Journal des débats de la Commission spéciale sur l’évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie
Version préliminaire
42e législature, 1re session
(27 novembre 2018 au 13 octobre 2021)
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Le
mercredi 19 mai 2021
-
Vol. 45 N° 3
Consultations particulières et auditions publiques sur l'évolution de la Loi concernant les soins de fin de vie
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8 h 30 (version non révisée)
(Huit heures trente-trois minutes)
La Présidente
(Mme Guillemette) : Donc, bonjour, tout le monde. Ayant constaté
le quorum, je déclare la séance de la Commission spéciale sur l'évolution de la
Loi concernant les soins de fin de vie ouverte. La commission est réunie
virtuellement afin de procéder aux consultations particulières et aux auditions
publiques concernant l'évolution de la Loi sur les soins de fin de vie. Mme la
secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
La Secrétaire
: Non, Mme
la Présidente.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, ce matin, nous entendrons par visioconférence les experts
suivants, Mme Sandra Demontigny, Dr Pierre J. Durand conjointement
avec le Dr Félix Pageau, ainsi que la Pre Suzanne
Philips-Nootens. Donc, nous débutons les travaux avec Mme Demontigny.
Merci d'être avec nous ce matin, Mme Demontigny, de venir partager avec
nous votre expérience. Donc, le principe, vous avez 20 minutes. On vous a
bien informé que vous avez 20 minutes pour votre exposé. Et il y aura un échange de 40 minutes avec les membres de la
commission. Donc, sur ce, je vous cède la parole à l'instant.
Mme Demontigny
(Sandra) : Bonjour. Est-ce que vous
m'entendez ?
La Présidente
(Mme Guillemette) : Oui, on vous entend bien
et on vous voit bien.
Mme Demontigny (Sandra) : Bon. Super. O.K. Alors, je suis bien heureuse d'être ici ce matin.
Pour moi, c'est vraiment un grand privilège. Je suis honorée, en fait, d'avoir
été invitée. Et puis, moi, je suis ici aujourd'hui pour vous partager
l'expérience d'une personne qui le vit de l'intérieur en fait. Moi, je suis
atteinte de la maladie d'Alzheimer sous sa forme précoce, donc, d'une forme
génétique. Je suis âgée maintenant de 42 ans. Et j'ai eu mon diagnostic à
l'âge de 39 ans. Les premiers symptômes que j'ai, moi, pu remarquer, là,
c'est pas mal autour de 38 ans à peu près.
Je suis sage-femme, là, de
profession. J'ai exercé pendant près de 20 ans dans Chaudière-Appalaches.
Mes quatre dernières années de ma pratique, j'étais devenue responsable des
services de sage-femme, donc, comme gestionnaire. Maintenant, je suis en arrêt
de travail depuis deux ans. Je suis maman de trois enfants, donc, une fille de
22 ans et deux garçons, un de 18 puis un de 14.
Donc, ça, c'est... J'ai mis
la table pour que vous me connaissiez un peu. Maintenant, je vais...
Mme
Demontigny
(Sandra) : …une fille de 22 ans et deux garçons, un de 18
et un de 14. Donc, ça, c'est… j'ai mis la table pour que vous me connaissiez un
peu.
Maintenant, je vais vous parler de mon
père, parce que, comme je vous ai dit, moi, je suis atteinte d'une forme
génétique, c'est une forme génétique dominante, donc il faut qu'un de mes deux
parents ait été atteint, puis moi, c'était mon père. Donc, mon père qui
s'appelle Denis. Bon, je vais devenir émotive. Excusez-moi, je suis émotive…
mon père est décédé à l'âge de 53 ans, et on pense qu'il a eu des
symptômes pas mal autour, comme moi, au début de la quarantaine, mais mon père,
un homme de l'époque, même si ça ne fait pas si longtemps que ça, là, il est
décédé en 2006… c'est un homme qui cachait quand même ses difficultés, puis ça
a pris un certain temps avant qu'il ait un diagnostic. Ses symptômes étaient
quand même assez présents. Il a eu un diagnostic à l'âge de 47 ans. Et
puis c'est en ayant vécu avec lui la maladie d'Alzheimer et puis en l'ayant
accompagné, et c'est ça qui a forgé ma pensée d'aujourd'hui.
Donc, j'ai pris des notes parce que, comme
vous le savez, j'ai une mémoire un petit peu défaillante. Mon père, c'était un
homme fier, c'était un homme très fier, c'était aussi un gestionnaire dans une
compagnie. Et puis mon père, tranquillement, on l'a senti partir derrière son
regard perdu. C'est ce qu'on voyait, mais, en même temps, on le savait très
bien qu'il était à quelque part derrière, mais il arrivait moins à nous
transmettre ce qui se passait à l'intérieur de lui. Il sentait qu'il perdait le
contrôle sur sa vie puis il perdait son autonomie aussi tranquillement. Puis
probablement qu'il ne savait pas trop vers où il s'en allait parce qu'à
l'époque c'était quand même peu connu, malgré que lui, il avait accompagné sa
mère aussi avant lui. Donc, mon père a tranquillement perdu son autonomie et
est devenu dépendant de ma mère, entre autres, parce que ma mère a pris soin de
lui à temps plein.
Et puis j'ai envie de vous parler un peu
ce que c'était, sa vie au quotidien quand il était malade. Parce qu'on parle
beaucoup du principe de dignité à travers la commission… excusez-moi, je suis
une grande émotive. Bon. Donc, mon père, comme je disais au début, il n'osait pas
dire qu'il était malade puis qu'il avait des symptômes. Donc, c'était quand
même un fin stratège, et il avait trouvé toutes sortes de manigances pour que
ça ne paraisse pas trop qu'il était malade. Donc, quand il allait travailler,
il a travaillé pendant 20 ans à la même compagnie, c'était à une vingtaine
de kilomètres à peu près de la maison…
Mme
Demontigny
(Sandra) : …comme je disais au début, n'osait pas dire qu'il
était malade puis qu'il avait des symptômes. Donc, c'était quand même un fin
stratège, et il avait trouvé toutes sortes de manigances pour que ça ne
paraisse pas trop qu'il était malade. Donc, quand il allait travailler… Il a
travaillé pendant 20 ans à la même compagnie, c'était à une vingtaine de
kilomètres à peu près de la maison. Et un jour, il est arrivé avec des
collègues de travail qui habitent dans le quartier, pas trop loin… de
dire : On devrait covoiturer les quatre ensemble, parce que c'est bon pour
l'environnement, tu sais, puis ça va coûter moins cher, puis c'est… Ça a pris
du temps avant qu'on prenne que c'était parce qu'il n'était plus capable de
faire le chemin. Mon beau-frère, qui est policier, l'a d'ailleurs retrouvé à
une trentaine de minutes en sens opposé de vers… Il s'en allait vers Bécancour,
puis il l'a retrouvé finalement à Saint-Pierre-les-Becquets, en lui
demandant : Denis, qu'est-ce que tu fais dans le coin? Et mon père de
dire : Ah! bien, je visite. Tu sais, je trouve ça beau, tu sais, la… voir
des nouveaux paysages puis tout ça. Bien non, non, ce n'était pas ça, c'est
juste qu'il était complètement perdu. Moi, ce que j'ai… ce qu'on a fini par
voir à travers tout ça, c'était un homme qui était fier et blessé dans son
orgueil de voir qu'il s'en allait tranquillement puis qu'il perdait
complètement le contrôle sur ce qu'il était devenu.
• (8 h 40) •
Puis mon père a arrêté de travailler, et,
tu sais, son quotidien était essentiellement avec ma mère. Je vais vous donner
quelques exemples de la vie avec… pour une personne qui a l'Alzheimer.
Bien, mon père, lorsqu'il rentrait dans la
salle de bain, il y avait un grand miroir qui faisait tout le mur, et il s'est
mis à jaser avec la personne qui était dans le miroir pendant qu'il marchait.
Donc, c'était : Bonjour, comment ça va aujourd'hui? Aïe! ça fait longtemps
que je ne t'ai pas vu. Ah oui! Puis il pouvait se parler comme ça dans le
miroir pendant au moins une demi-heure. À ce moment-là, c'était encore quand
même relativement joyeux, la personne devant lui était sympathique. Finalement,
au fil du temps, bien, il ne la reconnaissait pas puis il ne la trouvait pas
sympathique du tout, et là il s'est mis à être fâché contre elle, de
dire : Bien, pourquoi que tu me suis dans les toilettes? Moi, je veux
aller aux toilettes tout seul, puis toi, tu es tout le temps là. Et là, moi, je
résume ça en 15 secondes, là, mais ça dure quelques minutes. Finalement, ma
mère a fini par mettre un grand rideau foncé sur le miroir, et terminé.
Un jour, mon père s'est trompé dans les
robinets de la douche. Donc, il s'est brûlé avec l'eau chaude. Ça a été la
dernière fois qu'il a pris une douche tout seul. Depuis ce temps-là, ma mère
s'était mise à côté de lui pour être sûre qu'il ne touche pas au robinet. Une
journée, mon père se frottait le visage. Là, ma mère a dit : Voyons, que
c'est que tu as? Il dit : Ça me pique. Et là, ma mère, elle regarde, elle
dit : Mais Denis, qu'est-ce que tu as fait? Il s'était rasé les sourcils
en rasant sa barbe. Chaque matin, lui, il se rasait la barbe, il avait une
barbe…
Mme
Demontigny
(Sandra) : …mon père se frottait le visage, puis ma mère a
dit : Voyons, qu'est-ce que tu as? Il dit : Ça me pique. Et là maman
le regarde, elle dit : Mais, Denis, qu'est-ce que tu as fait? Il s'était
rasé les sourcils en rasant sa barbe. Chaque matin, lui, il se rasait la barbe,
il avait une barbe propre une journée, il n'a pas fait la différence et il a
rasé le visage au complet. Il avait les larmes aux yeux. Le temps a passé puis,
tranquillement, la détresse se voyait de plus en plus dans ses yeux, c'est
comme s'il était embarré dans sa personne. Tout ce qu'on voyait, c'était un
regard de gars perdu. Et puis ce qui est particulier, c'est que j'ai commencé à
sentir, je pense, ce feeling-là de la fille perdue. Parfois, je le sens, on
parle de quelque chose puis je ne comprends pas, je ne sais pas de quoi on me
parle, on me parle d'un événement, et là j'ai le regard fixe, et c'est comme si
c'est une page blanche, là, je ne comprends pas du tout, du tout de quoi on me
parle. Puis là je dis : Bien, excusez, là, je ne comprends pas de quoi on
me parle. E,t au début, je vais vous dire, les gens ne me croyaient pas…
dire : Voyons, tu sais, tu es une fille articulée, là, je veux dire, tu
sais, tu parles bien, tu écris, tu sais, tu… Puis là, bien non, bien là, je ne
comprends pas. Et c'est ma mémoire à court terme, moi, qui est grandement…
c'est pour ça que j'ai des notes parce que je pourrais vous répéter le même
paragraphe… cahier de notes.
Donc, mon père, on voyait vraiment la
détresse dans ses yeux, un regard perdu qui cherchait comme s'il cherchait à
avoir un point d'ancrage qu'il ne trouvait jamais. Les années ont passé, et
puis on est arrivés dans les phases finales de la maladie où mon père faisait
de l'errance, je vous dirais, facilement les trois quarts du 24 heures
dans une journée. Il se promenait sans arrêt, sans arrêt, sans arrêt dans la
maison, les yeux mi-clos parce que trop fatigué, aller se foncer dans un mur
puis reculer parce qu'il y avait un mur, comme les petits bonbonnes… d'enfant,
là, qui foncent dans des murs puis qui reculent, là, bien là, il avançait, puis
il reculait, puis il avançait, puis il reculait, jusqu'à tant qu'il tombe par
terre de fatigue. Et, pendant ce temps-là, il y avait ma mère ou mon frère qui
le talonnait en arrière pour être sûr qu'il ne se blesse pas. C'est inutile de
vous dire que ma mère est une sainte et qu'elle a été très, très, très
impliquée, mais c'était d'une tristesse incroyable. Et là il pleurait, puis là
il disait : Je suis fatigué, là, je suis fatigué, je suis fatigué. Alors,
là, on l'amenait dans son lit, et, quand on le couchait dans son lit, c'est
comme s'il avait des épines, bing, il se relève, puis il repart, puis il
recommence, puis là ça dure... Puis là il retombe par terre de fatigue une
demi-heure après. On retourne dans le lit, et c'est la même chose.
Et chaque journée, c'est comme ça, puis ça
a duré plusieurs mois, plusieurs mois. On se demande vraiment où ça va arrêter,
parce qu'on se dit…
Mme
Demontigny
(Sandra) : ...il se relève, puis il repart, puis il recommence,
puis là ça dure... Puis là il retombe par terre de fatigue une demi-heure
après. On retourne dans le lit. Et c'est la même chose.
Et chaque journée, c'est comme ça. Ça a
duré plusieurs mois. Plusieurs mois. On se demande vraiment où ça va arrêter parce
qu'on se dit... Moi, chaque fois, je me disais : Bien voyons, ça ne peut
pas être pire, là, je veux dire... C'est épouvantable, ce qu'il fait, là. Ça ne
peut pas. Mais, oui, ça peut, ça peut tout le temps.
Et une journée on s'est rendu compte qu'il
avait arrêté d'uriner puis qu'il n'était pas bien, puis il bougeait, puis on ne
savait pas trop ce qu'il avait, mais là je dis à ma mère, je dis : Maman,
ça fait au-dessus de 24 heures qui n'a pas uriné, là, ça ne va pas, là.
Donc, on a dit : Bien, on va aller à l'hôpital, là, il va fait une
infection urinaire. Ça ne va pas.
Donc, mon père ne voulant pas aller dans
l'auto, parce que, là, il était vraiment dans les derniers stades de la
maladie, j'ai dit : Bien là, on fait quoi? Bien, on va appeler les
ambulanciers d'abord. Les ambulanciers arrivent, qui étaient pleins de bonnes
intentions... les gens ne veulent pas mal faire, mais, bon, les gens
connaissent peu ou sont mal à l'aise. Donc, l'ambulancier entre dans la maison
avec la civière puis il dit à mon père : M. Demontigny, venez vous
asseoir, là. Venez vous asseoir, on va aller à l'hôpital. Mon père ne répond
pas, ne comprend pas. Il fait juste regarder partout... M. Demontigny,
assoyez-vous. Et là l'ambulancier lui prend le bras. J'ai eu à peine le temps
de tirer puis de dire : Hi! Ne fais pas ça! Mon père s'est mis à se
débattre puis à se débattre, puis là il hurlait, puis il donnait des coups,
puis là il n'y avait rien à faire, il pleurait en même temps.
Et là l'ambulancier a pris son genre de
talkie-walkie et il a dit : On a un cas de psychiatrie ici, là, ça va être
difficile. Là, je dis : Monsieur, ce n'est pas un cas de psychiatrie, là,
mon père, il est atteint d'alzheimer. Même si ça ne paraît pas parce qu'il est
jeune, là, mais il est... ce n'est pas un cas de psychiatrie, il ne comprend
juste pas ce qui se passe en ce moment. Ça fait qu'il me dit : On va
appeler les policiers. Bien là, je dis : Seigneur! Qu'est-ce qu'on va
faire avec ça?
Et là les policiers arrivent. Et un des
deux policiers, je reconnais un gars avec qui je suis allée au secondaire, que
je n'ai pas vu depuis genre 20 ans. Là, je dis : Aïe! Luc, Luc,
Luc... Là, je lui explique pour mon père. Je lui dis : Écoute, j'aurais
une idée. Essaie de te faire passer pour mon frère. Mon père, il est fatigué,
il a les yeux mi-clos, tu sais, il va moyen, puis tout ça. Essaie de te faire
passer pour mon frère. Puis mon frère, il appelait mon père «le gros». Ça fait
que, tu sais : Aïe! Salut, le gros. Alors, Luc rentre. Il dit à mon
père : Aïe! Salut, le gros. Voyons, qu'est-ce qui se passe? Mon père, il
se met à chercher. Là, Luc, il dit : Viens. Viens t'asseoir ici, là, on va
aller à l'hôpital. Et mon père s'est assis sur la civière, et on est partis
comme ça, avec Luc dans l'ambulance en arrière, qui lui parlait. Puis, papa,
qu'est-ce que tu as fait en fin de semaine? Bon. Mais c'est vous dire... Puis
Luc ne ressemble pas du tout à mon frère, mais, bon... rendus à l'hôpital comme
ça.
Le nombre de fois que je me suis
dit : Si mon père se voyait comme ça, là...
Mme
Demontigny
(Sandra) : ...on est parti comme ça avec Luc, dans l'ambulance
en arrière, qui lui parlait : Puis, papa, qu'est-ce que tu as fait en fin
de semaine? Bon. Mais, tu sais ce que je veux dire... puis, Luc, il ne
ressemble pas du tout à mon frère, mais, bon, on s'est rendu à l'hôpital comme
ça. Le nombre de vois que je ne suis dit : Si mon père se voyait comme ça,
là; il m'aurait dit : Tu sais, c'est le feel qu'il y quelque chose, là, je
ne peux pas croire que j'ai l'air de ça devant les autres et que je suis... on
doit me prendre en charge à ce point-là.
Quand on est arrivés à l'hôpital, ils ont
mis mon père en isolement dans une pièce fermée en béton parce qu'il bougeait tout
le temps puis il allait partout. Et une infirmière est venue pour lui donne un
Ativan ou un calmant quelconque, et je n'ai pas eu le temps de la voir venir
assez rapidement, et elle est allée en ouvrant à mon père, puis prend quelque
chose, en forçant un peu. Mon père l'a mordue au sang. Il ne comprenait pas ce
qui se passait. J'ai dit : Madame, il ne comprend pas ce qui se passe, il
ne comprend juste pas. Il ne veut pas... tu sais, il ne veut pas faire mal,
tout ça, mais... et puis, comme je vous dis, il avait l'air jeune, c'est comme
si ça ne collait pas, ses agissements avec ce qu'il pouvait voir l'air.
Et puis, là, le cirque a commencé, avec
l'Haldol et compagnie, pour l'assommer, et qu'il se calme un peu. Et c'est
suivi de trois semaines d'hospitalisation, où mon père a été contentionné, le
torse, et les bras, les hanches et les jambes. Et malgré ça, il avait le
réflexe de bouger, parce que les gens qui ont l'alzheimer, vous savez, ils ont
le réflexe de bouger et de marcher beaucoup en pleine nuit. Donc, mon père
tirait sur ses contentions. Il avait des contusions, des ecchymoses. C'était
bleu. Il en avait une tirant sur le noir aussi, là.
• (8 h 50) •
Et lui, il ne comprenait pas pourquoi
qu'il était là, il ne savait pas il était où, puis... Donc, j'essaie de
l'imaginer, là, mais c'est comme si on le mettait dans une place où tout le
monde parle une autre langue, ne me regarde pas ou à peu près pas. «Je ne sais
pas je suis où, j'ai l'impression que je vais être là pour tout le temps.»
Bien, c'est un peu ça. Et puis ça a pris trois semaines avant que, finalement,
son corps finisse de perdre ses facultés. Et puis donc il a passé ce temps-là,
je veux dire, sédationné et contentionné.
Les dernières paroles de mon père, ça a
été quelques jours avant de mourir. J'étais avec mon frère, ma mère. On était
au bout de son lit. Et là tout d'un coup, il a ouvert les yeux puis il a
essayé de s'asseoir dans ses contentions. Puis il a regardé mon frère puis il a
dit : Toi, m'as te tuer, mon tabarnac. Ça a été sa dernière phrase. On en
parle encore. En même temps, on sait que ce n'est pas lui. Mon père ne pensait
pas ça. Lui, il était complètement dépossédé de la personne qu'il était.
Après avoir vu ça...
Mme
Demontigny
(Sandra) : ...on en parle encore. En même temps, on sait que ce
n'est pas lui. Mon père ne pensait pas ça. Lui, il était complètement dépossédé
de la personne qu'il était.
Après avoir vu ça... À l'époque, j'avais
27 ans, j'étais mère de trois enfants. Mon plus petit avait trois mois. J'étais
terrorisée et là je me suis dit... Je venais d'apprendre, dans les semaines
avant, qu'on pouvait être atteints de la maladie, génétique, et je me
disais : Si j'ai ça, moi, là, une maladie de même, là, je ne peux pas
vivre avec ça, là, c'est juste impossible, je ne peux pas, je ne peux pas, qu'est-ce
que je vais faire? Et j'ai été des mois à angoisser, mais angoisser vraiment, à
ne pas dormir, à faire de l'anxiété, à pleurer. J'ai fait une dépression
postnatale, ça n'allait vraiment pas. Jusqu'au jour où j'ai une révélation, qui
me dit : Je ne vivrai pas ça, ni pour moi ni pour mes proches. Je ne sais
pas de la façon que je vais partir, mais je vais partir avant.
Donc, aujourd'hui, je suis là pour vous
parler de l'aide médicale à mourir anticipée. Je sais très bien, j'anticipe très
bien ce qui s'en vient, je suis au courant, et je ne veux pas vivre ça, ni pour
moi ni pour mes enfants. Alors, les choix qui s'offrent à moi, c'est quoi?
C'est aller en Suisse. Ça va me coûter peut-être 30 000 $,
40 000 $ pour y aller avec mes enfants, ma famille, et ça, c'est de
l'argent que je ne donne pas à mes enfants en héritage, qui sont jeunes. Mes
enfants sont jeunes maintenant. Sinon, je peux attenter à mes jours moi-même,
ce que je considère être quand même souvent assez violent, et ce qui me
forcerait à le faire relativement tôt dans ma maladie pour être capable de le
faire.
Mais je pense qu'aujourd'hui là, en 2021,
on est rendus plus loin que ça. On est rendus capables de mourir dans la
dignité. Ça a commencé il y a quelques années. Eh bien là, maintenant, là,
quelqu'un qui est atteint d'alzheimer ou autres maladies neurodégénératives, il
ne pense pas à la dignité. Moi, la mienne s'amenuise à chaque semaine, et je
vous demande sérieusement de prendre en considération que partir, faire avant
nos directives à mes pairs, ma famille, et de savoir que, la journée que je
vais avoir déterminé... à partir du moment où j'estime que ma dignité est trop
atteinte, savoir que je vais partir, je vais passer les années qui me restent
sereine.
Excusez-moi.
Mais, si vous voulez avoir un vrai
témoignage, ça ressemble à ça.
Je pense qu'on est capables de trouver des
mesures de...
Mme
Demontigny
(Sandra) : ...les années qu'il me reste... Excusez-moi. Mais,
si vous voulez avoir un vrai témoignage, ça ressemble à ça.
Je pense qu'on est capables de trouver des
mesures de contrôle pour être sûrs que tout se passe bien. Il y a déjà plein de
travaux qui ont été faits, qui ont été amorcés. Il y a déjà plein de belles
idées. Il reste juste à voir comment on peut attacher ça, mais moi, je peux
vous dire qu'au point de vue des patients, au point de vue des gens qui le
vivent, sans vous mettre de pression, on attend vraiment un développement à ce
niveau-là et eux… en plus, je vous demanderais que ça ne soit pas si long que
ça, là, parce que les années filent et puis, pour moi, dans cinq, six ans, il
va être trop tard.
Voilà.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci beaucoup, Mme Demontigny. Pour nous, vous étiez vraiment
l'experte de la maladie à entendre pendant cette commission-là.
Donc, nous commencerons les échanges avec
la députée de Saint-François pour une période de 15 minutes.
Mme
Hébert
:
Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme Demontigny. J'ai une petite… vous
êtes très touchante.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Je vais prendre un deux secondes, là, je vais me
chercher un mouchoir puis je reviens, O.K.?
Mme
Hébert
:
Parfait, ça va me donner le temps de…
La Présidente (Mme Guillemette) :
Prenez le temps qu'il faut.
Mme
Hébert
: …de
reprendre, moi aussi, mes émotions et je pense que je ne suis pas la seule.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Bon. O.K., excusez-moi, là. O.K. Oui, je vous
écoute, madame.
Mme
Hébert
:
Alors, Mme Demontigny, on comprend votre demande. Hier, on a eu des
médecins qui nous ont parlé, dont, si je me souviens bien, Dr Morand, puis
j'avais une question. Il nous a parlé… c'est sûr qu'on parle de l'alzheimer
plus âgé. À un certain stade… parce que j'ai lu, dans un certain article, que
vous avez dit : Le moment où je ne pourrai plus reconnaître mes enfants,
ça serait pour moi un critère que j'aimerais qu'on exécute mes demandes de fin
de vie.
Alors, il y a un certain processus quand
on atteint ce stade-là qui peut faire qu'on a… des fois, c'est aléatoire qu'on
apprend… qu'on perd la reconnaissance de nos proches. Alors, est-ce que vous
êtes en accord? Est-ce qu'il y a un temps qu'on doit justifier cette… je ne
sais pas si vous comprenez ce que je veux dire. Entre le moment où la première
fois où vous n'allez pas reconnaître vos proches et la prochaine étape, est-ce
que vous avez... Pouvez-vous suggérer un certain temps? Est-ce que vous avez
réfléchi à ça?
Mme
Demontigny
(Sandra) : En fait, oui. Puis je vous dirais que ma réflexion,
comme la vôtre, est progressive…
Mme
Hébert
:
...la première fois que vous n'allez pas reconnaître vos proches et la
prochaine étape, est-ce que vous avez... Pouvez-vous suggérer un certain temps?
Est-ce que vous avez réfléchi à ça?
Mme
Demontigny
(Sandra) : En fait, oui. Puis je vous dirais que ma réflexion,
comme la vôtre, est progressive. Même que quand j'ai parlé de ne pas
reconnaître mes enfants, je vais être honnête avec vous, probablement que je
mettrais plus qu'un critère, dans le sens où, avec le et/ou, là, parce qu'on ne
sait pas lequel qui va venir en premier. Il y a des gens qui vont reconnaître
leurs enfants jusqu'à la fin, sauf qu'ils ne vont, par exemple, plus être
capables de s'alimenter par eux-mêmes, d'aller à la toilette par eux-mêmes, par
exemple, un an avant. Donc, pour moi, personnellement, j'aimerais mieux en
mettre plus qu'un avec un et/ou, et avec un délai.
Je vois ça comme un compromis dans le sens
où, tu sais, je comprends que les médecins qui vont pratiquer, j'espère, l'aide
médicale à mourir anticipée n'auront pas envie d'aller plus vite qu'il faut,
comprenez-vous, le genre d'aller trop vite puis que, finalement... Ça fait que,
oui, il pourrait avoir un délai dans le sens où si je ne le reconnais pas une
journée, je vais le reconnaître le lendemain. Mais je sais que ça peut aussi
durer un certain temps.
Moi, mon père, il est... Il a eu un... Il
m'a reconnu, là, «on and off» jusqu'à deux mois avant son décès. Puis ça, pour
moi, c'est très loin, là. C'est très, très loin. Ça fait que c'est pour ça que
je serais plus à l'aise de mettre plus qu'une mesure pour moi, tu sais. C'est
ça.
Mme
Hébert
:
Tout étant le but de donner une possibilité d'avoir une certaine qualité de vie
avec vos proches le plus longtemps possible.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Oui. Puis en même temps, la qualité de vie peut être
relativement subjective aussi. Oui, c'est ça. Moi, le critère principal que je
nommerai, que j'ai déjà dit aussi, c'est... Moi, personnellement, l'hygiène
corporelle, là, aller aux toilettes toute seule, là, puis être capable de gérer
mes besoins personnels, ça, c'est quelque chose que je... Je ne veux pas avoir
besoin de quelqu'un chaque fois que je vais aux toilettes, là. Je ne veux pas
ça. Je dirai que, moi, ça, c'est... Ça serait probablement mon critère
principal. Mais est-ce qu'avant j'aimerais ça avoir une boule de cristal. Je ne
sais pas. Mais je pense que, moi, j'aimerais probablement l'idée d'un et/ou,
mais pas en même temps que les... là, O.K. je veux dire, là, parce qu'on ne
sait pas comment ça va évoluer.
• (9 heures) •
Mme
Hébert
:
Parfait. Puis si on regarde du côté de l'accompagnement pour que vous soyez
accompagnée là-dedans. Donc, demandez-vous qu'il y ait une certaine équipe
clinique, qu'on parle de psychologue, travailleur social, médecin? Donc,
recommandez-vous ça? Puis d'inclure aussi...
9 h (version non révisée)
17877 MmeHébert:
...de l'accompagnement, pour que vous soyez accompagné là-dedans. Donc,
demandez-vous qu'il y ait une certaine équipe clinique, qu'on parle de
psychologues, travailleurs sociaux, médecins, donc recommandez-vous ça, puis
d'inclure aussi les proches dans toute cette décision-là, là, qui doit être, je
crois, très claire aussi, là? Donc...
Mme
Demontigny
(Sandra) : Je suis tout à fait d'accord avec vous, puis j'ai la
chance déjà d'avoir une belle équipe comme ça autour de moi, le neurologue, la
neuropsychologue, la psychologue, la travailleuse sociale, et je l'apprécie au
quotidien. Puis pour moi, c'est... C'est sûr qu'il y a une partie de moi aussi
qui me dit... on court après les effectifs en santé, hein? Je ne voudrais pas
que, le fait qu'on n'ait pas le personnel nécessaire parce qu'on manque de
psychologues ou de travailleurs sociaux, qu'on ait un frein dans une démarche
de quelqu'un qui voudrait avoir l'aide médicale à mourir anticipée. Je trouve
que ce ne serait pas à cette personne-là de payer pour. Comme je dis, moi, j'ai
la chance d'avoir ces gens-là autour de moi, puis c'est clair que c'est des
gens qui me connaissent depuis déjà longtemps, puis ça serait un atout de les
avoir autour de la discussion. Et moi, naturellement, en ce moment, je... de
toute façon, j'en discute ouvertement avec eux puis c'est très éclairant parce
qu'ils ont une expertise que moi, je n'ai pas. Mais comme je vous dis, le
manque de services ne devrait pas être un frein pour les gens qui n'y ont pas
accès.
Mme
Hébert
:
Merci, Mme Demontigny. Mme la Présidente, je laisserais la parole à un
autre de mes collègues.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Mme la députée. Je céderais la parole au député de Lac-Saint-Jean.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Merci, Mme la Présidente. C'est très touchant, là, votre témoignage. J'ai été
voir un peu aussi sur votre site, là, les démarches que vous êtes en train de
faire, en fait, au niveau de la loi fédérale. Puis c'est là qu'on voit, là, les
troubles neurocognitifs majeurs... en fait, on tombe dans l'aptitude à
consentir tout ça. C'est là qu'on voit, là, que la ligne... une personne qui...
au niveau de l'aptitude à consentir qui dit qui tombe inapte à cause de
troubles cognitifs. Puis hier on en a beaucoup parlé, il y a des groupes entre
autres qui en ont parlé. Puis toute la question aussi des proches, et c'est un
peu là-dessus que je m'en vais, parce que, là, vous avez vécu, vous, la famille
ce qui s'est passé, là, avec votre père qui n'était plus en mesure de décider
de par lui-même. Ma question, c'est : Comment voyez-vous ça, l'importance,
la responsabilité des proches dans ces situations-là. On sait que, quand vient
le temps, bien, on parle toujours d'un consensus qui est la meilleure... qui,
en fait, qui serait le mieux possible, mais j'aimerais ça savoir un peu la...
les proches, tu sais, tout retombe un peu sur leurs épaules. Puis qu'est-ce que
vous proposez...
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
…dans ces situations-là, on sait que quand vient le temps, bien, on parle toujours
d'un consensus qui est la meilleure, qui… en fait, qui serait le mieux
possible, mais j'aimerais ça savoir, un peu, la… les proches, le… tu sais, tout
retombe, un peu, sur leurs épaules. Puis qu'est-ce que vous proposez pour aider
les proches? Parce qu'il y a toute l'émotivité là-dedans aussi qui embarque
puis qui vient fausser aussi, des fois, la perception qu'on a. Je vais vous
laisser…
Mme
Demontigny
(Sandra) : Merci pour votre question. C'est sûr que, bon, il
n'y a pas une situation qui est pareille. Moi, mes proches, mes enfants, mon
conjoint sont complètement d'accord avec moi. On en parle depuis tellement
longtemps que ça va de soi puis… mais je sais que ce n'est pas comme ça dans
toutes les familles.
Moi, ce que j'ai pensé pour moi, parce
qu'il faut avoir un mandataire ou, en tout cas, quelqu'un de désigné qui va
trancher, moi, j'ai opté pour ma meilleure amie, qui est une collègue de
travail depuis 20 ans, qui me connaît, là, très, très bien, et qui partage
les mêmes valeurs de vie que moi. Pour elle, c'est une évidence même et puis…
malgré que ma famille aussi, ils sont tout à fait d'accord, mais moi,
personnellement, je trouvais que — mes enfants ne sont pas très vieux
non plus, là — je trouvais que c'était un petit peu lourd de leur
mettre ça sur les épaules. Ce que je pense faire, ce que je… j'ai pensé la
mettre, elle, en consultation avec mes enfants. C'est sûr qu'elle espère que
mes enfants ne s'opposeront pas, mais en même temps, je ne penserais pas.
Mais c'est sûr que dans des familles où les
gens ne s'entendent pas, ça ne sera pas évident. Je vais être honnête avec
vous, là, je pense que la façon de s'en sortir, là, c'est que les gens puissent
être capables de se centrer sur la personne qui est au coeur de la situation.
Parce qu'on peut avoir, comme individus, des valeurs différentes, mais ce n'est
pas ma fille, là, qui vit ça, puis ce n'est pas mon conjoint non plus, c'est
moi. Donc, moi, c'est quoi, mes valeurs, qu'est-ce que j'ai toujours véhiculé?
Puis j'espère que les gens vont arriver, puis probablement avec un
accompagnement, mais être capables de faire ce choix-là, qui est le choix qu'on
fait au nom de la personne qui n'est pas capable de le faire.
C'est sûr que, bon, on parle des
directives anticipées. C'est clair que s'il est possible que je puisse
déterminer, de façon très claire, le plus possible, mes directives anticipées
et que ce soit, par exemple, consigné…
Mme
Demontigny
(Sandra) : …on parle des directives de… des directives
anticipées. C'est clair que, si je… il est possible que je puisse déterminer de
façon très claire, le plus possible, mes directives anticipées et que ça soit par
exemple consigné via le notaire ou via les demandes ministérielles, là, qui
sont comme l'organisation et tout ça. Plus c'est clair de ce côté-là, plus ça
va libérer de poids sur les gens pour prendre une décision. Quelqu'un qui a
rempli un papier de non-réanimation, bien, les proches sont peut-être… sont sûrement
contents de ne pas avoir à trancher là-dessus. C'est un peu le même principe.
Je pense qu'avec certaines mesures, on pourrait être capable de diminuer la
tension aussi sur les gens, parce que la personne atteinte va avoir, elle, à
déterminer les choix d'avance.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Merci. C'est tout. C'est intéressant, là, quand vous dites : vous avez
nommé quelqu'un d'autre, c'est quand même intéressant. Je vais laisser la
parole à d'autres collègues.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Merci, monsieur.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Je céderais la parole au député de Mégantic.
M. Jacques : Bonjour, Mme
Montmigny. Beau témoignage. Écoutez, je sens qu'on est comme chacun notre tour
un à un avec vous ce matin, là, et j'aimerais revenir un peu en arrière puis un
peu en avant en continuant, là, sur le… ce que le député de Lac-Saint-Jean a
dit aussi. Moi, je veux savoir comment se sentait… comment vous vous sentiez à
29 ans, à 39 ans et à 42 ans, bon, dans le sens que… Comment vous avez vécu la
maladie de votre père, d'un, puis qu'est-ce que vous auriez fait à ce moment-là
si vous aviez eu des choses à pouvoir planifier pour le futur, d'un? De deux, à
quel moment dans la maladie de votre père, si vous vous mettez à sa place, à
quel moment, vous, pour vous, c'est assez? Vous avez parlé tantôt, là, de ne
pas être capable d'aller aux toilettes seul. Est-ce qu'il y a d'autres… Est-ce
que c'est à l'agressivité, le fait de… Bon. J'aimerais… Je pense qu'on est
capables de jaser de ça ce matin, là, puis on est tous… on est toutes, on est
tous à vos lèvres puis on veut vous entendre, parce que je pense que vous
amenez un témoignage, là, qui est fort, fort, fort bénéfique pour la
commission.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Vous êtes bien gentil. Merci. Je vais commencer par
votre deuxième question, parce que la première, il va falloir commencer, je
pense, ce n'est pas… J'ai écrit «quand», mais, tu sais, ça ne veut plus rien
dire. Au niveau de mon père, c'est pas mal arrivé un peu tout ensemble,
l'histoire d'avoir besoin d'assistance pour aller aux toilettes, l'errance,
puis, pour moi, c'est là. Avant ça, moi, je… c'était quand même joyeux, je veux
dire, tu sais, il était avec ma mère, puis, bon, c'est le petit…
Mme
Demontigny (Sandra) :
…l'histoire d'avoir besoin d'assistance pour aller aux toilettes, l'errance…
puis, pour moi, c'est là… avant ça, moi… c'était quand même joyeux, je veux
dire, tu sais, il était avec ma mère, puis, bon, c'est le petit quotidien.
C'est sûr que, tu sais, sa vie n'était pas trépidante, là, mais lui, il ne le
savait pas tant que ça, puis il était avec son monde, puis il était content.
Mais à partir du moment où il a commencé à être agressif envers nous, bien, ce
n'était pas envers nous, c'était envers ce qu'il ne comprend pas, c'est, entre
autres, comme je disais tantôt, quand il n'était plus capable d'aller aux
toilettes par lui-même, c'était la crise parce qu'il sentait des efforts dans
son corps, il ne comprenait pas ce que c'était, ça fait que, là, il se
débattait, il ne voulait pas s'asseoir sur la toilette, il pensait qu'il allait
tomber dans le vide. Tu sais, une toilette, c'est blanc, pour lui, c'était un
trou, tu sais, ça fait qu'il ne voulait pas s'asseoir là. Il se débattait, il
avait mal au ventre, tu sais, tout ça, là, ça, c'est clair qu'il n'aurait
jamais voulu vivre ça, là.
• (9 h 10) •
M. Jacques : Mais… si vous,
là, vous arriviez là, là, c'est ce bout-là, là, que vous n'êtes pas capable de
vivre… pour vous, là, c'est ça que j'essaie de voir, là.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Oui, bien, en fait, juste avant ça, dans le sens où,
tu sais, ce n'est pas venu du jour au lendemain, tu sais, il a commencé
tranquillement… commencé à avoir de la misère, mais, tu sais, rendu là, là, tu
sais, mon père faisait ses besoins dans ses vêtements, tu sais, c'était comme…
Puis moi, ça, c'est vraiment trop. C'est vraiment trop, là, c'est… tu sais, je
pense que, tu sais, la vie m'a donné une maladie, je suis capable de faire mon
bout, là, mais il y a un moment où non, puis ça, là, pour moi, c'est vraiment
trop.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, merci beaucoup, M. le député.
Mme
Demontigny
(Sandra) : …excusez-moi.
La Présidente (Mme Guillemette) :
On aura le temps de poursuivre les échanges avec la députée de Maurice-Richard.
Mme
Demontigny
(Sandra) : …
Mme Montpetit : Je vous
remercie, Mme la Présidente. Bonjour à Mme Demontigny, puis vraiment un sincère
merci, bien, de contribuer à nos travaux, de venir nous parler ici dans toute
votre authenticité, c'est très, très, très touchant, c'est très doublement
touchant, je vous dirais, du témoignage que vous nous livrez par rapport à
votre père, mais du témoignage de votre perspective aussi, de ce qui se passe
pour vous.
Ça soulève beaucoup de questions chez moi
sur… comment vous… ce que j'ai entendu, en fait, de ce que vous nous avez dit
par rapport à votre père, entre autres, c'est beaucoup sur la dernière image
aussi, je pense, qui projetée, vous nous avez parlé de la dernière phrase qu'il
a dit à votre père, est-ce que… puis j'essaie de voir dans le… dans ce qui vous
habite, dans le fond, aussi, dans votre démarche, la question de la souffrance
par rapport à la dignité. Parce que je… on a parlé beaucoup de souffrance avec
les experts au cours des derniers jours, justement, comment on l'évalue,
qu'est-ce que c'est, mais j'entends aussi beaucoup dans ce que vous nous dites,
justement, l'aspect de dignité, de comment vous avez vu votre père aussi
évoluer là-dedans, mais aussi par rapport à vous et par rapport, justement, à
la relation avec les proches, les mots durs qu'il a dit à votre…
Mme Montpetit : ...on
l'évalue, qu'est-ce que c'est. Mais j'entends aussi beaucoup dans ce que vous
nous dites, justement, l'aspect de dignité, de... je... de comment vous avez vu
votre père aussi évoluer là-dedans, mais aussi par rapport à vous et par
rapport, justement, à la relation avec les proches, les mots durs qu'il a dits
à votre frère. Quand vous nous dites : Bien, on sait très bien que ce
n'est pas lui, mais on voit que la blessure, elle est encore très vive sur les
derniers moments que vous avez avec lui. Donc, je voulais vous entendre. Je
sais que c'est un peu large comme question, mais je voulais vous entendre sur
ces questions-là.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Merci. Je trouve que vous le nommez très, très bien,
la souffrance par rapport à la dignité. Vous avez raison, pour moi, c'est ça,
la pire souffrance, définitivement, définitivement, parce que... Puis en plus
ça se fait sur le long cours. Tu sais, ce n'est pas juste un événement de... tu
sais, j'ai mal quelque part aujourd'hui, là. La dignité, bon, ça, ça... à la
fin, ça a atteint son paroxysme, là, mais durant toutes les années, avant,
tranquillement, là, c'est un morceau à la fois, là. C'est comme un casse-tête
qu'on enlève des morceaux, là.
Moi, je suis quand même aux phases
modérées... dans la phase modérée de la maladie. Je peux vous dire que ma
dignité en prend déjà pour son rhume, là, mais, bon, je travaille sur mon
orgueil, puis je suis encore capable de le faire, puis, tu sais, de me
dire : Bien, c'est de même, puis, de toute façon, je ne peux rien y
changer.
Mais maintenant j'ai commencé à
dire : Excusez-moi, là, j'ai des problèmes avec ma mémoire. Je m'excuse.
Maintenant, je le nomme plus souvent parce que j'ai l'air vraiment mêlée ou...
ne pas respecter des consignes, par exemple, ou... Puis je vais être avec vous,
là... Quand je dis ça à quelqu'un, je ne suis pas supercontente, mais c'est
nécessaire, là. C'est ce qu'il y a de mieux à faire dans les circonstances.
Mais c'est sûr que je ne veux pas me définir par rapport à ma maladie, mais,
avec le temps qui passe, elle me définit plus que n'importe quoi d'autre,
malheureusement.
Mais vous avez raison la souffrance par
rapport à la dignité... ce que j'ai vécu avec mon père, qui est quand même une
personne, pas 200, mais c'est ça qui est le plus souffrant, vraiment.
Tu sais, j'ai entendu des gens... J'ai
écouté aussi la commission avant puis j'ai entendu quelqu'un qui parlait de la
démence heureuse, de quelqu'un qui... je ne me souviens plus exactement, là, mais
qui se berçait puis qui flattait un toutou, quelque chose comme ça, là.
Moi, dans ma version à moi, pour ma
personne, la dignité... puis je pense que ça peut être variable d'une personne
à l'autre. Moi, je ne me sens pas digne, là, de faire ça pendant une journée
puis que les gens viennent autour de moi, mes proches, je ne sais pas trop
c'est qui, puis je fais juste ça, puis, si on ne me tasse pas de là, je vais
rester là pendant 24 heures. Tu sais, je... ça... Pour moi, c'est comme...
Je ne veux pas être péjorative, là, mais c'est comme un plasteur sur le bobo,
tu sais... Tu sais, pendant que je suis là, puis que je me berce, puis que j'ai
l'air contente, bien... Je ne dérange ou, tu sais, je ne fais pas d'autres
choses. En même temps, quelqu'un qui va bien, là, qui a tous ses esprits,
est-ce qu'il ferait ça pendant 10 heures en ligne? Je ne pense pas, là...
Mme
Demontigny
(Sandra) : ...un... je ne veux pas être péjorative, là, mais
c'est comme un plasteur sur le bobo, tu sais. Quand bien même que je suis là,
puis que je me berce, puis que j'ai l'air contente, bien, je ne dérange pas ou,
tu sais, je ne fais pas d'autres choses en même temps, quelqu'un qui va bien,
là, qui a tous ses esprits, est-ce qu'il ferait ça pendant 10 heures en ligne?
Je ne pense pas, là. Bien, moi, ça ne me tente pas, je n'ai pas envie de faire
ça. Quant à ça, je pense que je serais bien dans un autre lieu qu'on ne connaît
pas encore, même si ça va être pénible.
Mme Montpetit : Bien, c'est...
oui, c'est exactement à ça que je faisais référence, la question, entre autres,
de la démence heureuse. Moi, j'ai eu l'occasion, dans ma carrière, de
travailler quelques années dans des CHSLD, puis évidemment, il y a une
proportion très, très importante de gens, je pense que c'est 70 % des
personnes qui... bien, qui ressemblent un peu à votre père, à ce que vous nous
avez décrit de votre père, là, qui font une errance, qui sont en phase avancée
d'alzheimer, puis après ça, bien, il y a un spectre de... petit manque de...
certains qui sont plus agressifs, il faut les approcher plus lentement,
d'autres, effectivement, qui ont ce côté-là... En tout cas, je ne suis pas sûre
que j'aurais appelé ça «heureux», personnellement. Je ne sais pas si c'est un
terme clinique qui a été utilisé ou pas, mais on pourra le clarifier avec nos
experts.
Mais c'est un peu là que je voulais
voir... Est-ce que, quand vous nous dites : Moi, je vois ce qui arrive
devant moi, puis peu importe qu'il y ait une réelle souffrance ou pas, à partir
du moment où je n'aurai plus la dignité, donc je ne serai plus capable de faire
tel, tel, tel geste, m'alimenter moi-même, aller à la salle de bain moi-même...
est-ce que, pour vous, ce n'est pas une façon aussi de... Tu sais, vous nous
avez parlé, oui, du fardeau que ça peut apporter à votre famille, mais est-ce
que ce n'est pas une façon aussi d'avoir une certaine tranquillité d'esprit
maintenant, dans les années où vous êtes vive d'esprit et...
Je vous vois sourire, je vous vois réagir,
mais c'est un peu ça que je voulais voir aussi, parce qu'on parle tout le temps
de la partie de la maladie où elle est très présente puis on arrive plus en fin
de parcours, mais j'imagine qu'il y a une dignité aussi puis une tranquillité
d'esprit pendant qu'on peut prendre cette décision-là aussi.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Exactement. Comme je disais tantôt, quand, moi, j'ai
décidé, à l'âge de 27 ans, que j'allais finir ma vie dans un moment où j'aurais
encore ma dignité, c'est là que j'ai vraiment senti un apaisement, ça a été,
là, le jour et la nuit. J'ai été, avant ça, des jours et des semaines, à penser
à mon père, à le voir dans ma tête puis à angoisser. Et, quand ça, c'est venu,
puis malgré que, tu sais, l'idée, par exemple, de me donner la mort ne
m'enchante pas du tout, là, mais de me dire : Et, non, il y a moyen que je
vive ma vie sereine, zen, parce que cette phrase-là, il n'y en aura juste pas.
Puis, en effet, ça a été un tournant marquant dans ma vie, ça, de sentir que ma
vie m'appartient encore, même si elle est grandement dominée par des plaques
amyloïdes dans mon cerveau. Puis il y a un certain moment où je vais avoir… ça
va être correct. Puis j'adore la vie, mais, justement, moi, je ne considère pas
ça comme une vie où je m'épanouis, où je suis heureuse. Non, j'ai envie…
Mme
Demontigny
(Sandra) : ...même si elle est grandement dominée par... puis
il y a certains moments où je vais avoir donné... ça va être correct. Puis
j'adore la vie, mais, justement, moi, je ne considère pas ça comme une vie où
je m'épanouis, où je suis heureuse aussi. Non, j'ai envie de partir quand ça va
être encore beau, pas trop tôt, mais pas où est-ce qu'on va être rendu dans
le... très bien expliqué, exactement.
Mme Montpetit : Merci, hein,
c'est... vous êtes d'une grande générosité dans vos... d'une grande
authenticité dans vos réponses, honnêtement, ça va tellement nous aider dans
nos travaux.
Et il y a un autre élément que je voulais
voir avec vous aussi, puis vous me l'avez mentionné, vous avez suivi les
travaux de la commission depuis vendredi dernier. On a fait référence beaucoup,
les experts qui sont venus nous voir aussi, à l'évaluation de la souffrance par
le jugement clinique, par un médecin, par un professionnel de la santé, puis
j'aimerais ça vous entendre... Vous avez... vous avez dit que vous aviez...
vous confiriez cette décision-là à une amie qui est proche de vous, qui vous
connaît bien et qui partage vos valeurs. Puis j'aimerais ça vous entendre sur
le poids, justement, à donner à quelqu'un qui connaît la personne, hein, qui la
connaît très, très bien, qui la connaît assez pour voir l'évolution aussi de
cette personne-là à travers sa maladie, versus, justement, une décision
clinique par un professionnel. Tu sais, à savoir, justement... est-ce que vous
accepteriez que ce ne soit pas exécutoire, cette décision-là, qu'un jugement
clinique puisse prendre le pas sur l'évaluation de votre proche à qui vous avez
confié ça?
• (9 h 20) •
Mme
Demontigny
(Sandra) : Bien honnêtement, non. En fait, c'est que... Je vais
parler pour moi, c'est vraiment une réflexion personnelle, moi, elle s'appelle
Marie-Josée, on va l'appeler par son nom. Marie-Josée, je la connais, on
partage les mêmes valeurs, on en parle souvent, tout le temps depuis des
années, et puis je le sais qu'elle est capable de faire valoir mon point parce
qu'elle le partage. Dans les équipes médicales, comme dans n'importe quelle
autre équipe ou peu importe... les gens ont aussi des valeurs personnelles. Et
puis comme intervenants, malgré qu'on doit... on devrait le plus possible être
le plus neutre et vraiment focusser sur le besoin et les demandes du patient,
j'ai comme un... j'aurais comme une crainte que ça ne se fasse pas nécessairement
dans certains cas. C'est sûr que j'ai travaillé 20 ans dans le réseau, là,
et puis ça se voit des fois des professionnels qui pensent que la façon a de
faire est meilleure que la façon b parce qu'ils ont appris, mais aussi parce
que chaque humain est fait de ses valeurs puis de ses expériences. Et puis si
je pouvais avoir la conviction que des gens feraient une analyse neutre d'une
situation, chose qui est peu pensable, O.K., mais honnêtement...
Mme
Demontigny
(Sandra) : ...par ce qu'ils ont appris, mais aussi parce que
chaque humain est fait de ses valeurs puis de ses expériences. Et puis si je
pouvais avoir la conviction que des gens feraient une analyse neutre d'une situation,
chose qui est peu pensable, O.K., mais honnêtement moi, je viserais vraiment de
faire une directive anticipée, donc... parce que c'est moi qui la fait, là,
moi, là, moi, je le dis : Je veux ça, ça, ça, a, b, c, d, puis Marie-Josée
va être témoin de... oui, maintenant, Sandra, elle est rendue là, tenez, c'est
ça, puis c'est tout, là. Moi, je vais l'avoir déjà déterminé. Si... moi, ma
crainte, si on laisse un... Je pense que le plus grand pouvoir revient quand
même à la personne malade, qui doit faire cette demande quand elle est encore
toute lucide... bien, toute, en tout cas, en bonne partie lucide. Puis le
pouvoir... pour moi, il est là, le pouvoir décisionnel.
Après ça, il faut le mettre en place.
C'est qui, la meilleure personne pour le mettre en place? Normalement, le
proche à qui tu confies ça, c'est que tu lui fais vraiment confiance. Si j'ai
un médecin avec qui je travaille depuis... ça fait 10 ans qu'il me suit,
puis je le connais bien, puis que... probablement que je serais à l'aise. Mais
est-ce que je vais tomber sur l'équipe volante parce que je vais à l'urgence ou
je ne sais pas trop? J'ai confiance en l'humain, mais, en même temps, je suis
consciente qu'on n'a pas tous les mêmes valeurs. Ça m'inquiéterait, je dirais.
Mme Montpetit : C'est très,
très clair. Mme la Présidente, est-ce qu'il nous reste un peu de temps?
J'aurais mon collègue de D'Arcy-McGee qui aurait une question, mais ça file
vite.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Il reste 10 secondes, Mme la députée.
Mme Montpetit : Je suis
désolée. Bien, merci beaucoup, Mme Demontigny, sincèrement, pour votre témoignage,
c'est touchant, mais c'est surtout très, très, très éclairant pour la suite.
Merci.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Merci à vous.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Nous poursuivons maintenant nos échanges avec le député de Gouin.
M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme
Demontigny, pour votre témoignage aujourd'hui. C'est très instructif pour nous,
mais je vois bien que c'est difficile pour vous. Par conséquent, je vais vous
poser des questions, puis si vous sentez que vous n'êtes pas à l'aise d'y
répondre, il n'y aura aucun problème, mais je trouve ça important de vous les
poser.
Vous vous basez beaucoup, dans votre
réflexion, et c'est normal, sur ce que vous avez vu auprès de votre père. Et
c'est beaucoup ce que vous avez constaté à ce moment-là qui alimente votre
décision, si j'ai bien entendu votre témoignage aujourd'hui. Si jamais la
maladie n'évoluait pas, dans votre cas, comme elle a évolué avec celui de votre
père, croyez-vous que vos proches devraient pouvoir revenir sur votre décision
ou si votre décision devrait être finale et sans appel, peu importe ce qui se
passe puis peu importe ce que pensent vos proches?
La Présidente (Mme Guillemette) :
...
M. Nadeau-Dubois : …ou si votre
décision devrait être finale et sans appel peu importe ce qui se passe puis peu
importe ce que pensent vos proches?
La Présidente (Mme Guillemette) :
Mme Demontigny, est-ce qu'on aurait perdu la connexion? On va suspendre
quelques instants, on a perdu la connexion.
(Suspension de la séance à 9 h 24)
(Reprise à 9 h 29)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Donc, nous reprenons les travaux. Désolée. On en était à la réponse de
Mme Demontigny. M. le député de Gouin, peut-être nous reformuler rapidement
votre question.
M. Nadeau-Dubois : Oui, Mme la
Présidente. Je propose qu'on reprenne le bloc au début, là, puis que, de
consentement, on décale l'ensemble de nos travaux, pour s'assurer que tout le
monde a le temps de profiter...
La Présidente (Mme Guillemette) :
S'il y a consentement pour tout le monde, on terminera plus... Il n'y a pas de
problème.
Mme Montpetit : Absolument.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Donc, allez-y.
M. Nadeau-Dubois : On s'entend
sur l'importance de profiter de chaque minute qu'on a avec notre invitée ce
matin. Merci, Mme Montigny, de votre témoignage, ce n'est pas facile pour vous,
mais sachez que, pour nous, c'est extrêmement pertinent, ça nous aide à prendre
une décision...
La Présidente (Mme Guillemette) :
...on en était à la réponse de Mme Demontigny. M. le député de Gouin, peut-être
nous reformuler rapidement...
Une voix
: Il y a comme
un «lag».
M. Nadeau-Dubois : Aïe! Aïe!
Aïe!
La Présidente (Mme Guillemette) :
...votre question.
M. Nadeau-Dubois : Oui, Mme la
Présidente. Je propose qu'on reprenne le bloc au début, là, puis que, de
consentement, on...
La Présidente (Mme Guillemette) :
On va suspendre quelques instants, là, on a vraiment un pépin technique.
(Suspension de la séance à 9 h 30)
9 h 30 (version non révisée)
(Reprise à 9 h 36)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, le problème technique étant résolu, nous retournons à nos travaux
et nous redonnons la parole au député de Gouin.
M. Nadeau-Dubois : Merci, Mme
la Présidente. Merci, Mme Demontigny, pour votre témoignage. Désolé des pépins
techniques. Ça va avoir détendu l'atmosphère un peu. Je sais que les questions
que je vais vous poser ne seront pas nécessairement faciles, puis si vous
n'avez pas envie d'y répondre, il n'y a aucun problème, mais…
(Visioconférence)
M. Nadeau-Dubois : ...merci,
Mme la Présidente. Merci, Mme Demontigny, pour votre témoignage. Désolé
des pépins techniques. Ça aura détendu l'atmosphère un peu.
Je sais que les questions que je vais vous
poser ne seront pas nécessairement faciles, puis, si vous n'avez pas envie d'y
répondre, il n'y a aucun problème, mais je m'en voudrais de ne pas vous les
poser et je veux profiter de votre présence pour savoir, vous, comment vous
voyez cette situation-là.
Votre témoignage puis votre décision de
choisir l'aide médicale à mourir, ils se basent beaucoup sur ce que vous avez
vu de votre père, puis ça vous donne une idée de comment votre maladie à vous
va évoluer. Si jamais votre maladie évoluait différemment de celle de votre
père, puis que vos proches le constatant se mettaient à questionner finalement
la pertinence de l'aide médicale à mourir, est-ce que vous pensez que votre
décision à vous devait être finale et sans appel ou est-ce qu'il devrait y
avoir une porte entrouverte pour vos proches, le moment venu, de dire : Finalement,
ça ne se passe pas comme on pensait que ça se passerait, on préfère ne pas
procéder?
Mme
Demontigny
(Sandra) : C'est une bonne question. Spontanément, quand j'ai
entendu la fin de votre question, quand vous avez dit où c'est possible que vos
proches, finalement, ils décideraient de ne pas procéder. Moi, on m'en parle
souvent chez nous, c'est comme si on parle de la température parce que ça fait
comme partie de notre vie, puis, moi, j'ai souvent dit à mes enfants : Si
vous ne respectez pas ma volonté, je vais venir vous hanter jusqu'à la fin de
mes jours, tu sais, en riant, mais tu sais... puis là, tu sais, c'est juste parce
que c'est quelque chose de convenu chez nous.
C'est sûr que les symptômes ne seront peut-être
pas pareils à mon père dans le sens où on ne sait pas lesquels vont partir en
premier. Ce qu'on sait, c'est qu'ils vont tous finir par partir. Puis, moi, justement
je veux cibler les symptômes avec lesquels je ne suis pas à l'aise. Comme je
disais tantôt, bon, les besoins de base à mon corps, bien, l'errance, tu sais,
ça, pour moi, c'est du... donc... mais, normalement, l'errance n'arrivera pas
avant, mais mettons que, dans tous les cas, ils vont finir par arriver puis normalement,
quand, ça, ça arrive, ça arrive parce que le corps est vraiment en train de
lâcher, là, dans son entièreté. Ça fait que c'est pour ça que, quand on
parlait, je ne sais pas avec quelle personne, mais de la possibilité de mettre
des symptômes, plus qu'un, en sachant que tous ceux-là ne me conviennent pas,
là, puis je ne veux pas passer au travers ça, mais ils vont normalement tous se
finir par arriver un ou l'autre. Ça m'étonnerait que je vive une vie d'alzheimer
où il ne se passe pas grand-chose, là.
M. Nadeau-Dubois : Donc,
autrement dit, selon vous, ces demandes anticipées là, elles devraient être
finales et sans appel.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Oui, oui. Puis, tu sais, on dit «demande anticipée»,
moi, je vois ça comme une directive. Et je ne veux pas demander qu'on mette quelque
chose en place, j'exige. Ça a l'air méchant, là, comme mot, mais...
M. Nadeau-Dubois : ...donc, autrement
dit, selon vous, ces demandes anticipées là, elles devraient être finales et
sans...
Mme
Demontigny
(Sandra) : Oui. Puis, tu sais, on dit «demande anticipée», moi,
je vois ça comme une directive. Et je ne veux pas demander qu'on mette quelque
chose en place, j'exige. Ça a l'air méchant, là, comme mot, là, mais, je veux
dire, c'est ça que je veux, puis je ne veux pas que ce soit... qu'il y ait
place à l'interprétation, parce que quand les motifs rentrent en compte... En
même temps, comme je vous dis, moi, je connais mes proches, je sais très bien
qu'ils ne voudront pas poursuivre non plus, là, mais quelqu'un qui étirerait,
là, moi, personnellement, je ne suis vraiment pas à l'aise avec ça. Est-ce que
ça répond à votre question?
• (9 h 50) •
M. Nadeau-Dubois : Oui, ça
répond tout à fait à ma question. Merci beaucoup, Mme Demontigny.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Bienvenue.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, M. le député. Je céderais maintenant la parole à la députée de Joliette.
Mme
Hivon
: Oui.
Bonjour, Mme Demontigny, c'est un bonheur de vous entendre ce matin. Ça peut
faire drôle de dire ça, dans les circonstances, mais je sais, pour vous avoir
entendue, à quel point ça vous tient à coeur de mener ce combat-là, et on le
comprend aisément dès que vous prenez la parole. Et je veux juste vous dire que
vous faites vraiment oeuvre utile aujourd'hui pour nous et, je pense, pour
beaucoup d'autres gens dans votre situation ou qui pourraient la vivre un jour.
Je veux continuer dans la même veine que
mon collègue et plusieurs collègues. C'est qu'hier on a vraiment... je ne sais
pas si vous nous avez suivis hier, mais il y a cette espèce de débat là entre
les experts sur jusqu'où justement c'est la demande de la personne qui, en
toutes circonstances, doit primer, versus la recherche d'un consensus entre ce
que la personne aurait demandé, l'équipe médicale et les proches. On comprend
qu'un consensus, c'est plus confortable pour tout le monde. Mais ça met de côté
le principe un peu ou ça diminue un peu le principe de l'autodétermination de
la personne.
Vous, là, quand vous vous projetez... Là,
vous venez de répondre à mon collègue, vous voudriez que ça soit exécutoire, on
le comprend très bien, mais dans un monde idéal, est-ce que vous vous projetez
en disant : Moi, même si l'équipe médicale a un peu des doutes parce que
j'ai l'air finalement mieux que je pensais que je serais, en termes, je dirais,
de comment vous vivez votre indignité, mettons, là, et que vos proches,
finalement, face à ça, sont moins confortables, est-ce que je vous lis
correctement, que vous dites : Moi, ce n'est pas le consensus qui m'intéresse,
c'est ce que moi, je vais avoir dit, même si mes proches sont moins
confortables puis mon équipe médicale aussi?
Mme
Demontigny
(Sandra) : C'est pas mal ça que j'ai dit, oui. C'est ça que je
pense. Et quand vous parlez de consensus, là, je ne sais pas si c'est une
réflexion qui est égoïste, mais, pour moi, il n'y a pas à y avoir consensus par
rapport à ce que moi, je considère être digne, comme fin de vie. C'est moi,
c'est ma vie, c'est ma personne, au même titre que, tu sais, si quelqu'un arrive
en arrêt cardiaque puis qu'il a écrit dans ses directives anticipées «pas de
réanimation»...
Mme
Demontigny
(Sandra) : ...mais, pour moi, il n'y a pas à avoir consensus par
rapport à ce que moi, je considère être digne comme fin de vie. C'est moi,
c'est ma vie, c'est ma personne, au même titre que, tu sais, si quelqu'un
arrive en arrêt cardiaque puis qu'il a écrit dans ses directives anticipées
«pas de réanimation», même s'il est actif au travail, qu'il est un homme
heureux puis qu'il fait du sport, ce n'est pas ça qu'il veut, tu sais, n'est
pas ça qu'il dit, là.
Moi, je pense que... sans vouloir offenser
personne, l'histoire du consensus, je pense, c'est peut-être quelque chose qui
plaît à l'esprit, de... Les gens... ce que je comprends, les intervenants sont un
peu mal à l'aise avec la chose. En même temps, quand ça a été dit au moment où est-ce
qu'on est capable de le dire, puis que c'est consigné, puis que c'est...
Je pense à... puis je ne sais pas si c'est
à ça qu'on fait référence, mais à la situation de la dame en Belgique, je
crois, je pense, là, qui avait eu une... qui avait demandé l'aide médicale à
mourir puis qui s'est débattue au moment de la recevoir, qui a créé un malaise
à la grandeur de la planète, là, j'en entends encore parler.
Et je me suis posé la question : Si
moi, mettons, je faisais ça, là... Bien, ce n'est pas parce que mon corps...
Moi, je pense que ce n'est pas parce que mon corps se débat puis qu'il démontre
qu'il ne veut pas que mon âme et ma conscience, elle, c'est ça qu'elle veut. La
maladie d'Alzheimer, c'est ça. Tu sais, il y a une autre entité, quelque chose
qui fait que ton corps se désorganise. Sauf que, même si mon corps réagit, il
n'en demeure pas moins que ma volonté de base, elle est là quand même, elle n'a
pas changé. Je parle en mon nom personnel...
Une voix
: ...oui...
Mme
Demontigny
(Sandra) : ...puis je trouve que, bien, un, ça fait un poids
pour l'équipe médicale. Mais, deux, sans vouloir offenser personne, je ne
trouve pas que ça leur revient tant que ça. Je pense que ça revient à la personne
qui le vit.
Mme
Hivon
:
Je comprends très bien. Certains aussi nous disent... s'il me reste un peu de
temps...
La Présidente
(Mme Guillemette) : 20 secondes, Mme la députée.
Mme
Hivon
:
O.K. Bien, écoutez, je vais juste vous dire que c'est très clair. Puis je vais
vous remercier, parce que je n'embarquerai sur un autre sujet en
10 secondes. Et merci beaucoup de votre présence parmi nous aujourd'hui.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Demontigny. Ça
termine les échanges pour aujourd'hui.
Merci. Un merci sincère d'avoir accepté très
généreusement de nous partager votre expérience. Donc, le meilleur pour la
suite. Et nous, on prendra... on vous aura toujours à quelque part dans notre
coeur pendant nos délibérations. Merci beaucoup.
Mme
Demontigny
(Sandra) : Merci pour votre écoute.
M. Birnbaum : Merci.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Donc, nous suspendons quelques instants, le
temps d'accueillir nos nouveaux invités.
(Suspension de la séance à 9 h 45)
La Présidente (Mme Guillemette) :
…le temps d'accueillir nos nouveaux invités.
(Suspension de la séance à 9 h 45)
(Reprise à 9 h 51)
La Présidente (Mme Guillemette) :
Nous reprenons nos travaux. Bonjour, tout le monde. Donc, maintenant, nous
avons l'honneur d'accueillir le Dr Pageau et le Dr Durand. Donc, merci d'être
avec nous ce matin. Vous aurez 20 minutes pour nous présenter votre exposé et,
par la suite, il y aura un échange avec les membres de la commission pour une
période de 40 minutes. Donc, je vous cède la parole.
Une voix
: Bonjour.
Alors, si vous me permettez…
La Présidente (Mme
Guillemette) : ...donc merci d'être avec nous ce matin. Vous aurez
20 minutes pour nous présenter votre exposé, et, par la suite, il y aura
un échange avec les membres de la commission pour une période de
40 minutes. Donc, je vous cède la parole.
M. Pageau
(Félix) : Bonjour...
M. Durand (Pierre
J.) : Alors, si vous le permettez, on va se présenter. Moi, Dr
Durand, je suis le directeur scientifique du Centre d'excellence sur le
vieillissement de Québec. Je suis un vieux médecin gériatre de la première
mouture de médecins gériatres au Québec, alors depuis 1987. Et puis j'ai une
quarantaine d'années d'expérience dans les soins aux personnes âgées, le milieu
de la réadaptation, les soins à domicile, le réseau intégré, les approches de
soins et services en soins de longue durée. Je dirige aussi actuellement le
département de santé publique du CIUSSS de la Capitale-Nationale. Alors, il y a
Dr Pageau, je vais le laisser se présenter. C'est lui qui va faire l'exposé,
et, par la suite, on ouvrira la période de questions. Merci.
M. Pageau
(Félix) : Bonjour. Moi, je suis Félix Pageau, je suis médecin
gériatre depuis deux ans, j'ai gradué à l'Université Laval, dans un programme
qui s'appelle clinicien chercheur, donc je fais de la recherche en philosophie,
éthique, avec l'axe de la protection des aînés vulnérables. Je suis sur le
comité national... comité d'éthique clinique du CHU de Québec, vice-président
du comité de la recherche du cégep de Drummondville, puis, en ce moment aussi,
je complète une formation en bioéthique et recherche à l'Université de Bâle, en
Suisse, là, à l'institut de bioéthique médicale, pour revenir travailler comme
chercheur gériatrique clinicien à Québec.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Parfait. Merci. Donc, vous pouvez débuter votre exposé pour une période de
20 minutes.
M. Pageau
(Félix) : Parfait. Donc, je vais vous présenter aujourd'hui un
texte qu'on a écrit en collaboration avec plusieurs auteurs, qu'on a intitulé Démence,
stigmatisation et euthanasie; la trajectoire à éviter. D'abord, comme
préambule, je vais lire ce qui suit, donc : «L'invitation à témoigner
devant l'Assemblée nationale qui m'a été envoyée pour donner ma perspective professionnelle
éthique est d'une grande importance pour moi. C'est un véritable honneur pour
toute une... médecin qui, comme moi, soigne les aînés et vise à protéger les
plus vulnérables d'entre eux. Mon propos se veut simple, mais ne sera pas
simpliste. Je souhaite expliquer ma position sans paternalisme ni
condescendance. Je n'ai pas, de toute façon, l'expérience aussi longue que Dr
Durand pour en témoigner. Je me trouve ici face à vous en toute humilité...
pouvoirs qui m'ont été donnés démocratiquement, mais que les connaissances que
j'ai acquises au fil des multiples formations m'ont permis aussi d'acquérir
certains pouvoirs de savoir, entre guillemets. Ceux-ci ne peuvent se
substituer, par contre à la force du peuple québécois qui s'incarne en vous par
la démocratie. J'espère ainsi humblement arriver à aider votre réflexion par ma
position ainsi qu'en tant que médecin gériatre, éthicien et chercheur. Bref, je
souhaite aujourd'hui rallier le plus de gens possible à la cause de la
protection des aînés vulnérables atteints de démence.
Également, mes arguments sont
philosophiques, humanistes, éthiques et médicaux. Dans mon exposé, je ne fais
pas référence à une ou plusieurs religions ni aux principes vitalistes, là, qui
visent la protection de la vie à tout prix. Je considère que la qualité de vie
et l'absence d'acharnement, en tant que principes centraux, dans ma
perspective, sont importantes. Une équipe d'environ 300 cliniciens chevronnés
en gériatrie, soins spécialisés aux aînés et gérontopsychiatrie m'ont appuyé
dans ma réflexion...
M. Pageau
(Félix) : …dans mon exposé, je ne fais pas référence à une ou plusieurs
religions ni aux principes vitalistes, là, qui visent la protection de… je
considère que la qualité de vie et l'absence d'acharnement, en tant que
principes centraux, dans ma perspective, sont importants. Une équipe d'environ
300 cliniciens chevronnés en gériatrie, soins spécialisés aux aînés et
gérontopsychiatrie m'ont impliqué dans ma réflexion. On a publié une lettre
dans de nombreux journaux, et j'ai fait quelques entrevues télévisées, là, pour
en témoigner.
En termes d'introduction, le gouvernement
du Canada a récemment indiqué qu'il ne souhaitait pas permettre l'aide médicale
à mourir, que je vais appeler AMM pour la suite, par les directives médicales
anticipées ou DMA, en rejetant… les amendements sénatoriaux 1a, 1b et 1c au projet
de loi C-7. C'est une vision prudente des soins pour les aînés qui est exprimée
dans les lignes qui expliquent cette décision. La discussion demeure ouverte,
mais notre équipe est en faveur de l'interdiction d'inscrire l'AMM dans les
directives médicales anticipées. Nous faisons, par le fait même, appel à la
raison, à l'empathie de nos concitoyens, vous aussi, personnes élues. Dans les
lignes qui suivent, nous tenterons de démontrer en quoi l'AMM en démence n'est
jamais un traitement ni un soin qui devrait être inscrit dans les directives
médicales anticipées ou DMA.
Donc, un vrai soin en DMA, qu'est-que
c'est? Il existe autant de visages à la démence qu'on appelle aussi maintenant
les troubles neurocognitifs majeurs, c'est la nouvelle appellation qu'on
utilise, des gens qui en sont atteints. Néanmoins, on peut simplifier le
tableau en quatre grandes catégories. Bien que la simplification serve souvent
à réduire la réalité clinique plus complexe, sa vulgarisation peut être utile
pour expliquer un propos éthique. Ainsi, pouvons-nous énumérer quatre grands
tableaux en démence selon notre expérience clinique. Il y a la démence
heureuse, la maladie cognitive avec symptômes comportementaux et psychologiques
de la démence, aussi appelée SCPD, qui sont traitables, la maladie cognitive,
avec SCPD…, et dérangeant pour les autres et la démence, avec des SCPD, qui
semble causer de la détresse.
La démence heureuse est cet état
d'inconscience de la maladie, ce qu'on appelle aussi agnosie, en termes
médicaux, lié à un calme, presque bonheur. Les gens qui se trouvent dans cet
état ne souffrent pas, en tout cas, pas vraiment plus que la moyenne des gens
sans démence. Sinon, les SCPD sont une panoplie de symptômes variant entre
l'errance, l'anxiété, la dépression, l'agitation, la violence physique, et bien
plus. La plupart du temps, avec une équipe soignante bien formée dans les soins
gériatriques et gérontopsychiatriques adaptés, nous arrivons à traiter les
SCPD. Plusieurs documents existent pour guider les pratiques. Or, les ressources
humaines financières en gériatrie sont souvent lacunaires. La crainte de finir
en CHSLD est très répandue dans la population québécoise selon notre expérience
personnelle et clinique.
La pandémie… COVID a bien démontré que
cette crainte est, en partie, au moins justifiée. D'ailleurs, les travailleurs
de la santé en gériatrie savent, depuis longtemps, que les CHSLD et les soins
gériatriques ont été largement sous-financés dans la dernière décennie, et
cela, depuis l'arrivée du nouveau management public ou «New Public Management»
et a été empiré par l'austérité. La pandémie… la COVID a révélé, avec fracas, particulièrement
dans les CHSLD, ses problèmes. Ainsi, faudra-t-il un meilleur financement des
soins gériatriques qui améliorera à la fois les salaires, les conditions de
travail et les ratios… infirmiers. Hormis le manque de ressources, il arrive
que les équipes…
M. Pageau
(Félix) : ...«new public management» et a été empiré par
l'austérité. La pandémie à COVID a révélé avec fracas, particulièrement dans
les CHSLD, ces problèmes. Ainsi faudra-t-il un meilleur financement des soins
gériatriques qui améliore à la fois les salaires, les conditions de travail et
les ratios patients-infirmière.
Hormis le manque de ressources, ça arrive
que des équipes bien financées et formées en soins adaptés ne réussissent pas à
traiter les patients avec SCPD. Cela souligne l'importance de la recherche pour
améliorer les soins gériatriques et gérontopsychiatriques, comme ce qui se fait
au Centre d'excellence sur le vieillissement de Québec, dont le Dr Durand est
directeur scientifique, en lien avec le groupe VITAM, ou au Comité national
d'éthique sur le vieillissement, qui réfléchissent aux questions éthiques, et
aussi la possibilité de créer des chaires de recherche en éthique et
vieillissement à l'Université Laval qui sont en réflexion.
Les gens qui ont des SCPD intraitables ne
sont pas nécessairement souffrants. Ils peuvent accommoder leurs proches...
incommoder, pardon, leurs proches ou les soignants. Ils dérangent. Dans ce cas,
il est hasardeux ou même impensable de décider de tuer une personne parce
qu'elle nous énerve, sans qu'elle souffre de manière apparente. Il faut s'en
occuper sans jugement et avec empathie. Ce n'est pas volontairement ou par
méchanceté qu'on dit perverse, donc qui aime voir les autres souffrir, que la personne
agit ainsi, mais plutôt à cause de la maladie. Il semble adéquat de vouloir
éliminer la démence, mais il ne faut pas méprendre le malade pour sa maladie.
Finalement, certains pourraient souhaiter
la mort à ceux et celles qui ont des SCPD, des symptômes comportements et
psychologiques de la démence, et qui semblent en souffrir. Or, il faut d'abord
s'assurer que ce n'est pas un manque de personnel ou de financement qui crée
l'incapacité de traiter ou l'apparence de cette impossibilité.
Il est aussi difficile en démence avancée
d'évaluer la douleur ou les problèmes psychologiques. La manière dont la majorité
des gériatres et gérontopsychiatres... est par la méthode d'essai et erreur.
Cela regroupe, entre autres, la médication contre la douleur, les traitements
antipsychotiques et les traitements adaptés à la personne âgée. On suggère même
parfois la sédation palliative intermittente. Grosso modo, on essaie une ou plusieurs
modalités de traitement à la fois et on en retire quelques-unes qui elles ne
fonctionnent pas. Cela est impossible en AMM. Il n'y a pas de retour possible
en arrière lorsque le patient ou la patiente est décédé, évidemment.
Il faut aussi souligner l'importance de ne
pas traiter des conditions qui pourraient entraîner la mort du patient en
démence avancée. L'acharnement thérapeutique n'est pas une visée logique et
empathique dans l'idée de réduire les souffrances. Lorsqu'on est décidé à opter
pour des soins palliatifs, il faut toujours donner les meilleurs soins
palliatifs adaptés à la personne en fin de vie. L'accompagnement... Puis ce que
je viens de dire aussi... bien dans la loi n° 2 au
Québec. L'accompagnement des familles et des équipes soignantes par des experts
en soins palliatifs est la clé du succès pour des soins de fin de vie adéquats
en démence avancée. Bref, il ne faut pas protéger la vie à tout prix ni
devancer la mort, mais bien soigner la personne atteinte de démence.
L'AMM est un choix autonome? Point
d'interrogation. Plusieurs gens, dont
Alain Naud, pour ne nommer que lui, font prévaloir
le droit à l'autonomie et à l'autodétermination dans le débat pour l'intégration
de l'aide médicale à mourir dans les DMA. Selon ces gens, c'est la façon
d'offrir les meilleurs soins en se basant sur les désirs du patient ou de la
patiente.
• (10 heures) •
D'abord, il faut souligner que l'AMM est
un mauvais terme, qui porte à confusion et rend la décision autonome difficile.
Il fait partie d'une rhétorique euphémisante utilisée pour la justifier. Qu'est-ce
que nous entendons par «rhétorique euphémisante»? Par exemple, au Québec, on
dit souvent : C'est un petit monsieur. Ce n'est pas un petit monsieur pour
parler d'un homme avec un surplus de poids...
10 h (version non révisée)
(Visioconférence)
M. Pageau
(Félix) :...c'est la façon de donner les
meilleurs soins en se basant sur les voeux du patient ou de la patiente.
D'abord, il faut souligner que l'AMM est
un mauvais terme qui porte et rend la décision autonome difficile. Il fait
partie d'une rhétorique euphémisante utilisée pour la justifier. Qu'est-ce que
nous entendons par «rhétorique euphémisante»? Par exemple, au Québec, on dit souvent :
C'est un petit monsieur. Ce n'est pas un petit monsieur. Pour parler d'un homme
avec un surplus de poids, il est un peu gras, peut-être on dit parfois :
Il a de gros os, est un autre exemple. Aussi, une manière plus frappante
d'utiliser un euphémisme, serait dire : Le nazisme, c'est, genre, un peu
grave quand même. Au lieu de dire plus justement : Le nazisme est l'une
des pires... l'un des pires moments, sinon le pire moment de l'histoire récente
de l'humanité.
Le recours à l'euphémisme est un peut-être
trait bien québécois ou canadien, or il donne la fausse impression, dans
l'expression «aide médicale à mourir», que la mort n'est pas une terrible
cassure. Cela laisse croire aussi que le ou la médecin n'est peut-être pas vraiment
en train de tuer le patient ou la patiente lorsque c'est exactement ce qui se
passe. C'est en fait de l'euthanasie active qui est faite au Québec et au Canada.
Comme vous le savez sans doute, le ou la médecin tue en injectant un ou plusieurs
médicaments. Donc, si on se fie au guide du Collège des médecins du Québec.
Est-ce de l'aide? C'est bien plutôt l'acte de tuer sous le couvert d'un
sceau... et particulièrement en démence avancée. Il est important de le garder
tout ça en tête et sans euphémisme. Le problème de l'euphémisme, c'est qu'il
retire la gravité aux gestes ou aux mots. La décision est dès lors biaisée et
moins autonome quand elle devient moins éclairée. Il faut être très clair... il
faut être clair dans la dénomination pour permettre un bon jugement par les gens
qui veulent être tués par leurs médecins. J'en conviens, d'autres arguments,
par contre, sont plus forts, et les gens sont intelligents au Québec et savent
que le ou la médecin tue la personne sous ses soins en aide. Il faut simplement
le dire ainsi sans fla-fla.
La seconde erreur liée l'autonomie est
l'idée que la décision prise maintenant sera encore valide au moment de décider
que l'AMM doit être faite. C'est faux. Il est presque impossible de prévoir
adéquatement les détails nécessaires pour tuer une personne avec une démence.
Normalement, les quatre tableaux cliniques sont variables d'une personne à
l'autre, et on ne sait pas de quoi les gens auront l'air dans leur cas précis.
Donc, en réalité, les gens ignorent les conditions dans lesquelles ils seront
s'ils développent une démence. Comme la météo, prévoir l'avenir en démence est
une science incertaine.
En outre, au final, ce ne serait pas la
personne actuelle qui décide le moment de sa mort en démence, mais celle qui
est là au moment de l'écriture des DMA, la personne d'avant. Donc, la personne
actuelle qui a la démence est menée par la personne qu'elle était avant, mais
plus qui elle est en ce moment. Cette dernière se trompe possiblement aussi sur
l'état de la situation actuelle car elle n'est pas là pour juger de sa
situation ici et maintenant. C'est le concept du soi futur, donc ce qu'on
prévoit dans le futur. Mais, un coup rendu au futur, c'est le soi passé qui
décide pour nous en se trompant probablement.
Tous les êtres humains changent avec le
temps et surtout ceux atteints de démence. Nos idées à 15, 30, 50 ans ne
sont pas les mêmes. Elles dépendent de l'endroit où nous sommes rendus dans nos
vies. Il est impossible de prévoir son avenir spécialement en démence, empêche
de se référer vraiment à l'autonomie. L'autonomie, ça existe dans l'ici et
maintenant en tenant compte de la situation actuelle. Elle juge de façon
rationnelle et émotionnelle en se concernant soi et les autres. Quelqu'un qui
souhaite souhaiterait avoir l'accès à l'AMM en PMA devrait vraiment être
capable de comprendre de façon éclairée. L'autonomie mise de l'avant dans le
contexte de DMA requiert des connaissances et même une expérience au moins
mentale par l'imagination de situations de démence avancée...
M. Pageau
(Félix) : ...de la situation actuelle et juge de façon
rationnelle et émotionnelle en se considérant soi et les autres. Quelqu'un qui
souhaiterait avoir l'accès à l'AMM en PMA devrait vraiment être capable de
comprendre de façon éclairée. L'autonomie mise de l'avant dans le contexte de
DMA requiert des connaissances et même une expérience au moins mentale par
l'imagination des situations de démence avancée. C'est le principe du consentement
libre et éclairé qui... les principes du consentement éclairé qui prévalent,
pardon.
Aussi quoi faire si un patient qui a une
démence heureuse avait demandé l'AMM à l'avance et ne veut plus l'avoir au
moment qu'il a la demande? Forcer l'AMM au nom de l'autonomie antérieure? Peut-être
faudrait-il demander à la famille. Cela mène à la question des conflits
d'intérêts. À la fois la famille et le médecin traitant ont divers intérêts qui
ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux des patients. En démence, c'est
bien souvent les membres de la famille qui souffrent à cause des SCPD de leurs
proches malades. Ils peuvent aussi retirer des bénéfices à la suite d'un décès,
un héritage, des biens, etc. Pour le médecin, il faut faire rouler l'étage,
entre guillemets, libérer des lits hospitaliers... signer des départs, répondre
aux pressions d'urgence pour admettre, réduire les durées de séjour, etc. C'est
un risque de plus pour alimenter les conflits d'intérêts en permettant l'AMM en
DMA.
Aussi pour les travailleurs, les
professionnels et les intervenants du réseau de la santé et des services
sociaux mettre fin à la vie de quelqu'un en... est plus rapide, plus efficace
et moins cher que la l'assignation palliative des soins de fin de vie. Ce n'est
pas un jugement objectif qui sera posé à cause des pressions externes fortes
pour l'efficacité des soins.
Alors, l'autonomie n'est pas un bon
principe directeur puisqu'elle ne règle pas véritablement la question de la
décision. Cette dernière n'est jamais guidée par une autonomie libre et
éclairée, même si elle tente de prévoir à l'avance toutes les situations
possibles rationnellement en... ses émotions et son empathie. Le poids sur les
épaules des gens qui entourent le patient ou la patiente est un fardeau lourd à
porter aussi. Ne pas devenir un fardeau pour les autres est une des inquiétudes
des personnes demandant l'AMM qui sont inscrites dans les DMA.
Or, elle crée un autre fardeau avec cette
demande, celle de la décision par consentement substitué. Ce seront
véritablement les proches et l'équipe soignante qui décideront, et pas le ou la
patiente. Devrait-on se fier à la perte de dignité… certaines demandes? La
dignité réelle est intrinsèque. Le philosophe Emmanuel Kant l'a lu dans la
Déclaration universelle des droits de l'homme, Thomas De Koninck, philosophe et
professeur québécois, et bien d'autres la définissent ainsi.
Or, la Commission spéciale sur la question
de mourir dans la dignité a décidé de la dépeindre d'abord comme suggestive ou
relative à la personne raisonnable. C'est grave parce qu'on suppose que la
personne peut être utilisée comme un objet si elle renonce à sa valeur humaine.
C'est terrible parce qu'on présume alors que quelqu'un peut demander qu'on la
tue parce qu'elle pense n'avoir plus de valeur. Pourquoi, au juste, seul un
docteur aurait le droit de tuer, alors? Ça n'a pas de sens non plus, on devrait
tous avoir le droit d'utiliser une personne qui se trouve indigne, comme on le
veut, dès qu'elle renonce à sa dignité. Or, la dignité intrinsèque nous en
empêche et c'est elle qui est essentielle, c'est de l'antiautonomie de renoncer
à la dignité. Il est assez ironique que plusieurs fassent prévaloir l'autonomie
et la dignité subjective presque d'un même souffle.
Selon la dignité perdue, ce sera... la
dignité perdue serait conçue comme sociale, sinon. Elle est basée sur les
capacités, l'âge, la race ou tout autre critère par un groupe humain pour
asservir, diminuer ou réduire le pouvoir d'une partie de sa population. C'est
un critère impensable dans notre société depuis au moins la Déclaration
universelle des droits de l'homme, en 1948. Or, les gens qui veulent avoir
accès à…
M. Pageau
(Félix) : ...selon la dignité perdue, ce sera... la dignité
perdue serait conçue comme sociale, sinon. Elle est basée sure les capacités,
l'âge, la race ou tout autre critère par un groupe humain pour asservir,
diminuer ou réduire le pouvoir d'une partie de sa population. C'est un critère
impensable dans notre société depuis au moins la Déclaration universelle des
droits de l'homme, en 1948. Or, les gens qui veulent avoir accès à l'AMM par
directive médicale anticipée y font référence, eux, par dignité subjective, mais
basée très souvent sur des critères sociaux, dignité sociale.
En fait, ils font dire, en parlant de
leurs proches au médecin : Si je deviens incontinent, agressif, dément au
point de ne plus reconnaître mes enfants ou être capable de rester autonome et
seul chez moi, tuez-moi. Cette vision rassemble plusieurs notions très problématiques.
En effet, c'est à la fois de la discrimination envers les gens avec des
handicaps physiques; faire des tâches seules, de manière autonome, être
continent; des handicaps cognitifs, reconnaître mes enfants, être continent;
envers les maladies psychiatriques, la démence avec le SCPD et aussi une discrimination
liée à l'âge avec la question de l'âgisme. Il y a de l'âgisme capacitiste et de
la stigmatisation envers les maladies mentales. Les gens avec une démence, malheureusement,
pour eux, dans nos sociétés, se retrouvent à cette intersection dangereuse pour
leur vie du handicap physique et cognitif, de la maladie mentale et de l'âge
avancé. Cette quadruple tare est vue par certains comme la chose la plus
horrible et indigne. La mort serait le seul soin alors.
Aussi, la vision néolibérale de l'individu
joue beaucoup ici. C'est la théorie de l'être humain a une valeur seulement
s'il travaille, produit quelque chose, consomme et dépense. Cette vision
limitée de l'humain avec un grand h vient ajouter à la vision péjorative des
aînés atteints de démence. En effet, ces derniers ne peuvent rien faire de tout
cela, ou à peine. De plus, certains osent même parfois comparer les aînés avec
démence à des chiens. Ils diront : Je fais plus facilement euthanasier mon
chien que les gens âgés peuvent avoir accès à l'euthanasie. Les défenseurs de
l'euthanasie en démence oublient que, bien souvent, les chiens sont euthanasiés
par manque de moyens financiers pour payer les soins vétérinaires par leurs
propriétaires. Cette vision déshumanisante de la personne âgée montre aussi que
le manque de moyens pécuniaires est aussi la cause d'euthanasies. Sinon, le
désintérêt ou la fatigue de s'occuper d'un être vivant, pour le chien. Le but
n'est pas de culpabiliser les propriétaires de chien qui ont recours à
l'euthanasie pour leur animal, mais plutôt de souligner que la comparaison
n'est pas...
Il y a évidemment une crainte associée à
cet avenir en voyant comment les vieux déments — certains diront — sont
traités. Évidemment, les gens réclament actuellement la mort pour eux, mais
cela en dit long sur la vision sociétale qu'on a des gens atteints de démence.
Il n'est pas plus adéquat d'intérioriser ces principes pour soi, l'âgisme, le
capacitisme, la stigmatisation psychiatrique sont mauvais envers les autres et
envers soi-même aussi. C'est ensemble, en tant que société, qu'il faut
combattre nos préjugés, pour soi et pour les autres.
L'avenir, c'est tout. Pourquoi le gouvernement
devrait-il investir dans la diminution des préjugés contre les gens atteints de
démence? Le fait que ce sont des êtres humains devrait d'abord facilement
convaincre tout politicien et toute politicienne. Cette valeur intrinsèque est
la dignité humaine mentionnée plus haut. De plus, on dit souvent des enfants
qu'ils représentent l'avenir, on suppose, au sens large, au plan social.
Toutefois, on entend rarement que les aînés sont notre avenir, au sens très
individuel. En effet, le traitement réservé aux aînés, les institutions
sociomédicales et les fonds pour la recherche en gériatrie auront un impact
direct sur l'avenir individuel de chacun de nous. C'est aussi de dire que les
enfants sont l'avenir avec un grand a, mais que les aînés sont notre avenir
avec un petit a. Les baby-boomers seront les prochains...
M. Pageau
(Félix) : …les aînés sont notre avenir au sens très individuel.
En effet, le traitement réservé aux aînés des institutions sociomédicales et
les fonds pour la recherche en gériatrie auront un impact direct sur l'avenir
individuel de chacun de nous. C'est aussi de dire que les enfants sont l'avenir
avec un grand a, mais que les aînés sont notre avenir avec un petit a. Les baby-boomers
seront les prochains. Investir dans les CHSLD, les maisons des aînés, les soins
à domicile, les ressources humaines et matérielles en gériatrie, c'est payé
pour un avenir meilleur pour les gens qui sont dans la phase la plus productive
de leur vie actuellement. Il est si clair que d'investir dans la retraite est
une bonne chose pour certains, n'est-il pas alors évident qu'il faut investir
dans les soins gériatriques pour avoir les meilleures chances d'une vie de
confort… d'une fin de vie confortable, pardon. C'est notre avenir à tous, si
nous sommes chanceux. Investir dans les REER sans investir dans les
institutions sociomédicales gériatriques, c'est contraire à la logique. Traiter
les cancers, et les infarctus, et allonger la vie sans améliorer la fin de vie
n'est pas une voie cohérente non plus. La défense des patients vulnérables que
l'on fait aujourd'hui est pour l'avenir de tous. Si la démence nous permet de…
si la médecine, pardon, nous permet de vieillir au-delà de 100 ans, et
considérant les risques de 30 % de démence à 85 ans et 50 % à
90 ans, il faut agir pour assurer des soins gériatriques de qualité
maintenant.
• (10 h 10) •
Les solutions proposées. Nous espérons que
le privilège que nous avons eu de nous adresser à vous aura permis de faire
valoir notre perspective, dont laquelle les gens atteints de démence sont
dignes de recevoir des vrais soins et pas la mort. Nous souhaitons aussi livrer
quelques solutions envisageables pour aider à changer les perspectives. Il faut
valoriser la dignité humaine réelle, malgré l'âgisme, la stigmatisation liée à
la santé mentale, les handicaps physiques et cognitifs. Pour réduire l'âgisme,
il existe plusieurs études qui démontrent que l'éducation et le contact
fréquent avec les aînés diminuent les préjugés néfastes. Il est aussi important
de donner une voix aux proches aidants et aidantes, et à toute aînée ou tout
aîné qu'il ou elle soit vulnérable ou non.
Les… du Comité national d'éthique sur le
vieillissement ainsi que la politique nouvellement proposée par la ministre
Blais vont d'ailleurs dans ce sens. Un comité de l'INESSS travaille sur la
sédation palliative intermittente et continue pour déterminer les… les
indications… soulignent l'importance de financer les assistances publiques
d'évaluation des gestes médicaux et les chercheurs qui travaillent en
gériatrie, en gérontopsychiatrie et en soins palliatifs. Il faut demeurer
prudents devant l'inconnu du devenir de l'être humain. L'important est de
rassurer la personne qui développe une démence, l'accompagner et la soigner de
manière empathique et humaine. La majorité du temps, le financement et les
ressources humaines sont arrivés à aider nos patients, même ceux qui ont des
SCPD sévères… d'améliorer la recherche et le financement dans les soins des SCPD
et des traitements en démence. Les gens du secteur de la santé en contact avec
les aînés devraient tous être formés à l'approche adaptée à la personne aînée
aussi.
Les aînés actuels et à venir, les
baby-boomers, doivent se reconnaître une valeur inaliénable, et cela même en
cas de démence. Pour les gens qui… à leur dignité subjective, en début de
maladie cognitive, le psychiatre Harvey Max Chochinov a élaboré une thérapie de
dignité pour soigner ce sentiment néfaste. Dès qu'un sentiment de fardeau peut
être ressenti, toutes les contributions qu'un individu a fait au courant de sa
vie à la société humaine doivent être rendues par les véritables soins adaptés
à leur condition. Au lieu du traditionnel : Je ne veux pas être un fardeau
pour mes proches, il faudra dire : Vous allez vous occuper de moi, et je
le mérite. C'est ici un appel à la solidarité et à la justice sociale qui est
fait, il faut savoir redonner aux aînés qui ont forgé notre nation québécoise
et investi dans notre société.
En termes de conclusion, l'euthanasie
active…
M. Pageau
(Félix) : …les véritables soins adaptés à leur fonction. Au
lieu du traditionnel «Je ne veux pas être un fardeau pour mes proches», il
faudra dire : «Vous allez vous occuper de moi, et je le mérite.» C'est ici
un appel à la solidarité et à la justice sociale qui est fait, il faut savoir
redonner aux aînés qui ont forgé notre nation québécoise et investi dans notre société.
En termes de conclusion, l'euthanasie
active en démence, ou AMM, n'est pas un traitement ni un soin, c'est l'aveu de
l'échec de la médecine contemporaine, c'est le sentiment de perte de dignité…
Le sentiment de perte de dignité subjective est évident… est évidemment tout à
fait valide, mais peut être traité. Il faut éviter le sentiment de perte de
dignité sociale pour soi ou pour les autres par les solutions proposées
précédemment. Il importe dès maintenant de mettre fin au… à l'âgisme et à la
stigmatisation des problèmes de santé mentale. Ce n'est pas l'enjeu d'un seul parti
politique, mais bien de tous. Terminé.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Pageau. Excusez. Nous commencerons maintenant notre période
d'échange avec le député de D'Arcy-McGee.
M. Birnbaum : Merci, Mme la
Présidente. Merci, le Dr Pageau et le Dr Durand. Écoutez, je me permets de
noter que c'est décevant qu'on n'avait pas de document préalable, c'est un des
sujets assez complexes, et, avec respect, vous avez parlé très vite aussi. Mais
je vais essayer de poser des questions que reflète… qui sont pertinentes, je
l'espère.
Écoutez, je me permets de dire : Vous
avez utilisé vous-mêmes le mot «péjoratif», et en même temps, si je vous ai
bien compris, en quelque part, vous êtes en train de suggérer qu'une demande d'aide
médicale à mourir, dans la plupart ou dans la totalité des circonstances,
serait en quelque part illégitime et qui ne refléterait pas la capacité
autonome et à dépendre de quelqu'un… acte — pour laisser cette
question-là à côté — de se prononcer sur ses volontés. Est-ce que
j'ai bien compris?
M. Pageau
(Félix) : En fait, bien, la majorité des termes que j'ai
utilisés, c'est entre guillemets, donc c'est souvent les propos qui nous sont
rapportés ou qu'on rapporte dans la population en général avec lesquels je ne
suis pas d'accord comme gériatre, parce qu'effectivement, quand j'ai un être
humain devant moi, j'essaie de le traiter avec le plus de respect possible, et
justement sa valeur humaine. Donc, l'idée, en fait, c'est que l'autonomie, pour
une… comme vous et moi… Bon. Je ne vous connais pas personnellement, je ne vous
ai pas évalué médicalement, mais vous me semblez quand même assez autonome,
capable de prendre une décision rationnelle et émotive. Je pense que ça,
effectivement, je n'ai rien à dire contre votre autonomie, puis on le suppose
de toute façon. Légalement puis éthiquement, je suis d'accord avec le concept
d'autonomie, qu'on l'a tous. C'est juste que les gens avec démence à la fois
perdent leur autonomie fonctionnelle, donc la capacité de se… de faire ses
tâches au quotidien, mais aussi la capacité décisionnelle, c'est-à-dire qu'ils
viennent dans une réalité parallèle où ils ne comprennent pas vraiment ce qui
se passe autour d'eux. De prévoir à l'avance, par autonomie décisionnelle,
disons, vous maintenant, là, avec votre autonomie actuelle, si vous voulez
dire : Ah! si jamais je deviens dément, tuez-moi, le problème avec cette
réflexion-là, c'est un peu comme j'ai dit dans mon texte, puis on vous l'a
envoyé, à, sous forme de mémoire, c'est l'idée que…
M. Pageau
(Félix) : …ce qui se passe autour d'eux. De prévoir à l'avance
par autonomie décisionnelle… disons que vous, maintenant, là, avec votre
autonomie actuelle, si vous voulez dire : Ah! si jamais je deviens dément,
tuez-moi, le problème avec cette réflexion-là, c'est un peu comme j'ai dit dans
mon texte — puis on va vous l'envoyer, là, sous forme de
mémoire — c'est l'idée que pour être autonome, vraiment, de façon
rationnelle, de un, il faut être capable de comprendre les pours et les contres
de la situation, de ce qui se passe.
En démence, comme je vous dis, il y a
plusieurs tableaux cliniques. De prévoir exactement dans quel tableau on va se
trouver, c'est quasi impossible. Puis souvent, les gens, aussi, décident de
dire : Bien, je ne veux pas avoir des soins gériatriques, je ne veux pas
me ramasser là, mais c'est parce qu'ils connaissent juste les mauvais soins
qu'on donne actuellement. Donc, le gros du problème, je pense, c'est qu'on n'a pas
la capacité de donner des soins adéquats, ce qui fait que les gens ont peur
puis prennent une décision un peu émotive sans vraiment se baser sur leur
autonomie à l'avance.
Puis l'autre chose aussi, c'est qu'un coup
rendu en démence, l'autonomie décisionnelle n'est plus là. Donc, c'est comme si
la personne qui est là, qui aurait besoin qu'on s'occupe d'elle puis qu'on
l'accompagne, bien, c'est une personne qui était là avant qui ne la reconnaît
plus vraiment parce qu'elle ne se connaissait pas… je ne sais pas si vous
comprenez l'image mentale de dire… en tout respect, là, je sais, je ne veux
pas… mais l'idée de dire, justement, tu sais, je vais… c'est comme si je me
dis : Ah! je vais imaginer qu'est-ce que quelqu'un au Zimbabwe pourrait
avoir comme soins en ce moment, que ça ne va pas très bien, j'imagine, dans les
soins là-bas, puis je ne veux pas qu'elle… tu sais, je pense, ça ne vaut pas la
peine d'avoir des soins parce que ça va trop mal, mais sans la connaître
nécessairement, sans vraiment savoir qu'est-ce que qu'elle va avoir besoin puis
sans vraiment savoir, dans la situation où elle est actuellement, comment
est-ce qu'on peut faire les soins.
Parce qu'à l'avance, quand on prévoit à
l'avance, on remet la décision, finalement, à quelqu'un d'autre en
disant : Bien, je vous remets quelques lignes directrices puis vous
déciderez. C'est un peu ça, les directives… c'est beaucoup plus que l'autonomie
réelle actuelle comme si vous preniez votre décision aujourd'hui.
M. Birnbaum : Mais
Dr Pageau, quelqu'un… est actuellement atteint d'un cancer assez grave a
le droit de mettre de l'avant des directives en ce qui a trait à leurs soins et
de souhaiter un minimum d'intervention. Cette personne n'est pas nécessairement
oncologue, qui aurait la même compréhension sophistiquée de sa maladie, comme
la personne atteinte ou qui a peur d'être atteinte d'alzheimer grave n'aurait
pas votre expertise sur les symptômes actuels.
Est-ce que ça enlève leurs droits, leur
capacité de juger sur leur propre avenir?
M. Pageau
(Félix) : Non parce que c'est beaucoup, maintenant, aussi, en
éthique, c'est la question de : Le médecin est l'expert du soin, mais le
patient est l'expert de sa situation, de son état. Dans le cas du patient qui a
le cancer, qui est autonome, qui n'a pas de trouble cognitif, effectivement,
c'est lui, l'expert de sa situation, d'être capable de décider ce qui est bon
pour lui.
Le problème, c'est que c'est comme si vous
mandatiez un expert à l'avance pour décider pour vous quand vous allez
atteindre un état où vous ne serez plus capable de le faire, avec tous les
risques de se tromper. Donc, on est capable de prévoir des choses, mais on
n'est pas capable vraiment de se mettre dans la situation actuelle d'être un
expert. Donc, c'est comme si vous mandatiez quelqu'un qui vous connaît très
bien parce que c'est vous-même pour l'instant, mais quelqu'un qui…
M. Pageau
(Félix) : ...à l'avance pour décider pour vous quand vous allez
atteindre un état où vous ne serez plus capable de le faire, avec tous les
risques de se tromper. Donc, on est capable de prévoir des choses, mais on
n'est pas capable vraiment de se mettre dans la situation actuelle d'être un
expert. Donc, c'est comme si vous mandatiez quelqu'un qui vous connaît très
bien parce que c'est vous-même pour l'instant, mais quelqu'un qui était là
avant qui vous êtes rendu maintenant. C'est comme si vous demandiez à votre
vous de 15 ans de décider pour vous maintenant. C'est comme si, à
15 ans, vous aviez décidé : Quand je vais avoir l'âge que j'ai,
50 ans, par exemple, bien, tout ce que j'ai écrit à 15 ans va être
valide, ou 30 ans, ou 40 ans. Mais, tu sais, replacez-vous à
40 ans, un, je ne connais pas votre âge, là, mais quand vous étiez plus
jeune, à cette époque-là, vous vous fixez une directive, puis là ça s'applique
à votre vie en ce moment. Donc, il y a probablement pas mal de choses en ça
avec lesquelles vous ne seriez peut-être plus d'accord. En tout cas, moi, si je
me replace cinq ans avant, il y a beaucoup de choses que j'ai vécues, des
choses qui m'ont fait changer d'opinion sur des perspectives. Donc, le moi d'il
y a cinq ans, ce n'est plus le moi de maintenant. Donc, cette autonomie-là, ce
n'est pas vraiment le meilleur argument pour décider, parce que, l'autonomie,
bien, elle n'est plus là, c'est toujours quelque chose de substitué, que ce
soit aux proches, aux médecins ou à la personne qui... ce n'est pas vraiment...
c'est un consentement substitué, finalement, même si on essaie de se faire
croire que... Mais j'ai prévu une couple d'affaires, puis, finalement, ces
choses-là, elles ne tiennent plus la route, là. Le monde aussi évolue au cours
de leur vie, les choses changent. Donc, ce changement-là aussi fait que prévoir
cinq, 10, deux ans à l'avance, même avec la COVID, imaginez il y a deux ans,
là, prévoir... en temps de COVID, là, en temps pandémie comme soins... On ne
connaît pas l'avenir, c'est ça, là. On peut prévoir, là, on a des...
statistiques, tout ça, là, comme pour la météo, mais je trouve que c'est quand
même de mettre beaucoup d'emphase sur un système incertain ou prévoyant, de
dire : Bien oui, quand je vais être là, c'est ça. Puis aussi, tout en
arrière plan, comme je disais, néolibéraliste, je veux dire, bien... et
l'arrière-plan... c'est normal, tu sais, quelqu'un qui est vieux, qui est
handicapé, qui est fou. Donc, ça n'a pas d'allure de vivre de même...
• (10 h 20) •
M. Birnbaum : Finalement, si
je vous ai bien suivi, diriez-vous qu'il y a des définitions exclusivement
expertes et sans intervention de l'individu sur les questions de la dignité
humaine et la souffrance? Est-ce que la personne individuelle a ses façons de
s'exprimer en dedans de l'encadrement sur ces deux questions ou vous écartez totalement
son implication dans ses jugements?
M. Pageau
(Félix) : Bien, je veux juste être certain. Est-ce que vous
parlez du patient autonome ou du patient qui a des troubles cognitifs? Parce
que c'est assez différent pour moi, là. Est-ce que vous parlez de quelqu'un qui
est autonome ou quelqu'un qui a des troubles cognitifs? Parce que, dans ce
cas-là...
M. Birnbaum : Quelqu'un qui
serait jugé apte, voilà tout un autre champ, mais quelqu'un jugé apte.
M. Pageau
(Félix) : Jugé apte... qui est experte, là, mais c'est ça.
C'est la personne qui est experte de son... Nous, comme experts médicaux, on
connaît la médecine, on peut suggérer expliquer les traitements, mais ça reste
la personne qui décide...
M. Pageau
(Félix) : ...troubles cognitifs, ou est-ce que...
M. Birnbaum : Quelqu'un qui
serait jugé apte. Voilà tout un autre champ, mais... jugé apte.
M. Pageau
(Félix) : Jugé apte, ça, c'est... qui est experte, là. Mais
c'est ça. Oui, ça, je suis... C'est la personne qui est experte de son... Nous,
comme expert médical, on connaît la médecine, on peut suggérer, expliquer les
traitements, mais ça reste la personne qui décide. C'est juste qu'en démence,
comme j'explique, ce n'est pas ça la dynamique qu'on retrouve.
M. Birnbaum : Je me permets finalement
une question et je m'excuse d'avance si c'est indélicat ou inapproprié : Est-ce
qu'à quelque part les positions que vous mettez devant nous sont alimentées par
quelque croyance personnelle que vous auriez, de l'ordre religieux?
M. Pageau
(Félix) : Non, non. Il y a des gens dans notre équipe, oui,
mais je vous dirais, je pense que notre position, c'est plus large, comme
j'explique, pour tout à fait justifier la position que je vous explique. Parce
que, dans la déclaration des droits de l'homme, c'est que chaque humain a une
valeur, donc, puis ça fait aussi que les gens peuvent prendre une décision
autonome. Ça va ensemble, là. Parce que, si, maintenant, je vous dis :
Certains groupes de la population n'ont pas de valeur, bien, on leur... c'est
un peu comme... on revient à des époques antérieures où il y avait certaines
parties de la population qui étaient marginalisées, les Intouchables en Inde,
par exemple, quand on parle d'esclavage, etc. Donc, ça, c'est sûr que...
Je dirais, je n'ai pas de croyance
religieuse. Je n'ai pas une position vitaliste ou religieuse. Ce n'est pas du
tout ça, ma position. Ma position est très séculaire, là.
M. Birnbaum : Merci pour vos
réponses, merci.
M. Pageau
(Félix) : Avec plaisir.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Donc, nous passons maintenant à la députée de Maurice-Richard.
Madame... Parfait, je vous cède la parole pour deux minutes, Mme la
députée.
Mme Montpetit : Oui, merci,
Mme la Présidente. Bonjour, Dr Durand, bonjour, Dr Pageau. Je vais être brève
dans ma question, pour vous laisser le temps de répondre aussi. Puis je
comprends vos propos, là, pour avoir eu l'occasion de travailler notamment au
centre de vieillissement de l'hôpital juif, là, pendant quelques années, sur la
recherche, et tout, sur... Et puis je vous entends sur les craintes, sur les
peurs, sur les perceptions erronées que les gens peuvent avoir par rapport à la
démence, par rapport au vieillissement, j'entends tout ça. Mais est-ce que ce
n'est pas un peu du paternalisme médical d'enlever toute nuance, par contre,
par rapport à l'autodétermination que la personne a?
Puis je ne sais pas si vous avez eu
l'occasion d'entendre notamment Sandra Demontigny, qui était avec nous juste
avant, où je ne pense pas qu'on parle de perception erronée de la démence quand
elle fait une évaluation en fonction d'une situation de lien personnel qu'elle
a eu par rapport à son père. Je ne pense pas qu'il est question ici de soins
inadéquats qui ont été donnés. Je pense qu'il a été bien accompagné, avec eux
aux premières loges pour voir comment la maladie peut évoluer, et à quel point
ce manque de dignité là... mais aussi, la souffrance peut être présente. Donc,
je pense qu'elle est quand même à même de faire une bonne évaluation, je vais
le dire de cette façon-là.
Donc, j'aurais aimé ça vous entendre
réagir sur ce genre de cas là, par rapport à ce que vous avez dit jusqu'à
maintenant, là.
M. Pageau
(Félix) : Oui. Non... Merci. Effectivement, là, j'ai entendu
quelques entrevues...
Mme Montpetit : ...mais aussi
la souffrance peut être présente. Donc, je pense qu'elle est quand même à même
de faire une bonne évaluation, je vais le dire de cette façon-là. Donc,
j'aurais aimé ça, vous entendre réagir sur ce genre de cas là, par rapport à ce
que vous avez dit jusqu'à maintenant, là.
M. Pageau
(Félix) : Oui. Non, merci, effectivement, là, j'ai entendu quelques
entrevues qu'elle a données, puis aussi ce qu'elle a écrit, et puis son site
Web. Effectivement, je pense que je peux juste avoir de l'empathie envers cette
femme, qui est assez courageuse, effectivement, dans la maladie.
C'est sûr que cette... Il y a une
perspective aussi, comme je vous dis, beaucoup axée sur, bon, ce que les gens
voient, ce que les gens voient en clinique, puis effectivement ils n'ont pas nécessairement
toujours accès aux soins experts, par exemple, comme les lits L22, là, à
l'institut de santé mentale de Québec, où, là, vraiment, on a une approche SCPD
complète qui traite les souffrances.
Puis effectivement il faut traiter les
souffrances quand on les voit. La démence, la difficulté, c'est que les
souffrances ne sont pas nécessairement aussi facilement... que si c'était avec
vous, moi, par exemple, là, c'est... Tu sais, on ne peut pas demander à une
personne qui a une démence avancée : Est-ce que vous avez mal? Ça peut se
répertorier dans le comportement, dans la façon de froncer les sourcils, tout
ça, donc, la douleur physique. La douleur psychologique, ça, c'est encore plus
difficile d'évaluer adéquatement, parce que justement la personne... est-ce que
c'est de l'anxiété, de la dépression, est-ce que la personne a mal, est-ce que...donc
d'interpréter de façon claire les symptômes. Est-ce que c'est de la souffrance,
est-ce que c'est de l'agitation psychomotrice, est-ce qu'il y a quelqu'un qui
dérange? L'expression des souffrances ou l'expression de malaises, là, puis je
ne parlerai même pas de souffrances, n'est pas la même. Mais c'est sûr que
ça... Comme beaucoup de proches aidants connaissent bien leur proche,
interprètent certaines choses qui nous aident... puis c'est justement ça qu'il
faut faire, c'est d'aider, soigner, avoir des méthodes adaptées. De là à mettre
fin aux jours de la personne parce qu'on a l'impression peut-être qu'elle
souffre beaucoup, bien, je vous dirais, ça reste beaucoup dans l'élément de
l'impression.
Puis on fait des essais et erreurs, puis
on donne des traitements, mais on manque de personnel pour faire l'approche
adaptée avec des préposés aux bénéficiaires avec des ratios raisonnables, des
infirmières aussi, qui est la pierre angulaire du traitement, bien avant les
médicaments puis les soins, d'avoir une approche longitudinale et travailler
avec le patient depuis longtemps. Puis je ne suis pas certain que le père de
Sandra Demontigny ait eu vraiment accès à tout ça, parce que les services ont
été effrités beaucoup...
L'autre chose aussi, c'est que quand on
est une personne qui a une maladie génétique, il y a toute la question aussi de
donner ça aux enfants, d'avoir la culpabilité de le donner aux enfants. Je ne
connais pas son dossier, je ne la connais pas personnellement, mais souvent,
là, si on parle plus, l'aspect théorique général, les gens qui ont une maladie
comme ça... Puis en plus, être une femme, au Québec, avec beaucoup la
responsabilité, la charge mentale, donc de ne plus être capable d'assumer ses
responsabilités comme femme... souvent qu'on entend que les femmes se mettent
avec la charge mentale, la question du... c'est ça, puis toute la question de
transmettre cette maladie-là, la responsabilité lourde aussi d'avoir transmis
ça. Ça fait qu'il y a beaucoup cet aspect-là je pense aussi, dans son histoire,
qui est très touchante, puis qui demande beaucoup d'accompagnement, d'aide puis
de support pour les soins adaptés puis de reconnaître qu'elle ne deviendra
pas...
M. Pageau
(Félix) : ...la question du... c'est ça, puis toute la question
de transmettre cette maladie-là, la responsabilité lourde aussi d'avoir
transmis ça, ça fait qu'il y a beaucoup de cet aspect-là, je pense, aussi dans
son histoire, qui est très touchante, puis qui demande beaucoup d'accompagnement,
d'aide puis de support pour les soins adaptés, puis de reconnaître qu'elle ne
deviendra pas un fardeau, mais qu'elle mérite les soins. C'est ça que je dirais
à quelqu'un, en général, en situation... Mais effectivement je ne connais pas
son dossier personnel en détail, j'ai juste vu un peu plus ce qu'elle a écrit en
général...
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci.
M. Pageau
(Félix) :Il y a cet aspect-là aussi que
je n'ai pas parlé, parce que ça arrive plus dans les démences jeunes. Nous, on
a des démences qui ne sont pas génétiques, là, ça fait qu'il n'y a pas une
espèce de culpabilité de transmettre une maladie génétique à haut risque de
transmission, quand même, là, dominante, 50 %. Il y a toute la question de
devenir un fardeau parce que tu es supposée de prendre en charge ta famille,
mais finalement tu deviens celle qui est prise en charge par sa famille...
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci. Merci beaucoup, Dr Pageau. Merci, Mme
la députée. On va pouvoir continuer la discussion avec le député de Gouin. M.
le député.
M. Nadeau-Dubois : Merci,
Mme la Présidente. Merci beaucoup, Dr Pageau, pour votre contribution à nos
travaux. Elle est éclairante, elle est différente... en termes de sous-bassement
philosophique, là, de celles qui nous ont été présentées auparavant par
d'autres éthiciens.
Ma question pour vous : Vous faites
un argument... Si je vous ai bien écouté, il y a comme deux arguments dans
votre présentation. D'abord, l'argument d'autonomie. Vous semblez tenir
beaucoup à cette valeur d'autonomie. Vous la jugez sacrée, et là je ne le dis
pas au sens religieux, là, je le dis au sens d'un... là, c'est-à-dire
déontologiquement indépassable.
Donc, vous affirmez cette valeur
d'autonomie là, mais, en même temps, vous nous dites... Ça, c'est un argument
qui est plus relatif au contexte. Vous nous dites : Il manque de soins, il
manque de prise en charge de ces gens-là pour les accompagner dans la maladie,
et donc on ne peut pas... vous semblez nous alerter aux risques que l'aide
médicale à mourir devienne un raccourci, dans le fond, par rapport à une réelle
prise en charge.
Mais il y a comme une tension entre ces
deux arguments-là parce que, si on était dans une situation où il y avait tous
ces soins-là, où il n'y avait pas eu de coupures, où il n'y avait pas cette
pression-là sur le système, est-ce que, justement, en vertu de l'argument de
l'autonomie, on ne pourrait pas dire : Bien, si tout est mis en place et
que les gens autonomement souhaitent avoir recours à l'aide médicale à mourir,
ça ne devrait pas être possible?
• (10 h 30) •
M. Pageau
(Félix) : Non, parce qu'il y a la perspective dans beaucoup de
pays où, justement, on est moins âgiste, là, les sociétés... par exemple, les
sociétés sud-américaines, avec des... gens avec qui je travaille ici, là,
vraiment, leur perspective, c'est que les gens âgés méritent ces soins-là...
méritent des soins gériatriques adaptés, donc on n'y pense même pas. C'est deux
choses...
10 h 30 (version non révisée)
M. Pageau
(Félix) : …la perspective dans beaucoup de pays où, justement,
on est moins âgistes, là, les sociétés italiennes, par exemple, les sociétés
sud-américaines… avec des gens avec qui je travaille ici, là, vraiment, leur
perspective, c'est que les gens âgés méritent ces soins-là, ils méritent des
soins gériatriques adaptés, donc on n'y pense même pas.
C'est deux choses, en fait. Les choses… ce
n'est pas autonomie mal accompagnée avec une… perspective sociale… je pense
qu'il y a la perspective sociale, il y a la dignité subjective puis la dignité
sociale, là, que les gens soient en perte de dignité puis c'est ça qu'il faut
accompagner, puis aider, puis améliorer les soins, puis aider les gens à
cheminer avec des soins empathiques. Ça, c'est un aspect. Puis l'autonomie, ce
que je parlais plus tôt, c'est que l'autonomie, en démence, n'est plus là, donc
l'expert du soin pour lui-même n'est plus là, donc c'est un consentement
substitué soit par la personne qu'elle était avant qui n'est pas plus
nécessairement… qui n'est plus l'experte du soin puis… ou la personne, en fait,
là, dans ses désirs de soins ou la famille ou les médecins.
Les médecins, comme je vous ai dit, il y a
un certain conflit d'intérêts pour certains d'entre nous, on a des… bien, la
majorité d'entre nous a des très grandes pressions. La famille, ce n'est pas
parfait non plus. L'exemple de… il y a aussi l'interprétation, la façon de voir
les choses. On a l'impression que les gens… quand ce n'est peut-être pas exactement
le cas. Puis après ça, la personne qui était là avant a mis dans des
directives : Bien, quand je serai comme ça, mais ce n'est plus
nécessairement… je ne sais pas si… c'est comme si ça prendrait une espèce d'intelligence
artificielle qui évolue au fil de la vie puis qu'elle reste là puis que… tu
sais, c'est comme très théorique, là, mais je veux dire, c'est comme, la
personne qui était là avant, ce n'est plus nécessairement… L'argument, c'est
plus l'argument du soi futur ou du «changing self» ou du soi qui a changé.
Donc, l'autonomie n'est plus vraiment le
principe sur cette base-là puis tout l'aspect dignité subjective et sociale,
ça, c'est un autre… Donc, les deux ne sont pas nécessairement liés directement,
là.
M. Nadeau-Dubois : O.K. Tout…
pour contourner cette difficulté-là, le groupe d'experts proposait une espèce
de voie de compromis en disant : Il pourrait y avoir une demande anticipée
de la part de la personne, mais pour qu'elle soit exécutée par la suite, il y a
comme une deuxième étape où, là, il faudrait, par consensus entre les proches
et l'équipe médicale, vérifier si ce qui a été décrit comme situation par la
personne lorsqu'elle a rempli sa demande anticipée d'aide médicale à mourir se
concrétise bel et bien. Est-ce que la démence que la personne avait anticipée,
c'est réellement ce qui se passe? Est-ce que la souffrance, les symptômes
qu'elle avait anticipés, c'est vraiment ça qui se passe?
Et donc, il y a une espèce de validation
par consensus du premier consentement de la personne, puis le groupe d'experts
nous a beaucoup proposé ça comme une voie de passage pour dénouer le dilemme
que vous venez tout juste de résumer. Est-ce que vous êtes d'accord que c'est
une voie de passage puis que c'est un compromis acceptable?
M. Pageau
(Félix) : Bien, vous l'avez dit, c'est un compromis puis un
consensus, mais tu sais, on s'entend pour dire que c'est correct de mettre du
temps autour de cette personne-là. Ce n'est pas la personne qui le demande,
donc ce n'est plus l'autonomie. Donc, le principe d'autonomie n'est pas là.
C'est comme le principe de consensus, c'est une entente entre les gens qui sont
là, c'est un peu ce que je vous dis, puis il y a quand même beaucoup d'impacts
puis de conflit d'intérêts à l'externe, puis aussi le fait…
M. Pageau
(Félix) : ...de mettre du temps autour de cette personne-là.
Donc, ce n'est plus la personne qui le demande, donc ce n'est plus l'autonomie.
Donc, le principe de l'autonomie n'est pas là. C'est comme le principe de
consensus, c'est entente entre les gens qui sont là, c'est un peu ce que je
vous dis, puis il y a quand même beaucoup d'impact puis de conflit d'intérêts à
l'externe, puis aussi le fait que, bon, là, on a... là, il y a un petit lien
avec l'autonomie, mais le fait que le système, en ce moment, ça ne va pas très
bien, les soins ne sont pas bien financés, la recherche n'est pas
nécessairement à la hauteur de ce qu'elle devrait être. Donc on n'a pas
nécessairement les ressources, puis on met de la pression sur les équipes pour
être efficaces, puis on regarde les proches souffrir sans les accompagner. Je
pense qu'à un moment donné, tu sais, c'est ça, le consensus va valoir ce qu'il
va valoir compte tenu de cet élément-là. Donc, je ne pense pas que cette
recommandation-là du comité est bonne parce qu'on vient comme interpréter des
choses. Donc, ça donne encore un consentement difficile. Ce qui est concret
dans le fond dans la réalité, c'est on arrive toujours à arriver à... on essaie
d'avoir le meilleur consensus possible pour une optimisation du niveau de soin,
pour éviter l'acharnement, pour éviter des soins, là, qui pourraient faire...
M. Nadeau-Dubois :
Parfait. Qu'est-ce que vous pensez d'une demande médicale anticipée...
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci beaucoup, M. le député de Gouin.
C'était tout le temps que nous avions.
Donc, je cèderais maintenant la parole à la
députée de Joliette.
Mme
Hivon
:
Oui. Bonjour à vous deux. Merci beaucoup, M. Pageau, pour votre exposé.
Juste une question préliminaire, et c'est tout à fait correct, il y a plein de
positions dans la vie. Je veux juste savoir si, vous, de manière globale, vous
êtes opposé, là, même dans les circonstances actuelles d'une personne en fin de
vie, à l'aide médicale à mourir ou c'est vraiment une position en lien avec un
élargissement possible.
M. Pageau
(Félix) : C'est vraiment l'élargissement possible qui m'a
fait sortir de mes gonds.
Mme
Hivon
:
O.K. parfait. Donc, je veux comprendre. D'abord, une question philosophique,
mais ensuite très pratique parce que je voudrais vraiment qu'on puisse avoir
recours à toute votre expertise.
Philosophiquement, parce que vous nous
amenez beaucoup sur ce champ-là...
M. Pageau
(Félix) : ...
Mme
Hivon
:
Oui. Enfin pourquoi... éthique philosophe. Pourquoi une personne... pourquoi le
poids de l'équipe médicale, du médecin ou, par exemple, des proches, quand une
personne est devenue inapte et donc qu'elle ne peut plus s'exprimer sur les
soins qu'elle souhaite ou non... vous nous avez dit, là, qu'il y a beaucoup évidemment
de médication, de possibilités qui sont là. Mais, la personne, elle est inapte.
Pourquoi ces gens-là de l'équipe médicale ou des proches devraient avoir plus
de poids que la personne qui, elle-même, avait un jugement sur ça quand elle
était apte? Pourquoi il faut que ces personnes-là aient plus d'importance à
savoir ce qui est la bonne chose pour elle en termes de soins et de traitement?
M. Pageau
(Félix) : Oui. Mais c'est parce que, cette
personne-là, elle... comme je l'expliquais... j'ai essayé de l'expliquer, là,
mais de le rendre clair, des fois effectivement je pars sur des envolées
philosophiques, mais j'ai quand même l'ancrage clinique, là. L'idée, c'est que,
dans le fond, la personne, comme je mentionnais, là, à vos collègues, c'est
qu'elle devient un autre membre de la famille, je ne sais pas si vous comprenez
l'idée. Ça fait que, oui, elle écrit des choses. Mettons, demain matin, vous
avez fait...
M. Pageau
(Félix) : …mais j'ai quand même l'ancrage clinique, là. L'idée,
c'est que, dans le fond, la personne, comme je mentionnais, là, à vos
collègues, c'est, elle devient un autre membre de la famille, je ne sais pas si
vous comprenez l'idée. Ça fait que, oui, elle écrit des choses, mettons, demain
matin… et vous écrivez vos directives médicales anticipées puis vous écrivez
dans les conditions dans lesquelles vous voulez avoir l'aide médicale à mourir,
etc. Mais dans 10 ans ou cinq ans ou si votre démence se développe rapidement
puis, dans deux ans, vous êtes rendu dans l'état que vous avez décrit, bien,
c'est quand même… ce n'est plus vous dans l'état, deux ans plus tard, qui
prenez la décision, l'autonomie n'est plus là. La personne que vous étiez
avant, elle fait partie de la famille au niveau… dans le sens où elle devient
comme un proche très connaissant de la personne, mais ce n'est pas
nécessairement… ce n'est pas elle.
Parce que, quand on prend une décision
autonome, si on pense à l'autonomie rationnelle ou même une autonomie plus
relationnelle avec l'environnement, c'est de dire, j'évalue… ou quand vous
prenez n'importe quelle décision, mais surtout une décision éthique de ce
poids-là : Est-ce que je veux mourir? Est-ce que je veux qu'on
m'administre l'aide médicale à mourir? Vous considérez les pour, les contre,
quel impact ça va avoir sur vos proches, quel impact ça va avoir sur l'équipe
soignante. On est vraiment… notre milieu relationnel est plus large, puis… oui,
ça vaut quand même la peine, mais c'est vous maintenant, devant la situation,
mais là c'est comme quelqu'un qui dit : Bien, quand ça va arriver, je
pense à peu près ça, et c'est des grandes lignes directrices, mais vous n'êtes
plus la même personne. Je ne sais pas si vous comprenez, ce n'est pas comme… ce
n'est pas votre cerveau qui est transposé directement au complet, là, qu'on le
transporte deux ans plus tard, le cerveau évalué au complet. Donc, si vous
pensez, au niveau psychologique du cerveau, mais, tu sais, on transpose votre
conscience, on la transpose deux ans plus tard, là, je serais d'accord, mais là
ce n'est pas votre conscience qu'on transpose, c'est des écrits, des
directions, puis ce n'est pas vous qui prenez la décision, ce n'est plus
l'autonomie, l'autonomie n'est plus là. C'est ça que j'ai de la misère…
pourquoi les gens…
Mme
Hivon
: En
fait, selon vous, il n'y a plus d'autonomie, selon vous, il n'y a plus
d'autonomie du tout, la nouvelle personne n'est pas la même, mais cette
autonomie-là, dans le fond, on la met complètement de côté. Mais ce que j'ai du
mal à suivre, c'est que le principe doit être qu'il n'y en ait plus du tout.
Donc, c'est l'équipe médicale ou les proches qui prennent le pas, donc…
M. Pageau
(Félix) : …donc ça fait que, pour moi, j'ai un malaise assez
profond de dire : On fait un consentement substitué pour l'aide médicale à
mourir, parce que c'est toujours ça en directives médicales anticipées, c'est
un consentement substitué avec toutes les problématiques dans le fonctionnement
substitué pour un acte, comme justement l'aide médicale à mourir. Quand on
parle des soins qu'on peut partir, arrêter, ajuster, évaluer au jour le jour…
tout ça, mais l'aide médicale à mourir, c'est une injection, puis la personne
est décédée. Donc, il n'y a pas revenir en arrière, il n'y a pas… pour moi,
c'est toujours un consentement substitué à ce niveau-là. Même substitué, c'est
la personne qui se substitue dans l'avenir, elle se dit : Bien, quand je
vais être rendue là, ce n'est plus sur l'autonomie, parce que l'autonomie,
c'est vraiment d'évaluer la situation, en tout cas, dans ma perspective, soit
autonomie relationnelle qui est un peu critiquée, ou même dans l'autonomie
relationnelle…
M. Pageau
(Félix) : ...pour moi, c'est toujours un consentement substitué
à ce niveau-là, même substitué... c'est la personne qui se substitue dans
l'avenir, elle se dit : Bien, quand je vais être rendue là... Surtout son
autonomie, parce que l'autonomie, c'est vraiment d'évaluer la situation
actuelle. En tout cas, dans ma perspective, soit autonomie rationnelle, qui est
un peu critiquée, donc... ou même dans l'autonomie rationnelle qui est vraiment
dans l'évaluation de l'environnement puis de tout ce qui est... les composants,
bien, elle n'est plus là parce que la maladie a atteint, finalement, la
capacité de jugement puis la capacité d'évaluation...
Mme
Hivon
:
J'entends bien votre point, je ne sais pas... Mme... Excusez-moi...
• (10 h 40) •
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Dr Pageau.
Mme
Hivon
:
J'avais une question. Je n'ai plus de temps, non?
La Présidente (Mme Guillemette) :
C'est tout le temps qu'il nous reste. Donc, je passerais maintenant la parole à
la députée de Soulanges.
Mme Picard : Bonjour, Dr
Pageau et Dr... Durand, désolée. Je voudrais savoir si vous aviez la même
vision... Mme la Présidente... (panne de son)...
La Présidente (Mme Guillemette) :
Il y a un lag.
Mme Picard : Je vais
continuer.
M. Pageau
(Félix) : ...
Mme Picard : J'aimerais savoir
si vous avez la même position à propos de la souffrance, que quelqu'un qu'il y
a d'énormes douleurs, est-ce que vous traitez ça de la même façon ou, à ce
moment-là, pour vous, c'est peut-être un peu plus acceptable de faire
l'injection ou...
M. Pageau
(Félix) : Bien, mais est-ce que vous parlez encore là de
démence ou vous parlez plus...
Mme Picard : Une souffrance,
une douleur physique, là, quelqu'un qui est vraiment en douleur constante,
est-ce que vous avez la même position?
M. Pageau
(Félix) : Bien, en démence, si on reste au sujet d'aujourd'hui,
là, ce n'est pas évaluable comme ça. C'est parce que le problème avec la
démence, c'est que les circuits internes ne sont plus vraiment connectés. Les
patients avec démences... qui ne ressentent pas la douleur de la même façon,
mais ils n'agissent pas non plus... la douleur ne se présente pas comme :
Ah! j'ai mal, mon bras me fait mal. Ça peut être : Ah! je me promène, je
me lève, je marche... Mais est-ce que c'est de l'agitation? Est-ce que c'est la
médication antipsychotique qui peut... sur les mouvements? Est-ce que c'est de
la douleur? Est-ce que c'est... La démence, c'est ça, le problème, c'est que le
cerveau est... tranquillement se détruit par la maladie, donc on n'a plus les
intégrations qui se faisaient chez quelqu'un qui n'a pas de problèmes
cognitifs. Ça fait que, c'est ça, moi, je trouve que c'est un peu risqué quand
même de dire : Bien là, la personne souffre en évaluation, puis,
finalement, des fois on... puis la personne arrête d'être agitée. Donc, il
fallait juste comme organiser qu'elle aille à toutes les heures à la toilette
parce qu'elle avait des douleurs à la vessie, mais on a l'impression qu'elle
souffre, elle a des douleurs intraitables, mais certaines familles vont
dire : Mon proche souffre, c'est terrible, on met des... puis la personne
va mieux. Donc là, c'est dans l'idéal, là, je vous simplifie, là, ce n'est pas
toujours aussi facile, mais des fois on trouve comme ça, là, en adaptant
beaucoup avec l'aide des préposés... les oreilles, les yeux, les infirmières
qui nous disent : Oui, ce patient-là ne va pas aux toilettes, ce
patient-là... Il faut les écouter puis il faut les renforcer. Il faut qu'il y
ait des formations aussi qui vient... l'écoute aussi puis nous transmettre à
nous, comme médecins, aussi l'adaptation. Ce n'est pas... C'est parce que ce
n'est pas... Le problème, avec la démence, c'est qu'on n'est peut-être pas
assez en contact avec des gens avec des démences, de façon générale, puis on a
juste cette espèce d'image là de quelqu'un qui crie, puis qui marche, puis qui
est désagréable, mais la démence, ce n'est pas nécessairement ça. Puis
quelqu'un qui crie, pour nous, qui crie de douleur...
M. Pageau
(Félix) : ...comme médecin aussi l'adaptation. On ne peut
pas... C'est parce que ce n'est pas... Le problème, avec la démence, c'est
qu'on n'est peut-être pas assez en contact avec des gens avec des démences, de
façon générale, puis on a juste cette espèce d'image là de quelqu'un qui crie,
qui marche puis qui est désagréable, mais la démence, ce n'est pas nécessairement
ça. Puis quelqu'un qui crie, pour nous, qui crie de douleur... Si vous vous
mettez à crier : J'ai mal au ventre, j'ai mal au ventre... elle a besoin
d'uriner... plus grave que ça, là. Mais quelqu'un qui a une démence, ça ne peut
être que ça, et c'est ça le malaise aussi, là, puis on ne le sait pas, parce
qu'ils ne le disent pas.
Mme Picard : Est-ce qu'aussi
vous avez pris position par rapport à la santé mentale, les patients qui sont
atteints de santé mentale? Non? Vous n'avez pas vraiment regardé ça...
M. Pageau (Félix) :
La démence... Ah! Excusez, mais
Mme Picard : Non, non,
allez-y, allez-y.
M. Pageau
(Félix) : La démence fait partie du registre de santé mentale.
Avant, on pensait que les gens étaient possédés du démon, après ça, on s'est
rendu compte que non, c'était vraiment une maladie, pour, après ça...
psychiatrie, puis là on pense qu'ils ont une atteinte vraiment neuronale. Ça
fait que, tu sais, c'est comme la psychiatrie, gérontopsychiatrie, gériatrie,
neurologie, là, c'est une maladie à la fois gérotonpsychiatrique, neurologique
et gériatrique aussi. C'est dans le centre d'à peu près tout ça, là, ça fait
que je dirais, oui, dans ce sens-là, mais non, pas dans le sens d'une maladie
comme la schizophrénie... Je ne pense pas... Ce n'est pas mon rôle, là, je ne
suis pas psychiatre, je ne suis pas gérontopsychiatre, je ne connais pas ça,
là, assez.
Mme Picard : J'aurais une
dernière question, Mme la Présidente. En fait, dites-moi si je comprends bien.
Ce que vous nous avez dit un peu, c'est que, comme la médecine, les recherches,
les traitements évoluent, il n'y aurait personne qui peut se positionner, ni
même soi-même, sur... de se projeter, là, dans le futur à savoir que peut-être
qu'on pourrait trouver un traitement pour traiter l'Alzheimer, peut-être qu'on
pourrait trouver, je ne sais pas, n'importe quelle science pourrait nous faire
des recherches sur les maladies génétiques, ou on pourrait arranger des
chromosomes, supposons. Donc, ce que vous nous dites, c'est qu'il n'y a
personne, et même soi-même, qui pourrait savoir se projeter, donc c'est pour ça
que vous préférez être prudent. C'est bien ça?
M. Pageau
(Félix) : Oui, merci. Bien, en fait, il y a CRISPR, qui existe,
là, qui est l'espèce de molécule capable de scinder l'ADN. Ça fait qu'il y a déjà
des travaux qui se font sur l'ADN. C'est sûr qu'on est au niveau expérimental
des souris, mais bon, dans l'idée de traiter, oui, des maladies génétiques, là,
avec des avancées qui... CRISPR 9, là, je pense, en tout cas, C-R-I-S-P-R,
donc, CRISPR. Ça fait que, oui, les recherches génomiques, ça, c'est quelque
chose qui se travaille en ce moment. Il y a d'ailleurs une personne que je
connais ici qui travaille sur ça, là, avec les adénovirus, donc des virus ADN,
modifier l'ADN du virus, voir si ça peut être intégré dans l'ADN humain, il y a
plusieurs... Il y a des thérapies, oui, mais c'est ça, encore là, c'est que la
science fondamentale peut financer, là, ça n'a pas d'application, donc on... ça
sert à quoi de financer quelque chose qui n'a pas d'application? Mais c'est
comme les virus ARN... comme les vaccins ARN, on disait : Ah! Ça ne marche
peut-être pas, mais quand il y a eu la volonté puis on est financé, ça marche
assez vite. Mais ensuite... Ça, c'est pour la thérapie... Pour la thérapie
Alzheimer, il y a des vaccins contre la maladie d'Alzheimer puis il y a des
anticorps... qui vont détruire la protéine amyloïde du cerveau. Donc, oui, il y
a des recherches qui se font. Encore là, c'est la question du financement. On
est dans la recherche...
M. Pageau
(Félix) : ...ARN... comme, les vaccins ARN, on dit : Ah!
ça ne marcherait pas, mais quand il y a de la volonté, puis on le finance, ça
marche assez vite. Mais ensuite... Ça, c'est pour la thérapie génique. Pour la
thérapie Alzheimer, il y a des vaccins contre la maladie d'Alzheimer, puis il y
a des anticorps mononucléaux qui vont détruire la protéine amyloïde du cerveau.
Donc, oui, il y a des recherches qui se
font. Encore là, c'est la question du financement. On est dans la recherche fondamentale.
On n'est pas dans les causes, nécessairement, qui sont très faciles à faire, du
marketing, dire, bien : Ah! survivant de la démence, financez-moi comme
d'autres maladies, maladies cardiovasculaires qui atteignent plus les hommes
blancs d'un certain âge, qui sont souvent des gens qui ont un petit peu plus
d'argent et qui mettent de l'argent dans la recherche. Les enfants qui ont le
cancer aussi. Je ne veux pas dire qu'il ne faut pas les financer, mais souvent,
c'est plus... Ce que le public disait : Ah! c'est terrible, on va le
financer. Mais la démence, c'est comme, bien, ça arrive, c'est terrible, mais
on ne veut pas s'en occuper, là, tu sais, on ne veut pas financer ça. Mais
c'est un peu ça aussi, le point.
Mais, oui, les vaccins, ça s'en vient, les
molécules anti-inflammatoires. On se rend compte que, dans le tableau
d'Alzheimer, il y a à la fois les protéines amyloïdes et les protéines tau,
pour un 10 % à 20 %. Donc, ces protéines tau là, ça peut être enlevé
du cerveau par d'autres molécules. Donc, il y a de la recherche qui se fait,
puis le but aussi, effectivement, c'est d'éventuellement arriver à des traitements.
Mais si on continue à dire que c'est normal, puis que les gens ne peuvent pas
survivre, puis tout ça, puis qu'on ne finance pas, bien, c'est sûr que ce n'est
pas des choses qui arrangent les trucs.
M. Picard
: Merci
beaucoup.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci, Mme la députée. Je passerais la parole maintenant à la députée de
Saint-François.
Mme
Hébert
:
Merci, Mme la Présidente. Si jamais vous voulez intervenir, Dr Durand, dans mon
intervention, là, je n'ai pas de problème, là. Ça peut être M. Pageau aussi.
Moi, je... Parce qu'on a vraiment deux générations. Excusez-moi, je ne voulais
pas porter de jugement, mais vous nous l'avez dit d'emblée que vous alliez...
vous étiez prêt à la retraite, là, Dr Durand. Donc, j'aimerais vraiment avoir
les... peut-être les deux positions.
Par rapport à une personne qui veut
anticiper sa mort, qui veut prendre une directive anticipée, puis qu'elle voit
que ce n'est pas possible, donc il y a souvent des histoires de personnes qui
vont devancer leur mort, qui vont se priver d'une qualité de vie avec leurs
proches parce qu'ils n'ont pas cette possibilité-là d'avoir une directive
anticipée pour l'aide médicale à mourir.
Trouvez-vous que... Je comprends qu'on a
l'espoir de trouver la solution, et tout, mais on sait qu'il y a un certain
stade de l'alzheimer ou il y a un certain stade de la démence qu'il y a
vraiment... quand on arrive au stade 7 de l'alzheimer, puis qu'on est en
position foetale, puis que la personne, elle a à peine de la facilité pour
manger, là. Dans des situations comme ça, que quelqu'un ne veut pas se rendre
là, qu'il prendrait une directive anticipée, vous êtes contre aussi? Vous tenez
à maintenir la vie jusqu'à ce stade-là, malgré qu'une personne…
Parce qu'il y a le choix, dans le mandat…
dans un mandat...
Mme
Hébert
: …ça,
que quelqu'un ne veut pas se rendre là, il prendrait une directive anticipée,
vous êtes contre aussi? Vous tenez à maintenir la vie jusqu'à ce stade-là,
malgré qu'une personne… Parce qu'il y a le choix, dans le mandat… dans un mandat
d'inaptitude, de ne pas avoir d'acharnement thérapeutique, O.K. Ça, c'est
possible maintenant. Donc, s'il m'arrive un grave accident puis que je suis
gavée, je suis dans le coma, ainsi de suite, on peut me débrancher. Moi, je
veux juste, dans le souci de… que la personne puisse profiter de sa vie au
maximum jusqu'à la fin, sans avoir peur de… que, quand elle va être inapte puis
rendue à un stade, vers la fin, qu'on ne puisse pas anticiper, bien, des fois,
ils vont devancer pour avoir accès à cette aide-là médicale à mourir, parce que
c'est possible maintenant, puis il y a des cas d'Alzheimer qui ont devancé,
donc qui ont peut-être perdu des années. On a eu le témoignage de médecins hier
qui ont fait cette aide médicale à mourir là. Donc, j'aimerais avoir votre
vision là-dessus.
M. Durand (Pierre
J.) : Vas-y, Félix, puis je compléterai, moi.
M. Pageau
(Félix) :O.K. Bien, en fait, c'est… bien,
vous utilisez… c'est intéressant, parce que c'est un peu la rhétorique que les
avocats ont utilisée au Canada. C'est un argument rhétorique, là, on essaie de
convaincre un juge, puis le juge a été convaincu, là. C'est sûr que ce n'est
pas nécessairement l'argument philosophique qu'on aurait utilisé ou en éthique,
là, parce qu'effectivement, tu sais, les gens… finissent par raccourcir leur
vie de toute façon, avec l'aide médicale à mourir. Le but, comme je dis, ce
n'est pas de leur prolonger la vie éternellement puis d'attendre tout le temps
qu'il se passe quelque chose, c'est plutôt effectivement d'accompagner, faire
cheminer puis avoir des bons préparatifs, de diminuer les souffrances, qu'on
ait l'impression qu'on peut voir en faisant des essais-erreurs. C'est sûr qu'en
médecine, on ne peut jamais dire jamais. Donc, même votre code… Parce que, pour
l'instant, vous avez confiance de dire : On est loin d'avoir les
traitements puis les faire… tu sais, on a fait quand même beaucoup d'avancées,
là. Avant, les gens mouraient du diabète, bon… Le diabète 1, c'est une maladie mortelle,
mais on a trouvé l'insuline, puis ça a réglé. Là, je ne pense pas que la
démence, ça va être aussi facile, mais, effectivement, tu sais, là, si on
dit : On n'arrivera jamais à rien avec ces patients-là, on n'arrivera
jamais vraiment à rien. Mais, si on dit : On peut arriver à quelque chose,
bien, effectivement, là, on a des traitements qu'on peut faire.
• (10 h 50) •
Puis ceux qui mettent fin précocement à
leur vie, là, en se suicidant, je trouve ça malheureux, parce qu'effectivement,
je pense qu'il n'y a pas eu assez d'accompagnement, de soutien, de soins,
d'accompagnement dans le cheminement, puis les gens aussi qui se rendent dans
des stades assez avancés, souvent, c'est qu'il y a un peu d'acharnement,
effectivement, parce que, rendu à un stade avancé, la rémission est difficile,
les infections sont fréquentes. Donc, d'accompagner la personne avec des
traitements, mais de là à dire : On la tue carrément, là, oui, on devance
sa mort. C'est soit par le suicide de la personne beaucoup avant ou par l'aide médicale
à mourir pendant la… ou on accompagne, puis on traite, puis on soigne. Moi,
c'est plus ma perspective, là, comme médecin. Puis, effectivement, là, l'avocat
a réussi à convaincre le juge en disant : Bien là, il va se suicider,
mais, tu sais, c'est parce qu'il n'a pas eu…
M. Pageau
(Félix) : ...on la tue carrément, là, oui, on demande sa mort.
C'est soit par le suicide de la personne, beaucoup avant, ou par l'aide
médicale à mourir, pas mal avant, où on accompagne, qu'on traite, qu'on soigne.
Moi, c'est plus ma perspective, là, comme médecin. Puis effectivement, là,
l'avocat a réussi à convaincre le juge en disant : Bien... il va se
suicider, là. C'est parce qu'il n'y a pas eu d'accompagnement, il n'y a pas eu
de soins puis il n'y a pas eu de bons traitements. Puis ce n'est pas nécessairement...
la mort précoce n'est pas vraiment... On ne veut pas vous tuer trop tôt, ça
fait que, là, on va vous tuer plus tôt...
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Dr Pageau. Merci beaucoup, Dr
Durand. C'est tout le temps que nous avions pour les échanges... pour l'échange
ce matin. Donc, merci de votre contribution à la commission. C'est très, très
instructif pour nous.
Et nous suspendons la commission quelques
instants, le temps d'accueillir nos nouveaux invités. Encore une fois, je vous
remercie, Dr Pageau et Dr Durand.
(Suspension de la séance à 10 h 52)
(Reprise à 10 h 55)
(Visioconférence)
La Présidente
(Mme Guillemette) : Donc, nous sommes de retour. Merci, tout le
monde. Donc, merci. Très heureuse d'accueillir pour notre dernière invitée de
la journée la Pre Suzanne Philips-Nootens. Donc, bienvenue,
Mme Nootens. Comme convenu, vous aurez une période de présentation de
20 minutes pour votre exposé, et il y aura une
période d'échange avec les parlementaires d'une période de 40 minutes.
Donc, je vous cède la parole.
Mme Philips-Nootens
(Suzanne) : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Je
vous remercie. Je suis très honorée par cette invitation. Et nous abordons évidemment
des sujets majeurs aujourd'hui. Bonjour, mesdames, bonjour, messieurs. Et je
vais donc aborder successivement, effectivement, les deux points majeurs, tout
d'abord l'aide médicale à mourir pour les personnes en situation d'inaptitude
et ensuite l'aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de problèmes
de santé mentale.
Pour l'aide médicale à
mourir pour les personnes en situation d'inaptitude, deux grandes questions
sont soulevées, à savoir l'inaptitude au moment de la mise en oeuvre de l'aide
médicale à mourir et la demande d'aide médicale à mourir dans des directives
anticipées ou directives de fin de vie.
Alors, tout d'abord
l'inaptitude au moment de la mise en oeuvre de l'aide médicale à mourir. Notre
loi sur les soins de fin de vie qui se veut compatissante est à certains égards
une loi cruelle. Elle impose à la personne qui a demandé l'aide médicale à
mourir l'obligation de mourir en pleine conscience, c'est-à-dire qu'elle doit
rester apte à y consentir jusqu'au moment où le médecin pose le geste fatal.
C'est ainsi que des patients refusent les soins palliatifs ou le soulagement
que pourraient leur apporter des analgésiques de crainte d'être, au dernier
moment, déclarés inaptes, et ne pouvant donc recevoir cette aide. Par ailleurs,
les proches ont vécu bien péniblement le fait d'assister à une agonie prolongée
à la suite du refus du médecin...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : ...des patients refusent les soins palliatifs ou le
soulagement que pourraient leur apporter des analgésiques, de crainte d'être au
dernier moment déclarés inaptes et ne pouvant donc recevoir cette aide. Par
ailleurs, des proches ont vécu bien péniblement le fait d'assister à une agonie
prolongée à la suite du refus du médecin de procéder en constatant que la personne
n'était plus apte à donner son consentement ultime.
Selon le rapport de la Commission sur les
soins de fin de vie, parmi les cas où l'aide médicale à mourir avait été
demandée et n'avait pas été administrée, dans 20 % des cas, la personne
répondait aux conditions d'admissibilité au moment de la demande, mais elle
avait cessé d'y répondre au cours du processus d'évaluation, car elle était
devenue inapte dans la majorité des cas.
Notre commission souligne que la loi
québécoise est à bien des égards fortement inspirée de la loi belge, et je vais
donc référer plusieurs fois à cette loi. Je ne voudrais pas que vous y voyiez
un chauvinisme indu en raison de mes origines.
Sur ce point précis de l'aide médicale à
mourir, de l'administration d'aide médicale à mourir, il eût été souhaitable
que notre loi suivre effectivement la loi belge. Selon cette loi, le patient
doit être conscient au moment de la demande, mais pas nécessairement par la
suite. La commission belge de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie
rappelle, dans son rapport paru en 2020, qu'une demande actuelle d'euthanasie
reste valide pendant tout le temps nécessaire à son examen et à la mise en
oeuvre de celle-ci, même si le patient devient inconscient durant cette
période.
Deuxième point : la demande anticipée
d'aide médicale à mourir. Et permettez-moi d'abord de faire un petit détour par
les directives anticipées en général. Le site du ministère de la Santé sur les
soins de fin de vie l'énonce très bien et clairement : «En cette matière — donc
de directives anticipées — les volontés dûment exprimées par une
personne alors qu'elle était apte doivent, une fois survenue l'inaptitude, être
respectées, quelle que soit leur forme : expression orale aux proches,
document écrit, enregistrement vidéo, formulaire de niveau de soins rempli par
le médecin, mandat de protection, directive médicale anticipée.»
L'essentiel est que les choix du patient
puissent être bien établis lors de l'évaluation de la situation ou de désaccord
de leur mise en oeuvre notamment, et l'écrit prendrait effectivement dès lors
toute son importance. Une directive anticipée constitue l'écrit le plus humain,
le plus personnel, le plus intime pour la personne, ses proches, son médecin.
C'est à eux qu'il s'adresse avant tout et avec eux qu'ils se discutent avant
tout, si nécessaire.
• (11 heures) •
Si je rédige mes directives à froid, quand
je suis en bonne santé, l'idée de subir certains traitements en cas de maladie,
voire d'être réanimé en cas de défaillance cardiorespiratoire avec tous les
risques inhérents, peut me sembler intolérable. Mais le temps passe, j'avance
en âge, la médecine évolue. On guérit ou on ralentit l'évolution de certaines
affections jugées jusque là fatales. On sait que les recherches sont en cours.
On peut me demander de participer à certains groupes de recherche pour un
nouveau traitement qui pourrait être prometteur. J'apprécie la vie, qui ne
m'est allouée qu'une seule fois, et j'y tiens plus que ne le pensais. Des
études avaient déjà montré qu'une proportion importante de personnes changent
d'opinion quand elles entrent à...
11 h (version non révisée)
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : …on sait que les recherches sont en cours. On peut
me demander de participer à certains groupes de recherche pour un nouveau
traitement qui pourrait être prometteur. J'apprécie la vie qui ne m'est allouée
qu'une seule fois et j'y tiens plus que ce que je ne le pensais. Des études
avaient déjà montré qu'une proportion importante de personnes changent
d'opinion quand elles entrent à l'hôpital. Le refus anticipé peut donc se
transformer en : Docteur, faites tout ce que vous pouvez.
Les premières qualités des directives de
fin de vie doivent être, outre leur caractère explicite, la facilité à les
modifier et leur accessibilité aux personnes concernées, proches et médecins.
Par quelle aberration les directives médicales anticipées, une des modalités
d'expression desdites volontés de fin de vie, ont-elles été phagocytées par un
système juridico-administratif pour être enfermées dans le cadre le plus rigide
qui soit? On peut faire un mandat de protection notarié ou sous seing privé
devant deux témoins. On peut faire un testament notarié ou un testament devant
témoins ou un testament olographe. Mais selon la loi, les directives médicales
anticipées ne peuvent se faire que par acte notarié en minute ou par le
formulaire prévu à cet effet à la RAMQ et ledit formulaire peut, selon le site
du ministère, maintenant être téléchargé.
En bonne citoyenne, j'ai donc patiemment
accompli la démarche préalable pour avoir un compte clicSEQUR permettant
ensuite d'avoir accès à mon dossier à la RAMQ et d'avoir accès au formulaire des
directives. Il y avait une petite erreur dans mon dossier de la RAMQ, deux
appels téléphoniques auprès de deux employés très serviables n'ont pas permis
de le résoudre, et on m'a donc proposé d'envoyer le formulaire personnalisé par
la poste. Alors, je vais le remplir en respectant toutes les formalités
prescrites et je vais le renvoyer à la RAMQ par la poste. Je le remettrai aussi
à mon médecin si je le souhaite et à un proche. Après quoi, la RAMQ va me
transmettre une confirmation d'inscription, toujours par la poste. Veuillez
noter que nous sommes en 2021. Le site du ministère précise que le dépôt de mon
formulaire ou de mon acte notarié dans le registre des directives médicales
anticipées est l'option la plus sûre, et ne riez pas, la plus rapide pour
garantir que mes volontés seront garanties et respectées. On ajoute également
que si je deviens inapte, le médecin consultera d'abord le registre des
directives médicales anticipées ou le registre de la RAMQ, et si aucune
directive n'y est enregistrée, il consultera mon dossier médical. N'est-ce pas
le monde à l'envers?
Les directives faites par acte notarié ont
le même contenu. On insiste sur le… du conseil du notaire et sur la sécurité
d'un tel acte. Ces directives ne couvrent qu'un nombre limité de situations,
quatre ou cinq, et… alors qu'il pourrait y en avoir bien d'autres. Et si, à la
suite des modifications de changement de situations décrites plus haut, je
désire modifier mes directives, la modification ne peut être ponctuelle, par
exemple, un… pour un acte notarié. Il est exigé que le même processus soit
refait au complet, que ce soit auprès de la RAMQ ou auprès de mon notaire.
Selon le rapport de notre commission québécoise,
seulement 0,5 % des adultes québécois ont inscrit leurs directives anticipées
dans le registre de la RAMQ. Est-ce qu'il faut s'en étonner après tout ce que
je viens de vous dire…
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : …il est exigé que le même processus soit refait au
complet que ce soit auprès de la RAMQ ou auprès de mon notaire. Selon un
rapport de notre commission québécoise, seulement 0,5 % des adultes
québécois ont inscrit leurs directives anticipées dans le registre de la RAMQ.
Est-ce qu'il faut s'en étonner après tout ce que je viens de vous dire? Dans la
loi belge, on fait un document écrit, signé, rédigé… signé par le patient
lui-même. Il peut révoquer sa demande en tout moment. Le formulaire de
déclaration anticipée relative à l'euthanasie peut être enregistré auprès de la
commune si le patient le souhaite. Il est accessible sur le site et il comprend
d'emblée les divers choix, et donc la modification, la confirmation, la
révocation en sont très faciles à faire.
Ce qui m'amène au deuxième point, les
directives anticipées et l'aide médicale à mourir. Les autres pays qui ont
légalisé l'euthanasie l'ont fait dans le cadre d'une loi spécifique
décriminalisant le geste. Au Québec, l'aide médicale à mourir est un soin de
fin de vie et la loi médicale a été modifiée afin de l'inscrire dans un
continuum de soins appropriés. Mais contrairement à tous les autres types de
soins, incluant les soins palliatifs et la sédation palliative continue, l'aide
médicale à mourir exige l'aptitude de la personne, comme je vous l'ai dit, non
seulement pour la demande, mais aussi pour sa mise en oeuvre. Ce type de soins
ne peut donc être demandé dans des directives anticipées. Contrairement à sa
finalité proclamée, la loi consacre ainsi, pour la première fois, une
discrimination dans le soulagement de la souffrance entre des personnes
majeures aptes et des personnes majeures inaptes ou des mineurs.
Or, à partir du moment où l'aide médicale
à mourir est qualifiée de soins, elle doit être régie de la même façon que tous
les autres types de soins. Elle doit notamment pouvoir être inscrite et
demandée dans des directives médicales anticipées, quelle que soit la forme de
ces directives. C'est d'ailleurs ce que proposait, en toute logique, dès 2013,
le Collègue de médecins du Québec dans son rapport de travail conjoint sur
l'aide médicale à mourir. Et, si on touche à ces questions-là, deux autres
points seraient notamment à considérer, notamment la désignation d'une personne
de confiance et l'imposition d'une durée de validité pour ces directives. La
déclaration peut être retirée ou modifiée ou adaptée à tout moment.
Abordons maintenant le deuxième point qui
est extrêmement difficile, c'est-à-dire l'aide médicale à mourir ou les
personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Portant au pinacle
l'autonomie individuelle, la société québécoise a fait, en 2015, le choix de
rendre possible l'accès à une aide médicale à mourir. Il a été proclamé haut et
fort que le cadre fixé par notre loi était inattaquable et que, jamais, ce qui
était alors qualifié de dérive dans d'autres pays pourrait atteindre, notamment
l'euthanasie pour les personnes atteintes de problèmes de santé mentale. Dès
2017, pourtant, un groupe d'experts devait amorcer la réflexion sur les
critères d'élargissement de l'aide médicale à mourir, notamment sous l'angle
des personnes inaptes et de la demande médicale anticipée. Il n'a pas fallu
plus longtemps pour que la loi soit contestée en justice, notamment par
certains de ses chantres les plus engagés, et que soit finalement abattu le
rempart majeur qui protégeait contre lesdites dérives…
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : ...sur les critères d'élargissement de l'aide
médicale à mourir, notamment sous l'angle des personnes inaptes et de la demande
médicale anticipée. Il n'a pas fallu plus longtemps pour que la loi soit
contestée en justice, notamment par certains de ses chantres les plus engagés
et que soit finalement abattu le rempart majeur qui protégeait contre lesdites
dérives, c'est-à-dire le fait d'être en fin de vie. Nous sommes maintenant
confrontés aux conséquences de nos choix délibérés et aux décisions les plus
cruciales sur le plan humain. Nous devons les affronter.
Alors, en matière de maladie mentale,
permettez aussi que j'aborde rapidement un point préalable, et ça a déjà été
souligné par tellement de personnes, c'est-à-dire l'aide médicale à vivre pour
les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. La plupart des
traitements ont des... La maladie mentale est source de souffrances profondes.
Elle touche à la perception de la personne quant à son identité même. Elle est
source de discrimination sociale, car elle fait peur. La plupart des
traitements ont des effets secondaires importants, ce qui conduit souvent à
leur abandon par le patient quand il va mieux. Il rechute alors, et le cycle
recommence. Et on sait que la schizophrénie en est un exemple bien connu de ces
maladies qui évoluent par épisode. Qui ne connaît ce fameux et pitoyable
syndrome des portes tournantes devant les instances civiles et criminelles que
vivent non seulement les personnes atteintes de maladies mentales, mais aussi
leurs proches, les grands oubliés du système.
Quels progrès ont été faits au cours des
dernières années dans l'accès aux traitements pour maladies mentales? On ne
compte plus les rapports, reportages et dénonciations sur les délais d'attente
en psychologie et en psychiatrie. Un psychiatre avait déjà, il y a de
nombreuses années, qualifié Montréal d'asile à ciel ouvert. Dans son plus
récent rapport déposé le 8 octobre 2020, la Vérificatrice générale du Québec
concluait que le Québec ne parvient pas à obtenir de données fiables de qualité
à l'égard des services offerts en santé mentale. Et elle déplore que ledit
syndrome de la porte tournante se poursuive de nos jours faute de prise en
charge et de suivi après une hospitalisation brève. Il a déjà été souligné
aussi à quel point les proches sont négligés et trop souvent tenus à l'écart de
ces évaluations.
Pourrions-nous faire preuve d'imagination
pour offrir aux personnes désespérées, quand il y a lieu, d'autres voies que le
suicide ou l'aide médicale à mourir? Ne pourrait-on envisager des directives
anticipées qui soient autres que des directives de fin de vie? Une personne
atteinte de maladie mentale à évolution chronique, par exemple maladie
bipolaire, schizophrénie, ne devrait-elle pas pouvoir, lorsqu'elle est apte,
exprimer formellement sa volonté d'être traitée, même de force, lorsqu'elle
devient inapte, par exemple, à la suite d'abandon de médicament entraînant une
rechute? On pourrait, par mesure de sécurité, garder le recours au tribunal
prévu à l'article 16 du Code civil du Québec, mais celui-ci en serait
considérablement allégé. Et ces personnes exerceraient ainsi leur droit à
l'autonomie lorsqu'elles sont aptes.
Maintenant, l'aide médicale à mourir pour
les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. Rendre inopérant le
critère de fin de vie pour l'accès à l'aide médicale à mourir en élargit
considérablement les possibilités. Si la modification s'est imposée d'abord
dans le contexte des maladies neurodégénératives, qui ont maintenant gagné leur
combat en justice, ni la maladie mentale ni aucune autre...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : …de problèmes de santé mentale. Rendre inopérant le
critère de fin de vie pour l'accès à l'aide médicale à mourir en élargit
considérablement les possibilités. Si la modification s'est imposée d'abord
dans le contexte des maladies neurodégénératives qui ont maintenant gagné leur
combat en justice, ni la maladie mentale ni aucune autre maladie, par exemple,
une maladie génétique, ne peut plus en être écartées. Dépendant de sa nature,
la maladie mentale peut répondre à plusieurs des autres critères, à savoir,
être grave, entraîner des souffrances physiques ou psychiques, surtout le «ou»
prend ici toute son importance, les souffrances constantes insupportables et ne
pouvant être apaisés dans des conditions jugées tolérables.
• (11 h 10) •
Mais elle doit aussi, pour répondre aux
critères de la loi, entraîner un déclin avancé, et irréversible des capacités,
et être qualifiée d'incurable. Pour répondre à ce qualificatif, et ça a déjà
été souligné dans la littérature, il faut que le trouble mental soit persistant
et réfractaire après que les traitements disponibles et appropriés aient été
appliqués et se soldent par un échec, ou encore qu'ils soient jugés
intolérables par la personne, donc, que celle-ci les ait tentés sérieusement de
l'avis de psychiatres traitants.
Pour éviter une approche discriminatoire,
il ne s'agirait donc pas de nier le droit d'accès à l'aide médicale à mourir,
mais bien d'en aménager les modalités d'accès pour que la maladie puisse
répondre aux autres critères. Les dispositions devront prévoir des contacts
avec les proches, trop souvent laissés de côté, le médecin traitant et le
deuxième médecin consulté devront être des spécialistes en psychiatrie. On
pourrait exiger des demandes répétées à plusieurs mois d'intervalle de façon à
répondre plus adéquatement aux critères de maladie incurable et de déclin
irréversible des capacités.
Selon plusieurs auteurs, l'aide médicale à
mourir deviendrait ainsi une alternative au suicide pour les patients pour
lesquels le psychiatre ne prévoit guère d'évolution favorable malgré tous les
traitements actuellement disponibles. Il faut réaliser que cette ouverture
touchera des affections très variées. Si je réfère, par exemple, au dernier
rapport de la commission belge, en mai 2018‑2019, on y trouve, parmi les
euthanasies pour troubles mentaux : les troubles de l'humeur, par exemple,
la dépression et les troubles bipolaires, les troubles de la personnalité et du
comportement, des troubles névrotiques, dont l'anxiété et le deuil
pathologique, les troubles mentaux organiques, notamment des troubles du
spectre de l'autisme, la schizophrénie et les troubles délirants.
L'euthanasie d'une jeune femme de
38 ans, autiste, est actuellement débattue en Belgique devant les
tribunaux. Une dame médecin travaillant en psychiatrie elle-même autiste
déplore que de telles décisions surviennent dans un contexte où les soins de
santé mentale extrahospitaliers sont peu développés, insuffisamment accessibles
et inabordables pour de nombreuses personnes. Et la plupart des cas font là-bas
l'objet de longs débats. Même la présidente de l'association belge pour le
droit de mourir dans la dignité et membre de la commission de contrôle de la
loi sur l'euthanasie dit ceci, elle prêche la prudence. Elle dit : Je
comprends que cette question pose débat. Pour ces patients atteints de
souffrance psychique, il faut être encore plus prudent. La corporation
des médecins de Belgique recommande aussi à ses membres de se rencontrer
physiquement pour discuter de demandes d'euthanasie pour ce genre de malades et
de ne pas se limiter à des conversations téléphoniques comme…
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :...elle prêche la prudence.
Elle dit : Je comprends que cette question pose débat. Pour ces patients
atteints de souffrances psychiques, il faut être encore plus prudents.
La corporation des médecins de Belgique
recommande aussi à ses membres de se rencontrer physiquement pour discuter de
demandes d'euthanasie pour ce genre de malades et de ne pas se limiter à des
conversations téléphoniques comme c'est fait pour les autres cas et comme le
permet la loi. La consultation d'un deuxième psychiatre s'impose. Ils pensent
aussi que le délai d'un mois prévu par la loi entre la demande et l'exécution
de l'euthanasie devrait être allongé pour permettre à ces patients de réfléchir
à leur décision plus longtemps. C'est un domaine extrêmement complexe. Les voix
des psychiatres, des patients et de leurs familles doivent être les premières
entendues avant qu'interviennent les juristes et les autorités administratives.
Et j'en arrive à ma conclusion. Après le
jugement Baudoin, les ministres, Mme McCann et Mme LeBel, ont
semblé dire qu'il ne serait pas nécessaire de modifier la Loi concernant les
soins de fin de vie et qu'il suffisait que le critère de soins de vie soit désormais
inopérant. Il me semble, au contraire, que cette loi bénéficierait de
modifications importantes qui lui permettraient de mieux répondre à sa
finalité. : d'abord, le retrait de l'exigence d'aptitude au moment de
l'administration de l'aide médicale à mourir, l'introduction de la possibilité
de demander l'aide médicale à mourir dans des directives anticipées, et l'organisation
même de ces fameuses directives.
Au Québec, nombre d'excellents rapports
dans tous les domaines sont faits régulièrement par des experts très
compétents, s'ensuivent, si le sujet est à l'ordre du jour, de belles politiques
dont les gouvernements successifs se font une gloire, avec X priorités et Y
mesures stratégiques. Malheureusement, nous aimons beaucoup moins nous assurer
de leur mise en oeuvre effective et beaucoup, beaucoup moins d'en évaluer les
résultats réels sur le terrain. Et trop de ressources attribuées théoriquement
aux services se perdent dans les labyrinthes d'une administration pléthorique
ou l'humain n'a plus guère sa place. L'accès aux services de santé mentale et
aux soins palliatifs en est une triste illustration.
Dans le rapport pour la période 2015‑2018,
remarquablement élaboré et documenté, de notre Commission sur les soins de fin
de vie, le Dr Michel Bureau fait état des rapports, depuis les
années 2000, sur les plans de soins de développement des soins palliatifs
et des soins de fin de vie visant l'amélioration de l'offre de services en
soins palliatifs de fin de vie et comprenant neuf priorités et 50 mesures
stratégiques.
Et le Dr Bureau souligne que, je
cite : «Malgré les efforts consentis au fil du temps, les mêmes constats
demeurent : inégalités quant à l'accès aux soins palliatifs de fin de vie
au Québec, le manque d'information et de formation des intervenants,
l'organisation déficiente au regard des ressources matérielles et humaines
investies, le développement insuffisant des soins et services à domicile qui
représentent la pierre angulaire des soins palliatifs de fin de vie.» Fin de la
citation. Il souligne également la méconnaissance des soins palliatifs de fin
de vie et l'absence de données fiables sur le sujet.
Mais gardons espoir, le gouvernement du
Québec a développé, en 2020, le rapport intitulé Pour un accès équitable à
des soins palliatifs et de fin de vie de qualité, un document très élaboré,
et il annonce un plan d'action pour 2020‑2024.
Nous semblons nous enorgueillir du fait
que...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : ...sens de donnée fiables sur le sujet. Mais
gardons espoir, le gouvernement du Québec a développé, en 2020, le rapport
intitulé Pour un accès équitable à des soins palliatifs et de fin de vie de
qualité, un document très élaboré, et il annonce un plan d'action pour 2020‑2024.
Nous semblons nous enorgueillir du fait
que de plus en plus de Québécois demandent et obtiennent l'aide médicale à
mourir. Ne devrions-nous pas plutôt nous réjouir si de moins en moins d'entre
eux en arrivaient à cette étape ultime? L'aide médicale à mourir est le geste
ultime, irrémédiable du processus de soins, elle libère d'une souffrance
devenue intolérable pour la personne. Si elle intervient avant son heure parce
que tous les soins adéquats n'ont pas été offerts, parce que la personne se
sent abandonnée, elle devrait aussi devenir une source de honte dans notre
société bien nantie et pour un système dont les énormes ressources sont trop
souvent dilapidées dans des structures tentaculaires qui se nourrissent
elles-mêmes et ne bénéficient plus assez aux citoyens qu'elles doivent servir.
Je vous remercie pour votre attention.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, Pre Philips-Nootens. Donc, nous commençons les échanges avec le
député de Gouin.
M. Nadeau-Dubois : Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Merci, Mme Philips-Nootens, pour votre
contribution à nos travaux aujourd'hui. Je vais essayer d'aborder les deux
sujets qui sont l'objet du mandat de la commission, d'abord, les demandes
anticipées, puis ensuite, les troubles mentaux.
Certaines personnes sont venues nous voir
ici, à la commission, et sont venues témoigner de leur malaise quant à la
possibilité pour quelqu'un d'émettre un consentement alors que les gens ne
connaissent pas ou peu... exactement quel sera leur état au moment de recevoir
l'aide médicale à mourir. Qu'est-ce que vous répondez à cette objection-là?
C'est-à-dire, ces gens-là nous disent, si je résume leur argument, que le
consentement n'est pas éclairé dans la mesure où la personne n'est pas réellement
en mesure de savoir quelle sera sa condition, quelle sera sa souffrance, quel
sera son niveau de dignité, par exemple, au moment où elle pourrait recevoir
l'aide médicale à mourir.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Elle pourrait le préciser, d'abord, parce qu'elle
peut donner d'autres directives. Elle peut... dans des directives anticipées,
elle peut demander la sédation palliative continue, et l'aide médicale à mourir
est l'étape suivante. Mais je veux dire, il suffirait qu'elle précise dans ses
directives qu'elle soit dans un état de souffrance intolérable. Et, à ce
moment-là, évidemment, en supprimant le critère de fin de vie, on a supprimé un
aspect extrêmement important, parce qu'elle ne serait plus obligée d'être en
fin de vie, et c'est à ce niveau-là qu'il faut avoir des réserves, parce que
c'est... La plupart des cas qui ont accès à l'aide médicale à mourir, ou à
l'euthanasie dans d'autres pays, ce sont des cas avancés de cancer. Alors,
peut-on encore dire qu'une personne qui...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : ...extrêmement important, parce qu'elle ne serait
plus obligée d'être en fin de vie, et c'est à ce niveau-là qu'il faut avoir des
réserves parce que... La plupart des cas qui ont accès à l'aide médicale à
mourir ou à l'euthanasie dans d'autres pays, ce sont des cas avancés de cancer.
Alors, peut-on encore dire qu'une personne qui saurait qu'elle a un cancer et
comment son cancer évolue ne verra pas dans quelle condition elle pourrait être
au moment de demander l'aide médicale à mourir? Ce serait vraiment
l'aboutissement, j'allais dire, d'un état de souffrance qu'elle juge
intolérable. La question semble dire : Comment va-t-elle décider d'avance
que ses souffrances seraient intolérables? Si je demande dans mes directives
anticipées, non pas l'aide médicale à mourir, mais d'arrêter tous les
traitements, comme on le fait déjà, je suis exactement dans la même situation. Donc,
l'aide médicale à mourir, à ce moment-là, quant à moi, cette demande-là n'est
pas différente de ce que je ressentirais quand je demande d'arrêter tous les
traitements quand je suis en fin de vie, et ça, je peux le faire.
M. Nadeau-Dubois :
Parfait. Un autre des débats qui sera le nôtre, c'est la nécessité ou non d'un
diagnostic au moment de rédiger la demande anticipée.
Des gens nous ont dit : Ça devrait
être nécessaire que la personne ait un diagnostic clair. Par exemple, je reçois
un diagnostic d'alzheimer. Je suis informé de l'évolution potentielle de la
maladie. En fonction de cette information-là, je rédige une demande.
D'autres gens nous disent : Non, ça
ne devrait pas être nécessaire, on devrait pouvoir rédiger une demande plus
générique, même si on n'a pas de diagnostic.
Où est-ce que vous logez, vous, sur ce
débat?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Bon. Il est évident, si je n'ai aucun diagnostic,
de prévoir des choses comme ça dans mes directives anticipées. Mais, dans tous
les autres cas de directives anticipées, je peux prévoir les arrêts de
traitement. Donc, finalement, telle qu'on peut la concevoir, la demande d'aide
médicale à mourir n'est qu'un substitut à la demande d'arrêt des traitements.
Et donc ça vaut pour toutes les autres directives anticipées. C'est...
M. Nadeau-Dubois : Donc,
selon vous, ça ne devrait pas être nécessaire d'avoir un diagnostic précis.
• (11 h 20) •
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Non, pas nécessairement. Ça dépend quand je fais
mes directives anticipées. Personne ne rédige les directives de fin de vie
quand elles sont en pleine santé.
Et c'est là, évidemment, que ça soulève
une autre question, qui est celle de la durée de validité des directives
anticipées. C'est un peu la même chose qu'un testament, si je peux dire, même
si ça touche d'autres sujets. Je peux faire mon testament quand je suis plus
jeune, etc., puis ma situation familiale change, je veux le modifier. Je peux
faire des directives anticipées... Moi, j'en ai fait, très élaborées, en
disant : Si je suis dans telle situation, je ne veux pas qu'on poursuive
les traitements.
Et, encore une fois, si je réfère à
l'arrêt des traitements, l'application ou la mise en oeuvre de l'aide médicale
à mourir, c'est l'illustration ultime d'un refus de traitement. On demande...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : …en disant : Si je suis dans telle situation,
je ne veux pas qu'on poursuive le traitement. Et encore une fois, si je réfère
à l'arrêt des traitements, l'application ou la mise en oeuvre de l'aide
médicale à mourir, c'est l'illustration ultime d'un refus de traitement. On
demande qu'on mette fin à l'intervention au lieu d'attendre que mes jours
s'achèvent en fonction de ma maladie. Je ne sais pas si ça répond à votre question,
mais…
M. Nadeau-Dubois : Oui, oui.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : …moi, je n'y vois pas de difficultés différentes.
M. Nadeau-Dubois : Parfait.
L'autre… une autre des questions que nous devrons trancher ici, à la
commission, c'est ce qu'on pourrait appeler la distinction entre une demande d'aide
médicale à mourir anticipée ou une directive. C'est-à-dire, est-ce que la
personne, ce qu'elle rédige, est-ce que ça devrait être exécutoire, final et
sans appel, quel… disons, peu importe ce qui se produit dans l'évolution de sa
maladie ou est-ce que ça devrait pouvoir être réversible, par exemple, par un
consensus de l'équipe médicale et des proches si la maladie n'évolue pas de la
manière dont la personne pensait qu'elle évoluerait, par exemple, dans des cas
de ce qu'on appelé, là, de démence heureuse?
De quel côté de ce débat-là vous
logez-vous? Est-ce que ce devraient être des demandes ou des directives finales
et sans appel?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Bien, directives médicales anticipées exprime ma
volonté. Et en principe, ma volonté doit être respectée à partir du moment où, effectivement,
j'étais en pleine connaissance de cause et en pleine possession de mes moyens
quand j'ai émis mes directives. Et la loi prévoit que si on veut contester
l'application des directives pour toutes sortes de raisons, il faut s'adresser
au tribunal, et je pense qu'il faut garder cette option-là. Mais mes directives
médicales anticipées sont des directives et non pas simplement des demandes. Il
risque trop d'y avoir, à ce moment-là, des variations ou des conflits familiaux
qui puissent intervenir.
M. Nadeau-Dubois : Oui. Et
qu'est-ce que vous répondez aux gens qui nous ont dit que dans ce cas-là, si
c'est vraiment une directive d'aide médicale à mourir anticipée, que ça
pourrait placer les professionnels de la santé dans des situations extrêmement
délicates où, par exemple, une personne qui n'est plus jugée apte à décider
manifeste quand même une grande opposition au fait de recevoir l'aide médicale
à mourir, ça pourrait placer les professionnels de la santé dans une situation extrêmement
difficile. Comment contournez-vous cette difficulté-là?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je pense qu'on se trouve dans la même situation. Il
faudrait s'adresser à un tiers indépendant, c'est-à-dire le tribunal, si on
juge qu'on n'est pas dans une situation qui permet de répondre aux directives.
Je ne suis pas sûre que j'aie bien répondu à votre question. Pouvez-vous me la
répéter, s'il vous plaît?
M. Nadeau-Dubois : Bien, c'est-à-dire
qu'il y a eu des cas documentés où des gens qui avaient donné un consentement
anticipé à recevoir l'aide médicale à mourir, une fois que ces personnes-là
sont rendues inaptes à décider, par exemple parce que dans un état de démence,
bien, ces personnes-là, lorsque vient le temps qu'on leur administre l'aide
médicale à mourir manifestent une résistance, ne veulent pas, se débattent, et
il y a même eu des cas documentés où il a fallu littéralement physiquement
saisir la personne pour promulguer l'aide médicale à mourir. Vous comprenez que
ça, ça a placé les professionnels de la santé dans un état... dans une
situation extrêmement fragile…
M. Nadeau-Dubois : ...on leur
administre l'aide médicale à mourir, manifestent une résistance, ne le veulent
pas, se débattent et il y a même eu des cas documentés où il a fallu
littéralement physiquement saisir la personne pour promulguer l'aide médicale à
mourir. Vous comprenez que ça, ça a placé les professionnels de la santé dans
un état... dans une situation extrêmement fragile. Il y en a qui ont été
traumatisés. Ma question, c'est : Comment vous proposez qu'on contourne
cette... ou qu'on aménage cette difficulté-là potentielle quand même?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :C'est-à-dire qu'on ne peut
s'assurer, donc, que la personne a changé d'avis parce qu'elle n'est plus apte.
M. Nadeau-Dubois : La personne
est réputée inapte, donc elle n'est plus sensée, on ne reconnaît plus sa
capacité à prendre des décisions, mais quand vient le temps, donc, de lui
administrer l'aide médicale à mourir, comme elle en a décidé auparavant, elle
refuse, elle s'objecte, elle se débat. Et ça, c'est... qu'est-ce qu'on fait?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je pense à ce moment-là qu'il faudrait... je pense
qu'il faudrait s'adresser au tribunal, mais il faudrait d'abord reporter l'administration
de l'aide médicale à mourir. Par contre, ça vaudrait pour d'autres traitements
aussi. Si ces personnes-là ne veulent plus recevoir d'analgésique, par exemple,
qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on les injecte de force? Donc, il faudrait,
encore une fois, voir ce qu'on peut faire dans ces situations-là et voir si on
peut forcer la personne, comme on peut forcer une personne inapte à recevoir
des traitements en vertu de l'article 16 du Code civil en s'adressant au
tribunal.
M. Nadeau-Dubois : Une
dernière question, cette fois sur la question des troubles mentaux. Vous avez
mentionné, dans votre exposé, que, selon vous, si elle était rendue disponible
aux gens avec des troubles mentaux, l'aide médicale à mourir, elle devrait être
bien balisée, notamment en s'assurant que les gens ont suivi certains
traitements avant d'être éligibles pour faire une demande. Que devrait-on faire
si une personne, donc qui vit avec des troubles mentaux, refuse un ou plusieurs
traitements? Est-ce que ça devrait disqualifier cette personne-là de son
éligibilité à l'aide médicale à mourir?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je pense qu'on devrait pouvoir lui opposer le fait
qu'à ce moment-là elle n'est pas... on n'est pas en face d'une maladie
incurable. Et je pense que la personne atteinte de troubles mentaux, pour bénéficier,
entre guillemets, doubles guillemets, de l'aide médicale à mourir doit répondre
quand même aux autres critères de la loi et notamment ces dispositions-là.
Donc, il faut faire attention parce qu'en écartant le critère de fin de vie, on
n'écarte pas non plus abusivement d'autres critères qui permettent d'obtenir
l'aide médicale à mourir.
M. Nadeau-Dubois : Et est-ce
que dans cette situation-là, est-ce qu'on n'en revient pas à forcer indirectement
une personne à recevoir un traitement? Si une personne dit : Moi, j'en ai
assez, je souhaite avoir recours à l'aide médicale à mourir, son psychiatre lui
dit : Bien, écoutez, il y a un ou deux traitements que vous n'avez pas
encore essayés. Moi, je ne peux pas vous donner le go pour l'aide médicale à
mourir tant que vous ne les avez pas essayés. Est-ce qu'on n'en vient pas dans
une situation où on force indirectement des gens à recevoir certains
traitements, surtout que c'est des traitements qui, parfois, peuvent être
souffrants, avoir beaucoup d'effets secondaires? Comment on dénoue cette
difficulté-là?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Ce sont effectivement, souvent, des traitements
très pénibles et ce sont des traitements auxquels on...
M. Nadeau-Dubois : ...est-ce
qu'on n'en vient pas dans une situation où on force indirectement des gens à
recevoir certains traitements, surtout que c'est des traitements qui, parfois,
peuvent être souffrants, avoir beaucoup d'effets secondaires. Comment on dénoue
cette difficulté-là?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Ce sont effectivement, souvent, des traitements
très pénibles. Ce sont des traitements auxquels on procède souvent par tâtons
aussi avant de voir celui qui convient au patient, donc c'est vraiment un
domaine extrêmement complexe. Mais je pense qu'effectivement, dans des situations
comme celles-là, on peut dire à la personne : Ou bien vous suivez vos
traitements, ou bien vous ne répondez pas aux critères d'admissibilité à l'aide
médicale à mourir.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci, M. le député. Donc, je céderais maintenant la parole au député de
Chomedey.
M. Ouellette : Il arrive, le
député de Chomedey. Merci, Mme la Présidente. Mme Philips-Nootens, merci
d'être là. Merci de nous faire partager votre grande expérience de vie. Et je
pense qu'on a avantage à vous écouter, mais ça nous inconfortabilise un peu
parce que ça remet sur nos épaules... Je vous écoutais, puis je simplifierais
ça en quelques mots, en disant que, pour les maladies mentales, il faut être
très prudent, c'est peut-être trop tôt. Là, ça devient un peu la saveur du
jour. Et il y a quelques mois, sinon un an ou deux, on en parlait peu. Pour
l'inaptitude, ça a l'air très compliqué et trop compliqué, donc il va falloir le
simplifier, et si j'ai bien... si je vous lis bien ou si je vous comprends
bien, le rapport que la commission va devoir faire, là, la partie que la
commission va devoir faire, c'est tout va être dans la mise en oeuvre pour la
prochaine étape. Est-ce que j'ai une bonne lecture?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Pour ce qui concerne les maladies mentales, oui, je
pense que oui, tout va être dans la mise en oeuvre. Vous savez, c'est un
psychiatre... parce qu'il y a beaucoup de littératures déjà là-dessus, c'est un
peu gênant pour un non-psychiatre d'essayer de résumer ces choses-là, mais les
psychiatres vont dire : Écoutez, si ça devient la seule alternative au
suicide, est-ce qu'il n'est pas justifié à ce moment-là d'accorder l'aide
médicale à mourir à ces personnes-là? Et ça veut dire que tout a été essayé.
Quand une personne atteinte d'une maladie mentale qu'on libère en fin de
semaine parce ce qu'elle s'est bien comportée et qu'on pense que tout va bien,
on la libère de l'hôpital, elle sort de l'hôpital et elle va se jeter en bas
d'un pont, il est certain qu'on est dans des situations vraiment dramatiques
où, manifestement, on n'a pas réussi à faire marche arrière ou à progresser
dans le traitement de leur maladie mentale. Alors, il faut, je pense, si on décide
d'ouvrir cette porte-là, la réserver vraiment pour des situations extrêmes et
non pas parce que les gens n'ont pas eu de soins.
• (11 h 30) •
M. Ouellette : Bien, c'est
ça, je pense qu'il faut déjà...
11 h 30 (version non révisée)
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : …à faire marche arrière ou à progresser dans le
traitement de leur maladie mentale. Alors, il faut, je pense, si on décide
d'ouvrir cette porte-là, la réserver vraiment pour des situations extrêmes, et
non pas parce que les gens n'ont pas eu de soins.
M. Ouellette : Bien,
c'est ça, je pense qu'il faut déjà... utiliser toutes les ressources du
système. Ça devient... je ne dirais pas la situation ultime, mais ça devient
l'incontournable. Mais il faut qu'on ait épuisé toutes les autres possibilités
avant, c'est ce que vous nous dites.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Oui, oui. Je pense que oui.
M. Ouellette : O.K.
Merci.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Et regardez, encore une fois, dans des pays où
c'est ouvert, bon, je n'ai pas revérifié dernièrement pour les Pays-Bas, mais
c'est évident. Mais, en Belgique, la question pose problème, alors qu'ils ont
une loi depuis 2002, qu'ils sont très ouverts en matière d'aide médicale à
mourir ou d'euthanasie dans les circonstances, et récemment encore, même les
personnes proches et même les personnes de la commission disent : Soyons
prudents.
M. Ouellette : O.K. Ça
fait qu'il ne faut pas manquer notre coup.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Il y a des gens qui ont fait des tentatives de
suicide et qui remercient ceux qui les ont sauvés.
M. Ouellette : Oui. Oui,
là... Je comprends ça aussi.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Il ne faut pas oublier ça.
M. Ouellet : Merci, Mme
la Présidente.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Merci...
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci, M. le député. Dans un même ordre
d'idées, on voit que c'est un sujet, la maladie mentale, très délicat. Quels
mécanismes de contrôle on pourrait mettre en place pour qu'il n'y ait pas de
débordements ou de gestes malheureux, là?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Il faudrait donc s'assurer à tout le moins que
toutes les autres conditions d'accès à l'aide médicale à mourir soient
remplies. Il faudrait en débattre, je pense, avec les psychiatres. Moi, je
suis... nous sommes tous profanes dans ce domaine-là, qui est le domaine le
plus difficile de la médecine, à mon sens, parce que c'est difficile de
pénétrer les mystères de l'esprit humain, de voir comment les choses évoluent.
Et regardez, même dans la vie courante, quelqu'un peut être déprimé après un
deuil et puis après ça il va reprendre le dessus. Regardez tout ce qui est
syndrome post-traumatique, et tout ça. C'est extrêmement difficile. Donc, je
pense qu'il faudrait avoir des mesures d'encadrement très rigoureuses.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Et, encore une fois... je m'excuse... donner
d'abord les services et l'accès aux traitements.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci. Je passerai la parole au député de Lac-Saint-Jean.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Merci, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Suzanne. C'est très intéressant,
là, votre présentation. Vous y avez été en deux temps. J'ai pris des notes. Et,
écoutez, moi, je ne suis pas un spécialiste, de là l'importance de vous
écouter. Vous, vous êtes là, on est là pour vous écouter, vous êtes des gens...
des spécialistes.
Puis j'aimerais bien comprendre, parce que
vous avez parlé de la directive anticipée et l'aide médicale à mourir, soins de
fin de vie. Hier, j'ai posé une question...
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
...écoutez, moi, je ne suis pas un spécialiste, de là l'importance de vous
écouter. Vous, vous êtes là, on est là pour vous écouter, vous êtes des gens...
des spécialistes. Puis j'aimerais bien comprendre, parce que vous avez parlé de
la directive anticipée et l'aide médicale à mourir, soins de fin de vie. Hier,
j'ai posé une question à un groupe : À quoi l'aptitude à consentir à l'aide
médicale à mourir se distingue-t-elle de l'aptitude à consentir à d'autres
types de soins? Et ce que j'ai cru comprendre, dans votre présentation, c'est
que vous avez... tout à l'heure, vous avez mentionné qu'en fait l'aide médicale
à mourir doit être considérée comme un soin. Est-ce que c'est bien ça que vous
avez apporté, au même titre que d'autres soins?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : On a voulu en faire un soin, et c'est ça que la loi
en fait. Évidemment, on a voulu en faire un soin aussi pour des raisons de
compétences constitutionnelles, mais ça, c'est autre chose, mais on en a fait
un soin et on a même modifié la Loi médicale dans ce sens-là. Donc, à ce
moment-là, si on en fait un soin, de quel droit la soustrait-on au choix que
les patients peuvent faire pour les autres types de soins?
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Donc, vous, votre point de vue, votre position, c'est qu'elle doit être
considérée au même titre.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : C'est ce que la loi en fait. Moi, ça n'a jamais été
ma position personnelle, mais c'est ce que la loi en fait.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K.
Est-ce que vous... Donc... Mais voulez-vous... Est-ce que... Votre opinion, là,
selon vous, est-ce qu'on doit tenir compte de la loi?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Est-ce que?
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
Est-ce qu'on doit la considérer de telle manière?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Encore une fois, c'est ce que la loi en fait, je
peux difficilement vous dire autre chose. On peut être pour, on peut être
contre. Moi, je n'ai, en toute franchise, jamais été favorable à cette
disposition-là parce que je voyais dès le... en regardant ce qui se passait
ailleurs, où ça nous entraînerait. Mais on a choisi comme société d'en faire un
soin. Et là on est obligés d'assumer les conséquences de nos choix.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) :
O.K. Puis tout à l'heure, aussi, au niveau des directives médicales anticipées,
vous parliez d'un point de vue juridique. Puis je veux bien comprendre, tu
sais, quand vous disiez que la différence peut se faire de façon notariée ou
avec le formulaire de la RAMQ. Et est-ce que vous avez bien dit que l'acte notarié
qui est le plus sûr, c'est-u bien ça que vous avez mentionné?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je ne l'ai pas mentionné comme tel. C'est un écrit,
donc effectivement c'est un écrit qui a toute la valeur d'un acte notarié comme
pour d'autres actes notariés. Mais le problème avec l'acte notarié, bon, il
reprend les mêmes choix qu'on peut faire dans le formulaire de la RAMQ, mais
c'est sa rigidité. Si je veux modifier mes directives, notamment quand je
rentre à l'hôpital, j'aime beaucoup ma notaire, mais je me vois mal la faire
venir à l'hôpital, là, je suis en jaquette depuis huit jours, je me sens mal, mais
je voudrais modifier mes directives dans mon acte notarié. Alors, c'est toute
cette lourdeur qu'il faut éviter. Les directives doivent être facilement
accessibles et facilement modifiables.
Regardez avec tout ce qui se passe dans la
vie actuellement, avec toutes les découvertes qu'on fait, je peux vouloir, en
un an...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : ...je me sens mal, mais je voudrais modifier mes directives
dans mon acte notarié. Alors, c'est toute cette lourdeur qu'il faut éviter. Les
directives doivent être facilement accessibles et facilement modifiables.
Regardez avec tout ce qui se passe dans la
vie actuellement, avec toutes les découvertes qu'on fait. Je peux vouloir, en
un an, modifier trois fois mes directives. Est-ce que je vais faire trois actes
notariés? Je ne peux même pas procéder par codicille. Alors, c'est aussi lourd
dans le formulaire de la RAMQ et dans un acte notarié, alors qu'en réalité
notre volonté peut s'exprimer de toutes les façons différentes. Et c'est
reconnu, là. Si vous allez sur le site de la RAMQ, du ministère de la Santé,
vous allez trouver toutes les façons d'exprimer vos directives, et on vous dit
que vos directives doivent être respectées. Il suffit évidemment qu'elles
soient faites en toute connaissance de cause.
Et c'est beaucoup plus facile ou beaucoup
plus recommandé d'avoir un écrit, signé devant deux témoins, qui témoignent de
votre attitude au moment où vous les faites. C'est même préférable, quant à
moi, de ne pas les mettre dans un mandat d'inaptitude, parce que dans le mandat
d'inaptitude, si vous voulez modifier, c'est la même chose, et c'est plus lourd
comme procédure. Mais donc les directives doivent pouvoir être exprimées, et
modifiées, et révoquées, s'il y a lieu, de façon très accessible à toutes les
personnes. Et donc l'acte notarié, oui, il en fait état, mais avec toute la
rigidité que ça comprend.
M. Girard (Lac-Saint-Jean) : O.K.
Bien, écoutez, j'aurais eu d'autres questions, mais je vous remercie beaucoup, je
vous remercie infiniment. Je vais laisser, Mme la Présidente... à d'autres collègues
qui veulent intervenir.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Merci.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, M. le député. Je céderais la parole à la députée d'Abitibi-Ouest.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Merci,
Mme la Présidente. Merci, Mme Nootens. Alors, un patient souffrant d'ACV ou de
traumatisme crânien grave, selon vous, peut-il être admissible à l'aide à
mourir médicale?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :Est-ce qu'il a exprimé ses
volontés quand il était apte, avant son traumatisme crânien?
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Non, il n'avait pas de... il n'avait pas exprimé rien. Il a un accident puis il
dit : Moi, je veux en finir. Et puis il est, quoi, paraplégique dans son
lit, puis il ne peut pas bouger. Alors, il demande l'aide à mourir.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :Est-ce qu'il...
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Selon...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Pardon, excusez-moi.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Oui, mentalement, il est capable de bien s'exprimer.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :À partir du moment où il est
mentalement apte à prendre cette décision, oui, il peut la demander. Il répond
aux autres critères. Vu qu'il n'a plus...
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Et...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Oui, pardon.
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Excusez-moi, allez-y.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Vu qu'il n'a plus besoin d'être en fin de vie, il
peut estimer, donc, que sa souffrance est intolérable, etc. Ça va dépendre de l'évolution
qu'on prévoit aussi pour son traumatisme crânien parce qu'il faut encore une
fois, donc, que ce soit grave et incurable. Il faut aussi... Il y a toute cette
question, qui est mentionnée dans la loi, de déclin avancé et irréversible des
capacités. À partir du moment où on admet maintenant l'aide médicale à mourir
pour les maladies neurodégénératives, par exemple, je ne vois pas pourquoi on
ne l'admettrait pas pour quelqu'un qui a un traumatisme crânien, qui est
redevenu...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : ..grave et incurable. Il faut aussi… Il y a toute
cette question, qui est mentionnée dans la loi, de déclin avancé et
irréversible des capacités. À partir du moment où on admet maintenant l'aide
médicale à mourir pour les maladies neurodégénératives, par exemple, je ne vois
pas pourquoi on ne l'admettrait pas pour quelqu'un qui a un traumatisme
crânien, qui est redevenu mentalement apte — il faudrait que ce soit
autre chose qu'un traumatisme crânien — il est redevenu mentalement
apte, et il est paralysé dans son lit, et il pourrait faire le choix,
effectivement, de demander l'aide médicale à mourir si sa situation est
irréversible.
• (11 h 40) •
Mme Blais (Abitibi-Ouest) :
Quelqu'un qui demande l'aide médicale à mourir et qui a une grande souffrance
physique et aussi une grande souffrance psychologique, qu'est-ce qui va être en
priorité? Qu'est-ce qu'on priorise à l'aide médicale à mourir, la souffrance
physique ou psychologique?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : La loi, c'est calqué sur la loi belge ici encore,
elle a mis un «ou» entre les deux. Donc, il suffit que ce soit l'une des deux,
et souvent les deux vont aller ensemble, effectivement. Mais le fait que ce
soit une des deux, c'est ça qui rend plus délicat le problème des maladies
mentales, parce que beaucoup de personnes atteintes de maladie mentale n'ont
pas nécessairement de souffrance physique. Il peut y avoir des inconvénients
aux traitements, etc., mais pas nécessairement des cas de souffrance physique.
Et on voit, en parlant uniquement de souffrance psychique, des personnes pour
lesquelles la fin de vie ne correspond plus à leurs attentes, elles voient ça,
le fait d'être diminuées, comme une atteinte à leur dignité. Beaucoup de personnes
âgées disaient dans le temps, quand le monde était croyant : Le bon Dieu
m'a oublié, elles trouvaient qu'elles avaient fait tout ce qu'elles avaient à
faire dans la vie, et donc elles se trouvaient… elles trouvaient que leur
séjour terrestre était terminé. Et on voit ces demandes-là, on n'aime pas en
parler, mais on voit ces excès-là notamment dans des choix d'euthanasie faits
aux Pays-Bas, notamment, où les personnes âgées disent : Je ne tiens plus
à rester ici-bas, et elles vont donc invoquer une souffrance psychologique, un
malaise… — je cherche le terme exact, qui m'échappe, mais ce n'est
pas grave — donc une souffrance psychologique en disant : La vie
ne m'intéresse plus. Finalement, c'est à ça que ça revient. Est-ce qu'on va
aller jusque-là?
Mme Blais (Abitibi-Ouest) : Je
vous remercie beaucoup.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Merci, madame.
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci. Merci, Mme la députée. Je céderais la parole à la députée de Soulanges.
Mme Picard : Bonjour, Mme
Philips Nootens. Prenons le cas où une personne devient… a un diagnostic
d'Alzheimer, et c'est très précoce dans le début du diagnostic, puis là elle
ferait sa demande… son aide médicale à mourir, elle ferait sa demande anticipée
ou ses directives anticipées et elle aurait un appui d'une tierce personne pour
l'aider dans la prise de décision, là, pour le moment où elle peut… où son
traitement ou son… son aide médicale à…
Mme Picard : ...elle
ferait sa demande, son aide médicale à mourir, elle ferait sa demande anticipée
ou ses directives anticipées et elle aurait un appui d'une tierce personne pour
l'aider dans la prise de décision, là, pour le moment où elle peut... où son
traitement ou son aide médicale à mourir serait administré.
Moi, j'y vois là une lourdeur, une
pression sur le proche aidant, sur la tierce personne, parce que la tierce personne,
c'est sûr que c'est elle qui va prendre la décision que la personne atteinte
d'alzheimer est rendue au stade... avec le médecin, bien sûr, mais je trouve
que c'est lourd à porter pour une personne, pour une tierce personne, de ce
jugement-là, si on veut, bien sûr, avec l'équipe médicale.
Mais je m'interrogeais, savez-vous, en
Belgique, comment ils traitent la question avec les proches, avec... pour le
moment où l'aide médicale à mourir est administrée?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je n'ai pas relu récemment le rapport de la
commission sur cet aspect-là en particulier, mais il est évident que, dans ces
situations-là, il faut impliquer nos proches de toute façon. Et je dois décrire
normalement dans mes directives anticipées le stade auquel je voudrais que
l'aide médicale à mourir s'applique. Et on le fait, notamment, pour la maladie
d'Alzheimer, par exemple. Ici aussi, on peut le faire.
On pourrait dire : Moi, à partir du
moment où je ne reconnais plus personne, où je ne suis plus capable de communiquer
avec mes proches, où je ne suis plus capable de prendre conscience de mon
environnement, je voudrais qu'on m'applique l'aide médicale à mourir, encore
une fois, en respectant les critères de la loi. Moi, je vois ces situations-là
dans la même perspective que... dans les mêmes situations pour lesquelles on
exprime un refus de traitement. Et donc moi, personnellement, j'exprime mon
refus de traitement : Si, dans telle situation, atteinte de telle maladie,
je ne suis plus capable de communiquer avec mes proches, je ne suis plus
capable de reconnaître personne, de prendre aucune initiative ou encore de me
nourrir ou de m'alimenter, par exemple, une maladie d'Alzheimer au stade six ou
sept, c'est-à-dire un stade extrêmement avancé où je deviens à toutes fins
pratiques confinée à mon lit, etc. Donc, il faut que ces situations-là soient
claires pour les proches.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : D'où l'importance de négocier... enfin, pas de
négocier, mais de s'expliquer avec les proches.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Merci beaucoup, Mme Philips-Nootens.
Il nous reste un bloc d'intervenants. Donc, je céderais la parole à la députée
de Maurice-Richard.
Mme Montpetit :
Je vous remercie, Mme la Présidente. Ça va être la députée de
Westmount—Saint-Louis.
La Présidente
(Mme Guillemette) : Parfait. Mme la députée,
vous pouvez y aller, la parole est à vous.
Mme Maccarone :
Merci beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Philips-Nootens.
Un plaisir pour nous d'avoir des échanges avec vous. Vous partagez une
expérience qui est quand même très...
Je veux aborder un peu, au
début de votre...
(Visioconférence)
La Présidente
(Mme Guillemette) : ...de fin de vie. Parfait. Mme la députée,
vous pouvez y aller, la parole est à vous.
Mme Maccarone : Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, Mme Philips-Nootens,
un plaisir pour nous d'avoir des échanges avec vous, à nous partager une
expérience qui est quand même très
riche.
Je veux aborder un peu au
début de votre discours, puis votre témoignage que vous nous avez partagés, que
c'était quand même complexe de
poursuivre dans notre réseau, de déposer peut-être une demande ou un formulaire de déclaration.
Alors, si on regarde comment
ça peut être complexe à poursuivre surtout pour des personnes qui comprennent
moins bien la technologie actuellement en places, pensez
vous que de potentielles directives médicales anticipées concernant l'aide
médicale à mourir devraient être obligatoirement formulées par écrit ou, par
exemple, est-ce qu'une personne devenue inapte, mais ayant déjà exprimé,
oralement, à ses proches le vouloir d'avoir une telle aide médicale à mourir
devrait être considéré ?
On a entendu et on a vu une
présentation, hier, d'un professeur, peut-être vous la connaissez,
Mme Gina Bravo, qui nous a quand même partagé un peu un portrait des
demandes des demandes par écrit puis des demandes qui sont faites verbalement.
Alors, pensez-vous qu'on devrait avoir de
la liberté de s'exprimer verbalement ou est-ce que c'est trop nécessaire que ça
soit par écrit malgré qu'il y aura peut-être qu'il y aura un processus complexe
à poursuivre pour la personne concernée?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Je pense qu'on doit pouvoir exprimer ce souhait de fin
de vie verbalement effectivement, à condition, bien sûr, d'être pleinement
apte. Et le problème, à ce moment-là, va devenir un problème de preuve.
Supposez que j'exprime ma décision ou ma
demande d'aide médicale à mourir en présence d'un de mes enfants, et que les
autres qui sont plus loin ne soient pas d'accord en disant : Non, ce n'est
pas possible que maman ait dit ça. Ce n'est pas possible, on va contester.
Donc, ça devient une question, encore une
fois, de preuve et de pouvoir établir, devant les autres, quelle est ma
décision. Eh bien, il faut faire attention aussi évidemment quand la décision
est verbale, à un moment donné, je peux demander ça un soir où je n'en peux
plus, on ne m'a pas donné assez d'analgésiques, je suis très malade, j'ai très
mal, et je dis : Non, là, je veux en finir. Comme ça peut nous arriver
après une intervention chirurgicale ou après un accident. Et puis, le
lendemain, tout à coup, tiens, j'ai reçu suffisamment d'analgésiques, on a eu
la gentillesse aussi de me donner un somnifère, et j'ai bien dormi, et mon
appréciation change.
Donc, il faut être extrêmement prudent et
voir dans quel contexte cette demande-là est faite parce qu'encore une fois il
ne faut pas oublier de répondre aux autres critères. Il faut que ce soit
irréversible, un déclin irréversible de mes capacités et il faut que ce soit
des souffrances insupportables et qui ne sont pas apaisées. Mais, si mes
souffrances sont apaisées, je peux très bien changer d'avis le lendemain, donc
il faut être extrêmement prudent. Encore une fois, ce serait moins difficile
pour les personnes qui sont en phase terminale d'un cancer, par exemple...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : ...un déclin irréversible de mes capacités, et il
faut que ce soit des souffrances insupportables et qui ne sont pas apaisées.
Mais, si mes souffrances sont apaisées, je peux très bien changer d'avis le
lendemain, donc il faut être extrêmement prudent. Encore une fois, ce serait
moins difficile pour les personnes qui sont en phase terminale d'un cancer, par
exemple. Et donc il y a cet aspect-là de la certitude, entre guillemets, de
l'évolution sur le plan médicale et il y a la question de pouvoir établir la
volonté vis-à-vis de toutes les personnes concernées.
Mme Maccarone : Excellent.
Vous, ça prendrait peut-être un genre de comité de partenaires, d'experts qui
vont entourer la personne en question pour aider. Si, mettons ce n'est pas
quelque chose... s'il y a une préoccupation puis ce n'est peut-être pas clair parce
que ce n'était pas écrit, alors on devrait avoir des experts autour de la
table. C'est qui que vous proposez comme experts, incluant évidemment les
proches aidants? Et que faisons-nous si la proche aidante ou le proche aidant
qui entoure la personne concernée refuse d'accepter que la personne qui fait la
demande de recevoir l'aide médicale à mourir... fait la demande, mais ils ne
sont pas d'accord, mais tout le comité d'experts autour de cette personne dit
que, oui, ils sont en accord de respecter la demande de la personne concernée?
• (11 h 50) •
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Il faut faire très attention parce qu'il ne faut
pas oublier qu'il y a un certain délai qui se passe entre la demande et la mise
en oeuvre de l'aide médicale à mourir. Donc, il faudrait voir aussi qu'il n'y
ait pas de changement pendant ce fameux délai-là. Les experts, encore une fois,
vont témoigner de quoi? Moi, je pense que, si on est dans cette situation-là,
et si on en est là, à avoir ce genre de débat, pourquoi ne pas demander un
écrit, ce qui serait beaucoup plus sûr et beaucoup plus sécuritaire, si vous me
pardonnez ce mauvais français? Parce qu'en fait, la loi prévoit, la loi sur
l'aide médicale à mourir et les autres dispositions législatives prévoient que,
si on n'est pas capable d'écrire soi-même le document, ça peut être dicté,
maintenant, ça peut être enregistré par vidéo, ça peut être, donc, enregistré
d'autres façons, et signé ou encore confirmé par la personne elle-même. Donc,
je pense que c'est une simple question de prudence et ce ne sont pas des
situations dans lesquelles il faut se précipiter.
Mme Maccarone : Je vous
entends puis ça m'amène une question de réflexion que... Est-ce que nous devons
peut-être prévoir autre moyen pour avoir un consentement? En ce qui concerne
les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale, vous l'avez abordé
un peu, si, par exemple, je vous disais qu'il y a une personne qui souffre de
déficience intellectuelle, vous avez parlé de cas de la jeune femme autiste en...
c'est quand même des cas particuliers, mais dans mon expérience, c'est souvent
des personnes qui sont aptes, et peut-être, si vous prévoyez un autre mécanisme
d'accompagner ces personnes à cette réflexion pour prendre une décision pour
eux, pour respecter leur droit, de choisir, pensez-vous que ce serait une
possibilité, s'il y avait un accompagnement...
Mme Maccarone : ...c'est
souvent des personnes qui sont aptes, et peut-être, si vous prévoyez un autre
mécanisme, d'accompagner ces personnes en cette réflexion pour prendre une
décision pour eux, pour respecter leur droit de choisir. Pensez-vous que c'est peut-être
une possibilité s'il y aurait un accompagnement, un accompagnement qui était
adapté pour eux, fait pour eux? Parce que souvent ça ne se fait pas par écrit,
ça va être une autre manière que nous allons accompagner une telle personne.
Puis ça m'amène à une deuxième question en
rafale avec ceci, c'est de définir c'est quoi la souffrance. Une personne
autiste, une personne qui souffre d'une déficience intellectuelle peuvent traîner
leurs souffrances d'une autre façon, puis ils peuvent très bien dire :
Bien, moi, ça ne me tente pas de prendre ces médicaments, pas parce que je veux
souffrir, mais ils me font souffrir, ils ne me font pas du bien, et de vivre de
cette façon, ça m'amène que de douleurs, la douleur psychique, c'est tellement
et tellement grave et difficile à subir, alors je veux trouver un autre moyen
de s'en sortir, puis évidemment c'est la porte... c'est ce que je choisis pour
moi, c'est l'aide médicale à mourir.
Alors, comment accompagner ces personnes?
Puis est-ce qu'il y a un moyen de le faire? Et, deuxièmement, comment définir
la souffrance pour ces personnes, souvent, qui vont refuser de l'aide?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : On ne peut pas définir la souffrance psychologique
pour quelqu'un d'autre, évidemment, elle est la seule à la ressentir, c'est
elle qui l'éprouve. La souffrance physique avec les maladies, on peut savoir ce
que c'est, on peut l'évaluer, il y a même des codes de souffrance, etc., quand
vous êtes à l'hôpital, on vous demande toujours : Est-ce que vous avez
mal? Alors, j'ai mal ici, j'ai mal là. Mais la souffrance psychique, et c'est
le problème effectivement de tout ce domaine-là, c'est que c'est la personne
qui la ressent. Nous pouvons vivre le même deuil, vous et moi, et réagir d'une
façon extrêmement différente.
Je pense que le défi, dans ce genre de
situation, c'est d'éviter des décisions impulsives, parce que l'aide médicale à
mourir, c'est un geste qui est irrémédiable une fois qu'il est accompli. D'où
le devoir d'accompagner ces personnes-là pour faire tout ce qu'on peut pour
qu'elle retrouve vite goût à la vie malgré tout. Regardez des personnes qui ont
été profondément déprimées, regardez des gens qui ont subi des chocs
post-traumatiques extrêmement importants, j'ai envie de dire, tiens, regardez
le général Dallaire qui a fait trois ou quatre tentatives de suicide après les
événements du Rwanda.
Alors, est-ce qu'on répond à leur première
demande ou est-ce qu'on essaie de les accompagner le mieux possible pour
qu'effectivement la situation soit jugée irréversible? Et je pense que c'est
vers cela qu'il faut tendre à partir du moment où on leur ouvre la porte à
l'aide médicale à mourir. Il ne faut pas que... il faudrait que ce soit
vraiment, comme le disent les psychiatres, une décision de dernier recours, et
donc qu'on ait... pas essayé, mais qu'on ait éprouvé tous les traitements
admissibles pour cette personne-là, quitte, dans certaines circonstances, à lui
dire : Écoutez, si vous refusez tel type de traitement...
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : …de dernier recours et donc qu'on ait… pas essayé,
mais qu'on ait éprouvé tous les traitements admissibles pour cette personne-là,
quitte, dans certaines circonstances, à lui dire : Écoutez, si vous ne… si
vous refusez tel type de traitement, vous ne répondez pas aux critères. Je sais
que c'est difficile.
Mme Maccarone : Oui, oui, oui,
tout à fait, mais je pense que c'est un sujet qui est très sensible, qui est
très difficile pour nous tous, ici, membres de la commission, mais aussi pour
les gens qui en font témoignage. Alors, merci pour votre partage. Ça m'amène à
une autre question que… si nous aurons besoin d'avoir un tel accompagnement.
Puis vous, vous constatez qu'il y a peut-être une différence entre une personne
qui souffre d'une maladie comme le cancer ou Alzheimer, par exemple, ou une
personne qui souffre d'un problème de santé mentale ou de déficience
intellectuelle. Pensez-vous que ce serait important de privilégier un type de
catégorie de personnes qui font des demandes ou, comme ce que nous avons
entendu avec la présentation, hier, de Me Chalifoux, on ferait peut-être
fausse route en faisant ceci parce que ça peut être discriminatoire?
Pensez-vous que ça va être important d'avoir des catégories ou non, ce n'est
pas nécessaire parce que nous allons poursuivre, peu importe la demande, avec
peut-être un genre d'accompagnement modulé pour chaque personne dans le besoin?
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Faire des catégories, c'est vraiment délicat,
surtout dans un domaine comme celui-là. Je vous ai énoncé tout à l'heure, à
propos de la loi belge, enfin de ce qui se passe en Belgique, tout ce qu'on
trouvait parmi les euthanasies pour troubles mentaux. Est-ce qu'on va
dire : Si vous avez tel type de trouble, par exemple, dépression et
trouble bipolaire, ça se traite, donc on vous refuse l'aide médicale à mourir?
Trouble de la personnalité, du comportement, bien non, ça peut se traiter
aussi. Si c'est de la névrose… Le deuil pathologique, écoutez, encore une fois,
je reviens à cet exemple-là, est-ce qu'on va dire oui à telle personne et non à
telle autre?
À partir du moment où vous parlez de
souffrances psychiques, c'est extrêmement personnel. Je pense qu'il reviendrait
mal à des tiers de créer des catégories. Encore une fois, je pense que les
balises que nous devons garder, ce sont celles des autres dispositions de la
loi, sous peine de dérapage.
Aux Pays-Bas, par exemple, encore une
fois… Ah oui, j'ai retrouvé l'expression qu'ils utilisaient, c'est la lassitude
de vivre, les personnes âgées qui sont lasses de vivre. Alors, on reconnaissait
que… on reconnaît dans certains cas que cette latitude, cette… pardon, cette
lassitude de vivre vous donne accès à l'euthanasie. Est-ce que nous voulons
vraiment aller jusque là?
La Présidente (Mme Guillemette) :
Merci beaucoup, professeure. C'est tout le temps que nous avions. Donc, je vous
remercie beaucoup pour votre contribution aux travaux de la commission.
Et, compte tenu de l'heure, la commission
suspend ses travaux pour se réunir en séance de travail. Donc, merci encore une
fois, professeure.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) : Merci beaucoup…
La Présidente (Mme Guillemette) :
...merci beaucoup, professeure, c'est tout le temps que nous avions. Donc, je
vous remercie beaucoup pour votre contribution aux travaux de la commission.
Et, compte tenu de l'heure, la commission
suspend ses travaux pour se réunir en séance de travail. Donc, merci encore une
fois, professeure.
Mme
Philips-Nootens
(Suzanne) :Merci beaucoup à vous tous et
je vous souhaite bon courage dans ces travaux-là.
Des voix
: Merci.
(Fin de la séance à 11 h 57)