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Version finale

39e législature, 1re session
(13 janvier 2009 au 22 février 2011)

Le mardi 12 octobre 2010 - Vol. 41 N° 9

Consultation générale et auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-trois minutes)

Le Président (M. Kelley): Alors, je constate quorum des membres de la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité, donc je déclare la séance ouverte.

Je vais rappeler le mandat de la commission. La commission est réunie afin de procéder à la consultation générale et aux auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Non, M. le Président.

Le Président (M. Kelley): Avant de commencer, juste un mot de remerciement pour les membres de la commission. Parce que ça, c'est une semaine qui, dans notre règlement parlementaire, est consacrée à nos comtés, on a une semaine de circonscription, mais exceptionnellement nous allons siéger cette semaine parce qu'on a beaucoup de mémoires. On est à peu près à 25 % des mémoires qui sont déjà entendus, alors il reste de l'ouvrage à faire. Alors, merci beaucoup pour votre disponibilité, membres de la commission. On veut essayer de tout compléter tôt en 2011, si tout va bien, alors votre disponibilité nous aide beaucoup. Alors, merci beaucoup.

Certains de nos prochains témoins sont déjà connus devant les membres de la commission, notamment Dr Bernard Lapointe, qui a déjà témoigné dans le cadre des audiences des experts au printemps. On reconnaît aussi Dre Farley, qui est déjà venue à Québec aussi.

Alors, sans plus tarder, je vais céder la parole au représentant de programme de soins palliatifs, Département d'oncologie, Université McGill. Et, Dr Lapointe, est-ce que c'est vous qui allez commencer?

Auditions (suite)

Programme de soins palliatifs
du Département d'oncologie
de l'Université McGill

M. Lapointe (Bernard): Oui. Oui.

Le Président (M. Kelley): Bienvenue.

M. Lapointe (Bernard): Alors, merci beaucoup, Mmes et MM. les parlementaires, merci beaucoup de votre invitation. Et ça me fait plaisir d'être ici pour partager notre vision sur ce débat qui véritablement habite le Québec puis anime le Québec depuis déjà plusieurs mois.

Donc, nous allons parler au nom de Soins palliatifs McGill. Comme vous le savez, l'Université McGill et ses hôpitaux affiliés représentent le berceau des soins palliatifs au Québec. C'est en effet en 1974 que le Dr Balfour Mount a ouvert le premier centre de soins palliatifs dans un hôpital ici, à Montréal, l'Hôpital Royal Victoria. Et au cours des 36 dernières années Soins palliatifs McGill s'est vraiment distingué aux niveaux national et international, tant par la qualité de son enseignement prédoctoral ou postdoctoral que par la qualité de son programme de recherche portant sur le développement d'agents novateurs permettant un meilleur soulagement des symptômes, sur la qualité de vie des personnes en fin de vie et de leurs proches, et enfin sur des modèles de distribution de soins de fin de vie efficaces et efficients.

Le programme des soins palliatifs à McGill regroupe une équipe de professionnels et de bénévoles qui oeuvrent dans l'ensemble des hôpitaux affiliés à l'université, soit le Centre hospitalier universitaire de McGill dont le Dr Manuel Borod est le directeur -- et il vous adressera la parole dans quelques minutes -- l'Hôpital Montréal pour enfants, Dr Stephen Liben, l'Hôpital St. Mary's où le Dre Justine Farley est directrice, l'Hôpital Mont-Sinaï où le Dr Golda Tradounsky est directrice et enfin l'Hôpital général juif où je suis directeur du service.

L'ensemble de nos hôpitaux soignent, dans les lits dédiés, au-delà de 1 200 Montréalais par année, qui vont nous quitter à chaque année. Au-delà de ces 1 200 personnes et de leurs familles, nous soignons probablement autant de personnes qui, elles, vont décéder à l'extérieur de nos lits, soit dans des lits d'hôpitaux ou encore à domicile. Nos lieux de services sont animés par de véritables équipes interdisciplinaires, qui s'efforcent d'allier soins physiques et psychologiques, soutien psychosocial, thérapie par l'art ou la musique, l'accompagnement spirituel, et par des centaines de bénévoles.

En bref, en tant que cliniciens universitaires, nous possédons une expertise et une perspective uniques, nous croyons, quant à l'expérience des personnes confrontées à la fin de leur vie, celle de leurs proches et enfin les soins et services nécessaires. Le programme des soins palliatifs de l'Université McGill s'oppose clairement à toute forme de décriminalisation de l'euthanasie et de l'aide médicale au suicide. Et, en ça, je crois qu'on rejoint la très vaste majorité des soignants de soins palliatifs que vous avez entendus ou que vous allez entendre.

À titre de spécialistes en soins palliatifs, nous estimons que la décriminalisation de l'euthanasie et de l'aide médicale au suicide est contraire à notre mission, qui en est une de soulager, de soigner et de soutenir les patients en fin de vie et leurs familles. L'euthanasie et l'aide médicale au suicide vont à l'encontre des principes et des pratiques en matière de soins palliatifs et, qui plus est, nuisent à la relation essentielle, basée sur la confiance, qui doit se nouer entre les malades en phase terminale et les personnes qui prennent soin d'eux.

Je vous rappelle aussi la définition de l'OMS aux États membres, qui en 2002 rappelait que les soins palliatifs n'entendent ni accélérer ni repousser la mort, ce qui en exclut tout geste tel que l'euthanasie ou le suicide assisté.

Nous croyons également que la décriminalisation, en 2010, de l'euthanasie et de l'aide médicale au suicide constitue un risque mal compris par nos concitoyens. Un tel risque nous apparaît comme inutile, compte tenu des traitements palliatifs qui existent et des dispositions législatives actuelles qui protègent le droit des patients de refuser à être traités et de cesser tout traitement entrepris auparavant.

Et maintenant j'aimerais que le Dr Manuel Borod poursuivre notre présentation.

**(9 h 40)**

M. Borod (Manuel): Bonjour et merci pour m'accorder l'occasion de présenter à cette commission spéciale mourir dans la dignité. Je suis Manuel Borod, un médecin en soins palliatifs et le directeur de la Division des soins palliatifs au Centre universitaire de santé McGill et un membre du comité exécutif du soin de cancer.

I'm principally a clinician. I practiced family medicine for 20 years, and I've concentrated on palliative medicine for the last 11. Every day, I meet patients and their families who have been diagnosed with a terminal disease, usually cancer. As you know, it can affect anyone of all ages at any time. I try to determine their understanding of what is happening, their expectations, their symptoms as well as their family social and psychological distress. Do they have a will, advanced directives? And finally what are their greatest fears? Is it dying in pain? Choking to death? Not seeing their children grow up? These are discussions that I and my colleagues have every day. Our job is to address these concerns, treat pain and vomiting, meet with families, address issues around bereavement and, of course, to address the fear. Rarely, a patient asks for hastened death: Give me a pill. Shoot me. Put me out of my misery. This is very rare. It almost invariably comes from the fears I mentioned earlier: pain, choking, suffering and being a burden.

One of my patients recently told me that he had been in favor of euthanasia until he got sick. As he was dying, he said he had changed his mind on hastened death. How different it was to be facing death compared to how it was being healthy and talking about this with his friends over a glass of wine.

Fortunately for me, at the rare times this request is made, I can say that this is not an option, but that we will do everything we can to maintain the individual's quality of life as well as his or her dignity. I use this dignity... this word, «dignity,» only to emphasize that it is the core value of palliative care, although the word has often been hijacked to be synonymous with «hastened death.»

The McGill University Health Center is a supraregional cancer center. We are referred the most complex cancer patients. It is not good when «complex» is used as an adjective to describe a patient's cancer. It usually implies a heavy symptom burden. Even in these circumstances, however, we are able to succeed in accompanying our patients on their journey to a peaceful and dignified death.

Mr. D. was one such patient. He was a fifty-eight-year-old successful bureaucrat who was admitted with advanced lung cancer, spinal cord invasion and terrible pain. One day, he asked me if I could end his life. I didn't know what more I could do for his pain. I asked him if he was depressed, and I was surprised that he was. I was expecting, basically, that he would say he could no longer live with the pain and suffer as he was. He was started on a medication, methylphenidate, which often can work quickly, and, on entering the hospital the next day, I knew he was feeling better; I overheard the unit coordinator booking him a haircut. He felt much better and survived a few more weeks, often having dinner with his daughter and grandson over a bottle of wine.

When I visited him with a group of medical students a few days later, I asked him about his request for hastened death. If he had a button to push to end his life, would he have done so? Yes, he answered, he would have, and this would have been a terrible mistake. In addition to loosing valuable time, what would have been the impact on is daughter? On his grandson? On his caregivers? On me? We don't have the answers.

But what if Mr. D. was not depressed and had intractable pain and suffering with no other treatment modalities? This is really at the root of the debate. How do we manage patients who have a terminal disease, who are suffering and, after careful assessment by experts, have no treatment options left?

We do have the option of palliative sedation. I am sure, at this point, you're all aware of the terms and how misleading they can be. But let me emphasize this point about palliative sedation and read to you from the New England Journal of Medicine, 1997, in an article titled, The Supreme Court Speaks -- Not Assisted Suicide but a Constitutional Right to Palliative Care. «Existing laws are constitutionally valid in recognizing the distinction between prohibiting conduct on part of physicians that may intentionally hasten death and permitting conduct that may foreseeably hasten death but is intended for other important purposes such as the relief of pain or symptoms.» By authoritatively pronouncing that terminal sedation intended for symptomatic relief is not assisted suicide, the court has licensed an agressive practice of palliative care. If the right to assisted suicide turned on the need to relieve the suffering of patients, the alternative of terminal sedation made such a right unnecessary.

I speak for all my colleagues in expressing to you that we have the tools we need to reach everyone's objective of a dignified death for our patients. Any change to existing laws would have a profound effect on the way we practice and interact with our patients.

I would like to thank you for giving me this opportunity to speak, and I would like to introduce my colleague, Dr. Tradounsky, who, in addition to being the director of palliative care at Mont-Sinaï, is the program director for education at McGill. Thank you.

Le Président (M. Kelley): Welcome. Bienvenue.

Mme Tradounsky (Golda): Merci. Mesdames messieurs, je m'appelle Golda Tradounsky. Je suis chef des services de soins palliatifs à l'Hôpital Mont-Sinaï, à Côte-Saint-Luc, ainsi que directrice à l'éducation des soins palliatifs à l'Université McGill, aux niveaux sous et postgradué.

Mes collègues et moi sommes contre la légalisation de l'aide médicale au suicide et contre l'euthanasie. Je pratique la médecine palliative depuis une douzaine d'années, mais j'ai aussi des expériences très personnelles avec la fin de vie. En effet, mon père est décédé de cancer en 1988. Deux mois avant son décès, il m'a confié que, quand il serait près de la fin, il se tuerait. Il n'en a pas eu l'occasion tellement la maladie fut foudroyante. Si un médecin avait répondu à son cri de détresse en lui donnant de quoi se suicider, je n'aurais pas eu l'occasion de passer de précieux moments avec lui pendant ses deux derniers mois, et le deuil de ses survivants, dont moi, aurait été d'autant plus difficile.

Cette demande pour l'euthanasie ou le suicide assisté par la personne malade, qu'est-ce qu'elle cache? Que peut-on faire pour aider cette personne souffrante? Ce sont ces questions et leurs réponses que nous essayons d'inculquer à nos collègues médecins, infirmiers, travailleurs sociaux, psychologues et autres professionnels impliqués auprès des malades en fin de vie.

Quand mon père est décédé en 1988, les soins palliatifs n'en étaient qu'à leurs balbutiements. De nos jours, il y a eu progrès, quoiqu'insuffisant. Les étudiants en médecine ont de l'enseignement en soins palliatifs qui varie d'une université à l'autre, qu'une vingtaine d'heures en tout sur quatre ans pour certaines. Beaucoup de ces futurs médecins se plaignent, à la fin de leur premier cycle, de ne pas se sentir suffisamment compétents pour soigner la douleur. Les résidents de médecine familiale ont un stage obligatoire à faire en soins palliatifs, mais ceci n'est pas le cas pour les résidents en oncologie, en chirurgie ni en médecine interne. Pourtant, eux aussi s'occupent de patients en douleur et en proie à des symptômes de leurs maladies dévastatrices.

Il est incroyable que les vétérinaires reçoivent une meilleure formation en traitement de la douleur que nous futurs médecins. Les futurs vétérinaires reçoivent en moyenne 130 heures de cours uniquement sur le traitement de la douleur, alors que les étudiants de médecine, seulement une quinzaine d'heures.

Les étudiants en soins infirmiers, dépendant de leur niveau d'éducation, soit cégep ou universitaire, recevront un enseignement sur les problèmes rencontrés en fin de vie qui variera de peu existant à une quarantaine d'heures et selon l'intérêt de leurs professeurs.

Qu'est-ce que les futurs travailleurs sociaux, psychologues, diététistes, pharmaciens, ergo et physiothérapeutes, musico et art-thérapeutes, travailleurs de pastorale, et j'en passe, qu'est-ce qu'ils apprennent sur l'approche envers le patient en fin de vie et envers sa famille? Je ne peux vous le dire, car cette information est difficile à accéder. L'éducation aux soins palliatifs, quand il y en a, n'est pas aussi interdisciplinaire ni concertée qu'elle devrait l'être.

Qu'est-ce qui doit arriver dans notre province pour que la population vieillissante puisse avoir l'assurance d'une mort dans la dignité, c'est-à-dire dans le calme, le confort et le respect de la personne qu'ils sont? À mon avis, la majorité des patients en fin de vie ne nécessitent pas des soins experts en soins palliatifs. Ils ont des besoins communs, tant aux niveaux bio, psychosociaux, auxquels tous médecins, infirmières, travailleurs sociaux et autres intervenants devraient savoir répondre.

Nous devons, dans nos cégeps et universités, offrir à tous ces futurs professionnels de la santé un minimum d'enseignement en communication, traitement des symptômes d'inconfort des patients et l'appréciation du travail dans l'interdisciplinarité pour soutenir le patient et ses proches, mais aussi les uns les autres. Car il faut aussi donner les outils à ces professionnels pour qu'ils puissent gérer leurs propres émotions et réactions lorsqu'ils sont interpellés au chevet de personnes mourantes. Cette culture de soins palliatifs et d'interdisciplinarité doit se répandre dans tous les coins de la province, pour qu'aucun patient ni intervenant ne se sente isolé face à la souffrance. Plus d'experts en soins palliatifs doivent être formés pour que l'accès à des soins plus complexes soit facilité par le biais de consultations.

À travers la province, nous ne formons que quatre à cinq experts en médecine palliative chaque année, et je ne saurais dire combien d'infirmières spécialisées. Je peux même vous dire que les fonds pour l'enseignement des soins palliatifs aux infirmières des CLSC dans notre secteur, des infirmières qui sont essentielles pour le maintien des patients à domicile, hein, ces fonds-là se sont volatilisés il y a de nombreuses années.

En conclusion, pour assurer à notre population la dignité à la fin de la vie, il faut que notre gouvernement souligne et valorise l'éducation, à travers les disciplines, de l'importance du soutien du patient en phase terminale et de ses proches, pour pouvoir bien soigner la majorité des malades. Pour les cas plus complexes, il nous faut former plus d'intervenants spécialisés en soins palliatifs, auxquels les équipes traitantes pourront se référer. Merci de votre attention. Et je laisse la parole à ma collègue Dre Justine Farley.

Le Président (M. Kelley): Dre Farley.

**(9 h 50)**

Mme Farley (Justine): Merci. Merci , Golda. Je suis médecin en soins palliatifs dans le réseau de McGill. Je suis présidente du Réseau de soins palliatifs. Je vous ai déjà rencontrés à ce titre-là. Mais j'aimerais que ce que vous reteniez, c'est que je suis surtout une clinicienne qui est à l'écoute des patients puis de leurs familles depuis déjà quelques décennies.

Je me propose de vous présenter les risques associés à l'euthanasie et à l'aide médicale au suicide. Sans vouloir jouer les Cassandre, certains faits méritent d'être portés à votre attention, cependant. Les risques identifiés l'emportent largement sur les avantages qui en découleraient pour les patients, les cliniciens et le système de santé dans son ensemble. Les demandes, en l'absence de souffrance objectivable ou lors de l'appréhension d'une telle souffrance par une personne atteinte d'une maladie catastrophique, ne peuvent reposer sur le seul principe d'autonomie personnelle. Sinon, qu'est-ce qui fondamentalement distingue ces demandes du désir de suicide exprimé par une personne atteinte d'un trouble mental, d'une atteinte ou d'un handicap chronique?

Maintenant, quels sont ces risques? Les pays ou États où l'euthanasie et l'aide médicale au suicide sont permis peuvent grandement nous éclairer. Les références que nous avançons sont disponibles à votre demande. Je distinguerai les impacts sur les patients vulnérables, sur la relation patient-médecin et enfin sur la pratique des soins palliatifs.

Les impacts sur les patients vulnérables, deux exemples. À Amsterdam, parmi 131 hommes homosexuels atteints de sida, 22 % sont décédés par euthanasie ou suicide assisté. À la même époque, les taux étaient de 4,7 % pour une population générale. Une étude plus récente portant sur un échantillon des certificats de décès en Belgique: parmi 142 décès par euthanasie ou suicide assisté, 66 décès sont venus sans la demande explicite du malade, et parmi ceux-ci la plupart concernaient des patients âgés de 80 ans ou plus, des personnes ne souffrant pas de cancer, 67 %, et des personnes qui sont décédées à l'hôpital. Les raisons pour lesquelles la décision n'a pas été discutée étaient que le patient était comateux, dans 70 % des cas, ou souffrait de démence, 21 %. Donc, 91 % étaient des personnes qui ne pouvaient pas communiquer. Si on reportait les mêmes données à l'échelle du Québec, cela signifierait environ 1 000 personnes euthanasiées sans leur demande explicite. Je vous rappellerai que la Belgique autant que les Pays-Bas bénéficient de systèmes juridiques adéquats, qui sont à l'écoute et éveillés à ces problèmes.

Ici même, si j'ai bien compris, le Conseil de protection des malades et le Barreau ouvrent la porte à l'euthanasie pour les personnes atteintes de maladies incurables, sans que ce soient nécessairement des personnes en phase terminale. Donc, nous constatons qu'il y a un danger, pour les populations les plus vulnérables, d'une brèche importante à la relation de confiance qui existe entre le malade et le médecin, et la transgression d'un interdit séculaire en remettant au médecin le pouvoir de vie ou de mort sur l'autre.

10 ans après l'abrogation d'une loi permettant l'euthanasie dans un territoire de l'Australie, Dr Boughey doit encore rassurer ses patients sur leurs perceptions des soins palliatifs. Pendant que cette loi était encore en vigueur, la crainte des patients et de leurs proches que l'on recoure secrètement à l'euthanasie pendant leur séjour en unité de soins palliatifs a fait en sorte que le personnel soignant a été soumis à une surveillance étroite, tant par les patients, leurs proches que par les médias.

Il existe aussi un impact sur la pratique des soins palliatifs. L'expérience suisse, plus particulièrement celle vécue au Centre hospitalier universitaire Vaudois par Dr José Pereira, nous informe des difficultés rencontrées. Cela créait une tension entre les fondements philosophiques de la pratique de l'équipe d'unité de soins palliatifs et la politique de l'établissement sur l'aide médicale au suicide. Par ailleurs, cela suscitait des tensions irrésolues parmi le personnel de l'unité, lesquels se préoccupaient sur leurs relations avec les patients et leurs proches. On retrouve, au coeur des tensions chez le personnel de l'unité, le dilemme que leur posait le non-abandon de leur patient aux soins palliatifs et la complicité avec ceux d'entre eux qui demandaient une aide médicale au suicide.

En résumé, les impacts appréhendés d'une législation sont les suivants. On prévoit une augmentation de la crainte vis-à-vis les opiacés et leur utilisation en fin de vie. Quotidiennement, déjà, on doit répondre aux craintes des malades et de leurs proches, qui craignent que la prescription des analgésiques opiacés entraînera la mort. Il y a fort à parier que ces craintes ne seront qu'amplifiées par une légalisation de l'euthanasie, ce qui résulterait en une prévalence encore plus importante de douleurs non soulagées.

Deuxièmement, une pression indue lors de l'offre, par le médecin, de l'euthanasie ou de l'aide médicale au suicide comme alternative aux soins courants. Le discours d'un médecin n'est pas neutre.

Troisièmement, une pression indue chez les plus vulnérables, en particulier les personnes âgées, qui craignent d'être un fardeau pour leurs proches et qui pourraient voir l'offre d'euthanasie ou d'aide au suicide comme le bon geste à faire ou comme socialement acceptable. Entre le droit et le devoir de mourir, il y a un pas qui n'est pas très grand.

Le lien thérapeutique patient-médecin lors de la fin de vie est souvent le lieu d'expression et d'expérience de liens transférentiels et contre-transférentiels d'une puissance souvent violente. La souffrance du patient est source de souffrance pour ses proches mais aussi pour ses soignants. L'interdit de mettre fin délibérément à la vie du patient permet l'exploration et la résolution, conciliation de ces dynamiques sans que l'un ou l'autre ne devienne l'otage et la victime de son inconscient. En définitive, nous croyons que la protection des personnes vulnérables justifie amplement que le principe de précaution prévale lorsque nous discutons euthanasie et suicide assisté. J'insiste sur la notion de principe de précaution.

Et finalement je laisse la parole au Dr Lapointe pour la conclusion. Merci.

M. Lapointe (Bernard): Merci, Justine. Avant de conclure, j'aimerais vous indiquer que le Dr Liben pourra répondre à toutes vos questions sur les aspects qui pourraient concerner la pédiatrie ou le soin des enfants en regard du débat actuel.

En conclusion, soulager la douleur, accompagner la vie jusqu'au dernier souffle, soutenir les familles et les proches, et ce, au-delà du décès, pendant la période du deuil, nécessite un large consensus social et la mise en place des conditions nécessaires pour permettre l'accès aux soins et aux services palliatifs à chacun des Québécois et des Québécoises qui en ont besoin, peu importent leurs lieux de résidence.

Le Québec s'est doté, au début des années 2000, d'une excellente politique en soins palliatifs de fin de vie. Je suis heureux, à l'instar du Collège des médecins, que l'accès aux soins palliatifs fait consensus au Québec. Toutefois, il nous faut être lucides et constater collectivement qu'entre les souhaits d'une politique et sa mise en place sur le terrain un ensemble d'investissements de temps, de ressources financières et humaines, qui continuent à tarder... Aujourd'hui, comme il y a 10 ans, l'accès aux soins palliatifs qui permettent le soulagement des symptômes et l'accompagnement de la souffrance vécue en fin de vie demeure très limité sur l'ensemble du territoire.

Soyons honnêtes et reconnaissons aussi l'absence quasi totale de soins de fin de vie et d'expertise palliative pour nos concitoyens confrontés à d'autres maladies terminales ou dégénératives telles la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique, l'alzheimer, la maladie rénale terminale, la maladie hépatique terminale, et la liste est longue. Il est urgent que le ministre voie à la mise en place de centres palliatifs d'excellence vis-à-vis certaines de ces pathologies, qui porteront la mission de développement de l'expertise clinique et de diffusion de l'expertise aux équipes oeuvrant dans les différentes régions du Québec. Aujourd'hui comme il y a 10 ans, la formation des professionnels de la santé ne permettra pas à la prochaine génération de soignants, ceux dont vous et moi aurons besoin, de disposer du savoir-faire et du savoir-être nécessaires à une bonne pratique des soins palliatifs de fin de vie.

J'aimerais vous souligner que, malgré tous nos efforts, les universités au Québec n'arrivent qu'à produire entre quatre et six consultants en soins palliatifs par année. Et certains d'entre eux ne demeurent pas au Québec, mais quittent le Québec pour aller pratiquer à l'étranger. Et ça, c'est la réalité.

**(10 heures)**

Comme l'Organisation mondiale de la santé l'indiquait à l'ensemble des États membres, la discussion entourant l'euthanasie et l'aide médicale au suicide doit être précédée de la mise en place d'un accès réel aux soins palliatifs de fin de vie. Nous devons collectivement nous assurer qu'au Québec la synergie destructrice de la douleur et de la dépression ne conduise patients et leurs proches au désespoir, au sentiment d'impuissance et souvent à la perception erronée que le suicide est le seul moyen d'exercer un reliquat de contrôle sur cette situation.

Alors, nous invitons la commission, au travers de son rapport final, à multiplier ses efforts afin de clarifier les enjeux, d'informer nos concitoyens des droits qui sont déjà reconnus par la jurisprudence québécoise, et enfin de les rassurer que, le moment venu, ils auront accès à des soins palliatifs de fin de vie de qualité, et ce, à la grandeur du territoire du Québec.

Nous invitons aussi la commission à rappeler au ministre de la Santé et des Services sociaux l'urgence de consentir les efforts nécessaires à la mise en place d'un réseau de soins palliatifs de fin de vie et d'assurer que non seulement des soins biomédicaux y soient pris en charge, mais que l'on y retrouve les ressources nécessaires au soutient et à l'accompagnement psychosocial, tant des patients que de leurs proches.

Nous invitons aussi la commission à intervenir auprès du ministre de l'Éducation afin qu'il assure qu'un cursus adéquat à assurer un savoir-faire et un savoir-être en soins palliatifs fasse partie intégrale du programme de formation prédoctoral de l'ensemble des professionnels de la santé tant au niveau collégial qu'universitaire.

Et enfin nous vous recommandons fortement de ne pas modifier le statut juridique actuel de l'euthanasie et de l'assistance médicale au suicide. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Lapointe. On a un petit peu dépassé notre temps, mais on va le récupérer peut-être dans la période d'échange. Et je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous, et plus précisément à vous qui êtes déjà venu nous rencontrer au parlement pour nous préparer en vue des travaux que l'on vit actuellement, et vous avez été d'une grande aide parce qu'on est devenus un peu plus... pas expérimentés, mais on connaît un peu plus le jargon puis on connaît aussi la différence entre soins palliatifs, euthanasie, sédation palliative; tout ça, on commence à comprendre un peu plus. Et vous avez très raison quand vous dites que la population, on devrait avoir beaucoup d'information à leur transmettre. Parce que, vous savez, depuis 20 ans, les pourcentages n'ont pas changé par rapport à la population, ils sont en faveur de l'euthanasie et du suicide assisté depuis 20 ans. Même si le réseau des soins palliatifs a été étendu, est déployé depuis 20 ans et qu'il y a de plus en plus de personnes qui ont eu un membre de leur famille qui ont pu bénéficier de vos services, là, en soins palliatifs, moi, ça m'interpelle parce que le pourcentage des gens en faveur est toujours le même. Alors ça, c'est un mystère pour moi.

Je voudrais vous amener à la page 14 de votre mémoire, parce que je trouve ça toujours un peu surprenant que les gens en soins palliatifs parlent de suicide assisté, parce que, pour moi, ça ne va pas ensemble. Les personnes qui souffrent des maladies que vous avez mentionnées à la page 14 -- sclérose en plaques, maladie de Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique -- tout ça, les gens qui sont venus nous voir, eux, ils ne se sentent pas concernés par les soins palliatifs, et, vous, vous le mentionnez très clairement ici qu'il faudra avoir des cliniques spécialisées pour ces maladies-là. Alors, j'aimerais vous entendre parce que justement il y a comme un clivage entre les gens qui ont cette maladie-là et les gens qui ont plutôt le cancer ou d'autres maladies qui les mènent, par le réseau de santé, là, à vos départements de soins palliatifs. Alors, je ne sais pas qui voudrait nous parler de cette...

Le Président (M. Kelley): Dr Lapointe.

M. Lapointe (Bernard): Je pense qu'il y a deux choses. Lorsqu'on est atteint d'une maladie dégénérative, on est habité par la crainte, souvent très justifiée, de voir notre corps nous trahir, hein, là, au cours des mois et des années qui s'en viennent, et on est habité, avec justice, hein, de crainte de ne pas pouvoir être soigné, de souffrir beaucoup, d'être inquiet, de devenir un fardeau pour ses proches. Et cette crainte-là va souvent amener les gens à poser les questions puis à nous interroger puis à en parler avec nous, et ça, je pense que mes collègues autour de la table sont témoins. Il demeure qu'on est souvent approchés pour parler de suicide assisté ou d'euthanasie par nos malades très souvent des mois, voire même des années avant qu'on approche de la phase terminale. Donc ça, c'est une première chose. Ça exprime une crainte puis un désir aussi de ne pas voir sa vie se terminer, là, dans une catastrophe tant pour soi que pour les proches. Je pense que c'est notre rôle de les rassurer, de dire qu'on va pouvoir les accompagner, qu'on va pouvoir les soutenir, qu'on va pouvoir soulager leurs symptômes. J'en ai soigné, des gens... bon, nous avons tous soigné des gens atteints de sclérose latérale amyotrophique, nous avons tous soigné des gens atteints de Parkinson, nous avons tous soigné des gens qui ont décidé de mettre fin à leur dialyse lors d'une insuffisance rénale puis qu'on a permis la transition douce vers la non-dialyse, le non-traitement et le décès, hein, alors sans avoir recours à un geste, là, aussi catégorique que l'euthanasie.

Par ailleurs, il demeure que les symptômes de certaines maladies neurologiques dégénératives sont mal gérés souvent par un manque de connaissances, et c'est pourquoi je parle de l'importance au Québec d'avoir un centre, par exemple, de soins palliatifs pour les maladies neurologiques où ces connaissances-là peuvent non seulement être bien organisées, regroupées, explorées par de la recherche, en collaboration avec certains centres en Europe puis aux États-Unis, mais aussi c'est que ça sert à la formation des neurologues, ça sert aussi à la diffusion des connaissances. Je pense que c'est pour ça que je dis que c'est très important d'avoir ces centres-là d'expertise qui permettent la diffusion des connaissances sur l'ensemble du Québec de façon à ce qu'on s'assure que quelqu'un qui vit avec une maladie dégénérative plus rare dans une région ait accès à la même expertise que le même malade qui consulterait, par exemple, dans un grand centre universitaire de Montréal. Et ça, je pense que c'est essentiel si on veut vraiment assurer, là, un panier de services adéquats pour l'ensemble des Québécois. Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, mais c'est vraiment ça.

Mme Gaudreault: Oui, vous avez très bien répondu à ma question.

Dernière question par rapport à ces maladies dégénératives, parce que, lorsqu'on en a dans notre entourage, c'est toujours déstabilisant, ces maladies-là. On va sur Internet et puis on trouve toutes sortes d'étapes qui vont nous mener à la mort. Et vous avez mentionné tout à l'heure des personnes qui ont cessé la dialyse, et tout ça. Ne croyez-vous pas justement qu'il y a comme une injustice entre les différentes maladies? Il y a ceux qui peuvent cesser le traitement, mais il y a ceux qui sont condamnés à vivre avec la souffrance jusqu'à la fin. Est-ce que vous ne voyez pas qu'il y a comme une différence importante par rapport au patient qui est confronté à cette fin, cette agonie qui va se terminer peut-être souvent en cessant de respirer ou peu importe, là?

Parce qu'il y a des gens qui sont venus nous voir pour nous dire que, pour eux, c'était une porte de salut de savoir qu'un jour, lorsqu'ils en auront assez, ils pourraient avoir accès à un médicament, par l'entremise d'un membre du personnel médical, pour mettre fin à leurs souffrances. Pour eux, ça donnait même une qualité de vie d'avoir accès à cette fin de vie. Qu'est-ce que vous pensez de ça?

**(10 h 10)**

M. Lapointe (Bernard): Ce qui est clair pour moi, c'est que d'une part, encore une fois, leurs craintes sont compréhensibles. Par ailleurs, pour avoir soigné des gens dans cette situation-là, les gens ne roulent pas, n'étouffent pas comme ça, là. Je pense qu'il y a des médicaments, il y a des soins, il y a de l'accompagnement qui arrivent à soulager ces symptômes-là. Moi, j'ai vu des gens qui, atteints neurologiquement de façon extrêmement sévère, ont réussi à écrire de la poésie, à faire un film puis à tourner avec leur... Donc, je pense que c'est une question de...

La souffrance, c'est autre chose que de la douleur, là. De la souffrance, c'est un mal. C'est un mal global, hein, qui peut être accompagné, qui peut être soulagé lorsque c'est de la dépression. Ça ne veut pas dire que... Et fondamentalement il demeure toujours, puis on l'a mentionné tantôt: lorsqu'on est face à un symptôme qui ne peut pas être soulagé, à ce moment-là, on procédera à une thérapie par sédation palliative. Si je n'avais pas cette arme-là, si je n'avais pas ce choix-là d'endormir doucement la personne au moment où je n'arrive plus à contrôler le symptôme, là je serais d'accord avec les gens en disant: Ça nous prend une autre arme, ça nous prend une autre option. Mais celle-là, elle est là, et elle est là, puis là vous allez me dire: C'est quoi qui la distingue, par exemple, de l'euthanasie?

Mme Gaudreault: Bien...

M. Lapointe (Bernard): Parce que vous pourriez dire: C'est de l'euthanasie lente. Bien, qu'est-ce qui la distingue? Premièrement, l'euthanasie, on pose le geste une demi-heure plus tard. C'est réglé, O.K.? Alors, c'est tentant... On a parlé tantôt du nombre d'euthanasies faites chez des personnes de plus de 80 ans, dans certains endroits, qui n'avaient pas fait la demande et qui étaient dans un hôpital.

Bien, écoutez, le fait d'endormir quelqu'un puis d'avoir à le soigner, puis de laver le corps, soigner, d'être là pendant des jours et souvent des jours, bien, c'est une très bonne protection contre le fait qu'on veut gérer les lits, O.K.? Je pense que ça, c'est une des raisons. Le désir aussi d'abréger tout ça, faire que ça aille plus vite, parce qu'on n'en peut plus, parce qu'on est fatigué, ça aussi, je pense, que c'est une protection. C'est une protection aussi par rapport au médecin qui n'en peut plus ou à l'équipe qui n'en peut plus.

Je pense que, collectivement -- famille, soignants -- on est appelés à soutenir ces derniers jours là, et ça, en ce sens-là, ça correspond à une protection. Je ne sais pas si je suis clair là-dessus, mais il y a une vraie distinction entre le geste. Et ce n'est pas seulement jésuitique, si vous voulez; c'est une vraie distinction dans la pratique. Puis la pratique, je vais vous dire, on ne l'utilise pas, la sédation, de façon continue, de façon habituelle; c'est un geste inhabituel pour nous, mais qu'on se résoudra toujours à prendre au moment où on en a besoin.

Mme Tradounsky (Golda): Est-ce que je pourrais rajouter un petit point?

Le Président (M. Kelley): Oui.

Mme Tradounsky (Golda): Parce que, Mme Gaudreault, moi aussi, je m'occupe de patients qui ne sont pas nécessairement avec cancer. Ce que souvent les gens ne réalisent pas, c'est qu'ils ont beaucoup de choix. Quand on parle d'arrêter l'hémodialyse, c'est un choix, mais la personne avec la sclérose amyotrophique peut choisir aussi de ne pas être intubée, peut choisir de ne pas avoir de tube de gavage, tous ces gestes médicaux qui prolongent la vie.

Donc, souvent, les gens ne réalisent pas que la maladie va prendre son cours, mais que, pendant ce cours-là, ils ont des choix par rapport aux traitements qui peuvent prolonger leur vie ou simplement respecter le cours naturel de la maladie. J'ai déjà eu des patients qui sont venus après un arrêt d'hémodialyse et puis qui ont vécu trois, quatre mois. Donc, ce n'était pas que l'hémodialyse a arrêté leur vie aussi rapidement que ce qu'on aurait pu croire, c'était le cours naturel de leur maladie et j'ai été là pour soutenir avec mon équipe traitante. La même chose peut être faite pour toutes autres sortes de maladies progressives.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.

Des voix: ...

M. Borod (Manuel): Je pense que vous n'avez pas parlé du sujet de démence, mais je veux juste ajouter quelque chose. Par exemple, aux Pays-Bas, on pense que, s'il y a un patient avec une démence, on peut aller aux Pays-Bas où les patients là... Mais ce n'est pas vrai, s'ils ne sont pas compétents et ils ne montrent pas la souffrance, alors, dans ces cas, ils ne sont pas éligibles à l'euthanasie.

J'ai eu une fois un ami qui est venu me voir. Il dit: Pourquoi on ne peut pas donner à mon père une injection pour mourir? Il a une démence, n'a pas une qualité de vie. J'ai demandé: Mais, dites-moi, quand il y a une infection, une aspiration pneumonie qui arrive souvent, est-ce que vous traitez votre père? Oui. Mais pourquoi? Pourquoi vous traitez votre père pour prolonger la vie mais vous voulez que, moi, je donne une injection pour terminer la vie?

Alors, je pense, souvent, c'est une question d'éducation, de choix, et, quand vous dites qu'il y a le même nombre de personnes pendant les derniers 20 ans qui n'utilisent pas l'euthanasie, ils disent la même chose: Quand je suis mourant, je ne veux pas être intubé. Mais ce n'est pas l'euthanasie, on n'a pas besoin de demander les traitements. Et il y a toujours beaucoup de confusion entre ces cas, même avec toute la presse qui a écrit dans les derniers mois.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. J'ai lu avec beaucoup d'attention votre mémoire. J'avais écrit un très long préambule -- vous êtes correct, il ne vous reste plus de temps -- mais j'ai apprécié les propos que vous tenez sur l'équipe interdisciplinaire, j'ai trouvé ça intéressant de vous lire là-dessus. Et, malgré plusieurs questions que j'ai, j'aimerais vous entendre un peu plus sur la formation.

De notre côté, Mme Gaudreault vous l'a dit, on a eu un cours avancé en médecine avant de recevoir les gens, on a eu quelques-uns d'entre vous qui sont venus nous apprendre des choses qui nous ont rendus un peu plus compétents pour poser nos questions maintenant, mais on a peu parlé de la formation et on n'a jamais fait la comparaison du vétérinaire et du docteur. Je comprends, puisque j'ai été, comme la plupart d'entre nous, hein, face à des situations de mort, et j'ai aussi un chien, donc je suis capable de connaître les deux genres dans la façon de demander une forme d'euthanasie.

Mais, dans la formation de nos médecins, de nos infirmières, des gens qui gravitent alentour, il y a une autre sorte de personnes qui s'appellent des bénévoles. On peut les appeler les aidants naturels, on peut aussi les appeler la famille, mais ils sont aussi parmi vous dans les soins palliatifs. Alors, si j'avais à trancher en éducation, hein, puis, si j'y vais dans le modèle éducation et qu'on fait un plaidoyer à la ministre de l'Éducation pour nos infirmiers, nos jeunes médecins, les gens qui sont proches du système, ou même, si j'ai bien compris tantôt dans vos propos, loin du système, parce que la mort, le deuil, c'est des choses que vous traitez... Et là je regarde un peu plus dans le milieu, le jeune homme qui s'occupe un petit peu plus de la tranche de patients qui sont plus jeunes, il y a, là aussi, énormément de gens qui gravitent, parce que des fois il y a des bénévoles qui ne sont pas du tout dans la famille, qui sont dans nos hôpitaux puis qui viennent donner un coup de main. Comment je définis cette formation-là? Comment je fais en sorte que la société à laquelle j'aspire fonctionne bien et adresse bien le principe du deuil et de la mort en principe de formation?

M. Lapointe (Bernard): Je pense que la première chose, c'est pour les médecins parce qu'il faut parler des soins palliatifs, ce sont des compétences cliniques, hein? La cardiologie, personne ne va se poser la question, ce sont un ensemble de connaissances cliniques, hein? Les soins palliatifs aussi sont un ensemble de connaissances cliniques. En fait, les soins palliatifs en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande, c'est une spécialité qui a quatre ans de formation après les années de médecine, O.K.? Alors, ce n'est pas quelque chose parce qu'on veut, on embarque, puis on sait tout, là. Il y a une formation, il y a un cursus, il y a un curriculum, il y a un savoir-être bien sûr, mais il y a surtout un savoir-faire. Donc, on doit vraiment s'attacher à ce que tous les médecins, pas seulement les médecins de famille, c'est essentiel, mais tous les médecins aient une formation de base sur le soulagement de la douleur -- puis on a parlé de la différence puis de la pauvre performance de nos universités là-dessus -- mais aussi sur l'accompagnement, les autres symptômes, comment on accompagne les gens en fin de vie. Les infirmières, la même chose, les travailleurs sociaux, la même chose, les physiothérapeutes, et on en passe.

Alors ça, c'est important que ça soit au cégep, à l'université, on a besoin de cursus. Et ça, je vais vous dire que, socialement, ça va arriver seulement s'il y a une volonté très claire du ministère. Parce que je dois vous dire, on a entendu, à un moment donné, on était intervenu auprès des doyens de facultés au Canada puis les doyens nous ont répondu: Écoutez, là, tout le monde veut plus d'heures, hein? Tout le monde veut rallonger, puis là, si on continue, le cours de médecine va être 10 ans au lieu de cinq ans. Alors, finalement, c'est un petit peu le ton de la réponse. Heureusement, il y a des universités qui font preuve de leadership -- certaines sont situées au Québec -- d'autres moins, mais c'est important de s'assurer... puis je pense que c'est pour ça que notre recommandation est là.

Au niveau des bénévoles: je suis content que vous souligniez ça, parce que, nous, à McGill, tous nos bénévoles reçoivent une formation, hein? On a un cursus de 26 heures, avant même qu'ils entrent en contact avec les malades, qui commence d'ailleurs la semaine prochaine; 26 heures, et ensuite on a un pairage avec un bénévole plus habilité qui va suivre le nouveau bénévole pendant des mois, donc qui va pouvoir faire sur le terrain, puis on a des coordonnateurs de bénévoles dans chacun de nos établissements et le coordonnateur a un rôle de formation continue, c'est-à-dire de revenir auprès du bénévole sur ses interactions avec les familles et les malades, puis qu'il y ait une croissance là-dessus. Et enfin les bénévoles sont tous invités à des formations continues. Ça peut être aussi intéressant puis novateur. Par exemple, on vient d'offrir une formation sur le massage des pieds et des mains puis il y a eu une quarantaine de bénévoles qui ont participé. Alors, vous voyez, ça peut prendre cette forme-là. Mais effectivement nos bénévoles doivent être formés, de la même façon que les professionnels.** (10 h 20)**

Le Président (M. Kelley): Dre Farley, dernier mot sur cette question?

Mme Farley (Justine): Merci. J'aimerais rajouter aussi qu'au niveau de la Direction de la lutte contre le cancer, ils ont subventionné un projet d'étude pour déterminer les compétences nécessaires pour une quinzaine de professionnels de la santé. Donc, le matériel est là, il est disponible. Encore faut-il l'appliquer puis le transmettre.

Aussi, en ce qui a trait à la formation des bénévoles, il y a différents programmes aussi qui sont disponibles mais qui doivent être utilisés avec le leadership important des directrices de bénévoles, qui ne sont pas toujours reconnues dans les milieux. Donc, il faut un leadership bénévole, et ça implique un certain déboursé. Mais c'est un bon placement.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Bonjour à toute l'équipe. Très heureuse de vous entendre à nouveau, Dr Lapointe, Dre Farley, et les autres qui se joignent à vous aujourd'hui. Moi aussi, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre mémoire.

Juste une première question générale pour avoir votre point de vue -- on la pose de temps en temps: Comment vous expliquez le décalage -- moi, je le qualifierais de décalage, là -- entre ce qu'on voit comme effectivement taux d'appui, par exemple, à une aide médicale à mourir, les témoignages qu'on a ici depuis le début de nos auditions -- beaucoup de personnes aux prises avec une maladie dégénérative qui ont énormément de craintes, qui parlent de gens qui étaient atteints de la même maladie, qui ont vécu la fin de leur vie de manière difficile, des gens qui nous rapportent des expériences de proches qui avaient un cancer et dont la fin de vie a été très difficile -- et ce qu'on entend des soins palliatifs qui en fait est... Vous nous dites, et c'est généralement ce qu'on entend, qu'à peu près tout peut être soigné et à peu près toute douleur ou souffrance peut être endiguée. Et pourtant les gens qu'on a entendus sont des gens, en général, pas qui viennent du fin fond d'une région où il n'y a pas de services, mais qui sont bien accompagnés, et tout ça. Comment vous expliquez ce décalage-là?

M. Lapointe (Bernard): Je pense qu'il y a un décalage d'une part au niveau de ce qui est vraiment l'euthanasie puis ce qu'on croit être l'euthanasie, c'est-à-dire l'arrêt des traitements. D'ailleurs, je voudrais vous féliciter pour l'effort de définition que vous avez fait. Si tout le monde avait pris le temps de lire ces définitions-là que vous avez publiées puis intégrer ces définitions-là, déjà je pense qu'il y aurait moins un paradoxe comme celui-là, O.K.?

Je pense qu'il demeure aussi que les soins palliatifs, encore une fois, c'est un savoir-faire qui doit être disponible, puis je pense que, à mon avis, il n'y a que 15 % à 25 % des Québécois qui ont accès à ce savoir-faire-là. Alors, je ne suis pas surpris d'entendre... Et je pense que ce qui est clair pour moi, c'est qu'on a de gros efforts à développer pour prendre ce savoir-faire-là puis voir ensuite comment... et qu'il y ait une évaluation de cette performance-là, qu'on ait une meilleure évaluation.

Moi, je peux vous dire qu'on a des études qu'on a faites chez nos malades au niveau de la satisfaction, au niveau de la satisfaction des familles, on monitore quotidiennement les malades sur des échelles de douleur puis de symptômes et de bien-être, je peux vous dire que, honnêtement, on fait des grands efforts pour être attentifs à ce qui est là, O.K.? Et je ne suis pas... J'entends comme vous ce qui nous est dit, et ça me confirme dans le fait qu'on doit véritablement mettre les bouchées doubles pour pouvoir livrer un système de soins de fin de vie adéquat pour nos concitoyens et nos concitoyennes, mais pas seulement des lits. Les malades sont déjà dans des lits, alors qu'on mette des lits puis qu'on mette une pancarte: Ce sont des soins palliatifs, vous comprendrez que, pour moi, ils sont déjà dans des lits, qu'il y ait une pancarte, ça ne change rien. Ce qu'il faut, c'est que vraiment il y ait des équipes formées, interdisciplinaires, puis qu'on arrête aussi de... et que ce soit soutenu, non seulement les infirmières, mais les médecins, et les psychologues, puis les travailleurs sociaux. Parce qu'on a parlé de souffrances tantôt. Bien, si on est obligés d'organiser des soupers aux beans pour payer les psychologues puis les travailleurs sociaux dans les maisons, même dans les hôpitaux, il y a un problème. Puis ça, c'est la réalité aussi, hein?

Donc, moi, je peux vous dire que, pour plusieurs d'entre nous, là, chefs de service, on doit compter sur des fonds de charité pour pouvoir payer des éléments essentiels des soins que sont, entre autres, psychologues, travailleurs sociaux. Donc, je comprends très bien ce que j'entends, parce que je suis très attentif à ce débat-là, je souhaite vraiment qu'on arrive, comme société, à améliorer l'ensemble de nos soins, je trouve que c'est indigne, le niveau de performance, mais en même temps ça ne me fait pas désirer plus une légalisation à ce moment-ci, parce que ce que je crains aussi, c'est que, une fois que la législation serait modifiée, que la légalisation soit intervenue, on n'ait plus le désir de mieux performer au niveau des soins palliatifs, qu'on considère la question comme étant close et qu'on passe à autre chose.

Mme Hivon: Deux choses. Parce que, nous, on avance, on avance dans nos réflexions, il y a certaines choses qui nous troublent beaucoup. Moi, une des choses qui me troublent beaucoup, c'est évidemment ces témoignages-là. C'est certain que ce sont généralement des gens atteints de maladies dégénératives. Et, bien franchement, vous en avez peut-être entendu aussi, mais ce sont des gens excessivement articulés qu'on a entendus, qui prennent le temps de faire un mémoire, de venir ici, malgré leur maladie, malgré tout ce qui leur arrive, qui sont suivis, qui sont à la fine pointe de tout, et qui quand même ont des craintes incroyables. Et, basé sur eux... Plusieurs vont nous dire: Je ne le sais pas, à la fin de ma vie, peut-être que je ne voudrai pas effectivement me prévaloir de ça, mais, comme disait ma collègue, en soi, de savoir que peut-être que c'est une possibilité peut m'aider à améliorer ma qualité de vie au jour le jour, mais aussi j'ai vu des expériences, des gens qui ont des maladies comme moi puis qui ont fini leur vie d'une manière très difficile. Donc, moi, je ne veux pas de réponse, je fais juste vous dire que ça, c'est quelque chose qu'on reçoit et à quoi il faut réfléchir. Et ça m'amène à ma question sur les soins palliatifs.

Dans la première page de votre mémoire, là, vous parlez de l'Institut neurologique, qui est en train de développer, de ce que je comprends, la première unité de soins neuropalliatifs. Donc, de ce que je comprends, et c'est souvent, les experts qu'on a en soins palliatifs, davantage des gens qui traitent les gens qui ont des cancers en fin de vie, puis tout ça, on y a fait référence tout à l'heure. L'état des lieux, pour ce qui est des soins palliatifs pour les gens atteints de maladies dégénératives, est-ce qu'il est aussi, je dirais, pas avancé que ce qu'on nous dit? Parce qu'en général plusieurs personnes qui sont venues du domaine des soins palliatifs nous ont dit qu'effectivement il y avait un gros problème, si vous voulez, entre ce qui a pu être développé pour les gens qui ont un cancer en phase terminale versus les gens qui doivent vivre pas juste quelques semaines de fin de vie, mais des mois difficiles de maladies neurodégénératives.

**(10 h 30)**

M. Lapointe (Bernard): D'une part, le projet à l'hôpital neurologique demeure un projet malheureusement. Donc, on en est là. Deuxièmement, il y a des pratiques aussi qui sont difficiles pour des malades atteints de maladies dégénératives. Je vais vous dire, par exemple, la pratique des soins, dans plusieurs des CLSC, de façon à contenir les coûts, il y a une espèce de pratique où on dit: On va augmenter les soins lors des trois derniers mois de vie. Alors là, à ce moment-là, le plateau de services augmente pendant les trois derniers mois de vie, donc un petit peu plus de temps infirmier, un peu plus de répit pour les familles, tout. Mais ça, ce n'est pas disponible. Alors, si vous êtes atteint d'une maladie dégénérative puis vous avez vraiment une perte beaucoup plus longue, à ce moment-là, ça, ça risque de ne pas... encore une fois, les plateaux sont difficiles selon les CSSS. Selon le côté de la rue où vous vivez, hein, il va varier d'un CSSS à l'autre. Mais il y a cette espèce de compréhension du trois mois, qui est vraiment au... qui ne vient pas nous aider de ce côté-là; le répit pour les familles, le programme de soutien aux soignants des familles pour le congé de compassion n'est que de six semaines, hein, encore une fois, pour les gens atteints. Vous voyez qu'il y a plein de politiques, de procédures, de programmes qui ne viennent pas aider. Alors, il faudrait corriger l'ensemble de ces problèmes-là irritants. Si, par exemple, dans les hôpitaux, on paie les couches mais pas à domicile, bien, à la fin du mois, ça coûte de l'argent; si on paie certains médicaments à l'hôpital mais pas à domicile complètement, parce que c'est 30 %, alors rajoutez ça, rajoutez ça au supplément alimentaire, rajoutez ça au fait qu'on manque de l'emploi parce qu'aujourd'hui ça ne va pas bien puis il faut que je reste à la maison, rajoutez ça au fait qu'on a besoin d'engager quelqu'un pour faire le gardiennage, bien, vous voyez qu'on n'aide pas.

Mme Hivon: Sur le point très spécifique de la sédation terminale, parce qu'évidemment c'est un argument important des soins palliatifs, et on le conçoit très bien pour quelqu'un qui est en phase terminale de cancer, pour quelqu'un qui a une maladie neurodégénérative, est-ce que, selon vous, c'est encore la porte de sortie qui continue à exister et qui fait en sorte donc qu'une aide médicale à mourir n'a pas sa place? Et comment ça peut s'articuler quand la fin de vie est, mettons, plus longue ou les souffrances sur une plus longue période?

M. Lapointe (Bernard): Dans le contexte où, par exemple, ça va s'articuler surtout au niveau de la difficulté respiratoire, à ce moment-là, si le malade ne veut pas être intubé, puis je pense que c'est justifiable, à ce moment-là, on va tout simplement procéder à une mise sous sédation. La douleur physique généralement va être soulagée par les opiacés, on n'a pas besoin de procéder à une sédation. C'est surtout la crainte, hein, d'étouffer, et ça, je pense que je la partagerais aussi, et c'est pour ça que je suis très confortable en disant que la sédation arrive à rendre la personne endormie, donc, pendant que la maladie l'emporte, elle n'en sera pas consciente, et ça, je pense que c'est important.

Mme Hivon: O.K., puis, dans un cas comme ça, est-ce que c'est au moment de la sédation donc qu'on retire l'hydratation et l'alimentation ou, par exemple dans votre cas de figure, la personne a déjà arrêté de manger et de s'hydrater, par exemple une personne atteinte d'une maladie dégénérative?

M. Lapointe (Bernard): Généralement, je ne procéderai pas à une sédation s'il y a de l'alimentation, il y a un trop grand danger de régurgitation puis de causer de la détresse respiratoire. L'hydratation, je pense que ça, c'est discutable, ça va dépendre des familles puis du malade, on va en parler, mais chose certaine, c'est qu'il ne faut pas mettre en doute l'efficacité de la sédation. Je pense que je vous l'avais dit au mois de février, écoutez, si on met en doute ça, on met en doute l'efficacité de l'anesthésie. Je pense que, lorsqu'on utilise des... Moi, j'ai vu des gens littéralement éventrés par leur cancer, hein, donc éventrés complètement, qui ont fini leur vie endormis paisiblement en utilisant des agents anesthésiques. Donc...

Mme Hivon: Vous savez qu'on a eu le Barreau, il y a deux semaines, qui nous a dit qu'à partir du moment... Quand la seule voie finale, c'est la sédation terminale et qu'il va de pair avec ça qu'on arrête l'hydratation et l'alimentation pour avoir tous les effets qu'on veut, comme vous le dites, quelle est la différence entre ça et de dire: Aujourd'hui, on donne une aide finale? Je comprends, dans la subtilité, de dire...

Une voix: ...

Mme Hivon: Oui, oui, mais, pour le Barreau, vous voyez, c'est ça qui est un peu troublant pour nous, c'est qu'eux ils sont dans l'intention juridique et, pour eux, ils ne voyaient pas vraiment de différence, alors que les médecins, eux, qui sont dans le traitement, voient une grande différence.

M. Lapointe (Bernard): Écoutez, je vais vous dire que peut-être que dans l'intention juridique, je ne peux pas... je ne suis pas juriste, je ne connais pas... mais peut-être que, toi, tu voudras parler là-dessus, mais je vais vous dire, au minimum, c'est qu'il ne faut pas créer des conditions non plus qui vont faire que toutes nos équipes de soins palliatifs vont s'effondrer. La sédation palliative, c'est quelque chose qui est accepté par nos équipes, qui respecte qui ils sont, ce qu'ils font puis leurs valeurs profondes. Puis ils sont prêts à vivre avec les trois ou quatre ou cinq jours de plus de soins pour ne pas avoir à vivre avec le questionnement: Est-ce que j'aurais dû, est-ce que je n'aurais pas dû procéder à l'euthanasie? Et ça, on le voit très bien.

Parce que vous parlez de paradoxe entre la population en général et les équipes de soins palliatifs. Comment se fait-il que 99 % ou plus des gens en soins palliatifs s'opposent à la légalisation, alors que 70 % des médecins, semble-t-il, sont en faveur? Il y a quelque chose là. Comment on arrive à expliquer ça? On n'est pas en religion, hein? Ce n'est pas une religion, les soins palliatifs, c'est une pratique, c'est une expertise, c'est une expérience. Comment se fait-il? Alors, je pense qu'avant de procéder, je pense qu'il faut se poser la question aussi: Quel sera l'impact de ça? Alors, si, comme société, entre deux maux, on choisit le moindre, bien peut-être que la sédation qui permet véritablement cette gestion-là est celle-là qu'il faut privilégier.

Le Président (M. Kelley): Dre Farley.

Mme Farley (Justine): J'aimerais rajouter que malheureusement au niveau du Barreau l'on ne fait aucunement appel à l'expertise de médecins en soins palliatifs. Et puis, en fin de vie, c'est un phénomène qui est bien connu, les personnes ne meurent ni de faim ni de soif, ne meurent pas de faim parce que le système digestif s'est ralenti et n'est plus capable de transformer la nourriture en énergie puis en masse musculaire. Puis, pour l'hydratation, ça s'explique que les personnes à qui on va donner une perfusion intraveineuse vont se retrouver avec un surplus de liquide. Le processus de la mort, ça s'étend dans le temps puis ça fait appel à des changements physiologiques. Ce n'est pas un adulte qui meurt en santé. Ce qui explique pourquoi le besoin de nutrition ou d'hydratation en fin de vie, c'est un faux problème. Je pense que c'est des notions qui ne sont pas connues et puis qui mériteraient d'être diffusées.

Une voix: ...

Le Président (M. Kelley): Un court complément parce qu'il reste une autre question à ma gauche, mais un court complément, Dr Borod.

M. Borod (Manuel): The New England Journal article I referred to, -- 1997 -- in terms of the legal implications in differentiating between palliative sedation and assisted suicide, is very clear in terms of enabling palliative sedation and not needing assisted suicide to treat the very sick and suffering. It's very clearly written and I think anybody interested in the legality should read that article.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, mesdames messieurs, de votre contribution à ce débat. C'est un débat fort important, je pense que vous en prenez toute la mesure avec nous. Vous avez très bien fait part de votre expertise comme personnes oeuvrant en soins palliatifs. Vous nous avez très bien fait comprendre vos connaissances autant dans le savoir-faire que dans le savoir-être, l'accompagnement, et tout ça, l'importance de ça.

Mais les gens qu'on reçoit ici sont des gens qui viennent témoigner, qui sont en faveur... pour ceux et celles qui sont en faveur de l'euthanasie ou du suicide assisté, ce sont des gens qui ne nient absolument pas l'importance des soins palliatifs, mais qui disent: À un certain moment donné de notre vie, il y a de la douleur, il y a une peur, à un moment donné, les soins palliatifs ne peuvent plus, et on veut être capables de prendre une décision et avoir le choix.

Dans votre mémoire, vous ne faites absolument... vous ne parlez pas du choix des individus, vous ne le traitez pas. Vous vous appuyez beaucoup sur votre expertise, votre savoir-faire et le savoir-être pour dire que vous pouvez répondre à la très, très, très grande majorité des situations. Mais, pour des gens pour qui le traitement est devenu trop long, trop difficile, trop douloureux et qui ont réglé leurs histoires de famille, tout ce qu'il faut régler, qui ont atteint une certaine sérénité et qui disent: Moi, je veux prendre la décision, comment vous considérez le point de vue de ces personnes-là? Vous n'en faites pas mention, ça m'intrigue un peu, et j'aimerais vous entendre là-dessus.

**(10 h 40)**

M. Lapointe (Bernard): Bien, je pense que je vous en avais parlé au mois de février clairement. D'une part, ne mêlez pas les médecins à ça, parce que de modifier le lien médecin-patient puis de permettre que le médecin dorénavant puisse donner la mort à un patient, même si c'est à sa demande, vient modifier de façon profonde le lien de confiance qui doit exister entre un malade qui est dans une très grande période de détresse ou d'insécurité, d'angoisse, puis envers la personne qui doit être là pour l'aider, O.K.? Ça, c'est la première chose.

La deuxième chose, c'est que vous avez une responsabilité comme parlementaires à vous assurer qu'une décision comme celle-là ne permettra pas des dérapages importants. Or, l'expérience, tant en Hollande, tant en Belgique, nous démontre clairement qu'un nombre important des gestes d'euthanasie soit sont non rapportés, puis je vous ai cité dans le document... Ça, écoutez, ce n'est pas moi qui l'invente, là, ça a été publié, ça a été discuté, puis ça a été même... ça a fait l'objet de mises en garde par le Conseil de l'Europe envers la Hollande et envers la Belgique, et ça a été discuté longuement, donc il y a des dérapages. On vous cite, par exemple, des statistiques très inquiétantes au niveau du nombre de gestes de cette nature-là posés. Alors, si on compare le Québec puis ces sociétés-là qui sont respectueuses du droit, comment ici on va arriver d'être différents d'eux autres puis faire qu'il n'y ait pas de dérapage? C'est très important parce qu'il y a des aspirations et des droits personnels, mais il y a aussi des aspirations puis il y a des droits collectifs. Puis une des responsabilités que vous avez comme membres de l'Assemblée nationale, c'est la protection du citoyen, vous assurer que ça n'arrivera pas. Alors, ça, c'est deux points très importants.

Le troisième point, c'est que, fondamentalement, ce dont vous parlez, c'est du suicide assisté, c'est-à-dire un malade qui est atteint d'une maladie dégénérative, qui ne veut pas avoir à vivre au travers de ces mois et de ces années-là, et il n'est pas à ce moment-là dans cette condition-là, à part d'avoir le diagnostic puis quelques symptômes, je ne sais pas, mais c'est vraiment une question de suicide assisté. Bien, à ce moment-là -- puis là je vais parler pour moi, je n'engage pas mes collègues -- à ce moment-là, qu'il y ait un système au Québec ou qu'on se tourne vers l'État, qu'on se tourne vers un tribunal, qu'on documente la maladie, qu'on documente le fait qu'on n'est pas déprimé, puis qu'un bon père de famille, qui est un juge représentant la société, permette à la personne de prendre un cocktail lytique comme en Suisse, par exemple. Mais ça, ça ne viendra pas modifier des équilibres très importants, très précieux qu'on a au niveau de la médecine du patient, au niveau d'un dérapage potentiel puis de décisions qu'on voit, des pratiques qui ne sont pas exemplaires. Je suis désolé, mais, si on me cite la pratique telle qu'elle est faite en Hollande actuellement ou en Belgique comme exemplaire, je suis obligé de vous dire non, on est loin de ça. À ce moment-là, vous avez une responsabilité de protection.

Le Président (M. Kelley): Malheureusement, il ne reste pas de temps pour continuer. Peut-être juste une dernière, parce qu'un des commentaires qui m'a intrigué dans notre première visite ici, à Montréal, c'était un de vos confrères du CHUM, Dr Patrick Vinay, qui a dit: Entre autres, un des problèmes, c'est les traitements inutiles que les oncologues donnent, où il y a une certaine impression que soins palliatifs, c'est comme lancer la serviette plutôt qu'une suite logique, un continuum de traitements ou des services qu'on offre à un patient.

Comment est-ce que vous réagissez? Parce que vous avez évoqué les manques de ressources dans notre système, et, comme député, je suis très conscient qu'on a un énorme défi de financement d'un système public de la santé au Québec. Alors, quand un médecin parle des traitements inutiles, on était tous frappés, je pense, comme membres de la commission, et comment peut-être changer les approches vers les soins palliatifs? Parce que, moi, je connais très bien le centre dans l'Ouest-de-l'Île de Montréal, à Kirkland, et un constat, après sept ans d'existence, c'est la durée, les séjours sont de plus en plus courts, moins à cause d'une liste d'attente mais beaucoup plus parce que les traitements... après un traitement... alors les personnes arrivent vraiment mourantes, vraiment à la porte de la mort. Et est-ce que, dans la formation et les autres propositions que vous avez soulevées, ça, c'est un moyen de peut-être changer l'utilisation des soins palliatifs à l'intérieur du traitement de la fin de la vie?

M. Lapointe (Bernard): Écoutez, vous avez raison. On ne doit pas limiter les soins palliatifs à la fin de vie, parce qu'à ce moment-là les gens qui avaient besoin d'un soulagement de leurs souffrances ou des symptômes bien avant... Moi, je vois des gens en clinique qui ont six, sept ans, ou même peut-être plus de vie devant eux, mais qui ont aujourd'hui une fracture pathologique causée... Il faut être présent, il ne faut pas qu'il y ait des soins Cadillac, si vous voulez, seulement en fin de vie, puis que ce ne soit pas là en cours de vie. Donc, les soins palliatifs doivent être présents puis doivent être offerts très tôt pour les gens qui en ont besoin. Puis ils doivent être présents puis accessibles par les gens qui veulent avoir des discussions par rapport à des traitements.

Très souvent, les gens vont choisir de parler avec un tiers, donc le médecin en soins palliatifs: Est-ce que je devrais prendre cette nouvelle chimio là ou pas? Puis nous, bien, comme on est habitués à écouter puis à prendre le temps, très souvent... je supporte nos collègues en oncologie, mais très souvent les patients préfèrent un tiers pour parler de ces questions-là. Et finalement on arrive très souvent à soutenir des décisions d'abandon de traitement en cours de route. Puis finalement, là-dessus, c'est qu'on a des données qui montrent que, si les soins palliatifs sont intégrés plus avant, le surtraitement en fin de vie disparaît.

Et non seulement les gens ont une meilleure qualité de vie, mais on l'a vu encore récemment, il y a trois semaines, il y a eu un premier papier qui a démontré que les gens qui bénéficiaient d'une approche palliative trois mois avant le décès vivaient plus longtemps que les gens qui suivaient le traitement courant lorsqu'ils étaient atteints d'un cancer du poumon. Alors, je pense que, ça, ce sont des pistes aussi à explorer.

Le Président (M. Kelley): Dernier, dernier mot, Dre Farley, parce qu'on a dépassé le temps, mais l'indulgence du président...

Mme Farley (Justine): Je m'excuse. Oui, merci. Une réponse aussi au temps de séjour abrégé dans les maisons de soins palliatifs. Une des explications que j'aimerais mettre de l'avant, c'est peut-être que, dans certains milieux, les soins palliatifs à domicile sont mieux développés, ce qui fait que le temps de séjour en milieu hors du foyer est abrégé. J'aimerais que ce soit une réalité. Mais je pense que dans certains coins de la province ça peut se vérifier.

Le Président (M. Kelley): Parfait, merci beaucoup. Sur ce, Dr Lapointe, Dr Borod, Dre Farley, Dr Liben, Dre Tradounsky, merci beaucoup pour votre présence ici ce matin. Je vais suspendre quelques instants et je vais demander à la Dre Jana Havrankova de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 10 h 48)

 

(Reprise à 10 h 51)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission va reprendre ses travaux. Un autre témoin qui nous a aidés ce printemps est de retour. Alors, sans plus tarder, je suis prêt à céder la parole à la Dre Jana Havrankova.

Mme Jana Havrankova

Mme Havrankova (Jana): Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames et messieurs. J'ai intitulé mon mémoire L'aide à mourir: les devoirs du médecin. Et, dans les 15 minutes qui me sont allouées, je voudrais vous présenter l'argumentaire qui sous-tend le fait, pour moi, qu'aider un patient souffrant d'une maladie incurable, qui demande à mourir, fait partie des responsabilités du médecin.

Dans mon mémoire devant cette commission, en février 2010, je faisais valoir le droit du malade atteint d'une maladie incurable causant des souffrances ou des incapacités intolérables de choisir le moment et la manière dont il désire mourir. Par respect de son autonomie et de sa liberté de choix, un éventail de possibilités devraient lui être accessibles. Celles-ci comprennent les soins palliatifs de qualité en établissement et à domicile, incluant la sédation palliative et terminale, ainsi que l'aide à mourir, incluant le suicide assisté et l'euthanasie.

Il s'entend que l'aide à mourir est une option que les personnes atteintes de maladies incurables choisissent rarement. Ainsi, dans les pays où l'aide à mourir est permise, moins de 2 % des décès en résultent. Toutefois, cette minorité mérite l'attention des médecins, dont je suis, de la société et du législateur. En tant que médecin, j'ai vu des agonies dont je ne voudrais pas. Je suis endocrinologue, je traite des maladies de la thyroïde, de l'hypophyse, le diabète, etc., et je ne soigne pas souvent les patients en phase terminale de la maladie.

Par conséquent, je ne prétends pas être une experte en soins de fin de vie. Tout de même, j'ai vu plusieurs malades mourir, certains péniblement. Je me souviendrai toujours de ce patient de 75 ans souffrant d'un cancer de la thyroïde métastatique qui m'avait dit un jour: J'aimerais que cela cesse. J'ai présumé ou fait semblant de présumer qu'il parlait des examens et des traitements futurs. Je l'ai rassuré en disant que nous n'allions pas faire d'autres examens ni d'autres traitements. Il a rétorqué tout doucement: Vous ne comprenez pas, docteur, je veux mourir.

Il ne m'a pas demandé de l'aider à mourir. Il savait, comme tout le monde le sait, que l'aide au suicide et l'euthanasie sont illégales. J'ai alors promis à mon patient que j'allais faire tout ce que je pouvais pour que ses douleurs soient soulagées et qu'il se sente à l'aise. Il est décédé trois semaines plus tard, sans souffrances, soulagé et endormi par des narcotiques. Toutefois, ces trois semaines de survie étaient manifestement de trop pour lui. Il avait dit adieu à ses proches, ses affaires étaient en ordre. Il ne faisait qu'attendre la mort. Ni lui ni ses proches ne tiraient aucun bénéfice de cette agonie.

En réfléchissant, en me documentant et en discutant avec plusieurs personnes de divers horizons des enjeux de fin de vie, j'en suis venue à la conclusion, qui choquera certains, que non seulement l'aide à mourir n'est pas contraire à la mission du médecin, mais qu'elle en constitue une partie inhérente et essentielle. Un ancien dicton ne dit-il pas que le médecin doit, je cite, «guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours»? Fin de la citation.

Les opposants à l'aide à mourir font appel à certains arguments éthiques et déontologiques qui, de prime abord, empêcheraient le médecin d'aider le patient à mourir. Ces arguments sont-ils vraiment solides?

Premièrement, parlons du serment d'Hippocrate. Certains adversaires de l'aide à mourir font valoir que l'euthanasie et le suicide assisté s'opposent au serment d'Hippocrate, le serment originel des médecins. Que dit ce serment au juste? Je cite: «Je ne remettrai à personne de poison, si on m'en demande, ni ne prendrai l'initiative d'une pareille suggestion.» Fin de la citation. Cette injonction ne mentionne rien à propos de la maladie incurable causant des souffrances ou des incapacités intolérables.

Plus de 2 000 ans après sa mort, Hippocrate ne peut préciser sa pensée. Il serait intéressant d'entendre ce père de la médecine s'exprimer sur d'éventuelles exceptions à cette règle. Il n'a certainement pas prévu les avancées de la médecine qui permettent de prolonger la vie là où jadis la mort survenait rapidement. Il n'a jamais entendu parler de la chimiothérapie, de la radiothérapie ou des respirateurs.

Le serment que prête le médecin de nos jours s'inspire toujours du serment hippocratique. Toutefois, l'accent est mis sur le respect de l'autonomie du patient. Par exemple, le Collège des médecins du Québec fait jurer au médecin qu'il respectera les droits et l'autonomie du malade. Aider à mourir un patient qui n'en peut plus et qui demande à être aidé reflète précisément ce respect.

Parlons du consentement éclairé et du refus de traitement. Le respect de l'autonomie du patient est le principe primordial de l'éthique médicale. Le médecin ne peut prescrire des examens ou des traitements sans le consentement explicite d'un patient clairement informé. Tout patient jugé compétent pour consentir aux soins peut refuser tout examen et tout traitement même s'il met sa survie en danger. Le refus des transfusions par les Témoins de Jéhovah en est un exemple. Quel principe moral permet alors d'imposer la vie à une personne souffrant d'une maladie incurable, qui demande à mourir?

J'aimerais illustrer mon propos en vous présentant un cas vécu qui concerne le refus de traitement. Un patient diabétique d'une soixantaine d'années s'est présenté à l'hôpital avec une gangrène infectée d'un pied. L'infection s'était propagée jusqu'au genou. La seule façon de lui sauver la vie était d'amputer la jambe en haut du genou puisque l'infection progressait malgré les antibiotiques les plus puissants. Le patient en fut informé avec tous les ménagements possibles. Il a refusé net l'amputation malgré toutes les explications sur les possibilités de prothèse, de réadaptation, de soutien psychologique, etc. L'infection a continué à s'étendre malgré l'essai d'autres antibiotiques, ce à quoi il consentait. Il recevait de la morphine à des doses de plus en plus fortes. Il dormait la plupart du temps et il est décédé quelques jours plus tard.

Ne croyez surtout pas que sa décision n'a pas soulevé de remous dans l'équipe traitante. Personne ne disait: Bon, c'est son droit de refuser. C'était plutôt: Ça n'a pas de bon sens. Il faut trouver une manière de le convaincre de se faire opérer. Certains doutaient de sa compétence à refuser le traitement. Mais non, il était compétent. Il savait parfaitement que ses chances de survivre sans l'amputation étaient presque nulles. Toutefois, il préférait mourir plutôt que de vivre sans une jambe. Selon ses valeurs, la vie avec une seule jambe ne valait pas la peine d'être vécue.

Si l'on admet que ce patient pouvait exercer son jugement et sa volonté au point de refuser une intervention qui lui aurait sauvé la vie, comment pouvons-nous refuser une aide à mourir à quelqu'un dont les jours sont comptés et qui n'a que l'incapacité ou les souffrances à attendre du reste de son existence? Nous sommes au coeur de la déontologie médicale: le respect de l'autonomie, le refus du traitement et le consentement aux soins.

**(11 heures)**

Toutefois, il y a des maladies pour lesquelles il n'y a pas de traitement ou les traitements ont été épuisés. C'est le cas notamment de plusieurs maladies neurodégénératives. Rappelons que les demandes les plus connues de suicide assisté au Canada émanaient de personnes avec ce type de maladie: sclérose latérale amyotrophique pour Sue Rodriguez, sclérose en plaques pour Manon Brunelle et Charles Fariala, ataxie de Friedreich pour Marielle Gagnon. Ces personnes étaient condamnées à voir leur corps se détériorer sans espoir de rémission, à devenir de plus en plus dépendantes pour les soins d'hygiène les plus élémentaires, à éprouver de plus en plus de difficultés à se nourrir elles-mêmes. Finalement, sans un respirateur, elles finiraient par suffoquer. Plus probablement, elles auraient été admises à l'hôpital, mises sous sédation terminale et se seraient éteintes en quelques jours, avec un peu de chance. Toutefois, il me semble que ces personnes, qui le demandaient avec insistance et à répétition, auraient dû avoir le droit de mourir un peu plus dignement, entourées de leurs proches, au moment où elles disaient de façon irrévocable: C'est assez. André Comte-Sponville, philosophe français contemporain, dit, je cite: «Nulle grille d'évaluation objective ne saurait juger de ce que nous pouvons ou non supporter.» Fin de la citation.

Parlons du Code de déontologie des médecins. Certains font valoir que le code de déontologie du Collège des médecins est incompatible avec l'aide à mourir. Toutefois, ce code stipule par exemple, et je cite: «Le médecin doit exercer sa profession dans le respect de la vie, de la dignité et de la liberté de la personne humaine.» Fin de la citation. Si le malade incurable juge que sa vie est indigne, comment le médecin peut-il lui refuser cette ultime liberté qu'est l'euthanasie ou le suicide assisté? Hubert Reeves l'a résumé, et je cite: «Il devrait exister un droit fondamental [à mourir].» Fin de la citation. D'ailleurs, comme vous le savez, à l'automne 2009, le Collège des médecins du Québec a ouvert la porte à l'euthanasie qui pourrait, dans certaines conditions bien précises, bien encadrées, faire partie des soins de fin de vie.

Parlons brièvement de l'image du médecin. Plusieurs se soucient de l'image du médecin en disant que, si le médecin consentait à aider à mourir les patients atteints de maladies incurables, les gens cesseraient de faire confiance à ce médecin. Toutefois, comme vous le savez, les sondages révèlent qu'environ deux tiers des Québécois souhaiteraient qu'on les aide à mourir, le cas échéant. L'expérience des pays où l'euthanasie est légale démontre que les médecins n'ont pas perdu la confiance des malades, plutôt au contraire. En effet, un médecin qui place les valeurs du patient au-delà des siennes propres mérite davantage d'estime que celui qui prétend toujours savoir ce qui est mieux pour autrui.

Finalement, parlons de la compassion. La compassion, tel que le mot l'indique, implique que l'on se mette à la place de la personne envers laquelle cette compassion s'exerce. Elle ne prétend pas de savoir mieux que le malade, elle veut l'accompagner. Dans ce sens, il est choquant que certains médecins qui s'opposent à l'aide à mourir suggèrent qu'un malade qui ne désire plus vivre pourrait se suicider lui-même. Il n'y a en effet aucune loi qui empêche cela. Cependant, d'après moi, cette suggestion va totalement à l'encontre de la compassion et de la relation d'aide qui incombe aux médecins. C'est l'abandon pur et simple du malade. C'est de lui dire: Débrouillez-vous.

Or, se suicider avec succès demande certaines connaissances et une force mentale et parfois physique que les malades souvent ne possèdent plus vers la fin. Ainsi, ils peuvent décider de se suicider prématurément alors qu'ils en ont encore les forces, ce qui est évidemment tragique, ou ils peuvent demander à leurs proches de les aider à se suicider. Ce n'est pas le rôle des proches, qui devront peut-être vivre avec les reproches des autres membres de la famille, avec des souvenirs pénibles ou avec des remords. Un peu de compassion envers les proches serait de mise. Si les malades savaient que l'aide viendrait au moment qui leur paraîtrait opportun, ils pourraient vivre leurs derniers jours, semaines ou mois dans une plus grande sérénité, sans se poser la question: Comment vais-je mourir ou qui m'aidera?

Je termine par une phrase qu'a prononcée Franz Kafka lorsqu'il se mourait de tuberculose, je cite: «[Docteur] tuez-moi, sinon vous êtes un assassin.» Fin de la citation. Son médecin l'a-t-il écouté? L'histoire ne le dit pas. En Autriche de 1924, l'euthanasie sur demande était illégale et malheureusement le demeure là-bas et ici, malgré les cris au secours que l'on entend à répétition. C'est le temps que cela change.

Et là je me rends compte qu'il manque un paragraphe qui mettrait ça, disons, opérationnel. Alors, ce que je suggérerais, c'est que l'euthanasie sur demande devrait être encadrée avec l'aide du Collège des médecins un petit peu comme la porte qu'ils ont ouverte en disant que, dans des circonstances bien précises et bien encadrées, l'euthanasie sur demande, je souligne, serait une façon, une manière d'intervenir en fin de vie, donc ferait partie des soins de fin de vie.

En ce qui concerne l'aide au suicide, si j'ai bien compris -- vous le savez mieux que moi -- il est possible de donner des directives au Procureur général à ce qu'il ne poursuive pas si le suicide assisté est fait évidemment sur la demande du patient, évidemment pour un patient souffrant de maladie incurable avec des conditions qu'on a dites, des incapacités intolérables, des souffrances intolérables, donc ne pas poursuivre des personnes ou la personne qui aiderait le malade de ce type à se donner la mort. Merci de votre attention.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. On va passer à la période d'échange avec les membres de la commission. Je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: C'est presque gênant, M. le Président, puisque, d'un côté comme de l'autre de ces tables, il y a des gens qui ont le nez plein, puisque le rhume a l'air à être au rendez-vous, au rendez-vous de notre longue fin de semaine.

Bonjour, madame. Merci de revenir nous voir, puisqu'on a toujours plaisir de revoir les gens qu'on a vus au préalable, où les spécialités puis les façons de faire sont toujours au rendez-vous.

Vous avez en partie répondu à la première question que j'avais inscrite dans mon cahier de travail après avoir lu une première fois votre mémoire, puisque votre dernier paragraphe n'y était pas. J'avais l'intention de vous entendre sur l'ouverture des médecins, puisque vous approchiez, dans la page 5, le principe de l'ouverture chez les médecins. Et je vais vous permettre de peut-être préciser par rapport à cette ouverture-là. Vous voyez ça comme... Plutôt que de le regarder sous un aspect légal, vous le regardez sous un aspect de traitement? Ça rentrerait dans une rubrique ou une filiale du traitement de fin de vie ou d'une façon de voir la médecine qui serait différente? J'aimerais ça vous entendre un peu plus là-dessus.

Mme Havrankova (Jana): Oui. En effet, je dis que l'aide à mourir, que ce soit l'euthanasie sur demande ou le suicide assisté, pourrait, à certaines conditions qu'on a définies au préalable -- je ne pense pas que ce soit nécessaire de revenir là-dessus -- faire partie des soins de fin de vie. Alors, si on prend un cas bien concret, une personne qui souffre de sclérose latérale amyotrophique n'arrive plus à avaler sa nourriture, commence à avoir de la difficulté à respirer, dit: Bien là, moi, c'est fini, je ne veux plus vivre, alors il y a une consultation auprès d'un travailleur social pour s'assurer qu'il n'y a pas d'influence indue, consultation auprès d'un psychologue ou un psychiatre pour s'assurer qu'il y a pas de dépression majeure qui serait traitable et qui ramènerait peut-être cette personne à vouloir prolonger sa vie par des moyens plus artificiels, une sonde gastrique ou un respirateur, le cas échéant, tout ça, c'est disponible. Et finalement, évidemment, une consultation avec un autre médecin qui confirme le diagnostic, si on veut, et le pronostic, le pronostic inéluctable de la nécessité d'installer la sonde gastrique et éventuellement le respirateur. Alors, toutes ces conditions étant réunies, la permission est accordée à une personne, infirmière ou médecin, pour administrer l'injection létale qui se passe généralement en deux temps, avec un sédatif et un bloqueur de respiration. Et la personne décède comme ça. Et puis elle a le loisir de s'entourer de qui elle voudra. Elle est consciente. C'est ça qu'elle veut, elle.

**(11 h 10)**

Mme Charbonneau: Vous avez, dès la page 1 de votre mémoire, bien spécifié vos... j'appellerai ça votre spécialité, hein, les maladies que vous traitez. Et dans celles-ci il y a le diabète, et vous avez fait un exemple flagrant sur la maladie du diabète. Ça m'interpelle un peu, dans ce sens où je crois que le diabète, c'est une maladie aussi d'une société. Je pense que la société peut être aidante par rapport à cette maladie qui vient jouer dans l'alimentation, puis dans la façon de vivre, puis dans la qualité de vie qu'on peut avoir.

Donc, quand on a des médecins -- puis vous étiez, je pense, avec nous dans la présentation précédente -- qui nous donnent une philosophie entre le droit individuel et le droit collectif, et j'ai le privilège d'avoir un autre médecin devant moi qui... de par votre réflexion, vous oeuvrez dans une autre colonne, vous n'êtes pas dans la colonne des contre mais dans la colonne des pour, j'aimerais vous entendre sur la responsabilité, je vais dire pour une première fois, là, la responsabilité du gouvernement face aux droits individuels et aux droits collectifs.

Mme Havrankova (Jana): Je pense que le législateur doit se préoccuper des minorités, des individus. En tout cas, moi, comme médecin... Je vais parler plutôt comme médecin qu'essayer de me mettre à la place du législateur. Mais, moi, je traite des gens qui sont devant moi, premièrement. Et, en deuxième lieu, je vais me questionner sûrement comment les attitudes du patient ou ce qu'on va préparer comme plan de soins ensemble peut être influencé par son entourage immédiat et quel impact ça peut avoir sur la société en général. Mais le premier intéressé, c'est le patient qui est devant moi et qui, lui, a le loisir d'impliquer ses proches. On parle souvent qu'il faut consulter les proches. Oui, souvent... des fois c'est utile mais pas toujours. Les proches peuvent avoir des intérêts fort divergents du patient, et ça peut créer des conflits.

Est-ce qu'aider les quelques personnes par année à mourir au moment où ils le jugent opportun va influencer de façon négative la société? Moi, je ne le crois pas du tout, au contraire. Bien, on sait que les trois quarts des Québécois... et c'est vrai, en France récemment il y a eu aussi un sondage, c'est les mêmes chiffres. Les gens veulent avoir cette possibilité, le cas échéant, comme une police d'assurance ni plus ni moins, de dire: Bien, si ça va mal, je peux toujours me rabattre sur l'aide à mourir.

Avant ça, bien, il y a des soins palliatifs. Je n'ai absolument rien... Je suis pour 110 %, si je peux dire, pour qu'il y en ait plus, qu'il y ait plus de formation. Mais je ne crois pas que les soins palliatifs sont la réponse à tout. On le voit à tous les jours, ce n'est pas vrai. Ils sont centrés sur les patients cancéreux -- c'est comme ça qu'ils ont été développés -- répondent à la majorité des besoins mais pas à la totalité. D'ailleurs, des gens des soins palliatifs vont admettre eux-mêmes: Ah oui, une fois, deux fois par année on me demande de l'aide à mourir. Mais pourquoi ignore-t-on ces deux demandes? Qu'est-ce qui nous permet, en tant que médecins, d'ignorer ce cri au secours?

Mme Charbonneau: Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à nouveau, Dre Havrankova. J'aime toujours quand les médecins viennent ici parce que c'est très rare qu'on puisse les questionner sur des sujets aussi importants, des débats de société. Vous savez, les médecins sont souvent perçus comme avoir la réponse à tout. Et je voudrais vous demander. Le Dr Barrette est venu nous voir à Québec en février, je crois, et, lui, il affirmé qu'il... Dr Barrette, vous savez, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec. Je le précise pour les gens qui sont ici. Lui, il affirme qu'il s'en fait, de l'euthanasie dans les hôpitaux au Québec. Et puis le groupe qui vous a précédée, les représentants de McGill, ils nous ont un peu confirmé que tout le principe de la sédation palliative pouvait être interprété comme étant de l'euthanasie, et ce qui pourrait nous faire croire qu'il ne serait pas nécessaire de légaliser l'euthanasie, puisqu'il s'en fait présentement, puis ça semble bien aller. Alors, pourquoi légiférer? Qu'est-ce que vous pensez de ça, vous, par rapport à vos collègues?

Mme Havrankova (Jana): Moi, je dirais que dire que ça va pour le mieux, c'est imprudent, sinon hypocrite, parce que... Est-ce que ces euthanasies-là sont faites pour des personnes qui l'ont demandé avec insistance ou est-ce que ça s'est fait... Je ne sais pas. Moi, j'ai travaillé au CHUM pendant 26 ans et je n'ai pas vu, de mes yeux vu des cas d'euthanasie. Donc, je ne sais pas quels sont les exemples du Dr Barrette. Ce serait important d'avoir la précision là-dessus, là, je ne sais pas. Est-ce que c'est les soins palliatifs plus avec la sédation terminale? À ce moment-là, bien là, on a un problème de définition. Qu'est-ce que c'est, l'euthanasie? Moi, j'ai déjà appelé ça... Je pense que, dans le mémoire précédent, je parlais carrément de l'hypocrisie quand on dit: Bien là, on met des analgésiques à fortes doses, on arrête l'hydratation, on arrête la nourriture. Mais là, l'issue, c'est quoi? C'est la mort. En quoi cela est plus acceptable d'un point de vue éthique, déontologique, humain -- mettez ça comme vous voudrez -- qu'une injection létale? C'est le geste, c'est comme si on bloquait au geste. Ce n'est pas très logique, quant à moi.

Mme Gaudreault: S'il reste un petit peu de temps... Alors, vous, vous vous rangez plutôt du côté du Collège des médecins qui, lui, est en faveur d'ajouter l'euthanasie comme un soin en fin de vie dans des situations exceptionnelles.

Mme Havrankova (Jana): Voilà.

Mme Gaudreault: Vous êtes tout à fait d'accord.

Mme Havrankova (Jana): Je suis tout à fait d'accord.

Mme Gaudreault: Merci. Ça va.

Le Président (M. Kelley): Peut-être juste si je peux enchaîner sur le commentaire de ma collègue: Comment réagissez-vous aux dérives, cet argument que, même si, comme législateurs, dans des cas exceptionnels très précis il y a une ouverture, on a entendu souvent que ça ouvre la porte aux dérives et pour les personnes qui souffrent de démence, les jeunes dans les hôpitaux pédiatriques, et tout le reste, alors ça va devenir un genre de «free-for-all»? C'est quoi, vos réactions? Il y a des personnes qui citent des exemples en abondance des Pays-Bas, de la Belgique et des autres endroits. Comment est-ce que vous réagissez à cette crainte qui a été exprimée je pense qu'on peut dire à maintes reprises devant la commission?

Mme Havrankova (Jana): Oui. La législation aux Pays-Bas et en Belgique a justement permis de mettre les pratiques en évidence, a permis de les critiquer, de les évaluer, alors que, lorsqu'il n'y a pas de législation, l'euthanasie se passe peut-être, comme vous disiez. On n'a aucune façon de l'évaluer. Alors, le fait qu'il y ait des publications sur ce qui se fait bien et ce qui se fait mal en aide à mourir est le témoignage que la législation fonctionne, quant à moi.

Est-ce qu'il y a des dérives? Il y a des dérives actuellement. L'absence de législation ne protège pas contre des dérives d'aucune façon. Je pense que c'est évident. L'encadrement très strict est nécessaire. Je l'ai défini tantôt: le patient qui a une maladie incurable, etc. -- vous l'avez entendu 1 million de fois, je ne reviendrai pas là-dessus -- qui insiste, évaluation. On peut, par exemple, dire que la demande expresse du patient est absolument nécessaire. Il faut qu'il soit majeur, il faut qu'il soit informé. Et en dehors de ça, non, l'euthanasie demeure un meurtre. Donc, le législateur peut encadrer cette pratique. Et je reviendrais à dire que l'absence de législation n'empêche pas des dérives. Et je dirais que c'est pire.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. M. le député de Deux-Montagnes.

**(11 h 20)**

M. Charette: Merci, M. le Président. Docteure, encore une fois, un plaisir de vous entendre ce matin.

Une simple question pour ma part. Vous avez entendu le groupe qui vous précédait. Malgré une certaine ouverture, j'ai senti une crainte quant à l'effondrement possible de leur pratique advenant le cas d'une décriminalisation, là, de l'euthanasie. Et ce sont les mots du Dr Lapointe. Donc, le Dr Lapointe et le groupe de l'Université McGill craignent que cette éventuelle décriminalisation vienne affaiblir leur pratique et ainsi mettre en péril, en quelque sorte, les avancées des dernières années. Je serais curieux de vous entendre là-dessus. Est-ce qu'on pourrait décriminaliser sans affaiblir la pratique des soins palliatifs, selon vous?

Mme Havrankova (Jana): Certainement, parce que la très grande majorité des gens souffrant du cancer vont opter pour les soins palliatifs. Et les soins palliatifs méritent d'être élargis de beaucoup, comme je disais, autant en établissement qu'à domicile. Nous ne parlons que de quelques personnes par année, je ne vois pas en quoi ça pourrait affaiblir les soins palliatifs. C'est sûr qu'on veut que le gouvernement dépense plus d'argent dans les soins palliatifs. Ça va coûter beaucoup plus cher que l'aide à mourir, qui ne touche que quelques-uns. Et puis ça ne coûte pas cher, si on peut parler comme ça.

Ce que j'ai entendu peut-être de l'intervention, c'est qu'il y a une crainte que ça affaiblirait les liens entre les soignants et les gens en phase terminale, que le fait de savoir qu'on peut se prévaloir de l'aide à mourir affaiblirait toute la... je peux dire, je vais le dire, la culture des soins palliatifs, tous les soins plus dans la relation soignant et patient. Et ça m'a troublée, je dois dire, parce que... Et aussi ce qui m'a troublée, c'est d'entendre dire: Ne mêlez pas les médecins de ça. Bien, au contraire, moi, je pense que le médecin devrait se mêler de ça. C'est quand même les experts. Là, je ne veux pas... Les médecins n'ont pas la réponse à tout, si je peux reprendre votre phrase, certainement pas, mais c'est quand même le rôle du médecin de faire le diagnostic, d'exclure la dépression, de s'assurer que vraiment, pour cette personne-là, c'est le meilleur choix. Et c'est son choix, c'est le choix de la personne. Et, bien, oui, compte tenu de sa condition médicale, c'est un choix valable, si je peux dire, sans vouloir être juge de ce que le patient veut.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, merci beaucoup. Vous venez d'aborder en fait ce que je voulais aborder avec vous. On a vraiment deux visions, je pense, qui s'opposent entre le groupe qui vous a précédé et vous sur beaucoup de choses, sur le fond des choses. Mais, sur cette relation-là avec le médecin, ça ne pourrait pas être plus clair. Dr Lapointe nous a dit en dernier: Si jamais il y a une ouverture, s'il vous plaît, excluez les médecins de tout ce qui pourrait être aide à mourir, suicide assisté. Et vous, vous faites le plaidoyer totalement inverse en disant: Au contraire, c'est au coeur de la relation.

Donc, je veux vous amener sur le sujet de la relation patient-médecin. On a entendu, encore une fois, deux visions qui s'opposent. La très, très grande majorité, pour ne pas dire l'unanimité sauf un, je crois, des gens des soins palliatifs nous disent: Ne faites pas ça, ça va pouvoir nuire à la relation de confiance médecin-patient qui est fondamentale, surtout en fin de vie. O.K.?

Par ailleurs, il y a quelques individus qui sont venus puis qui ont dit: Moi, ça me trouble de savoir que mon médecin de soins palliatifs jamais ne serait ouvert à ça, parce que je me dis: Qu'est-ce qu'il va faire si je suis en désespoir de souffrance, de douleur, qu'il n'y a plus rien à faire, bon, tout ça?

Puis là, vous, vous êtes médecin. Puis j'aimerais savoir comment vous voyez cet impact-là sur la relation patient-médecin, parce que vous avez entendu, ils nous disent déjà que, quand des gens arrivent aux soins palliatifs, des fois ils ont peur, ils disent: Donnez-moi pas trop de morphine, parce que déjà ils se disent: Mon Dieu! Qu'est-ce qu'on va faire avec moi, je perds le contrôle?, puis tout ça. Donc, s'il y avait cette possibilité-là autre que ça pourrait vraiment venir nuire à la relation patient-médecin, comment vous réagissez comme médecin à ça?

Mme Havrankova (Jana): Moi, je dis que, si le médecin est toujours à l'écoute de son patient, qu'il évalue ses demandes, il ne peut pas y avoir de bris de confiance. Si le patient demande de l'aide à mourir, c'est ça que le médecin doit évaluer, pas dire: Moi, je... il va y avoir un bris. Il n'y en aura pas, de bris. C'est le patient qui demande. C'est du patient qu'émane cette demande. Donc, en quoi il y a un bris? Alors, si on dit: Bien, le médecin serait susceptible de m'accorder cette sortie, est-ce que je dois craindre pour ma vie si je ne le demande pas?, je dirais que c'est presque des craintes non fondées, puisque c'est le patient qui initie la discussion. Alors, pour tous ceux qui n'en veulent pas, de l'aide à mourir, bien, il n'y en aura pas, de l'aide à mourir. Et avoir cette compassion, savoir que le médecin est prêt à aller jusque-là, il me semble que c'est rassurant pour le patient.

Moi, je suis endocrinologue. Comme j'ai dit, ce n'est pas quelque chose que j'ai dans ma pratique de tous les jours. Mais tout de même le patient dont je vous ai parlé qui voulait, qui aurait voulu mourir... Il ne me l'a pas demandé parce qu'il était bien trop gentil pour me mettre dans l'embarras de lui dire: Écoutez, je n'ai pas envie d'aller en prison pendant 14 ans ou je ne sais pas quoi. Mais, lui, on aurait pu. Mais c'est un patient dans 30 ans de pratique ou deux patients. C'est une autre dame à un moment donné. Alors, c'est des raretés. Puis ces patients-là me regardaient avec espoir, d'une certaine façon. Il n'y en avait pas, d'espoir, parce qu'ils savaient que c'était impossible, mais ils l'auraient voulu si... Et la confiance était là. Donc, je ne pense pas que ce soit... Je ne sais pas si je réponds correctement.

Mme Hivon: Bien, oui, vous répondez de votre point de vue. Mais vous savez qu'eux, ce qu'ils nous disent, c'est que le seul fait qu'il y ait cette ouverture-là, que des gens pourraient craindre que, oui, bien qu'en théorie, dans la loi, avec toutes les balises, ça doive se faire d'une certaine manière et que la demande doive émaner de la personne, que ces gens-là vulnérables, en fin de vie qui arrivent pourraient avoir peur que ça puisse se faire sans leur demande. En fait, c'est un peu ça qu'ils disent.

Puis de ce que je comprends de leur position, c'est de dire: Pour quelques cas exceptionnels, eux, ils disent, il y a toujours la sédation terminale. Donc, pour certains, c'est à peu près la même chose que l'euthanasie, là. On en a entendu beaucoup qui disent: Bon, c'est déguisé ou c'est hypocrite, tout ça. Mais, pour les gens des soins palliatifs, ils font vraiment une différence. Donc, ils disent: Pour les cas vraiment exceptionnels, il y a toujours la sédation terminale. Et est-ce que, dans le fond, on va peut-être permettre d'augmenter les craintes des gens, de permettre peut-être qu'il y ait des cas de dérapage, si on ouvre la porte, alors que ce sont des demandes très, très exceptionnelles d'aide à mourir et que, pour ces demandes-là, très, très exceptionnelles, il y a la sédation terminale.

**(11 h 30)**

Mme Havrankova (Jana): Mais peut-être que les gens -- encore je me rapporte au patient -- qui ne veulent pas de ça, la sédation terminale... Là, je vais mourir quand, là? C'est demain, dans trois jours, cinq jours? C'est quoi, le mérite de prolonger l'agonie? C'est ça que je dirais aux soins palliatifs, c'est: En quoi... C'est quoi, l'avantage de ça?

Je pense que ça revient au fait que je considère que, d'une certaine manière, c'est l'euthanasie, même si les soins palliatifs ne l'acceptent pas comme tel. Mais, dans l'issue unique, l'issue unique, c'est la mort. Donc, ce n'est pas... en tout cas ce n'est pas très différent, à part qu'on n'a pas fait l'injection.

Mais ce qu'il serait intéressant de regarder, moi, je ne l'ai pas fait personnellement, mais ce serait possible: aux Pays-Bas, les soins palliatifs sont très développés, et il y a aussi l'euthanasie. Alors, ce serait intéressant de regarder comment, comment ils articulent ça. Je ne le sais pas, mais c'est sûrement connu. Je ne sais pas si vous avez eu des témoignages.

Mme Hivon: En fait, certains nous ont dit que, tant en Belgique qu'aux Pays-Bas, le fait qu'il y ait eu tout ce débat-là a aussi mis beaucoup la lumière sur les soins palliatifs et qu'il y a eu un effet collatéral positif d'un plus grand développement des soins palliatifs. Mais évidemment ça dépend des points de vue, là, puis c'est de savoir aussi les définitions. Puis on revient toujours aux définitions, là, parce que les... O.K.

Pour ce qui est de la sédation terminale, puis là je ne sais pas, je sais que vous n'êtes pas en fin de vie beaucoup, là, peut-être que vous ne serez pas à l'aise de répondre à ma question... Parce que, vous, vous semblez dire en fait: Il n'y a pas de législation en ce moment, donc c'est un peu laissé à la bonne pratique des médecins et des unités, puis tout ça. Et vous semblez argumenter que, s'il y avait une législation qui viendrait prévoir l'aide médicale à mourir en fin de vie, ça pourrait avoir un effet de venir un peu mettre de l'ordre dans ce qui peut se faire en fin de vie puis de faire en sorte qu'il y ait moins de zones grises.

Pour ce qui est de la sédation terminale, à votre connaissance... parce que ça, c'est un autre élément qui est utilisé d'un côté comme de l'autre, les tenants des soins palliatifs nous disent: Sédation terminale est là en bout de piste. Les autres qui plaident un peu comme vous disent: Mais la sédation terminale, on ne sait pas dans quel contexte elle est utilisée. Est-ce qu'il y a toujours un consentement, est-ce qu'il y a des gens qui ne sont plus aptes et c'est donc la famille, à la limite c'est même le médecin qui suggère ça, on retire l'hydratation? C'est un peu... Le Barreau nous mettait ça en lumière, notamment. Quelle est votre expérience, vous, par rapport à ce qui encadre un peu la sédation terminale, le consentement à cette pratique-là?

Mme Havrankova (Jana): Comme vous avez dit, je ne peux pas commenter là-dessus parce que je n'ai jamais travaillé aux soins palliatifs et je n'ai pas eu de contact avec ça. Mais, moi, je reviens toujours avec les exemples des maladies neurodégénératives pour lesquelles les soins palliatifs sont très peu développés. D'ailleurs, on l'a admis il y a à peu près une demi-heure: il faut avoir moins de trois mois de survie de prédit. Et il y a des gens avec sclérose latérale amyotrophique ou sclérose en plaques qui peuvent survivre pendant de nombreux mois sinon des années, et la majorité, la très, très grande majorité vont vouloir survivre jusqu'à peut-être la sédation terminale, mais il y en a d'autres qui trouvent qu'ils n'ont aucune qualité de vie, ils ne veulent pas la sonde gastrique, ils ne veulent pas voir leur corps se détériorer au point d'être recroquevillés dans un lit. Et voilà.

Le Président (M. Kelley): Alors, merci beaucoup encore une fois pour votre deuxième contribution à notre réflexion.

Je vais suspendre quelques instants, et je vais demander aux représentants du Forum des citoyens aînés de Montréal de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 11 h 33)

 

(Reprise à 11 h 38)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Notre troisième témoin ce matin, c'est les représentants du Forum des citoyens aînés de Montréal, représenté, entre autres, par son président, le Dr Uma Shanker Srivastava -- plus ou moins. Alors, Dr Srivastava, la parole est à vous.

Forum des citoyens aînés de Montréal

M. Shanker Srivastava (Uma): Bonjour, M. le Président et Mme la vice-présidente de la commission. Nous sommes ici pour présenter un argument, une présentation, et Mme Marie-Denise Duqueronette, qui présentera ce rapport, que vous avez, et je vous présente Marie-Denise et monsieur...

Une voix: Antoine Tawil.

M. Shanker Srivastava (Uma): ...Antoine Tawil.

M. Tawil (Antoine): Antoine Tawil, membre du conseil d'administration. J'ai travaillé avec Mme Duqueronette à préparer le document. Mais, moi, je vais être très court, c'est elle qui va prendre la...

M. Shanker Srivastava (Uma): La parole.

M. Tawil (Antoine): ...la place. Ça va? Bon, merci.

Le Président (M. Kelley): ...M. Tawil.

M. Tawil (Antoine): Bon. Alors, moi, je ne suis pas médecin, c'est le citoyen, le malade. Quand j'ai vu «mourir dans la dignité», j'aurais aimé qu'on appelle ça «vivre dans la dignité». En partant, si je dois vivre, je dois vivre dans la dignité, dans la sérénité. À un moment donné, mon état de santé se détériore. C'est normal: si on naît, on doit un jour mourir. Mais on nous a dit que la médecine, c'est très avancé, et vous n'avez pas le droit de souffrir. Donc, si le médecin décide qu'on m'envoie aux soins palliatifs, et, malgré que je suis aux soins palliatifs, je souffre encore malgré tout ce qu'on m'injecte... Parce que, n'oubliez pas, même si je ne suis pas médecin, si on me donne de la morphine, ce n'est pas la morphine qui tue, c'est tous les organes à l'intérieur qui se détériorent. Si j'ai un cancer généralisé, c'est lui qui me tue. La morphine, c'est pour diminuer ma douleur, mais, si, malgré toute la morphine qu'on me donne, je souffre encore, est-ce que j'ai le droit, moi, comme malade, comme patient, et juste moi, de dire: Il est temps que je m'en aille? C'est tout ce que j'avais à vous dire.

**(11 h 40)**

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Tawil. Je vais céder la parole maintenant à Mme Duqueronette.

Mme Duqueronette (Marie-Denise): Merci, M. le Président. Bonjour, mesdames messieurs, Mme la vice-présidente, Mme Laplante. Lorsqu'il m'arrive de mentionner la question de mourir dans la dignité, bien des personnes me disent, comme M. Tawil: Pourquoi est-ce que le gouvernement ne se penche pas plutôt sur la question de vivre dans la dignité?

Alors, pour commencer, je tiens à préciser que le Forum des citoyens aînés de Montréal, nous, notre raison d'être, c'est de défendre les droits des personnes aînées à vivre dans la dignité. Mais, puisque mourir il faut, hein, et chacun sur la terre on va passer par là, et puisqu'aussi nous, en tant qu'aînés, théoriquement on est un peu plus proches, plus interpellés par la question de la mort, alors nous avons quand même tenu à présenter, participer dans ce débat sur les questions de décisions de fin de vie.

Bon, tout d'abord, il faut dire que, nous, notre intervention n'a aucune sorte de prétention scientifique, médicale ou juridique. Nous, c'est une petite réflexion du citoyen ordinaire sur les enjeux, bon, relatifs à la question de mourir dans la dignité.

Il s'est avéré que des personnes aînées ont exprimé leurs inquiétudes face à la possible décriminalisation du suicide assisté et de l'euthanasie, tandis que d'autres personnes ne semblaient même pas voir qu'il existe une différence entre ces deux notions d'euthanasie et de suicide assisté. Et d'abord, dans notre réflexion, nous avions voulu attirer l'attention sur le fait qu'il s'agit là de deux démarches fort différentes, puisque, dans l'une, on répond à la demande de quelqu'un qui souffre et qui décide de terminer sa vie et, dans l'autre, en l'occurrence l'euthanasie, la demande de la personne à terminer ainsi que son consentement ne sont pas obligatoires. Cette différence peut sembler pour l'instant assez négligeable, mais en fait je pense qu'elle n'est pas négligeable, elle est considérable puisque le fait de ne pas avoir à tenir compte du consentement de la personne à terminer, si je peux m'exprimer ainsi, ça laisse une porte ouverte, à toutes fins pratiques.

Dans cette réflexion qu'on a présentée à la commission, on a exploré seulement ces deux options: euthanasie et suicide assisté, deux notions qui portent à controverse parce qu'on pense que toute la question de soins palliatifs et sédation, etc., qui nous intéressent absolument, nous aussi, mais d'autres personnes, des personnes médicales sont quand même mieux placées pour aborder ce sujet.

Pour la question du suicide assisté, il est vrai que cette option nous paraît particulièrement défendable dans la mesure où c'est une requête de la personne souffrante et aussi le fait de sa douleur ainsi que de sa détresse extrême, le fait aussi que ce soit une personne incurable, et tout ça, versus ce que les gens définissent maintenant comme l'acharnement thérapeutique, donc tout ça fait que le suicide assisté peut paraître plus défendable. Cependant, nous, nous disons qu'il faut quand même prendre le temps de penser... pas de penser, mais de s'interroger, de s'interroger sur les façons éventuelles de faire, les façons de procéder dans le cas où le suicide assisté devait être décriminalisé. S'interroger mais aussi considérer l'impact que ça peut avoir, cette décriminalisation, sur la société en général. Est-ce que le fait de décriminaliser le suicide assisté, est-ce que ce ne serait pas comme lancer un signal? Est-ce que ce ne serait pas comme promouvoir, en quelque sorte, une culture du suicide? J'exagère peut-être, mais je lance quand même l'idée en l'air. D'autant plus qu'on parle du taux de suicide, on s'inquiète que le taux du suicide est particulièrement élevé au Québec, je pense qu'il faut quand même s'interroger sur ces choses-là.

Si nous allons directement à l'euthanasie puisque c'est justement la pierre d'achoppement un petit peu, alors j'ai lu votre... en tout cas, la définition qu'il y a dans le document de consultation: «Euthanasie: acte qui consiste à provoquer intentionnellement la mort d'autrui ou mettre fin à ses souffrance.» Dans cette définition et toutes les autres définitions de l'euthanasie, nous pouvons admettre carrément qu'il y a quelque chose là d'un peu angoissant parce que, selon sa définition même, la définition même de l'euthanasie, la provocation de la mort d'une personne souffrante n'est pas du tout conditionnelle à la demande de cette personne ni à son consentement, ce qui laisse quand même une grande ouverture à tous ceux qui voudraient un jour, pour une raison ou une autre, évoquer que c'est un devoir d'abréger la vie d'une personne que l'on considère en état de souffrance. Je crois qu'on peut déjà se demander: Mais à qui appartiendrait cette décision ou cette responsabilité d'autoriser une euthanasie? Et on peut aussi commencer à entrevoir certaines possibilités d'abus et certaines possibilités de dérapage.

Il est vrai que certains parlent de demande d'euthanasie par la personne qui voudrait mourir et aussi que, dans le document de consultation, le cas de Mme Johnson pourrait être perçu comme une demande d'euthanasie par cette personne qui voulait mourir. Cependant, nous pensons que cela porte à confusion parce que, si on parle de demande d'euthanasie, de demande de mourir, est-ce que cela ne rejoint pas davantage la notion de suicide assisté que celle de l'euthanasie? Je crois que cette confusion vient probablement du fait que la seule issue pour ces deux options est la même, c'est-à-dire la mort provoquée.

Dans notre réflexion... Je vois que j'ai déjà fini, j'ai été rapide. Nous avons, dans notre réflexion, posé toute une série de questions et parmi lesquelles, bon, je voulais quand même dire quelques-unes des questions. Elles sont longues, je ne sais pas si, du début de ma question à la fin, on va pouvoir se comprendre, mais je vais quand même poser la question que, bon, je trouve qu'il faudrait quand même poser.

Dans le cas où l'euthanasie serait décriminalisée, est-ce qu'on ne risque pas, avec le temps, que la décision d'euthanasier un individu ne revienne pas tout simplement à la personne qui va diagnostiquer chez cet individu un état de souffrance insupportable?

Une autre question: Est-ce que le législateur est prêt à définir clairement et à répertorier tous ces états qui pourraient être inclus dans la catégorie des états de souffrance insupportable? Parce qu'on parle de souffrance insupportable, mais qu'est-ce qu'on va inclure là-dedans, il y a une question qui reste en arrière de nos têtes.

**(11 h 50)**

Troisième question: Est-ce qu'on ne risque pas, dans le cas de personnes inaptes à communiquer, et ça, surtout dans le cas de l'euthanasie, que certains de leurs proches autorisent cette euthanasie en fonction de leurs propres intérêts?

Quatre, l'euthanasie et, dans une moindre mesure, le suicide assisté soulèvent certaines craintes et certains dérapages. Est-ce que des procédures bien définies seront exigées... seraient, je dirais peut-être, exigées par le législateur avant qu'on puisse prendre une décision de provoquer la mort de personnes en état de souffrance?

Une dernière question, que je qualifierais d'accessoire, mais qui est quand même importante: Comment est-ce que le gouvernement compte aborder toute la problématique des assurances? Les bénéficiaires de personnes décédées par suicide ou par euthanasie, est-ce qu'elles auront droit, est-ce qu'elles auraient droit encore à des indemnisations? Et, dans ce cas-là, que la réponse soit oui ou que la réponse soit non, je crois certainement qu'il y aura des incidences sur les actions envisagées par les proches.

Je voudrais terminer. Étant donné que nous sommes le Forum des citoyens aînés de Montréal, on ne pourrait pas terminer sans souligner le fait que, ces jours-ci, les aînés, nous n'avons pas nécessairement bonne presse. L'arrivée des baby-boomers dans la catégorie des aînés n'est pas sans susciter certains remous. Elle a été comparée à un tsunami, le tsunami gris. Elle a été qualifiée de péril gris. Alors, on peut comprendre... Et cela, hein, par certaines instances médicales. Donc, on peut comprendre qu'il y a certaines méfiances, certaines inquiétudes chez les aînés, chez certains aînés, vis-à-vis de toute la question, les options de suicide assisté et d'euthanasie. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Et juste une précision à vos commentaires initiaux: avant tout, c'est une affaire pour les citoyens. Oui, il y a des experts qui sont venus témoigner, soit les médecins, les avocats, les professeurs d'université, qui ont un rôle très important à jouer, mais l'Assemblée nationale a pris délibérément le choix d'aller sur le terrain écouter les citoyens aussi. Alors, merci beaucoup, toutes les contributions sont valables devant la commission parce que c'est vraiment un débat qui touche, comme vous avez bien dit, l'ensemble de la société.

Je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci, M. le Président. Alors, bienvenue à vous, gens du Forum des aînés de Montréal. Et, moi, ce n'est qu'un commentaire, je vais laisser les questions à mes collègues. Mais, pour faire une suite avec ce que M. le Président vient de dire, je veux vous féliciter pour la qualité des sujets que vous avez touchés dans votre mémoire, parce que vous êtes des citoyens, vous l'avez dit tout à l'heure, M. et Mme Tout-le-monde, mais vous avez amené des points très, très particuliers par rapport à la privatisation du système de santé. Vous avez dit: Est-ce que des gens, parce qu'ils n'ont pas l'argent pour se faire traiter, pourraient opter pour l'euthanasie ou le suicide assisté? Je pense que ça mérite d'être exploré. Puis aussi tout l'aspect sur les compagnies d'assurance vie, moi, je trouve que c'est un élément fort intéressant que vous soulevez, qu'on devra explorer aussi. Alors, je veux vous féliciter pour vraiment la qualité des sujets particuliers que vous avez touchés dans votre mémoire. Voilà.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Bonjour. Question technique. Vous avez écrit votre mémoire, et je l'ai lu avec beaucoup d'intérêt, mais à aucun endroit je vois combien de personnes sont membres du Forum citoyens aînés. Est-ce que vous avez un nombre de gens...

Mme Duqueronette (Marie-Denise): Le Forum des citoyens aînés, on a 300 membres individuels et 98 membres qui sont des organismes, comme la FADOQ...

Mme Charbonneau: O.K.

Mme Duqueronette (Marie-Denise): ...l'AQDR, etc.

Mme Charbonneau: O.K. Et comment avez-vous choisi de consulter vos membres? Est-ce que vous avez fait des grands rassemblements? Comment vous avez choisi de faire ça?

Mme Duqueronette (Marie-Denise): Nous avons envoyé des courriels et puis il y en a qui ont répondu. Ils n'ont pas tous répondu, mais ils ont répondu... Et aussi nous avons parlé à d'autres personnes qui n'étaient pas nos membres. Quand on a vu des aînés, on leur a posé la question sur le mourir dans la dignité.

M. Tawil (Antoine): Parce que, madame, on a été invités, j'ai l'impression, à la dernière minute. Ça veut dire: on nous a donné presque un mois, vous comprenez, et c'était l'été. Alors, une chance qu'il y avait Internet et que les gens ont été nombreux, nombreux, nombreux, et surtout des associations, comme l'Association des retraités de l'enseignement, la FADOQ. Ils nous ont répondu par des textes qui étaient très, très longs, mais ça nous a fait plaisir parce qu'ils ont répondu à ça. Et certains d'entre eux... je ne sais pas s'ils ont été invités ou pas... nous, on s'est dit: On va préparer quelque chose mais dans la limite du temps, vous voyez? Et je remercie madame qui a... Nous, nos préoccupations sont dans le document. Alors, si un jour on va voir que vous avez tenu compte, on vous en remercie infiniment. Merci.

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Charbonneau: C'est sûr qu'on va en tenir compte.

M. Shanker Srivastava (Uma): Je voudrais vous dire simplement. le forum, sa communauté ethnoculturelle est très forte, et nous avons beaucoup, beaucoup de membres de communautés ethnoculturelles, et des associations sont liées avec les communautés ethnoculturelles dans le Forum des citoyens aînés. Et je pense que c'est ça qui donne beaucoup plus de chances de communiquer avec, comme moi, le sud-est Asie, l'Inde. Il y a d'autres... le Pakistan, il y a Bangladesh, il y a aussi l'Amérique latine, et tout ça. Avec ça, nos membres, c'est quand même... c'est un ensemble de toutes les communautés ethnoculturelles et c'est ça notre... une très forte puissance, disons, pour ramasser toutes les ethnocultures ensemble et parler des problèmes.

Souvent, les problèmes sont communs, souvent les problèmes sont différents, et, comme président de l'Association des aînés sud-asiatiques dans Montréal à Parc-Extension, moi, je travaille beaucoup présentement à développer une coopérative pour les aînés sud-asiatiques, parce que, quand il y a une maladie, les gens, ils les ont toujours envoyés soit dans un hébergement en français ou soit en anglais, et beaucoup de ces gens-là ne parlent ni anglais ni français. Et c'est moi, comme président de commission régionale en Montérégie, on a développé un pictogramme où, avec le bouquin, ça démontre très clairement... Une photo, avec ça, vous n'avez pas besoin de savoir de langue mais vous pouvez dire: Moi, je voudrais prendre une tasse de thé; il y a une tasse de thé qui est marquée là. Tout est divisé, là, dans ce pictogramme-là, et je pense qu'il y en a... ça a travaillé beaucoup dans ce sens-là à la Maison de l'Inde où il y aura un centre d'hébergement, ça commence à se développer... Mais le Forum des citoyens aînés, nous, notre idée est là de mettre tout le monde ensemble et voir quels sont les problèmes et comment on pouvait... Merci.

Mme Charbonneau: Oui. Merci de cette précision puisqu'effectivement on a devant nous une belle représentation de la ville de Montréal, c'est-à-dire un multiculturalisme important, et c'est pour ça que je voulais savoir la teneur de vos membres. Je pense que c'est important aussi, dans la présentation que vous faites, de dire qu'il y a différentes cultures puisque chacun de vous peut représenter une culture et représente très, très bien Montréal.

Je reviens à votre mémoire. À la page 10, à la fin du paragraphe de la page 10, vous parlez qu'il ne faudrait pas, «dans l'éventualité d'une décriminalisation de l'euthanasie, que des normes de qualité des substances létales soient aussi élaborées». C'est aussi une première fois qu'on touche à ce sujet-là, c'est-à-dire la substance létale.

Alors, dans vos discussions puis comment vous l'avez abordé, vous, est-ce que les gens vous parlent d'une piqûre, d'un médicament? Comment était perçue soit l'euthanasie ou l'aide au suicide par rapport à vos membres?

Mme Duqueronette (Marie-Denise): Il faut dire que juste le mot «létales», ça fait déjà... c'est déjà un peu effrayant. Et puis, bon, on s'est posé la question: Est-ce que cette injection-là, parce qu'on parle d'injection, est-ce que c'est une injection qui va faire souffrir plus, même si c'est pour quelques... je ne sais pas, hein, quelques minutes, quelques heures? La question est à poser, puis on a voulu quand même la mentionner.

Mme Charbonneau: ...

M. Tawil (Antoine): Oui. Leur inquiétude: ça va leur faire mal pour mourir.

Mme Charbonneau: Puisque la volonté de mourir, vous avez bien fait le lien, c'est de ne pas souffrir, et je pense que, monsieur, vous avez bien signalé ça au départ... Donc effectivement, je reviens au tsunami...

Des voix: Ha, ha, ha!

**(12 heures)**

Mme Charbonneau: ...ou ce que, nous, on pourrait s'amuser à appeler la «révolution tranquille» sous un autre angle puisqu'habituellement les aînés revendiquent mais toujours dans le calme et toujours avec beaucoup de sagesse. Donc, oui, ça s'en vient.

Par contre, je m'inquiète un peu quand je vois que vous ciblez, à la page 14, avant-dernier paragraphe, le problème de manque de lits et la volonté de mourir. Et je reviens au questionnement qui fait: Est-ce qu'on manque de confiance en un médecin qui est ouvert à la volonté de l'aide au suicide? Parce que dans notre volonté à nous il n'y avait aucunement, ni de près ni de loin, une volonté de regarder les places dans les hôpitaux. On n'a pas voulu le regarder sous cet aspect-là. On l'a, je crois, puis mes collègues me corrigeront, mais on l'a regardé sous le principe entre le droit collectif et le droit individuel à mourir. Est-ce que je me fais aider? Est-ce que je peux le faire toute seule? Bon. Tout cet aspect-là, puis c'est comme ça qu'on a regardé la question plutôt que le manque de lits, le manque de ressources.

Par contre, vous en faites état, et vous parlez justement de cette clientèle-là qui est en progression, hein, vous l'avez bien mentionné; je pense que, les personnes aînées, on parle maintenant du quatrième âge plutôt que du troisième âge. Est-ce qu'il y a eu un souci entre le droit d'aide à mourir, la confiance entre l'aide médicale que je peux avoir chez mon médecin, la confiance envers les gens de la médecine et les places qu'on a dans nos hôpitaux?

Mme Duqueronette (Marie-Denise): Pour le mourir, je crois que les gens restent quand même ouverts au fait que leur vie soit abrégée si jamais il y a de trop grandes souffrances. Cependant, la question des lits d'hôpitaux, c'est un tout parce que, depuis quelque temps, on parle de la venue des baby-boomers comme un problème, parallèlement, et je dois dire que c'est mentionné par certaines instances médicales qui soulèvent la question des baby-boomers et leur arrivée massive. Parallèlement, on parle de toute la question des hôpitaux, le manque de lits et le surmenage des infirmiers, des médecins, du personnel médical, et de là à faire le lien, c'était quand même évident que ça allait se faire, puisque, nous, on est ciblés comme étant une des raisons pour lesquelles le surmenage, le manque de lits, et tout ça, et les coûts, les coûts associés à tout ça, sur le dos des baby-boomers.

Alors, on ne veut pas le dire carrément: Est-ce que l'intention... On ne le met pas sur le dos de la commission, même on se dit peut-être qu'à long terme on ne sait jamais comment il va y avoir un certain dérapage. Est-ce qu'à long terme, si les gens «at large», ils finissent par banaliser la mort, avec tout ça, est-ce qu'ils ne vont pas trouver ça normal? Écoutez, le problème est là, le problème de la surcharge du système médical. La solution serait peut-être qu'on...

Mme Charbonneau: ...l'euthanasie.

Mme Duqueronette (Marie-Denise): ...qu'on les élimine un petit... qu'on élimine le problème.

M. Shanker Srivastava (Uma): Moi, je pense que le gouvernement n'a jamais compris quelque chose là. Je suis ici depuis 50 ans, arrivé en 1960. Toute l'immigration, les gens arrivés ici, mais jamais pensé ce système de santé, ce système de santé, parce qu'il était fait pour un certain nombre de personnes. Mais, quand, après 1970, un haut nombre d'immigrants sont arrivés ici... Ils étaient dans une commission où ils ont dit que 35 000 voudraient venir de Morocco, 35 000 encore, et j'ai dit: Vous ne pouvez pas donner à tout le monde en même temps, hein? Quand même, il faut en garder pour d'autres pays, hein? Et ils n'ont jamais préparé ou jamais pensé un système de santé où est-ce que les services seront disponibles pour ces gens-là?

Même problème maintenant qu'on a devant nous, les baby-boomers, tout ça, ils arriveront, ils arrivent, ils sont déjà arrivés, et qu'est-ce qu'on a pensé pour ces gens-là, hein? Présentement, il y a un problème. Mais est-ce qu'on a pensé, il y a 10 ans, il y a 15 ans ou 20 ans en arrière, qu'est-ce qu'on fera pour ces gens-là? Est-ce qu'on a préparé le système pour ça? Je n'ai pas... parce que depuis 50 ans que je regarde, c'est toujours, tu sais, pour l'immigration, les immigrants, les services de santé, aucun programme qui sont préparés. C'est un petit, petit... mais jamais pour 35 000, 50 000. Tu sais, c'est ça, le problème que je voudrais soulever ici.

Le Président (M. Kelley): Dernière question, M. le député de Laurier-Dorion.

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Alors, à mon tour de vous dire bonjour, de vous remercier pour votre présence ici, aujourd'hui, votre présentation. Et, effectivement, vous êtes un magnifique échantillon de la diversité de Montréal comme ça a été mentionné par d'autres. J'ai une question très, très courte, je suis curieux. Est-ce que, dans votre démarche, est-ce que vous avez été en mesure de percevoir des différences entre les personnes des communautés culturelles et les personnes ne provenant pas des communautés culturelles concernant les tendances à être pour cette ouverture-là au suicide assisté, à l'euthanasie?

J'ai une certaine idée parce qu'évidemment je représente un comté qui est très, très multiculturel, mentionné d'ailleurs par le Dr Srivastava que je connais bien, qui organise des activités dans notre quartier. Mais j'aimerais savoir... ce n'est pas scientifique, aussi, je ne vous tiendrai pas rigueur, mais juste avoir un petit peu une idée de votre contact avec les gens. Est-ce que vous êtes en mesure de percevoir qu'il y a des différences ou est-ce que c'est plutôt personnel? Est-ce que les gens sont motivés plutôt par des croyances religieuses ou d'autres ou... Quel est votre point de vue là-dessus?

M. Shanker Srivastava (Uma): Premièrement, je dirais, les croyances religieuses, c'est très important. On va mourir quand le temps sera arrivé pour mourir. Chez nous, comme on parle, on dit: On respire, là, le nombre de respirations que je peux prendre. Ça va. Quand ça arrêtera, ça arrêtera. C'est une croyance religieuse qui est là.

Et, deuxièmement, il ne faut pas finir la vie comme ça, là, hein? Tu sais, c'est Dieu qui nous avait donné cette vie-là, et je voudrais vivre tout ce qui arrive là avec ça. Et il faut souffrir? Bien, on va souffrir. C'est la religion hindoue, on croit, parce que mourir, d'une autre façon, c'est une naissance. Pour nous, on dit: Tous les jours, quand on est couchés, nous sommes morts, et tous les jours, quand on se réveille, c'est notre vie. Mais, pour nous, il y a une question de réincarnation. Réincarnation, ça veut dire qu'après la mort il y a une autre vie qui arrive, là. On est nés d'une autre forme, d'une autre façon de vivre.

Avec ça, toutes ces choses-là, quand ça arrive, disons, cette question suivant le monde, le monde pose cette question, il dit: Non, non, écoute, chez nous, on ne fait pas ça. Mais graduellement je pense qu'avec l'éducation, et tout ça, les gens arriveront... Souffrir, comme un légume, comme une madame qui était là, à Vancouver, qui vécut pendant presque 10 ans, seulement son cou, sa tête travaillait, mais le corps ne travaillait pas, je pense que vivre dans ça, pour moi, ne serait pas acceptable. Tu sais, pour moi. Mais il y a d'autres gens, dans mon comité, qui diront: Ah, s'il y a ces calmants-là, la souffrance, quand ce sera fini, ce sera fini.

Mme Duqueronette (Marie-Denise): Effectivement, il y a diverses façons de voir. Je n'ai pas répertorié les réponses des gens en fonction de leurs cultures, mais il y a ceux vraiment, dans certaines communautés très catholiques ou très axées sur la religion, qui penseront que le suicide assisté ou l'euthanasie, c'est quelque chose de pas correct. Cependant, dans le Forum des citoyens aînés, il y a une grande majorité de Québécois, de gens de souche, et, eux autres, la plupart du temps, ils sont très ouverts à l'euthanasie. Cependant, ce que je remarque, c'est qu'ils ne font pas... il y a cette confusion-là qui existe entre l'euthanasie et le suicide assisté, et la ligne est très mince, mais je ne pense pas qu'ils font vraiment la différence.

Le Président (M. Kelley): M. Tawil.

**(12 h 10)**

M. Tawil (Antoine): Pour répondre au monsieur anti... En résumé. Excusez-moi, M. le Président. C'est que la souffrance, dans ces cultures-là, fait partie de la fin de la vie. C'est que, lorsqu'on vient à la fin de notre vie, on dirait que c'est normal pour eux autres qu'on souffre.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup d'être ici, merci de votre présentation. Peut-être, avant d'aller aux questions, je voulais amener certaines précisions sur comment, nous, on voit notre mandat, pourquoi c'est écrit «mourir dans la dignité» et non pas «vivre dans la dignité». Je pense que, comme parlementaires et comme législateurs, on est tous profondément préoccupés par la vie dans la dignité et à tous les jours. Et j'ose espérer que, dans toutes les législations qu'on fait, même si ce n'est pas l'objectif toujours premier, les conditions de vie, bien, qu'on a toujours ce souci-là de s'assurer que ça a un effet positif sur la vie des gens.

Et je veux juste vous dire qu'il y a aussi eu une consultation à laquelle vous avez peut-être participé, qui a été instaurée par la ministre actuelle des aînés, qui a fait une tournée sur les conditions de vie des aînés notamment, et c'était beaucoup, je pense qu'on pourrait dire, sur toutes les questions reliées à la vie dans la dignité: Est-ce qu'on est capables d'offrir des conditions optimales de vie aux aînés au Québec? Il y a eu beaucoup, beaucoup de travaux qui ont été faits en lien avec ça.

C'est vrai que, nous, ça peut avoir l'air réducteur, mais en fait on pense que mourir dans la dignité, la mort, ça fait partie de la vie, c'est l'étape ultime de la vie, c'est une étape fondamentale pour beaucoup de gens. Et il y a beaucoup de gens qui nous ont interpellés sur comment on vit sa fin de vie et comment on peut la vivre de la manière la plus sereine, la mieux accompagnée, et avec, je dirais, tout ce qui peut aider à réduire la souffrance, à réduire l'anxiété, tout ça. Donc, c'est pour ça que le débat est plus spécifiquement sur mourir dans la dignité, mais c'est en lien avec l'étape ultime de la vie. Donc, on ne dissocie pas complètement la vie de la mort, on fait un lien.

L'autre chose que je voulais peut-être... bien, en tout cas, aborder avec vous, je pense que vous avez tout à fait raison, Mme Duqueronette, quand vous dites que l'euthanasie versus le suicide assisté, il faut être certains de bien s'entendre sur les termes, et que vous manifestez peut-être une certaine surprise au fait que, quand on réfère à la définition de l'euthanasie, on ne parle pas que ça doit venir de la personne, que c'est à la demande du patient. Je dois vous dire que moi-même, qui suis vice-présidente, quand j'ai relu nos définitions, j'ai eu une certaine surprise et je me suis rappelée que, dans notre document, on a voulu mettre les définitions, je dirais, les plus couramment adoptées, O.K., et l'euthanasie, de la manière que c'est défini, de manière générale, c'est vraiment, c'est ça, de provoquer la fin de la vie de quelqu'un pour mettre fin à ses souffrances.

Mais dans les endroits où l'euthanasie a été légalisée en quelque sorte, il y a toujours comme balise que ça doit provenir de la demande de la personne. Et là, moi, je dois vous dire qu'on a fait ce choix-là effectivement de reprendre la définition objective de l'euthanasie, mais il n'y a personne à ce jour qui a fait des représentations en disant que l'euthanasie devait être considérée en dissociant ça du fait que ça devait provenir de la demande de la personne, puis, moi, ça a toujours été aussi ma compréhension. Mais il y a effectivement une question, puis je pense que vous êtes les deuxièmes à nous soulever ça, c'est un très bon point, puis ça me fait réfléchir. On ne l'a pas mis dans la définition, mais on l'a plutôt vu comme la première balise ou encadrement fondamental. Mais peut-être qu'il y a lieu aussi de voir si ça ne devrait pas faire partie intégrante d'une définition pour éviter tout doute.

Et, dans ce contexte-là, je vais vous dire comment, nous, on a perçu la différence entre euthanasie et suicide assisté. Pour nous, l'euthanasie -- en fait, c'est très technique comme différence -- c'est que c'est une personne autre, à la demande par exemple de la personne, qui injecterait une dose de médicament létal, comme on peut dire. Alors que le suicide assisté, c'est la personne elle-même qui prend la dose, mais après que quelqu'un lui ait fourni les moyens, donc lui ait fourni une prescription, lui ait fourni des médicaments, mais c'est la personne qui la prend parce que possiblement qu'elle est encore capable de le faire, alors que l'euthanasie, c'est plus une injection. Donc, c'est ça un peu la différence que, nous, on voit.

Et, moi, ma première question, c'est peut-être, bien, pour M. Tawil, mais en fait... parce que vous avez dit d'entrée de jeu: Si les soins palliatifs sont là pour diminuer, endiguer les souffrances, les douleurs, et qu'ils n'arrivent pas dans certains cas à les endiguer, que fait-on? Vous avez posé la question. Vous n'avez sagement pas apporté de réponse.

Moi, j'aimerais savoir si vous avez une réponse et aussi, du fait que vous posez cette question-là sur les soins palliatifs, est-ce que ça fait en sorte que le forum ou vos discussions vous ont amené davantage à dire que, s'il devait y avoir une aide médicale à mourir, celle-ci devrait davantage être prévue dans un contexte médical, dans une relation patient-médecin que dans un contexte, je dirais, autre ou l'aide peut provenir de toute autre personne? Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus.

Le Président (M. Kelley): M. Tawil, oui.

M. Tawil (Antoine): M. le Président, c'est que, nous, ce qui est important pour nous, c'est que le patient, lui, soit le maître d'oeuvre de l'action qui sera prise. Vous voyez. Si, vous, vous décidez que c'est le médecin, que c'est qui que ce soit d'autre, il faut que le patient, lui-même, il dise: Bon, je suis rendu ici, j'ai accepté de venir ici, mais je continue à souffrir. Vous voyez?

Et à propos de Mme Blais, la ministre, elle nous a accordé une subvention. On est en train de travailler. On a présenté notre premier mémoire. C'est pour trois ans à venir pour spécialement les aînés, comme vous nous avez vus, là, de la région de Montréal. On a présenté le premier mémoire. Les deux autres s'en viennent. Donc, nous travaillons dans ce sens-là, parce qu'elle a vu que nos réflexions sont des réflexions terre à terre.

Donc, je reviens à madame et vous dire: Si, moi, le patient, je le demande, et la loi ou tout ce que vous voulez accepte que ce soit x, y, z qui le fait, nous, on va l'accepter.

Mme Hivon: Et je comprends, avant de céder la parole à ma collègue, que vous avez une grande, c'est ça, préoccupation, je pense, qui est très légitime sur le respect de la personne d'abord et avant tout, et donc ce n'est pas le médecin, dans une approche paternaliste, qui doit décider ce qui est bon ou l'entourage, mais la personne elle-même.

Dans ce contexte-là, quelle place vous faites -- vous en parlez brièvement à la page 11 de votre mémoire, mais -- au testament de vie ou au fait qu'une personne puisse, en anticipation d'une situation x, dire: Moi, si j'arrive dans telle situation, je voudrais, par exemple, qu'on mette fin à mes souffrances, qu'on abrège mes souffrances? Est-ce que vous pensez que, s'il devait y avoir ouverture pour une aide médicale à mourir, les déclarations anticipées ou le testament de fin de vie qui provient de la personne elle-même devraient être considérés pour, par exemple, donner une aide à mourir?

Mme Duqueronette (Marie-Denise): Absolument, parce que, bon, le testament de vie, c'est déjà plus sécurisant et puis ça sert de preuve aussi dans le cas où la personne devient inapte à communiquer. Et je pense que le testament de vie serait, si je peux dire ça, un compromis très acceptable.

M. Shanker Srivastava (Uma): Je voudrais ajouter simplement... Enfin, c'est ma femme qui m'a demandé de le faire. Il y a un testament qu'on a fait, O.K. -- mais qu'est-ce que ça vise si quelque chose arrive quand vous êtes vivant, hein? -- avec son nom rempli, un formulaire, on est allés devant le notaire, dans le cas où quelque chose arrive et je deviens comme légume, qui pendra mes soins, c'est ma femme ou d'autres, et ça, ça a été enregistré devant le notaire, tout ça. Tout le monde prend le testament après la mort, là, mais le vivant, qu'est-ce qui arrive... Moi, je pense que c'est ça aussi pour les aînés. C'est très important. Moi, j'ai 76 ans et demi, hein? Si, demain, quelque chose arrive, tout à coup, c'est quoi, là? Je pense que le gouvernement a publié certains livres sur ça, qu'on achète en bibliothèque, là, en librairie. Et après ça remplir, aller devant le notaire pour régler ça.

Je pense que c'est très, très important d'y penser quand nous sommes vivants, quelque chose arrive, comme vous avez dit, et on devient comme un légume, on n'est pas capable de fonctionner, on n'est pas capable d'arriver, qu'est-ce qu'il faut faire.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

**(12 h 20)**

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci de cette représentation que vous nous faites. Bien sûr, vous regroupez énormément de groupes et d'individus, mais je pense que la qualité des questions que vous soulevez, elle est très importante. Et le fait d'avoir un point de vue qui touche énormément de communautés dans le cadre de la consultation que vous avez faite, c'est pour nous aussi très important.

Moi, je vais revenir sur la question du testament de vie parce que, si je me réfère à votre mémoire, à la page 12, vous parlez des personnes inaptes; vous listez un certain nombre de cas où les personnes sont en situation d'inaptitude.

Est-ce que vous pensez que le testament de vie, c'est pour ces gens-là une solution? Et le deuxième volet de ma question, c'est: Quel caractère on devrait donner au testament de vie? Est-ce qu'on devrait lui donner un caractère légal, un peu comme le testament habituel? Et qu'est-ce que ça devrait contenir comme indications?

Mme Duqueronette (Marie-Denise): Je crois que ça aurait intérêt à avoir un caractère légal, mais aussi, s'il y a des témoins quand ça a été fait, le testament, je pense que ça peut avoir son... quand même, caractère... Bon, je n'arrive plus à trouver mes mots, mais... bien, c'est plus ou moins...

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Applicable. Ça devrait être applicable.

Mme Duqueronette (Marie-Denise): Applicable, absolument.

M. Tawil (Antoine): M. le Président, moi, j'aimerais qu'on fasse cette différence, là: il y a le testament et il y a ce qu'on appelle le certificat d'inaptitude. Ça va? Moi, pour moi, c'est très important. Parce qu'on voit actuellement bien des familles qui font un testament, et c'est eux autres qui gèrent tout ça. Nous, on va recommander, dans le travail que nous faisons, qu'il y ait aussi ce certificat d'inaptitude, et nous allons essayer de trouver le moyen de voir c'est qui qui va décider que vraiment la personne est inapte, pour que la personne qui prend charge d'elle déclare qu'elle est vraiment inapte. Parce que c'est très... Parce qu'aujourd'hui on est pris avec des gens qui ont juste des testaments ou même des testaments olographiés, là, et tout le monde fait avec ça tout ce qu'ils veulent faire. Alors, nous allons vraiment appuyer fortement sur ce qu'on appelle le certificat d'inaptitude. Merci, madame.

Le Président (M. Kelley): Alors, sur ça, il me reste à dire merci beaucoup pour votre contribution comme représentants des citoyens de Montréal, des aînés, avec beaucoup à réfléchir sur ces questions.

Sur ça, je vais suspendre nos travaux jusqu'à 13 h 45 cet après-midi. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 12 h 23)

 

(Reprise à 13 h 51)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! On va commencer nos discussions cet après-midi. Donc, la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité reprend ses travaux, en rappelant le mandat de la commission: la commission est réunie afin de procéder à la consultation générale et les auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.

Notre prochain témoin, c'est un petit peu deux mémoires qui sont jumelés ensemble, si j'ai bien compris, qui représentent la Maison de soins palliatifs de l'Est-de-l'Île-de-Montréal et l'Albatros Est-de-l'Île-de-Montréal. Albatros, comme organisme, nous avons rencontré les organismes à Trois-Rivières, l'organisme parapluie. Alors, j'imagine, vous êtes un des membres du mouvement Albatros.

Alors, sans plus tarder, je suis prêt à céder la parole à M. Régis Arsenault, qui est le directeur de la Maison de soins palliatifs de l'Est-de-l'Île-de-Montréal.

Maison de soins palliatifs de
l'Est-de-l'Île-de-Montréal et
Albatros Est-de-l'Île-de-Montréal

M. Arsenault (Régis): Bonjour, M. le Président, Mme la vice-présidente, messieurs mesdames. D'abord, comme disait M. le président, je représente, je me fais le porte-parole des deux organismes, Albatros Est-de-l'Île-de-Montréal et la Maison de soins palliatifs de l'Est-de-l'Île-de-Montréal. Je sais que vous étiez à Trois-Rivières et vous les avez entendus, vous savez un peu de quoi retourne la fédération, le mouvement Albatros. Mais, pour le bénéfice peut-être des gens autour dans la salle, rappeler un peu que le mouvement Albatros, c'est un mouvement bénévole qui regroupe 1 200 membres à travers le Québec. C'est une fédération qui regroupe 16 endroits à travers le Québec, qui donne de la formation à des bénévoles et qui fait de l'accompagnement. Et, nous, on représente... Je suis membre, et Mme Francine Bleau, qui est avec moi ici, est membre d'Albatros Est-de-l'Île-de-Montréal. On dessert l'île de Montréal, principalement l'est. Étant dans l'est, on dessert beaucoup, principalement les CSS Pointe-de-l'Île, Lucille-Teasdale et Saint-Michel--Saint-Léonard.

Donc, c'est un regroupement à Montréal de centaines de bénévoles, et je suis membre de ce mouvement-là depuis trois ans. Et j'ai suivi une formation il y a trois ans et je fais de l'accompagnement depuis trois ans. Et, après vous avoir parlé un petit peu de mon historique, d'une histoire autour de l'accompagnement, on parlera de la maison de soins palliatifs.

La maison de soins palliatifs, dont je suis le directeur général, c'est un projet d'ouvrir une maison de 15 lits de soins palliatifs dans l'est de l'île de Montréal, à la demande des CSS Pointe-de-l'Île, Saint-Michel--Saint-Léonard et Lucille-Teasdale dont je vous parlais tantôt. Et c'est un projet que l'agence de santé aussi supporte. C'est un projet d'ouvrir une maison de 15 lits. L'objectif, c'est d'ouvrir une maison de 15 lits en 2012. Dr Michel Bracka, qui est avec moi ici, médecin rattaché à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont en médecine familiale, travaille aussi et principalement en soins palliatifs à domicile au CSS de...

M. Bracka (Michel): Pointe-de-l'Île.

M. Arsenault (Régis): ...Pointe-de-l'Île. Et il est également membre du conseil d'administration de la maison de soins palliatifs.

Donc, on va parler des... je me fais le porte-parole des deux organismes. Et vous aviez raison, c'est le même mémoire que vous avez reçu, excepté la première page, qui fait la présentation un petit peu différente. À la demande... Et c'était aussi le même mémoire à la fédération de soins... à la fédération Albatros à Trois-Rivières.

Notre position est assez simple. Si je la lis, là, c'est: «...la loi devrait porter non pas sur la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté mais plutôt sur une loi permettant de tout mettre en oeuvre afin d'assurer l'implantation des soins palliatifs pour tous les citoyens...» C'est notre position.

Peut-être la meilleure façon de vous expliquer ce qu'on vit chez Albatros -- on va commencer par Albatros, après ça on passera à la maison de soins palliatifs -- peut-être la meilleure façon de vous expliquer ce qu'on vit, c'est de vous faire vivre ce que j'ai vécu lors de mon dernier accompagnement. Je vous disais que je fais de l'accompagnement depuis trois ans. J'ai fait trois accompagnements à date, et trois accompagnements jusqu'à la fin, jusqu'à la fin de vie, là. Et le dernier accompagnement, à sa demande, une madame, en décembre ou en janvier, elle a fait une demande d'accompagnement. C'était une dame seule qui s'était fait dire par son médecin, à Montréal General, que la médecine ne pouvait plus rien pour elle et puis qu'il y avait une possibilité de survie de peut-être un an.

Donc, les premières rencontres que j'ai eues avec cette dame, c'était une dame très agressive, très dépressive. C'est une dame qui a vécu des moments difficiles dans sa vie, qui avait seulement le goût de vengeance, sans aller dans les détails sur le type de vengeance, là, mais parce qu'elle... J'ai su l'histoire au complet. Mais c'était une femme qui était mal dans sa peau. Et son seul objectif, c'était de finir avec la vie. C'était de régler le problème le plus rapidement possible.

Nous, en accompagnement, on n'est pas là pour suggérer, on n'est pas là pour juger, on n'est pas là pour prendre des positions pour eux autres. On est là pour écouter. Et je dirais qu'en écoute il se crée graduellement un climat de confiance avec un malade. Et je peux vous dire que, cette dame, l'accompagnement, ça a commencé en janvier cette année, et la dame est décédée en juin. Et je peux vous dire que, si les soins palliatifs avaient été légalisés, probablement qu'elle aurait fait des démarches plus intenses, essayer de régler son problème, d'en finir avec la vie le plus rapidement possible. Mais c'est une dame qui avait un seul... qui a un seul enfant, qui avait un seul enfant et qui n'avait pas beaucoup de relations avec. Je peux vous dire qu'elle est décédée le 11 juin. Et je l'avais rencontrée la dernière... la journée précédant son décès, et son fils m'a appelé le lendemain pour me dire que c'était fini, qu'il était à côté d'elle. Et je pense que le rapprochement qu'elle a fait d'avril à mai, ça vaut vraiment le coup de penser que ça a une valeur et que cette valeur-là n'existerait peut-être pas si on avait des solutions autres pour répondre aux besoins des gens qui sont dépressifs puis qui veulent en finir avec la vie.

C'est une dame... Huit jours avant de décéder, elle est même partie avec son fils aller rencontre son frère et ses deux soeurs en Estrie. Je pense qu'elle n'était plus du tout dans un sentiment de vengeance, elle avait complètement oublié d'essayer de régler son problème d'abus qu'elle avait eu dans le passé. Et elle a terminé sa vie comme on le dit, mourir dans la dignité, là, elle a terminé sa vie dignement. Et elle a eu la chance de faire la paix avec elle-même et elle a eu la chance de retrouver le monde qu'elle aimait puis de le leur dire. Et c'est un petit peu ça, l'histoire que j'ai vécue avec la dernière personne que j'ai accompagnée.

**(14 heures)**

Dans les membres Albatros à travers le Québec et dans d'autres organismes dans lesquels il y a de l'accompagnement, les proches aidants qui font de l'accompagnement auprès de malades, le genre de petite histoire que je viens de vous raconter, là, il y en a des centaines et des centaines par année, et c'est de ça dont Albatros s'occupe. Je suis un des artisans, là, dans le sens que j'ai fait trois accompagnements dans trois ans, mais on est 1 200 membres à travers le Québec, puis c'est ce genre de travail là qu'on fait. Je pense que de penser à légaliser l'euthanasie, on briserait ce lien de confiance qui peut se créer entre êtres humains en fin de vie. Ça, c'est l'expérience que j'ai vécue, que je vis puis que les gens, là, des membres Albatros vivent quotidiennement avec des gens. Ce sont des belles histoires qui nous font grandir, autant nous comme accompagnateurs que les gens qui terminent sereinement leur vie.

Je vais passer maintenant aux maisons de soins palliatifs. Comme on disait au début, je travaille comme directeur général d'un projet qui s'appelle ouvrir la Maison de soins palliatifs de l'Est-de-l'Île-de-Montréal, projet d'ouvrir une maison de 15 lits. Je suis également sur le conseil d'administration de l'Alliance des maisons de soins palliatifs. L'Alliance des maisons de soins palliatifs, c'est le regroupement des 30 maisons de soins palliatifs qui existent au Québec. La grande majorité de ces maisons-là font partie de l'alliance. Ça m'apporte à voyager et à rencontrer les administrations, le personnel médical, les infirmières et infirmiers, le personnel de soutien, les psychologues, les massothérapeutes, les bénévoles.

Et, moi, je viens du milieu des affaires. J'ai pris ma retraite il y a trois ans, et puis c'est le bénévolat que je fais. Et la plus grande surprise que j'ai eue, c'est le dévouement des du personnel, de l'ensemble du personnel dans toutes les maisons de soins palliatifs, dans toutes les unités de soins palliatifs des hôpitaux. Ça m'impressionne personnellement, là, puis c'est quasi impossible de recréer ça dans le milieu des affaires, ce genre de dévouement.

Ce n'est pas triste, moi, je dis souvent à mon monde. Qu'est-ce que tu fais là dans le milieu de soins palliatifs? Tous les gens sont surpris. Puis je leur dis: Écoutez, rentrer dans une maison de soins palliatifs, ce n'est pas triste. C'est une ambiance sereine, calme, et puis les gens sont heureux d'y travailler, et les gens qui y sont, pour la très grande majorité, comme malades, ils sont très heureux d'y être. Finalement, c'est l'expérience que je vis dans le milieu des maisons de soins palliatifs. Et je pense que d'accepter encore une fois l'euthanasie dans ces milieux, les peu qui ont la chance d'y aller, parce qu'il en manque beaucoup, de lits de soins palliatifs au Québec, pour les peu de ceux qui ont la chance d'y aller, on briserait un énorme... l'ambiance qui existe en ayant, à l'intérieur des murs des soins palliatifs, la possibilité que l'euthanasie devienne un soin. Et on ne souhaite pas ça.

Finalement, comme vous avez lu dans notre mémoire, on se veut beaucoup un réquisitoire que les soins palliatifs soient reconnus officiellement par le gouvernement, officiel autant que tout autre soin, les soins palliatifs devraient être reconnus au même titre. De là l'incompréhension qu'on a que les maisons de soins palliatifs ne sont financées qu'à 40 % des coûts. S'il y avait une reconnaissance officielle des soins palliatifs à l'intérieur de notre système de santé, je pense qu'on repenserait un peu à rehausser d'une façon substantielle le financement des maisons de soins palliatifs. C'était le message que je voulais apporter. Je vous remercie.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Arsenault. On va passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission. Et je suis prêt de céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Bonjour à vous trois. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Je vais me permettre de passer un commentaire puisque vous avez le privilège de vous promener dans toutes les maisons Albatros qu'on a le privilège d'avoir sur...

M. Arsenault (Régis): Les maisons de soins palliatifs.

Mme Charbonneau: Les maisons de soins palliatifs. Vous faites bien de me corriger. À aucun moment cette commission n'a voulu être une contradiction aux soins palliatifs. Je crois que la réflexion qu'on fait avec la société, c'est plus sur ce droit, soit individuel ou collectif, à une fin de vie dans la dignité.

Un, il fallait établir qu'est-ce que c'était, la dignité, et j'imagine, que ce soit dans les maisons de soins palliatifs ou dans le principe même et la réflexion du mouvement Albatros, la dignité doit être quelque chose qui est assez complexe, autant pour vous que ça l'a été pour nous, d'en définir la norme. Par contre, le privilège qu'on a eu, c'est qu'on a reçu des gens de tout acabit -- des médecins, des spécialistes, des regroupements, des citoyens -- mais on a aussi eu le privilège et on a reçu avec beaucoup de confiance le témoignage d'individus.

La plupart des fois, je dirais... pas la plupart, toutes les fois qu'on a reçu ces gens-là, ce n'étaient pas des gens qui avaient le cancer, ce n'étaient pas des gens qui étaient en phase terminale, mais c'est des gens qui avaient reçu malheureusement un billet de loterie gagnant sur une maladie qui apportait, avec le temps, des conséquences et des malchances ou je ne sais pas comment le titrer, mais des conséquences de la vie qui faisaient en sorte qu'ils avaient un billet sur lequel ils savaient... un peu comme nous, on le sait d'ailleurs, on va tous mourir, mais, eux, ils avaient dans leur billet des conséquences: étouffements, problématiques respiratoires, possibilité de gavage, «locked-in syndrome». On en a vu, et certains d'entre eux nous ont dit... une nous a dit: J'ai déjà mon billet pour aller en Allemagne, j'ai mon entrée pour aller... pour Dignitas. Une autre nous a dit: Moi, j'aimerais ça savoir que j'ai la possibilité de mourir comme je veux mourir, pas comme je dois mourir, puisque, dans le «dois mourir», moi, sur mon billet, c'est écrit que je vais avoir des problématiques avec mes poumons, avec mon estomac puis autres. On ne les a pas mis automatiquement, dans notre tête, dans la même catégorie que les gens qui vont dans les maisons palliatives. Alors, nécessairement, vous avez compris qu'en les écoutant on ne mettait pas d'enjeu en vertu de la mission que vous vous donnez et que je salue puisque c'est quelque chose d'extraordinaire.

Quand vous dites: Nous, on travaille pour une fin de vie digne, moi, je comprends très bien ça, mais qu'est-ce qui fait que, dans une société, permettre à un vient handicaper ce que je permets à l'autre? J'ai besoin de vous entendre là-dessus.

Le Président (M. Kelley): ...M. Arsenault.

M. Arsenault (Régis): Je peux peut-être... Dans un hôpital, on est là pour faire du curatif, on est là pour guérir. Je ne suis pas un médecin, là, les questions médicales, Michel serait plus là pour répondre, mais, dans un hôpital, on est là pour faire du curatif. Je reviens au fait que, dans... Je reviens à parler de soins palliatifs: donc, soins palliatifs, on est là pour faire du palliatif.

De l'euthanasie, c'est du définitif, si on pourrait dire, hein? Jamais on ne devrait accepter que le définitif soit intégré au palliatif. Que ce soit une porte qu'il faut traverser, que ce soit un dossier ça d'épais à répondre à une personne qui est au palliatif, il y a un protocole très sévère qui devra être complété par toute l'équipe médicale, la famille, le malade, etc., mais jamais on ne devrait... La population devrait clairement connaître que ça n'existe pas, dans un milieu palliatif, le définitif, si on peut appeler ça, dire... Est-ce que ça répond un peu?

Mme Charbonneau: Bien, ça répond bien et ça vient de trancher entre un et l'autre.

M. Arsenault (Régis): Oui.

Mme Charbonneau: Je pense que vous l'avez bien dit au départ: vous, vous êtes l'homme d'affaires entre les trois.

M. Arsenault (Régis): Oui.

**(14 h 10)**

Mme Charbonneau: Donc, la définition des choses, elle est claire. Si jamais -- là, je vais le dire puis vous pouvez répondre que par oui ou non, là -- si jamais on décidait de prendre une version de soins qui pourrait être... répondre à une clientèle ou à un patient qui veut mourir, il est clair, dans votre tête à vous, que ça ne devrait pas passer par une maison de soins palliatifs, même s'il est clair que, si je rentre dans la maison palliatifs par la porte d'en avant, je sais comment je vais en sortir, même si je ne parle que d'un délai. Parce que, dans le fond, on ne parle que de ça, entre vous et moi, là. Habituellement, c'est trois mois. J'en ai une proche de mon bureau. Si la personne rentre, elle doit ne pas avoir plus de trois mois à vivre.

Une voix: Théoriquement.

Mme Charbonneau: Théoriquement...

M. Arsenault (Régis): L'expérience des maisons de soins palliatifs au Québec actuellement, c'est 17 jours. Une petite minorité de gens... D'abord, c'est sûr qu'on souhaite tous mourir chez soi, à domicile, et il y a des raisons, à un moment donné, médicales, des soins, seul... Là, toutes les raisons, on les connaît, on ne les listera pas ici, mais parfois il faut se rendre dans une unité de soins palliatifs, dans un hôpital ou dans une maison de soins palliatifs, et les chanceux qui s'y rendent, qui ne meurent pas dans un corridor, bien, ils sont chanceux puis ils se rendent là.

Il y a une petite minorité de ces gens qu'on doit déplacer, qui ont quand même peur d'aller là parce qu'ils savent qu'ils vont sortir les pieds en avant. Donc, de petites minorités on ferait une grosse majorité des gens s'il y avait une reconnaissance officielle qu'il y a, parmi les soins qu'on a chez nous, l'euthanasie. C'est de ça que je... C'est là que j'emmène la nuance que ça devrait... Si, pour des raisons finales et très ciblées, il faudrait faire de l'euthanasie, il ne faut pas que ça se passe à l'intérieur d'une maison de soins palliatifs.

Mme Charbonneau: Alors, si vous vous prononcez comme ça pour l'euthanasie, est-ce que vous avez la même opinion pour le suicide assisté?

M. Arsenault (Régis): Oui. Oui, je dis: Euthanasie, mais je n'y vois pas beaucoup de nuances, là, les différences, là...

Mme Charbonneau: Ah! Ha!

M. Arsenault (Régis): Ah! Ha! Bien non...

Une voix: ...

Mme Charbonneau: Passez le micro au gars d'à côté, vous allez voir, il va vous parler de la différence entre l'euthanasie et le suicide assisté.

M. Arsenault (Régis): Il y en a quand même une, effectivement.

Mme Charbonneau: Oui, il y en a quand même une.

M. Arsenault (Régis): Oui, je pense que oui, là, en autant que ça ne se passe pas chez nous, ça ne se passe pas dans ces milieux-là. C'est le climat de confiance qu'on va détruire, d'avoir ces objets... ces solutions-là comme choix médical.

Mme Charbonneau: Je vous challenge encore. Je vous challenge encore parce que là vous avez dit: Pas chez nous. O.K., pas dans les maisons palliatives. Est-ce que j'ai le droit de le faire dans les hôpitaux? Est-ce que j'ai le droit d'accorder à quelqu'un qui est chez eux, qui a fait le tour de son patelin, mais qui a réussi à avoir, de par des organismes puis le CLSC, un service à domicile et que, là, c'est fini, là, la personne le sait, sa famille le sait... Je vais vous lancer plus loin, là. Les papiers sont réglés, il n'y a pas d'héritage. Il a une maison, puis c'est à peu près tout, puis son conjoint est encore en vie. Il a fait le tour de tout ce qu'il avait à faire le tour. Il n'est pas dans une maison palliative, il a des services à domicile, sa famille est bénévole -- je mets ça rose doré, là -- puis il dit: Lundi, là, matin, 9 h 15, là, tout le monde peut être là, là, parce qu'autrement, là, si je meurs dans la nuit, là, puis que mon fils est reparti en Gaspésie, là, je ne suis pas bien là-dedans, mais lundi, 9 h 30, tout le monde est là. Cette personne-là, qui n'est pas dans votre maison, qui est dans la sienne, elle n'est pas à l'hôpital non plus, là, est-ce qu'elle aurait le droit, elle, de demander un suicide assisté ou l'euthanasie?

M. Arsenault (Régis): Dans un premier temps... Je réponds parce que personne ne semble vouloir répondre.

M. Bracka (Michel): Bien, vas-y, introduis-moi, je vais parler.

M. Arsenault (Régis): Bon. Je t'introduis: Michel.

M. Bracka (Michel): Bon, O.K.

Le Président (M. Kelley): Dr Bracka.

M. Bracka (Michel): Bonjour, tout le monde. Mme Charbonneau, je vous entends et je vous comprends, et j'ai vécu... Ça fait plus que 20 ans, là, que... Voilà. En tout cas. La différence, c'est que nous parlons de deux problématiques, je pense, différentes: un, c'est les soins palliatifs, et l'autre, c'est la fin d'une vie, et je ne peux pas mettre les deux sur la même balance parce que j'ai vécu les deux avec des malades. Les malades, par exemple, qui sont en voie de perdre leur autonomie, qui sont un diagnostic dégénératif, tels que Nancy B., par exemple, tels que Sue Rodriguez, où ça a été accordé, ça a été accordé, la loi a permis que Nancy B. refuse ses derniers soins, et ça, c'est un vidéo qu'on montre aux résidents jusqu'à ce que le vidéo, qui était vieux, n'est plus usable, mais je l'ai montré pendant des années aux résidents, mais là nous ne parlons pas d'une euthanasie, nous parlons d'une assistance vers une fin de vie par une euthanasie passive qui, en fait, n'est pas un mot légal, nous savons. Et ça, ce n'est pas du tout, dans mon optique, la même chose que des soins palliatifs que nous donnons à des malades avec un diagnostic de fin de vie mais qui ont encore, comment dirais-je, une vie à faire avant de mourir.

Moi, je ne vous donnerai pas mon opinion sur si je suis pour ou contre l'euthanasie. Ce que je peux vous dire, c'est qu'ayant fait presque 20 ans maintenant des deux et ayant eu des malades dans les deux... je ne veux pas dire services, mais dans les deux catégories de soins, les deux catégories de maladie, que ce n'est pas du tout la même chose. On ne peut pas faire ça équivoque. Mais je peux vous dire que des maisons de soins palliatifs, si nous suivons la définition des soins palliatifs, ne sont pas des maisons où la vie devrait être, dans mon opinion, terminée d'une façon volontaire, que ce soit par la personne ou que ce soit par une équipe médicale ou autre. Pourquoi? Parce que, par définition, «soins palliatifs» veut dire de promouvoir des soins de confort jusqu'à la fin de la vie. Et ça, ça prend des soins médicaux, ça prend des soins non médicaux, ça prend une équipe, ce que nous appelons aujourd'hui une équipe collaborative avec médecin, infirmière, préposé aux bénéficiaires, psychologue, travailleuse sociale, support, bénévoles et pharmacien évidemment, support médicamenteux.

Alors, c'est pour ça que, moi, dans mon optique, on ne devrait pas mêler les deux concepts et on ne devrait pas dire que des soins de maisons palliatifs... ou des maisons de soins palliatifs, pardon, devraient être des maisons où la vie va pouvoir se terminer d'une façon volontaire. Pour moi, c'est deux choses complètement différentes.

Vous me parlez de quelqu'un qui habite seul chez lui, qui est en perte d'autonomie, qui a encore toute sa tête et qui me dit: Terminez-en, donnez-moi une «shot», là. Bien, la réponse, premièrement, c'est illégal. Mais, même si ce n'était pas illégal, la question, c'est: Pourquoi il me demande ça, là? Je dois éliminer des problèmes de dépression, des problèmes de souffrance, des problèmes de peur, des problèmes de craintes, et ça, je suis capable de le faire. Et je pense que, comme médecin, j'ai un arsenal de médications qui me permettent de soulager cette personne et d'atteindre le nirvana qu'il cherche sans lui donner une dose létale de médicaments. Donc ça, c'est mon optique à moi.

Maintenant, est-ce que ça répond un peu ou est-ce que ça vous donne une indication d'où j'y vais, moi? Bien, peut-être. C'est clair, je veux dire, moi, je suis pour le soulagement de la vie, c'est pour ça que je fais ça. Mais il ne faut pas oublier une chose, c'est que -- et ça, je le dis à mes internes, je le dis à mes résidents -- c'est que le malade va mourir une fois. La famille, les proches, l'environnement, les gens de son environnement vont vivre avec cette mort pendant longtemps.

Alors, c'est pour ça que c'est une question... vous allez me dire, c'est une question de société, peut-être, mais je pense que c'est encore plus loin que ça, c'est une question d'idéologie. Est-ce que nous sommes une société qui est prête à donner ça à des intervenants? Je ne suis pas sûr, parce que, honnêtement, je crois que nous ne sommes même pas une société qui est prête ou qui a appris encore à soulager ses patients comme il faut. Je pense qu'il y a beaucoup d'enseignement encore à faire, je pense qu'il y a de la crainte de la part des professionnels de la santé et peut-être des politiciens, je ne sais pas, mais il y a une crainte, et je pense qu'on n'est pas rendus à un point où nous pouvons dire: Bon, on va décider que, pour quelqu'un qui est apte de tête et qui décide qu'il ne veut pas perdre son autonomie et qu'il ne veut pas perdre sa dignité -- et je suis un grand croyant en la dignité -- je ne pense pas que nous sommes encore prêts à faire une décision de même, comme ça. On dit «de même»? Oui, on peut le dire.

Alors ça, peut-être que ça vous donne un peu plus d'information. Mais, dans les maisons de soins palliatifs, je suis d'accord avec M. Arsenault et c'est pour ça que je siège sur un conseil de futures maisons de soins palliatifs, ce n'est pas la place pour une euthanasie, certainement pas active; euthanasie passive, ça, c'est un mot qu'on utilise, mais je pense qu'on ne l'applique pas nécessairement... bien, peut-être un peu... oui, peut-être. Mais en tout cas c'est sûr que ça, c'est une autre question, là, je ne veux pas embarquer là-dedans. Mais...

**(14 h 20)**

Mme Charbonneau: Par contre, je voudrais juste vous spécifier que le cas type que je vous donnais, c'était vraiment quelqu'un qui était dans les mêmes conditions qu'une maison palliative mais qui choisissait de mourir à la maison, puisque ça existe, hein? Il y a des gens qui peuvent choisir...

M. Bracka (Michel): Oui. Oui.

Mme Charbonneau: ...et il y a des organismes, on en a reçu et on n'a pas fini d'en recevoir, des organismes qui viennent en aide à ces gens-là qui choisissent de finir à la maison plutôt que soit en maison palliative ou à l'hôpital.

M. Bracka (Michel): Oui. Et je...

Mme Charbonneau: Dans ce contexte-là. Je ne mettais pas une personne en santé...

M. Bracka (Michel): Tout à fait. Je vous comprends. Je vous comprends, mais je vais vous donner... je vais répliquer là-dessus parce que j'en fais beaucoup, d'accompagnement à domicile. Moi, sur 10 malades, je peux accompagner environ... il y en a six à sept qui vont rester à la maison. Sur les trois ou quatre autres, il y a deux raisons principales pour aller à l'hôpital et c'est souvent d'ordre familial, d'ordre support, d'ordre crainte, et un sur 10 peut-être ont peur que leurs conjoints meurent à domicile parce qu'ils doivent continuer à vivre dans cette maison et ils trouvent qu'ils ne sont pas capables, ils ne sont pas sûrs qu'ils vont le faire. Et il y en a peut-être deux à trois qui ne sont pas capables de le faire parce que soit ils n'ont pas une famille avec des enfants qui sont capables de venir donner de l'aide ou des proches ou quoi, ils sont isolés, et on n'a pas assez de ressources dans la communauté pour permettre à donner les soins autres que médicaux ou nursing. Parce qu'au point de vue médical-nursing, il n'y a pas assez de docteurs qui font ça, je dirais, pas pour être prétentieux, mais je pense que ça, c'est quelque chose qui j'espère va prendre de l'envol. Les infirmières qui font ça le font très bien à date, mais ça prend plus, ça prend les soins quotidiens, des soins de tous les jours. Et c'est là le problème.

Le Président (M. Kelley): Non, il ne reste pas de temps. Alors, je vais aller à ma gauche et Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup de votre présentation. Avant d'aborder des questions plus spécifiques, vraiment, sur les soins palliatifs, parce que des fois on l'oublie, mais on n'est pas une commission uniquement sur la question de l'aide au suicide ou l'euthanasie, on veut vraiment regarder ça de manière globale, je vais quand même... puisque vous étiez sur ce sujet-là, je veux juste savoir si, pour vous, toute douleur et toute souffrance peuvent être endiguée par les soins palliatifs.

M. Bracka (Michel): Non, mais c'est...

Mme Hivon: Non, mais en fait... Parce qu'après je vais avoir ma sous-question, mais...

M. Bracka (Michel): Non, mais c'est une bonne question. Là, vous adressez la... La question est à moi? Ou n'importe qui?

Mme Hivon: Bien, à tous ceux qui oeuvrent dans le domaine, là.

Mme Bleau (Francine): Moi, je ne peux pas répondre au niveau médical parce que je n'ai pas les connaissances et l'expérience du Dr Bracka, mais par expérience, pour accompagner des malades à l'Hôpital Maisonneuve en soins palliatifs depuis trois ans, dans tous les cas les gens qui sont là sont soulagés de leurs douleurs, et jamais on n'entend ces gens-là, quand ils sont soulagés de leurs douleurs, demander à ce que ça en finisse. Lorsqu'ils demandent que ça en finisse, c'est lorsque la maladie évolue et que là, vraiment, c'est... la maladie évolue, alors il en va de soi que la mort approche de plus en plus. Mais jamais ces gens-là ne sont laissés à souffrir. Et psychologiquement et physiquement, on comble toute souffrance, et on leur dit: Dès que vous avez un inconfort, quel qu'il soit, des fois même ils ne sont pas en mesure de parler, on voit parce qu'ils bougent beaucoup ou, leur inconfort, ça se manifeste à leur façon, tout de suite ils interviennent, ils ajustent la médication.

Et, par expérience dans ces milieux de vie là, pour, comme je vous dis là, avoir plus de 600 heures à mon actif, je n'ai vu à peu près... j'ai vu quatre cas, entre autres, qui étaient rentrés là condamnés -- évidemment soins palliatifs, ça le dit -- et j'ai une dame, là, qui est là depuis six mois et qui va sortir, s'en aller en soins prolongés. C'est évident que la mort, elle n'est pas tellement loin, mais son état est tellement bien... elle est tellement bien traitée, soulagée, qu'ils vont l'envoyer dans un centre de soins prolongés. Mais ces gens-là sont des exceptions, mais quand même il y a... c'est 17 jours, la moyenne de survie de ces gens-là en institution, mais il n'en demeure pas moins qu'il y en a qui font plus que 17 jours. On parle d'une moyenne, mais je serais curieuse, à Maisonneuve en tout cas, pour prôner pour Maisonneuve, je pense que les soins sont drôlement bons parce que 17 jours... Et effectivement il y en a qui font 17 jours, il y en a qui font deux jours, que, d'une semaine à l'autre, je n'ai pas le temps de l'avoir connue, la personne est décédée.

Mais ces gens-là, à vivre ces soins palliatifs là dans un milieu comme ça, ça leur permet de vivre... de rajouter, dans leur boîte de souvenirs, une période x qui leur permet des rapprochements avec des êtres chers qu'ils n'ont pas vus depuis tant de temps, des réconciliations qu'ils n'auraient peut-être pas faites si la mort avait été écourtée ou rapprochée. Oui?

Mme Hivon: Vous avez juste dit quelque chose, vous avez dit: On contrôle bien leurs douleurs, tout ça, ils sont bien, et tout ça. Vous avez dit... Je veux juste... Par exemple, c'est sûr que, quand la mort approche, là ça arrive qu'ils ne veuillent plus ou ils souffrent... Est-ce que vous avez dit ça...

Mme Bleau (Francine): Bien, c'est-à-dire qu'il y a une période...

Mme Hivon: ...ou ils veulent, ils veulent que ça arrive, là?

Mme Bleau (Francine): Non. C'est qu'ils...

Mme Hivon: Non?

Mme Bleau (Francine): Non, ils ne le demandent pas nécessairement, mais, sauf que la maladie évoluant et que la souffrance prend le dessus, veux veux pas, le patient devient dans un état exténué, là, et ça se voit, là. Là, ça devient, à un moment donné, je ne sais pas comment dire, là -- Dr Bracka pourrait en parler -- mais il faut augmenter, à ce moment-là, c'est sûr, la médication. Parce que, la maladie évoluant et le patient s'en allant, il souffre.

Mme Hivon: L'effort augmente. O.K.

Mme Bleau (Francine): Oui.

Mme Hivon: Est-ce que vous vouliez ajouter?

M. Bracka (Michel): Je voulais juste dire, suite à ce que Mme Bleau a dit: Oui, on a les médicaments, on a les traitements qu'on peut soulager. Bien, moi, dans mon expérience, je peux soulager pas mal tout, une question de savoir les utiliser, de ne pas avoir peur de les utiliser, en sachant que des fois on travaille avec des grosses doses de médicaments, mais on est capables de soulager: de soulager les douleurs, les nausées, les inconforts. La douleur morale, si vous vouliez embarquer là-dedans, je pense qu'on est capables de la soulager aussi, mais ça, ça prend du temps et ça prend de la discussion, et ça, ça...

Moi, je vais vous donner un exemple seulement et ensuite je ferme ma trappe. Un patient à domicile qui m'a dit: Ah, que j'ai hâte que ça finisse, cette affaire-là! Êtes-vous souffrant? Non. Avez-vous des nausées? Non. Êtes-vous inconfortable? Non. Mais pourquoi vous voulez que ça finisse si vite? Il dit: Parce que ma famille est en train de souffrir. J'ai dit: Non, votre famille ne souffre pas parce que chaque matin qu'ils viennent vous voir ils ont un sourire de savoir que vous êtes encore avec eux pour encore 24 heures. Ah oui, c'est vrai, «Doc», vous avez raison. Et finalement le monsieur est décédé -- il était plus jeune que moi, en passant, là, et, moi, j'ai mi-cinquantaine -- mais il est décédé dans la dignité et décédé dans la sérénité. Et ça a bien été, oui, ça a été une mort très paisible, et la famille a eu le temps de cheminer avec lui.

Alors, c'est-u toujours pareil? Ce n'est jamais toujours pareil; chaque cas, c'est du cas par cas, mais je pense que c'est une question d'éducation, c'est une question de formation qui doit commencer tout jeune, là, les étudiants en médecine, et éventuellement d'avoir de l'expérience là-dedans. Mais je pense que, oui, je pense que ça peut se faire.

Mme Hivon: Oui, allez-y.

Mme Bleau (Francine): Il y avait, dans La Presse en fin de semaine, samedi, un patient qui parlait des soins palliatifs, un M. Desforges qui disait qu'aux soins palliatifs, «tu touches à ce qu'il y a de plus essentiel chez [l'être] humain». Il citait, je le cite, là: «La maladie, c'est une chose. [...]Mourir seul, c'en est une autre. Mourir seul, c'est mourir deux fois.» Alors, en soins palliatifs, les gens sont accompagnés, soulagés, supportés. Bref, je pense, ça résumait bien ce que le patient a dit. En tout cas...

Mme Hivon: Si je posais la question pour les maladies dégénératives, celle d'endiguer la douleur et la souffrance, est-ce que vous auriez essentiellement la même réponse?

M. Bracka (Michel): Oui. Le problème avec les maladies dégénératives, c'est qu'il y a un dysmorphisme de la personne qui se fait avec le temps, là, il y a une perte de fonction de niveau variable. Et ça, effectivement, au point de vue dignité, c'est ces patients-là qui ont le pire, c'est le plus dur coup à leur personne.

Ça, évidemment, c'est une autre problématique. Comme je vous dis, ces gens-là, vous... Oui...

Mme Hivon: ...les cas les plus difficiles de gens qui sont venus faire des témoignages ici, ce sont évidemment ceux-là.

**(14 h 30)**

M. Bracka (Michel): Oui. Oui. Mais là encore, si on prend l'exemple de Nancy B. -- et on revient là-dessus parce que c'est celui qui a vraiment changé la tournure un peu de notre idéologie -- je pense que les gens ont le droit de ne pas recevoir des soins. Et, nous, comme soignants, on a l'obligation de les soulager en temps et lieu, et ça, c'est la grande question ici. Je ne sais pas si, dans le cas de Nancy B., dans le scénario qu'on avait, le médecin avait bien dit: Vous avez le droit de refuser les soins, nous, on va vous soulager; quand vous commencez à avoir de la difficulté à respirer, on va vous donner de l'oxygène; si vous commencez à avoir des douleurs, on va vous soulager les douleurs. On a le droit de choisir la façon dont nous voulons mourir. Mais est-ce que, nous, comme soignants, on a le droit d'accélérer une mort qui pourrait être une mort paisible avec une autre approche? Pas sûr.

Mme Hivon: Sur les soins palliatifs, de par votre expérience, souvent, c'est ça, il faut qu'il y ait une expectative de vie de moins de trois mois, de ce que je comprends un peu. Vous accompagnez ces gens-là. Est-ce que vous pensez qu'il pourrait être profitable que les soins palliatifs arrivent dans la vie du patient plus tôt? Qu'il y ait comme une approche, je vous dirais, pas juste: il reste juste trois mois, mais, par exemple, qu'on sait qu'il n'y aura plus de traitement, qu'il n'y a plus vraiment de curatif disponible... Est-ce que toute la philosophie de l'accompagnement des soins palliatifs, est-ce que c'est un peu dénaturé du fait que, ça arrive souvent, la personne rentre puis, comme vous dites, en moyenne elle va vivre 17 jours? Des fois, c'est moins. Est-ce que vous pensez qu'il y aurait quelque chose de mieux si on les intégrait avant dans le parcours d'un patient en fin de vie?

Mme Bleau (Francine): S'il y avait plus, exemple, de soins par rapport à ces gens-là ou plus de budgets octroyés pour les soins palliatifs, que ce soit à domicile, ou d'ouvrir des maisons de soins, ou d'ouvrir des équipes qui iraient aider... Tu sais, il y a différents organismes qui font ça. C'est sûr qu'il y a de l'appui qui faciliterait beaucoup les démarches puis les familles qui sont aux prises avec des malades à la maison. Et, en 2015, là, quand on dit que le quart de la population aura plus de 65 ans... C'est assuré que ce n'est pas un... le cancer ou les maladies arrivent chez des jeunes aussi, mais...

M. Arsenault (Régis): Il ne faut pas voir les soins palliatifs comme... que ça commence la journée qu'une personne rentre dans une maison de soins palliatifs. Je pense que les soins palliatifs, c'est la journée où est-ce que le médecin met un X, qu'il n'est plus curatif, on va dorénavant lui donner de la médication pour le soulager. Donc, c'est généralement à domicile que ça se passe, puis ça se passe peut-être pendant six mois à domicile, puis c'est une petite minorité qui vont aller dans les maisons de soins palliatifs quand même, dans les maisons. Mais ils devraient recevoir des soins palliatifs d'abord et avant tout, puis ça devrait être l'objectif de la société que, les soins palliatifs, ce soit donné à domicile dans la mesure du possible.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Merci à vous trois. La commission est loin d'avoir terminé ses travaux, mais déjà elle a plusieurs mérites, en ce sens qu'on a pu, à travers les travaux en cours, éclairer les lanternes de certains ou sinon définir les concepts, qui pour plusieurs étaient encore flous.

Et un des constats qu'on peut faire déjà, à ce moment-ci, c'est les lacunes au niveau des soins palliatifs. On a tout intérêt certainement, comme société, à mieux accompagner cette discipline-là, peut-être en faire une spécialité en soi. Ça reste à voir. Mais, si vous aviez à établir une priorité au niveau des soins palliatifs, elle serait où? Est-ce qu'elle est au niveau de la formation? Est-ce qu'elle est au niveau du développement de lits en établissement hospitalier? Est-ce qu'elle est au niveau du développement de lits dans des maisons un petit peu comme celle que vous prévoyez ouvrir dans les prochains mois? Quelle serait la priorité, selon vous?

Le Président (M. Kelley): Vous... Dr Bracka.

M. Bracka (Michel): Bon, moi, je vais vous dire, je pense que c'est à tous les niveaux. Maintenant, c'est sûr qu'il n'y a pas assez d'argent pour aller partout. Je pense qu'il y a une éducation à faire chez les jeunes médecins qui commencent et chez les médecins un peu plus âgés ou plus vieux, on va dire, peut-être moins vieux que moi mais plus vieux, comment traiter ces malades-là. Et je pense qu'il y a aussi des ressources à mettre pour permettre à ces malades de rester chez eux. Parce que beaucoup pourraient rester chez eux, beaucoup plus, et les soins palliatifs pourraient être vraiment pour un groupe plus sélectif de gens qui n'ont pas les moyens. Mais, si on avait plus de ressources à domicile, on pourrait garder beaucoup plus de monde à domicile, au lieu de l'hôpital, qui coûte très cher, nous savons.

Alors, un peu partout, mais, personnellement, moi, je commencerais à domicile, à mettre des services à domicile avant. On pourrait garder plus de malades en dehors des hôpitaux, en dehors des maisons de soins pals si on avait plus de ressources à la maison.

M. Charette: Et dans le cheminement de vos organisations respectives qu'est-ce qui vous a fait pencher vers l'ouverture de lits à l'intérieur d'une maison de soins palliatifs versus le développement de lits? Bon, vous avez l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont, notamment, qui dessert sensiblement le même territoire. Qu'est-ce qui vous a fait pencher d'un côté plus que de l'autre?

M. Bracka (Michel): Il n'y a pas assez de lits à Maisonneuve. Moi, je travaille beaucoup avec l'équipe de soins palliatifs de Maisonneuve. Quand j'ai un patient que je dois faire entrer pour fin de vie, ou pour répit, ou pour rééquilibration des médicaments parce que je ne suis pas capable de le faire à domicile pour diverses raisons, je le fais à Maisonneuve, mais des fois il y a une attente entre trois jours et deux semaines, dépendant des autres demandes de l'hôpital, de l'urgence, etc. Alors, c'est sûr...

Et l'autre chose, qui est peut-être moins importante mais qui quand même... moi, je le perds, ce malade, quand il va à l'hôpital. Et pourtant je serais capable de m'en occuper, de lui, s'il était dans une maison territoriale où j'avais des privilèges. Je pourrais continuer mon suivi de ce patient-là et je n'aurais pas besoin de le mettre dans un lit de soins aigus dans un hôpital. Ça...

M. Charette: Tout à l'heure, vous avez évoqué quelques statistiques. Je crois que vous avez peut-être un complément de réponse. Je vais vous donner la possibilité, à travers la question que je vais vous poser. Vous avez évoqué des statistiques tout à l'heure, une moyenne de 17 jours à la grandeur du Québec. Est-ce que vous avez aussi des statistiques au niveau des disponibilités de lits en maison de soins palliatifs? Est-ce qu'elles fonctionnent essentiellement toutes à 100 %, ou à pleine capacité? Quel est le portrait que vous pourriez en faire, à la grandeur du Québec?

M. Arsenault (Michel): Maisons existantes, vous voulez dire, là?

M. Charette: Effectivement.

M. Arsenault (Michel): Que je sache, les maisons sont occupées à 100 %. Il faut comprendre que le ministère de la Santé a défini qu'il devrait y avoir un lit de soins palliatifs par 10 000 personnes. Ça, c'est une norme, là. Eux autres disent 50 lits par 500 000 personnes, là, tout simplement pour protéger les petites communautés, où il faut s'organiser avec les moyens du bord. Donc, il devrait y avoir un lit par 10 000 personnes. Si on prend l'exemple, là, de statistiques bien précises, là, l'est de l'île de Montréal, on parle de 15 lits à Maisonneuvre-Rosemont, 12 lits à Santa-Cabrini, pour une population de 500 000 personnes. Il devrait y avoir 50 lits, et il y a 28 lits. C'est sûr que ce sont des chanceux qui rentrent dans les maisons de soins palliatifs. Les autres, bon, ils meurent dans un corridor à l'urgence ou dans un lit à l'hôpital.

C'est ça, la réalité, là. C'est ça, la réalité. En tout cas, je parle pour l'est de l'île de Montréal. Je pense que c'est moins dramatique sur le reste de l'île, mais la réalité... Et de là que l'agence et les CSS du coin nous autorisent à ouvrir une maison de 15 lits pour ce secteur-là.

M. Charette: Une dernière question, pour ma part, rapidement. On a eu le privilège, ce matin, d'entendre un groupe de médecins qui provenaient de l'Université McGill, à travers ses différentes composantes, vanter, comme vous l'avez bien fait également, les soins palliatifs. Vous, je vous ai entendus défendre les soins palliatifs sans exprimer beaucoup de réserves à l'égard d'une éventuelle décriminalisation de l'euthanasie ou sinon du suicide assisté, un volet qu'eux ont davantage exploré ou exploité. Et leur grande crainte était qu'une telle décriminalisation amènerait un affaiblissement de la pratique même des soins palliatifs. Bon, ils invoquaient notamment le lien de confiance avec le patient, mais bref, ultimement, ils y voyaient une menace pour leur propre pratique.

Est-ce que c'est un regard ou une perception que vous avez également ou est-ce qu'on ne pourrait pas imaginer le scénario suivant, à savoir: les soins palliatifs conviennent à certaines catégories de patients, conviennent à certaines catégories de maladies? On l'a évoqué, hein, tout à l'heure, il y a des limites à traiter un certain nombre d'autres maladies. Est-ce qu'on pourrait laisser ce choix-là à la personne en fonction de ses besoins, c'est-à-dire soins palliatifs par rapport à ce qu'elle ressent, par rapport à ce qu'elle vit, ou une option autre en fonction de sa réalité, mais sans considérer qu'une menace l'autre et sans demander ou exiger aux maisons des soins palliatifs justement d'offrir ces diverses possibilités là?

**(14 h 40)**

M. Bracka (Michel): Personnellement, comme j'ai dit, je pense que, comme société, nous ne sommes pas encore assez... je ne veux pas dire «évolués», mais je vais le dire quand même, on n'a pas encore exploré assez la question avant de donner une option de terminaison de vie activement. Je pense que nous sommes au tout début. Nous commençons à apprécier ce que c'est, des soins palliatifs, à commencer à apprécier que ces patients sont de plus en plus en grand nombre. Et, moi, je ne parle pas juste des cancéreux. Je parle aussi des insuffisants cardiaques en phase terminale, je parle des insuffisants respiratoires en phase terminale, des insuffisants rénaux en phase terminale. Et j'en ai soigné de tout ça à domicile. Et je suis capable de les soigner et très bien soigner, avec une bonne équipe infirmière, une bonne équipe auxiliaire.

Mais ça ne m'est jamais... Et le nombre de demandes que j'ai eues de terminaison de vie -- bien, de toute façon, ça n'aurait rien changé -- je peux les compter sur une main -- excusez -- je peux les compter sur une main. Et ça, je vous parle dans une vingtaine d'années de pratique. Et ça, comme je vous dis, j'en fais beaucoup, de ces soins-là.

Alors, si vous me posez la question: Est-ce qu'une euthanasie active devrait être considérée pour certains malades et pas pour d'autres, selon le choix du malade?, je ne peux pas préconiser ce choix-là actuellement parce que je pense que nous n'avons pas encore, comment dirais-je, nous n'avons pas encore donné assez de ressources ou de... d'étude dans la question. Je pense que nous avons encore beaucoup de questions à répondre avant d'aller sur un champ de même.

Et le risque d'abus, oui, ça, ça me préoccuperait aussi. Même si c'était moi qui étais dans une phase terminale un jour, là, je ne voudrais pas que quelqu'un puisse se prononcer là-dessus. Et moi-même me prononcer là-dessus, bien on n'est pas rendu, mais en tout cas je ne sais pas.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, il me reste à dire merci beaucoup, M. Arsenault, Mme Bleau, Dr Bracka. Moi, j'étais impliqué, dans l'Ouest-de-l'Île de Montréal, dans le lancement d'une maison des soins palliatifs. Alors, je sais, ça prend beaucoup de temps, beaucoup de bénévolat, beaucoup d'énergie. Alors, bon succès avec votre projet, parce qu'ils ont un rôle très important à jouer dans l'ensemble des communautés au Québec. Alors, merci beaucoup.

Je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander aux représentants de NOVA Montréal de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 14 h 42)

(Reprise à 14 h 45)

Le Président (M. Kelley): Alors, nos prochains témoins sont les représentants de NOVA Montréal, représenté entre autres par sa directrice générale, Mme Marla Stovin. Alors, Mme Stovin, la parole est à vous.

NOVA Montréal

Mme Stovin (Marla): O.K. Je passe la parole tout de suite à madame...

Le Président (M. Kelley): O.K., parfait, c'est Mme Nicole Mireault. Alors, bienvenue, Mme Mireault aussi. La parole est à vous.

Mme Mireault (Nicole): Oui. Eh bien, je vous remercie, M. le Président et les membres de la commission, d'avoir bien voulu nous entendre. Comme vous savez, je m'appelle Nicole Mireault. Je suis une bénévole à NOVA et j'accompagne Marla Stovin, qui est la directrice générale et qui est une infirmière de profession qui est au service de NOVA depuis maintenant 20 ans. Et au cours des huit dernières années elle a assumé le rôle de directrice générale. On lui doit également la mise sur pied du programme de soins palliatifs à domicile, conformément aux normes établies par l'OSM, je pense, les normes internationales. Et elle assume également la supervision des infirmières et l'assurance de la qualité des services rendus.

Pour vous dire quelques mots au sujet de NOVA, NOVA -- c'est le nom qu'on lui donne maintenant -- était connue sous le nom de VON. Les gens de ma génération, les Montréalais de ma génération, connaissent probablement le Victorian Order of Nurses, qui est un organisme communautaire à but non lucratif qui a été fondé en 1898, à une époque où les soins médicaux étaient réservés aux personnes qui avaient les moyens de se faire soigner. Les infirmières, à cette époque, les infirmières visiteuses, se rendaient au chevet des malades pour leur prodiguer des soins. Et elles ont été aussi responsables de beaucoup d'avancement dans la science de l'hygiène publique, par exemple. Elles ont mis sur pied des cliniques pour les jeunes mamans et puis les enfants. On se souvient qu'à cette époque le taux de mortalité maternelle et infantile était énorme.

Au fil des ans, bien entendu, les besoins de santé ont changé, et NOVA a su s'adapter. Sans ça, nous ne serions pas ici aujourd'hui, 112 ans plus tard, pour vous en parler. Au début des années soixante-dix, nous avons vu arriver le système de santé public, sauf que, malgré la générosité du gouvernement, le système n'arrive pas à répondre à tous les besoins. Toutes les demandes ne sont pas nécessairement comblées. C'est surtout vrai pour ce qui a trait au maintien à domicile. C'est ce qui a amené NOVA à développer son service de soins infirmiers à domicile pour les personnes atteintes de cancers en phase terminale qui désiraient finir leurs jours à la maison. Les patients sont souvent référés à NOVA pour avoir... Excusez-moi, là, je reprends. Je suis comme à Radio-Canada: Excusez-moi, je reprends. Les patients sont souvent référés par les CLSC, les hôpitaux et les institutions publiques parce que NOVA collabore étroitement avec ces organismes.

Depuis l'implantation de son service de soins infirmiers à domicile auprès des personnes en phase terminale, chaque année, les infirmières de NOVA se rendent au chevet d'environ 400, 425 personnes, une expérience qui nous permet de vous faire part de notre réflexion sur la question de mourir dans la dignité. Nous avons consulté les infirmières, le comité d'affaires médicales et les membres du conseil d'administration pour arriver à la position suivante, et la voici. NOVA Montréal est d'avis que, selon ses croyances, tout être humain confronté à la mort imminente devrait avoir la liberté et le droit de choisir le moment et la façon de mourir. En outre, ce choix doit être entièrement le sien et non celui de la famille ou du médecin.

Pour finir, j'aimerais vous faire part des observations de nos infirmières, quelques-unes des observations de nos infirmières. Elles pensent qu'il est illusoire de penser que la famille seule peut donner tous les soins nécessaires au bien-être du patient et lui permettre de finir ses jours dans la sérénité à laquelle il a droit. Outre tous les soins qu'il faut apporter à une personne en fin de vie, le contrôle de la douleur est une des grandes sources d'angoisse, autant chez le patient que la famille. Pour être efficace, le contrôle de la douleur doit être supervisé constamment par un professionnel de la santé. Lorsque les patients sont maintenus dans une zone de confort et que la famille est bien soutenue également, la plupart finissent leur vie sereinement, entourés de leurs proches, dans l'environnement de leur choix. Cependant, nous ne sommes pas tous égaux devant la mort. Il y a ceux que la médecine n'arrive pas à soulager et pour qui choisir le moment et la façon de mourir devient la seule option possible.

Maintenant, je laisse à la spécialiste des soins palliatifs le soin de répondre à vos questions. Mme Stovin, Marla Stovin.

**(14 h 50)**

Mme Stovin (Marla): Bonjour.

Une voix: Bonjour.

Mme Stovin (Marla): Merci, pour l'invitation. J'aimerais préciser que nous sommes les spécialistes en soins palliatifs, nos infirmières. On travaille à domicile. On assure le suivi des patients 24 heures sur 24, sept jours sur sept. On assure un service de garde pour les urgences, les situations d'urgence. Tout ça étant dit, nous sommes fières des soins que nous apportons aux clients. Et on réussit bien, je crois, d'aider notre monde à rester à la maison le plus longtemps possible. C'est leur choix, s'ils veulent mourir à la maison ou s'ils veulent rester un certain point et là être transféré à une maison de soins palliatifs.

Une des raisons pour lesquelles on réussit dans notre travail, c'est que c'est une équipe. On travaille en collaboration avec le CLSC et les familles. Mais le rôle de nos infirmières, c'est de donner l'information et le soutien psychologique et émotionnel aux patients, autant aux familles, pour leur donner les outils pour vivre cette étape de leur vie. Ce ne sera pas une surprise si quelqu'un commence la phase d'agonie. Les familles seront au courant: Ah! O.K., c'est de ça que l'infirmière a parlé. O.K., je sais quoi faire. On est capables... on peut faire le cheminement comme ça avec le patient et la famille. Et je crois que ça, c'est une des raisons que dans notre liste de patients de soins palliatifs on a à peu près 35 %, 36 % qui restent à domicile pour mourir.

Dans les patients qui... Pour aborder le sujet de mourir dans la dignité, pour nous, c'est une opinion personnelle, mais ça fait partie de la philosophie des infirmières qui travaillent pour nous. La dignité, ça prend le confort, ça prend le choix de la personne elle-même. Dans les cas où est-ce que la douleur n'est pas bien soulagée, les infirmières ont constaté qu'il y a 30 %, peut-être, de nos clientèles qui expriment le désir de mourir vite, maintenant, ne peuvent pas supporter la douleur. Dans le cas où est-ce que la douleur est bien contrôlée, ce désir de mourir, ce n'est pas là. La présence de la mort, c'est toujours là, mais de la faire avancer plus vite, c'est beaucoup, beaucoup diminué.

Dans le cas des clients, il y a peut-être 7 % de ce 30 % qu'on ne réussit pas de bien soulager la douleur. Donc, pour 7 %, qui est à peu près comme... L'année passée, on a soigné 318 personnes à domicile. Donc, dans mes calculations, ça arrive à six personnes qui ont vécu la douleur insupportable. Pour ce monde-là, la question est: Est-ce que c'est avec dignité qu'ils endurent leurs dernières journées de la vie? Est-ce qu'ils ont le droit de choisir de passer plus vite? Et c'est là-dessus qu'on se situe. C'est notre opinion que les clients devraient avoir le choix, dans ces situations-là de douleur incontrôlable, et que ce serait le choix du patient et non la famille, non les médecins, non le gouvernement. C'est personnel. Avec toutes les informations qu'il faut pour prendre une bonne décision, avec toutes les connaissances qui sont à leur portée. Et c'est notre rôle, comme infirmières, de les supporter dans leur choix.

Ça n'arrive pas souvent qu'il y a les situations incontrôlables comme ça, mais on en vit une maintenant, et c'est aussi douloureux pour la famille, que pour le patient, que pour les intervenants médicaux et les soins infirmiers aussi. On se demande pourquoi.

Pour discuter qu'est-ce que, nous, on pense qu'il devrait exister pour être capable de fournir ces soins pour la personne qui veut rester à domicile, c'est évidemment le personnel soignant bien formé, bien expérimenté dans les soins palliatifs. La volonté de bien faire, ce n'est pas assez. Il faut avoir les connaissances: la connaissance des médicaments, la connaissance psychologique, et tout.

Si, moi, je connais les exemples des infirmières du CLSC qui... Parce que, dans les CLSC, les infirmières sont obligées, dans plusieurs, de faire toutes les visites. Pas que les soins palliatifs, mais toutes, toutes, toutes les visites. Donc, au départ, leur tâche, le «case load», c'est très, très grand. Si on n'aime pas les soins palliatifs, si on a peur de la mort et on est obligé de visiter quelqu'un qui est en train de mourir, est-ce qu'on va faire une bonne job? Je doute. Je doute. J'ai déjà eu les historiques qu'une infirmière visiteuse se rend au chevet d'un patient aux soins palliatifs. Elle restait à la porte de la chambre de coucher. Elle ne rentrait pas. Elle n'enlevait pas son manteau. Elle ne touchait pas le patient. Je questionne c'est où, le confort, là. Donc, le personnel bien formé, avec une motivation pour être là aussi.

Et ça, aussi, inclut les préposés aux bénéficiaires, l'assistance à domicile. C'est une tâche qui est 24 heures sur 24. Il faut gérer les médicaments. Il faut donner les soins personnels, soins d'hygiène. Il faut faire les repas. Il faut nettoyer la maison. Il faut gagner notre vie aussi. C'est difficile d'être un soignant naturel pour quelqu'un qui est en train de mourir, que ce soit un cancer ou d'autre, donc on a besoin de soutien. Et des fois ça ne prend pas beaucoup. Ça prend peut-être l'assurance que, oui, il y aura quelqu'un là trois heures lundi, mercredi, vendredi. Et là il peut continuer avec ça. Si les ressources ne sont pas présentes, le client et la famille deviennent épuisés, et le patient se retrouve à l'hôpital, ce qui coûte beaucoup plus cher aux citoyennes et citoyens.

Ça, c'est un résumé. Je reste ouverte à vos questions.

J'ai une chose que j'aimerais ajouter. C'est que j'ai reçu les nouvelles aujourd'hui que le service de garde de l'Ouest... d'aide médicale, la ligne dédiée, de l'Ouest-de-l'Île changera sous peu. Au lieu d'avoir les infirmières expérimentées en soins palliatifs employées par l'agence, ce sera maintenant un contrat qui aura été donné à une agence privée pour assurer la garde pour ces services. C'est un peu inquiétant, surtout pour nous. Si, nous, on reçoit plus d'appels, si financièrement on serait capables de continuer, ça, c'est une chose. On ne reçoit aucune subvention, et ça commence d'être très difficile de ramasser de l'argent pour continuer. On sait bien qu'il y a le besoin, mais il y a les limites fiscales partout, hein? Et il y a les questions... Une des questions qui m'arrivent aussi au sujet de la garde médicale, c'est que, si c'est une agence privée, comment on va assurer que les connaissances sont compétentes, comment les compétences seront assurées, dans les soins palliatifs en particulier?

Donc, je reste à vous pour répondre à vos questions.

**(15 heures)**

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Stovin, Mme Mireault, pour cette présentation. On va passer à une période d'échange avec les membres de la commission. Moi, je vais déclarer mes intérêts -- je pense, c'est toujours important: c'est une infirmière de NOVA West Island, effectivement, qui a fait l'accompagnement de mon père avant qu'il est allé dans une maison de soins palliatifs. Alors, je suis très familier avec la disponibilité et la qualité des soins qui sont fournis par NOVA dans l'Ouest-de-l'Île de Montréal. Alors, je peux dire publiquement merci beaucoup. C'était une Mme Wood, de mémoire, Heather Wood qui était l'infirmière en question, qui a fait un travail extraordinaire, une très grande disponibilité, je pense d'origine en Terre-Neuve. Elle est une femme intelligente, charmante, qui a été très précieuse pour notre famille, l'accompagnement qu'elle a fait avec nous. Alors, merci beaucoup.

Sur ce, je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous. C'est toujours intéressant de parler avec des gens qui côtoient la mort, si on peut dire, au quotidien.

Je voudrais juste amener... Je voudrais que vous apportiez une petite précision au sujet de votre financement. Si j'ai bien compris, vous ne recevez aucun financement étatique? Aucun. Alors, c'est seulement du financement suite à des levées de fonds, des dons.

Mme Stovin (Marla): ...de fonds, oui, c'est ça. Oui.

Mme Gaudreault: Bon, intéressant. Je voudrais vous entendre un peu plus concernant les patients que vous côtoyez qui font le voeu de mettre un terme à leur vie. Depuis qu'on a commencé nos travaux, c'était vraiment très minime. Les médecins disaient, en 20 ans de carrière, avoir eu deux à trois demandes. Et là, à ma grande surprise, vous mentionnez à la page 3 que 30 % des patients que vous côtoyez vous font cette demande, vous, vous amènent à douter de leur désir de vouloir poursuivre. Alors, ça, c'est environ une centaine de personnes par année, là, qui voudraient avoir accès, au fond, à l'euthanasie ou... Et ça, ça m'interpelle énormément par rapport au lien entre médecin, infirmière, patient.

J'aimerais que vous m'expliquiez un peu comment ça fonctionne chez vous. Comment est-ce que le médecin s'intègre dans les soins que vous dispensez à domicile?

Mme Stovin (Marla): Notre territoire étant très grand, on travaille avec plusieurs CSSS. Il y a en un, comme le CSSS de Sud-Ouest--Verdun, qui a les médecins attachés à leur CSSS. À LaSalle, Lachine, Dorval, moins, il y en a une, médecin qui travaille dans les soins palliatifs. Donc, nous, on fait référence au médecin familial ou l'oncologue du patient; s'il n'y en a pas, un médecin du CSSS impliqué dans le dossier. On travaille étroitement aussi avec le Département de soins supportifs à l'hôpital juif aussi. Les médecins là sont toujours disponibles pour nos infirmières.

La façon dont on travaille, c'est que nos infirmières visitent la famille, fait la vérification des signes vitaux, l'état du client, est-ce que la douleur est bien contrôlée, et tout ça. Si la douleur n'est pas bien contrôlée, là on demande les médecins pour une augmentation d'analgésique, ou changer l'analgésique, ou ajuster les médicaments d'une telle façon.

Dans le 30 % des clients que j'ai cités, c'étaient ceux, 30 % au début, que la douleur n'est pas bien contrôlée. Donc, ça tombe à 7 % après ça, 7 % du 30 % après ça, quand la douleur n'est pas bien contrôlée qu'on reçoit les demandes. On essaie le plus qu'on peut, avec les médecins, de les rendre confortables le plus qu'on peut évidemment dans la légalité des choses.

Les infirmières sont, comme je dis, sur appel 24 heures sur 24. Elles vont... Quand les familles les appellent, si elles ne peuvent pas faire le dépistage et résoudre les problèmes par téléphone, les infirmières vont se déplacer. Et, si c'est une question de médicaments de fin de vie, comme on dit, entre guillemets, qui ne sont pas installés chez le patient, on appelle aussi la ligne dédiée pour que les infirmières nous rejoignent là, parce qu'eux autres ils ont la trousse de médicaments. Nous, on n'en a pas. Les médicaments de fin de vie sont les médicaments du confort, comme la morphine, comme la scopolamine pour réduire les sécrétions, le Versed pour calmer le monde, et tout ça.

On essaie le plus possible, dans notre planification de nos soins, de planifier et de voir: O.K., est-ce qu'on est prêts? Est-ce que la fin de vie, c'est proche? Est-ce qu'on peut... On va demander les prescriptions plus tôt que plus tard pour que les médicaments peuvent être dans la maison et être prêts d'être utilisés par les patients quand ils auront besoin, parce que, la fin de semaine, ce n'est pas évident de remplir une prescription pour de la morphine.

Donc, c'est un peu comme ça que ça déroule. Est-ce que ça répond à votre question?

Mme Gaudreault: J'aurais une autre petite question justement au sujet du soulagement de la douleur. Est-ce que vous êtes dans la même situation que certaines infirmières en milieu hospitalier qui, lorsque le médecin n'est pas disponible, on ne peut pas changer la médication puis on ne peut pas répondre aux besoins du patient? Alors, est-ce que, vous, vous avez un lien direct avec les médecins 24 heures sur 24, sept jours sur sept? Parce qu'on sait que la condition d'un patient peut évoluer, changer rapidement. Et souvent, les familles qui sont venues nous voir, ça les déstabilise énormément de voir leurs parents, là, vraiment être vraiment en douleur mais que l'infirmière est vraiment... elle ne peut rien faire sans l'appui du médecin.

Mme Stovin (Marla): Les médecins avec qui on travaille sont très bien expérimentés en soins palliatifs. Quand ils nous prescrivent les médicaments, prescrivent les médicaments pour les clients, ils prescrivent comme morphine 2 000 g à 4 000 g ou quelque chose comme ça. Donc, on commence avec le plus petit et, si ça ne marche pas, au prochain intervalle on augmente le dosage un petit peu, toujours dans la limite prescrite par le médecin. Mais il nous donne un peu de lousse, là, pour être capable de bien soulager les patients.

Mme Gaudreault: Dernière petite question: Est-ce que vous êtes d'accord avec le Collège des médecins lorsqu'ils affirment que, dans des situations exceptionnelles, l'euthanasie pourrait être un soin en fin de vie?

Mme Stovin (Marla): Je reviens à notre constat que ça devrait rester le choix du patient. Je ne veux pas, personnellement, je ne veux pas que le médecin décide que, ah, c'est le temps qu'on mette fin à sa vie. Non, merci. Je ne veux pas que ma famille non plus décide ça. Si, moi, j'ai toutes mes capacités, non, non, ce sera la décision à moi. Je tiens à la vie tellement. Et c'est ça que, nous, on constate aussi avec nos infirmières, c'est qu'on ne veut pas voir nos patients souffrir, mais on ne veut pas... c'est difficile pour nous aussi de les voir mourir, mais on veut qu'ils... mourir dans une sérénité et un calme et comme c'est leur choix. Donc, s'il y a quelqu'un avec une douleur insupportable qui n'est pas soulagée par tous les moyens qu'ils ont essayés, et c'est le dernier ressort, et, lui, il insiste, pourquoi lui faire souffrir plus longtemps? C'est un peu ça.

Donc, je n'ai pas bien répondu, mais c'est...

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Il n'y a jamais de bonne réponse puis il n'y a jamais de mauvaise question. Donc, ça finit toujours par être mélangeant.

Ce matin, on a reçu des gens de McGill, une équipe de médecins qui nous ont sensibilisés sur la formation. Il y a des choses inquiétantes quelquefois qu'on entend dans une commission comme celle-ci, entre autres que les vétérinaires ont plus de formation que nos propres médecins sur l'euthanasie. Ce n'est pas toujours facile à comprendre.

Par contre, ils nous ont parlé aussi de la formation des infirmières. Et on peut se rendre jusqu'à la formation des proches aidants.

Chez vous, pour la formation des gens qui font la même chose que vous dans le quotidien, c'est-à-dire qui accompagnent les familles, comment ça fonctionne pour la formation? Comment les gens sont-ils soit choisis? Est-ce que c'est un principe de: J'ai le goût de faire du bénévolat, donc j'y vais? Et, quand ils arrivent dans une famille, pour la famille, le soin au quotidien, vous le disiez plus tôt, ce n'est pas quelque chose de facile. Prendre soin de son parent comme son parent a pris soin de soi, donc devenir le parent de son parent, ce n'est pas toujours évident. Comment vous faites l'approche pour la formation de la famille par rapport au patient?

**(15 h 10)**

Mme Stovin (Marla): Premièrement, on choisit nos infirmières. On a tous pas mal la même philosophie dans les soins palliatifs. On a les expériences différentes, on apporte tout notre bagage de la vie avec, et tout ça. Mais, chez NOVA, nos préposés ont suivi un cours bâti par nous, basé sur l'association canadienne en hospice, soins palliatifs et hospice, leur formation, qui est très bonne. Donc, on prend ces modules-là et on fait une formation ponctuelle. C'est fait par les infirmières auprès des familles. Si c'est le soin d'hygiène, on leur montre comment le faire. Si c'est changer un lit avec quelqu'un dans le lit, on leur montre comment le faire, on les aide. Si on est chanceux, le CLSC a les moyens de fournir des préposés aux bénéficiaires pour aider avec les soins d'hygiène. Sinon, l'infirmière va montrer à la famille comment le faire et en sécurité pour eux et pour le client aussi.

Mais dans les soins palliatifs, la formation pour les intervenants, les familles, ce n'est pas toujours évident non plus, hein, parce qu'il y a tous les stades de la mort qui se passent. Et on a beau dire tout ce qu'on veut, la première visite, mais ils ne vont pas se souvenir de tout ce qu'on dit. Donc, c'est à répétition. On attend leurs questions: Comment je fais ça? Qu'est-ce qui se passe maintenant? Et on fait la formation au fur et à mesure, selon les besoins des patients et la famille.

Le Président (M. Kelley): Ça va?

Mme Charbonneau: Ça va.

Le Président (M. Kelley): O.K. Parfait. Merci beaucoup. M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Mesdames, merci pour votre présence, merci pour votre éclairage.

Deux petites questions bien, bien simples. On a évoqué justement la position du Collège des médecins, instance que nous avons eu le privilège d'entendre, mais nous avons reçu d'autres groupes aussi, dont des infirmiers et des infirmières qui se montraient, dans certains cas, plus critiques à l'égard d'un assouplissement des règles en matière de suicide assisté et de décriminalisation, là, de l'euthanasie. Et un des arguments que ces personnes invoquaient, c'était de dire: Si éventuellement ça devenait possible, la tâche ingrate, en quelque sorte, reviendrait aux infirmiers, aux infirmières, c'est-à-dire le médecin donnerait la permission, la prescription, et ultimement ce serait l'infirmier ou l'infirmière qui poserait le geste, que ce soit à travers une injection ou à travers un mélange de comprimés ou une solution qui serait létale pour le patient ultimement.

Est-ce que vos membres, est-ce que vos infirmières seraient à l'aise? Est-ce que c'est une possibilité qu'elles ont évaluée dans leur réflexion au cours du présent exercice?

Mme Stovin (Marla): Je peux dire non. C'est une question qui me surprend. Ça ne devrait pas, mais ça me surprend. Ce n'est pas une question qu'on a abordée dans nos réunions. C'est toujours avec la position que, les médicaments comme ça, ce serait administré par les médecins, s'il y aurait lieu de le faire. Ce n'est pas une question que je peux répondre pour eux, parce qu'on n'a pas discuté ça.

M. Charette: Une dernière petite question. En ce qui me concerne, votre position place le patient ou la patiente au centre de la décision, ce qui vous permet de concevoir différents actes, que ce soit euthanasie ou suicide assisté. Par le fait même, vous êtes en contact au quotidien avec des médecins qui, tout comme vous, travaillent au niveau des soins palliatifs. Avez-vous le sentiment que votre position est également partagée par vos collègues médecins qui vous accompagnent dans votre quotidien?

Mme Stovin (Marla): Je dirais que oui, j'espérerais que oui. Je ne peux pas constater avec précision parce qu'encore, moi, personnellement, je n'ai pas discuté ça avec les médecins. Mais je trouve que le monde qui travaille dans les soins palliatifs, entre autres, on a tous un désir de soulager le client et faire le bien pour le client, notre meilleur. Je ne vois pas que les médecins veulent exprimer une opinion différente que qu'est-ce que, moi, j'ai exprimé non plus.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci de votre contribution à cet échange.

Moi, je vais me référer à la page 2 de votre mémoire, quand vous dites qu'à un certain moment donné «le choix de mourir dignement, de la façon et au moment voulu, devient la seule option possible». Je parle donc du 7 % qu'on ne réussit pas à soulager. J'imagine qu'à partir de l'expérience que vous avez vous avez dû côtoyer des personnes aptes et aussi des personnes inaptes à prendre la décision. On a parlé, dans certains mémoires, du testament de vie.

Comment vous voyez ça, le fait de ne pas pouvoir soulager les personnes qui sont inaptes et de pouvoir, à un moment donné, prendre en considération aussi le fait qu'on doit les soulager, donc peut-être en venir à l'euthanasie ou au suicide assisté, peu importe l'option qu'on pourrait choisir? Est-ce que le testament de vie, c'est un moyen? Et quelle est votre expérience à cet égard?

Mme Stovin (Marla): Moi, personnellement, je n'ai pas d'expérience à cet égard. Le monde que, moi, j'ai vu dans les extrémités de leur douleur et à la fin de leur vie ont été le monde qui étaient aptes. Je n'ai pas eu à soigner le monde à cette étape, dans mon expérience, qui étaient inaptes. Donc, je ne peux pas répondre à cette question-là.

Question biologique, c'est encouragé, les clients en soins palliatifs, à faire un testament biologique comme ça, mais c'était aussi dit que ce n'est pas un document légal, on n'est pas obligé de le suivre. Le monde dit: Pourquoi, pourquoi d'abord je le ferais si mes voeux ne sont pas respectés non plus? Donc, si c'est un document légal, on serait obligé de le respecter. Mais, si ce n'est pas... comme maintenant, si ce n'est pas légal, les autorités n'ont pas besoin de le respecter. Donc...

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Merci beaucoup. Le fameux 7 %, vous voyez, ça nous frappe beaucoup, là. C'est parce qu'on entend toutes sortes de chiffres, d'approximations, et tout ça. Donc, vous, je comprends que c'est un relevé assez systématique que vous avez fait des demandes qui peuvent vous être formulées de gens qui exprimeraient un souhait de mourir, là.

Mme Stovin (Marla): ...la cueillette des infirmières, que j'ai demandé: Combien, selon vous? Ce n'est pas les numéros spécifiques.

Mme Hivon: O.K. C'est ça. O.K. Non, non, mais c'est l'ensemble des infirmières qui travaillent avec vous.

Mme Stovin (Marla): Oui.

Mme Hivon: O.K. Dans le 7 % de patients qui ne seraient pas soulagés, on parle de douleur physique ou on parle autant de douleur physique et, par exemple, de souffrance morale ou psychologique?

Mme Stovin (Marla): C'est une bonne question. C'est difficile de différencier des fois entre la douleur physique et la douleur psychologique et morale. Ça va ensemble, ça va ensemble. Si on réussit à soulager la douleur physique, ça se peut que la douleur reste toujours là, même si on croit que c'est soulagé, à cause de douleur émotionnelle, psychologique qui est là. Donc, il faut soulager les deux pour avoir une bonne réussite.

Mme Hivon: O.K. Et vous travaillez essentiellement auprès de patients qui ont un cancer, en phase terminale de cancer, ou il y a d'autres types de maladie, de soins palliatifs pour lesquels vous offrez du support?

Mme Stovin (Marla): La majorité, ce sont les personnes avec le cancer, mais on accepte aussi les personnes avec la ALS, sclérose SLA. O.K.? Sclérose latérale amyotrophique, c'est ça?

Mme Hivon: Oui, c'est ça.

Mme Stovin (Marla): O.K. Alors, on accepte ces patients aussi. Donc, c'est un suivi un peu différent mais assez intéressant aussi. Ça...

Mme Hivon: Puis, pour ce type de malade là qu'on appelle plus dégénérative, est-ce que vous avez le sentiment qu'il peut être plus difficile de contrôler la douleur en fin de vie ou c'est à peu près similaire entre ça et les gens qui sont atteints de cancer?

**(15 h 20)**

Mme Stovin (Marla): Les maladies évoluent différemment. C'est similaire, mais il y a les différences aussi à cause des dégénérations nerveuses qui arrivent avec ces maladies-là. La chose qui est très difficile, c'est que ce n'est pas l'aptitude, ce n'est pas le système nerveux... Je ne peux pas m'exprimer, excusez-moi. Mais le cerveau reste actif, les émotions restent actives. Les médicaments sont différents. On ne veut pas déprimer la respiration trop, donc les narcotiques utilisés, les analgésiques utilisés sont un peu différents. L'angoisse que la famille et le patient expérimentent, c'est souvent aigu, peut-être plus que ceux qui ont le cancer.

Mme Hivon: Et je comprends... Qu'est-ce que vous faites dans les cas ou dans le 7 % de cas, par exemple, où des gens voient que leur douleur, leur souffrance n'est pas soulagée et qu'ils expriment un désir de mourir maintenant? Qu'est-ce que vous faites? Qu'est-ce que vous offrez à ces patients-là à l'heure actuelle?

Mme Stovin (Marla): À l'heure actuelle, il n'y a pas grand-chose qu'on peut offrir: les soins de confort, l'analgésie de toutes sortes différentes, l'entredose si la morphine, ça ne fait pas l'affaire, les antianxiété, les choses comme ça. C'est les massages, la musique, le soutien spirituel aussi s'ils acceptent tout ça. On essaie tous les moyens.

Mme Hivon: Beaucoup de médecins de soins palliatifs nous disent qu'ultimement, quand on est face à un cas comme celui-là, il y a la sédation terminale, donc l'équivalent un peu d'une anesthésie où en fait on endort la personne jusqu'à ce que mort s'ensuive parce qu'on n'a pas d'autre possibilité pour endiguer sa douleur.

Est-ce que je comprends que, dans votre cas, ça, ce n'est pas quelque chose qui est envisageable parce que la personne est à la maison, et donc pour ça il faudrait la transférer à l'hôpital, si c'était ça, le soin ultime, ou est-ce que c'est quelque chose que, vous, vous n'envisagez pas tout court?

Mme Stovin (Marla): Ce n'est pas comme... Nos infirmières n'assurent pas une présence au chevet 24 heures sur 24. Donc, une chose comme ça, ça devient le choix du patient et la famille qui sont là pour administrer les médicaments. Les médecins prescrivent les médicaments pour assurer un confort pour les patients, mais, si c'était administré comme il faut à l'heure qu'il faut, et tout ça, pour garder le client en confort, nous, on ne peut pas vérifier ça tout le temps. On peut juste faire la formation et supporter les clients et la famille dans leurs décisions.

La plupart des clients, je peux dire, veulent rester connaissantes, ne veulent pas perdre conscience, veulent interagir avec leur famille le plus longtemps possible. Donc, il y en a, des patients qui choisissent de subir un peu de douleur pour rester alertes aussi. Donc, c'est vraiment... Si on a le choix, c'est peut-être que le patient va choisir... S'ils savent qu'ils peuvent avoir un peu plus, ils vont rester avec un peu moins, en sachant qu'il y a le choix toujours.

Mme Hivon: En fait, par rapport à cette fameuse question-là de la sédation terminale, est-ce que vous diriez que le 7 % des patients qui continuent à avoir de la douleur, donc qui voudraient en terminer maintenant, est-ce que je comprends de vos propos que, si on leur offrait ça, là, d'être endormis jusqu'à ce qu'ils meurent, donc est-ce que vous êtes en train de me dire que la majorité quand même préféreraient rester lucides, conscients, même s'il y a de la douleur et même si leur choix premier, ce serait d'en arrêter maintenant, après avoir dit leurs adieux à leurs proches, plutôt qu'on leur offre: Vous allez être endormis jusqu'à la fin? Est-ce que c'est ça que je comprends de vos propos?

Mme Stovin (Marla): Je pense que oui. Oui, c'est une question très difficile.

Mme Hivon: Je me permets de la poser parce que, vous, de ce que je comprends, vous êtes vraiment en relation avec ces patients-là qui sont chez eux. Donc, c'est une dynamique quand même différente puis qui vous interpelle, là, parce que vous nous donnez des chiffres qu'il n'y a personne d'autre qui nous a donnés. Donc, c'est pour ça qu'on se permet de peut-être parler de votre expérience pratique.

Mme Stovin (Marla): Oui. Si je me souviens des patients que, moi, j'ai accompagnés, j'avais l'occasion d'accompagner une famille, une jeune mère avec les enfants, 12, 16, 10 ans. Elle ne voulait pas quitter la terre, elle voulait rester avec ses enfants. Les enfants ont été tout près d'elle tout le temps, tout le temps, le mari, les beaux-parents, et tout ça. Elle avait la douleur, mais elle ne voulait pas subir complètement aux médicaments, elle voulait interagir avec ses enfants. Et je pense que chaque situation est différente.

Je me souviens d'une femme que j'ai été appelée à visiter à trois heures du matin une fin de semaine, et elle était dans une agonie épouvantable. La famille était là, les amis ont été là, mais on ne réussit pas de soulager sa douleur. Elle voulait mettre fin tout de suite, tout de suite, tout de suite. Mais je pense que, même si je lui donnais une dose d'un éléphant, elle ne mourrait pas. Il n'aurait pu y avoir un effet parce que sa douleur était tellement aiguë qu'on ne rejoindrait pas la douleur, à soulager la douleur. Donc, il y a les cas qu'on ne peut rien faire aussi.

Mme Hivon: Merci.

Le Président (M. Kelley): Peut-être, avant de quitter, peut-être j'ai une question, parce qu'un autre chiffre dans votre mémoire, c'est: 36 % des personnes réussissent de décéder à la maison. Si on avait les soins à domicile mieux organisés et avec un meilleur soutien, est-ce que c'est un chiffre qui peut augmenter ou est-ce que c'est toujours les personnes qui vont préférer de quitter leur maison et aller vers un hôpital? Comment interpréter ce chiffre-là?

Mme Stovin (Marla): Bien, c'est les chiffres que, nous, on peut constater. Ce n'est pas à dire que ça, c'est 36 % des malades qui sont morts à la maison. Ce n'est pas... Ça n'inclut pas le monde qui est resté à la maison et rendu à l'hôpital pour mourir deux jours après. Ça ne comprend pas ces... Mais ça peut augmenter le pourcentage un peu.

De mourir à la maison, c'est une question très, très, très personnelle. Ce n'est pas tout le monde qui veut. Ce n'est pas toutes les familles qui veulent non plus. De vivre dans la même maison que leur mari ou leur enfant à mourir, ça apporte beaucoup, beaucoup de mauvais souvenirs peut-être. Ce n'est pas tout le monde qui trouve que c'est un exercice valorisant non plus.

Avec plus de ressources, oui, je crois qu'il y aura plus de monde qui peuvent... qui voulaient et qui pourraient mourir à la maison en confort et en dignité, entourés avec leur famille et leurs proches. C'est souhaitable, c'est souhaitable.

Le Président (M. Kelley): Non, non, c'est ça que je cherche, parce que, moi, je pense toujours à mon expérience personnelle, et le moment qu'on a proposé... Parce que la maison de mon père était sur deux étages. Et le moment qu'on dit: Bon, on peut organiser le tout sur le premier étage et descendre un lit ou obtenir un lit d'hôpital, mon père a dit: Jamais! Je ne dormirai pas dans mon salon. Êtes-vous fous? Alors, c'était un petit peu son attitude. L'idée de mourir à la maison était complètement étrangère de ses voeux. Mais on voit, si on peut mieux organiser les soins... Parce qu'entre autres notre devoir, comme commission, c'est de regarder l'organisation des soins palliatifs soit en maison, soit en établissement, soit à la maison.

Alors, je pense, votre expérience est très riche pour nous autres aujourd'hui parce que vous avez le vécu dans le quotidien. Et, comme j'ai déclaré mon conflit d'intérêts, j'ai vécu avec les expériences des infirmières NOVA, qui font un travail extraordinaire. Alors, bravo. Continuez votre bon travail. Je joue mal aux balles molles à tous les étés et, pour être membre dans notre ligue, il faut faire une contribution, faire un chèque à un organisme communautaire. Chaque année, avec fierté, je fais mon chèque à l'intention de NOVA. Alors, bravo pour votre travail.

Je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander au représentant de Campagne-Québec-Vie de prendre place. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 15 h 30)

 

(Reprise à 15 h 34)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission va reprendre ses travaux. Notre prochain témoin, c'est M. Georges... Buscemi?

M. Buscemi (Georges): Oui.

Le Président (M. Kelley): ...Buscemi, qui représente Campagne-Québec-Vie, qui a distribué une nouvelle version d'une présentation. On est en train de faire les copies pour l'ensemble des membres. Alors, sans plus tarder, M. Buscemi, la parole est à vous.

Campagne-Québec-Vie

M. Buscemi (Georges): Merci. Alors, la dernière présentation que vous avez écoutée était très concrète, très dans le jour-le-jour. Puis, avec cette présentation que je vais vous donner, ça va monter dans les sphères un peu abstraites peut-être, peut-être un peu philosophiques, anthropologiques, mais ça va faire changement, peut-être.

Bon. Le mémoire que je vous ai soumis le 16 juillet s'intitule Une fausse liberté: les 50 ans d'euthanasie au Québec -- 2010-2060. C'est ça ici. Dans ce mémoire, j'ai tenté d'alerter les Québécois sur les risques énormes de dérapage qu'entraînerait la dépénalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Le problème, avec une argumentation qui invoque les dangers de la pente glissante, c'est qu'on peut toujours la mettre en doute. On peut toujours qualifier nos prévisions de pessimistes, sans qu'il n'y ait, pour prouver leur véracité, qu'un avenir plus ou moins proche. Quelle que soit la qualité intellectuelle ou la puissance spéculative de nos arguments selon lesquels la dépénalisation de l'euthanasie causerait un cataclysme social, la qualité de la preuve reste abstraite et se heurte à la certitude d'une douleur concrète, celle à laquelle doit faire face un patient mourant qui veut se suicider. Comment ne pas accorder plus de poids à la réalité concrète du malade qu'à un scénario catastrophe, scénario qui frôle, selon certains, la science-fiction?

En supposant que vous avez lu le mémoire, celui-ci, et que vous le jugiez plus ou moins convaincant, c'est à cette question que j'aimerais répondre aujourd'hui. Pourquoi légiférer en considération d'un hypothétique cataclysme social amené par la dépénalisation de l'euthanasie? Pourquoi ne pas légiférer en se basant sur du solide, sur du certain, c'est-à-dire sur cette douleur très réelle de personnes qui demandent que l'on mette fin à leurs jours? J'espère réussir à vous en persuader. Si nous accordons aujourd'hui plus de poids au désir du malade qui veut mourir qu'aux conséquences sociales de l'euthanasie, c'est parce que nous ne nous préoccupons pas du tout de ce que j'appellerai l'écologie humaine. Si nous nous préoccupions autant de l'écologie humaine que de l'écologie naturelle, nous refuserions l'euthanasie comme étant un geste propre à entraîner des effets très néfastes sur l'écologie humaine, un geste, par conséquent, qu'il faut éviter à tout prix.

Je vais plus loin. Une plus grande conscience de l'importance de l'écologie humaine, puisqu'elle mène à une meilleure appréciation du rôle essentiel de l'humain dans la présentation du monde dont il fait partie intégrante, conduit à mieux comprendre l'écologie naturelle dans son ensemble.

Bon. La plupart d'entre nous ont maintenant pris conscience de l'effet de chacune de nos actions sur l'écologie naturelle, sur l'environnement. Quand il est question d'environnement, nous sommes délivrés de l'attitude du je, me, moi qui domine actuellement les questions d'ordre moral ou social. Les gens sont conscients qu'il leur faut faire des sacrifices personnels, réduire leur consommation, diminuer leur empreinte écologique, et ainsi de suite, pour conserver un ordre écologique perçu comme un bien en soi. Nous avons fait, comme société, une sorte de pari de Pascal environnemental. Je rappelle que par cet exemple de pari le philosophe Blaise Pascal tentait de convaincre les athées de croire en Dieu.

Alors, je vais expliquer un peu ce que c'est, le pari de Pascal. Dieu existe ou il n'existe pas. Il vaut mieux parier que Dieu existe, car, s'il existe vous gagnez tout, c'est-à-dire le salut éternel, alors que, s'il n'existe pas, vous ne perdez rien, puisque croyants et incroyants se retrouveraient alors avec un même gain sans aucune valeur, le néant.

Donc, appliquons ce pari à l'environnement. Ou nos négligences en matière d'environnement conduiront la planète à un cataclysme environnemental ou elles seront sans conséquence. Il vaut mieux parier que nous sommes en voie de nous autodétruire. Même si cela n'est pas vrai, nous ne perdons pas grand-chose. Nous aurons gaspillé moins de ressources, nous aurons vécu plus humblement, etc. Mais, si cela est vrai, nous sauverons la terre.

**(15 h 40)**

Par contre, si nous parions qu'il n'y aura pas de cataclysme environnemental et que nous n'avons pas à changer nos modes de consommation, au mieux, nous gardons de mauvaises habitudes, alors que, si nous avons tort, nous provoquons un cataclysme environnemental aux conséquences incalculables. Donc, gageons qu'il faut dès maintenant changer nos habitudes de vie pour éviter un cataclysme environnemental plus ou moins hypothétique.

Bon. C'est pas mal évident que nous avons pris, comme société, ce pari de Pascal environnemental, et ce, même s'il n'y a rien de moins certain que les sciences du climat et de l'environnement. Étant donné la possibilité d'un cataclysme si nous refusons de réduire nos émissions à gaz à effet de serre, les GES, nous parions que notre inaction nous mènera à un cataclysme et donc nous agissons en conséquence. Nous travaillons à réduire systématiquement le taux d'émissions des GES.

Bon, finalement, retournons à la question de la dépénalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Mon argument est le suivant. Nous pouvons parier qu'une telle dépénalisation de l'euthanasie serait sans conséquence grave sur la communauté. Mais il est plus sage de parier qu'elle conduira à un cataclysme social. Maintenant, il reste à voir comment des gestes individuels de personnes qui se suicideront dans des hôpitaux ou à domicile pourraient, comme le font nos mauvais choix individuels environnementaux, mener à un cataclysme. C'est justement ce que j'ai tenté d'illustrer dans le mémoire que j'ai soumis.

Ici encore, je vais supposer que vous avez lu ce mémoire, que vous vous en rappelez, mais que je ne vous ai pas complètement convaincus. Si j'avais le budget d'Al Gore, je tournerais moi-même, aussi, un documentaire analogue à son célèbre film Une vérité qui dérange, An Inconvenient Thruth. Alors, je suis le premier à dire aussi que les sciences sociales sont aussi imprécises, sinon davantage, que les sciences climatiques. Par contre, il nous faut décider, comme société, maintenant, si l'on dépénalise l'euthanasie et le suicide assisté ou non. Je maintiens que non et qu'il n'y a rien de fantaisiste dans le mémoire que je vous ai soumis. Et, comme nous parions, même si nous n'en sommes pas certains, que notre négligence environnementale causera des dégâts irréparables dans le futur, nous devrions gager que la dépénalisation de l'euthanasie causera des dégâts sociétaux irréparables qu'il faut à tout prix éviter. Si, en conséquence de notre pari environnemental, nous sommes d'accord pour interdire aux citoyens certaines pratiques polluantes, en vertu de notre pari sur les effets de l'euthanasie, nous devrions être d'accord pour interdire aux citoyens l'accès à un service de suicide sur demande.

On remarquera que toutes mes prévisions quant aux effets sur 50 ans d'une dépénalisation de l'euthanasie et du suicide assisté sur le Québec ne sont en fait que les projections de phénomènes qui sont d'ores et déjà en train de se réaliser aux Pays-Bas ou en Oregon. Ces prédictions ne sont pas particulièrement pessimistes. Un survol rapide de l'histoire du XXe siècle démontre à quel point l'être humain est capable d'aller loin dans la folie et l'inhumanité.

J'invite la société québécoise à envisager le scénario que j'avance dans le mémoire, un scénario qui, je le répète, n'est pas le pire de tous, loin de là. J'invite la société québécoise à s'engager, comme dans le cas de l'environnement, à faire en sorte que ce scénario ne se réalise pas. Il faut donc éviter à tout prix la dépénalisation de l'euthanasie et du suicide assisté.

Il reste à répondre à deux objections possibles. Premièrement, certains rétorqueront que, pour éviter le cataclysme environnemental, nous n'avons pas à faire de grands sacrifices. Nous n'avons qu'à accomplir au quotidien des petits gestes anodins qui petit à petit auront, à plus ou moins long terme, un effet positif. Par contre, lorsque nous cherchons à éviter un cataclysme sociétal en maintenant l'interdiction de l'euthanasie, nous ne demandons rien à la grande majorité, tandis que nous demandons beaucoup trop aux personnes souffrantes, qui ne voient pas d'issue à leur douleur et qui veulent en finir. En d'autres termes, on peut tolérer de demander à chacun de nous de faire leur part pour éviter un hypothétique cataclysme environnemental, mais c'est trop exiger de quelques personnes que de les obliger à souffrir quasiment seules pour que tous nous évitions un hypothétique cataclysme social.

La réponse à cette objection est simple. Il s'agit d'alléger le fardeau des personnes souffrantes en demandant à la société de les aider davantage qu'elle ne le fait actuellement. On y arrivera en facilitant la tâche des aidants naturels, en effectuant plus de recherches en soins palliatifs et en suppression de la douleur, et en donnant à plus de personnes la possibilité de finir leurs jours à la maison. Ainsi, nous partageons plus équitablement une responsabilité commune, celle de sauver la société québécoise. Oui, cela exige des sacrifices de toute la population, non pas nécessairement plus d'impôts, mais certainement plus de bénévolat, par exemple. Toutefois, comme dans le cas de l'environnement, cela se fera à la condition que nous comprenions pourquoi ces sacrifices sont nécessaires.

La deuxième objection est la suivante. Certains diront que, même si l'euthanasie devenait une solution pour un grand nombre de personnes, même si nous perdions, disons, 30 000 personnes par année à cause de l'euthanasie, surtout des pauvres, des dépressifs, des vieillards, des handicapés, etc., cela serait quelque chose de positif, à la longue, pour l'environnement. Moins il y a d'êtres humains sur la terre, mieux se porte notre planète, et les générations futures en profiteront. En outre, ceux qui restent n'auraient pas autant de sacrifices à consentir pour réduire leur consommation, puisque moins d'êtres humains pollueraient la planète. Avouons-le, l'idée que l'être humain est une sorte de parasite, la source de tous les maux du monde, fait son chemin. De plus en plus de gens croient que l'humain est un fléau pour la planète. Pour eux, il faut diminuer le nombre de personnes sur terre, et tant mieux si nous pouvons le faire sans mesures coercitives. Et je note que dans le scénario proposé ici, mon mémoire, il n'est d'ailleurs pas question de mesures coercitives ni d'euthanasie involontaire.

Ce genre de raisonnement méconnaît à quel point l'être humain est important pour la survie de la planète. Bien sûr, l'on sait que l'humanité peut détruire la terre, dévorer ses ressources, la polluer de toutes les façons. Mais il faut reconnaître aussi que la nature, c'est-à-dire le monde sans l'homme, n'est pas nécessairement favorable à la vie. Nous savons, par exemple, qu'il a existé sur la terre d'autres formes de vie, bien avant l'être humain, qui furent annihilées par des désastres naturels. Nous n'avons qu'à penser aux dinosaures, par exemple. Rien ne dit que l'univers ne répétera pas les mêmes bêtises. Rien ne dit que la planète ne se réchauffera pas sans nous, jusqu'à la disparition de toute vie. Rien ne dit que la terre, dans quelques centaines de millions d'années, ne se refroidira pas naturellement, sans que l'homme soit responsable.

Bref, un univers sans être humain n'est pas nécessairement favorable à la vie, au contraire, car seul l'être humain a la capacité de sauver les autres espèces dans les cas de péril extrême. L'argument selon lequel l'euthanasie pourrait contribuer à résoudre nos problèmes environnementaux est faux, parce que la vie humaine, loin d'être un cancer sur la terre ou un parasite destructeur, est vraiment le seul espoir pour la terre, pour la vie. Seul l'être humain, grâce à ses capacités, à sa curiosité, à son ingéniosité, pourrait réagir et trouver des solutions.

Le désespoir et la démission devant la douleur, voilà ce que signifierait une dépénalisation de l'euthanasie. Nous obtiendrons ainsi une société analogue à celle décrite dans mon mémoire, une société qui ne vit qu'à demi, qui se contente de survivre au lieu de vivre et qui à la fin ne réussirait même pas à survivre. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, M. Buscemi. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. M. le député de Laurier-Dorion.

**(15 h 50)**

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Alors, merci, M. Buscemi. Et, je dois vous dire, je trouve rafraîchissante l'approche. C'est une différente approche. Mais, ce que vous dites là-dedans, je vais essayer de le décortiquer un petit peu, également, avec vous. Je ne pense pas que vous êtes en champ gauche ou en champ droit de... Je trouve que c'est la présentation qui est un petit peu originale, mais les points qui sont là-dedans, si je les comprends bien, ont été même mentionnés par d'autres qui sont venus témoigner devant nous. Mais j'aimerais vérifier un petit peu avec vous, en vous posant certaines questions, juste pour être sûr que je comprends.

Il y a certaines personnes qui sont venues témoigner devant nous concernant une conception de l'être humain comme étant une qui privilégie beaucoup l'efficacité, l'utilité de l'être humain. Et, lorsque l'être humain n'est plus efficace ou ne se sent pas utile en utilisant des normes d'efficacité qui sont établies plus pour parler d'économie que de parler de valeurs humaines, ces gens nous disent que devant de telles situations, les gens sentent une certaine pression, une certaine pression, lorsqu'ils sont malades, lorsqu'ils ne sont plus capables de faire ce qu'ils faisaient avant, et que cette évolution-là est d'autant plus difficile à accepter. Avez-vous une position à exprimer là-dessus? Est-ce que vous voyez ça comme faisant partie de votre argumentaire?

M. Buscemi (Georges): Oui. Dans le scénario que j'ai décrit ici, que je n'ai pas répété, j'ai certainement... Parce que je vois l'euthanasie comme devenant un moyen de sortir de la douleur. Mais au début ça va être la douleur très intense, comme décrite ici, dans les situations de soins palliatifs, mais plus tard il va y avoir une sorte de pente glissante où les gens vont commencer à ressentir une douleur psychologique, puis on va leur donner ce droit-là, parce que, regardez, comment discriminer une personne qui se dit en douleur? Comment pourrait-on présumer pour elle que ce n'est pas une vraie douleur? Alors, on va permettre, puis après ça les gens dans l'extrême indigence ou pauvreté, les handicapés qui ne se sentent pas appuyés dans un monde compétitif... Et, si l'argent n'est pas là pour subventionner certaines classes de personnes en difficulté, on leur... On ne va pas les euthanasier involontairement. Ce n'est jamais ça. On va toujours donner le choix. Il va toujours y avoir le choix. Mais il va simplement ne pas y avoir d'argent pour des subventions que vous avez besoin pour vos médicaments ou pour votre logement. Désolé. Mais tu as le choix. Tu peux soit continuer comme maintenant, dans l'indigence, puis tous les bien portants sont dehors, puis ils ont bien du plaisir, mais, toi, tu ne l'as pas. Tu peux rester comme ça ou tu as le choix de... Puis on ne forcera personne. Mais je pense que ça va être une pente glissante qui va causer beaucoup d'euthanasies de ce genre -- excusez-moi -- de ce genre-là.

M. Sklavounos: Il y a un autre argument qui a été soulevé par une personne, et que certains autour de la table ont trouvé peut-être intéressant, et qui méritait à être exploré. Lorsque vous dites que vous faites des projections, des scénarios, c'est une approche que... ce n'est pas tout le monde qui prend cette approche-là. Mais je pense que tout le monde autour de la table aimerait pouvoir aller 10, 15, 20 ans en avant pour savoir ce que notre décision va avoir comme résultat. Et je pense que tous les grands débats de société, que ce soit la peine capitale ou que ce soit l'avortement, etc., ont tous provoqué une telle réflexion, où tout le monde voulait pouvoir, pour être sûr qu'on ne prend pas la mauvaise décision, pouvoir aller à l'avenir.

J'ai une question pour vous. Je vais vous lancer ça. Une personne est venue nous dire, précisément concernant l'avortement, que, lorsque l'avortement a été vendu, qu'on disait que c'était pour des cas exceptionnels et qu'aujourd'hui l'avortement n'est plus exceptionnel. Est-ce que vous avez quelque chose à dire là-dessus, sur ce point-là? Est-ce que vous voyez un parallèle?

M. Buscemi (Georges): Oui, le parallèle est là. Sociologiquement parlant, si on cherche des choses semblables, on parle d'un service médical qui était censé être quelque chose d'extrême, rare, peut-être quelques centaines par année, on ne savait pas trop, mais à peu près ça. Puis on voit que ça a gonflé à environ 30 000. Parce que ça commençait avec le comité, puis il y avait des balises, et des critères, puis ces choses-là ont tombé une à la fois, sur une période d'une trentaine, une quarantaine d'années.

Bon, je ne vous le cache pas, j'ai utilisé un peu ça parce que c'est un parallèle évident. Qu'on soit d'accord ou non avec la légalisation de l'avortement, c'est quand même... les ressemblances sont assez évidentes qu'on peut utiliser pour le cas de l'euthanasie, juste en termes de forme... Alors, c'est ça que je vois. C'est un service médical extrême. On nous assure que c'est très balisé, très sécuritaire et que les lois ne changeront pas, que ce sera fixe. Mais la société ne fonctionne pas comme ça. On voit qu'il y a des glissements. Alors, je n'ai aucun doute que l'euthanasie, les balises vont tomber une après l'autre, puis il va y avoir... ce sera sur demande, je suis certain. Bien, je suis aussi certain qu'on peut l'être.

M. Sklavounos: Vous parlez également de cette subjectivité de la notion de douleur et de souffrance, qui embête plus qu'une personne, là. Je veux dire, ça a été soulevé par certains. Et il y a également des personnes qui sont venues témoigner devant nous, qui travaillent à combattre le suicide, et qui est un problème important au Québec, et je pense qu'il n'y a personne qui le nie. Il y a des efforts énormes qui sont déployés pour essayer d'éviter des suicides, surtout chez nos jeunes, où c'est de plus en plus... c'est dramatique. Est-ce que, dans votre conception des choses, en ouvrant une voie pour l'euthanasie ou le suicide assisté, est-ce que nous sommes en train de nous tirer dans le pied au niveau de notre combat fait au suicide? Est-ce que vous voyez les deux choses comme étant exclusives? Est-ce que vous voyez un lien? Est-ce que vous trouvez que l'ouverture sur un peut nous nuire dans l'autre? Est-ce que nous pouvons convaincre quelqu'un qui veut sauter en bas du pont que sa vie mérite d'être vécue alors qu'il va nous dire: Moi, je ne trouve pas, alors que dans un cas d'une personne qui est malade, par exemple, ou qui est en train de souffrir, ou qui a des douleurs, on dit: Écoutez, dans ce cas-ci, c'est vous qui décidez? Comment vous voyez le jeu entre le suicide chez des personnes qui sont en santé, entre guillemets, tout le temps, et l'euthanasie et le suicide assisté?

M. Buscemi (Georges): Je pense que peut-être, disons, pour les premières années de la... Si, disons, il y avait une dépénalisation de l'euthanasie dans les cas extrêmes, en fin de vie, il y aurait quand même assez de différence entre le cas d'une personne agonisante et une personne qui a une trentaine d'années, qui vient de briser avec sa blonde. Mais le principe voulant dire que, moi, je décide quand ma vie termine, selon mes critères, ce principe-là va travailler lentement. Et, après un bout de temps, je pense que ça va être de plus en plus difficile de convaincre quelqu'un que sa perception des choses n'est pas correcte, puisque lui va dire: Pourquoi est-ce que la perception de la personne qui est à l'hôpital, qui est fatiguée de la vie et qui dit que sa vie ne vaut plus d'être vécue, pourquoi est-ce que son opinion prévaut sur la mienne? Et, si je sens comme il n'y a rien devant moi, une douleur psychologique insupportable, un mal de vivre existentiel insupportable, qui peut être pire que la douleur physique, qui es-tu, qui es-tu de me dire autrement? Puis il y aura en plus une tentation, de la part du gouvernement ou des gens qui subventionnent les programmes, de dire -- bien, ce n'est pas conscient, mais c'est un peu... On n'a pas à allouer de l'argent à ces programmes-là.

M. Sklavounos: Il reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Kelley): Bien, il reste le temps.

M. Sklavounos: Il reste du temps?

Le Président (M. Kelley): Oui.

**(16 heures)**

M. Sklavounos: Je voulais également savoir comment vous répondrez si une personne serait devant vous avec une maladie dégénérative, qui est en train de tranquillement perdre l'usage de son corps, si vous voulez, et qui prévoit devant elle une situation où elle ne sera plus capable de faire les choses normales de la vie, elle serait peut-être consciente mais qu'elle serait, à un moment donné, tellement paralysée ou prisonnière de son corps qu'elle ne pourra plus jouir de la vie comme nous l'entendons, et qui voit cette situation venir et qui vous exprimerait, alors qu'elle est en position de le faire, qu'elle ne voudrait pas arriver jusque-là, qu'elle considère ça comme étant évidemment non souhaitable. Et là vous parlez à la personne, donc.

Comment vous répondrez à cette personne-là, sur le ton ou... essayant de ramener ça à cette personne-là? Parce que nous avons vu des personnes comme ça et ça force la réflexion. Même quand les idées sont faites et les valeurs sont claires, comment, vous, vous répondrez, et je dis, autour d'une table, là, en prenant un café, si c'était possible, qu'est-ce que vous dites à cette personne-là?

M. Buscemi (Georges): Bien, là, on revient à la relation qu'on a avec cette personne-là, puis là, quand j'ai parlé de partager le fardeau, quand j'ai fait l'analogie entre le partage du fardeau pour sauver l'environnement, chacun fait son petit recyclage, puis ici chacun fait son devoir devant son prochain, dans sa famille immédiate, ses amis, son entourage. Alors, cette personne-là qui souffre, c'est le frère ou la soeur à quelqu'un, le collègue de travail, c'est quelqu'un... Alors, si cette personne était quelqu'un que je connais, que je connais assez bien, peut-être même mon frère ou quelque chose... c'est un jour à la fois, il n'y a pas de réponse. Il n'y a vraiment pas de réponse à faire, mais c'est une chose qu'on travaille chaque jour, on essaie de convaincre la personne puis de lui montrer même que la vie vaut d'être vécue. Puis c'est notre job, c'est à personne d'autre.

Alors, il n'y a pas de réponse toute faite pour ce genre de problème là parce que cette personne-là a des relations concrètes, puis c'est à ces gens-là d'assumer un peu leurs devoirs. Ce n'est pas à la mode, ces temps-ci, de parler de responsabilités, mais il y a une certaine responsabilité civique puis même familiale qui doit être prise, puis envers les amis aussi. Alors, c'est quelque chose de concret. Si c'était mon frère, par exemple, bien là je déménagerais à Paris, où est-ce qu'il reste présentement, peut-être, là, j'espère que je ferais ça, puis je vivrais avec.

M. Sklavounos: Alors... et je vais laisser du temps un petit peu à mon collègue de Marquette aussi, s'il reste du temps, M. le Président.

Le Président (M. Kelley): Oui, rapidement.

M. Sklavounos: Très rapidement. Alors, si je vous comprends bien, c'est quelque chose qui doit être assumé, cette douleur-là, cette difficulté-là doit être assumée par l'entourage. Je vais vous poser une question pratico-pratique, puis après ça je vais céder la parole à mon collègue. Est-ce que vous avez une critique à formuler sur ce que vous connaissez un petit peu du système actuel? Il y a des gens qui sont venus témoigner devant nous: soins palliatifs inadéquats, pas assez, pas partout, manque de formation, etc. Dans votre conception des choses, cette prise en charge collective dont vous faites la promotion, si je comprends bien ce que vous dites, est-ce qu'elle passe aussi par le développement, dans la mesure du possible, de toutes ces avenues de soins palliatifs partout sur le territoire, etc.? Avez-vous quelque chose de pratique à formuler là-dessus?

M. Buscemi (Georges): Oui. Bien, juste quelque chose de... bien, un commentaire général sur les solutions, je dirais, étatiques. Oui, les soins palliatifs, on dirait, c'est plus humain parce que c'est à la maison, ce n'est pas nécessairement dans un contexte institutionnel, il y a plus une approche personnelle. Donc, tout ça, c'est louable, donc j'encouragerais certainement ça parce que c'est plus humain. Mais il y a aussi, je dirais, les couches intermédiaires de la société civile. Oui, il y a l'État, ce que l'État peut faire, comme les hôpitaux et le système de santé, mais il y a aussi les familles, les groupes communautaires, les amis, alors que les gens ne pensent pas nécessairement qu'ils vont avoir quelqu'un pour s'en occuper, quelqu'un ailleurs, que souvent c'est à toi de faire quelque chose.

M. Sklavounos: La démarche est d'aller vers la personne. Et le but, c'est en tout cas d'éviter l'isolement de la personne, si je comprends bien?

M. Buscemi (Georges): Je pense que c'est... Bien, en tout cas, pour moi, si j'avais quelque chose de dégénératif, surtout si j'étais une personne seule, ce serait ça, ce serait l'enfer de la solitude, de l'abandon, plus qu'autre chose.

Le Président (M. Kelley): Une dernière question, M. le député de Marquette.

M. Ouimet: Oui, très rapidement. Vous avez dit, M. Buscemi, dans votre présentation, que les conséquences de l'euthanasie sont graves pour la société, il ne reste peut-être pas assez de temps pour vous permettre de développer, mais de m'expliquer en quoi.

M. Buscemi (Georges): O.K. C'est surtout dans ce scénario-là que j'avais décrit que, dès que, je dirais... La mentalité euthanasique, ce que ça veut dire, c'est que, s'il y a un problème, au lieu de résoudre le problème, tu laisses mourir la personne qui a le problème. Une personne qui est... O.K., au début, c'est la personne qui souffre. Au lieu de l'aider, la personne, tu enlèves la personne au lieu d'enlever le problème. Bon, ça, c'est un principe qui, une fois qu'il est semé, va prendre racine et s'étendre dans plusieurs domaines. Bientôt, là, j'ai dit: La pente glissante, ça va être les personnes dépressives. Au lieu de vraiment tenter d'entourer ces personnes dépressives là, d'aider, de trouver des solutions, de renforcer les liens familiaux ou x, y, z solutions, on va simplement dire: Bien, il n'y a pas d'argent pour ça, puis on va penser à construire un colisée. Puis ces personnes-là auront toujours le choix, de quoi? De s'euthanasier si elles sont fatiguées de la vie, parce que, par ce temps-là, les balises vont avoir tombé. Alors, ce genre d'attitude, au lieu de résoudre un problème, c'est-à-dire la souffrance, au début physique, plus tard psychologique, plus tard existentielle, au lieu de résoudre ce problème-là, on va simplement éliminer ou laisser la personne choisir de s'éliminer, la personne qui a le problème.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Merci pour votre présence. Bien honnêtement, je vais me limiter pour ma part à des questions plutôt générales. J'ai, oui, lu votre mémoire. Je vous ai entendu avec grand, grand, grand intérêt, mais je n'avais pas le plaisir de vous connaître. Peut-être nous parler un petit peu dans un premier temps de l'organisation que vous représentez. Qu'est-ce que la Campagne-Québec-Vie?

M. Buscemi (Georges): Campagne-Québec-Vie, c'est un organisme qui a été fondé en 1989 par un ex-diplomate, Gilles Grondin, qui était surtout contre l'avortement, mais qui avait comme mandat, parce que c'était dans le temps de Chantal Daigle, puis de l'arrêt Morgentaler, et tous ces événements-là... mais le mandat en général, c'est de favoriser le respect de la vie humaine de la conception jusqu'à la mort naturelle. Alors, c'est l'autre extrême.

Donc, moi, je suis un Franco-Ontarien de North Bay et j'ai déménagé à Montréal il y a trois ans. J'ai été étudiant en philosophie et psychologie, et j'ai étudié un peu de théologie à McGill, au niveau du doctorat. Et j'ai commencé... Je suis président de Québec-Vie, ça fait un an.

M. Charette: Alors, c'est une organisation qui fonctionne avec un membership? Est-ce que vous avez un certain nombre de membres qui vous accompagnent dans vos démarches, des membres qui ont peut-être été aussi consultés concernant le mémoire que vous avez présenté?

M. Buscemi (Georges): Oui, certainement. Bon, à vrai dire, nos membres sont de la génération, je dirais... même pas tout à fait les parents des boomers, mais la génération née dans les années quarante, même trente, certains, alors il y a assez de vieilles personnes, puis c'est des personnes très concernées par l'euthanasie, très épouvantées, je dirais même. Alors, ces gens-là sont certainement contre, contre l'euthanasie d'une façon presque ontologique, là, ils ne veulent même pas en entendre parler, parce qu'ils ne sont pas certains qu'est-ce qui s'ensuivra par après. Mais c'est ça, on est un organisme qui vit avec les dons de nos membres. On a à peu près 1 200 membres et ils nous envoient des dons mensuellement.

M. Charette: Et à la base ce sont, quoi, des principes religieux, des principes chrétiens qui sont venus influencer ou orienter la nature de vos réflexions?

**(16 h 10)**

M. Buscemi (Georges): Les principes, je dirais... cet argument-là, je voulais vraiment utiliser un argument utilitaire -- John Stuart Mill aurait pu écrire cette notion-là -- parce que je voulais vraiment entrer dans l'esprit du raisonnement contemporain, je voulais vraiment dire: Quelque chose est bon si ça a des bons effets. C'est quelque chose que... Le conséquentialisme qu'on utilise aujourd'hui, et à bonne raison, c'est ça que je voulais, je voulais écrire un rapport qui se servait de cette sorte de logique là pour que les gens puissent saisir. Donc, ce n'est vraiment pas tout à fait un raisonnement particulièrement religieux.

M. Charette: Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, merci. Quelques questions. À la page 4 de votre présentation d'aujourd'hui, à l'avant-dernier paragraphe, je pense qu'à escient vous avez fait une déclaration qui peut être un peu choquante, donc je veux juste vous dire... vous dites que la deuxième objection est la suivante: certains diraient que, même si l'euthanasie en venait à faire en sorte qu'il y ait 30 000 personnes par année qui décèdent, on trouverait que c'est une bonne chose.

Je veux juste vous rassurer peut-être et peut-être rassurer les membres de votre organisation qu'on n'a entendu absolument personne qui soit venu nous vanter les bienfaits d'une euthanasie qui permettrait des décès multiples. L'argument, je vous dirais, de ceux qui se disent pour une ouverture, c'est plutôt d'avoir un remède exceptionnel à un cas exceptionnel. Alors, je voulais juste peut-être vous faire part de cette réaction-là.

Moi, il y a quelque chose qui est quelque chose de nouveau, à la note... dans votre autre, dans votre premier mémoire, à la page 5. Vous, vous semblez... Vous savez sans doute, si vous avez suivi nos travaux, qu'il y a une grande... il y a beaucoup de débats autour de la question de la sédation terminale. Et, dans votre note de bas de page 15, vous dites que les autorités néerlandaises font une distinction entre euthanasie et sédation terminale, mais vous dites qu'elles sont bel et bien des euthanasies, quand on retire la nutrition et l'hydratation, selon... Donc, ça, c'est ça, je veux comprendre, parce que beaucoup de personnes disent: La sédation terminale, c'est très différent d'une euthanasie. Vous, votre point de vue là-dessus, c'est en fait plutôt que c'est similaire. Est-ce que c'est ça?

M. Buscemi (Georges): Non, ce n'est pas la sédation terminale ici qui fait en sorte que ce soit une euthanasie, c'est le fait qu'on ait retiré la nourriture et l'eau.

Mme Hivon: O.K. Donc, vous, à partir du moment où on n'hydrate pas la personne puis qu'on ne la gave plus, ou tout ça, là, on passerait la frontière?

M. Buscemi (Georges): Oui, parce que c'est comme si on arrêtait de nourrir une personne, c'est juste... c'est un geste positif qui cause la mort.

Mme Hivon: Je comprends la nuance. Merci.

M. Buscemi (Georges): O.K.

Mme Hivon: Votre position sur... Tantôt, on avait un groupe qui nous parlait notamment du cas de Nancy B. où on avait retiré le respirateur. C'était une femme qui était relativement jeune, victime d'une maladie dégénérative, qui devait, pour survivre, être branchée à un respirateur, et ça a été un cas très judiciarisé, mais finalement, maintenant, dans le Code civil, on prévoit qu'une personne peut refuser tout traitement, même si sa mort va s'ensuivre. Est-ce que pour vous l'arrêt de traitement, c'est correct en toutes circonstances qu'une personne puisse dire non de son propre arbitre à n'importe quel traitement, même si la mort s'ensuit?

M. Buscemi (Georges): En autant que par «traitement» on ne veut pas dire nourriture et hydratation. Mais tout ce qui n'est pas nourriture et hydratation qu'on retirerait, moi, je serais d'accord avec ça, ce n'est pas de l'euthanasie.

Mme Hivon: Puis qu'est-ce qu'on fait face à une personne qui souffre incroyablement, qui est en fin de vie et pour laquelle -- vous avez entendu, je pense, la présentation avant vous, là, des infirmières de NOVA -- pour laquelle il n'y a pas de solution? Tantôt, je pense que vous avez dit avec beaucoup de justesse que les personnes autour d'elle ont un devoir, et le plus grand nombre, un devoir d'accompagner une personne. Mais la personne elle-même, pour qui chaque heure, chaque minute de sa vie est pénible parce qu'il y a une douleur qu'elle vit constamment et qu'elle n'en peut plus, cette personne-là, qu'est-ce qu'on lui dit? C'est quoi... Vous avez dit tantôt... vous avez utilisé une expression: Ma job ou la job des gens, c'est d'accompagner cette personne-là. La job de la personne, là, qui souffre, c'est quoi? C'est de souffrir?

M. Buscemi (Georges): O.K. Si ça existe véritablement, un cas où on ne peut même pas induire le coma, ce qui me surprend... Mais, si finalement je vais...

Mme Hivon: Vous avez raison qu'il y a des cas où on va utiliser la sédation terminale, mais, par exemple, une maladie dégénérative où la sédation terminale devrait être sur des mois, vous comprenez, c'est comme une autre...

M. Buscemi (Georges): O.K. Mais là c'est comme un Parkinson ou quelque chose de même?

Mme Hivon: C'est un cas extrême, là, oui.

M. Buscemi (Georges): La personne veut mourir parce qu'elle a un mal existentiel, c'est genre...

Mme Hivon: Ça peut être physique ou psychique, oui.

M. Buscemi (Georges): O.K. Bien, s'il n'y avait rien à faire pour arrêter la douleur, il faudrait que je dise oui, dans ce cas-là, oui, sa job, oui, son... Sa douleur, ce que ça fait, c'est que ça garde les autres en vie dans le futur par le fait que l'euthanasie n'a pas été dépénalisée.

Mme Hivon: C'est ça, le sens?

M. Buscemi (Georges): C'est ça, le sens.

Mme Hivon: Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Vous avez dit tout à l'heure: «La décriminalisation de l'euthanasie, c'est le désespoir et la démission devant la douleur.» Pourtant, il y a des gens qui sont venus ici témoigner qu'ils vivaient une maladie dégénérative et qui nous ont dit: À partir du moment où, dans ma réflexion, j'ai pris la décision qu'un jour je prendrais les moyens pour que ma vie s'arrête, j'atteins une certaine sérénité, je suis capable de vivre ma vie avec beaucoup plus de plénitude que d'être toujours hanté par: Qu'est-ce qui va m'arriver? Quelles sont les difficultés que je devrai surmonter? Et ces personnes-là, à mon avis, font preuve d'un courage extrême en réaffirmant que leur premier choix, c'est de vivre, avec la plus grande qualité de vie possible, avec cette maladie qui de jour en jour dégénère. Mais ils atteignent une certaine façon de prendre la vie à partir du moment où ils ont pris une décision qu'un jour ils prendraient les moyens -- si ce n'est pas ici, ce serait ailleurs -- de mettre fin à cette vie-là qui les enferme dans un corps qui, à un certain moment donné, ne les suit plus.

Alors, je trouve qu'à partir... Vous dites que c'est une démission, et pourtant, quand on entend ces personnes-là, on a un peu, à mon avis, un témoignage de courage assez important à partir du moment où ils affirment croire à la vie, vouloir vivre le mieux possible, le plus longtemps possible, et se dire que cette vie-là, dans toute sa plénitude, ils vont la vivre parce qu'ils ont été capables de prendre une... ils sont capables de prendre une décision et de poser un choix. Vous réagissez comment devant ces personnes-là?

M. Buscemi (Georges): Ces gens-là... j'espère que ce n'est pas une référence littéraire trop obscure, mais ça me fait penser à un personnage dans un livre de Dostoïevski, qui s'appelle Les démons. Lui, il disait... il a eu une idée exceptionnelle dans sa vie, il a décidé que le pouvoir le plus extraordinaire qu'il avait, c'est le pouvoir de se suicider quand il voulait. Ça, il disait que c'était ça, la divinité, pour lui. Puis ça me fait penser un peu à ça. C'est une question de société. En société, qu'est-ce qu'on fait ensemble? Parce que ça revient à la question des suicidaires: Comment une personne peut définir le succès ou peut dire que sa vie peut être un succès en se suicidant quand elle veut, tandis qu'une autre personne on l'encourage de ne pas se suicider devant un défi quelconque? Il me semble que, pour une solidarité, il faut une vision commune au sens de la vie, un minimum de vision commune. Et ça et l'autre sont radicalement incompatibles. Donc, ça casse, ça brise les liens de solidarité fondamentaux dans une société. Et c'est pour ça qu'il y a ce glissement-là.

**(16 h 20)**

Une voix: ...

Le Président (M. Kelley): Oui.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): C'est-à-dire que vous mettez en opposition les droits collectifs et les droits individuels.

M. Buscemi (Georges): C'est que les droits collectifs informent l'individu. Il y a un genre de relation réciproque. Mais, bref, je dirais que oui. Dans ce cas-là, il y a une certaine... C'est sûr qu'il y a toujours des cas où on va limiter la liberté individuelle pour le bien commun.

Le Président (M. Kelley): Il me reste à dire merci beaucoup à M. Buscemi pour votre contribution à notre réflexion. Je vais suspendre quelques instants et je vais demander à Mme Josette Lincourt de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 16 h 22)

 

(Reprise à 16 h 28)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Les prochains cinq témoins sont les personnes qui sont ici à titre personnel, individuel, alors les règles du jeu sont un petit peu différentes: c'est une présentation d'une quinzaine de minutes suivie par un échange de 30 minutes avec les membres de la commission. Juste un aide-mémoire. Et aussi, à la fin de l'après-midi, alors à 18 heures environ, il y aura la période de micro ouvert. Alors, s'il y a des personnes dans la salle qui veulent s'adresser, il faut bien s'identifier auprès de Pierre, qui est dans la chemise bleue au coin là-bas, qui ne m'écoute pas. Oh, il est là! Parfait. Pierre Lessard. Alors, merci beaucoup. S'il y a des personnes qui veulent faire des courtes -- et je souligne le mot «courtes» -- interventions à la fin de l'après-midi, les personnes qui n'ont pas soumis un mémoire ou les personnes qui n'ont pas participé autrement dans le débat, elles sont les bienvenues.

Mais notre prochaine témoin, c'est Mme Josette Lincourt. Alors, sans plus tarder, Mme Lincourt, la parole est à vous.

Mme Josette Lincourt

Mme Lincourt (Josette): Merci de m'offrir l'occasion de m'exprimer. Mon mémoire parle de lui-même, là, je crois que vous l'avez lu. Mes expériences personnelles vous situeront sur mon désir qu'il y ait un jour une loi sur l'euthanasie et/ou le suicide assisté, même si l'exercice de cette commission ne peut servir qu'à prendre le pouls de la population du Québec, dont le gouvernement ne peut légiférer sur le sujet. Il est plus que probable que je serai décédée longtemps avant des avancées en la matière, vu que culturellement nous aimons tergiverser longtemps.

**(16 h 30)**

À part de voir ici une madame assez bien nantie et marcher avec une canne, vous pouvez vous demander légitimement pourquoi une personne qui semble autrement en santé pourrait désirer une telle loi. Simple, pourtant. Comme tant d'autres, j'ai vu des personnes agoniser longtemps et d'autres supplier la mort. Quant à moi, je souffre de douleur chronique depuis très, très longtemps, mais plus particulièrement depuis 11 ans, de la tête aux pieds, ce qui m'a rendue incapable de travailler et qui affecte ma vie de tous les jours. Quand on pense à la douleur chronique, on croit qu'il s'agit d'une douleur d'un certain niveau qui est fréquemment présente. Pour trop de personnes, ce n'est pas le cas. Il y a une douleur de base permanente avec des pics qui peuvent être très aigus, plus ou moins fréquents et de durée variable, situation qui peut aller en augmentant même si la maladie comme telle peut ne pas être dégénérative, car s'ajoute le travail néfaste des ans.

Je me souviens avoir lu un article dans lequel finalement un médecin admettait que les personnes dans la cinquantaine qui souffraient de douleurs chroniques étaient biologiquement comme des personnes ayant 30 ans de plus. Quand j'avais 30 ans, un médecin m'a dit que j'avais un dos de 60 ans. J'ai l'équivalent de 90 maintenant.

De nombreuses femmes vous diraient que le déchirement viscéral de l'accouchement est terriblement douloureux. Par contre, avec le temps, nous en oublions toutes la douleur. Si le diable en personne m'offrait un pacte selon lequel je devais accoucher sans péridurale une fois par semaine, après un bon 12, 16 heures de travail, et qu'en retour je n'aurais pas de douleur les six autres jours, je sauterais sur l'occasion. Je voudrais vous dire qu'en médecine, trop souvent encore, la douleur des femmes est négligée ou réduite à sa plus simple expression, car le vieux mythe de la femme hystérique n'est pas encore mort, même si on se targue d'avoir eu le 13e congrès sur la douleur ici, à Montréal, à la fin août.

Oui à l'euthanasie et au suicide assisté. Oui, mais avec les avantages de lois bien définies. J'entends de mes connaissances que je croyais plus renseignées parler de dérapage et de pente glissante, ce qui fait qu'elles craignent une loi sur l'euthanasie et/ou le suicide assisté. Les médias et les organismes et individus contre l'euthanasie et le suicide assisté ont bien fait leur travail en moussant ce spectre hors de proportion. Le but d'une loi, c'est justement de définir des circonstances, d'instaurer des balises. Nous ne sommes quand même pas des pionniers. La Belgique, la Hollande, les États de l'Oregon, de Washington et dernièrement du Montana ont agi. Quand on a peur de glisser, on n'a qu'à s'équiper. Il y a bien les Yaktrax pour marcher sur terrain glacé l'hiver? Qu'on se crée des lois antidérapage.

Si nous avons peur que des personnes en influencent d'autres à demander l'euthanasie ou le suicide assisté, on n'a qu'à criminaliser le fait d'encourager et d'influencer quelqu'un en ce sens. Le texte de l'article 241 du Code criminel se lit comme suit: «Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas:

«a) conseille à une personne de se donner la mort;

«b) aide ou encourage quelqu'un à se donner la mort, que le suicide s'ensuive ou non.»

Il pourrait être adapté plus adéquatement avec une loi sur l'euthanasie et le suicide assisté. Les lois sur l'euthanasie n'ont pas pour but de se débarrasser de malades gênants. En plus, notons bien que, même si une personne faisait une demande d'euthanasie, elle pourrait changer d'idée jusqu'à la toute dernière minute.

Dans la conjoncture politique et sociale actuelle, il est peu probable que les gens de ma génération auront accès à l'euthanasie ou au suicide assisté, mais il faut quand même faire entendre nos voix. Une loi stimulerait les gens à penser à leur fin de vie plus tôt et à prendre les mesures documentaires qui s'imposent, tels un testament régulier et de véritables et valides testaments de fin de vie qui devraient être respectés par les intervenants à tout niveau.

L'expérience de l'euthanasie et/ou du suicide assisté ailleurs. Bon, il est évident que, même où le droit soit à l'euthanasie soit au suicide assisté existe, ce ne sont pas des hordes qui se précipitent pour en faire la demande. Même qu'en Hollande le nombre d'euthanasies semblerait avoir légèrement diminué après l'adoption de la loi.

Les militants contre l'euthanasie voient le petit nombre de personnes qui pourraient demander l'euthanasie comme une bonne raison de ne pas se prêter à légiférer. Pourtant, combien de lois ont-elles été créées justement pour des petits nombres de personnes? Au Québec, où il y a eu environ 57 000 décès en 2009, on pourrait prévoir, statistiquement parlant, qu'environ 900 personnes pourraient demander l'euthanasie par année.

Fardeau, dit-on. Si le droit à l'euthanasie existait, personnellement, ce n'est pas parce que je me sentirais un fardeau pour les autres que je choisirais ce chemin de fin de vie. Ce serait parce que ma vie serait devenue un fardeau pour moi. Mais des sondages posent cette question à tour de bras. Et qu'arrive-t-il des nombreuses personnes qui n'ont personne de qui être le fardeau? Elles sont leur propre fardeau et sont forcées de faire avec, veux veux pas.

Les soins palliatifs, quelle merveilleuse idée! Quelle superbe utopie pour la plupart des gens! Il semblerait qu'il y ait autour de 600 lits de soins palliatifs au Québec. Et ces chiffres ne viennent pas du ministre de la Santé, car il semblait encore tout récemment en ignorer les nombres. Où, on va où avec ce nombre? Même en le doublant, ce que voudrait M. Bolduc, on est loin de pouvoir offrir ces merveilleux soins au nombre de personnes qui en auraient besoin, qui serait estimé à environ 35 000 personnes par année dans les 95 territoires desservis par un centre de santé et de services sociaux. Ces merveilleux soins ne sont dédiés qu'aux personnes en toute fin de vie, et il ne faut pas croire qu'ils sont gratuits pour tous. Alors, tout le bon coeur de ceux qui oeuvrent dans ce domaine, toute la bonne volonté de faire bien mourir ne suffisent pas comme raison de refuser le droit à l'euthanasie et/ou au suicide assisté à ceux qui ne pourraient pas accéder à ces soins.

La majorité des individus et groupes qui feraient des pieds et des mains pour qu'il n'y ait jamais de loi sur l'euthanasie et/ou le suicide assisté, qui oeuvrent en soins palliatifs, le font surtout auprès des cancéreux. Le cancer est une maladie terrible mais n'est pas nécessairement la maladie la plus souffrante. Des gens se retrouvent en phase terminale de cancer parfois sans avoir été assez douloureux pour consulter assez rapidement pour une prise en charge. Chez les plus jeunes, la prise en charge est très importante, car ils ont une vie devant eux. Pour certaines personnes plus âgées qui ont un grand désir de vivre, c'est aussi important. Combien d'autres maladies créent des douleurs insupportables non seulement en fin de vie et détruisent inexorablement la qualité de vie de leurs souffrants. Il n'y a qu'à penser à la sclérose en plaques, et à la sclérose latérale amyotrophique, et aussi d'autres maladies douloureuses pour lesquelles trop peu de ressources sont allouées, que ce soit en médecine ou en recherche, car on n'a pas encore trouvé des marqueurs et qu'elles ne présentent pas de signes cliniques assez définis.

Sara Champagne, de La Presse, dans son article du 10 septembre dernier intitulé Euthanasie et suicide assisté: Québec «devrait laisser tomber les poursuites», nous a rapporté les propos suivants du Pr Hubert Doucet: «Les gens en phase terminale ne demandent pas l'euthanasie, ils demandent à mourir. Lorsque la douleur est constante, dans un contexte de mort prochaine, il faut se demander quel est le sens de la vie. Mais la vraie question tourne autour des gens atteints de maladie chronique, dégénérative. C'est là que se trouve la souffrance -- pas nécessairement la douleur, mais une souffrance immense.»

Personnellement, je ne voudrais pas une prise en charge, si on me découvrait un cancer maintenant, car l'horreur des divers traitements s'ajouterait à ce que je vis actuellement et n'améliorerait pas mon sort, tout en me dérobant une énergie déjà fort taxée et en étant dispendieuse en transport et tout le bataclan. J'aime mieux faire face à la mort sans crainte, dans la sérénité. En fait, si mes moyens financiers le permettaient, je considérerais faire appel à Dignitas quand les circonstances de ma vie me priveraient de mon autonomie et rendraient nulle ma qualité de vie.

Pour parler maintenant de suicide en général, de suicide chez les aînés et de la pauvreté, selon les statistiques, il y aurait beaucoup plus de suicides chez les hommes. Ceci me laisse perplexe, mais, en fouillant un peu, j'ai lu dans une étude de l'UQAM que, pour chaque suicide réussi, il y aurait 20 tentatives. Ça expliquerait aussi un peu qu'il y ait moins de femmes dans les statistiques. Les hommes choisissent des méthodes plus drastiques, tandis que chez les femmes ce sont les pilules, les poignets tailladés, donc plus de tentatives ratées.

Nous entendons de plus en plus dire que le nombre de suicides chez les aînés augmente. Là aussi, il serait intéressant de connaître le nombre de tentatives ratées chez les femmes -- je ne suis pas supposée être féministe mais... malgré moi -- car bien plus nombreuses sont les femmes qui, en plus de vivre des situations de souffrance, vivent dans une grande pauvreté, pauvreté qui s'explique de prime abord du fait qu'il y en a qui n'ont pas travaillé, que celles qui ont travaillé l'ont fait généralement à moindre salaire que les hommes -- ici une petite parenthèse, que ceux qui croient en l'équité salariale se détrompent vite -- que plusieurs d'entre elles ont élevé des enfants souvent seules et qu'un grand nombre vivent leur vieillesse seules, ne s'étant jamais mariées ou étant veuves. C'est une opinion personnelle, mais, pour moi, suicide et pauvreté sont apparentés de près.

**(16 h 40)**

Le premier jour des auditions, une des députées a ouvert grand la porte aux représentantes de l'AFEAS à ce sujet, et malheureusement ces dernières n'étaient pas préparées à répondre à une telle question. Ce groupe serait sûrement une excellente source d'information sur la pauvreté telle qu'elle est vécue au féminin.

Bon, passons maintenant aux médias. Ayant lu parfois en diagonale, parfois en entier les mémoires des intervenants mis en ligne par la commission et aussi de nombreux articles de journaux avant et depuis la soumission de mon mémoire, en juillet 2010, je n'ai que quelques commentaires à ajouter. Beaucoup d'encre a coulé dans les journaux, mais je suis limitée à The Gazette et aux journaux de Cyberpresse ainsi qu'aux blogues divers.

The Gazette a été très honnête en se présentant contre l'euthanasie dans ses éditoriaux, tout en laissant à des lecteurs l'opportunité de s'exprimer dans le courrier des lecteurs. Le forum de La Presse n'est pas disponible en ligne, donc je n'ai aucune idée de ce que les lecteurs ont pu y dire, mais La Presse a laissé une assez grande place dans ses pages éditoriales à des personnages diplômés et certifiés qui sont contre l'euthanasie. Au moins, il y a eu l'excellent article du 17 septembre de Jean Bottari, intitulé Supplier la mort, où il nous décrit les tristes vies de trop de gens, pauvres vies qui seront peut-être nôtres un jour. Et le Dr Marcel Boisvert nous a fourni, le 28 août, Seul face à la mort, qui préconise l'euthanasie pour certains souffrants. Le Dr Serge Daneault, un de ses collègues qui est contre l'euthanasie, et lui-même oeuvrent en soins palliatifs et ont publié un échange musclé sous le titre Être ou ne plus être -- Débat sur l'euthanasie.

Pour terminer, je parle de la douleur, la mienne. J'étais une personne de nature gaie, heureuse de me réveiller le matin pour voir ce que la journée me réservait. J'ai encore des petits plaisirs simples, mais ils deviennent plus rares parce que les capacités diminuent, à cause de la fatigue colossale causée par la douleur. Et les rentes d'invalidité ne permettent presque rien d'autre que les nécessités. Si la douleur tuait, je ne serais pas ici aujourd'hui. Si elle tuait mais comme pour les petits bonhommes de jeu vidéo, on ressuscitait après chaque jeu, j'aurais vécu mille morts. Ce n'est pas quand je serais à un cheveu de mourir qu'une loi sur l'euthanasie me servirait. Juste légèrement abréger mon agonie n'est pas une solution. Je veux mieux, sinon pour moi, pour nos enfants et petits-enfants qui verront probablement les soins et services continuer à décliner.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme Lincourt. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. Je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Rebonjour. Vous allez bien?

Mme Lincourt (Josette): Vive les pilules!

Mme Charbonneau: Oui. La présentation est finie, donc la nervosité, elle baisse un petit peu. Là, on est plus dans la convivialité, vous allez voir, ça va bien se passer.

On voit que vous avez suivi les travaux depuis le début, avec beaucoup d'intérêt d'ailleurs. Je vous dirais que l'intérêt n'y manquait pas non plus dans votre 70 pages que j'ai lu. Et j'ai trouvé intéressant que vous repreniez tout le questionnaire qu'on avait mis en ligne pour répondre individuellement à chaque question. On n'a pas ce privilège-là, puisqu'il y a 6 000 personnes, jusqu'ici en tout cas, tout au plus 6 000 personnes qui ont répondu au questionnaire. Je vous dirais à la blague: Dieu merci qu'ils n'ont pas tous fait ça. Mais, bon, ça a été intéressant par contre de voir les réponses que vous avez fournies.

Entre autres, à la question à la page 17, qui dit: «Qui pourrait aider une personne à se suicider et où?», vous avez répondu, avec le franc-parler que vous avez: Pas de médecin. Un coup que vous avez dit ça, je me suis arrêtée un peu à me dire: Bon, si ce n'est pas un médecin qui pourrait donner une aide au suicide, ou un suicide assisté, ou l'euthanasie, je me vire vers quoi? Est-ce que je me tourne vers un membre de ma famille, est-ce que je me fie à moi-même, puisque quelquefois je peux en avoir encore la capacité, ou est-ce que je regarde une autre forme d'ordre? Puis là je vous amène déjà sur un terrain qui pourrait être les pharmaciens, les infirmières. Dans votre réflexion, puisque vous en avez faite une, vous voyez qui ou comment?

Mme Lincourt (Josette): Évidemment ça prend le médecin pour la prescription du cocktail. Ça, c'est clair. Sauf qu'ensuite le choix serait... Personnellement, je vous avoue que je ne suis pas certaine, parce que je ne suis pas rendue là. J'ai une fille, c'est tout. Elle connaît mon opinion sur le sujet depuis très longtemps. Je crois que, dans un sens, elle l'approuve, parce qu'elle sait combien je souffre. Est-ce qu'elle pourrait être là? Je ne pense pas.

Dans ma pharmacie, ils me connaissent depuis assez longtemps, j'ai passé assez des choses avec eux autres, et il y a une infirmière qui visite à toutes les semaines. Savez-vous, ce serait peut-être le genre de personne-ressource. Ou des gens comme j'ai vu, les infirmières du Victorian Order of Nurses, NOVA, là, ce serait merveilleux. C'est comme ça que je vois ça.

Mme Charbonneau: C'est plus clair. Je ne vous rassurerai pas en vous disant qu'on a reçu quelqu'un qui était pharmacienne, qui nous a dit que jamais, si elle recevait une prescription, elle ne pourrait la remplir. Mais ce que je trouve intéressant par contre dans votre réponse, c'est que vous y voyez, vous, une prescription, donc un cocktail de fin de soirée qui fait en sorte qu'on s'endort et on fait le rêve de tous les Québécois, c'est-à-dire se coucher et mourir dans son sommeil sans souffrance, ce qui est à peu près le rêve de tout le monde.

Vous avez, à la fin de votre présentation, abordé quelque chose qui nous est très cher, c'est-à-dire le legs, ce qu'on va laisser aux prochaines générations. Comme législateurs, on se donne toujours cet objectif-là de laisser les meilleures décisions et de corriger celles peut-être qui n'étaient pas prises de la bonne façon. Ceci dit, entre le droit collectif et le droit individuel, le legs qu'on laisse est assez fragile, puisque je dois considérer dans la décision que je lègue quelque chose à l'ensemble d'une communauté. Et, dans cette même volonté-là, on met en place toutes sortes de ressources pour aider nos jeunes à ne pas voir le suicide comme une porte de sortie.

Tantôt, vous avez fait un petit parallèle avec l'accouchement. Ce matin, on se disait la même chose. On a recommencé en plus, nous autres. On n'a pas compris, on a recommencé. Mais, pour revenir dans nos souvenirs, je vous dirais que même la première peine d'amour peut faire aussi mal que de vouloir s'enlever la vie pour un jeune.

Comment je fais, dans une société, pour maintenir mes deux discours? C'est-à-dire, le premier, c'est que tu peux affronter tout ce qui t'est présenté, puisque tu es assez fort pour le faire. Ne te lance pas dans la version: Je me suicide pour une peine d'amour. Par contre, un autre message qui dit: Mon parent souffre d'une maladie ou d'une douleur chronique, il ne voit pas la porte de sortie, et, avec l'aide médicale -- je vais l'appeler comme ça parce que je ne suis pas allée dans la pharmacie encore, là -- avec l'aide médicale, je peux avoir accès au suicide. Mon discours n'est pas tout à fait cohérent pour les uns comme pour les autres. Vous le voyez comment, vous?

Mme Lincourt (Josette): Écoutez, entre 14 et 20 ans, je pense que nous avons toutes eu des peines d'amour. Les gars ont eu des peines d'amour, peut-être pas au même âge, on ne sait pas. Vous savez, la personne de 17 ans qui est en peine d'amour, qui veut se suicider, qu'il y ait une loi sur l'euthanasie et le suicide assisté ou pas, elle va se suicider ou elle va faire la tentative. C'est sûr qu'à ce moment-là, disons, l'entourage de chaque personne doit quand même réaliser qu'est-ce qui se passe. Pour moi, ce sont deux affaires tellement différentes qu'on ne peut pas vraiment les comparer.

Écoutez, je vais être très honnête avec vous: j'en ai fait une, tentative de suicide à 17 ans... à 18 ans. J'ai manqué mon coup. Je suis contente aujourd'hui de l'avoir manqué. Bon, les circonstances étaient assez drastiques. Mais ce que je demanderais avec une loi pour le suicide assisté ou l'euthanasie, ça n'a aucun rapport avec ce que j'ai vécu à 18 ans qui m'a fait faire une tentative de suicide. Il n'y a même pas de ressemblance. Non, il n'y a pas de rapport. Je ne peux pas... je ne sais pas comment d'autre je pourrais vous répondre.

Mme Charbonneau: Donc, pour vous, d'avoir un message pour les uns avec un accord mais pour les autres avec un refus, vous n'y voyez pas, au niveau de la société, une divergence, là.

Mme Lincourt (Josette): Pas vraiment, parce que l'adolescent ou l'adolescente de 17 ans a quand même un entourage. Il y a ses chums qui vont dire: Aïe, Robert, pense-z-y deux fois! Se suicider, là, juste parce que Pierrette t'a lâché là, pense-z-y à deux fois. Elle ne valait peut-être même pas la peine, tu sais, je veux dire, là.

**(16 h 50)**

Mme Charbonneau: Ce que vous voulez me dire, c'est qu'il y a peut-être un système de soutien chez nos jeunes. Par contre, vous avez compris qu'on investit, comme gouvernement, des sommes importantes pour pouvoir faire de la prévention, pour pouvoir laisser le message aux jeunes que ce n'est pas un geste qui est correct, de se suicider.

Mme Lincourt (Josette): Non, il faut continuer d'investir de ce côté-là. Se suicider quand il n'y a pas des... Tu sais, quand tu n'es pas déjà tellement taxé, là, physiquement et autrement, non, il faut empêcher les gens. Il faut tout faire.

Mme Charbonneau: Je comprends. Vous avez touché aux soins palliatifs. Vous en avez parlé. Vous avez dit qu'il n'y en a pas suffisamment. Vous n'êtes pas la seule, plusieurs personnes nous ont approchés en disant qu'il faudrait qu'il y en ait plus. Par contre, c'est un service qu'on développe, vous avez compris, depuis quelques années. Avant ça, les services étaient autrement. On connaissait peu le cancer, on le connaît maintenant un peu plus. Je dirais qu'il y a encore des choses à découvrir, mais...

Des gens qui sont venus nous dire que les soins palliatifs ne sont là que pour le cancer. Ils sont là... Malheureusement, ils ne voient pas d'entrée dans le principe des soins palliatifs autrement que par le cancer. De votre côté à vous, vous le voyez comment?

Mme Lincourt (Josette): Écoutez, c'est clair que, quand on va regarder les gens qui sont passés à La Maison Au Diapason ou à Michel-Sarrazin, on voit dans la chronique nécrologique que ce sont des gens souvent qui sont décédés du cancer, finalement.

Vous savez -- ah, je vais dire quelque chose, là -- le cancer est respecté, mais il y a des maladies douloureuses chroniques et/ou dégénératives qui n'attirent pas le même respect. Et, au fond, je vais vous dire bien franchement qu'il y a de ces maladies-là, là, que les soins palliatifs devraient commencer souvent bien longtemps avant d'approcher, d'être au seuil de la mort. Et ça, il n'y aura jamais les moyens pour le faire.

Ça fait que c'est... Je suis sûre que personne ne veut limiter ça aux cancéreux, mais, comme je vous dis, il y a quand même... Il y a beaucoup de cancéreux. Et disons qu'avec les sociétés de cancer, et ci et ça, on est beaucoup plus prêts à leur donner de l'aide. Et ils ont d'ailleurs beaucoup, beaucoup de traitements et de recherche, ce qui n'existe pas nécessairement pour de nombreuses autres maladies.

Mme Charbonneau: Vous avez raison, ça n'existe pas nécessairement. Puis on a encore des maladies qu'on appelle des maladies orphelines tellement qu'elles sont uniques, et peu répandues, et peu connues aussi. On a eu le privilège d'avoir des témoignages importants ici -- puis je pense que vous en faites partie -- de gens qui disent: Moi, je ne suis pas cancéreuse et j'aimerais ça avoir cette porte de sortie là. J'aimerais ça avoir ce choix-là.

Par contre, les gens qui sont devant vous sont facilement... un témoignage pour, un témoignage contre, je le dis souvent, parce que chaque témoignage apporte des pistes de réflexion, et on n'a pas encore une idée de vers où va aboutir cette commission, hein? C'est peut-être une autre piste de réflexion qui va en sortir. Mais en même temps, ne pas se tromper, c'est l'objectif qu'on a. Ça, c'est à peu près sûr.

Donc, je reviens à mon droit collectif puis mon droit individuel. Si je donne un droit à un individu, et ça handicape ma communauté, comment je fais pour m'assurer que je ne joue pas dans un droit qui vient de s'arrêter quand le droit de l'autre commence?

Mme Lincourt (Josette): Ce que vous posez là comme question, je n'ai pas les connaissances anthropologiques ou je ne sais pas exactement qu'est-ce que ça prend pour répondre à ça. La Hollande, on sait que, longtemps avant de se voter une loi, il s'en faisait, des euthanasies. Ils ne s'en cachaient pas nécessairement. Est-ce que vraiment là-bas les droits des individus ont... Est-ce que les droits collectifs ont été si brimés? Est-ce que ça a... Un nombre quand même assez limité d'individus demandent l'euthanasie. Pourquoi est-ce que ça brimerait autant la collectivité, qui ne me connaît même pas, souvent? Là, j'ai de la misère, parce que c'est la personne qui est souffrante qui demande l'euthanasie. Je n'amène pas tout le village derrière moi pour dire: Bien, il faut que vous viviez mon euthanasie avec moi.

Mme Charbonneau: Je vous pose la question parce que plusieurs personnes nous ont parlé de relation de confiance entre le médecin et le patient. Et là les gens disent: Bien, à partir du moment où vous ouvrez la porte à cette possibilité de mon droit individuel, mon droit à moi qui dit: Je vous demande de mettre fin à ma vie ou de m'aider à mettre fin à ma vie parce que je souffre, ça vient jouer dans la relation de confiance que j'ai peut-être avec le médecin. Et peut-être que ma voisine, que je n'ai pas amenée puis qui n'a pas à prendre une décision à ma place, elle ne voudra plus consulter ce médecin-là parce qu'à moi il aurait dit oui.

Puis, à votre dernière intervention, vous avez dit que vous n'étiez pas une spécialiste. Je vous rassure. Vous regardez la télé? Vous savez la bande-annonce de voiture, le gros bon sens, là? Des fois, ça prend juste ça. Donc, c'est pour ça que je ne me gêne pas pour les questions.

Donc, comment je gère la relation de confiance entre patient et médecin si le médecin peut porter un jugement sur le prolongement de ma vie?

Mme Lincourt (Josette): Écoutez, moi, je trouve que la relation patient et médecin, dans ma tête à moi, c'est supposé être très privé. J'ai quelques amis qui souffrent à peu près comme moi, nous en parlons entre nous, mais je n'irais pas parler à une voisine, de dire: Ah, bien, tu sais, j'ai demandé au médecin Untel, puis il serait prêt, dans l'éventualité, à me fournir le cocktail qu'il faut pour que je me suicide. Ça ne la regarde pas, puis jamais je ne l'embarquerais là-dedans. Il faut quand même que les personnes aient leur discrétion personnelle. Puis, la relation, moi, de penser qu'il y aurait des médecins qui seraient prêts à donner les cocktails, ça me rassurerait et ça me mettrait beaucoup plus en confiance avec eux que ceux qui seraient complètement fermés, parce que je me dirais: Eux autres, vraiment, ils connaissent la souffrance de leurs patients, et ils savent combien les gens peuvent souffrir de façon souvent intolérable, et ils le respectent.

Mme Charbonneau: C'est un signe de compassion, pour vous.

Mme Lincourt (Josette): Oui, compassion. Et, pour moi, j'aurais confiance en quelqu'un qui a de la compassion.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Merci beaucoup, Mme Lincourt. Moi aussi, j'ai parcouru votre mémoire et j'étais bien contente de voir que vous aviez répondu à chacune de nos questions. En fait, c'est assez drôle parce que, quand on a élaboré le document, on s'est cassé la tête à savoir être sûr de mettre les bonnes questions puis d'enligner les gens, puis tout ça, mais ce qu'on met dans le... on en met beaucoup, puis c'est très détaillé, puis vous êtes la première personne qui venez témoigner devant nous et qui avez pris le soin de répondre à tout. Alors, bravo pour l'exercice. Vous êtes vraiment allée avec exhaustivité. Donc, ça nous rassure qu'on n'a pas fait ça pour rien. Mais effectivement il y a beaucoup de gens qui ont répondu par Internet.

Moi, je veux savoir. Vous, dans votre discours, on sent une grande, je dirais, volonté d'affirmer l'autonomie de la personne, de son choix, et tout ça. Mais évidemment, si vous avez suivi nos travaux, vous avez vu que, pour beaucoup de personnes, il faut qu'il y ait des limites, comme en société il y a toujours des limites à l'exercice de l'autonomie. Et donc où on trace la ligne quand... la base de justification, par exemple, pour ouvrir la porte à une aide médicale à mourir et l'autonomie? Est-ce que c'est la souffrance qui n'est pas contrôlable? Est-ce que quelqu'un de 35 ans qui n'a pas une maladie incurable mais qui a une douleur chronique pratiquement insoutenable pourrait se prévaloir de ça? Est-ce que c'est plutôt d'être en fin de vie, avec donc l'imminence, ou savoir que la maladie est incurable et que donc dans un avenir rapproché il n'y aura plus d'espoir et qu'on va mourir? Est-ce que c'est le caractère subjectif, la personne qui évalue la qualité de sa vie?

Donc, où on trace la ligne, selon vous? Parce que j'ai lu vos réponses, mais j'aimerais ça que vous explicitiez sur c'est quoi pour vous. La douleur? La fin de la vie? La souffrance psychologique?

**(17 heures)**

Mme Lincourt (Josette): Écoutez, bon, on va retourner à une personne de 35 ans qui n'est pas moi, qui demanderait à être euthanasiée et qui souffrirait de douleur chronique mais qui n'aurait pas d'autre déficit. Je ne serais pas d'accord. Comprenons bien que pour moi, dans ma tête, la douleur, il faut que cette douleur chronique là ou douleur aiguë, il faut qu'elle soit accompagnée aussi de certains déficits physiques qui font... Quand tu es rendu aux couches, là, que ça prend quelqu'un pour te torcher, qu'on te laisse des heures, que tu fais des plaies de lit, moi, j'ai la peau tendre, j'aurais bien de la misère avec ça, que tu ne peux plus manger quelque chose de normal, quand il n'y a plus rien qui soit normal et qu'en plus tu es physiquement dépendant de la volonté de l'autre de s'occuper de toi, puis c'est quelqu'un qui est un inconnu, qui ne te connaît pas à part dans un milieu institutionnel, là, là, là, malheureusement, ça ferait perdre de l'argent à bien des résidences puis bien des CHSLD privés, là, mais, dans ma tête, il faut qu'il y ait quand même des déficits.

Mme Hivon: Donc, la douleur, une maladie qui fait qu'il y a des limites physiques, une maladie incurable?

Mme Lincourt (Josette): Incurable... Mais là aussi ça dépend un peu au stade de l'incurabilité. On peut avoir une maladie incurable... Je vais vous donner comme exemple ma mère, qui n'a jamais su qu'elle souffrait de sclérodermie parce qu'elle a eu la chance... Excusez: j'ai été adoptée, alors elle n'est jamais tombée enceinte, alors elle n'a pas eu de progression de la maladie parce qu'elle aurait eu une maladie progressive et dégénérative et très difficile à vivre, mais ça n'a pas été le cas, elle s'en est rendu compte elle avait presque 80 ans. Alors, bon, si elle l'avait appris, à 60 ans, qu'elle faisait une sclérodermie et puis que l'euthanasie avait été disponible, puis qu'elle m'avait demandé: Josette, qu'est-ce que tu en penses?, bien, j'aurais dit: Maman, tu as encore du fun, tu vas jouer au bridge avec tes amis, on va voir des petits spectacles, et ci et ça. Non, là ça ne marche pas, il faut quand même qu'il y ait des... L'incurable n'est pas nécessairement rendu toujours au point où il n'y a plus de qualité de vie... parce qu'il y a autonomie mais il y a qualité de vie, c'est tellement important.

Mme Hivon: Puis là certains vous diraient: Mais ça, c'est votre discours à vous de personne qui êtes habituée à une grande autonomie dans sa vie, qui êtes née en relativement bonne santé, je présume, qui avez vécu une vie pleine, tout ça. Mais quel message on envoie aux personnes qui ne sont pas nées dans ces circonstances-là, qui sont nées avec des handicaps importants, que, toute leur vie, ont dû dépendre des autres pour évoluer, pour être capables de vivre, de se nourrir, puis qui, eux, trouvent quand même un sens à leur vie? Est-ce que, du fait qu'on puisse permettre, dans certaine circonstance x, à une personne de demander une aide à mourir parce qu'elle a atteint un seuil qu'elle juge inacceptable, alors que d'autres le jugent tout à fait acceptable, est-ce que, comme société, on est en train de dévaloriser ces personnes-là?

Mme Lincourt (Josette): Je ne trouve pas. Chaque personne met sa propre valeur, au fond, à sa propre vie, et une personne, bon, qui souffre d'une paralysie cérébrale quelconque et qui arrive à communiquer avec un ordinateur puis une plume dans sa bouche, tant mieux pour elle. Et, si elle aime... elle arrive à aimer sa vie, tant mieux pour elle. Je ne peux pas voir que... mon message à moi, moi, quand j'arrive à un tel point, ça ne fait pas mon affaire, vraiment je ne peux plus endurer, on a chacun le cerveau réseauté de filages différents, et je ne crois pas que ce sont nécessairement des messages. Pourquoi est-ce que... Et là l'individu qui demande une chose, ça ne veut pas dire que l'autre qui est pareil doit le demander et qu'on lui enlève à lui sa valeur. De toute façon, notre valeur, c'est intrinsèque, c'est en dedans de nous.

Moi, quelqu'un me dirait: Bien, Josette, franchement, tu ne fais plus grand-chose, tu sais, tu ne vaux plus grand-chose dans la société, bien, je dirais: En ce moment, je le vaux encore parce que je suis une brasseuse de merde et je vais continuer de l'être tant que je vais être capable de le faire. Alors, c'est intrinsèque, c'est en soi, on a chacun notre valeur, et je ne vois qu'une personne décide: Moi, ça n'existe plus pour moi, que ça veut dire que l'autre, on lui enlève sa valeur.

Mme Hivon: D'accord. Mon collègue, s'il y a du temps, je...

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Oui. Une seule question. Merci, M. le Président. Je vous ai écoutée, comme mes collègues, avec beaucoup d'intérêt. Vous avez évoqué différents facteurs qui sont indéniables, c'est-à-dire la vulnérabilité de certains, la pauvreté de d'autres, le manque de ressources pour d'autres individus. Si ces réalités-là devaient justifier une certaine décriminalisation, est-ce que ce ne serait pas l'aveu d'un échec comme société? Est-ce que ça ne devient pas une façon d'abdiquer par rapport à nos responsabilités, se disant: Bon, il y a des gens plus vulnérables et, pour ces gens-là, on va permettre une décriminalisation, par exemple, que ce soit de l'euthanasie ou sinon du suicide assisté?

Mme Lincourt (Josette): Écoutez, moi, un échec de société, ce serait que, demain, là, on laisse tout le monde forer pour des gaz de schiste et qu'il y aurait 12 explosions en même temps. Ça, ça serait un échec de société. Décriminaliser l'euthanasie ou le suicide assisté ou créer des lois qui le permettraient, dans ma tête ça ne veut pas dire que c'est un échec de société, c'est que c'est... on apprend à respecter qu'il y a des personnes chez qui, à un moment donné, la vie n'a plus aucun sens et on leur donne une porte de sortie. Ça répond à votre question?

M. Charette: Tout à fait, oui. C'était une simple question de précision, je vous remercie.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Je reviens -- je laisse du temps, mais, quand il en reste, je le prends toujours, je suis bien fatigante. Vous avez dit que vous souffrez de douleur chronique. Sans entrer dans les détails, est-ce que je comprends qu'on n'arrive pas à contrôler votre douleur dans l'état actuel des connaissances de la science médicale?

Mme Lincourt (Josette): Écoutez, peut-être que les connaissances médicales permettraient, sauf que, moi, je suis pognée avec un médecin qui est très borné. À un moment donné, je regardais du côté des cliniques de douleur chronique, sauf qu'il y avait des listes d'attente de trois ans. Bon, bien, au bout de ces trois ans-là, moi, de toute façon, je n'ai plus les moyens de me charroyer d'un bord et de l'autre, je n'ai plus d'énergie; je ne l'ai pas, l'énergie, d'aller passer une couple d'heures par semaine quelque part. Je ne l'ai plus. Je ne peux plus me...

Alors, il y aurait des possibilités probablement médicales; par contre, je ne veux pas nécessairement aller au bout complètement, là, puis être sans-dessein puis ne plus être capable de penser par moi-même. Parce qu'il y a... Je prends du Dilaudid, là; c'est quand même... c'est une morphine de synthèse, mais c'est à petite dose. Tout ce que ça fait, là, les «highs», là, les gens qui pensent qu'on passe un «high» là-dessus, là, j'ai des petites nouvelles pour eux autres. Quand on a vraiment mal, ça ne fait pas ça du tout. Ça enlève l'extrême pic douloureux, ça l'amenuise un peu, et, pour le moment, ça me laisse quand même mes capacités, mes facultés. Je suis capable de penser, je suis capable de faire le trouble encore. J'aimerais avoir plus de contrôle, mais, comme je vous dis, là, mon médecin actuel, il n'est pas féru trop, trop.

Mme Hivon: Est-ce que justement vous n'avez pas... C'est un argument aussi qu'on entend, que, si l'aide à mourir était disponible, ça pourrait faire en sorte que certaines personnes y aient recours un peu par dépit parce qu'elles n'ont pas accès aux meilleurs soins possibles qui viendraient tout contrôler leur douleur et leur souffrance et que, par conséquent, on nuirait un peu à l'avancement des connaissances puis au développement, par exemple, des soins palliatifs ou du contrôle de la douleur parce qu'il y aurait cette porte de sortie là puis peut-être qu'elle serait prise plus rapidement par certains parce qu'ils n'ont pas accès aux soins.

Mme Lincourt (Josette): Si on se votait une loi sur l'euthanasie, j'ose croire qu'il y aurait quand même un processus qui permettrait de voir où sont les gens, qui permettrait de déceler quand même, là, tu sais, certaines failles, et je doute fort que, juste par douleur, la personne veuille mourir. C'est quand, à la douleur, s'ajoutent des incapacités qui créent une dépendance et puis qu'on n'a peut-être pas les ressources pour vraiment nous aider. Je ne pense pas que la douleur à elle seule, que les gens iraient assez loin, que, par dépit, ils choisiraient cette porte de sortie là sans que ce soit arrêté quelque part par quelqu'un dans le processus. Parce que je présume qu'une loi dirait: Il faut qu'il y ait un médecin avec au moins l'aval d'un autre. Alors, c'est comme ça, moi, que je vois une loi sur l'euthanasie, avec des balises, sans être contraignantes, mais qui soient assez sérieuses pour déceler les cas où, tu sais, quelqu'un... C'est parce que là, là, si on lui parle un peu, peut-être qu'on va réussir à...

Mme Hivon: Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Il me reste à dire merci beaucoup pour une contribution très originale à notre réflexion.

Je vais suspendre quelques instants, et je vais demander à M. St-Jean Bolduc de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 17 h 10)

 

(Reprise à 17 h 15)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Une bonne après-midi. Notre prochain témoin, c'est M. St-Jean Bolduc. Alors, sans plus tarder, M. Bolduc, la parole est à vous.

M. St-Jean Bolduc

M. Bolduc (St-Jean): M. le Président, membres de la commission, j'aimerais tout d'abord vous remercier de m'avoir convoqué à cette Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité. Mon mémoire, je l'ai lu chez moi et, à voix haute, il dure 17 minutes. Si vous pouviez m'accorder deux minutes supplémentaires, là?

Le Président (M. Kelley): Oui. Le président est souvent indulgent... une certaine indulgence du président. Alors...

M. Bolduc (St-Jean): O.K. Donc, étant une personne lourdement handicapée, je me sens directement interpellé par certains aspects de ce débat. Voilà pourquoi je désirais participer à cette commission spéciale et réagir au document de consultation. Mon intervention vise essentiellement à remettre en cause l'idée d'accorder le droit à l'euthanasie et au suicide assisté aux personnes handicapées qui ne sont pas rendues en fin de vie.

Tout d'abord, qui suis-je? Je suis un avocat à la retraite, âgé de 56 ans. Dès ma naissance, j'étais atteint d'une maladie neuromusculaire héréditaire, dégénérative et incurable. J'ai quand même réussi à marcher jusqu'à l'âge de 11 ans, et je suis, depuis lors, en fauteuil roulant. Maintenant, j'ai besoin d'aide pour toutes mes activités de la vie quotidienne. En dépit de cela, j'aimerais vivre encore longtemps, même si la maladie continue toujours de progresser.

J'ai été hébergé de 1969 à 1977 dans un centre pour enfants et jeunes adultes. Les 55 résidents étaient tous atteints d'une très grave maladie dégénérative, soit la dystrophie musculaire, l'ataxie de Friedreich ou l'amyotrophie spinale progressive. Presque tous ceux que j'y ai connus sont aujourd'hui décédés des suites de leur maladie. À partir de 1977, j'ai emménagé avec ma conjointe en appartement et reçois des services à domicile intensifs.

Au cours des 40 dernières années, j'ai été impliqué dans le milieu associatif des personnes handicapées et dans le réseau de la santé et des services sociaux. Par exemple, j'ai été le président du Comité des étudiants handicapés, de l'Université de Montréal, membre du conseil d'administration de l'Association canadienne de la dystrophie musculaire et président du conseil d'administration du Regroupement des usagers de transport adapté de Montréal. J'ai également été membre du comité des usagers du CHUM, président du conseil d'administration du CLSC-CHSLD La Petite Patrie, et je suis actuellement président du conseil d'administration du Centre de réadaptation Lucie-Bruneau, qui dessert des personnes ayant une déficience physique, motrice ou neurologique.

Bref, j'ai connu, durant toutes ces années, des centaines de personnes handicapées dont plusieurs furent de bons amis. À l'instar de beaucoup d'autres, j'ai lutté pour améliorer les conditions de vie des citoyens ayant une déficience. C'est en pensant à mon passé, à mon présent et à mon avenir que je ressens le besoin de participer à ce débat qui me préoccupe et me touche au plus profond de mon être.

Avant d'entrer dans le vif du sujet, il m'apparaît important de préciser que je suis tout à fait favorable au refus de traitement si la décision est éclairée, contre l'acharnement thérapeutique non désiré et pour la sédation palliative et terminale lorsque souhaitée. De plus, afin d'écarter toute interprétation erronée sur le sens de mon intervention, il faut savoir que mon propos n'est aucunement fondé sur des croyances religieuses, mais s'appuie plutôt sur mon expérience personnelle et sur des considérations éthiques.

Qu'est-ce qu'une personne handicapée et combien y en a-t-il au Québec? L'article 1g de la Loi assurant l'exercice des droits à des personnes handicapées en vue de leur intégration scolaire, professionnelle et sociale donne la définition suivante de personne handicapée: «toute personne ayant une déficience entraînant une incapacité significative et persistante et qui est sujette à rencontrer des obstacles dans l'accomplissement d'activités courantes».

**(17 h 20)**

L'Office des personnes handicapées du Québec estime le nombre des personnes handicapées à 768 090. Ces estimations ont été élaborées à partir des données du recensement de la population de 2006 et les taux de l'Enquête sur la participation et les limitations d'activité, de 2006. Parmi ces personnes, 320 000 ont des incapacités graves ou très graves. En résumé, environ 10 % des Québécois sont donc handicapés et devront vivre jusqu'à la fin de leurs jours avec des incapacités.

Élargissement de la portée du débat. Le public associe généralement l'euthanasie et le suicide assisté aux gens qui sont rendus en fin de vie, atteints d'une maladie incurable comme un cancer en phase terminale et qui sont très souffrants. C'est à ce stade de la vie que se situe essentiellement tout le questionnement sur la pertinence d'abréger les jours de la personne malade. D'ailleurs, la réflexion des experts -- médecins, éthiciens, juristes -- s'est concentrée sur ce point et les pays qui ont légiféré sur le sujet ont presque tous limité la portée de leur loi sur cette période de la vie.

En revanche, le document de consultation de la Commission spéciale élargit le débat en y incluant également les personnes handicapées atteintes d'une maladie dégénérative et invalidante, d'une maladie incurable, ou les personnes lourdement handicapées à la suite d'un accident, et les personnes en perte d'autonomie. Le document donne aussi des exemples impliquant des personnes handicapées.

Être handicapé ne signifie pas être en fin de vie. À première vue, il est étonnant qu'une caractéristique physique d'un individu puisse être assimilée aux conditions qui prévalent en fin de vie. En effet, être handicapé ne signifie absolument pas être rendu à la fin de son existence. Il convient peut-être de rappeler que, même si l'espérance de vie des personnes handicapées est inférieure à la moyenne, celles-ci peuvent néanmoins vivre très longtemps en dépit de leur état. J'en suis la preuve vivante.

Malgré ce fait, la Commission spéciale s'interroge ouvertement sur l'opportunité d'inclure les personnes handicapées dans le débat sur l'euthanasie et le suicide assisté. Pourquoi? Je crois que la commission s'est sentie interpellée par les nombreux événements reliés à l'euthanasie et au suicide assisté et aux meurtres par compassion mettant en cause des gens ayant des incapacités, événements qui ont d'ailleurs fait la manchette au cours des 20 dernières années.

Dans ces circonstances, il est probablement apparu à la Commission spéciale nécessaire d'étendre la réflexion pour ouvrir la problématique des personnes handicapées désireuses de mourir, et cela, en dépit du fait que ces personnes ne sont pas en fin de vie.

Comment sont perçues les personnes handicapées? Le public éprouve généralement de la sympathie à l'égard des personnes handicapées et, dans une moindre mesure, de la pitié, voire un certain malaise. Même si la population considère les gens ayant une déficience comme un actif pour la société, elle a cependant tendance à percevoir démesurément les incapacités des personnes handicapées à croire qu'elles mènent une vie sans intérêt et même parfois pénible, et qu'elles sont plutôt malheureuses. Bref, une vie sans qualité de vie. C'est ainsi que, dans une lettre ouverte de La Presse, du journal La Presse abordant le meurtre par compassion, l'auteur qualifiait cela de non-vie dénudée de plaisirs.

Il m'est arrivé à plusieurs reprises de me faire dire la phrase suivante: Moi, être à ta place, j'aimerais mieux mourir. Cette franchise, quoique brutale, est tout de même révélatrice d'un état de pensée possiblement très généralisé. Si on posait cette question dans un sondage: En cas d'accident ou de maladie, préféreriez-vous mourir plutôt que de vivre handicapé jusqu'à la fin de vos jours?, je pense que la majorité des répondants préférerait probablement la mort.

Dans ces circonstances, n'est-il pas logique que les citoyens songent à accorder aux personnes handicapées le droit de mourir au moment choisi par elles et dans les meilleures circonstances possible? N'est-ce pas un droit que ces citoyens souhaiteraient avoir dans l'éventualité où ils deviendraient eux-mêmes handicapés?

La vie d'une personne handicapée vaut-elle la peine d'être vécue? Il est incontestable que le fait d'avoir une déficience comporte son lot de difficultés, de frustrations et d'obstacles. Toutefois, cela ne représente qu'une partie de la réalité des personnes handicapées. C'est impossible pour la population de saisir correctement le véritable impact d'une incapacité sur un individu puisqu'elle le voit avec ses yeux de bien portant.

On oublie trop souvent que tout être humain a un grand potentiel d'adaptation et qu'il est résilient dans l'adversité. Les personnes handicapées peuvent participer à la société, être actives, s'épanouir et avoir du plaisir. Cela ne se fait pas nécessairement de la même façon et au même rythme que pour les autres citoyens, mais vivre heureux avec des incapacités se produit tous les jours. Le soutien des proches et de la société s'avère par ailleurs un élément très précieux pour y parvenir.

La vie est un combat, une incessante lutte pour trouver le bonheur. Ce n'est pas un combat facile pour les personnes handicapées, mais ce n'est pas un combat perdu d'avance. Au contraire, ces gens démontrent une grande capacité à tirer leur épingle du jeu, ils font la preuve tous les jours qu'il est tout à fait possible d'avoir une vie décente qui vaut la peine d'être vécue.

La prétendue absence de qualité de vie des personnes handicapées est fréquemment invoquée comme argument dans ce débat. Pourtant, avoir des incapacités ne signifie absolument pas la disparition de toute qualité de vie, mais veut plutôt dire avoir une qualité de vie différente. De surcroît, la qualité de vie est une notion très subjective que personne ne peut correctement définir. Cette notion ne devrait donc pas servir à évaluer la vie de quelqu'un d'autre. Par ailleurs, cet argument de la qualité de vie pourrait-il être utilisé par tous les Québécois pour réclamer aussi le droit de mourir?

Notre société doit-elle proposer l'euthanasie et le suicide assisté comme une solution aux problèmes vécus par les personnes handicapées? À mon avis, la Commission spéciale devra tenter, dans son analyse de l'euthanasie et du suicide assisté par rapport aux personnes handicapées, de considérer tous les aspects qui sont en vue et de répondre aux questionnements suivants:

Est-ce qu'elles auraient toutes le droit de mettre fin à leur vie de cette façon? Une personne avec des incapacités même très graves peut vivre très longtemps. Dans ce cas, combien de temps avant sa mort naturelle pourrait-on accorder ce droit? Est-ce que ce serait le degré de gravité des incapacités qui donnerait ouverture à ce droit? Est-ce que ce serait parce que les incapacités progressent avec le temps suite à une maladie dégénérative et incurable? Pourquoi quelqu'un avec des incapacités légères ne bénéficierait-il pas de ce droit? Une jeune femme de 19 ans qui perd définitivement la vue aurait-elle ce droit? Un athlète paralympique serait-il éligible à l'euthanasie et au suicide assisté? Faut-il tracer arbitrairement une ligne quelque part parmi l'ensemble des incapacités des 768 090 Québécois handicapés?

Par ailleurs, les personnes handicapées ne sont pas les seules à rencontrer des difficultés dans leur existence. En vertu de quelle logique toutes les autres catégories de personnes ne bénéficieraient-elles pas du même droit à la mort; par exemple, les personnes âgées de 65 ans et plus ou encore les gens vivant sous le seuil de la pauvreté? Pourquoi donc cette discrimination contraire au principe d'égalité?

A-t-on pensé qu'établir une catégorie de personnes, qui n'est aucunement en fin de vie, mais qui peut bénéficier du droit de mourir, lui envoie un message pour le moins ambigu? Même si la motivation justifiant ce droit était basée sur la compassion, serait-ce vraiment un encouragement à lutter pour prendre sa place dans la société?

A-t-on pensé qu'une personne handicapée pourrait renoncer définitivement à la vie lors d'une période de découragement temporaire ou encore être poussée subtilement dans cette direction?

Peut-on prendre en toute lucidité la décision la plus capitale de sa vie dans des moments de grande fragilité? Ainsi, dans leur programme de réadaptation, offrira-t-on dorénavant aux grands blessés de la route ou aux victimes d'un accident vasculaire cérébral l'option du suicide assisté et de l'euthanasie?

Il arrive qu'une personne ait parfois besoin d'être protégée contre elle-même, qu'elle soit jeune ou vieille, riche ou pauvre, en santé ou malade, handicapée ou non, qu'elle ait fait faillite ou tout perdu au jeu, qu'elle ait perdu son job ou toute sa famille dans un incendie. Pourquoi donc certains malheurs et non d'autres donneraient le droit de mourir? Les campagnes de prévention du suicide visent-elles aussi les personnes handicapées?

La Charte des droits et libertés de la personne du Québec stipule, à son article 2, que «tout être humain dont la vie est en péril a droit au secours». Décider de mourir bien avant son temps, n'est-ce pas mettre sa vie en péril, et pourquoi la société choisirait-elle de ne pas le secourir?

**(17 h 30)**

Conséquences de l'euthanasie et du suicide assisté. Il me semble qu'élargir le débat sur l'euthanasie et le suicide assisté aux personnes handicapées qui ne sont pas en fin de vie fait la preuve de la dérive possible que les opposants à ces pratiques invoquent pour justifier le statu quo. Les personnes ayant des incapacités ont avant tout besoin d'être supportées pour mieux vivre. Leur montrer une porte de sortie calmera peut-être les angoisses de certaines mais affectera la dignité intrinsèque de l'être humain de toutes les autres personnes handicapées qui se sentiront traitées différemment du reste de la population.

S'il advenait que ces pratiques étaient tolérées ou légalisées, elles fragiliseraient, avec le temps, les revendications des personnes handicapées pour recevoir plus de services. Tôt ou tard, des gens ennuyés par des demandes répétées visant à améliorer la condition de vie des personnes handicapées finiraient par répondre qu'il existe aussi une autre solution si elles trouvent la vie trop dure. On prendrait alors le risque que le droit à l'euthanasie et au suicide assisté devienne, en certaines occasions, une incitation à lâcher prise et à cesser le combat pour une meilleure vie.

Enfin, amoindrir le caractère sacré de la vie inclus dans nos chartes pour les personnes handicapées pourrait diminuer la protection que la société leur accorde contre des potentiels agresseurs.

Conclusion. Mourir dans la dignité, l'euthanasie et le suicide assisté sont des questions très complexes, fort controversées et chargées de beaucoup d'émotions.

Par ce mémoire, j'ai voulu mettre l'accent sur le fait que les personnes handicapées ne sont pas, de par leur état, en fin de vie. J'ai voulu également démontrer que les personnes handicapées ne devraient pas être éligibles à l'euthanasie et au suicide assisté tant qu'elles ne sont pas rendues véritablement en fin de vie. En effet, en dépit des obstacles rencontrés, je suis convaincu que la vie des personnes handicapées vaut la peine d'être vécue.

Je serais donc fortement préoccupé si l'euthanasie et le suicide assisté devenaient une solution aux problèmes rencontrés par les Québécois ayant des incapacités. C'est pourquoi j'estime hautement souhaitable que les recommandations de la commission spéciale aillent plutôt dans le sens de l'amélioration des conditions de vie des personnes handicapées pour que leur droit de vivre dans la dignité soit renforcé et leur droit à l'égalité respecté.

Enfin, j'aurais aimé que cette Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité se penche davantage sur les soins et les services de santé que les personnes rendues en fin de vie doivent recevoir. N'est-il pas reconnu que ces services sont nettement insuffisants, tant en établissement qu'à domicile? À cet égard, les personnes handicapées qui arrivent à leur dernière partie de la vie ont un grand besoin de soins et de services pour passer à travers cette période difficile en toute dignité. C'est un défi qu'une société avancée comme la nôtre devrait choisir de relever. Voilà, M. le Président, je peux répondre à vos questions maintenant.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup. Et votre estimé était parfait, 17 minutes, alors vous êtes juste dans votre prévision. Alors, bravo. Et je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée de Hull.

Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Alors, bienvenue à vous, M. Bolduc. C'est toujours très touchant de recevoir des témoignages comme le vôtre, parce que vous parlez de vécu, vous parlez de votre quotidien. Puis souvent, comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, les personnes qui disent: Moi, être à ta place, je voudrais mourir, justement, vous en êtes la démonstration, vous avez l'air d'une personne... vous êtes une personne pleine de vie, vous vous impliquez, vous faites beaucoup de bénévolat. Vous voulez changer les choses, laisser votre trace, votre héritage. Puis je pense que votre présence aujourd'hui en est une autre belle démonstration.

D'abord, je veux vous dire qu'il n'a jamais été question d'isoler le groupe, la clientèle des personnes handicapées dans notre commission, parce que ce n'est vraiment pas ciblé vers les personnes handicapées mais plutôt vers l'autodétermination. Alors, peu importe qui sera la personne qui souhaitera mettre un terme à sa vie, qu'elle soit handicapée ou non, c'est-à-dire handicapée dans le sens dont vous mentionniez, par rapport aux personnes qui sont souffrantes de cancer ou d'autres maladies du même genre.

Je ne sais pas si vous étiez au courant, mais les gens du Conseil pour la protection des malades sont venus nous voir à Québec, ils sont venus nous présenter leur position -- alors, tout le monde se souvient de M. Claude Brunet, qui a été un homme qui a, lui aussi, laissé son héritage, et tout ça. Et, à ma grande surprise, ces gens-là, contre toute attente, se sont prononcés en faveur de la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. D'abord, je voudrais savoir quel est votre commentaire par rapport à cette position-là.

M. Bolduc (St-Jean): Bien, un, je connais M. Paul Brunet, là, j'ai fait des études en même temps que lui à la Faculté de droit de l'Université de Montréal. Disons, de ce que j'ai compris de la position du Conseil de la protection des malades, c'est que dans le fond ils sont en venus à la conclusion qu'on devrait ouvrir le droit à l'euthanasie et au suicide parce qu'il n'y a pas suffisamment de services de santé et de services sociaux pour les personnes handicapées ou les personnes malades, autant dans les établissements de santé qu'à domicile. Et c'est un peu... Autrement dit, s'il y avait suffisamment de services, ils n'auraient pas cette position-là. Donc, je ne suis pas d'accord avec leur position parce que c'est un peu... Je trouve qu'ils lâchent, ils baissent les bras devant un problème au lieu de continuer à se battre pour avoir des meilleurs services.

Mme Gaudreault: Et, pour vous, qu'une personne en vienne... On a eu plusieurs témoignages ici de personnes qui avaient différentes conditions de santé. Il y en avait, pour eux, que c'était une porte de secours, de pouvoir avoir accès à une substance, le moment venu, pour mettre un terme à leurs souffrances et à leur vie. Et ces personnes-là avaient presque les mêmes arguments que vous. Parce que c'est toujours surprenant de voir... Les arguments du pour et du contre souvent sont les mêmes. Et, vous, est-ce que vous... C'est sûr qu'on ne veut pas augmenter le nombre de personnes qui vont vouloir mettre un terme à leur vie, ce n'est pas du tout le but, mais plutôt permettre à ceux... le petit nombre, l'exception, de pouvoir ajouter cette option-là dans ce qui leur est offert. Est-ce que, vous, pour vous, ce serait quelque chose de souhaitable?

M. Bolduc (St-Jean): Je répondrais à cette question, c'est que dans le fond je suis convaincu que tous les citoyens aimeraient avoir la possibilité d'avoir le droit à l'euthanasie et au suicide assisté à la fin de leurs jours s'ils sont dans des situations de douleurs terribles ou des grandes, grandes difficultés. Donc, je pense, c'est la même chose aussi pour les personnes handicapées.

Maintenant, je pense que c'est... Là, c'est toujours la notion de savoir: Est-ce qu'on est... est-ce que tu vas avoir ce droit-là à la fin de ta vie ou n'importe quand en cours de ta vie? Et il y a des personnes qui aimeraient avoir ce droit-là même s'ils sont loin d'être mourants. Ils ont peut-être encore une espérance de vie de 30 ans, mais ils aimeraient pouvoir l'exercer dans deux semaines. À ce niveau-là, je ne suis pas du tout, du tout d'accord et... Même si c'est dans ce sens-là que... Il y a un côté séduisant au fait de dire: Le droit au suicide et à l'euthanasie est accordé, mais je pense qu'il doit être extrêmement encadré et très limité.

Mme Gaudreault: Merci.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: M. St-Jean Bolduc, depuis le début de cette commission, on parle d'autodétermination. On devrait prendre une photo de vous, avec votre bagage, puis dire aux gens c'est quoi, l'autodétermination. Je pense que vous avez entendu: «Bien voyons, tu ne devrais pas aller jusque-là» plus souvent que moi dans votre vie, dans les défis que vous vous êtes donnés, que ce soit par vos études... Je pense juste quand vous avez fait vos études, puis l'accès au local, puis à tout ça, là, ça devait être tout un défi que vous avez mis dans votre vie. Et vous avez très bien réussi. Donc, je pense que vous êtes une belle image de l'autodétermination.

Si j'ai pris la parole juste pour dire ça, ça me ferait plaisir, mais j'ai des questions. On a reçu, le 29 septembre, des gens d'une fédération. Ça s'appelle la fédération du mouvement des personnes d'abord du Québec. Peut-être les connaissez-vous déjà. Et peut-être que c'est une présidence que vous visez bientôt, parce que vous en avez...

Des voix: Ha, ha, ha!

**(17 h 40)**

Mme Charbonneau: ...une couple à votre actif, des présidences, là, pour défendre le droit des gens qui ont ou qui souffrent d'un handicap -- parce que je pense que c'est deux principes qui sont des fois perçus de façon différente. Ils sont surtout venus nous dire qu'une personne handicapée, c'est une personne avant tout. Et je pense que, dans le message que vous nous livrez, c'est aussi ça: la personne handicapée est avant tout une personne. Et le handicap est souvent vu, un peu comme la dignité, par les yeux de l'autre, puisque, si vous n'avez pas eu la même vie que moi, je ne peux pas juger de votre handicap. Puis, peut-être qu'avec moi pendant 20 minutes, vous allez trouver que je suis handicapée. Donc, le handicap, c'est quelque chose qui est perçu par l'autre, parce que la personne qui vit, elle a ses défis au quotidien, elle aussi.

Alors, j'étais heureuse de vous entendre. Et j'ai apprécié le fait que vous avez lu votre mémoire, malgré que je l'avais lu aussi, parce que, quand je l'ai lu, je n'étais pas sûre de votre position, je n'arrivais pas à situer si vous étiez pour ou si vous étiez contre. Je pense que votre côté avocat a très bien joué dans la subtilité de voici où je me sens par rapport aux personnes handicapées, mais voici où est-ce que je suis par rapport à l'autodétermination.

Je veux vous entendre sur la dérive. Vous avez fait une certaine approche en disant: Si une personne handicapée a un moment où elle se sent plus seule, est-ce qu'on devrait l'écouter plus ou moins si elle fait une demande, dans un avenir rapproché, de mettre fin à ses jours? Est-ce que la médecine pourrait considérer proposer à quelqu'un cette avenue-là? Quand vous me parlez de la dérive, vous la situez à peu près comment?

M. Bolduc (St-Jean): Je la situerais... Par exemple, admettons que quelqu'un a un accident d'automobile, et c'est évident que, la première année entre autres, c'est quelqu'un qui est extrêmement troublé et très fragile. Psychologiquement, là, il vient de se retrouver... sa vie vient complètement de basculer, changer. C'est sûr que, donc, il y a comme un deuil à faire de ce qui était, et ça prend du temps. Il y a des gens qui y arrivent facilement. D'autres, ça prend des années et des années. Et même certaines n'y arrivent jamais. Comme n'importe qui qui peut avoir un deuil dans sa vie, il y a des gens qui... c'est un peu la même chose, le même processus.

Il y a ça, il y a cet élément-là, mais il y a aussi, dans le cours de la vie des personnes handicapées... Les personnes handicapées ne sont pas à l'abri... On dit: 25 % des personnes dans la population font des dépressions à l'occasion. Mais une personne handicapée peut aussi faire des dépressions, probablement. Compte tenu de la difficulté qu'ils rencontrent, ils peuvent peut-être en faire plus souvent -- je n'ai pas d'étude à ce niveau-là, là. Mais, dans ces périodes-là, on pourrait dire: Bien, dans le fond... Parce que, des fois, on sous-estime, par exemple, la dépression chez les personnes âgées, mais je pense qu'on peut aussi sous-estimer la dépression chez les personnes handicapées. Et on pourrait donc être tenté... On regarderait leurs incapacités physiques, et dire: Oui, c'est terrible, tout ça. Donc, on pourrait être tenté de répondre facilement à leur demande d'euthanasie alors que, dans le fond, ils sont dans une grande période de découragement. Ça, c'est des dérives possibles.

D'autres dérives, moi, que je vois aussi, c'est que c'est plutôt en termes de... de la façon dont on va percevoir les personnes handicapées, le fait de croire que beaucoup de personnes handicapées dans le fond désirent mourir, et je pense que ce n'est pas le cas de la réalité. Sauf que, quand il se produit... Par exemple, j'ai vu, au cours des dernières années, quand il y a eu des suicides assistés, des choses comme ça, et ensuite on interviewait des personnes handicapées, et je ne sais pas pourquoi, mais on interviewait toujours des personnes handicapées qui, eux-mêmes, voulaient éventuellement se suicider ou qui étaient favorables. Je n'ai jamais vu une interview de quelqu'un qui était contre. À un moment donné, j'ai dit: Coudon! est-ce que je suis le seul à être un peu défavorable à ça, là? Je crois donc que c'est un... Il y a un danger.

Parce que le centre de mon mémoire, c'était vraiment de... il y avait un seul message, de dire que les personnes... On ne devrait pas donner le droit à l'euthanasie et au suicide assisté aux personnes handicapées qui ne sont pas rendues en fin de vie. «Rendues en fin de vie», c'est bien important, là.

Mme Charbonneau: Vous avez compris, le titre de la consultation, c'était Mourir en toute dignité, donc je pense que vos propos sont justes. Quelle que soit la personne, puisqu'à la base, dans la consultation comme dans tous les gestes qu'on a posés de par cette consultation, une personne, c'est une personne, il n'y avait pas de qualificatif soit de handicap, ou culturel, ou religion. On a essayé d'être le plus neutre possible. J'espère qu'on a réussi.

Par contre, j'entends votre souci...

M. Bolduc (St-Jean): Peut-être que je pourrais répondre à...

Mme Charbonneau: Oui, oui, allez-y.

M. Bolduc (St-Jean): Excusez-moi de vous interrompre.

Mme Charbonneau: Non, non. Non, non, allez-y.

M. Bolduc (St-Jean): Mais je pense à un exemple en particulier qui m'a beaucoup frappé, c'est l'exemple du tétraplégique qui... ça fait 10 ans qu'il est tétraplégique, et là le médecin estime qu'il lui reste encore au moins 20 ans à vivre, mais cette personne tétraplégique veut mourir. Bien, si ce n'est pas le handicap qui donne l'ouverture au suicide assisté ou à l'euthanasie, je me demande c'est quoi, là.

Et on n'a pas posé... on n'a pas donné d'exemple pour aucune autre catégorie de personnes, seulement les personnes handicapées, ou les personnes qui ont le cancer, ou...

Mme Charbonneau: Oui, c'est ça, on a maintenu sur les autres exemples des gens qui étaient en fin de vie, sauf sur cet exemple-là, puis vous faites bien de me le rappeler.

M. Bolduc (St-Jean): La sclérose en plaques aussi qui n'est pas en fin de vie non plus.

Mme Charbonneau: Non, c'est ça. On a aussi rencontré des gens à même cette consultation. Il y en a une qui me vient à l'idée, qui était post-polyo. Donc, elle était devant nous, comme vous, avec toutes ses capacités, en nous disant... Elle est en chaise roulante. On pouvait voir qu'elle vivait à son corps défendant, qu'elle disait, son corps était en train de se transformer, là. Mais elle aimait et elle appréciait le fait qu'elle pouvait, dans la mesure des choix qu'elle avait à faire, se dire: Dans... Elle s'était donné des délais, elle a dit: Dans cinq ans, si ma vie, elle n'est plus comme, moi, j'aimerais la voir, donc j'aimerais avoir la capacité d'avoir accès. Elle avait même déjà rempli les formulaires pour Dignitas puis elle avait déjà...

Bon. Alors, dans le fond, cette personne-là, ce qu'elle nous disait, c'est: Moi, ce que j'apprécie, c'est de savoir que je peux décider. Ce n'était pas tellement par rapport au fait qu'elle était handicapée ou pas, c'était plus par rapport à son autonomie, à la décision de dire: Voici ce qui m'attend. Sur ma carte, ici, c'est écrit tout ce qui m'attend comme symptômes de fin de vie, puis, rendue au symptôme cinq, je n'ai plus le goût des autres symptômes. Donc, je veux avoir accès à cette possibilité-là. Vous pouvez me dire que c'est la peur, vous pouvez me dire que, bon, elle ne voulait pas faire face à certaines situations, mais, pour cette personne-là, ça lui apportait une forme de sérénité de savoir que, bon, ça... Et jamais, dans sa présentation, elle n'a utilisé le principe de handicap. Elle a toujours fait sa présentation en disant: Je veux que ce soit mon choix.

Donc, je reviens à mon autodétermination. Si, dans une société comme la nôtre, on choisit d'aller vers quelque chose comme une possibilité de services de soins de fin de vie qui pourraient être à la demande du patient, est-ce que vous croyez que, si j'en fais un soin de fin de vie, handicapé ou pas, ça devient un droit auquel je pourrais avoir accès?

M. Bolduc (St-Jean): Peut-être pour clarifier un peu ma position, j'ai vu le mémoire du Barreau du Québec et je suis pas mal d'accord avec leur mémoire, en gros, là.

Mme Charbonneau: Donc, ça vous situe très, très bien dans la position que vous avez, je vous en remercie infiniment. Une dernière question qui est tout à fait personnelle.

Le Président (M. Kelley): Très courte.

Mme Charbonneau: St-Jean, ce n'est pas un prénom commun, ça, là, là.

M. Bolduc (St-Jean): Non, c'est très rare. Mais, disons, je viens d'un petit village. Je suis né dans un petit village de la Beauce, et il y avait déjà, dans ce petit village là, d'autres personnes qui s'appelaient St-Jean, St-Pierre, en tout cas. Et à l'époque, à Québec, il y avait un animateur de radio qui s'appelait Saint-Georges Côté, que ma mère aimait beaucoup. Mais chez moi, quand j'étais petit, on m'appelait ti-Jean, on ne m'appelait pas St-Jean. Parce que j'étais très maigre, hein, disons...

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour cette précision. Je suis prêt maintenant à céder la parole à Mme la députée de Joliette.

**(17 h 50)**

Mme Hivon: Bonjour. À mon tour, je souhaite vous souhaiter la bienvenue. Merci beaucoup pour une excellente présentation, M. Bolduc. Moi, je dois vous dire, je suis très contente, quand on a produit notre document, le but, c'était de provoquer le débat.

Et vous avez tout à fait raison quand, d'entrée de jeu, vous avez dit: Généralement, et dans les pays qui ont ouvert la porte à l'euthanasie, au suicide assisté, ce qu'on a en tête, c'est vraiment des gens en fin de vie, souffrances non contrôlables, maladie incurable, mort imminente. Et je pense que vous avez été... Je ne veux pas vous mettre des mots dans la bouche -- donc vous allez me répondre -- mais vous avez été probablement un peu surpris, sinon choqué qu'on aborde la question des handicaps. Et, moi, je vois deux endroits. À la page 24, on dit: «Qui pourrait demander le suicide assisté?» Puis on l'a demandé pour l'euthanasie. Puis on dit: «Pour les personnes atteintes d'une maladie...» On énumère beaucoup de gens, là, les cas plus traditionnels, puis on arrive puis on dit: «Pour les personnes atteintes d'une maladie dégénérative -- question? Pour les personnes atteintes d'une maladie incurable -- question? Pour les personnes lourdement handicapées à la suite d'un accident? Pour...» Bon. Et on a effectivement, à la page précédente, l'exemple de M. Labranche qui, dans ce cas de figure là, est quelqu'un qui est devenu, c'est ça, lourdement handicapé à la suite d'un accident et qui aurait fait une demande.

Moi, je veux vous expliquer pourquoi on a fait ça. C'est justement pour provoquer le débat puis pour amener les gens à se positionner dans leurs derniers retranchements. Parce qu'il y a beaucoup de gens qui viennent, d'un côté comme de l'autre, ils ont des positions très arrêtées, mais des fois, avec eux, on veut pousser les choses. Et, quand les gens nous invoquent la raison de l'autonomie -- puis vous mettez le doigt dessus dans votre présentation -- bien, si on pousse, on pousse, on pousse... Si c'est juste l'autonomie qui est le critère puis qu'il n'y a pas de question de fin de vie, de maladie incurable, de souffrances intolérables, où on arrête, où on trace la ligne? Et c'est pour ça que la question des handicaps est arrivée et qu'on a osé la mettre comme un exemple et la poser, parce que c'est pour que, tous ensemble comme société, on chemine puis qu'on dise: Si on est ouverts, on est ouverts dans quelles circonstances? Où on veut tracer la ligne?

Alors, moi, je suis très contente de votre présentation parce que je pense que c'est une contribution, c'est la première qui est vraiment sur cette question-là, et qui nous aide vraiment à tracer la ligne puis à dire pourquoi on poserait la question pour une personne handicapée puis pourquoi on ne la poserait pas pour une personne dépressive, par exemple. Je veux dire, à un moment donné, où on trace la ligne?

Alors, dans ce sens-là, je ne sais pas si j'ai lu correctement que vous aviez été un peu choqué ou interpellé par le fait qu'on a osé mettre ça dans le document, mais, moi, je veux vous expliquer. Puis je suis contente parce que je pense que votre mémoire, puis votre témoignage, vient jeter un tout nouvel éclairage qui, selon moi, nous ferait progresser, puis il est important aussi.

M. Bolduc (St-Jean): Vous voulez que je réagisse?

Mme Hivon: Bien, oui, j'aimerais ça savoir.

M. Bolduc (St-Jean): Oui. Peut-être, un, c'est vrai que, quand j'ai lu la première fois, j'ai été étonné de voir qu'un tétraplégique pouvait être mentionné. Mais, en même temps, comme je l'ai dit dans mon mémoire, j'ai compris pourquoi on l'a mis. Parce que c'est sûr que, dans les dernières années, il y a beaucoup de personnes handicapées dont on a fait mention dans les médias, des gens qui s'étaient suicidés, ou, en tout cas, on parlait de l'euthanasie ou des gens qui étaient allés en Suisse pour se suicider. Donc, je pense que c'était pertinent de poser la question.

Mme Hivon: Parce que, vous savez, il y a aussi des films, il y a toutes sortes de choses qui frappent l'imaginaire, puis il y a le film La Mer intérieure où c'est exactement un cas d'une personne -- je ne sais pas si vous avez vu ce film-là, un film espagnol -- la personne a un accident dans une piscine, devient quadriplégique, tout ça, et tout son combat, c'est pour le suicide assisté. Vous comprenez? Alors, nous, là, on se fait... Quand les gens nous parlent, puis tout ça, ils nous invoquent toutes sortes d'exemples, hein, la personne qui a un cancer, la personne qui est lourdement handicapée, puis je pense que notre tâche, c'est de faire les nuances qui s'imposent puis, avec les gens puis la société, de voir où vous la tracez, la ligne. Puis je pense que votre propos est très intéressant parce que, vous, vous la tracez un peu à l'endroit où le Barreau la trace, donc, avec certains critères. Mais vous avez voulu nous dire: Est-ce qu'on va se mettre à jeter un regard sur les personnes handicapées différentes en disant: on va ouvrir la porte à toute personne handicapée qui pourrait demander ça même si elle n'a pas une maladie incurable? C'est un peu ça que je comprends.

M. Bolduc (St-Jean): Parce que le Barreau dit très bien que, si, par exemple, on développait davantage... en tout cas, on exclurait davantage la sédation palliative et terminale, déjà ça éliminerait énormément de demandes, je pense, d'euthanasie et de suicide assisté, mais que peut-être, dans certains cas, il faudrait quand même le permettre. La seule chose, c'est qu'il faut qu'il y ait des critères, je pense, très, très clairs, très nets. Parce qu'actuellement il y a comme un interdit, et l'interdit est connu de tous et, jusqu'à un certain point, clair et net. C'est sûr que, si on élabore des critères, ils doivent être très, très précis, très clairs parce qu'il y a quand même un... Il y a des gens qui parlent de possibilité de dérive, mais ça demeure... ça reste toujours d'être subjectif, là, ça ne sera pas comme des critères comme l'alcootest, si tu dépasses le 0,08, ça fait que ça va être des humains qui vont interpréter ça, ça fait que...

Mme Hivon: Et j'aimerais donc, moi, vu que vous êtes une contribution, comme je vous dis, tout à fait originale et unique à ce jour... À la dernière page de votre mémoire, vous dites que vous auriez aimé que la commission se penche davantage sur les soins et les services de santé que les personnes rendues en fin de vie doivent recevoir. Votre dernier paragraphe, vous dites: «...les personnes handicapées qui arrivent à leur dernière partie de la vie ont un grand besoin de soins et de services pour passer à travers cette période difficile en toute dignité.» Moi, je veux vous dire que notre mandat, même si ce qui retient l'attention médiatique et de la plupart des gens, c'est la question de l'euthanasie et du suicide assisté, il porte aussi sur ça.

Alors, j'aimerais vous entendre, parce que vous amenez un tout nouvel, je dirais, éclairage ou une toute nouvelle source de questionnement. Effectivement, les soins palliatifs comme on les connaît à l'heure actuelle, pour une personne qui, par exemple, est handicapée lourdement, est-ce que ces soins-là, qu'on envisage... Parce qu'une personne lourdement handicapée peut aussi avoir un cancer, peut aussi avoir toutes sortes de maladies qui vont faire en sorte qu'elle va évidemment connaître une fin de vie, qu'elle aimerait bénéficier de soins palliatifs. Est-ce qu'à votre connaissance, dans l'état actuel des choses, il y a une réflexion particulière ou il y a des adaptations particulières où est-ce que les personnes dans une situation comme la vôtre ont droit à des services d'aussi bonne qualité en fin de vie qu'une personne qui a un cancer, par exemple? Ou que, si vous avez un cancer, vous allez avoir accès aux mêmes...

M. Bolduc (St-Jean): C'est ça. C'est parce qu'en termes de... C'est parce que les personnes handicapées, bien, on va prendre comme moi, mais beaucoup d'autres, c'est que souvent ce n'est pas... C'est en termes d'incapacité souvent que nos... On a de plus en plus d'incapacités, donc de plus en plus besoin d'assistance. Donc, en étant à domicile, par exemple, on a besoin de plus en plus d'heures de services à domicile. Et étrangement, pour les personnes handicapées, dans les années quatre-vingt, il était plus facile d'avoir des heures de services à domicile. Maintenant, les personnes handicapées ont énormément de difficultés à avoir autant d'heures que, moi, j'ai, par exemple. Au lieu d'augmenter, les heures ont diminué, de façon générale, pour les personnes handicapées, ceux qui sont à domicile.

Puis c'est un peu la même chose pour les gens qui se retrouvent en CHSLD. Plus tu as des incapacités, plus tu requiers de services. Tu n'es pas forcément souffrant, mais ça devient pénible d'attendre d'être couché, d'avoir un bain une fois par semaine ou de devoir te lever à 5 heures le matin, puis te coucher à 7 heures le soir, de ne pas avoir un rythme de vie qui correspond à ton âge. Tu peux avoir 40 ans mais être très lourdement handicapé, de devoir être en CHSLD, mais on t'impose un peu un rythme de vie d'une personne qui a 95 ans, qui n'est pas du tout le même rythme de vie, que ses besoins ne sont pas du tout les mêmes.

Mme Hivon: Est-ce qu'il y a eu une problématique particulière -- vous avez l'air impliqué dans plein d'organismes et d'avoir toute une réflexion sur le sujet -- est-ce qu'il y a des problèmes particuliers pour les personnes handicapées en fin de vie, là, vraiment, là, qui, soit que leur maladie inhérente dégénère, ils sont vraiment en fin de vie, ils ont un cancer, ils ont une autre condition qui fait en sorte... Est-ce qu'il y a des éléments particuliers que vous aimeriez porter à notre attention?

M. Bolduc (St-Jean): Ce que je pourrais dire là-dessus, c'est qu'évidemment si vous avez déjà beaucoup d'incapacités et que, par exemple, vous avez le cancer, c'est sûr que là vous avez comme une double difficulté. Ça devient très, très, très difficile. Par exemple, si j'avais le cancer et je devais avoir des traitements de chimiothérapie, je suis loin d'être certain que je pourrais même passer au travers. Donc, c'est certain que là, à ce moment-là, j'aurais besoin d'énormément d'assistance pour pouvoir m'aider. Mais il y en a, des personnes handicapées, qui meurent du cancer. Il y en a d'autres qui meurent d'un AVC. On n'est pas à l'abri, parce qu'on est handicapés, d'avoir toutes sortes de maladies.

Mme Hivon: Non, malheureusement. Puis, en terminant peut-être, je ne sais pas si vous avez suivi beaucoup nos travaux, mais il y a beaucoup d'arguments de personnes qui sont contre toute ouverture à une aide médicale à mourir, qui disent que ça peut dévaloriser le regard qu'on a comme société sur, par exemple, des personnes qui ont des handicaps, ont des maladies dégénératives, ont des souffrances terribles mais acceptent de vivre avec ça au quotidien, parce que, pour eux, il y a un sens très clair à leur vie, et qu'une personne à côté qui, elle, par exemple, en fin de vie, décide que c'en est trop tout ça et qu'elle veut se prémunir de ça, ça peut envoyer un message de dévalorisation pour les personnes qui pourraient être dans des cas similaires. Comment vous réagissez à ça?

**(18 heures)**

M. Bolduc (St-Jean): Je pense qu'on n'envoie pas le message dans la mesure où l'euthanasie ou le suicide assisté arriveraient en fin de vie, vraiment en fin de vie, là, dans le sens que la personne est rendue au bout, il faut le dire, au bout du rouleau. Il n'y a pas d'espoir qu'elle vive encore cinq ans ou 10 ans, là, c'est une question de quelques semaines ou quelques mois. C'est juste peut-être l'empêcher totalement de souffrir, parce que souvent la notion de souffrance est là-dedans. Mais je ne crois pas qu'il y a énormément de gens qui voudraient, là, nécessairement recourir aussi à l'euthanasie.

Peut-être une petite précision. Je ne suis pas tellement favorable au suicide assisté, moi. Je préférerais l'euthanasie dans un milieu... dans un établissement de santé, là, je pense, le milieu... de façon médicale, là.

Mme Hivon: Donc, pour vous, il faut que ça se situe dans le cadre d'une relation médicale très claire puis, si possible, dans une institution de santé.

M. Bolduc (St-Jean): Qui serait plus l'euthanasie, aussi, que le suicide assisté.

Mme Hivon: Oui. Merci de la précision.

Le Président (M. Kelley): Sur ça, merci beaucoup, pour votre contribution à notre réflexion. C'est vraiment bien articulé. Vous avez vraiment saisi les arguments qu'on n'a pas entendus encore. Alors, M. Bolduc, merci beaucoup pour votre contribution.

Je vais suspendre quelques instants. Et je vais demander... On a trois demandes d'intervention au micro ouvert après. Mais merci beaucoup, M. Bolduc.

(Suspension de la séance à 18 h 1)

 

(Reprise à 18 h 4)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Après vérification, on dit qu'il y a deux personnes qui ont demandé la parole. Alors, on va commencer avec Dr Clifford Blais, qui... Comme vous voulez. Et on va dire environ un cinq minutes, si possible, parce qu'il faut prendre une pause, les membres de la commission, on va reprendre à 19 h 30, et je veux éviter un grief syndical, si je n'accorde pas une pause adéquate aux membres travaillants de cette commission.

Mais, sans plus tarder, Dr Blais, la parole est à vous. Moi, je vais vous indiquer quand on est... il reste une minute à peu près. Alors, la parole est à vous pour les prochaines cinq minutes.

M. Paul Clifford Blais

M. Blais (Paul Clifford): Bonjour. Alors, je me présente. Je suis Dr Paul Clifford Blais. Je suis médecin de famille. Je suis médecin gradué de l'Université McGill en 1981. Je suis aussi licencié du Conseil médical canadien depuis 1983 puis médecin examinateur pour le Conseil médical canadien depuis 1995. Je suis aussi médecin licencié de l'État de la Californie des États-Unis depuis 1986 et je pratique toujours encore ici parce que je considère qu'en tant que médecin de famille au Québec je peux faire plus au point de vue médical qu'en Californie en tant que médecin de famille. Je gagne moins d'argent, mais ça, ce n'est pas grave. Je suis aussi membre certifié de l'Association médicale américaine. Je suis membre du Collège des médecins de famille canadien. Et ça fait 30 ans que je pratique la médecine. Et je ne vous cacherai pas que je suis aussi de dénomination catholique romaine, et que parfois, le dimanche, je vais à l'église, et que ma fille de 11 ans va avoir sa confirmation cette année, et que je vais au cours de catéchète, parce que ça ne s'enseigne plus bien, bien à l'école.

Alors, je vais vous lire... Je vous ai donné un petit document. C'est un courriel que j'ai envoyé à l'Université McGill. Vous pouvez oublier ce qui est en haut, mais, ce n'est pas grave, je l'ai laissé là parce que ça peut vous servir, vous êtes politiciens. Alors, on va commencer à «nous», dernier paragraphe en bas.

Nous débutons, la Commission des aînés du Parti libéral du Canada, les démarches en vue de créer une loi confédérale sur l'euthanasie d'ici quatre ans au Canada.

Comprenez que, moi, je vais toujours parler du gouvernement d'Ottawa comme un gouvernement confédéral. Le chanoine Groulx l'a assez dit, et Pierre Elliott Trudeau a confirmé que c'était une confédération en faisant une formule d'amendement qui oblige sept provinces sur 10 d'être d'accord et qu'il faut qu'il y ait 50 % plus un pour faire changer la Constitution. Alors, ça reste un pays confédéral.

Alors, le papier collé que j'ai envoyé à Mme Paradis, qui est la coprésidente de la Commission des aînés du Parti libéral du Canada... Alors, je passe tout de suite à la deuxième page.

Voici le projet de loi que j'aimerais demander à la Commission des aînés du Parti libéral du Canada d'analyser pour ainsi réaliser la première étape en vue de promulguer une loi sur l'euthanasie d'ici les quatre prochaines années au Canada.

D'abord, cette loi devra être confédérale. Selon l'article 91 de notre Constitution, c'est au Parlement d'Ottawa de proclamer la permission d'exercer l'euthanasie sans que cela soit un crime. L'euthanasie pratiquée par un médecin, une infirmière ou tout autre professionnel autre que par un euthanasiologue dûment diplômé, formé sera toujours criminelle, au Canada, et interdite. On ne peut pas donner une licence pour guérir ou soulager à un individu, comme moi, médecin et en même temps donner à la même personne une licence pour tuer, «a license to kill». Nul ne peut jouer le rôle de Dieu sur cette terre.

Au Canada, on est un pays de lois. À 18 ans, un individu a le contrôle légal sur ce qu'il veut faire dans la vie. Je dis souvent à mes enfants: Pas sur mon shift. Attendez d'avoir 18 ans.

Les provinces qui établiront leurs critères de formation de leur corporation des euthanasiologues le feront selon des critères stricts édictés par les provinces ou territoires respectifs, car, selon l'article 92 de notre Constitution, ce sont les provinces qui émettent les permis des corporations.

Donc, on va avoir besoin... Si les provinces ne veulent pas émettre de permis de faire de corporation d'euthanasiologues, il n'y en aura pas dans ces provinces-là. Peut-être que ce sera juste la Colombie-Britannique puis le Québec qu'il y aura des corporations d'euthanasiologues. Mais ça fera moins loin que d'aller en Suisse.

Il ne me sert à rien... Attendez. Les euthanasiologues seront formés d'abord à l'université. Ils devront obtenir une formation de maîtrise en euthanasiologie, que certaines universités au Canada daigneront bien former avant d'obtenir une licence pour exercer ce métier.

Il ne me sert à rien d'aller dans tous les détails qu'une commission sur l'euthanasie au Canada fera pour décrire tout le contexte pour en venir à la loi sur l'euthanasie au Canada. Mais il est clair dans mon esprit qu'un médecin n'aura jamais la permission de faire l'euthanasie. Ce n'est pas dans la nature de la profession. On ne peut pas donner une licence pour aider les gens à être soulagés puis en même temps une licence pour tuer. C'est... Les libéraux d'un bord, les péquistes de l'autre. Vous êtes pour l'indépendance. Ils ne sont pas pour l'indépendance. Quand c'est clair, ça enlève la confusion chez les gens. Et, quand vous mettez de la confusion, ça rend anxieux les gens. Alors, les gens vont savoir, avec une loi comme ça, que ce n'est pas à un docteur qu'il faut que tu ailles demander l'euthanasie, là.

Nous serons plutôt en compétition. Nous, les docteurs, serons plutôt en compétition avec les euthanasiologues pour promouvoir la santé en paix de notre côté, avec toute notre armée de soins palliatifs, soins psychiatriques, soins de médecine générale.

Tantôt, j'ai entendu les témoignages de gens handicapés, douleurs chroniques, handicapés physiques. Bien, la médecine familiale, là, on prend soin de ça, puis ce n'est pas des soins palliatifs. Soin palliatif, c'est un soin... on sait que tu vas terminer dans pas grand temps. Même si ça prend deux ans à mourir d'un cancer de pancréas -- on a eu un bel exemple dernièrement -- oui, les soins palliatifs peuvent commencer... deux ans... mais, pour être palliatif, il faut que ça soit... il faut que vous soyez condamné à mourir.

**(18 h 10)**

Alors, nous, les médecins, on ne sera plus en compétition avec ces gens-là... versus ces professionnels de la mort, qui aideront les gens à mourir en paix auprès de ceux qui les aiment.

Alors, monsieur avant moi disait: J'aimerais mieux que ça se fasse dans un hôpital. Mais, écoutez, en Inde, mère Teresa a fait des mouroirs. Il pourrait y avoir des mouroirs si les euthanasiologues ne font pas ça à domicile. Parce qu'un euthanasiologue, comme un médecin de famille, pourrait aller performer l'euthanasie à domicile s'il a obtenu le permis. L'individu pourra toujours obtenir d'un juge le permis pour être euthanasié.

Alors, nous, les médecins et tout professionnel de la santé, serons en compétition pour améliorer constamment la vie de chacun. Parce que, voyez-vous, il n'y en a pas, de compétition, en ce moment. Alors, on laisse poireauter les gens, je ne dirai pas où, je veux être «politically correct». Mais, quand il va y avoir de la compétition, attention, Ti-Coune docteur, là! Si le patient, il n'est plus là, tu n'as pas grand monde à prendre soin. Alors, on va être en compétition avec les euthanasiologues. Nous, pour promouvoir la paix, la sérénité, aider les gens qui sont déprimés à ne pas être déprimés, aider les gens à moins souffrir. C'est ça, notre job, nous, les médecins, là.

Alors, pour obtenir ce permis, l'individu devra obtenir au préalable un certificat de son médecin traitant -- et je ne dis pas «médecin de famille» ou «spécialiste», parce qu'il y en a qui n'ont pas de médecin de famille, alors ça pourrait être autant un spécialiste -- certifiant qu'il est sain d'esprit et que l'individu est apte à faire ses choix suite à l'obtention au préalable, un, d'une attestation d'un psychiatre non intéressé au médecin traitant -- il ne faut pas que ce soit le médecin dans la même clinique ou qu'il ait des actions dans la même compagnie -- non intéressé à son médecin traitant et qui attestera que l'individu est sain d'esprit, non déprimé, non psychotique, non délirant et qu'il comprend ce qu'il fait.

De plus, cet individu devra obtenir au préalable aussi une deuxième attestation, d'un neurologue non intéressé à ces deux médecins précédents, comme quoi l'individu n'a pas un syndrome organique qui le rend inapte à faire un choix éclairé. Parce que, parfois, il y a des syndromes organiques qui font que, les gens, ils ne pensent pas comme il faut. Ils peuvent être en délire.

Et finalement cet individu devra aussi obtenir au préalable une attestation du spécialiste de sa condition médicale. On en a vu, des conditions médicales, qui sont venues ici, aujourd'hui. Bien, les gens devront au moins avoir une attestation du spécialiste qui dit -- toujours qui n'est pas intéressé avec les autres médecins -- qu'on lui a tout expliqué ce qu'on peut faire pour lui, et c'est son choix éclairé.

Et alors, avec ces trois attestations, son certificat médical, l'individu pourra demander alors une requête à la cour pour obtenir la permission d'obtenir l'euthanasie par un euthanasiologue. Et ainsi l'individu pourra mourir en paix auprès de ceux qu'il aime.

Merci de votre attention. Et j'espère que... blabla.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Dr Blais, pour votre contribution. Je vais maintenant demander à M. Marcel Pennors de prendre place. Et merci beaucoup, Dr Blais.

M. Marcel Pennors

M. Pennors (Marcel): M. le Président, bonsoir. Mesdames messieurs, bonsoir. Une petite question au préalable: M'accorderez-vous une minute de plus, M. le Président, si vous n'avez pas de grief?

Le Président (M. Kelley): Pas de grief. Alors, je pense, ça, c'est bien. Merci beaucoup, M. Pennors.

M. Pennors (Marcel): Que j'ai calculé, j'en ai pour six minutes.

Le Président (M. Kelley): Parfait. Vas-y.

M. Pennors (Marcel): Merci. Je m'appelle Marcel Pennors. Je suis bénévole dans une unité de soins palliatifs d'un grand hôpital de Montréal depuis 23 ans. Je viens d'écrire un mémoire de maîtrise en bioéthique qui portait sur la souffrance et les personnes âgées. Je viens de rédiger un article publié également dans L'Actualité médicale, récemment. Je ne représente aucun organisme. Je m'adresse à vous en mon nom personnel, bien humblement et -- un peu de tremblements, je n'ai pas l'habitude -- et...

Le Président (M. Kelley): On n'est pas si méchants que ça.

M. Pennors (Marcel): ...et, si j'ose le dire, au nom des personnes que j'ai accompagnées dans leurs derniers instants ainsi que de leur entourage immédiat.

J'évoquerai deux arguments pour ne pas accepter la solution de l'euthanasie ou du suicide assisté pour résoudre le problème de la souffrance. Le risque des dérives, bien sûr. Mais d'abord, pour moi, avec l'expérience de l'accompagnement et ma propre expérience personnelle, la vie a un sens en soi jusqu'à la fin, un sens des fois caché et même souvent obscur.

En accompagnant ces gens dans leurs derniers jours, j'ai été témoin de grands moments de vie. Quand le patient et son entourage ne sont pas laissés à eux-mêmes, l'expérience de la mort n'est pas nécessairement traumatisante. Elle représente un moment privilégié, pour le patient, de faire le bilan de sa vie de manière sereine, en se rappelant ce qu'il a fait de bien pour lui d'abord, pour son conjoint, pour tout son entourage, pour les arts, la nature. Un témoignage, parmi bien d'autres, d'un administrateur scolaire. Pour moi, me dit-il, j'ai été tellement content d'avoir installé un ascenseur dans ce centre pour handicapés moteurs. Quand la douleur est soulagée, se rappeler ce qu'on a fait de bien dans sa vie donne beaucoup de sens à la vie en ce moment-là.

Ce que j'ai vu aussi, c'est de grands instants d'amour aujourd'hui même. Par exemple, une maman très malade m'a rapporté les paroles suivantes de son fils: Tu sais, maman, je ne t'ai pas dit souvent que je t'aimais, mais je veux te le dire aujourd'hui. Qui oserait prétendre que ces moments d'amour, de réconciliation n'ont pas de sens? Telle est la première raison, que je pourrais développer longtemps. C'est la plus importante, pour moi.

L'euthanasie est une mauvaise réponse, de même que l'aide au suicide, pour une autre raison: les dérives qu'elle risque fort de produire. Quelle est la liberté de celui qui se sent de trop, inutile, un fardeau pour les siens? La souffrance de la famille ne vient-elle pas agir sur celle du patient? Des personnes peu scrupuleuses mais habiles dans la manipulation n'amèneront-elles pas le patient à désirer l'euthanasie comme étant la meilleure solution pour elle? Aucune mesure, quelle qu'elle soit, ne sera à même de voir à ces chantages. C'est subtil.

Pression aussi de la société dans son ensemble, qui trouve que les vieux malades coûtent cher à l'État. Pression insidieuse, ténue, en demi-teinte des gestionnaires des centres hospitaliers, des CHSLD, des résidences pour personnes âgées pour faire voir à leurs résidents qu'on ne peut plus améliorer leurs conditions de vie.

Il est utile également de prendre en considération ce qui se passe dans les pays où le droit au suicide assisté et/ou à l'euthanasie sont déjà en vigueur. Les législations sont à peu près les mêmes dans tous les pays que j'ai analysés. Or, il arrive que ces conditions soient contournées, et aucun contrôle ne sera jamais complètement hermétique. La nature humaine est ainsi faite. Des exemples vous ont déjà été fournis sur des détournements de la loi, je n'y viendrai pas.

Autre conséquence, qui est également périphérique: celle qui va mourir n'est pas seule en cause. Que penser de celui qui devra mettre en application la volonté de mourir du malade, qu'il soit médecin ou proche? Comment va-t-il vivre avec cet acte brutal? Je me rappelle une autre anecdote: un homme qui accompagnait sa femme mourante. Il était épuisé. Il avait demandé au médecin de hâter sa mort, c'est-à-dire la mort de sa femme. Deux jours après cette discussion, sa femme mourait. Un an plus tard, alors qu'il me racontait cet événement, il dormait encore mal, se demandant si c'était lui qui avait causé la mort rapide de sa femme par son insistance.

Quelle est ma solution? Toute limitée soit-elle et bien humblement, dans le contexte actuel, le développement de soins palliatifs de qualité. Dans un monde idéal, tout le monde devrait pouvoir bénéficier de soins palliatifs de qualité. Ce n'est malheureusement pas le cas. Même si on est passé de 14 % à 26 %, il en reste quand même 75 % qui n'y ont pas accès. L'article 12 de la Loi canadienne sur la santé est ainsi tronqué dans sa définition de l'accessibilité. Où sont donc les services que les officines publiques nous proposent? Où sont les médecins, les diverses ressources professionnelles? Où sont les soins palliatifs accessibles?

Par ailleurs -- je parle par expérience, parce que j'accompagne également à domicile -- tous les médecins n'ont pas l'expertise nécessaire pour bien soulager la douleur. Il est indispensable de penser à une mise à jour des connaissances et des pratiques de tous les employés ainsi que des médecins.

En conclusion, je vous dirais que l'être humain est un être de relations. Même celui qui se croit seul est membre de la communauté humaine, disait Saint-Exupéry. Il n'est qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations humaines. Si on souhaite que le dénouement de la vie soit le meilleur possible, il importe qu'il soit l'aboutissement d'un cheminement naturel. Le développement de soins palliatifs de qualité permettrait de sortir de l'impasse soulevée par le problème de la souffrance intolérable.

Je vous remercie de m'avoir écouté.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour votre contribution.

Sur ça, je vais suspendre nos travaux à 19 h 30. Et bon appétit, tout le monde. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 18 h 20)

 

(Reprise à 19 h 34)

Le Président (M. Kelley): Alors, la commission reprend ses travaux. Je vais rappeler le mandat de la commission. La commission est réunie afin de procéder à la consultation générale et aux auditions publiques sur la question de mourir dans la dignité.

Avant de recevoir notre premier groupe, ce soir, il y aura trois groupes, 45 minutes de présentation et échange avec les membres de la commission. Just a word of welcome. I saw a few students from Sacred Heart School who were here this evening, and I just wanted a special welcome to them. It's not very often that a parliamentary committee leaves Québec City and comes to Montréal, but debates before parliamentary committees, as a rule, are very important. So thank you very much for giving up your Tuesday night and whatever it is we watch on television on Tuesday night to come and spend some time with peers. So...

Sans plus tarder, je vais procéder à nos premiers témoins ce soir qui sont un groupe de personnes représentées, entre autres, par M. Agostino Lucarelli. Alors, peut-être, M. Lucarelli, si vous pouvez présenter votre groupe et les personnes qui vous accompagnent.

M. Agostino Lucarelli

M. Lucarelli (Agostino): Voici Béatrice Leduc Huot, étudiante aux HEC Montréal, et Marc-Antoine Bigras, étudiant au cégep Gérald-Godin de Montréal.

Le Président (M. Kelley): Bienvenue. Alors, la parole est à vous pour les prochaines 15 minutes suivies par une période d'échange avec les membres de la commission.

M. Lucarelli (Agostino): Bonsoir, membres du comité. Nous représentons un groupe d'environ 25 jeunes volontaires âgés entre 15 et 19 ans qui allons passer une journée par mois en compagnie de personnes sévèrement handicapées d'un centre de l'Ouest-de-Montréal. Nous sommes venus ici pour présenter notre expérience en lien avec nos passages chez ces handicapés ainsi que pour la mettre en lien avec les grandes questions véhiculées par cette commission, dont la plus importante réside dans le fait que la vie humaine a une valeur absolue et que la charité, dans ce cas, signifie d'affirmer cette valeur par notre amour. C'est donc en représentant tous nos amis que nous avons voulu venir vous parler de nos expériences avec ces handicapés ainsi qu'avec des personnes ayant atteint les derniers moments de leur vie.

Mme Leduc Huot (Béatrice): En fait, si je parle de l'expérience que nous vivons avec ces jeunes handicapés, en fait, ces amis sont atteints de sévères handicaps et doivent rester en chaise roulante, ils sont incapables de se nourrir ni même de parler. Notre travail auprès d'eux consiste à jouer avec eux, même les nourrir et chanter pour eux. La première fois que nous avons rencontré ces jeunes, chacun d'entre nous a été déstabilisé par leur condition à différents niveaux. Si je parle de moi plus personnellement, je croyais être témoin d'une souffrance insupportable et injustifiée.

D'un autre côté, j'étais très surprise de voir tous ces gens, mes amis, entre autres, et les gens responsables de la maison, s'occuper d'eux d'une façon si humaine. C'est effectivement grâce à ces gens plus expérimentés que moi que j'ai été capable de surmonter ma première impression et d'apprendre à connaître ces jeunes adultes différents et spéciaux. En fait, pourquoi je vous explique cela? C'est que c'est grâce à cette expérience que j'ai vécue que j'ai changé mon opinion concernant l'euthanasie et le suicide assisté.

En effet, comme beaucoup de gens, je me disais que les personnes sévèrement handicapées ou terriblement malades vivaient une souffrance terrible et je trouvais ça totalement injuste. C'est pour cette raison que pendant longtemps j'étais d'accord avec le suicide assisté et l'euthanasie, mais je dois vous dire que c'est en rencontrant ces gens que j'ai commencé à douter de mon opinion. Donc, en effet, suite à cette expérience, je me suis mise à m'informer de façon très objective sur le sujet afin de pouvoir me faire une tête, et, en effet, c'est donc grâce à cela que j'ai pu changer d'opinion. Et malheureusement je crois que beaucoup... je ne dis pas que tous les gens, mais je crois qu'une partie de la population qui sont pour le sont par manque d'information, comme je l'étais, et par manque de témoignage ou même d'expérience humaine. Et c'est grâce à mes amis que j'ai vécu cette expérience-là. Et, si je reviens à cette expérience, je me dis -- je peux parler au nom de tout le monde -- qu'après plusieurs visites nous devons maintenant reconnaître que malgré leur condition ces jeunes adultes sont conscients de la réalité.

Toutefois, l'élément le plus important que nous avons constaté, c'est qu'ils ne souffrent probablement pas autant qu'on le croirait et qu'au fond ils sont très similaires à nous. C'est donc en apprenant à les connaître que nous avons réalisé que leur besoin le plus essentiel correspond au même que le nôtre: en fait, c'est d'être aimés par les autres malgré nos défauts, nos qualités, nos faiblesses, nos différences. Nous-mêmes avons eu la chance de naître normaux, mais malgré cela nous ne pouvons pas nous accepter si les autres qui nous entourent ne nous aiment pas.

En visitant ces jeunes, nous avons constaté qu'ils sont totalement dépendants des autres, c'est cela qui nous a poussés à nous mettre à leur service. Vous devez également comprendre que nous ne visitons pas ces jeunes afin de remplir un devoir moral, nous agissons de la sorte puisque ces gens que nous considérons comme nos amis ont tant de choses à nous apprendre, et c'est grâce à eux que nous avons appris de quelle façon nous voulons aimer les gens que nous rencontrons et aussi de quelle façon nous voulons être aimés par ces gens. C'est donc grâce à ces personnes que nous avons appris que la dignité n'est pas définie par la condition physique, mais plutôt par l'amour qu'ils reçoivent des autres qui les entourent. Et, si notre société devait éliminer des gens comme ces amis, nous aurions perdu une grande possibilité de s'épanouir au plan personnel.

**(19 h 40)**

M. Bigras (Marc-Antoine): Alors, la leçon que nous avons apprise de ces amis nous aide aussi à mieux comprendre les problèmes reliés aux personnes mourantes décrites dans le débat d'aujourd'hui. J'aimerais ici vous parler de mon expérience récente avec mes grands-parents. Il y a maintenant presque un an, mon grand-père s'est fait hospitaliser. Le docteur lui avait dit qu'il avait un cancer du poumon et qu'il avait possiblement six mois pour vivre. Cette nouvelle l'a grandement bouleversé puisqu'il y avait à peine un mois il était en pleine forme et il montait son abri Tempo tout seul. Mais cette nouvelle a aussi grandement ébranlé ma mère. Ceci voulait dire qu'elle et ses soeurs allaient devoir s'occuper de leur mère qui, elle aussi, était atteinte d'une grave maladie.

Vivre le deuil de la mort prochaine de leur père venait de prendre un tournant pour le pire puisqu'elles héritaient de la responsabilité du destin de la vie de leur mère. Comme chacun d'entre nous déjà débordé par le quotidien, je croyais que cette tâche serait impossible pour ma mère. Par contre, il n'y a pas un jour qui est passé où j'ai pu apercevoir la lourdeur de ce fardeau dans ses yeux. Jour après jour, elle demeurait patiente, courageuse devant cette tâche qui semblait aux yeux de tout le monde incommensurable. C'est grâce à sa famille, ses amis, bref à sa capacité de demander de l'aide aux personnes de son entourage qu'elle a pu, malgré ce défi, continuer à accompagner son père à travers cette dure étape de sa vie. L'important, c'était de ne jamais le laisser seul. Elle et ses soeurs se relayaient tour à tour car elles avaient compris qu'au moment critique du cheminement de leur père il avait besoin de voir physiquement des êtres chers et de passer du temps en famille.

Lors d'une de nos visites à l'hôpital, j'ai cru percevoir chez mon père une agitation qui ne lui était pas familière dans ce genre de situation. D'habitude, mon père est un homme de grande droiture. Il était troublé entre ce qui était permis et ce qu'il pensait être la meilleure chose à faire. Ce jour-là, mon père avait apporté avec lui une fiasque remplie du vin que mon grand-père avait lui-même préparé à peine deux mois avant son hospitalisation. Le cancer de mon grand-père lui avait déjà enlevé toute capacité de manger ou de même tout simplement avaler une gorgée d'eau. Donc, une fois entrés dans sa chambre, après avoir longuement discuté de sujets qui le passionnaient, il nous a confié son grand désir de boire. À ce moment précis, mon père lui tendit une éponge imbibée de son vin blanc. Au tout premier contact du vin avec ses lèvres, son visage s'illumina et bien modestement il remerciait mon père pour ce succulent vin. Il avait bel et bien reconnu son propre vin. Je fus énormément surpris que mon grand-père ait réussi à identifier son vin, puisque même avant son hospitalisation il n'avait pas eu la chance d'y goûter. Il avait tellement l'air heureux que nous avions tous compris à la fin qu'il s'agissait des plus petites intentions qui comblent le coeur dans toute sa simplicité.

C'est à ce moment-là que j'ai réalisé que ce n'est pas parce que j'ai la chance de pouvoir marcher, de jouer au hockey ou de faire plusieurs autres activités hors du lit que ma vie est justifiée. Nos vies ne sont pas justifiées par les actions que nous commettons, mais bien par les personnes autour de nous qui nous aiment d'un amour pur, sincère et surtout gratuit. Et ceci ne requiert pas d'être physiquement valide ou en pleine forme mentale. Nous avons juste besoin d'être attentifs aux besoins des autres car nous avons tous besoin d'être aimés. Dans le moment où l'homme est réduit à sa plus grande fragilité, j'ai compris que ce qui m'est demandé est de ne pas juger les choses avec ma tête, mais bien avec mon coeur, ce qui fait que des gestes qui parfois prennent un grand courage trouvent leur sens, et, à ce jour, mon père ne regrette pas d'avoir pris cette décision.

M. Lucarelli (Agostino): Ce qui est étrange, membres de la commission, c'est que dans nos écoles nous sommes continuellement bombardés par des campagnes qui visent à nous sensibiliser contre le suicide chez les adolescents. Dans notre société, on se scandalise souvent du fait que le taux de suicide chez les aînés en résidence augmente. Cela nous semble donc paradoxal que cette même société, qui accorde une si grande importance à nos vies, pourrait ne pas en accorder autant à celles de nos amis ou à des personnes gravement malades.

Par exemple, l'an dernier, j'ai eu un ami qui a tenté le suicide. C'est la présence de soins médicaux adéquats et la présence d'amis qui a permis à mon ami de s'en sortir. La souffrance physique n'est donc pas la seule justification pour demander la mort, la souffrance psychologique l'est aussi. Nous pouvons aider ces personnes souffrantes de la même façon que nous pouvons aider les personnes avec des pensées suicidaires. C'est clair que, dans le moment dramatique, mon ami ne pensait pas avoir une grande valeur. Cependant, pour moi, c'était totalement le contraire, puisque c'était mon ami et je l'aimais, donc il avait une valeur.

Aujourd'hui, mon ami continue ses études. Il est heureux puis non seulement parce qu'il prend les médicaments adéquats, mais aussi parce qu'il a appris à se regarder un peu plus comme ses vrais amis le regardaient et comme sa famille le regardait. J'ai donc appris que la vision qu'on a de nous-mêmes n'est pas nécessairement un choix personnel. Elle est influencée par la façon dont les autres nous regardent.

Mais lors d'une expérience comme celle que j'ai vécue avec mon ami, c'est clair que la souffrance est partagée, puis des moments comme ça sont une éducation, puisqu'à travers ces moments on peut apprendre comment traiter les autres qui ne sont pas nécessairement en difficulté, mais, si on pouvait traiter tout le monde avec la même attention qu'on traite nos amis qui sont en difficulté, la vie serait nettement plus belle.

Nous voulons aussi vous informer, chers membres de la commission, de notre peur, notre peur non seulement pour nos amis du centre de personnes sévèrement handicapées ou de nos aînés ou encore pour les personnes suicidaires, mais aussi pour le Québec. En tant que jeunes, nous avons peur de nous retrouver devant une société qui valorise si peu la personne humaine ainsi que la possibilité de vrais rapports d'amitié et d'une aide humaine dans les moments difficiles au profit d'un individualisme poussé à son extrême.

En conclusion, c'est en raison de nos expériences que nous ne pouvons pas être en accord avec les projets de décriminalisation de l'euthanasie et du suicide assisté. Si un jour nous vivons une situation difficile qui pourrait nous pousser à vouloir mettre fin à nos jours, nous espérons que les gens qui nous aiment et qui nous entourent, les médecins, la famille, les amis, vont vouloir nous accompagner dans ce combat et vont être en mesure de nous aimer inconditionnellement. C'est donc pour ces raisons que la mort n'est pas un choix face à une telle absence de compagnie. Une compagnie qui nous permettrait de changer le regard qu'on a sur nous-mêmes lors de moments tragiques.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour votre présentation et pour le partage de vos expériences à la fois de la famille et votre expérience de travailler auprès de ces personnes qui sont handicapées. Et, Béatrice, vous n'êtes pas seule, parce que ce sont des questions qui sont complexes, alors les changements d'opinion, je pense, certains des membres de la commission changent deux fois... deux ou trois fois par jour, parce qu'on a un témoin qui est très convaincant dans un sens ou un autre. Alors, vous avez bien raison de dire que ce sont des questions qui sont très compliquées, il faut réfléchir davantage. Alors, bravo pour la présentation. Je suis prêt à céder la parole à Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Alors, permettez-moi, puisque j'ai eu quelques minutes de retard avec ma collègue, de m'en excuser bien bas. Ce n'est pas par manque de respect, c'est surtout parce qu'on a du temps limité pour prendre contact avec nos familles puisqu'on est ici depuis 9 heures ce matin. Donc, je m'en excuse.

J'ai lu avec beaucoup d'attention votre mémoire. Je vous dirais que, si j'avais la chance de vous filmer et de présenter à des étudiants des écoles secondaires cette perspective que vous avez sur la vie, ça serait superintéressant. Parce que souvent ce qu'on entend des jeunes, c'est rarement aussi positif que le quotidien que vous avez. Hein? Souvent, on va nous parler des graffitis, du décrochage, mais on nous parle très peu du bénévolat comme vous le faites et de l'attention particulière que vous avez pour les autres. Donc, mon premier commentaire, c'est: Merci. Merci de nous réconcilier avec l'humain qui, quel que soit son âge, peut avoir de la compassion pour son prochain. Là-dessus, là, je vous lève mon chapeau.

M. le président disait: Notre réflexion, elle se doit d'être pointue, mais en même temps elle est très complexe. Et je pense que vous l'avez bien cerné en disant: Ce n'est pas évident de vraiment s'attarder à une chose. Et souvent, ce qu'on fait, nous, c'est quand on reçoit des gens qui sont pour, on leur lance des questions comme si on était contre, et, quand on rencontre des gens qui sont contre, on leur lance des questions comme si on était pour. Pas parce qu'on veut vous mélanger, mais parce qu'en faisant cette opposition-là on clarifie autant votre idée que notre compréhension de votre idée.

Donc, voici la première. Vous savez, vous avez bien dit que dans une société où on pourrait permettre la mort à un certain moment donné, c'est très inquiétant. Nous, on a reçu des gens qui disent: Moi, je souffre, j'ai fait ce que j'avais à faire, j'ai vécu ce que j'avais à vivre, maintenant j'aimerais, au moment où, moi, je le choisis, mettre fin à mes jours. Pour moi, ce serait de me respecter de pouvoir me permettre ça. Qu'est-ce que vous répondez à ça?

M. Lucarelli (Agostino): Alors, mon ami qui était suicidaire, ce serait le respecter que de le laisser mourir? Je pense qu'il y a une façon plus belle d'accompagner une personne jusqu'à la fin, puis une personne aimée.

**(19 h 50)**

Mme Charbonneau: ...préciser mon cas. Vous avez compris que, nous, quand on parle ici en commission, on ne parle pas de vos amis. On parle de mourir en dignité, dans ce sens où les gens sont déjà rendus ou presque rendus en fin de vie. Plus souvent qu'autrement, notre défi, c'est que les gens qui sont venus nous parler, ils nous parlent souvent des gens qui ont le cancer, qui sont en phase terminale. Les gens qui sont venus nous parler ici, individuellement d'eux, ils n'avaient pas le cancer, ils avaient des maladies dégénératives qui font en sorte qu'ils ont une liste de choses qui peuvent arriver avant la mort, qui ne les intéressent pas. Ils ne veulent pas souffrir. Ils calculent que d'arriver à la mort en souffrance, c'est un choix qu'ils ne veulent pas avoir, donc ils veulent faire autrement. Et, pour eux, ce serait de leur manquer de respect, de ne pas leur accorder ce droit-là. Maintenant, en ce moment, vous avez compris, ce droit-là n'existe pas ici. Il existe ailleurs, mais il n'existe pas ici.

Alors, quand vous nous dites «c'est un peu manquer de respect», eux, ils nous font le discours contraire. C'est pour ça que je vous le dis pour vous dire qu'il y a des gens qui sont venus demander. Il y a des gens qui nous disent non. C'est correct. Mais il y a des gens qui nous disent: Dites oui. On a besoin d'entendre oui par respect pour mon choix individuel.

Vous avez bien fait de nous parler du suicide chez les jeunes. Je pense que la société puis le gouvernement investissent aussi là-dedans, parce qu'effectivement il peut se comprendre deux messages. Mais là je vous parle vraiment d'une clientèle tout à fait particulière. En tant que jeune, un, avec une expérience d'un ami, deux, avec un grand-père qui a eu une difficulté de santé, puis, puisque je ne veux pas vous négliger, trois, une jeune fille qui a une expérience de vie auprès de gens handicapés, comme vous d'ailleurs, je réponds quoi à une personne qui dit que le choix lui appartient à elle et -- je le remets dans ma condition parce que je ne veux pas vous mélanger -- cette personne-là, elle a une maladie dégénérative qui fait en sorte qu'elle s'en va vers la mort?

Je l'entends comment quand j'ai votre âge puis que j'ai un contact privilégié avec certaines personnes qui éveillent mes sens à autre chose?

Mme Leduc Huot (Béatrice): En fait, moi, je me demande si... C'est sûr qu'on n'est pas dans la peau de cette personne-là. C'est difficile de juger. C'est très subjectif, mais je me demande si des fois ce n'est pas par une peur, parce qu'on sait que des fois la souffrance est tellement... il y a une souffrance physique, c'est évident, mais des fois elle est tellement psychologique, ça empire les choses. Donc, moi, je me demande si ce n'est pas par, comme on dit, un manque d'accompagnement. Ça ne veut pas dire que c'est comme ça dans tous les cas, là. C'est tout le temps du cas par cas. C'est ça, le problème avec ce genre de question là. Mais je me demande justement si ce n'est pas par peur puis si ce n'est pas un côté psychologique. Si on n'accompagne pas assez les gens dans ce genre de souffrance là puis si on leur donne un message, dans un certain sens, qu'ils sont un peu... pas inutiles, mais que, dans le fond, ils ne nous servent pas à rien puis que, s'ils n'étaient pas là... dans le fond, si on ne les valorisait pas assez, puis, moi, c'est ça qui m'inquiète. Je me demande, si on les valorisait d'une façon plus positive, s'ils auraient la même pensée. C'est sûr qu'on ne peut pas le savoir, mais, moi, c'est de cette façon-là que je répondrais à la personne si justement... c'est parce que c'est tellement psychologique qu'elle se sent dévalorisée, qu'elle se sent inutile, que c'est pour ça qu'elle souffre autant.

M. Lucarelli (Agostino): C'est clair que cette personne-là devrait être accompagnée, c'est-à-dire qu'elle devrait être bien informée sur les soins palliatifs qui sont à sa disposition, puis que le docteur qui l'accompagne... ça devrait être une rencontre humaine entre les deux qui se fait puis pas juste un contrat, par exemple.

Mme Charbonneau: Je comprends. Vous savez, des fois, en soins palliatifs, on est obligé de poser des gestes qui sont difficiles, qui sont difficiles, parce que la personne souffre physiquement. La médecine est ainsi faite qu'ils doivent, avant de traiter quoi que ce soit d'autre, traiter la douleur chez le patient. C'est important, puisque, si je souffre, j'ai peut-être le goût de mourir, si je souffre. Mais, si je peux soigner ma douleur, bien, peut-être que je vais retrouver un certain regain de vie puis faire les choses.

Des fois, la douleur est trop grande, donc on me fait une offre. On me dit: Je vais vous endormir, je vais vous endormir, puis ça se peut que, par cette sédation palliative là, ce soit la fin. On avise la famille aussi, hein, en fait, je pense que la médecine palliative fait les choses bien, bien correctement. Mais ça se peut aussi que cette personne-là soit endormie pour quatre jours. Elle ne va pas se réveiller. Elle va mourir. C'est ce qui fait qu'elle ne va plus dormir. Croyez-vous que cette personne-là devrait avoir le droit de partir avant ou si ça peut servir, le fait qu'elle est sur sédation palliative pendant quatre jours, pour la famille ou les choses comme ça?

M. Lucarelli (Agostino): C'est clair que tout est dans l'intention, c'est-à-dire qu'un docteur qui administre la sédation terminale à son patient, ce n'est pas pour le tuer, en fait c'est pour l'accompagner dans sa mort, puisque la souffrance est... c'est-à-dire qu'il manque d'air des fois, tandis que, l'euthanasie, le but de cette action-là est de terminer la vie de la personne. Puis je pense que le deuil se vit beaucoup mieux avec la sédation terminale, puisque la personne se sent accompagnée, premièrement, puis la famille sent que les docteurs accompagnent le patient sans vouloir terminer cela pour ne pas utiliser quatre jours de plus.

Mme Charbonneau: Donc, vous avez compris le principe entre l'intention de faire mourir quelqu'un et la sédation palliative qui fait en sorte que, là, je soigne la douleur, le patient plutôt que... La sédation palliative. Donc, je pense que ça fait le tour un peu de mes questions, M. le Président.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme la députée. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Avant de céder la parole à mon collègue, je veux vous remercier, puis je pense que vous êtes nos plus jeunes comme groupe. On a eu aussi des jeunes qui nous ont parlé d'expériences de leurs parents, leur père, des familles qui nous ont interpellés, en fait qui ont des âges pas mal similaires aux vôtres puis qui avaient un discours très différent parce qu'eux avaient vécu, par exemple, l'accompagnement d'un proche qui souffrait et qui en fait voulait mourir parce qu'il n'y avait pas de soins qui venaient à bout de sa douleur.

Et, moi, c'est juste une question très... Je veux savoir votre feeling, je dirais, là-dessus. Admettons que votre grand-père -- parce que je pense que vous êtes des jeunes très matures, visiblement, on le perçoit assez rapidement quand on vous lit puis qu'on vous entend, c'est pour ça qu'on se permet des questions difficiles aussi -- admettons que votre grand-père, O.K., qui avait un cancer en phase terminale, ou enfin si vous avez des expériences similaires, avait dit, là, dans les dernières semaines: «Moi, là, je suis en paix avec moi-même, j'ai aimé ma vie, je suis serein. Merci à mes enfants, à mes petits-enfants de m'avoir si bien accompagné. Je ne me sens pas bien. Ma douleur physique est relativement contrôlée, mais vraiment j'ai une anxiété par rapport à la mort, je ne me sens pas bien. Chaque mouvement que je fais me demande des forces, juste me retourner dans mon lit est très difficile. Je ne vois plus de sens à vivre encore une semaine ou deux semaines», et qu'à chaque fois que vous alliez le voir il vous disait: «Moi, là, ce que je voudrais vraiment, là, c'est qu'on m'aide à mourir», comment vous auriez réagi face à ça?

M. Bigras (Marc-Antoine): Premièrement, je pense que ça serait notre devoir de lui redonner un sens à ses dernières semaines ou ses derniers jours parce que, premièrement, juste d'être là avec lui, je pense que ça donne vraiment un sens à sa vie, parce que, pour de vrai, juste... C'est vrai que, dans la souffrance, on est un peu aveuglés de ces choses, on perd de vue, mettons, le but de notre vie. Mais alors là, si on l'aide à voir ça, puis on reste avec lui, puis on fait des... je ne sais pas, mettons, on lui parle ou on lui donne une raison pour continuer à combattre -- mais «combattre», on s'entend -- tandis que, si on lui offre, tu sais, l'option de... tiens, si tu veux, tu peux finir cela, je pense que ça ne lui donne plus vraiment de raison pour continuer à battre et à combattre ce cancer. Alors, si cette option-là n'existe pas, alors là on peut l'aider à vraiment trouver un sens à ses derniers jours en l'aimant tout simplement.

**(20 heures)**

Mme Hivon: C'est parce qu'il y a un grand axe dans le débat qui est la place qu'il faut faire à l'autonomie de la personne. Puis, quand on arrive avec mourir dans la dignité, il y a des gens qui nous disent: Dignité, c'est une qualité intrinsèque que tout le monde a, qu'on ne peut pas perdre, c'est comme plus objectif. Mais d'autres disent: C'est très, très subjectif, et c'est le regard que la personne pose sur elle-même. Oui, il peut être influencé par le regard de d'autres, mais ultimement -- ça, c'est des thèses qui s'affrontent -- que c'est le regard de la personne sur elle-même.

Donc, quelle place vous laissez à l'autonomie ou, je dirais, au regard que la personne pose sur elle-même, par exemple, en fin de vie, dans votre analyse par rapport à... Je pense que tout le monde souhaite le meilleur accompagnement possible puis d'avoir des petits-enfants comme vous, puis des enfants comme vous, mais effectivement, comme vous avez dit tout à l'heure, il y a peut-être des choses qui nous échappent parce qu'on n'est pas dans ces circonstances-là, on n'est pas en fin de vie, on ne sait pas. Ce qu'on sait, c'est qu'il y a des gens qui nous rapportent des expériences comment eux qui sont très malades se sentent, les angoisses, puis tout ça. Donc, quelle place vous laissez au regard que la personne pose sur elle-même, son autonomie, par rapport au fait de dire: Bien, nous, on est là, on va accompagner, l'équipe médicale va accompagner, puis fais-nous confiance, ça va te passer, puis en quelque sorte on sait un peu ce qui est bon pour toi? Comment on ajuste ça? Nous, comme législateurs, là, comment on fait le contrepoids entre l'autonomie puis un peu le devoir de vivre à tout prix, je dirais, ou la volonté de vivre à tout prix?

M. Lucarelli (Agostino): Bien, c'est clair que les deux vont ensemble, puisqu'en ayant l'accompagnement nécessaire puis l'amour des autres c'est sûr que la vision que la personne a d'elle-même dans la souffrance, elle va changer, du moins de ce que j'ai vu, ce que j'ai vu. Donc, selon moi, si on accompagne la personne de manière adéquate, si elle a les soins médicaux adéquats, si on réussit à lui redonner un sens à sa vie, je pense que c'est clair que cette personne-là va s'en sortir, de sa dépression, je veux dire.

Puis, selon moi, la dignité dont vous parlez, c'est l'amour des autres qui lui donne. Ce n'est pas sa vision d'elle-même qui lui donne, puisque même nous-mêmes, dans la vie de tous les jours, quand on a une mauvaise passe, on ne se donne pas une grosse valeur. Mais c'est à travers la relation avec les autres que, tu sais, on se dit: O.K., il faut remonter, là, tu sais, la game n'est pas finie, là.

Mme Hivon: O.K. Avant de céder la parole à mon collègue, je suis juste curieuse de savoir comment vous avez entendu parler de la commission puis que vous vous êtes mobilisés pour intervenir? Est-ce que c'est par les médias, des proches de vous qui vous en ont parlé?

M. Lucarelli (Agostino): Oui, les médias, à travers les médias.

Mme Hivon: Oui, à l'origine? O.K. Merci.

Le Président (M. Kelley): M. le député de Deux-Montagnes.

M. Charette: Merci, M. le Président. Vous trois, bonsoir. Peut-être une petite question indiscrète pour vous, M. Lucarelli. Vous m'avez surpris à bien des égards. Vos parents, par curiosité, dans quel domaine oeuvrent-ils?

M. Lucarelli (Agostino): Ils ont un commerce.

M. Charette: D'accord. Je vous posais la question parce que franchement vous m'avez étonné au niveau de votre définition très, très juste ou du moins la distinction entre la sédation palliative et l'euthanasie. Vous avez résumé le tout à travers un mot, c'est «l'intention», et vous avez visé totalement juste.

Je ne veux pas être offensant à l'égard des médecins, j'en reconnais un dans la salle, mais il y a plusieurs médecins qui actuellement ne semblent pas avoir maîtrisé cette nuance-là, parce qu'au sein même du corps ou de la profession médicale il y a une certaine hésitation, il y a une certaine ambivalence entre: Est-ce que l'euthanasie se pratique au Québec, est-ce qu'elle ne se pratique pas? Et certains expliquent cet état de fait là par une méconnaissance des termes.

Donc, bravo. Vous avez très, très bien résumé cette différence. Elle se résume essentiellement au niveau de l'intention. Ce qui m'amène à vous demander: Vous, personnellement, cet intérêt pour le sujet, d'où vient-il? Qu'est-ce qui vous a amené à pousser un petit peu votre réflexion, sinon votre recherche sur la question?

M. Lucarelli (Agostino): Mon expérience puis le fait que la commission ait lieu. Puis je pense que la politique est un sujet qui m'intéresse, les enjeux collectifs, donc.

M. Charette: Bravo. C'est déjà un beau geste citoyen que d'être ici avec nous ce soir, un bel engagement aussi de votre part au niveau communautaire.

Une question maintenant pour vous, Mme Leduc Huot, qui est peut-être un petit peu moins indiscrète cette fois-ci. Vous, personnellement, vous disiez, à travers l'accompagnement que vous offrez auprès de gens, de personnes handicapées, sinon malades, ça vous a amenée à revoir un petit peu votre position ou du moins votre conception de la vie, sinon de la mort. Est-ce qu'il y a une expérience en particulier ou un élément qui a contribué à faire évoluer votre pensée sur les questions, qu'elles soient du suicide assisté, euthanasie, soins en fin de vie?

Mme Leduc Huot (Béatrice): Bien, en fait, c'est surtout par cette expérience-là, parce que, moi, je viens d'une famille qui sont totalement pour, en général, puis donc j'ai été éduquée à être pour, si on veut, un peu aussi, là. Ce n'est pas que mes parents ne sont pas ouverts, mais, je veux dire, en général, à la maison, c'était plus une question du pour l'euthanasie et le suicide assisté.

Donc, moi, je ne m'étais jamais vraiment posé la question, là, avant quelque temps, parce que c'était un peu comme acquis, là, si on pourrait dire, là. Je me disais que c'était ça un peu, mon opinion. Mais justement c'est en faisant cette visite-là... Parce que, avec les gens qui sont peut-être malades ou qui sont différents, j'ai toujours eu une espèce de recul. J'avais de la difficulté avec ça. Puis je dois dire que ce n'est pas la... tu sais, ils m'ont invitée plusieurs fois, puis je ne suis pas allée dès le premier coup, là. Ça a été un petit peu difficile. Mais justement c'est en rencontrant ces gens-là. Je sais que ce n'est pas leur cas, eux, personnellement, mais, je veux dire, c'est comme une certaine façon de voir les choses, qui m'ont vraiment poussée à vraiment regarder justement d'une façon, à regarder les pour et les contre du sujet. Parce qu'il y a aussi grâce à la commission, là, parce que ça a adonné que c'était un peu au même moment, pas quand la commission a commencé mais on en parlait un peu avant. Puis aussi il y avait souvent des témoignages dans les journaux de gens qui sont soit allés dans d'autres pays pour le faire.

Donc, justement, c'est cette expérience-là qui m'a vraiment montré justement la dignité. Comment, moi, je la vois aussi, ce n'est pas comment les autres... Puis aussi l'autonomie qu'on a, mais comme je suis vraiment d'accord avec Agostino, qui dit que, dans le fond, la dignité vient des autres, mais justement l'autonomie, la façon qu'on se voit se définit justement par la façon qu'on est aimé. Puis c'est exactement pour ça, là, justement cette expérience-là avec ces gens-là, que je me suis mise à me poser des questions sur mon opinion, là, afin de voir si c'était comme, dans le fond, vraiment ce que je pensais, là.

M. Charette: Merci. Une petite question pour vous, M. Bigras, qui vous permettra de répondre aussi peut-être pour vos amis: Expliquez-moi un petit peu ou expliquez-nous plutôt comment ce groupe-là s'est formé. Ce sont des amis de longue date? Vous avez décidé de vous impliquer ou vous avez intégré un groupe qui déjà était présent dans cette ressource-là? Peut-être nous parler un petit peu de cette expérience que vous vivez auprès de personnes handicapées.

M. Bigras (Marc-Antoine): Oui, c'est ça. Bien, Agostino et moi, on est amis depuis quand même assez longtemps. Et c'est ça, bien, un jour il m'a invité, comme il a invité Béatrice. Et lui faisait déjà partie de ce groupe-là. Et ensuite c'est lui qui m'a invité à venir, ça fait que j'ai accepté cette proposition. C'est ça.

Le Président (M. Kelley): Peut-être moi aussi alors je vais poser une dernière question sur l'intention, parce que c'est quelque chose qu'on a des exemples des deux côtés. Je vais vous citer Dr Desbiens qui est venu ici, témoin, et a parlé d'une mort très paisible dans un hôpital de quelqu'un qui avait des problèmes de respiration. Alors, il y avait un tube dans le cou. Alors, il était capable d'avoir toute la famille autour, et la personne probablement décéderait dans deux semaines, je pense que c'est ça le chiffre qu'il a donné, mais tous les proches, toute la famille était dans la chambre à l'hôpital. Alors, ils ont choisi le moment. Alors, ce n'était pas une euthanasie, ce n'était pas une piqûre dans le bras mais juste d'enlever le tube. Et, 10 ou 15 minutes plus tard, la personne est décédée.

Alors, on peut dire que c'est un arrêt de traitement, mais, moi, quand je regarde ça froidement, l'intention était de choisir le moment du décès de la patiente, si j'ai bien compris. Alors, c'est pourquoi cet argument de l'intention, c'est fort complexe. Un petit peu à Béatrice, pour revenir à vos commentaires, les pour et les contre, c'est toujours difficile de trouver le filon dans tout ça, parce que, quand je regarde cet exemple, et pas obligé de répondre, parce que c'est très compliqué, mais, moi, je regarde l'intention de ce médecin et, je pense, c'était de mettre fin là à la vie de la patiente. Est-ce qu'il a mal agi ou est-ce qu'il a agi correctement?

M. Lucarelli (Agostino): Je ne veux pas dire que...

Le Président (M. Kelley): Il n'y a pas de réponse à la question, mais je la pose comme ça quand même.

M. Lucarelli (Agostino): Je ne veux pas dire que c'était... c'est une personne qui ne vaut rien, ce médecin-là, mais je vais dire qu'il y aurait sûrement eu d'autres façons d'agir.

**(20 h 10)**

Le Président (M. Kelley): Mais on va dire... La seule raison que je soulève ça, c'est parce que le monde va dire: L'intention était juste d'arrêter les traitements, et ça, c'est correct. Mais, dans le final... Oui, c'est dans le Code civil et tout le reste. On dit comme société: En tout temps, un patient peut mettre fin à un traitement. Mais net-net, 10 minutes plus tard, si la personne est morte... Je sais. Et, moi, je n'ai pas de réponse moi-même à ma propre question, alors je ne suis pas surpris que vous n'avez pas de réponse non plus. Mais, je trouve, c'est une zone grise qui est quand même là entre ces intentions. Et c'est quelque chose que, moi-même, je suis en train de chercher l'éclairage entre... Moi, je comprends fort bien. Et ça adonne aujourd'hui qu'on avait beaucoup de discussions sur les personnes handicapées. Il y avait M. Bolduc qui a témoigné avant le souper, qui a vraiment fait une présentation à la défense des personnes handicapées qui est extraordinaire. Alors, ça adonne bien. La vie et vos expériences comme groupe qui sont formidables, c'est très important. Mais, quand on arrive dans les derniers jours des personnes, parce que c'est avant tout ça vraiment le coeur même de notre réflexion comme commission, on est dans la toute fin, et j'essaie de voir derrière la notion d'intention. Peut-être parfois il y a des zones grises. Peut-être c'est ça que je veux juste soulever comme conclusion.

M. Lucarelli (Agostino): Vous voulez que je revienne à votre exemple ou...

Le Président (M. Kelley): Comme vous voulez.

M. Lucarelli (Agostino): Oui. Bien, dans ce cas-là, on ne parle pas d'une injection qui provoque la mort. L'euthanasie, ici on parle d'une injection qui provoque la mort. La personne, dans ce cas-là, elle meurt de... tu sais, je veux dire, c'est de mort naturelle dans un sens.

Le Président (M. Kelley): Oui. En tout cas, c'est ça, l'argument, mais je trouve...

M. Lucarelli (Agostino): ...quelque chose pour mourir.

Le Président (M. Kelley): Non, non, je comprends. Mais, dans les deux cas, moi, je plaiderais: L'intention est la même. Le médecin et le patient ont délibérément choisi un moment de mettre fin à la vie de la personne. C'est une interprétation parmi d'autres, mais c'est un des exemples que nous avons entendus à date. Quand je suis à la maison, à la fin des longues journées, et je suis en réflexion, c'est toujours un exemple qui est, je trouve, troublant, parce que je n'ai pas de réponse à donner. Alors, c'est un petit peu injuste de ma part de vous demander de répondre à une question à laquelle, moi-même, je ne peux pas répondre. Alors, je m'excuse. Mais c'était vraiment pour un petit peu démontrer le point que Béatrice a si bien soulevé. Ça, c'est les questions qui sont très compliquées.

Mais je peux juste dire en conclusion, au nom de l'ensemble des membres de la commission, notre admiration à la fois pour votre présentation mais beaucoup plus pour votre travail dans la communauté, votre engagement envers les personnes vulnérables dans notre société. C'est un très bel exemple aujourd'hui, ce soir, de la beauté de la jeunesse québécoise. Alors, bravo. Félicitations.

Et, sur ce, je vais suspendre quelques instants et je vais demander à Mme Carmen Sansregret de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 20 h 12)

 

(Reprise à 20 h 17)

Le Président (M. Kelley): Juste un instant. Je dois juste réallumer les micros et tout le reste. Notre prochain témoin... La commission reprend ses travaux. Et notre prochain témoin, c'est Mme Carmen Sansregret. La parole est à vous, Mme Sansregret.

Mme Carmen Sansregret

Mme Sansregret (Carmen): Merci. Je suis très contente d'être ici ce soir, même si je n'avais pas du tout prévu ça. Quand on m'a rappelée, je me suis dis: Tiens, tiens, ça pourrait être une bonne occasion de parler de ce que je vis puis que ça rebondisse aussi. Et ça m'est utile, ça, parce que ma condition ne m'a pas dispensée d'avoir des préjugés. Moi aussi, j'en ai plein. Et je trouve que d'en parler nous permet d'élargir un peu la façon de questionner ça.

Moi, je vous ai présenté un texte que j'ai écrit autour du mois de juin. Et ce soir je voulais, étant donné que j'étais de vive voix, je voulais vous présenter mon texte d'une manière différente, parce que je réalise que j'avais comme souci au début de vous convaincre. Bon. Là, j'ai dit: Non, non, Carmen, là, tu vas aller te brûler les ailes, là, ça ne donne rien. J'ai juste à partager mon expérience, et c'est ça que je m'en viens faire avec vous. Et je ne réfère pas au texte original que je vous ai envoyé parce que j'ai pensé que je gagnerais à vous faire part de mon expérience d'abord dans un cadre de simplement les événements qui sont arrivés puis après qu'est-ce que ça m'a imposé, comment j'ai dû réagir à ça.

**(20 h 20)**

Alors, je vais essayer d'être brève dans l'historique, là. J'ai eu un diagnostic de sclérose en plaques en janvier 1996. Ça m'a secouée, même si on le prévoyait, on l'attendait, ça devait être ça. J'avais eu, 20 mois avant, une névrite du nerf optique et j'ai appris après que c'est très fréquent, que la sclérose en plaques, c'est le premier... Alors, le neurologue m'a appelée le 16 janvier pour me dire: Mme Sansregret, bien oui, c'est confirmé. Il ne m'a jamais dit «sclérose en plaques». Quand mon mari posait des questions sur la sclérose en plaques, il avait l'air à le trouver importun, là: Voyons donc, arrêtez de parler de ça. Mais c'était de ça qu'il était question. Et la fois qu'il m'a appelée pour me dire ça, il n'a pas encore prononcé le nom «sclérose en plaques», là: C'est confirmé, madame. Bon. Et là la terre s'ouvre, là, ça... Pouf! Ça ne se peut pas. Puis je l'attendais, je l'attendais, mais ça ne se peut pas.

Et je pense que j'ai fait un peu de déni au début, parce que j'ai la prétention... j'avais la prétention d'avoir une bonne santé. Ça fait que, bon, bien, une bonne santé, sclérose en plaques, ça va traîner puis ça ne sera pas... Ah, bien là, ce n'est pas si mal. Puis effectivement, jusqu'à l'an 2000, jusqu'à l'an 2000, je n'avais pas de limite, ça allait bien. On est même allés en voyage en 1999 et on était à Paris, j'ai marché. J'adore marcher. On a marché, on ne prenait pas le métro, puis c'était agréable. Puis là c'était la fille à la bonne santé, elle est après en venir à bout, là, tu sais. Alors, c'est pour ça que je vous dis aussi que je devais faire un peu de déni. Ça ne me tentait pas trop, ça ne me tentait pas trop de me plier à ce diagnostic-là, mais il fallait que... Bon. Là, il va falloir que je raccourcisse, parce que je m'étends.

Alors donc, de 1996 à 2000, c'est la première étape pour moi de la sclérose en plaques où est-ce que je ne prends pas ça... je ne suis pas à l'envers, là. Ça me fatigue, mais je ne suis pas à l'envers parce que je vais bien vivre avec ça puis je vais la retarder. Puis mon conjoint me disait: Carmen, on va faire avec, on va faire avec. On va faire avec, ça a bien du bon sens. On va faire avec. Et je me sentais prête à faire avec.

Alors, jusqu'en 2000, ça se passait bien. Ce que je peux vous dire, c'est que, dans cette période-là, j'ai commencé mes deuils, parce que je veux surtout vous montrer ce soir que la maladie puis l'invalidité, ça nous fait faire une somme épouvantable de deuils.

Alors, dans la première partie, le deuil que je faisais, le deuil que je faisais, c'était: Oui, je pense que je n'aurai pas une vieillesse olé olé. Parce que mon premier... quand j'ai fait ma névrite du nerf optique, j'allais avoir 50 ans. Puis d'habitude c'est vieux, ça, pour avoir un diagnostic, mais j'ai dit: Bon... Et le premier neurologue que j'ai vu m'a dit: Inquiétez-vous pas, ma petite madame. Quand ça arrive tard, il n'y a à peu près pas de séquelles. Le deuxième neurologue que j'ai voulu aller voir m'a dit exactement le contraire, puis c'était lui qui avait raison, là. Mais donc au début je faisais le deuil d'une vieillesse ordinaire, là, facile, là, de l'arthrite puis des affaires de même, là, mais rien de plus. Mais je me disais... Bon, puis il y a la retraite, là. Je me disais: Moi qui voulais faire des voyages à ma retraite, ça va être peut-être compliqué. Et, moi, à ce moment-là, à 70 ans, j'allais peut-être être en fauteuil roulant. Bon.

Alors, après ça a continué. Là, de 2000 à 2005, je me suis aperçue que... Puis j'avais une médication, et c'est donc le Rebif, là. Je me piquais trois fois par semaine, puis ça donnait des bons résultats. Puis j'avais des poussées, mais ça reculait. Puis, bon... Mais, à un moment donné, j'ai dit au neurologue: J'ai l'impression que ça ne se passe plus comme ça. Alors, il me dit: Bien, peut-être que vous avez raison, mais ça prend un an d'observation clinique pour qu'on puisse dire que, oui, vous n'êtes plus en phase cyclique mais en phase secondaire progressive.

Ça me donne l'occasion de vous dire: Il y a des mots qui m'énervent, hein? Moi, une maladie progressive, là, j'aimerais mieux qu'on dise dégénérative. J'ai dit: Voyons donc! Si la maladie progresse, c'est moi qui ai l'air bête, là, voyons donc, tu sais. Ça me tataouine, ces affaires-là.

Et ah oui! Mourir dans la dignité, moi, je suis allée dans mon... je me suis achetée un Petit Robert neuf et je suis allée voir «dignité». Et il y a une acception qui m'a bien, bien... «digne», le qualificatif «digne»: Qui a de la dignité et qui a le respect de soi-même. J'ai dit: C'est ça, c'est pour ça que je vais écrire mon expérience.

Et donc, de 2000 à 2005, là, les affaires se... le courant ne passait plus. Le neurologue me disait: Bon, on va attendre, on va attendre, puis, moi, là, je me trouvais mal foutue, là, parce que les complications venaient. Là, j'avais une canne, j'avais un déambulateur. Et, en 2004, le neurologue m'a dit: Madame, je vous considère en invalidité. Je travaillais, moi là, là. J'ai une bonne santé, je vous l'ai dit. Alors, bien, voyons donc! Déjà? Ça fait que, bien, oui. Mais là je n'étais pas prête, ça fait que j'ai travaillé jusqu'en juin 2005. Et j'ai compris après pourquoi qu'il m'avait mise en invalidité, là, parce qu'effectivement, en juin 2005, là, j'ai arrêté de travailler parce que j'avais neuf marches à monter et je n'étais plus capable de les monter, là. Il fallait que je me tienne puis... Bon.

Alors là, je passais de la fille en santé à un diagnostic de forme secondaire progressive, que j'appelle dégénérative. Bon. Bon, O.K. Et, à ce moment-là, j'ai commencé à me dire: Je pense que les deuils que je vais avoir à faire sont plus difficiles que ce à quoi je m'attendais. Parce que, moi, c'était à 70 ans, là, que j'étais en... Là, j'en avais 58 à peu près. J'ai dit: Non, je pense que ça ne marche plus très bien. Et là j'ai dû faire le deuil de d'abord de la chose la plus importante, c'est la relation de couple avec mon conjoint, parce que, quand on devient dépendant, l'autre, notre vis-à-vis qui avant était un complice, il devient, tu sais, aidant, là. Alors, ça aussi j'haïs ça, aidant naturel. Il devient... J'ai dû... Non, je pense que je ne l'ai pas accepté, mais en tout cas j'ai dû considérer que le couple que j'avais connu depuis 20 ans n'allait plus pouvoir survivre à ça. Il fallait s'inventer une nouvelle affaire. Et heureusement mon conjoint et moi avons un bon sens de l'humour. Ça nous aide, parce que des fois il n'y a vraiment rien de drôle, là, il n'y a vraiment rien de drôle.

**(20 h 30)**

Mais dans ce bout-là, entre 2000 puis 2005, là j'ai dit: Là, Carmen, il va falloir que tu attaches ta tuque parce que ça va être dur. Et là je me suis demandé de m'adapter, parce que je ne voulais pas accepter ça, moi, là. S'il y a quelqu'un qui accepte ça, là, moi, je ne le comprends pas, là. C'est inacceptable. Mais comment je peux m'adapter à ça? Oui, comment je peux m'adapter à ça? Et j'ai une tendance à... je pense que j'ai une bonne capacité d'adaptation, sauf que ça m'en demandait pas mal, là.

Bon, là, c'est à partir de 2005 que le mourir dignement est plus significatif pour moi. Alors, en 2005, je cesse mon travail et je rentre à la maison à plein temps. Et je dois vous dire que, dans la période entre 2000 puis 2005, j'avais pris des cours de conduite manuelle pour ne pas me servir de mes jambes puis je voulais conduire. Mais les délais à la SAAQ ont été tellement longs que, quand je suis arrivée pour reprendre le volant, mes mains ne répondaient plus. C'était trop faible. Bon. On ne conduira plus, O.K. Et là j'étais dans le dur, là. J'étais dans ce que ça me demandait d'important.

En 2007, ça a été une grosse année pour nous deux, parce que ça a été l'année de l'adaptation du domicile, l'année de l'adaptation du véhicule. C'était la broue dans le toupet, parce qu'on a dû quitter notre condo pour qu'ils puissent faire les aménagements. Et, quand je suis arrivée au condo, avec les nouveaux aménagements puis le comptoir de cuisine abaissé, deux mois plus tard, je n'étais plus capable de rejoindre le robinet, je n'étais plus capable de... Je ne peux pas m'avancer, moi, ça me prend... Bon. Alors là, c'était: Bien, pourquoi qu'on a fait tout ça? Puis le véhicule était adapté, puis là Michel est bien plus mal pris que d'autre chose, parce qu'il y a toute une installation pour que, moi, je conduise, mais je ne conduis pas. Ça fait que, lui, il est obligé de tout «débretter» pour rendre le... Donc, 2007, ça a été une année difficile, et c'est là que je me suis demandé: Comment est-ce que je vais passer à travers ça?

Et en 2007 ma mère est morte. Ma mère est morte. Mes deux parents sont morts à 95 ans. Vous comprenez que je me voyais avoir une belle vieillesse, parce que tous les deux étaient lucides, du monde en forme. On les faisait sortir à 10 minutes d'avis. Puis vivants, là. Et, moi, tout le temps que je passais à travers mes affaires difficiles, je me disais: Je ne peux pas penser à mourir quand mes parents sont vivants. Ma mère est morte en 2007. Ça fait que, là, c'était: Bon, bien là, je ne voulais pas leur imposer de voir un enfant mourir. Ça n'avait pas de bon sens. Mais en 2007, octobre...

Je suis ici ce soir, et ça fait trois ans de ça, hein, puis, même si mes parents sont morts, je ne suis pas prête à mourir. Je ne suis vraiment pas prête à mourir. Mais je sais que le chemin qui s'en vient est difficile et je suis venue ici ce soir pour faire valoir que tous les deuils que j'ai été obligée de faire me préparent à la mort. Me préparent, mais je ne suis pas prête. Je ne suis vraiment pas prête. Mais je trouve important de pouvoir dire à des gens que, moi, pour moi, mourir dignement, ce serait de choisir le moment. Et je ne veux pas... je ne veux pas... je ne veux pas me faire violence. Je ne veux pas. Je ne suis pas capable. Mais je voudrais pouvoir être accompagnée. Puis je ne veux pas partir sans que... Je vais avertir mes proches. Je veux tout faire ça correct.

Mais, à un moment donné, là, prochainement, je ne pourrai plus tenir mes ustensiles. Me faire manger, ça ne me tente pas. Puis peut-être que, quand je vais être rendue là, je vais dire: Ah! c'est bon, tu sais. Je ne le sais pas, là, mais...

Mais je voudrais vous faire savoir que la somme des deuils -- merci -- la somme des deuils que j'ai dû faire puis que je continue de faire devrait me permettre de choisir quand je vais mourir. C'est ça. J'ai sûrement d'autre chose à vous dire, mais là je suis au bout.

Le Président (M. Kelley): On va vous permettre un instant ou deux, mais c'est fort éloquent, votre description de vos deuils, puis tout le reste. On va passer maintenant à une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, s'il y a des points qui viennent à l'esprit, n'hésitez pas de les ajouter. Comme politiciens, on va dire qu'on n'est pas toujours obligés de répondre directement à la question. Alors...

Mme Charbonneau: ...moi qui se...

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Mille-Îles.

Mme Charbonneau: C'est moi qui se lance en premier. Bonsoir. Merci de ne pas avoir lu votre mémoire. Je pense qu'on a eu la version améliorée.

Mme Sansregret (Carmen): Oui? Tant mieux.

Mme Charbonneau: Ce n'est pas simple pour vous, ce l'est encore moins pour nous, mais l'honnêteté d'une personne et le témoignage qu'elle peut nous faire, qu'elle soit pour ou qu'elle soit contre, vient nécessairement nous aider dans notre réflexion. Et je pense que vous avez, malgré toutes les fois qu'on a siégé devant des gens qui ont fait des témoignages, porté à notre attention quelque chose d'important -- vous n'allez peut-être pas me trouver fine, mais je ne suis pas là pour être fine: le principe du deuil. Je vous explique.

On nous a parlé du deuil des autres. On nous a parlé du deuil des parents. Vous l'avez fait, vous aussi. Mais on ne nous a pas parlé du deuil du quotidien, le petit maudit quotidien, celui qui fait que je me lève, je brosse mes dents, je peigne mes cheveux, je me cogne un orteil sur le bord d'une chaise. Je ne vous dirai pas que j'ai un côté judéo-chrétien parce que c'est là qu'il sort, habituellement. Mais le principe du deuil du quotidien, c'est quelque chose de fort et c'est quelque chose qui nous apprend, nous-mêmes, où est situé le plaisir de quelque chose qu'on pensait qui nous tannait. Je suis sûre que, quand il ne visse plus son bouchon de pâte à dent, ça ne vous dérange plus.

Mme Sansregret (Carmen): Très juste.

Mme Charbonneau: Mais je n'ai pas le choix de vous demander quelque chose de très personnel. Vous avez entendu les gens avant. Je pense que je connais votre réponse, mais je vais vous la demander pareil. J'ai une réputation à maintenir. Mme Sansregret, vous sentez-vous aimée? Oui? Pour fins d'enregistrement, j'ai besoin de vous entendre.

Mme Sansregret (Carmen): Je suis... je me sens aimée. Je me sens, oui, aimée.

Mme Charbonneau: Puis sentez-vous, Mme Sansregret, que vous avez accompli des choses dans votre vie?

Mme Sansregret (Carmen): Aussi. Aussi. Oui. Oui. Oui. J'ai travaillé fort pour me monter une vie puis je suis contente. Je suis contente de ce que j'ai fait en arrière, oui, je suis contente, puis de celle que je deviens, hormis la sclérose en plaques.

Mme Charbonneau: Oui, de cette chose, hein, de...

M. Roy (Michel): ...peut-être pas, mais sa profession était psychologue. Elle a soigné l'âme des autres.

Mme Sansregret (Carmen): Oui.

**(20 h 40)**

Mme Charbonneau: Pour fins d'enregistrement, voulez-vous dire le nom du... Je vous taquine.

Vous avez aussi eu une approche intéressante par rapport à votre conjoint parce que dans vos deuils il y a le deuil du couple -- vous l'avez tellement bien dit -- le deuil du couple que vous connaissiez puis le privilège de connaître ce nouveau couple, puisque, si on avait une case «choix», là, on ne l'aurait pas pris, là, mais, puisqu'il n'y a pas de case «choix», vous devez... Et vous êtes encore ensemble. Puis je dois vous dire que... Vous, vous ne le voyez pas, mais, nous, on le voit, puis vous êtes encore ensemble. Je le confirme.

Mais, si, dans une volonté d'avoir une meilleure communauté, une meilleure société, une société plus solide et solidaire, une société pleine de compassion mais en même temps remplie de bonne volonté, on maintenait le cap sur le statu quo, c'est-à-dire que, quel que soit ce que l'avenir vous réserve, vous allez devoir le vivre jusqu'à la fin parce qu'il n'y a rien d'autre à faire que d'attendre -- j'en rajoute un peu -- attendre chez vous, parce que vous n'êtes pas malade à être hospitalisée, vous avez un conjoint que, moi, j'appellerai un proche aidant...

Mme Sansregret (Carmen): Exactement.

Mme Charbonneau: ...parce que je ne pense pas que c'est toujours naturel d'être aidant.

Mme Sansregret (Carmen): Surtout pas. Surtout pas.

Mme Charbonneau: Quand j'arrive dans un centre d'achats puis que la porte se ferme à mon nez comme j'arrive à la porte, malgré qu'il y a quelqu'un qui a... je ne trouve pas qu'il est... c'est un proche aidant ni un aidant naturel. Mais vous avez un statut particulier qui fait en sorte que vous devez attendre. Le temps doit faire la job, comme on dit. Croyez-vous qu'on aura quand même pris en considération votre réflexion?

Mme Sansregret (Carmen): J'hésite, hein, parce que je me dis: Ça se pourrait. Ça se pourrait. Je serais déçue, mais ça se pourrait. Ça se pourrait. Parce que c'est tellement complexe, hein, que... Puis c'est pour ça que je me présentais ici en me disant: Je ne veux pas faire de théorie, là. Je veux juste leur dire qu'est-ce que, moi, j'ai vécu puis... J'ai perdu ce que je voulais dire. Parce que je dois vous dire que, moi, là, après 7 heures, le soir, je ne fais plus de téléphone parce que des fois, on dirait, je ne sais plus mon nom. Et puis là je suis devant vous, puis je suis toute concentrée, puis ça va bien, puis...

Mme Charbonneau: Il est 8 h 45, quand même.

Mme Sansregret (Carmen): Ah bien! Vous voyez? Profitez-en, là. Ah oui, ah oui!

Mme Charbonneau: Ça veut-u dire que je peux vous faire dire n'importe quoi? Non.

Mme Sansregret (Carmen): À peu près.

Mme Charbonneau: Ah non! Non, ne dites pas ça.

Mme Sansregret (Carmen): Essayez.

Mme Charbonneau: Je vous mets dans une situation contraire. Disons qu'il y a eu maintes réflexions, puis il y a eu beaucoup de témoignages, puis on décide qu'une décision de fin de vie pourrait être un traitement qui est alloué dans une perspective de fin de vie. Alors, on fait un diagnostic puis on dit: Il reste un mois, puis dans ce mois-ci voici la liste des choses qui devraient arriver. Et, vous, vous dites: Bien, rendu au point 4, là, c'est fini, là, ça ne me tente plus. Et on vous l'accorde. Est-ce que, dans une réflexion comme celle-là, je mets en place une société qui... Je ne veux pas utiliser le mot «malsaine», parce que, moi aussi, il y a des mots qui me «tataouinent», là. Mais est-ce que je mets en place une société qui est moins à l'écoute ou trop dangereuse pour un Québec d'avenir?

Mme Sansregret (Carmen): Moi, là, je vais vous dire que c'est ça. Le mot «suicide assisté»... j'aime mieux «mort volontaire». J'ai lu un philosophe français, puis il parlait de ça et... J'ai encore perdu qu'est-ce que vous disiez. Qu'est-ce que c'était, votre...

Mme Charbonneau: ...que je vous dis oui, là.

Mme Sansregret (Carmen): Oui. Ah oui! Quand vous me dites ça, là, un, deux, trois, quatre, là, puis que, quand je vais être à un, deux, trois, quatre, là, vous me donnez le stock, là, je vais dire: Non, non, non, vous ne me donnerez pas le stock. C'est moi qui vais décider quand je veux, parce que ça se peut qu'à quatre, bien, je... Ah! pourquoi pas? Moi, je trouve que, plus j'avance, je réussis toujours à aller me trouver des petits filets de vie qui goûtent bon, qui durent trois minutes, mais que c'est bien. Ça fait que, tant que je vais trouver des filets de vie... Peut-être que ce soir je pourrais vous dire: À tel item, moi, je pense que je ne serai plus là. Mais, moi, je ne voudrais pas que personne décide à ma place. Je suis rendue à l'item 4, mais là ce n'est pas ce soir puis ce ne sera pas la semaine prochaine. Que j'aie... Que vous... C'est ça. Je voudrais qu'on reconnaisse aux gens lucides le droit de décider du moment de leur mort.

Mme Charbonneau: Que ce soient eux qui décident.

Mme Sansregret (Carmen): C'est ça. Exactement. Puis je me dis, il y a des gens qui sont lucides puis qui ne le seront peut-être pas dans 20 ans. Mais ils peuvent déjà, pendant qu'ils sont lucides, avoir une opinion sur la suite, là.

Le Président (M. Kelley): Dernière courte question.

Mme Charbonneau: Dernière courte question, puis je suis sûre que la réponse ne sera pas compliquée. Votre conjoint est toujours avec vous. Est-ce que vous avez eu des discussions sur ça a l'air de quoi, quand vous en avez plein votre pompon, ou vous y allez à la semaine, ou vous y allez au jour? Comment ça fonctionne dans: Quand je vais être rendue là... Dans le fond, c'est un peu comme un testament de vie, tu sais.

Mme Sansregret (Carmen): Je pense que je... J'écris beaucoup -- puis ça aussi, ça va me manquer, quand je ne serai plus capable d'écrire -- j'écris beaucoup et je pense que, quand je me relis, dans ce que j'ai écrit, puis... Je ne me relis même pas, mais, pendant que j'écris, on dirait qu'il y a des affaires qui deviennent plus claires. Et là, des fois, je vais me permettre de le dire à Michel. Puis je dis «permettre» parce que je ne veux pas, tu sais, l'assommer avec mes affaires. Mais des fois, quand c'est trop important, je tiens à le mettre au parfum de mes affaires. Puis c'est sûr que mon conjoint puis mes proches seraient avertis, là. Je ne veux pas faire ça en allant me cacher en dessous. Mais je suis prête à assumer ma mort. C'est comme une mort volontaire mais assumée. Puis, comme je vous dis, n'allez pas dire au monde: Rendue au quatre, elle, elle est prête, là, parce que je n'aimerais pas ça. Non.

Mme Charbonneau: Ce soir, Mme Sansregret, ça goûtait bon. Merci.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup, Mme la députée. Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui. Bonsoir, Mme Sansregret. Je suis très contente que vous soyez parmi nous, parce que -- je le répète souvent, mais, vous, vous ne l'entendez pas parce que, j'imagine, vous ne suiviez pas à la minute de tout ce qu'on dit -- si on a mis en place cette commission-là puis si on a décidé d'aller dans huit villes, c'est pour entendre des gens comme vous, c'est pour entendre, oui, les experts, oui, les organismes, mais c'est d'abord et avant tout pour entendre des gens qui ont des vécus très personnels à nous partager et que, comme parlementaires, on n'entend pas nécessairement tout le temps. Il y a plein de gens qui nous donnent des bribes d'information, qui nous accrochent pour nous dire: Ça nous intéresse vraiment, votre commission. Moi, je pense ci, moi, je pense ça. Mais c'est très, très précieux, vous n'avez pas idée, pour nous, d'entendre des choses aussi simples, concrètes et très sincères, comme celles que vous nous exprimez. Donc, je vous remercie. Moi, je vois ça comme un grand geste de générosité, parce que j'imagine qu'il y a du pour et il y a du contre, pour vous, de faire ça. Donc, merci.

Moi, je veux bien comprendre. Quand vous projetez les prochaines étapes, les prochains deuils, la suite de votre vie, qu'est-ce qui fait en sorte qu'aujourd'hui et cet été vous avez pris le temps de dire: Moi, je veux m'exprimer, moi, je veux leur dire que c'est important qu'on ouvre cette possibilité-là d'une mort balisée, un choix actif, de décider du moment où je veux mourir? Est-ce que c'est la police d'assurance? Plusieurs personnes qui vivent des maladies dégénératives nous disent: Moi, là, ça aiderait mon quotidien, ma qualité de vie au quotidien de savoir que c'est une possibilité parce que déjà il y aurait comme quelque chose de moins stressant dans ma tête. D'autres nous disent: Bien, en fait, c'est, oui, la police d'assurance, mais c'est vraiment la souffrance parce que je sais où ma maladie peut me mener, ou la dépendance, ou... Vous, qu'est-ce qui fait en sorte que, pour vous, c'est fondamental que cette possibilité-là existe? Est-ce que c'est pour votre vie maintenant ou si c'est vraiment pour votre fin de vie comme vous la projetez?

**(20 h 50)**

Mme Sansregret (Carmen): Moi, quand j'ai décidé d'écrire, je réalisais, à mesure de mon écriture, que... Aïe! c'est vrai. Tu sais, si je n'avais plus à me préoccuper de ça va être quand, la fin, et ce que je me préoccupe, c'est comment ça va être, la fin, c'est sûr que ça m'aiderait à mieux vivre le quotidien puis à dire: Là, tu n'as pas à t'inquiéter de ça, là, puis fais tes affaires comme bon te semble.

Mme Hivon: Nous, on a la chance d'entendre énormément de témoignages des deux côtés. Et plusieurs personnes qui trouvent qu'on ne devrait pas ouvrir ça disent qu'en fait l'angoisse peut être beaucoup pire que ce que la personne va vivre. Donc, des fois, on s'imagine des choses terribles, terribles, mais que, dans le fond, en fin de vie, si on est bien accompagnés, que notre douleur est contrôlée, qu'on va toujours être capables de se raccrocher à des filets de vie, des petits filets de bonheur et que, donc, ça serait un peu d'abdiquer, comme société, de dire: Non, il y a des circonstances, là, où, des filets de bonheur, il n'y en aura plus du tout, et donc on permet ça. Comment vous réagissez à ça?

Mme Sansregret (Carmen): Moi, ce que je trouve bien important, c'est que... puis c'est sûrement ça qui rend ce dossier-là si complexe, mais je trouve tellement que ça doit être... Il faut que ça vienne de soi. Il ne faut pas que ça soit des principes, là. Bon, si je deviens aveugle, si mon pied gauche... Non, non, non. C'est l'expérience de la personne. Et, pour moi... puis j'en parlais dans mon texte, moi, là, je serais prête à parler devant deux, trois personnes pour expliquer mon point de vue puis qu'on le juge pertinent, ou adéquat, ou... J'ose espérer que ça serait ça, là, mais, autrement dit, qu'on me laisse... qu'on laisse... Puis je dis «me», puis il y aurait une autre personne handicapée, à côté de moi, puis qui dirait d'autre chose. Mais que les personnes soient reconnues compétentes pour ce qui est de leur mort. Il me semble que c'est bien important, ça.

Mme Hivon: Puis qu'est-ce que vous répondez à l'argument qui dit: On est dans une société très, très axée sur l'autonomie, l'individualisme, le contrôle? C'est ça qui est valorisé. Les baby-boomers ne sont pas étrangers à ça parce qu'ils ont été habitués... leur indépendance, leur autonomie, avoir ce qu'ils voulaient. Ils ont tout eu, puis là il faut qu'ils aient leur mort, puis qu'ils contrôlent leur mort, puis... Est-ce qu'il n'y a pas des choses, dans la vie, qu'on ne peut pas contrôler?

Mme Sansregret (Carmen): La sclérose en plaques. J'ai été servie, là. Ça, c'est quelque chose qu'on ne peut pas contrôler. Et je trouve que, ma façon de me vivre avec la sclérose en plaques, j'ai évité, et j'en suis très fière, de pitcher ma... je ne sais pas quoi, là, mon désabusement ou mes frustrations à gauche puis à droite. Moi, quand je rencontre du monde, là: Puis qu'est-ce que tu fais? Je m'intéresse à leur vie. La mienne est rendue plate, mais j'ai devant moi des gens que j'aime et que je vais avoir plaisir à connaître davantage. Et à cause de ça... Je pense que je ne vous réponds plus, là.

Mme Hivon: Non, j'étais sur le fait... l'autonomie à tout prix, le choix, pourquoi il faudrait tout contrôler jusqu'à sa mort.

Mme Sansregret (Carmen): O.K. Moi, quand on parle d'autonomie, là... Je vais vous faire un aparté, parce que depuis 2007 j'ai les services du CLSC. Et les auxiliaires qui viennent à la maison me répètent: C'est pour votre autonomie, Mme Sanregret. Je regrette, là, quand le CLSC frappe à ta porte, tu ne l'as plus, ton autonomie. Tu ne l'as plus. C'est sûr que tu ne l'as plus. Et le CLSC qui me dit comment, moi, je devrais être autonome.

Par exemple, moi, j'ai besoin d'un lève-personne. Et je vais en CHSLD quelques semaines par année pour donner un répit à mon conjoint. Et au CHSLD ce n'est pas toujours rigolo, là, parce que je n'ai pas l'âge du CHSLD. Au CHSLD, c'est des préposés qui viennent me voir toujours avec un lève-personne vertical. Je ne connaissais pas ça. J'étais énervée. Mais c'est bien le fun! J'appelle ma physiothérapeute: Venez voir ça. Elle dit: Je connais ça. Mais elle dit: Ce n'est pas pour vous. Comment ça, ce n'est pas pour moi? Bien, non, vous pourriez tomber. Je vais vous signer des papiers. Je ne reviendrai pas sur vous, c'est ça que je veux, c'est ça que je veux à la maison. Non, non, non. Puis je n'ai toujours pas mon vertical. Puis la semaine prochaine je vais être en répit, puis je vais avoir mon vertical, puis je vais être contente.

Puis c'est frappant parce qu'au CLSC ils m'en envoient deux de la shot. Au CHSLD, elles se courent, les filles, hein? Ça fait que j'en ai juste une qui s'en vient avec le vertical.

Puis tout ça pour élaborer sur l'autonomie. Moi, il me semble que c'est un faux problème, ça, l'histoire de l'autonomie. Je ne veux pas... Il me semble que ce n'est pas parce que je veux tout décider. Ça doit être un peu ça, là, mais il me semble que... Non, vraiment, là, la sclérose en plaques, là, vous allez admettre avec moi que je n'ai pas décidé ça, là. Et puis ça, ça me prend énormément d'énergie pour m'adapter à cette réalité-là. Puis, à un moment donné, là, ça m'en demande, de l'énergie, puis je n'en ai plus. Puis envoie un autre petit sprint, puis... Mais, non, moi, l'autonomie, là, je comprends, là, mais... Puis c'est vrai. C'est vrai, là, je le sais, là, mais... En tout cas, il me semble que ce n'est pas une question d'autonomie, là. Je n'aime pas ça, en tout cas, cette affaire-là.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Marguerite-D'Youville.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): Merci, M. le Président. Merci, Mme Sanregret. Vraiment, c'est un témoignage très émouvant. Vous êtes une amoureuse de la vie, ça paraît. Et je pense que vous avez témoigné avec beaucoup de pertinence de ce que vous vivez. Vous avez commencé votre intervention en définissant le mot «digne», en disant: Qui a le respect de soi-même. Pourtant, on entend ici des gens qui sont contre une ouverture à l'euthanasie et au suicide assisté nous dire que la vie en soi est porteuse de dignité, peu importe la situation dans laquelle on se trouve, et qu'il suffit souvent d'être bien accompagné, que le regard de l'autre nous porte le respect, pour être en mesure d'assumer cette vie jusqu'à une mort naturelle. J'aimerais que vous répondiez à ça.

Mme Sansregret (Carmen): Ce n'est pas mon point de vue. On peut l'avoir. Puis Michel tantôt qui parlait que j'étais psychologue. J'ai écouté, moi, dans ma vie... J'ai fait beaucoup de bureau privé et j'ai écouté des gens qui souffrent, et d'une personne à l'autre l'idée de souffrir, là, c'est très différent. Mais, moi, la personne que j'ai devant moi, c'est une personne qui souffre. Sans ça, elle ne serait pas venue s'asseoir devant toi. Et une personne qui souffre a droit d'être entendue dans ce qu'elle porte, dans son expérience, dans... Non. Non. J'ai oublié votre question.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): C'était le sens de la...

Mme Sansregret (Carmen): Ah! le sens, oui.

Mme Richard (Marguerite-D'Youville): ...de la dignité... la vie.

**(21 heures)**

Mme Sansregret (Carmen): Oui. Je trouve que chaque humain essaie de faire du sens avec ce qu'il vit, et bravo. Bravo! Et je n'ai pas à juger comment, vous, vous faites du sens puis comment l'autre en fait ou n'en fait pas ou... Et c'est la richesse de l'existence de voir... Et, moi, j'ai encore du sens à vivre, là. J'en ai, bien oui. Et puis, comme je vous dis, j'imagine qu'à un moment donné je n'aurai plus de sens, là, mais, oui, moi, si je n'ai plus de sens, je n'ai plus de...

Puis c'est ça qui est compliqué, hein? Je suis sûre qu'il y aurait des personnes handicapées autour de la table puis qu'ils diraient: Bien, voyons, madame... Puis c'est parfait, ça, c'est correct. Puis c'est pour ça que vous avez des problèmes. Il faut trouver des jalons pour inclure le plus de monde possible. Mais, moi, non, je veux défendre ma position puis je veux que mon voisin qui a une position différente défende la sienne. Puis on ne sera pas d'accord, mais ce n'est pas bien grave, là. D'abord, qu'on peut être respectés là-dedans, tu sais? Ça fait que...

Le Président (M. Kelley): Une très courte question.

M. Charette: Rapidement. Merci, M. le Président. Mme Sansregret, merci pour votre témoignage, merci pour votre éclairage. Deux petites questions en une qui se pose rapidement. Les gens qui s'opposent à une certaine libéralisation ou décriminalisation de l'euthanasie ou encore du suicide assisté évoquent que ces demandes à mourir cachent bien souvent que ce soit dépression, cachent aussi un manque d'accompagnement, cachent un manque d'amour. Vous nous démontrez en quelque sorte que ce n'est pas forcément le cas. Ça peut certainement être le cas mais ce n'est pas toujours le cas.

Donc, je m'adresse à vous comme psychologue mais également comme personne qui, au quotidien, doit composer avec les aléas de la sclérose en plaques. Est-ce qu'on peut arriver à ce cheminement-là de façon tout à fait éclairée, avec la sérénité nécessaire, d'une part? Première question.

Et, deuxième, aussi rapidement: Est-ce que la position que vous avez aujourd'hui et celle que vous pouviez avoir il y a 20, 25 ans, 30 ans, alors que vous n'étiez pas atteinte de cette maladie, est-ce que votre cheminement ou est-ce que votre pensée a évolué sur ces questions?

Mme Sansregret (Carmen): Je pense qu'il y a 25 ans j'aurais défendu encore le fait d'entendre chaque personne dans son vécu propre. Puis, dans le fond, c'est ça que je défends ce soir. C'est ça que... C'est là-dedans que je trouve que vous avez de la grosse besogne. Mais, moi, ma place, c'est de vous dire que... je veux vous dire que je considère que...

Puis ce n'est pas vrai, tu sais, chaque personne n'est pas en mesure... Tu sais, quand ils parlaient des jeunes, là, on ne peut pas demander à ces gens-là: Qu'est-ce que tu veux faire de ta vie, là? Mais tout le monde n'est pas équipé pour prendre une décision éclairée sur sa vie ou la fin de sa vie. Mais, au moins, ceux qui le peuvent, diable! qu'ils soient écoutés, tu sais? C'est...

Puis je n'ai pas répondu... Votre première, c'était quoi?

M. Charette: ...vous venez tout juste de le faire, à savoir: Est-ce qu'on peut arriver à ce cheminement-là de façon sereine? Vous venez d'y répondre de façon très éloquente. Merci beaucoup.

Mme Sansregret (Carmen): Ça me fait plaisir.

Le Président (M. Kelley): Alors, il me reste à dire merci beaucoup. C'est beaucoup après 19 heures maintenant, vous avez très bien fait ça. C'est un très bel exemple.

Mme Sansregret (Carmen): J'ai encore mon nom.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Kelley): Oui.

Mme Sansregret (Carmen): Oui, ça va bien.

Le Président (M. Kelley): Bravo! Mais on est là avant tout, comme la vice-présidente a dit, pour écouter les citoyens et les citoyennes, c'est leur vécu, leur expérience et leur vie. Alors, merci beaucoup pour le partage de votre parcours avec nous autres ce soir.

Sur ça, je vais suspendre quelques instants et inviter Jacques Vincent et Lucienne Jetté de prendre place à la table des témoins.

(Suspension de la séance à 21 h 6)

 

(Reprise à 21 h 8)

Le Président (M. Kelley): À l'ordre, s'il vous plaît! On va compléter nos travaux. Et j'ai rencontré les prochains témoins juste après le souper, dans le couloir, et ils m'ont assuré qu'ils sont conscients du fait qu'ils sont les derniers d'une longue liste de témoins aujourd'hui, mais ils ont quelque chose à nous dire et ils vont faire ça, je suis certain, avec brio.

Alors, sans plus tarder, je vais reconnaître Lucienne Jetté et Dr Jacques Vincent. La parole est à vous.

Mme Lucienne Jetté et
M. Jacques Vincent

Mme Jetté (Lucienne): Merci beaucoup. Mesdames messieurs, merci de nous recevoir en cette fin de journée. M. Jacques Vincent et moi-même, Lucienne Jetté, sommes des retraités, diplômés en bioéthique et en éthique appliquée. Le Dr Vincent a pratiqué l'obstétrique- gynécologie pendant 40 ans. Je suis démographe et j'ai agi comme bénévole dans un CHU et dans un centre d'appels pour personnes en détresse.

Nous ne faisons partie d'aucun groupe de pression. Notre point de vue n'est pas strictement médical, car nous croyons que la fin de vie ne relève pas uniquement de la médecine. Nos opinions reflètent notre expérience professionnelle et personnelle, laquelle inclut l'accompagnement de personnes en fin de vie et de proches atteints de maladies dégénératives.

Notre présentation est basée sur le mémoire que vous avez en main et dont nous commenterons les recommandations à tour de rôle.

Au cours des 10 prochaines années, c'est plus de un demi-million de Québécois qui vont mourir de cancers, de maladies cardiovasculaires et de diverses maladies chroniques. Les trois quarts de ces décès vont survenir chez les plus de 65 ans. Seule une minorité va mourir subitement; les autres mourront au terme d'une maladie qui pourrait se prolonger pendant des semaines, des mois ou même des années.

M. Vincent (Jacques): Nous n'avons pas limité notre réflexion aux cas des malades dont la condition pose des questionnements éthiques complexes ni à celui des personnes qui demandent d'en finir avec la vie. Nous nous sommes préoccupés de la qualité de vie des personnes qui vivent leurs derniers jours puisque, jusqu'au moment de leur mort, les mourants sont des vivants.

Dans un Québec techniquement développé et qui se veut solidaire, des conditions de fin de vie respectueuses et une mort digne devraient être accessibles à tous les citoyens qui vont mourir et pas seulement à ceux et à celles qui en font la demande.

**(21 h 10)**

Mme Jetté (Lucienne): Une fin de vie digne concerne, en premier lieu, la personne qui s'en va, mais, dans sa dimension sociale, elle concerne aussi les proches, les médecins et les équipes soignantes. Compte tenu du grand nombre de personnes qui décéderont au cours de la prochaine décennie, il importe de considérer l'organisation des soins. Ainsi, nous n'avons pas limité nos réflexions à la mort en centre hospitalier, mais nous avons traité aussi du décès à la maison et en centre d'hébergement.

L'idée qu'on se fait d'une fin de vie digne a évolué au cours du dernier demi-siècle. Avant la médecine palliative, les moyens de soulager les mourants étaient limités. À cette époque, on était mort dignement si on avait vécu ses derniers jours sans se plaindre. Au nom de l'autonomie, certains veulent maintenant un contrôle sur le moment et la manière de mourir et préconisent le recours à l'euthanasie et au suicide assisté.

Nous rejetons le recours à l'euthanasie et au suicide assisté. Plutôt que de supprimer les malades, nous pensons qu'il faut faire le maximum pour soulager leurs douleurs et amoindrir leurs souffrances. Nous sommes conscients que le contrôle absolu de la douleur et l'éradication complète de la souffrance appartiennent au monde de la science-fiction.

Nous nous inscrivons donc dans une logique de soins qui traite des personnes en fin de vie avec le maximum d'efficacité, d'humanité et de dignité, sans imposer un fardeau excessif aux proches, aux médecins et aux soignants. Nos recommandations visent toutes cet objectif.

M. Vincent (Jacques): Nous recommandons, en premier lieu, à la commission de remplacer le concept de la mort dans la dignité par celui de la fin de vie dans la dignité. À notre avis, mettre l'accent sur le seul fait de mourir dans la dignité, c'est escamoter une partie du processus de la fin de vie. La personne en fin de vie sait souvent fort bien si elle est bien traitée dignement, alors qu'aucun défunt ne viendra apprécier s'il a eu une mort digne. À la limite, procurer une mort digne est une affaire ponctuelle, alors qu'assurer une fin de vie digne est un processus beaucoup plus exigeant et qui nécessite une organisation complexe.

En deuxième lieu, nous recommandons de renseigner le public quant aux choix qui peuvent être exercés en regard de la fin de vie. Le refus de traitement, l'arrêt du traitement, le refus de l'acharnement thérapeutique sont des moyens parfaitement légaux déjà à la disposition des citoyens du Québec. Selon notre expérience, il existe une grande confusion à ce sujet au sein de la population, et certaines familles se croient complices d'euthanasie en ayant accepté que leurs proches soient débranchés.

Mme Jetté (Lucienne): En troisième lieu, nous recommandons de renseigner le public de manière à démystifier l'euthanasie, les soins palliatifs et le rôle des médicaments dans le soulagement de la douleur. En vertu du préjugé selon lequel la morphine ferait mourir à coup sûr, certains malades refusent de recevoir des opiacés et vivent leurs derniers jours dans de grandes souffrances. À partir du même préjugé, certains se sentent coupables du fait que leur proche est mort des suites de, entre guillemets, sa dernière piqûre, alors que la mort était imminente, de toute façon.

En quatrième lieu, nous recommandons d'organiser l'offre de soins par les CLSC pour faire de la mort à domicile une option réaliste pour les malades qui le souhaitent. De nos jours, mourir à l'hôpital est perçu comme une procédure normale. Beaucoup de familles se résignent à une dernière hospitalisation mais auraient préféré que leurs proches décèdent à la maison. Un soutien ponctuel pour les activités quotidiennes comme le gardiennage, le répit ou la buanderie, éviteraient, à notre avis, un certain nombre de décès à l'hôpital.

En cinquième lieu, nous recommandons d'offrir aux patients en établissement des locaux appropriés pour favoriser une fin de vie paisible et un accompagnement par les proches. Quand les résidents dont la mort est prévue n'occupent pas déjà une chambre à un lit, nous croyons qu'il serait approprié de les transférer dans un local calme, correctement ventilé, équipé d'une salle de toilette, muni de quelques chaises, d'un fauteuil pour passer la nuit, et d'une cafetière pour tenir le coup. Beaucoup de familles n'en demanderaient pas plus.

M. Vincent (Jacques): En sixième lieu, nous recommandons d'augmenter l'offre des soins palliatifs en établissement et à domicile. Les soins palliatifs ne visent pas la guérison mais visent à permettre de vivre la dernière période de la vie de manière confortable en préservant le mieux possible les liens interpersonnels. Traditionnellement, les soins palliatifs ont été réservés aux patients atteints du cancer. Selon nous, l'approche des soins palliatifs devrait être élargie à d'autres pathologies que le cancer. Des aménagements physiques favorisant l'accompagnement des personnes en fin de vie devraient être disponibles, à défaut de soins palliatifs, dont des patients endurent de grandes douleurs, ce qui plonge les proches dans le désarroi. Il est probable que des soins palliatifs plus accessibles et mieux organisés devraient diminuer les demandes d'euthanasie.

Mme Jetté (Lucienne): En septième lieu, nous recommandons d'encourager le recrutement et la formation de bénévoles en soins palliatifs pour soutenir les proches aidants en établissement et à domicile. L'accompagnement d'une personne en fin de vie peut être très exigeant pour les proches. Quand la famille est restreinte ou qu'il n'y a tout simplement plus de famille, nous croyons que le recours à des bénévoles permettrait d'alléger la solitude des personnes en fin de vie.

M. Vincent (Jacques): En huitième lieu, nous recommandons d'intensifier la recherche en vue de développer des médicaments et des techniques visant le soulagement de la douleur et le confort des malades. Nous pensons également que des équipes soignantes devraient être formées et encouragées à utiliser les moyens les plus efficaces pour soulager la douleur tout en permettant aux personnes en fin de vie de conserver la lucidité le plus possible.

En neuvième lieu, nous recommandons d'élaborer des lignes directrices et des critères pour encadrer les soins en fin de vie, particulièrement en ce qui a trait à l'usage des médicaments. La pharmacologie moderne fournit des cocktails de plus en plus efficaces sans être nécessairement nocifs. Les spécialistes, exemple les anesthésistes, devraient être davantage mis à contribution. Dans les cas extrêmes où le soulagement de leur douleur est difficile sinon impossible, nous pensons que le médecin doit pouvoir utiliser les doses efficaces, mais même au risque de devancer le décès. Cependant, si la dose devient une overdose, cette éventualité ne devrait jamais être intentionnelle et l'arrêt de la vie ne devrait pas être l'effet recherché. Il importe que le médecin ne soit pas seul devant les difficiles décisions auxquelles il peut être confronté. À cette fin, le médecin devrait pouvoir disposer d'outils de type conseil ou consultation pour orienter et appuyer ses choix cliniques.

En dixième lieu, nous recommandons de soutenir les médecins et les soignants pour éviter l'épuisement professionnel. En effet, non seulement faut-il développer des protocoles de bonne pratique, mais encore faut-il que les soignants puissent avoir accès à des mécanismes comme le travail d'équipe, et des services comme le «counselling», pour favoriser leur bien-être et leur équilibre. Le soulagement des personnes en fin de vie ne devrait pas imposer au personnel soignant un poids indu.

Mme Jetté (Lucienne): En onzième lieu, nous recommandons de ne pas promouvoir la décriminalisation de l'euthanasie ni de l'aide au suicide. Tout d'abord, nous sommes d'avis que l'aide au suicide est une forme d'euthanasie déguisée. Quant à l'euthanasie elle-même, elle paraît séduisante pour certains parce que les conditions de fin de vie dignes n'existent pas ou n'existent pas assez. Avant de s'engager dans une avenue aussi radicale, offrons à la population des soins permettant de terminer sa vie dans des conditions respectueuses et sereines.

Merci de votre écoute. Il nous fera maintenant plaisir de répondre à vos questions.

Le Président (M. Kelley): Merci beaucoup pour votre présentation. On va passer maintenant à la période d'échange avec les membres de la commission, et Mme la députée de Mille-Îles...

Mme Charbonneau: Merci...

Le Président (M. Kelley): ...la parole est à vous.

**(21 h 20)**

Mme Charbonneau: Merci, M. le Président. Bonsoir. Votre présentation est intéressante dans ce sens où vous avez quand même 11 points sur lesquels vous nous faites des recommandations. Certains d'entre eux, nous avons déjà entendus. Vous avez compris que -- et je suis sûre que le Président vous en a parlé dans le corridor -- on a entendu beaucoup de gens, et tout votre côté sensible aux soins palliatifs, je vous dirais qu'aujourd'hui on en a beaucoup, beaucoup parlé, des soins palliatifs. Donc, je pense que c'est quelque chose qui fait... Je devrais refaire ma phrase. En ce moment, si la commission ne sert qu'à une seule chose, que ce soit de se sensibiliser à ce service si important, elle aura déjà servi à quelque chose de majeur.

Quand vous faites les points... Je me suis arrêtée à quelques-uns, mais, avant de revenir sur les 11 points, je voulais vous demander, puisque, quand j'ai lu votre mémoire, à un moment différé de ce soir -- je l'ai lu à la maison -- il y a deux points que vous n'avez pas beaucoup traités, c'est l'arrêt de traitement ou le refus de traitement. Vous ne l'avez pas abordé du tout. Donc, est-ce que, dans cette volonté-là, il y avait un choix de ne pas aller vers ça ou tout simplement aucune volonté de traiter de cet aspect-là?

Mme Jetté (Lucienne): En fait, on a énuméré l'arrêt de traitement, le refus de traitement comme des moyens qui existent déjà, de sorte que, comme on les considérait comme connus, on ne pensait pas que c'était vraiment nécessaire d'épiloguer là-dessus, bien que, dans notre petit résumé qu'on a fait tantôt, bien, au fond, on dit: Bien, au fond, il y a des gens qui pensent encore qu'on a tué grand-papa en le débranchant ou que l'infirmière a donné une piqûre à grand-maman, et puis, une heure après, elle est morte. Donc, sans doute qu'elle est morte dû à la piqûre, donc on l'a tuée. Bon.

Alors, on se dit que ce sont des mécanismes qui existent déjà, mais qu'ils auraient sans doute intérêt à être davantage publicisés. Que, quand il y a des personnes qui sont en fin de vie, l'équipe médicale explique un petit peu plus à la famille qu'est-ce qu'il en est et que ce sont des options qui existent, puis que ce n'est pas de l'euthanasie, puis que ce n'est pas du suicide assisté.

Mme Charbonneau: Ça va, M. Vincent?

Mme Jetté (Lucienne): Oui.

M. Vincent (Jacques): Oui, oui.

Mme Charbonneau: Vous avez levé votre doigt une couple de fois, je n'étais pas sûre si vous vouliez rajouter quelque chose.

M. Vincent (Jacques): Je voulais simplement dire que M. le Président nous a parlé tantôt d'une désintubation, et il se demandait si c'est un arrêt de traitement ou un cas d'euthanasie. À mon point de vue...

Mme Charbonneau: Je vous avoue que la ligne, elle est fine. Quand les gens viennent nous faire des témoignages en disant: Moi, je n'ai pas ce privilège-là, je n'ai pas le privilège, de par ma maladie, d'avoir cette option-là, on ne peut pas me débrancher, on ne peut pas m'arrêter rien, je ne fais pas de chimio, j'ai juste une maladie qui fait que je vais mourir et que je dois attendre que tous les symptômes puis que les planètes soient enlignées pour que ça arrive, tandis que ma voisine de chambre, qui, elle, est branchée à un respirateur, elle a un privilège...

M. Vincent (Jacques): ...

Mme Charbonneau: ...on peut la débrancher à son choix, et, tout à coup, elle, elle a une option que, moi, je n'ai point. C'est pour ça que ça nous intrigue beaucoup, le principe de l'arrêt de traitement et -- je vais utiliser le gros mot, là -- suicide assisté. Mais vous comprenez qu'on est toujours en recherche de solutions puis on est toujours en réflexion. Donc, c'est pour ça probablement que le président vous a aussi parlé de ça, parce qu'effectivement la ligne est assez particulière.

Donc, je reviens à vos points, le point 2. Il pouvait me sembler anodin quand je l'ai lu la première fois, mais je dois vous avouer qu'à la maison j'ai lu vos points, même si je pense que là il y en a plus que dans le mémoire... le même nombre.

Mme Jetté (Lucienne): Disons, c'est un petit peu arrangé autrement. Oui, oui.

Mme Charbonneau: Oui, c'est ça. C'est ce qui m'a... Parce que, dans mes notes, ils ne tombent pas de la même façon. Quand vous dites: renseigner le public, ça a l'air anodin comme ça, mais je vous dirais qu'avec des décisions gouvernementales de budget de couper dans certaines dépenses on se dit: Cette responsabilité-là, elle revient à qui? Est-ce que c'est le gouvernement qui devrait faire une campagne de sensibilisation sur qui renseigne le public de quoi? Est-ce qu'on devrait dire à nos professionnels de la santé, plutôt que de faire de la promotion de leur métier à la télévision, ils devraient faire la promotion de qu'est-ce qu'on a comme services?

Quand vous dites: Renseigner le public, vous visez qui en responsabilité par rapport à ça?

Mme Jetté (Lucienne): Bien, dans un premier temps, c'est sûr... en fait, la façon qu'on peut voir ça, c'est, d'abord, que les équipes médicales parlent aux gens, aux proches des malades. Je ne vois pas nécessairement, là, une publicité à la télévision: Saviez-vous que vous pouvez bénéficier d'un arrêt de traitement? Il suffit de le demander, et puis, bon. Non, mais beaucoup, en fait, de gens, là, dans notre expérience, bien, ils ont rencontré des professionnels de la santé qui étaient bien pressés. Bon, le médecin est venu vite, et puis c'est l'infirmière qui donne la piqûre, et puis, bon, on pose la question, bien là on ne peut pas répondre parce qu'il faut parler au médecin traitant, et puis, bon.

Alors, moi, en tout cas, je le vois dans l'exercice des soins d'abord -- d'abord -- parce que c'est là que ça presse le plus. Je pense bien que quelqu'un qui est en bonne santé, qui n'a pas de personnes malades dans son entourage, peut-être que ça ne la dérange pas beaucoup, cette personne-là, de savoir qu'elle peut demander un arrêt de traitement le jour où elle aura une chimiothérapie phase III dans 15 ans, bon. Mais que ce soit quelque... En fait, l'arrêt de traitement, le refus de traitement, le refus de l'acharnement thérapeutique au fond, ce sont des concepts juridiques. Ce sont des choses qui sont dans le Code civil. Bon.

Mais des fois on peut avoir l'impression que les avocats puis les médecins, ou ils ne se parlent pas ou ils se parlent différemment, ou, en tout cas, les familles se sentent un peu laissées à elles-mêmes face à une situation. Et inversement -- ça, sans doute que vous l'avez entendu -- certains médecins craignent d'être poursuivis quand ils posent des gestes que la famille ne comprend pas bien mais qui étaient des gestes parfaitement légitimes dans l'exercice de leur profession. Alors, c'est l'information aux intéressés d'abord.

Mme Charbonneau: Donc, dans l'équipe interdisciplinaire, avec la famille, de bien informer puis de bien prendre soin que tout le monde ait compris chaque geste posé auprès de la personne qui est en traitement ou qui est à traiter pour être sûr qu'on n'ait pas le sentiment de culpabilité puis qu'on ne sente pas qu'on fait partie de la responsabilité de la mort de quelqu'un, mais plutôt qu'on l'a accompagnée dans sa mort.

Mme Jetté (Lucienne): Exactement. D'autant plus que la personne qui est en fin de vie, éventuellement va peut-être devenir inapte de manière très, très légale ou dans les faits et, à ce moment-là, ce seront les membres de la famille qui devront prendre la relève et peut-être prendre les décisions. Alors, si la communication n'a pas été bien assurée, bien, au fond, peut-être que la personne qui est en train de mourir voulait des choses mais la famille n'osera pas en se disant: Bien là, peut-être qu'on va au-delà de ce que la personne voulait, bon, ou inversement. Alors, c'est un exercice de communication d'abord à l'égard des gens qui sont dans la situation.

Mme Charbonneau: Votre...

Le Président (M. Kelley): Dr Vincent, voulez-vous ajouter?

M. Vincent (Jacques): Il faut penser qu'il n'y a pas si longtemps, des soins palliatifs c'était un département d'échecs purement et simplement. Les médecins ont été formés à guérir, à chercher la guérison. Alors, ils n'ont jamais été formés -- je suis médecin -- à accompagner quelqu'un vers la fin de la vie. On ne parle pas de la fin de la vie en médecine, on parle de la mort. Il y a une maudite différence entre fin de vie et mort, une grande différence. La majorité des médecins ne comprennent pas encore qu'est-ce que c'est qu'une fin de vie et ne comprennent pas -- moi, j'ai appris ça en bioéthique -- que mourir... c'est facile, mourir, mais le mourir, comment mourir, ça, ça peut être bien difficile, et les gens ne savent pas ça.

**(21 h 30)**

Mme Charbonneau: C'est intéressant, ce que vous dites. Parce qu'on a quelquefois des pauses; on a soupé tantôt et, pendant notre souper, on a eu cet échange-là sur le principe de l'échec chez un médecin puisque, pour lui, c'est la vie et pas la mort. Je vous dirais même qu'on a été étonnés d'entendre des médecins parler de tuer quelqu'un. On s'est dit: Mon Dieu! c'est un gros mot, ça, «tuer quelqu'un», quand c'est de l'euthanasie ou du suicide assisté. Mais, non, non, il y a des gens qui sont venus nous dire: On ne veut pas tuer quelqu'un. Et je trouve ça intéressant que, vous, comme médecin, vous puissiez, de vive voix, nous dire qu'effectivement il y a un sentiment d'échec chez le médecin.

M. Vincent (Jacques): J'ai assisté à beaucoup de conférences sur l'euthanasie et le suicide assisté pour essayer de me faire une petite opinion de ce que je dirais, et il y a des médecins... bon, la dernière, il y avait 10 médecins, supposément des savants, et il y en avait un qui donnait des coups de poing sur la table et qui disait que l'euthanasie, c'est un meurtre. Puis il criait ça fort dans l'assemblée. Et, moi, j'ai répondu: Bien, si tu cries fort, tu n'arriveras pas à grand-chose. Si tu expliques doucement, ça va bien aller.

Alors, c'est la même chose, cette chose-là. L'euthanasie, même le Collège des médecins, il a laissé une petite porte entrouverte dans son rapport, disant qu'on pourrait peut-être à un moment donné. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ça, pour le moment, parce qu'il faut quand même développer peut-être à outrance les soins palliatifs. Et, quand on aura développé à outrance les soins palliatifs -- moi, je ne reviendrai pas, je suis trop vieux -- probablement qu'on pourra commencer à ce moment-là à penser à l'euthanasie. Mais c'est dans combien de temps? Je ne le sais pas.

Mme Charbonneau: Je comprends. Je trouve ça intéressant de la façon que vous pouvez le percevoir. Puis je vous ferai un clin d'oeil en vous disant: Un diplôme ne donne pas de jugement. Un diplôme, ça donne de la connaissance...

M. Vincent (Jacques): Ça peut.

Mme Charbonneau: ...mais pas nécessairement du jugement. Il y a bien du monde qui crient puis qui ne sont pas obligés de crier.

Avant de passer la parole à mes collègues à côté, vous avez parlé du recrutement des bénévoles. Pour nous, c'est quelque chose de fort important, le principe même du bénévolat. Et vous savez, j'en suis certaine, que, dans le principe des maisons palliatives, la volonté d'avoir des bénévoles, elle est toujours là, hein, c'est très important, mais aussi pour les gens qui veulent mourir à la maison. Dans nos hôpitaux, on a des ouvertures par rapport au bénévolat. Quand vous dites: Recruter plus de bénévoles, donnez-moi une idée du recrutement.

Mme Jetté (Lucienne): Moi, je suis bénévole à l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Maintenant, je ne suis plus en établissement, maintenant, je suis une bénévole tricoteuse à la maison. Mais, il y a quelques années, quand j'étais active à l'urgence, il y avait à l'époque... on avait une assemblée annuelle de bénévoles une fois par année, et là je vous parle de quelque chose qui a à peu près 10 ans. Il y a 10 ans, il y avait 55 000 heures de bénévolat de faites à l'Hôpital Maisonneuve dans une année.

Bon. Alors, disons, moi, j'ai une longue expérience dans toute sorte de bénévolat, et c'est vraiment, je dirais, comme une troisième vitesse de la médecine. On dit que la médecine a deux vitesses, mais, moi, je prétends qu'elle a trois vitesses et que la troisième vitesse, c'est le bénévolat des gens qui vont conduire les... qui font de l'accompagnement en véhicule, qui servent le café, qui réconfortent les gens à l'urgence, qui réconfortent les gens avant une opération, bon, en tout cas, et le reste, et le reste.

Et je vois à l'endroit où j'habite, où il y a beaucoup de personnes âgées, je vois vraiment des gens sans famille, qui n'ont pas de visite, pas parce que leur famille les a abandonnés, c'est qu'ils ont 98 ans, et la famille est disparue. Bon. Alors, moi, je pense qu'on ne peut pas demander au système de santé, qui est déjà étiré au maximum, d'assurer des présences de préposés ou de personnels rémunérés, que la société doit faire un effort pour se solidariser, puis dans le fond se rendre compte qu'un jour ce sera notre tour. C'est vraiment...

Alors, combien de bénévoles? Je ne le sais pas, mais il suffit de regarder le journal du Bel Âge ou les revues, les hebdos de quartier, et il y a des pages et des pages où on cherche des bénévoles, pour toutes sortes de choses...

Mme Charbonneau: Pour toutes sortes de choses.

Mme Jetté (Lucienne): ...mais je pense qu'il y a là-dedans de la place pour l'accompagnement de personnes en fin de vie.

Le Président (M. Kelley): Mme la députée de Joliette.

Mme Hivon: Oui, merci beaucoup. Mémoire très intéressant puis qui touche toute une variété de sujets en lien avec la fin de vie. Donc, merci, vous nous avez mis aussi sur d'autres choses.

Moi, j'ai le petit espoir... Vous parlez de -- les points deux et trois -- renseigner le public quant aux choix qui peuvent être exercés, puis les renseigner de manière à démystifier l'euthanasie, les soins palliatifs, tout ça. Moi, j'ai un petit espoir, c'est qu'un des effets, je dirais, collatéraux, secondaires de notre commission, c'est que les gens en arrivent aussi -- pas uniquement avec ça -- à mieux démêler les concepts. Puis d'ailleurs, dans notre document, on a voulu vraiment faire un effort pédagogique, et je pense que les médias qui nous suivent font aussi cet effort-là. Donc, j'espère que, de par ce dialogue-là, on va y venir, parce que je pense que c'est fondamental aussi.

Et malheureusement -- puis j'aimerais vous entendre là-dessus, parce que vous parlez aussi de la relation avec le médecin puis le rôle du médecin, puis tout ça -- j'ai le sentiment que les gens, effectivement, ne savent pas toujours, en fin de vie, dans quoi ils sont, puis ils se fient beaucoup, beaucoup au jugement du médecin puis comment le médecin va les guider, puis tout ça. Quelle place vous voyez, je dirais, exercée par le médecin dans la relation patient-médecin? Je dirais, le jugement, l'approche du médecin, jusqu'où ça influence le patient puis jusqu'où c'est normal et bon que ça influence le patient versus jusqu'où le médecin devrait prendre le temps de tout expliquer à son patient, qu'il peut refuser les traitements, qu'il peut arrêter les traitements, tout ça? Jusqu'où vous pensez que ça va?

Parce que ça aussi, c'est une autre conversation qu'on avait ce soir, il y a des médecins qui sont venus nous dire, des médecins de soins palliatifs: Vous savez, les oncologues, des fois, ils ne lésinent pas sur les traitements, puis tout le monde se met un peu la tête dans le sable. Puis ça fait l'affaire un peu de tout le monde de dire: Il y a peut-être une chimio palliative mais qui va peut-être vous aider, alors que les soins palliatifs auraient peut-être dû intervenir plus tôt, ou tout ça. Donc, je serais juste curieuse de vous entendre, vu que vous venez ici de manière, je pense, très libre, pas attachés à une ou l'autre des associations. Comment vous voyez cette relation-là puis ce dialogue-là?

M. Vincent (Jacques): J'aimerais ça aller déjeuner, dîner et souper avec vous, à ce moment-là, on pourrait s'en parler. Non, je peux vous dire qu'auparavant il y avait... le médecin, il traitait selon les soins paternalistes, il décidait, et c'était comme ça, le patient ou la patiente n'avait rien à dire. Je vais vous parler plus souvent de patientes parce que, moi, je suis un obstétricien et gynécologue, et je me trompe toujours.

Alors, voici. La première chose, actuellement, qui va arriver, c'est que la personne est plus instruite, c'est une chose. Le deuxièmement, il faut instituer un dialogue, face à n'importe quelle maladie, ça, hein? Et c'est encore plus grand quand on commence, non pas quand on est rendus dans les soins palliatifs mais quand on commence à traiter. Les médecins sont moins habitués -- par respect pour mes confrères -- sont moins habitués à avoir un dialogue avec les gens, pour toutes sortes de raisons -- je ne vous parlerai pas de la raison pécuniaire. Et ils sont moins habitués par formation.

Et arrive un moment donné où on tombe en soins palliatifs. Le meilleur traitement pour les soins palliatifs, c'est de parler avec la patiente qui est concernée et parler avec l'entourage, parce que l'entourage va parler avec la personne qui est concernée. C'est un traitement indirect ou... pas un traitement, je m'excuse, un accompagnement indirect, ça. Et c'est sûr et certain -- et c'est comme ça que je le vois, moi -- que, si on prend la peine de s'asseoir, d'expliquer dans leurs mots... Les gens sont de plus en plus instruits ou connaissent de mieux en mieux les mots et la définition, parfois, des mots -- parce que parfois il faut donner la définition des mots. Et les gens sont de plus en plus instruits, et, à ce moment-là, ça va être plus facile, et ils vont obtenir... le médecin va obtenir une confiance qu'il n'aurait pas obtenue s'il avait parlé de façon paternelle. C'est la première chose.

La deuxième chose, il faut répéter, répéter, répéter souvent et tenter de ne pas être au-dessus des gens mais tenter d'être au même niveau que les gens. Et je pense que c'est ça qui est le plus difficile de la vie, d'essayer d'être au même niveau que les autres, hein? Et si on connaît bien sa science, si on connaît bien son jus, on n'aura pas peur des avocats. Vous comprenez qu'un médecin, c'est une belle prise pour les avocats, les poursuites légales et tout ce que vous voulez. Il y a beaucoup de médecins qui ont peur de ça. Et ils ont peut-être raison, ils ont peut-être tort, mais il y a une réglementation, il y a quelque chose à faire là-dessus. Et il y a des gens qui vont s'abstenir d'expliquer à leurs personnes des choses parce qu'ils ont peur de se faire poursuivre par en arrière. Je vais dans deux, trois réunions de médecins par semaine, et souvent, quand on est entre nous autres, ça revient, cette chose-là: Fais attention à ce que tu dis. Mais, si on s'assoit puis qu'on répète, on dit toujours la même chose, on fait attention... On peut peut-être s'abstenir de trop bien expliquer la chose, et ça, c'est un péché. Il faut expliquer le mieux possible. C'est un peu ce que je pouvais vous dire à ce sujet-là.

**(21 h 40)**

Mme Hivon: Un condensé puisqu'on n'est pas allés déjeuner, dîner et souper. Mais merci, merci beaucoup. Tous ces sujets-là, on pourrait les aborder pendant des heures. C'est pour ça que c'est très difficile pour nous...

M. Vincent (Jacques): Oui. Même après un déjeuner.

Mme Hivon: ...avec nos 20 minutes. Oui, c'est ça.

Vous parlez aussi de l'importance d'intensifier la recherche et la formation des équipes soignantes à propos du soulagement de la douleur. Ça semble, à plusieurs égards, être un parent pauvre, dans le sens qu'on nous a dit aujourd'hui que -- une déclaration assez choc de notre journée -- les vétérinaires avaient plus d'heures de formation en soulagement de la douleur que les médecins. Bon. Alors, il y a de quoi être un petit peu, quand même, surpris. C'est parce qu'on a aussi... C'était l'équipe des soins palliatifs de McGill qui nous lançait ce message-là.

Est-ce que vous avez le sentiment que, dans les facultés de médecine, on est quand même de plus en plus conscients de l'importance du soulagement de la douleur et pas uniquement pour telle cohorte, tel type de spécialistes -- parce qu'en fait, en théorie, c'est plus ou moins les spécialistes -- mais qu'on est conscients que les médecins devraient être formés mieux en soulagement de la douleur, ou qu'il y a encore vraiment beaucoup de chemin à faire, parce que c'est quelque chose qui est un peu dévalorisé, qui n'est pas la spécialité qui devrait... et donc on se focusse sur les vraies affaires, puis, le soulagement de la douleur, s'il reste du temps, on va s'occuper de ça?

M. Vincent (Jacques): Vous savez, ça ne fait pas tellement longtemps qu'on parle de soins palliatifs dans les facultés de médecine. Ce n'est pas bien, bien vieux, ça. Et, deuxièmement, ça ne fait pas... Il y a une différence entre la douleur et la souffrance, hein? Bien des fois, si on baisse la douleur, la souffrance va s'améliorer, va diminuer, et de beaucoup. Et il y a beaucoup de gens qui pensent qu'il faut simplement baisser la douleur, point, mais on oublie la souffrance. La souffrance, c'est un autre domaine mais qui accompagne la douleur. Et, si on demande...

À la fin de ma vie de pratique, j'ai été dans deux, trois hôpitaux opérer, c'étaient des gens âgés, et la quantité de médicaments que les anesthésistes -- c'est pour ça que je vous ai donné l'exemple des anesthésistes -- donnaient était complètement différente de ce que, nous autres, on aurait donné, mais eux avaient l'expérience. Ils donnaient très peu d'analgésiques et surtout un petit peu de médicaments pour baisser l'anxiété, hein, et ça allait beaucoup mieux, que ce que, nous autres, en gynéco, on aurait donné. Et c'étaient des gens âgés.

Tout ce pattern-là existe, mais il n'est pas développé à outrance. Et j'écoutais... Comme je vous ai dit, je suis allé dans la dernière réunion, et j'écoutais, il y avait deux personnes qui sont anesthésistes et qui n'avaient pas encore saisi ce domaine-là de la souffrance en fin de vie, et eux autres donnaient simplement des médicaments pour calmer la douleur. Ce n'est pas ça qu'il faut faire. Mais ça, c'est une histoire d'éducation, et les facultés de médecine commencent à peine à former leurs étudiants pour faire face aux soins palliatifs à la fin de vie.

Mme Hivon: J'ai une question plus pointue. À la page 16 de votre mémoire, juste avant le point 9, vous dites: «En fait, nous croyons que le débat sur l'euthanasie est piégé et qu'il encourage une vision bipolaire de la fin de la vie qui opposerait d'un côté le traitement et de l'autre l'euthanasie.» Puis en fait je veux juste vous confronter un peu là-dessus, en fait qu'on échange.

Le Collège des médecins est venu avec une approche un peu, je dirais, révolutionnaire ou inattendue en disant: Dans le contexte des soins de fin de vie, on pourrait peut-être envisager que l'aide médicale à mourir, balisée évidemment, soit considérée, dans des cas exceptionnels où on n'arrive pas à soulager, comme un soin de fin de vie, le soin ultime de fin de vie. Je comprends de par votre énoncé, où vous opposez les deux en disant qu'il y a comme une... ça encouragerait une vision bipolaire, que vous ne partagez pas du tout ce constat-là du Collège des médecins. Est-ce que je vous lis correctement?

M. Vincent (Jacques): Oui. J'ai lu le résumé du Collège des médecins -- et je sais par qui il a été fait -- et c'est laisser une porte ouverte, si minime soit-il, en disant que l'euthanasie pourrait être un moyen de la fin de vie. J'ai l'impression -- et ça, c'est mon impression à moi, ce n'est pas une certitude -- j'ai l'impression qu'il ne voulait pas complètement fermer la porte parce que c'est une organisation publique et qu'il a dit que peut-être ça pourrait servir. Mais, avant de se servir de l'euthanasie comme moyen de fin de vie, on pourrait peut-être commencer par se servir des soins palliatifs, de l'accompagnement et surtout des médicaments qui pourraient nous aider soit au point de vue de la douleur soit au point de vue de la souffrance. Mais on n'en est pas... Moi, j'ai l'impression qu'on n'en est pas encore rendus où il faut accepter l'euthanasie comme telle comme moyen ou comme... oui, c'est ça, comme moyen pour arriver à la fin de vie complète. Et, s'il fallait s'en servir, il faudrait inventer ou placer des normes excessivement... beaucoup plus sérieuses que ce qu'on préconise dans notre mémoire à nous autres. Et je n'ai pas l'impression que... Ayant rejeté, dans notre mémoire, l'euthanasie et la fin de vie, ça ne me tente pas d'élaborer sur l'euthanasie et la fin de vie.

Mme Hivon: Le témoignage de Mme Sansregret, qui vous a précédés, qu'est-ce que ça vous inspire? Est-ce que ça vous remue par rapport à votre position, quand vous entendez...

M. Vincent (Jacques): Quand qu'elle est sortie, j'ai dit: Vous avez résumé ce qu'on était pour dire. Parce qu'elle a parlé de l'évolution de sa vie, elle a parlé de comment elle entrevoit -- te parle d'aujourd'hui, là, je ne parle pas dans six mois, ou dans trois mois, ou dans un an -- comment qu'elle entrevoit actuellement sa fin de vie à elle, et elle a dit: Je voudrais qu'on me laisse décider comme je veux. Est-ce qu'elle voulait dire: Je voudrais me suicider? Ça, tout le monde peut penser dans le sens qu'il veut, c'est parce qu'elle ne l'a pas dit.

Mme Hivon: Elle l'a écrit.

M. Vincent (Jacques): Elle l'a écrit? Bien, moi, je n'ai pas lu votre rapport, madame.

Mme Hivon: Non, non, c'est ça.

**(20 h 50)**

M. Vincent (Jacques): Alors, c'est une chose. Mais, quand qu'elle l'a écrit, c'était l'été passé, et il y a eu une grande évolution depuis l'été passé à nos jours, à sa présence ce soir, j'ai l'impression. Et on peut changer. C'est difficile de savoir exactement ce qu'on... Surtout, son évolution semble... on m'a dit... pas en évolution, mais sa dégradation semble assez rapide depuis un certain temps. Alors, qu'est-ce qu'elle va vouloir? Surtout accompagnée de son mari -- il y a un gars qui m'a déjà dit: Quand qu'il va arriver au ciel, il va avoir les mains pleines -- surtout accompagnée de son mari, qu'est-ce qu'elle va faire dans x temps? Je ne le sais pas. Si elle l'a écrit, c'est... Elle a écrit ça l'été dernier, mais je ne pense pas qu'elle... Je ne le sais pas si elle... Je ne dis pas qu'elle ne le pense pas, je dis que, moi, je ne sais pas si elle pense la même chose actuellement.

Le Président (M. Kelley): Là, il me reste à dire merci beaucoup. C'était un excellent témoignage. Vous avez partagé vos années d'expérience dans le domaine.

Sur ça, je vais ajourner nos travaux. Vous avez le reste de la soirée off, mais vous êtes convoqués dans cette même salle demain, à 9 h 30, le 13 octobre, mercredi, pour poursuivre nos travaux. Merci beaucoup, et bonsoir.

(Fin de la séance à 21 h 51)

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