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Version finale

35e législature, 1re session
(29 novembre 1994 au 13 mars 1996)

Le mardi 21 novembre 1995 - Vol. 34 N° 11

Consultation générale sur l'avant-projet de loi intitulé Loi modifiant la Loi sur la protection du territoire agricole et d'autres dispositions législatives afin de favoriser la protection et le développement durable des activités agricoles


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Table des matières

Bilan des travaux de la commission

Auditions


Autres intervenants
M. Yvon Vallières, président
M. Claude Lachance, président suppléant
M. Marcel Landry
M. Norman MacMillan
M. Léandre Dion
M. Bernard Brodeur
M. Jacques Brassard
*M. Bernard Gagnon, ville de Saint-Basile-le-Grand
*M. Serge Filion, Ordre des urbanistes du Québec
*M. François Marchand, idem
*M. Claude Masse, Barreau du Québec
*M. Marc Sauvé, idem
*M. Armand Poupart sr, idem
*M. Jean-Eudes Gagnon, ville de La Prairie
*M. Gérard Bolduc, idem
*M. Bernard Morel, idem
*M. Bernard Vaillancourt, municipalité de Saint-Méthode
*M. Michel Légaré, idem
*M. Louis Robillard, APTGQ
*Mme Esther Mercier, idem
*M. Michel Noël, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures huit minutes)

Le Président (M. Vallières): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation reprend ses travaux. Alors, je déclare la séance ouverte. Le mandat de la commission pour cette séance est de poursuivre la consultation générale et de tenir des auditions publiques sur l'avant-projet de loi intitulé Loi modifiant la Loi sur la protection du territoire agricole et d'autres dispositions législatives afin de favoriser la protection et le développement durable des activités agricoles. M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements à annoncer?

Le Secrétaire: Non, M. le Président, il n'y a pas de remplacements pour ce matin.

Le Président (M. Vallières): Très bien. Alors, peut-être avant de débuter, indiquer à mes collègues de l'Assemblée, faire part un peu de l'ordre du jour d'aujourd'hui. Nous débuterons ce matin avec la ville de Saint-Basile-le-Grand, qui disposera d'une heure. On avait convenu lors de la dernière séance que les organismes disposent d'une heure et que les individus disposent de 30 minutes. Alors, la ville de Saint-Basile-le-Grand sera suivie, à 11 heures, par l'Ordre des urbanistes du Québec et, de 12 heures à 12 h 30, par M. Louis V. Sylvestre. Nous reprendrons en après-midi avec le Barreau du Québec. Je vous signale que l'organisme qui devait être entendu de 15 heures à 16 heures, soit l'Union québécoise pour la conservation de la nature, s'est désisté, indiquant par ailleurs qu'il ferait parvenir à la commission ses commentaires écrits sur l'avant-projet de loi dans les meilleurs délais. Donc, à 15 heures, ce sera suivi de la ville de La Prairie et, à 16 heures, par la municipalité de Saint-Méthode. Et nous continuerons en soirée avec l'Association des propriétaires de terrains de golf du Québec inc., à compter de 20 heures, suivie de deux individus, soit M. Omer Bourgault et M. Rodrigue Leblanc. M. Bourgault sera accompagné de Mme Micheline Fournier.


Bilan des travaux de la commission

Donc, à ce moment-ci, si mes collègues me le permettent, afin de resituer un peu nos travaux, étant donné que ça fait presque trois mois jour pour jour que nous nous sommes quittés depuis la dernière séance d'auditions publiques sur cet avant-projet de loi, je pourrais brièvement faire un retour sur ce qui s'est dit lors de cette journée du 24 août dernier, pour nous permettre de nous rafraîchir collectivement la mémoire. En fait, sept organismes et deux individus ont comparu lors de cette journée.

(10 h 10)

Le premier intervenant, l'Union des producteurs agricoles, nous a affirmé que l'avant-projet de loi était un pas dans la bonne direction. Toutefois, le milieu agricole s'attendait à trouver des énoncés dans cet avant-projet de loi, des règles plus simples, plus claires et plus sûres. L'organisme, dans son mémoire, propose une soixantaine de modifications à l'avant-projet de loi pour le rendre conforme aux exigences des producteurs agricoles. Ces modifications simples lui semblent essentielles pour assurer le caractère de permanence de la zone agricole et pour permettre le développement des activités agricoles en zone verte.

Premièrement, au sujet du guide des pratiques agricoles, l'UPA déplore l'absence d'un projet de guide lui permettant de voir quels types de moyens sont préconisés pour atténuer les effets des activités agricoles sur l'environnement. Les producteurs ne veulent d'aucune façon être jugés sur des critères autres que la pratique professionnelle normalement reconnue.

Concernant les comités consultatifs, l'UPA demande que les agriculteurs composent au moins la moitié des membres des comités et que les autres membres proviennent d'organismes intéressés par les questions agricoles.

Troisièmement, il y a nécessité, selon eux, d'encadrer les pouvoirs municipaux afin de bien cerner les enjeux et d'apporter les correctifs pour clarifier l'étendue des pouvoirs des municipalités régionales de comté en zone agricole. On demande de spécifier dans le projet de loi que le rôle des MRC et des municipalités est de favoriser l'exercice et le développement des activités agricoles en zone verte.

Quatrièmement, afin de réduire les effets des délais qu'occasionnera la révision des schémas d'aménagement et des règlements d'urbanisme, l'UPA demande que, dans les mesures transitoires, un délai maximal de six mois après l'adoption de la loi soit accordé aux MRC pour mettre en place les comités consultatifs.

Finalement, en ce qui a trait à l'abolition des secteurs exclusifs, l'UPA dit regretter leur abolition mais l'accepte dans la mesure où cela peut signifier une protection plus rigoureuse pour l'ensemble de la zone agricole.

L'Union des producteurs agricoles concluait sa présentation en affirmant que les producteurs et productrices sont prêts à embarquer dans la démarche que propose l'avant-projet de loi à la condition, toutefois, d'y introduire d'importantes modifications.

Le deuxième organisme à comparaître, le Centre québécois du droit de l'environnement, a fait part à la commission de ses craintes de voir cet avant-projet de loi soustraire les agriculteurs à certaines dispositions fondamentales de la Loi sur la qualité de l'environnement et du Code civil. De plus, selon eux, cet avant-projet de loi légalise plusieurs pratiques agricoles qui sont à l'origine de la détérioration de l'environnement. Cet avant-projet de loi a aussi pour effet de réduire les pouvoirs municipaux de contrôle des nuisances par voie réglementaire, ce qui est de très mauvais augure selon cet organisme. Cet organisme réclame, en définitive, l'abandon de cet avant-projet de loi qu'il qualifie de non justifié.

L'Union des municipalités du Québec a, quant à elle, souligné l'esprit positif de la démarche entreprise par cet avant-projet de loi. L'organisme s'oppose toutefois à la réduction des pouvoirs de réglementation municipale, notamment en matière de nuisances et de zonage de certaines productions agricoles. L'Union veut être assurée que le règlement sur la réduction de la pollution de l'eau et du sol par les activités agricoles soit mis en application en même temps que le projet de loi, de même que le guide des pratiques agricoles, qui devra au préalable être soumis à l'Union des municipalités du Québec pour consultation et approbation. Enfin, l'UMQ demande de réduire les pouvoirs accordés aux comités consultatifs agricoles, qu'elle qualifie d'excessifs dans l'avant-projet de loi.

Quatrième organisme, l'Union des municipalités régionales de comté et des municipalités locales du Québec, tout en reconnaissant la priorité qu'il faut donner au maintien et au développement de l'agriculture en zone agricole, dit qu'il faut prendre en considération les particularités régionales et, de ce fait, maintenir, pour les instances municipales, leur pouvoir de régir l'utilisation du sol agricole afin de tenir compte des situations d'exception. L'Union dit attendre que soit précisée la notion de pratiques agricoles normales avant de donner son accord sur une limitation des pouvoirs municipaux à l'égard des nuisances. L'UMRCQ demande, par ailleurs, un règlement sur la prévention de la pollution de source agricole et que soit réglementé l'épandage des fertilisants pour mieux respecter la qualité de vie des communautés locales.

Le cinquième groupe, l'Association des aménagistes régionaux du Québec, voit dans l'avant-projet de loi l'amorce d'un partenariat plus formel entre les instances concernées par le biais d'une clarification des pouvoirs et responsabilités de chacune des parties. Concernant le guide des pratiques agricoles, l'Association émet des réserves principalement parce que son contenu n'est pas connu. Également, cet organisme s'oppose à la diminution des pouvoirs municipaux en matière de réglementation des activités agricoles.

Selon les représentants de l'Ordre des agronomes du Québec, l'avant-projet de loi affaiblit le pouvoir et la neutralité essentielle de la CPTAQ en faveur d'instances plus politisées. L'Ordre a dénoncé la place prépondérante faite aux municipalités et aux MRC et le trop grand nombre d'inconnues qui servent d'assises à l'avant-projet de loi. L'organisme doute que les instances municipales soient les meilleures gardiennes du patrimoine agricole et les promotrices d'une réglementation fondée sur des préjugés favorables aux activités agricoles. L'Ordre mentionne que le guide des pratiques agricoles demeure un inconnu important et il demande à être consulté dans l'élaboration de ce document.

Le dernier organisme, la Coopérative fédérée de Québec, nous a proposé certains correctifs afin de bonifier l'avant-projet de loi, entre autres concernant la disparition des secteurs exclusifs. La Coopérative est d'avis qu'elle devrait être compensée par la transmission aux MRC d'orientations gouvernementales faisant état d'une volonté d'accorder une protection accrue aux sols à fort potentiel agricole. L'importance du guide des pratiques agricoles a également été soulevée, et l'organisme a déploré que ce guide ne soit pas connu au moment où il faut apprécier un document comme l'avant-projet de loi. L'établissement des normes de distance a fait partie des interrogations des représentants de la Coopérative. Selon eux, les problèmes reliés aux odeurs découlent davantage des activités d'épandage que de la localisation des bâtiments et des équipements. L'organisme a également questionné la valeur de dissuasion des rapports de médiation. Et, tout comme l'UPA, la Coopérative demande que les comités consultatifs agricoles prévus dans l'avant-projet de loi soient composés majoritairement d'agriculteurs.

Enfin, cette première journée d'auditions a été complétée par la comparution de MM. Gérald Alain et Pierre Laterrière qui, tous deux, ont fait part à la commission de commentaires sur la Loi sur la protection du territoire agricole basés sur leurs expériences personnelles.

Alors, j'espère avoir assez bien résumé l'état de nos travaux au cours du mois d'août. À ce moment-ci, si vous le permettez, je vais demander au représentant de la ville de Saint-Basile-le-Grand, soit M. le maire, Bernard Gagnon, de bien vouloir prendre place.

Alors, M. le maire, en principe, vous disposez d'une vingtaine de minutes pour présenter votre mémoire. Par la suite, de part et d'autre, vous serez questionné pendant une quarantaine de minutes. Alors, on dispose d'une heure à partir de maintenant. M. le maire, la parole est à vous.


Auditions


Ville de Saint-Basile-le-Grand

M. Gagnon (Bernard): Ça va, merci, M. le Président. Alors, M. le Président, M. le ministre, MM. et Mmes les députés, il me fait énormément plaisir d'être présent ici aujourd'hui en réponse, bien sûr, à l'invitation de la commission de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation chargée de procéder à une consultation générale et de tenir des audiences sur l'avant-projet de loi visant à favoriser la protection et le développement durable des activités agricoles. La ville de Saint-Basile-le-Grand désire exprimer son opinion sur ce sujet tout en laissant le soin, bien sûr, aux associations municipales de discuter de l'ensemble de cet avant-projet de loi. Je pense bien que l'Union des municipalités a déjà fait part du point de vue de l'ensemble des municipalités du Québec.

La ville de Saint-Basile-le-Grand, quant à elle, désire faire part du rôle qu'elle joue dans la protection et le développement des activités agricoles dans les limites de son territoire, compte tenu que ces activités s'exercent en périphérie de zones fortement urbanisées ou en voie de le devenir. La ville de Saint-Basile-le-Grand est située, comme vous le savez, sur la rive sud de Montréal, dans la vallée du Richelieu. Elle est bornée par les villes de Beloeil, Saint-Bruno-de-Montarville, Carignan, McMasterville et la paroisse de Saint-Mathieu-de-Beloeil. La ville occupe un territoire d'un peu plus de 34 km², et sa population dépasse 10 000 personnes, qui occupent, en zone urbanisée, environ 30 % du territoire, le reste, bien sûr, du territoire étant zoné agricole.

Il faut bien voir que, actuellement, le territoire de la ville de Saint-Basile-le-Grand a en son centre sa zone urbanisée et, en périphérie complète à son centre, se trouve la zone agricole, donc un exemple particulier de la localisation, de la concentration urbaine par rapport à la zone agricole comme telle. Le reste, bien sûr, du territoire est protégé par la Loi sur la protection du territoire agricole, et l'activité agricole y est très intensive. D'ailleurs, je me permets de souligner que plus de 80 % des sols de la municipalité sont actuellement cultivés, ce qui est au-dessus des moyennes régionales, grâce, notamment, au programme de drainage des terres agricoles qui a été mis de l'avant par la municipalité il y a quelques années ainsi, bien sûr, qu'au programme de remembrement des mêmes terres agricoles permis par un récent projet de loi privé adopté par l'Assemblée nationale en 1991.

(10 h 20)

De cette situation, bien sûr, il découle que toutes les activités agricoles risquent d'avoir un impact sur l'activité urbaine de la municipalité, et vice versa, pourrions-nous dire. Pour nous, le rôle de la municipalité doit viser à harmoniser les activités de chacun par une réglementation adéquate. Je pense que le sens profond du mémoire qui vous est déposé ici aujourd'hui vise effectivement cette harmonisation-là nécessaire entre les différentes fonctions que l'on regarde aujourd'hui, urbaines par rapport à agricoles. Contrairement ou à l'instar d'autres régions, les activités agricoles de Saint-Basile-le-Grand doivent tenir compte de l'urbanisation existante. Je vous ai souligné la localisation particulière, effectivement, de la zone urbaine par rapport à la zone agricole; il y a là une problématique particulière qu'il faudra adresser.

Par exemple, la ville a reçu des demandes de la part d'agriculteurs en vue de valoriser des boues d'épuration de fosses septiques pour faire du compostage de matières végétales et de l'épandage sur des terres agricoles. Même s'il est reconnu que ces activités peuvent être très profitables à l'agriculture, la ville de Saint-Basile-le-Grand a dû tenir compte du fait que ces activités seraient exercées près des habitations. Je pense que c'est une préoccupation tout à fait pertinente. Elle a donc tenté, avec les agriculteurs, de trouver des solutions pour leur permettre de faire de la revalorisation et de donner l'assurance, en même temps, aux citoyens de la municipalité qu'un contrôle efficace pouvait être exercé sur cette activité et même, le cas échéant, si c'était nécessaire, la faire cesser sans être obligé d'avoir recours à des organismes supramunicipaux ou aux tribunaux, ce qui coûte excessivement cher, finalement, en bout de ligne, pour les citoyens qui sont concernés.

Les agriculteurs – et c'est une expérience vécue – étaient prêts à signer des ententes à cet effet et à procéder sur une base temporaire et expérimentale. Cependant, on doit mentionner que les lois actuelles régissant les activités agricoles et urbaines ont pour effet de cloisonner ces compétences des organismes chargés de protéger l'environnement et ne laissent presque pas de latitude aux municipalités. Il existe même une certaine confusion quant au rôle de chacun; qu'on pense au ministère de l'Environnement, à la Commission de protection du territoire agricole, aux municipalités, aux tribunaux. De plus, les règlements municipaux doivent, la plupart du temps, céder le pas à la loi et aux règlements adoptés en vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement.

Par exemple, selon les lois actuelles, une municipalité qui autorise un système de gestion des déchets relié à la revalorisation des boues de fosses septiques ou au compostage des matières végétales perd complètement tout contrôle sur l'exercice de cette activité et ne peut pratiquement plus la réglementer; c'est là aussi une préoccupation fondamentale de la municipalité. Tout en voulant permettre certaines activités et en les permettant, effectivement, on se trouve du même coup à perdre toute espèce de contrôle sur l'exercice de cette activité. Et, ça, ça nous apparaît représenter un danger, ça nous apparaît représenter un bris d'équilibre qui devrait, à notre point de vue, obligatoirement exister entre l'exercice autant des fonctions résidentielles qu'agricoles... et de permettre à l'entité la plus près des citoyens concernés, sujets à vivre ces problèmes-là, d'agir et de réagir rapidement à la problématique soulevée pour être en mesure, le cas échéant, d'apporter une correction immédiate et d'éviter le plus possible d'avoir recours automatiquement et de consacrer automatiquement l'obligation de se présenter devant les tribunaux à grands coups d'argent pour faire toujours trancher des questions. Alors, il y a donc là une problématique d'autoriser une activité: on peut arriver à perdre complètement tout contrôle sur l'exercice de cette activité.

Les règlements adoptés, bien sûr, en vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement prévalent sur les règlements municipaux, même si ces derniers ne sont pas incompatibles. L'état actuel de la législation semble indiquer cette interprétation. En matière de protection du territoire agricole, les règlements municipaux, toujours selon la même interprétation de la législation applicable, doivent aussi céder le pas. Encore là, il y a une source de conflits. Il est évident que certaines activités agricoles peuvent être exercées dans une région donnée, mais sont complètement incompatibles dans d'autres régions à cause des zones urbaines à proximité. Pourquoi donc les municipalités ne pourraient-elles pas définir ces incompatibilités et les réglementer, bien sûr, au profit de l'ensemble des parties résidant autant en zones urbaines que celles voulant exercer une activité agricole près de ces zones urbaines?

L'avant-projet de loi prévoit des mécanismes pour favoriser la protection et le développement durable des activités agricoles. Les ministres intéressés pourront élaborer et tenir à jour un guide des pratiques agricoles qui s'appliquera à l'ensemble du territoire québécois. Ces dispositions, cependant, ne semblent pas laisser beaucoup de place aux municipalités locales.

Évidemment, on peut dire que l'avant-projet de loi prévoit la participation et l'intervention des municipalités régionales, mais il faut bien comprendre que ça doit adresser des problèmes régionaux. Quant aux problèmes locaux et aux problèmes de voisinage immédiat, on les laisse aux municipalités locales tout en leur enlevant des pouvoirs à cet égard. Là aussi, il y a un bris de cette harmonie nécessaire et obligatoire entre les différentes fonctions résidentielles et agricoles. Le pouvoir de réglementer les activités agricoles à proximité des secteurs urbains est réduit et limité – j'en comprends à l'avant-projet de loi – à l'atténuation des inconvénients qui résultent d'une activité agricole. On semble donc vouloir consacrer presque, dans un texte législatif, l'obligation de l'inconvénient agricole et ne laisser qu'à la partie qui exerce un contrôle sur la zone urbaine l'obligation d'atténuer ces inconvénients. Je pense que l'harmonisation entre les deux fonctions devrait dépasser cette frontière. C'est notre point de vue exprimé, bien sûr, bien respectueusement.

Au lieu de réduire les pouvoirs municipaux en matière d'aménagement du territoire et, plus particulièrement, en matière de réglementation des activités en zone agricole, cet avant-projet de loi devrait, à notre point de vue, les élargir à tout ce qui n'est pas incompatible. Même si les citoyens disposent de plusieurs sortes de tribunaux administratifs et judiciaires, c'est bien connu, ils s'adressent toujours en premier lieu à leur municipalité et ils s'attendent à ce que celle-ci, vous me prêterez l'expression, règle le problème, prenne les dispositions pour le régler ou, s'il dépend d'un autre, qu'elle en prenne charge, tout simplement.

Au lieu, donc, et dans cette logique, d'établir ce qui nous a semblé être la règle de primauté des règlements du gouvernement sur les règlements municipaux en cette matière, il serait, à notre humble point de vue, préférable d'établir la règle de l'incompatibilité. De cette façon, bien sûr, les règlements municipaux pourraient avoir pleinement effet, sauf en cas d'incompatibilité, et donc assurer le maintien de ces règles essentielles d'harmonie entre les différentes fonctions que l'on retrouve ou qu'on peut retrouver sur un territoire municipal.

Compte tenu, donc, de ces expériences et des caractéristiques propres à son territoire, la ville de Saint-Basile-le-Grand est d'avis qu'on devrait aussi élargir les pouvoirs des municipalités en matière de protection de l'environnement et en matière d'activités agricoles. On devrait les autoriser à permettre l'exercice d'activités, expérimentales ou non, sur une base temporaire et, même, à conclure des ententes avec les propriétaires. Sachant qu'il s'agit d'une activité temporaire et qu'on peut y mettre fin rapidement, il sera beaucoup plus facile, nous croyons, de s'entendre sur une réglementation ou sur des protocoles d'entente qui pourraient permettre au monde agricole, au monde urbain, au monde du commerce, au monde résidentiel et à celui de l'industrie de vivre en harmonie sur un territoire.

Merci de votre attention, et, si je peux, je me rends disponible pour les questions.

Le Président (M. Vallières): Alors, merci, M. Gagnon. À ce moment-ci, je passe la parole à M. le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation.

M. Landry (Bonaventure): Merci, M. le Président. M. le maire, à la page 4 de votre mémoire, vous suggérez que les municipalités puissent définir les incompatibilités de certaines activités agricoles et les réglementer aussi. Pouvez-vous nous expliquer ici, à la commission, ce que vous entendez par «incompatibilités» et, en même temps, nous parler de votre expérience locale, de la façon dont vous avez géré les activités agricoles dites incompatibles.

M. Gagnon (Bernard): Oui, en fait, il s'agit, M. le ministre, de permettre et de pouvoir réglementer des activités, ce qui, autrement, dans l'état actuel de la législation, est impossible. Si on permet une activité agricole qui vise, par exemple, le système de gestion des déchets relié à la valorisation des boues et des fosses septiques sur notre territoire, ce qui n'est pas permis parce que notre réglementation interdit l'épandage de détritus sur notre territoire, à partir du moment où on permet, où on abolit cette réglementation-là qui interdit, par exemple, ces épandages-là, on perd automatiquement toute espèce de contrôle. On se livre pieds et poings liés à l'activité agricole quelle qu'elle soit, près des zones habitées ou pas, en permettant à peu près n'importe quoi qui est autorisé par le législateur provincial. Et, ce faisant, bien sûr, nous laisse bien peu sinon pas d'activité possible pour empêcher telle activité dans une certaine limite des zones qui sont habitées comme telles et nous rend, en cela, incapables d'agir si, par exemple, une nuisance était constatée au niveau de la fonction urbaine.

(10 h 30)

C'est dans ce sens-là que l'on vous dit respectueusement: Au lieu de sortir complètement du champ de l'activité les municipalités, il serait intéressant de penser à des mécanismes qui prévoiraient la possibilité pour les municipalités d'avoir une activité réglementaire qui protégerait ses citoyens, mais telle activité ne devrait pas aller à l'encontre de la réglementation ou de la législation provinciale. Donc, telle activité devrait être limitée par la règle de l'incompatibilité. Il faudrait s'assurer que l'action réglementaire de la municipalité puisse viser à protéger ses différentes fonctions tout en n'allant pas à l'encontre de la législation ou même la réglementation provinciale. Et, dans ce sens-là, nous pourrions exercer notre activité, d'ailleurs, que les citoyens, chez nous, nous demandent d'exercer en tout état de cause.

Le Président (M. Vallières): M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Oui. Lorsque vous parlez de votre règle de l'incompatibilité en zone agricole, pourquoi la règle de l'incompatibilité porterait sur les activités agricoles et non sur les activités urbaines en zone agricole? Vous parlez toujours... On parle toujours de la zone agricole.

M. Gagnon (Bernard): Oui, je comprends, mais c'est que je dépose un mémoire sur un avant-projet de loi qui vise effectivement la protection du territoire agricole et la permission de produire. C'est dans ce sens-là, effectivement, que je livre mes commentaires. Dans un autre avant-projet de loi sur un autre sujet, je pourrais tout autant, M. le ministre, avoir des commentaires à mentionner sur l'activité résidentielle, qui a des tendances systématiques et qui coûte très cher à certains égards à vouloir développer à tout prix en zone agricole et qui peut causer, à cet égard-là également, des préjudices tout aussi grands que l'agriculture peut elle-même en causer à la fonction résidentielle.

Je pense que, à mon point de vue, pour vivre chez nous dans la municipalité, il n'y a pas de grandes vérités qui règnent sur un côté comme sur l'autre. Il y a cependant – et on le constate à tous les jours, M. le ministre, avec beaucoup de respect – cette obligation pour les tenants des deux thèses de vouloir harmoniser leurs activités. Et ça, je pense, chez nous on le voit de cette façon-là, ça nous apparaît inéluctable. On va devoir arriver à une harmonisation, et c'est dans ce sens-là que l'on aurait pu, bien sûr, dans un autre avant-projet de loi, constater des écarts du monde urbain par rapport à l'agriculture. Aujourd'hui, sur cet avant-projet de loi, on fait l'inverse mais tout en s'assurant qu'on puisse avoir une harmonisation entre les deux fonctions. Et c'est là le motif de notre intervention comme telle. La vie municipale nous fait voir et nous fait vivre de la même façon ces oppositions agricoles et urbaines. Pour nous, ce n'est pas scindé, c'est la vie de tous les jours, et on doit y répondre parce que c'est notre responsabilité, mais aussi surtout parce que les citoyens disent et perçoivent que c'est notre responsabilité. Et c'est dans ce sens-là que l'on vous apporte ou on vous livre tout simplement ce message de l'harmonisation, qui nous apparaît être un élément essentiel dans tout avant-projet de loi qui aurait pour but de bien asseoir les fonctions agricoles et leur développement, de même qu'un autre avant-projet de loi qui pourrait tout aussi développer les fonctions et le développement des activités urbaines.

Le Président (M. Vallières): Merci. M. le ministre. Autre question, M. le ministre?

M. Landry (Bonaventure): Oui. M. le maire, est-ce que vous êtes d'accord avec le fait que les activités agricoles soient prioritaires en zone agricole?

M. Gagnon (Bernard): Oui. D'emblée, je pense que c'est une affirmation qui prend toute sa force dans la définition même. Effectivement, en zone agricole, une activité agricole. Je pense qu'en zone blanche, même chose, une utilisation urbaine prend toute sa force. Mais je pense qu'il y a des limites. À partir du moment où on constate une coexistence de ces deux fonctions, on arrive à des limites. La primauté de l'utilisation doit céder le pas à la nécessité de l'harmonisation, à mon point de vue. Et il y a là certainement des mécanismes réglementaires qui pourraient être mis en force pour assurer cette nécessité-là. Partout dans les développements à l'intérieur même d'une fonction, on prévoit des zones tampons. Ceux qui sont familiers avec ça, entre les différentes fonctions résidentielles, commerciales et industrielles, par exemple, puisqu'on sait bien que, même si ça se pratique en zone blanche, il y a des oppositions, en tout cas, il y a des nuisances qui sont dégagées. De la même façon, à notre point de vue, je crois qu'on devrait établir, en quelque sorte, des zones tampons, soit réglementaires ou physiques. Je pense qu'il y a des mécanismes à trouver pour assurer qu'il n'y ait pas de préjudice de causé à l'une comme à l'autre des personnes qui exercent ces fonctions-là sur des lots qui sont adjacents.

Le Président (M. Vallières): M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Est-ce que, en ce sens-là, le principe de réciprocité pourrait, selon vous, s'appliquer et prévaloir à toute forme de réglementation?

M. Gagnon (Bernard): Oui. Écoutez, ce n'est pas tout le contenu de la question, mais je peux dire cependant qu'il y a une nécessité, effectivement, de réciprocité, comme vous le mentionnez, qui est obligatoire, c'est bien clair, et qui va dans le sens de l'harmonisation. Je vous l'ai dit tout à l'heure, je ne croirais pas qu'une fonction par rapport à l'autre ait le monopole de la vérité, dans la vie de tous les jours; je pense qu'elle a ses responsabilités, mais elle a aussi ses obligations. Et, dans ce sens-là, je crois que bien vouloir protéger une fonction en particulier obligerait, à mon point de vue, la nécessité de l'harmonisation. C'est dans le respect un peu de ce qui nous entoure qu'on est en mesure de se développer comme tel. Et c'est bien clair qu'effectivement il y aurait une réciprocité nécessaire, même obligatoire, entre ces différentes fonctions, au niveau non seulement des responsabilités, mais au niveau des obligations comme telles. Et je crois que chacun a des concessions à faire lorsqu'on est en présence, effectivement, de deux fonctions qui se touchent, autant la zone résidentielle que la zone agricole.

(10 h 40)

Il y a cependant des mécanismes qui se doivent d'être prévus pour assurer qu'un pouvoir décisionnel immédiat puisse trancher ou puisse assurer, par une réglementation, un minimum d'harmonisation des deux fonctions puisque, autrement, on créerait inéluctablement des problèmes qui prendraient aujourd'hui, de par ce que j'en comprends, le chemin, directement, probablement, des tribunaux. On le sait, je pense qu'on a d'excellents tribunaux au Québec, sauf que c'est un chemin qui s'avère dispendieux, coûteux, et qui n'est pas nécessairement dans le sens de l'intérêt de tous les intervenants.

Le Président (M. Vallières): Merci, M. le maire. Alors, j'aurais à mon tour, M. le maire, quelques questions. Je serai suivi par d'autres collègues. Alors, vous parlez beaucoup d'harmonisation, de coexistence. Évidemment, l'avant-projet de loi qu'on a là vise entre autres à suggérer des moyens dont l'objectif constitue d'en arriver à harmoniser les différents milieux sur des objectifs qu'on partage, et un en particulier qui est celui d'assurer un droit de produire, en zone agricole, aux producteurs agricoles du Québec.

Vous n'avez pas ou peu parlé du guide des pratiques agricoles auquel on réfère dans l'avant-projet de loi. Compte tenu que vous êtes une municipalité quand même très fortement à territoire rural, est-ce que, compte tenu de l'expérience que vous avez, vous seriez en mesure de nous indiquer en quoi pourrait consister la définition d'une pratique normale de l'agriculture en zone agricole?

M. Gagnon (Bernard): Bien, écoutez, c'est certainement un exercice qui peut être fait, qui n'a pas été fait, je vous le confesse, au moment de la présentation du présent mémoire. Nous avons voulu tout simplement indiquer notre point de vue au niveau des principes, bien sûr. La définition du contenu du guide... Je ne sais pas s'il est déjà complété comme tel, s'il est déjà connu, s'il est déjà déposé comme tel. Pas encore.

À partir de ce moment-là, il est clair que se posent, à l'intérieur même de la confection de ce guide-là, toutes les questions que j'ai soulevées en commission parlementaire ce matin et qui ont trait à la nécessité de permettre l'harmonisation par la permission de prévoir la réglementation municipale, en autant qu'elle ne soit incompatible. Et je pense que ces principes-là pourraient, suite à votre question, s'appliquer de la même façon au niveau de la rédaction de ces principaux éléments-là qui devraient se retrouver dans le guide comme tel. Et ça peut prendre la forme d'éléments contenus dans un guide, de la même façon que ça pourrait se retrouver dans une possibilité, au niveau municipal, de faire ou d'assumer une réglementation, l'harmonisation étant l'objectif.

Le Président (M. Vallières): Est-ce que, M. le maire, selon vous, ces paramètres-là, ces différents sujets qu'on retrouverait à l'intérieur du guide devraient être connus avant l'adoption d'un pareil projet de loi? On sait qu'ici c'est un avant-projet de loi, et il y aura par la suite un projet de loi. Mais est-ce que, pour vous, c'est une condition sine qua non qui permettrait de tenir un exercice le plus éclairant possible à l'endroit des municipalités? Est-ce que ce guide, pour vous, compte tenu... parce que vous m'indiquez que ce que vous voyez dedans, c'est finalement les principaux moyens d'harmonisation, en tout cas, plusieurs seraient retenus à l'intérieur de ce guide-là, est-ce que vous voyez la nécessité de connaître le contenu et peut-être même d'être associé à la définition de son contenu avant de donner l'approbation à pareil projet de loi?

M. Gagnon (Bernard): Oui, si on prend pour acquis effectivement que tous les moyens prévus à l'harmonisation devraient se retrouver à l'intérieur de ce guide, par exemple. C'est bien clair que ça m'apparaîtrait être un élément important. Mais, dans le cas contraire, si, effectivement, les moyens d'harmonisation n'étaient pas adressés à l'intérieur de ce guide, c'est clair qu'à ce moment-là un éventuel projet de loi devrait apporter des précisions à cet égard-là et peut-être retrouver certaines prescriptions, dans le sens de ce que j'ai pu indiquer tout à l'heure, à l'intérieur d'un avant-projet de loi et d'une loi, éventuellement.

Mais si on choisit le chemin du guide comme tel comme étant l'endroit où on devrait retrouver toutes ces spécifications-là, j'en suis. Il faut voir cependant – et je ne suis pas un spécialiste en la matière – comment, au niveau de la loi, on pourrait avoir ces interprétations-là. Nous avons des lois, nous avons des règlements. Je sais qu'il y a des directives qui existent, on aura des guides également. Alors, quelle est la force législative de ces différents éléments-là? C'est une question, je pense, qui est certainement considérée au moment où on se parle. Moi, en autant que je suis concerné, les principes sur lesquels j'ai un point de vue à vous exprimer m'apparaissent être des principes importants dans la vie de tous les jours. Et, donc, si on avait à retrouver des prescriptions qui assureraient l'équilibre entre les différentes fonctions et l'harmonisation, à mon point de vue, on devrait peut-être davantage les retrouver dans un texte législatif, qui m'apparaîtrait donner une plus grande stabilité, en fait, aux règles d'harmonisation qu'on pourrait retrouver, avec tout le respect pour l'opinion contraire, à l'intérieur d'un guide, par exemple.

Le Président (M. Vallières): On a parlé tantôt de mécanismes permettant l'harmonisation à l'intérieur de l'avant-projet de loi. On parle d'arbitrage, on parle également de médiation. Sans aller dans le détail de chacune de ces avenues-là proposées, comment vous les voyez, comme moyens adéquats ou efficaces d'harmoniser les tendances, dans un milieu comme chez vous?

M. Gagnon (Bernard): Bien, chez nous, de la façon dont on l'a vu, effectivement, c'est peut-être un réflexe naturel que l'on a, ayant la possibilité d'adopter des règlements, c'est, tout simplement, de voir comment on ne pourrait pas prévoir ces différentes nuisances qui risqueraient de se pointer effectivement dans les régions immédiatement adjacentes où les deux activités sont permises. Alors, pour nous, bien sûr, d'écrire ces règles-là en fonction de nos préoccupations nous apparaît le meilleur moyen d'assurer une stabilité de l'application, effectivement, de ces différentes normes-là. L'arbitrage ou d'autres fonctions de cas par cas, bien sûr, laisse place à beaucoup d'interprétation, beaucoup d'instabilité, et, pendant tout ce temps-là, par exemple, des citoyens pourraient être soumis à l'application d'une nuisance qui pourrait perdurer pendant de nombreux jours, de nombreuses semaines, et on sait bien, souvent, des fois, avec les délais d'audition, de nombreux mois, pour ne pas dire de nombreuses année. Donc, dans ce sens-là, la stabilité, à mon point de vue, réglementaire, en autant qu'on est concerné, dans la définition de ces différentes nuisances là, nous apparaîtrait être le meilleur moyen, dans une certaine mesure, de faire connaître à une partie certaines limites qui existent et, à d'autres parties, connaître également l'état de leurs responsabilités ou leurs obligations et, dans ce sens-là, assurerait, par le fait même, une plus grande harmonisation puisque les règles seraient connues.

Le Président (M. Vallières): D'accord, ça répond à ma question. Je serai suivi du député de Papineau qui, lui, sera suivi du député de Saint-Hyacinthe. J'ai aussi une demande d'intervention du député de Maskinongé, de même que du ministre, de même que du député de Shefford. Alors, la table est mise.

M. Gagnon (Bernard): Oui.

Le Président (M. Vallières): Une autre intervention. M. le député de Papineau.

M. MacMillan: Merci, M. le Président. Bienvenue, M. le maire. Vous parlez beaucoup de latitude aux municipalités à cause de la situation géographique et aussi, dans votre mémoire, vous parlez d'avoir de la place dans la décision qui est prise dans votre municipalité, et je pense que c'est bien de pouvoir, surtout dans l'urbain, plus à cause des gens qui vous entourent. Vous parlez aussi d'harmonisation. Comment vous allez harmoniser avec la MRC de chez vous dans vos règlements? Dans le schéma d'aménagement, avant, ou dans le projet de loi, ça pourrait être expliqué, mais, chez vous, vous avez une opinion, sûrement, là, comment vous voulez organiser vos règlements municipaux, locaux, mais la MRC – j'imagine que c'est la MRC, chez vous – elle voit ça comment, elle, que chaque municipalité ait ses propres règlements, là? Ça va un peu, je ne sais pas, sans avoir peut-être votre expérience, là, de ma part, contre le schéma d'aménagement régional.

(10 h 50)

M. Gagnon (Bernard): Oui, je peux difficilement parler pour la MRC comme telle. Je pense que M. le préfet, chez nous, serait certainement en mesure de répondre d'une façon très très pointue à votre question. J'ose croire, cependant, en parlant seulement de Saint-Basile-le-Grand, que ce que l'on perçoit chez nous comme étant des irritants d'un déséquilibre entre les différentes fonctions pourrait probablement être perçu et même défini de la même façon ailleurs, dans d'autres municipalités. Et probablement, même au niveau de la MRC comme telle, une nuisance d'une activité agricole sur le résidentiel, à mon point de vue, ne serait pas si différente que ça d'une municipalité à l'autre, et même d'une MRC à l'autre. Et, partant, je crois que les réactions, en tout cas vis-à-vis de ça, pourraient être un peu identiques. Et il n'y aurait pas péril, je crois, dans les différentes règles qui pourraient être mises de l'avant, puisque, fondamentalement, je pense, des nuisances qui pourraient être perçues ou même développées, résultant de ces différentes activités-là, il y a certainement des ententes qui seraient très faciles à dégager, et donc permettre une réglementation qui pourrait être régionale comme telle. Ça, ça ne causerait pas de problème, sauf que ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le rôle de chacune des municipalités est primordial dans la réaction immédiate à une situation problématique, et, ça, ça appelle une rapidité d'exécution, et je pense qu'on retrouve ça, bien sûr, et c'est normal qu'on retrouve ça au niveau local d'abord et avant tout. Mais ça n'exclut pas, d'aucune façon, une nécessité d'harmonisation à un plan plus régional de ce qui pourrait constituer des écarts à cette harmonie-là comme telle. Au contraire, ça pourrait même être intéressant d'avoir des règles claires qui s'appliquent d'une municipalité à l'autre.

On peut facilement penser que certaines zones agricoles de certaines municipalités puissent toucher à des zones urbaines d'autres municipalités, auquel cas je pense qu'il faudrait transcender la juridiction d'une municipalité pour s'attacher à une fonction plus régionale pour aplanir probablement ces problèmes intermunicipaux qui peuvent se manifester. Mais je serais porté à penser qu'il n'y aurait pas nécessairement des dissemblances à ce point, même si on demandait à une autorité plus régionale de voir à réglementer ces différents écarts-là.

M. MacMillan: Dans le passé, il avait déjà été suggéré, exemple, dans le dézonage agricole, qu'il y ait un comité régional, si vous voulez, que la décision soit prise régionalement. En tout cas, finalement, ça ne s'est pas rendu au bout, là. Mais ça pourrait être un peu dans ce sens-là que, dans chacune des MRC, il y ait un comité à chaque municipalité, mais que les décisions soient prises régionalement et non pas revenir à Québec, là, pour que ça s'éternise longtemps.

M. Gagnon (Bernard): Ça, je n'ai pas de problème avec ça non plus. Il y a cependant des nuances dont il faut tenir compte. C'est que, à notre compréhension, l'avant-projet de loi réduit l'activité régionale ou municipale à la limitation de l'atténuation des inconvénients comme tels et ne donne pas la possibilité d'empêcher carrément un inconvénient. Il y a donc là une participation au maintien d'un inconvénient qui est difficile à comprendre pour nous du monde municipal, et, s'il y a un inconvénient, il y a un inconvénient. Il ne faudra pas juste l'atténuer, il va falloir l'éliminer le plus possible. Il va falloir avoir ce pouvoir-là, ce que l'avant-projet de loi, à notre compréhension, ne nous fournit pas comme outil. Et ce n'est pas parce qu'on veut nécessairement avoir cet outil-là. Il faut bien voir que ce qui est exprimé ici n'a pas toujours, ou ne veut pas nécessairement aller à l'encontre de l'exercice d'une fonction fondamentale dans une société, c'est-à-dire produire des biens au niveau de l'agriculture. L'intervention se situe bien plus au niveau de mettre sur la place publique les moyens d'harmonisation qui puissent assurer une plus grande capacité de production dans une meilleure harmonie. Vous pensez bien que, si on ne fait pas des règles d'harmonisation comme ça, on risque de se retrouver en confrontation davantage qu'en concertation, et je ne crois pas qu'on devrait avoir une activité législative qui se distance de cette concertation nécessaire et obligatoire entre la fonction résidentielle et la fonction agricole, par exemple.

M. MacMillan: Merci, M. le maire.

Le Président (M. Vallières): Bien. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Oui, M. le Président. M. le maire de Saint-Basile-le-Grand suscite beaucoup d'intérêt avec son rapport, à ce qu'on voit par la liste de gens qui veulent poser des questions. Je suis particulièrement satisfait de la préoccupation que vous manifestez pour l'harmonisation. C'est sûr que c'est une question fondamentale dans tout ce qui regarde la protection du territoire et des activités agricoles, mais je suis préoccupé par l'axe principal de votre mémoire, qui, si je le comprends bien, demande plus de pouvoirs pour les municipalités en ce qui a trait à gérer les activités agricoles ou, enfin, ce qu'il serait possible de faire dans les municipalités. Pourquoi? Pour des raisons assez lourdes et un peu mathématiques.

J'ai plusieurs questions, mais je vais vous les poser toutes les unes à la suite des autres, parce qu'elles se suivent. La première question que je me pose est la suivante: Malgré qu'il y ait une superficie importante de terres agricoles dans votre municipalité, combien il y a de producteurs? premièrement. Deuxièmement, ça représente quel pourcentage par rapport à l'ensemble des voteurs dans la municipalité? Troisièmement, les taxes payées sur les terres agricoles, ça représente quel pourcentage de l'assiette fiscale de la municipalité?

Vous comprendrez où je m'en vais, parce que je sais bien que, dans la municipalité, pour avoir déjà fait partie d'une administration municipale, on a à arbitrer des intérêts différents et parfois contradictoires. Alors, évidemment, les questions que je vous ai posées ont un certain impact, parce que, tout en ayant le souci d'être équitables, évidemment, il y a des pressions qui s'exercent sur les élus municipaux, et c'est peut-être pour ça qu'il y a beaucoup de municipalités qui ne souhaitent pas beaucoup avoir plus de pouvoirs dans le domaine de la protection du territoire agricole et des activités agricoles. Ce n'est pas toutes les municipalités qui sont d'accord avec l'approche que vous avez manifestée. D'ailleurs, vous-même avez laissé entendre tout à l'heure que certains outils, vous ne vouliez pas les avoir.

Alors, en terminant, mes deux autres questions sont les suivantes: Comment est-ce que vous définiriez l'incompatibilité, et qui en déciderait, que c'est compatible ou incompatible?

Le Président (M. Vallières): Très bien. M. Gagnon.

Une voix: Il y a cinq questions.

M. Gagnon (Bernard): Oui, c'est ça, cinq questions. Ha, ha, ha! J'ai bien saisi. C'est bien clair que, chez nous, la préoccupation de s'exprimer vient d'un cas très particulier où, effectivement, nous avons expérimenté des demandes qui nous venaient du milieu agricole, avec lesquelles on était par ailleurs d'accord mais qu'on ne pouvait pas autoriser sans perdre toute espèce de contrôle sur ces activités qui, pour la plupart, sont des activités, comme on le mentionne, un peu expérimentales qui visent, par exemple, les boues, les fosses septiques, qui visent des programmes de compostage. Et, donc, la législation actuelle, pour une administration qu'on veut responsable, ne nous permet pas d'être progressistes dans notre façon de voir le développement agricole parce qu'elle nous enlève, ce faisant, tout pouvoir d'agir ou de réagir à un projet en particulier. Et, ça, ça nous apparaît être un déséquilibre dont on veut bien saisir la commission sur cet avant-projet de loi-là. Et ça nous fait prendre conscience du fait que, nonobstant le fait qu'on puisse avoir chez nous une dizaine de producteurs seulement, bien sûr avec une assiette fiscale qui est, on pourrait dire, négligeable dans l'assiette fiscale complète et totale de la municipalité, avec un pourcentage de voteurs, sur la masse totale, dont on peut facilement comprendre qu'il n'est pas élevé également, on serait porté à se poser la question: Pourquoi une municipalité comme la ville de Saint-Basile-le-Grand, par exemple, a adopté il y a une dizaine d'années un programme de drainage des terres agricoles? Ça avait nécessité, je pense bien, un projet de loi d'intérêt privé pour légaliser toute cette opération-là, mais qui a fait en sorte, et je le souligne dans mon mémoire, d'assurer que, chez nous, plus de 80 % du territoire agricole est développé, par rapport à 49 %, 50 % dans la région immédiate. Et il y a des raisons à ça, il y a des motifs à ça. Il y a certainement eu une volonté municipale de vouloir permettre le développement agricole, le remembrement des terres agricoles qu'on a demandé. Les pouvoirs en possibilité de faire du remembrement agricole sont également une autre motivation de la municipalité qui va dans le sens complètement opposé du poids auquel vous faisiez référence.

(11 heures)

Mais, par-delà ces préoccupations électorales, il y a quand même une volonté depuis longtemps et clairement établie chez nous, à Saint-Basile-le-Grand, par exemple, de vouloir bien asseoir ces deux fonctions qui sont majoritaires. Nous n'avons pas de secteur industriel dans la municipalité, nous n'en voulons pas. Nous avons un secteur commercial qui est très concentré sur une route provinciale, la route 116, et, pour ce qui est du reste, nous avons 30 % fonction résidentielle, 70 % fonction agricole. Il y a donc là une volonté continue, clairement établie, nonobstant ces préoccupations électorales, d'asseoir et de développer les deux fonctions, et résidentielle et agricole.

Je peux vous dire que Saint-Basile-le-Grand, au moment où on se parle, a réussi à faire, je crois, d'une façon égale, le développement de ces deux fonctions-là. D'ailleurs, à chaque fois que je siège sur des comités régionaux, je pose les questions aux représentants de l'UPA à cet effet-là, comme tel, et je n'ai jamais entendu de note discordante à cet égard-là. Il y a donc une volonté clairement exprimée qui ne recèle d'aucune façon de volonté qui puisse aller à l'encontre de l'une comme de l'autre des fonctions. Il y a, cependant, une volonté d'asseoir un développement équitable de ces deux fonctions-là; non pas seulement une volonté écrite dans un mémoire, mais une volonté vécue depuis, je dirais, les 10 ou 15 dernières années au niveau municipal.

Ce faisant, il y a des préoccupations qui nous apparaissent, et la préoccupation dont on fait part à la commission aujourd'hui est celle de notre impossibilité, en administration responsable, de poursuivre les objectifs du monde agricole tout en protégeant notre fonction résidentielle, puisque, ce faisant, nous perdons tout contrôle. Alors, on est pris devant une situation où la législation actuelle, tout en voulant favoriser le développement agricole, nous conduirait à l'inverse, c'est-à-dire défendre aux agriculteurs qui ont des projets de faire et réaliser ces projets-là, puisque, ce faisant, nous perdrions tout contrôle sur l'activité elle-même. Je pense que ce n'est pas sain, dans une société aussi petite que celle de Saint-Basile-le-Grand, que de se placer dans une situation comme celle-là. Et, tout aussi sain le développement agricole serait, il y aurait quand même un préjudice important qui pourrait être causé, avec lequel on n'aurait aucun moyen de réagir.

C'est donc dans ce sens-là qu'on vous livre ces commentaires-là, qui sont des commentaires basés sur l'expérience, en fonction de ce qu'on voudrait réaliser chez nous, mais de ce qu'on ne peut pas faire maintenant, dans l'état actuel. Alors, nos commentaires ne sont pas dans le sens de briser ou de freiner le développement de l'activité agricole; au contraire, même notre activité va dans le sens inverse, mais nos commentaires sont dans le sens de dire: Si vous voulez qu'on travaille dans le sens des intérêts agricoles, donnez-nous les moyens pour assurer le respect de l'ensemble des fonctions sur notre territoire. Je ne sais pas si ça répond à vos questions.

M. Dion: Oui. Il était question de la compatibilité, peut-être.

M. Gagnon (Bernard): Oui. Bien, la compatibilité...

Le Président (M. Vallières): Je voudrais juste, s'il vous plaît... En rappelant à M. le maire que ça épuise le temps. Le temps est déjà terminé pour ce groupe parlementaire, mais vous pourriez répondre sur la question de l'incompatibilité, et vous serez suivi du député de Shefford.

M. Gagnon (Bernard): Bon, la question de la compatibilité. Il est clair que l'activité agricole doit être réglementée. Il est clair qu'une réglementation du Québec devrait exister en cette matière-là, mais ne pas défendre aux municipalités d'adopter des règles qui pourraient être complémentaires, en autant qu'elles sont compatibles, en autant qu'elles ne vont pas à l'encontre de ce qui est énoncé comme règles.

Il y a des champs qui pourraient ne pas être couverts par une réglementation du Québec, par exemple; donc, de permettre l'activité réglementaire en complément, en autant qu'elle ne contredise pas la réglementation du Québec en cette matière et, donc, ce faisant, de reconnaître d'avance les cas d'espèce qui peuvent être vus et vécus dans chacune des municipalités. Et Dieu sait qu'à chaque fois qu'on adopte probablement une loi et une réglementation-cadre, on sait qu'il y a des cas d'espèce qui se devront d'être adressés. Au lieu d'emprunter la voie judiciaire automatiquement, pourquoi ne pas laisser la possibilité aux municipalités, en autant qu'elles ne vont pas à l'encontre de ce qui est déjà décidé comme tel, en autant, donc, que leur propre réglementation puisse être compatible avec ce qui est déjà édicté, de compléter ces normes-là pour avoir une vision qui conduise plus à l'information des obligations et des responsabilités de chacun et, donc, à une meilleure compréhension de ce qui peut être fait et de ce qui ne peut pas être fait.

Le Président (M. Vallières): Merci, M. le maire. M. le député de Shefford, vous disposez de six minutes, incluant les réponses de M. le maire.

M. Brodeur: M. le Président, M. le maire.

M. Gagnon (Bernard): Je pourrais ne pas répondre et puis vous auriez six minutes plein.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Brodeur: Ha, ha, ha! ! Non, je vais vous laisser aller. De toute façon, intervenant l'un des derniers, je vais essayer de faire un survol de vos propos.

Si nous avons bien saisi vos propos, vous êtes en accord avec la protection des activités agricoles même près des milieux urbains. Mais ce qui vous inquiète particulièrement, c'est probablement la perte d'un pouvoir réglementaire ou la création d'une structure qui ne permet pas aux municipalités locales de s'exprimer adéquatement.

Est-ce que vous pensez que le projet tel qu'il est proposé pourrait être modifié dans le sens de vous donner plus de pouvoir à vous, aux municipalités locales, sans engendrer un problème qu'on pourrait dire, entre parenthèses, là, d'amener de la politicaillerie dans les structures? Est-ce que vous pensez, vous, que les municipalités locales, comme vous, devraient avoir priorité sur toute réglementation gouvernementale provinciale, comme vous le disiez tantôt, ou bien qu'on n'est pas justifié, au gouvernement du Québec, d'amener les grandes lignes ou, en fin de compte, l'essentiel des indications ou réglementations des municipalités?

En fin de compte, là, ce que vous demandez, ce que vous nous dites, vous nous dites présentement, là, c'est: Donnez-nous plus de pouvoir, on va s'en servir de façon régulière et de façon logique. Est-ce que c'est bien ça que vous nous dites?

M. Gagnon (Bernard): Bien, écoutez. Ce que je dis tout simplement dans ça, c'est que le principe, bien sûr, c'est l'harmonisation des fonctions. Ça m'apparaît fondamental. Il est bien clair que Québec a une juridiction en cette matière-là qu'il faut respecter. Ça, c'est évident. Il y a cependant un problème qui peut survenir de l'ensemble de l'application d'une législation provinciale qui est celui de la détermination de l'ensemble des nuisances ou de la création de déséquilibre entre les différentes fonctions, où là, et là seulement, devrait être sauvegardé un droit de réglementer qui pourrait être décisif au niveau municipal comme tel quant à ces problèmes qui sont placés devant nous.

Il y a là des cas d'espèce, c'est bien certain, mais c'est des cas d'espèce qui peuvent être prévus généralement, comme tel. Si un avant-projet ou un projet prévoit déjà ces cas-là à l'intérieur de son cadre lui-même, il n'y a peut-être pas nécessité de sauvegarder un pouvoir réglementaire au niveau municipal, mais, actuellement, dans l'état où on nous présente l'avant-projet de loi, on semble nous dire: Écoutez, vous aurez des possibilités seulement d'atténuer les inconvénients comme tels. Ce qu'on demande et ce que les citoyens vont nous demander, c'est plus que ça; c'est beaucoup plus que ça. Ce qu'on va être obligés de leur dire éventuellement, dans l'état actuel, c'est: Écoutez, nous ne pouvons rien faire. Nous pouvions auparavant, mais, là, on ne peut rien faire.

Alors, il y a cette nécessité probablement de vouloir, dans le cadre même de la loi, reconnaître la limite même au droit de produire. Le droit de produire comporte la limite de respecter ce qu'il y a à côté, nécessairement, obligatoirement. Il y a donc des règles, là, qui vont devoir être faites. Est-ce que c'est l'autorité municipale qui devrait le faire par cas d'espèce, parce qu'on dit: Il y aura ou pas des nuisances? Est-ce que ça devrait être fait au niveau provincial parce que c'est des questions de principe? C'est clair que tout est ouvert. Mais, dans l'état actuel de l'avant-projet de loi, il est bien clair qu'on veut nous laisser une possibilité d'agir, mais qui n'est pas suffisante, à mon point de vue.

Le Président (M. Vallières): Merci, M. Gagnon. Alors, avant de terminer, on passerait, avec le consentement de ses collègues qui avaient déjà demandé la parole, là, la parole à M. le ministre pour terminer. M. le ministre, rapidement, s'il vous plaît. Le temps est écoulé.

M. Landry (Bonaventure): Merci. Merci. M. le maire, vous insistez beaucoup sur la notion d'harmonisation à l'intérieur de la communauté, et tout ça, et vous insistez beaucoup sur un pouvoir de réglementation local par rapport à des activités agricoles pour qu'elles soient harmonisées avec l'usage résidentiel et commercial.

(11 h 10)

Or, toujours en termes d'harmonisation, à Saint-Basile-le-Grand, avez-vous passé ou adopté des règlements qui prohibent certaines activités autres qu'agricoles en zone agricole ou passé des réglementations, aussi, qui empêcheraient, en zone agricole, des nuisances ou des inconvénients générés par les autres activités en regard de l'agriculture aussi?

M. Gagnon (Bernard): Oui.

M. Landry (Bonaventure): Ou l'inverse.

M. Gagnon (Bernard): Oui, oui. Oui, on a un règlement de nuisance qui s'applique sur tout notre territoire, par exemple, et avec lequel on a été confrontés récemment. C'est celui que je vous ai expliqué tout à l'heure, celui qui empêche, dans notre réglementation générale, de déposer sur le sol agricole quelque détritus que ce soit. Bon. Alors, ce faisant, toute l'activité de revalorisation, compostage, boues, fosses septiques, échappe à la possibilité qu'on puisse réglementer. Parce que, ce faisant, on est obligés de modifier notre réglementation qui empêche tout détritus d'être déposé sur les sols agricoles, si on veut permettre cette activité-là, puisque ce qui va être déposé, c'est perçu comme étant un détritus, et, ce faisant, on perd toute espèce de contrôle sur l'activité dans l'état actuel de la législation.

Le seul moyen que l'on a de garder un contrôle, c'est d'empêcher l'activité, ce qui ne nous apparaît éminemment pas souhaitable dans un contexte où on veut le développement agricole. C'est pour ça que je vous dis que, chez nous, pour favoriser le développement agricole, on se doit de se livrer pieds et poings liés sans possibilité d'intervention comme telle. Et si on veut être conservateurs et garder un pouvoir d'intervenir le cas échéant, on se doit de défendre l'activité. Alors, on est confrontés à une situation où la législation actuelle ne nous permet pas d'agir en favorisant la production agricole. On est obligés, au contraire, de la défendre. Et même les agriculteurs, chez nous, sont prêts à signer avec nous tous les protocoles qui assureraient cette harmonisation-là.

Puis on a tenté l'expérience avec les principaux producteurs chez nous et ils sont tous d'accord. Sauf que tout le monde convient, eux comme nous, que ce qu'on va signer ne vaut absolument rien. Il n'est écrit que sur papier, n'engage qu'une volonté de bonne foi comme telle, mais ne respecte pas la réglementation actuelle. Alors, c'est dans ce sens-là qu'on vous souligne ce problème. C'est devant cette difficulté de vouloir permettre le développement agricole chez nous qu'on a réalisé le problème et qu'on s'adresse à la commission. Et, pour nous, actuellement, la législation fait en sorte de nous empêcher d'être proactifs dans l'activité agricole. Alors, ça répond peut-être aussi à la question de M. le député de Saint-Hyacinthe, également, où là on veut; mais, même si on veut, si on ne peut pas, on est difficilement placés.

La responsabilité de l'exercice de nos responsabilités passe par un maintien minimum de contrôle, ce qui est tout à fait normal. Ce n'est pas un contrôle qui se veut politique, c'est un contrôle qui se veut dans le sens de l'intérêt de tout le monde. Parce que, actuellement, on est d'accord à permettre ces activités-là sur notre territoire, mais, ce faisant, on n'en a plus aucun contrôle. Alors, c'est ce qu'on demande, la possibilité d'avoir des pouvoirs qui nous assurent qu'on puisse assurer un développement de l'activité agricole dans une harmonie, bien sûr, avec les autres fonctions.

Le Président (M. Vallières): Merci, M. Gagnon. Alors, tout simplement sur ce sur quoi vous avez terminé, vous n'êtes pas les premiers à le demander. Je veux simplement rappeler que l'Union des producteurs agricoles demandait aussi à ce que le projet de loi vise non seulement à favoriser, non seulement à planifier le développement du monde agricole, mais à en favoriser l'exercice. Alors, c'est très intéressant de vous entendre et, par voie de conséquence, on vous remercie de votre témoignage.

À ce moment-ci, j'inviterai les prochains intervenants représentant l'Ordre des urbanistes du Québec à se joindre à nous.

Bien. Alors, si je comprends bien, nous recevons M. Serge Filion, à titre de président, et M. François Marchand. Très bien. Alors, vous disposez de 20 minutes pour votre présentation. Vous serez par la suite questionnés par les parlementaires pendant une quarantaine de minutes. La parole est à vous.


Ordre des urbanistes du Québec

M. Filion (Serge): Alors, bonjour, M. le Président, bonjour, M. le ministre, bonjour à tous vos collègues de l'Assemblée nationale. C'est avec beaucoup d'empressement qu'on a fait application, si vous permettez, pour venir vous présenter un mémoire ce matin, ici, en commission parlementaire. Et ça s'explique par le fait que moi-même, en 1977-1978, j'étais venu présenter un mémoire au nom de l'Ordre des urbanistes sur le premier projet de loi de protection du territoire agricole, mémoire qui n'avait qu'une page, mais M. Garon nous a retenus une heure. Alors, on va essayer d'être brefs au cas où vous auriez encore des questions, parce qu'on s'aperçoit que, finalement, on gère exactement le même territoire.

Une voix: On a changé de ministre.

M. Filion (Serge): Oui. Maintenant, comme on se comprend bien quand on sait qui on est, moi, maintenant, je suis président de l'Ordre des urbanistes du Québec depuis quatre ans, et, à ce titre, nous avons une corporation qui est devenue un ordre professionnel régi par l'Office, et qui comprend 800 membres, et dont la mission est double. Le premier pan qui nous tient le plus à coeur, c'est la protection du public. Alors, c'est toujours à ce titre-là qu'on le fait. On pense que c'est dans l'intérêt commun d'avoir des politiques éclairées en matière d'aménagement et de gestion du territoire québécois, et c'est à ce titre-là qu'on le fait.

Notre deuxième volet, qui est plus égoïste, si vous me permettez, est la défense et la promotion de l'intérêt de nos membres. Mais, comme nous ne sommes qu'un ordre professionnel à titre réservé et non à champ de pratique exclusif, alors, c'est un volet qui, pour le moment, pour nous, compte moins. Je dois dire qu'on a 800 membres qui paient 600 $ par année pour être membre et pour porter le titre d'urbaniste; donc, ce sont des gens profondément convaincus et ils le font par principe.

Donc, le bureau, voyant le projet de loi, a tout de suite formé un comité de travail et confié à M. François Marchand, qui a l'avantage d'être à la fois urbaniste et avocat, le mandat d'étudier le projet de loi et de faire des recommandations au bureau et de rédiger un mémoire qui sera déposé ici ce matin, en le regardant sur deux aspects très particuliers. Le premier, bien sûr, c'est, dans ce sens de la protection du public, l'intention avouée de l'Ordre des urbanistes de protéger les richesses patrimoniales, les richesses agricoles, les richesses forestières, en fin de compte, tout ce qui constitue les caractéristiques et les valeurs du territoire québécois.

Vous savez que, depuis quatre ans, notre ordre professionnel a commencé une guerre sacrée contre l'étalement urbain, et cela, en deux mots, se justifiait de la façon suivante: c'est que, depuis les années soixante, la pyramide démographique du Québec a connu une véritable inversion, et notre prétention scientifique et technique – et ça a été confirmé par des colloques d'universitaires – était à l'effet qu'on aurait de moins en moins besoin de sols pour gérer la planification du territoire ou l'urbanisation du territoire. Et je vais citer simplement un de mes collègues français qui disait: Dorénavant, les expansions seront de plus en plus rares et on s'habituera à gérer, en cette fin de siècle et au début de l'autre, à refaire la ville sur la ville.

Alors, si vous regardez à l'échelle québécoise, beaucoup et la plupart de nos problèmes en matière d'aménagement et d'urbanisme résultent du fait que même si la demande a considérablement chuté en besoin de nouveaux espaces, en besoins réels, mathématiques et justifiés, on a continué de faire du développement à la périphérie des grandes villes et des villages, donc, on a dédoublé souvent des équipements commerciaux, industriels, un parc de logements, et avec le résultat que vous pouvez tous constater, qui se vérifie sur le terrain. En même temps qu'on a, par exemple, dans l'agglomération de Québec, ici, encore environ 200 projets de développement urbain en lointaine périphérie, on s'aperçoit que le corollaire mathématique, c'est la détérioration, le vieillissement précoce des équipements existants; fermetures d'écoles – je n'ai pas besoin de vous en parler – obligation d'avoir des programmes de revitalisation pour encourager les gens à entretenir leur propriété; pourrissement des vieux établissements industriels et commerciaux dans les centres villes, et j'en passe. Je pense que c'est un diagnostic qui est très clair au Québec, et ce débat qu'on a amorcé il y a quatre ans maintenant, on peut dire, est devenu un débat de société.

Donc, notre premier aspect, ou notre première commande à notre comité de travail: Est-ce que le projet de loi qui est devant nous va nous aider à contrer ce fameux étalement urbain et à redéployer l'énergie de la croissance et du développement – parce que ça en prend toujours un peu, bien sûr – vers les quartiers existants? C'est valable pour les villages, c'est valable pour les villes. Donc, de ce côté-là, je voulais vous avouer dès le départ notre préjugé hautement favorable pour toute mesure qui va dans ce sens-là, et nous vous appuierons sans restriction là-dessus parce que nous avons la conviction d'avoir raison.

(11 h 20)

Le deuxième volet que nous avons demandé à notre groupe d'examiner, bien sûr, et c'est un autre préjugé que nous avons, un préjugé favorable envers la décentralisation. Nous croyons que, oui, l'État du Québec doit avoir une politique énergétique, une politique agricole, une politique forestière, mais l'ensemble de ces politiques-là... On parlait d'harmonisation tantôt. Je pense que le gouvernement du Québec a décidé depuis longtemps, et depuis peut-être 1867, de confier aux municipalités et aux municipalités régionales, aux MRC, aux communautés urbaines, pardon, la responsabilité de faire les schémas d'aménagement et les plans d'urbanisme. Alors, voilà un outil qui est reconnu dans la loi de l'aménagement et de l'urbanisme et qui dit: C'est aux communautés locales de déterminer, à partir de leurs besoins réels, la façon d'occuper leur territoire.

Alors, on dit oui à une politique agricole, mais on dit non ou on a beaucoup de réserves si l'État se met à adopter une politique paternaliste qui fait que des fonctionnaires de la Commission de protection du territoire agricole, par exemple, pourraient être amenés à prendre des décisions qui viendraient compliquer l'échiquier déjà compliqué de la hiérarchie: municipalités, municipalités régionales de comté et pouvoirs du gouvernement du Québec en matière d'aménagement.

Alors, ce palier-là, nous, on a hâte qu'il disparaisse, entre guillemets. J'espère que je n'ai pas de mes collègues, derrière moi, de la Commission de protection du territoire agricole, mais on a hâte qu'il disparaisse sur ce volet-là, avec l'intention avouée de confier aux municipalités, si elles se comportent en personnes responsables, en personnes morales responsables, l'entière responsabilité de l'affectation des sols sur le territoire.

On ne dit pas non à la politique agricole, mais on dit non... Et c'est une question de temps, là, quand on aura et quand vous jugerez que nous aurons la maturité au niveau de décentraliser, on dit: Oui, l'occupation du territoire, c'est quelque chose qui doit se négocier sur une base régionale en vertu de besoins réels et suite à une politique démocratique, comme la loi nous force à le faire par les consultations sur les schémas d'aménagement. Et vous savez que, dans les grandes villes, on est rendus à même promouvoir la mise sur pied de conseils de quartiers. Alors, l'aménagement du territoire, ça touche les gens qui vivent sur le territoire, et il faut qu'ensemble on trouve une solution dans ce sens-là.

Alors, je vais demander à Me Marchand, qui est aussi urbaniste, de résumer les points fondamentaux qu'il a décelés dans le projet de loi qui n'iraient pas ou qui iraient dans le sens de ces grands principes.

Le Président (M. Vallières): Me Marchand.

M. Marchand (François): Oui. Merci, M. Filion. D'abord, on doit répéter que l'Ordre partage l'objectif du projet de loi, qui en est un de protection du territoire agricole, et on convient que l'objectif rendra aussi plus difficile l'utilisation des usages autres qu'agricoles, et cet objectif est partagé. C'est aux moyens qu'on en a.

D'abord, il faut rappeler qu'en 1979 la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme confiait aux municipalités régionales la confection de schémas qui prévoyaient les grands aménagements, les grandes affectations en matière de tous les usages, et les municipalités devaient reprendre, doivent reprendre les usages prescrits par le schéma ou les grandes affectations dans leurs plans d'urbanisme et dans leurs plans de zonage.

Le seul usage qui a échappé à cette loi, c'est l'usage agricole. Pour des raisons historiques et économiques, et probablement sociales aussi, on a adopté la Loi sur la protection du territoire agricole. Il y avait certaines urgences. Il y avait un étalement urbain auquel il fallait répondre rapidement.

Mais quand on regarde la nature du projet de loi, il faut se poser la question: Quelle est la nature de ce projet de loi? C'est la protection du territoire agricole. Et, à notre avis, il nous semble, depuis 15 ans, depuis l'adoption de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, les municipalités, et particulièrement les municipalités régionales et les communautés urbaines, ont pris beaucoup de maturité. Et, à notre avis, s'il y a des mesures qui renforcent les dispositions en matière de protection du territoire agricole à l'intérieur des schémas d'aménagement, ce qu'on déplore, c'est que la décision finale appartient encore à la Commission de protection du territoire agricole. Nous pensons que la société québécoise est prête à faire en sorte que les MRC et les communautés urbaines aient pleine juridiction sur l'aménagement du territoire agricole et non pas en matière de production du territoire agricole; il faut faire la différence. Ce qui fait qu'on multiplie les comités, on multiplie les mécanismes. Mais, par expérience, puisque, comme avocat et urbaniste, je vais souvent devant la Commission de protection du territoire agricole et le tribunal d'appel, lorsqu'il y a des auditions, finalement, on se ramasse, trois fonctionnaires du tribunal d'appel, en plein champ, avec nos souliers bien frottés, pour décider d'un problème d'utilisation du sol agricole, sans tenir compte ni des politiques... Ou, en tenant très peu compte des politiques régionales ou municipales, on décide du cas de monsieur X ou de madame X sur telle partie du territoire.

Alors, il nous semble, encore une fois, qu'avec des balises puis des restrictions assez sévères dans la loi on puisse déléguer aux municipalités régionales une certaine discrétion dans l'utilisation du sol, en matières agricole et industrielle, comme on le fait déjà d'ailleurs dans tous les autres usages du sol. Je rappellerai à la commission qu'il y a déjà des discrétions qui sont accordées à des municipalités en matière d'usage du sol, et je pense aux dérogations mineures. Tout le monde connaît ça, à savoir: si vous ne rencontrez pas une norme d'implantation précise, vous pouvez vous adresser au conseil municipal pour ne pas avoir à tenir compte d'une norme d'implantation, une marge de recul. Les plans d'aménagement d'ensemble sont des pouvoirs discrétionnaires qui sont laissés aux municipalités, les plans d'intégration architecturale, et je vous rappellerais qu'il y a des dispositions aussi vieilles que des années dix-huit cents qui confient certains pouvoirs aux inspecteurs agraires à l'intérieur du Code municipal en matière de fossés de ligne, clôtures de ligne, des pouvoirs qui tombent peut-être une peu en désuétude, mais qui ont été utilisés et qui sont encore parfois utilisés.

Alors, pourquoi pas confier aux municipalités régionales l'application, finalement, de la loi à l'intérieur de critères bien balisés? Nous estimons que la MRC peut tenir compte à la fois des réglementations locales et régionales; elle peut tenir compte aussi d'une politique générale de l'agriculture à l'intérieur d'une MRC, et nous estimons que ces personnes sont beaucoup mieux placées que les commissaires de la Commission de protection du territoire agricole pour rendre une décision éclairée, une décision cohérente avec les politiques et le zonage, et le schéma, les plans d'urbanisme qui sont en vigueur.

Ce projet de loi se traduit aussi par la création de certains mécanismes pour régler certains problèmes. Je n'entrerai pas dans le détail, mais je fais référence, évidemment, à la médiation, à l'arbitrage. Là encore, notamment pour l'arbitrage, c'est un mécanisme par lequel la Commission de protection du territoire agricole se réserve un pouvoir assez important. Alors, qu'adviendra-t-il quand... Et souvent pour des problèmes très locaux. Parce que ça fait trop de bruit, parce que ça ne sent pas très bon, parce que ça dérange, on devra faire appel à un arbitre ou à une personne qui vient de Québec pour régler un problème éminemment local ou régional. Alors, qu'adviendra-t-il si un agriculteur et un citoyen sont en conflit? Un fait appel à la médiation, l'autre fait appel à l'arbitrage, l'autre appelle l'inspecteur municipal. À notre avis, ces procédures sont complexes pour des problèmes qui pourraient être réglés de façon beaucoup plus simple. Alors, notre recommandation, nos recommandations principales sont à l'effet que, à court terme, on puisse avoir certains projets-pilotes dans certaines MRC – et, à notre avis, elles sont nombreuses – qui pourraient dès maintenant assumer les pouvoirs qui sont actuellement réservés à la Commission de protection du territoire agricole.

À moyen terme, nous pensons qu'une politique d'aménagement du territoire ou les dispositions en matière d'aménagement du territoire, y compris du territoire agricole, devraient toutes se retrouver à l'intérieur de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme. Quant aux politiques d'environnement, de nuisance, encore là, les mécanismes sont complexes aussi. Écoutez, le MENVIQ réglemente déjà la salubrité en matière de porcheries ou d'élevage d'animaux. Il nous semble que l'Environnement devrait s'occuper des matières d'environnement; le ministère de l'Agriculture devrait, évidemment, s'occuper des questions agricoles ou des politiques agricoles au sens large du terme; les municipalités locales et régionales devraient s'occuper et avoir juridiction sur l'aménagement du territoire.

Alors, encore une fois, si l'objectif de protection du bâti urbain et de protection du territoire agricole, si, les objectifs, on les retrouve dans le projet de loi actuel, nous estimons que les moyens pour y parvenir sont complexes et ne correspondent pas, non plus, à la politique de régionalisation qu'on prêche au gouvernement actuel, et qu'on prêche depuis plusieurs années, depuis l'adoption de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme.

Ça résume, en gros, M. le Président, nos propos. Je n'entrerai pas dans les détails. M. Filion, si vous avez autre chose à rajouter?

M. Filion (Serge): Non, ça va. Je pense que le plus intéressant sera sûrement vos questions, pour voir comment vous réagissez.

Le Président (M. Vallières): Très bien. Alors, on passe aux échanges. On débute avec M. le ministre.

(11 h 30)

M. Landry (Bonaventure): Merci, M. le Président. Me Marchand, il y a d'abord une précision, c'est que l'objet de la loi n'est pas seulement la protection du territoire agricole, mais c'est aussi la protection et le développement durable des activités agricoles, l'avant-projet de loi dont il est question ici.

J'aurais quelques questions à vous poser. À la lecture de votre mémoire, à la page 5, vous référez à l'inspecteur régional ou municipal pour exercer une fonction de médiateur dont on parle dans l'avant-projet de loi. D'aucuns voient un conflit d'intérêts concernant le fait que le médiateur soit désigné par les préfets de la MRC – et, là-dessus, en passant, d'ailleurs, lorsque vous parliez d'envoyer un médiateur de Québec pour regarder, telle n'était surtout pas notre intention. On voulait absolument corriger cette impression-là, si on l'a donnée. Au contraire, dans l'avant-projet de loi, lorsqu'on parle d'un médiateur, c'est quelqu'un à qui est confié le mandat et qui peut être nommé en région.

Alors, je reviens à ma question. Lorsqu'on dit que d'aucuns voient un conflit d'intérêts concernant le fait que le médiateur soit nommé par les préfets de la MRC, que répondriez-vous à cette objection-là?

M. Marchand (François): Bien, il m'apparaît que les MRC et les préfets... Enfin, je pense qu'il faut... Ces gens-là et ces organismes-là ont acquis la maturité requise pour nommer du personnel qui ne serait pas à la merci d'un politicien, ou d'un individu, ou d'un usage en particulier. Bien sûr, peut-être que la fonction d'inspecteur requerrait une protection contre certains congédiements abusifs. Ça, c'est un autre point de vue qu'il ne nous appartient pas de discuter.

Mais il nous semble que le projet de loi devrait répondre à deux principes. D'abord, il faut une certaine cohérence. Le territoire agricole, il faudrait décider une fois pour toutes si c'est régional ou si c'est national, si ça doit être décidé de Québec, et, à notre avis, ça devrait être à tout le moins régional.

D'autre part, il faut harmoniser les fonctions. Alors, si on a un arbitre qui vient de Québec, un médiateur qui vient d'ailleurs, plus l'inspecteur municipal, ça multiplie les procédures, ça multiplie les fonctions et le citoyen ne s'y retrouve pas et, souvent, on aboutit à des conflits de juridiction qui tombent aux mains des avocats, ça se règle devant les tribunaux, on se retrouve trois ans plus tard, et ça coûte cher.

Bon, moi, je suis avocat, je ne m'en plains pas nécessairement. Mais, très honnêtement, il faut avoir une procédure la plus simple possible pour que le citoyen puisse se retrouver. Et il me semble que l'inspecteur municipal, quitte à ce qu'on l'encadre d'un comité ou d'une commission d'urbanisme ou de certains principes auxquels il ne devrait pas déroger, la MRC et l'inspecteur régional ont à la fois une excellente connaissance du territoire, puisque le schéma d'aménagement est fait à partir d'études très poussées sur tout le territoire, des gens qui l'habitent, des particularités régionales, et ils ont aussi l'indépendance, à notre avis, pour ne pas être à la merci d'un citoyen d'une seule municipalité.

Alors, on a à la fois les avantages du palier provincial ou national et les avantages du palier local. Alors, bien sûr, avec 1 500 municipalités au Québec, il nous apparaît difficile d'avoir 1 500 politiques différentes d'aménagement du territoire agricole. Alors, avec une centaine de MRC et de communautés urbaines, une politique régionale du territoire agricole, des inspecteurs qui ont des moyens de sanction, qui ont des moyens suffisants en termes financiers, parce que la MRC, en principe, représente une population plus nombreuse qu'une municipalité de 500 ou 600 habitants, à laquelle il nous apparaît difficile de confier une juridiction importante en matière de protection du territoire agricole. Alors, il me semble que le projet de loi devrait être axé sur ces principes-là: simplification des procédures, un seul palier de gouvernement, bien encadré en matière de politique d'aménagement du territoire agricole, et nous estimons que les MRC ont la maturité pour prendre en charge cette juridiction.

Le Président (M. Vallières): Merci. M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Oui, merci. D'une part, vous parlez d'une responsabilité dévolue en fait aux MRC. Donc, grosso modo, avec les communautés urbaines, on en est à près de 100, globalement. Et vous parlez de politiques bien encadrées. L'interrogation qui me vient lorsqu'on me parle d'une décentralisation de la protection du territoire agricoleet qu'on me dit, en même temps, qu'elle devrait être bien encadrée, par où serait-elle encadrée?

M. Marchand (François): Elle est déjà bien encadrée, M. le ministre. Parce que, déjà dans les schémas, il y a des dispositions sur les grandes affectations agricoles. Votre projet de loi prévoit aussi l'obligation de former un comité pour favoriser l'agriculture. Vous prévoyez également, dans votre projet de loi, l'adoption par la MRC de mesures favorisant l'agriculture. Alors, les décisions en matière d'usages agricoles seront, de toute évidence, conditionnées par ces dispositions, par ce comité, par la politique d'aménagement du territoire, et plus particulièrement du territoire agricole, que devra se donner la MRC ou la communauté urbaine. Déjà, vous avez des mécanismes d'encadrement, est-ce qu'il en faut des supplémentaires? Les critères qui sont actuellement dans la loi et dans le projet de loi pour autoriser des usages autres qu'agricoles, pourquoi ne pas les reproduire? Mais la décision prise en fonction de ces critères, à notre avis, devrait être décidée par le palier municipal ou régional.

Un peu comme la loi sur les mécanismes d'épuration des fosses septiques, la réglementation a été adoptée par Québec – parce qu'on s'entend pour dire que ça ne doit pas changer d'une MRC à l'autre, les principes d'hygiène, de salubrité, c'est uniforme partout – l'application est de juridiction locale ou régionale. Et dans certaines autres lois aussi, où les municipalités doivent appliquer certaines normes.

Alors, comme il faut donner une certaine discrétion, bien, qu'on encadre. Mais je vous répète, M. le ministre, que, dans les mécanismes de dérogation mineure: plan d'aménagement d'un centre, plan d'intégration architecturale, les pouvoirs des inspecteurs sous les chicanes de clôtures, chicanes de lignes, déjà la loi encadre, mais on donne une certaine discrétion aux autorités locales pour dire: Écoutez, à l'intérieur des critères, voici, nous, on estime qu'on peut accorder une dérogation mineure à monsieur X, qui, lui, parce que son terrain est de forme irrégulière, ne peut pas respecter la norme de zonage ou de lotissement, bien, on l'accorde. Et, ça, ça fait une dizaine d'années que ces pouvoirs-là sont donnés, ces dérogations mineures. Au début, je me rappelle, on avait crié, on avait dit: Il va y avoir des abus, puis ça va être de la politicaillerie. Surprise! dans l'ensemble, ça se passe bien. Il y a peut-être de mauvaises décisions, j'en conviens, mais, en matière d'utilisation du territoire agricole, on est prêts pour passer de l'avant là-dedans. Il y a des MRC, à notre avis, qui seraient prêtes à assumer ça immédiatement, encore une fois, avec des balises, des encadrements.

Le Président (M. Vallières): M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Je saisis mieux le principe d'encadrement. Lorsque vous dites qu'il y a plusieurs MRC prêtes à assumer ces pouvoirs-là normalement dévolus, actuellement, à la CPTAQ, selon vous, il y en a combien au Québec?

M. Marchand (François): Écoutez, toutes les MRC se sont dotées d'un schéma d'aménagement, d'outils de planification, de différents comités. Moi, il m'apparaît que, à court terme, la majorité de ces MRC et de ces communautés urbaines... Je n'ai pas de statistiques, je ne leur ai pas demandé, je n'ai pas fait d'enquête, on le voit, elles sont matures, les MRC, c'est le gouvernement qui le dit lui-même.

M. Filion (Serge): Si vous me permettez, M. le Président, je voudrais ajouter quelque chose, vous posez une vraie bonne question.

Le Président (M. Vallières): Oui. M. Filion.

M. Filion (Serge): Je pense que, théoriquement, toutes nos MRC sont capables de le faire. Ce n'est pas par hasard, par contre, qu'on a cette discussion-là ce matin, c'est qu'on n'est pas rendu, comme société, à un certain niveau d'évolution qui enlève tout doute. Ce que je veux dire, par exemple, c'est ce qu'on a vécu avec la commission Pichette, le rapport Pichette, à Montréal, souvent, le découpage des MRC et les schémas d'aménagement font en sorte que le partage du sol pour différentes activités n'est pas nécessairement réparti en fonction des besoins réels de la société mais en fonction du fait que les municipalités veulent se négocier une assiette suffisante pour pouvoir accueillir du développement, et, encore aujourd'hui, au moment où on se parle, il y a encore cet esprit de compétition, si vous me permettez l'expression, entre les municipalités, de sorte qu'il est nécessaire de faire un arrimage au niveau régional. Et c'est pourquoi, par exemple, nos collègues des villes-centres ont réclamé à votre collègue des Affaires municipales d'avoir une réflexion sur une base d'agglomération. Je pense que, dans les schémas d'aménagement, et ça pourrait se corriger très, très facilement, dans le fond, qu'est-ce qu'on gère? On gère l'arrimage ou l'occupation du territoire en différentes fonctions qui, elles aussi, sont en compétition.

(11 h 40)

Ce qu'on veut dire, nous, c'est qu'il devrait y avoir dans une politique agricole, comme dans une politique forestière, comme dans une politique de la culture, certains critères ou certaines balises qui font que tel ou tel patrimoine est indispensable pour le devenir du Québec et qu'il n'y a pas lieu de le saborder ou de le gaspiller pour des raisons viles comme la compétition ou le fait que, moi, je sois plus rapide que mon collègue, ce qui me permet de détruire plus rapidement mon patrimoine.

Donc, sur une base d'agglomération, on dit: D'abord, établissons les besoins réels en matière de commerces, en matière d'industries, en matière d'habitations, en matière de voies de circulation et, par un processus de négociation par exemple, comme on l'a fait très bien à l'intérieur des communautés urbaines, on se réunit à 10, à 12 ou à 15, et on se dit: Ce besoin réel, on va le repartager de la façon la plus équitable ou la plus logique en tenant compte de certains critères. Ces critères pourraient être déterminés par l'État en disant, par exemple, que les sols agricoles au Québec, dans une politique d'autosuffisance ou d'alimentation, sont une ressource aussi sacrée que les écosystèmes forestiers intéressants, que les quartiers patrimoniaux, et que, de ce fait, ils doivent être préservés dans les schémas d'aménagement – à moins qu'on ait de sérieux arguments pour faire autrement – et laisser la preuve aux urbanistes, aux élus locaux et à la population locale – toujours dans l'esprit d'un processus de consultation très ouvert dans l'adoption des schémas – que, effectivement, le schéma d'aménagement respecte les grandes balises de la politique agricole du Québec, sauf dans telle ou telle exception, et avoir une argumentation, un argumentaire qui soit convaincant pour la population, pour le ministre et pour les différents fonctionnaires. Je pense que ces mécanismes d'approbation des schémas, qui sont déjà prévus, vous permettent un contrôle efficace là-dessus.

M. Marchand (François): Un exemple, M. le ministre. Dans notre mémoire, on suggère, par exemple, que, pour des bâtiments agricoles désuets, on puisse ajouter un critère pour les transformer en galeries d'art, en théâtres d'été, en musées, en commerces d'antiquités, voire même en logements, pour assurer la survie économique d'un patrimoine largement menacé.

Nous, on pense que le niveau de la MRC nous apparaît le palier le plus en mesure d'émettre un commentaire éclairé et rendre une décision éclairée plutôt qu'un fonctionnaire du ministère de l'Agriculture qui est basé à Québec. Avec toute la meilleure foi et toute la meilleure volonté du monde, il y a des questions qui sont éminemment importantes pour certaines personnes, certaines régions, et, vues de Québec, on n'a peut-être pas toute la sensibilité pour apprécier la demande à sa juste valeur malgré toute la bonne foi qui puisse être mise en oeuvre.

Autre exemple, M. le ministre. Dans les années soixante, le ministère des Affaires culturelles intervenait avec force pour acheter et sauver certains bâtiments. Depuis une dizaine d'années maintenant, ces pouvoirs-là sont davantage confiés à des municipalités: pouvoir de citer certains monuments, pouvoir de zonage, pouvoir d'aider, de subventionner. Alors, il nous apparaît que c'est une suite logique de l'histoire du Québec à partir des années soixante jusqu'à aujourd'hui. Nous pensons que, en matière d'utilisation du territoire agricole, le jour est venu de suivre une politique régionale d'aménagement du territoire, pas simplement pour les usages industriels, résidentiels ou commerciaux, mais également pour les usages agricoles.

Le Président (M. Vallières): M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Vous soulevez un critère, dans le fond, vous venez d'en parler, où la possibilité de protéger un bâtiment qui, à cause de sa vétusté, peut devenir patrimonial. Or, comment peut-on concilier, par exemple, s'il est à 400 pieds de la route, en plein champ, ce bâtiment-là, et qu'autour il y a de l'activité agricole intensive et que, du jour au lendemain, on décide d'en faire une activité, un théâtre d'été, et tout ça, n'est-il pas là un problème de plus qu'on introduit à la zone agricole et à la pratique des activités agricoles? J'imagine déjà, dans les grosses chaleurs de juillet, un certain nombre de gens trouvant certaines pratiques nécessaires mais mal odorantes difficilement cohabiter avec certaines activités vacancières, par exemple.

M. Marchand (François): C'est un arbitrage qui, effectivement, doit être fait, et, évidemment, au niveau de la MRC, l'usage agricole va se défendre aussi par lui-même. S'il y a un élevage porcin à 500 mètres, je pense que c'est un critère qui va ressortir dans la décision qui sera rendue.

À l'inverse, M. le ministre, il y a des bâtiments totalement désuets qui ne peuvent être utilisés par des agriculteurs et pour lesquels on a refusé un usage autre qu'agricole parce qu'on se dit que ce sont des sites de classe 3 et, en fonction de la carte... Alors, vous avez l'inspecteur qui regarde la carte et, bon, ça finit là. Et, là, on aboutit à des décisions, qui sont étonnantes parfois, à la Commission de protection du territoire agricole, et, dans les deux sens, parfois pour l'agriculture, parfois pour des usages autres. Mais on a beaucoup de difficultés à comprendre la logique qui a été suivie, et la logique ne tient pas compte de la dynamique régionale. Pas de mauvaise foi, parce que la personne qui est habilitée à prendre la décision, elle n'a que sa carte des sols, un règlement de zonage, plus quelqu'un qui vient dire: Bien, moi, je veux ouvrir un restaurant, ou je veux ouvrir ci, ou je veux ouvrir ça. C'est tout ce qu'on a.

Alors, encore une fois, si cette décision-là était rendue à l'intérieur de critères bien balisés, qui sont déjà dans la loi, par le niveau régional, on serait capable de tenir compte de l'ensemble de la problématique, de rendre des décisions et de vivre avec aussi, bonnes ou mauvaises.

M. Landry (Bonaventure): Ça va.

Le Président (M. Vallières): M. Filion, vous vouliez conclure?

M. Filion (Serge): Je voudrais insister sur deux principes qui sont derrière notre mémoire, M. le ministre. Quand on parle d'imputabilité, chez nous, dans nos propres organisations, on dit qu'il y a deux conditions préalables pour parler d'imputabilité. La première, c'est que le donneur d'ouvrage ou celui qui fait la commande a confiance dans l'institution ou dans la ressource à qui il passe le mandat. Moi, je dis toujours à mes collègues, à mes employés professionnels: Si vous sentez que je n'ai pas confiance en vous, ne prenez pas le mandat, vous allez avoir du trouble tout le long. Alors, donc, c'est la première condition, et c'est ce qu'on aimerait sentir de la part du législateur, une confiance envers ces institutions décentralisées pour la gestion du territoire

Et la deuxième, bien sûr, je déteste me citer, mais je dis à mes collègues: Si vous acceptez la responsabilité ou l'imputabilité, bien, le dossier que je vous confie, c'est comme un bébé, c'est une responsabilité éternelle. Vous ne vous en sortirez pas. Il faut que vous adoptiez ce projet, et je pense que, dans le projet de loi... Et vous donnez un bon exemple, on est souvent obligés de faire des arrimages entre, des fois, des intérêts sectoriels quand on fait un schéma d'aménagement, l'exemple des vieilles granges est très bon. Vous savez que – et ce n'est pas à vous que j'enseigne ça – avec le regroupement des fermes, la restructuration du monde agricole, eh bien, il y a tout un pan de notre patrimoine agricole qui est devenu en mal de vocation, que ce soient des maisons excédentaires, que ce soient des granges, parce qu'on regroupe... Et le long de nos rangs – il y en a 10 000 au Québec – on commence à voir apparaître, de plus en plus, des bâtiments en déperdition.

Alors, nous, comme urbanistes, comme aménagistes ou comme personnes qui gèrent le territoire d'une façon décentralisée, si on a une demande pour localiser un antiquaire dans une grange comme ça, qui ferait en sorte qu'on y mettrait de l'argent pour la rénover, la restaurer, la faire vivre, et que ce geste-là n'entre pas en contradiction avec votre politique agricole parce que ça n'aura pas d'impact sur la quantité et la qualité des produits agricoles qu'on pourrait retirer de ce terroir, bien, on se dit: Voilà un geste fin, f-i-n, là, dans le sens de finesse d'exécution, qui peut être tissé avec la communauté locale sur place.

Alors, c'est pour ça qu'on pense que c'est important qu'il y ait une politique agricole, qu'on nous donne des quotas de production, des balises, des valeurs à respecter, et que, nous, on ait la preuve à faire au niveau du décentralisé, dans nos plans d'aménagement, dans l'arrimage qu'on fait entre les intérêts patrimoniaux, les intérêts agricoles, les intérêts industriels et résidentiels que, effectivement, ce n'est pas du gaspillage de territoire mais une utilisation rationnelle.

Je pense, là-dessus, M. le ministre – c'est le grand point faible que je sens dans nos politiques d'aménagement au Québec – quand il y a 13 villes dans une communauté urbaine et qu'on se dote chacune, dans notre plan d'urbanisme, d'une zone industrielle parce qu'on ne veut pas perdre de taxes au niveau de la fiscalité, là, je pense qu'il y en a 12 de trop et qu'il y a un abus. Et, ça, on aimerait en discuter avec nos pairs, avec d'autres municipalités, avec d'autres usages, parce que ça ne résisterait pas à l'analyse devant l'ensemble des citoyens d'une région donnée que 13 maires ou 13 urbanistes locaux se donnent 13 projets de développement résidentiel, 13 parcs industriels, parce que ça ne correspond pas à des besoins mesurés de développement urbain. Mais cet arrimage-là peut se faire sur une base régionale, je vous en conjure.

M. Marchand (François): Je pense, M. le ministre, que les gens de Saint-Hyacinthe, ou de Shefford, ou de partout, sont conscients de la force de leur économie, qui est basée en bonne partie sur l'agriculture. Ils sont suffisamment matures aussi pour protéger ce territoire-là et harmoniser les fonctions. J'en suis convaincu pas seulement pour les gens de Saint-Hyacinthe, mais partout ailleurs au Québec. Ils sont d'une maturité... On a les mécanismes maintenant pour le faire. Il nous manque encore un petit pas, alors on vous invite à le faire.

Le Président (M. Vallières): Alors, avant de passer la parole au député de Papineau, j'aurais quelques questions aux intervenants.

(11 h 50)

D'abord, vous nous parlez de confiance à l'endroit des institutions régionales. Le législateur devrait poser un geste de confiance. Simplement vous rappeler que c'est un peu particulier de vous voir défendre avec autant d'ambition, finalement, le monde municipal, au même moment où ces gens-là sont venus nous voir, il y a quelques mois, et sont allés beaucoup moins loin que vous en termes de demandes de respect de leur autonomie. C'est un fait, ces gens-là, pour une bonne partie de la loi, ont indiqué que, au nom de l'harmonisation des différentes tendances qu'on rencontre dans les milieux agricoles, ils étaient prêts à revoir certaines pratiques et voir même une partie de leurs pouvoirs leur échapper, à partir du moment où ils seraient balisés par un guide à l'intérieur duquel ils se reconnaîtraient.

Ceci étant dit, j'aurai une question peut-être un peu plus large. Dans votre mémoire, en page 4, vous nous dites: «À notre avis, la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme devrait être modifiée pour permettre aux municipalités régionales et aux communautés urbaines d'exercer les pouvoirs actuellement détenus par l'autorité gouvernementale, soit la CPTA.» Compte tenu de la vaste expérience que vous avez de ce milieu-là, est-ce que vous croyez sérieusement que les municipalités pourraient s'acquitter de cette responsabilité en privilégiant les intérêts du monde agricole? Avant de répondre, j'attire votre attention sur le fait que, quand vous nous parlez de transfert aux MRC, par exemple, de cette capacité qu'elles auraient de gérer le territoire agricole comme tel, vous disiez que ces gens-là ne seraient pas à la merci de politiciens. Je veux vous rappeler que ce sont aussi des politiciens à un autre niveau. Alors, comment conciliez-vous cet état de fait avec la proposition que vous nous faites, qui constituerait un très grand pas par rapport à ce qu'on connaît présentement, alors que certaines mesures contenues à l'intérieur de l'avant-projet de loi – on verra un peu plus tard, dans le projet de loi, là, ce qui va être le contenu du projet comme tel – semblent être plutôt de nature à réconcilier, en tout cas à trouver un terrain qui permettrait aux gens de vivre en harmonie davantage?

M. Filion (Serge): Mais j'aimerais revenir au niveau des grands principes, puis M. Marchand entrera de façon plus pointue. Au niveau des grands principes, on n'est pas mal à l'aise avec le fait que – vous permettez de les appeler ainsi – nos collègues élus municipaux se méfient beaucoup de la décentralisation si ce n'est pas attaché avec un déplacement de financement ou de fonds. Je pense que leur position de négociation est excellente dans ce sens-là, mais je ne pense pas qu'ils soient contre, en pratique, parce que ceux qu'on côtoie se prétendent capables de faire beaucoup de choses. Ce n'est pas une incapacité intellectuelle ou d'organisation, c'est plus une crainte d'hériter de certaines factures dans la chute des pouvoirs centraux vers le local sans que ça soit accompagné de financement.

En ce qui concerne l'arrimage, vous posez la bonne question, je pense, et c'est ce que j'essayais d'expliquer tantôt à M. le ministre. C'est une nécessaire négociation. Quand on prépare un schéma d'aménagement, on répartit les différents usages. Et la loi 125 reconnaît que la décision est au niveau politique, ce avec quoi on vit très, très bien. Sauf que les techniciens que nous sommes, les universitaires, les chercheurs, les praticiens dans la pratique privée, les urbanistes municipaux, ce qu'on a à faire, nous, c'est d'établir les besoins de la communauté, sur une base régionale toujours. On a vraiment un parti pris, quant à nous, des schémas d'aménagement puis des plans d'urbanisme, ça ne peut pas être comme du saucisson en tranches. Il faut considérer l'ensemble des besoins d'une communauté locale si on veut faire des arbitrages intelligents. Et, là-dessus, il y a encore des pas à franchir au Québec. Le législateur pourrait très bien exiger qu'on fasse la démonstration, dans nos plans d'urbanisme et dans nos schémas d'aménagement, que ça répond à un besoin réel. Donc, tant les fonctionnaires, qui ont toujours un parti pris d'une municipalité par rapport à la voisine, ou les élus, qui, même s'ils ont le chapeau MRC, conservent le souvenir de leur adhérence locale, eh bien, qu'on soit obligés de faire la démonstration que c'est en vertu de critères objectifs que ce partage des usages est fait, par exemple sur des besoins réels, en respectant les meilleurs sols agricoles, en respectant les meilleurs écosystèmes.

Et, pour être sûrs de donner une bonne réponse au législateur dans ce domaine-là, M. Vallières, on a organisé au printemps dernier un immense colloque qui regroupait 15 ordres et associations professionnels. Pour la première fois au Québec, sous l'égide de l'Ordre des urbanistes, on a réuni les agronomes, les biologistes, les archéologues, les ingénieurs, les architectes, alouette, tout le monde qui, comme nous, travaille sur le territoire puis occupe le territoire. Et on s'est dit: Ça n'a pas de sens de faire chacun un bout de route, un bout de territoire, un bout de zone industrielle si on ne se concerte pas. Comment voulez-vous qu'on respecte les valeurs? Une municipalité qui a un petit territoire va réussir à convaincre la MRC que le parc industriel doit aller dans le marécage ou dans la zone sensible. Si on regarde ça avec un peu plus de recul, on s'aperçoit qu'il y a des terres incultes un peu plus loin qui pourraient très bien faire l'affaire. Et ça ne résistera pas à l'analyse.

Et la même chose entre les professions. Que les agronomes arrivent avec leurs valeurs corporatives à eux, les biologistes, les urbanistes, les architectes, on a dit, nous: Oui, on pourrait gérer collectivement la meilleure vision de l'avenir pour une communauté locale et pour établir un futur à une communauté sans gaspillage. Parce que tout le sens de nos interventions, c'est de contrer le gaspillage actuel.

Je vais prendre seulement un exemple, si je ne suis pas trop long, M. Vallières. L'exemple des voies de contournement autour des villages. C'est un problème qu'on a étudié avec le ministère des Transports. C'est un problème qui est drôlement profond, parce qu'on fait une voie de contournement autour d'un village pour des raisons de sécurité, c'est très justifiable et justifié de le faire, et pour améliorer la fluidité de la circulation. On attaque des terres agricoles et, au bout de 10, 15 ans, qu'est-ce qui se passe parce qu'il n'y a pas d'arrimage avec les schémas d'aménagement, les plans d'urbanisme, le contrôle, les non-accès? Eh bien, on se retrouve dans 15 ans avec trois, quatre problèmes incroyables, c'est que les commerces du centre du village crèvent de faim parce qu'ils ont dû ouvrir une succursale sur la voie de contournement, les ingénieurs du ministère des Transports nous disent que notre voie de contournement est aussi dangereuse que l'ancienne parce qu'il y a même des résidences qui sont allées de l'autre côté et les enfants traversent pour aller à l'école. Alors, on additionne un ensemble... Alors, on s'est dit que ça n'a pas de bon sens de gérer le Québec en pièces détachées comme ça. Quelqu'un de la Culture me disait: Pourquoi? Un paysage, ce n'est pas une oeuvre d'art. Je lui disais: Parce que les peintures à numéro ne sont pas une oeuvre d'art. Il ne faut pas arriver et dire: Ça, c'est une zone agricole et, ça, c'est une zone résidentielle. Aujourd'hui, la mode en matière d'aménagement, c'est l'arrimage des différents usages, c'est la convivialité, c'est la mixité, c'est la densité. Alors, c'est simplement dans ce sens-là qu'on dit ça. Et, au niveau local, on est bien équipé pour discuter de cela, si vous nous faites confiance.

Le Président (M. Vallières): Question de précision rapide. En supposant que les législateurs ne retiennent pas votre proposition...

M. Filion (Serge): On va tous démissionner...

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Vallières): ...d'aller vers les MRC et qu'ils choisissent, par exemple, d'utiliser un des mécanismes prévus, qui est le comité consultatif à l'intérieur de chacune des MRC, qu'est-ce que vous pensez de la proposition qui est véhiculée à l'effet que ces comités-là soient formés d'au moins 50 % de producteurs agricoles?

M. Marchand (François): Bien, alors, évidemment c'est peut-être une vision un peu sectorielle, mais, à prime abord, si... On a certaines craintes évidentes, au ministère de l'Agriculture et chez les agriculteurs, de perte de territoires agricoles. Qu'il y ait un comité composé de 50 % d'agriculteurs qui se prononce sur des questions à caractère agricole, soit, on n'a pas d'opposition. Mais, simplement pour résumer, M. le député et M. le ministre, ce qu'on souhaiterait, c'est que tout ce qui est aménagement du territoire et usage du sol soit régional et bien encadré. Ce qui n'empêche pas le ministère de publier un guide des pratiques agricoles, qui sont relativement homogènes partout au Québec et sur lesquelles les élus locaux ou les urbanistes ou aménagistes locaux n'ont pas de véritable compétence. Ça n'empêche pas aussi que, en matière d'environnement – parce qu'il y a l'usage agricole qui a des effets sur l'environnement – déjà, le ministère de l'Environnement, via sa réglementation, prescrit des normes sur les carrières et sablières, sur l'élevage porcin, sur la salubrité, sur les fosses septiques, enfin, ça n'empêche pas le ministère de l'Environnement de continuer à prescrire des normes à être respectées en matière de bruit, en matière d'odeurs, en matière d'élevages. Mais, encore une fois, l'objet du mémoire, c'est que, en matière d'aménagement du territoire, il est temps, à notre avis... L'aménagement du territoire, c'est la planification de tous les usages du sol, y compris l'agriculture. Alors, encore une fois, une juridiction bien encadrée, bien balisée par la loi serait facilement de juridiction régionale.

Le Président (M. Vallières): Merci. Vous parlez dans votre mémoire, en fait, vous vous en prenez à toute la question de médiation ou d'arbitrage. En supposant que, là aussi, le législateur retiendrait de se servir de ces outils-là, d'après vous, quelles devraient être les qualifications de ces gens qui auraient à faire de la médiation ou à faire de l'arbitrage? Vous faites beaucoup référence à l'inspecteur municipal, est-ce que les qualités reconnues aux inspecteurs municipaux seraient des qualités suffisantes pour exercer ce type de responsabilité?

(12 heures)

M. Marchand (François): De plus en plus. Pour aller souvent devant la Commission de protection du territoire agricole, on a souvent des surprises. Ce sont souvent d'anciens agriculteurs ou des gens qui ont oeuvré dans le milieu agricole qui ont peut-être une vision unilatérale de certains problèmes.

Je n'ai pas besoin de vous causer longtemps aussi sur le problème des nominations dans les tribunaux administratifs. Parfois, c'est bon; parfois, c'est moins bon. Je ne suis pas sûr, moi, que les gens nommés par la Commission de protection du territoire agricole aient tous la compétence nécessaire. Plusieurs l'ont, mais je suis assez craintif. Et ces gens nommés par la Commission de protection du territoire agricole n'ont pas la connaissance régionale et locale. C'est davantage le principal grief. Alors, je préfère, encore une fois, un inspecteur ou un comité régional qui siège en région, qui tient compte des politiques régionales et locales, qui connaît mieux son monde, mieux son milieu. Je préfère éminemment cette procédure-là de vision intégrée et globale de l'aménagement régional plutôt que de s'en aller devant un fonctionnaire qui, avec toute la bonne foi du monde, n'a peut-être pas la compétence, les connaissances et la sensibilité régionale nécessaires.

Le Président (M. Vallières): Merci. La parole est maintenant au député de Papineau.

M. MacMillan: Oui. Vous dites dans votre mémoire que les municipalités, les MRC sont mises à contribution. Puis c'est important, et je suis d'accord avec vous. Mais vous ajoutez que la dernière décision est prise par la CPTAQ. Alors, ça va changer quoi?

M. Marchand (François): Bien, ça risque d'alourdir le processus avec des résultats qui ne seront pas meilleurs. Peut-être que la MRC va s'impliquer davantage dans les auditions devant la Commission. Elle fera des commentaires plus élaborés pour appuyer ou pour s'opposer à une décision.

M. MacMillan: Mais est-ce qu'on ne pourrait pas, là... Je recule antérieurement, puis j'ai posé la même question au maire tantôt. Moi, je n'ai pas d'objection qu'il y ait un membre de la CPTAQ qui siège régionalement sur des décisions. Pourquoi envoyer ça à Québec, encore une fois, puis que ça prenne six, sept mois, un an quand quelqu'un a un projet? Alors, je pense que votre opinion, dans votre mémoire, en tout cas, moi, régionalement, la décision devrait être prise là, mais ça n'empêchera pas de voir quelqu'un de la CPTAQ siéger, mais que la décision qui est prise en région soit acceptée, par exemple, là, pas revenir avec un droit d'arbitrage puis que ça traîne tout le temps. Qu'est-ce que vous pensez de ça?

M. Marchand (François): Ça peut être un mécanisme de compromis qui est intéressant. Déjà, les MRC décident des amendements aux schémas qui ont d'énormes implications sur le territoire, ouvrir des sablières gravières, des parcs industriels, des usines, des industries, et, pour une simple demande d'usage autre qu'agricole, il faut monter à Québec. Puis ça nous apparaît...

M. MacMillan: C'est parce qu'on a eu des débats sur les chevauchements, puis on veut en créer dans cette loi-là. Alors, je pense qu'on devrait couper des chevauchements puis envoyer les décisions dans la décentralisation, dans les régions, dans les MRC ou les communautés urbaines. C'est important.

M. Marchand (François): Quitte à les baliser, à mettre des critères puis des conditions.

M. MacMillan: Bien, pour ne pas avoir trop de règlements non plus, que des décisions soient prises dans l'intérêt des gens de la région. Je pourrais vous citer un paquet d'exemples, depuis que je suis en politique ici, à Québec, où les décisions qui sont prises, là, ils ne sont même pas au courant de ce qui se passe en région, même s'il y a un tribunal, ou appelle ça comme... Ils n'écoutent même pas ça. C'est malheureux pour beaucoup de gens que ces décisions-là soient prises à l'encontre de ce qui se passe vraiment dans chacune des régions, comme dans l'Outaouais ou d'autres régions.

Alors, je pense que vous devriez continuer puis peut-être enlever la CPTAQ dans votre prochain mémoire puis leur suggérer d'avoir un représentant de la CPTAQ dans la région, dans les régions.

M. Marchand (François): Ça peut être un compromis, mais, encore une fois, l'objet du mémoire, c'est que c'est une plus grande place à la région, qui a une plus grande sensibilité du paysage, des enjeux.

M. MacMillan: Ça ne change pas grand-chose si ça demeure comme tel, que la dernière décision est prise par la CPTAQ. Alors, pourquoi faire tout ça si ça ne change rien. C'est ça que je veux vous dire.

M. Marchand (François): Mais c'est ce qu'on dit dans notre mémoire. C'est qu'on souhaite qu'il y ait des projets-pilotes à court terme qui fassent en sorte que les décisions qui sont actuellement prises par la CPTAQ soient prises par une instance régionale.

M. MacMillan: Merci.

Le Président (M. Vallières): Merci. Alors, le temps, M. le ministre, a été écoulé de votre côté, totalement. À moins que vous vouliez terminer par une rapide question et une rapide réponse. M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Oui. Bien, si vous me permettez un commentaire.

Le Président (M. Vallières): Oui.

M. Landry (Bonaventure): Moi, l'expérience par rapport à la protection du territoire agricole, je l'ai vécue à différents endroits et dans différents rôles. Et un des constats qu'on a faits, c'est que vous affirmez tout de go: Oui, les MRC ont toutes les compétences pour tout rapatrier tout ça. Ce qu'elles ont eu plutôt tendance à nous dire, et je pense, au-delà des questions strictement financières, c'est qu'elles voyaient ça peut-être plus mollo, d'une part. Et quand je regarde, au niveau de la protection du territoire, ce qui rentre comme avis, au niveau de la Commission de protection du territoire agricole, je dirais, par un très très grand nombre de municipalités régionales de comté et de municipalités, c'est souvent fort peu documenté. Et, en termes de ressources, lorsqu'on me dit qu'on a, à ce niveau-là, toutes les compétences, j'ai certains problèmes, là, de l'acheter, comme on dit, comme un cochon dans une poche.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Landry (Bonaventure): L'autre élément que j'aimerais mentionner aussi par rapport à toute la dimension, disons, de la gestion sur le terrain, il y a effectivement des processus dans lesquels et les MRC et les municipalités et les partenaires agroalimentaires ont été associés. Je pense à la révision des schémas, je pense à la révision de la zone agricole. Ce sont des opérations sur lesquelles les gens travaillent sur le terrain.

D'autre part, lorsqu'on me dit que les gens n'ont pas les compétences à la Commission, moi, je suis porté à nuancer. Et ce n'est pas pour flatter mes fonctionnaires, mais j'ai eu l'occasion, lorsque je travaillais dans une fonction antérieure, d'avoir des ressources de la Commission de protection qui étaient assignées à nos territoires respectifs, donc des analystes qui connaissaient fort bien et qui pouvaient très bien documenter les sujets parce qu'ils travaillent d'abord à partir d'affectations territoriales et non pas strictement sur une base nationale, mais carrément sur des bases régionalisées. Et, en ce sens-là, je pense que cet aspect-là doit être pris en compte.

Qu'on aille peut-être plus loin, ultimement, vers une forme de partenariat avec les régions, je n'ai pas de problème avec ça, qu'on aille plus loin. Et, en ce sens-là, vous serez sûrement d'accord avec l'article 79.3, lorsqu'on dit qu'à l'égard de la zone agricole la municipalité régionale de comté ou la communauté prend, dans le schéma d'aménagement ou dans le document complémentaire, conformément à l'article 5 de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, les mesures particulières qu'elle estime les plus appropriées pour planifier le développement des activités agricoles et en assurer l'exercice et, le cas échéant, pour préserver et mettre en valeur, de manière compatible avec les activités agricoles, des utilisations autres qu'agricoles autorisées par la loi. C'est déjà...

M. Marchand (Francois): Oui, c'est une mesure qui va faire en sorte que, dans le schéma, ou au niveau des MRC et des communautés urbaines, on va trouver davantage de politiques du territoire agricole. Et, moi, je vous prédis que quand ces politiques seront intégrées, ces mesures seront intégrées au schéma d'aménagement, le fruit, qui est déjà mûr à notre avis, le sera encore plus, et le dernier pas sera franchi. Mais, nous, on estime, on souhaite que ça se fasse peut-être un peu plus rapidement et que le gouvernement ne résiste pas à cette tendance. Et on pense, encore une fois, qu'on est prêt pour au moins des expériences-pilotes et, à court et moyen terme, pour un pas supplémentaire qui feront que la juridiction du territoire sera véritablement régionale, ce qui n'empêchera pas d'avoir, au niveau du gouvernement central, des politiques agricoles et des politiques en matière d'environnement.

Le Président (M. Vallières): Très bien. Ceci met fin à votre participation à nos travaux pour aujourd'hui, à tout le moins. Nous vous remercions de vos témoignages qui contribuent, assurément, à éclairer les membres de la commission. Alors, merci beaucoup.

(12 h 10)

Alors, j'inviterai maintenant Me Louis Victor Sylvestre à se joindre à nous. Alors, Me Sylvestre, vous allez disposer d'une demi-heure, 30 minutes qui seront partagées en 10 minutes de présentation et une vingtaine de minutes d'échanges avec vous sur le contenu de votre mémoire. Comme je constate qu'il est passablement volumineux, on vous laissera le choix de déterminer votre présentation. Évidemment, plus la présentation est courte et plus les échanges peuvent être longs avec vous. Alors, Me Sylvestre, la parole est à vous.


M. Louis Victor Sylvestre

M. Sylvestre (Louis V.): Je vous remercie, M. le Président. J'espère que de procéder à cette heure-ci n'est pas un exercice préparatoire à la sainte période de l'Avent. M. le Président, tout d'abord, je constate que, dans le projet de loi, on a une volonté de réformer certains aspects législatifs, réforme qui s'impose d'urgence, étant donné que la loi de 1989, comme je l'ai mentionné dans mon mémoire, avait été bâclée et avait été rédigée sous le signe de l'improvisation la plus totale et de l'incohérence la plus parfaite, avec des vocables qui ne répondent même pas aux règles de syntaxe française.

Toutefois, malheureusement, je considère que la problématique qui sous-tend ce projet de loi là est mal posée. D'abord, on devrait définir ce que c'est que l'agriculture moderne en la modulant selon les régions. À certains endroits, il y a les productions sans sol; à d'autres endroits, ce sont essentiellement des productions végétales ou céréalières. Mais ça n'est pas défini. Le simple Québécois ne comprend pas ce projet de loi là, qu'il soit de Montréal, de Québec ou dans les agglomérations, parce qu'il ne comprend pas les besoins de l'agriculture moderne.

Alors, c'est peut-être davantage un message politique qu'un message législatif qu'on doit transmettre. On ne comprend pas les besoins et, d'un autre côté, on dirait qu'on fait de l'aveuglement volontaire sur ce qui est à l'origine de ce qu'on qualifie généralement d'étalement urbain. Dans mon mémoire, je fais des citations et j'explique un peu la problématique telle que je la perçois, là, après 17 ans de pratique dans le domaine. Venant moi-même d'un milieu rural et ayant mon bureau en face d'un pacage à vaches, je sais à peu près, je crois, ce dont je parle.

Enfin, il y a un autre point, c'est qu'on parle de guide de pratiques agricoles, mais on ne définit pas quelles sont les techniques modernes de prévention de contamination et d'inconvénients. On s'en remet au ministère, et, encore là, par expérience, je ne suis pas nécessairement convaincu que c'est au ministère qu'on retrouve toutes les ressources nécessaires et utiles et consacrées pour en arriver au meilleur guide des pratiques agricoles et à la meilleure façon de gérer le sol. Je songe ici plus particulièrement au bassin de sols organiques de Sherrington, Napierville. Depuis 1936, selon les techniques du ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation, 50 % de ce bassin de sols organiques est disparu. À cause de quoi? Surdrainage, surdrainage, surdrainage. Et, il n'y a pas un an encore, j'entendais des spécialistes du ministère de l'Agriculture dire: Drainage, drainage et drainage. Bien, il y a 50 % de cette ressource non renouvelable là qui est disparue, et on vient me dire que le guide des bonnes pratiques agricoles va principalement être fait par ces gens-là et par les gens de l'UPA, soit dit en passant, sans aucun mépris pour personne, sauf que je trouve que le conseil n'est peut-être pas suffisamment large. Les expériences antérieures, quand on examine la contamination de la rivière Yamaska, la contamination de la rivière L'Assomption, la contamination de la rivière de l'Achigan, on peut, encore là, se poser des questions: Comment ça se fait qu'il y a eu des financements hypothécaires, accélération de la production porcine, alors qu'on créait des gastroentérites par centaines de cas et qu'on savait très bien qu'il y avait surproduction porcine dans ces endroits-là, que le milieu n'était pas capable de l'absorber et qu'on ne développait pas en même temps des techniques de réutilisation de ce purin-là? Il en existe des techniques, elles existent au Danemark.

Là, j'en arrive à la question environnementale, qui m'apparaît être la situation la plus catastrophique dans ce projet de loi là. Premièrement, où se trouvent, au sens écologique général du terme, les mesures de conservation du sol? Parce que, au fond, cette loi-là, c'est pour le sol, c'est s'assurer que la ressource sol dure et perdure, sachant que, mondialement, le nombre d'hectares céréaliers tend à diminuer per capita. C'est le sol, et le sol d'abord. Où sont les mesures de récupération de sols et où sont les mesures explicites de conservation de l'eau, qui est l'autre élément vital pour l'agriculture? Il y a une petite disposition, à l'article 62, conservation de l'eau. À part ça, on a tous les travaux de McCormack au ministère de l'Environnement et on tient ça sous silence complet.

Par ailleurs, on sait tous que, à certains endroits, les nappes phréatiques, les puits de surface sont contaminés, les cours d'eau sont contaminés. Mais l'eau, les agriculteurs en ont besoin, les éleveurs en ont besoin, les communautés rurales en ont besoin. On sait qu'en Pologne 50 % des nappes phréatiques ont été contaminées par l'agriculture et l'industrie. On sait que, dans le Nord de la France, 30 % des nappes phréatiques ont été contaminées par l'agriculture seule et que l'eau souterraine n'est désormais plus buvable par les femmes enceintes et par les jeunes enfants et même, en certains endroits, par les adultes.

Là, on nous dit au Québec, forts de cette expérience mondiale là: On va donner une immunité aux agriculteurs pourvu qu'ils respectent le guide des bonnes pratiques. Moi, je vous dis tout de suite, M. le ministre, M. le Président, que ça ne tiendra pas, pas parce que ce n'est pas politiquement correct, parce que c'est carrément illégal. Il n'existe pas une telle chose que deux niveaux de citoyens, ceux qui ont le droit d'empoisonner et ceux qui ont le droit d'être empoisonneurs. C'est aussi simple que ça. Vous allez me dire: Oui, mais la loi crée une immunité, notre guide va être bon. Oh! un instant, un instant. Votre guide va être bon! J'ai vu le guide de l'Ontario, duquel, semble-t-il, on s'inspire. C'est un guide, mais la loi ontarienne ne donne pas primauté absolue à sa loi sur la protection du territoire agricole ou aux dispositions des county authorities; ce n'est pas cette situation-là qui prévaut en Ontario. On donne ce guide-là pour fins de gestion, de subventions, de prêts agricoles. On n'en fait pas un blindage environnemental.

Dans la présente loi, on fait le blindage environnemental, et, à partir de ce blindage, évidemment en respectant le guide des bonnes pratiques, on va avoir des agriculteurs qui vont investir et des justiciables qui vont probablement subir ou être victimes d'inconvénients majeurs. Mais quand on regarde la Charte québécoise des droits, celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale en 1973, et si on regarde les amendements, en 1982, de cette Charte-là, vous verrez qu'à l'article 56.1 on dit que, depuis 1982, aucune loi – aucune loi – ne peut déroger à la Charte, à moins qu'on fasse une dérogation expresse. Il y a des lois qui font des dérogations à la Charte, certaines dans des cas vraiment exceptionnels. Mais est-ce que, politiquement, il serait concevable que dans le présent cas, dans ce présent projet de loi là on puisse déroger à la Charte québécoise en disant: Même, monsieur, madame, ou jeune homme ou jeune fille, si on contamine votre puits, si vous respirez des vapeurs nauséabondes, si on étend de l'atrazine à côté de votre corde à linge ou pas loin de votre piscine, s'il y a des parties de cuivre qui se retrouvent dans l'eau du fait du lisier de porc, même tout ça, si ça respecte le guide des bonnes pratiques, on a le droit de vous créer des dermatites, de vous créer des allergies, de vous rendre asthmatiques? Ça ne tient pas debout! Ça ne tient pas debout! Et ça ne tient tellement pas debout que la loi, elle, est cohérente; la Charte est cohérente et dit: En un tel cas, l'immunité de procédure qui est conférée dans le projet de loi – et c'est très simple à faire, on envoie un avis au Procureur général du Québec en disant que, selon nous, cette pratique-là menace l'intégrité, la santé physique d'une personne physique, et on demande au tribunal, en l'espèce la Cour supérieure, de déclarer inopposable au demandeur ou au requérant cette disposition législative là.

Alors, votre agriculteur qui pensait qu'en respectant le guide des bonnes pratiques agricoles et en pensant à l'article 98 de la loi donnant primauté à l'activité agricole, bien, il se retrouve devant rien. Et c'est là où je dis que ce n'est plus politique, c'est juridique. C'est une fausse assurance donnée aux agriculteurs que de partir sur cette base-là. Et c'est contraire à la loi, à moins que, politiquement, on ne déroge à la Charte. Mais jamais une loi ne permettra l'empoisonnement. Je dirais même que s'il y avait dérogation à la Charte, je me demande ce que les tribunaux feraient, s'ils ne jugeraient pas inconstitutionnelle une dérogation sur un élément aussi important.

(12 h 20)

Un deuxième point qui me déçoit beaucoup – dans mon mémoire, je souligne les points avec lesquels je suis d'accord, je mentionne aussi certains amendements qui auraient été opportuns – c'est le régime du double registre. Depuis un an, le double registre... Enfin, il n'est peut-être pas encore au monde, mais disons qu'on sent des poussées assez fortes et des contractions puissantes. Le système du double registre, M. le ministre, M. le Président, c'est la réfutation de l'égalité de tous devant la loi et, je m'excuse, mais, pour moi, ce n'est rien d'autre que la béatification de la magouille, pour ne pas dire sa canonisation. Promoteurs immobiliers, acoquinez-vous avec un conseil; avec les bons contacts, les bonnes relations, les bonnes rencontres, les bons cocktails, les bons partys et les bons cadeaux, on prend votre défense, chers promoteurs. Mais vous, promoteurs qui n'avez pas les bons contacts, les bons cocktails, les bonnes caisses électorales, etc., on ne vous endosse pas. Et vous, promoteurs, méchants promoteurs qui n'êtes pas acoquinés avec nous, vous ne pouvez pas être exclus de la zone agricole. Vous, promoteurs avec lesquels on s'associe, vous pouvez bénéficier d'exclusion de la zone agricole. C'est une incitation directe au trafic d'influence, aux échanges de corridor et aux consensus forgés. Je ne crois pas que ce soit le rôle de la Loi sur la protection du territoire agricole que de forger ces espèces de consensus.

En regard de la conciliation et de l'arbitrage, encore là, j'ai des doutes. Je ne veux pas aller dans le détail parce que j'ai à peine 10 minutes, M. le Président, mais, s'il y a besoin, il y a besoin d'explications, il y a besoin d'harmonisation, il y a besoin de compréhension. Mais quand on en arrive à un arbitre nommé par le ministère de l'Agriculture, rémunéré par le ministère de l'Agriculture, appliquant un guide de pratiques du ministère de l'Agriculture, jusqu'à un certain point, je crois que sa sentence arbitrale ne tiendrait pas devant la Cour supérieure. Parce qu'il y a un grand débat jurisprudentiel en ce moment, c'est l'impartialité, mais surtout l'indépendance judiciaire. Or, la Charte et la jurisprudence nous disent que, quand il y a processus contradictoire, question conflictuelle, partie clairement identifiée, on est dans un processus quasi judiciaire. Dès lors, l'article 23 dit que tout justiciable a droit à une audience en pleine impartialité. Or, comment voulez-vous que l'arbitre, qui est en quelque sorte un juge, puisse être nommé par et sur recommandation du ministère de l'Agriculture et de l'UPA, avec un compte de dépenses payable éventuellement par le ministère de l'Agriculture, puis avoir cette indépendance pour que sa sentence arbitrale résiste devant un juge de la Cour supérieure? Je ne le crois pas, personnellement. Je pense que c'est mal rédigé. Je pense que ça expose, encore là, les agriculteurs à une fausse assurance parce que la problématique n'est pas bien posée. Et si on fait la jonction entre tout, la conciliation et l'arbitrage auxquels l'agriculteur a accès, si on y joint l'immunité de poursuite dans les milieux ruraux, on va se retrouver avec des confrontations. C'est le contraire de l'objectif du projet de loi, en réalité. Quand on le lit, et il est fort complexe à lire, je dirais même fort habilement rédigé, mais, quand on le décode bien comme il faut, on va arriver à des confrontations. Et ça a toujours été la menace de cette loi-là, c'est que, si la confrontation est trop brutale, il peut y avoir des mouvements pour dire, un peu comme en Colombie-Britannique: Foutons-la en l'air. Elle nous... Elle nous embête plus qu'autre chose – excusez le lapsus.

Enfin, un dernier point que je voulais souligner, c'est le mécanisme qui est tout installé dans le cadre, pas des révisions, mais des travaux sur les schémas d'aménagement et le pouvoir de la Commission. Encore là, si vous regardez bien le texte de loi, il y a une évolution parallèle entre le schéma d'aménagement et les pouvoirs de la Commission. J'entendais encore récemment quelqu'un d'éminemment bien placé pour dire que la Commission ne procéderait pas à des révisions de zones agricoles, mais que, dans le cadre de la nouvelle loi, dans le cadre des pouvoirs d'exclusion, de la recherche d'harmonisation, de concertation et de «concoction» – ha, ha, ha! – on finirait par en arriver à des solutions satisfaisantes. Alors, ce n'est pas de la révision, mais ça va être de la révision à la pièce. Et là ce que l'on fait, c'est de la révision à la pièce, mais, d'un autre côté, le droit de produire, tout ça, ça devient un petit peu comme un marchandage odieux. Alors, moi, je n'appelle plus ça de la décentralisation. J'appelle ça du marchandage par intermédiaire du ministère de l'Agriculture, de l'UPA et de la Commission. Et je pense que cette multitude de rôles et de fonctions entre autres donnés à la Commission dans le cadre de ce projet de loi là, c'est beaucoup plus susceptible de créer des litiges et de la suspicion que de régler des problèmes.

Et quand je dis litige, je vous donne un exemple, M. le ministre, un seul. Quand vous demandez à un conseil municipal formé d'agriculteurs de dire si une demande est conforme ou non à sa réglementation, vous demandez au fond à un conseil municipal formé d'agriculteurs d'émettre une opinion juridique. Pourquoi ce seraient ces agriculteurs-là qui devraient émettre l'opinion juridique? Pourquoi ne pas en rester à l'ancienne disposition de la loi qui disait, au grand avantage, par exemple, sur celle de la Loi sur la qualité de l'environnement: S'il y a incompatibilité on peut en tenir compte mais on n'est pas lié par celle-là. Là, on va se retrouver dans des situations où on va devoir procéder par brefs d'évocation, par mandamus, par jugements déclaratoires pour savoir si elle est compatible ou pas au cas où le conseil se trompe. Alors, c'est inciter des conseils à l'erreur et c'est amener des conflits au niveau municipal quant à l'interprétation des règlements municipaux. Merci.

Le Président (M. Vallières): Merci. M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Merci, M. le Président. Je vous remercie des préoccupations que vous soulevez, Me Sylvestre, devant cette commission parlementaire. Je tiendrais cependant à souligner, compte tenu du caractère parfois alarmiste et de certains exemples que vous avez soulevés, que je ne peux surtout pas porter de jugement sur la portée mais peut-être essayer d'éclairer un peu votre réflexion parce que, sur l'ensemble, je pense qu'elle questionne et oblige à préciser des éléments de l'avant-projet de loi. Mais, les exemples que vous souleviez, loin du législateur l'intention de rendre légaux les empoisonneurs et tous les scénarios que vous décriviez tout à l'heure. L'article 79.20 et ses différents éléments balisent déjà. Or, vous savez sans doute, puisque vous vous intéressez aux questions agroenvironnementales, qu'il existe une loi au Québec sur la qualité de l'environnement, un certain nombre de réglementations existant à cet égard-là et un certain nombre de règlements sur le point d'être adoptés, je pense au règlement eau et sol aussi. Et, en ce sens-là, les exemples que vous souleviez tout à l'heure étaient en plein des exemples de pollution. Or, la pollution n'est pas protégée, contrairement à l'impression qui vous en est venue à la lecture de l'avant-projet de loi. Au contraire, lorsqu'on parle d'inconvénients en termes de bruit, de poussières, d'odeurs ou de lumière, il faut regarder des inconvénients qui se situent en-deça des seuils reconnus en vertu de la loi sur l'environnement. Donc, le phénomène de pollution ou d'empoisonnement que vous décriviez tout à l'heure n'est absolument pas protégé par ce projet de loi.

Et j'aurais quand même, suite à ce commentaire-là...

M. Sylvestre (Louis V.): Je m'excuse de... Il faut bien comprendre là, quand je parle d'empoisonneurs et d'empoisonnés, que c'est caricatural. C'est tout simplement pour illustrer, émailler mon propos. Il ne faut pas prendre ça à la lettre, n'est-ce pas.

M. Landry (Bonaventure): Effectivement, je pense qu'une commission parlementaire est un peu plus qu'une caricature. On se devait quand même...

M. Sylvestre (Louis V.): Non, non, mais enfin...

M. Landry (Bonaventure): ...de ramener les choses à leur juste dimension.

(12 h 30)

M. Sylvestre (Louis V.): C'est qu'on peut faire les nuances que l'on voudra, mais il faut quand même conserver à l'esprit l'article 98 de la loi. L'article 98 de la loi prévoit la primauté de la Loi sur la protection du territoire agricole sur toute autre législation incompatible – sur toute autre législation incompatible. Alors, si vous avez le principe de primauté de la Loi sur la protection du territoire agricole telle qu'amendée... la qualité de l'environnement, c'est incontournable. Et ça a déjà été dénoncé, ça, antérieurement, parce que les conflits... Et quand vous me parlez des normes environnementales, je mets dans mon mémoire que je ne connais pas un seul bureau d'avocat qui ait, à ce jour, dans son bureau, à jour, la loi, l'ensemble des règlements, les normes, les politiques, les directives, publiques et non publiques, accessibles et non accessibles. Personne ne les a, elles sont au ministère et elles restent au ministère. Quant à l'épandage de purin, bien, l'épandage de purin, c'est comme l'aspirine. Je suis d'accord avec vous, c'est une tactique... enfin, c'est une technique agricole reconnue. Mais deux cachets d'aspirine puis 30 cachets d'aspirine, c'est différent. De l'effet thérapeutique, on en arrive à un tout autre effet. Le purin de porc, c'est la même chose. On peut, selon les normes du ministère de l'Environnement, faire l'épandage, mais le guide va servir à quoi? Précisément, à mieux baliser cela. Pourquoi le guide? Précisément, parce que la loi prévaut sur la Loi sur la qualité de l'environnement.

Le Président (M. Vallières): M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): On pourrait poursuivre longuement le débat. La loi de protection du territoire agricole, oui, pour des questions, prévoit une primauté, mais l'article 79.20 nous dit quand même que ce projet de législation balise quand même cette primauté-là des activités agricoles dans le respect de la loi sur l'environnement. Alors, forcément, on doit la...

M. Sylvestre (Louis V.): À ce moment-là, c'est fort simple. C'est une technique de renvoi. Vous écrivez, à l'article 79.20: Sous réserve de la Loi sur la qualité de l'environnement, des règlements, normes, directives, politiques connues et inconnues en zone agricole n'encourent aucune responsabilité. C'est ça, la vérité. Excusez-moi, là, mais si vous ne mettez pas le caveat de la Loi sur la qualité de l'environnement, ça ne veut rien dire. À 79.20, vous lisez l'intitulé: «Limitation de recours, recours civils. En zone agricole, nul n'encourt de responsabilité à l'égard d'un tiers en raison des poussières...» Vous ne faites référence aucunement à la Loi sur la qualité de l'environnement. Et, à l'article 98 de la loi, on vous dit qu'il y a primauté de la Loi sur la protection du territoire agricole sur toute autre loi incompatible.

Par conséquent, si le guide, pour une raison ou une autre, dit qu'au mois d'octobre on peut étendre 6 mm de purin ou 2 mm de purin ou 1 mm de purin sur une surface d'argile, bien, je ne vois pas où on pourrait faire intervenir le ministère de l'Environnement, parce que la loi, le projet de loi, dans son équilibre général, n'y fait pas référence et maintient la primauté à l'article 98, ou alors modifie l'article 98 pour dire: À l'exception de la limitation de recours, tout le reste prévaut; mais, quant à la limitation de recours, la protection de l'environnement prévaut. Mais pas dans le texte tel qu'il est rédigé là. Je comprends qu'il y a des règlements sur la disposition des fumiers liquides et solides. Il y a tout ça, oui, j'en conviens, mais l'article 79.20, conjugué à l'article 98 de la loi, assure une primauté absolue et deux classes de citoyens.

Le Président (M. Vallières): Oui. Une autre question, M. le ministre?

M. Landry (Bonaventure): En tout cas, on pourrait discuter longtemps, Me Sylvestre, mais l'article 79.20 dit clairement, et, là-dessus, je dis que les mots sont têtus, là: En zone agricole, nul n'encourt de responsabilité à l'égard d'un tiers en raison des poussières, de la fumée, des bruits, des odeurs ou de la lumière qui résultent d'activités agricoles et qui sont inhérents à la pratique agricole normale et ne peut être empêché par ce tiers d'exercer ces activités agricoles pourvu qu'il ne contrevienne pas aux dispositions réglementaires prises en vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement – c'est le premier élément – aux dispositions de la Loi sur les pesticides et de ses règlements; aux règlements municipaux adoptés en vertu de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme et qui sont conformes aux objectifs du schéma d'aménagement tenant compte des orientations gouvernementales en matière de protection et de développement durable des activités agricoles en zone agricole; à toute ordonnance arbitrale rendue en vertu de l'article 79.30.

Alors, la référence à la loi de l'environnement, elle est clairement mentionnée. Ce qu'on dit, dans le fond, c'est que... Au niveau d'un guide de pratiques agricoles, le guide de pratiques agricoles qu'on élabore de concert avec le ministère de l'Environnement, le ministère des Affaires municipales, il y a une consultation avec une foule de groupes et d'organismes qui se préoccupent des questions agricoles, mais des questions environnementales, des questions liées à la santé aussi. Eh bien, ce guide-là va aussi tenir compte des prescriptions que nous impose la Loi sur la qualité de l'environnement, et ça, ça va faire partie du coffre d'outils dont vont disposer les agriculteurs et l'ensemble des citoyens aussi. Et ça balise aussi.

M. Sylvestre (Louis V.): Ah! bien, là, je pense qu'on ne parle...

Le Président (M. Vallières): Oui, Me Sylvestre, c'est beau.

M. Sylvestre (Louis V.): Je ne pense pas qu'on parle du même texte de loi, là. Moi, j'ai l'article 79.20 sous les yeux: «...pourvu qu'il ne contrevienne pas:

«1° aux dispositions réglementaires prises en vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement.» Ce n'est pas la loi, ça. Les dispositions réglementaires sont des règlements propres au milieu agricole, et cette rédaction de règlements est faite par le ministère de l'Environnement et par le ministère de l'Agriculture, tout le monde le sait. Donc, ce n'est pas la loi en général, comme principe, les articles 22 à 24 de la Loi sur la qualité de l'environnement, qui dit que toute personne a droit à un environnement sain, c'est simplement la petite partie réglementaire, qui est à peu près 3 cm d'épais, par rapport à une réglementation qui a peut-être 5 mm d'épais. Donc, ce n'est pas toute la loi, c'est faux, c'est simplement – excusez, M. le ministre, il faut replacer les choses dans leur contexte – la réglementation partielle.

Quant aux dispositions de la Loi sur les pesticides, encore là, c'est une espèce de juridiction partagée entre le ministère de l'Environnement et le ministère de l'Agriculture. Et, troisièmement, les règlements municipaux. Bon, j'en conviens, mais on parle de deux séries de règlements bien, bien, bien précis et non pas de la loi elle-même. Ce n'est donc pas tout à fait juste de dire que la Loi sur la qualité de l'environnement est parfaitement protégée à l'intérieur de l'article 79.20 du projet de loi. Excusez-moi, mais, avec déférence et respect, ce n'est pas le cas.

Et, dans le mémoire que je vous ai soumis, ce n'est tellement pas le cas que, quand les agriculteurs arrivent dans le milieu pour venir à bout de s'y retrouver, on ne s'y retrouve plus. Quelles sont les mesures? Quelles sont les périodes d'épandage? Est-ce accepté, est-ce que ça ne l'est pas? Est-ce qu'il va y avoir pluie, est-ce qu'il y aura ruissellement? Est-ce que mon dosage, que Monsanto m'a vendu, il est correct ou pas? On n'a pas le personnel pour vérifier dans le champ si ce qu'on a mis en Round-up ou en atrazine est suffisant ou pas. Mais, la vraie pratique, c'est ça; la vraie, vraie, vraie pratique, c'est ça. On leur donne une formation, aux agriculteurs, mais le suivi, des fois, et à leur détriment, est déficient.

C'est pour ça que, dans mon mémoire, je vous dis qu'il y a lieu, avant tout ça, avant de commencer à faire des exceptions sur certains règlements découlant de la Loi sur la qualité de l'environnement, c'est de faire le ménage. On ferait juste le ménage environnemental, à tout le moins pour l'agriculture, que ce serait quasiment un pas sur la lune. Juste ça. Mais qu'on ne vienne pas en rajouter par-dessus ce capharnaüm de règlements, de normes, de directives et de politiques connues et inconnues, de tolérances connues et inconnues.

C'est là où j'en suis, M. le ministre. Il faut que ça soit transparent, il faut que ce soit clair pour tout le monde. Et vous ne pouvez pas demander à des justiciables de ne pas avoir un souci ou une volonté de contester quand ils sentent qu'il y a des cachettes qui se font et que ce n'est pas clair, clair, clair. Quant au guide, bien, vous me dites: Plusieurs intervenants vont le confectionner. Bien, je veux dire: D'accord, plusieurs intervenants. Mais si je regarde la loi, où sont les médecins, où sont les toxicologues, où sont les épidémiologistes, où sont les biologistes, où sont les agronomes? S'il y a des gens qui savent ce que c'est que les effets du mercure, du manganèse, du cuivre, à long terme, du plomb, s'il y a des gens qui savent ce que c'est que les inconvénients liés au bruit, s'il y a des gens qui savent ce que c'est que la vérification environnementale en matière de prêts hypothécaires ou de ventes, s'il y en a qui savent comment on peut voir si un champ a contenu trop d'herbicide ou pas assez d'herbicide ou trop de phosphate ou d'azote ou pas assez, ce sont les agronomes, les médecins, les notaires. Bien, dans le guide des bonnes pratiques, tel qu'il va être élaboré, ces gens-là sont complètement écartés.

Ça va être qui alors? Qui a cette compétence universelle, dans la liste des gens mentionnés dans le projet de loi, pour voir toutes les facettes qu'il peut y avoir dans l'agriculture moderne? Parce que c'est là qu'est tout le dilemme. Le Québec, ce n'est pas l'Arkansas. On ne peut pas avoir des poulaillers, des fermes ovines de 2 000 000 ou 3 000 000 ou 4 000 000 de poulets, c'est impossible ici. Le sol est fragile, la concentration habitée du territoire québécois et sa concentration agricole sont au même endroit; on n'y peut rien... le Québec vraiment agricole, c'est le long du Saint-Laurent, le long du Richelieu, le long de la rivière L'Assomption puis le long de l'Outaouais, ou à peu de chose près, et c'est là qu'on retrouve une plus grande concentration urbanisée.

Notre problématique est très spéciale. Étant spécifique et spéciale, on doit y trouver, encore là, des remèdes spéciaux adaptés aux circonstances, pas rêver d'une agriculture industrielle comparable à l'agriculture industrielle américaine – c'est impossible – et donner une espèce de blindage en disant: Nous allons être compétitifs, nous allons avoir des procédés agricoles industriels et, pour ce faire, nous allons donner des garanties, des immunités, des impunités aux agriculteurs. Eh bien, je pense que c'est mettre le feu à la mèche dans le milieu. Au moins, si le guide des bonnes pratiques agricoles était fait par des professionnels absolument libres, qui n'ont de compte à rendre à personne, qui ne relèvent de l'autorité de personne, qui agiront en leur âme et conscience, là je vous dirais: On pourra à la limite le considérer, mais, même si je souscris à ce guide-là – et je pense que c'est une nécessité – il faut faire le ménage là-dedans. D'une part, un bon ménage; deuxièmement, un guide, mais un guide confectionné, pensé par des gens compétents puis complètement indépendants.

(12 h 40)

Une fois le guide éventuellement fait, là, il faudrait en arriver à votre section 79.20 et tout simplement la biffer. Parce que si un guide est bien fait, par définition, il n'y en aura pas, de recours. Il n'y en aura pas, de recours. Si votre guide est bien fait, il va forcer les gens qui appliquent les méthodes à être à jour. Il en existe, des méthodes de compactage du purin; il en existe, des méthodes de filtrage de l'air des porcheries; il en existe, des méthodes d'imperméabilisation des sols, mais quelle incitation allons-nous donner à ceux qui sont en charge de la confection du guide si, par ailleurs, ils ont l'assurance qu'il y a une immunité de poursuite? On va en arriver à la situation du sol organique dans Napierville et Sherrington. On va en arriver à des prescriptions agricoles où on recommande l'arrosage de laitue avec de l'eau de certaines rivières comme la rivière L'Acadie, la rivière Montréal, la rivière Yamaska, qui contiennent 10 000, 15 000, 20 000 colibacilles par 100 ml d'eau. On arrose du céleri avec ça. Ce sont les prescriptions du ministère. Ce sont des guides actuellement reconnus, ce sont des directives qui sortent de votre ministère, M. le ministre. C'est dans le champ que ça se passe, là. On arrose ça avec de l'eau... vous la regardez, vous tombez quasiment malade. Mais ce sont les directives du ministère en ce moment.

Alors, si on poursuit dans la même voie, le justiciable n'a aucune protection, puis avec l'immunité, puis l'article 98 de la loi, on se retrouve dans une situation où le législateur va multiplier les recours et va saper la confiance que le milieu peut avoir à l'endroit des agriculteurs et à l'endroit du législateur lui-même.

Le Président (M. Vallières): Merci, Me Sylvestre. Alors, ça épuise le temps qui était alloué au côté gouvernemental. Vous me permettrez peut-être, Me Sylvestre, en terminant, une question sur votre mémoire, où vous indiquez que, «sous plusieurs aspects, la pratique et l'exercice sur le terrain démontrent que certains amendements, tels que rédigés, exposent le gouvernement à des problèmes encore plus grands que ceux qui ont amené le gouvernement antérieur à adopter les amendements de 1989 et le moratoire urgent qui les a précédés». On trouve ça en page 36 de votre mémoire. Êtes-vous en mesure de nous donner quelques exemples de ce qui pourrait se produire?

Et j'ajouterai que le témoignage que vous nous faites, en tout cas, pour un qui n'est pas habitué trop, trop au droit, c'est quand même intéressant de vous entendre, et je veux vous indiquer que vous soulevez une question qui est très importante au niveau de la Charte des droits et libertés de la personne. Par voie de conséquence, c'est sûr que, de ce côté-ci de la Chambre à tout le moins, on va certainement se pencher sur les arguments que vous nous faites valoir à ce niveau-là et on aura par la suite à se gouverner en conséquence.

Maintenant, peut-être quelques exemples face à la question que je vous posais tantôt. Il était intéressant de pouvoir lire votre mémoire avec vous afin de pouvoir le questionner également plus amplement. Peut-être aurons-nous l'occasion de le faire à un autre moment. Alors, quelques exemples sur la première question.

M. Sylvestre (Louis V.): Bien, écoutez, je pense qu'il est de notoriété publique – et, de toute façon, ça a été rapporté dans les éditoriaux, à tout le moins dans les journaux de Montréal, et je pense dans un éditorial du Soleil – que l'on se pose beaucoup de questions sur le territoire municipal de Laval, sur l'administration de la ville de Laval.

Or, à l'époque, quand la négociation de la zone agricole s'était faite à Laval, ça s'est déroulé de 1987... ça a été initié en 1986-1987, et là, en 1989, on s'est aperçu, à l'encontre de plusieurs autres MRC à travers le Québec qui étaient parfois très réticentes avec la Commission, ou il y avait plusieurs rencontres où il y avait manifestation de la volonté de certains maires pour les municipalités locales, à Laval, on n'entendait parler de rien. Il y avait une concertation qui se faisait: UPA, municipalité de la ville de Laval, MRC de Laval et Commission. Tout allait bien. Il y avait un consensus, consensus qui a fait qu'une assemblée publique a été tenue, mais consensus qui était tellement beau et fort qu'en Chambre on a demandé une enquête publique au gouvernement de l'époque, à savoir que le ratio de zones non agricoles par rapport aux besoins de la ville de Laval était faramineux, et le gouvernement a été obligé de décréter un moratoire en disant: on arrête toutes les négociations et, plus particulièrement, on déclenche une enquête sur le territoire de Laval.

À ma connaissance, le ministère de la Justice a fait une enquête sur le territoire de Laval. Et le fait est que, par expérience, si on regarde le résultat, il y a eu l'assemblée publique en question, il n'y a pas eu de contestation véhémente, et ce beau consensus-là a fait qu'on a une immense zone non agricole partiellement composée... ou elle était partiellement composée de sol organique d'excellente qualité à proximité du grand marché montréalais. Et elle est à ce point grande que, là, en 1994, le gouvernement a été obligé d'adopter la loi privée 299 parce que les fermes, des fermes entières et actives avaient été exclues de la zone agricole. Par une loi de 1994, qui est en annexe à mon mémoire, eh bien, le gouvernement du Québec a permis à Laval de donner des congés fiscaux à ces fermes-là qui, au fond, en résumé, avaient été inutilement exclues de la zone agricole; du moins, c'est la conclusion que j'en tire. Alors, je ne suis pas du tout partisan quand je dis ça. C'est tout l'ancien gouvernement qui a fait ça, bon.

Alors, Laval, ça a été le cas, ça, de l'harmonie et du consensus, et des rencontres officieuses, pour être officialisée ultimement. Mais on en a sorti bien trop à Laval inutilement. Il y a d'autres endroits, peut-être pas assez; il y a d'autres endroits, pas aux bons endroits. Mais ce genre de corridor, ce genre de négociation opaque est toujours périlleux pour un gouvernement. Parce qu'au fond le ministre est toujours responsable en Chambre, mais ce n'est pas lui qui négocie. Ses agents négociateurs, par exemple, s'il arrive un problème, comme il est arrivé en 1989, c'est le ministre qui risque d'être rôti. Enfin, ce n'est pas mon rôle de le dire. Ça fait peut-être plaisir à l'opposition de le savoir, mais c'est comme ça que je le perçois.

Alors, vous avez eu des négociations qui ont été beaucoup plus difficiles qu'à Laval. À Laval, ça a été facile, ça a été harmonieux, ça a été un consensus forgé, mais ça a fini par un moratoire puis une enquête policière pour connaître les auteurs des transactions immobilières, puis ça a fini par un bill privé pour donner des congés puis des facilités fiscales. Alors, si c'est ça, négocier une zone agricole: on vous exclut de la zone agricole puis, après ça, on adopte une loi privée pour vous donner un petit congé fiscal, je me demande à quoi ça sert de négocier. Il fallait bien négocier en 1987, 1989, négocier de façon ouverte.

D'ailleurs, le rapport Brière le dit bien: quand ça a commencé, les négociations, les représentations qui avaient été faites n'étaient pas concordantes avec le texte de loi. On disait, au début des négociations, suite à l'adoption de la loi 85: On négocie sur une base quinquennale. Et c'est rapporté, ça, textuellement dans le rapport Brière. On a induit en erreur, je pense, au moins – si mon souvenir est bon – 17 MRC qui ont pris pour acquis que c'était une révision quinquennale.

Et c'est le rapport Brière qui a dit: Non, la loi dit qu'il y a révision dans le cadre de l'élaboration du schéma d'aménagement et non pas de sa révision. Elles ont été dupées. Ce n'est pas le gouvernement actuel, c'est l'ancien gouvernement. Mais le rapport Brière le dit, ça, en toutes lettres. Puis, là, on nous dit: Bien, vous savez, dans le fond, la mécanique harmonieuse, consensuelle et heureuse, de non-confrontation – que j'identifie clairement à Laval – on va la généraliser en quelque sorte à l'ensemble du territoire agricole du Québec. Bien, faites attention. Là, vous faites plus qu'allumer la mèche, vous soufflez dessus.

Le Président (M. Vallières): Me Sylvestre, nous avons largement dépassé notre temps. Je remercie les membres de la commission. Je comprends qu'implicitement nous avons convenu de dépasser de quelque 20 minutes l'horaire prévu à nos travaux. Merci bien à Me Sylvestre et à mes collègues de leur contribution.

Ça veut dire que la commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures cet après-midi.

(Suspension de la séance à 12 h 50)

(Reprise à 14 h 7)

Le Président (M. Vallières): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation reprend ses travaux. Alors, comme convenu, nous allons continuer nos travaux avec la participation des représentants du Barreau du Québec, à qui je demanderais de bien vouloir s'approcher, s'il vous plaît.

Je demanderais à Me Claude Masse, qui est vice-président, je crois, du Barreau, de bien vouloir identifier les personnes qui l'accompagnent. Vous disposez de 20 minutes pour la présentation de votre mémoire et, pour les échanges, d'une quarantaine de minutes avec les membres de la commission. Alors, bienvenue, la parole est à vous.


Barreau du Québec

M. Masse (Claude): Merci, M. le Président, de votre accueil. Mon nom est Claude Masse, je suis vice-président du Barreau du Québec. J'ai, à ma gauche, Me Marc Sauvé, qui est secrétaire du Comité sur la protection du territoire agricole, et Me Armand Poupart, qui est notre président de comité. Le mémoire que nous vous présentons cet après-midi est également un mémoire qui résulte du travail de Me Guylaine Caron, de Me Sylvie Devito et de Me Guy Paradis. M. le Président, M. le ministre, MM. les députés, le Barreau du Québec est le seul barreau en Amérique du Nord qui possède un service de recherche permanent pour pouvoir présenter le point de vue du Barreau, surtout sur les problèmes juridiques qui sont posés à l'occasion du dépôt d'avant-projets et de projets de loi, et c'est avec plaisir que nous faisons la présentation que nous faisons cet après-midi.

Le Barreau du Québec est particulièrement inquiété par trois aspects particuliers du projet de loi, essentiellement ceux dont vous a entretenu Me Sylvestre ce matin, soit les règles d'immunité. Essentiellement, dans le projet, c'est l'article 79.20. Nous ne voyons pas en quoi cette règle d'immunité ajoute aux droits existants et en quoi elle est justifiée. Nous sommes, nous aussi, au même titre que le Centre québécois du droit de l'environnement, extrêmement préoccupés par cette règle d'immunité. Vous savez, M. le ministre, qu'on donne une immunité à quelqu'un qui est responsable autrement... Alors, il nous semble que le traitement jurisprudentiel et le traitement que les tribunaux réservent aux agriculteurs jusqu'à maintenant, depuis une centaine d'années, est tout à fait compatible avec les règles d'équité devant la loi et nous ne voyons aucune raison, quant à nous, d'instaurer un principe dangereux, inacceptable, selon nous, d'immunité. Mes collègues vont en traiter plus avant.

Le double registre qui est proposé par l'avant-projet de loi nous inquiète également fortement. Effectivement, nous sommes d'avis qu'il y a là un sujet d'inquiétude, encore une fois, à l'égard de disparités entre le traitement de différents types de justiciables.

(14 h 10)

Et enfin – ça complète ma présentation générale – les mécanismes d'arbitrage et de médiation qui sont proposés ne respectent pas les garanties minimales qu'un arbitre ou qu'un médiateur doit donner pour accomplir sa fonction. Ces personnes sont choisies souvent par une des parties, pour l'essentiel, sont payées par une des parties et répondent de règles qui sont rédigées par d'autres. Donc, à cet égard, je pense que le projet de loi devrait être bonifié.

Je laisse la parole à mes collègues, Me Poupart ou Me Sauvé.

M. Sauvé (Marc): Oui. Merci, M. le vice-président. Alors, pour revenir aux considérations plus générales, on signale que cet avant-projet de loi présente plusieurs similitudes avec le projet de loi 123 qui a été déposé en novembre 1993, lequel projet de loi reprenait, pour l'essentiel, les recommandations du rapport Ouimet sur la protection du territoire agricole et le développement rural. On se souviendra que le projet de loi 123 proposait l'abolition du Tribunal d'appel en matière de protection du territoire agricole. Alors, nous sommes heureux de constater qu'une telle disposition n'a pas été retenue dans l'avant-projet de loi.

Par ailleurs, l'avant-projet de loi prévoit l'abrogation de la section IV.0.1 de la Loi sur la protection du territoire agricole portant sur les secteurs exclusifs. Il s'agit là d'un élément positif de l'avant-projet de loi, puisque ces dispositions constituaient trop souvent des contraintes pour la Commission de la protection du territoire agricole sans apporter les avantages significatifs pour la protection des droits individuels ou de l'intérêt public.

Par ailleurs, on dénote un effort réel afin de rendre plus cohérentes la Loi sur la protection du territoire agricole et la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme. En effet, la Loi sur la protection du territoire agricole constitue une loi sectorielle par rapport à la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, et, en principe, le législateur doit viser une plus grande harmonisation avec la loi-cadre sur l'aménagement du territoire.

Une préoccupation qu'on a souvent manifestée, fait valoir, au Barreau, concerne la réforme des tribunaux administratifs et plus particulièrement les multiples chapeaux d'un organisme qui exerce des fonctions juridictionnelles. Les multiples chapeaux de la Commission de la protection du territoire agricole – tantôt adjudicateur, tantôt enquêteur, tantôt négociateur – posent un problème en regard du principe de la séparation des pouvoirs et de l'impartialité de l'ordre judiciaire. Alors, la multiplicité des fonctions de la Commission amène des situations où la Commission peut être perçue comme étant à la fois juge et partie dans les affaires portées devant elle. Un justiciable peut légitimement se demander si cet organisme est toujours en mesure de rendre des décisions indépendantes et impartiales.

Alors, pour le Barreau du Québec, c'est évident qu'il s'agit là, cette question, des garanties nécessaires d'indépendance et d'impartialité, une question très importante qui se rattache à l'ensemble de la problématique des tribunaux administratifs, et on attend avec impatience la réforme des tribunaux administratifs. On croit que cette législation qu'on a devant nous, cet avant-projet de loi, devrait présenter un lien de cohérence avec ce projet général de réforme sur la justice administrative.

À l'article 3 de l'avant-projet de loi, on définit l'association accréditée comme étant l'association accréditée en vertu de la Loi sur les producteurs agricoles. On veut que l'Union des producteurs agricoles soit reconnue par tous les groupes concernés comme interlocuteur privilégié dans la zone agricole et comme partie intéressée à part entière aux yeux des organismes chargés d'appliquer la loi.

Évidemment, nous n'avons pas d'objection à ce que l'UPA soit informée de chacun des dossiers pouvant être étudiés par la Commission, et ça, ça nous paraît acceptable. Il peut être difficile, par contre, d'accepter, sur le plan procédural, le fait que l'UPA, qui, par voie législative, a le monopole de représentation syndicale des agriculteurs, reçoive par surcroît un statut juridique privilégié. Alors, ce statut privilégié de partie intéressée tend à placer l'UPA au même niveau et sur un pied d'égalité avec les organismes publics dirigés par des personnes élues par la population et chargées d'appliquer la loi. L'UPA constitue un groupe de pression, un groupe d'intérêts privés et non un organisme public. Dans ce contexte, le statut préférentiel accordé à cet organisme privé sur des questions d'intérêt public ne nous semble pas acceptable. Nous sommes d'avis que ces dispositions constituent un précédent abusif et dangereux et porte atteinte au principe de l'égalité de tous devant la loi.

À l'article 8, qui remplace l'article 12 sur la Loi sur la protection du territoire agricole, on modifie l'expression «juridiction» et on la change pour le mot «mission». Alors, la Commission n'exerce plus une juridiction, elle exercerait une mission. Ça nous laisse évidemment un peu perplexes en regard des garanties d'un tribunal administratif, des garanties d'indépendance et d'impartialité qui sont prévues à la Charte canadienne des droits, à l'article 23. Quel est l'impact de cette modification sur les garanties offertes aux justiciables? Je pense que c'est une question importante sur laquelle on doit s'arrêter.

Sur la question des doubles registres, à l'article 29 et à l'article 30 – Me Masse en a touché quelques mots tantôt – on considère que ce double registre, un registre général et un registre municipal et public, est discriminatoire et ouvre la porte à des abus qui sont contraires aux objectifs légitimes poursuivis par le législateur. Il devrait y avoir une même règle de droit pour tout le monde, et les mêmes procédures devraient s'appliquer pour tous.

Un autre point qui nous semblait important – on saute les détails – évidemment, c'est que Me Masse a signalé tantôt la question de l'exonération. L'avant-projet de loi propose l'introduction d'un régime de responsabilité particulier en faveur des agriculteurs. En vertu de l'article 79.20, vous posez: «Nul n'encourt de responsabilité à l'égard d'un tiers en raison des poussières, de la fumée, des bruits, des odeurs ou de la lumière qui résultent d'activités agricoles et qui sont inhérents à la pratique agricole normale...» Évidemment, on considère, au Barreau, que ce régime d'immunité place une classe de citoyens au-dessus des autres et est totalement contraire à l'intérêt public. Nulle catégorie de citoyens ne doit être placée au-dessus de la loi. Les règles générales de responsabilité devraient continuer à s'appliquer à tous. Dans l'intérêt public, nous croyons que cette disposition devrait être retranchée.

Essentiellement, pour conclure, l'avant-projet de loi comporte divers aspects positifs, dont l'abolition des secteurs exclusifs. Cependant, l'existence de deux registres de demandes à la Commission de la protection du territoire agricole est discriminatoire, ouvre la porte à des abus et favorise des inégalités dans le traitement des justiciables. Par ailleurs, la création d'un régime de responsabilité préférentiel pour ceux qui exercent des activités agricoles place cette catégorie de citoyens au-dessus des lois généralement applicables et est contraire à l'intérêt public.

Alors, ça résume les grandes lignes du mémoire que le Barreau vous a transmis. Nous sommes disponibles pour les questions.

Le Président (M. Vallières): Bien. Merci. Alors, je vais me tourner du côté du ministre de l'Agriculture, tout en profitant de l'occasion pour souhaiter la bienvenue au ministre de l'Environnement et de la Faune qui s'est joint à nous. M. le ministre de l'Agriculture.

M. Landry (Bonaventure): Oui. Merci, M. le Président. En quoi le régime des deux registres de demandes est-il susceptible de favoriser des abus et un manque de transparence dans les décisions, selon ce que vous venez d'affirmer tout à l'heure et que vous rappelez dans vos conclusions?

M. Poupart (Armand sr): M. le Président, M. le ministre, mesdames, messieurs, il s'agit d'une innovation, à cet article, et ce qui se passe actuellement, c'est le guichet unique. On commence à vouloir de plus en plus en venir à des guichets uniques; c'est surtout afin d'être capable de centraliser les demandes. Dans le présent cas, on crée un registre général de la Commission, qui est créé par l'article 58.3 de l'avant-projet, et on crée un second registre, qui est le registre municipal et public, qui est créé par l'article 58.4. Alors, nécessairement, pour tout intervenant, quand on voit qu'il y a deux registres ou deux guichets où sont introduites les procédures, on suppose tout de suite la question. C'est évident qu'on ne les divise pas au départ pour les réunir par la suite; on les divise pour que ça se continue parallèlement et que ça soit traité de façon différente. On ne veut pas qu'il y ait une façon de les mêler entre eux.

Alors, il y aurait un guichet, disons, qui est le guichet général de la Commission, et ça, ce sera pour tout le monde, le guichet général, puis le registre municipal et public, ça, ça sera pour les cas qui sont patronnés par la municipalité. Maintenant, les cas qui sont patronnés par la municipalité, ça peut être des cas, disons, qui sont exclusivement d'intérêt municipal, c'est-à-dire si la municipalité veut installer un parc ou un terrain de jeu dans une zone qui est une zone agricole ou si elle veut installer de l'infrastructure, ou un parc industriel, ou quoi que ce soit. Ce sont des motifs purement d'intérêt général et municipal pour des équipements qui sont la propriété de la municipalité.

(14 h 20)

Mais ce qui est le plus inquiétant, c'est que, dans ce guichet, qui semble un guichet, si on s'en tenait à ces deux critères-là, tout à fait logique, parce que, au niveau de l'intérêt public, c'est bon que ça soit traité peut-être de façon différente de l'intérêt privé, mais là on ajoute qu'il y a des projets privés qui peuvent être patronnés par la municipalité. À ce moment-là, ces projets privés qui sont patronnés par la municipalité seront dirigés au registre municipal et public. C'est là qu'est l'inconvénient, et on pense, nous, au niveau du Barreau, que ça crée deux justices, que ça crée l'apparence de deux justices, et l'apparence, souvent, ça équivaut à la réalité dans l'esprit des gens.

Les municipalités ont un rôle d'intérêt public, mais, dans certaines circonstances, elles doivent se pencher sur l'intérêt privé. Mais, là, que la municipalité puisse patronner un projet d'intérêt privé au détriment d'un autre, puis il n'y a aucun critère qui va exiger que la municipalité montre de la transparence, à ce moment-là, ça créerait, nous le soumettons, une discrimination envers les promoteurs. S'il y a des promoteurs qui présentent un projet intéressant pour la municipalité, et l'intérêt, comme on le sait, est la mesure des actions – l'intérêt peut être de toutes façons: ça peut être un intérêt politique, ça peut être un intérêt administratif – à ce moment-là, il y aura des projets de promoteurs qui auront, disons, préséance sur d'autres projets, et non seulement il y aura une discrimination au départ, mais il y aura une discrimination par la suite puisque ça prendra le guichet du registre municipal et public.

Peut-être que s'il y avait des détails qui étaient donnés dans la loi ou dans le règlement relativement à ces deux registres, on n'aurait pas ce questionnement, on ne se ferait pas de questionnement, mais, dans les circonstances, c'est le questionnement que le Barreau se fait.

Le Président (M. Vallières): Bien. M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Il y a un deuxième élément. Vous soulignez, dans votre mémoire, la règle d'immunité qui apparaît mais qui n'est pas, quand même, balisée, effectivement. Je tiendrais à vous rappeler que cette règle de l'immunité existait en vertu de modifications à la Loi sur la protection du territoire agricole de 1989, à l'article 79.13. Alors, ce n'est pas en soi une nouveauté puisque ça existe déjà dans la loi depuis six ans.

Le Président (M. Vallières): Des commentaires de la part du Barreau?

M. Poupart (Armand sr): M. le Président, M. le ministre, la règle d'immunité qui est prévue à l'avant-projet, ça crée un régime de responsabilité particulier en faveur des agriculteurs. C'est l'article 79.20 qui est proposé et qui dit que «nul n'encourt de responsabilité à l'égard d'un tiers en raison des poussières, de la fumée, des bruits, des odeurs ou de la lumière qui résultent d'activités agricoles et qui sont inhérents à la pratique agricole normale...» Alors, ça veut dire que, maintenant, pour les agriculteurs, la cohabitation avec les citadins ou les résidents de projets domiciliaires voisins va devenir beaucoup plus difficile qu'elle l'est actuellement.

Le problème de la question, disons, de cohabitation entre les agriculteurs bona fide et les voisins qui sont là, qui ont reçu des permis de la municipalité pour se construire des résidences, c'est un problème qui existe actuellement au Québec, puis c'est un problème qui va aller, je pense, de plus en plus en s'aggravant. Mais je pense et je crois que, actuellement, on a des recours qui sont prévus par les tribunaux civils. La Cour supérieure prévoit des recours, et, à date, je ne pense pas qu'il y ait un agriculteur qui ait été privé de ses droits quand il a eu des problèmes de cohabitation ou de frontières entre l'agriculture et l'habitation. À ce moment-ci, je ne vois pas pourquoi on instaurerait ce régime spécial. C'est une responsabilité spéciale par une loi spéciale et pour une catégorie de contribuables qui sont les cultivateurs, tandis qu'il y a la loi de l'environnement qui est une loi générale qui s'applique à tout le monde. Qu'on soit agriculteur, avocat ou autrement, elle s'applique à tout le monde. Mais, avec ce nouveau régime spécial, on crée une exception aux lois de l'environnement et on tasse les lois de l'environnement pour permettre aux agriculteurs de procéder à des actes qui sont des actes, on va me dire, qui sont d'agriculture, mais qui sont polluants.

Si on était toujours devant la ferme familiale d'autrefois puis le régime agricole d'autrefois, je comprendrais la question que vous me posez, mais, actuellement, on est devant des nouveaux concepts qui sont l'agriculture industrielle. Quand on parle des porcheries et puis des poulaillers qui ont des milliers et des centaines de milliers de bêtes, ça crée des nuisances importantes, et ces nuisances importantes, nécessairement, étaient jusqu'à présent et sont encore actuellement, vu que l'avant-projet de loi est resté un avant-projet pour le moment, réglées par les règlements de nuisance municipaux. C'est la municipalité qui avait la responsabilité – la municipalité, c'est un gouvernement élu – de faire appliquer son règlement de nuisance, de définir ce qui constitue une nuisance puis d'aller devant le tribunal, et les deux parties ont le droit de se faire entendre devant le tribunal.

Maintenant, le deuxième volet, c'est le zonage. La municipalité a des pouvoirs qui lui sont dévolus depuis de nombreuses années en vertu de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, le zonage, et elle peut zoner en milieu agricole. Il y a des jugements qui existent, il y a le jugement de Sabrevois qui est un classique qui a été suivi jusqu'à date, depuis 1986, et qui permet à une municipalité d'établir dans différentes zones agricoles le genre de culture ou le genre d'occupation qui doit y être conduit. Alors, devant ces cas-là – et on a les règlements municipaux d'une part et on a la Cour supérieure d'autre part pour faire la paix entre les gens qui doivent cohabiter dans ces régions-là, ces régions sensibles là – mais, avec la nouvelle façon d'aborder le problème, là on devient réellement avec... Je pense que les problèmes vont être beaucoup plus graves. Je pense que cette nouvelle philosophie va créer des problèmes, alors qu'actuellement on a déjà des lois qui existent et qui sont en mesure de régler et qui ont réglé jusqu'à date, à l'avantage autant des agriculteurs que des civils, ces problèmes-là. En voulant mettre l'accent sur une responsabilité spéciale, une espèce de mainlevée à nuire à l'environnement qu'on donne au préalable aux agriculteurs, je pense qu'on ne rencontre pas une justice équitable pour tout le monde, qu'on créerait deux systèmes de justice. C'est l'opinion que je vous soumets.

M. Masse (Claude): À titre de complément, M. le Président, la disposition qui est 79.13 et à laquelle le ministre fait allusion commençait par: «Sans restreindre l'application de la Loi sur la qualité de l'environnement, ni les recours qu'une personne peut exercer en vertu des dispositions de cette loi...» Quant à moi, je suis tout à fait d'accord avec Me Sylvestre, qui dit: Bien que, dans le nouveau 79.20, on fasse allusion à certaines parties de la réglementation... Quant à nous, nous avons toujours été en désaccord avec cette dérogation. Mais le projet de loi, ou l'avant-projet de loi, aggrave le cas, et il nous semble qu'il s'agit là d'une admission très claire qu'on veut tasser des aspects qui n'ont pas du tout été démontrés comme nuisibles, à la Loi sur la qualité de l'environnement. On tient particulièrement aux articles 22, 23 et 24 de la loi. Je pense que le ministère de l'Agriculture aura la démonstration à faire que la législation antérieure, que la nouvelle législation et que le projet de loi sont nécessaires pour pouvoir protéger des cas d'abus d'intervention judiciaire au niveau des agriculteurs.

M. le ministre, j'enseigne la responsabilité depuis 20 ans, je plaide de temps à autre, quatre ou cinq fois par année. Je n'ai personnellement pas connaissance de plus d'un ou deux cas, dans toute l'histoire judiciaire du Québec, où on a abusé du pouvoir judiciaire pour imposer une responsabilité civile à un agriculteur. Le tribunal tient compte de la balance des inconvénients, le tribunal tient compte des circonstances, le tribunal tient compte des habitudes locales et il tient compte de tout ça. De vouloir mettre les agriculteurs dans un contexte d'immunité nous semble générer l'approche inégalitaire et très dangereuse socialement, à laquelle Me Poupart faisait allusion.

Le Président (M. Vallières): Très bien. Alors, avant d'entendre le ministre de l'Environnement, je vais passer la parole au député de Shefford.

(14 h 30)

M. Brodeur: Oui. Merci, M. le Président. Je réfère à la page 3 de votre mémoire, aux articles 3 et 9. Lorsque vous dites qu'on sait que, dans l'avant-projet de loi, l'Union des producteurs agricoles du Québec est privilégiée et ses représentants sont reconnus comme les porte-parole de l'agriculture... D'ailleurs, la Loi sur les producteurs agricoles fait en sorte que l'Union des producteurs agricoles soit le porte-parole officiel des agriculteurs du Québec.

Dans votre mémoire, à la page 3, vous doutez de l'UPA comme interlocuteur essentiel là-dedans. Faut-il comprendre de votre mémoire que vous êtes prêts à admettre que, même sans interlocuteur du côté agricole, la démocratie sera quand même protégée dans un éventuel projet de loi où aucune organisation agricole ne serait porte-parole de son domaine en vertu de cette loi-là?

M. Poupart (Armand sr): M. le Président...

Le Président (M. Vallières): Oui, Me Sauvé.

M. Poupart (Armand sr): ...M. le député, actuellement, l'Union des producteurs agricoles a un statut privilégié devant la Commission de protection du territoire agricole. Elle y est présente, elle reçoit toute la documentation et elle assiste aux audiences. Mais, avec le nouvel amendement qui est inscrit à l'article 3, elle devient l'association accréditée, au sens de la Loi sur les producteurs agricoles, c'est-à-dire qu'elle devient, en vertu de l'article 9, une partie prenante à tout le débat. C'est ça que nous trouvons exagéré. Pourquoi cette union agricole, qui a le monopole, qui est une union ouvrière pour les ouvriers agricoles, qui représente nécessairement des patrons, pourquoi a-t-elle ce statut privilégié et pourquoi est-elle partie prenante à toute intervention? C'est ça que nous calculons qui est exagéré. Qu'elle soit là pour recevoir les documents, pour assister les agriculteurs, pour donner des conseils, pour voir au bon fonctionnement, pour surveiller la Commission, on n'a pas d'objection, mais qu'elle soit partie prenante puis qu'elle soit reconnue dans une loi comme partie prenante... J'ai cherché des lois dans lesquelles on voyait des noms d'unions ouvrières ou d'autres sortes d'unions, des lois d'ordre général comme ça, puis je n'en ai jamais vu. C'est la seule loi qui existera avec ce privilège accordé à une association. Elle deviendra accréditée. Je pense que, si c'est introduit de cette façon dans la loi, vous créez là un précédent, et les autres unions, les autres associations, les autres groupes de pression pourront vous demander la même chose. Et pourquoi pas?

Le Président (M. Vallières): M. le député de Shefford.

M. Brodeur: Oui, M. le Président. Donc, en définitive, dans le système juridique que nous avons présentement, vous ne reconnaissez aucun porte-parole du côté agricole. Parce qu'il faut quand même noter que l'avant-projet de loi a pour but de permettre une agriculture durable. Donc, forcément, dans l'esprit de la loi, il nous faudrait un intervenant agricole. Donc, par votre mémoire, vous n'en reconnaissez pas présentement, au Québec.

M. Poupart (Armand sr): M. le Président, avec votre permission...

Le Président (M. Vallières): Me Poupart.

M. Poupart (Armand sr): ...nous reconnaissons, dans notre mémoire, l'importance de l'UPA, de l'Union des producteurs agricoles – appelons-la comme on veut – puis elle a un rôle à jouer, mais c'est un rôle qui devrait être un rôle de conseiller ou de consultant et non pas un rôle de partie prenante reconnu comme tel par la loi. C'est ça que nous ne reconnaissons pas. S'il y avait deux unions de producteurs agricoles – il y en a une – ou trois, est-ce qu'elles seraient inscrites toutes les deux ou toutes les trois? C'est décourager toute autre forme d'union qui peut se créer à l'avenir, de la reconnaître comme ça dans une loi.

Le Président (M. Vallières): Merci. M. le ministre de l'Environnement.

M. Brassard: Si ma mémoire est bonne, l'Union des producteurs agricoles est déjà reconnue comme telle, comme partie, dans la Loi sur la protection du territoire agricole. Dans la Loi sur la protection du territoire agricole, l'organisation accréditée des agriculteurs a un statut reconnu.

M. Poupart (Armand sr): Elle est reconnue, mais elle n'est pas accréditée comme on le fait par un article spécial. Là, on lui donne un rôle majeur. Dans la procédure et dans tout le processus, on la met sur le même pied, M. le ministre, que les autres parties – que les municipalités, qui sont des corps publics et qui ont des élus – alors que c'est une union, que c'est un groupe de pression. C'est là-dessus qu'on s'oppose, seulement.

M. Brassard: D'accord. Moi, je voudrais revenir, évidemment, parce que c'est au coeur de l'avant-projet de loi – ça, je pense que vous avez raison de l'indiquer, d'ailleurs vous rejoignez, à ce sujet-là, le Centre québécois du droit de l'environnement, dans son mémoire – au régime particulier de responsabilité civile qu'on octroie aux agriculteurs par le biais d'une immunité concernant les nuisances. Bon. Je pense que, d'abord, il est important – en tout cas, c'était bien l'intention du gouvernement – de faire la distinction entre les nuisances, les poussières, des odeurs et la pollution comme telle, parce qu'il y a une distinction très nette à faire; un inconvénient ou une nuisance, ce n'est pas de la pollution, ce n'est pas un contaminant. Le régime particulier, si vous voulez, on a voulu l'établir concernant les nuisances et non pas la pollution.

Cependant, on retrouve un régime particulier de responsabilité de même nature dans d'autres lois d'autres provinces. On a examiné ce qui se passait dans d'autres provinces, elles ont des lois semblables. La Colombie-Britannique s'apprête à en adopter une, mais il y en a déjà d'adoptées dans plusieurs provinces, et on y retrouve un régime de responsabilité particulier pour les agriculteurs, quoique, je dois le dire, on préserve cependant l'application des lois relatives à la protection de l'environnement.

Moi, j'aurais deux questions à vous poser là-dessus. D'abord, est-ce que votre opposition vient du fait que, au Québec, notre régime relève du Code civil, donc un régime juridique qui nous est particulier? Ça fait probablement partie de la société distincte, on a un régime juridique particulier, qu'on retrouve dans le Code civil, tandis que, dans les neuf autres provinces, c'est le «common law». Est-ce qu'il y a une distinction à faire ou est-ce le fait que, ailleurs dans d'autres provinces, on retrouve un régime particulier de responsabilité pour les agriculteurs et dans un régime de «common law», ce n'est pas acceptable pour vous parce qu'on a un système juridique particulier?

M. Masse (Claude): M. le ministre...

Le Président (M. Vallières): Me Masse.

M. Masse (Claude): ...je dois vous avouer qu'on est incapables de faire la distinction entre «nuisances» et «pollution». Prenons un exemple que vous connaissez bien, la pollution par les poussières de bauxite dans le port de La Baie. C'était tellement important que ça a amené une condamnation en recours collectif, en Cour d'appel, parce que la poussière était tellement abondante, tellement dense... Et c'est quand même de la poussière dont on parle en 79.20, hein, ce n'est pas rien qu'une nuisance, c'était de la pollution. Autrement dit, la différence entre les deux, souvent, c'est une question de quantité, ce n'est pas une question de nature.

M. Brassard: Le seuil. Il y a un seuil.

M. Masse (Claude): Il y a un seuil.

M. Brassard: Il y a des seuils à déterminer.

M. Masse (Claude): Et, ces seuils-là, ils varient selon les habitudes sociales, ils varient selon le moment et ils varient selon un certain nombre de phénomènes atmosphériques, et il est extrêmement difficile, voire impossible, de les définir, nous semble-t-il, par voie réglementaire. On a une confiance, comme civilistes, au Québec...

M. Brassard: Possible mais difficile.

M. Masse (Claude): Extrêmement difficile, et ça devient souvent arbitraire.

M. Brassard: Ça dépend. Pour les bruits, probablement que c'est plus facile que pour...

M. Masse (Claude): ...que pour les poussières.

M. Brassard: ...les odeurs, par exemple.

M. Masse (Claude): Oui. On fait confiance, quant à nous, aux principes fondamentaux, et, plutôt que d'intervenir législativement à la pièce, on a un corps de responsabilité civile qui se retrouve dans le cadre du Code civil du Québec. D'ailleurs, le législateur, il ne faut pas se faire d'idées, M. le ministre, dans le cadre du nouveau Code civil, à l'article 976, il a érigé la responsabilité civile en matière de troubles de voisinage au rang d'un principe fondamental, et on ne voit pas pourquoi, sur la base de ça, on pourrait distinguer l'agriculteur de tout autre citoyen dans la société. Est-ce que c'est parce que l'agriculteur a une vocation sociale particulière? On prétend, quant à nous, que tous les intervenants sociaux ont des vocations particulières.

(14 h 40)

Deuxièmement, quand on parle de l'agriculteur traditionnel, c'est-à-dire la ferme autarcique de subsistance du XIXe siècle, il est évident, comme l'a dit Me Poupart tantôt, qu'on ne parle plus d'un parc d'engraissement de 50 000 porcs à Saint-Georges de Beauce. La poussière-pollution, les odeurs-pollution, les odeurs-nuisances, le passage entre les deux est extrêmement difficile à faire, et on pense, quant à nous, que la tentative de l'avant-projet de loi d'écarter ça et d'écarter certaines dispositions fondamentales de la Loi sur la qualité de l'environnement, que vous connaissez très bien, M. le ministre, c'est une fausse route, que c'est un cul-de-sac qui va nous amener des problèmes sociaux de divergences de vécu très, très importants. Et on n'a pas entendu, depuis des années, de démonstration de la nécessité de ça, compte tenu du fait que les tribunaux, jusqu'à maintenant, ont fait la part des choses.

Quand on voit un certain nombre de scandales, notamment en banlieue de Québec, où ça a été extrêmement difficile pour le milieu socioéconomique, dans certains cas de pollution par des équarrisseurs, de régler la situation, on voit que les tribunaux ne sont pas allés très loin encore du côté des abus. Quant à nous, on pourrait tout de même leur faire confiance pour gérer ce type de problèmes.

M. Brassard: Est-ce que l'avant-projet de loi vous apparaîtrait plus satisfaisant ou plus acceptable si, à l'article 79.20, au lieu d'indiquer qu'il s'agit de dispositions réglementaires prises en vertu de la Loi sur la qualité de l'environnement... Est-ce que ça serait plus acceptable, selon vous, si, au lieu de certaines dispositions réglementaires, c'était tout simplement la Loi sur la qualité de l'environnement?

M. Masse (Claude): On reviendrait, pour l'essentiel, M. le ministre, à la situation actuelle telle qu'on la comprend, et, quant à nous, ça nous apparaît préférable à la disposition de l'avant-projet. On se demande, dans le fond, le citoyen informé qui est au Barreau se demande: Qu'est-ce que ça vise? Pourquoi est-ce qu'on écarte une loi qui a quand même été un gain social très important, au Québec, qui est la Loi sur la qualité de l'environnement? Pourquoi est-ce qu'on se lance dans des distinctions sibyllines comme celles que Me Sylvestre a illustrées ce matin? Et, sans faire de procès d'intention à personne, et on sait que le ministre de l'Agriculture est doté d'une foule de bonnes intentions, ça place le citoyen ordinaire dans une position très inconfortable.

M. Brassard: Je vous remercie.

Le Président (M. Vallières): Bien. Alors, dans votre mémoire, en page 7, vous commentez l'article 41 et vous nous dites: «D'autre part, un médiateur, pour être crédible – parce que vous parlez de la médiation – doit être totalement indépendant des parties en cause et ne pas être associé ou rattaché au tribunal qui sera éventuellement ou pourra éventuellement être appelé à trancher la question en cas d'échec de la médiation. Or, à l'article 79.10, c'est le préfet de la municipalité régionale de comté ou le président de la communauté qui désigne un médiateur qui convient aux parties. Par ailleurs, des liens étroits et des négociations auront cours entre la Commission, les municipalités, l'Union des producteurs agricoles et les organismes publics sur divers projets. Dans ce contexte "consensualiste", on ne voit pas comment le processus de médiation proposé peut être crédible et respectueux des droits des justiciables». En fait, vous proposez rien de moins que la disparition des articles 79.6 à 79.19.

Qu'est-ce que vous proposez, à partir du moment où l'objectif qui est recherché est de permettre l'harmonisation des différentes tendances qu'on rencontre dans les milieux, d'éviter des conflits à l'intérieur de certaines municipalités, de permettre une meilleure coexistence dans les différents milieux? Est-ce que le Barreau s'est penché sur autre chose, puisque vous proposez ici que l'avant-projet de loi soit retranché de ces articles-là? Est-ce que vous envisagez une autre façon d'arriver aux mêmes fins?

M. Poupart (Armand sr): M. le Président, M. le député, la médiation, la philosophie de la médiation, ça intervient, cette étape-là, quand une personne dont l'exercice actuel ou projeté d'une activité agricole en zone agricole est restreint ou non réalisable en raison de l'application d'un règlement municipal. À ce moment-là, il y a déjà un règlement qui est là et qui peut restreindre ou qui peut, disons, limiter l'activité dans cette zone-là. C'est à ce moment-là que le cultivateur qui se sent lésé fait appel à la médiation, puis c'est là que la médiation intervient. C'est un palier.

Maintenant, cette médiation-là, elle est structurée. Là, on nomme un médiateur, et puis, le médiateur, il ne peut pas être poursuivi en justice; il y a tout un régime de protection qui... À ce moment-là, on pense que, tout ce processus-là, ça va créer un méli-mélo qui aura... Des intervenants vont venir de tous les côtés, vont essayer de trouver des méthodes pour réaliser cette affaire-là, pour tasser le règlement municipal, pour le faire changer, pour le faire appliquer autrement. On pense que ce n'est pas la façon d'agir.

Si l'agriculteur qui se sent lésé, à ce moment-là, veut prendre le moyen qui existe actuellement, c'est de s'adresser au conseil municipal pour faire modifier le règlement, et, à ce moment-là, les intervenants du milieu, les gens qui sont dans la zone en question, pourront intervenir. C'est un mécanisme qui existe actuellement et qui est très démocratique. Le conseil étant élu, il se retourne vers les électeurs et leur demande s'ils sont prêts à accepter cette modification-là. Ça existe pour des usines de plusieurs millions, ça existe pour toutes les modifications de zonage; pourquoi ça n'existerait pas pour un agriculteur?

Maintenant, deuxièmement, la médiation, comme je vous l'explique, c'est un palier, je pense, qui est absolument inutile. Qu'est-ce que c'est que ça peut donner de plus? Ce n'est contraignant pour personne, à la fin, cette affaire-là. Qu'est-ce que ça va donner de plus? Ça va être des longues palabres puis des grandes discussions qui ne vont aboutir à rien, alors qu'actuellement on a des lois qui sont peut-être imparfaites, qui sont des canaux qui ont été quand même utilisés, qu'il y a une jurisprudence, c'est-à-dire qu'il y a des précédents qui sont codifiés, qui nous permettent de nous retrouver là-dedans. Mais, avec la médiation, on ne sait pas où on va aller. Je pense que c'est donner des faux espoirs à des gens et puis créer une commotion inutile puis soulever des intérêts les uns contre les autres, alors qu'on a des cours qui sont des lieux pacifiques, des lieux reconnus, des lieux sacramentels où les gens peuvent s'adresser pour avoir justice. Je me demande pourquoi on ne veut pas continuer dans cette direction-là. C'est l'anarchie versus la légalité, je pense.

Le Président (M. Vallières): L'impression qu'on a eue, c'est que les gens voulaient éviter les tribunaux. À partir du moment où l'objectif est existant, on a ici les deux unions municipales qui sont venues témoigner devant nous puis qui nous ont dit que, si on réussissait à s'entendre sur un guide des pratiques agricoles normales, elles trouvaient le processus qui était proposé pas si vilain; en tout cas, elles étaient prêtes à le regarder de près et possiblement à donner l'aval au processus qui est proposé ici de médiation.

Comment vous expliquez – ce n'est peut-être pas à vous de répondre pour eux autres, là, mais, dans le fond – que ces gens-là qui sont des praticiens, qui sont sur le terrain, qui représentent des municipalités, nous disent: Bien, pour nous autres, ce serait viable, ça, ce qui est proposé là, si on s'entend sur un guide des pratiques agricoles qui conviendrait à l'ensemble des municipalités du Québec?

M. Poupart (Armand sr): Si je peux vous répondre, M. le Président, c'est peut-être une responsabilité politique qui a des effets. C'est peut-être pour ça que les gens des municipalités aiment mieux trouver une autre méthode que la méthode des tribunaux. Ils veulent peut-être s'en décharger et trouver un meilleur accommodement. Mais je pense que, nous autres, comme représentants du Barreau, nous calculons que ce sont uniquement, ça, des façons, disons, de régler en partie le problème ou de le régler ou de tenter de le régler, tandis qu'actuellement on a déjà des tribunaux qui sont là et qui font bien leur travail, nous le soumettons. Nous pensons qu'on devrait continuer dans cette direction-là.

Je ne peux pas répondre pour les intervenants municipaux dont vous parlez, mais je pense que, souvent, au niveau des municipalités, plus on mêle les cartes et plus il y a de comités puis de sous-comités puis de discussions, plus on se perd, tandis que, quand on va devant les tribunaux, bien, là, on expose chacun nos griefs puis c'est à un juge de le trancher, puis, si les gens ne sont pas contents, bien, ils peuvent aller en appel.

Je pense que c'est cette voie-là qui devrait continuer d'être privilégiée, à moins qu'on nous prouve – puis le fardeau de la preuve n'est pas sur le système judiciaire, le fardeau de la preuve est sur l'autre côté – que ça crée des injustices flagrantes, que ça a créé des préjudices graves puis que ça a amené des faillites au niveau agricole. Si quelqu'un pouvait nous prouver ça, on pourrait peut-être se pencher sur une autre méthode ou un autre système pour arriver à un meilleur règlement des litiges.

Le Président (M. Vallières): J'avais, au départ, une question à vous poser sur comment vous pensiez que les médiateurs ou les arbitres pourraient jouer un rôle impartial, quelles qualités vous leur verriez pour qu'ils en arrivent à ça. J'imagine que, compte tenu que vous n'en voulez pas, ma question devient un peu superflue.

M. Masse (Claude): Mais ça nous ferait plaisir d'y répondre quand même.

Le Président (M. Vallières): Oui? Allez-y donc.

(14 h 50)

M. Masse (Claude): Je voudrais vous parler d'une expérience qu'on a vécue au Québec à partir d'un excellent projet – et je pense qu'un représentant du Barreau peut le dire de façon crédible – l'assurance automobile. Il y a toute une foule de raisons pour lesquelles le législateur, il y a presque 20 ans, a décidé de faire une loi dérogatoire du Code civil, M. Vallières, et pour laquelle il a créé des juridictions spéciales. Moi, pour un, j'étais d'accord avec un certain nombre de principes de la loi de Mme Payette. J'étais contre, cependant, la création d'une juridiction spéciale qui a été confiée à la Commission des affaires sociales.

Qu'est-ce qu'on constate après 20 ans? Les délais sont aussi longs sinon plus longs, sauf pour la région de Montréal, à la Commission des affaires sociales, et on est en présence d'un groupe de personnes qui sont renouvelables aux quatre, cinq, six ans et qui sont extrêmement vulnérables et pas crédibles face au justiciable, alors que les délais d'appel et les coûts sont souvent moindres au niveau de la Cour du Québec, qui a fait un ménage sérieux depuis une dizaine d'années, et le justiciable peut s'y retrouver de façon correcte. Alors, on dit: Quand on veut, comme législateur, créer une juridiction arbitrale qui va poser des obstacles supplémentaires, il faut être bien sûr que les arbitres sont non seulement des gens qui savent de quoi il s'agit, mais des gens qui sont indépendants.

Alors, juger, comme arbitre en fonction d'une liste choisie par d'autres, juger de règles alors qu'on est payé par une des parties, pour l'essentiel, à partir d'un corpus ou d'un guide des pratiques agricoles normales rédigées par d'autres, ça place cet arbitre-là dans un contexte où, quelques mois après le début de ses fonctions, il va être constamment aux prises avec un déchirement et il n'aura pas la liberté, le recul que les tribunaux garantissent actuellement.

Alors, je vois tellement d'interventions de la part des législateurs depuis tellement d'années afin de constituer une foule de petites juridictions spéciales – et on attend avec impatience le projet de loi du ministre Bégin sur les tribunaux administratifs – que je me demande, à toutes fins pratiques, pourquoi on ne dit pas qu'on ferme les tribunaux ordinaires. Voilà des gens dont c'est le métier, qui ont fait, en général, une démonstration de leur grande probité et compétence – je parle des tribunaux, autant la Cour du Québec que la Cour supérieure, pour l'essentiel – et on prendrait tous les moyens pour les contourner? Moi, je me demande si le législateur, à cet égard-là, n'a pas un fardeau de preuve. Mais il n'y a pas de garantie dans le projet, M. Vallières, à l'effet que les arbitres vont être plus autonomes qu'un certain nombre de commissions que l'on connaît actuellement et dont l'autonomie et la liberté d'action sont extrêmement discutables.

Le Président (M. Vallières): Concernant le guide des pratiques agricoles auquel on réfère explicitement dans l'avant-projet de loi, selon l'expérience de terrain que vous avez vécue avec les différentes municipalités que vous avez pu côtoyer, etc., est-ce que vous croyez en la capacité qu'aurait l'État, avec des partenaires, d'établir ce guide des pratiques agricoles, compte tenu du secteur auquel le ministre de l'Environnement référait tantôt et qui n'est pas toujours facile à baliser? De votre expérience, est-ce qu'on est en mesure d'établir un pareil guide, qui pourrait être un outil non seulement de référence, mais un outil qui sert à prendre des décisions dans les différents milieux ruraux du Québec?

M. Masse (Claude): Je vais laisser répondre Me Poupart, qui a une grande expérience dans ce domaine-là. Mais, moi, je peux vous dire ceci: si le guide des pratiques agricoles sert de règles de l'art, on pourrait être d'accord avec ça; c'est-à-dire, si ça sert de référence, un peu comme les pratiques de l'architecte ou les pratiques de l'ingénieur peuvent servir de règles de l'art. Mais si ça sert à empêcher un accès aux tribunaux civils et si le prétendu respect du guide fait en sorte que personne n'a de droit de recours – ça, c'est jugé par des tiers arbitres, au sens du projet – là on s'oppose. Donc, on n'a pas d'objection à ce qu'il y ait une espèce de règle de l'art, mais on voudrait qu'on puisse continuer à avoir un recours aux tribunaux civils.

Je laisse répondre, pour la question plus spécialisée que vous avez, Me Poupart.

M. Poupart (Armand sr): Je pense que vous y avez très bien répondu, maître. Un guide de bonnes pratiques ou un guide de pratiques reconnues et de pratiques optimisées, c'est évident que c'est très important. Mais il ne faudrait pas l'utiliser, ce guide-là, comme une bible. D'abord, il faudrait qu'il soit bien fait, que tous les intervenants y aient participé et qu'il soit le plus à date possible, puis qu'on ait des méthodes pour le tenir à date, et non pas comme le guide des terres du Canada, qui donne des numéros à différents endroits où l'agriculture est classée no 1, no 2, no 3, puis ce guide-là, on va avec ça devant le tribunal, puis ça peut changer à tous les jours, puis ça peut être interprété de 56 façons. Ça, ce n'est pas des guides. Si c'est un guide comme ça, je ne pense pas que ça fasse l'affaire de beaucoup de contribuables.

Mais si c'est un guide de bonnes pratiques, un manuel à l'utilisateur, si vous voulez – appelez-le comme vous voulez – dont tous les intervenants sont bien conscients puis auquel ils participent, je pense que ça serait excellent. Mais ça ne devrait pas, cependant, enlever aux tribunaux le droit de s'en servir, de ce guide-là, de l'interpréter puis de l'appliquer puis de s'en servir comme un guide. À ce moment-là, ça serait très avantageux, je pense. Mais ne pas s'en servir pour détourner le processus puis dire que le guide, c'est un juge silencieux, puis, si on suit le guide, bien, tout est correct. Ça, ça serait mal vu par toute la population, je pense, puis ça irait à l'encontre des principes de droit fondamentaux.

Le Président (M. Vallières): Très bien. Et c'est là que vous rejoignez le témoignage de Me Sylvestre de ce matin, qui disait qu'on contreviendrait, à ce moment-là, possiblement à la Charte des droits et libertés des personnes.

M. Poupart (Armand sr): Me Sylvestre, nécessairement, est un des procureurs les mieux cotés au niveau de l'agriculture. Je pense que, comme spécialiste en droit agricole, c'est le numéro un au Québec. S'il vous a dit ça ce matin – je n'étais pas ici – je l'approuve d'emblée.

Le Président (M. Vallières): Très bien. Alors, est-ce qu'il y a d'autres questions de la part des membres de la commission? Oui, M. le député de Papineau.

M. MacMillan: Peut-être que je me trompe, mais vous me le direz. Est-ce que vous voulez avoir le statu quo, un terme qui est très populaire? Mais est-ce que vous voulez avoir le statu quo à la CPTAQ ou vous voulez seulement que ce soit elle qui décide de toute décision sur le zonage agricole?

Des voix: Ha, ha, ha!

M. MacMillan: «C'est-u» ça que vous voulez? Parce que vous n'avez pas parlé des municipalités, vous n'avez pas parlé des MRC. Je vais vous le dire franchement, j'ai l'impression que vous voulez protéger votre job pour aller défendre les dossiers. C'est mon opinion, puis je ne suis pas un avocat, mais c'est l'impression que j'ai en lisant puis à vous entendre parler que vous voulez protéger... Vous ne protégez vraiment pas le rôle de la loi qui est sur la table, soit la loi 123, avant, puis celle qui est là, vous voulez strictement protéger votre job. C'est mon sentiment. C'est parce que vous ne parlez pas des municipalités, vous ne parlez pas des MRC, vous ne parlez pas vraiment des gens qui sont impliqués.

Le Président (M. Vallières): Me Masse ou Me Poupart.

M. Masse (Claude): Écoutez, on peut à tout le moins avoir un point de vue qui, sans être contre celui des agriculteurs, tient compte du fait que certaines personnes qui sont victimes de nuisances ou de pollution seraient placées en état de vulnérabilité dans ce système-là. Maintenant, pour le procès d'intention que vous nous faites, je vous dis: Je laisse ça à votre gré.

M. MacMillan: Ce n'est pas un procès, là, c'est un...

M. Masse (Claude): Vous semblez avoir des réponses très précises sur des questions aussi délicates.

M. MacMillan: Bien, je veux dire, délicates dans un sens, mais vous oubliez les gens, puis qu'on parle régulièrement, je pense, nous, comme politiciens... C'est les gens qu'on représente dans nos régions qui, présentement, n'ont vraiment pas un mot à dire dans des décisions sur le zonage agricole. Alors, vous n'avez pas touché aux MRC, vous n'avez pas touché... Et il y a beaucoup de gens qui sont d'accord que ce soit décentralisé vers les régions.

M. Masse (Claude): Me Sauvé vous a dit, au début de la présentation, qu'on était d'accord avec un certain nombre d'aspects. Maintenant, les violations de ce qu'on considère être des violations fondamentales aux problèmes juridiques qu'on a soulevés, soit l'immunité, soit le double registre, soit l'indépendance des arbitres et des médiateurs, ça, ça nous apparaît, comme juristes, important. Maintenant, on n'a pas dit qu'il n'y avait pas d'autres façons de voir la question. Que les citoyens aient un droit de parole plus grand à l'intérieur des MRC, on est tout à fait d'accord. Mais, comme juristes, on était d'abord concernés par ces aspects-là.

M. MacMillan: Avec un droit de décision de la région, par exemple; pas une dernière décision à la CPTAQ.

M. Masse (Claude): Pas de problème. Est-ce que c'est protéger nos jobs, comme vous dites, de dire: Écoutez, là...

M. MacMillan: Vous avez le droit.

M. Masse (Claude): ...il y a des problèmes de justice fondamentale? N'écartez pas la Loi sur la qualité de l'environnement comme ça, du revers de la main, n'écartez pas la Charte des droits et libertés de la personne du revers de la main. Ça pose des problèmes sociaux considérables. Pourquoi on prendrait une énergie folle, socialement, à défaire ce qu'on a fait hier? Je pense que le ministère a quand même un certain fardeau de la preuve. Maintenant, et je ne le prends pas personnel, comme disent Ding et Dong, si vous voulez tirer vos conclusions, M. le député, libre à vous.

M. MacMillan: Comme je fais souvent. Merci.

(15 heures)

Le Président (M. Vallières): Très bien. Merci, Me Masse. Alors, s'il n'y a pas d'autres questions, ça terminerait votre présentation, votre témoignage. Nous vous en remercions beaucoup.

Une voix: Merci.

Le Président (M. Vallières): Et on passerait maintenant au prochain intervenant, soit la ville de La Prairie.

(Consultation)

Le Président (M. Lachance): Alors, nous entendrons maintenant les représentants de ville de La Prairie. M. le maire suppléant.


Ville de La Prairie

M. Gagnon (Jean-Eudes): Merci, M. le Président. Permettez-moi de vous présenter mon collègue, M. Bernard Morel, directeur du développement économique et urbain à la ville de La Prairie, ainsi que M. Gérald Bolduc, consultant de la firme Biancamano, Bolduc.

Nous vous remercions sincèrement de nous permettre, de nous donner l'occasion de profiter des travaux de la commission de l'agriculture pour vous présenter une problématique que nous vivons et qui s'insère très bien dans le cadre du mémoire que nous avons présenté et, également, dans le cadre du projet de loi qui est en question ici. Nous n'avons pas prévu vous présenter ou reprendre la lecture du mémoire comme tel, parce qu'on voudrait plutôt vous présenter une problématique ou une préoccupation que nous avons et qui illustre très bien le contenu du mémoire.

Or, pour le vous présenter, situons un petit peu la ville de La Prairie, qui est une ville sur la rive sud de Montréal, dans la MRC du Roussillon, une ville de 16 000 habitants qui a été fondée en 1667. Vous devinez facilement qu'elle n'a pas grossi au rythme d'autres villes qui ont un âge comparable. Cependant, c'est avec un long passé, je pense, que nous pouvons regarder l'avenir et avoir un avenir qui est assez prometteur.

Auparavant, dans les premières années ou les premières centaines d'années de croissance de cette ville-là, l'orientation de la ville était pas mal agricole et commerciale, comme étant un pôle d'attraction sur la rive sud de Montréal. Vers les années soixante, soixante-dix, un projet domiciliaire d'envergure prévoyait utiliser à peu près toutes les terres agricoles de la ville de La Prairie à des fins de construction domiciliaire. C'était le projet Gulf, dont vous avez peut-être déjà entendu parler. Ce projet-là a donné naissance à certains projets domiciliaires, dont celui de La Citière, qui est, je pense, de qualité, et à d'autres projets. Pour différentes raisons, il n'a pas été mené à terme et a permis, d'une certaine façon, de sauver une portion importante de terres agricoles qui sont actuellement zonées agricoles dans la ville de La Prairie. Cependant, la fin du processus de ce projet-là a créé une situation spéciale, un remembrement foncier qui a fait que quelques propriétaires seulement possèdent la majorité des terres que nous disons agricoles. Or, depuis fort longtemps et spécialement maintenant, la vocation de la ville de La Prairie, elle est effectivement double: elle est urbaine et elle est agricole, puisque 66 % du territoire est zoné agricole.

En 1992, les conseillers de la ville, les élus municipaux, ont décidé de se doter d'un plan stratégique de développement économique et urbain qui lui permettrait de lui donner les outils pour orienter sa croissance future. Nous l'avons fait, ce plan stratégique, en favorisant deux thèmes: le partenariat et la concertation. Donc, on l'a fait en consultant les gens de la ville de La Prairie, les citoyens, les agriculteurs, les commerçants, les industriels, de telle sorte que nous avons pu prioriser certains axes de développement. Un de ces axes-là est évidemment la valorisation du développement agricole, et, pour nous, c'est une portion, c'est un élément important de notre développement économique. Cependant, la situation actuelle ne nous permet pas nécessairement d'atteindre avec facilité nos objectifs.

Alors, la mise en valeur agricole de ces terrains-là est, pour nous, une problématique. Se limiter à protéger les territoires agricoles ne nous semblait pas suffisant. Il nous fallait les mettre en valeur pour nous permettre d'atteindre les objectifs de développement économique et social de la ville. Cependant, on sait qu'il faut, dans cette perspective-là, innover et essayer de trouver une approche qui était un peu plus concrète, un peu plus pratique face aux préoccupations que nous avions non seulement comme élus, mais que nos citoyens avaient, nos agriculteurs, ceux qui sont intéressés à mettre en valeur ces terrains-là et, évidemment, tous ceux qui sont concernés par le développement économique d'une ville.

Alors, nous étions donc orientés vers l'avenir en essayant de responsabiliser le milieu non seulement dans la réflexion mais aussi dans la prise de décision. C'est pour ça que l'orientation gouvernementale vers la décentralisation, vers la régionalisation, en permettant aux citoyens de regarder et de prendre en main leur développement dans un contexte préétabli, nous semble effectivement fort intéressante. C'est dans cette optique-là qu'il y a plusieurs mois, peut-être presqu'un an maintenant, dans cette perspective de mettre en valeur les zones agricoles, nous avons réuni nos partenaires, à savoir l'UPA de Saint-Jean–Valleyfield et les propriétaires fonciers qui étaient concernés par cette zone agricole immense. Nous avons commencé à regarder ensemble la problématique, les problèmes que nous vivions dans le contexte actuel de la loi.

Ce que nous aimerions donc vous faire aujourd'hui, c'est de vous présenter cette préoccupation-là qui est présentée, ou qui s'insère, ou qui illustre très bien le mémoire que nous avons déposé. Alors, j'inviterais M. Bolduc à vous présenter ce projet, rapidement.

Le Président (M. Lachance): M. Bolduc.

M. Bolduc (Gérard): M. le Président, avant de commencer à expliquer la partie un peu plus technique, il y a quatre paramètres de base qui ont été mis de l'avant lorsque la ville de La Prairie a mis de l'avant l'approche globale à développer pour sa zone agricole.

D'une part, il est important d'avoir comme conseillers autour de la table des spécialistes de différents domaines. Donc, la ville avait regroupé à la fois des spécialistes en agronomie de même qu'en urbanisme. Et le premier réflexe de la municipalité a été de regrouper autour d'une table particulièrement les représentants de la municipalité avec ceux de l'UPA de Saint-Jean–Valleyfield. Donc, le besoin ressortait, au départ, d'avoir une vue d'ensemble sur la zone agricole, qui était le premier paramètre, et, plutôt que d'y aller cas par cas, l'approche d'avoir une vue globale pour toute la zone agricole était le premier paramètre.

Deuxièmement, c'est sûr que l'approche visait à responsabiliser les instances locales: la municipalité, d'une part, les représentants du monde agricole, d'autre part, de même que les propriétaires fonciers, on l'a vu tout à l'heure, qui sont une composante importante. Alors, à titre d'exemple, le propriétaire foncier principal regroupe, en fait, près de 24 % des terrains de la zone agricole. Donc, on parle d'une zone agricole qui couvre 66 % du territoire municipal, qui regroupe près de 2 900 hectares, et un seul propriétaire foncier regroupe à lui seul plus de 700 hectares, soit 24 %.

Alors, inutile de dire qu'un des aspects qui avaient été réalisés depuis plus de 15 ans maintenant était une notion de protection, mais sans que la notion de développement durable des activités agricoles ait été nécessairement prise en compte tout au long. Donc, l'approche visait à toujours souscrire aux deux volets premiers pour assurer une pérennité du territoire agricole, mais aussi un développement durable, qui était donc la double notion: protection et développement et mise en valeur. C'est dans ce sens-là que, en cours de route, au cours des discussions, on est arrivé à la conclusion qu'il y avait peut-être besoin de revoir la dynamique au niveau de toute l'approche pour la mise en valeur de la zone agricole.

Je ne sais pas si ça pose des problèmes au niveau des micros, j'aimerais bien vous présenter, pour quelques minutes, le plan que vous avez sous les yeux, juste pour se situer. Donc, tout le monde connaît, je crois, la localisation générale de La Prairie: entre Brossard et les municipalités périphériques de Candiac et Saint-Philippe, au bord du petit bassin de La Prairie; nous avons, ici, à l'extrémité, l'autoroute 15 longeant le fleuve; nous avons, également, l'autoroute 30 qui a été ouverte jusqu'au chemin Saint-Jean, la route 104, et qui va l'être très bientôt jusqu'à l'autoroute 15; nous avons, évidemment, l'ensemble de la zone agricole qui est ici.

(15 h 10)

Alors, comme il a déjà été mentionné, la partie urbaine a été bien planifiée, bien consolidée, et la ville a suffisamment de terrains pour les besoins urbains au cours des prochaines années. Donc, ce qui était initiateur du dossier n'était pas une question de développement urbain, c'était plutôt une question de voir comment bien planifier notre zone agricole, comment essayer de réintroduire des activités qui sont plus dynamiques et, aussi, comment planifier l'ensemble des aspects reliés à des conditions de drainage. On sait que, à cause des travaux de la voie maritime du Saint-Laurent dans le passé, la voie maritime a acquis des terrains sensiblement jusqu'à ce point-ci de l'autoroute, pour des raisons évidentes de drainage, et une bonne partie des terres ici sont partiellement, je dirais, à des niveaux d'humidité trop supérieurs pour permettre toujours une productivité adéquate. Donc, nécessairement, ça implique certaines interventions au niveau du réseau hydrographique et ça implique, aussi, la planification des réseaux d'égout pluvial, particulièrement pour la portion urbaine, le tout s'écoulant vers la rivière Saint-Jacques, qui est la limite séparatrice entre les municipalités de Brossard et de La Prairie.

Alors, en discussion avec les représentants de l'UPA, avec également les agronomes au sein de l'équipe, le territoire avait été divisé en cinq grands secteurs que j'appellerais secteur A, secteur B, secteur C, globalement ici secteur D et secteur E. Nous sommes évidemment dans de très bons sols, nous sommes dans des sols de classe 2. Par contre, nous avons des conditions de drainage difficiles, comme je vous ai expliqué. À la lumière de différents critères, dont le dynamisme agricole, dont la pédologie, dont les questions de drainage, les agronomes en sont arrivés à la conclusion que les secteurs D et E étaient en très bonne activité agricole et avaient lieu de le demeurer; que les secteurs A et B, qui sont montrés ici, à l'intérieur plus pâle, étaient, eux, plus difficiles à mettre de l'avant en termes de réactivation d'activités agricoles, surtout qu'il y avait eu certaines expériences passées, particulièrement dans le secteur C, au niveau du Bois de la commune, pour améliorer le drainage et qui avaient porté peu de résultats; et la conclusion était que, finalement, l'enjeu majeur était au niveau du secteur C, qui agissait, à toutes fins pratiques, comme zone tampon entre la partie véritablement très active au plan agricole et une partie qui serait plus transitoire. Par ailleurs, comme la partie transitoire était affectée des méandres des rivières Saint-Jacques et Saint-Claude, il y avait lieu de venir déterminer comment on pouvait essayer d'encourager la réactivation des sols dans la zone de transition, surtout que le propriétaire foncier unique regroupe globalement des terrains qui vont à peu près chercher tout ce secteur-ci.

Alors, premier aspect de l'entente ou des paramètres d'entente entre les deux partenaires, municipalité et UPA, ça a été de dire: Quelle serait la limite organique naturelle pour s'assurer d'une zone agricole absolument très active versus une zone agricole transitoire? Et la réponse en est arrivée qu'un rang qui s'appelle Fontarabie présentait toutes les caractéristiques d'un rang rural et devait rester rural, et il serait définitivement la frontière organique, je dirais, entre la partie plus active, la partie transitoire, plutôt qu'une frontière plus artificielle qui était l'autoroute.

Le deuxième aspect du projet d'entente visait à dire: Réactivons les terrains détenus ici par un seul propriétaire pour être capables de réintroduire des agriculteurs exploitants. Donc, les conclusions des discussions à la fois avec les propriétaires fonciers et avec l'UPA ont été de dire que la ville pourrait jouer un rôle de coordonnateur global du projet, en ce sens qu'elle pourrait avoir un protocole d'entente avec l'UPA pour réintroduire des agriculteurs exploitants, mais à une condition, c'est que le propriétaire foncier soit capable de céder ses terrains sur le marché privé à un prix agricole, ce qui était évidemment plus bas que les attentes normales qu'il avait. Ces négociations ont porté fruit. Donc, il y a eu protocole d'entente entre, d'une part, l'UPA et, d'autre part, au niveau du propriétaire foncier à l'effet que la ville pourrait jouer ce rôle de coordonnateur.

Le troisième aspect qu'il y avait, c'est qu'il fallait évidemment qu'on s'assure toujours que la transition entre la partie agricole, disons, transitoire et la partie agricole plus active soit toujours bien délimitée, et le propriétaire foncier acceptait de céder une bande de terrain linéaire à la municipalité pour s'assurer que le rang Fontarabie serve vraiment de zone tampon et qu'il n'y ait jamais d'implantation, donc que ce soit strictement un réseau de verdure linéaire qui puisse passer à cet endroit-ci et venir ceinturer la limite définitive.

Évidemment, un des enjeux de tout ça était d'avoir, eux aussi, un message clair aux citoyens et à l'ensemble des municipalités de la région de la volonté ferme de réactiver l'agriculture dans cette partie de la zone agricole, ce qui impliquait aussi, avec le projet, d'avoir des amendements à la réglementation tant municipale que régionale, au niveau de la MRC, pour avoir, je dirais, uniquement des activités agricoles dans la partie véritablement très active – on voudrait redynamiser – et pour avoir probablement des activités qui pourraient être un mixte à la fois d'agriculture et d'activités connexes autres, mais toujours des choses compatibles à l'agriculture dans la partie plutôt transitoire. Évidemment, aussi, à un résidu du passé, il y avait eu des remembrements, des subdivisions de faites le long du chemin 104. Particulièrement, le ministère des Transports avait, dans le passé, acquis des terrains pour fins d'élargissement ou de correction de tracés de la voirie. Il y avait eu aussi des propriétaires privés qui avaient subdivisé plusieurs terrains. Donc, le but serait de pouvoir remembrer ces terrains-ci pour que, graduellement, le tout puisse être réactivé au plan du dynamisme agricole.

L'ensemble de ces mesures plus, je dirais, d'autres mesures connexes au niveau des interventions de drainage ont fait l'objet de plusieurs rencontres à la fois entre la municipalité, l'UPA et les propriétaires, et la municipalité en est arrivée à un projet global acceptable par les parties du milieu. Maintenant, force a été de constater qu'il y avait comme une impossibilité, au plan juridique, de pouvoir convenir d'une entente à long terme entre l'instance municipale, exemple, et l'instance gouvernementale. C'est-à-dire que les rencontres d'information qui ont eu lieu avec, entre autres, les représentants de la Commission, à titre informel, pour faire part du projet faisaient valoir qu'il n'y avait pas de véritable possibilité d'une entente-cadre portant sur un projet à long terme visant à mieux protéger et à réactiver l'agriculture dans ce contexte de zone agricole. Et c'est fondamentalement, je pense... L'enjeu qui a suscité le mémoire de la municipalité était de dire: Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu, dans certains cas bien précis, quand on est en présence d'un projet où l'ensemble des partenaires du milieu s'entendent pour dire qu'il y a possibilité de réactiver la zone agricole, qu'il puisse y avoir une sorte d'entente possible entre l'instance gouvernementale et le niveau local?

Alors, je résume succinctement la partie technique pour avoir peut-être plus l'occasion de revenir en fonction des questions des membres de la commission. Je céderais la parole à M. Morel.

M. Morel (Bernard): Donc, à partir de ce projet-là que nous avons mené en concertation avec les gens directement concernés, donc les gens principalement de l'UPA, aussi des rencontres que nous avons eues avec les gens de la Commission de protection du territoire agricole, on s'est, dans le fond, donné des préoccupations. On s'est dit: Quelles seraient, dans le fond, pour la municipalité, les préoccupations quant à la mise en valeur du territoire agricole? et on les a basées sur trois principes.

Le premier principe dont on vous a déjà parlé et qui est très important, c'est-à-dire la double mission de la municipalité quant à son caractère urbain et son caractère agricole. Donc, au niveau du développement stratégique de la municipalité, et ça, dans le cadre d'une planification à très, très long terme, il est évidemment clair pour la municipalité que la mise en valeur des territoires agricoles va être bénéfique pour l'ensemble des citoyens de La Prairie. C'est une activité économique qui, pour nous, est importante et qui a son rôle à jouer, et on tient à la soutenir à ce niveau-là. Évidemment, ça nécessite la pérennité du territoire agricole viable, dans le sens où on s'est rendu compte, dans la zone agricole actuelle telle que le zonage la définit, qu'il y a certains endroits où il n'y en a pratiquement jamais eu, d'agriculture. Mais, où il y en a eu, où il y a de bons potentiels, la volonté de la municipalité, c'est effectivement de les mettre en valeur, dans le sens où l'activité... Bon, comme le nouveau titre de la loi va porter, dans le fond, sur le développement des activités agricoles durable, on veut effectivement que ce soit à très, très long terme. Donc, ça, c'est le premier principe d'une double mission.

Évidemment, on veut se doter de moyens. On s'est rendu compte qu'on n'a pas les outils nécessaires, pour une municipalité, et ça, malgré le fait qu'on a parlé aux gens qui, dans le fond, sont les plus préoccupés par le développement de l'agriculture: les agriculteurs eux-mêmes, les gens de l'UPA, la MRC également, la Commission de protection du territoire agricole. On n'a aucun moyen présentement de disponible pour pouvoir, dans le fond, participer même à la mise en valeur de la zone agricole qui, encore une fois, est viable.

(15 h 20)

Donc, ce qu'on désirerait faire, le troisième principe, c'est de se donner ces moyens-là, de voir de quelle façon la municipalité de La Prairie, maintenant, pourrait acquérir ces moyens-là d'intervenir sur le territoire agricole toujours dans le cadre, évidemment, d'un principe de mise en valeur. Et, dans le fond, ça résume notre mémoire, la position de la ville à ce niveau-là. C'est une recommandation que l'on fait à la commission, c'est d'essayer d'introduire un mécanisme dans la procédure actuelle – qu'on retrouve soit... bon, nous, on a pensé évidemment à la Commission de protection du territoire agricole, qui est maintenant l'instance qui s'occupe de gérer les terres agricoles – d'essayer de déterminer un mécanisme qui permettrait d'en arriver à des ententes globales entre, d'une part, le gouvernement, la municipalité et les gens impliqués dans le milieu, de façon à ce qu'on n'ait pas nécessairement besoin de toujours dire: Bien, on va simplement, pour des demandes, là... la Commission. On veut s'entendre une fois pour toutes, dans le fond, sur une limite organique.

M. Bolduc l'a mentionné tantôt, on a travaillé longtemps pour essayer de déterminer cette limite-là qui coïncidait avec des potentiels concernant les terres, concernant des difficultés qu'on a en termes de drainage; il y a de grandes difficultés par rapport à ça, donc tenter de déterminer une limite organique. Et, à l'intérieur de ce périmètre-là, évidemment, certains articles du projet de loi qui est déposé mentionnent évidemment... bon, par exemple, on pense à certains exemples de distance de certaines activités agricoles par rapport au milieu urbain. Donc, on se dit: De se doter d'un territoire qui permettrait de jouer ce rôle-là de zone tampon entre les producteurs agricoles et le monde urbain.

Donc, notre limite organique, nous, c'est évident, c'est à partir de cette limite-là que se font les activités agricoles, et ils n'ont pas besoin de se reculer et d'obtenir des distances qui vont permettre effectivement à ce qui se passe dans le milieu urbain de n'avoir aucun effet sur ces gens-là. Donc, on se dit: La limite, c'est à partir de cette limite-là que se passent les activités agricoles, et on tente par ce moyen-là de dynamiser le territoire agricole. Donc, ça nous apparaissait comme une démarche où les gens étaient impliqués dans la mise en valeur de notre territoire agricole et, d'autre part, où il y aurait une entente à long terme. Donc un message clair lancé à la population: il y a une zone où on veut la mettre en valeur, la zone agricole, où on a les moyens de la mettre en valeur. Quand on ne les a pas, les moyens, on peut bien mettre dans notre plan d'urbanisme: Oui, on veut protéger ce territoire agricole là, mais on n'a aucun moyen de le mettre en valeur. Donc, le mécanisme de mettre en valeur les territoires dont on veut vraiment qu'ils restent agricoles, c'est très important pour les municipalités de détenir cet outil-là, et, pour l'instant, il n'en apparaît pas.

Donc, la recommandation qu'on faisait, c'était d'ajouter au projet de loi une espèce de mécanisme qui permettrait à une instance gouvernementale de s'asseoir avec le milieu et, en ayant pris en considération tous les éléments importants de la protection et de la mise en valeur du territoire agricole, de s'entendre sur, dans le fond, une limite immuable ou à peu près. Ça résume la présentation du mémoire de la ville de La Prairie.

Le Président (M. Vallières): Merci, M. Morel. M. le ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation.

M. Landry (Bonaventure): Merci, M. le Président. D'abord, je veux vous féliciter de la présentation que vous nous avez faite et de l'illustration, aussi, d'une vision, en quelque sorte d'une cohabitation entre l'agriculture et l'urbain, mais aussi dans une perspective de pérennité de l'agriculture. Et, sans juger des présentations qui ont été faites, je remarque que la présentation que vous avez faite et l'orientation que vous avez voulu donner diffère de certaines présentations qu'on a eues depuis le début des travaux de cette commission.

Alors, entre autres, pendant votre présentation, j'ai noté la notion d'une limite définitive entre espace agricole et espace urbain, et, même dans la zone, disons, plus mixte, vous parliez d'activités compatibles avec les activités agricoles, alors qu'on a beaucoup plus entendu des gens nous parler dans l'autre sens, tout le temps. Alors, que veut dire exactement pour vous la notion de limite définitive entre les espaces agricoles et l'espace urbain?

M. Bolduc (Gérard): Je pourrais juste compléter dans ce sens-là. C'est sûr que, pour nous, la zone agricole telle qu'elle est, elle demeure. Donc, quand on parlait d'avoir un mécanisme où il pourrait y avoir une entente à long terme entre l'instance municipale et l'instance gouvernementale, c'est plutôt pour venir dire à quel endroit on pourrait effectivement avoir des activités, exemple, compatibles, de type transformation, qui pourraient être compatibles avec l'activité agricole, par rapport au territoire où il n'y a pas avantage à introduire des activités autres que véritablement de l'activité agricole, je dirais, très active et relativement pure, si je peux m'exprimer entre guillemets.

M. Landry (Bonaventure): Bon. Ça, c'est...

Le Président (M. Vallières): Oui. M. le ministre, toujours.

M. Landry (Bonaventure): J'aurais quatre ou cinq questions, M. le Président.

Le Président (M. Vallières): Oui, allez-y.

M. Landry (Bonaventure): Deuxièmement, en page 8 de votre mémoire, vous mentionnez – et vous l'avez dit, d'ailleurs, dans votre présentation – que vous avez travaillé en étroite collaboration avec les représentants de l'UPA et du propriétaire concerné. Pensez-vous qu'il aurait été possible d'arriver à réaliser votre projet de mise en valeur de la zone agricole en vous privant de l'apport des représentants de l'UPA?

M. Morel (Bernard): Écoutez, nous, la première démarche qu'on a faite à La Prairie, M. Gagnon l'a dit, on a fait un plan stratégique en 1992, et un des éléments importants du plan stratégique, c'était la mise en valeur du territoire agricole. On a fait certains éléments du plan d'action qui était présenté et, quand on est arrivé – et c'est mon rôle au sein de la municipalité – à mettre en action notre orientation, qui était de mettre en valeur la zone agricole, la première réflexion qu'on a eue, c'est de s'asseoir avec les gens du milieu, premièrement, parce que l'histoire a montré qu'à La Prairie on avait effectivement vécu, si on veut, une espèce de déstructuration au niveau de l'agriculture. Un propriétaire foncier qui possède le quart de la zone agricole et qui ne l'a pas cultivée depuis une vingtaine d'années, pour nous, c'est un élément déstructurant.

Donc, c'est là qu'on est allé vers les gens qui pouvaient nous aider, c'est-à-dire l'UPA, c'est-à-dire les gens de la région qui connaissent bien le milieu agricole, qui connaissent bien l'histoire et qui connaissent les projets domiciliaires qui ont été présentés, qui couvraient l'ensemble de la municipalité, et on s'est assis avec ces gens-là lors d'une première réunion tout à fait informelle. On s'est dit: Écoutez, nous, on a un plan stratégique qui parle de mettre en valeur la zone agricole, quelles sont vos idées pour qu'on puisse aboutir finalement?

Pour répondre directement à votre question, je ne pense pas qu'on aurait pu se priver de certaines informations qu'ils nous ont fournies et de leurs réflexions. Je pense que... Et, pour revenir à votre première question, quand on a parlé d'usages compatibles, c'est dans ces termes-là qu'on a parlé avec les gens de l'UPA. On n'a pas essayé de déterminer quels étaient ces usages-là, mais on s'est dit: Parlons franchement, et est-ce que, effectivement, il y a des usages qui sont plus compatibles que d'autres à proximité d'une zone agricole? Et c'est clair, si vous parlez de développement domiciliaire, les agriculteurs vont vous dire: On n'en veut pas près de nos terres, c'est un élément qui nous cause des difficultés.

Bon. Ça, c'en est un exemple, mais on n'a pas fait une liste, premièrement, parce qu'on en arrive à un point où je ne pense pas qu'on soit rendu là, mais on a parlé d'usages compatibles, et il y avait une certaine ouverture de la part de ces gens-là. Eux autres admettent qu'effectivement certains usages à proximité de leurs terres agricoles leur causent beaucoup moins de nuisances que d'autres. C'est dans ce sens-là que, nous, on s'est dit: Bien, effectivement, on pourrait s'orienter dans ce sens-là si on veut vraiment que, à partir de notre limite organique, il se passe, déjà là, des activités agricoles. Sinon, on va les repousser un petit peu plus loin. Si on amène des développements résidentiels jusque-là, jusqu'à la limite, c'est bien évident que ça va avoir un impact sur ce qui va être à proximité. Donc, on ne voulait pas répéter, finalement, cette mécanique-là.

Le Président (M. Vallières): M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Oui. Dans l'avant-projet de loi, et vous avez d'ailleurs utilisé, disons, à l'opposé, la même image, la notion d'inconvénients ou de nuisances par rapport à l'agriculture... Parce que je n'ai pas trouvé dans votre mémoire de référence particulière à cet aspect-là, j'aimerais savoir ce que vous pensez de la distinction qu'on fait entre la pollution, qui est carrément prohibée, et la notion d'inconvénients de voisinage ou la notion de certaines nuisances, mais qui se situent quand même à l'intérieur des normes de qualité de l'environnement.

(15 h 30)

M. Morel (Bernard): Écoutez, je pense, et notre mémoire, là-dessus, est assez éloquent, qu'on n'a pas voulu commenter la position, par exemple, de la municipalité de La Prairie par rapport, effectivement, aux notions de pollution ou de nuisances. Ce qu'on peut vous dire, c'est qu'en discutant avec les gens de l'UPA, nous, on a parlé, effectivement, de nuisances. Il y a certaines activités qu'on retrouve généralement dans le milieu urbain qui sont incompatibles et que la pratique agricole, si elle se fait à proximité, si elle se fait tout près de ces activités-là, ça leur cause des nuisances. On n'a même jamais abordé la question avec eux autres: Est-ce que c'est des nuisances ou de la pollution? Mais c'est incommodant. Il y a des inconvénients aux pratiques des deux et ça amène à des conflits. Donc, on s'est dit qu'il faut travailler dans ce sens-là, d'établir, dans le fond, une limite qui nous permettrait de limiter au maximum ces inconvénients-là. Mais on n'a pas fait de réflexion à savoir si c'est vraiment de la pollution ou des nuisances. Mais il y a, je pense, clairement des inconvénients.

M. Gagnon (Jean-Eudes): Si vous me permettez, M. le ministre, je voudrais... Peut-être un petit élément, là-dessus. Évidemment, comme élus, on est très sensibles aux réactions que les citoyens résidentiels pourraient avoir face à des voisins agricoles, même industriels. Parce qu'on vit des choses comme ça. Parce qu'on est collé sur des parcs industriels quand même. Et la pollution par le bruit, par le son, par les odeurs et la poussière, c'est présent dans une certaine zone. Alors, c'est évident que dans le futur, dans les discussions avec l'UPA, on sera, je pense, attentif aux suggestions qui seront faites, de telle sorte qu'on puisse diminuer au maximum. Et c'est pour ça que la zone, une zone tampon entre la zone agricole et la zone résidentielle, est absolument essentielle pour nous autres, les élus, en fonction de nos résidents. Et je pense que les développeurs qui vont s'occuper de la mise en valeur de la zone agricole sont également conscients. Mais, à ce moment-ci, on l'a plutôt tassée un peu.

Le Président (M. Vallières): M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Dans ce sens-là, la proposition, dans l'avant-projet de loi, qu'il y ait une association accréditée du milieu agricole pour représenter auprès des autorités, qu'elles soient locales ou régionales, ou auprès du gouvernement du Québec ou de la Commission de protection ou de différentes instances, pour faire voir le pour, est-ce que vous êtes, à ce moment-là, vous, favorables à cette proposition-là?

M. Gagnon (Jean-Eudes): Je pense que, globalement, on est favorables à ce genre d'approche là, parce que c'est ce que nous avons mis sur pied depuis plusieurs années, où, en région, dans le milieu, on devrait être capables de se parler, de discuter, de proposer nos différentes alternatives et d'arriver à un certain consensus. Alors, si cette approche nous permet d'arriver ou d'atteindre le résultat, je pense qu'on ne peut pas être contre une suggestion comme celle-là.

Le Président (M. Vallières): Merci, M. Morel. M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Ça va, pour l'instant.

Le Président (M. Vallières): Une autre demande d'intervention. M. le député de Papineau.

M. MacMillan: Tantôt, dans vos recommandations, vous avez parlé d'un mécanisme qui permettrait d'avoir des ententes globales. Ce n'est pas réglé encore, ça. Ça fait combien de temps que vous négociez ensemble avec les gens?

M. Bolduc (Gérard): Ça fait plus d'un an. L'entente, de façon informelle, est conclue, sauf qu'il n'y a pas possibilité d'aller plus loin au plan juridique, parce qu'il y a un vide actuellement, pour convenir d'une entente globale, avec l'instance gouvernementale.

M. MacMillan: Mais vous avez certainement des idées de mécanisme, vous en avez mentionné tantôt. Est-ce que vous pourriez nous en mentionner? Tantôt, vous avez parlé de vos ententes globales pour régler chez vous et beaucoup d'autres places au Québec qui ont les mêmes problèmes.

M. Morel (Bernard): Oui. Nous, ce qu'on a pensé, dans le fond... L'approche qu'on croit qui serait une bonne approche pour La Prairie, qui pourrait effectivement peut-être être utile pour d'autres municipalités ou d'autres MRC... Je vais juste prendre un exemple pour vous démontrer un peu ce dont on a besoin. On vous a mentionné qu'il y a une bonne partie du territoire – parce qu'on fait affaire avec un propriétaire foncier, quand on a dit que c'est toute la largeur de la municipalité, sur le quart de la profondeur... Et, dans l'entente qu'on a eue entre l'UPA et ce propriétaire-là, il y a une bonne partie des terres qu'on veut qu'il cède à des agriculteurs à un prix agricole. Mais il dit: Ça, moi, je suis bien prêt à l'accepter, mais, d'autre part, on doit s'entendre sur les possibilités d'usages compatibles, dans ce qu'on va déterminer, que le milieu agricole ne croit pas nécessaire de réserver à l'agriculture.

L'entente qu'on a présentement entre l'UPA, la ville et ce propriétaire-là, on ne peut la soumettre à personne. Il n'y a aucun mécanisme qui est prévu, qu'on pourrait effectivement se présenter à la Commission puis dire: Écoutez, on a une entente entre le milieu. Ce qu'on fait, c'est qu'on remet une bonne superficie de la terre en production. Le propriétaire foncier est d'accord mais il aurait besoin, lui, d'assurance pour ce qui va se passer sur les terrains que, encore une fois, la majorité des gens en place se sont entendus pour considérer comme n'étant pas nécessaires à la pratique de l'agriculture à La Prairie. Donc, sans modifier la limite de la zone agricole, parce que, nous, on ne la voit pas comme une modification de la limite de la zone agricole, déterminer un territoire qui serait assujetti à une entente qui serait, bon, qui pourrait être, à ce moment-là, décrétée par la Commission de protection du territoire agricole, qui, elle, finalement, serait l'organisme qui viendrait conclure les ententes qu'il y a eu entre les personnes, et en disant: Oui, on trouve que ça fait du sens, cette pratique de l'agriculture là à La Prairie. Et si jamais il y a des demandes dans cette zone qui, encore une fois, est en zone agricole pour y établir des usages compatibles et qui correspondent à des ententes qu'il y a sur la table entre l'UPA, la ville et le propriétaire, bien, à ce moment-là, il pourrait effectivement y avoir une autorisation de la Commission pour permettre cet usage-là parce qu'on est en territoire agricole.

M. MacMillan: Est-ce que vous avez discuté de ça avec la MRC dans votre région? c'est parce que je reviens toujours au comité consultatif agricole qui est proposé par l'UMQ, etc., est-ce que vous êtes en faveur de ça, qu'une décision soit régionale plutôt qu'elle le soit ici, à Québec, ou à la CPTAQ?

M. Morel (Bernard): Moi, je vous dirais que le projet qu'on a mené à La Prairie, on l'a mené, évidemment, avec les gens de la MRC. Et l'exemple qu'on vous amène, dans le fond, permet d'adapter ça à une MRC ou à une municipalité. Et ça s'inscrit dans le cadre, également, de la révision du schéma d'aménagement de la MRC, par exemple.

Au niveau de la MRC, le projet que, nous, on a monté depuis un an, un an et demi, s'inscrit parfaitement dans les orientations de la municipalité régionale de comté de Roussillon. Donc, on n'est pas la seule ville dans la MRC qui a eu des problèmes de ce type-là, de déstructuration de la zone, que le territoire est protégé mais n'est pas mis en valeur depuis 10 ou 15 ans. Donc, je pense que cette volonté-là, au niveau de la MRC, chez nous, elle est également présente et elle est sûrement présente dans d'autres municipalités et dans d'autres MRC.

M. MacMillan: Vous seriez d'accord avec un comité consultatif agricole avec des gens de la MRC, de la CPTAQ, qui siégeraient mais régionalement?

M. Morel (Bernard): Bien, comme vous voyez, nous, on l'a fait, là. Les gens de la Commission de protection du territoire agricole, on est allés les voir, on les a assis à notre table. Il y avait là les gens de l'UPA. Nous, les gens de la ville, on était là parce qu'on travaillait sur notre territoire – on ne peut évidemment pas prétendre travailler sur le territoire de la MRC – et on l'a fait, et je pense que ça a donné de bons résultats. Donc, je vois effectivement d'un bon oeil que cette expérience-là puisse se refaire à une autre échelle.

M. MacMillan: Merci.

Le Président (M. Vallières): Bien. Alors, je vous remercie, M. Morel.

Peut-être une question avant de passer la parole au député de Saint-Hyacinthe qui m'en a fait la demande. Concernant le régime des deux registres, des registres distincts, vous mentionnez, en page 6 de votre mémoire: «L'établissement de deux registres distincts favorise une responsabilisation de la municipalité.» Il y a des gens, qu'on a entendus avant vous, qui n'avaient pas tout à fait le même point de vue. On disait: «Le régime des deux registres distincts pour les demandes à la Commission, à savoir un registre général et un registre municipal et public, est discriminatoire, inacceptable et ouvre la porte à des abus qui sont contraires aux objectifs légitimes poursuivis par le législateur.» Alors, on fait référence ici, vraiment, au droit à l'égalité devant la loi. Dans les commentaires, en fait, pour ne pas les nommer, c'est les gens du Barreau qui nous disaient que l'égalité devant la loi est ici compromise. Alors, on nous disait: «Tous les groupes ou toutes les personnes privées qui jouissent de contacts et de relations auprès des corps publics municipaux pourront faire en sorte que leur demande soit parrainée par la municipalité ou l'organisme public et ainsi jouir de l'avantage par rapport aux autres groupes ou personnes.» J'aimerais savoir, compte tenu de l'expérience et de ce que vous proposez, qui me semble prêcher par l'originalité, ce que vous pensez de cette argumentation qui nous est donnée, là, que le droit à l'égalité devant la loi pourrait être compromis par l'adoption du régime des deux registres distincts.

M. Bolduc (Gérard): Écoutez... Ha, ha, ha! Sans atténuer les points de vue d'autres intervenants, je pense qu'il y a quelque chose qui, au départ, a été mentionné dans toute l'approche de la ville, c'était une démarche pour améliorer, je dirais, accroître la responsabilisation du milieu; la responsabilisation, entre autres, de l'autorité municipale. Alors, c'est sûr que, lorsqu'on parle, entre autres, d'un projet d'exclusion, on parle, je crois, fondamentalement, de la vocation d'un territoire, à savoir si ce territoire-là a une vocation de type agricole ou une vocation autre. Et, dans toute l'approche que, je pense, la ville a adoptée, c'était de dire que la première autorité en matière de déterminer quelle devrait être cette vocation-là, au niveau local, au niveau municipal, est du ressort de la municipalité. Alors, d'inscrire une demande est différent probablement que de donner une résolution d'appui.

(15 h 40)

Parce que, vous savez, je pense que dans les dernières années tout le monde a vu plusieurs résolutions d'appui comme étant souvent une façon de venir seconder les projets sans nécessairement avoir un point de vue débattu fondamentalement autour de savoir si on y va ou si on n'y va pas. Donc, une résolution d'appui n'a pas la même portée, n'a pas le même sens qu'une responsabilité première. Alors, dans ce sens-là, je pense que le mémoire de la ville allait, au contraire, en disant: Oui, c'est une approche pour accroître la responsabilisation du milieu et particulièrement de l'instance municipale, qui a un mandat premier en vertu de différentes lois de déterminer la vocation première de son territoire.

M. Morel (Bernard): Est-ce que je pourrais rajouter...

Le Président (M. Vallières): Oui, M. Morel.

M. Morel (Bernard): Oui, les deux registres, dans le fond, nous, on se disait que, bon, advenant le cas qu'il y aurait un mécanisme de prévu qui nous permettrait d'avoir une entente globale sur la gestion du territoire agricole, nous, on était prêts, à la ville de La Prairie, d'aller jusqu'à dire: Pour ce qui est dans le territoire où on privilégie la mise en valeur de l'agriculture, on n'en appuiera pas, de demande; on n'enverra pas de demande. On va les discriminer à ce moment-là. Si quelqu'un s'adresse à la municipalité pour dire: J'aimerais faire un usage résidentiel dans la zone agricole. Nous, à la municipalité, dans le cadre de l'entente, ça pourrait être prévu qu'il n'y en aura pas, d'appui, qu'il n'y en aura pas, de demandes qui vont être soumises à la Commission. Donc, on allait jusqu'à dire que la municipalité a la responsabilité de dire, d'établir la vocation des territoires. Et quand on dira et qu'on se sera entendu avec le milieu que ce territoire-là a une vocation strictement agricole puis qu'il y aura une entente là-dessus, les gestes seront posés dans ce sens-là également.

Donc, qu'il y ait deux registres, nous, ça ne nous posait pas d'inconvénient comme tel, dans le sens où on se disait: On est prêts à aller même un peu plus loin au niveau... Et je pense que, dans nos règlements de zonage, on la fait toujours, la discrimination par rapport à des usages que peuvent faire certains propriétaires par rapport à d'autres. C'est une pratique courante. Les règlements de zonage, c'en est, de la discrimination. On le fera sur le territoire agricole. Ce n'est pas plus préjudiciable, en tout cas, à mon point de vue, par rapport à ce groupe-là, que par rapport à d'autres individus qui sont propriétaires d'autres terrains dans la municipalité. On discrimine également, en disant que c'est commercial ou résidentiel ou industriel. Donc, ça ne va pas nécessairement à l'encontre, selon moi, de...

Le Président (M. Vallières): Alors, ce que vous nous dites, dans le fond, c'est que vous êtes habitués à des lobbys, à des gens qui ont des intérêts particuliers et qui tentent de les faire valoir, que, pour vous, c'est une pratique courante que de trancher ce genre de situation qui vous est soumise, et que, dans ce cas-ci comme dans les autres cas auxquels vous avez été habitués, ça ne causerait pas problème.

M. Morel (Bernard): Oui. Moi, je pourrais vous donner l'exemple que, effectivement – et M. Bolduc l'a mentionné – dans les zones agricoles, les municipalités avaient tendance à dire: Bon, la Commission décidera, et, nous, on va les appuyer, les demandes. On ne portera pas l'odieux, finalement, de la décision de refuser ou non une demande d'un citoyen.

Mais, dans les territoires urbains, la municipalité n'avait pas d'autre organisme sur lequel elle devait finalement se rabattre pour prendre la décision. Elle les prend, les décisions. Quand un promoteur immobilier fait une demande de changement de zonage à la municipalité, le lobbying, il se fait pareil, et le conseil municipal doit prendre une décision dans l'intérêt de l'ensemble des citoyens. Pourquoi elle ne pourrait pas le faire pour le territoire agricole? Moi, je n'en vois pas, de raisons pourquoi elle ne pourrait pas le faire sur le territoire agricole. C'est le même genre de pression.

Le Président (M. Vallières): Très bien.

M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Oui. Je vous avoue que votre document m'a impressionné par l'approche, que je dirais nouvelle, de toute la question de protection du territoire agricole, d'une part, mais aussi de développement des activités agricoles en territoire agricole.

J'ai quand même de la misère, beaucoup de misère avec ce que vous avez appelé le vide juridique, et qui semble être un peu la raison d'être de vos demandes; essayer de boucher un trou, remplir un vide juridique, que je ne vois pas, je vous l'avoue.

La zone agricole, elle est là. C'est pour faire de l'agriculture. Si une municipalité veut faire des ententes pour promouvoir l'agriculture en zone agricole, elle n'a pas besoin de la Commission. Elle fait ses ententes et elle promeut l'agriculture. Si c'est pour faire autre chose que l'agriculture, alors, là, appelons ça par son nom et disons que, bien, ça prend une exception. Et le rôle de la Commission, c'est de donner des exceptions si elle juge que ça ne nuit pas au territoire agricole. C'est sa job, c'est son rôle, c'est sa fonction.

Vous parlez beaucoup de l'aménagement de tout le territoire, ce que je trouve très légitime, vous êtes une instance politique, et c'est une fonction politique d'aménager le territoire. Mais de répondre à des cas particuliers, dans notre système politique, ce n'est pas un rôle politique, c'est un rôle complètement différent. Dans les municipalités, c'est un inspecteur qui fait ça, c'est un fonctionnaire, et sur l'ensemble du territoire agricole, c'est un tribunal administratif. C'est deux rôles complètement distincts.

Là, si je comprends bien, vous proposez que la Commission ait un autre rôle que son rôle de tribunal. C'est vrai que, dans la question de la négociation des zones agricoles, elle a eu un rôle de représentant du gouvernement pour recommander l'élargissement ou, en tout cas, l'établissement de la frontière entre la zone agricole et non agricole. Elle a eu un rôle particulier de négociateur. Mais c'est un rôle particulier, transitoire, et c'est un banc de commissaires spécialement nommés pour ça qui l'a fait, ce n'est pas l'ensemble des commissaires qui décidaient sur les cas particuliers. Ça, ça n'existe plus.

Vous proposez que, maintenant, on réintroduise ça de façon systémique dans la loi pour donner à la Commission une espèce de fonction de négocier des ententes avec des municipalités ou des propriétaires fonciers, et tout ça. Est-ce que vous ne trouvez pas qu'il y a un danger très grave de tout confondre et d'enlever, de toute façon, à la Commission et à la Loi sur la protection du territoire agricole son véritable sens, qui est de voir si, dans un cas particulier, elle doit intervenir pour éviter que les principes de la loi, qui sont admis universellement, deviennent une injustice notable? C'est ça, sa fonction particulière. C'est pour ça que j'ai beaucoup de misère. Je n'arrive pas à attacher tous les fils de votre proposition. Je ne vois pas ce que ça vient...

M. Gagnon (Jean-Eudes): Je vais laisser M. Bolduc...

Le Président (M. Vallières): M. Bolduc va répondre.

M. Dion: Merci.

M. Bolduc (Gérard): Je pense que ce serait peut-être opportun, effectivement, de corriger le tir, parce que, dans les choses que vous énoncez, je ne pense pas que ce soit le sens premier du mémoire. Reprenons-les, d'une part.

Ce qu'on a compris, peut-être à tort, de l'avant-projet de loi, c'était, d'une part, qu'il y avait une mission à revoir, dans le sens qu'il y a deux objectifs fondamentaux qui sont non seulement d'assurer la pérennité du territoire, mais aussi de réactiver ou, du moins, d'encourager les activités agricoles durables. Bon. Et c'est dans le sens de cette mission, qui est différente – en tout cas, de ce qu'on a compris – de la notion strictement juridique de la portée actuelle du contexte, que s'inscrivait la proposition également mise de l'avant par la ville.

Le rôle particulier que la Commission a joué dans le cadre de la révision de la loi, oui, il était exceptionnel, et je pense que ce n'est pas l'objet du mémoire de revenir là-dessus, parce que la révision de la zone agricole permanente a été faite et qu'il n'y a pas lieu de la revoir maintenant, de sorte que, ceci étant passé, c'était un rôle particulier, et je pense que tout le monde le reconnaît.

En ce qui a trait, par contre, au projet concret que la municipalité mettait de l'avant, il y a un élément majeur qu'il ne faut pas oublier. C'est que, actuellement, le territoire est protégé. Sauf que, comme on a 24 % du territoire protégé qui est détenu par un propriétaire foncier unique et que ce propriétaire foncier là utilise le territoire à des fins d'agriculture, je dirais, à l'année, sur une base annuelle, donc minimale, à ce moment-là, on ne réintroduit pas d'activités économiques agricoles durables . Et si on veut en arriver à réintroduire une activité durable, la seule approche possible de l'ensemble des gens du milieu, c'était de dire que ça nous prendrait un protocole d'entente global pour venir à avoir des arguments de force et faire comprendre à ce propriétaire foncier qu'il a avantage à remettre en agriculture une partie des terrains et que, d'autre part, il aurait, toujours sous l'égide de la Commission ou d'une autre instance gouvernementale que M. Morel a mentionnée, toujours possibilité, à ce moment-là, de maintenir la vocation agricole mais dans des activités de type compatible.

Alors, fondamentalement, la situation différente par rapport au contexte actuel, c'est pour remettre et redynamiser des activités agricoles sur des terrains où, actuellement, il se fait une agriculture de type très ponctuel et sur une base très annuelle sans investissement et autres.

Le Président (M. Vallières): Très bien.

M. Dion: Est-ce que je peux...

Le Président (M. Vallières): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Oui. J'aimerais que vous m'expliquiez davantage comment vous allez vous y prendre pour faire comprendre au propriétaire foncier qu'il doit faire de l'agriculture alors qu'il n'en fait pas ou il en fait peu et qu'il est propriétaire des terres.

(15 h 50)

M. Morel (Bernard): Bien, dans le cadre de l'entente globale, nous, ce qu'on a dit au propriétaire, c'est que, si on regarde la limite organique qu'on a essayé d'établir, elle divise son territoire, elle divise sa propriété. On lui dit: Cette partie-là, pour nous, est identifiée comme étant des terres qui pourraient être très productives et qui pourraient être réappropriées par des gens qui veulent faire de l'agriculture, ce qui n'est pas son cas. Dans le cadre de l'entente globale, lui, il aura un engagement à recéder ces terrains-là à un prix agricole qui sera fixé par le marché. La ville pourrait être l'intermédiaire. On fait un appel d'offres, on met ces terres-là sur le marché par soumissions publiques et on les attribue à la soumission la plus élevée. Et, lui, son engagement, c'est de la céder, il n'a pas le choix. Ça, ça fait partie de l'entente globale. Et pourquoi il l'a cédée? C'est que ça lui a permis, sur une autre partie de son terrain, d'avoir la possibilité un jour, à plus long terme peut-être, d'établir des activités autres que nécessairement l'agriculture mais compatibles avec l'agriculture, et que elles aussi feront partie de cette entente-là qui pourra être établie entre la municipalité, l'UPA et les gens qui sont impliqués dans ce domaine-là.

Mais, pour faire ça, pour aller voir un propriétaire et lui dire que la première étape du projet serait de remettre des terres sur le marché agricole, donc les remettre pour qu'elles soient vendues, qu'il cède son droit de propriétaire et qu'il soit acheté par des producteurs agricoles... Et, là, il y aura des conditions, qu'ils soient référés par l'UPA, qu'ils soient membres, etc., tout ça, on veut vraiment des vrais producteurs. Mais, lui, pour qu'il fasse ça, il faut qu'il y ait une certaine assurance que, de l'autre côté, sur la partie où on s'est tous entendus qu'il y avait un moins fort potentiel agricole, qu'il y ait des usages compatibles qui lui soient permis quand adviendra le temps où on pourra les faire.

Le Président (M. Vallières): Merci. M. le député de Saint-Hyacinthe, ça vous satisfait?

M. Dion: Ça me pose un problème, parce que ça me donne l'image, j'aimerais que vous me corrigiez, que vous avez négocié avec lui la non-application de la loi sur une partie de son territoire, à la condition qu'il vende une autre partie de son territoire en bas de son coût, c'est-à-dire que, là, il est propriétaire foncier d'un grand ensemble, il a une certaine valeur commerciale. À ça, on lui dit: Vends-le au prix agricole. Donc, ça sous-entend qu'il perd de l'argent en vendant, théoriquement, là. Bon. Mais on dit: Si tu fais ça, on va te récompenser et on n'appliquera pas la loi pour toi sur l'autre partie. Je trouve ça bizarre, ça fait de la Commission une espèce de négoce: On va appliquer la loi pour toi seulement si tu acceptes de vendre autrement que sur le prix du marché. Alors que les autres, une façon d'appliquer la loi, c'est: Tu l'appliques, un point c'est tout, sinon, il faut que tu demandes une autorisation. J'ai de la misère avec ça.

Le Président (M. Vallières): M. Bolduc, vous répondez à ça?

M. Bolduc (Gérard): Je voudrais juste souligner le fait qu'il ne faut jamais perdre le contexte que les terrains demeurent toujours en zone agricole, d'accord? ils sont toujours en zone agricole. Donc, la seule possibilité d'entente qu'il y a eu, c'était de dire: Pour convaincre un propriétaire foncier de remettre à un prix agricole sur le marché agricole des terrains pour qu'ils soient réactivés, en contrepartie, il pourrait y avoir d'autres usages, toujours de type compatible et toujours en zone agricole. Donc, c'est sûr que l'approche d'entente globale visait toujours d'une façon à ce que les prescriptions de la loi soient respectées et toujours dans le contexte de l'application par la Commission. Il ne faut jamais perdre ça de vue, je crois.

Le Président (M. Vallières): D'accord. J'ai une autre demande d'intervention de M. le ministre de l'Agriculture.

M. Landry (Bonaventure): Merci, M. le Président. En fait, si je comprends bien l'objet de la proposition que vous réintroduisiez à la fin de votre mémoire, en quelque sorte, c'est carrément sur un plan d'aménagement intégré, vous dites: Plutôt que d'aller sur un ensemble de demandes d'activités compatibles avec l'agriculture de façon ponctuelle, on définit, dans un plan d'aménagement intégré, l'utilisation agricole et la priorité de l'usage agricole, mais vous voudriez, ultimement, que la Commission puisse être partie à l'élaboration de ces ententes-là.

M. Gagnon (Jean-Eudes): C'est en plein ça, M. le ministre, la Commission ou tout autre organisme qui sera jugé approprié. C'est exactement ça. Vous avez très bien décrit notre préoccupation et notre objectif.

M. Morel (Bernard): Parce que, dans le cas contraire où il n'y aurait pas un mandataire du gouvernement qui serait impliqué, on n'ira pas loin, je vous le dis, on n'ira pas loin. Il n'y a aucune garantie, il n'y a aucun mécanisme de prévu dans la loi. Il n'y a absolument rien. On va en être au point où on en est rendu aujourd'hui. On a une concertation d'établie, on s'entend sur certaines choses, je pense qu'on est tous sur la même longueur d'onde, mais on est à une étape où il n'y a pas de solution au niveau juridique qui nous permette de mettre en marche toute cette démarche-là.

Le Président (M. Vallières): Très bien, et ceci terminerait votre présentation. Nous vous remercions de votre contribution à nos travaux. Nous vous souhaitons une bonne fin de journée.

Alors, à la demande des membres de la commission, avec le consentement, nous pourrions suspendre nos travaux pendant une période de cinq minutes.

(Suspension de la séance à 15 h 55)

(Reprise à 16 h 4)

Le Président (M. Vallières): À l'ordre, s'il vous plaît! Alors, si vous voulez bien, la commission va continuer ses travaux en présence des représentants de la municipalité de Saint-Méthode. Je vais immédiatement indiquer aux membres de la commission que nous pourrons entendre, puisque le temps le permet, immédiatement après la municipalité de Saint-Méthode, M. Rodrigue Leblanc. Alors, nous y allons avec M. Bernard Vaillancourt, qui pourrait nous présenter la personne qui l'accompagne. M. Vaillancourt, la parole est à vous.


Municipalité de Saint-Méthode

M. Vaillancourt (Bernard): Bonjour. M. le Président, membres de la commission, on vous remercie beaucoup de nous avoir permis, cet après-midi, de se présenter à vous pour justifier quand même le rapport qu'on vous a fait parvenir. Saint-Méthode, située au nord du lac Saint-Jean, dans le Domaine-du-Roy, est une municipalité de 1 071 personnes; en été, à peu près de 3 000. Nous vivons, dans notre développement rural, des petites contraintes du côté des terres agricoles. Contrairement, probablement, à d'autres municipalités qui veulent se développer, qui veulent augmenter la culture, nous, il y a certaines terres qui ont été abandonnées et qui seraient davantage propices à d'autres activités. Alors, je pense que le mémoire qui vous a été présenté est déjà assez parlant par lui-même, et puis je demanderais à celui qui l'a préparé, mon secrétaire-trésorier, M. Michel Légaré, si vous me permettez, M. le Président... de lui céder la parole.

Le Président (M. Vallières): Oui, M. Légaré, la parole est à vous.

M. Légaré (Michel): Oui, merci. D'abord, je tiens à vous préciser que la municipalité de Saint-Méthode est une municipalité à vocation rurale dont 83 % de la superficie de son territoire fait partie de la zone agricole permanente. Donc, on est la municipalité de la MRC du Domaine-du-Roy qui est la plus touchée par le zonage agricole en termes de superficie de territoire, et, essentiellement, sur les 15 951 hectares qui sont zonés agricoles, il y en a environ les deux tiers qui sont de classe 2 et 3 au niveau de l'Inventaire des terres du Canada. Donc, ça veut dire que c'est parmi les sols les plus protégés de la loi qui constituent l'essentiel du territoire de la municipalité.

Ça pose évidemment des contraintes majeures en termes de développement. Ce qu'on a voulu vous présenter dans notre mémoire, dans le fond, c'est un peu éveiller la perspective de la modification de la loi au fait que l'objectif premier de la loi, vous le savez, est de protéger ces territoires agricoles là. Sauf que si l'effet pervers de cette loi-là est de faire crever les petites municipalités à vocation rurale en empêchant la diversification des activités dans son milieu, alors je pense que l'objectif est raté complètement, dans le sens où, lorsqu'une municipalité, sa survie est compromise, inévitablement, c'est l'intégration à la ville voisine qui suit et, à ce moment-là, les menaces au niveau du développement sur le territoire agricole sont beaucoup plus pressantes. Le mouvement de pression de la population ou de promoteurs devient beaucoup plus actif.

Parmi les problèmes qu'on a vécus actuellement, c'est, par exemple, au niveau de la gestion des droits acquis, lorsque la municipalité s'est développée avant l'adoption de la loi. Pour une petite municipalité comme nous autres, on peut estimer qu'il y a à peu près 25 petits commerces de deux ou trois emplois qui sont répartis sur l'ensemble du territoire et essentiellement dans la zone agricole permanente. En raison de l'adoption de la loi, ils sont donc devenus des usages dérogatoires qui sont destinés à disparaître et à ne plus revenir parce qu'ils ne peuvent pas être relocalisés ou être revendus après un certain délai. C'est plus difficile dans une petite municipalité comme nous autres de trouver un acheteur pour une entreprise existante que pour une entreprise semblable qui serait située dans une ville de plus grande importance. Donc, on devient un peu paralysés, en ce sens-là.

Il y a aussi au niveau de la délimitation du territoire lui-même, au niveau de la zone agricole permanente, où on n'a pratiquement jamais eu notre mot à dire. Il y a eu des consultations effectuées, mais les représentations qui avaient été faites à l'époque n'ont jamais été prises en compte. Je vais vous donner un exemple. Lorsqu'il y a eu la consultation sur la révision de la zone agricole permanente, il y avait une demande de la municipalité de Saint-Méthode pour délimiter une aire industrielle à une intersection qui était considérée comme étant stratégique, une intersection routière. La municipalité demandait une certaine zone, quand même, de superficie très restreinte; la MRC appuyait cette demande, ainsi que l'Union des producteurs agricoles au niveau régional. Cependant, la CPTAQ, à l'époque, ou le ministère de l'Agriculture, a refusé cette localisation-là. À ce moment-là, il y avait huit entreprises intéressées à s'y implanter. La relocalisation à un nouvel endroit a fait en sorte qu'on en a gardé juste une et on a perdu les sept autres. C'est toutes des choses qui font que le développement de la municipalité ne peut pas se diversifier et avoir une assise solide à long terme.

(16 h 10)

Un autre problème majeur apparaît au niveau des préoccupations en termes d'aménagement du territoire et de développement. Le fait que la Loi sur la protection du territoire agricole ait préséance sur la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, ça crée une situation d'illogisme, dans le sens où un seul secteur d'activité a préséance sur tous les autres secteurs d'activité économique. Donc, il n'y a pas d'arbitrage qui peut se faire ou d'orientation ou d'objectif de mise en oeuvre sur le territoire qui est adapté à un contexte et à un territoire bien particuliers où des compromis pourraient être possibles pour dire: Bon, bien, les sols qui sont les mieux cotés, on va les protéger et on va les mettre en valeur de telle façon. Par contre, il y a d'autres secteurs qui sont zonés agricoles permanents où on pourrait faire autre chose, ou qui serait de moindre impact au niveau de l'agriculture, qu'on pourrait autoriser aussi; on est bloqué aussi à ce niveau-là.

C'est une véritable camisole de force qui est renforcée aussi par le fait que, dans la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, lorsqu'il y a une demande de modification à la réglementation qui est présentée au niveau de la MRC, la décision se prend au niveau d'un comité administratif où les deux maires de ville ont la mainmise en quelque sorte, ce qui fait que les petites municipalités rurales comme nous autres écopent encore une fois. La Loi sur la protection du territoire agricole devient en quelque sorte un instrument des villes pour empêcher le développement dans les municipalités rurales, dans ce contexte-là.

Dans l'avant-projet de loi, il y a un aspect important qui est amené. On commence à parler de processus de conciliation et de mécanismes de conciliation ou d'arbitrage. C'est déjà un pas intéressant. Cependant, au lieu de penser à faire de la «structurite» et à créer un nouvel organisme distinct, ce qu'on vous recommanderait plutôt, c'est de se servir des comités consultatifs d'urbanisme qui existent déjà au niveau des municipalités locales ou au niveau des MRC pour la gestion des territoires non organisés. Ils sont déjà prévus dans la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme; tout ce qu'il suffirait de faire, c'est d'ajouter un pouvoir additionnel qui leur permettrait de faire ce type d'arbitrage là. Et je pense que les intervenants de l'Union des producteurs agricoles, au niveau local ou au niveau régional, adhéreraient assez facilement à ce type de comité là, en autant qu'on leur fasse une place adéquate.

Donc, c'est un organisme peut-être trop loin des gens, trop loin de la population, en mettant ça à une échelle territoriale beaucoup plus grande, qu'on aurait intérêt à rapprocher du citoyen, rapprocher du producteur agricole et rapprocher surtout des gens à qui ces mesures-là s'adressent. Ça permettrait aussi de réduire des coûts de façon importante, parce que, au lieu de créer des nouveaux emplois au niveau d'un organisme provincial ou régional, à ce moment-là, les comités consultatifs d'urbanisme reposent essentiellement sur du bénévolat de personnes impliquées dans leur milieu. Donc, c'est un plus pour un milieu.

L'objectif prioritaire pour nous autres, si on réussit – on sait que c'est pratiquement un coup d'épée dans l'eau qu'on donne, en venant ici – mais on pense que l'objectif prioritaire d'une modification à la loi, ce serait de faire sauter l'article où on donne préséance à la Loi sur la protection du territoire agricole sur celle sur l'aménagement et l'urbanisme, parce qu'on considère que la protection puis le développement durable de l'agriculture est un des objectifs d'aménagement du territoire et n'est pas le seul, et il y a une conciliation qui doit être faite au niveau de la planification et de la réglementation, en aménagement et en urbanisme. C'est déjà des mécanismes existants, sauf que, en créant une prépondérance comme ça, ça crée des préjudices assez importants pour une municipalité comme nous autres.

Il faut bien comprendre que, pour une petite municipalité comme nous autres, le problème n'est pas du tout le même que celui d'une ville où on empiète sur des champs à la grandeur pour développer des nouveaux quartiers résidentiels. Le contexte n'est pas du tout le même. Dans ce cas-ci, c'est un contexte de survie où, là, on est justement dans un contexte d'étude de fusion avec une municipalité voisine parce qu'on est tellement poignés dans cette camisole de force là que la survie à long terme est compromise.

Autre problème aussi, c'est que, lorsqu'il y a des demandes qui sont présentées à la CPTAQ pour des autorisations, la plupart du temps, on va se faire refuser les demandes parce qu'elles sont localisées le long de la route. On nous dit: Le développement linéaire, c'est un principe qui est coûteux en aménagement du territoire ou, au niveau de la protection du territoire agricole, normalement, ce n'est pas la pratique recommandée. Sauf que, dans le cas de la municipalité de Saint-Méthode, on a des problèmes au niveau des réseaux d'aqueduc et d'égout; les sources d'eau potable sur le territoire ne sont pas utilisables, donc on doit recourir à une municipalité voisine pour s'alimenter en eau potable. On est sur le bord de conclure une entente à cet effet-là, prochainement. Donc, pour rentabiliser ce réseau-là, tôt ou tard, ça va nous prendre des résidences le long du réseau, parce qu'on a à peine 150... c'est-à-dire 200 résidences qui vont être desservies par ce réseau d'aqueduc là. Donc, juste pour vous donner un exemple, ça représente une taxe d'environ 1 000 $ par maison. C'est un coût exorbitant pour une petite municipalité comme nous autres de pouvoir offrir des services qui sont équitables par rapport aux autres municipalités, des services de base à la population. Donc, si on est toujours encarcanés dans ce contexte légal là, poignés en étau entre la Loi sur la protection du territoire agricole puis la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, bien, toutes les municipalités qui ont la quasi-totalité de la superficie de leur territoire zoné agricole permanent et surtout qui ont le malheur d'avoir des sols de classe 1, 2, 3 vont être un peu pénalisées là-dedans.

M. Vaillancourt (Bernard): Je vous donnerais un exemple, M. le Président. Nous sommes sur le point de construire un réseau d'aqueduc; nous avons besoin également pour nos bassins d'assainissement de sable. Nous avons découvert à deux endroits sur notre territoire, deux endroits où il pouvait y avoir du sable qui était de classe A et classe 2 qui pouvait servir justement à la municipalité de Saint-Méthode, au lieu d'aller chercher ça à Saint-Prime ou à Saint-Félicien. Nous avons fait une demande et, pourtant, le sol est classé classe 3, et nous avons eu un refus d'exploiter cette sablière. Je pense que les membres de la commission doivent être au courant, je pense, de l'objet de notre demande. Il y a eu deux demandes qui ont été faites puis elles ont été refusées. Ce n'est qu'un exemple en passant.

M. Légaré (Michel): Au niveau des autorisations qui ont été données par la CPTAQ sur le territoire de Saint-Méthode, j'ai compté environ 96 dossiers. Si je regarde les demandes qui concernaient la construction d'une résidence, d'une ou plusieurs résidences, j'ai 63 % des demandes qui étaient refusées. Au niveau des petits commerces, là on ne parle pas de grosses entreprises commerciales comme dans les villes, on parle de petits commerces de deux ou trois employés, j'ai 88 % de refus. Donc, ces 88 % de refus là, évidemment, ils s'implantent ailleurs, ils s'implantent dans les villes. Ça permet peut-être d'éviter l'étalement urbain, mais, en même temps, ça fait crever les petites municipalités rurales comme la nôtre. Quand vous savez que, dans le contexte du Québec actuel, où on parle... le rapport du Conseil des affaires sociales parlait de «Deux Québec dans un»; on vit un problème de dévitalisation dans le haut du lac Saint-Jean qui va en s'amplifiant, comme dans les régions ressources et périphériques du Bas-Saint-Laurent–Gaspésie, comme dans l'Abitibi-Témiscamingue. Si on n'arrive pas à créer des emplois, on donne carrément un billet aller simple à nos jeunes pour qu'ils aillent déménager à l'extérieur. Lorsqu'une région comme la nôtre perd en moyenne un autobus par semaine de jeunes qui ne reviennent plus, c'est la survie de la municipalité puis de la région qui est en jeu, en tout cas de certains secteurs. Ça commence par les petites municipalités qui sont les plus éloignées puis, après ça, le mal s'en vient vers les villes qui sont les plus près, puis c'est un phénomène qui s'étend. Ça accélère le vieillissement de la population puis ça rend désuets les infrastructures puis les équipements municipaux ou des commissions scolaires qui sont existants.

(16 h 20)

Je pense qu'il faut voir le développement, l'aménagement du territoire et la protection du territoire agricole comme étant une seule et même cause, c'est celle du développement durable des petites municipalités rurales. Parce que la création des petites municipalités rurales a servi d'assise au développement de l'agriculture dans toute l'histoire du Québec. Si on les laisse mourir, on vient de tuer l'agriculture en même temps, au profit peut-être de quelques monopoles par-ci par-là, mais ce n'est pas créateur d'emplois, essentiellement, au niveau local.

Je pense que je ne vous ferai pas la lecture, non plus, du document, vous l'avez déjà entre les mains. Donc, on va vous céder la parole si vous avez des questions.

Le Président (M. Vallières): D'accord. Merci, messieurs. La parole est maintenant au ministre de l'Environnement et de la Faune.

M. Brassard: Je vous remercie, d'abord, d'être venus témoigner devant cette commission. Évidemment, votre mémoire ne porte pas surtout sur l'avant-projet de loi; manifestement, il porte sur la Loi sur la protection du territoire agricole, qui est une loi qui date de 1978, qui a été amendée à l'occasion. Je suis un peu surpris par votre témoignage, parce que Saint-Méthode, bon, c'est au Lac-Saint-Jean, je connais un peu, et c'est une paroisse agricole, de très bonnes terres, une agriculture qu'on peut, je pense, qualifier de prospère. Comme pour d'autres municipalités du coin, Saint-Prime, bon, c'est un bon territoire agricole. Je suis un peu étonné, parce que l'objectif de la Loi sur la protection du territoire agricole, en créant des zones agricoles, des zones vertes, c'est justement de protéger l'agriculture, de protéger les activités agricoles, de réserver un territoire de bonne qualité à l'agriculture. Et qu'un conseil municipal d'une paroisse agricole reconnue vienne nous dire que l'application de la Loi sur la protection du territoire agricole lui cause des problèmes et, même, provoque une sorte de déclin économique de votre municipalité, je vous avoue que j'ai un peu de misère à concilier tout ça.

Si je suis votre raisonnement et votre mémoire, ce que vous demandez, au fond, c'est des assouplissements à la Loi sur la protection du territoire agricole, mais c'est aussi une décentralisation des prises de décisions. Vous souhaitez que, pour une bonne partie des prises de décisions relatives à la protection du territoire agricole, ce soit transféré aux instances municipales. Dans cette perspective-là, et vous me permettrez d'exprimer un peu d'inquiétude, dans cette perspective-là, ça veut dire que la très grande majorité des demandes de dézonage qui ont été acheminées à la Commission et dont une bonne partie, les deux tiers, vous nous dites, ont été refusées... Mais si on suivait vos recommandations, si on décentralisait, si on vous confiait des pouvoirs de décision en cette matière, alors, je comprends bien que la plupart des demandes auraient été acceptées et que vous auriez dézoné. Et donc, à ce moment-là...

Une voix: ...

M. Brassard: Non, mais il faut regarder les choses telles qu'elles sont, avec les conséquences que ça peut avoir, de déstructuration du territoire agricole, d'introduction de toutes sortes d'activités autres qu'agricoles dans un territoire agricole qu'on doit protéger, qu'on est supposé protéger. Il me semble, à ce moment-là, que vous auriez affecté négativement une des assises mêmes de votre économie, c'est-à-dire l'activité agricole. Je ne sais pas, qu'est-ce que vous souhaitez vraiment, là? Qu'est-ce que vous souhaitez vraiment comme pouvoirs de décision? Qu'est-ce que vous voulez comme assouplissement à la Loi sur la protection du territoire agricole? Quels pouvoirs, quelles responsabilités vous souhaiteriez voir transférés aux municipalités? Parce que, dans les milieux agricoles – je conclus là-dessus – vous le savez très bien, dans les milieux des producteurs agricoles, quand on parle de transfert de pouvoirs de décision en matière de protection du territoire agricole aux instances municipales, que ce soient les municipalités ou les MRC, il y a beaucoup d'inquiétude, d'appréhension, justement parce qu'on craint que, par des décisions, on ratatine la zone verte ou qu'on y fasse toutes sortes de trous ou d'enclaves à l'intérieur par des décisions de dézonage. Le fondement de la crainte ou de l'appréhension dans les milieux agricoles, à l'égard d'une décentralisation possible de pouvoirs et de responsabilités aux municipalités ou aux MRC en matière de zonage agricole, vient de là. Ils vont lire votre mémoire, puis je ne pense pas que ça apaise leur inquiétude.

Le Président (M. Vallières): M. le maire.

M. Vaillancourt (Bernard): Merci, M. le président. M. le ministre, je ne veux pas minimiser le travail que fait la Commission. Elle fait un magnifique travail. Tout ce qu'on demande: Est-ce qu'il serait possible que la MRC, avec tous ces spécialistes qu'ils ont, que ce soit en urbanisme ou autre, que ce pouvoir lui soit cédé pour qu'elle-même puisse donner des avis aux municipalités rurales, à savoir: Qu'est-ce que vous demandez? avant de l'acheminer peut-être à la Commission; ce que vous demandez n'est pas conforme; ce que vous demandez n'est pas correct. Est-ce qu'il y aurait possibilité de donner plus de pouvoirs aux municipalités, aux MRC en ce sens-là?

M. Brassard: Ça, ça veut dire, si je vous comprends bien, que le pouvoir décisionnel demeure quand même au niveau de la Commission.

M. Vaillancourt (Bernard): Bien, il y aurait quand même un certain pouvoir que la Commission pourrait quand même exercer, mais il reste que... Donner plus de pouvoirs aux MRC d'abord sur l'objet des demandes des municipalités rurales. N'oubliez pas qu'à Saint-Méthode, également, depuis quatre ans, il y a plusieurs fermes qui ont été vendues et puis il y a des terres qui restent en friche, et ce sont des aunes, ce sont des bouleaux, puis tout ce que vous voulez qui poussent dedans. Alors, il y a des promoteurs qui veulent venir s'établir à Saint-Méthode que ce soit pour créer des industries ou autres, des commerces, pour nous autres, c'est impossible d'obtenir le dézonage.

M. Brassard: Mais vous ne pensez pas que, dans une zone agricole... M. le maire, vous ne pensez pas que, dans une zone agricole, l'action d'une municipalité sur le plan économique, ce ne serait pas de favoriser, justement, l'activité agricole? Quand il y a des terres comme ça qui sont délaissées, c'est de faire en sorte non pas qu'on y établisse des industries ou des commerces ou des entreprises, mais que, par une stratégie et une politique, on s'efforce de retourner ces terres à l'agriculture, à l'activité agricole. Là, ce que vous nous dites, c'est qu'aussitôt qu'il y a une terre qui tombe en friche, la priorité, c'est d'essayer de lui trouver une autre vocation qu'agricole. Est-ce que vous ne pensez pas plutôt que l'effort devrait être mis pour maintenir la vocation agricole?

M. Vaillancourt (Bernard): Le pire, c'est de trouver les personnes qui vont pouvoir travailler. Tout le potentiel humain qu'on avait est en train de partir, de s'effriter. C'est pour ça qu'à un moment donné, Saint-Méthode, au lieu de grandir, est en train de rétrécir.

(16 h 30)

M. Légaré (Michel): Si vous permettez, j'aimerais apporter un élément de réponse à ça. Vous avez raison, si les municipalités se mettent à autoriser tous les types de demandes qui se présentent sur la table, on va avoir un problème sérieux au niveau de la protection du territoire agricole. Ça, c'est exact. Cependant, la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme permet, par les instruments légaux et réglementaires qu'elle offre, de limiter tout développement à certains secteurs ou à certaines zones précises. Je vais vous donner un exemple. Lorsqu'une ville est confrontée, par exemple, au... je vais prendre l'exemple des fameuses danseuses «topless», c'est bien rare qu'on les voit s'implanter dans les quartiers à proximité des écoles ou bien dans les quartiers en face d'une église ou quelque chose comme ça. Donc, habituellement, il y a une certaine zone où on ne peut pas les interdire complètement sur le territoire, mais on peut les limiter à un certain secteur où c'est moins dommageable. On peut faire pareil avec le développement commercial et industriel en limitant à une zone commerciale ou à une zone industrielle, de façon limitée, ce qui fait que ça protège l'ensemble du territoire agricole dans l'ensemble, mais ça permet cependant un certain compromis, dans le sens que, oui, on est en mesure d'accepter un commerce qui vient s'implanter, à condition qu'il s'insère dans cette zone-là.

Là, ce qu'on a vécu, actuellement, dans notre histoire, c'est que la zone qui avait un potentiel aux niveaux commercial et industriel, c'est une intersection routière, ce n'est pas une grosse superficie. Mais même ce petit compromis-là qu'on demandait a été rejeté. On nous a «pitché» l'aire industrielle en plein milieu des terres, à proximité de l'aéroport, mais à un endroit où il n'y a pas de demande et où il n'y a personne qui veut s'implanter et où, finalement, il y a très peu de trafic; en tout cas, il n'y a pas eu de demande.

L'exemple concret qu'on a eu, c'est que, sur les huit projets qui allaient s'installer à l'autre endroit, celui qu'on demandait, il y en a sept qui sont partis à l'extérieur. Ce n'est pas de permettre n'importe quoi n'importe où n'importe quand, c'est de limiter ça à certaines zones. Sauf que le fait de décentraliser les instruments en place permet au moins d'effectuer un certain arbitrage ou un certain contrôle aussi qui est adapté au territoire. Parce que, actuellement, tout est fait de Québec et est un peu parachuté, sans contact avec le territoire. C'est un peu décroché par bouts.

Lorsque vous avez l'Union des producteurs agricoles, au niveau régional, qui dit: Oui, on reconnaît que, cette zone-là, ça n'aurait pas trop d'impact et on serait prêt à accepter une révision de la zone agricole permanente, et que c'est quand même un effet limité, qu'on a l'appui de l'UPA au niveau régional et que la CPTA vient refuser cette modification-là, à ce moment-là, je me dis: «C'est-u» si évident que ça que ça viendrait nuire à l'agriculture, si les producteurs agricoles eux-mêmes reconnaissent que ça n'aurait pas eu d'impact ou que ça aurait été très limité comme impact? Ils sont dans la région, ils sont peut-être plus en mesure de savoir ce qui se passe que la CPTA, qui a les deux pieds à Québec.

Le Président (M. Vallières): Vous voulez ajouter, M. le maire?

M. Vaillancourt (Bernard): M. le Président, le coin dont on parlait tout à l'heure, il y en a trois sur quatre qui vivent actuellement sur des droits acquis. Lorsqu'ils viennent pour céder leurs bâtisses, ils ne le peuvent pas. Bien que le droit acquis soit attaché à la bâtisse, ils ne peuvent pas céder. Il a un commerce, par exemple, de motoneiges, l'autre veut s'installer un commence de comptoirs de cuisine, il est refusé. Pourquoi? Parce que ça ne cadre pas dans les mêmes normes. C'est ça qui, à un moment donné, achoppe dans notre règlement.

M. Légaré (Michel): On ne peut même pas tenir en place les bâtiments qui sont déjà construits. À partir du moment où une entreprise va fermer, si elle dépasse le délai d'un an, elle perd ses droits acquis. Elle ne peut plus vendre, ne peut plus... Elle peut juste faire une remise agricole avec un bâtiment qui était commercial, autrefois. Donc, elles sont destinées à disparaître.

Sur les 24 entreprises que j'ai identifiées, il y en a au moins 12 qui sont dérogatoires dans ce sens-là et qui, tôt ou tard, vont finir par disparaître.

Le Président (M. Vallières): Bien. Enfin, on a eu aujourd'hui des témoignages, également, qui sont venus attirer l'attention sur le fait qu'on pouvait aller vers une responsabilisation additionnelle du côté des municipalités, du monde municipal, pour des prises de décisions qui sont actuellement exercées par la CPTAQ. Ces gens-là nous disaient: Oui, vous pouvez faire confiance aux municipalités, elles sont prêtes à assumer ces responsabilités. Mais, un peu comme mon collègue de l'Environnement, quand je regarde votre mémoire, je me dis: Est-ce que, par ce que vous nous indiquez, vous ne venez pas un petit peu témoigner du contraire? Dans le sens que: Comment les municipalités pourraient résister et protéger les intérêts réels du monde agricole, à partir du moment où elles font face à des pressions de tout genre et auxquelles on est habitué d'assister, dans le fond? Dans certains cas, il y va même... On voit qu'il y a des milieux qui sont en déstructuration, il y a une espèce de panique qui s'installe chez les gens. Est-ce qu'on ne serait pas porté, à ce moment-là, sur une base un peu anarchique, à dire: On est prêt à installer toutes sortes de choses sur notre territoire?

Alors, quand on regarde votre mémoire ici, il y a de ça, mais il y a aussi ce qu'on rencontre fréquemment dans les milieux ruraux, où on nous dit: Comment se fait-il que la CPTAQ nous refuse un projet ou une demande qui a été finalement épaulée, appuyée par tous, y incluant l'Union des producteurs agricoles, dans bien des cas, la MRC, la municipalité, des organismes du milieu, et ça arrive en bout de piste et c'est refusé? Parce qu'il y a d'autres mémoires qui sont venus nous demander: Est-ce que la CPTAQ ne pourrait pas, à un moment donné, intervenir au niveau régional? et un des objectifs que vous demandez, ça serait de vous servir un peu de la CPTAQ à titre d'expert pour la prise de certaines décisions.

Est-ce que vous n'êtes pas à la recherche d'une espèce de compromis qui ferait en sorte que ce n'est pas nécessairement la décision que vous voulez prendre, mais vous voulez être sûr que ces gens-là, c'est en toute connaissance de cause et les pieds bien sur le terrain qu'ils analysent la demande qui est faite, en tenant compte des facteurs que vous pourriez leur faire valoir à ce moment-là et les gens qui appuient la demande également.

M. Vaillancourt (Bernard): C'est exactement ça, M. le Président, en tenant compte également des besoins du milieu. Je pourrais vous citer un autre exemple. Nous avons une deuxième rue à développer, on peut construire à droite, mais, à gauche, on ne peut pas construire, c'est zoné vert. Il y a des choses comme ça, des fois, qui sont illogiques. Si on veut se développer dans le milieu, dans le village, et amener un autre développement qui est beaucoup plus important pour Saint-Méthode, celui de la villégiature. Vous avez des lots qui sont zonés verts, des lots qui sont zonés blancs. Probablement que, dans le temps du zonage, il y a eu des gens qui avaient de l'influence, ils ont fait zoner telle partie blanche, telle partie verte, telle partie blanche, telle partie verte, alors, ça fait un beau casse-tête et ça crée de la discrimination auprès des gens.

Comment se fait-il que des gens disent: Lui, il peut se construire, et moi, à côté, je ne peux pas me construire. Moi, je suis blanc, toi tu es vert, reste vert. Ce serait bien mieux de mettre tout ça en bleu.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Vallières): Est-ce qu'il y a d'autres membres de la commission qui ont des questions? M. le ministre de l'Agriculture.

M. Landry (Bonaventure): Oui. M. le maire, tout à l'heure, ou plutôt M. le secrétaire-trésorier, vous avez évoqué le nombre d'hectares, la superficie totale de Saint-Méthode. Est-ce que j'ai bien compris 35 000 hectares au total?

M. Légaré (Michel): Oui. La superficie de Saint-Méthode est d'environ 191 km² ou, si vous préférez, 19 186 hectares; là-dessus, j'ai une superficie d'environ 15 951 hectares dans la zone agricole permanente, plus ou moins quelques hectares s'il y a eu des modifications récentes.

M. Landry (Bonaventure): Ça veut dire que vous disposez d'environ 3 000 hectares de zone blanche pour des fins résidentielles, commerciales et industrielles, en gros.

M. Vaillancourt (Bernard): Il faut calculer dans ces hectares... Quand on calcule la superficie du territoire, il y a aussi les cours d'eau et une partie sur le bord du lac Saint-Jean qui se trouvent à être inclus là-dedans. En réalité, on a peut-être 5 % du territoire qui est développable.

M. Landry (Bonaventure): Et probablement qu'en zone verte aussi vous devez avoir des parties de terres, de toute façon, qui sont aussi dans la même situation. Quel est le pourcentage, sur vos 3 000 hectares de zone blanche, actuellement utilisé?

M. Vaillancourt (Bernard): En zone blanche?

M. Landry (Bonaventure): En zone blanche, parce que j'ai compris qu'il y avait environ 1 000 habitants.

M. Légaré (Michel): Oui.

M. Landry (Bonaventure): 1 045 habitants?

M. Vaillancourt (Bernard): 1 071 exactement, et ça monte à 3 000 en été avec la villégiature. Nous avons 585 chalets dans la pointe de Saint-Méthode, puis c'est cette pointe-là qui est appelée à se développer, surtout si on fait la fusion avec Saint-Félicien. Ça se parle fortement, d'ailleurs. C'est certain que c'est cette partie-là qui sera appelée à se développer, puis, dans cette partie-là, il y a une grande majorité qui est zonée verte. Qu'est-ce qui va arriver de ça?

M. Légaré (Michel): Il faut mentionner que dans...

(16 h 40)

M. Landry (Bonaventure): Mais la question que je vous posais, c'est carrément sur le pourcentage des sols non agricoles. En fait, on parle de 5 000 au total, 5 027 hectares qui sont non agricoles, mais, là-dessus, il y a une partie, vous me dites, qui n'est pas utilisable à cause du lac. Quelle est la partie utilisée en zone blanche actuellement par rapport à l'ensemble du potentiel qu'il y a là-dessus? C'est parce que, pour avoir travaillé pendant sept ans et demi dans le milieu agricole et avoir été confronté à des problèmes de demandes massives de dézonage dans des municipalités, souvent les demandes de dézonage étaient inversement proportionnelles à la taille des municipalités et souvent inversement proportionnelles au taux, aussi, d'occupation de leur propre zone blanche. Ce que ça nous donnait, dans certains coins, c'était à peu près, selon un rythme de développement probable, 150 % du besoin pour les 100 prochaines années, en termes de zone blanche. On a eu beaucoup de municipalités, dans mon propre comté, qui étaient aux prises avec ce phénomène-là et qui, en même temps, revendiquaient beaucoup de terres dans les milieux agricoles, mais elles n'arrivaient pas à mettre en valeur leurs propres sols qui sont blancs. Et c'est ça, ma préoccupation. Dans le fond, je ne pense pas que la Loi sur la protection du territoire agricole ait voulu empêcher les communautés rurales de survivre, au contraire. On a voulu permettre, cependant, aux communautés rurales de pouvoir maintenir leur première activité. Parce que, contrairement à M. le secrétaire, en tout cas, j'ai toujours cru, moi, que c'est l'agriculture et le développement agricole qui ont permis la survie des communautés locales, et non l'inverse.

M. Vaillancourt (Bernard): On ne le nie pas, ça.

M. Landry (Bonaventure): Et je ne pense pas que ce soient les communautés locales d'abord qui aient amené l'agriculture, mais c'est parce qu'il y avait de l'agriculture et la volonté d'occuper le territoire, puis de le mettre en valeur qu'on a développé des villages, des petites communautés. Et, en ce sens-là, pour moi, je pense que quand, dans un milieu, en termes d'aménagement du territoire, on pose carrément la protection du territoire agricole et qu'on dit: Ce qui n'est pas agricole, bien, là, on y développe différentes missions, moi, je pense que lorsqu'on a occupé toute notre zone blanche, il faut à un moment donné, aussi voir ce qu'est la zone agricole permanente et crédible dans un milieu. Mais lorsqu'on a plein de zones blanches et qu'on dit: Celle-là, on ne la prend pas, on va aller «regruger» dans l'autre, c'est sûr qu'on finit toujours par aller faire le développement sur les plus belles terres; c'est toujours là que c'est le plus facile; si possible, une belle terre de classe 1.

Une voix: Bien planche.

M. Landry (Bonaventure): Bien planche.

Une voix: Sans roches.

M. Landry (Bonaventure): C'est sûr, partout on voit ça, mais je ne pense pas que ce soit l'objet de la loi et l'intention du gouvernement que l'on procède comme ça, ni d'aucun gouvernement, de scraper au plus vite les meilleures terres. Quand on a des sols de classe 1, 2, 3, je pense que c'est précieux comme la prunelle de nos yeux.

Le Président (M. Vallières): Bien, merci, M. le ministre. Alors, je comprends que la municipalité de Saint-Méthode a pu se faire entendre et que...

M. Brassard: Est-ce qu'on pourrait avoir la réponse? Parce que le ministre a posé une question...

Une voix: Oui.

M. Brassard: ...mais on n'a pas eu la réponse. C'est quoi, le potentiel non développé de votre zone blanche, votre superficie?

M. Vaillancourt (Bernard): Si on exclut, là, les lots qui appartiennent à l'Alcan, je pense que...

M. Brassard: Le long du lac.

M. Vaillancourt (Bernard): Le long du lac, la pointe de Saint-Méthode puis la pointe de Ticouapé, qu'on appelle, là...

M. Brassard: Oui.

M. Vaillancourt (Bernard): ...je peux très bien affirmer qu'il y a certainement 85 % de cette zone blanche là qui est actuellement occupée, sans compter les lots qui appartiennent à des particuliers qui ont des projets d'investissements domiciliaires à venir. C'est certain que, dans le village lui-même, là, les zones blanches, il n'en reste plus bien bien.

M. Légaré (Michel): Saint-Méthode, d'abord, est un terrain qui est très plat et qui a été gravement affecté par les inondations de 1926, 1928, lorsque l'Alcan a construit le barrage à Alma. Ça a laissé des habitats humides sur une très grande partie du territoire. Donc, dans le 3 000 hectares qui est zoné blanc, il y a beaucoup d'habitats humides qui sont carrément des marécages, là; assez pour qu'on pense à développer un parc naturel et historique d'envergure régionale pour ce secteur-là. On parle d'environ 2 000 hectares, ce qui inclut des petites parcelles l'autre bord de la rivière, là, mais c'est un potentiel faunique énorme.

Cependant, dans les terres qui restent, zonées blanches aussi, le problème de la nue-propriété qui appartient à l'Alcan est une contrainte majeure de développement. Puis lorsque ce n'est pas de la nue-propriété, c'est des droits de servitude de baignade, c'est-à-dire que l'Alcan peut inonder le territoire n'importe quand sans avoir de pénalités, là, en termes de... Au niveau de la propriété, ça apparaît toujours sur un contrat. Quand un promoteur veut acheter un terrain, bien, ça apparaît sur son contrat, puis quand il l'apprend, bien, il vire de bord. Lorsqu'on pense que la secrétaire-trésorière qui était là avant moi, après 22 ans de carrière, a été obligée de racheter son terrain chez elle-même pour une deuxième fois, ça dit qu'il y a des gens qui ont des surprises des fois, qui sont assez bouleversantes. Quand tu penses être chez vous et que tu n'es pas chez vous... Lorsque tu viens pour lever une hypothèque dans une institution bancaire et que la banque refuse de te prêter parce que le fond de terrain n'est pas à toi, ça pose des problèmes, en termes de développement.

Donc, c'est peut-être un contexte qui est bien particulier à Saint-Méthode qui fait qu'on est plus sévèrement atteint que d'autres municipalités rurales de même importance, ça, je le concède. Il y a un contexte particulier qui nous étouffe un peu qui n'est pas uniquement attribuable à la loi actuelle, ça, j'en conviens. Mais le problème numéro un dans le cas de la zone blanche de Saint-Méthode, c'est surtout un problème de localisation. Ce n'est pas tellement un problème de superficie, parce que les superficies qui sont demandées ou qui ont été demandées dans le passé n'étaient pas énormes. C'est parce que celles qu'on a demandées, qui auraient eu un endroit stratégique, ont été refusées.

Le Président (M. Vallières): Bien. Nous vous remercions de votre apport à nos travaux, et prenez pour acquis que, même si ce n'était pas directement sur l'avant-projet de loi, vos propos ont été entendus avec beaucoup d'intérêt. Eh bien, bonne fin de journée.

J'inviterais maintenant M. Rodrigue Leblanc à bien vouloir prendre place.


M. Rodrigue Leblanc

M. Leblanc (Rodrigue): Merci. Merci, M. le Président, d'avoir permis que je passe à cette heure-ci au lieu de 21 h 30. À 21 h 30, c'est un peu tard pour nous qui venons de la campagne. J'aurais été accompagné de plusieurs personnes, mais l'essentiel, c'est que je sois ici aujourd'hui.

Je ne vous lirai pas tout mon mémoire, peut-être le premier paragraphe: L'essentiel de notre patrimoine québécois est constitué de ces magnifiques parcelles de terre en rangée le long du St-Laurent, découpage qui a servi de modèle à la subdivision de la plus grande partie du territoire québécois à l'exception du territoire des Cantons de l'Est, dont le découpage est tout aussi remarquable.

Ces lots, ces terres, ces fermes ont été ainsi découpés pour permettre à leurs habitants d'y survivre et d'y élever leur famille.

Voilà ce que la Loi sur la protection du territoire agricole de 1978 aurait dû préserver afin d'éviter le morcellement désordonné de ces magnifiques parcelles de terre avec, en plus, une mesure de reconstitution des lots dévastés.

Nous avons actuellement une pétition qui circule dans le comté de Lotbinière, et nous espérons pouvoir la faire circuler partout au Québec. Nous avons 400 noms de citoyens, déjà, d'accumulés. Je suis bien content de voir qu'il y a une municipalité aussi, j'espère qu'il y en aura plus qu'une au Québec, qui trouve que, dans le projet de loi, dans la loi comme telle, il y a des choses désagréables, des irritants.

Alors, si vous permettez, je vais lire, ça va résumer un peu mon mémoire. Dans notre pétition, on parle des irritants suivants, on demande les amendements suivants:

Abolir l'indivisibilité des terres familiales traditionnelles contiguës. Au moment de la loi, certains avaient une, deux ou trois terres contiguës, collées ensemble, si vous voulez. D'autres n'en avaient pas. Alors, là, il s'est passé un genre d'injustice pour ces gens. Moi, personnellement, j'avais une terre à Joly et j'avais une terre à Val-Alain. Mais mon deuxième voisin, M. Arsenault, qui fait circuler la pétition avec moi, lui, il a deux terres contiguës sur le rang 5 de Joly. Il essaie depuis bien longtemps de simplement vendre une de ses anciennes terres qui est en friche. La Commission lui a refusé par trois fois. Il y a un autre monsieur à Val-Alain qui a cinq terres contiguës. Il veut tout simplement les donner à ses enfants. La Commission refuse. Et je suis sûr qu'au Québec ça se passe, ça, un peu partout. Parce que nous avons déjà eu chez nous, nous avons invité un journaliste de La semaine verte . Il nous a dit: Mes chers messieurs, partout au Québec il y a des problèmes semblables.

(16 h 50)

Deuxième point. Permettre la construction sur les lots isolés, le long de chemins existants. D'abord, en 1978, on ne voulait pas que les gens fassent de petits développements un peu partout. Ça donnait un fardeau supplémentaire aux municipalités. Mais, depuis ce temps-là, la construction a chuté quasiment à zéro et, aujourd'hui, le contexte n'est pas pareil. Vous empêchez, avec cette loi, des gens de s'établir dans les campagnes. Les campagnes se vident. Ce n'est pas de même qu'on va arriver à l'objectif tant souhaité et qu'on n'a pas réalisé.

Troisièmement, porter le demi-hectare de 52 000 pi² de droit acquis à 60 000 pi² pour permettre deux installations résidentielles de fosses septiques. Lorsque les gens du ministère de l'Agriculture ont écrit cette loi-là, en 1978, je ne sais pas si la loi sur les fosses septiques existait à ce moment-là. Ça aurait été beaucoup plus facile si on avait dit: Bien, au lieu de 52 000 pi², le droit acquis serait de 60 000 pi², parce que, pour installer une fosse septique en région isolée, ça prend un minimum de 30 000 pi². Alors, vous voyez, ici, vous avez un irritant que votre projet de loi n'a pas même songé à changer. Vous n'avez rien changé dans le projet de loi initial qui est décrié depuis plus de 20 ans partout au Québec.

Quatrièmement, favoriser la reconstitution des terres familiales ancestrales rendues inutilisables par de trop nombreuses subdivisions sur la longueur. Il y a déjà, moi, un agriculteur ou un ancien agriculteur qui m'a offert une terre qui avait 100 pi de large par un mille de long. Ça, c'est une chose que la Commission aurait pu favoriser en 1978, reconstituer ce patrimoine.

Et, finalement, décentraliser graduellement vers les municipalités le zonage agricole. J'ai bien aimé, tantôt, lorsque la municipalité de Saint-Méthode a parlé dans le même sens, et peut-être d'autres avant. Si les municipalités peuvent gérer les zones blanches, je n'arrive pas à comprendre, après tout ce temps, 20 ans après la loi-cadre, avec tout l'aménagement du territoire, que les municipalités n'arrivent pas à gérer les zones vertes, ce qu'elles ont fait toute leur vie. Parce que, au début, les municipalités étaient finalement des zones vertes. Tout le monde faisait de l'agriculture, même dans les villages. Et, pour répondre au ministre Brassard, c'est sûr que vous ne pouvez pas donner du jour au lendemain tout ça aux municipalités sans une loi-cadre, une loi-cadre qui dirait aux municipalités: Attention! Protégez le patrimoine agricole et, si vous ne le protégez pas, vous serez pénalisées, tout comme les municipalités ont comme mission de gérer la zone blanche. La zone blanche est bien plus difficile à gérer que la zone verte; elle est beaucoup plus dispendieuse.

Alors, pour terminer, je vais vous lire la fin de mon rapport: Le jour, qui n'est pas si loin, où l'État devra couper l'aide sociale, nos grandes villes se videront. Ces pauvres gens voudront revenir aux terres ancestrales pour survivre. Malheureusement, ces dernières leur seront de moins en moins accessibles, étant tombées sous le contrôle de grands propriétaires terriens.

Une réforme radicale de cette loi devra éliminer tous ces irritants décriés par la population en général, y compris les péquistes. Et j'avais écrit ce mémoire avant le référendum. J'avais terminé par ceci: En ce faisant – si la loi avait été amendée avant le référendum – cela fournirait au gouvernement du Québec le coussin de sécurité nécessaire pour tenir et gagner le référendum sur la souveraineté du Québec. Alors, croyez-moi, beaucoup de gens, beaucoup de péquistes même, n'aiment pas certains aspects de la loi du zonage agricole. Et, pour revenir à mon avant-dernier paragraphe, toutes ces terres contiguës, ça favorise finalement les grands propriétaires terriens. Je termine là-dessus.

Le Président (M. Vallières): Merci, M. Leblanc. Questions, M. le ministre de l'Agriculture?

M. Landry (Bonaventure): Oui. Bien, rapidement, je regardais, moi, certains éléments de votre présentation, M. Leblanc. Lorsqu'on me parle des grands propriétaires terriens, je viens d'une région où – je pense que vous connaissez aussi, la Gaspésie – les grands propriétaires terriens ne sont pas très nombreux. Et même l'autre région où j'ai travaillé en agriculture, il y en avait quelques grands propriétaires terriens, mais tous les autres étaient ce qu'on appelle à peu près la ferme familiale. Et c'est le lot d'à peu près 95 % au Québec, ce qu'on appelle une ferme familiale viable qui fait vivre, comme on dit, son homme ou sa femme. Et c'est ça, la réalité agricole, plus que les immenses domaines comme on pourrait connaître dans certains pays d'Amérique du Sud ou certains pays européens. Alors, les grands domaines, on les a peu connus, sinon des grands domaines qui ont été dézonés et qui sont devenus l'apanage de certains spéculateurs. Alors, là, oui, il y a eu des grands domaines terriens. Mais, en général en milieu agricole, la rentabilité étant ce qu'elle est dans le domaine, il faut s'arranger pour avoir ce dont on a besoin pour arriver, en quelque sorte. Et c'est très rare qu'on va voir des gens acheter quatre fois plus de terre qu'il n'en faut pour faire une production qui leur permet de bien vivre. En ce sens-là, je ne pense pas qu'on voit souvent de très grandes fermes se constituer.

Et lorsqu'il y a le phénomène que vous déplorez, c'est justement pour prévenir ça que la protection du territoire a été mise en place, soit l'accaparement de beaucoup, beaucoup de terres pour des fins spéculatives, comme on a trop malheureusement vécu, dans les terres les plus fertiles du Québec. Alors, en ce sens-là, je comprends vos préoccupations, mais je pense que la protection du territoire agricole, elle continue à être encore plus nécessaire, compte tenu que le sol productif à des fins agricoles, il est somme toute limité sur l'ensemble du territoire du Québec. On n'a pas 10 % de nos sols au Québec qui sont propices à l'agriculture, quand on regarde pour l'ensemble du territoire. Là, il devient important de les protéger quand même.

M. Leblanc (Rodrigue): Oui, d'accord, mais, dans mon coin, moi, je pourrais vous citer un fabricant de pelouse. Si vous circulez le long d'une route secondaire, vous voyez cette belle pelouse verte qui s'échelonne sur des milles de long, puis là vous avez des maisons toutes défraîchies, dépeinturées. À Joly même, nous avons un producteur de pommes de terre de l'extérieur qui est venu s'accaparer toutes les terres. Alors, le danger du grand propriétaire est là jusqu'à un certain point, mais, aussi, lorsque les jeunes veulent s'acheter une terre, ce qu'on appelait une terre familiale, là, la plus petite possible, trois arpents par un mille environ, ces terres-là ne sont plus accessibles parce que, avec le phénomène des terres contiguës... Si je vous donne l'exemple de M. Saint-Laurent de Val-Alain, lui a cinq terres contiguës. Comment voulez-vous qu'un jeune qui pourrait développer ça tranquillement pas vite... Il y a toutes sortes de petites industries secondaires aujourd'hui, toutes sortes de petits élevages secondaires aujourd'hui. Alors, c'est dans ce sens-là que le phénomène des terres contiguës est dangereux.

M. Landry (Bonaventure): O.K. Cet aspect-là, je le saisis très bien. En fait, lorsque vous achetez une série de terres contiguës, vous ne pouvez plus les subdiviser par après.

Le Président (M. Vallières): Bien. Alors, ça complète votre exposé, M. Leblanc, de même que le questionnement des députés, des membres de la commission. Nous vous remercions de votre présence, de votre patience également. Nous vous souhaitons une bonne fin de journée.

M. Leblanc (Rodrigue): Merci.

Le Président (M. Vallières): Très bien. Pour ce qui est de la commission, elle suspend ses travaux jusqu'à 20 heures ce soir.

(Suspension de la séance à 17 heures)

(Reprise à 20 h 8)

Le Président (M. Vallières): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission de l'agriculture, des pêcheries et de l'alimentation reprend ses travaux. Nous allons recevoir ce soir l'Association des propriétaires de terrains de golf du Québec, de même que M. Omer Bourgault et Mme Micheline Fournier. Alors, j'inviterais d'abord l'Association des propriétaires de terrains de golf du Québec à s'avancer.

M. MacMillan: M. le Président, est-ce qu'on peut leur demander si ça va aider notre handicap au golf?

Le Président (M. Vallières): Alors, je vais demander... C'est M. Michel Noël, je crois, qui représente le groupe. Oui?

Une voix: M. Louis Robillard...

Le Président (M. Vallières): M. Robillard. Très bien. Alors, M. Robillard et madame?

Mme Mercier (Esther): Esther Mercier.

Le Président (M. Vallières): Mme Esther Mercier. Alors, vous disposez, en fait, d'une présentation d'une vingtaine de minutes, et les parlementaires pourront ensuite vous questionner pendant une quarantaine de minutes. Alors, la parole est à vous.

Mme Mercier (Esther): O.K. Nous sommes en attente de M. Robillard. Il devrait arriver d'une minute à l'autre.

Le Président (M. Vallières): Ah bon! M. Robillard? C'est bien.

M. MacMillan: Avant de commencer, madame, est-ce que ça va nous aider dans notre handicap, ça?

Mme Mercier (Esther): Ah! je l'espère. Je l'espère.

M. MacMillan: Là, on est très handicapés! Ha, ha, ha!

Le Président (M. Vallières): M. Robillard.

(20 h 10)

Une voix: Ils veulent savoir si ça va les aider dans leur handicap.

Une voix: C'est une question de talent aussi.

Le Président (M. Vallières): Nous, ça nous fait plaisir que vous soyez un peu en retard. D'habitude, ça incombe plutôt aux politiciens de l'être. Alors, vous disposez d'une vingtaine de minutes pour nous livrer votre mémoire et d'un échange d'une quarantaine de minutes avec les parlementaires, par la suite.


Association des propriétaires de terrains de golf du Québec inc. (APTGQ)

M. Robillard (Louis): Bon. Bien, on va commencer en disant que l'Association des propriétaires de terrains de golf représente 148 parcours de golf qui sont ouverts au public, de façon générale. Nos membres sont de petites entreprises comptant moins de 10 actionnaires, la plupart du temps de nature familiale. Ils exploitent des parcours de golf ouverts au public, en général, ce qui les distingue des parcours privés réservés à l'usage exclusif de leurs membres.

On estime qu'il existe à peu près 150 terrains de golf privés, à peu près 150 terrains de golf publics et une cinquantaine de terrains plus récents dont la vocation entre le public et le privé n'est pas encore tout à fait déterminée.

La plupart des terrains de golf que nous représentons sont situés en milieu rural, beaucoup d'entre eux en zone agricole et, sauf une cinquantaine d'exceptions, leur développement a débuté bien avant la loi de protection du territoire agricole de 1978. Avec les schémas d'aménagement de 1980 ou d'autour de 1980, ils ont généralement été situés en zone touristique ou en zone récréative. Cette classification reconnaît, entre autres, l'apport économique, communautaire, touristique, sylvicole et environnemental des parcours de golf.

Notre mandat est de promouvoir le golf et de soutenir son développement par des interventions de mise en marché, de représentation, de soutien technique et scientifique. Nous désirons présenter à la commission de l'agriculture l'importance de l'industrie du golf en milieu rural, montrer notre complémentarité aux activités agricoles et, dans une certaine mesure, associer notre industrie aux objectifs de développement durable des territoires agricoles. L'évolution du régime de protection du territoire agricole nous préoccupe. Dans une perspective de développement durable, nous désirons faire valoir des moyens de soutenir notre industrie tout en favorisant un usage harmonieux du milieu rural, et nous désirons enfin souligner que le golf est une activité complémentaire importante pour l'agriculture, l'industrie touristique, le réseau d'hébergement à la ferme et les communautés rurales.

L'impact économique des parcours de golf est montré par le tableau suivant. Alors, on estime que, pour 1994, à partir de données obtenues dans la région de Montréal qui couvrent une douzaine de parcours de golf qui sont tant publics que privés, tant situés en zone urbaine qu'en zone rurale, avec une extension qu'on peut faire de nos membres, on estime que c'est une industrie qui génère 270 000 000 $ de revenus dans la province et qui entraîne des dépenses de 240 000 000 $, ce qui laisse, pour un parcours de 18 trous, un revenu avant impôt et avant financement de 85 000 $ par parcours de 18 trous. Les données qu'on a là, c'est un portrait sur une année donnée et ça ne tient pas compte de la conjoncture que les terrains de golf ont dû traverser dans les cinq dernières années.

À cet égard, l'industrie est unanime dans son analyse de la conjoncture lorsqu'elle constate une saturation du marché, une stabilité des tarifs et une augmentation constante des coûts d'opération. Un échantillonnage de 25 parcours de golf réalisé en Montérégie nous a montré que, de 1990 à 1995, les tarifs des terrains de golf sont restés stables, mais que le coût des clients a augmenté de 14 %. C'est donc dire que, dans les cinq dernières années, l'augmentation du chiffre d'affaires des parcours de golf a été essentiellement motivée par l'augmentation de 14 % des taxes, parce que c'étaient des produits qui n'étaient pas taxables autrefois.

À cette conjoncture de taxation s'est ajoutée une récession extrêmement lourde qui a vu les compagnies, les entreprises, réduire de façon substantielle leurs frais de représentation. Alors, la perspective économique dans laquelle se développe le terrain de golf est à peu près au même point, au niveau des revenus, que 1990; nos clients paient 15 % de plus qu'en 1990; et se sont ajoutés à tout ça une cinquantaine de parcours de golf qui sont venus saturer le marché de façon extraordinaire.

Le golf dans le monde rural. Au même titre que les agriculteurs, les parcours de golf conservent le sol sous couverture végétale, cultivent des végétaux, des gazons, des fleurs, des arbres, utilisent avec prudence et efficacité les ressources en eau et en sol et contribuent à l'écoulement des eaux de surface et au drainage des propriétés. Tous deux doivent combattre des phénomènes d'érosion, la croissance des mauvaises herbes, l'appauvrissement des sols et les dommages causés par la faune.

Les parcours de golf sont un actif important dans le monde rural. Dans une perspective de développement durable, ils sont disposés à intégrer leur développement dans le cadre d'un régime de protection du territoire agricole. Ce dernier semble maintenant donner place à accepter une utilisation mixte du paysage agraire. Il ne s'agit pas d'abuser de cette nouvelle vision par un nombre illimité de nouveaux parcours de golf. À cet égard, nous devons nous en remettre au jeu équilibré de l'offre et de la demande; il saura disposer des parcours excédentaires.

Le régime d'autorisation des usages, qui est le point central. La faveur du golf auprès du public, les coûts d'aménagement des nouveaux parcours, la saturation relative de l'industrie, nous permettent de prévoir une demande raisonnable autour des parcours existants. Dans cette perspective, les modifications proposées au régime d'autorisation soulèvent de nombreuses inquiétudes auprès de nos membres quant aux critères exprimés par la nouvelle formulation de l'article 62 de la Loi sur la protection du territoire agricole et quant à la mécanique concernant la présentation des demandes mises en place par les nouveaux articles 58, 59, 61 et 65.

Pour les raisons suivantes, nous recommandons que les critères prévus par l'article 62 tiennent compte des conséquences d'un refus pour le demandeur d'une demande d'agrandissement d'un parcours de golf. La première raison, c'est que les superficies touchées sont minimes et concernent généralement un espace approximatif de 32 ha par parcours de neuf trous. Les bâtiments et les infrastructures de services sont déjà établis dans la plupart des cas et ne créent pas de contraintes additionnelles aux sols agricoles. Les nouveaux aménagements sont de nature agricole; ils ne créent pas de dommages irrémédiables aux sols et, point important, ces travaux sont généralement harmonisés aux capacités financières de l'entreprise et génèrent des retombées économiques importantes sans qu'on ait besoin de procéder à des financements farfelus ou à des demandes de subventions exorbitantes.

Dans l'ancien régime d'autorisation, les municipalités devaient indiquer la conformité des projets à leurs règlements d'urbanisme. Elles devront désormais motiver leurs recommandations à la lumière de l'article 62, en plus des règlements d'urbanisme. Cela se comprend aisément dans une perspective de développement durable lorsque les municipalités sont appuyées par un comité consultatif agricole compétent, comité dont le mandat est élargi à l'harmonisation des différentes vocations du sol.

Dans les faits, nous craignons qu'un conseil municipal n'ait pas les outils, l'indépendance et la sérénité requis pour apprécier impartialement les critères de l'article 62 et que les dossiers des terrains de golf deviennent des enjeux politiques locaux insurmontables. Ces craintes augmentent lorsque nous constatons que le caractère commercial des projets de terrains de golf les assimile à une demande d'exclusion et que de telles demandes d'exclusion seront désormais irrecevables à moins d'être présentées par les municipalités et les municipalités régionales de comté qui devront s'en faire les promoteurs. À la limite, il semble qu'un conseil municipal hostile à un promoteur pourrait, sans motif, refuser de transmettre un dossier à la Commission. À partir du moment où un conseil municipal refuse de transmettre à la Commission, le promoteur n'a absolument plus aucune façon de s'adresser à la Commission. Il y a trop d'impondérables dans cette mécanique, trop d'instances qui pointent à l'horizon pour que la volonté du législateur soit correctement exprimée à l'égard des demandes d'autorisation et d'exclusion.

Nous ne mettons pas en cause le régime de protection du territoire. Après 17 années d'évolution, tout ce système est l'objet d'une révision en profondeur afin d'y intégrer, croyons-nous, le concept de développement durable et le concept du droit de produire. Notre intérêt est de développer nos entreprises à leur rythme et de les intégrer harmonieusement aux communautés où elles existent; c'est être à l'abri des décisions arbitraires, du développement anarchique et du statu quo économique auxquels sont condamnés les parcours se trouvant dans la zone agricole et qui s'y trouvaient avant la loi sur la protection.

(20 h 20)

Comme acteur important dans le développement rural, nous recommandons que notre présence soit reconnue et protégée comme le sont d'autres activités et qu'on prenne en compte l'importance économique de notre industrie parmi les critères d'autorisation retenus par le législateur pour guider les décideurs.

La création et le maintien des emplois en milieu rural. Dix-sept années de protection du territoire associées à l'évolution des marchés et au progrès technologique ont transformé le monde rural. De notre point de vue, nous constatons, d'une part, que les fermes ont augmenté leur superficie du simple au triple depuis 1978, que leur productivité s'est accrue et que l'on cultive maintenant, grâce à l'hypermécanisation, avec moins de main-d'oeuvre; et, d'autre part, que les productions régionales, la transformation sur place, la culture de produits plus raffinés et diversifiés, les gîtes agricoles, tout ce renouvellement des campagnes a pris de l'ampleur et crée un achalandage agrotouristique en constante progression.

Tout cela laisse croire que l'emploi en milieu rural est tributaire d'une diversification des activités et des usages. La substitution des emplois variés générés par le golf n'est pas à dédaigner dans une région rurale. Elle offre à la main-d'oeuvre disponible des occupations spécialisées allant de la restauration à la construction, de la rénovation à l'entretien, contribuant ainsi à la diversité des occupations, autre objectif du développement durable.

Le besoin de planifier l'urbanisme des villes et des villages a donné lieu, en 1978, à la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme. Lue en relation avec la Loi sur la protection du territoire, la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme montre la volonté du législateur de favoriser l'harmonie des différentes vocations de l'espace rural.

D'une part, la constitution de secteurs agricoles exclusifs et, d'autre part, l'élaboration de schémas d'aménagement et de règlements d'urbanisme ont été les moyens retenus à l'époque par l'Assemblée nationale. Dans l'esprit de l'époque, ces moyens semblaient temporaires et devaient être éventuellement remplacés par des mécanismes qui tiendraient compte à la fois des impératifs de développement, de soutien des économies locales et de protection du territoire.

Il existe, de notre point de vue, un besoin éminent de changement de philosophie auprès des intervenants du milieu rural, qui oublient parfois, à tort ou à raison, les implications socioéconomiques du développement du golf, de l'industrie touristique ou des industries complémentaires à l'agriculture.

Maintenant, on voudrait aborder la question des comités consultatifs agricoles dans le cadre des MRC. L'avant-projet de loi crée des comités consultatifs agricoles au sein des MRC et des municipalités en limitant leur mandat à l'examen des problèmes agricoles. Cependant, le concept de développement durable de l'agriculture élargi aux activités complémentaires que nous avons évoquées, l'évolution du régime de protection du territoire agricole et des systèmes d'urbanisme mis en place depuis 17 ans, l'ambiance qui règne dans nos campagnes et dans nos régions militent en faveur d'un mandat plus vaste.

Nous recommandons que les comités consultatifs agricoles aient une base représentative comprenant des membres provenant du tourisme, du commerce, des industries complémentaires au monde rural.

Nous recommandons également que le mandat de ces comités consultatifs soit élargi afin qu'il puisse considérer globalement toutes les questions d'harmonisation entre les différents usages des sols dans une perspective de développement durable du monde rural. Nous croyons que les philosophies concurrentes de l'aménagement, de l'urbanisme, de l'agriculture, de l'usage des sols se porteraient mieux si elles pouvaient s'exprimer devant un plus vaste auditoire. Ces forums laisseraient également place aux nouvelles activités qui apparaissent en région.

Notre examen du monde rural nous porte à recommander à cette commission de favoriser la formation d'une association des utilisateurs du sol en milieu rural. Celle-ci regrouperait des représentants du tourisme, du commerce, de l'industrie rurale. Elle serait accréditée de la manière convenable au législateur et aurait une mission pour faire valoir, dans une perspective de développement durable, l'opinion du monde rural non agricole, formant ainsi un contrepoids aux intérêts divergents de l'agriculture exclusive et de l'aménagement à tout prix.

Cet élargissement du discours rural est rendu nécessaire par la nouvelle démographie rurale et l'apparition d'une troisième ceinture urbaine. Il s'agit d'utiliser l'opinion des nouveaux intervenants qui apparaissent dans le développement des territoires ruraux. Ce ne sont pas nécessairement des spéculateurs sauvages, mais des gens du milieu dont la voix mérite d'être entendue. Ce lieu pourrait également être un créateur important de moyens techniques de pointe à l'usage de l'agriculture. Il deviendrait par le fait même un instrument compensatoire dont le but premier serait d'effectuer un remplacement de production des hectares perdus à d'autres activités par l'équivalent accru en nouveaux produits.

Notre association représente les parcours de golf dans toute la province. Les terrains de nos membres sont généralement situés en zone touristique au plan local et en zone agricole. L'importance de l'industrie du golf dans l'économie des régions, sa complémentarité avec l'agriculture et l'industrie touristique doivent être prises en compte au moment de modifier la Loi sur la protection du territoire agricole. Les modifications à la loi cherchent à mettre en place une structure favorisant le développement durable des activités agricoles. Nous croyons que le développement durable doit tenir compte et s'appuyer sur les industries complémentaires qui existaient dans le monde rural bien avant la Loi sur la protection du territoire agricole.

Les terrains de golf reconnaissent la nécessité de protéger le territoire agricole et sont disposés à participer au développement durable du monde rural en autant qu'on leur permette de croître de façon ordonnée. Nous soulignons que le nouveau régime des autorisations des usages non agricoles en milieu rural ouvre la porte à des abus potentiels, à l'encontre des projets provenant des terrains de golf existants ou de l'industrie touristique en général. Entre autres, les articles 58, 59, 61 et 65 semblent nous laisser à la merci d'un conseil municipal hostile.

Après avoir examiné l'évolution du paysage rural depuis l'introduction de la Loi sur la protection du territoire agricole et la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, nous constatons un besoin de changement de philosophie des décideurs afin d'harmoniser les relations entre l'agriculture et les autres activités dans le monde rural. À cet égard, nous proposons que les comités consultatifs agricoles voient leur représentativité et leur mandat étendus à toutes les questions d'harmonisation entre les différents usages des sols, dans une perspective de développement durable du monde rural.

Nous recommandons également que soit constituée une association accréditée afin de faire valoir l'opinion du monde rural non agricole, qui, s'il est bien disposé à reconnaître le droit de produire des agriculteurs, mérite aussi qu'on lui reconnaisse le droit de se développer de façon durable. Puis, est-ce que le développement durable en agriculture est une expression réservée uniquement au monde agricole? Merci, M. le Président.

Le Président (M. Vallières): Très bien. Merci, M. Robillard. M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Merci, M. le Président. L'article 62 de l'avant-projet de loi prévoit que la CPTAQ peut prendre en considération les conséquences d'un refus pour le demandeur, quel qu'il soit. Est-ce que vous ne pensez pas que l'article 62 répond déjà à vos aspirations?

M. Robillard (Louis): Le problème est le suivant, M. le ministre. C'est que, à partir du moment où, en milieu rural, on a un projet de terrain de golf, il y a toute une question d'exclusion qui apparaît. Dans une première étape, nous devons présenter nos dossiers entièrement devant la corporation municipale. Si la corporation municipale refuse de se pencher sur notre dossier, si la corporation municipale n'est pas en mesure, faute de moyens techniques... Ce n'est pas vraiment une question de compétence, mais c'est vraiment une question de moyens techniques. Dans les cités et villes, les services d'urbanisme existent, les services d'ingénierie existent, ce qui fait qu'une corporation est en mesure de se prononcer sur un projet de développement. Mais, dans une petite municipalité rurale de 3 000 habitants, ils n'ont pas ces moyens-là.

À partir du moment où, faute de moyens techniques ou à cause d'un problème politique municipal, la municipalité refuse de transmettre le dossier à la Commission de protection du territoire agricole, le promoteur n'a absolument aucune façon de se présenter devant la Commission. On est bloqués. Non seulement il fallait autrefois, dans l'ancien régime, faire la démonstration complète en vertu de l'ancien article 62, qui prévoyait 10 points de référence et qui suggérait les conséquences économiques, maintenant, la preuve qu'on devait faire devant la Commission, on doit la faire devant la corporation municipale. La corporation municipale peut s'en décharger sur la municipalité régionale de comté. À un moment donné, on n'a plus d'ouverture.

(20 h 30)

Pour répondre plus précisément à votre question en ce qui concerne les considérations, les conséquences économiques du demandeur, en 15 ans, il n'y a jamais eu, à ma connaissance, à la Commission de protection du territoire agricole, il n'a jamais été accepté de faire valoir les conséquences économiques d'un refus pour le demandeur. Alors, est-ce que la philosophie, la tradition, la pratique va changer? C'est une autre question. Mais notre grande question, notre grand problème, c'est que le caractère commercial de nos terrains de golf va être bloqué, peut être bloqué directement au niveau municipal. Il y a quelque chose d'étrange dans tout ça.

Le Président (M. Vallières): M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): J'aurais une deuxième question, si vous permettez. D'une part, vous faites des demandes pour, en fait, protéger la possibilité d'obtenir des autorisations et d'avoir un régime qui facilite des autorisations. Or, d'autre part, dans votre mémoire, vous soulignez l'espèce de saturation qui existe dans le marché. Alors, je vois mal comment, dans un contexte de saturation, d'une part, du marché, compte tenu que les golfs qui existent sont protégés et peuvent opérer, on demande en même temps d'avoir, en quelque sorte, des protections dans un marché saturé et en même temps des protections qui garantissent l'expansion.

M. Robillard (Louis): Je comprends votre question. Si vous me permettez, M. le ministre, si on regarde les 10 dernières années de développement de terrains de golf en territoire rural, on s'aperçoit, dans l'ensemble, que malgré bien des embûches, avec bien des embûches, les terrains de golf qui se sont développés depuis une dizaine d'années, règle générale, se sont développés dans des territoires qui sont de troisième, quatrième et cinquième catégorie. C'est des terrains qui méritent une période, une longue période de couverture agricole permanente pour en reconstituer l'humus, par exemple. On va prendre l'exemple de sablières qui ont été récemment développées en terrains de golf. C'est des terrains qui n'ont pas de valeur agricole et qui, après avoir supporté pendant 25 et 30 ans une couverture végétale continue, vont avoir reconstitué un sol arable suffisant. À l'époque, on verra.

Et si on regarde le développement des 10 dernières années, ce qui s'est fait en milieu agricole, il s'est généralement fait dans des terrains de troisième et de quatrième qualité, dans des terrains difficilement exploitables à l'agriculture, et tout ça; ça, on n'a rien à dire là-dessus.

Ce que je veux souligner, c'est que des terrains de golf existaient avant 1979 en territoire agricole et ils ont, depuis 15 ou 20 ans, développé leur clientèle, et ils peuvent appuyer à même leur clientèle, à même le «cash-flow» de leurs entreprises, ils peuvent appuyer leur développement et aller chercher un neuf trous supplémentaire.

Alors, ces terrains situés en zone agricole qui étaient là avant 1979 ont vu toute la conjoncture de l'industrie du golf se transformer en profondeur depuis une dizaine d'années, entre cinq et 10 ans d'ici, et ne peuvent pas prendre de mesures pour faire face à la concurrence qui les attire. Et quand on parle d'un parcours de neuf trous, on va parler de 30 hectares qui sont souvent des terrains dont le caractère touristique, dont le caractère récréatif a été reconnu par les schémas d'aménagement, qui sont, dans énormément de cas, situés en marge de la zone agricole permanente, puis qui ne créent pas de nouvelles enclaves, puis qui ne créent pas de contraintes fatales sur l'agriculture. On peut citer, par exemple, une grande quantité de terrains de golf qui, en Suisse ou en Angleterre, lors de la dernière guerre, ont été transformés pour l'agriculture pendant la période de guerre et qui sont revenus en terrains de golf par la suite.

Quand on parle de création d'un nouveau terrain de golf, on parle de création d'infrastructures, de bâtiments, de stationnements. Quand on parle d'agrandissement de terrain de golf, on parle de donner une culture permanente à un espace de terrain pour probablement plus de 90 % de sa superficie. Ce qui va distinguer l'agrandissement d'un terrain de golf d'un cultivateur de maïs, c'est que sa récolte va être une balle de golf au lieu d'être un quintal de maïs.

M. Noël (Michel): Il y a...

M. Robillard (Louis): Ça va, ça va.

M. Noël (Michel): Il y a toute la question, aussi, de nombre. Sur un terrain de 18 trous, on peut difficilement placer plus que 225 joueurs dans une journée. Ça fait que, sur un terrain existant, si on ajoute un neuf trous, quand vous parlez de saturation... On parle du futur, évidemment. On parle aussi, peut-être, de relève. Un neuf trous à un 18 trous existant peut aussi servir à créer des nouveaux golfeurs, puis les gens moins expérimentés peuvent penser à commencer ou à améliorer leur technique sur un neuf trous qui peut être plus des par 3 ou des... Il y a une notion de saturation qu'on reconnaît, mais il faut aussi penser à moyen puis à long terme. On pense qu'il est préférable d'ajouter des trous sur ce qui existe déjà sans prendre de risque au niveau des chalets, des... Vous connaissez toutes les infrastructures qu'il faut ajouter et qui sont souvent très onéreuses et très difficiles à supporter. Ça fait que, étant donné le nombre limité de joueurs qu'on peut prendre sur nos parcours – on parle toujours de 18 trous – si on peut, parallèlement, aller créer des moyens nouveaux pour les nouveaux initiés ou pour aussi...

On peut parler des juniors ou de la relève, qui est aussi un problème qu'on n'a peut-être pas dans le ski, parce que, dans le ski, on a toutes sortes de pentes, mais, si on prend un terrain de golf existant, on n'a pas tous des par 3 pour initier des juniors ou pour initier des gens qui veulent... Il y a toute cette dimension-là qui nous limiterait si on ne peut s'expansionner dans nos 18 trous existants. Je m'excuse.

Le Président (M. Vallières): M. le ministre.

M. Landry (Bonaventure): Maintenant, on parle beaucoup de terrains de golf en zone agricole. Mais je regarde, au Québec, les espaces en zone non agricole, les espaces verts mais non agricoles qui ont été dézonés ou qui n'ont pas été zonés à des fins agricoles depuis 1978, depuis la mise en place de la loi, il y en a quand même passablement.

Lorsqu'on parle de développement, de faciliter, entre autres, pour les juniors et tout ça, pour la relève, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu d'examiner ce côté-là aussi, sur la base de sites qui ont une vocation, comme vous le dites si bien, là-dedans, très récréative et très touristique aussi?

M. Robillard (Louis): Ce qui nous intéresse ici particulièrement, après avoir constaté que les nouveaux parcours des 10 dernières années ont généralement été construits sur des terrains de moins de valeur pour l'agriculture, c'est les gens qui, avant la Loi sur la protection du territoire agricole, étaient en place, qui ont développé toute leur infrastructure de services de restauration, toute leur infrastructure de services de mécanique, leur réseau d'irrigation, leur réseau de drainage, qui sont bloqués, qui ont, depuis une quinzaine d'années, créé leur clientèle et qui se trouvent face à la situation où leur développement est complètement entravé devant l'impossibilité de pouvoir ajouter à ce qui existe déjà. Parce que les nouveaux parcours des dernières années ont vraiment été carrément à l'extérieur du monde agricole ou dans des terrains agricoles de dernière catégorie ou de qualité insuffisante pour permettre une culture. C'est vraiment les terrains existants avant la loi, qui voient la concurrence et qui voient l'évolution du marché depuis 15 ans, qui sont en mesure d'y répondre à même les fonds générés par leurs exploitations, qui sont en mesure de contribuer à la communauté rurale dans laquelle ils vivent, qui sont là et qui n'ont pas de possibilités. C'est à ces terrains-là qu'on pense d'abord.

M. Landry (Bonaventure): Ça va.

Le Président (M. Vallières): Pour continuer avec le questionnement de M. le ministre, dans votre mémoire, en page 3, vous nous indiquez que, en faisant allusion au régime de protection du territoire agricole, ce dernier semble maintenant donner place à accepter une utilisation mixte du paysage agraire. Vous déclarez ça sur la foi de certaines décisions que la Commission aurait prises dernièrement ou récemment? Non?

(20 h 40)

M. Robillard (Louis): Non, ce n'est vraiment pas sur la foi de décisions de la Commission, c'est sur l'ambiance que nous semblions percevoir à la première lecture des amendements, avant de fouiller en profondeur. Il nous apparaît que, si on parle de développement durable de l'agriculture, avec l'évolution de la sociologie rurale des 15 dernières années, on voit, de notre point de vue, sans savantes analyses et sans longues recherches, que le monde rural, dans 17 années d'évolution, a d'abord triplé les superficies exploitées par ferme avec la même main-d'oeuvre et peut-être avec un peu moins de main-d'oeuvre qu'il y a 15 ans.

On a vu, dans le monde rural, apparaître les agricotours, on a vu une diversification des productions rurales. Je vais vous donner un exemple. Quand on descend sur Drummondville, à la serre de roses, à la sortie de Drummondville, il y a une halte bioalimentaire, ou agroalimentaire. On y trouve là un magnifique exemple de l'introduction, dans nos campagnes, d'une nouvelle production à valeur ajoutée. Dans la région de Saint-Hilaire, qui est plus proche d'où je viens, et celle de Rougemont également, on a vu ressurgir l'industrie du cidre, qui s'associe avec une industrie de jus extrêmement sérieuse et avec une industrie de transformation des produits agricoles qui est très prometteuse.

Vous avez, dans la région de Dunham, par exemple, tout le réseau des vignobles qui a été mis en place. Vous avez, dans énormément de paroisses, une quantité de logements à la ferme qui ont été développés, et, ces dernières années, particulièrement depuis deux ans en ce qui concerne la Montérégie, on a vu une presque monoculture de maïs. Dans la monoculture de maïs, on voit apparaître ici et là de nouvelles cultures: le soya, les citrouilles. Cet été, dans la région chez nous, la citrouille était extraordinaire. On a vu aussi s'implanter, dans les maisons qui se sont libérées lors de la restructuration des terres, des petites fermettes équestres un peu partout.

Alors, on voit dans le milieu rural une multiplication des usages, et cette multiplication d'usages là, dans un premier temps, elle est apparue, à ce qu'il nous semble, de notre point de vue, pour supporter la main-d'oeuvre qui se trouvait libérée par l'évolution mécanique des 15 dernières années. Alors, il nous semble que le milieu rural est en pleine ébullition puis qu'il faut lui laisser une chance de développer des activités complémentaires.

Le Président (M. Vallières): Contrairement à ce que plusieurs autres sont venus nous dire, vous semblez énormément douter de la maturité du monde municipal pour prendre des décisions qui concernent, en tout cas, votre association, les clubs de golf qui en feraient la demande. Vous parlez même du manque de partialité, ou d'impartialité, du monde municipal. Vous parlez, en fait... Vous doutez qu'ils aient les outils, l'indépendance, la sérénité requise pour prendre des décisions qui vous concernent. Et, à plusieurs reprises dans votre mémoire, vous faites allusion au monde municipal. Même en page 7, vous indiquez: «Les articles 58, 59, 61 et 65 nous laissent à la merci d'un conseil municipal hostile à notre développement.»

Qu'est-ce qui vous permet d'être aussi affirmatifs, aussi déterminés dans vos affirmations, finalement, à l'endroit du monde municipal? Parce que la tendance semble être plutôt de demander que les décisions se prennent localement, régionalement, qu'on décentralise. On nous indiquait aujourd'hui que, de plus en plus, le monde municipal a la maturité requise pour effectuer, pour prendre ce type de décisions là. Est-ce que votre secteur échapperait à cette tendance qu'on semble constater de la majorité des intervenants qui nous dit qu'on devrait décentraliser les décisions en région?

M. Robillard (Louis): Il y a une question d'expérience dans la région dans laquelle, moi personnellement, je travaille, et j'ai aussi des cas de parcours de golf qui, à certains endroits, ont de graves problèmes avec les corporations municipales. Si on doit demander aux corporations municipales de valider, à l'intention de la Commission de protection du territoire agricole, le développement d'un parcours de golf en fonction de son schéma d'urbanisation, en fonction de ses règlements d'urbanisme, quand on se situe dans une municipalité rurale, dans un milieu de 2 000 ou 3 000 habitants où le service municipal est constitué d'un secrétaire-trésorier, d'un opérateur d'usine d'épuration – quand il y en a un – et de trois manoeuvres pour le maintien de la voirie, on s'aperçoit que ces corporations municipales là n'ont pas les ressources pour apprécier nos projets de façon impartiale. On s'aperçoit que nos projets vont se retrouver dans le huis clos d'un comité d'urbanisme où on ne pourra pas se faire entendre. On s'aperçoit que, le conseil municipal étant, dans énormément de cas, renouvelé en bloc, sur une affaire étrangère à nos projets, un conseil municipal peut tout à coup disparaître, et, pour des raisons de politique locale, on n'a plus l'ouverture.

Je ne doute pas de la bonne foi des corporations municipales. Ce dont je doute, c'est, d'une part, la capacité technique d'apprécier nos projets, parce qu'ils font référence à des concepts économiques, à des concepts agronomiques, qu'ils font référence à une utilisation de vastes espaces. Je doute de ça puis je me demande de quelle façon on va pouvoir se faire entendre. C'est ça qui est ma grande question.

Si la corporation municipale, dans un milieu de 2 000 ou 3 000 habitants, dépose pour étude le projet d'un promoteur de terrain de golf à un comité consultatif d'urbanisme qui siège à huis clos, puis qu'on est pris avec la décision de ce comité d'urbanisme là et que, sur ce comité d'urbanisme là, il y a quelqu'un qui a été à l'emploi du terrain de golf ou, pour quelque raison, qui a une dent contre le promoteur du terrain de golf, on est faits. On est condamnés et on n'a pas de façon de s'en sortir. C'est tout le régime général d'autorisation qui nous inquiète, M. le Président.

Le Président (M. Vallières): Parce que vous faites allusion au même point qui a été soulevé par le Barreau, entre autres, aujourd'hui, qui insistait sur le fait qu'on pouvait rendre des demandes de certaines natures très vulnérables, compte tenu, par exemple, de leurs antécédents dans le milieu ou encore de certains individus sur certains comités. Donc, il y a toute une partie de nos travaux, après-midi, qui a porté là-dessus. Dans le fond, vous confirmez peut-être ce qui peut être une exception dans certains milieux mais qui peut effectivement se produire.

M. Robillard (Louis): J'ai un de mes membres qui, à la vue des quelques résumés que j'avais faits au début, me disait: Dans ma municipalité, si je me trouve à faire une demande là – dans l'état actuel de son conseil municipal, à l'époque – je suis convaincu qu'ils vont me bloquer, puis qu'ils vont chercher, eux, à se développer un terrain de golf pour me faire concurrence. C'est un de mes membres qui m'a dit ça, puis je ne veux pas mettre ma... Vous voyez, il y a... Quand on parle... C'est extrêmement difficile de pouvoir cerner exactement ce qui nous inquiète de ce côté-là. Il y a énormément de facteurs, et, un des facteurs, c'est de devoir faire une preuve entière et complète à la Commission de protection du territoire. Déjà on le faisait, mais là il va falloir le faire au complet devant une corporation municipale et, ensuite, probablement le refaire également au complet devant la Commission de protection du territoire agricole.

Je m'éloigne un peu, peut-être, de la question que... C'est qu'on veut éliminer les impondérables. N'étant pas des agriculteurs dans le monde rural, on est des citoyens de deuxième zone, dans l'état actuel des choses, quand on parle de développement de nos entreprises. C'est ce sentiment d'être des citoyens de deuxième zone qui finit par être lourd à supporter pour nous, aussi.

(20 h 50)

Le Président (M. Vallières): O.K. Alors, ça devient important, en tout cas pour ceux qui nous écoutent ici, de bien saisir ce que vous voulez dire, parce qu'on aura ultérieurement à parler d'un projet de loi, à avoir des modifications, à retravailler tout ça. Donc, ce que j'essaie de saisir, c'est s'il s'agit vraiment d'un cas exceptionnel ou si c'est des cas qu'on retrouve par dizaines, par centaines au Québec. Dans votre mémoire, il y a quand même une certaine généralisation que vous faites.

M. Robillard (Louis): Oui.

Le Président (M. Vallières): Alors, j'essaie de voir si c'est ça qui s'applique ou si ce n'est pas autre chose, si ce n'est pas des cas d'espèce dans certaines municipalités plutôt que de les voir généralisés.

Il y a mon collègue de Papineau qui avait quelques questions à vous adresser.

M. MacMillan: Moi, du début, il y a un bout que je ne comprends pas. Vous me corrigerez, ou si les gens qui ont plus... C'est que, dans une MRC, j'ai vécu le cas chez nous, moi, d'un terrain de golf qui a été construit, l'Héritage, à Notre-Dame-de-la-Paix – je ne sais pas si vous le connaissez – dans une zone agricole. Mais quand vous parlez de municipalités, c'est là que je ne vous suis pas, moi. C'est les MRC qui ont le schéma d'aménagement, qui règlent ces dossiers-là. C'est vrai qu'à la municipalité vous allez faire une demande, mais de dire que c'est le conseil municipal qui peut vous refuser, moi, je ne suis pas ça. Je n'ai jamais vu ça dans la région. Il me semble que vous attaquez les méchantes personnes. C'est parce que la MRC, c'est elle qui a le contrôle du schéma d'aménagement.

M. Robillard (Louis): Ah oui!

M. MacMillan: Quand il y a un schéma d'aménagement de cinq ans, vous ne pouvez pas le changer comme ça s'il y a un zonage agricole. Vous demandez la permission d'avoir un terrain de golf à telle place si c'est déjà zoné agricole, si c'est 3 ou 4, puis là... Mais ce n'est pas la municipalité elle-même qui peut vous bloquer, c'est le zonage... En tout cas, moi, selon ma compréhension, c'est la MRC qui a le contrôle du schéma d'aménagement. En tout cas, dans notre région, c'est comme ça.

M. Robillard (Louis): Dans l'ancien régime d'autorisation, en vertu de la Loi sur la protection du territoire agricole, oui.

M. MacMillan: Dans l'ancien... vous parlez d'avant 1978, là?

M. Robillard (Louis): Non. Dans la Loi sur la protection du territoire agricole, avant les amendements qu'il y a là, un promoteur veut faire un terrain de golf...

M. MacMillan: Ils n'ont pas passé, ces amendements-là, encore.

M. Robillard (Louis): Non, non, mais c'est ça. Mais, moi, j'essaie de mesurer les impacts.

M. MacMillan: C'est parce que, moi...

M. Robillard (Louis): J'essaie de répondre à votre question, M. le député.

M. MacMillan: Non, non, mais, avant de me répondre, là, expliquez-moi comme il faut. Vous, vous dites que vous faites affaire avec la municipalité. «Fine!» Ça, c'est bien correct. Vous avez un terrain, vous voulez faire un terrain de golf, il est zoné agricole. La municipalité peut peut-être essayer de vous bloquer, mais c'est la MRC de votre région qui a la décision finale dans le schéma d'aménagement, quant à moi, en tout cas, à moins que je me trompe. Mais le schéma d'aménagement est contrôlé par les MRC, c'est pour ça qu'ils ont été faits.

M. Robillard (Louis): Dans le régime...

M. MacMillan: Sans ça, on va les fermer.

M. Robillard (Louis): Absolument. Mais, dans le régime actuel, quand un promoteur veut faire quelque chose dans la zone agricole qui n'est pas de l'agriculture, dans une première étape, il demande à la corporation municipale de vérifier si son projet est conforme aux règlements de zonage et d'urbanisme...

M. MacMillan: Oui, d'accord.

M. Robillard (Louis): ...et au schéma d'aménagement, point. À partir de là, son dossier s'en va à la Commission de protection du territoire agricole, avec la confirmation par la municipalité de la conformité au schéma...

M. MacMillan: Oui.

M. Robillard (Louis): ...et c'est tout. Avec les amendements qu'on propose en ce moment, puis que la commission étudie, le promoteur doit se présenter d'abord devant la corporation municipale, faire toute sa preuve au complet en vertu des 10 considérations de l'article 62, puis obtenir l'assentiment de la corporation municipale. Si, pour une raison ou une autre, la corporation municipale lui refuse son dossier, son dossier ayant un caractère commercial, étant assimilé, de par son caractère commercial, à une demande d'exclusion, le promoteur n'a aucune façon de se présenter devant la Commission, parce que les demandes d'exclusion doivent être exclusivement déposées par les municipalités ou les MRC.

Si la municipalité refuse, j'ai de la misère à voir qu'un promoteur puisse outrepasser la municipalité, se présenter devant sa municipalité régionale puis faire déposer ou proposer ou envoyer son dossier à la Commission de protection du territoire par la MRC.

M. MacMillan: Oui, d'accord. Mais si la loi est acceptée, puis s'il y a un comité consultatif régional avec un membre de la CPTAQ, puis si, vous, vous demandez d'avoir, peut-être pas un siège, mais un rôle à remplir dans la décision régionale, ça peut suffire à votre demande dont vous parliez tantôt, si la décision est prise dans la région par un comité consultatif. C'est un peu ça que vous dites.

M. Robillard (Louis): Oui. O.K.

M. MacMillan: Mais là vous dites... Puis c'est comme mon collègue vient de dire, M. le Président. C'est que, cet après-midi, les gens du Barreau, moi, je suis intervenu parce que je sentais que ces gens-là voulaient juste protéger leur job, aller défendre des dossiers au tribunal ou quelque chose de même. Mais s'il y a un comité régional et que vous avez le droit d'aller défendre votre dossier là, vous, comme promoteur d'un terrain de golf dans une certaine région...

C'est ça, en somme, que vous voulez dire dans votre mémoire, vous voulez avoir une chance d'aller le défendre régionalement.

M. Robillard (Louis): Oui, mais, dans notre mémoire, ce qu'on dit, c'est que le comité consultatif d'agriculture qui va être attaché aux MRC...

M. MacMillan: Oui.

M. Robillard (Louis): Je ne veux pas m'embarquer dans ses fonctions plus qu'il le faut, mais, dans le cadre actuel, dans ce qu'on voit des amendements, le comité est essentiellement agricole. Nous, ce qu'on recommande, c'est que le comité consultatif agricole ait une fonction plus vaste, ait une représentativité étendue à tous les acteurs qui vivent dans le monde rural et que son mandat soit d'harmoniser les autres usages avec l'agriculture...

M. MacMillan: Qui comprend le golf.

M. Robillard (Louis): ...qui comprend le golf, qui comprend l'industrie touristique puis qui comprend tous les gens qui, en zone rurale, travaillent; ils font des choses. Pour ces gens-là, depuis la loi sur la protection du territoire, tout ce qui n'est pas agriculture et qui vit en zone rurale, c'est des citoyens de seconde zone. Il y a une discrimination de ce côté-là qui est un petit peu lourde. À partir du moment où on a décidé de le protéger, le territoire agricole, puis que la protection du territoire est rendue dans nos moeurs... Ça fait 17 ans qu'on le fait...

M. MacMillan: Ah! O.K.

M. Robillard (Louis): ...et on le fait bien.

M. MacMillan: Juste une petite question, M. le Président.

Le Président (M. Vallières): Oui, M. le député de Papineau.

M. MacMillan: «J'ai-tu» bien compris que des terrains de golf existant depuis 17 ans auront des problèmes à pouvoir agrandir leur terrain de golf tantôt? Ça existe...

M. Robillard (Louis): Ils en ont en ce moment.

M. MacMillan: ...à cause de la loi de...

M. Robillard (Louis): Ils en ont en ce moment. Bien oui! À cause de la loi de 1978.

Une voix: Ils sont dans la zone 1-2.

M. MacMillan: Ils sont dans une zone qui est... Oui, mais là ce n'est pas la CPTAQ, ça, c'est le schéma d'aménagement.

M. Robillard (Louis): Bien, j'ai des cas, moi, par exemple, que je connais très bien et qui sont en zone touristique, en zone récréative...

M. MacMillan: Oui.

M. Robillard (Louis): ...puis qui ne peuvent pas agrandir parce que la zone touristique et la zone récréative sont reconnues au niveau local, mais elles ne sont pas reconnues par la Commission de protection du territoire. J'en ai, des cas comme ça.

M. MacMillan: Il y a des bouts où je ne comprends pas.

M. Robillard (Louis): En gelant...

M. MacMillan: Bien non, mais si...

M. Robillard (Louis): ...en décrétant une zone...

M. MacMillan: Oui, oui, mais...

M. Robillard (Louis): Vous avez une zone touristique...

M. MacMillan: Bien oui, ça, je comprends ça, mais, si tu veux agrandir puis si ce n'est pas zoné agricole, pourquoi est-ce qu'eux autres t'empêcheraient de le faire? Si c'est zoné récréatif, c'est la municipalité ou le schéma d'aménagement qui l'empêche, ce n'est pas la Commission.

M. Robillard (Louis): Non. Moi, j'ai des cas de terrains de golf qui sont en zone touristique, puis qui ne réussissent pas à avoir l'autorisation de la Commission de protection du territoire parce qu'ils sont néanmoins dans une zone agricole. Il y a de nombreux cas comme ça. C'est qu'il n'y a pas d'harmonisation entre la loi sur la protection et la Commission de protection, d'une part, et le zonage local et régional, d'autre part.

J'ai vu des cas, il y a quatre ans ou cinq ans... Lorsqu'on a parlé de la renégociation des zones agricoles permanentes et tout le bataclan, il y avait eu des critères fort raisonnables qui disaient qu'on devait chercher, dans le cadre du réaménagement des schémas ou de la négociation des zones agricoles permanentes, à créer une zone agricole permanente crédible d'un seul tenant, sans enclave, et de laisser tout ce qui se trouve en marge de la zone agricole, puis qu'il n'y ait pas d'influence néfaste sur la protection du territoire agricole, de les laisser aller tout en les contrôlant dans une certaine mesure pour ne pas qu'ils créent de nuisance aux terrains protégés. Il y a des entreprises qui ont fait des représentations dans cet ordre-là, et elles n'ont jamais reçu d'accusé de réception. Il y a un problème d'harmonisation.

Quand, en 1978, on a créé une loi sur la protection du territoire agricole, on a également créé une loi sur l'aménagement et l'urbanisme. À l'époque, il n'y avait pas de règlement de zonage; à l'époque, il n'y avait pas de plan d'urbanisme, de façon générale, dans les municipalités. On a obligé ça. On s'est dit: On va constituer, d'un côté, une zone agricole, d'un côté, un domaine urbain, puis on va éventuellement ajuster les zones de contact. On est rendus là.

Le Président (M. Vallières): Merci, M. Robillard. M. le député de Saint-Hyacinthe.

(21 heures)

M. Dion: Oui. M. le Président, ma préoccupation est un peu de même nature que la vôtre, que vous avez exprimée tout à l'heure. Je pense qu'on touche du doigt à quel point ça peut être compliqué parfois pour un citoyen de se démêler dans les démarches qu'il faut faire aux différents niveaux de l'administration. En ce qui concerne la question des terrains de golf, pour ce qui est des municipalités, vous parliez que les municipalités ne sont pas toujours compétentes pour évaluer vos dossiers. Une municipalité, quand on lui demande un terrain de golf, le terrain de golf, il est permis ou pas permis dans les règlements. S'il n'est pas permis dans les règlements, il n'y a pas de permis, puis s'il est permis dans les règlements, il y a un permis. Et, ça, le conseil municipal ne peut rien faire à ça.

M. Robillard (Louis): Dans l'état actuel des choses, oui.

M. Dion: Et même dans l'état futur aussi. La municipalité agit par mode de règlement, et l'application du règlement est contrôlée par un inspecteur, et le maire n'a rien à dire là-dedans.

M. Robillard (Louis): D'accord.

M. Dion: Bon. O.K. Alors, ça, c'est clair. Ça veut dire que vous voulez, mettons, implanter ou agrandir un terrain de golf. Vous faites la demande. La municipalité vous donne deux choses par rapport à la Commission. Laissons de côté le permis; on l'a réglée, la question du permis. Elle va vous donner un avis, une recommandation à l'effet qu'elle est d'accord ou pas d'accord et elle va vous donner une autre chose, elle va dire si c'est conforme ou pas. Bon. Et, ça, pas besoin d'être un spécialiste en golf pour savoir si le terrain de golf est conforme au schéma d'aménagement, conforme aux règlements municipaux ou pas. Hein!

M. Robillard (Louis): D'accord.

M. Dion: Alors, jusque-là, il n'y a pas de problème. Et même si la Commission dit qu'elle ne recommande pas un terrain de golf... pas la Commission, je veux dire, la municipalité...

M. Robillard (Louis): La municipalité.

M. Dion: ...la Commission, c'est à elle de juger si elle l'autorise ou pas.

M. Robillard (Louis): Absolument, dans l'état actuel.

M. Dion: Bon. Et dans l'état futur aussi. Je pense que c'est ça qui... Peut-être que je me trompe, mais je n'ai pas vu autre chose dans la loi, c'est-à-dire que la Commission autorisera ou pas, selon qu'elle jugera que c'est nocif pour le territoire ou pas. Et ça s'arrête là. Et la Commission, à mon sens... Je ne vois pas en quoi il faut qu'une municipalité de 1 000, de 500 ou de 10 000 habitants doive être spécialiste en terrains de golf. Pour moi, ça n'a rien à voir, ça ne rentre pas en ligne de compte. C'est pour ça que j'aimerais comprendre votre raisonnement.

M. Robillard (Louis): Dans l'état actuel, tout ce que la municipalité a à faire, c'est de certifier la conformité au règlement de zonage, au schéma d'aménagement.

M. Dion: Plus la recommandation.

M. Robillard (Louis): Plus la recommandation, mais, à partir du moment où la municipalité certifie la conformité à son règlement de zonage et si la conformité du règlement de zonage est constatée par la municipalité, la recommandation a plus ou moins d'importance. La Commission va s'en servir ou non. Mais j'ai vu des cas passer contre la recommandation d'une municipalité puis j'ai vu l'inverse, des cas avec la recommandation d'une municipalité refusés par la Commission. Alors, ça, c'est dans le régime actuel.

Dans le nouveau régime qu'on voit dans les amendements à la loi, première étape, votre dossier est présenté à la corporation municipale, qui a un délai de 45 jours pour se prononcer sur les 10 critères de l'article 62: les critères d'utilisation du sol, la capacité des sols, le drainage, l'irrigation, les conséquences financières, l'harmonisation avec le caractère socioéconomique de la région, et tout. La municipalité a 45 jours pour se prononcer là-dessus. Vous avez dit tantôt que je doute de la compétence. Ce n'est pas tant de la compétence que je doute que de la capacité technique. Je doute que les municipalités aient la main-d'oeuvre requise pour faire face à l'analyse des 10 critères de l'article 62. Ça, c'est le premier problème. À partir du moment où, dans un délai de 45 jours, la municipalité s'est prononcée sur l'article 62, elle doit transmettre le dossier à la Commission de protection du territoire agricole. Comme il y a un caractère commercial ou il semble y avoir un caractère commercial dans l'exploitation d'un terrain de golf, les amendements nous laissent croire qu'une demande de terrain de golf ou une demande provenant du milieu touristique va être une demande d'exclusion, à cause du caractère commercial. À partir du moment où il s'agit d'une demande d'exclusion, seules les municipalités ou les MRC sont autorisées à se pourvoir devant la Commission pour présenter de telles demandes, et c'est ça qui nous inquiète, M. le député.

Le Président (M. Vallières): Merci, M. Robillard. M. le ministre, je pense qu'il a complété avec... À moins que vous ayez... Pas d'autres questions?

Une voix: C'est beau.

Le Président (M. Vallières): M. le député de Papineau? Il nous reste à vous remercier de votre témoignage fort intéressant. Quand on a vu apparaître le mémoire, on se demandait en quoi les associations de propriétaires de terrains de golf viendraient nous voir en commission. On se rend compte que vous aviez intérêt à y venir. On vous remercie et on apprécie votre témoignage.

Une voix: Merci, monsieur.

Le Président (M. Vallières): Alors, je prierais Mme Micheline Fournier de même que M. Omer Bourgault de bien vouloir se présenter maintenant. Alors, vous disposez d'environ 30 minutes; une dizaine de minutes de présentation et, ensuite, ce sera suivi d'une vingtaine de minutes d'échanges avec les collègues autour de la table.


M. Omer Bourgault et Mme Micheline Fournier

M. Bourgault (Omer): Bonsoir à vous tous. J'aimerais que vous compreniez de prime abord qu'on est de simples citoyens, on ne représente aucun organisme.

Pour faire une histoire courte, c'est que, nous, on a fait l'acquisition du lot P8 de la municipalité de Saint-Charles-sur-Richelieu, en août 1981. Ce lot possède une superficie de 9,33 ha. L'année suivante, nous avons fait faire d'importants travaux de drainage et, par la suite, des amendements au sol. En 1984, on a construit une grange aux dimensions de 30 x 50 pi qui sert au remisage de la machinerie agricole et à l'entreposage des céréales. Au cours des années, nous avons acheté la machinerie nécessaire aux labours et aux semences du printemps. Nous possédons la machinerie agricole requise pour ça.

De plus, et c'est ce qui occupe une bonne partie de notre temps, nous cultivons des légumes biologiques, incluant les pommes de terre, sur une faible superficie. Nous avons obtenu le statut de producteur agricole, et puis, en saison – il faut dire qu'au Québec, la saison est assez courte, c'est 145 jours – ça constitue notre principale occupation, j'entends, c'est ce qui occupe le principal de notre temps. Ce n'est pas ce qui constitue notre principal revenu, mais, quand je dis que c'est ce qui constitue notre principale occupation, c'est ce qui occupe le principal de notre temps.

Nous projetons de construire des serres pour la production de légumes biologiques et pour l'horticulture. Après consultations effectuées au bureau de renseignements agricoles de Saint-Hyacinthe sur des études de rentabilité de ce genre d'exploitation, on avait rencontré M. Larougery; là-bas, il nous a mentionné que la superficie du lot P8 est amplement suffisante pour cette activité et pour devenir une entreprise agricole rentable. D'autant plus que l'achalandage de la route 133 devrait constituer une partie intéressante du marché visé.

Après avoir présenté une déclaration à la Commission en août 1994, dans le but de construire les serres de notre projet et une résidence qui devait rester intégrée à l'exploitation agricole, nous avons reçu un avis de non-conformité pour les motifs que la superficie de la terre en question devait être d'au moins 100 ha, selon l'article 31.1, et que nos activités agricoles n'étaient pas suffisamment caractérisées pour conférer un statut de producteur agricole de principale occupation. Cette décision nous empêche donc de tenir feu et lieu sur notre terre que nous cultivons depuis 14 ans et nous interdit d'y intensifier une activité exclusivement agricole pour y développer une exploitation rentable.

Il nous apparaît que la superficie minimale de 100 ha de l'article 31.1 est justifiée pour rentabiliser une exploitation de culture céréalière mais n'est certainement pas requise pour une exploitation d'horticulture légumière et fruitière en serre.

(21 h 10)

À la lecture des notes explicatives de l'avant-projet de loi, on a constaté, au sixième paragraphe, que ce projet de loi supprime, dans les cas qui seront déterminés par règlement du gouvernement, l'obligation d'obtenir l'autorisation de la Commission notamment pour l'aliénation d'un lot et l'utilisation à une fin autre que l'agriculture. La loi actuelle définissant la construction d'une résidence comme une utilisation à une fin autre que l'agriculture, nous proposons que le projet de loi supprime l'obligation d'obtenir l'autorisation de la Commission pour la construction d'une résidence lorsque la superficie de la terre est d'au moins 5 ha. Cette superficie nous apparaît justifiée pour les cultures en serre à haute densité, elle est, d'une façon générale, plus conforme à la réalité et se rapproche d'ailleurs plus des superficies des exploitations européennes.

Il faut vous dire au départ qu'en 1978 nous étions d'accord avec le principe de la loi sur la protection du zonage agricole, que nous percevions comme étant nécessaire pour la protection du territoire agricole contre les développements domiciliaires effrénés. Mais c'est dans son application que, nous, on y voit des non-sens.

On a essayé de recueillir certains exemples d'entreprises de faible superficie. Il faut dire que l'information qu'on veut vous livrer ici, on l'a prise dans La Terre de chez nous ou Le Bulletin des agriculteurs . On n'a pas fait des recherches très poussées là-dessus. Entre autres, dans le numéro du 17 août 1995, où on parlait de petites Suisses qui se constituent au Québec, il y a à peu près 10 000 Québécois d'origine suisse dont le tiers sont actuellement des agriculteurs. Dans cet article-là, on mentionnait qu'il y avait une personne qui possédait une ferme tricentenaire de 8 ha en Suisse. Et, un peu plus loin, on voyait qu'un paysan moyen pouvait posséder une dizaine d'hectares, en Suisse toujours. Il faut dire que le prix de l'hectare en Suisse est pas mal plus élevé qu'au Québec. C'est pour ça qu'ils réussissent à mettre la main sur des terres, de très belles terres au Québec.

Un autre exemple d'entreprises qui opèrent avec des superficies réduites, c'est Les Jardins du Grand Portage, à Saint-Didace, propriété de Yves Gagnon et Diane MacKay, qui ont mérité cette année le premier prix du tourisme régional, dans la catégorie Innovation. Les dimensions de leur entreprise, c'est un magnifique jardin de 2,5 acres, ou un hectare, ouvert aux visiteurs et agrémenté de repas champêtres les fins de semaine. Les propriétaires disent qu'ils veulent parfaire et consolider la vocation agrotouristique de leur entreprise sans nécessairement l'agrandir.

On pense que juger de la viabilité d'une entreprise agricole sur le simple fait que la superficie est trop petite, parce qu'elle est inférieure à 100 ha, ça ne tient pas compte des productions à haute densité comme les productions horticoles, légumières et fruitières en serre. Par exemple, des études du Comité de références économiques en agriculture du Québec, le CREAQ, ont démontré que la production de tomates biologiques en serre produit en moyenne un revenu net de 12,87 $ le mètre carré. Pour une entreprise qui aurait 5 000 m², ce qui est un demi-hectare, ça dégagerait un profit net de 64 350 $, un profit net. Ce n'est pas un chiffre d'affaires, mais un profit net.

On veut souligner aussi qu'on trouve que 100 ha... 100 ha, c'est un kilomètre carré, ça. C'est un kilomètre par un kilomètre. Et puis on n'a pas fait de recherches très poussées, mais on n'est pas persuadés qu'il reste énormément de terres de cette dimension-là au Québec qui ne sont pas encore bâties.

On cherchait aussi à savoir c'était quoi, les critères de décision de la CPTAQ dans un cas comme le nôtre. Ce n'est pas nécessairement publié, ce genre de critères là. Et puis on a trouvé l'information, justement, dans Le Bulletin des agriculteurs de ce mois-ci, novembre 1995, dans le «Courrier du gestionnaire», ça s'intitule «Maison vs zonage». C'est écrit par M. Gaétan Villeneuve, agronome et économiste. La question posée est: «Je suis propriétaire d'une petite terre agricole dans la région de Montréal. Je désire m'y établir graduellement, d'ici cinq ans, en construisant quelques serres de tomates et de concombres. Je garderai entre-temps mon emploi à l'extérieur. En premier lieu, je désire construire ma maison. Aurai-je l'autorisation du zonage agricole?» Et la réponse qui est fournie: «... la Commission de protection du territoire agricole du Québec doit s'assurer que vous allez y développer une entreprise agricole viable [...] Avant de vous donner l'autorisation de construire votre maison, il est probable que la CPTAQ attende que vous ayez démontré le sérieux du projet en le réalisant en bonne partie...» pour qu'elle soit convaincue «... que vous irez jusqu'au bout dans la réalisation de votre projet.» Ça, c'est la réponse de M. Gaétan Villeneuve.

Nous, face à ça, on est convaincus que c'est mettre la charrue devant les boeufs, de procéder de cette façon-là. On est convaincus que c'est une façon de faire qui ira jusqu'au bout, mais le bout, ça va être la faillite. Imaginez une toute nouvelle entreprise de serres qui débute, avec tous les problèmes de rodage que cela comporte, puis la résidence du propriétaire qui est à 30 km de là parce qu'il n'a pas le droit de rester sur sa terre. Nous sommes convaincus que l'établissement d'une entreprise agricole doit se faire progressivement. Il est préférable de partir petit et de prendre de l'expansion à mesure que la clientèle grossit plutôt que de construire gros en espérant que la clientèle augmentera. Je pense que c'est la façon la plus sûre de s'assurer une viabilité économique dans le cas d'une nouvelle entreprise, et ça nous apparaît le gros bon sens.

On a lu aussi, dans La Terre de chez nous , le rapport annuel de la Commission de protection du territoire agricole. On dit que, pour ce tribunal administratif, 60 % du total des demandes visent une utilisation du sol à des fins autres que l'agriculture, c'est-à-dire un usage résidentiel. Peut-être que je me trompe, mais si je fais l'adéquation, si 60 % du total des demandes grugent 60 % du budget de la Commission, sur un budget de 8 000 000 $, je dois conclure que 60 % des demandes qui visent le résidentiel devraient gruger 5 000 000 $. Or, la Commission, l'an passé, a protégé 2 445 ha. Il y en avait 3 669 visés, il y en a eu 1 224 autorisés. La différence, c'est 2 445 ha. Si je divise 5 000 000 $ par 2 445 ha, j'arrive à 2 000 $ l'hectare. À mon niveau, comme simple citoyen, la question que je me pose... puis, à part de ça, 2 000 ha, encore une fois... 2 000 $, c'est-à-dire, l'hectare, c'est plus que ce que La Terre de chez nous mentionnait le 26 janvier 1995, où elle faisait une espèce de survol du coût de l'hectare à travers les différentes provinces du Canada, et on disait qu'au Québec l'hectare valait... la valeur marchande de l'hectare était de 1 602 $. À notre niveau, la question qu'on se pose, c'est: Est-ce qu'il faut collectivement acheter l'hectare de terre agricole pour le protéger? Est-ce qu'il faut payer le prix de la valeur marchande de chaque hectare à protéger? Ces chiffres-là, aussi, n'incluent pas les coûts déboursés par les requérants pour monter le dossier et le présenter devant la Commission.

On pense que le fonctionnement de la Commission, avec une approche cas par cas, dossier par dossier, est très dispendieux. On est persuadés qu'il devrait y avoir une autre façon de gérer ces questions-là. On pense que le rôle de la Commission devrait rester, au niveau provincial, le gardien du territoire agricole et de ses activités par le biais d'établissement des zones vertes et blanches en concertation avec les municipalités et par la gestion d'activités agricoles respectueuses de l'environnement. Nous sommes d'avis que la viabilité économique d'une entreprise, c'est la préoccupation immédiate du propriétaire et son gérant de banque et que la CPTAQ n'a pas à dédoubler cette préoccupation-là. Nous sommes d'avis aussi qu'il faut laisser agir les lois du marché, avec une superficie minimale de cinq hectares, pour toute la vitalité économique que toutes sortes de petites entreprises agricoles innovatrices peuvent apporter au milieu. Cinq hectares, c'est quand même 15 arpents, une superficie qui serait non morcelable, donc sans intérêt pour le développement domiciliaire et la spéculation. Une résidence, dans ce cas, peut représenter à peine 1 % à 2 % de la superficie de l'entreprise, et, de toute façon, par le biais de la fiscalité municipale, il est toujours possible d'assujettir les fermes non exploitées ou les terres non cultivées à une surtaxe sur les immeubles non résidentiels ou sur les terrains vagues.

(21 h 20)

En conclusion, nous croyons que se donner un pays, au-delà de toute partisanerie politique, c'est aussi se donner la liberté de tenir feu et lieu sur la terre que l'on cultive, d'habiter la terre que l'on aime et qui nous nourrit et d'occuper le territoire. C'est aussi se donner la liberté d'innover et d'en vivre. Enfin, c'est respecter les gens qui l'habitent et leur faire confiance. Merci.

Le Président (M. Vallières): Merci, M. Bourgault. Nous disposons maintenant d'une quinzaine de minutes, puisque la présentation a été un peu plus longue que 10 minutes. La parole est au ministre de l'Agriculture.

M. Landry (Bonaventure): Merci, M. le Président. Je voulais vous souligner, M. Bourgault, que, dans la Loi sur la protection du territoire agricole, vous avez fait référence à l'article 31.1, mais l'article 40 aussi précise que, pour les gens qui font de l'agriculture leur principale occupation, le critère des 100 ha ne joue pas.

M. Bourgault (Omer): C'est vrai, et j'ai eu à débattre ça devant la Commission. Pour ce qui est de l'article 40, c'est: Si ta principale occupation est l'agriculture, si j'ai bien compris la loi, c'est que tu as la possibilité de construire une résidence.

Maintenant, au sens de la Commission, premièrement, quand tu parles d'agriculture au Québec, il faut parler d'une saison de végétation qui est quand même limitée. Si tu ne gardes pas d'animaux, si tu n'es pas dans la production laitière, si, par exemple, tu es dans la grande culture, la saison de production, c'est de mai à octobre. Ce que j'ai constaté au niveau de la Commission, l'interprétation qu'elle fait du terme «principale occupation», c'est bien plus le principal revenu. Ils regardent ton revenu, puis si ton revenu... puis il faut dire que j'ai un emploi à l'extérieur, moi... Si ton emploi à l'extérieur génère un revenu supérieur à tes revenus agricoles, tu n'est pas considéré, ça ne te caractérise pas comme un agriculteur de principale occupation. Je vous ai bien dit au départ que ce qui occupe le principal de notre temps actuellement, c'est la culture de légumes biologiques, puis ça se fait sur une faible superficie et ça monopolise beaucoup de notre temps là-dessus.

M. Landry (Bonaventure): Oui, effectivement, mais vous parliez d'une production en serre, et je connais passablement de producteurs en serre au Québec qui ont des superficies même en bas de 5 000 m et qui en vivent.

M. Bourgault (Omer): Oui.

M. Landry (Bonaventure): Souvent, effectivement, il y a des gens, des couples où il y en a un des deux qui travaille à l'extérieur, mais l'autre conjoint oeuvre au niveau agricole et en fait sa principale occupation, de sorte que ces mesures-là, la loi prévoit justement, et l'article 40 prévoit que, pour des gens qui en font leur principale occupation... je parlais là d'une production en serre, mais je regarde certains élevages sans sol aussi qui se font sur des superficies même plus petites que celles-là, et des gens en tirent leur principal revenu effectivement. Je veux dire, oui, la loi est sévère là-dessus parce que la zone agricole n'est pas d'abord une zone de villégiature, elle est une zone d'activités agricoles, comme vous souhaitez vouloir le faire. Mais il y a des dispositions qui le prévoient aussi dans ce sens-là. Alors, la Commission ne ferme pas et n'a jamais, et la loi n'a jamais fermé totalement la porte aux gens qui veulent occuper de façon active le territoire et le mettre en valeur sans avoir nécessairement 100 ha. Vous souligniez tantôt la rareté, maintenant, des entreprises disponibles qui ont 100 ha d'un bloc. C'est effectivement le cas; il y en a, mais il y en a beaucoup moins qu'il y en a déjà eu.

M. Bourgault (Omer): Oui. Est-ce que le projet de loi prévoit toujours ces 100 ha là? Parce que je n'ai rien vu au niveau de...

M. Landry (Bonaventure): Il n'y a pas de changement là-dessus, on ne l'a pas touché là-dessus, compte tenu que ceux qui font de l'agriculture leur principale occupation... on ne demande même pas que, comme couples... ça, ce n'est pas à nous autres à fouiller ça, dans le fond. Si l'homme ou la femme décide que sa principale occupation devient l'agriculture, bien, que ce soit l'un ou l'autre, dans le fond, le statut de producteur agricole vaut pour l'un comme pour l'autre, en ce sens-là.

M. Bourgault (Omer): En tout cas, il me semble, à mon point de vue, à mon niveau, que le statut de producteur agricole est rattaché à une personne et non à un couple.

M. Landry (Bonaventure): Bien, c'est parce que, maintenant, au Québec, on a des entreprises agricoles qui sont des individus, des sociétés, donc il y a des personnes et des personnes morales. Puis, ça fait déjà, je pense, quatre ou cinq ans que ça existe, ça; il me semble que c'est en 1990 que ç'a été modifié.

Une voix: Ça fait cinq ans.

M. Landry (Bonaventure): Cinq ans. Il y a la personne et la personne morale. La personne morale peut être une compagnie, une société, une coopérative, et le statut peut être rattaché à ces entités-là.

M. Bourgault (Omer): Là, vous embarquez dans des considérations qu'à mon niveau je ne connais pas. Il faudrait que je sois comptable ou autre pour en juger.

M. Landry (Bonaventure): Bien, si ça peut vous donner l'information, tant mieux à ce moment-là.

M. Bourgault (Omer): Oui, c'est ça.

M. Landry (Bonaventure): Ça me fait plaisir.

Le Président (M. Vallières): Alors, d'autres demandes d'intervention? Alors, ceci complète nos travaux. Merci à M. Bourgault de même qu'à Mme Fournier.

Alors, ceci met fin à nos travaux pour cette journée. Nous ajournons donc nos travaux à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 21 h 26)


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