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Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le mardi 21 février 1984 - Vol. 27 N° 257

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes sur le projet de loi 42 - Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles


Journal des débats

 

(Dix heures douze minutes)

Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission permanente du travail reprend ses travaux dans le but d'entendre les représentations des personnes et des groupes intéressés au projet de loi 42, Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Les membres de la commission sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Cusano (Viau), M. Dean (Prévost), M. Fréchette (Sherbrooke), Mme Harel (Maisonneuve), M. Lafrenière (Ungava), M. Lavigne (Beauharnois), M. Doyon (Louis-Hébert), M. Léger (Lafontaine), M. Maltais (Saguenay), M. Polak (Sainte-Anne) et M. Proulx (Saint-Jean).

Les intervenants de la commission sont: M. Marx (D'Arcy McGee), M. Champagne (Mille-Îles), M. Fortier (Outremont), M. Leduc (Fabre), M. Pagé (Portneuf), M. Payne (Vachon) et M. Vaugeois (Trois-Rivières). Le rapporteur de la commission est M. Lavigne (Beauharnois).

Les personnes ou les groupes qui vont présenter des mémoires aujourd'hui sont, dans l'ordre suivant, cet avant-midi, l'Association des mines d'amiante du Québec; à partir de 15 heures, donc cet après-midi, la Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec et la Commission des services juridiques; ce soir à 20 heures, la Fédération des travailleurs forestiers du Québec. Donc, nous allons faire l'audition du premier groupe ce matin qui est l'Association des mines d'amiante du Québec. Oui, M. le député de Louis-Hébert?

M. Doyon: M. le Président, c'est sur une question de règlement. Hier, lors de la comparution du Syndicat des fonctionnaires du Québec on a appris qu'il se pratiquait à la CSST de l'écoute électronique illégale dans des conditions absolument inacceptables. Le ministre en a été informé et a eu une réaction immédiate. Compte tenu de l'importance de la question, j'aimerais avoir l'assurance du ministre dès maintenant que des dispositions ont été prises à l'heure où l'on se parle pour que les pratiques qui nous ont été exposées par M. Harguindeguy, hier, soient discontinuées dès ce matin et qu'à la suite de la discontinuation de ces pratiques le ministre a bel et bien demandé qu'une enquête soit faite et que, si nécessaire, les services policiers soient saisis de la situation parce que, tel que je l'expliquais hier, il s'agit là d'une infraction et d'un acte criminel si les renseignements qui nous ont été fournis sont exacts.

On sait que, pour pratiquer ce genre d'écoute électronique, la loi est extrêmement sévère. La personne qui veut faire une écoute électronique semblable doit faire une demande motivée auprès d'un juge de la Cour supérieure en indiquant les motifs à l'appui de sa demande pouf lesquels il doit y avoir une écoute électronique. Cela doit être fait dans des conditions très précises, pour des périodes très limitées et tout manquement à ces dispositions constitue un crime. Dans les circonstances il est inacceptable qu'on puisse poser des gestes semblables sous le couvert de l'efficacité administrative ou de l'amélioration de la formation, a-t-on dit, des agents d'indemnisation. Je voudrais, dès maintenant, rassurer et la population et les bénéficiaires et les usagers des services de la CSST ainsi que les agents d'indemnisation et leur dire que ces gestes ont cessé à l'heure où l'on se parle, que des dispositions ont été prises par le ministre pour qu'une enquête soit instituée et que si nécessaire des sanctions seront apportées. Je pense qu'il s'agit là d'une question suffisamment importante pour que nous soyons rassurés dès le début de cette commission.

Le Président (M. Paré): M. le ministre.

M. Fréchette: M. le Président, je remercie le député de Louis-Hébert de soulever la question ce matin. Cependant, je suis un peu étonné qu'il lui donne l'envergure que les parties elles-mêmes qui nous en ont parlé ne lui ont pas donnée. Le député de Louis-Hébert conclut rapidement au caractère d'illégalité de la situation dont on nous a parlé hier alors que le témoin lui-même, M. Harguindeguy, nous a informé que les conseillers juridiques de son syndicat en étaient venus à la conclusion que le processus très précis auquel on référait n'avait pas de caractère d'illégalité. Ce sont les parties elles-mêmes à la table qui nous ont donné cette première information quant au caractère légal ou illégal de la situation.

Deuxièmement, M. le Président, il faudrait nous rappeler, parce que cela aussi a été signalé hier, qu'il y a eu au 31 octobre 1983 une réunion du comité des relations professionnelles de l'unité

fonctionnaires à laquelle réunion cet aspect a été discuté. Au cours de cette même réunion, les parties ont convenu qu'il ne devait pas y avoir un tel exercice - si encore c'est de l'écoute électronique, il faut nous entendre - qu'il ne devait pas y avoir l'utilisation d'un tel processus à moins que les parties ne se soient mises d'accord sur cela. Il n'y a pas encore 24 heures que la question a été mise sur la table; il est évident qu'à compter du moment où elle l'a été les dispositions ont été prises pour que toute la situation soit éclaircie dans tous ses détails.

Je suis informé que dès aujourd'hui la Commission de la santé et de la sécurité du travail donnera elle-même sa position dans le dossier par rapport à l'argumentation qui a été développée ici hier. Il faut quand même prendre les choses comme elles sont. Deuxièmement, l'invité qui a soulevé la question hier a convenu de fournir à la commission, d'ici lundi, plus de précisions, plus de détails, quant à la question qu'il soulève. Au cours de l'échange que nous avons eu hier, si mon souvenir est fidèle, je lui ai demandé si cela lui était possible de nous donner ici des cas très précis. Il n'a pas été en mesure hier. Je comprends qu'on ne pouvait pas non plus exiger de lui qu'il aille jusque-là mais il a convenu de nous remettre, d'ici lundi, les renseignements qu'autant le député de Louis-Hébert et les collègues de l'Opposition lui ont demandés que les gens de ce côté-ci.

M. le Président, nous sommes à scruter la question sous tous ses angles et il est évident qu'en temps et lieu nous donnerons la position de la Commission de la santé et de la sécurité du travail à cet égard. Convenons entre nous que pour compléter le dossier il est nécessaire d'obtenir les précisions et les détails que le président du Syndicat des fonctionnaires provinciaux s'est engagé à nous fournir.

Le Président (M. Paré): M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Merci, M. le Président. Première chose, je signale que lors de l'audition du mémoire que nous avons eue hier du Syndicat des fonctionnaires, où on faisait allusion à de l'écoute électronique au sein de la CSST, le ministre, qui était le premier à interroger les témoins, a passé totalement sous silence...

M. Lavigne: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Paré): M. le député de Beauharnois.

M. Lavigne: M. le Président, je pense que la commission est mandatée pour étudier et écouter les rapports des gens qui viennent nous visiter. La question a été soulevée hier. Elle est reprise ce matin par un député de l'Opposition, expliquée par le ministre et je pense qu'on a fait le tour de la question. Le ministre nous a clairement identifié ce qui en était de cette question et on ne devrait pas passer la journée ou plus de temps sur cette question.

M. Doyon: On ne passera pas la journée d'ailleurs.

M. Lavigne: M. le Président, je vous demanderais de donner la parole aux prochains intervenants.

M. Cusano: M. le Président, je ne vois pas quelle est la question de règlement du député de Beauharnois.

Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Lavigne: II veut souffler une baloune.

Le Président (M. Paré): Un instant. À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Cusano: Cela vous inquiète, n'est-ce pas?

Une voix: Pas du tout.

M. Doyon: M. le Président, j'avais la parole...

Le Président (M. Paré): S'il vous plaît. M. le député de Viau, s'il vous plaît, vous n'avez pas la parole. À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Cusano: Qu'on décrète une enquête et il n'y aura pas de problème.

Le Président (M. Paré): M. le député de Viau, à l'ordre, s'il vous plaît! Je vous demanderais, M. le député Louis-Hébert, de conclure rapidement sur ce sujet.

M. Doyon: Oui. J'étais à dire tout d'abord qu'il est symptomatique que le ministre, qui était le premier à interroger M. Harguindeguy, n'ait pas du tout soulevé cette question. Cela nous cause un certain degré d'inquiétude. Je pense que c'est la vérité. Il a fallu que l'Opposition pose des questions à M. Harguindeguy pour qu'on fasse la preuve qu'il y avait vraiment anguille sous roche.

Hier, le ministre a déclaré en entrevue que, s'il était établi que les usagers - lui-même a hésité sur le mot, il a dit les "usagers-bénéficiaires", je me souviens très bien de l'entrevue - n'étaient pas au courant de cette pratique, elle devait être

interrompue sur le champ. Ce matin, le ministre dit qu'il y a une enquête en cours et que la CSST va faire le point. Le ministre du Travail est le ministre responsable de la CSST. Il est de son devoir, devant le doute dans lequel on peut être actuellement, de ne pas prendre de risque et de donner l'ordre immédiatement, comme ministre responsable, que cette pratique cesse parce qu'il y a des risques qu'elle soit illégale. Devant ce risque d'illégalité, le ministre ne peut se permettre de donner en aucune façon l'impression qu'il la cautionne. Son devoir est tout tracé, c'est celui d'interdire à la CSST, comme ministre responsable et comme ministre qui doit répondre devant cette commission et devant le Parlement des actes de la CSST, que cette pratique soit continuée...

Le Président (M. Paré): M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: Je demande au ministre de nous dire, dès ce matin, s'il a pris les dispositions qui sont en accord avec sa déclaration d'hier pour que cela soit interrompu.

Le Président (M. Paré): M. le ministre.

M. Fréchette: M. le Président, il est certain que, dès lors que la question a été soulevée, une demande a été formulée pour que la question soit complètement et totalement clarifiée. Cela fait à peine douze heures qu'on a été saisi de cette question. Le témoin ou l'invité qui a soulevé la question, encore une fois, nous a dit: Je m'engage à vous fournir des renseignements d'ici lundi prochain.

Je ne vais certainement pas donner des mandats sans avoir devant moi un dossier qui soit complètement clair et un dossier dans lequel il me sera permis de voir la version des deux parties. Le député de Louis-Hébert connaît très certainement ce principe fondamental qui veut que l'on entende la version des deux parties avant de porter quelque jugement que ce soit.

Puisque la question a été soulevée, je pens qu'il est utile de soumettre aux membres de la commission la tenue d'un procès-verbal qui est daté du mois de décembre dernier, qui est signé par une représentante de la partie syndicale, par une représentante de la partie patronale et qui fait état de la discussion qui s'est tenue le 31 octobre à l'intérieur de ce comité local de relations professionnelles, unité fonctionnaires. Étaient présents pour la partie patronale Jean-François Couillard, Mme Marie Langlois, M. André Moreau, M. Paul-Henri Paquet. Pour la partie syndicale étaient présents Mme Odette Frigon, M. André Godbout, M. Patrice Lamarre, Mme

Jeannine Roy. Cette réunion a été tenue à la suite d'une demande en ce sens lors de la réunion du comité ministériel de relations professionnelles du 23 septembre dernier.

Les parties se sont d'abord entendues pour nommer l'appareil dont il était question ligne de formation et modifier en ce sens le procès-verbal de la réunion du CMRP du 23 septembre dernier. La ligne de formation -je voudrais ici qu'on essaie de voir la distinction entre une ligne de formation et de l'écoute électronique - permet d'entendre les conversations téléphoniques des employés avec les clients.

M. Doyon: C'est exactement cela, M. le Président.

M. Fréchette: Elle a pour but de contrôler la qualité des services téléphoniques à la clientèle du service du financement. De plus, elle vise à améliorer la qualité des services au bénéfice des employés, de l'employeur et des clients. Les parties ont convenu que la ligne de formation ne sera utilisée que lorsque les modalités d'utilisation auront été diffusées aux employés et que ceux-ci en auront été informés avec un avis de 15 jours. Ces modalités d'utilisation sont uniformes pour Québec et Montréal. De plus, la partie patronale s'est engagée à ne pas enregistrer les conversations ainsi entendues. En ce qui a trait aux appels personnels, la partie patronale a prévu des lignes téléphoniques spécialement conçues à cet effet qui ne seront pas reliées à la ligne de formation et ce, pour assurer la confidentialité des appels. C'est signé le 16 décembre 1983 par Mme Jeannine Roy, représentante de la partie syndicale, et le 6 décembre 1983 par Mme Marie Langlois, représentante de la partie patronale.

Le seul commentaire que je voudrais ajouter, M. le Président - il sera très bref -c'est que j'ai compris hier - et cela m'a été confirmé hier soir et ce matin - qu'il avait été convenu que l'utilisation de cette ligne de formation ne pouvait pas et ne devait pas se faire tant et aussi longtemps que les parties n'allaient pas en arriver à une entente là-dessus. Les informations que j'ai au moment où on se parle, sous réserve que les renseignements que M. Harguindeguy nous fournira puissent modifier la nature des informations que j'ai, c'est que, depuis qu'il en a été question le 31 octobre 1983 à ce comité des relations professionnelles, cet exercice n'a été fait par personne à la connaissance de ceux qui, normalement, devraient le savoir. Si l'exercice s'est fait au-delà de l'entente intervenue entre les parties et hors la connaissance autant du comité de direction que de la direction des services des ressources humaines, il est évident, à ce moment-là, que quelqu'un

aurait manqué à l'entente qui avait été convenue lors de la réunion d'octobre 1983. L'information que j'ai, c'est que ce genre d'exercice n'a pas été fait depuis cette date-là et, s'il a été fait, c'est à l'insu de ceux qui, normalement, auraient dû le savoir, autant du côté de la partie patronale que de la partie syndicale.

M. Doyon: M. le Président...

Le Président (M. Paré): M. le député de Louis-Hébert.

M. Doyon: ...le procès-verbal dont nous fait lecture le ministre établit une procédure convenue entre la partie patronale et les fonctionnaires de la CSST. Je mentionne - et cela me paraît très important - que nulle part il n'est fait état des usagers ou des bénéficiaires. C'était une inquiétude que le ministre manifestait hier. Première chose, on est dans le noir total en ce qui concerne ce qu'il advient des usagers ou des bénéficiaires vis-à-vis de cette procédure. Deuxième chose, qu'on appelle cela par euphémisme une ligne de formation, ce n'est pas en utilisant tel mot ou tel autre - le ministre sera d'accord avec moi - ou en appelant une chose par un autre nom que la réalité est changée pour autant. Ce n'est pas du tout changer la réalité que de dire qu'il s'agit d'une ligne de formation. M. Harguindeguy a été très clair à des questions que je lui ai posées hier - et le ministre était ici - quand je lui ai demandé: Les usagers en sont-ils mis au courant? Il a répondu: Non. Parce que, pour que ce soit de l'écoute électronique au sens du Code criminel, il faut qu'aucun des deux correspondants ne soit au courant de cette procédure, je lui ai demandé: Est-ce que les agents d'indemnisation - je crois que c'est comme ça qu'on les appelle - sont au courant quand ils sont soit enregistrés, soit écoutés? Il m'a dit: Non, il peut y avoir écoute électronique, il peut ne pas y en avoir. Il n'y a aucune indication pour eux quand il y a écoute électronique et quand il n'y en a pas. L'essence même de l'écoute électronique, c'est qu'aucune des deux parties n'est informée qu'elle est écoutée électroniquement. (10 h 30)

Ce que je veux signaler au ministre c'est l'inquiétude dont a fait part dans son mémoire le président du Syndicat des fonctionnaires quand il révélait l'existence de cette écoute électronique. Il continuait, à la page 22 de son mémoire: "Le contenu des dossiers médicaux des accidentés pourrait donc ainsi être porté à la connaissance de personnes non habilitées à obtenir de tels renseignements."

Je termine là-dessus. Dès que le ministre aura en main les renseignements qui nous ont été promis par M. Harguindeguy, je pense que nous ne serons pas, ni vous, ni moi, ni la commission, en position de porter un jugement à savoir s'il y a eu infraction, crime ou manquement au Code criminel du Canada. Cela devra être déterminé par des procureurs de la couronne, par des substituts du procureur de la couronne et j'aimerais que, dès maintenant, le ministre s'engage... Les éléments dont on dispose sont suffisants dans le moment pour justifier une enquête. Dès qu'on aura ces renseignements, je voudrais que le ministre s'engage à demander qu'un substitut du Procureur général procède à une enquête, parce qu'il s'agit évidemment d'une question technique, d'une question extrêmement importante. Il s'agit d'une question de confiance dans un organisme qui est vital et au sujet duquel on ne doit pas avoir le moindre doute.

Le ministre me dit: Je ne prendrai pas une décision - je termine là-dessus, M. le Président - tant que je n'aurai pas en main tous les éléments. Je ne demande pas au ministre de prendre une décision, il le reconnaîtra aussi, mais de décréter un moratoire. Comme on est dans le doute et qu'il se peut qu'il y ait illégalité, je ne lui demande pas de déclarer qu'il y a illégalité, je lui demande de faire cesser, par l'autorité qui est la sienne en tant que ministre, par la voie d'un moratoire, cette pratique qui risque d'être illégale et, ce faisant, il ne porte pas de jugement sur l'exercice lui-même, il agit en homme prudent, en homme responsable qui dit: Je ne me prononce pas dans le moment mais, pendant que l'enquête va se poursuivre, pendant que j'obtiendrai tous les renseignements dont j'ai besoin, je demande qu'on cesse cette pratique pour ne pas prendre de risque. Je pense que le ministre pourrait dire dès maintenant qu'il est prêt à ça sans préjuger du fond de la chose. Je ne vois véritablement pas de raison pour ne pas agir de la sorte.

Le Président (M. Paré): Est-ce que vous voulez répondre, M. le ministre?

M. Fréchette: Très brièvement, M. le Président. Je ne vois pas la nécessité de décréter un moratoire quand je suis informé que la pratique n'existe pas. Il est évident par ailleurs que, si elle avait existé sans que les personnes en autorité le sachent, des dispositions devraient être prises pour qu'elle cesse - c'est absolument certain - tant et aussi longtemps, en tout cas, que les deux parties n'aient pas ensemble accompli un processus dans le sens de la formation dont on parlait dans le procès-verbal dont je viens de faire état.

Quant à la deuxième question du député de Louis-Hébert, M. le Président, la nécessité de procéder à une enquête, quelle qu'en soit la nature, il va sans doute me

permettre d'obtenir plus de renseignements que ceux dont nous disposons actuellement. Il est évident que, si nous devions, à partir de ces renseignements, avoir des inquiétudes quant à la qualité, la nature, le caractère de l'exercice, il faudra que quelqu'un se penche sur le problème et en vienne à une conclusion. Je n'exclus cela d'aucune espèce de façon. Mais il me semble que, dans une situation comme celle-là, la prudence nous commande d'avoir les premiers éléments, la version des deux parties impliquées pour ensuite cheminer et se faire une opinion à cet égard, autant quant au contenu des renseignements que de la procédure qu'il faudra utiliser.

Le Président (M. Paré): Je vous remercie. J'invite maintenant les représentants de l'Association des mines d'amiante du Québec à nous faire la présentation de leur mémoire. J'inviterais le porte-parole à se présenter et à nous présenter aussi les personnes qui l'accompagnent.

Association des mines d'amiante du Québec

M. Casgrain (Philippe): M. le Président, mon nom est Philippe Casgrain. Je suis le conseiller juridique de l'Association des mines d'amiante du Québec. Je suis accompagné ce matin de mon associé, Me Jean Bazin, et du Dr Michel Lesage, conseiller médical de l'association. Je suis également accompagné de M. Yvonnik Bolduc, vice-président des ressources humaines à Lac d'amiante du Québec, également président du comité de santé et de sécurité de l'AMAQ, de M. Claude Lacroix, directeur général de la sécurité pour la Société Asbestos, de M. Alain Allaire, directeur du personnel pour Carey Canada, de M. Marc Bruneau, directeur du personnel de Lac d'amiante du Québec, de M. Michel Piuze, superviseur du personnel de Lac d'amiante du Québec, de M. George Olney, gérant des relations industrielles de J. M. Asbestos Inc., de M. Jim Deacon, gérant de la santé et de la sécurité de J. M. Asbestos Inc., de M. Marius Groleau, superviseur de la formation à Lac d'amiante du Québec, de M. Bernard Coulombe, gérant de la mine J. M. Asbestos Inc., président du comité de l'environnement de l'AMAQ, et également de M. Paul Filteau, secrétaire de l'association.

M. le Président, avant d'aller plus loin, j'ai une demande à formuler à votre comité qui est la suivante. Nous aimerions profiter de l'occasion pour vous présenter un diaporama qui dure à peu près huit minutes et qui, effectivement, démontre le fonctionnement d'une mine d'amiante. Cela peut vous paraître étrange qu'on veuille faire cela à ce stade, mais nous, de l'amiante, sommes très fiers de nos installations et croyons qu'elles représentent un exemple dans le monde entier pour ce qui est de la sécurité, de la santé et de la propreté. Je crois qu'il est important, compte tenu du contexte qui a entouré l'amiante depuis quelques années - cette espèce de crainte de l'amiante qui se répand dans le monde - qu'ici, au Québec tout au moins, on sache de quoi ont l'air nos mines. Alors, je vous demande la permission, M. le Président, de vous montrer ce diaporama qui dure à peine huit minutes et nous pourrions ensuite procéder à la présentation de notre mémoire.

Le Président (M. Paré): Oui, M. Casgrain. J'aimerais expliquer aux membres de la commission que, si on accepte cette demande, cela nous obligera à cesser l'éclairage. Cela ajoutera huit à dix minutes, le temps de remettre le système en place. Donc, ai-je le consentement pour suspendre les travaux pour à peu près 20 minutes, le temps de faire l'audition du diaporama et ensuite de remettre le système d'éclairage en marche?

M. Fréchette: II y a consentement, M. le Président.

Le Président (M. Paré): II y a consentement. Oui, M. le député de Louis-Hébert?

M. Doyon: M. le Président, c'est simplement une question technique. Est-ce que ce diaporama peut être télévisé au moyen des appareils que l'on a ou si, malheureusement, cela ne peut pas être transmis sur les écrans de télévision?

Le Président (M. Paré): Ce n'est pas possible. C'est la raison pour laquelle on devra se départir du système d'éclairage et suspendre les travaux de la commission parlementaire.

Alors, j'ai le consentement pour procéder de cette façon. La commission suspend ses travaux pour environ 20 minutes, le temps de l'audition et de ramener le système d'éclairage.

(Suspension de la séance à 10 h 38)

(Reprise de la séance à 10 h 52)

Le Président (M. Paré): La commission reprend ses travaux. Nous vous remercions beaucoup pour la présentation très intéressante que nous venons de visionner. M. Casgrain, on vous invite maintenant à nous faire la présentation de votre mémoire.

M. Casgrain: M. le Président, vous avez

sans doute remarqué dans le diaporama que la facture technique n'était pas celle d'experts. Ce diaporama a été préparé en 1980 par deux étudiants de l'Université Laval dans le cadre de leurs cours en administration. Il s'agit de Serge Doyon et Alain Bergeron. Nous avons cru qu'il s'agissait là d'une présentation d'un travail fait par eux de façon fort objective et qui ne pouvait être taxée d'une façon ou de l'autre de "seal pitch" de la part des compagnies d'amiante. De fait, nous avons trouvé le film tellement bien que l'Association des mines d'amiante du Québec s'en sert régulièrement depuis ce temps en Europe et ailleurs pour montrer précisément au reste du monde que l'amiante n'est pas ce qu'on croyait qu'il était ou ce qu'on a cru qu'il était pendant longtemps mais qu'au contraire on pouvait faire fonctionner une mine d'amiante dans des états de propreté qui sont tout à fait acceptables, sinon les meilleurs au monde.

Je voudrais vous dire également que, bien que vous ayez vu à l'occasion le nom Lac d'amiante du Québec, ce que vous voyez là est à peu près ce que vous retrouvez dans les autres mines d'amiante aussi bien à Asbestos qu'à Thetford-Mines.

M. le ministre, je peux vous dire une chose, c'est que vous retrouvez maintenant une mine, à Johns-Manville, qui n'est plus celle que vous avez connue étant plus jeune, je crois. Je pense que, si vous avez eu l'occasion de la visiter récemment, vous confirmerez avec moi que les conditions ne sont plus les mêmes que celles d'il y a quinze ou vingt ans.

De fait, je dois vous dire ceci: Lors du symposium mondial sur l'amiante qui s'est tenu à Montréal il y a presque deux ans maintenant, nous avons invité les gens qui s'y étaient présentés et qui venaient de toutes les parties du monde à venir visiter nos mines. Je dois vous dire que ces visites ont eu des effets assez extraordinaires, même sur les adversaires les plus irréductibles de l'amiante. Lorsqu'ils ont visité les mines, ils ont constaté l'état de propreté extraordinaire qu'on y retrouvait. Ils se sont mis d'accord pour dire que quant à eux, tout au moins visuellement, il s'agissait là d'organisations et d'usines qui étaient non seulement comparables mais qui présentaient des circonstances d'environnement qui étaient meilleures que dans bien des usines où on oeuvre d'autres produits que ceux de l'amiante. C'est pour cela que nous, qui sommes fiers de nos mines, croyons que la meilleure façon de montrer au monde qu'effectivement l'amiante ne tue pas mais au contraire est un matériau fort utile est de les faire visiter.

M. le Président, c'est pourquoi je profite de l'occasion, au nom des mines d'amiante, pour inviter tous ceux qui sont ici à venir à l'occasion visiter nos mines d'amiante et constater par eux-mêmes la propreté, la façon dont nous fonctionnons. Vous avez pu constater lors des diaporamas que vous avez vus, par exemple, que vous ne voyez pas cette poussière dont on parlait il y a quinze ou vingt ans. Il n'est plus question de cela. Les camions qu'on utilise sont sous pression positive de façon à empêcher la poussière d'y pénétrer. Au concasseur primaire, où normalement on aurait vu des nuages de poussière d'amiante, on ne voit plus rien. Vous avez pu voir comment l'intérieur de l'usine, les tuyaux sont d'une propreté impeccable. C'est la façon dont nous fonctionnons maintenant.

M. le Président, ceci étant dit, je procéderai, si vous voulez bien, à la présentation de notre mémoire que je vais tenter d'écourter un peu si je le peux, compte tenu des commentaires déjà faits, par exemple, par le Conseil du patronat.

Avant d'aller plus loin, M. Dean, je voudrais vous dire ceci. Je me souviens que, lors des auditions de la commission Beaudry, vous aviez témoigné et vous aviez dit, en particulier, que vous trouviez essentiel que les compagnies donnent l'information sur l'empoussiérage aux employés. Effectivement, dès après la commission Beaudry, les mines ont commencé - bien avant le projet de loi 17 - à organiser la lecture paritaire des filtres qui reçoivent les fibres d'amiante afin que, parallèlement, aussi bien syndicats que patrons puissent ensemble constater l'état des lieux et prendre des mesures d'un commun accord, si nécessaire.

De fait, nos rapports sur notre empoussiérage sont fournis régulièrement au ministère de l'Énergie et des Ressources, aussi bien qu'à la CSST. Je puis vous affirmer que jusqu'à maintenant il n'y a pas eu une seule infraction commise et qu'il n'y a eu aucune plainte portée non plus contre les compagnies à la demande de qui que ce soit pour ne pas avoir respecté les normes de la commission Beaudry.

L'Association des mines d'amiante du Québec, l'AMAQ, est une société qui a été incorporée en vertu de la troisième partie de la Loi sur les compagnies en juin 1948 et regroupe cinq compagnies productrices d'amiante du Québec, à savoir: la Société Asbestos Ltée, J.M. Asbestos Inc., les Mines d'amiante Bell Ltée, Lac d'amiante du Québec Ltée et Carey Canada Inc.

C'est le 27 juin 1975 qu'était adoptée la Loi sur l'indemnisation des victimes d'amiantose et de silicose dans les mines et les carrières. Cette loi prévoyait qu'un travailleur atteint d'une incapacité permanente résultant de la silicose ou de l'amiantose établie médicalement par un diagnostic positif avait droit à une indemnité forfaitaire établie en proportion de son degré d'incapacité permanente. S'il perdait son

emploi à cause de cette incapacité permanente, il avait alors droit à une indemnité complémentaire équivalant à 90% de son revenu net disponible.

La loi prévoyait également que le droit à l'indemnité complémentaire pouvait être refusé et discontinué ou suspendu dans le cas où sans raison valable on refusait un nouvel emploi offert par la commission ou on abandonnait tel emploi qu'on pouvait continuer à remplir.

Ainsi, la loi prévoyait spécifiquement la possibilité que le travailleur atteint d'amiantose ne reçoive qu'une indemnité forfaitaire mais que, si l'incapacité partielle permanente dont il souffrait était telle qu'il ne pouvait continuer à remplir l'emploi qu'il occupait à ce moment, il avait droit à une indemnité complémentaire équivalant à 90% de son revenu net disponible jusqu'à l'âge de 65 ans.

Les études actuarielles qui avaient entouré l'adoption de cette loi tenaient compte de différents éléments et permettaient de s'assurer que le coût de l'application de la loi ne serait pas prohibitif. Selon les études médicales les plus avancées, telles les études du Dr McDonald et son groupe, les travailleurs atteints d'amiantose avaient généralement été exposés pendant une période de 20 à 30 ans et même plus à des concentrations supérieures à 50 et même à 100 fibres par centimère cube sur une moyenne pondérée de 8 heures.

Déjà, au moment de l'adoption de la loi, les concentrations retrouvées dans nos mines et usines étaient de beaucoup inférieures à cet ordre de grandeur. De fait, lors des auditions de la commission Beaudry, le taux d'empoussiérage que l'on retrouvait dans certaines mines d'amiante dépassait rarement 10 fibres par centimètre cube et, dans les installations modernes où l'on avait déjà commencé à installer des systèmes de dépoussiérage adéquats, le nombre de fibres par centimètre cube était aussi bas que une à deux fibres par centimètre cube.

C'est ce qui a permis à la commission Beaudry de conclure dans son rapport en 1976 que la norme qui devait s'appliquer et qui était applicable dans les mines d'amiante du Québec était de l'ordre de deux fibres par centimètre cube avec un maximum de cinq fibres à ne jamais dépasser.

J'ouvre ici une parenthèse, M. le Président, pour vous expliquer que cette notion de deux fibres par centimètre cube, avec un maximum de cinq, était une innovation dans le domaine des normes dans les mines d'amiante. Ce qui s'est passé, c'est qu'à la commission Beaudry on a fait des études actuarielles, des études très poussées et on a fait des calculs pour savoir s'il était possible de détecter en tout temps si on dépassait la norme voulue. Il y a des stations géographiques dans les mines et aussi des échantillonnages personnels faits par des gens qui se promènent dans l'usine faisant le même travail qu'un employé de façon à déceler si, au cours de son travail, il est exposé à plus de deux fibres par cm3. (11 heures)

Quant aux stations géographiques, on a réalisé le calcul suivant: C'est que, si votre station géographique ne dépasse jamais cinq fibres en aucun moment, à ce moment-là, vous êtes sûrs que vous êtes effectivement à deux fibres en moyenne par cm . C'est pourquoi, lorsque nous nous présentons dans le monde, on nous demande toujours quelle est la norme au Québec. Est-ce cinq fibres ou deux fibres? Il faut expliquer cet état de choses.

Tout ceci nous permettait d'estimer qu'à l'avenir les cas d'amiantose qui pourraient être décelés seraient de plus en plus rares et ne se retrouveraient que chez les employés plus âgés ayant oeuvré dans les mines d'amiante alors que la concentration de fibres était comme susdit supérieure à 50 fibres par cm3.

Enfin, comme ils se retrouvaient dans toutes les compagnies d'amiante, aussi bien dans les mines que dans les usines, nombre d'endroits où la concentration de fibres était même inférieure à la norme de cinq fibres à ne jamais dépasser, c'est-à-dire 0,5 à une fibre - je corrige, ici vous avez 0,05 et il faut écrire 0,5 - en moyenne par cm , on pouvait envisager la possibilité que, même chez les travailleurs atteints d'amiantose et dont l'incapacité était très peu élevée, ceux-ci pourraient continuer à occuper leur emploi, sinon occuper un emploi ailleurs dans l'usine.

Enfin, la loi prévoyait également que le travailleur qui se verrait contraint d'abandonner son emploi pour en occuper un autre avait le droit de conserver 50% de l'indemnité complémentaire s'il occupait un autre emploi.

Il est bien évident, à la lecture de cette loi, que chaque cas devait être traité individuellement et que les décisions qui devaient être prises quant à la capacité de travailler étaient de nature médicale, les médecins devant, dans chaque cas, juger de l'état de santé général du travailleur, de son âge, de sa capacité à continuer à oeuvrer dans un endroit où il serait encore exposé même à une faible concentration d'amiante.

C'est pour cette raison d'ailleurs que l'article 12 de la loi prévoyait le recours à un arbitrage médical qui, éventuellement, a été amendé par les bureaux de révision qui, eux, sont obligés selon la loi de suivre les décisions de l'arbitrage médical, ce qui n'a malheureusement pas été le cas, comme on le verra plus tard.

Il était normal qu'une décision de pareille importance qui, d'une part, privait un travailleur de son emploi et, d'autre part,

obligeait l'employeur à une cotisation de l'ordre de 150 000 $ à 200 000 $ pour chaque indemnité complémentaire accordée à cette occasion fasse l'objet d'une étude particulière objective et impartiale.

Malheureusement, dès le début de l'application de cette loi, la direction de la Commission des accidents du travail, telle qu'elle s'appelait alors, décida de systématiser l'octroi des indemnités complémentaires à la suite des diagnostics d'amiantose, sans égard à la portée du diagnostic, allant même jusqu'à inviter chaque travailleur sur lequel était porté un diagnostic d'amiantose à quitter son emploi sans attendre l'issue de la contestation que pouvait inscrire l'employeur à l'encontre de tel diagnostic ou encore que pouvait également inscrire le travailleur.

En ce faisant, la commission ignorait totalement la possibilité qu'une expertise médicale autre que la sienne en vienne à une conclusion différente non seulement sur l'existence même du degré d'incapacité mais également sur la capacité de continuer au travail.

J'ouvre une parenthèse pour vous dire que ce qu'a fait la Commission des accidents du travail, dès le début de l'application de la loi 52 sur le remplacement de l'indemnité de revenu, qui est une loi d'avant-garde et que vous reprenez dans le projet de loi 42, c'est qu'elle a fait à peu près la même chose que font toutes les commissions des accidents du travail dans le monde. Ces commissions ont été habituées, depuis les années trente, à accorder des indemnités selon des barèmes établis à l'avance sur papier. Pour elles, un travailleur représente un dossier de 7 x 8, avec un numéro et, lorsqu'on découvre à l'occasion de ce dossier qu'il manque au travailleur, par exemple, un doigt, un pied ou un orteil, cela vaut exactement quatre. Ce qui s'est passé, c'est que la Commission des accidents du travail, devant cette nouvelle loi, n'a pas saisi l'ampleur, la portée et la profondeur qu'elle devait avoir dans son application, et n'a pas vu que, effectivement, dans un contexte comme celui-ci, il fallait faire de la médecine individuelle et non pas systématiser l'octroi des indemnités complémentaires ou des subventions. La commission a refusé de le faire et s'est entêtée dans un système où, selon elle, il fallait absolument systématiser. Il fallait qu'en appuyant sur un bouton on ait la réponse. C'est pour cela qu'on en est arrivé à ce problème que j'aborde maintenant et qui est celui des certificats médicaux que la commission a appelés sans raison des certificats de travail, alors qu'ils n'en étaient pas.

En effet, la commission s'autorisait de ce qu'elle appelait un "certificat de travail", qui était en fait un certificat médical, prévu par l'arrêté en conseil 1787-75. Ce règlement prévoit qu'un travailleur oeuvrant dans une mine doit subir annuellement un examen médical complet, après quoi un certificat médical lui est délivré. Le règlement prévoit également qu'aucune personne ne peut employer un ouvrier qui ne détient pas un certificat médical valide. Il prévoit en même temps que c'est le directeur du service de pneumologie de la Commission des accidents du travail qui émet le certificat médical en question. Retenons ceci, l'arrêté en conseil dont je vous parle avait été adopté en vertu de la Loi sur les mines. On référait au service de pneumologie de la commission le soin de faire les examens prévus par la Loi sur les mines. Donc, il n'y avait pas de rapport direct avec la loi 52.

Je dois vous dire que les pneumologues de la commission, dans un premier temps, ont émis les certificats médicaux modifiés, c'est-à-dire des certificats qui disaient: Ce travailleur est atteint d'amiantose dans une limite de 10% ou 15%; cependant, selon nous, il peut continuer à travailler pourvu qu'il soit exposé à des normes minimales. La chose s'est continuée pendant à peu près une année, les médecins croyant que c'était à eux de décider si oui ou non un travailleur devait continuer de travailler. Cependant, la commission a décidé, au bout d'à peu près une année, d'interdire au service de pneumologie d'émettre des certificats modifiés et a exigé des médecins que, chaque fois qu'un examen démontrerait une incapacité partielle permanente due à l'amiantose, de quelque degré que ce soit, les certificats soient retirés. À cette occasion, il s'est presque produit une hémorragie au niveau des mines d'amiante parce que la commission, dès l'examen complété, avisait le travailleur qui était atteint d'amiantose, l'invitait à quitter son emploi et lui suggérait de faire une demande de prestation complémentaire.

C'est à ce moment-là que nous avons dans un premier temps, dès le début de l'application de ce règlement, pris des procédures en Cour supérieure et en Cour d'appel pour obtenir l'octroi d'un bref d'évocation enjoignant la commission de cesser cette pratique parce que, disions-nous, on n'avait pas une audition réelle comme on le devrait en entendant chacune des parties. De plus, disions-nous, le certificat en question, étant en contradiction avec la loi 52, ne peut s'appliquer pour empêcher l'application de la loi en question.

À cette occasion la Cour d'appel a maintenu le bref d'évocation, a permis l'émission du bref d'évocation avec une requête et a dit ceci au sujet du certificat médical - c'est le juge Mayrand qui parle à son auditoire et qui dit: "L'autorité qui a le pouvoir d'accorder ou refuser un certificat médical a celui d'accorder un certificat médical restreint qui autorise l'emploi dans

un secteur déterminé."

Le lendemain du jugement de la Cour d'appel, nous nous sommes fait demander par le gouvernement - nous étions au milieu de 1976 - de ne pas procéder à l'émission du bref d'évocation. En effet, si nous avions alors procédé à l'émission du bref d'évocation, tous les paiements qui étaient en cours auraient dû être suspendus. On nous a dit: "Acceptez un moratoire et tentez de vous entendre avec la commission."

C'est ce que nous avons fait. Nous avons effectivement accepté un moratoire. Nous avons rencontré la commission. Nous avons tenté avec elle de discuter les possibilités d'une application plus rationnelle et plus humaine de la loi 52, sans succès. Je vous dirai même, M. le ministre, que nous sommes même allés jusqu'à rencontrer les gens de la commission accompagnés des représentants des syndicats dans chaque cas avec des listes de noms et d'emplois qui étaient disponibles. Cela n'a rien donné du tout.

Effectivement, au contraire, la commission a décidé de tenter - c'est ce qui devait l'animer - de réexaminer tous ceux qui avaient été déclarés atteints d'amiantose, de même que d'autres qui prétendaient l'être. C'est ce qui a donné lieu aux cas qu'on appelle aujourd'hui miraculés. Le nom n'est pas de nous, je vous prie de me croire. En effet, lorsque la commission a procédé à l'étude et à l'examen de nouveau, par un nouveau groupe de médecins - le Dr Ostiguy, le Dr Jodoin, je pense, et un autre médecin - il s'est avéré que, sur les 55 cas étudiés, les 28 diagnostics d'amiantose portés étaient nuls et n'avaient aucune valeur, en ce sens que ces gens-là n'étaient effectivement pas amiantosés.

Nous étions maintenant en 1979 et il y avait trois ans que la loi était en application. Il y avait déjà trois ans que nous disions à la commission qu'on ne devrait pas procéder de cette façon. Il faudrait que chaque cas soit traité individuellement. La commission nous avise alors que, devant cette circonstance, elle va rembourser les mines d'amiante pour les complémentaires qui avaient été capitalisés. Il s'agissait d'un remboursement de l'ordre de 1 000 000 $ ou 1 500 000 $. On a évidemment accepté de bonne grâce. La commission nous disait dans un même temps qu'elle avisait ces gens d'avoir à aller en appel de la décision qui mettait à néant le diagnostic d'amiantose porté, de sorte qu'en attendant l'appel devant la CAS ils pourraient continuer à être payés par la commission et chargés au fonds général, non pas aux compagnies, puisqu'on venait de nous rembourser.

C'est à ce moment-là que nous avons répondu à la commission. Je suis à la page 8 de mon mémoire et je vous fais grâce de la lecture de la lettre pour vous dire simplement ceci. Dans cette lettre, que je vous invite à lire éventuellement, nous disons à la commission: Ce qui vient de se passer est exactement ce dont nous vous prévenons depuis le début. Vous avez invité les travailleurs à quitter leur emploi. Ces gens-là n'ont plus aujourd'hui le bénéfice de leur convention collective, ont perdu leur ancienneté. Ils se retrouvent devant rien. Il est bien évident que vous les mettez dans une position intenable. Et nous prenions la peine de dire à la commission à ce moment-là: À l'avenir, il faudrait que vous preniez des dispositions autres, autrement, vous allez prolonger l'imbroglio et la chose va être encore pire. Nous sommes rendus aujourd'hui en 1984 et l'imbroglio, évidemment, a continué d'augmenter.

Je vous cite simplement le dernier paragraphe de la page 9 de mon mémoire où nous disions à la commission: "Nous vous rappelons également que nous avions protesté à l'époque contre les avis de la commission envoyés aux travailleurs concernés les invitant à quitter leur emploi, ce qui avait amené les compagnies, dans chacun des cas où la chose se produisait, à informer le travailleur concerné qu'il ne devait pas quitter son emploi sans qu'une audition ait eu lieu devant la commission et que, s'il le faisait, il courait le risque de perdre tous ses droits en vertu de sa convention..."

Et, enfin, nous disions dans cette lettre à la commission que, selon nous, la responsabilité morale, tout au moins, de la commission était engagée vis-à-vis de ces gens-là et qu'évidemment elle devait faire quelque chose à ce sujet. Nous avons dans cette même lettre suggéré à la commission de la rencontrer de façon à établir un modus vivendi sur l'application de la loi 52.

Malgré cette offre renouvelée de l'AMAQ de négocier un règlement à l'amiable du contentieux qui ne pouvait que s'envenimer avec le passage du temps, la commission non seulement refusa toute sorte de compromis, mais se mit dès lors en devoir d'adopter directives sur directives et différents règlements qui lui permettaient de se donner raison en prétendant, par exemple, déterminer ce que devait être un diagnostic d'amiantose, que les comités d'experts médicaux ne devaient pas envisager la capacité de retour au travail lorsqu'ils posaient leur diagnostic, qu'un diagnostic d'amiantose, une fois posé, ne pouvait être changé puisque, selon la commission, ce n'était pas là une maladie régressive. Je pense que la commission constatait, à ce moment-là, l'ampleur du bourbier dans lequel elle s'était empêtrée: des millions de dollars à réclamer des travailleurs surpayés et des millions de dollars à remettre aux compagnies pour des complémentaires chargés sans droit.

Nous avions tout au cours de ces

années tenté d'épuiser les recours, d'avoir les recours aux instances qui se retrouvaient devant la commission. Je vous donne un exemple, le cas de M. Alie où nous avions dit: Faisons ce cas de M. Alie. Nous avions dit dans ce cas-là: Nous ne contestons pas que ce monsieur a 10% d'incapacité. Nous prétendons cependant que des médecins pourraient peut-être conclure que, malgré ces 10%, il peut continuer à travailler. Après trois, sinon quatre brefs d'évocation et après des auditions très longues, après que six médecins eurent dit, l'un après l'autre, qu'il pouvait, oui, continuer à travailler malgré son amiantose, nous nous sommes retrouvés, alors que M. Alie avait 68 ans - donc, trois ans dépassé le moment où le complémentaire devait lui être payé - avec une décision de la Commission des affaires sociales qui disait: Je ne puis décider qu'il peut travailler, même si les médecins le disent, parce que la commission m'interdit de le faire. Là, nous avions vraiment atteint le fond du tonneau. Nous avions tenté, au niveau d'autres comités de révision, de faire valoir différents arguments, mais sans succès. Nous avions beau supplier les médecins qui devaient siéger comme arbitres médicaux de poser un diagnostic complet, à savoir le pourcentage d'incapacité et la possibilité de travailler. Chaque médecin disait: Je ne peux poser un diagnostic sur la capacité de travailler. On m'interdit de le faire.

Constatant que la commission avait décrété que ses comités de pneumoconiose étaient infaillibles, que ses comités de révision ne pouvaient agir librement, que les experts médicaux nommés par les parties se voyaient limités dans la portée de leur diagnostic, qu'il s'avérait impossible d'avoir une audition pleine et entière sur des contestations logées et qu'un nombre considérable de dossiers traînaient en longueur - je vous souligne en passant qu'à cet égard il y a au-delà de 400 dossiers en suspens devant la commission - les membres de l'association décidèrent, le 2 février 1982, de cesser tout paiement à la commission en vertu de la loi et avisèrent la commission en conséquence.

Comme par hasard, M. le Président, le mois suivant, la commission adoptait un règlement prévoyant une augmentation du taux d'intérêt de pénalité sur les paiements en arrérage sans pour autant prendre quelque procédure que ce soit pour réclamer des compagnies les montants qu'elles refusaient ainsi de payer. Je dois vous dire que, pour ma part, j'espérais que la commission prenne ces procédures, ce qui nous aurait donné un forum ailleurs que devant les comités de révision, à savoir devant la Cour supérieure, à l'occasion duquel forum j'aurais pu contester le bien-fondé des réclamations. (11 h 15)

Entre-temps est arrivée l'affaire des certificats médicaux. M. le Président, dès le début de cette affaire un nombre considérable d'employés voulaient continuer à travailler, même s'ils étaient affectés d'incapacité partielle permanente, dans des emplois qui leur semblaient sécuritaires après avoir vérifié avec leur propre médecin, sinon avec d'autres médecins, à telle enseigne qu'on retrouvait dans bien des mines quelquefois cinq, dix ou douze travailleurs qui travaillaient sans ce fameux certificat médical.

Pendant un bout de temps on nous avait laissé la paix. On ne poursuivait pas les compagnies. On avait pris quelques plaintes qu'on avait retirées. Et voilà que la Commission des accidents du travail décide de poursuivre une des compagnies en lui disant: Vous n'avez pas le droit de garder à votre emploi les employés suivants: X, Y, Z, parce qu'ils n'ont pas de certificat de travail. C'est alors que nous avons contesté la légalité de la définition du mot "ouvrier" contenue dans l'arrêté en conseil en question et que la cour nous a donné raison en disant: La Loi sur les mines ne permet d'adopter une réglementation quant au certificat médical que sur les mines et non pas dans des moulins. Or, un moulin d'amiante, ce n'est pas une mine. Conséquemment, le certificat, pour autant que je suis concerné, ne peut s'appliquer.

Ce n'était là qu'un incident dans toute cette affaire, M. le Président. On a voulu tourner autour de ce certificat comme étant la causa causans de tout. Effectivement, dès le début de nos contestations, nous avions toujours dit à la commission que ce certificat médical n'était pas autre chose qu'un certificat de médecin appelé à déterminer l'état de santé de quelqu'un et sa capacité de travailler. La Cour d'appel l'avait dit également dans le jugement du juge Mayrand. Ainsi, nous vous disons tout de suite que, quant à nous, il est bien certain que la loi s'applique aussi bien aux mines qu'aux moulins, le certificat n'étant qu'un accessoire de l'examen que le médecin peut faire passer à un employé.

Ce qui s'est passé, cependant, c'est ceci: Comme, chaque fois qu'elle rendait une décision, la commission, au lieu de dire: J'ai devant moi un rapport médical qui me dit que M. Untel a tant pourcent d'incapacité et ne peut travailler à cause de cette incapacité - ce qui aurait donné un certain sens à son jugement - disait: Comme ce monsieur a perdu son certificat médical -qu'elle lui avait enlevé dans un premier temps - il a donc perdu son emploi à cause de l'amiantose et, ainsi, le cercle était complet. La commission disait: Je lui enlève son certificat, je constate que je l'ai enlevé pour, ensuite, constater que sans certificat il ne peut pas travailler; donc, il a perdu son emploi à cause de l'amiantose.

Comme c'était là-dessus que la commission s'était appuyée, elle avait fait la preuve complète et irréfutable que jamais elle n'avait accordé une audition pleine et entière aux parties et qu'effectivement elle n'avait jamais appliqué la loi 52 comme elle devait être appliquée, à savoir: porter dans chaque cas un jugement pour savoir si oui ou non, à cause de cette incapacité, l'ouvrier perdait son emploi.

C'est alors que nous avons décidé, le 15 juin 1983, pour une des compagnies - nous avons fait un "test case" pour toutes les compagnies - de poursuivre la CSST en recouvrement des réclamations. La preuve devenait beaucoup plus facile dès que le certificat tombait parce qu'elle n'avait même plus cette excuse-là rétroactivement, il n'avait jamais existé. Nous avons donc poursuivi la CSST pour une somme d'au-delà de 10 000 000 $.

Subséquemment, le 10 août 1983, bien avant l'annonce même du projet de loi 42, trois membres de l'association, la Société Asbestos, les Mines d'amiante Bell et Carey Canada, instituèrent une requête pour l'obtention d'un jugement déclaratoire, lequel jugement a été rendu le 14 décembre 1983.

C'est assez étrange que ce soit à la suite de l'institution de ces procédures en jugement déclaratoire que tout à coup la commission se réveille et décide de poursuivre qui? La Société Asbestos pour faire homologuer des décisions rendues contre elle et demander à la Société Asbestos de payer une somme qui, je pense, se chiffre à près de 1 000 000 $. Elle venait de choisir la Société Asbestos comme victime.

Ce jugement de l'honorable juge Durand, je l'ai annexé dans mon mémoire. Je cite ses considérants et ses conclusions. Je ne veux pas, non plus, passer en revue le jugement du juge Durand. Qu'il me suffise de vous dire ceci. Ce jugement déclaratoire du juge Durand confirme en tout point ce que nous avions toujours prétendu, à savoir: 1 Que le certificat médical, qu'il existe ou non, n'était pas un empêchement de travailler; 2 qu'il n'était pas par lui-même une raison de payer un complémentaire; 3 que la commission se devait d'avoir une audition pleine et entière dans chaque cas. Et il se réfère à cet égard à une jurisprudence de la Cour suprême qui me semble inébranlable. Il se permet également dans le cours du jugement de commenter la façon dont la commission administrait sa réglementation, à savoir comment l'amiantose devait être décelée.

Il donne un exemple assez intéressant, en particulier lorsqu'il parle du cas d'Émile Dion - c'est à la page 16 du mémoire vers la fin - où il dit que la façon d'agir de la comission est peut-être humanitaire, mais totalement illogique et illégale.

Il prend le cas d'Émile Dion à qui un

DAP de 15% avait été reconnu en 1976. En janvier 1982, à la suite d'un nouvel examen, un comité de pneumoconiose n'a pu déceler de trace de DAP mais - tenez-vous bien -s'est senti obligé de maintenir le diagnostic d'amiantose, même s'il n'existe pas, parce que la commission lui avait dit qu'il n'avait pas le droit, face au bureau de révision, de changer un diagnostic. Alors, on dit: C'est vrai, ce monsieur n'est pas malade, nous le constatons. Cependant, comme la commission nous dit de le trouver malade, nous le trouvons malade. Je ne vous raconte pas de blagues, c'est la vérité.

Voici ce que dit le juge en conclusion: Émile Dion, qui était à sa retraite lors de la dernière décision de l'agent d'indemnisation de l'intimée, se voit non seulement confirmé à un DAP de 15% alors qu'il ne présente aucun symptôme d'amiantose, mais il se voit accorder une invalidité de 27% alors qu'il ne travaille pas! Le bureau de révision a réduit ce taux à 15%, mais le juge dit qu'il aurait dû le réduire à zéro.

C'est là que le juge Durand dit: Moi, je vois ce que disait le juge Mayrand. Il a toujours dit à la commission: Écoutez, ce foutu certificat médical n'est pas ce que vous en pensez. Ce n'est pas la raison de faire du systématisme. Au contraire, cela permet à un médecin de décider si on peut travailler ou non. Il trouve difficile d'accepter que la commission n'ait pas suivi ce que l'honorable juge Mayrand lui suggérait. La commission, évidemment, a inscrit en appel le jugement de l'honorable juge Durand. Je ne la blâme pas; c'est le droit de chacun de le faire. Mais elle doit quand même se rendre à l'évidence aujourd'hui, puisqu'elle n'a plus l'excuse du certificat médical sur lequel le jugement final est intervenu, au moins, quant à elle, dans les moulins. Elle risque de voir confirmer le jugement de l'honorable juge Durand, ce qui réduira considérablement ses chances d'obtenir quoi que ce soit de la société Abestos. Elle va, évidemment, confirmer les réclamations faites par Johns-Manville et celles à venir par la société Asbestos, de même que par Carey et Bell.

On comprend maintenant la portée véritable des amendements qui ont été suggérés, M. le ministre, par la Commission des accidents du travail. Je pense que c'est un secret de polichinelle que la Commission des accidents du travail est celle qui a préparé une bonne partie du projet de loi et propose les amendements en question. Je dois vous dire, M. le ministre, qu'à la lecture des amendements qu'on vous a proposés - je dis bien qu'on vous a proposés; je n'oserais pas dire que c'est vous qui pourriez en être l'auteur - on voit que, si on acceptait les amendements tels que rédigés, ils auraient les effets suivants. D'abord, dans un premier temps, ils réduiraient à néant toutes les

contestations déjà engagées devant les organismes de la commission. Je vous ai dit qu'il y en a au-delà de 400 en suspens. Dans un deuxième temps, ils réduiraient à zéro les chances de J.M. Asbestos Inc. de recouvrer la somme de 10 000 000 $ qu'elle a payée en trop. Troisièmement, ils confirmeraient le droit de la commission de réclamer de la société Asbestos ce qu'elle lui réclame et l'empêcheraient elle-même de réclamer ce qui lui revient. La même chose pour Bell et pour Carey. Le total des montants que pourraient réclamer ces compagnies se chiffre à environ 23 000 000 $.

Je dois vous dire que, M. le ministre, quand j'ai regardé le projet de loi, je me suis dit que j'étais un peu en face du genre de projet de loi que les gens de l'impôt sur le revenu nous font régulièrement. Quand vous finissez de les lire, on vous explique longuement que tout ce que vous pouviez faire dans le passé, vous ne pouvez plus le faire et qu'à l'avenir, si vous trouvez de l'argent pour payer votre impôt, grand bien vous fasse. Je dois vous dire également que j'ai été un peu scandalisé, et je présume que cela n'a pas été fait de mauvaise foi, de voir comment on tentait de mettre de côté le recours des gens déjà devant les tribunaux en vertu d'une loi existante pour déclarer comme cela, tout à coup, que tous ces recours n'existent plus. Cela m'apparaissait de la rétroactivité pure et simple. Encore une fois, nous sommes en commission parlementaire pour discuter de ces choses. Je n'en fais pas une accusation de mauvaise foi à qui que ce soit, mais je dis qu'à première vue on ne peut que conclure ceci.

M. le Président, j'évoque maintenant quelques articles rapidement, parce que d'autres ont déjà été examinés à la commission par le Conseil du patronat. Par exemple, à l'article 32 et aux suivants, on voit que la commission parle de former un nombre de comités de pneumoconiose et de comités de présidents pour conclure ensuite, après avoir formé tous ces comités de pneumoconiose qui, selon moi, sont appelés à poser un diagnostic quelconque, que c'est elle qui décidera si le travailleur est atteint d'amiantose ou de silicose, en tenant compte du diagnostic établi par le comité spécial. Je ne comprends pas. De deux choses l'une: ou la commission va accepter le rapport médical de ses médecins ou elle ne l'acceptera pas.

Il m'apparaît, à toutes fins utiles, que si on a fait l'article 35 tel qu'il est rédigé, c'est précisément pour que la commission puisse encore, comme elle l'a fait dans le passé, décider ce qu'est l'amiantose. Je vais vous donner un exemple de ce que la commission pouvait faire. Encore une fois, ce n'est pas un blâme que je lui porte directement, mais les faits sont là. La commission s'est avisée un jour de décider ce qu'était l'amiantose. Elle a voté un règlement pour nous expliquer ce qu'était l'amiantose. J'ai déjà entendu parler de médecine faite par des médecins, mais c'est la première fois de ma vie que je voyais un conseil d'administration sérieusement décider ce qu'était une maladie. Souvenez-vous bien que, dans ce règlement qu'elle a adopté, elle dit que, même si on ne retrouve pas de signes pathognomoniques chez un travailleur, on doit le déclarer atteint d'amiantose, même s'il ne présente pas de diminution des capacités respiratoires. Le signe pathognomonique en médecine, nous dit-on, est un signe évident qui ne trompe pas; c'est un signe qui signe une maladie. On le voit à première vue, disent les médecins.

Chacun sait que dans l'amiantose, c'est complètement faux, il n'y a pas de signe pathognomonique. Il y a au moins quatre ou cinq critères, dont pourra vous faire part le Dr Lesage en temps utile, qui ne sont pas faciles. C'est une des maladies les plus difficiles à cerner. Mais, on prend la peine d'ajouter: Même s'il n'y a pas diminution de capacité respiratoire. On vient de le dire, même s'il n'y a aucune incapacité, même si vous ne voyez pas d'amiantose, cet individu aura droit à 5% d'incapacité partielle permanente. Je vous dis que, lorsque je lis les articles 32 à 35, je me dis: Est-ce là que la commission veut encore s'en aller? Je vous préviens: je me dis que, si vous le laissez comme cela, c'est ce qui va se passer de nouveau, avec le résultat que l'on connaît. Non seulement chez les amiantosés, mais chez d'autres travailleurs qui sont appelés à subir le même sort. L'exemple est valable pour tout le monde.

J'en viens à l'article 52. Là, vraiment, il faut avoir un sens de l'humour un peu triste pour voir cet article intitulé "52". En effet, c'est de la loi 42 dont on parle aujourd'hui, et la commission - je vois M. Bernier sourire - dans un cynisme, qui peut être amusant par ailleurs, décide que ce sera à l'article 52 qu'on va légaliser toutes les erreurs qu'on a commises jusqu'à maintenant. Tenez-vous bien. Il est là. Vous avez entendu ce que j'ai dit sur le certificat de santé: II est mis de côté jugement sur jugement. La Cour d'appel a parlé. Le juge Durand a parlé. C'est très clair, cela ne veut rien dire. Le certificat de santé, c'est uniquement une excuse pour la commission de porter elle-même le diagnostic. Voici ce que dit l'article 52: "Le travailleur qu'une décision finale reconnaît atteint d'amiantose ou de silicose et à qui la commission refuse ou retire le certificat de santé exigé par un règlement adopté en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail est considéré incapable d'exercer son emploi en raison de cette maladie lorsque son emploi l'expose à la poussière d'amiante ou de silice."

Il y a deux choses ici, M. le Président. La première, c'est la suivante: Si vous

adoptez pareille loi, vous direz à la commission: Nous ne connaissons pas la teneur du règlement que vous voulez adopter, mais nous vous faisons confiance. Grand bien vous fasse! Nous ne faisons pas confiance à la commission. C'est comme dire à la commission: Faites le règlement que vous voulez, on ne sait pas très bien de quoi il s'agit, mais en temps utile, vous vivrez avec cela. La deuxième est plus grave, on vous demande comme législateurs de porter un diagnostic médical. En effet, on vous dit d'accepter le fait que, sur un certificat quelconque que la commission aura adopté -on ne parle pas de décisions médicales - le travailleur sera reconnu incapable d'exercer son emploi en raison de cette maladie. Cela me permet peut-être de vous parler en passant de ce qui est convenu d'appeler le "black lung " aux États-Unis. Aux États-Unis, il y a eu en 1970 une loi fédérale d'adoptée qui s'appelle le "black lung legislation". Il s'agissait alors d'adopter une loi sur l'anthracose. Il y avait eu des problèmes dans les mines de charbon et le gouvernement fédéral américain a décidé d'adopter une loi qui prévoyait que tout travailleur qui aurait travaillé pendant dix ans dans une mine de charbon serait présumé atteint d'anthracose, autrement dit, appelée le "black lung" parce que la radiographie montre un poumon sur lequel on trouve des poussières de charbon. (11 h 30)

En 1982, le General Office of Accounting du gouvernement américain a fait une étude des réclamations accordées à ce jour. Il y en avait eu pour 6 000 000 000 $ d'accordées. Lors de l'étude en question, on a découvert que 84% des diagnostics posés étaient non fondés et on s'est réveillé avec exactement le problème qu'on a aujourd'hui: des travailleurs se voyant refuser le droit de continuer à recevoir les prestations et des compagnies réclamant des milliards de dollars. Je vous dis qu'à partir du moment où le législateur veut faire de la médecine il ne reste plus rien de la médecine. À mon sens, la médecine doit être laissée aux médecins et non pas à des administrateurs. Je vous dis que, si vous adoptez l'article 52 tel que rédigé, c'est ce que vous aurez fait. Soulignons en passant que l'article 52 ne s'applique pas seulement dans les mines et les carrières; il est général. Donc, il s'applique à tout endroit où on retrouvera de l'amiante: manufactures, mines, moulins, fonderies, ateliers, constructions de routes ou d'édifices où les travailleurs sont exposés à la silice et à l'amiante.

Si on adopte l'article tel quel, il suffira à la commission de retirer un certificat de santé à M. X, Y ou Z pour qu'il ne travaille plus jamais dans le même endroit parce qu'effectivement, si on regarde où se retrouve l'amiante, on saura d'abord qu'il y en a certainement à Asbestos et à Thetford Mines. Si on poussait le raisonnement à l'absurde, je dois vous dire que vous avez un "background" - c'est le mot à employer -d'amiante partout dans le monde entier. On retrouve de l'amiante dans les glaciers, on en retrouve partout dans le monde entier, on en retrouve dans tous les sols. C'est une fibre qui est extrêmement volatile, qui se retrouve partout. En "background" dans le monde entier, il y a de l'amiante. À l'absurde, la commission pourrait dire: On retire le certificat à ce monsieur dans la province de Québec, par exemple, là où on en retrouve le plus au monde. Il pourra toujours aller travailler ailleurs ou autrement. Je vous dis que cela n'a aucun sens et que cela ne tient pas compte des réalités quotidiennes.

M. le Président, je passe l'article 248 dont a déjà traité le Conseil du patronat. Je passe également l'article 250 pour vous dire uniquement qu'on retrouve à cet article des clauses qui m'ennuient un peu, qui ne sont peut-être pas aussi pires que les autres mais qui sont tout de même choquantes: où il s'agit d'amiantose et de silicose on restreint les recours des employeurs, à ce moment, à uniquement deux des recours prévus par ces articles qui en contiennent quand même huit.

J'en viens maintenant à l'article 285 qui se lit comme suit - il faut lire cela, je suis resté un peu estomaqué quand je l'ai lu -: Les dispositions de la Loi sur les accidents du travail, LRQ, chapitre A-3, sont remplacées par les dispositions correspondantes de la présente loi à la date de l'entrée en vigueur de celle-ci et dans la mesure indiquée par les proclamations faites suivant l'article 364.

Très honnêtement, je me demande un peu comment, si vous deviez adopter pareil article, quiconque pourra se retrouver pour savoir au lendemain de l'adoption quels sont les articles effectivement amendés. Je ne connais pas beaucoup la technique législative mais il m'apparaît que, normalement, quand on amende un article, on le dit en blanc et noir et on ne laisse pas comme cela les gens se dire: Bon! Tout ce que j'ai à faire, c'est de comparer les deux lois et, chaque fois que j'y retrouverai une correspondance, je me dirai: Tiens, elle a du être amendée.

Remarquez bien qu'on nous dit qu'il y aura une proclamation de faite. Je ne voudrais pas être à la place de celui qui sera obligé de déterminer quelles proclamations il va faire pour dire: Je décide, moi, que telle disposition en est une de concordance, donc qu'elle s'applique. Imaginez-vous ce que cela ouvrirait comme porte aux contestations juridiques en disant: Le ministre s'est trompé, ce n'est pas cette concordance, c'est l'autre. Cela m'apparaît un nid d'abeilles duquel il faut se retirer le plus rapidement possible. Encore une fois, nul

n'est censé ignorer la loi. Encore faut-il qu'on sache les articles de la loi qu'on est censé connaître. Dans le projet de loi on semble nous dire: Ne vous en faites pas, vous le saurez en temps utile. On vous le dira en temps utile. Tenez-vous bien et, le jour où la commission conviendra qu'il commence à être temps de mettre tel article en vigueur, vous le saurez. Vous aurez un avis de 30 jours et on vous dira ce qui concorde. En attendant, préparez-vous.

J'ai eu envie de lui dire ce que quelqu'un m'avait dit lorsque j'avais manqué mes examens de droit. J'avais écrit un télégramme à mon frère disant: Prépare papa, mes examens sont manqués. Il m'a répondu: Papa préparé. Prépare-toi. Quand la commission me dit: Préparez-vous, je lui dis: Je suis préparé. Préparez-vous!

M. le ministre, j'en viens maintenant aux articles qui, à mon sens, m'apparaissent les plus... Ce sont ceux dont je parlais tout à l'heure. Je ne conçois pas qu'on ait vraiment pensé à aller aussi loin que la lecture que je fais de cet article. Ce sont les articles 358, 359 et 360. Il n'y a pas de doute possible, quand on lit ces articles, que ce sont des articles qui suppriment totalement et absolument toutes les contestations déjà engagées qui rendent légales les décisions déjà rendues au niveau des complémentaires et qui mettent à néant le jugement du juge Durand aussi bien que celui de la Cour d'appel à intervenir ou toute autre réclamation que nous pourrions faire valoir.

À titre d'exemple, on oblige tout bureau de révision et même la Commission des affaires sociales à se dessaisir de toute demande de révision ou de tout appel qu'un employeur a pu faire lorsqu'il s'agit du droit à une indemnité. Je dis que ce n'est pas possible et concevable qu'on veuille aller si loin. Je suis convaincu que ce n'est pas ce que voulait faire la commission, ce n'est pas ce qu'elle pouvait avoir voulu. Je ne peux aller si loin que cela. Je connais les procureurs de la commission. Ce sont des gens responsables et j'ai eu à me battre avec eux dans plusieurs circonstances. En passant, nous avons gagné à chaque fois. Quoique, à bien dire, dans cette affaire d'amiante, jusqu'à maintenant nous avons gagné toutes les batailles mais je vous jure qu'on perd la guerre souvent. Je veux vous dire qu'avec ce projet de loi, vraiment, c'est le couronnement d'une longue série de batailles desquelles nous sortons vainqueurs mais perdants.

Je ne crois pas que mes confrères aient pu aller si loin que cela. Il m'apparaît que... Enfin, je ne peux aller plus loin que cela. Quand je lis un article comme l'article 360 qui se termine comme ceci: malgré toute décision ou tout jugement postérieurs lui déniant ce droit, je me dis que ce n'est pas possible qu'on aille si loin que cela. Je vous souligne simplement que la charte des droits ne permet pas pareil amendement. C'est aussi simple que cela.

En conclusion... Incidemment, je vous engage... Dans ce mémoire, il y a malheureusement une erreur à la page... Vous retrouverez la page 33 de mes conclusions insérée entre les pages 2 et 3, je pense, du jugement du juge Durand. Je ne sais pas si elle est allée se loger là d'elle-même. Elle s'y trouvait peut-être plus confortable. Selon nous, M. le Président, les articles proposés 32, 33, 34, 35, 43, 52, 159, 248, 250, 343, 344, 358, 359 et 360 sont nettement discriminatoires et rétroactifs. Ils devraient être retranchés du projet de loi, ne fût-ce qu'une simple mesure d'équité et de justice naturelle.

En rendant jugement comme il l'a fait, l'honorable juge Durand a confirmé cet énoncé de principe contenu dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne à l'article 23, à savoir que - et je cite l'article 23 - ...S'il y a un temps où on peut le citer, c'est celui-ci parce que, lorsqu'on lit le jugement du juge Durand, c'est presque une copie conforme: "Toute personne a droit, en pleine égalité - qu'elle soit riche ou pauvre - à une audition publique et impartiale de sa cause par un tribunal indépendant et qui ne soit pas préjugé, qu'il s'agisse de la détermination de ses droits et obligations ou du bien-fondé de toute accusation portée contre elle."

Il n'y a aucun doute que les articles du projet de loi 42 que nous avons commentés dans ce mémoire ont été rédigés uniquement pour contrer le jugement déjà rendu et les procédures judiciaires présentement en cours et, partant, vont à l'encontre de la charte elle-même.

Que conclure des représentations que nous vous faisons? Il y a deux possibilités, M. le Président: ou bien la LIVAS doit demeurer - je parle de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'amiantose et de silicose - ...Le jugement du juge Durand explique blanc sur noir comment elle peut et doit s'administrer. Nous pourrions fort bien continuer à vivre avec cette loi de la façon dont le juge Durand dit qu'elle doit s'appliquer.

Nous avons démontré tout au long de ce mémoire que, si la CSST avait respecté les principes fondamentaux de l'équité et de la justice et qu'elle s'était contentée, comme c'était son mandat, d'administrer la loi et non pas de l'aménager selon sa philosophie personnelle - en somme, si la CSST s'était contentée d'administrer et avait laissé la médecine aux médecins - elle ne se retrouverait pas aujourd'hui dans le bourbier dont elle tente maintenant de s'extirper par le biais d'une loi d'exception.

Nous proposons donc, M. le ministre, de

conserver la LIVAS, sauf pour l'aménagement suivant: II y aurait lieu, selon nous, de remplacer l'intervention du bureau de révision par un arbitrage médical, c'est-à-dire un médecin choisi par l'employeur, un autre par le Comité consultatif du travail et de la main-d'oeuvre ou le ministre du Travail et un troisième par le travailleur. Ce conseil d'arbitrage siégerait en appel, à la demande de l'une ou l'autre des parties, des décisions des comités de pneumoconiose de la CSST, aussi bien sur l'existence ou le degré d'incapacité que sur la capacité de travailler et l'endroit du retour au travail. C'est d'ailleurs cet arbitrage médical qui avait été prévu dans un premier temps dans la LIVAS et qui, par la suite, a été remplacé par les bureaux de révision par un amendement à la Loi sur les accidents du travail.

S'agissant d'une décision médicale, les délais occasionnés par une audition devant un organisme tel que les bureaux de révision et qui ouvre la porte à toutes les tergiversations juridiques n'existeraient plus. Je vous rappelle en passant qu'il a été décidé par la Cour d'appel qu'au niveau de l'arbitrage médical les parties n'y ont pas d'affaire et qu'on ne peut se plaindre de ne pas avoir eu d'audition devant un bureau médical. Il suffit d'être prévenu que son arbitre est présent, on n'a pas d'affaire là; donc, exclusion des avocats et des parties. Laissons le libre choix des médecins. De là, il y aura appel à la Commission des affaires sociales, non pas de novo, c'est-à-dire avec entente des nouveaux témoins, mais sur le dossier tel que constitué. La décision sur le complémentaire qui, alors, interviendrait rapidement, ne serait exécutoire qu'une fois l'appel vidé. De cette façon, on éviterait ainsi les erreurs malheureuses commises dans le passé: L'amiantose n'est pas un mal subit mais ne se manifeste souvent qu'après plus de vingt années d'exposition. Il n'y a donc pas d'urgence à une exécution provisoire.

Si, cependant, dans un souci d'uniformité, on voulait inclure dans la loi 42 les victimes de l'amiantose et de la silicose, nous ne voyons pas pourquoi les mines, les carrières et les exploitations de produits silicieux - pas plus d'ailleurs que pour les autres produits toxiques - feraient l'objet d'un régime d'exception puisque la loi 42 prétend adopter les principes de base de la LIVAS, à savoir, l'indemnité de remplacement du revenu.

Il est évident cependant que, quant à nous, la loi 42 devrait d'abord être profondément modifiée. À cet égard, nous tenons à vous souligner que nos membres endossent dans une large mesure les recommandations du Conseil du patronat quant aux amendements à y être apportés.

En conclusion, si la CSST veut faire payer le coût de ses erreurs passées, qu'elle le dise franchement et qu'elle propose une loi qui ne pénalisera ni les employeurs ni les travailleurs; que, pour le reste, elle suive les directives de la cour lui indiquant de façon claire et non ambiguë la manière dont la LIVAS doit être interprétée et appliquée. Qu'elle tienne compte également pour l'avenir, comme vous voudrez le faire dans le présent projet de loi, de la charte des droits et libertés et des recommandations des tribunaux dans l'exercice de ses pouvoirs quasi judiciaires.

Je termine en vous disant, M. le Président, que l'industrie de l'amiante québécoise, depuis une dizaine d'années, fait face à des attaques constantes dans le monde entier. Nous avons à livrer une bataille féroce dans le monde entier. Nous avons dû, avec l'aide des deux paliers de gouvernement, aller nous battre, par exemple, à la Communauté européenne pour réussir à obtenir de celle-ci qu'il n'y ait pas le bannissement de l'amiante à l'intérieur de la Communauté européenne. Nous avons encore des batailles très dures à livrer en Allemagne où d'aucuns, et surtout les lobbies du substitut, demandent le bannissement de l'amiante. Nous avons réussi au BIT à Genève, avec la collaboration des syndicats et des patrons, ensemble, quelque chose d'exceptionnel où nous nous sommes mis d'accord avec les unions internationales pour que, effectivement, il n'y ait pas bannissement de l'amiante mais bien un code d'emploi de l'amiante sécuritaire.

Nous avons actuellement une bataille d'envergure à livrer aux États-Unis. Nous en avons livré d'autres que nous avons gagnées. Par exemple, en Floride, nous avons réussi à faire déclarer inconstitutionnel un statut de l'État de la Floride qui interdisait l'usage de l'amiante dans les édifices publics. Nous livrons actuellement un combat à Washington devant trois juges - nous avons demandé une injonction intérimaire qui nous a été accordée; nous sommes au niveau de l'interlocutoire et attendons le jugement -pour interdire à l'OSHA d'établir un standard d'urgence sur l'usage de l'amiante. Nous espérons avoir un jugement qui nous sera favorable. Pendant que nous faisons ceci, nous avons EPA, Environment Protection Agency, des États-Unis, qui a annoncé publiquement, sans se gêner, que dès le mois de juillet elle entendait adopter une réglementation, sujette à étude, nous dit-elle. Mais elle nous avertit d'avance qu'elle demandera le bannissement de l'importation de produits d'amiante aux États-Unis et le bannissement de l'usage des produits d'amiante partout aux États-Unis. Ce n'est pas une mince affaire que d'avoir à se battre contre ces organismes. (11 h 45)

Les énergies que nous avons à consacrer dans le monde entier pour défendre l'amiante, c'est là qu'on doit le faire. Je ne

crois pas que ce soit ici au Québec qu'il soit nécessaire de se battre contre un organisme comme la CSST pour faire reconnaître nos droits. Quand on va dans le monde entier en disant que nous savons comment utiliser l'amiante, qu'on se retourne ensuite pour nous dire que, même au Québec, la CSST interdit à quelqu'un de retourner à deux fibres, il faut croire que l'amiante, c'est très dangereux. Ce n'est pas très facile de vivre avec cela. Ce dont on n'a surtout pas besoin, c'est une loi d'exception ici au Québec alors qu'on se bat pour des lois d'exception dans le reste du monde. Je vous dis que, si la loi est adoptée telle quelle, vous aurez fait une exception de l'amiante qui sera évidente et avec laquelle nous devrons vivre quand nous irons dans d'autres pays tenter de les convaincre de ne pas faire de loi d'exception pour l'amiante parce que, disons-nous, c'est un matériau qui peut s'employer en toute sécurité dans le monde entier. Voilà, M. le Président, les remarques que nous voulions vous faire. Nous serons heureux d'accepter toutes les questions que vous voudrez bien nous poser.

Le Président (M. Paré): Merci, M. Casgrain. Effectivement, nous allons passer à la période d'échanges. La parole est maintenant à vous, M. le ministre.

M. Fréchette: Je vous remercie, M. le Président. Je veux aussi remercier Me Casgrain, ainsi que les personnes qui l'accompagnent. Je suis d'autant plus heureux de le faire parce que, comme il l'a lui-même rappelé, entendre parler de l'amiante, cela fait partie de ma petite histoire. C'est peut-être pour cela que le sujet qu'on est en train de traiter m'intéresse beaucoup. Il y a aussi évidemment d'autres motifs. Je vais convenir sans hésitation avec vous, Me Casgrain, qu'on ne retrouve plus maintenant, dans les villes d'amiante, ce que l'on retrouvait il y a 10, 15 ou 20 ans, soit quelque chose qui ressemblait à deux pouces de neige en plein milieu des mois de juillet et d'août. Je vais convenir de cela avec vous sans aucune réserve. Il y a eu à cet égard une grande amélioration.

Je vous signalerai également comme remarque générale que, si l'objectif que vous visiez ce matin était de nous sensibiliser à une situation qui a créé des embarras depuis un bon moment, à tous ceux qui sont impliqués dans le processus, autant employeurs que travailleurs, cet objectif a effectivement été atteint. Il est évident que nous devons être sensibilisés à la situation que vous avez décrite dans tous les détails. Je vous dirai en blague, Me Casgrain, que les informations qu'on a quant aux cas actuellement pendants devant ou bien les bureaux de révision ou la Commission des affaires sociales sont de 200 d'après nos chiffres. Encore une fois, en blague, je vous dis simplement que j'espère qu'il ne me faudra pas diviser par deux toute l'argumentation que vous nous avez soumise. Enfin, vous comprendrez qu'il n'y a aucune espèce de malice là-dedans, mais c'est quand même important de voir quel est très précisément le nombre de cas qui sont actuellement soumis ou bien aux bureaux de révision ou alors à la Commission des affaires sociales.

Autant dans votre mémoire que dans votre argumentation, il m'apparaît que vous attirez notre attention sur deux situations bien précises. Que fait-on dans le futur? Comment traiter ce qu'on pourrait convenir d'appeler, pour les besoins de la discussion, le passé? Prenons le premier chapitre. Évidemment, vous faites référence très précisément aux articles 28 à 35 de la loi. Je vous signalerai que, jusqu'à maintenant, les groupes ou les organismes qui se sont prononcés sur ce chapitre ont, comme vous, attiré notre attention de façon plus particulière sur les dispositions de l'article 35 de la loi et comme vous, notre attention a été attirée aussi par les implications ou les conséquences que cela pouvait entraîner. Je voudrais simplement vous signaler, dans un premier temps, les motifs pour lesquels l'article 35 se retrouve là où il est, en vous signalant dès maintenant que je suis tout à fait disposé à réévaluer le libellé de cet article ou, alors, même la philosophie qu'on y retrouve pour rejoindre les préoccupations que vous nous avez soumises. Mais, je vous dirai que l'article 35 était là pour le seul motif suivant, c'était pour permettre à l'une ou l'autre des deux parties de pouvoir se prévaloir d'un droit d'appel devant un organisme quasi judiciaire ou judiciaire si l'une ou l'autre, encore une fois, n'était pas satisfaite de la décision du deuxième comité.

En fait, le raisonnement était essentiellement le suivant et c'est là-dessus qu'il faudra avoir des précisions. Nous nous sommes dit: En droit strict, il est impossible de porter en appel un diagnostic médical. Je ne vois pas comment, ni devant quelle instance et à partir de quel droit, je pourrais, demain matin, prendre le diagnostic médical du comité des présidents et me retrouver ou bien devant le bureau de révision ou devant la Commission des affaires sociales ou alors devant la Cour supérieure et demander qu'on réévalue ou qu'on modifie les conclusions d'un diagnostic médical. Cela ne nous apparaissait pas possible.

L'autre choix qui se présentait, c'était de dire: Dès lors que le comité des présidents s'est prononcé, voici une décision finale et cela, personne n'a semblé vouloir accepter ce processus, davantage les employeurs que les syndicats parce que certains syndicats - je ne dis pas tous - nous

ont représenté que, lorsque six spécialistes s'étaient prononcés sur l'état d'un salarié, ce devait être dans leur évaluation suffisant pour avoir une idée exacte et précise de la pathologie ou de l'état de santé de la personne qui était concernée.

Et là, la troisième préoccupation qui est arrivée a été de dire: S'il n'y a pas de moyens d'appel, nous voici en contravention directe avec les dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne. Il eut fallu avoir une disposition qui aurait commencé par "malgré" ou "nonobstant". Bon! C'est le genre de choses à laquelle je ne pouvais pas souscrire.

Donc, la raison pour laquelle l'article 35 est là, en tout cas, l'objectif qui était visé - si vous êtes en train de plaider que peut-être que le texte ne répond pas à cet objectif, là-dessus, je suis disposé à reconsidérer la situation, comme je vous le disais - cet objectif était strictement pour permettre l'appel. Là où cela faisait problème, c'était dans l'interprétation qu'on donnait aux mots "en tenant compte de". Les termes "en tenant compte de" étaient-ils suffisamment forts pour lier la commission au diagnostic rendu par le comité des présidents? Je vous signalerai que l'intention, c'était cela. L'intention était de faire en sorte que la commission soit liée par le diagnostic du comité des présidents et que la décision de la commission confirmant ce diagnostic fût, elle, appelable. Bon!

C'étaient donc les intentions que nous avions en incluant dans le projet de loi cet article 35, mais au fur et à mesure que les travaux de la commission avancent ou évoluent au fur et à mesure également que des renseignements sont acheminés aux deux commissions, la commission parlementaire et la commission de santé et sécurité, je vous signale qu'un cheminement est en train de se faire qui viserait essentiellement deux objectifs. À ce stade-ci je ne vous parle qu'en termes d'objectifs, étant entendu entre nous que les modalités ne sont évidemment pas arrêtées, les technicités non plus, les processus opérationnels non plus. En termes d'objectifs, l'évolution que nous sommes en train d'essayer de faire serait d'arriver aux deux conclusions suivantes: II faudrait soustraire le pouvoir décisionnel en matière médicale de la commission de santé et sécurité. Je vous signale à cet égard que c'est le genre de cheminement que nous sommes en train de faire.

Deuxièmement, nous sommes également en train de voir comment finaliser une décision en vertu de laquelle l'évaluation médicale que l'on ferait de l'état d'un salarié devrait être le seul critère ou le seul élément déterminant quant à l'option qui doit être prise dans le cas de la personne qui est soumis à discussion. Je vous signale que ce cheminement est en train de se faire, que l'objectif, c'est très précisément d'y arriver mais, encore une fois, vous me demanderiez ce matin de vous mettre sur la table les modalités et les technicités d'un semblable processus, je ne pourrais pas le faire, je ne pourrais pas répondre à votre question.

Qu'est-ce qu'on pourrait retrouver à l'intérieur de cette évaluation médicale dont on parle? On pourrait retrouver un certain nombre d'éléments. Il m'apparaît évident que la première chose qu'on devrait y retrouver, qu'on devrait y lire, c'est une conclusion quant à l'existence ou la non-existence de l'amiantose. Je pense bien que là-dessus on va tous s'entendre et rapidement sur la nécessité qu'on retrouve dans l'évaluation médicale ce genre de renseignement.

Il faudrait aussi très probablement que l'on fasse en sorte que cette même évaluation réfère au pourcentage d'incapacité. Ça aussi, ça m'apparaît procéder du sens commun des choses que cette information se retrouve dans l'évaluation médicale.

Qu'on voie aussi les possibilités - enfin, je pense que les possibilités sont là - qu'une décision soit acheminée dans le sens que l'on retrouve dans l'évaluation ou dans le rapport médical une description de la limitation des capacités fonctionnelles, ça m'apparaît aussi aller de soi et se dégager des deux premières conclusions dont je viens de parler.

Après que les parties auraient été mises en face de cette évaluation dont on vient de parler, il va bien falloir que tout le monde évalue maintenant quels seront les mécanismes de réassignation, s'il doit y en avoir. Ça aussi, c'est au centre des préoccupations qui devraient retenir, me semble-t-il, l'attention de tout le monde.

Il faudra trouver un mécanisme. À ce stade-ci je ne le mets sur la table qu'à titre de suggestion, peut-être bien pour alimenter les discussions, mais est-ce que les mécanismes de réassignation ou de non-réassignation ne devraient pas être soumis aux procédures conventionnelles ou autres qu'on retrouve déjà à l'intérieur de la ou des entreprises concernées? Je vous réitère qu'à ce stade-ci de nos discussions je ne le mets sur la table que pour fins de discussion, de suggestions et, si possible, pour fins d'alimentation de notre débat. Finalement, cela nous amène à une troisième considération qui est tout aussi importante que les deux premières. Si un litige devait survenir, ou bien quant aux conclusions de l'évaluation médicale, ou à l'égard de toute autre considération de l'ensemble du dossier, et que les mécanismes d'assignation dont je viens de parler ne peuvent pas, non plus, arriver à trancher le litige à la satisfaction des deux parties, comment nous faudrait-il trouver l'instance, ou le moyen, ou l'institution qui sera investie de la juridiction nécessaire pour trancher ce litige?

(12 heures)

Je vous ai entendu, Me Casgrain, suggérer la formation d'un comité d'experts médicaux au nombre de trois, l'un suggéré par la partie patronale, l'autre suggéré par la partie syndicale et le troisième étant désigné par le ministre du Travail. Je vous signale mes appréhensions quant à cette proposition. J'aurais la crainte que nous nous retrouvions purement et simplement devant l'équivalent de ce qu'est, par exemple, un tribunal d'arbitrage. Que l'on soit en matière d'arbitrage de griefs, d'arbitrage de différends sur lesquels tribunaux nous retrouvons des représentants de toutes les parties et un président investi du caractère de l'objectivité et de la neutralité, il est acquis au départ dans plus de 95% des cas qu'on aura toujours une décision à deux contre un et qu'on aura toujours des décisions et des dissidences qui seront bien motivées.

Enfin, là-dessus, je vous signale mes appréhensions sans élaborer sur le sujet, mais j'aimerais vous dire plutôt ce vers quoi je souhaiterais qu'on exploite les avenues qui seraient possibles pour sortir de ces imbroglios dont vous parlez. Est-ce qu'il ne serait pas indiqué, approprié, dans les circonstances, que toute matière contentieuse ou tout litige à cet égard soit référé à une instance indépendante de la commission? Quand je parle d'indépendance par rapport à la commission, je parle d'indépendance à tous égards: indépendance politique au sens très large du terme, indépendance de relation d'autorité, enfin à tous égards. Une commission qui deviendrait le tribunal habilité à disposer de tout litige contentieux - enfin, litige et contentieux, cela va de soi - qui serait habilité à disposer de toute décision qui fait litige et qui ne fait pas l'affaire de l'une ou l'autre des deux parties, y incluant, bien sûr, les problèmes vécus dans votre champ d'activités, cette commission pourrait remplacer le mécanisme des actuels bureaux de révision. Elle pourrait également - et je vous signale que c'est le cheminement qui est en train de se faire et qu'il n'y pas à cet égard de décision formelle encore, mais on y pense sérieusement - remplacer la Commission des affaires sociales et devenir l'unique instance habilitée à se prononcer sur toute matière relevant de la politique de santé et de sécurité.

Je pense que, sur les principes, il y a un certain nombre de choses que vous nous avez soumises sur lesquelles je viens de vous faire part de l'état de notre réflexion et je ne sais pas si je me trompe, mais j'ai l'impression qu'on se rejoint à certains égards. J'ai l'impression qu'on se rejoint et peut-être bien, encore une fois, qu'il faudra voir de plus près la question des modalités techniques comme, par exemple, la suggestion que vous faites quant à l'instance habilitée à décider des litiges et celle dont je vous parle. Mais, encore une fois, sur le plan des stricts principes, il y a un bout de chemin qui a été fait et qui va rejoindre les préoccupations que vous nous avez soumises. Je signale en même temps que les préoccupations que vous nous avez soumises rejoignent des préoccupations syndicales aussi. Des représentations nous ont été faites qui rejoignent étroitement celles que vous nous avez représentées ou bien par votre mémoire écrit, ou par l'argumentation verbale que vous avez faite ce matin. Ce serait donc l'optique générale vers laquelle on pourrait penser aller pour ce qui regarde le futur. De plus, vous avez également une préoccupation importante pour le passé. Je suis tout à fait conscient des motifs qui président à ces inquiétudes.

Me Casgrain, vous avez fait avec force détails l'historique de toute la situation qui a été vécue depuis l'adoption de la loi 52, depuis 1975, les interprétations qu'on en a faites. Vous avez également fait état avec insistance des nombreuses péripéties judiciaires qui ont accompagné tout ce débat depuis 1975-1976, qui ont créé des problèmes je l'ai dit au début - autant aux employeurs qu'aux salariés qui se sont retrouvés à un moment donné braqués à l'intérieur d'un processus judiciaire qu'ils étaient les premiers à n'avoir pas réclamé, mais ils s'y sont retrouvés par la force des choses. Vous avez également fait état du sort qui a été réservé à la loi 52 par les tribunaux. Je pense plus précisément au jugement du M. le juge Fortin à Sherbrooke, dans le district de Saint-François, qui a conclu que la loi 52 dans sa rédaction actuelle n'était pas ce qu'on avait toujours cru qu'elle pouvait être, particulièrement au chapitre de la définition que l'on devait donner aux termes "mine" et "ouvrier". Enfin, tout cela pour vous dire qu'il y a effectivement eu des péripéties de toute espèce qui ont créé des embarras à beaucoup de monde.

On a fait grand état des personnes qui avaient déjà été déclarées amiantosées et qui se sont trouvées excluses par la suite, ou bien par la production d'un nouveau diagnostic médical, ou alors par ce jugement de cour ou d'autres jugements de cour dont je viens de vous parler. Je ne vous cache pas que toutes ces péripéties judiciaires nous amènent dans une espèce de situation où il nous faut nous poser des questions beaucoup sur les notions de droit strict et sur les notions de juridisme rigide par rapport aux notions d'équité et de justice naturelle. Il nous faut de toute évidence, à partir de tous les états des dossiers qu'on connaît, faire une réflexion sur ces notions de droit, d'équité et de justice. Je vous signale que depuis que les jugements sont connus, que les

tribunaux se sont prononcés, j'ai, quant à moi, tenté de pousser une réflexion sur ces notions dont je viens de vous parler. Cela devient passablement contraignant. Cela devient difficile de départager toutes les limites de ces différentes notions.

En tout état de cause, la loi dans sa facture actuelle indique assez clairement, me semble-t-il, le désir du gouvernement de faire en sorte que ces travailleurs, dont on a parlé depuis que les tribunaux ont rendu ces jugements, qui n'ont fait finalement que se prévaloir des dispositions d'une loi qui, à leur égard ou selon leur appréciation, leur donnaient des droits, je ne vois pas comment le gouvernement pourrait faire en sorte que ces gens soient pénalisés autant pour le passé, le présent que le futur. Je vous dis qu'actuellement c'est l'état de ma réflexion à partir de ce dont je viens de vous parler.

Par ailleurs, il y a une autre préoccupation qui est tout aussi fondamentale, et vous l'avez soulevée, Me Casgrain, avec insistance. L'intention, autant de celui qui vous parle que du gouvernement, ce n'est pas de faire en sorte de limiter des droits auxquels l'une ou l'autre des parties pourrait prétendre. Ce que je veux dire à cet égard, c'est qu'il m'apparaît évident que les litiges qui sont actuellement devant les tribunaux, qu'on est convenu d'appeler tribunaux de droit commun: Cour supérieure, Cour d'appel, enfin, tous ces litiges qui sont actuellement soumis à l'appréciation des tribunaux doivent continuer leur cours normal jusqu'à jugement si nécessaire, ou alors jusqu'à ce que - je ne sais pas, c'est un dossier à l'intérieur duquel je suppose que les parties impliquées peuvent se parler jugement intervienne, ou jusqu'à ce que les parties, s'étant parlé, ayant évalué le contenu de ces dossiers, arrivent à une autre conclusion.

Je vous signale ma préoccupation de ne dessaisir d'aucune façon les tribunaux de droit commun à qui actuellement ces dossiers ont été soumis. Si la rédaction de la loi telle qu'on la retrouve actuellement pouvait porter à ce genre d'interprétation, c'est-à-dire que, si la rédaction de la loi laissait des doutes quant à l'intention que je viens d'exprimer, je vous signale que nous allons de toute évidence procéder à la remanier de façon que cette intention soit très clairement identifiée dans la loi.

Maintenant, il va se poser une question d'imputation de paiement à un moment donné, c'est évident. Je vous signale que, si les litiges qui sont actuellement devant les tribunaux devaient procéder et il me semble que, sous la réserve de l'autre solution dont je parlais il y a un instant, ils devront continuer, mais si ces litiges devaient continuer et que les tribunaux en venaient à la conclusion qu'il n'est ni légal ni autrement acceptable que ces paiements soient imputés aux employeurs concernés, c'est vers cet objectif qu'il faut aller.

Quelle autre solution faudra-t-il envisager ou quel autre moyen faudra-t-il prendre? Je ne suis pas en mesure ce matin de vous le dire, mais il est évident dans mon esprit que, si par un jugement de cour ou par toute autre forme qui permettrait d'arriver à conclure les litiges qui existent actuellement, il fallait arriver à la conclusion que ces paiements ne doivent pas être imputés aux employeurs concernés, je n'ai aucune hésitation à aller vers cette solution.

Je m'excuse, j'ai pris tout le temps qui était à ma disposition. Je croyais utile de le faire pour au moins vous mettre au courant de l'état de la réflexion au moment où on se parle, de vous indiquer également vers quelle alternative le tout semble cheminer et vous signaler aussi une réflexion personnelle: ces avenues dont je parle ou ces perspectives vers lesquelles on pourrait aller ne m'apparaissent pas devoir créer quelque préjudice que ce soit aux travailleurs de l'amiante en général.

Encore une fois, c'est l'état de ma réflexion à ce stade-ci. Je suis tout à fait disposé à réévaluer les possibilités dont je vous ai parlé. Il ne me reste qu'à vous remercier de votre présentation. (12 h 15)

Le Président (M. Paré): Merci. Est-ce que vous voulez faire un autre commentaire?

M. Casgrain: Est-ce à dire, M. le Président, que mon temps est aussi écoulé?

M. Cusano: C'est ce qu'il vient de dire. M. Casgrain: Ah bon!

Le Président (M. Paré): Oui, malheureusement. La parole est maintenant au député de Viau.

M. Cusano: M. Casgrain, je vais vous assurer que je serai très bref dans mes remarques pour vous permettre de répondre à certaines questions.

Première remarque, je suis très heureux ce matin de ce que j'ai entendu de la bouche du ministre selon quoi, finalement, il semble s'aligner vers une imputation des coûts à un autre organisme que la CSST. Je crois que cela va résoudre beaucoup de problèmes, spécialement lorsqu'on parle... On a souvent déploré non seulement cette question des miraculés, mais aussi la question des surpayés administratifs; la CSST a fait toutes sortes d'erreurs administratives et ces coûts sont imputés à la CSST même et, par différence, aux employeurs.

Une petite remarque que je voudrais aussi faire sur votre présentation des diapositives. C'était une très bonne

présentation, mais j'ai compté seulement trois personnes dans toute la présentation, trois employés sur le site. Je ne sais pas si cela a été fait volontairement ou non. En tout cas, l'impression que cela m'a donné, c'est qu'il semble y avoir très peu de personnes qui travaillent dans une mine et que tout se fait automatiquement en pesant sur des petits boutons à droite et à gauche. En tout cas, vous pourrez commenter cela par la suite.

Mes questions sont d'ordre général. Vous avez déjà répondu à quelques-unes, mais j'aimerais avoir un peu plus de clarifications. Vous parlez de l'étude du Dr McDonald et de son groupe. Il est dit dans votre mémoire que pour être atteint d'amiantose il faut être exposé à 50 ou 100 fibres par centimètre cube durant une période de huit heures pour une durée de 20 à 30 ans. Je présume que ceci serait d'être atteint d'amiantose en totalité. Si vous permettez que je fasse un peu le parallèle, c'est que, si on parle d'une insuffisance cardiaque en tant que maladie, est-ce qu'on dit que quelqu'un n'est atteint d'une insuffisance cardiaque que lorsque le coeur arrête complètement ou lorsqu'il commence déjà à démontrer des signes d'insuffisance? Pourrais-je avoir des commentaires sur cette question des 50 à 100 fibres par cnrr huit heures par jour et ce, pendant les 20 ou 30 ans de travail dont vous parlez en faisant référence au rapport McDonald?

M. Casgrain: Je vais demander au Dr Michel Lesage de vous répondre sur cette question précise.

M. Lesage (Michel): Merci, M. le Président. Je pense que ce qui est dit dans le mémoire à la page 2, c'est que, selon les études du Dr McDonald, les travailleurs qui ont été atteints d'amiantose avaient été généralement exposés à ces niveaux. Il ne faudrait pas inverser et dire qu'il faut être exposé nécessairement à 50 ou 100 fibres pendant X années, huit heures par jour, etc. Mais l'étude a révélé que les gens ont été exposés pendant des périodes de 20 à 30 ans à des concentrations qui, à cette période, étaient souvent supérieures à 50 et même 100 fibres par cm3. Quelle concentration pouvons-nous avoir? Aujourd'hui, aux concentrations que nous avons, 2 fibres par cm, c'est évidemment une tout autre histoire. La mention de 50 à 100 fibres était pour indiquer à quel point ces gens qui ont fait de l'amiantose avaient été exposés et à des niveaux très élevés par rapport à ce qui existe actuellement.

M. Cusano: Cela va. Mais, lorsqu'on parle d'une personne atteinte d'amiantose, il y a certains degrés d'amiantose, n'est-ce pas?

M. Lesage: Oui.

M. Cusano: Toujours en faisant référence à cela, quelle serait la gravité du cas d'un individu?

M. Lesage: Actuellement, il y a des gens qui sont atteints d'amiantose et il y a des diagnostics d'amiantose qui sont faits où, généralement, pour ceux que l'on voit, la majorité, je pense - j'aurais dû apporter ces statistiques avec moi - 65% des cas diagnostiqués ont entre 10% et 15% d'incapacité, de DAP, c'est-à-dire de déficit anatomo-physiologique. Il est très rare de voir des diagnostics supérieurs à 25% ou 30%. Il y a eu des cas - qui sont encore actuels, puisque c'est irréversible - de gens qui ont été très exposés et qui ont eu des DAP plus élevés que 25%, 30% ou 35%.

Mais, actuellement, la majorité des cas, je pense - c'est malheureux car je sais que la CSST et nous avons ces statistiques - qui ont été diagnostiqués de 1976 à 1982 sont de l'ordre de 65% ou 67% qui ont un diagnostic inférieur à 20%, soit de 10% à 15%.

M. Cusano: Si vous avez ces statistiques, Dr Lesage, j'aimerais bien que vous les envoyiez ici au secrétariat des commissions.

M. Lesage: Sûrement.

M. Cusano: Parce qu'il y a souvent des difficultés à obtenir des renseignements de la CSST.

J'aurais une autre question concernant surtout l'aspect de ce qu'on pourrait considérer être le risque zéro pour une personne atteinte. M. Casgrain en a parlé. J'aimerais qu'il nous précise un peu, lorsqu'il dit qu'il y a dans l'environnement - même ici dans la salle - peut-être un nombre de fibres plus élevé que ce qui existe dans les mines, dans les usines. Est-ce que cette présence - j'aimerais que votre réponse soit appuyée par des chiffres, des statistiques -de fibres dans l'atmosphère est causée par le fait qu'on a employé, peut-être de façon négligente, l'amiante dans le passé ou bien cette présence est-elle causée par un fait naturel, comme vous avez mentionné que vous trouviez des fibres même dans des glaciers? Y a-t-il moyen de nous dire exactement qu'elle serait cette présence de fibres dans une région donnée comme Montréal et Québec? Est-ce dû à l'emploi de l'amiante ou bien du fait naturel?

M. Lesage: II existe, au niveau naturel, ce qu'on appelle le "background noise", le bruit de fond. Ceci n'est pas dû en soi à l'usage qui a été fait de l'amiante de façon industrielle. L'amiante est la roche serpentine, cela fait partie du sol, de la

terre. Cela existe un peu partout dans le monde, mais pas à un niveau commercial, c'est-à-dire à un niveau où il est intéressant de le retirer du sol, où il est intéressant d'en faire une mine. On retrouve des fibres d'amiante un peu partout dans le monde. C'est comme cela qu'on en a retrouvé même dans des glaciers. Ce n'était pas du tout parce qu'il y avait eu usage industriel, mais tout simplement par phénomène naturel. On en a retrouvé dans plusieurs eaux de villes et de villages, quand il y a des aqueducs publics qui viennent de source naturelle tout simplement. Dans les endroits où il n'y a aucune industrie d'amiante, il y en a dans l'eau parfois, et on en a trouvé à des niveaux très élevés, et de façon surprenante, parce que l'eau courait sans doute sur des veines où il y a de l'amiante dans le sol.

Quand vous allez dans d'autres mines -je pourrais vous dire cela - soit de nickel, de charbon ou de n'importe quoi, vous creusez et vous avez encore de l'amiante non industriel à ce niveau. On dit que c'est une mine autre, mais il y en a là aussi. Chaque fois que vous avez une carrière, il y a possibilité qu'il y en ait. Chaque fois qu'on brasse le sol, il y a possibilité de faire ressortir des fibres d'amiante et c'est souvent une fibre qui est facilement en suspension dans l'air ou qui voyage facilement par les cours d'eau. C'est pourquoi il y a un bruit de fond et ce bruit de fond doit toujours être analysé comme tel en dehors de toute usine ou de tout usage, soit d'isolation, soit dans des édifices publics ou encore dans des usines de production.

M. Cusano: Mais ce bruit de fond se chiffre à combien? Combien de fibres par cm3 pourrait-on retrouver normalement?

M. Lesage: C'est difficile à dire. Il y a peu d'études sur le sujet. J'en connais une au Massachusetts, parce qu'il y a eu des études de faites par rapport à une école qui avait été isolée à l'amiante et, finalement, les gens qui ont eu à faire les prélèvements dans l'école se sont dit: Oui, mais on va sortir dehors et on va aller voir ce qu'il y a aussi à l'extérieur. Ils trouvaient des taux très bas, évidemment, dans l'école, 0,2 et 0,3. Ils sont sortis à l'extérieur et ils ont trouvé...

Une voix: ...

M. Lesage: J'ai dit 0,2, c'est 0,02 et 0,03 dans ce cas-là et ils ont trouvé à l'extérieur 0,04. Dans cette étude, ils ont dit: On prend comme bruit de fond 0,04. Tout ce qui est inférieur à cela à certains endroits, on ne peut pas affirmer que cela vient des murs, puisque le bruit de fond atmosphérique dans cette zone est de 0,04. Qu'est-ce qu'il est ailleurs? Il peut être plus élevé, mais la seule chose que je peux affirmer, c'est qu'il est au-dessus de zéro. Il n'y a pas d'exposition zéro.

M. Cusano: L'autre question que M. Casgrain a très bien expliquée - et peut-être qu'il pourrait, s'il le désire, l'exposer davantage - c'est la question de l'impact économique. Lorsque les producteurs d'amiante ont à se présenter dans le monde entier, ils tentent de convaincre la population ou le consommateur que l'amiante ne cause aucun danger, alors qu'ici, au Québec, on exige, on fait une règle d'exception pour la personne qui y serait exposée. Selon les informations que vous avez données, le nombre de fibres présentes dans une usine ou dans une mine est infime. Est-ce que vous voulez expliquer davantage ces problèmes vis-à-vis du nombre de tonnes qui ont été vendues ou exportées du Québec vers l'extérieur? Quel est tout l'impact économique du fait qu'on concentre tellement jusqu'à se rendre presque à la norme zéro ici au Québec?

M. Casgrain: L'impact économique est le suivant: Si vous alliez la psychose de l'amiante qui a commencé il y a une dizaine d'années - peut-être bien avant, mais qui est devenue très accentuée il y a une dizaine d'années - à la crise économique, on a eu des résultats absolument tragiques dans l'amiante. Je peux vous dire que les ventes d'amiante - je ne suis pas en mesure de vous donner les chiffres précis - ont chuté d'au moins la moitié, partant de 1 200 000 tonnes à 600 000 tonnes. Nos ventes ont baissé énormément à telle enseigne que la situation est rendue très difficile pour nombre de mines.

Ce qui se passe actuellement, c'est qu'on a réussi dans une large mesure, surtout au niveau de la commission ORCA, Ontario Royal Commission of Asbestos, à démontrer et à faire admettre, même à des gens comme Nicholson, qu'il n'y avait pas de problèmes dans les mines d'amiante au Québec, premièrement, parce que c'est de la chrysotile et non de la crocidolite qui semblerait avoir des effets beaucoup plus néfastes. C'est ce que nous disons partout. (12 h 30)

Ce que je tentais de dire, c'est qu'il ne serait pas très bon pour nous, alors qu'on se promène justement en disant qu'on a démontré qu'au Québec on savait, nous, oeuvrer dans l'amiante, qu'on se retrouve ensuite à se faire poser des questions sur un régime d'exception qu'on nous imposerait. C'est un argument qui est peut-être un peu subjectif, si vous voulez, mais il est quand même là. Les producteurs, les fabricants d'amiante disent aux mines d'amiante: Faites votre devoir dans le monde, venez nous aider. Et, lorsqu'on y va, on commence par

démontrer comment nous fonctionnons, nous. Si on n'est pas capable de partir d'ici pour dire: Écoutez, au Québec, on a réussi à contrôler la situation et l'amiante chrysotile au Québec ne présente pas de danger pour qui que ce soit, vous comprenez que ce n'est pas facile de pousser le raisonnement beaucoup plus loin.

C'est dans ce sens que je vous exprimais l'idée qu'une loi d'exception nous paraît un boulet considérable à transporter avec nous. Je dirai, par exemple, que nous entendons, au centre d'information sur l'amiante qui existe actuellement, aller dans les pays du Tiers-Monde, ou ailleurs où on commence à avoir des usines de fabrication de produits finis, présenter nos films pour dire: Écoutez, si vous ne voulez pas avoir les problèmes des Américains et ceux qu'on a connus nous-mêmes chez nous, nettoyez-vous et faites ce qu'on fait chez nous. À partir de là, on nous demande: Que faites-vous chez vous? Quel est l'état de la situation? Vous voyez la comparaison qui s'établit. C'est ce que je voulais dire.

M. Cusano: D'accord. Ma dernière question: Je présume que le ministère de l'Environnement est souvent rendu chez vous?

M. Casgrain: Oui.

M. Cusano: Je présume que le ministère de l'Énergie et des Ressources est aussi souvent rendu chez vous comme, on le sait fort bien, la CSST semble être en permanence chez vous. Pouvez-vous me dire s'il y a concordance entre les directives qui sont émises par l'un ou l'autre ministère? J'en ai mentionné seulement deux, mais peut-être y en a-t-il d'autres qui sont mêlés à cela. Je ne sais pas si le ministère du Commerce extérieur en fait partie. Pouvez-vous nous dire s'il y a concordance entre les suggestions, les directives qui émanent des différents ministères et celles qui vous sont imposées par la CSST?

M. Casgrain: Vous touchez un point sensible, M. Cusano. Vous touchez un point très sensible. Nous nous entendons très bien avec le ministère de l'Environnement. Ce sont des gens qui connaissent et qui comprennent le domaine minier. Je dois vous dire que, lorsque la CSST nous a demandé de lui faire parvenir une copie de tous les plans qu'on utilise à l'intérieur des usines pour le défibrage... Dans un premier temps, d'abord, chaque compagnie tient à la confidentialité de ses plans; dans un deuxième temps, pour les comprendre, il faut savoir ce que c'est. On a trouvé cela un peu extraordinaire. On s'en est plaint. On a envoyé quelques plans. Je ne suis pas sûr qu'on les a tous envoyés et, même si elle les a reçus, je ne suis pas sûr qu'elle les ait compris non plus. C'est la première chose. On trouve étrange que la CSST nous dise: Envoyez-nous vos plans de défibrage. La deuxième chose: L'inspection faite par la CSST, je dois vous dire qu'on trouve assez étrange que quelqu'un qui ne connaît aucunement le domaine minier, tout à coup étant inspecteur, se présente chez nous pour venir faire une inspection. On a eu un incident particulier où on avait accusé une compagnie d'être au-dessus de la norme de deux fibres sous prétexte que nos stations géographiques étaient à cinq fibres. J'ai dit: Ce n'est pas possible; ils vont certainement comprendre, quand ils vont regarder la loi, que, si on est à cinq fibres aux stations géographiques, on est à deux fibres en moyenne. Mais non, l'inspecteur a dit: C'est regrettable, c'est peut-être vrai, mais on fait la constatation. On a fait trois jours d'enquête à Sherbrooke; on a fait venir Juteau et les autres de la commission Beaudry pour démontrer à ces messieurs qu'effectivement, quand on était à cinq stations aux géographiques, nous étions en deçà de la norme. Si vous me demandez ce que vient faire la CSST dans l'inspection de nos mines, je dois vous dire que les mineurs vont vous répondre - et pas seulement nous -qu'elle n'a pas à venir chez nous. Nous, on aimerait qu'il y ait des inspections faites par des gens qui connaissent le milieu. Vous me posez la question et je vous réponds très candidement.

M. Cusano: C'est précisément pourquoi je pose ma deuxième question. J'avais dit que ce serait la dernière: De qui exactement devrait relever toute cette question d'inspection?

M. Casgrain: Les gens des mines ont toujours dit à tous les gouvernements qui sont passés l'un après l'autre que l'inspection des mines devrait se faire sous l'égide du ministère de l'Énergie et des Ressources. Nous croyons également que l'environnement devrait se faire par le ministère de l'Environnement et non par la CSST. Je vous dis cela en passant. Quand on va discuter de normes tantôt, à savoir si on va à 1 fibre, à 1,5 fibre ou autrement, nous croyons que ce sont des gens de l'Environnement qui devraient s'en occuper, avec audition d'experts pour voir si la chose est faisable et valable. Je n'ai pas de suggestions à faire au gouvernement, à savoir comment organiser sa maison, mais je vous dis que, pour notre part, on trouve que ce sont les ministères concernés qui devraient s'occuper des problèmes en question: l'environnement, le ministère de l'Environnement, les mines, le ministère de l'Énergie et des Ressources. Cela paraît très simple, mais c'est comme cela qu'on le voit.

Est-ce que je peux maintenant reprendre, M. le ministre, quelques-unes des

questions que vous avez formulées? Je ne sais pas trop comment...

M. Cusano: Ce sera sur mon temps, mais allez-y.

M. Casgrain: Je m'excuse, ce sera rapide. Vous avez parlé de 200 appels au lieu de 400. Je dois vous dire que vous avez raison en principe. Ce qui se passe, c'est ceci au niveau de J. M. Asbestos, comme de la Société Asbestos, de Carey et de Bell: il y a effectivement en conflit véritable 200, sinon 250 causes qui sont, à mon sens, en suspens à la Société Asbestos, chez Carey et chez Bell, pour lesquelles il n'y a pas eu d'appel de logé, mais pour lesquelles nous croyons cependant que le jugement du juge Durand s'applique en ce sens que les décisions étaient nulles au départ. C'est ce que je voulais dire. Effectivement, vous avez raison. D'appels présentement en suspens devant la commission, je pense qu'il s'agit de 200. Je parle toujours beaucoup plus des cas en bas de 15% et autres.

Vous avez également parlé des spécialistes. C'est vrai, j'ai entendu moi aussi le raisonnement que six spécialistes ne peuvent se tromper. Seulement, je dois vous dire une chose, c'est que, d'après notre expérience, ils se sont trompés au moins 25 fois au niveau de l'application de la loi 52. Les comités de spécialistes dont parle la CSST, quand vous voyez la façon dont ils veulent faire des comités, des présidents et ainsi de suite... Ce que la CSST a de la difficulté à comprendre, c'est que les médecins ne sont pas des machines et qu'ils ne pensent pas tous de la même façon. Alors, cela la fatigue énormément de penser qu'elle aurait six pneumologues à son emploi et qu'il pourrait y avoir des gens, parmi trois comités formés de deux chacun ou de trois chacun, qui ne s'entendraient pas sur le diagnostic posé par l'un et par l'autre, mais la médecine est faite comme cela. C'était la raison de la structuration de ces fameux comités de pneumoconiose. On voulait s'assurer qu'il y ait le même diagnostic posé dans tous les cas. On dit: Ce n'est pas le nombre de spécialistes. Il faut que les spécialistes, les médecins soient libres de poser les diagnostics qu'ils veulent.

Cela m'amène à vous parler de ceci: quand vous parliez tout à l'heure de la possibilité des aménagements aux articles 28, 32 et suivants, je vous suis et je vois bien que vous avez raison. Ce que vous vouliez vraiment dire par 35, c'est que, s'il y a une décision qui doit intervenir, il faut que cela en soit une vraie et que ce ne soit pas seulement une décision médicale. Je vous suis là-dessus, mais là où j'ai des difficultés, c'est que, si on devait considérer cette décision des comités de pneumologues de la commission des accidents du travail, ces derniers à l'intérieur de la commission devraient jouir d'une très grande liberté aussi bien vis-à-vis de la commission que des bénéficiaires. C'est une chose importante. À cet égard, je vous dirai qu'il ne serait peut-être pas mauvais de façon que ces derniers puissent opérer comme de vrais médecins... Je ne pense pas que cela existe un médecin de patron et un médecin de syndicat. J'ai de la difficulté à accepter cela. Ce que j'essaie de vous dire, c'est qu'il m'apparaît, par exemple, que, si les médecins de la commission, comme tout autre médecin appelé à poser des diagnostics médicaux dans ce genre-ci, dans toute maladie professionnelle, étaient également revêtus de l'immunité juridique contre les poursuites qui pourraient être instituées contre eux en raison du diagnostic posé, cela leur donnerait encore plus de liberté à l'intérieur des cadres dans lesquels ils sont engagés. C'est une chose importante. Je vous souligne qu'aux États-Unis de plus en plus de médecins refusent même de soigner les gens dans la rue parce qu'ils ont peur d'être poursuivis en dommages pour les avoir mal soignés.

Ce que je vous dis, c'est que mon expérience avec les premiers comités de pneumoconiose, avant qu'on fasse ceux-ci, à l'époque du Dr Bellemare, du Dr Grégoire et d'autres dont je ne me souviens pas des noms, je les avais rencontrés en disant: Pourquoi, malgré la commission, ne faites-vous pas ce que vous pensez qui devrait être fait? Vous me dites que quelqu'un peut continuer à travailler à 10% ou à 15% et, quand vient le temps de poser le geste, vous ne le faites pas. Cela ne peut pas être seulement parce que la commission vous le dit. On me répondait à l'époque: Si on le fait, c'est sous l'autorité de la commission. Cela nous protège parce que c'est la commission qui décide par nous. Donc, on se sent revêtu de cette protection.

Si on pouvait s'assurer qu'à l'intérieur de la commission ces pneumologues ne soient pas sujets aux directives de la commission comme telle, mais reçoivent l'assurance par la loi qu'ils peuvent se prononcer indépendamment de la commission, vous auriez des comités de pneumologues à l'intérieur de la commission qui auraient beaucoup plus d'objectivité. Les revêtir de cette immunité contre des poursuites judiciaires possibles serait faire un pas pour bien leur démontrer que, effectivement, c'est comme médecins qu'on leur demande de parler et non comme employés ou comme préposés de la commission ou de sa direction. C'est une chose.

M. Fréchette: M. le Président, si vous me le permettez, j'ai deux remarques à faire à cet égard. Quand je vous signalais tout à l'heure l'intention qui était à se préciser,

j'avais à l'esprit - j'aurais peut-être dû vous le dire à ce moment - que les trois ou quatre conclusions dont on parlait - la pathologie est-elle là, si oui, dans quelle proportion - ce serait encadré par la loi. Ce seraient des indications que l'on retrouverait carrément dans la loi.

Maintenant, l'autre aspect que vous soulevez: la crainte de poursuite judiciaire, cela me surprend un peu, bien que je ne conteste pas ce que vous me dites, Me Casgrain. Est-ce que l'on peut poursuivre un médecin qui pose un diagnostic? Je comprends que l'on peut poursuivre un médecin qui procède à un traitement et qui, dans le cours de son traitement, pourrait faire ce qu'on est convenu d'appeler une erreur médicale, entre guillemets, je vous suis très bien là-dessus, mais est-ce qu'un médecin qui pose un diagnostic peut faire l'objet d'une poursuite en dommages pour erreur médicale? Je ne sais pas si c'est de cela que vous parlez. J'apprécierais vous entendre davantage sur cela.

M. Casgrain: Cela s'est vu aux États-Unis que des médecins ayant dit à un patient: Vous êtes en parfaite santé, vous pouvez faire telle et telle activité, à la suite de l'activité qu'il avait occupée, on s'est rendu compte qu'effectivement le diagnostic n'aurait pas dû être porté de cette façon et il y a eu poursuites judiciaires. Effectivement, je vous dirai qu'il y a même au Québec au moins une ou deux causes où les gens poursuivent un ou deux médecins - je ne donnerai pas les noms - où on dit: Vous m'avez mal diagnostiqué. Si j'avais eu le diagnostic que j'aurais dû avoir, je me serais fait soigner, je ne serais pas mal aujourd'hui. Cela va aussi loin que cela.

M. Fréchette: II n'y a plus de place pour l'erreur nulle part.

M. Casgrain: Absolument pas. Je vous dis que les médecins aujourd'hui sont conscients du fait que, lorsqu'ils posent un geste comme celui-ci de dire à quelqu'un: Tu vas retourner travailler dans telle occupation, ils ne veulent pas risquer de se faire dire: Vous avez posé un diagnostic que vous n'auriez pas dû poser.

Je continue en reprenant les remarques que vous aviez faites sur l'imputation des coûts en particulier et sur le fait que les poursuites pourraient continuer. M. le ministre, vous nous dites, et je suis parfaitement d'accord avec vous, que les travailleurs ne doivent pas être pénalisés des erreurs que nous avons imputées à la commission, erreurs commises peut-être de bonne foi, mais enfin ils ne doivent pas être pénalisés. C'est ce que nous disions à la commission dès 1979 et la situation dans laquelle ils se sont retrouvés, c'est une situation absolument intenable; parfaitement d'accord avec vous. Je vous dirai même qu'à l'occasion des procédures qu'on a intentées il y a des juges qui, par obiter, ont dit, quand la commission disait: Vous savez, faites attention parce qu'il faut qu'on recouvre éventuellement des sommes de ces travailleurs, des juges ont dit: C'est loin d'être sûr que vous auriez une bonne cause pour recouvrer des sommes de ces gens, de la façon dont vous les avez amenés à bénéficier de ces traitements. Je suis parfaitement d'accord avec vous sur cela, il ne faut pas qu'ils soient pénalisés, il n'y aucun doute sur cela.

Ce que je tente de vous dire cependant, c'est ceci: Après que vous nous eussiez dit ces choses, vous nous dites ensuite: Quant aux procédures déjà en cours, vous pouvez continuer à plaider. M. le ministre, je vous souligne que c'est nous dire, en somme: Par la loi, on va donner raison en partie à la commission de l'erreur qu'elle a commise en déclarant que ses décisions étaient légales. On va donner raison à 100% à l'autre partie que sont les travailleurs et, quant aux compagnies, elles n'ont qu'à plaider jusqu'à ce qu'elles en crèvent. Vous ne l'avez pas dit comme cela, mais moi, c'est un peu comme cela que je le vois. Vous savez, moi, plaider, c'est un plaisir, c'est mon métier. Vous savez, c'est presque miraculeux de la plaidoirie avec la CSST. C'est presque miraculeux parce qu'on replaide constamment. J'ai un grand plaisir, d'autant plus que je gagne chaque fois contre elle, c'est un vrai plaisir. Je lui dis d'avance: Vous allez perdre. Elle perde. Elle continue, elle va en appel, elle perde de nouveau. Je suis bien prêt à plaider indéfiniment, mais je ne suis pas sûr que mes clients apprécient mes services autant que moi je les apprécie à cet égard. Vous êtes avocat vous-même, vous savez ce que je veux dire.

M. Fréchette: Un peu, oui.

M. Casgrain: Ce que je tente de vous dire très simplement, c'est ceci, sur une note sérieuse: il m'apparaîtrait - je choisis mes mots, je ne voudrais pas prendre des mots que je ne devrais pas prendre difficile de supporter ou d'avaler, si vous voulez, pour ne pas dire autre chose, le fait qu'à l'occasion de cette commission parlementaire, alors que nous avons démontré que pendant près de neuf ans nous avons subi à peu près tout ce qu'il y a moyen d'avaler au niveau justement des recours qu'on a tenté d'exercer devant toutes les instances appropriées en tentant de minimiser le plus possible les procédures... Quand je pense qu'en 1976 on avait un bref d'évocation, que je n'ai pas sorti et qui est maintenant périmé, et que cela aurait tout réglé à

l'époque, mais la CSST nous a demandés: Attendez, s'il vous plaît! Me faire dire après neuf ans: Voilà, c'est réglé pour tout le monde, sauf pour vous: Plaidez. Si d'aventure vous gagnez, tant mieux pour vous... (12 h 45)

Je regarde cela et je me dis: Bon, j'ai une réclamation de 9 000 000 $ à venir pour la Société Asbestos, j'en ai une de 3 000 000 $ pour Bell, 10 000 000 $ pour J.M., j'ai mon jugement déclaratoire, la CSST a déjà pris une action en homologation de jugement qui s'en vient le 6 mars, je vais m'arranger pour faire remettre celle du 6 mars en attendant que le jugement du juge Durand soit confirmé par la Cour d'appel. Cela fera jurisprudence pour les juges qui seront appelés à juger sur les causes de J.M. et des autres. Je me dis: Dans quelle espèce de guêpier judiciaire est-ce que je m'en vais? Je n'en sortirai pas. Ce n'est pas parce que je n'ai pas de cause. J'ai une excellente cause. Seulement, je me dis: Pourquoi faudrait-il qu'à l'occasion de cette loi, qui se veut une loi qui va instaurer un système d'avant-garde qui, je pense, va tenir compte de l'expérience passée dans un système analogue qui était la loi 52, pourquoi ne trouvons-nous pas le moyen à cette occasion de faire maison nette de façon qu'on puisse envisager l'avenir avec sérénité? C'est très malsain pour nous d'être constamment en lutte avec la CSST. Notre rôle n'est pas de plaider, mais de vendre de la fibre, de garder nos usines ouvertes et de tenter d'empêcher que nos marchés ne s'écroulent partout dans le monde. C'est ailleurs qu'on veut consacrer les énergies qu'on consacre à plaider contre la commission.

Ce que je vous dis, M. le ministre, je vous fais une comparaison. Par exemple, je suppose que, d'une part, ceux à qui vous auriez donné raison seraient les compagnies d'amiante, que je représenterais ici les mineurs et que je vous dise: Comment pouvez-vous dire, d'une part, aux compagnies d'amiante: Vous avez raison, et à nous, les mineurs: Plaidons? Je pense que vous répondriez rapidement: On va vous donner raison aussi, mais il n'y a pas deux justices: une pour les riches et une pour les pauvres. C'est un peu étrange que ce soit le riche qui se plaigne qu'il n'y a pas de justice pour lui.

Il y a deux choses que je dois vous dire à cet égard. Premièrement, on n'est pas riche. Les mines d'amiante sont loin de l'être au moment où je vous parle. Deuxièmement, ce que je vous dis, c'est que, dans un contexte où le législateur veut régler le problème en son entier, arrêter à mi-chemin sous prétexte que les compagnies peuvent toujours plaider, il m'apparaît qu'il y a quelque chose qui ne fonctionne pas dans tout cela.

Puis, quand je vais me présenter en cour avec une loi qui dira, par exemple:

Toutes les décisions rendues par la CSST aux fins de cette loi sont considérées comme légales, sauf les droits des compagnies minières de réclamer ce qui a été trop payé, vous savez, le tribunal en partant - peut-être que vous me donnez quelque chose de très bien - va se dire: Je n'ai plus de problème. C'est réglé quant aux mineurs, c'est réglé quant à la commission, il reste les compagnies. Le législateur a déjà décrété par loi que la CSST s'est trompée. Il n'aurait pas fait une loi pour dire qu'elle ne s'était pas trompée. S'il l'a fait, c'est bien pour dire qu'elle s'était trompée. Donc, je vais présumer qu'elle s'est trompée quant aux compagnies aussi et je vais peut-être obtenir jugement plus rapidement. Ce ne sont pas des arguments très légaux, mais cela fera certainement partie du "background", croyez-m'en. J'y mettrai l'atmosphère qu'il faut.

Ce que je tente de vous dire et ce que je vous supplie de faire, M. le ministre: Vous n'aurez pas tous les jours l'occasion de tenir la CSST comme vous le faites. Croyez-moi, M. le ministre, ce n'est pas un organisme ordinaire, très facile à tenir.

M. Cusano: II ne la tient pas du tout.

M. Casgrain: Enfin, je ne vous en blâme pas. Il faut qu'elle soit indépendante, grâce à Dieu! J'ai beaucoup de respect pour le juge Sauvé, qui est un bonhomme formidable. J'ai même fait les élections avec lui dans la belle époque des années soixante, croyez-le ou non. Depuis ce temps qu'on s'entend bien, si on peut dire.

Ce que je tente de vous dire, M. le ministre, c'est qu'au moment où on se parle la CSST est là. Elle est là. On la voit. Elle est toute là. Elle dépend de vous pour l'adoption d'une loi qui va la sortir d'un bourbier absolument impénétrable et stagnant. Elle est dedans jusqu'ici. Vous la sortez du bourbier. En même temps, vous lui rendez un fier service. Je me dis: Une fois partis, réglons tout. Vous avez le pouvoir de le faire aujourd'hui. Demain, après-demain, quand la commission recommencera à voguer avec les grands navires, pensez-vous, compte tenu de l'expérience passée, que cela sera facile de s'entendre? Cela fait huit ans qu'on tente de s'entendre avec elle. On a tout fait: Moratoire sur moratoire, on a tout essayé.

J'aimerais être capable de penser qu'une fois le projet de loi 42 adopté nous n'aurons plus ces problèmes et qu'on pourra envisager l'avenir dans le cadre que vous nous avez suggéré. C'est ce que je tente de vous dire là-dessus. Cela m'apparaît être d'importance capitale. Je ne peux plaider plus longtemps pour vous le dire. Je pense que j'ai tout dit ce que je pouvais avec toute la force que je pouvais imaginer. Encore une fois, cela me paraît être le

moment propice pour ce faire. Je ne vous dis pas que je deviendrai déraisonnable une fois assis, me sentant fort de votre appui. Je serai raisonnable et c'est ce que je tente de vous dire. C'est l'avocat qui parle à l'autre avocat, en parlant de règlement de cause.

Le Président (M. Paré): La parole est maintenant au député de Prévost.

M. Dean: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Paré): Selon le principe de l'alternance, il s'agit de poser des questions et pas seulement de faire une petite intervention pour répondre à une question. Donc, la parole est maintenant au député de Prévost.

M. Dean: Merci, M. le Président.

M. Maltais: J'avais cru que la coutume était l'alternance. On n'en fera pas une mer à boire, mais, si on change la coutume encore une fois, on saura ce qu'est la coutume.

Le Président (M. Paré): Non. J'aimerais bien que les choses soient claires. La dernière demi-heure n'était pas comptée sur le temps du ministre ou sur le temps du côté droit de la table. Cela avait été spécifié par le député de Viau lui-même qui donnait la chance à M. Casgrain de pouvoir apporter des commentaires, ce qu'il a d'ailleurs fait. Il y a eu un échange avec le ministre durant cette période, mais ce n'était pas et cela ne pouvait pas être compté sur le temps du ministre puisque le ministre avait déjà utilisé son temps.

M. Maltais: Est-ce qu'il va y avoir la même possibilité sur le temps du député de Prévost?

Le Président (M. Paré): Vous aurez votre droit de parole aussi à la suite de l'intervention du député de Prévost. La parole est maintenant à vous, M. le député de Prévost.

M. Dean: Merci, M. le Président. Me Casgrain, j'étais fort honoré d'entendre des allusions de votre part, au début de votre présentation, sur le mémoire que j'ai présenté à la commission Beaudry, en 1976, si je ne me trompe pas. Si la petite contribution que j'ai pu faire à cette commission a incité des entreprises à adopter au moins la recommandation en ce qui a trait à l'information à fournir aux travailleurs, j'en suis très heureux, si j'ai pu aider à en arriver à cela, parce que, quand on utilise des substances nocives, il me semble que le minimum à faire est d'informer les travailleurs du danger possible des substances qu'ils manipulent et des directives quant à la manipulation et à la façon d'exercer leur travail pour minimiser les dangers.

Votre remarque a fait déclencher ma mémoire qui, habituellement, n'est pas trop fidèle à l'égard d'un document que je n'avais pas revu depuis 1976, je l'avoue, mais, quand même, une recherche presque miraculeuse. C'est le miracle de la communication, parce que, dans ce domaine, il faut croire qu'on parle souvent de miracles, de miraculés et de miraculeux. Cela a fait en sorte que j'ai pu mettre la patte sur ce mémoire. Vous attirez l'attention aussi sur le fait que, parmi les autres recommandations que nous avions faites, il y en a peut-être trois qui sont un peu pertinentes à la discussion actuelle. D'abord, le fait que l'on proposait que d'ici trois ans - c'était en 1976 - la norme au Québec soit modifiée par étape de 5 fibres à 0,5 fibres par centimètre cube d'air. En cours de route, je pense que c'est 2,0 fibres qu'on a adoptées.

Nous avons aussi fait des constatations dans une liste de 23 documents ou références de recherche médicale ou gouvernementale un peu partout au monde et en Amérique du Nord indiquant que le - j'ai peine à le prononcer - mésothéliome, qui est un cancer attribuable à l'amiante, avait déjà été décelé dans les recherches chez des travailleurs qui n'avaient été professionnellement exposés que pendant une journée et même chez des épouses et des enfants de travailleurs de l'amiante dont l'exposition à l'amiante était restreinte aux fibres que portaient les vêtements de travail et les cheveux du travailleur. Ceci pour indiquer que même si la présentation audiovisuelle ce matin - qui a un but fort louable que je vais aborder tantôt - nous a fait miroiter la possibilité qu'on pourrait mettre de l'amiante sur notre gruau le matin et le manger, je vous dis que, malgré la bonne présentation audiovisuelle, je vais me contenter de la cassonade comme d'habitude, malgré que les recherches médicales disent que l'utilisation du sucre est dangereux pour la santé aussi.

Il y avait aussi une autre référence. Dans les documents de recherche qu'on avait utilisés et invoqués aux États-Unis au niveau de NIOSH, National Institute for Occupational Safety and Health, si je ne m'abuse, on avait recommandé d'utiliser dans la manutention de l'amiante les mêmes procédés de scellage de manutention et de disposition des déchets qu'on utilise au niveau des matières nucléaires ou radioactives, c'est-à-dire qu'on transporte des choses complètement scellées, des contenants indiqués dangereux, etc. Ceci dit, j'ai aussi apprécié vos remarques sur les efforts patronaux et syndicaux.

Votre mémoire se termine sur la note suivante: Nous exprimons le souhait que le

Québec, premier au monde dans la production de l'amiante, devienne le premier au monde à éliminer de façon rigoureuse et complète les conditions de travail dans les mines et les usines de transformation de l'amiante qui provoquent le fléau de l'amiantose et le cancer. Je pense que là on se rejoint. J'ai apprécié vos allusions à la bataille mondiale que vous livrez avec l'appui des deux niveaux de gouvernement pour convaincre d'autres pays et d'autre continents de continuer à acheter notre amiante. Vous avez souligné la contribution qu'avait surtout faite le Syndicat des métallos dans certaines batailles épiques sur le plan mondial pour convaincre le mouvement syndical d'ouvrir un peu leurs facultés d'évaluation et d'admettre certaines choses.

Cependant, je me demande, et je vous pose la question, si un certain nombre de pays qui font partie de la communauté européenne et le gouvernement des États-Unis, qui, selon mes informations, tout récemment a décrété - ce n'est peut-être pas encore en vigueur - la norme de 0,5... Même si on essaie de convaincre ces pays et ces continents que l'amiante n'est peut-être pas aussi dangereuse qu'on le prétend pour autant qu'on utilise les moyens de protection nécessaire, quels seraient vos commentaires? Est-ce que nous sommes les seuls à avoir le pas? Est-ce que nous sommes les seuls à être fins? Est-ce que tous ces autres pays n'ont rien à craindre et que c'est frivole de leur part de songer à bannir l'amiante? Je parle des États-Unis qui sont très près de nous et des pays de l'Europe de l'Ouest. Quels seraient vos commentaires sur les valeurs respectives de vos positions qui semblent dire qu'il n'y a rien là par rapport à un certain nombre de pays qui, après études, auraient adopté des mesures pour le moins restrictives quant à l'utilisation ou à l'importation de l'amiante?

Je vais vous poser une dernière question. Vous pourrez répondre à deux ou trois questions à la fois. Êtes-vous au courant d'une décision très récente des tribunaux des États-Unis - j'ai entendu cela à un bulletin de nouvelles il y a une semaine ou dix jours - qui disait que Johns-Manville et Bell étaient condamnées à payer 300 000 $ en dommages-intérêts à la famille d'un travailleur complètement invalide ou décédé en raison de l'amiante? Quel est votre commentaire et avez-vous prouvé que ce n'est pas seulement nous qui parlons de l'amiante et de la nécessité de le contrôler de façon très sévère?

Le Président (M. Paré): M. Casgrain, en réponse à ces questions et des commentaires rapidement, s'il vous plaît, en raison de l'heure qui avance rapidement!

M. Casgrain: Je peux seulement vous répondre ceci: les pays où on n'oeuvre pas l'amiante trouvent facile d'éliminer l'amiante en le déclarant toxique et faire plaisir en cela aux écologistes qui réclament que les gouvernements fassent quelque chose. Je pourrais vous dire en passant qu'en Suède on a éliminé l'amiante, sauf qu'on n'a pas éliminé pour autant la fibre de verre dans laquelle elle est spécialisée. Quant aux États-Unis, ils sont en période électorale actuellement et il y a eu des critiques de logées par certains sénateurs démocrates, en particulier contre EPA qui veut avoir l'air maintenant de faire quelque chose. En ce qui concerne le fait de réussir à convaincre les pays étrangers qu'effectivement on peut utiliser l'amiante avec sécurité, je dois vous dire que nous croyons que nous sommes en voie de réussite. Ce qu'on a fait au niveau du BIT en particulier est extrêmement important et c'est peut-être la pierre d'achoppement de tout ce qu'on va faire. (13 heures)

Alors, parti comme cela, nous croyons que nous allons réussir. Je ne dis pas qu'on va nécessairement gagner la bataille demain matin ou après-demain. J'ajoute à cela qu'il se passe actuellement un autre phénomène, c'est que les substituts sont maintenant envisagés de façon différente et qu'on est capable de démontrer que les substituts qu'on veut utiliser sont quelquefois plus dangereux que l'amiante parce qu'ils sont moins connus. C'est de façon générale parce que les questions que vous nous posez demanderaient véritablement un exposé d'au moins une heure sur toutes ces questions qui sont importantes.

Quant au mésothéliome, le Dr McDonald a fait des études là-dessus et je peux vous dire qu'il n'est pas exact de dire que le mésothéliome soit nécessairement causé par l'amiante, cela peut se rencontrer ailleurs aussi. Je pense que, Dieu merci, au niveau de la chrysotile, on admet volontiers aujourd'hui que c'est très rare qu'on retrouve des mésothéliomes au niveau de la chrysotile, alors qu'on en retrouve au niveau de la crocidolite qui se fabrique en Afrique du Sud. Je ne peux pas aller plus loin à cause du temps qui m'est alloué.

Le Président (M. Paré): En vous remerciant, M. Casgrain. La parole est à M. le député de Saguenay.

M. Maltais: Brièvement, M. le Président, au nom de notre formation politique, on tient à vous remercier. On aurait eu beaucoup d'autres questions à vous poser; on vous les écrira et on attendra votre réponse. Cependant, je pense que vous avez démontré ce matin votre intérêt non seulement économique, mais aussi votre souci des travailleurs. Au nom de notre formation politique, on vous remercie. Les autres

questions, on vous les fera parvenir. Merci.

Le Président (M. Paré): Au nom de tous les membres de la commission, M. Casgrain, et les gens qui vous accompagnent, on vous remercie pour la présentation du mémoire de l'Association des mines d'amiante du Québec. Là-dessus, la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 2)

(Reprise de la séance à 15 h 10)

Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente du travail reprend ses travaux dans le but d'entendre les représentations des personnes et des groupes intéressés au projet de loi 42. Nous avions dit ce matin que nous étions pour entendre quatre groupes et, effectivement, nous recommençons avec l'audition du deuxième groupe. Mais, après entente entre les deux parties, j'aimerais suggérer qu'on entende immédiatement la Fédération des syndicats professionels d'infirmières et d'infirmiers du Québec et qu'on poursuive immédiatement après avec le mémoire de la Commission des services juridiques. Et, plutôt que de suspendre les travaux à 18 heures et revenir à 20 heures, nous pourrions entendre immédiatement après le deuxième groupe le troisième groupe, soit la Fédération des travailleurs forestiers du Québec. Je ne sais pas si les gens sont présents, mais, s'ils le sont, on aimerait pouvoir discuter avec vous et voir si vous acceptez ce changement dans l'horaire de la journée, ce qui nous permettrait d'entendre les groupes sur le même thème en continuant au lieu d'arrêter pour le souper. Oui, M. le député de Viau.

M. Cusano: M. le Président, en ce qui nous concerne, nous sommes entièrement d'accord et cet accord est conditionnel à la décision du groupe de travailleurs forestiers. S'ils sont d'accord pour siéger vers 18 heures, je ne m'y oppose pas.

M. Fréchette: M. le Président, c'est également sans aucune réserve que nous sommes disposés à accepter la procédure qui est suggérée. Quand je dis sans aucune réserve, ce n'est pas tout à fait vrai. Il faudrait voir si nos invités sont également disposés à accepter ce chambardement de l'ordre du jour. Si oui, il n'y a plus aucun problème.

Le Président (M. Paré): Donc, c'est bien. Étant donné l'unanimité des membres de la commission, nous allons pouvoir entendre immédiatement le deuxième groupe et nous pourrons vous informer ensuite, après les rencontres que nous aurons eues, si nous poursuivons ou si nous devrons cesser les travaux à 18 heures. Nous allons maintenant entendre la Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec. La parole est à vous. Je vous demanderais de présenter les gens qui sont à la table, s'il vous plaît.

Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec

Mme Pelletier (Hélène): Merci. À ma droite, Mme Danielle Bourgault, membre du bureau fédéral de la fédération et responsable politique du dossier de santé et sécurité; à ma gauche, Mme Francine Dufresne, employée-conseil de la fédération et responsable du dossier santé; Mme Paule Bélanger, également employée-conseil et responsable du dossier santé et sécurité à la fédération.

Aux membres de la commission élue permanente du travail, nous croyons qu'il est utile, avant de commencer la présentation de notre mémoire, de rappeler que la Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec regroupe 16 000 membres répartis dans toute la province en six syndicats régionaux. Les membres de la Fédération des SPIIQ occupent des postes dans les centres hospitaliers de courte durée surtout, mais également dans les centres d'accueil, les centres locaux de services communautaires et les centres de soins prolongés. Les membres sont présents dans plus de 235 institutions du réseau des affaires sociales.

Si nous avons décidé de nous faire entendre aujourd'hui, c'est que nous considérons que les travailleuses et les travailleurs du secteur des affaires sociales, dont les 16 000 membres que nous représentons, ont, au même titre que les autres, le droit à un environnement de travail sain et sécuritaire. Par conséquent, elles et ils doivent avoir la possibilité de se prévaloir des privilèges prévus par la loi lorsqu'ils ont été lésés dans ce droit.

Le contexte de notre intervention. La réforme entreprise par le gouvernement dans le domaine de la santé et de la sécurité passe un nouveau cap, celui de la création de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en remplacement de la Loi sur les accidents du travail et de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'amiantose et de silicose dans les mines et les carrières. Mieux connue présentement sous le nom de projet de loi 42, cette nouvelle loi constituera, dit-on, le dernier volet de la réforme.

La Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec s'est d'abord penchée, article par

article, sur l'ensemble du projet de loi, mais il a bien fallu se rendre compte qu'il ne s'agit que d'une reformulation législative et que la réforme, dans ce cas, prend l'allure d'un retour à l'ancien régime prévu par la Loi sur les accidents du travail. Rien ici qui surprend néanmoins puisque toutes les lois sont ainsi faites, qu'elles nourrissent des illusions réformistes, tout en étant fondamentalement conservatrices. Cependant, on s'attendait à mieux du législateur actuel. Vous vous en doutiez sûrement compte tenu des grands principes énoncés dans le livre blanc sur la santé et la sécurité en 1978.

Or, il ressort clairement qu'on est passé d'une loi à une autre sans s'arrêter a priori à un des principes moteurs de ce livre blanc et de la loi 17 qui en découle: le respect de la santé des travailleuses et des travailleurs, la santé étant entendu comme un état de complet bien-être physique, mental et social.

La Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec représente 16 000 de ces travailleuses et travailleurs qui subissent quotidiennement des agressions de tous genres, physiques, chimiques, mécaniques et biologiques. Ce type d'agression est bien connu. Il est cependant une autre série de risques omniprésents en santé du travail et autour desquels on assure une discrétion absolue, ce sont les agresseurs organisationnels et psychosociaux liés au contexte et aux caractéristiques de la tâche: le mode de rémunération, l'horaire de travail, le style de gestion, l'autonomie, la charge mentale, l'isolement et bien d'autres.

La définition restrictive des lésions professionnelles contenues dans le projet de loi 42 et l'interprétation discrétionnaire qu'il fait des maladies professionnelles par ailleurs dénotent le peu d'importance que vous, en tant que législateurs, accordez à ces risques.

Le projet que vous nous soumettez, direz-vous, porte sur la réparation des lésions professionnelles, plus précisément sur l'indemnisation. Il nous est cependant bien difficile d'y porter un jugement favorable quand il admet au départ qu'un bon nombre de travailleuses et travailleurs ne pourront se prévaloir des droits qu'il confère parce que les maladies dont elles sont victimes sont exclues de la loi. Il en est ainsi du cas des maladies professionnelles dues aux horaires de travail nocturne. La Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec ne peut pas passer sous silence cette lacune majeure du projet de loi. De nombreuses études ont démontré la présence chez la ou le travailleur de nuit de troubles médicaux liés directement à ce type d'organisation de travail. Le ralentissement psychosocial lié aux horaires nocturnes est également un phénomène reconnu. Sans lui donner une portée limitative, nous entendons dans le cadre de cette commission intervenir sur ce sujet particulier du travail de nuit comme facteur de risque en santé et sécurité du travail, d'abord pour vous rappeler ces conséquences néfastes sur la santé. Vous serez par la suite plus en mesure de convenir que ce projet de loi qui se devait au départ de correspondre à la réforme entreprise et s'appliquer à toutes les travailleuses et travailleurs sans exception est porteur de failles qu'il s'avère urgent de corriger.

Le livre blanc et le travail de nuit. Dans sa politique de santé et de sécurité du travail, le gouvernement réservait une section sur les risques psychosociaux parmi lesquels il identifiait le travail de nuit, plus précisément: "Les agents psychosociaux sont des agents agresseurs englobant l'organisation même du travail... Ainsi certains types de tâches, leur répétition, certaines cadences de travail, des horaires irréguliers et le travail de nuit peuvent constituer à court et à moyen termes des risques à la santé et à la sécurité des travailleurs... À plus long terme, ces contraintes risquent de laisser des traces sur la santé, traces qui se traduisent par des modifications du comportement (anxiété, agressivité, fatigue, perte de motivation, absentéisme) et des troubles psychologiques et moteurs (névroses, alcoolisme ou abus de drogues)."

C'était un bon début mais là s'est arrêtée votre réflexion. Il est évidemment plus facile d'évaluer un événement précis de la situation de travail ou d'identifier un contaminant spécifique potentiellement source de risque que de chercher le foyer insidueux d'une névrose, par exemple. S'il fallait indemniser la travailleuse pour une dépression nerveuse, un ulcère, un infarctus associés au travail...

Il est des vérités qu'il vaut mieux ignorer, surtout si, par chance, elles sont difficiles à démontrer et si, par hasard, on retrouve une bonne partie des travailleuses et travailleurs concernés dans un secteur non prioritaire comme celui des affaires sociales.

En 1981, une étude entreprise par un groupe de travailleurs sur la santé et la sécurité du travail dans le secteur des affaires sociales s'implique davantage en déclarant que "les problèmes des horaires de travail résultent surtout du travail de nuit qui perturbe les rythmes biologiques de l'organisme et interfère avec le système de l'environnement social et familial."

Cette étude, comme le livre blanc d'ailleurs, n'est pas explicite sur les conséquences du travail de nuit. Toutefois, la reconnaissance d'une situation problématique due à cette forme d'horaire y est faite et la seule présomption d'un risque potentiel aurait dû légitimer l'inclusion dans la loi des maladies dont elle est la cause.

L'importance pathologique du travail de

nuit. L'importance pathologique du travail de nuit est déterminée par la désynchronisation de l'activité rythmique, c'est-à-dire par l'inversion au cours de 24 heures des phases normales d'activité et de repos.

Les rythmes circadiens qui correspondent chez l'être humain aux activités sociales le jour et au sommeil la nuit sont considérés comme des synchronisa-teurs. L'organisme entier - la température, le pouls, la pression sanguine, le système cardio-respiratoire, la capacité vitale, la consommation d'oxygène, les métabolismes et les sécrétions endocriniennes - est soumis à ces phases d'activité diurne et de désacti-vation nocturne.

Dans le cas de la travailleuse et du travailleur de jour, les phases concordent et les biorythmes sont entraînés simultanément et synergiquement. Chez la travailleuse et le travailleur de nuit cependant une opposition de phases se manifeste et des clivages s'opèrent entre les biorythmes de telle sorte qu'il y a une destruction de la corrélation harmonieuse qui les unissait, entraînant ainsi un débalancement du rythme cardiaque, de la température centrale des sucs digestifs et autres.

Il a de plus été démontré scientifiquement que ces biorythmes sont déterminés non pas par réflexes conditionnés mais bien par les gènes et ont un caractère héréditaire spécifique. Or, le postulat de l'adaptation au travail de nuit repose sur la possibilité de désynchroniser et de resynchroniser les rythmes. Une telle possibilité n'existe pas puisqu'il est impossible de resynchroniser l'organisme au profit du rythme du travail la nuit.

Il en résulte que les travailleuses et travailleurs qui sont obligés de travailler la nuit et de dormir le jour subissent une double contrainte: celle de devoir effectuer leurs tâches en période de désactivation - ce qui exige un effort supplémentaire - et celle de devoir dormir en phase d'activation, d'où découlent les problèmes du sommeil de jour et de ses qualités réparatrices. Cette double contrainte est à l'origine de la fatigue de désynchronisation irréversible et lourde de conséquences au point de vue physiologique et également psychologique. La surfatigue des travailleuses et travailleurs démontre l'agression d'une contrainte en un temps de moindre résistance. Ces agressions sont révélées par l'apparition de troubles métaboliques, en particulier de troubles digestifs, gastro-intestinaux et nerveux.

Puisqu'on parle des troubles digestifs et gastro-intestinaux, le bouleversement des rythmes circadiens nutritionnels entraîne chez les travailleuses et travailleurs de nuit des désordres permanents de surcharge digestive et d'obésité. À ces problèmes d'alimentation s'ajoutent la dyspepsie, la constipation et les troubles hémorroïdaux.

Les troubles nerveux. Une étude effectuée à Genève par le Bureau international du travail, spécifiquement sur le travail de nuit, rapporte que la surfatigue née de ce système conduit à une surmorbidité nerveuse statistiquement établie qui se manifeste principalement par la névrose. Les facteurs déclenchants de ce trouble nerveux résident d'une part dans le surmenage professionnel (non pas tant d'une charge excessive que d'une désactivation qui diminue les moyens d'y faire face) et, d'autre part, dans la perturbation profonde du sommeil diurne qui correspond à un état intermédiaire pré-névrotique entre la simple fatigue et l'apparition du syndrome névrotique. La névrose de la travailleuse et du travailleur de nuit est catégorisée parmi les "pseudo-névroses de situation". Elle ne résulte en rien d'un facteur endogène préexistant. Elle se manifeste par les symptômes habituels d'asthénie, d'insomnie avec somnolence ultérieure et de troubles du caractère.

Elle peut apparaître très tôt, pouvant probablement disparaître suite à la mutation à un poste de jour, ou plus tard, alors qu'un changement d'emploi ne suffira peut-être pas à la faire disparaître. Ces troubles nerveux sont souvent compliqués par l'ingurgitation alternative de tranquillisants pour dormir le jour et de stimulants pour demeurer éveillé la nuit.

Le Bureau international du travail conclut que le travail de nuit peut s'exprimer, à cause du dérèglement permanent de l'hypothalamus, par un syndrome névrotique et/ou un syndrome digestif de type ulcéreux. Que ce soit dans le cadre d'une équipe de travail fixe ou alternante, des enquêtes épidémiologiques permettent d'affirmer que les atteintes décrites sont d'origine professionnelle et non pas dues à des caractéristiques particulières de l'individu ou à un aspect particulier de la tâche.

Il s'avère également important de souligner que le travail de nuit en milieu hospitalier est davantage à risque, dû au contexte anxiogène de la présence constante de la souffrance et de la mort.

Aux conséquences médicales du travail de nuit sur l'organisme se juxtapose une détérioration de la vie sociale et familiale. Notons que dans le cas de la travailleuse, les perturbations sont occasionnées surtout par l'astreinte à un double travail: en institution et au foyer. Quel que soit le comportement adopté en vue de restreindre la portée de ce rythme de travail sur la vie familiale, les résultats sont toujours douteux. Se contraindre aux habitudes de la famille empêche la récupération de jour, récupération déjà hypothéquée par la médiocre qualité du sommeil diurne. Soumettre la famille à ses horaires entraîne

un double dysfonctionnement individuel et familial qui risque à plus ou moins long terme de détruire la cellule familiale de base entraînant ainsi l'apparition, de part et d'autre, de problèmes socio-affectifs majeurs.

Enfin, il est illusoire pour les travailleuses et travailleurs de nuit d'espérer suivre un rythme indépendant, si partiel soit-il, sans risque d'isolement. Dans ce cas, non seulement la vie familiale mais la vie sociale également en est affectée, les amis s'éloignent, les communications diminuent, les activités collectives s'effritent. On assisterait donc à un retrait progressif de ces individus de toute vie en société.

Au total, c'est l'équilibre physiologique, psychologique et social qui est menacé par le travail de nuit. Il est effectivement médicalement nocif et, même s'il répond à une certaine nécessité, il entraîne par ailleurs des difficultés sociales pour les travailleuses et les travailleurs qui y sont soumis. C'est particulièrement vrai dans le secteur hospitalier où se concentre une bonne part des travailleurs et surtout des travailleuses de nuit. Les impératifs sociaux dans ce cas obligent des opérations de 24 heures, contrairement au secteur privé où les impératifs économiques sont prépondérants. Le problème vécu est d'importance chez l'un et l'autre, certes, mais il faut admettre néanmoins qu'il est possible d'adapter une chaîne de montage dans l'industrie de façon à améliorer l'aménagement temporel du travail. C'est une question d'ergonomie primaire dont la logique consiste à adapter la machine à l'homme ce qui, dans le secteur hospitalier - vous en conviendrez -est impossible. La nocivité du travail de nuit sur la santé du travail est donc suffisamment démontrée pour que les travailleuses et travailleurs puissent se défendre des agressions dont elles et ils sont les victimes. Telle n'est pas la situation présentement. Plusieurs cas vécus - et on peut prétendre que ce n'est qu'un début - laissent entrevoir un avenir plutôt triste, à moins que soit réaménagée la formule actuelle de la loi à laquelle vous voulez nous assujettir.

L'incidence du projet de loi 42 sur les maladies professionnelles dues aux horaires de nuit. Puisque le travail de nuit est un facteur de risque en santé du travail, il doit être reconnu comme tel. Or, plusieurs articles du projet de loi sont préjudiciables à cet égard. Il s'agit plus particulièrement des articles 28 à 31 concernant les dispositions particulières aux maladies professionnelles. Sous un autre rapport, certains articles sur le retour au travail sont également problématiques, mais nous nous attarderons plus précisément aux articles 147 sur la durée des droits et obligations et 154 sur la réinsertion dans un emploi disponible. (15 h 30)

Dispositions particulières aux maladies professionnelles. Les articles 28 à 31 démontrent que ce projet de loi vise exclusivement les victimes de lésions professionnelles dues à des contaminants et à l'exposition et la manipulation de produits dangereux. Nonobstant l'interprétation qui peut être faite, bien sûr, à l'article 2 du projet de loi, à savoir: "maladie professionnelle, une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail, le contenu de ces articles évacue la possibilité pour les victimes de maladies professionnelles dues à des facteurs de risques psycho-sociaux de se prévaloir de leurs droits.

Nous recommandons qu'à l'article 28 soient retranchés les mots "visée dans l'annexe A".

Étant donné le caractère déterminant de l'annexe A dans la reconnaissance des maladies professionnelles donnant droit à une indemnité, nous sommes d'opinion que la typologie de cette annexe est nettement insuffisante. Telle que formulée, elle exclut les maladies professionnelles dues à des risques autres que physiques, chimiques, mécaniques ou biologiques.

Nous considérons l'article 29 discriminatoire. Il va à l'encontre des principes élémentaires de la justice naturelle. En effet, la travailleuse ou le travailleur dont il est ici question doit faire la preuve qu'il est véritablement atteint d'une maladie professionnelle. Le fardeau de la preuve lui incombe contrairement aux dispositions prévues à l'article 28 pour les maladies dues à des contaminants. Dans ce dernier cas il y a présomption favorable à l'égard de la travailleuse et du travailleur.

L'article 30 est également un article discriminatoire. En plus, dans le choix du médecin, quand on dit: "Le certificat doit être délivré conformément à l'article 33 de la Loi sur la santé et sécurité du travail", le choix du médecin, quant à nous, doit toujours être le choix de la victime, soit la personne qui, finalement, est lésée, a une lésion professionnelle ou toute autre.

On recommande que dans le paragraphe 1 de l'article 30 soient retranchés les mots: "provenant de l'exposition à un contaminant dans l'établissement où il travaille". On veut évidemment que les autres types de maladies professionnelles soient reconnus.

Également, qu'au paragraphe 1 de l'article 30 soient remplacés les mots: "la commission peut demander à son employeur de lui assigner une tâche" par les mots: "l'employeur doit assigner à la travailleuse et au travailleur une tâche."

Et, bien sûr, que l'article 30 soit reformulé de manière que les types de maladies professionnelles soient englobés au niveau de cet article.

Étant donné la conjoncture actuelle, les délais prévus dans le projet de loi sont également outranciers. On parle, en termes de retour au travail, des délais, des droits et obligations à la page 15 - pour les travailleuses et travailleurs qui seraient couverts par le projet dans sa forme actuelle, ce qui exclut toujours les victimes des maladies professionnelles dues à des facteurs de risques psycho-sociaux, dont les travailleuses de nuit. Les articles 147 et 154 auraient avantage à être modifiés.

L'article 145 est limitatif en ce sens qu'au départ il fait des exceptions. On parle de "trois mois de service continu." Je pense qu'il est important que, quel que soit le temps que les travailleurs ont passé auprès d'un employeur, si un droit doit être reconnu en termes de santé et sécurité, il soit reconnu pour l'ensemble des travailleuses et travailleurs, quelle que soit la durée de leur emploi auprès de cet employeur.

À la page 16, on note: Étant donné, bien sûr, la conjoncture actuelle, l'imposition de ces délais s'avère outrancière, remet en question les objectifs poursuivis par cette section du projet et annule la possibilité pour les victimes de maladie ou d'accident du travail de réintégrer un emploi. Qu'arrivera-t-il, par exemple, si dans l'établissement aucun poste ne devient disponible à l'intérieur des délais prescrits? Cette situation paraît particulièrement préjudiciable aux femmes qui, à l'heure actuelle, se concentrent dans les petites entreprises. Ces délais sont donc difficilement justifiables par la seule absence de la travailleuse ou du travailleur en raison de sa lésion. Cet article, d'ailleurs, nous apparaît discriminatoire par rapport aux règles de certaines conventions collectives, notamment le décret dans le secteur des affaires sociales.

On demande qu'à l'article 145 soient retranchés les mots "dont le contrat de travail est pour une durée indéterminée et qui compte dans le même établissement au moins trois mois de service continu au sens de la Loi sur les normes du travail".

Également, qu'à l'article 154, le législateur précise ce qu'il entend par "a priorité" et définisse également ce qu'il entend par "emploi disponible". "Le travailleur qui demeure incapable d'exercer son emploi a priorité pour exercer un autre emploi disponible dans le même établissement avec le salaire et les avantages liés à cet autre emploi." Cet article ne donne aucunement à la travailleuse ou au travailleur incapable d'exercer un emploi l'assurance d'un autre emploi. C'est le cas plus précis du secteur hospitalier où un emploi ne devient disponible qu'après le refus des individus déjà inscrits au SPAS ou sur la liste de disponibilité de le combler. Étant donné la pénurie d'emplois permanents, actuellement, dans les établissements de santé, on peut affirmer que puisque la liste de disponibilité est suffisamment remplie, les emplois disponibles seront rares, voire même inexistants. Les droits conférés par la loi s'éteignant après un ou deux ans, selon les dispositions de l'article 147, il est donc prévisible de voir un allongement de la liste des bénéficiaires de l'assurance-chômage ou de prestations de sécurité du revenu, à moins que vous n'ayez votre propre interprétation de "autre emploi disponible".

Enfin, il convient de mentionner que, concernant les pouvoirs conférés à la CSST dans l'évaluation de l'incapacité, aux articles 151 et 156, de nombreux commentaires ont été apportés lors de la récente commission parlementaire sur le fait que la Commission de la santé et de la sécurité du travail soit juge et partie dans ses décisions. Les articles 151 et 156, entre autres, ne semblent pas apporter de correctifs à cette situation arbitraire.

Nous recommandons qu'à l'article 156, le premier alinéa soit reformulé comme suit: "La commission avec le médecin traitant et la travailleuse ou le travailleur avisent l'employeur de la capacité de la travailleuse ou du travailleur d'exercer tel emploi disponible dans l'établissement."

Que le deuxième paragraphe de l'article 156 soit reformulé comme suit: "L'employeur assigne tel emploi disponible à la travailleuse ou au travailleur et lui accorde le salaire et les avantages liés à cet emploi en tenant compte de l'ancienneté accumulée par cette travailleuse ou ce travailleur". Et que soit ajouté: "L'employeur qui refuse d'assigner tel emploi disponible à une travailleuse ou à un travailleur parce qu'elle ou il ne possède pas les qualifications requises a le fardeau de la preuve de démontrer que cette travailleuse ou ce travailleur ne possède pas ces qualifications lorsqu'une plainte est portée en vertu de l'article 160".

Avant de conclure le présent mémoire, j'aimerais porter à votre attention un cas à l'appui de notre revendication en ce qui concerne plus particulièrement les travailleuses de nuit. On vous en soumet un, mais nous pourrions, bien sûr, en présenter de nombreux autres. C'est la situation d'une travailleuse de nuit dans un centre hospitalier de la région de Montréal qui, au mois d'octobre 1983, avait un certificat de son médecin rédigé comme suit: "La présente est pour certifier que je traite Mme X depuis le 2 août 1983. Elle a présenté une réaction dépressive situationnelle, c'est-à-dire qu'elle est incapable de s'adapter aux horaires de nuit. La consultation en psychiatrie a confirmé le diagnostic: Par les présentes, je certifie que Mme X ne pourra plus travailler de nuit sous crainte de récidive. Mme X, bien sûr, voulait exercer son droit de refus. Je vais vous faire part

rapidement de la décision du rapport d'inspection où on relate que, vers le mois de mai 1981, Mme X a postulé et obtenu un poste de chef d'équipe à temps complet, cinq jours de travail par semaine, horaire de nuit. On dit que Mme X s'acclimate relativement bien à son horaire de travail qui consiste en trois nuits de travail et une nuit de congé ou deux, dépendant des fins de semaine, ainsi que quatre nuits consécutives suivies d'un congé une seule fois par mois. Cependant, au printemps 1983, la situation de Mme X se détériore. Elle ne parvient à récupérer qu'une fin de semaine sur deux. À cette période, on l'a avisée de la fermeture du département où elle travaille pour permettre au personnel de prendre son congé annuel. Le département ferme du 24 juin au 24 juillet et Mme X se retrouve sur une équipe volante de nuit avec un horaire de quatre nuits consécutives de travail. Ce nouvel horaire épuise Mme X qui n'est plus en mesure de récupérer. Des malaises physiques font leur apparition: points dans le dos, céphalées, angoisses, etc. Le 2 août 1983, Mme X va consulter son médecin personnel ainsi que le médecin du bureau de santé de l'hôpital. Les deux médecins établiront un diagnostic de dépression nerveuse situationnelle. On recommande un arrêt de travail avec médication appropriée. Il y aura ensuite d'autres consultations médicales et, enfin, Mme X consultera un psychiatre qui confirmera son état anxiodépressif et fixera, de concert avec le médecin de famille, la date de retour au travail pour le 17 octobre 1983. Mme X ne reprendra son travail que dans la nuit du 5 au 6 novembre et exercera le présent refus de travail vers 2 heures, le 7 novembre, considérant que son travail constitue une agression pour son intégrité physique et mentale. Le certificat médical a bien sûr été fourni. Le motif du refus du travail: Mme X n'est plus capable de supporter les changements d'horaire inhérents à son travail de nuit. Le stress, la tension et les angoisses éprouvés à la pensée de retravailler la nuit sont insupportables et mettent en danger sa santé physique et mentale.

Voici la décision de l'inspecteur: Considérant que le danger invoqué par Mme X est relié à l'horaire de travail et non à l'exécution de la tâche et des responsabilités inhérentes au poste de chef d'équipe, de l'aveu même de Mme X; que l'exécution du travail ne comporte pas pour elle une situation exagérée de stress, étant une infirmière expérimentée, de l'aveu même de Mme X; qu'elle a une facilité d'adaptation vis-à-vis des différentes tâches à exécuter, de même qu'elle serait disposée à exécuter son travail en horaire de jour; considérant que l'article 12 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail stipule que le droit de refus est lié à l'exécution du travail et non à l'horaire fixé pour l'exécuter; considérant que cet horaire de travail qui s'établit de 23 h 45 à 7 h 45, d'une durée de huit heures entrecoupées d'une période de repas de trois quarts d'heure, de deux périodes de repos de quinze minutes, est de type normal, compte tenu de la nature de cet établissement; considérant le certificat médical qui confirme que les problèmes de santé de Mme X sont reliés à l'horaire de travail, je décide donc qu'il n'existe pas de danger justifiant la travailleuse à refuser d'exécuter son travail. (15 h 45)

Voici les motifs à l'appui. L'article 12 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail est très clair. Il stipule textuellement ce qui suit: un travailleur a le droit de refuser d'exécuter un travail s'il a des motifs raisonnables de croire que l'exécution de ce travail l'expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique, ou peut avoir l'effet d'exposer une autre personne à un semblable danger. Dans le cas présent, les motifs invoqués par la travailleuse concernent l'adaptation à un horaire particulier pour l'exécution du travail et non l'exécution du travail lui-même. Dans son témoignage, Mme X a clairement indiqué que ce ne sont pas les tâches et les responsabilités inhérentes à son poste qui affectaient sa santé, exerçant cette profession d'infirmière depuis 1965 au même hôpital. Étant donc très expérimentée et s'y sentant à l'aise, c'est bien l'horaire de nuit qu'elle ne peut plus supporter n'étant plus capable de récupérer le jour. Mme serait prête à exercer le même travail le jour. Or, cet horaire de nuit est tout à fait normal et régulier pour un centre hospitalier qui doit dispenser des soins infirmiers 24 heures par jour. Enfin, le problème de santé de Mme X a été confirmé par le médecin comme étant relié à l'horaire de nuit. Compte tenu que la loi sur la santé et la sécurité prévoit que ces cas en sont exclus, bien sûr que Mme s'est retrouvée dans une situation où elle a remis sa démission compte tenu qu'elle n'était plus capable de travailler en service de nuit.

Il y a de nombreux cas - il y en a d'autres dans le même centre - qu'on pourrait vous signaler. Il y en a d'autres, bien sûr, ailleurs que dans la région de Montréal, mais c'est pour vous donner un cas typique de la situation des travailleuses de nuit. Nous croyons important qu'il soit reconnu à l'intérieur du projet de loi 42.

Si nous avons insisté au cours de cette intervention sur le sujet précis de la santé des travailleuses et des travailleurs de nuit, c'est que le problème est de taille et que la situation exige des correctifs immédiats, surtout dans le secteur que nous représentons.

La nécessité de ce type d'organisation du travail telle que nous la vivons dans les

hôpitaux ne justifie pas que soit hypothéquée la santé des travailleuses et des travailleurs. Les maladies causées par le travail de nuit sont souvent insidieuses, comme l'amiantose ou la silicose par exemple. De plus, elles s'installent confortablement et cela autant chez les sujets jeunes que chez les plus âgés. Les propos que nous avons tenus ici n'ont fait référence qu'aux principales conséquences médicales des horaires de nuit. D'autres problèmes sont continuellement présents. Nous pensons au stress et à la charge mentale, par exemple, qui sont autant sinon plus dommageables. La solution idéale devrait correspondre à une amélioration sans délai de l'organisation du travail de nuit.

Cependant, pour des motifs inavoués mais dont on sait qu'ils correspondent à des impératifs de gestion, les objectifs de prévention dans le secteur des affaires sociales ne se situent pas parmi les priorités.

Il apparaît dès lors impérieux que les maladies professionnelles causées par le travail de nuit soient légalement reconnues comme telles afin que les travailleuses et les travailleurs qu'elles atteignent soient financièrement compensés et que leur soit rendue possible une réinsertion professionnelle qui tienne compte de la gravité de leur cas. Dans le cadre des législations antérieures -nous sommes convaincus que le projet de loi 42 dans sa forme actuelle reproduira cette situation de fait - les individus aux prises avec ces problèmes n'ont pas d'autre choix que de persister dans leur emploi et empirer considérablement leur état ou quitter cet emploi et risquer de se retrouver pour longtemps, étant donné la conjoncture, sur l'assurance-chômage s'ils y ont droit.

L'assistance sociale est la dernière ressource dont ils disposeront par la suite. Non seulement ils n'ont pas droit à l'indemnisation prévue par les lois relatives à la santé et la sécurité du travail, mais ils sont également exclus des régimes d'assurance-salaire.

Par conséquent, étant donné que les travailleuses et les travailleurs de nuit sont des individus à part entière et qu'ils ont droit au même traitement que les autres travailleuses et travailleurs devant la loi; étant donné que dans sa forme actuelle le projet de loi 42 ne reconnaît pas ce droit aux travailleuses et travailleurs de nuit; étant donné qu'il est du devoir de l'État de corriger rapidement cette situation; la Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec revendique: 1. que soit déclaré prioritaire, dans les plus brefs délais, le secteur des affaires sociales. 2. Que soit réaménagé le projet de loi 42 de façon à inclure les maladies professionnelles dues aux facteurs de risques psychosociaux, en particulier le travail de nuit, ce qui permettrait par la même occasion de retrancher l'article 266, aliéna 1 du projet de loi 42.

Nous revendiquons également que le projet de loi 42 soit féminisé, comme tous les projets de loi. On devrait voir apparaître certainement dans ces textes la féminisation.

Finalement, la Fédération des syndicats professionnels d'infirmières et d'infirmiers du Québec espère une politique de santé et de sécurité du travail qui soit plus équitable et plus socialement acceptable, conformément à l'ensemble des recommandations qu'on a énumérées tout au long du mémoire. Merci.

Le Président (M. Paré): Merci, Mme Pelletier. La parole est maintenant à M. le ministre.

M. Fréchette: Oui, M. le Président. Je voudrais d'abord dire merci à Mme Pelletier et à son groupe de nous avoir fait leurs représentations. La conclusion générale que j'en tire à ce stade-ci c'est que votre organisme retient deux préoccupations qu'il nous soumet d'ailleurs pour réflexion et évaluation. La première étant les conséquences que vous évaluez du travail de nuit et, évidemment, ce qui devrait suivre ces conséquences, c'est-à-dire la reconnaissance des maladies qui peuvent en découler, quelle que soit la nature de ces maladies. C'est votre première préoccupation. Dans un deuxième temps, vous nous faites état de certaines réserves que vous avez quant à la philosophie du droit de retour au travail qu'on retrouve dans la loi, ces réserves étant au niveau des balises quant aux délais qu'on retrouve dans la loi pour pouvoir exercer ce droit de retour au travail, c'est-à-dire l'obligation d'avoir été au service du même employeur pendant une période d'au moins trois mois.

L'autre préoccupation est aussi en termes de délais. Si je vous ai bien compris c'est qu'il ne devrait pas y avoir de limite permettant d'exercer ce droit de retour au travail, c'est-à-dire que la balise d'une année ou de deux ans ne devrait pas être là. J'essaie aussi succinctement que possible de résumer les deux principaux aspects de ce que vous nous avez soumis. Ma conclusion, à ce stade-ci en tout cas, est celle-là. Vous pourrez peut-être ajouter à ma constatation préliminaire.

Quant à votre première préoccupation, qui m'a l'air d'être carrément la principale, je veux bien convenir sans hésitation que le travail de nuit en soi - vous le décrivez avec force détails dans votre mémoire - peut avoir des conséquences sur la santé et la sécurité du travailleur ou de la travailleuse. Cependant, là où les difficultés commencent à poindre, c'est quand on essaie de faire la démarcation entre les conséquences qui relèvent directement de conditions de travail

négociées dans une convention collective, ou décrétées, pour les fins de la discussion, mais qu'on retrouve à l'intérieur de conditions de travail, et qu'on essaie d'évaluer à partir de là quelle devrait être la proportion assumée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

En d'autres mots, est-ce qu'un nombre considérable des difficultés auxquelles vous faites référence ne relèvent pas précisément des conditions de travail? Par exemple, j'attire votre attention - vous avez d'ailleurs attiré la nôtre là-dessus - sur la page 2 de votre mémoire. Vous dites: "II est cependant une autre série de risques omniprésents en santé du travail et autour desquels on assure une discrétion absolue: ce sont les agresseurs organisationnels et psychosociaux liés au contexte et aux caractéristiques de la tâche. Le mode de rémunération, par exemple, l'horaire de travail, le style de gestion, l'autonomie, la charge mentale, l'isolement et bien d'autres". J'essaie de comprendre quel pourrait être le rôle de la Commission de la santé et de la sécurité du travail ou encore le rôle d'une loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles par rapport à ce qu'on est convenu d'appeler les agresseurs que vous identifiez.

Vous savez, la commission se fait faire tellement de reproches d'intervenir dans des champs d'action qui ne sont pas les siens qu'on ne va pas aller au-delà de ce que la loi nous donne comme juridiction et intervenir dans le processus des conditions de travail. Je ne sais pas si vous êtes en mesure de clarifier un peu cette situation et de nous dire par quel mécanisme on pourrait, en vertu de cette loi, rejoindre vos préoccupations.

Mme Pelletier: M. le ministre, bien sûr, au départ, lorsque les conditions de travail sont négociées, nous pouvons peut-être améliorer un certain nombre de points mais nous, on se dit qu'aussi longtemps qu'on n'aura pas reconnu le travail de nuit comme cause de maladies professionnelles, lorsqu'on va négocier également d'autres conditions de travail, on dit à la base de reconnaître que les horaires de nuit peuvent être facteurs de maladies profesionnelles. On peut dire aussi que l'organisation du travail pourrait relever d'une autre table que celle à laquelle nous sommes aujourd'hui mais, pour être capable d'en faire une discussion plus intelligente, dirais-je, à une autre table, aussi longtemps qu'on n'aura pas admis comme principe de base que le travail de nuit peut être un facteur de maladies professionnelles, il me paraît que c'est devant cette commission que l'on doit revendiquer que le travail de nuit a des conséquences quant aux risques de maladies professionnelles. Au départ, pour nous, c'est extrêmement important.

Ensuite, il sera plus facile, je pense, de travailler également sur l'aspect de la prévention. C'est l'enfant pauvre actuellement dans le secteur des affaires sociales. On n'a pas encore reconnu le secteur des affaires sociales comme prioritaire. De notre côté, nous avons l'impression qu'on croit que tout le monde est en santé dans les centres hospitaliers, que les travailleuses et travailleurs devraient être en santé. C'est un des endroits les pires en termes de maladie. On est en contact régulier et quotidien avec la maladie. Dans ce sens, on dit que le secteur des affaires sociales devrait être reconnu comme prioritaire. Le type de travail et les horaires de nuit ont été reconnu, je pense, par de nombreuses études. Je pense qu'on évite de faire face à la situation. Si on s'y attardait davantage, cela aurait peut-être des conséquences plus positives dans les coûts. Les gens qui se retrouvent sans emploi provoquent également des coûts pour la société. Dans ce sens, nous considérons que c'est d'abord et avant tout au niveau de cette loi que devrait être reconnu ce principe. Il est bien sûr qu'il y aura du travail à faire en termes d'amélioration parce que nous sommes conscients, dans le secteur où nous travaillons, qu'il faut un grand nombre de travailleuses qui travaillent sur des horaires de nuit. Il y a peut-être des possibilités d'aménagement qui permettent quand même à ces travailleuses d'exercer le travail de nuit pendant un certain temps sans qu'on ait les effets avec lesquels on peut se retrouver aujourd'hui.

M. Fréchette: Je vous remercie Mme Pelletier. Cela éclaire très certainement la discussion. Comme nous sommes en matière d'interprétation, évidemment, on peut voir les choses différemment suivant qu'on lit le texte d'une façon ou de l'autre. Quant à moi, je vous donne tout spontanément mon interprétation par rapport à la discussion que nous sommes en train d'avoir. Les conséquences du travail de nuit, conséquences qui pourraient être assimilées à une maladie, quelle qu'en soit la nature, ne sont pas exclues, me semble-t-il, de la couverture ou du champ d'application de la loi. Je vais cependant convenir avec vous, sans aucune discussion, qu'il y a une distinction importante entre les maladies énumérées à l'annexe A de la loi et les autres qui n'y sont pas. Parlant des maladies qui sont énumérées à l'annexe A, je vous signale qu'il s'agit d'une liste de maladies professionnelles qui a été évaluée par le Bureau international du travail et qui a été retenue par cet organisme.

Les conséquences du travail de nuit qui pourraient être, à un moment donné, considérées comme maladies professionnelles existent comme possibilités sauf - je vois difficilement comment, dans la loi, on peut

faire autrement - qu'il appartient à celui qui prétend à un droit en vertu de cette loi de faire la preuve qu'il s'agit d'abord d'une maladie et, deuxièmement, où elle a un lien, qu'il y a un caractère de causalité avec le travail qu'il fait. (16 heures)

Je vous donne un exemple que vous avez vous-mêmes utilisé dans votre mémoire. Vous dites: Le travail de nuit débouche souvent sur toute espèce de problèmes autant d'ordre physique, social que familial. Vous faites une longue énumération des problèmes qui peuvent surgir et vous pointez l'alcoolisme. Mme Pelletier, est-ce qu'il faudrait - à votre suggestion - retenir que l'alcoolisme peut être ou est effectivement une maladie qui est consécutive à un travail de nuit quand l'on sait que dans l'état actuel des choses il y a déjà une discussion ferme quant à savoir si c'est une maladie ou pas? Les uns disant: Oui, effectivement c'est une maladie qui a toutes les caractéristiques suivantes: A, B, C, D. Les autres disant: Non, ce n'est pas une maladie mais encore un péché parmi la liste des sept péchés capitaux qu'on a connus. Vous voyez d'ici la difficulté.

Deuxièmement, si un bon matin tout le monde s'entendait sur le fait que l'alcoolisme - je prends cet exemple parce que vous y avez fait référence dans votre mémoire et que d'autres groupes l'ont discuté - le phénomène de l'alcoolisme est effectivement une maladie, faudrait-il immédiatement, sans autre forme de procès, pour utiliser une expression que l'on connaît tous, arriver à la conclusion qu'il faille l'inscrire dans la liste des maladies qui sont consécutives au travail de nuit? Vous voyez toutes les difficultés que cela peut représenter. C'est un seul exemple parmi plusieurs autres qui pourrait être utilisé pour sortir un peu en exergue ce genre de difficultés auxquelles on pourrait faire face. J'apprécierais pouvoir vous entendre là-dessus.

Mme Pelletier: Lorsque vous apportez l'exemple de l'alcoolisme, ce qu'il y a dans le mémoire, c'est titré du livre blanc, soit Le livre blanc et le travail de nuit. Ce n'est pas de nous; ces choses qui ont été rapportées intégralement du livre blanc. Par ailleurs, actuellement, l'alcoolisme n'est peut-être pas reconnu précisément comme une maladie mais il y en a d'autres. On va parler de l'hypertension artérielle, je pense que cela est reconnu. Nous en avons des cas. On pourrait vous en citer dans la région de Québec où cela s'est produit, avec des diagnostics de deux médecins disant que c'était dû à des horaires de travail de nuit. Il y a quand même des diagnostics qui sont reconnus comme tels comme identifiant des maladies. L'alcoolisme, actuellement, ne l'est peut-être pas, sauf qu'il y aurait certainement intérêt, comme société, à s'y pencher de façon importante. De notre côté, on parle de cas concrets comme hypertension et névrose. Ce sont des situations précises.

M. Fréchette: Est-ce que l'on convient, Mme Pelletier, que cela peut être couvert par le champ de l'application de la loi à la condition, évidemment, que le mécanisme qui est prévu soit respecté, c'est-à-dire que la preuve soit faite devant les instances habilitées à décider qu'il s'agit effectivement d'une maladie qui est consécutive à l'exercice du travail de nuit?

Mme Pelletier: Oui. M. le ministre vous me dites que cela devient une question d'interprétation.

M. Fréchette: Oui.

Mme Pelletier: On est habitué de chaque côté à interpréter. Pourquoi ne pas mettre quelque chose de suffisamment clair, qui ne porte pas à interprétation de ce côté-là? Vous me dites: Peut-être qu'elles sont couvertes, les travailleuses de nuit, si on est capable de démontrer que leur maladie est reliée à ce travail. Je vous donnais l'exemple tantôt du cas d'une infirmière où le rapport de l'inspecteur a été basé sur des articles de la Loi sur la santé et la sécurité du travail pour dire qu'elle n'y avait pas droit.

Je pense qu'il n'y a certainement pas actuellement - ce n'est pas ce qu'on a vu -dans le projet de loi 42 une volonté politique de reconnaître ce type de maladies professionnelles. C'est tellement d'interprétation que les travailleuses et travailleurs, finalement, ne s'y retrouvent plus. Ils deviennent tellement... Quand on se retrouve avec des gens qui sont en état dépressif, où ils se situent après plusieurs mois, c'est de laisser la job, parce qu'ils ne sont plus capables de l'exercer. C'est dans ce sens-là que cela prend des mécanismes clairs où, je pense, les travailleuses vont être capables de voir qu'effectivement elles ont un droit, ce qui n'est absolument pas reconnu, selon nous, dans le projet de loi.

M. Fréchette: Bon! Je comprends que nous pourrions discuter longuement et ce serait fort intéressant.

Mme Pelletier: Et le fardeau de la preuve...

M. Fréchette: Oui.

Mme Pelletier: ...en plus, dans le projet de loi, appartient à la travailleuse.

M. Fréchette: Quand je vous parlais de mécanismes, il y a un instant, c'est à cela très précisément que je faisais allusion,

parce que s'il fallait retenir les suggestions que vous nous formulez, parmi lesquelles il en est une qui recommande la suppression pure et simple de l'annexe A, on pourrait se retrouver dans une drôle de situation. Supprimons l'annexe A. Supprimons également l'article 29, qui fait allusion au fardeau de la preuve, et voyez ici qu'à toutes fins utiles, la Commission de la santé et de la sécurité du travail va devoir assumer l'"indemnisation" de toute espèce de maladie qui va affecter un travailleur ou une travailleuse à son emploi. Je comprends que l'assurance-maladie pourrait être fort heureuse d'accepter une telle suggestion, mais où allons-nous nous limiter et comment allons-nous faire la démarcation entre, par exemple, une très mauvaise grippe qui dure longtemps mais qui est occasionnée parce qu'on a pris froid en allant à une partie de sucre ou ailleurs et une autre mauvaise grippe qui a été contractée à l'intérieur de l'institution où on travaille pour toutes sortes de motifs? Je pense que là, on se retrouverait dans un champ d'application si vaste que cela deviendrait de l'interprétation et de l'application absolument impossibles. Je ne sais pas si mon évaluation est exacte à ce stade-ci, mais c'est une première réflexion. Elle est spontanée - je ne vous le cache pas - mais elle soulève certaines inquiétudes.

Mme Pelletier: Oui, je peux... Vous dites: Elle est spontanée. Quand vous dites: On pourrait se retrouver dans toutes sortes de situations, il faut tenir pour acquis que cela prend quand même une évaluation du médecin traitant. Je pense que là aussi, au préalable, ce n'est pas une démarche qui se fait... Je ne me sens pas bien aujourd'hui et je vais porter plainte à la Commission de santé et de sécurité du travail. Je pense que ce n'est pas dans cette approche-là... Si c'est ce que vous avez compris de notre présentation, ce n'est pas ce que nous recherchons. Nous sommes beaucoup plus préoccupés, bien sûr, par toute l'approche santé, prévention et, dans ce sens, si on investissait peut-être davantage, qu'on reconnaissait le secteur des affaires sociales comme prioritaire et qu'on lui donnait les moyens pour quand même être en mesure au niveau des centres d'y travailler... Bien sûr, les travailleuses de nuit, pour nous, c'est une préoccupation extrêmement importante depuis de nombreuses années, parce que nous sommes un des groupes qui représentent quand même dans le secteur un grand nombre de travailleuses de nuit.

M. Fréchette: Non, je n'ai pas compris, Mme Pelletier, que vous vouliez aller à tous vents et sans aucune espèce de balises, mais comme vous réclamez de façon expresse la suppression autant de l'annexe A que de l'article 29, j'essayais d'évaluer - encore une fois, c'est une réaction très préliminaire -devant quelle situation strictement juridique nous pourrions nous retrouver. Les explications que vous me donnez me satisfont et je comprends très facilement l'orientation que vous donnez à votre mémoire.

Le Président (M. Paré): Avez-vous terminé?

M. Fréchette: Oui, cela va.

Le Président (M. Paré): La parole est maintenant à M. le député de Viau.

M. Cusano: Merci, M. le Président. J'aurais un commentaire qui va certainement susciter une réaction de la part de Mme Pelletier et celles qui l'accompagnent. Comme le ministre, ce qui m'a frappé dans votre mémoire, c'est que vous parlez du travail de nuit et des rythmes biologiques. Il est reconnu, d'après ma connaissance - peut-être que vous êtes en mesure d'en savoir plus que moi - que les rythmes biologiques varient selon les individus et selon les journées et la période de l'année. C'est-à-dire qu'une personne peut être beaucoup plus fonctionnelle dans une période donnée, de 14 heures à 16 heures, ou même de 2 heures à 4 heures, selon l'individu.

Sans aller dans toutes les permutations et combinaisons possibles de ces rythmes on pourrait, pour les fins de notre discussion, en faire deux catégories. Vous parlez justement des personnes qui travaillent de nuit. Si on pouvait catégoriser les personnes diurnes et d'autres nocturnes, est-ce que les mêmes préoccupations que vous soulignez s'appliqueraient pour les personnes nocturnes qui ont à faire du travail le jour?

Une voix: Je vais demander à Mme Dufresne de donner son commentaire.

Mme Dufresne (Francine): Quand vous parlez de travailleurs diurnes et de travailleurs nocturnes, c'est une infime minorité. Il en existe effectivement. Il peut y avoir peut-être un travailleur sur 10 000 ou une travailleuse sur 10 000 qui puisse s'accommoder facilement d'un travail de nuit à court terme.

M. Cusano: Est-ce que vous avez des statistiques sur ça, madame?

Mme Dufresne: Quant aux statistiques québécoises, on peut dire que très peu d'études ont été faites en termes de santé et sécurité auprès des travailleurs de nuit. Les études dont on dispose sont des études surtout françaises. Il y a des études qui commencent à sortir en Suède. On a beaucoup de documentation là-dessus, on

pourrait peut-être même vous fournir une bibliographie si vous décidez de vous y intéresser, de vous préoccuper plus fondamentalement de la question parce qu'on pense qu'on devrait effectivement s'y intéresser.

Pour répondre à votre question, je n'ai pas de chiffres à l'appui. Je ne pense pas, de toute façon, qu'on puisse avoir de chiffres précis là-dessus parce que ce n'est pas une question de statistiques, c'est une question de dérèglement de l'organisme. C'est une infime minorité de gens qui peuvent s'accommoder d'un travail de nuit et ça, à court terme, parce qu'à long terme les effets néfastes se font sentir.

M. Cusano: Je ne conteste pas qu'il y ait des effets néfastes, je voulais seulement savoir si, chez les nocturnes, il y avait autant de difficultés à s'adapter à un travail de jour.

Mme Dufresne: Je pense qu'il faut admettre au départ qu'il n'existe pas, fondamentalement, de personnes nocturnes et de personnes qui puissent travailler la nuit tout le temps sans en subir les conséquences.

M. Cusano: Mais des études sont parues aux États-Unis, à savoir qu'il y a une très grande variation - je ne les ai pas avec moi présentement mais je pourrais vous les faire parvenir - et que l'efficacité d'un individu varie selon les heures de la journée et les jours de l'année.

Ma préoccupation, madame, c'est simplement qu'en regardant toutes les permutations et combinaisons qui seraient possibles en tenant compte de l'individu, je ne sais pas où on arriverait.

Mme Dufresne: Je voudrais juste ajouter que, particulièrement au rythme biologique, il n'existe pas une infinité de permutations possibles. Il peut y avoir une synchronisation, une resynchronisation, une désynchronisation des rythmes. Par rapport au travailleur de nuit, ce qui est admis et médicalement nocif, c'est que la personne est en désactivation diurne alors qu'elle est en activation nocturne et que l'organisme est fait pour fonctionner normalement à l'inverse.

M. Cusano: C'est une question d'opinion. Merci.

Mme Pelletier: ...vous le prenez par l'approche efficacité, peut-être que la travailleuse... Je pense qu'elle peut être efficace si vous le prenez strictement sur la question d'efficacité. Vous abordez ça par l'efficacité. Peut-être qu'elle est plus efficace la nuit que le jour, mais on ne l'aborde pas en termes d'efficacité, on l'aborde en termes d'approche santé. Ça ne veut pas dire, parce que la travailleuse pourrait possiblement être plus efficace dans des horaires de nuit, que sa santé n'en est pas atteinte pour autant. Je pense qu'il ne faut pas confondre l'efficacité. Peut-être que pendant deux ans ou trois ans elle va y aller mais, à long terme et même à moyen terme, on dit que c'est de ce côté-là qu'on doit regarder et on ne l'aborde pas de notre côté par l'approche efficacité.

M. Cusano: Merci.

Mme Pelletier: Mme Dufresne a un élément à ajouter.

Mme Dufresne: Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose par rapport à la question de M. le ministre sur l'article 29. On considère que cet article est nettement discriminatoire et crée deux catégories de maladies professionnelles et d'accidents du travail: les maladies dues à des contaminants, telles que définies dans l'article sur les définitions qui ne concernent que les contaminants - qu'on appelle physiques, biologiques, les poussières, tout ce qui se répand dans l'atmosphère - et les autres maladies professionnelles. Concernant les autres maladies professionnelles dont le travailleur a le fardeau de faire la preuve qu'il en est vraiment atteint, ce qui n'est pas justifiable, c'est effectivement cette discrimination qui s'établit entre ces deux catégories de travailleurs, parce que la victime d'une maladie professionnelle due à des contaminants a priorité pour se prévaloir de la loi. Tel que l'article est défini ici, le travailleur victime de maladies professionnelles dues à autre chose que des contaminants, on peut présupposer que jamais il ne pourra se prévaloir de cette loi. (16 h 15)

M. Fréchette: À cause du fardeau de la preuve?

Mme Dufresne: Tout d'abord à cause du fardeau de la preuve. Il a le fardeau de la preuve.

M. Fréchette: Oui.

Mme Dufresne: Et déjà, au départ, ce n'est pas reconnu comme une maladie professionnelle, parce qu'il n'est pas exposé à un contaminant spécifique.

M. Fréchette: Oui. Cela va. Je comprends le sens de votre intervention. On va regarder cela de plus près.

Le Président (M. Paré): Merci. M. le député de Beauharnois.

M. Lavigne: Merci, M. le Président.

Mme Pelletier, je voudrais vous poser une brève question. Peut-être que c'est dit dans votre mémoire, mais je ne le retrouve pas de façon claire ou spécifique. On a eu différents groupes qui se sont présentés ici et il y a eu différents points de vue qui ont été émis et différentes prises de position, différentes solutions qui ont été privilégiées par les uns et les autres. Il s'agit de la réinsertion de la personne accidentée, ou de celle qui a subi une maladie causée par son travail et qui revient au travail. Est-ce que vous privilégiez d'abord l'application de la convention collective ou la réinsertion la plus complète possible de l'accidenté dans son milieu de travail? Dans un premier temps, si la personne peut réintégrer la tâche qu'elle occupait au moment de son accident ou de sa maladie, cela facilite un peu sa réinsertion. Si, par ailleurs, la personne revient à son travail partiellement handicapée et qu'elle ne peut reprendre le travail qu'elle faisait au moment de son accident, est-ce que vous privilégiez, par exemple, une réinsertion à tout prix dans son milieu de travail, même au détriment d'une autre personne? J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

Mme Pelletier: Pour nous, bien sûr, ce sont les droits collectifs qui ont été négociés que nous tentons de faire respecter d'abord et avant tout. Les gens qui reviennent et qui ont conservé leur poste ou pour qui c'est possible de le reprendre, c'est bien sûr que ce n'est pas là qu'il y a un problème. Les nombreux cas, quand même, que nous vivons dans notre secteur, ce sont des gens qui ne peuvent pas reprendre l'emploi qu'ils occupent actuellement, soit ceux qui souffrent de maux de dos, ou les travailleuses de nuit pour lesquelles on devrait tenter de trouver un poste réservé. Ceci n'est pas notre approche. La salariée qui reçoit des prestations de la Commission de la santé et de la sécurité du travail a son ancienneté et c'est avec ce droit qu'elle pourra avoir recours à un poste lorsqu'il deviendra disponible. Par ailleurs, on n'exclut pas - et c'est ce qui se passe effectivement dans nos milieux - là où les membres, collectivement, sont d'accord pour que cette personne puisse obtenir un poste par le biais d'ententes au niveau local, qu'on puisse résoudre le problème dans certains cas. Mais c'est la volonté des membres de chaque centre, à ce moment-là, qui est exprimée par rapport à la situation présente, dans chaque cas qui doit être traité à la pièce. C'est toujours, pour nous, la convention qui doit primer, mais on ne ferme pas la porte à des ententes au niveau local.

M. Lavigne: Vous manifestez quand même une inquiétude à la page 17 de votre mémoire en disant qu'il y a une grande pénurie d'emplois, particulièrement dans le monde hospitalier. Tenant compte du fait que cette personne a un délai de deux ou trois ans pour réintégrer son travail, elle risque d'attendre durant tout ce temps, ce qui fera qu'au bout du délai, elle n'aura plus les privilèges en question. Qu'est-ce que vous suggérez à ce moment-là? J'imagine que vous suggérez d'allonger le délai en question ou d'enlever le délai au complet.

Mme Pelletier: C'est cela. Je pense que la salariée qui va se retrouver en attente ne doit pas être pénalisée. Elle doit toujours conserver ses droits et avoir la possibilité d'obtenir un emploi qui peut devenir disponible à l'intérieur de son établissement.

M. Lavigne: Même si cela devait durer quatre ans, cinq ans ou dix ans, ou indéfiniment?

Mme Pelletier: Quatre ans, cinq ans ou dix ans, oui. Vous pouvez mentionner dix ans, si la situation se poursuit telle qu'elle est actuellement où, avec toutes les restrictions, il n'y a pas eu d'ouverture de postes, sauf, bien sûr, si cette salariée continue d'accumuler ses droits en termes d'ancienneté. Il est à espérer qu'elle aura un emploi avant dix ans, compte tenu qu'il y a des gens qui laissent le marché du travail après un certain nombre d'années et que notre population, comme l'ensemble de la population du Québec, vieillit elle aussi; je pense qu'à ce moment-là, elle devrait être en mesure d'y retourner. Mais, pour une personne qui est apte à retourner sur le marché du travail, il faut vraiment trouver des mécanismes qui lui permettent d'y retourner. Mais, vous avez certainement vu notre préoccupation à l'intérieur de notre mémoire. Nous avons surtout cherché à faire reconnaître les travailleuses de nuit à l'intérieur des maladies professionnelles. Nous n'avons quand même pas exploré l'ensemble des articles. Étant assurés que bon nombre de groupes feraient des représentations sur l'ensemble du projet de loi 42, nous avons d'abord voulu insister sur les travailleuses.

M. Lavigne: Je vous remercie.

Le Président (M. Paré): Je vous remercie beaucoup, Mme Pelletier, ainsi que les autres dames qui vous accompagnent pour la présentation de votre mémoire à la commission. Nous allons maintenant demander aux gens qui veulent présenter le mémoire de la Commission des services juridiques de prendre place ici à l'avant.

La commission suspend ses travaux pour quelques minutes, mais vous pouvez prendre place ici. Ce ne sera pas tellement long.

(Suspension de la séance à 16 h 22)

(Reprise de la séance à 16 h 30)

Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous plaît! Mesdames et messieurs, nous allons reprendre les travaux. Bienvenue aux gens qui viennent nous présenter un mémoire au nom de la Commission des services juridiques. Je demanderais au porte-parole de s'identifier et de nous présenter les personnes qui l'accompagnent.

Commission des services juridiques

M. Lafontaine (Yves): Merci, M. le Président. Mon nom est Yves Lafontaine, je suis président de la Commission des services juridiques. À mon extrême droite, Me Normand Auclair, qui est de la Corporation d'aide juridique de l'Outaouais; à ma gauche, Me François Doré; à ma droite, Me André Collard, du service de recherche de la Commission des services juridiques.

M. le Président, avec votre permission, on aimerait procéder en deux étapes dans la présentation de notre mémoire. J'aimerais faire un résumé succinct de quelques points importants moi-même. Comme je ne suis pas spécialiste dans la question, je demanderai à Me Collard de continuer la présentation.

Nous procéderons sous forme de résumé, si vous le permettez aussi. Étant donné qu'il y a plus de 50 pages, je présume que la commission aura le temps de se pencher sur d'autres points dont on ne parlera pas, étant donné que c'est déjà couvert dans l'écrit.

Nous, à l'aide juridique - j'aimerais quand même qu'on se situe par rapport à notre mandat, qu'on dise pourquoi on est ici, quel va être le biais que nous allons prendre; nous avons un biais étant donné le mandat que nous avons - nous sommes 335 avocats qui travaillent dans les bureaux d'aide juridique comme permanents. Nous avons 130 bureaux au Québec et nous avons plus de 250 000 clients par année. Là-dessus, en 1982-1983, il y en a 1700 qui sont venus nous voir pour des problèmes relatifs à des accidents du travail. C'est à même cette expérience vécue que nous avons réuni des comités d'avocats qui faisaient plus spécialement du droit des accidents du travail et que nous avons examiné ensemble l'avant-projet de loi 42.

Ce qui nous frappe dans le projet de loi, c'est qu'il semble qu'on soit en train de vouloir faire payer à d'autres qu'aux employeurs des sommes qui devraient être versées pour l'indemnisation des victimes. Je m'explique sur cela. Les accidentés du travail étaient indemnisés jusqu'à aujourd'hui en vertu d'une loi qui était financée par des employeurs. C'est une mutuelle d'employeurs dans le fond. Parce que, originairement, ils étaient poursuivis devant le tribunal de droit commun, souvent par des procès par jury, on a décidé à un moment donné - entre autres, cela faisait crever certaines petites entreprises - qu'il y avait une mutuelle. Autrement dit les employeurs se mettaient entre eux pour couvrir le risque du travail et payaient à ce moment une cotisation à la Commission de la santé et de la sécurité du travail.

On a commencé déjà, lors de la dernière loi, à faire payer à d'autres qu'aux employeurs une partie de ce risque. Je m'explique: Déjà aux articles 249 et 250 de la loi actuelle on a dit: L'inspection, cela va être payé par le gouvernement. On a dit: L'information et la recherche à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, cela va être payé par le gouvernement. Donc, il y a une partie que les employeurs n'auront plus à payer même si ce sont des risques afférents aux gains qu'ils peuvent avoir à la suite de ces emplois.

Nous sommes portés à croire, à la lecture du projet de loi, qu'on est en train encore de transférer d'autres coûts sur l'ensemble de la société ou sur les travailleurs qui ont à assumer des risques dans leur emploi. Cela vient principalement de deux points qu'on retrouve au projet de loi. D'abord, pour nous, le fait que l'indemnisation ou l'indemnité de remplacement du revenu après la troisième année tombe, dans plusieurs cas, si on est capable soit de trouver un emploi, soit de présumer un emploi. Quant à nous c'est un transfert vis-à-vis de l'aide sociale qui va s'effectuer. Si c'est un transfert vis-à-vis de l'aide sociale, à ce moment, je me dis qu'on a donc transféré à la société un coût qui était afférent normalement aux employeurs. Cela a une influence, c'est sûr, au niveau du travailleur lui-même, mais cela a aussi une influence psychologique vis-à-vis de ce travailleur. Dans la société c'est comme cela, je n'ai rien à y faire: le statut de l'assisté social est beaucoup moindre que le statut d'un accidenté du travail. Autrement dit, c'est moins bien considéré sociologiquement. On a dit pour faire passer cela: On va l'assimiler à ce qui se passe dans le cas des accidents de la route. En le faisant, par exemple, on le fait à rabais. Si au moins on avait appliqué ce qu'il y a dans ce régime, cela serait un moindre mal. Mais, en le faisant, on le fait à rabais.

Nous disons que la loi actuelle, à son article 38.4, indemnise réellement le travailleur pour les risques subis pour le temps où, effectivement, il souffre à la suite de l'accident qu'il a subi au travail. Je comprends que cela a amené des difficultés. D'abord, parce qu'on n'appliquait pas l'article 38.4. Des jugements de cours sont intervenus et ont dit: Vous devez l'appliquer. La Commission des affaires sociales applique un barème, la CSST aussi applique un barème.

C'est sûr qu'il y a une espèce d'imbroglio juridique là-dessus aujourd'hui, mais si on prend les jugements de la Commission des affaires sociales, quant à moi, ces jugements indemnisent complètement le travailleur parce qu'ils font entrer en ligne de compte la capacité de retour au travail, ce que, quant à nous, on ne retrouve pas dans le projet de loi, du moins après trois ans. Donc, on se trouve à transférer encore une fois des coûts vis-à-vis de la société.

Il y a aussi un autre élément qui nous apparaît, d'une certaine façon, discriminatoire. On a prévu que l'employé qui retrouvait un emploi à un salaire moindre avait encore droit à une indemnité, mais en proportion de la différence qui allait en décroissant au fur et à mesure qu'il s'approchait du salaire auquel il aurait eu droit s'il n'avait pas été accidenté. Je comprends cela pour un haut salarié. Autrement dit, celui qui a des chances de trouver un emploi à un salaire moindre et donc d'avoir droit à une certaine indemnisation en surplus.

Mais pour l'employé qui est au salaire minimum, celui qu'on représente habituellement, ce n'est pas vrai. Il ne pourra jamais avoir un supplément parce que tout ce qu'on va être capable de lui présumer ou tout ce qu'il va être capable de trouver, ce sera encore un travail au salaire minimum. Donc, effectivement, dans ce cas, il est discriminé par rapport à un plus haut salarié qui, lui, pourra obtenir une rente supplémentaire.

Je complète mes remarques générales. En fait, en vertu de l'article 79, qui fait présumer un emploi, pour nous, pour la majorité des bénéficiaires de l'aide juridique qui se retrouveront dans cette situation d'accidentés du travail, il n'y aura plus de véritable indemnisation basée sur l'aptitude ou l'inaptitude à reprendre le travail. Ce sont les accidentés qui feront les frais de la diminution de 8% des cotisations des employeurs. Pour la Commission des services juridiques, cela constitue un recul substantiel du projet de loi 42. Nous recommandons donc le maintien du régime actuel d'indemnisation qui, lui, tient compte de la diminution de capacité de travail de l'accidenté.

Je laisserai à mes confrères le soin d'aborder d'autres plans. Quand on dit qu'on transfère des coûts sur la société, on les transfère aussi pour les victimes d'actes criminels. Là, on va voir que ces victimes sont maintenant indemnisées au niveau de l'aide sociale. Ce sera la même chose pour les victimes de sévices. Autrement dit, un héros qui contribue aujourd'hui à sauver la vie de quelqu'un et qui demeure hypothéqué pour le restant de ses jours va rester un assisté social parce qu'effectivement on l'indemnise comme s'il était un assisté social. Et qui va encore payer les frais au niveau de la société? Ce seront les vieux, après 65 ans ou 68 ans, et aussi les amiantosés parce qu'on crée un régime qui va être diminué par rapport à ce qu'ils avaient déjà. Sur le mémoire lui-même, je vais laisser parler Me Collard.

M. Collard (André): Je vous rappelle que la substance des propos que vient de tenir Me Lafontaine se retrouve dans ce qu'on a appelé dans le mémoire la première partie, qui va jusqu'à la page 8 où vous retrouvez ces aspects essentiels développés d'une manière qu'on espère adéquate. Vous retrouvez également, aux pages 9 à 13 inclusivement, un sommaire de ce qu'on a qualifié les aspects positifs du projet de loi 42 ainsi qu'un sommaire de ce qu'on a qualifié d'aspects négatifs de ce même projet de loi. Je n'interviendrai pas pour vous commenter ces aspects puisqu'on le fera au fur et à mesure de l'analyse article par article du projet de loi qui constitue en fait la deuxième partie du mémoire que nous vous soumettons. Cette deuxième partie, comme je viens de le mentionner, procède par article. Vous comprendrez qu'on n'a pas commenté tous les articles du projet de loi. Nous n'avons commenté que les articles du projet de loi qui semblaient mériter notre attention, soit parce qu'ils étaient encore une fois positifs ou parce qu'ils étaient, selon nous, jugés négatifs. Je vous référerai au mémoire quant à tous et chacun de ces articles pour ne faire devant vous qu'une élaboration sur certains de ces articles que nous avons commentés à l'intérieur du mémoire.

Pour ceux qui voudraient me suivre au texte, je vous amènerais immédiatement en page 16 où je désirais souligner ce qui nous semblait positif, la définition de "maladie professionnelle" qui se réfère à l'article 28 de la loi et qui se réfère également à une annexe où on constate avec satisfaction que, le nombre des maladies, prévues à l'annexe en question et qui font présumer d'une maladie professionnelle, ayant été augmenté, cela va faciliter la tâche à certains travailleurs qui étaient victimes de maladies dont on savait à peu près tous qu'elles étaient des maladies industrielles mais qui devaient quand même en faire la preuve. Donc, c'est un aspect positif du projet de loi.

Je vous amène à l'article 30, que vous retrouverez à la page 17 du mémoire, où il est question de l'assignation de tâches qui peut être effectuée dans le cas où un travailleur dépose une réclamation pour maladie professionnelle. Nous constatons avec satisfaction que le législateur a prévu cette disposition et nous lui suggérons d'aller légèrement plus loin en en faisant clairement une obligation et non pas un pouvoir discrétionnaire accordé à la commission. L'interprétation qu'on fait de l'article laisse

supposer que la commission pourra décider. Nous pensons que le simple fait qu'un médecin atteste, par son certificat médical, l'existence du danger en question est suffisant pour permettre le retrait et que, dès ce moment-là, la disposition prévue à l'article 31 devrait être appliquée.

Nous avons également des commentaires à vous offrir au sujet de la mécanique prévue par le projet de loi 42 concernant la détermination des maladies industrielles rattachées à la pneumoconiose, soit les deux fameux comités d'experts médicaux qui sont mis sur pied par le projet de loi 42. Le comité était d'avis, en étudiant l'effet de cette disposition, que le fait que six médecins se penchent sur le cas d'un travailleur, qui prétend être victime d'amiantose ou de silicose, n'est pas premièrement le gage d'une reconnaissance objective de la présence ou de l'absence d'une maladie industrielle qui y est prévue. On pense, cependant, que le fait qu'un comité de six médecins, ayant décidé qu'il y avait ou qu'il n'y avait pas une telle maladie, va pratiquement faire en sorte qu'il n'y aura plus rien à faire, même si un autre médecin isolé, par son expertise, était à même de venir dire que, quant à lui, il y a maladie industrielle.

On pense donc que la présence d'un seul des deux comités serait suffisante. Trois médecins spécialistes, se penchant sur le problème médical du travailleur, devraient être à même de déterminer d'une manière adéquate s'il y a ou pas de maladie professionnelle, le second comité, celui des présidents choisis parmi d'autres quorums, devient plus ou moins inutile.

Il était de l'avis également du comité que le travailleur accidenté, au cas où il en exprimait le désir, devrait avoir la possibilité de choisir l'un des trois médecins qui seront amenés à recommander à la Commission de la santé et de la sécurité du travail sa décision.

Nous avons un commentaire qu'on retrouvera également plus loin au mémoire quand nous discuterons de l'appel aux articles 245 et 247 du projet de loi. Nous constatons qu'un délai d'appel plus court à la Commission des affaires sociales a été prévu pour les décisions rendues dans l'application de ces articles. Nous ne pouvons trouver de justification raisonnable à un traitement différent dans ces cas-là. Nous pensons qu'un délai d'appel de 90 jours qui existe pour toutes les autres décisions devrait également être celui qui devrait s'appliquer pour les victimes de maladies professionnelles. Encore une fois, on ne voit pas de raisons qui militent en faveur d'une reconnaissance d'un processus différent pour les cas de maladies industrielles par rapport à ceux d'accidents industriels. On remarque également que l'étape de la reconsidération administrative, qui est par ailleurs prévue pour les cas d'accidents, ne se retrouve pas au niveau des maladies professionnelles. (16 h 45)

Je vous amène maintenant à l'article 41 où on prévoit le cas de l'accidenté du travail qui, au moment où il est indemnisé, subirait un accident qui pourrait par exemple être un accident de la route. Le comité a constaté qu'on nie à l'accidenté le choix du régime d'indemnisation qui pourrait s'appliquer dans ce cas. On pense que, dans la mesure où - comme le disait Me Lafontaire tout à l'heure - le régime actuel d'indemnisation en matière d'assurance automobile est plus favorable à certains égards que celui que propose le projet de loi 42, le choix devrait être laissé à l'accidenté de décider en vertu de quel régime l'indemnité devrait lui être versée.

Dans un même ordre d'idées, un commentaire concernant l'article 42 du projet de loi qui concerne le cas de l'accidenté qui subirait un accident du travail dans un endroit qui serait couvert par une autre législation que celle des accidents du travail. Ce serait le cas, par exemple, de l'Ontario. Une présomption aurait pour effet de faire présumer qu'à défaut par le travailleur d'avoir à exercer son option, à savoir qu'il désirerait être indemnisé en vertu du régime québécois, renonce à l'indemnisation en vertu du régime québécois. Nous pensons que, s'il y a lieu d'établir une présomption, elle devrait être à l'effet contraire. Elle devrait être ainsi: le travailleur qui n'a pas fait l'option au moment voulu a choisi d'être indemnisé en vertu du régime québécois des accidents du travail.

Concernant l'article 44, un court commentaire qui nous amenait à vous suggérer une légère modification de cet article, au tout début: lorsqu'on dit "un bénéficiaire", y ajouter "ou son avocat" afin de régler un problème qui se pose à quelques occasions dans les cas où un avocat représente un accidenté du travail devant les instances prévues, soit devant le bureau de révision ou la Commission des affaires sociales. La proposition actuelle laisse supposer que l'avocat devrait obtenir un mandat express, donc écrit de son client, pour obtenir communication, par exemple, du dossier médical qui le concerne. On pense que le mandat de l'avocat qui lui est donné pas son client de le représenter devant les instances qu'on vient de mentionner comporte le mandat de prendre connaissance tout naturellement des documents sur lesquels se fonde cette décision. Ce sont généralement des dossiers médicaux; sauf pour les questions de fait accidentel, les dossiers d'accidentés du travail se règlent généralement à partir d'une preuve médicale. Cela pourrait éviter certaines tracasseries.

Concernant l'article 49, nous avons constaté qu'on avait prévu quelque chose au niveau des étudiants. C'est une mesure que nous avons donc jugée intéressante. Nous pensons cependant que la possibilité de prolonger l'indemnité de remplacement de revenu dans les cas visés à cet article ne devrait pas être soumise à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Nous référons le législateur, à ce sujet, à l'article 21 c) de la Loi sur l'assurance automobile qui prévoit une disposition à peu près semblable dans les cas où c'est cette loi qui est mise en oeuvre. Nous constatons qu'au niveau de la législation sur l'assurance automobile il ne s'agit pas d'un pouvoir discrétionnaire. Nous suggérons donc qu'il en soit de même pour la Loi sur les accidents du travail.

Concernant l'article 53 du projet de loi 42 qui a pour effet de faire passer de cinq à quatorze jours la période pour laquelle l'indemnité de remplacement de revenu sera versée directement par l'employeur à l'accidenté, nous constatons que cette disposition aura pour effet de réduire effectivement certains ennuis budgétaires que connaissaient les accidentés du travail qui avaient à souffrir d'une période de flottement au moment de l'accident et qui avaient souvent besoin de faire une demande d'aide sociale en attendant d'obtenir le paiement de leurs prestations d'accidents du travail. On pense que cette disposition est de nature à réduire ces inconvénients. Nous suggérons toutefois qu'on devrait prévoir les cas où l'employeur refuserait de verser cette indemnité. On imagine difficilement que ces cas pourraient être nombreux. Cependant, il serait bon de prévoir que, dans le cas où un employeur serait récalcitrant, la commission pourrait indemniser elle-même l'accidenté, quitte à ce que ce dernier subroge la commission dans ses droits quant à ces deux semaines.

Je vous amène maintenant à l'article 56 du projet de loi qui prévoit la réduction des indemnités de remplacement de revenu pour les travailleurs âgés de 65 ans. Quant à l'alinéa 1), nous vous avons indiqué ce qui nous semble être une possibilité d'interprétation litigieuse. Nous vous la soumettons. Je m'attacherai plus particulièrement au paragraphe 2 de l'article 56 qui nous semble être ce que nous avons appelé dans notre mémoire une régression par rapport au droit actuel puisque, en effet, la loi actuelle sur les accidents du travail prévoit que la rente pour incapacité partielle permanente du travailleur lui est versée sa vie durant. Le fait de mettre fin à la rente de remplacement de revenu d'un travailleur lorsqu'il atteint 65 ans ou selon tout un mécanisme, selon qu'il aura subi son accident après l'âge 65 ans où on pourra le prolonger jusqu'à 68 ans, cela nous semble aller un peu à l'encontre de l'esprit qui a présidé à l'adoption de la loi sur le régime des rentes dernièrement, ainsi qu'à celle abolissant l'âge de la retraite. Nous vous suggérions, dans notre mémoire, qu'il était possible de se poser une question, à savoir que ce soit possiblement contraire à l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne. Naturellement, on pourrait apporter déjà un début de réponse négative à cette question dans la mesure où l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne indique que c'est sauf dans la mesure où la loi prévoit qu'il y a discrimination. Donc, on pourrait éventuellement argumenter à l'effet contraire, à savoir qu'il n'y a pas discrimination au sens de la charte. Cependant, il n'en demeure pas moins que l'esprit des deux lois auxquelles je viens de faire allusion semblait aller à l'opposé de celui qui préside à la rédaction de l'article 56.

Je vous amène d'un grand bond à l'article 68 du projet de loi où, comme Me Lafontaine le disait dans son introduction, on se rend compte, encore une fois, que le régime d'indemnisation prévu par le projet de loi 42 s'apparente à celui qu'on retrouve actuellement en vertu de la loi sur l'indemnisation des victimes de la route. Nous vous disions au second paragraphe: "Nous constatons cependant que cette ressemblance ne dépasse pas le cadre général du régime. En effet, le quantum des indemnités est souvent inférieur et de beaucoup à celui de la Loi sur l'assurance automobile. L'article 68 en est une illustration éloquente."

On constate, par exemple, que, pour une même situation en matière d'assurance automobile, l'étudiant recevra une prestation de 130,45 $, alors que, s'il subit son accident au travail, l'indemnité sera de 50 $ par semaine. Donc, la question qui se pose à ce stade-ci est de savoir s'il y a vraiment lieu de faire une telle distinction: Un accidenté de la route vaut-il plus ou moins qu'un accidenté du travail? Nous vous disons que nous ne le pensons pas. On suggère donc la même base d'indemnisation, à cette étape, que celle qu'on retrouve au niveau de la Loi sur l'assurance automobile.

Le même commentaire vaut quant au second paragraphe de l'article 68 où on adopte comme base de détermination de l'indemnité le salaire minimum plutôt que la moyenne des revenus de l'ensemble des travailleurs, ce qui est le cas de la Loi sur l'assurance automobile pour des situations semblables. Encore une fois je ne pense pas qu'il y ait de rationnel qui permette de prétendre que l'une des hypothèses sied à un accident du travail alors que l'autre sied mieux à une victime d'accident de la route. Nous vous fournissons des chiffres en ce qui concerne le salaire minimum qui est actuellement de 9152 $ alors que la

rémunération moyenne de l'ensemble des travailleurs serait de l'ordre de 19 247 $. Ça fait toute une différence au niveau de l'indemnité.

Une autre distinction au même article, qu'on retrouve entre les deux régimes: C'est à l'âge de 18 ans que prend effet cette disposition alors que, dans la Loi sur l'assurance automobile, c'est à l'âge de 16 ans qu'on la retrouve.

Finalement, pour en finir avec l'article 68, nous avons suggéré qu'il soit possible de démontrer que l'indemnité devrait être calculée sur une base supérieure en raison d'un historique de travail antérieur plus rémunérateur, en suggérant d'éliminer la limite des douze mois de référence qui nous semble plus ou moins arbitraire.

Quant à l'article 69, j'attirerais d'abord votre attention sur la première ligne où une correction s'imposerait: "Pas plus que pour l'article 63 nous ne voyons ici de justification à ce que le salaire minimum serve de base au calcul de l'indemnité." Il faudrait lire: "l'article 68" au lieu de "l'article 63", l'article qui précède. C'est donc une coquille.

Certaines observations que nous faisions à ce niveau-là rejoignent un peu celle que nous avons faite au sujet de l'article 68. Nous ajoutions qu'il nous apparaissait que la victime, qui avait une expérience de travail antérieur significative, devrait bénéficier de ce point de référence pour faire établir par la commission un revenu brut présumé suivant des dispositions qui pourraient s'inspirer notamment de celles de l'article 20 de la Loi sur l'assurance automobile, ce qui permettrait de tenir compte de l'expérience, du degré de scolarité, des capacités physiques, intellectuelles, etc.

Nous avons accueilli également avec plaisir l'article 71 du projet de loi qui permettait effectivement de tenir compte, dans la détermination de la base de calcul d'une indemnité de quelqu'un qui reçoit déjà une indemnité, du cumul de l'indemnité et du revenu de travail qu'il tire de son nouvel emploi qui peut être moindre.

Quant à l'article 73 du projet de loi qui prévoit une méthode plus équitable de calcul mais qui en laisse une discrétion à la Commission de la santé et de la sécurité du travail, nous pensons que ça ne devrait pas être le cas puisque, si les circonstances, au sens de ces articles, font qu'il est plus équitable de procéder de la sorte, il devrait être possible à l'accidenté d'en débattre devant l'instance de révision ou d'appel s'il ne se déclarait pas satisfait de la décision de la CSST à cet égard-là.

L'article 74 permet également de prévoir un revenu brut plus élevé dans le cas d'un travailleur qui peut démontrer qu'il aurait pu occuper un autre emploi plus rémunérateur. Cependant, on prévoit que cette possibilité n'existera qu'à compter de la deuxième année. Nous ne voyons pas de justification qui permette de distinguer entre l'indemnité qu'il devrait recevoir en vertu des dispositions du projet de loi 42 durant une première année alors qu'on pourrait modifier le calcul au cours de la seconde année pour tenir compte de la réalité du marché du travail, quant à lui.

L'article 75 nous semblait un élément positif du projet de loi. Je pense que personne... L'incitation du retour au travail en soi est une disposition, comme je le disais, qui est très positive. Cependant, nous mitigions notre éloge en disant qu'il y avait peut-être lieu de lui donner un effet incitatif plus probant, par exemple, disions-nous, en doublant les exemptions qui étaient prévues à l'article 75 pour faire en sorte que la mesure incitative de retour au travail puisse permettre aux travailleurs accidentés qui acceptent un emploi moins rémunérateur d'atteindre à peu près, sans toutefois le dépasser, le seuil du revenu brut de l'emploi antérieur qu'il occupait. Cela sera vraiment à ce moment-là une mesure incitative au travail. C'en est déjà une, quoique mitigée. (17 heures)

Des questions se posent cependant à cet égard, auxquelles nous n'apportons pas de réponse. On se demande ce qui arrivera si l'employé perd ce nouvel emploi qu'il accepte à un salaire moindre, ou s'il devient incapable de l'occuper par la suite. On ne semble pas trouver de réponse à cet égard dans le projet de loi 42.

Les articles 79 à 83 du projet de loi viennent, comme le disait Me Lafontaine dans sa présentation, modifier substantiellement le régime d'indemnisation actuel. D'une manière générale, à cet égard, je vous réfère à la première partie du mémoire que vous avez entre les mains. Mais, je vous rappellerai certains des effets prévisibles de ces dispositions. C'est la perte de la possibilité, qui existe actuellement à l'article 38.4 de la Loi sur les accidents du travail, d'évaluer l'incapacité partielle permanente du travailleur en tenant compte, non seulement du déficit anato-mophysiologique de l'accidenté, mais également de son incapacité de retour au travail.

Comme vous le soulignait Me Lafontaine, on peut prétendre que l'article 79, actuellement, combiné avec l'effet de l'article 81 ou 82, accorde une certaine protection qu'on pourrait qualifier d'identique. Cependant, ce n'est pas le cas pour tout le monde. C'est le cas, par exemple, comme le disait Me Lafontaine, d'un travailleur qui recevait un salaire correspondant au maximum de la rémunération assurable en vertu de la loi. Si son incapacité de travail lui permet d'occuper un emploi moins rémunérateur, le

projet de loi, par l'effet combiné, comme je le disais, des articles 79, 81 et 82 permettra d'obtenir une indemnité qui tiendra compte de son incapacité relative de retour au travail.

Cependant, dans le cas du travailleur au salaire minimum qui se verra possiblement envisager un emploi qui commanderait également un salaire minimum ou qui, effectivement, occupera un travail commandant un salaire minimum, il n'en bénéficiera aucunement alors que, physiquement, sa diminution de capacité de travail pourra être réelle et que sa situation physique post-accident ne lui permettra pas nécessairement d'occuper effectivement un emploi disponible sur le marché du travail. Qu'on pense, par exemple, aux nombreux travailleurs accidentés qui sont âgés de 50 ou 55 ans et qui se verraient accorder un déficit anatomophysiologique de 10% ou 15%. Ils pourraient bénéficier des dispositions de l'article 79 et de l'indemnité forfaitaire qui suit mais en pratique, ils pourront très difficilement se retrouver un emploi sur le marché du travail, compte tenu de leur âge, de leur degré de scolarité, de leur expérience souvent unique de travail alors qu'ils entrent en compétition sur le marché du travail avec des jeunes de 25 ou 30 ans qui sont en pleine possession de toutes leurs capacités physiques.

Je pense que ce sont les grands perdants de cette disposition.

D'autres grands perdants des dispositions prévues aux articles 79 et suivants, ce sont les cas actuellement couverts par la loi 52. Ceux qui reçoivent actuellement des indemnités en vertu de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'amiantose ou de silicose dans les mines et les carrières, il y a une disposition transitoire du projet de loi 42 qui fait en sorte que, d'une part, on ne leur réclamera pas ce qui leur a été versé. C'est très bien et cela va de soi. Il y a également une disposition qui fait en sorte que l'indemnité que continuera à recevoir ces gens sera considérée comme une indemnité de remplacement de revenu, donc sujette à l'application de l'article 79. Donc, il y a possibilité au bout de trois ans qu'on présume que ce travailleur serait capable d'occuper un emploi, par exemple, de garçon d'ascenseur ou gardien d'hôpital, auquel cas il y aura diminution de l'indemnité. C'est l'une des grandes victimes de ce changement de régime.

Il est également souligné que le travailleur qui pourrait, au moment où devrait se terminer sa rente de remplacement de revenu en vertu de l'article 79, après trois ans, qui pourrait donc être sujet à l'application des programmes de réadaptation n'y trouvera vraisemblablement pas son compte. N'ayant plus l'indemnité qui s'y rattache, cela risque de réduire de beaucoup l'effet des programmes de réadaptation.

Quant au délai que prévoit cet article 79 pour mettre fin à l'indemnité de remplacement de revenu, nous constatons qu'il est inférieur à celui que prévoit actuellement la Loi sur l'assurance automobile qui fait intervenir cette disposition après cinq ans seulement. On se demande, encore une fois, ce qui pourrait justifier d'accorder un traitement différent à une victime d'accident du travail quand on la compare à une victime d'un accident de la route. Je ne sais pas si l'intention du législateur est de prendre par la suite la loi sur l'indemnisation des victimes d'accident de la route et de réduire à trois ans, ce qui aurait pour effet de niveler par le bas; mais, on se pose de sérieuses questions au comité, à cet égard.

Toujours à propos de l'article 79, nous suggérons de clarifier quelque peu la disposition en ajoutant après les mots "qu'il tire ou" les mots "s'il n'en occupe aucun qu'il" afin d'éviter une interprétation qui aurait pour effet d'appliquer une hypothèse d'emploi commandant un salaire plus élevé à un travailleur qui occupe déjà un nouvel emploi, à un salaire moindre que celui de l'emploi présumé. C'est peut-être aller chercher loin un terme de l'interprétation, mais il serait possible de prétendre à tout le moins qu'avec la rédaction actuelle, quelqu'un qui accepte un emploi même moins rémunérateur se verrait présumer un autre emploi qui, lui, pourrait être théoriquement plus rémunérateur que celui qu'il occupe effectivement et se fasse dire: On ne te la donnera pas, toute l'indemnité complémentaire, parce que tu en occupes effectivement un, mais il te rapporte le salaire minimum et on pense que tu serais capable d'en occuper un qui commanderait un salaire plus élevé. Je ne sais pas si c'est de la paranoïa ou une déformation professionnelle. On pense qu'il serait préférable de clarifier la disposition pour être certain que le problème d'interprétation va se résoudre à sa source.

L'article 79 du projet de loi 42 nous semblait être l'un de ses aspects les plus négatifs. Nous suggérons cependant au législateur qu'au cas où sa proposition de changement de régime d'indemnisation devrait être maintenue, à savoir qu'on adopte le pattern qui existe présentement en assurance automobile, donc, que l'article 79 devrait être conservé, on devrait à tout le moins le modifier pour palier à certains des inconvénients dont je viens de parler. Nous vous suggérons une rédaction que vous retrouvez à la page 31 et qui se lirait comme suit: "À compter de la sixième année suivant le début de son incapacité, si le travailleur demeure incapable d'exercer son

emploi en raison de sa lésion professionnelle, mais qu'il est capable d'exercer un nouvel emploi, son indemnité est évaluée en fonction de sa diminution de capacité de travail." Ou par l'ajout d'un second paragraphe qui se lirait comme suit: "La diminution de capacité de travail est évaluée en tenant compte de la nature de la lésion, de l'aptitude du travailleur à s'adapter à quelque autre occupation appropriée à sa condition, de sa formation, de son expérience de travail, de sa capacité physique et intellectuelle, de son milieu géographique et de son âge." Ce qui selon nous, aurait pour effet de diminuer grandement les inconvénients du changement de régime et de faire en sorte qu'il y aurait encore moyen d'appliquer le test de l'incapacité du retour au travail ou plutôt son pendant de la diminution de capacité de travail également à tout le monde tout en maintenant un régime basé sur le remplacement de revenus. C'est donc une suggestion que nous vous faisons.

De concordance l'article 80, s'il devait être maintenu avec l'article 79, devrait prévoir selon nous deux autres éléments qui permettraient de déterminer quel travail l'accidenté est en mesure d'occuper, ce qui semble avoir été omis ou oublié dans la rédaction actuelle. Il s'agit de l'âge du travailleur et de l'existence de la demande pour un emploi de ce type dans sa région. Effectivement on peut faire, comme cela se fait actuellement avec le Régime de rentes du Québec, de nombreuses projections d'emplois qu'un accidenté du travail même très amoché peut occuper théoriquement. À peu près n'importe qui peut être garçon d'ascenseur, peut être gardien au comptoir de l'hôpital de son coin. Encore faut-il que ce genre d'emploi soit disponible. Mais on pense que l'insertion d'un critère comme celui qu'on propose à l'article 20 est de nature à tempérer un peu les effets possibles de la rédaction actuelle.

Le pendant de l'article 79 qui se retrouve à l'article 81 reçoit quant à nous, en partie, un accueil très favorable. On est satisfait de constater que la douleur, la perte de jouissance de la vie, le préjudice esthétique sont maintenant compensés par cette table à laquelle font référence les articles 81 et 82.

Notre expérience nous fait cependant suggérer qu'il y aurait lieu de préciser que chacun de ces éléments de l'indemnité forfaitaire devrait être précisé séparément pour éviter, entre autres, le problème qu'on connaît actuellement en matière d'assurance automobile qui comporte une supposition quelque peu semblable et qui confond tous et chacun des chefs d'indemnisation pour le dommage corporel. L'accidenté qui, à la suite de traitements médicaux, réussit et fait disparaître totalement son déficit anatomo- physiologique ne se voit pas indemnisé actuellement en matière d'assurance automobile pour la douleur, la perte de jouissance de la vie même s'il a dû subir des traitements qui sont souvent douleureux pendant six, sept ou huit semaines afin de réduire ce déficit, puisqu'ils sont liés à la présence d'un déficit anatomophysiologique. Il y a un jugement de la Cour supérieure de Saint-François, d'ailleurs, qui a déclaré nulle cette disposition en matière d'assurance automobile. Nous vous suggérons qu'on devrait en tenir compte ici pour éviter les mêmes problèmes.

Nous vous suggérons également que l'article 82, qui prévoit que l'indemnisation pour les dommages corporels ne se fonde plus sur le revenu de l'accidenté, nous semble plus équitable que celui de la loi actuelle qui semble discriminatoire. Effectivement, l'indemnité pour dommages corporels et ce qui s'y rattache ne devrait pas dépendre du revenu mais bien de la présence d'un déficit anatomophysiologique plus ou moins consistant et de la présence de douleurs ou perte de jouissance de la vie.

Nous vous disons, cependant, que le quantum des indemnités qui sont prévues à l'annexe B nous semble déficient. Certains calculs que nous avons faits nous indiquent que les montants forfaitaires qui sont prévus à l'annexe B sont, en vertu du projet de loi 42, de deux à dix fois moins "payants" que ce qu'offre le régime actuel quand on capitalise la rente. Naturellement, cela dépend des hypothèses qu'on prend. (17 h 15)

On retrouve également une surprise au niveau de l'annexe, ce qui nous semble à tout le moins une surprise, à laquelle on apporte au moins une explication. C'est qu'à un moment donné le barème en question fait dépendre de l'âge le quantum de l'indemnité et qu'on retrouve deux correspondants pour un travailleur de 56 ans et pour un travailleur de moins d'un an. On a été surpris et on s'est demandé pour quelle raison on prévoyait un montant de 30 000 $ pour un travailleur d'un an. La seule explication qu'on a pu y trouver c'est qu'on a carrément calqué encore une fois cette table sur la Loi sur l'assurance automobile. Si on peut comprendre qu'un enfant d'un an peut être victime d'un accident de la route, on ne comprend pas comment un enfant d'un an peut être victime d'un accident de travail.

On pourrait peut-être échafauder des théories: Le bébé qui fait un commercial de couches Pampers qui reçoit un "spot" -excusez l'expression - sur la tête. Mais cela nous a semblé être une illustration encore une fois du fait qu'on a calqué sur la Loi sur l'assurance automobile les indemnités qui sont maintenant prévues en matière d'accident du travail en vertu du projet de

loi 42.

On a accueilli avec satisfaction également l'article 85 du projet de loi qui prévoit le paiement d'intérêts sur l'indemnité de dommages corporels. C'était une lacune de la loi antérieure que le législateur a décidé de corriger. Nous pensons que c'est conforme aux principes de droit civil généralement reconnus.

Pour la suite, je vous réfère aux articles 96 et 98 où nous suggérons d'ajouter, après les mots "qui pourvoyait", les mots "où était censé pourvoir en vertu d'une entente ou d'un jugement" pour éviter de pénaliser les conjoints qui ont des difficultés de perception de leur créance alimentaire. Nous pensons également qu'il devrait être possible à un ex-conjoint de démontrer qu'habituellement le travailleur décédé pourvoyait à ses besoins dans une proportion plus grande que celle à laquelle il y pourvoyait au moment du décès en raison de circonstances particulières. Pour éviter le cas, par exemple, de l'ex-épouse qui ne recevait pas de pension alimentaire à un moment donné précis parce que, pour une raison X, le travailleur en question aurait pu faire annuler ou diminuer sa pension alimentaire pour des circonstances exceptionnelles et qu'il n'avait pas eu le temps de réagir et de la faire réajuster par la suite. Comme on prévoit une indemnité pour les autres personnes à charge, à ces articles, en fonction du fait que le travailleur pourvoyait à leurs besoins dans une certaine proportion, on aimerait voir apparaître la possibilité de démontrer qu'à titre occasionnel le travailleur ne pourvoyait pas à ses besoins mais qu'habituellement il le faisait.

Je pense que le temps s'écoule. Je vous amène maintenant à la page 40 où il est question de l'assistance médicale et de la réadaptation. Une observation préliminaire nous faisait dire que les privilèges qui sont actuellement prévus à la Loi sur les accidents du travail en matière de réadaptation et d'assistance médicale devraient être reconnus comme des droits véritables. On sait qu'actuellement il est possible d'aller en révision d'une décision dans ces matières mais qu'il n'est pas possible d'aller en appel devant la CAS. Comme le bureau de révision applique systématiquement les directives et les modes de fonctionnement internes de la CSST quant à ces types de prestations, cela nous fait conclure qu'il ne s'agit pas là d'un véritable droit. Nous suggérons donc que l'appel en soit possible.

L'article 132 laisse également une discrétion à la CSST, dont nous prétendons qu'elle devrait être tempérée. Quand il s'agit de la nature, de la nécessité, de la suffisance de l'assistance médicale, on pense que l'expertise du médecin traitant ou de l'expert choisi par le travailleur devrait être respectée. La loi actuelle et le projet de loi 42, à notre avis, font de l'accidenté du travail, en raison de ces dispositions, ce qu'on appelle - faute d'autres expressions -un malade pas comme les autres. Même si le médecin d'un accidenté lui dit que sa situation est X, il peut fort bien arriver que la nature, la suffisance et la durée des traitements soient déterminés autrement par la CSST. Sans nier à la CSST son droit de regard à cet effet, nous pensons qu'il devrait être normal que le travailleur puisse en appeler de la décision et faire valoir éventuellement l'opinion de son médecin.

Nous craignons que des décisions ne soient prises qu'à partir de modèles de récupération médicale statistiques qui peuvent bien refléter des situations moyennes mais qui ne tiennent pas compte de la dynamique particulière de chaque cas. Les études commandées par la commission jusqu'ici attisent cette crainte. On ne règle pas des questions d'éthique professionnelle sur le dos des accidentés. C'est la conclusion du comité qui vous soumet ce mémoire. On suggère donc qu'il soit possible finalement d'en appeler des décisions en matières de réadaptation et d'assistance médicale.

Quant au droit de retour au travail, qui est prévu aux articles 145 et suivants, nous vous disons que nous y souscrivons. Nous sommes heureux de constater l'apparition de ce qui nous semblait une déficience épouvantable dans la loi antérieure. Nous avons certaines remarques concernant certains articles. Je vous dispenserai des commentaires verbaux à leurs égards. Vous pourrez les lire.

Maintenant, l'article 245 du projet de loi 42 modifie le régime actuel de révision pour y substituer ce que le projet de loi appelle un "régime de reconsidération administrative". Après discussion, notre comité en est venu à la conclusion que, malgré les insatisfactions que nous pouvons ressentir face au régime actuel de révision, un véritable processus de révision servirait mieux les intérêts de tout le monde que le processus de la reconsidération administrative que le législateur semble proposer.

D'abord, en droit administratif, je pense que tout le monde peut conclure que, de droit, le fonctionnaire peut reconsidérer sa décision, en particulier pour des erreurs d'écriture ou des erreurs manifestes. On ne voit pas ce que la reconsidération administrative dans ce contexte va apporter de plus. On pourrait peut-être, si on était machiavélique un peu, penser que cela va éviter des délais et que cela va permettre de se rendre plus rapidement à la Commission des affaires sociales, mais on pense qu'un véritable processus de révision pourrait être à même de décongestionner la Commission des affaires sociales qui,

actuellement, dans sa division des accidents du travail est débordée. Vous avez des chiffres très éloquents à cet égard dans le rapport annuel de la Commission des affaires sociales. On constate que, depuis quatre ans, le déficit des causes en attente de jugement s'accroît d'année en année. On pense qu'il est possible, par un véritable processus de révision, de réduire cet effet. Ce processus de révision n'a pas nécessairement à être très complexe. Ce qu'on suggère, quant à nous, c'est d'avoir, par exemple, deux réviseurs qui ne seraient pas liés par les directives admnistratives de la Commission de la santé et de la sécurité du travail et de ce qui constitue son interprétation de la loi et des règlements. Donc, un bureau de révision qui serait maître d'interpréter la loi et les règlements comme le fait un tribunal d'appel. Il serait composé d'un avocat, puisqu'il y est question d'interprétation de lois et de règlements, et d'un médecin, parce que, comme on le mentionnait au tout début, la plupart des problèmes d'accidents de travail mettent en cause des problèmes médicaux.

La possibilité qu'une audition soit tenue sur demande nous semble satisfaire les besoins, étant donné que certains problèmes particuliers ne nécessitent pas obligatoirement d'auditions, d'où un mécanisme qui ne serait pas nécessairement très lourd.

L'article 246 prévoit un délai de six mois quand la Commission des affaires sociales a pris un appel en délibéré, ou même plus tôt. C'est un délai de six mois à partir du moment où un avis d'appel est inscrit. Un tel article permettrait donc à la CSST d'aviser le travailleur que ses prestations peuvent être diminuées ou suspendues si la décision n'est pas rendue dans ce délai. Cela nous semble carrément irréaliste et irrespectueux des droits des accidentés du travail. On ne comprend pas pourquoi les retards accusés par la Commission des affaires sociales dans ses divisions devraient être supportés par un accidenté du travail qui n'y est pour rien dans ce retard la plupart du temps pour en faire supporter l'odieux par la CAS qui est encore une fois débordée. Je ne pense pas que ce soit la faute de la CAS si son rôle en matière d'accidents du travail est si considérable. On juge totalement inadmissible cette disposition.

L'article 247, qui prévoit le droit d'appel à la Commission des affaires sociales des décisions rendues en matière d'indemnité, nous semble reproduire le même problème qu'on connaît avec la loi actuelle. On pense qu'un véritable droit d'appel des décisions devrait être possible de toute décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail en matière d'accidents du travail. Il n'y a pas de raison que seulement les décisions qui portent sur une indemnité ou le quantum d'une indemnité soient susceptibles d'appel. Les décisions qui sont, par exemple, en vertu des dispositions du nouveau projet de loi, sur la détermination qu'on fera d'un emploi hypothétique qu'un travailleur pourrait occuper, qui auront finalement au bout de la ligne une conséquence sur son indemnité, avec la lecture de l'article 247 ces décisions ne sont pas susceptibles d'appel, alors que ce sont des décisions fondamentales. Je pense que l'évolution du droit administratif, récemment, a fait en sorte qu'un régime de législation de sécurité sociale qui est bien mené laisse moins de place à des pouvoirs discrétionnaires que ce qui en était le cas auparavant.

Il y a également l'article 250 qui fait sursauter. On prévoit la possibilité pour la Commission de la santé et de la sécurité du travail de rétracter ses décisions pour des motifs qui s'apparentent à ceux qu'on retrouve au Code de procédure civile aux articles 484 et suivants. Chose curieuse, on permet à la Commission de la santé et de la sécurité du travail de rétracter des jugements rendus par une autre instance qui est la Commission des affaires sociales. Cela nous semble totalement inadmissible. Si l'on pense qu'il doit être possible pour les raisons prévues à l'article 250 de rétracter ces décisions, qu'on donne la possibilité à la CSST de s'adresser à la CAS qui a rendu cette décision pour lui demander de la rétracter mais qu'elle ne le fasse pas à sa place. D'ailleurs, il y a déjà l'article 24 de la Loi sur la Commission des affaires sociales qui prévoit la révision des décisions rendues par la Commission des affaires sociales. La jurisprudence de la Commission des affaires sociales sur cet article, actuellement, fait en sorte qu'elle s'applique effectivement dans les cas de rétractation de jugements quand on regarde en matière civile. (17 h 30)

Finalement, j'aimerais terminer la présentation de la deuxième partie du mémoire en vous adressant quelques mots au sujet des articles 291 et suivants qui prévoient une modification substantielle du régime d'indemnisation des victimes d'actes criminels ainsi que de la Loi sur le civisme. Il a été surprenant de constater, d'abord, que c'est à l'occasion de mesures transitoires qu'on a modifié substantiellement un régime d'indemnisation alors que normalement on s'attend de trouver dans ces mesures transitoires des dispositions qui touchent à d'autres projets de loi ou à d'autres lois mais pour des fins de concordance. Tout le monde sait qu'actuellement le régime d'indemnisation en matière de victimes d'actes criminels applique à ces victimes et à leurs dépendants des indemnités qui sont

versées en vertu du régime des accidents du travail. Ce qu'on constate, avec le projet de loi 42, c'est que non seulement on a diminué les indemnités versées en vertu de la Loi sur les accidents du travail, mais en plus, quand il s'agit d'une victime d'actes criminels, on le fait par un double salto arrière, à rabais encore plus. Par exemple, l'indemnité de remplacement du revenu sera 80% de l'indemnité d'accident du travail qui est, elle, de 90% du revenu net retenu. Je ne pense pas que la victime d'un acte criminel ou la victime d'un acte de civisme mérite un traitement différent. Plusieurs dispositions -j'allais dire de ce nouveau régime - qui modifient ce régime d'indemnisation de victimes d'actes criminels font en sorte, par exemple, que les conjoints vont recevoir beaucoup moins en termes de prestations que ce qui sera le cas pour le conjoint de la victime d'un accident du travail. C'est la même chose également pour celui qui est sans emploi au moment où il est victime de l'acte criminel en question; pendant une période d'un an, il n'aura pas le droit de recevoir la prestation qui est prévue en d'autre temps. On remarque également que le montant de l'indemnité qui est versée à la victime d'actes criminels sera réduite du montant reçu de la Régie des rentes, ce qui n'est pas le cas actuellement également.

On s'est livré, pour des fins de comparaison, à certains exercices permettant de mesurer l'effet de ces dispositions sur les victimes d'actes criminels pour avoir la surprise de constater que dans certains cas l'indemnité qui est versée aux victimes d'actes criminels en matière d'incapacité totale permanente ou plutôt versée aux personnes à charge dans les cas de décès, cela fera en sorte que ces indemnités seront inférieures à ce qu'accorde actuellement la Loi sur l'aide sociale aux gens qui sont soit inaptes ou aptes au travail, mais sans revenu et sans droit à d'autres prestations. Donc, comme le disait Me Lafontaine, le héros ou la victime d'actes criminels va se retrouver indemnisé souventefois moindrement que s'il était un bénéficiaire de l'aide sociale. Naturellement, il aura droit au complément, mais on trouve que c'est inacceptable, compte tenu du fait que la loi actuelle l'indemnise en fonction de la Loi sur les accidents du travail, ce qui fait qu'il n'est jamais indemnisé à un seuil aussi bas. Dans la plupart des situations que nous avons mesurées, nous avons constaté que l'indemnité qui est versée en cas de décès est carrément de moitié par rapport à celle qui est versée en cas d'accident du travail. Nous pensons que le législateur devrait rajuster son tir à cet égard et adopter le régime actuel qui fait dépendre de la Loi sur les accidents du travail le régime d'indemnisation qui est prévu pour ce genre de victimes d'actes criminels ou de civisme.

Le Président (M. Paré): Merci pour la présentation.

M. Collard: Je vous remercie.

Le Président (M. Paré): La parole est maintenant à vous, M. le ministre.

M. Fréchette: Merci, M. le Président. Je voudrais, bien sûr, d'abord remercier Me Lafontaine, Me Collard et les confrères qui les accompagnent. Je suis d'autant plus heureux de le faire qu'au moins trois des avocats qui sont à la table ont été ou sont membres du Barreau de Saint-François qui est le même barreau...

Une voix: Ils ont raison.

M. Fréchette: Pas nécessairement, M. le Président, pas nécessairement. ...donc, du même barreau auquel j'appartiens.

Il est facile de comprendre les motifs pour lesquels la Commission des services juridiques a pris la décision de venir porter, au sens le plus large du terme, ses préoccupations vis-à-vis du projet de loi 42. On l'indique dans le mémoire, d'ailleurs. Je pense que la commission traite tout près de 1800 dossiers par année et à ce seul chapitre c'était, il me semble, encore une fois, suffisant pour justifier à la fois la production du mémoire et l'audition verbale à laquelle nous venons d'assister.

Vous allez comprendre, M. le Président, que je ne vais pas entreprendre de mon côté de commenter tous et chacun des aspects sur lesquels autant Me Lafontaine que Me Collard ont attiré notre attention. Ce qui nous a été soumis se retrouve dans le mémoire. C'est également enregistré au journal des Débats, de sorte qu'il va nous être facile et possible de procéder à l'évaluation de toutes les argumentations qu'on nous a soumises.

Je voudrai simplement effleurer très rapidement deux ou trois des aspects que je considère fondamentaux, ce qui n'exclut pas ni n'évacue pas l'importance des autres sujets que vous avez soumis mais deux ou trois sujets que je considère fondamentaux encore une fois et qui sont dans la foulée des préoccupations que vous nous avez soumises.

Vous attirez d'abord notre attention sur les changements qui interviennent à la loi 52, la Loi sur l'indemnisation des victimes d'amiantose et de silicose. Je vous signalerai à cet égard que, depuis que les auditions de la commission sont commencées, plusieurs groupes, plusieurs organismes nous ont effectivement fait valoir un certain nombre de représentations qui nous ont conduits effectivement vers le cheminement d'une réflexion et sans doute aussi d'une décision qui pourrait aller dans la direction suivante:

Quand on réfère au dossier de l'amiantose, et de la silicose aussi, il faut diviser ce dossier en deux chapitres. Il faut parler du passé et il faut parler de l'avenir. Quant au passé, c'est évident que l'on pense tout de suite à ces travailleurs de l'amiante qui, à un moment ou l'autre, s'étaient prévalus des dispositions de la loi 52 et qui avaient bénéficié des droits - je ne dis pas des privilèges ni des avantages - qu'on croyait retrouver à l'intérieur de cette loi et qui, à un moment donné, à la suite de jugements de cour, s'en sont trouvés exclus à cause de la définition qu'on a donnée au terme "mine", au terme "ouvrier", l'interprétation qu'on a faite d'une réglementation adoptée en 1975 et qui référait à un permis de travail. Il y a un nombre assez considérable de travailleurs qui se sont trouvés exclus de l'application de la loi 52 à partir de ces jugements que vous connaissez sans doute et qui ont été rendus d'ailleurs dans le district de Saint-François.

Il y a aussi un nombre assez impressionnant de travailleurs de l'amiante de la silice qui ont été exclus de l'application de la loi 52 à cause du changement assez étonnant, par ailleurs, dans un diagnostic médical original.

L'orientation qui est envisagée par rapport à ce qu'on pourrait appeler le passé, encore une fois je l'ai dit ce matin à l'Association des mines d'amiante du Québec, le statut de tous ces travailleurs nous apparaît être protégé par la loi autant eu égard au passé qu'au présent, qu'à l'avenir. Ce que la loi spécifie c'est que toute décision rendue en cette matière avant le 3 septembre 1983 reconnaissant des droits en vertu de la loi 52 devra demeurer ce qu'elle a été nonobstant les appels qu'on retrouve actuellement devant ou bien les bureaux de révision ou alors devant la Commission des affaires sociales.

Bien sûr qu'il a fallu faire le départage entre les notions de droit strict, les notions de juridisme encadré et les notions d'équité, de justice naturelle. Je ne suis pas en train de vous dire que tout le monde est satisfait de cette disposition, mais c'est, jusqu'à maintenant, la ligne de conduite qu'a adoptée le gouvernement et qu'il entend suivre jusqu'à l'adoption du projet de loi 42.

Quant à l'avenir maintenant, beaucoup de représentations nous ont été faites, des inquiétudes nous ont été soumises quant aux dispositions des articles 28 et suivants et, plus particulièrement, de mémoire, celles de l'article 35, il me semble, qui prévoit que la commission rendra une décision après que le comité des présidents de pneumoconiose lui aura soumis son appréciation. Ce qui semble vouloir se dessiner maintenant, c'est que le comité de pneumoconiose prépare un rapport à l'intérieur duquel on pourrait retrouver des éléments qui ressembleraient au suivant, par exemple. Est-ce qu'il y a ou non une pathologie d'amiantose ou de silicose? Il me semble que cela va de soi que le premier élément qu'on retrouve dans l'évaluation médicale, ce soit celui-là. S'il y a effectivement pathologie, à quel degré la retrouve-t-on? Troisièmement, quel est, à cause de la pathologie et de son degré, l'affectation des capacités fonctionnelles du travailleur? Et certains autres éléments qu'on pourrait retrouver à l'intérieur de l'évaluation qui serait faite par les comités de pneumoconiose.

Lorsque cette évaluation va être connue, il appartiendra aux mécanismes normalement prévus à l'intérieur de l'entreprise, ou aux organismes qui administrent les mécanismes, d'évaluer les conclusions de l'évaluation médicale et, en même temps, l'opportunité ou la non-opportunité d'un retour au travail. À l'intérieur même de l'entreprise, il y a, dans la plupart des cas, des mécanismes déjà prévus pour évaluer ce genre de situation. S'il arrivait qu'à l'intérieur de ce fonctionnement il n'y ait pas d'entente qui soit possible, il faudrait, nous semble-t-il, après avoir entendu jusqu'à maintenant beaucoup d'intervenants là-dessus, remettre le dossier à une instance habilitée, ayant la juridiction pour rendre une décision et trancher le litige. L'instance devrait être à tous égards indépendante de la Commission de la santé et de la sécurité du travail elle-même. Elle serait appelée, effectivement, à trancher ce genre de litige. Alors, c'est la direction que, vraisemblablement, nous allons prendre par rapport aux dossiers de l'amiantose et de la silicose. Et cela semble rejoindre l'assentiment d'à peu près toutes les parties qui se sont exprimées à ce sujet. Évidemment, nous n'avons pas, à l'occasion de cette commission, procédé à établir les technicités ou les modalités de ces processus dont je viens de parler, mais au plan des principes, en tout cas, cela semble bien, encore une fois, les conclusions vers lesquelles nous nous dirigeons.

À partir de cette première observation, je rejoins, Me Collard, une autre inquiétude que vous nous avez soumise quant au chapitre global de l'assistance médicale. À cet égard aussi, je n'ai pas besoin d'insister pour vous dire, vous le savez sans doute, que beaucoup de personnes venues s'exprimer en commission, sous une forme ou sous une autre, nous ont soumis les mêmes préoccupations en invoquant un argument qui revient constamment, l'argument en vertu duquel le médecin traitant devrait être celui ou est celui dans les faits qui est le plus habilité à se prononcer sur l'état général du patient qui l'a traité et sur sa capacité de réintégrer ou pas son travail. Alors, cela rejoint vos préoccupations quant à l'article 132.

(17 h 45)

Donc, à partir de ces observations, des représentations constantes et insistantes qui nous ont été soumises, je peux signaler dès cet après-midi que, à toutes fins utiles, la décision est maintenant prise de faire en sorte que l'évaluation ou le certificat du médecin traitant soit reçu par la commission, que la commission - parce qu'il faut bien que quelqu'un à un moment donné fasse l'évaluation du rapport du médecin traitant -procède à évaluer le rapport du médecin traitant, que la commission, à la suite des renseignements qui lui sont fournis par des professionnels de la santé, confirme le rapport du médecin traitant ou l'infirme dans un sens ou dans l'autre. Évidemment, s'il est confirmé, cela ne fait pas problème. Mais, s'il était infirmé ou si les positions des professionnels de la santé étaient à ce point différentes qu'il y a quelque chose quelque part qui ne va pas, il faudra aussi soumettre le tout à l'appréciation d'un organisme "médical". Quel pourrait-il être? C'est le genre de réflexion à laquelle nous nous portons actuellement. Mais ce à quoi nous pensons, c'est de demander à la corporation des médecins de fournir, par exemple, une liste de 150, 200 ou, enfin, autant de professionnels de la santé que l'on voudra qui accepteraient de procéder à ce genre d'évaluation et d'agir en quelque sorte comme des "arbitres", bien que je n'aime pas l'utilisation du terme, de l'évaluation médicale qui a été faite par deux professionnels de la santé. Cette liste de médecins pourrait être accréditée par le Conseil consultatif du travail ou alors par le conseil d'administration de la CSST, peu importe, il faudrait voir. Ces gens-là seraient habilités à trancher le litige. Alors, ce ne serait plus, en matière d'assistance médicale, la commission qui aurait le dernier mot. La commission serait liée par le jugement qui serait rendu par cet organisme dont je suis en train de vous parler.

Finalement, une autre préoccupation qui revient dans votre mémoire et qu'on a entendue de tous les organismes, fussent-ils issus du milieu patronal ou du milieu syndical, c'est effectivement le mécanisme d'appel à travers lequel il faut actuellement procéder. Vous l'avez souligné à juste titre: le projet de loi 42 dans sa forme actuelle, tel que déposé en première lecture, prévoit la disparition des bureaux de révision, leur remplacement par une forme de reconsidération administrative qui n'est pas -j'en conviens - balisée à l'intérieur de la loi mais au fur et à mesure que les travaux de la commission progressent nous nous rendons compte qu'il y a sans doute lieu de penser très sérieusement à la formation d'une institution permanente sans doute régionalisée à l'intérieur de laquelle on va trouver des représentants de toutes les disciplines qui peuvent être reliées à l'application de la loi et qui constitueraient une espèce de commission d'appel de toute matière soumise à la commission et qui peut faire l'objet d'un litige ou d'un contentieux.

Cette institution serait évidemment à tous égards différente et distincte de la commission elle-même, complètement évacuée politiquement et autrement de la commission elle-même. Voici ce qu'il nous faut évaluer maintenant; est-ce que, si un tel tribunal d'appel - et retenez que la juridiction d'appel va être élargie pour faire en sorte que toutes les décisions de la commission puissent faire l'objet d'un appel -devait être prévu dans la loi et mis sur pied, il est encore utile de garder comme mécanismes d'appel les bureaux de révision et la Commission des affaires sociales? Si on peut donner à cette institution le caractère que je viens de décrire, il me semble que ce serait inutilement multiplier les mécanismes d'appel que de conserver le bureau de révision et la Commission des affaires sociales. Je vous livre à ce stade la réflexion que l'on a menée en termes de principes étant entendus que, quant aux modalités, il y a évidemment un bout de chemin à faire.

Finalement, c'est mon dernier commentaire, autant Me Collard que Me Lafontaine, vous avez fait référence à la politique d'incitatifs de retour au travail que l'on retrouve dans la loi. Nous avions cru qu'il s'agissait là effectivement d'une politique qui pouvait atteindre les objectifs pour lesquels on l'avait introduite dans la loi. Cependant, toutes les associations de travailleurs et de travailleuses, les associations syndicales que nous avons entendues jusqu'à maintenant, pour des motifs que je ne conteste pas du tout, que je ne partage pas nécessairement mais que je ne consteste pas, nous ont demandé de retirer de la loi cet incitatif qui y était prévu. Vous allez comprendre que les employeurs n'auront pas d'objections à une semblable décision et que, si par ailleurs toutes les associations syndicales nous disent que l'on doive procéder à retirer cette disposition d'incitatif au travail, nous allons évidemment le faire sans aucune espèce de réserve si cela nous est demandé par tout le monde à qui cela allait devoir s'appliquer.

C'est très rapidement, bien sûr, les quelques commentaires que je voulais vous soumettre à la suite de vos représentations. Je veux simplement profiter de mes conclusions pour vous réitérer mes remerciements.

Le Président (M. Paré): On vous remercie. M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Merci, M. le Président. Premièrement, j'aimerais remercier le

président et les membres de la Commission des services juridiques pour un excellent mémoire. Je pense qu'ils ont résumé en grande partie toute la pensée de l'Opposition. J'aimerais poser deux ou trois questions sur la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels et aussi sur le fonctionnement de la commission.

En ce qui concerne la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, j'aimerais rappeler aux membres de la commission que celle-ci fut adoptée en 1971 pour pallier un problème social considéré comme important par le gouvernement de l'époque. Aussi, en 1971, le Parti québécois, qui était dans l'Opposition, par la voix du Dr Camille Laurin, se disait alors en faveur des principes, soulignant que son programme proposait l'adoption d'une telle loi.

Toutefois, le Dr Laurin avait certaines réserves et il a demandé si le quantum des dommages était suffisant. C'était à l'époque, en 1971. On est en train de le diminuer. Aussi, il s'inquiétait de savoir à quel ministre les députés pourraient s'adresser en ce qui a trait à l'application de cette loi. Dans la loi, on a prévu que ce serait le ministre de la Justice qui sera responsable de l'administration de la loi. Aussi, le ministre de la Justice est responsable, sur le plan administratif, de la Commission des services juridiques qui est devant nous aujourd'hui.

En lisant les journaux, j'ai appris que le ministre du Travail se désolidarisait du ministre de la Justice en ce qui concerne cette loi ou du moins il a dit qu'il n'était pas prêt à défendre ou expliquer la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. M. le Président, j'aimerais proposer qu'on suspende la séance pour quelques minutes et qu'on fasse venir le ministre de la Justice pour qu'il puisse être ici et assiste aux travaux de la commission quand il s'agit de discussions sur une loi qui tombe sous sa compétence, sa responsabilité. Je n'aimerais pas faire de commentaires sur une loi quand le ministre responsable de celle-ci n'est pas ici. Je pense que ce serait peut-être un peu injuste de ma part. J'aimerais demander si on peut suspendre et faire venir le ministre de la Justice pour qu'il nous assiste dans l'étude de ce projet de loi.

Le Président (M. Paré): M. le ministre.

M. Fréchette: M. le Président, je ne vois pas en vertu de quelle disposition du règlement vous pourriez retenir la proposition que vient de faire le député de D'Arcy McGee et, de surcroît, procéder - je ne sais pas de quelle façon - pour que le ministre de la Justice soit ici. Je vous signalerai simplement, M. le Président, la réponse que j'ai déjà faite à des questions de cette nature qui m'ont été soumises depuis le début des travaux de la commission. À ceux d'abord qui s'étonnaient de voir que ces dispositions étaient incorporées à la loi 42, il faut très certainement rappeler que toute l'administration de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels et de la Loi sur le civisme est confiée à la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Il n'y a donc, à mon sens, absolument rien d'extraordinaire dans le fait que l'on retrouve dans la loi 42 les dispositions auxquelles on se réfère.

L'autre aspect - je rejoins à ce chapitre l'argumentation que vient de vous soumettre le député de D'Arcy McGee - est sur le fait que j'ai signalé aussi, en réponse à une semblable question, que les représentations que l'on soumettait à cette commission vont, de toute évidence, être transmises à qui de droit. Ces mêmes représentations pourront être portées à leur connaissance autant par les mémoires écrits que nous avons reçus qu'en colligeant toutes les argumentations verbales qui nous ont été soumises. Il me semble que les objectifs que l'on vise, ces objectifs étant de tenter de convaincre le ministre de la Justice et les autres qui peuvent avoir des décisions à prendre à cet égard, sont reçus par l'actuelle commission et vont être transmis à qui de droit. Les décisions devront se prendre après que ces argumentations auront été évaluées. Je vous signale comme seul exemple, M. le Président, que, depuis que nous avons amorcé nos travaux dans cette commission, j'ai déjà, quant à moi, procédé à, comme disait un journaliste récemment, lever le voile sur certains amendements vers lesquels nous allons. Il n'est donc pas exclus - la commission est faite strictement pour cela -que, lorsque les personnes habilitées à prendre des décisions auront procédé à l'évaluation des dispositions qui sont contenues dans la loi et les auront mises en parallèle avec les représentations faites, il y ait également des choses qui se passent. Je ne vois pas, M. le Président, de quelle façon nous pourrions avancer nos travaux par rapport aux objectifs visés si le ministre de la Justice était là.

Deuxièmement, je ne vois surtout pas par quelle disposition du règlement vous pourriez agréer ou recevoir une requête de cette nature.

Le Président (M. Paré): M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: M. le Président, premièrement je pense que le ministre a mal interprété la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. Ce n'est pas la Commission de la santé et de la sécurité du travail qui est responsable pour l'administration de la loi.

Le ministre de la Justice est responsable quoiqu'il y a une certaine délégation dans la loi à cette commission pour certaines fins. Le ministre a bien dit que toutes les représentations qu'on fait ici seront transmises à qui de droit, c'est-à-dire au ministre de la Justice. Si on n'a pas besoin dans ce sens physiquement du ministre de la Justice pour l'étude de son projet de loi, je ne vois pas pourquoi on a besoin de la présence physique du ministre du Travail pour son projet de loi. Ce ne serait pas nécessaire d'avoir des ministres ici. On va tout leur transmettre par le courrier ou même par Purolator s'il veut vraiment voir cela vite.

En vertu de quel droit je demande que le ministre de la Justice soit ici? En proposant qu'il soit ici, j'ai pense que ce serait d'une façon unanime que la commission pourrait l'inviter. Cela va de soi que la commission peut établir ses propres règles de travail. Je demande une autre fois que le ministre du Travail suspende pour que son collègue vienne nous expliquer son projet de loi et, s'il est d'accord, j'imagine que le président de la commission sera d'accord aussi, parce que la commission est maître de ses invitations, si je puis j'exprimer ainsi. (18 heures)

Le Président (M. Paré): M. le député de D'Arcy McGee, en réponse à votre demande, je dois vous rappeler que le but de la commission est d'entendre les représentations des personnes et des groupes intéressés au projet de loi 42 et que le projet de loi est de la compétence du ministre du Travail qui est ici présentement. Donc, vous émettiez le souhait que le ministre de la Justice soit mis au courant ou participe. Vous avez le droit d'exprimer un souhait, sauf que la commission n'a pas convoqué et n'a pas à convoquer un autre ministre. Le fait que vous demandiez de suspendre les travaux quelques minutes pour permettre au ministre de la Justice de venir, c'est aussi un souhait, parce qu'il n'y a rien qui nous dit que le fait de suspendre quelques minutes, ce ne serait pas suspendre quelques heures ou plus. Donc, je crois que ce n'est pas recevable, du fait aussi que nous avons convenu d'entendre les groupes et de les entendre de façon continue. Par conséquent, nous ne pouvons pas, à ce moment-ci, suspendre quelques minutes, parce que les quelques minutes ne sont pas calculables, au départ.

M. Marx: M. le Président...

Le Président (M. Paré): Et je vous rappelle encore que le but de cette commission n'est pas de discuter avec d'autres ministres, mais bien de faire l'audition des mémoires présentés par les groupes qui ont bien voulu venir nous les présenter.

M. Marx: C'est cela. M. le Président, peut-être puis-je reprendre ma demande. On pourrait faire la convocation pour l'heure du dîner, ce qui va donner plus de temps au ministre de la Justice de venir. De toute façon, le ministre du Travail est-il prêt à donner son consentement pour qu'on convoque le ministre de la Justice, oui ou non? S'il dit non, le débat est terminé sur cette question.

Le Président (M. Paré): M. le ministre.

M. Fréchette: M. le Président, je pensais que le député de D'Arcy McGee avait compris l'argumentation que vous avez invoquée à l'appui de votre décision. Le mandat que nous avons de l'Assemblée nationale, c'est de procéder à l'audition de groupes et/ou organismes qui ont des représentations à nous faire. À cet égard, je ne vois pas comment nous pourrions recevoir la proposition du député de D'Arcy McGee, compte tenu très précisément du mandat que nous avons reçu de la commission et que nous avons très respectueusement exercé depuis le début de la commission. Il y a d'autres étapes qui sont prévues au projet de loi qui vont faire en sorte que le ministre de la Justice sera très certainement là pour répondre aux questions des députés comme la procédure le prévoit.

M. Marx: Le ministre est-il d'accord pour convoquer le ministre de la Justice, oui ou non?

M. Fréchette: M. le Président, je n'ai aucun pouvoir pour convoquer maintenant le ministre de la Justice. Je sais cependant qu'il a suffisamment le sens des responsabilités pour être présent au moment où nous allons procéder à l'étude du projet de loi et au moment où il devra, comme responsable de l'application de cette loi, expliquer les motifs que l'on retrouve à l'appui des dispositions qui sont dans le projet de loi 42. Je n'ai pas, quant à moi, à prendre aucune espèce d'engagement de convoquer ou de ne pas convoquer le ministre de la Justice. Cela va de soi qu'au moment approprié il sera là pour donner les explications qui s'imposent.

M. Marx: Oui, mais le problème, c'est qu'un des moments appropriés, c'est maintenant. Si le ministre était prêt à inviter le ministre de la Justice à venir, je pense que ce serait une bonne invitation, mais, je vois que le ministre du Travail ne veut dire ni oui ni non. Il ne sait pas ce qu'il veut dire, mais de toute façon, on va laisser les choses comme elles sont pour le moment. C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'explications du gouvernement, à savoir pourquoi on veut, comme les membres de la Commission des services juridiques l'ont dit,

mettre les victimes d'actes criminels sur le même pied que les bénéficiaires de l'aide sociale. On ne le sait pas. On peut seulement critiquer. Le ministre du Travail, qui est responsable du projet de loi 42, ne le sait pas non plus. On aurait pensé qu'un ministre qui dépose un projet de loi saurait le pourquoi des dispositions de ce projet de loi. Il est très éloquent en ce qui concerne la commission, les amendements et tout cela, mais quand il arrive aux articles qui touchent la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels, il reste bouche bée. Il ne sait pas pourquoi, dans son projet de loi, on propose de diminuer les prestations des victimes d'actes criminels. C'est la première fois que j'assiste à l'étude d'un projet de loi où le ministre ne sait pas pourquoi on a fait quoi que ce soit dans son projet de loi. Voilà, c'est cela aujourd'hui.

J'aimerais demander aux membres de la Commission des services juridiques, parce qu'on ne peut pas discuter pour savoir pourquoi on a diminué les prestations, s'ils sont d'accord avec un amendement que nous avons proposé à cette Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels. C'est-à-dire que, maintenant, le ministre de la Justice veut pénaliser les victimes d'actes criminels, mais non pas les criminels eux-mêmes, et je m'explique. Nous avons proposé qu'un criminel qui profite de ses actes criminels ne pourrait pas utiliser ses profits. À supposer qu'un criminel écrit un livre ou fait un film qui concerne les actes criminels qu'il a commis, il ne pourrait pas bénéficier de l'argent ou des profits parce que nous avons proposé que cet argent soit mis dans un compte spécial de la Commission de la santé et de la sécurité du travail et que ce soit possible pour les victimes de poursuivre l'auteur du crime pour se faire indemniser. Dans le même sens, nous avons suggéré que, dans le cas où la victime ne poursuit pas l'auteur du crime, ce serait possible pour la commission de le faire. Ce serait une façon d'empêcher les criminels de profiter de l'exploitation de leurs actes criminels. J'aimerais avoir l'avis de la Commission des services juridiques sur un tel amendement, si je me suis expliqué assez clairement.

M. Lafontaine: Je pense, M. le député, que vous vous êtes exprimé clairement. Ce que je peux dire, c'est que je n'ai pas de mandat pour représenter la Commission des services juridiques sur un projet déposé par l'Opposition. Je ne l'ai pas encore vu et on n'en a pas encore discuté en comité. C'est sûr que, si jamais il y a un projet de loi qui est déposé à cet effet, on le regardera et cela nous fera plaisir de faire connaître notre opinion ici, cela va de soi.

M. Marx: Vous pouvez toujours exprimer une opinion personnelle.

M. Lafontaine: Non, j'aime autant ne pas exprimer...

M. Marx: On ne s'attend pas que la commission soit liée sur chaque point.

M. Lafontaine: Non, je viens ici comme président de la commission et je ne peux pas m'exprimer personnellement.

M. Marx: Voilà pour cette loi. En ce qui concerne la commission, vous avez dit au début que vous aviez beaucoup d'expérience devant cette commission. J'aimerais vous rappeler que cette commission a le pouvoir d'adopter des règlements, le pouvoir d'émettre des directives et aussi le pouvoir de trancher certains litiges, c'est-à-dire que la commission va faire adopter un règlement, va faire émettre des directives. Ensuite, si le citoyen veut contester ce règlement qui a été adopté par la commission, il se trouvera devant cette commission qui va, bien sûr, comment dirais-je? défendre sa propre réglementation. Aussi, étant donné que la commission a tout le gouvernement derrière elle, elle pourra aller jusqu'à la Cour suprême. Même si le citoyen gagne, il perd, en fin de compte.

M. Lafontaine: Est-ce que vous permettez que je m'exprime sur le sujet?

M. Marx: Oui.

M. Lafontaine: Dans le cadre de la Loi sur l'aide juridique, il est permis de fournir à une personne qui n'a pas les moyens financiers de se rendre jusqu'à la Cour suprême d'excellents avocats avec d'excellentes expertises. Je pense que là-dessus ce n'est pas un problème. Maintenant, pour contester des règlements, on peut s'adresser aux tribunaux ordinaires s'il s'agit d'un règlement contesté. D'ailleurs, on l'a déjà fait vis-à-vis de certains organismes aussi.

M. Marx: II y a une clause privative dans la loi.

M. Lafontaine: Qui empêche de contester des règlements, jamais. Ce n'est pas possible.

M. Marx: Souvent on va devant la commission. Je vais vous donner un exemple, l'affaire Commission des normes du travail contre dame Granger, dans une décision de la Cour provinciale de Joliette qui a été rendue en juillet 1982. C'était la Commission des normes du travail qui voulait savoir si une personne dont la fonction principale est de garder les enfants est assujettie à l'application de la Loi sur les normes du travail adoptée en 1979. Bien que victorieuse

contre la commission, Mme Granger garde un très mauvais souvenir de son aventure judiciaire. Elle déclarait aux médias: J'ai l'impression d'avoir servi de cobaye à la Commission des normes du travail qui savait probablement que la cause ne pouvait qu'aboutir aux résultats que l'on connaît. En m'obligeant à me défendre, ce qui m'a occasionné des pertes de temps et d'argent, la commission voulait une cause type, c'est-à-dire la commission traînait quelqu'un devant la cour pour faire interpréter un de ses règlements. La personne a gagné, mais ces frais n'étaient pas remboursés. En effet, c'était une injustice. Comment la commission voit-elle un tel problème? Est-ce qu'il y a des façons de rembourser ces personnes qui se trouvent dans cette position? Je peux vous lire une citation que je trouve assez bien du juge Monet, de la Cour d'appel de Québec, qui disait avec beaucoup de justesse, il n'y a pas longtemps: La personne qui met en oeuvre ce droit ne doit pas en sortir appauvrie, bien que victorieuse, en raison des frais engagés dans le procès. Je pense qu'il y a beaucoup de vérité.

M. Collard: Je ne connais pas le jugement auquel vous faites référence, sauf que, selon vos dires, il s'agit d'un jugement qui implique la Commission des normes du travail avec une citoyenne qui tentait, à ce que j'en comprends, d'exercer les droits qu'elle prétendait découler de cette loi. Elle a dû poursuivre en Cour provinciale pour je ne sais trop quelle raison. Si vous tentez de raccrocher aux propos que vous teniez auparavant cet argument, personnellement, je pense qu'il est toujours possible de contester la validité d'un règlement d'application d'une loi devant les tribunaux de droit commun, en particulier en Cour supérieure. L'effet des clauses privatives en droit administratif est bien connu. C'est que, dans la mesure où il s'agit d'un excès ou d'un défaut de juridiction, les clauses privatives n'ont pas d'effet et les tribunaux acceptent, en conséquence, de les confirmer ou de les infirmer. Que le citoyen doive faire les frais d'une poursuite pour y arriver, je n'ai pas de commentaire particulier là-dessus. Je pense que cela a toujours été le régime juridique dans lequel on a vécu. Les citoyens qui sont administrés par l'aide juridique se voient dispensés du paiement des honoraires de l'avocat. Celui qui ne l'est pas, heureusement ou malheureusement, doit assumer les frais de son procureur. Je n'ai pas d'autre commentaire.

M. Marx: Vous ne pensez pas qu'il faut peut-être réviser les lois pour plutôt favoriser ceux qui se trouvent devant ces commissions? Même à la Commission des services juridiques, les gens n'ont pas le droit d'aller en appel, c'est-à-dire ils ont le droit d'aller en appel, mais c'est souvent refusé. Cela veut dire qu'il y a une évaluation qui se fait. Ce n'est pas automatique. Il y a des gens qui aimeraient aller en Cour d'appel et se font refuser par la commission pour des raisons valables, peut-être. Je comprends que souvent la commission pourrait même être surchargée d'appels et à un moment donné il faut en refuser un certain nombre. Ou est-ce que les refus sont faits en fonction des dossiers pour lesquels la commission ne pense pas qu'il y aurait de bonnes chances de gagner en appel? De toute façon, il y a beaucoup de citoyens qui se voient refuser le droit d'appel pour des raisons valables ou non, mais je reçois des plaintes dans ce sens aussi. (18 h 15)

M. Lafontaine: M. le Président, je ne comprends pas si on est en commission parlementaire sur les crédits de la Commission des services juridiques ou si on est en train de parler du projet de loi 42 sur les accidents du travail. Mais je vais quand même répondre à votre question, parce que cela touche de plus près l'administration de la Commission des services juridiques. Effectivement, sur 260 000 clients dans une année, il y a 1300 personnes qui font appel au comité de révision qui est formé de deux avocats de pratique privée et d'une travailleuse sociale qui va réévaluer la vraisemblance de droit et le côté économique. Il y a eu aussi des brefs de prohibition et de certiorari qui ont été exercés vis-à-vis de ce tribunal et des cours se sont prononcées disant que c'était un tribunal tout à fait administratif et non pas une instance judiciaire et que, consé-quemment, il ne pouvait pas y avoir un appel. Je vous cite des jugements qui ont été rapportés par les cours simplement. Quant aux délais, je peux vous dire que les délais sont presque inexistants. Le délai maximum qu'on a eu a été de trois mois. Il faut vous dire qu'il faut souvent courir après la preuve pour la préparer pour la personne elle-même. Cela a toujours été notre philosophie: donner la chance au coureur et préparer son dossier autant que possible.

M. Marx: Merci. Étant donné que le ministre de la Justice n'est pas ici, je n'ai pas d'autre question.

Le Président (M. Paré): Vous avez terminé? Il n'y a pas d'autres questions? Alors, nous vous remercions beaucoup de la présentation de votre mémoire et d'avoir accepté de répondre à nos questions.

Tel qu'entendu au début de l'après-midi, nous allons dès maintenant permettre l'audition du mémoire présenté par la Fédération des travailleurs forestiers du Québec dont j'invite les représentants à

prendre place immédiatement à l'avant.

Alors, bienvenue à la commission. Avant de faire la présentation de votre mémoire, j'inviterais le porte-parole à s'identifier et à nous présenter les personnes qui l'accompagnent.

Fédération des travailleurs forestiers du Québec

M. Duguay (Louis-Albert): À ma gauche, M. Robert Fortin, membre du conseil d'administration de notre fédération; M. Jean-Paul Poirier, secrétaire du Syndicat des travailleurs forestiers du Saguenay-Lac-Saint-Jean; à ma droite, M. Claude Jobin, secrétaire du Syndicat des travailleurs forestiers du Québec (Nord); M. Noël Dionne, membre du conseil d'administration de la Fédération des travailleurs forestiers du Québec; M. Wilbrod Dufour, vice-président de la fédération; M. Réal Houde, président de la fédération; moi-même, Louis-Albert Duguay, secrétaire général de la fédération.

M. le Président, si vous permettez, le mémoire que nous vous présentons n'est pas une analyse complète du projet de loi 42, mais veut faire connaître les principales préoccupations que les travailleurs forestiers ont vis-à-vis de cette future loi et aussi en fonction des problèmes qu'ils ont connus avec l'ancienne loi sur la Commission des accidents du travail du Québec. Étant donné que le mémoire n'est pas tellement volumineux, on va le lire ensemble.

La Fédération des travailleurs forestiers du Québec désire, par le présent mémoire, faire connaître son opinion sur le projet de loi 42 et également faire des suggestions concrètes sur certaines partie de la loi qui, à notre avis, demeurent imprécises pour des catégories d'employés qui continueront d'être pénalisés par l'application de cette loi, tout comme ils le sont actuellement par l'application des politiques établis par la CSST, notamment sur le calcul des revenus.

Après avoir analysé brièvement le projet de loi 42, on se rend vite compte que le grand principe qui se dégage de ce projet de loi vise à diminuer de façon significative le coût de l'administration pour le paiement des indemnités de remplacement du revenu, soit des indemnités à verser à la famille d'un travailleur décédé à la suite d'un accident du travail.

Une autre observation que nous désirons faire, c'est en ce sens que ce projet de loi prévoit beaucoup de possibilités pour la commission de faire des règlements en fonction des pouvoirs qui lui sont confiés, et la note explicative au début de la loi nous apparaît très conservatrice lorsqu'on y lit: "Ce projet de loi confère à la commission quelques pouvoirs réglementaires et établit le mode d'entrée en vigueur des règlements." Pourtant, dans les faits, à chaque chapitre, on y retrouve plusieurs possibilités pour la commission d'établir des règlements qui, eux, ne sont pas soumis à l'approbation du public par le biais d'une commission parlementaire. Nous sommes d'accord qu'une loi ne peut pas tout prévoir, mais nous croyons cependant qu'il ne faut pas ouvrir toutes grandes les portes sur des règlements rendant parfois l'application de la loi très difficile et portant souvent à confusion pour les personnes qui ont à l'administrer. Ce sont souvent les travailleurs qui en défraient la note.

Pour mieux vous illustrer notre pensée, nous vous donnons l'exemple suivant: actuellement, il existe dans la politique de la CSST pour le calcul des revenus en fonction d'une indemnité à payer, 18 façons différentes de calculer le revenu d'un travailleur. Donc, chaque fonctionnaire ayant à traiter ces dossiers peut interpréter de façon différente le statut d'un travailleur en fonction de son interprétation du règlement. Nous croyons qu'il y aurait lieu dans ce projet de loi de minimiser la possibilité de règlements qui sont parfois très arbitraires et qui ne donnent pas justice aux travailleurs, car, dans une loi sur les accidents du travail, nous croyons que rien ne doit être laissé au hasard pour que le travailleur victime d'un accident ne soit pas, en plus, pénalisé dans le paiement des indemnités qui lui sont dues.

Cela nous amène à vous parler plus précisément des travailleurs que nous défendons, soit les travailleurs forestiers. Nous ne croyons pas nécessaire de vous faire une grande présentation sur l'importance de cette classe de travailleurs dans l'économie québécoise. Il suffit de dire qu'un travailleur forestier procure du travail à une personne sur huit au Québec pour en comprendre toute l'importance. Nous pourrions ajouter à cela une série de chiffres tout aussi importants les uns que les autres pour confirmer notre allégation. Nous aimerions ajouter à cela qu'au niveau des accidents du travail ils sont situés les premiers dans les secteurs prioritaires, selon la CSST. Cela n'est pas peu dire.

Malgré cela, le projet de loi nous semble plutôt muet pour cette catégorie de travailleurs, ce qui nous amène à faire un certain parallèle avec d'autres lois où les travailleurs forestiers sont, à toutes fins utiles, exclus d'une partie de leur application. Notons la loi 49 sur la formation et la qualification professionnelles où à l'article 45 il est spécifié ceci: "Sauf dans les cas d'entreprises à caractère saisonnier ou intermittent, tout employeur qui, pour des raisons d'ordre technologiques ou économiques, prévoit devoir faire un licenciement collectif doit donner avis au ministre dans les délais minimaux suivants: deux mois lorsque le nombre des

licenciements envisagés est au moins égal à dix et inférieur à 100; trois mois lorsque le nombre de licenciements envisagés est au moins égal à 100 et inférieur à 300; quatre mois lorsque le nombre de licenciements envisagés est au moins égal à 300. "Dans le cas de force majeure ou lorsqu'un événement imprévu empêche l'employeur de respecter les délais ci-dessus, il doit aviser le ministre aussitôt qu'il est en mesure de le faire."

L'article, qui se continue, spécifie que dans un tel cas il doit y avoir un comité de reclassement, etc. Cependant, selon les personnes chargées d'appliquer cette loi, les travailleurs forestiers sont exclus de l'application à cause du terme "sauf dans les cas d'entreprises à caractère saisonnier ou intermittent."

Le deuxième exemple concerne la Loi sur les normes du travail, section IV, article 82, qui se lit comme suit: "Malgré l'article 1668 du Code civil et sauf dans le cas d'un contrat à durée déterminée ou pour une entreprise déterminée, un salarié qui justifie chez le même employeur d'au moins trois mois de service continu a droit à un préavis écrit avant son licenciement ou sa mise à pied pour au moins six mois. Ce préavis est d'une semaine si le salarié justifie de moins d'un an de service continu, de quatre semaines s'il justifie de cinq ans à dix ans de service continu et de huit semaines s'il justifie de dix ans de service continu ou plus. Le présent article ne s'applique dans le cas des cadres."

Cependant, à la suite d'une multitude de plaintes portées par nos membres en 1982 sur l'application de cet article, la commission chargée d'appliquer la loi a décidé que celui-ci ne s'appliquait pas dans le cas de travailleurs forestiers puisque le terme "contrat à durée déterminée" s'appliquait dans leur cas. Donc, toutes les plaintes furent rejetées et nous joignons, comme annexe A, une lettre de ladite commission à cet effet.

Si nous avons jugé bon de vous apporter ces deux exemples à l'appui de nos prétentions, c'est que, premièrement, nous ne voudrions pas que le problème se reproduise avec le projet de loi 42 et, deuxièmement, nous n'avons pas tous les jours l'occasion de participer à une commission parlementaire où l'occasion est propice pour signaler certaines anomalies dans certaines lois ouvrières au ministre du Travail - nous comprenons évidemment que les deux lois auxquelles nous référons s'adressent au ministre de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu, mais nous croyons que le ministre sera en mesure de faire le message à Mme Marois à ce sujet - même si nous débordons quelque peu du sujet principal sur lequel nous nous empressons - au lieu d'empêchons - de revenir, afin de vous livrer nos commentaires et recommandations sur les chapitres et articles où nous croyons nécessaire qu'il y ait des améliorations apportées, si ce projet de loi devait suivre son chemin.

Article 43. Nous voudrions voir insérer dans cet article: Si un régime public ou privé d'assurance accepte d'indemniser un travailleur en attendant que la CSST statue sur sa réclamation, que l'employeur ne puisse se servir de cette acceptation pour contester l'accident comme tel.

Chapitre IV, article 53. Nous avons certaines réserves sur la prolongation à quatorze jours payés par l'employeur, ce qui peut constituer une occasion très propice pour accentuer le problème des travaux légers en milieu forestier et, pour certains employeurs, de négliger de faire un rapport d'accident malgré les dispositions des articles 172 et 175, ce qui aurait pour but de pénaliser un travailleur s'il y a aggravation dans les années subséquentes. De plus, nous ne croyons pas nécessaire l'insertion du troisième paragraphe.

Article 63. Nous demandons l'insertion d'une partie qui détermine les revenus bruts du travailleur forestier qui tient compte du caractère saisonnier et cyclique de l'entreprise. Nous ne croyons pas que le travailleur forestier, déjà très fortement pénalisé par ces deux impondérables, soit également pénalisé lorsqu'il subit un accident du travail. Actuellement, la façon de calculer les gains bruts d'un travailleur forestier est fortement préjudiciable et ce projet de loi ne corrige rien à cette situation carentielle.

Actuellement, la méthode de calcul du revenu brut est faite de la façon suivante: Établir le revenu selon les gains réalisés chez son employeur au cours des douze mois précédant la date de l'accident et ce, jusqu'à concurrence du maximum annuel assurable, ou les gains réalisés chez plusieurs employeurs pour le même emploi ou les gains d'un travailleur de même catégorie - article 46,2 - ou l'ordonnance de la Commission des normes du travail, ou le montant de la protection personnelle pour tenir compte des prestations d'assurance-chômage.

Dans la pratique, lorsqu'un travailleur forestier est accidenté, on applique cette politique qui a pour conséquence que lorsqu'une durée d'opération est à peu près normale, soit de huit à dix mois, le travailleur peut ne pas être pénalisé mais, comme nous l'avons déjà mentionné, nous avons affaire à une entreprise saisonnière et cyclique, dû aux conditions du marché.

Il est arrivé qu'en 1982 la plupart des travailleurs forestiers qui ont réussi à se trouver un emploi n'ont travaillé que trois à quatre mois, ce qui a eu pour conséquence que leur salaire annuel a été de beaucoup inférieur à une année normale, ce qui fait que les travailleurs forestiers qui ont eu un

accident du travail en 1983 ont fortement été pénalisés en recevant l'indemnité de remplacement basée sur la politique actuelle de calcul. Certains ont même dû se contenter du salaire de base des normes minimales de travail, tel que prévu dans la politique actuelle du calcul du revenu brut. Cela n'est pas corrigé par la présente loi.

À cet effet, nous demandons que, pour les travailleurs forestiers, le calcul du revenu brut lors d'un accident de travail soit fait de la façon suivante: Lorsque l'accident survient au début d'une saison d'opération, que l'on prenne pour fins de calcul ses gains réalisés chez ce même employeur la saison précédente, y inclure l'augmentation de la convention collective de l'année en cours et diviser par le nombre de jours de travail effectifs afin d'établir le revenu brut en période de travail.

Si l'accident survient cinq semaines après le début de la saison d'exploitation en cours, prendre les gains réalisés depuis le début de la saison, diviser par le nombre de jours de travail pour calculer son revenu brut.

Pour un travailleur forestier ayant travaillé chez plusieurs employeurs, faire le même calcul pour chacun des emplois effectués pour en arriver au calcul du revenu brut.

Pour un nouvel employé qui n'aurait pas cinq semaines de travail faites au moment de l'accident, s'il s'agit d'un travailleur à taux horaire, on devrait prendre le salaire prévu à la convention pour l'occupation concernée, multiplier par le nombre d'heures hebdomadaires prévues à la convention et s'il s'agit d'un travailleur à taux forfaitaire, prendre la moyenne du salaire journalier des travailleurs de même catégorie de l'année précédente majorée de l'augmentation prévue à la convention collective, s'il y a lieu.

Ces différents modes de calcul du revenu brut établiraient ses droits à l'indemnité de remplacement prévue par la loi, car il nous apparaît anormal que le travailleur forestier soit pénalisé, comme c'est le cas présentement, à cause des facteurs déjà énumérés, soit le caractère saisonnier et cyclique de l'entreprise.

Cette base du calcul servirait également pour les indemnités de décès prévues à la section III du même chapitre, sur lesquelles nous avons certaines réserves sur le mode d'un montant forfaitaire déboursé, soit au conjoint ou aux enfants, car, selon les personnes touchées, la formule préconisée dans le projet de loi peut avoir de bonnes comme de mauvaises conséquences. S'il s'agit uniquement du conjoint sans enfant, le fait de recevoir un montant forfaitaire en remplacement d'une rente mensuelle n'a pas trop d'importance. S'il s'agit d'un conjoint avec des enfants, le problème peut être différent selon les qualités administratives de la personne qui reçoit les montants alloués. À ce chapitre et pour le cas d'un conjoint avec des enfants d'âge scolaire, nous préconisons le maintien d'une rente mensuelle indexée au coût de la vie, tel que spécifié dans le projet de loi, section V, chapitre IV.

L'article 117 de la section VI chapitre IV, devrait également s'appliquer dans les cas des contestations de la part des compagnies sur la nature d'un accident et avec les mêmes effets au niveau du recouvrement car, présentement, beaucoup d'employeurs contestent le bien-fondé d'une réclamation d'accident du travail et pendant toute cette période qui s'écoule entre le moment de la contestation au bureau de révision et devant la Commission des affaires sociales, ce qui prend généralement de six mois à un an et parfois davantage, le travailleur concerné ne reçoit aucune compensation et, lorsqu'il s'agit d'incapacité totale temporaire, il doit référer à l'aide sociale pour continuer à vivre, pour ne pas dire vivoter. Il nous apparaît donc nécessaire d'inclure dans ce projet de loi une formule quelconque qui freinerait cette politique actuelle de contestation. (18 h 30)

À l'article 149, nous demandons de biffer le deuxièmement car nous croyons tout à fait normal qu'un employé accidenté du travail continue d'accumuler ses jours de vacances, ainsi que ses congés de maladie, tout comme s'il était demeuré au travail. D'ailleurs, la loi des normes du travail, article 74, deuxième paragraphe, le spécifie.

Chapitre X, Compétence de la commission et appel. À la lecture de ce chapitre, nous constatons, à moins d'erreur, la disparition des comités de révision et soyez assurés que nous n'avons pas l'intention d'en demander la reconstitution. Toutes les recommandations que vous avez pu recevoir lors de la commission parlementaire sur l'administration de la CSST illustrent assez bien ce que tous les intervenants à la défense des travailleurs accidentés pensaient de ces comités qui étaient à la fois juge et partie.

Nous ne reviendrons pas sur ce sujet, mais nous croyons quand même que le projet de loi 42 devrait être plus explicite au chapitre des appels concernant surtout les délais qui devaient être prévus pour que la Commission des affaires sociales agisse avec diligence, car ce n'est pas tout de spécifier à l'article 247, deuxième paragraphe, que cet appel est instruit et jugé d'urgence.

D'après nous, un nombre de jours doit être fixé pour l'audition de la cause à être entendue et également pour rendre la décision. Comme indicatif, nous suggérons que l'audition ait lieu dans les 30 jours de la contestation et qu'une décision soit rendue dans les dix jours de l'audition, car il faut

comprendre que, dans la plupart des cas, à moins que la nouvelle loi y pourvoie, ces individus concernés par ces contestations sont sans ressources financières et leur situation financière est fortement compromise.

Nous aimerions ajouter aux recommandations formulées qu'étant donné la nature des exploitations forestières et surtout qu'actuellement les compagnies forestières favorisent de façon presque outrancière le régime de sous-traitance dans l'exécution du travail, nous demandons que le concessionnaire forestier soit considéré comme l'unique employeur auprès de la CSST, ceci afin d'éliminer que certains travailleurs soient ou s'excluent eux-mêmes de l'application de la loi par souci d'économie.

Ce sont là, M. le ministre, les observations que nous avions à formuler sur le projet de loi 42 qui corrige, d'après nous, certaines situations assez confuses que nous avons à vivre actuellement mais, selon la Fédération des travailleurs forestiers du Québec, il faut y apporter d'autres correctifs dans le sens que nous vous l'avons exprimé.

Nous aimerions, avant de terminer complètement, soumettre qu'en milieu forestier, on a certains problèmes qu'il serait peut-être possible de prévoir au niveau du projet de loi 42 concernant le phénomène de Raynaud qui est prévu dans les maladies professionnelles. Malheureusement, nous observons une carence et un manque de spécialistes pour détecter ce genre de maladie au Québec. Nous avons des cas bien précis de travailleurs qui ont eu à faire face à ce problème et nous avons mis près de deux ans à faire admettre la maladie comme telle parce que les expertises de certains médecins disaient que c'était un phénomène naturel, alors que, pour d'autres, c'était le phénomène de Raynaud. Ce n'est qu'au bout de deux ans qu'on a réussi à faire admettre que cet individu était atteint du phénomène de Raynaud. Nous croyons qu'il y aurait lieu d'avoir, si ce n'est pas dans la loi au moins à la Commission de la santé et de la sécurité du travail ou dans la future loi qui remplacera celle des accidents du travail, des spécialistes à cet effet car, comme certaines recherches l'ont démontré, il y a quelques années, il y a au-delà de 30% des travailleurs forestiers qui sont atteints par le phénomène de Raynaud. Donc, c'est très important dans le milieu. C'était une observation supplémentaire que je voulais ajouter à notre mémoire.

Le Président (M. Paré): Merci beaucoup, M. Duguay, pour la présentation de votre mémoire. La parole est maintenant au ministre du Travail.

M. Fréchette: Oui, M. le Président. Avant de faire des commentaires d'ordre très général, qui sont d'ailleurs très courts, je demanderais à M. Duguay, s'il le voulait, de nous préciser ce que c'est, le phénomène de Raynaud, pour notre information. Il y en a qui le savent, d'autres qui ne le savent pas. Pourriez-vous tout simplement donner un peu plus d'explications?

M. Duguay: Le phénomène de Raynaud - on l'appelle aussi la maladie de la main blanche - est un problème causé par un outil vibratoire qui fait en sorte que les vaisseaux sanguins dans les mains ou dans les pieds, ou partout sur le corps, se brisent et occasionnent un refroidissement des membres atteints, ce qui fait que certains travailleurs, dès le début du mois de septembre ou du mois d'octobre, vont commencer à avoir froid aux mains ou froid aux pieds et seront ainsi obligés de quitter leur travail ou de faire un autre travail à l'intérieur. Comme vous le savez, en forêt, il n'y a pas tellement de métiers à l'intérieur. C'est un problème qui est assez considérable pour nos membres.

M. Fréchette: Merci, M. Duguay. Écoutez! Je viens de vous signaler que mes observations seraient très brèves. C'est d'ailleurs conforme à votre mémoire qui est, par ailleurs, très explicite. Quatre préoccupations nous sont soumises dans votre mémoire, si j'ai bien identifié les choses sur lequelles vous voulez attirer notre attention.

Il y a d'abord - c'est la préoccupation principale, je pense - la méthode actuellement utilisée pour évaluer le revenu. C'est cela qui me semble être le point principal du mémoire que vous nous soumettez. À cet égard, d'autres travailleurs saisonniers nous ont également fait des représentations dans le même sens et cela m'apparaît procéder du sens commun des choses que l'on doive effectivement regarder cela de très près et voir quelle décision pourrait être prise pour tenter d'établir une espèce d'équité dans tout cela. Mais retenez que l'on retient votre recommandation et vous devriez être informés à cet égard dans les meilleurs délais.

De plus, c'est votre préoccupation quant aux pouvoirs réglementaires de la commission. Là-dessus, également, beaucoup d'autres organismes nous ont fait des représentations qui rejoignent celles que vous nous soumettez. Je voudrais simplement attirer votre attention sur le fait que la loi actuelle prévoit qu'il y a 26 pouvoirs réglementaires possibles qui sont attribués à la commission. Ce qui a été fait dans l'exercice de transition entre la loi actuelle et le projet de loi 42, c'est que 20 de ces règlements qui existent ont été transposés dans la loi directement, réduisant d'autant, évidemment, les pouvoirs réglementaires de la commission. La commission ne peut

maintenant faire de réglementation qu'à l'égard de six sujets bien identifiés les uns les autres. Il y a la dernière disposition qui semble faire problème quand on dit que la commission peut faire une réglementation pour l'application de la loi à tout chapitre qu'elle croit utile. Évidemment, cela reste large, mais je vous signale qu'à cet égard nous n'aurions pas d'objection à faire disparaître cette espèce de pouvoir omnibus qui est contenu dans la loi.

Là où je suis un peu étonné, M. Duguay, par rapport au contenu de votre mémoire, c'est quant aux préoccupations que vous nous soumettez sur l'obligation qui serait faite à l'employeur, si le projet de loi était adopté dans son état actuel, d'assumer le paiement ou le coût des quatorze premiers jours d'absence à la suite d'un accident du travail. J'ai cru comprendre de votre mémoire, à moins que je vous interprète mal, que vous souhaiteriez qu'on enlève purement et simplement la disposition qui prévoit que l'employeur doive payer les quatorze premiers jours d'absence. Encore une fois, j'ai de la difficulté à comprendre la nature ou les motifs qui président à cette requête, compte tenu que la disposition a été incorporée à la loi pour toute espèce de motifs, et j'en résume deux seulement. C'est pour faire en sorte que, lorsqu'un accident entraîne une absence de quatorze jours ou moins, le travailleur soit immédiatement payé plutôt que d'attendre qu'une décision administrative ne soit cheminée avec tous les délais que vous connaissez et souvent, les accrochages qui se présentent en cours de processus de dossier. Donc, le premier objectif pour lequel cette disposition est dans la loi, c'est de faire en sorte que le travailleur accidenté soit le plus rapidement possible payé lorsque, encore une fois, l'accident ou la maladie professionnelle occasionne une absence qui est de quatorze jours ou moins.

Le deuxième motif, c'est un objectif d'accélération de l'administration globale de la commission. Vous savez, il y a, au bas mot, 80% des accidents ou des maladies qui occasionnent des absences qui sont de moins de quatorze jours. 80%, cela veut dire entre 150 000 et 200 000 dossiers par année. S'il arrivait que la disposition de quatorze jours soit maintenue, une des conséquences importantes, c'est qu'il y a entre 150 000 et 200 000 dossiers qui, actuellement, entrent dans la machine administrative, qui n'y entreraient pas autrement.

Ce sont les deux principaux motifs pour lesquels la disposition est là. Maintenant, c'est là-dessus que j'apprécierais vous entendre élaborer un peu et être bien sûr que l'objectif que vous poursuivez, c'est de faire disparaître cette disposition.

M. Duguay: Je pense que notre mémoire n'est peut-être pas assez élaboré sur ce sujet. Sur le principe de la paie de quatorze jours, nous ne sommes assurément pas en désaccord avec votre projet de loi. Le problème se situe... C'est qu'en forêt, on a connu beaucoup de mauvaises expériences au niveau des rapports d'accidents ou des accidents non déclarés. Vous devez sans doute vous souvenir qu'en 1970-1979 le président actuel de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, M. Sauvé, a fait faire des expertises dans certaines compagnies pour vraiment avoir le portrait réel des accidents en forêt parce qu'on camouflait, à toutes fins utiles, beaucoup d'accidents - on le mentionne ici - en les mettant sur le fardeau des travaux légers. Ou, on ne déclare pas l'accident, on dit au gars: Tu vas rester au travail et, à ce moment, cela ne dérange pas ta paie. Sur ce principe, on est tout à fait d'accord. Notre crainte se situe à ce niveau: Si le projet de loi est suffisamment clair pour obliger les compagnies forestières ou autres compagnies à déclarer tout accident, nous sommes entièrement d'accord avec la politique que vous adoptez.

C'est tout simplement là qu'est notre inquiétude parce qu'on a connu des situations très difficiles, où un accident d'un travailleur n'ayant pas été déclaré, lorsqu'il y a aggravation, on ne peut plus revenir. C'est là qu'est notre problème.

M. Fréchette: Très bien.

Le Président (M. Paré): M. le député de Viau.

M. Cusano: Merci. M. Duguay, je vous remercie de la présentation de votre mémoire. Le ministre vient de toucher la question de quatorze jours pour laquelle j'avais demandé des précisions. Cela va être une question de moins. J'aimerais avoir un peu plus d'explications sur les bureaux de révision. Vous mentionnez à la page 11 de votre mémoire que vous n'avez pas l'intention d'en demander la reconstitution. Tous les commentaires que vous avez pu percevoir lors de la commission parlementaire de décembre illustrent qu'il y a beaucoup de difficultés avec ces bureaux de révision. Le projet de loi fera disparaître ces bureaux de révision. Si le ministre n'apporte pas d'amendement au projet de loi tel quel, les bureaux de révision seraient remplacés par un processus administratif, une décision administrative. Une des grandes accusations, une des plus graves accusations qu'on portait auprès du bureau de révision, c'est qu'il était juge et partie. Le processus d'une révision administrative, c'est encore la même chose. C'est d'être juge et partie. Est-ce que vous pouvez nous dire ce que vous envisagez, en ce qui concerne

spécialement une question de litige, pour régler cela sans qu'il y ait un mécanisme d'appel? (18 h 45)

M. Duguay: Écoutez, je pense que j'étais présent tout à l'heure lorsque le ministre a annoncé qu'il entendait... Je l'ai vu également dans les journaux. J'ai également dit au début de la présentation de notre mémoire que nous ne l'avions pas analysé en profondeur. Ce que vous signalez, c'est sûr que ce ne serait pas tellement mieux que les bureaux de révision, les décisions administratives. Mais il m'a semblé tout à l'heure, dans l'explication que le ministre a donnée aux gens qui sont passés avant nous, que ce qu'il entend faire pourrait corriger en très grande partie les problèmes que nous avons actuellement, tant au bureau de révision qu'au bureau des affaires sociales; non pas que le bureau de la Commission des affaires sociales représente les mêmes défauts dans les décisions qu'il prend ou qu'il a à prendre, mais à cause de la lenteur à faire étudier et analyser nos dossiers. Mais je dis, sous l'impulsion du moment, que j'accepte l'explication que le ministre nous a donnée tantôt comme un procédé d'appel qui pourrait être inclus dans la loi. En d'autres termes, j'achète son produit...

M. Cusano: M. Duguay...

M. Duguay: ...quitte à y voir les défauts lorsque le temps viendra.

M. Cusano: Exactement. Quelquefois, il y a beaucoup de contradictions entre les discours et la réalité d'un projet de loi. C'est pour cela que j'ai demandé depuis un certain temps que, puisqu'il semble réaliser de plus en plus que des amendements s'imposent au projet de loi, le ministre devrait nous les faire connaître de façon formelle, pour qu'on ne perde pas notre temps. J'espère que votre interprétation de ce que le ministre a dit depuis les deux derniers jours, spécialement sur cette révision de processus administratifs, se concrétisera par des amendements très clairs et très précis.

J'aurais une autre question d'ordre général. Sur la question du montant forfaitaire qui est prévu dans le projet de loi pour une incapacité permanente, mais qui n'empêche pas l'individu de travailler, qui remplacerait le pourcentage, la rente à vie pour une incapacité, est-ce que vous êtes en faveur de ce montant forfaitaire ou si vous préférez le statu quo?

M. Duguay: Je dis qu'à brûle-pourpoint nous préférons garder le statu quo à ce niveau, parce qu'un montant forfaitaire demeure toujours arbitraire d'abord et, deuxièmement, ne règle pas beaucoup de problèmes. Cela va régler les problèmes financiers momentanément quand, bien souvent, l'individu n'en doit pas une partie à l'aide sociale. Or, je pense que, pour nous, les montants forfaitaires - nous le disons, d'ailleurs, concernant les décès - cela ne règle pas le problème. Et pour l'incapacité permanente, non plus.

M. Cusano: Je présume aussi que l'incitatif pour le retour au travail ne vous plaît pas non plus?

M. Duguay: Non.

M. Cusano: Bon. Une dernière petite question. Cela me tracasse toujours quand je vois cela dans les mémoires qui nous sont présentés. À la première page - je crois bien que c'est à la première page - vous dites qu'il y a 18 façons différentes de calculer le revenu d'un individu. C'est à la deuxième page, excusez-moi...

M. Duguay: Effectivement...

M. Cusano: ...au deuxième paragraphe: "Actuellement, il existe dans la politique de la CSST, pour le calcul des revenus en fonction d'une indemnité à payer, 18 façons différentes pour calculer le revenu d'un travailleur." Sur ce, vous avez mentionné le fait que les fonctionnaires ayant à traiter des dossiers pourraient interpréter de façon différente le statut d'un travailleur. Est-ce que vous pouvez me donner un exemple de ces différences?

M. Duguay: Je l'ai ici devant moi. Un moment donné, on parle d'un travailleur à temps plein, contrat à durée indéterminée, et on parle d'un travailleur saisonnier; on en vient à un travailleur forestier qui est un travailleur saisonnier; alors, il y a le travailleur saisonnier et le travailleur forestier. De quelle façon doit-on l'interpréter, de quelle façon le fonctionnaire peut-il l'interpréter? Selon le fonctionnaire à qui le dossier est confié, il peut l'interpréter comme étant un travailleur saisonnier, tout comme il peut... Vous savez, c'est un peu cela qu'on a rencontré. J'ai ici les 18 façons de traiter les dossiers. Cela nous a toujours paru un processus de décision extraordinaire.

M. Cusano: D'accord. Je vous remercie, au nom de ma formation politique, particulièrement d'avoir accepté d'avancer votre présentation de 20 heures à 18 heures. Cela accommode tout le monde, spécialement les membres de cette commission...

Une voix: ...de l'Opposition.

M. Cusano: ...Oui, oui, cela accommode

les membres de l'Opposition et les membres du côté ministériel, parce que les journées passées sous les lumières que vous voyez sont très fatigantes, et cela, pour ne pas porter plainte à la Commission de la santé et de la sécurité du travail; je vous en remercie.

M. Duguay: Les travailleurs forestiers sont habitués à être tellement ponctuels qu'ils sont toujours avant leur temps.

Des voix: Ah! Ah!

M. Duguay: Alors, c'est pour cela qu'on a pu répondre à votre demande.

Le Président (M. Paré): Au nom de tous les membres de la commission, nous vous remercions de votre contribution aux travaux de la commission et de votre collaboration pour avoir accepté de changer les heures. La commission ayant rempli une bonne journée, je crois, et entendu tous les mémoires qu'elle devait entendre, cela lui permet d'ajourner ses travaux jusqu'au mardi 6 mars, à 10 heures.

(Fin de la séance à 18 h 52)

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