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Version finale

27e législature, 3e session
(14 janvier 1964 au 31 juillet 1964)

Le mercredi 12 février 1964 - Vol. 1 N° 22

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Journal des débats

 

Le mercredi 12 février 1964.

(Deux heures et demie de l'après-midi)

M. LE PRESIDENT: Qu'on ouvre les portes. Let the doors be opened.

A l'ordre, messieurs. Affaires courantes.

Présentation de pétitions. Lecture et réception de pétitions. Présentation de rapports de comités élus. Présentation de motions non annoncées. Présentation de bills privés. Présentation de bills publics.

M. JOHNSON: M. le Président, la grève ou l'arrêt de travail des instituteurs dans les Cantons de l'Est semble prendre des proportions extrêmement graves. On parle même de 15,000 enfants qui ne sont pas aux études. Le ministre pourrait-il nous dire s'il envisage de prendre certaines mesures pour tâcher de faire reprendre les cours le plus tôt possible.

M. GERIN-LAJOIE: M. le Président, à la suite des renseignements que j'ai communiqués à la Chambre hier, je peux dire aujourd'hui que j'ai reçu d'une bonne douzaine, sinon une quinzaine, de commissions scolaires parmi celles qui sont en cause, des résolutions demandant la constitution d'un tribunal d'arbitrage.

Alors, à la suite de ces demandes reçues hier après-midi à mon bureau, j'écris aujourd'hui même aux associations, aux syndicats de professeurs travaillant dans ces diverses commissions scolaires en leur demandant de nous désigner leurs représentants syndicaux pour siéger à ces conseils d'arbitrage. Et, j'ai évidemment l'intention de procéder de la façon habituelle pour la nomination aussi des présidents de ces conseils d'arbitrage. Dans les circonstances...

M. JOHNSON: Quel est le terrain du litige? Est-ce une question de salaire seulement?

M. GERIN-LAJOIE: Il s'agit de conventions collectives. Sûrement qu'il y a des questions de salaire en cause qui...

M. JOHNSON: Surtout.

M. GERIN-LAJOIE: ... doivent constituer la base principale de discussion. Mais je sais qu'il y a aussi des problèmes de procédures qui ont été soulevés et je n'ai pas d'autres renseignements pour le moment.

M. JOHNSON: Même en l'absence du procureur général, je crois qu'il est urgent de poser cette question, quitte à ce qu'elle soit convertie en avis. Les journaux rapportent un incident extrêmement grave: la détention d'un enfant de huit ans, pendant une semaine, en cour juvénile. On rapporte que le procureur général a reçu tout le dossier et qu'il est saisi du problème et de tous ses aspects. Les gens qui ont fait la dénonciation dans les journaux sont des gens dont la réputation est excellente. C'est un organisme très sérieux: les Chantiers du Québec. Je sais bien que ce n'est pas la faute du premier ministre ni du procureur général, mais il faudrait bien qu'on prenne les mesures nécessaires pour que ça ne se répète pas.

M. LE PRESIDENT: Affaires du jour.

M. LESAGE: Numéro 33.

M. LE PRESIDENT: M. Arsenault propose la troisième lecture du bill numéro 10: « Loi modifiant la Loi des acquisitions et aliénations d'immeubles par les corporations et les gens de mainmorte ». La motion sera-t-elle adoptée?

M. JOHNSON: Adoptée.

M. LE PRESIDENT: Adoptée.

M. LE GREFFIER ADJOINT: Troisième lecture de ce bill. Third reading of this bill.

M. LESAGE: Numéro 34.

M. LE PRESIDENT: M. Arsenault propose la troisième lecture du bill numéro 5: « Loi prolongeant la Loi pour favoriser la conciliation entre locataires et propriétaires ». La motion sera-t-elle adoptée?

M. JOHNSON: Adoptée.

M. LE PRESIDENT: Adoptée.

M. LE GREFFIER ADJOINT: Troisième lecture de ce bill. Third reading of this bill.

M. LESAGE: Numéro 35.

M. LE PRESIDENT: M. Laporte propose la troisième lecture du bill numéro 15: « Loi modifiant la Loi pour favoriser l'exécution de travaux d'hiver par les municipalités ». Cette motion sera-t-elle adoptée?

M. JOHNSON: Adoptée.

M. LE PRESIDENT: Adoptée.

M. LE GREFFIER ADJOINT: Troisième lecture de ce bill. Third reading of this bill.

M. LESAGE: Numéro 36.

M. LE PRESIDENT: M. Lafrance et M. Lesage proposent la troisième lecture du bill numéro 3: « Loi modifiant la Loi de l'adoption ». Cette motion sera-t-elle adoptée?

M. JOHNSON: Adoptée.

M. LE PRESIDENT: Adoptée.

M. LE GREFFIER ADJOINT: Troisième lecture de ce bill. Third reading of this bill.

M. LESAGE: Numéro 37.

M. LE PRESIDENT: M. Lesage propose la troisième lecture du bill numéro 4: « Loi concernant la pension des membres de l'Assemblée législative ». Cette motion sera-t-elle adoptée?

M. JOHNSON: Adoptée.

M. LE PRESIDENT: Adoptée.

M. LE GREFFIER ADJOINT: Troisième lecture de ce bill. Third reading of this bill.

M. LESAGE: M. le Président, je propose que les bills privés mentionnés aux item 48 à 51 inclusivement soient maintenant lus une deuxième fois et référés au Comité des bills privés.

M. LE PRESIDENT: La motion sera-t-elle adoptée? Adoptée.

M. LE GREFFIER ADJOINT: Deuxième lecture de ces bills. Second reading of these bills.

M. LESAGE: Numéro 38.

M. LE PRESIDENT: M. Gérin-Lajoie.

M. GERIN-LAJOIE: M. le Président, je me contenterai simplement de conclure brièvement à la suite de ce que j'ai eu l'occasion de dire hier en cette Chambre sur le bill 16.

Au programme libéral de 1960, nous avions inscrit la revision de la capacité juridique de la femme mariée. A la suite du rapport de la Commission Nadeau, le gouvernement élu en 1960 sur la foi de son programme, propose a la Chambre l'adoption du bill 16 qui non seulement donnera la capacité juridique à la femme mariée en ce qui concerne l'administration de ses biens mais ira encore plus loin et donnera à la femme mariée un statut nouveau en ce qui concerne la responsabilité envers les enfants envers la famille tant au point de vue moral et intellectuel qu'au point de vue strictement financier et administratif.

Disons seulement, pour être modeste et rester en deçà de la vérité, de ce côté-ci de la Chambre nous continuons à respecter les engagements inscrits à notre programme et à poursuivre la réalisation de ce programme en le poussant à ses conclusions logiques.

Plusieurs orateurs ont expliqué hier comment l'évolution de la philosophie sociale et l'évolution: des structures sociales ont changé dans les faits le rôle de lafemme. On a aussi rappelé que, depuis des décennies, des citoyens et des citoyennes clairvoyants ont milité activement en faveur de la pleine capacité de la femme mariée. Aujourd'hui le gouvernement propose l'adoption du bill 16. Disons, pour être modeste de nouveau, que nous, le gouvernement, ne faisons en cela que notre devoir, en adaptant nos institutions juridiques aux réalités sociales de notre époque. Enfin, le fait de donner à la femme mariée pleine capacité juridique ne constitue pas une revision complète et totale du statut légal de la femme mariée, nous en convenons.

D'ailleurs, c'est peut-être tout le Code civil qui est à refaire, du moins dans plusieurs de ses parties. C'est ce qu'étudie précisément la Commission Nadeau mais, en somme, la capacité juridique que donnera le bill 16 à lafemme mariée aura été la première de ces réformes importantes de notre droit civil et un premier pas particulièrement significatif.

Nous proposons donc à cette Chambre de s'engager résolument, par le bill 16, dans une réforme qui ne constitue qu'un élément de ce renouveau d'ensemble qu'il y a lieu d'assurer au Québec. Nous aurons l'occasion d'être» appelés de nouveau à considérer d'autres réformes à notre droit civil et d'autres réformes au statut de la femme mariée chez nous. Cela nous le ferons, M. le Président, à la lumière des prochains rapports de la Commission Nadeau. Ce que nous proposons aujourd'hui, c'est de franchir, et de franchir résolument et avec fierté, ce premier pas d'une importance majeure dans la revision complète du statut juridique de la femme mariée au Québec.

M. BINETTE: M. le Président, le problème de la capacité juridique de la femme mariée en

est un qui touche de très près l'exercice de la profession de notaire. C'est pourquoi, M. le Président, je n'ai pas voulu laisser passer cette occasion de dire quelques mots pour appuyer, après tous ceux qui l'ont fait avant moi, le bill 16. Je serai très bref.

Vous me permettrez cependant, M, le Président, à la suite de ceux qui l'ont fait avant moi, de féliciter le ministre qui a si bien présenté le projet de loi qui fera étape dans la province de Québec. Le député de Jacques-Cartier a su donner un ton élevé et serein à la discussion en cours et, à son exemple, tous les députés qui ont appuyé ce bill en deuxième lecture. Je voudrais conserver le ton qui a marqué jusqu'ici l'étude de ce bill.

Je disais donc que cette question touche de très près le notaire praticien. En effet, la capacité juridique de la femme mariée, c'est une question qui se présente tous les jours et même plusieurs fois par jour dans l'étude du notaire. Par exemple, chaque fois qu'une femme mariée fait une transaction immobilière, soi qu'elle signe un contrat de vente, un acte d'obligation hypothécaire, ou encore qu'elle signe un contrat de mariage, eh bien, chaque fois il est question de la capacité juridique de la femme mariée.

Jusqu'ici c'était toujours une déception pour la jeune fille majeure qui allait contracter mariage d'apprendre que sa capacité juridique, qui était complète avant de se marier, allait, par le fait de son mariage, diminuer considérablement. Grâce au bill 16, ces jeunes futures épouses n'auront plus à subir cette pénalité grave de voir leurs droits ainsi diminués à cause de leur mariage, parce que ce bill reconnaît aujourd'hui la complète capacité juridique de la femme mariée en séparation de biens.

Cette égalité devant la loi de l'époux et de l'épouse, vers laquelle tend ce projet de loi, donnera un nouvel équilibre dans la famille. Une société parfaite demande que les sociétaires soient sur un pied d'égalité quant à leurs droits. Il en est ainsi du mariage: plus les deux conjoints auront des droits égaux, plus la société conjugale deviendra parfaite. Et la famille, cette cellule de base de toute société bien organisée, se doit d'être la société la plus parfaite possible et c'est le devoir du législateur de voir à ce que cette cellule de base soit la plus parfaite sur le plan juridique.

Le bill 16, en effet, comme l'ont dit ceux qui m'ont précédé, marque une étape très importante vers l'émancipation juridique de la femme mariée et c'est tout à l'honneur du Parlement qui va voter cette loi. La province de Québec, grâce au bill 16 qui sera, je crois, voté unani- mement en deuxième lecture par les honorables membres de cette Assemblée, eh bien, je crois que la province de Québec, en votant ce bill aujourd'hui ou dès que la discussion en sera terminée, montera en effet d'un échelon vers les cimes de la civilisation.

Grâce à l'atmosphère créée par ce bill, nous pouvons croire que le Parlement de cette province et tous les députés qui le composent reconnaissent, en principe, l'égalité de la femme mariée devant la loi. Même si le bill 16 n'est pas parfait, il reconnaît à la femme mariée le maximum possible de capacité juridique dans les circonstances actuelles. Depuis au-delà de trente ans, l'évolution et l'émancipation sur le plan juridique des femmes mariées dans la province de Québec ne s'est faite que très lentsment.

En effet, si nous nous reportons en 1931, nous voyons à ce moment-là l'addition des articles 1425-A et suivants du Code civil qui reconnaissent à la femme mariée sous tous les régimes des biens réservés avec une capacité juridique presque complète quant à ses biens, sauf quant aux donations.

En 1944, c'est la reconnaissance du droit de vote aux femmes.

En 1954, nous assistons à la disparition d'une insulte codifiée par l'amendement à l'article 986 du Code civil et l'addition de l'article 986-A.

En 1964, avec le bill 16, et la reconnaissance, en principe, de l'égalité de la femme mariée vis-à-vis de la loi, c'est le début du couronnement de cette émancipation juridique de la femme mariée.

Ce principe de l'égalité une fois reconnu, il est à espérer que les autres modifications du Code civil concernant les régimes matrimoniaux n'attendront pas dix ans pour revenir devant cette Chambre. Le plus grand pas est fait et je suis sûr que toutes les femmes mariées de la province de Québec, sans exception, seront reconnaissantes à l'endroit du Parlement de cette province, d'avoir enfin reconnu cette égalité.

Et les notaires pourront dire aux jeunes futures épouses: « Mademoiselle, si vous vous mariez en séparation de biens, vous conserverez votre pleine capacité juridique » et le notaire député pourra ajouter: « ...grâce au bill 16 adopté lors de la session de 1964. »

Je suis sous l'impression que, avec cette loi, la moyenne des femmes mariées en séparation de biens dans la province de Québec, qui, d'après le parrain du bill, représentent actuellement 60 à 70 pour cent des femmes mariées, va continuer d'augmenter au cours des années qui viennent, même si la femme commune en biens trouve

aussi de très nombreux avantages dans ce régime de communauté. Mais actuellement je sais que, sur dix contrats de mariage, la plupart des notaires en reçoivent neuf en séparation de biens et un en communauté de biens. Et parmi ces communautés de biens conventionnelles, la très grande partie en est une de communauté réduite aux acquêts. Ceci veut dire que, parmi les 30 ou 40 pour cent de femmes actuellement mariées en communauté de biens, la plupart le sont légalement, c'est-à-dire sans contrat de mariage.

Je termine, M. le Président, en faisant un souhait que lors de la prochaine étude de régimes matrimoniaux, — qui, je l'espère, viendra d'ici peu, dès que la commission qui fait actuellement son travail aura produit son rapport, — eh bien j'espère qu'à ce moment-là on parlera également du douaire, ce douaire qui en fait est, dans les contrats de mariage, supprimé à 99 pour cent du temps. Alors ce douaire sera certainement une question à étudier lors de la revision de l'autre partie du Code civil concernant les régimes matrimoniaux.

Je termine donc en demandant encore une fois aux femmes de la province de Québec de considérer le fait que, dans le contexte actuel, le gouvernement fait tout ce qu'il lui est possible de faire pour donner justice à la femme mariée. C'est pour toutes ces raisons, M. le Président, que je voterai en faveur du bill en deuxième lecture.

M. GODBOUT: M. le Président, il est heureux qu'à cette session le gouvernement de la province ait pensé présenter une loi sur la capacité juridique de la femme mariée. Ce qui est caractéristique de la présentation de cette loi, c'est qu'on a voulu qu'une certaine libération des conditions domestiques et sociales de la femme mariée se fassent par une dame en cette Chambre. Cela signifie bien l'importance que le gouvernement accorde à l'évolution des dames, des femmes en cette province.

Je suis heureux, comme tout le monde, d'offrir mes félicitations à l'honorable ministre d'Etat, le député de Montréal-Jacques-Cartier, pour la tâche agréable et effective qu'elle a accomplie.

Le bill 16 est une loi très importante, et cette importance doit être signalée à la population de la province. Il faut bien que la province comprenne que le bill 16 est en lui-même une loi capitale, qui comporte une expérience pour tout l'élément féminin de notre province. Et l'importance de cette loi se remarque parce qu'elle va toucher, influencer l'avenir de la femme mariée, l'avenir de la famille et du patrimoine familial, l'avenir des enfants par suite de la diminution en un sens de l'autorité paternelle et de l'autorité maritale.

La loi est importante parce qu'elle atteint la femme dans sa personne et dans ses biens, comme on l'a fait remarquer. Elle est aussi importante parce qu'elle atteint le mari et les tiers, elle va diminuer les pouvoirs du mari et augmenter les avantages des tiers. Elle est importante parce qu'elle va accroître l'éducation et les responsabilités de la femme. Elle est aussi importante parce qu'elle va affecter la psychologie féminine, le caractère de la femme. L'on sait que cette psychologie est essentiellement différente de celle de l'homme et les savants ont remarqué que si la psychologie d'un être masculin et féminin est dissemblable dans la jeunesse, elle tente de plus en plus à devenir semblable avec l'âge. La loi ast également importante parce qu'elle atteint la société, elle atteint la société directement, car la famille est à la base de la société encore plus que l'individu.

Par conséquent, cette loi, il faut bien qu'on en saisisse toute la valeur. Elle va en plus instituer des innovations de droit dont la preuve n'est pas encore consacrée par l'expérience. Qu'on n'invoque pas l'expérience vécue en France, elle n'est pas complétée et qu'on n'invoque pas l'expérience suivie aux Etats-Unis qui a abouti dans l'augmentation des divorces, ni l'expérience suivie en Russie qui a causé un certain amour libre.

Elle va avoir des conséquences économiques, sociales et domestiques. Alors la première question qu'il faut se poser, c'est celle-ci: Est-ce que le bill 16 donne trop ou donne trop peu?

Il donne trop peu si on l'applique, comme le disent les groupements et les associations de daines, à une élite seulement, à une élite féminine. Farce que si l'on veut appliquer la loi à l'élite, on peut admettre ceci; L'élite mérite toute les générosités possibles, il n'est même pas besoin de loi pour l'élite. C'est le docteur Alexis Carel qui l'a mentionné lorsqu'il a défini ce qu'était une élite. Mais les lois sont faites n'est-ce pas pour la généralité des citoyens, pour le lot du commun des mortels et par conséquent, il faut se demander à ce moment: Est-ce que la loi donne trop à la généralité, au commun des mortels? Je pense qu'il faut répondre non, mais il faut ajouter qu'elle donne beaucoup.

En vérité, la loi actuelle, le bill 16 excède ce qui existe actuellement dans le code français.

L'honorable député de Jacques-Cartier a, avec raison, exposé quelle avait été l'évolution de la loi au sujet de la femme, de la liberté de la femme mariée et je crois que l'on peut résumer rapidement en six périodes l'évolution des

droits, de la capacité juridique de la femme mariée ou de sa capacité légale. Ces six périodes énumérées sommairement seraient les suivantes: il y a évidemment la période historique, suivie de la période religieuse, suivie de la période sociale, après laquelle vient une période industrielle et aujourd'hui nous vivons une évolution familiale. Demain, il restera l'évolution individuelle, mais cette évolution individuelle, nous ne sommes pas encore prêts à la vivre.

Je n'insisterai pas sur les critères historiques, je pense que tout le monde se rappelle, puisqu'en a parlé l'honorable député de Jacques-Cartier, que la société matriarcale donnait à la femme des droits étendus. En fait la femme avait des droits égaux à l'homme, elle était gardienne du foyer et même prêtresse à son foyer. Ce n'est qu'après cette période, à la fin de cette période historique, que lévolution a amené que les femmes retombent sous les directives et l'assujettissement par la force des hommes dans une société où les hommes ont soumis la femme, en ont fait une servante, quelques fois même une illettrée uniquement consacrée aux soins des enfants et quelques fois même privée de distractions.

Les romains dont nous vivons encore, nous vivons encore du code romain, à l'heure actuelle trasporté par le code Napoléon, les romains qui avaient l'esprit juridique le plus merveilleux qui soit, ont concrétisé le statut légal de la femme et l'ont assujettie pour des siècles et des siècles à venir à la puissance maritale, à la tutelle du pouvoir du père, de l'ancêtre, ils ne lui ont accordé que dans les classes supérieures une indépendance restreinte, une très modeste liberté. Et quand la France a hérité des lois de l'empire romain, elle a endurci, dans un sens, ce qui existait à Rome, parce que les lois des pays de langue d'oil et d'oc étaient encore plus dures pour le statut de la femme.

Mais l'époque qui a réellement libéré la femme, la première révolution sociale qui a réellement libéré la femme et atteint la loi romaine dans son essence, dans ses éléments substantiels, c'est le Christianisme. Le Christ a conduit une révolution sociale comme jamais il n'y en a eu sur la terre et sa révolution sociale a pris une forme religieuse et par cette forme religieuse qui permettait à Jésus de sauver sa vie mais ne l'a pas sauvé tout le temps, n'est-ce pas, lui a permis de libérer la femme, de la libérer en en faisant une espèce d'apothéose, en lui donnant de la dignité et de la grandeur, en développant un sentiment d'amour vis-à-vis la femme, en exaltant sa pureté.

Evidemment on arrivera un peu plus tard, à

Justinien qui va reconnaître ce que le Christianisme a fait et dans l'empire byzantin, le premier empereur, le premier gouvernement qui va décréter officiellement ce qui s'est passé de mieux dans les temps anciens, c'est l'empereur Justinien dans som premier code qui va décréter: « La femme est égale à l'homme. »

La. féodalité au moyen âge va retarder l'évolution de la femme. On verra une différence dans la haute société; mais la femme de la basse société sera toujours une esclave, astreinte à gagner sa vie, à aider son homme à se débattre dans les difficultés; on verra, dans la bourgeoisie et dans l'aristocratie, une espèce d'idéalisme qui fera de la femme un être de rêve mais par contre on lui refusera le droit aux biens, le droit aux successions, les rois mêmes de France passeront la loi salique pour l'empêcher de monter sur le trône et pour l'assujettir toujours au fils, aux anfants de sexe masculin.

Nous arrivons à la période sociale qui couvre la Renaissance au XVIII siècle et alors on va voir le Christianisme reprendre sa pleine effervescence. On va voir à la fin de cette période sociale, la révolution française venir consacrer les principes du Christianisme, admettre l'égalité de la femme en certains cas. Mais on ne voudra pas aller trop loin et on voudra garder de l'esprit juridique des romains, les modes, les modalités, les méthodes d'asservissement que le droit romain avait si bien détaillé.

Bonaparte, l'empereur dont on a tant parlé, ce n'est pas par ressentiment qu'il voudra mettre dans son code, le code dont nous vivons, un certain assujetissement de la femme. C'est à cause de la conviction de son esprit romain, de son esprit latin, de sa connaissance du droit romain. Mais le Code français lui-même évoluera après avoir donné naissance au notre et les dates dont il faut se rappeler ce sont 1938, 1943, 1952 et 1959. A ce moment-là la France va tenter une expérience que nous tentons nous-mêmes aujourd'hui en allant un peu plus loin que la France, je le démontrerai tout à l'heure.

Par conséquent, à ce moment-là, la France passe des lois nouvelles. Elle va tenter de sortir la femme de son asservissement. Elle va lui donner des pouvoirs plus grands. Mais la femme les aura mérités car nous serons arrivés à la révolution industrielle qui va du XVIIIe au XXe siècle. A ce moment-là, la femme travaille au dehors. Elle contribue un apport financier à la société. Elle s'extrait elle-même de la famille, appelée par les nécessités de la manufacture et de la production à l'extérieur. On verra alors, en même temps que les désordres ouvriers, les mouvements de foule les femmes s'organiser en

suffragettes, — on en a souri! — pour obtenir des droits civils, pour obtenir le droit de vote.

Et, alors, seront mis en question les principes mêmes de la famille, ceux que nous traînons depuis le commencement des âges, à travers le Moyen Age, à travers les empires et les royaumesl Ces principes de la famille sont l'union de l'homme et d'une femme, avec l'autorité des parents sur les enfants, un pouvoir paternel et marital décisif et une affection vive qui unit le tout.

Eh bien, on constatera, à la fin de la révolution industrielle, vers le commencement du XXe siècle, un affaiblissement des idées individualistes. L'égoisme masculin va céder. On assistera à un affranchissement de la personne humaine et les lois subiront le contrecoup, de ces nouvelles idées. Le rôle de l'Etat deviendra plus grand.

Puis naitra le doute suivant, un doute montera dans l'esprit des législateurs. Dans tous les pays, on se dira: « Qu'en est-il de l'indissolubilité du mariage? » Cette question est encore à l'ordre du jour. On se dira: « Qu'en est-il de l'autorité de l'homme? Jusqu'où doit, aller cette autorité? » Alors, on s'aperçoit que les nouvelles lois, dans l'expérience qu'elles créent, expérience très vaste, très importante, influent sur notre sort à tous: nous, nos femmes, nos enfants. On verra que le sort de la famille est mis en jeu.

La femme va mener une vie extérieure beaucoup plus large. La vie de la famille va devenir plus souple, plus moderne. Il y aura le club, le théâtre, le café, les salles de conférence. L'autorité va commencer à se disperser. Le père ne sera plus le chef intangible, représentant la divinité dans son foyer, l'oracle qui parle sans qu'il y ait d'appel. La mère va prendre un pouvoir de concorde et de conciliation. Elle va acquérir une indépendance bienfaisante.

Les auteurs, les poètes, les philosophes, les romanciers ont étudié ces événements. Toute la vie d'un peuple forme un tout. C'est une immense marmite qui bout et chaque partie du peuple apporte son concours, n'est-ce pas? Alors le premier auteur, le premier philosophe, le premier écrivain qui a défendu l'idée nouvelle d'un status non inférieur de la femme, de la femme égals en tout, c'estGina Lombroso, n'est-ca pas? cette Italienne qui a écrit plusieurs volumes, où elle admet certaines différences mais conclut définitivement à l'égalité de la femme avec l'homme.

Puis, on lira les auteurs français, par exemple, Flaubert avec « Madame Bovary », qui nous montre la vie insignifiante, perdue, d'une femme dans un village et qui désirerait enfin accomplir quelque chose d'utile. On verra Mauriac nous montrer à son tour dans son roman « Thérèse Desqueyroux » l'épouse elle-même insatisfaite, assignée à des tâches, à des besognes indignes de sa capacité et qui aspire à la libération. On verra dans « Genitrix » et le « Noeud de vipère » la mère qui veut prendre le contrôle absolu de sa maison, peut-être trop, à certains moments puisqu'elle deviendra une femme maîtresse, une femme de tête qui veut assumer des responsabilités d'homme sans en assumer les devoirs. Et à ce moment-là, elle deviendra inquiétante et envahissante.

Il y aura une espèce de réaction de toute la philosophie, de toute la poésie, où les auteurs diront: « Non, la femme veut peut-être aller trop loin. » Et Mauriac conclura: « La véritable prison des femmes c'est leur condition de femme. » Il a eu tort. Nous avançons, nous devons avancer. Ce que nous faisons est convenable. Nous allons à la limite de l'expérience actuelle.

Devons-nous continuer trop loin? Devons-nous passer au-delà? Devons-nous nous rendre aux demandes des groupements et des associations? Je dis que non parce que les auteurs sont en train d'étudier la prochaine révolution, celle que nous vivrons peut-être, que nous ne vivrons peut-être pas et qui s'appellera non plus révolution familiale mais révolution individuelle.

Et cette révolution comporte quoi? Elle comportera, pour la femme, l'émancipation complète, la liberté entière. Mais qu'est-ce qu'il arrivera alors de sa nature de femme? Certains auteurs ont dit: « Prenons garde, n'allons pas trop vite parce qu'il ne faudrait pas arriver à des manifestations exagérées d'un égoisme féminin, comme il a existé un égoisme masculin,» dans le sens unique du développement de la personnalité, sans bénéfice accru direct ou indirect pour l'entourage ou la société.

Il y a un danger et c'est pourquoi nos expériences si bonnes soient-elles, nos lois si bonnes soient-elles aussi vite que nous puissions avancer encore faut-il exercer une certaine prudence pour ne pas nuire à nos families aux individus qui la composent et à la société.

Il faut se rappeler avec plaisir que les femmes méritent une libération, qu'elles méritent d'être délivrées d'un certain assujettissement, qu'elles méritent la meilleure générosité et si l'on résume leurs qualités, ces qualités qui ont été celles de nos mères, de nos épouses, femmes qui passaient inaperçues, qui vivaient avec douceur, avec fidélité et qui jouaient un jeu de « qui perd gagne » quand elles perdaient elles avaient gagnées, c'est merveilleux! Il faut se rappeler que ces femmes-là ont lutté efficacement pour arriver à leur libération d'aujourd'hui, en don-

nant un immense témoignage d'amour maternel, de dévouement, de charité et bien souvent d'abnégation.

Messieurs, en France, qu'est-ce que nous donne la loi, car j'ai dit que nous allions probablement plus loin que la France et que nous ne devions pas excéder cette limite.

En France, voici, le mari est chef de la famille. Nous avons enlevé l'obéissance. Elle n'existe plus en France, pour la femme, l'obligation d'obéir à son mari. Mais en France on maintient dans le Code, presque textuellement: « Le mari est le chef de la famille. Il exerce cette fonction dans l'intérêt du ménage et des enfants. » En France, le concours de la femme est accordé pour la direction morale et matérielle de la famille.

Dans le bill 16 nous donnons ce concours également pour la direction de toutes les affaires familiales et domestiques. Le mari en outre peut s'opposer à l'exercice d'une occupation séparée par son épouse, en France, et il devra justifier de son refus devant les tribunaux. Nous accordons la même chose ici. La femme peut devenir commerçante et si le mari s'oppose elle pourra en obtenir la permission de la cour.

La direction pécuniaire du ménage en France est laissée au mari. Le mandat légal de la femme existe pour les besoins journaliers et domestiques, les besoins de la vie courante du ménage. Je dis que, nous, nous allons beaucoup plus loin. Par l'article (179) du bill nous donnons un mandat légal, sans limite, tant que le mari n'est pas intervenu, le pouvoir à lafemme d'endetter son mari, non pas seulement pour les besoins journaliers du ménage mais pour les besoins de l'éducation, de l'entretien des enfants et la marche du foyer. Nous allons plus loin, nous étendons le champ des pouvoirs, nous donnons davantage à la femme. Je crois que c'est beaucoup.

En France, la capacité de droit de la femme est limitée par le contrat de mariage et aussi par la loi. Et les auteurs ajoutent: « En France il y a beaucoup de droits théoriques qui en pratique reçoivent des restrictions mineures surtout dans le cas de la communauté. » Eh bien, dans notre cas, nous allons jusqu'à émanciper la femme en communauté de biens dans une très large mesure. Et plus, la femme séparée de biens, nous lui redonnons tous les pouvoirs. Elle pourra même alinéner ses immeubles, ses biens, sans l'autorisation du mari. Elle est maîtresse de ce qu'elle possède. Elle peut même affecter l'économie de la famille par ses agissements. Par conséquent, c'est excessivement généreux ce que la loi décrète et devons-nous pousser, l'expérience comme le demande les associations et les groupements, plus avant, sans savoir quelles vont être les conséquences de ce qui va en découler désormais.

Alors, je crois, M. le Président, que présentement le gouvernement adopte une bonne loi, qu'il poursuit l'expérience humaine en augmentant la capacité juridique de la femme mariée dans la province de Québec, qu'il le fait en s'extrayant de la tradition romaine et française des 18 et 19 ièmes siècles, qu'il va plus loin un peu même que ce qui existe en France et qu'il accorde à la femme tout ce qu'il est possible de lui donner.

Et bien, je dis que les conclusions de Balzac dans « Eugénie Grandet » reçoivent aujourd'hui une nouvelle application et que ce ne sera plus le texte de la vie de la femme maintenant de sentir, d'aimer, de souffrir et de se dévouer seulement, sans autre alternative.

Aujourd'hui le gouvernement de cette province vient délivrer la femme de son état d'infériorité. Il veut l'instruire intensément, il veut aussi la sublimer comme la religion chrétienne le demande et comme l'Eglise l'a fait depuis le commencement de la civilisation chrétienne il y a deux mille ans.

Je dis qu'il faut le faire en évitant les dommages à l'épouse elle-même et à sa famille. Les femme gagnent une victoire aujourd'hui dans cette province. Une victoire qui doit cependant leur conserver la politesse, la courtoisie, la fidélité, la loyauté et l'amour de ceux qui les entourent.

Et je répète ceci: Socrate a dit: « Quand un homme possède une bonne femme, quil la comprend, les lois sont un peut inutiles et c'est un homme heureux. » Par conséquent, il ne faut plus que l'adage que l'on répétait naguère: « Derrière un grand homme il y a toujours une grande femme », soit redit encore. Aujourd'hui on dira: « En compagnie d'un grand homme, il y a aussi une grande dame. »

M. BEAUPRE: M. le Président, mes électrices du comté de Québec-Centre m'en voudraient sûrement si, en leur nom, je ne remerciais et le gouvernement libéral de cette province et l'honorable député de Jacques-Cartier d'avoir présenté aujourd'hui à cette Chambre le bill 16. Mes remerciements à l'un et à l'autre. Mes félicitations également. La maîtrise, la conviction, l'élégance avec laquelle le député de Jacques Cartier a présenté ce bill ont vraiment, de ce côté-ci de la Chambre, ravi tous ceux qui ont eu le plaisir de l'entendre.

La teneure elle-même du bill 16 mérite des félicitations. Et je crois qu'il est de bon ton de dire à Me André Nadeau que, si nous avons un bon projet de loi, c'est parce que nous avions

un rapport bien charpenté et parce que des légistes bien entraînés nous donnent aujourd'hui un projet qui, dans sa forme incomplète, répond tout de même à un besoin urgent.

Je suis donc convaincu que, tel quel, le bill 16 plaira, rendra justice à toutes les femmes de cette province. Il rendra justice particulièrement à toutes ces femmes obligées présentement de gagner leur vie hors du foyer, pour aider un mari dont le salaire est parfois insuffisant; il rendra justice à toutes ces femmes que des maris ont abandonnées avec des enfants sur les bras et qui doivent, dans un monde d'hommes, lutter avec des hommes et pour gagner leur vie et pour éduquer leurs enfants. Surtout, je crois qu'il rendra justice à une foule de femmes séparées de biens présentement qui doivent, quand elle administrent leurs biens propres, quémander parfois une signature à un mari pas toujours consentant.

Le bill 16, à mon avis, vient donc à son heure. Il ne devance pas l'opinion réfléchie de l'élite québécoise mais il la concrétise dans une forme réaliste. Il suit l'évolution sociologique de cette province et arrive, par conséquent, au moment où les esprits: hommes et femmes de cette province, sont consentants à reconnaître en loi une égalité qui, en fait, était déjà reconnue.

On se souvient de certaines législations en vase clos telle la législation turque, égyptienne, ces législations nord-africaines; Tunisie, Maroc, où la femme tout à coup se voyait accorder des pouvoirs et des droits juridiques considérables, et qui étaient une coupure brusque distincte avec la situation qui prévalait. L'on sait ce qui en est résulté: de très belles lois mais, dans les faits, peu de résultats.

D'ailleurs, pour expliquer le retard qu'on pourrait imputer aux membres masculins de cette Chambre, retard à apporter la législation actuelle, je dois dire que la pleine reconnaissance de la capacité juridique de la femme mariée est relativement récente.

Si ma méroire est bonne, c'est en Angleterre, en 1882, que cette capacité juridique a été reconnue. En France, on l'a mentionné à plusieurs reprises, c'est de date assez récente. En Chine, un grand pays de 700,000,000, c'est en 1931, avant la Chine communiste, qu'on avait reconnu à la femme mariée sa pleine capacité juridique et dans les textes de loi peut-être pas dans les faits. Aux Etats-Unis, on est un peu en avance sur nous, de même qu'en Italie, au Portugal et en plusieurs pays d'Amérique latine, comme le Pérou, le Chili, l'Argentine. Le Brésil est plus avancé que nous: là l'homme doit demander à sa femme une signature, même pour disposer de ses biens. Mais si en Amérique latine on nous a devancé parfois, encore là, cependant ceux qui ont eu l'avantage de visiter ces pays se rendent bien compte que, entre le texte de loi libérateur et la réalité quotidienne, il y a parfois une marge énorme. J'ai vu des femmes sur des places publiques de ces pays qui avaient des droits beaucoup plus considérables que ceux de nos mères canadiennes françaises mais j'avoue qu'elles n'avaient pas grand chance de les exercer.

D'ailleurs, il y a encore certains pays qui n'ont pas évolué plus rapidement que nous. Même en Allemagne présentement, cette obéissance au mari, obéissance maritale, je crois, est encore dans les statuts. Le Japon, l'Autriche, la Suède pour ne memtionner que ces derniers, — la Suède surtout, que l'on considère comme un pays très évolué, — n'ont pas donné la pleine extension que nous entendons donner à la capacité juridique de la femme mariée.

Il est bon d'ailleurs de rappeler que les précurseurs du féminisme en Angleterre: Hobbes, et Stuart Mill; en Allemagne: Theodore Von Hippell; en France: Alexandre Dumas, qui a d'ailleurs inventé le mot féminisme, Fournier et St-Simon, de même que les socitétés féministes de l'époque 1848, sont passablement responsables du retard de cette législation. Car, dans les revendications des féministes on trouvait le plus souvent, à côté de l'égalité homme et femme, le droit à l'amour libre; on y trouvait le droit à l'avortement, le droit aux procédés anticonceptionnels. Evidemment les Eglises surtout l'Eglise catholique, effrayées de ce féminisme radical n'hésitèrent pas à le condamner.

Ce féminisme radical fut suivi par un féminisme modéré dont les principales revendications étaient les suivantes; égalité d'instruction, égalité d'accès aux diverses professions, reconnaissance de la capacité juridique de la femme mariée, droit de suffrage, partage en commun de la puissance paternelle et rejet de l'obéissance maritale pour la femme.

A ces revendications du féminisme modéré l'Eglise n'apporte cette fois que deux restrictions dont la principale, la subordination au point dé vue conjugal et familial par laquelle la femme doit obéissance au mari au titre de chef de famille. Qui par exemple d'entre nous n'a pas à l'esprit cet épître de saint Paul aux Ephésiens (verset 22e) où on dit; « Que les femmes soient soumises à leur mari » et le reste.

Est-ce à dire que l'Eglise commande telle ou telle forme de gouvernement marital? Non, car elle ne définit pas la forme de ce pouvoir,

pas plus d'ailleurs qu'elle ne définit la forme du pouvoir politique.

La forme de l'autorité maritale peut donc varier suivant les circonstances temporelles, l'Eglise reconnaissant que les organisations temporelles relèvent des autorités temporelles.

Ce retour en arrière permet, M. le Président, de mieux mesurer tout le chemin par couru depuis le manifeste d'Olympe de Gouges sous la convention en 1792, et je crois, surtout de mieux mesurer le chemin parcouru depuis ces vésuviennes que nous voyions défiler dans Paris, en 1848, 1850, depuis ces grandes campagnes de certains journaux parisiens de l'époque. Connaissant le contexte sociologique canadien-français, contexte religieux, politique, social, économique, dans lequel nous vivions, ce retour, je crois, permet de mieux comprendre la germination nécessairement lente d'une législation comme celle du bill 16.

Il est admis par nous tous, messieurs, que la femme est la reine de nos foyers, la reine de tous les foyers. Au nom de cette royauté, fallait-il lui refuser plus longtemps la pleine reconnaissance de sa capacité juridique alors que, en fait et un peu partout, on lui avait déjà reconnu la pleine capacité de ses droits civiques et politiques? Non! et c'est pourquoi je dis que le bill 16 vient à son heure; et c'est pourquoi je serai très heureux, avec tous mes collègues, de voter pour la deuxième lecture de ce bill. Merci.

M. JOHNSON: M. le Président, vous seriez bien déçu, M. le Président, si sur un bill semblable, le chef de l'Opposition s'était tu. Il m'est arrivé de parler très souvent dans cette Chambre sur des sujets tellement moins importants et qui me tenaient tellement moins à coeur. Et pour une fois que j'ai l'occasion d'exercer cette galanterie dont j'aurais, d'après le député de Jacques-Cartier, hérité du fondateur de l'Union nationale, je ne voudrais pas manquer, M. le Président, telle occasion. Le député de Jacques-Cartier mérite certainement des félicitations; quand je l'éçoutais, hier soir, je n'ai pu me retenir de songer à un homme qui occupait la banquette voisine de cette que j'occupe actuellement et qui aurait été extrêmement fier de voir et d'entendre son enfant unique réaliser un rêve qu'elle avait fait toute jeune fille lorsque, s'entraînant à la politique, elle avait du frayer son chemin à travers une pléiade et des bataillons d'hommes dans le comté de Jacques-Cartier. Et à juste titre, elle a raison, même à titre posthume, de rendre ainsi son père très fier d'elle et je suis certain que sa mère aussi a dû avoir un moment bien mérité de fierté maternelle.

M. le Président, je ne peux pas parler pour le mari.

Il est capable de parler pour lui-même, mais j'aurais aimé ça entendre le mari ou recevoir une lettre du mari me disant: « Ma femme fait un bon coup. » Il me semble que ça aurait été complet après les félicitations du père, de la mère, les félicitations du député de Missisquoi, les félicitations du député de Bellechasse, les félicitations qui pleuvent et les fleurs qui viennent de toutes directions des banquettes libérales et les félicitations du chef de l'Opposition, le bouquet ça serait une belle lettre de son mari qu'on rendrait publique, qu'on verserait au dossier afin qu'il n'y ait rien qui retrousse dans tout ce problème des droits féminins, M. le Président.

M. LAPALME: Jusqu'à ce que le bill soit adopté, il a encore le droit de parler pour deux.

M. JOHNSON: Je me demande s'il n'est pas en train de cabaler le conseil. M. le Président, pour garder un ton très sérieux sur ce bill, je voudrais sincèrement, en félicitant le député de Jacques-Cartier, rejoindre moi aussi toutes celles qui, dans le passé, ont mené des luttes dans des conditions tellement moins favorables. Et il n'est pas exact de dire que les Casgrain se succèdent et ne se ressemblent point. Au contraire, j'ai, très jeune étudiant, appris de la bouche même de Mme Thérèse Casgrain, à qui j'en rends hommage, ces revendications de la femme mariée; et c'est peut-être celle qui mérite, celle qui a amassé le plus de mérites, qui a mis à la disposition du député de Jacques-Cartier et de cette Chambre, disons, le plus gros actif au point de vue d'émancipation de la femme mariée.

M. le Président, J'ai écouté avec extrêmement d'intérêt le député de Jacques-Cartier et j'ai relu son discours qui est bien complet et couvre tout le sujet d'une façon très décente et d'une façon très complète. Et je veux la féliciter d'un ton serein, et ses collègues et moi, nous savons qu'elle a extrêmement de mérite à avoir lancé le débat sur un ton qui ne nous permettait pas de l'accrocher. Je la félicite et son mérite est d'autant plus grand que quelques-uns de ses collègues n'ont pu, eux, se retenir de faire de la politique et d'entonner les hymnes de louanges, au grand parti libéral. Mais ce qu'il y a de curieux, M. le Président, ces hymnes exagérés, ça vient toujours des néophytes; un ancien indépendant, le député de Chambly, et puis un bleu depuis quatorze générations, le député de

Vaudreuil-Soulanges. On dirait qu'entrés dans l'église sur le tard, ils voudraient par leurs incantations plus enthousiastes reprendre le temps perdu et peut-être faire oublier à leurs collègues du parti libéral qu'ils les ont condamnés sévèrement dans le passé.

C'est le zèle des néophytes, M. le Président, et c'est sur ce seul terrain que j'excuse la sortie intempestive d'un ancien indépendant qui voulait se racheter et d'un ancien conservateur qui voulait continuer de progresser dans les rangs du parti libéral.

M. le Président, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt le député de Gatineau, qui semble connaître le sujet et qui lui aussi semble se souvenir avec un peu de frustration de ces fameux chapitres où on a tant sué à l'université. Je me demande s'il n'y a pas eu une mauvaise note en droit civil précisément sur les régimes matrimoniaux, et sur les droits des femmes mariées qui sont, comme vous le savez, la pierre d'achoppement de presque tous les étudiants en droit, et quand ce ne serait que pour simplifier la tâche de nos enfants qui étudient le droit, le député de Jacques-Cartier mériterait des félicitations.

M. COURNOYER: Je préfère le chapitre concernant la propriété.

M. JOHNSON: Je l'aime mieux mol que celui des droits matrimoniaux, j'ai trop eu de difficultés. Evidemment j'étais un peu comme le député de Richelieu, absent de temps en temps des cours, par devoir évidemment.

Le député de Québec-Est, eh bien mon Dieu, toujours il sait nous intéresser en faisant montre de cette érudition et de cette poésie qu'il y met. M. le Président, il a dû cependant regretter d'avoir comparé son chef, le premier ministre à Napoléon, après avoir entendu les remarques faites par le député de Jacques-Cartier sur ce même Napoléon quand il s'agit du sort fait aux femmes, M. le Président.

Quant au député de Québec-Centre, il nous a ravi par une érudition, M. le Président, qui va le classer très rapidement dans la même catégorie que son voisin, le député de Québec-Est. Je vous assure que la concurrence, la compétition pour arriver à un poste, commence à prendre de l'intensité et nous de l'Opposition, c'est avec intérêt que nous suivons l'acheminement parallèle de ces deux députés de talent vers un poste tant convoité dans le Cabinet provincial. M. le Président, je les remercie de nous avoir apporté dans le débat, des éléments très intéressants et je sais que la postérité lira avec beaucoup d'Intérêt des passages de certains des discours. Je voudrais bien, M. le Président, porter ma modeste contribution, mais je dois le faire après avoir offert des fleurs, je dois le faire selon que mon devoir le dicte, je dois le faire à la façon de l'Opposition, en n'oubliant pas aussi d'inclure les épines, M. le Président, ça c'est mon devoir primordial.

L'émancipation de la femme ou, comme le disait en termes galants, le député de Vaudreuil-Soulanges, la reconnaissance de ses pleins droits, nous en sommes. Le député de Missisquoi l'a dit au nom de l'Opposition, nous voterons avec plaisir en faveur de ce projet de loi, avec l'espoir cependant qu'en temps et lieux on se rendra à notre demande de référer le bill au comité des bills publics et avec l'espoir qu'en comité plénier, éventuellement, on obtiendra certains amendements ou certains ajoutés qui donneront au bill beaucoup plus de substance qu'il n'en contient actuellement.

L'émancipation des femmes, il n'y a pas un homme qui oserait s'y opposer. Quant à moi, partageant l'opinion d'un auteur célèbre, non seulement je les considère nos égales, je les considère nos supérieures, c'est Guitry qui disait: « Je conviendrais bien volontiers que les femmes nous sont supérieures si cela pouvait les dissuader de se prétendre nos égales ».

M. le Président, selon que vous êtes féministe ou antiféministe, vous interpréterez cette phrase pour ou contre votre thèse. M. le Président, nous sommes en faveur d'une émancipation de la femme mariée, nous sommes en faveur, comme l'a dit le député de Mlssisquol, de reconnaître l'égalité des deux associés, tout en soutenant évidemment que là, comme ailleurs, là comme dans toute société, il faut absolument qu'il y ait un mécanisme quelconque pour que tout le monde ou les deux parties ne soient pas présidents en même temps ou n'aient pas à prendre tout le temps ensemble, au risque de se contredire un peu trop souvent, les mêmes décisions.

Ce bill vient accorder la loi à des réalités sociologiques comme le député nous l'a bien démontré hier, et il vient répondre à des besoins réels. La loi s'accorde à des réalités dont tout le monde se rend compte, mais qui sont peut-être mesurées par certaines statistiques que le député de Jacques-Cartier a dû lire comme moi dans certains journaux. Il n'y a rien comme cette statistique sur le travail des femmes pour justifier ce que disait le ministre d'Etat hier, justifier ces changements, la rapidité des changements survenus depuis quelques années et qu'elle a qualifiés, comme plusieurs auteurs, d'accélération de l'histoire. Je constate par exemple dans un article de M. Pa-

ré, qui cite ces chiffres: « En 1941, une femme mariée seulement sur vingt se trouvait un emploi au Canada. Dix ans plus tard, c'est une sur dix et en 1961, c'était une femme mariée sur cinq qui occupait un emploi au Canada. Alors que les femmes forment au pays, continue M. Paré, un tiers des effectifs travailleurs, 47.3% sont des femmes mariées ».

On voit là que des changements dans les conditions sociologiques nécessitent évidemment des changements dans les cadres et les structures juridiques. La loi que présente aujourd'hui le député de Jacques-Cartier vient tout simplement sanctionner des coutumes, du moins pour une partie de la loi. Ici comme ailleurs, la coutume précède la loi. Ce qu'on a appelé la tolérance dans d'autres domaines précède presque toujours la loi. C'est le système d'évolution de toutes les structures juridiques, même dans l'Eglise, même dans le droit ecclésiastique: les prescriptions écrites viennent sanctionner des habitudes déjà établies, plus ou moins établies.

Par exemple, pendant combien de temps a-t-on, même avent la lettre, travaillé certains jours fériés, comme le jour des Rois, par exemple, ou le jour de l'Immaculée-Conception, pendant combien de temps et dans quelle mesure le travail existait avant que la législation de l'Eglise ne vienne sanctionner cet état de fait. Et si tous ceux qui s'étaient accusés d'avoir travaillé un jour férié avaient été voués par leur confesseur au feu de l'enfer, cela aurait été joliment grave. On serait nombreux, comme dirait l'autre.

Mais il en est ainsi dans la législation civile. Je ne veux pas entrer dans ce domaine, mais tout simplement en passant je constate, dans le domaine par exemple de la Régie des alcools; la loi vient sanctionner des habitudes établies. Et il en est de même dans le régime matrimonial, dans l'exercice des droits par les femmes mariées.

Deuxièmement, cette loi répond à des besoins réels. C'est bien évident, la discussion ne peut pas être longue sur ce point: il était nécessaire de débarrasser notre Code civil d'une foule de prescriptions qui sont ennuyeuses et qui nuisent à certaines fonctions qu'exerce en pratique la mère de famille.

Vous savez, on a l'impression qu'on légalise des choses qui sont de pratique générale. Par exemple, c'est le premier ministre lui-même qui disait à la télévision, dans une de ses émissions de « Québec en marche »,que ce n'est pas lui qui administre chez lui, que c'est son épouse qui administre tout. Alors je pense bien que, voyant l'état du budget de la province et des finances, je souhaiterais quasiment que ce soit son épouse qui soit ministre des Finances. Mais cela, c'est un autre problème! Donc, la loi vient sanctionner un état de fait et nous reconnaissons que ça doit être accordé le plus tôt possible.

Mais, par ailleurs, nous ne sommes pas satisfait nous non plus que cette loi accorde tout ce qu'on pourrait accorder même avant un autre rapport Nadeau. M. le Président, le premier ministre a été dur hier soir pour certaines associations. Il me semble qu'il a donné libre cours à son ennui de voir de l'opposition à un bill qu'il croyait bon ou parfait plutôt qu'à son sens de la justice et des proportions. Comment peut-on dire que ces gens-là n'ont pas travaillé sérieusement, que leur opposition n'est pas sérieuse quand on a affaire à la Ligue des droits de l'homme, à la Confédération des syndicats nationaux, à la Fédération des travailleurs du Québec, au Comité ouvrier des droits de l'homme, au Conseil du travail de Montréal, au « Jewish Labor Committee », à la Voix des femmes, qui est, sauf erreur, présidé par madame Casgrain qui s'y connaît et qui comprend dans son conseil des dames extrêmement sérieuses, extrêmement bien préparées à discuter de ces problèmes-là. Et vous connaissez les deux autres associations: l'Association des femmes diplômées d'université et l'Association générale des étudiants de l'Université de Montréal.

M. le Président, ces gens-là demandent la remise du bill. Ces gens-là le font après avoir félicité le gouvernement d'avoir l'intention d'accorder une certaine émancipation, du moins quant à la femme séparée de biens. Ces gens-là demandent qu'on retire le bill et je dis au premier ministre: « Mais vous voulez réellement faire plaisir aux femmes dans la province de Québec? Or, elles vous demandent, par les voix les plus autorisées, par leurs associations les plus sérieuses, le retrait du bill en attendant qu'on puisse apporter un bill qui règle réellement tout le problème ou du moins une plus grande partie du problème. »

Le premier ministre, s'il voulait réellement faire plaisir à ces dames, devrait, il me semble, au moins se rendre à la suggestion qu'a faite le député de Missisquoi, et qui sera contenue dans une motion en temps et lieu, de faire entendre madame Casgrain et les autres voix autorisées pour savoir si réellement...

UNE VOIX: Vous avez raison.

M. JOHNSON: ...le bill accorde tout ce qu'il peut accorder à ce moment-ci.

M. COURNOYER: Vous avez des préférences.

M. JOHNSON: Et quand je lis dans un éditorial d'un Journaliste pour qui j'ai beaucoup de respect: « Cela n'a pas de bon sens,on va faire rebondir le débat, on va l'élargir », je ne les comprends pas ces gens-là. On fait confiance aux femmes et du même coup on dit: « Ne leur donnez pas le droit de parole, on n'en sortira Jamais de ce problème-là. »

M. le Président, si c'est vrai qu'on ne peut pas donner le droit de parole aux femmes parce qu'on n'en sortira jamais de ce problème-là, je doute de la sagesse de cette législation. Moi, je trouve qu'on devrait aller devant le comité donner la chance à madame Casgrain et à d'autres femmes qui sont magnifiquement préparées pour parler de ce sujet, de venir approfondir nos connaissances sur leurs besoins et sur leurs désirs car nous sommes prêts à satisfaire non seulement les besoins des dames mais même leurs désirs. Leurs désirs deviennent pour nous des ordres et plusieurs hommes mariés le savent!

M. LESAGE: De toute façon, elle est contre vous et contre nous!

M. JOHNSON: M. le Président, ce n'est pas une question de politique, Mme Cagrain aime ça être dans la minorité, on le sait, mais il reste quand même que, sur ce terrain des droits des femmes, elle est joliment plus solide que le ministre des Transports et Communications et moi ensemble. Elle s'y connaît et je dois l'admettre. Je dois baisser chapeau devant Mme Thérèse Casgrain et je lève le mien devant l'autre dame Casgrain qui a présenté ce bill.

M. COURNOYER: Vous allez être ministre des Affaires culturelles.

M. JOHNSON: Et si vous voulez connaître le sérieux de cette demande des associations, vous me permettrez de lire copie d'un document expédié au premier ministre ainsi qu'au ministre, député de Jacques-Cartier, par l'Association des femmes diplômées des universités (section de Montréal), sous la signature de Jeanne Demers, présidente, que je n'ai pas l'honneur de connaître.

Voici ce que disait cette association des femmes diplômées des universités, donc des femmes les mieux préparées à étudier ces problèmes: « L'Association des femmes diplômées des universités (section Montréal), a pris connaissance du projet de loi No 16 déposé à l'Assemblée législative du Québec par Me Claire Kirkland-Casgrain. « L'Association approuve le but de ce projet de loi, savoir: la pleine capacité juridique de la femme mariée. Cependant, le projet de loi, tel que présenté, est susceptible d'induire en erreur et demeure en deçà de l'objectif qu'il se propose. « En effet, son efficacité réelle est liée à l'Instauration d'un régime matrimonial adéquat et à la correction de plusieurs sections importantes du Code civil telles que la puissance paternelle, la tutelle, les donations, les testaments et le reste. L'A.F.D.U. (l'Association des femmes diplômées des universités) croit donc qu'il est urgent de régler toutes ces questions rapidement et complètement afin de rendre justice aux femmes du Québec et aussi de faire rattrapper au Code civil des retards d'un siècle. « Il est humiliant pour un peuple d'être régi par un code désuet et injuste. Le Code civil devrait être le reflet de la sagesse d'une nation.

Il joue un rôle important dans la formation de ses élites. Il doit viser à la plus grande perfection possible dans la pensée comme dans d'expression. Il doit tendre à éliminer l'injustice.

Il doit consacrer et protéger des droits inaliénables de la personne humaine. « L'Association des femmes diplômées des universités (section de Montréal), tout en félicitant le gouvernement du Québec d'avoir mis le problème à l'étude, le prie instamment de bien vouloir retarder l'adoption du projet de loi No 16 jusqu'à ce que les imprécisions, les contradictions internes qu'il contient, soient corrigées et qu'une étude complète des régimes matrimoniaux et autres questions connexes soient terminées par la Commission Nadeau. »

M. le Président, ce n'est pas le ton de gens qui ne sont pas sérieux. Ce n'est pas, du moins on a tout lieu de le présumer, le ton de gens qui n'ont pas étudié le problème. Je suis plutôt, moi, enclin à hésiter devant une demande pareille, Il n'y aurait aucun inconvénient politique, — si c'est celui qu'on recherche (et à écouter le député de Chambly et le député de Vaudreuil-Soulanges, c'est bien évident qu'on le recherche), — il n'y a aucun inconvénient politique puisque ce sont les principales intéressées qui le demandent.

Evidemment nous savons, et tout avocat sait, que le problème des régimes matrimoniaux est extrêmement complexe, que, du moment qu'on y touche, il faut évidemment aller dans toutes les parties du Code de procédures civiles et dans plusieurs lois pour faire les amendements de concordance et faire une loi, évidemment, qui se tiendrait, qui serait exécutoire.

En changeant les régimes matrimoniaux, on change considérablement les structures socio-

logiques de notre province. Mais je ne comprends pas qu'on n'accorde pas, dans le présent bill, des choses qu'on peut accorder sans attendre la deuxième tranche du rapport Nadeau. Par exemple, on vante le régime de séparation de biens; on donne à la femme séparée de biens une émancipation ou une parité de droit qu'on dit complète ou à peu près complète, mais je pense qu'on prétend qu'elle est complète quant à la femme séparée de biens.

Or, M. le Président, si c'est si bon que ça d'accorder à la femme séparée de biens une parité complète de droit, pourquoi ne pas décréter tout de suite que le régime de droit commun soit le régime de séparation de bien? On sait qu'actuellement, quand quelqu'un se marie sans contrat de mariage, eh! bien, le régime c'est le régime de communauté de biens, on sait ça.

On pourrait tourner tout simplement la table. On pourrait rendre notre législation conforme à ce qu'elle est dans les autres provinces et dans la plupart des Etats américains, sinon la totalité, et décréter que le régime qui s'appliquera pour ceux qui n'ont pas de contrat de mariage c'est le régime de séparation de biens. C'est un régime connu, c'est un régime qu'on améliore. C'est un régime au sein duquel on accorde beaucoup plus de droits à la femme en vertu du bill 16. Pourquoi ne pas, du même coup donner ces grands privilèges ou plutôt la reconnaissance de ces droits essentiels,les donner à un plus grand nombre, c'est-à-dire à toutes les personnes qui auront à se marier, qui se marieront à partir de la sanction de la loi. Ainsi on étendrait d'une façon très efficace la portée du bill 16 pour l'avenir et on n'aurait pas à toucher à aucune disposition des régimes matrimoniaux du Code civil. On n'aurait en somme qu'à élargir le champ d'application des bonnes dispositions que contient le bill 16. Et je crois que de cette façon on donnerait un petit peu plus de bonheur aux protestataires. Et quel est l'homme qui va refuser un peu plus de bonheur à ces femmes qui se sont battues depuis des siècles...

M. HAMEL (St-Maurice): Des protestataires!

M. JOHNSON: Le temps est passé, M. le Président, de ces politiciens bourrus...

M. LAPORTE: C'est vrai.

M. JOHNSON: ... comme M. Churchill, par exemple, à qui on attribue évidemment...

M. LAPORTE: Pourquoi aller si loin?

M. JOHNSON: M. le Président, il y a un danger qu'on ait un successeur à Churchill et ce serait le député de Chambly qui est bourru à ses heures...

M. LAPORTE: ... Il a duré longtemps, merci.

M. BERTRAND (Missisquoi): Il ne fume pas le cigare.

M. JOHNSON: Il lui manque certains attributs, M. le Président.

M. LAPORTE: Le cigare?

M. HAMEL (St-Maurice): Prenez patience, il va être longtemps ici.

M. JOHNSON: A une suffragette qui lui disait, évidemment un de ces jours: « M. Churchill, si j'étais votre épouse, je mettrais du poison dans votre thé. »

M. LAPORTE: Oui, c'est ça.

M. JOHNSON: Et M. Churchill de répondre: « Si j'étais votre mari, je le boirais avec plaisir. » M. le Président, je sais bien que ce n'est pas le cas du mari et du député de Jacques-Cartier, que ce n'est le cas d'aucun des maris ici présents, mais je raconte cette anecdote pour vous montrer le chemin parcouru même dans une vie d'homme, la vie d'adulte d'un homme. M. Churchill, au début de sa carrière, avait retourné d'une façon terriblement brutale les revendications de certaines suffragettes et il vit encore ce cher M. Churchill et voici qu'un parlement, une Assemblée législative à tout le moins à l'unanimité est prête à donner raison à des dames et qu'une Opposition est prête à aller plus loin que le gouvernement. Et en le faisant, nous avons l'impression de bien mériter de nos épouses respectives et de sanctionner un état de fait qui existe dans bien des foyers et de légaliser ce qui était illégal et peut-être, je l'espère, de rétablir la paix parce que la femme prenant les mêmes droits voudra un bon jour, j'en suis certain, assumer les mêmes responsabilités.

M. le Président, le député doit être de nouveau félicité mais c'est avec enthousiasme que je me relèverai si on veut accepter notre motion ou prendre certaines de nos suggestions.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, vous me permettrez, j'imagine, d'exercer mon droit de réplique.

M. LE PRESIDENT: Est-ce qu'il y a d'autres députés qui voudraient prendre la parole?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai écouté, et Mer soir et cet après-midi, mes collègues des deux côtés de la Chambre. Je les remercie de l'hommage qu'ils ont rendu à toutes ces femmes et en particulier à mon homonyme, Mme Thérèse Casgrain, toutes ces femmes, dis-je, qui, depuis le début du siècle, ont travaillé à l'émancipation de la femme mariée au Québec. Je les remercie également de toutes les gentillesses qu'ils ont eues à mon égard.

Et je voudrais remercier en particulier le chef de l'Opposition ainsi que le député de Brome d'avoir rendu hommage à mon prédécesseur dans le comté de Jacques-Cartier. Puis-je mentionner qu'il est un de ceux qui avaient voté pour l'émancipation politique de la femme lorsque le droit de vote lui a été accordé au Québec.

Et, pendant que j'en suis à parler de ma famille, on me permettra également de mentionner l'honorable Perreault-Casgrain, mon beau-père, qui, lui aussi, avait voté en faveur de ce droit pour la femme.

Le chef de l'Opposition a mentionné la personne de mon mari et j'aimerais dire ici qu'il est peut-être le premier à avoir laissé mettre en pratique cette nouvelle notion dans le bill 16 de 174, 178 et 179, Parce que, M. le Président, il a compris que je ne lui devais pas obéissance, il a aussi compris que je pouvais me protéger moi-même et je pense que, en son esprit, l'article 174 du Code civil a été depuis longtemps amendé.

Je craindrais de prendre indument le temps de la Chambre pour relever individuellement toutes les bonnes paroles qui ont été prononcées à mon égard, et c'est pourquoi, sans plus tarder, je retournerai au sujet en litige, le bill 16.

Le député de Missisquoi a dit qu'il était favorable au principe de la mesure et je ne m'attendais pas à moins de lui car, en somme, nul ne met en doute la nécessité d'établir la présomption de la capacité juridique de la femme mariée en renversant le principe actuel de l'incapacité.

Toutefois, M. le Président, je comprends que certaines associations non rompues aux techniques juridiques ont pu se laisser convaincre par la déclaration de la Ligue des Droits de l'Homme de Montréal.

M. le Président, je suis croyablement informée que, dans la plupart des cas, de nombreux membres des exécutifs des associations auxquelles a fait allusion le député de Missisquoi et également le chef de l'Opposition n'avaient même pas été convoqués pour donner leur assentiment à la signature donnée au nom de leur association.

D'ailleurs, pour ne prendre qu'un exemple, croyez-vous sincèrement, M. le Président, que les membres des facultés de médecine, de commerce, de droit, de génie, de musique, de pharmacie, de philosophie, de sciences sociales, de chirurgie dentaire et de « nursing » ont pu dans l'espace de dix jours, entre la date du dépôt du bill en Chambre et de celle de la protestation, étudier sérieusement le bill 16 et donner leur assentiment à la déclaration en question.

M. JOHNSON: Je m'excuse, les Femmes universitaires, c'est le 11 février, par exemple. Les Femmes universitaires c'est le 6 ou le 11 février?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Moi, M. le Président, je n'ai eu connaissance que des déclarations dans les journaux à part de ce qui a été dit par le chef de l'Opposition cet après-midi. Et je fais d'ailleurs allusion à ces déclarations contenues dans les journaux.

Il me semble que lorsqu'on fait un pas aussi immense en avant que celui de décréter l'égalité de la femme, de renverser complètement la présomption d'incapacité et d'affranchir totalement entre 60% et 70% des femmes mariées au Québec, il y aurait lieu de faire autre chose que de chercher avec acharnement à trouver des contradictions dans un ou deux articles qui pourtant me semblent à moi, et surtout à la majorité des juristes extrêmement clairs.

En France, on a dû se reprendre en trois fois pour adopter une législation sur la capacité juridique de la femme mariée qui allait beaucoup moins loin que notre présente loi. Si l'on voulait vraiment que rien ne se fasse dans l'émancipation de la femme mariée, on n'aurait qu'à continuer à rechercher la confusion et à appeler « miettes » ce qui affranchit totalement au moins la moitié de toutes les femmes mariées au Québec.

On a suggéré de référer toute la question à un comité et de n'adopter la présente législation qu'en même temps qu'une réforme des régimes matrimoniaux.

J'aurais une déclaration à faire ici. Avec l'assentiment du premier ministre, j'invite, à ce stade, tous ceux qui veulent se faire entendre sur les questions de puissance paternelle et de l'état matrimonial à se diriger à la Commission Nadeau composée entre autres du notaire Comtois, de Me Louis Beaudoin, professeurs d'uni-

versité respectivement à Montréal et à McGill, ainsi que de plusieurs autres juristes éminents.

Je suis informée d'ailleurs, qu'aucune décision n'est encore prise sur la question des régimes matrimoniaux. La Commission Nadeau serait heureuse d'accorder des auditions aux corps intermédiaires intéressés, et sur les régimes matrimoniaux, et sur la puissance paternelle ou parentale.

M. le Président, croyez-vous qu'on pourrait voir le public venir discuter devant le comité des bills publics, tout ce que comporte les incidences des régimes matrimoniaux. Je pense en particulier à la loi Pérodeau, l'assurance des maris et des parents, les donations entre vifs, les donations testamentaires, les prohibitions du Senatus Consul Velléin, le douaire coutumier, préfixe et conventionnel, la société des acquêts, les reprises, les impenses, l'ameublissemeht déterminé ou indéterminé et les prélèvements? J'imagine bien que non! Cependant, qu'ils aillent devant ce comité de juristes employés à scruter ces questions à étudier ces questions — Cela, ça me paraît tout à fait logique.

En France, une expérience de ce genre a été la cause, et là je parle de l'expérience qu'on voudrait tenter, a été la cause du fait que ce n'est qu'en 1959 qu'on a pu déposer un rapport sur les régimes matrimoniaux, et qu'aujourd'hui, 26 ans après, on n'a pas encore réussi à se mettre d'accord.

M. JOHNSON: A quoi?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: A se mettre d'accord, 26 ans après.

Le Code civil n'est pas du droit statutaire; et c'est à des juristes rompus aux techniques du droit qu'on doit confier le soin de suggérer une législation qui rencontreles exigences d'une discipline juritique, comme celle du droit civil de la province de Québec.

Cette Chambre a fait, hier, preuve d'un esprit de compréhension et encore aujourd'hui d'une largeur de vue comme il ne s'en est jamais vu à date dans la province de Québec sur le statut de la femme mariée.

De grâce, M. le Président, n'allons pas tout gâter en retardant l'adoption de ce projet de loi en le référant à un comitét Cette Chambre a été unanime dans son acceptation du nouveau statut de la femme mariée. L'histoire de notre province ne manquera pas de le souligner et, pour bien assurer qu'il en soit ainsi, M. le Président, je demande un vote enregistré.

M. LE PRESIDENT: Qu'on appelle les dé- putés.

Que tous ceux qui sont en faveur de la motion en deuxième lecture du bill numéro 16, veuillent bien se lever:

M. LE GREFFIER ADJOINT: M. Lesage, M. Lapalme, M. Bédard, M. Lalonde, M.Gérin-Lajoie, M. Hamel (St-Maurice),M. Bertrand (Terrebonne), M. Arsenault, M. St-Pierre, M. Cliche, M. Dionne, M. Kierans, M. Lafrance, M. Cournoyer, M. Levesque (Bonaventure), M. Laporte, M. Fortin, Mme Kirkland-Casgrain, M. Parent, M. Binette, M. O'Reilly, M. Turpin, M. Lechasseur, M. Roy, M. Meunier, M. Morissette, M. Blank, M. Maheux, M. Collard, M. Vaillancourt, M. Laroche, M. Boulais, M. Coiteux (L'Assomption), M. Ouimet, M. Hamel (Iberville), M. Crêpeau, M. Fournier, M. Théberge, M. Fortier, M. Dallaire, M. Kennedy, M. Baillargeon, M. Brisson, M. Hébert, M. Mailloux, M. McGuire, M. Beaupré, M. Godbout, M. Dupé, M. Johnson, M. Talbot, M. Dozois, M. Bertrand (Missisquoi), M. Bellemare, M. Ducharme, M. Johnston, M. Cottigham, M. Boudreau, M. Lafontaine,M.Gabias,M.Bernatchez, M Guillemette, M. Russel, M. Somerville, M. Gosselin, M. Lizotte, M. Raymond, M. Charbonneau, M. Gervais, M. Allard, M. Loubier, M. Majeau, M. Gagnon, M. Cloutier, M. Gauthier, M. Lavoie (Wolfe).

Pour 76. Yeas 76.

Contre aucun. Nays none.

M. LE PRESIDENT: La motion est adoptée.

M. LESAGE: I am sure, Mr. Speaker, that all the Members of the House would allow me to draw the attention of the House on a question of privilege to the return of the member for Verdun. Everybody knows that he has been through and might I tell him in the name of all the Members and your name, Sir, how happy we are to see him back and we would like him to accept our best wishes so that he enjoys very good health from now on.

M. JOHNSON: M. le Président, vous me permettrez de joindre ma voix à celle du premier ministre pour manifester aussi le plaisir que nous ressentons de ce côté-ci de la Chambre, de voir revenu à son pupitre « another fighting Irishman ». Ils sont rendu deux, M. le Président, au moins du côté du gouvernement, ça commence...

M. LESAGE: Deux et demi.

M. JOHNSON: M. le Président, imaginez,

s'il fallait que je les aie dans l'Opposition, le trouble qu'on donnerait au gouvernement. Mais je me réjouis grandement de voir le député de Verdun de retour à son siège. He knows how I felt about his sudden illness, how glad we are to see him back to work. I presume it cannot be for keeps, that is for every day and every seating for a little while still. I will give him a piece of advise; stay away from the fighting going on the House because such fighting might affect your heart. So I hope that still that you will be in such, that the member will be in very good condition to come back as soon as possible and I do my best to drag the session long enough so that he can come back anyway.

M. O'REILLY: M. l'Orateur, je remercie mes collègues des deux bords de la Chambre qui m'ont envoyé des télégrammes, des téléphones. Au nom de mon épouse et moi des remerciements du fond du coeur. Mais, pour avertir le chef de l'Opposition, ce n'est pas nécessaire de prolonger la réunion parce que je vais me remettre peut-être plus vite que ça.

Mr. Speaker, I would like to thank the Prime Minister and the Opposition, the Chief of Opposition, and also how many of my friends, on both sides of the House, were so kind to me and to my family. The only shock that I got, I think, it is my poor wife who is not over the shock of seeing someone so near dead and comeback. Ithink the good Lord has something for me on earth to do and to accomplish. Today is one of them to have the pleasure of coming here and voting for Bill 16, and as one fellow says: « You have got a bad heart, be careful of the ladies ». We all love the ladies and that is why we are voting to give them the proper rights In the province. Thank you.

M. LE PRESIDENT: Mme Kirkland-Casgrain propose que je quitte maintenant le fauteuil pour que la Chambre se forme en comité plénier pour étudier le bill 16. La motion sera-t-elle adoptée?

M. BERTRAND (Missisquoi): Au sujet de la motion qui vient d'être proposée par Mme Klrkland, député de Montréal-Jacques-Cartier, j'ai un amendement dont j'ai déjà donné avis hier dans les quelques remarques que j'ai alors prononcées. L'amendement s'appuie sur les articles 560 et l'article 316 des règlements de la Chambre: Il est permis de proposer un amendement, afin de référer le bill 16 à un comité élu, le comité des bills publics. Et, M. le Président, voilà pour la forme et la régularité de la motion que j'aurai l'honneur de lire tantôt. Quant au fond, est-il opportun que nous allions au comité des bills publics?...

M. LESAGE: Je n'ai pas très bien compris, est-ce que le député de Missisquoi a dit qu'il voulait parler sur la régularité de son amendement?

M. BERTRAND (Missisquoi): Oui.

M. LESAGE: Cela ne sera pas nécessaire parce que j'étais au courant.

M. BERTRAND (Missisquoi): Non, non, je ne parle pas de cela, j'ai donné les articles sur lesquels je basais la motion, c'est tout. Quant au fond, M. le Président, il est clair qu'il y a eu des protestations, qu'il y a eu des groupements qui ont manifesté leur désir d'être entendus. Je n'ai pas l'intention de relire ou de redire ce que j'ai donné hier à ce sujet; je voudrais y ajouter, à ces protestations générales, dont La Presse du 7 février faisait mention en donnant le nom de tous les groupements qui protestaient, je voudrais ajouter également cet article qui a paru, ce matin, dans le Devoir, dans la page féminine, sous le titre de « L'univers féminin »: « L'adoption du bill 16 doit être retardée ». Le chef de l'Opposition, également tantôt, a lu une lettre en provenance de l'Association des femmes diplômées des universités, la date c'est du 6 février.

M. le Président, ce sont des groupements sérieux; personne ne voudra nier dans la province de Québec que nous sommes en face de groupements qui s'intéressent vivement aux pro- blèmes nombreux que soulève le bill 16. Je n'ai pas à faire le panégyrique de tous ceux-là qui s'y dévouent. Il y en a une entre autres, je pense qu'elle est présidente du groupement qui s'appelle la Voix des Femmes, Mme Thérèse Casgrain, et l'on retrouve son nom attaché à ces luttes de l'élément féminin pour la reconnaissance, par exemple, du droit de vote, il y a plusieurs années. L'on retrouve son nom également pour les luttes qui amènent aujourd'hui la consécration d'une égalité du statut juridique de la femme mariée. C'est donc dire que, pour ne nommer que celle-là, que c'est une personne sérieuse, une personne dévouée, une personne dont toute la carrière a été consacrée à l'émancipation féminine.

Donc, M. le Président, les signataires représentent des groupements sérieux, composés de personnes dévouées et au fait du problème. Le premier ministre déclare ou déclarait hier: « Les arguments ne sont pas sérieux...»

M. LESAGE: Dans leur contexte... non.

M. BERTRAND (Missisquoi): Dans leur contexte. Cela peut être l'opinion du premier ministre, mais il me semble que lorsqu'on est en face de groupements sérieux, il est logique de conclure que les arguments que l'on apporte participent au sérieux de leur mouvement. Ces gens-là, on le lit à la fin de leur communiqué, s'inquiètent, à juste titre, d'après eux, de l'insuffisance du bill 16. Ils reconnaissent que des pouvoirs nouveaux, jusqu'ici niés à la femme mariée, lui sont accordés par le projet de loi. Nous le reconnaissons tous, mais le texte est loin de présenter d'après eux les signes ordinaires de cohérence et d'efficacité. Et ils prient donc instamment la législature de retarder l'adoption du projet de loi afin de permettre une reconsidération du texte.

Donc, M. le Président, des gens sérieux, des arguments tout probablement sérieux et comment Juger, comment nous placer dans la meilleure posture, dans la meilleure position pour juger du sérieux des arguments si ce n'est pas de les entendre, que d'écouter leur doléances, leurs griefs. On veut nous signaler peut-être des faiblesses, on veut nous faire des suggestions...

M. LESAGE: Qu'on les fasse.

M. BERTRAND (Missisquoi): ... M. le Président, on n'a pas eu l'occasion d'être entendu...

M. LESAGE: Voyons.

M. BERTRAND (Missisquoi): ... devant la Commission Nadeau, on n'a pas eu l'occasion d'être entendu par le commissaires et M. Nadeau dans le rapport qu'il a présenté dit qu'il a eu la coopération de certains notaires, de certains avocats, mais ces gens-là aussi aimeraient pouvoir se faire entendre. Ces groupements s'intéressant à ce problème depuis longtemps, n'ont jamais été entendus, nous nous devons, nous, au Parlement de Québec, de leur fournir l'occasion d'être entendus devant le comité des bills publics.

Loin de moi la pensée, M. le Président, de tenter de vouloir diriger ce que l'éditiorialiste de la Presse appelait hier soir « une levée de boucliers », au contraire mais je voudrais que nous utilisions, que nous canalisions vers le comité des bills publics la levée de boucliers s'il y a, et il n'y en apas dans ce domaine-là j'en ai la conviction. Ces groupements sont désireux tout simplement de faire certaines suggestions, de signaler des faiblesses et je voudrais que nous puissions rendre justice à celle-là qui est la marraine du bill, à celle-là qui a besogné depuis longtemps, à celle-là qui est heureuse et fière de présenter le projet de loi, je voudrais qu'elle ait l'occasion d'expliquer devant le comité des bills publics, de redire les propos qu'elle disait tantôt sur les difficultés que l'on rencontre à l'étude de ce problème, problème technique, problème compliqué, problème complexe. Je voudrais que la marraine puisse au comité des bills publics devant tous ces groupements-là dont elle a eu l'appui depuis des années en vue d'obtenir la reconnaissance de l'égalité juridique pour la femme mariée, je voudrais qu'elle puisse leur donner son opinion, s'expliquer et si, comme elle le prétend, les protestations ne sont pas fondées, au moins ces gens-là auront eu l'occasion de dialoguer non seulement avec la marraine du bill, mais avec tous les membres du comité des bills publics.

M. le Président, tous les collègues également auront l'occasion devant le comité, de se familiariser davantage avec un problème juridique complexe et en saisir toute la portée et tout le rayonnement et nous fournirons aussi à ces groupements une occasion unique d'établir leur position sur le bill 16 à la lumière des échanges de point de vue, s'il y a lieu de modifier certaines modalités du bill. Sinon le bill pourra rester ce qu'il est, mais au moins ce projet qui ne sera pas retardé au-delà d'un délai raisonnable pour permettre à tous ces groupements et à leurs représentants d'être entendus, tous ces groupements auront la satisfaction d'avoir trouvé au Parlement de Québec des députés prêts à les écouter et à insérer dans le bill des modalités qui n'y sont pas.

Et ici, M. le Président, je voudrais tout simplement dire que Me Maximilien Caron qui est une autorité en droit civil, qui nous a enseigné, à peu près à tous les avocats, qui sont ici, à l'Université de Montréal, Maximilien Caron dis-je parle de certains articles qui pourraient être abrogés, en particulier l'article 1301 dont le bill 16 ne fait pas mention et il a également d'autres suggestions qu'il serait trop long d'énumérer.

M. le Président, nous avons voté pour le bill en deuxième lecture. Nous n'avons pas voté pour le principe du bill en vue de le retarder et d'en empêcher l'adoption, loin de moi cette pensée, mais mon seul désir en proposant la motion d'amendement, à l'effet de le référer, au lieu du comité plénier, au comité des bills publics en bas, c'est de permettre" le dialogue, un dialogue plus complet, permettre à ces groupements d'être entendus et de nous faire connaître leurs vues. C'est donc pourquoi j'ai l'honneur de proposer, secondé par l'honorable député de St-Jacques, que la motion en discussion soit amen-

dée en remplaçant tous les mots après « que » par les suivants: « La Chambre est d'avis que le bill No 16 intitulé: « Loi sur la capacité juridique de la femme mariée » ne soit pas référé au comité plénier mais soit référé au comité des bills publics pour permettre aux personnes et organismes intéressés de se faire entendre. »

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, s'il y a des femmes sérieuses qui veulent retarder l'adoption du bill 16, il y a d'autres femmes sérieuses qui ne sont pas pour le retard de l'adoption du bill 16 et vous me permettrez d'en mentionner quelques-unes.

Je pense en particulier à Mme Rachel Malenfant, gérante du personnel au Service de placement Québec Limitée. Elle dit que c'est la fin des abus de confiance.

Je pense à Mme Lorette Robillard, directrice des services français à la compagnie Office Overload. Elle dit que c'est une éclaircie pour notre émancipation.

Je pense aux centaines de lettres que j'ai reçues des citoyennes de la province de Québec, des femmes mariées, qui sont heureuses de voir toute l'émancipation que le bill 16 va apporter au point de vue juridique à la femme mariée et j'en prends à témoin, également, une autre dame, la sénatrice Josie Quart et la sénatrice Mariana Jodoin qui, toutes deux, m'ont écrit et m'ont dit combien elles se réjouissaient de ces nouvelles mesures.

M. le Président, je suggère que de référer cette loi à un comité serait retarder d'autant l'adoption d'une loi qui, enfin, va affranchir au moins la moitié de toutes les femmes mariées dans la province de Québec et c'est pourquoi je trouve qu'on doit voter contre cet amendement.

M. BERTRAND (Missisquoi): Si le député de Montréal-Jacques-Cartier me permet une question. La loi ne doit entrer en vigueur que le 1er avril. Alors ça ne retardera pas la loi.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Pour les femmes mariées en séparation, il n'y a pas de doute que l'avantage qui s'en vient très prochainement sera apprécié encore plus en sachant que c'est définitif cette chose-là. Cela a assez traîné, ça fait des années qu'on attend que ça arrive et, enfin, je pense que tous les députés de cette Chambre devraient prendre en considération les études sérieuses qui ont été faites par des juristes qui ont travaillé pendant plus d'un an et demi et je pense que, dans les circonstances, l'on doive plutôt adopter le bill 16 ou l'étudier en comité.

M. JOHNSON: M. le Président...

M. LE PRESIDENT: Avant que le chef de l'Opposition prenne la parole, je voudrais suggérer, pour nous conformer au règlement, je comprends qu'il n'y a pas d'objection à ce que la motion soit présentée maintenant mais, en vertu de l'article 561 qui prévoit que « tout bill public doit être envoyé à un comité plénier », je suggère d'amender la motion: maintenant...

M. BERTRAND (Missisquoi): Ajouter: maintenant.

M. LE PRESIDENT: Soit « maintenant » référé. Adopté?

M. JOHNSON: M. le Président, je vous remercie,

M. HAMEL (St-Maurice): C'est une erreur du stratège.

M. JOHNSON: Je ne trouve pas, M. le Président, que les arguments du député de Jacques-Cartier sont bien convaincants. Le député de Missisquoi a établi clairement notre position et le député de Jacques-Cartier feint de l'ignorer.

Nous sommes en faveur de ce qui est là mais nous voulons que ce soit fait le plus parfaitement possible.

Deuxièmement, nous avons demandé pourquoi on attendrait un autre rapport avant de décréter que le régime de droit commun, c'est le régime de séparation de biens pour l'avenir.

M. LAPORTE: Est-ce que je peux poser une question?

M. JOHNSON: Oui.

M. LAPORTE: Est-ce que le chef de l'Opposition affirme que, s'il avait la responsabilité du pouvoir, il ferait ça immédiatement sans attendre le rapport de la commission qui l'étudié? Ce n'est pas sérieux, M, le Président.

M. JOHNSON: M. le Président, la motion en discussion, c'est pour entendre les gens là-dessus.

M. LAPORTE: Quoi?

M. JOHNSON: C'est pour entendre les gens sur les prescriptions du bill et ce qui y manque et l'une des choses qu'on pourrait inclure tout de suite, après avoir entendu des associa-

tions sérieuses en discuter devant nous, ce serait précisément cette clause à l'effet que le régime de droit commun, c'est le régime de séparation.

M. LAPORTE: Vous êtes en train d'infirmer toute votre thèse, là.

M. JOHNSON: Comment ça!

M. LAPORTE: Ce n'est pas prêt, celle-là.

M. JOHNSON: Pourquoi?

M. LAPORTE: Si l'Opposition insiste pour tout passer ça immédiatement, c'est parce qu'elle veut qu'on ne passe rien. C'est ça qui est le problème, l'autre n'est pas encore prêt.

M. JOHNSON: Non, M. le Président, le ministre ne comprend pas. C'est son...

M. LAPORTE: C'est peut-être que vous n'êtes pas comprenable.

M. JOHNSON: ...enthousiasme pour prouver, même rétroactivement si c'était possible, sa loyauté au parti qui le pousse à prendre ce ton, ce ton de néophyte qui vient d'entrer dans l'Eglise et qui veut prouver qu'il est plus catholique que tout le monde, et prouver qu'il est plus libéral que tout le monde. »

M. LAPORTE: Bon, est-ce que c'est là votre premier argument en faveur de la motion?

M. JOHNSON: Oui, M. le Président, c'est celui que le ministre a manqué cet après-midi et je voudrais être bien sûr de le répéter devant lui...

M. LAPORTE: Que quoi?

M. JOHNSON: M. le Président, le député de Jacques-Cartier dit: « Mme Unetelle, Mme Unetelle l'ont approuvé...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Leur parole a autant de valeur...

M. JOHNSON: M. le Président, des centaines de lettres...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: ... ça vaut autant que...

M. JOHNSON: ... je le crois mais le député est modeste. Ces neuf associations qui demandent de remettre le bill...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'ai répondu à ça, M. le Président.

M. JOHNSON: ... ont aussi félicité chaleureusement le député de Jacques-Cartier.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'ai déjà répondu à tout ça.

M. JOHNSON: Ce ne sont pas des adversaires, mais ce sont des gens qui connaissent leur affaire par exemple. Pourquoi ces « pourquoi »? Je ne comprends pas, plutôt je comprends. Avec le gouvernement actuel, c'est de même dans tous les domaines. C'est de la planification d'en haut vers le bas. Pourquoi refuser d'écouter des gens qui connaissent leur affaire, qui seront les premiers bénéficiaires d'une législation? Mais non, « c'est moi qui ai décidé ça » comme disait le premier ministre dans d'autres domaines, « c'est réglé »...

M. LAPORTE: Est-ce que le chef de l'Opposition veut dire que la Ligue des Droits de l'Homme...

M. JOHNSON: ... « c'est tout pensé, tout pesé, tout réglé ». Il me semble que c'est de la planification à l'envers, là comme ailleurs. Ce n'est pas une mesure dilatoire, le député de Missisquoi l'a prouvé clairement. Le bill n'entre en vigueur que le 1er avril.

M. LAPORTE: C'est du temps perdu.

M. JOHNSON: Bien voyons donc, on a le temps, une ou deux séances pour voir si c'est sérieux ces objections-là. J'entendais le député de Jacques-Cartier dire: « Pensez-vous que les étudiants en Pharmacie et en Droit.;.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'est vrai.

M. JOHNSON: ... se sont tous réunis? » M, le Président, pensez-vous que les étudiants en Pharmacie et en Droit se sont tous réunis avant d'envoyer des résolutions à l'appui du bill 60? Bien c'est un argument enfantin. Mais quand la présidente de la Voix des Femmes par exemple, ou un des officiers responsables me dit dans une déclaration publique que ce bill n'est pas tout à fait ce qu'on demande, et que c'est loin évidemment d'émanciper complètement la femme, eh bien, moi je m'incline devant des gens aussi sérieux. Et quand les femmes universitaires, après avoir pris le temps d'en parler...

M. LAPORTE: Inclinez-vous pas trop, vous

allez tomber.

M. JOHNSON: ... écrivent au ministre lui-même comme au premier ministre et au chef de l'Opposition. M. le Président, encore là je m'Incline profondément. Ce sont des femmes compétentes. Non, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans tout ça...

UNE VOIX: Oui.

M. LAPORTE: Le peuple doit être inquiet.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ce n'est pas l'Union nationale qui a amené le bill 16.

M. JOHNSON: Mais pourquoi cette hâte une semaine de plus, deux semaines, trois semaines, quand on a mis soi-même dans le bill que la date d'entrée en vigueur sera le 1er avril? Quant à leur faire plaisir, qu'on leur fasse donc plaisir comme il faut aux femmes. Je ne comprends pas ces hommes-là, moi...

M. COURNOYER: C'est parce que le ministre ne croit pas qu'on...

M. JOHNSON: Si on décidait de leur faire plaisir aux femmes! Mais soyez donc galants. Faites-leur donc plaisir comme il faut. Donnez-leur pleine satisfaction puisque vous êtes déterminés à le faire. C'est la manière qui compte. Le député de Jacques-Cartier a une cause très faible en refusant cette motion qui est faite dans un bon esprit, qui est faite pour rendre service, à, précisément, ce groupe dont il est question dans le bill et qui respecte le parlementarisme. Là, le député de Brome et le député de Rouyn-Noranda seraient pas mal mieux renseignés pour voter en troisième lecture. Et même celui qui vous parle aurait besoin de lumière. Je le répète, moi, je les considère supérieures. Aucun embêtement, et puis aucune hésitation à les reconnaître comme égales, Mais faisons-le tout en en leur faisant plaisir et galamment. Et là, c'est le domaine des hommes ce n'est plus le député de Jacques-Cartier qui devrait se mêler de ça, c'est le député de Richelieu qui aurait dû présenter ce bill-là.

M. LAPORTE: M. le Président, quelques mots seulement. Je pourrais d'abord, si je voulais prendre un ton défendu dans cette Chambre, le ton démagogique,...

M. JOHNSON: Hein!

M. LAPORTE: Si je pouvais prendre un ton qui est interdit dans cette Chambre, un ton démagogique...

M. JOHNSON: Vous l'avez pris hier soir.

M. LAPORTE: J'allais d'ailleurs vous rendre la politesse, vous venez de le faire il y a quelques secondes. Je pourrais donc faire comme le chef de l'Opposition qui, au lieu de discuter du problème qui est devant nous, cherche des raisons, des choses qui ne « tournent pas rond » dans le parti libéral. Je pourrais dire en sens inverse et sans espoir de convaincre, plus que lui ne nous a convaincus: « Mais qu'est-ce que c'est que cette façon qu'a l'Union nationale de donner sans donner, de se faire tirer l'oreille, de vouloir toujours référer à d'autres, alors qu'elle a accepté le principe en deuxième lecture? Et maintenant, par je ne sais pas quelle espèce de remord, — c'est peut-être que son passé lui revient en mémoire au sujet des droits de la femme, — les voila pleins de ces réticences de dernière minute? Ce serait là le ton pour simplement répondre au chef de l'Opposition qui prétend que peut-être il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Cela n'est pas convainquant...

M. JOHNSON: C'est le ton très naturel pour le ministre d'ailleurs.

M. LAPORTE: Merci de l'élégance et de la politesse du chef de l'Opposition. Je le reconnais bien!

M. le Président, sur un ton plus sérieux, pourquoi irions-nous référer le problème qui nous intéresse à un comité de la Chambre?

M. JOHNSON: Pourquoi pas?

M. LAPORTE: Parce que, M. le Président, il n'y a pas de raison fondamentale qui nous y invite.

M. JOHNSON: Ah.

M. LAPORTE: Nous sommes tous d'accord, unanimes sur le principe de donner à la femme mariée la reconnaissance de ces droits fondamentaux.

S'il s'agit de référer le présent bill à un comité pour élargir davantage ce que le chef de l'Opposition prétendait faire tout à l'heure, s'il s'agit de le référer à un comité de la Chambre pour compléter le travail que nous commençons aujourd'hui, nous disons: « C'est inutile. Cette deuxième partie du travail n'est pas prête encore. Nous avons un comité d'études qui est en

train d'étudier le régime matrimonial ».

Lorsque le chef de l'Opposition se lève et dit: « Nous devrions régler tout ça, tout de suite », nous devons répondre que la seule énumération des lois, la seule énumération que faisait, tout à l'heure, des problèmes que cela pose, le ministre d'Etat, établit clairement que ce n'est absolument pas réaliste de vouloir régler tout le problème tout de suite. Nous pourrions bâcler quelque chose mais il est inutile, aussi longtemps que cette Commission — et l'on ne prétendra pas qu'elle n' est pas présidée par un avocat compétent, sérieux, libéral de pensées qui veut vraiment donner à la femme mariée sa pleine capacité juridique n'aura pas terminé son étude...

M. JOHNSON: Mais oui...

M. LAPORTE: Nous disons que c'est inutile.

M. JOHNSON: ... qui a perdu des causes comme les autres avocats. Il n'a pas le monopole de la lumière.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre, messieurs.

M. LAPORTE: Le chef de l'Opposition s'apprête justement à en perdre une autre.

M. JOHNSON: ... même député. Arrêtez-donc.

M. LAPORTE: M. le Président, nous disons donc que, si c'est pour terminer immédiatement le travail magnifique commencé par le gouvernement actuel, nous disons: « C'est trop tôt ». Si c'est pour faire amender la loi actuelle; si c'est pour impressionner l'opinion publique, mais qu'est-ce que le chef de l'Opposition, qu'est-ce que le député de Missisquoi veulent de plus que ce qui se passe actuelle ment?

Il y a eu une protestation qui a reçu un large écho dans « La Presse ». Tout le monde en a pris connaissance. Non seulement cette protestation a-t-elle reçu un large écho mais il y a eu des éditoriaux, des commentaires. Nous savons exactement à quoi nous en tenir puisqu'ils citent ici quelques objections, M. le Président, et nous avons la certitude que s'ils en avaient trouvé de plus sérieuses ils les auraient mises à la place de celles-là, parce que ça n'impressionne pas tout le monde ces objections qu'ils ont trouvées.

Est-ce que nous allons réunir le Comité pour discuter des quelques objections mineures, des quelques objections secondaires, que l'on voit dans cet article? Et encore une fois, s'ils avaient des objections plus sérieuses que celles-là pourquoi ne les ont-ils pas mises dans leurs déclarations.

Nous disons que ce n'est pas suffisamment important pour justifier la réunion du Comité.

M. JOHNSON: J'aimerais ça avoir...

M. LAPORTE: Nous disons, deuxièmement, que ces gens-là ont eu l'occasion de s'exprimer et troisièmement nous disons qu'il faut quand même décider que les sessions durent suffisamment longtemps pour que nous ne recourions à cette procédure de la référence à un comité public que lorsque la chose est absolument nécessaire. A moins que nous ne décidions d'avoir des sessions qui vont durer aussi longtemps qu'en Angleterre, des sessions permanentes. Il est essentiel que nous ne décidions d'aller en comité public que lorsque cela est fondamentalement nécessaire.

Nous disons que leurs objections, nous les avons. Nous disons que, s'ils avaient eu des objections plus importantes, nous les connaîtrions déjà.

Est-ce que nous allons aller devant ce Comité de la Chambre pour nous faire dire que nous donnons des miettes? Si c'est pour ça ce n'est pas nécessaire.

M. JOHNSON: Ah non. Bien non.

M. BERTRAND (Missisquoi): Bien voyons donc.

M. LAPORTE: M. le Président. C'est ça qui a été dit.

M. JOHNSON: Bien non.

M. LAPORTE: C'est que le bill actuel... — Est-ce que c'est un point d'ordre, une question de privilège ou une interruption?

M. JOHNSON: Une question, une question.

M. LAPORTE: Ah, une question, une petite question!

M. JOHNSON: Quel inconvénient y aurait-il à y aller et à restreindre le débat, jusqu'à la rédaction de ces articles-là, qu'on prétend incomplets actuellement, par des gens aussi compétents que le député qui vient de parler et aussi bons avocats que l'avocat Nadeau.

On n'est tout de même pas dans un domaine de dogme et de foi.

M. LAPORTE: M. le Président, Je dis que ce sont des objections d'ordre secondaire qui n'infirment, en rien, ni le principe du bill, ni ses modalités essentielles. Je dis que nous ne devons référer au Comité que les choses les plus importantes parce qu'à ce moment-là nous n'avons pas le droit, comme députés, à moins d'avoir la conviction que des gens n'ont pas pu s'exprimer ou qu'il y a des gens en nombre tel et sur des sujets d'une si grande importance qui veulent venir, qu'il est essentiel d'aller les entendre; nous n'avons pas le droit, je ne dirai pas de gaspiller, mais d'utiliser une partie de la session, la moindre soit-elle. Nous avons déjà assez de travail sans aller en comité pour le simple plaisir de se donner la satisfaction devant l'opinion publique de dire: « Voilà douze associations qui ont une importance. Nous ferons une motion pour dire: Convoquonsrles, ce sont des associations importantes ».

M. le Président, nous savons maintenant, d'une science certaine que, dans un cas au moins ici, le président de l'association lui-même n'a pas été consulté avant que ça ne paraisse. Nous savons que dans d'autres cas c'est un groupe restreint qui a décidé de mettre le nom de l'association en vedette.

Lorsque nous savons ces choses, premièrement: Lorsque deuxièmement, nous savons que les arguments invoqués sont d'ordre secondaire, est-ce que nous allons mettre en branle toute la procédure d'une session en comité devant le public? Est-ce que nous allons faire perdre le temps très précieux de la Chambre? Je dis que ce bill est prêt; que s'il doit être amélioré, je ne voudrais pas faire l'injure à l'Opposition de supposer qu'un autre groupement va se substituer à elle, et s'il arrivait que ce groupe ait vraiment...

M. ALLARD: Qui est-ce qui parlait de démagogie tantôt?

M. LAPORTE: ... — je ne parle pas de démagogie, je parle d'une chose que les gens sont en train d'oublier; l'Opposition! — M. le Président, s'ils ont vraiment des remarques sérieuses, des amendements importants à proposer, il y a quand même la procédure du Conseil législatif. Qu'ils proposent des amendements, ils ont le temps; ces messieurs ont toute la sérénité nécessaire et, pour la plupart d'entre eux, ils n'ont plus d'intérêt immédiat dans ce pro-blème.!

M. JOHNSON: Pour tous les bills, le ministre trouve que c'est bon ça?

M. LAPORTE: Pour tous les bills? Bien, on va les passer un par un, si vous voulez.

M. JOHNSON: Commençons par le bill 60.

M. LAPORTE: Oui. A part ça, le bill 16. On va pratiquer là. Sur le bill 16, s'il y a des amendements importants, les gens des 12 associations vont certainement se manifester, eux qui ont fait preuve d'une telle célérité: le bill était à peine publié qu'ils le condamnaient! Eux qui ont fait preuve d'une telle célérité, je suis certain que tous les amendements auxquels ils ont pensé sont maintenant prêts. Si nous n'avons pas le temps de les recevoir pendant l'étude en comité, ils pourront les manifester par la voix publique, par les journaux. Le Conseil législatif pourra en prendre connaissance et, s'ils sont à ce point importants, — et par importants, je veux dire plus importants que ceux qui sont dans ce « papier », — s'ils sont à ce point importants, qu'ils impressionnent l'Assemblée législative, il sera toujours temps d'apporter les amendements. M. le Président, pour toutes ces raisons, je trouve que c'est une motion futile, une motion qui ne modifierait pas sensiblement le bill et qui ferait perdre un temps précieux à l'Assemblée législative.

M. DOZOIS: M. le Président, je n'ai pas pris la parole sur ce bill à l'occasion du débat sur la deuxième lecture, parce que j'estime qu'un bill aussi technique n'était pas de ma compétence et que je n'avais pas, à mon avis, à me prononcer sur le contenu d'une telle législation. D'ailleurs, j'ai remarqué que tous ceux qui ont pris part au débat de deuxième lecture étaient surtout des hommes de loi, sauf un. J'aurais peut-être pu me lever et parler en tant qu'époux, mais je dois vous avouer que ma femme ne m'a pas prié de jouer un tel rôle.

Mais, à l'occasion de la motion du député de Missisquoi, j'estime de mon devoir de me lever; car il s'agit d'un principe tout à fait différent. Il s'agit à mon avis, d'une motion très démocratique qui assurerait à la Chambre un moyen de se renseigner sur ce que désire la population et en particulier les organisations féminines de cette province.

On dit que ce sont des questions secondaires seulement. A lire les représentations qui ont été faites, il me semble que l'on soulève des questions des plus sérieuses. Je me demande pourquoi on refuserait à ces associations (et le ne suis pas prêt à partager les opinions que certains membres ont exprimées en cette Chambre à l'effet que ce ne sont pas des opinions sérieu-

ses que l'on a émises à l'occasion de la présentation de ce bill), j'estime qu'il y a là des groupements très sérieux et que nous l'avons fait pour d'autres bills dans le passé.

Nous avons référé d'autres bills au comité des bills publics pour consulter les intéressés, Nous l'avons fait pour la Régie des alcools; nous l'avons fait pour le Code du travail; nous l'avons fait pour le bill 13, l'an dernier, pour l'Office des marchés agricoles.

Il me semble que s'il était important de consulter les groupements qui étaient intéressés à ces problèmes à ces moments; il me semble que, lorsqu'on change d'une façon assez sérieuse une loi comme celle que nous avons devant nous, il est important d'écouter les associations qui pourraient avoir des suggestions à nous faire. J'ai suivi la discussion qui a eu lieu en cette Chambre et j'ai cru comprendre qu'il était peut-être difficile de se prononcer sur cette question du statut matrimonial avant que la Commissions Nadeau ait fait son rapport sur cette question.

Il me semble que le bill pourrait fort bien être référé au comité des bills publics en avisant les corps publics qui s'y présenteraient que nous ne discuterons pas cette partie de la loi. Tout ce qui touche au statut matrimonial serait mis de côté. Mais nous serions prêts à recevoir des commentaires sur ce que contient ce bill et de quelle façon nous pourrions l'améliorer pour donner satisfaction à toutes ces personnes.

On prétend que ça va retarder la procédure? Bah! j'estime que, lorsque nous aurons passé, une, deux ou même trois séances, ces gens, une dizaine d'associations, auront pu donner leur opinion sur le contenu de ce projet de loi. Deux ou trois séances, ça peut se tenir, vous le savez, au cours de deux ou trois matinées de la semaine prochaine ou de la semaine qui suivra. Je suis convaincu que le bill pourra être adopté et sanctionné pour qu'il n'y ait absolument rien de changé dans les intentions du gouvernement et que cette loi vienne en force le 1er avril prochain...

M. BERTRAND (Missisquoi): C'est ça.

M. DOZOIS: ...et si après ces explications, la Chambre décidait d'adopter le bill tel qu'il est, bien ces associations pourraient au moins dire: «Nous avons eu le privilège de nous présenter devant l'Assemblée législative, de faire nos revendications, de nous expliquer, de faire valoir notre point de vue, » et les élus du peuple seraient quand même libres de suivre et de voter cette loi selon leur jugement, mais après avoir pris connaissance des arguments et des doléances des gens qui s'intéressent à cette question. C'est pour cette raison, M. le Président, que je crois que la Chambre devrait voter à l'unanimité une telle motion pour que les associations soient entendues,

DES VOIX: Vote, vote.

M. BERTRAND (Missisquoi): Si vous voulez renverser, votez avec nous-autres. On a voté avec vous-autres.

M. LE PRESIDENT: La motion d'amendement sera-t-elle adoptée?

M. BERTRAND (Missisquoi): Oui, adoptée, M. le Président, adoptée, adoptée.

DES VOIX: Vote, vote.

M. LE PRESIDENT: Qu'on appelle les députés.

A l'ordre, messieurs. Que ceux qui sont en faveur de la motion d'amendement proposée par M. Bertrand (Misisquoi) veuillent bien se lever.

LE GREFFIER ADJOINT: M. Johnson, M. Talbot, M. Elie, M. Dozois, M. Bertrand (Missisquoi), M. Bellemare, M. Ducharme, M. Johnston, M. Cottingham, M. Boudreau, M. Lafontaine, M. Gabias, M. Bernatchez, M. Guillemette, M. Russell, M. Somerville, M. Gosselin. M. Lizotte, M. Raymond, M. Charbonneau, M. Gervais, M. Allard, M. Loubier, M. Majeau, M. Gagnon, M. Cloutier, M. Gauthier, M. Lavoie (Wolfe).

M. LE PRESIDENT: Que ceux qui sont contre veuillent bien se lever.

LE GREFFIER ADJOINT: M. Lesage, M. Lapalme, M. Bédard, M. Lalonde, M. Gérin-Lajoie, M. Hamel (St-Maurice), M. Bertrand (Terrebonne), M. Arsenault, M. St-Pierre, M. Cliche, M» Dionne, M. Kierans, M. Lafrance, M. Cournoyer, M. Levesque (Bonaventure), M. Laporte, M. Fortin, Mme Kirkland-Casgrain, M. Parent, M. Binette, M. Turpin, M. Lechasseur, M. Roy, M. Lavoie (Laval), M. Meunier, M. Morissette, M. Blank, M. Maheux, M. Collard, M. Vaillancourt, M. Laroche, M. Boulais, M. Coiteux (L'Assomption), M. Ouimet, M. Crépeau, M. Fournier, M. Théberge, M. Fortier, M. Dallaire, M. Kennedy, M. Baillargeon, M. Brisson, M. Hébert, M. Mailloux, M. McGuire, M. Beaupré, M. Godbout, M. Dupré, M. Martin.

LE GREFFIER: Pour 23. Contre: 49. Years:

28. Nays: 49.

M. LE PRESIDENT: La motion d'amendement est rejetée. Sur la motion principale pour aller en comité plénler; la motion est adoptée? Adoptée.

M. BEDARD (président): Bill numéro 16, article 1, référant d'abord à l'article 174 du Code civil. Article du Code, 174.

M. LESAGE: Un par un, oui.

M. BERTRAND (Missisquoi): A l'article 174, à la lecture du rapport de M. Nadeau, il avait suggéré un autre texte que celui que nous retrouvons à l'article et il avait à ce moment là étudié d'abord les amendements qui avaient été apportés en France à l'occasion de la revision des mêmes articles, il semblait appuyer très fortement sur la théorie du chef de famille. Il en parle à la page 14,15 de son rapport. Pour quelle raison le légiste n'a-t-il pas reproduit intégralement la suggestion de M. Nadeau?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, puis-je souligner à mon collègue, député de Missisquoi, que même en France, en 1950, la commission de revision du code civil français a suggéré en majorité de retrancher cette notion. C'est donc dire que les amendements qui avaient placé cette notion de chef de famille, père, chef de famille, en 1938, dans le code Napoléon est de longtemps dépassée, et que en fait alors que le mari et la femme, l'on considère que les deux concourent à assurer la direction morale et matérielle de la famille, on enlève cette notion du père, du mari chef de la famille, c'est-à-dire que l'on enlève cette notion de la puissance maritale. Et j'en veux pour preuve, l'un des articles où il est mentionné que l'on conserve la puissance paternelle, mais non pas la puissance maritale. On conserve par exemple l'unité de direction dans certains cas, comme lorsqu'il s'agit de choisir le domicile des époux.

M. BERTRAND (Missisquoi): Mais, si on me permet, je pense bien que M. Nadeau n'avait pas en vue de suggérer que l'on maintienne cette puissance, je dirais, maritale comme à l'époque de Napoléon, je pense que ce qu'il voulait surtout marquer c'était que le mari , et le chef, dirige surtout au point de vue, je dirais, de la puissance paternelle. Je pense que c'est surtout là que l'on trouve ses arguments à l'appui de l'article qu'il a proposé et où il aurait voulu quel'on établisse dans le premier paragraphe, que le mari est le chef de la famille parce que en fait dans l'article 174 actuel, en fait, c'est le mari qui est le chef de la famille puisqu'on ajoute dans le deuxième alinéa de l'article 174 que la femme exerce seule ces fonctions lorsque le mari est hors d'état de manifester sa volonté. Autrement dit, on reconnaît quand même la puissance paternelle et son exercice d'abord par le mari et deuxièmement bien entendu par la femme, mais tous les deux travaillant, concourant ensemble au bien-être de la famille,

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, il ne faut pas confondre puissance parternelle et puissance maritale. Et il s'agit en l'occurence au premier paragraphe de l'article 174 uniquement de la. puissance maritale, uniquement, dans ce premier paragraphe. Et cette notion de chef de famille, il est tellement vrai qu'elle est dépassée qu'en 1950, en France, les commissaires qui sont chargés de la revision, ont suggéré que ça soit enlevé. Alors comme nous, nous légiférons en 1964, je pense qu'il est tout à fait logique que nous ayons suivi cette façon de penser.

M. BERTRAND (Missisquoi): Ce n'est pas un blâme au député de Montréal-Jacques-Cartier, mais à la lecture du rapport à la page 15, je pense bien que M. Nadeau qui a préparé le premier rapport, qui a fait une étude assez vaste de tout ce problème, écrit par exemple à la page 15: « On semble satisfait en France des effets bienfaisants apportés par la mise en oeuvre de cette notion du mari chef de la famille. Je crois cependant qu'il serait difficile de suivre sur leur terrain ceux qui à la commission de refonte du code civil français ont suggéré l'abolition de ce titre pour le mari et ont entendu établir dans les textes une égalité absolue entre les conjoints sur tous les plans financier ou autres. » Et M. Nadeau nous réfère aux excellentes dissertations que l'on trouve dans le Droit civil de Mazeau où les auteurs réfutent les arguments de ceux qui veulent une famille sans chef. Alors me basant sur cette étude de M. Nadeau qui semble assez complète où il suggère, où il propose que l'article 174 actuel qui dit que le mari doit protection à sa femme et la femme obéissance à son mari, nous concourrons avec le député de Montréal-Jacques-Cartier et avec M. Nadeau que ça doit disparaître, mais par contre, M. Nadeau suggérait comme 1er alinéa à l'article 174, le suivant: « Le mari est le chef de la famille; il exerce l'autorité que lui confère cette fonction dans l'intérêt commun du ménage et des enfants. »

Les arguments que m'a apportés le député de Montréal-Jacques-Cartier sont des arguments

qui ont été étudiés par M. Nadeau et je lui demande pourquoi elle s'écarte du Rapport Nadeau à l'article 174.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, cette notion du mari chef de la famille, ça fait penser au chef de la tribu qui a tous les droits, même le droit d'obéissance, sur les membres de sa famille et je pense que ça inclut la femme et, en l'occurrence, comme on fait disparaître la puissance maritale, je pense qu'il était logique d'enlever ce 1er paragraphe tout en conservant la notion de l'unité de direction lorsque c'est nécessaire. Est-ce que le député de Missisquoi aurait voulu qu'on copie absolument tout ce qu'il y a dans le Rapport Nadeau? A ce compte-là on aurait pu prendre le Code Napoléon et tout copier ce qu'il y a dedans.

M. BERTRAND (Missisquoi): Non, ce n'est pas du tout mon point de vue.

M. JOHNSON: Ah! non.

M. BERTRAND (Missisquoi): Et nous avons un rapport qui a été étudié par des experts, c'est admis! Ces gens-là ont suggéré une rédaction nouvelle pour l'article 174; c'est admis! Ces gens-là ont fait des études que nous n'avons pas faites. Nous devons nous baser un peu, non seulement un peu mais beaucoup, sur les recommandations que l'on nous fait. Je pense que c'est mon devoir de demander à la marraine du bill à celle que j'ai appelée la « mère » du bill, qu'elle nous dise quelles sont les raisons qui ont milité en faveur d'une nouvelle rédaction moins complète que celle qui a été suggérée.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, je suis obligée de répéter qu'on légifère en 1964 et que, même en France, cette notion est démodée et que ceux qui étudient en France cette question ont suggéré, en 1950, d'enlever ce paragraphe.

M. JOHNSON: Bien oui, mais M. Nadeau ne savait pas ça, lui?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Alors je pense qu'en l'occurrence un législateur, à notre époque, peut décider d'enlever un paragraphe, un article, qui nous est suggéré par une commission d'étude et, en fait, qu'est-ce que ça va changer vraiment que d'enlever ce paragraphe parce, que dans les endroits où ça prend une unité de direction, on a bien pris soin de conserver ces articles.

C'est tout simplement, si vous voulez, c'est peut-être une concordance que l'on fait, étant donné qu'on fait disparaître la puissance maritale.

M. BERTRAND (Missisquoi): Parce qu'en fait, il ne faut toujours pas oublier que le mariage c'est volontaire. De part et d'autre, le mariage...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Pardon?

M. BERTRAND (Missisquoi): ... c'est du volontariat. Quand on se marie, on le fait en toute liberté...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: D'accord, d'accord.

M. BERTRAND (Missisquoi): Alors il ne s'agit pas de discuter du problème comme si l'homme et la femme étaient l'un en face de l'autre à couteaux tirés. Nous entrons librement dans le mariage et c'est de la volonté commune des deux et d'ailleurs, au 2e paragraphe de l'article 174, on retrouve en fait, implicitement, ce que le premier alinéa suggéré par M. Nadeau contient. Je comprends que...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Alors dans ce cas-là, M. le Président, pourquoi le député de Missisquoi peut-il se plaindre...

M. BERTRAND (Missisquoi): C'est parce qu'on ne voulait pas du tout...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: ... s'il dit que dans le 2e paragraphe ça répond à...

M. BERTRAND (Missisquoi): La marraine du bill ne voulait pas du tout que les mots y soient. Que la chose y soit, parfait! Mais c'est plutôt, je pense, une querelle de mots et le député de Montréal-Jacques-Cartier s'est dit: «Si nous mettons dans le 1er paragraphe que le mari est le chef de famille, c'est mauvais, ça va ressembler un peu au Code de Napoléon, ça va ressembler un peu à cette obligation de protection et, pour la femme, l'obéissance à son mari », je pense que c'est plutôt sur le mot parce que la chose elle-même, de direction par le mari, existe dans les alinéas 2 et 3.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, les membres de l'autre côté de cette Chambre se souviendront d'un amendement qu'ils ont apporté, eux, il y a quelques années et qui faisait disparaître, dans la liste des incapables, la femme mariée. Ils s'en souviendront, sans

doute. Pourquoi alors apporter cet amendement à ce moment-là? Qu'est-ce que ça a changé dans les faits?

M. JOHNSON: On s'était fait accuser, à ce moment-là, de vouloir tout simplement faire plaisir sans changer la chose.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Bon, alors, peut-être, si vous voulez, ce serait une raison, parmi beaucoup d'autres, puisque j'ai donné celle des commissaires.

M. JOHNSON: Ce que je ne comprends pas, moi, c'est qu'on a refusé tantôt une motion, et c'est le député de Chambly qui disait: « Mais ç'a été pesé, ç'a été réglé par des gens compétents: M. Nadeau, un tel, un tel, un tel. » Et là, au 1er article, on dévie de ce que M. Nadeau et un tel, et un tel et un tel qui ont une compétence telle qu'il ne faudrait même pas en discuter. On dévie de ce texte-là et on demande au député: pourquoi? Et puis le député nous dit: « Eh! bien... les raisons ne me convainquent pas.Cela a l'air que c'est encore une tribu. Cela a l'air que c'est encore un clan et c'est le grand patron du clan, le mari. » M. Nadeau devait savoir ça. M. Nadeau, — d'ailleurs il le dit dans son rapport en toutes lettres, — est au courant de ce qui s'est passé en France. Mlle Dussault aussi, c'est une personne qui a voyagé beaucoup et qui connaît ça.

M. le Président, le député ne nous a pas convaincus que M. Nadeau devait être suivi! Moi, j'aimerais à savoir si c'est un autre monsieur avocat qui a fait changer ça ou si c'est le député qui a pris l'initiative de changer ce texte-là?

M. LESAGE: M. le Président, puis-je? Juste un mot, l'article 173 évidemment demeure...

M. JOHNSON: Oui.

M. LESAGE: ... et se lit comme suit: « Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours et assistance ». Ce qu'on fait disparaître c'est la puissance maritale, l'autorité complète du mari sur la femme. Nous croyons que le mari et la femme doivent, en 1964, dans un pays chrétien, être considérés comme des égaux, des partenaires égaux à responsabilité égale dans le mariage.

Et si ça peut intéresser le chef de l'Opposition et le député de Missisquoi, le jour où nous avons décidé au comité de législation d'amender l'article comme nous l'avons fait, à la suggestion de mon collègue, le ministre sans portefeuille, c'était un lundi soir. Et je suis sûr que mon collègue et mon conseiller juridique se souviendront très bien que je leur avais répété le sermon que j'avais entendu la veille dans mon église paroissiale et que mon conseiller juridique avait aussi entendu puisqu'il fait partie de la même paroisse que moi. Où l'on avait justement parlé de l'évolution de la femme à travers les siècles. Et le prédicateur avait conclu justement qu'en 1964 il fallait considérer la femme, la mère de famille, l'épouse comme la partenaire égale de l'homme dans le mariage. C'est ce que nous avons traduit ici dans 174.

M. BERTRAND (Missisquoi): C'est ce que l'on...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, puis-je rajouter que je suis au courant qu'un mémoire de cette Ligue des Droits de l'Homme de Montréal dont on a fait allusion tout à l'heure a été présenté à la Commission Nadeau et qu'eux, parmi les recommandations qu'ils avaient faites, ils avaient justement trouvé que c'était désuet cette idée du mari chef de la famille. Ils avaient suggéré que ça soit...

M. JOHNSON: Ce sont des gens sérieux, ces gens-là.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: ... que c'est désuet en France et que ça ne soit pas contenu dans l'article mais ce n'est pas, je pense, l'unique raison de notre décision. Le premier ministre vient de les dire d'une façon bien éloquente et convaincante je pense.

M. BEDARD (Président): Article 174 adopté? Adopté. Article 175.

M. MAJEAU: Le troisième paragraphe de l'article 175 devrait être amélioré à mon sens. Voici ce que le paragraphe dit: « Cette autorisation peut être accordée sur simple requête d'un juge de la Cour supérieure, après signification au mari ». Alors je soumets que l'article devrait être amendé et qu'on devrait dire; « Cette autorisation peut être accordée sur simple requête présentée à un juge de la Cour supérieure.., »

Maintenant je me demande également s'il n'y aurait pas lieu d'ajouter que la requête devrait être accompagnée d'un affidavit également.

UNE VOIX: C'est normal.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: La requête est toujours accompagnée d'un affidavit de toute façon.

M. JOHNSON: Quelle règle? UNE VOIX: Pas nécessairement.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Les règles de pratique.

M. MAJEAU: Pas dans tous les cas.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Dans tous les cas de requête.

M. JOHNSON: Dans tous les cas. Est-ce que le député dit que dans tous les cas, les règles de pratique...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je parle du cas qui nous intéresse à l'heure actuelle.

M. MAJEAU: Maintenant dans le même paragraphe; « après signification au mari ». C'est encore les mêmes règles qui s'appliquent? Si le mari est introuvable c'est l'assignation par la voie des journaux, même chose?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: La loi de la preuve n'est pas changée et les significations se feront comme à l'ordinaire.

M. BEDARD (Président): Adopté. Au sujet de requête « d'un juge » ou « à un juge »?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: « A un juge ».

M. BEDARD (Président): « ... sur simple requête présentée » à un juge « au lieu d'un juge ». Alors article 175 adopté tel qu'amendé. Article 176?

M. JOHNSON: Un instant, pas trop vite.

M. LOUBIER: M. le Président, sur cet article sur lequel personnellement je suis complètement d'accord, il y a tout de même lieu de s'interroger sur le point suivant. Evidemment il oblige le mari à fournir à sa femme tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie selon ses facultés et son état. Cependant cette obligation faite au mari ne lui est imposée que durant sa vie. Or, à ce moment-là, par son testament le mari peut déshériter complètement son épouse.

Il garde encore ce privilège-là de la priver ainsi de ce qui est nécessaire pour poursuivre sa vie et souvent pour l'aider à continuer et parfaire l'éducation de ses enfants.

Jusqu'à maintenant nos tribunaux ont toujours reconnu comme valable un testament aux termes duquel le mari déshérite complètement son épouse. C'est une situation alarmante qu'il y aurait lieu, je crois, de corriger sans doute assez prochainement à cause justement de la multiplication de ce qu'on appelle les « faux ménages ». A ce sujet il faudrait peut-être conseiller — ce n'est peut-être pas pour le moment mais j'attire tout simplement l'attention du député de Jacques-Cartier — il y aurait peut-être lieu d'attirer l'attention du bureau de revision et de leur dire de lire la thèse de Me André Morel qui est professeur à l'Université de Montréal, qui est docteur en droit, de Paris etc.. qui expose les dangers de maintenir plus longtemps une pareille jurisprudence.

C'est en effet ridicule d'obliger le mari à subvenir aux besoins de sa famille pendant qu'il est vivant et qu'à son décès il puisse enlever, à son épouse, toute sécurité par un testament qui pourrait la déshériter.

Alors je me demande s'il n'y aurait pas lieu de trouver une façon quelconque pour prévenir cette situation qui est contre la sécurité de la famille et de la femme.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, il n'y a pas de doute que c'est pertinent, parce qu'on a la liberté de tester ici, je comprends que vous posiez ce problème; mais il n'y a pas de doute que les corps intermédiaires dont vous avez parlé feront des représentations et je suis sûr que Me Nadeau prendra connaissance de nos délibérations en cette Chambre. Mais je pense qu'à l'heure actuelle, il est prématuré de parler d'un cas de succession.

M. LOUBIER: C'est parce que ça sonnait faux.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Parce qu'il ne faut pas oublier quand même que ce devoir c'est un devoir réciproque.

M. JOHNSON: Oui.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ce devoir dont on fait mention à l'article 176, c'est un devoir réciproque des époux.

M. LOUBIER: Mais c'est parce que le danger, évidemment, c'est que le mari ayant la sécurité de sa famille à assurer durant sa vie; à son décès peut se libérer, par un seul testament de l'obligation d'assurer la sécurité de sa famille et de ses enfants.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, oui. C'est

pourquoi... c'est une...

M. JOHNSON: Ou par divorce.

M. LOUBIER: Ou par divorce; même par divorce, il peut s'en libérer.

M. JOHNSON: Par divorce, est-ce que — j'ai l'occasion d'en parler — ça devient un problème dans Québec. La sécurité de la femme et tous ces besoins qui doivent lui être fournis...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Qu'est-ce que ça vient faire le divorce...

M. LESAGE: Evidemment, c'est absolument étranger au bill qui est devant nous.

M. JOHNSON: Je sais ça.

M. LESAGE: Absolument étranger.

M. JOHNSON: Je sais ça, mais on fait une suggestion pour...

M. LESAGE: Oui, mais qu'on la fasse à la Commission Nadeau.

M. JOHNSON: ... continuation d'études. On n'a pas le temps d'aller là, nous autres, on est ici.

UNE VOIX: Qu'est-ce que vous faites?

M. JOHNSON: Si le ministre est prêt à reconnaître qu'il y a là un problème extrêmement...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ah non, M. le Président, je demanderais au chef de l'Opposition de ne pas me prêter des paroles que je n'ai pas encore prononcées dans cette Chambre.

M. JOHNSON: Non mais, je m'abstiendrai même de présumer que le ministre comprend.

M. le Président, il se crée une situation qui se multiplie rapidement dans la province quant à la sécurité de la femme mariée, au cas où le divorce arrive. C'est un problème qui n'est pas réglé. Et la Commission, qui étudie les régimes matrimoniaux, devrait y voir. Chacun des avocats ici connaît des cas extrêmement pénibles. On ne sait pas sous quelle loi les régler.

C'est une grande carence dans notre Code civil. Si on veut réellement protéger la femme, c'est le temps d'y penser, alors qu'on passe une loi, le bill 16.

Maintenant, je sais que c'est complexe. Cela peut peut-être faire partie de la deuxième tranche du Rapport Nadeau. Mais le ministre a assez d'autorité et, je ne présume pas que le ministre va prendre ma suggestion, je présume que le ministre comprend — cette fois-ci je m'excuse de lui prêter de telles « comprenures » — mais le ministre aurait assez d'influence pour faire inclure dans les sujets à étudier celui du statut de la femme divorcée quand à sa sécurité et à ses besoins.

M. LE PRESIDENT: Alors, article 176, adopté. Article numéro 177.

M. BERTRAND (Missisquoi): A 177, la femme mariée a la pleine capacité juridique quand à ses droits civils. C'est le principe. « Sous la seule réserve des restrictions ». On n'aurait pas eu un autre mot? Des restrictions. Des prescriptions?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'est le mot que les juristes ont employé en France et je ne peux pas — à moins que vous ayez une suggestion qui serait meilleure — je ne vois pas qu'il y ait d'autres termes à utiliser. Il me semble que c'est suffisamment clair. Cela démontre que c'est la femme mariée, avec un contrat de mariage, qui est en séparation qui obtient la pleine capacité juridique quand à ses droits civils.

M. BERTRAND (Missisquoi): Non, c'était surtout...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Il y a des réserves quand à celle qui est en communauté de biens.

M. JOHNSON: On a compris ce que ça veut dire.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Bon, bien

M. JOHNSON: Mais encore une fois, on suggère au ministre un meilleur mot pour...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Bien c'est beau de faire la critique mais encore faut-il que ce soit une critique qui soit constructive.

M. JOHNSON: « Sacripan », M. le Président, que le ministre a la « peau courte » cet après-midi. On n'est tout de même pas un groupe d'enfants, on a déjà pratiqué le droit nous autres aussi.

M. BERTRAND (Missisquoi): On a voté pour

le bill. On est prêt à voter encore.

M. JOHNSON: Voici, on veut, on a tâché d'éliminer certains mots qui peignaient un mauvais portrait de la situation et le député de Missisquoi fait une excellente suggestion.

Pourquoi laisser ce mot, qui donne justement l'impression que la femme sous le régime matrimonial est prise dans un carcan de restrictions alors que l'on pourrait dire sous la seule réserve des prescriptions ou des dispositions relatives à son régime matrimonial...

M. LESAGE: On est pas chez le pharmacien.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Je ne crois pas que ça serait français.

M. JOHNSON: ... que ce serait si bon juridiquement, M. le Président, ce n'est pas l'opinion du député de Jacques-Cartier qui va me faire...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ni de Me André Nadeau qui est un avocat éminent qui a été cité par vous probablement, comme par tout le monde à la Cour d'appel et puis à la Cour suprême.

M. BERTRAND (Missisquoi): Oui, bien si on commence...

M. LESAGE: Oui, mais les presciptions est-ce qu'on a regardé le mot presciption dans le dictionnaire?

M. BERTRAND (Missisquoi): ... et les dispositions.

M. LESAGE: Allez donc lire le dictionnaire, pour voir la définition de presciptions.

M. JOHNSON: Ah les dispositions on connaît tout ça. Est-ce qu'on est pris encore avec un bill ou ça ne sert à rien même de regarder le texte. Qu'on les passe donc, puis si on n'a pas besoin de nous autres, qu'on le dise...

M. LE PRESIDENT; A l'ordre, messieurs.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: On vient d'accepter un amendement.

M. BERTRAND (Missisquoi): Qu'on le dise... M. JOHNSON: ... qu'on veut prendre en mau- vaise part les suggestions si simples qui sont faites poliment, M. le Président. Encore cette attitude d'autocrate du premier ministre...

M. CREPEAU: En droit légal prescription.

M. JOHNSON: ... je ne blâme pas le député de Jacques-Cartier...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Mon Dieu vous êtes généreux!

M. JOHNSON: ... qui est bien obligée elle-aussi de se plier.

M. LE PRESIDENT: A l'ordre messieurs, alors 177.

M. BERTRAND (Missisquoi): Non, le député là-bas vient de parler, de l'autre côté.

M. LAVOIE (Laval): L'article 177 donne à la femme mariée en séparation de biens le droit d'aliéner seule ses immeubles. Est-ce que je pourrais faire une remarque? Est-ce que cet article-là n'implique pas, disons, un effet un peu rétroactif si un époux depuis 5 ans, 10 ans a acheté même des propriétés au nom de son épouse, peut-être que des sommes de $25, $100, $1,200 ou $300,000 peut-être que tous les biens qu'il a légalement ou illégalement mais eh fait de toute façon sont au nom de la femme? Lorsqu'il a posé ce geste, il l'a posé avec la loi telle qu'elle est actuellement sachant qu'elle ne pourrait pas disposer de ces immeubles sans le consentement de l'époux.

Et aujourd'hui avec l'amendement qu'on apporte, la femme à partir de la sanction de la loi peut aliéner seule tous ces immeubles-là. Je crains peut-être des effets assez drastiques, assez importants dans l'économie d'un ménage alors que, c'est un effet tout à fait rétroactif au statut actuel. Je me demande si on ne devrait pas avoir un amendement, peut-être au projet de loi, pour enlever cet effet rétroactif et dire que pour les transactions, pour lesquelles l'autorisation maritale est exigée, ne s'applique qu'aux immeubles, aux transactions qui se font à dater de la sanction de la loi. Le notaire en examinant les titres pourrait facilement dire: bien madame vous avez acheté tel immeuble en 1959 et bien vous avez besoin, pour aliéner cet immeuble, de l'autorisation du mari. Mais à partir d'aujourd'hui, tout le monde saurait et si le mari veut acheter des immeubles au nom de sa femme, il saura qu'à l'avenir, il ne peut en disposer seul; mais je crains justement l'effet rétroactif et très très très important de cet article dans

l'économie.

M. BERTRAMD (Missisquoi): Le député de Montréal Jacques-Cartier a-t-il une réponse?

M. LESAGE: Article 24.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Il y a une chose certaine qu'il faut se demander. Pourquoi le mari a-t-il par exemple donné un certain montant à sa femme, par exemple une propriété, alors qu'ils étaient mariés en séparation et aujourd'hui pourquoi veut-il reprendre, pourquoi veut-il lui empêcher d'en disposer?

M. JOHNSON: Cela ne regarde pas le Parlement.

M. LOUBIER: M. le Président si le député me le permet, je ne pense pas que la loi permette à un mari par don ou par vente de la favoriser d'un immeuble, or je pense qu'en fait ça peut se faire mais selon la lettre même de la loi, le mari ne peut pas donner un immeuble ou ne peut pas non plus de quelque façon que ce soit à moins que ça soit excessivement bien couvert, avantager sa femme sauf par contrat de mariage.

M. LESAGE: Bien oui, évidemment, qu'il le peut. Il n'y a rien qui empêche un mari de payer, de faire les paiements sur la maison qui est la propriété de son épouse...

M. LOUBIER: Il y a ça.

M. LESAGE: ... et puis s'il paye plus qu'un tel montant chaque année bien il paye l'impôt sur ça...

M. LOUBIER: Oui donc.

M. LESAGE: ...s'il paye moins que le montant prévu en vertu des lois d'impôt, bien il n'y a rien à payer, tout ça c'est légal. Les seuls qui peuvent s'en plaindre sont les créanciers du mari qui seraient lésés et... Pardon?

M. JOHNSON: Et des fois l'impôt sur le revenu.

M. LESAGE: Bien, si le montant dépasse, je ne me rappelle pas, c'est $1,500 par année, je pense, par personne... Oui, $4,000.

M. JOHNSON: M. le Président, j'ai eu des représentations aussi de la part d'avocats très sérieux qui prétendent, comme l'a dit le député de Laval, que...

M. LESAGE: L'effet rétroactif, ce n'est pas là; c'est à l'article 24.

M. JOHNSON: Oui, mais évidemment...

M. LESAGE: Si. Toute correction, tout amendement qui pourrait être apporté, il faudrait qu'il soit apporté à l'article 24, c'est l'application de la loi.

M. JOHNSON: Correct.

M. BEDARD (président): Alors, 177, adopté. 178?

M. LOUBIER: Est-ce qu'il serait possible, disons, d'apporter une certaine précision dans l'article 178 et d'ajouter au texte, par exemple, une mention spéciale à l'effet que le mandat donné par l'un des époux à l'autre ne peut-être un mandat général et qu'il ne peut être contenu dans un contrat de mariage?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, cet article a été conçu pour assurer une plus grande souplesse aux régimes matrimoniaux pour que, justement le mari qui est marié en communauté, puisse demander à sa femme d'agir pour lui pendant un certain temps. C'est le mandat conventionnel. Je pense logique qu'il soit comme il est à l'heure actuelle.

M. JOHNSON: Oui, mais sous quelle forme le mandat?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Sans restriction.

M. JOHNSON: Mais supposons qu'à un moment donné, le mari, — prenons un exemple à rebours, — le mari obtienne de sa femme, dans un moment de faiblesse de celle-ci, un mandat général, pour une longueur de temps. Comment pourra-t-elle le défaire, ce mandat-là vis-à-vis les tiers?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Si ce mandat-là est un mandat conventionnel, il est révocable.

M. JOHNSON: Qui suit les règles du Code civil, évidemment?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, il n'y a pas de doute.

M. JOHNSON: Mais tout de même, vis-à-vis les tiers ça pose un problème à un moment don-

né. Je pense bien que le ministre a dû y penser...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Il y a tous les articles du mandat, M. le Président, au Code civil qui déterminent vraiment tous les détails et les modalités.

M. JOHNSON: Du mandat de l'épouse.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, absolument.

M. JOHNSON: Qui tomberait exactement sous toutes les prescriptions du mandat ordinaire.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, absolument.

M. LOUBIER: Sauf s'il était donné dans un contrat de mariage.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Du moment que la femme a la capacité, il faut bien qu'elle réalise qu'elle a des responsabilités.

M. JOHNSON: Mais si c'était donné dans un contrat de mariage. Est-ce que ça a été envisagé ça?

M. BLANK: Mais dans le contrat de mariage, pas besoin, s'ils sont séparés de corps. Ils ont droit de faire un mandat l'un à l'autre, ils ont pleine capacité.

M. BERTRAND (Missisquoi): Il n'est pas extérieur, c'est sûr.

M. JOHNSON: Ils ne sont pas mariés au moment du contrat de mariage, on sait ça.

M. BEDARD (président): 178, adopté? 179. Est-ce qu'il y a des remarques à l'article 179?

M. JOHNSON: Un instant. Oui, les avocats en ont des remarques à faire.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: J'aimerais qu'on se rende compte ici qu'au premier paragraphe de l'article 179 du bill 16, en fait c'est l'article 1 du mandat légal, on a ajouté « et l'entretien des enfants ». Nous sommes donc allés plus loin qu'en France, que le Code Napoléon où cette mention de l'entretien des enfants n'existe pas. Au Québec, la femme peut obliger son mari au point de vue monétaire. Elle peut engager le crédit du mari pour les enfants.

M. LOUBIER: Pour l'habillement.

M. LESAGE: Avec les mots « et l'entretien des enfants » nous couvrons le cas de l'enfant qui entre à l'hôpital.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'est cet article-là.

M. MAJEAU: M. le Président, au deuxième paragraphe on parle du retrait à la femme du pouvoir de faire les actes dont il s'agit. De quelle façon va-t-on retirer ce pouvoir?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Par déclaration ou par tout moyen de preuve. Vous avez les articles de la preuve qui existent. A l'heure actuelle ici nous avons dans le code l'interdiction: en certains cas, le mari peut faire interdire son épouse pour prodigalité et à ce moment-là il peut envoyer une déclaration aux grands magasins, par exemple, pour interdire à sa femme d'acheter. Alors je pense bien que c'est la même formule: par un écrit.

M. MAJEAU: Voici, M. le Président, dans l'article 181 on indique justement la façon de porter à la connaissance des tiers. Je propose qu'on devrait également inclure le dernier paragraphe de 181...

M. LESAGE: ...

M. MAJEAU: Je comprends, mais enfin comment les tiers vont-ils être avisés du retrait du pouvoir?

M. LESAGE: Par lettre. M. MAJEAU: Par lettre?

M. BERTRAND (Missisquoi): Pas nécessairement par lettre. Cela va être un moyen.

M. LESAGE: Pardon?

M. BERTRAND (Missisquoi): Cela va être « un » moyen par lettre.

M. JOHNSON: Quelle objection y aurait-il à prendre la suggestion du député de Joliette et inclure à 179 « cette déclaration au bureau du protonotaire »?

M. LESAGE: Voyez-vous la femme qui entre un enfant à l'hôpital...

M. JOHNSON: Non.

M. LESAGE: ... qui donne la permission, qui signe des documents, aller voir au greffe puis obliger l'hospitalière à aller voir au greffe avant pour savoir si la femme a le droit d'engager? Voyons donc!

MME KIRKLAND-CASGRA1N: Cela limiterait toute la portée de l'article 179.

M. BERTRAND (Missisquoi): Pas dans ce cas-là, certain.

M. LESAGE: Franchement.

M. JOHNSON: Oui, mais dans tous les autres cas par exemple, le premier ministre prend le cas...

M. LESAGE: Même dans tous les autres cas, voyez-vous, franchement...

M. JOHNSON: Voyez-vous le mari écrire à tous les magasins...

M. LESAGE: Supposons par exemple que ma femme va à une épicerie pour acheter, puis on lui fait crédit. Evidemment c'est moi qui paie le compte. Mais, voyez-vous l'épicier me téléphoner à mon bureau tous les jours: « Est-ce que je peux lui vendre? » Voyons donc...

M. JOHNSON: Non, mais il pourrait aller au greffe.

M. LESAGE: ... ou aller au greffe pour voir avant de livrer la commande à ma femme? Voyons donc!

M. JOHNSON: M. le Président, non, non. Vous savez, ces prescriptions-là de la loi ne sont pas faites pour des gens qui s'entendent bien ou pendant qu'ils s'entendent bien, c'est quand ça va mal qu'il faut référer à ça.

M. BERTRAND (Missisquoi): C'est la règle générale où il y a de la bonne entente.

M. JOHNSON: Quand ça va bien, il n'y a pas de problème, on n'a pas besoin de...

M. LESAGE: En règle générale ça va bier. dans les ménages de la province de Québec

M. JOHNSON: C'est seulement quand ça commence à aller mal qu'il faut aller voir le texte de la loi...

M. LESAGE: On pense que ça va aller mieux en faisant plus confiance aux épouses.

M. JOHNSON: Il n'y a rien de plus désagréable que de lire dans les grands journaux l'avis de M, Untel qui avertit tout le monde qu'il n'est pas responsable des dettes de sa femme.

M. HAMEL (St-Maurice): Naturellement, ce n'est pas la formule qui prend.

M. JOHNSON: Très souvent!

M. HAMEL (St-Maurice): « Je ne suis pas responsable des dettes contractées par qui que ce soit en mon nom. Je ne suis pas responsable. »

M. JOHNSON: Mais quand c'est une déclaration au greffe, les marchands, tous les commerçants s'abonnent à une revue spécialisée. Alors tout de suite ils ont automatiquement le nom qu'ils prennent dans leur « charga-plate », puis les complications qu'on connaît. Il n'y a plus de problème. Il me semble que le député de Joliette avait raison de vouloir améliorer cet article. Si le gouvernement ne veut pas, nous nous inclinons. Ce n'est pas la première fois.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, la suggestion limite la portée de l'article 179, ça ne l'améliore pas du tout. Cela rend la portée plus étroite et presque impraticable dans bien des cas. Par exemple, dans le cas de l'hospitalisation d'un enfant...

M. JOHNSON: Quel autre cas? Le député dit: « dans bien des cas »... Quel autre cas à part celui-là?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Les cas d'urgence. Il peut y avoir d'autres cas d'urgence.

M. JOHNSON: Comme?

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Si la maison brûle et que le mari est absent... ou partiellement...

M. LOUBIER: Elle ne peut pas téléphoner aux pompiers! Elle ne peut rient

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Elle pourra louer une autre maison.

M. LE PRESIDENT: Article 179, adopté. Article 180. Adopté?

M. BERTRAND (Missisquoi): Non un instant.

M. LE PRESIDENT: 181.

M. BERTRAND (Missisquoi): Un instant. Ici M. le Président, cet article 180, ça peut s'appliquer également à l'autre. Me Maximilien Caron dans cet article que j'ai cité tantôt qui s'intitulait: « Démasculiniser notre droit » suggère qu'à l'article 182, où il est question...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, mais on est à 180.

M. BERTRAND (Missisquoi): ...de la femme commerçante, il croit que l'on devrait référer à toute profession susceptible d'être exercée par la femme. A l'heure actuelle on en limite l'application seulement à la femme commerçante et Me Caron suggérait la rédaction que nous retrouvons au Code français à l'article 223 qui déclare et je cite: « La femme peut exercer une profession séparée de celle de son mari à moins que ce dernier ne s'y oppose. Si son opposition n'est pas justifiée par l'intérêt de la famille, la femme peut être autorisée à passer outre.

Or, je me demande pourquoi, il me semble que cet article couvre ou embrasse beaucoup plus de cas que celui que nous avons là, il me semble que l'on aurait dû reproduire à cet article 180 ou 181, le texte du Code français qui s'applique à toutes les professions et non seulement à la profession de commerçante.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: M. le Président, il y a l'article 1425 A depuis 1931 qui donne une autorisation bien générale et elle pourrait, la femme pourrait, à fortiori, exercer une profession séparée de son mari si elle est commerçante, je pense que ce n'est pas nécessaire.

M. BERTRAND (Missisquoi): Voici, je pense que le député de Montréal-Jacques-Cartier reconnaîtra que Me Maximilien Caron est un juriste de premier ordre.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Ah! oui, bien sûr.

M. BERTRAND (Missisquoi): Et d'ailleurs il a analysé assez complètement tout le rapport Nadeau et il est favorable au rapport, mais il a fait lui-même...

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Sauf sur cet article.

M. BERTRAND (Missisquoi): des suggestions et je me demande si on aurait pas pu, étant donné que par le bill 16 on amende cer- tains des articles, si on aurait pas pu reproduire cet article du Code français et le député de Montréal-Jacques-Cartier va admettre que c'est plus complet que ce que nous avons.

Est-ce que le député de Montréal-Jacques-Cartier admet ça?

UNE VOIX: Elle vous répondra demain.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Oui, j'aimerais mieux y penser.

M. LESAGE: Elle vous répondra demain. UNE VOIX: Il est 6 heures.

M. BERTRAND (Missisquoi): C'est le premier ministre, je pense, qui aimerait autant y penser. Le député de Montréal-Jacques-Cartier serait prêt à accepter la suggestion.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Non, j'ai déjà donné mon opinion, M. le Président, et je l'ai donnée, justement je me suis posé la question et j'ai interrogé Me Nadeau sur cette question, c'est lui qui m'a dit que l'autorisation était tellement générale, l'autorisation qui est donnée par 1425 A, qu'elle pourrait, la femme commerçante, à fortiori, exercer une profession séparée de son mari et je pense qu'en l'occurence, moi je me suis fiée à l'opinion d'un juriste et de ceux qui ont concouru avec lui. Ils ont envisagé ce problème avant de faire le rapport.

M. BERTRAND (Missisquoi): J'aimerais mieux, quant à moi, plutôt que de le retrouver à 1425, le retrouver justement dans ce chapitre du Code civil où on établit la capacité juridique de la femme mariée.

M. JOHNSON: Très bien.

M. BERTRAND (Missisquoi): Il me semble que ce serait l'endroit beaucoup plus choisi... .

MME KIRKLAND-CASGRAIN: C'est une redondance.

M. BERTRAND (Missisquoi): ...que celui de renvoyer ça à l'article 1425A et les autres pour les biens réservés.

MME KIRKLAND-CASGRAIN: Cela serait une redondance.

M. BERTRAND (Missisquoi): Ici, M. le Président, on établit justement...

M. LESAGE: 6 heures!

M. BEDARD (président): M. le Président, j'ai l'honneur de faire rapport que le comité n'a pas fini de délibérer et demande la permission de siéger à nouveau.

M. LE PRESIDENT: Quand siégera-t-il? A la prochaine séance? A la prochaine séance.

M. LESAGE: M. le Président, demain, nous continuerons l'étude en comité de ce projet de loi, et puis nous entreprendrons l'étude du bill 48, c'est l'item 44 d'aujourd'hui, et puis l'étude du bill 8, la Loi des compagnies.

M. LE PRESIDENT: La Chambre est ajournée à demain après-midi à deux heures et demie.

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