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Version finale

42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)

Le lundi 20 janvier 2020 - Vol. 45 N° 5

Consultations particulières et auditions publiques sur l’exploitation sexuelle des mineurs


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Auditions (suite)

Mmes Franziska Baltzer et Françoise Filion, et M. Farhan Bhanji

Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle (CLES) et Y des femmes de Montréal

Ordre professionnel des sexologues du Québec (OPSQ) et L'Anonyme UIM

Mobilis et Service de police de l'agglomération de Longueuil

Le Phare des affranchiEs et M. Jacques Moïse

Maison d'Haïti et Centre d'aide aux familles latino-américaines (CAFLA)

Programme Prévention jeunesse Longueuil et programme Prévention jeunesse de Laval

Réseau Enfants Retour Canada (RERC) et projet Les Survivantes

Autres intervenants

M. Ian Lafrenière, président

Mme Christine St-Pierre

M. Christopher Skeete

Mme Méganne Perry Mélançon

M. Alexandre Leduc

Mme Lucie Lecours

Mme Kathleen Weil

Mme Catherine Fournier

Mme Nancy Guillemette

M. Richard Campeau

M. Frantz Benjamin

Mme Émilie Foster

Mme Isabelle Lecours

M. Denis Lamothe

M. Guy Ouellette

*          Mme Diane Matte, CLES

*          Mme Jennie-Laure Sully, idem

*          Mme Mélanie Thivierge, Y des femmes de Montréal

*          Mme Isabelle Gélinas, idem

*          Mme Joanie Heppell, OPSQ

*          Mme Isabelle Beaulieu, idem

*          Mme Sylvie Boivin, L'Anonyme UIM

*          Mme Shanda Jolette, idem

*          Mme Carole Demers, Mobilis

*          Mme Pascale Philibert, idem

*          M. Fady Dagher, Service de police de l'agglomération de Longueuil

*          M. Ghyslain Vallières, idem

*          M. Martin Valiquette, idem

*          Mme Nathalie Khlat, Le Phare des affranchiEs

*          Mme Marjorie Villefranche, Maison d'Haïti

*          Mme Michael Obas Romain, idem

*          Mme Arianna Farinola Ugarte, CAFLA

*          Mme Audrée-Jade Carignan, programme Prévention jeunesse Longueuil

*          Mme Solange Guay, programme Prévention jeunesse de Laval

*          M. Jean Fallon, idem

*          Mme Pina Arcamone, RERC

*          Mme Nancy Duncan, idem

*          M. Dominique Côté, projet Les Survivantes

*          Mme Josée Mensales, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures trente et une minutes)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs ouverte. Je vous souhaite la bienvenue au Centre Pierre-Charbonneau à Montréal. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques, s'il vous plaît.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions publiques de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Non, M. le Président, il n'y a aucun remplacement.

Auditions (suite)

Le Président (M. Lafrenière) : Cependant, je demanderais le consentement pour faire siéger avec nous le député de Bourget. Est-ce qu'il y a consentement pour avoir le député de Bourget avec nous? Consentement. Alors, dans cette grande ouverture de notre commission, M. le député de Bourget, je vous demanderais de venir vous asseoir avec nous. Merci beaucoup. Merci aux membres de cette commission. Comme on est par chez vous, on vous accueille ici. Merci beaucoup, M. le député de Bourget.

Alors, ce matin, nous entendrons en audition conjointe les Drs Franziska Baltzer et Farhan Bhanji, de même que l'infirmière, Mme Françoise Filion. Alors, je vous répète que nous allons vous écouter dans votre présentation, et par la suite il y aura une période d'échange avec les membres. On parle d'une période d'échange de 30 minutes. Vous allez avoir chacun votre 15 minutes de présentation, mais ensuite, conjointement, on va vous entendre. On va vous poser des questions. Et c'est une période d'échange. C'est non partisan. Notre but, c'est d'en savoir plus. Et on a décidé, la commission, d'entendre deux groupes en même temps pour avoir des échanges qui étaient plus fluides un petit peu.

Alors, je vous laisse faire votre présentation. Et je vous remercie beaucoup d'être avec nous aujourd'hui. Merci.

Mmes Franziska Baltzer et Françoise Filion, et M. Farhan Bhanji

Mme Baltzer (Franziska) : Donc, je suis Franziska Baltzer. Je suis pédiatre. Et puis je vais vous expliquer mon accent tout de suite pour que vous n'ayez pas à vous poser des questions. Je viens de la Suisse, de la Suisse allemande, et puis je suis venue ici en 1983 pour faire un fellowship en médecine des adolescents, et puis j'ai fait ça à Sainte-Justine. Donc, j'ai appris le québécois des adolescents de cette province. Donc, je vous parle comme un adolescent québécois.

Je suis clinicienne depuis 30 ans. Je suis au Québec depuis 1991. Et puis, c'est ça, je suis une spécialiste en médecine des adolescents et puis ça fait 20 ans que je travaille dans le centre de la jeunesse et de la famille Batshaw. Je fais des cliniques là-bas.

Donc, durant tout ce temps-là, j'ai vu je ne sais pas combien de victimes d'exploitation sexuelle. Je les ai vues parfois durant toute leur adolescence. Parfois, je les ai vues juste une fois. Parfois, je les ai vues maintes fois. Donc, j'ai vu le cheminement que ces filles-là font. J'aurais pu vous soumettre un livre d'une centaine de pages sur le thème, mais j'ai décidé de vous soumettre deux pages et demie. Mais chaque mot, chaque phrase dans le document est, je pense, très important.

On m'a posé deux questions, et puis je vais commencer par la deuxième. C'est quoi, l'impact de l'exploitation sexuelle d'un mineur sur sa personne? C'est un impact majeur sur tout le développement normal d'un adolescent. Ça veut dire sur son développement physique, sur son développement psychologique, sur son développement social et puis sur son développement spirituel. Ça affecte toute la personne d'un bord à l'autre, là.

Le problème de base, d'après moi, qui amène qu'une fille se retrouve dans l'exploitation sexuelle, c'est un manque d'estime de soi, et puis ce manque d'estime de soi peut être le résultat de toutes sortes de choses qui sont arrivées plus tôt dans sa vie. Ça peut être la négligence. Ça peut être des traumatismes qu'elle a vécus. Mais le problème de base, c'est l'estime de soi. Et puis c'est ça qui amène au problème qu'on a, comme institution différente de la société, après ça, pour s'occuper des victimes d'exploitation sexuelle parce qu'une adolescente avec une estime de soi à terre ou pas existante, quand elle se fait embarquer dans l'exploitation sexuelle, pour elle, c'est la solution de son problème. Pour elle, ce n'est pas un traumatisme pour commencer. Pour elle, c'est une solution. Et puis, tant que nous, comme adultes de toutes sortes de milieux autour, ne voyons pas ça au début, nous n'allons aller nulle part avec les interventions.

Donc, l'approche thérapeutique. La première question que la commission me pose : Est-ce qu'il y a une approche thérapeutique qui est passée sous l'évidence? Ça, c'est une question que je ne peux pas répondre, parce que c'est justement ça, quand nous, on intervient, notre premier but, pour cette jeune-là, c'est de la mettre en sécurité. Donc, elle va se ramasser, dans la plupart des cas, sous la protection de la jeunesse, en placement. Pour cette jeune-là, ce placement-là, ça, c'est le traumatisme. Et puis ça, ça dure un bon bout de temps, jusqu'à ce qu'elle va s'apercevoir que l'exploitation sexuelle est le vrai traumatisme et pas le placement. Ça, ça va prendre du temps, beaucoup de temps, des mois, parfois des années. Et puis je n'ai pas regardé les Fugueuses. Pas encore. J'attends à ma retraite pour regarder ça parce que je vis ça depuis 20 ans tout le temps, là. Je n'ai pas besoin, là, de regarder ce film-là, là, cette série-là. Je sais c'est quoi. Je les vois fuguer à tout bout de champ.

Donc, l'approche de base pour de la thérapie serait de mettre en place n'importe quoi pour augmenter l'estime de soi de ces enfants-là parce que c'est seulement avec une certaine estime de soi qu'elles peuvent comprendre qu'elles ont vécu un traumatisme. Et puis après ça on peut leur offrir une thérapie pour le traumatisme comme tel, mais bâtir l'estime de soi d'un adolescent, ça, c'est très, très difficile. Il faut adresser les traumatismes ou les manques que cet enfant-là a vécus dans le passé. Si on passe par-dessus ces traumatismes-là, on n'ira nulle part.

Après ça, il faut leur donner un sens dans leur vie, et puis ça, c'est extrêmement difficile à faire par nos institutions. Nos institutions comme la protection de la jeunesse, ils ont tous le même problème. Ils ont un manque de personnel et puis ils ont un roulement de personnel qui est extrêmement rapide. Donc, même si on place ces jeunes-là pendant des mois ou des années en centre jeunesse, elles ne vont pas avoir la stabilité qu'elles auraient besoin pour pouvoir bâtir leur estime de soi. Donc, c'est extrêmement difficile.

• (9 h 40) •

Je pense que, je le dis à la fin de mon papier de deux pages et demie, c'est un problème de société. Et puis il faut qu'on intervienne comme société, mais à toutes sortes de niveaux, là. Il faut voir l'exploitation sexuelle pas juste comme un fait isolé, là. Ça fait partie de notre société et ça fait partie de la compréhension problématique qu'on a de la sexualité en général à tous les âges. Ça fait partie de toutes les autres façons d'abus sexuels, soit à l'enfance, dans la famille, chroniques, isolés, n'importe quoi. Donc, il faut, comme société, qu'on change notre compréhension, notre façon de vivre la sexualité en général. Et puis seulement à partir de là on peut commencer à peut-être mettre des mesures en place pour guérir les victimes de cette sexualité qui est si mal établie, là, dans notre société.

Et puis, dans le même sens, c'est extrêmement important qu'on arrête de travailler en silo. Si on continue de travailler en silo, et puis c'est ce qu'on fait en ce moment, on n'ira nulle part. Donc, toutes les parties prenantes autour du problème de l'exploitation sexuelle doivent travailler ensemble, doivent continuellement, durant les années où cette victime-là va avoir besoin de leur support, de leur aide, parler ensemble, doivent se concerter. Sinon, ça ne sert à rien.

Donc, c'est ça que j'ai à dire.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup d'avoir été très brève comme ça. Merci beaucoup.

Alors, maintenant, j'invite le Dr Bhanji et Mme Filion à se présenter et à nous faire leur présentation. Et par la suite on a une période de questions conjointe.

M. Bhanji (Farhan) : Merci beaucoup pour l'invitation, M. le Président, et pour les membres de la commission. On est très heureux d'être ici en représentant le centre de simulation Steinberg à McGill et l'Université de McGill.

Je m'appelle Farhan. Je suis un pédiatre aux soins intensifs. Avant, je travaillais beaucoup à l'urgence. Je veux m'excuser un petit peu. Je suis un anglophone de Toronto, alors je n'ai pas... j'ai grandi sans parler français. C'est juste le temps que j'ai arrivé à Montréal que je parle plus en français.

Maintenant, je travaille comme... au centre de simulation. Je suis le directeur de l'éducation là-bas. Et aussi j'étais l'ancien directeur du programme en résidence de l'urgence pédiatrique à L'Hôpital de Montréal pour enfants. Je veux vous parler pourquoi est-ce que je pense que ça, c'est important. La dernière position que j'ai, maintenant, ce n'est pas relié à cette présentation, mais je suis le directeur associé de la stratégie des examens pour Le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, que j'aide les chefs des examens pour les 68 examens qu'on fait, nationaux, pour les médecins. Ce n'est pas relié à cette présentation, mais je pense qu'il y a des opportunités de travailler ensemble avec des organisations. Et je pense que ça, c'est une des choses que je vais vous parler.

Je suis ici avec Mme Filion, et ensemble on a commencé de faire des choses à McGill. C'est vraiment Françoise qui a commencé des choses pour les étudiants, les infirmières, et on a pris ça pour les médecins. Et je pense que c'est très important de comprendre que c'est un problème qui est pour les professionnels de santé. Ce n'est pas juste les médecins, ce n'est pas juste les infirmières. C'est un problème qui est important pour tout le monde.

Je vais vous donner la raison pourquoi ça, c'est important pour moi. Et, pour moi, la raison que l'exploitation sexuelle des mineurs, c'est important, premièrement, c'est... Je suis un père de trois enfants. Ils ont 11, huit et cinq ans. Et, pour moi, j'ai vu une évolution, qu'il y a plus des choses sur l'Internet, plus des opportunités pour les adultes de parler avec les enfants. Et les temps ont changé. Les choses qui arrivent dans les écoles, c'est beaucoup changé depuis le temps que j'étais en école secondaire. Et je pense que les opportunités pour les pertes de temps sont beaucoup plus faciles maintenant.

Deuxièmement, je pense que l'exploitation sexuelle des mineurs, ce n'est pas assez compris par les professionnels de santé. Moi, je pense, maintenant... Quand je travaillais à l'urgence, j'ai changé pour travailler au Collège royal. Je ne travaille pas, maintenant, à l'urgence, mais est-ce qu'il y a des cas que je peux trouver à l'urgence quand j'ai vu des patients? Chez nous, on voit plus que 80 000 patients par année. Sainte-Justine, c'est la même chose. C'est le plus grand nombre de visites de gens au Canada. C'est plus grand que Toronto, plus grand que Vancouver. Et les deux places qui voient le plus de patients sont Children's et Sainte-Justine.

Même, comme l'ancien directeur du programme de résidence pour les médecins qu'il va former en soins en urgence pédiatrique, est-ce que je fais qu'est-ce que j'ai besoin de faire pour nos résidents? Est-ce que nos résidents comprennent la complexité du problème ou est-ce qu'on a concentré sur des problèmes aigus et on n'a pas fait assez d'attention sur l'exploitation sexuelle?

La dernière chose, pour moi, c'est que le problème reste caché. Les médecins, les infirmières, les physios, les ergothérapeutes et tous les travailleurs en santé n'ont pas les habilités de reconnaître quand quelqu'un est peut-être exploité ou quand la personne se présente pour l'aide. Et c'est seulement dans la dernière année, deux années, que j'ai commencé de travailler avec Françoise et des collègues qui travaillent pour les polices, que j'ai eu l'opportunité de parler avec les survivants, les survivantes de l'exploitation, qui ont dit que, peut-être, si quelqu'un me demandait une question de plus, peut-être, s'ils ont fait une situation que je suis capable de parler de qu'est-ce qui m'arrivait, peut-être, en ce moment, avec une professionnelle de santé, je peux parler. Et c'est ça qui m'inquiète, que si, moi, je n'ai pas fait une bonne job dans les dernières années.

Pour les médecins et les infirmières, on apprend par de la littérature qui est publiée. Il n'y en a pas beaucoup sur l'exploitation sexuelle. Ce n'est pas dans nos journaux, ce n'est pas dans nos enseignements, ce n'est pas dans notre formation continue professionnelle. Et je pense que c'est important de commencer cette conversation.

L'autre chose, c'est que moi, je m'ai formé en soins d'urgence et soins intensifs. Comme la majorité des médecins, je suis bien formé pour les problèmes aigus. Pour les problèmes de traumatisme psychologique, c'est plus long terme. Ce n'est pas une solution rapide. Ce n'est pas quelque chose qu'on est habitués de voir. Ce n'est pas quelque chose qu'on est habitués d'aider. Mais les victimes d'exploitation sexuelle, les mineurs vont se présenter à l'urgence, en clinique, pas avec un médecin de l'adolescent, pas avec un médecin de famille, pas avec un travailleur social. Alors, c'est très important de sensibiliser les médecins et les infirmières qui travaillent dans les situations d'urgence, les cliniques, à c'est quoi, le problème, et comment est-ce qu'ils peuvent aider rapidement, et c'est où les ressources, et est-ce qu'ils peuvent parler avec le docteur.

Je veux maintenant passer le bâton à Françoise, qui va parler un petit peu de qu'est-ce qu'on a fait à McGill. Et après ça je vais vous donner un peu d'information qu'on a faite, après ça, avec nos collègues autour du Canada.

Mme Filion (Françoise) : Bonjour. Merci beaucoup de me recevoir à cette commission d'enquête. Mon nom est Françoise Filion. Je travaille à l'École des sciences infirmières Ingram de l'Université McGill depuis 2010. J'ai été chargée d'enseignement et je suis, depuis 2018, professeure adjointe. J'ai été engagée en 2010 pour enseigner la santé communautaire, que j'enseigne toujours aujourd'hui. J'ai une maîtrise en sciences infirmières, option santé communautaire. Et j'ai travaillé comme infirmière en santé publique environ huit ans. Je suis également codirectrice de RISMA, qui est le Regroupement infirmier de santé mondiale et autochtone, à l'école.

Comme infirmière en santé publique, j'ai toujours voulu changer le monde un jour à la fois et soutenir le plus possible les populations les plus démunies que je côtoyais. Dès le début de mon enseignement, j'ai eu la chance de créer des partenariats avec différents organismes communautaires oeuvrant auprès de populations qu'on dit marginalisées afin que mes étudiants les soutiennent avec des projets de prévention primaire tout à fait adaptés à leurs besoins. Chaque année, de 40 à 46 projets sont créés par les étudiants.

• (9 h 50) •

J'ai aussi pu constater l'accès difficile aux soins de santé pour différentes populations dites marginalisées. C'est pourquoi, en septembre 2017, nous avons établi un partenariat avec l'Accueil Bonneau pour mettre en place une clinique infirmière dans leur établissement. La clinique McGill-Bonneau a vu le jour comme projet pilote afin d'offrir des soins infirmiers aux résidents dans leurs quatre maisons d'hébergement. Suite au succès du projet pilote, nous avons renouvelé notre entente, maintenant jusqu'à cinq ans, jusqu'en 2023. La clinique est ouverte toute l'année, deux jours par semaine, et reçoit des étudiants en sciences infirmières trois fois par année, qui font leur stage en santé communautaire. Depuis son ouverture, nous avons eu plus de 850 consultations et sur à peu près 120 résidents.

Dans le cadre de mon enseignement, j'ai aussi organisé des rencontres avec diverses personnes provenant de populations qu'on qualifie de vulnérables, comme des personnes utilisant des substances illicites, des autochtones survivants des pensionnats, des réfugiés de pays de guerre, des travailleuses et travailleuses du sexe, des personnes de la communauté LGBTQ2+ et des survivants d'exploitation sexuelle.

C'est dans ce contexte que j'ai invité, en 2016, Les Survivantes, un groupe de policières du Service de police de la ville de Montréal, qui ont créé un service qui s'occupe des personnes en situation d'exploitation sexuelle et les soutiennent dans leurs démarches, qu'ils ou elles veuillent ou non porter plainte contre leurs proxénètes. La présentation des Survivantes m'a tout à fait bouleversée, surtout de savoir que les infirmières sont souvent les premiers ou premières à rencontrer des victimes, soit à l'urgence ou dans les cliniques, et qu'aucune formation ne leur est donnée afin de détecter ces signes et pouvoir aider les victimes. C'est une occasion perdue de soins. Et les policières nous faisaient remarquer que, très souvent, les victimes n'auront que quelques minutes avec un professionnel de la santé, et c'est ce moment qui est privilégié pour détecter les signes et établir un lien de confiance. Même si le consentement n'est pas donné par la victime pour de l'aide immédiate, un lien est établi. Une porte est ouverte pour du soutien, de l'aide future.

La première étape étant la sensibilisation, j'ai fait équipe avec le centre de simulation Steinberg afin de bâtir un scénario d'un cas d'exploitation sexuelle pour le présenter à mes étudiants. Le centre de simulation a soutenu dès le départ ma démarche et m'a aidé à rendre le scénario plus réaliste. J'ai aussi consulté une infirmière spécialisée en trafic humain à Toronto, les policières du groupe Les Survivantes et une survivante d'exploitation sexuelle qui est affiliée aux policières. Ce scénario n'était pas tout à fait explicite, mais certains signes étaient présents, pouvant instiguer des doutes chez une personne aguerrie à l'exploitation sexuelle. La majorité de mes étudiants savaient qu'il y avait quelque chose de plus qu'une consultation habituelle, mais ils ne savaient pas ce que c'était, peut-être de la violence conjugale. Durant le débriefing, nous révélons un cas d'exploitation sexuelle. Et, le lendemain, les étudiants ont la présentation des policières du groupe Les Survivantes.

Comme mentionné dans le mémoire présenté à cette commission, environ 80 % à 87 % des victimes consulteront un professionnel de la santé durant leur captivité et très peu de professionnels pourront les dépister à cause d'une faute de formation. Nous avons besoin de créer des outils de dépistage, des protocoles de soins qui incluront des ressources pouvant prendre en charge les victimes s'ils ou elles le désirent. Nous devons travailler en multidisciplinarité avec les autres universités, et avec les professionnels de notre système de santé, et aussi, de manière intersectorielle, avec les écoles, les centres jeunesse, les policiers et les survivants et survivantes de l'exploitation sexuelle. Il faudra penser aussi à inclure nos différents ordres professionnels et les impliquer, bien sûr, aussi dans nos efforts.

Il y a beaucoup à faire, mais c'est un défi que je qualifie de remarquable parce qu'à terme nous pourrons dépister, aider et soutenir les victimes de l'exploitation sexuelle. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci. Dans les deux cas, vous avez fait ça de façon très concise. Oui, docteur, allez-y. Il reste trois minutes.

M. Bhanji (Farhan) : Merci beaucoup. Je m'excuse, M. le Président. Alors, qu'est-ce qu'on a fait à McGill, depuis le temps que Mme Filion a commencé sa... on a commencé des enseignements pour tous les... pas tous les résidents, mais des groupes de résidents qui vont voir des patients comme ça, dont obstétrique, gynécologie, pédiatres, et on essaie de prendre des leçons qu'on a apprises au début et on fait plus de ça. On a fait un petit webinaire et on est très surpris qu'on a... aux places, il y a 60 personnes qui sont arrivées pour écouter le webinaire «live», et c'est très rare, mais on a vu que plus de 700 personnes ont accessé ce webinaire pour voir ça en ligne.

Avec ça, nos collègues du Sommet de simulation, qui est une grosse conférence de simulation au Canada, ils ont vu ce webinaire, ils sont venus nous demander de faire la même plénière à la conférence à Winnipeg. Et, à Winnipeg, on a fait ça pour nos collègues qui sont là, à peu près 300 collègues qui sont des professionnels en santé et des éducateurs. On a vu que le monde... En anglais, on dit «pin-drop silence». Tout le monde a entendu tout ça. Ils ont réalisé que c'est quelque chose qu'ils n'ont pas compris. They didn't know. Et ils ont vraiment remarqué que ça avait changé la façon qu'ils pensent le problème. On n'a jamais vu des... Rarement qu'on a vu des évaluations comme ça, que tout le monde a pensé que c'est la chose qui a changé leur opinion.

Pour Le Collège royal, les choses qu'on essaie de faire, maintenant, c'est de faire une... On donne des informations pour la formation continue professionnelle pour tous les médecins au Canada. Alors, les médecins spécialistes... Alors, c'est à peu près 45 000 à 50 000 personnes, des médecins. On va faire un petit résumé de ça pour envoyer à tous les médecins pour qu'ils comprennent c'est quoi, le problème. Comme Françoise a dit, c'est très important de travailler comme une équipe... comme des survivants, survivantes, des médecins, des infirmières, des physios, et avec les polices, avec les survivants, avec les survivantes, et faire ça ensemble.

En anglais, je ne suis pas sûr si ça se traduit bien en français, mais... «Good education changes what you know, really good education changes how you think, great education helps shape who you are.» Et ce qu'on veut faire, c'est... on veut changer les personnes. On veut sensibiliser les médecins, les infirmières, les physios, les «pharmacists» pour penser à ça et aussi penser aux autres problèmes qui... les personnes sont marginalisées.

On a fait un comité à McGill pour la simulation pour les personnes... «simulation on a social mission», pour aider, pour faire plus de ça, une autre simulation. Je pense que c'est... Pour faire ça, pour Québec, il faut qu'on est collaboratifs, qu'on travaille avec les professionnels, avec les polices, avec les universités, avec les survivants, survivantes pour faire un programme d'enseignement. Là, ça peut être des webinaires, du matériel comme... «online material», des simulations. On sait que les simulations marchent, mais ça coûte plus. C'est difficile de former les résidents, les étudiants dans les centres de simulation. Et le Québec, c'est assez gros qu'on ne peut pas avoir toutes les infirmières qui travaillent facilement aussi.

Alors, je pense qu'avec ça c'est qu'est-ce qu'on pense que c'est peut-être possible, mais je pense qu'il faut, au début, qu'on ait identifié c'est quoi, le problème, comment est-ce qu'on peut aider et, avec une équipe, qu'est-ce qu'on va faire dans le futur.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, docteur. Merci. Alors, ça met fin à vos présentations. On va passer à la période de questions. C'est toujours un défi. J'ai déjà huit questions d'enregistrées pour 30 minutes. Alors, je vais demander à mes collègues députés de garder leurs questions les plus courtes possible pour vous donner le plus de temps possible à répondre. Et je vais demander aux députés, comme on a trois invités, d'essayer de cibler à qui s'adresse la question. Alors, la première question enregistrée pour la vice-présidente, la députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci. Merci, M. le Président. Merci pour cette présentation très éclairante. J'ai quelques questions que je vais essayer de faire les plus courtes possible. Et je vais vous demander évidemment de répondre de façon très succincte parce que je veux qu'on entende les questions de mes autres collègues également.

Dre Baltzer, lorsque vous parlez de l'estime de soi, augmenter l'estime de soi, on comprend, mais, en même temps, l'estime de soi, c'est large. Et je me demandais si vous aviez une ou deux... s'il y a un ou deux outils ou une ou deux questions ou pistes que vous pouvez nous donner pour comment on augmente l'estime de soi.

Ma deuxième question pour vous, c'est sur les centres jeunesse. Est-ce que les centres jeunesse sont l'endroit approprié pour des victimes d'exploitation sexuelle? Est-ce qu'on devrait penser à un autre type... je n'aime pas le mot «institution», là, mais un autre type d'institution? Parce qu'on trouve toutes sortes de cas dans des centres jeunesse. Est-ce que c'est l'endroit idéal? Et ensuite j'aurai une question pour Dr Bhanji et Mme Filion.

• (10 heures) •

Mme Baltzer (Franziska) : La première question, comment augmenter l'estime soi, puis c'est quoi, les pistes, bien, la seule façon d'augmenter l'estime de soi, c'est de donner aux jeunes quelque chose pour qu'ils se sentent utiles. Et puis je sais, là, je rêve, là, mais moi, je pense toujours, si on pouvait envoyer ces jeunes-là en Afrique, dans un orphelinat pour les victimes de sida, les orphelins du sida, et puis les faire travailler là-bas, ils pourraient revenir, là, avec une estime de soi, là, qui va les protéger de n'importe quoi, à peu près, mais c'est ça. Et puis... Donc, n'importe quoi, là.

Le problème, c'est que les centres jeunesse... Je vois pourquoi ils sont là, parce qu'il faut les protéger, là, ces victimes d'exploitation, mais les centres jeunesse, ce n'est pas l'endroit idéal. Leur mandat, c'est de renvoyer les jeunes au plus vite dans leur milieu. Et puis, quand ils vont bien, en placement, le prochain «step», c'est de commencer à les renvoyer de nouveau dans leur milieu d'où ils sont venus et puis où l'exploitation sexuelle a pu avoir lieu, là.

Je ne blâme pas les familles, là, mais il y a un problème de base, là. Les enfants de Dr Bhanji, là, ne vont pas se faire exploiter sexuellement, là, je peux vous le dire tout de suite, là, ni les enfants de Mme Filion, là, parce qu'ils sont pris en charge, ils ont un milieu chaleureux, supportant, qui, justement, favorise leur estime de soi.

Donc, ce n'est pas... On dit que les victimes viennent de toutes les souches de la société. Ça, c'est vrai, mais ça ne veut pas dire, quand vous êtes riche, que vous êtes vraiment quelqu'un qui va faire tout pour que l'estime de soi de votre jeune va se développer, là. Ce n'est pas juste en donnant des cadeaux, là.

Mme St-Pierre : Vous parlez de votre centre de simulation. Ça a vraiment suscité énormément, je pense, d'intérêt ici. Est-ce qu'il existerait, pour nous, pour nous permettre de comprendre davantage ou de voir davantage ce que vous faites... Est-ce qu'ils existent dans... Est-ce que vos simulations sont captées sur des vidéos ou est-ce qu'on peut... on pourrait voir à huis clos, là, je ne dis pas qu'on lance ça dans le grand public, pour nous aider, nous aussi, à détecter les signes d'une exploitation sexuelle des mineurs? Parce que ce que je comprends, là, de ce que vous nous dites, puis ce qu'on comprend depuis le début, c'est que ce n'est pas évident, ce n'est pas écrit dans le front, là : Je suis exploité sexuellement, là, il faut vraiment saisir où est-ce que c'est. Est-ce qu'il existe un outil qui pourrait nous être profitable ici?

Mme Filion (Françoise) : Bien, peut-être, si vous pouviez... Je crois qu'on a le... C'est sur YouTube, là, le webinaire qu'on a fait au mois de janvier, l'an dernier. C'était le 18 janvier. Si vous allez sur Crime and Medicine, je crois que c'était aussi dans notre mémoire... Alors, vous l'avez dans notre mémoire, alors vous n'avez qu'à regarder. C'est un webinaire qui dure environ une heure, puis là vous allez vraiment avoir le point de vue de Josée, qui est du groupe des Survivantes, moi qui vais parler un petit peu des signes qu'on doit reconnaître, et aussi, après ça, il va y avoir deux personnes du centre de simulation, et c'est Dr Bhanji qui était l'animateur. Et, bien sûr, on a aussi la voix, sans la voir, là, d'une survivante d'exploitation sexuelle. Donc, elle nous dit un petit peu comment elle, elle a vu ça, là, son lien avec les médecins aussi quand elle a été en contact avec le système de santé. Alors, c'est ça qui est très important pour nous. Moi, quand je parle aux survivantes, je leur demande toujours.

Et puis là on est en train aussi de faire un projet de recherche, une de mes étudiantes à la maîtrise, qui va faire un projet de recherche sur... Justement, là, on doit rencontrer bientôt les policières pour savoir un petit peu si on pourrait avoir des entrevues avec les survivantes pour avoir un petit peu plus qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que vous avez besoin du système de santé, qu'est-ce qui vous aurait aidé à vraiment s'ouvrir, qu'est-ce qu'on fait... qu'est-ce qu'on ne fait pas, dans le fond.

Ça fait que c'est ça qu'on va faire. Le projet de recherche va commencer... commence maintenant, là. Alors, je devrais rencontrer Josée, Diane... bien là Diane est à la retraite, mais Josée et Romy bientôt, en février, parce que moi, je veux absolument qu'elles soient complètement liées à notre projet, qu'elles soient... Elles sont depuis le début avec nous. C'est important qu'on travaille en intersectorialité, parce que sinon ça ne fonctionne pas bien.

Alors, c'est ça. Bon, moi, je parle peut-être trop, là.

M. Bhanji (Farhan) : Non, non, non, c'est parfait. La seule autre chose qui est... On sait, sur la littérature de l'éducation des médecins, infirmières, physios, que la simulation, c'est le plus efficace, que le monde comprend mieux après une simulation qu'après une lecture, après un webinaire, et tout ça. La chose qui est importante, c'est qu'il faut que la personne fait leur meilleur dans la simulation, et souvent, s'il ne réussit pas à trouver le diagnostic, souvent, ça, c'est le moment qu'il apprend le mieux.

Alors, pour nous, c'est très important de faire ça. Et la chose qu'on peut faire aussi, puis ce n'est pas relié à ça, mais on a fait aussi des simulations qui sont «screen based». Elles ne sont pas avec un patient standardisé ou patient simulé, et ça peut... «we can reach more people», parce que c'est difficile de faire des simulations avec des acteurs, mais avec ça on peut avoir plus de monde qui comprennent ça.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Sainte-Rose.

M. Skeete : M. le Président. J'aimerais revenir sur la formation. Vous avez parlé... et ça m'a intrigué, parce que l'absence de formation... On parle d'un enjeu de société. En ce moment, est-ce qu'il existe des formations soit pour les infirmières soit pour les médecins qui sont reconnues et accréditées en guise d'aller chercher les heures, là, les fameuses heures de formation?

Mme Filion (Françoise) : Malheureusement, on a encore... il y a très peu de formation qui se fait de façon, je dirais... par l'ordre des infirmières. Là, ce qu'on regarde, dans les autres provinces, il y a cinq autres provinces qui ont ce qu'on appelle les infirmières légistes. Moi, je parle surtout des infirmières parce que je ne connais pas beaucoup les médecins, là, mais les infirmières légistes, ce sont des infirmières qui sont formées à l'exploitation sexuelle ou... bien, ça peut être aussi pour la violence conjugale, ça peut être aussi pour le trafic humain. Alors, elles sont vraiment formées pour reconnaître les signes et pour aider les victimes. Donc, au Québec, on n'a pas encore ça, on n'a pas ça, les infirmières légistes ne sont pas reconnues dans cette province-ci. Donc, c'est pour ça que, dans mon... ce que je parlais, ce qui serait intéressant, c'est peut-être aussi de faire équipe avec notre ordre professionnel pour voir si on ne pourrait pas aller un peu plus loin dans ce sens-là.

M. Skeete : Sans être spécialiste, si je suis infirmière au centre de triage à l'urgence de l'hôpital puis ça m'intéresserait de suivre la formation, est-ce que je peux la suivre et avoir mes heures reconnues? Est-ce que ça existe en ce moment?

Mme Filion (Françoise) : Je ne croirais pas. Je ne croirais pas, mais ce serait une très bonne piste de solution. C'est ce qu'on propose, nous, c'est ce qu'on propose, nous, parce que, de plus en plus, et pas juste pour les mineurs, je dirais aussi pour les jeunes adultes qui sont dans un... qui sont en captivité, ça peut être un moment privilégié pour eux de s'ouvrir à un professionnel de la santé. Si on n'est pas bien formé à détecter les signes, on ne pourra pas les aider, on va les... En tout cas, quand on entend les survivantes, elles nous disent : Nous, ils nous ont donné un papier, puis je suis partie, puis je pleurais autant que quand je suis arrivée. Alors, souvent, c'est cette subtilité-là qu'il serait important de faire. Mais je pense que c'est quelque chose qu'on aimerait pouvoir mettre sur pied, puis espérons qu'on pourra le faire.

M. Bhanji (Farhan) : Pour les médecins... Il y a 17 universités qui forment des médecins, et il y a sept universités qui ont un programme pour l'exploitation sexuelle. Et, pour une formation continue, les heures, si on fait des cours, des choses qui sont... si on fait ça dans le... «if we do them properly», c'est reconnu. C'est toujours les médecins qui peuvent faire ça. Et, si on fait avec des «objectives», avec de l'information qui est bien recherchée, c'est vraiment possible d'avoir des heures de crédit pour la formation continue, et probablement pour les infirmières aussi, mais je ne peux pas parler de ça.

M. Skeete : Et rapidement... Oh! Oui, allez-y.

• (10 h 10) •

Mme Baltzer (Franziska) : Moi, je veux juste dire que, pour moi, l'exploitation sexuelle, ça fait partie de l'abus sexuel en large, là, c'est juste une des formes, là, ce n'est rien de spécial, là, d'après moi, là. Et puis l'abus sexuel reste un tabou pour notre société. On en parle plus, il y a #metoo et puis toutes ces affaires-là, on en parle, finalement, plus, mais ça reste un tabou.

Donc, il y a des formations, mais elles ne sont pas obligatoires. Il y a des congrès, il y a des ateliers, il y a des formations reconnues, mais ce n'est pas obligatoire pour tout le monde et puis ils sont reconnus et on a des points si on y va, mais le monde qui y va, les médecins puis les infirmières, les travailleuses sociales, il y a l'AMPEQ qui s'en vient, le congrès de l'AMPEQ, de l'association du Québec, là, pour justement ces problèmes-là, ça s'en vient puis c'est ouvert à toutes sortes de professionnels, puis c'est reconnu, mais c'est juste ceux qui s'intéressent qui vont là. Ce n'est pas une formation que tout le monde, de base, va avoir. La raison, c'est parce que l'abus sexuel est un tabou, c'est quelque chose qui fait freaker le monde quand ils en entendent. Ce n'est pas quelque chose que tu veux vraiment entendre, là, tu veux que ça n'existe pas, et puis ça finit là. C'est ça, le problème de base.

Mme Filion (Françoise) : Moi, je forme les infirmières, par exemple, là, à McGill. On a une formation, justement, avec le centre de simulation, donc...

(Interruption)

Le Président (M. Lafrenière) : ...votre réponse est superintéressante que l'alarme parte comme ça.

Mme Filion (Françoise) : Ça a fait partir l'alarme.

Le Président (M. Lafrenière) : Ce ne sera pas bien long. D'après moi, on ne sera pas évacués. Ce ne sera pas bien long.

On va suspendre quelques instants, s'il vous plaît.

(Suspension de la séance à 10 h 12)

(Reprise à 10 h 31)

Le Président (M. Lafrenière) : Nous sommes de retour. Désolé pour cette brève interruption, le sujet était enflammé. Ça va être la seule joke plate, je vais arrêter tout de suite après, je vous le promets. Et je n'enlèverai pas le temps à mon collègue d'Hochelaga-Maisonneuve, même si on est chez vous. Ce n'est pas nécessairement de votre faute. Alors, merci.

Je pense qu'on avait terminé avec le deuxième point. J'ai la députée de Gaspé. Et là, le temps, on va le reprendre sur la période de dîner, là, ça fait qu'on a un autre 15 minutes qu'on va continuer. On était bien partis, on va essayer de garder ça avec des questions très, très courtes et des réponses courtes.

M. Bhanji (Farhan) : ...my French is not perfect, nobody had to go pull the fire alarm. I don't think it's that bad.

Des voix : Ha, ha, ha!

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, députée de Gaspé, s'il vous plaît.

Mme Perry Mélançon : Merci, M. le Président. Bonjour à vous trois. C'est vraiment intéressant de vous entendre ce matin, des belles initiatives que vous mettez en place, qui vont vraiment, certainement, faire une différence dans le domaine de la santé. Et j'aimerais commencer avec une question pour Dre Baltzer. C'est ça? Vous avez parlé beaucoup des victimes avec lesquelles vous avez travaillé. Est-ce que vous avez aussi des connaissances par rapport aux déviances sexuelles ou peut-être à la santé mentale de certains clients, bien, abuseurs, dans ce cas-ci, parce qu'on parle de jeunes... des mineurs, dans le cas de cette commission? Alors, je voulais savoir si vous êtes en contact, des fois, avec des gens et comment on peut s'y prendre pour essayer de détecter aussi ce problème-là au niveau de la santé.

Et est-ce qu'on devrait mettre un registre? Est-ce que vous avez une opinion par rapport au registre, par exemple, des gens qui utilisent ce genre de service là? Si vous pouvez élaborer à ce sujet-là un petit peu.

Mme Baltzer (Franziska) : Vous me demandez des questions sur les abuseurs ou sur les...

Mme Perry Mélançon : ...sur la clientèle qui utilise les services sexuels, particulièrement chez les jeunes mineurs, parce qu'on sait que c'est un gros problème, là, au niveau de la clientèle. Est-ce que vous avez des connaissances particulières sur la détection de ces problèmes-là, au niveau de la santé mentale, chez les clients?

Mme Baltzer (Franziska) : Moi, je ne vois aucun lien entre l'exploitation sexuelle et une déviance sexuelle. Il n'y en a pas, de lien, là. Ça, c'est des filles absolument normales, là, dans leur...

Mme Perry Mélançon : Ma question est plutôt... Parce que, là, on a une clientèle spécifique pour les jeunes mineures, des jeunes filles de 15 ans, qui ont un corps qui n'est vraiment pas encore nécessairement développé. Donc, c'est sûr que, pour nous, c'est un problème, parce que plus la demande est grande, plus il y aura de ces jeunes-là, parce que c'est payant pour les proxénètes. Mais, s'il n'y a pas de connaissances particulières, on peut passer à une autre question, il n'y a pas de problème.

Mme Baltzer (Franziska) : Non, dans le sens que les filles que j'ai vues, qui étaient embarquées dans l'exploitation sexuelle, ça, c'est toutes des filles qui, au niveau développement du corps, sont des femmes, ce n'est pas des enfants. On ne parle pas d'exploitation sexuelle, là, dans ce que, je pense, c'est la commission... d'exploitation sexuelle d'enfants. Pour moi, je pense, ce n'est pas sur ça que vous vous penchez, là. Ça, c'est autre chose, là.

Mme Perry Mélançon : Disons que la commission en mène très large, là. On va dans des aspects assez pointus aussi, là, pas seulement les victimes. Mais, dans votre cas, vous êtes venus principalement parler des victimes, donc on ne s'attardera pas plus longtemps sur le sujet. J'aurais peut-être une question pour votre collègue, Dr Bhanji.

Mme Baltzer (Franziska) : Juste intervenir, parce que moi, je travaille en abus sexuel de tous les âges, de zéro à 18, je fais plusieurs cliniques d'abus sexuels pour les enfants, je fais une clinique à Marie-Vincent, je vois des victimes d'abus sexuels de tous les âges, zéro à 18, et puis ça, c'est un des points que moi, je n'avais pas comme compris, là, quand j'ai été invitée, que la commission se penche plus sur l'exploitation sexuelle des adolescentes. Moi, je ne peux pas isoler cet aspect-là de toute la problématique d'agressions, d'abus sexuels qu'on vit en ce moment dans notre société, là. Ça, pour moi, c'est très clair.

Mais, si on parle des jeunes que j'ai vues, qui étaient prises dans l'exploitation sexuelle, les plus jeunes que j'ai vues ont 12, 13 ans, mais c'est des filles qui sont complètement développées, même à 12, 13 ans, là. Ce n'est pas des petites filles, là, prépubères, c'est des filles qui ont des menstruations, qui ont un corps de femme. Elles n'ont pas le cognitif, là, d'une femme, ça, c'est sûr, là, mais elles ont un corps de femme.

Mme Perry Mélançon : Merci. Alors, Dr Bhanji, vous avez parlé de... bien, en fait, on sait à quel point les dossiers médicaux sont secrets, il y a un certain... je ne sais pas si la divulgation des informations est facile pour vous, parce que vous parliez de se concerter, qu'il y ait des approches multisectorielles, par exemple. Est-ce qu'au niveau de l'accès à l'information il y aurait de l'amélioration à faire pour qu'on puisse travailler davantage avec les données de chacune des organisations, par exemple?

M. Bhanji (Farhan) : Mais, pour moi, les choses que je parlais avec... intersectoriel, c'est pour l'éducation, pour l'enseignement des médecins. Je pense qu'avec ça... C'est pour travailler avec les polices, les survivants, les survivantes, pour les éducateurs, pour les infirmières, les médecins et travailler ensemble pour faire des simulations des autres enseignements.

Les cas qu'on utilise, c'est des vrais cas, mais, si on protège l'identité du survivant, survivante, ça marche très bien. Et il y a des personnes qui sont comme : Moi, je ne peux pas être si brave, mais ils sont capables de... même avec tout le traumatisme psychologique qu'il a eu, tout le traumatisme, physiquement, qu'ils ont eu, ils sont capables de venir, d'aider la prochaine génération des médecins et des infirmières. Et je pense que ça, c'est un modèle qu'ils ont besoin d'utiliser dans l'enseignement des professionnels de santé pour l'exploitation sexuelle des mineurs mais aussi pour le reste, parce que, pour nous, si on fait de l'enseignement des médecins, si on fait des simulations, c'est là qu'on utilise la voix des patients, et c'est un «change» qu'on va faire. Mais, pour parler de ça, c'est... La confidentialité, ce n'est pas un problème, parce que c'est le survivant, survivante qui donne la permission.

Mme Perry Mélançon : Donc, dans un... Oui?

Mme Baltzer (Franziska) : Je vais répondre à votre question, là, dans le sens que, quand on voit comme... à l'urgence, là, je travaille à l'urgence, là, quand je suis appelée, là, donc, pour une victime d'agression sexuelle, n'importe quelle forme d'agression sexuelle, d'abus sexuel, en bas de 18 ans, on est obligés de rapporter à la protection de la jeunesse. Donc, au niveau médecin, on n'a aucun recours à la confidentialité, on est obligés de le déclarer.

Un des problèmes que je vois, c'est que la protection de la jeunesse n'est pas obligée de nous divulguer à nous, les médecins, ou le système de santé de la même façon. Donc, nous, on se trouve souvent dans le... pas savoir, là, parce que ce n'est pas un échange égal à égal.

Avec la police, c'est différent. Nous, on n'est pas obligés de faire intervenir la police quand on est devant un cas d'agression sexuelle de n'importe quelle sorte, de type, là. Ça revient à la victime. En bas de 14 ans, c'est les parents ou le tuteur de la victime qui a le pouvoir de décider d'impliquer la police, oui ou non. On peut les supporter pour le faire, mais on ne peut pas le faire à leur place.

Et puis l'autre grand problème, là, par exemple, qu'on a quand on travaille avec l'agression sexuelle en général, c'est qu'une fois que c'est judiciarisé et puis le système judiciaire embarque, nous, on n'a pas de retour. Moi, je ne peux pas vous dire combien de cas que moi, j'ai vus, là... Puis j'en ai vu des centaines, là. La première chose, combien de cas se sont rendus à la cour, et puis c'était quoi, la décision de la cour? Ce n'est pas ramené à nous, là. On ne le sait pas O.K.? Mais ça, c'est peut-être moins problématique au niveau clinique, là, mais le fait que la protection de la jeunesse n'est pas obligée de nous donner les informations, toutes les informations, ça, c'est un problème à répétition toujours, oui.

• (10 h 40) •

Mme Perry Mélançon : Merci beaucoup. Un enjeu très important à souligner dans cette commission. Merci. On vous entend.

Le Président (M. Lafrenière) : ...avec deux dernières questions.

Alors, le collègue d'Hochelaga‑Maisonneuve.

M. Leduc : Ça a été répondu. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Ça a été répondu pour vous. Collègue de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Tout d'abord, à mon tour de vous remercier pour vos éclairages et vos propositions de solutions que vous nous présentez aujourd'hui.

Ma question va s'adresser à Dre Baltzer. Vous dites, dans le document... Vous écrivez, à la toute fin de votre document : «L'éducation sexuelle est primordiale et doit commencer en bas âge...» C'est un peu sensible comme question puis peut-être que ça dépasse... je parle de vos... pas vos compétences en tant qu'être humain, là, je veux dire, mais ce que je comprends, là-dedans, c'est qu'évidemment, en bas âge, on parle aussi au primaire, mais on parle dans les familles. On est dans une société... On vit dans une communauté qui est multiculturelle, où à plusieurs égards l'éducation sexuelle ou la sexualité comme telle est taboue. Comment fait-on?

Mme Baltzer (Franziska) : Oui, le premier pas, c'est de remettre l'éducation sexuelle à l'école, et puis ça, ça se fait, parce qu'on a bien vu, là, que de l'enlever, là, ça aboutit juste à des problèmes majeurs, là. Pendant toutes les années, là, ou il n'y avait plus aucune éducation sexuelle à l'école, ce que les jeunes ont fait, ils vont sur Internet puis ils vont tomber sur les sites de pornographie, et puis les adolescents... les gars aussi, là, puis surtout les gars vont penser que ce qu'ils voient sur la pornographie, ça, c'est une sexualité saine. Et puis ça, c'est un problème majeur, là. Donc, remettre l'éducation sexuelle à l'école, ça, c'est un premier pas. Là, il faut avoir le «manpower», là, il faut avoir le monde qui peut le faire, là. On ne peut pas juste l'ajouter à quelqu'un qui est déjà débordé, là, lui dire : Fais ça en plus, là. Ça ne marchera pas, là. Et puis, c'est ça, il faut commencer de bonne heure. Marie-Vincent a fait des efforts et puis a fait des ateliers sur l'éducation des très petits, là, mais c'est ça, c'est mon point que c'est un problème de société, comment on voit la sexualité comme société.

Notre société, en ce moment, là, veut qu'on ait une sexualité de zéro à 100 ans, là, O.K., et puis à peu près la même. Donc, vous avez toutes les affaires de Viagra sur la télévision, qu'à n'importe quel âge, là, il faut que vous soyez prêts, et go! Non? Et puis, pour les jeunes, c'est la même chose. Ça fait longtemps, là, ça fait au moins 20 ans, là, que j'ai beaucoup, beaucoup de misère avec le fait que les enfants sont définis par leurs sexes, maintenant. Tu n'es plus un enfant. Comme mère, tu ne peux pas aller acheter un jean que tu vas laisser porter ton petit gars et puis, deux ans plus tard, ta petite fille, parce qu'il n'y en a plus, de jeans enfants, il y a des jeans pour filles et puis il y a des jeans pour gars. Il y a des collations pour filles, il y a des collations pour gars. O.K.? Donc, on met ce poids-là d'identité sexuelle sur les enfants, là, énormément de bonne heure, et puis ça, ce n'est pas très sain dans mon esprit, là. Ça, ce n'est pas... Un enfant ne devrait pas avoir de sexualité. Un enfant, c'est neutre, O.K.? Et puis toute la problématique de la pédophilie, là, ça, c'est énorme, là, dans notre société.

Il ne faut pas oublier, là, les statistiques, qu'on se base encore sur des statistiques de 1984, qu'une femme sur quatre vit à un moment donné dans sa vie un abus sexuel. Une sur quatre. Regardez combien de femmes, là, il y a autour, là. Il y en a plusieurs victimes, là-dedans, là. Et puis ça, c'est des vieilles statistiques, là, les chiffres sont beaucoup... sont probablement plus hauts.

Et puis ça, c'est très, très important de savoir ça. Là, moi, je suis très, très contente, là, de qu'est-ce que Steinberg, là, fait, là, comme moyens d'éducation pour nos jeunes médecins, là. Je les vois, là, les étudiants, les résidents qui passent à notre clinique, là, à quel point ils sont sidérés chaque jour de qu'est-ce qu'ils voient, parce qu'ils voient la réalité de notre société, là. Mais ça prend une éducation, un changement de la société.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci, Mme Baltzer. En terminant, dernière question, députée de Notre-Dame-de-Grâce, pour 1 min 30 s.

Mme Weil : Oui, je vais aller rapidement. Merci à vous trois. C'est vraiment fascinant. Vous nous donnez des pistes d'action intéressantes.

Dre Baltzer, moi, j'ai été au conseil d'administration pendant assez longtemps, à Batshaw, et puis on s'était posé des questions sur le profil linguistique et ethnoculturel de la masse ou la plupart de ces victimes. Est-ce que vous pourriez nous dire... Parce qu'on semblait dire que c'était vraiment beaucoup plus du côté Centre jeunesse de Montréal que du côté de Batshaw. Pouvez-vous nous décrire un peu cette composition, si on veut, linguistique et ethnoculturelle des personnes que, vous, vous voyez?

Et l'autre question, juste si on a le temps, c'est de voir pour... pas vous mais les deux autres, si vous avez des pistes de recommandation pour nous, éventuellement, pour un gouvernement, de... Est-ce que c'est par les ordres professionnels qu'il faut travailler? Quelles sont les pistes? Et qu'est-ce que les autres provinces ont fait?

Le Président (M. Lafrenière) : Réponse brève.

Mme Baltzer (Franziska) : Oui. Là, je vais essayer d'être très courte. Donc, les victimes que moi, je vois viennent de toutes sortes de couleurs culturelles, là. Ce n'est pas des Blancs, ou des Noirs, ou «whatever», c'est souvent des jeunes victimes, 13, 14 ans. Et puis le typique, c'est qu'elles vivent, à ce moment-là, un viol de groupe, de gang, et puis, après ça, un des membres de gang va les approcher quelques semaines plus tard comme le prince charmant et puis va les embarquer. Et puis ça, c'est... C'est ça, mais c'est...

Moi, je dois dire, dans la plupart des cas, ça, c'est des filles qui ont déjà vécu des traumatismes. Ça, c'est des filles qui sont dans des foyers, placées déjà avant, ou qui ont une famille qui est plutôt négligente. C'est des filles qui sont identifiées et puis... maintenant sont identifiées par des jeunes qui... des jeunes abuseurs ou des jeunes proxénètes qui se ramassent dans les mêmes placements que ces filles-là. Et puis ça, c'est un bassin pour eux autres, là, merveilleux pour identifier les filles avec la plus basse estime de soi. Et puis, aussitôt qu'ils vont pour une fin de semaine, là, ils vont aller les chercher, là.

Mme Weil : ...autant les centres jeunesse de Montréal, si on parle de Montréal, que Batshaw, où on le retrouve aussi bien?

Mme Baltzer (Franziska) : Oui, oui.

Mme Weil : Je ne sais pas si les... L'autre question, c'est...

Le Président (M. Lafrenière) : Il n'y a plus de temps, malheureusement, je m'en excuse.

Mme Weil : O.K. On pourra se reparler, oui.

Le Président (M. Lafrenière) : Oui, absolument. Et je voulais vous remercier, donc, Dre Baltzer, Dr Bhanji, Mme Filion. Merci beaucoup. On aurait passé des heures avec vous, très intéressant. On a votre document aussi.

Alors, je suspends quelques minutes, le temps de laisser au prochain groupe... de prendre place. Et merci beaucoup pour votre contribution. Merci.

(Suspension de la séance à 10 h 49)

(Reprise à 10 h 51)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, je souhaite maintenant la bienvenue à la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle et au Y des femmes de Montréal. Je vous rappelle que vous disposez de 15 minutes chaque pour faire vos présentations, vos exposés, et, par la suite, il y aura une période d'échange avec la commission, une période de 30 minutes, comme vous venez de voir, mais cette fois-ci ce ne sera pas interrompu par une alarme, je vous le promets.

Alors, j'invite d'abord la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle à vous présenter, à faire votre exposé.

Mais avant toute chose je vais demander aux membres de la commission la permission de dépasser dans notre temps. On va devoir reprendre 20 minutes de retard qu'on a eu avec ce petit problème technique d'incendie. Alors, on va dépasser de 20 minutes dans notre période de dîner. Est-ce qu'il y a consentement? Consentement. Merci beaucoup.

Alors, membres de la CLES, je vous laisse vous présenter et faire votre exposé. Merci d'être là.

Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle (CLES)
et Y des femmes de Montréal

Mme Matte (Diane) : Bonjour. Merci de nous recevoir. Je suis Diane Matte, une des fondatrices de la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle. Je vais présenter avec ma collègue Jennie-Laure Sully.

La CLES, la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, fête cette année, en fait, ses 15 années d'existence. On est un organisme qui offre du soutien, de l'accompagnement aux femmes aux prises avec la prostitution et ses conséquences dans leur vie. On rencontre annuellement environ 200 femmes. Depuis 15 ans, nous avons donc accompagné des milliers de femmes dans leur processus de sortie. Et particulièrement, depuis les dernières années, on reçoit de plus en plus d'appels de proches, c'est-à-dire des pères, des mères, des amis, des soeurs, des frères qui ont des jeunes femmes autour d'elles et d'eux, aux prises avec la prostitution, et donc ils cherchent un soutien nécessaire pour mieux comprendre et agir avec leurs proches.

La CLES existe donc depuis 15 ans. Depuis 15 ans, nous avons participé à toutes les commissions et les consultations qui ont eu lieu sur la question de l'exploitation sexuelle. On a particulièrement tablé et on continue de tabler, pour les travaux de cette commission, sur le fait que le Québec est la seule province canadienne qui a affirmé, en 2006, dans une politique sur l'égalité entre les femmes et les hommes, que la prostitution était une violence envers les femmes. C'est ce sur quoi nous construisons et c'est ce que nous vous appelons à faire comme commission. Depuis 15 ans, nous constatons malheureusement que nous n'appliquons pas ce principe que nous sommes, de fait, devant une forme de violence envers les femmes et les filles.

Notre attente envers la commission est donc que vous fassiez un saut qualitatif pour amener la société québécoise à sortir de la prostitution et que vous appuyiez de différentes façons les femmes, les personnes qui sont aux prises avec la prostitution et souhaitent en sortir. Elles sont majoritaires. On dit souvent que ça prend 15 ans... 15 fois, en fait, pas 15 ans, mais 15 fois, pour plusieurs femmes, de faire des allers-retours avant d'arriver à sortir définitivement de la prostitution. On espère vraiment que ça ne nous prendra pas 15 ans de plus pour arriver à faire le même processus comme société.

Comme société, ça veut donc dire qu'on doit dire non à la marchandisation de la sexualité des femmes et des filles. Elle est contraire à un idéal de société égalitaire, et ça doit transparaître dans nos actions, qu'elles soient celles du gouvernement en place ou les futurs, qu'elles soient les actions des ministères, et ce, dans tous les paliers de gouvernement. Depuis le mois de novembre, depuis que la commission a commencé ses travaux, nous sommes très heureuses d'entendre qu'il y a un consensus qu'on doit s'attaquer à la demande. S'attaquer à la demande, ça veut dire s'attaquer aux mythes et préjugés qui entourent l'achat d'actes sexuels. Et ils sont multiples, parce que, comme société, vous l'avez entendu un peu plus tôt, on a malheureusement accepté qu'il était O.K. que des hommes achètent des services sexuels. Elle est là, la base de la discussion. Après, il y a évidemment toutes sortes de considérations. On doit parler évidemment du soutien aux femmes, de l'intervention, des processus pour prévenir la prostitution, l'entrée dans la prostitution, mais moi, je vais m'attarder plus particulièrement sur la question de la sortie de la société de la prostitution.

Nous sommes embourbés dans un discours qui essaie depuis fort longtemps de normaliser cette pratique inégalitaire, cette pratique raciste, cette pratique qui s'abreuve à la pauvreté des femmes. Tant et aussi longtemps qu'on ne verra pas comment s'attaquer au système, ce qu'on peut appeler le système prostitutionnel, à sa base même, à sa face même, nous ferons du surplace. Et c'est ce que je constate qu'on fait depuis 15 ans, de plan d'action en plan d'action, pas parce qu'ils ne sont pas intéressants. On a maintenant une stratégie gouvernementale, depuis 2016 jusqu'à 2021, 20 mesures spécifiques sur l'exploitation sexuelle. C'est très bien, mais on ne s'attaque pas au fond, et c'est ce qu'on vous invite à faire.

S'attaquer au fond, ça veut dire faire ce que des pays comme la Suède, la Norvège, l'Islande, la France ont fait et dire non à l'achat d'actes sexuels. C'est effectivement s'assurer que l'ensemble de nos lois, parce qu'on a maintenant, au fédéral... Le Code criminel reconnaît qu'il est interdit, au Canada, d'acheter des actes sexuels d'autrui, mais à peu près aucune province n'applique la loi de façon cohérente. Donc, on vous demande d'appliquer et de faire un exercice qui sera effectivement cohérent, intersectionnel et intégré.

On peut donner des exemples, parce que je sais que vous allez être intéressés. On n'a pas soumis notre mémoire encore, on se donne du temps pour l'écrire encore. Je vais vous donner quelques exemples qui se retrouveront assurément dans notre mémoire.

La loi de 2014 sur la protection des victimes d'exploitation sexuelle et des collectivités n'est pas appliquée au Canada, n'est pas appliquée au Québec, à tout le moins pas de façon uniforme. Il faut donc appliquer la loi de 2014, la bonifier dans son application. Évidemment, on est aux prises avec l'idée de fédéral, provincial, mais il n'y a effectivement, à l'heure actuelle pas d'engagement d'application de cette loi-là, sauf dans certains corps policiers à travers le Québec... à travers le Canada, en fait. Et on pense qu'on doit effectivement l'appliquer, pas juste au niveau des corps policiers, d'ailleurs, mais au niveau de chacun... voire dans chacune de nos provinces, chacune... là où on a les pieds, comment cette loi-là vient changer fondamentalement les mentalités, puisqu'on parle de décriminaliser les personnes qui sont aux prises avec la prostitution mais criminaliser l'achat d'actes sexuels. On est au coeur de la question.

On peut penser aussi à faire comme l'Islande a fait et amender le Code du travail pour interdire aux employeurs d'exploiter la sexualité de ses employés, c'est-à-dire s'attaquer directement au commerce de la sexualité, puisque... Non seulement, comme société, il faut défaire nos mythes et préjugés entourant l'achat d'actes sexuels, il faut aussi, comme société, trouver une façon de mettre des bâtons dans les roues à une industrie multimilliardaire, surtout si on pense à l'échelle de la planète, qui travaille au quotidien pour nous faire croire que c'est une nécessité, qu'elle doit exister, qu'elle est une industrie comme une autre et qu'on doit juste lui appliquer des normes, des conditions de travail. On doit donc s'attaquer, comme l'a fait l'Islande, entre autres, en modifiant le Code du travail.

• (11 heures) •

La loi des municipalités, par exemple, permet aussi à l'heure actuelle au commerce sexuel du sexe de s'implanter à peu près n'importe où à travers le Québec, et personne ne semble avoir la clé, la poigne pour dire : Il faut que ça arrête. Certaines municipalités ont réussi à créer des endroits où les commerces du sexe peuvent s'installer, mais ce qu'on s'est fait dire... En 2014, la CLES à fait un portrait, en fait, de l'industrie du sexe au Québec, et ce qu'on se faisait dire et ce qu'on constatait, ce qu'on se faisait dire, c'est qu'il n'y a pas de moyen légal d'empêcher l'ouverture, cet après-midi, d'un bar de danseuses ou d'un salon de massage où clairement des actes sexuels tarifés sont disponibles. Nulle part au Québec on n'est capable de faire ça. On doit donc s'y attaquer comme société.

On doit aussi inscrire dans les curriculums des écoles secondaires, mais aussi dans la formation des étudiants, étudiantes en travail social, en intervention, en médecine, dans toutes les formations... Parce qu'en ce moment, ce qu'on apprend trop souvent aux intervenants, intervenantes, c'est que la seule chose qu'on peut offrir, c'est la réduction des méfaits, que la seule chose qui est légitime d'offrir, c'est la réduction des méfaits, alors que les femmes demandent, crient, étude après étude, démontrent qu'une grande majorité des femmes veulent sortir de la prostitution. Et, encore une fois, dans une recherche que la CLES a réalisée en 2014, on constatait, parmi les centres de femmes à qui on a passé un questionnaire et fait des entrevues : au moins 80 % de ces femmes-là, peu importe qu'elles soient encore dans l'industrie du sexe ou au moment où elles ont participé à la recherche ou non, ne connaissaient pas d'organismes pour les aider à se sortir de la prostitution.

La liste peut être beaucoup plus longue, évidemment. L'autre élément sur lequel je veux insister, c'est le soutien récurrent aux organismes. La CLES existe depuis 15 ans, nous avons un petit financement récurrent de 57 000 $ par année depuis un an. Il n'y a aucun programme long terme qui n'a été développé dans aucun des ministères. Quand on analyse l'argent qui a été investi depuis les 15 dernières années, on voit effectivement qu'il y a eu des pointes d'augmentation du financement quand il y a des crises comme les fugues, la série de fugues à Laval, mais on voit aussi que ce financement-là, il est terminé maintenant, et on ne parle pas de le renouveler. Et donc on a besoin de cohérence aussi au niveau du financement et de la reconnaissance de la nécessité d'offrir la sortie et de travailler à la prévention de la prostitution.

L'autre élément, c'est soutenir les personnes dans leur processus de sortie de la prostitution, et c'est ma collègue Jennie-Laure qui va faire cet aspect-là.

Le Président (M. Lafrenière) : Il reste deux minutes à votre présentation, sinon on va y aller dans la période de questions. Alors, je vous demanderais de faire ça bref, s'il vous plaît.

Mme Sully (Jennie-Laure) : Bon, bien, merci de me donner l'opportunité de parler de ce sujet tellement important. Donc, je suis organisatrice communautaire à la CLES. Effectivement, la question de la sortie de la prostitution est fondamentale, c'est ce que les femmes expriment vraiment. Elles expriment ne pas avoir suffisamment de soutien pour en sortir. Alors, au niveau de l'intervention, il faut améliorer l'aide qui est offerte aux femmes pour s'en sortir et considérer que cette aide-là doit s'échelonner sur une longue période. C'est sur du long terme. Et donc il faut constater que les femmes ont des besoins, en matière de soutien pour des problèmes de santé mentale, mais aussi pour des problèmes de santé physique.

Et, quand on parle de problèmes de santé, il faut dire aussi que ces problèmes de santé là, ce sont les clients qui les causent aux femmes dans la prostitution, et donc il y a une attention spéciale qui doit être accordée au client prostitueur. Nous utilisons le terme «prostitueur» pour dire que la prostitution existe à cause du client. S'il y a des proxénètes qui se lancent dans l'organisation de l'accès payant aux corps et aux sexes des filles et des femmes, c'est en raison de la demande des clients, et donc il y a une action qui doit être faite pour que la socialisation des garçons et des hommes à devenir clients ou proxénètes cesse. Il y a un gros travail à faire à ce niveau-là, et je vous en dirai davantage lors de la période de questions.

Le Président (M. Lafrenière) : Vous avez été encore plus brève que le temps qu'il vous restait. On va se reprendre dans la période de questions. Vous êtes bien gentille. Merci.

J'invite ensuite le Y des femmes de Montréal à se présenter, présenter les gens qui sont ici et à commencer votre exposé pour une période de temps de 15 minutes à partager entre vous.

Mme Thivierge (Mélanie) : Oui. Alors, bonjour, tout le monde. Je suis Mélanie Thivierge, je suis la directrice générale de l'organisme le Y des femmes de Montréal, en compagnie de ma collègue Isabelle Gélinas, directrice de la défense des droits et des communications.

Alors, pour la petite histoire rapide, en 15 secondes, le Y des femmes est le plus ancien organisme pour les femmes sur le territoire montréalais. On célèbre cette année nos 145 ans d'existence. Et j'aime le mentionner parce que, dès la fondation de l'organisme, la vocation, c'était qu'on allait accueillir les jeunes femmes et les jeunes filles qui arrivaient des campagnes sur les quais des gares, à Montréal, pour éviter qu'elles ne se retrouvent dans des mauvaises situations ou aux prises... et entre les mains de gens mal intentionnés. Donc, on portait déjà cette vocation‑là à l'origine. Donc, aujourd'hui, on a des beaux mots pour nommer une situation problématique et un enjeu de société qui est l'exploitation sexuelle des mineures ou des femmes dans leur ensemble. Le vocabulaire change, mais la problématique, elle est vieille et comme le monde.

L'approche qu'on va mettre de l'avant aujourd'hui est une approche globale et transversale parce qu'on croit fondamentalement qu'il faut l'implication et l'engagement de tous les acteurs et toutes les actrices de la société, de la collectivité dans son ensemble, bref, de tout un village pour réussir à contrer cette problématique. Et on pense qu'il faut envoyer un message clair de tolérance zéro face à cette situation-là pour que ça devienne de plus en plus non seulement difficile, mais dangereux pour les clients abuseurs et pour les proxénètes de s'adonner à cette activité.

Au Y des femmes, on se concentre entre autres sur la prévention, donc on est très présentes dans les écoles secondaires. Donc, un des volets importants que je vais mettre de l'avant devant vous, c'est toute la question de la prévention et comment on peut travailler avec les écoles.

Vous le savez, si vous avez des adolescents, adolescentes, l'école, c'est leur milieu de vie principal, et l'influence de l'école, de leurs amis, des intervenants, de tout le personnel enseignant autour d'eux s'accroît alors que souvent celle des parents va aller en diminuant. Donc, l'important de travailler avec les écoles, c'est que vraiment on peut espérer des résultats assez concluants.

Donc, les cours d'éducation sexuelle ont fait un timide retour au cours de la dernière année. Donc, pour nous, c'est vraiment une piste d'action essentielle qu'on bonifie ces cours-là pour y intégrer notamment des notions comme la pornographie en ligne et la prévention et l'éducation au phénomène de l'exploitation sexuelle.

Le contenu de ces cours-là évidemment doit être développé en collaboration avec des spécialistes. On est très conscientes que les enseignants et enseignantes, ce ne sont pas leurs spécialités. Mais, au-delà de ça, c'est aussi pour s'assurer que dans toutes les écoles du Québec, peu importe la région, peu importe la taille de l'école et qu'elle soit privée ou publique, tous nos jeunes aient accès à des cours d'éducation sexuelle de qualité équivalente, et que les mêmes notions soient abordées partout. On essaie souvent de tracer un portrait type en se disant qu'il y a plus urgence ici ou là. Malheureusement, l'exploitation sexuelle est très peu regardante sur la classe socioéconomique des jeunes filles.

On pense aussi que ces cours-là doivent être élaborés, même, en collaboration avec des jeunes. Parce qu'il n'y a rien de pire qu'un beau message de santé publique qui finalement rate sa cible parce qu'on a l'air des adultes qui parlent à des jeunes qui vont faire : Oui, oui, oui, on le sait. Donc, pour avoir le bon ton, la bonne approche, les bons mots... Ils en savent pas mal, et, à partir du moment où on reconnaît que les adolescents et les adolescentes détiennent un certain nombre de connaissances sur cette question-là, il faut adapter notre discours et la façon dont on leur parle, quand on parle de ces questions-là, et de ne pas s'imaginer que c'est la première fois qu'ils en entendent parler.

Il faut aussi garder en tête que pour eux, les réseaux sociaux, ce n'est pas une vie parallèle, hein? Ce sont des natifs, donc c'est toute leur vie qui s'est construite là-dessus, contrairement à nous qui avons appris à les utiliser et pour qui on fait... Nous, on fait encore une grande distinction entre notre vie réelle et la vie virtuelle; ce n'est pas le cas pour les jeunes. Tout ça, c'est leur vie, et tout est intégré. Et comme on sait que les proxénètes, les recruteurs utilisent de façon massive les réseaux sociaux pour recruter les jeunes filles, on pense qu'il faut vraiment travailler en amont au niveau des réseaux sociaux et même impliquer les grands acteurs de cette industrie-là à faire partie de la solution.

• (11 h 10) •

À cet égard, on tient à vous souligner que YWCA Canada — donc on fait partie de cette grande association nationale — a des liens privilégiés avec Facebook Canada, et a déjà mis en place un certain nombre de mesures sur d'autres enjeux, et pourrait être un allié si on décide qu'on veut collectivement faire participer ces acteurs-là à la sortie du Québec de cette question-là.

Vous savez aussi que, dans les écoles secondaires... depuis de nombreuses années maintenant toutes les écoles doivent se doter d'un plan de prévention contre l'intimidation. À un moment donné, collectivement, on a décidé que l'intimidation, c'était une problématique suffisamment importante, suffisamment grave pour demander aux écoles de se doter d'un plan d'intervention, d'un plan d'action, de dépistage entre autres. Donc, on pourrait penser à dupliquer cette approche-là à la question de l'exploitation sexuelle. Ce serait une façon aussi de mobiliser l'ensemble des parties prenantes au sein du milieu scolaire.

Le milieu communautaire, évidemment, est un allié de premier plan. On est présentes dans les écoles, il y a de nombreux organismes qui le sont, et on détient cette expertise-là pour accompagner le milieu scolaire dans sa volonté d'apporter des changements.

On sait aussi que la concertation... je sais que les intervenants avant nous en ont parlé également. Il faut trouver des mécanismes pour travailler mieux tout le monde ensemble. M. Lafrenière l'a dit, si la solution était policière, on aurait réglé la problématique depuis longtemps. Donc, les milieux communautaires, le milieu policier, le milieu médical, on doit tous et toutes travailler ensemble et on doit étendre cette concertation-là au territoire, notamment à l'ensemble du Canada, parce qu'on sait que les jeunes filles sont promenées d'une province à l'autre et que ça devient très, très difficile par la suite d'intervenir auprès d'elles, notamment pour les corps policiers.

On pense que Montréal est une plaque tournante depuis longtemps dans le commerce du sexe, mais on dit aussi dans le milieu de l'intelligence artificielle. On se vante de ça. On se targue d'avoir des experts à Montréal. Il y a sans aucun doute des pistes intéressantes à exploiter avec tous ces acteurs du milieu de l'intelligence artificielle pour pouvoir faire en sorte que se déclenchent des alertes, qu'il y a des mots-clés qui puissent être repérés dans les réseaux sociaux utilisés par nos jeunes via Facebook, Instagram, Twitter et TikTok, entre autres. Donc, les jeunes échangent entre eux. Les recruteurs utilisent du vocabulaire qui pourrait être repéré plus facilement et faire en sorte que ça facilite le travail de dépistage à la source.

Une voix : ...

Mme Thivierge (Mélanie) : Vas-y.

Mme Gélinas (Isabelle) : Je me permets ici une petite parenthèse concernant la banalisation de la pornographie en ligne. Au Y des femmes de Montréal, on a un site Web de prévention en hypersexualisation des jeunes. Il y a quatre capsules qui sont là, vidéo, pour expliquer qu'est-ce que la socialisation sexiste, qu'est-ce que la pornographisation, l'hypersexualisation, et tout. Et j'ai demandé à ma webmestre : Peux-tu me dire, Google Analytics, comment les internautes trouvent notre page Web de sensibilisation à l'hypersexualisation? 34 % des recherches ayant mené à cette page-là, qui ne traite pas, là, de porno en ligne, là, étaient des termes spécifiquement de recherche liés à la pornographie juvénile, des termes comme «sexe, petite fille, porno», «vidéo porno, petite fille», «porno, cinq ans», «sexe, porno entre enfants», «vidéo porno, adolescente», «vidéo porno, très jeune fille», «XXX, vidéo juvénile», et j'en passe.

La recherche en ligne de pornographie... On n'est pas sur le «dark Web», là. La recherche en ligne sur le Web ordinaire se fait impunément, tout comme l'offre de vidéos pornos aussi. Les sites pornos vont vous dire : Oui, oui, ce n'est pas vraiment des jeunes filles qui sont dans les vidéos pornos qu'on trouve. Sauf qu'ils en font la promotion. Ils présentent ces vidéos-là comme vidéos pornos «teen», en insistant sur le caractère incestueux, même, ou violent, de non-consentement de ces vidéos-là, et c'est fait en toute impunité sur le Web et le Web de M. et Mme Tout-le-monde, là.

C'est rendu complètement banalisé, la porno avec des «teens», des adolescents. Et, à cet égard-là aussi, on disait que ce serait bien, faire des alliances avec les grands de l'intelligence artificielle pour dire : Écoutez, là, ça n'a pas de bon sens, c'est criminel de... Voyons! On ne peut pas laisser ça aller. Puis il pourrait y avoir des pop-up. Tu cherches «sexe, vidéo porno», poum! Es-tu au courant que l'exploitation sexuelle de mineurs, la recherche, la promotion de vidéos mettant en scène des mineurs, c'est criminel? J'ai fini ma parenthèse. Excusez.

Mme Thivierge (Mélanie) : C'est parfait, c'est parfait.

Le Président (M. Lafrenière) : ...très apprécié.

Mme Thivierge (Mélanie) : C'était important. Je te redonne la parole dans une minute, Isabelle. Le dernier volet sur lequel je voulais attirer votre attention, c'est toute l'Implication et la responsabilité de l'industrie touristique, de l'industrie du divertissement et de la restauration.

En tant que gouvernement, en tant qu'élus, vous avez ce pouvoir d'attribuer du financement à ces grands événements là. Pour ce faire, vous exigez des mesures de sécurité, des plans d'évacuation, il y a tout un cahier de charges auquel les grands événements, notamment, doivent se conformer. D'avoir un plan de lutte contre l'exploitation sexuelle, un plan d'action, si on détecte des comportements inadéquats pendant ces événements-là, pourrait faire partie du cahier de charges pour permettre d'accéder à des subventions gouvernementales. C'est un signal très fort que le gouvernement peut envoyer pour dire qu'on veut être, ici, un territoire qui... collectivement on a dit non à cette forme de commerce — et je mets ici des guillemets.

Vous avez sans aucun doute entendu parler de l'initiative Commande un Angelot, qui est utilisée dans un certain nombre de bars à Montréal. On peut imaginer qu'on étendrait cette formule-là également à l'industrie du taxi, et de l'hôtellerie, et de la restauration. À partir du moment où une femme se rend au bar commander un angelot, ça signifie qu'elle est en danger et qu'il y a quelqu'un autour d'elle qui tente de poser des gestes inappropriés. Donc, c'est une façon d'engager tous les acteurs, les actrices de la communauté et de faire porter la responsabilité de ça sur tout le monde, sur la société et non seulement sur la jeune femme, la jeune fille, de dire : Va et tente toi-même de trouver des solutions de sortie.

On peut même penser à des incitatifs fiscaux pour ces établissements-là, s'ils s'engagent à former leurs personnels, à avoir un certificat de formation auquel ils doivent se conformer chaque année et à joindre avec leurs déclarations de revenus pour montrer que c'est un commerce qui ne tolère pas ce type de comportement et d'exploitation. Et ils pourront même... On peut même se rendre à l'idée d'une certification d'un commerce allié, où les jeunes filles, les jeunes femmes pourraient se rendre et savoir qu'il y a des gens là qui sont formés et qui connaissent la liste des ressources, qui savent comment se comporter et vers qui diriger et rediriger ces jeunes femmes.

Je laisse Isabelle poursuivre la présentation. Je m'excuse, je t'ai laissé peu de temps aussi.

Mme Gélinas (Isabelle) : Non, bien, il n'y a pas de problème, je t'en ai volé.

Au niveau de l'intervention, ce qu'on pourrait dire, et là j'abonde dans le sens des interventions faites avant nous, c'est qu'au moment de la sortie il y a peu de ressources disponibles, et souvent, ces ressources sont les mêmes que celles qui donnent des ressources aux victimes d'agressions sexuelles. L'exploitation sexuelle est rarement disponible, en termes de ressources spécialisées, et découle d'un processus commun à toutes ces filles-là, et ça serait bien qu'il y ait de ces ressources-là.

Et on pourrait aussi considérer l'aspect anonyme de ces ressources, comme c'est déjà le cas pour les maisons d'hébergement pour femmes de victimes de violence conjugale. Il n'y a rien de pire... Bien, c'est connu, en fait, les centres jeunesse, les maisons de la DPJ, c'est des espaces bien connus et reconnus. Tout le monde sait où ils sont. Les proxénètes attendent les filles à 18 ans et un jour, quand elles sortent de là, hein : Viens, moi, je vais prendre soin de toi. Garantir une certaine sécurité, un anonymat, c'est extrêmement important pour éviter que les filles retournent dans leurs milieux.

Et, au-delà de l'hébergement, il pourrait y avoir aussi des projets... dans la philosophie, ce qu'on appelle du «wraparound» de 360°. C'est-à-dire qu'il y a des loisirs, il y a des moments de partage, d'échanges où les filles peuvent réapprendre à socialiser sans avoir peur d'être jugées, sans avoir peur d'être étiquetées. Savoir que d'autres ont aussi passé par là et s'entraider mutuellement, ça peut être essentiel.

Et, je reprends aussi ce que disaient nos collègues de la CLES, le milieu communautaire est sous-financé, et, quand on parle de créer des instances de concertation pour que tout le monde puisse échanger, partager les meilleures pratiques, partager les ressources, partager de l'information, ça prend du temps, ça prend des bras. Il n'y a pas de financement pour ces instances de concertation là, mais il n'y a pas de financement non plus pour le temps d'aller et participer.

Et le milieu communautaire, les gens qui travaillent en contact avec les filles victimes d'exploitation, victimes d'agression baignent dans un univers de violence tout le temps. C'est des conditions de travail qui sont extrêmement difficiles et pénibles. Prendre ça en considération aussi quand viendra le moment de regarder les enveloppes budgétaires envoyées. Parce que de plus en plus on le constate, surtout dans cette société où on est en mode plein emploi, on perd nos ressources. On développe des projets, on développe de belles initiatives, on développe de l'expertise, c'est un milieu extrêmement difficile, et pouf! on perd nos ressources, qui s'en vont dans des endroits où, là, elles seront mieux payées.

• (11 h 20) •

Une voix : Au gouvernement, notamment.

Mme Gélinas (Isabelle) : Au gouvernement, notamment. Vous êtes une grande source de compétition.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup, merci pour votre exposé. On va maintenant débuter la période d'échange. Encore une fois, on a un beau défi, on a huit questions en 30 minutes, alors je vais demander aux députés de se limiter à une question. On va députer par la collègue... débuter, pardon, par la collègue de Marie-Victorin.

Mme Fournier : Oui. Merci, mesdames, pour vos présentations. C'était très intéressant. Puis vous avez vraiment bien fait aussi d'insister sur l'importance du financement du milieu communautaire parce que vous arrivez à faire tellement avec peu de moyens, alors on peut imaginer ce que vous seriez en mesure de faire si réellement il y avait les ressources qui vous étaient dédiées.

Ma question serait à l'endroit de Mme Matte. En fait, vous avez parlé, donc, de la loi fédérale puis de l'importance de l'appliquer de façon cohérente, que ce n'était pas le cas au Québec. Vous avez nommé quelques exemples, là, à propos des municipalités, notamment le code aussi... bon, pour le Code du travail.

Bon, évidemment, vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a deux visions, dans tout ce débat-là : une vision comme la vôtre, par exemple, qui réclame plus de coercition au niveau de la demande; il y a une vision qui est opposée et qui dit, bon, qu'il faudrait davantage, disons, encadrer le milieu de la prostitution. Puis en fait je serais simplement curieuse, si vous pouviez nous dire... nous exposer votre vision. Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui ont l'opinion ou la vision contraire de la vôtre?

Mme Matte (Diane) : Vous allez les entendre demain, ça fait que je me permettrai de plutôt parler... concentrer sur ce que nous, on a à dire. C'est un choix de société. Et, quand je parlais de l'embourbement dans lequel nous sommes, depuis les 15 dernières années, c'est justement dans cette... On n'accepte pas, comme société, de faire un choix. On préfère, parce qu'au Québec on aime les consensus, essayer de voir comment est-ce qu'on pourrait conjuguer tout ça.

Mais, dans la vraie vie, on doit faire ce que d'autres sociétés parmi les plus égalitaires... Qu'on pense à la Suède, la Norvège l'Islande, qui ont aussi des groupes qui prônent la reconnaissance de l'industrie du sexe comme une industrie comme une autre, mais qui ont tout simplement dit : Non, ce n'est pas ça qu'on veut, ce n'est pas ça qu'on choisit comme société. Et, comme je disais, le Québec, pour moi, dans ma compréhension à moi, on a dit ça en 2006, c'est qu'on n'a pas agi en fonction de ce qu'on a affirmé en 2006 : La prostitution est un obstacle à l'égalité pour toutes et à l'égalité entre les hommes et les femmes.

Ça fait qu'après ça on peut vouloir débattre, mais moi, personnellement, là, je suis rendue pas mal plus loin que ça. Je n'ai pas envie de débattre, je n'ai pas... Pour moi, ce n'est pas un débat, ce n'est pas un débat, c'est un choix. Et le choix, évidemment... moi, je vous invite à faire le choix que la France a fait, particulièrement dernièrement l'Irlande, la Suède, la Norvège. De plus en plus de pays à travers le monde affirment que l'achat d'actes sexuels est contraire à une société pour l'égalité. C'est ce que je vous invite à faire.

Mme Fournier : ...justement pourquoi je vous posais la question, en fait, parce que je pense que c'est une prémisse qui est importante à poser lorsque va venir le temps de choisir, disons, les recommandations ou les mesures à mettre en place.

Mme Sully (Jennie-Laure) : J'aimerais ajouter que les sociétés qui n'ont pas fait ce choix-là ont eu des résultats désastreux. Il suffit de voir ce qui se passe en Allemagne, entre autres, où la traite a augmenté. Donc, on a aujourd'hui des résultats probants. On peut comparer des sociétés qui ont fait le choix de considérer, justement, que c'était une violence envers les femmes versus d'autres sociétés qui ont considéré que ce n'était pas nécessairement une violence, qu'il y avait moyen de réglementer les conditions dans l'industrie du sexe. On voit qu'il y a eu un échec du côté où il n'y a pas eu cette reconnaissance de la violence inhérente au système de prostitution.

Mme Fournier : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Roberval.

Mme Guillemette : Merci. Donc, merci, merci d'être ici et de partager votre expertise avec nous. Mme Matte, vous avez parlé de modifier le Code du travail. Qu'est-ce qu'on pourrait modifier, ou ajouter, ou bonifier à notre Code du travail qui pourrait nous aider dans ce dossier-là?

Mme Matte (Diane) : C'est bien, bien simple. Comme je disais, c'est moduler sur ce que l'Islande a réussi à faire. C'est tout simplement d'insérer dans le Code du travail l'idée que les employeurs ne peuvent pas exploiter la sexualité, la nudité de leurs employés. «That's it, that's all.» Ce n'est pas plus compliqué que ça. Avec une petite phrase comme ça, on vient d'enlever toute légitimité à un commerce, que ce soit la pornographie, d'ailleurs, ou la prostitution. Leur légitimité est enlevée.

Et, pour moi, c'est... On peut toujours aller faire un petit tour en Islande, si vous voulez, mais l'Islande, c'est un petit pays, c'est clair qu'ils ont les coudées un peu plus libres, possiblement, que les nôtres, mais ce gouvernement-là a réussi des choses extraordinaires, en fait, et entre autres de vraiment contrer, de prendre à bras-le-corps, si on peut dire, ce choix de société, de dire : La prostitution, en Islande, est inacceptable, acheter des actes sexuels est inacceptable. On aurait pu aller aussi... la Suède l'a fait, l'Islande l'a fait aussi, interdire, par exemple, à ses employés d'acheter des services sexuels du gouvernement.

Je veux dire, il faut être créatifs et créatives. Il faut vraiment changer cette idée qu'il va toujours y avoir des hommes qui vont devoir avoir accès à des actes sexuels d'une fille, sinon ça va être catastrophique, il y a des boutons qui vont leur pousser, ils vont mourir ou je ne sais pas quoi. Je veux dire, ils sont... Ma collègue Jennie va peut-être avoir le temps de donner plus d'infos sur les clients, mais, je veux dire, c'est une petite gang de messieurs qui pensent comme ça.

Ça fait que ça serait le fun que, comme société, on s'affiche, les femmes qui ne pensent pas comme ça, les hommes qui ne pensent pas comme ça, pour dire : Bien, on fait un autre choix. Et on est créatifs, on est créatives de comment on peut s'attaquer à un système qui veut se maintenir en place, qui réussi à le faire très bien depuis très, très longtemps et qui est tentaculaire. Donc, je pense qu'il faut effectivement ouvrir toutes sortes de portes qu'on n'a pas ouvertes jusqu'à maintenant.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : ...merci. Bonjour à vous toutes. Deux courtes questions sur des points qui ont été amenés par la CLES, mais j'aimerais entendre aussi les deux groupes. Tout d'abord, sur les parents, les proches de victimes, de mineurs, là, dans l'industrie, qu'est-ce qui existe, comme services? Qu'est-ce qu'on peut faire, qu'est-ce qu'on peut améliorer pour les parents et les proches? Et, deuxième point, vous avez évoqué que l'industrie du sexe était une industrie raciste, et ce n'est pas un terme qu'on a entendu beaucoup depuis le début des audiences. Pourriez-vous, un peu, développer sur ça, s'il vous plaît?

Mme Sully (Jennie-Laure) : Au niveau du soutien aux proches, nous, à la CLES, on a des groupes pour les parents. Il faut reconnaître qu'effectivement les parents vivent une très grande détresse quand leurs filles se retrouvent dans cette industrie, et, très souvent, cette détresse-là est ignorée. Donc, c'est important de leur donner un lieu où c'est possible de rencontrer d'autres parents.

On a créé un guide à l'intention des proches des victimes d'exploitation sexuelle qui est très utilisé et que les parents trouvent très utile aussi. Ils ont soif d'information, ils ont soif de pouvoir échanger avec d'autres parents. Donc, ce type de programme là doit se répandre davantage. Il faut qu'on puisse en offrir plus, de groupes, et ça doit être offert aussi ailleurs.

Quand on parle maintenant, pour répondre à l'autre question, de racisme dans la prostitution, il faut vraiment, pour comprendre de quoi il s'agit, aller directement sur les forums de clients. Donc, je parlais tantôt des clients prostitueurs. Bien, sur les forums de clients qui sont sur internet, on... quand on lit ces forums-là — coeurs sensibles s'abstenir, en passant — il y a énormément de propos racistes sur les femmes racisées, sur les femmes noires, sur les femmes autochtones. Les clients laissent aller libre cours à toutes sortes de fantasmes dégradants, et ça, c'est dit tel quel sur ces forums-là.

Ce qu'on apprend aussi, sur ces forums-là, c'est que ce n'est pas le fait de découvrir, par exemple, que la jeune fille est mineure qui va les empêcher de passer à l'acte. Et ils disent ça de leurs propres aveux sur les forums. Donc, c'est dans ce sens-là qu'on peut dire que la prostitution, vraiment, et il y a beaucoup d'études qui ont été faites sur les clients qui le confirment, ça permet à des gens de laisser libre cours à du racisme, à de la misogynie et à une violence qui est tout à fait inacceptable dans une société qui vise l'égalité entre les hommes et les femmes.

• (11 h 30) •

Mme Gélinas (Isabelle) : À cet égard-là, aussi — bon, on va vous le laisser — le Y des femmes, dans son projet Agissons ensemble, a développé un petit cahier, un carnet de ressources, surtout pour la région métropolitaine.

Mais, quand on parle de former les écoles, ce n'est pas juste les professeurs et les intervenants, c'est toute l'équipe-école alentour du jeune. Donc, ça inclut aussi les parents d'élèves, ça inclut aussi les coachs, les surveillants, même les concierges, avec des indicateurs, être capable de se dire : Ça fait trois, quatre fois qu'elle ne se présente pas ou qu'elle ne se pointe pas, ah! elle ne s'habille pas pareil comme avant, regarde donc, elle n'a plus les mêmes amis qu'avant, ah! elle est plus isolée, que tout le monde ait en tête des outils pour être capables de penser et de commencer à dépister avant que ça arrive trop tard, puis d'être capables de poser les bonnes questions, et qu'il y ait une espèce de... un organisme qui pourrait mettre tous ces outils-là... une espèce de banque centralisée de ressources, de formations, d'ateliers qui soient disponibles pour tout le monde et qui soient adaptés aussi aux régions parce que la réalité de l'exploitation sexuelle à Montréal n'est pas la même que celle de Jonquière, ou que celle de Val-d'Or, ou que celle de Sherbrooke, donc qu'il y ait une banque centralisée de ressources, et à laquelle aussi les parents pourraient avoir accès puis dire : Qu'est-ce qu'il y a dans mon coin, à qui je peux parler? Sinon, on a l'impression qu'on est, tout le monde, un peu en silo, à réinventer la roue. Et ce maillage de ressources là est absolument fondamental... et que ce soit à la fois intersectionnel... intersectoriel, pardon, mais aussi interrégional. Ça pourrait aussi aller jusqu'au partage d'information. Et là il y aurait un travail à faire au niveau de la confidentialité et des normes de confidentialité exigées par les ordres professionnels. Mais quelquefois on réalise qu'on est trois différents... à parler des mêmes filles.

Et la piste suivante vient de m'échapper. Voilà.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Collègue de Bourget.

M. Campeau : Merci pour vos présentations. La question... Encore une fois, Mme Matte, c'est peut-être moi qui ne comprends pas vite, là, mais, quand vous parlez de l'Islande et du Code du travail, qu'est-ce qu'ils ont fait de merveilleux qu'on devrait copier? Ce n'est pas clair. Pourriez-vous donner des exemples? Ça s'adresse à quels commerces? À tous les commerces, à spécialement... Je ne peux pas croire que juste mettre quelque chose dans le Code du travail va tout régler. Ils ont fait quelque chose de précis. Avez-vous des exemples pour préciser votre idée là-dessus, s'il vous plaît?

Mme Matte (Diane) : Je donnais ça comme exemple pour montrer qu'ils ont fait un exercice pour regarder comment on peut, comment on doit s'attaquer à cette industrie-là, à cette réalité que la prostitution est considérée comme étant normale. Ils ont commencé par criminaliser l'achat d'actes sexuels, le même modèle que la Suède, et la Norvège, et la France, grosso modo. Mais ils sont allés une petite coche plus loin parce qu'effectivement changer le Code du travail pour interdire aux employeurs d'exploiter la sexualité de leurs employés, ça veut dire que tu ne peux plus avoir, comme on a au Québec, des restaurants avec danseuses «topless» ou avec des serveuses «topless». Tu ne peux plus avoir de bar de danseuses où tout le monde sait qu'il y a des actes sexuels tarifés qui sont là, qui sont disponibles, et que personne n'a rien pour faire quoi que ce soit... plus de salons de massage où on se cache derrière l'idée... Parce que, vous savez, les salons de massage, on en avait identifié, en 2014, plus de 200 dans le Grand Montréal. Ils se cachent, pour à peu près tous, derrière un permis qui s'appelle de soins personnels. Ça fait que ce serait peut-être le fun qu'on revoie qu'est-ce que ça veut dire, des soins personnels.

Et donc, pour moi, c'est des outils qu'il faut se donner. Mais il faut aller au coeur de la bête, si on peut dire, et donc de regarder comment et avec quel outil légal on peut agir.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Vice-présidente et députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci, M. le Président. Tout d'abord, je dois dire que, lorsque vous avez parlé des grands événements et de voir comment on peut engager, dans le cahier de charges, une action qui serait reliée aux versements de la subvention, je pense que c'est une idée qui peut percoler parce que... Ils le savent, les membres de la commission, j'en parle souvent.

Rapidement, tout d'abord, sur la question de l'intelligence artificielle, je pense que vous nous amenez sur une piste vraiment, vraiment importante parce qu'effectivement on est capables de détecter par l'intelligence artificielle si la personne qui lit un article a un implant dentaire. Ça fait qu'on devrait être capables de détecter une couple d'affaires de ce côté-là. Je trouve qu'on... Merci de nous amener cet aspect-là.

Sur le client abuseur, il y a une loi... 2014, loi fédérale qui dit très clairement que l'achat d'actes sexuels est interdit. Ce n'est pas appliqué. Donc, il y a des volontés qui ne sont pas là au sein des forces qui devraient appliquer la loi fédérale. Et je voudrais savoir est-ce qu'on a, à Montréal, un phénomène de tourisme sexuel dans le dossier de l'exploitation des mineurs. Est-ce qu'on retrouve... Vous semblez... Vous avez parlé d'études qui existent. Vous semblez avoir une connaissance approfondie. Puis vous êtes probablement la première qui nous donne un peu d'éléments là-dessus, un peu de jus, je dirais, là, mais le tourisme sexuel à Montréal, c'est quoi, l'ampleur? Est-ce que ça existe? Est-ce que c'est un aspect que nous devrions étudier davantage?

Mme Sully (Jennie-Laure) : C'est clair que le tourisme sexuel existe à Montréal comme dans d'autres grandes villes. C'est une réalité sur laquelle il ne faut pas fermer les yeux. Et, quand on parle de tourisme sexuel, ça peut être des gens qui vont d'une ville à l'autre. Ça peut être des gens qui viennent des autres provinces, des États-Unis. Donc, ce n'est pas nécessairement hors de l'Amérique ou hors du pays. Donc, il faut comprendre que les clients vont se déplacer pour trouver la nouveauté. Et donc je reviens encore à la question des forums de clients. On apprend justement qu'ils sont constamment à la recherche de nouveauté, de filles de plus en plus jeunes, et donc qu'effectivement le tourisme sexuel, c'est une des manières dont ils vont chercher à acheter des actes sexuels.

Donc, la question d'appliquer la loi qui existe est très importante. Et je pense aussi que la question de la socialisation est importante. Je pense que les garçons, les hommes ne naissent pas pour devenir clients prostitueurs ou pour devenir proxénètes. Donc, il y a vraiment un travail à faire au niveau de la socialisation des hommes et des garçons. On parle beaucoup, beaucoup des filles, de l'éducation sexuelle qui doit être faite, du consentement et de l'éducation à l'égalité. Je pense qu'il faut aussi changer les mentalités au niveau de, vraiment, cette idée que c'est normal d'acheter des actes sexuels. Il faut qu'il y ait vraiment une campagne grand public et des campagnes de prévention plus ciblées qui vont faire comprendre qu'acheter des actes sexuels, c'est criminel. On a déjà eu ce genre de campagne avec l'alcool au volant. Donc, il va falloir qu'au niveau de la société ce message-là soit vraiment très clair et répandu.

Le Président (M. Lafrenière) : Vous voulez rajouter quelque chose?

Mme Thivierge (Mélanie) : Oui. En fait, je voulais juste compléter ou ajouter une idée. Je pense que, pour que ces messages-là soient entendus et compris, ils doivent aussi cesser d'être portés seulement par des femmes, la majorité, des intervenantes, qui défilent devant vous, comme si cette question-là, parce que les victimes sont majoritairement des femmes, ce sont des femmes qui s'en préoccupent. Moi, un de mes plus grands rêves, c'est qu'il y ait vraiment des hommes alliés qui claironnent haut et fort que, dans notre société, on ne veut pas de cette industrie-là et qu'on la condamne sans équivoque. Et là le message va prendre de l'ampleur et va trouver un écho beaucoup plus grand.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

• (11 h 40) •

M. Benjamin : M. le Président. Donc, merci pour vos présentations. Ma question pour la CLES. Sur l'amélioration de l'aide à apporter aux femmes, on a parlé... Tout à l'heure, vous avez parlé des difficultés notamment au niveau du financement des organismes. Mais il y a des groupes qui sont venus avant vous lors de ces consultations qui nous ont parlé... même le besoin dans... les besoins de reconstruction des femmes, qui nous ont même parlé de maisons similaires qui pourraient être créées... similaires aux maisons d'hébergement. J'aimerais peut-être vous entendre là-dessus, sur l'aide à apporter aux femmes.

Mme Matte (Diane) : En fait, c'est un des aspects que, parce que je parle trop, je n'ai pas eu le temps d'aborder, effectivement, parce que je pense que, même dans vos discussions, vous avez sûrement abordé la question de la sortie durable de la prostitution, parce que, comme je le mentionnais, tout le monde reconnaît... Toutes les études, c'est vrai ici, ailleurs dans le monde... Il est beaucoup plus facile d'entrer dans l'industrie du sexe que d'en sortir, et sortir, c'est souvent des allers-retours à plusieurs reprises, malheureusement, auxquels les femmes sont confrontées.

Et c'est pour ça qu'un pays comme la France, par exemple, a innové dans l'application de sa loi en instaurant un programme de soutien à la sortie qui va directement aux femmes. Et j'insiste là-dessus parce que, oui, les organismes ont besoin de financement, mais les femmes qui veulent sortir de la prostitution ont besoin de notre aide collective. Et on doit reconnaître que notre permissivité, notre tolérance de l'intolérable, comme société, c'est des femmes qui le vivent au quotidien, c'est des filles qui le vivent au quotidien, et qu'on a donc une responsabilité collective à les soutenir dans ce processus de sortie là. Ce que la France a fait, c'est, effectivement, une indemnité que les femmes reçoivent, c'est un accompagnement. Puis là c'est des organismes qui les accompagnent dans les processus qui leur sont individuels à chacune. Pour certaines, c'est des problèmes de santé physique, comme Jennie-Laure disait, d'autres, c'est des problèmes de santé psychologique, c'est trouver un toit, trouver un logement, trouver un emploi, retourner aux études, sortir de la toxicomanie. Tout est possible. Tout est dans la réalité, malheureusement, avec laquelle les femmes ont à vivre une fois qu'elles sortent de la prostitution.

Et la question, effectivement, d'hébergement est cruciale. On sait qu'il y a déjà, malheureusement, un problème de surpopulation dans les maisons d'hébergement pour femmes en difficulté ou femmes battues au Québec. Et les femmes qui sont dans un processus de sortie de la prostitution, quelques-unes ne veulent même pas aller dans une maison d'hébergement parce qu'elles disent : Ce n'est pas mon chum, ça, je ne suis pas mariée avec lui, ou d'autres ne veulent tout simplement pas passer par ce processus-là.

En fait, la CLES travaille depuis quelques années à faire un projet d'hébergement, de maisons transitoires, en fait, avec des logements transitoires, avec soutien communautaire, où les femmes pourront, sur une période de trois à cinq ans, parce que c'est ça, le... en général. Évidemment, il y en a qui peuvent accomplir plus vite ce qu'elles veulent, leur projet de vie, mais, pour d'autres, ça peut prendre de trois à cinq ans d'avoir des lieux, effectivement, qu'elles peuvent appeler chez elles. Et avoir un chez-soi à soi, c'est très important pour se reconstruire puis pour se sentir en sécurité, mais de le faire dans un contexte où elles sont appuyées à la fois par l'État, dans une reconnaissance de leurs besoins spécifiques, et à la fois dans l'accompagnement sociocommunautaire, si on peut dire...

Mme Sully (Jennie-Laure) : Je vais rajouter très rapidement qu'une des raisons pour lesquelles les femmes retournent souvent dans la prostitution, c'est le fait de ne pas avoir un hébergement, de ne pas avoir un logement. Donc, c'est vraiment crucial de régler ça si on veut une sortie durable.

Le Président (M. Lafrenière) : Oui, très, très brièvement, poursuivre notre sprint.

Mme Gélinas (Isabelle) : Si l'exploitation sexuelle faisait partie de la liste des actes criminels, les victimes seraient admissibles au fonds d'indemnisation pour les victimes aux actes criminels. Et pourquoi ne pas créer un fonds spécial puisé à même les contraventions, les amendes données aux clients abuseurs? Ces amendes devraient être majorées, hein? Si on sait qu'un achat d'acte tarifé peut aller jusqu'à 250 $, 300 $, ce n'est pas une amende de 500 $ qui va faire une grosse différence. Puis il faudrait que l'amende soit accompagnée d'une mesure dissuasive autre. Ce qui fait peur aux gens de conduire en état d'alcool, c'est d'avoir peur de perdre le permis de conduire plus que l'amende. Alors, je ne sais pas, des retenues à la source, la publication... une liste, un registre des clients abuseurs, mais il faut que ça fasse quelque chose qui fasse peur, pas juste payer des sous.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Merci, M. le Président. C'est vraiment intéressant de vous entendre parce que vous êtes sur des pistes d'action concrètes. C'est très concret comme présentation. C'est intéressant.

Je pense que c'est Mme Thivierge qui a parlé de Facebook Canada, qui est un allié, en fait, de votre organisation au niveau national. Puis, comme on sait que, bon, le recrutement passe par là, les recherches de toutes sortes sur le sujet, je voulais juste savoir quels genres de mesures est-ce qu'on pourrait leur demander de déployer sur les réseaux sociaux. Est-ce que c'est dans la prévention, la sensibilisation ou d'aller cibler dans les enquêtes? C'est quels genres de mesures que vous aviez en tête?

Mme Thivierge (Mélanie) : Il y a plusieurs possibilités. C'est nos collègues du YWCA Canada, qui sont basés à Toronto, qui ont des liens assez étroits avec Facebook Canada. Mais on peut penser à des mesures qui sont liées au dépistage ou au repérage de certains mots-clés. On faisait le clin d'oeil parallèle tout à l'heure avec l'industrie de l'intelligence artificielle. Facebook est une grosse, grosse machine avec des moyens exorbitants. Donc de déployer un certain nombre de... une forme de surveillance en lien avec le recrutement, avec le... pour dépister, mais aussi pour entendre des messages d'aide, des S.O.S. qui peuvent être lancés également par... Parce que les adolescentes vont utiliser ces outils-là pour communiquer entre elles beaucoup plus que les textos et vraiment beaucoup plus que le simple appel téléphonique, évidemment. Donc, il y a beaucoup, beaucoup d'informations qui transitent par ces plateformes-là, et ces géants-là ont les moyens d'identifier ça et de lever des... d'allumer des lumières rouges, là, quand il y a quelque chose qui se passe.

Mme Perry Mélançon : ...certaines organisations. Puis est-ce que le gouvernement devrait justement essayer de mieux coordonner ou d'être plus présent dans ce type d'action?

Mme Thivierge (Mélanie) : Il y a des projets pilotes, en fait, qui ont existé. Il faut voir comment on peut rendre ça plus durable puis ouvrir la conversation de façon plus, je dirais, forte avec ces organisations-là.

Mme Perry Mélançon : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Députée de Charlevoix—Côte-de-Beaupré.

Mme Foster : ...sur Facebook.

Le Président (M. Lafrenière) : C'était sur Facebook?

Mme Foster : Oui.

Le Président (M. Lafrenière) : Bien, premièrement, je voulais vous dire merci pour vos présentations. Mais, avant de vous libérer, vous avez parlé, tout à l'heure, de guide. De part et d'autre, je crois, les gens de la CLES, vous avez parlé d'un guide qui a été produit. Nous, au secrétariat, on aimerait bien avoir ces documents-là. C'est fort intéressant pour la suite de nos travaux. Alors, merci beaucoup.

Je vais suspendre les travaux. De retour à 13 heures. Merci beaucoup de votre présentation.

(Suspension de la séance à 11 h 47)

(Reprise à 13 heures)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs reprend ses travaux au Centre Pierre-Charbonneau à Montréal. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques, et ça, ça vaut aussi pour les alarmes incendie, on va les éteindre pour l'instant, s'il vous plaît.

Je souhaite la bienvenue, donc, aux représentants de l'ordre des sexologues du Québec et de L'Anonyme. Je vous rappelle que vous disposez de 15 minutes chacun pour votre exposé, et, par la suite, on aura une séance d'échange, je dis plus d'échange que de questionnement, avec les membres de la commission. Alors, merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Je vous laisse vous présenter et faire votre exposé à tour de rôle. Merci.

Ordre professionnel des sexologues du
Québec (OPSQ) et L'Anonyme UIM

Mme Heppell (Joanie) : Merci. Bonjour à tous et à toutes. Mon nom, c'est Joanie Hepell, je suis sexologue et présidente de l'Ordre professionnel des sexologues du Québec. Je suis accompagnée d'Isabelle Beaulieu, qui est directrice générale et sexologue également.

Nous sommes privilégiées de contribuer aux réflexions sur l'exploitation sexuelle des personnes mineures, et nous remercions les membres de la commission spéciale de leur volonté de comprendre et d'agir sur cette réalité préoccupante.

Il est rare qu'une commission parlementaire interpelle aussi directement notre profession. L'expertise des sexologues et leur champ d'exercice sont au coeur du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui. Nous avons suivi avec intérêt la commission tenue en novembre 2019. Parmi l'éventail des actions possibles contribuant à la sécurité de nos enfants, il a été question d'éducation à la sexualité et de l'école comme milieu privilégié pour prévenir l'exploitation sexuelle des mineurs. Nous avons spécifiquement décidé de vous entretenir sur ce point. À titre d'ordre professionnel, la qualité des services rendus est au coeur de notre mission de protection du public. Nous aborderons donc les conditions gagnantes pour une éducation à la sexualité ainsi que l'importance de l'accès aux services sexologiques de qualité pour les personnes touchées par l'exploitation sexuelle des mineurs.

Mme Beaulieu (Isabelle) : Oui. Alors, l'école québécoise offre de l'éducation à la sexualité depuis maintenant plus de 40 ans, selon différentes formules cependant. Le contexte social actuel la rend encore plus nécessaire aujourd'hui que lorsqu'elle a été introduite dans les écoles dans les années 80. Donc, avec l'arrivée des nouvelles technologies de l'information et de la communication, nous faisons face à une facilitation de la commercialisation de la sexualité par la même technologie qui permet aux jeunes de se divertir et d'être entre eux. Ainsi, de jeunes adolescents, voire même des enfants découvrent la sexualité en étant exposés à des images sexuellement explicites, voire même pornographiques. Or, ils n'ont pas toujours ni la maturité ni le recul nécessaire pour en comprendre les enjeux, notamment ceux qui sont reliés aux stéréotypes et aux inégalités de genres. Cela contribue, entre autres, à la banalisation de la commercialisation de la sexualité et influence la construction de leur identité ainsi que leur rapport au corps et à l'intimité.

Comme l'adolescence est une période de développement associée à la prise de risques et à l'exploration, un accompagnement est donc nécessaire. Cependant, souvent, les adultes responsables d'intervenir, parents, enseignants, sont en manque de connaissances quant à l'usage des technologies, mais aussi en manque de repères face à la sexualité. Le contexte est donc propice pour les recruteurs, proxénètes et clients-abuseurs.

L'éducation à la sexualité est donc un incontournable. Elle doit cependant être ajustée en fonction du contexte social pour favoriser un développement harmonieux chez les jeunes et réduire leur vulnérabilité face à l'exploitation sexuelle.

Actuellement, les écoles primaires et secondaires implantent 39 contenus obligatoires qui s'appuient sur une vision globale et positive de la sexualité, qui est ciblée en concordance avec le développement psychosexuel des enfants. Tous ces contenus, même s'ils n'abordent pas directement l'exploitation sexuelle, contribuent à sa prévention dans la mesure où ils sont tous couverts, dans toutes les années scolaires, du préscolaire jusqu'en secondaire V. Cette progression est un gage de succès, car elle répond, en temps et lieu, aux questionnements et aux préoccupations des élèves.

Donc, concrètement, ce que ça signifie, ça signifie que, tout au long du primaire, les enfants vont acquérir des connaissances et développer des aptitudes sur des sujets tels que la connaissance, l'appréciation et le respect de leur corps et du corps des autres, la conscience que la sexualité humaine comporte différentes facettes, la reconnaissance et la communication de leurs émotions, la lutte aux stéréotypes sexuels et la promotion des rapports égalitaires, pour ne nommer que ceux-là. Il s'agit là d'une fondation essentielle pour aborder des sujets plus difficiles tels que la prévention des agressions sexuelles ou des violences sexuelles en cinquième année du primaire, par exemple. Celle-ci permet de reconnaître notamment des situations à risque d'exploitation sexuelle dans l'univers virtuel, car l'école québécoise s'est adaptée au contexte, afin de développer des capacités à appliquer les règles de sécurité dans des contextes à risque.

Il en est de même pour les élèves du secondaire. Pour pouvoir aborder la prévention des violences sexuelles, notamment en secondaire II et en secondaire III, il est d'abord nécessaire de parler de sujets tels que la vie affective et amoureuse en discutant des relations amoureuses qui sont saines, l'agir sexuel, notamment en les adaptant aux nouvelles réalités sociosexuelles comme le sextage, l'influence et l'analyse critique de l'exposition à du matériel sexuellement explicite, le consentement — il revient — le rapport à l'intimité affective et l'intimité sexuelle, ainsi que la santé sexuelle.

Notre mémoire propose des suggestions d'approfondissement et d'amélioration des contenus dispensés dans les thèmes actuels, et ce, à partir de la troisième année du primaire. Par exemple, nous suggérons l'ajout de contenu, dans ce cas-ci pour le secondaire, d'aborder concrètement les manifestations de contrôle et de violence qui sont spécifiques à l'exploitation sexuelle, mais dans des contextes de fréquentation amoureuse, les obstacles à la reconnaissance et à la demande d'aide lorsqu'on vit une situation d'exploitation sexuelle, et également l'importance de bien saisir ce que représente le respect de son intimité et celle des autres dans le cadre des relations amoureuses.

Il est important de souligner que ces suggestions d'ajout ne s'intègrent pas nécessairement dans les volets abordant la violence sexuelle, mais dans des contenus qui sont positifs et qui favorisent l'esprit critique. Selon nous, et les études le démontrent, il s'agit là d'un facteur de protection important contre l'exploitation sexuelle puisque les jeunes ont un meilleur entraînement à la vie affective et une réflexion juste sur la sexualité humaine. Par ailleurs, il est important que ces éléments spécifiques fassent l'objet d'une information qui est juste, neutre et exempte de sensationnalisme et d'alarmisme de la part des intervenants si on veut être capable de rejoindre nos jeunes.

L'éducation à la sexualité en milieu scolaire cible tous les jeunes dans leur ensemble. Nous souhaitons vous entretenir d'un fait que nous trouvons primordial, c'est-à-dire, nous souhaitons que les jeunes qui sont actuellement desservis par les centres jeunesse puissent bénéficier d'une éducation à la sexualité étant donné qu'ils présentent certains facteurs de risque qui peuvent les rendre plus vulnérables à l'exploitation sexuelle ou encore au fait d'y contribuer par le recrutement ou le proxénétisme. À l'heure actuelle, de bons programmes d'éducation à la sexualité existent, et ça, pour les enfants, là, dès six ans jusqu'à 17 ans, mais ils sont dispensés à géométrie variable, voire même ils ne sont pas dispensés du tout dans certains cas. Ceux-ci devraient l'être systématiquement. Ces programmes s'inscrivent d'ailleurs en complémentarité aux interventions plus spécifiques et des programmes particuliers portant sur l'exploitation sexuelle.

Pour avoir une éducation à la sexualité de qualité, cela requiert qu'on se donne les moyens de le faire. Donc, on doit mettre en place des conditions gagnantes, tant au milieu scolaire qu'en centre jeunesse. Parmi ces conditions gagnantes, nous avons la formation du personnel scolaire et des éducateurs pour démystifier certaines craintes, notamment celles reliées à l'agression sexuelle. L'évaluation des projets pilotes en éducation à la sexualité a démontré que le thème des agressions sexuelles était un thème délicat qui suscitait beaucoup de crainte chez les enseignants, et, pour améliorer leurs compétences professionnelles... donc, la mobilisation des parents pour les rassurer par des démarches d'information, les outiller et leur donner leur juste place, il faut s'assurer également que les contenus prescrits sont bel et bien implantés tel qu'on l'a prévu, et la collaboration, finalement, avec les partenaires du milieu pour développer des offres de service qui s'inscrivent en cohérence avec les interventions déjà faites. Et, à cet effet, l'offre de service spécialisée de nos partenaires communautaires est à souligner.

• (13 h 10) •

Afin d'implanter ces quatre leviers d'intervention, la nomination d'un porteur de dossier, dans les commissions scolaires, entre autres, ou encore dans les centres jeunesse, est identifiée comme un gage de succès. Donc, à ce titre, les sexologues qui oeuvrent en commission scolaire, principalement, comme porteurs de dossier représentent un atout unique. Il ne s'agit pas ici de donner le mandat aux seuls sexologues — nous ne serions pas suffisamment nombreux — mais de miser sur son expertise pour collaborer avec l'équipe-école ou encore en interdisciplinarité avec les intervenants des milieux.

Alors, pour nous, la prévention de l'exploitation sexuelle par l'éducation à la sexualité, c'est l'affaire de tous. Un changement de culture important doit s'effectuer dans les consciences à la fois individuelles et collectives. Les projets en milieu scolaire en sont un bel exemple. Alors, nous souhaitons que tous et toutes se sentent interpelés par le fait que des actions concrètes doivent être prises pour sensibiliser, informer et rendre clair qu'il est intolérable d'exploiter sexuellement les mineurs, et cela passe par une éducation à la sexualité positive et globale. À cette fin, écoles, parents, réseau de santé et services sociaux, chercheurs et réseau communautaire doivent collaborer afin de lutter réellement contre l'exploitation sexuelle de nos jeunes.

Mme Heppell (Joanie) : On veut aussi rappeler, concernant les conséquences de l'exploitation sexuelle, vous en avez entendu un peu parler, mais je pense que ça vaut la peine d'en reparler un petit peu, les conséquences peuvent survenir dès le début du vécu d'exploitation et perdurer à l'âge adulte. Elles peuvent être plus ou moins intenses ou encore être réactivées à certains moments de différentes étapes de la vie de la personne, lors d'une grossesse ou d'une relation amoureuse, un début de relation amoureuse, par exemple. La grande souffrance pouvant découler du vécu de l'exploitation sexuelle sur le plan de la santé mentale, on sait à quel point ça peut être grand, donc la perte de sentiment de valeur personnelle, d'estime de soi, la dépression ou l'anxiété, les traumas complexes, le trouble de stress post-traumatique, qui nécessitent des interventions spécialisées.

Donc, les caractéristiques des relations interpersonnelles entourant l'exploitation sexuelle telles que la manipulation, la coercition, la violence, la domination peuvent laisser des marques vraiment profondes dans les habiletés sociales des victimes, dans leur capacité à faire confiance. Cette méfiance peut amener un isolement social ou encore brouiller la capacité à reconnaître les intentions des autres. Dans ce contexte, les difficultés relationnelles peuvent devenir vraiment nombreuses.

La victimisation peut également engendrer des difficultés avec l'intimité affective et sexuelle. C'est notre champ d'exercice, donc je vais vous en parler un peu. On en entend moins souvent parler, comme si c'était un peu moins prioritaire, mais je veux quand même attirer votre attention là-dessus. Parmi ces difficultés-là, il y a le développement possible, à l'âge adulte, de divers troubles sexuels, dont les troubles du désir, troubles de l'excitation, voire de l'aversion sexuelle. Ces troubles ont des impacts majeurs sur les relations amoureuses et affectives de ces personnes-là. On peut penser notamment au phénomène de désensibilisation corporelle. Donc, il s'agit d'un état d'évitement physiologique de la douleur ou du plaisir qui est en lien avec l'ensemble des traumas vécus. Cet état peut avoir un impact sur la capacité des personnes à réellement consentir aux activités sexuelles par la suite.

Par les actions malveillantes de clients abuseurs et de proxénètes, plusieurs de ces personnes se sentent pour ainsi dire dépossédées de leur capacité d'exprimer une quelconque agentivité sexuelle. L'agentivité sexuelle, c'est cette capacité d'agir pour sa propre sexualité, de faire ses propres choix sur le plan sexuel, et ça, c'est un facteur de protection majeur contre les violences sexuelles de tout genre.

Il est important de prendre en compte deux aspects pour une offre de services adaptée, donc, la personne peut avoir des besoins, de soutien et thérapeutique, pendant ou directement après le vécu d'exploitation, mais elle peut aussi avoir besoin de ces services sur une longue période après le vécu. Je pense que c'est important de le mentionner. Sans services visant la prise en charge de ces conséquences et de la profonde détresse qui peut y être associée, il est illusoire de penser que ces conséquences pourraient se résorber d'elles-mêmes. Au contraire, les personnes ayant un vécu l'exploitation sexuelle peuvent avoir recours à différentes stratégies d'adaptation plus ou moins saines pour tenter de surmonter leur souffrance, amenant parfois à un aggravement de leur situation de vie. Elles peuvent alors se retrouver dans un état de vulnérabilité plus grand et demeurer à risque de revictimisation de toute sorte.

Donc, au moment où on se parle, il y a des mineurs qui subissent différents traumas et plusieurs d'entre eux essaient de survivre aux conséquences laissées par les personnes qui les ont exploités. Il va sans dire que la première étape dans l'aide à leur apporter est de rétablir une sécurité physique et psychologique. Les besoins de services sont très grands. On peut penser aux besoins de ceux qui recrutent... les besoins sont grands pour les personnes mineures victimes et leurs familles, mais on peut aussi penser aux besoins de ceux qui recrutent ou des clients abuseurs, qu'ils soient judiciarisés ou non. En termes d'évaluation ou de traitement, les interventions sexologiques visent entre autres à faire prendre conscience de la gravité de leurs gestes et à développer leur empathie. On peut aussi intervenir pour diminuer la tolérance à l'exploitation sexuelle, la tolérance aux violences sexuelles et à la violence conjugale afin de réduire le risque de récidive. En ce moment, l'accessibilité aux services de sexothérapie et de psychothérapie à moyen, voire long terme pour toutes ces clientèles qui permettraient d'être soutenues et accompagnées dans leur établissement est loin d'être suffisante.

À cet effet, l'offre de services sexologiques d'évaluation et de psychothérapie du réseau de la santé et services sociaux devrait être bonifiée afin de répondre aux besoins multiples et variés des victimes d'exploitation sexuelle. Pour être efficaces et pour être effectuées au bon moment, en ciblant le bon besoin, les interventions des professionnels doivent être de qualité et suivre les données probantes.

Les clientèles sont multiples et se distinguent par leur unicité. Il est donc primordial d'identifier les caractéristiques qui leur sont propres pour dégager les besoins sexologiques précis et adapter les interventions. À cet effet, une attention particulière doit être apportée aux réalités spécifiques des filles, des garçons, des jeunes des diversités sexuelles et de genres, des jeunes des Premières Nations et des communautés culturelles. Les données probantes démontrent que certaines pratiques professionnelles sont facilitantes auprès de certaines clientèles vulnérables. Par exemple, effectuer systématiquement une évaluation initiale rigoureuse, entre autres, sur le plan sexologique, donc développement sexuel, comportement sexuel et trouble sexuel, intégrer une approche tenant compte des traumas et de la violence, intégrer les approches anti-oppressives et privilégier une perspective de réduction des méfaits, plutôt que des interventions coercitives.

Afin d'assurer la qualité des services, il est également nécessaire que les professionnels et les intervenants des milieux soient à jour dans les meilleures pratiques auprès de toutes les clientèles. Suivre de la formation continue, faire de la supervision clinique permettrait aussi de maintenir et de développer les compétences pour recevoir adéquatement les personnes victimes d'exploitation ainsi que leurs parents. L'expertise d'une diversité de professionnels est requise pour répondre, de façon optimale, aux besoins. À cet effet, le travail en collaboration entre les professionnels est nécessaire, qu'il provienne du communautaire, de la santé, des services sociaux ou du privé.

Ultimement, c'est par l'éducation à la sexualité en amont et par l'accessibilité aux divers services, dont les services sexologiques et psychothérapeutiques en aval, que la société québécoise peut agir concrètement pour diminuer l'exploitation sexuelle des mineurs. Je vous remercie.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. J'invite ensuite les représentants de L'Anonyme à se présenter et à faire leur exposé, pour une période de 15 minutes. Merci d'être avec nous.

Mme Boivin (Sylvie) : Alors, je me présente. Mon nom est Sylvie Boivin. Je suis directrice générale de L'Anonyme et je suis accompagnée, cet après-midi, de ma collègue Shanda Jolette, sexologue et coordonnatrice du programme d'éducation à la sexualité à L'Anonyme.

Nous tenons, premièrement, à vous remercier pour l'occasion que vous nous accordez de venir vous rencontrer pour discuter de l'exploitation sexuelle des mineurs. Le travail de cette commission nous apparaît essentiel, et nous espérons que les recommandations qui en émergeront pourront permettre d'y mettre fin ou, du moins, d'en réduire la portée. Vous souhaitiez nous entendre, cet après-midi, sur trois questions principalement, quels sont les contenus à privilégier, tant pour les jeunes susceptibles de devenir victimes, que pour ceux qui pourraient être tentés par le proxénétisme, qui devraient donner les cours d'éducation à la sexualité dans les écoles, et comment pouvons-nous améliorer la prévention et l'éducation à la sexualité dans un objectif de lutte à l'exploitation sexuelle des personnes mineures. Bien que nous voulions traiter ces questions séparément, il est évident que nos réponses aux deux premières questions contribueront de répondre à la troisième.

Avant tout, je souhaiterais vous présenter rapidement notre organisme. Notre organisme oeuvre sur le territoire depuis 1989 et a, comme mandat, de faire la promotion des comportements sécuritaires et des relations égalitaires, ainsi que la prévention de la transmission des infections transmissibles sexuellement et par le sang. Notre démarche est basée sur une approche humaniste, empreinte d'écoute active, et mise sur le respect du rythme des personnes rencontrées. Nous adhérons à la philosophie de réduction des méfaits qui a pour objectif de réduire les dommages et les conséquences reliées à l'adoption de certains comportements par des individus. Nous optons également pour une approche de proximité, que ce soit à bord de nos deux unités mobiles ou lors des activités du programme d'éducation à la sexualité. Nous nous rendrons directement dans les milieux de vie et de socialisation des jeunes. L'Anonyme compte quatre programmes, dont les efforts concertés visent à améliorer la santé et la sécurité de notre communauté, mais nous en aborderons seulement deux aujourd'hui.

Dans le cadre de notre programme d'intervention de proximité, l'équipe de L'Anonyme sillonne la ville de Montréal à bord de deux unités mobiles. Quatre soirs par semaine, nos intervenants, à bord de l'autobus, vont à la rencontre des jeunes de 14 ans et plus pour faire de l'éducation à la sexualité et distribuer du matériel de protection. Depuis 2006, le programme d'éducation à la sexualité réunit une équipe de professionnels formés en sexologie qui conçoit et anime des activités de prévention et d'éducation afin de promouvoir la santé sexuelle, l'adoption de comportements sécuritaires et le développement d'un esprit critique favorisant des relations égalitaires et consensuelles.

L'équipe déploie 10 projets, dont cinq s'intéressent principalement à la prévention de l'exploitation sexuelle. Nos interventions s'adressent à une panoplie de populations, allant des enfants aux personnes âgées, dans les milieux communautaires, scolaires et institutionnels de l'île de Montréal. En 2018‑2019, l'équipe s'est déplacée dans 71 milieux, a animé 337 ateliers en plus d'offrir du soutien aux écoles de Montréal dans le retour de l'éducation à la sexualité en classe. Au total, ils ont rencontré un peu plus de 3 500 personnes.

Je vais maintenant laisser la parole à ma collègue.

• (13 h 20) •

Mme Jolette (Shanda) : Vous nous avez demandé de nous pencher sur les contenus à privilégier pour sensibiliser les jeunes susceptibles de devenir victimes et ceux qui pourraient être tentés par le proxénétisme. À L'Anonyme, nous considérons que la prévention de l'exploitation sexuelle passe par une éducation à la sexualité de qualité dès le plus jeune âge. Les études démontrent qu'il est primordial de commencer à l'enseigner avant que les stéréotypes ne s'ancrent et teintent les attitudes et les comportements des individus. C'est pourquoi nos premiers ateliers s'adressent à des jeunes de quatre à six ans, soit bien avant qu'ils deviennent victimes, proxénètes ou clients abuseurs.

Évidemment, il ne s'agit pas de confronter les tout-petits directement au phénomène de l'exploitation sexuelle mais de favoriser des apprentissages et des réflexions visant l'adoption de comportements égalitaires, respectueux et consensuels. Ces réflexions se veulent une amorce à la lutte contre les violences sexuelles. Plus les jeunes auront accès à de l'information juste, plus ils seront en mesure de faire des choix éclairés et de questionner les risques encourus en vieillissant.

Pour notre équipe, la prévention de l'exploitation s'inscrit dans un continuum d'activités d'éducation à la sexualité allant du préscolaire jusqu'à l'âge adulte. Nous privilégions une approche globale, positive et inclusive de la sexualité. Cette approche permet d'éviter les préjugés et de considérer la sexualité comme une partie intégrante du développement personnel et social de l'être humain. En misant sur les bienfaits d'une pratique sécuritaire et consensuelle de la sexualité, en mettant l'emphase sur les attitudes à valoriser en contexte d'intimité et en stimulant la discussion avec les jeunes, nous nous assurons qu'ils aient accès à une information de qualité répondant à leurs besoins.

L'attitude de l'éducateur ou l'éducatrice aura aussi un impact majeur sur l'intérêt des jeunes et sur la rétention d'information. Cette personne doit faire preuve d'aisance, de souplesse et d'ouverture lorsqu'elle aborde ces contenus. Elle doit adopter un discours empreint de respect, d'égalité et de justice. La référence à ces valeurs agit à titre de levier pour défaire les fausses croyances qui peuvent teinter les comportements des jeunes.

Finalement, cinq thématiques devraient être abordées à travers le parcours scolaire des jeunes pour favoriser la prévention de l'exploitation sexuelle.

Premièrement, une réflexion sur les stéréotypes de genre permet aux élèves de remettre en question certaines de leurs valeurs, de leurs perceptions et de leurs attitudes à l'égard des caractéristiques qui sont attendues chez les hommes et chez les femmes.

Deuxièmement, la masculinité toxique doit être abordée pour souligner son impact sur les perceptions et les comportements des jeunes hommes souvent associés à l'exploitation sexuelle. La prévention ne saurait reposer uniquement sur l'éducation... voyons, pardon, l'éducation des jeunes femmes. Il appartient aussi aux garçons de définir leur sexualité dans le respect de l'autre.

Troisièmement, le thème des relations égalitaires permet quant à lui d'aborder de façon positive l'intimité, la mutualité et la réciprocité dans les relations interpersonnelles. Elle permet de mettre l'emphase sur l'importance de l'affirmation des valeurs personnelles pour se protéger des relations abusives ou basées sur les rapports de force ou de violence.

Quatrièmement, la notion de consentement sexuel volontaire, libre, éclairé, enthousiaste doit être inculquée aux jeunes pour leur permettre d'affirmer leurs propres limites et de respecter celles de leur partenaire, que ce soit en contexte de relation amoureuse, intime ou en contexte de séduction également.

Cinquièmement, il faut attaquer de front la question de l'exploitation sexuelle afin d'expliquer que ce n'est ni un choix ni une décision des victimes. Il est aussi important que les participantes comprennent les techniques de recrutement utilisées, reconnaissent le cycle du recrutement et ses différentes étapes et discutent des pistes de solution qui s'offrent à elles pour sortir d'une situation d'exploitation ou encore pour aider une personne à risque dans leur entourage.

Malheureusement, la prévention de l'exploitation des mineurs ne fait pas partie des apprentissages obligatoires qui ont été retenus par le ministère de l'Éducation dans le cadre du retour de l'éducation à la sexualité dans les écoles. Nous pensons qu'il serait important de bonifier le cursus pour favoriser la lutte à l'exploitation sexuelle.

La commission nous a aussi demandé de nous positionner à savoir qui devrait donner les cours d'éducation à la sexualité dans les écoles, et cette question nous apparaît extrêmement importante. La qualité de l'éducation à la sexualité dispensée ne saurait se limiter à une froide analyse des approches et des thématiques. La façon dont nous abordons ces questions avec les jeunes est tout aussi importante. Il est reconnu que l'attitude des éducateurs et des éducatrices a un impact sur l'intérêt et la motivation des jeunes aux activités proposées et sur l'établissement d'un espace qui leur permet de se sentir en sécurité et à l'aise de s'exprimer.

Selon nous, l'éducation à la sexualité devrait être faite par des professionnels qui sont qualifiés, qui sont intéressés, qui démontrent de l'aisance, de la souplesse et de l'ouverture. C'est pourquoi L'Anonyme recommande de privilégier le recours à des personnes détenant une formation en sexologie pour offrir ces contenus. La décision actuelle du ministère de l'Éducation de recourir au personnel enseignant pour dispenser les apprentissages obligatoires soulève plusieurs enjeux. Les contenus sur les violences sexuelles, et plus précisément, ceux sur l'exploitation sexuelle, demandent des connaissances et des compétences spécifiques. L'accompagnement et le soutien de conseillers pédagogiques embauchés par les commissions scolaires, jumelés aux connaissances en pédagogie des enseignants, nous semblent insuffisants pour qu'ils traitent de thématiques sensibles, telles que l'exploitation sexuelle. Les professionnels formés en sexologie reçoivent une formation minimale de trois ans avant d'aborder ces questions.

Il est primordial que les personnes qui présentent les contenus démontrent une grande aisance, une ouverture et une sensibilité pour éviter la banalisation du phénomène et la stigmatisation des jeunes à risque, pour aussi reconnaître les signaux associés à des situations d'exploitation et pour accueillir adéquatement les dévoilements s'ils se présentent. Le succès de la démarche et la rétention des informations par les jeunes en dépendent.

Finalement, le lien d'autorité qu'entretiennent les enseignants avec leurs élèves nuit à l'enseignement des contenus. La sexualité étant un sujet tabou pour plusieurs, il peut être difficile pour une jeune de se confier à une enseignante qu'elle fréquente quotidiennement dans le cadre d'autres matières. La peur de voir cette confidence nuire à ses notes ou être ébruitée à d'autres enseignants ou encore à d'autres élèves suffira à en décourager plusieurs. Plusieurs d'entre elles ont le sentiment que les choses ne pourront qu'empirer si l'école est au courant. En parler avec une ressource externe augmente le niveau de confiance et permet souvent des échanges plus fructueux. Les enseignants et le personnel scolaire en général ont tout de même un rôle actif à jouer, mais nous pensons que ce... on ne pense pas que ce soit nécessairement l'enseignement de ces contenus spécifiques. Nous pensons qu'ils devraient établir une collaboration étroite, soutenue et concertée avec les acteurs en prévention des violences sexuelles. Nous recommandons d'ailleurs de poursuivre la sensibilisation du personnel scolaire afin de faciliter la compréhension du phénomène de l'exploitation sexuelle et en faire des alliés.

Mme Boivin (Sylvie) : Les éléments mentionnés par ma collègue constituent des pistes de réflexion importantes pour améliorer l'éducation à la sexualité et la prévention de l'exploitation sexuelle des mineurs. Il nous apparaît tout aussi important d'aborder les changements qui doivent être apportés pour permettre une meilleure collaboration entre les différents acteurs pour améliorer le financement et pour réduire la charge administrative des projets, au communautaire particulièrement. Nous pensons qu'une meilleure collaboration entre les acteurs concernés par la lutte à l'exploitation sexuelle des mineurs est souhaitable.

Pour atteindre cet objectif, il faudra réduire le fossé qui existe entre le milieu communautaire, le milieu institutionnel et les écoles en améliorant le partage d'informations et en encourageant les échanges sur leur pratique. Plusieurs projets issus du milieu communautaire mériteraient d'être connus dans les milieux scolaires. Les écoles devraient avoir accès facilement aux initiatives de prévention de l'exploitation sexuelle des mineurs développées par les acteurs communautaires et institutionnels de leur région.

Nous recommandons donc la création d'un bottin des organismes offrant des ateliers d'éducation à la sexualité pour chaque région du Québec. Cela simplifierait la recherche du personnel scolaire et permettrait une meilleure diffusion de l'information. De plus, cela rassurerait les milieux scolaires quant à la qualité du contenu dispensé par ces ressources qui leur sont parfois inconnues.

Nous croyons que la mise en place de canaux de communications efficaces entre les différents acteurs pourrait favoriser le développement d'actions concertées auprès des jeunes. Il faut encourager le milieu institutionnel à investir les espaces de concertation qui existent déjà afin de participer à la réflexion collective au sujet des violences sexuelles, et plus spécifiquement de l'exploitation sexuelle des mineurs.

Nous proposons aussi de simplifier les processus de reddition de comptes des projets en éducation à la sexualité. Il s'avère être une charge très lourde pour nos équipes. Certains ministères vont jusqu'à imposer trois exercices de reddition de comptes par année pour un seul projet. Après tout, l'alourdissement des tâches administratives se fait au détriment du travail terrain car nos ressources humaines sont limitées. Il nous apparaît donc primordial de les alléger au maximum.

Nous voulons aussi profiter de notre présence aujourd'hui pour parler du financement des initiatives en prévention de l'exploitation sexuelle des mineurs qui s'inscrivent dans une démarche d'éducation à la sexualité. Nous sommes d'avis qu'il est indispensable de rehausser le financement prévu par le ministère de l'Éducation pour l'éducation à la sexualité. Actuellement, selon les données qui ont été diffusées dans les médias, le ministère prévoit un budget de 4,73 $ par élève. En augmentant ce financement, les institutions scolaires auraient une plus grande latitude pour faire appel à des ressources externes formées en sexologie. Les sommes injectées permettraient aussi aux organismes communautaires de pérenniser certains projets qui sont en demandes une fois arrivés au bout de leur période de financement.

• (13 h 30) •

Nous recommandons de bonifier le financement des organismes oeuvrant en prévention de l'exploitation sexuelle pour qu'ils puissent pérenniser les programmes qui se démarquent. Nous sommes d'avis qu'il faut réévaluer et bonifier le financement dit «par projets». Actuellement, ce type de financement s'étale généralement sur une période d'un an à trois ans. Cette période est trop courte pour trouver de nouvelles sources de financement et de revenus pour pérenniser ces projets avant la fin des ententes. Cela limite aussi notre capacité à atteindre le plein potentiel de nos projets. Entre l'embauche, le développement des ateliers, la promotion du projet et la reddition de compte, il nous reste peu de temps pour aller à la rencontre des jeunes.

Puisque ces financements s'adressent à des projets novateurs, il est pratiquement impossible de les refaire financer sous la même forme, lorsqu'ils se terminent, même s'ils ont démontré leur efficacité. Nous devons donc constamment redéfinir nos projets, ce qui fait perdre un temps précieux à notre équipe. Cette réalité mine aussi notre capacité à développer des partenariats à long terme avec les milieux qui collaborent avec nous. Cela complique aussi, évidemment, vous saurez me le dire aussi, la rétention de notre personnel au sein de notre organisation.

Je vous donne un exemple très concret : le projet À'Corps, qui s'adresse à une population ayant une déficience intellectuelle légère à modérée, a été financé sous le nom, à l'époque, de Focus. C'est un programme qui est destiné à une population, adapté pour cette population-là, donc, qui traite avec des nouveaux médias, des nouveaux médiums aussi, des outils didactiques adaptés pour les personnes qui ont des difficultés de vocabulaire, de langage et d'écriture. Alors, on a vraiment créé un contenu et une approche pour traiter de l'exploitation sexuelle avec les jeunes du projet À'Corps. Et ce projet-là est d'une durée d'une année seulement. Alors, entre l'embauche, la formation, le déploiement, l'animation et la reddition de compte, vous comprendrez que le projet est venu à sa fin et que malheureusement, s'il n'est pas reconduit, tous les groupes avec qui on aura travaillé en année un ne pourront pas se poursuivre pour l'année deux. Je voulais vous faire un petit exemple concret; on pourra en rejaser plus précisément tantôt dans la période de questions.

C'est pourquoi nous recommandons, donc, d'allonger les périodes de financement des projets à minimalement cinq ans pour s'assurer de la bonne démarche et de la viabilité de ce type de projet là.

Finalement, ce financement par projet varie aussi en fonction des changements de priorité des gouvernements. Évidemment, ça n'a pas été toujours le cas. Ça fait 10 ans que je suis à L'Anonyme, et ça fait environ trois ans qu'on parle plus précisément d'exploitation sexuelle. On souhaiterait vraiment que ça demeure une priorité, l'exploitation sexuelle, même si ça s'améliore, parce qu'on ne sait jamais ce qui va se produire par la suite.

C'est pourquoi nous vous recommandons de faire officiellement... nous recommandons de faire officiellement de la prévention de l'exploitation sexuelle des mineurs une priorité nationale. Merci pour votre écoute.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup pour vos présentations. Ça met fin aux périodes de vos deux présentations. On va passer à une période d'échange avec les membres de la commission.

Je vais me permettre un commentaire éditorial de 30 secondes. Vous nous avez dit de travailler ensemble, de ne pas travailler en silo, et, mesdames, excusez-moi, l'image que vous nous avez envoyée aujourd'hui, c'était incroyable de vous voir parler, d'échanger, le respect. Ce que vous avez montré, de part et d'autre de votre échange, c'était incroyable. Excusez, je le voyais bien à l'avant, là. Je ne pourrais passer ça sous le silence, je trouvais ça très joli.

Une voix : ...

Le Président (M. Lafrenière) : Mais ça ne paraît presque pas. C'était très beau. Bravo!

On a encore une fois un nombre record de questions en peu de temps. On va tenter d'aller en rafale, comme... c'est un animateur de radio dans le coin qui dit ça. Mais on va commencer avec la députée de Lotbinière-Frontenac. Une question chaque, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Oui. Donc, heureusement, ma première question a été déjà répondue, sauf que, pendant votre présentation — je parle pour L'Anonyme — vous avez parlé de reddition de compte. Je ne sais pas si j'ai compris, là, mais moi, j'avais compris que, durant les cours d'éducation sexuelle, l'éducateur doit faire une reddition de compte?

Mme Boivin (Sylvie) : En fait, la reddition de compte, elle appartient à l'organisation qui reçoit le financement pour l'activité en soi. Donc, je vous ai donné l'exemple d'À'Corps, et je vais poursuivre sur À'Corps, qui est notre projet en déficience intellectuelle. Ça pourrait être... Excusez pour... Je parle beaucoup avec mes mains. Ça pourrait être pour n'importe quel autre projet.

Moi, j'ai 26 bailleurs de fonds. Alors, dans ce contexte-là, admettons, pour le projet À'Corps, on va faire un dépôt de projet; à la mi-étape, on va faire un projet, d'où on en est rendus dans le processus. Mais la reddition de compte, ça veut dire un volet qualitatif et quantitatif, donc tant au niveau des avancées, du nombre de personnes qu'on a rencontrées, des contenus qu'on a déployés, des forces, des limites du projet. Ça, c'est dans, mettons, mi-année. À la fin de l'année, qui est un... quelques mois plus tard, là, environ quatre, cinq mois plus tard, on doit refaire un bilan final incluant l'ensemble des statistiques, des bilans financiers. Puis on parle ici d'un projet d'environ 70 000 $, 75 000 $.

Alors, c'est beaucoup de travail rédactionnel avec lequel on est très... On est très à l'aise de faire de la reddition de compte. C'est normal, ça prouve, oui ou non, si les projets fonctionnent, et on est de cet avis-là. Toutefois, on pense que parfois, la rigueur cléricale, administrative que ça prend nous enlève du boulot. Ayant des ressources limitées au communautaire, c'est les intervenants qui font aussi le terrain, qui assurent une bonne partie de cette reddition de comptes là. Ça fait plaisir.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Donc, je vais commencer par remercier L'Anonyme, donc, un organisme que nous connaissons très bien dans ma circonscription, la circonscription de Viau. Merci pour votre présence auprès de nos jeunes dans Saint-Michel.

Ma question s'adresse aux gens de l'ordre, concernant la recommandation 3, donc. Et je m'aperçois que vous êtes 775 sexologues membres de l'ordre. Je me demande, en termes d'applicabilité, donc, de cette recommandation-là, comment vous voyez l'organisation, l'arrimage de tout ça? Est-ce qu'il y a assez de sexologues pour l'ensemble des établissements? Comment vous voyez tout ça?

Mme Beaulieu (Isabelle) : ...oui, nous, on a été assez conservateurs parce qu'ultimement on aurait souhaité que les sexologues dispensent eux-mêmes les contenus en éducation à la sexualité. Mais là, effectivement, on aurait été en manque d'effectifs.

Donc, le fait d'avoir un porteur de dossiers dans chacune des commissions scolaires, c'est réaliste de le penser... et qui vient en soutien aux enseignants, aux éducateurs, à toute l'équipe-école pour faire du projet de l'éducation à la sexualité un travail qui est collectif. Donc, oui, on pense que c'est réaliste. Et actuellement il y a l'UQAM qui fait en sorte qu'on... qui dispense la formation en sexologie. Et on a un beau projet qui est en cours de création à l'Université Laval, aussi, ce qui permettrait d'aller rejoindre, dans quelques années, l'Est du Québec davantage au niveau de l'offre de service.

Une voix : ...

Le Président (M. Lafrenière) : Petite.

M. Benjamin : C'est très intéressant de voir que L'Anonyme, donc, a la possibilité d'avoir une sexologue, donc, qui travaille pour l'organisme. Il y a beaucoup d'organismes jeunesse, je pense entre autres aux maisons de jeunes, etc., et j'aurais aimé, dans votre... vous entendre par rapport... Je vous ai entendues par rapport à la présence des sexologues en milieu scolaire, mais qu'en est-il du milieu communautaire?, où c'est important parce qu'il y a beaucoup de jeunes qui passent beaucoup de temps aussi dans les organismes jeunesse.

Mme Beaulieu (Isabelle) : Tout à fait. Donc, nos sexologues qui sont en milieu communautaire contribuent, d'ailleurs, on l'a souligné tout à l'heure dans la présentation, à l'offre de formation, et à la collaboration en milieu scolaire, et aussi à la dispensation de services auprès des jeunes, donc, au coeur de la mission de l'exploitation sexuelle. Et ils ont des expertises et font un travail de terrain et de proximité qui est exceptionnel. Donc, je tiens à le souligner.

Et ce qui est intéressant, c'est que ces sexologues-là, dans le milieu communautaire, qui adhèrent aux standards de qualité qu'un ordre professionnel leur demande... Nous, dans notre code de déontologie, on a une obligation qui est unique, qui est celle d'avoir l'obligation de faire l'évaluation du développement psychosexuel des jeunes avant de faire la présentation de tout matériel ou de toute information à caractère sexuel. Donc, ça, pour un parent, pour un employeur, c'est très, très rassurant.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Sainte-Rose.

M. Skeete : Merci, M. le Président. Merci à vous pour votre exposé. En fait, j'avais la même question que le collègue, c'est que, même si on voudrait, il me semble que les effectifs ne sont pas au rendez-vous pour offrir la formation comme je pense qu'elle devrait être donnée. Sachant ça, avez-vous des suggestions pour nous orienter dans le but, justement, d'offrir un cursus qui va être à la hauteur et aussi qui va nous permettre d'avoir quelque chose qui peut... sans avoir la meilleure des solutions, quelque chose de bien quand même? Et après ça j'ai une petite question de suivi, là, mais ça va être rapide, je vous le promets.

• (13 h 40) •

Mme Boivin (Sylvie) : ...j'aimerais d'ailleurs commencer en disant que ce qui est prévu actuellement au contenu obligatoire en éducation à la sexualité, c'est un contenu de qualité qui est adapté au développement psychosexuel de nos jeunes, qui a été conçu par des sexologues et des experts en sexologie.

Donc, pour répondre à votre question, une offre de service qui est optimale, nous, ce qu'on croit, c'est que le sexologue porteur de dossier en commission scolaire, qui fait toute la planification de ces apprentissages-là, qui fait le lien avec les organismes communautaires, qui font un travail exceptionnel, que ce soit en prévention de l'exploitation sexuelle en ITSS de toutes sortes... Donc, concertation, planification, formation des enseignants, formation des intervenants, soutien aux enseignants, quand ils ont des questions dont ils ne savent pas comment répondre, recadrer. Parce qu'on parle des gens qui sont inconfortables de discuter de sexualité, mais nous, ce qui nous préoccupe aussi, ce sont les personnes qui le sont trop, confortables. Donc, des fois, ils ont besoin d'avoir un cadre qui est mis. Donc, formation, soutien, encadrement, dispenser des contenus, parfois, le lien avec le communautaire et de faire en sorte que chacun des intervenants dans le milieu scolaire est préoccupé par la santé sexuelle de nos jeunes et notamment la prévention de l'exploitation sexuelle.

M. Skeete : Rapidement. Tantôt il y avait une intervenante qui nous parlait que le critère numéro un, c'était la confiance. On pouvait savoir si une personne était susceptible de se faire exploiter par la confiance que cette personne-là peut avoir en elle. Par contre, vous avez beaucoup parlé d'éducation et pas soulevé cette notion-là. Est-ce que vous pouvez me dire où est-ce que les deux se réunissent dans votre esprit?

Mme Heppell (Joanie) : En fait, on n'a peut-être pas défini chacun des contenus, mais, si vous regardez le programme, bien, les contenus actuels, il y a justement toutes les réflexions sur comment une personne se développe, comment une personne développe... On a parlé d'agentivité, entre autres, sexuelle. Mais l'agentivité, c'est comment on est dans le monde, comment on est solide, comment on se définit comme personne. Donc, pour moi, la confiance est inextricablement liée à ce phénomène-là. C'est de dire : On accompagne le jeune ou la jeune dans sa définition de soi, et ça lui permet, justement, de prévenir certaines manipulations, ou autres, là. Donc, c'est tout à fait couvert, à mon avis, en ce moment.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : ...reviens aussi sur cette question. Il y a peut-être un compromis dans la recommandation 6, donc, le l'ordre, et dans la recommandation 2 de L'Anonyme.

L'Anonyme, vous dites que ça prendrait des sexologues, mais on voit qu'il n'y en a pas assez. Mais vous dites : à tout le moins, pour les questions liées à l'exploitation sexuelle et plus largement les violences sexuelles. Ça pourrait peut-être être ça, dans le sens que c'est complexe. Il y a peut-être même des cas où on pourrait percevoir qu'il y a un problème avec une personne ou des personnes. Donc, je voulais savoir si, peut-être, ça, ça pourrait être une recommandation qu'on ferait s'il y a assez de personnes pour le faire.

Par ailleurs, les parents dans tout ça? Parce que, si les parents ne sont pas engagés... À Québec, dans les consultations qu'on a eues, on a beaucoup parlé des parents aussi et, à un moment donné, qu'ils devaient être parties prenantes, avoir aussi la formation, savoir ce que leurs enfants apprennent dans ce cours. Ils sont souvent très détachés des cours, en général, de leurs enfants. Alors, peut-être, vous deux, là, ces deux questions... Bien, l'un et l'autre.

Mme Boivin (Sylvie) : Je vais peut-être commencer parce que je trouve intéressante l'idée de se rapprocher de l'ordre à certains niveaux. Mais effectivement les sujets les plus sensibles, on a divers projets, à L'Anonyme, qui... Entre autres, vous avez déjà entendu parler de Sphères et d'ACTES, qui sont en collaboration avec les centres jeunesse entre autres. On traite vraiment de cette thématique-là.

Ça fait 10 ans que je suis à L'Anonyme, ça fait 10 ans que je suis connectée aux programmes d'éducation à la sexualité, je suis allée dans plusieurs écoles. Et, depuis l'arrivée, on est super contents. On salue fortement le retour de l'éducation sexuelle à l'école, c'est clair. On est conscients aussi du manque de sexologues.

Je vais ramener peut-être les intervenants formés en sexologie. Il y en a beaucoup plus que le nombre de personnes membres de l'ordre, donc, des gens qui ont fait une formation de trois ans pour parler de cette thématique-là. Et ça, c'est un choix de L'Anonyme d'embaucher des personnes formées en sexologie pour traiter d'éducation à la sexualité. C'est un choix très, très organisationnel, je devrais dire.

Maintenant, il y a des sujets qui sont faisables ou qui pourraient être transmis par les enseignants, où ils sont plus à l'aise de le faire. Mais on avoue que, depuis plusieurs années, on entend des enseignants nous dire : Quand on arrive avec des situations d'agression sexuelle, d'exploitation, de violence sexuelle, c'est quand même un sujet lourd de conséquences si on ne sait pas quoi répondre à la personne quand elle le dévoile. Alors, c'est ce qu'on essaie de recommander le plus possible. Essayons d'avoir des personnes qui ont les compétences, les réponses et qui seront en mesure d'accompagner le jeune qui fera un dévoilement. Tu voulais-tu compléter sur... De notre côté, c'est ça.

Mme Weil : ...rejoindre les parents.

Mme Boivin (Sylvie) : On a déjà eu un programme destiné aux parents, il y a quelques années, dans le cadre d'un projet qui s'appelait Basta!, qui était notre projet... dans nos premiers, d'ailleurs, à Saint-Michel. On avait parti ce projet-là il y a une dizaine d'années. On a eu un projet, et on s'est rendu compte que souvent, pour le parent, c'est quand même... c'est difficile d'être confronté à la réalité que peut-être notre enfant peut vivre de l'exploitation, etc. Alors, on a utilisé des nouveaux outils. On a créé des outils didactiques adaptés pour les parents, qui ont été remis dans les CIUSSS, dans les CLSC, à différents endroits dans les cliniques, en psychothérapie, etc., pour permettre aux parents de se renseigner et avec des numéros de référence de soutien pour les parents. Alors, c'est de cette façon-là. On a donné des ateliers aux parents.

Mais, quand on arrive avec le thème de... juste quand on utilise le terme «exploitation sexuelle», ça peut être un frein. Alors, il faut vraiment y aller d'une autre façon, avec une approche plus positive, inclusive. Et c'est cette façon-là qu'on a décidé de traiter avec les parents.

Mme Jolette (Shanda) : Puis nous, on collabore aussi avec des partenaires communautaires. Là, je pense à En Marge 12-17, que vous allez entendre demain, là, dans le cadre de la commission, qui, eux, ont vraiment, là, une expertise auprès des parents, où ils ont des groupes d'information, des groupes de soutien. On a participé, nous, notre sexologue, là, au développement des ateliers qui sont plus larges, là, sur le thème de l'exploitation sexuelle, mais qui visent vraiment à mieux les renseigner, qu'ils se sentent mieux outillés, développer les capacités communicationnelles entre le parent, l'enfant, donc vraiment, là, qu'ils puissent avoir un soutien, un petit filet, de mieux comprendre, puis d'être impliqués, puis d'avoir des bonnes pratiques, là, avec leur enfant, aussi, là, de maintenir le lien de confiance, là, bref. Donc, ils pourront, là, vous en parler davantage demain, mais nous, on collabore, là, avec différents partenaires, là, Marie-Vincent, entre autres, aussi, le centre d'expertise qui accompagne aussi les parents de nos jeunes qui se retrouvent parfois en situation d'exploitation. Et, pour ce qui est des écoles, là, peut-être que je pourrai vous laisser compléter.

Mme Beaulieu (Isabelle) : Rapidement, ce que je peux dire, c'est que nos sexologues qui travaillent en commission scolaire et qui agissent à titre de chefs d'orchestre des contenus en éducation à la sexualité font également des... chapeautent des démarches pour aller rejoindre les parents, pour les informer de tout ce qui concerne l'éducation à la sexualité en général, et incluant, là, les notions qui ont trait, là, aux violences sexuelles.

Les parents, on le rappelle, c'est les premiers éducateurs à la sexualité de leurs enfants, et parfois... bien, même souvent, ils font de l'éducation à la sexualité sans même le savoir. Donc, parmi ces rencontres-là, on redonne confiance aussi aux parents, et ça porte fruit quand c'est fait par nos sexologues de commission scolaire.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Merci beaucoup. Bonjour à toutes. Comme mon collègue de Viau, j'aimerais saluer le travail de L'Anonyme dans Hochelaga-Maisonneuve. Très apprécié.

Ma question s'adresse aux deux groupes : Basé sur votre expérience en particulier, là, avec les adolescentes, quelle est la perception préalable qu'elles ont quand, pour la première fois, elles entendent parler, là, de... ou elles sont formées par les différents ateliers que vous leur offrez? Parce qu'on s'est fait raconter par d'autres personnes que, parfois, ça peut être glamourisé, la question de la prostitution ou de l'exploitation sexuelle. Est-ce que le terme «travailleuse du sexe» est utilisé? Avec quel bagage elles arrivent quand on leur livre une formation comme ça à 12, 13, 14, 15 ans?

Mme Boivin (Sylvie) : Bien, en fait, aujourd'hui, je ne m'étendrai pas sur la sémantique travail du sexe ou exploitation parce qu'on est ici pour l'exploitation sexuelle des mineurs, alors on va parler de mineurs. Donc, on veut utiliser le terme «exploité», «jeune fille exploitée sexuellement» dans ce contexte-ci. On pourrait élaborer sur cette sémantique-là si on parlait avec les adultes. Aujourd'hui, on est vraiment plus dédiés aux populations jeunesse, mineures.

Il clair que l'approche, quand on traite de cette thématique-là, ce n'est pas le premier thème qu'on doit souhaiter aborder avec des jeunes. Alors, c'est sûr que, quand on se fait proposer d'aller parler, dans une école ou un milieu communautaire, d'exploitation sexuelle, il se peut très bien qu'on fasse une contre-proposition à l'enseignant ou à l'éducateur qui nous a convoqués, en disant : Je pense qu'il faut partir sur des bases communes pour qu'on ait tous le même vocabulaire, pour éventuellement traiter de cette question-là.

Parce que, quand on utilise ce thème-là... Et ce n'est pas le plus populaire, hein? Ce n'est pas celui-là qu'on dit en premier : Ah oui! Venez nous parler d'exploitation. Comme adultes, on aime savoir que nos jeunes en entendent parler, mais il faut travailler... il faut être un peu plus perspicace dans notre façon d'approcher cette thématique-là auprès des enseignants. Si tu veux poursuivre, peut-être, au niveau des jeunes...

Mme Jolette (Shanda) : Oui. Puis c'est sûr que cette dimension-là de recrutement inversé, là, que nous, on appelle, donc les jeunes filles qui vont aller vers des proxénètes potentiels ou tout ça, c'est quelque chose qu'on observe, à travers les ateliers, de voir qu'on n'a pas une trajectoire unique, classique, hein? Ça tend à se diversifier avec les années. Et donc nous, on est en train, là, d'ajuster aussi nos contenus en fonction de ça, ces nouvelles réalités là, un peu comme on l'a fait dans les dernières années avec toute l'arrivée, là, des différentes plateformes numériques, là, où on a dit : O.K... On a diversifié les stratégies de recrutement.

Bien, il y a aussi, c'est ça, toutes ces nouvelles dimensions là, où c'est effectivement, là, glamourisé, où c'est vu parfois, là, positivement, qu'on ne mesure pas la portée, en fait, de se retrouver dans une situation d'exploitation. Donc, c'est quelque chose qu'on aborde avec les jeunes. Puis on tient compte aussi des particularités, des caractéristiques des différents milieux qu'on rencontre, puis c'est là où on va adapter aussi le discours qu'on va avoir avec les jeunes. Mais c'est sûr que c'est à prendre en compte. Nous, ça fait partie de l'actualisation de nos contenus actuels de prendre davantage en compte cette perspective-là.

• (13 h 50) •

Mme Heppell (Joanie) : Oui. Sans m'étendre sur cette réponse-là, je dirais que ce qui est important, c'est de suivre, justement, chacune de ces jeunes-là ou chacun de ces jeunes-là, parce qu'il peut y avoir certains garçons aussi, qui peut être poussé à voir ça de cette façon-là.

Donc, on a parlé beaucoup d'éducation à la sexualité. Moi, je vous ai un petit peu plus parlé d'accès aux services. Ça demande justement une évaluation de ces personnes-là, très, très ciblée, pour voir elles en sont où par rapport à ça. Donc, peut-être qu'ils voient ça glamour, mais, si elles voyaient un professionnel ou une professionnelle compétente, elles seraient peut-être un petit peu plus en mesure, là, de peser les pour et les contres de leur apparence de choix ou leur choix contraint.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Écoutez, on a parlé beaucoup des jeunes filles — il peut y avoir aussi, bien évidemment, des jeunes garçons — mais, à l'autre bout du... du spectre, pardon, il y a le client abuseur. Est-ce que ce serait bien de penser — je pense un peu à «john school», là, parce qu'on nous en a parlé aussi, là — à un programme pour les clients abuseurs mais aussi en amont, pour prévenir ce genre... parce que, s'il n'y a pas d'offre, il n'y aura pas de demande, hein, et donc pour prévenir justement les abus?

Ce matin, on nous parlait... on nous ramenait comment c'est facile, comment juste quelques recherches avec des mots-clés... puis je ne répéterai pas les mots parce que moi, ça me gèle le sang, là, mais comment ce pourrait être facile de détecter aussi des clients abuseurs potentiels. Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de mettre en place un programme? Je m'adresse un peu à L'Anonyme parce que...

Mme Boivin (Sylvie) : Écoutez, je vais être tellement plate en vous disant ça, mais je n'ai tellement pas le choix de le redire, tu sais? Les clients abuseurs, ça a été des enfants, ça a été des adolescents qui n'ont pas eu nécessairement l'éducation à la sexualité comme on le propose aujourd'hui. Nous, dans notre cas, on pense vraiment que, si les jeunes, les adultes... Et même, aujourd'hui, il n'est jamais trop tard pour parler d'égalité. Ce genre de proposition là, pour nous, elle fait partie intégrante de répondre à des clients abuseurs. Si on a des clients abuseurs aujourd'hui, c'est qu'ils n'ont pas eu l'éducation qu'ils auraient dû avoir, ils n'ont pas compris c'était quoi, l'égalité au niveau de la diversité des genres, ils ne se sont pas renseignés à ce sujet-là.

On a vu aussi, tantôt, on parlait de comportements qui étaient peut-être inadéquats à la maison, qu'ils ont déjà vus ailleurs, des situations où il y avait de la violence, du contrôle, alors ce genre de comportements là, ils sont appris. Alors nous, on pense vraiment que ça passe par une éducation à la sexualité de qualité, même si aujourd'hui on en a échappé dans les mailles du filet. C'est de là que je réitère le fait que, quand on pense que ce n'est plus une priorité, il faut continuer. Il ne faut pas arrêter parce qu'on a atteint le maximum, il faut continuer à offrir ce genre d'information là parce que ça commence quand on est jeune. Et c'est pour ça qu'on s'adresse très rapidement aux jeunes de ce que c'est, l'égalité, la confiance, le respect, le consentement, consentement... jusqu'au consentement sexuel. C'est dans ce cadre-là. Alors, de faire un programme pour les clients abuseurs, tu sais, quand les distorsions cognitives sont déjà bien installées...

Une voix : On parle d'autre chose.

Mme Boivin (Sylvie) : ...on parle d'une autre thérapie, on n'est plus nécessairement dans l'éducation.

Mme Heppell (Joanie) : Oui, c'est ça. Je trouve ça intéressant. On va se compléter, encore une fois, parce que, justement, du moment que l'éducation a failli, hein, on est rendu ailleurs, on est rendu que la personne est rendue un client abuseur, maintenant c'est au-delà d'un programme d'éducation, hein? Il peut y en avoir, évidemment, mais c'est un programme d'accompagnement et de traitement de ces personnes-là, où on doit vraiment ébranler cette croyance que c'est O.K., hein, c'est correct de consommer le corps de jeunes filles, de jeunes garçons comme ça.

Donc, c'est vraiment... ça prend un plus... J'ai lu, là, dans Le Devoir, justement, une seule journée «john school», mais ça prendrait en fait une démarche un peu plus longue pour changer la perception de ces hommes-là — on ne se le cachera pas, c'est beaucoup des hommes — donc changer la perception profonde de ces hommes-là pour que ça ne devienne plus banal de consommer une sexualité comme ça avec des mineurs.

Mme Lecours (Les Plaines) : ...recommandations à cet égard-là?

Une voix : Bien, peut-être de bonifier des programmes de traitement, en effet.

Mme Beaulieu (Isabelle) : Oui. Puis peut-être, si je peux me permettre... Il y a des initiatives intéressantes où on pourrait peut-être joindre ou ajouter peut-être une mission. Je peux penser, par exemple, à Québec, à l'Institut universitaire en santé mentale, il y a une équipe spécifique de traitement des troubles sexuels, où on fait du traitement de personnes délinquantes sexuelles, de personnes qui ont des problèmes de compulsivités sexuelles, qui peuvent d'ailleurs contribuer à aller... avoir recours aux services de mineurs. Mais on pourrait joindre une mission comme celle-là au niveau des clients abuseurs, où, là, toute l'évaluation sur la fantasmatique, l'excitation, tous les éléments qui contribuent à faire en sorte que ces gens-là ont recours à des mineurs, ils pourraient bénéficier d'une bonne évaluation et aussi de traitements. C'est des pistes de solution qui pourraient être intéressantes.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Pour terminer avec les questions, députée de Marie-Victorin

Mme Fournier : Merci beaucoup, merci, mesdames, pour votre présentation. Je pense qu'on est tous heureux du retour de l'éducation à la sexualité à l'école. Il était plus que temps.

Mais, ceci étant dit, si le cours, tel qu'il a été prévu actuellement, réussit à être bien implanté, avec les ressources appropriées, trouvez-vous tout de même que, de façon optimale... est-ce que c'est suffisant? Est-ce qu'il y a assez d'heures qui sont prévues au cursus scolaire? Parce qu'on a appris, bon, que le gouvernement était peut-être ouvert à revoir certains éléments. Est-ce qu'il y aurait lieu d'augmenter les heures en termes d'éducation à la sexualité?

Puis aussi, peut-être pour aller dans le même sens que la collègue de Les Plaines, en ce qui concerne les clients abuseurs, est-ce que ce ne serait pas intéressant de rendre obligatoire, en fait, le traitement par des sexologues reconnus? Est-ce que ça diminuerait... Est-ce qu'on a des statistiques sur la diminution, en fait, du nombre de récidives lorsque les clients abuseurs ont accès à une thérapie du genre?

Une voix : ...

Mme Fournier : Deux questions, oui.

Mme Boivin (Sylvie) : Peut-être, au niveau du nombre d'heures, j'aurais tendance à vous dire que je n'ai pas encore... je ne sais pas l'impact du nombre d'heures actuel. Ce que je sais, c'est qu'il pourrait y avoir 100 heures, ça prend de la qualité. Alors, moi, je suis d'avis que, si on veut donner des cours d'éducation à la sexualité, ils doivent être de qualité. Si on a deux bonnes heures d'éducation à la sexualité, c'est mieux que 25 si c'est donné par des gens qui ne sont pas à l'aise ou qui n'ont pas le confort de le faire. Alors, ça, c'est mon premier point.

Toutefois, je pense que, comme adulte, comme société, l'éducation sexuelle ne se termine pas quand la porte de l'école se termine. Il y a plusieurs bons programmes en maison de jeunes, dans plusieurs de nos groupes partenaires, en centre jeunesse. On soutient cette approche-là d'éducation à la sexualité. Il faut continuer à le faire, à remettre à leur place quand il y a des comportements déplacés, dans les propos qu'on entend d'un jeune. Je pense que c'est à nous à ramener ce travail-là, à poursuivre ce travail-là à l'extérieur des portes de l'école. Et je suis d'avis que, dans quelques mois, quelques années, on sera en mesure de savoir le nombre d'heures qui est essentiel à ça. Mais on revient, nous, avec la qualité du contenu offert.

Mme Beaulieu (Isabelle) : Peut-être juste pour compléter au niveau des heures. Quand la qualité est au rendez-vous, les évaluations le démontrent que l'éducation à sexualité est reconnue comme efficace. Donc, on abonde dans le même sens au niveau de la qualité et au niveau du fait que celle-ci doit être adaptée au développement psychosexuel des enfants et commencée dès le plus jeune âge pour faire une bonne fondation, pour que, quand les... positive, pour que, quand les problématiques peuvent survenir, la base, elle est déjà là. Donc, on intervient en amont.

Mme Heppell (Joanie) : Oui, puis je pense que c'est assez clair aussi qu'avec cette éducation à la sexualité, là, on prévient à la fois la victimisation par les violences sexuelles, mais aussi, par, justement, les contenus en égalité des genres, et tout ça, on prévient à ce que des futurs clients abuseurs existent. Donc, ça, c'est une chose.

Concernant votre question sur les clients abuseurs et les risques de récidive, écoutez, j'ai discuté, justement, de ce sujet-là avec une collègue sexologue qui est experte en délinquance sexuelle, et le phénomène des clients abuseurs, on le connaît bien, la police le connaît bien, et tout ça. Par contre, on manque de données. Parce qu'on commence à prendre vraiment ça au sérieux. La tolérance sociale face aux violences sexuelles commence à vraiment diminuer, et c'est ce qui fait qu'on va avoir besoin un petit peu plus d'étudier ça en... bon, en sexo et ailleurs pour voir qu'est-ce qu'on va pouvoir faire en termes de risques de récidive. Est-ce qu'on peut vraiment se fier sur les programmes, par exemple, qu'on pourrait appliquer à des délinquants sexuels, avec le traitement d'une durée x? Est-ce que c'est plus facile de traiter les clients abuseurs? On ne le sait pas encore. Donc, on pourrait espérer que oui, mais il faut quand même se donner les moyens pour essayer des types de thérapie de ce type-là.

Mme Fournier : ...données. Il faudrait avoir plus de données et plus de recherche?

Mme Heppell (Joanie) : En ce moment, je... Oui, en effet, c'est ça. Je ne pourrais pas vous donner...

Mme Fournier : O.K. Mais ça peut faire partie, justement, des pistes de solution pour qu'on soit capables de mieux cibler le problème des clients abuseurs.

Mme Heppell (Joanie) : Circonscrire le problème, en effet, par ces études-là aiderait énormément à intervenir auprès d'eux.

Mme Fournier : C'est bon. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup pour votre contribution aux travaux de la commission.

Je suspends les travaux quelques instants afin de permettre à nos prochains invités de prendre place. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 13 h 59)

(Reprise à 14 h 6)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, je souhaite maintenant la bienvenue au Service de police de l'agglomération de Longueuil et aux représentants du projet Mobilis. Je vais juste vous appeler le projet Mobilis, police ou civils, on va garder ça facile comme ça. Je vous rappelle que vous disposez chacun de 15 minutes pour faire votre exposé, et par la suite il y a aura une période d'échange avec les membres de la commission. Ce sera un 30 minutes tous ensemble et c'est vraiment une période d'échange. On est ici pour découvrir ce que vous avez à nous présenter.

Alors, je vais laisser les gens du projet Mobilis... Je vais vous demander de vous présenter et de nous faire votre exposé par la suite. Vous avez 15 minutes.

Mobilis et Service de police de l'agglomération de Longueuil

Mme Demers (Carole) : Carole Demers, agente de planification de programme et de recherche au CISSS de la Montérégie-Est, projet Mobilis.

Mme Philibert (Pascale) : Pascale Philibert — désolée pour la voix, j'ai une extinction — alors conseillère aussi pour la direction de la protection de la jeunesse à l'équipe Mobilis.

M. Dagher (Fady) : Fady Dagher, directeur de police de l'agglomération de Longueuil.

M. Vallières (Ghyslain) : Ghyslain Vallières, agent au Service de police de l'agglomération de Longueuil. J'ai participé au projet Mobilis I, II et III.

M. Valiquette (Martin) : Lieutenant-détective Martin Valiquette. J'ai également procédé à Mobilis I et Mobilis III.

Mme Philibert (Pascale) : Alors, je vais commencer. À l'équipe Mobilis, pour la direction de la protection de la jeunesse, nous sommes deux conseillères. Nous couvrons toute la Montérégie. L'offre de service de la direction de la protection offre le service-conseil aussi à tous les intervenants de la Montérégie, en conseil.

On va vous donner un peu quelques chiffres. Pour commencer, ce que nous avons, à l'équipe Mobilis, à la direction de la protection de la jeunesse, c'est des consultations. On se fait appeler pour avoir des conseils, se faire accompagner, avoir du support. Alors, les premières années, on parlait d'à peu près 330 demandes par année. 12 ans plus tard, on est rendus à peu près à 1 000 demandes par année. On couvre les problématiques de gangs de rue, délinquance et l'exploitation sexuelle.

• (14 h 10) •

Au niveau plus ciblé, au niveau de l'exploitation sexuelle, les consultations qu'on a sont majoritairement sur des fréquentations à risque, ça fait que : Est-ce que vous connaissez ces individus-là, est-ce que c'est inquiétant, pas inquiétant? Quand on arrive dans les questions plus spécifiques à l'exploitation sexuelle, on a beaucoup plus d'informations où on commence à être plus directs sur la problématique. On parle, les premières années, de 45 jeunes filles par année. 12 ans, 11 ans plus tard, on est rendus à peu près à 187 jeunes filles par année. C'est sûr que c'est pour toute la Montérégie. Il y a majoritairement une concentration plus proche de Montréal, donc plus proche de Longueuil.

Au niveau du recrutement des jeunes, encore là, au niveau des consultations, les questions qu'on se fait poser... On voit de plus en plus de filles qui recrutent. Donc, on est pas mal à moitié-moitié. L'implication des filles est très présente dans le recrutement parce que c'est aussi une façon pour les filles d'avoir un peu de pouvoir. Donc, c'est aussi la façon que les gars vont approcher les filles. Ce n'est plus juste d'avoir un chum dans le milieu, mais : Est-ce que tu veux participer au recrutement? Les filles vont penser qu'elles vont être exclues de l'exploitation, mais c'est encore une fois une arnaque.

Une chose qui se démarque de l'équipe à la protection de la jeunesse, c'est les formations. En moyenne, en 11 ans, on a donné 259 demi-journées de formation. Ça représente à peu près une vingtaine de formations par année. Et c'est là, je pense, la grande force, qu'on va regarder un petit peu plus tard, au niveau du dépistage.

Alors, la question qui nous a été posée : Comment s'assurer, dans le milieu, d'une bonne concertation afin de dépister et intervenir rapidement auprès des victimes mineures d'exploitation sexuelle? Je vais vous parler de la première concertation dont on trouve qu'elle est importante, c'est à l'intérieur même du centre jeunesse, qui est maintenant à l'intérieur du CISSS-ME. Il y a beaucoup de services pour l'ancienne appellation «centre jeunesse», tout ce qui est protection de la jeunesse, mais aussi délinquance, les centres d'hébergement. Alors, les deux conseillères couvrent tous les services de l'ancienne appellation «centre jeunesse».

Donc, faire le lien entre les services, faire le lien entre les différents intervenants, on trouve que c'est très important. Et c'est une plus-value, c'est toujours de donner du conseil aux jeunes intervenants. Il y en a qui ne sont pas nécessairement jeunes, mais qui sont moins habitués avec la problématique, parce que vous savez qu'il y a troubles de comportement, négligence, santé mentale. Mais, quand on arrive à la problématique de l'exploitation sexuelle, c'est toujours gagnant d'avoir un conseiller spécialisé pour supporter les intervenants. On ne fait pas... On n'intervient pas. Nous ne sommes qu'en conseil aux intervenants.

L'autre avantage, c'est de colliger l'information. Donc, à l'intérieur même du centre jeunesse, nous, les informations, les consultations, les questionnements que nous avons, nous gardons nos notes. Et, avec le temps... C'est la première fois qu'on se fait conseiller. On se fait questionner pour un individu, une adresse, un pattern. On va garder l'information dans nos notes. Et, quand ça fait cinq fois qu'on se fait questionner sur les mêmes choses, à ce moment-là, on est capables d'analyser et de faire des liens.

Dans la collecte d'information, on a accès aux réseaux sociaux. Là, ça se développe pour les intervenants, mais les conseillers, moi et Carole, on va fouiller sur les réseaux sociaux. Ce qui nous intéresse sur les réseaux sociaux, c'est qu'est-ce que le jeune partage, qu'est-ce que le jeune «like». Tout ce qui va être alimenté par les jeunes, pour nous, ça va nous permettre le dépistage pour voir est-ce qu'il y a des problématiques qu'on devrait adresser.

On va aussi évaluer les jeunes plus à risque. Donc, on va faire des recommandations aux intervenants. Est-ce qu'on ajoute des services? Est-ce qu'on intensifie les services? Est-ce qu'on fait une révision anticipée? Il y a beaucoup de choses que l'équipe va pouvoir dépister. Donc, on va faire ça.

Il y a aussi... Vous savez qu'avec le mouvement de personnel, des fois, il manque de personnel. Il est arrivé que les conseillers fassent le suivi vu que ça faisait trois ans que nous, on avait des consultations sporadiques ici et là sur tel jeune. Avec le mouvement de personnel, on est capables de dire : Oui, mais, attendez, l'année passée, il est arrivé ça, il y a trois mois, il est arrivé ça. Donc, c'est aussi un système de protection, aussi, davantage au niveau du conseil.

On va aussi supporter... Dans le partenariat avec les policiers aussi, sur les ententes multis, bien qu'on a des intervenants qui font les évaluations de ces ententes multi là, de ces abus sexuels, abus physiques, mais l'équipe va être supportée de façon un petit peu plus large, de regarder... Ce n'est pas juste du cas par cas. Parce que, oui, il y a un cas... mais, des fois, on est capables, nous, quand il y a plusieurs cas, de recouper des choses ensemble et de dire : N'oubliez pas ça, il faudrait discuter de ça, il faudrait regarder... Souvent, il y a des informations dans les ententes multis qui peuvent ressortir aussi, qui ne sont pas nécessairement retenues pour l'enquête, mais qui sont pertinentes. Mais ce n'est pas nécessairement des jeunes qu'on est capables de recouper directement dans l'abus sexuel ou l'exploitation sexuelle. Mais cependant c'est des individus qu'on va pouvoir voir qu'ils sont à risque et qu'on va pouvoir peut-être dire : Ces jeunes-là, il faut aussi les investir même s'il n'y a pas d'enquête officielle.

Je vous en ai parlé au départ, le service-conseil est aussi offert aux écoles, aux organismes communautaires, aux CLSC. On a beaucoup d'appels maintenant, des demandes, des consultations pour avoir du support ou de l'aide. On n'est pas loin de la moitié qui provient de nos partenaires externes. Donc, ce n'est pas juste un service-conseil à l'intérieur, pour le centre jeunesse, mais bel et bien pour nos partenaires. Au niveau de... Souvent, les partenaires, on va regarder peut-être que ça prend un signalement. On va aussi aider à faire le signalement. Il y a des fois où, étant rattachés directement à l'équipe des signalements, on peut aider à comment formuler le signalement.

Maintenant, pour la question du dépistage, pour ce faire, c'est très important de connaître bien les adolescents. Déjà, en partant, vous avez des adolescents qui ont la pensée magique. La problématique, pour nous, c'est plus les 13, 14, 15 ans. C'est ceux qui nous inquiètent le plus. Il y a quand même... Les consultations que nous avons à l'équipe Mobilis, on a beaucoup de... on a quand même assez de 13, 14 ans. Ceux-là sont plus difficiles à intervenir. C'est plus difficile d'avoir des interventions spécifiques pour celles-ci étant donné qu'elles sont dans la pensée magique, qu'elles sont centrées sur elles. Le jugement n'est pas très développé. C'est aussi là le risque, au niveau du recrutement, qui est très, très problématique.

À ce moment-là, on va travailler sur la connaissance générale des adolescents avec les intervenants, qu'est-ce qui marche bien avec cet âge-là. Et par la suite la connaissance... Quand on donne de la formation sur l'exploitation sexuelle, on ne recommande pas aux intervenants de traiter les adolescents dans l'exploitation comme des victimes. Ça ne marche pas. Bien qu'elles sont victimes, il ne faut pas intervenir là-dessus. C'est davantage de les traiter comme étant... de tout... de leur donner du pouvoir, mais, si on les traite comme victimes, ça ne marche pas du tout. Donc, il faut... Elles vont dire : Mais j'ai du pouvoir, je suis capable. Donc, il y a toute une approche qui est importante, qu'on enseigne aussi.

Encore là, le partage d'information avec les partenaires, avec les policiers sur ce qu'on entend, ce qu'on voit, ce qu'on surveille aussi sur les réseaux sociaux est très important pour le dépistage. Il est arrivé quelquefois où on a vu sur les réseaux sociaux des messages de demande d'aide de jeunes, et on a demandé aux intervenants de faire des interventions sur ces messages-là. C'est très long avant que la jeune admette un quelconque besoin. Il faut être très connaissant sur ce qui se passe autour d'elle. Il faut poser des questions. Il faut être très directif. Des fois, ça peut prendre une heure, une heure et demie avant qu'elles avouent ça, mais il faut être persévérant, puis on arrive quand même à le faire. Quand l'intervenant est en contrôle, connaît comment ça marche, connaît qu'est-ce qui se passe, ça marche bien.

Pour les recommandations en prévention primaire, on vous a fait quelques recommandations. C'est davantage de parler de criminalité qui va marcher plus que de parler d'exploitation sexuelle parce que les filles ne reconnaissent pas l'exploitation sexuelle. Mais, si ses amis... autour d'elle, s'il y a de la fraude, il y a du vol, il y a des choses comme ça, ça, ça se mesure. Mais l'exploitation, c'est très dur pour les jeunes filles de le voir, de le reconnaître. Ça fait qu'on va passer par la criminalité pour amorcer des discussions. Ça va bien marcher à ce niveau-là. C'est plus facile pour entrer en contact. Donc, au niveau de la prévention, c'est quelque chose qu'on recommande aussi.

Pour, sinon, les relations amoureuses, aussi, je sais que vous en avez entendu parler, la violence dans les relations marche moins. On voit que les jeunes filles sont presque fières d'être dans des relations de violence. Donc, on va parler davantage de contrôle : Est-ce qu'il te contrôle, est-ce qu'il t'interdit de porter tel vêtement, est-ce qu'il te dit à qui parler? Au niveau du contrôle, c'est des interventions qui sont plus faciles à faire.

Pour, un petit peu plus loin, là, valoriser le lien parent-enfant... La problématique majeure qu'on voit, c'est souvent des jeunes qui ont d'énormes carences affectives, et on a des proxénètes ou des membres criminalisés qui vont proposer de remplir ce vide-là. Ça a la même forme que la carence que la jeune a, mais c'est complètement vide, hein? C'est comme juste un miroir puis c'est un mensonge. Mais ça, c'est quelque chose qu'il faut constamment travailler avec les parents pour reconstruire ça. Des fois, c'est la carence affective, mais des fois c'est un trauma, des abus ou toutes sortes de choses. Il y a une question ici qui... Des fois, c'est l'exposition à de la pornographie très «hard», qu'on appelle, qui peut aussi traumatiser l'enfant... et rechercher ça.

• (14 h 20) •

En prévention secondaire, encore là, on irait sur les moyens d'éviter... parce que souvent on parle de prévention, là, on dit : Attention, il y a ça, la drogue, les partys, la criminalité, la sexualité qui va trop loin. Mais il faut travailler avec les jeunes... comment se sortir de situations quand on est pris dedans, quand on voit que c'est problématique. À ce moment-là, il faut s'en sortir. On fait pratiquer nos jeunes : S'il t'arrive telle affaire — on fait des mises en situation avec les jeunes — comment tu fais pour t'en sortir? C'est quoi, ton excuse? Ça, c'est quelque chose qu'il faut absolument travailler avec les jeunes, l'encadrement serré des parents, bien sûr, valoriser les relations saines, ça aussi.

Une dernière... Une chose, dans le secondaire, c'est occuper beaucoup les jeunes. Si les jeunes sont «high» ou flânent dans la rue, ça, c'est quelque chose qu'il faut occuper les jeunes. Mais, non seulement on occupe les jeunes, il faut savoir que les carences affectives ou le manque de confiance, le manque d'estime... donc il faut travailler l'estime puis combler les carences. Au niveau des suivis intensifs avec les intervenants, c'est quelque chose qu'il faut faire.

Je voudrais aussi parler de l'hébergement soit en mise sous garde ou en placement. Des fois, c'est nécessaire. Surtout avec nos plus jeunes qui ne voient pas ces problématiques-là, on va être obligés de faire un placement.

Et, en dernier, il faut travailler avec la réduction des méfaits avec les 16, 17 ans, où... Avec ceux-là, il faut travailler différemment puis il faut ouvrir un petit peu plus les portes, et souvent c'est avec la remise en question, développer leur jugement... qui fonctionne bien.

Alors, en dernier, pour la dernière question, qui est le continuum de services, on vous parle du programme qualification jeunesse, qui sert à accompagner... La raison principale, c'est que la majorité de nos jeunes arrivent à 17, 18 ans, ils sont tannés des services, ils sont tannés de l'encadrement du centre jeunesse. Beaucoup de nos jeunes ne veulent plus de services. Ça fait qu'on a beau les présenter à des organismes, on a beau les accompagner, souvent, ils veulent un break. Ils ne veulent plus se faire dire quoi faire, quand faire, parce qu'on est très entreprenants, on est très présents avec eux, donc de là l'importance du continuum au-delà du 18 ans avec cette clientèle-là qui n'est pas facile, qui ne reconnaît souvent pas les problématiques et qui va résister beaucoup, beaucoup aux suivis. Donc, un intervenant qui connaît la problématique, qui connaît cette clientèle-là est plus indiqué pour accompagner au-delà du 18 ans un continuum de services, mais tout en, le plus rapidement possible, aller intégrer des services et des programmes de l'extérieur.

Alors, j'ai fini mon temps.

Le Président (M. Lafrenière) : Je vais laisser la parole maintenant aux gens du SPAL pour faire leur exposé pendant les 15 prochaines minutes.

M. Dagher (Fady) : Je me fais commander, hein, c'est bon. Pour un directeur, c'est bon.

La question que j'aimerais qu'on se pose aujourd'hui, c'est : Est-ce que notre modèle de police aurait-il atteint ses limites en efficience afin de lutter contre l'exploitation sexuelle des mineurs? Pour cela, j'aimerais qu'on aborde trois thèmes aujourd'hui.

Le premier sera le contexte évolutif des démarches entreprises par le service de police de Longueuil, de l'agglomération de Longueuil, depuis 2008, donc plus de 12 ans, à aujourd'hui. Le projet Mobilis, ce sera Martin Valiquette, notre lieutenant-détective, qui va vous en parler. Le deuxième thème serait les pratiques prometteuses suite à notre expérience de 12 ans. Quelles sont les meilleures pratiques prometteuses qu'on voudrait mettre de l'avant et qu'on a pu constater durant ces années? Ce sera Ghyslain Vallières, qui est à ma droite. Et moi, je terminerai avec une nécessité d'opérer une évolution de la culture policière vers une culture plus adaptative à la nouvelle réalité, en 2020, de la société dans laquelle on travaille et dans laquelle on est exposés à travailler ensemble.

Alors, je vais céder la parole à Martin.

M. Valiquette (Martin) : Merci. Les premières étapes qu'on a eu à faire pour... puis malheureusement c'est encore d'actualité, ça a été de travailler ensemble, de convaincre les enquêteurs. On a pris six enquêteurs qui étaient dédiés au crime organisé, donc les stupéfiants puis les gros bandits, pour les amener à travailler l'exploitation sexuelle auprès des juvéniles, mais travailler en partenariat avec des intervenants du DPJ.

Ça fait qu'on a eu un petit choc de culture en raison principalement des mécanismes de fonctionnement qui ne sont pas pareils d'une place à l'autre puis on a eu toutes sortes de commentaires. Puis, à l'occasion, j'ai encore des commentaires : Bien, voyons, ils veulent-u vraiment travailler avec nous autres? Parce qu'il y a diverses contraintes, là, qu'ils peuvent rencontrer. On a également encore beaucoup de préjugés, puis pas juste des policiers, mais de tous les gens qu'on côtoie, même dans l'appareil judiciaire, préjugés envers les victimes : Si elle fait ça, c'est parce qu'elle aime ça, puis, si elle fait ça, c'est parce qu'elle veut, puis elle est capable de s'en sortir si elle le veut vraiment. On l'entend encore, malheureusement.

Les premières stratégies, au début, ça a été la signature d'un protocole d'entente d'échange, mais surtout de s'entendre sur quelle stratégie d'enquête on était pour faire, et on pense que c'est encore de mise de le faire comme ça. C'est que les proxénètes ou les recruteurs étaient identifiés par Pascale, en collégialité avec les gens, les travailleurs sociaux du centre jeunesse, et nous, les enquêteurs, on identifiait ces recruteurs-là et on essayait de trouver un moyen de les retirer pour que les intervenants puissent faire mieux leur travail. On a utilisé toutes sortes d'articles : trafic de stupéfiants, bris de conditions. Ça fait qu'on a été capables d'éloigner les recruteurs. Et, quand on avait une opportunité d'aller vers des accusations plus graves, de proxénétisme ou de traite de personnes, bien, c'est là qu'on rentrait dans une enquête qui est beaucoup plus fastidieuse, comme vous avez pu entendre, là, étant donné la crédibilité de certaines victimes et les trous qu'il pouvait y avoir dans les déclarations. Il fallait corroborer tout ce qu'on pouvait trouver durant l'enquête.

Donc, on a utilisé les deux approches. Naturellement, maintenant, on continue à faire ça aussi, mais on vérifie toujours avec les autres équipes qui travaillent, dont l'EILP, là, l'équipe intégrée de lutte au proxénétisme, pour être certain qu'on ne contrevient pas ou qu'on ne vient pas contrecarrer une enquête déjà en cours.

Phase II, on a développé l'approche, puis c'est Ghyslain qui a été nommé agent pivot. Il a été dégagé pour faire le pivot au niveau de la prévention dans les écoles et rétablir le lien de confiance avec les jeunes filles. Puis c'est des jeunes filles qui sont déjà hypothéquées, et déjà la confiance est érodée. Donc, Ghyslain recréait le lien et les amenait vers les services, les différents services qu'il pouvait y avoir, tant dans la communauté qu'au niveau de la protection de la jeunesse. Souvent, c'est des filles qui n'étaient pas suivies. Ça fait qu'il y avait des signalements qui pouvaient être faits.

Phase III, qui a commencé en octobre 2018. Grâce à une contribution financière, on a officialisé le poste d'agent pivot à temps plein et une coordonnatrice psychosociale, une intervenante qui a été embauchée et qui s'assure au-delà... du service des 18 ans. Donc, on travaille avec l'équipe de Pascale et Carole, mais également avec PQJ, qu'on a parlé tantôt. On fait des liens avec eux pour être capables de suivre ces jeunes filles là, et faire une approche qui est moins intrusive et invasive, puis aller chercher leur confiance et les amener vers des services parce que — Pascale l'a expliqué tout à l'heure — avec la coordinatrice et l'intervenante psychosociale, on intervient sur la victime, les besoins de la victime au détriment de la preuve. Si on perd de la preuve dans le processus, on continue pareil. C'est les besoins de la victime. Et tout le plan de lutte à l'exploitation sexuelle, on le travaille avec des partenaires de Prévention jeunesse.

Ça fait que tous les intervenants qui sont autour de la table, ils ont eu voix, et on a collaboré ensemble pour monter un plan de lutte qui est global et intégral sur l'exploitation sexuelle.

M. Vallières (Ghyslain) : Au niveau des pratiques prometteuses, évidemment, au niveau des trois axes, au niveau du triangle d'exploitation sexuelle proxénète, client et victime, le proxénète, on s'y attarde, on tient des opérations. Et je vais passer rapidement là-dessus. J'y répondrai peut-être dans le cadre des questions si vous en avez davantage. Je voudrais me concentrer davantage sur le client parce que, dans le triangle de l'exploitation sexuelle, les interventions, il y a un déséquilibre au niveau du client. Le client, oui, on a tenu des opérations policières, comme partout au Québec, depuis l'arrêt Bedford de 2014. Cependant, force est de constater que les peines sont parfois minimes, et la preuve est parfois très lourde, et ça, c'est un enjeu majeur. Et, pour intervenir encore davantage auprès de ce client abuseur, nous souhaitons conjuguer une intervention que vous avez entendu parler largement depuis le début de la commission, soient les «john schools».

Donc, dès 2015, on avait identifié cette avenue-là comme étant très prometteuse et complémentaire avec la judiciarisation. Et c'est pour cette raison que nous sommes entrés en contact avec Kate Quinn, qui a témoigné ici, d'ailleurs, le 4 novembre dernier, avec le programme CEASE. Et ce système d'éducation qu'offre et que permet le «john school», l'avantage, c'est que, contrairement au système judiciaire, on peut voir le client abuseur devoir faire une introspection de ce qu'il a fait. Pourquoi a-t-il choisi d'aller vers l'exploitation sexuelle et la prostitution? À quelles pulsions répond-il et pour quelles raisons doit-il en arriver à cela de façon... presque, je dirais, comme une espèce de cri d'urgence de devoir répondre à cette pulsion?

• (14 h 30) •

Il faut savoir que 80 % des hommes dans la population nord-américaine contrôlent cette pulsion. Seulement 20 % vont aller vers la prostitution, d'une fois à plusieurs fois. Et seulement 6 % des hommes, en général, annuellement, vont consommer, de façon mensuelle ou quotidienne, l'exploitation. Nous, à partir de ces données-là, de Demand Abolition, qui est une étude qui a été faite auprès 8 201 clients aux États-Unis en novembre 2018, on pourrait, nous, estimer qu'on parle d'environ 6 000 à 7 000 clients pour le territoire de l'agglomération de Longueuil. Donc, c'est pour cette raison qu'on croit que cette mesure est très intéressante et on la suit de très près. On a des échanges réguliers avec le programme CEASE d'Edmonton. Par contre, il y a des réalités québécoises dont on devra tenir compte, il y a des critères d'admissibilité très sévères, et on devra également les établir ensemble.

Pour ce qui est des victimes, effectivement, comme Martin l'a mentionné tout à l'heure, la preuve n'ira pas au-devant de la capacité de la jeune fille à y répondre. Cependant, récemment, on a eu une belle victoire. Chez nous, il y a quelques semaines seulement, une jeune fille qui refusait de contribuer à l'enquête... tout de même, avec les technologies et la capacité de nos enquêteurs qui se développent, il y a une mutation chez nos enquêteurs, et ils sont de plus en plus créatifs... et l'homme a fait face à des accusations et a été reconnu coupable malgré que nous n'avions pas la collaboration de sa victime. Alors, ce partage-là se fait avec l'EILP et les autres corps de police, et il y a un grand partenariat à ce niveau-là.

Également, pour nous, ce qui serait important, c'est de revoir, évidemment, le modèle d'éducation dans le milieu scolaire, mais ça a été abordé précédemment, et, en ce sens-là, vous avez été très bien répondus.

Maintenant, le bris de service a été identifié, ça a été expliqué, et c'est très, très important que le lien se développe dès l'âge de 16 ans par notre coordonnatrice, parce qu'on ne peut pas espérer que la jeune fille fasse confiance à quelqu'un qu'elle n'a vu qu'une ou deux fois à l'aube de ses 18 ans.

Donc, chez nous, c'est un projet qui est un peu un test pilote au Canada, et on espère... et déjà on voit les résultats. Les parents sont des alliés incontournables. Le rôle de notre agent pivot nous permet de développer un lien privilégié avec eux, et on encourage les autres corps de police à avoir des agents pivots comme c'est le cas chez nous, et on les invite à venir voir ce que l'on fait car c'est vraiment prometteur. Ils peuvent obtenir des autorisations que nous, nous ne pouvons pas avoir, et ils gardent parfois le lien avec la jeune fille et commencent à introduire notre intervention, chez nous, au niveau de l'«empowerment», et c'est très payant jusqu'à maintenant. Merci.

M. Dagher (Fady) : Alors, on a vu le rôle, un peu, au niveau du Mobilis, l'évolution du Mobilis. On a vu, un peu, les pratiques prometteuses, et maintenant il s'agit pour nous d'observer et de voir comment que la culture policière, comment le travail policier quotidien traditionnel peut être transféré et transformé pour faire face à ces complexités. On a aussi consulté pour voir un peu l'attente des citoyens de l'agglomération de Longueuil. On a eu un partenariat avec l'INM, l'Institut du Nouveau Monde, qui est venu évaluer, avec la population, le travail policier, à quoi s'attend la population de leurs policiers qui les desservent. Plusieurs thèmes sont ressortis, dont la formation, dont le profil des policiers, dont... c'est-à-dire, un profil encore plus proche de la communauté, un profil avec une intelligence émotionnelle encore plus développée.

Donc, on a regardé un peu ce que l'INM nous a donné comme retour en termes de besoins de la population envers les policiers. En même temps, on a observé ce qu'on faisait au niveau de Mobilis et des pratiques prometteuses, et là ce qu'on essaie de voir, c'est comment que... à l'intérieur d'un service de police, comment qu'on peut baisser le travail de silo. Il y a du travail de silo entre partenaires, mais il y en a aussi à l'intérieur de chacune de nos organisations. Au niveau des enquêtes, la gendarmerie, comment ils peuvent travailler ensemble pour voir la victime sur un différent angle, et non pas seulement de la prostituée, mais aussi sur l'angle de la victime. Ce travail-là se fait de manière assez constante à l'interne entre les enquêteurs et les policiers.

Mais aussi, pour y parvenir, il faut qu'on baigne nos policiers dans l'action. Dans l'action, c'est-à-dire un peu le projet, peut-être que vous en avez entendu parler depuis quelques jours, le projet Immersion. C'est un projet où on sort les policiers de leur routine d'appels, sur les appels, les 9-1-1, et on leur demande d'aller s'immerser dans la communauté afin de comprendre la réalité de la communauté pour que, par la suite, ils puissent intervenir de manière différente ou de manière adaptée, moduler leur esprit, leur vision et leur approche.

Cette approche-là est dans l'action, elle est vraiment différente d'une approche plus pédagogique. Le taux de rétention, on pense, va être beaucoup plus intéressant, et parce que là ils vont vivre, avec les personnes, des événements très émotionnels. C'est sur ce pari-là que nous mettons de l'avant nos efforts au niveau de l'immersion pour faire en sorte que les policiers, une fois qu'ils retournent travailler sur les appels du 9-1-1, ont un regard différent et saisissent les codes de la communauté qu'ils desservent, dans tous les sens du mot.

Donc, les prochaines immersions, on espère pouvoir les faire aussi au niveau de l'exploitation sexuelle avec les mineurs. Et c'est un des apprentissages qu'on a eu, et une des avenues qu'on veut amener nos policiers vers un regard beaucoup plus ouvert et surtout connecté avec la réalité 2020. Voilà.

Une voix : ...

M. Dagher (Fady) : Oui, peut-être. Alors, nous avons peut-être cinq recommandations à vous faire, très rapidement. Je vais peut-être prendre le résumé de mes collègues, puis, si vous voulez rajouter quelque chose, vous me le dites.

Première recommandation : Mobilis III, l'agent pivot ainsi que la coordonnatrice qui est au niveau du Mobilis, très important; une approche plus globale, équilibrée entre tout ce qui est le proxénète, le client abuseur et la jeune fille, la voir vraiment comme une victime. On vous a parlé de «john school». Toutefois, «john school», c'est pour les adultes, ne l'oublions pas, très important. Et on vous a parlé aussi d'une recommandation qu'on puisse revoir un peu tout ce qui est l'approche policière, en termes de complexité des clientèles auxquelles ils font face. Donc, adapter la culture policière aux années 2020. Voilà.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. On va passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission. J'ai déjà sept questions d'inscrites, alors je vais vous demander de vous limiter à une question, et on va y aller avec des questions très courtes pour laisser tout le temps à nos collègues de répondre. Alors, député d'Ungava.

M. Lamothe : Bonjour. Vous mentionnez que les difficultés rencontrées avec la perception des enquêteurs patrouilleurs, avec les victimes, que parfois, on les prend comme une prostituée au lieu de victime. C'est quand même assez sérieux, ça. Je veux dire, c'est sérieux, dans le sens, au niveau de la volonté de vouloir faire une bonne enquête, la volonté de vouloir faire un bon suivi avec la victime. Je ne sais pas, là, mais on part de loin.

M. Valiquette (Martin) : En fait, c'est ça, les gens qui sont spécifiquement attitrés à ces équipes-là, naturellement, ils ont toute la connaissance, la formation et l'ouverture qu'il faut pour y travailler. Puis, comme je le mentionnais tantôt, ce n'est pas seulement les... En fait, ce qu'on rencontre, c'est... Les policiers représentent la société dans leur ensemble, et, dans la société, il y a plein de préjugés et de croyances différentes par rapport à la prostitution et l'exploitation.

Comme, par exemple, ici, si je passais une feuille à tout le monde puis je leur demandais d'écrire c'est quoi, pour eux, la définition de la prostitution, la définition d'exploitation sexuelle, on aurait tous des réponses différentes, puis on le rencontre, des gens bien... dans des bonnes positions, que je ne nommerai pas, qui nous disent : Bien, j'aime mieux que ces filles-là aillent faire de la prostitution plutôt que voir des hommes agresser des femmes dans la rue; comme ça, les hommes peuvent aller se défouler. Bien, ça, c'est des préjugés puis des croyances qu'on entend encore aujourd'hui, en 2020, là.

M. Lamothe : Oui, mais je veux dire... C'est parce que, moi, qu'est-ce qui arrive, la difficulté que j'ai, c'est que vous êtes un corps de policiers puis vous m'avez présenté ce que vous faites... Bon, j'ai été policier moi-même, peut-être que je... tu sais, je juge peut-être un peu trop, mais, quand j'entends que vous avez une difficulté, puis c'est le chef de police qui parle, avec des enquêteurs puis des patrouilleurs qui ont une perception négative face à la victime, je ne sais pas, là, mais les dossiers ne doivent pas aller bien, bien loin.

Mme Philibert (Pascale) : ...dans la première phase, là, nos filles de 14 ans, là, qui se faisaient réarrêter par les policiers, tu sais, il y a une entente multi... dévoilement, elle raconte son histoire, mais on a beaucoup de filles qui continuent, parce qu'elles sont encore amoureuses. Puis une intervention de l'équipe qui était là, quand elle faisait une intervention puis les filles étaient encore là, avec les mêmes gars ou des gars similaires, bien, devant les gars, là, les filles donnaient des coups de pied aux policiers, crachaient dessus puis tout le kit. Mais après ça, les policiers les mettaient à part puis ils disaient : Là, qu'est-ce que tu fais là? Voyons...

M. Valiquette (Martin) : On avait collaboré avec elles, puis là, soudainement, elles changent d'idée. Ça fait qu'on... de comprendre, pour le policier...

Mme Philibert (Pascale) : Bien, c'est ça, puis des fois, les filles, par la suite, avec les policiers, disaient : Bien, c'est parce que les gars me regardent, là, les gars sont là. C'est très complexe. Ce n'est pas simple. On a des filles amoureuses qui retournent, ça fait que, des fois, il y a des policiers qui se découragent, qui ne comprennent pas. C'est comme la violence conjugale, là, aussi, là, pourquoi qu'elles retournent? C'est une approche pas facile. Puis là, avec des 14 ans, là, la pensée magique reste longtemps. S'il y a une carence, ils vont promettre quelque chose, c'est là, là. Il faut travailler ça, puis ça, ce n'est pas en une rencontre. Ça fait que des fois, là, ça prend un an, un an et demi. Ça fait que c'est ça que les policiers doivent savoir, doivent comprendre. Ça fait que c'est là, la complexité, que même si elle t'envoie chier, même si elle te donne des coups de pied puis que, devant un gars, elle fait toutes sortes d'affaires, il ne faut pas embarquer. C'est pour ça que, quand je parle d'équipes dédiées qui connaissent ça, c'est plus facile.

M. Valiquette (Martin) : Puis que la formation... formation puis débat de société aussi, là.

M. Lamothe : ...tout le temps mis la situation au pire. Ça fait qu'éventuellement, une de ces filles-là, que vous expliquez, agit de la sorte puis que les policiers, face à ça, disent : Bien là, finalement, regarde, c'est une habituée... Puis si elle est victime d'un meurtre deux mois après, bien, le policier, ça sera sa conscience ou à ses patrons de dire : Bien, on a fait tout fait ce qu'on avait à faire.

Deuxième des choses, vous avez parlé d'une contribution financière pour améliorer le lien avec les victimes, tantôt. C'est une contribution financière d'un privé? De quoi?

M. Valiquette (Martin) : Du fédéral.

M. Lamothe : Du fédéral?

M. Valiquette (Martin) : Du fédéral.

M. Lamothe : O.K., d'un programme fédéral. Parfait. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

• (14 h 40) •

M. Vallières (Ghyslain) : Si je peux me permettre rapidement, on a des policiers patrouilleurs qui aident quotidiennement des femmes qui vivent la prostitution, qui vont même jusqu'à les aider dans leur désintoxication en prenant en charge leur maison, leur appartement, leurs animaux de compagnie pour les aider. La perception n'est pas négative. C'est qu'à un moment donné, ça vient peut-être difficile d'aider quelqu'un qui ne veut pas que tu acceptes la main tendue. C'est plutôt dans ce sens-là qu'on le disait.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci. Merci, M. le Président. Donc, merci pour votre présentation et bravo pour le travail que vous faites dans l'agglomération de Longueuil.

Ma première question. Avant vous, on a reçu plusieurs corps policiers qui nous ont parlé d'un enjeu particulier. Je ne vous ai pas entendus parler de cet enjeu-là, j'aimerais savoir si ce n'est pas un enjeu pour vous, c'est les difficultés liées à l'accès à l'information, notamment avec la DPJ. Je comprends que... Est-ce que, pour vous, ce n'est pas un enjeu? C'est un enjeu?

M. Vallières (Ghyslain) : Bien, oui, c'est un enjeu, mais ça a été adressé à maintes reprises. Donc, on préférait, nous, adresser nos autres stratégies, vu que ça avait été mentionné à quelques reprises. On parle du secret médical, entre autres. Dans ce sens-là, oui, c'est toujours un enjeu. On aimerait qu'il y ait effectivement davantage de partage, et je pense que, même du côté du centre jeunesse aussi, là, il y a un intérêt là-dessus.

M. Valiquette (Martin) : Ce qu'on pourrait rajouter, c'est qu'on a quand même trouvé plusieurs mécanismes et plusieurs façons de faire pour arriver à échanger l'information utile pour l'intervention, puis on y est arrivés. Puis vous allez voir, dans les recommandations, on vous parle de la clinique de concertation. Bien, c'est encore plus facile, parce que, là, la victime décide de nous... nous donne la permission d'échanger avec les partenaires. Ça fait qu'on a décidé : D'accord, on va travailler en équipe avec toi pour t'aider dans une approche d'«empowerment». Donc, on a l'autorisation, ça fait que ça nous ouvre... ça nous facilite les échanges. Par contre, s'il y avait encore plus de facilité dans des cas spécifiques, c'est sûr que ça serait aidant.

Mme Philibert (Pascale) : Moi, j'ajouterais, dans les cas d'entente multi, quand on a un signalement d'exploitation ou d'abus sexuel, de «gang bang», on peut donner de l'information à ce moment-là. C'est la fenêtre qu'on utilisait, qu'on utilise encore pour échanger de l'information.

Une voix : La fugue aussi.

Mme Philibert (Pascale) : La fugue aussi nous permet d'échanger de l'information. Ça fait qu'on utilise ces fenêtres-là. Mais c'est sûr que, si moi, j'ai un répondant au service de police avec qui échanger ça pour des cas concrets, pour... à ce moment-là, ça va plus vite puis c'est possible. Mais c'est toute la coordination de ça, parce que, oui, il y a de l'information, à ce moment-là, plus large qu'on peut transférer, qui n'est pas nécessairement reçue directement pour l'enquête, mais qui peut servir pour une intervention plus large. Mais il y a des moments où on peut échanger de l'information, puis ça, ça fonctionnait.

M. Valiquette (Martin) : Je pense, c'est important aussi pour la personne en charge, le gestionnaire, de bien comprendre les carrés de sable de chacun et le respect et de gérer les frustrations de mes enquêteurs qui disaient : On a un partenariat, mais ils ne veulent même pas nous dire c'est qui, la fille. Certains, on n'avait pas la fenêtre d'opportunité. Ça fait qu'il y a des frustrations qui étaient générées. Donc, c'est de l'adresser. Il dit : Non, il faut comprendre, ils ont une loi à respecter, c'est correct qu'ils ne partagent pas le nom, mais on peut quand même avancer puis on peut quand même travailler ensemble.

Mme Philibert (Pascale) : Puis les deux conseillers sur l'exploitation au centre jeunesse, là, moi et Carole, on sert à ça. Quand on a des frustrations, on explique pourquoi puis on va faire le bout qu'on est capables de faire. Ça fait que, s'ils nous font confiance puis ils savent qu'on va intervenir sur ce qu'on est capables, on le fait. C'est facilitant d'avoir quelqu'un qui est un intervenant pivot, un conseiller sur ça, qui va faire les liens avec le centre jeunesse et les policiers.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Charlevoix—Côte-de-Beaupré.

Mme Foster : Merci pour votre présentation. Mme Demers, vous avez dit quelque chose qui a accroché mon oreille. Vous avez dit que les jeunes filles sont fières de se retrouver dans des relations où il y a de la violence. Ça m'a frappée. Puis il faut d'abord agir sur le contrôle. Ça, ça a plus d'impact sur elles que la violence. Oui?

Une voix : ...

Mme Foster : Oui? Ah! excusez. Excusez-moi, excusez-moi.

Mme Philibert (Pascale) : Alors, oui, parce qu'on a beaucoup de jeunes filles qui valorisent ça, la violence: Moi aussi, je l'ai frappé, moi aussi. Ça fait que, si on intervient en partant sur la violence, ils vont minimiser ça, puis ce n'est pas grave, parce qu'ils se cherchent tellement du pouvoir... Puis on s'entend, là, qu'ils se font bien plus brasser qu'ils brassent le gars, là, mais pour eux, là...

Ça fait qu'on va davantage travailler sur le contrôle. On va adresser... Ça, ça va résonner beaucoup plus que la violence. On va travailler sur la violence aussi, mais... Il te dit-u quoi porter? Ça, le contrôle, ça, ce n'est pas valorisé du tout dans aucun milieu. Quoi porter, qui parler, quand lui téléphoner, ça, ça dérange les filles. Quand on pose des questions là-dessus : Tu as-tu le droit d'appeler qui tu veux? Est-ce que tu as ton cellulaire personnel? Est-ce que tu as... Ça, là, ça les achale. Cependant, on va aussi réutiliser ça, parce qu'on a fait des interventions où : Tu es-tu tannée, des fois?

Tu sais, il y a des filles où on essaie d'interdire certains contacts avec certains gars, parce que la Loi de la protection de la jeunesse le permet, mais avec nos 16 ans, on ne va pas là. Ça fait que, des fois, on va utiliser ça pour dire : Bien, lui, normalement, est-ce que tu le connais? Ça fait que là, avec le service de police, sur le protocole, on échange l'information. Des fois, on a de l'information privilégiée du service de police qu'on va partager avec la jeune. Sais-tu qu'il n'a pas 20 ans, il a 27 ans? Tu sais-tu que le nom qu'il t'a donné, ce n'est pas son vrai nom, c'est un autre nom? Est-ce que tu sais qu'il a trois enfants? Est-ce que tu sais... Ça fait qu'on va regarder ça puis là on va dire : À 16 ans, moi, je ne vais pas te contrôler, je ne vais pas t'interdire, je veux juste que tu sois consciente. Puis là on va travailler le contrôle, tu sais. Puis là on a des jeunes, des fois, qui se mettent à pleurer : Oui, parce qu'il me contrôle beaucoup.

Ça fait qu'on va faire le parallèle, on veut te donner de l'information, on veut que tu fasses des bonnes décisions, mais le contrôle, ça marche encore, la violence... Nos jeunes vraiment, vraiment poqués, ça marche moins, malheureusement, mais on travaille ça.

Mme Demers (Carole) : Donc, c'est sur la minimisation qu'il faut qu'on travaille aussi davantage pour amener à un développement qui va être plus aidant, puis la compréhension va être meilleure, puis on va pouvoir faire les suites par après.

M. Valiquette (Martin) : Il y a une normalisation des rapports sexuels violents. Si vous regardez sur Internet les films pornos, 80 %, il y a de la violence, il y a du contrôle, il y a de l'étouffement, il y des prises par les cheveux. C'est comme normalisé.

Mme Philibert (Pascale) : Une banalisation.

M. Valiquette (Martin) : Banalisé, oui.

Mme Philibert (Pascale) : On a des jeunes filles traumatisées par la porno actuellement, là. Ça aussi, c'est quelque chose qu'on vous recommanderait de regarder.

Puis j'ai... la question est là, puis je n'ai pas de réponse, est-ce qu'on a de l'aide pour ceux qui surconsomment de la pornographie comme une dépendance et qui, par la suite, pourraient devenir clients? Ça fait que moi, j'aimerais qu'on développe aussi pour les gens qui surconsomment la pornographie puis qu'à un moment donné, ils se disent : Bien là, je veux consommer ce que je vois. Ça aussi, il y a quelque chose là à aller travailler au niveau de la pornographie. Et ma réflexion, c'est que ce serait les centres de dépendance qui seraient les mieux pour traiter les problèmes de pornographie qui amèneraient à une consommation de la sexualité malsaine.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup.

M. Vallières (Ghyslain) : ...avait identifié que les hommes qui vont aller acheter de la prostitution ont une escalade très rapide sur une période de deux à trois semaines au niveau de la consommation de la pornographie juvénile. Donc, c'est déjà là, comme le dit Pascale, un élément de détection.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Députée de Marie-Victorin.

Mme Fournier : Merci, M. le Président. Merci énormément pour votre présentation. Comme députée à Longueuil, c'est sûr que ça me rend fière de voir qu'il y a autant d'initiatives innovantes qui sont déployées sur notre territoire puis qui forcent aussi à penser en dehors du cadre. Puis je pense que vos contributions apportent beaucoup aux travaux de la commission. Donc, je vous remercie puis j'aurais des petites questions, justement, en rafale pour que vous puissiez peut-être mieux... qu'on puisse mieux saisir, peut-être, la réalité de certains programmes que vous avez mis en place.

Par exemple, avec l'équipe intégrée, je sais que vous travaillez avec des partenaires du milieu communautaire, que ce soit en hébergement, avec également la CLES qui sont venus nous rencontrer plus tôt ce matin. Donc, comment ça se passe ce partenariat-là, d'abord?

Ensuite, par rapport à l'idée d'implanter, justement, des policiers plus près des communautés, quel rôle ça peut jouer dans la prévention sur l'exploitation sexuelle?

Puis finalement, ma dernière question porte sur les «john schools». Est-ce qu'on a des... je sais qu'au Québec on n'a pas beaucoup de données, c'est ce que nous ont dit les autres groupes avant vous, mais est-ce que, par rapport à ce qui a été fait ailleurs, par exemple, aux États-Unis ou dans d'autres provinces canadiennes, est-ce qu'on constate vraiment une diminution de la récidive par rapport aux clients abuseurs qui vont suivre le programme des «john schools»?

M. Vallières (Ghyslain) : Je vais répondre tout de suite à cette question-là. Au niveau de la récidive, il faut faire attention parce que plusieurs études évaluent, selon certains critères, la récidive. Donc, c'est très délicat de répondre à ça. Exemple, si vous avez... Et les gens l'ont exprimé, ça ne s'adressera pas à tout le monde, à tous les types de clients, les «john schools». Si vous êtes quelqu'un de très violent envers les femmes, qui a une haine profonde, ce n'est pas un programme de huit heures qui va vous transformer. Si vous avez une déviance sexuelle majeure, ce n'est pas ça non plus qui va...

Donc, il faut d'abord distinguer celui qui est fait pour le «john school» et à qui ça va réellement parler de celui que c'est davantage une thérapie sur deux, trois, quatre ans pour venir à bout de traiter sa déviance majeure. Donc, il faut faire attention, au niveau des résultats, de est-ce que ça fonctionne ou pas, parce qu'en fait, présentement, la seule unité qui a été identifiée, c'est est-ce que je te rattrape. Mais ça ne veut pas dire que tu ne l'as pas fait. Si on tient une opération par année, il y a des chances qu'on ne le rattrape pas tout de suite et ça fait bonifier les statistiques.

Edmonton nous ont demandé d'être très prudents là-dessus parce qu'eux n'ont pas eu la prudence nécessairement de s'assurer de ça avant. Donc, on pourrait plutôt suivre ces gens-là sur le long terme, les réinviter dans un questionnaire 12 mois, 24 mois plus tard.

• (14 h 50) •

M. Dagher (Fady) : ...au niveau de la prévention et avoir des policiers encore plus proches de la communauté, pour cet aspect-là, je vous dirai, plus nos policiers seront dédiés à travailler dans la communauté avec la communauté à un très bas âge, surtout au niveau des jeunes filles, que ce soit que... des policiers qui s'intéressent à des familles qui leur seront... j'appelle ça un peu la police famille, donc des policiers qui sont dédiés à certaines familles qu'on sait qu'il y a une certaine vulnérabilité au niveau de leurs jeunes filles, donc s'intéresser à eux avant la crise, dès l'âge de neuf ans, 10 ans, 11 ans, être en lien avec eux et que le policier fasse un peu le lien pivot avec d'autres partenaires pour venir en aide à cette jeune fille là, nous, on pense... on croit vraiment dans le travail en amont, bien tôt, à un âge très jeune pour faire en sorte qu'on puisse anticiper l'émergence d'une problématique à cette jeune fille là. Mais ça, ça prend des policiers qui vont éventuellement être dédiés là-dessus et non pas uniquement des policiers qui sont sur les appels 9-1-1.

M. Valiquette (Martin) : Le travail de partenariat, de concertation, c'est un travail de tous les jours, là. Ce n'est pas un document qu'on signe puis on est partenaires. Donc, c'est de travailler vraiment avec tous les partenaires. D'ailleurs, la clé, une des choses... aussi devrait contribuer, c'est qu'on veut immerger des policiers dans le programme Immersion pour qu'ils comprennent la réalité des jeunes femmes, pour défaire un peu les croyances, les mythes, voir vraiment la vraie réalité. Ça fait que ça, c'est vrai. Puis toutes les autres trajectoires de service qu'on peut avoir en dépendances, qu'on peut avoir... vous avez parlé d'hébergement, c'est une grande difficulté qu'on a, de trouver des places d'hébergement avec des filles qui vont cadrer, pas intoxiquées, qui veut vraiment. La fille va être placée puis elle va rappeler son proxénète qui va venir la chercher. Donc, des places comme ça, souvent, on doit rouler plusieurs heures pour aller porter des victimes dans des centres qui acceptent. Ça fait que c'est extrêmement complexe.

Puis finalement ce que je vous dirais, qui vient faire le lien un peu avec le policier de concertation, le policier qui est dédié, qui va être dans la rue, qui va être très proche, c'est qu'on a beaucoup de parents qui nous disent : Faites ce que vous avez à faire pour nous aider. Ça fait qu'ils sont prêts à ce qu'on travaille ensemble. Puis il y a une des mères qu'on a rencontrées, qu'on lui a dit : Bien, ça prend tout un village pour éduquer un enfant, le proverbe. Elle dit : Bien, il est où, le village? Elle dit : Il est où, le village? Il ne l'a pas... Il y a plein de services. La fille était suivie par la DPJ, puis il y avait des intervenants de rue, de l'école. Il dit : Vous travaillez tous là-dessus. Si vous regardez dans le mémoire, il y a le sociogénogramme, puis vous ne vous parlez pas. Vous ne vous parlez pas, puis moi, elle dit, mon fils... puis sa fille, les deux étaient impliqués.

Ça fait que c'est de ramener l'esprit de village avec un policier qui connaît la jeune puis qui est capable d'aller chercher les services. Puis on tisse un filet de sécurité très en amont pour ne pas qu'elle ait... je veux dire, qu'on soit obligé d'avoir un signalement, un suivi, puis que la fille se retrouve en centre de réadaptation. Puis il faut vraiment être en avant de la rondelle sur ce type de problématique là. Mais, en fait, toutes les problématiques, si on peut être au-devant, bien, on est beaucoup plus efficace. L'argent qu'on place là nous rapporte beaucoup plus que d'essayer de courir après puis essayer de l'amener vers des services, malgré qu'il faut le faire quand même. Il y a des filles qui sont exploitées. Puis le rôle de la coordonnatrice, c'est, au-delà des services du centre jeunesse, c'est d'être capable de poursuivre, mais dans un esprit, comme on vous parle dans la clinique de concertation, de volontariat de la personne et de sa famille. Et c'est toute l'approche systémique, les gens autour de la victime.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci. Merci beaucoup pour votre intervention et surtout félicitations pour votre travail. Vous travaillez depuis 2008, donc ça fait un certain temps. Vous avez une expérience certaine.

Je voudrais tout d'abord corriger un article du journal Le Devoir ce matin. Mon intervention est à l'intention des journalistes qui sont dans la salle, et je vais avoir une question après concernant le programme «john school». Ça dit dans l'article, le programme d'éducation «john school» pourrait être instauré. Moi, je vous rappelle que notre commission concerne l'exploitation sexuelle des mineurs et de ce que j'ai compris du «john school», je ne suis pas une grande experte, mais ce que j'ai compris du «john school», je ne crois pas que ce programme puisse s'appliquer à ce que nous sommes en train d'étudier ici. Peut-être qu'on pourra en innover un, penser à côté de la boîte et trouver quelque chose, mais je pense qu'il faut faire vraiment la différence et la correction concernant cet article du journal ce matin. Dans mon livre à moi, le client abuseur d'une mineure est vraiment un déviant sexuel majeur. Donc, encore là, je ne pense pas que «john school» s'applique.

Vous avez parlé d'une statistique qui m'a vraiment jetée en bas de ma chaise, là, 6 000 à 7 000 clients... possiblement 6 000 à 7 000 clients sur votre territoire, clients potentiels, si on regarde les statistiques, les pourcentages. Ouf! De ces clients-là, potentiels, clients abuseurs, est-ce que vous avez une idée de quels sont ceux qui sont intéressés par le jeune ou la jeune — on a parlé beaucoup des filles, mais on sait qu'il y a des garçons aussi — le jeune ou la jeune? Est-ce que vous avez une idée du phénomène qui se retrouve sur votre territoire concernant ces... Parce que vos statistiques sont... je vous dis, là, moi, j'ai trouvé ça affolant, là, puis je pense que vous êtes sérieux dans ce que vous nous racontez, donc je n'ai aucune... je ne remets pas en doute ce que vous nous dites, mais je pense que si on a, là-dedans, un pourcentage de clients abuseurs de jeunes filles qui recherchent des jeunes filles, il faut vraiment qu'on agisse, il faut que le client abuseur soit vraiment mis au banc des accusés pour vrai, là.

Alors, ça a peut-être été un long préambule, mais je voulais vraiment faire la mise au point sur «john school» parce que ça m'agaçait un peu.

M. Vallières (Ghyslain) : Rapidement, je m'étonne toujours quand on le présente sous cet angle-là, le «john school». C'est qu'en fait il faut ramener ça à l'opération policière. L'opération policière va placer une adresse qui ne mentionne pas que la jeune fille est mineure. C'est là la distinction, finalement. Donc, du moment où on ne mentionne pas qu'elle est mineure, et en aucun temps, dans l'opération, on va mentionner qu'elle est mineure, c'est à ce moment-là qu'on peut, lui, le client abuseur, le mettre dans un programme de «john school». Donc, tout est dans le regard de celui qui le lit. Si je vous dis : Je suis jeune et j'aime les hommes matures, quelle est votre interprétation que vous en faites? Là, ça serait au client de voir ce qu'il en perçoit. Donc, c'est là la distinction.

Moi, ce que j'aime donner comme image, c'est que c'est un gros filet à poissons. Je veux attraper le maximum de poissons à l'intérieur, et là, avec l'intervention des sexologues qui étaient avant nous, c'est de voir lequel est effectivement capable d'aller dans un «john school», parce que, comme je l'ai dit tout à l'heure, ça ne s'adresse pas à tout le monde. Et dans les déviances sexuelles, vous mentionnez les jeunes filles, jeunes garçons. Je crois que c'est Rose Dufour et Nadine Lanctôt qui ont fait la distinction entre pédophile et hébéphile. Si vous êtes hébéphile... il faut faire attention, je ne suis pas un expert, mais, pour l'avoir lu, c'est que ce n'est pas nécessairement une déviance sexuelle majeure et qui n'est pas réhabilitable.

Souvent, l'exploitation sexuelle, les clients vont aller la chercher sur trois mythes : Les hommes, c'est des hommes, c'est une affaire de gars, ça; deuxièmement, bien, je lui paie son appartement, je lui permets de poursuivre ses études, et elle peut nourrir ses enfants, leur acheter des bottes d'hiver, etc.; et le troisième, c'est : Ce sont des femmes plus chaudes que les autres. Je me rappelle que Mme Dufour vous a mentionné cet aspect-là. Donc, c'est ces trois mythes-là qu'il faut déconstruire. Il faudrait les déconstruire en amont, avec des campagnes nationales, mais, lors des programmes «john school», c'est exactement ce genre de choses là qu'on adresse, et des sexologues, d'ailleurs, souvent, vont faire partie de cette journée. Et c'est ce qui aide à déconstruire les mythes. Et lorsque la femme prostituée m'avait expliqué ce qu'elle subit pendant qu'ils les pénètrent, c'est là que ça tue, pour beaucoup d'entre eux, l'intérêt d'y retourner.

Puis, parmi la clientèle, je ramène que ce chiffre-là est basé sur une étude des États-Unis, du groupe Demand Abolition de novembre 2018, et c'est basé sur une étude qui nous vient des États-Unis, mais on peut croire que ça nous donne une échelle de grandeur. Et on dit souvent, et j'ai entendu souvent dire : On ne connaît pas bien les clients, qui sont-ils? Moi, je vous recommande de lire cette étude-là. Elle nous dresse quand même un très bon portrait, et ça nous aide à cibler sur quoi on doit travailler. Et il y a l'expertise au Québec, là. Il y a l'expertise, ça, j'en suis certain, oui.

• (15 heures) •

M. Valiquette (Martin) : ...juste un autre point que je mentionnerais, la difficulté aussi, le passage de 17 à 18 ans. Les statistiques démontrent que 80 % des femmes ont commencé alors qu'elles étaient mineures. Donc, mineures, on dit tous : Oh! c'est de l'exploitation, c'est donc terrible. Mais qu'est-ce qui se passe dans la nuit de 17 à 18 ans? Le lendemain, c'est rendu correct, elle peut choisir de sortir puis de... Et on n'a pas l'ampleur du chiffre. C'est ça qui... Puis une des ampleurs, puis on n'a pas de chiffre non plus pour les consommateurs, mais pour les policiers ici, dans la salle, on a fait des surveillances des salons de massage et des hôtels où il y avait... et ça fait peur de voir la quantité d'hommes qui sortaient. On était stationnés, puis le cuisinier sortait, il enlevait son tablier, il traversait, il avait du sexe, il retournait puis... ça sortait de partout. Ça fait qu'il y a comme une banalisation de ça puis une réalité, mais on ne connaît pas l'ampleur réelle.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui, merci. Merci. C'est fascinant et bravo pour ce que vous faites.

Moi, je vais revenir sur les «john schools», parce que moi, je trouve que c'est prometteur à quelque part, et ce qu'on nous a dit, d'ailleurs, c'était en échange avec la police d'Edmonton ou des experts, c'est l'empathie, donc développer l'empathie chez cet homme, et on ne parle pas... On parle de l'homme... ils ont dit : Ça peut être n'importe qui, presque, là, qui consomme. Donc, ce n'est pas avec des déviances dans sa personnalité, essentiellement. Puis on a même entendu un enregistrement, bon : T'as quel âge? Puis elle est un peu vague sur son âge, puis, bon, bien, il laisse ça passer. Donc, ça peut être 16 ans, 17 ans. Donc, je pense que ça peut s'appliquer, j'imagine, ce programme, parce qu'elles sont mineures.

Alors, vous, vous avez l'intention d'aller de l'avant pour implanter. Je vois que vous dites : Les conditions gagnantes... Puis j'ai une question. Qu'est-ce que vous voulez dire par «mais également des valeurs québécoises et de la Charte des droits et libertés»? Vous devez en tenir compte? En quoi c'est pertinent pour implanter le «john school»?

Une voix : Est-ce que vous pourriez la ramener?

Mme Weil : C'est page 12 de votre mémoire, vous dites : «Pour autant, le SPAL demeure soucieux qu'un tel programme se structure en tenant compte amplement, d'une part, des bonnes pratiques en la matière — ça, ça va — mais également — comme s'il y avait une contradiction — des valeurs québécoises et de la Charte des droits et libertés, entre autres.» La Charte des droits, ça s'applique partout au Canada de toute façon, la charte canadienne. Les valeurs québécoises, je pense que c'est les mêmes valeurs que tout le monde. Quelle était l'intention de cette phrase‑là?

M. Vallières (Ghyslain) : Pour résumer, parce qu'on pourrait en parler vraiment, de cet aspect-là... mais résumer rapidement, c'est qu'exemple, là, il y a des programmes aux États-Unis, sur des «john schools», qui vont se bâtir sur la honte du client. Là, ce qu'on constate, c'est qu'ici au Québec, si on va vers ça, peut-être qu'on n'aura pas un assentiment général, et tout le monde ne nous suivra pas là-dedans.

Quand on implante ce genre de programme là, je crois personnellement que, socialement, il faut aussi qu'il y ait une acceptation de nos pairs citoyens. Donc, c'est à ce niveau-là, nous, qu'on disait : Il faut faire attention parce qu'on a des valeurs sociales qui ne sont pas nécessairement les mêmes que dans certains États américains. Et également, ce qu'on constate, c'est que, si on va vers la honte, souvent, le client à ce moment-là se sent jugé et devient même plus violent s'il retourne dans l'exploitation sexuelle avec les femmes. Donc, il faut faire attention du modèle qu'on prendra. Et nous, on veut construire sur le positif.

Mme Weil : Le modèle canadien, essentiellement?

M. Vallières (Ghyslain) : Le modèle canadien, comme Edmonton, se fonde d'ailleurs sur des valeurs beaucoup plus positives à ce niveau-là.

Mme Weil : Donc, vous travaillez là-dessus essentiellement, maintenant, c'est-à-dire de voir à l'implantation.

M. Vallières (Ghyslain) : On a beaucoup de pourparlers avec différents groupes, organismes, et entre autres le DPCP, car il faut comprendre que c'est impossible d'atterrir cela tout seul comme service de police. Ce sera un travail d'équipe, et le partenariat, chez nous, c'est très important, avec nos organismes et nos institutions également. Le DPCP, évidemment, en fait grandement partie.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Avec consentement, je vais permettre deux dernières questions qui nous restaient. Est-ce qu'il y a consentement? Consentement. Parfait. Député de Chomedey.

M. Ouellette : Une toute petite. Vous nous avez dit, M. Valiquette, que vous aviez six enquêteurs. Ça fait longtemps qu'ils sont dédiés à cette fonction-là? Parce qu'on a reçu à Québec un autre gros corps de police, et il y avait un sondage, pour ne pas le nommer, dans la ville de Gatineau, qui... les gens demandaient à ce qu'on s'en occupe, et on n'avait pas assez de dossiers pour appointer du monde. Je me dis : Vous en avez six depuis combien de temps? Et ça, c'est temporaire ou ça va être permanent? Parce que, là, je pense que... j'écoutais le directeur nous dire que dans Immersion, à un moment donné, vous allez avoir quelque chose qui va effectivement toucher à ça.

M. Valiquette (Martin) : En fait, ça a fluctué dans le temps. Les trois premières années, on avait six enquêteurs jusqu'à 2011. Par la suite, les pratiques de ces enquêteurs-là ont été intégrées aux pratiques courantes. Ça fait que même le partenariat, tu sais, a commencé à s'effilocher un petit peu. On a ramené deux enquêteurs identifiés qui traitaient ce type de dossiers là. Puis c'est surtout en 2018, où on a ramené en principe quatre enquêteurs. Mais là on attend toujours le quatrième. Ça fait qu'on a trois enquêteurs, mais le but, c'est d'avoir quatre enquêteurs à temps plein. Malgré que la quantité de dossiers, ça déborde quand même, ça fait qu'il y a des enquêteurs de d'autres unités qui vont travailler à l'occasion puis il y a une contamination positive qui se fait entre les enquêteurs.

M. Ouellette : O.K.

Mme Philibert (Pascale) : Et, si je pourrais ajouter aussi...

M. Ouellette : Oui.

Mme Philibert (Pascale) : Souvent, c'est difficile avec les victimes que le centre jeunesse... Ils ne veulent pas porter plainte. Il y a aussi d'autres problématiques qui se mélangent. Ça fait que ce n'est pas parce qu'il n'y en a pas nécessairement, c'est juste que des dossiers à travailler de cette façon–là, ce n'est pas... je ne pense pas que c'est du travail classique, là, c'est plus compliqué.

M. Valiquette (Martin) : Je ne sais pas si ça a été mentionné par d'autres enquêteurs, mais, si tu demandes à la fille, si ta première question, c'est : Veux-tu porter plainte?, c'est sûr que tu n'auras pas beaucoup de dossiers.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Dernière question, députée de Roberval.

Mme Guillemette : ...M. le Président. Ma question va à Mme Demers ou Mme Philibert. On a rencontré plusieurs groupes qui nous ont dit que ce n'était pas nécessairement la bonne situation de mettre les jeunes filles dans des centres jeunesse. Vous voyez ça comment? Parce qu'il faut faire attention à la stigmatisation, aussi, si on crée des ailes spécifiques pour eux. Qu'est-ce que vous nous conseillez? Vous pensez quoi de ça?

Mme Philibert (Pascale) : Par moment, il faut les mettre en hébergement à cause... surtout les plus jeunes, là, les 13, 14, 15, où développer leur jugement, c'est beaucoup plus long. On en a que les carences sont tellement importantes, qui ont des traumas tellement importants que, quand la pression monte, là, quand la douleur, la souffrance monte, là, elles vont vers les bonnes personnes pour les exploiter. À ce moment-là, quand on sait ça, on est obligés, à ce moment-là, oui, de les mettre en centre.

C'est très rare que les filles sont placées, O.K.? On va travailler davantage à l'externe, ça fait qu'on va travailler à l'externe, on va mettre des éducateurs. Malheureusement, certaines jeunes filles, à cause de leur maturité, à cause que le jugement n'est pas en place, sont incapables d'amorcer une réelle thérapie. Puis des fois on a des psychologues qui... Je veux dire, elle n'est pas apte, elle n'est pas disponible. Au lieu qu'elle pense qu'une thérapie ne marche pas on va des fois arrêter la thérapie puis on va travailler en réadaptation. Ça fait qu'il y a des moments où, oui, il faut le faire.

C'est sûr que j'aimerais ne pas rassembler toutes des filles exploitées sexuellement. Il n'y a pas de solution parfaite. Parce que, si on les met... on les sépare, elles peuvent contaminer, recruter d'autres. Si on les met ensemble, ce n'est pas très normalisant d'être juste avec des filles qui font ça. C'est très complexe. Si on pouvait avoir une fille complètement à l'extérieur, qu'on la place dans un centre, c'est sûr que ça serait l'idéal. Mais on travaille avec ce qu'on a. Je sais qu'il y a la commission sur la protection de la jeunesse qui sont en train de regarder ça.

Mais, ce que je peux vous dire, c'est que par moments il faut les arrêter et, oui, le centre est nécessaire. Dès qu'on peut, il faut les sortir, mais il y a des fois où le trauma ou la carence est tellement importante que ça prend ça. Ça fait qu'on va toujours évaluer : Est-ce qu'il y a plus d'effets secondaires négatifs? Mais il faut le faire. Puis il y a des fois que ça passe par ça parce qu'à un moment donné c'est là, quand on les arrête, qu'ils disent : Bien là, ça allait trop loin. C'est là qu'on est capable de leur parler.

Mme Demers (Carole) : ...certaine prise de conscience qui va se faire, à ce moment-là, puis je pense que c'est important de pouvoir le faire à l'intérieur même d'un centre de réadaptation si c'est le cas.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup de votre contribution à nos travaux.

Je suspends les travaux de cette commission. De retour à 15 h 30. Merci infiniment.

(Suspension de la séance à 15 h 8)

(Reprise à 15 h 35)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs reprend ses travaux. Je rappelle aux gens qui sont dans la salle de bien vouloir fermer les sonneries de leurs appareils téléphoniques, s'il vous plaît.

Je souhaite la bienvenue maintenant à M. Jacques Moïse et aux représentants du Phare des affranchiEs. Je vous rappelle que vous allez avoir chacun d'entre vous une présentation de 15 minutes. Et ça sera suivi d'une période d'échange avec les membres de la commission pour une période de 30 minutes.

Alors, je vous souhaite la bienvenue. J'invite maintenant Le Phare des affranchiEs à se présenter et à nous faire leur présentation pour une période de 15 minutes, s'il vous plaît.

Le Phare des affranchiEs et M. Jacques Moïse

Mme Khlat (Nathalie) : Oui, merci. Alors, bonjour à tous et à toutes. Merci de nous accueillir aujourd'hui. Ça me fait plaisir d'être devant vous. Alors, je vais me présenter rapidement, Nathalie Khlat, présidente et cofondatrice de l'organisme Le Phare des affranchiEs.

Alors, je vais vous présenter un petit peu l'organisme. Le Phare des affranchiEs, c'est une organisation laurentienne basée à Saint-Jérôme, à rayonnement national dans le développement de programmes. Notre mission, et puis vous l'avez en annexe, là, du document qui vous a été remis, c'est de travailler contre la traite de personnes sous toutes ses formes et pour toutes les victimes. On a des valeurs d'inclusivité qui nous sont très chères, des valeurs de pragmatisme, d'innovation, pour répondre à un enjeu qui est très complexe.

Donc, toute ma présentation aujourd'hui, je vais peut-être cogner sur le clou à quelques reprises parce que la complexité de cet enjeu fait qu'on ne peut pas avoir une réponse qui va convenir à toutes les situations. Puis je pense que vous avez entendu plusieurs organisations qui ont sûrement mentionné les mêmes enjeux face à l'exploitation sexuelle des mineurs. Donc, notre mission, Le Phare des affranchiEs, c'est la traite de personnes sous toutes ses formes, et l'exploitation sexuelle des mineurs est bien souvent une forme de traite de personnes. Donc, c'est à ce titre-là que je viens vous parler aujourd'hui.

Donc, la commission nous a mandatés, nous a demandé, en fait, de venir présenter pour répondre à trois questions, puis je vais vraiment prendre le temps de bien répondre à ces questions-là.

On nous a demandé quelles sont nos recommandations pour lutter durablement contre la demande de services sexuels de personnes mineures. Vous avez entendu des représentants du Service de police de l'agglomération de Longueuil tout à l'heure venir vous parler de l'éducation des clients. Je vais vous entretenir un peu là-dessus aussi parce que la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle ou, plus précisément, l'exploitation sexuelle de mineurs, c'est complexe, bien entendu. Puis, pour vraiment pouvoir répondre à cet enjeu-là, on doit s'y adresser globalement. On doit y répondre globalement. C'est-à-dire que, oui, il y a les personnes victimes, mais, pour aider les personnes victimes, il faut absolument s'adresser à la demande ou à l'achat de services sexuels. Il faut s'adresser aussi à l'autre morceau du triangle, qui sont les proxénètes, mais je viens vous parler vraiment plus particulièrement des acheteurs de services sexuels.

Donc, l'objectif qui est derrière un programme de prévention de la récidive, c'est de réduire la récidive d'achats de services sexuels, bien entendu. C'est également de diminuer les violences envers les personnes victimes. Donc, je le répète, on s'adresse aux acheteurs, mais c'est pour un résultat sur les personnes victimes, sur les mineurs dans le cas qui nous occupe. Donc, bien que ce programme-là ne vise pas les acheteurs de services sexuels de mineurs, il faut sensibiliser et outiller les clients de l'industrie sexuelle adulte pour avoir un impact sur l'exploitation sexuelle des mineurs. C'est très important de développer un programme de ce genre-là, avec une approche, encore là, très inclusive, de façon constructive et pragmatique, qui va permettre de consulter des organisations qui peuvent avoir des opinions opposées sur la question de la prostitution. Mais c'est avec ces consultations-là qu'on pourra développer un programme qui réponde à nos enjeux ici, à nos valeurs ici, et qui se base sur toute la littérature, qui nous permet de savoir ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins bien par rapport aux autres programmes de prévention de la récidive qui existent ailleurs au Canada et ailleurs dans le monde.

Donc, on sait bien qu'il est illégal depuis 2014 d'acheter des services sexuels au Canada. Par contre, on sait aussi qu'il y a très peu d'arrestations encore à ce jour. Il faut miser sur l'éducation pour que ces gens-là qui achètent des services sexuels soient en mesure de comprendre les risques potentiels de l'achat de services sexuels au niveau de l'exploitation sexuelle des mineurs. Donc, je viens vraiment vous adresser de quelque chose qui touche la commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs. Je ne viens pas vous parler de l'industrie sexuelle, de la prostitution au niveau adulte. Je viens vraiment vous parler du sujet qui nous préoccupe aujourd'hui ensemble.

Ces modèles-là qui existent, comme je l'ai dit un petit peu plus tôt, puis nous permettent de ne pas partir de zéro, mais vraiment de pouvoir nous baser sur toute la littérature, qui est abondante, laissez-moi vous le dire, sur les différentes initiatives... qui nous permet de savoir ce qui a fonctionné et ce qui a moins bien fonctionné. J'entendais la présentation du Service de police de l'agglomération de Longueuil un peu plus tôt, je devrais dire, à la période des questions, et je crois qu'ils en ont parlé un petit peu. Donc, on a la chance de pouvoir se baser là-dessus, de pouvoir se baser aussi sur des partenariats solides d'autres provinces canadiennes qui sont prêtes à nous aider à l'implanter ici.

• (15 h 40) •

C'est certain qu'un programme de prévention de la récidive n'est pas adapté pour tous les acheteurs de services sexuels, et ce n'est pas ce qu'on vous soumet aujourd'hui. Bien au contraire, c'est de dire que, pour certains, il peut être bénéfique, et il sera bénéfique pas pour eux au final, c'est qu'il sera bénéfique pour les personnes qui sont dans l'industrie du sexe, qui sont mineures dans l'industrie du sexe, parce que c'est le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Notre organisme est en mesure de coordonner ce projet novateur. On est en lien avec des partenaires, je l'ai dit un peu plus tôt, qui sont intéressés à nous aider à l'implanter ici. On a des discussions avec différentes municipalités pour avoir une première ville qui va être en mesure, je dirais, de se lancer pour instaurer un projet pilote qui va nous permettre, je le répète, de vraiment l'adapter, de ne pas faire un copier-coller, mais de l'adapter à nos valeurs québécoises.

Et c'est très important que je rajoute aussi qu'un programme de prévention de la récidive, non seulement c'est pour l'éducation, pour diminuer la récidive, mais il permet aussi, de par son modèle, et c'est quelque chose qui se fait ailleurs, de couvrir les frais de programmes directement adressés aux personnes victimes. Donc, en instaurant un programme comme ça, finalement, c'est le client, la personne qui achète des services sexuels qui, également, paie pour des services pour la reprise de pouvoir des personnes qui ont vécu l'exploitation sexuelle.

Donc, on soumet respectueusement à la commission de soutenir ce programme-là et de mettre les choses en place pour qu'on puisse le développer avec les partenaires essentiels au projet, c'est-à-dire le Directeur des poursuites criminelles et pénales et les corps policiers des villes concernées. Également, il faudrait que ce soit accompagné d'une initiative de sensibilisation grand public pour également sensibiliser le public sur les conséquences possibles de l'achat de services sexuels.

La deuxième question qui nous a été posée était comment améliorer les services existants pour mieux répondre aux besoins des victimes. Alors là, je suis heureuse de vous arriver avec des solutions très concrètes qui vont être déployées prochainement, une en particulier qui va être lancée dans un mois, jour pour jour. Donc, je vais vous l'expliquer, je dirais, dans les grandes lignes. Par contre, vous comprendrez que, pour le bénéfice de ce projet, il va y avoir plus de détails dans le mémoire qui va vous être soumis d'ici le 1er mars.

Donc, l'exploitation sexuelle, oui, provoque de lourdes conséquences pour les personnes qui en sont victimes, et, par personnes qui en sont victimes, il ne faut pas oublier également les proches des personnes qui le vivent. Lesdites conséquences dépassent, et vous le savez, bien entendu, largement le passage de l'âge de la majorité. Et les besoins des personnes qui ont été dans l'industrie du sexe, mais plus particulièrement des personnes mineures qui ont été victimes d'exploitation, sont nombreux et font que ces personnes-là, ces mineurs-là, que ce soit maintenant ou que ce soit lorsqu'ils vont être adultes, vont être en contact avec un paquet d'industries.

Donc, ce qu'on propose, nous, et ce qu'on a déjà commencé à faire, c'est d'aller chercher différents milieux, différentes industries, le corporatif, pour les amener comme alliés dans la lutte contre l'exploitation sexuelle. C'est ce qu'on fait, entre autres, avec l'industrie touristique. Donc, avec différents partenaires bien implantés, connaisseurs de leur réalité, de leurs besoins, de leurs contraintes, on a bâti un programme qui, comme je le disais, va être lancé très prochainement, qui va autant en formation, qu'en affichage, qu'en développement de politiques, donc qui est très, très, très global et qui n'a pas été monté par nous, qui a été monté avec nous, mais certainement avec des gens qui connaissent leur réalité, pour que ce programme-là, il soit durable puis qu'on ne se fasse pas tout simplement dire : Bien, oui, oui, oui, on va le faire, mais que finalement ça tombe dans le vide.

Donc, ce programme-là, il est financé, pour le moment, par le Secrétariat à la condition féminine du Québec jusqu'à la fin 2020. On souhaite, bien sûr, que tous les efforts qui ont été mis, parce que ça fait plusieurs années qu'on y travaille, à ce projet-là... que ce programme-là soit assuré dans sa durabilité, dans sa pérennité parce qu'il va apporter, on le croit sincèrement, des résultats positifs pour toute personne mineure, majeure qui va avoir besoin de services, qu'elle soit accueillie, qu'elle soit reçue sans jugement si elle fait une demande d'aide, qu'elle reçoive les services appropriés et qu'elle soit dirigée au bon endroit pour recevoir l'aide dont elle a besoin et qu'elle est en droit de recevoir.

Je vous soumets aussi qu'il va y avoir un autre projet qui s'en vient, celui-là également plus largement que l'industrie du tourisme, mais qui va se concrétiser prochainement et qui, lui, est vraiment pour mettre en lien différentes industries corporatives dans une meilleure réponse aux besoins des victimes.

Donc, c'est sûr que tous ces beaux projets là, qui, encore là, sont bâtis avec une approche d'inclusivité, avec une approche d'ouverture, qui permet que ces programmes-là, que les outils qui soient développés soient vraiment, concrètement, efficaces sur le terrain, bien, ça nous aiderait énormément, et pas seulement nous, mais, bien sûr, toutes les initiatives de ce genre-là qui pourraient émaner d'autres organisations, si la commission recommandait des avantages fiscaux aux entreprises qui s'embarquaient dans des initiatives du genre.

Je vous l'ai dit un petit peu plus tôt, nous sommes un organisme laurentien basé à Saint-Jérôme. C'est bien connu que l'exploitation sexuelle se passe dans les métropoles. Les données, pour le moment, se limitent aux régions métropolitaines, et bien souvent des données de source policière. Par contre, l'exploitation sexuelle est aussi une réalité qui touche les régions, et ça, c'est important de le savoir. C'est important d'adresser aussi cet enjeu-là.

On est actuellement en train de mener, Le Phare des affranchiEs, une recherche en partenariat avec le cégep de Saint-Jérôme pour documenter la problématique dans la région des Laurentides. À titre de donnée préliminaire, je peux vous affirmer qu'il y a bien présence de plusieurs personnes victimes d'exploitation dans la région laurentienne ou en provenance de celle-ci. Je peux aussi vous dire, à titre de donnée préliminaire, que la majorité des cas identifiés ont vécu de l'exploitation à des fins sexuelles. Ces mêmes données nous permettent de confirmer que plusieurs obstacles nuisent à une réponse complète des nombreux besoins des personnes victimes. Les organisations susceptibles d'être en contact avec des personnes victimes soulèvent le fait que le manque de connaissance de la problématique est un obstacle dans la réponse que ces organisations-là peuvent donner aux victimes.

Les organisations de la région bénéficieraient grandement d'être outillées, d'être formées, d'avoir des ressources humaines dédiées pour vraiment pouvoir comprendre l'enjeu dans toute sa complexité, dans toutes ses nuances, pour apporter des services aidants aux mineurs victimes d'exploitation sexuelle. Un comité composé d'organisations pertinentes, dont la protection de la jeunesse, devrait être mis en place afin de coordonner le processus d'amélioration de la trajectoire de services, et ce, en se basant sur les meilleures pratiques. Vous avez entendu et vous allez continuer à l'entendre, je suis bien certaine, il y a plusieurs pratiques qui existent. Ce n'est pas nécessaire toujours de réinventer la roue. Dans certains cas, ce l'est, comme les programmes au niveau des industries dont je vous ai parlé un petit peu plus tôt. Mais, dans le cas d'initiatives... Je prends, par exemple, l'initiative qui se passe avec le CIUSSS de la Capitale-Nationale. Je ne sais pas si vous les avez déjà entendus. Je crois. Bien, c'est des choses qui peuvent être reprises, qui peuvent être adaptées dans les différentes régions.

Donc, je soumets à la commission qu'une attention particulière et un soutien adéquat devraient être offerts à la région des Laurentides et aux autres régions qui, malheureusement, encore aujourd'hui, ont souvent peu de ressources par rapport aux autres, mais qui font également face à une situation d'exploitation des mineurs. Et puis un mineur, qu'il soit dans la région des Laurentides ou qu'il soit dans la région de Montréal, ne devrait pas avoir accès à des services différents, devrait recevoir la même aide, peu importe son lieu de provenance.

Un autre aspect que j'aimerais amener par rapport à une meilleure réponse aux besoins des victimes, c'est d'agir également sur l'exploitation sexuelle des garçons et des personnes... des LGBTQ+, pardon. Bien que l'exploitation sexuelle touche davantage les filles et les femmes, il ne faut pas ignorer ces réalités-là parce qu'en les ignorant, bien, on crée d'autres problèmes également. Donc, que ce soient des garçons, que ce soient des personnes appartenant aux minorités sexuelles, c'est important d'en parler, et c'est important d'en parler en prévention, autant pour les risques associés au devenir client, pour devenir proxénète, mais également au devenir personne victime.

La troisième question qui nous a été posée était par rapport aux pistes d'action gouvernementales ou législatives pour contrer l'exploitation sexuelle des mineurs. Je vais abonder encore en disant que c'est un enjeu qui est complexe. C'est un enjeu qui n'est pas bien saisi avec une heure ou deux de sensibilisation. C'est un enjeu qui doit être bien expliqué pour être compris dans toutes ses subtilités. Alors, à ce titre-là, toutes les personnes, les intervenants du réseau, que ce soient les juges, les médecins, les policiers, les gens qui peuvent être et qui sont souvent en contact avec des victimes mineures d'exploitation, et dont les décisions ont un impact majeur sur la vie de ces personnes victimes, devraient être formés.

Donc, j'encourage la commission à former, avec les organisations du terrain... à développer un programme de formation qui est adapté et qui va pouvoir être rendu obligatoire pour que ces différents intervenants là bénéficient d'une formation pour qu'au final les personnes qui reçoivent les services puissent recevoir des services, encore là, qui soient adéquats et qui répondent vraiment à leurs besoins parce que les besoins sont nombreux.

• (15 h 50) •

Finalement, et je ne vais pas m'entretenir longtemps là-dessus parce que c'est un sujet qui a déjà été abordé et qui, à ma connaissance, est sous étude, mais je ne me permettrais pas de ne pas le nommer aujourd'hui en commission, les besoins sont nombreux. Les besoins en termes de ressources par la suite sont immenses pour ces personnes-là. Encore à ce jour, la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels ne reconnaît pas l'exploitation sexuelle, la traite de personnes comme crime couvert par l'IVAC. Donc, j'empresse encore la commission de s'assurer que les travaux progressent bien pour qu'à l'annexe I de l'IVAC les crimes de l'exploitation sexuelle et de la traite de personnes soient couverts pour s'assurer vraiment, encore là, qu'ils puissent bénéficier des bons services.

Donc, je vous remercie énormément de m'avoir entendue. Je veux bien réoffrir mon aide et dire que l'organisme Le Phare des affranchiEs, on souhaite être perçus comme des alliés dans la suite des choses. Donc, n'hésitez pas s'il y a quoi que ce soit... Dans la suite des pistes d'action concrètes qui vont, nous l'espérons, être mises de l'avant suite à cette commission-là, vous pouvez nous compter comme des alliés. Je vous remercie énormément.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup de votre présentation. J'invite maintenant M. Jacques Moïse à se présenter et à commencer son exposé pour une période de 15 minutes aussi. M. Moïse.

M. Moïse (Jacques) : Un petit exposé. Mon nom, c'est Jacques Moïse. Je suis psychothérapeute. Je suis auteur aussi. J'ai écrit un bouquin sur la prostitution des garçons qui s'appelle Adolescence, initiation et prostitution.

J'ai voyagé beaucoup, dans le temps, quand j'étais dans le communautaire. Maintenant, je suis en pratique privée complètement. Ça veut dire que ça fait quelques années que je ne suis pas dans le communautaire, malgré qu'on m'invite, comme aujourd'hui, à parler d'exploitation sexuelle. Et ça, c'est de la faute à deux madames policières que j'admire, qui viennent souvent me demander des conseils sur qu'est-ce qu'elles devraient faire pour faire face aux problématiques en lien avec la prostitution.

Ma clientèle en privé, ça m'a permis quelquefois de rencontrer certaines personnes. Vous parliez de l'IVAC. L'IVAC et le CAVAC, ce sont les principaux référents qui m'envoient des personnes qui ont subi des traumas et des post-traumas, et donc la grande partie de ma clientèle est ceci.

Ceci étant dit, j'ai travaillé pendant de longues années comme directeur, comme intervenant avec le doyen des organismes qui s'est occupé de prostitution juvénile, qui s'appelait le PIAMP, le Projet d'intervention auprès des mineur.e.s prostitué.e.s. Et je ne sais pas si vous avez remarqué, c'était très difficile... on a ajouté un petit a, à un moment donné parce que ça s'appelait le PIMP, et c'était très difficile, quand quelqu'un appelait, dire : Allo, le PIMP. Donc, on a ajouté un petit a pour faire le PIAMP.

Cet organisme a existé à partir... J'ai l'impression de vivre un petit peu le roman de Cien años de soledad, de Gabriel García Márquez, parce que ce genre de commission, comme je le dis dans mon petit document, ça a été déjà fait il y a quelques années. Plusieurs années de ça, il y a eu une commission sur l'exploitation sexuelle des mineurs. Et, à ce moment donné, les mots «prostitution des mineurs», les mots «exploitation des mineurs», ça n'existait pas dans le jargon de l'intervention. Et il a fallu que les journaux publient à un moment donné... Je suis comme une mémoire du temps, comme Mathusalem, hein? Je suis le doyen, sûrement, de votre commission. Il a fallu qu'un journal, comment que ça s'appelait déjà, TheGazette, publie un article grandiose, un grand article qui disait qu'il y avait des milliers et des milliers de garçons qui faisaient de la prostitution, entre autres à Montréal et à Québec. Et cela va vous intéresser sûrement parce que c'est dans le temps où on commençait à bâtir ce centre-ville francophone avec le complexe Desjardins, la Place Dupuis, et c'est là que ça se passait et que ce journal avait dit qu'il y avait des milliers et des milliers de personnes, de garçons, qui fréquentaient ces lieux et qui s'adonnaient à la prostitution juvénile.

Et, bien entendu, construire un problème social, c'est un peu ça. Et il y a la police — ces deux femmes m'ont réconcilié avec la police, deux femmes, comme je parlais tantôt — qui a dit : Mais ça ne se peut pas, pas autant. Ça existe, le problème, mais pas autant. Et c'est comme ça que ça commence, la construction d'un problème social, quand il y en a un qui dit : Il y a des milliers... Je pense qu'on avait avancé le chiffre de 12 000, et la police avait dit qu'il y en avait 60. Je ne sais pas si vous voyez, la différence est immense entre 12 000 et 60. Et c'est ce qui fait marcher... pour ça que j'ai appelé mon petit texte L'illusion statistique, et c'est à partir de cette illusion statistique qu'on a commencé à dire : Bien, il faut qu'on fasse quelque chose. Et les gouvernements sont là pour ça. Et là, bien entendu, la meilleure façon de le faire, c'est faire des commissions.

Alors, cette commission a eu lieu, sur les abus sexuels, comme maintenant, et il y a une personne que vous connaissez très bien, qui s'appelait Andrée Ruffo, qui est devenue juge, parce que, dans le temps, là, elle n'était pas encore juge, là, elle était militante auprès des jeunes. Elle est devenue juge, et Andrée Ruffo présidait ce genre de petit comité, ce comité qui a décidé de former cet organisme-là qui s'appelait le PIAMP. Et alors qu'est-ce que ce comité-là avait donné? Il avait reconnu le problème.

Et il faut que vous sachiez que le problème de la prostitution juvénile, on va parler d'exploitation actuellement, a commencé par un problème de garçons. Dans ce temps-là, on n'a pas parlé de filles. À la fin des années 70, il y avait des garçons, plusieurs garçons qui faisaient de la prostitution juvénile. Et ça me fâche un petit peu. Même si je ne suis plus dans le domaine, mais, quand on m'invite, je le dis, ça me fâche un peu qu'on dirait qu'on a écarté, quelque part... Question sociale, hein, question de société, les garçons, ils ne peuvent pas être victimes. Les garçons, ils ne pleurent pas. Les garçons, ils ne sont pas traumatisés. Et on va de plus en plus vers ce chemin-là que je trouve dangereux parce qu'une situation qui a commencé avec des garçons... Et puis, année après année, j'ai vu la courbe, hein, descendante, où juste... Il y a eu oubli. Il y a eu vraiment ce qu'on appelle une banalisation de... parce que les garçons, ils ne peuvent pas être victimes.

Donc, pour vous rencontrer aujourd'hui, je me suis dit : Peut-être, je suis passé de mode, hein? C'est comme un yogourt passé date, là. J'ai dit : Je vais voir si ça existe encore. Alors, j'ai dit : Je vais voir si j'ai encore la main, comme on dit, là. J'ai rencontré deux garçons avant de venir vous rencontrer. J'ai rencontré un garçon à la gare Sainte-Thérèse. Vous parlez de régions. À la gare Sainte-Thérèse, je ne savais pas... Je ne connaissais pas cette gare-là. C'est tout beau, là, ça ressemble à une gare, vraiment, là. Et j'ai rencontré ce garçon-là qui a 18 ans. Et, quand je dis 18 ans, vous allez remarquer quelque chose chez les garçons, là, que ce soit comme escorte, danseur, n'importe quoi, ils ont tous 18 ans. C'est comme s'ils commençaient à faire ce genre d'activité là le jour de leur anniversaire de 18 ans. Et il faut que vous regardiez ça très bien parce que ça ne se peut pas. Ils ont commencé avant 18 ans la plupart du temps.

Et ce garçon-là que j'ai rencontré avait 18 ans, et je lui ai demandé des petites questions, comment, ça existe encore, etc.? Il dit : Écoute... Il m'appelle Jack, je m'appelle Jacques. Il dit : Jack — c'est la même chose — il me dit, aujourd'hui, quand je te parle, là, pendant que je te parle, là, toi, tu n'es pas un client, mais je peux te dire que, si tu avais envie de rencontrer un garçon de 13, 14, 15 ans ce soir, là, il n'y aurait aucune difficulté de le rencontrer. J'ai dit : Ah oui? Comment ça? Il dit : Je suis même prêt à venir à la commission avec toi, ici, là, il m'a dit, mais il y a des polices. J'ai dit : Ah! tu as peur des polices? Il dit : Bien, ce n'est pas que j'ai peur des polices, là, c'est que, si je me présente devant une commission... Je suis un garçon. La difficulté à ceci, si une jeune fille de 15, 16, 17 ans se présente ici, c'est sûr qu'on va s'émouvoir, tout le monde, et c'est émouvant, on va brailler nos larmes, c'est clair, là, elle est victime, elle est traumatisée, elle est exploitée. Il dit : Si moi, je me présente... Il le dit par ces mots-là, hein, je l'ai... en mémo de psy, là. Il me dit : Si moi, je me présente là, qu'est-ce qu'on va voir? Un délinquant, un manipulateur, un manipulateur d'hommes, un petit voleur, un exploiteur, parce qu'il fait partie des exploiteurs, c'est un garçon.

Et le gros problème est ceci, c'est que la façon qu'on va voir les garçons qui font de la prostitution... Je dis ça ici tout bonnement, comme ça — j'ai laissé mon texte, c'est mon habitude de parler sans texte — je l'ai dit en Europe aussi, le problème, c'est un problème de société. Un garçon va être sous... Un garçon qui a 13 ans...

Fais-moi signe, hein, parce que moi, je peux parler toute la journée, là. Tu me dis : C'est fini.

Le Président (M. Lafrenière) : ...

• (16 heures) •

M. Moïse (Jacques) : Il me reste trois minutes? O.K.

Un garçon qui a 12, 13 ans et qui se promène sur la rue Sainte-Catherine à 3 heures du matin, qu'est-ce que vous allez dire? Vous allez voir ce garçon-là, il a l'air délinquant, ah! il a l'air hardi, là, c'est un garçon, il est fort. Si vous voyez une jeune fille de 12, 13, 14 ans qui se promène sur la rue Sainte-Catherine toute seule à 3 heures du matin, vous allez avoir une autre réflexion, c'est clair, hein? Le problème est ceci, c'est notre façon... On fait du déni en refusant d'affronter une situation qui est la prostitution, l'exploitation sexuelle des garçons, qui souffrent autant, qui souffrent d'autant plus parce que, le plus souvent, beaucoup de garçons qui font, là, ce genre d'activités là ne sont pas gais, ne sont pas homosexuels, appelez comme vous voulez. Donc, ils sont obligés de... Il y a un double secret, là.

C'est comme un garçon qui m'avait dit une fois, là : Moi, je fais des bonshommes et j'ai peur surtout qu'on me voie avec. C'est le côté homosexuel, hein? On est une société qui fait face à une situation où ces garçons-là ne peuvent pas s'exprimer, ils ont peur de la police. Ils ont peur de la police, pas nécessairement à cause d'une forme répressive, là, c'est à cause du jugement. Un garçon qui fait un genre de situation... Et j'aurais amené le garçon avec moi aujourd'hui. C'était un exploit pour lui. J'ai essayé de le convaincre.

J'ai rencontré un deuxième garçon, pour vous dire que je voulais être dans le vif, pas dans le... Je peux vous faire un mémoire à 50 000 pages si vous voulez. Non, je voulais être dans le vif du sujet. J'ai rencontré un deuxième garçon qui, lui, est escorte. Vous savez c'est quoi, sûrement. Il est escorte et il me disait que, pendant que je parlais là, et c'est vrai, pendant qu'on se parle, là... Vous avez sûrement vos tablettes. Pendant qu'on se parle, là maintenant, si vous voulez aller sur vos tablettes, vous allez voir : rempli, rempli, rempli de garçons qui font du cam-à-cam, du caméra-à-caméra. Vous savez c'est quoi?

Une voix : ...

M. Moïse (Jacques) : Non. Le cam-à-cam, là, c'est que je suis devant mon petit appareil, c'est comme Skype, hein, et je donne des services sexuels à quelqu'un qui peut être ici, qui peut être ailleurs, 24 heures sur 24. Le plus souvent, c'est des adolescents dans leurs chambres, là. La maman est en train de regarder, je ne sais pas, moi, Occupation double ou n'importe quoi, là, ils sont dans leurs chambres en train de faire du caméra-à-caméra. Et il m'explique que c'est tellement facile, que c'est tellement facile avec ce qu'on appelle des jetons, c'est tellement facile de... Et il dit : On se sent mal après parce qu'il y a des choses qu'on fait qu'on n'a pas envie de faire. Ce n'est pas seulement la violence physique, c'est le fait qu'on fait quelque chose qu'on n'a pas envie de faire, des fois, sans que quelqu'un nous y force.

Et le gros problème, entre garçons et filles, c'est que le recrutement chez les filles... Elles sont recrutées, il y a tout un processus, j'ai écrit dessus, un processus de recrutement. Les garçons, ce n'est pas la même chose. Le recrutement, il ne se fait pas de la même façon. Je rencontre un copain, là : Tu veux venir avec moi ce soir? On va dans un party, je connais quelqu'un. On a 13, 14 ans, on va avoir du fun. Je rentre là-dedans comme ça, et ça continue. Et le garçon, il braillait dans ma voiture — parce que je l'ai rencontré dans ma voiture parce que je ne pouvais pas l'amener dans mon bureau, là, je l'ai rencontré dans ma voiture — il braillait pour une raison, là : il avait participé à ce qu'on appelle... tu sais, il y a un site où est-ce que... Vous connaissez les sites de «gang bang», là? Il avait trouvé ce site-là, il était allé. Donc, il était l'objet de tous ces messieurs d'un certain âge, là, qui l'humiliaient, qui lui faisaient ce qu'ils voulaient. Mais il était payé pour.

On parle d'exploitation. Ça, c'est plus que de l'exploitation. Quand l'exploitation est accompagnée d'humiliation, là, c'est terrifiant. Ta vie, là, par la suite... Il y a une vie pendant la prostitution, mais il y a une vie après la prostitution. C'est comme quand tu fais un C.V., là. Il n'y a pas grand monde qui va dire, dans son C.V., là... Qu'est-ce que tu as fait de telle année à telle année? Danse? Ça peut passer, danse. Escorte? Ça peut passer. Mais esclave sexuel... Parce qu'il y a ça là-dedans aussi.

Bon, je disais dans mon petit mémoire, que je ne regarde même pas, que le problème, c'est qu'on fait face à deux réalités différentes. Deux minutes? Je parle trop. C'est toujours comme ça, c'est... Quand on m'invite, là, je dis à quelqu'un : Fais-moi signe parce que je parle, et puis mon texte, là, je ne l'ai... On le regardera après, quand vous me poserez des questions, si vous voulez. Il y a une chose... Je veux quand même dire quelque chose sur ce texte-là, au niveau des différences. Il faut que je change de lunettes, c'est la vieillesse. Ça, c'est...

La fugue. La fugue est le plus souvent l'occasion de se faire recruter. Chez les garçons, la fugue, j'ai dit ça dans mon bouquin, c'est l'occasion aussi d'expérimenter, c'est l'occasion... Il y a beaucoup plus d'attention vers une fille qui est en fugue, au niveau de la prostitution, au niveau de l'exploitation sexuelle. La disparition... Les recruteurs... Il n'y a pas de recruteur. Rarement. Quand on a une dette de dope, là, quelqu'un va nous forcer à faire une couple de clients pour remettre les... mais il n'y a pas de recrutement en tant que tel quand on parle d'exploitation sexuelle, de prostitution de garçons, pas organisé, en tout cas, comme c'est organisé avec ce qu'on appelait dans le temps et qu'on appelle encore les gangs de rue, là, avec différentes sphères... Non. C'est : Je t'emmène... comme je te dis, je t'emmène avec moi, là, il y a un party, et tu rentres dans le milieu pendant longtemps, de 14 à 18.

Mais tu as toujours 18 ans, ce qu'on appelle le «fake ID» dans le milieu, c'est courant, là, tout le monde a... Il y en a sûrement parmi vous qui sont rentrés dans les bars avant 18 ans, là, vous ne le direz pas, ce n'est pas bien de le dire, avec un «fake ID», tu sais? Et puis le plus souvent, c'est facile à voir, tout le monde a la même date de naissance dans les «fake ID».

La danse dans les bars, si vous consultez les revues, vous allez voir quelque chose. Je vais cacher le nom de la revue. J'ai amené une revue. Hop! Mon Dieu! Il ne faut pas... les caméras, il ne faut pas regarder, O.K.? Vous allez voir que, dans ces revues-là... Et je vais la lever parce que je l'avais amenée pour vous dire que juste... Regardez une revue, et vous allez voir combien de garçons de 18 ans sont escortes, sont masseurs. Ils ont tous 18 ans. Et c'est comme je vous dis, le jour de leur anniversaire de naissance, ils sont partis.

Je pourrais vous entretenir un petit peu, mais Ian, il m'a dit que c'était kaput. Donc, voilà, ça, ça fait un petit peu le tour, un petit peu plus d'actualité, un petit peu plus de... comment qu'on dirait, de réel. Et voilà. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Merci. En... pile. On va passer à une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, je vous rappelle qu'on a 30 minutes pour les questions. Je vais demander d'adresser votre question à un de nos deux invités. Et je vais débuter par le député de Chomedey, je crois, qui avait levé la main.

M. Ouellette : Merci, M. le Président. Mme Khlat, vous êtes le premier organisme de la campagne qu'on reçoit. Puis, quand je dis «de la campagne», ce n'est pas péjoratif, là. On a l'impression que c'est à Montréal, à Québec, à Gatineau, dans les grosses villes que ça se passe. Et je vous écoutais puis je me disais : Vous allez avoir du travail. Parce que je suis à Saint-Jérôme, moi, puis ça m'importe peu parce que c'est en ville que ça se passe. Je n'ai pas l'impression... On n'a pas entendu, puis j'ai rarement entendu, dans les derniers mois ou les dernières années, le service de police des Laurentides se plaindre de ce genre de phénomène là. Parce qu'on se dit : C'est à Laval, c'est à Longueuil, c'est à Montréal, c'est à Québec, c'est à Gatineau.

Vous faites quoi pour changer cette perception-là? Parce que je veux bien que le cégep vous aide à faire un portrait de la situation, mais, si je ne pense pas que j'ai un problème, je vous dirai que je ne me sentirai pas concerné. Puis je le dis pour Saint-Jérôme. Vous auriez pu être à Mont-Laurier ou vous auriez pu être à n'importe quelle autre place en région que les gens vont probablement avoir le même sentiment que, bon, non, ce n'est pas chez nous parce que, chez nous, ça ne se passe pas comme ça.

• (16 h 10) •

Mme Khlat (Nathalie) : C'est une excellente question. C'est vrai qu'on a beaucoup de travail qu'on fait depuis... Est-ce que le micro fonctionne? Oui? O.K. C'est vrai qu'on a beaucoup de travail pour sensibiliser à l'existence de la traite de personnes, dans notre cas, mais à l'exploitation sexuelle en région. Je vous dirais, si vous avez abordé, depuis le début de la commission, le protocole de Palerme, qui aborde la... une réponse bien faite contre la traite de personnes. On parle de prévention, protection, poursuite, et le tout en partenariat.

Alors, je vais ramener l'importance du partenariat. Le Phare des affranchiEs, on est excessivement actifs sur ce volet-là, et ça nous permet justement de pouvoir sensibiliser les différents acteurs. Parce que ce n'est pas, premièrement... Puis on le sait, hein, c'est un sujet qui est apolitique, premièrement, c'est un sujet qui interpelle... bien, qui doit et qui devrait interpeler, à tout le moins, autant les corps policiers qu'en protection de la jeunesse, que le milieu de la santé, que le milieu communautaire. C'est très global, comme enjeu. Ce qui fait qu'en termes de partenariat, bien, on s'assure d'amener ce sujet-là sur la place publique. Donc, on organise de la sensibilisation, et, depuis qu'on est là, je vous dirais que de plus en plus ça va bien. On a quand même l'oreille attentive de plusieurs partenaires. Et puis, avec la recherche, c'est sûr que, là, ça va amener, au-delà de notre parole, des données probantes.

Donc, ça, c'est sûr que ça va apporter beaucoup de poids. Et il y a beaucoup de choses qui s'en viennent, en termes de sensibilisation, de notre côté dans la région, parce qu'on remarque le besoin essentiel, le besoin très important d'outiller ces acteurs-là pour bien recevoir des victimes puis pour bien les accompagner. Donc, on a leur oreille attentive. Mais c'est sûr que c'est un travail en continu. Les corps policiers, il y en a. Il y a certaines initiatives qui existent en région, donc je ne suis pas prête à dire qu'il n'y en a pas, mais c'est sûr qu'on doit cogner sur le clou constamment pour essayer de s'assurer que les actions concrètes soient vraiment mises en place. Mais je dirais qu'il y a quand même un mouvement. Mais là, au niveau des ressources... Oui, il faut que je coupe, hein? Ça va.

M. Ouellette : Et ma prochaine question, qui va demander une petite réponse très courte : Votre financement, condition féminine; Québec, Canada?

Mme Khlat (Nathalie) : Le projet qui va être lancé dans un mois, c'est le Secrétariat à la condition féminine, mais notre organisme est, pour le moment, uniquement financé par projets, mis à part un financement, un petit financement de Centraide Laurentides. Donc, oui, ça, c'est un enjeu aussi auquel on fait face quotidiennement.

M. Ouellette : C'est Centraide Laurentides qui vous finance présentement?

Mme Khlat (Nathalie) : Le financement qui n'est pas sur projets, oui. Mais on a des financements par projets. La recherche est financée par le ministère des Affaires municipales et de l'Habitation, le Secrétariat à la condition féminine pour tourisme, oui.

M. Ouellette : Donc, c'est du financement provincial.

Mme Khlat (Nathalie) : Oui, il y a quelque chose... Oui, pour le moment.

M. Ouellette : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Maintenant, la vice-présidente, députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci. Merci pour vos interventions. M. Moïse, vous avez abordé un sujet, qui est celui des garçons, et, depuis le début de nos travaux, on n'en a pas beaucoup parlé, des garçons. D'après ce que je comprends de ce que vous nous dites et ce qu'on lit dans votre mémoire, et on nous l'a dit un petit peu, mais les garçons ont une relation avec le client, le... Bien, dans ce que vous dites, il semble être travailleur autonome, le garçon. S'il y a un proxénète, il n'est pas en amour avec son proxénète. C'est comme une relation d'affaires.

Vous avez dit aussi que vous aviez tenté d'amener des jeunes, des jeunes hommes à venir témoigner ou vous accompagner dans le témoignage, un. Moi, je peux vous dire qu'on a fait aussi des témoignages à huis clos, alors ça peut peut-être être une avenue. Parce que c'est très, très important pour nous de parler, bien sûr, à des spécialistes, mais c'est aussi important de parler à des personnes qui l'ont vécu sur le terrain. Moi, en tout cas, je suis sûre que tout le monde est d'accord avec moi, moi, j'ouvre la porte.

Alors, expliquez-nous, quand il décide d'en sortir, s'il décide d'en sortir, il en ressort comment? Est-ce qu'il en sort dans un état aussi... je dirais que tout est à reconstruire, comme on nous l'a expliqué chez les jeunes filles, ou s'il y a une différence chez les garçons?

M. Moïse (Jacques) : L'estime de soi. Quand on rentre dans cette... L'adolescence, c'est une période très importante au niveau identitaire. L'identité se construit, d'abord, avec ce qu'on appelle l'intimité. Erikson va parler beaucoup d'intimité quand on parle d'identité. Et vous allez voir que, quand on vend le corps partout, quand on a nos photos partout, il n'y a pas d'intimité là-dedans. On sort d'abord avec un gros problème identitaire.

Parce que le garçon qui n'est pas gai, qui couche avec des hommes, quand il finit sa carrière... Parce que c'est une carrière qui finit assez tôt, hein? Quand tu n'es plus désirable, là, c'est fini. C'est difficile, hein, avoir des relations avec des hommes et tu n'es pas homosexuel. Parce que, je n'ai pas besoin de vous faire un dessin, pour avoir une relation sexuelle, un homme a certaines obligations, hein, malgré qu'à notre âge l'obligation est un petit peu moins forte, là, mais on... C'est clair que, quand on finit notre carrière de danseur, escorte, qu'est-ce que tu veux, c'est difficile au niveau identitaire. Ta blonde te dit : Qu'est-ce que tu as fait avant? Tu ne peux pas répondre à ça, là, parce que tu as couché avec des hommes toute ta vie. Et puis elle me dit : Ah! bien, alors, si tu as couché avec des hommes, tu as dû aimer ça.

Et il y a toute cette forme de confusion. On s'en sort dissocié le plus souvent. Vous connaissez le phénomène dissociatif qu'on va beaucoup trouver chez les personnes qui ont fait de la danse, qui ont fait des escortes? Tu es obligé de te dissocier de toi-même, sortir de toi pour être quelque chose d'autre. Donc, on sort de là avec les mêmes situations que les filles : manque d'estime de soi, problème identitaire, problème de stress, problème d'anxiété grave. Surtout que, le plus souvent, on est obligé de cacher l'origine de notre anxiété : J'ai couché avec des hommes. Le plus souvent, on est obligé de le cacher, quand on n'est pas... Vous comprenez? Il y a une double contrainte, au fond. Et puis moi, je trouve ça très difficile pour les garçons que j'ai rencontrés dans ce temps-là. Ils s'en sortent meurtris, estime de soi finie. Puis c'est ça.

Mme St-Pierre : Mais vous avez porté un jugement par rapport à, un peu, ce que nous, on pouvait avoir comme pensée, c'est-à-dire vous voyez les filles comme vraiment des victimes, et nous, la société ne voit pas les garçons comme des victimes. Mais moi, dans ma tête, depuis le début de nos travaux, je vois les garçons autant victimes que les filles, là.

M. Moïse (Jacques) : Mais, quand vous regardez les faits, qu'est-ce qui se passe sur le terrain? Quand vous regardez les nombreux programmes, quand vous regardez... quand on parle de prostitution, quand vous regardez à la TV, qu'est-ce qui passe quand les gens parlent? On parle de l'exploitation sexuelle. Il n'y a pas grand monde qui fait référence à des garçons, dans les faits, là, de façon factuelle. On peut parler philosophiquement et puis dire : Mais, oui... Mais, dans les faits...

L'organisme que j'ai dirigé pendant des années... je ne sais même pas parce que j'ai coupé le lien avec le communautaire au complet parce que le privé était... mais c'est clair qu'on a dû se débattre longtemps. On disait que c'étaient des fantômes, ça n'existe pas. Et c'est cette perception. Quand vous me dites : Qu'est-ce qu'on doit faire? C'est de parler dans les écoles et partout que le fait existe, et voilà. Quand vous reconnaissez quelqu'un dans ce qu'il fait, là, c'est la meilleure forme d'intervention qui peut exister.

Mme St-Pierre : Le client abuseur, est-ce qu'il est un pédophile?

M. Moïse (Jacques) : Le client?

Mme St-Pierre : Le client abuseur qui cherche un jeune garçon est-il un... Je ne veux pas vous prendre une longue réponse parce qu'il y a d'autres questions, mais...

M. Moïse (Jacques) : Je vais vous aider, vous répondre. J'ai inventé un mot, j'espère qu'un jour ça va être dans le dictionnaire, ça s'appelle l'«adophile». L'adophilie, au lieu de parler de pédophilie. Parce que celui qui... le plus souvent, le client qui couche avec des adolescents, ce n'est pas le même qui couche avec des enfants parce que ce qu'il recherche, ce n'est pas la même chose. Il cherche une réponse chez l'adolescent, une réponse sexuelle, tandis que, chez l'enfant, c'est l'exploitation, complètement... C'est comme si je vais coucher avec un dindon, là, le dindon va juste faire : Clouc, clouc, clouc!, puis je ne peux pas dire au dindon qu'il n'est pas bon. Vous comprenez? C'est ma réponse.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Bonjour à vous deux. En fait, ça va être vraiment en complément de la question... bien, des questions de ma collègue. Je ne sais pas si je vous ai entendu vraiment dire, finalement : O.K., c'est tabou, c'est une façon différente de traiter le problème quand on parle d'exploitation sexuelle chez les garçons. Comment on leur vient en aide si ce n'est pas des gens qui vont chercher de l'aide? Comment on les pousse à les accompagner?

M. Moïse (Jacques) : Intéressant, comme question. Je change de lunettes pour vous répondre.

Des voix : Ha, ha, ha!

M. Moïse (Jacques) : Regarde, j'ai écrit quelque part, à la fin, là, de... «Les écoles primaires et secondaires pourraient introduire dans leurs cours d'éducation sexuelle les notions d'exploitation sexuelle chez les garçons.» Même si on ne peut pas intervenir direct, on peut intervenir en prévention, sachant que le problème existe. Je sais qu'il y a du monde qui savent que j'existe parce que... c'est la non-existence. Ce serait le dire, d'avoir des façons de parler, dans les cours d'éducation sexuelle, parce que ça existe, de parler de prostitution de garçons.

Ça peut être la responsabilité d'organismes communautaires, mais je pense que les gouvernements devraient prendre une position au niveau pas d'imposer, on n'est pas dans une situation d'imposer des choses, mais de dire... de parler de prostitution des garçons, de parler d'exploitation sexuelle des garçons, que : Voilà les conséquences de l'exploitation sexuelle des garçons, l'estime de soi, etc. Et la grande tristesse que... Quand tu dis à un garçon : Tu peux être très triste, là, il se sent : Mais non, je suis un homme! Mais, si les gens qui sont adultes commencent à parler de la tristesse de ces personnes-là, de la vulnérabilité de ces personnes-là...

Mme Perry Mélançon : ...

• (16 h 20) •

M. Moïse (Jacques) : Oui, comme une... normal, entre guillemets. Parce que tu peux te faire taper sur les doigts, on peut te citer hors contexte. On est en politique. Vous, vous êtes en politique. Et c'est certain que c'est une chose normale d'être triste, c'est une chose normale. D'avoir couché avec rempli d'hommes toute la journée, sans aller à mon école secondaire, et retourner donner des petits becs à ma mère le soir, là, je me sens triste, je me sens terriblement exploité.

Donc, on ne va pas retourner dans la fin des années 70, là, mais, si on commence à en parler, finalement, 50 ans plus tard, on va faire une commission, puis dans 10 ans vous allez en refaire une autre parce que la prostitution des garçons ne sera pas à l'ordre du jour. Je vous le garantis. Parce que moi, j'étais de la première loge pour la prostitution des garçons. Ça s'est évanoui, ça n'existe pas. Et je pourrais vous montrer, ça existe. Je vous mets au défi d'aller sur vos ordinateurs, ce soir, et il y a certains sites que vous connaissez sûrement, pas à cause que vous pratiquez, là, que... vous allez voir combien de garçons et vous allez faire... de façon exponentielle qu'est-ce que ça veut dire. Ça répond à votre question?

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Il reste quelques minutes?

Le Président (M. Lafrenière) : Oui, on a le temps pour deux dernières questions.

Mme Lecours (Les Plaines) : Parfait, merci. La région des Laurentides me touche. J'ai un grand pied dans les Laurentides, alors, ça me préoccupe beaucoup, ce que vous mentionnez. Pourtant, la région, elle a la réputation d'être tissée serré au niveau des organismes, mais est-ce que vous avez quand même la collaboration des organismes autour? Et, avec le service de police, est-ce qu'il y a quand même une ouverture? Ce n'est quand même pas un service de police qui est très grand, mais avez-vous une certaine collaboration? Et quelles seraient vos recommandations par rapport à ça?

Mme Khlat (Nathalie) : C'est une excellente question, premièrement. C'est sûr que c'est encore à travailler. La collaboration, je dirais, commence. Avec la recherche, ça va beaucoup nous aider parce qu'encore là on arrive avec des données probantes. Ça nous a permis d'aller beaucoup plus largement consulter. Donc, ça va être vraiment un outil très, très aidant pour ça. Mais c'est quand même à poursuivre, je dirais, au niveau de la collaboration parce que ce n'est pas... Puis je l'ai entendu un peu plus tôt, aussi, un partenariat, ce n'est pas quelque chose qui se fait une fois puis qu'on peut, après, compter là-dessus pour une longue période. C'est vraiment quelque chose qui doit être travaillé constamment.

Donc, c'est sûr que, si jamais le partenariat était mis de l'avant, comme recommandation principale de la commission, ça aiderait. Et le partenariat, ce n'est pas seulement deux corps policiers ensemble, mais c'est les corps policiers avec la protection de la jeunesse, avec les organisations à but non lucratif, avec le milieu communautaire, avec la Santé. C'est tous ces milieux-là qui doivent être mis ensemble pour vraiment voir qui peut prendre... j'utilise souvent l'expression : quel morceau du casse-tête peut être pris par qui. Donc, c'est souvent le genre de métaphore à laquelle j'ai recours pour expliquer le tout.

Donc, je dirais que ce n'est pas ce qu'on aimerait que ce soit. La recherche va aider, mais c'est sûr que, si c'était cité comme tel, comme recommandation, puis de demander aux différents corps policiers d'aller chercher les collaborations à l'extérieur de leurs rangs, ça aiderait énormément. Parce qu'aucune entité, qu'elle soit communautaire, qu'elle soit policière, qu'elle soit judiciaire, ne peut répondre à cet enjeu-là de son côté, seule, en vase clos. C'est essentiel de le rappeler puis de s'assurer que ça rentre bien.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci. Merci, M. le Président. Donc, merci pour vos présentations. Ma première question, donc, pour Mme Khlat : Quand vous parlez de la mise sur pied d'un programme de prévention de la récidive, je comprends que vous faites allusion au programme qu'on appelle le «john school»? Donc, c'est bien de cela dont il s'agit.

Maintenant, une des choses qui m'intéressent beaucoup, c'est... et quand on parle de cette problématique, c'est les lieux de services sexuels, donc, dans les municipalités. Quelle est la réalité pour la région des Laurentides?

Mme Khlat (Nathalie) : Je ne pourrais pas vous donner de données probantes là-dessus à ce stade-ci. C'est le genre de choses qui vont pouvoir sortir dans les prochaines années parce que la recherche va vraiment aller plus loin, dans les prochaines années, vraiment au niveau des personnes victimes.

Par contre, ce que je peux vous dire, c'est que c'est très... et c'est la réalité ailleurs, donc, je peux faire certaines corrélations aussi, c'est que c'est très diversifié. Donc, c'est sûr que, prostitution de rue, vous l'avez sûrement déjà entendu, c'est en déclin. Par contre, avec les réseaux sociaux maintenant, il n'y a plus de limites. On a plusieurs lieux liés à l'industrie touristique aussi qui sont utilisés. De là, l'importance d'avoir un programme comme celui qui va être lancé le mois prochain. Donc, c'est très, très, très diversifié. Je ne peux pas vous donner de données précises là-dessus, je ne voudrais pas m'avancer.

Par contre, ce qu'on sait, c'est que ces lieux-là sont utilisés. Ça se passe dans les domiciles privés, ça se passe dans des chambres d'hôtel, ça se passe, encore là, sur les réseaux sociaux, à même, là... M. Moïse l'a mentionné, au niveau des garçons, mais c'est la même chose aussi au niveau des filles, au niveau des personnes trans, il y a une réalité qui est... Il n'y a pas un lieu qui est nécessairement... qu'on pourrait dire qui est à l'abri en tant que tel. Dès qu'il y a un endroit qui peut être minimalement caché, il pourrait être utilisé. Donc, je ne peux pas donner de faits précis, mais je vous dis, de mon expérience, là, ce que j'en sais.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Et, pour terminer, députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui, alors, ma première question, justement, c'est la question que mon collègue a posée. Donc, c'est vraiment le programme «john school».

Alors, merci pour votre présentation. Ma question est pour M. Moïse. On essaie de comprendre le profil de ce garçon, de ce jeune homme, son profil psychosocial. Qu'est-ce qui fait en sorte qu'il s'est retrouvé sur ce chemin-là dans sa jeunesse, dans son enfance? Est-ce qu'il y en a qui ont été victimes d'abus sexuels quand ils étaient tout petits? C'est parce que vous êtes le premier, vraiment, à nous parler de cette problématique, alors on n'a pas eu l'occasion d'essayer de comprendre. Bon, on l'a fait beaucoup, beaucoup dans le cas des jeunes filles, différents types de profils, soit vulnérabilité, bon, toutes sortes de choses.

M. Moïse (Jacques) : ...de risque, il y a des vulnérabilités, mais il n'y a pas un tableau... Parce qu'il y a des personnes qui viennent de familles dysfonctionnelles qu'on va dire que le chemin... il y a un facteur de risque, mais il y a des personnes qui viennent de familles complètement fonctionnelles, que les gens s'aiment, ils s'embrassent. Il n'y a pas un tableau exact de ce parcours, de ce processus-là.

Le seul tableau qu'il y a, c'est l'adolescence. Il y a quelqu'un qui a vécu son adolescence comme étant une époque de folie, tu comprends? L'adolescent masculin, l'adolescent garçon va faire face à rempli de choses comme la notion de pouvoir. Quand je rencontre un homme, j'ai envie d'avoir le pouvoir sur cet homme, comme on a vu d'avoir le pouvoir sur son père. Donc, le pimp ne peut pas exister pour lui. Il y a confrontation entre les deux.

Il y a toute cette affaire aussi... vous parlez de besoin de montrer que je suis plus fort que toi, besoin de montrer que ma sexualité, que... comme j'ai vu à l'Assemblée nationale, à un moment donné, il y en avait un qui avait dit qu'il avait une... que l'autre. O.K.? C'est ce genre de réflexion que l'adolescent va faire. Donc, l'adolescence est vraiment un chemin de... on devrait surtout faire dire des mots à ces adolescents. Et il n'y a pas une... Vous lirez mon petit bouquin, et j'en ai parlé, O.K., et j'en ai parlé beaucoup, même si mon bouquin est un petit peu passé date, là. Mais je parle beaucoup du profil d'un garçon qui va tomber dans la prostitution. C'est ce que je peux dire. Mais il n'y a pas un profil exact, là. Il y a des facteurs de risque, il y a...

Dans mon temps, on allait dans des raves, là, dans le temps — ça existe un petit peu moins — et il n'y avait pas d'alcool. Donc, on avait des garçons qui avaient 13, 14, 15 ans, puis il y avait des adultes aussi, donc ça se mêlait tout. Vous êtes déjà allés souvent, vous tous ici, un jour ou l'autre, dans ce genre de manifestation que... J'allais pour observer. Et c'est clair que cette mixtion qu'il y a entre hommes adultes et adolescents, qui existe dans le monde homosexuel, entre autres, n'existe pas nécessairement dans le monde filles et hommes. Et, dans un bar gai, vous allez rencontrer... Je ne veux pas dire que c'est les gais, les clients, hein? Les clients ne sont le plus souvent pas gais. Mais, dans un bar gai, vous allez rencontrer des hommes et beaucoup, beaucoup, beaucoup d'adolescents, et il y a une mixité où il y a une façon de communiquer ensemble qui a... En tout cas, c'est très intéressant, la question, là, je voudrais passer la journée à te répondre. Mais voilà.

Regardez dans mon petit bouquin, qui se vend encore peut-être, là. Et ce n'est pas... je ne fais pas de publicité parce qu'il ne se vend plus, je pense, après ces années-là. Il y a un petit chapitre que j'ai écrit spécialement pour les facteurs de risque, chez les garçons, de devenir... dans le milieu de l'exploitation sexuelle qu'on dit maintenant. Dans mon temps, on parlait de prostitution.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. En terminant, tout à l'heure, Mme Khlat, vous avez parlé du protocole avec l'industrie touristique. La commission serait très intéressée d'avoir ce protocole. On doit recevoir justement des gens de l'industrie touristique, demain, alors je vous invite à nous le faire suivre au moment qui sera à propos pour vous.

Mme Khlat (Nathalie) : Oui, on va... ça va être lancé le mois prochain, puis vous recevrez toute l'information. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Très apprécié. Alors, je vous remercie de votre contribution aux travaux de la commission.

Je suspends les travaux quelques instants afin de permettre à nos prochains invités de prendre place. Merci à vous deux.

(Suspension de la séance à 16 h 29)

(Reprise à 16 h 38)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, merci. Je souhaite maintenant la bienvenue aux représentants de la Maison d'Haïti et aux représentants du Centre d'aide aux familles latino-américaines. Je vous rappelle que vous disposez chacun de 15 minutes pour votre exposé. Par la suite, il y aura une période d'échange avec les membres de la commission.

Alors, je laisserais les représentants de la Maison d'Haïti se présenter et nous faire leur exposé de 15 minutes, s'il vous plaît. Merci d'être là.

Maison d'Haïti et Centre d'aide aux familles
latino-américaines (CAFLA)

Mme Villefranche (Marjorie) : Merci. Donc, merci de nous recevoir à la commission. Donc, mon nom est Marjorie Villefranche. Je suis accompagnée par Michael Obas Romain. Donc, moi, je suis la directrice générale de la Maison d'Haïti et Michael, elle est la coordonnatrice du projet jeunesse.

Donc, le mémoire qu'on vous a présenté, bien sûr, il y a la présentation de la Maison d'Haïti, qui est une organisation communautaire, culturelle dédiée à l'éducation et à l'intégration des personnes et des familles immigrantes. Et, contrairement à ce que le nom dit, ce n'est pas seulement pour les Haïtiens, mais c'est pour toutes les communautés du quartier et des environs. Donc, évidemment, notre organisme repose sur des valeurs essentielles, donc, qui est l'approche citoyenne, la démarche interculturelle, la justice, l'équité et l'égalité des chances.

Donc, il y a tout un paragraphe, donc, sur notre orientation et le cadre de nos actions, que je vous laisserai lire, pour arriver sur le profil de la population que nous desservons, qui est une population essentiellement immigrante et une population dont le processus d'intégration est ralenti à cause des difficultés économiques, sociales. Et la majorité d'entre eux ont un revenu annuel inférieur à 20 000 $. Donc, ça vous donne un peu le profil de la population qu'on dessert.

Et donc les jeunes, évidemment, font partie de ces familles-là, et ce sont des jeunes qui ont le sentiment d'exclusion, donc ils vivent ce sentiment d'exclusion, et qui sont, la plupart du temps, je dirais, attirés par les organisations et les groupes qui leur donnent ce sentiment, justement, de ne pas être exclus. Donc, ça, c'est très important à remarquer.

• (16 h 40) •

J'ai aussi fait un petit portrait du phénomène d'exploitation sexuelle dans le monde aussi, donc, pour vous montrer que c'est quand même... L'exploitation sexuelle est quelque chose d'immense. Et ils estiment à 2,4 millions le nombre de personnes qui est victime de traite, et 80 % sont destinées à l'exploitation sexuelle, et 80 % d'entre eux sont des femmes et des filles, et elles ont entre 13 et 25 ans. Ça, c'est le portrait mondial. Donc, ce n'est pas seulement au Québec que des choses se passent. Et le portrait du phénomène de l'exploitation sexuelle dans la communauté et le constat que fait la Maison d'Haïti est le fait qu'on s'appuie sur une recherche de la CLES, qui est la concertation contre l'exploitation sexuelle, qui avait déterminé que 33 % des lieux reliés à l'industrie du sexe dans le Grand Montréal se trouvaient dans le quartier Saint-Michel, ce qui veut dire que c'est une préoccupation qui est importante pour nous. Et donc la raison pour laquelle les agressions et les violences sexuelles ne sont pas déclarées dans le milieu, c'est justement le fait que les jeunes sont mineures et que souvent elles ont peur d'être placées, donc d'aller entre les mains de la DPJ.

Donc, le phénomène de l'exploitation sexuelle n'est pas quelque chose de nouveau dans le quartier. C'est quelque chose qui nous inquiète depuis longtemps. La raison pour laquelle, depuis cinq ans maintenant, on a créé un programme, d'abord, qui s'adressait aux filles... Et c'est appelé Juste pour Elles, qui est un programme, vraiment, qui s'adressait aux filles en termes de prévention. Et donc c'est un programme qui rejoint les filles de 10 à 17 ans, et qui était un programme de prévention où est-ce qu'on recrutait les filles nous-mêmes.

Donc, au lieu qu'elles soient recrutées par des proxénètes, nous, on les recrutait pour les amener vers des activités de renforcement d'elles-mêmes, donc de renforcement de l'estime de soi. C'est un programme qui est extrêmement important parce que ça enlève, ça retire les jeunes, donc, de la rue, mais aussi ça construit même leur propre personnalité pour qu'elles-mêmes soient capables de comprendre. Et l'estime de soi se construit, surtout avec les jeunes des communautés racisées, je dirais, aussi à différents points de vue, à différents niveaux. Et donc la construction même de la personnalité de ces jeunes-là, surtout à l'adolescence, est la construction de la... Qu'elles aillent trouver la force en elles-mêmes d'être capables de réagir face à la pression des pairs, par exemple, c'était quelque chose d'extrêmement important.

Donc, c'est un programme qui fonctionne. Et le petit cahier que je vous ai présenté, qui s'appelle 100 % filles, c'est justement le résultat de quatre ans de travail avec des groupes de filles qui, au départ, ne pensaient pas qu'elles étaient capables de faire ça, et c'est elles qui ont construit le contenu. Et donc non seulement elles ont participé au programme, mais maintenant elles ont construit un document où elles deviennent elles-mêmes agentes de changement et des exemples, finalement, pour leurs pairs.

Et donc c'est dans le cadre de ce programme-là que les filles ont construit ce petit livret. Elles sont même allées à la commission scolaire, donc, à une réunion des commissaires, pour présenter le livret et surtout pour demander qu'il y ait, donc, une loi ou une règle pour, justement, les agressions, parce qu'il existe une loi pour le suivi des agressions qui a été faite dans les universités et dans les cégeps, mais il n'y en a pas pour les écoles secondaires, et les filles, justement, réclamaient qu'il y ait quelque chose, qu'il y ait une mesure qui soit prise là-dessus. La raison pour laquelle c'est extrêmement important et pourquoi c'est relié à l'exploitation sexuelle, parce que, justement, quand on banalise les agressions, quand on banalise les attouchements non désirés, ça finit justement par l'exploitation sexuelle des mineures parce qu'elles... bon, je veux dire, les violences sexuelles sont banalisées, et donc, à ce moment-là, ça aboutit vers là.

L'autre chose aussi, c'est qu'on transmettait aussi aux filles des façons de se comporter face aux recruteurs. Comment est-ce qu'on recrute autour des écoles? On pense que c'est autour des écoles secondaires, mais, déjà, autour des écoles primaires, il y a aussi du recrutement qui se fait. Ça se fait dans les magasins. Ça se fait un petit peu partout. Et ça se fait, bien sûr, sur les réseaux sociaux. Mais le recrutement des plus jeunes ne se fait pas nécessairement par les réseaux sociaux, mais il se fait aussi par des individus qui vont vraiment aux alentours de là où les jeunes peuvent se trouver.

Donc, suite à ça, on a eu quand même un certain succès, donc, à travailler avec les filles. Et donc on a créé le projet Gars parce qu'on a beau s'attaquer à l'exploitation sexuelle des filles, il faut aussi travailler avec les garçons. Et donc le travail que nous faisons avec les garçons, c'est beaucoup au niveau des rapports égalitaires autour de la masculinité toxique. Et donc c'est un travail qui est extrêmement important aussi parce qu'autant on travaille avec les filles, encore faut-il travailler avec les garçons.

Et je dirais que le travail qu'on fait avec les garçons est plus récent, mais il est extrêmement intéressant aussi. C'est le même groupe d'âge. On travaille avec eux séparément. On ne travaille pas avec l'ensemble. Il y a des groupes de filles, des groupes de garçons. Ils ne sont pas mélangés parce que je pense qu'il y a des niveaux de discussion qu'on a et que je pense que les garçons, entre eux, sont plus à l'aise de parler de ça, et les filles, entre elles, sont plus à l'aise de parler de certaines choses. Et il n'y a pas ce... Il n'y a aucun jeu, à ce moment-là, qui se joue quand on arrive à parler d'une manière beaucoup plus claire.

Donc, c'est le travail que nous faisons actuellement, essentiellement. Et je ferais remarquer que le type de travail qu'on fait est très rare. Je veux dire, c'est rare qu'on décide de travailler avec des garçons, des jeunes garçons, et c'est rare de dire : O.K., on travaille avec des jeunes filles à ce niveau-là. Donc, il y a le programme Juste pour Elles, le projet Gars.

Il y a aussi, bien sûr, ce que nous faisons depuis un certain nombre d'années, qui s'appelle De la rue à la Maison d'Haïti. C'est essentiellement un travail de patrouille, mais c'est aussi le début, finalement, du recrutement, donc, que les jeunes... pour nous, pour recruter les jeunes, mais c'est aussi une façon de voir ce qui se passe dans le quartier et de voir ce qui se passe dans la rue. Et donc ça nous donne, ça nous indique aussi quel genre d'intervention et quel genre d'activité nous devons faire, le travail de la rue à la Maison d'Haïti.

Et, bien sûr, il y a le dernier projet, donc, qui vient d'être mis en place à la Maison d'Haïti, qui est Le goût de vivre, qui est aussi des activités pour les jeunes, mais alors où est-ce qu'on va suivre ces jeunes-là pendant cinq ans. Donc, ce sont des cohortes de jeunes qu'on va suivre pendant cinq ans et qu'on va voir, sur eux, finalement, quelle est l'importance, finalement, de cette activité et quel changement s'est opéré sur ces jeunes-là au bout de cinq ans.

Donc, tout ça pour vous dire... Bien sûr, d'une manière générale, la Maison d'Haïti intervient. Mais le succès aussi de la Maison d'Haïti, et je le dis à la fin, c'est vraiment le fait qu'on travaille non seulement avec les jeunes, mais on travaille aussi avec les familles. Donc, c'est un succès aussi pour nous d'être capables de rejoindre les familles. Et donc le travail que nous faisons est un travail intergénérationnel parce qu'on arrive à rejoindre les familles de ces jeunes-là. Donc, tout ça pour vous dire que le travail que nous faisons, c'est un travail de prévention. C'est un travail qui est en amont de l'exploitation sexuelle parce qu'on est tout à fait conscients que c'est une réalité dans le quartier Saint-Michel. C'est une réalité que nous voulons éviter à nos jeunes. Et donc, pour nous, c'est un travail qui est important.

Et les recommandations que nous faisons, vous les voyez à la dernière page... qui est le fait de... Les jeunes de la Maison d'Haïti, lors du lancement de leur livret de sensibilisation 100 % Elles, ont demandé l'implantation d'une vraie politique de prévention et d'éducation contre les agressions et violences sexuelles impliquant les milieux éducatifs et communautaires. Et donc nous recommandons leur implantation rapidement en s'appuyant sur l'expertise développée par les organisations.

Et l'autre recommandation, c'est une véritable politique de reconnaissance de l'expertise et du travail du milieu communautaire, qui travaille depuis de nombreuses années à faire cette prévention-là. Et, forte de l'expertise développée auprès des jeunes dans ce domaine depuis cinq ans, la Maison d'Haïti est consciente que les changements de comportement et le travail de renforcement personnel nécessitent une intervention et un accompagnement à long terme. Et donc nous recommandons en ce sens un financement des organisations sur un long terme afin que les ressources internes et externes spécialisées puissent réaliser un travail effectif parce que, comme vous voyez, le petit livret dont je vous parle, ça a pris cinq ans. Ça veut dire qu'à partir du moment où les jeunes sont arrivées avec nous et au moment où elles ont fini par produire ce livret, le travail qu'on a fait avec elles a duré cinq ans. Donc, c'est un travail à long terme, le travail d'éducation.

Et donc, dans le but d'une prise en charge globale et responsable, nous devons impliquer aussi la famille et le milieu de vie, et la Maison d'Haïti recommande un financement pour le développement et la mise en place d'activités éducatives et culturelles multigénérationnelles.

Donc, voilà, je suis ouverte à vos questions ensuite. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup pour votre présentation. J'invite maintenant la représentante du Centre d'aide aux familles latino-américaines à se présenter et à nous faire son exposé.

Mme Farinola Ugarte (Arianna) : Bonjour. Mon nom, c'est Arianna Farinola. Je suis présidente du conseil d'administration du CAFLA, Centre d'aide aux familles latino-américaines.

J'aimerais prendre... Bien, tout d'abord, merci de nous avoir invités à participer à la commission puis pouvoir un peu donner notre point de vue, notre expertise, et partager un peu notre avis, puis comment que nous, on peut appuyer votre travail. Avant tout, j'aimerais aussi vous parler un peu de qui nous sommes pour ceux qui ne nous connaissent pas.

Nous, on est un organisme sans but lucratif de bienfaisance qui a été fondé en 2003 pour aider les familles immigrantes en pleine intégration sociale, culturelle et professionnelle auprès de la société québécoise. Mis sur pied à l'origine pour soutenir les membres de la communauté latino-américaine, le CAFLA a, depuis 2003, élargi son offre de services à toutes les communautés présentes sur son territoire d'action. Nous, on travaille fondamentalement dans les arrondissements de Rosemont—La Petite-Patrie, Saint-Michel et Villeray. Nous, on a trois points de service dans ces arrondissements, dans les écoles, dans trois écoles qui sont dans les arrondissements. Donc, nous, à part d'avoir notre place, notre organisme, notre adresse, nous aussi, on a trois points de service pour travailler avec les adolescents dans la prévention aussi.

• (16 h 50) •

Nous, la commission nous a posé deux questions. C'est : Quel est le portrait du phénomène de l'exploitation sexuelle dans notre communauté? Et une autre question, c'est : Comment les services destinés aux victimes et à leurs proches pourraient-ils mieux rejoindre notre communauté?

Pour ce qui est de la première question, je vous dirais que, bien, la communauté latino-américaine est très vaste. Donc, nous, le CAFLA, on ne peut pas juste parler au nom de tous les Latino-Américains. On est 19 pays. Donc, oui, on travaille pour et avec les Latino-Américains, mais on ne peut pas... Chaque pays a des problématiques différentes. Donc, on ne peut pas mettre tout le monde dedans. Donc, nous, on va faire un peu un portrait, comment que nous, on voit la situation, mais on ne peut pas vous adresser un portrait très exact de la situation par rapport au phénomène.

En plus de ça, on le sait bien, puis comme je l'ai entendu tantôt, tenter de dresser un état de la situation est très difficile compte tenu qu'on n'a pas... au niveau de l'exploitation sexuelle des mineurs parce qu'il n'y a pas assez de statistiques qui parlent de la situation compte tenu que c'est toujours... bien, qu'il y a multiples visages que peut prendre cet enjeu-là. Puis aussi le problème que nous, on pense, c'est qu'il y a toujours plus d'information au niveau de soit les prostitués, les personnes victimes, mais il n'y a pas assez d'information quand on parle des clients, des proxénètes ou de tous les divers acteurs qui sont dans la situation.

Je vais vous parler, la communauté latino-américaine, comment qu'elle est représentée au Québec. Donc, entre 2006 et 2015, environ 8 400 immigrants en provenance d'Amérique latine ont été admis chaque année en moyenne au Québec. Nous, on représente la troisième, en termes de taille, en importance, population d'immigrants au Québec après les minorités noires, qui sont 31 %, et l'arabe, de 21 %. Comparés à d'autres immigrants, les Latino-Américains se distinguent dans leur ensemble pour avoir un plus grand trilinguisme et par une plus forte proportion d'unions mixtes. Au Québec s'ajoute à ce portrait un taux de présence plus élevé parce que ce qu'on a rencontré, c'est que les immigrants latino-américains qui mettent un pied sur terre ici, au Québec, la plupart du temps, restent au Québec. Puis ce qu'on a aussi, ce que nous disent les statistiques, c'est qu'ils utilisent plus fréquemment aussi le français que l'anglais.

Par contre, ce que nous disent aussi les études, c'est que, même si on voit que les Latino-Américains, c'est quand même des immigrants qui s'intègrent bien dans la société québécoise, on demeure être une société ou une population qui est toujours dans le seuil de la pauvreté, qui fait partie du chômage, qui n'arrive pas à avoir un salaire de plus que 40 000 $ par année. Puis c'est un peu contradictoire parce que ça change aussi. C'est ça un peu que je voulais dire, ça change aussi un peu, l'immigration qu'on reçoit. Des fois, dépendamment du pays, il y a des personnes qui ont plus étudié ou qui ont beaucoup plus des études que d'autres. Donc, ça peut changer aussi un peu les statistiques.

Donc, ça, ça vient un peu parler... Tout ce patron d'immigration vient affecter aussi la famille puis vient ajouter des problématiques comme l'exploitation sexuelle. Donc, il y a des enjeux que nous, on trouve dans notre communauté comme, bien, la traite des mineurs. C'est plus facile d'engager des mineurs où les parents, ils n'arrivent pas à bien parler français, où les gens qui ont été capables d'aller à l'école... Bien, aussi, maintenant, il faut le dire, depuis 2009, on a la possibilité que tout enfant est capable d'aller à l'école ou au secondaire de façon gratuite, chose qui n'était pas avant... Peu importe le statut migratoire, avant, il fallait soit être accepté comme demandeur d'asile, ou réfugié, ou résident permanent, mais avant les enfants, ils n'avaient pas le droit d'aller à l'école de façon gratuite. Donc, il y a beaucoup d'enfants qui n'avaient pas un statut légal, qui ne pouvaient pas intégrer l'école. Donc, ça aussi ajouté, bien, c'était un terrain fertile pour être pris aux difficultés comme l'exploitation sexuelle.

Donc, bien, comme je dis, la traite des mineurs... Donc, un enfant qui se trouve à être le parent dans le... assumer le rôle de père dans la famille, donc, commence un peu... comme parlait tantôt M. Maurice, tout ce qui est l'estime de soi, son rôle en tant qu'enfant, son rôle en tant qu'adolescent qu'il ne peut pas assumer, bon, s'il y a une porte qui s'ouvre à obtenir une rémunération pour pouvoir s'en sortir de sa situation, des fois, il va la prendre.

Nous aussi... d'autres difficultés. La sortie régulière des personnes de leur pays d'origine, il y a beaucoup de difficultés. Puis ça, vous le savez, au niveau de tout ce qui est l'immigration, c'est très difficile dans tous nos pays en Amérique latine. Donc, ça change aussi... Ça vient ajouter aussi des difficultés : le faible revenu des familles, le statut précaire, les sans-papiers. On trouve de plus en plus de personnes qui sont capables de rentrer avec un statut légal au pays, mais qui, après un certain temps, décident de rester dans la province même si elles n'ont pas la condition d'y rester. La perte du rôle parental, le pourcentage très élevé de divorces dans la communauté, ça, c'est un constat. Quasiment, de cinq familles qui viennent ensemble, bien composées, au moins un tiers va se divorcer. Le manque d'éducation sexuelle des adolescents et le manque de traits de caractère chez les gens...

Donc, ça, ça répond un peu à la première question, rapidement. La deuxième, comment les services destinés aux victimes et à leurs proches pourraient-ils mieux rejoindre notre communauté... Nous, depuis notre création, on a toujours travaillé dans des projets pour faire de la sensibilisation au niveau de l'exploitation sexuelle, travaillé pour la prévention à appartenir à une gang de rue, puis, avec succès, on a été capables de rejoindre, de travailler... puisqu'on a trois points de service aussi dans les écoles. Donc, on travaille avec les adolescents, leur famille, les intervenants de l'école, les enseignantes et tout le réseau qui est autour, la police, le centre de la jeunesse. Donc, ça, on voit que, vraiment, on a eu du succès par rapport à ça. On a été aussi capables de produire un recueil des témoignages des filles qui ont écrit par rapport à leur vécu au niveau de l'exploitation sexuelle, mais aussi en d'autres sujets. Mais c'est un recueil qui a été fait par les filles, puis en exprimant comment qu'elles se sentaient par rapport à ça.

• (17 heures) •

Les recommandations que nous, on aimerait apporter aujourd'hui, c'est d'avoir des lois plus sévères pour les criminels qui font des affaires avec la traite des personnes, offrir un financement adéquat aux organismes communautaires qui travaillent à faire de la prévention et sensibilisation dans les écoles, demander aux écoles secondaires d'avoir un protocole d'intervention pour aider les adolescentes — et leur famille — qui font des fugues à répétition, offrir une protection judiciaire aux jeunes mineurs sans papiers qui sont victimes des proxénètes et publiciser les moyens de soutien via les réseaux sociaux, permettre aux parents d'agir rapidement sans avoir peur de la direction de la protection de la jeunesse. Dans le fond, ce que nous, on visait, c'est de travailler fort pour démystifier le rôle punitif de la DPJ, je dirais aussi la police, faire la promotion des valeurs, les traits de caractère qui vont aider les gens à prendre des meilleures décisions, élargir l'offre de service et des programmes en incluant les garçons comme clientèle cible et non comme source de problème.

Enfin, on dit : Nous croyons que chaque personne immigrante doit surmonter ses propres défis pour arriver à s'intégrer pleinement à la société d'accueil. Par contre, nous, on voit qu'il y a un plus grand... si la communauté d'accueil, surtout les intervenants qui travaillent auprès des adolescents, on a une plus grande ouverture et sensibilisation à mieux comprendre comment que la communauté, avec laquelle tu agis, comprend la situation, comment qu'ils voient, ça va être plus facilement capable d'effectuer une intervention, comme il faut, et non seulement comment le livre le dit de le faire. O.K., voilà. Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Nous allons passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission. Alors, je vais débuter avec le député de Viau.

M. Benjamin : Merci, M. le Président. Merci pour cette belle présentation. Je commencerais peut-être, première question pour Mme Villefranche. Donc, dans le mémoire que vous nous avez présenté, et puis j'aimerais peut-être le souligner à grands traits pour les collègues membres de cette commission, donc les chiffres, comme vous nous rappelez, les chiffres de concertation de lutte contre l'exploitation sexuelle qui, en 2013, rappelaient que 33 % des lieux reliés à l'industrie du sexe du Grand Montréal se trouvaient à Saint-Michel. Vous l'avez peut-être entendu tout à l'heure, donc, lorsqu'on recevait d'autres groupes, moi, un enjeu, en lien avec cette commission, qui me préoccupe beaucoup justement, ce sont les lieux de services sexuels.

Donc, est-ce que vous avez... est-ce que vous aurez, à la Maison d'Haïti, des pistes d'action que vous pourrez peut-être recommander à cette commission-là, donc que vous pouvez partager avec nous, par rapport à cet état, à cette réalité?

Mme Villefranche (Marjorie) : Bien, en fait, les pistes d'action, elles sont là, parce qu'en fait le travail que nous faisons, bien sûr, c'est un travail de prévention, c'est un travail d'expliquer qu'est-ce que ça veut dire, l'exploitation sexuelle, comment est-ce qu'on le détecte, comment est-ce qu'on comprend ce que la personne est en train de vous proposer. Et la meilleure façon de comprendre ce que le garçon ou ce que l'autre fille est en train de vous proposer, c'est d'être capable aussi d'armer la personne pour qu'elle soit capable d'analyser ce qui lui arrive et d'être capable de dire non. Donc, la résistance à la pression des pairs est très importante, et c'est le travail que nous faisons, nous, à ce niveau-là. Donc, c'est vraiment à ce niveau-là.

Et ce que je pourrais faire remarquer aussi, c'est... le recrutement, on a beau dire que ça se fait sur les réseaux sociaux, nous, on les voit, dans la rue, les recruteurs, on les voit. Donc, je pense qu'il y a du travail à faire.

M. Benjamin : Merci. Mme Farinola, donc, au niveau des recommandations que vous nous présentez dans votre mémoire, j'aimerais peut-être vous entendre et entendre aussi Mme Villefranche là-dessus. Une des recommandations qui m'interpelle beaucoup parce que, quand vient le temps de parler de lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs, il faut, des fois, additionner les niveaux de vulnérabilité, et une des vulnérabilités que vous évoquez dans une de vos recommandations, c'est l'offre de protection judiciaire aux jeunes mineurs sans papier qui sont victimes de proxénètes et publiciser les moyens de soutien via les réseaux sociaux. J'aimerais vous entendre là-dessus puisque je sais que, dans les communautés latino-américaines, il peut y avoir des cas de jeune qui sont sans papier, tout comme aussi, au niveau de la clientèle de la Maison d'Haïti. J'aimerais vous entendre sur cette recommandation-là spécifiquement.

Mme Farinola Ugarte (Arianna) : Bien, écoutez, je peux vous donner un exemple, je pense que c'est plus facile à comprendre. Mettons, une personne, une famille, ça, c'est un cas réel, une personne, un monsieur qui est parti d'ici, qui est allé au Mexique, puis qu'il a décidé de rester là pendant plusieurs mois puis de passer un séjour un peu plus long là-bas décide de travailler un petit peu là-bas, puis il rencontre une femme. Cette femme-là a des enfants. Donc, là, il décide de se marier. Donc, il revient ici, au pays, elle, elle a le statut d'être la conjointe de monsieur, mais les enfants qui ne sont pas nés à l'intérieur de cette relation-là, ils ont le statut de visiteur. Donc, lui, bien, il vient avec sa mère, mais là il faut qu'il commence toute une panoplie, tout le processus pour obtenir sa résidence permanente, mais c'est un peu comme en solo, c'est le père... bien, le nouveau père ou le conjoint de madame qui doit faire aussi les papiers. Dans cette réalité que je vous parle, la relation est plus ou moins bonne une fois établie ici. Donc, il tient un peu... La femme, elle dit : Bien, je ne ferai pas tous les papiers de ton enfant. Donc, son enfant qui se trouve à être ici, bien, oui, maintenant, il est capable d'aller à l'école, mais, je vous le dis, c'est depuis 2019, mais il se trouve à être ici sans papier. Donc, c'est la mère qui a apporté ses épargnes pour pouvoir pallier si jamais il a une difficulté médicale, si jamais il faut faire, tu sais, l'inscrire à une activité ou quoi que ce soit. Cet enfant-là se trouve à être tout seul. Il n'a pas vraiment... Quand il va demander des services pour lui, il ne peut pas. Il n'est pas admissible, cet enfant-là.

Donc, c'est pour ça que, nous, on demande qu'il y ait... l'offre de services soit ouverte, tu sais, peu importe son statut migratoire. Nous, au CAFLA, nos services, dans la mesure du possible, parce qu'il faut répondre aussi aux objectifs quand on est subventionné, mais, dans la mesure du possible, nos services, c'est pour toute personne, avec papiers ou sans papiers, mais qui ont besoin d'être accompagnées ou outillées au niveau de son intégration au Québec.

Mme Villefranche (Marjorie) : Je dirais qu'il y a différents... Bien sûr, il y a tout ce qu'elle dit là, mais il y a différents niveaux d'exploitation et de vulnérabilité. Il y a d'abord... Je pense qu'au niveau de la traite des personnes, on est tous au courant que, des fois, il y a des personnes qui voyagent et qui reviennent avec soit des jeunes garçons, soit des jeunes filles, et qui leur promettent des papiers, et qui continuent à... et qui les exploitent à ce niveau-là. Donc, ça, on est bien au courant de ça. Et donc, oui, il y aurait besoin de l'accompagnement pour ces personnes qui arrivent, vulnérables et sans papiers, à la merci des gens qui les ont fait venir. Ça, c'est un premier point. L'autre point aussi, et c'est quelque chose qu'on sait, par exemple, quand les gens arrivent et qu'ils sont des demandeurs d'asile, des très jeunes garçons et des très jeunes filles qui sont des demandeurs d'asile et qui sont très vulnérables, se font souvent offrir ce genre de truc pour se sortir de leurs difficultés. Et d'ailleurs, en 2017, autour, donc, que ce soit du Stade olympique ou de... Il y avait des recruteurs, on les voyait, on les connaissait, et ils allaient... Ils ne se gênaient même pas pour leur offrir, donc, ce genre d'activité. Et, bien sûr, ils offraient ce genre d'activité aux jeunes garçons et aux jeunes filles.

Bien sûr, ces gens-là ont besoin effectivement de soutien pour les accompagner, parce que c'est plus difficile de se sortir de l'exploitation sexuelle quand on n'a même pas encore ses papiers réglés, bien sûr.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Lotbinière-Frontenac, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Bonjour. Ma question est pour Mme Escamina...

Mme Farinola Ugarte (Arianna) : Oui. C'est Farinola. Oui, excusez-moi. Mme Cécilia Escamilla, c'est la directrice de l'organisme, mais elle n'a pu être présente aujourd'hui.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Ah! D'accord. Donc, dans le mémoire, vous parlez d'un projet, de l'art d'être une fille. Est-ce que vous pouvez me parler un petit peu plus de ce projet-là?

Mme Farinola Ugarte (Arianna) : Oui. Bien, je vais vous lire ce qui est écrit. Je vais me permettre de le lire parce qu'il n'est pas très frais dans ma mémoire. Attendez. Alors, oui, c'est un programme qui a été déployé dans nos trois points de service qui sont situés dans les écoles. Nous, les objectifs de ce programme-là, c'était de faire des rencontres hebdomadaires avec des filles qui y participaient par son propre gré. Puis on donnait des... On faisait des ateliers au niveau de l'estime de soi. On parlait de tout ce qui était aussi l'exploitation sexuelle, comment c'était... comment qu'ils voyaient la discussion par rapport à ça. C'était aussi un programme qui permettait de faire des cafés-rencontres avec les parents aussi pour parler au sujet de démystifier le rôle de la DPJ, démystifier le rôle de la police aussi, et les outiller par rapport à nos lois et comment que la société québécoise aussi comprend, on dirait, la problématique de la jeunesse et aussi comprendre comment qu'ils voient aussi l'intégration des adolescents dans la vie quotidienne.

C'était un travail qu'on a fait pendant toute l'année scolaire avec les filles de l'école. Il y avait aussi la participation des garçons, mais, je vous dirais, c'était vraiment beaucoup plus les filles. Bien, c'était un programme pour les filles, mais, des fois, il y avait des garçons aussi qui venaient parce que, nous, dans les écoles, ils nous trouvent aussi comme un point de repère pour... Nous, on travaille dans des écoles où il y a les classes d'accueil. Il y en a une, des écoles... il n'y en a plus maintenant, mais ils nous... Nous, on est un point de repère pour la communauté latino-américaine, mais on travaille pour tous les enfants qui sont à l'école. Mais ils savent qu'ils peuvent venir aussi nous parler puis poser des questions, tout ça. Donc, c'est un programme qui a fait la discussion, le partage de la problématique, puis qui nous a permis de publier le recueil où les filles, elles ont écrit elles-mêmes ce qu'elles pensent au sujet de la famille, les gangs de rue, sa sexualité, l'abus sexuel, l'exploitation sexuelle, entre autres.

• (17 h 10) •

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Dans votre mémoire, vous dites aussi que vous aviez reçu un appui financier puis que vous avez pu poursuivre votre projet pendant trois ans. Maintenant, c'est terminé?

Mme Farinola Ugarte (Arianna) : C'est terminé.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : À cause du...

Mme Farinola Ugarte (Arianna) : Du financement.

Mme Lecours (Lotbinière-Frontenac) : Du financement. Merci.

Mme Farinola Ugarte (Arianna) : Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Maintenant, la vice-présidente, députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci beaucoup, M. le Président. Je veux tout d'abord vous féliciter pour cette brochure. Je l'ai regardée rapidement, je pense que des grands pédagogues avec des doctorats n'auraient pas été capables de produire quelque chose comme ça. C'est vraiment, vraiment incroyablement bien fait. Et si vous pouvez le rééditer à plusieurs milliers d'exemplaires puis le distribuer partout au Québec, je pense que vous feriez une bonne oeuvre parce que c'est vraiment... Et aussi ça me rappelle des expériences que j'ai vues dans mes anciennes fonctions, ailleurs dans le monde, où on amenait des jeunes à faire de la sensibilisation auprès des jeunes. J'ai entre autres en tête une expérience à Cuba, des jeunes qui vont sensibiliser d'autres jeunes pour contrer le sida, et ça parle beaucoup mieux et ça se comprend mieux. Alors, il y a peut-être quelque chose d'intéressant à faire là.

Vous avez brièvement abordé la question du Stade olympique, ici, lorsqu'il y a eu les gens du chemin Roxham. Donc, on parle du Stade olympique, mais on sait qu'il y a des gens qui passent au chemin Roxham et qui demandent le statut de réfugié. Est-ce que ça a été ou est-ce que c'est une belle occasion d'aller chercher de la nouvelle chair pour servir les clients qui demandent à avoir des services? Est-ce qu'il y a là une pépinière? Est-ce qu'on devrait regarder ça de près? Et je m'adresse à toutes les deux parce qu'il y a aussi des gens qui ont passé le chemin Roxham puis qui venaient aussi... pas uniquement d'Haïti... c'est-à-dire des États-Unis, mais qui venaient d'autres pays latinos.

Mme Villefranche (Marjorie) : Oui, je pense que, dès qu'il y a une situation de vulnérabilité, il y a des gens qui vont en profiter. Et donc nous, on avait remarqué ça, on avait même fait la remarque, dans toutes les instances où on allait, qu'il y avait effectivement des recruteurs autour du stade et autour des lieux où étaient accueillis les demandeurs d'asile et qu'ils repéraient, ils repéraient justement les très jeunes filles et les très jeunes garçons pour leur offrir cela, oui.

Mme St-Pierre : Vous avez vu beaucoup d'exemples?

Mme Villefranche (Marjorie) : Je ne peux pas dire des chiffres, mais suffisamment pour que ça attire notre attention et qu'on aille vraiment en parler en disant : Ce n'est pas assez, il faut faire attention à ça.

Mme St-Pierre : On perd la trace complètement de ces jeunes garçons, ces jeunes filles là, là.

Mme Villefranche (Marjorie) : On perd leur trace.

Mme St-Pierre : Ils disparaissent dans le nature, complètement.

Mme Villefranche (Marjorie) : Non, ils ne disparaissent pas dans la nature, dans le sens qu'ils doivent faire leurs papiers, donc ils doivent accomplir certaines choses. Donc, on les a retrouvés, il y en a qui sont revenus vers la Maison d'Haïti, par exemple, mais c'est vrai aussi qu'il y en a qui ont eu des très mauvaises expériences.

Mme St-Pierre : Merci beaucoup.

Mme Villefranche (Marjorie) : Je vous en prie.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Chomedey.

M. Ouellette : Question pour Mme Farinola. Je remarque que vous êtes, Petite-Patrie, Villeray, Rosemont, vous êtes bien proches de Laval. On a beaucoup de Latino-Américains à Laval et sur la couronne nord. Est-ce que vous dispensez vos services à Laval ou est-ce que les gens de la communauté qui sont impliqués ou qui peuvent avoir des enjeux dans ce... en exploitation sexuelle de mineurs, est-ce que vous servez de référence pour ces gens-là? Parce que je comprends que, si tu es dans la communauté latino-américaine à Sainte-Thérèse, bon, tu es loin de chez vous un peu. Et, je me dis, vous êtes très près, et c'est quelque chose qu'il m'intéresserait de savoir, là, parce que... pour garder le lien.

Mme Farinola Ugarte (Arianna) : Bien, écoutez, ça, c'est un peu tout à fait par rapport... tu sais, par rapport à la recommandation que nous... on parle de subventionner ou, tu sais, les organismes communautaires, qu'est-ce que nous... Oui. À votre question, je dirais oui. Nous, on reçoit toute personne latino-américaine qui a une question, qui a besoin de guidance, qui a besoin de nous. Nous, on va être là.

Nous, puis c'est récemment, on a commencé à être subventionnés par le ministère de la Santé et Services sociaux pour la mission globale de notre organisme. Mais sinon, nous, on fonctionne comme en projets. Donc, nous, il faut répondre aussi à nos bailleurs de fonds qui nous disent : Mais toi, tu dois travailler... tu sais, nous, notre projet s'inscrit dans le cadre de telle, telle population. Donc, nous, des fois, on est pris avec ça parce qu'on ne peut pas aller plus loin que ça.

Nous, maintenant, on a une certaine flexibilité parce qu'on est subventionnés pour la mission globale. Donc, nous, ça nous permet de payer un intervenant sociocommunautaire qui est capable d'être sur place et aussi aider des personnes qui viennent de Laval, Repentigny, n'importe où. Mais il faut dire que, pour pouvoir continuer à vivre, bien, il faut répondre aussi aux projets qui sont financés et qui nous mettent un peu dans un cadre qu'on n'a pas le pouvoir de trop s'en sortir.

Nous, on le sait bien, Laval, c'est... oui, mais, comme je viens de le dire, on est la troisième population plus importante d'immigrants au Québec, donc on le sait bien qu'il y a besoin de notre accompagnement ou de notre soutien, mais il faut répondre aussi...

M. Ouellette : Merci. Je me permettrai un commentaire, M. le Président, ça sera mon dernier commentaire, joindre ma voix à la députée de l'Acadie, c'est extraordinaire comme outil. On devrait tous en avoir une copie. Ça devrait être une initiative provinciale — c'est la ville de Montréal — mais, je vous dirai, c'est facile à lire. J'ai des petits-enfants puis je vous dirai que je vais m'en prendre une deuxième copie. J'ai une petite-fille de 14 ans que je veux qu'elle lise ces choses...

Mme Villefranche (Marjorie) : ...

M. Ouellette : Non, non, c'est bon. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Leduc : Merci, M. le Président. Merci d'être là aujourd'hui, c'est apprécié. D'abord, sur la question du financement, vous n'êtes pas seuls à avoir parlé de ça aujourd'hui, il y a plusieurs organismes qui y ont fait référence. On parlait souvent des projets qui duraient d'un à trois ans, qui est insuffisant, visiblement. Mais, si je me mets à la place de l'État ou de d'autres organismes subventionnaires, en effet, on veut avoir... il y a toujours une demande de vérifier que l'argent est bien dépensé, par la pression des contribuables, bien sûr. Est-ce qu'une échelle de cinq ans commencerait à être quelque chose de plus raisonnable pour vous? Ou, encore là, mettons, cinq ans, c'est trop court? On jase, là.

Mme Villefranche (Marjorie) : Oui, on jase. Bien, moi, je crois que c'est un minimum parce qu'en fait, comme je vous dis, si vous regardez le parcours des filles qui ont écrit ce livre, c'est ça, cinq ans. C'est-à-dire qu'au départ tu leur dis : Vous pouvez changer quelque chose dans la société. Et elles vous disent : Mais qu'est-ce que, moi, petite moi-même, qu'est-ce que je peux changer dans la société? Et là on fait le travail avec elles, tranquillement, et elles finissent par écrire ce livre, et elles finissent par aller devant les commissaires de la commission scolaire et demander quelque chose. Et donc, à ce moment-là, ça a pris cinq ans pour qu'elles deviennent agents de changement, finalement. Et non seulement conscientes d'elles-mêmes, mais être capables de faire un changement. Donc, pour moi, c'est un minimum.

• (17 h 20) •

Mme Farinola Ugarte (Arianna) : Oui. Bien, moi, je suis d'accord aussi avec ça. Mais ce que je dirais que... je pense qu'aussi, pour certaines problématiques, il faut qu'il y ait une continuité, une pérennité aussi des fonds pour soutenir cette problématique-là, parce que ce qui se passe, c'est qu'aujourd'hui on parle de l'exploitation sexuelle, mais, dans deux, trois ans, le gouvernement décide de travailler plus avec les personnes aînées, donc là, bon, le budget qui a été disposé pour l'exploitation sexuelle, on va le prendre puis on va le mettre plus pour les personnes aînées. Pas parce qu'un ou l'autre n'a pas besoin mais... Oui, je comprends aussi... bien, il faut faire... qu'il soit juste pour tout le monde puis être capables d'au moins attaquer toutes les... que notre société a.

Mais le problème aussi, c'est qu'il y a certaines situations qu'il faut qu'il y ait une pérennité, qu'il y ait un fonds ministériel qui va continuer pour cinq ans, six, tu sais, il y a des... surtout ces types de problématique là, ce n'est pas dans cinq ans qu'on va le régler, ce n'est pas dans une dizaine d'années. C'est vraiment parce que c'est grand, c'est la société, il y a beaucoup de changements à faire. Nous, on a travaillé beaucoup les gangs de rues, et ça, c'est très compliqué. Tu sais, ce n'est pas... Tu sais, oui, il y a des personnes, des gens adolescents qui voudraient s'en sortir, mais ils ne peuvent pas le faire tout seuls, ils ne peuvent pas le faire juste parce qu'ils décident de s'en sortir. Une fois qu'ils sont dedans, il y a tout un système qui fait qu'ils ne sont pas capables de s'en sortir. Donc, on ne peut pas travailler, on ne peut pas les accompagner si on dit : O.K. cette année, mais l'année prochaine, ça se peut qu'on ne soit plus capable de le faire, là.

M. Leduc : Très rapidement aussi, une autre question sur l'aspect de la pauvreté, parce qu'il y a des groupes qui sont passés, précédemment, qui faisaient référence au fait que la sortie de la prostitution juvénile n'est pas un aller simple, là, souvent, il y a des allers-retours, et qu'une des affaires qui fait en sorte qu'on est ramenés, c'est la pauvreté et la précarité. Est-ce que c'est quelque chose que vous constatez, est-ce que vous avez réfléchi à des mesures? J'en ai... J'ai regardé vite, vite dans vos mémoires, vous abordez moins cet aspect-là, mais j'imagine que vous avez quand même une observation de votre réalité par rapport à cette pauvreté et cette précarité?

Mme Villefranche (Marjorie) : Oui, et je pense que, par exemple, le projet que nous avons mis en place, qui s'appelle Le goût de vivre, c'est un peu ça aussi, c'est d'outiller les jeunes avec des métiers et des ouvertures vers des métiers qui sont plus intéressants et qui pourraient les aider, donc, à se sortir de là. Parce que, bien sûr, c'est un argent facile gagné, et c'est beaucoup d'argent, donc, bien sûr, c'est très tentant de retourner. Mais il faut aussi leur offrir une alternative, et je pense que cette alternative-là est très importante, le travail d'offrir des alternatives aux jeunes où ils peuvent bien gagner leurs vies.

Mme Farinola Ugarte (Arianna) : Oui. Juste ajouter, par rapport à la pauvreté, puis comme on le disait tantôt, toute la situation de l'immigration qu'on vit récemment, ça met dans une vulnérabilité, puis que, comme... tu sais, madame... Dans les écoles, les enfants qui sont dans les classes d'accueil sont très, très vulnérables. Puis il y a des gens, soit des gangs de rue, soit des proxénètes, qui vont être autour puis qui ont déjà ses contacts à l'intérieur de l'école pour pouvoir les engager. Donc, ils ont une proposition très facile pour cette personne-là qui vient d'arriver, qui n'a pas d'argent, que son... Avant, elle était capable de se permettre d'aller au cinéma, qui était capable de s'acheter un bijou, un petit quelque chose, mais maintenant ses parents, qui sont pris parce qu'ils ne trouvent pas d'emplois... Oui, on parle de plein emploi présentement, mais il y a beaucoup la difficulté à se trouver un emploi qui réponde un peu à ses besoins aussi. Parce que, oui, il y a des emplois, mais ils sont en dehors des heures pour pouvoir agir, avoir ce rôle en tant que parent. Donc, je ne peux pas travailler la nuit, sinon je fais quoi avec mes enfants, le matin, le jour? Bien, je laisse mon ado s'occuper de la petite? Donc, oui, c'est un terrain fertile pour ces adolescents-là, qui sont là, qui voient : Ah! mais c'est facile. Ah! juste me mettre devant une caméra puis faire de la prostitution, ce n'est rien. Au moins, je vais... Il ne va pas me toucher, il va juste regarder, puis après, je vais fermer ça, c'est fini, mais j'aurai au moins un 20 $, 50 $ pour m'acheter ce que j'ai le goût de m'acheter puis ne pas demander à mes parents qui ne sont pas capables, parce que je le vois qu'ils n'ont pas d'argent.

Ça fait que oui, c'est une problématique que, nous, on vit. Puis, comme je le dis tantôt, il y a des études qui le démontrent, la communauté latino-américaine, bien qu'il y a des personnes qui viennent avec... en trilinguisme, qui viennent avec un baccalauréat, avec des études très élevées, elles ne sont pas capables de s'insérer sur le marché du travail dans le même niveau. Donc, oui, on remplit beaucoup les statistiques de pauvreté au Québec.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Pour terminer, rapidement, notre collègue députée de Notre-Dame-de-Grâce. Il nous reste deux, trois minutes.

Mme Weil : Oui. Deux commentaires. Merci beaucoup, Cecilia — j'ai une soeur qui s'appelle Cecilia — Mme Escamilla, c'est vraiment... vous êtes la première... On a déjà posé des questions sur origines ethnoculturelles, mais il n'y a pas eu... essentiellement, les acteurs à qui on parlait, bon, il y avait de tout, mais vous, vous mettez vraiment un doigt... vous êtes vraiment la première à le faire, donc c'est intéressant pour nous.

Je connais bien la question des enfants sans statut, des immigrants sans statut, et on a modifié la loi, en 2017, justement, à cause de la pression d'organismes communautaires, c'est très bien, qui ont vraiment alerté et sensibilisé le gouvernement, mais c'est la première fois qu'on entend cette dimension-là. C'est sûr, de ne pas avoir d'emploi... Alors, mon commentaire, c'est bravo! Continuez. Puis je sais que le financement devient difficile avec autant de personnes sans statut, etc. Pour Mme Villefranche, évidemment, moi aussi, on ne peut pas arrêter de lire. Même nous, c'est tellement utile juste pour nous. Il y a des... vous savez, il y a des règles là-dedans qui clarifient, puis c'est simple, on est capables... Bravo pour ça!

Je voulais savoir, la question, c'est ça : Comment vous faites... Parce qu'on dirait que c'est... à peu près un tiers de l'activité d'exploitation sexuelle semble prendre... avoir lieu dans votre espace, là, à peu près, là, 33 %. Vous avez donc un «outreach» important à faire. Est-ce que vous êtes... Comment vous faites pour aller rejoindre tous ces jeunes pour continuer? Parce que, là, avec un document comme ça, puis tous les efforts que vous avez faits, et les indicateurs que vous nous donnez, il y a vraiment un travail importance à faire en profondeur. Est-ce que vous avez des acteurs avec qui vous travaillez? Vous travaillez avec les écoles, les familles. Comment vous faites?

Mme Obas Romain (Michael) : Oui. Nous travaillons avec des écoles, et on commence très tôt avec les écoles primaires. Donc, on développe aussi, avec la coordination famille, un lien de confiance avec les parents. Donc, les parents connaissent les intervenants, on se parle régulièrement. Il y a des ateliers aussi pour les parents. Il y a des programmes de renforcement familial certifiés. Il y en a un sur 14 semaines. Donc, le parent est là, les jeunes sont là aussi, et ils apprennent à recréer l'ambiance familiale, la confiance entre eux et la communication. Les parents apprennent à définir des limites. Donc, ils sont vraiment soutenus. Donc, ça nous permet bien sûr de mieux rejoindre les enfants parce que les parents ont confiance en nous. Et puis, comme je vous dis, les écoles, on est en partenariat quand même avec des écoles, O.K., il y a des professeurs, il y a des jeunes avec le goût de vivre qui viennent maintenant faire des stages avec nous. Et puis toute la coordination de la Maison d'Haïti sont présentes aussi pour des références lorsque les demandeurs d'asile arrivent. Donc, il y a la coordination intégration qui, tout de suite, va dépister, tiens!, il y a quelque chose qui a besoin d'envoyer ce parent à l'alphafrancisation. Est-ce que ce jeune a besoin de l'aide aux devoirs? Donc, c'est vraiment un travail systémique global qui nous permet de rejoindre les jeunes et les familles.

Mme Weil : Vous dites, vos deux organismes... comme le député d'Hochelaga-Maisonneuve met le doigt souvent là-dessus, les facteurs de risque, il y a la pauvreté, l'exclusion, les vulnérabilités, c'est évident, mais vous le voyez dans votre travail quotidien, hein? Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci pour votre contribution à nos travaux.

La commission suspend ses travaux jusqu'à 19 heures. Merci infiniment de votre présence. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 28)

(Reprise à 19 h 1)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs reprend ses travaux au Centre Pierre Charbonneau à Montréal. Je rappelle à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques, s'il vous plaît.

Nous poursuivons les consultations particulières et auditions publiques de la Commission spéciale sur l'exploitation sexuelle des mineurs. Et ce soir nous allons entendre, en audition conjointe, le programme de Prévention jeunesse de Longueuil et le programme Prévention jeunesse de Laval.

Alors, je demanderais aux gens du programme de Prévention jeunesse de Longueuil de se présenter, de faire la présentation de 15 minutes. Par la suite, ce sera Laval. Et, combinés ensemble, pendant 30 minutes, il y aura une période d'échange avec les membres de la commission. Ça va? Alors, je vous demanderais de vous présenter. Merci d'être là, à vous, aux deux groupes ce soir.

Programme Prévention jeunesse Longueuil et
programme Prévention jeunesse de Laval

Mme Carignan (Audrée-Jade) : Bonsoir. Je m'appelle Audrée-Jade Carignan, je suis la coordonnatrice du programme Prévention jeunesse de Longueuil. Je vais juste vous dire un petit mot sur la situation particulière qui touche Prévention jeunesse Longueuil en ce moment. On est en attente de notre financement pour l'année quatre, sur une possibilité de cinq ans. Donc, depuis le mois de septembre, il n'y a pas de coordination, à Prévention jeunesse Longueuil, donc je suis ici bénévolement. J'ai préparé la commission bénévolement et je suis ici aussi bénévolement parce que j'ai excessivement espoir en cette initiative-là puis je trouvais important de contribuer malgré le fait qu'il n'y a pas de fonds pour la coordination en ce moment.

Donc, merci d'avoir invité programme Prévention jeunesse de Longueuil. Peut-être débuter par expliquer en une minute ce qu'est Prévention jeunesse. C'est un projet de concertation soutenu financièrement par le ministère de la Sécurité publique du Québec, qui soutient à la fois une coordination et des activités terrain autour d'une problématique donnée sur un territoire précis. Donc, à Longueuil, on s'est mobilisés autour de l'exploitation sexuelle des mineurs. Depuis trois ans, on est en activité. Les partenaires sont le Service de police de l'agglomération de Longueuil, le CISSS de la Montérégie-Est, que vous avez rencontré cet après-midi, le CISSS de la Montérégie-Centre, la commission scolaire Marie-Victorin, la Maison Kekpart, le 2159, le CAVAC, la ville de Longueuil. Je pense que je n'oublie personne. Donc, c'est les partenaires de Prévention jeunesse Longueuil.

Sur le territoire, on est largement touché par la problématique, mais on ne bénéficie pas d'un organisme dont la mission globale est la lutte à l'exploitation sexuelle. C'est-à-dire que chacun des partenaires avec lesquels on fait affaire prend une partie de la problématique en fonction de sa mission précise et particulière. Donc, la concertation est nécessaire et particulièrement importante à Longueuil, compte tenu que chacun doit prendre une pièce du casse-tête pour arriver à offrir une offre de services la plus large et la plus complète possible.

Dans nos trois années d'expérience, on a pu dégager certaines conditions qui favorisent la concertation. D'abord, d'avoir une coordination en place, c'est excessivement important et pertinent dans le sens que la concertation amène un lot de tâches, des tâches minimales, mais d'organiser les rencontres, de produire les documents nécessaires, de mobiliser les partenaires, d'aplanir les différences, de faire circuler l'information. C'est toutes des tâches qui incombent à chacun des partenaires en l'absence d'une coordination.

Donc, l'objectif, c'est de ne pas ajouter du travail aux partenaires, qui sont déjà très occupés, mais c'est de les soutenir autant dans leurs tâches communes en lien avec la problématique, mais aussi en lien avec la concertation. Donc, c'est pour ça que la coordination est un rôle important, est un rôle clé dans les initiatives de concertation qui ont lieu un peu partout. Puis, malheureusement, bien, l'histoire semble démontrer qu'en l'absence de coordination, ces efforts-là, qui se sont déployés dans les années, tendent à s'essouffler puis parfois à s'éteindre.

Pour avoir une coordination la plus efficace possible, on a remarqué que c'était... idéalement, qu'elle devait être neutre et indépendante, c'est-à-dire de ne pas appartenir nécessairement à une des organisations partenaires. Ça facilite le travail de concertation quand elle n'appartient un peu à personne. Comme, dans le cas de Prévention jeunesse Longueuil, c'est... je n'appartiens pas au... je ne suis pas un employé du CISSS, ou de la DPJ, ou du SPAL, ou d'un organisme communautaire. Je suis vraiment centrale à tous ces milieux-là qui gravitent autour de la problématique.

Ça prend aussi des partenaires engagés et motivés dans la lutte à l'exploitation sexuelle, d'abord, mais aussi et surtout dans le travail ensemble, dans la collaboration. Parce que la collaboration va aussi engendrer des défis, des obstacles, des enjeux. Il faut que les partenaires aient cette ouverture-là et cette motivation-là à travailler ensemble malgré les obstacles qui vont se présenter.

Ça prend idéalement aussi un leadership clair. Ce qu'on a trouvé optimal de notre côté, c'est un leadership indépendant aussi, c'est-à-dire neutre, qui n'est pas en lien avec les enjeux de financement. C'est-à-dire une organisation qui ne bénéficie pas directement du financement de Prévention jeunesse. Cet organisme-là va jouer un rôle clé dans le leadership de la concertation puis va être capable aussi de prendre position quand il y a des dissensions importantes au niveau de la table.

Idéalement, ça prend une continuité puis une stabilité aussi, autant au niveau du financement que de la structure et des partenaires autour de la table. Une concertation, c'est un travail de longue haleine qui s'installe tranquillement dans le temps. De cesser une concertation après un an, deux ans, trois ans, c'est de se priver de la maturité de cette concertation-là qui s'installe tranquillement dans le temps. Puis de constamment être en train de douter de la poursuite de la concertation, ça nous empêche aussi de nous projeter vers l'avant.

Prévention jeunesse, en général, avait une possibilité de cinq ans avec un trois ans sûr, possibilité de renouvellement de deux ans. Après ça, on ne sait pas ce qu'il va advenir des Prévention jeunesse. Il n'est pas encore sur la table que ce soit poursuivi après les deux années supplémentaires. Donc, c'est difficile de se projeter dans le temps, après ces deux ans-là, parce qu'on a un enjeu de pérennité qui est important.

Notre expérience des trois dernières années nous a aussi permis de relever certains défis en lien avec la concertation. D'abord, il y a une mobilité des partenaires qui est importante. Une concertation efficace, on se rend compte que c'est souvent deux individus qui apprennent à se faire confiance puis à travailler ensemble. Quand il y a une mobilité importante au niveau des partenaires, bien, ces liens de confiance là sont constamment rompus et à recommencer, ce qui demande du temps et de l'adaptation.

Pour aller un peu au-delà de ces facteurs interpersonnels là, ce qui serait aidant, c'est qu'il y ait une volonté politique claire qui descende puis qui vienne des hautes instances pour donner une directive claire à chacun des intervenants puis des paliers pour prioriser la lutte à l'exploitation sexuelle, mais aussi prioriser la concertation puis le travail ensemble. Quand le milieu a une orientation très claire en ce sens-là, on se rend compte que l'impact des affinités personnelles perd un peu de son importance. Alors que, des fois, il y a des milieux où c'est un intervenant qui est très, très motivé par le travail ensemble et, si cet intervenant-là change de place, bien, on n'a pas nécessairement un vis-à-vis qui a cette motivation-là.

Les partenaires sont excessivement débordés, ils sont occupés. Ils manquent de temps. La complexité des cas fait en sorte que chacun est submergé par les tâches qu'il doit accomplir. C'est sûr que la prévention de l'exploitation sexuelle, il y a une comorbidité de plusieurs facteurs en lien avec cette problématique-là, ce qui fait que les cas sont très complexes, et on est vite confrontés à la limite de notre offre de services. Soit il y a des trous, ça veut dire qu'il y a des services qui ne s'offrent pas à certaines personnes qui en auraient besoin, ou il y a des chevauchements, des zones de recouvrement entre les services dont une personne pourrait bénéficier de plus d'un service. Mais c'est parfois ardu de tracer la ligne entre le qui fait quoi pour que la collaboration se fasse de façon harmonieuse et efficace.

Donc, évidemment, en lien avec le manque de temps et la complexité des cas, la concertation ne doit pas ajouter à la tâche des intervenants, mais doit bien soutenir ces intervenants-là autant dans leur travail quotidien, dans leur, missions respectives que dans le travail commun de la lutte à l'exploitation sexuelle.

La précarité du financement, c'est un enjeu auquel on est tous confrontés. Les organismes communautaires sont constamment à la recherche de financement, et on trouve peu de sources de financement qui soutiennent des activités de concertation, de coordination. Il y a beaucoup de soutien des activités, de projets concrets sur le terrain, mais peu soutiennent la coordination. Donc, c'est difficile de trouver des sources de financement complémentaires pour poursuivre ce travail-là.

• (19 h 10) •

Un des défis qu'on rencontre, aussi, c'est que le travail ensemble va faire émerger beaucoup d'enjeux, des enjeux intraorganisation, interorganisation, interpersonnels aussi qui vont demander du temps. Il va falloir être capable de les adresser, ces enjeux-là, d'aller au-delà des enjeux, puis là le travail d'une coordination qui est neutre, qui est indépendante puis qui est objective va être utile pour aplanir ces différences-là entre les différents milieux.

Concernant les zones de recouvrement puis les trous de service auxquels on est confrontés par la complexité des cas, une des pistes de réflexion qui seraient intéressantes, ce serait d'outiller les partenaires au travail ensemble. Il y a des habiletés inhérentes à la collaboration, à la concertation qu'il serait utile de développer quand on travaille ensemble. Il y a une approche, à Longueuil, qui nous intéresse particulièrement, qui s'appelle le travail thérapeutique de réseau, qui est à la fois très porteur pour les familles à détresses multiples qu'on souhaite aider, mais aussi qui va soigner les relations entre les différents partenaires dans le réseau. Puis, à Longueuil, on s'est rendu compte que, quand on appliquait cette approche-là, c'était... ça faisait autant du bien à la famille qu'on essayait d'aider qu'au réseau qui se mobilisait autour d'elle. Donc, il y a des approches comme ça qui peuvent être porteuses en termes d'habiletés du travail ensemble à développer.

Ce qui serait utile aussi, c'est d'être en mesure d'évaluer l'ampleur réelle de la problématique. C'est difficile, à l'heure actuelle, de le faire parce que ça nécessiterait d'avoir accès à plusieurs sources d'information. Les sources d'information ne sont pas toutes alimentées de façon équivalente, on n'a pas accès nécessairement à l'ensemble des données pour avoir un portrait clair de l'ampleur de la problématique, mais d'être capables d'avoir cette évaluation-là nous permettrait d'être capables aussi d'évaluer l'impact de nos actions sur la problématique, d'être capable de prioriser les actions qui sont les plus pertinentes, les plus performantes puis d'améliorer les autres. Mais, en l'absence de cette évaluation-là de l'ampleur de la problématique, c'est difficile aussi d'évaluer l'impact de nos actions de prévention sur cette problématique-là.

On a été capables de dégager certaines actions pour améliorer le dépistage. À Prévention jeunesse, on a essayé d'en mettre de l'avant le plus possible, mais il reste encore beaucoup de travail à faire; d'abord, une formation la plus opérationnelle possible basée sur des données probantes, scientifiques.

À Longueuil, la formation est développée et animée par l'équipe mobiliste du CISSS de la Montérégie-Est, que vous avez rencontrée cet après-midi, qui est coanimée avec aussi une agente du bureau des renseignements criminels du Service de police de Longueuil. Donc, la formation est animée à plusieurs reprises durant l'année. Depuis trois ans, on a formé 337 intervenants sur le territoire. Idéalement, cette formation-là devrait être répétée à chaque année en raison de la mobilité des intervenants, puis elle devrait être complétée par des formations plus spécifiques, par exemple : santé mentale, exploitation sexuelle, la victimologie, post-trauma et exploitation sexuelle. C'est des besoins qui ont été nommés par nos partenaires.

On doit aussi mettre en place des moments et des lieux d'échange d'information utiles et concrets. Le gros du travail de Prévention jeunesse Longueuil réside dans cet objectif-là.

De notre côté, ce qu'on a mis en place, c'est un sous-comité qu'on appelle le sous-comité opérationnel, qui regroupe une vingtaine d'intervenants terrain qui se regroupent environ à tous les deux mois pour échanger une information très, très précise sur les lieux, les jeunes, les dynamiques qui sont préoccupantes sur le territoire. Donc, ça leur permet un lieu et un moment où on peut échanger cette information-là. Puis, à partir du moment où l'information est la même pour tous, ça offre beaucoup d'outils aux intervenants pour être capable de dépister au mieux la problématique puis ça brise l'isolement aussi dans leur intervention, ça leur permet d'être soutenus dans l'intervention qu'il fait auprès des jeunes très à risque.

On a besoin aussi de clarifier et de consolider la trajectoire de services, d'avoir une trajectoire de services claire et adaptée. Comme on disait, on n'a pas d'organisme dont la mission est la prévention, la lutte à l'exploitation sexuelle, donc chacun prend une part de cette lutte-là. Et, parfois, la trajectoire de services n'est pas facile à identifier, surtout au niveau de la prévention secondaire. Parfois, on a des jeunes qui ne sont pas encore connus des policiers, qui ne sont pas encore victimes, donc qui ne cadrent pas avec les critères d'inclusion du CAVAC, qui ne sont pas encore signalés à la DPJ. Bien, ces jeunes-là, on a de la difficulté à les faire cheminer dans une trajectoire de services. Donc, on a à faire ce travail-là. C'est amorcé depuis trois ans, mais c'est un des objectifs principaux de notre concertation pour l'année qui vient, la quatrième année.

On veut prioriser puis on a besoin de prioriser la prévention secondaire. Il y a des superbes initiatives de prévention primaire qui se font partout sur le territoire. On a aussi du travail à faire au niveau de la prévention secondaire. Puis la difficulté qu'on a, à Longueuil, c'est qu'on est rendus très bons, dans le sous-comité opérationnel, pour identifier les jeunes qui sont très à risque, mais, quand vient le temps d'intervenir de façon concertée auprès de ces jeunes-là, c'est plus difficile de nous arrimer puis c'est difficile aussi de mobiliser les partenaires qui pourraient nous être utiles parce que tout le monde est surchargé par des besoins encore plus criants de prévention tertiaire.

Donc, tout le monde est en train d'éteindre des feux de prévention tertiaire, on voit les jeunes qui sont très à risque glisser vers la criminalité ou glisser vers des comportements qui les met très, très à risque d'être victimisés, puis on a de la misère à intervenir de façon efficace auprès d'eux parce que tout le monde est débordé par les cas de prévention tertiaire. Donc, on a à améliorer cet axe-là de prévention en dégageant du temps à nos intervenants, en ajoutant des ressources, peut-être, mais on a besoin de... On les voit, les jeunes à risque, on les voit, puis c'est excessivement frustrant de constater qu'on est dans l'obligation d'attendre qu'ils soient victimisés ou qu'ils soient criminalisés pour être capables d'intervenir auprès d'eux... bien, pas être capables, mais qu'on n'ait plus le choix de les prioriser puis qu'on décide d'intervenir auprès d'eux.

On a les réseaux sociaux aussi à investir de façon importante. Toute l'organisation de la prostitution utilise les réseaux sociaux pour s'organiser. Les intervenants, les milieux d'intervention, on est à la traîne à ce niveau-là. Il faudrait être capable de trouver une façon opérationnelle, uniforme, concrète de dépister et d'intervenir en ligne.

Puis, pour terminer, offrir un hébergement adapté aux victimes d'exploitation sexuelle lorsqu'elles souhaitent s'en sortir. On a un organisme qui est spécialisé sur le territoire, on soutient des places en hébergement, mais malheureusement il n'y en a pas assez, ce qui fait qu'on est obligés parfois de placer nos jeunes filles dans des ressources qui sont moins adaptées ou dans des ressources qui sont plus éloignées, ce qui apporte un lot aussi de complications au suivi auprès de ces jeunes filles là.

Donc, voilà, en gros, ce que les trois dernières années de Prévention jeunesse nous ont permis d'identifier comme conditions favorisant... comme obstacles, comme défis au niveau de la concertation.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup pour votre présentation. J'invite maintenant les représentants du programme de prévention de Laval de se présenter et de nous faire leur exposé pour une période de 15 minutes, s'il vous plaît.

Mme Guay (Solange) : Alors, bonjour. Merci à tout le monde de nous accueillir ici ce soir. Je suis Solange Guay, directrice de Mesures alternatives jeunesse de Laval. Mon organisme est membre du comité direction et opérationnel du PPJ Laval. Je vais laisser mon collègue se présenter.

M. Fallon (Jean) : Bonjour, je suis Jean Fallon, je suis conseiller cadre aux relations avec la communauté et au service de réadaptation du CISSS de Laval. On s'est rencontrés à Québec, en décembre dernier, où j'étais chef des services en délinquance. Donc, je continue quand même à m'impliquer, là, dans le programme de Prévention jeunesse, et c'est à ce titre que je suis ici ce soir.

Mme Guay (Solange) : Donc, pour la région de Laval, ça fait maintenant trois ans qu'on s'est dotés d'une structure d'actions concertées où plusieurs partenaires se sont unis pour lutter contre l'exploitation sexuelle des mineurs. Donc, il s'agit du Centre d'aide aux victimes d'actes criminels, le Service de police de Ville de Laval, le centre intégré de santé et de services sociaux et Mesures alternatives jeunesse de Laval, afin de codiriger les actions du PPJ en matière de prévention jeunesse. Nous parlons de prévention, de dépistage, de l'intervention, de l'exploitation sexuelle des mineurs par la mobilisation des organismes partenaires de la région à s'engager dans la lutte à l'exploitation sexuelle.

Dès le début des travaux, une rencontre a été organisée avec les partenaires communautaires et institutionnels afin d'informer et de consulter ces derniers relativement à la structure de concertation qu'ils souhaiteraient privilégier pour la région de Laval parce que, comme la région de Longueuil, on n'a pas d'organisme spécialisé en exploitation sexuelle. À l'issue de cette journée, les organismes communautaires présents souhaitaient être informés, consultés, désiraient participer et s'engager dans cette lutte sans pour autant créer une nouvelle table de concertation régionale, pour les mêmes raisons que ma collègue de Longueuil a exposées.

• (19 h 20) •

C'est donc la personne en poste de coordination au PPJ Laval qui participe à plusieurs tables de concertation existant sur notre territoire, comme les tables de concertation jeunesse, la table de concertation des organismes communautaires jeunesse de Laval, la Table gangs de rue — et sûrement que j'en oublie — ce qui favorise le partage d'information, le réseautage et qui permet à cette personne d'être identifiée comme un acteur clé dans le milieu.

L'une des premières actions fut par la suite de mobiliser l'ensemble des organismes jeunesse, des organismes d'aide aux victimes d'agressions sexuelles, dans les milieux communautaires et institutionnels, afin de définir ensemble un langage commun, une vision commune et les grandes orientations du plan d'action en matière de lutte à l'exploitation sexuelle des mineures.

Plusieurs partenaires se sont joints, ponctuellement, au PPJ Laval, adhérant à la vision commune, et ils ont contribué à enrichir la programmation de leur expertise en intervention, formation, prévention, gestion de projet. Ils proviennent de milieux communautaires, d'institutions publiques concernées directement ou indirectement par la problématique de l'exploitation sexuelle. Ils sont spécialistes de l'intervention et du soutien auprès des victimes, des abuseurs et des exploiteurs ou ils en sont témoins.

Le PPJ Laval s'articule autour des quatre axes suivants : la coordination d'une action concertée entre les partenaires lavalois, l'intervention auprès des jeunes à risque, la promotion d'initiatives de prévention s'adressant à l'ensemble de la communauté ainsi que la répression des exploiteurs et des abuseurs.

Pour le PPJ Laval, la consultation permet à l'ensemble des partenaires de se sentir parties prenantes de cette lutte, d'êtres porteurs d'un discours commun. Lorsque requis, le PPJ n'hésite pas à organiser une consultation de groupe ou individuelle afin d'être influencé par le milieu, de valider, de bonifier et de s'assurer que le milieu adhère aux actions proposées.

Afin d'aider les intervenants de première ligne à mieux dépister et mieux comprendre la problématique de l'exploitation sexuelle, la DPJ, le Centre d'aide aux victimes d'actes criminels, le centre de prévention, d'intervention de victimes aux agressions sexuelles, le centre désigné du CISSS de Laval, l'organisme en travail de rue le Tril, le service de police, par le biais du programme Les Survivantes, ont uni leurs efforts afin d'offrir une formation, et ce, à plusieurs reprises, aux milieux scolaire, communautaire, sociojudiciaire et institutionnel. Il s'agit donc d'une formation donnée par le milieu et pour le milieu.

La concertation avec l'ensemble des acteurs nous permet de maintenir, de renouveler l'adhésion de ces derniers au plan d'action lavalois en matière de lutte à l'exploitation sexuelle.

Dans la dernière année, environ 20 organisations ont été consultées pour participer à l'élaboration du corridor de services concernant l'exploitation des mineurs sexuels à Laval. C'est dans le respect des missions de chacun que le corridor a été coconstruit. Les travaux seront bientôt terminés, et le PPJ sera en mesure de présenter le corridor sous peu aux milieux communautaire, sociojudiciaire, scolaire et institutionnel.

Vous comprendrez que beaucoup d'actions ont été réalisées, depuis les trois dernières années, et les énumérer prendrait beaucoup de temps. Par contre, les bilans déposés annuellement à notre bailleur de fonds, soit au ministère de la Sécurité publique, témoignent des résultats obtenus pour l'ensemble des actions qui ont été réalisées au sein de la communauté lavaloise en matière de lutte à l'exploitation sexuelle des mineurs, et ce, par les différents acteurs du milieu.

Comment s'assurer d'une bonne concertation dans le milieu afin de dépister et d'intervenir rapidement auprès des victimes mineures d'exploitation sexuelle? C'est en étant fidèle à notre vision commune que mon collègue, M. Fallon, vous présentera les conditions d'une concertation efficace en matière d'exploitation sexuelle.

M. Fallon (Jean) : Je ne reprendrai pas les éléments d'une bonne concertation, je pense que ma collègue de Longueuil l'a excessivement bien fait — les écueils, les facilités, les difficultés — mais je vais revenir sur cette vision qu'on a développée il y a trois ans pour appréhender le phénomène de l'exploitation sexuelle et pour décider de s'y attaquer de façon, on pense, plus efficace et à plus long terme.

Quand on a reçu le financement, au programme Prévention jeunesse, on s'est dit : Qu'est-ce qu'on peut faire avec ça? Est-ce qu'on investit un peu dans les organismes communautaires pour le dépistage? Est-ce qu'on investit un peu pour le traitement des victimes? Est-ce qu'on investit un peu dans la répression? On se disait : Bon, si on fait ça, effectivement, on va atteindre des objectifs, mais est-ce qu'on va avoir un impact sur le phénomène de l'exploitation sexuelle? On pense que, si on n'aborde pas le phénomène dans son ensemble, on n'y arrivera pas.

Je vais être un peu redondant, mais vous vous souvenez qu'à Québec on avait parlé d'un écosystème de l'exploitation sexuelle, où on a décidé... bien, on a décidé, on a regardé en disant : C'est un système qui fonctionne depuis... certains parlent de millénaires, mais on va parler de dizaines et de dizaines d'années, et c'est un système qui fait de plus en plus de victimes. Donc, c'est un système qui est organisé, c'est un système qui est composé d'éléments qui, entre eux, se nourrissent, entre eux s'aident à survivre.

On a parlé de clients. Non. On parle d'abuseurs. On n'est pas un client du corps d'une jeune fille puis du corps d'une femme, on abuse une jeune fille. On a parlé de proxénètes; nous, on parle d'exploiteurs parce que le proxénète est celui qui fait son argent à partir d'une relation d'abus d'un homme sur une jeune fille. On n'oublie pas les jeunes garçons, bien entendu. Par contre, je ne pourrai pas vous dire que c'est... L'abus d'une femme sur un jeune homme, c'est très, très, très exceptionnel. Les abuseurs sont des hommes. On parle de la victime d'exploitation sexuelle, on ne parle pas de prostitution juvénile. Pour nous autres, ces deux mots là, un à côté de l'autre, c'est un non-sens. C'est de l'exploitation sexuelle. La prostitution juvénile, ça n'existe pas.

 Et, bien entendu, l'écosystème évolue dans un environnement. On parle de la tolérance dans les hôtels, dans les motels, dans les Airbnb, les plateformes d'hébergement, les locations de chalets — on sait qu'on a déplacé un peu. On parle des motels de passe, qui continuent à survivre. On parle des grands hôtels. On parle aussi des restaurants, mais des événements. On parle du fameux Grand Prix, où effectivement, bien, il y a du monde qui aime les automobiles qui vont vite, donc c'est un peu normal qu'ils aiment les jeunes filles qu'on retrouve sur Crescent. Oui, mais ce n'est pas juste le Grand Prix. Il y a plusieurs événements internationaux, des grands colloques qui attirent leur lot d'abuseurs dans nos régions pour abuser de nos enfants. On parle aussi, bien entendu, dans l'environnement d'Internet, on parle des réseaux sociaux, on parle des plateformes qui hébergent les sites d'annonces pour les services ou les soi-disant services sexuels. Donc, on parle d'un écosystème qui est quand même assez bien équilibré, qui est composé : abuseurs, exploiteurs, victimes et des environnements.

Dans cette vision, on a défini que la base de cet écosystème-là est l'abuseur. Sans abuseur, tout s'écroule. Il n'y a pas d'exploiteur parce qu'il n'y a plus d'argent à faire, il n'y a plus de victimes parce qu'il n'y a plus d'abus, et les environnements, bien, ils vont s'adapter à autre chose.

À présent, notre concertation, vous avez pu voir, regroupe des convaincus : les intervenants auprès des victimes, des organismes communautaires, les CISSS, les services de police. Nous avons des gens qui sont convaincus parce qu'ils connaissent et sont sensibilisés aux désastres de l'exploitation sexuelle pour nos mineurs. Pour les exploiteurs, on a la police, on a les intervenants sociojudiciaires, on a les autorités pénitentiaires. Pour les victimes, on a le CISSS, la DPJ, les programmes jeunesse et on a les organismes communautaires, les organismes communautaires qui sont dédiés aux victimes, tels le CAVAC, tels les CPIVAS, tels aussi les organismes communautaires qui sont dédiés au traitement des hommes abuseurs.

La concertation avec le milieu scolaire est plus difficile. Le milieu scolaire accepte qu'on aille former des gens, mais ils ne s'assoient pas beaucoup avec nous autres. Je pense qu'on a peut-être un appel à faire au ministère de l'Éducation, qui sont tout aussi interpelés que la Sécurité publique et la Santé et Services sociaux quand on parle d'exploitation sexuelle des mineurs.

Pour les abuseurs, bien, on se rappelle la logique de l'écosystème, où leur absence amènera automatiquement la disparition de la victimisation des mineurs. Si nous parlons d'une concertation pour le dépistage, outre les opérations policières de «reaching out», qu'on pourrait appeler, et le partage informel de certaines informations, on est devant un désert.

• (19 h 30) •

Pour l'environnement, on voit aussi des acteurs qui ne sont pas là. Les associations d'affaires, les commerces, les plateformes d'hébergement, les milieux de sports professionnels, les milieux d'organisation de grands événements, les plateformes Facebook, Instagram, Internet, les grandes plateformes, Google et compagnie, on ne les voit pas. Est-ce qu'on veut les asseoir dans chacune des concertations régionales? Non, mais est-ce qu'on peut asseoir des branches de ces grands acteurs-là, que ce soient les chambres de commerce, que ce soient les organisateurs d'événements dans des concertations? Je pense que c'est important pour deux raisons. C'est important pour qu'ils soient présents pour qu'on puisse avoir toujours le danger de l'exploitation sexuelle derrière nos conversations, mais c'est important aussi pour qu'ils soient sensibilisés de nos conversations, de nous, les convaincus, pour qu'ils deviennent eux autres aussi des convaincus. Je pense que le gouvernement peut se servir de son influence sur le milieu des affaires et le milieu des grands événements pour les inviter à s'asseoir avec nous, parce que, sans eux, le dépistage va être difficile parce que tout se passe sous leurs yeux, sous leurs oreilles.

Au-delà de l'élargissement de la concertation, nous avons aussi l'enjeu du partage de renseignements. La concertation au profit du dépistage, la concertation quotidienne au profit de l'intervention précoce et de l'intervention curative doit, à notre avis, bénéficier d'un élargissement formel des conditions d'échange de renseignements. Vous savez, actuellement, avec la notion des risques graves et imminents, on est capables d'échanger. Avec les ententes multisectorielles, on est capables d'échanger de l'information à partir du moment où est-ce qu'on a un risque imminent où des jeunes victimes identifiées. Par exemple, une jeune qui fugue, qui est connue pour de la victimisation, qui est connue pour être sous le joug d'exploiteurs, qu'on sait très bien qu'elle risque de partir pour Toronto ou Fort McMurray dans les prochaines heures, on va être capables de s'échanger de l'information parce qu'on parle de risque imminent et grave.

Par contre, quand il est tout simplement question de prévenir, puis je dis tout simplement puis c'est peut-être le mauvais mot, quand on doit prévenir, qu'on doit évaluer des risques, qu'on doit aviser d'un danger potentiel, par exemple la présence d'un gars connu, mais non accusé, non condamné, qui tourne autour de nos centres d'hébergement pour jeunes filles, qui tourne autour des écoles, que ce soit un exploiteur ou un abuseur, quelqu'un qui est déjà sous enquête, on a de la misère à s'échanger de l'information. Je vous dirais que les renseignements sont échangés à partir de relations personnelles basées sur la confiance entre les intervenants, et la confiance, elle va être basée sur ma capacité et ma croyance fondamentale que l'autre va utiliser l'information à bon escient pour protéger quelqu'un et me protéger aussi de lui avoir donné cette information-là parce qu'on est peut-être limite.

Disons qu'une information arriverait de la police à moi. J'ai eu le plaisir d'avoir le premier mandat de liaison policière, vous savez, les agents de liaison qui ont été développés dans chacune des régions. Laval a été le théâtre de la crise des fugues. Donc, on a mis sur place ce modèle-là. À ce titre, disons qu'un policier m'interpelle en me disant qu'un homme est identifié comme un abuseur, un acheteur de jeunes filles, mais, comme je vous disais tantôt, non formellement accusé, non formellement condamné, et ce monsieur s'inscrit sur la liste de visite... Oui?

Le Président (M. Lafrenière) : ...

M. Fallon (Jean) : Parfait. Le monsieur s'inscrit sur la liste de visite. L'information que j'ai me dit : Non, non, non, mauvaise idée. J'ai l'influence à l'interne pour pouvoir dire : Non, non, il ne va pas sur la liste de visite. Je ne peux pas te dire pourquoi, mais mets-le pas. Cette information-là, je crois qu'éthiquement et moralement j'ai fait mon travail de protection de l'enfance. Légalement et réglementairement, je suis peut-être un petit peu hors piste, et, à ce moment-là, et mon partenaire et moi-même, on pourrait peut-être se faire rappeler à l'ordre, se faire poursuivre. On a un problème. La seule chose que je veux faire, c'est de protéger des enfants, et je ne pourrais peut-être pas parce que je suis en évaluation de risque ou je suis en potentiel de risque.

Donc, nous devons adopter nos règles de communication à la prévention, et au dépistage, et à l'évaluation des risques qui ne sont peut-être pas imminents, mais tout à fait destructeurs. C'est une invitation.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci pour vos présentations. On va maintenant passer à la période d'échange avec les membres de la commission pour une période de 30 minutes en débutant avec la députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Bonsoir. Merci beaucoup pour cet éclairage. Le programme a été mis en place en 2016. Je comprends qu'il semble... D'après ce que vous nous dites, il a fait ses preuves. Donc, il serait important de le poursuivre ou peut-être d'y ajouter les éléments de recommandation que vous pourriez nous faire.

Lorsque, M. Fallon, vous parlez... Vous avez donné un exemple très concret, puis, je pense, c'est important pour nous d'avoir des exemples très concrets, de cette personne qui veut faire une visite. Puis vous avez une information qu'elle ne devrait pas faire la visite, puis là, bien, vous êtes un peu dans un no man's land parce que vous n'avez pas l'autorité pour lui interdire, mais, à cause de vos contacts, vous réussissez à empêcher ça. C'est quoi, la solution? Ça serait quoi, les solutions pour vous permettre d'avoir ces coudées franches là sans agir comme dans une... Des gens pourraient dire : Bon, bien là on n'est pas dans une société de délation puis on ne veut pas se mettre dans la délation. Mais en même temps vous savez qu'il y a un risque. Ça serait quoi, l'outil que ça vous prend? Est-ce que c'est quelque chose qui relève d'une loi, ou un règlement, ou d'une directive? Qu'est-ce que ça serait, l'outil dont vous avez besoin pour cet exemple concret là?

M. Fallon (Jean) : Que ce soit à travers un décret, un règlement, une loi, je pense qu'on a besoin d'avoir un corridor un peu plus élargi sur la notion de risque, un risque grave, mais imminent, on parle dans les prochaines heures, dans les prochaines minutes. Est-ce qu'on pourrait élargir, je vous dirais, la possibilité de s'échanger des renseignements tout en respectant le plus possible la protection des renseignements personnels, mais en favorisant la protection de nos enfants? Vous savez, au quotidien, jusqu'à la dernière fois où est-ce que je vous ai vus, mon quotidien, dans les dossiers d'exploitation sexuelle et de fugue, c'était de toujours équilibrer la protection des enfants et la protection qui nous est tous accordée par la Charte des droits et libertés, la vie personnelle, les renseignements personnels et tout.

Donc, mon travail était de regarder les informations qui rentraient, puis c'était qu'est-ce que je transmets, qu'est-ce que je ne transmets pas, pour deux raisons : protéger mon partenaire, me protéger, respecter nos règles de confidentialité, mais en même temps protéger les enfants. Donc, je pense qu'à travers nos contentieux, à travers nos avocats, on pourrait trouver la voie de passage réglementaire ou législative pour être capables d'élargir ça à partir du risque. L'exploitation sexuelle des mineurs, c'est un risque. On a la Loi de la protection de la jeunesse, avec les ententes multisectorielles, qui sont un exemple intéressant de partage d'information en situation de risque. Ça pourrait être un modèle, mais avec l'exploitation sexuelle des mineurs aussi.

Mme St-Pierre : J'ai une question qui s'adresse à vous ou à Mme Carignan. J'ai écouté votre exposé, mais... Vous avez parlé d'indépendance. Vous dites : On est un organisme indépendant. Mais j'ai de la difficulté à voir de qui vous relevez, parce que vous arrivez dans le portrait il y a trois ans ou quatre ans, vous êtes un organisme indépendant, et là vous avez à faire la coordination de tout ça. Vous relevez exactement de qui?

Mme Carignan (Audrée-Jade) : En fait, Prévention jeunesse n'est pas un organisme, mais est une concertation d'organismes. Ça fait qu'on est un programme financé par le MSP qui regroupe une concertation d'organismes. Ce qui se rapprocherait le plus de qui je relève, ce serait le fiduciaire de la concertation, qui est Maison Kekpart, c'est-à-dire que c'est l'organisme qui reçoit l'enveloppe, qui s'assure de payer mon salaire puis qui distribue les sommes. Par contre, Kekpart n'est pas considéré comme mon employeur. Je relève de la concertation un peu à la manière d'un conseil d'administration.

Mme St-Pierre : Dans le programme ici, ça dit qu'il y aurait une somme de 75 000 $ pour financer les dépenses liées aux services d'un coordonnateur. Ça, c'est votre travail, ce sont ces 75 000 $ là, mais l'organisme a reçu quand même sa subvention.

Mme Carignan (Audrée-Jade) : Bien, il y a une enveloppe, puis il y a une partie de l'enveloppe qui doit aller à l'embauche d'une coordination. Puis le reste de l'argent va à des activités terrain qui sont décidées et priorisées par la concertation des organismes sur le territoire. Donc, moi, je suis payée, bien, par le ministère de la Sécurité publique pour assurer la coordination du programme.

Mme St-Pierre : Puis, lorsque vous êtes arrivés dans le portrait, est-ce que vous étiez attendus à bras ouverts ou si vous avez dû faire du travail justement pour coordonner puis établir votre crédibilité dans la coordination des activités, des actions?

Mme Carignan (Audrée-Jade) : Je pense que, bien, le milieu était déjà mobilisé. Depuis plusieurs années, il y avait eu Mobilis I, Mobilis II. Donc, il y avait déjà des initiatives de concertation sur le territoire. Il y avait eu le REIG, le Réseau d'échange et d'information en gangs de rue, en Montérégie. Donc, il y avait déjà des initiatives. Là, ils s'étaient déjà mobilisés pour déposer une demande au ministère pour avoir cette ressource-là, qu'on n'a pas de façon continue, qui est la coordination. Donc, quand je suis arrivée, j'ai l'impression d'avoir été attendue à bras ouverts. Mais il y a quand même eu des embûches dans le sens que le travail ensemble engendre des défis et des obstacles qu'on a dû travailler ensemble. Mais le milieu attendait une coordination puis le milieu espère ardemment pouvoir garder cette ressource-là pour ne pas que ces trois années, cinq années là de coordination finissent par s'essouffler et s'éteindre en l'absence d'un agent pivot qui assure ce travail-là.

• (19 h 40) •

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Marie-Victorin.

Mme Fournier : ...pour votre présentation. Puis je tiens à souligner à quel point c'est paradoxal un peu ce soir parce que, toute la journée, puis même dans les auditions en novembre, les groupes qui sont venus, tout le monde souligne l'importance de la coordination, de la concertation pour ne plus travailler en silo. Mais en même temps, de l'autre côté, on voit des programmes comme les vôtres qui ont de la difficulté à voir à long terme justement en raison du manque de financement.

Donc, il me semble que ce serait une bonne façon de poser les bonnes balises pour la suite, de s'assurer qu'il y ait une pérennité à ces programmes-là qui font vraiment la différence puisque j'abonde dans le même sens que vous, Mme Carignan. Tu sais, je les vois, les organismes à Longueuil, aussi, avec la concertation, ils en ont par-dessus la tête. Puis il y a plein de belles initiatives qui tombent à l'eau, en fait, parce que les intervenants, ils n'ont juste pas le temps, en plus de leur travail au quotidien dans les organismes, de planifier la concertation. Donc, de là l'importance de votre rôle.

Puis, je me demandais, au début de votre présentation, vous avez dit que maintenant vous étiez là en tant que bénévole parce que vous n'aviez plus ce financement-là. Qu'est-ce qui est arrivé? Dans le fond, c'est que le programme est venu à terme après trois ans, puis là ça n'a pas été renouvelé?

Mme Carignan (Audrée-Jade) : Le programme était pensé sur cinq ans, avec une obligation de renouveler les normes du programme après trois ans. Donc, notre troisième année s'est terminée le 31 août. Puis je ne pense pas que ça a été prévu pour qu'il y ait cet écart important là dans le financement, mais les délais avec les exigences du ministère ont fait en sorte que les sommes de l'an 4 ne sont pas descendues au moment de la fin de notre année 3, ce qui fait qu'on a terminé le 31 août et qu'on est encore en attente de notre enveloppe pour le début de l'an 4.

Ça fait que, depuis septembre, il y a des activités de concertation minimales que les partenaires ont prises sur leurs épaules. Il a fallu rédiger le plan d'action de l'an 4. Il a fallu faire certaines tâches, mais les activités sont vraiment réduites au minimum. Puis moi, je ne suis pas là. Donc, je prends mes courriels à distance. Ça fait que j'ai reçu votre invitation, mais je ne suis pas dans le portrait depuis septembre, mais dans l'attente que je revienne dans les prochaines semaines. On est en attente de l'enveloppe du MSP.

Mme Fournier : Ah! O.K. Donc, vous êtes vraiment dans un entre-deux en ce moment. O.K.

Mme Carignan (Audrée-Jade) : Dans une craque de financement.

Mme Fournier : Oui, O.K. Bien, je pense qu'on en prend bonne note pour la suite parce que je pense que ce n'est pas normal que des situations comme ça puissent...

Mme Carignan (Audrée-Jade) : Ce que j'adore, ce qui je fais que je suis restée... Mais il y a beaucoup de coordonnatrices qui auraient juste quitté, puis on aurait eu à recommencer avec quelqu'un de nouveau. Puis je ne trouvais pas que c'était souhaitable pour la concertation. Donc, j'ai décidé de rester.

Mme Fournier : Bien, en tout cas, chapeau à vous. Mais on va... Je pense qu'on en prend note, puis il ne faut plus que des situations comme ça puissent se reproduire dans le futur.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Député de Chomedey.

M. Ouellette : L'enveloppe, ça arrivait à Laval? Il y a-tu quelqu'un qui peut m'expliquer pourquoi Laval est privilégiée? Mais, à Québec, on ne chialera pas, nous autres, là.

Le Président (M. Lafrenière) : On se demandait la même chose, le député de Chomedey. On se demandait la même chose sur la Rive-Sud, nous.

M. Ouellette : Oui, hein? Non, mais c'est ça, c'est... En tout cas, bon, puisque vous avez votre enveloppe à Laval, Mme Carignan, ce qui m'a interpelé, c'est que vous nous dites que vous n'avez pas d'idée de l'ampleur réelle de la problématique. J'avais un... Je pense qu'on avait tous l'avis contraire aujourd'hui après avoir vu les gens de Mobilis puis les gens du service de police de Longueuil, qui avaient une certaine... Ils avaient une très bonne idée de ce qui se passait sur le territoire. J'aimerais que vous m'expliquiez un peu plus, vous alliez un petit peu plus loin, là, sur l'ampleur réelle de la problématique. Puis je vais aller à Mme Guay. Je vais vous poser la même question. Avez-vous une idée de la problématique à Laval?

Mme Carignan (Audrée-Jade) : On a une idée. En fait, si on regarde les chiffres de Mobilis, on a une idée, mais ce n'est pas un chiffre qui est réel, concret et complet de l'ampleur de la problématique. Si on regarde les chiffres de la DPJ, c'est des jeunes filles signalées, suivies par la DPJ qui sont victimes d'exploitation sexuelle. Si on regarde les statistiques du service de police, c'est les jeunes qui vont avoir porté plainte ou, en tout cas, demandé le soutien des policiers. On n'a pas... Si on regarde les données des organismes communautaires, on va avoir plutôt des jeunes à risque ou des jeunes qui sont victimes, mais dans la confidence. On n'a pas de données centralisées au niveau des organismes communautaires qui prennent en note chacune des jeunes filles qui disent avoir été victimes. Si on regarde au niveau scolaire, on n'a pas ces données-là non plus.

Donc, c'est des données très fragmentaires. Puis, dans tous les cas, on sous-estime l'ampleur de la problématique parce qu'on a juste la pointe de l'iceberg, des jeunes qui ont nommé avoir été victime. Donc, à partir du moment où le jeune n'a pas porté plainte, à partir du moment où le jeune n'est pas signalé à la DPJ, on n'a pas une idée de l'ampleur. Ça fait que, pour avoir une idée réelle, et complète, et concrète de l'ampleur, il faudrait aller voir plusieurs sources d'information. Ça fait qu'on a une idée, mais, dans tous les cas, c'est probablement une sous-estimation.

M. Ouellette : Est-ce que c'est aussi fragmentaire à Laval, Mme Guay?

Mme Guay (Solange) : Je partage ce que ma collègue vient de dire. Et, en plus, si on regarde, quand on parle de dépistage au niveau de l'intervention, c'est plus facile parce que c'est déjà des jeunes identifiés. Si on parle de dépistage au niveau de la prévention, c'est des choses qu'on ne s'échange pas. Déjà, mon collègue disait que, quand il y a des risques imminents, c'est déjà difficile de s'échanger de l'information. Donc, si on est au niveau du dépistage, on est encore plus loin. On ne peut pas juste parler de jeunes vulnérables entre nous. Donc, c'est des chiffres qu'au niveau des organismes communautaires on n'a pas de données et de statistiques. On ne tient pas ça, ces données-là. Donc, en plus de ce que ma collègue vient de dire, oui, je partage.

M. Ouellette : Est-ce qu'on pourrait vous demander de partager la moitié de votre enveloppe pour lui aider de partir, là?

Mme Guay (Solange) : L'organisme fiduciaire n'est pas ici. Et, étant donné qu'on est un comité de direction, nous sommes quatre à prendre les décisions. Donc, elle est absente. Je ne prendrai pas la décision là-dessus.

M. Fallon (Jean) : Juste pour essayer de voir...

Une voix : ...

Le Président (M. Lafrenière) : ...merci beaucoup.

M. Fallon (Jean) : ...excusez, le nombre de transactions a été évalué au Québec, 2,6 millions de transactions à caractère sexuel par année. Donc, on parle à peu près de 2 600 par jour. Si on considère que Laval, c'est 7 % de la population, on parle de 182 transactions par jour. 50 % impliquent des mineurs. On parle de 90 transactions à caractère sexuel par jour à Laval qui impliqueraient des mineurs si on y va en entonnoir. Ça fait que ça donne un peu un ordre de grandeur.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Sainte-Rose.

M. Skeete : Excusez-moi, je suis sur le choc. 90, merci de le dire comme ça, c'est beaucoup plus frappant. Ça fait très mal, effectivement.

Je voudrais vous ramener sur votre recommandation 4 ici parce que je pense qu'on a touché le sujet, mais j'aurais besoin d'encore un peu plus de viande pour comprendre, là, exactement ce que vous avez de besoin pour... Quand vous dites, là, de limiter les communications, les renseignements, là, parce que je vous entendais expliquer à ma collègue de l'Acadie que vous voulez agir et, des fois, vous êtes contraints, par souci des droits de la personne versus le droit privé... Mais on parle ici de mineurs. Donc, quand ils sont sous votre charge, vous avez le droit, n'est-ce pas, de décider, oui ou non, sans avoir une raison. Quelle est l'embûche législative qui vous bloque?

M. Fallon (Jean) : L'embûche législative qui vient nous freiner, mais qui fait en sorte... On réussit quand même à manoeuvrer, je vous dirais. C'est un mot qui est neutre, manoeuvrer. Je vous dirais qu'on réussit à manoeuvrer de par les relations de confiance qu'on a développées à travers la concertation entre les acteurs. On est capables de s'appeler et de se dire des choses, de se dire des noms. On est capables de vérifier des impressions pour voir est-ce que c'est accoté sur des faits. On est capables de transformer des faits en interventions.

Mais je peux dire aux policiers, et ça, on l'a fait vérifier, le nom de jeunes qui sont en fugue, ça va de soi, envoyer des photos, envoyer des listes d'amis, envoyer des numéros de téléphone, son numéro de cellulaire, bon, tout ce qui va aider à la retracer. Par contre, si les policiers ont une information à l'effet qu'un adulte tourne autour du centre jeunesse, et on sait qu'au centre jeunesse... Il y a le Centre Notre-Dame de Laval qui héberge 50 % de sa clientèle en provenance de Montréal, 50 % en provenance de Laval. Et c'est un très gros centre. C'est 240 jeunes filles qui sont hébergées là. Si les policiers identifient un adulte, un homme qui se promène autour de ce centre-là, ou des hommes, parce qu'on a des réseaux, quand même, qui tournent autour, là, on a une concentration de jeunes filles vulnérables assez importante, il y a des choses qu'ils ne peuvent pas nous transmettre si on n'est pas dans une relation de confiance parce que, légalement, réglementairement, est-ce qu'ils pourraient nous le transmettre? La réponse est...

• (19 h 50) •

M. Skeete : Puis, avant que je vous laisse répondre à d'autres questions, pour adresser cette crainte-là, ce besoin-là, concrètement, qu'est-ce qu'on peut vous donner? Qu'est-ce que vous avez de besoin qu'on change? C'est-u un changement de loi sur les données personnelles? C'est-u un changement de la Loi sur la protection de la jeunesse? C'est-u un encadrement légal de votre entente avec les policiers? C'est quoi?

M. Fallon (Jean) : Bon, je pense qu'au niveau de la Loi de la protection de la jeunesse, avec les dernières modifications, et les dernières modifications qui ont inclus l'exploitation sexuelle dans l'abus sexuel ou le risque d'abus sexuel, avec les ententes multisectorielles, on est corrects. Mais là on a identifié une victime, on a identifié un agresseur. Je pense qu'on aurait besoin d'étudier de façon législative les corridors de communication, à partir de quand on peut élargir un peu ce corridor-là au profit de la protection de l'enfance, mais dans des situations à risque et non une fois que l'exploitation est avérée. Et là, à ce moment-là, je vous dirais que, oui, en toute prudence, mais on a à élargir le corridor législatif d'échange de renseignements dans des situations à risque d'exploitation sexuelle en connaissant qu'une femme qui vit de la prostitution... bien, qui survit de la prostitution à Montréal a une espérance de vie de 42 ans, alors que l'espérance de vie des femmes au Québec, c'est 86 ans. Ça fait qu'on est dans quelque chose de dramatique. Et je pense qu'on a à élargir les corridors de renseignements, d'échange de renseignements, pour prévenir ça parce que 80 % des personnes adultes ont commencé à 14, 15 ans. C'est là qu'il faut qu'on agisse, et surtout auprès des hommes qui achètent ces femmes-là de façon sociale et non de façon ciblée tout le temps.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Roberval.

Mme Guillemette : Merci, M. le Président. Il y a quelque chose qui m'a fait sourciller quand vous avez parlé de la concertation. Vous avez dit qu'avec les écoles — c'est M. Fallon, je pense, qui a dit ça — c'est un peu plus laborieux, la collaboration. Pourquoi, d'après vous, c'est plus laborieux? Parce qu'ils n'ont pas les ressources? Parce qu'ils ne se sentent pas interpelés par ça? Est-ce qu'on a une idée quelconque?

M. Fallon (Jean) : Vous savez, les signalements touchent 5 % des enfants 0-18 ans. La moitié sont retenus. Ça fait qu'on parle de 2,5 % de la clientèle des écoles. On parle d'un phénomène qui, pour les écoles, est quelque chose à la marge. Est-ce que c'est ça qui fait en sorte qu'ils ne sont pas présents ou on a de la difficulté à les mobiliser? Parce que, si l'exploitation sexuelle est à la marge, avec les grands enjeux que le système d'éducation a, puis pas juste ici, les grands enjeux mondiaux des systèmes d'éducation, peut-être qu'ils ont d'autres chats à fouetter, et donc qu'ils ne priorisent pas l'exploitation sexuelle.

Mais c'est sûr qu'on n'a pas de trouble à ouvrir les portes des écoles pour aller faire de la formation. Mais, une fois que ça, c'est fait, vous savez, la formation, hein, les connaissances se diluent avec le temps, là. On se souvient de nos formations. Donc, c'est peut-être pour ça, c'est peut-être parce que c'est un phénomène qui est à la marge. Mais c'est un phénomène qui est destructeur. Je pense qu'on aurait peut-être besoin, un peu comme la direction de la santé publique avec des interventions ciblées pour le VIH, pour le tabagisme, bon... mais on a peut-être besoin d'une direction de la santé sociale qui va veiller à ça et qui va inclure les partenaires. Ça pourrait être aussi, oui, une suggestion.

Mme Carignan (Audrée-Jade) : Un élément de réponse. De notre côté, on a la chance d'avoir sur le sous-comité opérationnel environ un représentant, bien, un ou une psychoéducatrice, de presque l'ensemble des écoles secondaires. Sur notre territoire, on a une dizaine, douzaine de psychoéducatrices avec nous sur le sous-comité opérationnel, qui s'assoient avec nous à tous les deux mois pour nous alimenter de ce qui se passe dans leur milieu scolaire, mais aussi pour ramener l'information de ce qui se passe dans le milieu général de Longueuil. Puis je pense que ce qui a rendu possible ça, c'est qu'au départ, quand on a débuté il y a trois ans, la directrice adjointe à la commission scolaire Marie-Victorin, qui s'est assise avec nous, croyait en cette cause-là, en la lutte à l'exploitation sexuelle puis à la concertation. Donc, elle a fait des démarches, beaucoup de démarches pour libérer des psychoéducatrices qui sont maintenant assises avec nous. Ça fait qu'encore une fois c'est la volonté d'une personne qui a fait une grande différence, alors que, si la volonté était claire et descendait d'en haut, ça pourrait se répliquer un peu partout.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député de Viau.

M. Benjamin : Merci. Merci, M. le Président. Donc, je ne veux pas revenir, je ne veux pas m'étaler trop longtemps sur, notamment, la question que le collègue de Sainte-Rose, donc, le député de Sainte-Rose a posé en lien avec la recommandation 4. Mais, en attendant qu'il y ait soit un règlement, une directive ou une modification législative, je veux saluer, donc, votre courage, le courage que vous avez, donc, d'assumer votre obligation d'assistance à la personne en danger, donc, malgré que la loi ne suit pas encore. Et ça, pour moi, c'est très important puisqu'il y a d'autres acteurs qui sont venus un peu plus tôt dans le cadre de nos auditions nous rappeler ces enjeux-là, notamment en matière de communication entre les différentes instances. Et je crois que c'est un enjeu sur lequel, M. le Président, il va falloir que nous regardions attentivement, là, dans le cadre de nos recommandations...

Quatrième recommandation du projet de Longueuil, vous parlez des ressources d'hébergement. D'autres intervenants... Et ma question concerne... Puisque... Vous parlez de places d'hébergement d'urgence, donc temporaires?

Mme Carignan (Audrée-Jade) : Bien, à certains endroits, il y a des places d'hébergement d'urgence pour les jeunes qui sont en fugue parce qu'on sait que les situations de fugue, c'est des situations qui mettent les jeunes très à risque d'exploitation sexuelle dans un contexte de survie. Donc, il y a des régions... Par exemple, à Montréal, En Marge va accepter les jeunes. Mais il y a tout un cadre à mettre en place pour accepter les jeunes pour une nuit, pour dépanner, pour qu'ils aient un lieu sécuritaire où dormir. À Longueuil, on n'en a pas. Ça fait que souvent, par exemple, les travailleurs de rue à Longueuil, quand un jeune va être en fugue, ils vont aller l'escorter, le reconduire jusqu'à Montréal pour qu'il puisse dormir en sécurité. Nous, à Longueuil, on n'a pas cet équivalent-là. Il y a eu des pourparlers avec la ressource d'hébergement spécialisé avec laquelle on fait affaire, mais ça demande une structure, un cadre, une réflexion puis du financement pour avoir des lits libres en tout temps sans qu'ils soient nécessairement utilisés parce que, là, en ce moment, 100 % de nos lits d'hébergement sont utilisés. Avoir une place d'hébergement d'urgence, ça implique d'avoir un lit vide qui demeure vide, à part quand il est utilisé en urgence.

M. Benjamin : J'aimerais vous entendre aussi sur une des recommandations que plusieurs intervenants, notamment des chercheurs, des intervenants communautaires, ont faites, sur la nécessité de n'avoir pas seulement des ressources d'hébergement temporaire, mais des milieux de vie qui permettraient justement aux victimes de se reconstruire. C'est le mot qui était utilisé par eux, de se reconstruire, des milieux de vie qui ne seraient pas nécessairement à la DPJ, mais qui seraient des milieux de vie organisés par le milieu communautaire — j'aimerais peut-être vous entendre là-dessus — et des milieux de vie, évidemment, avec un hébergement beaucoup plus long, donc sur un horizon de trois à cinq ans, par exemple, comme l'a évoqué ce matin la CLES. Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Carignan (Audrée-Jade) : Bien, je ne suis pas une spécialiste de la prévention tertiaire puis de la reconstruction des femmes victimes. Par contre, ce qu'on remarque, c'est qu'effectivement c'est des suivis puis des reconstructions qui sont longues, qui sont multifactorielles, qui demandent plusieurs services. Puis, quand on sait que les femmes sortent de l'exploitation sexuelle après la majorité, ça ne peut pas être la DPJ qui assure ce service-là parce que, malheureusement, après 18 ans, le service cesse.

Donc, effectivement qu'il faut que ce soit une ressource communautaire à l'extérieur de la DPJ qui assure ce service-là et, oui, une ressource de type milieu de vie qui offre une multitude de services et beaucoup, beaucoup, beaucoup d'accompagnement auprès de ces jeunes filles là dans tous les services auxquels elles vont avoir à faire affaire. Ça fait que ça demande beaucoup de collaboration de la part de cette ressource-là, mais beaucoup d'accompagnement concret, physique, avec la jeune fille ou avec la jeune femme pour aller dans les différents milieux, pour aller chercher les différents services.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Ungava, il nous reste deux questions. C'est bon pour vous? Députée de Les Plaines.

Mme Lecours (Les Plaines) : Ah! d'accord. Merci. Bien, écoutez, juste en terminant, vous avez mentionné... Et aussi les clients abuseurs, est-ce que vous avez des recommandations à nous faire, des pistes de solution? Parce que, bon, s'il y a de l'offre, c'est qu'il y a de la demande. Donc, il faut mettre un terme aussi à la demande. Donc, est-ce que vous avez quelques recommandations à nous faire à cet effet-là?

• (20 heures) •

M. Fallon (Jean) : On va me trouver un peu redondant. Oui, je pense qu'il faut qu'on enclenche une éducation, une sensibilisation. Il faut qu'on enclenche un ensemble d'actions, je vous dirais, autant de la sensibilisation, de l'éducation, de la répression, auprès des hommes. Ça nous prend des leaders qui vont avoir une influence auprès des hommes aussi, un peu sur le modèle de l'alcool au volant.

Quand le gouvernement du Québec a décidé de s'attaquer à l'alcool au volant il y a plusieurs années, plusieurs décennies, ça a été un combat, je vous dirais. On a identifié l'alcool au volant comme étant un ennemi commun au Québec.

Je pense que l'exploitation sexuelle doit être identifiée comme un ennemi commun au Québec aussi et de s'enclencher dans une campagne, je vous dirais, à très long terme d'éducation, de sensibilisation à tous les niveaux. Parce que, si on n'avait juste fait des barrages routiers, on n'aurait pas beaucoup baissé le bilan des accidents mortels au Québec. On a fait de la sensibilisation.

Aujourd'hui, si on regarde chez les jeunes, nous, les plus vieux, on a suivi la vague parce qu'on est de la génération qui, des fois, conduisait avec une bière entre les jambes en montant au chalet, en tout cas, moi. Je ne parle pas de vous, là, mais moi.

Une voix : ...

M. Fallon (Jean) : C'est ça, hein? Le parc des Laurentides, des fois, les fossés étaient remplis de bouteilles vides, mais aujourd'hui ça ne se fait plus, ça. Aujourd'hui, on... Bien, ça ne se fait plus... Aujourd'hui, si quelqu'un prend son trousseau de clés puis il a pris un verre de trop, il va avoir un ami, il va avoir quelqu'un à côté qui va lui dire : Aïe, aïe, aïe, donne-moi ton trousseau de clés.

Il faut qu'on en arrive au Québec à ce que, si quelqu'un, on sait qui consomme le corps de nos jeunes, parce que c'est ça, qu'il abuse du corps de nos jeunes, il faut que, comme société, on puisse avoir une éducation qui fait que chaque homme et chaque femme dise : Aïe, aïe, aïe, qu'est-ce que tu fais là? Parce qu'a été connu... Vous savez, on parle des «john schools». Développer l'empathie chez les abuseurs, les résultats sont mitigés. Par contre, si on attaque la réputation des abuseurs, les résultats sont là. Si on fait en sorte que, de façon... dans leur milieu, dans leur environnement, ils sont reconnus de la même façon qu'un récidiviste de l'alcool au volant est reconnu, bien, à ce moment-là, on est capable de changer les mentalités. J'ai le goût de vous dire que ça passe par là, et ça passe par les barrages, et ça passe par les opérations policières.

C'est multiples facettes, mais on est sur du long terme. Vous savez, en Suède, quand ils ont décidé d'attaquer l'abuseur, quand les lois sont rentrées, il y avait une adhésion sociale d'environ 30 %. Aujourd'hui, 20 ans plus tard, 85 % de la population en Suède considère qu'acheter une femme, c'est inacceptable. Parce que ça a été la loi, ça a été la répression, ça a été l'éducation et longtemps.

L'alcool au volant, on en entend encore parler, même si ça fait 30 ans qu'on en parle, parce qu'on a décidé qu'on s'attaquait à ce phénomène-là. Il faut qu'on attaque le phénomène et il faut qu'on fasse en sorte qu'acheter une femme, là, ce n'est pas banal.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Merci aux deux groupes pour leur contribution aux travaux. Mme Carignan, je vous ai bien entendue, la Maison Kekpart nous en avait déjà mentionné il y a de cela quelques mois, puis je vous confirme que ce soir on a rechallengé les bonnes personnes, alors j'espère vous donner des bonnes nouvelles très bientôt. Merci.

On va prendre une pause quelques instants, le temps de laisser le prochain groupe s'installer. Merci à vous.

(Suspension de la séance à 20 h 3)

(Reprise à 20 h 9)

Le Président (M. Lafrenière) : Alors, je souhaite maintenant la bienvenue aux représentants du programme Les Survivantes du Service de police de la ville de Montréal et aux représentants du Réseau Enfants Retour. Je vous rappelle qu'à tour de rôle vous allez avoir 15 minutes pour faire votre exposé, et, par la suite, il y aura une période d'échange avec les membres de la commission pour une période de 30 minutes.

Alors, en débutant par les gens d'Enfants Retour, je vous demanderais de vous présenter et de nous faire votre exposé bref pour une période de 15 minutes, et merci beaucoup d'être là.

Réseau Enfants Retour Canada (RERC)
et projet Les Survivantes

Mme Arcamone (Pina) : D'accord. Alors, je me présente, je suis Pina Arcamone, directrice générale du Réseau Enfants Retour, et c'est vraiment un réel honneur et privilège pour notre organisation d'être ici ce soir. Merci pour l'invitation, et je vous remercie surtout de nous donner l'occasion de partager notre expérience et aussi quelques réflexions concernant cette problématique qui nous concerne tous. Je suis accompagnée par ma collègue Nancy Duncan.

Mme Duncan (Nancy) : Oui, bonjour. Je suis la directrice des programmes d'assistance aux familles chez Enfants Retour.

• (20 h 10) •

Mme Arcamone (Pina) : Donc, le Réseau Enfants Retour a été fondé en 1985. Notre mission principale est d'accompagner les parents dont les enfants sont disparus, qu'il s'agit d'un enlèvement criminel, parental, fugue ou des disparitions inconnues, et on s'est donné aussi le volet de prévenir les disparitions de jeunes ici, au Québec. Donc, à travers, bien, nos objectifs, on tente d'accompagner les parents. Nous collaborons étroitement avec les corps de police, les agences gouvernementales, les services sociaux, les médias, lorsque nécessaire, et on tente aussi de sensibiliser la population aux dangers qui peuvent guetter nos jeunes. Le but est vraiment de prévenir ces disparitions d'enfant. Et je pense, ce soir, on veut aussi mettre en évidence, aux yeux du comité, l'intersection entre les enfants disparus, notamment ceux en fugue, et l'exploitation sexuelle de nos jeunes. Et, pour nous, la prévention et l'éducation jouent un rôle déterminant dans la protection de nos jeunes contre les agressions et l'exploitation.

Alors, on a parlé beaucoup de chiffres. Chez Enfants Retour, on se fie beaucoup sur le rapport annuel qui est produit par la GRC. Donc, à chaque année, en moyenne, on parle de 5 000 disparitions d'enfant qui sont signalées aux corps de police ici même, au Québec. Les fugues comptent pour 90 % de tous les dossiers et impliquent des jeunes âgés entre 12 à 17 ans. La majorité de ces jeunes sont du sexe féminin et ont entre 14 et 15 ans. Les raisons qui poussent ces jeunes à fuguer sont complexes, mais elles sont généralement associées à leur désir de regagner un certain contrôle sur leur vie. Bien que la plupart de ces jeunes fugueurs reviennent à la maison au bout de quelques jours, quelques-uns peuvent passer beaucoup de temps dans la rue, dans des refuges ou d'autres environnements étrangers.

La traite des jeunes à des fins sexuelles englobe le fait de recruter, de les habiliter, de les protéger, de les transporter ou encore de vendre un enfant mineur à des fins d'acte sexuel commercial. Les proxénètes vont profiter souvent de la vulnérabilité de l'enfant, utilisant la pression psychologique et l'intimidation pour les contrôler et profiter monétairement de leur exploitation sexuelle. Les personnes qui font appel aux services sexuels de jeunes d'âge mineur proviennent de tous les milieux socioéconomiques, culturels et ethniques. La traite des enfants à des fins sexuelles engendre des conséquences dévastatrices sur ces victimes, y compris des traumatismes physiques et psychologiques profonds à long terme, des maladies et parfois même la mort.

En 2017, le Réseau Enfants Retour a obtenu un financement historique, je vous dirai, pour notre organisme. Depuis des années, on voulait s'attaquer vraiment à la problématique des fugues ici, au Québec. Je vous dirai que les premières expériences, lorsque nous avons interpelé les commissions scolaires au sujet de cette problématique, souvent, la porte se faisait barrer. Les écoles nous disaient : Nous, nous n'avons aucun problème avec les fugues. Alors, on s'est assis à l'intérieur de nos bureaux, nous avons convoqué des partenaires et on s'est dit : Bien, comment est-ce qu'on peut protéger nos jeunes qui sont le plus à risque? Et, lorsqu'on est en fugue, on devient plus vulnérable parce qu'on a besoin de se loger, on a besoin de se nourrir, on a besoin de changer ses vêtements, etc. Donc, ça les rend plus vulnérables au risque d'exploitation sexuelle. Et on s'est dit : On doit changer le langage. Pour qu'on puisse rentrer dans des écoles, on doit changer le langage, le vocabulaire, qui semble effrayer les professeurs, les directions d'école, etc. Et nous avons aussi constaté que, dans nos propres bureaux, la grande majorité de nos interventions impliquait des jeunes en fugue et souvent des jeunes qui fuguaient à multiples reprises au courant d'une année.

Donc, grâce à un partenaire qui souhaite toujours demeurer anonyme, on a reçu une subvention importante qui nous a permis d'embaucher deux sexologues, et nous avons développé un programme qui s'appelle AIMER, qui est un acronyme pour affirmation, image de soi, mettre ses limites, égalité et relations saines, qui vise la prévention des fugues et de l'exploitation sexuelle, et, comme je vous disais, il est financé par un partenaire important. Pour ce travail, nous avons convoqué nos partenaires : les services de police de la ville de Montréal, Laval, Longueuil, Québec, ainsi que la DPJ, Batshaw, la Fondation Marie-Vincent, Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, CLES, que vous avez rencontrée aujourd'hui, le Y des femmes, Native Montréal, Femmes autochtones du Québec et En marge 12-17. On a vraiment fait le tour de la question de l'exploitation sexuelle et on voulait surtout examiner les divers programmes qui étaient déjà offerts ici, au Québec. Le but n'était pas de doubler un service qui existait déjà.

Alors, au cours de nos discussions, on a appris que la majorité des programmes de prévention étaient conçus pour des femmes adultes ou étaient exclusivement développés uniquement pour les jeunes filles. La majorité des programmes étaient offerts à un niveau local. La plupart des programmes ciblaient les élèves du secondaire et qu'il y avait très peu, même aucun programme ou ressource de prévention offerts à la communauté anglophone.

Donc, la problématique cible du programme AIMER est vraiment l'exploitation sexuelle chez des jeunes. Et étant donné qu'on n'a peut-être pas nécessairement les chiffres les plus exacts, et nous, on se sert beaucoup des chiffres de la GRC, on trouve que, souvent, ces chiffres ne sont pas nécessairement les plus à jour ou les plus récents. Donc, nous avons travaillé avec des stagiaires, et on est retourné en arrière. On a fait une analyse, on a documenté tous les dossiers de fugue sur lesquels on est intervenu depuis presque les huit dernières années. En tout, on a traité plus de 600 dossiers de fugue. Donc, on a analysé les âges, les sexes, de quelle ville ces jeunes fuguaient, la durée de leur fugue, par exemple, est-ce qu'ils ont fugué de leur maison ou d'un centre jeunesse.

Donc, dans le rapport qu'on vous a soumis dans le mémoire, on a inclus l'annexe I qui vous donne un profil des fugues sur lesquelles nous avons intervenu chez Enfants Retour, et, basés sur ces chiffres, nous avons développé le programme AIMER et on s'est dit : Nous allons cibler les jeunes, des préadolescents. Donc, le programme AIMER tente d'outiller les jeunes du cycle III et secondaire I, parce qu'il y a une étude qui a été menée par le Centre canadien de la protection de l'enfance à Winnipeg, qui démontre que les jeunes du primaire bénéficient le plus des programmes de prévention. Et si on regarde que les jeunes fuguent à partir de l'âge de 12 ans, on doit intervenir avant l'âge où ils sont le plus à risque.

Alors, je vais laisser ma collègue Nancy vous parler un peu plus du programme AIMER et on est là pour répondre à des questions par la suite.

Mme Duncan (Nancy) : Merci. Alors, c'est sûr que le programme AIMER — en anglais, ça s'appelle SHINE — AIMER, c'est un acronyme, comme Mme Arcamone a mentionné, affirmation, image de soi, mettre ses limites, égalité et relations saines. En anglais, SHINE, ça veut dire «self esteem, healthy relationships, independence, no means no and empowerment».

Vraiment, les objectifs, c'est pour favoriser... de savoir c'est quoi, une relation saine, de les aider et favoriser l'estime de soi concernant l'image corporelle; de vraiment parler aussi avec les jeunes aussi concernant le consentement. C'est un atelier qui dure entre 60 à 75 minutes et c'est donné dans les classes, avec les élèves, par une intervenante. On a engagé deux sexologues qui rentrent vraiment dans les classes. Partout au Québec, c'est d'offrir à toutes les écoles privées, publiques, anglais, français, et je peux vous dire, comme elles sont juste deux, on est déjà bookées jusqu'au mois d'avril. Mais, si vous regardez dans l'annexe II, on peut voir qu'on a déjà été capables de rejoindre 25 000 enfants partout au Québec. Alors, ces 25 000 enfants qui reçoivent un atelier de 60 à 75 minutes, qui parle de, bien, c'est quoi une limite émotionnelle, une limite physique et aussi une limite virtuelle. Alors, on couvre aussi un peu l'accès Internet avec ces jeunes-là, parce qu'on réalise que c'est une partie... une grosse partie de leur vie soit sur... monsieur a mentionné tantôt, Facebook, Snapchat, Instagram, TikTok, Fortnite. On peut parler de tous leurs réseaux sociaux.

• (20 h 20) •

Mais on a reçu aussi la possibilité de l'adapter, cet atelier-là, pour que ça puisse être offert à des jeunes qui sont sur le spectre, avec les jeunes qui ont des troubles de langage, les jeunes qui ont des troubles de comportement. Notre intervenante a même rentré dans les centres jeunesse, dans les unités, pour offrir les programmes, pas juste une fois mais plusieurs fois, pour s'assurer un suivi avec ces jeunes-là.

On a aussi eu la possibilité de s'asseoir à certains de nos partenaires comme Native Montréal puis les Femmes autochtones pour adapter pour la réalité des jeunes autochtones. On a même la possibilité... En fin de compte, ils quittent la semaine prochaine pour monter à Inukjuak. Ils vont rentrer, avec l'aide de l'infirmière, dans les écoles à Inukjuak pour vraiment parler avec les jeunes autochtones aussi, pour aller donner des outils aux profs. Nous, on a été capables de faire une nouvelle trousse clés en main, qu'on va... On fait une formation avec les intervenants, avec les professeurs pour leur laisser le programme. Parce que, on comprend, à deux intervenants ce n'est pas toujours possible de faire le tour toujours, alors ils sont capables, c'est... capable pour que... il peut recevoir cette formation-là pour que les intervenants peuvent après rentrer et parler avec leurs jeunes de tous ces sujets-là. On parle aussi des stéréotypes sexospécifiques, alors on parle de l'importance de bâtir les relations saines et égalitaires aussi. C'est adapté aussi pour la communauté LGBTQ. On a même, quand on parle des communautés autochtones, eu la possibilité, aux mois d'automne, de le traduire en quatre langues : inuktitut, mohawk, cri et montagnais pour la communauté innue. Alors, c'est traduit dans ces quatre langues-là. Pour qu'il peut offrir les activités, on a aussi des activités qu'il peut faire à part de juste l'atelier. On a même ajouté les activités annexes pour qu'il peut faire d'autres activités.

En décembre 2019, je peux dire que la firme Eklor a dévoilé une évaluation préliminaire de l'atelier à la suite des entrevues et des discussions à peu près des élèves de l'école Saint-Jean à Sainte-Catherine. Ils ont tenu l'atelier, et les résultats préliminaires démontrent que l'atelier AIMER permet tout d'abord une consolidation de l'importance de l'estime de soi chez les élèves ainsi qu'une consolidation de l'importance d'entretenir des relations saines et égalitaires. De plus, ces résultats préliminaires démontrent une tendance notable de l'apport du programme AIMER sans l'amélioration de niveau de l'estime de soi et de la reconnaissance des relations saines et égalitaires.

Alors, nous, pour nous, on attend toujours la possibilité de faire l'évaluation dans les écoles secondaires parce que le programme est offert en cinquième année, sixième année et aussi secondaire I.

Quelques recommandations après l'évaluation, c'est de poursuivre le programme AIMER afin de sensibiliser le plus de jeunes possible aux thèmes abordés lors de l'atelier; que cet atelier étant pertinent pour favoriser la construction de l'estime de soi et les relations saines et égalitaires, tout en étant donné une fois dans chaque classe, former le personnel scolaire ainsi que le personnel pourrait prendre le relais et poursuivre cette sensibilisation après l'atelier AIMER dans son école; et donner une formation relative au programme AIMER aux parents afin qu'ils soient sensibilisés aux enjeux véhiculés par le programme AIMER. Ça fait plusieurs années qu'on offre déjà un séminaire pour les parents, mais on commence à adapter le programme pour qu'on peut vraiment rentrer en détail pour ces parents-là.

Puis ça, c'est une de nos recommandations, c'est de vraiment offrir les parents des victimes... On a déjà plusieurs ressources qu'on a faites pour les parents des victimes, mais on voulait vraiment rentrer plus pour aller les aider, de l'attachement... Parce qu'on veut aussi montrer qu'il faut les aider, les parents... comment eux, ils peuvent aborder ces sujets-là avec leurs enfants. Favoriser l'estime de soi chez eux par une écoute active, des attentes réalistiques. On comprend qu'on est tous occupés, puis juste de prendre cinq minutes à la fin de la journée pour demander à notre enfant : Mais comment ça a passé, ta journée? Juste de les amener, les petits trucs comme ça aux parents, on trouve, ça les aide beaucoup. Maintenir une bonne communication.

Nous, chez Enfants Retour, on a notre philosophie qu'on travaille... Moi, ça fait 15 ans, je travaille chez Enfants Retour en prévention, puis notre philosophie est toujours basée sur l'estime de soi, communication et éducation, alors d'aider ton enfant avec leur estime de soi puis de montrer aux parents comme communiquer avec leurs enfants. Je sais que des fois c'est simple pour certains, mais des fois, pour eux autres, ce n'est pas si simple que ça. Et aussi apprendre à notre enfant comment reconnaître l'importance d'une bonne relation, à définir les limites, et les mettre en place, et se fier à son instinct. On parle beaucoup de notre système d'alarme chez Enfants Retour, avec les jeunes. Si tu ne te sens pas bien, bien, écoute-le. Et on dit... C'est la même chose pour les parents. Pour les parents, on a aussi bâti un répertoire de ressources pour les familles, qui est disponible sur notre site Internet, qui les aide vraiment d'aller chercher les ressources, et c'est divisé par région et dépendant c'est quoi, la situation, la problématique.

Une autre recommandation qu'on voulait apporter aujourd'hui, c'est vraiment le déploiement des programmes de prévention de qualité pour les jeunes, mais également un rayonnement communautaire. On a parlé beaucoup communautaire... et aussi de possibilité de regarder pour... quand on parle du ministère de l'Éducation, de la sexualité et d'enseignement supérieur, dans l'objectif que la prévention d'agressions sexuelles, que peut-être un programme comme AIMER serait idéal à fournir, de couvrir cette problématique puis que ce soit obligatoire dans l'éducation de nos enfants quand on parle de la sexualité. Je vais laisser Mme Arcamone faire la conclusion.

Mme Arcamone (Pina) : Bien, je pense...

Le Président (M. Lafrenière) : ...il ne reste pas beaucoup de temps. Très brièvement, s'il vous plaît.

Mme Duncan (Nancy) : Oui. C'est pour ça que je suis arrêtée.

Mme Arcamone (Pina) : Bien, je pense que tout le monde a déjà bien parlé de l'importance de collaborer ensemble, que la problématique, elle est vraiment très complexe. Ce n'est pas juste un joueur, un acteur qui fera une différence, mais il faut vraiment se concerter puis mener cette lutte vraiment pour mieux protéger nos jeunes ici, au Québec. Et peut-être que ça pourrait servir pour l'ensemble du Canada, à un moment donné aussi, parce qu'il n'y a rien de plus précieux que nos enfants. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. J'invite maintenant les représentants du Service de police de la ville de Montréal, avec le programme des Survivantes, à se présenter et à nous faire leur exposé pour une durée de 15 minutes, s'il vous plaît.

M. Côté (Dominique) : Bonjour. Mon nom est Dominique Côté, je suis commandant à la section de l'exploitation sexuelle du Service de police de la ville de Montréal. Je suis accompagné de Josée Mensales, policière à la section exploitation sexuelle et cofondatrice du programme des Survivantes. Au SPVM, nos interventions en matière d'exploitation sexuelle remontent à plus de 20 ans, comme vous avez pu le constater lors du témoignage de nos collègues en novembre dernier. Plusieurs stratégies ont été développées pour faire face à l'exploitation sexuelle, dont le programme Les Survivantes que nous vous présenterons aujourd'hui.

Il y a 10 ans, le programme Les Survivantes voyait le jour. Le programme a pour mandat la prévention, la sensibilisation et l'intervention de la traite de personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Par le biais de ce programme, des milliers de policiers et d'intervenants de première ligne ont été sensibilisés aux réalités de l'exploitation sexuelle. Ce programme a également contribué à supporter des centaines de victimes pour qui la judiciarisation n'était pas une voie qu'elles souhaitaient emprunter.

Nous vous présenterons d'abord brièvement le contexte particulier de la métropole et comment s'est développé le programme avec les années. Nous verrons ensuite plus en détail les deux volets du programme, à travers lesquels nous pourrons répondre aux questions que la commission se pose. Forts de l'expérience que tous les acteurs ont cumulée au cours des 10 dernières années du programme, nous sommes heureux d'avoir l'opportunité, grâce à la présente commission, de présenter ce qui constitue pour nous une approche pertinente et innovante, tout en vous partageant nos observations à l'égard de l'exploitation sexuelle des mineurs.

Mme Mensales (Josée) : Pour commencer, Montréal est une ville active et branchée, un milieu urbain riche d'opportunités, mais constitue également des enjeux pour l'intervention du SPVM en matière d'exploitation sexuelle. Dans un esprit de complémentarité, le programme Les Survivantes n'oeuvre pas en vase clos. Il établit avec plusieurs les années... de nombreux partenariats, tant du côté du milieu communautaire qu'institutionnel. Il s'agit d'une condition gagnante dans toute l'initiative visant à prévenir, intervenir et contrer l'exploitation sexuelle. Le programme a aussi su évoluer au fil des années et s'est adapté dans son application aux nouvelles réalités de la société.

M. Côté (Dominique) : Laissez-nous maintenant vous présenter les différents volets du programme. Le premier volet vous propose la sensibilisation, la formation des policiers et des professionnels intervenants de première ligne auprès des victimes d'exploitation sexuelle. Des suites de consultations au SPVM il y a de cela une dizaine d'années, il est apparu que le niveau de connaissances des policiers sur le phénomène de la traite de personnes variait d'un individu à l'autre. Il n'existait pas d'orientation claire sur les façons d'intervenir auprès des victimes, ce qui engendrait un manque de cohérence dans le mode d'intervention auprès de ces personnes.

Parmi les intervenants sensibilisés et formés, outre les policiers, des intervenants de première ligne des milieux de la justice, de l'éducation, de la santé et des services sociaux reçoivent eux aussi de la formation et de la sensibilisation. Lors de ces formations qui visent à les sensibiliser aux réalités vécues, l'intégration de différents experts est souvent appréciée. Par exemple, l'intégration de survivants, les présentations parfois réalisées conjointement avec des intervenants de centres jeunesse participant au projet Sphères, des travailleurs de rue, ou encore avec des médecins, ou professionnels de la santé, sont tous des moyens d'adapter le contenu afin de faire ressortir les éléments essentiels permettant une meilleure compréhension de toutes les facettes de l'exploitation sexuelle.

Lors des ateliers de sensibilisation, la personne survivante témoigne de son expérience et touche deux plans. Tout d'abord, elle démystifie l'exploitation et ce qu'elle a vécu pour l'ensemble des intervenants. Ensuite, elle effectue un retour d'expérience à différents moments de son parcours — avant, pendant et après l'exploitation — et jette un regard sur ses contacts et échanges directs avec les différents intervenants. Ces deux perspectives s'avèrent essentielles à la compréhension de la problématique mais aussi à des enjeux soulevés par les interventions plus ou moins appropriées qui ont eu cours au sein des différents institutions et groupes prodiguant des services.

• (20 h 30) •

Mme Mensales (Josée) : Pour l'intervention policière en particulier, l'intégration des survivants dans le cadre des formations permet aux policiers de se reconnaître et surtout de tisser des liens communs avec cette personne, qui aura eu très certainement un impact sur les interactions avec la clientèle par la suite.

Nous avons pu constater une augmentation marquée des cas d'exploitation sexuelle — de 10 à plus d'une centaine par année — très peu de temps après les premières diffusions qui ont été faites de cette façon, pour culminer aujourd'hui à plus de 300 cas par année.

Parmi les points à retenir pour une meilleure intervention des corps policiers, nous croyons en la pertinence des initiatives et des programmes de prévention existants, dont ceux de nos collègues qui vous ont présenté, dont le programme Les Survivantes, et, en fait, d'encourager leur déploiement dans les organisations policières à travers la province.

Comme d'autres organisations, le SPVM fait face à un renouvellement de ses troupes. Cette réalité amène la nécessité de former en continu les policiers afin qu'ils soient bien au fait de l'exploitation sexuelle et ainsi déconstruire certaines idées préconçues envers les personnes qui sont exploitées.

De manière générale, les ateliers de sensibilisation nous permettent de rejoindre autrement qu'uniquement par l'intervention policière les victimes d'exploitation sexuelle. Par exemple, la sensibilisation des étudiants et des intervenants dans le milieu de la santé, par le biais des ateliers des Survivantes, fait clairement une différence dans le dépistage des situations d'exploitation sexuelle. Il demeure que le SPVM fait face à une certaine limite dans sa capacité à multiplier ces ateliers qui sont présentement en très grande demande.

En somme, la sensibilisation par le programme Les Survivantes contribue à déstigmatiser les personnes victimes d'exploitation sexuelle.

M. Côté (Dominique) : Parmi les pistes d'action pour permettre une meilleure intervention des corps policiers, nous estimons que des efforts doivent être consentis afin de favoriser les initiatives de sensibilisation volontaires et obligatoires afin d'assurer une certaine uniformité et de tabler sur une plus grande couverture à différentes réalités sociales et culturelles.

Certaines interventions en matière d'exploitation sexuelle peuvent avoir des impacts sur le facteur d'exclusion ou encore sur le plan de la sécurité pour une personne victime, par exemple une jeune victime dont les parents réagiraient très mal à la situation de leur enfant, ce qui pourrait entraîner le rejet ou encore des dangers pour son intégrité physique. La sensibilisation et la formation permettent aux policiers de mieux connaître les différentes ressources et comment il est non seulement possible, mais avantageux de travailler en partenariat.

Nous croyons qu'il est aussi pertinent d'encourager la participation et la mise en place de comités cliniques basés sur l'intervention multidisciplinaire avec différents professionnels oeuvrant auprès de la clientèle. Le programme Les Survivantes participe activement au comité Sphères ainsi qu'au comité de prévention d'exploitation sexuelle autochtone en centre urbain. Cette participation à des comités cliniques permet de mieux comprendre les rôles et réalités de chacun, les champs d'intervention, en plus d'augmenter la capacité d'offrir des corridors de services aux victimes et aux familles.

La mise en place de lieux d'échange devrait être encouragée afin de favoriser le réseautage. Finalement, la création d'outils et l'accessibilité à des formations internes et externes devraient être renforcées. Ces moyens d'éducation et de sensibilisation permettraient d'apprendre et d'échanger sur les meilleures pratiques afin de favoriser les liens avec différents acteurs de différents horizons pouvant contribuer à l'optimisation des façons de faire en milieu policier.

Mme Mensales (Josée) : Je vais maintenant vous parler du deuxième volet du programme Les Survivantes, qui propose des rencontres individuelles auprès de personnes vulnérables, des victimes d'exploitation sexuelle, mais aussi de leur entourage, tels que les parents ou les familles.

Selon certaines analyses réalisées au niveau national, les jeunes femmes âgées entre 14 et 25 ans représentent 90 % des cas rapportés aux forces de l'ordre. Concernant la traite de personnes ou à des fins d'exploitation sexuelle, notre expérience le confirme, puisque la clientèle, dans le cadre du programme Les Survivantes, est constituée à plus de 75 % de personnes en âge mineur.

Rejoindre les jeunes constitue en soi un enjeu. L'accès aux jeunes et les services que peuvent leur fournir le programme varient en fonction de leur maturité et de leurs craintes. Les jeunes peuvent avoir peur qu'on les retourne en milieu institutionnel ou dans leur famille. Ils peuvent avoir peur de faire face au milieu judiciaire, d'être jugés, entre autres choses.

Parmi les victimes d'exploitation sexuelle, celles qui ont été exposées à l'abus sous toutes ses formes, à des situations traumatisantes dès l'enfance, sont plus difficiles à rejoindre. C'est aussi le cas des personnes ayant quitté leurs communautés ou leur milieu qui est géographiquement beaucoup plus éloigné, qui sont loin de leurs points de repère, de leur tissu social. La barrière de la langue s'avère aussi un enjeu dans les efforts pour rejoindre ces jeunes issus de ces communautés.

Notons que les personnes en situation d'itinérance souffrant de problèmes liés à la dépendance ou à des problèmes de santé mentale vivent également une réalité qui peut les isoler et augmenter les obstacles pour entrer en contact avec elles, et leurs liens de confiance face à la relation avec un adulte ou une personne en situation d'autorité sont très précaires. Elles craignent souvent les conséquences d'un dévoilement.

Parfois, c'est l'inverse. Notre expérience nous a permis de constater que certains jeunes plutôt confiants choisissent de faire leurs places dans le marché du sexe afin d'y trouver de l'argent facile et du pouvoir. Ces jeunes se retrouvent régulièrement, malgré eux, en situation d'exploitation sexuelle mais ne se perçoivent pas pour autant comme victimes. Ils peuvent avoir des intervenants de première ligne en aversion et être très fermés et agressifs car ils ne veulent pas être confrontés à la réalité et se sentent responsables de l'issue de leur situation.

Il est important de soulever que certains jeunes sont en quête de leur identité, et il peut être plus ardu d'entrer en contact avec eux du fait que cette quête est individuelle et parfois vécue secrètement. Les jeunes garçons et les jeunes appartenant au groupe LGBTQ2S+ peuvent être particulièrement difficiles à rejoindre. Ces jeunes font face à des préjugés tenaces concernant la prostitution et l'exploitation sexuelle et sont donc beaucoup plus isolés et souvent victimes des plus grandes violences.

M. Côté (Dominique) : Afin d'offrir des services adaptés pour mieux rejoindre les victimes, nous sommes d'avis qu'il faut miser sur le travail en partenariat avec différents professionnels, tant institutionnels que communautaires. Cette démarche cible mieux les besoins, les réalités sociales et culturelles en fonction de l'environnement et du contexte social de la clientèle visée. Ce partenariat et cette confiance permettent de mettre à contribution l'intervenant ou le service le mieux adapté afin de traiter et de soutenir a personne vulnérable. Par le fait même, cela favorise une meilleure connaissance de la diversité des ressources dans le corridor de services disponibles et pour l'échange des meilleures pratiques.

Le partenariat permettant l'échange entre organisations, tant en communauté qu'en centre urbain, doit être encouragé afin de mieux comprendre les réalités et les besoins. Cela assure une compréhension commune de la problématique et des solutions ayant un impact sur l'uniformité et la cohérence des interventions, peu importe par quelle porte se présentera la personne en détresse.

Il faut offrir des services tant aux victimes qu'aux parents et familles de ces dernières car le support et l'implantation de la famille se relèvent... révèlent, pardon, un facteur majeur de réussite des plans d'intervention auprès des personnes victimes. Il faut soutenir les démarches auprès de ces dernières que proposent différents organismes et ressources. Il faut supporter et mettre en place les initiatives en prévention primaire et secondaire qui ont pour but de sensibiliser les jeunes avec un contenu adapté aux groupes d'âge et diffusé par des professionnels experts.

De bons exemples sont les ateliers éducatifs diffusés dans les écoles par les sexologues de L'Anonyme et les ateliers de prévention des groupes de leadership pour les jeunes Mohawks offerts à KCP et Kanesatake. Ces groupes permettent de promouvoir des jeunes prenant part à des initiatives positives dans leurs communautés, qui deviennent des pairs aidants auprès des plus jeunes.

Mme Mensales (Josée) : Le SPVM s'est intéressé plus particulièrement, au cours des dernières années, à l'exploitation sexuelle des personnes issues des communautés autochtones. Un comité de travail de prévention en matière d'exploitation sexuelle pour les personnes autochtones en centre urbain a vu le jour à Montréal. En plus d'y participer, les agentes du programme Les Survivantes ont intégré un volet autochtone au programme qui compte maintenant trois survivants autochtones. Un outil pédagogique, un livre bilingue relatant les témoignages de plusieurs personnes issues des communautés autochtones, Mon ami... mon agresseur, est paru au printemps dernier, en 2019.

Différents facteurs sociojuridiques, économiques et historiques peuvent expliquer la prévalence des membres des communautés autochtones exploités sexuellement au Canada. Plusieurs facteurs parmi ceux-ci poussent d'ailleurs les autochtones à quitter leurs communautés à la recherche de meilleures conditions de vie en milieu urbain. Ils arrivent dans des grandes villes, plusieurs souffrent d'isolement, de racisme et, par conséquent, d'une faible estime de soi qui peut, entre autres, les rendre beaucoup plus vulnérables à l'exploitation sexuelle.

Les personnes victimes d'exploitation sexuelle issues des communautés autochtones souffrent d'un manque, souvent, d'accès aux services et de soutien continu et cohérent, tant au plan institutionnel que communautaire. Cette réalité est souvent liée au facteur géographique, lorsqu'elles sont issues de communautés éloignées, au fait qu'elles sont souvent en mouvance, aussi, à la suite de difficultés à se trouver un logis. L'isolement, la barrière de la langue, la peur des conséquences liées au dévoilement ou encore la peur de l'intervention des institutions compliquent les approches auprès des personnes issues de ces communautés. S'ajoute à ces éléments qui accentuent la vulnérabilité le fait qu'elles ressentent souvent la honte et la peur du jugement.

Les interventions et les services qui leur sont proposés sont souvent loin de leurs réalités culturelles et sociales, et elles ne se sentent... ne se reconnaissent pas, en fait, dans les solutions qui sont... ce qui va jouer sur leur adhésion au plan d'intervention proposé. De plus, certaines manquent de connaissance des points de service dans leurs environnements et sont d'ailleurs rarement munies d'un plan de sécurité en cas d'urgence lors d'un déplacement d'un endroit géographique à un autre.

• (20 h 40) •

Certaines personnes issues de communautés autochtones peuvent... particulièrement vulnérables à l'exploitation sexuelle compte tenu de leurs expériences de vie et de leur sexualité. Elles ont souvent développé une perception de leur sexualité souvent altérée par les expériences antérieures et elles peuvent, pour certaines d'entre elles, être particulièrement sensibles aux propositions de nos proxénètes et y avoir une opportunité de combler un besoin d'appartenance qui peut être la conséquence de leur isolement.

D'autre part, dans une logique de rejoindre ces nouvelles clientèles, tels que les groupes LGBTQ2S+, nous croyons nécessaire de développer des outils et de les intégrer à la formation afin de leur offrir un soutien et un accompagnement adaptés à leurs situations et dans laquelle ils vont se reconnaître. Le SPVM souhaite intervenir auprès de ces clientèles mais rencontre une limite de capacités entre la perspective de développer des services pour ces groupes et maintenir le suivi et les services offerts jusqu'ici.

Le dernier sujet que nous aimerions aborder aujourd'hui sera la sortie du parcours de l'exploitation sexuelle. Peu simple, elle implique de répondre à de nombreux besoins que présentent les victimes d'exploitation sexuelle. Le succès de cette sortie s'appuie sur une multitude de réponses adaptées en fonction de ces besoins et va au-delà du facteur de la précarité économique, l'une des questions qui nous ont été adressées.

Pour s'assurer de cette sortie, il est nécessaire de travailler en partenariat de manière complémentaire en fonction des rôles et missions de chacun. Certains de nos partenaires communautaires ou institutionnels sont davantage impliqués à ce titre. Et lors de l'exploitation, il arrive que les emprunts, les dettes contractées soient au nom des victimes, bien évidemment. Il arrive que les victimes d'exploitation soient réduites à devoir faire faillite, ce qui a une conséquence directe sur leurs dossiers de crédit.

Les personnes exploitées ayant eu accès à des biens matériels et à un mode de vie d'abondance font parfois face aussi à une forme de dépendance à l'argent facilement gagné, et il devient dès lors plus difficile de s'en affranchir. Au moment de la sortie du parcours d'exploitation sexuelle, elles se retrouvent rapidement confrontées à la responsabilisation et aux tâches permettant la subsistance, telles que la gestion d'un budget, les coûts reliés au logement, les besoins de base pour se nourrir, se déplacer ainsi que l'accès aux soins de santé et aux thérapies coûteuses. Ce n'est pas rare après un type de parcours tel que celui-là.

Parmi les impacts les plus importants de l'exploitation sexuelle, le manque d'acquisition de compétences, parfois combiné à une faible... voyons!, scolarité — désolée — les difficultés d'apprentissage, les problèmes de santé mentale, la dépendance aux drogues et à l'alcool, les séquelles reliées aux traumas et l'isolement ont des répercussions majeures et doivent faire l'objet d'une offre de service appropriée. La période pendant laquelle les personnes ont été exploitées a une conséquence directe sur l'employabilité. En effet, il leur faut expliquer l'absence d'expérience pertinente sur le marché du travail au cours de cette période.

Le milieu de la prostitution peut être un milieu bien difficile, et la consommation d'alcool et les drogues peuvent permettre aux victimes d'exploitation de fuir la souffrance et de poursuivre des activités de prostitution. La consommation constitue souvent un moyen moins compliqué de faire face à la détresse et plus accessible pour l'obtention de services de santé ou de thérapie. S'ensuit un cercle vicieux : l'argent récolté permet aux victimes de l'exploitation de payer la consommation qui permet à son tour de continuer à se prostituer.

L'argent que rapporte une personne exploitée sexuellement est souvent utilisé par les trafiquants afin de les mettre en valeur. Les victimes d'exploitation sexuelle en viennent qu'à se définir et se valoriser par le montant qu'elles arrivent à rapporter. Il faut donc, lors de nos interventions, présenter des plans de vie, des projets intéressants afin de les impliquer dans des initiatives dont elles pourront vivre et qui les aideront à se redéfinir de façon beaucoup plus saine.

M. Côté (Dominique) : En conclusion, l'exploitation sexuelle des mineurs est un crime contre la personne qui a de lourdes conséquences pour les victimes et leurs proches. Montréal, comme plusieurs autres villes du monde, est particulièrement touchée par cette réalité. Cette violence et ces situations d'abus doivent cesser afin de permettre à nos jeunes hommes et jeunes femmes de se développer et de devenir les adultes de demain, notre relève du monde moderne.

Le SPVM tient à remercier les membres de la commission pour leur écoute et leur ouverture et souhaite avoir été en mesure de répondre aux divers questionnements face aux actions à prendre en termes de prévention, de sensibilisation, d'éducation, de dépistage et d'intervention en matière d'exploitation sexuelle des mineurs. Merci.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup pour vos présentations. On va maintenant passer à la période d'échange avec les membres de la commission. Alors, la première question venait du député de Sainte-Rose.

M. Skeete : Merci, M. le Président. Je suis toujours content de vous voir, c'est un plaisir de vous revoir. Et quand je pense à Enfants Retour, ça me ramène à mon enfance. Votre «branding» me ramène à mon enfance. Je savais que vous étiez toujours là pour moi, donc merci pour tout ce que vous faites au quotidien.

Ma question est pour les survivants. J'aimerais comprendre un petit peu mieux le transit typique, là, de quelqu'un qui est prostitué ou exploité et envoyé ailleurs. Parce qu'on a beaucoup parlé, beaucoup entendu que l'idée, c'est de les sortir de leur environnement, les rendre vulnérables. Pouvez-vous me donner une idée comment ça fonctionne, ce mouvement-là? Et j'aimerais, par la bande, aussi comprendre c'est quoi, l'attrait pour avoir des gens qui ne parlent pas la langue aussi, une fois qu'ils sont rendus à l'extérieur du Québec.

M. Côté (Dominique) : Si vous me permettez, la langue est un facteur. Ce qu'on a fait — puis on est encore très préliminaires dans nos recherches — avec un agent de recherche qu'on a, à la section, on a essayé de voir, à travers les cas qu'on avait, quelle pourrait être l'explication. Parce que c'est une des premières questions que je me suis posées, aussi, quand... Je suis récemment arrivé à la section; c'est une des questions que je me posais. Puis ce qu'on a été en mesure d'établir, c'est que les motivations principales pour sortir de la province étaient monétaires. Maintenant, il faut comprendre que les gens qui exploitent ces jeunes personnes là sont des manipulateurs, donc peuvent leur expliquer que la façon la plus facile de faire de l'argent est de sortir de la province. Maintenant, les facteurs d'isolement, de la langue, la perte du réseau social sont tous aussi des éléments qui amènent les abuseurs à les amener extraterritorial.

M. Skeete : Donc, ça, c'est un «nice to have», là. La motivation première, c'est l'argent, on peut faire un peu plus d'argent. Pourquoi on fait plus d'argent à l'extérieur du Québec? C'est-u parce qu'elles sont Québécoises ou c'est parce que... C'est quoi, l'explication? C'est-u parce que le marché vaut plus cher?

M. Côté (Dominique) : Je vous dirais que la principale hypothèse, c'est ça, c'est ce qu'on pense. Puis là, je vous dis ça en toute candeur parce qu'on n'a pas d'élément clair, on y va avec des hypothèses, mais on pense que le service coûte plus cher à l'extérieur, donc il y a moyen de faire plus d'argent à l'extérieur du Québec, peut-être moins d'offre. Donc, à ce moment-là, ça permet aux abuseurs de faire plus d'argent avec nos victimes.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci. Députée de l'Acadie.

Mme St-Pierre : Merci, M. le Président. C'est très impressionnant, ce que vous faites, puis je dois dire que tout ce que j'ai entendu... que nous avons entendu depuis le début de ces audiences-là démontre à quel point il y a des efforts gigantesques qui sont faits au Québec pour contrer l'exploitation sexuelle des mineurs. Puis évidemment c'est un peu frustrant de voir qu'il faut trouver encore des moyens qui sont encore plus efficaces, parce qu'il y a quand même énormément de travail qui se fait. Alors, félicitations pour votre travail.

J'ai deux questions. La première, c'est pour... bien, ça peut être n'importe qui de vous deux... de vous quatre. Je me pose des questions par rapport aux centres jeunesse. Ça a été un peu élaboré... effleuré ce matin qu'il peut y avoir une crainte, de la part de la jeune qui est exploitée, de retourner... de devoir retourner dans un centre jeunesse. Est-ce que les centres jeunesse sont les meilleurs endroits où on peut envoyer ces jeunes exploités sexuellement ou s'il devrait y avoir d'autres types de maisons d'accueil qui soient vraiment spécialisées dans ces questions-là?

Parce que, dans un centre jeunesse, je ne suis pas une experte, là, mais il y a quand même toutes sortes de problèmes chez les jeunes qui se retrouvent dans les centres jeunesse. Ce n'est pas tous des jeunes qui sont exploités sexuellement ou qui peuvent le devenir. Mais est-ce que ça prendrait quelque chose de plus spécialisé encore?

Et mon autre question, c'est sur le fait que vous avez découvert, à Enfants Retour, qu'un jeune fugueur sur trois ou fugueuse sur trois est victime d'exploitation sexuelle. C'est vraiment, vraiment, vraiment énorme, et je me dis : Vous l'avez élaboré et vous l'avez fait, mais comment vous en arrivez à cette statistique-là qu'un jeune fugueur sur trois est victime d'exploitation sexuelle?

Mme Arcamone (Pina) : Une fois que l'enfant ou le jeune a été retrouvé, c'est à travers les conversations qu'on a eues soit avec l'enquêteur ou ce que les parents nous disaient par la suite, que l'enfant peut-être s'est prostitué, on l'a trouvé dans un motel, par exemple. Donc, on a vraiment été capables de documenter, et c'était vraiment suite à des faits rapportés par le corps de police ou la famille. Donc, nous, on a documenté, selon les dossiers que nous avons traités, qu'un jeune sur trois devient victime et que peut-être un autre sur trois a été exposé, mais qu'on n'avait pas assez d'informations pour dire définitivement : L'enfant a été victime d'exploitation sexuelle.

Mme St-Pierre : Donc, ça peut être plus qu'un sur trois.

Mme Arcamone (Pina) : C'est ce que nous pensons, oui. Oui.

Mme St-Pierre : O.K. Et sur les centres jeunesse?

• (20 h 50) •

Mme Duncan (Nancy) : C'est sûr que moi, je travaille vraiment avec les parents des jeunes en fugue, alors j'ai déjà entendu souvent des situations de recrutement qui se fassent directement dans les centres jeunesse. J'ai déjà entendu des histoires, des jeunes... supposément vous autres aussi, des jeunes qui ont retourné dans les centres jeunesse, et leurs proxénètes féminins étaient avec eux, puis ils ont raconté des histoires de qu'est-ce qui était arrivé à l'extérieur.

Alors, dans mon avis, moi, je pense que ça serait mieux d'avoir une autre option pour ces jeunes-là, de ne pas juste les mettre en réflexion puis dans un centre jeunesse que peut-être ils n'ont pas nécessairement les ressources, ou les projets, ou quoi que ce soit, les programmes pour les aider. Je sais qu'on travaille souvent avec les travailleuses sociales, on travaille beaucoup avec Notre-Dame de Laval aussi et, c'est ça souvent, qu'ils ont un manque de ressources aussi. Ils ne savent pas trop quoi faire.

Mme Mensales (Josée) : Nonobstant de ça... Ça ne marche? Oui, ça marche? Vous m'entendez? Il y a quand même, au sein des centres jeunesse... Nous, dans le cadre de Sphères, veux veux pas, on a cette réalité-là. C'est certain, je corrobore ce que... Je pense que, quand on a un milieu familial qui est capable d'accueillir un jeune, c'est peut-être le meilleur des scénarios. Quand ce n'est pas possible ou quand, justement, l'exploitation a débuté dans le milieu familial, ou des situations comme ça, il y a quand même des programmes en place, et ils se munissent aussi de mécanismes.

Sans être une experte au niveau de centres jeunesse, je ne veux pas me prononcer, mais par contre, dans le lot des dossiers qu'on travaille conjointement, non seulement avec eux mais, par exemple, avec des partenaires communautaires tels qu'En Marge, que vous allez probablement avoir une présentation, il y a des mécanismes en place pour, justement, héberger, des fois, en cellule de crise quelqu'un qui est en fugue, amener une certaine responsabilisation, donc, pour éviter que ce jeune-là ne se ramasse dans les mains d'un trafiquant, et établir un contact avec, justement... faire un pont avec le centre jeunesse et peut-être servir un peu de lieu de médiation pour que le jeune soit entendu aussi par rapport aux raisons qui le poussent à fuguer ou à sortir de ce milieu-là.

Autre chose, il y a aussi tout un réseau d'appartements supervisés. Il y a des moyens en place, quand même, dépendamment de l'âge du jeune. Parce qu'on s'entend, si on parle d'un jeune qui a 16, 17 ans, des fois, il y a des mesures qui peuvent être prises pour, justement, mieux accommoder ce jeune-là, mieux répondre à ses besoins et éviter, justement, que ça devienne une situation qui est chronique. Donc, il y a quand même des chemins et des façons de faire qui existent, qui sont là, justement, pour répondre à cette faille-là et à cette crainte-là. Parce qu'on s'entend que c'est quelque chose qu'on entend souvent.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Député d'Ungava.

M. Lamothe : Mme Mensales, face aux problématiques que les filles et les femmes autochtones vivent en arrivant en milieu urbain, de leurs communautés, l'analyse que vous faites puis les objectifs de votre programme sont vraiment sur la coche. Félicitations.

Mme Duncan, vous avez parlé tantôt que vous allez monter à Inukjuak pour votre programme dans les écoles. Je regardais les objectifs de votre programme puis je me demandais... je ne veux pas être négatif, mais pourquoi Inukjuak?

Mme Duncan (Nancy) : On a approché plusieurs communautés pour leur offrir, et Inukjuak, c'est comme un peu le projet pilote dans le Nord parce qu'ils ont beaucoup de problèmes au niveau de la communication interpersonnelle avec les jeunes. Ils voulaient qu'on rentre. On va rentrer parler avec des infirmières, avec des professeurs, avec des travailleurs sociaux qui travaillent là, mais aussi... Et, quand on rentre pour parler avec les élèves, ils voulaient plus qu'on adresse au niveau des jeux. Alors, c'est sûr qu'on va, avec... en utilisant les jeux. Ça ne va pas... un atelier vraiment avec un PowerPoint. On va l'adapter vraiment pour eux, puis ça va être fait pour parler un peu des relations saines, des limites et aussi des adultes de confiance. Parce qu'ils nous ont parlé un peu de leurs réalités puis leurs problématiques, puis on va...

M. Lamothe : ...demander qui, qui a fait l'approche pour que vous montiez présenter ce programme-là?

Mme Duncan (Nancy) : Qui nous a fait l'approche?

M. Lamothe : Oui. C'est Kativik School Board ou bien...

Mme Duncan (Nancy) : Non. En fin de compte, c'est Community Health Nurses — c'est ça? — avec le CLSC dans le Nord, oui.

M. Lamothe : O.K. Puis je regardais aussi le programme — je vais juste retrouver ma place, là : Pour les autochtones, traduire le contenu de nos ateliers sur la sécurité, les rendant notamment accessibles aux jeunes Innus... cri, mohawk et inuktitut — les Inuits. Vous avez dit le mot «adapté» tout à l'heure. Ça fait que votre programme, au Sud, va s'adapter aux réalités culturelles puis aux problématiques que vivent les communautés autochtones?

Mme Duncan (Nancy) : Dans le Sud ou dans le Nord?

M. Lamothe : Dans le programme du Sud. Je veux dire, quand je parle du Sud, là, je parle, bon, tu sais, là...

Mme Duncan (Nancy) : Oui. Dans le Sud, oui. Je comprends.

M. Lamothe : ...tout ce qui n'est pas dans le Nord.

Mme Duncan (Nancy) : Oui. Dans la campagne...

M. Lamothe : Bien, ce que je veux dire, c'est que les réalités autochtones ne sont pas pareilles qu'en bas, bon, je vais dire «en bas» au lieu du «Sud». Ça fait que, de ce que vous m'avez dit, pour Inukjuak, vous allez adapter vos programmes, vos ateliers pour leur réalité. C'est ça?

Mme Duncan (Nancy) : La réalité de cette communauté. Parce qu'on comprend aussi que, dépendant de la communauté, même dans le Nord, ça change aussi. Alors, ils voulaient qu'on l'adapte vraiment pour leur communauté, puis c'est ça qu'on a fait.

M. Lamothe : C'est adaptable à ces réalités-là?

Mme Duncan (Nancy) : Oui.

M. Lamothe : O.K. Merci.

Mme Arcamone (Pina) : Puis on va leur laisser...

M. Lamothe : Pardon?

Mme Arcamone (Pina) : Si je peux me permettre. On va leur laisser la trousse clés en main qui a été traduite pour former des agents multiplicateurs. Donc, une fois que notre équipe sera partie, reviendra à Montréal, leurs intervenants vont pouvoir, à l'année longue, continuer de garder ce dialogue ouvert avec leurs jeunes. Donc, ce n'est pas juste : On y va pour une fois, on retourne puis on dit : Le problème est réglé. On veut vraiment soutenir et les appuyer dans ce discours avec les jeunes, donc leur apporter vraiment quelque chose de concret qu'on leur laisse et qu'ils vont pouvoir vraiment l'adapter au quotidien avec leurs jeunes.

M. Lamothe : ...prochainement? C'est-u prochainement que vous allez monter là?

Mme Duncan (Nancy) : Ils montent le 27 janvier.

M. Lamothe : Le 27 janvier?

Mme Duncan (Nancy) : Oui, puis au mois de mars. On a reçu aussi une demande de la Nunavik Regional Health Board qui veut qu'on rentre à Kuujjuaq pour former... Eux, ils vont inviter plusieurs éducateurs, plusieurs intervenants pour recevoir le programme, et après, comme ça, ils vont être capables de l'adapter à leurs communautés.

Mme Arcamone (Pina) : Et ce sera mené par leurs intervenants, et non par l'équipe du réseau. Oui.

M. Lamothe : Merci beaucoup.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Deux questions rapides. Députée de Gaspé.

Mme Perry Mélançon : Merci, M. le Président. Bonsoir. Ma question s'adresse aux deux dames d'Enfants Retour. En fait, vos services sont majoritairement concentrés dans la métropole. Admettons qu'on a un cas de quelqu'un, soit de la région — par exemple, moi, je viens de la Gaspésie — qu'on a... bon, on a beaucoup de jeunes filles, quand même, là, qui fuguent sur des longues distances ou, bref, qu'on les cherche dans d'autres régions que la leur. Est-ce que vous avez un service d'accompagnement, par exemple, pour les familles qui vivent ce type de situation là ailleurs qu'à Montréal?

Mme Arcamone (Pina) : Absolument. Même si nos bureaux sont à Montréal, on fait l'accompagnement partout dans la province. Donc, on peut penser à Cédrika à Trois-Rivières, David Fortin au Saguenay, on a des cas à Yamachiche, en Abitibi, donc... Et souvent Nancy puis moi, on fait la route. On se connaît de... bien, je la connais depuis 15 ans. Moi, ça fait 25 ans que je suis chez Enfants Retour. Donc, ce service d'accompagnement se fait partout dans la province, et cela nous permet aussi de déployer le programme un peu partout dans la province. Donc, c'est vraiment un programme provincial.

Et pour soutenir les communautés qui sont un peu plus éloignées, le programme, il est aussi offert via une plateforme électronique qu'on est en train de perfectionner. Mais, je pense, à l'automne, notre sexologue, qui est la coordonnatrice du programme, a justement offert le programme à une école à Gaspé. Donc, on est un peu partout.

On fait de notre possible aussi parce qu'on est un organisme sans but lucratif. Donc, nous aussi, on arrive... C'est la troisième année de notre financement, donc on est en pourparlers avec notre bailleur de fonds. Le but, c'est de pouvoir continuer parce que je pense qu'on est sur la bonne voie avec ce programme. Et je vous dirais que, la première année, nous avons dû envoyer un communiqué aux commissions scolaires pour les mettre au courant du programme, mais, depuis la dernière année, les demandes ne cessent de rentrer. Donc, c'est vraiment du bouche-à-oreille qui se fait, puis on essaie de répondre au maximum aux demandes parce que le besoin, il est là.

Et même, récemment, on s'est fait approcher par plusieurs commissions scolaires qui souhaitent que le programme puisse être adapté pour le deuxième cycle, donc on parle de troisième, quatrième année, parce qu'on constate qu'il y a des problématiques au niveau de mettre des limites; les réseaux sociaux, qui jouent un rôle très important dans notre société présentement, aussi. Donc, on fait face à d'autres défis, mais on essaie de s'y attaquer le mieux possible. Mais, oui, on répond à tous les besoins dans la province.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup. Députée de Charlevoix—Côte-de-Beaupré, pour la dernière question.

Mme Foster : Depuis le début de la commission, on se fait parler tous azimuts de l'importance de l'éducation, de la prévention, de la formation auprès de tous types d'intervenants, les jeunes également. Mais une petite question au commandant Côté : À Nicolet, les policiers, dans leur formation, dans leur cursus, est-ce qu'ils ont des cours portant sur l'exploitation sexuelle?

• (21 heures) •

M. Côté (Dominique) : À ma connaissance, il n'y a rien nécessairement qui existe. J'imagine que les travaux de la commission risquent d'amener certains changements en ce sens. Ce qu'on réalise... puis on l'a vu, nous, à Montréal. C'est sûr que, là, on parle d'il y a 10 ans, au début du programme, mais la connaissance du phénomène, la façon d'intervenir auprès des victimes va changer la suite des choses. Puis, si on pense à certaines présentations qui ont été faites, des policiers qui étaient intervenus avec une survivante, puis ils ont entendu de sa bouche, à elle-même : Bien, je ne me suis pas sentie appuyée... À partir du moment où est-ce qu'on sensibilise les policiers, c'est sûr qu'il va y avoir une suite différente.

Maintenant, il faut être capable de répondre à cette suite-là. Parce que, oui, c'est vrai que, si on identifie le comportement, si on identifie le danger de sécurité puis qu'on essaie d'aider cette personne-là, il faut être capable de répondre en deuxième. Si j'appelle, je m'attends que le téléphone sonne. Ça, c'est une réalité aussi qu'il faut penser.

Mme Mensales (Josée) : Il y a quand même eu aussi une élaboration d'un scénario, par exemple, qui portait sur le sujet, là, qui a été concocté, là, mais... C'est ça.

Le Président (M. Lafrenière) : Merci beaucoup de votre contribution à nos travaux.

La commission suspend ses travaux quelques instants. On va se réunir ici même pour une séance de travail après le départ de nos invités.

Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 21 h 1)

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