou comme citoyen, avoir le plus de droits possible. Je pense que vous savez que, non pas seulement pour des questions budgétaires, mais en fonction d'une Charte des droits et libertés de la personne, avant d'inscrire un droit, il doit y avoir une réflexion.

M. Cutler: Franchement, nous sommes d'accord avec M. le ministre et je peux dire que notre comité conjoint, qui a longuement eu des discussions concernant cette partie de votre question, donne non comme réponse dans les causes privées. Nous ne demanderons pas d'élargir, d'obtenir les services gratuits d'un interprète.

M. Bédard: Je vous remercie.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Juste pour enchaîner sur le droit de l'interprète, cela existe déjà dans la charte, mais, si je comprends bien, la demande, c'est d'englober les tribunaux administratifs.

M. Cutler: C'est cela.

M. Marx: C'est cela.

M. Bédard: Les poursuites pénales aussi.

M. Marx: Mais les poursuites pénales sont déjà couvertes par la charte...

M. Bédard: Enfin...

M. Marx: ... à l'article 36.

J'ai des remarques sur trois points assez précis. Premièrement, l'article 11, c'est pour rendre illicite ou illégale la littérature haineuse. Il y a déjà des dispositions dans le Code criminel. Je ne veux pas dire que c'est la faute du fédéral, ce n'est pas moi qui plaide cela à cette commission, mais cela arrive de temps en temps.

M. Bédard: Ni moi non plus. Je vous invite à lire, par exemple, le contenu de la charte fédérale. Si celle qu'on nous propose devait être acceptée dans sa partie concernant la liberté d'expression, je pense que vous auriez d'énormes représentations à faire sur ce point au fédéral.

M. Cutler: Oui, mais on peut répondre à la question.

M. Marx: Sur la question de la littérature haineuse, tout ce que je veux dire, c'est qu'en cette matière, il y a une distinction entre la diffamation et le libelle diffamatoire, c'est-à-dire la diffamation provinciale et le libelle diffamatoire fédéral. Ce serait impossible pour nous de légiférer en ce qui concerne le libelle diffamatoire, cela ne serait pas valide.

M. Cutler: On demande seulement que la loi soit sous la juridiction de la province.

M. Marx: Ce sera encore ainsi pendant longtemps, M. le ministre.

M. Bédard: Malheureusement. Enfin, ne faisons pas un débat politique, ce n'est pas l'endroit.

M. Marx: Est-ce que vous n'êtes pas satisfait des dispositions contenues dans le Code criminel? Quelles sont les failles de ces dispositions du Code criminel? Est-ce que ça ne couvre pas assez ce champ? Je comprends la question de la littérature haineuse parce que j'ai eu une plainte ces jours-ci, dans mon comté. Quelqu'un m'a envoyé un journal où on fait des allusions à un groupe particulier.

M. Cutler: Vous me permettrez de répondre. Je pense que dans le Code criminel, la partie qui s'applique à des libelles diffamatoires est trop restreinte pour couvrir tout ce que nous voulons couvrir en élargissant cette partie de la charte. La partie fédérale, c'est-à-dire le Code criminel, est trop restreinte, à notre avis.

M. Marx: Si c'est trop général, ça peut causer des problèmes. Deux gars se parlent dans la rue, il y a des chicanes à l'Assemblée nationale, il peut y avoir beaucoup de poursuites... C'est déjà arrivé en Ontario, où il y avait des règlements municipaux; les gens ont eu des chicanes et ç'a donné lieu à des poursuites. C'est une question qu'on pourrait étudier, j'imagine, et le ministre s'occupera de ça.

M. Schlesinger: M. le ministre, en réponse à votre question, nous avons justement produit un mémoire au gouvernement fédéral sur ce point-ci; j'étais membre de la délégation, également. C'est évident qu'il y a une certaine double juridiction dans ce domaine. À quel moment est-ce que ça devient criminel? À quel moment est-ce que c'est seulement civil? On ne peut pas s'appuyer tout simplement sur la juridiction fédérale ou la juridiction provinciale; elles devraient se compléter. Je crois que l'essentiel, c'est de prohiber l'incitation à la haine entre divers groupes ethniques ou autres groupes dans notre société.

M. Marx: On peut légiférer dans ce sens pour restreindre cela. On peut légiférer dans le sens de dire que la diffamation contre un groupe est illégale ou illicite, et on peut prévoir des peines, des amendes ou des dommages-intérêts.

M. Schlesinger: II faudrait s'assurer que les personnes qui sont lésées ou qui se sentent lésées aient un intérêt légal pour intenter cette poursuite. On peut bien donner un droit vaque à un groupe, mais si on ne peut exercer ce droit devant le tribunaux, il devient illusoire.

M. Marx: On comprend ça. Concernant l'article 13, vous avez proposé qu'il soit interdit, disons, pour une compagnie de forcer quelqu'un à travailler pendant ses jours fériés. Pour les Juifs, ce n'est pas...

M. Cutler: On a vécu une expérience pratique, et c'est la raison pour laquelle on vous a demandé l'inclusion...

M. Marx: La commission a toujours pensé que l'article 10 couvrait cette situation. Une action a été intentée pour les membres de l'Église mondiale de Dieu qui n'ont pas voulu travailler les vendredi soir et samedi et qui ont été congédiés. Je me demande si on a les résultats de cette action parce que si c'est déjà couvert par la

jurisprudence, il ne sera pas nécessaire de légiférer. Je ne me souviens pas si... Ce n'est pas décidé encore? Bon. (12 heures)

M. Cutler: On veut mettre de côté toute possibilité d'ambiguïté. Je vais vous donner un exemple. La Commission des droits et libertés de la personne a été approchée par un individu qui avait un commerce dans un centre commercial. Il a reçu, comme tous les autres locataires, un avis du locateur lui disant que les seules périodes où son commerce pourra être fermé seront les jours fériés créés par le provincial ou par le fédéral. Cette personne était de notre croyance religieuse. Nous avons deux grandes fêtes en vertu desquelles ce monsieur a considéré qu'il devrait fermer son commerce. Mais cela va à l'encontre d'une clause contenue dans son bail, qui dit que, s'il ferme son commerce pendant des jours autres que les jours fériés, on peut considérer ça comme étant une violation du bail et que celui-ci peut être annulé.

Le problème est là et c'est un problème réel. Ce monsieur a décidé de déposer une plainte auprès de la Commission des droits de la personne. Le contentieux même de la commission a reçu deux opinions différentes. Un conseiller juridique lui a dit: C'est déjà couvert par la charte et cette personne n'a rien à craindre. L'autre conseiller juridique a dit l'inverse, c'est-à-dire que c'est un acte privé et que ça peut être considéré comme étant une violation du contrat.

La commission a pris la décision de ne rien faire, vu qu'un de ses conseillers juridiques est venu à la conclusion que c'est déjà couvert et interdit. Cela veut dire qu'on ne peut pas annuler le bail parce que c'est déjà couvert par la charte, mais, malheureusement, l'autre conseiller juridique a décidé l'inverse.

Ce que nous voulons - ça, c'est la difficulté - c'est un article suffisamment explicite pour couvrir la situation qui - tout le monde, j'en suis sûr, est d'accord -deviendra une question de discrimination. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé d'inclure la demande.

M. Bédard: Je comprends très bien votre désir de précision et nous allons faire faire les analyses juridiques le plus en profondeur possible...

M. Cutler: On a seulement voulu vous aviser...

M. Bédard: ... pour voir jusqu'à quel point la préoccupation que vous avez est rejointe par le texte qui existe déjà et on prendra notre décision en fonction de ces opinions.

M. Marx: Je pense que c'est un point important pour beaucoup de Québécois qui veulent pratiquer leur religion et on va peut-être avoir la décision des tribunaux incessamment; peut-être cela arrivera-t-il même en même temps que la refonte de la charte.

Ma dernière question est que, sur l'action affirmative, vous avez dit que vous êtes contre des quotas en nombre, mais êtes-vous contre des objectifs en pourcentage? Il faut avoir quelque chose quelque part!

M. Cutler: Notre position sur ce point est la suivante: quant à nous, nous ne voulons pas créer une situation de discrimination à l'inverse. Ce que nous voulons faire, c'est de reconnaître que l'accès à l'égalité des plans progressifs, d'action positive devrait être accepté comme étant un but qu'on veut atteindre. Il y a plus de deux questions qu'on devrait trancher: premièrement, c'est au point de vue philosophique. Quant à nous, ce sera quelque chose à long terme, ce n'est pas quelque chose qui peut être résolu dans une courte période de temps et c'est la raison pour laquelle les pourcentages, les quotas, les clauses numériques ne peuvent pas être la base pour atteindre un but qui est bon. Ce que nous voulons établir, c'est que nous reconnaissons qu'il devrait y avoir une action progressive, positive ou affirmative pour l'accès à l'égalité, mais l'égalité, cela ne veut pas dire un traitement égal, ce sera plutôt un traitement identique. Par exemple, deux personnes ont la possibilité d'avoir un travail spécial; toutes les deux ont des qualifications équivalentes ou presque, similaires. Quant à nous, c'est acceptable, dans le but d'atteindre une égalité éventuelle, si une des deux personnes est une personne désavantagée, de donner la position à la personne qui vient du groupe désavantagé. Nous avons prévu, dans notre mémoire que c'est par le truchement des subventions et des bénéfices en vertu de la Loi sur les impôts qu'on devrait corriger une situation malheureuse. Quand on dit: On peut établir des pourcentages, quelle est la différence entre établir des quotas ou des pourcentages? Quant à moi, ce sera la même chose.

M. Marx: Je comprends le souci des membres du Congrès juif parce que notre communauté a bien souffert de cela, des quotas bien précis, des "numerus clausus" en Russie ou dans d'autres pays européens et même des quotas dans certaines facultés au Québec, pour dire la vérité, ce qui n'existe sûrement pas aujourd'hui. Disons que maintenant ce sont d'autres temps et d'autres problèmes à régler. Le gouvernement a maintenant un projet qu'on appelle l'égalité des chances et, dans ce programme, si je me

souviens bien, on s'est fixé un objectif général.

Une voix: 10%.

M. Marx: D'ici cinq ou six ans, on aimerait qu'il y ait à peu près 9% des membres de la fonction publique qui viennent des communautés culturelles. Il faut donner un objectif quelque part à quelqu'un; autrement, ce ne serait pas très pratique.

M. Cutler: Pour nous, ce sera l'objectif à long terme qu'on devra atteindre. Comme nous l'avons dit dans notre mémoire et nous ne changerons pas notre position sur ça, peu importe que ce soit un pourcentage ou un nombre de personnes, ça deviendra un quota qui devrait être considéré comme étant discriminatoire.

M. Schlesinger: On peut avoir un but général qu'on veut atteindre, mais on ne doit pas être rigide, on ne doit pas fixer un tel niveau pour s'arrêter ensuite. Comme M. Marx l'a déjà souligné, la communauté juive, ainsi que d'autres communautés minoritaires a vécu une expérience très triste dans le passé vis-à-vis des universités qui ont fixé un quota et une fois qu'on avait atteint le niveau de X Juifs, les prochains Juifs, malgré leurs qualifications, malgré leur niveau d'études, malgré n'importe quoi, se voyaient refuser l'entrée. Cette expérience nous a déjà démontré que les quotas rigides ne doivent pas exister dans une société démocratique. De là à établir un but général d'avoir une certaine proportion, c'est une autre chose qui devrait être acceptable, je crois.

M. Marx: Une dernière question sur ce point que je trouve intéressant. Supposons qu'on ait un programme d'action affirmative pour une compagnie. S'il y a un programme de redressement, il faut donner un certain objectif à cette compagnie. Si on dit: D'ici cinq années on aimerait voir des femmes à l'intérieur de la compagnie, le gars va dire: C'est excellent, ce n'est pas coercitif. Comment peut-on formuler l'objectif sans que ce soit donné en termes de pourcentage?On peut bien dire: J'aimerais que les employés de votre compagnie reflètent le pourcentage des femmes dans la population de votre région ou quelque chose comme ça, mais il faut s'accrocher à quelque chose. Cela ne peut pas être tellement vague que la compagnie ne serait pas contrainte de faire quoi que ce soit.

Mme Finestone: Je crois que vous avez raison à ce sujet, mais ce qu'on a souligné, je crois, et le point chaud dans cette question, c'est comment établir le but sans utiliser des quotas ou des pourcentages? Cela se fait en concertation avec l'organisme en vue. Disons que je pose la question: Comment se fait-il que la fonction publique, avec le plan d'action et avec toutes les idées du gouvernement en fonction à ce moment-ci, a décidé d'utiliser le pourcentage de 9,5%? D'où sort cette figure magique?

Si vous regardez la population entière, vous avez 58% de la population qui est féminine; vous avez 40% de la main-d'oeuvre active qui sont des femmes.

Mme Marois: C'est l'information, je pense, qui n'est pas adéquate. Les 9,5%, ce sont les programmes d'accès à l'égalité pour les handicapés, à ne pas confondre...

Mme Finestone: Ah! bon, parce que je trouvais cela un peu drôle.

Mme Marois: ... parce qu'il n'y a pas eu effectivement d'objectif quantitatif de pourcentage appliqué au programme d'accès à l'égalité dans le cas des femmes. Cela va?

Mme Finestone: Je crois que c'est très important, même si c'est un organisme du gouvernement, un organisme paragouvernemental ou un organisme privé, de discuter un projet à long terme pour qu'on puisse avoir un accès à chaque niveau décisionnel. Je ne veux pas que vous pensiez que je suis une femme agressive, mais je le suis à certains moments. Il est très difficile de briser la discrimination systémique qui existe. C'est bien plus facile d'embaucher un autre homme avec qui on a certaines choses en commun. Pour changer ces choses, il faut surtout changer les mentalités, changer l'attitude du contremaître, changer l'attitude de ceux qui embauchent les gens. Il y a toute une série de démarches à faire et il faut en tenir compte en consultant les personnes impliquées dans l'industrie ou dans le processus gouvernemental. C'est pour cela que j'y suis carrément opposée. Autrement, si vous me poussez, M. Marx, à donner un pourcentage, je vous dirai que 40% de la main-d'oeuvre est de sexe féminin et je veux 40% des femmes dans la fonction publique.

Je le dis, mais c'est absolument impossible parce que je mets de côté les personnes déjà sur place, qui sont des amis hommes ou femmes. Ce n'est pas du gros bon sens.

M. Bédard: Sur la nécessité, que vous avez évoquée, d'un plan d'action à long terme concernant l'ensemble des communautés culturelles, peut-être me permettrais-je une suggestion au niveau de votre groupe. Comme vous le savez, à l'heure actuelle, il y a un comité d'implantation d'un plan d'action vis-à-vis des communautés culturelles qui vient d'être mis sur pied par mon collègue de l'Immigration,

M. Godin. Peut-être serait-il indiqué de le rencontrer de manière à atteindre le but que vous évoquiez tout à l'heure, que tout ce qui se fait en termes de plans d'action, de politiques gouvernementales se fasse en consultation et solidairement avec les groupes concernés.

Mme Finestone: Oui, mais il reste que pour les programmes de redressement par action affirmative paragouvernementale ou gouvernementale... J'aimerais ajouter que le Conseil du patronat vient d'énoncer qu'il y aura toujours des cas de discrimination; nous ne sommes pas tout à fait d'accord. On peut avoir des réussites, cela va de soi pour moi et la discrimination à rebours pourrait corriger les discriminations subies jusqu'à maintenant. Je pense que c'est une demande d'une période de transition. Il faut trouver les formules, mais pas par le biais des quotas ni des pourcentages.

M. Cutler: M. le Président, si vous me permettez une interruption, je vois qu'il est midi et quart. Nous avons un problème particulier et nous devons partir. Je veux grandement remercier la commission parlementaire de nous avoir donné l'occasion de dialoguer avec vous. Nous espérons que vous avez pris en considération quelques-unes de nos recommandations.

Mme Finestone: L'article 13! La contradiction de l'article 13.

M. Bédard: Nous vous remercions de votre participation à nos travaux et soyez convaincus que tous les membres de la commission parlementaire vont se faire un devoir d'approfondir la réflexion sur l'ensemble des éléments que vous avez portés à notre attention.

M. Cutler: Merci.

Conseil des minorités du Québec

Le Président (M. Desbiens): Merci. J'appellerais maintenant le Conseil des minorités du Québec, représenté par M. Geoffrey Chambers, et lui demanderais de se présenter en avant, s'il vous plaît. (12 h 15)

Si vous voulez présenter les personnes qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

Mme Usher (Anne): Je m'appelle Anne Usher, vice-présidente du Conseil des minorités du Québec. J'ai avec moi aujourd'hui un membre de notre conseil du groupe de travail sur les droits et libertés de la personne, M. James Leavy, à ma droite. M. Geoffrey Chambers, notre directeur exécutif, est à ma gauche.

M. le Président, mesdames et messieurs, membres de la commission, le Conseil des minorités du Québec est un organisme à but non lucratif qui représente quelque 42 groupes à travers le Québec, notamment les associations communautaires régionales à titre de minorités linguistiques, par exemple, dans la Gaspésie, l'Estrie, la région de l'Outaouais et aussi Châteauguay. Il y a aussi les institutions d'enseignement, de santé et de services sociaux, les groupes ethniques de la région de Montréal, les groupes avec des intérêts spéciaux et les groupes culturels de vieilles souches aussi partout au Québec. Entre autres objectifs, il vise à défendre et à promouvoir le développement de ces communautés afin qu'elles fassent partie intégrante de la société québécoise. La Charte québécoise des droits et libertés de la personne constitue la plus importante source légale des droits des minorités.

Le mémoire que présente aujourd'hui le Conseil des minorités du Québec propose des moyens d'améliorer la charte afin de mieux protéger les droits fondamentaux des minorités linguistiques, religieuses et ethniques. La Charte québécoise des droits et libertés de la personne ne protège que les droits culturels des minorités ethniques et n'enchâsse pas les droits économiques et sociaux permettant aux communautés ethniques de maintenir et de développer leurs institutions. À titre d'organisme protecteur des droits de la personne, la Commission des droits de la personne doit être plus présente et plus accessible à la population pour être efficace. Aussi le Conseil des minorités du Québec veut faire des commentaires sur les programmes d'accès à l'égalité. Et nous aussi, nous pensons que ces programmes sont très importants dans le contexte des minorités au Québec, nous pensons que la Commission des droits de la personne doit avoir des pouvoirs plus étendus qui lui permettent de faire enquête sur les pratiques utilisées dans les secteurs public et parapublic où les minorités ethniques et linguistiques sont gravement sous- représentées.

Maintenant, je veux laisser la parole à M. James Leavy, un de nos membres du côté des minorités. Il représente notre groupe de travail sur les droits de la personne. Il va mettre en relief nos recommandations avec les explications appropriées.

M. Leavy (James): M. le Président, messieurs et mesdames les membres du comité, les remarques que j'aurais à vous présenter seront un peu juridiques. Cela va peut-être faire un peu "prof" de vous parler de droit international et ses répercussions en droit québécois, mais je pense qu'il est important de souligner ces aspects si on veut comprendre les modifications que l'on voudrait proposer au texte actuel de la

charte.

On a souligné dans notre mémoire, vous le voyez d'ailleurs à la première page, que dans la charte actuelle, à l'article 43, quand elle parle de minorités - d'ailleurs, c'est la seule référence aux minorités en tant que groupes dans la charte - elle parle de minorités ethniques seulement et s'adresse uniquement aux droits culturels de ces minorités.

À cet égard, il y a peut-être lieu de souligner que les autres lois provinciales sur les droits de la personne, et les lois dites sur les droits de la personne, ne parlent guère des droits collectifs des minorités, pour la bonne et simple raison qu'à part certaines exceptions en Alberta et en Saskatchewan, les autres provinces canadiennes n'ont pas véritablement de charte des droits de la personne. Elles ont des lois sur la discrimination mais, à mon avis, il ne faut pas confondre les deux notions. Une véritable charte sur les droits de la personne comprend des mesures antidiscriminatoires, mais comprend aussi des mesures telles que les autres articles de la charte québécoise des droits de la personne. Or, au niveau des droits collectifs des minorités, la charte québécoise s'adresse à l'heure actuelle uniquement aux minorités ethniques et aux droits culturels de ces minorités.

Or, cette charte a été approuvée par l'Assemblée nationale en 1975. L'année suivante, en 1976, le Canada a ratifié le pacte international des Nations Unies sur les droits civils et politiques a aussi le pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels. Cette ratification a été faite avec le consentement de toutes les provinces. Le Canada s'est engagé, en droit international, donc envers la communauté mondiale, au nom non seulement du pouvoir fédéral, mais aussi au nom des pouvoirs provinciaux, à respecter les droits énoncés dans ces deux documents. Or, parmi ces droits, on trouve l'article 27 du pacte international sur les droits civils et politiques. Vous avez le texte de cet article 27, qui est très important, à la page 2 de notre mémoire. Je vais le lire tout simplement pour que cet article soit très bien compris. Voici l'engagement auquel le Canada a souscrit au nom de toutes les provinces et au nom de l'État fédéral: "Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d'avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue."

On s'adresse non seulement aux minorités ethniques, mais on s'adresse aux minorités linguistiques, on s'adresse aussi aux minorités religieuses. On ne parle pas que des droits culturels, on parle des droits linguistiques, on parle des droits religieux. Donc, les obligations que le Canada a assumées à l'égard des droits collectifs des minorités, en 1976, sont beaucoup plus étendues que les obligations que le Québec a assumées à l'égard de sa propre population dans la charte telle qu'adoptée en 1975. Non seulement le contenu de l'article 27 est-il plus vaste que l'article 43 de la charte, mais il y a lieu de noter aussi que l'article 43 de la charte fait partie de la section concernant les droits économiques et sociaux. À cet égard, l'article 3 ne jouit pas de primauté à l'égard de d'autres lois de l'Assemblée nationale. Or, l'article 27 du pacte international que je vous ai lu tout à l'heure fait partie du pacte sur les droits civils et politiques. En d'autres termes, en droit international, les droits des minorités en tant que collectivités ne sont pas simplement des droits économiques, sociaux et culturels. Ces droits sont reconnus comme étant des droits civils et politiques. Donc, pour être conformes aux obligations auxquelles le Canada a souscrit en droit international, au nom des provinces aussi bien qu'au nom de l'État fédéral, il faudrait que l'article 43 de la charte actuelle soit abrogé, qu'un autre article soit ajouté dans la partie Dispositions générales et que l'article ajouté soit conforme dans ses termes à l'article 27.

Le droit international, lorsqu'il s'agit d'interpréter les obligations des États à l'égard des minorités, accepte que ces obligations comprennent non seulement le droit à l'égalité au plan individuel, donc le droit à la non-discrimination en faveur des individus, mais insiste aussi pour que les groupes minoritaires aient un droit strict, un droit civil, un droit politique, si vous voulez, à établir et à gérer leurs propres institutions. Ce qui n'est pas clair en droit international à l'heure actuelle, c'est de savoir si l'État a une obligation de subventionner ces institutions minoritaires. Je vous ai fait part, dans le texte, du rapport de M. Caportorti, qui était le rapporteur spécial des Nations Unies, de son document très long et très fouillé qui est considéré par plusieurs comme étant peut-être la meilleure exposition de la situation actuelle du droit international des minorités. Il est d'avis que l'article 27 constitue non seulement un droit à la non-ingérence dans les affaires des minorités de la part de l'État, mais impose aussi aux États l'obligation de subventionner, de fournir l'aide matérielle et financière nécessaire pour le bon fonctionnement, pour la survie des institutions minoritaires.

La version de l'article de la charte que nous voudrions ajouter au document actuel ne va pas jusqu'à inclure cette interprétation que donne M. Caportorti du droit international actuel. On ne demande pas que la nouvelle version de la charte contienne

une disposition qui oblige l'État québécois à subventionner, à accorder de l'aide financière aux institutions minoritaires, mais nous pensons que, pour que le droit québécois soit explicitement conforme aux obligations auxquelles le Canada a souscrit en droit international, la charte québécoise devrait prévoir un article qui se lise comme suit: Les personnes appartenant aux minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ont le droit d'avoir en commun avec les autres membres de leur groupe leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d'employer leur propre langue. Voilà, en gros; c'est l'article 27 du pacte international. On ajoute à cela, pour refléter l'interprétation qu'on a donnée au droit international, aux obligations des États dans ce domaine: À ces fins, elles - les personnes; nous appartenons aux minorités -ont notamment le droit de créer et de gérer des institutions sociales et communautaires, y compris des institutions scolaires.

Est-ce que cet amendement aurait des effets pratiques pour le Québec? Je pense que oui. Pour savoir ces effets pratiques, j'aimerais bien vous parler très brièvement des mesures de mise en application du pacte international. Vous savez que le Canada, comme d'autres pays, a beaucoup de documents internationaux. Les Nations Unies fourmillent de toutes sortes de déclarations adoptées à des assemblées, des conférences, etc. Ces déclarations ont très souvent très peu d'effets pratiques dans l'ordre juridique.

Le pacte de 1966 est différent et de façon très importante, parce que ce pacte que le Canada a ratifié a mis sur pied ou a permis la mise sur pied d'un comité des Nations Unies, d'un organisme et, devant ce comité, des individus ont le droit de porter plainte contre leur gouvernement s'ils estiment que les droits qui leur sont reconnus par le pacte ont été violés.

Il est donc possible que des Québécois ou des groupes de Québécois puissent porter plainte - contre le gouvernement du Canada et non pas contre celui du Québec, parce que, du moins jusqu'à présent, le Québec n'a pas de statut international pour être l'objet d'une telle plainte - devant le comité, contre le gouvernement du Canada, disant que, dans sa législation, disons, pour les fins de cette exposition, le Québec - cela pourrait être une autre province évidemment - n'a pas respecté tel ou tel droit, y compris les droits collectifs des minorités.

Le comité des Nations Unies a déjà donné son opinion à l'égard d'une plainte portée par une citoyenne canadienne, en l'occurrence, une Indienne, à l'égard de la loi fédérale sur les Indiens et ce comité - la décision a été rendue au mois de juillet dernier - a déjà trouvé le Canada en violation non seulement du pacte, mais plus particulièrement en violation de l'article 27 du pacte, parce que les droits de cette Indienne, son statut d'autochtone et ses bénéfices d'autochtone, n'ont pas été respectés par les dispositions discriminatoires de la Loi sur les Indiens.

Il est donc possible que de tels recours puissent être pris par des Québécois, par des membres des minorités, contre le gouvernement du Canada, mais visant la législation québécoise, devant un organisme des Nations Unies. Comme le gouvernement du Canada est mis dans l'embarras à l'heure actuelle devant la communauté mondiale à cause de la décision dans l'affaire Lovelace, le gouvernement du Québec pourrait se voir dans une situation embarrassante si jamais ce comité donnait un avis à savoir que, dans certains de ces domaines, le Québec ne respecte pas toutes les obligations souscrites par le Canada en son nom à l'égard de l'article 27 du pacte. (12 h 30)

Si on inclut dans la charte un article tel que celui que nous proposons, il y aurait, dans la loi québécoise, un recours en droit national, en droit québécois, qui pourrait être utilisé avant qu'un citoyen québécois ait l'occasion de se présenter devant les Nations Unies. On ne se présente devant les organismes internationaux que si les recours en droit national ont été épuisés, si on a essayé toutes les voies de recours en droit national et si ces recours se sont révélés inefficaces. On peut éviter, par un article tel que celui qu'on propose, que le Québec soit mis dans l'embarras sur la scène internationale, parce qu'il y aurait, dans le système de droit national, un recours possible pour la violation des droits collectifs des minorités.

Une question que l'on pourrait fort bien se poser à cet égard, c'est évidemment: Est-ce que l'inclusion d'un tel article aurait des effets pratiques sur des lois qui existent actuellement au Québec? On peut songer en particulier à la Charte de la langue française. Dans quelle mesure l'article que nous proposons aurait-il des effets? Je ne saurais vous donner de réponse précise à l'égard de chaque article de la Charte de la langue française. Tout ce que je puis vous dire, c'est que le droit international, tout en insistant sur le respect des droits collectifs des minorités, reconnaît aussi une obligation de la part des minorités dans cette société de respecter leur statut de minorités et de respecter leur obligation de vivre avec la majorité, en tenant compte, aussi, des droits de la majorité.

Dans la mesure où certaines des dispositions de la Charte de la langue française ne constituent que l'affirmation de la volonté de la majorité et ne visent pas directement la situation des minorités, il me semble qu'il n'y aurait rien à craindre de ce côté-là. Je ne peux vous donner carte

blanche en vous disant: II n'y aura aucun article de la Charte de la langue française qui sera mis en cause par l'amendement que nous proposons à la charte. C'est impossible de dire ça. De toute façon, ça exigerait beaucoup d'études juridiques. Mais je pense que, compte tenu de ce que nous savons des obligations des États à l'égard des minorités en droit international et des obligations des minorités à l'égard de la majorité, presque tous les articles de la Charte de la langue française sortiraient indemnes d'un tel test, à savoir si la charte est conforme au droit collectif des minorités. C'est le premier élément que je voulais souligner.

Le deuxième point que je voulais souligner touche la question de la juridiction de la commission. Il y a peut-être un point sur lequel j'aimerais vous entretenir très brièvement. On propose, dans notre document, la mise sur pied d'un système de commissions d'enquête, de "boards of inquiry", comme on les appelle dans d'autres provinces, au lieu du système actuel. Vous savez qu'en vertu du système actuel, la commission fait enquête, d'abord, sur des plaintes de violation. Ensuite, la commission essaie de réconcilier les deux parties. Si les efforts de la commission s'avèrent vains à cet égard, à ce moment-là, la commission peut faire des recommandations. Si les recommandations ne sont pas suivies, la commission s'adresse au tribunal.

Il y a, dans cet ensemble de procédures, peut-être, une démarcation insuffisamment nette, à notre avis, du rôle de conciliation et du rôle de décision. Je sais que légalement, au sens strictement juridique, la commission ne prend pas de décision. La commission, à la suite de tout ce processus, émet des recommandations. Mais les recommandations de la commission ont presque un caractère décisionnel. Il me semble qu'il serait peut-être plus sain qu'on adopte un système en vertu duquel la commission a un rôle clair: le rôle de faire une enquête, une investigation, d'essayer de réconcilier. Si, à la suite de cette étape, on ne réussit pas à réconcilier les deux parties, ce sera à un autre organisme de prendre le dossier en charge et de prendre une décision, s'il faut prendre une décision, à l'égard de la plainte.

Le mécanisme qu'on propose, c'est une commission d'enquête - "a board of inquiry" - composée d'une personne ou de plusieurs personnes et mise sur pied par le ministre, pas par la commission, comme c'est le cas au fédéral.

Le système fédéral n'est pas, à mes yeux, le meilleur système. Je sais, après avoir parlé à plusieurs personnes, y compris des personnes impliquées dans des dossiers devant la commission, que l'idée que la commission puisse constituer des "boards of inquiry" n'est pas la meilleure façon de faire les choses. On voudrait donc faire une démarcation nette entre le rôle de la commission et le rôle des "boards of inquiry", en faisant en sorte que ce soit le ministre de la Justice qui ait le pouvoir discrétionnaire de mettre sur pied ces "boards of inquiry". Ces "boards of inquiry" auraient le pouvoir de prendre les décisions et ces décisions seraient homologuées par la Cour supérieure.

J'ai une préférence pour les décisions judiciaires, mais si des décisions doivent être exécutoires, je préfère que ces décisions soient prises par des tribunaux judiciaires. Donc les décisions de ces "boards" seraient homologuées par les tribunaux judiciaires, avant de devenir exécutoires. C'est là la principale recommandation que l'on fait à l'égard de la procédure. Il y en aura d'autres, mais je préfère laisser la parole à Mme Usher et à M. Chambers pour vous parler de l'aspect du recours à l'action positive.

Mme Usher: Merci, M. Leavy. J'aimerais peut-être revenir sur le sujet pour dire comment, nous, au Conseil des minorités du Québec et tous nos groupes membres, nous pensons à des mesures qui seraient nécessaires pour assurer une présence beaucoup plus profonde des membres des groupes minoritaires linguistiques et ethniques dans la fonction publique et dans l'administration parapublique.

Nous supportons aussi les besoins très critiquables des programmes de l'accès à l'égalité pour les femmes - je dois au moins dire ça - et je pense que le point important de cette demande de participation des membres des minorités linguistiques et culturelles à la fonction publique et à l'administration publique provient du fait qu'on a des programmes et des politiques qui empêchent l'accessibilité aux services du gouvernement et, notamment, face à l'application de la loi 65 avec laquelle nous avons vécu depuis quelques années maintenant.

Nous voyons un système très ouvert, très démocratique, mais très ouvert à la participation - et c'est un grand "mais" - au sein des conseils régionaux, au sein des groupes de travail ou de n'importe quelle commission administrative, il y a vraiment absence de participation des gens qui viennent de groupes ethniques et de groupes minoritaires linguistiques.

C'est très évident, à l'intérieur de la ville de Montréal; dans la région de Montréal, c'est vraiment un problème. Le résultat de ça, est que l'on ne pense jamais que ces personnes ont un mode de vie dont l'aspect culturel devrait leur valoir l'accessibilité aux services. Ils ne sont pas connus par les gens qui sont impliqués dans la planification. Ils donnent de très bons

services, mais, avec toute la bonne volonté du monde, ces gens ne sont pas inclus comme les clients types.

Ce sont les trois grands points que nous voulons vous présenter aujourd'hui et qui sont vraiment liés aux préoccupations prioritaires du Conseil des minorités du Québec et de ses groupements. Maintenant, je vous invite à poser vos questions et nous essayerons d'y répondre.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: Je vous remercie très sincèrement de vos représentations. Nous n'avons pas beaucoup de temps devant nous, mais concernant le dernier point que vous venez de soulever en ce qui a trait à la sous-représentation des minorités au niveau d'organismes ou encore au niveau de la fonction publique, est-ce que vous avez des statistiques ou encore une connaissance de la situation qui vous permettent d'informer la commission jusqu'à quel point les représentants des minorités expriment leur désir et leur volonté soit d'aller à la fonction publique ou soit de faire partie d'organismes?

Je vous pose cette question-là parce qu'il me semble qu'on m'a déjà fait beaucoup de remarques à savoir que, lorsqu'il y a des concours de la fonction publique, c'est très rare qu'il y a des postulants venant d'autres groupes ethniques. Il s'agirait peut-être de le vérifier quand même parce que je crois que s'il y a un effort à faire - vous avez raison de le dire - de la part des autorités gouvernementales, de la part des groupes majoritaires, il y a peut-être une sensibilisation aussi plus grande - si c'est le cas - qui pourrait être faite au niveau de ceux et celles qui pourraient être intéressés à accéder à ces postes-là. Est-ce que vous avez des chiffres?

Mme Usher: Nous avons passé deux ans en grande partie sur cette question. Les choses qu'on peut constater maintenant après deux ans d'analyse, c'est que ça commence même avec une connaissance des emplois qui sont disponibles. D'accord? Cela touche les journaux où ces emplois sont offerts; cela a étéamélioré depuis quelques mois. Il y a aussi le recrutement et la sensibilisation face aux jeunes, qui n'étaient jamais faits, mais qui se sont améliorés aussi récemment avec les efforts de notre programme du conseil sur l'accès à l'emploi et aussi, notamment, grâce aux efforts du Groupe de participation Québec qui travaille face aux jeunes.

Ces deux choses fournissent une connaissance à savoir où les emplois sont disponibles et c'est aussi une conscien...

M. Bédard: Conscientisation?

Mme Usher: Oui, c'est ça, une conscientisation du fait qu'il y a un grand marché de travail qui n'est peut-être pas tellement ouvert aujourd'hui, mais c'est là et nos jeunes auront la même possibilité que d'autres de se présenter. Je l'admets, c'est une lacune de la part de nos institutions éducatrices et le Conseil des minorités du Québec admet que nous avons beaucoup à faire concernant nos propres institutions. C'est aussi quelque chose que nous revendiquons face au gouvernement. Peut-être que M. Chambers voudrait ajouter quelque chose sur le programme.

M. Chambers (Geoffrey): Je veux simplement souligner que c'est un mangue, c'est une question d'attitude qu'on voit aussi envers le gouvernement fédéral. Il y a aussi des applications qui concernent le gouvernement fédéral. Nous avons maintenant des programmes dans les écoles et les cégeps pour donner de l'information et animer les étudiants minoritaires, pour leur dire qu'il est possible de trouver de l'emploi dans les services gouvernementaux. C'est face à un projet un peu approprié aux services gouvernementaux eux-mêmes que les institutions, comme le Conseil des minorités du Québec, peuvent, de temps en temps, mettre sur pied des programmes pour améliorer la disponibilité... (12 h 45)

M. Bédard: Les programmes et la sensibilisation des groupes à l'existence de ces programmes.

M. Chambers: Oui, c'est très cher pour nous alors que le gouvernement a les moyens de faire connaître ces programmes. Ce serait beaucoup plus facile et beaucoup plus efficace.

M. Bédard: D'accord. Sur un autre point, parce que je ne veux pas prendre tout le temps. Vous nous demandez d'introduire un nouvel article concernant les droits des minorités; on pourrait avoir une discussion assez prolongée sur le contenu même de ce que vous proposez; vous nous demandez qu'il soit introduit au chapitre premier, d'une façon tout à fait précise, mais où?

M. Leavy: À la fin du chapitre.

M. Bédard: Non. Ce que je voudrais savoir, c'est si c'est le genre d'article sur lequel - s'il était introduit, je ne présume pas de la décision, je ne veux pas - il y aurait un pouvoir d'enquête de la commission. Comme vous le savez, notre charte, des articles 9 à 38...

M. Leavy: Oui, j'accepterais qu'il y ait un pouvoir d'enquête, mais je voudrais bien m'assurer qu'il y ait une primauté en faveur

de ces dispositions à l'égard de lois subséquemment adoptées par l'Assemblée nationale, ce qui n'est pas le cas avec l'article 43 actuel.

M. Bédard: Ou cela peut être entre 1 et 8.

M. Leavy: Oui.

M. Bédard: Quant à la liberté de religion, êtes-vous d'accord pour dire qu'elle est protégée présentement par la charte en ce qui a trait aux groupes minoritaires comme c'est le cas pour l'ensemble des citoyens?

M. Leavy: Oui.

M. Marx: C'est de compétence fédérale, de toute façon. La religion, actuellement, est de compétence fédérale. Il ne faut pas essayer de légiférer sur la religion, ici.

M. Bédard: Non, mais est-ce que vous voulez nous proposer d'enlever le mot "religion" à l'article 10?

M. Marx: Non, on peut le laisser, mais ça n'ajoute rien. C'est là, c'est bon que ce soit là, mais cela n'ajoute rien.

M. Leavy: Disons qu'il y a certains aspects, concernant la liberté de religion, qui sont...

M. Bédard: Comme le législateur ne doit jamais légiférer pour ne rien dire...

M. Marx: C'est en théorie, M. le ministre.

M. Leavy: Je pense que vous avez soulevé une question constitutionnelle fort intéressante, comme il y en a eu plusieurs aujourd'hui. Il y a du moins certains aspects de cette liberté qui relèvent de la compétence de l'Assemblée nationale.

M. Bédard: Je ne veux pas soulever un débat constitutionnel.

M. Leavy: Oui, le droit constitutionnel.

M. Bédard: Je pense qu'on en parle suffisamment en dehors de cette commission.

M. Leavy: Oui.

M. Bédard: Vous savez que plusieurs organismes ont dénoncé les délais et le trop grand nombre d'instances administratives dans le traitement des plaintes devant la commission. Vous proposez une procédure nouvelle. Ne croyez-vous pas que cette procédure nouvelle, à savoir un appel à la commission sur rejet d'une plainte, tout cela alourdirait plutôt toute l'administration d'autant plus que le recours aux tribunaux civils est toujours possible.

M. Leavy: Oui, mais je pense que le recours aux tribunaux civils n'est pas très souvent utilisé. D'ailleurs, c'est précisément parce que dans des cas de discrimination, c'est tellement difficile du point de vue temps et aussi c'est dispendieux. Qu'on ait mis sur pied dans l'ensemble des provinces canadiennes et au niveau fédéral les procédures plus souples devant la Commission des droits de la personne, le problème qui nous préoccupe, c'est la situation où l'individu téléphone à la Commission des droits de la personne, expose son problème et quelqu'un à l'autre bout de la ligne dit: Non, cela ne relève pas de nous. Qu'est-ce que cette personne fait, à ce moment? Il nous semble qu'il doit y avoir une procédure, même si la procédure est très sommaire, afin qu'il y ait une deuxième opinion quelque part à laquelle cette personne aurait droit.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Parmi les groupes minoritaires au Québec, surtout des anglophones, parce que je pense que le problème est vraiment là, je dirais que pour comprendre le problème des anglophones à Québec, dans la fonction publique, il y a des similarités en ce qui concerne les problèmes que les francophones ont subis à Ottawa avant l'accession de M. Trudeau au pouvoir.

Autrefois, à Ottawa, on trouvait très peu de francophones et, quand les francophones ont dit: Comment se fait-il qu'il y a très peu de francophones dans la fonction publique en général? La réponse était toujours: II n'y a pas de discrimination, personne n'a fait la demande. Pourquoi ne fait-on pas plus de demandes pour avoir plus de francophones dans la fonction publique fédérale?

Le problème, au Québec, pour dire cela comme il faut, c'est ça. On a utilisé des excuses auprès des femmes aussi dans le ministère de la Justice, il n'y a pas de sous-ministre, de sous-ministre adjoint, de sous-ministre associé femme. Je ne sais pas si la raison, c'est parce que les femmes n'ont pas fait de demandes. Je ne sais pas.

M. Bédard: Si vous voulez parler du ministère de la Justice, vous pouvez prendre tous les organismes, vous verriez qu'il y a une préoccupation tout à fait spéciale.

M. Marx: Le ministère de la Justice, c'est le meilleur ministère au Québec et au

Canada. Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'autres fonctionnaires femmes dans votre

ministère ou très peu, quoique à la faculté de droit de l'Université de Montréal, il y a beaucoup de femmes étudiantes et j'imagine qu'éventuellement, elles vont faire des demandes et éventuellement vous allez trouver des places.

Mais je pense que c'est trop facile de dire aux anglophones: Vous n'avez pas fait de demandes. Vous savez que ça fonctionne - je ne sais pas dans votre ministère, mais dans beaucoup d'organismes au Québec - par le "old boy network". Cela veut dire que le gars qui engage connaît quelqu'un, qui connaît quelqu'un, et ce sont des concours ouverts, mais il y a beaucoup de gens qui sont placés. Même cela a été fait pour des raisons politiques, comme je le lis dans les journaux. Tout cela pour dire, M. le ministre, que si vous avez l'intention de faire quelque chose il faudra faire plus que de dire que les groupes ne font pas de demandes. Il y a des femmes dans mon comté qui ont des diplômes universitaires et qui aimeraient travailler dans la fonction publique québécoise, qui parlent français, peut-être pas à 100%, mais je vais vous garantir que si elles remplissent les formules, la paperasse, elles n'auront jamais un emploi. Il faut qu'elles connaissent quelqu'un dans un organisme qui leur dise: II y a une ouverture, faites une demande, on va voir, on va constituer un comité de sélection et tout cela. On est tous dans la fonction publique, on sait comment cela fonctionne.

M. Bédard: Sans faire une longue...

M. Marx: Je ne blâme pas le ministre, ni le gouvernement. Ce n'est pas...

M. Bédard: Si vous me permettez simplement, je ne crois pas avoir affirmé qu'il n'y a pas suffisamment de demandes, mais j'ai cru opportun, étant donné que nous avions des groupes, étant donné nos interlocuteurs de ce matin, de leur demander si cela avait un fondement, cet élément, à savoir que le milieu n'est peut-être pas suffisamment sensibilisé. Cela peut vouloir dire que le gouvernement devra sensibiliser, beaucoup plus qu'une action au niveau du milieu. Je m'en tiens à la réponse qui nous a été faite par les groupes eux-mêmes qui viennent de comparaître.

Mme Usher: Oui. Je tiens à souligner, M. Marx, qu'il y a un "old girls' network" qui commence au Québec aussi.

M. Marx: Oui, mais ce n'est pas l'expression en anglais. Voilà pour cette question. L'autre question qui m'a beaucoup intrigué, c'est quand M. Leavy a posé le problème de l'article 27 que le Canada a ratifié. Vous avez écrit que cet article lie le Québec. Est-ce que cela veut dire que si le

Québec ne respecte pas cet article, le Canada pourrait être traduit devant le comité parce que le pays n'a pas respecté l'article? Est-ce que c'est ce que cela veut dire?

M. Leavy: En principe, le Canada s'est engagé internationalement à l'égard non seulement de ses propres lois, mais à l'égard des lois adoptées par les provinces. Cela a été fait avec le consentement de toutes les provinces. C'est d'ailleurs à cette condition que le Canada a ratifié le pacte en 1976.

M. Marx: Est-ce que les provinces étaient d'accord que cet article leur soit appliqué?

M. Leavy: Toutes les provinces ont été d'accord avec tous les articles tant du pacte sur les droits civils et politiques que sur le pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels. J'aimerais bien, et je pense que M. le ministre de la Justice...

M. Bédard: Ce serait intéressant de voir la situation dans toutes les provinces.

M. Leavy: Oui, mais, M. le ministre de la Justice, laissez-moi terminer pour jeter un peu de clarté. Il y a un autre article, si cela peut vous aider à inclure un article du pacte dans la charte, qui est l'article premier du pacte international tant sur les droits civils et politiques que sur les droits économiques, sociaux et culturels. Vous le connaissez, mais je le cite tout de même, cela peut vous aider à adopter une attitude plus conciliante à l'égard du pacte. L'article 1 dit: "Tous les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel." Il y a de bonnes choses dans ce document; il ne faut pas avoir peur du pacte.

M. Bédard: C'est intéressant, c'est très intéressant ce que vous nous dites.

M. Marx: Je veux terminer sur cette question par une autre question. Est-ce que la Belgique a aussi accepté cet article?

M. Leavy: La Belgique, je pense, n'a pas ratifié les deux pactes. À ma connaissance, il y a très peu de pays européens. La Belgique est évidemment liée par la Convention européenne des droits de l'homme. C'est la convention de 1950. Vous savez que la cour, en 1968, s'est prononcée sur la fameuse question, l'épineuse question de la langue d'instruction en Belgique. On a décidé dans cette affaire que la Belgique pouvait avoir son régime de répartition linguistique, quoiqu'il y ait un aspect de ce

jugement très souvent mis de côté. C'est que la cour a décidé que, si l'on met sur pied des systèmes publics d'éducation dans les deux langues il faut que tous les citoyens belges aient accès à ces deux systèmes sans discrimination fondée sur la langue. En d'autres termes, à l'inverse, le gouvernement belge n'est pas obligé de mettre sur pied des écoles en langue française, mais, s'il existe des écoles publiques en français, selon la Convention européenne des droits de l'homme, tant les néerlandophones que les francophones belges ont le droit d'y avoir accès sans discrimination fondée sur la langue. C'est un aspect de ce jugement qui est très souvent mis de côté lorsqu'on en parle, parce que évidemment, c'est un jugement auquel on a très souvent recours au Québec pour soutenir tel ou tel argument sur ces questions linguistiques. Je pense qu'il est important de souligner cet aspect, parce que le régime linguistique scolaire au Québec n'est pas semblable à cet égard au régime belge.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, en concluant. Excusez-moi. M. le député.

M. Beaumier: De toute évidence, M. le Président, on s'en va vers une espèce d'accès à l'égalité en ce qui concerne l'acceptation mutuelle, la reconnaissance mutuelle des minorités et de la majorité au Québec. C'est heureux, à l'ouverture que la majorité offre et exerce envers ces minorités que, en parallèle et en contrepartie, on voie aussi, de plus en plus, une grande ouverture des minorités envers la majorité. C'est un événement heureux.

Ce que je voudrais tout simplement faire préciser, c'est que vous avez dit que si votre proposition était acceptée dans la charte, il y aurait une espèce d'impact sur la loi 101 et que la plupart des articles, selon vous, en sortiraient indemnes. Ce qu'il m'intéresserait de savoir, c'est ce qui ne sortirait pas indemne, à votre point de vue, si la recherche a été faite.

Mme Usher: Cela prendrait la journée complète.

M. Leavy: Cela prendrait surtout une étude assez fouillée des articles. Ce que j'ai dit, c'est que j'ai pensé, à première vue, qu'une loi qui vise simplement à créer une langue officielle et qui vise à utiliser la langue de la majorité dans les institutions officielles ou dans les activités publiques, en général, n'est pas contraire aux normes internationales en matière de droits de la personne, y compris de droit au respect des minorités. Mais je ne saurais vous donner, comme je le disais, carte blanche à l'égard de tous les articles de la loi. Je pense que, dans l'ensemble, la loi sortirait indemne, vu l'attitude que les tribunaux ont prise en droit international à l'égard des droits linguistiques des minorités. (13 heures)

Mais il se peut qu'en vertu de l'article que nous proposons pour la charte, il y ait des dispositions de la loi 101 qui ne sortiraient pas indemnes. Si les articles n'étaient pas condamnés ici parce qu'il n'y a pas d'article, ces articles risqueraient d'être condamnés aux Nations Unies parce que le même article 27 figure au pacte et que les citoyens du Québec ont le droit de s'adresser au comité. S'il y a des articles qui sont en violation de ces normes, vous aurez le choix ou de vous faire condamner devant la Cour supérieure et de pouvoir rectifier cette situation avant que la cause ne soit portée à Genève, ou d'attendre de vous faire condamner à Genève.

Le Président (M. Desbiens): Alors, nous...

M. Marx: ... Genève c'est plus qu'à Montréal. Lovelace, ç'a pris combien d'années? Sept ans?

M. Leavy: Oui, mais il y avait des considérations spéciales. Il y en a d'autres qui se sont réglées plus vite.

M. Marx: Est-ce qu'il y a d'autres causes ou actions venant d'autres provinces ou du Québec devant le comité international?

M. Leavy: Je sais qu'il y a d'autres causes, contre le Canada, portées devant le comité; je n'ai pas tout le détail ici, je ne sais pas exactement quel niveau de compétence est impliqué, mais il y a d'autres causes qui sont devant le comité à l'heure actuelle.

Le Président (M. Desbiens): II faut conclure.

M. Bédard: Je conclurai comme vous,

M. le Président, en remerciant nos intervenants de leurs suggestions très intéressantes.

Mme Usher: Cela nous a fait plaisir d'être ici. Merci, M. le Président, ainsi que MM. les membres de la commission.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre participation.

La commission élue permanente de la justice suspend ses travaux jusqu'à 15 heures.

À la suite d'un consentement unanime, la commission reprendra ses travaux à 15 h 30 et non à 15 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 03)

(Reprise de la séance à 15 h 46)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux. En l'absence du ministre de la Justice qui est retenu pour quelques minutes encore au Conseil des ministres, Mme la ministre d'État à la Condition féminine remplira sûrement cette charge.

M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Je voudrais faire une annonce très importante: les Expos ont gagné 3 à 1.

Le Président (M. Desbiens): Maintenant on peut respirer!

Mme Freeman, si vous voulez présenter les personnes qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

Coalition pour l'abrogation de l'article 97 de la charte

Mme Freeman (Jody): Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis Jody Freeman, pour la Coalition pour l'abrogation de l'article 97 de la Charte des droits et libertés de la personne. Je vais vous présenter les autres membres de la délégation pour la coalition: Germaine Poirier de la CSN, Françoise Deschênes de la Ligue des femmes du Québec, Patricia Steel de l'Association provinciale des enseignants protestants, Ronald Dayman de l'Association pour les droits de la communauté gaie du Québec et Esther Boskey de l'Association provinciale des enseignants protestants.

Vu que notre mémoire n'est pas très long, on voudrait le lire au complet, rapidement.

Le 8 avril 1980 a pris naissance la Coalition pour l'abrogation de l'article 97 de la Charte des droits et libertés de la personne, en raison du caractère discriminatoire et antidémocratique de cet article de la loi. Notre coalition est formée d'un ensemble de groupes syndicaux et populaires qui oeuvrent dans des secteurs d'intervention très différents, mais qui se rencontrent au niveau de cette revendication commune.

Ces organismes, qui représentent de larges secteurs de la population québécoise et font partie de la coalition sur la foi de mandats clairs, sont les suivants: l'Association pour les droits de la communauté gaie du Québec; l'Association provinciale des enseignants protestants; l'Association québécoise pour la défense des droits des retraités et des préretraités; Au bas de l'échelle; Carrefour des associations des familles monoparentales; la Centrale des syndicats démocratiques; la Centrale de l'enseignement du Québec, le Comité de liaison des handicapés physiques du Québec; la Confédération des syndicats nationaux; la Fédération des femmes du Québec; la Fédération des travailleurs du Québec; le Forum des citoyens âgés de Montréal; la Ligue des droits et libertés et la Ligue des femmes du Québec.

Nature et origine de l'article 97. L'article 97 de la charte se lit comme suit: "Les articles 11, 13, 16, 17 et 19 de la présente charte ne s'appliquent à un régime de rentes ou de retraite, à un régime d'assurance de personnes ou à tout autre régime d'avantages sociaux que si la discrimination est fondée sur la race, la couleur, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale ou la condition sociale."

En clair, ces quelques lignes veulent dire que la discrimination dans le domaine des assurances et avantages sociaux est permise, et pourquoi pas encouragée, sur la base des critères suivants: sexe, état civil, orientation sexuelle ou le fait d'être une personne handicapée ou d'utiliser un moyen pour pallier son handicap, lesquels constituent les quatre autres motifs de discrimination interdits par la charte actuellement. Cette invitation à la discrimination se retrouve ironiquement à l'intérieur d'une loi qui a pour objectif de la combattre. Comment a-ton pu en arriver là?

Lorsque le gouvernement libéral a présenté le projet de charte, le projet de loi no 50, en 1975, toute la question de la discrimination dans les avantages sociaux et assurances faisait l'objet de l'étude d'un comité de travail gouvernemental - Boutin, du nom de son président - lequel avait été mis sur pied principalement à la suite de requêtes en ce sens présentées par le Conseil du statut de la femme. Cet article 97 fut donc présenté à l'époque comme étant une disposition transitoire que le bon sens commandait d'approuver puisque le gouvernement travaillait, par ailleurs, activement à ce dossier dans le but avoué d'éliminer la discrimination dans ce secteur d'activité. C'était en 1975. Depuis, la Charte des droits et libertés de la personne a été sanctionnée en juin 1975 puis mise en vigueur en juin 1976.

Le comité Boutin a présenté un rapport final au gouvernement du Québec en décembre 1976. Plusieurs organisations, notamment des groupes de femmes et des groupes syndicaux, ont demandé au gouvernement de modifier la charte à cet égard. La Commission des droits de la personne et le Conseil du statut de la femme ont fait de même. Il est inacceptable que la charte demeure inchangée après toutes ces études et discussions. Il est inacceptable que le législateur n'ait pas encore répondu favorablement à ces multiples requêtes.

Pourquoi abroger l'article 97? Les régimes d'assurances et d'avantages sociaux privés sont bien souvent des documents discriminatoires à leur face même et cela, sans qu'ils soient pour autant passibles d'être jugés illégaux. Il y a de la discrimination subtile, lorsqu'elle s'appuie sur des données actuarielles dont on oublie trop souvent qu'elles ne sont pas immuables, mais qu'elles sont étroitement reliées à la conjoncture économique, politique et sociale. C'est souvent le cas pour les discriminations quasi institutionnalisées sur la base du sexe et de l'état civil. En ce domaine, les données actuarielles semblent acceptables alors qu'il ne viendrait à l'idée de personne de fonder des différences dans les avantages sociaux entre, par exemple, les pauvres et les riches, les Noirs et les Blancs, même si l'on sait que les premiers présentent des taux de morbidité plus élevés ou meurent plus jeunes.

Il y a la discrimination grossière aussi puisque, aux yeux de la loi, celle-là aussi est permise. Nul besoin alors d'utiliser d'une façon discriminatoire des données actuarielles. On n'a qu'à s'installer au plus creux des stéréotypes et des préjugés sociaux.

L'article 97 de la charte doit être abrogé pour deux raisons: D'une part, cet article est contraire à l'esprit de la charte dont l'objet est de préserver un ensemble de droits démocratiques et cela de façon égale, selon que l'on fasse partie de telle ou telle catégorie d'individus. Tous ont les mêmes droits et peuvent les exercer dans la mesure où ils ne nuisent pas à l'exercice des droits de leurs concitoyens. À partir de cette prémisse, la charte interdit spécifiquement toute discrimination qui s'exercerait sur la base d'un des motifs interdits de discrimination. Le secteur d'activité "travail" est tout particulièrement l'objet des attentions du législateur car plusieurs articles lui sont consacrés.

Or, l'article 97, en permettant la discrimination dans le domaine des assurances et des avantages sociaux, permet officiellement ce que l'ensemble de la charte a pour mission d'interdire. Cela est particulièrement manifeste au niveau du secteur travail car les assurances collectives constituent un aspect important des conditions de travail et de rémunération.

D'autre part et en corollaire, l'article 97 va directement contre la lettre d'autres articles de la Charte des droits et libertés de la personne. 1. L'article 10 qui énumère des motifs interdits de discrimination. 2. L'article 13 qui invalide tout contrat comportant discrimination. 3. L'article 19 qui prescrit de payer un même salaire et traitement à des travailleurs faisant des travaux équivalents. 4. L'article 56 qui spécifie que les mots "traitement" et "salaire" incluent les compensations ou avantages à valeur pécuniaire se rapportant à l'emploi. Pour des raisons de cohérence interne, l'article 97 doit donc être abrogé.

Soulignons que la présence de syndicats revendiquant des régimes non discriminatoires ne constitue pas la seule solution à cette lacune de la Charte des droits et libertés de la personne. 37% seulement de la main-d'oeuvre québécoise est syndiquée et 80% des travailleurs du secteur privé ne le sont pas. Parmi cette main-d'oeuvre syndiquée dans le secteur privé, il arrive souvent que les régimes d'avantages sociaux ne sont tout simplement pas négociés. Ils sont imposés par l'employeur. Sont-ils soumis à la négociation que l'employeur ne se rendra pas nécessairement à la logique syndicale et que la négociation se terminera par une entente impunément discriminatoire. Ironie du sort, même les employés de l'État, les enseignants, bénéficient (sic) d'un régime discriminatoire sur la base de l'état civil.

Quelques exemples de discrimination. Nous avons parlé de façon générale de la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux et d'assurances. Rappelons quelques exemples plus fréquents de discrimination auxquels se heurtent de larges proportions de Québécois et Québécoises, sans disposer de quelque recours que ce soit.

La discrimination sur la base du sexe dans les conditions de retraite: les femmes doivent prendre leur retraite plus tôt que les hommes, paient des cotisations et ont des rentes moins élevées ou, tout en payant des cotisations égales ont quand même des rentes moins élevées sous le prétexte de leur longévité.

La discrimination sur la base du sexe dans les avantages de nature familiale, concernant le conjoint et les dépendants de l'assuré: rente au conjoint et enfants survivants, paiement des frais médicaux non couverts par les membres de la famille, etc., à l'avantage des travailleurs masculins seulement, la notion de chef de famille ne se conjuguant qu'au masculin.

La discrimination sur la base du sexe dans le traitement des maladies ou des interventions de nature gynécologique au chapitre de l'assurance-invalidité-maladie: la grossesse, la maternité et d'éventuelles complications liées à ces dernières sont souvent exclues des régimes, de même que des opérations relevant de la contraception ou stérilisation.

Il y a de la discrimination sur la base de l'état civil dans les avantages de nature familiale qui ne s'adressent qu'aux conjoints légalement mariés, les conjoints dits de droit commun, les célibataires et leurs enfants dits naturels ou même adoptifs étant discriminés. Il y a de la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle dans les avantages de nature familiale au profit des conjoints: les couples homosexuels ne sont jamais reconnus.

Il y a finalement la discrimination sur

la base du handicap physique ou mental dans les régimes d'assurance-vie personnelle qui refusent d'assurer les personnes physiquement handicapées et ceci, sans faire de distinction entre un handicap non dégénérescent et une maladie dégénérescente et sans tenir compte des capacités réelles de vie de ces personnes, pas plus que de leurs possibilités de réadaptation. De plus, une personne physiquement handicapée qui visite régulièrement son médecin pour quelque raison que ce soit ne peut obtenir que très difficilement une assurance personnelle sur hypothèque des banques.

Les régimes publics. Nous ne voulons pas passer sous silence le fait que l'article 97 de la charte permet aussi que la discrimination s'exerce à l'intérieur même des régimes d'assurances publics: régime de rentes, d'assurance-maladie, d'indemnisation des victimes d'accidents du travail, d'actes criminels, d'accidents d'automobiles. Par régimes publics, nous désignons également les régimes des employés de l'État ou des sociétés publiques et parapubliques négociés et faisant l'objet de législations: ex. RREGOP.

Il ne faudrait pas croire que ces régimes sont exempts de discrimination et, notamment, les régimes couvrant les employés de l'État, particulièrement sur la base de l'état civil. Enfin, la discrimination sur la base de l'orientation sexuelle (les conjoints étant nécessairement parties de couples hétérosexuels) sévit dans l'ensemble des régimes publics négociés ou non.

Conclusion. En conséquence de ce qui précède, nous recommandons l'abrogation de l'article 97 de la charte, mais nous ne voulons pas que l'abrogation de cet article crée un vide qui ouvrirait la porte à de multiples interprétations. Étant donné que notre objectif fondamental est d'éliminer toute discrimination dans les avantages sociaux, il nous semble nécessaire que la charte soit claire à cet égard. Dans ce sens, nous proposons qu'un article interdisant la discrimination dans les avantages sociaux y soit inclus.

Enfin, bien que ce mémoire ne concerne strictement que l'article 97, les groupes ici représentés ont, pour plusieurs d'entre eux, de nombreuses revendications d'amendements à la charte ou des recommandations à faire sur l'application de cette législation. Après cinq ans d'expérience, il n'est certainement pas trop tôt pour que tous les groupes concernés par les droits démocratiques aient l'occasion de faire connaître leur point de vue. (16 heures)

Nos recommandations. 1. Abrogation complète de l'article 97 de la Charte des droits et libertés de la personne. 2. Inclusion, aux articles 11 à 19 de la charte, d'un nouvel article interdisant toute discriminatoire dans les avantages sociaux tels que: Nul ne peut exercer de discrimination dans un régime de rentes ou de retraite, un régime d'assurance de personnes ou dans tout autre régime d'avantages sociaux. En conséquence, il faut aussi modifier les articles 69 et 87. 3. Modification des législations et régimes publics dans le sens de l'abolition de toute discrimination, en concordance avec la charte telle qu'amendée.

Le Président (M. Desbiens): Merci. Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Je remercie Mme Freeman, au nom des membres de la commission, d'avoir représenté la coalition et d'avoir présenté ce mémoire qui, je pense, est bref, mais tente de bien faire le point sur ce que vous défendez aujourd'hui.

J'aimerais que vous reveniez sur ce que vous semblez décrire et que d'autres ont décrit avant vous au niveau des calculs basés sur les données actuarielles, sur la discrimination subtile dont il s'agit dans ce type de calcul, si c'était possible, pour synthétiser et ramasser ce qui vous paraît être les éléments les plus importants autour de cela.

Mme Freeman: Quant aux études actuarielles, il me semble que jusqu'à maintenant, les autres intervenants aujourd'hui tiennent pour acquis que les études actuarielles sont complètement objectives. Il nous semble que si quelqu'un décide de se servir des études actuarielles pour faire des distinctions entre les femmes et les hommes en ce qui concerne les avantages sociaux, ils font un choix tout à fait politique. Dans le sens que les études actuarielles sont basées sur l'expérience du passé. Il nous semble logique de croire que plus les conditions de vie et de travail des hommes et des femmes s'égalisent, plus les différences actuarielles vont diminuer. Il y a un aspect très relatif à ces études actuarielles. Elles ne sont pas inchangeables, elles ne sont pas fixées dans le ciment. Elles changent absolument selon les conditions de vie et de travail des personnes impliquées.

Deuxièmement, les choix politiques sont faits actuellement par rapport aux études actuarielles. Par exemple, comme on l'avait souligné dans notre mémoire, il n'y a pas de différence dans les avantages sociaux entre les Noirs et les Blancs ou entre les riches et les pauvres, et cela malgré les études actuarielles. On décide, dans ces cas, pour des raisons politiques, et pour nous, des raisons justes aussi, de mettre de côté les études actuarielles afin de promouvoir la justice. Est-ce que cela répond à votre question?

Mme Marois: Oui, cela répond très bien. D'ailleurs, cela m'a un peu frappé dans votre mémoire, l'exemple des Noirs et des Blancs.

M. Freeman: C'est très drôle qu'on trouve cela raciste par rapport aux Noirs ou élitiste par rapport aux pauvres, mais qu'on ne trouve pas cela sexiste par rapport aux femmes.

Mme Marois: Je vous remercie. Évidemment, à la suite de la modification que vous suggérez, et dans le cadre de votre mémoire, on sait que différentes difficultés d'interprétation risquent de surgir. Que ce soit relativement à la définition du conjoint de fait, on sait que ce n'est pas toujours facile, qu'il faut se donner des règles qui comportent toujours de toute façon un certain arbitraire, qu'on parle d'un conjoint légitime ou d'un conjoint de fait. Pour pallier un peu cela, il y a des organismes qui ont suggéré qu'un pouvoir réglementaire soit confié à la commission et portant sur ces questions.

Est-ce que, de votre côté, vous croyez nécessaire de réglementer cette question, d'une part? Sinon, on pourrait peut-être évaluer quelles seraient les conséquences d'une non-réglementation. Est-ce qu'il n'y a pas un risque à ce moment que l'arbitraire joue davantage qu'il ne joue maintenant, puisqu'on sait qu'il joue de toute façon maintenant?

Mme Freeman: Je vais parler aux autres membres de cela.

Je regrette, la coalition ne s'est pas prononcée là-dessus. En ce qui concerne la définition du conjoint, je pense qu'il y a déjà des...

Mme Marois: La coalition a touché à un certain nombre de choses, mais la coalition ne s'est pas penchée sur cette question.

Mme Freeman: Oui. Au niveau du Code civil, par exemple, il y a déjà des règles établies pour définir ce qui constitue un conjoint. Je ne peux pas dire quelle est notre position au nom de la coalition, parce que...

Mme Marois: Cela va, vous ne vous êtes pas arrêtés à cette question. Peut-être une dernière question, je vais laisser la parole à mon collègue de D'Arcy McGee. On sait qu'actuellement il y a des régimes -c'est ce que vous remettez en question - de rentes à prestation déterminée. Évidemment, les données actuarielles étant ce qu'elles sont - c'est vrai pour d'autres catégories de population ici, on parle particulièrement des hommes et des femmes, mais on pourrait parler d'autres catégories de population - on sait qu'il faudra compenser d'une quelconque façon le déficit actuariel que cela crée, si on veut, si le montant de la rente devient le même et ce peu importe le taux de mortalité. Craignez-vous que cela ait des effets négatifs ou le voyez-vous tout simplement comme le rétablissement d'un droit?

Mme Freeman: On le voit comme le rétablissement d'un droit. S'il s'agit des problèmes au niveau des coûts que cela implique, plusieurs membres de la coalition se sont déjà prononcés pour une redistribution de ces coûts, comme le font actuellement les travailleurs sur le marché du travail qui assument des frais des personnes âgées qui ne sont plus maintenant sur le marché du travail, etc.,

Mme Marois: Donc, vous êtes consciente qu'effectivement il y a une participation supplémentaire qui sera demandée aux cotisants au régime.

Mme Freeman: Oui.

Mme Marois: Cela va. Je vous remercie, Mme Freeman.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Quand l'Assemblée nationale a adopté la Charte des droits, on a prévu l'article 97 à l'époque comme une disposition temporaire. Je trouve votre demande assez simple; c'est bien normal que l'on abroge cet article.

Mme Freeman: Je vous remercie.

M. Marx: L'Opposition demande au gouvernement depuis 1977 d'abroger cet article, mais je ne sais pas pourquoi il n'a pas pris cet engagement; il était pris avec d'autre chose, peut-être. Maintenant que la ministre d'État à la Condition féminine...

Mme Marois: Vous permettrez cependant que...

M. Marx: Je voudrais vous poser une question; après cela, vous pourrez répondre à tout.

Mme Marois: Je répondrai à ce moment-là.

M. Marx: Nous avons la ministre d'État à la Condition féminine ici et je pense que ce serait l'occasion pour le gouvernement de prendre l'engagement d'abroger cet article. C'est à vous, ce n'est pas à un homme de prendre l'engagement.

Mme Marois: Vous continuez comme vous avez fait avec mon collègue. Je pense que l'on s'est bien entendu: ce sont les règles d'une commission parlementaire publique de l'ordre de celle que l'on tient maintenant d'être à l'écoute et je pense que notre assiduité, nos interventions le prouvent. Alors, dans ce sens-là, je pense bien répondre au nom de mon collègue qu'on reçoit toutes les recommandations qui sont présentées et qu'on verra si on y a donné suite au moment où on déposera un projet.

Je voudrais vous mentionner que, dans votre programme électoral, même si on ne veut pas faire de politique, vous recommandiez l'adoption du rapport Boutin. C'est un petit peu contradictoire par rapport à une position que vous semblez défendre.

M. Marx: On n'était pas élus. Mme Marois: Non, évidemment.

M. Marx: Sur l'engagement, j'ai entendu votre excuse, mais je n'ai pas compris votre raisonnement. Sur le principe, je pense que c'est bien simple de dire à tout le monde, à toutes les Québécoises aujourd'hui: Oui, le gouvernement va abroger l'article 97, quitte à trouver la plomberie le cas échéant pour que cette question soit réglée d'une façon efficace.

Mme Marois: Je pense que cela deviendrait un peu, jusqu'à un certain point, ridicule...

M. Marx: Demandez...

Mme Marois: ... de poser cela au départ, je le répète, dans une commission publique où on vient entendre des groupes qui font des représentations dans un sens ou dans l'autre. Disons que vous connaissez mon préjugé favorable et qu'on verra comment on pourra répondre à toutes les attentes qui ont été exprimées et qui seront exprimées dans les jours qui viennent, parce que l'on sait qu'on a encore plusieurs groupes à recevoir.

M. Marx: Ma dernière remarque, c'est: Je n'ai pas entendu quelqu'un dire qu'il faut garder l'article 97 tel quel, personne.

Mme Marois: On verra s'il n'y en a pas certains qui le diront.

M. Marx: Si le gouvernement n'est pas prêt à rendre cet engagement aujourd'hui ou cette semaine ou la semaine prochaine, cela veut dire qu'il y a un risque que l'article soit maintenu dans la charte. C'est cela que ça veut dire.

Mme Marois: Vous me permettrez de constater que c'est votre conclusion.

M. Marx: C'est la conclusion logique de vos remarques.

Mme Marois: Enfin, c'est celle que vous croyez logique.

Mme Freeman: On avait dit très consciemment qu'on voulait qu'un nouvel article soit inclus parmi les articles 11 à 20 pour que cet article soit couvert par les pouvoirs d'enquête de la Commission des droits de la personne.

M. Marx: Ce sera automatique. Si on biffe l'article 90, ce sera automatique et ce ne sera pas nécessaire d'avoir un autre article.

Mme Marois: C'est ça. À partir du moment où il y a le constat que certains régimes ne sont pas conformes aux règles déjà énoncées, aux grands droits fondamentaux et aux grands articles de base, il va de soi que, à ce moment-là, la commission peut intervenir pour agir dans ce cas.

Mme Freeman: S'il n'y a pas un article qui précise que, dans les avantages sociaux, aucune discrimination ne doit être faite, on a réellement peur, surtout après les discussions qu'on a eues avec le ministre Bédard au mois de mars dernier, qu'une personne qui se voit victime de discrimination dans les avantages sociaux soit obligée de porter plainte à la commission et que ce soit devant un tribunal que l'interprétation de la charte sera tranchée. On demande des indications claires dans la charte pour aider la commission dans son fonctionnement et aussi pour aider les plaignants à éviter des démarches trop longues, etc.

Mme Marois: Comme je ne suis pas juriste, mais que c'est le cas de mon collègue de D'Arcy McGee, peut-être pourrait-il vous apporter une réponse plus correcte et qui, peut-être, répondrait vraiment à la question que vous soulevez.

M. Marx: Je pense que, sur le plan juridique, il serait suffisant de biffer l'article 90. Il y aura deux raisons, pour le juge, de dire qu'on ne peut faire de discrimination dans ce sens. Premièrement, c'est couvert par l'article 10 et, deuxièmement, il va dire: C'était permis avant, mais, maintenant, le législateur a biffé l'article, donc, l'intention du législateur est bien claire. Mais il va de soi, comme vous l'avez dit, que ça pourrait être contesté. Vous savez que tout se plaide dans les cours, et le législateur ne peut empêcher les gens de plaider quoi que ce soit. Mais si c'est bien clair, j'espère qu'ils ne plaideront pas des choses juste pour

perdre de l'argent dans les procès judiciaires. Mme Marois: Oui. Mme Freeman: Merci.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre participation aux travaux de cette commission.

Mme Marois: Merci beaucoup.

Le Président (M. Desbiens): J'inviterais maintenant l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes Inc. à s'approcher, s'il vous plaît.

Chambre de commerce du Québec

À la suite d'une entente, c'est la Chambre de commerce du Québec qui sera entendue à ce moment-ci. La Chambre de commerce du Québec est représentée par M. John Mooney.

M. Phillips (Roger): Merci, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. Phillips, si vous voulez présenter les gens qui vous accompagnent. (16 h 15)

M. Phillips: Mon nom est Roger Phillips, je suis vice-président de premier rang de la Chambre de commerce du Québec. J'ai, aujourd'hui, l'honneur de présider notre délégation. Celle-ci est composée de M. Pierre Morin à ma droite, directeur général aux affaires publiques, M. John Mooney, avocat, directeur de la législation et M. Pierre Lemieux, conseiller en communication à la chambre.

Permettez-moi d'abord de vous transmettre en bloc nos recommandations pour revenir par la suite sur certaines considérations.

La Chambre de commerce du Québec vous propose ni plus ni moins qu'un réexamen en profondeur de la Charte des droits et libertés de la personne. Ce réexamen doit s'appuyer sur la distinction entre les droits fondamentaux et les droits contingents. Ces derniers visent d'abord à protéger l'inviolabilité des premiers, et les droits fondamentaux doivent dicter la portée et les limitations des droits contingents que le législateur promulguera.

Plus spécifiquement, la Chambre de commerce du Québec recommande que: 1. Les droits et libertés énumérés aux articles 1 à 9 de la charte actuelle prévalent sur toute loi antérieure et postérieure du gouvernement du Québec. 2. Un corollaire de cette recommandation est que toute atteinte aux droits fondamentaux énumérés aux articles 1 à 9 de la charte puisse faire l'objet d'un recours devant les tribunaux de droit commun et que soit déclarée nulle et ultra vires toute mesure législative portant atteinte à l'un de ces droits.

Dans le domaine des droits contingents, la chambre recommande au législateur: 3. D'établir que le critère de base de la discrimination est une inégalité de traitement résultant directement d'une forme de discrimination interdite par la loi.

Au sujet des propositions spécifiques soumises au législateur, la chambre recommande de: 4. Concernant l'action positive: a) Permettre à un tribunal de droit commun d'imposer des programmes d'action positive seulement comme mesure curative à une discrimination démontrée. b) Permettre aux organismes privés et publics d'adopter volontairement des programmes d'action positive comme mesure curative exclusivement. c) Ne pas amender la charte selon le projet de loi 24. 5. Concernant l'égalité du traitement, modifier l'article 10 de la charte pour remplacer "équivalent" par le mot "égal". 6. Concernant les avantages sociaux, statuer qu'une différence de contribution en fonction du risque n'est pas discriminatoire si elle procure des avantages égaux. 7. Concernant l'âge comme motif de discrimination illicite, d'éviter d'ajouter l'âge aux motifs de discrimination illicite de la charte, étant donné toutes les exceptions qu'il faudrait alors prévoir. Si on voulait prohiber la discrimination selon l'âge, il faudrait plutôt le faire dans les lois sur le travail. 8. Bien tenir compte de l'impact économique, aussi bien sur les individus que sur les entreprises et l'administration, de la promulgation de nouveaux droits contingents.

Ces recommandations faites, revenons maintenant à des considérations plus générales. Puisque l'Assemblée nationale n'a pas à étudier une proposition législative précise, comme un projet de loi, nous présumons nous adresser au législateur plutôt qu'au gouvernement et à l'Opposition. Nous vous demandons de faire une présomption semblable à notre endroit.

La chambre est un organisme à caractère socio-économique. Or, elle ne vient pas d'abord vous entretenir de chiffres, de coûts, mais plutôt de questions de principe. C'est surtout à ce niveau que nous souhaitons voir accueillir notre intervention.

Comme préalable, vous constaterez que nous remettons en cause la protection actuellement accordée aux droits fondamentaux au Québec. C'est notre conviction qui est étayée de quelques exemples d'atteintes apparentes. Mais, au-delà de ces exemples, nous avons aussi

conscience de véhiculer deux autres messages très précis dans le contexte actuel. Si la chambre vous demande de légiférer, c'est non seulement qu'elle croit que la charte est perfectible, c'est aussi qu'elle croit que c'est cette Assemblée qui peut et qui doit protéger les droits fondamentaux de la personne, sinon nous ne serions pas ici cet après-midi et nous irions porter notre message devant un autre Parlement.

Ceci dit et étant donné le contexte actuel, il nous paraît impératif de consacrer ces libertés et ces droits fondamentaux dans les plus brefs délais. Nous savons que cela va occasionner des problèmes à l'État et aux employeurs, mais ce sera là le prix à payer pour assurer une protection adéquate de ces droits. Actuellement, la charte constitue bien plus une loi antidiscriminatoire qu'une véritable charte des droits fondamentaux.

Le deuxième point sur lequel la chambre vous demande de statuer, c'est sur la distinction claire qui doit exister entre les droits fondamentaux, qui ne peuvent souffrir aucun compromis, et les droits contingents qui, eux, sont conditionnés par toutes sortes de considérations sociales ou économiques et qui ont généralement un caractère évolutif.

La troisième question de fond, qu'il faut aussi résoudre, c'est savoir si le législateur recherche ultimement l'égalité de traitement ou l'égalité des résultats dans l'exercice des droits contingents. La chambre opte résolument pour l'égalité de traitement. Elle est consciente que s'il s'agit là d'une démarche plus difficile, plus ardue et surtout plus compromettante dans les faits que l'égalité des résultats ou les apparences, les statistiques peuvent plus facilement donner bonne conscience.

Voilà, M. le Président, les trois questions préalables auxquelles nous venons chercher des réponses. Par la suite, nous pourrons entrer dans les discussions plus spécifiques de programmes d'action positive et de nouveaux motifs de discrimination illicite.

Permettez-moi donc de conclure sur une question bien précise: Qu'entend faire le législateur pour assurer la protection des libertés et des droits fondamentaux de la personne? Merci.

Le Président (M. Desbiens): Merci. Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Je vous remercie, M. le Président. J'ai beaucoup de questions à poser, mais je vais essayer de me limiter à un certain nombre d'entre elles. J'en ai une, entre autres, alors que vous rejetez carrément, me semble-t-il, les propositions qui sont faites sur les programmes d'action positive, de redressement, d'accès à l'égalité, selon le nom par lequel on veut bien l'appeler pour l'instant, on s'entendra sur le langage plus tard, est-ce que vous avez des modèles à suggérer? Si c'était le cas, de quel type de modèles s'agirait-il? Et ceci -je ne peux pas m'empêcher de le dire, je l'ai fait avec d'autres groupes ce matin nonobstant le fait que la preuve a été apportée par des pays qui ont vécu dans des systèmes où, d'abord, l'action positive était permise par des chartes et par des lois, et sur une base volontaire, alors qu'il en a résulté des échecs dans la majorité des cas.

Donc, si j'extrapolais encore davantage, ce que vous dites, c'est qu'il n'y a pas de discrimination systémique, cela n'existe pas. Donc, pourquoi viendrait-on la corriger? Peut-être que cela vous permettra d'expliquer davantage votre position, ce que je soulève comme question. Pour moi, c'est assez ambigu.

M. Phillips: M. Morin.

M. Morin (Pierre): M. le Président, je dois donc présumer que les questions que nous avons posées à cette commission demeureront elles-mêmes sans réponse. Nous allons quand même tenter d'y revenir un peu plus tard parce que nous avons certaines questions de fond. Pour répondre de façon précise à la question qui nous est posée, nous ne nous opposons pas, si une lecture adéquate est faite de notre mémoire, au contraire, à des programmes de redressement ou à des programmes d'action positive. La deuxième partie de la question, c'est quel modèle choisit-on. Le modèle que nous avons retenu est précisément le modèle américain, où il y a peut-être une expérience plus riche qui existe. Il y a certaines affinités et proximités qui permettent une juxtaposition de modèles beaucoup plus adéquate que ceux qui sont contenus dans les propositions, entre autres, mais pas exclusivement, de la Commission des droits de la personne.

Pour vous parler de la distinction que nous établissons, cependant, c'est que nous proposons que les programmes d'action positive soient ou bien imposés par une cour de justice une fois que preuve a été faite de discrimination - c'est alors essentiellement du ressort d'un tribunal de droit commun de l'imposer - ou encore, volontairement, par un organisme ou par une entreprise qui constate elle-même, avec preuves suffisantes, qu'il y a chez elle discrimination. Cela tient compte à la fois de ce que l'on peut appeler de la discrimination systémique. Il faut bien noter cela. Le problème, c'est comment établit-on la preuve de la discrimination systémique? On dit qu'il faut que cette preuve soit quand même établie. Effectivement - je vois le député hausser les épaules un peu - ça ne s'établit pas par des statistiques parce que, si vous voulez l'établir par des statistiques, à ce moment, le corollaire de ça, c'est que vous recherchez, de l'autre côté, des

résultats statistiques et, à ce moment, effectivement, cela ne peut pas se traduire autrement. Si, d'une part, vous vous servez de statistiques pour établir la preuve, de l'autre côté, le correctif sera apporté par d'autres statistiques. À ce moment, il faut se poser une question: Recherche-t-on une société homogénéisée? Si je peux me permettre un cas: Est-ce de la discrimination systémique que les électeurs du député de D'Arcy McGee soient un regroupement particulier et particulièrement fort dans son comté? Est-ce que cela en est?

Mme Marois: Je ne dis pas que votre exemple est fort bien choisi, mais enfin.

M. Morin (Pierre): Non. Parce qu'il est aussi bien choisi. Vous pourriez aussi bien invoquer que, par exemple, la concentration de la population italienne dans la ville de Saint-Léonard est le résultat d'une discrimination systémique, en vous basant aussi sur des statistiques.

Mme Marois: Quand on parle de discrimination systémique, on ne parle pas que d'éléments statistiques. C'est beaucoup plus large que ça. On dit: Cela nous permet de le rendre visible comme phénomène. Cela va? Et je pense qu'on le sait et on le constate, cela le rend visible comme phénomène, mais c'est beaucoup plus large que ça, cette notion de discrimination systémique. Je ne voudrais pas qu'on la réduise à un ensemble de données statistiques qui devraient apporter comme résultat des objectifs statistiques à fixer au bout. Ce n'est pas non plus dans le sens des interventions qui sont faites dans une perspective où on est davantage d'accord, si on veut, avec des programmes de redressement progressif; absolument pas. Je trouve que c'est fausser le débat, finalement, que de ne le mettre que sous cet angle fort restreint. C'est beaucoup plus large que ça. Il faut lire tout ce qu'a fait la commission autour de ça. Il faut lire l'ensemble des remarques ou des analyses qui ont été faites dans des documents antérieurs.

Il ne faudrait pas faire dire des choses qui n'ont pas été dites. (16 h 30)

M. Morin (Pierre): Mais, M. le Président, je crois qu'il faudra d'abord et avant tout admettre que cette visibilité statistique est le principal critère sur lequel on se fonde pour établir l'existence de la discrimination. Effectivement, on me rappelle ici que le seul critère possible de démonstration de la supposée discrimination systémique est statistique. En définitive, il est statistique.

M. Marx: ... situation actuelle. Je pense qu'on a eu comme intervenantes des femmes qui étaient ici pour dire que la discrimination existe. Donc, cela appuie les statistiques.

Mme Marois: Cela vient les confirmer, mais si vous regardez certains des mémoires qui ont été présentés hier, que ce soit par le groupe Au bas de l'échelle et particulièrement par Action travail des femmes, j'irais dans le sens du député de D'Arcy McGee, c'est-à-dire que les statistiques viennent confirmer des choses. Finalement, dans le document de la Commission des droits de la personne, on va beaucoup plus loin que cela. Je vais vous lire un extrait. On parle du comité du Sénat américain chargé d'étudier cette question, qui soumet un rapport où il parle de la discrimination en emploi: "La discrimination en emploi, telle que nous la percevons aujourd'hui, est un phénomène beaucoup plus complexe et durable. Les experts décrivent habituellement le problème en termes de "systèmes" et de "résultats" plutôt qu'en termes de dommages intentionnels, et la littérature portant sur ce sujet est remplie de discussions sur, par exemple, la mécanique de l'ancienneté et des lignes de progression, sur la perpétuation de l'effet actuel de pratiques discriminatoires... " C'est évident -on ne se chicanera pas longtemps - qu'on peut le constater à l'aide d'analyses statistiques.

M. Morin (Pierre): On peut aller plus loin. On peut même, M. le Président, à ce moment-là... Une personne qui est l'objet de cette discrimination que l'on qualifie de systémique peut effectivement alléguer devant une cour de justice qu'elle a été l'objet de discrimination, et c'est précisément ce que nous disons. Elle va devoir, cependant, faire la preuve qu'elle a été l'objet de discrimination. Si c'est aussi évident que la ministre l'indique, effectivement, ce sera reconnu, ce sera corrigé et cela devra être corrigé.

Mme Marois: Je vais revenir sur une chose. En soi, le mot le dit, on parle de discrimination systémique, donc, due à un système. On demande à un individu d'avoir le fardeau de prouver que le système l'a discriminé; donc, on continue à fonctionner sur la base individuelle, alors qu'on reconnaît dès le départ que c'est le système en soi. Là, il n'y a pas de mauvaise volonté des individus dans un système, c'est socioculturel et c'est dans ce sens que c'est plus large.

M. Morin (Pierre): Me permettez-vous d'ouvrir seulement une parenthèse?

Le Président (M. Desbiens): M. Morin.

M. Morin (Pierre): La déclaration de la ministre est particulièrement importante. Pour nous, la charte, c'est la Charte des droits et libertés de la personne, et si vous regardez l'article 10...

Mme Marois: J'aime cela...

M. Morin (Pierre): Non, non. Il faut bien s'entendre là-dessus.

Mme Marois: ... je trouve cela passionnant.

M. Morin (Pierre): Je crois que ça l'est, effectivement, parce que ce sont ces questions qu'on vient soulever aujourd'hui. La charte, dans son contexte actuel, à l'article 10, parle bien de la personne qui ne peut faire l'objet de discrimination, et non pas d'un groupe. C'est là tout un débat de fond qui doit avoir lieu, mais si je suis la logique que nous avance la ministre, qui est une logique qui se tient, c'est celle de la discrimination par identification à un groupe. Or, nous disons - et on vous demande de l'accueillir - que ce dont parle la charte actuellement et ce dont elle devrait continuer de parler, c'est la discrimination dont est l'objet une personne parce qu'elle appartient à un groupe quelconque, et non pas, au départ, la discrimination dont est l'objet un groupe. Je vous signale, M. le Président, que c'est une question de fond très profonde qui est présentement débattue aux États-Unis et âprement débattue.

Mme Marois: D'abord, malgré que je ne sois pas juriste il y a un certain nombre de choses que je sais. Ainsi, on sait qu'en droit le singulier comprend le pluriel, mais ça revient au même, que vous le preniez par un bout ou par l'autre, on arrive aux mêmes conclusions. Dans toute la Charte des droits et libertés de la personne, et vous insistez beaucoup sur la personne, c'est toujours la personne en relation avec d'autres personnes; sinon, on n'aurait pas de discrimination. C'est une personne qui vit dans une collectivité, qui vit dans une société et, dans le fond, on va très loin quand on parle de discrimination systémique, on dit: C'est une société qui a permis que ça soit possible. C'est beaucoup plus large comme concept, je me répète et on se répète, mais je pense que c'est ça qu'on dit.

M. Morin (Pierre): Je vais tenter de le dire en d'autres mots qui expriment mieux notre position, étant donné que les neuf premiers articles de la charte ne jouissent d'absolument aucune protection, même pas la préséance, et ils sont qualifiés de droits fondamentaux, pourtant ils ne jouissent même pas de l'avantage de la préséance. Nous demandons la primauté, qui va beaucoup plus loin que ça, mais c'est une chose... On se retrouve donc avec une charte dont l'articulation est à l'article 10. Là, en fait, on dit que la personne a droit à la jouissance des droits fondamentaux et des libertés fondamentales sans discrimination, préférence ou distinction fondée sur certaines appartenances que l'on pourrait qualifier de groupes, mais cela pose d'abord le principe que la personne est égale et ce même principe n'est pas consacré.

Il est là le problème, M. le Président, et c'est celui-ci qu'on vient soulever devant cette commission aujourd'hui, c'est le fond de notre mémoire. C'est que l'égalité de la personne n'est pas consacrée, il y a des formes de discrimination que le législateur a déterminées être illicites mais, au départ, la véritable égalité de la personne n'est pas consacrée. On vous cite une série d'exemples au début où il y a des atteintes évidentes aux droits fondamentaux de la personne au Québec. Après ça, on peut commencer à parler des autres choses mais, au départ, je pense qu'il faut poser et consacrer le principe que les personnes sont égales. À ce moment-là, vous avez des correctifs contre la discrimination systémique.

Mme Marois: Je vais y revenir. Je vais juste vous lire le préambule de la Charte des droits et liberté: "Considérant que tout être humain possède des droits et libertés intrinsèques, destinés à assurer sa protection et son épanouissement; "Considérant que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi...

Je ne vois pas comment on pourrait le consacrer davantage et je pense qu'en soi, la charte le consacre, et ce dans l'ensemble de ses dispositions. Si on est ensemble ici, c'est pour essayer encore de l'améliorer, de la bonifier, sinon, on ne serait pas ici.

M. Morin (Pierre): M. le Président, en réponse à la ministre, je vais lui citer l'article 52, qui dit que les articles 9 à 38 prévalent sur toute disposition d'une loi postérieure qui leur serait contraire. Donc, de 1 à 9, en y incluant le préambule, ce n'est pas couvert. Si vous allez, je crois, à l'article 87 traitant des sanctions: infractions et peines,

Commet une infraction: a) quiconque contrevient aux articles 10 à 19.

Vous pouvez donc, contrevenir au préambule, aux articles 1 à 9 inclusivement sans même que ça constitue une infraction. C'est là le problème qu'on vient soulever aujourd'hui, c'est un problème de fond.

Mme Marois: Je pense que, sur l'inclusion d'articles, c'est d'ailleurs une

chose qui est déjà aussi soulevée par la commission et c'est une chose sur laquelle, de toute façon, on a l'intention de se pencher. Comme j'ai déjà pris un peu de temps, je vais lâcher un peu ce bout et je vais poser une autre question; mais j'aimerais y revenir cependant, M. le Président, à la fin, lorsqu'on aura terminé un autre tour de table, et j'aimerais que vous me donniez un exemple de droit contingent par rapport à un droit fondamental.

M. Morin (Pierre): Peut-être que l'exemple qui me vient le plus rapidement à l'esprit, c'est le droit au travail. Le droit au travail existe pour autant qu'il y a du travail. Il est contingent dans ce sens. Il existe dans la mesure où il y a du travail. Je m'excuse, l'exemple est très péremptoire, mais c'est le cas.

Mme Marois: Est-ce que la charte ne vient tout simplement pas... Enfin, à mon point de vue, elle vient reconnaître l'égalité de tous et de toutes devant le travail. C'est un droit fondamental, nonobstant les ressources disponibles pour y répondre à un moment ou à l'autre de la vie d'une collectivité. C'est vrai pour autre chose, mais cela ne remet pas en cause le droit lui-même.

M. Morin (Pierre): M. le Président, je pense que je dois revenir un peu sur l'exemple que j'ai donné, il est un peu trop péremptoire. Essentiellement, ce que nous appelons les droits contingents, c'est ce que nous appelons les mesures antidiscriminatoires. Vous aurez remarqué, par exemple, qu'on fonde à l'article 10 la non-discrimination. Prenons un cas, le sexe. Pourtant, à l'article 26, s'il était absolu, ce droit, il ne pourrait jamais y avoir aucune distinction fondée sur le sexe. Or, à l'article 26, le même législateur dit: En régime carcéral, on doit établir une distinction. C'est normal, c'est accepté. On donne un autre exemple. Vous avez modifié la charte en 1980 pour les orientations sexuelles; parfait, mais il faut quand même reconnaître que ce droit que vous avez consacré comme droit contingent en 1980, dix ou douze ans plus tôt il était dans l'illégalité, c'était criminel au Canada. Ce sont des droits qui sont évolutifs. Ce sont des droits où, à un moment donné, la société s'entend pour dire: Parfait, il faut respecter cela, il faut se donner un code qui assure, qui vient préciser la nature de l'égalité. C'est dans ce sens. Il vient préciser la nature de l'égalité.

Mme Marois: Vous avez répondu à ma question et en même temps à ma préoccupation. Comme je dis, on est assis à la table ici pour bonifier la charte qui est devant nous, avec laquelle on vit depuis un certain temps, et qui doit aussi tenir compte de l'évolution d'une société et des constats que la science et que la connaissance nous permettent de faire vis-à-vis de cette société. Je remets juste en exergue un peu la notion de discrimination systémique. Je termine pour l'instant, je reviendrai plus tard.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Si je comprends bien votre mémoire, vous voulez renforcer les droits fondamentaux, mais vous voulez en même temps diminuer ou au moins pas élargir les causes de discrimination. C'est le fond de l'affaire.

M. Morin (Pierre): Non, M. le Président.

M. Marx: Ce n'est pas cela, le fond de l'affaire? Je peux vous citer votre mémoire.

M. Morin (Pierre): Citez-nous. Si nous sommes mal cités, nous allons corriger. D'ailleurs, nous avons une correction à apporter.

M. Marx: Peut-être que j'ai mal compris. Au début, vous avez dit qu'il faut que les articles 1 à 9 aient une préséance sur toute autre loi du Québec. D'accord?

M. Morin (Pierre): C'est "primauté" qui est utilisé.

M. Marx: Primauté, oui. Après cela, à la page 9, c'est écrit: "Elle nous amène à remettre en question deux projets de la CDPQ: l'interdiction de nouvelles formes de discrimination pour motif d'âge, ainsi que dans le cas des régimes d'avantages sociaux; et les programmes de discrimination positive." Donc, vous ne voulez pas au moins élargir les causes de discrimination.

M. Morin (Pierre): Non, ce n'est pas tout à fait le cas. Vous verrez l'argumentation qu'on consacre au chapitre sur l'âge, ainsi que celui sur les avantages sociaux; effectivement, on ne se ferme pas à la discussion. On remet en cause l'approche de la commission, mais non pas le fond.

M. Marx: Donc, vous êtes pour la non-discrimination à cause de l'âge et pour la non-discrimination en ce qui concerne les régimes d'avantages sociaux. Vous êtes pour les programmes de discrimination positive. C'est cela?

M. Morin (Pierre): Effectivement, c'est bel et bien ce que nous disons si vous allez dans nos recommandations. Cependant, nous avons une interprétation. Je vais prendre un

par un chacun des points. (16 h 45)

Dans le cas des programmes d'action positive, nous disons que la définition de l'action positive doit être curative et non pas, comme le dit la commission dans son texte, un remède préférentiel. Entendons-nous tout de suite sur les termes.

M. Marx: Cette distinction ne fait aucune différence pour moi, je m'excuse.

M. Morin (Pierre): Elle a une énorme différence pour nous. Je pourrai revenir tantôt sur la jurisprudence.

M. Marx: C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on constate que les femmes ne sont pas traitées de la même façon que les hommes et qu'il y a une inégalité quant à sa place au travail. Pour mettre les femmes sur le même pied d'égalité que les hommes, il faut avoir des programmes d'action affirmative, mais vous êtes contre cela, n'est-ce pas?

M. Morin (Pierre): Non.

M. Mooney (John): Vous dites que vous constatez que les femmes ne sont pas traitées comme les hommes, mais où constatez-vous cela exactement?

M. Marx: J'ai parlé aux femmes qui sont ici, c'est très simple.

M. Mooney: Non, mais en général.

M. Marx: J'ai vu cela où j'ai travaillé.

M. Mooney: Oui, d'accord, vous pouvez faire...

M. Marx: À la limite, j'aimerais savoir combien de femmes vous avez à la Chambre de commerce de Québec.

M. Mooney: On a une femme à l'exécutif. Mais laissez-moi apporter une argumentation.

M. Marx: Oui.

M. Mooney: Vous pouvez dire que dans la société, de façon générale, les femmes sont moins bien traitées que les hommes, qu'il y a une évolution qui se fait de ce côté et que cela s'améliore. D'accord. Mais, au niveau d'un secteur de l'économie, dans une industrie, comment pouvez-vous dire que cet employeur fait de la discrimination, si vous n'avez pas un procès où l'employeur peut faire valoir ses points et dire: M. le juge, il n'y a pas de discrimination. Si ce n'est pas un juge qui statue qu'il y a discrimination et si ce n'est pas un juge qui statue sur le programme de redressement, là, vous allez bafouer un droit fondamental assez important, c'est-à-dire le droit d'être entendu et le droit de faire valoir sa cause, parce que, s'il y a des employeurs qui font de la discrimination, il y en a qui n'en font pas. Si vous faites cela par secteurs de l'économie, par règlement, vous allez pénaliser des employeurs, vous allez imposer à certains employeurs des programmes de redressement, une ingérence assez phénoménale souvent dans une industrie à un employeur qui ne fait pas de discrimination et qui n'aura jamais l'occasion de faire valoir son point de vue, qui ne pourra pas dire à un juge: M. le juge, il n'y en a pas. On ne peut pas présumer de la discrimination. On peut en conclure au niveau d'une société, on ne peut pas la présumer dans un secteur de l'économie chez un employeur, parce que, là, on crée une injustice. C'est grave de présumer que quelqu'un fait de la discrimination, je pense qu'on n'a pas le droit de le faire.

M. Marx: II y a la présomption que tout le monde a agi de bonne foi, c'est cela la présomption du Code civil, mais...

M. Mooney: Oui, c'est très important, surtout que la discrimination, c'est une infraction pénale ici. C'est grave de dire à quelqu'un qu'il fait de la discrimination.

M. Marx: Quand on constate dans une faculté quelconque qu'il a seulement 2%, 1% ou 3% de femmes, c'est...

M. Mooney: C'est facile, allez devant un juge et dites: M. le juge, dans cette faculté, il y a 2% de femmes. Vous avez tout de suite un bon argument. Le juge va vous écouter et il va accepter cet argument. Mais ne le faites pas par règlement, ne donnez pas à un corps gouvernemental le pouvoir énorme de dire qu'un employeur fait de la discrimination, quand cela ne sera pas vrai des fois. Un corps gouvernemental a son interprétation de la loi qui n'est pas toujours la même que celle du juge, comme on l'a vu souvent dernièrement devant les tribunaux.

M. Marx: Dans ce sens, vous avez fait une recommandation pour permettre à un tribunal de droit commun d'imposer des programmes d'action positive comme mesure curative. Ce qu'on dit en droit, c'est que ce ne serait pas "manageable" pour une cour d'agir dans ce sens. Une cour ne peut pas administrer un tel programme. On a déjà vu cela aux États-Unis. Le juge n'a pas les outils...

M. Mooney: II peut quand même...

M. Marx: ... les études, le juge chez nous, il...

M. Mooney: Quelle est la solution à cela? Donner cela à un corps gouvernemental qui a une philosophie bien précise et qui souvent est en contradiction avec beaucoup d'employeurs? Vous ne pouvez pas régler le problème de cette façon.

M. Morin (Pierre): M. le Président, c'est trop.

M. Marx: On peut décider à qui remettre cela après... mais je dirais que c'est impossible pour un juge d'administrer un tel programme.

M. Mooney: On ne peut pas sacrifier la justice pour des raisons administratives comme cela, surtout à ce niveau.

M. Marx: Mais je ne sacrifie rien. Le Président (M. Desbiens): M. Morin.

M. Morin (Pierre): M. le Président, je pense que c'est un peu trop. Actuellement, nos cours de justice, nos cours de droit commun administrent des jugements. Vous avez les rapports présentenciels, s'il s'agit de criminels, vous avez des recommandations faites par les avocats sur la sentence et le juge, effectivement, statue et peut invoquer par la suite à la fois d'autres actions pénales ou même le mépris de cour, si le jugement n'est pas suivi. Alors, dire que ce n'est pas "manageable", que ce n'est pas administrable m'apparaît un peu gros, d'une part. D'autre part, nos tribunaux ont tendance de plus en plus à se spécialiser et, effectivement, il y a toute une série de principes en cause; c'est pourquoi nous recommandons que cela soit entendu par les tribunaux de droit commun.

Si vous me le permettez, je vais répondre aux deux autres parties de la question du député de D'Arcy McGee, mais je vais compléter d'abord une réponse à la première. S'il lit bien, à la page 12, l'extrait du jugement du juge Brennan, extrait ou partie du jugement qui, lui, a été maintenu en Cour suprême aux Etats-Unis, même si l'objet a été renversé, mais cette partie du jugement a été maintenue, je crois que cela est notre position et je crois qu'il y a Heu de voir les nuances qui y sont faites, d'une part.

D'autre part, vous parliez aussi, après les programmes de redressement ou d'action positive, des avantages marginaux. Ce que nous disons sur les avantages marginaux, c'est qu'en autant que le législateur dise clairement que l'établissement d'une prime en fonction d'un risque n'est pas discriminatoire, il pourrait alors abolir l'article 90. Est-ce que l'on se comprend bien?

M. Marx: Pourriez-vous répéter... non, parce que j'ai pris une note sur quelque chose.

M. Morin (Pierre): En autant que le législateur dise bien que l'établissement d'une prime fondée en fonction du risque n'est pas discriminatoire, il y aurait lieu d'abolir l'article 90.

M. Mooney: Je voudrais reprendre un peu et peut-être...

M. Morin (Pierre): Justement, si vous avez lu le mémoire, vous verrez dans le mémoire que la trame de fond est l'égalité de traitement. Essentiellement, le choix que nous avons retenu, c'est l'égalité de traitement. Or, dans les avantages marginaux, cela voudrait dire qu'il ne peut y avoir aucune discrimination quant à l'accès, aucune discrimination quant aux avantages. L'établissement d'une prime ou d'une cotisation qui, elle, est fondée sur des risques objectifs, des risques différents objectifs, n'est pas discriminatoire. D'accord?

M. Marx: D'accord.

M. Morin (Pierre): Je suis heureux de vous entendre dire "d'accord" parce c'est beaucoup, ce que vous venez de dire là.

M. Marx: Oui, je vais prendre cela en délibéré. Moi, je suis comme le ministre, je n'aime pas en dire trop.

M. Morin (Pierre): S'il faut le répéter encore une fois, j'irai, mais cela s'appuie sur un principe d'égalité de traitement, parce que si vous avez une prime égale pour tout le monde, à ce moment-là, vous avez effectivement inégalité de traitement. Il y a quelqu'un qui va subventionner quelqu'un d'autre.

M. Marx: Comme moi, j'ai une police d'assurance et je n'ai jamais eu de feu; à côté, ils ont eu plusieurs feux, je subventionne ces gens.

M. Morin (Pierre): C'est une question de répartition du risque; effectivement, c'est ce que c'est.

M. Marx: Je ne suis pas un mauvais étudiant.

M. Morin (Pierre): La troisième question concerne l'âge, que le député de D'Arcy McGee a soulevé, la discrimination. Or, il faut bien voir que, dans les propositions soumises à cette commission, lorsqu'il est question de l'âge, il s'agit surtout ou essentiellement de non-discrimination de l'âge ou pour motif d'âge dans l'emploi. Sinon, si on pose le principe fondamental de non-

discrimination pour raison d'âge ou pour motif d'âge, comme on le dit dans notre mémoire, vous ne pourriez pas empêcher un jeune de 14 ans d'aller dans un débit de boisson, vous ne pourriez pas...

M. Marx: Ce n'est pas cela le droit.

M. Morin (Pierre): Comment pourrait-on justifier, M. le Président, qu'il y ait des tarifs différents dans les transports en commun pour les écoliers de moins de 18 ans et pour les personnes de plus de 65 ans, comme c'est le cas actuellement, s'il ne peut y avoir de discrimination fondée sur le motif d'âge.

M. Marx: Cela peut être fondé sur un motif de ressources. Il y a la loi canadienne sur le tabac qui empêche les mineurs d'acheter des cigarettes. Je comprends cela comme étant une classification raisonnable entre adultes et enfants. À un moment donné, le législateur a tiré la ligne et a dit: Ce n'est pas bon pour les enfants de fumer; quant aux adultes, ce n'est pas bon pour eux non plus, mais on va les laisser fumer.

M. Morin (Pierre): Je remercie le député de D'Arcy McGee, justement, de démontrer ce qu'est un droit contingent. Une fois que vous avez établi un principe général dans un droit contingent, vous vous apercevez qu'il y a toutes sortes de considérations qui entrent en ligne de compte. Nous, on dit: Sur les droits contingents, c'est fait, effectivement, le compromis; sur les droits fondamentaux, il n'y a pas de compromis. Comme ce qui est soulevé devant vous, c'est surtout l'âge dans le travail, on dit qu'il serait beaucoup plus opportun de mettre ça dans les lois du travail, si le législateur décide de le faire. On ne dit pas: Non, non, n'y touchez pas; on dit simplement: II n'est peut-être pas approprié de le mettre dans la charte. Ce n'est pas du tout une opposition de fond, c'est une opposition bien plus de forme ou de situation où ça doit être.

M. Marx: Ce n'est pas nécessairement seulement dans le monde du travail. Pourquoi n'admet-on pas, à la faculté de médecine, les gens qui ont 45 ans? C'est une forme de discrimination.

J'aimerais revenir à une autre question. J'ai dit que ce ne serait pas administrable que les tribunaux s'occupent des programmes d'action positive, et j'ai fait cette déclaration sans citer la jurisprudence, je m'excuse. Maintenant, je vais citer la Cour suprême du Canada qui a dit, vraiment, qu'il serait impossible d'administrer des programmes de ce genre. Vous savez qu'il y a une déclaration canadienne des droits où il y a l'égalité de traitement de tous les

Canadiens en ce qui concerne les lois fédérales. Nous avons l'avortement qui est possible, mais, dans les faits, si vous voulez subir un avortement, vous devez aller plutôt à Montréal que dans la région du ministre de la Justice. Il y a plus de cliniques à Montréal qu'à Chicoutimi. C'est plus facile dans certaines villes que dans d'autres. Cela, c'est une inégalité de traitement en ce qui concerne les Québécois au Québec.

Dans l'affaire Morgentaler, on a demandé à la Cour suprême d'administrer cette loi sur l'avortement qui se trouve dans le Code criminel et d'ordonner qu'il y ait des cliniques d'avortement partout au Québec et que les Québécoises bénéficient d'un régime d'égalité en ce qui concerne l'avortement. Le juge en chef Laskin de la Cour suprême a dit: Faire ça, ce ne serait pas administrable par la cour. Dans ce sens, peut-être avez-vous raison de dire que ce serait possible, mais les juges ont déjà dit que, pour eux, ce serait très difficile. Aux États-Unis, où les cours ont administré le "busing", ça n'a pas tellement bien fonctionné. Je vois que vous êtes pour les programmes d'action positive, mais j'aimerais vous dire que ce serait très difficile d'atteindre le but visé en donnant l'administration de ces programmes aux tribunaux, et surtout à nos tribunaux, qui n'ont aucune expérience dans ce domaine. Pour moi, ce serait une situation très difficile.

M. Phillips: M. le Président, on ne parlait pas de l'administration. Je vais tenter de présenter notre argument dans un autre domaine. Les juges, dans nos cours criminelles, ont certains pouvoirs, mais ils ne sont pas obligés d'administrer nos prisons. Ce qu'on avait proposé, c'est qu'un tribunal de droit commun puisse imposer des programmes d'action positive. Mais on n'a pas dit que ce seraient ces cours-là qui administreraient ces programmes. C'est la distinction qu'on veut faire. (17 heures)

M. Marx: Parfait, je vous remercie.

Mme Marois: Est-ce qu'il y a d'autres collègues...

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Nicolet.

M. Beaumier: J'essaie de comprendre, j'espère que je vais réussir. C'est comme si on avait deux approches de la conception de la société, si je comprends les choses. Une approche un peu idéale, dans le sens qu'on tient pour acquis que tous les gens sont égaux, et, dans les faits, les gens sont égaux. À ce moment-là vous aimeriez que l'intervention de programmes de redressement arrive s'il y a effectivement culpabilité, au

fond, discrimination. C'est bien ça?

L'autre approche, qui semble plus réaliste, c'est que nous vivons dans un monde où il y a dans les faits des inégalités. À ce moment-là la discrimination n'a plus un sens négatif comme tantôt, ou n'est pas à la remorque de choses qui ne sont pas correctes. La discrimination devient positive. Qu'est-ce qu'on fait quand il y a des inégalités, qu'elles soient rapportées par des statistiques ou qu'elles soient rapportées par des témoignages? Qu'est-ce qu'on fait?

En ce sens-là, je résumerais comme ceci: II y a deux formes d'intervention. Une intervention qui serait à la remorque de faits issus de situations vécues ou rapportées par des gens qui disent: Là, il y a eu discrimination. Ou l'autre qui prend l'initiative, constatant des inégalités, de mettre sur pied, et peut-être sous une forme plus ou moins obligatoire, des corrections, parce qu'on ne part pas d'une société pure, on part d'une société où il y a des inégalités.

Je pense que ce sont les deux conceptions, qui s'affrontent. Est-ce que je résume bien la distinction?

M. Morin (Pierre): M. le Président, il y a effectivement deux conceptions qui ne s'affrontent peut-être pas, mais qui ne se comprennent pas tellement bien. Je vais essayer de sortir un tout petit peu de cela parce que ça devient très compliqué.

Prenons un exemple que l'on vit aussi à tous les jours dans nos journaux, le débat Nord-Sud. Je m'excuse de sortir un peu des droits, mais il faut le faire, je pense, pour illustrer ce dont on parle. Les pays sous-développés veulent - c'est relativement récent - eux-mêmes corriger les inégalités en disant: Écoutez, c'est bien beau, on veut bien que vous nous aidiez, mais on veut vous dire comment et quoi faire quand vous nous aidez. Et non pas l'inverse, parce que la grande plainte qu'il y a dans le débat Nord-Sud, c'est que les pays riches imposent aux pays pauvres la façon dont ils les aident. Je ne sais pas si l'exemple... Je vais le ramener dans ce cas-là, on va aller directement au vif du débat. D'accord?

On est bien conscient que les inégalités existent. Non seulement on en est conscient, mais on croit à cette réalité-là et on veut les corriger. Ce n'est pas sur la volonté de les corriger, c'est sur le moyen et d'où on part pour les corriger... Excusez-moi, je ne suis pas certain que je comprends ma note, mais il s'agissait ici de quelque chose sur l'approche réaliste sur laquelle je voulais intervenir.

Il y avait un jugement que le député a posé à savoir l'approche plus réaliste qui est celle de corriger par de la discrimination positive. Je crois bien citer le député en répétant ces mots et c'est là où nous, on accroche. On dit: II faut corriger, mais la correction ce n'est pas de la discrimination positive, c'est de la correction. Je ne sais pas si vous voyez la nuance, la distinction...

M. Marx: Commencer avec aujourd'hui et pas corriger ce qui s'est passé jusqu'à aujourd'hui?

M. Morin (Pierre): Non, non, il s'en est passé et il faut le corriger.

M. Bédard: C'est plus que cela.

Mme Marois: II y a juste une chose cependant. Peut-être que le député a utilisé l'expression "discrimination positive", mais si vous regardez tous les textes qui ont été présentés, on ne parle pas de discrimination positive, mais d'accès à l'égalité, de redressement progressif, d'action positive. C'est justement pour bien clarifier qu'on ne parle pas de discrimination à rebours. Ce qu'on voudrait faire dire au programme de redressement progressif et ce que ce n'est pas... Je m'excuse...

M. Morin (Pierre): Sauf que la preuve va être faite sur la discrimination antérieure.

Mme Marois: Oui.

M. Morin (Pierre): C'est difficile de la faire autrement. Ce qu'on dit, c'est qu'on pourrait établir la preuve sur la discrimination antérieure, mais il faudra qu'il soit démontré que cette discrimination a bien touché les personnes visées. À ce moment-là, vous évitez d'introduire un caractère préférentiel - c'est le mot clé, dans le fond - dans les programmes d'action positive. Je vous ramène essentiellement à cette partie du jugement du juge Brennan qui est cité à la page 12, où il dit et je traduis "L'arbitraire qui a fait que certaines personnes ont été avantagées par des pratiques discriminatoires, ce n'est pas de la préférence que de tasser ces gens pour corriger la situation..." C'est là essentiellement la nuance; elle semble être difficilement comprise, mais il est extrêmement important que le programme d'action positive, le programme de redressement n'ait pas un caractère préférentiel, mais qu'il ait un caractère curatif. C'est ce que nous venons dire. Il faut que ce soit curatif et non pas au cas où il y aurait eu de la discrimination.

Au moins, si on peut s'entendre sur les termes, on pourra être en désaccord sur quelque chose où on sait où chacun loge, mais on est bien conscient que ce sont des notions où on traite essentiellement de divers aspects de la vertu. On est tous pour la vertu. On traite de divers aspects de la vertu et comment s'applique la vertu. Mon

président me signale qu'il aurait un petit commentaire à ajouter.

M. Phillips: Oui. Si on peut regarder encore la page 26 de notre mémoire, quand on parle de permettre à un tribunal de droit commun d'imposer des programmes d'action positive seulement comme mesure curative, j'aimerais vous citer un exemple. Ce qu'on propose, c'est qu'il serait nécessaire d'aller à un tribunal de droit commun avant que quelqu'un puisse imposer au gouvernement de la province un programme qui serait destiné à changer le pourcentage des anglophones dans la fonction publique. Il faudrait prouver que la raison pour laquelle il y a très peu d'anglophones dans la fonction publique a été la discrimination. C'est notre point. Du fait qu'il n'y en ait pas tellement, c'est à cause de beaucoup de raisons, culturelles ou autres, je ne sais trop lesquelles, mais il faudrait prouver que c'est une discrimination. Si j'ai bien compris ce qu'on propose, il ne serait pas nécessaire de prouver cette affaire. C'est le type d'argument qu'on veut présenter.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Bon, une dernière intervention. On semble vouloir faire dire à l'action positive, au redressement progressif, peu importe le terme qu'on utilise - je l'ai retrouvé dans les mots d'une des deux personnes qui sont intervenues - qu'à compétence inégale pour résoudre le problème de discrimination qu'il y a eu par le passé, on va choisir la personne la moins compétente, compte tenu qu'elle est de tel groupe. Ce n'est absolument pas ce qui est dit et je voudrais bien m'assurer qu'on a la même compréhension. C'est fort différent, ce qu'on dit. On dit: À compétence de valeur égale, équivalente, on va privilégier, dans certains cas, compte tenu d'une discrimination du système, telle personne. Cela semblait ambigu.

M. Morin (Pierre): Effectivement, on est tout à fait d'accord avec cela, sauf pour un critère qui n'est pas mentionné et où nous allons un peu plus loin. Nous disons que si une personne, étant donné qu'il y a eu un choix, se voyait de compétence égale et que ses services n'ont pas été retenus, croit qu'il y a eu discrimination à son endroit, elle pourra s'adresser à un tribunal de droit commun pour en faire la preuve. C'est ce qu'on dit.

Mme Marois: Ce sera toujours possible de le faire. Ce qui est dit, d'autre part, c'est que, n'ayant pas eu de mauvaise foi de la part des personnes impliquées dans le système, mais le système ayant provoqué les effets qu'on lui connaît, ce qui est dit c'est qu'on doit l'aborder de façon plus globale.

Je pense que ça termine, M. le Président. Je veux remercier les membres de la Chambre de commerce qui sont venus présenter le mémoire. Cela a permis des débats intéressants qui pourraient sûrement se poursuivre. Je le fais au nom du ministre de la Justice en même temps. Il pourrait ajouter son mot.

M. Bédard: Simplement m'excuser de ne pas avoir été présent au moment de la présentation de votre mémoire. Je connais très bien une des trois personnes qui sont ici pour déposer au nom de la Chambre de commerce. Je pense que vous le croirez, c'est un engagement un peu spécial qui a fait que je n'ai pu être présent. Nous lirons votre communication avec beaucoup d'attention. Merci.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions.

Je demanderais maintenant au groupe dont le mémoire est intitulé William M. Mercer de se présenter en avant. Nous allons suspendre la séance pour une minute.

(Suspension de la séance à 17 h 12)

(Reprise de la séance à 17 h 15)

Le Président (M. Desbiens): La commission reprend ses travaux. M. le ministre.

M. Bédard: Tout d'abord, je voudrais m'excuser auprès de certains groupes parce qu'il y a beaucoup de chambardements dans l'ordre du jour. Je voudrais que tout le monde en sache la raison. Une fête juive fait que dans le respect de cette circonstance, il nous a fallu intervertir le rang de certains groupes où se trouvaient des participants juifs pour leur permettre de célébrer leur fête - Yom Kippour, c'est cela? - selon leurs traditions. On s'en excuse vraiment.

Je voudrais également remercier M. Mercer de permettre que l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes soit entendue dès maintenant devant cette commission. Peut-être qu'en fin de compte ce sera une bonne chose d'entendre les représentants des assurances dans un premier temps - c'est une remarque qui m'a été faite - et ensuite pouvoir entendre M. Mercer concernant l'ensemble des données actuarielles. Vous aurez le tableau complet des représentations qui nous seront faites.

Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes

Le Président (M. Desbiens): Je demanderais à l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes Inc., de s'approcher de la table, s'il vous plaît.

M. Massicotte (René): Bonjour, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): M. Girard? M. Claude Girard?

M. Massicotte: Je m'appelle René Massicotte.

Le Président (M. Desbiens): D'accord.

M. Massicotte: Je suis un membre du bureau de direction de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes Inc.

Le Président (M. Desbiens): M.

Massicotte, je vais vous demander de présenter les personnes qui vous accompagnent, s'il vous plaît.

M. Massicotte: Certainement, M. le Président. Je voudrais, avant cela, si vous me le permettez, vous remercier de nous faire passer maintenant et remercier les représentants de la maison Mercer aussi.

Je voudrais vous présenter, à mon extrême droite, M. Robert Bégin, qui représente une compagnie membre de notre association, de même que M. Christian Voyer, qui est à ma droite. À l'autre bout: M. Serge Miron, l'actuaire de l'association, M. Luc Plamondon, représentant d'une compagnie membre aussi; il est avocat, il nous sert de conseiller juridique, et M. Marcellin Tremblay, vice-président responsable de notre bureau de Montréal.

Je vais commencer en vous donnant lecture du mémoire que nous avons soumis, il n'est pas très long. Ensuite, M. Tremblay vous donnera quelques renseignements additionnels sur la philosophie qui sous-tend ce mémoire. Enfin, M. Plamondon vous fera part d'un projet de réglementation que nous verrions en regard des assurances.

Je procède donc à la lecture du mémoire. L'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes Inc., regroupe des sociétés pratiquant les assurances sur la vie, les rentes et les assurances contre la maladie et les accidents. Plus de 90% des assurances de personnes en vigueur au Québec est souscrit auprès des sociétés membres de l'association.

L'association souscrit au principe de l'élimination en matière d'assurances comme dans les autres domaines de la vie des facteurs non fondés de discrimination et nous croyons que des progrès notoires ont déjà été réalisés dans ce sens depuis quelques années. Beaucoup de clauses jugées trop restrictives, particulièrement en matière d'admissibilité à certaines formes d'assurances ou de régimes de protection sont choses du passé ou sont, à tout le moins, en nette perte de vitesse. À titre d'exemple, les définitions des termes "conjoint" et "enfant" ne sont plus limitées aux seules relations dites légitimes, mais ouvrent la porte aux unions de fait et aux enfants issus de ces unions.

En ce qui touche les avantages sociaux, nous sommes d'accord que l'article 90, qu'on appelle aussi aujourd'hui 97 de la Charte des droits et libertés de la personne, a fait son temps. Cet article n'avait pour but que de donner le temps aux intéressés d'étudier l'impact technique des modifications que la charte demandait. Les problèmes ont maintenant été cernés en grande partie et l'article 90 devrait, à notre avis, faire place à un pouvoir réglementaire.

L'association estime important que des dispositifs soient mis en place pour permettre de déterminer à l'avance si certaines clauses ou pratiques sont discriminatoires ou non. Sans minimiser le rôle important et souverain du pouvoir judiciaire en ce domaine, force nous est de constater que les décisions des tribunaux surviennent après le fait et, malheureusement, souvent longtemps après le fait. Remarquons que le besoin de voir déterminer à l'avance le caractère discriminatoire ou non discriminatoire d'une clause ou d'une pratique est particulièrement aigu lorsqu'il s'agit de clauses ou de pratiques en apparence discriminatoires, mais ayant justement pour but de redresser une situation de fait estimée discriminatoire.

L'association estime que les seuls problèmes qui restent vraiment à solutionner en matière d'assurances sont de nature technique et que le surintendant des assurances est la personne tout indiquée pour faire les déterminations qui s'imposent. Nous estimons donc que le pouvoir réglementaire en ce domaine devrait se situer dans le cadre de la Loi sur les assurances. D'ailleurs, il existe déjà, en matière d'assurances, un embryon de règlement dans ce domaine et on le retrouve à l'article 262 du règlement général en application de la Loi sur les assurances. Il faudrait, à notre avis, amplifier ce pouvoir pour qu'il puisse couvrir toutes les situations susceptibles de survenir. À tout le moins, nous pensons que ce pouvoir réglementaire devrait être dans les mains du gouvernement lui-même et non dans celles de la Commission des droits de la personne parce que cette dernière se trouverait alors dans une position de juge et partie.

Quant aux motifs de discrimination figurant à l'article 10 de la charte, l'association confirme que la race, la couleur, l'orientation sexuelle, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue et l'origine ethnique ou nationale ne causent

aucun problème majeur en assurances de personnes. En ce qui a trait à la condition sociale, ce motif a soulevé des difficultés dans certains cas et il serait souhaitable que la portée exacte de cette expression soit précisée. Il reste deux motifs de discrimination figurant à l'article 10, soit le sexe et le handicap.

Pour des raisons que les scientifiques n'ont pas réussi à cerner avec précision, il reste encore des différences marquées dans les indices de mortalité des hommes et des femmes et aussi, mais dans une moindre mesure, dans leurs indices respectifs de morbidité. Nous croyons qu'il s'agit là d'une situation de fait qu'on ne peut ignorer mais, nous en convenons, qu'il faut circonscrire à son minimum essentiel. Nous croyons que les assurances de personnes doivent pouvoir continuer d'avoir, soit des prestations, soit des primes ou un ensemble des deux qui diffèrent selon le sexe de la personne assurée, surtout dans les modalités d'assurance où la personne assurée peut exercer un choix du montant, ou de la modalité de l'assurance ou de la rente.

Quant au handicap, nous sommes prêts à reconnaître que le handicap en soi n'est pas le problème réel. La difficulté survient de l'état de santé aggravé qui accompagne parfois le handicap. Nous présumons qu'il est tenu pour acquis et normal que les assurances de personnes puissent continuer de tenir compte de l'état de santé des assurés dans l'établissement des taux de primes ou la fixation des modalités d'assurance.

Nous ne pouvons passer sous silence la question de l'âge, car il semble que l'article 10 de la charte puisse être modifié pour y ajouter ce motif. Encore ici, il faut retenir que les assurances de personnes doivent pouvoir continuer de faire des différences dans les primes et les modalités d'assurances et de rentes selon l'âge des intéressés.

Comme je vous l'ai dit tantôt, M. Tremblay va vous parler maintenant de la philosophie, plus précisément peut-être de la philosophie qui sous-tend tout ça. Je crois que nous avons remis, à titre de document de travail, aux membres de la commission des renseignements plus détaillés sur notre position sur ces questions. M. Tremblay.

M. Tremblay (Marcellin): M. le Président, vous avez sans doute constaté que notre mémoire se limite à une prise de position de principe à l'effet d'éliminer toute discrimination dans le domaine de l'assurance de personnes. Je souligne en passant que, lorsqu'on prend l'expression "assurances de personnes", on inclut évidemment les rentes, l'assurance collective, l'assurance individuelle, etc. Mais encore faut-il s'entendre sur le terme même de "discrimination". Comme le soulignait le Conseil du patronat, certaines distinctions, certains choix, certaines classifications raisonnables ne sont pas de la discrimination au sens péjoratif. Au contraire, ces distinctions, ces classifications peuvent être dictées par un souci d'équité, une notion qui, à mon sens, prime sur l'égalité. C'est là tout le fond du problème. Or, l'assurance sur la personne, comme d'ailleurs les assurances générales, c'est une opération financière qui repose fondamentalement sur l'évaluation des risques. Pour les évaluer, il faut donc les classifier suivant certaines caractéristiques raisonnables.

Dans le cas de l'assurance des personnes, il est évident que l'âge, le sexe, l'état de santé, l'occupation peuvent être des facteurs qui influencent la tarification. C'est la base même de l'opération d'assurance. Il n'y a pas de problème, je pense bien, pour les membres de la commission, d'accepter cette idée lorsqu'on parle d'assurance individuelle. C'est une pratique qui est universellement reconnue et qui est tellement évidente, si on prend, par exemple, la question de l'âge. Il est bien évident, quiconque va reconnaître que la prime d'assurance pour une police d'assurance-vie de 5000 $ pour une personne de dix ans ne sera pas la même que pour une personne de 60 ans. Cela saute aux yeux. Dans le cas des femmes, il va y avoir une différence de prime qui tend, en assurance-vie, à être en leur faveur, et qui est en leur défaveur dans le cas des rentes, parce que les tables actuarielles nous indiquent cette différence. Ce n'est pas nouveau. Je pense que ces principes d'actuariat et ces études statistiques sont reconnus partout dans le monde.

Le même principe s'applique lorsqu'on parle d'assurance collective. Il est évident que la manière de tarifier un risque en assurance collective se fait grosso modo un peu de la même façon, en disant: Il y a tant de femmes, il y a tant de personnes de tel âge, etc. Ensuite, il y a une moyenne qui est faite. L'impact n'est pas le même pour l'employé lorsqu'on a un plan d'assurance collective, parce qu'il y a une tierce partie qui est l'employeur. À ce moment, je pense qu'il y a très peu de différence, il n'y en a même pas en pratique dans le cas de l'assurance-vie, par exemple, entre les hommes et les femmes qui sont employés dans une même entreprise.

C'est donc dire que, sur les avantages sociaux, il n'y a pas grand-chose qui peut soulever le problème de la discrimination, sauf que certaines pratiques qui avaient été établies par la pratique de l'assurance étaient considérées trop restrictives. C'est ce qui avait amené, je pense, la commission d'études, en 1974 ou 1975, le rapport Boutin, publié en 1975, qui essayait de clarifier ces pratiques qui semblaient restrictives et qui, en fait, l'étaient pour plusieurs. Il est sorti

de cela des recommandations assez précises. On n'a pas voulu embarrasser les membres de la commission en reprenant toute une documentation qui aurait été une répétition de ce qui a déjà fait et d'une étude assez sérieuse qui a été publiée. Nous sommes, comme association, en accord, de façon générale, avec l'application des recommandations du rapport Boutin. Évidemment, il date de 1975, il y a déjà des pratiques qui sont dépassées. On est peut-être plus en avance, dans la pratique de tous les jours, dans nos compagnies d'assurances, qu'on ne l'est dans les recommandations du rapport Boutin. Avec les ajustements voulus, disons que, grosso modo, nous sommes d'accord avec les recommandations de cet important rapport qui réglementerait la question des avantages sociaux.

Il y a une recommandation en particulier dans ce rapport, la recommandation no 44, qui a une importance fondamentale à nos yeux; il s'agit de la nécessité d'une réglementation. Il est évident, comme le dit le rapport Boutin, qu'il faut connaître les règles du jeu, si on veut assumer des risques. Il est certain que le public, l'employeur, l'assureur en particulier, nous les compagnies d'assurances, on veut savoir ce qu'on assure. Il faut tout de même qu'on ait une réglementation. C'est la seule et la plus fondamentale recommandation que nous faisons dans notre mémoire; c'est dire que le seul organisme qui convient pour juger d'une réglementation dans le domaine des avantages sociaux, c'est le service des assurances. (17 h 30)

On est d'autant plus justifié, je pense, de recommander cela que l'assurance est peut-être la seule industrie qui soit autant surveillée. Le service des assurances existe justement pour surveiller ce qui concerne l'assurance, l'intérêt du consommateur, l'intérêt du public, des assurés. Comme on le dit dans notre mémoire, il y a déjà un embryon de règlement qui existe. Nous recommandons qu'un pouvoir de réglementation sur les assurances de la personne soit donné au service des assurances. Nous donnons un exemple en annexe au mémoire que nous avons présenté. Je demanderais à mon collègue, Me Luc Plamondon, de nous dire comment ce mécanisme pourrait être établi. Prenez note qu'il s'agit simplement d'un exemple; il ne s'agit pas d'un règlement définitif, parce qu'il faudrait inclure des recommandations du rapport Boutin là-dedans. On vous donne un exemple de ce qui existe grosso modo dans d'autres provinces, mais cela demandera d'être adapté et discuté. M. Plamondon pourrait, si vous le permettez, M. le Président, dire comment ce mécanisme pourrait s'appliquer. Merci.

Le Président (M. Desbiens): M.

Plamondon.

M. Plamondon (Luc): M. le Président, mesdames, messieurs, effectivement, nous nous sommes risqués à vous suggérer un modèle de règlement qui se situerait dans la Loi sur les assurances. Nous vous en avons remis, à titre de document de travail, une version. Déjà, nous allons y apporter des modifications. J'ai un autre texte que je pourrai vous remettre. Il est assez court.

Le premier article consacrerait le principe fondamental: la pratique des assurances de personnes doit être effectuée sans discrimination entre les personnes représentant des risques identiques.

Le deuxième article du règlement est une application particulière de ce principe. Il y a discrimination dans le refus de conclure des contrats d'assurance de personnes ou dans le fait d'établir des distinctions dans la nature ou le montant de la garantie en raison de la race, la couleur, le sexe, l'âge, l'orientation sexuelle, l'état civil, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, ou du fait que l'assuré est handicapé ou utilise quelque moyen pour pallier son handicap. Ce sont là à peu près tous les éléments de discrimination mentionnés à l'article 10 et nous sommes prêts à reconnaître que, dans l'accès à l'assurance et à toutes les formes d'assurance, il ne devrait pas y avoir de discrimination basée sur ces éléments.

Cependant, à l'article 3, ce sont des cas plus précis où nous estimons qu'il y a des différences qui s'imposent et où, conséquemment, on ne devrait pas considérer qu'il y a discrimination. Il n'y a pas discrimination dans les cas suivants: 1) distinctions dans l'établissement du taux des primes selon l'âge, le sexe, l'état de santé, la profession de l'assuré ou les activités auxquelles il s'adonne, lorsque ces distinctions sont fondées sur des principes raisonnables de classification des risques; 2) réduction ou exclusions de la garantie à la demande de l'assuré, au lieu d'une augmentation du taux de prime visée à l'alinéa 1;

Un mot d'explication, c'est que si l'assureur impose ou devait imposer à quelqu'un une surprime, par exemple en raison de sa profession, l'assuré devrait avoir le droit de demander plutôt une exclusion de la garantie visant ses activités ou sa profession particulière et à ce moment-là avoir un taux de prime standard, normalisé. 3) refus d'assurer ou de continuer d'assurer et modification de la nature ou du montant de la garantie, si l'assuré a moins de 18 ans ou plus de 65 ans;

Cela reprend sur ce point une notion assez répandue dans toutes les autres

provinces.

Les articles 4 et 5 reproduisent effectivement des notions assez traditionnelles: 4) distinctions dans les taux de primes d'assurance-grossesse et d'assurance-maternité en raison de l'état civil de l'assurée lorsque ces distinctions sont fondées sur des principes raisonnables de classification des risques; 5) exclusion du risque de grossesse normale ou imposition de conditions particulières relativement à cet état.

Autres cas où on ne devrait pas considérer qu'il y a discrimination: 6) distinctions dans les justifications d'assurabilité en raison de l'âge, du sexe, de la profession de l'assuré ou des activités auxquelles il s'adonne; 7) distinctions dans l'admissibilité à un régime d'assurance collective, ou dans la nature ou le montant de la garantie, en raison de la profession du participant ou de son lieu de travail.

Je vais faire un aparté. On mentionne souvent la profession ici. La profession n'est pas mentionnée spécifiquement comme étant un élément de discrimination à l'article 10 de la loi, mais la condition sociale est là, et le sens précis de cette expression nous échappe. Parfois, on pourrait peut-être considérer que certaines professions libérales sont peut-être mieux vues des gens; donc, dans la condition sociale, ces gens sont peut-être plus élevés, ou moins élevés cela dépend, que dans d'autres professions. Or, il est nécessaire pour les assureurs de tenir compte de la profession des assurés dans la tarification; je pense bien qu'il est évident que le risque pour un coureur automobile n'est pas le même que pour un bibliothécaire, cela saute aux yeux.

Autre cas de non-discrimination, le fait pour un assureur d'adapter ou de limiter ses activités à certains groupes, conformément à la loi qui le régit ou aux termes de l'approbation du Surintendant des assurances. Je vous donne un exemple de ce que cette réalité recouvre: la Mutuelle-vie des fonctionnaires ne peut par définition que s'adresser aux fonctionnaires. Il y a certains assureurs qui ont une vocation limitée et ils doivent respecter leur loi constitutive.

Sous l'alinéa 9, la pratique de l'assurance en fonction des distinctions, exclusions et préférences visées par l'article 20 de la Charte des droits et libertés de la personne. Cet article 20 permet à certains organismes, surtout des organismes sans but lucratif, d'avoir, disons donc des pratiques restrictives qui, à première vue, pourraient paraître discriminatoires. S'il y avait, entre autres, un contrat d'assurance de sorte qu'automatiquement tous les membres du Parti québécois ou du Parti libéral jouiraient d'une assurance de 5000 $ en raison de leur participation, il faudrait évidemment que le contrat d'assurance pose des questions sur les convictions politiques ou l'appartenance à un parti politique pour refléter cette assurance. L'article 20 de la loi permet ce genre d'organisme, cela permettrait les assurances qui s'y rattachent.

L'article 4 dit: "Le Surintendant des assurances est habilité à déterminer le bien-fondé des principes de classification des risques utilisés par les assureurs, de même qu'à établir si certaines pratiques adoptées ou envisagées sont discriminatoires." Il est important, je pense, pour les assureurs, de savoir à l'avance si, en vertu d'une pratique qui est envisagée, par exemple, par un employeur qui met sur pied un nouveau régime, une clause donnée pourra être jugée discriminatoire. L'apprendre cinq ans après le fait par une décision judiciaire ne fait que causer des problèmes pour tous.

Un article 5 est proposé au texte et c'est le nouvel article que vous n'avez pas. La Commission des droits de la personne doit être avisée en temps utile de toute décision du Surintendant des assurances au titre de l'article précédent et peut interjeter appel de cette décision conformément aux articles 366 et suivants de la Loi sur les assurances. Il y a déjà tout un mécanisme à l'intérieur de la Loi sur les assurances pour aller en appel et la commission, entre autres, aurait le droit de s'en prévaloir si elle n'est pas satisfaite du tout des décisions du surintendant en cette matière.

Il y aurait, pour que ce projet de règlement évidemment puisse réellement fonctionner, des séries d'amendements de concordance, mais cela, c'est de la technique sur laquelle je ne veux pas m'étendre pour le moment. Merci.

M. Massicotte: M. le Président, c'était notre présentation. Nous sommes là pour répondre à vos questions, si vous le voulez.

Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.

M. Bédard: Je veux vous remercier de votre participation aux travaux de la commission, c'est définitivement une contribution substantielle et beaucoup de questions viennent à notre esprit. Je voudrais tout d'abord essayer d'éclaircir dans mon esprit la position de principe que vous prenez dans votre mémoire; elle me semble assortie de pas mal de conditions; je ne veux pas porter de jugement de valeur, je pense que vous y faites des distinctions que vous soutenez en termes d'argumentation. Il faudra essayer de s'y retrouver. D'abord, vous semblez reconnaître que les conclusions du rapport Boutin sont encore valables, en tout cas, pour l'essentiel, au niveau des pratiques qui seraient permises. On sait que

le rapport Boutin suggérait de maintenir la tarification distincte suivant le sexe dans les divers régimes d'assurance et de rentes. Or, depuis ce temps, il y a quand même des courants d'idées importants qui tendent à prôner l'établissement d'une égalité de tarification suivantle sexe. Au moment où on se parle - vous me corrigerez si ce n'est pas le cas - je crois qu'il y a un projet de loi qui a été déposé aux États-Unis sur la discrimination en matière d'assurance, un projet de loi qui est actuellement devant le Congrès américain. Peut-être avez-vous une bonne idée de son contenu. Il y a eu aussi, depuis ce temps, le rapport du Surintendant des assurances sur la tarification dans l'assurance automobile, en 1980.

Je vous pose la question: Ne serait-ce pas aller contre ce courant que de maintenir aujourd'hui la tarification distincte? Vous pourriez peut-être nous dire quel peut être l'effet sur les primes d'assurance de l'inclusion d'une clause de non-discrimination en vertu du sexe et de l'état civil. Autrement dit, quel est le pourcentage de valeur des primes qui pourrait être affecté? Je ne sais pas si vous avez fait des calculs en ce sens; j'aimerais que vous fassiez part aux membres de la commission de vos remarques concernant l'ensemble de ces questions.

M. Massicotte: Je vous remercie, M. le ministre, d'une part, de recevoir avec sympathie, tout au moins, nos recommandations. Je regrette que ça vous paraisse être assorti de beaucoup de conditions; ce n'était pas notre intention de vous poser des conditions, loin de là. Pour répondre plus précisément à votre question, notre but, dans tout ça, c'est que nous devons assumer des risques d'assurance. Nous voulons pouvoir identifier clairement les risques qu'on nous demande d'assumer. Nous voulons aussi que les gens aient une certaine liberté personnelle d'avoir des assurances dont le coût est le plus possible calculé selon le risque qu'ils représentent eux-mêmes, surtout en matière d'assurance individuelle.

Comme M. Tremblay vous l'a dit, en matière d'assurance collective, le problème est peut-être différent, mais en matière d'assurance individuelle, et même en assurance collective...

M. Bédard: En matière d'assurance individuelle, vous nous avez présenté ça comme étant une question d'équité, en fait...

M. Massicotte: C'est exactement ce que je voulais dire.

M. Bédard: ... par rapport au risque que représente le fait d'assurer une personne.

M. Massicotte: C'est exactement ce que je voulais vous dire. Nous considérons ça comme une question d'équité plutôt que comme une question de discrimination ou d'inégalité. Pour vous donner juste une idée du problème d'une table de mortalité, par exemple, à peu près à tous les âges, si vous regardez une table de mortalité, vous allez voir, si vous regardez du côté des hommes, qu'il y a deux fois plus de décès par 1000 que du côté des femmes, à chaque âge. Ce qui fait que rendu à un certain âge, évidemment, il y a beaucoup moins d'hommes que de femmes qui sont vivants. Cela nous pose le problème des rentes, immédiatement, qui fait que rendu à 65 ans, comme il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes et qu'elles vont vivre plus longtemps, aussi, normalement, ça nous coûte plus cher pour donner des rentes à des femmes qu'à des hommes. Je pense que ces notions sont bien connues.

Nous voulons simplement pouvoir identifier le risque qu'on nous demande d'assumer et demander un prix équitable pour ce risque-là. Si on ne peut pas faire ça, il y a une iniquité qui se crée entre les individus. C'est simplement cela qu'on veut vous dire.

Quel ordre de grandeur est-ce que cela fait dans les primes d'assurance? II y a une telle variété que c'est vraiment difficile de vous donner des exemples concrets. Je ne sais pas si notre actuaire en aurait à l'esprit.

M. Miron (Serge): Je n'ai aucun chiffre particulier à donner, mais ce que je peux dire, c'est que si, par exemple, on faisait une tarification pour les rentes, indépendamment du sexe, à la retraite, les employeurs auraient tendance à assurer leurs risques pour les hommes et iraient sur le marché auprès des assureurs pour acheter la rente auprès des femmes. À ce moment-là, la tarification serait une moyenne et ils en profiteraient pour acheter les risques les plus dispendieux chez les assureurs et garder les risques les moins dispendieux chez eux. (17 h 45)

M. Massicotte: En termes de chiffres, vraiment, je suis un peu embarrassé. Il y a certainement une bonne différence pour les rentes. Rendu à l'âge de 65 ans, c'est vraiment une différence appréciable.

M. Bédard: Quand vous parlez de différence appréciable, est-ce que vous pouvez être plus explicite? Je comprends qu'on ne peut pas vous demander plus que ce que vous pouvez...

M. Massicotte: II y a tellement de variétés là-dedans, si vous demandez différentes formes de garantie de rentes, par exemple si vous voulez avoir une rente qui est purement viagère, ce qui ne se vend à

peu près pas, ou si vous voulez une rente qui soit garantie cinq, dix ou quinze ans, avec une indexation de la rente après la retraite. Il y a une variété considérable. Je n'ose pas me risquer vraiment à vous donner des chiffres.

M. Tremblay (Marcellin): M. le Président, si vous me permettez d'ajouter une explication à ce que M. Massicotte a dit, c'est une question qui nous est souvent posée, à savoir combien il en coûterait de plus si on appliquait cela. On a l'air un peu incompétents, l'air d'être incapables de répondre: Oui, ça coûterait 15% de plus, ça coûterait 12% de plus. C'est parce que chaque cas est un cas particulier. Les groupes ne sont pas constitués de la même manière. Vous allez avoir, par exemple, dans un genre d'industrie, un personnel féminin beaucoup plus élevé que dans d'autres. Cela dépend un peu de la composition des groupes. Il est extrêmement difficile de dire de façon globale quel serait le différentiel. Mais le mécanisme de cela est facile à comprendre.

Pour revenir à une question que vous posiez également, M. le ministre, quand vous disiez qu'on semble aux États-Unis abandonner cette notion de classification des risques, j'ai un rapport devant moi, qui date de juin 1981, à la suite de la réunion annuelle des surintendants d'assurances américains et où, grosso modo... C'est en anglais; je ne veux pas le lire parce que ma prononciation est du Lac-Saint-Jean, moi aussi; alors, ça pourrait faire de la confusion.

M. Bédard: Je comprends, deux personnes venant de la même région. Ma compréhension est limitée aussi.

M. Tremblay (Marcellin): Sommairement, la recommandation dit que la pratique quand même de classifier des risques suivant le sexe est une affaire d'équité et doit être maintenue. C'est la recommandation des surintendants d'assurances de tous les États américains. Est-ce que cela ira plus loin? Encore une fois, M. Massicotte a été très clair. Dans un régime d'avantages sociaux, ce ne serait pas impossible de le faire, mais cela aurait de jolies conséquences si on n'appliquait pas une tarification basée sur l'expérience des tables de mortalité.

M. Bédard: Autrement dit, à l'exception d'un éventuel réaménagement des primes qui serait nécessaire si cela arrivait, est-ce qu'il y a des coûts supplémentaires pour vos membres? Est-ce que cela peut s'évaluer?

M. Massicotte: Si vous voulez, M. Bégin qui est actuaire comme moi, d'ailleurs, me dit que je devrais quand même être plus précis sur la question des pensions.

M. Bédard: Je m'excuse, on parle beaucoup de tables unisexes. Qu'est-ce que vous pensez de cela?

M. Massicotte: Je vais vous donner un exemple pour une personne qui aurait 65 ans. Si vous voulez une rente viagère pure, c'est-à-dire qui se termine au décès de lapersonne, vous pourriez penser à 20% de plus cher pour une femme que pour un homme. Cela ne paraît pas élevé, 20%, je suis prêt à vous l'accorder, mais si vous prenez un petit employeur qui a instauré un régime de retraite pour ses employés et qui doit assumer le coût de la retraite chaque fois que cela se présente ou presque, s'il veut donner 10 000 $ de rente par année à une personne, cela va lui coûter à peu près 10 $ par 1 $ de rente à cet âge. Cela veut dire que cela va lui coûter, pour un homme, 100 000 $ et, pour une femme, 120 000 $. Si vous voulez le prendre dans ces termes, je peux vous le donner ainsi. Il y a des distinctions que je devrais peut-être faire, que je ne fais pas en ce moment, mais je voulais vous donner un chiffre.

Quand vous parlez d'une table unisexe, vous voyez l'ordre de grandeur des différences que cela peut faire. À ce moment-là, est-ce qu'on va facturer 110 000 $ aux hommes et 110 000 $ aux femmes pour une rente de 10 000 $? On pourrait en arriver à cela. Il faut comprendre que, pour un petit employeur, cela poserait un problème parce qu'il n'a pas des ressources illimitées et il a tendance, comme le disait M. Miron, à essayer d'éviter de donner des rentes aux femmes, si cela lui est possible.

M. Bédard: Est-ce que cela peut donner comme résultat que les employeurs pourraient être portés à abandonner ces rentes?

M. Massicotte: Cela pourrait arriver. C'est cela, le problème.

M. Bédard: Une dernière question. Je suis convaincu qu'il y a d'autres membres de la commission qui veulent vous en poser aussi.

Vous nous avez fait, dans votre mémoire, une suggestion, soit de spécifier dans la charte et ses règlements ce qui est et ce qui n'est pas discriminatoire au niveau de l'assurance. Ne pensez-vous pas que cela pourrait être dangereux de spécifier dans une charte et ses règlements ce qui est ou ce qui n'est pas discriminatoire en ce qui regarde les assurances, puisque cela pourrait figer les pratiques des compagnies d'assurances par rapport à une réalité qui semble bouger quand même constamment?

M. Massicotte: Nous vous demandons

d'inscrire ce qui est et ce qui n'est pas discriminatoire dans un règlement. Le règlement, je le suppose, peut se changer plus facilement qu'une loi ou une charte.

M. Bédard: Oui, mais... Allez-y.

M. Massicotte: Nous faisons cela parce que nous avons quand même besoin de savoir le plus possible à l'avance ce qui détermine le risque que nous assumons. Nous pourrions prendre - nous le disons dans notre mémoire aussi - la chance que ce soit imprécis et que nous devions être cités devant les tribunaux, à un moment donné, avec cela, mais cela ne règle rien. Il vaut mieux avoir une définition à l'avance, le plus possible, en tout cas, de ce qui est ou de ce qui n'est pas considéré comme discriminatoire et nous nous conformerons ensuite à cela beaucoup plus facilement.

M. Bédard: Comme vous le dites, des règlements, par rapport à une loi régulière, c'est plus facile à amender que des règlements qui seraient dans une charte.

M. Massicotte: C'est cela.

M. Bédard: Mais, à partir du moment où on met un certain principe dans une charte, voulez-vous dire qu'il faudrait qu'elle soit assujettie à des règlements qui seraient contenus dans une autre loi, ce qui aurait presque pour effet de donner un peu de primauté à ces règlements - en tout cas, j'espère que je m'exprime comme il le faut -par rapport au principe général qui est établi dans la charte?

M. Massicotte: Je ne suis pas juriste. Je voudrais dire simplement que ce ne serait pas, dans mon esprit, en tout cas, assujetti, mais précisé.

M. Plamondon: Vous avez certainement un point très valable, M. le ministre. C'est pourquoi, d'ailleurs, dans le règlement que nous proposons, nous avons effectivement répété le principe fondamental que la pratique des assurances de personnes doit être effectuée sans discrimination entre les personnes représentant des risques identiques. Nous sentons, cependant, qu'à la périphérie, à un moment donné, quand on tombe dans la réalité, qu'on est à l'extrême limite des points techniques, il y a des problèmes techniques qui se posent et il y a des décisions concrètes qui doivent être prises, à savoir si tel geste ou telle autre pratique est discriminatoire ou non. Les principes, c'est valable, mais comme le disait un peu quelqu'un: On est capable de vivre, nous, avec des oui ou des non. Ce sont les peut-être qui sont extrêmement embêtants quand vous vous engagez dans un régime d'assurances et que vous êtes liés pour les 10, 15 ou 20 prochaines années. C'est pourquoi le pouvoir réglementaire, estimons-nous, est utile surtout dans son aspect préventif. Cela marche dans les deux sens. On ne demanderait pas simplement au surintendant de donner des diktats, à savoir que telle chose est possible. C'est que justement, avec la réalité devant lui, le surintendant serait en mesure de dire: Je vous interdis telle pratique. Je la considère discriminatoire. Il y a tous les mécanismes d'appel dans la Loi sur les assurances, à la commission que l'on suggère et à l'intérieur du cadre des assurances pour en appeler de cette décision. Remarquons aussi qu'en le mettant dans la Loi sur les assurances il y a une grosse épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. C'est la suspension du permis d'assureur. Le surintendant a ce pouvoir.

M. Bédard: Vous semblez réserver ce jugement entre les mains du Surintendant des assurances, d'une certaine façon.

M. Plamondon: Oui, permettez, M. le ministre...

M. Bédard: Vous le dites expressément, non pas entre les mains de la commission.

M. Plamondon: Dans notre recommandation no 5, dans le règlement qu'on fait, la commission aurait le pouvoir ensuite d'analyser tout ça. La Commission des droits de la personne doit être avisée en temps utile. Le surintendant doit l'informer de la réglementation qu'il a faite. Si elle n'est pas satisfaite, elle pourra demander appel en vertu de l'article 366 qui est prévu par la Loi sur les assurances. La Commission des droits de la personne a le pouvoir d'intervenir. Au moins, on se référerait à un service gouvernemental qui connaît l'opération des assurances et on en resterait à la logique même des choses puisque le service des assurances existe justement pour surveiller l'intérêt du public. Je pense qu'à ce moment on resterait dans la ligne de pensée légitime et on aurait une formule opérationnelle raisonnable.

M. Bédard: Je comprends bien votre idée.

Le Président (M. Desbiens): Mme la députée de La Peltrie.

Mme Marois: Dans le fond, si je comprends bien, dans le mémoire qui est là, vous définissez vous-mêmes, pour l'instant, la position qui est là. Il n'y a pas de discrimination dans les cas suivants. Vous donnez un certain nombre de critères en disant: "distinctions dans l'établissement du taux des primes selon l'âge, le sexe, l'état

de santé? Mais ce que vous nous dites en même temps, et j'aimerais bien voir si je comprends bien c'est ceci: Si vous en décidez autrement, ce que nous souhaitons, c'est que ce soit très clairement énoncé, sur la base de critères très clairs. C'est ce que vous nous dites.

M. Massicotte: Le premier objectif, c'est sans doute d'avoir des critères clairs et aussi de vous dire en même temps que tout le monde reconnaît tout de même qu'il y a des cas où les coûts sont importants. Il faut tenir compte de cela en établissant les critères.

Mme Marois: Cela va. Je vais revenir essentiellement sur une chose, surtout le monde du travail, les rentes afférentes ou la participation des travailleurs et des travailleuses. Évidemment - on le sait, les tables et les calculs actuariels le disent - il y a une différence de longévité entre les hommes et les femmes. Vous nous avez même donné un exemple, je pense, qui a été apprécié. Cependant, les analyses qui sont faites actuellement disent que cette différence basée essentiellement sur l'âge et la longévité, ne devrait pas justifier l'utilisation d'un critère qui viendrait distinguer et mettre en cause le principe de l'égalité de traitement, particulièrement dans une perspective où on sait très bien que la rente de retraite est finalement considérée comme un salaire différé. Donc, à partir du principe de la rémunération égale pour les hommes et pour les femmes, cela signifierait que les travailleurs et les travailleuses, donc les deux sexes, devraient recevoir une rente de retraite mensuelle ou annuelle égale. C'est un peu ce que reprend aussi la commission dans son texte en parlant des conventions internationales. C'est essentiellement la même chose qu'on dit. On dit: L'article 1 a), en parlant de cette convention, spécifie que le terme "rémunération" comprend le salaire ou traitement ordinaire de base minimum et tout autre avantage payé, directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l'employeur au travailleur en raison de l'emploi de ce dernier. On fait donc référence ici aux régimes de rentes. Basé sur ce principe, cela devient un peu différent par rapport à ce que vous apportez.

M. Massicotte: Je crois que M. Bégin pourrait vous dire un mot là-dessus.

M. Bégin (Robert): Je pense que je peux répondre à cette allégation. Je crois que, justement, aller dans ce raisonnement et parler de salaire égal - à travail égal, salaire égal - ce n'est pas parler de bénéfice égal. La valeur du bénéfice de rente pour une femme est de loin supérieure à celle d'un homme, de telle sorte que, si on fait l'addition du salaire et d'un bénéfice de rente égal, on discrimine en faveur de la femme. On n'applique pas le principe fondamental: à travail égal, salaire égal.

Mme Marois: Mais je ne comprends pas dans quelle perspective vous dites qu'on avantage la femme. Évidemment, elle a un montant moins important. Ce que ça donne dans les faits, pour des profanes - et j'en suis à bien des égards, je le reconnais -c'est qu'à l'âge de la retraite une femme est censée recevoir, tel qu'on le connaît maintenant, un montant moins important, mais pendant une plus longue période, ce qui, à toutes fins pratiques, veut dire que, finalement, elle reçoit les mêmes montants. C'est ça que vous me dites.

M. Bégin: C'est ce que je dis.

Mme Marois: Ce ne sont pas là des avantages.

M. Bégin: Quand on dit: Pour un travail égal exécuté par une femme, on doit payer le même salaire et, en plus, on doit lui donner à partir de 65 ans - aussi longtemps que ça restera comme âge de retraite - le même bénéfice en argent, à ce moment-là, la somme des deux est plus grande pour la femme que pour l'homme.

Mme Marois: Oui, je comprends, toujours en se basant sur la notion de la valeur actuarielle, du calcul actuariel et sur la notion de longévité.

M. Bégin: Oui, bien sûr.

Mme Marois: C'est ça, c'est sur la notion de longévité. Là-dessus, j'en conviens. Un jour, semble-t-il - M. Le Selye nous en a prévenus - les femmes, vivant au rythme où elles vivent, vont mourir probablement au même rythme que les hommes. Alors, on n'aura plus ce problème-là. J'en conviens, on ne peut pas disconvenir de ça, ce sont des statistiques et ce sont des données. Sauf que ce sur quoi on revient, c'est que nous ou un certain nombre d'organismes considèrent que c'est une pratique qui se révèle discriminatoire et qu'un bon nombre de pays ont déjà remis ceci en cause et l'ont contesté pour en venir à des systèmes où la rente est égale dans tous les cas, faisant évidemment en sorte qu'on supportera comme société des coûts différents; ça aussi, on doit en convenir, on est bien cohérent dans tout ça. (18 heures)

M. Bégin: Je crois sincèrement qu'à ce moment-là on corrige une pseudo-discrimination par l'introduction d'une discrimination inverse à l'intention des

femmes. Oublions la question de la rente et remplaçons-la par une maison. Si on dit: Pour un travail égal, à un homme, on va donner son salaire et, à 65 ans, une maison de 100 000 $, à une femme, on va donner le même salaire et une maison de 120 000 $, c'est un peu ce qu'on demande.

Mme Marois: Oui, c'est vrai. Je ne nie pas ça. Qu'est-ce que vous voulez? Ce sont les faits, on est obligé de les reconnaître. Sauf qu'on va le prendre d'un autre point de vue, d'un point de vue d'équité sociale. Cela va? Toutes les études - le Sénat canadien en a fait une, le Conseil du statut de la femme et d'autres groupes, et même le gouvernement du Québec - nous disent que les femmes âgées sont les femmes les plus pauvres de notre société. On continue, par notre système, finalement, à confirmer ça. C'est vrai, ce que vous dites, mais, dans les faits, cette femme recevra un montant moins important, tout en étant souvent tout près du seuil de la pauvreté parce que la moyenne des salaires, comme on le sait, n'est quand même pas très élevée et la rente, ne représentant pas 100% du salaire, fait en sorte que les revenus sont moins élevés.

Du point de vue que vous soulevez, c'est juste, j'admets avec vous que les données statistiques sont des données objectives; on aime l'objectivité. Je pense que c'est d'un autre point de vue et avec une autre approche, finalement, que ces questions se soulèvent.

M. Bégin: Quand vous transposez le problème du plan économique au plan social, je vous suis très facilement. Je pense que vous agrandissez le problème, vous le faites sortir du droit des personnes pour ramener le problème global des systèmes de pension au Canada, qui va faire l'objet de beaucoup...

Mme Marois: Évidemment, ça touche tout ce système puisqu'à partir du moment où on l'abrogerait dans la charte tel que c'est proposé c'est évident que ça poserait le problème à d'autres niveaux.

M. Bégin: Ce n'est peut-être pas la place pour le faire, mais je me le permets quand même, à titre strictement personnel, en élargissant particulièrement le domaine des pensions - ce qui va se discuter - et en répondant à la question du ministre Bédard sur la possibilité d'une table unisexe pour les rentes; je pense bien qu'il y a des voies de solution éventuelles dans tout ça. Une des choses pour lesquelles, personnellement, je suis, c'est qu'on partage également, tout au long de la carrière et de la vie, les pensions entre les hommes et les femmes quand ils forment un couple, et il n'y aura plus de problème.

Mme Marois: Sauf qu'il y a des personnes qui ne vivent pas en couple toute leur vie.

M. Bégin: Oui, mais les couples de fait, on les reconnaît.

Mme Marois: Oui.

M. Voyer (Christian): M. le Président, si vous permettez, il y a également des statistiques qui disent que les femmes contrôlent 70% des richesses. C'est un peu normal.

Mme Marois: Oh! la la.

M. Voyer: Étant donné qu'elles vivent plus vieilles que les hommes, elles héritent des hommes.

Mme Marois: On pourrait en reparler. Il y a un autre mémoire, ce matin - je pense que c'est la Coalition pour l'abrogation de l'article 97 ou 90 - qui disait: Aux États-Unis, on a constaté par analyse statistique qu'il y avait une différence dans le taux de mortalité des Blancs et des Noirs et, cependant, on n'a pas fait de distinction d'autre part. Dans le cas des États-Unis, ce sont quand même de grandes populations quand on parle de ces groupes.

M. Massicotte: II faut admettre aussi que dans le cas des problèmes de Blancs et de Noirs, il y a une question d'évolution sociale qui s'est faite depuis je ne sais combien d'années, ce qui fait qu'aujourd'hui les tables de mortalité indiquent les mêmes chiffres pour les Blancs et pour les Noirs. Mais en ce moment, il faut constater qu'ici les tables de mortalité qu'on compile aujourd'hui indiquent une différence importante entre les hommes et les femmes.

Mme Marois: Vous m'avez donné la réponse. Il peut y avoir aussi une évolution sociale à ce point de vue.

M. Massicotte: C'est exact, une évolution. Je m'excuse, madame, mais ce que je voulais dire, c'est que l'évolution sociale de ce point de vue ne s'est pas encore produite, mais peut-être qu'il y a d'autres différences qui sont plus fondamentales, biologiques peut-être, qui font que ce ne sera plus longtemps comme cela. Là, il y a un problème scientifique que nous ne sommes pas en mesure de résoudre, évidemment, mais que nous devons constater en relevant aujourd'hui des statistiques de décès.

Mme Marois: J'en conviens. J'ai terminé.

M. Tremblay (Marcellin): Si vous me le

permettez, M. le Président. Mme la ministre soulève un point dans la discussion que nous venons d'avoir. Je reconnais qu'il y a un problème, mais il y a quand même une question de justice sociale. À ce moment-là, on discute de plan de régime privé. Comment voulez-vous qu'on règle le problème de la pauvreté des gens. C'est clair qu'il y a une opération financière.

Mme Marois: Je suis consciente de cela, mais je voulais quand même le soulever. Cela fait partie, cependant, de toute l'évolution d'une société. Il y a des phénomènes que, il y a dix ans, on ne trouvait absolument pas discriminatoires, qu'on trouvait tout à fait normaux et qu'on acceptait de soi et, maintenant, on les trouve extrêmement discriminatoires. Dans ce sens-là, il y a une évolution de société vis-à-vis de laquelle je me dis: On peut décider de faire des choix d'ordre politique ou d'ordre technique aussi.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Brièvement, M. le Président. J'aimerais également, au nom de l'Opposition, remercier l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes et profiter de l'occasion pour excuser mon collègue de D'Arcy McGee qui est porte-parole en matière de justice. Il a dû nous quitter pour des considérations religieuses.

La seule question que j'aurais à poser -ces deux derniers jours, on y a touché un peu - est la suivante. Dans les autres provinces du Canada, est-ce qu'il existe une réglementation semblable à celle-ci qui serait aussi claire?

M. Plamondon: Nous avons fait des suggestions au même effet dans les autres provinces. Il n'y a pas de réglementation telle quelle déjà en vigueur. Dans beaucoup de provinces, on fait des exclusions pour les avantages sociaux basés sur les "bona fide exclusions". On emploie ce concept d'exclusion de bonne foi, mais ça ne nous satisfait pas pour la même raison. Qu'est-ce que ça veut dire, une exclusion de bonne foi? C'est un jugement assez subjectif qu'il nous faut poser aujourd'hui et dont on aura peut-être la réponse simplement dans cinq ans ou dans six ans, quand il y aura une décision judiciaire. Nous trouvons que le processus de règlement est plus approprié pour résoudre ces problèmes, surtout à l'avance.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: Dans toutes les provinces?

M. Plamondon: Toutes les provinces? Je ne voudrais pas m'avancer, mais n'oubliez pas...

M. Bédard: Au fédéral, etc.

M. Plamondon: Pardon? L'Ontario, surtout. Il y a le projet de loi no 7.

M. Bédard: Et au fédéral?

M. Plamondon: Oui, excusez-moi, il y a une réglementation qui ne résout peut-être pas les problèmes auxquels on s'adresse. En plus, on est bien en avance sur beaucoup d'autres provinces aussi, avec la condition sociale et d'autres éléments comme cela.

M. Bédard: En terminant - on pourra poser la question également au groupe qui va suivre - même si les faits démontrent qu'il y a une espérance de vie plus grande pour les femmes, il reste qu'il y a, du point de vue individuel, des injustices qui existent pour les femmes qui meurent avant que...

Mme Marois: Après un certain nombre d'hommes.

M. Bédard: En fait, comment pourrais-je le dire?

Mme Marois: C'est le moment ou jamais!

M. Bédard: Qui ne répondent pas à l'attente.

Des voix: Ah! Ah! Ah!

M. Bédard: Je comprends qu'il y a des hommes aussi. La question qu'on se pose à partir de cela est celle-ci: Est-ce qu'il existe quand même une façon de concevoir un régime de rentes à prestations indéterminées, qui tiendrait compte à la fois du fait que les femmes, comme groupe, vivent plus longtemps et, donc, sont appelées à percevoir, en moyenne, leur rente sur une plus longue période de temps et qui tienne compte aussi de la femme qui meurt avant cette espérance de vie moyenne et qui, par le fait même, subit une injustice purement individuelle? Est-ce que ce sont deux réalités inconciliables dans l'élaboration d'un régime? Je sais que vous êtes des experts et vous avez sûrement eu à faire face à des problèmes peut-être encore plus complexes que cela. Est-ce qu'il y a moyen de concilier dans un régime ces deux réalités?

M. Massicotte: En matière d'assurance collective ou de rente, évidemment, celui qui a le dernier mot dans tout ça, c'est l'employeur. Nous, comme assureurs ou peut-être, à un moment donné, simplement comme

évaluateurs de risque, nous devons lui dire que, pour qu'il puisse donner un certain montant de rentes à son groupe d'employés, de travailleurs, il faudra qu'il mette, dans le régime, une certaine somme d'argent.

M. Bédard: II faut qu'il apprenne à...

M. Massicotte: Évidemment, s'il y a plus d'hommes ou de femmes, nous pouvons lui prédire que ça va lui coûter plus cher. C'est lui, finalement, qui assume le coût de tout ça. En général, dans les gros groupes de travailleurs, les rentes me semblent, en tout cas, être passablement les mêmes pour les hommes et pour les femmes, actuellement. Le problème se pose plus pour les plus petits groupes où l'employeur ressent beaucoup plus l'effet de devoir payer, parce qu'il y a une femme dans son groupe, une prime plus grosse que celle qu'il paierait s'il y avait un homme à la place. Le moyen qui existe, parce qu'on n'invente pas l'argent, c'est que quelqu'un verse des cotisations plus importantes s'il y a plus de femmes et des cotisations moins importantes s'il y a plus d'hommes. C'est la seule solution. Comme, habituellement, on demande la même cotisation aux hommes et aux femmes, la seule façon, c'est que l'employeur comble la différence, je crois. Si vous cherchez vraiment la façon, c'est ça.

M. Bédard: Oui.

M. Massicotte: II faut se demander s'il est d'accord pour le faire.

M. Bédard: J'avais cru comprendre que c'est peut-être la manière...

M. Massicotte: II n'y a pas de moyen magique, actuariellement, d'inventer de l'argent.

Mme Marois: II y a aussi la hausse des cotisations pour...

M. Massicotte: Les cotisations des travailleurs peuvent être plus élevées dans l'ensemble, c'est bien sûr. Mais il faudra plus d'argent.

M. Bédard: Autrement dit, si on voulait une égalité au niveau des bénéfices à recevoir à la retraite, ça équivaut à dire que les femmes devraient payer plus cher, si on suit votre raisonnement.

Une voix: II y a quelqu'un qui va payer plus cher.

M. Massicotte: Pas nécessairement les femmes elles-mêmes, mais leur employeur, de toute façon.

M. Bédard: Oui.

M. Massicotte: Habituellement, les régimes de rente, je crois...

M. Bédard: L'employeur n'invente pas l'argent, non plus.

M. Massicotte: Non, mais prenez le régime à prestations indéterminées dont vous parliez; un régime qui est bien connu dans ce genre, c'est le 5%-5%, où l'employeur etl'employé paient 5% du salaire comme cotisation. Si vous voulez égaliser les rentes à l'autre bout, il faudra que l'employeur, ou les employés ensemble, ou les femmes seulement, je ne sais pas qui, verse une cotisation additionnelle; il n'y a pas à sortir de là si on veut que la rente soit la même pour les deux. Maintenant, ce n'est pas de l'argent qui s'invente, c'est un transfert d'un groupe à l'autre. Ce n'est pas comme ça non plus qu'on va régler le problème de la pauvreté des femmes âgées parce que c'est basé sur bien d'autres choses.

Mme Marois: Je sais que le problème n'est pas nécessairement là, mais on sait que l'effet est quand même constaté.

M. Bédard: C'est probablement une hérésie que je fais, à moins d'abolir les régimes à prestations indéterminées et d'en faire à prestations déterminées.

M. Massicotte: Oui, mais le coût sera toujours plus important pour donner le même niveau de prestations aux femmes et aux hommes. Il faut le constater.

M. Bégin: Je vais corriger mon président: Le coût sera toujours plus élevé aussi longtemps que les conditions sociales ne feront pas qu'il y aura égalité.

M. Bédard: Ce que je veux dire, c'est qu'à la retraite on verse le même montant. J'espère que ce n'est pas le prix que les femmes auront à payer pour l'égalité, de vivre moins longtemps.

Mme Marois: Merci. (18 h 15)

Le Président (M. Desbiens): Je constate qu'il est 18 h 15. On a obtenu un consentement pour poursuivre jusqu'à ce moment-ci. Est-ce qu'on continue?

M. Bédard: On peut terminer. Je n'ai pas d'autre question à poser, M. le Président.

Une voix: On pourrait terminer.

M. Bédard: Si les membres de la commission sont d'accord, je n'aurais absolument pas d'objection à continuer

jusqu'à épuisement, c'est-à-dire à entendre les deux groupes qui demeurent.

Une voix: Consentement, M. le Président.

M. Bédard: Peut-être que nos amis des assurances vont vouloir demeurer avec nous pour entendre le groupe qui va "comparaître", entre guillemets, dans quelques instants.

Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre participation.

M. Massicotte: C'est nous qui vous remercions de nous avoir entendus, M. le Président.

Le Président (M. Desbiens): Je demanderais maintenant au groupe William M. Mercer de s'approcher de la table, s'il vous plaît.

Les travaux sont suspendus pour quelques secondes.

(Suspension de la séance à 18 h 16)

(Reprise de la séance à 18 h 20)

Le Président (M. Desbiens): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission reprend ses travaux. Je demanderais au représentant de William M. Mercer, M. Jean-Louis Bourbeau, de nous présenter son collègue, s'il vous plaît!

William M. Mercer Limitée

M. Bourbeau (Jean-Louis): M. le Président, M. le ministre, messieurs les membres de la commission, avant de vous présenter mon collègue, j'aimerais vous présenter un peu notre société, étant donné qu'elle n'est peut-être pas aussi connue que le Conseil du patronat, la Chambre de commerce ou l'Association canadiennne des compagnies d'assurances de personnes.

William M. Mercer Limitée et sa filiale québécoise, la Société conseil Mercer, sont des sociétés de conseillers en rémunération et avantages sociaux qui comptent au Canada plus de 500 employés et qui déploient leurs activités auprès de plus de 3500 clients. Au Québec, nous avons des bureaux à Montréal et à Québec où on retrouve une centaine d'employés dont 30 actuaires. Mon collègue, M. Jean Lefebvre, est vice-président de la société. Il est actuaire et il est au bureau de Montréal. Je suis moi-même actuaire et je suis le directeur du bureau de Montréal.

Le document que vous avez devant vous, on a participé à sa rédaction. Il représente un consensus de plusieurs conseillers de notre maison ayant une vaste expérience dans le domaine.

Nos commentaires ne touchent pas l'ensemble des amendements qu'il pourrait être opportun d'apporter à la charte, mais seulement les amendements qui seraient nécessaires pour éliminer la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux. Ils se réfèrent plus spécifiquement au rapport final du comité sur la non-discrimination dans les avantages sociaux publié en décembre 1976, le rapport Boutin. Il s'agissait, selon nous, d'un document très valable dont certaines recommandations doivent néanmoins être modifiées pour refléter les changements survenus depuis lors dans notre société. En fait, c'est le seul endroit où on a toute une liste de règlements proposés qui pourraient être adoptés. Donc, c'est le document à partir duquel on a travaillé.

Notre présentation est en deux sections: premièrement, des commentaires plus généraux sur l'ensemble du problème et, deuxièmement, des commentaires plus spécifiques qui s'adressent aux régimes de rentes, aux régimes d'assurance-vie, aux régimes d'assurance invalidité, etc.

De façon générale, nous souscrivons entièrement à l'objectif d'éliminer des régimes d'avantages sociaux toute discrimination au sens de la Charte des droits et libertés de la personne. Nous souscrivons également, de façon générale, à la liste, contenue dans le rapport Boutin, des distinctions attribuables au sexe, à l'âge ou à l'état civil qui constituent une discrimination au sens de la charte.

Nous sommes d'accord sur la position du rapport Boutin quant aux considérations actuarielles. Ici, je pense qu'il est important de faire une certaine dissertation sur ce qu'on entend par les considérations actuarielles.

Le premier élément, le premier principe, c'est qu'on est d'avis que dans l'établissement des coûts, on devrait pouvoir tenir compte des taux de mortalité et des taux de morbidité différents selon l'âge ou le sexe. C'est à l'avantage de tout le monde, lorsque la tarification d'un risque est faite, qu'on puisse tenir compte du plus grand nombre possible de facteurs qui influencent ce risque. Le dernier élément qui est entré dans la liste des facteurs dont on tient compte, c'est le fait que les gens soient des fumeurs ou des non-fumeurs. Depuis une couple d'années, les compagnies d'assurances ont mis sur le marché des polices d'assurance individuelles où il y a des escomptes considérables pour les gens qui sont des non-fumeurs. Il y a toutes sortes de facteurs. On a signalé aujourd'hui des facteurs...

M. Bédard: Vous permettez que j'allume?

M. Bourbeau (Jean-Louis): Ah! Pour chacune, je pense que c'est 20 minutes de votre vie, mais c'est pris à l'autre bout.

M. Bédard: La preuve en est faite, actuariellement parlant?

M. Bourbeau (Jean-Louis): On a entendu parler aujourd'hui de différents facteurs qui changeaient un peu la nature du risque et dont on ne tenait pas compte. On a parlé de couleur, de race, de riches, de pauvres. Dans le domaine des avantages sociaux, plus spécifiquement dans le domaine des régimes souscrits sur une base collective, ce sont tous des facteurs dont on tient compte dans la très grande majorité des régimes. Le tarif de tous les régimes importants est établi à partir de l'expérience propre du groupe. Alors, si ce groupe est composé de personnes qui ont des caractéristiques telles que la mortalité est plus favorable ou moins favorable ou que la morbidité est meilleure ou moins bonne, tous ces facteurs se reflètent dans l'expérience que ce groupe en particulier a connue, et le prix que les compagnies d'assurances proposent à ces employeurs tient compte de tous ces facteurs. On considère que c'est une pratique qui doit être maintenue pour le plus grand bien des consommateurs.

Après qu'on a tenu compte de tous ces facteurs pour établir le coût, qu'est-ce qu'on fait avec ce coût? Qui absorbe ce coût? C'est là qu'on tombe dans la distinction des deux grandes sortes de régimes qui existent. Il existe des régimes à prestation déterminée et il existe des régimes à prestation indéterminée.

La très grande majorité des grandes entreprises ont des régimes à prestation déterminée. Les régimes d'assurance-vie sont généralement établis comme étant des multiples du salaire. Ce qui est établi dans les régimes d'assurance-vie, c'est le montant de la prestation de décès. La prestation est bien déterminée. On ne donne pas, règle générale, un montant de prime à chacun des employés pour lui dire: Achète l'assurance que tu peux avec ce montant. On lui dit: Tu es assuré pour deux fois ton salaire ou quatre fois ton salaire.

Quant au régime d'assurance-invalidité, le montant de la prestation est préétabli, il est en fonction du salaire dans tous les cas ou dans presque tous les cas.

Pour ce qui concerne les régimes de rentes des grandes entreprises (le gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada, Bell Canada, les banques) toutes les grandes entreprises ont des régimes de rentes où la prestation est déterminée. Les régimes à prestation indéterminée, en nombre de régimes, sont importants; on les retrouve presque exclusivement au niveau des régimes de rentes et on les retrouve plus chez la petite et la moyenne entreprise, parce que c'est un système facile, qui ne comporte pas beaucoup de frais. Pour des raisons économiques, c'est souvent cette route qui est choisie par ce type d'employeur.

Pour tous les régimes à prestation déterminée, le rapport Boutin et nous disons que les variations de coût qu'on observe, qui résultent de l'application de différents facteurs comme la mortalité différente ou la morbidité différente, doivent être absorbées par l'employeur. En disant cela, dans les faits, on a éliminé la discrimination au sens où les gens ont utilisé le terme aujourd'hui dans un très grand pourcentage des cas, j'oserais affirmer dans au moins 75% des cas.

Dans les régimes à prestation indéterminée, le problème est différent. Il ne devrait pas y avoir de discrimination si l'employeur contribue le même montant pour chacun des employés, étant donné que ce qui est établi, ce qui est négocié ou ce qui est entendu entre l'employeur et son employé, c'est un montant de contribution qu'on va verser. On dit: Si c'est là-dessus que porte l'entente, c'est ce montant qui devrait être égal dans le cas des deux employés, tandis que si l'entente porte sur un montant de prestation, la prestation doit être la même; si l'entente porte sur un montant de contribution, la contribution devrait être la même. On dit: On devrait permettre que les deux systèmes existent sans que l'un soit discriminatoire automatiquement par rapport à l'autre pour autant.

Maintenant, dans les régimes où l'employeur ne contribue pas, on se rapproche à ce moment-là des problèmes de mise en marché de l'assurance individuelle. À toutes fins utiles, il est nécessaire qu'on propose au client des prix qui vont faire qu'il en ait pour son argent; autrement, il va s'abstenir d'acheter la marchandise. Alors, on dit: Dans les régimes où l'employeur ne contribue pas, les taux de contribution des employés devraient pouvoir varier selon l'âge et le sexe, pour des considérations actuarielles seulement.

Pour reprendre l'exemple qui a été donné tantôt, si une rente coûte 120 000 $ pour une femme et qu'elle coûte 100 000 $ pour un homme et qu'on dise que, dorénavant, on va le vendre à 110 000 $ à tout le monde, comme cela, ce sera égal, si on ne force pas tout le monde à acheter, qu'est-ce qui va se passer? Les gens pour qui ça coûte 120 000 $ mais qui peuvent avoir le produit à 110 000 $ vont se hâter de l'acheter et ceux qui ont un produit de 100 000 $ et qui coûte 110 000 $ vont garder leurs économies chez eux. À moins qu'on puisse forcer tout le monde à convertir ses économies en rentes, à un moment donné, il faut avoir une tarification qui fasse en sorte que chacun en ait pour son argent;

autrement, il va faire de l'antisélection contre le système. (18 h 30)

L'approche suggérée pour les régimes à prestation indéterminée ne fait pas présentement l'unanimité chez les divers intervenants, je n'ai pas besoin de vous le mentionner. Il convient, à cet égard, de signaler que le rejet de cette approche pourrait conduire notamment à la disparition éventuelle de ce type de régimes si populaires auprès de la petite et moyenne entreprise, les régimes de rentes sur base de prestations indéterminées.

Les tables de mortalité unisexes, en un mot, pourraient constituer une solution en apparence facile aux variations selon le sexe. En pratique, cependant, les importants problèmes que leur introduction amènerait nous les font rejeter à ce stade. J'en ai signalé quelques-uns, on pourra y revenir à la période des questions, si vous le voulez.

Le rapport Boutin donnait une définition du terme "conjoint" que nous trouvons acceptable; le seul problème qui pourrait surgir en appliquant littéralement ce que le rapport Boutin proposait, c'est qu'on pourrait se trouver avec un conjoint de fait et un conjoint légitime. Alors, il faut prévoir des mécanismes pour savoir lequel des deux a la priorité parce qu'on préfère qu'il y en ait seulement un. Pour éviter les situations de conflit survenant entre conjoints légitimes et conjoints de fait, nous suggérons l'approche suivante: Si le conjoint de fait, lors du décès de l'employé, ne répond pas aux critères de la définition minimale et supplétive du terme "conjoint", tel que recommandé par le rapport Boutin, le conjoint légitime reçoit la prestation. Si le conjoint de fait répond aux critères de cette définition au moment du décès, le conjoint de fait reçoit la prestation sauf si l'employé lui-même a signifié un choix différent.

Alors, quelqu'un, pour toutes sortes de raisons, pourrait vouloir que son épouse légitime demeure bénéficiaire de ses polices d'assurances si c'est elle qui a la garde des enfants ou des choses comme cela; du fait qu'il vit avec une autre personne et que cela fait suffisamment de temps pour répondre aux critères de conjoint de fait, il ne faudrait pas que la loi dise qu'automatiquement c'est cette nouvelle personne qui devient bénéficiaire; l'employé devrait pouvoir signifier son choix personnel dans cette décision.

Nous recommandons de maintenir la pratique usuelle où les personnes à charge sont le conjoint et les enfants dépendants, tel que défini dans le rapport Boutin. Les régimes seraient libres d'élargir cette définition pour inclure, par exemple, les autres adultes dépendants.

Le rapport Boutin part de l'âge et parle des âges 18 à 65 comme étant l'intervalle à l'intérieur duquel il ne doit pas y avoir de discrimination; cela mérite des commentaires mais, étant donné la tenue de la commission parlementaire sur l'âge de retraite obligatoire, nous présentons également un mémoire à cette commission, et la question y sera débattue.

Enfin, nous souhaitons que les modifications à la charte et à la réglementation en découlant, le cas échéant, s'appliqueront tout autant aux régimes publics et aux régimes pour les employés du secteur public et parapublic qu'aux régimes du secteur privé.

Maintenant, on a des considérations plus spécifiques pour les divers types de régimes, je demanderais à mon collègue Jean Lefebvre de vous en faire part.

M. Lefebvre (Jean): Comme il a déjà été mentionné, le rapport Boutin remonte déjà à cinq ans, et il y a peut-être un certain nombre de changements dans la société qui remettent en question certaines des recommandations. On a ici quelques points spécifiques où on a jugé qu'il y avait peut-être lieu de donner une opinion différente de ce qui est indiqué au rapport Boutin.

Pour ce qui a trait, premièrement, aux régimes supplémentaires de rentes, dans un régime où la participation est obligatoire, nous sommes d'accord que l'obligation de participer ne s'applique pas avant un âge donné. Pour des motifs d'uniformité entre les gouvernements, parce qu'il y a déjà dans certaines provinces et au fédéral un âge qui a été déterminé, on considère que c'est très important, pour autant que cela est possible, d'avoir des règlements uniformes pour le bénéfice des employeurs qui ont des employés dans plusieurs provinces; alors, pour des motifs d'uniformité entre les gouvernements qui ont des mesures similaires, nous appuyons la recommandation du rapport Boutin qui a pour effet de rendre la participation facultative avant l'âge de 25 ans, bien que nous aurions préféré que la participation ne soit pas rendue obligatoire avant l'âge de 30 ans.

Les réductions qui s'appliquent en cas de retraite anticipée devraient pouvoir varier, de façon non nécessairement uniforme, selon la durée entre la retraite anticipée et la retraite normale. La réduction s'appliquant, par exemple, à l'année précédant immédiatement la date normale de retraite devrait pouvoir être moins élevée que la réduction s'appliquant à l'année qui précède la date de retraite de dix ans.

Selon le rapport Boutin, tout âge de retraite obligatoire avant l'âge de 65 ans serait discriminatoire, ce que nous appuyons de façon générale, mais nous croyons qu'il y aura cependant lieu de prévoir des accommodations ou exceptions pour certaines

occupations ayant des exigences particulières comme les policiers, les pompiers, peut-être même les pilotes d'avion. Il y a déjà une cause en cour sur la situation des pilotes d'avion qui ont dépassé 60 ans.

Pour ce qui a trait aux régimes d'assurance-vie, nous estimons qu'il doit être permis pour le régime de stipuler des prestations moins élevées pour les employés en mauvais état de santé lors de l'entrée dans le régime. De même, les conditions préexistantes à l'entrée doivent pouvoir être exclues de la couverture.

Quant aux régimes d'assurance-invalidité, nous estimons qu'il doit être permis, pour le régime, de stipuler des prestations moins élevées pour les employés en mauvais état de santé lors de l'entrée dans le régime et, de même, les conditions préexistantes à l'entrée doivent pouvoir être exclues de la couverture.

Nous sommes d'accord avec le but visé par la recommandation 33a du rapport Boutin pour considérer des absences dues à la grossesse comme des absences dues à une invalidité, mais nous sommes d'avis que l'adoption de cette recommandation devrait être laissée à la négociation entre employeur et employés plutôt que de légiférer.

Pour les régimes d'assurance-maladie, nous recommandons qu'il soit permis d'exprimer les cotisations patronales en une somme forfaitaire par employé, de même qu'en un pourcentage uniforme du taux de prime. Nous recommandons qu'il soit autorisé de continuer certaines pratiques qu'on rencontre dans les conventions collectives où, par exemple, l'employeur défraie la totalité de la prime pour les employés, ceux-ci se chargeant de la prime pour leurs personnes à charge.

Un domaine qui aura sûrement beaucoup d'importance, c'est celui des délais permis lors de la mise en vigueur. Nous croyons que la Charte des droits et libertés de la personne devrait préciser la nature et l'étendue des règlements qui pourraient être édictés, et nous recommandons à la commission que les amendements à la charte ou les règlements éventuels en découlant n'entrent en vigueur que six mois après leur proclamation et qu'ils s'appliquent aux régimes d'avantages sociaux selon l'échéancier suivant. Pour les régimes existants assujettis à des conventions collectives, la date d'entrée en vigueur de la nouvelle convention collective serait la date de mise en vigueur, et on pourrait indiquer trois ans comme étant la date maximum. Selon notre expérience, on n'a pas vu de convention collective d'une durée supérieure à trois ans.

Pour les autres régimes, les régimes assurés, la mise en vigueur serait la date de renouvellement du contrat d'assurance qui suit l'entrée en vigueur des amendements à la charte, au plus tard dix-huit mois après ladite date et, pour les autres régimes, dans les douze mois de l'entrée en vigueur des amendements à la charte.

M. Bourbeau (Jean-Louis): M. le Président, ça termine la présentation que nous avions à faire. Nous sommes à la disposition de la commission pour les questions.

M. Bédard: Je tiens à vous remercier, au nom des membres de la commission, de votre contribution importante aux travaux de cette commission. Nous sommes à même de constater que vous avez raison de dire que cette contribution est le résultat d'une réflexion très sérieuse.

Je serais porté, au départ, à vous poser la même question que celle que j'ai posée à ceux qui vous ont précédés, en terminant, pour voir si j'obtiendrais la même réponse.

Est-ce qu'il est possible de trouver un régime de rentes à prestations indéterminées qui peut concilier le fait que les femmes, comme groupe, vivent plus longtemps, donc, touchent de l'argent plus longtemps, et qu'il y a des femmes qui meurent avant l'espérance de vie qu'on leur a donnée? Est-ce qu'il est possible de concilier les deux?

M. Lefebvre: II faut se rappeler qu'un régime de rentes, qu'il soit individuel ou collectif, demeure une assurance en sens inverse, si on veut. De la même façon que quelqu'un a mentionné que, depuis longtemps, il payait une assurance-incendie pour sa maison et qu'il n'avait jamais réclamé, c'est un peu la même chose. On parle de moyenne, évidemment, il y a des personnes qui vont vivre jusqu'à 95, 100 ou 105 ans et qui en auront eu beaucoup pour leur argent. Si les risques sont achetés, à ce moment-là, la prime est déterminée de façon à établir une moyenne. Disons qu'on peut répondre rapidement qu'il y a déjà, dans le système, des façons de minimiser les variations en établissant, par exemple, une période garantie. Comme on l'a mentionné avant, il y a beaucoup de formes de rentes viagères. La rente viagère, sans aucune période garantie, n'est pas utilisée souvent. En général, on voit une rente viagère avec une garantie minimale de cinq ans, dix ans, quinze ans. Évidemment, plus la période garantie est longue, plus la personne a au moins cette protection de durée.

Je voudrais revenir sur l'ensemble du problème des tables unisexes ou des tables de mortalité chez la femme et chez l'homme. Il a été mentionné précédemment -Mme Freeman l'a mentionné, à un moment donné - que le taux de mortalité chez la femme avait peut-être été inférieur à cause des conditions de vie, mais qu'à mesure que les circonstances de vie des femmes

changent on se retrouvera peut-être avec un taux de mortalité semblable. Évidemment, on ne peut jamais garantir ce qui va se passer dans l'avenir, mais j'ai ici, de l'Institut canadien des actuaires, le résultat d'une étude qui a été faite par la Metropolitan Life qui indique qu'entre 1920 et 1971 la différence entre les taux de mortalité des femmes ou l'avantage que les femmes avaient a augmenté de 60%. Alors, on traverse une période où les femmes travaillent de plus en plus à l'extérieur du foyer et on s'aperçoit que l'avantage dans les taux de mortalité que les femmes avaient a augmenté considérablement. Comme on le dit dans ce rapport, il apparaît donc que travailler à l'extérieur de la maison - je traduis de l'anglais - est beaucoup plus favorable à l'espérance de vie que de travailler à la maison.

Mme Marois: ...

M. Lefebvre: Cela semble infirmer le fait... Il semblerait que - comme on l'a mentionné avant, cela n'a pas été déterminé précisément - biologiquement, les femmes sont plus fortes et sont appelées à vivre plus longtemps.

M. Bédard: ...que la pression... Mais, de 1971 à 1981, il n'y a pas...

M. Lefebvre: Là, il n'y a pas eu d'étude.

M. Bédard: On ne peut pas dire si on s'en va en courbe ascendante ou descendante.

M. Lefebvre: C'était sur une période de 51 ans, entre 1920 et 1971. Évidemment, il y a la compilation des études. On n'a jamais les résultats avant quelques années plus tard. Comme je le mentionnais tantôt à quelqu'un, je pense qu'il est bien important de remarquer ici qu'on n'a pas le choix entre une discrimination et une non-discrimination. À ce moment-là, le choix serait facile. Il faut bien réaliser qu'on a le choix entre discriminer sur la prestation qui sera payée ou discriminer sur le montant, et là on revient à l'article 19 de la charte qui dit que tout employeur doit accorder un traitement ou un salaire égal, étant défini à l'article 56 comme incluant les compensations ou avantages à valeur pécuniaire. C'est un point qui a été soulevé avant et je pense que c'est un point qui est très valable. À ce moment-là, la femme pour laquelle on doit bâtir un capital de 20% supérieur à 65 ans aura donc reçu en valeur... Mme la ministre a mentionné qu'un régime de rentes, c'était de la rémunération différée. Alors, la rémunération, la partie de la rémunération qui se rapporte au régime de rentes serait, à travail égal, 20% plus élevée pour la femme. C'est un choix que le législateur peut décider de faire, mais il ne faudrait pas le faire en disant qu'en faisant cela on évite de la discrimination. C'est un choix de discrimination.

M. Bédard: Vous êtes le premier à nous présenter cela un peu sous cette forme, à savoir qu'on n'a pas à choisir entre la non-discrimination et la discrimination.

M. Lefebvre: Quelle sorte de discrimination?

M. Bédard: Mais quelle sorte de discrimination?

Mme Marois: Vous dites que, dans un sens ou dans un autre, il y en a une et il s'agit de faire un choix.

M. Lefebvre: Oui, c'est cela. Il s'agit de décider si ce sera sur la prestation ou sur les montants qui sont mis de côté pour les personnes.

Maintenant, j'ai un dernier point que je voudrais soulever et que mon confrère a déjà touché. Il ne faut pas oublier, à la fin de tout cela, que chaque individu va conserver le droit de sortir du système. À ce moment-là, à moins que les gens ne soient obligés, par exemple, d'acheter des rentes avec leurs économies, les personnes - Dieu sait que cela se fait aujourd'hui - de 65 ans qui ont accumulé, dans ces régimes enregistrés d'épargne et de retraite, des sommes considérables, mais qui sont en train de mourir, ne se dépêcheront pas à acheter une rente. (18 h 45)

On pourrait voir le même phénomène se développer, qui entraînerait, d'ailleurs, on l'a mentionné, le danger que les petites et moyennes entreprises, qui utilisent beaucoup les régimes de rentes à prestation indéterminée, laissent chaque individu s'organiser avec ses régimes d'épargne-retraite enregistrés et, comme on le sait déjà, la législation prévoit aujourd'hui qu'on n'est pas obligé d'acheter une rente à 70 ans. Il y a les RRIF qui nous permettent de prendre notre argent à mesure. Donc, les gens qui pensent qu'ils n'en ont pas pour leur argent dans le système parce qu'on leur fait payer une prime moyenne supérieure à la valeur qu'ils en retireront vont garder leur argent et le dépenser. Il ne faut pas oublier qu'on n'aura pas aidé personne, à ce moment-là.

M. Bédard: Quand vous parlez des petites et moyennes entreprises où on retrouve un système plutôt qu'un autre parce que c'est moins compliqué à suivre, quel pourcentage est-ce que cela représente globalement, au niveau des primes?

M. Lefebvre: En nombre de régimes, les dernières statistiques que j'ai vues, en pourcentage de régimes, c'est, je crois, 40% ou 50% des régimes qui sont en vigueur au Québec, mais, si on regarde le nombre d'individus couverts...

M. Bédard: Mais sur le chiffre d'affaires...

M. Lefebvre: ... ça peut représenter peut-être 8% ou 10% de la population. Ce sont tous des employés de petites et moyennes entreprises. Justement, quand on dit prestation indéterminée avec cotisation déterminée, je pense que c'est là le principal point qui motive ces petits employeurs. Comme mon confrère le mentionnait, les grosses entreprises déterminent la prestation et s'organisent avec le coût qui, à l'occasion, quand cela est basé sur le salaire final, peut être assez considérable. Le petit employeur ne veut pas courir le risque d'une pension basée sur le salaire final.

À ce moment-là, si sa contribution est de 5% du salaire, année par année, c'est exactement ce que cela va lui coûter et c'est la raison, je pense, pourquoi c'est un système qui est beaucoup plus utilisé dans les petites entreprises.

Mme Marois: Juste à titre d'information, souvent les femmes se retrouvent dans ces petites et moyennes entreprises qui sont souvent des entreprises de services ou des entreprises dans des domaines un peu différents de ceux des grosses entreprises manufacturières ou des grandes entreprises dans le secteur secondaire, si on veut.

M. Lefebvre: Je n'ai pas les statistiques, mais je ne suis pas certain qu'il y ait une grosse...

Mme Marois: Toute proportion gardée et compte tenu qu'il y a une discrimination systémique d'autre part.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Chapleau.

M. Kehoe: Nous, de l'Opposition, on veut aussi vous remercier de la patience que vous démontrez en présentant votre rapport à cette heure tardive et on s'excuse pour l'absence de notre collègue, M. Marx, qui est parti pour les raisons que mon collègue a mentionnées tantôt.

Il y a juste une question technique que je veux vous poser. On a entendu dire, dans votre intervention, que d'autres groupes... La question de tables unisexes de mortalité et le fait que vous rejetez cela à cause des problèmes majeurs, pourriez-vous nous expliquer grosso modo quels sont ces problèmes-là et pour quelles raisons vous rejetez cela?

M. Bourbeau (Jean-Louis): C'est un peu ce que mon confrère vient d'expliquer ici. À moins qu'on ne force toute la population à acheter le produit, la partie de la population qui bénéficie de l'usage des tables unisexes, par opposition à une table de mortalité qui est propre à son sexe à elle, va se prévaloir, va acheter le produit parce qu'elle va l'avoir à prix réduit, mais l'autre moitié qui subventionne va se priver d'en acheter. Alors, vous ne pouvez pas vendre à un prix moyen rien qu'à la moitié que vous subventionnez.

Ce qu'on pourrait anticiper, c'est que la tarification...

M. Bédard: II faudrait une obligation.

M. Bourbeau (Jean-Louis): II faudrait qu'il y ait une obligation; autrement, ce qui va arriver, c'est que les gens qui vendent le produit vont mettre les marges ou les chances en leur faveur et tous les hommes et toutes les femmes vont finir par acheter les rentes au prix que paient les femmes et tout le monde va acheter l'assurance au prix que paient les hommes. Ils ne seront pas gagnants là-dedans.

M. Bédard: Est-ce pour cela que cela ne se compare pas avec l'assurance automobile où tout le monde est obligé d'en acheter?

M. Lefebvre: Évidemment, la législation peut toujours prévoir ces choses-là. Ce que je mentionnais tantôt, c'est qu'à un moment donné, on pourrait forcer les gens à utiliser toutes leurs épargnes pour s'acheter des rentes à 65 ans ou à 70 ans. Il y a effectivement eu un mouvement en sens inverse dans les quelques dernières années, parce qu'il y a le problème de la personne qui est fortement handicapée ou qui se sent mourir, à 65 ans, et qui aurait devant elle une loi qui la forcerait à acheter une rente. On pourrait dire la même chose des âges aussi. On parle de table unisexe; on pourrait, théoriquement, n'avoir qu'un taux de prime d'assurance pour tous les âges. Mais à moins que les gens ne soient forcés, si un taux d'assurance temporaire, par exemple, est de 1 $ les 1000 $ à 20 ans, de 30 $ les 1000 $ à 60 ans et que vous demandez 15 $ à tout le monde, cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas des individus de 60 ans qui vont vivre plus longtemps que des individus de 20 ans; en moyenne, l'individu de 20 ans n'achètera pas quelque chose qui vaut 1 $ pour 15 $, mais les individus de 60 ans vont acheter tout cela à 15 $. Éventuellement, cela va se vendre 30 $.

M. Bédard: D'où la nécessité de l'obligation.

M. Lefebvre: Disons que c'est plus évident dans l'assurance-vie parce que les taux de mortalité sont directement reflétés.

M. Bédard: Vous faites référence à l'âge. Vous nous indiquez que dans une autre commission vous allez présenter un mémoire, mais comme l'âge est également un élément important pour l'ensemble des membres de cette commission, est-ce que ce serait trop vous demander...

Mme Marois: De nous dévoiler...

M. Bédard: ... oui, de nous dévoiler peut-être un résumé de ce qui pourrait nous intéresser? Au niveau de la Charte des droits et libertés de la personne, la notion de l'âge est très importante.

M. Bourbeau (Jean-Louis): Le rapport Boutin parle d'un intervalle de 18 ans à 65 ans comme étant l'intervalle à l'intérieur duquel il ne devrait pas y avoir de discrimination sur l'âge. Au-dessus de 65 ans, on pourrait appliquer des barèmes différents. On ne considère pas qu'il y a quelque chose de magique au chiffre 65; s'il était bon il y a dix ans ou vingt ans, peut-être qu'aujourd'hui ce devrait être 66 ou 67. En principe, on est tout à fait d'accord que l'âge obligatoire de la retraite devrait éventuellement être aboli. On suggère fortement d'y aller par étape, cependant. Il y a certaines contraintes qu'il faudrait quand même respecter, mais règle générale, on pense que c'est faisable et cela va possiblement - peut-être pas dans les dix prochaines années, mais à un moment donné - être une nécessité qu'on substitue 66 ans ou 67 ans pour tout ce qu'on fait aujourd'hui à 65 ans, incluant le régime de retraite du Québec, celui du Canada, la pension de vieillesse. Ce sera peut-être la seule place où on va pouvoir diminuer nos dépenses.

M. Bédard: On va profiter de vous. Globalement, est-ce que cela peut avoir des incidences financières importantes, la question de l'âge? L'abolition de l'âge de la retraite?

M. Lefebvre: Comme mon confrère vient de le mentionner, ce sera possiblement la solution idéale, un jour, ou le facteur le plus important dans le règlement des problèmes de retraite qu'on a actuellement. Quand vous parlez d'impact économique, ce serait très avantageux économiquement que l'ensemble de la société puisse contribuer de façon valable à sa productivité.

Évidemment, si on prend un cas déterminé, si vous avez quelqu'un à qui, à 65 ans, vous payez une rente de son employeur, du Régime de rentes du Québec, la pension de vieillesse et que vous substituez ces circonstances par un âge de retraite de 70 ans, la personne continue à produire, et non seulement vous n'avez pas à payer, en tant que société, ces prestations pendant cinq ans, mais l'intérêt s'accumulerait sur les fonds déjà accumulés. Cela entraînerait des épargnes considérables dans tous les régimes de rentes pour autant, évidemment, que la société soit prête.

Actuellement, on a reconnu, aux États-Unis, où l'âge de la retraite à 65 ans a été aboli, que très peu de personnes ont décidé de continuer à travailler.

M. Bédard: C'est cela.

M. Bourbeau (Jean-Louis): Une des contraintes à laquelle je fais référence, c'est qu'on considère qu'une personne devrait être considérée comme travailleur actif ou retraité; on ne devrait pas, par exemple, automatiquement payer des rentes d'État à 65 ans même si la personne continue à travailler.

J'aimerais revenir, si vous me le permettez, sur un commentaire que M. Lefebvre a fait et que j'avais aussi signalé. Quand on parle de la discrimination engendrée principalement par la différence dans le coût des rentes. Le dilemme auquel font face les employeurs est de faire de la discrimination soit au niveau de la prestation ou de faire de la discrimination au niveau du coût du produit, et la très grande majorité des employeurs ont opté pour faire de la discrimination au niveau du coût. La plupart des gros employeurs ont accepté de donner une maison de 120 000 $ aux femmes et une maison de 100 000 $ aux hommes. Tous les régimes à prestation déterminée font déjà ça. Dans les faits, dans la vraie vie, il y a la discrimination qui est causée par ça. Il y en a beaucoup moins que beaucoup de mémoires qu'on entend pourraient le laisser croire. Même si, comme dit Mme la ministre, chez les 8% des participants dans les régimes à prestation indéterminée, il pourrait y avoir un plus grand pourcentage de femmes dans ce genre de régime que dans les autres régimes si le maximum est 8%, pour ne pas le dépasser en supposant que c'est 100% des femmes, cela va être 8%, sur une main-d'oeuvre de 40%, si je comprends bien, alors, c'est...

Mme Marois: Cela fait la preuve que c'est donc possible, des régimes à prestation déterminée, puisque c'est ça de façon générale qu'on connaît dans les grandes entreprises où il y a convention la plupart du temps.

M. Bourbeau (Jean-Louis): Je pense que

c'est ailleurs que dans la différence des mortalités entre les hommes et les femmes qu'il faut chercher les causes de la pauvreté chez les femmes.

Mme Marois: J'en conviens. Je pense que je l'ai déjà exprimé précédemment. Une question et ce sera la seule. Vous n'exprimez pas dans votre mémoire de désaccord avec les recommandations?

M. Bédard: Seul à seul, est-ce que vous voulez...

Mme Marois; Je n'ai pas dit seul à seul, ah non, restez, c'est intéressant, j'imagine. Vous n'exprimez donc pas de désaccord avec les recommandations du rapport Boutin en ce qui a trait aux bénéfices contenus dans les régimes d'avantages sociaux en faveur du conjoint des enfants. Vous n'exprimez pas non plus de désaccord avec les recommandations qui concernent les cotisations des employeurs et des employés pour ces bénéfices. Le rapport Boutin, quant à ses recommandations, quant au projet qu'il a présenté, s'est fortement basé sur les pratiques actuelles des assureurs et c'est différent selon les différents types de régimes, assurance-vie, rentes de conjoints, etc. Il n'y a pas un principe unique à l'intérieur de ce qu'il recommande. Moi, la question que je me pose à ce moment-ci, oublions les pratiques actuellement reconnues des assureurs, c'est qui, selon vous, de l'employeur ou de l'employé, devrait payer pour les avantages supplémentaires dont bénéficient un conjoint ou des enfants?

M. Bourbeau (Jean-Louis): Qui devrait payer pour le coût supplémentaire...

Mme Marois: C'est ça.

M. Bourbeau (Jean-Louis): ... d'embaucher un employé qui a des personnes à sa charge par rapport à un employé qui n'a personne à sa charge? C'est ça la question? Dans le système actuel, l'employeur et les employés établissent entre eux qui va supporter ce coût. Notre position est que ça devrait rester comme ça.

Mme Marois: Ce devraient être ces conventions qui continuent...

M. Bédard: Les conventions collectives?

M. Bourbeau (Jean-Louis): Si on veut que tous les travailleurs pour un travail équivalent aient un traitement égal, je ne vois pas comment on pourrait légiférer que si quelqu'un, parce qu'il a une femme et plusieurs enfants, représente un coût additionnel, il faut mettre ça sur le chèque de paie en plus...

Mme Marois: Dans le fond, vous dites: Répartissons-le.

M. Bourbeau (Jean-Louis): Je dis: Laissons les parties en cause établir qui va payer ce coût supplémentaire.

Mme Marois: Cela va.

M. Bourbeau (Jean-Louis): Si on remonte loin en arrière, les employeurs avaient des attitudes plus paternalistes que maintenant. On avait des salaires plus élevés, par exemple, pour les gens mariés que pour les célibataires ou pour les hommes que pour les femmes, parce qu'ils étaient soutiens de famille. On s'est éloigné de ce concept. Personnellement, c'est une opinion, je n'ai pas le consensus de mes collègues là-dessus, je ne pense pas qu'on ait avantage à y retourner.

Mme Marois: Merci.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre, en terminant.

M. Bédard: Je remercie nos amis de leur éclairage. Franchement, c'est un mémoire très substantiel. Je vous remercie beaucoup de vous être déplacés.

Association pour les droits de la communauté gaie du Québec

Le Président (M. Desbiens): Merci. Je demanderais maintenant à l'Association pour les droits de la communauté gaie du Québec de s'approcher, s'il vous plaît. 09 heures)

Mme Péloquin, je vous demanderais de présenter les intervenants qui vous accompagnent, s'il vous plaît!

Mme Poliquin (Diane): Première rectification, c'est Poliquin. À ma gauche, Ron Dayman - vous l'avez vu tantôt, il était avec la coalition - et, à ma droite, Marcel Pleau. Nous sommes tous les trois militants au comité politique de l'ADGQ.

M. le Président, messieurs et mesdames membres de la commission, c'est avec un grand plaisir que nous venons aujourd'hui, ou plutôt ce soir, vous exposer nos vues sur la révision de la Charte des droits et libertés de la personne. Signalons que, s'il s'agit là d'une première pour l'Association pour les droits de la communauté gaie du Québec, ce n'est cependant pas la première fois que des porte-parole de la communauté gaie se présentent en commission parlementaire. En janvier 1975, lors de la commission parlementaire sur l'adoption de la Charte des droits et libertés de la personne, trois organismes homosexuels avaient demandé que soient inclus à la liste des motifs de

discrimination illicites énumérés à l'article 10 de la charte les termes "orientation sexuelle". Cette recommandation ne fut cependant pas retenue et il fallut attendre décembre 1977 et l'arrivée au pouvoir du Parti québécois pour que le gouvernement donne suite à cette recommandation lors de l'adoption de la loi 88. Cinq ans se sont écoulés depuis l'adoption de la Charte des droits et libertés de la personne et quatre ans depuis que le législateur y a inclus l'orientation sexuelle. Nous sommes donc plus en mesure aujourd'hui d'en évaluer les mérites et les faiblesses.

À maints égards, la Charte des droits et libertés de la personne présente de grandes qualités. Elle couvre plusieurs motifs de discrimination et elle est plus efficace que la majorité des chartes des droits de la personne, tant fédérale que provinciales. En ce qui nous touche plus particulièrement, la charte québécoise a créé un précédent mondial en reconnaissant la liberté d'orientation sexuelle. Notre communauté est donc fière de constater qu'au Québec la minorité homosexuelle a un recours juridique contre la discrimination dans l'emploi, le logement et l'accès aux services publics. Nous aimerions attirer votre attention sur le fait que, contrairement à ce qui s'est passé dans plusieurs régions des États-Unis et du Canada anglais, l'adoption de cet amendement n'a soulevé que peu de controverse au sein de la population québécoise. Nous aimons voir là la manifestation de l'ouverture d'esprit des Québécois et Québécoises face à notre communauté, mais ces quatre années nous ont également permis de constater des lacunes dans la charte et les problèmes que pose son application.

Notre bilan débouche sur les recommandations que nous vous présentons dans notre mémoire intitulé Discrimination et orientation sexuelle: L'apprentissage de la protection des droits. Voici les grandes lignes. Peu après l'adoption de la loi 88, notre association déposait auprès de la Commission des droits de la personne une des premières plaintes pour motif d'orientation sexuelle car la Commission des écoles catholiques de Montréal avait refusé de nous louer des locaux pour y tenir un congrès. Nous avons été déçus d'apprendre que ceci ne constituait pas, aux yeux des commissaires de la CDP, un cas de discrimination puisque l'article 20 de la charte permet, et je cite: "Une distinction, exclusion ou préférence... justifiée par le caractère charitable, philantropique, religieux, politique ou éducatif d'une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d'un groupe ethnique... "Mentionnons que cet article dérogatoire est plutôt unique dans les lois concernant les droits de la personne.

Ayant été déboutée par la CDP, l'ADGQ a donc décidé d'assumer les frais d'un recours devant les tribunaux. Dans ce cas, le jugement nous fut favorable car la cour a démontré que l'article 20 devait être interprété de façon restrictive, mais nous nous inquiétons sérieusement car l'article 20 pourrait à nouveau être invoqué, et surtout par une institution scolaire confessionnelle, contre une enseignante lesbienne ou un enseignant gai. Ajoutons que notre cause contre la CECM n'est pas close puisque cette dernière a décidé de faire appel. Nous croyons qu'il faut modifier l'article 20 afin de limiter au strict minimum les exceptions à la charte. Nous proposons donc que soient biffés de l'article 20 les mots "religieux et éducatif". Nous appuierions toute modification qui viserait à en restreindre la portée.

Dernièrement, nous avons pris connaissance d'un autre article dérogatoire de la charte soit l'article 97 ou 90, vous avez le choix. Cet article qui devait, selon le projet initial, n'avoir qu'un caractère temporaire permet la discrimination dans les régimes d'avantages sociaux pour les motifs suivants: Sexe, état civil, handicap et orientation sexuelle.

L'article 97 autorise la discrimination contre les couples homosexuels dans l'attribution des bénéfices économiques qui sont accordés aux couples hétérosexuels mariés ou de fait. Même si le législateur n'a pas cru bon de légaliser le mariage homosexuel, lors de sa récente réforme du Code civil, il nous semble nécessaire que l'État reconnaisse la validité des relations affectives, stables et continues entre deux personnes du même sexe.

Il nous apparaît logique qu'une charte qui garantit la liberté d'orientation sexuelle protège également le droit des personnes homosexuelles de former des relations de couple et qu'elle leur assure les mêmes droits qu'aux couples hétérosexuels; nous aimerions rappeler que la CDP nous appuie sur ce point.

Nous recommandons, de concert avec la CDP et les autres membres de la coalition pour l'abrogation de l'article 97, l'abrogation de cet article et la modification des lois et régimes publics en ce sens.

Nous recommandons que dans le cas des articles 20 et 97, la portée des articles dérogatoires soit restreinte car les brèches que cela entraîne laissent la porte grande ouverte à des abus qui sont contraires à l'esprit de la charte. Nous croyons qu'il faut réduire le plus possible les échappatoires à un texte de loi aussi fondamental que la Charte des droits de la personne. Nous appuyons également plusieurs recommandations proposées par la

Commission des droits de la personne et demandons, entre autres, que le pouvoir

d'enquête de la CDP soit élargi aux autres droits reconnus par la charte, que la CDP ait le pouvoir de faire des programmes d'action positive et que l'âge soit inclus comme motif prohibé de discrimination à l'article 10 de la charte.

Nous estimons que ces cinq modifications à la Charte des droits et libertés de la personne constitueraient des progrès importants pour la protection des droits de la personne, mais de simples modifications techniques ne suffiront pas à rendre la charte efficace; encore faut-il que le gouvernement fasse de son application une de ses grandes priorités.

Nous avons démontré dans notre mémoire que le gouvernement n'accorde pas un budget suffisant pour assurer le bon fonctionnement de la Commission des droits de la personne et que malgré un nombre sans cesse croissant de demandes d'enquête, ce budget n'a que peu augmenté depuis cinq ans. On peut même parler d'une situation de crise lorsque l'on considère le retard important que la commission a actuellement dans ses dossiers. Non seulement la CDP ne peut réaliser les projets longuement attendus, telle la mise sur pied de bureaux régionaux, mais elle se trouve dans l'impossibilité de remplir son premier mandat qui est d'appliquer la charte de façon adéquate.

Nous croyons également qu'il serait temps d'augmenter considérablement le personnel de la commission et ce, d'autant plus qu'il nous semble que la Commission des droits de la personne devrait être en mesure d'entreprendre des programmes d'information et d'éducation d'une façon beaucoup plus énergique que par le passé.

Enfin, une charte des droits de la personne vaut peu si le gouvernement n'assure son application par des budgets adéquats. Finalement, nous recommandons que le gouvernement nomme au moins un ou une commissaire ouvertement gai ou lesbienne afin de représenter notre communauté à la CDP. Nous estimons que quatre ans après l'adoption de la loi 88, il est temps que notre minorité soit représentée dans cet organisme qui a le mandat de protéger nos droits.

Nous vous remercions de votre attention et nous sommes prêts à répondre à vos questions.

Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.

M. Bédard: Je vous remercie de votre participation aux travaux de cette commission. Dans votre mémoire plus élaboré - je comprends, vous en avez donné une sorte de résumé - vous nous parlez de la mise en place d'un conseil consultatif; en fait, vous n'êtes pas très précis sur les fonctions de ce conseil consultatif. En quoi les fonctions du conseil consultatif, dont vous nous proposez la création, seraient-elles différentes de ce que peut faire la commission? Est-ce qu'on n'assiste pas à une tentative de chaque type de minorité instinctivement d'essayer d'en arriver à la création d'un organisme public bien à eux. J'aimerais que vous détailliez cette suggestion que vous avez faite dans votre mémoire.

M. Dayman (Ronald): Le sens de notre recommandation, c'est justement d'avoir un conseil, un peu dans le sens du Conseil du statut de la femme, qui aurait pour mandat d'étudier la discrimination dont sont victimes les homosexuels et les lesbiennes et qui prendrait des mesures pour promouvoir les droits de la communauté gaie. Je ne vois pas de raison pour dire qu'il y a certaines communautés ou certaines minorités qui devraient être privilégiées par l'existence d'un conseil du statut de leur situation. Pourquoi pas un conseil du statut de la communauté gaie? Pourquoi pas un conseil du statut des autres minorités pour étudier et pour, justement, améliorer la situation de ces minorités?

M. Bédard: Je serais porté à vous poser la question: Au contraire, pourquoi la nécessité d'un organisme pour chaque type de minorité? J'ai l'impression qu'en fin de compte cela pourrait devenir assez compliqué, surtout si vous demandez à ces organismes de faire la promotion respective des intérêts de chacune des communautés représentées.

M. Pleau (Marcel): Disons qu'il y a deux raisons: la première est d'ordre pratique. Nous, comme organisme, nous nous autofinançons péniblement à même les ressources de notre communauté. Nous ne sommes pas subventionnés, enfin, nous l'avons été l'année passée pour notre journal mensuel Le Berdache. Cette année, à cause des coupures, on nous a coupé cela. Ce qui veut dire que, pratiquement, nos ressources sont très...

M. Bédard: Je peux vous dire au départ que vous n'êtes pas les seuls. Il n'y a pas de discrimination.

M. Pleau: Disons qu'une des raisons pour lesquelles on revendique cela, c'est que notre communauté est dans une situation peut-être, sans dire pire, nous sommes particuliers dans la mesure où nous sommes une minorité invisible, si on veut. On ne peut pas, dans notre cas, parler de statistiques fondées sur des études. Les préjugés sont d'autant plus rigides qu'il y a, concernant l'homosexualité en général, un tabou dans l'Occident qui fait qu'il y a un

très long travail d'éducation à faire auprès de l'opinion publique. Nous n'avons pas les moyens, avec les sommes que nous pouvons y consacrer, d'investir davantage dans cette campagne d'éducation auprès de l'opinion publique. C'est une des raisons qui nous motivent en ce sens et l'autre, comme disait mon camarade, c'est qu'il nous semble que, s'il peut exister un Conseil du statut de la femme, pourquoi pas un conseil pour les autres minorités ou un conseil voué au sort des minorités en général, dont nous pourrions faire partie et auquel nous pourrions collaborer? C'est la question et, de cette façon, on peut répondre.

Mme Marois: Relativement au Conseil du statut de la femme, évidemment, on parle à ce moment - je comprends aussi vos arguments et j'y suis très sensible - de 52% de la population. Il y a cela aussi. Le type de demande que vous faites là est vrai pour beaucoup d'autres minorités. Évidemment, compte tenu des moyens et des ressources dont on dispose, on se dit: Est-ce qu'on commence par un certain nombre de groupes majoritaires? C'est un peu le cas, en ce qui a trait aux femmes, avec le Conseil du statut de la femme.

M. Bédard: Dans votre mémoire, concernant les avantages sociaux ou encore les avantages issus de l'assurance, vous nous parlez de votre préoccupation de la reconnaissance du conjoint de fait homosexuel. Ne croyez-vous pas qu'une façon de régler le problème de la reconnaissance du conjoint de fait homosexuel, au niveau des avantages sociaux ou encore de l'assurance, serait de laisser une certaine souplesse aux règles de ces régimes afin de laisser tout simplement à chacun le loisir de payer un certain montant de la prime correspondant au genre de risques qu'il désire assurer? (19 h 15)

M. Dayman: Ce n'est pas actuellement...

M. Bédard: Pardon?

M. Dayman: Ce n'est pas actuellement ce qui existe.

M. Bédard: Pardon?

M. Dayman: II existe quand même...

M. Bédard: II y a des compagnies d'assurance qui offrent ce genre...

M. Dayman: Évidemment, pour nous, c'est surtout dans les régimes publics que cela nous préoccupe le plus. Dans notre mémoire, les exemples sont justement tirés des régimes publics. L'effet que cela peut avoir pour nous est moins évident qu'au niveau des compagnies privées. C'est surtout au niveau de l'État. Il nous semble qu'il faut commencer par l'État, que c'est l'État qui devrait prendre la première initiative au niveau des régimes de rentes qui définissent actuellement justement des unions de fait comme entre deux personnes de sexe opposé.

M. Bédard: Je n'ai pas d'autre question pour le moment.

Le Président (M. Desbiens): M. le député de Marquette.

M. Dauphin: Deux petites questions. J'aimerais naturellement remercier l'Association pour les droits de la communauté gaie du Québec pour la présentation de son mémoire. J'aurais une question également, au même titre que M. le ministre, concernant la création d'un conseil consultatif. Ce que je me demande, c'est s'il n'y aurait pas de ce fait une contradiction, en ce sens qu'on voudrait faire des campagnes d'éducation, d'information, d'intégration pour que ce soit normal et tout cela et que, d'un autre côté, on crée un conseil. Je me demande si cette attitude n'est pas une forme de "ghettoïsation", justement, le conseil de ceci, le conseil de cela.

M. Pleau: Oui, je comprends. Cette contradiction, nous la vivons depuis fort longtemps. À l'époque où nous étions invisibles totalement, c'est-à-dire que nous n'existions que par des rapports de médecins ou des rapports de policiers, l'opinion publique avait son idée de ce qu'étaient les homosexuels. Pour hâter le jour sans doute lointain où il pourrait y avoir dans notre société une intégration harmonieuse d'une pluralité des orientations sexuelles et des goûts érotiques, il nous semble qu'un des moyens pour le faire serait en démystifiant, auprès d'une large opinion publique et auprès des homosexuels eux-mêmes, ce qu'est ce phénomène. Un des moyens justement est de se former en association, en mouvement, en revendiquant. À ce titre, l'amendement que le gouvernement a introduit en 1977 est un pas symbolique d'une très grande portée. D'autres événements, comme la création d'un pareil conseil, loin de "ghettoïser", comme vous le dites, permettront à l'opinion publique de nous voir tels que nous sommes, comme vous nous voyez devant vous aujourd'hui, revendiquant au même titre que les autres citoyens ce qui nous revient. Nous sommes conscients de cette contradiction, mais ce n'est pas nous qui l'avons créée.

M. Dauphin: J'aurais seulement une autre petite question. Je tiens à vous signaler que je suis très sérieux. Depuis un

an ou deux, on voit l'avènement d'espèces de bars, de danseurs nus, ces choses-là. On inscrit toujours à la porte: Défense d'entrer si vous êtes seuls, c'est-à-dire deux hommes. Je me demande si vous vous êtes penchés là-dessus. Est-ce de régie interne? Est-ce un règlement municipal?

M. Dayman: Une plainte a déjà été déposée à la Commission des droits de la personne sur cette question justement par un membre de notre communauté, ce qui n'est pas, je pense, réglé encore.

M. Dauphin: Ah! il y a eu une plainte de déposée.

M. Pleau: D'ailleurs, voilà un autre exemple de la situation qui prévaut actuellement à la Commission des droits de la personne: À quel moment serons-nous en mesure de savoir si effectivement c'est discriminatoire?

M. Dauphin: D'accord.

Mme Marois: Peut-être seulement un commentaire. Je trouve que votre mémoire fait oeuvre d'éducation. Il est très fouillé, très recherché et vraiment très bien fait. Pour quelqu'un qui voudrait vraiment comprendre toute cette réalité que vous représentez et défendez, il est extrêmement bien étayé et bien fait. C'était un de mes commentaires.

L'autre commentaire que j'ai à faire, c'est que, si déjà il y a une recommandation qui est que la Commission des droits de la personne puisse faire une certaine forme d'information, de publicisation ou de démystification, cela m'apparaît déjà, dans le sens de vos recommandations, un premier pas, disons, qui aiderait sûrement à faire comprendre davantage ce que vous vivez, ce que vous êtes et ce que vous véhiculez aussi, un peu comme on l'a fait par rapport aux femmes en ce qui a trait, par exemple, aux stéréotypes sexistes ou à tout ce qu'a fait le conseil au niveau de l'éducation.

C'est plus de l'ordre des commentaires parce que je pense qu'il y a beaucoup de questions qui ont déjà été apportées et fouillées d'autre part.

M. Bédard: Je n'ajouterai pas d'autre commentaire, je vous remercie de votre participation.

Le Président ( M. Desbiens): Nous vous remercions. La commission élue de la justice ajourne ses travaux jusqu'au mardi 13 octobre, à 10 heures.

(Fin de la séance à 19 h 22)

Document(s) associé(s) à la séance