L'utilisation du calendrier requiert que Javascript soit activé dans votre navigateur.
Pour plus de renseignements

Accueil > Travaux parlementaires > Travaux des commissions > Journal des débats de la Commission de la culture

Recherche avancée dans la section Travaux parlementaires

La date de début doit précéder la date de fin.

Liens Ignorer la navigationJournal des débats de la Commission de la culture

Version finale

37e législature, 1re session
(4 juin 2003 au 10 mars 2006)

Le mercredi 21 septembre 2005 - Vol. 38 N° 51

Consultation générale sur le patrimoine religieux du Québec


Aller directement au contenu du Journal des débats

Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente et une minutes)

Le Président (M. Brodeur): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, je déclare la séance la Commission de la culture ouverte. Et, comme à l'habituel, je demande à ceux qui ont des téléphones cellulaires de bien vouloir fermer les sonneries, s'il vous plaît.

Donc, le mandat de la commission est de poursuivre les auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le patrimoine religieux du Québec.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Yolande James (Nelligan) est remplacée par M. Tomassi (LaFontaine) et Mme Legault (Chambly) est remplacée par M. Dubuc (La Prairie).

Le Président (M. Brodeur): Merci. Donc, nous sommes à notre deuxième journée d'audition. Aujourd'hui, nous aurons le plaisir d'entendre, dans l'ordre, la ville de Montréal, qui sera suivie de l'Atelier d'histoire d'Hochelaga-Maisonneuve, conjointement avec Orgue et Couleurs; troisièmement, M. Luc Noppen et Mme Lucie Morisset. Cet après-midi, nous aurons la chance d'entendre le Musée des beaux-arts de Montréal; le Conseil du patrimoine de Montréal; M. Richard Gauthier... Je vois M. Daniel Saintonge; est-ce qu'on l'a dans la liste?

Le Secrétaire: Il a été entendu, hier, M. Saintonge.

Le Président (M. Brodeur): Il a été entendu hier. Et finalement MM. Claude Turmel et Clément Demers.

Donc, j'étais pour inviter la ville de Montréal à s'installer, c'est déjà fait. Je vous rappelle les règles de la commission parlementaire. Nous sommes ici, à Montréal, mais c'est comme si le Parlement serait rendu à Montréal pour la circonstance, donc nous avons les règles de commission parlementaire comme si vous étiez au Parlement à Québec. Donc, vous avez un temps alloué d'un maximum de 20 minutes pour présenter votre mémoire de la façon que vous le désirez, et qui sera suivi d'une période d'échange avec les membres de la commission.

Pour le bénéfice du Journal des débats, je vous demande, tout d'abord, de vous identifier et, ensuite de ça, de présenter votre mémoire. La parole est à vous.

Auditions (suite)

Ville de Montréal

Mme Sénécal (Francine): Merci beaucoup, M. le Président. Donc, j'ai le grand plaisir de faire cette présentation du mémoire de la ville de Montréal. Alors, je suis Francine Sénécal, vice-présidente du comité exécutif, responsable de la culture et du patrimoine à la ville de Montréal. Je suis accompagnée de Mme Céline Topp, qui est à ma gauche, directrice du Bureau du patrimoine, voilà, et Mme Isabelle Dumas, qui est aussi responsable du dossier du patrimoine à la ville de Montréal. Alors, je ferai une brève présentation du mémoire qui vous déjà été transmis, et ensuite nous pourrons répondre à vos questions.

Alors, la ville de Montréal félicite la Commission de la culture de l'Assemblée nationale du Québec pour l'ouverture de cette important chantier de réflexion sur l'avenir du patrimoine religieux du Québec. Et je remercie la commission de cette invitation à participer aux travaux de la commission.

La ville de Montréal, vous le savez sans doute, vient tout juste de se doter de sa première Politique du patrimoine ? je présume que vous en avez reçu copie ? qui fait du patrimoine religieux l'un de ses principaux enjeux. Est-ce que vous avez reçu copie, M. le Président?

Le Président (M. Brodeur): Non, on n'en a pas de copie ici, là.

Mme Sénécal (Francine): On n'a pas de copie?

Le Président (M. Brodeur): Continuez. Au besoin...

Mme Sénécal (Francine): Donc, première Politique du patrimoine. La ville de Montréal est une des premières villes nord-américaines à se doter d'une politique du patrimoine comme telle, et puis cette Politique du patrimoine a fait l'objet d'un long processus de consultation qui a été mené au cours des deux dernières années. Un comité de travail avait mis en place... Enfin, lors du Sommet de Montréal, cette demande avait été formulée, un comité de travail, présidé par Mme Gretta Chambers, a mené des consultations, a fait des recommandations, et par la suite nous avons donc repris ces recommandations, ces orientations pour les soumettre à la consultation menée par l'Office de consultation publique de Montréal. Et, au terme, nous avons adopté cette Politique du patrimoine. Donc, le conseil municipal a adopté la politique lors de sa séance de mai dernier. Voilà.

Donc, cette consultation publique ? ou ces consultations publiques, puisqu'elles se sont faites en deux temps ? a été l'occasion de constater l'importance du sujet pour la population montréalaise et de l'entendre exposer différents avis et proposer des pistes de solution. Il ne fait aucun doute que l'effort de conservation et de mise en valeur de cet immense héritage est une responsabilité collective qui doit être assumée par un ensemble d'acteurs. Ainsi, la ville souhaite exercer un leadership auprès de ses partenaires dans l'élaboration d'un plan d'action en regard du patrimoine religieux. Mais j'insiste sur le concept de responsabilité collective qui est au coeur de notre Politique du patrimoine.

La spécificité montréalaise est essentiellement liée à la grande diversité des traditions religieuses de même qu'à la diversité et à la quantité des différentes composantes du patrimoine qui leur est associé. À l'échelle du Québec, c'est à Montréal que l'on trouve la plus grande concentration d'éléments tels que les bâtiments, les espaces cultuels ou conventuels, mobiliers, arts sacrés, orgues, patrimoine archivistique et cimetières. Les diverses traditions religieuses de Montréal ont aussi légué un patrimoine immatériel important, ce sur quoi porte aussi la politique.

Alors, vous avez noté dans notre mémoire que nous procédons à un petit rappel historique; je vais vous faire grâce, ce matin, de ces dates. Mais donc ce qui est important pour nous, c'est que, depuis 2002, une analyse des ensembles conventuels d'intérêt patrimonial se réalise et documentait 50 ensembles conventuels sur le territoire de Montréal. Alors, l'ampleur du défi en regard de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine religieux montréalais est aussi particulière en raison de la quantité de lieux de culte et d'ensembles conventuels sujets aux pressions qui s'exercent sur le territoire densément urbanisé.

Alors, les lieux de culte et les ensembles conventuels occupent souvent de grands terrains paysagés qui sont bien situés, qui peuvent être lotis, qui possèdent une grande valeur foncière, qui suscitent des projets de démolition, des projets de développement qui sont souvent difficilement compatibles avec les caractéristiques essentielles des lieux. Les cimetières font aussi l'objet de multiples défis. Nous avons eu des discussions très, très vives à ce sujet au cours de la dernière année, alors qu'il s'agisse du financement des travaux de conservation et d'entretien, du vol, du vandalisme notamment en regard du patrimoine artistique et de la nécessité d'offrir de nouveaux modes d'inhumation pour répondre à la demande des communautés et s'adapter à l'évolution des pratiques.

La conservation et la mise en valeur du patrimoine religieux présentent aussi des enjeux panmontréalais. Et il nous apparaît que, pour préserver le caractère identitaire de Montréal et pour assurer la cohérence des interventions, il est nécessaire de développer une réflexion et une vision globales sur l'avenir de ce patrimoine à l'échelle du territoire. Et donc la ville de Montréal doit développer une connaissance et une appropriation de l'ensemble des problématiques autant que du potentiel des différentes composantes du patrimoine religieux. La ville, aussi, toujours dans sa Politique du patrimoine, insiste sur l'importance de mettre en place des modes de concertation qui interpellent la diversité d'acteurs et aussi développer des outils de connaissance de la planification et de la gestion de ce patrimoine religieux.

La conservation et la mise en valeur du patrimoine religieux sont aussi des enjeux très importants à l'échelle des quartiers. Et je pense que tous les élus municipaux savent à quel point la question du patrimoine religieux est un enjeu extrêmement vif, peut provoquer des débats très vifs aussi dans les quartiers lorsqu'on discute de la transformation de ces éléments du patrimoine. Alors, ce sont les arrondissements qui doivent faire face, dans l'exercice de leurs pouvoirs et de leurs compétences, à ces débats. Et les bâtiments et leurs environnements sont des repaires signalétiques et des formes urbaines structurantes des quartiers qui contribuent largement à la qualité de vie des citoyens. Et l'expérience démontre que la population demeure souvent attachée au patrimoine religieux et lui reconnaît une valeur qu'il convient de considérer dans l'évaluation des composantes de ce patrimoine.

Je pense que nous savons tous que, malgré la baisse de fréquentation des lieux de religion, effectivement les citoyens sont très attachés à ces lieux, à ces sites, et donc ils structurent la vie de quartier, ils font partie de l'histoire collective des quartiers et de l'histoire collective des citoyens. Et on constate qu'ils réagissent à tout projet de transformation de ces ensembles religieux.

n (9 h 40) n

Alors, évidemment, pour poursuivre cette prise en charge de la problématique du patrimoine religieux, il nous apparaît que nous devons à la fois trouver des lieux de concertation, des lieux d'échange d'informations et donc nous doter d'outils pour avoir une juste connaissance de ce qu'est ce patrimoine religieux et de sa valeur.

Alors, je l'ai mentionné, en 2002 s'est tenue la réalisation d'une analyse documentant, qualifiant 50 ensembles conventuels d'intérêt patrimonial pour Montréal. La ville a aussi participé à la réalisation de l'inventaire des lieux de culte conduit par le ministère de la Culture et des Communications. La ville de Montréal, la ville de Québec, la Commission de la capitale nationale et le ministère de la Culture et des Communications sont aussi partenaires dans la réalisation d'une étude conjointe sur l'implantation et le financement d'une structure de gestion financière et immobilière du patrimoine bâti religieux excédentaire.

Nous avons aussi un partenariat avec les universités montréalaises qui se penchent sur ces questions, et donc nous participons... la ville de Montréal participe au colloque intitulé Un patrimoine religieux à inventer, qui s'est tenu l'an dernier au Centre d'histoire de Montréal. Et il y aura un colloque international qui se tiendra en octobre, intitulé Quel avenir pour quelles églises?, auquel participe la ville de Montréal. La ville et le milieu associatif sont aussi partenaires toujours dans cette préoccupation ou dans ce constat que les citoyens sont très sensibles aux questions de transformation de ce patrimoine religieux.

Donc, cette question du patrimoine occupe de plus en plus d'importance. Je vous l'ai mentionné, nous avons adopté une politique du patrimoine. Le plan d'urbanisme, le nouveau plan d'urbanisme de la ville de Montréal accorde aussi un importance très grande aux questions du patrimoine, et chacun des arrondissements a été invité à identifier les lieux et les sites à valeur patrimoniale. Donc, cette question du patrimoine est très présente dans le plan d'urbanisme qui a été adopté récemment.

Nous invitons aussi les arrondissements à aller encore plus loin et donc à analyser les lieux de culte d'intérêt patrimonial dans leurs quartiers. Donc, il y a eu une première identification dans le cadre du plan d'urbanisme, et nous invitons les arrondissements à faire un pas additionnel. Et nous sommes, avec le Conseil du patrimoine de Montréal, à travailler à mettre en place des projets pilotes avec des arrondissements afin de faire l'inventaire, un, de connaître quels seront les sites patrimoniaux, les églises qui deviendront disponibles, et tenter de trouver des solutions, des alternatives pour la transformation de ces immeubles.

Alors, il y a évidemment toute la question sur ce que nous devons conserver, comment le conserver. Alors, nous recommandons que le gouvernement du Québec... en regard du quoi conserver, que le gouvernement du Québec maintienne son appui à la réalisation de l'inventaire des lieux de culte mené par le ministère de la Culture et des Communications; que le gouvernement du Québec appuie aussi les initiatives des municipalités visant à compléter la connaissance du patrimoine religieux et à qualifier ces éléments du patrimoine religieux, parce que ce n'est pas seulement la connaissance mais aussi la qualification; nous invitons aussi le gouvernement du Québec à appuyer les municipalités dans le développement d'outils et de critères pouvant appuyer la prise de décision à l'échelle municipale à l'égard de projets affectant le patrimoine religieux.

Comment conserver ce patrimoine? Donc, encore une fois, on constate que nous... malgré les inventaires qui sont en cours, malgré les démarches qui sont amorcées, quand même récentes, depuis quelques années, nous avons encore un problème d'information. Et, la Politique du patrimoine le mentionne, il est essentiel d'être informé le plus rapidement possible des décisions qui seront prises par les communautés afin de pouvoir rapidement envisager des transformations d'usage pour les immeubles patrimoniaux religieux. Donc, l'absence d'information quant aux éléments du patrimoine religieux susceptibles d'être mis sur le marché pose certains problèmes. Il est donc essentiel de créer des conditions propices à la prise de décision éclairée, au développement de solutions intelligentes et surtout novatrices.

Donc, à cet égard, nous recommandons que le gouvernement du Québec examine la possibilité de régir la disposition des éléments du patrimoine religieux de manière à ce que les projets de disposition soient rendus publics au moins deux ans avant la mise en vente effective de telles entités.

Nous souhaitons aussi que le gouvernement examine la mise sur pied d'une fiducie comme structure de gestion financière et immobilière qui puisse prendre en charge le patrimoine bâti religieux excédentaire.

Que le gouvernement du Québec s'associe à l'ensemble des intéressés ? donc les municipalités, représentants des traditions religieuses, Fondation du patrimoine religieux, milieu associatif, universitaire, milieu des affaires, milieu social, culturel, citoyens ? pour faire de la prospective et pour assurer le partage de la connaissance et de l'information en termes de projets de recyclage et de techniques de restauration.

Enfin, nous souhaitons que le gouvernement examine les moyens à mettre en place pour prévenir la dégradation des composantes du patrimoine religieux qui maintiennent leur vocation.

Donc, au terme, nous souhaitons ? et je pense que je vais conclure ? que le gouvernement examine aussi des modes de compensation ou des incitatifs fiscaux qui devraient être mis en place pour compenser le potentiel de développement restreint découlant de la conservation d'éléments du patrimoine religieux.

Nous souhaitons finalement que le gouvernement du Québec examine, en collaboration avec la ville, la possibilité d'offrir un soutien technique et financier aux organismes dans le développement de projets de recyclage d'éléments du patrimoine religieux; que le gouvernement examine, en collaboration avec la ville, les structures ou mécanismes à mettre en place pour favoriser le regroupement d'organismes pour le recyclage d'immeubles de superficie importante; et enfin que le gouvernement intègre des orientations en matière de patrimoine religieux en ce qui a trait aux interventions de ses ministères et mandataires sur le territoire de Montréal afin d'envisager le recyclage des propriétés religieuses pour loger des fonctions publiques et afin de s'assurer, lors du développement de projets, de respecter les caractéristiques essentielles de ce patrimoine et les orientations ? bien sûr, je vais insister... respecter les orientations municipales en regard de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine religieux. Alors, merci, M. le Président.

Le Président (M. Brodeur): Merci beaucoup. Merci de votre présentation. Comme vous le disiez, on a soumis trois questions: Quoi conserver? Qui devrait le faire? Et comment le faire? Mais puisque nous avons des représentants de Montréal, la grande métropole, et que plusieurs intervenants, particulièrement hier, et des gens qu'on a rencontrés par le passé, quand on parle de qui, souvent on vise le gouvernement et on vise aussi beaucoup les municipalités. Donc, ayant devant nous les représentants de cette grande municipalité québécoise, la question où on va plutôt... en tout cas, moi, que je veux me pencher, c'est sur le «qui». Parce que nous sommes visés, là, comme gouvernement, et vous comme la grande entité municipale.

Donc, j'aimerais vous poser, comme première question, dans le cadre du «qui»... et vous semblez aussi très intéressés à y participer et faire partie de la solution, la question va être dans le «qui»: Comment la grande ville de Montréal suggère... ou pourrait s'impliquer autant de façon technique que de façon financière? Vous avez parlé de fiducie tantôt. Certains nous disent, hier surtout, là, les gens de l'Église qui étaient peut-être moins intéressés à une fiducie... Les gens qui sont les laïcs, entre guillemets, semblent intéressés aux fiducies. Mais, vous, de quelle façon... J'aimerais vous entendre sur la façon que vous pourriez suggérer de procéder dans la façon de financer cette grande entreprise de conserver notre patrimoine religieux. Comment voit la ville de Montréal? Quel est l'objectif visé par la ville de Montréal pour arriver à une entente qui pourrait permettre de gérer toute cette transformation-là?

Mme Sénécal (Francine): Bien, d'entrée de jeu je vais vous dire que la ville accorde une grande importance à la préservation du patrimoine religieux, et je pense que ça, c'est le premier constat, le premier a priori qui a été clairement identifié dans la Politique du patrimoine. Et ce n'est pas un hasard si nous avons adopté une politique du patrimoine et si on accorde beaucoup d'importance à cette question du patrimoine religieux, parce que ce débat du patrimoine religieux est très présent dans la gestion et dans le vécu de la municipalité.

n (9 h 50) n

Donc, je l'ai mentionné, les citoyens accordent beaucoup d'importance à la préservation du patrimoine religieux puis évidemment les grands ensembles conventuels. Puis les gens sont habitués à vivre avec une église, avec un couvent, avec le parc, donc ils ne sont pas prêts à céder facilement ces ensembles puis ils ne sont pas prêts non plus à les voir se transformer n'importe comment.

Donc, la question du patrimoine religieux est très importante pour la ville de Montréal et, je pense, pour l'ensemble de nos arrondissements. Nous sommes vraiment confrontés directement aux besoins d'une réflexion puis on est interpellés par les citoyens. Donc, la question du patrimoine, mais à tous égards, patrimoine naturel, patrimoine religieux, patrimoine mobilier, immobilier et même matériel et la culture, tous ces éléments-là prennent de plus en plus de place dans notre vie puis dans la vie des citoyens.

En même temps que nous reconnaissons l'importance du patrimoine, je vais aussi vous dire que la ville de Montréal ne peut pas être seule à assumer la responsabilité de la prise en charge de ce vaste patrimoine religieux. Et c'est aussi une orientation très claire que l'on retrouve dans la Politique du patrimoine. La ville n'a pas les moyens de prendre à sa charge l'ensemble des immeubles patrimoniaux qui deviendront disponibles. Donc, nous devons nécessairement trouver des solutions où nous travaillerons en concertation avec plusieurs partenaires. Et ça aussi on le retrouve dans la Politique du patrimoine.

Donc, nous souhaitons, dans un premier temps, se donner les moyens pour être informés le plus rapidement possible de ce qui deviendra disponible. Ça nous apparaît, ça, la première étape: il faut qu'on sache ce qui nous attend. Et en ce moment on ne le sait pas. On l'apprend soit à travers les branches ou on l'apprend lorsqu'un promoteur arrive avec un projet, et ça provoque les débats que vous connaissez. Donc, nous avons besoin d'être informés le plus rapidement possible de ce que l'archevêché ou l'Assemblée des évêques souhaite mettre sur le marché, ou même les communautés, ici, de religieuses. Alors, c'est l'ensemble du dossier et du patrimoine religieux qui doit être connu, et on doit ouvrir les livres, dans le fond. Il faut faire preuve de transparence.

D'autre part, la fiducie nous apparaît être un bon moyen pour trouver des solutions alternatives ou des nouveaux modes de transformation ou d'utilisation de ce patrimoine. Je l'ai indiqué, la ville de Montréal, avec la ville de Québec, la Commission nationale, le ministère, a déjà posé un geste. Donc, le comité exécutif de la ville de Montréal a déjà accepté d'investir dans une première étude visant à analyser la possibilité, la faisabilité de mettre en place une fiducie. Et cette fiducie aurait pour mandat donc de proposer des solutions en vue de la transformation, l'utilisation et la transformation de ces ensembles patrimoniaux. Alors, la fiducie nous apparaît donc un bon moyen.

Au-delà de ça, nous avons aussi bien sûr les tables de concertation, les discussions qui se mènent dans les arrondissements. À cet égard, le Conseil du patrimoine joue un rôle très important pour accompagner à la fois les promoteurs, à la fois les arrondissements. Et nous avons créé un bureau du patrimoine, ce qui est tout récent, qui a été fait avec l'adoption de la Politique du patrimoine, pour que clairement nous ayons, dans l'administration municipale, une équipe qui suit cette problématique, qui agit comme groupe de veille et qui d'autre part est aussi en mesure d'accompagner nos élus dans cette réflexion et ces discussions sur la transformation du patrimoine.

Le Président (M. Brodeur): Vous comprendrez que l'objectif de la commission, c'est de proposer un livre de recettes au gouvernement pour le règlement de ce problème-là. Donc, je comprends que vous proposez une fiducie. Est-ce que ça veut dire que, par exemple, l'exemple français que nous avons, là, peut-être que vous rejetez, vous préférez une fiducie... En France, ils ont, par exemple, depuis 1905, donné l'administration des cathédrales à l'État central et des autres églises aux Communes, donc aux municipalités, sauf que ça a créé peut-être certaines distorsions. On prend l'exemple d'Avignon, qui est responsable du Palais des Papes. Ce n'est pas une cathédrale, mais c'est une grande bâtisse à conserver, donc ils n'ont peut-être pas les moyens, comme municipalité moyenne, de conserver ou d'administrer ces bâtiments-là.

Est-ce que la ville de Montréal rejette une proposition qui pourrait être semblable, de donner l'administration de certaines églises carrément aux municipalités?

Mme Sénécal (Francine): Bien, écoutez... Oui, on me fait remarquer qu'il y a 450 églises sur le territoire de Montréal, mais je pense que nous sommes bien loin de la réalité française. Vous savez, j'étais avec des collègues de Barcelone, il y a environ un an, et nous avions cette discussion, justement. Le gouvernement catalan a réglé cette question au début du siècle, lorsqu'ils ont décidé de consacrer la division entre l'État et l'Église. Le débat s'est fait il y a 100 ans, et maintenant on n'en parle plus, et c'est effectivement pris en charge par la municipalité, par la ville de Barcelone notamment. En France, le débat s'est mené il y a bien longtemps, bien longtemps. Alors, je ne pense pas que nous soyons dans le même contexte. Ce débat de l'utilisation, de la transformation du patrimoine religieux est encore très sensible ici, et je pense que ça ne peut pas être... on ne peut pas envisager une remise simple comme ça aux autorités municipales.

D'autre part, je vais aussi ajouter qu'on ne peut pas imaginer que les citoyens montréalais vont payer à même leurs taxes foncières la prise en charge du patrimoine religieux. Vous connaissez la situation budgétaire de la ville de Montréal. Nous avons tout un débat sur les investissements en culture versus les investissements... ou dans la réfection, nos aqueducs, nos infrastructures pour l'eau, pour le transport, transport en commun, les routes, alors je ne crois pas que la ville de Montréal accueillera favorablement une nouvelle responsabilité de ce type.

Le Président (M. Brodeur): ...échelle québécoise, aussi.

Mme Sénécal (Francine): Une prise en charge unilatérale par la municipalité, ce serait très mal reçu.

Le Président (M. Brodeur): Merci. Mme la députée de Pointe-aux-Trembles.

Mme Léger: Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Sénécal, bonjour mesdames. Vous avez suivi, hier, assez assidûment les travaux. D'abord, bon, c'est sûr que vous êtes interpellés, la ville, comme toutes les municipalités, comme disait mon collègue le président de la commission. Là, vous avez dit, tout à l'heure... Bon, par rapport à la Politique du patrimoine, ce serait intéressant... moi, j'apprécierais que vous puissiez me transmettre... les membres... peut-être ceux de Montréal en tout cas, la Politique du patrimoine.

Mme Sénécal (Francine): On va vous la faire transmettre, oui.

Mme Léger: Je vois que vous avez bien dit clairement que, dans la Politique du patrimoine, il y a un aspect que vous identifiez clairement au niveau du patrimoine religieux. Vous avez créé un bureau du patrimoine. Est-ce qu'il y a un budget de consacré pour faire suite... même si vous nous dites, aujourd'hui, que vous avez une préférence peut-être pour une fiducie, etc., mais est-ce qu'il y a un budget de consacré au patrimoine religieux particulièrement, soit dans la conservation ou dans l'aide, dans le soutien ou dans toutes sortes de ressources pour aider soit la communauté religieuse ou soit les citoyens, dépendant?

n (10 heures) n

Mais suite à ça aussi vous avez dit que vous faites un travail assez proche avec les arrondissements. Donc, dans les arrondissements, il n'y a pas nécessairement un bureau du patrimoine, ils relèvent vraiment de la ville telle quelle. Quel est le lien que vous pouvez faire avec les arrondissements? Les arrondissements n'ont pas nécessairement les moyens, donc ils peuvent peut-être faire l'inventaire, ils peuvent peut-être voir quelles sont... peut-être en tout cas quelles sont les possibilités, sur leur territoire, de conservation de certains lieux de culte. Bon, en tout cas, ils peuvent faire certains travaux. Mais il reste qu'il n'y a pas de budget, dans les arrondissements, pour ça. Puis, de ce que j'ai pu comprendre, il n'y en a pas nécessairement de précis, suite à la Politique du patrimoine, de budget identifié vraiment pour aider. Alors, avant de poursuivre, j'aimerais que vous répondiez à cette question-là.

Mme Sénécal (Francine): Bien, je vais vous dire un mot sur les arrondissements; Mme Topp pourra vous parler des budgets.

Les arrondissements effectivement n'ont pas de budget consacré de façon particulière au patrimoine, au dossier du patrimoine religieux. Il s'agit davantage d'accompagnement des projets de promoteurs, puisque, dans bien des cas, ce sont les arrondissements qui doivent autoriser les projets de transformation des immeubles patrimoniaux, donc soit en autorisant l'émission de permis, soit en procédant à des changements de zonage. Donc, à ce moment-là, les arrondissements sont interpellés. Donc, il s'agit d'un accompagnement avec soit la communauté religieuse, soit le promoteur qui a un projet. Et puis évidemment, à ce moment-là, selon la demande, les citoyens sont consultés. Ça peut faire l'objet d'une... ça peut aller jusqu'à un référendum. Donc, nos processus de consultation qui existent, qui sont en place, sont mis en branle, et le débat devient public et donc s'ouvre avec la communauté.

Il nous apparaît qu'il serait plus facile encore une fois si on savait longtemps d'avance quels seront les immeubles, les églises ou couvents qui deviendront disponibles. Parce qu'en ce moment on constate qu'à la fois la ville puis à la fois les arrondissements apprennent les nouvelles quand le projet arrive, quand le projet est sur la table, donc on a peu de temps pour... Parce que généralement le promoteur est impatient, donc souhaite pouvoir aller de l'avant avec son projet. Les communautés aussi qui ont pris une décision de vendre souhaitent que ça se fasse. Donc, on aurait besoin, il serait souhaitable, je pense, à la fois pour les communautés, à la fois pour les promoteurs qui ont des projets puis pour les citoyens, d'avoir du temps pour trouver des solutions alternatives à la transformation de ces ensembles patrimoniaux.

En ce qui a trait au budget, Mme Topp, si vous voulez...

Mme Topp (Céline): Bon. Présentement, nos budgets sont à l'intérieur de programmes qu'on pourrait appeler... qui sont plutôt axés sur la mise en valeur du patrimoine religieux qui conserve toujours sa vocation. Comme présentement, à l'intérieur de ces programmes-là, la ville participe à la mise en valeur de l'église St. James, sur Sainte-Catherine. Aussi, ce que la ville a fait, au cours des dernières années ? c'est un peu aussi ce qui est recommandé dans notre mémoire ? c'est de faire en sorte qu'en fonction des propres besoins de la ville, notamment en termes d'équipements culturels comme des bibliothèques, on favorise le recyclage de bâtiments religieux vers ces fonctions.

Maintenant, comme Mme Sénécal l'a mentionné, à l'intérieur de la démarche que l'on fait avec la ville de Québec, la Commission de la capitale nationale et le ministère de la Culture, on souhaite se donner des outils à l'intérieur d'une fiducie, en tout cas d'une structure qui permettrait cet échange d'information là, et là peut-être aussi à structurer une aide financière en fonction de projets de recyclage ou de transformation.

C'est sûr aussi que beaucoup de nos moyens financiers ont été mis, au cours des dernières années, pour effectuer cet inventaire-là du patrimoine religieux et le qualifier, notamment à partir du travail qui est fait au ministère de la Culture. Comme Mme Sénécal l'a mentionné, il faut qu'au niveau de la municipalité ces outils-là se raffinent et deviennent de plus en plus précis pour permettre justement qu'on ait des critères adaptés au niveau des arrondissements lorsqu'on accueille un projet de transformation ou de mise en valeur.

Mme Léger: Sur un autre ordre, hier matin, vous avez entendu l'Église anglicane, qui a fait une démonstration assez claire de leurs préoccupations par rapport à toute la préservation de l'environnement, et, disons, ça vaudrait la peine que vous voyiez le mémoire parce qu'il y a plein de photos, dans le mémoire, d'édifices très modernes qui sont juste à côté, qui s'élèvent juste à côté de ce patrimoine-là religieux, alors il y a un lien direct d'urbanisme avec tout le patrimoine religieux, en tout cas pour ce qui concerne la ville de Montréal. Ça peut être ailleurs, mais ça a été très identifié hier.

Est-ce que le Bureau du patrimoine a des liens aussi très... plus raffinés avec tout le département d'urbanisme et que vous... Il y a une discussion? Y a-tu des critères d'établis? Parce que vous parlez aussi de critères et d'outils de prise de décision, là. J'imagine qu'il doit y avoir ce genre de critère, là, dans les possibilités, là.

Mme Topp (Céline): D'abord, la ville vient de se doter d'un nouveau plan d'urbanisme, et ce plan d'urbanisme là a fait de l'orientation et de la préservation du patrimoine un objectif d'orientation et des objectifs essentiels, et à l'intérieur de ça on a identifié les ensembles religieux donc qui avaient une valeur patrimoniale. Et, en regard de ces éléments-là, le plan d'urbanisme a introduit, à l'intérieur de ce qu'on appelle le document complémentaire au plan d'urbanisme, donc qui est un outil de mise en oeuvre du plan d'urbanisme, alors... Et cet outil-là va demander à ce que les arrondissements établissent justement des critères et des normes pour préserver ce patrimoine-là. Donc, ces critères et ces normes vont viser justement, lorsqu'il y a des projets qui viennent prendre place à proximité de ce patrimoine-là, d'avoir un ensemble de critères et de normes pour protéger la valeur patrimoniale des ensembles, donc on parle de vues, de hauteurs, de règles d'insertion en fait pour s'assurer de la bonne intégration et de projets nouveaux à côté d'ensembles patrimoniaux.

Mme Léger: Pour terminer, avez-vous... J'aurais beaucoup de questions, mais je vais laisser les collègues... Est-ce que vous avez des liens étroits avec les communautés religieuses? Parce qu'une de vos inquiétudes est de ne pas savoir qu'est-ce qui se passe. C'est sûr que, sur le territoire, on peut identifier déjà, avec les communautés religieuses, les lieux de culte ou qui sont en difficulté juste de conservation, d'une part, préservation, bon, toutes les autres étapes peuvent être là. Est-ce que vous avez des liens avec les autorités religieuses?

Mme Sénécal (Francine): Oui, tout à fait. Nous avons, enfin, de très, très bonnes relations avec les communautés. Il y a aussi une table...

Une voix: ...

Mme Sénécal (Francine): ...la table de concertation avec les différentes confessions religieuses ? voilà le titre exact de cette table qui existe depuis déjà un moment. Mais on se rend compte que ça s'accélère. Donc, nous avons une certaine vue et certaines informations, mais on a encore des surprises. Alors, d'où l'importance que nous accordons aux échanges d'information. Et évidemment il faut que ça concerne aussi l'ensemble des communautés religieuses, donc les religieuses aussi. En fait, ce n'est pas seulement le patrimoine... ce n'est pas seulement les églises, là, qui sont en cause, là. Les couvents, on sait qu'en ce moment il y a des discussions importantes sur les transformations de couvents, d'écoles aussi, les grandes institutions scolaires, donc ça fait partie de cette discussion aussi.

Le Président (M. Brodeur): M. le député de LaFontaine.

M. Tomassi: Merci, M. le Président. Mme Sénécal, bonjour.

Mme Sénécal (Francine): Bonjour.

M. Tomassi: Bienvenue. Je voulais un peu revenir sur votre Politique du patrimoine. Dans votre mémoire, il y a beaucoup de recommandations qui débutent par «que le gouvernement du Québec»: «que le gouvernement du Québec examine», «maintienne», «que le gouvernement du Québec, en collaboration», «que le gouvernement du Québec envisage». On a la ville de Montréal devant vous. Vous avez dit, tantôt, que vous connaissez votre situation financière; j'espère que vous connaissez aussi la nôtre, parce qu'on est dans une même situation.

Et il faut voir cet ensemble de protection du patrimoine religieux dans son ensemble, où est-ce que la capacité financière... On est rendu à un niveau où est-ce que, vous, vous demandez: Ce n'est pas aux Montréalais pour payer pour cette protection-là; il y a d'autres gens du Québec qui pourraient vous répondre: Bien, ce n'est pas à nous à payer pour les églises à Montréal. Alors, on ne trouvera pas de solution miracle, et justement la commission est là pour essayer de trouver une manière où est-ce qu'on peut mettre en évidence et à profit ce patrimoine qui est collectif, en réalité.

n (10 h 10) n

En ce qui a trait à votre Politique du patrimoine, vous avez une politique qui a été adoptée, je crois, en 2005. À ce que j'ai compris, la ville de Montréal a une politique proprement dite qui doit s'appliquer sur tout le territoire de Montréal. Hier, Mgr Turcotte nous faisait mention qu'il y avait des dilemmes, là, où, si on s'en allait à l'arrondissement, on avait une réponse, si on allait à la ville, on avait une autre réponse, puis par la suite, quand on allait au ministère de la Culture, on avait une autre réponse. Alors, il y avait un manque d'informations qui transigeaient.

Deux des éléments de ces informations-là vous touchent directement, que ce soit l'arrondissement et la ville proprement dite, où est-ce qu'il y a une information qui transige vis-à-vis l'autre... vers l'arrondissement, vers la ville, et de la ville aux arrondissements, ce qui me semble assez important, de un. Et, de deux, c'est à savoir si vous respectez vous-même votre Politique du patrimoine. Parce qu'à ce que je sache il y a beaucoup de projets, sur l'île de Montréal, où est-ce qu'ils sont zonés ou ils sont dans des secteurs classés patrimoine et où est-ce que la ville donne des dérogations, et par la suite le document est envoyé au ministère de la Culture qui, elle, est poignée avec cette pomme-là où est-ce que la ville, elle, a donné la permission au développement et, lui, le ministère de la Culture, est poigné à savoir qu'est-ce qu'on fait.

Un des exemples: hier, l'Église anglicane est venue nous dire, de deux sujets: de un, celle... l'église St. James... ce n'est pas vrai, St. John Evangelist, qui est entourée de l'UQAM, où est-ce qu'il y a eu un premier projet qui est celui qui ressemble à une baleine, là, le pavillon qui est fait... Et par la suite, le nouveau projet, celui qui n'a même pas obtenu, avant la construction, la permission ou un permis du ministère de la Culture mais qui a obtenu un permis de la ville, à ce que je sache, parce qu'ils ont déjà commencé à construire, et, s'ils n'avaient pas eu de permis, ils n'auraient pas commencé à construire. Alors, même de là, c'est dans un secteur qui, à mon humble avis, là, a une valeur patrimoniale, que ce soit avec l'École des Beaux Arts, je crois, qui était juste à côté, qui est un immeuble remarquable, qui a une valeur, là... ce n'est pas du patrimoine religieux, mais on retourne toujours à la même chose, où est-ce que vous émettez un permis et où est-ce que la permission du ministère de la Culture n'est même pas encore donnée.

Ou que ce soit un autre projet: de l'église St. James Apostle, sur Sainte-Catherine, où est-ce que... C'est à côté, là, puis il y a une photo qui est quand même assez évidente, qui est sur Sainte-Catherine, où est-ce que Concordia a érigé un immeuble. Et, dans la politique du ministère de la Culture, c'est ça que j'ai compris, c'est 1 % de l'élément doit être mis en oeuvre pour des arts. Et là, à côté de l'église, il y a un projet de construction d'un immeuble de huit à 10 étages qui va obtenir votre approbation, et, en mettant huit à 10 étages, l'oeuvre d'art, c'est comme si on ne l'aurait pas faite, là.

Alors, vous avez une politique du patrimoine. C'est bien beau, on vous en félicite. Mais est-ce que, vous, de votre côté, vous la respectez? Parce que là vous venez nous dire à nous, là: Le gouvernement du Québec doit faire ci, doit faire ça puis... Mais, vous, en tant que ville, là, votre Politique du patrimoine, est-ce qu'elle est respectée? Parce que là on semble comprendre, avec tous ceux qui sont venus ici, là, que des fois il y a des entourloupettes, là, qui se font, que ce soit pour des bonnes raisons ou pas des bonnes raisons, mais, indépendamment, il y a des choses qui sont faites au-delà de ce que votre politique fait.

Alors, est-ce qu'il y a des mesures que vous êtes en train de prendre, que ce soit avec les arrondissements ou que ce soit avec les divers autres intervenants? Je comprends qu'il y a le gouvernement du Québec puis il y a les congrégations religieuses, le clergé, l'archevêché, le diocèse...

Mme Sénécal (Francine): C'est bon. Bien, vous avez posé plusieurs questions, je vais tenter de faire un petit tour, un petit tour de piste. Nous interpellons le gouvernement, puis d'entrée de jeu vous m'avez mentionné la situation budgétaire du gouvernement. Je pense qu'à cet égard on est dans la même situation. Donc, la ville n'a pas beaucoup de moyens, et je comprends aussi que le gouvernement n'a pas énormément de moyens. C'est la raison pour laquelle nous insistons sur l'importance de la concertation. On doit s'associer: à la fois le gouvernement, à la fois la ville, à la fois le secteur privé ? je pense qu'il faut que le secteur privé devienne partenaire ? les organismes communautaires. Il faut que cette question de la transformation du patrimoine religieux devienne une affaire de tout le monde. Et ça ne peut pas être la ville toute seule. D'où mon interpellation face au gouvernement du Québec. Mais ça ne peut pas être le gouvernement tout seul non plus. Alors, il faut que tout le monde s'assoie ensemble pour trouver des solutions.

C'est aussi la raison pour laquelle, dans la politique, on insiste énormément sur la transformation du patrimoine religieux.

La Politique du patrimoine ne décrète pas un dogme complet de préservation de tout ce qui existe. Nous reconnaissons l'importance et nous acceptons la transformation du patrimoine religieux, et transformation et changement d'usage. Ça, je pense que c'est une orientation qui n'était pas clairement formulée jusqu'à présent et qui vient changer un peu la dynamique. Donc, nous reconnaissons que, pour préserver le patrimoine religieux, on doit nécessairement accepter qu'il se transforme. Autrement, ni le gouvernement ni la ville, nous ne serons en mesure de procéder au rachat de tous ces immeubles. Puis on sait que l'archevêché aussi a des difficultés financières. Donc, on va devoir se résoudre à laisser ce patrimoine, ces énormes immeubles dépérir, tomber en ruines, et ce n'est pas non plus ce qu'on veut. Donc, pour la préservation, on doit envisager et accepter des transformations d'usage, et ces transformations, le choix des transformations doit se faire en concertation avec le maximum de partenaires possible.

Maintenant, est-ce que la ville est exemplaire? D'une part, nous nous sommes donné comme responsabilité d'agir comme municipalité exemplaire. Donc, depuis l'adoption de cette politique, nous investissons dans nos propres immeubles, parce que la ville de Montréal est aussi propriétaire d'immeubles patrimoniaux, grand bassin d'immeubles patrimoniaux, même des immeubles classés. Puis nous avons reconnu, la ville a reconnu que la protection de ces immeubles laissait peut-être à désirer. Donc, nous sommes à mettre en place un plan d'action pour commencer par, nous-mêmes, agir comme propriétaire exemplaire et donc réinvestir dans nos immeubles municipaux à valeur patrimoniale. Donc, une identification, donc une liste, un classement de nos propres immeubles, puis ensuite des investissements que nous allons consentir.

Les arrondissements sont bien sûr informés. Les arrondissements ont adhéré à cette Politique du patrimoine. Mais je pense qu'il faut voir comment la dynamique et la vie se passent au niveau local. Encore une fois, une communauté peut décider de vendre, de mettre sur le marché son couvent, son école, son église, et un promoteur présente une offre d'achat avec un projet de transformation, et c'est à ce moment-là que l'arrondissement en sera saisi. Et nous invitons de plus en plus les arrondissements à se faire accompagner dans le processus d'acceptation des projets, dans la réflexion de l'acceptation des projets, soit par le Bureau du patrimoine soit par le Conseil du patrimoine de Montréal. Mais il peut arriver qu'il y a encore des petits glissements. Vous avez parlé du projet Concordia. Il y a là effectivement une problématique que je trouve préoccupante, comme responsable de la culture notamment, parce qu'on a maintenant une magnifique oeuvre d'art qui risque d'être masquée. Il n'y a pas de décision prise à cet égard, mais on est conscients qu'il y a un enjeu en ce moment. Donc, nous sommes en discussion à la fois avec l'université, à la fois avec l'arrondissement. Donc, on n'a pas une vue complète et globale de tous les enjeux et de tous les projets qui sont sur la table à Montréal, il y en a des centaines et des centaines qui nous interpellent, mais on tend à se donner des moyens pour avoir une vision beaucoup plus intégrée.

n (10 h 20) n

Et à cet égard un travail qui se fait actuellement, mené par le Conseil du patrimoine et par le bureau, ce sont des discussions avec des arrondissements. Donc, je vais donner l'exemple du Plateau?Mont-Royal où en ce moment nous sommes en démarche pour faire le point sur l'ensemble des immeubles à la fois scolaires, parce que ça pourrait aussi faire l'objet d'une autre discussion, donc les immeubles scolaires et les immeubles religieux qui deviendront disponibles et qui nécessitent une réflexion sur leur transformation. Cet inventaire de la réalité urbaine d'un arrondissement, en l'occurrence le Plateau, par exemple, est en cours donc avec des représentants de la commission scolaire, des églises. L'arrondissement fait le point sur tout ce qui deviendra disponible, identifie ses besoins, soit en termes d'ouverture de bibliothèques, de centres communautaires, et on va tenter ensemble de trouver des solutions et d'envisager encore une fois des projets de transformation de ce patrimoine scolaire et religieux. Donc, nous avons trois arrondissements qui sont en projet pilote en ce moment, qui se dotent d'une vision complète et intégrée de ce qui sera disponible sur leur territoire, et nous les accompagnons. Et on pense que c'est la bonne façon de trouver les solutions.

Le Président (M. Brodeur): M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. Alors, merci beaucoup de votre présentation. Évidemment, vous nous avez donné une vision assez importante, sinon exhaustive de la complexité du problème à Montréal non seulement par le nombre d'édifices ou d'ensembles qui sont susceptibles de devenir disponibles, mais aussi par la variété de ces choses-là, et je voudrais seulement vous entendre sur un point en particulier, exprimer un peu davantage votre proposition pour en arriver à une vision plus globale, plus intégrée de l'ensemble.

Un des éléments importants que vous suggérez, c'est la mise en place d'une fiducie pour s'occuper des ensembles excédentaires. C'est peut-être la solution. La question que je me pose, c'est qu'actuellement il est difficile d'établir... Vous dites: Le gouvernement devrait nous dire où sont les ensembles protégés. Mais il y a les ensembles protégés et les ensembles excédentaires, et c'est en partie les mêmes ou en partie pas les mêmes. Alors, comment peut-on penser le passage, si jamais on va vers une fiducie, comment peut-on penser le passage de la propriété de ces biens, actuellement qui appartiennent soit à des fabriques soit à des communautés, à une fiducie? Est-ce qu'on pense vraiment en termes d'expropriation? Parce que, d'un côté, c'est sûr qu'on va tous chercher un transfert équitable, mais l'équité n'est peut-être pas suffisante, parce que, si un ensemble appartient à une communauté ou à une paroisse, mais de fait est utilisé depuis je ne sais combien de temps par la communauté locale qui en a pris un peu possession, elle va se sentir, elle, brimée, même si elle n'a aucun droit de propriété. Et vous êtes en politique comme moi, vous savez à quel point c'est important de respecter la sensibilité de la population. Alors, comment vous voyez ces choses-là? Comment est-ce qu'on peut penser à la mise en place d'une fiducie comme ça et à un transfert de propriété? J'ai de la misère à imaginer comment ça pourrait se faire.

Mme Sénécal (Francine): Bien, c'est une bonne question, puis c'est la raison pour laquelle nous souhaitons la mise en place d'une fiducie qui pourrait justement répondre à ces questions, parce que je n'ai pas de réponse, aujourd'hui, pour vous, sur ces éléments. C'est exactement pour répondre à ces questions que nous avons choisi d'investir avec le ministère et la ville de Québec pour la mise en place de cette fiducie, et nous souhaitons que cette fiducie nous éclaire justement sur la façon de gérer ce patrimoine. Alors, est-ce que ce sera un transfert? Est-ce que... Écoutez, il m'apparaît trop tôt pour répondre à ces questions aujourd'hui. Donc, la mise en place de la fiducie vise justement à nous donner un moyen et un lieu neutres, une instance neutre qui va faire cette réflexion et nous suggérer des solutions.

M. Dion: Est-ce que je peux...

Le Président (M. Brodeur): Oui, oui, allez-y.

M. Dion: Juste pour vous... peut-être que c'est un peu méchant de ma part, mais vous pousser un peu plus loin, vous comprendrez qu'une fiducie, une fois qu'elle est créée, et dont une des fonctions, ce serait devenir propriétaire, elle a un intérêt d'institution dans la chose. Alors, elle n'est plus dans la situation relativement objective dans laquelle on est aujourd'hui, où on n'a pas d'intérêt particulier à une chose plutôt qu'à l'autre et on peut peut-être être plus sensible à cause de ça à la sensibilité de la population. Alors, je me dis: Si on attend que la fiducie propose des solutions, est-ce qu'on ne s'en va pas vers des impasses?

Mme Sénécal (Francine): Mais est-ce que vous laissez sous-entendre qu'en ce moment il n'y a pas de sensibilité en regard de la transformation de ces ensembles? Parce que je pense qu'il y a une grande sensibilité, et, bien, on le constate, la transformation du patrimoine religieux provoque des discussions et des débats, des mobilisations citoyennes qu'on ne peut pas nier. Donc, on doit nécessairement trouver des solutions, des nouvelles façons de faire. C'est la raison pour laquelle nous avons adopté une politique. C'est la raison pour laquelle nous accompagnons à la fois les communautés, à la fois les promoteurs, parce que nous savons que les citoyens sont très sensibles à ces questions et qu'ils souhaitent la préservation à la fois du patrimoine bâti, patrimoine naturel aussi. Donc, dans bien des cas, les ensembles conventuels, notamment, qui deviennent disponibles intègrent ces deux éléments-là: ils sont des immeubles patrimoniaux dans de grands parcs. Alors, on est interpellé à double titre: préservation des espaces verts et préservation des ensembles immobiliers.

M. Dion: Merci beaucoup.

Mme Sénécal (Francine): Mais, M. le Président, je vais peut-être juste... parce que votre collègue M. Tomassi, tout à l'heure, mentionnait que...

Une voix: ...

Mme Sénécal (Francine): Oui, oui.

Le Président (M. Brodeur): Ça fait cinq minutes qu'il me demande le consentement pour apporter un petit commentaire. Si vous permettez, je vais lui faire faire son petit commentaire immédiatement.

Mme Sénécal (Francine): Puis ensuite je vais répondre? Comme vous voulez.

M. Tomassi: Ça va vous donner, ça va vous donner... Elle a eu consentement? Est-ce que je...

Le Président (M. Brodeur): Oui, est-ce qu'il y a consentement?

M. Tomassi: Elle accepte. Merci, ma voisine de comté. Mme Sénécal, je suis un peu déçu dans une des réponses que vous avez données. Pas personnel, là, mais je suis un peu déçu. Vous savez, on a mis la commission, et la commission est justement pour essayer de trouver des solutions. Et, quand vous venez nous dire ici que vous lancez une idée, à savoir qu'il faut peut-être créer une fiducie, parfait! Alors, quels sont les avantages, quels sont les inconvénients? Puis vous n'arrivez pas à me dire quels sont le pour et le contre. Et en plus j'ai la ville de Montréal en face de moi, là, je veux que ce soit... Tu sais, je me disais, là: On est ici pour essayer de trouver des solutions, et je m'aurais attendu à ce que la ville de Montréal, quand elle apporte une solution sur la table, elle puisse venir me dire, à moi et aux membres de la commission, ici, quels sont les principaux avantages de cette fiducie, quels sont les inconvénients, parce qu'à chaque fois qu'il y a un avantage il y a des inconvénients. Et j'aurais aimé ça, le savoir parce que ça nous aurait permis, à nous, une fois que le rapport va être écrit, qu'on puisse donner un rapport complet, là.

Parce que, là, cette fiducie-là, là, c'est une idée qui est lancée, c'est tout un autre travail. Alors, il va falloir faire peut-être une autre commission qui va parler supposément... Ça va faire une commission: Une fiducie, c'est-u bon pour nous? C'était mon commentaire. Je vous laisse répondre.

Le Président (M. Brodeur): Merci. En conclusion.

Mme Sénécal (Francine): Mais, écoutez, je vais faire deux commentaires. Le premier, c'est donc sur cette fiducie. La décision d'investir et d'aller de l'avant avec ce projet de fiducie, je ne peux pas anticiper à ce moment-ci des analyses qui seront menées par la ville et par nos partenaires sur l'intérêt de mettre en place la fiducie et quels seraient son mandat et son rôle. Donc, je vais laisser les travaux se mener, et on pourra se reparler dans six mois, puis on vous dira ce que nous pensons des recommandations qui nous sont faites en vue de la mise sur pied de la fiducie. Mais, aujourd'hui, je ne vais pas anticiper sur ce qui va nous être présenté.

D'autre part, vous avez tout à l'heure mentionné... fait un commentaire sur le fait qu'on avait tendance à prendre des décisions... ou à ne pas prendre de décisions et à laisser le ministère conclure.

M. Tomassi: ...oublié.

n (10 h 30) n

Mme Sénécal (Francine): Conclure ? non, je ne l'avais pas oublié. Mais, vous savez, il nous apparaît que, dans certains cas, nous avons des modes de gestion différenciés dans nos relations avec le ministère de la Culture et la ville. Je pense que nous avons... La ville assume la totalité de ses responsabilités en regard de la gestion du Vieux-Montréal, par exemple, la gestion du mont Royal, où la gestion a été transférée à la ville. Mais je pense qu'il y a là un moyen, des choix qui ont été faits qui permettent à la ville d'assurer l'ensemble de ses responsabilités, et je pense que nous le faisons très bien. Dans d'autres cas, ça n'a pas été fait et ça implique effectivement des échanges différents avec le ministère. Et le ministère peut peut-être considérer qu'il est interpellé de façon peut-être... de façon trop fréquente, mais, lorsque la ville a la pleine responsabilité de la gestion de lieux ? encore une fois le Vieux-Montréal et le mont Royal sont deux beaux exemples ? nous assumons totalement nos responsabilités.

Le Président (M. Brodeur): Merci beaucoup. Donc, je remercie la ville de Montréal et ses représentantes de nous avoir présenté leur mémoire. Je vais suspendre nos travaux quelques instants, le temps que l'Atelier d'histoire d'Hochelaga-Maisonneuve et Orgue et Couleurs puissent s'installer.

(Suspension de la séance à 10 h 31)

 

(Reprise à 10 h 38)

Le Président (M. Brodeur): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, nous allons continuer nos travaux. Nous accueillons présentement l'Atelier d'histoire d'Hochelaga-Maisonneuve et Orgue et Couleurs. Bienvenue en commission parlementaire, puisque, même si vous êtes hors les murs du parlement, nous sommes quand même en commission parlementaire. Je vous explique brièvement les règles de la commission: vous avez un temps maximal de 20 minutes pour faire l'exposé de votre mémoire, de la façon que vous le jugerez à propos, et c'est suivi d'une période d'échange avec les membres de la commission.

Donc, en premier lieu, pour le bénéfice du Journal des débats, je vous demanderais de vous identifier et à la suite de présenter votre mémoire. La parole est à vous.

Atelier d'histoire d'Hochelaga-Maisonneuve
et Orgue et Couleurs

M. Labonne (Paul): Alors, Paul Labonne, directeur de l'Atelier d'histoire d'Hochelaga-Maisonneuve.

M. Rousseau (Régis): Régis Rousseau, directeur général et artistique d'Orgue et Couleurs.

M. Labonne (Paul): Alors, MM., Mmes les parlementaires, bonjour. J'aimerais d'abord souligner la présence de trois curés d'Hochelaga-Maisonneuve qui ont participé à la rédaction du mémoire sur le quartier Hochelaga-Maisonneuve et l'avenir du patrimoine religieux. Ce sont les curés des paroisses Nativité, Saint-Rédempteur et Sainte-Jeanne-d'Arc. Voilà. Donc, peut-être, à la période de questions qui va suivre la présentation du mémoire, ils pourront peut-être intervenir, si vous avez des questions plus pointues sur les besoins, notamment, au niveau des investissements pour la mise en valeur d'églises patrimoniales du quartier. Alors, ils connaissent évidemment très bien l'état de la question pour leurs églises.

n (10 h 40) n

Cela dit, donc, nous vous proposons une présentation en trois parties. Tout d'abord, nous vous présenterons le mémoire qui trace la problématique dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. En deuxième lieu, je céderai la parole à mon collègue du festival Orgue et Couleurs, qui pourra vous parler d'une démonstration réelle, concrète d'une mise en valeur du patrimoine, comment on peut mettre en valeur le patrimoine puis un quartier religieux. Et je reviendrai pour aborder la problématique du Studio Nincheri, qui est le plus ancien studio de vitrail encore existant au Québec, qui se trouve dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve et qui a rayonné à l'échelle du territoire québécois. Et d'ailleurs il y a un des vitraux de l'Assemblée nationale qui a été fait chez nous, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve. Alors, voilà déjà un lien avec l'Assemblée nationale. Alors donc, courte présentation. Bonjour. Je saluerais également la présence de Mme Louise Harel. Alors, voilà.

Donc, le patrimoine religieux, il faut le comprendre, est un patrimoine au coeur des quartiers et villages; c'est un patrimoine communautaire. Situées au coeur géographique des quartiers et villages et au coeur de leur vie communautaire, sociale et culturelle, les églises structurent l'espace rural et urbain ainsi que la vie sociale des communautés. Faire disparaître une église, c'est enlever une part importante à un milieu au niveau de son héritage et de son histoire. On peut penser, par exemple, à la démolition de l'église la Longue-Pointe, dans les années soixante, pour la construction du tunnel Louis-H.-La Fontaine. Ça a vraiment causé une commotion au niveau de la population, dans les années soixante, et également ça a terriblement déstructuré le milieu. Alors, voilà, les églises servent donc à structurer les territoires, les milieux, la vie sociale.

Elles sont aussi un lieu de rassemblement de la communauté. En tant que bâtiments communautaires, elles rendent de grands services à la collectivité. Leurs locaux, en particulier les sous-sols, sont loués pour des activités sportives et récréatives de toutes sortes. Les presbytères également sont loués à des organismes communautaires. Qui ne se souvient pas de la projection de films, quand on était jeunes, dans les sous-sols d'églises? Est-ce qu'on pourrait faire monter justement la fonction communautaire, la faire passer du sous-sol au rez-de-chaussée, tout en respectant l'exercice du culte et les éléments patrimoniaux?

La prise en charge de ces biens religieux à caractère communautaire passe par l'implication de la communauté locale, qui doit être consultée et mise à contribution dans la mise en valeur et de l'utilisation de ces lieux. Ici, je dirais, pour faire suite un peu à la présentation de tantôt, on est un peu craintifs avec la fiducie, puisqu'à mon sens les communautés doivent être sur la ligne de front en termes d'utilisation et de mise en valeur des lieux. Alors, si une fiducie ne mettait pas dans le coup les communautés, je pense qu'on raterait l'objectif, puisqu'on considère, nous, que ce patrimoine-là est d'abord un patrimoine communautaire. Alors, oui, pour une fiducie, mais qu'est-ce qu'on ferait avec les églises qui ne seraient pas dans une fiducie, par exemple? Voilà donc.

On considère l'implication de l'État québécois comme extrêmement importante. On considère qu'il doit continuer à investir au niveau de la mise en valeur du patrimoine religieux. Une privatisation des lieux de culte irait d'ailleurs à l'encontre de la philosophie de l'État québécois, qui a encouragé les fabriques à préserver leur et notre patrimoine. Alors, on a investi des millions de dollars pour la mise en valeur et la restauration des églises, et là on les privatiserait? Alors, ce serait un peu comme faire fi de l'investissement du gouvernement québécois depuis nombre d'années.

Compte tenu des besoins financiers et des efforts exigés pour sauvegarder ce patrimoine colossal, un très, très grand niveau de concertation sera nécessaire entre les intervenants, chacun faisant trop souvent cavalier seul actuellement. D'autre part, les sommes investies doivent l'être à la fois dans la restauration des biens d'église et dans leur mise en valeur. Jusqu'à maintenant, le volet Diffusion, comprenant l'interprétation des lieux de culte, a été le parent pauvre au niveau des programmes de conservation du patrimoine religieux. Les organismes voués au patrimoine et les sociétés d'histoire pourraient jouer un rôle majeur dans l'animation et dans l'interprétation des biens d'église patrimoniaux.

En ce sens, nous recommandons l'élaboration d'un mécanisme qui permettrait aux communautés locales d'être consultées et mises à contribution dans le choix des modes d'utilisation et de la vocation future des lieux de culte et l'élargissement de la Loi des fabriques afin de permettre la présence de membres d'organismes communautaires sur les conseils de fabrique. Pourquoi on amène ce point-là? C'est qu'on se dit: Bien, écoutez, si on considère que le patrimoine religieux est au coeur des communautés, à ce moment-là, il faut faire le pont avec la communauté. Et actuellement la Loi de la fabrique permet donc ou autorise les marguilliers à siéger sur les conseils de fabrique, nous, on trouve que c'est un peu limité dans le moment, surtout si on veut créer un pont avec la communauté. Alors, on trouve que c'est important que la communauté soit présente au niveau des conseils de fabrique. On ne propose pas l'abolition de la Loi de la fabrique, je pense que c'est une très bonne loi, et les biens religieux doivent continuer à être propriétés des paroisses. Mais en même temps, si on veut faire le pont avec les communautés, il va falloir trouver une structure intermédiaire qui permet donc l'implication des membres de la communauté. Alors, gardons les conseils de fabrique, mais est-ce qu'on pourrait élargir un tout petit peu pour s'assurer qu'il y a vraiment plusieurs partenaires qui siègent et qui sont présents?

Nous proposons, nous recommandons le maintien des tables régionales de la Fondation du patrimoine religieux et de son mandat d'origine. Nous recommandons également que ces tables régionales contribuent à être formées majoritairement de représentants d'institutions propriétaires dans le but de les responsabiliser et qu'elles incluent la présence d'experts en patrimoine et de représentants des milieux gouvernemental, municipal et communautaire.

La mise en place d'une structure, à l'échelle locale ou régionale, selon les besoins, qui puisse assurer une meilleure concertation et coordination entre les différents pouvoirs publics, conseils municipaux, l'État québécois par exemple, les communautés locales et les fabriques, en vue d'oeuvrer à l'adoption d'un plan intégré qui inclurait une évaluation des besoins en équipements culturels et communautaires sur l'ensemble d'un territoire.

Je suis content de voir d'ailleurs que la ville de Montréal a déjà ciblé trois arrondissements en vue justement de travailler à un plan intégré et à une concertation de tous les intervenants. Je pense que c'est la seule façon de s'en sortir. Puisqu'il y a tellement de besoins et le défi est tellement grand pour le recyclage et la mise en valeur de ces bâtiments-là, s'il n'y a pas une grande concertation à l'échelle d'un territoire, je ne vois pas comment on va s'en sortir.

Nous recommandons également d'inciter les municipalités à favoriser la réutilisation éventuelle des églises avant la construction de nouveaux équipements culturels et communautaires.

En cas de fermeture d'un lieu de culte, que les archives paroissiales fassent l'objet d'une attention particulière et qu'elles soient conservées dans un endroit approprié. Cela vaut également pour le patrimoine artistique. Il nous semble très important que les biens, le patrimoine artistique soit également bien conservé, soit dans les musées ou soit dans d'autres paroisses. Alors, autant au niveau des archives que du patrimoine artistique, quand il y a fermeture, je crois que c'est essentiel qu'on porte attention à ces deux points-là.

La création d'un programme spécifique visant la mise en valeur, la diffusion et l'interprétation du patrimoine religieux. Comme je l'ai mentionné tantôt, le gros des fonds pour la Fondation du patrimoine religieux concerne surtout la restauration soit des enveloppes architecturales ou les oeuvres artistiques, mais il n'y a pas d'argent qui est mis pour la diffusion. Alors, c'est comme si on mettait beaucoup d'argent pour restaurer ce patrimoine-là, mais après on ne le met plus en valeur. Alors, c'est quand même un peu étonnant de ne pas se rendre au bout du processus. En fait, si on a autant d'argent pour restaurer nos églises, nos lieux de culte, bien, il me semble qu'on devrait être fiers aussi de les mettre en valeur, qui est la deuxième étape. Oui pour la restauration mais oui aussi pour leur mise en valeur. Et présentement il n'y a pas de budget comme tel. On trouve ça même très inquiétant.

L'association des organismes en patrimoine et des sociétés d'histoire locales devrait être vraiment très importante pour l'animation et la mise en valeur des lieux de culte, et je pense que ça favoriserait d'ailleurs une réappropriation par le milieu. Il me semble que ce serait intéressant que les sociétés d'histoire et les organismes en patrimoine puissent être sur le terrain et travailler à mettre en valeur le patrimoine religieux.

Donc, cela dit, il est un lieu commun de dire que les églises et les oeuvres d'art qu'elles renferment n'ont pas toutes la même valeur patrimoniale. Alors, quoi préserver? Il y a présentement un inventaire, qui a été fait en 2004 et qui a été mis en ligne en 2005 par la Fondation du patrimoine religieux, qui va nous donner un aperçu à l'échelle du territoire québécois. Mais cet inventaire s'intéresse principalement au volet architectural. Donc, s'il s'avère un outil de référence fort valable au plan architectural, il est moins satisfaisant au chapitre du mobilier et des oeuvres artistiques, ce travail d'inventaire restant à faire.

n (10 h 50) n

Alors, ce qu'on dit, c'est que la conservation des lieux de culte et des oeuvres artistiques doit d'abord se fonder sur une connaissance fine des oeuvres et des caractéristiques des bâtiments, cela afin de nous aider à porter un jugement sur leur valeur patrimoniale. Cela implique que l'on connaisse la production des architectes, artistes et artisans qui les ont conçus et le contexte des commandes afin de mieux situer les oeuvres dans la production des créateurs et d'en déterminer surtout l'importance. Alors, une connaissance des divers patrimoines est essentielle à l'identification et à la valorisation de ce qui doit être pérennisé pour la postérité. Souvent, la négligence dont souffrent certains lieux de culte est souvent le fait de l'ignorance. Dans certains cas, seuls quelques fragments présenteront un intérêt patrimonial. Dans d'autres cas, ce sera l'ensemble. On pense, par exemple, au cas des grands décors peints des artistes décorateurs de la fin du XIXe siècle; l'intérêt patrimonial réside dans l'ensemble du décor. Voilà.

Beaucoup de choses à dire. En fait, vous avez le mémoire, on vous invite fortement à le lire. Je ne rentrerai pas dans le détail de qu'est-ce qui est... sur quelles bases on doit conserver le patrimoine religieux, c'est déjà dans le mémoire. Ce qu'on pourrait vous dire, c'est que les paroisses mères, qui sont plus anciennes évidemment, qui sont associées à la fondation des lieux, ont une histoire plus ancienne que les jeunes paroisses, et leur contribution à la structuration du territoire s'avère donc plus importante, leur valeur symbolique aussi.

On attirerait votre attention sur l'importance également des églises modernes, donc construites après 1945. Plusieurs sont de véritables bijoux d'architecture et doivent... bien, en fait ça constitue le patrimoine, et doivent faire partie de la réflexion; également au niveau de certains objets religieux qui sont localisés dans des églises modernes.

Pour nous, ce serait important donc de favoriser des projets qui ont un caractère réversible, donc qui nous permettraient éventuellement de revenir à l'état original, très important. Et il ne faut pas oublier que, si effectivement, depuis quelques décennies, la pratique religieuse est en chute libre au Québec et en Occident, il n'est pas dit qu'on ne pourrait assister à un retournement de situation. Voilà. Donc, présentement il y a quand même le quart de la population québécoise qui fréquente au moins une fois par mois un lieu de culte, ce qui est quand même beaucoup. Alors, qui peut savoir ce que nous réserve le futur? Plusieurs églises aujourd'hui menacées de fermeture ou momentanément désaffectées pourraient servir à nouveau, dans un avenir plus ou moins rapproché, de lieux de culte. Nous regrettons aujourd'hui la disparition d'infrastructures, tels le tramway à Montréal ou le rail des Laurentides.

Je vais prendre encore 30 secondes juste pour conclure la première partie au niveau des recommandations. Certains enjeux paraissent actuellement très préoccupants. Si le recyclage de bâtiments religieux ayant peu d'attributs patrimoniaux s'est très bien déroulé jusqu'à maintenant dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, le problème du recyclage des églises et des temples a forte valeur patrimoniale se pose. On doit donc vous souligner qu'il y a deux églises qui ont été recyclées, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, à des fins communautaires. Le Chic Resto Pop et le CAP Saint-Barnabé ont recyclé des églises des années cinquante mais qui n'avaient pas une forte valeur patrimoniale. Alors, ça posait moins de problèmes de contraintes au niveau de leur recyclage. Je suis moins sûr qu'on aurait pu faire ça dans des églises hautement patrimoniales, puisqu'il y a des contraintes, et on doit donc porter une attention au patrimoine. Alors, installer un restaurant communautaire dans une église patrimoniale, disons que ça aurait été plus coûteux et moins faisable. Donc, ce qu'on dit, c'est qu'il faut des fonctions compatibles avec des lieux hautement patrimoniaux. Et nous faisons la recommandation formulée au Colloque sur l'avenir des biens d'Église, tenu en juin 1997, à Québec, à savoir que nous souhaitons que les églises et temples demeurent le plus longtemps possible des lieux de culte et que soient conservés... que les communautés soient associées à ces projets-là.

Nous disons aussi, pour la mise en valeur de nos églises: Il y a déjà un réseau existant, qui est le réseau Villes et villages d'art et de patrimoine, au niveau des MRC et des villes. Malheureusement, Montréal, Québec, le réseau ne tient pas vraiment compte des organismes comme tels et a plus tendance à travailler en milieu rural au niveau des MRC et des villes. Alors, ce qu'on dit: Ce serait important que le réseau Villes et villages d'art tienne compte des organismes en patrimoine au niveau des municipalités, notamment Québec et Montréal, et encourage donc les gens qui mettent en valeur le patrimoine religieux. Pour nous, c'est très important. Voilà donc.

Un dernier mot: nous privilégions la mixité et la cohabitation des fonctions, l'accessibilité au public et le respect de l'intégrité physique des lieux, et voilà. L'importance de mettre dans le coup les communautés: les projets de recyclage des églises seront porteurs et structurants pour les quartiers et les villages dans la mesure où les communautés seront impliquées dans la prise de décision. Maintenant, je vais céder la parole à mon collègue.

Le Président (M. Brodeur): Pour la bonne marche de nos travaux, je vous rappelle que vous avez une banque de temps de 20 minutes...

M. Labonne (Paul): Exact.

Le Président (M. Brodeur): ...qui est déjà... il en reste moins de cinq. Mais on pourra voir, au moment venu, si on peut avoir un consentement pour déborder un petit peu. Allez-y, M. Rousseau.

M. Rousseau (Régis): Merci. Merci, Paul. Donc, Régis Rousseau. Je suis le directeur d'Orgue et Couleurs. En fait, Orgue et Couleurs, on appuie fortement le mémoire qui a été déposé par l'Atelier d'histoire, bien sûr. Ma présentation ici, c'est vraiment un témoignage à propos du projet artistique qu'on a créé, un projet artistique qui se déroule dans les églises principalement du quartier Hochelaga-Maisonneuve mais aussi à Montréal et qui utilise un élément majeur des lieux, bien sûr: les orgues.

Notre organisme, Orgue et Couleurs, est né suite à la restauration du grand orgue Casavant de l'église Saint-Nom-de-Jésus d'Hochelaga-Maisonneuve. Cet orgue-là, installé en 1915, était considéré comme le chef-d'oeuvre de la maison Casavant, réputé à travers le monde. Il a attiré des organistes de partout. Après 60 ans de loyaux services, l'orgue était un peu essoufflé. C'est sûr que 60 ans, c'est l'âge un peu de la retraite qui s'en vient. Mais les orgues peuvent revivre. Puisqu'on est dans le milieu religieux, on va dire qu'on peut avoir une résurrection chez les orgues. Bon.

Dans les années soixante-dix, l'orgue a été vraiment mis de côté ? on sait qu'il y a eu des changements aussi au sein de la liturgie ? mais, les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, il y a une redécouverte de ce patrimoine, et, l'orgue de Saint-Nom-de-Jésus, les gens du quartier se sont dit: Bien, on a un bel instrument et on ne l'utilise pas. Donc, il y a un grand projet de restauration qui a été mis en place. Même des grands projets de restauration partout, même au Québec, à cette époque-là, ont été mis en place. Celui de Saint-Nom-de-Jésus a été mené d'abord par un regroupement mixte d'intervenants. Et ça, c'est important de souligner que les autorités paroissiales, le musicien ? moi-même, je suis organiste, je suis l'organiste titulaire à Saint-Nom-de-Jésus ? l'Atelier d'histoire Hochelaga-Maisonneuve et un commissaire d'école pour présider le tout, alors des gens en lien avec le milieu, ont réussi à faire une campagne médiatique dans le quartier, à faire comprendre aux gens qu'il y avait quelque chose d'important ici. On a ramassé 40 000 $ de dons du milieu d'Hochelaga-Maisonneuve. Ensuite, on a pu bénéficier de subventions publiques à la hauteur de 600 000 $. L'orgue a été restauré. Cet orgue qui valait 25 000 $ en 1915 en vaut 2 millions maintenant.

Alors, après tous ces investissements, qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on fait un bel écrin puis ensuite on regarde ce bel orgue? Non, on l'utilise. Alors, c'est pour ça qu'Orgue et Couleurs est né. Mais il faut dire d'abord qu'au Québec l'école d'orgue, les organistes, le milieu musical est très réputé, est très de niveau international. On va à l'extérieur et on est vraiment reconnu comme tel, la facture d'orgue également: on connaît Casavant, la célèbre maison de Saint-Hyacinthe, qui fêtait 125 ans d'existence l'an dernier. Il y a six autres, aussi, maisons de facture d'orgue au Québec. Alors, c'est vraiment, pour notre province, notre coin de pays, c'est vraiment un ratio assez important, donc d'où l'idée de créer une grande fête autour de l'orgue, et c'est le but du Festival d'automne d'Orgue et Couleurs.

Depuis, Orgue et Couleurs a grandi, fait des événements tout au long de l'année, mais notre événement principal autour de l'orgue dans les églises, c'est le Festival d'automne, dont la septième édition commence ce vendredi. En six ans, on a acquis quelques lettres de noblesse au point de vue médiatique, au point de vue artistique et bien sûr auprès du public. On est heureux de ce succès, mais on se pose la question: Alors, qu'est-ce qu'on fait si on ferme les églises? Parce qu'on a besoin de ces orgues. Alors, c'est sûr qu'on a besoin d'une étude exhaustive aussi sur la qualité de l'état de nos instruments, qui va aider à faire la réflexion aussi sur la conservation de ceux-ci. On ne peut pas lancer un festival dans toutes les église du Québec, mais il y a certains instruments qui valent la peine d'être restaurés.

Et aussi un orgue, c'est sûr que c'est construit dans une église, pour un lieu précis, mais on peut le déconstruire et le reconstruire ailleurs. Alors, si on ferme des églises et qu'il y a d'autres églises qu'on décide de conserver et qui n'ont pas de bel instrument, c'est possible d'amener ces instruments-là. Je veux juste attirer votre attention qu'il y a des églises qui ont été fermées au Québec, et ces orgues-là se retrouvent maintenant aux États-Unis; c'est les Américains qui achètent nos orgues. Donc, c'est notre patrimoine qui s'en va.

Alors, qu'est-ce qu'on doit faire de ces lieux de concert? On doit en faire peut-être un lieu de rassemblement, jumeler les missions culturelle et artistique. Et, moi, je pense que l'exemple d'Orgue et Couleurs est peut-être un exemple qui montre un peu ce succès de marier la mission cultuelle des églises ? parce qu'il y a encore, bien sûr, des activités religieuses ? à la mission culturelle des organismes artistiques. Et tout ça, ça fait un heureux mariage qui rend le patrimoine vivant. Et surtout, bien, comme j'appuie encore ce que Paul Labonne disait, c'est surtout avec la concertation des gens du milieu. Il faut réunir ces intervenants artistiques, religieux et, si possible, bien sûr du gouvernement. Alors, voilà, je repasse la parole à Paul, s'il reste encore du temps.

n (11 heures) n

Le Président (M. Brodeur): Pour une conclusion.

M. Labonne (Paul): Donc, le quartier Hochelaga-Maisonneuve, au fil du temps, a donc développé une expertise autant au niveau du recyclage d'églises, et ça, c'est intéressant en ville parce que le problème du surnombre d'églises se trouve surtout, principalement, en ville, surtout à Montréal, et on a développé aussi une expertise au niveau de la mise en valeur de ces églises-là ? on l'a vu avec le Festival orgue et couleurs. Mais nous avons également ouvert aux touristes, durant la saison estivale, quatre des cinq églises patrimoniales du quartier.

Il y a un autre dossier qui est extrêmement important, qui est le dossier du Studio Nincheri. Nous avons, sur le boulevard Pie-IX, encore le plus ancien studio de vitrail du Québec qui est là. Est-ce que vous pouvez vous imaginer qu'il y a 5 000 verrières qui ont été fabriquées dans ce studio, qui se retrouvent maintenant dans neuf provinces canadiennes? À l'Assemblée nationale, au parlement de Terre-Neuve, À Montréal, il y a beaucoup d'églises qui ont de ces vitraux-là, et tout ça a été fabriqué dans le studio du boulevard Pie-IX. Alors, pour nous, ce serait très important de sauver le studio, puisqu'il y a également des archives très importantes qui nous permettent de documenter les verrières qui sont dans nos églises, puisque ? comme, bon, hier, à la télé, on en a parlé ? écoutez, il y a un grand nombre des gens qui ont participé à la vie des églises qui vont décéder bientôt à cause de leur âge, et on va perdre cette mémoire-là. Et le Studio Nincheri permet de documenter beaucoup du contenu qui se retrouve dans les églises. Alors, perdre les archives, perdre les maquettes, ce serait une catastrophe pour le Québec, puisqu'on a la chance d'avoir encore tout ça intégral.

L'Atelier d'histoire a lancé une étude de faisabilité en vue d'en faire l'acquisition et éventuellement le mettre en valeur. On compte sur l'État québécois bien sûr, mais il y a possibilité, je pense, d'avoir des partenaires, notamment Patrimoine Canada, qui est un joueur quand même important, et, au niveau de la mise en valeur des églises, je pense qu'il faudra quand même compter sur eux. C'est un joueur majeur notamment dans le cadre de programmes d'infrastructures. Alors, voilà une piste fort intéressante. Voilà.

Le Président (M. Brodeur): Merci. Merci de votre présentation. Exceptionnellement... Depuis hier, j'ai l'habitude de poser la première question, mais nous avons parmi nous la députée d'Hochelaga-Maisonneuve, la chef de l'opposition, et nous avons l'honneur de lui donner la parole pour la première question.

Mme Harel: Je remercie le président. Je vous remercie, MM. Labonne et Régis Rousseau, ainsi que les curés des paroisses du quartier qui sont ici présents. Nous avons eu l'occasion, cet été, de nous réunir, à mon initiative.

Alors, cette question sera brève pour que la réponse soit plus longue, mais simplement pour vous rappeler qu'il était possible de faire les neuf premiers vendredis du mois sur la rue Adam, avec neuf mois différents, en faisant une église différente à chaque mois. C'est l'information que j'avais eue quand je suis arrivée, comme députée, dans ce quartier, en 1981. C'est vous dire la richesse patrimoniale religieuse qu'il peut y avoir dans ce que j'appelle, moi, souvent les ex-quartiers ouvriers, qui sont les quartiers où les populations ont consacré ce qu'elles avaient de meilleur à bâtir ce patrimoine, là, qu'on a à faire fructifier maintenant. C'est évident qu'en Amérique du Nord ? je reprends une déclaration du mémoire ? le Québec possède le plus important et sans doute le plus beau patrimoine religieux en Amérique du Nord. Mais c'est le cas aussi dans les quartiers ouvriers du début du siècle dernier.

Alors, on a des exemples réussis. On peut servir ? je le dis sincèrement ? de modèle en ce qui concerne le recyclage des églises qui n'avaient pas vocation patrimoniale. Et je crois qu'il faut tirer des leçons de Saint-Mathias, Saint-Barnabé, deux églises qui ont pu être recyclées, qui sont mises à la disposition de la population. À Saint-Mathias, on y retrouve le Chic Resto Pop; à Saint-Barnabé, on y retrouve le CAP Saint-Barnabé, qui rend énormément de services à des populations plus défavorisées.

Mais comment est-ce que ça a été possible? Ça a été possible avec l'archevêché qui a cédé vraiment à bon prix ces églises aussi. Disons-le, soyons-en reconnaissants. Mais ça a été possible grâce à des programmes de gouvernement. On ne s'en sort pas autrement. Sans les programmes de gouvernement et... Puis, dans le cas des deux églises, ça a été partagé, surtout Québec ? vous les avez, les chiffres, là, dans vos mémoires; surtout Québec ? notamment avec le programme d'achat de propriétés communautaires qui avait été mis sur pied par ma collègue Mme la députée de Pointe-aux-Trembles. Alors, il faut donc une combinaison. On est allé aussi chercher une contribution fédérale de moindre importance, mais aussi une contribution municipale. Je ne crois pas que, dans les programmes d'infrastructures tels que... on nous les promet incessamment, là, je pense que ce sera très difficile si ce n'est pas un programme qui s'adresse spécifiquement à du patrimoine.

Je conclus en vous disant: On a, au Québec, disons, deux choses extraordinaires, la nature et le patrimoine religieux. Et la preuve en est, je crois que c'est la meilleure démonstration, le petit Musée Marc-Aurèle-Fortin. Qu'est-ce que Marc-Aurèle Fortin a peint? Il a peint Port-au-Persil, Charlevoix, la nature puis il a peint l'église de la Nativité, l'église Saint-Rédempteur qui se bâtissait dans les quartiers portuaires, où se trouve Hochelaga-Maisonneuve. Et on a une responsabilité de société qui doit être aussi partagée avec le monde religieux. Je dis que ça doit rester des lieux de culte, moi, j'en suis convaincue, ça doit rester des lieux de culte, mais en même temps il faut faire en sorte que ça s'ouvre à des dimensions plus larges. Je prends à témoin l'immense succès du Festival orgue et couleurs qui n'a été possible finalement que parce que l'État a mis une contribution majeure pour restaurer les grandes orgues.

Alors, je leur laisse la parole en vous disant que je suis extrêmement fière que, dans mon quartier, on ait pu compter à la fois sur l'Atelier d'histoire Hochelaga-Maisonneuve pour faire connaître ce patrimoine à la population, qu'on puisse compter aussi sur l'équipe de Régis Rousseau et sur Régis lui-même. Maintenant, c'est connu, y compris à Paris, qui nous copie avec l'improvisation. On en est rendu à de l'improvisation sur orgue, comme l'improvisation qui se fait, là, dans les activités orales, comme on dit. Alors, c'est un capital qu'on partage avec vous aujourd'hui, et puis je pense que c'est important que de ces expériences vous puissiez en tirer des leçons. Merci, M. le Président.

Une voix: Merci.

Le Président (M. Brodeur): Est-ce que vous avez des commentaires à apporter?

M. Labonne (Paul): Bien, peut-être pour poursuivre sur la lancée de Mme Harel. En fait, les églises ne constituent pas qu'un poids, elles constituent aussi un actif qui aide à structurer les milieux. Pour Hochelaga-Maisonneuve comme pour le quartier Saint-Roch, à Québec, c'est assez spectaculaire, la mise en valeur dans les quartiers centraux urbains qui ont une très grande concentration d'églises. Pour nous, on voit ça comme quelque chose de très excitant en termes de mise en valeur.

Et Hochelaga-Maisonneuve a pu tabler donc sur ses églises pour se développer au niveau touristique en ouvrant ses églises puis en ayant surtout un festival d'une grande qualité, et on espère pouvoir prolonger avec le Studio Nincheri. À mon sens, c'est un élément majeur non seulement pour Hochelaga-Maisonneuve et Montréal, mais pour l'ensemble du Québec. Imaginez, sept États de la Nouvelle-Angleterre ont des oeuvres de Nincheri sur leur territoire. Imaginez si on avait la possibilité de faire une campagne de promotion touristique à destination... à l'intention des touristes des États-Unis, de la Nouvelle-Angleterre ou du reste du Canada. Neuf provinces canadiennes qui ont quand même des oeuvres de Nincheri, je me dis: Il me semble que ça pourrait être intéressant pour Hochelaga-Maisonneuve. Et en plus le Château Dufresne, qui se situe au coin de Pie-IX et Sherbrooke, a été décoré par l'artiste Nincheri, c'est son oeuvre profane la plus intéressante.

n (11 h 10) n

La démarche de l'Atelier d'histoire a toujours été d'impliquer les communautés. Pour nous, c'est très important. Oui, au niveau du Château Dufresne, comme musée, on aurait pu dire: Bon, nous allons faire une exposition sur le patrimoine religieux, rester dans nos murs et ne pas rayonner sur le territoire. Ce que je trouve intéressant, c'est d'aller in situ, donc sur les lieux même où se trouve le patrimoine pour l'ouvrir, désenclaver les églises. On peut-u ouvrir la porte? Souvent, on se rendait dans les quartiers, puis nos églises étaient fermées, raison de vandalisme bien sûr. Mais un des premiers gestes que l'Atelier d'histoire a fait, c'est dire: Bien, on peut-u les ouvrir? On va mettre du monde là-dedans, qualifié, qui sont capables de les mettre en valeur. Et le quartier est capable de se prendre en main. Ce qu'on vous dit, c'est qu'on aurait peut-être besoin d'un petit coup de pouce pour leur mise en valeur, pour financer les organismes qui mettent en valeur les lieux. Alors, on est prêts à le faire. Les paroisses, c'est pareil, elles sont prêtes à continuer, elles sont prêtes à faire des levées de fonds, continuer à s'impliquer. Mais en même temps ce serait le fun que l'État reconnaisse aussi l'implication du milieu.

Et enlever ça au milieu puis transférer ça à une fiducie, je ne suis pas sûr que ce soit l'idée du siècle, c'est mon point de vue. Et ce ne sera pas toutes les églises patrimoniales de toute manière qui vont pouvoir être transférées à une fiducie. Il va n'y avoir qu'une mince partie qui va être transférée. Qu'est-ce qu'on va faire des autres églises patrimoniales, qui sont drôlement importantes pareil, qui contribuent à structurer le milieu: on va les laisser tomber parce qu'elles ne sont pas numéro un au niveau patrimonial? Je ne sais pas. Je pense qu'il faut garder la dimension communautaire, ça m'apparaît très important. Je ne sais pas si mon collègue veut réagir également.

M. Rousseau (Régis): Une courte mention. En fait, je pars de l'énoncé de Mme Harel qui dit: On peut servir d'exemple, dans Hochelaga-Maisonneuve. Oui, la création de ce festival autour de l'orgue, on peut être un intervenant... les organistes sont des intervenants dans les églises. Le festival a été créé bien sûr grâce aux fonds... puisque l'orgue a été restauré grâce aux fonds du gouvernement. Mais ensuite, nous, en tant que festival musical, on fait partie du réseau. Je présente des demandes de subventions, donc j'ai des subventions du CALQ, de la ville de Montréal, de Patrimoine canadien. Mais on est au même... on est en compétition avec tout ce qui se passe à Montréal, puis on sait que c'est la ville des festivals par excellence.

Mais est-ce qu'il ne pourrait pas y avoir aussi, dans ces montants qui peuvent être accordés au patrimoine religieux, des montants qui vont aider à la diffusion, aux organismes qui vont créer des activités qui vont amener les gens à l'église pour redécouvrir ce patrimoine? Donc, on a besoin... Le réseau de l'orgue est très fort au Québec. Je vous l'ai dit, les associations d'organistes, il y en a dans chacune des régions, les Amis de l'orgue de Québec, Pro Organo, il y en a dans toutes les régions du Québec. Mais ce sont tous des bénévoles qui font ça. Les organistes, c'est vraiment parce qu'ils croient en leur cause. Mais souvent c'est un secret très bien gardé qu'on a tout ce succès-là. Mais c'est ça, c'est trop gardé, on ne le dit pas au public, on n'a pas les moyens, on n'a pas les ressources. Donc, c'est ces ressources-là dont on a besoin pour pouvoir le faire connaître au grand public puis c'est comme ça qu'on va réussir à attirer l'attention du public et que ce sera... ça vaudra la peine d'investir dans ces organismes.

Le Président (M. Brodeur): Merci. M. le député de Charlesbourg.

M. Mercier: Merci, M. le Président. Alors, moi également, je joins ma voix à ma collègue d'Hochelaga-Maisonneuve pour vous féliciter d'abord et avant tout pour vos mémoires. Ils sont très bien faits, étoffés, et j'en ai pris plaisir à les lire et à vous entendre.

J'ai, par exemple... de façon plus spécifique, à la page 3 de votre mémoire, vous dites ? et je fais un petit peu référence à Orgue et Couleurs, Festival d'automne que je considère être un exemple plus qu'exemplaire, pour être redondant, mais je vous dirais que c'est une initiative qui mérite d'être copiée ailleurs au Québec par d'autres communautés, et également je vous en félicite.

Mais également, page 3, vous dites, au dernier paragraphe, qu'«une privatisation des lieux de culte irait à l'encontre de la philosophie ? évidemment je vous cite ? de l'État québécois qui a encouragé les fabriques à préserver leur ? ou notre ? patrimoine».

Lorsque je regarde le Festival d'automne ? que je trouve magnifique ? et que je me réfère à une certaine expérience que j'ai eue en Europe, où j'ai visité une église magnifique, et, annexé, il y avait une chapelle... Évidemment, elle a été reconvertie en centre d'interprétation, et on a également aménagé un café-terrasse. Et là ma question est: Si vous rejetez du revers de la main une privatisation, une idée comme celle-là, c'est-à-dire d'avoir une église qui serait transformée ou du moins sa chapelle serait transformée en centre d'interprétation plus café-terrasse, avec entente avec une entreprise privée, mais qui permettrait, comme pour le festival, de rentabiliser, si on veut, le patrimoine de l'église ou du moins du bâtiment, est-ce que ça pourrait être possible? Bien que j'aie lu... que je vous aie cité qu'une privatisation évidemment serait hors de question et bien qu'hier on a entendu un entrepreneur qui, lui, évidemment était tout de go pour la privatisation, et on en convient, évidemment c'est son métier, c'est sa profession. Mais est-ce que vous, par exemple, seriez ouverts à une telle possibilité pour financer évidemment notre patrimoine?

M. Labonne (Paul): Le modèle idéal, ce serait que la communauté s'entende effectivement sur ce type de solution là en disant: Bien, voilà, on a envie de mettre en valeur de cette façon-là le patrimoine. Mais il pourrait très bien y avoir un comité issu de la communauté qui pourrait gérer le projet sans nécessairement aller du côté de la privatisation. Peut-être que c'est ma déformation dans Hochelaga-Maisonneuve. La fibre communautaire est tellement forte, on a tellement l'habitude de porter des projets que, pour nous, bon ça va de soi.

M. Mercier: Mais vous comprendrez que ce n'est pas une proposition que je fais. Évidemment, c'est un constat, là, que j'émane pour trouver une solution.

M. Labonne (Paul): Mais je vous dirais qu'on a eu la France. On a eu la France comme partenaire pour la restauration des grandes orgues de Saint-Nom-de-Jésus. Alors, on n'est pas fermés à des partenariats, loin de là, mais ça a toujours été la communauté qui a été le porteur de ballon. Air France a été le commanditaire officiel lorsqu'on a fait la campagne de levée de fonds, donc on n'exclut pas ça. Mediacom a été un des partenaires, et je pourrais vous en citer. Mais en même temps c'est quand même le milieu qui restera maître du projet. Je pense qu'il y aurait possibilité d'avoir des associations avec le privé, mais il faut que la communauté soit présente.

Un cas qui est malheureux, à Montréal, récemment, c'est, je pense, l'église Saint-Jean-de-la-Croix, qui a été vendue pour, entre autres, un projet résidentiel. C'est là où, quand ça devient... ça bascule, j'oserais dire, uniquement dans le camp du privé, disons, les risques de dérapage peuvent être réels. Tandis que, si la communauté est impliquée, je pense que c'est tout à fait possible. Il faudrait voir comment ça, ça pourrait se faire. Je pense qu'on est tout à fait ouverts. Mais en même temps les fabriques, les communautés doivent être impliquées, puis je pense que c'est ce qui assure aussi une pérennité. Un des risques, c'est qu'on arrive à un projet à court terme, qu'on arrive à le recycler, mais que, dans cinq ans, 10 ans, le promoteur pète au frette, et puis bien on se ramasse encore avec l'église et on n'aura pas plus de solution.

Alors, je pense que, si on arrive à impliquer la communauté puis que la communauté utilise l'église, qu'elle soit sur la ligne de front, bien il semble que ça garantit, il me semble, une plus longue participation du projet ou une pérennité. Je ne sais pas si ça répond à votre question.

M. Rousseau (Régis): Si je peux appuyer un peu ce que Paul dit, pour la privatisation, bien sûr il ne faudrait pas voir un promoteur tout à coup qui perde le but de mettre ce patrimoine au service... Parce que c'est un patrimoine qui est venu du peuple, alors il faut aussi que le peuple ait encore accès. Puis il ne faut pas se leurrer aussi. C'est bien, là, le projet... J'aimerais ça connaître l'église où vous êtes allé, en Europe, pour la voir aussi. Tant mieux si un organisme comme le nôtre, on amène des gens à l'église, mais il ne faut pas se leurrer, on est un organisme culturel, on ne fait pas de sous, Orgue et Couleurs. On réussit à présenter tous ces concerts parce que j'ai l'ouverture de nos curés.

Les curés qui sont ici, il y en a un, entre autres, qui peut en témoigner, celui de Très-Saint-Rédempteur, aussi où on fait des concerts. J'ai parlé de Saint-Nom-de-Jésus, mais il y a Très-Saint-Rédempteur qui a un bel orgue aussi. Je redonne un peu de sous à la paroisse, mais ce n'est rien. En fait, si on évalue, c'est des dizaines de milliers de dollars, le temps qu'il nous prête, hein? On ne paie pas l'électricité. On est là, à l'église, pour répéter, pour présenter les concerts. Donc, si on peut, oui, s'il y a une implication du privé qui va aider à financer et nous à peut-être faire un peu de bénéfice pour pouvoir en redonner à la société, mais là pour l'instant c'est vraiment les gens du milieu qui donnent encore beaucoup. On est chanceux d'avoir des subventions, Orgue et Couleurs, du gouvernement, mais on a beaucoup de partenaires, et c'est grâce à ces partenaires, ces partenariats qu'on réussit à survivre.

M. Labonne (Paul): C'est juste pour rajouter. Le fait d'avoir mis en valeur et d'avoir fait connaître ces églises-là, il y a quand même des retombées, entre autres au niveau des tournages cinématographiques. Entre autres, le film C.R.A.Z.Y., qui vient de remporter un prix à Toronto, a été tourné en bonne partie à l'église Saint-Nom-de-Jésus. Alors, je pense à d'autres films. Michel Cusson enregistre ses trames sonores à Saint-Rédempteur, par exemple. Alors, le fait, nous, de l'avoir mise en valeur, bien ça fait que c'est de plus en plus connu dans le milieu et qu'il y a possibilité de financer, du moins autofinancer une partie avec des locations. Et ce qu'on dit, bien: Est-ce qu'on peut rendre cohabitables certaines fonctions, fonction de culte avec la fonction culturelle, fonction communautaire?

Au niveau commercial puis au niveau résidentiel, ça s'y prête moins pour des églises à haute valeur patrimoniale, disons. Et déjà pour nos deux églises qui ont été recyclées, ce n'était pas des églises à haute valeur patrimoniale et donc ça a pu permettre des accommodements. Mais, quand on arrive avec des grands décors peints, comme à Saint-Nom-de-Jésus, de T.-X. Renaud, eh bien, on ne commencera pas à visser dans des décors peints de T.-X., là. Je ne pense pas que les descendants seraient très fiers de nous. Alors, voilà.

Le Président (M. Brodeur): Merci. Mme la députée de Pointe-aux-Trembles.

n (11 h 20) n

Mme Léger: Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, M. Labonne, M. Rousseau. C'est bien agréable de vous accueillir ici, à la commission sur le patrimoine religieux. Évidemment, bon, vous avez beaucoup élaboré, particulièrement sur la participation citoyenne, la prise en charge vraiment des gens du quartier. Le quartier Hochelaga-Maisonneuve, pour Montréal, ce qui se passe dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, ça a des répercussions sur Montréal, sur le Québec tout entier, c'est connu. Alors, on est bien contents de votre démarche, là, pour nous influencer un peu puis nous sensibiliser à tous les impacts, là, de ce que vous nous apportez aujourd'hui.

Je vais vous poser une question... Parce qu'il y a eu de ces discussions-là, hier, particulièrement dans la première journée de ces consultations-là, et votre participation citoyenne, les questions que vous posez clairement, là, du fait de votre participation dans toute cette démarche-là, tout autant de la conservation et la préservation, de la transformation... On a toute l'étape aussi de toutes les oeuvres d'art, des biens. Bon, on a parlé d'orgues hier. M. Leduc est venu... Je vais vous reposer une petite question à ce niveau-là tout à l'heure, mais il reste qu'il y a une question, particulièrement avec le clergé, avec l'Assemblée des évêques: À qui appartiennent les églises? C'est fondamental dans la démarche que nous faisons. Bon, le clergé, l'Assemblée des évêques particulièrement, nous a dit que c'est la propriété des fabriques, particulièrement des marguilliers. Vous parlez de votre participation aux fabriques. Les marguilliers normalement sont des citoyens de la paroisse, mais je vois que ça, ça ne vous satisfait pas, là, de la manière que vous nous l'avez apporté tout à l'heure. Il y en a qui nous ont glissé, dans certains mémoires, que c'est les pratiquants, que les non-pratiquants n'ont peut-être pas grand-chose à dire nécessairement, ce qui n'est pas tout à fait exact non plus pour d'autres personnes. Ils disent que ça appartient à la population, ça appartient à un quartier.

Alors, vous comprenez que ça, c'est assez fondamental dans la suite des choses. À qui appartient l'église? L'Assemblée des évêques nous a dit que c'est la propriété vraiment de la fabrique. Alors, si vous voulez m'en parler un peu, tout en me disant aussi... Vous parlez d'une table régionale. Telle quelle, elle serait coordonnée par qui? Est-ce que le clergé est sur ces tables-là? Est-ce qu'il y a un lien avec la Fondation du patrimoine religieux? Comment vous voyez votre table régionale, là? Et après j'ai une petite question pour vous, monsieur. Je vais laisser la place à mes collègues aussi.

M. Labonne (Paul): Je pense que c'est une excellente question. Effectivement, comment tout ça fonctionne? Dans la mesure où l'État québécois investit des sommes colossales pour la restauration des lieux de culte, on comprend que les contribuables et les communautés sont interpellés. Si l'État québécois ne mettait pas... ou les municipalités ne mettaient pas d'argent dans la restauration des églises, le problème ne se poserait pas. Les fabriques, à ce moment-là, seraient entièrement propriétaires, et je pense qu'elles n'auraient pas de comptes à rendre à personne, sauf à leurs paroissiens. Mais, du moment où il y a des fonds publics qui sont investis puis surtout dans le domaine culturel, hein, parce que c'est souvent le ministère de la Culture qui met l'argent, donc on reconnaît que ça a une valeur patrimoniale qui est intéressante non seulement pour les paroissiens, mais pour l'ensemble de la collectivité, à ce moment-là, je pense qu'il faut trouver certains accommodements qui font que les fabriques demeurent propriétaires. À mon sens ça, c'est très important.

Puis c'est de perpétuer aussi une certaine mémoire. Les fabriques ont structuré des territoires et les fabriques sont avant les municipalités, très souvent. Alors, quand on fondait un territoire, on fondait d'abord des paroisses. Alors, on ne peut pas évacuer d'emblée, comme ça, les paroisses en disant: Bon, maintenant il y a des villes depuis les années 1840, on met de côté les paroisses. Je pense que ce serait d'hypothéquer un bout de l'histoire du Québec, quand on sait que les paroisses ont été au coeur du développement québécois.

Cela dit, je pense qu'il faut trouver certains accommodements, et c'est pour ça que, nous, on dit: Est-ce qu'il y aurait moyen de revoir un peu la Loi des fabriques, sans tout chambouler, pour permettre justement la présence d'autres intervenants, notamment des organismes communautaires qui pourraient siéger à l'échelle locale au niveau des fabriques? Donc, ce qu'on dit: Ne scrapons pas tout. Au contraire, gardons la Loi des fabriques. Mais est-ce qu'on peut accommoder... Dans le cas d'Hochelaga-Maisonneuve, on l'a vécu, il y a certains partenaires qui étaient non croyants. Le président de la campagne de levée de fonds pour la restauration des grandes orgues était un athée, et c'était connu. Puis bon, quand on a fait le choix, on s'est dit: Bien, on veut élargir. Si on veut remettre les églises au coeur des communautés, bien il faut remettre du monde qui peuvent être athées, qui peuvent être croyants. Pour moi, ça devient un peu secondaire dans la mesure où ce qui nous préoccupe, c'est de sauver ces églises-là.

Puis on aurait pu, nous, rester les bras croisés, l'Atelier d'histoire, puis dire: Ah non, tout ça, ça demeure du secteur des paroisses, puis on n'a rien à y voir. Puis au contraire on a dit: Bien non, nous, on trouve que... Quand je regarde ce qu'il y a dans Hochelaga-Maisonneuve, bien nos églises, c'est peut-être ce qu'on a de plus beau, avec le patrimoine industriel, patrimoine ouvrier, alors c'est important qu'on se mobilise. Mais ce qu'on dit maintenant, c'est que, d'une part, si l'État met de l'argent pour la restauration et leur mise en valeur, eh bien, je pense qu'il faudra trouver un mécanisme qui fait que la communauté est représentée sur les fabriques parce que je trouve que les fabriques continuent encore à être le vecteur par lequel on doit transiger puis je ne vois pas comment on va réussir à mettre en valeur nos églises si on tasse les fabriques. Moi, ça m'apparaît un non-sens puis c'est de scraper un projet communautaire. Et les fabriques sont là. C'est elles qui, pendant des années, ont porté ça sur leurs épaules. Effectivement, dans le moment, il y a des problèmes financiers, mais quel accommodement on peut faire pour que les communautés se mobilisent pour les sauver?

À Baie-Comeau, la ville, par exemple, a cité une église qui était monument historique. Alors, la paroisse, un peu retirée, elle a fermé l'église au lieu de... pour la fonction de culte, mais la ville a pris un peu la relève, et ça s'adonne que c'est une église décorée par Nincheri, 1 500 m² de fresques, ce qui n'est quand même pas rien, et c'est là où les partenaires peuvent se supporter plutôt que dire: Bien, on va tasser un ou tasser l'autre.

Mais je pense qu'il faut, au niveau de la fabrique, qu'il y ait quelques petits accommodements pour pouvoir intégrer des gens, par exemple, qui pourraient être non croyants ou qui viennent d'autres milieux parce qu'un des problèmes de la loi de la fabrique, c'est que c'est uniquement pour les paroissiens qui résident sur le territoire. Alors, qu'est-ce qu'on fait des paroissiens qui habitent une autre paroisse mais qui ont le goût de s'impliquer dans leur paroisse? Mais ça, je pense qu'il faudrait poser la question à nos trois curés qui sont dans l'assistance et qui pourraient aussi mettre leur grain de sel. Là, je vous donne mon point de vue comme intervenant en patrimoine.

Mme Léger: Est-ce que...

Une voix: ...

Mme Léger: Oui, c'est vrai, la table régionale, oui. Je vais poser la question pour que les collègues puissent poursuivre. M. Leduc est venu hier, que vous connaissez sûrement, Antoine Leduc, comme organiste, et il était préoccupé par la question des orgues. Donc, il nous disait, comme vous, qu'il y avait des orgues qui étaient vendus partout à travers le monde puis qu'on perdait un patrimoine extraordinaire. Il nous disait aussi que l'orgue en lui-même était considéré plutôt comme un bien, et lui nous amenait l'idée que l'orgue, tel quel, fait partie de l'immeuble, que la préservation se fasse aussi... que ce soit avec le bâtiment tel quel. Alors, je ne sais pas votre opinion à ce niveau-là, parce qu'il y a eu des discussions sur l'orgue. Et la table régionale évidemment, là.

M. Rousseau (Régis): Bien, en fait, au point de vue... Je n'ai pas beaucoup... tout le temps réfléchi à ce volet-là, là, mais je pense que, oui, ça peut être considéré peut-être comme un bien de ces lieux-là parce que c'est construit pour vraiment... Quand on construit un orgue, il faut avoir des notions musicales mais architecturales, au point de vue artisanal aussi, et donc ça touche plein de domaines, et c'est vraiment fait en fonction de ce lieu.

Les orgues se sont développés dans les églises, hein? Ça fait 2 000 ans que les orgues se sont développés dans les églises. C'est heureux parce qu'il y avait... c'est souvent l'église, là, qui avait les sous, durant notre histoire occidentale, donc c'est tant mieux pour ça. Mais il y a certains endroits dans le monde où les orgues se sont développés dans les salles de concert. Ce n'est pas le cas chez nous. Peut-être que ça peut venir, mais bon... De toute façon, on débat encore d'une salle de concert pour l'OSM, ça fait qu'avant qu'on ait un orgue on verra.

Donc, si c'est dans les églises, bien je pense qu'il faut les considérer comme un bien qui appartient à l'église, mais c'est quand même... mais qui a un volet particulier peut-être à cause du volet musical. En fait, c'est qu'il est vivant. Je ne veux pas dire... Bon, c'est sûr que les fresques sont toujours belles à regarder, on va les visiter, mais l'orgue aussi, il peut servir à créer des occasions de concert, à faire venir des artistes, à faire des rencontres, donc il crée de l'emploi, d'une certaine façon. Donc, il ne faudrait pas le mettre au même niveau que les bancs d'église qui vont être aussi patrimoniaux. C'est que c'est un bien de l'église mais avec une dimension, je pense, supérieure à cause de sa vocation culturelle, artistique, là.

Le Président (M. Brodeur): Merci. Pour une dernière courte question, Mme la députée de Terrebonne.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, merci beaucoup, M. Labonne, M. Rousseau, non seulement de votre mémoire, votre présentation, mais de toute votre action, au fil des ans, pour cette préservation du patrimoine. J'aime beaucoup l'idée de toute la question de la mixité culte et culture et toute la question communautaire aussi. Je pense que c'est intéressant.

n (11 h 30) n

Ma question va être au niveau de vos recommandations, en page 4, qui m'apparaissent particulièrement pertinentes, mais j'ai comme une inquiétude au niveau du nombre de structures qu'on pourrait retrouver. Et qui doit décider de commencer les structures? Alors, qui devrait être maître d'oeuvre pour l'élaboration du mécanisme qui s'assure que les communautés locales vont être consultées puis qu'elles vont être mises à contribution? Ça m'apparaît essentiel de le faire. Et qui est responsable de ça? Au niveau de la mise en place d'une structure, soit à l'échelle locale ou régionale, selon les besoins, qui va assurer la concertation? Qui doit décider de la mettre en place, cette structure-là, locale ou régionale? Son lien par rapport au maintien des tables régionales de la fondation?

Et, à ce sujet-là, je dois absolument la faire, la remarque, je l'avais faite quand on a rencontré la Fondation du patrimoine religieux, les tables régionales actuellement de la Fondation du patrimoine religieux, la composition de ces tables-là n'est pas représentative de la population. Sur ces tables régionales, on retrouve une femme, deux femmes parfois, la présence des femmes est pratiquement exclue. Je pense que ce n'est vraiment pas s'assurer que l'ensemble de la communauté va participer. Alors, comment vous les juxtaposez? Puis qui est responsable?

M. Labonne (Paul): C'est une très vaste question. Disons, si on part du fait que les fabriques constituent la base, c'est la pierre angulaire du développement ? eu égard à l'archevêché, j'espère qu'on me pardonnera ? je pense que les fabriques doivent quand même être sur la ligne de front. C'est elles qui sont intégrées dans les communautés. Ensuite vient un peu le niveau régional, si on veut, et je pense que le régional doit être aussi sensible à ce qui se passe au niveau des communautés. Quand, par exemple, on a fait la restauration des grandes orgues, on a d'abord travaillé avec Saint-Nom-de-Jésus, mais on a eu l'appui de l'archevêché également, sinon c'est sûr que le projet ne passait pas. Mais, si on garde à l'esprit que c'est un projet communautaire puis qu'on veut intégrer le plus possible nos églises dans la communauté, je pense que la réflexion doit venir de la base.

Les tables régionales, l'avantage, c'est que ça permet aussi de voir un plan d'ensemble. C'est que, si on ne travaille qu'au niveau local, on n'a pas cette vue d'ensemble là, et je pense que la table régionale de Montréal, au niveau de la fondation, c'est extrêmement intéressant parce qu'on sait quels sont les besoins. Puis l'enveloppe n'est pas illimitée non plus, financière, donc on est capable de dire: Bien, cette année, on va passer tel projet.

Ce qu'on dit aussi, c'est qu'il faut élargir au fond la fabrique et les tables régionales à la communauté. Parce que, du moment où l'État s'implique, je vois mal comment on peut arriver à quelque chose si on n'arrive pas à élargir un peu la base. Parce que, comme je dis, il y a des non-croyants qui sont très, très, très impliqués dans la mise en valeur et le sauvetage d'églises, alors ils ont un peu de difficulté à cadrer dans la structure confessionnelle, disons-le. Mais en même temps les fabriques ne doivent pas être dépossédées de leurs églises, sinon on arrive à un non-sens. Ce serait vraiment à mon sens catastrophique aussi.

Alors, je dirais: Bon, partons du local, allons au régional. Dans le cas de la ville de Montréal, au niveau de la mise en valeur des églises, ils n'ont pas été très présents. Le milieu s'est pas mal organisé, et à travers des programmes, là, on a fait participer la ville, mise en valeur ou recyclage. Mais, au niveau de la réflexion de notre patrimoine religieux, disons qu'on souhaite une plus grande, peut-être, implication de la ville. Donc, pour l'instant, je ne crois pas que la ville devrait être, par exemple, le porteur de ballon, compte tenu que le milieu s'est pas mal organisé.

Mais comment tout ça pourrait prendre consistance? Je pense que j'aurais plutôt tendance à partir de ce qui se fait puis de venir le bonifier plutôt que d'arriver puis de faire péter le cadre et se ramasser avec une nouvelle structure. La Fondation du patrimoine religieux à mon sens a fait un travail impressionnant et très, très valable. Les paroisses ont travaillé également. Mais comment on peut faire pour faire le lien avec l'État et puis faire le lien avec les municipalités? J'ai l'impression, dans les plus petits milieux, que ça se gère mieux parce que les villes sont plus présentes. Mais, arrivé à Montréal, je veux dire, on a vu tantôt la réaction. 500 bâtiments, temples religieux, et ils sont incapables de prendre ça en charge. Alors, Montréal et Québec seront sans doute des cas où il faudra voir. Ça pourrait être différent du milieu, par exemple, plus rural, entre guillemets. Il ne faudrait pas appliquer des choses à Montréal qui ne pourraient pas cadrer ailleurs.

Le Président (M. Brodeur): Merci beaucoup. Malheureusement, c'est tout le temps que nous avions. On vous remercie de votre mémoire. Donc, je remercie l'Atelier d'histoire d'Hochelaga-Maisonneuve et l'organisme Orgue et Couleurs. Merci beaucoup. Donc, je vais suspendre quelques instants, le temps que Luc Noppen et Lucie Morisset puissent s'installer.

(Suspension de la séance à 11 h 35)

 

(Reprise à 11 h 38)

Le Président (M. Brodeur): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, sans plus tarder, nous allons continuer nos travaux. Nous accueillons donc M. Luc Noppen, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le patrimoine urbain à l'Université du Québec à Montréal, et Mme Lucie K. Morisset, professeure au Département d'études urbaines et touristiques à l'UQAM également.

Donc, vous connaissez le processus habituel, puisque nous sommes en commission parlementaire comme si nous étions au parlement. Vous avez un maximum de temps de 20 minutes pour faire votre exposé. Et par la suite il y aura une période d'échange avec les membres de la commission. Donc, comme le veut la tradition, pour le bénéfice du Journal des débats, je vous demanderais de vous identifier, même si vous êtes bien connus du milieu. Et ensuite de ça vous avez... la parole sera à vous.

M. Luc Noppen et Mme Lucie K. Morisset

M. Noppen (Luc): Merci, M. le Président. Alors, je suis Luc Noppen, de l'UQAM.

Mme Morisset (Lucie K.): Je suis Lucie Morisset, de l'UQAM aussi.

n (11 h 40) n

M. Noppen (Luc): Alors, mesdames, messieurs de la commission parlementaire, nous vous avons soumis un rapport qui, enfin on le conçoit, est un peu épais. On a aussi produit un résumé. Alors, mon intention n'est pas ici, aujourd'hui, de vous résumer le résumé, mais d'insister sur quelques points forts, sur quelques concepts clés qu'on a développés, autour desquels éventuellement on pourra échanger ou recevoir des questions.

Alors, d'abord, notre intérêt pour la question. Je travaille sur la question des églises et du patrimoine religieux depuis 1970 et Lucie Morisset, depuis une quinzaine d'années. Ça fait qu'on peut dire en quelque sorte qu'ensemble on cumule 50 ans d'expérience sur ce sujet-là. On a pensé à ça, hier, ça nous a étonnés. On a publié récemment plusieurs choses, plusieurs documents sur cette question des églises, de l'avenir des églises, du patrimoine religieux ou, comme on l'appelle, nous, du patrimoine ecclésial, pour le distinguer des autres ingrédients dans cette question. Et, dans le cadre des activités régulières de recherche à l'université, à l'UQAM, on mène des programmes de recherche sur les patrimonialisations, sur les églises: caractérisation, valorisation, gestion, et ainsi de suite. Et tout ça est logé à l'enseigne de la recherche publique, c'est-à-dire que c'est la contribution de l'université au développement des connaissances, à la formation des chercheurs, mais aussi dans l'aide à la décision et à la formation de l'opinion publique.

Alors, en guise d'introduction, ce que l'on a proposé dans notre mémoire, ce qu'on a appelé Cap sur 2010, c'est une vision globale, une vision globale qui convoque le Québec, les Québécoises et les Québécois, à une corvée églises parce que je pense que le sujet ? et le fait que la Commission de la culture s'y intéresse... est un sujet suffisamment riche, intéressant et important pour qu'on se prête à une certaine réflexion, mais aussi, comme on va le voir dans le déroulement de ces quelques thèmes, qu'on se donne le temps d'y réfléchir, qu'on se dote d'un plan d'action, qu'on pense aussi et qu'on n'évite pas la question, l'inévitable question du financement et surtout qu'on se donne des objectifs clairs et qu'on y reste attachés par la suite.

Alors, une vision globale. Pourquoi une corvée églises en guise d'introduction? D'abord, on a séparé, dans notre présentation... pas parce qu'on est ignorants sur les autres sujets que seraient le patrimoine monastique et conventuel, le patrimoine artistique et mobilier ou même le patrimoine immatériel, mais parce que les églises présentent un cas d'urgence. On a, au Québec, des institutions comme les Archives nationales qui peuvent réfléchir... et encadrer des actions dans le domaine des archives. On a des musées, des musées nationaux, des musées régionaux qui peuvent accompagner un effort de collectionnement qui serait requis. On a aussi des groupes, des associations mais aussi des universités qui se mettent en marche pour réfléchir sur ce patrimoine immatériel. Mais il nous semble qu'il y a un vacuum, un vide important au niveau des églises dont on dit, nous, qu'elles sont un peu en quête de propriétaires. Donc, il y a un patrimoine cohérent, il y a une difficulté à faire connaître, et on a donc volontairement misé l'ensemble de notre présentation, dans notre mémoire à la commission, sur ce qu'on appelle le patrimoine ecclésial, c'est-à-dire ce patrimoine formé des bâtiments, églises et chapelles, qui ponctuent notre paysage.

La corvée est importante d'abord pour les églises, mais aussi parce qu'il faut mieux, je pense, et plus sensibiliser l'opinion publique. Il faut sensibiliser l'opinion publique devant l'importance de l'investissement public que ça exige. Le gouvernement du Québec a déjà fait des investissements considérables, dans les huit dernières années, via le fonds d'aide... ou Soutien à la restauration du patrimoine, mais bien sûr on ne peut pas imaginer l'avenir de ce patrimoine important en nombre sans investissement public conséquent.

Dans les années à venir, il faut aussi en parler mais il faut sensibiliser l'opinion publique. Il n'est pas évident aujourd'hui, dans les quartiers de Montréal, les arrondissements ou dans quelques villes et villages du Québec, qu'une majorité de citoyens seraient convaincus de la nécessité d'investir. Donc, il y a encore beaucoup de travail à faire pour convaincre de l'obligation de l'État de s'occuper du patrimoine, du fait que ces églises, pas toutes mais un certain nombre d'entre elles, sont dignes de cette appellation. Et donc il va falloir faire des choix: éventuellement un peu moins de trottoirs, un peu plus d'églises ou un peu plus de trottoirs et un peu moins d'églises, selon les différents cas.

Et ensuite, cette corvée, parce qu'il faut concevoir que les églises se présentent, outre les quelques-unes très excellentes qui ont été choisies et protégées en vertu de la Loi sur les biens culturels, classées monuments histoires ou qui appartiennent à des arrondissements ou à des sites du patrimoine, que l'essentiel de ce patrimoine se présente comme un patrimoine de proximité, donc que la fabrication patrimoniale n'est plus celle des experts, n'est plus celle de la Grande Allée où, pour des raisons nationales, on fabriquerait quelques monuments, mais que c'est de la base que vient cette nécessité ou cette expression d'une volonté de patrimonialiser les églises.

Un grand critère, une grande idée de base: je pense qu'il faut commencer par décréter qu'il faut séparer la question du patrimoine de la question du culte. Les deux peuvent cohabiter dans le même bâtiment, mais le destin d'un patrimoine est beaucoup plus... dans notre société nouvelle, sécularisée, mondialisée, le destin du patrimoine s'inscrit dans un terme beaucoup plus long que celui qu'on peut envisager pour l'usage qui serait fait d'un bâtiment patrimonial par le culte. Donc, distinguer entre patrimoine et le culte, ça permet de voir à ce que la prise en charge du patrimoine soit le fait de la société civile et qu'évidemment le culte est entre les mains des traditions des différentes Églises, même si l'usage de certains bâtiments patrimoniaux par le culte peut se faire au nom d'un exercice public du culte, comme l'indique notre législation.

Première partie, il faut se donner du temps. On est aujourd'hui dans une espèce... on a l'impression que le monde va s'effondrer, que nos églises vont toutes tomber demain et que, si on n'a pas 100 millions, 200 millions, 400 millions, 5 milliards, plus rien ne va marcher. Or, il faut s'inscrire dans le temps long du patrimoine. On ne peut pas prétendre aujourd'hui, en quelques mois ni même en quelques années, régler le destin de ces bâtiments qu'on aimerait voir vivre avec nous, qu'on aimerait accompagner dans un temps long et que l'on aimerait léguer à la postérité. Donc, il faut se donner du temps, du temps pour bien faire, bien choisir, bien agir et justement permettre la patrimonialisation à bon escient d'un certain nombre de ces bâtiments.

Se donner du temps d'abord pour stabiliser la propriété des églises. Le régime de propriété des églises, au Québec, est en pleine mouvance. On a de plus en plus d'églises désaffectées, d'autres qui le seront bientôt, des propriétaires incertains, des gens qui disent: C'est à moi, vous n'y faites rien. D'autres qui disent: C'est à moi, mais j'aimerais que vous m'aidiez, et ainsi de suite. Donc, en termes de patrimoine, là, on a une propriété instable. Il faut commencer par régler ce régime de propriété là. Le régler pour toutes les églises ou seulement pour quelques-unes, ce serait des choix à faire. On peut en discuter, mais je pense que c'est tout à fait important.

Et il faut assurer cette stabilité à long terme. Si chaque église devient une propriété unique privée, l'une appartenant à une Église, une tradition religieuse, l'autre à une bibliothèque, l'autre à une municipalité, comment pourrait-on s'assurer que, dans 20 ans, dans 50 ans, dans un siècle, on ait une figure patrimoniale, qu'on ait encore ce qu'on appelle aujourd'hui, comme effet d'ensemble, les églises du Québec? Il faut qu'il reste quelque chose qui, comme effet d'ensemble, ne soit pas amputé de ses clochers, de ses portails, mais qui ait une figure d'ensemble des églises. Et donc ça requiert un régime de propriété qui veille à la pérennité patrimoniale.

Ensuite stabiliser la propriété des églises, c'est aussi se donner des moyens de choisir. On a déjà dit, en d'autres circonstances, qu'évidemment chacun préfère l'église qui est à son coin de rue, son église paroissiale, mais qu'au nom de l'intérêt public, avec des fonds publics, on ne peut pas sauver toutes les églises, de la même façon qu'on n'a pas pu sauver tous les ponts couverts, de la même façon qu'on a n'a pas sauvé toutes les maisons anciennes, de la même façon qu'on n'a pas pu sauver tous les arbres des forêts du Québec.

Il y a donc des choix à faire. Il y a des choix à faire. Il faut se donner du temps pour bien faire ces choix. Dans d'autres pays, ces sélections ont été faites à travers des événements, la Révolution française, certains incendies, et ainsi de suite, et on... Par exemple, la France est un des pays qui a perdu le plus grand nombre d'églises dans son parc patrimonial. Pourtant, on a l'impression aujourd'hui, quand on visite la France, que village après village, ville après ville, on a là conservé un échantillon représentatif de toutes les époques et de toutes les tendances pour un pays qui a perdu beaucoup d'églises. Il faut arriver à ça, mais on ne peut pas faire cette sélection, vous me permettrez... on ne peut pas faire cette sélection en quelques semaines, en quelques mois. Donc, il faut se donner du temps.

n (11 h 50) n

Il faut se donner du temps aussi parce que, comme je vous l'ai dit, nous pensons que la sélection patrimoniale ne vient plus d'en haut. Elle se fabrique en bas, et donc sont et seront patrimoniales les églises qui seront prises en affection par les collectivités locales, par des gens qui désirent les conserver dans leur environnement et les accompagner. Cette sélection se fait donc au nom d'un patrimoine de proximité. Or, on ne peut pas présumer que tous les gens, tous les citoyens au Québec savent maintenant quel est l'intérêt de l'église par rapport à la voisine. Donc, il y a un travail de notoriété à fabriquer, de conscientisation. Il faut se mettre au travail pour aider les collectivités locales à choisir, c'est-à-dire, pour les universitaires, de donner des informations: Avez-vous pensé que...Oui, mais il y a d'autres églises. Celle-là... Avez-vous visité la voisine?, et ainsi de suite, parce que les décisions sur le patrimoine, quand on parle de patrimoine de proximité, viendront de la localité. Et c'est à partir de ce moment-là que ce sont les politiques, les élus qui choisiront, au nom de la collectivité qu'ils représentent, quels bâtiments pourront être accompagnés dans un avenir. C'est un rôle qui échappe aux experts à partir du moment où on parle de cette pertinence, des critères de pertinence qui feront la sélection ultime.

Donc, il faut se donner le temps pour stabiliser la propriété, il faut se donner les moyens de nos choix patrimoniaux, donc prendre le temps de travailler avec nos concitoyens pour y arriver.

On a évoqué, dans notre rapport, aussi deux solutions qu'il faut explorer. D'abord, c'est qu'on propose des amendements à la Loi des fabriques pour revenir un peu à l'esprit d'origine de cette loi, qui était une représentativité électorale dans une circonscription fiscale. Or, la désaffection du culte a amoindri, a limité cette fonction. Les amendements qui ont été faits à la Loi des fabriques ont fait, je pense, malheureusement une diversion en insérant des éléments du droit canonique dans cette loi civile. Je pense qu'il faudrait revenir à l'idée... donc constituer des fabriques patrimoniales, permettre une gestion locale dans un district électoral et avec une représentation des fabriques auprès des collectivités locales, c'est-à-dire des municipalités.

À partir de ces fabriques patrimoniales, on propose de fonder une fiducie, une société de fiducie, en quelque sorte une espèce de SEPAQ du patrimoine ecclésial, qui travaille avec la ressource églises au lieu de travailler avec la ressource parcs et villégiature, mais une société de fiducie qui, à notre avis, ne devrait pas seulement inclure les bâtiments excédentaires... Parce qu'on ne sait pas quels sont les bâtiments excédentaires. On sait aujourd'hui qu'il y en a quelques-uns, mais demain on en ajoutera d'autres, après-demain, d'autres. Alors, comment le Québec pourrait-il faire une politique pour son patrimoine ecclésial si on n'a pas une liste complète de ce qui sera excédentaire? Ce qu'on vous propose, c'est de dire que bon, dans 20 ans, elles seront toutes excédentaires. Alors, pourquoi ne pas partir de ce point de vue là et, à partir de là, de faire une politique et une action conséquente?

Donc, se méfier de cette idée du patrimoine excédentaire parce que c'est encore une fois quelque chose qui nous condamne à travailler à la pièce. D'ailleurs, vous savez que l'idée du patrimoine excédentaire, ça vient de la Commission de la capitale nationale, qui s'est dit: Bon, il y a quelques couvents à Québec dont il faut régler le cas. Il faudrait que le gouvernement fasse un chèque pour régler le cas de l'Hôtel-Dieu des Ursulines. Et puis bon, bien, c'est excédentaire parce que ce ne serait plus requis par les religieuses. Et, à partir de ça, on ajoute les églises, on ajoute le tout. Mais la notion même de patrimoine excédentaire, de notre point de vue, rendrait impossible toute action planifiée et organisée dans le temps.

On a donc proposé une structure, une structure représentative ? c'est selon les modestes moyens de nos connaissances; on n'a pas évidemment engagé des consultants pour nous aider en cette chose, on a travaillé la chose nous-mêmes, en consultant à gauche et à droite, avec des collègues qui étaient, comme nous, prêts à bénévolement mettre de leur temps dans cette aventure ? avec donc une organisation qui engage les fabriques de patrimoine responsables du maintien des bâtiments devant la municipalité ? la municipalité est fiduciaire, une société de fiducie ? et en distinguant très bien deux niveaux d'intervention. D'abord, au niveau local, les fabriques et les municipalités sont responsables du maintien de l'église, donc de l'entretien, et ainsi de suite. Et la fiducie, elle, est essentiellement active au niveau de l'infrastructure, c'est-à-dire des gros travaux qui devraient être faits, à l'occasion, sur un certain nombre de ces bâtiments.

Les Églises, dans cette situation-là, les traditions historiques, les Églises socialement constituées ou même des traditions plus récentes seraient affectataires, seraient affectataires, sans frais, des bâtiments, sauf aux frais directement reliés à l'usage, donc n'auraient plus la charge ni du maintien ni de l'entretien à long terme, ce qui apporterait une distinction très claire entre le patrimoine et sa pérennité et l'exercice du culte. L'avantage évidemment d'avoir les Églises comme affectataires, c'est d'avoir une interprétation qui est naturelle, c'est-à-dire... Même quand on va à Notre-Dame de Paris, il y a toujours, dans une chapelle ou dans la nef, un service quelconque, un concert d'orgue, donc une activité de culte ou qui accompagne le culte, qui est très logiquement une interprétation valable pour les bâtiments patrimoniaux les plus précieux, sans quoi on devrait imaginer que le ministère de la Culture engage des interprètes qu'il habille en curés d'une certaine époque, et ainsi de suite.

Donc, je pense que, puisque le choix des traditions est de rester dans les bâtiments, le mieux qu'on puisse faire, c'est évidemment de les leur offrir, mais de leur enlever la charge de ce patrimoine qui est voué à un plus long terme que l'usage précis du lieu du culte.

Un plan d'action. Un plan d'action, on a... Excusez-moi, j'ai sauté une petite étape. Régler le problème de l'usage, si vous voulez, parler du maintien de l'église, le coût du maintien de l'église, ce qui est tout à fait important, et ça rejoint... Je pense que les aspirations des communautés locales, c'est... Il va falloir que chaque église ait un projet. On ne peut pas penser que classer une église, la protéger ou que même l'affecter au culte, c'est-à-dire l'utiliser quelques heures seulement par semaine par un petit nombre de gens, puisse subvenir aux frais du bâtiment.

Donc, il va falloir que, pour chaque église, il y ait un projet. Ce projet-là doit être forcément d'initiative locale et doit créer une nouvelle animation, doit densifier l'occupation du bâtiment mais doit aussi voir à offrir quelques ressources pour maintenir... Et c'est... La seule façon d'ailleurs d'avoir une reconsidération par l'opinion publique du patrimoine ecclésial, c'est de faire pour chaque église un projet, en quelque sorte un événement qui attire de nouveau l'attention sur l'église, comme ça a été le cas lors de sa construction. Dès que l'on a construit l'église, c'est un événement, et les gens y sont accourus, y ont été desservis par le culte. Donc, il faut créer un événement pour ces bâtiments qui sont passés dans les habitudes et souvent dans les mauvaises habitudes. On passe devant, on ne les regarde pas et, comme elles sont fermées, on n'y pénètre pas, on ignore même tout à fait la richesse de ce patrimoine. Donc, un projet par église.

Un plan d'action. Donc, chaque église doit faire ses frais. Chaque église doit faire ses frais, et souvent c'est ce qui nous permet d'envisager de placer les églises et l'usage des églises dans le temps long du patrimoine. On peut imaginer que toutes les églises pourraient être aménagées, subir des aménagements légers pour pouvoir faire leurs frais de meilleure façon et retrouver un usage plus important dans une planification à plus long terme. Les églises qui ont été le mieux traitées, au Québec, sont celles qui ont eu deux reconversions successives, c'est-à-dire qu'on a d'abord en quelque sorte squatté l'église pour sauver les meubles et payer le chauffage et, dans un deuxième temps, on a réussi à inscrire, dans une planification d'immobilisations municipales ou publiques, des coûts plus importants pour assurer à plus long terme. Donc, on ne peut pas soigner toutes les églises en même temps en termes de patrimoine pérenne. Il va falloir créer des échelles, une planification d'interventions mais, en attendant, quand même voir à ce que les bâtiments fassent leurs frais.

Je vous donne un exemple rapide. Si on prend le budget d'une paroisse, une paroisse moyenne en milieu urbain qui a un budget de l'ordre de 300 000 $, il n'y a guère plus de 30 %, 32 % qui vont au maintien du bâtiment. Le reste va au culte. Donc, déjà on pourrait dire en caricaturant: Fermer l'église au culte, c'est déjà régler une partie de son problème économique. On peut dire, dans un deuxième temps: Oui, mais, s'il n'y a plus de paroissiens, il n'y a plus de rentrée d'argent. Ce n'est pas aussi évident parce que, très souvent, les gens donnent à l'église pour le patrimoine. Et même les diocèses, quand ils font des quêtes, des campagnes annuelles, vont souvent évoquer plus le patrimoine que la pratique du culte pour recueillir des fonds. Donc, recueillir des fonds pour le patrimoine est plus facile, à notre avis, que recueillir des fonds dans la société civile, aujourd'hui, pour le culte. La fiducie donc voit aux travaux d'infrastructure, qui sont à peu près l'équivalent de ce que la Fondation du patrimoine a pu faire avec les fonds versés par le ministère de la Culture.

On propose aussi une société de valorisation. Chaque église de chaque paroisse, chaque fabrique de patrimoine ne pourra pas mettre sur pied une série de concerts, publier des brochures, faire des activités. Donc, on a intérêt à ce que ces bonnes idées qui sont développées en certains lieux puissent circuler à travers les autres et donc qu'on travaille par effet d'ensemble. Vous savez, pour les touristes qui viennent au Québec, il y a quelques églises magiques, la basilique Notre-Dame, Notre-Dame-des-Victoires à Québec, mais, pour le reste, on travaille par effet d'ensemble, les gens ont une vision d'ensemble. Donc, il faudrait que ce soit l'ensemble de ces églises qui puissent être animées, et par une société de valorisation.

Enfin, on parle de développer, diffuser des connaissances. Je pense qu'il faut revoir l'interprétation de ce patrimoine, c'est-à-dire qu'il faut l'arrimer aux sensibilités d'aujourd'hui. Les églises ont un rôle identitaire formidable à jouer, jouent un rôle, au Québec, mais il est souvent mal interprété, mal explicité. Donc, il faut rejoindre, par une interprétation pertinente et donc basée, fondée sur des nouvelles recherches, sur des nouvelles approches, rejoindre ce sentiment identitaire et mieux l'étayer, mieux l'expliquer par des recherches. Je pense que c'est le rôle de l'université. On a détaillé différentes questions là-dessus.

n (12 heures) n

Enfin, une logique de financement. Je pense qu'on pourrait travailler de façon un peu plus intéressante sur les questions budgétaires. Par exemple, on a commencé à financer la restauration des églises alors que le marché immobilier puis le marché de la construction s'emballaient. Les prix de réfection des églises sont montés. On pourrait utiliser des programmes de soutien à la restauration des églises lorsqu'il y un léger... ou un ralentissement plus accentué dans la construction. Les prix baisseraient puis on utiliserait ce patrimoine pour créer une certaine stabilité, notamment... enfin surtout dans quelques milieux des...

Je pense qu'on l'a évoqué, il faut aussi payer la dette d'abord, investir ensuite. On a encore, via la dette contractée pour les fonds dépensés dans les années précédentes, des remboursements importants à faire avant de recommencer à investir et cette fois-là savoir dans quoi et à quelles fins on investit. Il faudrait aussi voir à ne soutenir financièrement que des bâtiments qui sont déjà pris en charge localement. Décider, à partir d'un organisme central ou même régional, de subventionner telle ou telle église sans s'assurer qu'il y ait une suite, qu'il y a un accompagnement législatif ou réglementaire qui protège le bâtiment, ça va nous mener à subventionner des églises qu'on va démolir quelques années plus tard.

Et enfin il y a une chose importante: il faudrait réserver les exemptions fiscales à l'utilité publique. Beaucoup de gens dans les municipalités vont dire: On n'a pas d'argent à investir dans les églises. C'est à peu près le seul investissement qu'une municipalité devrait faire dans les églises. Avec la fiducie que l'on propose, c'est de conserver cette exemption fiscale non plus pour le culte, mais de la destiner au patrimoine. Et, à partir de ce moment-là, la municipalité aura fait un bon bout de son chemin, puisqu'évidemment aucune association... et, on l'a vu avec les faillites que cause la mise à disposition de certaines églises à des organismes culturels. Il n'y a plus aucune église donc patrimoniale qui paierait des taxes, et elles pourraient même abriter des associations culturelles qui profiteraient de cette déduction. Ce serait l'investissement municipal.

Des objectifs clairs, je pense qu'il faut avoir le courage de s'en fixer. Nous, on a proposé qu'on pourrait garder, au Québec, 40 % des églises. On a entendu hurler de toutes parts. Tant mieux si on peut en garder plus. Tant mieux. Mais, si déjà on pouvait s'assurer collectivement d'en garder 40 %, ce serait déjà un chemin de fait et un engagement. Et ensuite de s'organiser. Cap 2010, c'est de dire: Il n'y a pas de précipitation. Prenons notre temps. Il y a peut-être quelques pierres qui vont tomber de certains clochers, quelques décors de plâtre qui vont tomber. Je dirais, comme un de mes amis: So, what? Je veux dire, il faut prendre le temps de bien s'organiser. On ne répare pas, on n'entretient pas ces bâtiments pour demain, pour après-demain, on va travailler pour les siècles à venir. Donc, d'ici 2010, s'organiser. On peut s'organiser avec des moyens plus modestes, mais mettre au travail tous les acteurs impliqués, toutes les universités, tous les propriétaires d'églises, les diocèses, les traditions. On a parlé déjà, en 1997, des états généraux du patrimoine religieux. Bon, en fait, on y est en quelque sorte avec la consultation que vous faites.

Et ensuite, à partir de 2010, 2030, soyons réalistes, proposons, par exemple, que le gouvernement, en dollars constants d'aujourd'hui, investisse quelque 30 millions par année. Ça va sécuriser tous les gens qui pensent qu'ils ont entre leurs mains un patrimoine important en disant: Il y a quelque chose à venir. Mais il va falloir qu'il y ait des fonds d'appariement qui doublent, triplent ou quadruplent ces investissements parce qu'il devra y avoir un investissement local. On ne peut pas tout simplement penser que le gouvernement du Québec va sauver toutes les églises du Québec ni même 40 %. Il va falloir créer de l'énergie locale.

Et, en terminant, on vous invite à notre colloque sur l'avenir des églises, Quel avenir pour quelles églises?, qui est organisé conjointement par la Fondation du patrimoine religieux, le Conseil du patrimoine de Montréal et la Chaire de recherche du Canada sur le patrimoine urbain. Nous vous disons déjà qu'on travaille avec l'Université Concordia pour avoir un deuxième colloque l'an prochain qui va travailler sur le patrimoine monastique et conventuel. Et il y a un troisième colloque, en collaboration avec Laval, sur le patrimoine mobilier et artistique. Merci.

Le Président (M. Brodeur): Merci beaucoup. D'entrée de jeu, je vous dis que nous y serons, au colloque. Merci de votre présentation. D'ailleurs, votre présentation était attendue de plusieurs, et vous avez le mérite d'avoir suscité le débat dans le milieu. On a énormément entendu parler de vos écrits.

J'ai deux courtes questions, au point de départ, questions qu'on juge importantes. Premièrement, sur le régime de propriété. Premièrement. Et ma deuxième question porterait sur quand vous parlez du temps. Donc, on s'imagine une législation qui permettra de donner du temps avant de prendre des décisions finales.

Mais, concernant le régime de propriété, du côté légal, c'est justement... On en a abondamment discuté, et certains en ont fait état hier, lors des auditions, le régime actuel fait en sorte que le vrai propriétaire ou celui qui décide vraiment, c'est l'archevêché en tant que tel. Est-ce que vous prônez une modification à la législation pour changer ce droit qui est un peu... que les gens sont chatouilleux à voir changer du droit comme tel de propriété? En définitive, est-ce que vous proposez une espèce d'expropriation déguisée? Parce que j'aimerais vous entendre un peu plus précisément sur la modification à venir de ce régime, de ce droit de propriété qui chatouille un peu tout le monde.

Hier, on a entendu des gens d'église. On a entendu, par exemple, les gens qui déposaient un mémoire pour préserver leur église à Longueuil ? je ne me souviens pas du nom de...

Une voix: ...

Le Président (M. Brodeur): ... ? Saint-Pierre-Apôtre. Le droit de propriété n'est pas clair pour tout le monde dans cette affaire. Et que proposez-vous? Est-ce qu'on peut s'entendre? Il ne faut pas que ce soit non plus une expropriation déguisée. On essaie plutôt de fonctionner avec la plus grande clarté possible, et la plus grande cohésion possible, et l'entente de tout le monde. Ça fait que j'aimerais vous entendre un peu plus sur ce régime de droit de propriété.

Mme Morisset (Lucie K.): Bien, ce qu'il faut savoir au départ, c'est que, partout au Canada, depuis, disons, la nuit des temps, et certainement au Québec aussi, le principe général, puisqu'on ne reconnaît pas d'Église, il n'y a pas d'Église établie, ni au Canada ni au Québec, c'est que l'État ne reconnaît pas d'Église en particulier, et donc ne peut pas reconnaître à une Église en particulier une propriété. L'État plus généralement reconnaît le droit de citoyens de s'associer pour pratiquer un culte donné et pour détenir pour ces fins des bâtiments. C'est ce qui nous a donné la Loi sur les fabriques qu'on connaissait, loi qui a été, comme vous l'évoquiez, rendue parfaitement inopérante, en 1965, parce qu'on a inséré dans la loi... En fait, on a transposé le Code de droit canonique dans la Loi sur les fabriques, de telle sorte que les règles du droit civil, c'est-à-dire le principe de l'assemblée démocratique qui jusque-là dominait la Loi sur les fabriques, bien évidemment ont été, ces règles du droit civil, évacuées au profit de la hiérarchie ecclésiale. Donc, c'est l'évêque qui décide tout. Alors, maintenant, plutôt que ce soit l'assemblée des citoyens, l'évêque peut tout décider par décret. Bon.

On pourrait discuter longuement de la concordance du droit canonique avec le droit civil et de l'intérêt de maintenir des dispositions du droit canonique dans le droit civil québécois. On pourrait effectivement discuter longtemps. Je crois que la question n'est pas là. La question de base qu'il faut se poser, c'est: Est-ce qu'on veut faire... Qu'est-ce qu'on veut? Est-ce qu'on veut des églises dont l'Église s'occupe ou est-ce qu'on veut du patrimoine? À partir du moment où on parle de patrimoine, bien on parle forcément, d'une certaine façon, d'une forme de propriété publique. Si une Église n'est pas d'accord pour que ses églises soient patrimoine, pour que ses églises soient supportées par l'État, par les municipalités ou par les collectivités locales, fort bien, qu'elle s'arrange avec. Sinon, on pense, et c'est ce qu'on a proposé, qu'il serait du rôle de la fiducie de négocier, tradition par tradition, et, dans ce cas-là, il va bien falloir... en respectant la hiérarchie ecclésiale, qui n'est pas nécessairement conforme aux principes démocratiques qu'on connaît, en négociant, tradition par tradition, l'échange, le transfert de leurs églises contre, et ce n'est pas rien, contre la garantie de l'affection au culte et contre l'entretien du bâtiment dont ces Églises-là n'auraient plus la charge.

Le Président (M. Brodeur): Et en plus vous préconisez une prise en charge totale, donc pas question de théorie de patrimoine excédentaire. De tout le patrimoine.

Mme Morisset (Lucie K.): Non, non, je... Je vais dire exactement ce que Luc a dit tout à l'heure... Oui, vas-y.

n (12 h 10) n

M. Noppen (Luc): Bien, comme je vous dis, la notion d'excédentaire empêche toute planification parce qu'on va attendre que l'évêché, ou le diocèse, ou la hiérarchie d'une telle ou telle tradition nous dise: Bien, j'ai celle-là en trop, la voulez-vous? Ce qu'il risque d'arriver, c'est que donc les Églises vendent les églises dont elles n'ont plus besoin, consacrent... confèrent à l'État, aux municipalités seulement les plus précieuses, qui ont une certaine protection légale, donc dont on ne peut pas disposer.

Et, pour répondre à votre question avec un peu plus de détails, je veux dire, aucune tradition religieuse au Québec n'est capable de maintenir son patrimoine, s'il n'y avait pas d'exemption fiscale et s'il n'y avait pas de subvention à la restauration. Donc, il faut bien se rendre compte que le droit de propriété revendiqué par certains ? pas par tous, par certains ? est très fragilisé par cette dépendance envers l'État, qu'il soit provincial ou municipal.

Mme Morisset (Lucie K.): ...qu'on parlait d'expropriation, ce n'est pas du tout de ça qu'il s'agit, mais, comme il n'y a pas d'argent partout, malheureusement pour nous tous, bien les municipalités se demandent comment on va faire pour entretenir ce parc-là.

Mais là je vais rappeler ce que Luc Noppen a dit tout à l'heure. C'est qu'on a actuellement des exemptions fiscales pour sauver nos forêts, pour sauver nos rivières. Pourquoi on n'en aurait pas pour sauver le patrimoine? Et on pourrait dire que les édifices transférés à la fiducie bénéficient d'exemptions fiscales. On a donc déjà toute une structure qui existe effectivement pour sauver les églises. Elle est simplement un peu contaminée par un droit canonique qui ne correspond pas à notre vision de société civile, à la vision d'une société civile qui parle de patrimoine. Il s'agit simplement d'appareiller l'un et l'autre. Et certainement pas d'expropriation parce que, s'il y a une chose qu'il ne faut pas faire, c'est se mettre à dos les trois ou quatre derniers paroissiens qui tiennent à leur église. Parce que ce sont peut-être eux, les leviers de cette nouvelle fabrique patrimoniale dont il faut dire qu'elle est au coeur de la dynamique. C'est-à-dire qu'il n'est pas question qu'il y ait une fiducie en haut qui décide de tout sans qu'il y ait une prise en charge au niveau local, de sorte que le bâtiment fasse ses frais, de sorte qu'il y ait un partenariat, que ce soit une forme de conseil de quartier d'Église, cette fabrique patrimoniale.

Le Président (M. Brodeur): Parfait. Et vous avez aussi abondamment parlé des questions de temps, de se donner du temps. Donc, nous, notre rôle, c'est d'arriver à un rapport qui va faire des suggestions, j'espère, judicieuses pour une législation à venir. Et, si je vous ai bien compris ? j'aimerais vous entendre là-dessus ? cette législation-là devrait donner du temps. Donc, le temps de prendre l'église, d'analyser, j'imagine, ce qu'on peut faire avec, les restaurations qu'on doit y faire, vers quel domaine devrait-on envoyer sa prochaine destination. Est-ce que vous avez... On sait qu'il y a des... certaines municipalités ont adopté des politiques de temps, donc... Je pense à Québec d'ailleurs qui en ont... Je n'ai pas le détail de toute cette politique-là, mais eux ont donné du temps pour réfléchir avant de transformer une église. Quel type de processus proposez-vous à la commission qui pourrait servir à gagner du temps pour prendre les décisions les plus judicieuses possible?

M. Noppen (Luc): Je comprends que, vous, vous êtes pris dans un échéancier, vous devez remettre un rapport, mais je pense qu'il y a un certain nombre de choses que vous pouvez recommander. Par exemple, je pense qu'il y aurait lieu de créer un organisme, ou une organisation, ou une table de concertation qui aurait pour but de s'asseoir avec les propriétaires des églises et de voir comment proposer à l'évêque: Oui, mais, si vous n'aviez plus d'exemption fiscale et si on n'a plus de subvention, qu'est-ce que vous faites avec vos églises? Et en échange vous ne pensez pas que... Et simuler une affectation.

Par exemple, si on dit: Aujourd'hui, on prend le budget de toutes les paroisses d'un diocèse et, demain, on dit: On a exactement la même situation, sauf que le maintien de l'église est assuré par une fabrique qui relève de la municipalité, alors, en fait, je veux dire, les coûts sont les mêmes parce que les gens qui contribuent continuent à contribuer, et ainsi de suite, sauf que, sur une période de 20 ans, les églises ferment selon une planification qui est le fait de plus de consensus, selon une affectation qui est le fait d'un consensus aussi, dans lequel le critère patrimonial est important. Parce que qu'est-ce qui nous... à quoi nous servirait d'avoir, dans 20 ans, une cinquantaine de lieux de culte à Montréal mais qui soient des bâtiments plutôt modernes ou récents, fonctionnels, pratiques, pas très dépensiers et surtout environnés d'un grand parking? Parce que c'est un des critères de performance pour une paroisse active, alors qu'en fait on serait avec des grands bâtiments restés vides.

Donc, il faudrait, dans un premier temps, s'asseoir avec tous les intervenants et fabriquer cette espèce de concordat qui serait la solution québécoise qu'on inventerait. On est informés de ce qui se passe ailleurs, de ce qui va bien, de ce qui va moins bien. On connaît notre problème, on peut donc... il faut qu'on fabrique une solution à notre mesure, avec l'agrément des gens, donc ne pas commencer à dire: Toi, je t'exproprie, toi, je ne t'exproprie pas, puis ainsi de suite. Ce n'est pas de ça qu'il s'agit.

Ensuite, il faut se donner du temps pour que les citoyens puissent exercer, dans leur volonté de patrimonialisation ou de conserver certaines églises, exercer un jugement informé. Donc, il faut avoir quelques années devant nous avant de décider qu'on démolit une église parce que les gens ont dit: Je n'en veux pas. Ils n'en veulent pas parce qu'ils ne la connaissent pas. Parce qu'elle a été fermée, ils n'ont pas eu l'occasion de rentrer, ils n'ont pas pu l'apprécier, la comparer, puis ainsi de suite. Donc, c'est ça qu'on dit quand... il faut se donner le temps.

On imagine aussi, par exemple, que votre commission pourrait dire: Le ministère de l'Éducation, via le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture, met en branle des programmes de recherche stratégique qui convoquent donc les chercheurs, les universités à des grands programmes. Ils ont travaillé sur le cancer, sur le transport, sur différents... Donc, on pourrait très bien aussi travailler là, pendant un certain temps, sur les questions relatives au patrimoine religieux ou au patrimoine ecclésial, mais, pour tout ça, il faut un certain nombre de temps qui permet d'arriver à une solution harmonieuse. Et, nous, on se dit: On devrait être prêts à légiférer et intervenir et avoir une nouvelle solution qui soit mise en oeuvre en 2010. On a cinq ans devant nous, donc il faudrait essayer de planifier ce cinq ans: Qu'est-ce qui doit être fait? Par qui? Pour arriver à quelle conclusion? On arriverait peut-être à tout autre chose, mais au moins on aura entrepris ce grand chantier d'une espèce de réconciliation nationale aussi, au nom du patrimoine, envers le patrimoine religieux.

Mme Morisset (Lucie K.): Notamment parce qu'on croit que la solution est une solution globale, qui convoque non seulement le ministère de la Culture, mais aussi le ministère des Affaires municipales et de la Métropole, le ministère de l'Éducation, donc il va falloir que les gens se parlent. C'est une suite d'actions concertées qu'il faut développer, et ça, tout opposé une action qu'on ferait dans l'urgence: Ah! l'église a besoin d'un Band-Aid sur le clocher, bien, ça va, pensons-nous, permettre de prendre le problème dans son entièreté et finalement, à terme, de le régler. Alors ça, c'est le premier temps long, celui qui, jusqu'en 2010, nous dit: Il ne faut pas agir dans l'urgence; calmons-nous et regardons la situation avec un peu de paix. Déjà, ça, ça va aider beaucoup.

Le deuxième temps long, c'est celui de la planification de l'usage de l'église dont Luc Noppen parlait. Donc, il y a cet usage qui doit permettre à l'église de faire ses frais très tôt, programmé, par exemple, par la fabrique patrimoniale, et il y a d'autre part l'usage dans le temps long, et c'est là que la municipalité, par exemple, peut intervenir à titre d'acteur déterminant pour peu qu'on reconnaisse ses compétences en matière d'aménagement du territoire. Parce que tout le monde sait que, dans 20 ans, à gauche, on va avoir besoin d'une bibliothèque, à droite, on va avoir besoin d'une salle de concert, ou d'un gymnase, ou de je ne sais quoi. Il s'agit, dans le temps long, de planifier une réingénierie finalement des fonctions communautaires et culturelles en fonction de notre désir de sauver des églises, bien entendu.

Le Président (M. Brodeur): Merci. Mme la députée de Pointe-aux-Trembles.

Mme Léger: Merci, M. le Président. Vous venez de dire un mot, la «réingénierie». On a bien de la misère, de ce côté-ci, mais, je sais, vous ne l'avez pas dit dans le même sens qu'on l'entend.

Alors, merci, M. Noppen, merci, Mme Morisset, d'être ici. C'est sûr que vos travaux ont suscité beaucoup de débats, comme le président le disait tout à l'heure, d'entrée de jeu. Bon, vous mettez clairement la différenciation entre le patrimoine et le culte, qui sont étroitement liés: autant le culte lui-même, c'est l'église; l'église, c'est les paroissiens; les paroissiens, ça a un lien avec la société civile; la société civile a un lien avec le quartier, la municipalité; quartier-municipalité a un lien avec l'ensemble du patrimoine national, parce que, quand on a une vision globale de la chose...

Mais il reste que, bon, ce que vous apportez comme solutions, ça peut être des solutions... ça peut être des irritants pour certains, là, parce que je vois aussi dans la salle toutes sortes de réactions dans vos commentaires. Je vais laisser mon collègue... Particulièrement au niveau de la fiducie, je sais qu'il y a des réactions, là, à ce niveau-là, puis d'autres éléments. Mais il reste que, quand vous dites: Chaque église doit faire l'objet d'un projet, chaque église doit faire l'objet de ses frais, c'est que l'église, de ce que vous apportez... il y a comme... vous négligez, pour moi, les liens très clairs avec le clergé. Et le clergé, dans ce que vous apportez... Bon, je peux comprendre que c'est des solutions, puis je pense qu'il y a des choses très intéressantes, mais il reste que c'est là notre base, et c'est là qu'est notre force et notre faiblesse en même temps, je dirais, dans toute la quête de solutions. Et le fait de vouloir clarifier que le patrimoine, c'est une chose, et le culte, c'est autre chose, pour moi, je suis mal à l'aise avec ça, dans le sens que pour moi tout ça est étroitement lié.

n (12 h 20) n

M. Noppen (Luc): Vous savez, on a un collègue français, Émile Poulat, qui a beaucoup réfléchi là-dessus, puis il nous disait comment, par exemple, en France, les Français ont laborieusement, à travers le temps, réglé ça. En fait, ce qu'ils ont fait, c'est qu'ils sont passés d'une société d'un régime de catholicité à une société qui a un régime de laïcité. Bon. Ça n'exclut pas, en rien, le fait catholique, qui est encore très présent en France avec l'école privée, la pratique dans un certain nombre d'églises, mais c'est simplement une organisation totale de la société qui inclut les cultes mais qui n'est pas façonnée par le culte dans ses dispositions, dans ses articulations.

Alors, ce qu'il faut savoir, c'est qu'on parle évidemment beaucoup de tradition catholique, parce que c'est la grande majorité des églises, mais il y a actuellement 28 mosquées à Montréal et plusieurs en construction. Donc, ces questions-là qui, aujourd'hui, harcèlent le gouvernement français vont nous arriver bientôt aussi, là, dans cette exemption fiscale, dans les subventions aux bâtiments, puis ainsi de suite.

On peut très bien séparer la gestion du patrimoine, qui est la gestion d'un parc immobilier, avec l'affectation de ce patrimoine aux traditions religieuses qui voudraient l'utiliser comme exercice du culte, et je dis: C'est avantageux. On a toujours dit: La meilleure chose qui puisse arriver à une église, c'est de rester ouverte au culte. Tout de suite après, il faut reconnaître que ni le diocèse ni les derniers paroissiens, le petit nombre de paroissiens qui sont affectés à cette paroisse, n'ont les moyens d'entretenir ce patrimoine. Alors donc, dans cette solution-là, où la paroisse produit de l'argent avec lequel on fait vivre la paroisse, on entretient l'église et on fait même vivre la hiérarchie diocésaine ? parce qu'il n'y a pas d'argent qui est produit à cette échelle-là, il vient des paroisses ? donc tout ça est condamné à un déficit grandissant, et le poids des églises condamne même l'équilibre budgétaire du diocèse. Donc, on va commencer bientôt à parler de fusion de diocèses, ce qui veut dire aussi fusion de cathédrales, c'est-à-dire fermeture de cathédrales. Bon. Alors, c'est des choses qu'on peut envisager.

Donc, je pense qu'une façon raisonnable, c'est de trouver une autre solution de gérer cette proximité entre certains bâtiments et certains cultes, ou le culte catholique pour une majorité de Québécois, et d'en faciliter l'usage. Aujourd'hui, tous les religieux français vont vous dire qu'ils sont finalement assez heureux d'avoir un accès à des églises qui sont bien entretenues et chauffées sans que le petit nombre qu'ils sont doive en payer les frais. Bon, évidemment, on peut rencontrer des maires qui vont vous dire: Oui, mais ça nous coûte une jambe, là, d'entretenir ces grands bâtiments. Mais néanmoins c'est du patrimoine, c'est du patrimoine, et là il y a une prise en charge obligée par les collectivités locales. Bon, évidemment, les Français développent facilement des partenariats entre l'État central, la région, le conseil général, le département puis la municipalité. On peut faire des PPP en France rien qu'avec l'État, décliné à tous ces niveaux là. Ce n'est pas très facile ici. Mais loin de nous l'idée de vouloir léser le culte, mais simplement essayons de garder le plus longtemps possible les plus belles églises ou toutes les églises ouvertes au culte, mais assurons-nous que la décision de fermer une église comme lieu de culte n'entraîne pas automatiquement son éradication du point de vue patrimonial.

Le Président (M. Tomassi): Ça va, Mme la députée? M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dion: Merci, M. le Président. M. Noppen, Mme Morisset, que l'on soit ou pas d'accord avec tout ou seulement en partie avec ce que vous avez apporté, il y a une chose qui est certaine, c'est que votre contribution à cette réflexion-là est extrêmement importante. Quoi qu'il arrive, vous pourrez dire que vous avez placé beaucoup de pierres à la fondation de l'édifice qu'on essaie de bâtir pour l'avenir, qu'on essaie de faire en sorte que ce soit un édifice patrimonial. Mais cet édifice patrimonial dont je parle est un édifice théorique, un édifice sociologique.

J'ai quand même des craintes, c'est sûr, face à la fiducie. Bon. La façon dont vous en parlez aujourd'hui est un peu différente de ce que j'avais compris avant, mais quand même il y a des choses très intéressantes là-dedans. Là où je vois un... Il y a un certain nombre de problèmes.

D'abord, si on crée une fiducie et qu'on lui transfère la propriété, comment on fait ça? Et comment on fait ça sans que la communauté locale se sente désappropriée? Voyez-vous, si on change... On a l'expérience de Saint-Pierre-Apôtre, à Longueuil, où l'évêque, de bonne foi, j'imagine, en tout cas l'Église locale, a décidé de grouper sept fabriques, d'en faire une avec sept ? ce que j'ai compris, en tout cas ? et donc il y a des églises en surplus, puis, en fin de compte, on a décidé d'en fermer, entre autres une, une que les gens de la communauté locale avaient vraiment contribué puissamment dans les dernières années à faire vivre. Alors, vous comprendrez la frustration des gens et l'effet de ça sur la vitalité du milieu lui-même, hein? On dit parfois: Il y a seulement 100 personnes qui vont à la messe. Mais, vous savez, dans un quartier, pour ... un club des loisirs, qui est souvent le coeur de la vitalité d'un quartier, il n'y a souvent pas plus que 100 personnes qui sont vraiment actives, hein? Alors, c'est pour dire que la question de la disponibilité ou la disposition de cet élément patrimonial est aussi un problème sociologique et politique très important. Bon, vous avez parlé aujourd'hui qu'il est important que ce soit fondé sur l'activité des gens du milieu, de la base. Bon. Mais ça, ça me semblait nouveau dans votre discours. Mais, que ce soit nouveau ou pas, ça me semble très important.

La question que je me pose est la suivante: Est-il vraiment nécessaire que l'on pose le problème de la propriété nationale des églises, excédentaires ou pas, pour régler le problème de la continuité du patrimoine? Est-ce qu'il faut que la fiducie devienne propriétaire pour jouer un rôle qui serait celui d'assurer la continuité sur l'ensemble du Québec, que ce soit par animation, par encadrement ou par subsidiarité? Est-ce qu'il est absolument nécessaire qu'elle devienne la propriétaire plutôt que ce soit, comme nous ont dit les gens d'Hochelaga-Maisonneuve: On préfère que ce soient les communautés locales qui s'organisent pour en être propriétaires? C'est le genre de questions que j'aimerais vous poser.

M. Noppen (Luc): Disons que, quand on parle d'une fiducie, le système qu'on a développé à la fois dans notre ouvrage et qu'on rappelle dans le rapport tout simplement, c'est une fiducie... les municipalités sont les fiduciaires. Donc, les réels propriétaires sont les gens qui répondent à la fabrique de patrimoine localement. Et la municipalité a comme engagement donc de recevoir et d'approuver les budgets de ces fabriques de patrimoine. Éventuellement, dans le pire des cas où un bâtiment ne pourrait que servir au culte et n'aurait pas d'autre revenu, mais serait tellement magnifique qu'il s'impose de lui-même, il y aurait une obligation municipale à voir aux dépenses de ce monument, quitte à ce que la municipalité négocie avec d'autres instances, parce qu'il s'agirait d'un bâtiment classé trois étoiles, ou ainsi de suite. Mais donc il y a vraiment une délocalisation de la propriété. Je ne pense pas qu'on puisse penser qu'une fiducie sur la Grande Allée, là, pourrait prendre en charge... ça reconduirait les travers qu'on a connus. Et déjà la Fondation du patrimoine avait une délocalisation régionale très intéressante, donc il ne faut pas reculer là-dessus.

Et donc cette propriété nationale, elle est un peu symbolique au nom du patrimoine. Mais elle vient aussi d'une instance de décision qui, à un niveau national, est capable de faire un lobby pour obtenir des fonds puis d'autre part de générer des fonds d'appariement à partir d'un certain nombre de sponsors qui pourraient s'ajouter à l'histoire. Je veux dire, localement, dans une paroisse, on peut obtenir l'aide de la caisse populaire voisine, mais, au niveau du Québec, on peut penser que certaines associations... Comme ça se passe en Belgique, par exemple, il y a des grandes compagnies de culture catholique qui financent le patrimoine religieux, tandis qu'il y a des grandes sociétés de culture socialiste qui financent des activités patrimoniales ou autres reliées aux mouvements associatifs de gauche, et ainsi de suite. On n'est pas rendu là au Québec, mais c'est des choses qui doivent être travaillées. Donc, le travail au niveau national est un travail d'organisation, de planification, de voir aux législations, réglementations, ainsi de suite. Mais l'essentiel du travail de mobilisation citoyenne, de reconnaissance du patrimoine et de maintien des bâtiments se fait sur le plan local.

M. Dion: Merci.

Le Président (M. Tomassi): Allez-y.

Mme Morisset (Lucie K.): Au risque de répéter un morceau de ce qui vient de se dire, il faut dire que... Il faut bien savoir qu'il n'est pas de la mission de l'Église de veiller au patrimoine que, comme société civile, nous désirons. L'Église, toutes les églises sont déjà bien occupées par d'autres missions que par celle du patrimoine que, nous, on désirerait, qu'on soit athée, évangéliste, ou bouddhiste, ou quoi que ce soit. Et je pense que c'est, de ce point de vue là, la responsabilité de la société civile de prendre ses responsabilités justement et d'agir dans ce qui la concerne, sans pour autant léser ceux qui peuvent être ses partenaires dans cette affaire.

n (12 h 30) n

Ensuite, cette fiducie... Bon, Luc a bien dit qu'on ne parle pas d'une fiducie nationale ni même de propriété nationale. Il s'agit, d'abord et avant tout, de mettre en place une structure de propriété publique qui soit cohérente de l'investissement civil, qui soit cohérente aussi de la pérennité de la figure ecclésiale dont Luc a parlé, mais qui soit aussi un véritable levier, via les fabriques patrimoniales, pour susciter cet engagement citoyen. Ce fameux patrimoine de proximité qu'on veut voir arriver dans le domaine du patrimoine, bien on peut facilement le voir arriver dans le cas des églises qui sont en quelque sorte du patrimoine de proximité par nature. Donc, cette structure de propriété publique doit servir à favoriser ce patrimoine de proximité comme levier. Et le rôle de l'État de ce point de vue là, demain matin jusqu'en 2010, est de voir, entre autres, notamment, et c'est peut-être plus urgent, de voir comment localement on peut déployer des fabriques patrimoniales, d'informer les citoyens de leur nouveau pouvoir et de leur nouveau rôle dans le patrimoine. Et on peut imaginer que, comme il y a eu des candidats aux conseils de quartier, il y en aura aux fabriques patrimoniales.

Le Président (M. Tomassi): Ça va? Mme la députée de Terrebonne.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Merci de votre présentation. La proposition de «fabriques patrimoniales», qui sont des conseils de quartier d'église ? vous avez utilisé cette expression-là ? qui prépareraient un plan, un projet pour chaque église, et tout ça, ce n'est pas très éloigné de certaines propositions qu'on a entendues. Par contre, pour arriver à cette réalisation-là, vous avez une vision tout à fait différente. Et à la base, si je regarde votre objectif 2010, pour pouvoir atteindre cette vitalité des fabriques patrimoniales, toute l'activité de proximité, il y a une condition de base, hein, c'est cette structure que vous voulez créer, de propriété.

Donc, si je regarde votre plan d'action, il faudrait, dans un premier temps, créer une table de concertation qui, elle, aurait comme mandat de négocier la propriété de l'ensemble des églises contre la pérennité puis l'entretien. Est-ce que je vous interprète quand je dis ça? Et qui seraient les partenaires sur cette table de concertation pour négocier la propriété des églises contre la pérennité, l'entretien, et donc l'exercice de leur culte, et puis les moyens financiers pour changer les vocations, qu'elles soient culturelles ou autres? Qui est sur cette table de concertation pour négocier?

M. Noppen (Luc): Je pense qu'il y a, d'une part, l'État qui exerce une responsabilité patrimoniale, ça peut être délégué, puisque la Loi sur les biens culturels aussi procède par délégation en cette matière, vers les municipalités, et, d'autre part, ceux qui se posent comme propriétaires des églises. Donc, il y a vraiment une négociation entre l'État et les municipalités qui sont ses créatures et les propriétaires d'églises.

Ensuite, quand vous parlez de... si vous nous interprétez bien, je pense que l'idée des fabriques patrimoniales, les fabriques d'églises qui rendent compte aux municipalités, ça a existé en France tout au long du XIXe siècle, ça existe encore en Belgique, ça existe en Alsace, et ça fonctionne très bien. Ce qui est différent, c'est que la loi de 1905, en France, a créé un autre régime sur lequel les Français s'interrogent encore aujourd'hui, parce qu'il y a eu des amendements en 1907, et ainsi de suite. Donc, c'est des choses qui peuvent assez bien marcher, qui peuvent assez bien marcher à partir du moment où ça se fait à une certaine échelle. Vous comprendrez que, si on crée une fabrique de patrimoine seulement pour la paroisse de gauche et pas pour la paroisse de droite, et ainsi de suite, ça va devenir extrêmement complexe pour parler ensuite de la fiscalité municipale, ça va devenir très complexe pour parler de la responsabilité et pour parler du patrimoine... et surtout pour des subventions majeures en termes d'infrastructures.

Le Président (M. Tomassi): Merci. Alors, je vais continuer avec Mme Morisset, là, pour... Je pense que vous avez une entrevue. On va vous excuser.

M. Noppen (Luc): Je suis désolé.

Le Président (M. Tomassi): Ah non! il n'y a pas de quoi.

M. Noppen (Luc): Mais je vous laisse entre bonnes mains.

Le Président (M. Tomassi): Alors, bonjour de ma part. En tout premier lieu, je voudrais vous remercier pour votre présentation...

M. Noppen (Luc): ...

Le Président (M. Tomassi): ... ? non, non, il n'y a pas de quoi ? de votre présentation. On a eu la ville de Montréal, plus tôt, je pense que vous étiez dans la salle quand ils sont venus faire leur présentation de leur mémoire, et une des choses que j'avais remarquées, là, c'est justement la question de la fiducie, eux aussi en parlent. Ils n'ont pas apporté de solution, ils n'ont pas non plus répondu aux questions, à savoir les travaux qui sont menés actuellement par le ministère de la Culture, par la ville de Montréal et par la ville de Québec, où est-ce que ces travaux-là s'en vont, les avantages, les inconvénients.

Vous proposez un nouveau modèle qui est à mon avis... qui pourrait faire l'affaire. Il s'agirait peut-être de l'étoffer un peu plus, de manière plus large, parce que M. Noppen parlait tantôt, là, de ne pas faire de distinction, à savoir quelle église va rentrer... Vous les mettez toutes dedans et vous mettez tous aussi, sans tenir compte de la religion... On parlait de mosquées, tantôt. Montréal, oui, peut-être qu'il y en a une vingtaine, une trentaine. Bon nombre de celles-là sont dans des anciennes caisses populaires, alors je ne sais pas si la valeur patrimoniale est là et si jamais on doit les inclure.

Mais peut-être une question: Sans savoir peut-être les travaux qui sont mis en branle actuellement par le MCC, et par la ville de Québec et la ville de Montréal, et par la commission, comment voyez-vous la vision ou l'avenue qu'ils ont peut-être l'intention de prendre, si vous le savez?

Mme Morisset (Lucie K.): Bien, en fait, je sais qu'ils mènent actuellement, à l'instigation de la Commission de la capitale nationale, une étude sur ce que pourrait être une fiducie. Si vous voulez mon avis, mais ce n'est certainement pas mon domaine de spécialisation, c'est déjà assez clair. Le modèle qu'on propose, c'est somme toute le modèle de la fiducie foncière, comme il en existe en Ontario, mais comme il en existe aussi... Il en a été proposé au Québec, et là on est tout à fait dans notre petit domaine de loi, là. Donc, c'est prévu par la loi sur la société des fiducies, c'est prévu par le Code civil. Donc, ce n'est rien d'extrêmement nouveau, ce qu'on propose.

Ce qui est peut-être un peu différent de ce qu'on verrait normalement, c'est que, dans le cas particulier des églises, cette espèce de patrimoine de proximité par excellence, ce seraient les municipalités qui seraient fiduciaires, les municipalités intéressées dans l'aventure du patrimoine. S'il y a une municipalité qui n'est pas du tout intéressée, qui trouve que toutes ses églises, elles devraient tomber par terre puis être remplacées par des parkings, bien, qu'il en soit ainsi, parce que c'est des élus dont on parle, là. Bon. Si toute la collectivité locale est prête à abandonner l'église puis que la municipalité suit leur voeu, c'est comme ça que ça se déroulera, tout simplement.

L'idée de faire rentrer effectivement tous les bâtiments, c'est d'abord... Parce que toute forme de discrimination au moment de l'acceptation ? oui, celui-là, on l'aime, celui-là, on ne l'aime pas ? n'a absolument aucun sens et serait effectivement discriminatoire pour les affectataires du culte. Il s'agit donc aussi de constituer un parc pour, comme on disait, laisser le temps, se laisser le temps de décider, puis ensuite, éventuellement, se laisser le temps d'impartir aux meilleurs édifices le culte et, aux anciennes banques ou aux «God shack» en banlieue, comme le veut la bonne expression, un autre usage, quitte... même d'être vendus pour alimenter un fonds de la dotation de la fiducie qui cette fois, effectivement, pourrait nourrir la restauration de n'importe laquelle des églises de n'importe laquelle des traditions religieuses. Et il pourrait, à ce moment-là, y avoir des affectations de lieux de culte selon les besoins des traditions religieuses et non selon les préférences peut-être un peu sectaires parfois d'une municipalité ou d'une congrégation religieuse.

Le Président (M. Tomassi): Et, peut-être sur un autre sujet, dans votre mémoire, à la page 34, vous recommandez qu'on établisse un moratoire sur quatre ans sur la vente d'églises. À votre avis, si jamais le gouvernement ne le fait pas ou si jamais l'intention gouvernementale n'est pas celle-là, de mettre un moratoire sur la vente d'églises, à votre avis, est-ce que beaucoup d'églises vont disparaître? Est-ce qu'elles vont être vendues?

n (12 h 40) n

Mme Morisset (Lucie K.): Oui. Ça dépend évidemment des secteurs. Je vous rappelle que le diocèse de Saint-Georges de Terre-Neuve a annoncé que toutes ses propriétés étaient à vendre pour régler une affaire de scandale sexuel. C'est la même chose du diocèse de Caribou, c'est la même chose du diocèse de... ça, c'est en Colombie-Britannique. Il y a aussi un diocèse comme ça en Alberta. Ici, la structure de propriété, et là on parle... Si on parle simplement des églises catholiques, la structure de propriété traditionnelle nous prévenait de ce genre de... enfin de vente, parce que ce sont les fabriques, dit-on, qui sont propriétaires. Le problème, c'est que justement les fabriques le sont de moins en moins, puisque l'évêque peut décider à leur place maintenant.

Je pense que l'église actuellement, et ça, c'est en toute bonne foi, il ne s'agit pas de dénoncer ici les agissements des uns et des autres, l'église, je le répète, n'a pas pour mission de veiller au patrimoine. C'est à nous, comme société civile, de le faire et de négocier avec les différentes églises pour pouvoir suivre notre mission de société civile et de patrimoine, et non le contraire. Donc, si l'église a besoin d'argent pour financer le culte, pour payer des servants laïques, puisque les servants religieux sont de plus en plus rares... Bien, écoutez, l'essentiel des actifs d'une église, n'importe laquelle, à l'heure actuelle, c'est les bâtiments, et leur objectif à eux, ce n'est pas d'investir dans les bâtiments. Je ne suis pas en train de dire que tous les religieux ne peuvent pas toucher aux bâtiments, là. Je pense que, si un individu religieux s'intéresse au patrimoine, c'est à titre de membre de la société civile.

Le Président (M. Tomassi): De là la difficulté de séparer, comme vous le faites, le culte et le patrimoine. Et Mme la députée de Pointe-aux-Trembles en faisait part, de tradition, l'église va avec le culte, et il n'y a pas de ligne. Je vous comprends, vous, vous faites une ligne... vous tracez la ligne, vous dites: Si jamais on n'est pas capable de tracer cette ligne-là, de séparer le culte du patrimoine, on n'arrivera pas à garder ces églises-là, parce que, d'un côté, le culte ne pourra pas maintenir ces églises-là, ils n'auront pas les ressources financières, à moins que le gouvernement décide d'injecter des sommes massives dans l'entretien, dans l'amélioration de ces...

Mme Morisset (Lucie K.): Et ils seront ensuite vendus et convertis en condos, par exemple. Et ce n'est pas une question de mauvaise foi, hein, c'est juste une question de priorité des uns et des autres, tout simplement. Il faut savoir aussi que, si le Québec souhaite ne pas distinguer entre... si l'État québécois souhaite ne pas distinguer entre patrimoine et culte, il s'expose à ce à quoi se sont exposés, une centaine d'années, la plupart des États européens, c'est-à-dire à avoir à reconnaître les cultes. Donc, il y a des cultes qui seraient reconnus, il y en a d'autres qui ne le seraient pas. On connaît l'histoire ? vous la connaissez comme moi ? l'histoire des écoles juives, mais on connaît aussi tous les problèmes de la laïcité en France, à l'heure actuelle, et des musulmans. Est-ce que vraiment l'État québécois veut s'engager dans cette voie de reconnaissance du culte ou de certains cultes en 2005, et pas de d'autres, et favoriser, partant, les bâtiments de certains cultes et non de d'autres? Est-ce qu'on va parler des bâtiments de culte public? Mais qu'est-ce que le culte public en 2005? Je crois que là il y a une question... Je pense que le problème des églises est suffisamment compliqué pour qu'on essaie de le dissocier de questions d'ordre philosophique et épistémologique que la société mondiale entière n'est pas en train de régler, là.

Le Président (M. Tomassi): Merci. Ça va? Alors, en vous remerciant beaucoup de votre présentation.

Mme Morisset (Lucie K.): Merci beaucoup.

Le Président (M. Tomassi): Et nous suspendons les travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 41)

 

(Reprise à 14 h 3)

Le Président (M. Brodeur): À l'ordre, s'il vous plaît! Donc, je vous invite à prendre place, nous allons débuter nos travaux.

Cet après-midi, nous allons recevoir, pour débuter, le Musée des beaux-arts de Montréal, représenté par M. Jacques Des Rochers. Bonjour, M. Des Rochers. Donc, je vous explique brièvement le fonctionnement de la commission. Vous êtes en commission parlementaire comme vous le seriez à Québec, c'est le Parlement qui se déplace, donc ce sont les mêmes règles. Alors, vous avez un temps alloué pour la présentation de votre mémoire, un temps de 15 minutes. À la suite de ça, à la suite de la présentation de votre mémoire de la façon dont vous le jugerez à propos, il y a un échange avec les membres de la commission, qui suivra par la suite. Pour l'instant, je vous cède, compte tenu de l'heure, immédiatement la parole pour la présentation de votre mémoire. La parole est à vous.

Musée des beaux-arts de Montréal (MBA)

M. Des Rochers (Jacques): Merci. Alors, le Musée des beaux-arts de Montréal...

Le Président (M. Brodeur): Je vais juste... avant de vous donner la parole, juste une information pour les gens qui sont dans la salle. Il y a beaucoup de personnes qui nous ont demandé les mémoires, qui nous demandent les mémoires, sauf que présentement on est à court de mémoires. On n'est pas équipés pour ça. C'est possible, si vous pouvez, vous procurer des mémoires, tous les mémoires sur le site Internet de l'Assemblée nationale. À défaut d'avoir Internet, vous pouvez communiquer avec le secrétariat de la commission, qui se fera un devoir de vous envoyer les mémoires, parce qu'ici on est à court d'équipements, de photocopieurs, etc. Donc, les mémoires sont toujours disponibles... à partir de demain, sur demande.

Excusez-moi, M. Des Rochers. La parole est à vous.

M. Des Rochers (Jacques): Alors, le Musée des beaux-arts de Montréal voudrait d'abord féliciter la Commission de la culture pour son importante initiative.

Je commencerai par une citation de l'ethnologue Jean Simard: «Le seul patrimoine qui survivra, c'est celui que l'on revendiquera.»

Dans le monde muséal québécois et canadien, la longévité du Musée des beaux-arts de Montréal est un point de repère essentiel. Le musée fêtera son 150e anniversaire en 2010. Son lieu d'implantation, ses fondateurs et le moment de sa création ont conditionné l'évolution de ses collections. Parallèlement, dans l'ensemble du Québec, les oeuvres données à voir seront en grande partie et pendant longtemps produites pour le contexte religieux. Les lieux de culte et de profession religieuse ont en effet été traditionnellement le principal chantier des artistes et artisans québécois. La représentation de ce corpus au Musée des beaux-arts de Montréal a été conditionnée par la sensibilité de certains directeurs, conservateurs et généreux donateurs. Rétroactivement, l'on constate que l'institution a répondu de manière ponctuelle aux enjeux de sa préservation qui réapparaissent de manière cyclique dans le temps et sur la scène publique, inscrivant le musée dans un horizon assuré d'intervention à long terme.

La valeur d'éducation d'un corpus identitaire en voie d'obsolescence. Le patrimoine religieux, aujourd'hui méconnu et ignoré, devient par conséquent incompréhensible pour une part grandissante de la population. Marie-Anne Sire, de l'Inspection générale des monuments historiques de France, pose cette question: «Qui sera capable de reconnaître demain un baiser de paix, un pluvial ou un antependium?»

Pour Alain Girard, conservateur du Musée d'art sacré du Gard, «les lacunes de la culture religieuse empêchent la compréhension et l'intelligence de l'art, mais aussi de la littérature et de la philosophie qui, sans elle, resteraient indéchiffrables». Il importe donc de «donner les clefs et les codes d'interprétation de la culture chrétienne à laquelle nous appartenons». En effet, «ce patrimoine sert de point de repère, que l'on soit croyant ou non».

Le rôle du musée est incontestable dans une responsabilité commune de transmission des riches significations de ce patrimoine identitaire.

La conservation de l'art religieux, tout d'abord l'affaire de quelques individus éclairés. Dès les années trente, l'Art Association doit à son conservateur, Cleveland Morgan, les premières acquisitions d'oeuvres et d'objets d'art décoratifs locaux, surtout concentrées sur l'orfèvrerie. L'institution témoigne ainsi d'une mouvance qui met en cause au pays les premiers défenseurs d'un patrimoine identitaire dont la disparition progressive inquiète. Bien sûr, les arts décoratifs et les oeuvres d'art religieuses ont, depuis les tout débuts de la colonie française, été l'objet de constants remplacements et déplacements. Les déflagrations, les modes et les usages l'ont déterminé. Dans un contexte de croissance du monde chrétien, il s'agissait de productions vivantes dont la fonction dans le temps engageait de manière légitime l'évolution des goûts et des besoins. Conséquemment, plusieurs lieux de culte ou de communautés religieuses ont aussi intégré, par économie ou pour mémoire, des oeuvres plus anciennes à un nouveau décor. D'autres se sont ajoutées aux trésors de paroisse. En marge de ces mêmes lieux s'est heureusement faite la conservation et/ou la mise en valeur de ce qui a subsisté d'oeuvres alors obsolètes. Ce sont pour l'essentiel des items ajoutés progressivement aux divers fonds des collections de fabriques paroissiales, de diocèses, de communautés, de consistoires, etc.

Une nouvelle sensibilité apparaît finalement, qui refuse que des oeuvres significatives, quand ce ne sont pas des décors entiers, soient aliénés. L'attention accordée aux productions anciennes par ces pionniers au sein des musées publics favorisait autant la juste mise en valeur in situ que l'acquisition d'oeuvres en perte d'affectation ou en danger. Le musée intervient alors avec le concours de protagonistes incontournables, tel Ramsay Traquair. Pour exemple, la publication de son ouvrage The Old Silver of Quebec sera d'abord retardée à la suggestion de Morgan, dans le but de protéger les oeuvres dans les paroisses avant qu'elles ne soient officiellement inventoriées, puis ensuite financée par l'Art Association, dès 1947. Traquair léguera plus tard sa collection d'orfèvrerie au musée.

La reconnaissance du caractère cyclique des pertes et la conjoncture actuelle. Le recul dans le temps et la perspective historique qu'il permet nous obligent à reconnaître la récurrence des périodes de pertes qu'accompagne, jusqu'à nos jours, un accroissement progressif des sensibilités. La conjoncture actuelle diffère quant à elle des périodes antérieures qui avaient favorisé le développement constant et le renouvellement du culte et, malgré les déflagrations, les modes, les négligences et les changements d'usages, permis une transmission naturelle des objets au sein de l'institution religieuse. La diminution drastique de la pratique accélère aujourd'hui l'aliénation, l'altération ou la disparition de biens mobiliers religieux alors même que nous vivons une exacerbation nouvelle de la conscience patrimoniale à leur égard.

L'importance numérique et la valeur inégale des biens mobiliers mis en disponibilité. Dans ce contexte, le nombre important et la valeur inégale des biens mobiliers constituent un enjeu majeur pour la collectivité. Ils engagent une réflexion sur les valeurs et les critères permettant une sélection de ce qui, d'une part, devrait être maintenu au sein d'un ensemble et conservé in situ et, d'autre part, sur ce qui mérite d'être conservé en d'autres contextes.

Plusieurs institutions ont déjà par leur mandat un rôle à jouer à cet égard. Il faut donc connaître leurs ressources et favoriser les accompagnements dans des situations qui ont chacune leurs particularités et évoluent rapidement. Pour couvrir de manière judicieuse l'ensemble des biens significatifs à conserver et permettre un juste partage des responsabilités, il importe aussi de déterminer si les institutions en place sont suffisantes et adéquates. Chaque institution ne pourra agir logiquement que selon son mandat et ses ressources, et cela, malgré une conscience plus large des enjeux. Pour ces institutions qui existent déjà, tel le Musée des beaux-arts de Montréal pour les beaux-arts et les arts décoratifs, la collectivité montréalaise détient un atout majeur de préservation et de mise en valeur d'éléments significatifs du corpus religieux en perte de lieu et issus de la région que ne possèdent pas bien sûr toutes les régions.

Pour exemple, c'est au début des années soixante-dix que l'on reçoit les premiers dons de communautés, tels ceux offerts par les Soeurs des Saints Noms de Jésus et Marie d'Outremont. Celles-ci, qui possédaient encore, l'année dernière, l'un des couvents les plus imposants du Québec, ont, dans l'année en cours, dû disposer aussi de la quasi-totalité de leurs biens mobiliers à la faveur de dépôts auprès de certaines institutions muséales ciblées. Notre musée fut d'emblée mis en tête de liste, puisqu'il s'agissait, tel que les soeurs l'ont souligné, de biens associés à la région montréalaise. Cependant, dans l'ensemble, un nombre fort restreint d'oeuvres pouvait concerner notre mandat.

Nous sommes ici face à des enjeux à résonances multiples: l'importance numérique et la valeur très inégale d'items à offrir simultanément et rapidement; la difficulté de maintenir intègre un ensemble cohérent de pièces historiques dont la majorité ne relève pas nécessairement des beaux-arts et peut impliquer un partage par discipline; la volonté légitime de trouver à proximité un ou des lieux de transfert qui assurent la pérennité.

Dans l'obligation ou la volonté du démantèlement partiel de fonds et de collections, on constatera que certaines oeuvres ont un lien plus ou moins fort avec l'histoire même des diverses institutions qui les conservent, ce qui peut alors faciliter le don ou le dépôt dès lors qu'une institution se sent obligée ou prend la décision de se restreindre tout en voulant maintenir un ensemble cohérent.

Pour exemple, ce que les Soeurs grises de Montréal appellent, dès 1880, «les objets précieux d'antiquité» concerne alors essentiellement leur fondatrice. Progressivement, les collections vont se définir, être augmentées et s'étaler. Récemment, la diminution des effectifs de la communauté amène un resserrement de la nouvelle exposition sur la mission d'origine et sa fondatrice, qui conséquemment incite l'aliénation d'objets et d'oeuvres considérés excédentaires. En 1923, la rédaction par soeur Émilie Charlebois d'un cahier intitulé Nos antiquités et certains dons faits à la communauté témoignait déjà de la séparation symbolique au sein des collections entre ce qui est appelé à témoigner de leur spécificité et ce qui est excentrique. Le Musée des beaux-arts de Montréal s'est donc vu offrir, en 2003, L'ensevelissement du Christ d'Ozias Leduc, une oeuvre qui faisait partie de la catégorie des dons récents aux Soeurs grises, sans lien notable avec leurs dévotions particulières ou leur histoire. Il s'agit ici d'un rare tableau religieux de cet artiste majeur qui ne soit pas conservé in situ et qu'un musée des beaux-arts peut légitimement offrir au public.

n(14 h 10)n

Un travail d'intervention inscrit dans le long terme. La documentation des oeuvres, un mandat et un atout incontestable du musée. La conservation et la mise en valeur des oeuvres au musée a pour corollaire leur documentation. Celle-ci implique de maintenir les liens historiques à leur contexte. Ces informations essentielles peuvent conditionner plus encore aujourd'hui qu'hier l'intérêt d'acquérir ou non une oeuvre. La poursuite des inventaires et la préservation des archives demeurent donc fondamentaux.

Le dépôt, un outil pérenne? Quelques exemples. Dès février 1940, le premier dépôt qui favorise l'Art Association est accordé par Henry Birks, de la célèbre maison d'orfèvrerie montréalaise, et est le fait d'une relation d'amitié et de complicité avec Cleveland Morgan qui croit alors éventuellement obtenir la collection en don, ce que l'on sait qui ne sera pas le cas.

Dans le diocèse de Montréal, du milieu des années soixante au milieu des années soixante-dix, 12 églises de paroisse catholiques seront démolies. Suite à la démolition de l'église de Saint-Henri, le musée sauvegardera le Sacré-Coeur en bronze de son parvis, par Henri Hébert. Après la promulgation de la Loi sur les biens culturels en 1972 et de nombreux classements d'églises dans la région montréalaise, l'archevêché va suivre en 1975 les avis de son comité d'art sacré, qu'il a institué en 1970, et finalement favoriser la préservation des églises patrimoniales sur son territoire. La même année, un dépôt diocésain est créé. Les oeuvres qui y sont rassemblées n'y sont normalement que de passage avant de réintégrer un autre temple. Dans les faits, bien des objets et des oeuvres qu'il faut déplacer à cause de fermetures ou qui sont devenus obsolètes dans la foulée de Vatican II s'y accumuleront.

C'est le cas, pour exemple, d'éléments de décor d'une église classée en 1974, l'église de la mission chinoise du Saint-Esprit, ancienne église presbytérienne, devenue chapelle sulpicienne Notre-Dame-des-Anges, puis édifice civil, dépouillée de son décor qui provenait alors en grande partie de l'ancienne chapelle des Récollets du Vieux Montréal, elle-même démolie aussi tardivement qu'en 1867. Après plus de 30 ans d'entreposage, le Musée des beaux-arts en a obtenu le dépôt à long terme, en même temps que plusieurs autres éléments de décor et d'oeuvres d'art sélectionnés. Le parcours pour la préservation et l'éventuelle mise en valeur des oeuvres que le sort et la bonne volonté ont conservées peut être long et ardu. Dans ce contexte, le musée assume à long terme la conservation et la mise en valeur ? documentation et restauration ? dans ce cas-ci, de rares éléments conservés de cette époque sur l'île de Montréal.

Le dépôt est une des perspectives de préservation et de mise en valeur de biens insuffisamment protégés qui s'est développé avec les demandes des paroisses à la fin des années soixante, suite aux premiers classements d'oeuvres d'art, mais avec lequel le Musée des beaux-arts de Montréal n'a renoué que tout récemment. Il implique un enjeu majeur: les besoins quasi systématiques de restauration, un processus long et coûteux pour des oeuvres qui ne sont pas la propriété du musée. Il importe donc d'agir avec circonspection. Ces oeuvres restaurées, au sein des musées, sont normalement protégées pour la postérité ? sachant que l'aliénation n'y est généralement plus pratiquée et que les normes muséales prolongent leur durée de vie ? ce qui n'est pas le cas de celles remises en contexte, malgré l'intérêt indéniable d'être appréciées in situ, bien sûr tout spécialement pour celles qui participent d'un programme décoratif pour lesquelles elles ont été conçues. Par ailleurs, un grand nombre d'oeuvres ont aussi perdu leur contexte d'origine et n'ont souvent comme seule ressource que le musée. Il y a un exemple parfait d'une Vierge importante qui se trouvait dans la première église Notre-Dame, actuellement en voie de restauration au Centre de conservation du Québec.

Pour autre exemple, dans le cas de la restauration exemplaire et récente de la basilique Saint-Patrick, toujours à Montréal, les travaux ont permis la découverte d'un ensemble de vitraux réalisés pour son premier décor, vers 1861-1863, par l'Atelier des Soeurs grises. L'offre de vente dans les journaux de l'époque n'ayant pas eu d'effet, on les aura dissimulés derrière le retable, puis, près de 150 ans plus tard, offerts également en dépôt au musée après restauration.

La conservation de l'art religieux dans son milieu, une priorité. La majorité des exemples que nous avons choisis pour illustrer notre propos témoignent, par leur appartenance à la collectivité montréalaise, de l'importance ? et cela, aujourd'hui comme hier ? de maintenir ce patrimoine dans les institutions de leur région. C'est aussi, bien sûr, ce que valorise la Commission des biens culturels du Québec, qui affirme que «la plus grande partie des biens religieux mobiliers et archivistiques à valeur patrimoniale devraient rester le plus près possible de leur contexte et bénéficier des structures qui existent déjà».

L'accessibilité à un large public. L'art religieux hors contexte, comme on le voit par plusieurs de nos exemples, engage une réflexion sur le fragment, considération sur laquelle n'ont pas manqué d'être confrontés tous ceux qui ont voulu faire de la mise en valeur. Il demeure bien sûr que la situation idéale est la conservation in situ. Cependant, il faut alors que ces lieux d'origine, quand ils sont conservés, soient accessibles au public, ce qui est de moins en moins le cas. Lorsque l'in situ n'est plus viable, il faut donner un sens aux oeuvres en déficit de contexte.

La mise à distance, la confrontation de productions similaires, la mise en perspective des trésors religieux de toutes les nations et de toutes les époques est ce qu'offre le mandat encyclopédique du Musée des beaux-arts de Montréal. Vous avez ici un tableau français. On affirme ainsi notre spécificité en terre d'Amérique et les fondements de l'identité québécoise inscrits en grande partie dans son patrimoine religieux au sein d'une institution dont la fréquentation métropolitaine, nationale et internationale est indéniable.

Un pavillon dédié à la mise en valeur des beaux-arts religieux. On sait la difficulté que représente la conversion de structures aussi complexes que celles des églises et la nature tout aussi complexe des nécessités modernes de la muséographie. Cependant, le Musée des beaux-arts de Montréal, qui a comme spécificité d'être constitué d'une collection de bâtiments au sein d'un milieu patrimonial riche, veut relever le défi d'offrir en ses murs la mise en valeur d'un corpus identitaire sous-représenté pour le plus important bassin de population du Québec.

Voisine immédiate du musée, l'église Erskine and American, soustraite récemment au culte, est d'importance nationale et nécessite une remise en valeur. Elle possède, comme plusieurs le savent déjà, un ensemble unique au Canada de vitraux de l'atelier Tiffany. Ceux-ci n'ont pas été réalisés pour l'église actuelle et ont aussi été l'objet d'un transfert suite à la fusion, en 1934, de la Erskine United Church avec l'American Presbyterian Church, qui les avaient commandés dès le début du siècle. Cependant, bien que déplacés de leur contexte original, les vitraux se trouvent dans un cadre architectural propice par son style, sa composition et son traitement de la pierre. Tiffany en avait réalisé pour des ensembles bâtis similaires. Ils auraient pu d'emblée être installés là dès la construction initiale.

Le Président (M. Brodeur): M. Des Rochers, j'aurais besoin d'un consentement, puisque le 15 minutes est déjà écoulé. Je vous demanderais...

M. Des Rochers (Jacques): D'accord. Je termine donc mes... en 15 secondes.

Le Président (M. Brodeur): Allez-y.

M. Des Rochers (Jacques): La sobriété de l'aménagement et les déplacements de l'espace intérieur de ce type d'église, avec un plan dit «Akron», facilitent ainsi l'intégration de collections. Elles s'étaleraient dans le volume principal qui constituerait, par son ampleur, une découverte dans la déambulation générale des espaces du musée. On prévoit aussi d'inclure une réserve dans les soubassements de ce nouveau pavillon.

Dans la recherche commune de solutions pour la préservation et la mise en valeur, le Musée des beaux-arts de Montréal tient ici à affirmer l'importance de son rôle de refuge, de lieu d'appropriation collective pour les beaux-arts et les arts décoratifs religieux de la région montréalaise en perte de lieu. Merci.

Le Président (M. Brodeur): Merci beaucoup. Fort intéressant. D'ailleurs, ça s'inscrit dans les axes qu'on veut se donner, la protection des biens immobiliers, mais il y a aussi ? on en a parlé un peu ? la protection de biens mobiliers. Donc, le Musée des beaux-arts fait son... continue son beau travail dans ce domaine-là.

Question que je veux vous poser. Vous avez parlé énormément de ce que vous conservez, mais on est fortement intéressé aussi à ce qui disparaît. Certains nous disent que ça ne disparaît pas tant que ça, les objets mobiliers, vers entre autres les États-Unis. D'autres nous disent que ça disparaît, que les biens mobiliers provenant des églises qui sont désaffectées ou réaffectées à d'autres utilisations disparaissent. On peut aussi comprendre que peut-être le Musée des beaux-arts ne peut pas avoir 3 500 crucifix et des calices ou d'autres genres de biens mobiliers, pour ne donner que des exemples.

À votre connaissance à vous, est-ce que les biens mobiliers religieux à consonance historique disparaissent beaucoup du Québec? Parce que c'est certain que vous ne pouvez pas mettre la main ou avoir l'inventaire de tout ce qu'il y a au Québec.

M. Des Rochers (Jacques): Je ne crois pas qu'il y ait vraiment d'objets mobiliers, d'oeuvres d'art religieuses significatives qui aient une grande valeur patrimoniale qui puissent quitter le Québec parce qu'en général, de toute façon, ils sont, pour une grande part, déjà connus par les spécialistes. Une certaine proportion... Une grande proportion est quand même déjà inventoriée aussi. Il y a des trous, c'est sûr, il y en a partout, là, puis c'est important de combler par les inventaires justement ces trous-là qui subsistent, mais pour l'essentiel je crois que... Et la production religieuse était tellement grande, et il y a encore une demande à l'étranger, en particulier aux États-Unis, même chez des privés qui se construisent des chapelles privées, et il y a fort probablement un grand nombre de biens religieux secondaires qui peuvent quitter le pays sans problème, là, comme d'autres biens.

Non, je ne crois pas qu'il y ait, d'après moi, là, de biens significatifs qui quittent comme ça, mais il y a par contre des exemples dont je vous ai fait mention et pour lesquels il faut être à l'affût.

Le Président (M. Brodeur): On nous a suggéré, hier, entre autres, d'y aller d'un grand processus d'inventaire dans toutes les églises, toutes les bâtisses religieuses du Québec. Est-ce que vous croyez qu'il y a urgence pour enregistrer un tel inventaire?

n(14 h 20)n

M. Des Rochers (Jacques): Je crois que tout spécialement pour les églises, effectivement les fabriques, il y a eu beaucoup de déplacements au fil des années, parce que les inventaires précédents datent. À chaque fois, on voit malgré tout des pertes, Ça peut sembler paradoxal avec ce que je viens dire tout de suite avant, mais il y a effectivement des objets significatifs dont on sait qu'ils ne sont pas inventoriés. Donc, on en apprend régulièrement par différents intervenants qu'ils ne l'ont pas été et qu'ils devraient l'être, mais, je crois, plus spécialement pour les fabriques, parce que pour les... De ce que je connais des communautés religieuses qui ont des biens anciens, normalement, c'est pour l'essentiel déjà inventorié, là.

Le Président (M. Brodeur): De quelle façon procédez-vous pour vous porter acquéreur de ces objets-là? Tantôt, il y avait une image où c'était un don de M. Joyal, bien connu, et qui va témoigner la semaine prochaine, à Gatineau. Donc, s'il y a des collectionneurs, il y a des acheteurs quelque part. Donc, il y a des gens qui s'intéressent, j'imagine, qui sont à l'affût d'affaires dans le domaine du patrimoine religieux artistique. Vous, de quelle façon vous procédez? Et, si vous procédez d'une façon ou d'une autre, il y a quelqu'un d'autre aussi, il y a des gens intéressés à acheter ce patrimoine-là, qui s'en procurent également. Quel est le processus usuel?

M. Des Rochers (Jacques): Bien, de longue date... En fait, si on avait parlé des acquisitions précédentes... je vous présentais des exemples de l'époque de Cleveland Morgan. Ça, c'était un moment clé pour intervenir, quand je vous soulignais l'exemple de Morgan qui demande à Traquair d'attendre avant de publier un ouvrage sur l'orfèvrerie, parce qu'elle n'est pas inventoriée, justement qu'elle peut, à ce moment-là, quitter, quitter leur contexte à eux, pas nécessairement quitter le Québec. Là, pour l'essentiel, ça provenait d'antiquaires, et très souvent les provenances ne sont pas connues, malheureusement. Pour nous, c'est très important de les connaître, parce que ça donne un sens aux objets. Alors, c'est essentiel. Aujourd'hui, on n'acquiert pas d'objets qui n'ont pas de provenance assurée, parce qu'effectivement les objets peuvent avoir été obtenus de façon illicite.

Le Président (M. Brodeur): On peut penser que les antiquaires font des tournées intéressées, parce qu'on en voit souvent, des objets religieux, chez les antiquaires. J'ai eu l'occasion d'en voir beaucoup. Donc, j'imagine qu'ils peuvent se procurer d'une façon assez facile ces objets-là. On ignore de quelle façon.

M. Des Rochers (Jacques): Oui, bien, il y a encore beaucoup de ces objets-là qui sont vendus. Ça peut être par les communautés religieuses, ça peut être... Mais il y a aussi une belle sensibilité en général, pour ce qu'on peut voir, des communautés avec lesquelles on a travaillé. Elles ont accumulé tellement d'objets. Tout n'est pas significatif. Et qu'est-ce qu'on fait de ce qui est excédentaire et qui n'est pas significatif? On ne va pas les faire disparaître. Alors, forcément, ça se retrouve sur le marché. Et tant mieux si des privés les sauvent, parce que ce n'est pas l'État qui va pouvoir tout sauver ni les musées. Donc, ces objets-là, c'est bien qu'ils puissent aussi être récupérés au sein du public, c'est une autre forme d'appropriation collective, là, et ce bassin-là est beaucoup plus nombreux que le nombre de musées pour lesquels on peut facilement faire le tour. L'essentiel, c'est de s'assurer que les biens à valeur patrimoniale nationale et régionale pour les régions soient maintenus sur place, parce qu'il y a...

Le Président (M. Brodeur): Ce ne sont pas tous les biens qui sont de valeur patrimoniale.

M. Des Rochers (Jacques): Bien, non, évidemment pas, mais il y a beaucoup de biens qui... Il y a des biens de valeur exceptionnelle que, nous, on cherche à recueillir pour la collectivité à cause de la nature du musée lui-même qui ne présente que des biens de cette nature, le plus possible, mais par contre pour intérêt de confrontation aussi avec les autres nations. Mais il y a aussi l'importance de la représentativité. Alors, même si un bien n'est pas exceptionnel et qu'il est fort représentatif en grand nombre, il faut s'assurer de sa conservation, au moins de sa conservation des exemplaires les plus significatifs dans les différentes régions.

Le Président (M. Brodeur): M. le député de LaFontaine.

M. Tomassi: Merci, M. le Président. M. Des Rochers. Hier, nous avons eu la visite de M. Jean Trudel, qui est professeur titulaire au Département d'histoire de l'art et cinématographie de l'Université de Montréal, et lui aussi s'est porté le questionnement, à savoir que le patrimoine religieux n'est pas seulement immobilier mais mobilier aussi, que ça a une valeur tout aussi importante que le bien immobilier. Lui nous faisait part comme quoi l'inventaire des biens mobiliers qui sont actuellement dans les lieux de culte, que ce soit dans les églises, ou dans les monastères, ou tous lieux confondus... ne sont pas répertoriés. Et il nous faisait part qu'on devrait mettre sur place... la Fondation du patrimoine religieux devrait mettre sur place et devrait financer un genre d'étude qui pourrait faire en sorte de répertorier tous ces éléments-là avec peut-être des grilles, qui fait suite peut-être à ce que, vous, vous faites en tant que musée, parce que chaque élément ? on l'a vu tantôt, là ? chaque objet est répertorié, photographié, la provenance, de quelle année, donné par qui, ça provient d'où. Alors, lui, de son côté à lui, il nous disait que ça, ce n'était pas fait, qu'il y avait un travail énorme à faire, qu'il y avait des richesses qui étaient encore cachées. Là, vous, vous venez nous dire à nous que ce travail-là est quasiment tout fait et qu'il en reste une infime partie sur le territoire du Québec. C'est rien que pour peut-être comprendre, là.

M. Des Rochers (Jacques): Il faut doser, là. C'est qu'il y a effectivement des communautés qui ont été approchées à certaines époques. Les communautés fondatrices qu'on peut considérer parmi les plus importantes ont été inventoriées, et ils sont allés... ils ont poursuivi l'inventaire jusqu'à un grand nombre d'objets qui seront évidemment moins significatifs mais qui permettent d'avoir une lecture de l'ensemble de ce qu'elles ont amassé au fil du temps.

Ce qui est plus problématique, c'est de s'assurer que ces inventaires-là, après qu'ils aient été réalisés, sont encore effectifs. Parce que là ça va très, très vite. Il y a des collections qui ont été inventoriées, qui sont sur le Web, par exemple, et qui ne sont actuellement plus ce qu'elles étaient il y a un an, là, parce que les objets sont déjà rendus ailleurs. Alors, c'est aussi ça qui est un peu problématique parce que les objets se déplacent. Et il est vrai qu'il y a des objets significatifs qui n'ont pas non plus été inventoriés, mais...

Non, je crois que de toute façon c'est sûr que l'inventaire est à faire. C'est clair que l'inventaire est à mettre aux normes, puisque ça a été... le dernier moment où il était... le dernier moment de sa réalisation, c'est les années soixante-dix. Et, si on revient à l'inventaire de Morisset, qui a précédé, on voit très, très rapidement comment est-ce que les objets se déplacent et sont aliénés. Donc, c'est aussi de voir qu'est-ce qui subsiste, qu'est-ce qui a pu se déplacer, et ça, ça permet d'avoir une lecture actuelle. L'inventaire est toujours fondamental, ça, c'est clair. C'est le premier outil avec lequel on travaille, là.

M. Tomassi: Et vous n'avez pas accès, vous, à ces inventaires-là qui ont été faits dans les années soixante-dix, là? Vous y avez accès?

M. Des Rochers (Jacques): Au ministère de la Culture, oui, les inventaires sont accessibles.

M. Tomassi: O.K. Une autre petite question. Vous avez parlé tantôt de l'église Erskine...

M. Des Rochers (Jacques): And American?

M. Tomassi: Oui, exactement. Mon anglais... Ce n'est pas encore... Votre projet n'est pas encore débuté. Vous avez des difficultés? C'est quoi, là?

M. Des Rochers (Jacques): Le projet... Oui. Bien, c'est comme tout projet, hein, il faut ficeler tout ça. Puis il y a une partie économique importante, hein? Donc, ça fait un certain temps que le musée s'y applique. C'est en progression. Et c'est une des priorités du musée d'acquérir ce bâtiment-là. Ça, c'est certain, en tout cas pour le conseil d'administration du musée; ils y travaillent régulièrement. Alors, ça va arriver, c'est... Ça va arriver. On peut certainement... On y croit.

M. Tomassi: Mettre en valeur les...

M. Des Rochers (Jacques): Et de toute façon, c'est qu'il n'y a pas de destination... Bien, il me semble qu'à proximité d'une institution importante comme ça, il m'apparaît qu'il n'y a pas de destination plus judicieuse à la fois pour la conservation d'un bâtiment patrimonial de cet intérêt-là et de s'en servir pour la mise en valeur d'un corpus qui est sous-représenté, là, en particulier pour la région montréalaise.

M. Tomassi: Est-ce qu'à votre avis, là, si vous l'avez déjà fait, là, avec le diocèse de Montréal, ou le diocèse de Québec, ou autre, là, est-ce qu'il y a des ententes avec eux que vous avez déjà prises ou des pourparlers pour qu'eux, les biens qui jonchent peut-être leur sous-sol, comme M. Turcotte, Mgr Turcotte nous faisait état hier, puissent être mis en évidence dans les musées ou...

M. Des Rochers (Jacques): Bien, j'en donnais un exemple plus tôt avec cet ensemble-là. Ici, vous avez un décor qui a disparu, là, il ne reste plus rien des photographies des années vingt, mais les retables latéraux et le maître-autel, le... en fait le tombeau, l'autel ont été préservés et sont actuellement en dépôt au musée.

Le Président (M. Brodeur): M. le député de Mercier.

M. Turp: Merci, M. le Président. Tout d'abord, je vais faire un commentaire, et peut-être, M. le Président, pour notre secrétariat... Vous vous intéressez beaucoup au vol d'objets d'art, et il faudrait peut-être s'intéresser aux lois fédérales qui sont applicables, parce que, lorsqu'il s'agit de franchir une frontière, là, il y a des lois, je crois, qui sont destinées à prohiber le franchissement des frontières par des oeuvres d'art qui sont classées ou qui ne le sont pas. Peut-être que vous pourriez nous préciser cela si vous le savez. Mais je crois que ce serait utile pour nous d'avoir l'état de la législation en la matière.

n(14 h 30)n

On connaît moins la question, ici, mais vous vous rappelez, à l'époque où Melina Mercouri était ministre de la Culture, en Grèce, le combat qu'elle a fait pour rapatrier des oeuvres d'art qui se retrouvaient au British Museum, puis il y a eu les combats de Chypria, dont les céramiques étaient dispersées à travers le monde. Alors, je pense que ce serait probablement utile pour notre commission de connaître l'état de la législation pour voir si elle paraît satisfaisante puis si elle est efficace.

M. Des Rochers (Jacques): Bien, il y a une commission qui existe effectivement pour ça. Par contre, elle ne peut que faire état des objets dont elle sait qu'ils quittent le pays. Alors, vous savez, quand ça passe par des biais plus légaux, au départ, quand, par exemple, par une galerie, par un biais légal et par le passage normal à la douane, on voit qu'il y a une oeuvre qui sort, là il y a un avis qui est envoyé à l'institution qui est en mesure de statuer sur l'importance de l'oeuvre, l'institution la plus proche. Alors, nous, on en traite régulièrement. Jusqu'à présent, il n'y a aucune oeuvre religieuse qu'on a eu à traiter. Il y a eu beaucoup d'autres types d'objets ? de la sculpture, de la peinture canadienne ? que j'ai eu à traiter.

Mais ce que ça permet, c'est que ces objets-là en général sont acquis, donc achetés, par des étrangers, donc sortent du territoire, et nous rédigeons un document comme quoi ça a une valeur nationale. Ce document-là est envoyé à toutes les institutions muséales importantes du Canada qui peuvent être intéressées à ce type d'objet là ou ce type d'oeuvre d'art là, et là c'est bloqué pour une période de temps, et les musées doivent signifier leur intérêt, mais leur intérêt, ça veut aussi dire d'avancer l'argent pour l'acquérir, c'est-à-dire le montant pour lequel l'oeuvre a été achetée, là.

Dernièrement, j'avais le cas d'un tableau, mais qui se détaillait 500 000 $. Il n'y a pas un seul musée canadien qui a pu l'acquérir. Il a été retenu par la commission pendant six mois. Et, même si on le fait retenir, on aurait été intéressés, mais on n'avait pas le 500 000 $ pour l'acquérir, là.

M. Turp: En tout cas, je voulais juste souligner, là, on aurait peut-être intérêt à avoir de bonnes données sur cette question-là et voir s'il y a eu des problèmes concernant les objets d'art religieux du Québec, là.

M. Des Rochers (Jacques): C'est ça, pour l'art religieux, c'est que... c'est ça, si ça quittait par des biais illicites, il n'y a pas moyen de le savoir, à moins que, par hasard, un peu comme une bouteille d'alcool qui passe en fraude à la douane, là, le douanier s'en rende compte puis intervienne. C'est ça, là.

M. Turp: J'ai deux questions pour vous sur le musée et un peu pour continuer ce que le président a commencé. Quelle est votre politique s'agissant de l'acquisition d'oeuvres d'art religieux? Est-ce qu'il y a un budget, au Musée des beaux-arts, pour acquérir des diocèses et des diverses autorités religieuses des oeuvres d'art ou est-ce que vous vous attendez surtout à obtenir des oeuvres par le biais de dons? Ou quelle est la part respective des achats et des dons?

Et la deuxième question, c'est... Le Pr Trudel nous a dit l'importance, hier, de maintenir le patrimoine mobilier religieux dans les églises, alors que, vous, vous recevez ces oeuvres d'art en dépôt. Alors, à quel moment le musée croit-il important de recevoir des oeuvres d'art en dépôt? Et refuse-t-il, à l'occasion, de recevoir des oeuvres d'art parce qu'il croit et les conservateurs comme vous croyez qu'il vaudrait mieux que ces oeuvres restent sur les sites, là, in situ, comme disait M. Trudel, hier?

M. Des Rochers (Jacques): La politique d'acquisition au musée... En fait, la plupart des musées vont fonctionner un peu de la même façon, c'est-à-dire que... enfin, évidemment, tout dépendant de l'importance des budgets qu'ils ont. Nous, on a quand même des budgets significatifs d'acquisition, mais, malgré tout, les musées et nous comptons beaucoup sur le mécénat forcément parce que les budgets d'acquisition des musées sont faibles au Québec, très faibles, malheureusement. Alors, tout ce qu'on peut obtenir par don, bien, c'est ce qu'on sauve de plus pour la collectivité, évidemment.

Dans le cas du patrimoine religieux, il n'y a pas de discrimination: une oeuvre religieuse d'intérêt va être vue de la même façon que n'importe quel autre type d'objet qui intéresse un corpus comme le corpus canadien.

M. Turp: Par exemple, l'an dernier, l'année financière 2004-2005 ou 2003-2004, combien avez-vous investi dans l'acquisition d'objets d'art religieux?

M. Des Rochers (Jacques): L'année dernière, on a été assez chanceux, puisqu'on a eu un legs et on a eu plusieurs dons. Il s'agit aussi de voir dans quelle mesure les oeuvres qui sont acquises viennent combler un vide de la collection. Alors, c'est sûr que, par exemple, si on a un généreux donateur qui nous offre une quinzaine de calices, étant donné tous les autres champs de collectionnement du musée, on va forcément investir dans d'autre chose que dans les calices.

Pour ce qui est du patrimoine religieux, c'est sûr qu'on s'attend aussi passablement à ce qu'il y ait des dons pour la simple et bonne raison qu'on le ressent un peu comme un patrimoine collectif et que de toute façon c'est aussi la façon dont plusieurs communautés le voient. C'est un peu pour ça que j'ai pu vous présenter des exemples de dons comme le tableau, par exemple, des Soeurs grises. C'est toujours un petit peu particulier parce que c'est vraiment... c'est du vrai mécénat, et ici il n'est pas question de crédit fiscal, rien, puisque les communautés religieuses ne paient déjà pas d'impôt à cet égard-là, donc c'est un don total quand elles le font. Mais elles ont... elles ou ils ont cette conscience-là qui sert la collectivité, finalement.

Pour ce qui est de l'acquisition, pour répondre à l'intérêt d'acquérir une oeuvre, il s'agit qu'il s'en présente une sur le marché, ce qui n'est pas toujours évident. Il n'y en a pas tant que ça non plus, d'oeuvres majeures qui s'offrent sur le marché à l'encan ou... On suit ce qui se propose et, si ce sont des oeuvres mineures, on ne va évidemment pas les acquérir, là, et il y en a évidemment dans les encans.

M. Turp: ...versus le site, le dépôt.

M. Des Rochers (Jacques): Oui. Il y a effectivement des... Moi, je m'intéresse... Pour ceux qui me connaissent et qui savent les études que j'ai faites avant d'être au musée, toute la question de l'in situ est au centre de ma perception des enjeux face à la préservation du patrimoine religieux, ce qui fait que, même étant au musée, il y a beaucoup d'oeuvres qui nous ont été proposées pour lesquelles j'ai plutôt favorisé, assuré la conservation in situ, ça, c'est sûr. Et évidemment, quand on est du côté du musée... M. Trudel a déjà été directeur de musée, et ça me surprendrait qu'il n'ait pas acquis d'oeuvres pour le musée à l'époque où il y était. Ce serait dommage pour la collectivité aussi. Et il y a des oeuvres en perte de lieu, il y a des oeuvres qui ne nécessitent pas d'être conservées en certains lieux, qu'il est préférable pour leur préservation d'être envoyées aux musées. C'est ce pour quoi les musées existent, là.

Le Président (M. Brodeur): Pour une dernière question, Mme la députée de Pointe-aux-Trembles.

n(14 h 40)n

Mme Léger: ...vous avez mis la table. Oui, je veux poursuivre parce que c'était dans cette voie-là que je voulais poser les questions. D'abord, dans le cadre des travaux du patrimoine religieux, comment voyez-vous, M. Des Rochers, la démarche nationale, en fin de compte, de la préservation des oeuvres d'art particulièrement, parce qu'autant cette conservation-là, mais autant aussi de voir comment est-ce que le classement... est-ce qu'on doit la conserver ou non? Quand vous voyez une église qui peut-être peut être en vente ou que vous avez ouï-dire qu'elle serait en... que des citoyens se sont impliqués ou que, bon, vous avez vu que peut-être elle serait en vente, est-ce que le musée a des actions qu'ils prennent, des gestes bien concrets pour voir qu'est-ce qu'il va arriver, là, c'est des oeuvres qui vont être là? Est-ce que vous avez des interrogations que vous posez durant ce processus-là?

M. Des Rochers (Jacques): Bien, on s'en pose constamment parce qu'il y a toujours des choses qui arrivent. Mais c'est sûr que, comme je le soulignais tout à l'heure, le mandat d'une institution versus sa compréhension des enjeux, je pense que chacun... dans un travail commun, il faut trouver les moyens à ce que chacun, par ces mandats, réponde à la problématique.

Mais ici, par exemple, à Montréal, on a un problème, d'une certaine façon: il n'y a pas de musée de civilisation si on voulait conserver de manière plus significative ce qui concerne le patrimoine montréalais. C'est un manque flagrant qu'on voit régulièrement, parce que les... c'est la portion congrue des collections, par exemple, de communautés, ou qui concernent les beaux-arts et les arts décoratifs. C'est sûr qu'en général, ça, on y tient beaucoup., Il y a énormément de... de lectures qui lui donnent un statut, un statut des fois plus... qui peut apparaître plus important, là. Bon, il y a toutes les collections d'objets ethnographiques qui ne sont pas facilement... pour lesquels on ne trouve pas facilement de destination à Montréal et qu'il faut... qu'on voudrait, qu'on préférerait conserver ici.

Et le Musée des beaux-arts a fait des démarches avec son centre des collections, sur la rue Peel, à Montréal, qui existe maintenant. Il y avait eu des tentatives d'approcher les communautés pour qu'elles se joignent à ce projet-là, dans une grande réserve, pour permettre de préserver leurs objets les plus significatifs, mais les communautés ont encore beaucoup de... en tout cas, pour plusieurs, ont encore suffisamment d'espace ou pensent avoir suffisamment d'espace, donc... Puis, comme il y avait des coûts forcément à la location de ces espaces-là, malgré toute la bonne volonté de les associer à un projet où une dizaine d'institutions muséales montréalaises se sont associées, elles ne s'y sont pas... Elles ne sont pas associées à ce projet-là.

Mais ultimement, à force de vendre des bâtiments, à force de ne travailler surtout que sur leur mission ? donc, leur mission première, ce n'est pas la conservation d'objets, elles l'ont fait brillamment pendant des siècles, mais ce n'est plus leur mission première ? alors, forcément, il y a beaucoup d'objets dont elles doivent se départir. Les principaux devraient normalement être conservés, mais l'expertise n'est pas toujours là pour qu'ils le soient non plus, et c'est pour ça qu'il y a des questions d'accompagnement, quand on le sait. Ça peut être assez problématique à court, moyen et long terme. C'est pour ça que d'être capable de cibler... En fait, à partir des inventaires, c'est qu'on peut, là, hiérarchiser, mais on ne peut pas non plus... il faut d'abord commencer, s'assurer d'avoir une lecture nette du portrait actuel, donc qui est un portrait changeant. Même si je dis qu'il y a beaucoup d'inventaires qui ont été réalisés, ce qui est le cas, puis qui, pour les experts, des fois puissent paraître à certains moments suffisants, pour une lecture globale et avec les déplacements rapides, on s'essouffle à suivre, parce qu'effectivement les communautés, avec leurs biens qui leur sont propres mais qui concernent notre identité québécoise dans son ensemble, là, c'est... les déplacements sont très rapides.

Le Président (M. Brodeur): Merci beaucoup, M. Des Rochers. Donc, je remercie le Musée des beaux-arts de Montréal, représenté par Jacques Des Rochers, et je vais suspendre quelques instants, le temps que le Conseil du patrimoine de Montréal puisse s'installer. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 14 h 47)

 

(Reprise à 14 h 49)

Le Président (M. Brodeur): À l'ordre, s'il vous plaît! C'est le mot usuel qu'on dit au Parlement, «à l'ordre», même quand il y a l'ordre. Donc, nous accueillons le Conseil du patrimoine de Montréal. Je vous souhaite la bienvenue. Je vous rappelle brièvement les règles de commission parlementaire. Vous avez un temps maximal de 15 minutes pour faire la présentation de votre mémoire. Ce sera suivi par la suite, comme vous l'avez constaté, puisque vous étiez dans la salle, d'une période d'échange avec les membres de la commission. Pour le bénéfice du Journal des débats, étant donné que vous êtes quatre, je vous demanderais, tout d'abord, de vous identifier et, ensuite de ça, de présenter votre mémoire. La parole est à vous.

Conseil du patrimoine de Montréal (CPM)

Mme Letocha (Louise): Merci, M. le Président. Mesdames, messieurs. Il y a plusieurs députées, là, femmes, il ne faut pas qu'elles nous laissent. Même si vous n'êtes pas dans les ordres, vous nous rappelez à l'ordre, M. le Président. Je me permets donc de présenter les membres du conseil qui se sont joints à moi pour la présentation de ce mémoire: alors, à ma gauche, M. Gilles Garand, qui représente tout le domaine de ce qu'on appelle maintenant le patrimoine immatériel, et, plus loin à ma gauche, M. Normand Cazelais, qui est géographe de formation et rattaché toujours à Hydro-Québec et membre de notre conseil ? ça illustre la pluralité, la multidisciplinarité des membres de notre conseil dont on jouit de l'expertise ? et, à ma droite, Caroline Dubuc, qui est conseillère en aménagement et rattachée au Conseil du patrimoine. Et moi-même, Louise Letocha, présidente du conseil.

Je dirai quelques mots, pour les fins de l'enregistrement, sur l'instance qu'est le Conseil du patrimoine de Montréal. C'est une instance consultative et aviseure en matière de patrimoine naturel et culturel auprès du comité exécutif, du conseil municipal et des conseils d'arrondissement.

Alors, nous avons exprimé, dans notre mémoire, le fait de se réjouir de l'initiative de la Commission de la culture d'examiner la situation du patrimoine religieux du Québec. Nous apprécions particulièrement l'approche de la commission, qui est celle d'aborder les différentes catégories du patrimoine tant mobilier qu'immobilier, matériel qu'immatériel, ce qui montre qu'il y a un cheminement de la pensée collective dans la reconnaissance... des multiples dimensions patrimoniales.

n(14 h 50)n

Comme nous le savons ? et nous abrégeons ici, mais nous tenons quand même à le souligner ? la question dite du patrimoine religieux n'est pas étrangère à cette période de grande mutation des valeurs, et nous assistons en effet à des mouvements concurrents sur un plan social. Alors que notre société s'est fortement laïcisée depuis 25 ans, elle a intensifié par ailleurs un côtoiement avec d'autres confessions religieuses au cours de la dernière décennie.

Les manifestations de ces réalités sont plus perceptibles dans le cadre d'une ville comme Montréal. Ville cosmopolite depuis le XIXe siècle, Montréal présente donc un environnement urbain qui diffère des autres municipalités du Québec et du Canada. J'insiste parce qu'on a tendance à penser que Montréal est une grande ville seulement dans le contexte québécois, mais... nous comparons la réalité du patrimoine religieux, entre autres, mais, en termes de densité, Montréal se compare donc à d'autres villes du Canada mais a un caractère unique néanmoins. Cette réalité socioculturelle s'est traduite dans la forme urbaine et dans sa configuration qui s'est précisée depuis la deuxième moitié du XIXe siècle de même qu'au cours du XXe siècle. Le patrimoine religieux englobe l'église, l'ensemble conventuel, institutionnel et les cimetières qui représentent pour Montréal une occupation au sol d'une dimension assez impressionnante du territoire et dont le calcul des superficies n'est pas encore compilé.

L'optique par conséquent, puisque vous avez entendu, ce matin, la voix officielle de la ville de Montréal, l'optique du Conseil du patrimoine de Montréal dans ce contexte est de faire porter l'attention de la commission sur le phénomène urbain de la problématique du patrimoine dit religieux, dans le cadre de responsabilités municipales, et de faire état du cadre législatif, que nous qualifions de lacunaire, qui ne permet pas de faire face aux différents régimes de propriété dans la diversité des lieux de culte du territoire montréalais et des ensembles conventuels. Pour la planification urbaine actuelle, les lieux de culte et leur environnement, les ensembles conventuels et les cimetières représentent, en termes de superficie d'implantation au sol, de surfaces occupées, une portion importante du territoire montréalais et un défi à la planification urbaine.

L'inventaire des lieux de culte du Québec décompte pour Montréal ? et là je préciserai ? près de 600 lieux de culte ? on sait qu'il y en a 468 d'inventoriés avant 1945, et donc nous avons, nous, par contre, à traiter, peu importe l'époque, les lieux de culte et particulièrement les églises modernes sur le territoire de Montréal, ce qui nous mène finalement à un chiffre beaucoup plus élevé que ce qui a pu être annoncé dans le contexte d'autres mémoires ? de même que, pour les ensembles conventuels, 105 ensembles conventuels, et les cimetières, des espaces considérables en superficie, sont du nombre de 12 environ, sur le territoire de Montréal. Le cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à lui seul, couvre 138,7 ha, ce qui donne une représentation d'une échelle avec laquelle nous pouvons envisager l'espace occupé sur le territoire de Montréal par ces différentes propriétés.

Nous allons citer la Politique du patrimoine, à la page 61, pour montrer que cette réalité est donc incluse dans le Plan d'urbanisme de Montréal, adopté en 2004, et également dans la Politique du patrimoine, qui vient d'être adoptée, en 2005: «Par sa richesse, sa diversité et sa quantité, le patrimoine religieux contribue à structurer et à forger l'identité des quartiers montréalais. Actuellement, en l'absence d'une vue d'ensemble de la problématique, la conservation, la transformation ou la démolition de ces principaux témoins font l'objet de décisions ponctuelles, ce qui pourrait conduire à la perte d'éléments essentiels de ce patrimoine.»

Dans la mesure où la constitution du paysage urbain est une construction sédimentaire, que nous qualifions de sédimentaire, autant sur un plan physique dans la progression de la ville et l'évolution de la ville sur un territoire que sur un plan culturel dans notre appréhension du paysage urbain, tous, nous ne saurions ignorer l'ampleur de l'espace occupé par les ensembles religieux et institutionnels dans la planification urbaine. Donc, le Plan d'urbanisme fait état de cette ampleur du contexte et du corpus de bâtiments par arrondissement avec une liste de bâtiments de qualité exceptionnelle parmi lesquels prédominent bien sûr les lieux de culte et les ensembles conventuels et institutionnels.

Les caractéristiques physiques de ces ensembles. Dans la ville, sur un plan physique, le lieu de culte, l'ensemble conventuel ou institutionnel sont implantés en général avec un dégagement par rapport à la limite du lot ou sont entourés d'un environnement paysagé. Dans le cas de plusieurs traditions religieuses, ils font partie d'un complexe institutionnel comprenant le lieu de culte, le presbytère et l'école. Cette organisation spatiale offre une interruption dans la ligne continue des édifices avoisinants, un repos dans la trame de rues qui participe à un esprit du lieu pour le citoyen, ce qui l'amène souvent à réagir lorsqu'on cherche à modifier cet environnement même s'il n'a pas de lien avec les traditions de culte. À la fois espace vert, jardin et architecture, cette structure de l'environnement suscite un type de rapport qu'on peut qualifier de mnésique et également un rapport physique au lieu dont on ne tient pas assez compte lorsque nous assistons à la subdivision de lots, au morcellement de l'espace ou à un changement de propriétaire du lieu de culte, de l'ensemble conventuel ou institutionnel.

Comme l'appréciation du lieu repose sur la valeur symbolique du bâti, qu'elle soit de nature historique ou commémorative, la relation du citoyen au lieu est souvent négligée dans le processus de reconnaissance patrimoniale. L'ensemble religieux compose avec un milieu de vie que la dimension monumentale tend à extraire dans l'effort édificateur d'une reconnaissance patrimoniale.

Le cadre législatif. Dans le contexte des chartes internationales, des lois nationales, de chartes ou de politiques municipales, nous sommes tributaires d'un concept de monument qui étaye et structure, édifie encore notre pensée et notre vision de la préservation et de la conservation du patrimoine culturel. Nous n'insisterons pas évidemment sur les fondements théoriques qui ont servi d'assises à l'articulation du concept de «monument historique», que ce soit l'idée d'unicité, de révélation, de commémoration qui est comprise dans le terme et qui influe sur notre manière de saisir l'objet patrimonial.

À titre d'exemple, dans l'article 1 de la Charte de Venise, on fait référence à la notion de monument historique mais en élargissant la compréhension au site urbain et rural jusqu'à l'événement qui aurait une signification. Je cite: «La notion de monument historique comprend la création architecturale isolée aussi bien que le site urbain ou rural.» Les articles 6 et 7 qui suivent dans cette charte renvoient à un cadre et à une historicité qui environnent le monument. On a même le terme d'«objet associé». L'introduction à cette notion permet de montrer que, dans le cadre législatif, la notion du monument architectural est toujours présente et qu'elle tend à diriger notre appréciation et notre interprétation de l'objet culturel. L'objet culturel, par conséquent, n'est digne de considération que si nous pouvons en dégager une monumentalité au sens commémoratif et historique.

Il faut attendre donc 1979 et la Charte internationale de Durra pour que soient introduites d'autres composantes d'un lieu, les installations et autres objets qui contribuent à la valeur culturelle d'un lieu. En effet, c'est à la fin du XXe siècle et au tournant du XXIe siècle que nous révisons les fondements conceptuels qui ont habité nos schèmes interprétatifs. En 2000, les travaux d'Erica Avrani, Rando Mason et Martha de la Torre sur les valeurs patrimoniales, études réalisées dans le cadre de la Ghetty Foundation, démontrent un courant de pensée international qui cherche à introduire des dimensions immatérielles par la mention d'une proximité sociale à l'objet culturel.

n(15 heures)n

Dans la proposition de définition du patrimoine que nous avons faite dans le cadre de l'élaboration du projet de Politique du patrimoine de la ville de Montréal, maintenant adopté, nous avons cherché à inclure la dimension sociale de la collectivité dans le geste de la reconnaissance des valeurs patrimoniales.

Nous en venons maintenant à la Loi sur les biens culturels. Au Québec, après des modifications en 1952 et 1963, la Loi relative à la conservation des monuments et des objets d'art ayant un intérêt historique et artistique, datée de 1922, trouve une nouvelle appellation en 1972 et délaisse dans son titre la référence explicite aux monuments. Ainsi dans les définitions du chapitre I de cette loi y retrouvons-nous le bien culturel, l'oeuvre d'art, le monument historique, l'aire de protection, etc. Nous faisons référence à l'article 1a, alinéa a, alinéa d en particulier, où on a une énumération, une typologie en quelque sorte des biens culturels. Les différents objets du patrimoine étant désignés et qualifiés dans l'application de la loi, il est désormais possible de s'écarter du concept de «monument» et de faire porter sur d'autres types d'objets les prédispositions de protection de la loi, et surtout faire intervenir d'autres dimensions dans la reconnaissance patrimoniale.

Ainsi, la question soulevée par la commission, votre commission, du fondement des critères et des dimensions patrimoniales à privilégier dans le processus de reconnaissance nous apparaît fondamentale. Un document de la Commission des biens culturels, daté de 2004, a résumé déjà l'état des réflexions sur ce sujet. Pour le Conseil du patrimoine, la poursuite de cette réflexion devrait permettre d'ajuster des énoncés de la Loi sur les biens culturels, aussi bien dans les définitions du chapitre I que dans le chapitre IV destiné aux municipalités, afin d'inclure une compréhension actualisée du phénomène patrimonial.

Entre autres, et en raison de la préséance donc du concept de monument architectural sur les autres objets patrimoniaux, tout ce qui a trait aux intérieurs notamment devient secondaire ou exclu des dispositions de la LBC. Comme si l'architecture n'était que volumétrie et implantation spatiale. Ni le passage de l'extérieur à l'intérieur, cette zone transitoire entre le dehors et le dedans ? on pense aux parvis des églises, on pense aux vestibules ? ni l'idée d'une architecture protectrice de ces modes constructifs, ces matériaux ne sont portés à une attention quelconque dans les textes législatifs.

Aussi, et c'est peut-être un aspect des plus importants, il faudrait réviser la LBC dans le but d'assurer une concordance des définitions, exemple entre arrondissement naturel, avec la Loi sur la protection du patrimoine naturel, qui est votée en 2002, et la Loi sur le développement durable votée en 2005.

Bien sûr, la LBC interpelle un cadre législatif beaucoup plus large dans son application. À titre d'exemple, la Loi sur le bâtiment, la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, la délégation des pouvoirs aux municipalités, depuis 1986, ce qui a pour effet de relier la LBC, dans son application, soit au Code du bâtiment, soit à des réglementations urbanistiques du ressort maintenant de l'arrondissement.

La réforme municipale ? qui a une incidence. Depuis 2001, la réforme municipale du Québec a départagé entre la municipalité et l'arrondissement la planification urbaine de la réglementation. L'arrondissement a des pouvoirs en vertu de la Loi sur l'aménagement et l'urbanisme, la Loi n° 170, la Charte de la Ville de Montréal, d'émettre des permis de construction et de démolition. La réglementation relève de l'arrondissement, et l'établissement du plan d'implantation ou d'intégration architectural, connu plus communément sous PIIA, sont autant d'interventions reléguées à ce niveau décisionnel. Il nous semble qu'une vision urbanistique par rapport aux édifices religieux à l'échelle de l'arrondissement permettrait une meilleure lecture de la problématique de la réaffectation du bâtiment religieux.

Le Président (M. Brodeur): J'aurais besoin d'un consentement. On a passé le temps imparti à votre groupe. Ou à moins que vous vouliez conclure rapidement, on pourrait peut-être procéder à une période de questions par la suite.

Mme Letocha (Louise): Je terminerais peut-être, si vous permettez, juste sur la question de propriété, le partage des responsabilités, donc le point 3, Les propriétés de l'Église et les communautés religieuses.

La gestion municipale s'exerce par le biais de ses services corporatifs et par celui de l'arrondissement. La plupart des activités reliées à la construction ou à la démolition de bâtiments sont de la responsabilité de l'arrondissement. C'est pourquoi nous encourageons la concertation entre l'arrondissement, les services corporatifs de la ville et le Conseil du patrimoine. Nous considérons que ce que nous avons évoqué précédemment justifie cette position de notre part.

Cependant, et malgré une reconnaissance du droit de la propriété, et contrairement à tout autre type de propriété, lorsqu'il s'agit d'une propriété de l'Église catholique romaine, entre autres, celle-ci est gérée en vertu de la Loi sur les fabriques, ce qui implique deux niveaux de répondants au titre de propriété. Les article 5 et 13 de la Loi sur les fabriques ? on pourrait mentionner l'article 4 également ? font référence à ce double niveau de responsabilités à l'égard du lieu, du site ou du bâtiment.

L'absence de communication des informations sur le lieu cultuel empêche la réalisation d'études pertinentes pour la prise de décision sur la dimension patrimoniale de ces ensembles. Si le patrimoine religieux est devenu une préoccupation sociale, et donc que sa prise en charge revient en partie à la société civile, il serait urgent que les églises et les communautés religieuses montrent plus de collaboration avec les laïcs afin que l'héritage culturel religieux soit reconnu à sa juste valeur et non dans une compétition de l'instance municipale avec de futurs acheteurs et promoteurs immobiliers. Je vais m'arrêter là parce que...

Le Président (M. Brodeur): Merci. Merci. Merci beaucoup de votre présentation. Comme première question, on voit, comme plusieurs autres groupes qui sont intervenus, que vous vous intéressez beaucoup au patrimoine mobilier. Hier, on a entendu beaucoup de gens parler de patrimoine immobilier, parler des bâtisses, ce qui est fort important, mais le patrimoine mobilier aussi est très important. On a vu, tantôt, M. Laforest est venu parler...

Une voix: ...

Le Président (M. Brodeur): ...Des Rochers, pardon.

Une voix: ...

Le Président (M. Brodeur): Oui, excusez-moi, M. Des Rochers. Donc, une partie du patrimoine mobilier. On constate également que les antiquaires, il y a des commerces, on se demande où part ce patrimoine-là. On a parlé d'inventaires. Hier, on a parlé pour la première fois d'inventaires systématiques du patrimoine mobilier.

Vous, d'un côté municipal, la vision municipale qu'on devrait avoir, les municipalités du Québec ? on prend Montréal parce que vous êtes de Montréal ? est-ce que vous voyez... quelle est l'importance, l'application d'une loi qui pourrait permettre un inventaire complet? Comment voyez-vous la responsabilité des municipalités dans l'établissement d'un processus d'inventaire de tous ces biens mobiliers là religieux?

Mme Letocha (Louise): Bien, d'abord, il faut bien dire que le domaine culturel relève du provincial, et par conséquent il y a, depuis donc 1986, 1985-1986, une délégation de pouvoirs aux municipalités, mais cette délégation de pouvoirs, qui est comprise entre les articles 59 et 82, 84 à peu près de la Loi sur les biens culturels, est une délégation qui fait en sorte que l'autorité municipale doit se référer très souvent au palier provincial.

Il est certain que, lorsque vous touchez la question des inventaires, la question des inventaires est régie en bonne partie par les initiatives du ministère de la Culture depuis le macro-inventaire, et, plus récemment, l'inventaire auquel a participé la ville de Montréal dans la première phase et deuxième phase. Et nous entrons dans la deuxième étape de la deuxième phase de l'inventaire du patrimoine religieux, et par conséquent il y a une implication.

Nous prenons connaissance... c'est une des raisons pourquoi nous sensibilisons la commission à la réalité de proximité qui existe maintenant avec l'arrondissement. C'est-à-dire que, très souvent, c'est l'arrondissement qui reçoit le premier l'avis ou la demande de permis qui enclenche un processus de réflexion, soit sur le lieu patrimonial en tant que bâti, soit sur son environnement et le lieu bâti, soit alors sur le contenu même de ce bâti. Et nous ne disposons pas en ce moment, véritablement, d'instruments statutaires qui nous permettraient d'intervenir.

n(15 h 10)n

Et c'est pourquoi on souligne particulièrement les intérieurs, parce qu'il est certain qu'il y a, dans la société québécoise, une évolution et que la tendance est maintenant de se tourner... On peut parler des religieuses des Saints Noms de Jésus et Marie, qui ont dispersé en quelque sorte le contenu de la maison mère sur le boulevard Mont-Royal et ont fait appel aussi bien aux Musée des beaux-arts, Musée de la civilisation qu'à d'autres institutions pour loger des objets. Elles ont aussi échangé avec la fabrique Notre-Dame certains objets dont nous avons appris qu'il y a eu un échange à ce niveau-là, ce qui nous réjouit par ailleurs.

Mais nous ne disposons pas, sur un plan légal en tout cas, d'une instrumentation en ce moment qui nous permettrait d'intervenir. Notre rôle à nous est un rôle conseil et aviseur, mais nous avons un rôle plutôt incitatif de faire comprendre et saisir les dimensions patrimoniales. Mais nous n'avons pas de rôle coercitif, quel qu'il soit.

Le Président (M. Brodeur): ...des changements apportés à la législation et particulièrement à la Loi sur les biens culturels, j'imagine que vous auriez des suggestions à nous faire. Et lesquelles?

Mme Letocha (Louise): Outre le fait d'ajuster, il nous semble qu'il y a quand même un environnement maintenant, un réseau de lois, il faudrait des ajustements à ce niveau-là. Mais, dans la partie de délégation des pouvoirs aux municipalités, il nous semble qu'il y aurait à compléter, surtout pour une ville comme Montréal dont on voit l'ampleur du patrimoine religieux, certainement de nous permettre d'avoir certaine prise sur des décisions qui peuvent se prendre à l'échelle de l'arrondissement, entre autres, pour qu'on puisse protéger mieux que nous ne le faisons maintenant avec les moyens dont on dispose.

Le Président (M. Brodeur): M. le député de LaFontaine.

M. Tomassi: Merci beaucoup. Je vais peut-être revenir sur votre Loi sur les biens culturels. J'aurais le goût de vous poser une question ? je ne le ferai pas directement; si vous avez le goût d'y répondre, tantôt, vous allez lui répondre ? à savoir si la ville de Montréal vous écoute. Mais, au-delà de ça...

Mme Letocha (Louise): Je répondrais assez rapidement: Oui, dans la mesure où le Conseil du patrimoine est une création récente. Nous avons commencé à opérer à partir du mois de janvier 2003 et nous avons activement participé à la rédaction de la Politique du patrimoine. Donc, je pense qu'on peut dire que oui.

Et on nous a demandé, aussi bien à nos membres du conseil que le milieu, quelle était notre moyenne de réussite dans nos avis. Nous produisons une centaine d'avis par année, et notre taux de réussite est quand même près du 90 %.

M. Tomassi: Fantastique. C'est bien. Alors, quand vous mentionnez... une de vos recommandations, c'est de favoriser un meilleur encadrement des projets de recyclage des lieux de culte, et c'est une des propositions, je pense, qui est mise aussi dans ce programme que la ville... le programme sur le patrimoine que la ville de Montréal a mis en place. À votre avis, là, et peut-être pour le bien-être de la commission, est-ce que, jusqu'à maintenant... est-ce qu'il y a des projets qui ont été approuvés, là, de recyclage de lieux de culte sur l'île de Montréal, dans la ville de Montréal, ou est-ce qu'il n'y en a pas? Parce que, tantôt, Mme Sénécal est venue nous parler; je n'ai pas eu le temps de lui poser la question, le débat a porté sur autre chose. Mais est-ce qu'il y a déjà eu des projets où est-ce que, vous, vous avez... ou sans vous, là, mais où est-ce qu'il y a un projet de recyclage qui a été fait en accord avec...

Mme Letocha (Louise): Oui, il y a eu des projets à Montréal, il n'y a pas de doute. Un qui me vient très rapidement à l'esprit, c'est celui, par exemple, de la chapelle du Collège Brébeuf, qui est ornée d'une oeuvre assez remarquable, entre autres, de René Derouin et qui sert de bibliothèque. On a donc... Oui, il y a certains exemples. Évidemment, il y a des projets domiciliaires, des projets résidentiels pour lesquels on n'a pas toujours les mêmes réussites, mais il y a des projets de recyclage qui sont survenus au cours des dernières années.

M. Tomassi: Quand on parle de régimes de propriété, beaucoup de gens sont venus nous parler, hier et aujourd'hui, sur ce régime et sur la propriété, là, sur l'immeuble. Tantôt, nous avons eu M. Noppen et Mme Morisset qui sont venus nous parler de cette fiducie... qui mettait en place une fiducie où est-ce que tous les biens immobiliers, là, seraient gérés par cette fiducie qui serait à deux niveaux, là, un niveau qui serait plutôt de municipalités et d'arrondissements. Vous la voyez comment? Avez-vous une idée ou une pensée là-dessus? C'est une division... parce qu'en voulant dire... On en parlait aussi ce midi, là, de la difficulté de trancher la ligne du milieu, de dire si c'est patrimoine puis le culte, là. D'habitude, quand on pense à une église, on dit: C'est l'Église catholique, c'est... Le culte va ensemble, là. Séparer les deux, des fois c'est un peu difficile.

Mme Letocha (Louise): Oui. Il est certain que, dans la question du patrimoine religieux, on est toujours aux prises avec, je dirais, cette dualité entre la question spirituelle versus la question matérielle du bien immobilier ou mobilier. Et c'est un peu par rapport à ça que nous disons qu'il faut regarder cette question-là d'un point de vue laïque, d'un point de vue de société civile.

Parce que, lorsque la demande de permis de construction et de démolition arrive, ce n'est pas l'aspect spirituel qui est en cause, c'est l'aspect d'une valeur de propriété, de valeur d'un objet, et la valeur, si vous voulez, patrimoniale, entre guillemets, donc la valeur culturelle n'est pas nécessairement en cause. C'est une des raisons pourquoi nous disons que nous avons une difficulté de composer avec cet environnement législatif, alors qu'intervient la LAU, etc., pour gérer un dossier beaucoup comme celui-là et que nous apprenons finalement, en définitive, une fois qu'il y a eu un passage, je dirais, dans la laïcité d'un projet ou un autre.

Et par conséquent la question matérielle, c'est-à-dire comment résoudre le problème financier que représente un parc immobilier d'une telle ampleur sur un territoire municipal, est une dimension presque impossible à résoudre dans un ensemble. Et c'est pour ça que j'ai tendance à dire qu'il y a un risque à vouloir résoudre tout ensemble. Sur le territoire de Montréal, les réalités cultuelles et les réalités du patrimoine religieux diffèrent d'un arrondissement à l'autre. Les moyens ne sont pas les mêmes. Il y a des sensibilités dans un arrondissement qu'on ne retrouve pas dans l'autre. La pratique religieuse n'est pas la même d'un arrondissement à l'autre. Et la question aussi de la valeur immobilière varie.

Mais une fiducie pourrait permettre d'alléger dans certains cas, ou encore non pas uniquement d'alléger le poids financier, mais dans certains cas permettrait d'avoir une certaine durée pour véritablement évaluer la valeur patrimoniale et la valeur culturelle, ce qui n'est pas le cas en ce moment, et nous sommes finalement devant plutôt une question de valeur foncière ou de valeur immobilière.

M. Tomassi: Parce qu'actuellement un projet qui est déposé devant un arrondissement, vous ne le voyez pas, vous n'avez pas un mot à dire là-dessus jusqu'à temps qu'il arrive?

Mme Letocha (Louise): Tout dépend si cette proposition ou ce projet se situe dans une aire de protection.

M. Tomassi: Oui. S'il ne l'est pas?

n(15 h 20)n

Mme Letocha (Louise): S'il ne l'est pas, nous l'apprenons parfois. Nous sommes intervenus dans le cas de patrimoines modernes parce que nous avons considéré... Par exemple, Christ Memorial Church, une église luthérienne dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, nous avons considéré que l'architecture, qui était une architecture de D'Astous, remarquable dans l'oeuvre de cet architecte de réputation internationale... nous avons pu, par conviction, convaincre les conseillers municipaux de la valeur de ce bâtiment et donc sauvegarder, je dirais, temporairement, jusqu'à ce qu'il y ait une prochaine alerte.

M. Tomassi: ...un prochain essai.

Mme Letocha (Louise): Une prochaine alerte. Mais non, nous apprenons parce que nous sommes à l'affût de toute information sur le terrain et que nous sommes informés, mais, si on n'a pas de possibilité d'intervention, c'est la manière dont on se renseigne. Sinon, il y a une obligation, en vertu du Règlement 02-136-1, les arrondissements sont tenus de nous informer en même temps qu'ils informent leur...

Le Président (M. Brodeur): Merci. M. le député de Mercier.

M. Turp: Bon. Parlant d'alerte, dans ma circonscription de Mercier, il y a un monastère des Carmélites, on en a parlé à quelques occasions, et il y a un promoteur, M. Vincent, qui est venu nous parler, hier, de ses vues sur la question. Donc, juste pour nous, pour notre connaissance, j'aimerais que vous nous parliez de l'intervention qu'a faite ou qu'a pu ou n'a pas pu faire... ou l'étendue de son intervention dans ce dossier qui suscite encore beaucoup d'intérêt et d'inquiétude dans la communauté.

La deuxième question. M. Vincent disait, hier et il n'a peut-être pas tout à fait tort, que ça prend du temps, à Québec, lorsqu'il s'agit de classer ou ne pas classer. Et là ça fait plusieurs mois que des demandes de classement ont été faites, puis on ne sait pas très bien quand ça va se faire, puis il y a des discussions, des négociations, il y a beaucoup d'intervenants. Est-ce qu'il a déjà été envisagé? Puis est-ce que votre conseil a déjà promu l'idée? Ou pourrait-il envisager de promouvoir l'idée d'un classement municipal, un classement d'arrondissement? Est-ce qu'on n'en est pas rendu là?

Parce que M. Vincent disait: Bien, regardez, moi, j'attends le classement, là, puis si je le savais, là, qu'il y a eu un classement, je m'intéresserais peut-être moins aux Carmélites que je m'y intéressais. Alors, la coalition s'intéresse aussi au classement puis elle fait des pressions pour qu'il y en ait un, puis ça ne vient pas, ça tarde. Alors, un peu tout le monde est perdu, alors que, s'il y avait eu, par exemple, une volonté de l'arrondissement puis un classement ou un avis, mais alors peut-être que là ça aurait déjà été réglé, la question de la transformation ou non en condos, là, de cet ensemble conventuel. Alors, peut-être que vous pourriez m'éclairer sur les vues de votre conseil sur cette question.

Mme Letocha (Louise): Deux choses. D'abord, le Conseil du patrimoine a émis un avis. Nous avons visité le site au mois de septembre 2004 et nous avons émis un avis peu de temps après. Je ne me souviens pas de la date précise, mais nous avons émis un avis.

Bien sûr, c'est ensemble. Voilà un exemple parfait de l'envergure que représente un site entre le jardin d'une part et le couvent lui-même, qui comprend non seulement des bâtiments pour loger la communauté, mais également une chapelle, dont la chapelle d'ailleurs donne un accès public. Mais le jardin n'est pas accessible. Nous avons donc émis cet avis en connaissant justement toutes, je dirais, les sensibilités qui entouraient ce site, aussi bien les citoyens qui, même s'ils ne fréquentent pas le lieu, puisque c'est un lieu cloîtré ? sauf la chapelle ? avaient de l'affection pour ce lieu.

Je dirais qu'aussi bien au niveau municipal qu'au niveau provincial on a des réserves parce que ça représente... une décision par rapport à un site comme celui-là représente peut-être une chaîne d'autres sites pour lesquels il faudra s'engager dans la protection de ce patrimoine. Et donc il y a une réflexion qui est assez longue aux deux paliers de décision, qu'il soit municipal ou provincial.

Vous avez raison, il y a eu une demande de classement qui a été adressée à la ministre de la Culture, et nous sommes dans l'attente de cette décision. Mais il est sûr que, pour un promoteur, il puisse trouver long le processus. Mais il faut dire, et je le répète, qu'au deux niveaux de gouvernement c'est de s'engager dans une certaine voie et qu'il y a en ce moment une réflexion peut-être plus prolongée à cause... de s'engager, puisqu'on constate qu'il y aura d'autres propriétés de cette envergure à préserver.

Parfois, on a des issues heureuses. Je vous cite un exemple dont on a eu connaissance et pour lequel on n'a pas émis vraiment d'avis, mais qui est le couvent des Dominicains, sur la côte Sainte-Catherine. On sait que nous avons, par notre avis, permis de prolonger peut-être de 20 ans l'occupation du couvent des Dominicains, parce que les religieuses des Saints Noms de Jésus et Marie ont déplacé leur école primaire du boulevard Mont-Royal juste à côté donc du couvent des Dominicains, et donc il va y avoir une cohabitation, dans le sens où il y aura un partage de services, entre autres une piscine intérieure qui ne servait presque plus et qui pourra servir à l'école primaire des religieuses.

Donc, il y a parfois des solutions auxquelles on arrive. Et, dans ce cas-là, on n'avait aucune autorité pour se prononcer, puisque c'est un bâtiment des années soixante, et donc en principe on ne se prononçait pas. Mais on nous a demandé quand même de nous prononcer, et nous avons pu en tout cas avoir cette influence de cohabitation sur un même terrain et solutionner la survie, je dirais, de l'habitation dans le couvent des Dominicains pour une vingtaine d'années à venir. Mais, tous les autres couvents qui résident sur le territoire de la ville de Montréal, nous n'aurons pas toujours des solutions aussi heureuses, et c'est ce qui explique, entre autres, en ce moment, probablement la lenteur de la prise de décisions dans le classement.

M. Turp: Le classement municipal, est-ce que c'est une avenue?

Mme Letocha (Louise): La citation est un processus. C'est un processus qui avait été interrompu depuis une quinzaine d'années, que nous avons remis en branle. Il y aura, d'ici probablement la fin de 2005, un premier retour sur la citation par un projet de citation qui est en voie de suivre le cours normal des approbations municipales.

M. Turp: ...le classement? C'est quoi, la différence entre une citation et un classement?

Mme Letocha (Louise): Ça a un effet qui peut être comparable. Il est comparable dans la mesure où il y a une préservation, c'est-à-dire où il peut y avoir... s'il y a un changement par rapport à des aspects du lieu, on peut intervenir pour demander des approbations. Le classement évidemment est une autorité supérieure et en général il s'accompagne d'un financement.

M. Turp: Merci.

Le Président (M. Brodeur): Une courte question, Mme la députée de Terrebonne.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Dans votre mémoire, à la page 11, vous rappelez qu'«il serait urgent que les églises et les communautés religieuses montrent plus de collaboration avec les laïcs afin que l'héritage culturel religieux soit reconnu à sa juste valeur». Est-ce que vous croyez que, pour qu'il y ait davantage de collaboration... est-ce que vous croyez qu'il faut apporter des modifications non seulement à la Loi des biens culturels, mais est-ce qu'il faut apporter les modifications à la Loi sur les fabriques?

n(15 h 30)n

Mme Letocha (Louise): Oui. Bien, ça, c'est explicite dans notre mémoire. J'ai référé aux articles 5 et 13; je pourrais référer à l'article 4. Mais il y a aussi le fait... On parle souvent des ententes villes-églises. En 2001, il y avait une entente qui a été faite, dans le cadre de la Fondation du patrimoine religieux, où il devait y avoir une communication des différentes confessions religieuses de l'évolution du parc immobilier de chacune des églises, avec une information transmise à la ville. Je dois vous dire que, malgré cette entente, il n'y a pas eu ce genre d'action, et par conséquent, comme je disais, et je le déplore encore, nous devons réagir lorsque le dépôt d'une cession, c'est-à-dire soit un projet de démolition soit un projet de construction, comme c'est le cas du Carmel... et que nous vous apprenons qu'une communauté veut quitter un lieu.

Dans le cas du couvent des Dominicains, c'est un pur hasard qu'on ait su. C'est qu'il y a eu une contestation de citoyens et qu'on nous a demandé de venir évaluer en quelque sorte le lieu. Mais, sinon, on pourrait passer à côté lorsque ce n'est pas dans une zone ou une aire protégée en vertu de la Loi sur les biens culturels ou encore un site cité par l'autorité municipale.

Le Président (M. Brodeur): Merci beaucoup.

Mme Letocha (Louise): C'est nous qui vous remercions.

M. Brodeur: Merci beaucoup. C'est fort intéressant. Donc, je veux remercier le Conseil du patrimoine de Montréal.

Je vais suspendre quelques instants, le temps que M. Richard Gauthier puisse s'installer. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 32)

(Reprise à 15 h 36)

Le Président (M. Brodeur): Donc, à l'ordre, s'il vous plaît! Si vous voulez fermer la porte, s'il vous plaît ? pas nécessairement la barrer, là, juste la fermer.

Donc, nous allons continuer nos travaux. Nous recevons, M. Richard Gauthier, stagiaire postdoctoral à la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain de l'Université du Québec à Montréal. Bienvenue, M. Gauthier. Donc, je répète les règles: vous avez un temps maximal de 15 minutes pour votre exposé, et c'est suivi comme à l'habituel d'une période d'échange avec les membres de la commission. La parole est à vous.

M. Richard Gauthier

M. Gauthier (Richard): D'accord. Alors, effectivement je suis chercheur à la Chaire du patrimoine urbain, à l'UQAM, et mon mémoire traite de l'avenir du culte dans le processus de patrimonisation des églises au Québec. Alors, comment concevoir le culte pour l'avenir dans un contexte où il est de plus en plus relatif?

Ma réflexion n'est pas encore mûre, je dois l'avouer. J'ai été un peu pris de court par cette assemblée qui quand même m'imposait de prendre un peu la parole. Je dois peut-être rappeler quelques constats de ma thèse de doctorat que j'ai déposée l'an passé, qui va bientôt paraître aux PUL, Presses de l'Université Laval, une thèse de doctorat sur l'avenir des églises du Québec. Il y a eu quelques constats que j'ai tirés de cette thèse-là.

Premièrement, j'ai remarqué que, depuis 50 ans, on est passé d'une vision où l'église, c'est la maison de Dieu, à une vision où l'église, c'est la maison du peuple de Dieu. C'était la thèse de mon directeur, M. Claude Bergeron, bien connu, un homme de bonne réputation et qui a écrit d'ailleurs un livre sur les églises du Québec, en gros, sur le mouvement de la réforme liturgique. Dans ma thèse j'ai rajouté que, de maison de Dieu à maison du peuple de Dieu, nous allons de plus en plus à une conception de maison de tous, l'église comme maison de tous. Il y a là bien sûr une mutation, une autre, une de plus, hein, depuis la Deuxième Guerre mondiale.

J'ai aussi remarqué que des usages profanes dans les églises commencent à devenir de plus en plus familiers. Les plus spectaculaires peut-être, les plus controversés: pensons aux funérailles laïques, Jean-Paul Riopel, Mlle Touga, entre autres, à Saint-Mathieu-de-Beloeil, bref... les expositions d'oeuvres d'art, les concerts aussi dans les églises.

Bref, des usages, il y en a de plus en plus dans les lieux de culte. Alors, ça amène aussi toute une réflexion, hein, sur les usages de ces lieux. Même, depuis 10 ans, vous êtes conscients qu'on parle de cohabitation des fonctions culte, culture. Alors, tout ça, ça joue, hein, ça travaille dans les représentations des églises. Ce ne sont pas des mutations drastiques et draconiennes, c'est comme des glissements, c'est comme des passages, des mutations.

Également, ces nouvelles idées au niveau de la conception des églises, au niveau des nouveaux usages, ça amène de nouvelles formes architecturales. On les connaît: des recyclages partiels, totaux ou conversions, le vocabulaire n'est pas encore arrêté, mais il y a des nouvelles formes architecturales considérées un peu avec condescendance par beaucoup, peut-être à raison, peut-être à tort, mais tout est-il qu'il y a là un renouveau architectural.

Alors, la conclusion de ma thèse, c'était que l'art d'église, hein, la logique intérieure de l'art d'église passe par des mutations profondes au Québec. Et, contrairement à ce qu'on pourrait croire spontanément, bien c'est le lot de l'art chrétien, depuis 2 000 ans, de muter, hein, de passer, de s'adapter, de s'acculturer à ces différents contextes.

Quand on regarde dans la Rome antique, le début de l'art d'église, on a épousé des formes architecturales, des visions aussi liturgiques qui tenaient compte des processions impériales, hein, du culte de l'empereur. Ensuite, avec la période byzantine, la Renaissance et même le baroque, on a comme amalgamé un vieux fond païen, si on peut s'exprimer ainsi, classique, au chrétien. Et même le style rococo, vous connaissez peut-être, ceux qui ont été en Europe, ou par vos lectures, ce style un peu gâteau de noces de certaines églises d'Allemagne du Sud, eh bien, c'est la rencontre du sacré et du frivole.

Donc, l'art d'église, c'est quelque chose qui mute, qui se transforme et qui quelquefois rencontre comme son contraire et s'y amalgame. On dit à raison que l'art d'église traditionnel, ça élève l'âme, mais ça le fait en embrassant le profane. Alors, c'est les constats de ma thèse.

n(15 h 40)n

Et, dans mes conclusions, j'en étais aussi venu à terme à l'idée comme quoi qu'actuellement il faut regarder surtout le phénomène de l'art d'église du point de vue laïc. J'ai été jusqu'au bout d'une logique religieuse de l'intérieur du système et j'ai vu que ça mute, ça s'acculture avec la culture québécoise, mais il faut maintenant pour moi regarder le phénomène de l'extérieur, à partir de ce système-là, et regarder le phénomène du point de vue de la culture québécoise qui est à dominante laïque. «Laïque» ne veut pas dire laïciste, bien sûr; un point de vue laïque peut être très bien respectueux de la religion.

Alors, je travaille actuellement, dans le cadre de la chaire, à dégager, à explorer des approches douces de ce patrimoine mais tout de même qui tiennent compte des ruptures inévitables. Et mon point de départ, c'est que... c'est celui du jésuite Joseph Comblin, en 1968, qui dit qu'il y a eu coïncidence par les églises, hein, les églises comme expression... c'est l'expression de la coïncidence du christianisme et des aspirations communautaires. Ce n'est pas uniquement un phénomène d'expression du christianisme, c'est le christianisme qui coïncide avec les aspirations communautaires, et voilà les églises. Alors, ça peut aider à comprendre tous les paradoxes autour de ce phénomène qui est le nôtre au Québec: nous avons des églises, à qui appartiennent les églises?, bon, c'est quoi, une église?, tout ça. Alors, par coïncidence du christianisme et des aspirations communautaires, il y a des églises.

L'avenir du culte. Je commence à explorer des pistes. Je crois qu'il y a comme des accès à éviter. Je suis d'accord avec mes collègues de la chaire comme quoi que nous avons souvent des approches trop conservatrices, mais, bien sûr, il ne faut pas aller à l'excès contraire, c'est-à-dire traiter les églises comme des coquilles vides et les remplir de toutes sortes d'idées, de toutes sortes d'usages sans trop, trop maîtriser tous ces rouages subtils qui les animent.

J'ai parlé, dans mon très court mémoire, de l'idée que je travaille de laisser vacants les choeurs, du moins, idéalement, de laisser vacants une partie ou la totalité des choeurs dans les églises pour bien montrer qu'il y a là un héritage. Parce que, bien sûr, le choeur, dans l'église, c'est le lieu où il y a l'autel ou traditionnellement le culte dans toute sa majesté. Mais déjà Vatican II a laissé un espace avec le maître-autel du fond et l'autel de Vatican II. Alors, mon idée, c'est que, peut-être, dans l'avenir, puisque le culte est relatif, est de plus en plus relatif dans les églises, peut-être réagencer l'intérieur de ces espaces de façon subtile, intelligente, qui tienne compte de l'histoire mais aussi de la sensibilité actuelle de la société québécoise.

Laisser le choeur vacant, c'est comme le laisser au seul patrimoine qui garantit sa pérennité, et ça évite aussi que chacun puisse faire main basse sur la valeur symbolique de ce lieu. Et le choeur, puisqu'il renvoie la façade qui donne sur la place de l'église, au clocher également, eh bien, laisser le choeur vacant, c'est comme aussi un signal comme quoi que le clocher, comme quoi que la façade qui donne sur la place de l'église, eh bien, tout cela, ce sont des lieux patrimonialisés et chacun peut y mettre un peu ce qu'il veut, hein, au niveau de son interprétation. Donc, davantage un respect du pluralisme des valeurs. Et voilà.

Bien sûr, ça amène des petits problèmes de logistique pour les églises qui maintiennent le culte. Il y a quand même des expériences qui montrent qu'on peut négocier cette réalité-là. Il y a encore des éléments à retravailler sur ce point, et j'aurai l'occasion de prendre la parole, j'imagine, dans d'autres lieux et à d'autres occasions pour davantage nourrir cette réflexion. Mais voilà où j'en suis dans mes recherches.

Alors, peut-être, très rapidement, pour clore. J'ai montré un petit peu ma perception de la situation actuelle. D'un côté du graphique, on voit un lieu de culte, avec la notion de culte qui est comme le noyau dur de cette interprétation des églises: choeur clos, hein, rempli de sacré, autour de l'autel, des dogmes agencés, hein, toute une vision du monde qui est chrétienne; et, de l'autre côté, une figure du patrimoine ecclésial à bâtir dans une société laïque, où là il y a des fonctions autres, une cohabitation de fonctions, des symboles à continuer, hein, et où le choeur est tout à la fois clos et ouvert à cause du pluralisme des valeurs.

Bien sûr, c'est un peu blanc-noir, et je crois qu'il y a des ruptures inévitables à vivre au Québec. Blanc-noir, peut-être davantage au niveau de la propriété, la gestion et, bon, des grosses questions qui travaillent ici. Blanc-noir, aussi, avec tous les dangers inhérents, hein? Parce que, qui dit pouvoir, dit danger, hein? Il y a eu des excès de cléricalisme au Québec; il y en a encore. Et il y a aussi... selon l'historien Nive Voisine, il ne faut pas tomber dans l'angélisme, il y a toujours des excès de néocléricalisme, puisque, comme j'ai dit tantôt, si les églises sont bien relancées, il y a encore un risque de mainmise sur la riche valeur symbolique de ces lieux.

Et peut-être l'élément plus adoucissant, hein, la zone grise, c'est l'autre pôle, les ruptures nécessaires, mais aussi des mutations où la conspiration de l'architecture, des arts, où les notions de substance vont être relancées, les images familières, les images pacifiantes aussi qui manquent souvent au débat actuel. On parle de rupture, mais je crois que c'est difficile de quitter quelque chose comme ça tout bonnement. Il faut aussi avoir une certaine image pacifiante qui nous relance, qui nous pousse en avant.

Les questions de pérennité également demeurent à travailler, l'altérité fondamentale, l'utopie également. tout ça qui ouvre les églises à un passage à quelque chose d'autre, du passé au futur, pour éviter de tomber dans un genre de querelle des anciens et des modernes et aussi pour éviter de tomber dans un genre de dialectique ou, d'un côté, il y a le coeur, de l'autre côté, la raison procédurale qui est si propre à nos sociétés hautement technocratisées.

Alors, je n'en dirai pas plus, j'ai encore à travailler comme chercheur. Et je vous remercie.

Le Président (M. Tomassi): Merci, M. Gauthier. Alors, je céderai la parole à mon collègue le député de Charlesbourg.

M. Mercier: ...dans cette enceinte virtuelle, comme je me plais à le dire, de l'Assemblée, mais cette commission plus que réelle. Très intriguant, très intriguant. Je vous ai écouté avec attention. Et, je vous dirais, vous parlez de blanc et noir, moi, je suis plutôt dans une zone grise présentement, parce que j'essaie de saisir plusieurs de vos axes ou de peut-être solutions potentielles, puisque, vous nous le dites si bien, vous êtes encore en réflexion, du moins le travail reste à être terminé. Vous mentionniez tout à l'heure l'utilisation mixte des lieux. Ça, ça m'intéresse par exemple. Et vous disiez également: Laissez vacants les choeurs. Et c'est ce que j'ai souligné ici. Et j'essaie de voir comment pour nous, comme législateurs, comment est-ce que ça peut se traduire dans la solution que l'on veut apporter sur l'avenir du patrimoine religieux. Et là je m'explique.

Dans le respect du pluralisme des valeurs dont vous parliez tout à l'heure, c'est-à-dire entre le culte et également le profane, comment est-ce que, vous, concrètement ? vous me suivez? comment est-ce que concrètement ? cela peut-il s'appliquer, pour nous, dans nos communautés, nos municipalités et nos villages? Ensuite, j'aurais une autre question là-dessus également.

M. Gauthier (Richard): D'accord. Bien sûr, il y a des endroits au Québec qui ont des problématiques différentes. J'ai spécifié que c'est un idéal, c'est une philosophie. Concrètement, admettons, dans une ville, une grande ville où qu'il y a une très grande église avec des espaces perdus, gratuits, souvent, même dans ces églises-là, pour le culte, il y a trop d'espace, vous êtes d'accord avec moi? Alors, le culte peut très bien occuper un bras du transept, une partie... Le transept, c'est la partie qui coupe souvent la croix latine de l'église, hein? Il y a le corps long, le corps qui coupe ? une grande croix, souvent ? le plan. Alors...

Le Président (M. Tomassi): ...je crois.

M. Gauthier (Richard): Pardon?

Le Président (M. Tomassi): Vous avez lu Le Code Da Vinci.

M. Gauthier (Richard): ...les historiens d'arts sont habituellement très circonspects devant.... Mais, disons, si le culte est relatif dans les églises ? et, si j'ai bien compris, les évêques du Québec s'en vont dans cette direction-là, si j'ai bien compris ? alors le culte sera comme plus libre. Et, comme société civile, à mon avis, plutôt que de gérer l'intérieur des églises de façon indifférenciée en contrepartie du culte, c'est-à-dire soit qu'il y a le culte ou bien soit on ne sait pas trop, trop quoi faire, on gère ça un petit peu à notre bon vouloir à l'intérieur, eh bien il y a quand même des lieux qui sont fort connotés par l'histoire et qu'on peut retraduire dans des mots d'aujourd'hui. Et le choeur, qui est le foyer, le lieu de définition des églises, eh bien, il peut continuer son rôle de pivot et peut-être un peu d'altérité fondamentale, de sens du sacré, tout en restant là tout simplement comme choeur, dégagé, et le culte, lui, peut s'offrir de façon plus libre autrement.

M. Mercier: Oui, oui, je vous suis et je regarde vos yeux un peu perplexes en me regardant, mais...

M. Gauthier (Richard): Ça va, ça va.

n(15 h 50)n

M. Mercier: ...j'ai une autre question et je crois que vous allez très bien la comprendre. Lorsqu'une communauté locale nous dit, à nous, en tant que législateurs, en tant qu'élus, qu'on doit faire quelque chose pour une église, pour un bâtiment religieux ? et là je me réfère à votre théorie sur le choeur que l'on doit préserver ? quelle est votre solution ou qu'est-ce que, vous, vous diriez à notre population? Ou qu'est-ce que, vous, vous écririez, dans notre rapport que l'on doit soumettre afin de préserver, et là je suis votre logique, là, autant le choeur ? autant le choeur ? que le patrimoine ou du moins cette architecture?

Et vous êtes un amoureux évidemment de l'architecture, comme je le suis, et je dis souvent que l'art, la culture, c'est l'âme d'un peuple, et pour pouvoir préserver cette âme d'une région, d'un village, d'une ville, d'un État, qu'est-ce que vous feriez? Et c'est des pistes de solution que l'on cherche, ici, et c'est pour ça qu'on est ici évidemment, en tout respect, pour vous écouter, vous entendre. Et je pense que mes collègues sont d'accord à l'effet que l'on cherche des pistes de solution et c'est le but de cette commission. Et j'essaie vraiment de mettre le doigt et de pointer exactement la solution que, vous, vous auriez pour pouvoir solutionner ceci.

M. Gauthier (Richard): D'accord. Disons, je dirais de façon très directe qu'il faudrait qu'il y ait un dialogue avec les évêques du Québec pour qu'il y ait un comité de liturgie qui soit mis sur pied pour davantage... en lien avec l'État, pour réfléchir à ce genre d'articulation entre liturgie et patrimoine de façon constructive pour l'avenir, compte tenu des paramètres actuels dans lequel nous avançons. Je pense que la réflexion sur la liturgie actuellement est déficiente, comme bien des réflexions que nous avons bien sûr, et qu'il devrait y avoir un dialogue pour adapter la liturgie à de nouvelles réalités.

Parce qu'actuellement c'est une approche dure: soit le culte, d'un côté, soit le patrimoine. Mais, souvent, le patrimoine sans le culte, c'est une coquille vide, l'église. Et là on gère, comme j'ai dit tantôt, le tout de façon indifférenciée. Alors, je crois qu'il faut plutôt gérer les espaces intérieurs de façon intelligente, distributive, en utilisant des grilles qui sont inhérentes au patrimoine ecclésial, des théories du Moyen Âge qui ont des contradictions internes qui peuvent être retravaillées, relancées autrement. Et la réforme liturgique nous montre aussi que la liturgie peut être inventive.

M. Mercier: Vous permettez, M. le Président, très rapidement?

Le Président (M. Tomassi): ...M. le député.

M. Mercier: Alors, toujours dans cette envolée, si on parle d'usage mixte des lieux, avez-vous au Québec des exemples que vous avez répertoriés, ou dont vous avez pris connaissance, ou dont vous vous êtes inspiré?

M. Gauthier (Richard): Disons que c'est surtout en Angleterre. Il y a, dans un numéro de L'architecture d'aujourd'hui... ce n'est pas donné, malheureusement, mais, à une certaine page, il y a des exemples, un exemple à Londres. Je pourrais toujours vous le montrer éventuellement.

M. Mercier: ...plus particulièrement.

M. Gauthier (Richard): Au Québec, oui. Ce qui pourrait se rapprocher le plus, au Québec, c'est le choeur laissé vacant à la bibliothèque du quartier Saint-Jean-Baptiste à Québec. Bon. Voilà. Alors, le choeur est laissé vacant; une fois par année, il y a le culte. À mon avis, c'est une façon très respectueuse de la genèse du bâtiment, et en même temps on ne remplit pas le choeur de toutes sortes de choses; on laisse le passé au passé et on évite de faire main basse sur une partie importante d'un lieu qui est pourtant recyclé très bien.

M. Mercier: Alors, croyez-vous que cette décision, par exemple, pour Saint-Jean-Baptiste, à Québec ? mais ça pourrait être un autre exemple au Québec ? doit relever... c'est-à-dire de laisser cette mixité, hein, du lieu comme tel, doit relever d'une décision provenant des législateurs ou des décideurs, qu'ils soient municipaux, provinciaux ou autres, ou est-ce que ça doit provenir de la commune, que ce soit communal ou du moins que ça provienne de la fabrique, du peuple, des citoyens?

M. Gauthier (Richard): Moi, je crois...

M. Mercier: Parce que cette décision de laisser, je vous dirais, vierge cet espace, doit-elle provenir de la population ou doit être imposée par une législation, un règlement ou du moins un corps politique?

M. Gauthier (Richard): Ah non, ça ne doit pas être imposé.

M. Mercier: Et je vous pose la question tout bonnement, comme ça, et de façon très frivole.

M. Gauthier (Richard): Oui, oui. Moi, je crois que c'est un petit peu tout le monde. Dans le fond, c'est l'art de gérer l'intérieur de nos églises, entre une vision unilatérale cultuelle versus une coquille vide qu'on ne sait pas trop, trop comment gérer l'intérieur parce qu'on n'a pas maîtrisé suffisamment la dynamique interne de ce type d'architecture très connotée. Alors, dans le fond, l'idée des choeurs laissés vacants, ça ne se veut pas obligatoire, hein, c'est comme une vision, c'est comme une philosophie de gestion intelligente des espaces avec certaines sensibilités religieuses qui demeurent, puisque le culte, qui est plus mobile ou qui sera plus mobile par la liturgie, semble-t-il, eh bien ne sera plus le garant quotidien de ces lieux.

M. Mercier: Merci.

Le Président (M. Tomassi): Alors, merci, M. le député de Charlesbourg. M. le député de Mercier.

M. Turp: J'ai un petit peu de difficulté avec ce dialogue que vous proposez, entre l'Église et l'État, sur la liturgie. J'ai beaucoup de difficulté avec ça. Moi, je ne pense pas que l'État devrait engager un dialogue avec les autorités religieuses, s'agissant de liturgie. Ça me paraît tout à fait incompatible avec l'idée de la séparation de l'Église et de l'État. Que le dialogue se fasse sur le patrimoine, sur le rôle que l'État peut vouloir jouer dans sa préservation et sa promotion, c'est une chose, mais, un dialogue sur la liturgie, je crois que, là, on porte atteinte, une sérieuse atteinte à la séparation de l'Église et de l'État, dans un État justement qui se laïcise progressivement. Et, en vous entendant, j'ai l'impression que vous souhaiteriez qu'on recule, là, sur cette tendance à la laïcisation. Alors ça, c'est mon premier commentaire, et j'aimerais bien entendre une réaction.

Sur le choeur, j'ai un peu les mêmes préoccupations que mon collègue. Mais est-ce que la préservation du patrimoine et ce que l'État doit en dire par ses institutions ne peut pas aller jusqu'à imposer à l'Église la façon dont elle pense ses choeurs ou son choeur, cet espace dans son église? Ou est-ce qu'il ne faut pas attendre l'étape où l'État ou la municipalité, par exemple, si on prend l'exemple de la France, devient propriétaire pour qu'on puisse même envisager de toucher à un choeur?

M. Gauthier (Richard): Oui, bien, disons que, pour la liturgie, je crois bien sûr... Bien, premièrement, l'État, l'Église, je crois que c'est important que ce soit séparé. J'ai eu l'occasion de lire tous les documents canonicocivils des années cinquante et soixante qui ont mené à la refonte de la Loi des fabriques et je pense qu'il y a eu des excès qu'il ne faudra pas répéter, bien sûr. Mais tout de même, historiquement, il me semble que c'est difficile de scinder de façon dualiste liturgie et patrimoine. Peut-être de fait que je me suis un peu emporté. Si ça n'avait pas été vous, ça aurait été peut-être un de mes collègues de la chaire qui m'aurait ramené à l'ordre. Quoique, les rituels au Québec, il y a quelque chose, au niveau religieux, au niveau anthropologique, qui à mon avis est à poursuivre dans les églises, et il y a là quelque chose à travailler, et je pense que tout de même l'Église a encore sa place dans le débat, de façon respectueuse d'une société laïque, a encore sa place dans le débat pour amener des nouvelles idées, pour amener certaines choses, certains éléments. Mais il est clair que la dominante, pour l'avenir, est laïque, à mon avis.

n(16 heures)n

Et, concernant la question des choeurs, j'aurais tendance à ne pas jouer le jeu de l'attentisme. Il me semble que nous avons trop joué ce jeu, et la réflexion est déficitaire à mon avis à ce niveau-là. Il faut être proactif et, dans les petites municipalités où il y a des choses qui se brassent, avec les messes de plus en plus réduites par exemple, même dans les grandes, il y a comme une réflexion à faire, il y a comme des inventions, des gestions des lieux. J'ai déjà été président d'un comité d'art sacré, alors je suis sensible à ces choses-là. Voilà.

M. Turp: Merci.

Le Président (M. Tomassi): Ça va? Alors, si je n'ai plus de question, M. Gauthier, nous vous remercions beaucoup de la présentation de votre mémoire et nous allons suspendre quelques secondes pour laisser la place aux prochains intervenants.

(Suspension de la séance à 16 h 1)

 

(Reprise à 16 h 3)

Le Président (M. Tomassi): ...reprendre les travaux. M. Turmel, M. Demers, bienvenue à cette commission parlementaire. Alors, je pourrais peut-être vous rappeler un peu les normes. Vous avez 15 minutes pour faire votre exposé, et par la suite un échange de 30 minutes suivra avec les membres de la commission. Alors, peut-être vous présenter et par la suite débuter.

MM. Claude Turmel et Clément Demers

M. Demers (Clément): Bon, alors, je me présente: Clément Demers. Alors, on va prendre la parole chacun à notre tour. D'abord, on ne va pas lire le mémoire, vous l'avez devant vous. L'abbé Turmel est à mes côtés.

D'abord, on doit vous remercier d'être venus comme ça à Montréal, parce que je pense que c'est intéressant que la commission se déplace lors de sujets aussi vastes, qui touchent l'ensemble de la province. Et d'ailleurs c'est très intéressant qu'il y ait une commission qui se penche sur cette question aussi importante et aussi urgente que celle du patrimoine religieux.

Alors, si je me présente de façon peut-être un peu plus détaillée, bon j'ai été impliqué depuis très longtemps dans le patrimoine, depuis 1973, mais beaucoup à titre de bénévole. Tout ce que j'ai fait dans le cadre du patrimoine religieux, c'est à titre de bénévole, autant sur le Comité de construction et d'art sacré de l'archevêché et aussi à titre de cofondateur de la Fondation du patrimoine religieux. Ce n'est pas mon premier métier. Actuellement, je suis directeur général du Quartier international de Montréal, qui est le secteur dans lequel on se trouve. Donc, c'est un intérêt que j'ai depuis très longtemps, et c'est pour ça qu'à titre personnel je tenais à prendre la parole sur cette question-là. Je vais demander à l'abbé Turmel de se présenter aussi.

M. Turmel (Claude): Alors, de mon côté, M. Demers a été une grande inspiration durant tout ce temps-là. Il l'est toujours, d'ailleurs. De mon côté, je travaille dans le patrimoine religieux depuis 35 ans, et avec d'autres personnes, dont M. Demers, on a mis sur pied Pierre vivante, en 1992, qui est un organisme qui regroupait les Églises, deux diocèses catholiques, le diocèse anglican, les protestants et puis la communauté juive également. Pendant deux, trois ans, on a travaillé ensemble, ce qui a donné le modèle pour la Fondation du patrimoine religieux qui a été mise sur pied en 1995 et qui couvre tout le territoire du Québec. Alors, j'ai été responsable du Comité de construction et d'art sacré, au diocèse de Montréal, depuis 1970 jusqu'à cette année.

M. Demers (Clément): Alors, dans le cadre de notre présentation, on va faire certains commentaires, d'abord sur la pratique religieuse, aussi sur les critères de sélection pour déterminer qu'est-ce que le patrimoine religieux et quels sont les éléments qui en sont les plus importants. On va parler aussi de la philosophie à l'origine de la fondation, toute la question de la planification financière pour la Fondation du patrimoine religieux, avant de conclure.

Je demanderais d'abord à l'abbé Turmel de faire certains commentaires sur la perception de la pratique religieuse et la façon dont c'est souvent compris.

M. Turmel (Claude): Le document de la commission parle des sources du problème ou de la source du problème, et on identifie comme première source la baisse de la pratique religieuse et aussi l'absence de relève chez les prêtres. Et ce constat est illustré par une donnée statistique chiffrant à 5 % la proportion de pratiquants catholiques au Québec, ce qui suggère bien sûr une prochaine extinction de la fréquentation des lieux de culte, et cela teinte fortement par le fait les perspectives d'actions envisageables à l'égard des lieux de culte.

Mais je voulais relever que Statistique Canada ne permet pas de parler de statistiques sur la pratique religieuse. Ce que Statistique Canada dit, c'est que la proportion des adultes de 15 ans et plus, au Québec, se chiffrait, en 1986, à 48 %, en 1998, à 29 %, et, le dernier recensement, en 2001, à 25 %. Ça, ce sont ceux qui fréquentent les églises une fois par mois. Et cette même... Statistique Canada dit également que seulement 5,6 % des Québécois affirment n'avoir aucune religion, alors que cette proportion est de 16,2 % pour l'ensemble du Canada.

Donc, je pense qu'il est légitime, à partir de ces données-là, de considérer que, parmi un ensemble d'options, celle du maintien, pas forcément exclusif, de la fonction cultuelle des lieux de culte patrimoniaux, c'est aussi reconnaître l'importance du sentiment d'appartenance et d'appropriation des citoyens et des collectivités locales à l'égard de leurs lieux de culte comme un critère parmi d'autres de sélection des biens à protéger.

M. Demers (Clément): Alors, je vais vous parler maintenant des critères de sélection pour la hiérarchisation des lieux de culte. Dès le début de la Fondation du patrimoine religieux, la fondation s'est préoccupée d'avoir des critères de sélection qui étaient basés sur la valeur architecturale, la valeur historique évidemment des lieux de culte, la valeur d'oeuvre d'art totale ? parce que le patrimoine religieux, c'est un des rares patrimoines où on retrouve tous les arts, que ce soit l'urbanisme, l'architecture, la sculpture, la peinture, la musique et de nombreux aussi... nombreuses pratiques artisanales ? c'est là que nos meilleurs artistes, nos meilleurs artisans ont exprimé leur savoir-faire ? et enfin la valeur urbanistique. On l'a fait sans nécessairement avoir d'inventaire à l'époque, et l'inventaire n'a pu commencer qu'autour de 2003, 2004. Maintenant, nous avons certaines préoccupations par rapport à cet inventaire.

M. Turmel (Claude): Je pense qu'hier les professeurs Marsan et Gauthier vous ont expliqué les difficultés qu'on avait avec l'inventaire, l'état actuel de l'inventaire. J'endosse personnellement entièrement ce qu'ils vous ont dit ? ça a paru dans Le Devoir, hier et aujourd'hui ? à cause des difficultés méthodologiques qui avaient été mises sur pied et puis des catégories qui me paraissent personnellement illogiques et confondantes, comme on dit, sur cette mathématique que l'on donne. Alors, je n'insisterai pas là-dessus, mais simplement pour appuyer le fait que cet inventaire ne peut pas, à l'état actuel, servir de source pour décider quelles sont les églises à conserver ou pas ou quelles sont les églises qui ont une haute valeur patrimoniale ou pas.

M. Demers (Clément): Comme plusieurs experts étaient préoccupés par la valeur de cet inventaire-là, il a été proposé au ministère de faire un test de qualité, de prendre un échantillon des églises et de le soumettre à un comité d'experts pour voir si l'inventaire correspondait à une réalité. Ce test de qualité aurait coûté 12 500 $. Vous savez, 12 500 $, c'est très peu pour évaluer finalement si le système qu'on met sur pied est bon, surtout qu'on aura des décisions qui vont toucher plusieurs dizaines de millions de dollars, dans le futur, sur ce patrimoine religieux. Et je pense que ce test de qualité doit toujours être fait parce que la crainte qu'on peut avoir, c'est qu'on se base actuellement sur des critères politiques ou économiques pour prendre des décisions sur la valeur des bâtiments. Il ne faut pas oublier qu'on va prendre des décisions aujourd'hui qui vont affecter les générations futures. On doit le faire avec excessivement de professionnalisme, et suivre les règles de l'art dans le domaine, et s'assurer que l'inventaire qu'on va faire va passer tous les tests internationaux quant à sa qualité et quant à sa valeur, parce qu'on a, nous, actuellement un patrimoine qu'on doit léguer aux générations futures, et ce n'est pas une opération qui est simple et sans responsabilité de le faire.

n(16 h 10)n

Ensuite, je pense qu'il est intéressant de parler un peu de la philosophie qui était à l'origine de la Fondation du patrimoine religieux. Cette philosophie était basée sur trois éléments: d'abord, l'entretien préventif, ce qui comprenait quand même un certain rattrapage parce qu'on savait que le patrimoine religieux était en très mauvais état, la notion de partenariat et la notion de décentralisation.

Alors, pourquoi l'entretien préventif? C'est que vous savez que, n'importe quel bâtiment, on le dit aussi des routes, si vous avez un actif et si vous arrivez à le maintenir par un entretien préventif, vous n'êtes pas obligé d'investir de façon massive pour le restaurer. Dans le cas du patrimoine religieux, c'est d'autant plus important. C'est que l'authenticité même du patrimoine est tributaire de cet entretien préventif. Si vous restaurez, vous affectez déjà le côté authentique de l'objet. Et l'entretien préventif aussi, c'est un principe de développement durable, c'est-à-dire qu'on dépense plus régulièrement, mais on dépense peut-être moins, au bout du compte, parce qu'on maintient les éléments en bon état.

Quant au partenariat, dès le départ, la fondation était basée sur un partenariat entre le gouvernement ? le gouvernement, autant le niveau politique que le niveau administratif du gouvernement ? entre les administrations diocésaines, les fabriques, les communautés locales, et ça, je pense que c'est un atout. C'est un atout qui est très important. Il faut que ce partenariat d'ailleurs puisse peut-être s'élargir aux municipalités et peut-être aussi à l'entreprise privée. C'est qu'il faut reconnaître que le patrimoine religieux, c'est un patrimoine d'intérêt collectif et il faut que ce soit l'ensemble de la collectivité qui participe évidemment à sa sauvegarde et à sa mise en valeur.

Il y avait tout l'aspect de la décentralisation aussi qui a été dans notre philosophie première de la fondation. Je laisserai l'abbé Turmel parler un peu plus de cette décentralisation.

M. Turmel (Claude): Je pense que la formule sur laquelle est basée la Fondation du patrimoine religieux, c'est la participation des propriétaires, c'est-à-dire des fabriques, et c'est vrai aussi pour les anglicans, les protestants et les juifs également. C'est que les communautés locales sont impliquées pas simplement au niveau de demande, mais au niveau décisionnel. Et, nous, on a ici, au Québec, la chance d'avoir encore... Moi, je trouve ça une chance d'avoir un système où les fabriques sont propriétaires. C'était vrai dans l'ancien droit et c'est le seul endroit au monde où on a conservé cette façon de faire. Ça existe un peu en Belgique, en Hollande, où il y a certaines communautés qui sont propriétaires, mais c'est très minoritaire parce qu'en Belgique, entre autres, il y a plusieurs paroisses qui relèvent du temps de Napoléon Ier, alors c'est encore pour quelques paroisses. Mais dans l'ensemble c'est seulement au Québec où toutes les fabriques sont propriétaires et premièrement décisionnelles.

Et cela nous permet d'avoir une implication et une sensibilisation, une responsabilisation des communautés qui utilisent ces lieux de culte. Je pense que c'est une grande richesse, dans l'état actuel, c'est un atout qu'il ne faut pas négliger. Puis surtout ne pas décourager ces communautés locales en leur imposant toutes sortes de choses et... ou plutôt en venant les seconder, les appuyer, les aider pour garder cet enthousiasme que l'on trouve d'abord dans ces communautés-là. C'est eux qui sont d'abord enthousiasmés par la conservation de leur propre patrimoine, leur propre église. Et toute action qu'on doit faire à mon sens doit plutôt aller dans ce sens-là.

En plus, la question de décentralisation décisionnelle. La fondation est basée sur le fait qu'il y a des tables régionales. En suivant les tables régionales du ministère, en grande partie... pas les tables régionales, je veux dire, les divisions du ministère, et là-dedans, sur ces tables, sont représentées toutes les institutions propriétaires, les catholiques bien sûr, mais aussi les protestants ? ici, à Montréal, toutes les communautés sont représentées au prorata du nombre de bâtiments ? et ça permet de prendre des décisions sur place, avec des gens qui connaissent bien les bâtiments, qui savent bien ce qui s'en vient, les capacités financières de chaque communauté, et ça permet donc de suivre les travaux aussi de façon très, très précise et très pointue, comme on dit. Souvent, à la table de Montréal, on faisait des réunions mensuelles sur place, chez les sikhs par exemple, ou à la synagogue, ou l'Église unie, etc. Alors, décentraliser les décisions, ça simplifie les choses.

Malheureusement, depuis quelques années, les choses se compliquent un peu, et on a tendance à relever, à faire monter le niveau décisionnel, soit au niveau du gouvernement, même au niveau politique, et je crois que ce n'est pas la bonne façon de faire. C'est justement la façon de tout bazarder, si on veut continuer de cette façon-là, parce qu'on décourage les gens. Il ne faut surtout pas décourager les communautés locales. C'est elles qui sont nos premiers atouts, si on veut, pour la conservation du patrimoine religieux.

M. Demers (Clément): On ne traitera pas de la question de la propriété parce que je pense que ça va revenir pendant la période de questions puis c'est un aspect assez important, la propriété de ces biens religieux puis comment on doit la considérer dans l'avenir.

Maintenant, la fondation, pendant ses années de fonctionnement, a aussi connu des problèmes quant aux modalités de financement. Bon, la fondation a bénéficié de fonds publics importants qui sont des fonds qui ont été remis toujours assez tardivement en cours d'année, ce qui fait que c'était très difficile d'organiser les chantiers, parce que l'argent arrivait très tard, et finalement commencer un chantier quand l'hiver commence, ce n'est pas la meilleure période. D'abord, c'est plus cher. Il faut comprendre que les entrepreneurs, dans le domaine de la construction, garnissent leur carnet de commandes dès le mois de janvier, février. Si vous arrivez en appel d'offres auprès d'eux aux mois d'avril, mai, juin ou, pire, aux mois de septembre, octobre, novembre, leur carnet de commandes est déjà rempli, alors tous les projets qu'ils prennent, il faut que ça rapporte beaucoup en termes de profits. Donc, on a toujours connu cette difficulté d'avoir l'argent au bon moment pour que ce soit efficace.

L'autre problème qu'on a rencontré, c'est qu'on n'avait pas de budget triennal, c'était difficile de planifier. Vous savez, quand on doit répartir l'argent dans l'ensemble de la province, on ne peut pas donner tout à une église ou à un secteur, même si la toiture peut prendre trois ans de travaux, et on ne peut pas dire à quelqu'un: Vous ferez, par exemple, le tiers de votre toiture et puis vous reviendrez l'année prochaine, s'il y a de l'argent, vous ferez l'autre tiers. Alors, cette impossibilité d'être capable de prévoir l'avenir a rendu aussi complexes les travaux qui étaient à réaliser.

Il reste beaucoup de choses à réaliser, vous le verrez dans les pages 8 et 9, je n'insisterai pas là-dessus, mais peut-être un problème un peu particulier de la nature du financement. Vous savez, le financement qu'on a reçu, c'était un financement qui était amorti par service de dette par le gouvernement sur une période de 20 ans, ce qui voulait dire que toutes les sommes devaient être consacrées aux immobilisations, ce qui a empêché et la fondation et... de faire de la recherche. Vous savez que la question de l'inventaire, ça faisait quand même 10 ans qu'on en parlait. Il n'y a pas non plus un inventaire sur l'état de santé des bâtiments. On ne connaît pas véritablement leur valeur patrimoniale, mais on ne connaît pas non plus l'état de santé et quels seraient les coûts réels pour maintenir cette collection à très grande valeur patrimoniale.

Alors, si on conclut, je pense que c'est ce que vous retrouverez en page 10, mais, grosso modo je pense que la tendance actuelle est de considérer le patrimoine religieux comme un passif parce que c'est lourd à porter. C'est lourd à porter pour les communautés, c'est lourd à porter pour les paroisses, c'est lourd à porter pour le gouvernement à cause des subventions importantes qui ont été consacrées. Je pense que c'est une vision peut-être très actuelle de la situation, mais ce n'est pas nécessairement une vision qui est projetée vers l'avenir. Parce que c'est aussi un très grand actif. Le patrimoine religieux du Québec, c'est peut-être une des collections les plus intéressantes et une des plus originales qui existent dans le domaine, en Amérique du Nord, et je pense que toujours le considérer comme un passif, à vouloir... à réduire ce passif-là en éliminant le plus possible d'éléments... et on reconnaît qu'il y en a qui doivent être sacrifiés, mais je pense qu'il faut d'abord et avant tout le voir de façon positive et se garder toutes les options ouvertes. On doit aussi ensuite baser nos choix sur des critères de sélection qui sont sérieux, qui sont très professionnels puis qui répondent aux pratiques internationales dans le domaine.

n(16 h 20)n

On doit être aussi très prudents, parce que les décisions qu'on prend aujourd'hui vont affecter les générations futures. Si on sacrifie trop de bâtiments, on va les priver de peut-être des éléments qui sont majeurs. Il faut continuer la démarche de partenariat qui avait été entreprise il y a 10 ans, il faut peut-être l'élargir auprès des municipalités, auprès de l'entreprise privée. Il faut continuer à privilégier l'approche d'entretien préventif et de décentralisation, qui sera toujours moins coûteuse que d'attendre que le mal devienne plus important puis qu'on soit obligé de revenir en arrière. Il faut optimiser les formules de financement pour les rendre plus efficaces. Il faut aussi augmenter la formation dans le domaine, favoriser la mise en valeur des biens, les faire connaître et aussi avoir un meilleur contrôle de la qualité de nos interventions, et, dans ce contexte-là, je pense qu'on va réussir à avoir une approche plus proactive sur le patrimoine religieux.

Mais, moi, je vous dirais que la situation du patrimoine religieux, c'est une situation très complexe, et il faut se méfier des solutions faciles, c'est-à-dire, à tout problème complexe, malheureusement, les solutions sont très sophistiquées, pour ne pas dire complexes. Il n'y a pas de solution unique pour le patrimoine religieux. Il y a autant de solutions qu'il peut y avoir aussi de bâtiments religieux et de contextes particuliers.

Le Président (M. Brodeur): Merci beaucoup. Nous sommes maintenant à la période d'échange. Premièrement, je vous félicite pour le dépôt de votre mémoire. Vous avez été abondamment cités hier, on vous a cités en exemple, quelques groupes ont parlé de vous. D'ailleurs, je vous ai vus hier à la télé, aux nouvelles.

Vous dites que vous voulez garder toutes les options ouvertes, toutes les options ouvertes concernant le patrimoine religieux, les garder ouvertes le plus longtemps possible. On a parlé beaucoup de temps ce matin. Le temps joue un grand rôle dans la protection de patrimoine religieux, puisque, je crois, il m'apparaît que plus le temps va passer, plus les besoins de restauration ou de recyclage du patrimoine religieux vont être importants.

Il est important, pour nous ? je pense que ça fait partie principalement de notre mandat ? de trouver les meilleures pratiques pour transformer les églises qui seront excédentaires. Vous dites que vous voulez favoriser le culte, mais le culte, j'imagine, ne pourra pas faire partie de toutes les églises que nous devrons conserver. Il y en a d'autres qui devront être transformées en autre chose. Pour vous, quel serait un guide de pratiques à donner à la commission pour permettre la transformation de ces biens, là, en surplus?

M. Demers (Clément): Bien, d'abord, je pense qu'il faut continuer à compter sur le bénévolat et puis l'implication des communautés locales. Vous savez, actuellement, on a comptabilisé l'argent qui a été mis, là, au niveau du gouvernement, mais on n'a jamais comptabilisé les efforts importants consacrés par une quantité de bénévoles pour maintenir leur église. Quand une église reste ouverte au lieu de culte, elle coûte bien moins cher à tout le monde qu'une église qui est désaffectée, lorsqu'elle a une valeur patrimoniale, on s'entend. Si elle est désaffectée, puis elle n'a aucun intérêt, puis elle est démolie, puis elle est vendue, je pense que ce n'est pas un problème. Mais, si elle a une valeur patrimoniale puis elle est désaffectée, elle coûte encore plus cher que si elle était ouverte à un lieu de culte parce qu'il n'y a plus personne. Il faut payer des gardiens, il faut payer du chauffage, elle va se détériorer. S'il faut la restaurer plus tard, ça va coûter encore plus cher. Donc, plus une église reste longtemps ouverte, plus c'est économique.

Pour ça, je pense qu'il faut favoriser le recyclage partiel. C'est une tentative qui a été commencée dans la région de Montréal, qui n'est pas facile parce que je pense que le recyclage partiel, ça implique... Certaines parties du bâtiment sont utilisées à des fins complémentaires qui génèrent des revenus pour réduire le déficit d'opération de l'église. Il y a l'exemple de l'église Wesley, par exemple, qui a été recyclée partiellement. Alors, maintenant il y a deux garderies, il y a de l'entreposage, il y a d'autres fonctions, et, avec les revenus de ces fonctions-là, ça a effacé le déficit d'opération, ce qui permet à l'église de rester ouverte comme lieu de culte sans que ce soit déficitaire.

Donc, plus on va être capable de maintenir les fonctions cultuelles, amener des fonctions complémentaires, plus cet héritage ne sera pas un fardeau pour personne. Donc, je pense qu'il faut être très imaginatif au niveau donc des fonctions complémentaires, qui peuvent être aussi complémentaires, là, dans le temps, pas nécessairement complémentaires dans l'espace, mais... Comme une église qui sert de salle de concert puis qui a des revenus pendant certaines soirées, bien, cette église-là, ça réduit aussi le déficit.

Mais je pense qu'il faut aider aussi ces communautés locales à trouver des fonctions complémentaires. Le gouvernement aussi des fois a des besoins d'espace qui pourraient peut-être aussi se manifester dans des sous-sols d'église, dans des presbytères pour aider à trouver... Il peut y avoir peut-être des CLSC ou des choses comme ça qui pourraient venir compléter les fonctions cultuelles et qui représentent aussi parfois la valeur symbolique de l'église comme lieu communautaire. Si vous prenez un CLSC, bien je pense que ça correspond bien à ce que l'église avait comme image de lieu communautaire. Je pense que ça, c'est une piste de solution qui peut être intéressante.

Le Président (M. Brodeur): M. le député de LaFontaine.

M. Tomassi: Peut-être faire un peu suite à ce que M. l'abbé Turmel faisait mention tantôt, l'aspect spécifique du Québec où est-ce que ce sont les fabriques qui sont propriétaires des églises. Je voulais seulement vous... Si vous n'étiez pas là hier, peut-être relire, dans quelques jours, les galées de l'intervention de Saint-Pierre-Apôtre de Longueuil où est-ce qu'eux aussi étaient propriétaires de leur église, et l'évêché, là, a décidé de la fermer. Alors, même si la fabrique est propriétaire, l'évêque du diocèse peut, par décision, fermer une église et... par décret. Et la Loi sur les fabriques est intéressante. Il y a quatre articles qui disent grosso modo... l'article 2, 13, 18 et 26, le 13 qui dit qu'«une fabrique est une corporation ecclésiastique dont l'objet est d'acquérir, de posséder, de détenir et d'administrer des biens». 18 qui dit: «Toute fabrique a les pouvoirs, droits et privilèges des corporations ecclésiastiques; elle peut spécialement pour ses fins [...] acquérir, établir, ériger...» Alors «elle peut». L'article 26 qui dit: «Toute fabrique doit [au] préalablement [être] spécialement autorisée par l'évêque» de faire ces biens-là. Et l'article 2, qui est celui le plus important, qui dit que «l'évêque d'un diocèse peut, par décret, ériger dans [ce] diocèse des paroisses et des dessertes, les démembrer, les diviser, les supprimer ou les annexer à d'autres paroisses ou dessertes». Alors, on en a...

M. Turmel (Claude): Et avec les unités pastorales. Mais il reste que ça, c'est vrai, ce que vous dites, mais c'est des cas exceptionnels. En général, je pense que les évêques... Hier, Mgr Turcotte a réaffirmé ce principe: la communauté locale... L'évêque souhaite le plus possible de respecter les décisions des communautés locales, mais l'intérêt de la Loi des fabriques, c'est quand même... Ça, c'est vrai, ce que vous dites, qu'il peut y avoir... l'évêque peut passer par-dessus, mais ce n'est pas monnaie courante. Ce qui est monnaie courante, c'est que les fabriques sont vraiment décisionnelles et font partie du premier niveau de décision.

M. Tomassi: Seriez-vous d'accord que le législateur modifie la Loi sur les fabriques pour qu'on éclaircisse ces articles de loi là? Si vous dites: C'est une fois sur x nombre de fois, là, c'est très rare qu'on l'utilise, est-ce qu'on pourrait modifier cette loi-là pour dire que les gens du milieu aient un mot à dire, si l'évêque décide, demain matin, de fermer une église ou non?

M. Turmel (Claude): ...sur cette décision-là. Ça, c'est un peu compliqué. Je pense que c'est plutôt à discuter avec les évêques. C'est embêtant de donner un avis carré de mon côté.

Seulement, on est ici pour parler du patrimoine religieux, et ce qui est important, c'est le patrimoine religieux. Si, à un niveau de décision... Vous savez, pour que ça marche, la conservation du patrimoine religieux, il faut que les quatre niveaux soient collaborateurs. Le niveau politique, vous le connaissez plus que moi. Le niveau des fonctionnaires, si les fonctionnaires ne collaborent pas puis compliquent les affaires, ça ne fonctionne pas. Le niveau des administrations diocésaines, si au niveau du diocèse on n'a pas une réelle volonté de garder le patrimoine, et on n'a pas une honnête volonté de garder le patrimoine, et puis que c'est simplement une source de revenus, ça ne fonctionne pas non plus. Au niveau local, c'est plus facile. Moi, ça fait 35 ans que je travaille avec les paroisses. En général, on trouve un grand intérêt à conserver le patrimoine local. Je pense que c'est surtout sur ces communautés-là qu'il faut tabler.

n(16 h 30)n

Maintenant, si jamais, au niveau des administrations diocésaines, on n'est pas intéressé au patrimoine, la collectivité générale du Québec a un devoir de conserver le patrimoine et de trouver les moyens pour empêcher que ces mauvaises volontés ne fonctionnent pas, quoi, ou plutôt fonctionnent trop.

M. Tomassi: Vous auriez fait un bon politicien, M. Turmel.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Turmel (Claude): Je n'ai pas saisi.

M. Tomassi: Vous auriez fait un bon politicien. Mais, peut-être pour revenir à un autre dossier, tantôt vous nous avez fait mention comme quoi l'inventaire qui avait été fait par la fondation n'est pas un inventaire que vous trouvez juste, sur l'aspect patrimonial...

M. Turmel (Claude): ...des données est correcte, est très, très correcte. Maintenant, sur le plan de l'analyse, c'est inégal. C'est-à-dire, les agents, là, qui.. Ça peut être inégal, suivant la compétence des uns et des autres. Mais, sur la hiérarchisation au niveau régional, qui a été faite avec une méthodologie que je trouve, moi, tout à fait pas correcte, qui ne tient pas non plus au niveau international, eh bien, c'est là que ça pèche à mon sens et c'est là que c'est à reprendre. On ne reprend pas tout, pas toute la cueillette des données. Les informations sur chacune des églises sont intéressantes, mais il ne faut pas... À mon sens, les résultats donnés avec cette mathématique, là, A plus A plus B donne B, B plus B plus B donne D, ça ne rime à rien du tout à mon sens et c'est inacceptable, même.

M. Tomassi: Oui, je vous comprends, mais je voulais vous apporter sur le dossier, là, du mémoire qui a été déposé ici, tantôt, par M. Noppen et Mme Morisset qui, eux, prétendent qu'on devrait fermer 60 % des églises et en garder 40 % d'ouvertes. À votre connaissance... Peut-être que vous n'êtes pas d'accord avec les chiffres du 60-40, mais est-ce que, dans leur vision qu'ils ont de dire: Il faut garder ceux qui ont une valeur patrimoniale et, les autres, il va falloir les fermer, là... Ce n'est pas vrai que, même pour le culte, là, dans une région comme Hochelaga-Maisonneuve où est-ce qu'il y a une église, là, je ne dirai pas à chaque coin de rue mais presque... Puis ça, c'est... Historiquement, là, c'était correct, c'était normal, mais ce n'est pas vrai que toutes les églises vont être remplies pour le culte. Alors, est-ce que la vision que Noppen et Morisset font, où est-ce que, disons... prenons... Je comprends, là, que, le patrimoine, la définition peut-être est correcte, mais l'inventaire qu'on en fait... Des fois, une classification a été mal faite, puis c'est à refaire, je vous comprends, mais est-ce que vous êtes d'accord avec cette vision-là de dire: Il va falloir garder celles qu'on dit qu'elles ont un certain patrimoine et, les autres, il va falloir les vendre?

M. Turmel (Claude): ...ne correspond pas nécessairement au... géographiquement. Les églises à forte valeur patrimoniale sont souvent concentrées dans les centres-villes, mais c'est là que le problème se pose surtout. J'estime à peu près qu'il y a peut-être 50 % des églises qui n'ont pas grand intérêt patrimonial, mais il y a un intérêt local ou communautaire. Ça, à ce moment-là, on pourrait se rejoindre, si vous voulez. Et évidemment le fait de se défaire d'églises non patrimoniales ? et on a eu beaucoup de cas ici, à Montréal ? ça ne cause pas de grands remous, comme on dit, mais le problème, c'est les églises patrimoniales, et souvent elles sont concentrées. Alors, c'est là que chaque cas doit être considéré très, très précisément. C'est sûr qu'on ne remplit pas toutes les églises patrimoniales d'Hochelaga-Maisonneuve, mais il se fait un énorme effort dans chacune de ces communautés-là, et je pense qu'au lieu de les décourager, si on les encourageait, on arriverait peut-être à faire quelque chose, à améliorer, puis à aider, puis à conserver beaucoup plus de patrimoine que si on décourage les communautés locales.

Maintenant, les communautés locales, c'est à mon sens la meilleure chance pour que ça coûte le moins cher et que ce soit le... qu'on arrive à sauver le plus possible de bâtiments parce qu'il y a une expertise au niveau local. Ça fait des siècles même, au Québec, que ces communautés locales construisent des églises. Il y a une administration qui se fait au niveau des fabriques. C'est sûr qu'elles n'ont pas, les fabriques seules, les compétences qu'il faut pour s'occuper d'un patrimoine. Seulement, aidées par les professionnels... Parce que, chaque fois qu'il y a des travaux, il y a des professionnels d'engagés. Il y a des professionnels au niveau diocésain, il y a des tables régionales aussi, il y a des professionnels, on fait souvent les réunions sur place. Et, aidées aussi par les professionnels du ministère de la Culture et des Communications qui, dans bien des cas, a rendu beaucoup de services, je pense qu'avec ça on arrive à faire des travaux qui sont bien plus intéressants, qui coûtent énormément moins cher que si c'était fait par un organisme public. N'est-ce pas, M. Demers?

M. Demers (Clément): Bien, c'est sûr que, dans toute la théorie, là, de maintenir une partie puis de sacrifier l'autre partie... Vous dites: Maintenir 60, sacrifier 40, ou...

M. Tomassi: Noppen et Morisset disaient, ce matin...

Une voix: L'inverse.

M. Demers (Clément): Bon, O.K., garder 40...

M. Tomassi: ...en départir 60, on en garde 40. M. Turmel me dit 50-50. On n'est pas loin, là.

M. Demers (Clément): De toute façon, ce n'est pas...

M. Tomassi: Vous êtes conscients, vous aussi, qu'il y a un certain nombre d'églises qu'on ne pourra pas garder, là.

M. Demers (Clément): Oui. La seule chose, c'est que souvent, dans cette approche-là, on dit: On va vendre une partie des églises puis, avec l'argent, on va maintenir les autres. Vous savez que, si vous vendez une église patrimoniale, même si elle a moins de valeur patrimoniale qu'une église, par exemple, remarquable, vous allez poser certaines contraintes à l'acheteur. Si vous dites: Vous gardez l'enveloppe extérieure, vous gardez une partie du décor intérieur et... Plus vous posez de contraintes à l'acheteur, moins la propriété a de la valeur, hein? Et à la limite, si vous posez beaucoup de contraintes, la propriété a une valeur négative. Alors, je pense que de penser que ça va être une source de financement... Parce que ça a souvent été présenté comme une source de financement pour maintenir le reste. Je pense que ça peut être de l'utopie, ça, de le penser de cette façon-là.

M. Tomassi: Si on les vend parce qu'elles n'ont pas de valeur patrimoniale, je ne verrais pas pourquoi le ministère de la Culture mettrait une liste...

M. Demers (Clément): Oui, mais là vous avez donné l'exemple de quartiers de Montréal où il y a beaucoup d'églises dans le même quartier. Mais vous savez que, dans ces quartiers-là, la plupart des églises ont toutes une valeur patrimoniale.

M. Tomassi: Elles ne feront pas partie du 50 % qu'on va se départir?

M. Demers (Clément): Bien, j'ai hâte de le voir, le 50 %.

M. Tomassi: Non, mais je vous dis, là...

M. Demers (Clément): Non, mais c'est ça, souvent, la question, c'est qu'on n'a pas l'inventaire. On parle qu'on n'a pas d'inventaire vraiment, là, fiable. On parle, on lance des chiffres, et il n'y a personne qui est capable de dire: On va présenter un diaporama des 50 % qu'on sacrifie. J'ai hâte de le voir, moi, le diaporama des 50 % qu'on sacrifie, puis là on parlera sérieusement. Mais là il n'y a personne qui l'a jamais fait, ça. Alors, pour le moment, ça reste des discours où on dit: On va prendre une partie, on va la vendre puis avec ça on va financer le reste. Si, par exemple, le 50 % qui n'a pas de valeur patrimoniale est sur des sites qui n'ont pas de valeur immobilière en plus de ça, où il n'y a pas de marché...

M. Tomassi: D'habitude...

M. Demers (Clément): On ne le sait pas non plus.

M. Tomassi: ...dans le temps de la construction des églises, ils ont pris de beaux terrains.

M. Demers (Clément): Bien, pas dans... Ce n'est pas nécessairement dans tous les quartiers puis dans tous les villages, là.

M. Tomassi: La majeure partie.

M. Demers (Clément): Ce n'est pas toujours le cas. Alors, c'est pour ça que je pense qu'avant de lancer cette hypothèse-là je pense qu'il faudrait avoir un véritable inventaire et puis qu'on essaie de s'entendre sur c'est quoi, une valeur patrimoniale, puis qu'est-ce qu'on garde véritablement. Et il peut arriver aussi qu'une valeur patrimoniale au niveau de la province... localement, les gens veuillent se battre pour garder cette église-là parce que ça a une valeur symbolique pour eux. Ne serait-ce que la présence du clocher dans le décor, ou dans la perspective d'une rue, ou dans le village, pour des gens, ça a une grande valeur, et je pense que ça non plus, on ne doit pas le tasser du revers de la main. Alors, c'est pour ça que, quand il y aura un inventaire complet, on la fera, la présentation des églises qui pourraient être sacrifiées pour que les gens en discutent, pour regarder qu'est-ce que ça pourrait générer comme valeur, puis je pense qu'on n'arrivera pas nécessairement aux mêmes conclusions.

Le Président (M. Brodeur): Mme la députée de Pointe-aux-Trembles.

Une voix: La cloche sonne.

Le Président (M. Brodeur): Il y a quelque chose qui cloche.

Une voix: Deo gratias.

Mme Léger: C'est le contraire, on a de l'illumination, ce n'est pas quelque chose qui cloche.

Alors, bonjour, M. Turmel. Bonjour, M. Demers.

M. Turmel (Claude): Écoutez, Mme Nicole Léger, c'était une blague. Dans les églises, il y a toujours quelque chose qui cloche.

Mme Léger: Je vous remercie d'être là, de nous présenter votre mémoire, aussi d'avoir participé aux travaux de la politique dans le fond de tout ce qui touche le patrimoine religieux. On vous a gardés pour le dessert parce qu'on termine avec vous, aujourd'hui, de nos deux jours dans le fond de consultation à Montréal. Parce qu'on s'en va à travers le Québec, hein, vous le savez. On s'en va à Gatineau, on s'en va à Sherbrooke, Trois-Rivières, Rimouski, Saguenay. Alors, on fait au moins six régions, là, tel quel.

Et je vous entends parler, tout à l'heure, M. Demers... Effectivement, 50-50, 60-40, je pense qu'on voudrait tout garder le patrimoine religieux du Québec, à travers tout ça, mais on est rendus là, aujourd'hui, en sachant autant qu'il va y avoir des problèmes financiers, autant tout l'impact du patrimoine religieux et toute la... je pourrais dire, les prochaines années qui viendront puis les capacités que la société peut conserver puis préserver son patrimoine...

n(16 h 40)n

Il y a des... Tout l'aspect symbolique, pour moi, est bien important aussi parce que toutes les communautés locales... On aurait beau prendre une décision d'une initiative nationale, il reste quand même qu'on sous-estime parfois la capacité des citoyens de proposer en tout cas certains projets par rapport à leur patrimoine. Sauf que je me pose la question. J'entends tout le monde dire: Un peu, beaucoup, pas beaucoup, le patrimonial, là. C'est quoi, une église à valeur patrimoniale, pour vous? Parce que vous dites: Il y en a qui sont beaucoup patrimoniales, même remarquables, d'autres, très peu, d'autres... Alors, quel est le critère principal que M. Demers peut nous dire sur c'est quoi, une église à valeur patrimoniale?

M. Demers (Clément): On les a indiqués dans notre mémoire, là, en page 3. Je pense qu'on y revient aussi ailleurs puis je pense aussi qu'il y a une quantité d'experts qui peuvent être là pour le déterminer. C'est pour ça que c'est important d'avoir un bon inventaire pour être capable de reconnaître officiellement les valeurs patrimoniales de ces biens-là puis effectivement d'être capable de faire une bonne hiérarchisation de ces valeurs patrimoniales. Moi, je suis tout à fait d'accord avec vous que c'est important de le faire.

Mme Léger: Mais une église qui n'est pas à valeur patrimoniale prend le bord tout de suite, là?

M. Demers (Clément): Bien, ça ne veut pas dire nécessairement qu'elle prend le bord tout de suite. C'est que, des fois... Et puis peut-être que c'est une église qui est très facile à recycler pour certaines fins, par exemple, tandis que la même église, si elle avait eu une valeur patrimoniale à cause de sa structure, à cause de sa typologie, aurait été difficile à recycler.

Le problème qui se pose actuellement, c'est qu'il y a trop de bâtiments qui vont venir trop vite sur le marché, alors, là, on n'a pas le temps de trouver des bonnes idées. Quand il y avait un bâtiment chaque année, à tous les deux ans, alors on était capable de trouver des idées, et le marché aussi pouvait s'adapter, peut-être pouvait trouver des solutions, mais, s'il en arrive 15 par année parce que tout le monde veut s'en délester, bien, là, ça va être difficile de trouver des solutions, puis là on va prendre des décisions très rapidement et qui vont amener soit des transformations radicales, comme Saint-Jean-de-la-Croix, où on transforme une église en condominiums ? puis là on laisse le problème d'ailleurs aux acheteurs de condos pour les années futures, quand ils auront à refaire le toit ou refaire le clocher; ça va être intéressant, pour eux, quand ils vont avoir à payer pour ça ? ou on les démolit. Alors que, si on arrive à avoir une bonne hiérarchisation, on dit: Bien, voici les églises qu'il faut conserver absolument, voici celles qu'on devrait recycler ou réutiliser, en tout ou en partie, mais l'intérieur pourrait être sacrifié, peut-être à certaines conditions, voici celles qui pourraient être démolies et vendues, bien là au moins on va connaître l'ampleur du problème.

Mme Léger: Je voyais, dans le journal de l'Université du Québec, publié en avril, là, un article de Marie-Claude Bourdon. Elle commençait son article avec: «Les fidèles se font rares, les prêtres partent à la retraite et le toit coule dans les églises du Québec.» Vous, vous commencez en disant qu'il ne faut pas trop être alarmiste. Ça dépend comment on voit les choses.

Mais vous avez été membres fondateurs, tous les deux, de la Fondation du patrimoine religieux. Comment vous voyez, là, cet organisme-là aujourd'hui? Quel est le rôle qu'elle peut avoir d'une façon en tout cas plus particulière, avec tout le cheminement, là, sur le patrimoine et où on en est rendu aujourd'hui?

M. Turmel (Claude): Moi, je pense que la fondation a rendu d'énormes services jusqu'à maintenant parce qu'il y aurait certainement des dizaines d'églises qui ne seraient plus là si la fondation n'avait pas existé, hein? Je pourrais vous en nommer plusieurs: Sainte-Cunégonde, Saint-Jean-Baptiste, les deux Saint-Jean-Baptiste, Québec et Montréal, Saint-Léon de Maskinongé, qui est un chef d'oeuvre, et ça ne serait plus là, et St. James United Church non plus ne serait plus là, hein, et ça, c'est vrai à travers la province. Donc, ça a rendu d'énormes services.

Il y a encore beaucoup de choses à faire, mais c'est comme la santé. On met 20 milliards par année sur la santé, et puis il y a encore des malades. Il y a quelque chose qui ne marche pas là-dedans. Alors, on nous dit parfois: C'est 135 millions que l'État met dans les églises, puis il y a encore des problèmes. Bien oui, mais ça... C'est le même raisonnement.

Mais, moi, je pense que si... Personnellement, je trouve que la formule de la Fondation du patrimoine religieux est toujours valable parce qu'elle a créé énormément d'enthousiasme ? je pense que les anglicans, hier, vous ont dit le même message; elle a créé énormément d'enthousiasme ? à travers tout le Québec et de sensibilisation. Beaucoup de communautés qui ne savaient pas ce que c'était que du patrimoine religieux, puis de l'architecture religieuse, et le respect du patrimoine religieux l'ont appris à cause de ce programme parce qu'il impose des exigences. Il y a des professionnels dans chaque cas, il y a une discussion avec les gens de la table régionale. Donc, il y a eu une sensibilisation formidable qui a été faite.

Seulement, c'est le fonctionnement. Actuellement, ça ne fonctionne pas parce que c'est trop compliqué. Comme disait M. Peter Hannen, hier, c'est du byzantinisme. Vous savez, le mécanisme devient de plus en plus compliqué d'une année à l'autre. Il faut revenir à une formule simple pour s'adapter à des bénévoles. Partout ce sont des bénévoles, y compris au niveau des administrations diocésaines, et avec ça je pense qu'on pourrait faire énormément de chemin.

Je n'estime pas que ça prend des sommes énormes pour sauver l'ensemble du patrimoine religieux. On a eu à peu près une moyenne de 20 millions par année depuis 1995 jusqu'en 2003. Ça me semble suffisant pour encore un bon nombre d'années, mais à la condition qu'on puisse compter là-dessus pour faire des travaux d'entretien, c'est-à-dire d'entretien restauration, là, plutôt que d'attendre que tout tombe et puis qu'on recommence à zéro, ce qui coûte quatre, cinq fois plus cher que si on fait des entretiens normaux.

Alors, à mon sens, personnellement, je trouve que la fondation est toujours valable. Et on peut discuter. S'il y a des transformations à y apporter, ça, la fondation n'est sûrement pas fermée à ça, mais la formule comme telle, je pense qu'elle est toujours valable.

Je ne sais pas qu'est-ce que vous... Vous avez quelque chose à ajouter?

M. Demers (Clément): Moi, je dirais que peut-être l'esprit de partenariat du début s'est peut-être transformé. C'est comme si la fondation était une autre entité complètement puis que le gouvernement formait une autre partie. Mais, au départ, c'était un partenariat très bien soudé, là, entre la fondation, puis le gouvernement, puis le ministère. J'ai l'impression qu'avec le temps ça s'est un peu comme séparé, puis ça, je pense que ça peut réduire l'efficacité. Ça peut réduire aussi la motivation des gens, puis ça, ça peut avoir un impact négatif à long terme.

Mais je pense que c'est une formule qui était très originale, qui est reconnue, je pense, à travers le monde même comme formule originale. Elle pourrait être plus efficace si les sommes d'argent étaient déclarées de façon plus claire, de façon triennale. Que les sommes soient aussi versées au bon moment pour que les chantiers coûtent moins cher, soient mieux organisés. Qu'il y ait de l'argent aussi qui soit consacré pas seulement aux immobilisations, mais à la formation, à la diffusion pour mieux faire connaître ce patrimoine.

Et, quand on dit que ça a coûté 130 millions, je pense qu'il faut aussi reconnaître que c'est de l'argent qui a été distribué partout, dans toutes les régions du Québec. C'est beaucoup, beaucoup de main-d'oeuvre. La restauration, c'est beaucoup de main-d'oeuvre, c'est beaucoup de travail artisanal. Ce n'est pas énormément de machinerie comme des routes où c'est beaucoup de machinerie, peu de main-d'oeuvre. Là, c'est énormément de main-d'oeuvre. C'est beaucoup de retours aussi d'impôt pour le gouvernement en parafiscalité puis en fiscalité directe. C'est beaucoup d'implication localement. Il y a au moins 35 % de l'argent qui venait des communautés locales, sans compter aussi d'autres sommes qui ont pu être mises, à l'occasion, par les municipalités pour embellir le secteur autour de l'église, localement.

Alors, il ne faut pas voir ça strictement comme une dépense. Je pense qu'il faut le voir aussi comme un investissement collectif dans un patrimoine qui a une grande valeur, qui, sur le plan touristique, un jour, va être reconnu comme étant exceptionnel et qui va amener aussi des gens en région, comme ça se passe ailleurs aussi en Europe, là. Je pense qu'on... Comme je le disais tout à l'heure, on le voit trop comme un passif et pas assez comme un actif.

Mme Léger: Oui. En terminant, à part de dire que j'ai apprécié et dire merci à tous les gens qui ont été ici aussi depuis deux jours, qui ont suivi les travaux d'une façon très impliquée, là, et toute l'équipe, là, qui a donné un coup de main, de la commission et toute votre équipe, M. le Président, mon collègue de LaFontaine va apprécier, je pense, ma dernière question.

Vous avez parlé des quatre paliers, M. Turmel, tout à l'heure, là: autant politique, l'administration, les fonctionnaires bon ecclésiastiques et locaux. Les municipalités dans ça, est-ce que pour vous ça fait partie de l'administration au sens large? La ville de Montréal est venue ce matin. On a senti un peu le malaise de la municipalité, particulièrement avec la ville, face à cette problématique-là, là, qui nous arrive après plusieurs années, que bon, le patrimoine religieux, il y a quand même des urgences. Alors, comment vous voyez l'implication des municipalités dans toute cette démarche?

M. Turmel (Claude): ...toujours souhaité la présence des municipalités, sur les tables régionales entre autres, mais M. Demers est venu au diocèse, il y a 25 ans de ça, parce qu'on l'avait demandé en tant que représentant au Comité de construction et d'art sacré de la ville de Montréal. C'est comme ça qu'il a commencé à s'impliquer. Mais je pense que la municipalité, au point de vue des organismes, pourrait faire partie et fait partie d'ailleurs... De Montréal, il y a maintenant un représentant. On l'a sollicité depuis le début, d'ailleurs. Les premières années, les personnes qui venaient de la ville de Montréal avaient demandé les responsables...

Mme Léger: Ils font partie de la table décisionnelle?

M. Turmel (Claude): Oui, oui, partie de la table, là, comme les autres membres, comme les membres...

Mme Léger: Non, mais je parle décisionnelle au niveau municipal. Est-ce que c'est un représentant qui peut prendre des décisions au niveau municipal?

n(16 h 50)n

M. Turmel (Claude): Bien, c'était le responsable du service du patrimoine qu'on avait demandé. Actuellement, c'est eux qui sont présents sur la table régionale. Ça devrait être dans chacune des tables régionales. À Montréal, c'est facile parce que la table régionale correspond à l'île de Montréal, l'île Jésus, et c'est tout, tandis que d'autres régions, ça comprend beaucoup, beaucoup de municipalités. Alors, là, c'est les MRC, qu'on appelle, qui pourraient faire partie... et on n'a rien contre ça. Que les municipalités s'impliquent dans le patrimoine religieux, on le souhaite ardemment. Il s'est fait beaucoup, dans Portneuf en particulier, il s'est fait une forte collaboration. Ici aussi, mais seulement les municipalités ne sont pas trop chaudes pour s'impliquer concrètement au patrimoine religieux. Elles ont peur de ça parce que ça veut dire beaucoup d'argent peut-être et elles sont... Mais sinon, que les municipalités soient présentes, c'est essentiel à mon sens, oui.

Le Président (M. Brodeur): Dernière question. Mme la députée de Terrebonne.

Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, merci beaucoup, M. Trudel, M. Demers. Je pense qu'au niveau de la perspective alarmiste, je pense qu'effectivement les Québécoises et les Québécois sont attachés à leur patrimoine religieux, mais cela ne se traduit pas par contre par une utilisation de nos églises pour le culte. C'est deux éléments bien différents. Mais, si on parle de l'attachement à leur patrimoine religieux, je pense que oui. Et on a eu des exemples, ce matin, avec l'Atelier Hochelaga-Maisonneuve, l'implication de la communauté, des organismes pour donner d'autres vocations à l'église ou d'avoir une utilisation mixte, culte et culture, qui est extrêmement intéressante.

Les chiffres que vous avez avancés, je trouve ça intéressant parce que je pense que les deux tendances, très opposées, là, ça se ressemble beaucoup au niveau des chiffres. Vous avez reçu chaque année... c'était autour d'à peu près 20 millions, qu'on disait. La proposition du rapport de M. Noppen et de Mme Morisset, on dit: Il devrait y avoir un moratoire de quatre ans, et on devrait investir bon 5 millions par année, puis par la suite ça reviendrait à 30 millions par année. Donc, les chiffres, ça se ressemble quand même passablement.

Là où ça devient extrêmement difficile... Puis, le fait d'avoir une approche préventive, je pense que personne ne peut contester... Là où ça devient très compliqué, c'est dans le véritable partenariat. Oui, c'est important que les municipalités s'impliquent, mais les municipalités habituellement s'impliquent lorsqu'elles sont propriétaires d'un édifice. Quand elles ne sont pas propriétaires d'un édifice, l'implication est plus difficile. Donc, votre vision du fait que le fait que les églises soient la propriété des fabriques, c'est un avantage au niveau du Québec vient carrément en confrontation avec l'autre vision qui dit que la propriété devrait être une propriété de la société civile pour qu'il y ait une implication de l'ensemble des partenaires. Et je pense que c'est vraiment là, c'est le coeur du débat, beaucoup plus que du côté des montants à investir parce que ça semble se ressembler passablement.

Est-ce que vous êtes en accord avec un moratoire pour se donner du temps, pour mettre en place une table de concertation où l'ensemble des partenaires seraient là pour essayer de travailler sur ce noeud du problème là et finalement la propriété, ce qui ferait en sorte qu'on pourrait trouver les véritables solutions parce que c'est là que ça semble accrocher?

M. Turmel (Claude): Moi, je pourrais répondre, si vous voulez.

M. Demers (Clément): Puis moi aussi.

M. Turmel (Claude): Moi, je pense qu'un moratoire, c'est reporter le problème, et entre-temps on va avoir des problèmes très lourds, extrêmement lourds, qui ne peuvent pas attendre, hein? C'est comme un diagnostic de cancer, hein? Ça ne peut pas attendre des années. Il y a quelques bâtiments qui sont à ce niveau-là, hein? Alors, non, je pense qu'un moratoire, ce n'est pas possible.

Maintenant, si la propriété devient publique, qui va s'occuper du chauffage, puis tout ça? Ça va coûter une somme énorme, alors qu'actuellement tout l'entretien... Les sommes du gouvernement n'ont servi qu'aux travaux de restauration, c'est-à-dire des bâtiments eux-mêmes, jamais pour autre chose, tandis que les paroisses s'occupent, eux autres, des budgets d'entretien, c'est-à-dire le chauffage, l'électricité, les assurances, les salaires, et tout. C'est beaucoup d'argent, vous savez, dans l'ensemble du Québec. Moi, je pense que... on n'a pas les chiffres là, mais j'estime que ce serait entre 700 millions et 1 milliard de dollars, les budgets d'entretien, tout ça, là, pour l'ensemble du Québec. C'est beaucoup d'efforts de la part des communautés locales, pour toutes les paroisses, j'entends, y compris les communautés non catholiques, hein? Et, là-dessus, Notre-Dame, c'est 19 millions, y compris le cimetière, 19 millions de budget annuel. Je ne sais pas, moi, une synagogue de Westmount, c'est 9 millions. Alors, tout ça, ça fait autour...

Mme Caron: Là, vous êtes bien conscient que, souvent, elles veulent fermer parce qu'elle ne peuvent plus entretenir.

M. Turmel (Claude): Oui, mais elles paient le chauffage, il y a tout le bénévolat.

Mme Caron: Mais elles ne sont plus capables de le faire. C'est pour ça qu'elles veulent fermer souvent aussi.

M. Demers (Clément): Mais, si ça devient un bien municipal ou ça devient un bien d'État, ça ne coûtera pas moins cher. Juste la gestion, les frais de gestion, là, par n'importe quel organisme public, juste les salaires payés, là, dans la fonction publique par rapport à des salaires payés, là, dans les communautés locales, ça n'a rien à voir. Ça n'a strictement... Vous parlez du simple au double, pour ne pas dire du simple au triple, en termes de frais de gestion. Tant que ça va rester propriété des fabriques, ça va coûter bien moins cher à exploiter que de le donner au public.

Mme Caron: Mais vous ne modifierez pas les vocations.

M. Demers (Clément): Pardon?

Mme Caron: Mais vous ne modifierez pas les vocations.

M. Demers (Clément): Non, non, mais, à partir du moment où la vocation est modifiée, c'est sûr que de toute façon ça ne reste plus à la fabrique, là. À partir du moment où l'église est fermée puis elle change de vocation, on comprend que ce n'est plus la fabrique. Mais, pour maintenir les bâtiments, je pense qu'actuellement le coût le moindre, c'est...

Et je dirais peut-être qu'il y a un moratoire à faire avant de fermer trop d'églises: c'est réduire la fermeture d'églises parce que toutes les églises qui restent ouvertes actuellement, même si ça crée certains déficits d'opération... ils sont toujours moins grands que de laisser une église fermée, avec absolument personne qui s'en occupe, parce que, là, il y a détérioration, il y a des coûts supplémentaires, et il faut la chauffer quand même, hein? Vous ne pouvez pas dire que vous ne pouvez pas vous en occuper.

Mme Caron: ...la proposition de Mgr Turcotte à l'effet d'un moratoire.

M. Demers (Clément): C'est-à-dire qu'un moratoire sur...

Mme Caron: Pour la fermeture d'églises, ça, vous êtes en accord. Pas de fermeture d'églises, vous êtes d'accord?

M. Demers (Clément): C'est-à-dire... parce que plus on en ferme, plus on accumule des bâtiments fermés, plus on grossit le problème.

Mme Caron: Tout à fait. Donc, vous êtes d'accord avec le moratoire?

M. Demers (Clément): C'est ça. Mais pas le moratoire pour dire: Il faut cesser d'investir dans de la restauration ou dans de l'entretien préventif de bâtiments qui ont une valeur patrimoniale. C'est ça.

Mme Caron: Non, non, ça, c'était clair, ça. C'était clair. Merci.

Le Président (M. Brodeur): Merci beaucoup. Merci, MM. Turmel et Demers, de vous être déplacés pour nous fournir votre savoir. Je désire également remercier tous les gens qui ont assisté assidûment aux travaux de la commission.

En ce qui concerne nos travaux, j'ajourne nos travaux à demain matin, 9 h 30, au Parlement, pour les consultations sur le projet de loi n° 86. Et, quant aux autres consultations, nous allons nous retrouver à 9 h 30 au Palais des congrès de Gatineau alors que la commission poursuivra ses auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le patrimoine religieux du Québec, la semaine prochaine. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 17 heures)


Document(s) associé(s) à la séance