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(Dix heures cinq minutes)
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission élue permanente du revenu se réunit ce
matin, afin d'entendre des personnes et des organismes en regard du livre vert
sur la situation du travailleur au pourboire au Québec.
Sont membres de cette commission M. Blais (Terrebonne), M. Blank
(Saint-Louis), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. Desbiens (Dubuc), M.
Dubois (Huntingdon), M. Fréchette (Sherbrooke), M. LeBlanc
(Montmagny-L'Islet), M. Leduc (Saint-Laurent), M. Martel (Richelieu), M.
Ouellette (Beauce-Nord), M. Scowen (Notre-Dame-de-Grâce).
Les intervenants sont: M. Houde (Berthier), M. Lachance (Bellechasse),
M. Lafrenière (Ungava), M. Lévesque
(Kamouraska-Témiscouata), M. Lincoln (Nelligan), M. Maciocia
(Viger), M. Paradis (Brome-Missisquoi), M. Perron (Duplessis), M. Vaugeois
(Trois-Rivières).
Le rapporteur de cette commission hier était Mme la
députée de Johnson.
Je vais vous donner l'ordre du jour de la journée. D'abord, ce
matin nous entendrons l'Association des gens au pourboire...
M. French: On peut faire les substitutions, si
nécessaire.
Le Président (M. Gagnon): Oui. Ce que je peux faire, c'est
vous donner la liste d'hier pour voir si c'est exactement la même liste
et, à ce moment-là, je pourrai faire la substitution.
M. French: La liste d'hier, cela va.
Le Président (M. Gagnon): Alors, cela va?
M. French: Oui.
Le Président (M. Gagnon): Alors, cela veut dire que M.
Dubois (Huntingdon) est remplacé par M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges);
M. Fréchette (Sherbrooke) est remplacé par M. Marcoux (Rimouski);
M. Leduc (Saint-Laurent) est remplacé par M. Rocheleau (Hull); M. Martel
(Richelieu) est remplacé par Mme Marois (La Peltrie); M.
Ouellette (Beauce-Nord) est remplacé par M. Lachance
(Bellechasse); M. Scowen (Notre-Dame-de-Grâce) est remplacé par M.
Polak (Sainte-Anne).
Chez les intervenants, M. Lachance (Bellechasse) est remplacé par
M. Paré (Shefford); M. Lincoln (Nelligan) est remplacé par M.
French (Westmount); M. Paradis (Brome-Missisquoi) est remplacé par M.
Bissonnet (Jeanne-Mance); M. Perron (Duplessis) est remplacé par M.
Fréchette (Sherbrooke) et M. Vaugeois (Trois-Rivières) reste
membre aujourd'hui, c'est cela?
Voici l'ordre du jour pour aujourd'hui. Nous allons entendre ce matin
l'Association des gens au pourboire de Montréal, l'Association des
consommateurs du Québec Inc., la Chambre de commerce de la province de
Québec, l'Association des hôteliers, restaurateurs et
propriétaires de bars, le Conseil central des syndicats nationaux de
Québec et M. Gilles Jolin. C'est le programme pour la
journée.
Je demanderais immédiatement à l'Association des gens au
pourboire de Montréal de s'approcher, s'il vous plaîti
Mme Francine Nemeh et M. Marc Beneux, on vous souhaite la bienvenue
à cette commission et, si vous voulez commencer à faire la
lecture de votre mémoire, nous allons vous entendre.
Association des gens au pourboire de
Montréal
Mme Nemeh (Francine): Le mémoire suivant fait état
de la position des membres de l'Association des gens au pourboire, en vue de la
commission parlementaire du ministère du Revenu. Nous aurions
aimé développer l'aspect des conditions de travail dans les
secteurs hôtellerie et restauration ainsi que les infractions massives
à la Loi sur les normes de travail par les employeurs, mais ces
problèmes ont déjà été traités et
d'autres recherches viendront sûrement s'ajouter à ce dossier
noir. Nous vous présenterons l'Association des gens au pourboire...
Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse d'intervenir, mais
j'aurais une suggestion à vous faire, peut-être de résumer
le mémoire de façon que les membres de la commission aient plus
de temps pour vous poser des questions.
Mme Nerneh: Cela n'est pas tellement long à lire et cela
me semble important de le lire au complet.
Le Président (M. Gagnon): Oui. Peut-on passer à
travers en 20 minutes environ?
Mme Nerneh: Oui, facilement. Suivra le contexte des
événements qui nous ont amenés à nous regrouper et
à demander l'arrêt des poursuites entreprises par le
ministère du Revenu, ainsi que la révision de notre statut.
Enfin, nous étudierons le livre vert du ministre. Nous avons retenu la
première hypothèse: frais de services obligatoires, comme
étant la seule susceptible d'apporter un changement positif à
notre situation.
L'Association des gens au pourboire, fondée le 27 janvier 1982,
regroupe aujourd'hui 600 travailleurs et travailleuses -on a augmenté de
100 membres depuis - de la région de Montréal. On retrouve parmi
nos membres une majorité de non-syndiqués, à peu
près 60%. Notre représentativité est incontestable, compte
tenu de la terreur qui règne chez les travailleurs non syndiqués
du secteur hôtelier quand il est question d'association. Une petite note:
On utilise le masculin pour ne pas compliquer le langage.
Les menaces de congédiement se font de plus en plus
fréquentes et adhérer à l'Association des gens au
pourboire peut équivaloir, pour certains, à la perte de leur
emploi. En cette période de chômage, le risque à courir est
grand.
Le droit d'association prévu au Code du travail ne s'applique
qu'aux associations qui ont pour but la négociation et l'application de
conventions collectives. Nos membres non syndiqués ne jouissent d'aucune
protection, si ce n'est celle de la Charte des droits et libertés de la
personne. Quand on sait que, même avec la protection du Code du travail,
les congédiements pour avoir exercé son droit d'association sont
fréquents et souvent maintenus, faute de preuves, on peut comprendre
pourquoi tant de non-syndiqués hésitent à faire valoir
leurs droits collectivement.
C'est donc non seulement au nom de nos membres, mais au nom de tous ceux
que vos poursuites visent que nous vous adressons ce mémoire. Hier, on
demandait à l'ADEPE, de Sherbrooke, combien de membres ils
étaient en comparaison avec le nombre d'employés au pourboire.
C'est évident qu'à Montréal, probablement, il doit y avoir
30 000 travailleurs au pourboire et que nous sommes 600. Mais il nous semble
important de dire que, d'abord, l'AGAP existe depuis le mois de janvier, que
c'est très difficile, comme je le disais, à cause de toutes les
difficultés de congédiement, de trouver des membres qui
adhèrent, qui acceptent de s'afficher, et qu'on a eu des exemples
précis de menaces de congédiement.
Les gouvernements vivent en ce moment des difficultés
financières majeures. Pour parer à ces problèmes, le
fédéral s'est lancé dans un projet visant à faire
payer aux travailleurs au pourboire une partie de son déficit. Ce projet
est en marche depuis bientôt deux ans et il a même
été étendu à l'ensemble du pays. Nous voilà
donc assurés de tous y passer tôt ou tard.
Le gouvernement provincial, par le biais de son ministère du
Revenu, n'a rien trouvé de mieux que de se lancer avec avidité
sur les mêmes proies. Entre ministères du Revenu, pas de conflit;
au contraire, une solidarité sans merci règne sur les relations
fédérales-provinciales. On se partage le territoire, chacun fait
son enquête, on s'échange les dossiers et les factures se
multiplient. Les deux ministères ont les mêmes tactiques, ils
appliquent la loi à la lettre et se cachent derrière d'autres
ministères fédéraux ou provinciaux lorsque nous demandons
justice. Ce serait par souci d'équité fiscale envers les autres
travailleurs que le ministre du Revenu dit agir, l'équité sociale
n'étant pas de son ressort.
En parlant d'équité et de justice face aux autres
travailleurs, le ministre sous-entend que les gens au pourboire sont
responsables des hauts taux de taxation des particuliers. Sommes-nous aussi
responsables des taux exceptionnellement bas réservés aux
compagnies? Non. Assurément, nous pensons que la raison qui pousse le
gouvernement à expédier et maintenir ses avis de cotisation n'a
rien à voir avec l'équité. Il faudrait une étude
pour chiffrer en dollars les économies en avantages sociaux que vous
avez réalisées sur notre dos. Nous sommes convaincus que
l'État, mis à part les employeurs, est endetté envers
nous. À toute chose malheur est bon et les poursuites entreprises par
les ministères ont eu pour effet d'éveiller les travailleurs au
pourboire à leurs droits ou, plutôt, à leur faire prendre
conscience qu'ils n'en avaient pas.
Des associations se sont formées un peu partout au Québec
demandant l'arrêt des poursuites ou tout au moins un moratoire sur
celles-ci en attendant de trouver une solution globale au problème. Par
solution globale, on entendait impliquer toutes les instances
concernées, soit les deux niveaux de gouvernement, les différents
ministères: Travail, Revenu, Condition féminine, Immigration,
Régie de l'assurance-automobile, CSST. À ce sujet, je tiens
à souligner que nous sommes heureux de voir qu'il y a quand même
certains ministères de représentés parmi ceux qu'on
demandait. Mémoires, rencontres avec les ministres, manifestations et
pétitions se sont succédé depuis. Les moyens de pression
ont finalement abouti, au mois d'août, à la publication d'un livre
vert et à la promesse d'une commission
parlementaire sur la question. Nous y voici.
Avant de passer à l'analyse du livre vert, nous voulons
réitérer nos revendications premières, celles qui ont
été le fil conducteur de tout ce mouvement de protestation et
dont le livre vert ne fait même pas mention.
L'arrêt des poursuites. Nous pensons qu'on ne peut parler de
solution juste en maintenant l'émission d'avis de cotisation
entièrement ou même partiellement fondée sur l'arbitraire.
(10 h 15)
Deuxième revendication: la normalisation de la situation des
travailleurs au pourboire. Par normalisation, nous entendons: les mêmes
avantages sociaux que les autres travailleurs et le même salaire minimum
que les autres travailleurs.
Les poursuites doivent cesser. Nous tenons les gouvernements
responsables de cette situation. Ils ont créé leur propre
difficulté à percevoir de l'impôt en instituant, par voie
de législation, une catégorie de travailleurs sous-payée.
Ils ont permis ainsi au système des pourboires de se maintenir et de se
développer. C'est en 1940 que le gouvernement québécois a
établi, par la loi du salaire minimum, un taux horaire applicable
à chaque zone, à chaque catégorie d'industries. Les
travailleurs au pourboire se voyaient imposer un taux horaire plus bas que les
autres travailleurs. Aujourd'hui encore, la Loi sur les normes de travail
prévoit un taux horaire inférieur au salaire minimum pour ceux
qui reçoivent des pourboires: 2,95 $ au lieu de 3,54 $ pour
l'employé âgé de moins de 18 ans, 3,28 $ au lieu de 4 $
pour l'employé âgé de 18 ans et plus. En agissant ainsi,
les gouvernements ont créé une couche de travailleurs marginaux
dont le revenu minimum se situe en dessous du minimum vital assuré au
reste de la population.
Notons en passant que, depuis 1975, le Québec reste la seule
province au Canada à conserver cette politique salariale. Loin de parer
à cette situation, le gouvernement du Parti québécois a
participé à accentuer la marge qui sépare les gens au
pourboire des autres. La différence entre les salaires était de
0,35$ en 1976, elle est aujourd'hui de 0,72$. Le sous-salaire a reculé
de 40,2% en six ans par rapport à l'inflation.
Le travailleur au pourboire a toujours été conscient de sa
marginalité. Son revenu précaire, son salaire sous-minimum, son
manque total de sécurité étaient tout au moins
compensés par une plus grande liberté dans la divulgation de son
revenu. Il omettait donc parfois d'en déclarer une partie, celle-ci
servant à parer aux coups durs comme le chômage, la maladie, la
retraite. Nous n'avons jamais bénéficié de la
sécurité sociale et des avantages sociaux sur la partie de nos
revenus gagnée en pourboires et ce, même s'ils étaient
déclarés. Les pourboires ne sont pas assurables pour les
régimes de sécurité sociale: assurance-chômage,
congés de maternité, accidents du travail, accidents de la route,
la seule exception étant le Régime de rentes auquel nous pouvons
contribuer comme un travailleur autonome, c'est-à-dire en payant aussi
la part de l'employeur.
Les avantages sociaux comme les vacances annuelles, congés
payés, assurances privées ne tiennent jamais compte de nos
pourboires. Nous avons toujours assumé les risques du travail à
même nos pourboires. Le gouvernement n'a, de son côté,
jamais contesté nos déclarations de revenus, compensant ainsi
l'absence d'avantages sociaux. Au dire du ministère du Revenu, une
minorité d'employés déclarent des revenus à titre
de pourboires. Le ministre ajoute que cette minorité ne déclare
pas entièrement ses revenus. Nous avons beaucoup de difficulté
à croire que le gouvernement vient tout juste de prendre conscience de
cette situation. Nous pensons plutôt qu'il a toujours fermé les
yeux, établissant ainsi un contrat tacite entre les parties.
Vous ne pourrez jamais nous donner rétroactivement les avantages
sociaux et la sécurité sociale dont nous n'avons pas
bénéficié. Vous avez vous-mêmes fait des
économies à nos dépens et vous nous traitez aujourd'hui en
fraudeurs. Puisque vous ne pouvez parer au manque de sécurité qui
a été notre lot pendant des années, vous ne pouvez non
plus rompre rétroactivement le contrat et nous faire payer au nom de la
justice des services que nous n'avons pas eus. Ces poursuites nous apparaissent
d'autant plus injustes que nous n'avons jamais été
informés de notre double statut, salariés pour le salaire de base
et autonomes pour les pourboires. Quand le ministre du Revenu, dans son livre
vert, émet à chaque hypothèse de solution le voeu de
renseigner les travailleurs au pourboire sur leurs droits et obligations, nous
nous demandons sérieusement pourquoi il a tant attendu pour le
faire.
Nous savons aussi que certaines compagnies jouissent de
privilèges fiscaux qui leur permettent légalement de soustraire
à l'impôt des sommes bien plus importantes que celles que vous
venez chercher dans nos poches. Le ministre Parizeau disait même aux
compagnies, lors du sommet économique de Montebello, de changer de
comptable si elles payaient de l'impôt. Vous n'êtes pas sans savoir
non plus qu'en cette période de crise, les plus touchés sont les
femmes et les petits salariés. Les gens au pourboire comptent une
majorité de femmes et de salariés si petits qu'ils ont même
droit à un petit, petit sous-salaire minimum. Pensons aussi à
ceux qui ont moins de 18 ans, qui travaillent généralement
à des comptoirs de
"fast-food" où les pourboires sont dérisoires. Je dis que
c'est 2,95 $ l'heure, mais je pense qu'il y a une erreur, ce serait 3,55 $.
En maintenant les poursuites. Vous nous faites prendre le plus court
chemin vers la faillite. C'est pour toutes ces raisons que nous vous demandons
de cesser d'émettre de nouveaux avis de cotisation. Le gouvernement
devrait, à la suite de ces directives que nous souhaitons
immédiates, prendre les mesures qui s'imposent afin de dédommager
ceux et celles qui ont déjà payé depuis le commencement du
projet pourboire. Cette mise au point étant faite, nous pouvons
maintenant envisager l'avenir et, nous servant de l'expérience
passée, trouver une solution globale au problème qui se pose.
La normalisation de la situation des travailleurs au pourboire.
Qu'est-ce que normaliser signifie pour nous? Cela signifie que nous sommes
prêts à payer de l'impôt sur la totalité de nos
revenus à la condition d'obtenir, premièrement, la
sécurité sociale et les avantages sociaux sur la totalité
de nos revenus et ce, au même prix que les autres travailleurs;
deuxièmement, le même salaire minimum que tous les autres
travailleurs. Au risque de nous répéter, nous rappelons que
jamais nos pourboires, même déclarés, n'ont compté
pour l'assurance-chômage, les accidents du travail, les congés de
maternité, les indemnisations corporelles en cas d'accident, les
vacances annuelles, les primes et les fêtes légales, les
régimes de rentes. Si ces pourboires ne sont pas admissibles aux
différents régimes, ce n'est pas parce que les travailleurs au
pourboire le veulent ainsi, mais parce que les gouvernements considèrent
ces revenus comme des revenus de travailleurs autonomes.
La deuxième revendication mérite une explication. Le
salaire minimum vise à assurer à tous un minimum décent.
En nous votant un sous-salaire, le gouvernement part du principe que la
différence entre ce sous-salaire et le salaire de 4 $ l'heure sera
comblée par les pourboires. Le minimum décent devrait en principe
être assuré. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas. Les
revenus en pourboires fluctuent en fonction des saisons et des horaires; ils
ont tendance à diminuer en cette période de crise
économique. Le consommateur coupe les pourboires puisqu'il ne peut pas
couper les prix. Le sous-salaire est injustifié pour d'autres raisons.
Nous accomplissons beaucoup de tâches pour lesquelles nous ne recevons
pas de pourboire: caisse, ménage, cuisine, accueil,
téléphone etc.
Le sous-salaire auquel nous avons droit a perdu depuis six ans 40% de
son pouvoir d'achat. Ce salaire contribue à faire de nous du "cheap
labour" et entraîne une économie considérable pour les
employeurs. Le pourboire est aussi l'équivalent d'un salaire au
rendement ou à la commission.
L'industrie hôtelière est la seule industrie où les
travailleurs de cette catégorie ont droit à un sous-salaire
minimum.
En abolissant le statut de travailleur autonome et en instaurant une
seule catégorie de salaire minimum, le gouvernement ferait un pas
important vers le rétablissement de l'équité. Comme nous
le disions plus tôt, le Québec est la seule province canadienne
à avoir conservé dans ses politiques salariales une mesure aussi
rétrograde.
Qui sont les travailleurs au pourboire? Il n'y a pas d'étude
sérieuse qui nous permette de donner le nombre précis de
travailleurs au pourboire. Pourtant, ils sont facilement identifiables, ce sont
tous ceux qui reçoivent le sous-salaire minimum prévu dans la Loi
sur les normes de travail. Les chiffres avancés par le livre vert
portent à confusion, ils laissent sous-entendre qu'il y aurait 210 976
employés au pourboire au Québec. Or, ce chiffre englobe tous les
travailleurs du secteur, qu'ils reçoivent ou non des pourboires.
L'AGAP situe le nombre d'employés au pourboire autour de 70 000.
Pour arriver à ce chiffre, nous avons procédé comme suit:
II y a 48 000 employés sous les codes d'activités
hébergement. Nous prenons comme hypothèse qu'un cinquième
de ces emplois sont occupés par des employés au pourboire; c'est
d'ailleurs la proportion dans plusieurs hôtels. Cela nous donne 9700
emplois.
Les autres codes d'activités regroupent les restaurants, bars,
etc. Notre hypothèse est qu'il y a en moyenne cinq employés par
établissement; pour 14 160 établissements, cela donne 70 800
emplois.
En tout, il y aurait donc 80 500 emplois. En tenant compte du fait que
certains travailleurs font double emploi, le chiffre de 70 000 semble assez
réaliste. Évidemment ce ne sont là que des
hypothèses, il serait urgent de mener une enquête plus
sérieuse sur la question.
Notre revenu. Le ministre s'inquiète dans son livre vert du fait
que 93% d'entre nous déclarent des revenus imposables inférieurs
à 10 000 $. Or, selon les chiffres de l'Association des restaurateurs,
la moyenne d'heures de travail dans notre métier est de 27 heures par
semaine; en multipliant ce chiffre par notre salaire horaire, cela nous donne
98 $ et 4428 $ par année. Au mieux, on double ce montant avec les
pourboires, ce qui nous donne un revenu moyen de 8856 $ par année. Notre
revenu moyen se situe donc bien au-dessous de 10 000 $ par année.
L'employeur. L'employeur de l'industrie de l'hôtellerie et de la
restauration est le seul qui soit capable de se payer des employés
à si bon compte, le sous-salaire minimum étant spécifique
à ce secteur. N'y
a-t-il pas là discrimination face aux autres employeurs qui, eux,
assument leur responsabilité sociale à part entière?
L'employeur de la restauration s'insurge contre le fait d'avoir à
assumer le coût social de ses travailleurs. N'avons-nous donc aucune
valeur sociale? La vraie raison pour laquelle les restaurateurs s'opposent
à la formule des frais de service automatiques réside
probablement dans le fait qu'ils se verraient dans l'obligation de
déclarer toutes leurs recettes. Il est de notoriété
publique que les restaurateurs cachent une bonne partie de leur revenu au fisc.
Qui d'entre nous n'a jamais reçu un bout de papier en guise de facture?
Qu'advient-il des factures restantes en cas de faillite? N'est-il pas facile
d'en faire imprimer des séries qui échappent à la
vigilance des agents du fisc? Nous, qui sommes du métier, savons bien
que ces pratiques sont courantes. Nous savons aussi que plusieurs restaurateurs
transvident une partie de l'alcool vendu. Ils jouent ainsi avec les inventaires
et se procurent des bouteilles à la régie sans payer la taxe qui
leur incombe. En favorisant la solution 5.4, les restaurateurs ne font que
demander le statu quo, position qui ne change rien au problème qui nous
a amenés à cette commission.
Le consommateur. Le terme "consommateur" demeure assez vaste. En fait,
le consommateur, c'est tout le monde, employé au pourboire y compris. Si
les gens au pourboire sont aussi consommateurs n'ont-ils pas droit à
l'indexation que le pourboire obligatoire leur procurerait et ce, afin qu'ils
puissent aussi continuer à consommer? L'Association des consommateurs du
Québec favorise la solution 5.2, le pourboire inscrit sur la facture.
Son argument principal est celui de la liberté du client de donner un
pourboire selon l'évaluation du service rendu. Nous aborderons cette
question dans "la problématique". Qu'il nous suffise de rappeler
qu'à ce sujet l'étude du CRDE nous dit que les deux variables qui
influencent le plus le pourcentage du pourboire que le client donne sont la
méthode de paiement et la taille du groupe servi. Une thèse de
maîtrise de Mme Johanne May nous affirme que les données
traditionnellement associées avec la vitesse et l'efficacité du
service n'ont pas d'impact significatif sur les pourboires. Elle
précise, de plus, qu'une serveuse attrayante recevra un pourboire moyen
en pourcentage de 20,3%, tandis qu'une serveuse moins attrayante n'en recevra
que 11,9%. Dans un secteur où la main-d'oeuvre féminine est
majoritaire, nous ne pouvons raisonnablement ignorer de telles données.
Il est évident, qu'il y a une certaine éducation à faire
chez le consommateur. Le principe de liberté ne peut cautionner des
attitudes aussi injustes. Un autre argument de l'ACQ, la hausse des prix.
À ce sujet, nous demandons que la taxe de vente soit baissée
à 5%. Cette revendication a spécifiquement pour but de ne pas
pénaliser le client advenant l'imposition de frais de service
obligatoires de 15%.
Le ministère du Revenu, quatrième intervenant dans le
dossier. Il admet lui-même que les travailleurs au pourboire subissent
une injustice étant donné l'absence de sécurité
sociale et d'avantages sociaux. Le ministre du Revenu nous a rappelé
à plusieurs reprises, lors de nos rencontres, que les aspects sociaux du
problème relevaient de plusieurs autres ministères; nous n'en
avons jamais douté.
On se demande pourquoi les ministères concernés ne sont
pas présents, mais, comme je faisais remarquer, il y en a quelques-uns,
et c'est bien.
Le ministère du Revenu tient un discours d'équité,
qui, dans la pratique, trouve différentes applications, selon qu'il
s'agit des travailleurs ou du patronat. D'autre part, il augmente le fardeau
fiscal des travailleurs et en attribue la responsabilité à
d'autres travailleurs déjà au pourboire. D'autre part, il baisse
le taux de taxation des compagnies et tolère des infractions à la
Loi sur les impôts de la part des restaurateurs et hôteliers; entre
autres, le personnel des banquets pourrait déjà
bénéficier de la formule des frais de service obligatoires. Ces
frais sont appelés par le fédéral "gratifications
contrôlées". Le bulletin d'interprétation CPPI du
Régime de pensions du Canada considère les gratifications
contrôlées comme un traitement ou un salaire. L'employeur dans de
tels cas est tenu d'effectuer les retenues et de verser des contributions au
Régime de pensions du Canada et à l'assurance-chômage. (10
h 30)
Au niveau provincial, le gouvernement dans sa pratique prend la
même position, dans le cas des banquets, pour le Régime de rentes.
Or, certains hôtels omettent d'effectuer les retenues prévues et
vont jusqu'à négliger de fournir les formules T-4 et TP-4
concernant les pourboires contrôlés. En envoyant des avis de
cotisation aux travailleurs, le gouvernement songe-t-il à exiger des
employeurs qu'ils se conforment aussi à la loi? Il a sûrement fort
à faire du côté patronal s'il veut être
conséquent avec son souci d'équité.
La vérification. Sans revenir sur notre revendication concernant
l'arrêt des poursuites, l'établissement des cotisations demeure
fondamentalement arbitraire malgré les démentis des deux niveaux
de gouvernement. À l'hôtel Méridien, le
fédéral a expédié à au moins un individu une
lettre contenant les pourboires supposément non déclarés
pour 1979. Or, cette personne était hors du Canada l'année en
question.
Les factures sont émises sans tenir compte des heures et des
périodes
travaillées. Quelqu'un qui travaille quatre heures par jour fera
moins en pourboires que quelqu'un qui en fait huit, ou vice-versa, le tout
dépendant des conditions locales. La pratique consistant à
prendre le chiffre d'affaires et à appliquer 10% ou même 15% puis
à diviser ce chiffre entre les serveurs et les serveuses est donc des
plus arbitraires.
Les méthodes dites "plus raffinées" de prendre le
pourcentage des cartes de crédit et d'en déduire les pourboires
au comptant ne sont guère plus valables. Qu'est-ce qui nous garantit sur
la table 15%, 10% ou même rien du tout, comme c'est parfois le cas?
D'ailleurs, le ministre n'arrive pas à fixer son choix. Dans le
livre vert, il part de 15% pour établir les cotisations et quand il
s'agit de décréter des frais de service obligatoire, il dit que
ceci augmentera la note. Or, ou nous avons déjà les 15%, ce qui
ne changerait rien pour les consommateurs de l'écrire, ou nous ne les
avons pas; alors, les méthodes du fisc sont ce qu'elles sont:
arbitraires.
Concernant les recours, nous connaissons au moins deux cas dont le
premier remonte à 1979 et le second à 1980 où,
malgré des avis d'opposition en bonne et due forme, le ministère
provincial n'a pas donné de réponse, alors que la section
recouvrement poursuit ses pressions afin de récupérer l'argent.
Il force ainsi les personnes concernées à se rendre en Cour
provinciale, ce qui implique des frais judiciaires assez considérables.
Comme nous l'avons dit plus haut, nous ne refusons pas de payer de
l'impôt sur la totalité de nos revenus, à la condition
toutefois de ne pas le faire rétroactivement et d'avoir les avantages
sociaux en conséquence.
Nous préconisons aussi que le gouvernement fasse une
vérification plus serrée du côté des restaurateurs.
Afin de faciliter ces vérifications et une meilleure perception de la
taxe de vente, nous sommes favorables à une formule de facture unique
dans toute la province.
La problématique. Le quatrième chapitre du livre vert
tentait de situer l'enjeu du problème. Le coeur du litige est lié
à la notion du pourboire. Selon le ministre du Revenu, le pourboire
serait une forme de rémunération provenant des rapports entre le
client et l'employé et témoignerait de la qualité du
service. Nous nous élevons contre cette conception. Pour nous, le
pourboire n'est qu'un salaire déguisé. Le fait que ce soit le
client qui le donne ne change rien au problème. Ce salaire
spécial fluctue en fonction du nombre de clients et de ladite
qualité du service, sur laquelle nous n'avons rien à dire. Nous
ne choisissons pas de servir dix tables au lieu de vingt-cinq. Nous ne
choisissons pas de servir du pain rance et des viandes mal
apprêtées. Tout ça, c'est le patron qui nous l'impose pour
économiser. Pourtant, on veut nous faire porter cette
responsabilité directement en ajustant nos revenus à la
pièce.
Le CRDE cite une variété de facteurs qui influencent le
choix du consommateur. Ils relèvent bien plus souvent d'autres
critères que de la qualité du service. Invoquer la liberté
de choix du consommateur relève davantage d'une action publicitaire que
d'une véritable liberté.
La restauration demeure le seul secteur économique où le
pourboire est prépondérant au point de justifier un sous-salaire.
Dans le domaine des services, les clients ont d'autres moyens
d'apprécier le travail des vendeurs. Ils font des plaintes ou ils
changent de pourvoyeurs. Quant aux patrons, ils ont comme toujours leurs droits
de gérance. Ce n'est pas parce que les travailleurs des services ont un
revenu minimum garanti que l'on peut parler d'absence de choix pour les
consommateurs.
La problématique, c'est aussi tenir compte d'une façon
plus réaliste des travailleurs de ce secteur. Dans le livre vert, en
page 7, le ministre affirme que la grande mobilité dans le secteur est
liée, semble-t-il, à la présence des femmes et au
caractère saisonnier, faisant en sorte que le nombre d'employés
syndiqués est très faible et qu'il n'y a pas de programme
cohérent de sécurité sociale. Or, l'absence de
représentation est directement liée au fait que la loi ne
facilite pas la syndicalisation.
Les solutions. Le ministre du Revenu nous présente quatre
solutions possibles. Nous les étudierons l'une après l'autre.
Prenons la solution 5.4: Le pourboire est un revenu de travailleur autonome.
Cette solution est la mieux articulée des quatre. Elle est, en fait, une
copie conforme de ce qui se passe au niveau fédéral. Elle est
partiellement appliquée au niveau du Régime de rentes,
contribution supplémentaire volontaire. Cette situation, nous l'avons
déjà dénoncée en réclamant l'abolition du
statut de travailleur autonome. Pour nous, il s'agirait de payer un taux
d'impôt supplémentaire en prévision des pourboires ou de
faire des versements trimestriels.
Les seules personnes qui bénéficieront de ce
système seront les employeurs, puisqu'il s'agit du statu quo. Les
gouvernements ne seront pas assurés davantage que les
déclarations périodiques seront exactes. De plus, ce
système ne règle pas la fraude des restaurateurs. Les avantages
sociaux dont le ministre parlait sont absents de cette solution, si ce n'est le
Régime de rentes, avec des coûts additionnels. Rien pour
l'assurance-chômage, rien pour la CSST, rien pour les vacances, etc. Pour
nous, cette solution constitue une dégradation du statu quo, toujours
aucun avantage et plus d'obligations. Elle est à
rejeter.
La solution 5.3: La déclaration périodique. Elle est
inapplicable, puisque l'employeur n'a pas intérêt à ce que
ses employés déclarent tout leur revenu. De ce fait, il verrait
augmenter sa contribution aux différents régimes sociaux. Cette
façon de procéder laisserait place au chantage. Les patrons
pourraient exiger des déclarations minimales en échange de
l'emploi. Le gouvernement n'aurait rien réglé concernant le
problème de perception.
La solution 5.2: Le pourboire inscrit sur la facture par le client. Elle
ne présente aucun avantage, ni pour le gouvernement, ni pour les
employeurs, ni pour les travailleurs. Déjà, dans la série
de désavantages, le ministre mentionne la possibilité que le
client refuse d'inscrire ce qu'il laisse. Dans les faits, le problème de
perception est inchangé. Rien ne nous garantit que nous ayons des
avantages sociaux et la formulation ne dit pas si les employeurs devraient
contribuer.
Nous avons déjà aborder la question de la liberté
de choix du consommateur. Nous n'y croyons pas. Les établissements
où un ruban de caisse est utilisé comme facture ne seront pas
touchés par cette solution. Que se passera-t-il pour ces
employés? Cette solution est à rejeter.
Solution 5.1: Les frais de service obligatoires. Nous proposons que ces
frais soient de 15%, associés à une diminution de la taxe de
vente à 5%. Compte tenu de tout ce que nous venons de dire et bien
qu'elle ne remette pas en question le salaire au rendement, cette solution
reste la plus adéquate à l'heure actuelle.
Nos pourboires deviendraient alors des gratifications
contrôlées, c'est-à-dire l'équivalent d'un salaire
et, de ce fait, nous aurions droit à l'ensemble des avantages sociaux, y
compris le chômage, au fédéral. Les gouvernements y
trouveraient leur compte à deux titres: Tous nos revenus seraient
connus, ainsi que le chiffre d'affaires réel des restaurateurs.
Les désavantages présentés dans le livre vert
peuvent se regrouper en trois blocs, le premier ayant trait à la
liberté de choix des consommateurs, à la qualité du
service et, finalement, à une dangereuse habitude que pourrait
contracter le client en laissant des pourboires supplémentaires. Ce
premier bloc d'arguments vise à faire porter la responsabilité de
la qualité du service sur les épaules des travailleurs. Or, s'il
est un domaine où nous ne sommes pas autonomes, c'est bien
celui-là.
Le deuxième bloc d'inconvénients est relatif à une
augmentation automatique du prix des repas et à la perte d'un avantage
touristique pour le Québec. Notre revendication d'un 15% obligatoire
tient compte de ces considérations.
Nous recevons en moyenne 10% de pourboire. Le gouvernement impose une
taxe de 10%. Nous demandons une répartition différente de ces
pourcentages: 15% au serveur et 5% au gouvernement. Le client n'aurait donc pas
à subir d'augmentation. Ce fait établi, on voit mal comment le
Québec perdrait un avantage. Plusieurs pays européens suivent ce
système et cela ne nuit pas au tourisme.
Le dernier désavantage serait la discrimination face aux autres
travailleurs. Cet argument nous semble des plus farfelus. À notre
connaissance, quelqu'un qui travaille au rendement n'est pas
pénalisé comme nous le sommes. Son salaire est au moins le
minimum, les primes sont fixes et déterminées d'avance par
l'employeur. Où est donc cette discrimination? Si cette hypothèse
était retenue, il serait nécessaire d'amender la Loi sur les
normes de travail afin de s'assurer que la totalité des frais de
services reviennent au serveur. Ce dernier devrait avoir la possibilité
de contrôler ses revenus. Par exemple, une copie de la facture lui
reviendrait, lui permettant de vérifier s'il a bien reçu son
dû de l'employeur. Les employés bénéficiant
aujourd'hui du partage des pourboires (commis débarasseurs,
maîtres d'hôtel, service au bar etc.) devraient obtenir des
salaires décents sans avoir à dépendre du revenu d'un
autre employé.
En conclusion, nous souhaitons que ce document vous permette de bien
cerner les attentes des gens au pourboire. Nos propositions sont
réalisables et la mise en application ne nuirait à personne. Le
gouvernement aurait un contrôle sur les revenus. Les consommateurs ne
subiront pas de préjudice. Les restaurateurs et hôteliers, bien
qu'ils soient aujourd'hui opposés à la solution, verront bien
vite que de meilleurs condition de travail entraînent
nécessairement une amélioration du service. Et les travailleurs
au pourboire seront enfin considérés comme des citoyens
ordinaires et verront leur revenu indexé au coût de la vie.
Alors un rappel de nos propositions: l'arrêt des poursuites, et le
remboursement à ceux qui ont déjà payé. Les
mêmes avantages sociaux que les autres travailleurs, au même prix.
Le même salaire minimum. 15% de frais de service sur la facture avec
diminution de la taxe de vente à 5%. Une facture unique fournie par le
gouvernement dont une copie reviendrait au travailleur au pourboire.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre.
M. Marcoux: Je remercie beaucoup les représentants de
l'Association des gens au pourboire de Montréal d'avoir accepté
de nous présenter un mémoire. Compte tenu de la densité du
mémoire, je suis convaincu que
vous avez pris beaucoup de temps pour le concevoir. Vous pouvez
être assurés qu'on va y accorder la même attention au niveau
de l'analyse et des suites à y donner.
Comme je sais que vous avez participé à toutes les
discussions hier, je vais essayer d'aborder de nouvelles questions qui n'ont
pas nécessairement été abordées hier avec vous,
dans des mémoires qui rejoignaient la même perspective. Je
voudrais quand même faire certaines mises au point ou commentaires et
vous poser quelques questions. Un premier commentaire. Vous affirmez, dans
votre mémoire, que le ministre du Revenu, dans le livre vert ou dans ses
déclarations, a dit que l'équité sociale n'était
pas de son ressort. Je vous mets au défi de trouver une
déclaration semblable ou même de trouver cette
perspective-là dans le livre vert où nous affirmons explicitement
l'inverse, c'est-à-dire que toute solution devrait tenir compte -comme
ministre du Revenu j'ai l'impression de parler au nom du gouvernement et du
ministère du Revenu - de l'équité sociale, de
l'équité fiscale et de la protection de l'industrie touristique.
À preuve, le ministre du Revenu administre de plus en plus, a de plus en
plus un rôle de conseiller fiscal au gouvernement, à la fois dans
une perspective de se servir des lois fiscales, et dans une politique de
sécurité du revenu. On administre - ce qui est récent,
depuis deux ou trois ans - plusieurs programmes sociaux tels que Logirente,
l'allocation de disponibilité, d'autres programmes semblables auxquels
nous participons. Je peux vous assurer que, à titre de ministre du Revnu
et ministre du gouvernement, on tient compte de ce point de vue de
l'équité sociale.
Vous parlez de l'économie des avantages sociaux. Vous dites: le
gouvernement a fait des économies sur notre dos et les avis de
cotisation rétroactifs qu'il émet sont profondément
injustes. Je pense qu'il y a une nuance importante à faire sur cette
affirmation de votre mémoire. Lorsque le ministère du Revenu fait
des avis de cotisation pour des années où les travailleurs au
pourboire n'ont pas payé d'impôt, n'ont pas
révélé la totalité de leurs revenus de pourboires,
il les cotise sur la base de l'impôt qu'ils auraient dû payer. Il
ne les cotise pas pour le Régime de rentes du Québec de
façon supplémentaire, obligatoire, à moins qu'ils ne
désirent le faire, non plus que pour, d'autre part, l'employeur du
côté de la CSST. Je pense que ces travailleurs au pourboire ont
bénéficié des mêmes services des ministères,
que ce soit les services de santé, les services éducatifs, les
services culturels, que l'ensemble des citoyens, qui sont justifiés et
que les impôts servent à payer. (10 h 45)
En ce sens, je ne pense pas que vous puissiez dire que, par rapport
à l'ensemble des services qu'offre le gouvernement à partir des
impôts, les travailleurs et travailleuses au pourboire ont pu être
désavantagés et qu'on a fait des économies sur leur dos;
par rapport aux programmes sociaux, comme ceux de la Régie des rentes du
Québec, le programme des accidents du travail, la Régie de
l'assurance automobile -je l'ai déjà précisé hier -
c'est très clair dans le livre vert, je rejoins entièrement votre
pensée.
Je voudrais apporter une nuance importante concernant une phrase qui
était dans votre mémoire disant que le Québec était
la seule province du Canada où il y avait un taux de salaire minimum
différent pour les travailleurs et les travailleuses au pourboire. Vous
avez dit: II y a une petite différence avec l'Ontario. En Ontario, ce ne
sont pas l'ensemble des travailleurs et des travailleuses au pourboire, ce sont
ceux des établissements où il y a une vente de boisson qui sont
à 3 $ comme salaire minimum, alors qu'ici c'est 3,28 $ pour l'ensemble;
le salaire minimum en Ontario est de 3,50 $, ici, il est à 4 $. Quand on
parle de l'Ontario, on ne peut pas parler d'une petite différence parce
que l'Ontario et le Québec représentent quand même à
peu près, sauf erreur, les deux tiers de la population canadienne, et la
concurrence qui existe entre les deux provinces fait que, sur le plan
économique, toute décision qui est prise ici, dans un sens ou
dans l'autre, a des conséquences énormes sur notre
développement économique, pour l'ensemble de notre
société.
Un autre point à la page 10. Vous indiquez qu'il y a eu une
baisse du taux de taxation des compagnies durant les récentes
années au Québec. Je pense qu'il y a là aussi une erreur;
ce n'est pas un débat, c'est une erreur de fait. Il est vrai qu'il y a
deux ans, le ministre des Finances a annoncé une réduction
considérable des taux d'imposition sur le profit des compagnies, mais le
même jour, il annonçait le doublement de la taxe de la
Régie de l'assurance-maladie du Québec qui passait de 1,50 $
à 3 $. Vous savez pourquoi cela a été fait, c'était
pour faire en sorte que des compagnies évitent de déclarer leurs
profits dans d'autres provinces où le taux d'imposition des profits
était moins élevé. Alors on a dit: On taxera directement
la masse salariale, elle ne peut pas fuir, elle est existante. Mais il y a une
chose - soyez calmes messieurs...
M. French: Les travailleuses ne sont pas calmes.
M. Marcoux: ... on était conscient alors que les
entreprises où la masse salariale a une très grande importance -
vous pouvez avoir une entreprise où la masse salariale
représente 20% de son coût de fonctionnement, une autre,
40%, 50% ou 60% auraient à supporter un poids plus élevé.
Entre autres, au Québec, les petites et moyennes entreprises ont
ordinairement une masse salariale qui est plus importante proportionnellement
à l'ensemble de leurs dépenses. Si on prend le secteur de la
restauration et de l'hôtellerie, c'est sûrement l'un des secteurs
qui a été touché par cette réforme de la
fiscalité des compagnies à cause de ce doublement. Alors je pense
que par rapport à l'ensemble, il y a un autre élément
qu'on doit indiquer, c'est que les hausses d'impôt des compagnies au
Québec ont été de 40% dans les deux dernières
années; ce qui fait que, jusqu'à il y a un an, un an et demi, la
fiscalité des compagnies faisait que l'écart entre l'Ontario et
le Québec était d'à peine 3% et qu'il est maintenant de
16%, exactement au même niveau que pour les particuliers. Un particulier
au Québec paie 16% de plus d'impôt qu'en Ontario et les compagnies
paient également, en moyenne, maintenant 16% de plus d'impôt qu'en
Ontario. Je pense que c'est important de le comprendre; c'est important de
connaître ces faits parce que lorsqu'on parle de masse salariale et des
décisions que nous devrons prendre en rapport avec la solution à
trouver, ils peuvent apporter des conséquences dans ce sens. C'est
important de situer ces données dans la perspective des faits
réels.
A la page 11, vous parlez des avis d'opposition, citant deux cas
où des avis d'opposition ont été logés en 1979 et
en 1980 et n'ont pas encore été entendus. Je dois
reconnaître que sur ceci, le ministère du Revenu avait pris des
retards considérables dans le traitement des avis d'opposition; cela
prenait en moyenne entre deux et quatre ans avant qu'un avis d'opposition soit
traité. Je peux vous dire que depuis six mois ou huit mois des efforts
importants ont été faits de déplacement de personnel vers
ce type de dossiers au ministère du Revenu. Maintenant, au lieu de
quatre ans, nous sommes rendus à 18 mois et notre objectif, c'est que
d'ici un an, nous ayons abaissé à six mois le délai entre
un avis d'opposition et le jugement ou la décision suite à cet
avis d'opposition. Je ne suis pas étonné que vous citiez ces cas,
ils sont sûrement véridiques. Ce que je peux vous dire, c'est que
déjà depuis quelques mois et pour l'année qui vient, cela
constitue une des priorités et un objectif précis du
ministère du Revenu que d'abaisser - on est déjà
passé de quatre ans à peu près à dix-huit mois - de
dix-huit mois à six mois le délai pour entendre les avis
d'opposition.
À la page Il également, vous dites: "D'ailleurs, le
ministre n'arrive pas à fixer son choix. Dans le livre vert, il part de
15% pour établir les cotisations et, quand il s'agit de
décréter des frais de services obligatoires, il dit que ceci
augmentera la note. Or, ou nous avons déjà les 15%, ce qui ne
changerait rien pour les consommateurs de l'écrire, ou nous ne les avons
pas et, alors, les méthodes du fisc sont ce qu'elles sont,
arbitraires."
Il y a peut-être une autre mise au point que je n'ai pas eu
l'occasion de faire hier, parce que je voulais d'abord laisser s'exprimer ceux
qui nous rencontraient. Je pense qu'il est important de préciser ceci.
Il est vrai que le ministère du Revenu part de 15%, mais, en pratique,
les avis de cotisation que nous avons émis dans le passé se
situaient autour de 8% ou 10%, ce qui était perçu. Nous tenions
compte, comme nous l'indiquons dans le livre vert, des facteurs suivants, si le
pourcentage de 15% est un point de départ: le partage des pourboires
avec d'autres employés, la nature de l'établissement, le site, la
clientèle, le secteur précis où travaille l'employé
et la période de travail de l'employé. L'ensemble de ces facteurs
est analysé, ce qui fait que les avis de cotisation finals, après
analyse de chaque dossier ou de chaque individu, ne sont pas de 15%, mais bien
de l'ordre de 8% ou 10%. Je crois qu'il est important que tout le monde sache
que l'on tient compte de ces facteurs, c'est ce qui se passe dans la
réalité, parce que c'est certain que ce ne sont pas tous les
employés au pourboire qui ont 15% et il y a des restaurants où le
pourboire est réparti entre plusieurs. Il y a des restaurants où
la clientèle ne donne pas 15%, compte tenu du type de clientèle,
etc.
Vous indiquez aussi dans votre mémoire - vous avez assité
à la rencontre d'hier, peut-être que cela n'était pas
public avant -et moi aussi j'ai indiqué hier ma surprise positive face
à l'attitude de l'Association des restaurateurs. Dans votre
mémoire, vous indiquez que les employeurs refusent de payer les
avantages sociaux. Je crois que nous pouvons tous noter positivement le fait
que l'Association des restaurateurs - je ne sais pas quelle était leur
position dans le passé - a indiqué hier, dans son mémoire
qu'elle était d'accord pour payer les avantages sociaux, au moins en ce
qui concernait la CSST. À la suite d'une question que j'ai posée,
demandant s'ils étaient d'accord pour appliquer l'esprit de la loi
américaine, à partir du 1er janvier 1983, comprenant les autres
avantages sociaux, l'Association des restaurateurs a répondu clairement
que, oui, si nous choisissions d'aller dans cette voie elle accepterait la part
de responsabilité sociale qu'impliquait, en somme, la plus grande
contribution, la révélation des pourboires de la part des
employés au pourboire. Je crois, qu'il n'y a pas de consensus complet
encore, mais qu'il y a une démarche; cela m'apparaît plus positif,
actuellement, que ce qu'on aurait pu
penser ou être porté à croire.
J'arrive à deux questions. À la page 8-A de l'annexe que
vous avez ajoutée ce matin, vous évaluez le revenu des
travailleurs et travailleuses au pourboire à moins de 10 000 $, à
partir de différents calculs. J'ai un peu de difficulté à
concilier ces calculs avec des éléments qui étaient
contenus dans le mémoire présenté par la CSN, hier, qui
indiquait, concernant l'assurance-chômage, qu'un employé
bénéficiait d'environ 20% ou 25% de ce à quoi il avait
droit, si on tenait compte de l'ensemble de ses pourboires et de d'autres
éléments, d'autres chiffres contenus également dans ce
mémoire. J'aimerais que vous nous disiez, sur quoi vous vous basez pour
établir que le revenu des travailleurs et travailleuses au pourboire se
situe autour de 8000 $ à 8900 $, pas davantage?
Mon autre question concerne la formule 5.3, dont vous parlez à la
page 14, et je crois qu'il faut être bien conscient. Vous dites: "Cette
façon de procéder - c'est-à-dire que l'employé
révèle ses pourboires laisserait place au chantage. Les patrons
pourraient exiger des déclarations minimales en échange de
l'emploi. Les gouvernements n'auraient rien réglé concernant
leurs problèmes de perception." Ne pensez-vous pas que, si on retenait
la formule qui sera en oeuvre aux États-Unis le 1er janvier 1983,
d'imposer un minimum, c'est-à-dire que chaque restaurant ou hôtel
doit déclarer un minimum de 8% de revenus de pourboires, s'il y avait ce
minimum, cela ne permettrait-il pas de réduire ou d'éliminer une
partie du chantage dont, selon vous, vos membres pourraient être
l'objet?
Mme Nerneh: Est-ce que je peux revenir sur les remarques que vous
avez faites?
M. Marcoux: Bien sûr!
Mme Nemeh: Au début, quand on dit que
l'équité sociale n'est pas du ressort du ministre du Revenu, nous
sommes conscients du fait que, dans son livre vert, il y a une attitude
positive de la part du ministère du Revenu, sauf que, lorsqu'il en
était question dans nos avis d'opposition, dans nos rapports avec le
ministère du Revenu, c'est la réponse qu'on recevait
systématiquement des agents du ministère: Ce n'est pas notre
affaire; nous, nous sommes là pour aller chercher de l'impôt.
Alors, c'est dans ce sens-là qu'on le disait.
Pour ce qui est des économies que vous avez faites sur notre dos,
l'État a fait des économies dans le sens que, d'abord, nous
n'avons pas bénéficié du salaire minimum; nous n'avons
jamais bénéficié des avantages sociaux. Même si vous
ne venez pas chercher la part que nous aurions dû payer sur
l'assurance-chômage, ce sont des droits dont on n'a pas
bénéficié et c'est aussi dans ce sens qu'on parle
d'économie.
Pour ce qui est de la base du taux de taxation, j'avoue qu'on n'est pas
très fort en économie, mais on était tombé sur une
table de calcul des taux de taxation où on voyait, en dix ans, une
augmentation du taux de taxation des particuliers et, contrairement, du
côté des compagnies, on voyait une diminution. Alors, on s'est
fié là-dessus pour amener cet argument.
Quand vous dites que le ministère du Revenu n'impose pas au
niveau des avis de cotisation, qu'il ne parle pas des 15%...
M. Marcoux: C'est ce que je dis, il parle des 15%, mais il tient
compte des cinq ou six facteurs dont j'ai parlé tantôt, ce qui
fait que la cotisation réelle est autour de 8% ou 10%, en moyenne.
Mme Nemeh: Oui, sauf que nous avons vu des cas où il se
situait à 13,5% et plus; on en a vu d'autres.
M. Marcoux: Je ne le nie pas. Il peut arriver qu'on parte de 15%
quelque part et qu'en réalité, dans tel type d'hôtel ou de
restaurant, il n'y ait pas de distribution des pourboires entre plusieurs. Il y
a un type de clientèle et, se basant aussi sur les cartes de
crédit, etc., il peut arriver qu'il y ait des travailleurs et
travailleuses au pourboire qui aient en moyenne 12% ou 13%, mais il arrive
qu'il y en a qui ont 6%, 7% ou 8%. En somme, on tient compte de chaque cas.
Mme Nemeh: Oui, mais, à notre connaissance, cela n'est pas
fait aussi systématiquement. Dans tous les cas qu'on connaît, on
ne tient pas compte du partage des pourboires dans l'imposition du pourcentage.
C'est peut-être un...
M. Marcoux: Je dois vous informer qu'il y a des recours
très précis au ministère, vous les connaissez. Même
avant l'avis d'opposition, il y a des discussions qui peuvent être faites
avec celui qui fait la cotisation, et il y a l'avis d'opposition. Je peux vous
assurer que tous ces cas sont étudiés, à ce moment, cas
par cas.
Mme Nemeh: D'accord. Vous disiez que l'Association des
restaurateurs serait prête à payer la CSST. Nous l'avons
remarqué. On pense que cela n'est pas assez. Quand ils ont dit qu'ils
étaient prêts à payer leur part, c'est arrivé tout
à fait à la fin. Tout le long de leur intervention...
M. Marcoux: C'est aussi à la commission parlementaire de
faire faire une démarche à différents groupes pour essayer
de voir des solutions possibles.
Mme Nerneh: D'accord.
M. Marcoux: Je ne vous ai pas reproché d'avoir dit cela
dans le mémoire; je voulais qu'on constate ensemble qu'il y avait des
changements. (11 heures)
Mme Nemeh: Autre question: Sur quoi nous basons-nous pour parler
d'un revenu moyen en dessous de 10 000 $. La CSN a indiqué hier que
c'était un peu plus de 10 000 $, le revenu moyen. Je me demande si eux
ne se fient pas en partie à leurs employés syndiqués.
C'est assez difficile d'être scientifique, il faut vraiment faire des
études sur le secteur, mais on se fie à la majorité des
non-syndiqués que nous connaissons et, à notre avis, doubler le
salaire horaire en pourboire, c'est déjà beau dans beaucoup de
cas, en moyenne, c'est cela qu'on gagne. Ce n'est peut-être pas
très scientifique, notre affaire. Mais, de façon empirique, tout
ce qu'on constate, c'est cela. Maintenant, il y aurait peut-être lieu,
effectivement, de faire des études plus poussées
là-dessus.
Votre deuxième, c'était: Est-ce qu'imposer un minimum de
8%...
M. Marcoux: Vous dites que, si on appliquait la solution 5.3,
c'est-à-dire que l'employé révèle ses revenus
à l'employeur, l'employeur est obligé de payer sa part des
avantages sociaux et l'employé paie sa part aussi, cette solution 5.3
risquerait d'amener un chantage de la part des propriétaires face
à leurs employés pour qu'ils diminuent le montant
révélé pour ne pas avoir à payer davantage. Je vous
ai demandé, à ce moment-là, si la solution
américaine qui est d'imposer un minimum - eux autres, c'est 8% - de
pourboire à révéler et, s'il n'est pas
révélé, de le distribuer entre les travailleurs et les
travailleuses au pourboire, ne serait pas un moyen de diminuer
considérablement, sinon d'annuler ce chantage.
Mme Nemeh: Oui, c'est évident que cela annulerait ce
chantage dont nous parlons, mais nous ne sommes pas du tout d'accord avec cette
position et je vais vous expliquer pourquoi. D'une part, si on met 8% et que
les consommateurs le savent, il y a de gros risques que les pourboires baissent
à 8%. Deuxièmement, à supposer que les pourboires ne
baissent pas, ils n'augmenteraient certainement pas et, à ce
moment-là, on paierait de l'impôt; le revenu que nous recevons
aujourd'hui diminuerait et on n'aurait aucune indexation.
M. Marcoux: Vous avez plus de 8%, actuellement?
Mme Nemeh: Cela dépend des cas. C'est assez arbitraire de
dire 8% pour tout le monde.
M. Marcoux: C'est sûr que c'est arbitraire.
Mme Nemeh: Cela ne nous assure pas du tout l'indexation, une
situation comme cela, parce que cela laisse le principe du pourboire
aléatoire et cela laisse toute l'injustice fondamentale qu'on reproche
au pourboire.
M. Marcoux: Disons que l'ensemble des motifs pour ou contre de
votre option était très clair, mais c'était par rapport
à votre objection fondamentale face à cette formule, une des
deux, c'est-à-dire parce qu'il y en avait une autre, c'était la
question du chantage.
Mme Nemeh: Oui, c'est évident.
M. Marcoux: Concrètement, je pense que c'est une objection
recevable, très possible. En la lisant, je me disais: Est-ce qu'il y a
des moyens pour éviter qu'il y ait ce type de pression de la part de
l'employeur face à l'employé? C'est pour cela que j'ai fait le
lien avec ce qu'on avait dit ce matin, en relisant votre mémoire.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Saint-Louis.
M. Blank: Mademoiselle, je constate que, dans votre
mémoire, à la page 6, vous parlez des comptoirs de "fast-food"
où il n'y a pas de pourboire, où il y a des moins de 18 ans qui
gagnent 2,95 $ l'heure. Hier soir, on a eu le propriétaire...
Mme Nemeh: J'ai fait certaines corrections, monsieur,
là-dessus, en lisant le mémoire. J'ai dit que... Oui,
verbalement, j'ai dit que c'était 3,55 $.
M. Blank: 3,55 $, d'accord. Je ne sais pas si vous étiez
ici hier soir quand le monsieur qui a le restaurant à
Trois-Rivières était ici avec sa femme?
Mme Nemeh: Non.
M. Blank: Parce qu'ici, dans votre mémoire additionnel,
quand vous faites la description de l'employeur, après des questions de
madame, hier soir, la femme de ce propriétaire, cela a l'air que vous
parlez de cas exceptionnels au lieu de la majorité des cas. C'est
dommage que vous n'étiez pas ici pour entendre cette femme, la femme
d'un propriétaire de restaurant à Trois-Rivières, qui a
appelé "exception" la description des employeurs dans ce domaine.
Mme Nemeh: Dans quel cas, monsieur,
les cas d'exception?
M. Blank: Vous dites, à la page 8, qu'ils ne
déclarent pas tout, qu'ils ont deux sortes de livres et qu'ils mettent
de côté des boissons, ils changent des étiquettes sur les
bouteilles pour faire des "transvidages", vous accusez des propriétaires
de toutes sortes de maux. Hier soir, on a eu un exemple d'un petit
propriétaire qui était... Oui, un exemple, mais il
représente beaucoup de personnes et je suis certain qu'il y a des lois,
actuellement, pour vous protéger contre ces choses. Cela ne change rien
d'en parler ici. Il y a des lois de la Régie des alcools où on
peut avoir des sanctions pour changer des bouteilles. Je suis certain que le
sous-ministre ne laisse pas les gens avoir deux sortes de livres. Il y a toutes
sortes de façons aujourd'hui de vérifier cela avec les achats
à la Société des Alcools du Québec. Je pense que
c'est un peu d'exagération que d'accuser toute une industrie
d'être des méchants.
Mme Nemeh: Monsieur, à notre avis, ce ne sont pas des cas
d'exception. Si le restaurateur qui était ici hier était
effectivement honnête, à notre avis, c'est lui qui constitue une
exception. Moi, je travaille depuis dix ans dans la restauration et Marc Beneux
qui est à côté de moi aussi, les gens qui sont en
arrière. Ceux d'entre nous qui n'ont jamais transvidé une
bouteille, qu'ils le disent. Ceux d'entre nous qui n'ont jamais eu à
faire une fausse facture, il n'y en a pas beaucoup. C'est nous-mêmes qui
exécutons, qui sommes complices sans le vouloir de ces...
M. Blank: Mais vous représentez 100 personnes sur 62
000.
Mme Nemeh: 600 personnes, monsieur. Compte tenu de toute la
terreur dont je parlais tout à l'heure, de l'impossibilité pour
les gens d'être protégés et cela s'est fait en l'espace de
six à huit mois, nous pensons que c'est assez représentatif.
M. Blank: Une autre question, madame. Ici, dans votre
mémoire, vous voulez la solution numéro un - cela veut dire un
pourboire obligatoire de 15% - et vous demandez aussi l'augmentation du salaire
minimum au salaire minimum moyen. Vous donnez comme exemple la France où
on a ce système. Mettez de côté les autres arguments ou
désavantages de ce système comme le manque d'efficacité,
le manque de courtoisie ou de liberté d'expression du consommateur -
mettez tout cela de côté -et parlez seulement de la question
économique. On a eu hier l'exemple des restaurateurs qui ont dit qu'ils
étaient prêts à payer une partie des avantages sociaux,
mais il ne faut pas payer parce que cela ne fonctionne pas. Nous devrons
augmenter le prix pour arriver et le restaurateur de Trois-Rivières, M.
Poirier, était très honnête et disait: Moi, je veux, mais
je ne peux pas. C'est une question de dollars. Quand vous donnez l'exemple de
l'Europe, de la France où on a ce pourboire obligatoire, où il
n'y a pas de salaire, est-ce que vous êtes prêts à donner
votre salaire aux propriétaires pour payer ces avantages sociaux?
Mme Nemeh: En Belgique et en Suisse, ils ont un salaire de
base.
M. Blank: Mais est-ce que c'est le même salaire de base
qu'ici?
Mme Nemeh: C'est certainement un salaire minimum.
M. Blank: Est-ce que vous êtes prêts à
contribuer afin d'aider les propriétaires à payer vos avantages
sociaux?
Mme Nemeh: Monsieur, nous avons subventionné assez
longtemps les propriétaires de restaurant, il me semble.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Westmount.
Mme Nemeh: L'Association des restaurateurs du Québec
disait que cela augmenterait ses prix. Je pense que cela a été
discuté assez souvent. C'est sûr que cela les augmenterait un
petit peu, mais pas autant que l'Association des restaurateurs le dit.
M. Blank: Madame, on a essayé une chose, encore hier soir,
avec la CSN et on arrivait à la même chose.
Mme Nemeh: Non. En tout cas, pas à ma connaissance.
M. Blank: Vous n'étiez pas ici, mademoiselle.
Mme Nemeh: La CSN a fait la preuve hier...
M. Marcoux: C'est peut-être l'espoir de faire le point. On
n'arrivait pas à la même chose. Ce que l'Association des
restaurateurs, ce que M. Moreau nous avait dit rapidement, c'est qu'il fallait
qu'il augmente...
M. Blank: De 25%.
M. Marcoux: ... supposons, de 70 000 $ ses ventes pour en arriver
à 7000 $ de profit de plus pour payer 7000 $ d'avantages sociaux. Le
calcul qu'on a plutôt fait hier, c'est qu'il fallait qu'il augmente, en
fait,
parce qu'il avait déjà des profits de 10 000 $ sur 300 000
$ de vente et qu'on... Les avantages sociaux coûtaient 7000 $ de plus,
soit que son bénéfice tombait à 3000 $ ou il fallait qu'il
augmente de 3%. Finalement, cela revenait à 3% la hausse du coût
pour assurer les avantages sociaux en tenant compte de l'ensemble de ses frais.
Une entreprise qui a un chiffre d'affaires de 300 000 $, si on lui imposait le
13% des avantages sociaux au complet - c'est-à-dire les 9% dont je
parlais hier matin auxquels on ajoute les 4% de vacances, disons les 13% -cela
signifierait une augmentation de ses coûts de 3%. C'est bien sûr
que, quand une entreprise est à 0% de bénéfices ou
à 3% ou à 5% ou à 7% de bénéfices, c'est
presque la différence entre la vie et la mort. C'est cela qu'il faut
évaluer. J'ai donné l'assurance à tout le monde qu'on
l'évaluerait. Mais il ne faut pas dire qu'on s'est entendu sur les
chiffres hier...
Le Président (M. Desbiens): M. le député
de... À l'ordre!
M. Marcoux: Nous, on s'était entendu.
Le Président (M. Desbiens): M. de député de
Westmount, s'il vous plaît!
M. French: Je voudrais, M. le Président, céder mon
tour de parole à mon collègue de Vaudreuil-Soulanges.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Vaudreuil-Soulanges.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): M. le Président.
J'aimerais peut-être, c'est une espèce d'ambition, faire descendre
le niveau de contenu émotif du débat. On voit qu'on est en
présence de la nature humaine, des transactions au comptant, dans la
majorité des cas, et les accusations fusent. Des accusations sont de
notorité publique: les restaurateurs cherchent à minimiser le
montant des impôts qu'ils peuvent payer en ne déclarant pas leurs
revenus. On est tous conscients qu'il y a de très grands restaurants
dans certains cas qui ont du fermer leur porte depuis quelques années,
à la suite de poursuites du ministère du Revenu, justement pour
s'être livrés à cela. Je pense qu'il n'est pas
exagéré de dire qu'il est de notoriété publique,
vous le reconnaissez, que la plupart des employés au pourboire ne
déclaraient pas eux non plus leurs revenus. Je ne vois pas comment cela
fait avancer, dans le fond, la solution au problème d'échanger
sur ces choses, sauf qu'il faut chercher une solution qui correspond à
vos désirs d'améliorer vos conditions de travail. Ce qui fait
qu'on peut légitimement se poser la question aujourd'hui, à
savoir si les ministères n'avaient pas, à la suite
d'enquêtes auprès de restaurants, découvert des trous
immenses dans les recettes, d'une part, des restaurateurs et, d'autre part, des
employés, chose certaine, on ne serait pas aujourd'hui devant les
réclamations pour améliorer les conditions de travail des
travailleurs au pourboire.
Ce qui m'amène à parler plus spécifiquement, si
vous voulez, de la façon que les deux ministères concernés
ont traité avec vous. Il y a plusieurs intervenants qui ont fait
ressortir la façon inhumaine, extrêmement exagérée
dans certains cas, avec laquelle les ministères ont agi. Je me
demandais, simplement à titre de curiosité, selon les
renseignements que j'ai pu glaner auprès des cotiseurs des deux
différents ministères, auprès d'employés
également qui ont des avis de cotisation - un du fédéral
et un du Québec - qui ne se ressemblent pas du tout, qu'est-ce que vous
avez perçu, comme sensibilité de la part des ministères,
au fédéral et au Québec, dans les procédures de
cotisation. Selon mes renseignements, au ministère
fédéral, il y avait une enquête auprès de
l'employeur. En général, on essayait de mettre les gens dans le
coup, pour dire: Au point de vue des cartes de crédit, c'est facile de
se documenter, c'est marqué sur les cartes de crédit et, pour ce
qui est du montant comptant, on peut reconnaître que ce n'est pas
nécessairement le même genre de clients qui utilisent les cartes
de crédit, etc. Donc, on ne parle pas de 15% ou de 12%, j'ai cru
comprendre qu'on parlait de 4% - une espèce de pot en petite monnaie
qu'on a évalué à 4% -distribuables aux employés et
qu'on reculait, au fédéral, de deux années...
Mme Nemeh: Au fédéral, dites-vous?
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): ...oui, c'est ce que j'ai cru
comprendre, on reculait de deux années plus l'année courante,
alors qu'à Québec, c'était plutôt autour de 12%
d'abord, relativement, globalement, et on reculait en général de
quatre années, plus l'année courante. Dans les deux cas, il y
avait l'intérêt sur les impôts impayés des
dernières années, mais dans le cas de Québec, en plus, il
y avait les pénalités. Je me demandais si, selon votre
expérience ou celle de votre association, cela correspond aux
renseignements que j'ai eus.
Mme Nemeh: Je veux revenir pendant deux secondes sur le niveau
émotif. C'est sûr qu'on est très émotif, parce qu'on
se sent très brimé; c'est sûr aussi que la totalité
de nos pourboires n'était pas déclarée entièrement.
Sauf qu'on se demande pourquoi le gouvernement s'attaque d'abord aux petits
salariés plutôt que de s'attaquer à l'autre fraude; c'est
un peu cela qui nous révolte.
Pour ce qui est des poursuites, le
fédéral, selon les places, utilise beaucoup les cartes de
crédit et puis déduit un pourcentage sur le comptant, sauf que le
pourcentage est beaucoup plus élevé que 4%, il va jusqu'à
8%. Au provincial, cela dépend des cas, c'est de 8% à 12%. Pour
ce qui est des deux ans ou des quatre ans, étant donné que les
deux ministères du Revenu s'échangent les dossiers, si le
fédéral commence ses poursuites à deux ans, le provincial
utilisera la même recherche pour revenir sur la personne pour les
mêmes deux années. Si le provincial remonte à quatre ans,
le fédéral reviendra sur les mêmes quatre années qui
ont été épluchées.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Au point de vue des
initiatives, d'après ce que vous avez vu, est-ce que le gouvernement
fédéral procédait plutôt par deux ans et
Québec embottait le pas? Dans les cas où c'est Québec qui
entreprenait la poursuite, il semblait commencer avec quatre ans et le
fédéral embottait le pas.
Mme Nemeh: Ou trois ans, oui. Le Québec remonte plus loin,
assurément.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Pour l'intérêt,
c'est la même chose, comme on l'a dit. Pour les pénalités,
c'est simplement le ministère du Revenu du Québec qui allait en
chercher.
Mme Nemeh: Le fédéral en impose aussi.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Des
pénalités?
Mme Nemeh: Oui.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Oui.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre. (11 h 15)
M. Marcoux: ... décision qui ne contredit pas ce que vous
venez de dire, mais qui ajoute la nuance importante suivante. C'est que le
ministère du Revenu du Québec ne fait pas d'opération
auprès de cette classe de travailleurs en disant: Je prends cette classe
de travailleurs et je regarde les travailleurs, travailleuses au pourboire par
rapport au fisc. Lorsque nous émettons des avis de cotisation, à
l'initiative même de Revenu-Québec et non à la suite
d'informations de Revenu Canada, c'est lorsque nous sommes appelés
à faire des vérifications, admettons, dans tel restaurant ou tel
hôtel pour d'autres motifs. Je crois que, comme approche, c'est
fondamentalement différent. On ne dit pas: Pendant deux ou trois ans, on
prend un médecin; durant deux ou trois ans, on prend des travailleurs de
la construction, des choses comme celles-là. Ce n'est pas du tout notre
approche de fonctionnement. Il y a des avis de cotisation qui sont émis
auprès des travailleurs, travailleuses au pourboire, mais c'est à
l'occasion de vérifications que nous devons faire dans tel secteur,
selon les choix que nous faisons, selon les types d'entreprises ou des
situations qui se passent, que j'ai décrites hier. Lorsqu'une
entreprise, par exemple, ne rembourse pas les déductions à la
source qu'elle fait auprès de ses employés, on est appelé
à aller vérifier, et c'est à ces occasions que nous le
faisons. Je crois que, comme approche, tout le monde le reconnaît, hier
aussi, c'est assez différent.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges):
Monsieur...
Le Président (M. Desbiens): Oui.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): On pourrait dire qu'il y a une
espèce de justice immanente, dans la mesure où c'est
effectivement en vérifiant les rapports d'impôt des employeurs,
qui automatiquement, à ce moment-là, sont salés, qu'on en
profite pour voir si les employés, de leur côté,
évidemment, déclaraient leur revenu. C'est comme cela qu'on le
découvre. C'est cela que vous voulez dire.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Terrebonne.
M. Blais: Merci beaucoup, M. le Président. Tout d'abord,
je tiens à vous féliciter de la valeur de votre rapport, sachant
pertinemment que vous avez fait ce rapport personnellement. Vous n'êtes
pas une association qui a des rétributions, vous avez été
obligé de couper sur votre temps, vous l'avez fait
bénévolement. Je trouve que le rapport est très bien
étoffé, surtout dans votre cas personnel face à ce
rapport.
Je comprends aussi beaucoup de choses dans le contenu de votre rapport.
Il y a ceci, c'est qu'on parle souvent des restaurateurs et de leurs moyens.
C'est bien certain qu'il y a différents groupes de restaurateurs, et je
comprends aussi que, dès qu'on demande quelque chose de
supplémentaire à quelqu'un, c'est sûr que le bât
blesse quelque part, dès qu'on demande de payer. Il y a
différents groupes de restauration. Il y a beaucoup de petits snak-bars
familiaux, une personne ou deux personnes tiennent cela, avec des prix minimes.
Il y a aussi les "fast-foods". Il y a également les restaurants
d'irréguliers, dans les termes populaires, des restaurants qui vendent
des repas de 3,25 $ à 6 $ environ. Il y a tous les bars et les
restaurants un peu plus huppés, sans parler des traiteurs et des
restaurants qui vendent au téléphone. Un steak
haché peut se vendre 3,25 $ dans un restaurant et, trois portes plus
loin, dans un autre restaurant régulier, se vendre 4,95 $; c'est le
même steak haché et il y a autant de monde dans un restaurant que
dans l'autre. C'est donc une différence d'au moins 50% entre les prix
pour le même produit, et souvent il n'est pas meilleur à 4,95 $
qu'à 3,25 $. Dans certains bars, un cognac est à 3 $, et dans
d'autres, il est à 4,50 $ et c'est le même cognac, de la
même compagnie, que je sache, dans les bouteilles; c'est le même
cognac qu'il y a dedans, de façon générale. C'est une
augmentation de 50%. Je vais donner des noms: je vais aller au Biarritz
à Québec, je vais payer 12 $ pour un steak au poivre et, si je
vais dans un autre restaurant, je vais le payer 19 $. Vous parlez des repas un
peu plus chers.
On sait pertinemment que, dans la restauration, les prix sont
fixés par les propriétaires et que la variation peut aller du
simple au double. Alors, lorsqu'on parle d'une augmentation de 2,75% pour un
restaurateur, lorsqu'on regarde les factures et les prix des différents
restaurants, puis dans les mêmes catégories et qu'on se
défend avec acharnement pour une augmentation de 2,75% pour prendre des
responsabilités sociales, quand je regarde votre rapport, j'ai tendance
à vous donner tout le crédit qu'il mérite et à
être également de votre côté. De notre
côté, c'est une commission parlementaire de consultation, mais il
y a parfois des frissons qui nous passent sur le corps lorsqu'on entend des
lamentations de Jérémie sur une petite augmentation, en
réalité, de 2,75%. On peut dire que c'est beaucoup sur un chiffre
d'affaires, mais, lorsqu'on sait que le prix est fixé, qu'on peut aussi
bien vendre 3 $ une petite pizza que la vendre 5 $, c'est à la
discrétion du restaurateur... De fait, cela existe. Bien sûr, des
restaurants ont une décoration plus chère que d'autres,
l'exploitation est plus chère que d'autres, mais pas du simple au
double. Tout ceci dit, les 2,75% pour les obligations sociales envers les
restaurateurs, je trouve cela anodin dans le contexte de la restauration dans
lequel nous vivons. Je vous félicite de votre rapport et je suis
entièrement d'accord avec vous, du moins, du côté de la
pensée.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Viger, en vous rappelant ainsi qu'à tout le monde qu'il est Il h 20 et
qu'il faudrait passer à un autre mémoire. M. le
député de Viger.
M. Maciocia: J'aurais une question à vous poser. À
la page 12, vous parlez de la problématique et vous dites que, selon le
ministère du Revenu, le pourboire serait une forme de
rémunération provenant des rapports entre le client et
l'employé et témoignerait de la qualité du service. Vous
dites: "Nous ne choisissons pas de servir 10 ou 25 tables - je suis d'accord
avec vous -nous ne choisissons pas de servir des viandes mal
apprêtées ou d'autres choses; tout cela, c'est le patron qui nous
l'impose pour économiser. Pourtant, on veut nous faire porter cette
responsabilité directement en ajustant le revenu à la
pièce." Je crois personnellement que c'est un mauvais exemple que vous
donnez. Je crois que c'est plutôt le patron qui serait
pénalisé parce que le client ne retournerait plus à son
établissement. Ce n'est pas le serveur ou la serveuse qui en subit les
conséquences. Probablement, pour la journée même, cela se
peut que le client, au lieu de lui donner 15% de pourboire, donne 6%, 5% ou 8%.
Je crois que c'est dans l'intérêt du propriétaire de
l'établissement de ne pas se prêter à un jeu semblable
parce que sa source de revenu, c'est quand même le client. Si c'est cela,
je ne vois pas dans quel intérêt il le ferait.
Mme Nemeh: Cela se fait. C'est justement là qu'on trouve
le principe du pourboire injuste; c'est qu'on nous remet tout sur le dos, quand
on coupe du personnel, quand la cuisine n'est pas bonne, c'est de notre faute
à nous. On dira: Le service n'était pas bon, je ne laisse pas 10%
ou 15%, je laisse 5% ou 6%, cela nous revient. En voulant garder ce même
principe, c'est qu'on nous met cette responsabilité sur le dos, c'est ce
qu'on veut dire. Je suis d'accord avec vous que c'est le rôle de
l'employeur - c'est ce qu'on dit aussi - donc, ce n'est pas à nous de
porter cette responsabilité, c'est à l'employeur de la
porter.
M. Maciocia: Je suis d'accord avec vous, mais je ne peux pas
concevoir que, si j'étais propriétaire d'un restaurant, je puisse
arriver au point de servir des plats mal apprêtés ou tout cela
pour pénaliser le serveur ou la serveuse. C'est dans mon
intérêt de servir de bons repas pour avoir les clients et pour
qu'ils reviennent au restaurant; autrement, je serai obligé de
fermer.
Mme Nemeh: C'est sûr, c'est sûr. Mais il arrive que
vous demandiez votre steak saignant et qu'il arrive trop cuit, même si
vous êtes un bon employeur. Pourquoi est-ce que ce serait notre faute
à nous?
M. Maciocia: Je pense que le propriétaire devrait
plutôt licencier le cuisinier parce qu'il n'a pas fait son devoir.
Mme Nemeh: Ce n'est pas cela qui arrive dans les faits.
Le Président (M. Desbiens): M. le député...
Oui.
M. Maciocia: J'ai une autre question à vous poser. A la
page 15, dans les désavanges, à b, vous dites: "Le
deuxième bloc d'inconvénients est relatif à une
augmentation automatique du prix des repas et à la perte d'un avantage
touristique pour le Québec. Notre revendication des 15% obligatoires
tient compte de ces considérations." Et vous dites: "Nous recevons en
moyenne 10% de pourboire. Le gouvernement impose une taxe de 10%. Nous
demandons une répartition différente de ce pourcentage: 15% au
serveur et 5% au gouvernement. Le client n'aurait donc pas à subir
d'augmentation." Est-ce que vous avez fait un calcul pour voir si, pour le
gouvernement, cela revient au même?
Mme Nemeh: Non. M. Maciocia: Parfait.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Hull, pour terminer, s'il vous plaît.
M. Rocheleau: Merci, M. le Président. Madame, je remarque
que, dans votre mémoire et dans plusieurs mémoires qu'on nous a
présentés hier, il y a un problème qui revient. Cela me
donne l'impression que plusieurs associations ont probablement
été formées dans le but de revendiquer auprès du
gouvernement du Québec le fait qu'il y ait actuellement des poursuites
chez les travailleurs de la restauration, les serveurs et les serveuses. Je
remarque que vous y faites allusion à la page 4 de votre mémoire,
à la page 6 ainsi qu'à la page 11. Actuellement, on peut
souligner le fait que l'impôt, c'est un dû qui appartient au
gouvernement, mais il n'en demeure pas moins qu'au cours des dernières
années, il y a eu tolérance, c'est-à-dire que le
gouvernement n'a jamais fait d'enquête approfondie. Il avait toujours
établi une règle de jeu, considérant que les serveurs et
serveuses ne bénéficiaient pas d'avantages sociaux accrus, comme
l'assurance-chômage, le Régime de rentes, etc. Ils n'avaient pas
ces avantages. Aujourd'hui, on tente de vous faire payer pour ce que - c'est ce
qu'on dit - vous avez gagné antérieurement sans pour autant
reconnaître les avantages que vous n'avez jamais eus.
C'est sûrement pour couvrir la mauvaise gestion du gouvernement
actuel, parce que je vous avoue que ce n'est pas simplement dans le cas des
serveurs et des serveuses. Le ministre du Revenu va même puiser dans les
poches des contribuables du Québec jusqu'à douze et quatorze ans
en arrière, alors qu'il n'a jamais servi d'avis aux citoyens avant, dans
plusieurs cas, et on pourra en faire la preuve prochainement.
Je suis très sensible au fait que le statu quo n'est
peut-être pas souhaitable, que des modifications doivent être
apportées. Entre deux maux, on semble choisir le moindre. Il n'en
demeure pas moins que, dans chacun des mémoires qui ont
été présentés jusqu'à maintenant, on fait le
reproche assez sévère au gouvernement de la façon
arbitraire, unilatérale, aberrante et frustrante, auprès des
employés de la restauration, avec laquelle on a tenté de
récupérer des sommes d'argent. Je pense que le ministre du Revenu
devra prendre note des revendications que vous faites et il devra
sûrement présenter les compromis nécessaires dans le but de
ne pas pénaliser une partie de la population qui est peut-être
l'une des plus démunies au niveau des salariés, et ne pas aller
chercher dans les poches de ces gens-là des montants allant
jusqu'à 3000 $, 4000 $, 5000 $ et même plus.
C'est un commentaire que je voulais faire et vous le soulignez, à
plusieurs reprises, dans votre mémoire.
Mme Nemeh: J'aimerais préciser, à la suite de ces
commentaires, que les associations ont été mises sur pied pour
faire face aux deux paliers de gouvernement, autant le fédéral
que le provincial. Nous les trouvons aussi injustes et arbitraires l'un que
l'autre, sauf que cette commission parlementaire nous a poussés à
axer nos études sur le Québec.
Le Président (M. Desbiens): Une dernière
intervention, M. le député de Vaudreuil-Soulanges, une rapide,
une petite vite.
M. Johnson (Vaudreuil-Soulanges): Une très rapide, M. le
Président. De la façon que le débat s'engageait ou
continue à s'engager, on dirait qu'on a ici en concurrence, pour le
dollar du consommateur, les employeurs et les employés. Cela revient
très souvent. On se demande, soi-disant chez les restaurateurs, comment
on va arrêter l'érosion des marges de rentabilité,
c'est-à-dire la rémunération de l'investissement et, du
côté des travailleurs, on se demande comment améliorer les
conditions de travail pour qu'ils aient un revenu stable qui reflète un
peu plus le fait que c'est un emploi, que ce n'est pas juste intéressant
de savoir qu'on va être rémunéré, si on fait des
sourires ou si le steak est bon. Je me demande si ce n'est pas plutôt,
dans le fond, dans le genre de marché qu'on connaît, une
concurrence entre établissements qui est à l'avantage de tout le
monde. Comment le propriétaire va-t-il véritablement y trouver
son compte? Comment l'employé peut-il contribuer à s'assurer
qu'il y aura une plus grande
clientèle qui va dépenser plus dans cet
établissement? Quels que soient les modes de rémunération,
n'est-ce pas à l'avantage du cuisinier de cuire de meilleurs steaks
plutôt que de les faire cuire trop? N'est-ce pas à l'avantage du
propriétaire de donner un service adéquat, d'avoir des lieux plus
attrayants? Je comprends que cela peut coûter 7 $ de plus pour un steak
à un endroit plutôt qu'à un autre, mais encore faudrait-il
le visiter et voir la qualité des meubles, de la table et des tapis,
tout ce que vous voulez, l'environnement, la climatisation.
Quant aux employés, comment, selon vous, peuvent-ils contribuer,
dans une entreprise où tout le monde a le même
intérêt, à ce qu'il y ait le plus d'achalandage possible,
que les gens dépensent le plus possible et le plus souvent possible?
Vous parlerez pour vous et les restaurateurs parleront pour eux, mais qu'est-ce
que vous pouvez faire pour que l'établissement où vous travaillez
devienne plus rentable, donc plus achalandé, donc une source de revenus
additionnels pour vous? Ceci dit, est-ce que l'imposition des frais de service
obligatoires à 15% s'inscrit dans la trame de la concurrence entre
établissements?
Mme Nemeh: Qu'est-ce qu'on peut faire? C'est évident,
à notre avis, que l'employeur a une grosse part là-dedans; c'est
lui qui gère et on n'a pas tellement notre mot à dire. Quand on
essaie d'intervenir, il nous dit que ce ne sont pas nos affaires. Pour notre
part, nous faisons notre métier du mieux que nous pouvons. À
notre avis, l'imposition de 15% ne changerait rien à cela; au contraire,
c'est un peu comme une commission. Un vendeur a intérêt à
garder ses clients, à les chouchouter. On va vendre plus de vin, plus de
digestifs parce qu'on sait que le pourboire va en conséquense. Au
contraire, on ne pense pas du tout que cela puisse diminuer, mais bien
augmenter la qualité du service. (11 h 30)
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions beaucoup
de votre participation. M. le ministre.
M. Marcoux: Je voudrais simplement vous remercier, au nom du
parti ministériel, de votre participation à cette commission.
J'aimerais surtout souligner le climat positif des discussions que nous avons
eues ce matin. Je pense que c'est à noter et c'est très heureux
pour vous comme pour nous. Je vous remercie-Le Président (M.
Desbiens): M. le député de Saint-Louis.
M. Blank: Au nom de l'Opposition, nous vous remercions de cette
bonne discussion que nous avons eue ici. On a apprécié votre
travail pour la préparation de ce mémoire.
Le Président (M. Desbiens): J'inviterais maintenant les
représentants de l'Association des consommateurs du Québec Inc.
à se présenter à l'avant, s'il vous plaît!
À l'ordre, s'il vous plaît! Mesdames et messieurs! Les gens
sont beaucoup plus sages dans la salle. Mme Boileau?
Mme Laliberté: Mme Laliberté.
Le Président (M. Desbiens): Mme Laliberté, si vous
voulez nous présenter votre mémoire, s'il vous plaît!
Association des consommateurs du Québec
Mme Laliberté (Nicole): Oui. L'Association des
consommateurs du Québec Inc., organisme à but non lucratif,
incorporée selon la troisième partie de la Loi sur les compagnies
du Québec, regroupe depuis 1948 des consommateurs désireux de
prendre en main leur destinée. L'association rejoint directement au
Québec, par l'intermédiaire de ses membres et de ses
publications, plus de 20 000 personnes. Les membres de l'ACQ sont
regroupés en onze sections locales, dans différentes villes
à travers la province, et l'ACQ maintient en fonction huit centres
d'information pour le consommateur.
Depuis plus de trente ans, vouée à la défense des
intérêts du consommateur, l'association s'est fixé comme
objectif de porter un regard critique sur la société de
consommation, d'en analyser les tendances et leurs implications, d'informer et
d'éduquer le consommateur, mais aussi de le représenter chaque
fois que ses intérêts semblaient mis en cause.
L'Association des consommateurs du Québec souscrit à la
problématique exposée dans le livre vert du ministère du
Revenu qui vise à corriger l'injustice sociale à l'égard
des travailleurs au pourboire et l'injustice fiscale à l'égard
des autres contribuables. Quant aux questions envisagées pour y
parvenir, nous en discuterons ci-après, mais, avant de ce faire, nous
voulons souligner le fait qu'elles touchent surtout le secteur de la
restauration et de l'hôtellerie. Nous croyons qu'elles pourraient
être étendues à la coiffure, mais se
révéleraient impraticables dans l'industrie du taxi.
Les solutions proposées. En analysant la situation des
travailleurs au pourboire, nous nous retrouvons face à une
difficulté de les intégrer dans notre système de
législation du travail. Cette dernière admet un contrat entre
l'employeur et l'employé, mais le pourboire n'est pas partie de ce
contrat. Il faudrait plutôt le considérer comme un contrat tacite
eu égard à la fourniture d'un
service. La solution 5.1, des frais de service obligatoires,
incorporerait ce contrat au contrat de travail entre l'employeur et
l'employé rendant ainsi facilement applicable toute la
législation du travail, les programmes sociaux et la législation
fiscale. Cette dernière, on le sait, considère le pourboire comme
un revenu imposable. Dans ce cadre, telle solution paraît fort attrayante
et met ces travailleurs et leurs employeurs sur le même pied que les
autres, sauf que cette solution enfermerait le consommateur dans un contrat
d'adhésion, si on peut s'exprimer ainsi.
Alors, le pourboire n'en est plus un. Il devient un coût de
service ajouté au service rendu. Dans les secteurs où le
pourboire n'existe pas, le consommateur est conscient de payer non seulement le
coût réel du bien acheté, mais aussi un supplément
qui couvre les frais généraux entourant la vente de ce bien.
Dans les secteurs qui font l'objet du livre vert, le consommateur sait
aussi qu'il assume déjà ces coûts dans le prix qui lui est
facturé. S'il laisse un pourboire, c'est pour la qualité du
service rendu. Ce service variant d'un lieu à un autre, d'un travailleur
à un autre, un pourcentage fixe et obligatoire viderait le pourboire de
tout son sens et tendrait à modifier la qualité du service, le
travailleur ayant moins d'intérêt à offrir un service plus
particularisé.
La déclaration périodique des pourboires par
l'employé ne règle, à notre avis, que partiellement la
question. Puisque l'employeur devra encourir des frais de gestion et un
système de comptabilité plus élaboré pour chacun de
ses employés, il pourrait facilement y avoir collusion entre les parties
de telle sorte que chacun y trouve son compte. L'évasion fiscale
continuera dans une grande proportion. Les travailleurs ne seront pas tellement
mieux protégés qu'en ce moment, leur accès aux divers
régimes sociaux ne sera pas universel et l'employeur n'en supportera pas
toute sa part.
Le pourboire: un revenu de travailleur autonome. Selon le livre vert,
cette solution promet d'atteindre l'objectif d'équité fiscale que
poursuit le ministère du Revenu du Québec à l'égard
des contribuables salariés au Québec. Nous sommes loin
d'être certain que ce soit le cas. C'est une mesure volontaire au sens
où le travailleur les déclare ou non. Mais le ministère
aura bien peu de moyens de contrôle ou à tout le moins de normes
pour apprécier une déclaration de travailleur autonome à
ce niveau.
Quels moyens et niveaux de preuve exigera-t-on du travailleur quant
à la véracité des montants déclarés? Cette
solution fait porter l'entier fardeau des régimes par le travailleur. Ce
n'est sûrement pas là équité fiscale à
l'égard des contribuables salariés au Québec. Nous voyons
mal comment cette solution diffère sensiblement de la situation
présente quant à ses effets, sauf qu'un train de mesures
administratives permettrait à l'État de récupérer
une partie des impôts qui lui échappent et aux travailleurs de
bénéficier un peu plus de certains régimes sociaux.
Le pourboire inscrit sur la facture par le client. Nous avons
gardé cette solution 5.2 pour la fin; elle est celle que nous avons
rendue publique en novembre 1981. Le consommateur est le seul à pouvoir
apprécier la qualité du service rendu. Ce faisant, il est le seul
à pouvoir en quantifier la valeur. Un service, c'est plus que des
normes, des méthodes et des règles. C'est une relation plus ou
moins tangible et qui s'apprécie subjectivement plutôt
qu'autrement.
Les désavantages avancés dans le livre vert ne sont pas
tous égaux. Il peut y être remédié plutôt
facilement. L'amendement à la loi relative aux normes du travail n'est
sûrement pas ce qui cause le plus grand problème. Pour ce qui est
des établissements où le coupon de caisse tient lieu de facture,
qu'est-ce qui empêche que le pourboire y soit inscrit? Je dois faire une
parenthèse ici, puisque les gens au pourboire ont parlé d'une
facture universelle. Donc, à ce moment, il n'y aurait plus de
problème, tous les restaurants utiliseraient le même genre de
factures et le pourboire pourrait y être inscrit. Quant au fait que le
client pourrait refuser d'inscrire le montant ou qu'il n'en inscrive qu'une
partie, entraînant le risque d'un système parallèle, si on
le met en balance avec le fait qu'une partie infime des pourboires est
déclarée, cela devient un moindre mal.
Le fait que l'employeur devra établir une comptabilité
plus élaborée entraînera des coûts qui, nous le
reconnaissons, nous seront refilés, non seulement le coût du
système en soi et sa gestion, mais les coûts indirects,
c'est-à-dire la participation accrue de l'employeur aux régimes
sociaux, sauf que nous pensons qu'il n'y aura pas exagération, la
concurrence jouant son rôle et les établissements qui montreront
un appétit trop grand se videront de leur clientèle.
Une autre solution est possible. Le livre vert n'a pas envisagé
de faire des travailleurs et des travailleuses au pourboire des travailleurs
avec les mêmes droits et obligations que tous les autres travailleurs au
Québec. Il est un peu curieux que notre société
entretienne diverses catégories de travailleurs et ne tente de
remédier aux effets de cette situation que par une réforme
administrative.
Nous croyons que ces travailleurs doivent devenir dans un avenir
rapproché des travailleurs à part entière. Ils seraient
alors rémunérés par la prestation de travail fourni et
participeraient à tous les régimes en
place. Ainsi en serait-il de leur employeur. Il va sans dire que cela
entraînerait la disparition du pourboire. Le niveau de qualité du
service offert serait apprécié par la clientèle, qui
ferait ses choix comme elle le fait quand elle achète tout autre
bien.
D'ici à ce qu'une telle solution soit envisagée, l'ACQ
réitère sa position de novembre 1981, c'est-à-dire qu'elle
est favorable à un taux réduit d'imposition pour le pourboire. Au
soutien de cette approche, nous croyons toujours que les travailleurs de ce
secteur sont soumis, plus que d'autres à divers aléas et qu'ils
en assument le risque: peu de clients, peu ou pas de pourboires, travail
saisonnier, etc.
En conclusion, l'Association des consommateurs du Québec croit
que, pour atteindre les objectifs définis dans la problématique
du livre vert, à savoir corriger l'injustice sociale à
l'égard des travailleurs au pourboire et l'injustice fiscale à
l'égard des autres contribuables, et maintenir le libre arbitrage du
consommateur, seul capable de qualifier et quantifier le service rendu, la
seule solution acceptable est celle proposée à 5.2,
c'est-à-dire que le client inscrive sur sa facture le montant du
pourboire qu'il verse.
L'ACQ croit que, pour l'avenir, il devrait être envisagé de
faire des travailleurs et travailleuses au pourboire au Québec des
travailleurs à part entière, c'est-à-dire avec les
mêmes droits et obligations que tous les autres travailleurs.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Marcoux: Je remercie l'Association des consommateurs du
Québec d'avoir bien voulu présenter ce mémoire, puisqu'il
permet aux membres de cette commission d'avoir son point de vue. On a eu hier
le point de vue des propriétaires de restaurants et de
l'hôtellerie, différents points de vue de travailleurs et de
travailleuses au pourboire. Je pense qu'il était essentiel pour les
membres de cette commission de connaître le point de vue des
consommateurs. Pour engager le dialogue avec vous - comme j'ai eu l'occasion de
l'expliquer hier - j'ai demandé à mes collègues de m'aider
à préparer cette commission et j'ai l'intention de travailler
avec eux dans la recherche et la découverte des meilleures solutions
possible ou de la meilleure solution possible. Dans cet esprit, je demanderais
à Mme la députée de Johnson d'engager le dialogue avec
votre organisme.
Le Président (M. Desbiens): Mme la députée
de Johnson.
Mme Juneau: Merci, M. le ministre, merci, M. le
Président.
Au début de votre mémoire, dans la présentation -
c'est seulement pour nous informer - vous dites que vous existez depuis 1948.
Pourrait-on savoir vos sources de financement, comment cela fonctionne?
Mme Laliberté: Nous avons des subventions provinciales.
Nous avons une carte de membre; évidemment, ce n'est pas la principale
source de nos revenus. La principale source est vraiment la subvention
provinciale. Nous essayons de nous subventionner le plus possible par
nous-mêmes. Nous avons mis sur pied une fondation qui devrait fonctionner
dans un avenir très rapproché. Nous publions des brochures, des
revues que nous essayons de rendre rentables. Évidemment, comme la
publicité est hors de question dans nos brochures et nos revues, c'est
plutôt de l'information au public que nous faisons. Ce n'est pas
là notre principale source de revenus.
Mme Juneau: Merci. Vous dites aussi que vous adhérez
à la solution du livre vert, qui est le paragraphe 5.2. Croyez-vous que
cela comporte plus d'avantages pour les consommateurs?
Mme Laliberté: Le consommateur se sent tellement
réglementé de partout, de toutes parts, il a tellement
l'impression qu'il peut à peine bouger sans en demander la permission
à quelqu'un que je pense que la mentalité du consommateur est
présentement telle qu'il a de la difficulté à se faire
imposer une autre obligation. Il en a eu tellement depuis dix ans, on l'a
tellement réglementé que, maintenant, il lui reste une
liberté, celle d'apprécier un service et de le
rémunérer selon ce qu'il pense et il est très difficile
pour lui d'admettre qu'on va lui enlever une autre de ses libertés.
Mme Juneau: À la suite de cela, croyez-vous, en fait, que,
si le consommateur inscrit sur la facture le montant du pourboire - on a
entendu tellement de choses hier lors de la présentation des
différents mémoires, par exemple que certains patrons faisaient
signer le chèque de paie et le retiraient par après à
l'employé, tout cela m'inquiète un peu - donc croyez-vous que le
patron, l'employeur pourrait, à ce moment-là, dire à sa
serveuse ou à son serveur: Tu as eu tant, mais je t'en donne tant, je
garde l'autre part pour autre chose? Pensez-vous qu'une chose semblable
pourrait être possible?
Mme Laliberté: Moi aussi, j'ai écouté les
gens au pourboire et je sympathise beaucoup avec eux, avec leurs
problèmes, mais, pour nous, les consommateurs, c'est beaucoup plus un
problème de relations de
travail qu'un problème... En fait, cela nous regarde, parce que
c'est nous qui en payons les coûts, mais il reste qu'on ne gère
pas le restaurant en question, on n'est pas les gérants, on est les gens
qui participent, qui ont un service et qui rémunèrent un service.
Il y a des problèmes entre les employés, c'est pourquoi on a
ajouté la solution que, si les pourboires étaient abolis et si on
avait des travailleurs rémunérés, avec les obligations et
les avantages que ça aurait pour eux, nous, en tant que consommateurs,
on serait conscients qu'on paierait pour quelque chose, mais ça
éliminerait tout à fait la notion du pourboire. (11 h 45)
Mme Juneau: Oui. À la page...
Mme Laliberté: Comme ça l'a éliminé,
par exemple, dans les stations de service où il n'y a pratiquement plus
de pourboires; les gens ne donnent plus de pourboires parce qu'on sait
maintenant que ces gens sont mieux rémunérés.
Mme Juneau: À la page 6 de votre mémoire, vous
dites que votre organisme est favorable à un taux réduit
d'imposition pour le pourboire. Pourriez-vous expliciter davantage cette prise
de position et nous dire, par exemple, quel pourcentage vous pourriez
recommander?
Mme Laliberté: Là, vous me demandez d'entrer... On
ne parle que du principe, parce qu'on se rend compte que les travailleurs au
pourboire, ce sont des gens qui travaillent un certain temps, qui ne peuvent
pas faire ça éternellement. Ce sont des gens qui travaillent plus
souvent l'été, alors qu'il y a du tourisme. Donc, en fait, je ne
peux pas dire plus que ce qu'on a dit. C'est dû au fait que ce sont des
travailleurs soumis à divers aléas qui sont souvent hors de leur
contrôle; quand il n'y a pas de client, il n'y a pas de client. Alors,
ils n'ont pas un salaire garanti durant l'année. Ils peuvent avoir de
très bonnes années et de très mauvaises années.
Donc, si on avait une imposition qui s'ajustait à leur revenu - je ne
suis pas fiscaliste, mais je puis peut-être vous dire ce que je pense en
tant que consommateur; d'ailleurs, ce que je représente - on pourrait
peut-être faire une moyenne pour cinq ans et établir un taux
d'imposition sur ces années.
Mme Juneau: Iriez-vous jusqu'à recommander un salaire
minimum fixé pour les employeurs?
Mme Laliberté: Le salaire minimum, c'est le seuil de la
pauvreté pour à peu près tout le monde, donc je ne peux
pas dire que je recommanderais le salaire minimum uniquement; il faudrait quand
même qu'il y ait... Si je me situe bien...
Mme Juneau: Non, mais comme base de salaire?
Mme Laliberté: Comme base, il faudrait qu'il y ait autre
chose que le salaire minimum. Mais, si je me comporte en tant que consommateur,
je me dis que, dans l'industrie, je crois qu'il y a une formation qu'on donne
aux gens. Il y a des gens qui étudient en hôtellerie. Alors,
est-ce qu'on ne pourrait pas faire participer les restaurateurs, faire en sorte
qu'il y ait une formation pour leur personnel et rémunérer les
employés suivant des échelons?
Mme Juneau: Mais vous êtes bien au courant que, dans bien
des endroits, ils n'ont même pas le salaire minimum. Cela existe.
Mme Laliberté: Je suis d'accord et je vous ai dit que nous
pensons qu'il devrait y avoir plus de justice à l'égard des
employés au pourboire.
Mme Juneau: Avez-vous une solution pour amener les travailleurs
au pourboire à devenir des travailleurs à part entière, ce
qui concilierait les intérêts respectifs de l'employeur, de
l'employé et du client en même temps?
Mme Laliberté: Je ne pense pas posséder la solution
miracle. C'est tout simplement une réflexion de consommateur. À
voir et à entendre les problèmes qu'ont les gens au pourboire et
les restaurateurs, je me dis: C'est beaucoup plus une question de relations de
travail qui cause les problèmes actuels. Je pense que le consommateur
est pas mal impuissant à régler les problèmes de relations
de travail, ça demanderait une législation. Comme l'a dit la
représentante des travailleurs au pourboire tout à l'heure, il
faudrait peut-être des études plus approfondies et savoir comment
on pourrait procéder.
Mme Juneau: Merci.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Westmount.
M. French: ...
Le Président (M. Desbiens): Vous n'avez pas demandé
la parole?
M. French: Non.
Le Président (M. Desbiens): Excusez-moi. M. le
député de Saint-Louis.
M. Blank: Madame, il semble que vous voulez suggérer la
deuxième solution, soit
que le client marque la facture. Mme Laliberté: Oui.
M. Blank: J'aimerais faire une mise au point. Je pense que la
description de la deuxième solution est que le consommateur paie le
pourboire directement à la serveuse, mais marque sur la facture ce qu'il
a donné...
Mme Laliberté: Les...
M. Blank: Cela veut dire que le patron ne contrôle pas ces
fonds.
Mme Laliberté: Je ne pense pas que les modalités
nous regardent. Ce que nous voulons c'est conserver le privilège de
mettre le pourboire sur la facture, parce qu'on considère que c'est un
privilège. Pour le moment, dans la situation présente, on a notre
droit de parole, à savoir ce qu'on veut donner et ce qu'on ne veut pas
donner. Les modalités, cela regarde le patron et les serveuses. Encore
là, c'est une relation de travail.
M. Blank: Vous suggérez aussi que la situation
idéale serait un salaire minimum à tous les employés au
pourboire et sans pourboire. C'est ce que vous dites?
Mme Laliberté: Oui. Comme je vous dis, pour savoir comment
appliquer cette chose, cela prendrait des études et des modifications un
peu partout et une entente entre les employeurs et les employés. Je suis
certaine que cela pourrait exister.
M. Blank: Cela veut dire qu'au lieu d'avoir un pourboire
obligatoire sur l'addition, vous incluriez ce pourboire obligatoire dans le
salaire minimum.
Mme Laliberté: En général, le consommateur
paie pour les services qu'il reçoit. Quand il achète quelque
chose dans un magasin, il sait qu'il y a des frais de service. Il sait qu'il
paie pour le bien acquis, mais il sait qu'il paie aussi des frais
d'administration et des frais de service. Donc, ce serait la même chose
dans la restauration. On saurait qu'on paie des frais de service,
excepté que la situation des gens au pourboire serait peut-être
uniformisée.
M. Blank: La jeune dame qui était ici juste avant vous,
Mme Nemeh, disait que, quand on donne ce pourboire obligatoire de 15%, c'est
dans l'intérêt de la serveuse de donner un bon service pour
inciter les clients à consommer plus, parce que cela lui donne une
commission de 15%. Si on a un salaire minimum, est-ce qu'on va voir cette
même initiative des ventes ou des services qu'avec un pourboire
obligatoire sur l'addition, qui est vraiment une commission payable à la
serveuse?
Mme Laliberté: Je ne comprends pas que vous me posiez
cette question, parce qu'on n'a pas parlé de salaire minimum. La
question du salaire minimum venait de madame, à savoir si on
était d'accord sur un salaire minimum pour les gens au pourboire.
M. Blank: Excusez-moi, un salaire de base.
Mme Laliberté: Ah.' Un salaire de base, oui.
M. Blank: C'est-à-dire que la serveuse sache qu'à
la fin de la semaine, elle va avoir tel montant. Avec le pourboire obligatoire,
c'est une commission qui varie suivant son travail, dans le sens que, si on
prend les remarques de Mme Nemeh, elle sera incitée à donner plus
de services pour que le client consomme plus, parce qu'elle fera plus d'argent
avec le pourboire.
Mme Laliberté: II y a la loi de la concurrence. Moi, en
tant que consommatrice, si je vais dans un établissement où j'ai
un mauvais service, je n'y retournerai plus. Donc, si la nourriture est
mauvaise, je n'irai plus non plus. Il n'est pas dans l'intérêt de
personne, dans la restauration, de donner une mauvaise qualité. Ce
serait un très mauvais homme d'affaires s'il agissait de cette
façon.
M. Blank: Merci, madame.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Marcoux: II y a un point qui est abordé dans votre
mémoire, c'est la question d'une facture universelle, d'une facture
imposée ou imprimée par le ministère. On a regardé
cette possibilité. Je vais vous donner un peu les premières
réactions que j'ai eues de mes collaborateurs qui indiquent que ce
serait plus compliqué que simple. En fait, on dit que, s'il s'agissait
d'une formule obligatoire et universelle, il faudrait prévoir des
descriptions qui tiendraient compte des besoins des entreprises de toute
nature, tels que l'enregistrement et le contrôle des transactions, la
nature des transactions, les formules qui tiennent compte des commandes et des
expéditions, les formules qui tiennent lieu de contrôle interne,
le nombre de copies requises. Cela impliquerait un coût énorme. Il
nous apparaît impensable et impraticable d'en arriver à fabriquer
une telle formule.
Actuellement, plus du tiers de nos mandataires, c'est-à-dire ceux
qui perçoivent pour nous, possèdent leurs propres formules
approuvées par le ministère, sans compter un grand nombre
d'autres non identifiées par nous. De plus, dans l'ère
électronique que nous vivons présentement, les formules
disparaissent pour faire place à des transactions inscrites sur machine.
Nous avons d'énormes difficultés à faire respecter les
exigences de la loi à ce moment. On n'est pas pour imposer un
deuxième type de facturation. Notre première réaction,
c'est que cela compliquerait probablement plus le système que cela ne le
simplifierait actuellement.
Mme Laliberté: Je ne suis pas d'accord parce que,
présentement, quand vous payez avec une carte de crédit, vous
inscrivez votre pourboire sur l'addition. Qu'est-ce qui ferait que ce serait
plus compliqué si c'était universel?
M. Marcoux: Selon les besoins des restaurants ou des
hôtels, il y a toutes sortes de types de factures que nous approuvons.
Nous approuvons la conception de chaque type de facture élaborée.
Par exemple, l'Auberge des Gouverneurs n'a pas nécessairement le
même type de factures que le Méridien, etc. Nous approuvons leur
type de factures pour identifier les besoins, si cela correspond à nos
besoins. Mais compte tenu des multiples types de formules qui existent
actuellement, arriver à un formulaire unique de la part du
ministère du Revenu nous apparaît difficile. D'autant plus que la
tendance est à remplacer les formulaires par un contrôle
électronique. Si on prend, par exemple, les restaurants McDonald ou
d'autres types de restaurants semblables, où tout est fait à
l'électronique maintenant, cela nous apparaît plus difficile.
Mme Laliberté: Alors, en conservant les factures actuelles
où on a un article pour la taxe, on peut facilement ajouter un article
pour le pourboire. Même sur les coupons de caisse...
M. Marcoux: D'accord.
Mme Laliberté: ... il n'y a rien qui empêche la
caissière de nous donner le petit coupon.
M. Marcoux: C'est une question différente. Changer la loi
pour permettre d'ajouter partout l'article pourboire avec une taxe, ce n'est
pas compliqué, il suffit de l'exiger.
Dans votre mémoire, j'avais cru comprendre qu'il y avait une
suggestion afin d'uniformiser la facture, parce que d'autres mémoires
ont suggéré cela hier et je n'avais pas eu le temps...
Mme Laliberté: Non. J'ai fait allusion aux autres
mémoires qui avaient suggéré... M. Marcoux:
D'accord. Mme Laliberté: ... la chose.
M. Marcoux: Pour revenir au choix essentiel que vous faites, vous
êtes le premier groupe qui propose d'adopter la formule du pourboire
inscrit sur la facture par le client, la formule 5.2. Un des arguments que vous
invoquez, par exemple, pour rejeter... Celle qui est la plus proche de cela,
c'est la formule 5.3 où il y a une révélation par
l'employé de ses propres revenus de pourboires. Vous dites: "Concernant
la formule 5.3, les travailleurs ne seront pas tellement mieux
protégés qu'en ce moment, leur accès aux divers
régimes sociaux ne sera pas universel et l'employeur n'en supportera pas
toute sa part." Je ne vois pas comment vous pouvez invoquer cet
argument-là puisque, dans la formule 5.3 que nous décrivons,
l'employeur serait tenu de cotiser sa part des bénéfices sociaux.
C'est la dernière phrase de la page 3 de votre mémoire.
Mme Laliberté: Oui.
M. Marcoux: De la formule 5.3, vous dites: "Les travailleurs ne
seront pas tellement mieux protégés qu'en ce moment, leur
accès aux divers régimes sociaux ne sera pas universel et
l'employeur n'en supportera pas toute sa part." Je ne pense pas que cet
argument puisse être retenu si on compare la formule 5.2 à la
formule 5.3, c'est-à-dire la formule de la déclaration
périodique des pourboires à la formule d'inscription du pourboire
sur la facture par le client. Dans les deux cas, dès que les pourboires
seraient révélés, l'employeur serait obligé de
cotiser.
Mme Laliberté: II y a un autre principe qui entre en ligne
de compte, dans notre choix de la formule 5.3, c'est la liberté. Nous
n'avons pas dit que, automatiquement, ce serait 15%. Je pense que,
présentement, imposer au consommateur 15%, avec les conditions actuelles
que l'on vit, c'est beaucoup. Plus la taxe de 10%, plus les 15%. Je ne crois
pas que la diminution de taxe soit quelque chose qu'on puisse retenir, qui
serait possible, pour notre part, présentement.
M. Marcoux: Dans la déclaration périodique des
pourboires, il n'y aurait pas de 15% obligatoire, ce serait le pourboire
réel perçu, soit par carte de crédit, soit à la
table, par le travailleur qui serait révélé. Je voulais
simplement apporter cette précision pour la compréhension de
cette formule-là.
Mme Laliberté: Cela suppose toutes sortes de
contrôles, toutes sortes de paperasserie et des coûts
administratifs beaucoup plus élevés, à notre avis, que le
simple fait que le client écrive le pourboire sur la facture. C'est
surtout le tralala des mesures administratives que cela entraîne.
M. Marcoux: D'accord. Je veux vous remercier, au nom des membres
de la commission, de votre participation à cette commission. On
analysera évidemment tous les arguments que vous avez invoqués.
Je vous remercie.
M. Blank: Au nom de l'Opposition, je veux vous remercier, madame.
C'est très bon d'avoir des personnes qui sont directement visées
par les solutions qui seront apportées ici et d'avoir votre opinion sur
cette affaire. Merci.
Mme Laliberté: Merci.
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions.
J'invite maintenant les représentants de la Chambre de commerce
de la province de Québec à s'approcher à l'avant, s'il
vous plaît. (12 heures)
La Chambre de commerce de la province de
Québec
J'aimerais savoir qui est le présentateur du mémoire.
M. Langlois (Charles): Oui, M. le Président.
Le Président (M. Desbiens): Vous êtes monsieur?
M. Langlois: Je suis Charles Langlois.
Le Président (M. Desbiens): M. Langlois, je vais vous
demander, pour permettre à tout le monde de vous voir, de vous placer au
centre de la table, s'il vous plaît, avant que quelqu'un attrape le
torticolis! Ce n'est pas une bonne place pour la Chambre de commerce, à
gauche.
M. Langlois, si vous voulez bien présenter les gens qui vous
accompagnent, s'il vous plaît.
M. Langlois: Oui, M. le Président. À ma gauche, M.
Jean-Paul Létourneau, vice-président exécutif de la
Chambre de commerce de la province de Québec; plus à gauche, M.
Marcel Tardif, directeur général aux affaires publiques à
la Chambre de commerce de la province de Québec; à ma droite, M.
Pierre Lemieux, conseiller économique à la Chambre de commerce de
la province de Québec.
M. le Président, M. le ministre, mesdames et messieurs de la
commission, la Chambre de commerce de la province de Québec était
heureuse de confirmer sa participation à cette commission parlementaire
et apprécie le fait d'être entendue à ce stade-ci.
Le mémoire de la chambre était essentiellement contenu
dans une lettre qu'elle adressait au ministre du Revenu, M. Alain Marcoux, le
1er octobre dernier. À titre de présentation officielle, ce
matin, j'en extrairai les principaux passages. De la sorte, on saisira mieux
sans doute l'essence même du message que contenait notre communication
initiale.
Enfin, je me permets de signaler pour mémoire que la chambre est
une fédération de chambres locales et régionales, 200 au
total dans tous les coins de la province, lesquelles chambres comptent
près de 40 000 membres. La Chambre de commerce de la province de
Québec, quant à elle, compte plus de 2900 membres corporatifs
dont beaucoup sont impliqués dans le domaine qui nous intéresse
ce matin, soit la restauration.
La position de la chambre, d'abord énoncée en novembre
1981, n'a pas foncièrement changé. Elle s'est sans doute mieux
définie une fois l'analyse du livre vert faite. Voici donc les
observations de la chambre concernant le livre vert sur la situation, au
Québec, des travailleurs et des travailleuses au pourboire,
publié par le ministère du Revenu en août 1982.
Cette question, de même que les solutions qui y sont
suggérées, présente des aspects économiques
importants en plus de soulever des questions de principe non
négligeables. L'objet de cette intervention est d'analyser rapidement
les divers aspects de la question et d'attirer votre attention sur leurs
implications pour l'intérêt général de tous les
Québécois.
Le pourboire obligatoire. Seulement 7% des employés au pourboire
au Québec déclarent leurs revenus de pourboires et à peine
plus de 4% de ces revenus gagnés au Québec sont
déclarés au fisc. Nul doute qu'il y a là un symptôme
d'un problème réel. Nous y reviendrons dans la quatrième
partie de cette présentation.
Il ne fait pas de doute que la solution bureaucratique et syndicale qui
consisterait à ajouter à toute facture du client un pourcentage
fixe de frais de service obligatoires est inacceptable. Voyons-en les raisons
d'ordre économique. Premièrement, l'imposition du pourboire
obligatoire réduirait les incitations productives des employés au
pourboire et diminuerait, par conséquent, l'efficacité et la
qualité du service. La fonction économique du pourboire est de
créer une incitation directe à donner un bon service aux clients.
Songeons aux clients réguliers d'un restaurant. Ils achètent un
bon
service avec leurs pourboires et l'existence de ceux-ci assure le
propriétaire du restaurant que cette clientèle indispensable sera
continuellement bien servie. Il y a certes un élément
traditionnel dans le pourboire, mais si le pourboire ne jouait pas cette
fonction d'incitation à l'efficacité, les établissements
commerciaux où il se pratique l'auraient vite abandonné et
remplacé par un prix officiel incluant (comme les autres prix dans
l'économie) la rémunération salariale de ceux qui offrent
le service.
Deuxièmement, étant donné cette fonction
économique du pourboire, on peut s'attendre que l'ajout aux factures de
frais de service obligatoires suscite le développement d'un
système parallèle de pourboire. Ce pourboire additionnel aurait
d'autant plus de valeur qu'il demeurerait, lui, à l'abri du fisc. On
peut y penser.
Troisièmement, le pourboire obligatoire entraînerait sans
doute une augmentation du prix réel des repas et services
assimilés. Non seulement le phénomène décrit
précédemment jouerait-il, mais il est possible que le pourcentage
obligatoire de frais de service dépasserait le taux actuel moyen du
pourboire. Dans son mémoire du 10 novembre 1981 sur le sujet,
l'Association des restaurateurs du Québec estime le pourboire moyen
à 10% ou 15% de la facture totale. Le taux obligatoire de 15%, que
recommande l'Association des employés au pourboire de l'Estrie et que le
ministère du Revenu semble d'ores et déjà utiliser pour le
calcul de ses avis de cotisation, produirait une augmentation des pourboires et
du prix des services en cause.
Quatrièmement, malgré les prétentions de maints
groupes syndicaux, il n'est pas impossible que le pourboire obligatoire cause
une réduction des revenus des employés au pourboire et ce, pour
plusieurs raisons. D'abord, si le prix des repas augmente, la dépense
totale des consommateurs pour l'achat de ce service diminuera si
l'élasticité de la demande est plus grande que l'unité. Il
s'ensuivra une diminution du montant total des pourboires à
répartir entre les employés au pourboire. Une fois le fisc
passé, le revenu net des employés au pourboire serait
certainement diminué par rapport à ce qu'il est
présentement. Enfin, les serveurs les plus efficaces et les plus
appréciés de leurs clients pourraient voir leur taux de pourboire
effectivement réduit par l'application obligatoire d'un taux
uniforme.
Cinquièmement, le pourboire obligatoire créerait
inévitablement du chômage parmi les employés au pourboire.
En effet, il est assimilable à une augmentation du salaire minimum dans
cette catégorie d'employés et toutes les études
économiques sur le sujet ont démontré que l'effet
économique principal de l'imposition d'un salaire minimum est d'obliger
les employeurs à mettre à pied les employés les moins
productifs et dont la productivité ne justifie pas le taux de salaire
obligatoire. Une étude récente du Conseil économique du
Canada réaffirme que "presque tout spécialiste sérieux du
salaire minimum soutiendrait, en se fondant sur les données disponibles,
que ce salaire a réduit l'emploi des travailleurs et surtout des
adolescents qui, autrement, gagneraient des salaires peu élevés."
Autrement dit, ils auraient gagné un salaire moins élevé,
mais, au moins, ils auraient eu un salaire. La justification d'une mesure
fiscale qui créerait encore plus de chômage, surtout dans la
conjoncture actuelle, nous paraît inexistante.
Sixièmement, il s'ensuit que le pourboire obligatoire
entraînerait des effets redistributifs dont la justification n'est pas
évidente: le client qui payait auparavant des pourboires peu
élevés, pour toutes sortes de raisons, subventionnerait
indirectement le service des clients qui avaient l'habitude d'offrir des
pourboires supérieurs à la moyenne; les consommateurs, en
général, paieraient sans doute des prix plus élevés
pour leurs repas; les employés au pourboire verraient leurs revenus
diminuer alors que ceux du fisc augmenteraient; plus d'un employé au
pourboire, parmi les moins productifs, perdrait son emploi et les
employés les plus efficaces subventionneraient ceux qui sont les moins
appréciés de leurs clients.
Septièmement, l'augmentation des prix et la réduction de
la qualité du service qui s'ensuivraient ne pourraient que nuire
à l'industrie touristique québécoise.
Huitièmement, un régime de pourboire obligatoire
réduirait et la liberté des consommateurs et la liberté
des entreprises de trouver sur le marché les meilleurs formules de
coopération. Rien n'interdit présentement à un
établissement commercial, s'il jugeait la formule efficace, de faire
bande à part et d'adopter un pourcentage fixe de frais de service, alors
que la proposition à l'étude interdit à quiconque
d'adopter un régime autre que celui du pourboire obligatoire. A vrai
dire, on parle beaucoup, de justice sociale et de justice fiscale dans le livre
vert, mais pas assez de la liberté et de l'efficacité
économique.
Pour toutes ces raisons, la formule d'un pourcentage obligatoire de
frais de service nous paraît tout simplement inacceptable.
Les autres formules à l'étude. Le livre vert
suggère trois hypothèses de solution, abstraction faite du
pourboire obligatoire: premièrement, l'inscription par le client sur sa
note du pourboire qu'il choisit de payer, l'employeur comptabilisant ensuite ce
revenu additionnel à des fins fiscales; deuxièmement, la
déclaration périodique des pourboires par l'employé
à son employeur qui les ajoute au salaire de celui-ci et,
troisièmement, le
traitement de l'employé au pourboire comme un travailleur
autonome soumis à des versements périodiques d'impôt sur
ses revenus de pourboires.
Bien que moins économiquement dommageables que la formule du
pourboire obligatoire, les formules 1 et 2 nous paraissent inacceptables et ce,
notamment, pour les raisons qui suivent. Premièrement, ces formules
(celle de l'inscription par le client et deuxièmement la
déclaration à l'employeur) imposeraient à l'employeur des
coûts additionnels de perception non négligeables.
Deuxièmement, en ce qui concerne la seconde hypothèse, comme le
pourboire deviendrait une partie du salaire aux fins de l'impôt,
l'employeur verrait à augmenter sa propre contribution aux divers
régimes sociaux (assurance-chômage, CSST, RRQ,
etc.).Troisièmement, les deux premières formules en cause
poseraient des problèmes de conformité aux nouvelles obligations
ainsi imposées. Dans le cas de la première formule, comme le note
le livre vert, certains clients pourraient refuser d'inscrire un pourboire sur
la facture, préférant donner à leur serveur
préféré un pourboire non officiel et non imposable. Le
problème de la deuxième formule se pose du côté des
employés au pourboire qui pourraient continuer à ne pas
déclarer une partie des pourboires reçus.
Le problème de l'équité sociale. Utilisant le terme
équité sociale, le livre vert reprend le problème
soulevé par certaines associations d'employés au pourboire
concernant l'exclusion des revenus de pourboires dans le calcul des cotisations
(y compris patronales) et des prestations d'assurance-chômage,
d'assurance-accidents et du Régime de rentes du Québec, de
même que l'exclusion des pourboires dans le calcul du revenu à
être remplacé par les prestations de la Régie de
l'assurance automobile du Québec. Ce problème comporte deux
aspects: premièrement, dans la mesure où l'employé au
pourboire choisit lui-même de ne pas déclarer ses revenus au fisc,
il est malvenu de venir ensuite se plaindre qu'il ne jouit pas pleinement de
certains régimes sociaux financés par l'impôt des autres.
Il a tout simplement jugé que le coût de l'assurance offerte par
le régime social est trop élevé pour les avantages qu'il
pourrait éventuellement en retirer. Par exemple, tout employé au
pourboire qui veut bénéficier pleinement de la protection
salariale offerte par la Régie de l'assurance automobile n'a qu'à
déclarer au fisc la totalité de ses revenus de pourboires.
Évidemment, on peut répliquer à cet argument que,
dans le cas de l'assurance-chômage, de la CSST et du RRQ,
l'employé qui déclare la totalité de ses pourboires ne
bénéficiera pas toujours d'une contribution de son employeur en
regard de ce genre de revenu qui n'est pas du salaire. C'est vrai, mais,
même si la contribution de l'employeur s'ajoutait automatiquement
à celle de l'employé au pourboire, il resterait toujours des
employés, en plus petit nombre cependant, qui
préféreraient se passer de la contribution de l'employeur et
cacheraient des pourboires au fisc afin d'obtenir un revenu net immédiat
plus important. D'autre part, les employés au pourboire ne peuvent pas
et, en toute équité sociale, ne doivent pas avoir à la
fois tous les avantages d'un travailleur indépendant et tous les
avantages d'un salarié.
Il nous apparaît donc que, si on devait modifier le régime
actuel et choisir une formule de rechange parmi celles que propose le livre
vert, seule la dernière serait acceptable, à savoir que
l'employé au pourboire soit traité par le fisc comme un
travailleur autonome avec les avantages et les inconvénients que cela
comporte. Selon le livre vert, du reste, le seul inconvénient (autre que
d'avoir à déclarer ses revenus et à faire des
chèques au fisc) de l'employé au pourboire consisterait alors
à payer la cotisation patronale et salariale au RRQ, ainsi qu'à
ne pas profiter d'une cotisation d'employeur à la CSST sur ses revenus
de pourboires toujours. Hélas, on ne peut pas tout avoir. Au moins,
cette solution n'aurait pas les inconvénients économiques majeurs
des autres hypothèses proposées.
Le problème de l'équité fiscale. Il est bien clair
que, dans ce dossier, le ministère du Revenu est avant tout
préoccupé par la perception fiscale. La chambre n'est pas
à l'aise avec la notion d'équité fiscale sous-jacente au
livre vert. À son avis, l'équité fiscale consiste en ce
que personne ne paie trop d'impôt et non pas en ce que tout le monde soit
également étouffé par le fisc. Autrement dit, toute
réforme fiscale doit viser à alléger les impôts et
non pas à les alourdir.
Conclusion. La Chambre de commerce du Québec ne voit pas de
raison économique ou philosophique qui justifierait une intervention
accrue de l'État dans le marché libre des transactions au
pourboire. La chambre recommande donc au gouvernement du Québec de
rejeter l'hypothèse des frais de service obligatoires. Le régime
actuel lui semble de loin préférable à toutes les
hypothèses proposées, mais, s'il fallait modifier le
régime actuel et adopter une des hypothèses de solution
proposées dans le livre vert, la chambre croit que seule la
dernière hypothèse serait acceptable, soit celle qui veut que
l'on favorise le traitement des employés au pourboire comme travailleurs
autonomes.
M. le Président, c'était là notre
présentation. Nous serons heureux de répondre à vos
questions, s'il y a lieu. Je vous remercie et vous allez me donner la
permission de diriger certaines de vos questions vers mes
collaborateurs.
Le Président (M. Desbiens): Merci. M. le ministre. (12 h
15)
M. Marcoux: Je remercie, d'abord, la chambre de commerce d'avoir
bien voulu nous présenter un mémoire sur ce sujet très
important, je pense, pour de nombreuses entreprises au Québec et pour
probablement les deux tiers des Québécois comme clients. Disons
qu'avant d'entrer dans des éléments particuliers de votre
mémoire, je pense qu'il y a une chose qui doit être
soulignée. Parmi tous les mémoires que nous avons reçus,
vous êtes le premier et le seul groupe à soutenir que la meilleure
solution, c'est le statu quo. J'ai déjà indiqué, hier - je
pense que c'est peut-être utile que je le répète
aujourd'hui, puisque ce sont d'autres groupes qui sont ici pour participer
à nos délibérations - qu'en ce qui me concerne comme
ministre du Revenu la seule hypothèse que j'élimine, c'est le
statu quo, parce qu'elle ne permet pas d'atteindre les trois objectifs
fixés dans le livre vert, c'est-à-dire l'équité
fiscale et l'équité sociale, l'essor de l'industrie touristique
étant un autre point. Mais le statu quo ne permet pas d'atteindre
l'équité fiscale et l'équité sociale. Je trouve que
vous en mettez un peu dans le mémoire à certains moments,
particulièrement à la page 7, quand vous indiquez au premier
paragraphe en haut: "D'autre part, les employés au pourboire ne doivent
pas avoir à la fois tous les avantages d'un travailleur
indépendant et tous les avantages d'un salarié." Je pense que
vous auriez dû ajouter trois mots "ni tous les inconvénients".
Le Président (M. Desbiens): À l'ordre!
M. Marcoux: Je ne dis pas cela pour avoir des applaudissements,
c'est une question par rapport à la situation. Je crois qu'il n'y a
personne qui va contester le fait qu'il y a actuellement des
inéquités que vivent ces travailleurs, à cause du
système fiscal ou du système social que nous connaissons en
comparaison à d'autres types de travailleurs. Plus loin - là,
j'ai pris cela pour un mot d'humour; j'ai pensé que vous aviez
écouté des dialogues d'Yvon Deschamps - vous dites: "À
notre avis l'équité fiscale consiste à ce que personne ne
paie trop d'impôt et non à ce que tout le monde soit
également étouffé par le fisc." C'est bien sûr que
c'est facile de faire de l'humour sur le fisc, etc. Dans tous les États,
je suis convaincu que c'est comme cela. Je me serais attendu que, dans un
mémoire de la chambre de commerce, on ait des propos plus
réalistes sur le rôle du fisc dans n'importe quelle
société moderne. En tout cas, je ne crois pas qu'il y ait un seul
ministre du Revenu, dans un pays occidental, qui voie son mandat comme
étant d'étouffer le contribuable, que ce soit le contribuable
corporatif ou le contribuable citoyen. Cela dit, c'est plutôt une
introduction. Si vous vous êtes permis de l'humour, j'ai cru bon m'en
permettre aussi un peu.
Revenons à l'essentiel de votre mémoire; l'essentiel,
c'est concernant la crainte que vous avez quant à un pourboire
obligatoire ou à des frais de service obligatoires. Vous invoquez
plusieurs arguments sur les conséquences négatives que pourraient
avoir ces frais de service obligatoires et plusieurs de ces arguments ont
été évoqués hier.
La première question est la suivante: Hier, l'Association des
restaurateurs, dans son mémoire, nous a indiqué qu'elle
était prête à collaborer pour percevoir les impôts
que les travailleurs au pourboire auraient à verser normalement sur les
pourboires qu'ils reçoivent qui sont considérés comme
revenus. Même cette association disait: Nous serions prêts à
payer, nous considérons de notre responsabilité sociale de payer
pour les accidents de travail sur la part des pourboires.
Je sais que vous défendez plutôt le statu quo, c'est clair,
et vous avez parfaitement le droit de le défendre. Si l'on regarde la
complexité des intérêts en jeu et des solutions tellement
opposées possibles, cela serait facile de dire: C'est le statu quo et
cela continue comme cela. Si j'élimine l'hypothèse du statu quo,
quelle est votre réaction face à cette attitude de l'Association
des restaurateurs, qui disait qu'elle était prête à
percevoir et à assumer la part des bénéfices sociaux de la
CSST sur les pourboires?
M. Langlois: M. le ministre, à notre point de vue, c'est
une prise de position par l'Association des restaurateurs qui est
défendable, qui est logique et que nous soutenons, nous approuvons et
nous appuyons. C'est un des moyens d'atteindre l'équité sociale
dont on parle dans le livre vert. Tout le monde est bien d'accord. Vous avez
attribué à l'humour vos remarques du début; je vais les
prendre comme telles. Tout le monde comprend ou admet que les travailleurs au
pourboire ne bénéficient pas des services sociaux ou des
avantages dont bénéficient les autres travailleurs. Les moyens
qui permettraient à ces travailleurs de profiter au moins de certains de
ces services qui n'imposeront pas de contraintes, de nouvelles contraintes ou
des obligations aux consommateurs - si les restaurateurs veulent faire leur
part. Il est bien évident que les consommateurs s'attendent à
payer un peu plus si les restaurateurs décident ou trouvent le moyen d'y
contribuer, de participer. Je pense que cela fait partie des
règles du jeu.
Ce contre quoi nous en avons c'est l'obligation de verser un certain
pourcentage de pourboires sur des factures ou sur des services qu'on
achète. C'est cela qui est notre objection première. Je ne sais
pas si M. Létourneau aurait quelque chose à ajouter.
M. Létourneau (Jean-Paul): M. le Président, il y
les restaurateurs qui ont exercé leur libre choix lorsqu'ils sont venus
ici. Il y a aussi beaucoup d'autres secteurs d'activité qui sont
touchés. Je ne sais ce qu'en diront les hôteliers, et d'autres
employeurs. Mais nous préconisons plutôt -comme il est
écrit dans le mémoire, à la quatrième solution - la
solution du travailleur autonome. Dans cette solution nous ne savons pas
jusqu'où ira la définition de travailleur au pourboire. Il y a
une définition qui existe présentement. Est-ce qu'elle sera
élargie, est-ce qu'elle sera différente? Cela, nous ne le savons
pas.
L'opinion que nous avons émise ici était en fonction de la
perception que nous avions de la situation chez tous nos membres y incluant les
restaurateurs. Lorsqu'ils ont débattu la question avec vous, ils ont
convenu d'une solution. Ils ont convenu qu'ils étaient prêts
à faire certaines concessions, mais nous ne savons pas dans quelle
mesure les autres personnes concernées seraient prêtes à le
faire. Nous essayons ici de représenter la position de l'ensemble de nos
membres qui sont touchés par la question.
M. Marcoux: Quand vous parlez des possibilités de
changement à la définition des travailleurs autonomes, vous
entendez quoi?
M. Létourneau: Pas des travailleurs autonomes, des
travailleurs au pourboire.
M. Marcoux: Oui. Les travailleurs au pourboire face à la
formule des travailleurs autonomes. Qu'est-ce que vous vouliez indiquer?
M. Létourneau: II y a une définition qui semble
être reconnue par le livre vert. On fait des limites, mais il y a
beaucoup d'autres personnes que celles qui sont mentionnées là
qui sont des travailleurs au pourboire. Ce n'est pas toujours officiel. Quand
j'ai déposé mon paletot au vestiaire en rentrant ici, j'ai
laissé un petit quelque chose. Je ne suis pas sûr que ces
personnes déclarent des pourboires.
M. Langlois: Le portier de l'hôtel, celui qui transporte
vos bagages à l'hôtel reçoit un pourboire.
M. Létourneau: Si le fisc se fait inquisiteur, il pourrait
essayer de rejoindre tous ces gens-là. En fait, il nous semble qu'il y
en a beaucoup plus que ceux qui sont identifiés dans le livre vert.
M. Marcoux: Une autre question. C'est un commentaire que je
solliciterais de votre part. Il y a plusieurs groupes, autant des groupes de
représentants d'employés que de propriétaires
d'entreprises, qui nous ont dit qu'il ne serait pas mauvais, qu'il serait
même probablement bon, qu'il y ait une élimination peut-être
de 1000 ou 2000, 3000 établissements dans le secteur de la restauration
et de l'hôtellerie. J'aimerais avoir votre réaction sur ce qui
nous a été souligné hier dans cette perspective.
M. Létourneau: Nous croyons que, si c'est une bonne chose,
le marché va s'en charger, c'est-à-dire que, si ces
gens-là n'ont plus de place, s'ils sont de trop dans un marché,
éventuellement ils vont disparaître. Il n'y a pas d'autre
choix.
M. Marcoux: Je veux bien comprendre là. On ne demandait
pas au gouvernement de les fermer mais on disait que si nous adoptions des
mesures dont le coût financier serait trop élevé pour
l'entreprise, ce serait la conséquence. Par exemple, on disait: Si le
pourboire devient obligatoire, ce sera 15% automatiquement du chiffre
d'affaires de plus pour l'entreprise, mais elle paie en conséquence des
avantages sociaux. Il faut donc qu'elle augmente ses taux ou qu'elle en
supporte une partie des coûts. Comme la marge bénéficiaire
du secteur actuellement est très mince actuellement, il y aurait alors
une élimination de peut-être 5%, 10%, 15% ou 20% des entreprises
dans ce secteur. Autant des représentants syndicaux que des
représentants de travailleurs au pourboire en association semblaient
voir ça de façon positive, à l'exception d'un particulier,
hier, qui nous a décrit de façon plutôt dramatique les
effets que ça aurait.
M. Létourneau: M. le Président, nous ne pouvons pas
accepter que la faillite ou l'obligation pour une entreprise de fermer ses
portes soit une situation positive dans le marché lorsque ceci est
attribuable à des charges fiscales. Pour d'autres raisons, on peut
penser que ce serait utile, mais nous estimons que le meilleur juge de cette
situation, c'est le consommateur qui vote avec ses pieds. Il y va ou il n'y va
pas et, finalement, l'établissement survit ou ne survit pas, suivant la
qualité de ce qu'il offre au consommateur, suivant l'appui qu'il a des
consommateurs et suivant l'habileté de son dirigeant à
gérer l'entreprise.
M. Marcoux: Ce sera ma dernière question. Si les
travailleurs au pourboire bénéficiaient de l'ensemble des
avantages
sociaux dont les autres travailleurs bénéficient sur la
partie de leur revenu que constitue le pourboire, hier, on évaluait
rapidement avec les gens impliqués que cela représenterait une
hausse de 13% de leur contribution aux avantages sociaux, c'est-à-dire,
l'assurance-chômage, la CSST, la Régie des rentes du Québec
et que, par rapport au chiffre d'affaires, cela impliquerait une augmentation
de 2% à 3% de leurs coûts globaux. Les 13%, c'est sur les
salaires, mais par rapport aux coûts globaux, ce serait de 2% à
3%. Quelle est votre évaluation, en tant que familier du milieu des
affaires en général, des effets actuels d'une décision
possible en ce sens, qui impliquerait une hausse de 2% à 3% des
coûts de fonctionnement de ce secteur?
M. Létourneau: M. le Président, dans les conditions
actuelles, ce serait désastreux pour un très grand nombre
d'entreprises parce que, comme on l'a dit, les marges
bénéficiaires sont très minces et il y a même des
gens qui continuent d'exploiter leur établissement strictement parce
qu'ils avaient prévu les coûts et qu'ils sont dans une excellente
situation de ratio dette-équité. Autrement dit, on continue les
activités un peu avec le vieux gagné, pour employer une
expression bien connue chez nous. Alors, c'est certainement absolument
inopportun et ça l'est aussi dans d'autres secteurs que la restauration,
dans plusieurs autres; ce serait peut-être encore pire dans d'autres
secteurs que celui de la restauration.
Maintenant, M. le Président, c'est peut-être un peu
humoristique, comme l'a souligné le ministre, cette remarque, mais au
sujet du fardeau fiscal, depuis déjà un bon moment, nous
répétons à l'appareil gouvernemental -ici,
évidemment, ce n'est peut-être pas le meilleur endroit pour le
dire parce que le ministre du Revenu a le mandat d'exécution; il n'a pas
le mandat de décision au départ, à savoir ce qui est le
fardeau fiscal - qu'il est tellement élevé maintenant que c'est
pour ça que, s'il doit y avoir une réforme, c'est vers
l'allégement du fardeau fiscal.
M. Marcoux: Sur ça, je suis entièrement
d'accord.
M. Létourneau: Plus il s'élève, plus c'est
difficile à supporter et plus ça devient aussi socialement
difficile à supporter, plus ça favorise l'évasion fiscale,
le travail au noir et toutes sortes de choses du genre.
M. Marcoux: Sur cette perspective globale par rapport au poids du
fisc actuellement et à ce qu'il devrait être, je suis
entièrement d'accord avec vos propos. C'était le contexte du
paragraphe que j'ai lu qui disait, en somme: Laissez-leur donc la paix, vous
étouffez assez de monde, par ailleurs. C'est à peu près
ça.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Viger.
M. Maciocia: Merci, M. le Président. Si je comprends bien,
dans votre mémoire, vous favorisez le maintien de la liberté de
choix dans trois choses: premièrement, le lieu de consommation du
client; deuxièmement, le lieu de travail du travailleur et,
troisièmement, le prix fixé par le propriétaire de
l'établissement. Comme deuxième question, je vous demanderais si
vous avez fait une étude ou si vous savez quel impact aurait un
pourboire obligatoire de 15% sur l'industrie touristique au Québec. (12
h 30)
M. Létourneau: M. le Président, je vois que le
député a bien lu notre mémoire et en a saisi l'essentiel.
C'est effectivement ces trois objectifs fondamentaux que nous favorisons.
Pour ce qui est de l'impact sur l'industrie touristique, nous n'avons
pas d'étude chiffrée parce que, d'abord, les conditions changent
pratiquement de jour en jour présentement. Par exemple, la situation
d'occupation des établissements hôteliers, la situation du chiffre
d'affaires des établissements de restauration étant en constante
évolution, et malheureusement à la baisse ces temps-ci, font
changer toutes sortes de ratios. Nous ne sommes pas en mesure - je pense que
même un expert qui le ferait devrait se référer aux
chiffres officiels qui datent déjà d'au moins un an, et les
chiffres actuels sont complètement changés par rapport à
ceux d'il y a un an -de dire plus que ceci: L'effet serait désastreux
pour un très grand nombre d'entreprises dans le secteur de la
restauration et de l'hôtellerie et, d'une façon
générale, dans l'industrie touristique.
M. Langlois: Permettez-moi, M. le Président, une remarque
d'ordre pratique. Je suis de ceux qui se déplacent
régulièrement et qui ont, évidemment, à s'alimenter
dans les restaurants. Évidemment, au retour des déplacements
d'affaires, lorsqu'il faut faire le compte des dépenses et le soumettre
au contrôleur pour approbation, on nous reproche ou on nous fait
remarquer des frais de 15% de service sur les factures actuelles des
restaurants, compte tenu du coût élevé des factures de
restaurant. Les gens qui sont dans les services financiers de nos entreprises
nous disent: Écoutez, soyez un peu plus discrets, soyez un peu plus
économes; au lieu de 15%, allez-y à 12% parce que, justement, le
montant des factures de restaurant est déjà très
élevé. Il faut tenir compte du fait que l'imposition d'un
pourcentage devient un facteur
d'indexation automatique à mesure que les coûts des
factures de restaurant augmentent; c'est un facteur dont il faut tenir
compte.
M. Marcoux: Vous confirmez les témoignages qu'on a eus
hier à l'effet que le pourcentage des pourboires des clients diminue
actuellement; c'est un autre indice que vous nous donnez de la
véracité de cette affirmation.
M. Langlois: Absolument. C'est que, l'an passé, pour deux
repas qui coûtaient 7,50 $ chacun, pour un total de 15 $, si on donnait
15%, cela faisait 2,25 $ si mon calcul est bon. Ces deux mêmes repas
maintenant sont rendus probablement à 10 $ ou Il $, ce qui fait 22 $;
alors 15% de 22 $... Alors, ce qu'on est obligé de faire, à cause
justement de la situation économique actuelle, c'est de comprimer ce
qu'on peut comprimer.
Le Président (M. Desbiens): Mme la ministre.
Mme Marois: Je suis un peu sidérée, je dois vous
dire, en lisant votre mémoire quand vous dites: "On en reste au statu
quo." Je pense que, comme représentants d'entreprise, vous devez aussi
admettre qu'il y a une espèce de code d'éthique,
généralement reconnu, dans le monde de l'entreprise, à
savoir que pas seulement le gouvernement, pas seulement des associations, mais
l'ensemble des partenaires d'une société a un certain nombre de
responsabilités sociales vis-à-vis de cette
société. Dans le cas d'une entreprise, évidemment, ce sont
des responsabilités qui s'assurent par l'activité proprement
économique de l'entreprise, mais aussi par une certaine
équité vis-à-vis des travailleurs et des travailleuses de
cette entreprise. Alors, votre mémoire m'étonne, en fait, pas un
peu, mais beaucoup sous cet aspect. Plusieurs chefs d'entreprises, d'ailleurs,
défendent cette philosophie et cette approche des responsabilités
sociales. Je ne la retrouve pas beaucoup ici.
Dans le fond, ce qui m'agace, c'est qu'à la page 6, vraiment,
vous refusez carrément d'arriver à participer à part
égale aux régimes sociaux auxquels les employés voudraient
eux-mêmes participer. Si vous dites qu'ils sont des travailleurs et
qu'une partie du pourboire est une partie de la rémunération de
leur travail, je me dis que l'employeur devrait donc reconnaître, lui
aussi, une participation à part égale avec le travailleur. Mais,
c'est complètement exclu de votre approche et pour tous les
régimes, à ce que je comprends.
M. Langlois: M. le Président, il a été dit
dans un mémoire qui a été présenté avant le
nôtre que si les conditions de travail et de salaire des employés
qui reçoivent des pourboires présentement étaient
ajustées de façon que ces gens reçoivent un salaire qui
leur permette de contribuer aux différents régimes sociaux
gouvernementaux et aussi, par le fait même, que les employeurs
contribuent à ces régimes - on contribue présentement en
vertu du salaire minimum - les règles du jeu seraient établies.
Ce qu'on semble oublier et ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que le pourboire
a pris son origine dans un geste libre qui récompense le service et qui
récompense l'affabilité de la personne qui donne le service
à un client dans un établissement. On veut en faire maintenant
une rémunération obligatoire. On est contre cela.
Mme Marois: II faut reconnaître aussi qu'à partir de
cette législation, ce qu'on disait - à moins que je ne sois
complètement dans les patates - c'est qu'il y avait une partie de
salaire qu'on allait chercher, puisque justement on mettait le salaire
différent du salaire minimum. Donc, il y a une partie de salaire dans
cela. Il n'y a pas que l'amabilité et tout le reste des personnes qui
font le service. Vous admettrez cela avec moi aussi. Non? Oui?
M. Létourneau: C'est-à-dire que non, pas selon la
loi, Mme la ministre. Ce n'est pas notre perception. Notre perception, c'est
que l'employé bénéficiant de cette gracieuseté du
client, reçoit cette gracieuseté en fonction, comme notre
président vient de l'exprimer, de son amabilité ou de son
service, au-delà de ce qu'on espérerait si cela n'existait pas.
Alors, le fait que vous ayez soulevé cette question vis-à-vis de
la responsabilité sociale tombe fort à point, puisque notre
organisme vient tout juste de rendre public, avant-hier, un rapport dans lequel
justement nous parlons de la responsabilité sociale de l'entreprise.
Nous disons, entre autres, qu'une des choses les plus importantes et
fondamentales, c'est de respecter la loi. Nous ne sommes pas ici pour
représenter ceux qui ne respectent pas la loi; nous sommes ici pour
représenter ceux qui la respectent et pour promouvoir leurs
intérêts.
Il y a une autre dimension que nous reconnaissons dans la
responsabilité sociale de l'entreprise, c'est celle de participer au
débat démocratique, c'est-à-dire d'exprimer les points de
vue de ceux que nous représentons avant que la loi soit faite,
c'est-à-dire de venir vous dire leur pensée, leurs observations
vis-à-vis des projets gouvernementaux. C'est ce que nous faisons, ce
matin, sur cette question.
Mme Marois: Je suis d'accord avec vous. Je crois que les
principes que vous
avez énoncés sont justes, cependant ils peuvent être
élargis aussi.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Westmount.
M. French: M. le Président, je voudrais poursuivre la
question des problèmes d'ajustement qui suivraient l'imposition des
frais de service obligatoires plus particulièrement, les
problèmes d'ajustement du marché du travail. D'après ce
que je dois croire, il y aurait une réduction significative du nombre
d'établissements advenant que la solution de frais de service
obligatoires soit retenue.
Hier, j'ai été frappé par la confiance relative des
porte-parole des employés, à savoir que, malgré une
certaine évolution quant aux établissements actuellement
existants, à la fin, on aboutirait à un niveau d'emploi
sensiblement pareil au niveau actuel, c'est-à-dire qu'il y aurait une
rationalisation, mais que cette rationalisation affecterait uniquement les
employeurs et n'affecterait pas tellement les employés. J'aimerais bien
vous entendre sur ce processus d'ajustement qui suivrait. Comment cela se
dessinerait-il? Quels seraient les changements dans la structure de la demande
et, plus particulièrement, en termes microéconomiques pour le
niveau d'emploi?
M. Létourneau: M. le Président, je pense que cette
confiance qui a été exprimée dans le fait que cela ne
diminuera pas le nombre d'emplois est sans doute à courte vue et
beaucoup trop optimiste. Depuis quelques années, le salaire minimum
-parce que, en fait, cela équivaudrait à remonter un salaire
minimum - a été une cause de chômage et les
conséquences, lorsqu'on le hausse, c'est de créer du
chômage.
Nous avons l'avantage d'avoir avec nous ici un économiste qui
connaît bien la question et je lui demanderais, s'il a quelques
observations, d'ajouter des informations plus spécifiques sur ces
données.
Le Président (M. Desbiens): M.
Lemieux.
M. Lemieux (Pierre): Ce que je peux ajouter tout simplement,
c'est que tous les économistes qui ont étudié la question
de l'impact du salaire minimum sur l'emploi, même ceux qui partaient de
préjugés idéologiques différents, en sont
arrivés à la conclusion que le salaire minimum créait du
chômage parmi les gens dont la productivité, pour une raison ou
pour une autre, ne justifie pas le paiement du salaire minimum imposé.
Pierre Fortin lui-même, dans son étude publiée il y a deux
ans, avait conclu qu'à peu près deux points du pourcentage du
taux de chômage, sur les 8% ou 9% qui existaient à
l'époque, étaient causés par le salaire minimum. Alors, il
n'y a pas de doute que, si on adopte des mesures qui, parmi une
catégorie d'employés comme les travailleurs au pourboire,
augmentent en fait le salaire minimum, on va créer du chômage
parmi ces gens-là; que les gens dont la productivité, à
cause de l'endroit où ils travaillent ou à cause de toutes sortes
de raisons, ne justifie pas cette rémunération se retrouveront
à pied.
Le Président (M. Desbiens): Avez-vous terminé?
M. Lemieux: Oui.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Terrebonne.
M. Blais: À l'instar du ministre à ma gauche, je
trouve le rapport assez modéré, bien sûr. Ce qui est
curieux, c'est que, dans la situation des employés au pourboire, il faut
qu'on accepte que, dans le pourboire, il y a une partie du salaire, que ce soit
selon la loi ou pas. Cette commission parlementaire, en fait, est presque pour
établir indirectement une convention collective. Il arrive ceci, c'est
qu'on voit que, dans le patronat, chez les syndiqués et chez les
employés au pourboire, il y a vraiment un affrontement direct et deux
idées complètement différentes sur la situation. Bien
sûr, parmi les employés au pourboire, il y a un groupe de
privilégiés, très privilégiés, qui se font
une petite fortune. Ils sont très peu nombreux, ces employés qui
font une petite fortune en pourboires et qui ne le déclarent pas au
fisc. Je suis d'accord avec cela, il y en a très peu. La plupart d'entre
eux travaillent, vu que les pourboires descendent de plus en plus au prorata de
la facture qui est présentée, à un salaire presque de
famine dans le contexte actuel. C'est sûr aussi que, dans le contexte
socio-économique que nous vivons, la restauration subit, elle aussi, la
crise économique et les contrecoups du choc de la crise que nous
subissons. Cependant, il ne faut tout de même pas penser que la
remontée reviendra très vite. L'enrichissement collectif a
doublé tous les 7 ans depuis les 42 dernières années. On
prétend, selon les économistes, que cela prendra, dans l'avenir,
entre 20 et 40 ans avant que nous doublions notre richesse. Si les
employés dont nous parlons ici ont un salaire très bas
actuellement, si on le compare aux autres, extrêmement bas, et
qu'indirectement - ce n'est pas péjoratif, ce que je vais dire - ils
subventionnent le patronat en ayant un salaire inférieur, ils se font
payer une partie de leur salaire par leurs pourboires. On paie indirectement
un
salaire à ces employés par nos pourboires. (12 h 45)
J'ai bien l'impression, qu'on le veuille ou non, qu'il va falloir qu'on
trouve une solution. Je ne sais pas laquelle. Soit qu'on augmente les salaires,
que le service qui est inclus dans les 15% tombe et qu'il ne reste que le
pourboire réel qu'on rencontre en Europe, 2% ou 3%, dont le fisc ne
s'occupe pas, soit qu'on s'entende ensemble pour une participation au pourboire
direct sur les factures; sinon, je pense qu'on va rester dans une injustice
sociale et dans des évasions fiscales des deux groupes concernés.
Je ne sais pas ce que vous pensez de la situation.
M. Létourneau: M. le Président, nous avons fait le
choix de vous proposer une solution qui n'augmenterait pas ou contribuerait le
moins possible à augmenter le chômage. Nous l'avons dit
tantôt et même les experts-conseils du gouvernement l'ont dit:
N'augmentez pas le salaire minimum, en particulier dans les conditions
actuelles. Nous admettons qu'il y a des gens à très bas salaires
dans cette catégorie de travailleurs, mais c'est peut-être mieux
qu'ils aient un tel emploi que de ne pas en avoir du tout. Nous vous disons que
la solution de monter de 15%, automatiquement, comme cela, c'est susceptible
d'accentuer la situation de chômage.
Le Président (M. Desbiens): Oui, M. Langlois.
M. Langlois: J'aurais juste un commentaire à faire. Il
faut tenir compte qu'il y a différentes catégories dans le
domaine de la restauration. Pour autant que nos membres sont concernés,
c'est une préoccupation que nous avons. Il y a les grands restaurants
des centre-ville où la pratique des 15% a déjà
été courante; elle a peut-être tendance à diminuer
maintenant à cause des conditions économiques, mais cela se situe
entre 10% et 15%. Mais nous ne devrions pas oublier le petit restaurateur de
quartier dans une ville moyenne de la province qui fait affaires avec la
clientèle locale à tous les matins ou qui ramasse les
travailleurs du secteur le midi pour le lunch. Ces gens peuvent contribuer de
façon bien honnête, de façon bien volontaire à 7% ou
8% de pourboire à la serveuse ou au serveur qui leur rend service. Quel
impact cela aurait-il sur ce petit entrepreneur, qui mène son restaurant
probablement avec son épouse, d'imposer à sa clientèle 15%
de pourboire sur la facture? Il faut penser à cela.
M. Blais: De quelle façon?
Le Président (M. Desbiens): Oui, sur la même
question?
M. Blais: Une seconde, toute courte, toute courte. Si jamais le
taux de 10% de taxe était abaissé et comptait dès le
premier cent, quelle serait la réaction de la chambre de commerce? Si
cela comptait dès le premier cent plutôt que de partir à
3,25 $ pour les 10% de taxe sur les factures, quelle serait votre
réaction?
M. Létourneau: M. le Président, notre position
actuelle, c'est plutôt d'indexer ce chiffre.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Westmount.
M. French: Très brièvement. J'ai pu déceler
dans l'intervention de mon ami, le député de Terrebonne, une
hypothèse ou une présomption qui, je crois, est trompeuse; c'est
que les employés subventionnent le patronat. Je pense que les
employés subventionnent le consommateur, actuellement. Le patron, c'est
la viande dans le sandwich. On veut certainement améliorer la situation
de l'employé, absolument.
M. Marcoux: L'important dans cela, c'est que c'est un sandwich,
les trois sont liés.
M. French: Assurément, les trois sont liés. Je
voudrais tout simplement souligner que la décision a été
prise - soyons honnêtes - non pas à la suite de revendications des
employés, revendications hautement justifiées, mais à la
suite d'une sensibilisation de l'État envers une évasion fiscale
à un moment où l'État est à court d'argent et qu'il
y a une situation qu'il faut améliorer. Ce n'est pas en identifiant les
bons et les mauvais, comme certains intervenants nous ont invités
à le faire, qu'on va régler le problème. On ne va
certainement pas servir les intérêts des employés en
rationalisant une industrie extrêmement diverse, extrêmement
précaire en plein milieu de la pire crise depuis les années
trente. Cela, je pense que c'est important. Je n'endosse pas le ton du
mémoire qu'on vient de recevoir, mais j'endosse presque tout l'arsenal
économique qu'il y a là-dedans parce que je pense que ce n'est
pas en faisant des discours d'un côté ou de l'autre, en
créant des bons et des méchants, qu'on va réussir à
voir clair et à trouver une solution qui va préserver autant
d'emplois que possible et qui va régler les autres problèmes et
les injustices sociales et fiscales.
Le Président (M. Desbiens): M. le ministre.
M. Marcoux: Je vais commencer là où le
député de Westmount a terminé. Il l'a
précisément indiqué et, moi aussi, je veux
mettre entre parenthèses le ton du mémoire pour retenir
l'essentiel de son contenu. Parce que, sur le ton, je partage la
réaction des collègues un peu, fondamentalement. Avant que vous
fassiez un commentaire, je vais peut-être poser une dernière
question. Si ce n'était pas de la situation économique actuelle
ou de la conjoncture dans laquelle cela se pose, sur la question de principe de
la responsabilité sociale de l'entreprise face aux paiements de sa part
des avantages sociaux, attachée au pourboire, quelle serait votre
attitude?
M. Létourneau: M. le Président, il nous semble que
le raisonnement que nous avons fait dans notre mémoire s'applique quelle
que soit la situation économique. L'approche que nous avons faite est
à partir de ce qui existe, de la nature du pourboire, de ce que c'est le
pourboire et des conséquences de hausser le salaire minimum à
toutes fins utiles. Les conséquences du chômage qui se
vérifient même dans une conjoncture meilleure que celle que nous
vivons présentement.
M. Marcoux: Je vous remercie. Cela répond à ma
question. Le commentaire que je voulais faire, c'est un commentaire que j'ai
déjà fait hier. Je pense que c'est important peut-être de
le redire aujourd'hui. Vous pouvez être assuré qu'avant que je me
décide à faire toute recommandation au Conseil des ministres, je
vais m'assurer des conséquences profitables de l'expertise des autres
ministères impliqués dans le dossier, en particulier du
ministère de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme. Je vais m'assurer
qu'on mesure bien les conséquences économiques de toute
décision qui pourrait être prise.
M. Létourneau: Merci beaucoup.
M. Marcoux: Je peux vous assurer à ce sujet que j'ai la
même préoccupation que vous avez face à la création
ou à la sauvegarde d'emplois à la suite de toute décision
qui pourrait être prise ou de toute solution qui pourrait être
trouvée, et comme je l'ai indiqué hier, je sais que nous avons
les moyens de déterminer en gros les conséquences
économiques, sur un secteur industriel, de meures que nous pourrions
prendre.
Évidemment, nous allons mesurer le reste des
inconvénients. Je pense que toute solution qui pourrait être
trouvée va certainement avoir des inconvénients pour certains
groupes ou une partie des groupes, mais je reviendrai à la comparaison
utilisée par le député de Westmount et je vais terminer
sur ceci. C'est que c'est vraiment un sandwich en ce sens que dans un sandwich,
il y a ordinairement deux tranches de pain et il y a quelque chose entre les
deux; c'est dire que les trois sont liés. Et je pense que dans cela, il
faut tenir compte de la perspective des employeurs, des travailleurs, du
consommateur et je n'oublie pas non plus l'intérêt du
ministère du Revenu. C'est quand même nous qui sommes à
l'origine de ce débat actuellement. Par conséquent, puisqu'il n'y
a pas eu révélation des revenus en totalité, vous pouvez
être assuré qu'on est conscient de toutes les dimensions du
problème.
Le Président (M. Desbiens): M.
Létourneau.
M. Létourneau: Je voudrais simplement dire que nous
apprécions beaucoup les derniers propos de M. le ministre. Nous le
remercions de bien vouloir - nous croyons que c'est très sage de sa part
- faire les études qu'il mentionne. D'ailleurs, nous demandons cela
depuis un bon moment, au stade de la préparation des lois et nous
apprécierions beaucoup que le résultat de ces études soit
rendu public au moment du dépôt de toute modification
éventuelle à cette situation.
M. Marcoux: Vous feriez un bon député de
l'Opposition. Parce que, hier, la même chose à été
demandée. J'ai indiqué que dans la mesure où
c'était d'intérêt public, je n'avais aucune objection
à le faire, au contraire.
Le Président (M. Desbiens): M. le député de
Westmount.
M. French: M. le Président, en remerciant la chambre de
commerce, je voudrais aussi signaler au ministre et je vais le faire lorsqu'il
écoutera, que son engagement hier c'était de rendre publique
l'étude d'impact économique de la solution retenue, et il n'y
avait pas de caveat par rapport à l'intérêt public.
M. Marcoux: Vous relirez le journal des Débats, M. le
député de Westmount. On ne fera pas de débat sur cela.
M. French: Non, mais vous me direz tout de suite ce que sont les
conditions de votre engagement, je suis prêt à écouter. Le
caveat c'est quoi?
M. Marcoux: À moins que je juge que cela ne soit pas
d'intérêt public. C'est cela que j'ai dit hier.
M. French: Bon. Comment? Dans quelles circonstances?
M. Marcoux: C'est exactement ce que prévoit le
règlement de la Chambre.
M. French: Ce n'est pas une question de règlement de la
Chambre, c'est une question de votre engagement.
M. Marcoux: L'engagement vous pourrez le relire.
M. French: Je ne vous le demande pas en Chambre, je vous le
demande ici, après un engagement que vous avez fait.
M. Marcoux; L'essentiel, à part de faire cette petite discussion,
c'est qu'hier j'ai indiqué, au moment où il a été
discuté des conséquences possibles en termes de création
ou de perte d'emplois, de toute mesure qui pourrait intervenir à cause
des coûts sur l'entreprise et la situation actuelle, que je ne ferais
aucune recommandation au Conseil des ministres sans avoir bien mesuré
les conséquences économiques de toute décision qui
pourrait être prise ou toute solution qui pourrait être
trouvée. C'est cela l'engagement que j'ai pris et que je vais
respecter.
M. French: À la suite de mon intervention, il me semble
que vous avez pris un engagement un peu plus poussé.
M. Marcoux: Non. J'ai dit que, dans la mesure où cela
serait d'intérêt public, je n'avais pas d'objection à
rendre ces...
M. French: Dans quelles circonstances cela ne serait pas
d'intérêt public? Dans quelles circonstances cela pourrait-il
arriver que cela ne soit pas d'intérêt public? Je ne demande pas
votre "briefing" au Conseil des ministres. Je vous demande une étude de
l'impact économique.
M. Marcoux: Je pense que cela ne donne rien de répondre
à une question hypothétique.
M. French: Quelle question hypothétique? La question que
je vous ai posée quant aux conditions?
M. Marcoux: À savoir, si je jugerai que c'est
d'intérêt public que ce soit rendu public ou non, c'est à
ce moment que je déciderai.
M. Blank: Je veux simplement attirer l'attention du ministre et
faire une comparaison. Ici on a un gouvernement transparent
social-démocrate qui fait des caveat. En Ontario on a un gouvernement
conservateur. Il y a un règlement à l'effet que toute
étude qui donne suite à une décision du cabinet est rendue
publique aux membres de l'Opposition.
M. Marcoux: La loi no 65 pourvoit ceci et bien avant les autres
gouvernements, et elle va s'appliquer au fur et à mesure des
délais prévus dans la loi.
Le Président (M. Desbiens): M. Langlois.
M. Blank: C'est une loi de la Législature: Que tout
document, même du cabinet, qui donne suite à une décision
soit rendu public.
M. Langlois: On va laisser un pourboire après le
débat.
Le Président (M. Desbiens): M. Langlois.
M. Langlois: M. le Président, je voudrais tout simplement
vous dire qu'au nom de mes collaborateurs et de l'organisme que je
représente, nous vous remercions de nous avoir entendus ce matin. Nous
faisons abstraction des commentaires quant au ton de notre mémoire et
des autres qualificatifs. Tout simplement nous réitérons notre
attachement au système démocratique qui nous permet de nous faire
entendre.
Merci.
Le Président (M. Desbiens): Nous vous remercions de votre
participation.
Après la période des questions, la commission élue
permanente du revenu reprendra ses travaux, ici même, en cette salle
81-A, vers 16 heures.
La commission élue permanente du revenu suspend ses travaux.
(Suspension de la séance à 12 h 59)
(Reprise de la séance à 16 h 10)
Le Président (M. Gagnon): La commission élue
permanente du revenu est réunie aux fins d'entendre des personnes et
organismes en regard du livre vert sur la situation du travailleur au pourboire
au Québec. Est-ce que j'ai besoin de refaire l'appel des membres? Ce
sont les mêmes membres que ce matin, il n'y a pas de changement.
À la suspension des travaux, nous en étions rendus au
mémoire de l'Association des hôteliers, restaurateurs et
propriétaires de bars, le mémoire no 24. Je demanderais à
M. Richard Blais ainsi qu'à son groupe de s'approcher, s'il vous
plaît, à la table.
M. Richard Blais, je vous souhaite la bienvenue à cette
commission. Si vous voulez nous faire la lecture ou le résumé de
votre mémoire.
Association des hôteliers, restaurateurs et
propriétaires de bars
M. Blais (Richard): Oui, avec plaisir et
je vous en remercie. M. le ministre, MM. et Mmes les membres de cette
commission, M. le Président, la venue d'un livre vert sur la situation
fiscale des travailleurs et travailleuses au pourboire au Québec a
suscité diverses réactions de la part de cette catégorie
de contribuables. Ici et là se sont formés des regroupements pour
transmettre au ministre du Revenu du Québec des opinions et/ou des
propositions relatives au dossier du pourboire.
Les propriétaires d'établissements hôteliers n'ont
pas échappé à ce phénomène. C'est ainsi
qu'à Rimouski un groupe d'hôteliers, de restaurateurs et de
propriétaires de bars furent réunis par l'AHRB, l'Association des
hôteliers, restaurateurs et propriétaires de bars, leur
association, pour se pencher sur le sujet du pourboire et acheminer les
orientations préconisées au ministère du Revenu. Voir en
annexe la copie de la lettre adressée à M. Alain Marcoux,
ministre du Revenu.
La situation que vivent les travailleurs au pourboire est très
bien décrite dans le livre vert, à notre avis. Nous retenons
principalement: premièrement, qu'elle a trait à tous les
travailleurs au pourboire, que ceux-ci travaillent dans l'hôtellerie ou
dans d'autres catégories; deuxièmement, que, l'employé au
pourboire en général reconnaît qu'il doit déclarer
ses pourboires, mais n'en déclare souvent qu'une partie et parfois pas
du tout; troisièmement, que, du fait de la non-déclaration
partielle ou totale de ses revenus de pourboire, ce contribuable enfreint les
règlements fiscaux et fait entrave à l'équité
fiscale envers tous les autres travailleurs; quatrièmement, que
l'employé, en tant que travailleur autonome, éprouve certaines
difficultés à dresser l'état de ses revenus de
pourboire.
De l'analyse de la situation, il résulte deux constatations
importantes, soit l'injustice sociale qui est faite à l'égard du
travailleur au pourboire et l'injustice fiscale qui est faite aux contribuables
des autres secteurs qui sont astreints à la déclaration de toute
forme de revenus. Il faudra donc que la solution préconisée vise
à éliminer ces injustices, tant sociales que fiscales, sans pour
autant faire entrave aux libertés des divers intervenants
concernés.
Les membres de notre association, l'AHRB, prônent la solution
suivante: que le pourboire continue à être considéré
comme un revenu de travailleur autonome et que la déclaration des
pourboires par l'employé soit faite périodiquement.
Comme conséquences et/ou implications pour le client, le montant
du pourboire continue comme dans le passé à être
donné à la discrétion du client, et il n'a pas à
divulguer par un écrit le montant versé. Donc, aucun changement
n'intervient par rapport à la pratique actuelle.
Conséquences et/ou implications pour l'employé. Il
conserve son statut de travailleur autonome en ce qui a trait à ses
revenus de pourboire et il tient un registre journalier de la totalité
des pourboires reçus. À une fréquence correspondant
à celle de la paie reçue de son employeur, il doit transmettre
à celui-ci le montant total de ses revenus de pourboire durant la
période concernée. C'est à partir de ces montants
déclarés que pourront être effectués les calculs de
redevances à verser aux divers régimes sociaux en tant que
travailleur autonome. Une formule d'autorisation pourrait être remise par
l'employé à son employeur, mandatant ce dernier pour
déduire de son salaire net à recevoir les montants à
verser aux divers régimes et à les acheminer aux autorités
concernées. (16 h 15)
Conséquences et/ou implications pour l'employeur. À partir
des montants déclarés par l'employé en revenus de
pourboire, l'employeur fait le calcul des diverses déductions et produit
un rapport de celles-ci à l'employé. Les montants correspondant
aux déductions sont soustraits du salaire net à verser à
l'employé et transmis aux autorités concernées. À
la fin de l'année, l'employeur produit à l'employé un
rapport cumulé, dont copie est expédiée au ministre du
Revenu.
Conséquences et/ou implications pour le ministère du
Revenu. Le ministère fait les réajustements nécessaires
aux cotisations des régimes sociaux, de façon à tenir
compte du total des revenus du contribuable en salaire et pourboires. Il
négocie les concordances avec son homologue fédéral; il
voit à rendre efficace l'application de la déclaration libre de
l'employé par un système de vérification adéquat
qui ne serait pas à la charge de l'employeur; il tient compte, dans
l'application de la loi, des secteurs d'activité, des catégories
d'activité et des régions concernées; il exclut
l'employeur d'un système où existeraient des
pénalités dans le cas du non-respect de la règle obligeant
l'employé à faire sa déclaration de revenus de
pourboire.
Avantages de la solution préconisée. La solution
envisagée plus haut nous permet d'aligner des avantages tant pour
l'employé que pour l'employeur, ainsi que pour le ministère du
Revenu.
Ainsi, le client conserve une liberté chère, celle de
donner ses pourboires à sa seule et unique discrétion et il n'est
pas astreint à des pratiques désagréables de
déclaration.
D'autre part, l'employé effectue ses contributions sur une base
régulière, évitant ainsi le paiement d'un solde trop
élevé lors de la production de sa déclaration de revenus
annuelle; il augmente sa participation aux divers régimes
gouvernementaux et profite des avantages qui en découlent; il
profite
pleinement des indemnisations en cas d'accident de travail, son
employeur faisant état des montants des pourboires
déclarés; il se situe en position d'équité face
à tous les autres contribuables, sur le plan fiscal.
L'employeur, selon cette formule préconisée, est en mesure
de mieux fournir des déclarations exactes concernant la totalité
des revenus de l'employé, déclarations qu'il doit fournir en
plusieurs circonstances; il ne subit pas d'augmentation de contributions aux
différents régimes sociaux vu que les montants
déclarés proviennent du travailleur autonome qu'est
l'employé au pourboire.
Le ministère du Revenu y retire son compte en percevant, selon
cette formule, de façon régulière, les montants
d'impôt relatifs aux pourboires déclarés; il peut
également mieux identifier les travailleurs au pourboire, mieux
connaître leurs besoins et renseigner ces gens sur leurs droits et
obligations; enfin, il élimine l'injustice sociale faite à
l'égard des travailleurs au pourboire et dont il portait la
responsabilité comme législateur; il uniformise la situation de
tous les travailleurs au pourboire, étendant l'application de la
réglementation à toutes les catégories.
Quelques rares désavantages, à première vue. La
solution préconisée par notre association entraîne des
obligations qui peuvent être jugées désagréables:
l'employé se voit obligé de payer les contributions de
l'employé et de l'employeur, comme travailleur autonome, pour certains
régimes sociaux pour la partie de ses revenus de pourboire; d'autre
part, l'employeur doit préparer un système de comptabilité
plus détaillé pour chacun de ses employés.
En résumé, la solution préconisée dans ce
mémoire est celle d'un groupe d'employeurs de l'hôtellerie qui
vivent quotidiennement cette réalité où leurs clients
remettent à leurs employés des pourboires pour signifier leur
plus ou moins grande satisfaction pour le service reçu. Nous nous
situons dans la perspective de ceux qui, avec nous, désirent ne pas
nuire à l'industrie touristique tout en tenant compte de l'injustice
sociale et fiscale à corriger. Nous nous situons également comme
collaborateurs du ministère du Revenu dans l'application de sa
réglementation. Enfin, dans une perspective humaine, nous proposons une
formule qui vient changer le moins de choses possible, s'assurant ainsi la
participation de tous les intervenants. L'esprit, proposé dans le livre
vert par l'affirmation des trois principes, est alors conservé.
La formule préconisée représente un compromis que
feront toutes les parties concernées, un terrain d'entente entre les
obligations de l'employeur et celles de l'employé, tout en satisfaisant
aux exigences du ministère du Revenu.
Nous adressons nos remerciements à M. le ministre et à
tous les membres de cette commission de nous avoir permis d'exprimer notre
opinion sur le sujet en question. Nos voeux de plein succès vous
accompagnent tout au long de la préparation de cette loi sur les revenus
de pourboire. Merci.
Le Président (M. Desbiens): Merci, M. Blais. M. le
ministre.
M. Marcoux: Je remercie M. Blais d'avoir fait la démarche
au nom de l'Association des hôteliers, restaurateurs et
propriétaires de bars de Rimouski, d'avoir présenté ce
mémoire. Dans le but, comme je l'ai déjà indiqué,
de faire participer mes collègues aux travaux de cette commission et
à la recherche de solutions réalistes aux problèmes que
nous étudions, je veux les y associer le plus possible et j'inviterais
mon collègue de Rivière-du-Loup à engager le dialogue avec
M. Blais.
M. Boucher: Merci, M. le ministre.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Rivière-du-Loup...
M. Boucher: Merci, M. le Président. M. Blais, il me fait
plaisir que la région dont je fais partie soit représentée
à cette commission en ce qui concerne les hôteliers, les
restaurateurs et les propriétaires de bars. Vous dites que votre
association s'est formée à la suite de la présentation du
livre vert; combien de restaurateurs, hôteliers et propriétaires
de bars a-t-elle regroupés ou regroupe-t-elle actuellement?
M. Blais (Richard): Cette association ne s'est pas formée
au moment de la sortie de ce livre vert, elle était déjà
existante depuis plus d'un an auparavant. Elle a fait une assemblée
réunissant les membres de l'association ainsi que les non-membres pour
traiter, comme je l'ai mentionné, du livre vert.
M. Boucher: Cette association regroupe combien de
propriétaires environ?
M. Blais (Richard): L'AHRB regroupe environ une trentaine de
restaurateurs, hôteliers et propriétaires de bars, comme membres
actifs. Dans cette réunion, disons qu'on avait quand même des sons
de cloche qui venaient d'un plus grand nombre d'établissements
concernés que cela.
M. Boucher: Merci. Si j'ai bien compris votre solution, vous
faites un genre d'amalgame entre les hypothèses 5.3 et 5.4 qu'on
retrouve dans le livre vert. Vous me corrigerez si j'ai mal
interprété votre mémoire, dans le sens que vous
recommandez
la déclaration périodique des pourboires par
l'employé. Par contre, vous demandez aussi, ce qu'on pourrait appeler
l'hypothèse 5.4, que l'on considère le travailleur au pourboire
comme un travailleur autonome dans la partie qui relève du pourboire. En
fait, en amalgamant ces deux hypothèses, vous prenez les
désavantages de l'une et vous les donnez à l'autre, dans le sens
que la formule de la déclaration périodique comporte le
désavantage pour l'employeur de voir augmenter sa contribution aux
différents régimes sociaux et il doit tenir compte d'une
comptabilité plus complexe; c'est l'un des désavantages qu'on
énumère à 5.3. Vous dites que vous n'acceptez pas ce
désavantage. Vous le donnez au travailleur autonome, dans le sens que
cette formule dit que l'employé se voit obligé de payer les
contributions de l'employé et de l'employeur au Régime de rentes
du Québec sur la partie de son revenu provenant de ses pourboires.
Comment conciliez-vous que le travailleur à pourboire peut avoir deux
chapeaux, c'est-à-dire être considéré comme
travailleur autonome pour ce qui touche aux pourboires et, d'autre part,
être considéré comme salarié lorsqu'il gagne son
revenu de base du salaire minimum?
M. Blais (Richard): D'accord. Alors, nous avions comme vue, en
traitant de ce sujet, des notions différentes, en l'occurrence la notion
de salaire par opposition à la notion de revenu imposable. Autant le
salaire que les pourboires, à notre avis, sont des sources de revenu sur
lesquelles des impôts et des redevances à divers régimes
sociaux doivent être payés; je pense que c'est un sujet sur lequel
on doit faire une distinction. Même, dans des discussions
antérieures, on essayait d'assimiler les pourboires avec une partie
salaire et je ne sais quelle autre partie. En fait, le salaire et le pourboire
sont deux sources de revenu, ce qui fait qu'en les mettant ensemble, si l'on
veut, il y a possibilité de faire en sorte que des déductions
suivent régulièrement et périodiquement au
ministère du Revenu ainsi qu'aux divers régimes sociaux
concernés. C'est pour cela qu'on propose cette solution.
M. Boucher: Cela deviendrait un seul revenu
déclaré. Ce ne seraient pas deux revenus déclarés
séparément.
M. Blais (Richard): Le salaire est une source de revenu; le
pourboire, une autre; en fin de compte, tout cela additionné fait un
revenu. Voilà.
M. Boucher: À partir de ce revenu, la participation aux
programmes sociaux du travailleur au pourboire serait comprise sur l'ensemble
de ce revenu.
M. Blais (Richard): Disons que cela serait des sources de revenu
de régimes différents; en l'occurrence, le pourboire étant
considéré comme un revenu de travailleur autonome et le salaire
étant considéré comme un revenu de salarié ou un
revenu de travailleur, tout simplement. Il y a possibilité, tout comme
n'importe qui en travaillant pour un employeur, d'avoir son entreprise en
à-côté, si on veut. Lorsqu'il en arrive à faire ses
déclarations d'impôt ou n'importe quoi, il fait ses calculs
parallèles dans l'un ou l'autre des sens concernés et, lorsqu'il
arrive au bout, il sort son revenu imposable, tout simplement; les
déductions qu'il a faites ou qu'il a à payer sont faites.
M. Boucher: Ce que j'arrive mal à comprendre, c'est que...
Lorsque vous dites: Au moment où il calcule son revenu, c'est sur ce
revenu qu'il va être imposé, c'est sur ce revenu qu'on va faire
les déductions pour les bénéfices sociaux... Lorsqu'on va
arriver aux bénéfices sociaux, il faudrait qu'il paie la part de
l'employeur, à ce moment-là.
M. Blais (Richard): En considérant le revenu au pourboire
comme un revenu de travailleur autonome, il paie ses redevances en
conséquence et, sur la partie de revenu qui a trait à son
salaire, il paie ses redevances en conséquence, également. Disons
qu'il faut que cela soit traité comme deux choses différentes
dans l'élaboration de ses rapports, si on veut.
M. Boucher: Cela voudrait dire que, dans son rapport
d'impôt, il faudrait qu'il fasse les ajustements sur les deux.
Évidemment, vous dites qu'en fait, il faut régler les
difficultés. Actuellement, le livre vert dit: II y a une injustice
sociale par rapport au travailleur au pourboire qui ne peut pas déclarer
et bénéficier en même temps des avantages sociaux. D'autre
part, le fisc dit: II y a une injustice fiscale par rapport aux
déclarations. Comment pouvez-vous concilier cela actuellement, lorsque
vous dites: L'employeur n'a pas la responsabilité, par rapport à
l'employé au pourboire, d'enlever cette injustice sociale qu'on voudrait
voir corriger?
M. Blais (Richard): À moins que je ne fasse erreur,
j'aimerais que vous me corrigiez là-dessus, je crois que l'injustice
fiscale provient tout simplement de revenus non déclarés sur
lesquels ne sont payés ni impôt, ni contributions ou cotisations
aux divers régimes sociaux. L'injustice sociale provient du fait qu'une
partie de son revenu n'ayant pas été déclarée, il
ne peut pas en recevoir autant d'avantages que si cela avait été
fait. Face à cette lacune, disons que c'est un cercle vicieux, en fin de
compte, tout cela. D'une part, tu ne donnes pas;
d'autre part, tu reçois moins. Disons que je considère
quand même que c'est peut-être un peu malvenu de se plaindre de ne
pas recevoir lorsque tu ne donnes pas ce que tu devrais donner ou que tu ne
verses pas, en fait, ce que tu devrais verser.
M. Boucher: Dans l'entreprise ordinaire, le salarié comme
tel a un statut de salarié et, à partir du moment où il
est salarié, l'employeur remplit les obligations d'employeur face
à ses bénéfices sociaux, dans le sens qu'il paie la
quote-part. Vous, vous dites: Non, à ce moment-là, cela lui
revient de payer cette quote-part, s'il déclare tous ses revenus.
M. Blais (Richard): Relativement à ses revenus de
pourboire - je fais mention uniquement de ses revenus de pourboire
-étant considéré comme travailleur autonome, à ce
moment-là, il a à payer ses redevances en tant qu'employeur et
employé.
Le Président (M. Gagnon): Je vous remercie. Merci, M. le
député. M. le député de Sainte-Anne.
M. Polak: M. le Président, j'ai seulement une question
à poser à M. Blais. D'abord, je remarque que M. Blais vient de
Rimouski, le comté du ministre, Je suis content de savoir que, dans la
belle région de Rimouski, il y a une autre personne qui semble penser de
temps en temps différemment du ministre, quand on lit le mémoire
et lorsqu'on écoute le ministre donner son opinion. Je suis aussi
content de savoir que tous les Blais ne pensent pas de la même
manière.
Ma question est la suivante: À la page 3 de votre mémoire,
vous dites, au troisième paragraphe: L'employé doit transmettre
à l'employeur le montant total de ses revenus de pourboire durant la
période concernée. Si on prend cela littéralement, cela
voudrait dire que celui qui reçoit le pourboire doit donner cet argent
à l'employeur. Mais cela n'est pas votre intention. J'imagine que vous
voulez dire que la personne peut garder son pourboire, mais fasse un rapport,
soit par semaine ou par jour, sur le montant reçu. (16 h 30)
M. Blais (Richard): Des montants reçus.
M. Polak: D'accord. Ensuite, vous dites qu'à la fin de la
période l'employé va recevoir son argent, moins, comme
déductions de son salaire net à recevoir, les montants à
verser. Beaucoup de ces travailleurs et travailleuses - tout le monde est
d'accord que cela va mal - ne gagnent pas de gros salaires et certainement pas
de gros pourboires non plus. Quand la personne reçoit le pourboire, fait
sa déclaration et, en fin de semaine, reçoit un chèque qui
est encore plus petit qu'avant, cela ne peut-il pas créer des
problèmes quant au montant net qui lui reste? Je comprends que vous
pourriez répondre qu'après tout la personne a reçu des
pourboires, donc, elle est mieux d'en mettre un peu de côté, de
couvrir au moins ce qu'elle va recevoir à la fin de la semaine et par
deux semaines. Mais, surtout quand on entend dire que des montants qui sont
gagnés sont de temps en temps très minimes, elle n'est pas
capable de vivre avec cela. Pourquoi voulez-vous en déduire plus?
M. Blais (Richard): Eh oui! Si les montants concernés
étaient si minimes que des fois on peut le laisser prétendre
parce que, des fois, j'ai cru remarquer qu'on était rendu dans la
négative... Si les montants impliqués étaient si minimes
que cela, je ne crois pas qu'on aurait fait une commission parlementaire sur le
sujet. J'évalue tout de suite que si on le fait, c'est parce que ce sont
des choses qui en valent la peine.
M. Polak: D'accord. C'est tout, M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député de Terrebonne.
M. Blais (Terrebonne): Merci, M. le Président. Je remercie
le député de Sainte-Anne d'avoir dit que je pense. Cela nous
change de ses interventions.
M. Polak: Continuez.
M. Blais (Terrebonne): Oui. C'est une question qui se veut en
même temps une appréciation de définitions et je vais
être très bref. Comme axiome, il existe à travers le monde
une différence entre un pourboire "don" et ce qu'on appelle
communément un pourboire "salaire-service". C'est à travers le
monde que c'est reconnu. Même aux États-Unis, on vient de le
reconnaître. Ici, au Québec, on s'apprête à le faire
aussi. Il arrive ceci, c'est qu'à travers le monde, pour le fisc, le
pourboire réel, le don, c'est impossible, mais strictement impossible de
le taxer. C'est pourquoi même en France, en Europe, en Belgique, partout,
il y a sur la facture une somme additionnée qui est "charge-service"
qu'on appelle ici communément "pourboire". Mais c'est une part qu'on
compte là-bas comme salaire et on l'appelle en fait "service". Si on
mange chez Maxim's, quatre personnes pour 500 $ tout inclus, on laisse toujours
quelque chose, peut-être 2 $, 3 $ ou 5 $; cela dépend. Le fisc ne
court pas après ce montant parce que c'est infinitésimal et cela
coûterait beaucoup plus cher de s'en occuper. C'est la même chose
chez nous si je donne 0,50 $ à mon coiffeur quand il me fait les
cheveux. Cette partie, c'est pour définir que pourboire
et pourboire dans la restauration sont deux choses différentes;
il faut que le pourboire dans la restauration soit considéré
comme une partie service qui est un salaire et une partie don que tout le
monde, depuis l'homme des cavernes jusqu'à aujourd'hui, a toujours
exécutée. Ce sont des gratifications, c'est entendu. Mais il
demeure que la partie salaire qui est service ne doit pas être comprise
et je crois que, dans ce rapport, les deux sont un peu mêlés. Je
vais le poser comme axiome pour aider la discussion tout simplement. Comme
question: L'interprétez-vous ainsi, contrairement à ce que je
peux voir dans le rapport?
M. Blais (Richard): On ne s'est pas attardé à faire
une distinction quelconque dans l'un ou l'autre des groupes, mettant la
totalité de la gratification du pourboire, le considérant comme
une source de revenu et non une partie comme un don reçu, si on veut, et
une autre partie comme un salaire.
M. Blais (Terrebonne): Vous reconnaissez que c'est un service et
un don. C'est cela que je voudrais bien savoir.
M. Blais (Richard): Au taux du salaire minimum, on parlait d'un
taux applicable différemment. Il pourrait possiblement y avoir une
partie qui serait considérée comme un service et une autre comme
un don.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Viger.
M. Maciocia: Je voudrais seulement poser une question au
député de Terrebonne pour m'éclairer un peu. Il disait
tantôt que 0,50 $ ou, disons, 1 $ qu'on donne à un coiffeur, ce
n'est pas la même chose que 1 $ donné à un serveur ou une
serveuse. Cela veut dire que celui donné à un serveur ou une
serveuse est imposable et que celui donné à coiffeur n'est pas
imposable. C'est ce que vous avez dit tantôt? C'est ce que j'ai pu
comprendre.
M. Blais (Terrebonne): Vous permettez que je...
M. Maciocia: C'est seulement pour me...
M. Blais (Terrebonne): D'accord, mais je vais être
très bref, parce que c'est entre nous, excusez-nous. Il y a une
différence entre ce qu'on appelle "pourboire" dans le sens large du mot
et un pourboire réel. Un pourboire, dans son étymologie... Il y a
quelqu'un qui nous a donné, dans une commission, deux définitions
du Larousse, je pense que c'est M. Paparakis, hier soir, il a donné les
deux définitions. Mais ici, on l'appelle toujours "pourboire"; il
demeure quand même que la deuxième définition de
"pourboire" comporte aussi, dans la restauration, une partie qui s'appelle
"service". On ne donne pas 15% à son coiffeur, on ne donne pas 15%
à un chauffeur de taxi, si on veut lui donner quelque chose. Le
pourboire, dans son étymologie première, c'est vraiment une
gratification. Tandis que, pour les gens de l'hôtellerie, cela comporte
un service en même temps et c'est cette partie qui doit être
considérée comme un salaire.
M. Maciocia: Mais c'est laquelle...
Le Président (M. Gagnon): Merci, vous aurez l'occasion,
peut-être, de poursuivre votre...
M. Maciocia: Non, parce que c'est très important, je
crois, M. le ministre, qu'on en discute.
Le Président (M. Gagnon): Normalement, en commission
parlementaire, vous posez des questions au ministre ou à nos
invités.
M. Maciocia: Je comprends très bien, mais c'est
très important, je crois, que le ministre nous dise exactement comment
il considère cet aspect de don et de pourboire qui sont
différents, d'après le député de Terrebonne.
L'enjeu est là. Je n'avais pas envisagé cet aspect, mais l'enjeu
est là, parce que, si vraiment on peut considérer un pourboire
avec une partie service et une partie don... Dans un autre domaine, il s'agit
seulement de la partie don. Je ne vois pas comment le fisc peut encore courir
derrière les gens au pourboire, des gens qui travaillent en tant que
serveur et serveuse, car ces gens peuvent se défendre en disant: C'est
un don que j'ai eu ou 60% étaient un don et 40% étaient le
service. J'aimerais que vous m'éclairiez sur cela.
M. Marcoux: Pour être très clair, en fait, si on
regarde les lois du revenu ici et dans la plupart des pays, toute gratification
ou pourboire, quel que soit le nom, est considéré un revenu et,
à cette fin, est imposable. Je comprends peut-être l'intention du
député de Terrebonne qui dit qu'il y a peut-être une
différence entre le fait de laisser 0,25 $ ou 0,50 $ et un montant qui
pourrait être de 1 $, 2 $ ou 3 $, selon l'évaluation qu'on a fait
d'un service qu'on a pu avoir. Mais, je suis convaincu que ce n'est pas une
distinction. Même si je crois percevoir la finesse de la pensée
qu'il y a sous cette distinction, je suis convaincu qu'en ce qui concerne les
lois du revenu, cette distinction est inapplicable et elle ne correspond pas au
sens des lois que nous avons et au sens des lois du revenu
généralement appliquées dans le monde
occidental.
M. Maciocia: Dois-je comprendre que l'un et l'autre sont
imposables. ...
M. Marcoux: II y en a un seul, il n'y a pas l'un et l'autre, il y
en a un seul.
M. Maciocia: Alors, vous contredisez complètement le
député de Terrebonne dans ce cas-ci.
M. Marcoux: Je m'excuse. M. Maciocia: C'est cela?
M. Marcoux: Je m'excuse. Je vais prendre une autre minute, je
m'excuse.
M. Blais (Terrebonne): M. le Président.
Le Président (M. Gagnon): M. le député de
Terrebonne.
M. Blais (Terrebonne): M. le Président, il est bien
sûr, que dans nos lois, toute gratification est imposable et, dans tous
les pays du monde capitaliste, c'est la même chose et c'est normal. Il
demeure cependant que la pratique veut qu'en Europe ou dans tous les autres
pays, la partie qui est considérée comme service à
l'hôtellerie est imposable et ce qu'on appelle les "peanuts" qu'on peut
laisser sur la table après, jamais le fisc ne court après cela.
C'est ce que je veux dire. Quelle que soit la méthode que nous prenions
ici, si on décide de mettre 10%, 12% ou 15% de pourboire sur la facture,
cela devient une loi et, si quelqu'un veut laisser un dollar après, je
vous jure qu'il n'y a pas un système, quel que soit le gouvernement
d'extrême droite ou social-démocrate ou de droite ou de centre ou
de gauche qui courra pour essayer de trouver la piastre qu'on a laissée
sur la table. C'est seulement dans ce sens.
M. Rocheleau: C'est changé.
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre!
M. Blais (Terrebonne): Pardon?
M. Maciocia: Vous changez complètement de
raisonnement.
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Maciocia: Parce que vous avez dit qu'un don n'est pas
imposable.
Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous
plaît! M. Blais, vous aviez une réponse? Je sais que vous avez
manifesté le désir d'intervenir tantôt. À l'ordre,
s'il vous plaît!
M. Blais (Richard:) Je demanderais confirmation à M. le
ministre, s'il vous plaît! Après l'intervention de monsieur ici,
je crois que tous ces revenus-là doivent quand même être
déclarés.
M. Marcoux: Oui, point.
M. Blais (Richard): Et s'il y a des impôts à payer,
cela est une autre partie dont on ne s'occupera pas aujourd'hui.
M. Marcoux: Ce que le député de Terrebonne dit et
qui peut être vrai dans certains pays où il y a des frais - dans
certaines parties de pays où il y a des frais de service obligatoires
qui, évidemment, sont cotisés à la source - lorsqu'il se
développe un système parallèle ou supplémentaire de
pourboire qui, lui, peut être plus minime, même s'il est imposable,
ce qu'il dit, c'est qu'en pratique, il n'y a pas d'opération
systématique pour percevoir la part des impôts sur cela.
Même dans les pays où il y a des frais de service perçus
obligatoirement, tout pourboire ou gratification supplémentaire est
considérée comme un revenu et est imposable aussi.
M. Blais (Richard): Elle doit être déclarée
également.
M. Marcoux: Je pense qu'on cherche une discussion où il
n'y en a pas.
Le Président (M. Gagnon): M. le ministre, vous avez la
parole.
M. Marcoux: La première question que j'adresse à M.
Blais sera la suivante: Je voudrais savoir si, à votre avis, la
qualité du service qui est offert est un des éléments qui
jouent ou qui entraînent la rentabilité d'une entreprise de
restauration ou d'hôtellerie.
M. Blais (Richard): Effectivement et en très grande
partie, si on veut. Ce qui fait que cela a deux points de vue. Le premier,
l'employé en mettant davantage de soin dans son travail se voit accorder
un bon point à son égard, c'est-à-dire le pourboire que le
client va lui laisser par la suite. Pour l'entreprise, ce même fait est
un bon point également parce que c'est la renommée de
l'entreprise qui est constamment en jeu.
M. Marcoux: Si la qualité du service est un des facteurs
qui entraînent une plus grande rentabilité de l'entreprise,
à ce moment-là, on peut considérer le pourboire -qui est
une façon de rémunérer cette qualité du service -
comme étant un des coûts
impliqués dans la rentabilité d'une entreprise. Si le
pourboire est un des coûts impliqués dans la rentabilité
d'une entreprise, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi, lorsqu'on parle
de rentabilité d'une entreprise, on parle aussi de la
responsabilité sociale de l'entreprise. Pourquoi, à ce
moment-là, n'assumez-vous pas logiquement ou ne voulez-vous pas assumer
logiquement la part des avantages sociaux reliée aux revenus en
pourboires? Je reprends, en gros... C'est clair?
M. Blais (Richard): C'est très clair. Je crois que c'est
là une chose sur laquelle l'Association des restaurateurs, si je ne me
trompe, s'est penchée hier. Et c'est peut-être à ce
propos-là qu'on a répondu que l'employeur était prêt
à collaborer, et peut-être même à payer sa part de
certaines cotisations aux régimes sociaux. Mais dans les faits, si
l'employeur absorbe, en plus des autres frais, ces frais-là, on sait ce
que cela va produire. Des frais supplémentaires d'exploitation auront
probablement comme aboutissement une retombée au niveau du prix
exigé du client et, si on ne fait pas cela, les retombées vont se
faire sentir au niveau de la rentabilité de l'entreprise. À une
place ou à une autre, cela va retomber.
M. Marcoux: Je vous remercie. J'aurais simplement une petite
information supplémentaire. Depuis combien d'années
êtes-vous dans le secteur de la restauration, de l'hôtellerie, des
bars?
M. Blais (Richard): Près de quatre ans.
M. Marcoux: Près de quatre ans. Je vous remercie d'avoir
accepté de participer. Votre point de vue était un peu
différent en ce qui vous concerne, c'est que votre association... On a
rencontré les associations de restaurateurs et d'hôteliers, et
vous êtes le premier groupe que nous rencontrons qui représente
à la fois les restaurateurs, les hôteliers et les
propriétaires de bars. Je pense qu'on peut dégager certaines
voies de collaboration à partir de ce que vous avez indiqué. En
tout cas, je prends comme étant un fait positif la collaboration que
vous affirmez pouvoir donner au ministère du Revenu pour appliquer des
solutions qui pourraient être décidées ou
envisagées. Je vous remercie beaucoup. (16 h 45)
M. Blais (Richard): Nous restons également à la
disposition de tout intervenant, soit pour expliciter davantage ce que nous
préconisons, soit pour fournir des renseignements
supplémentaires.
M. Marcoux: Je vous remercie au nom du groupe
ministériel.
Le Président (M. Boucher): M. le député de
Saint-Louis.
M. Blank: M. Blais, est-ce qu'actuellement, vous exploitez un
restaurant ou un hôtel? Actuellement, à ce moment-ci, est-ce que
vous êtes propriétaire d'un hôtel ou d'un restaurant?
M. Blais (Richard): Je suis copropriétaire et
gérant d'un restaurant, oui.
M. Blank: Avez-vous discuté de ce problème avec vos
employés au pourboire?
M. Blais (Richard): Effectivement, oui. M. Blank: Et
quelle est leur opinion?
M. Blais (Richard): Leur opinion, disons qu'à prime abord,
c'était un petit peu ambigu de leur côté, mais, lorsqu'on
finit par mieux comprendre et saisir le sujet, sa portée et ses
obligations, on finit par être d'accord avec le point
préconisé.
M. Blank: Merci. Au nom de l'Opposition, je vous remercie pour
votre mémoire et vos opinions.
Le Président (M. Boucher): Alors, moi, au nom de tous les
membres de la commission, je vous remercie, M. Blais, pour la
présentation de votre mémoire.
M. Blais (Richard): Merci.
Le Président (M. Boucher): J'appellerai maintenant le
Conseil central des syndicats nationaux de Québec,
représenté par Mme Brigitte Gagné, vice-présidente,
M. Claude-Gilles Gagné, représentant régional,
région de Québec, secteur hôtellerie-restauration.
Mme Gagné.
Conseil central des syndicats nationaux de
Québec
Mme Gagné (Brigitte): Oui.
Le Président (M. Boucher): Voulez-vous vous identifier et
identifier les gens qui vous accompagnent et procéder à la
lecture de votre mémoire?
M. Gagné (Claude-Gilles): Si vous le voulez bien, je vais
identifier les gens. D'abord, je voudrais, en mon nom personnel et au nom de
tous mes collègues syndiqués, particulièrement les
travailleurs au pourboire de la région de Québec, saluer de
façon particulière des visages connus à la table de la
commission, étant donné que, dans la région de
Québec, on a souvent l'occasion de vous servir.
M. Marcoux: Cela, c'est dangereux! Ce sont les fleurs et le pot
en même temps? C'est comme ça?
M. Gagné: Je n'ai pas dit si c'était avec plaisir
ou pas.
M. Marcoux: C'est pour ça que je vous pose la
question.
M. Gagné: Je vous présente d'abord Mme Brigitte
Gagné, qui est première vice-présidente du Conseil des
syndicats nationaux de la région de Québec, le Conseil central de
Québec affilié à la CSN, et M. Ghislain Gagnon, qui est un
travailleur au pourboire, vous le devinez sans doute par son uniforme, ainsi
que Mme France Maës aussi travailleuse au pourboire, tous deux de la
région de Québec.
D'abord, j'aimerais faire une petite mise au point. Le Conseil central
de Québec, évidemment, embrasse le mémoire national. Nous
n'avons pas l'intention de reprendre tout le mémoire national qui vous a
été présenté hier. Cependant, nous avons
l'intention de frapper - comme on dit en bon français - sur certains
clous qui ont déjà été mentionnés; nous
allons lire le mémoire et nous l'accompagnerons au fur et à
mesure de certains commentaires.
Mme Gagné: Les travailleuses et travailleurs de
l'hôtellerie et de la restauration, syndiqués CSN, de la
région de Québec, adhèrent au mémoire national de
la CSN tel qu'il vous a été présenté hier.
Malgré le fait que les deux tiers de l'activité
hôtelière soient concentrés dans les régions de
Montréal et de Québec, il n'en reste pas moins que cette
activité est moins concentrée géographiquement que ne
l'est la population du Québec.
M. Gagné: Bon, ici, ce qu'on veut souligner, c'est que la
population est concentrée dans la région de Montréal, mais
que, proportionnellement au per capita, cela a déjà
été dit pendant cette commission, la région de
Québec compte plus de restaurants et plus de grands hôtels. Disons
que la concentration d'hôtels et de restaurants dans la région de
Québec est la plus forte de toute la province. C'est ce qu'on veut dire
ici pour que ce soit clair.
Mme Gagné: Donc, très conscients de notre
réalité économique régionale, nous venons
aujourd'hui vous exposer la situation qui prévaut pour les gens au
pourboire dans notre région.
Nous devons souligner à la commission parlementaire que la
majorité des gens au pourboire ne sont pas syndiqués. Ils
travaillent isolés et réduits à l'arbitraire patronal,
tant en ce qui concerne les critères à l'embauche, les conditions
de travail qu'ils subissent que l'obligation à laquelle ils font face
quant au partage obligatoire de leurs pourboires.
Ici, nous aimerions signaler à la commission parlementaire que,
lorsque l'on parle des gens au pourboire, c'est à une majorité de
femmes que l'on s'adresse, majorité historiquement et quotidiennement
discriminée et exploitée.
Traditionnellement, on l'a dit, les travailleurs et travailleuses au
pourboire ne déclaraient pas à l'impôt, ou si peu, cette
partie de leur revenu que constitue le pourboire et ce, avec la
complicité des ministères du Revenu fédéral et
provincial, on l'a dit aussi.
Chaque partie acceptait, on l'a dit, les avantages et les
inconvénients d'une telle situation jusqu'au jour où, en proie
à la crise économique, les gouvernements devaient gratter tous
leurs fonds de tiroir. C'est alors que des poursuites furent intentées
contre les travailleuses et travailleurs au pourboire pour avoir violé,
de connivence avec l'État, la Loi sur les impôts. Nous sommes
alors en 1978-1979.
Signalons qu'avec ceux de l'Estrie, des travailleurs et travailleuses au
pourboire de la région de Québec furent les premières
victimes. Signalons aussi qu'un groupe de travailleurs et travailleuses au
pourboire du Hilton de Québec viennent d'avoir gain de cause devant une
commission de révision et se sont vu remettre 40% de la somme qu'ils
avaient dû verser à la suite des poursuites dont nous venons de
parler. Cette affaire fait actuellement jurisprudence.
Plusieurs de nos camarades au pourboire sont aux prises actuellement
avec la récupération d'impôt que vous leur infligez. C'est
donc à une population vulnérable, peu organisée et soumise
aux différentes règles implicites imposées par l'employeur
à laquelle vous vous attaquez.
Nous croyons qu'il est inadmissible de la part de nos gouvernants de
décider unilatéralement de récupérer des
impôts rétroactivement sur les pourboires lorsque les
règles n'en sont même pas fixées.
Nous sommes d'avis que cette "opération
récupération d'impôt" sur les pourboires doit
immédiatement cesser. Quant aux règles à fixer, nous
croyons qu'il est de votre devoir de tenir compte de la réalité
vécue par ces travailleuses et travailleurs et donc de les fixer dans le
sens de leurs revendications.
Nous vous présentons donc la situation de l'industrie de
l'hôtellerie et de la restauration dans la région de Québec
puis nous étudierons l'effet de la situation économique
régionale en rapport avec les gens au pourboire.
La région de Québec se situe au second rang après
Montréal sur le plan touristique.
Son rôle de capitale francophone d'Amérique, son
aménagement, ses capacités récréatives, ses sites
historiques reconnus mondialement en font une ville de choix sur le plan
touristique.
Pour l'an dernier seulement, l'activité touristique de la
région était évaluée à 21,5% de l'ensemble
des revenus du Québec, avec tout près de 436 000 000 $
injectés directement par les touristes de toute provenance.
Cependant, les activités hivernales, tels le carnaval, qui perd
de son attrait, et les stations de ski alpin qui n'arrivent plus à
concurrencer les stations de la Nouvelle-Angleterre, n'aident guère
à développer et à rentabiliser le secteur de
l'hôtellerie et de la restauration dans la région.
Au début des années soixante-dix, l'industrie
hôtelière dans la région de Québec s'est
développée de façon fulgurante. À cette date,
Québec ne comptait, pour ainsi dire dans ce qu'il est convenu d'appeler
les grands hôtels que le Château Frontenac. Depuis ce temps, nous
en comptons sept. Le Hilton, les Auberges des Gouverneurs, le Concorde, les
Holiday Inn se sont implantés.
M. Gagné: Pour éclairer la commission, on a
beaucoup parlé hier quand il était question des hôtels, du
nombre de chambres. Quand on parle de grands hôtels, on parle
d'hôtels qui ont à peu près 300 chambres et plus. On veut
aussi signaler à la commission que ces grands hôtels, Auberges des
Gouverneurs, Hilton, Concorde, Holiday Inn, etc. embauchent non pas un
employé par chambre, comme le disait l'Association des hôteliers
de la province de Québec, hier, mais il faudrait peut-être
corriger et dire un par 2,5 ou un par 3 chambres. Il fut un temps où on
pouvait calculer un employé par chambre, mais ce n'est plus vrai.
Il faut dire aussi que tous ces grands hôtels - vous remarquerez
dans notre liste que ce sont toutes des chaînes - et l'Association des
hôteliers de la province de Québec nous démontraient que
tous ces employeurs faisaient preuve d'une solidarité exceptionnelle. En
tant que syndiqués, je dois vous avouer que nous l'avions
remarqué.
Mme Gagné: En même temps, des établissements
de prestige dans la restauration ont aussi découvert la
rentabilité touristique de notre région: le Kyoto, le Baron
Rouge, Le Saint-Amour, le Jardin d'Italie, Chez Peppé, le Biarritz, pour
ne nommer que ceux-là, d'autant plus qu'en même temps se
développaient des restaurants à spécialités: les
nombreuses boîtes et maisons de spaghetti, les spécialités
exotiques: vietnamiennes, thaïlandaises, algériennes, grecques,
bretonnes, les cafés européens. Les chaînes
déjà en place prenaient aussi de l'expansion: Saint-Hubert,
Me Donald, A & W, Marie-Antoinette, Harvey's et on en passe.
M. Gagné: Hier, je ne sais pas si M. Baribeau, de la
chaîne McDonald, a essayé de nous faire croire que McDonald
n'était pas une multinationale, mais il a quand même
signalé à la commission qu'il y avait des entreprises
jusqu'à Hong Kong. Si ce n'est pas une multinationale, je me demande ce
que c'est.
Quoi qu'il en soit, ce sur quoi je voulais insister surtout, c'est sur
le fait que M. Baribeau a vraiment donné l'impression qu'il
considérait les travailleurs des
McDonald... Ce pourquoi on les mentionne ici ce pourquoi on tient
à ce que les travailleurs des "fast-foods" - on a aussi beaucoup
parlé des "fast-foods" dans le mémoire national de la CSN -
soient inclus dans un projet d'amendement à la Loi sur les impôts
et à d'autres lois, c'est que M. Baribeau, entre autres, hier, essayait
de nous faire croire, en tout cas... Non, il n'essayait pas de nous faire
croire; il nous a prouvé que ces travailleurs, il les considérait
comme des machines à vitesse, des jeunes qui relèvent le
défi de la vitesse. C'est cela qui est important et c'est pour cela
qu'on les paie. Point.
Mme Gagné: Donc, le développement fulgurant de
l'industrie hôtelière de Québec s'est fait de façon
plutôt anarchique.
M. Gagné: À ce niveau-ci, j'aimerais signaler que
Christophe Auger, le vice-président de la CSN, a mentionné hier
que le développement du nombre de restaurants, cette fois,
s'était fait de façon aussi anarchique. Ici, on parle des
hôtels. Alors, c'est donc vrai pour tout le secteur, hôtellerie et
restauration.
Mme Gagné: Un des employeurs de cette industrie
déclarait récemment, au cours d'une séance de
négociation en vue du renouvellement de la convention collective de ses
employés, que son hôtel comptait de 100 à 200 chambres de
trop. De plus, tous les employeurs de la région s'accordent à
dire que la région immédiate de Québec compte un grand
hôtel de trop. Résultat: l'un d'entre eux avouait ne pas
prévoir plus de 59% d'occupation pour toute l'année 1982.
Pour les salariés, cela signifie une augmentation du nombre de
mises à pied, du nombre de postes à temps partiel, une menace
généralisée pour leur emploi à cause de la
sous-traitance et, pour la première fois, dans le milieu hôtelier,
un employeur envisage le programme fédéral de travail
partagé.
Les conditions pénibles de travail du secteur hôtelier
portent les travailleuses et les travailleurs à considérer leur
emploi dans
l'hôtellerie comme un emploi d'attente occupé
temporairement en attendant une autre occasion d'emploi plus stable et mieux
rémunéré.
M. Gagné: L'Association des consommateurs, ce matin, nous
disait que les travailleurs et les travailleuses ne peuvent pas faire cela
toute leur vie. Je pense que cela confirme bien que les emplois dans le domaine
de l'hôtellerie et de la restauration sont généralement des
emplois d'attente, d'autant plus que - cela préoccupait Mme la
députée de Johnson, hier - l'on doit remettre le chèque de
paie à son employeur dans certaines entreprises. Comment voulez-vous ne
pas avoir envie de vous cherher un emploi ailleurs quand on n'est même
pas capable de garder la totalité de son salaire?
Mme Gagné: Traditionnellement, le milieu de
l'hôtellerie et de la restauration connaissait un taux de roulement fort
élevé, atteignant, dans l'un des sept grands hôtels de la
région, 45%. On peut dire qu'à cause de la crise ce taux a
tendance à se stabiliser à la baisse, à 30%
peut-être, par les temps qui courent. Or, ce chiffre magique de 30%
représente précisément la proportion de travailleuses et
travailleurs au pourboire dans l'ensemble des grands hôtels de la
province.
M. Gagné: Ici, ce qu'on veut dire, c'est qu'il n'y a pas
que les gens au pourboire qui ont un taux de roulement élevé.
Cependant, le taux de roulement est plus élevé chez ces
travailleurs-là. On dit qu'il y a 30% de travailleurs au pourboire dans
l'ensemble de l'hôtellerie et de la restauration, des gens que nous
représentons, en tout cas, et que ce taux de roulement
élevé, c'est surtout en raison des travailleurs et travailleuses
au pourboire.
Mme Gagné: En début d'année 1980, le
gouvernement du Québec déclarait que l'hypothèse de
croissance minimale équivalait à une situation d'emploi
hôtelier constant entre 1979 et 1981 et que l'hypothèse de
croissance maximale correspondait à des besoins annuels moyens de
recrutement de 678 travailleurs et travailleuses pour l'ensemble du
Québec. Les besoins de recrutement à cause de la croissance
apparaissaient, à ce moment-là, minimes et le gouvernement
affirmait qu'ils ne pouvaient être soumis à aucune tension sur le
marché du travail hôtelier.
Cependant, depuis ce temps, la situation économique de la
région ne s'est guère améliorée. En effet, selon
les statistiques officielles, le taux de chômage pour l'ensemble de la
région administrative est passé de 8,8% qu'il était en
1979 à 13,7% au premier trimestre de 1982. Pour le
Québec métropolitain, ce taux est passé de 9%
à 12,8% de 1981 à 1982. Québec se voit donc acculer au
dernier rang des quatre grandes villes du Québec. De janvier 1981
à janvier 1982, la région a ainsi perdu plus de 32 000 emplois,
soit le tiers des pertes totales d'emplois du Québec.
Le nombre de sans-emploi a atteint 61 000, au dire des statistiques
officielles, au premier trimestre de 1981, soit Il 300 de plus que l'an
dernier. Notre région en est une de secteur tertiaire, ce qui
représente 75% de l'emploi en 1980 comparativement à 67% pour
l'ensemble du Québec.
En plus du secteur de l'hôtellerie et de la restauration, cette
économie de services est causée principalement par le
développement de la fonction publique, parapublique et
péripublique de la région de Québec. À elle seule,
la fonction publique regroupe plus de 34 000 personnes, impliquant une masse
salariale de plus de 678 000 000 $ en 1980.
En ce qui a trait à la rémunération au pourboire,
nous constatons à la pratique qu'une majorité de nos
fonctionnaires demeurent très conservateurs. Les vérificateurs
d'impôt, quant à eux, nous semblent très novateurs
lorsqu'il s'agit de fixer les taux d'impôt de cette partie du revenu
qu'est le pourboire.
M. Gagné: C'est ce qui explique que j'aie dit tout
à l'heure, en réponse au ministre, que ce n'était pas
nécessairement avec plaisir que nous recevions les fonctionnaires. (17
heures)
M. Marcoux: Je pensais que vous visiez d'abord les
députés.
M. Gagné: Non, absolument pas, c'est l'ensemble de la
fonction publique, les fonctionnaires de premier niveau comme de dernier
niveau.
M. Blank: Après une consultation faite au Parlementaire,
nous constatons qu'ils sont très satisfaits des pourboires. Ils ne
veulent pas de pourboire à 15% parce qu'ils font plus.
M. Gagné: Mais ils ont une formule un peu
différente, d'ailleurs, et ils n'ont pas le même employeur non
plus.
M. Blank: On parle de pourboire. On ne parle pas de salaire, on
parle de pourboire.
M. Marcoux: Ce ne sont pas des fonctionnaires.
M. Gagné: Je le sais.
M. Blank: Ce sont des députés.
M. Marcoux: Non, les employés du Parlementaire ne sont pas
des fonctionnaires.
M. Blank: Je le sais, mais monsieur dit qu'il n'est pas tellement
satisfait d'avoir des fonctionnaires comme clients parce qu'ils ne laissent pas
assez de pourboire. Je lui dis qu'ici, au Parlementaire, les filles sont
très satisfaites. Elles disent que 15%, ce n'est pas assez parce
qu'elles gagnent plus que cela. C'est ce que j'ai dit.
Mme Gagné: Donc, de plus, la baisse des salaires
envisagée par le gouvernement pour les salariés de la fonction
publique et parapublique aurait, lors de sa mise en application, comme
conséquence directe une perte d'au-delà de 100 000 000 $ en moins
en circulation pour notre région et une augmentation de 38 000
chômeurs et chômeuses.
Bien sûr, cette perte nette se répercutera en premier lieu
sur le revenu au pourboire des travailleuses et travailleurs de
l'hôtellerie et de la restauration. En effet, c'est dans cette partie du
budget familial que l'on commencera à récupérer le manque
à gagner. Si cela est vrai pour les résidents de notre
région, cela s'applique concrètement aussi aux touristes en
visite dans notre région.
Tous les intervenants de l'industrie touristique se souviendront qu'ils
s'accordaient pour dire, il y a quelques mois à peine, que ce secteur
n'avait guère progressé et que la région n'avait pas mis
en oeuvre tout ce qui était en son pouvoir pour exploiter au maximum son
potentiel culturel et sa situation de capitale pour attirer et retenir le
touriste.
La situation des travailleuses et travailleurs de l'hôtellerie et
de la restauration, par conséquent, n'a pas progressé, elle s'est
même détériorée. En ce qui concerne leurs conditions
de travail, elles sont pires que jamais à cause, entre autres choses, de
l'outil ultime de chantage actuel que constitue l'emploi. Si Québec
compte autant de grands hôtels et de grands restaurants, autant
d'établissements prestigieux, il va de soi que chacune de ces
entreprises voudra se donner une image concordant à sa
réputation. Cela vaut aussi pour son personnel qui devra subir des
exigences qui n'ont parfois rien à voir avec l'emploi pour être
embauché.
Par exemple, dans certaines discothèques huppées, il faut
être jeune et belle et surtout bien faite; dans d'autres, il faut
être jeune, beau et "sexy"; dans certaines salles à manger, on
doit avoir l'air d'âge mûr, avec cette allure très
distinguée nécessaire pour porter le smoking ou la jupe longue.
Un certain nombre de handicapés réussissent à obtenir un
emploi, mais les grands hôtels les cachent tous à la plonge, aux
ordures ou dans les fonds de bureau; quant aux autochtones, nous les cherchons
toujours. En ce qui concerne les immigrants et immigrantes, on les retrouve
tous dans des ghettos d'emploi que constituent certains services.
Ces grands hôtels de la région de Québec doivent
désormais fonctionner avec un syndicat. La situation de l'ensemble des
entreprises de restauration, surtout, et celle de l'hôtellerie est
cependant tout autre. C'est dire la vulnérabilité des
travailleuses et travailleurs de ce secteur face à leur employeur qui,
nous l'avons dit, utilise allègrement cet outil ultime de chantage
qu'est l'emploi pour tuer dans l'oeuf tout projet de regroupement ou
d'organisation pour revendiquer toute tentative de plainte devant la Commission
des normes du travail et, évidemment, toute tentative de
syndicalisation.
M. Gagné: À ce chapitre-ci, j'aimerais faire
remarquer que la Commission des normes du travail n'aide pas les travailleurs
et travailleuses de l'hôtellerie en ce qui concerne cette
vulnérabilité. Mme la députée de L'Acadie nous
demandait hier si on avait des statistiques en ce qui concerne le nombre
d'enquêtes, le nombre de plaintes déposées devant la
commission, etc. Je rappellerais à la commission qu'il y a quelques mois
à peine, le secrétaire de la Commission des normes du travail
déclarait que ça ne se faisait pas de remettre son chèque
de paie à l'employeur. Si le secrétaire de la commission, M.
Béliveau, affirme une telle chose, s'il ne sait pas que cela se fait,
comment voulez-vous que nous ayons des statistiques? C'est très
difficile, en ce qui nous concerne, d'aider le monde quand la commission dit:
Cela ne se fait pas, on ne s'en mêle pas.
En ce qui concerne les tentatives de syndicalisation, hier et ce matin,
on vous a donné le "membership" de l'ADEPE et de l'AGAP. Si les gens ne
peuvent pas se syndiquer, le "membership" des associations de gens au pourboire
est tout aussi difficile; c'est ce qui explique que l'ADEPE n'ait que 100
membres sur 2000 possibles, comme on l'a dit hier en commission, et que l'AGAP
n'ait que 600 membres sur 3000 possibles.
Mme Gagné: Par exemple, au cours de la campagne de
sensibilisation auprès des travailleuses et travailleurs au pourboire
qui a précédé cette commission, les salariés de
certains établissements de restauration ont refusé
carrément de nous parler ou de signer la pétition que nous
remettrons au ministre, de peur de perdre leur emploi si jamais ils
étaient vus par leur employeur.
Dans certains autres établissements, c'est l'employeur
lui-même qui mettait la main sur la documentation que nous nous
apprêtions à remettre à ses salariés. Inutile
de vous dire quel chemin elle a pris. Là où nous
réussissions à remettre notre brochure explicative sur la Loi
actuelle des impôts, les travailleuses et travailleurs, dans la
majorité des cas, la camouflaient soigneusement pour pouvoir plus tard
la consulter en cachette. La majorité des travailleuses et travailleurs
au pourboire connaissent très mal en effet leurs droits et obligations
en ce qui a trait à l'impôt, et ce malgré que les ministres
du Revenu fédéral et provincial nous affirment qu'il existe de
nombreuses brochures explicatives et formulaires sur le sujet.
On a d'ailleurs tendance à confondre pourboire et
gratification.
M. Gagné: Ici, je ne veux pas relancer le débat qui
s'est fait tout à l'heure, mais j'aimerais signaler à la
commission qu'hier le mémoire national de la CSN a constamment
parlé de frais de service. D'accord? Nous sommes d'accord avec le
député de Terrebonne qu'il faut absolument clarifier cela; et
quand on parle de frais de service, c'est ce qu'on appelle encore le pourboire,
mais c'est cette partie qui doit être considérée comme
étant partie intégrante du salaire sur lequel nous acceptons
d'être imposés et sur lequel nous exigeons des droits aux
différents régimes sociaux gouvernementaux. En ce qui concerne la
partie pourboire, les "peanuts" dont on parlait tout à l'heure, je pense
qu'effectivement il n'y a pas de contrôle là-dessus. Quand on
parle de pourboires, les poursuites dont on a fait abondamment état
devant cette commission sont le résultat d'un manque de contrôle.
D'accord? En imposant les frais de service, a-t-on dit quelque part, dans le
livre vert, que cela n'empêcherait peut-être pas encore d'avoir
quelques pourboires? Il n'y aura pas plus de contrôles.
Messieurs, M. le ministre, oubliez cela. S'il n'y a pas de
contrôle possible, ni pour le ministère du Revenu ni pour nous, il
faudrait peut-être l'oublier. En ce qui concerne les frais de service,
qu'on les impose à 15%, et s'il y a des 0,25 $ qui sont
malencontreusement échappés par le client sur certaines tables,
n'essayons pas de les cotiser. D'ailleurs, le mot pourboire, en ce qui me
concerne, si je prenais cela de façon un peu simpliste, les pourboires,
c'est pour aller prendre un coup, pour aller prendre une bière
après ma "job"; d'accord? Si je reçois un cadeau de ma
mère à mon anniversaire, 10 $ pour faire un "party",
j'espère que le ministère du Revenu ne viendra pas me
l'imposer.
Mme Gagné: Mais on s'entend généralement
pour dire que ni l'un ni l'autre n'est versé par l'employeur, que c'est
surtout le lot des serveurs et barmen, serveuses et barmaids et que le client
le verse pour un service qui lui a été rendu, au moins en
principe. Or, de nombreuses tâches ne faisant pas partie du service sont
rémunérées au taux du service au pourboire, 3,28 $
l'heure, sans que le salarié ne reçoive du client quelque
gratification que ce soit. Citons en exemple le polissage des ustensiles avant
le service, l'essuyage des verres, la cuisson des aliments dans certains
casse-croûtes, le récurage des poêles, des planchers et des
casseroles après le service.
Pour compléter le tableau, ces travailleuses et travailleurs ne
touchent parfois qu'une partie de ces pourboires, gratifications ou frais de
service. On a déjà parlé du partage des pourboires avec
d'autres salariés et souvent avec l'employeur lui-même. Dans
certains établissements, et non pas les moindres, c'est une pratique qui
donne lieu à un tordage de bras éhonté pour forcer les
travailleuses et travailleurs au pourboire à verser une partie du revenu
d'autres salariés à la place de l'employeur.
C'est une pratique que nous dénonçons, qui devra
être formellement interdite et punie formellement par la loi que nous
vous demandons d'amender. Car non seulement ces travailleuses et travailleurs
sont-ils amputés ainsi d'une partie de leurs revenus directs, mais ils
sont aussi obligés de payer de l'impôt sur le salaire qu'ils
versent à d'autres salariés, tout en étant privés
d'une bonne partie des prestations potentielles des différents
régimes sociaux gouvernementaux.
Ici, j'aimerais avertir la commission de corriger le sous-titre
"avantages sociaux" pour régimes sociaux ou sécurité du
revenu. Au chapitre des régimes sociaux, les travailleuses et
travailleurs au pourboire sont particulièrement lésés.
Qu'il s'agisse de mentionner seulement l'assurance-chômage. Signalons
qu'à ce chapitre, en vertu de la loi de l'impôt au
fédéral, Hilton-Canada se retrouve actuellement devant la Cour
suprême, poursuivie par la Commission de l'assurance-chômage pour
ne pas avoir prélevé ni versé de cotisations à ce
régime pour des gratifications contrôlées qu'il a
facturées à ses clients et remis à ses
salariés.
Pour toutes ces raisons, les syndicats affiliés à la CSN
de la grande région de Québec revendiquent auprès des
autorités gouvernementales une meilleure protection des travailleuses et
travailleurs au pourboire et des mécanismes assurant une qualité
de la profession qui aurait pour effet de faire de ces travailleuses et
travailleurs un des éléments importants de l'attrait touristique
de la région.
M. Gagné: Un des éléments de l'attrait
touristique de la région, croyons-nous, serait les travailleurs et les
travailleuses au pourboire eux-mêmes. J'aimerais rappeler la position de
l'Association des restaurateurs du
Québec qui voulait que nous soyons les plus compétents au
monde. Si ce n'est pas un attrait touristique, je me demande ce que c'est.
Mme Gagné: Pour ce faire, l'hypothèse
évoquée dans le livre vert du ministre du Revenu touchant les 15%
de service obligatoires nous apparaît être une solution viable. Un
employeur forcé de verser sa part de cotisation aux différents
régimes sociaux gouvernementaux, une plus large part d'avantages
sociaux, une rémunération plus juste à ses salariés
au pourboire sera sans doute plus exigeant quant à la qualité du
personnel qu'il embauche et quant à la formation qu'il leur donnera par
la suite. Ces mêmes employés se verront, du même coup,
octroyer une rémunération plus décente pour un travail
davantage de qualité, un revenu qui aura la chance de dépasser le
seuil de la pauvreté. En cas de cessation d'emploi pour une raison ou
pour une autre, ils se verront soustraits à une partie de l'arbitraire
patronal et de l'arbitraire de certaines pratiques du fisc. Les 15% de service
obligatoires nous apparaissent non seulement une solution viable, mais la seule
solution qu'il nous faille retenir.
M. Gagné: En conclusion de la conclusion, j'aimerais
rappeler que la chambre de commerce disait aujourd'hui - en faisant un peu
écho à d'autres intervenants -qu'elle n'avait pas d'études
chiffrées, elle non plus, sur la situation des travailleurs et des
travailleuses au pourboire, sur beaucoup d'éléments. Il ne
faudrait pas que les suites de cette commission, à cause d'un manque
d'études chiffrées ou d'un manque de chiffres, prennent des
années. Je pense que la situation a assez duré et il faut que
cela se fasse assez rapidement. Il faut aussi - et on l'a déjà
signalé devant la commission -qu'il n'y ait pas que la Loi sur les
impôts qui soit amendée. On a beaucoup parlé des conditions
de travail. On a beaucoup parlé de la santé et de la
sécurité. Il faudrait vraiment voir cela dans son ensemble et ce
n'est pas uniquement la Loi sur les impôts que nous demandons d'amender,
mais toutes les lois touchant les travailleurs et les travailleuses au
pourboire.
Le Président (M. Boucher): Merci. M. le ministre.
M. Marcoux: M. et Mme les représentants de la CSN de la
région de Québec, je vous remercie d'avoir bien voulu nous
présenter votre mémoire. Je dois d'abord vous dire qu'en ce qui
concerne votre préoccupation, j'ai indiqué, hier et aujourd'hui,
qu'avant toute décision, on en vérifierait bien les
conséquences économiques. Je peux vous assurer que ce n'est
sûrement pas dans l'esprit de reculer indéfiniment, de prendre des
années ou des dizaines de mois avant d'en arriver à une
décision gouvernementale ou, en tout cas, pour que j'en arrive à
une recommandation ou à des recommandations au Conseil des ministres. Je
peux vous assurer que ma volonté est de procéder le plus
rapidement possible. Je puis vous le certifier.
Deuxièmement, en ce qui concerne le fait de tenir compte du
Régime de rentes du Québec et de la Loi sur la santé et la
sécurité du travail, mon intention - je l'ai dit à
quelques occasions depuis le début -n'est pas d'arriver au Conseil des
ministres avec un mémoire qui ne ferait écho qu'aux
préoccupations du ministère du Revenu, mais d'arriver avec un
mémoire qui ferait écho aux autres préoccupations
concernant l'équité sociale également. C'est pourquoi,
durant toute la commission, il y avait ici avec moi des représentants du
ministère de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme, de la Commission
des normes du travail, ma collègue - elle est actuellement au Conseil
des ministres et c'est pour cette raison qu'elle n'est pas avec nous - la
ministre déléguée à la Condition féminine.
Je peux vous assurer que nous voulons envisager le dossier dans sa
globalité dans toute la mesure du possible pour engager...
M. Polak: Vous oubliez l'Opposition.
M. Marcoux: Ah! Bien sûr. Cette commission est
précisément pour connaître également l'avis de
l'Opposition...
M. Polak: Je l'espère.
M. Marcoux: ... soit au moment de la commission ou dans les mois
et les semaines qui suivent. Je pense que le climat du déroulement de la
commission indique aussi la volonté dans ce sens-là.
Pour engager le dialogue avec vous, j'inviterais mon collègue de
Montmagny-L'Islet à vous poser des questions ou à faire ses
commentaires.
Le Président (M. Boucher): M. le député de
Montmagny-L'Islet.
M. LeBlanc: Merci, M. le Président. Mme Gagné, vous
avez présenté un mémoire qui a aussi été
complété par votre compagnon et, dans l'ensemble, c'est la
position adoptée par votre centrale hier. Nous avons longuement
discuté avec elle. Dans la trame générale de votre
rapport, vous décrivez aussi la situation des travailleurs au pourboire
dans la région immédiate de Québec qui est probablement
sensiblement la même dans tout le Québec, mais avec un aspect
particulier pour Québec même et sa région immédiate,
parce qu'il y
a une concentration - vous l'avez dit au début - des
établissements hôteliers, dans la ville de Québec, qui est
hors de proportion, par exemple, avec la ville de Montréal. (17 h
15)
Le danger qui a été évoqué, autant par
l'Association des hôteliers que par la partie patronale et aussi par la
CSN, hier, était que l'imposition des 15% obligatoires mettrait en
péril le nombre d'établissements. Or, comme Québec en
possède proportionnellement plus que d'autres régions du
Québec, est-ce que ce ne serait pas une cause
d'accélération de la disparition de certains
établissements?
M. Gagné: Je ne sais pas si ce serait une cause
d'accélération, mais je ne crois pas que ce soit la cause
immédiate de la disparition d'un certain nombre d'établissements.
Nous le disons dans notre mémoire, les employeurs eux-mêmes nous
le disent, le nombre d'établissements est déjà trop grand.
C'est déjà un état de fait, il y a disparition possible
d'établissements hôteliers dans la région de Québec
et ça n'a rien à voir, pour l'instant, avec les 15% obligatoires.
Que les 15% obligatoires ajoutent à cela, je ne le crois pas non plus,
mais, à tout le moins, ce ne serait pas la cause immédiate, c'est
déjà la situation.
M. LeBlanc: Dans un autre ordre d'idées, vous avez
décrit aussi la situation des travailleurs au pourboire comme
n'étant pas des plus reluisantes. Je reviens à votre
définition du pourboire: "pour boire", mais, d'après ce qu'on
constate dans votre rapport, il n'en reste plus pour boire, c'est strictement
pour manger.
M. Gagné: Exactement. Et pas du steak.
M. LeBlanc: Au niveau de la représentation, vous avez
parlé au nom de tout le monde, de façon générale,
mais vous avez dit que, sur le nombre total de travailleurs au pourboire, vous
ne représentiez que très peu de ces gens; vous avez aussi
parlé des difficultés que vous avez à recruter des gens
dans votre groupe. Il y a un passage de votre rapport qui le mentionne. Par
exemple, lorsque vous avez donné des informations par rapport à
la Loi sur les impôts, vous avez eu beaucoup de difficultés.
J'aimerais que vous développiez ce point.
Mme Gagné: La région de Québec englobe
également Rimouski, pour les syndiqués CSN. On regroupe environ
une quinzaine de syndicats qui totalisent environ 1500 travailleurs; ils ne
sont pas tous au pourboire, il y a environ 30% de ce groupe de travailleurs et
travailleuses qui sont au pourboire actuellement. La difficulté que l'on
connaît...
M. LeBlanc: Quel pourcentage avez-vous dit?
Mme Gagné: C'est 30%. M. LeBlanc: D'accord.
Mme Gagné: Environ 30% ou 35%, on n'a pas les chiffres
exacts, on les a sortis en vitesse, tout à l'heure.
M. LeBlanc: C'est bien.
Mme Gagné: Ensuite, la difficulté aussi qu'on
connaît par rapport à la syndicalisation dans le milieu de
l'hôtellerie et de la restauration est la même que dans tous les
petits endroits où il y a très peu d'employés qui,
souvent, n'ont pas de force pour être capables de réussir à
se syndiquer et se font congédier à la moindre tentative de
syndicalisation; c'est clair.
M. LeBlanc: Vous avez mentionné, dans votre
mémoire, que vous êtes présents, avec les syndicats, dans
les grands hôtels, mais qu'ailleurs vous êtes, à toutes fins
utiles, absents.
Mme Gagné: Absents, oui.
M. Gagné: Quant à la difficulté qu'on a
à donner de l'information à des travailleurs non syndiqués
de l'hôtellerie et de la restauration, elle repose sur ce fait que
l'ADEPE a mentionné au tout début de cette commission, concernant
la qualité de la syndicalisation. Nous sommes allés dans des
entreprises qui étaient syndiquées, mais c'est pire que si elles
ne l'étaient pas; elles étaient syndiquées avec des
organismes très près des employeurs.
M. LeBlanc: À la dernière page de votre rapport -
à la conclusion - vous avez mentionné: "... une
rémunération plus juste à ses salariés au pourboire
sera sans doute plus exigeant quant à la qualité du personnel..."
Je voudrais que vous me donniez un peu plus d'éclairage sur ce point.
Vous voulez dire que la qualité du personnel devra forcément
être meilleure avec l'imposition des 15% obligatoires. Je ne fais pas la
relation.
M. Gagné: Nous sommes convaincus qu'un employeur qui
engage un cuisinier qui lui coûte 8 $, 9$, 10$ ou 12$ l'heure
actuellement, dans les grands hôtels - selon le nombre de fourchettes -
surveille de très près la qualité de son cuisinier au prix
qu'il le paie. À ce moment, le travailleur et la travailleuse au
pourboire - nous l'avons dit souvent pendant cette commission - avec les
15% de service obligatoires, augmentent les frais pour l'employeur. Il
devra désormais prendre la responsabilité de l'évaluation
de son personnel, c'est-à-dire que ce ne sera plus le client qui se
chargera de punir ou de récompenser le travailleur ou la travailleuse au
pourboire; maintenant, le client s'adressera au patron pour se plaindre et
celui-ci devra, par la suite, d'abord embaucher du personnel compétent,
le former, s'il n'est pas tout à fait compétent, et entretenir la
qualité de la profession, à toutes fins utiles.
Mme Gagné: En terminant, dans le livre Problèmes et
Perspectives d'emploi dans le secteur hôtelier, le gouvernement du
Québec avait justement fait la constatation que, lorsqu'il y avait
embauche de personnel seulement au pourboire, il n'y avait presque aucun
critère d'embauche comme tel et que c'était fait de façon
très arbitraire. La qualité du personnel et sa formation
n'avaient pas de suite après l'embauche de cette personne.
M. Gagné: D'autant plus que, comme nous l'avons dit, ce
sont souvent des emplois d'attente. L'employeur peut donc - il y a des listes
d'attente longues comme le bras pour deux ou trois emplois de disponibles dans
un établissement - se permettre d'embaucher n'importe qui, n'importe
quand, n'importe où, en n'importe quel nombre. Dès qu'on a deux
jambes, deux bras et qu'on peut parler, on peut tenir un cabaret, donc, on peut
être serveur, d'accord. Au prix qu'il nous paie, à 3,28 $ dans
l'ensemble, pour les non-syndiqués surtout, l'employeur n'a pas une
lourde punition, en ce qui concerne les coûts, en engageant un
travailleur pour le bousculer ensuite et le mettre à porte s'il ne fait
pas son affaire. Si son travailleur au pourboire lui coûte plus cher, il
sera peut-être intéressé à avoir un personnel de
meilleure qualité. D'autant plus que le consommateur s'adressera
directement à lui pour discuter de la qualité de son
personnel.
Le Président (M. Boucher): M. le député de
Westmount.
M. French: M. le Président, tout au long de la commission
parlementaire, on a entendu parler des situations extrêmement
pénibles que vivent les travailleuses et les travailleurs au pourboire,
situations qui ne sont pas intrinsèques ou qui ne sont pas effectivement
reliées au fisc québécois, mais plutôt
reliées à tout un ensemble d'autres facteurs que plusieurs
intervenants ont soulevés très efficacement devant nous. Je fais
mention des ristournes de salaire faites au patron, du harcèlement, du
chantage de toute sorte. Évidemment, de tels événements
nous frappent et viennent colorer toute notre perception du
problème.
Alors, je voudrais pour commencer essayer d'identifier plus
précisément comment, M. et Mme Gagné, vous nous
recommanderiez, en tant que législateurs, de nous attaquer à ce
problème. Vous conviendrez avec moi que ce n'est pas -d'ailleurs, vous
l'avez dit - le ministre du Revenu qui est vraiment en mesure de s'attaquer
à ce problème, c'est important. Avez-vous d'autres suggestions,
peut-être un peu plus précises que celles que vous avez
évoquées ici? Si ces problèmes existent, ils devraient
être réglés au plus vite.
Mme Gagné: II nous semble important de faire
connaître l'ensemble, la globalité du problème des
travailleuses et des travailleurs au pourboire. C'est clair que nous nous
sommes attardés plus précisément au problème du
fisc puisque cette commission parlementaire était convoquée
là-dessus. Si jamais on parle de santé et de
sécurité, si jamais on veut avoir des normes minimales, des
normes de travail décentes pour les travailleuses et les travailleurs au
pourboire, on verra à vous faire d'autres recommandations très
précises. Pour le moment, il n'a pas été question de
cela.
M. Gagné: Je pourrais peut-être vous donner un
exemple précis de choses qu'il faudrait modifier. Dans la Loi sur les
normes de travail, on dit que le pourboire doit être remis au
salarié; c'est la propriété exclusive du salarié.
On a parlé tout au long de la commission de répartition et de
partage du pourboire entre les salariés. Un salarié, selon la Loi
sur les normes de travail - nous le savons, nous nous sommes cogné le
nez sur la porte - cela peut être le directeur général d'un
grand hôtel. Si le directeur général du Hilton, du Concorde
ou du Château Frontenac décide de participer au pourboire demain
matin, le directeur général est un salarié de la
compagnie. Je trouve cela assez scandaleux.
M. French: Je trouve cela scandaleux dans le sens que vous
l'évoquez. Est-ce que cela arrive?
M. Gagné: Cela arrive. C'est arrivé hier. Cela
arrive aujourd'hui. Cela arrivera demain. Mes collègues se font
probablement prendre une partie de leur pourboire par un maître
d'hôtel, par un employeur, par la gérante qui la mettent dans
leurs poches pour la redistribuer. Le directeur du personnel... Enfin, tout le
personnel de l'hôtel y passe, le personnel-cadre, le personnel de bureau,
ainsi de suite.
M. French: Une des choses qu'on peut faire, ce serait
d'améliorer les définitions dans la Loi sur les normes de
travail.
M. Gagné: C'est un exemple d'amendement qu'il faudrait
apporter à la loi sur les normes.
M. French: Tout ce que je peux vous dire, c'est que, des deux
côtés, on serait très intéressé a avoir des
suggestions aussi spécifiques que possible. J'ai beaucoup appris dans un
domaine dans lequel j'étais tout à fait ignorant. C'est
très difficile. On nous laisse avec l'impression qu'il y a des choses
épouvantables qui se passent. On en est convaincu. Ce serait très
utile d'avoir non seulement des exemples très concrets, mais aussi
quelques suggestions quant aux solutions, parce que nous ne sommes pas en
mesure, surtout dans le contexte fiscal dans lequel nous travaillons
actuellement, de régler tous les problèmes à la fois, sauf
que l'évocation de ces problèmes, comme je l'ai dit tantôt,
a coloré toute notre perception du problème. Je voudrais vous
inviter à nous en parler plus longuement à la prochaine
occasion.
M. Gagné: Nous serions aussi très
intéressés à transformer la couleur que vous avez, du
sombre au plus pâle, au plus pastel.
M. French: Dans ce cas, je voudrais tout simplement vous dire
qu'en tant qu'Opposition, nous serions très intéressés
à vous entendre là-dessus. Je voudrais aussi parler de la
situation économique du Québec. On a effleuré le sujet un
petit peu avec le député de Montmagny-L'Islet. Au début,
vous avez décrit de façon très complète une
situation économique extrêmement sérieuse, mais je dois
vous avouer qu'à part l'argument de la qualité du personnel qui
découlerait, semble-t-il, des frais de service obligatoires, il n'y a
pas eu d'autre pensée à poursuivre dans ce domaine.
Évidemment, je ne vous demande pas un plan de développement
économique pour le Québec. Y a-t-il possibilité d'une plus
grande concertation entre les employés et les entreprises dans le
domaine touristique, par exemple? Y a-t-il possibilité, avec le danger
qui nous menace également, il me semble, pour les employés et les
employeurs, de travailler plus efficacement ensemble?
Des voix: ...
M. Gravel: M. le Président, je n'arrive pas à
comprendre pourquoi, des deux côtés de cette commission, nous ne
sommes pas capables d'écouter nos intervenants et de parler
sérieusement là-dessus. Au début, dès qu'ils ont
arrêté, le député de Montmagny-L'Islet a
commencé à poser des questions et nous n'avons plus eu que du
bruit de ce côté. J'apprécierais beaucoup que mes
collègues tiennent leur caucus à l'extérieur. Le sujet est
important. Nos invités ont droit à avoir un peu plus d'attention
de la part des législateurs.
Le Président (M. Boucher): Si vous en faites une question
de règlement, M. le député de Westmount, je demanderai aux
membres de la commission de bien vouloir observer le silence.
M. Polak: Pas d'une manière générale.
M. Blais: Commencez par le faire de votre côté, M.
le député de Sainte-Anne.
M. Polak: J'écoute.
Le Président (M. Boucher): S'il vous plaît! Mme
Gagné.
Mme Gagné: Pour répondre un peu, nous pensons
effectivement que, par rapport au développement économique,
surtout au niveau de l'hôtellerie et de la restauration, il devrait y
avoir du moins une première concertation entre gouvernement et
employeurs pour permettre un développement beaucoup plus intelligent du
secteur hôtellerie-restauration. En ce concerne l'apport des
employés, étant donné que c'est une main-d'oeuvre qui
roule beaucoup, on a quelque peu de difficulté à voir la
nécessité de leur apport comme tel, ce qui pourrait être
fait...
M. French: C'est-à-dire que, vu le faible taux de
syndicalisation, etc., les porte-parole accrédités de la part des
employés ne sont pas très nombreux.
Mme Gagné: Aussi, mais, par rapport au taux de roulement
des employés, des gens au pourboire, c'est énorme. Ce n'est pas
comme dans une usine où des gens restent dix, quinze ou vingt ans. Ce
n'est pas cela qui se passe dans l'hôtellerie actuellement. Donc, les
gens arrivent pour un certain temps, travaillent dans l'hôtellerie et
repartent, soit à cause des conditions de travail qui sont très
pénibles, soit qu'ils ont trouvé des emplois beaucoup plus
rémunérateurs, avec des conditions de travail bien meilleures.
(17 h 30)
M. French: M. le Président, une dernière question.
C'est la même que celle que j'ai posée à d'autres
intervenants. Le député de Montmagny-L'Islet l'a soulevée.
Advenant la solution de frais de service obligatoires de 15%, n'y aurait-il pas
danger que, dans l'espèce de lutte pour la survivance qui s'ensuivrait
inévitablement -je pense que tout le monde le constate -l'emploi total
dans le secteur baisse de façon nette, ce qui, il me semble,
créerait un certain problème, vu la conjoncture économique
actuelle? Je vous avoue que je
suis totalement indifférent à payer 15% volontairement ou
inévitablement sur l'addition. Cela ne m'affecte pas
personnellement.
Je ne voudrais pas voir baisser l'emploi net dans le secteur, qui est
intense au point de vue de l'emploi de main-d'oeuvre, le voir baisser de
façon substantielle, et j'ai un peu peur. Personne ne m'a convaincu que
cela n'arriverait pas. Je ne pense pas que cela serait rendre service aux
employés au pourboire, en tant que législateurs, d'accepter de
façon brusque la revendication de certains d'entre eux, ce qui ferait en
sorte qu'il y en aurait beaucoup moins le lendemain.
Mme Gagné: Actuellement, les 15% de frais de service ne
sont pas obligatoires et on connaît fermeture sur fermeture et
réouverture sur réouverture. Dans la région de
Québec, entre autres, un des restaurants sur le chemin Sainte-Foy, tout
près de Chez Camille, si vous le connaissez, a fermé au moins
cinq fois dans l'espace d'un an et demi et a rouvert quatre fois. C'est assez
spécifique à la région. Étant donné que le
développement s'est fait de façon tellement anarchique, qu'il y a
tellement de restaurants et d'hôtels, la population qui réside
à Québec n'a pas la capacité de faire vivre tous ces
endroits. Je ne nomme qu'un seul restaurant, mais vous pourriez regarder et
vous verriez que, surtout dans le quartier latin, il y en a eu beaucoup.
Pour vous parler de l'incidence économique que cela pourrait
avoir, je pense qu'on pourrait se pencher un peu plus sur ce qui s'est
passé en France et en Belgique quand il y a eu cette imposition de frais
de service.
M. French: En France, c'était dans les années
quarante, je crois; c'est-à-dire que je ne suis pas sûr que le
parallèle va beaucoup nous aider.
Mme Gagné: En tout cas, je...
M. French: C'est un problème que je vous recommande
d'étudier parce que, enfin, par exemple, des restaurateurs nous ont
offert une solution. Tout ce qu'on à faire, c'est d'ériger des
barrières financières à l'entrée. Evidemment, on
entendait des restaurateurs d'une certaine richesse, d'entreprises d'une
certaine grandeur. Aimeriez-vous mieux avoir moins d'employeurs, mais des
employeurs un peu plus riches au début? Cela vous aiderait-il?
L'État peut le faire. Je ne sais pas s'il veut le faire, mais
l'État peut ériger toutes sortes de barrières
financières à l'entrée de l'établissement.
M. Gagné: L'amélioration des conditions de travail
et des conditions économiques des travailleurs et des travailleuses au
pourboire et des travailleurs et des travailleuses de l'hôtellerie en
général est évidemment notre premier objectif. Si les 15%
de frais de service deviennent obligatoires - on l'a dit au cours de la
commission, on ne vous a peut-être pas convaincu, M. le
député de Westmount - nous croyons que cela va améliorer
en même temps le chiffre d'affaires de nos employeurs. Cela a
été dit. Si on améliore le chiffre d'affaires de nos
employeurs, on élimine des risques de fermeture. D'autre part, quand
vous dites que l'imposition des 15% de service obligatoires en Europe qui date
des années quarante ne s'applique pas, je crois savoir qu'en Europe, en
Belgique, malgré les frais de service obligatoires, il y a de nouveaux
restaurants et de nouveaux hôtels qui ouvrent leurs portes en 1982.
M. French: Je m'excuse, mais vous avez mal compris. J'ai dit
qu'étudier le parallèle de l'instauration, de l'implantation de
cela en France ne nous aiderait pas tellement parce que cela a
été fait il y a tellement longtemps. Je n'ai jamais dit que
l'expérience française n'était pas pertinente.
M. Gagné: Maintenant que c'est fait en Europe depuis
déjà 20 ans, cela n'empêche pas les ouvertures.
M. French: Je tiens absolument à souligner que ce sont
justement les problèmes de transition qui me préoccupent. J'ai
dit que, personnellement, cela ne me préoccupe pas du tout de payer
d'une façon ou de l'autre. C'est la transition que je trouve
menaçante, je vous le dis honnêtement. Peut-être que cela ne
l'est pas. Je suis même ébranlé par la confiance que la
plupart des représentants des employés ont dans la
préservation du niveau total de l'emploi actuel advenant le cas d'une
solution de frais de service obligatoires. Je suis très
étonné et j'espère que vous avez raison.
M. Gagné: J'aimerais insister auprès du
député de Westmount et auprès de la commission; on l'a dit
et je pense qu'il faut insister là-dessus: On ne part pas de 0% à
15%, on donne déjà du pourboire.
M. French: Malheureusement, cette rationalité ne passe pas
toujours dans l'esprit du client. Je peux vous le dire pour avoir
été en affaires dans plusieurs secteurs, et le marketing, je le
connais très bien. Vous avez beau nous passer le message, on le comprend
parce qu'on en a discuté pendant deux jours. Mais je vous assure que
dire à la population, tout de suite, que c'est 15%, cela va provoquer
une réaction quelconque. Donc, advenant le cas de cette solution, il
faudrait
que les syndicats, le gouvernement, les employeurs se mettent ensemble
pour l'expliquer à la population. C'est très important.
Même à cela, je vous souligne respectueusement qu'il est possible
qu'il y ait un petit changement dans la structure de la demande pour les
services de restauration qui ferait en sorte que vos membres perdraient
partiellement leur emploi... Excusez-moi, pas vos membres, mais vos membres
potentiels seraient diminués en nombre, parce qu'il y aurait d'autres
solutions que les gens trouveraient, au moins à court terme, pour se
nourrir. Je n'y tiens pas absolument, je veux bien être convaincu que ce
n'est pas le cas. J'ai peur. Je ne crois pas, toutefois, que le ministre va
être capable de mettre les 15% sur le "fast-food". Vous parliez d'un
problème politique, voilà un problème politique
extrêmement sérieux pour lui. Advenant le cas où le
"fast-food" ne serait pas dans la "game", est-ce que vous voulez les 15% en
tout état de cause?
M. Gagné: Je pense que le ministre, au moment d'un
énoncé politique ou d'un projet de loi, consultera sans doute sur
son énoncé politique ou son projet de loi, si cela arrive. Nous
serons là à ce moment pour commenter et critiquer ce qui sera sur
la table. Mme Gagné vient de vous dire qu'on était tous
disponibles pour collaborer dans une consultation, dans une phase
subséquente à une recherche de solutions à ce
problème', je le répète.
M. French: Je vous demanderais, en terminant, de travailler un
peu le scénario des 15% dans le "fast-food" là-dedans. Travaillez
sur ce scénario au point de vue de l'emploi, ce serait
intéressant d'avoir vos recommandations là-dessus.
Mme Gagné: Avant de terminer là-dessus, pour le
"fast-food", il est clair que le mouvement syndical a toujours essayé de
défendre les plus démunis. Actuellement, les tentatives de
syndicalisation dans le "fast-food", que cela soit McDonald, que cela soit dans
les autres chaînes - j'appellerai cela des chaînes d'alimentation.
Ce sont particulièrement des jeunes, des étudiants, des
émigrants, des femmes qui y sont représentés et, si on n'a
pas le courage politique de se pencher sur ce problème, je trouve que
c'est très difficile.
M. French: M. le Président, je ne vous ai pas
demandé de renoncer à la possibilité de dénoncer le
gouvernement, l'Assemblée nationale et l'Opposition officielle pour ne
pas avoir adopté votre solution, je vous dis seulement que, s'ils n'ont
pas ce courage, cela vaudrait la peine d'avoir une analyse de cette situation
et de l'impact sur l'emploi dans le reste du secteur.
Le Président (M. Boucher): Merci. M. le
député de Sainte-Anne, vous pouvez dire tout haut ce que vous
disiez tout bas tantôt.
M. Polak: Toujours, M. le Président. J'ai seulement une
question. M. Gagné, quand on analyse tous les mémoires qu'on a
eus, les gens qui ont parlé, cela varie énormément. Il y a
votre syndicat et la CSN; ensuite, un autre syndicat qui est aussi très
légitime qui représente des travailleurs, l'alliance des
travailleurs du Québec, représentée par M.
Côté, qui a un mémoire tout à fait différent
du vôtre en ce qui concerne les conclusions. Évidemment, on a
aussi les opinions des employeurs qui disent que, s'ils se font imposer les
15%, cela veut dire la ruine de l'industrie, qu'il ne resterait plus rien.
Donc, si quelqu'un est objectif - je pense que je suis objectif -
où est-ce que la vérité se situe dans tout cela? Parce que
cela varie énormément. Sachant que, et c'est malheureux, ces
employés ne sont pas syndiqués - parce que le nombre qu'on
représente n'est pas important par rapport au nombre total des
employés dans toute la province de Québec - et pensant qu'il y a
aussi des points de la part des employeurs qui disent que cela va ruiner leurs
affaires, est-ce qu'il ne serait pas plus prudent, pour le moment, connaissant
la situation économique actuelle, de ne pas prendre le risque que le
pire arrive et de ne pas totalement accepter le statu quo, mais d'aller
très lentement, certainement pas aussi loin que vous? Est-ce que vous
seriez prêts à considérer cela en vue de la condition
spéciale qui règne partout autour de nous? Je vous demande un peu
la même chose que ce que M. Bérubé demande aux
employés dans le secteur public: Serrez-vous la ceinture et souffrez
avec tout le monde.
M. Gagné: Par les temps qui courent, pour tous les
travailleurs au pourboire ou non de l'hôtellerie, pour tous les
travailleurs de la sidérurgie - entre autres, il y a une commission
parlementaire qui parle de SIDBEC aujourd'hui - pour tout le monde, enfin, il
paraîtrait que cela ne va pas bien, nous a-t-on dit. Nous en savons
quelque chose, nos membres nous en parlent tous les jours. Je me refuse
à attendre trois ans pour voir à améliorer la situation
des travailleurs avec qui je travaille, les travailleurs qui m'ont élu
président du syndicat, les travailleurs qui m'ont fait confiance, les
travailleuses qui se font, à cause de la situation de la crise,
doublement harceler, etc. Je me refuse à attendre deux ou trois ans et
à dire: Allons-y lentement, les employeurs ont quelque difficulté
eux aussi. Mais je pense que nos employeurs, en règle
générale, ont les reins un peu plus solides que les travailleuses
et les travailleurs d'une
entreprise où le salaire moyen est de 6,10 $.
Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le
député de Viger.
M. Maciocia: Oui, j'aurais trois petites questions à vous
poser. La première, c'est que j'ai cru comprendre tantôt que vous
avez dit que les 15% obligatoires, ce n'est pas la cause principale de la
fermeture d'établissements, mais cela pourrait être une cause;
c'est ce que j'ai cru comprendre entre les lignes. Je ne peux comprendre qu'un
syndicat comme le vôtre puisse être d'accord sur la mise à
pied d'employés, dans un premier temps.
Ma deuxième question: J'ai entendu tantôt de votre bouche
que les 15% obligatoires amélioreraient le chiffre d'affaires des
propriétaires. Je voudrais savoir de quelle façon et comment cela
pourrait améliorer le chiffre d'affaires des établissements ou
des propriétaires.
Troisièmement, vous avez dit tantôt: Comment se fait-il
qu'il y ait une liste d'attente aussi longue? Je vous crois, parce que je suis
sûr moi aussi qu'il y a une très longue liste d'attente pour
être serveur ou serveuse à l'intérieur
d'établissements et, en même temps, on est maltraité
à l'intérieur de ces établissements. Quelle est la cause
des listes d'attente aussi longues et en même temps pourquoi les
conditions de travail sont-elles si pénibles?
Je ne voudrais pas que vous me répondiez que c'est la situation
économique actuelle parce que cela fait des années; cela fait des
années qu'il existe des listes d'attente, des centaines et des milliers.
Il doit y avoir d'autres causes dont je voudrais connaître les raisons.
Je n'accepterai pas, je vous le dis d'avance, que vous me disiez que c'est
à cause de la crise économique actuelle, parce que ce n'est pas
cela.
M. Gagné: D'accord. Le premier volet de votre question:
Est-ce que les 15% de service obligatoires pourraient être la
première cause d'une fermeture...
M. Maciocia: Non, je n'ai pas dit la première, j'ai dit
une des causes.
M. Gagné: Une des causes. Cela pourrait être une des
causes si... Prenons l'exemple qui nous a été servi à
cette commission: un restaurant avec un chiffre d'affaires moyen de 300 000 $.
On a vu que, si on ajoutait 15% de service obligatoires, cela signifiait pour
le restaurateur des frais, des coûts d'administration de l'ordre de 5200
$, je crois. Si sa marge de profit n'est plus que de 5200 $ et qu'on arrive
avec les 15% en pourboires, cela se pourrait bien qu'il ferme parce qu'il ne
lui restera plus de profits. Il ne tiendra pas longtemps. À ce moment,
je pense qu'effectivement les 15% de service pourraient être une des
causes de la fermeture, ce serait la cerise sur le gâteau. S'il fait
seulement 5200 $ de profit par année, je pense qu'il y a eu bien
d'autres causes avant cela qui ont fait que notre restaurateur n'a pas fait
d'argent.
Quant à la deuxième partie de votre question, vous me
demandez: Comment pouvons-nous être d'accord pour que des travailleurs et
des travailleuses au pourboire perdent leur emploi? On ne peut pas être
d'accord avec cela. Ce qu'on dit, c'est qu'actuellement le taux de roulement
qui était très élevé jadis a tendance... Il reste
très élevé, mais il a tendance à se stabiliser
à la baisse. Les travailleurs et travailleuses au pourboire qui ont
l'habitude de se promener d'une entreprise à l'autre... Les 210 000 du
livre vert, en fait, on a dit que ce n'étaient pas 210 000 travailleurs,
mais 210 000 emplois; cela pouvait comprendre trois fois le même
travailleur. Le travailleur va prendre une place et va la garder. C'est
à peu près ce qui se passe actuellement.
Au niveau des fermetures, s'il y en avait, cela ne changerait pas
grand-chose à la situation actuelle. Nous l'avons dit dans notre
mémoire, nous assistons actuellement à des fermetures, à
un taux de roulement, à des mises à pied temporaires, à du
temps partiel, etc., et les 15% obligatoires ne sont toujours pas
là.
M. Maciocia: Quand vous dites 210 000 emplois, j'ai pu croire
hier qu'il... (17 h 45)
M. Gagné: ... comprenant tout le secteur.
M. Maciocia:... qu'il n'y avait pas 210 000 employés au
pourboire.
M. Gagné: Absolument pas.
M. Maciocia: II y en a seulement autour de 50 000 ou 60 000.
M. Marcoux: 70 000 environ.
M. Maciocia: On ne parle pas de 210 000.
M. Gagné: Quand je parlais de 210 000, c'était
l'ensemble des emplois dans tout le secteur: hébergement,
hôtellerie et restauration. La situation actuelle est qu'il y a des mises
à pied, il y a du temps partiel, il y a à peu près toutes
les conditions possibles et imaginables qu'on puisse retrouver. Il y a
déjà des fermetures. Si les 15% de service obligatoires
arrivaient dans le décor, cela n'empirerait pas les affaires, à
moins que des employeurs ne soient déjà vraiment juste à
la limite.
D'autre part, comment les 15% de
service obligatoires pourraient-ils faire en sorte qu'on augmente le
chiffre d'affaires de l'employeur? Je crois qu'on en a fait la
démonstration hier et aujourd'hui. Si les 15% de service obligatoires
sont assurés sur la facture, quand vous viendrez me voir à la
salle à manger, je vais vous offrir un deuxième et un
troisième apéritif, je vais vous offrir une bouteille de vin et
je ne vous offrirai pas la moins coûteuse. Je vais vous offrir, deux,
trois, quatre ou cinq cognacs, si vous le désirez. Je vais souvent
être rendu à votre table, et, chaque fois que je vais vous offrir
un deuxième apéritif, je vais remplir votre verre d'eau, je vais
vous épousseter votre table, etc.
M. Marcoux: Mais c'est comme actuellement. Vu que vous êtes
rémunérés... Il y a une certaine proportion. Plus la
facture est élevée, peut-être que la proportion diminue,
mais actuellement vous avez intérêt à ce que le
client...
Une voix: ... achète plus.
M. Marcoux: ... prenne le repas le plus copieux possible.
M. Gagné: Absolument pas, puisque, plus le repas va
être copieux, plus la facture va être élevée, et on
l'a dit, plus la facture est élevée, plus le pourboire diminue.
On en a fait la preuve devant vous hier.
M. Marcoux: Ce n'est pas cela qui a été dit, c'est
que le pourcentage diminuait.
M. Maciocia: Excusez. Quand vous dites que vous allez
épousseter la table et remplir le verre d'eau, etc., je crois que vous
allez le faire plus aujourd'hui pour avoir un plus gros pourboire que lorsque
le pourboire est déjà établi d'avance. Soyons logiques. Je
considère que c'est cela. Quand il y a une fille ou un homme qui va me
remplir mon verre d'eau, qui va être toujours à côté
de moi pour d'autres raisons, je crois qu'à ce moment je vais lui donner
un pourboire beaucoup plus fort que celui déjà établi
d'avance. Si le pourboire est établi d'avance, je ne vois pas la
nécessité de faire cela.
Mme Maës (France): Excusez-moi de vous interrompre, mais je
pense que, dans ces conditions, vous nous accusez de ne pas avoir de conscience
professionnelle.
M. Maciocia: Non, c'est le contraire. Je dois dire que vous allez
le faire seulement parce que vous recevez 15%, mais vous n'allez pas le faire,
si vous n'avez pas 15%.
Mme Maës: On le fait déjà, mais on le fera
encore de plus belle si...
M. Maciocia: C'est le contraire de ce que vous venez
d'affirmer.
Mme Maës: Pas du tout, monsieur.
M. Gagné: Tout à l'heure, je vous ai dit que nous
considérions les fonctionnaires comme très conservateurs quant au
pourcentage de pourboire; j'affirme la même chose en ce qui concerne les
chiffres absolus, le nombre de cents et le nombre de dollars sur la table.
Quand je sers des clients et que je sais que le pourboire ne sera pas
très élevé, je ne me permettrai pas de faire augmenter le
montant de la facture, sachant que les vérificateurs de M. le ministre
vont venir calculer le montant de l'impôt que je vais devoir payer
à partir de là.
Le Président (M. Boucher): Alors! M. Maciocia: La
troisième question?
M. Gagné: Ah oui, excusez, j'avais oublié
complètement l'autre question!
Comment se fait-il que, si l'on est si maltraité dans ce secteur,
il y ait des listes d'attente si longues? On a parlé des "fast-foods" et
on a dit qu'il y avait beaucoup de jeunes dans ce secteur. Pour des jeunes,
c'est une porte d'entrée facile sur le marché du travail. C'est
aussi une porte facile pour demeurer sur le marché du travail,
éviter d'être en chômage. La personne qui pourrait perdre sa
"job" à la Davie pourrait bien décider un jour que cela a l'air
facile, ce travail-là, qu'il va y aller et s'engager. Je vous ai dit
plus tôt que l'employeur, à un certain moment, pouvait engager
à peu près n'importe qui. En tout cas, il y avait à tout
le moins cette tentation. Il y a le fait aussi que les exigences d'embauche
n'étaient pas très élevées, en ce qui a trait
à la scolarité, au poids, à la couleur des yeux et tout le
bazar. Par exemple, pour devenir policier, il faut mesurer tant et avoir tant
de largeur d'épaules; dans l'hôtellerie, cela ne joue pas, ces
choses. C'est donc une entrée facile sur le marché du travail,
pour y entrer et pour y revenir aussi. Je pense, entre autres, à la
femme qui a fini d'éduquer sa famille et qui désire sortir. Elle
va facilement pouvoir entrer sur ce marché d'emploi qui est
l'hôtellerie et la restauration à temps partiel ou, si elle est
très chanceuse, à temps plein.
Mme Gagné: Cela vaut mieux que le chômage
actuellement, de toute façon, pour l'ensemble des travailleurs et
travailleuses de la région. C'est pour cela que les listes d'attente...
C'est peut-être l'emploi où il est le plus facile d'avoir des
débouchés étant donné les critères
d'embauche très peu élevés déterminés par
les employeurs.
M. Maciocia: Est-ce que, selon vous, je dois comprendre que les
qualités ou, disons, les critères qu'on devrait avoir pour
embaucher un serveur ou une serveuse devraient être tellement
élevés que probablement de ceux qui travaillent dans ce domaine,
il n'en resterait qu'une petite partie qui serait vraiment capable d'avoir cet
emploi?
Mme Gagné: Pas nécessairement. Ce qu'on dit dans le
fond, c'est que l'employeur devrait donner une formation quand l'employé
ne répond pas aux critères. L'employeur devrait donner la
formation nécessaire à l'employé.
M. Gagné: Et quand l'Association des restaurateurs du
Québec dit que nous sommes les plus compétents, elle parle de
ceux qui sont actuellement sur le marché.
M. Maciocia: Mais alors c'est en contradiction.
M. Gagné: Ce n'est pas nous qui sommes en contradiction,
je vous ferai remarquer.
M. Maciocia: Merci.
Le Président (M. Boucher): M. le ministre.
M. Marcoux: Comme les quelques questions que j'aurais pu poser
ont été abordées, je ferai simplement quelques
commentaires très rapides. J'ai éprouvé un sentiment
curieux à la lecture de votre mémoire. Je le dis le plus
franchement possible. Peut-être que cela pourra susciter une
réaction de votre part. Dans les neuf premières pages du
document, vous décrivez une situation très difficile pour
l'industrie hôtelière et la restauration de la région de
Québec. On sent qu'il y a des difficultés économiques
importantes et que les enjeux par rapport aux pertes d'emplois sont à la
limite, en tout cas, on sent qu'il y a un point critique.
D'autre part, vous donnez un exemple qui dit que les 100 000 000 $ en
réduction de salaires pour les mois de janvier, février et mars,
par exemple, dans le secteur gouvernemental, cela va créer une perte de
38 000 emplois, temporaires ou permanents -temporaires, j'ai l'impression dans
ce que vous signifiez. Vous voyez donc à peine 100 000 000 $ de moins en
revenus durant une période donnée. Cela pourrait avoir des
conséquences très graves sur la création d'emplois, sur le
nombre de chômeurs.
Lorsque vous décrivez la question de ce qui arrive au Carnaval,
au ski alpin, à la diminution de l'attirance touristique
extérieure l'hiver, j'ai eu l'impression que la conclusion de votre
mémoire aurait été de dire au gouvernement d'être
très prudent et convaincu et que, quelle que soit la solution qui sera
prise, qu'elle mette en danger le moins d'emplois possible, même si elle
doit en mettre en danger, dans notre secteur, compte tenu que - c'est cela que
je trouve intéressant dans votre mémoire - vous dites bien que la
région de Québec vit une situation particulière par
rapport à d'autres régions. Je pense que c'est clair qu'elle est
particulière... Je m'attendais en somme à ce qu'il y ait des
recommandations de prudence dans les choix, les moyens possibles pour
régler les problèmes qui doivent être réglés
de toute façon puisque, vous le savez, je suis absolument contre le
statu quo par rapport à la situation actuelle.
Or, j'arrive à la dixième page et, là, j'ai
l'impression qu'on indique des solutions qui ont été
présentées par beaucoup d'autres groupes qui partagent le
même point de vue que vous, mais j'ai senti comme un hiatus, un
décalage, qu'il n'y avait pas de lien, jusqu'à un certain point,
entre les neuf premières pages de votre mémoire et la
dernière où vous faisiez vos recommandations. Je les situe par
rapport aux mêmes préoccupations que vous présentiez.
Tantôt vous reconnaissiez vous-mêmes qu'il y a plusieurs
restaurants - ce n'est pas seulement ici, mais peut-être plus à
Québec et plusieurs hôtels qui sont dans une situation
financière critique. Vous disiez qu'actuellement il y en a beaucoup qui
ferment et que ce n'est pas à cause des pourboires obligatoires, il n'y
en a pas de pourboires obligatoires. Ce sont d'autres facteurs. Vous avez
raison de dire qu'il y a d'autres facteurs qui jouent, surtout depuis deux ans.
Vous dites que, finalement, ce sera la cerise. Justement, je pense qu'il faut
se poser la question: La cerise, est-ce qu'on décide de la mettre ou
pas? Est-ce le moment de la mettre ou quelle sorte de cerise met-on sur le
gâteau?
En tout cas, je vous livre mon impression parce qu'il est mieux qu'on
ait un dialogue clair et franc par rapport à ce que vous
présentez. Quant aux conclusions et aux recommandations, on a eu
l'occasion d'en discuter, depuis deux jours, et on va continuer à le
faire durant au moins une autre journée.
Un autre commentaire que je voudrais faire concerne la Commission des
normes du travail. Ce que je peux vous dire - je ne parlerai peut-être
pas comme ministre, mais je vais parler comme député que je suis
depuis six ans - c'est que je partage vos préoccupations face, je
dirais, au peu d'efficacité qu'a connu, depuis plusieurs années,
la Commission des normes du travail. Je pense qu'on a eu d'autres exemples qui
ont été donnés hier. Je peux vous assurer
par contre que, depuis quelques mois, il y a eu des changements
d'orientation et de volonté. Je ne sais pas jusqu'où ça
pourra aller ou jusqu'où ça pourra se concrétiser dans la
volonté d'appliquer plus fermement, je crois, et plus
concrètement la Loi sur les normes de travail. Je puis vous assurer,
comme je l'ai dit à d'autres groupes, que, dans les recommandations, on
va essayer de tenir compte de l'ensemble des aspects économiques et des
aspects sociaux et des conditions de travail qui peuvent être
concernés par cette loi.
Ma dernière remarque est la suivante: vous souhaitez une nouvelle
consultation et j'ai dit hier à plusieurs groupes que, sur les
modalités concrètes - lorsque je me serai fait une opinion et que
le Conseil des ministres se sera fait une opinion - chemin faisant, je
n'éliminais pas du tout, au contraire, la consultation avec les groupes
impliqués. Le dernier groupe dont je me serais attendu qu'il souhaite
une nouvelle consultation au sens général, vous l'avez
indiqué, c'est le vôtre. Je pense que la mesure la plus dilatoire
possible, c'est que si, à la fin de cette commission, j'annonçais
que dans quelques mois, il y aura une nouvelle consultation, etc., vous
pourriez m'accuser de ne pas vouloir agir.
M. Gagné: Une consultation sur autre chose, M. le
ministre. Je serais peut-être un peu furieux si vous nous arriviez avec
l'annonce d'une consultation sur un second livre vert, c'est ça que je
veux dire.
M. Marcoux: Mais j'aurais le même type de remarque, si
j'étais à votre place, si c'était un livre blanc. Je pense
que, la prochaine fois, ça va être une consultation sur les moyens
concrets et immédiats à mettre en oeuvre ou pas.
M. Gagné: Une fois que vous aurez déterminé
l'hypothèse retenue.
M. Marcoux: Oui.
M. Gagné: Voilà, c'est ça. La
première étape, c'est celle-là.
Mme Gagné: Dans le fond, je pense que l'espoir qu'on a,
c'est d'avoir une consultation plus large en termes de globalité du
problème qui se vit actuellement et, en termes de conditions de travail,
de santé et de sécurité qui prévalent dans les
institutions de l'hôtellerie et de la restauration.
M. Marcoux: Cela, je pense qu'il ne faut pas l'éliminer,
parce qu'il y a toujours des choses à améliorer
spécifiquement chez les travailleurs qui sont touchés par la Loi
sur les normes de travail, etc., comme les travailleurs dont on se
préoccupe actuellement. Je ne voudrais pas en prendre prétexte
pour attendre d'avoir trouvé la solution globale pour agir par rapport
à ce secteur. Bien sûr, vous allez dire: C'est votre
préoccupation de ministre du Revenu, mais je puis vous assurer que ce
n'est pas seulement cela. Il y a des choses qu'on peut régler, pas
à long terme, mais à court ou moyen terme.
Le Président (M. Boucher): Merci.
M. Gagné: M. le Président, j'aimerais
peut-être faire une petite annonce dans le sens que le
député de Westmount nous disait tantôt vouloir voir
d'autres couleurs de la part du monde de l'hôtellerie et de la
restauration. Je pense que ce serait valable aussi pour les membres de cette
commission. Le ministre vient de nous présenter un livre vert sur lequel
on a réagi. De notre côté, on prépare aussi un livre
- mais celui-là est noir - sur les conditions de travail faites aux
travailleurs et travailleuses au pourboire et qui pourrait
éventuellement servir à une consultation. Je pense qu'à ce
moment-là nous allons essayer d'éclairer les membres de cette
commission et le gouvernement, dans l'ensemble, de ce qui se passe dans ce
domaine. Cela portera sur des points, des exemples très précis de
ce qu'il faudrait corriger.
Le Président (M. Boucher): Merci. Au nom de tous les
membres de la commission, je remercie les représentants du Conseil
central des syndicats nationaux de Québec de la présentation de
leur mémoire.
J'appelle à la table M. Gilles Jolin. Avant cela, est-ce que les
membres de la commission sont d'accord pour poursuivre?
Des voix: Oui.
Le Président (M. Boucher): Pour entendre M. Jolin?
Des voix: Consentement.
Le Président (M. Boucher):
Consentement? M. Jolin, voulez-vous prendre place, à la table
s'il vous plaît? Allez-y, M. Jolin, pour la présentation de votre
mémoire. (18 heures)
M. Gilles Jolin
M. Jolin (Gilles): Je vous remercie de me donner la chance de
m'exprimer devant vous. Je dois vous dire que je me présente simplement
comme un garçon de table; je suis un de ceux qui ont été
"poignes" dans le temps. J'ai vécu l'expérience, je la vis encore
et j'aimerais exprimer mon opinion. Je pense qu'il y a beaucoup de personnes
qui n'ont pas la chance d'être syndiquées et qui aimeraient
être ici pour pouvoir dire ce qui
s'est passé.
Apparemment, mon papier a l'air agressif. C'est un papier que j'ai pris
deux heures à faire parce que ça me prenait un papier, mais j'ai
beaucoup plus confiance en ce que je vais vous dire. De toute façon, je
l'ai fait en deux heures, parce qu'il fallait que je vous en présente
un.
Après ce qui s'est passé, j'ai l'impression que dans mon
cas, comme dans le cas de beaucoup de monde, c'est ma famille qui a
été attaquée dans le temps, ma profession, et il faut
trouver une solution le plus vite possible. Il y a la solution des 15% qui est
très très intéressante et elle m'intéresse de plus
en plus. J'ai cherché aussi d'autres moyens pour voir s'il n'y aurait
pas une autre solution à côté. J'ai une suggestion que je
vais tenter d'expliquer dans mes propres mots.
Je pense qu'il manque encore quelque chose à cette
assemblée et il faudrait que je vous le dise; c'est simplement que je
voudrais savoir qui est mon ministre. Je suis un employé au pourboire et
je voudrais savoir qui est mon ministre. Je pense que c'est le ministère
du Tourisme. Mais est-ce que le ministère du Tourisme a fait un travail
depuis quelque temps, depuis un ou deux ans? Est-ce qu'il a sorti des papiers
sur la vie du "waiter", sur la vie de l'employé au pourboire? Est-ce
qu'il vous a dit ce qu'est un employé au pourboire, ce qu'il a
vécu et ce qu'il vit maintenant?
M. Marcoux: Sur ce, je peux esquisser une réponse rapide.
Comme travailleur au pourboire, c'est le ministre responsable de l'application
de la Loi sur les normes de travail qui est responsable de l'aspect des
conditions de travail. C'est donc le ministre de la Main-d'Oeuvre et de la
Sécurité du revenu.
Par rapport au développement de l'industrie
hôtelière, de la restauration, du tourisme et des conditions
favorisant le développement de ce type d'entreprise, c'est
évident que c'est le ministre de l'Industrie, du Commerce et du
Tourisme.
M. Jolin: En tant que simple garçon de table, le coup que
j'ai eu et que les autres ont eu, et que d'autres reçoivent en ce
moment, je suis une petite punaise qui a été assommée avec
une masse de dix livres. Vous ne pouvez pas savoir la peur et la crainte que
les gars ont vécues et qu'ils vivent encore. Je suis syndiqué, je
peux le faire, mais il y a un paquet de gars qui aimeraient bien venir
aujourd'hui et qui savent que, s'ils se présentent ici, ils perdent leur
job carrément.
Tout à l'heure, on a parlé des causes de la baisse du
pourboire. C'est justement à cause de la fameuse loi du Far West que le
ministère du Revenu nous a faite - le fédéral en premier.
Au lieu de chercher à régler le problème, ils ont
tiré et ils ont posé des questions après.
Depuis que les clients savent que l'impôt est à nos
trousses... La semaine passée, j'ai encore lu deux articles dans le
journal; c'est le fédéral qui recommence des histoires. Pourtant,
personnellement, j'ai tous mes dossiers, je suis prêt, mais je sais
qu'ils vont encore revenir m'achaler. J'ai encore des clients qui me posent la
question: Ils sont encore après toi, tu ne déclares pas de
pourboires? J'ai nettement la conviction qu'il s'est passé des choses.
On a passé pour des criminels. J'ai l'impression que je ne suis pas un
criminel et je vais vous dire pourquoi. Avant ça, tout le monde savait
qu'il y avait des pourboires, le client, le gouvernement, tout le monde. La
preuve, il est même sorti un papier à un certain moment qui a
donné la permission à l'employeur de donner 0,40 $ l'heure de
moins aux "waiters" parce qu'ils font des pourboires. Tout le monde le savait.
Et moi je prétends que le gars qui déclarait des pourboires il y
a dix ans, personne ne les lui demandait, le ministère du Revenu le
laissait aller. Je pense que ce n'était pas un bon citoyen,
c'était simplement un stupide. Cela ne lui donnait absolument rien,
personne n'était jamais venu lui demander quoi que ce soit. Une bonne
journée cependant ils ont dit: Toi, tu vas payer. Un coup de marteau sur
la tête! Maintenant, ce sont des arrérages, des menaces.
Il faudrait que vous alliez voir dans des bars, dans des tavernes, pour
voir ce qui s'est passé à certaines places. Je l'ai vécu
au fédéral. Dans des bureaux, je me suis fait carrément
dire que j'étais un voleur et que, si ça ne fait pas mon affaire,
on irait plus loin. Vous êtes des ci, vous êtes des ça.
C'est ça qui est arrivé.
Si vous voulez, je vais essayer de lire ce mémoire-là et
si vous avez des questions à me poser tout à l'heure... Je dois
vous dire que je parle comme un simple citoyen, comme un gars qui a
goûté à la médecine et je vous demande...
M. Marcoux: Vous n'êtes pas obligé de le lire. On
peut le faire verser au journal des Débats. Si vous
préférez continuer à le résumer comme vous le
faites, vous pouvez le faire.
M. Jolin: De toute façon, c'est parce que j'avais une
couple de petites patentes à changer là-dedans.
M. Marcoux: D'accord, comme vous préférez.
Le Président (M. Boucher): M. Jolin.
M. Jolin: ... pour être moins agressif. Le gouvernement a
besoin d'argent. Tout le
monde le sait, je pense que le problème est là. S'il n'y
avait pas eu tant d'histoires il y a quelques années, si l'inflation
n'était pas arrivée, je pense qu'on serait tranquille.
Je voudrais maintenant remercier le ministère du Revenu parce que
vous nous avez mis au monde, les "waiters". Avant ça, les seuls qui nous
reconnaissaient, c'étaient encore ceux de la loi du salaire minimum. Les
banquiers ne reconnaissaient pas le pourboire comme une garantie pour emprunter
de l'argent, et les compagnies d'assurances exigeaient un taux
supplémentaire. Cela est fort; je l'ai vécu et d'autres aussi. On
payait 10% de plus et savez-vous pourquoi? Parce que je servais des gens qui
étaient en boisson. C'est tout simplement cela qui nous arrivait et cela
a été vécu.
Les employés au pourboire en veulent pour leur argent. À
l'heure actuelle, il faudrait se rendre compte que les seuls à savoir
combien on gagne, c'est nous. Si le pourboire obligatoire à 15% n'est
pas appliqué, vous devriez, avec l'aide des employés au
pourboire, chercher une solution qui nous intéresserait à en
déclarer plus. C'est là-dessus que j'ai essayé de
travailler mon mémoire et cela m'a pris deux heures.
Il est temps de cesser de faire croire que les employés au
pourboire sont tous des criminels. D'ailleurs, hier, M. le ministre du Revenu,
vous en avez parlé un peu. Vous avez tout simplement dit que vous ne
croyiez plus que les employés au pourboire ne veulent plus en
déclarer. Il y a encore un jeu qui se prépare. Je vous le dis,
j'ai ici des papiers. Cela est encore sorti. Le fédéral - je
pense que cela devient "monopolitique" -juste avant la commission parlementaire
ici, sort des papiers indiquant qu'on est 1379 garçons de
soupçonnés. Quand c'est marqué "soupçonné"
dans les papiers, cela veut dire qu'on est déjà condamné.
On est déjà des criminels et on en cache encore. C'est la
solution pour arrêter cela. Les gars sont affreusement tannés.
Vous savez, on veut vivre comme tout le monde. C'est pour cela que je viens
vous en parler.
Les articles 5.2 et 5.3 du livre vert sur la situation des travailleurs
et travailleuses au pourboire devraient être fusionnés. Il y a des
choses qui existent là-dedans. Le gars qui a une carte de crédit
signe déjà son pourboire. Je travaille dans un hôtel, au
Château Frontenac. Le gars qui signe, pour sa chambre, il y a
déjà un pourboire d'inscrit; il y a 15%. Heureusement, je fais
des banquets depuis deux ans, parce que j'ai prévu que cela
n'arrêterait pas tout de suite, cette histoire-là. Tous mes
dossiers sont prêts. J'ai même une formule T-4 pour mes pourboires.
Le gars qui a une formule T-4 comme moi, il a la paix.
De plus, je demanderais, au nom de gars que je connais qui travaillent
dans d'autres domaines, d'obliger l'employeur à nous donner toutes les
semaines le montant total des ventes que le gars a faites parce que, lors de la
vérification de mes factures -car j'ai eu la chance de vérifier
mes factures dans le temps, j'ai été chanceux -j'ai vu que le
ministère fédéral du Revenu, dans ce temps-là,
quand il y avait des factures dont il ignorait à qui elles
appartenaient, il les mettait à mon nom ou à celui d'un autre. Il
a fallu que je me batte. Quand je suis allé au ministère
fédéral du Revenu, à un certain moment, - là,
c'était beau en mosus - on m'a dit: Tu as raison. J'ai montré 127
factures. J'étais en vacances durant ce temps. J'ai dit: Mosus,
laissez-moi tranquille! 127 factures. Ensuite, ils multipliaient par quatre et
ils m'arrivaient avec des montants et des menaces. A un certain moment, j'ai
dit: Écoutez! Je vais toujours bien me brasser un peu. Je suis
allé voir un peu tout le monde et j'ai gagné à 50%.
Il faut s'entendre avec le gouvernement fédéral pour nous
faire donner l'assurance-chômage. Je pense que cela commence à
presser. Je connais des confrères de travail qui vont se ramasser avec
80 $ par semaine. Ils sont poursuivis par l'impôt et ils se ramassent
à l'assurance-chômage. Je n'ai pas peur de vous, parce que j'ai
confiance en vous. Je pense qu'il y en a un paquet, là-dedans, qui ont
peur, qui sont vraiment stressés. C'est de montrer qu'il va se passer
quelque chose.
Il serait souhaitable de former ou aider à assurer une
assurance-salaire sur les pourboires. C'est un petit dont je rêve depuis
longtemps. D'abord, à l'heure actuelle, je ne vois pas d'autre solution
que le pourboire à 15%. Mais si jamais vous ne l'envisagez pas, je pense
qu'il y aurait une solution très intéressante,
c'est-à-dire que vous aidiez à partir les garçons de
table. Plus tu en déclares, plus tu aurais d'assurance. Je suis
allé voir des compagnies d'assurances. Je suis allé à la
SSQ, à la Laurentienne. Ce serait un coût très minime.
M. Marcoux: Le point no 5, c'est l'assurance-salaire au lieu de
l'assurance-maladie?
M. Jolin: C'est cela.
M. Marcoux: D'accord.
M. Jolin: C'est parce que...
M. Marcoux: Cela va. C'est juste pour...
M. Jolin: Je ne suis pas allé voir un avocat. Je ne suis
allé voir personne. J'ai fait cela tout simplement de bonne foi.
M. Marcoux: C'était pour savoir si j'avais bien compris.
D'accord.
M. Jolin: Dans ce métier, je pense même que le
ministère de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme devrait s'impliquer
et fouiller là-dedans avec le ministère du Travail. Je pense
même qu'il devrait faire une carte de travail pour garçon de
table, pour barman ou pour "waiter", de façon que, à un certain
moment, les gars qui travaillent comme barman dans un club ou comme "waiter"
ailleurs, même si le job n'est pas tout à fait le même,
pourraient être identifiés ensemble. À ce moment-là,
on aurait une certaine force auprès de vous. Je dis que le
ministère de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme ne me
représente pas. Il ne fait absolument rien pour moi comme travailleur.
Je pense que cela manque à l'heure actuelle et je vous demande ce que
vous en pensez.
Le Président (M. Boucher): Est-ce que vous avez
terminé?
M. Jolin: Je crois que oui.
Le Président (M. Boucher): M. le ministre.
M. Marcoux: J'inviterais mon collègue de Bellechasse
à engager le dialogue.
M. Lachance: Oui, M. le Président. M. Jolin, en lisant
votre mémoire, la première impression qu'on a, c'est celle de
quelqu'un qui, le moins qu'on puisse dire, est très mécontent,
quelqu'un qui laisse échapper de la vapeur et aussi un peu
d'agressivité à la suite - c'est bien évident - d'une
mauvaise expérience vécue concrètement.
Je me pose une question. Si j'ai bien compris, vous faites partie d'une
association syndicale ou d'un syndicat dans votre établissement?
M. Jolin: Là où je travaille, j'ai la chance
d'être syndiqué et j'ai un bon syndicat. C'est ce qui nous a
sauvés, nous, parce qu'on a eu la chance de faire vérifier nos
factures, on a eu la chance d'être représentés et cela a
bougé pas mal plus qu'ailleurs.
M. Lachance: Comme se fait-il, M. Jolin, si vous faites partie
d'un syndicat, que vous ayez cru important de venir ici nous rencontrer
personnellement au lieu de faire valoir vos revendications par
l'intermédiaire de votre syndicat? Je veux bien que vous compreniez que
ce n'est pas un reproche, c'est par simple curiosité.
M. Jolin: Je voulais que vous entendiez au moins un garçon
de table qui a vécu une expérience. Je n'ai aucune
agressivité envers vous autres, mais j'ai goûté à la
patate chaude. Je vois des gars un peu partout. Quand je vois un gars qui
travaille dans un petit restaurant, c'est un "waiter" comme moi; il n'a pas la
chance de se présenter. Moi, j'aimerais vous dire, comme individu, ce
que j'ai vécu, ce que ma famille a vécu et ce que tout le monde
vit avec cela. Je pense qu'il va falloir trouver des solutions, mais les armes
ont été pas mal trop fortes pour nous. Le coup de la matraque,
avant 1976, vous savez... Avant de recevoir mon compte d'impôt... Cela a
paru dans les journaux, on en a entendu parler à la radio, tout le monde
était au courant, il y avait des montants astronomiques. Mais tout ce
qui a été épargné, récupéré
sur nous, cela n'a jamais repassé, ces histoires-là. Toutes les
choses qu'on a réussi à déterrer, cela n'a jamais
passé. Vous savez, nous ne sommes pas des criminels en puissance, nous
ne sommes que des travailleurs comme n'importe qui et nous voudrions que cela
arrête, ces histoires. Il y a sûrement une solution; si ce n'est
pas celle des 15%, ce sera une autre, mais il faut arrêter cela.
Cela paraît bizarre, mais chaque fois que je vois un "waiter"
quelque part, je lui demande: As-tu reçu ton compte d'impôt? C'est
fatigant. Je suis dedans. Je parle avec mes mots. Je ne suis pas comptable ni
avocat, mais je vis avec cela et je vous demande de l'enlever.
M. Lachance: Je trouve extrêmement intéressant que
quelqu'un comme vous vienne rencontrer les membres de la commission pour les
sensibiliser aux problèmes concrets que vous avez vécus. En
passant, je pense bien que vous méritez d'être
félicité du courage que vous avez parce que ce n'est certainement
pas facile. Cependant, je ne voudrais pas être indiscret. Si vous jugez
bon de ne pas répondre, il n'y a pas de problème.
En ce qui vous concerne, l'espèce de traitement de faveur dont
vous avez été l'objet de la part du fisc canadien et du fisc
québécois aussi, je présume... Est-ce que le Québec
vous a aussi embêté?
M. Jolin: Le fédéral a commencé et, une fois
que le montant a été établi, le provincial a suivi.
M. Lachance: En quelle année, M. Jolin?
M. Jolin: On a été poursuivi pour l'année
1976-1977. Je n'ai pas eu de faveurs du fédéral, absolument pas,
malgré tout le travail que j'ai fait là-dedans. Je leur ai
prouvé qu'il y avait au moins la moitié des factures qu'on
m'imposait qui ne m'appartenaient pas. Je dois dire que la
plupart des employés au pourboire qui sont poursuivis à
l'heure actuelle, qui sont recherchés, n'ont pas eu la chance de
vérifier leurs factures comme je l'ai fait. Je l'ai fait avec mon
épouse qui m'aidait, qui était enceinte, et vous ne pouvez pas
savoir tout le travail qui s'est fait là-dessus. Les gars n'ont pas eu
la chance de vérifier, ils ont été vraiment
assommés. C'est un coup qui est venu par derrière et ils n'ont eu
aucune chance de s'en sortir. À partir de maintenant - il faut oublier
le passé - et pour l'avenir, si jamais des recherches sont faites, qu'on
soit donc très explicite et qu'on donne au gars la chance de se
défendre.
M. Lachance: Je vous ferai bien comprendre, M. Jolin, que, quand
j'ai parlé de traitement de faveur, c'était dans un sens
péjoratif; ce n'était certainement pas pour laisser entendre que
des faveurs vous avaient été faites.
M. Jolin: Je comprends.
M. Lachance: En ce qui concerne les sommes qu'on vous a
réclamées, est-ce que ce sont des sommes très importantes?
Vous semblez en être sorti très traumatisé.
M. Jolin: Ce n'était pas seulement à cause du
montant, c'était la peur qu'on me faisait et qu'on a faite à tout
le monde aussi. Dans le temps, on a évalué cela à 1300 $.
Dans ce temps-là, il y a une période pendant laquelle je n'ai pas
travaillé. On m'a établi une base pour 1976 et, après
cela, on a gardé le même montant pour 1977. À un certain
moment, j'ai travaillé à des banquets et j'avais
déclaré ce que j'avais fait aux banquets. J'ai aussi
travaillé ailleurs, à l'extérieur du Château, sur
une patinoire durant une période tranquille. Encore là, il a
fallu que je me débatte avec eux. Vous ne savez pas à quel point
cela peut devenir frustrant, tout ce qu'on m'a dit.
À un certain moment, je suis devant un gars qui est
supposé être sérieux et qui me dit: Supposons que tu gagnes
200 $ par semaine, c'est facile. Le gars m'envoie ça comme ça, il
multiplie par 52 semaines et il me fait un montant. Je lui demande: C'est quoi?
Il me dit: C'est à peu près ce que tu fais. Je lui ai
demandé: Sais-tu quelle est ma vie? Qu'est-ce que je suis? Un "waiter".
Sais-tu que j'ai droit à des semaines de vacances et que, quand je suis
en vacances, je n'ai pas de pourboires? Quand j'ai des journées
statutaires - à l'heure actuelle, je pense qu'on est rendu à
douze - je n'ai pas de pourboires. Quand il n'y a pas d'ouvrage, je n'ai pas de
pourboires. Les pourboires sont tellement fluctuants d'un bord et de l'autre
que le gars ne peut pas savoir. C'est pour cela que je prétends que, si
une recherche un petit peu poussée avait été faite...
(18 h 15)
J'ai été traumatisé et il y en a beaucoup qui ont
été traumatisés là-dedans, la famille a
été traumatisée. Vous ne savez pas le calvaire que cela a
été pour tout le monde, c'est affreux. Cette histoire aurait
été évitée. C'est pour cela qu'il y a un paquet de
"waiters" qui ne viendront pas aujourd'hui parce qu'ils n'ont pas grand
confiance dans ce qui se passe; mais moi j'ai confiance en vous autres. Moi, je
veux vous dire ce qui s'est passé.
M. Lachance: J'aurais une dernière question. Vous avez
esquissé tantôt certains aperçus de ce que pourrait
être la solution retenue. D'une façon très concrète,
est-ce qu'à partir du livre vert vous vous êtes attardé
à une des hypothèses en disant: C'est celle-là que je
choisirais si c'était moi qui décidais? Est-ce que vous avez une
préférence marquée pour quelque chose que vous nous
recommandez?
M. Jolin: À l'heure actuelle, avec ce que je vous dis sur
ce qui se passe, le ministère de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme
n'est pas venu, le ministère du Travail n'a aucune documentation
à nous donner. Avec ce qui s'est dit hier en arrière, que les
pauvres restaurateurs qui ont 2000 restaurants et les quelques-uns qui ont fait
un profit ont fait à peu près 5% de pourboires, moi, je ne vois
pas la bonne foi de ce côté non plus. Je ne voudrais pas
pénaliser le client, mais moi je suis pénalisé depuis le
début. Si vous n'avez pas d'autres solutions, je n'en verrais pas
d'autres que celle des 15%. On est pris. Pourtant, je suis le seul du groupe,
le seul des "waiters" qui venaient, qui ne parlait pas des 15%. J'ai
cherché la solution. Je vous dis et je vous répète encore:
Savez-vous qu'est-ce que c'est qu'un "waiter"? Vous ne l'avez pas et ça
devrait être fait. On a un métier tellement différent.
Vous savez, il y a deux sortes de "waiters" dans le même
restaurant. Il y a le "waiter" qui travaille sur la qualité et celui qui
travaille sur la quantité, et aujourd'hui le "waiter" qui essaie de
travailler sur la qualité est pénalisé par son employeur
parce qu'il ne fait pas assez de tables. Deuxièmement, il va payer de
l'impôt de plus. C'est affreux. Ce qui s'est passé du
côté des employeurs hier, il y a des arguments qu'eux autres
auraient pu sortir que je connais qu'ils n'ont même pas sortis. On a un
travail et vous ne savez pas ce qu'est un "waiter". C'est tout simplement cela
que je trouve dommage et ça va prendre à certains moments
quelqu'un qui rencontre des "waiters" au Château Frontenac ou ailleurs
pour vous dire ce qui se passe là-dedans, et je suis de très
bonne foi. On s'est attaqué à nous autres et il
faudrait à un certain moment nous aider, et je vous remercie, je
sais que vous êtes là pour cela.
Le Président (M. Boucher): Merci. M. le
député de Saint-Louis.
M. Blank: M. Pilon... M. Jolin: Jolin.
M. Blank: Bon, excusez-moi. Je suis un habitué du
Château Frontenac, je vous connais. Vous me dites que vous avez
discuté cette affaire avec les autres "waiters" du Château
Frontenac...
M. Jolin: Je n'en ai pas discuté seulement au
Château Frontenac, j'en ai discuté pas mal partout ailleurs,
surtout ailleurs.
M. Blank: Le consensus de ces discussions tombe sur quelle
solution? Est-ce qu'on est pour ou contre ces 15% obligatoires?
M. Jolin: II y en a une bonne "gang", je devrais dire la plupart,
qui vont dire: Je ne le sais pas. C'est ce qu'ils vont dire tout simplement
parce qu'ils ne croient plus à grand-chose. Ils ne savent plus ce qui se
passe, ils savent qu'un autre compte s'en vient.
M. Blank: Mais, vous, est-ce que vous vous trouvez des points
positifs sur une imposition de pourboires obligatoires? Pensez-vous que cela
pourrait nuire à votre commerce, à votre profession?
M. Jolin: Je ne le sais plus. Je ne le sais pas trop, je n'ai pas
de documentation. Moi, je devrais dire que je sais que je ne paierais plus
d'impôts sur un pourboire que je n'ai pas fait, et que,
deuxièmement, j'aurais la paix avec vous autres, avec le
ministère du Revenu. Je suis tanné d'avoir des lettres disant
qu'on va faire des enquêtes, qu'on va fouiller un peu partout. Je vous
dis que c'est drôlement plate. C'est ça qu'on vit. C'est tout
simplement cela et je ne veux pas parler contre le gouvernement actuel; le
fédéral, c'est lui qui a commencé la galère. Mais,
imaginez-vous, l'avez-vous lu la semaine passée? Cela recommence cette
affaire-là. Vous savez, tu parles avec ton beau-frère, n'importe
qui va te parler de cela. Cela vient tannant. On veut vivre comme n'importe
quel citoyen. Il faudrait un bon jour qu'on s'aperçoive qu'il n'y a que
moi qui sais combien je fais. Cela a toujours été cette
histoire.
Moi, je veux travailler encore sur la qualité. Sur la
qualité, cela veut dire que le gars qui va venir, que ce soit un
bûcheron, que ce soit M. Lévesque ou M. Trudeau, cela va
être le même service. Mais, à l'heure actuelle, le vrai
travailleur au pourboire, son métier est en danger. À l'heure
actuelle, l'employeur, de la manière que j'ai pu le voir hier encore, ce
n'est pas le "waiter" de qualité qu'il veut avoir, c'est le "waiter" de
rapidité. Mieux que cela, contrairement à il y a dix ans, avant
ça, le "waiter", c'était le gars qui servait l'eau et qui servait
le client, la première qualification qu'on va demander au gars qui s'en
vient, c'est: Sais-tu "poinçonner" sur une caisse électronique?
C'est la première qualification d'un "waiter" aujourd'hui. C'est
ça que je veux faire savoir et il faut défendre notre
métier parce que, selon moi en tout cas, les clients, il y a deux ou
trois manières de s'en servir. J'ai reçu des lettres
d'étrangers et je peux dire que j'ai fait des choses parce que j'aimais
mon travail. J'ai parlé de ma province, j'ai parlé de mon pays.
À un certain moment, j'ai eu des journalistes japonais qui
étaient au Château Frontenac. Ces gars, au bout de deux, trois
jours, je suis devenu "chum" avec eux autres, cela n'avait pas d'allure. Les
gars étaient "smart". Une journée de congé, j'ai dit: Les
gars, je vais vous faire vivre quelque chose que vous n'avez jamais
vécu, parce que les gars faisaient des recherches sur les sports d'hiver
au Canada. Ils ont vu le mont Sainte-Anne, et patati et patata. Il y en a un
qui était rendu à Vancouver. Finalement, je les ai amenés
à la pêche aux poissons des chenaux. Vous allez trouver que n'est
peut-être pas grand-chose, les poissons des chenaux, pour nous, mais pour
les Japonais, c'est très intéressant, parce que pour eux, les
poissons, c'est très important. C'est ce qu'ils mangent. Ils ne
croyaient pas que cela se pêchait en dessous de la glace. J'ai pris mon
automobile et je les ai amenés là, parce que non seulement cela
faisait plaisir, mais je trouvais que c'était ma "job" comme
Québécois, comme ambassadeur, de montrer que j'avais un beau coin
de pays. À l'heure actuelle, on n'est reconnu absolument dans rien
là-dedans. Rien! C'est tout simplement le gars qui va arriver et qui va
dire au patron: J'ai vendu tant, et c'est tout. C'est ce que je vous
demande.
M. Blank: Merci, M. Jolin. Je veux seulement faire une petite
remarque. Depuis hier, on entend des groupes, mais on a entendu seulement deux
individus, le restaurateur grec de Trois-Rivières et vous. Je pense
qu'on a appris plus de vous deux que de tous les groupes qu'on a entendus.
M. Jolin: Si vous me le permettez, j'ai trouvé que
l'intervenant d'hier soir avait bien de l'allure. J'ai trouvé que le
gars avait - je vais sortir le terme - un grand ennemi, le groupe qui a comparu
hier matin. Ils veulent le manger, parce que le gars est ici et qu'il
veut travailler. J'ai l'impression que ce gars-là, si j'allais
travailler pour lui, on s'entendrait, parce que j'ai l'impression qu'il marche
sur la qualité au lieu de marcher sur la quantité. La fameuse
histoire qu'ils ont sortie, que le service va diminuer et patati et patata, le
jeu n'est pas bon à la base... c'est tout simplement cela. Je pense que
les dés sont pipés à certains moments. La profession est
en danger. Le jour où vous allez manquer de bons serveurs
d'expérience... Je ne suis pas un des meilleurs. J'en suis un bon, pas
plus, mais c'est à la baisse, cette histoire, parce que le fait des
choses, c'est ce qui se passe à l'heure actuelle. Je vous demande de
sauver cela. Je vous demanderais encore - et je suis très sérieux
- que le ministère de l'Industrie, du Commerce et du Tourisme et le
ministère du Travail fassent des recherches, surtout si vous sortez un
livre blanc bientôt, sur ce qu'est un garçon de table, et
même, à un moment donné, que vous émettiez des
cartes de compétence. Je pense que ce serait plus qu'urgent. Je vous
remercie parce que vous nous avez mis au monde.
Le Président (M. Boucher): Merci. M. le ministre.
M. Marcoux: Je veux vous remercier d'avoir pris l'initiative de
venir nous rencontrer. Je m'aperçois que souvent on se dit, au bout de
quelques mémoires ou de quelques groupes qu'on a rencontrés dans
une commission ou simplement à la lecture des mémoires: Cela va
être une répétition au bout de quelques mémoires. Ce
que je constate, depuis le début, c'est qu'à chaque
mémoire qui s'ajoute, il y a une perspective nouvelle et, je dirais, un
contenu vraiment nouveau qui s'ajoute. En fait, ce que je retiens de ce que
vous avez dit, c'est que vous voudriez que, soit directement ou indirectement,
il y ait une reconnaissance de votre statut professionnel comme garçon
de table. Je ne parle pas légalement ou des choses comme cela comme
d'autres groupes professionnels, mais vous voudriez, quelle qu'en soit la
forme, que le groupe des travailleurs que vous représentez comme
individu, comme garçon de table, que ce groupe ait une reconnaissance
comme telle et que son rôle soit mieux reconnu.
M. Jolin: Cela va plus loin que cela, M. le ministre. J'ai suivi
des cours d'hôtellerie. J'ai suivi des cours pendant quinze jours. Dans
le temps, c'étaient des cours de recyclage. Je pense que j'ai même
fait partie de la première classe où des cours de quinze jours ou
trois semaines étaient donnés. Il y avait le professeur puis des
gens du ministère du Tourisme et, dans ce temps-là, j'ai connu...
il est décédé aujourd'hui... En tout cas, il travaillait
pour mes gars dans le temps. Il nous a dit: Les gars, vous êtes des
professionnels. C'est ce qu'on nous a dit. Le ministère du Tourisme a
dit: Vous êtes des professionnels, mais on n'agit pas du tout, par
exemple, comme si on était des professionnels. On a eu droit au coup de
matraque, comme si on était des criminels. Je dis encore que le gars, il
y a dix ans, qui déclarait ses pourboires était un
imbécile. Cela ne lui donnait absolument rien.
M. Marcoux: En rapport avec le deuxième sujet que vous
avez abordé et que M. le député de Saint-Louis a
soulevé d'une autre façon en vous demandant ce que vos
collègues de travail pensaient, ce que je comprends de ce que vous avez
dit, c'est: Trouvez n'importe quelle solution, mais trouvez-en une pour qu'au
niveau du revenu on soit des citoyens comme les autres, qu'on ait à
payer des impôts, mais qu'on ne soit pas toujours dans la situation de se
dire: Quand vont-ils m'attraper ou quand vont-ils se mettre à me
poursuivre? En fait, ce que vous voulez, c'est qu'on trouve une
méthode...
M. Jolin: Oui.
M. Marcoux: ... qui fasse que vous payiez des impôts comme
tout le monde, mais que vous ayez la paix comme à peu près
l'ensemble des citoyens face au Revenu.
M. Jolin: Coupable ou non coupable, on reçoit un compte et
une lettre et il faut combattre.
M. Marcoux: Mais il y a quand même des discussions que j'ai
pu avoir avec des travailleurs et des travailleuses à pourboire. C'est
pour cette raison que je voulais savoir l'opinion un peu majoritaire
d'après votre sentiment. Je vois qu'il y en a beaucoup qui disent: Que
cela continue à peu près comme c'est actuellement... Il y en a
plusieurs, à mon avis, qui préfèrent que ça
continue comme c'est actuellement, c'est-à-dire qu'on passe
l'éponge ou qu'on oublie la situation, plutôt que d'intervenir par
n'importe quelle autre méthode qui ferait en sorte qu'il y ait une
révélation des revenus à peu près complète.
D'après le sentiment de vos collègues, de façon
majoritaire, qu'est-ce que c'est? Ont-ils votre attitude ou plutôt
l'attitude que plus on va attendre pour régler cette situation, mieux ce
sera?
M. Jolin: Pour parler franchement, d'abord je travaille avec des
collègues qui ont un an d'expérience et d'autres qui ont 35 ans
d'expérience. J'ai vu des gars qui ont vécu la même chose
que moi. Vous savez, quand on se fait dire: Si ça ne fait pas on va
aller 20 ans en arrière, on a peur et on a raison d'avoir peur. Le gars
qui est en avant,
lui... Moi, je n'en ai presque pas bénéficié, j'ai
été poigne au début. C'est tout simplement qu'on ne sait
plus ce qui va se passer, mais on veut avoir la paix. Est-ce que je
réponds à votre question?
Deuxièmement, je reviens encore au ministère du Tourisme.
Je pense que je suis quasiment parapublic et je me demande si ce n'est pas lui
qui devrait payer pour mon timbre d'assurance-chômage et les autres
avantages sociaux, pour ce qui est des pourboires.
M. Marcoux: Vous dites que votre épouse a compilé
toutes les factures, etc.?
M. Jolin: Oui.
M. Marcoux: Cela signifie que vous avez eu la collaboration de
votre employeur pour recueillir toutes les données pour vous
défendre? Je vous pose la question parce que...
M. Jolin: J'ai eu une bonne collaboration de mon syndicat qui les
a demandées à mon employeur, et je pense qu'on est les seuls
à avoir eu ce service. Ma représentante syndicale a
travaillé trois semaines sur mon cas et je vous assure que
c'était de la paperasse. C'étaient des grosses caisses, les
factures étaient mélangées; chaque restaurant, chaque bar,
c'était tout mélangé, les noms étaient
mélangés; ce n'était pas un cadeau!
En plus de ça, mon épouse, qui était enceinte et
malade, à l'époque, est venue comptabiliser cela, alors que je
faisais pratiquement une dépression. Je ne savais plus où
j'allais, surtout quand j'ai découvert beaucoup d'anomalies dont je ne
peux pas vous parler ici, parce que c'est encore plus loin. Le lendemain ma
femme a été hospitalisée. J'ai tout eu. En plus j'ai
failli perdre ma femme. Je vous le dis, on a vécu une expérience
atroce, comme certains garçons de table en vivent. D'autres ont peur de
la vivre. Il est vrai qu'il y en a qui jouent à l'autruche, j'ai
joué à l'autruche; mais il vient un moment où il faut dire
qu'on agit en homme et on se tient debout. Vous savez la matraque... Essayez
ça, tenez une petite punaise entre vos doigts et frappez avec une masse
de dix livres. Moi, imaginez-vous, je suis la punaise! On y a
goûté!
M. Marcoux: II y a un autre point que je voudrais aborder
rapidement, concernant l'assurance-chômage. Vous pouvez me dire
qu'évidemment ça ne relève pas de notre juridiction, mais
je crois que, de façon générale, il y a une harmonisation
des lois fiscales entre le gouvernement canadien et le gouvernement
québécois. Je ne vois pas pourquoi le même type de choses
s'appliquerait, si nous sommes appelés à amender la loi pour
faire en sorte que les travailleurs au pourboire contribuent et
bénéficient pleinement du Régime de rentes du
Québec, de la CSST. En tout cas, je peux vous assurer... Vous le savez,
vous étiez là hier, il y a quelqu'un de Revenu Canada qui assiste
à tous ces travaux et je suis convaincu qu'il prend des notes
pertinentes sur votre intervention.
M. Jolin: C'est pour ça que j'en parle, parce que pour ce
qui est de l'assurance-chômage, veux, veux pas, à l'heure
actuelle, le ministère du Revenu fédéral doit être
au courant de ce qui se passe ici. De toute façon, on marchait ensemble
là-dessus, mais j'ai l'impression qu'il y a certaines solutions qu'il
est facile de relier. Ensuite les enquêteurs pourront aller ailleurs que
chez les travailleurs au pourboire; surtout dans le domaine de
l'hôtellerie il y a tellement d'autres places pour enquêter. Qu'on
laisse donc un peu les travailleurs et qu'on aille voir de l'autre
côté!
M. Marcoux: Je vous remercie, M. Jolin, et je souhaite qu'on ne
décevra pas la confiance que vous nous faites.
Le Président (M. Boucher): M. Jolin, au nom de tous les
membres de la commission, je vous remercie pour la présentation de votre
mémoire.
C'est tout pour ce soir et la commission ajourne ses travaux à
dix heures demain matin.
(Fin de la séance à 18 h 30)