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Version finale

32e législature, 4e session
(23 mars 1983 au 20 juin 1984)

Le mercredi 2 novembre 1983 - Vol. 27 N° 160

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes sur la Charte de la langue française


Journal des débats

 

(Dix heures huit minutes)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente des communautés culturelles et de l'immigration se réunit aux fins de poursuivre l'audition des mémoires et d'entendre tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française.

Les membres de cette commission sont: M. Lincoln (Nelligan), M. Dupré (Saint-Hyacinthe), M. de Bellefeuille (Deux-Montagnes), M. Fallu (Groulx), M. Godin (Mercier), M. Gratton (Gatineau), Mme Lachapelle (Dorion), M. Laplante (Bourassa), M. Leduc (Fabre), M. Ciaccia (Mont-Royal) et Mme Bacon (Chomedey).

Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Ryan (Argenteuil), M. Brouillet (Chauveau), M. Dean (Prévost), M. Gauthier (Robervai), M. Fortier (Outremont), M. Payne (Vachon), M. Sirros (Laurier) et M. Marx (D'Arcy McGee). Le rapporteur de cette commission est M. Laplante, député de Bourassa.

Aujourd'hui, nous avons à l'ordre du jour cinq intervenants. Nous allons commencer par la Fédération des travailleurs du Québec; suivront ensuite la Société nationale des Québécois de l'Outaouais, la Commission des droits de la personne, Mme Thérèse Baron et M. Maurice Champagne-Gilbert et l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences.

J'invite immédiatement les porte-parole de la Fédération des travailleurs du Québec à prendre place à la table.

M. Marx: M. le Président...

Le Président (M. Gagnon): Oui, M. le député de D'Arcy McGee.

Dépôt d'amendements et de documents

M. Gratton: Si le député de D'Arcy McGee me le permet, avant que l'on entende nos invités de la FTQ, j'aimerais faire valoir à l'attention du ministre ce que nous entendions, hier soir et ce matin, au bulletin de nouvelles, à savoir que le ministre saisirait le cabinet cette semaine des amendements qu'il entend recommander à l'adoption ou à l'étude de l'Assemblée nationale, à la reprise le 15 novembre. Le premier ministre lui-même disait, hier soir:

Effectivement, le ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration saisira le cabinet avant la fin de cette semaine des amendements qu'il entend suggérer à la loi 101.

Je reviens là-dessus puisqu'il nous semble un peu incongru que le gouvernement soit déjà en train de statuer sur les amendements qu'il entend proposer à l'Assemblée nationale au moment où, justement, une commission parlementaire est chargée d'entendre les représentations d'un bon nombre de groupes - et non les moindres, on le voit avec la FTQ ce matin - et qu'il nous reste à écouter plus de la moitié des organismes désirant se faire entendre. Je voudrais bien donner l'occasion au ministre, en soulevant cette question dès cet instant, de nous décrire le processus qu'il entend suivre. On sait qu'il nous a déjà dit, dès le 18 octobre, qu'il connaissait pas mal les amendements qu'il proposerait au gouvernement. Mais est-ce qu'on va être ici cette semaine strictement pour la frime ou si effectivement les choses qu'on viendra nous dire de l'autre côté pourront influencer le ministre au point de l'amener à réviser les représentations qu'il entend faire au cabinet?

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: Le député de Gatineau a bien dit que la moitié des mémoires avaient été entendus, que la moitié des groupes avaient été entendus. Je lui dirai que la moitié de mon rapport est entré au Conseil des ministres effectivement. Hier, j'ai fait le point au Conseil de ministres de la moitié des travaux de la commission et la moitié du rapport verbal a été fait. Le jour où le mémoire sera remis au Conseil des ministres c'est le 9 novembre; c'est donc le jour où mes conclusions, ainsi que celles de la commission de notre côté en tout cas, seront remises au Conseil des ministres à Compton. Est-ce que cela répond à votre question, M. le député de Gatineau?

M. Gratton: Oui. Je comprends que le travail du ministre est fini à moitié. On va souhaiter qu'il le complète un jour ou l'autre.

M. Godin: Avec votre collaboration, n'ayez aucun doute.

M. Gratton: Qui vous est acquise depuis le début, M. le ministre.

M. Godin: Comme la mienne, d'ailleurs.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: M. le Président, le ministre a été bien gentil, il y a une semaine, de déposer une liste des travaux effectués à l'Office de la langue française. Il nous a dit à l'époque, la semaine passée ou il y a deux semaines, que, si nous voulions avoir des copies de ces rapports, ce serait possible. J'aimerais demander au ministre de me fournir, ainsi qu'aux membres de la commission un certain nombre d'études. Je pourrais en donner la liste tout de suite. À la page 1, il y a élaboration des principes d'une politique et d'une méthode de francisation des entreprises, politique de l'office pour la francisation des entreprises, guide d'élaboration des programmes de francisation, guide d'évaluation de l'analyse linguistique. À la page 2, les procédés et méthodes de francisation dans l'entreprise, préparation de protocoles d'entrevues. Troisième rapport: analyse linguistique des petites entreprises, préparation d'un guide d'élaboration. Quatrième rapport, l'OLF, ses pouvoirs, ses rôles, sa place - cela devrait être intéressant. Un autre: évaluation de l'impact des règlements concernant l'affichage public et la publicité commerciale dans la Charte de la langue française. Un autre rapport - je pense que c'est le sixième - analyse linguistique des projets de programmes de francisation et des projets d'ententes particulières pour les sièges sociaux et les laboratoires de recherche. J'en ai deux autres, M. le Président.

M. Godin: Si vous voulez m'excuser, on peut vous remettre la liste complète. On peut vous remettre la pile de tous les documents mentionnés à cette liste au lieu d'en extraire quelques-uns et d'en avoir besoin d'un autre dans six mois pour une autre commission. Nous allons vous remettre la liste complète des travaux.

M. Marx: J'ai la liste. Je veux les travaux.

M. Godin: Je parle des travaux. Quand je pose un geste comme celui-là, je ne réfère pas à une liste, mais à des travaux. Donc, vous aurez la liste complète. Si, par malchance, il y en manquait quelques-uns, je serais disposé à combler les vides qu'il pourrait y avoir dans la livraison.

M. Marx: J'aimerais remercier le ministre. La liste n'est effectivement pas complète. Il manque un document que j'aimerais aussi avoir, c'est le Guide d'interprétation de la loi 101. C'est un guide qui est utilisé à l'office. Je pense que ce serait utile de l'avoir pour les travaux.

M. Godin: D'accord.

M. Marx: Est-ce que le ministre peut nous donner le délai? Est-ce qu'on va avoir ces documents demain, cette semaine ou lundi prochain?

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: Je consulte les gens de l'office qui m'accompagnent et, dès que j'ai leur réponse je vous la transmets. Je leur demande de vous remettre cela avant la fin de la commission, c'est-à-dire avant la fin de la semaine.

M. Marx: Je vois qu'ils en prennent note, merci.

M. Godin: Juste une dernière note à ajouter. Je voudrais m'adresser à mon collègue de Gatineau pour lui dire que la raison pour laquelle j'ai informé mes collègues du déroulement de la moitié des travaux de la commission dès hier, c'est que nous voulons arriver à temps pour déposer la loi à la mi-novembre, tel que prévu dès le début. Donc, nous devons accélérer les travaux. Je pense que, si on avait attendu de remettre le tout seulement le 9 novembre, l'échéance du 15 ou du 16 novembre aurait été à peu près impossible à respecter. D'accord.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Je conviens avec le ministre que les délais sont très courts. Effectivement, il est important et nécessaire que la loi éventuelle qui devrait être adoptée par l'Assemblée nationale le soit avant l'ajournement des fêtes, compte tenu que possiblement certains de ces amendements viendront influer sur certaines dispositions qui devaient entrer en vigueur le 1er janvier 1984. Dans ce contexte, on est loin de reprocher au ministre d'en informer le cabinet. On aurait souhaité que certains des ministres à vocation économique soient présents pour être encore plus complètement informés. Ils n'ont pas choisi de le faire, libre à eux. Ce n'est pas un reproche qu'on formule au ministre. On veut bien s'assurer qu'on n'est pas ici simplement pour tuer le temps et que, si des choses sont dites ici qui peuvent amener le ministre à pousser plus loin la réflexion qu'il a déjà faite jusqu'à maintenant, il n'exclura pas la possibilité d'amener le Conseil des ministres à en

prendre connaissance avant le dépôt du projet de loi.

M. Godin: Soyez-en convaincu, M. le député de Gatineau.

Auditions

Le Président (M. Gagnon): Merci. Là-dessus, j'invite le président de la Fédération des travailleurs du Québec ou M. Fernand Daoust, secrétaire général, à nous présenter les gens qui les accompagnent, ainsi qu'à faire lecture de leur mémoire.

Fédération des travailleurs du Québec

M. Daoust (Fernand): M. le Président, je voudrais, comme vous venez de le mentionner, vous présenter les gens qui m'accompagnent: M. Michel Côté, technicien syndiqué à Bell Canada. Il représente le Syndicat des travailleurs en communications du Canada au comité de francisation de son entreprise depuis le tout début de l'existence d'un tel comité. Il s'agit d'un comité de francisation volontaire puisque Bell Canada n'est pas tenue de se soumettre à la loi 101. À ma gauche, Mme Mona-Josée Gagnon, du service de recherche de la FTQ; M. Jean-Pierre Néron, qui est à ma droite, est président du Conseil du travail de Montréal et aussi membre du comité de francisation d'Aviation Electric. Il est le représentant syndical des travailleurs unis de l'automobile au sein de ce comité de francisation. Enfin, M. Jean Martin du Syndicat canadien des travailleurs du papier, qui est permanent de ce syndicat.

Vous m'avez invité, M. le Président, à lire ce mémoire que vous avez reçu il y a quelques jours. Vous constaterez qu'il est passablement volumineux, 41 pages. Nous souhaiterions plutôt reprendre les principaux éléments de ce mémoire, mais, en tout premier lieu, avec votre permission et la permission des membres de la commission, nous aimerions que ce mémoire soit consigné au procès-verbal des travaux de cette commission.

Le Président (M. Gagnon): M. Daoust, j'apprécierais sûrement le fait que vous le résumiez. En ce qui concerne la possibilité de l'inclure au journal des Débats comme s'il avait été lu, ce n'est pas possible. On peut, cependant, vous affirmer qu'il est au Secrétariat des commissions et que ce mémoire est gardé pour consultation par qui voudrait le consulter en tout temps.

M. Daoust: Comme je vous le mentionnais, dans cette intervention que je ferai, nous reprendrons les principaux éléments de ce mémoire, à la suite de quoi nous demanderons à ces gens qui m'accompagnent, trois militants de la FTQ dans des secteurs industriels différents; la téléphonie, l'aéronautique et le papier, de présenter un court témoignage sur la francisation dans leur secteur professionnel ou dans l'entreprise pour laquelle ils ont travaillé et peut-être pour laquelle ils sont encore à l'oeuvre.

Avant d'entrer dans toutes les considérations spécifiques qui nous amènent à formuler les recommandations que nous étudierons, je voudrais résumer notre attitude générale vis-à-vis des six ans d'existence de cette loi 101 et présenter les lignes de force qui ont guidé la rédaction de notre mémoire.

La loi 101 est venue répondre à nos revendications sur la francisation des milieux de travail. Nous étions d'accord, en 1977, c'était une loi indispensable; nous le sommes toujours et nous croyons peut-être encore plus que c'est une loi indispensable que nous ne l'avions soutenu en 1977.

La FTQ, comme centrale syndicale qui représente la majorité des travailleurs syndiqués du secteur privé, a comme préoccupation première la francisation des milieux de travail. Pour nous, la francisation - processus qui est en cours sans aucun doute - est terminée en peu d'endroits, mais n'a pas un caractère irréversible. C'est-à-dire que, selon nous, le seuil de non-retour n'est pas atteint et, en raison de ce qu'est le Québec, ce processus ne sera sans aucun doute jamais terminé. Nous soutenons donc qu'il faudra toujours être extrêmement vigilants, particulièrement à l'aube de cette révolution technologique qui s'annonce. Avec l'accélération de tous les moyens techniques que nous connaissons de plus en plus et qui ont nom bureautique, télématique, informatique, la francisation des entreprises risque d'être remise en question dans bien des cas. C'est pourquoi nous sommes surpris, sinon inquiets, d'entendre tant de voix dire que la francisation, c'est fini ou presque, qu'il faut alléger, adoucir, relâcher. La langue de travail, c'est tout de même quelque chose d'important, de fondamental et de central dans le processus de francisation du Québec et ce n'est pas possible que la francisation du Québec soit finie si une portion importante des travailleurs québécois sont encore forcés de travailler, dans bien des cas, en anglais.

Notre inquiétude est, de plus, alimentée par des témoignages venus de nos rangs, à savoir que des entreprises ont appliqué les freins au processus de francisation ces derniers temps. Plusieurs sont convaincus que les employeurs attendent ces fameux allégements. Dans des entreprises également, la crise économique et les difficultés financières servent de raison à ce freinage, sans mentionner les entreprises où la francisation démarre à peine. Il y a - je veux le répéter et insister quelque peu là-

dessus - un tas d'employeurs au Québec qui attendent. Pour être bien franc, ils attendent depuis 1976. Ils attendent - ce que vous savez sans aucun doute - qu'un de ces jours ce sentiment qui a porté le parti actuel au pouvoir à l'égard de l'affirmation des Québécois sur bien des plans s'estompe quelque peu et qu'un autre gouvernement le remplace, qui, lui, sera moins préoccupé des problèmes qui ont pu entourer l'adoption de la loi 101. Il y a donc des gens qui attendent. Ils attendent depuis 1976. Ils ont attendu, à la veille des dernières élections et ils attendent encore les prochaines élections. Je pense qu'il faut le souligner; cela nous semble fondamental, quant à nous.

Cette constatation nous amène à dire au gouvernement: Ne touchez pas à la loi 101 pour ce qui concerne le français, langue de travail ou, plutôt, raffermissez la loi 101, de même que son application. Selon nous, il n'est pas besoin de gros changements, l'essentiel est déjà là. En plus, nous demandons au gouvernement de le dire une fois pour toutes, clairement et assez fort pour que tout le monde entende, assez fort pour que les travailleurs et les travailleuses dans les usines et dans les bureaux sachent qu'il faut continuer à demander de travailler en français. Dites-le qu'au Québec la majorité a le droit de travailler en français, que la francisation des milieux de travail, cela doit continuer et que cela va continuer même si cela ne fait pas l'affaire de tout le monde, particulièrement de certains employeurs. Cette assurance-là, nous en avons besoin, les travailleurs et les travailleuses québécois en ont besoin. Il faut le dire de façon claire et forte, "loud and clear", comme on dit assez souvent en anglais.

Notre évaluation générale à l'égard de la francisation des entreprises vous indiquera que nous sommes fiers de constater que toutes les entreprises ont été virtuellement atteintes par la démarche de francisation. C'est quelque chose que nous ne souhaitons pas et que nous ne voulons pas minimiser. C'est sûr qu'il y a bien plus de contremaîtres et de cadres bilingues qu'il n'y en avait auparavant et de francophones qui ont atteint des postes de responsabilité dans les structures de l'entreprise. C'est sûr que les terminologies françaises ont sérieusement pénétré les milieux de travail. C'est sûr que c'est devenu rare qu'on accroche des avis aux employés en anglais seulement. Nous disons bravo, mais il faut continuer parce que, s'il s'est passé quelque chose partout en francisation, cela ne veut pas dire que c'est fini et que tout le monde est rendu au même point. Il est bien trop tôt, selon nous, pour se croiser les bras, se féliciter et se congratuler. Il y a des travailleurs et des travailleuses qui ne seraient pas d'accord parce que dans leur entreprise ils en sont encore à formuler des exigences minimales.

Vous avez entendu, ici même, au tout début de cette commission, des militants membres des travailleurs unis de l'automobile à l'emploi de Pratt et Whitney. Plusieurs d'entre vous ont dû penser qu'il y avait quelque chose là qui ne tournait pas rond. Vous auriez pu entendre de multiples témoignages de ce type. C'est notre rôle à nous de refléter les sentiments qui s'expriment dans les milieux de travail. Dans le mémoire que vous avez sans aucun doute feuilleté ou lu, dans la plupart des cas, vous noterez que nous avons voulu attirer l'attention de la commission parlementaire sur quelques difficultés ou aspects importants. Je vais vous mentionner quelques-unes de ces difficultés.

Dans des entreprises où on partait de loin, la francisation est rendue au bilinguisme. Il faut qu'on soit vigilant face à cela. Le bilinguisme n'est pas la primauté du français; il ne faudra jamais s'en contenter. Il y a aussi toute la question des sièges sociaux et des centres de recherche qui ont négocié des ententes particulières; au-delà de 200, nous dit-on. Pour la FTQ, ces ententes particulières étaient un signe de volonté de souplesse et nous étions favorables à cette souplesse. Mais aujourd'hui nous croyons qu'il ne faut pas figer dans le béton ces ententes particulières. Il y a toujours lieu de s'assurer qu'on a été assez loin dans la francisation que c'était et que c'est encore possible. (10 h 30)

Pour ce qui est des petites entreprises, celles qui ont moins de 50 employés et qui ne sont pas soumises au processus de certification, nous disons aussi que c'est aller un peu vite en affaires de les assurer que la francisation, ce n'est pas pour elles. La petite taille d'une entreprise ne devrait pas être le seul critère pour déterminer l'exclusion du processus de francisation contrôlée. Une petite entreprise d'un secteur névralgique qui fonctionnerait en anglais devrait, selon la FTQ, être surveillée sur le plan linguistique. Les effets d'entraînement éventuels sur le plan linguistique devraient donc être considérés au-delà de la taille. D'ailleurs, dans la Charte de la langue française, l'office peut intervenir en vertu de l'article 151 pour faire en sorte que, dans ces entreprises, il y ait des programmes de francisation; nous inviterons l'office à le faire.

Nous nous sommes également inquiétés, dans notre mémoire, des effets d'entraînement négatifs que peut avoir pour les travailleurs et les travailleuses du Québec le fait que l'administration publique fédérale est bien loin, s'il faut en croire les rapports successifs des commissaires aux langues, d'atteindre les objectifs de francisation de la politique linguistique du gouvernement Trudeau. Compte tenu des rapports que les

entreprises du Québec sont souvent tenues d'avoir avec l'administration fédérale, c'est là un aspect qui pourrait être l'objet de représentations politiques de la part du gouvernement du Québec.

Le fonctionnement des comités de francisation. Nous avions fondé beaucoup d'espoir sur les comités de francisation au sein desquels la représentation syndicale nous paraissait être un gage d'efficacité. Il était, en effet, important pour la FTQ que les travailleurs et les travailleuses soient associés concrètement à la francisation, car cela les concernait au premier chef. De plus, ceux-ci étaient motivés par la francisation d'une telle façon qu'on pouvait raisonnablement penser qu'ils seraient les meilleurs chiens de garde de ce processus, question de démocratie, sans aucun doute, mais d'efficacité aussi.

Nous avons eu raison, mais en partie seulement. Commençons par l'aspect positif. En bien des endroits les représentants syndicaux aux comités de francisation ont été les aiguillons du processus de francisation, toujours vigilants quand d'autres les auraient souhaités un peu plus absents. Nous connaissons des militants syndicaux qui sont devenus des gens supercompétents en matière de francisation, qui ont discuté d'égal à égal avec les dirigeants d'entreprises, qui ont mobilisé leurs membres et se sont servis de la force syndicale pour obliger leurs employeurs à accentuer les efforts de francisation.

Ces militants ont donné leur véritable sens et le sens que le législateur avait eu en tête, nous n'en doutons pas, aux comités de francisation. Mais, il y a eu d'autres comités de francisation où la représentation syndicale n'a pas pu ou n'a pas su se déployer. Nous ne bénéficions pas d'un recensement systématique. Nous avons eu connaissance, cependant, d'un nombre de cas suffisamment important pour tirer la sonnette d'alarme. Et c'est finalement l'essentiel de nos recommandations à cette commission parlementaire que nous vous soumettons.

Il faut donner aux représentants syndicaux les moyens pour être efficaces. Que la loi leur accorde des places aux comités de francisation, c'était bien, mais ce n'est pas assez. Il faut faire plus, juste un peu plus, pour s'assurer qu'on ne demande pas l'impossible aux représentants des travailleurs et des travailleuses. Et, tout compte fait, c'est beaucoup dans l'efficacité de leur participation que réside le succès de la francisation.

Là où la représentation syndicale n'a pu être efficace, elle a cependant revêtu une importance non négligeable. C'est grâce aux militants syndicaux que nous, à la FTQ, pouvons dire que la francisation, dans bien des milieux de travail, ne se porte pas si bien que cela. Les militants syndicaux sont là pour dire: Attention; tout n'est pas au beau fixe, ça ralentit ici, ça traîne là-bas. Écoutez-nous, c'est nous qui savons comment ça se passe.

Nous voulons maintenant attirer votre attention sur les principaux problèmes qui ont entravé la bonne marche de ces comités de francisation. Ces comités de francisation, je vous le rappelle il est bon de s'en souvenir de temps à autres - voient, au tiers de leur composition des représentants des travailleurs qui sont choisis selon des modalités prévues dans les dispositions de la loi et sur lesquels nous reviendrons un peu plus tard. Il y en a 1800 au Québec, c'est-à-dire qu'on retrouve 3600 représentants des travailleurs et des travailleuses dans de multiples entreprises. Ces 3800 personnes se retrouvent sur un territoire immense, dans plusieurs centrales syndicales inévitablement et dans des milieux non syndiqués aussi. C'est un peu l'expérience que nous avons chez nous - nous y reviendrons un peu plus loin pour faire l'autocritique de notre fonctionnement à cet égard - qui nous autorise à commenter abondamment les tâches de ces comités de francisation que nous avons souhaités dès le moment où la loi a été présentée et qui ont été accueillis par l'ensemble des travailleurs et des travailleuses avec beaucoup d'espoir.

Les militants syndicaux ont été propulsés aux comités de francisation parce qu'ils étaient particulièrement actifs, particulièrement enthousiastes, et, trop souvent, on les a oubliés là, pensant qu'ils feraient bien leur travail; ce qui a souvent été le cas, mais pas toujours. C'est difficile, vous en conviendrez, de participer pendant une heure ou deux par mois à un comité quand on travaille à autre chose pendant 40 heures par semaine, qu'on ne bénéficie d'aucune formation spécifique, d'aucune préparation et qu'en plus on se sent un peu comme un chien dans un jeu de quilles. Il arrive aux membres des comités de francisation de se percevoir l'élément de trop dans le comité. Il faut rendre hommage à ceux et à celles qui s'en sont bien sortis et comprendre et aider ceux qui auraient voulu faire mieux.

Si les représentants syndicaux ont manqué d'encadrement, c'est sans doute parce que, tous et toutes, nous avions mal évalué le rapport de forces. Nous avions l'impression que, par une sorte de magie, la loi 101 allait faire tomber toutes les barrières. Ne nous éternisons pas sur les responsabilités; cependant, je voudrais aller un peu plus loin dans ce domaine.

Le mouvement syndical doit faire son autocritique à l'égard des comités de francisation. C'est vrai qu'au moment où la loi a été adoptée et que les comités de francisation ont été créés un peu partout dans les entreprises nous tenions pour acquis

qu'un tas de choses allaient de soi, que, compte tenu de l'esprit de la loi et du débat linguistique qui avait eu cours dans les mois, sinon les années précédentes, ces comités avaient convaincu les dirigeants d'entreprises de l'impérieuse nécessité de pousser à fond tous les moyens pour faire en sorte que la francisation devienne une réalité. Le débat avait été fait. La société avait été lourdement secouée. La commission parlementaire s'était penchée longuement sur toutes les dispositions de ce qu'est devenue la Charte de la langue française et la loi avait été adoptée. Partout, les gens saluaient cette loi - du moins dans bien des milieux -comme une loi indispensable qui assainirait le climat des relations entre les groupes ethniques, entre les francophones et les anglophones au Québec, et le climat social d'une façon générale. Notre pari, c'était que les comités de francisation allaient fonctionner. Peut-être que nous avons manqué nous-mêmes de vigilance. Quand je vous parle d'autocritique, autant il est assez facile, de temps à autre, de faire l'autocritique des hommes politiques, des gouvernements, de l'Opposition - on s'y prête bien nous aussi - et de l'Office de la langue française dans le cas qui nous concerne dans ce mémoire... Il ne faudrait pas passer sous silence le fait qu'il y a eu des manquements de la part du mouvement syndical. Il y a eu des difficultés sur le plan de l'encadrement. Je pense qu'il faut le souligner sans nécessairement tomber dans la culpabilisation excessive. Il y a eu de grands espoirs; on a fondé des espoirs, et c'est au cours des dernières années, surtout la dernière année, que nous avons pu constater la faiblesse et la faillite de cette activité, le comité de francisation, et du rôle qu'ont pu y jouer les porte-parole des travailleurs. Je dis au cours de la dernière année, parce qu'une étude est en cours qui nous révèle que dans un nombre considérable d'entreprises, cela n'a pas fonctionné comme nous l'avions souhaité.

Je vous disais qu'il ne faut pas s'éterniser sur les responsabilités; il s'agit de se demander ce qu'on doit faire maintenant. Il faut encadrer les porte-parole, les représentants syndicaux au sein des comités de francisation. Comment? Nous avons des moyens que nous reprenons dans notre mémoire et que nous voudrions expliciter. Je ne sais pas si vous pouvez me retrouver la page de notre mémoire là-dessus.

M. Godin: Page 28. M. Daoust: Page 22. M. Godin: Page 28.

M. Daoust: Page 28, je m'excuse. Cela nous amène - je reprends le texte du mémoire - à formuler ce qui est sans doute la recommandation la plus importante de ce mémoire: que l'on nous donne à nous, syndicats, les moyens d'encadrer le travail de nos militants. Des sommes à cette intention pourraient être versées aux centrales syndicales concernées, au pro rata de leur membership. Les "répondants" à la francisation au sein des centrales établiraient des structures d'encadrement, organiseraient des sessions de formation, mettraient sur pied une banque de formateurs et de formatrices, convoqueraient des rencontres intra et intersectorielles, et feraient le lien entre les militants syndicaux et les administrations gouvernementales chargées d'appliquer la loi. Cette solution nous semble, pour l'instant, la seule apte à assurer un fonctionnement optimal des représentants syndicaux au sein des comités de francisation, et partant des comités eux-mêmes. En l'absence d'un tel mode de subvention, nous ferons tout de même les efforts qui s'imposent pour aider nos militants, puisque nous nous rendons compte, un peu tardivement, que le besoin est criant; mais la qualité d'énergies - il faut se l'avouer - que nous pourrons investir sera nécessairement limitée. Ce n'est pas la conviction qui manque, ce sont les moyens financiers que nous n'avons pas.

Qu'il nous soit permis d'exposer ici, au bénéfice des membres de cette commission, l'entente intervenue entre la Commission de la santé et de la sécurité du travail, la CSST, d'une part, et notre centrale, d'autre part, ainsi que les résultats d'une telle entente. (10 h 45)

Le législateur a reconnu que les organisations syndicales sont les mieux placées et les plus compétentes pour ce qui concerne la formation et l'information des travailleurs et des travailleuses en matière de santé et de sécurité du travail. C'est ainsi que les centrales syndicales reçoivent annuellement des montants destinés à la formation selon des critères qu'il serait peut-être long d'exposer ici, mais qui tiennent compte, entre autres, de leur "membership" et des programmes de formation que les centrales présentent à la Commission de la santé et de la sécurité du travail. Les centrales redistribuent ces montants à l'intérieur des structures selon un tas de modalités. Pour l'année 1983, l'année qui est en cours - le programme existe depuis 1981 - la FTQ a reçu 1 685 000 $ pour des activités de formation et d'information, montant qui, substantiellement, couvre les salaires perdus par les participants aux diverses activités de formation que la FTQ met sur pied.

En considérant l'effet multiplicateur de nos activités de formation, on peut estimer à environ 5000 le nombre de militants qui ont été rejoints à ce jour pour l'année 1983 -qui n'est pas terminée - à l'intérieur de ce programme. Soit dit en passant - je ne veux

pas insister pendant fort longtemps - depuis 1981, grâce à ces subventions, la FTQ a formé au-delà de 300 formateurs et formatrices qui, eux, pénètrent dans les milieux de travail. Ce sont des travailleurs et des travailleuses qui oeuvrent dans des usines et dans des bureaux, des gens qui donnent des cours, font de l'encadrement, font de la formation et de l'information. On estime qu'on aura atteint, à la fin de l'année 1983, à l'intérieur de ce programme, environ 25 000 travailleurs et travailleuses sur l'ensemble du territoire québécois dans des programmes de formation sur la Loi sur la santé et la sécurité du travail. C'est un montant relativement imposant. Quand on le regarde un peu et qu'on connaît le "membership" de la FTQ, cela fait 4 $ par année par membre que la Commission de la santé et de la sécurité du travail consacre aux efforts de sensibilisation, de formation et d'information faits par la FTQ. Les autres centrales syndicales ont des montants qui ne sont pas les mêmes, évidemment, mais qui varient, encore une fois, selon certains critères, dont le "membership".

Je voulais insister là-dessus pour vous dire que ces gens qu'on retrouve dans les comités de francisation - c'est notre constatation - ont tragiquement manqué d'encadrement et de soutien, et tout le monde est un peu responsable. J'ai fait l'autocritique du mouvement syndical. On peut faire l'autocritique de l'Office de la langue française, mais on ne peut pas indéfiniment s'apitoyer sur le passé, il faut se projeter un peu dans l'avenir; plus qu'un peu, beaucoup même. Aujourd'hui on dit: Ces gens, ce soutien dont ils ont besoin il leur est donné quelque peu par le mouvement syndical, mais si on veut qu'ils puissent l'avoir de façon un peu plus efficace, il va falloir que quelqu'un délie les cordons de la bourse quelque part et que le ministre responsable ou le gouvernement actuel permettent à l'Office de la langue française d'intervenir dans ce type d'activité et de munir les porte-parole syndicaux, les représentants des travailleurs au sein de ces comités de francisation, de tout l'équipement, de tous les outils dont ils ont besoin. Les employeurs qu'on retrouve au comité de francisation - aux comités de six, ils sont quatre - ont les moyens, eux. Nous n'avons aucune hésitation à le crier et à le dire bien haut. Ils ont les moyens, ils ont souvent des gens dégagés en permanence pour surveiller tout le processus de la francisation. C'est tant mieux qu'il en soit ainsi. Nous ne sommes pas critiques. Quand ce ne sont pas des gens dégagés en permanence, ils ont des conseils qui viennent de partout, par des regroupements comme le CLE et un tas d'autres regroupements patronaux où on parle abondamment de la loi 101.

Ils ont un tas d'appuis de toute nature. Encore une fois, les quatre personnes qui sont là et qui sont nommées par la direction ont tout le temps à leur disposition pour parler de la francisation puisqu'elles se donnent elles-mêmes et n'ont pas à quémander à qui que ce soit des permis d'absence. S'ils doivent, pour les fins de leurs travaux au comité de francisation, suivre des cours, se renseigner, voyager, pas nécessairement à l'extérieur, mais échanger avec d'autres entreprises ou d'autres groupes, cela leur est facilité. Alors, c'est en parents pauvres, pour être bien franc - j'insiste beaucoup là-dessus et on va insister encore -que les deux membres des comités de francisation ont été accueillis. Admettons, encore une fois, qu'on fasse notre critique au passé. Il faudrait trouver les moyens pour que cela cesse et je voulais souligner le moyen qu'on a trouvé, à la CSST, pour donner un encadrement et une formation aux membres des comités paritaires et à tous ceux qui sont impliqués dans les problèmes de santé et de sécurité.

Il y a autre chose que nous voulons dire à l'égard de ces comités. Il faudrait, selon nous, fixer à un an le mandat des représentants des travailleurs et des travailleuses. Il semble qu'ils soient nommés à vie. Il y a peut-être des lacunes dans la loi. Ce ne sont pas des amendements majeurs qu'on soumet, mais on voudrait qu'ils soient nommés pour une période bien définie. Ce principe est déjà admis aux comités de santé et de sécurité qui sont paritaires. On va même au-delà - et il faudrait peut-être y songer - en demandant que la partie qui nomme ait le droit de rappeler ceux qui ont été désignés si, pour des raisons qui sont évidentes sans qu'il soit nécessaire de les expliciter, les gens ont perdu un peu de leur ardeur, ou de leurs convictions, ou de leur représentativité.

On voudrait aussi parler de l'article 146 qui traite des modalités de nomination des représentants ouvriers. On a constaté un tas de lacunes dans le passé; on s'est fait dire un tas de choses. On voudrait que l'OLF, l'Office de la langue française, contrôle, supervise, de façon plus méticuleuse, plus méthodique, la nomination des représentants des travailleurs au sein de ces comités. On souhaiterait qu'il y ait des comités de francisation dans les entreprises qui comptent 50 travailleurs et plus. On trouve cela indispensable, essentiel. On valorise la PME au Québec et nous en sommes. C'est la PME qui engendre le plus grand nombre d'emplois, pas seulement au Québec, mais un peu partout sur le continent nord-américain. C'est là qu'on voit, dans bien des cas, se penser des technologies de plus en plus nouvelles. Alors, on voudrait bien qu'il y ait des comités de francisation dans ces entreprises.

Cela prendrait des amendements à la loi, sans aucun doute. On voudrait qu'il puisse y avoir des sous-comités avec représentation syndicale et qu'ils soient obligatoirement formés - ce n'est pas le cas à ce moment-ci - en vertu de l'article 148. Dans des entreprises à établissements multiples, il y a une espèce d'éloignement, de distanciation des gens, physiquement et autrement, quand il y a un seul comité pour des entreprises à multiples succursales. On voudrait, de façon générale, que les personnes responsables de l'administration de la loi 101 - évidemment, c'est l'Office de la langue française - reconnaissent concrètement l'importance politique des représentants des travailleurs aux comités de francisation.

Les constatations que nous faisons dans notre mémoire et que nous avons vérifiées nous portent à croire qu'il y a peut-être eu, de ce côté, des lacunes qu'il faudrait corriger à l'avenir et qui pourraient aller dans le sens d'une plus grande valorisation par l'Office de la langue française - par ses négociateurs inévitablement - des membres des comités de francisation.

Je sais - nous avons tous passablement d'expérience là-dedans - que ce n'est pas facile. Il y a des blocages dans certaines entreprises, il y a des attentes - c'est un autre phénomène - mais les attentes provoquent des blocages. Et les blocages provoquent, de temps à autre, des mises à l'écart des membres des comités de francisation. Il y a toutes sortes d'astuces. Il n'y a pas toujours un syndicat très vigoureux - quand il y en a un, il est vigoureux; je ne veux pas dire que les syndicats ne sont pas vigoureux - il n'y a pas toujours de syndicat dans les entreprises et il y a souvent des représentants des travailleurs et des travailleuses. Nous ne nous ferons pas de dessin bien longtemps. Lorsqu'il n'y a pas un syndicat qui est habitué dans ce genre de fonctionnement, qui appuie les deux membres à un comité de francisation, imaginez-vous dans quel rapport de faiblesse, pour ne pas dire plus et pour ne pas abuser des mots, peuvent se retrouver les deux membres d'un comité de francisation choisis par les travailleurs et par les travailleuses de telle ou telle entreprise devant quatre personnes si le comité est composé de six qui, elles, viennent de l'entreprise et ont tout le prestige du poste qu'elles occupent, non seulement le prestige mais souvent les outils qui accompagnent un tel prestige et les moyens que vous connaissez. Encore une fois, nous voudrions que les organismes chargés de l'application de la loi tiennent compte de l'importance des représentants des travailleurs au sein des comités de francisation.

Je m'aperçois que j'ai dépassé un peu mon temps. Je vais essayer de conclure sur les autres points sur lesquels nous avons insisté dans le mémoire. La FTQ souhaiterait, quant à elle, une plus grande transparence en ce qui concerne l'évaluation de la francisation dans les milieux de travail. Nous savons qu'il y a des entreprises délinquantes et il serait temps qu'on y songe. Selon nous, il faudrait en informer le public systématiquement et arrêter d'avoir peur que cela nuise à l'économie du Québec. Sur cela, il y a vraiment des discours qui nous inquiètent et qui ont un effet de peur eux-mêmes. À force d'avoir peur d'avoir peur, on provoque des sentiments de peur. Il faudrait informer le public et ne pas hésiter, dans certains cas, à appliquer les sanctions prévues par la loi. Il faudrait peut-être parallèlement - cela s'est fait et cela pourrait se faire avec plus d'ampleur - que l'on sache quelles sont les entreprises qui ont collaboré avec les autorités. À ce titre, il y a des modèles parfois dont on ne veut pas trop se servir mais nous aimerions bien que celui que nous indique le Commissaire aux langues dans son rapport fasse l'objet d'un examen à l'intérieur des organismes chargés de l'application de la loi. Le Commissaire aux langues n'hésite pas à parler de ces organismes de toutes sortes où il y a des lacunes flagrantes et évidentes et il n'hésite pas à faire les commentaires qui s'imposent afin qu'il y ait des redressements qui se fassent. C'est un modèle qu'il faudrait peut-être suivre.

La FTQ souhaiterait que le gouvernement se préoccupe de l'impact linguistique de la micro-électronique et de l'ensemble des nouvelles technologies et de leurs applications. L'introduction de nouveaux processus dans les entreprises peut avoir pour effet de réangliciser les opérations. C'est une préoccupation qu'il faut absolument véhiculer et que les organismes chargés d'administrer la loi doivent intégrer. On parle de virage et tout le monde a ses idées à l'égard des virages technologiques. Il y a des préoccupations de toutes sortes, nous en sommes conscients. Les travailleurs seront sans aucun doute terriblement affectés mais nous estimons que sur le plan linguistique, il y a un défi immense à relever, terriblement dangereux, quand une francisation est aussi fragile que la nôtre et qu'elle n'a pas atteint un seuil d'irréversibilité. Nous sommes conscients de cela. Les sommets qui se préparent dans le domaine nous l'indiquent. Les derniers échanges au sommet socio-économique sur les communications qu'a convoqué le gouvernement l'ont précisé. Un peu partout dans tous les milieux, on se préoccupe de ce phénomène et il le faut. Mais à l'égard de la francisation, il va falloir y mettre le paquet, comme on dit, pour éviter les drames que nous risquons de connaître si nous ne sommes pas vigilants. Cette réalité technologique milite, en outre,

en faveur de l'institutionnalisation de la préoccupation de francisation au Québec. (11 heures)

Je termine dans quelques minutes. En dernier lieu, la FTQ invite le gouvernement à remobiliser la population autour de la francisation. La loi 101 a été accueillie avec enthousiasme par la majorité de la population francophone et par un bon nombre d'anglophones également; il faut le souligner.

À la FTQ, nous avons fait un sondage, en 1977. Ce sondage a révélé que la loi la plus populaire du gouvernement actuel était la loi 101, Charte de la langue française. Les travailleurs nous ont dit, par ce sondage, à quel point ils appuyaient les grandes orientations gouvernementales que l'on retrouve dans cette loi 101. Aujourd'hui, plusieurs militants éprouvent une certaine amertume, déçus que la francisation en milieu de travail n'ait pas été plus rapide, avec parfois même l'impression que la francisation n'a peut-être pas la même importance pour les autorités politiques qu'elle avait il y a quelques années à cause d'un tas de phénomènes. Je ne veux pas répéter ce que d'autres vous ont dit ici, mais j'ai vu des commentaires à la télévision et j'ai lu ce qu'on avait dit dans les journaux. La campagne acharnée, hargneuse, épouvantable, qu'on a menée dans certains milieux, contre la loi 101 a peut-être culpabilisé collectivement les Québécois que nous sommes. Certains, par ce phénomène de culpabilisation, ont peut-être amoindri leur conviction à l'égard de cette loi. Cela ne nous a pas semblé être aussi évident en milieu des travailleurs que dans certains milieux que vous connaissez, des milieux où on prend abondamment la parole, le milieu journalistique, chez les hommes politiques, chez les hommes d'affaires. Dans ces milieux, il y a peut-être eu ce phénomène de culpabilisation qu'on n'a pas tout à fait retrouvé - pour être bien franc - dans les milieux de travail.

C'est donc avec une certaine amertume que les militants ont l'impression que, à quelque part, en quelque lieu, peut-être un peu partout au sein des élites québécoises, il y a un affaiblissement de cette volonté de doter le Québec d'un véritable milieu français. Il faut remotiver ces gens, proclamer que le français comme langue de travail, cela continue et qu'il faut même y mettre une certaine ardeur. La francisation d'une société, ce n'est pas un changement qui peut s'opérer seulement par des fonctionnaires. Cela demande nécessairement une implication des populations, des travailleurs et des travailleuses pour ce qui concerne la langue de travail. Si nous remobilisons les travailleurs et les travailleuses en faveur de la francisation, c'est sûr qu'au Québec, on travaillera très majoritairement en français.

Quant à nous, c'est notre objectif à la FTQ depuis quasiment toujours. Nous l'avons affirmé à l'occasion de congrès, à l'occasion de mémoires. À cause de notre représentativité dans le secteur privé, dans les grandes entreprises, à cause de notre membership, où on retrouve le plus grand nombre de travailleurs allophones comparativement aux autres centrales, le plus grand nombre de femmes, le plus grand nombre de travailleurs immigrés, de fraîchement arrivés, à cause de l'importance numérique de la FTQ, à cause de tout cela et avec tout cela, on a toujours affirmé que notre objectif était la francisation au Québec. La francisation, comme on la souhaite au Québec, comme on la retrouve dans les dispositions de la loi, passe par la francisation des milieux de travail. Nous sommes sur une bonne voie, il ne faut pas être pessimiste. Même si nos critiques à l'égard des comités de francisation sont sévères, nous pensons que nous sommes sur une bonne voie. Cela n'est peut-être pas irréversible, mais c'est fortement engagé. Nous souhaitons pouvoir continuer dans ce sens-là.

Je voudrais maintenant inviter Michel Côté à nous dire quelques mots sur le problème qu'il connaît dans son entreprise.

Le Président (M. Gagnon): M. Côté.

M. Côté (Michel): Merci, M. le Président. M. le ministre, mesdames et messieurs les députés. Je voudrais d'abord vous remercier de me laissser la chance d'exprimer un son de cloche. Le 7 octobre, on a eu une réunion du comité de francisation chez Bell, laquelle était non formelle, pour lire le texte du mémoire qui a été présenté en cette enceinte jeudi dernier. Je voudrais dire que ma réaction personnelle, à la lecture de ce mémoire, a été: J'espère que l'on n'est pas obligé d'être d'accord avec tout cela. M. Beauregard a dit: C'est bien sûr. Ce que je voulais dire ici, comme membre du comité, c'est spécifier que cela n'était pas le texte du comité de francisation, mais de Bell Canada. Par exemple, le retour au "freedom of choice" dans le domaine de la langue d'enseignement, je trouve cela absolument impensable en 1983 ou 1984; par ailleurs, se plaindre que dans l'affichage "caisse rapide" ou "rapid cash" cela occasionne beaucoup de pertes de commerce dans une téléboutique... personnellement, je ne vois pas beaucoup la différence entre "rapide" avec un "e" ou pas de "e"; il me semble que la quintessence du terme est là, sauf la rapidité de l'action.

Ceci dit, M. le Président, je voudrais simplement couvrir en gros l'existence du comité de francisation chez Bell, mais à la lumière du point de vue syndical de ce comité. D'abord, vous savez que c'est un

territoire vaste: nous couvrons du Saguenay-Lac-Saint-Jean jusqu'à Hull-Gatineau dans un sens, et dans l'autre sens, de Sherbrooke-Mégantic jusqu'à près de Mont-Laurier. Donc, c'est un immense territoire. Bien sûr, Bell ne touche pas l'Abitibi, ni la Gaspésie, ni la Côte-Nord. C'est compris. Alors, dans ce secteur-là, le STCC a douze sections locales et chacune des sections locales a élu un délégué responsable de la francisation dans chacune des douze sections locales. Ces douze délégués se sont réunis le 5 août 1978 - je me souviens de la date, c'était un samedi - pour nommer un porte-parole au comité de francisation de Bell. Je suis celui qui a été élu et j'y suis toujours.

Ceci vous donne un peu les paramètres du comité de francisation. Les problèmes auxquels nous avons eu à faire face? Bien sûr, M. Daoust les a soulignés amplement tantôt: au départ et en cours de route on a dû apprendre seuls, prendre la loi, la disséquer, l'analyser, la comprendre, se renseigner et s'informer seuls. Mais, grâce à l'aide de l'office que nous avons pu consulter souvent et régulièrement pour avoir des interprétations, pour savoir où commence et où finit notre mandat - parce que ce mandat est beaucoup plus un devoir qu'une participation à un groupe tout court - nous avons eu des renseignements à volonté de la part de l'office. On l'apprécie et on voulait le souligner ce matin.

La négociation du programme de francisation, par exemple, après l'analyse linguistique, a été une opération qui a duré presque six mois probablement. On a été impliqué seulement à la fin, à savoir que l'on a vu le texte, on a su quelle était l'entente à laquelle l'office en était arrivé avec la compagnie, et aussi l'entente particulière du siège social et des centres de recherche chez Bell.

Ce comité de francisation a maintenant cinq ans. Nous sommes en train de vivre actuellement la quatrième année du programme de francisation qui doit se terminer, d'après notre programme, vers le début de 1985. On considère que dans certains milieux cinq ans c'est long, mais on considère aussi que cinq ans dans la vie d'un peuple, c'est très court, surtout pour une entreprise de l'ampleur et de la diversité de Bell Canada.

De toute façon s'il y a des questions plus tard je pourrai répondre, il n'y a pas de problème. Je veux seulement faire un survol rapide. La seule chose que je voudrais faire comme recommandation, évidemment je souscris en entier au mémoire présenté par M. Daoust, mais il y a ici un article dans la loi qui pour nous... On parlait d'irritants. Je lisais dans les journaux et un peu partout que le mot "irritant" est un mot qui est absolument de tous les jours et à plusieurs exemplaires. Nous aussi il y a un article qui nous irrite beaucoup dans la charte.

D'abord, Bell a raison de dire que, selon les termes de la loi, elle a terminé sa francisation. Bell a raison de dire cela. Seulement parce que l'article 89 existe. L'article 89, au chapitre IX, se lit comme suit, si vous permettez M. le Président, c'est très court: "Dans les cas où la présente loi n'exige pas l'usage exclusif de la langue française, on peut continuer à employer à la fois la langue officielle et une autre langue." Cela veut dire que quel que soit le document c'est "over", "verso". Vous avez la version anglaise disponible à volonté dans plusieurs cas maintenant.

Je pense que cela rend la chose difficile de franciser une entreprise quand on vit cette situation, ce qui fait que les efforts pour apprendre, maîtriser, lire, écrire et parler le français sont beaucoup plus non requis vu qu'on n'a qu'à tourner la feuille pour savoir dans quelle langue on va lire le texte. C'est là un des irritants.

Le seul autre article qui, lui, est excusé de l'article 89 c'est l'article 58, l'affichage public, qui stipule "uniquement en français". C'est un irritant pour nous de l'intérieur, la partie syndicale du comité, parce qu'on a des plaintes tous les jours de tous les coins et souvent cela se résume à ce que le "bilinguism" - excusez - est non seulement permis mais presque suggéré par l'article 89.

Si vous me permettez un commentaire personnel en dehors de tout cela, je ne comprends pas que cet article ait pu être inclus en 1977, le 26 août, lors de la promulgation. Je ne comprends pas.

De toute façon, pour terminer, je voudrais dire que notre comité de francisation, malgré ses difficultés, malgré ses longueurs à l'occasion, fonctionne et fonctionne même bien. Exemple, j'entendais l'autre soir - on vous suit beaucoup à la télévision - Mme Goodfellow, de Sherbrooke, une brave dame, qui nous disait: Ce n'est pas possible. À Sherbrooke ce n'est plus possible d'engager quelqu'un chez Bell Canada qui ne parle pas le français. Cela prouve peut-être que la francisation se fait dans la section locale de Sherbrooke et que graduellement il faut parler français pour travailler à Bell Canada, même à Sherbrooke. Je salue ici Mme Goodfellow, une bien gentille dame. Je n'ai rien contre elle, évidemment. Mais cela prouve que la francisation se fait à l'intérieur des services chez Bell, incluant Sherbrooke.

C'est tout pour le moment. Comme je vous le dis, je suis disponible pour répondre aux questions, le temps venu. Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Côté. M. le ministre. Est-ce que... M. Daoust.

M. Daoust: M. Néron.

Le Président (M. Gagnon): M. Néron.

M. Néron (Jean-Pierre): M. le Président, M. le ministre, MM. et Mmes les députés. Je voudrais vous parler du secteur d'où je viens, qui est l'aéronautique, d'une compagnie qui s'appelle Aviation Electric, d'une usine qui est située à Saint-Laurent dans la région de Montréal et qui fabrique des pièces d'aviation.

Cette compagnie est une compagnie d'un secteur majoritairement anglophone, compagnie qui comporte une quarantaine de nationalités - c'est donc très diversifié, une administration entièrement en anglais jusqu'à... Encore aujourd'hui cela continue. Je vais expliquer un peu ce que la loi 101 a apporté à cette compagnie. Premièrement, je pense que la première étape de francisation a été la venue du syndicat en 1974. La venue du syndicat a été le premier élément qui a fait que finalement le français commençait à être reconnu ou avait un statut.

La venue de la loi 101 a signifié plusieurs choses dans cette compagnie. Premièrement des négociations en français -sauf les derniers milles où les négociations décisionnelles ont continué en anglais - des services d'infirmerie en français - j'aurai l'occasion de revenir un peu sur ce point -un affichage bilingue, une augmentation des francophones par l'embauche, une francisation de formulaires utilisés à caractère général et un petit peu technique - une soixantaine de formulaires ont été francisés dans cette entreprise - l'embauche d'une personne pour faire l'analyse linguistique ainsi que l'élaboration du programme de francisation. Les résultats sont très modestes à cette compagnie.

Tout à l'heure je vous parlais un petit peu de l'infirmerie. Il faut savoir que lorsque nous avons élaboré le programme de francisation, au comité de francisation nous avons tenu compte des amendements de la loi qui précisaient que nous devions tenir compte des états de service des gens qui étaient près de la retraite. Nous avons effectivement tenu compte d'une infirmière qui avait oeuvré dans cette compagnie depuis une trentaine d'années, qui approchait de la retraite, qui malheureusement ne parlait toujours pas français. Nous avons tenu compte de cela. Nous avons laissé ce service se continuer. Pourtant, il nous semblait essentiel que nous ayons des services d'infirmerie en français. Nous avons eu dans le programme de francisation, quand cette personne a été mise à la retraite, des services bilingues. Chez nous, nous avons passé du stade de l'anglais au bilinguisme un peu plus officiel.

Les formulaires sont simplement les en- têtes des papiers que l'on peut utiliser mais il n'est absolument pas question de penser à les remplir de la manière dont les gens pourraient correspondre. Aussi, nous connaissons maintenant une définition des emplois qui nécessitent une connaissance de l'anglais et du français. Il faut vous dire que la venue de la loi 101 a fait en sorte que, par le passé, quand on faisait du français on le faisait naturellement. Là, d'un seul coup, on comptabilisait tout ce qu'on pouvait faire en français et on exigeait de l'anglais surtout pendant un certain temps. Nous avons fait quelques gains mais ils sont très modestes et très fragiles.

J'ai eu l'occasion d'essayer de faire un petit peu le tour, de voir où on en est rendu aujourd'hui. Première constatation: il y a diverses causes. Premièrement, la crise économique. Le pourcentage des francophones était à peu près de 50 dans cette compagnie. Le pourcentage de francophones a baissé puisque c'étaient les derniers arrivés. On a des mises à pied importantes. Donc, le pourcentage de francophones a diminué. On avait embauché un coordonnateur pour faire l'analyse et aussi une partie des traductions. Cette personne a aussi disparu.

Les publications. Il y avait des publications interentreprises. Je ne sais pas si c'est le fait que la compagnie a été achetée. Elles ont été traduites pendant un certain temps mais elles ne le sont plus du tout. On avait commencé à franciser des formulaires en 1975. Maintenant, il y a des travailleurs qui nous disent qu'il y a de vieux formulaires qui reviennent. Je pensais que cela avait été détruit mais ils reviennent et ils refont surface tranquillement. C'est un ensemble de petites choses, de petits détails qui montrent un peu l'effritement que l'on subit dans cette compagnie. Par exemple, on avait pris l'habitude de répondre d'une manière bilingue au téléphone quand on s'adressait à cette compagnie, de plus en plus on retourne vers l'anglais.

Ce n'est pas une grande préoccupation, la francisation. Je vais vous donner un exemple. Lors de la prise de possession d'une filiale de la compagnie, que cette dernière s'est fait acheter il y a un an et demi, cette compagnie avait - Bendix puisqu'il faut la nommer - essayé d'acheter une autre compagnie et finalement cette autre compagnie essayait de l'acheter. Aux États-Unis, beaucoup de travailleurs ou d'employés sont actionnaires de la compagnie, ce qui fait que la compagnie, voulant garder le contrôle d'elle-même, a décidé de faire une activité à travers ses usines dans le continent nord-américain pour leur dire que finalement on devait rester dans cette compagnie. On a décrété une journée au nom de la compagnie où on devait nous faire un petit discours. Je me rappelle très bien que cette journée-là on a pu partir un petit peu

avant, on a arrêté la production. On s'est tous retrouvés à la cafétéria. Le président de la compagnie est venu nous adresser la parole et nous dire pourquoi on devait rester dans cette compagnie. Etant donné qu'il y avait un temps limité d'une demi-heure, il nous a dit tout de suite qu'il n'était pas question d'avoir la traduction simultanée. Il a présenté ses quinze minutes en anglais. Il a dit: "S'il y a des gens qui ont des questions, ils pourront toujours les poser au directeur du personnel. J'avais des travailleurs qui étaient à côté de moi et qui, eux, ne comprenaient pas l'anglais. Ils se demandaient quand il parlerait en français; il n'a jamais parlé en français. Cela montre un peu... Je voulais juste vous montrer un détail de la préoccupation de la francisation. Il fallait une loi, il faut une loi, une vigilance pour être certain que finalement des choses qui me semblent essentielles... On ne peut pas s'adresser à un ensemble de personnes sans respecter les gens qui sont là; on s'adresse à eux dans leur langue, que ce soit pour les services de santé ou les autres.

C'est donc un petit peu cela; ce sont des gains très modestes. On a francisé quelques affaires, on a francisé des fiches, on a fait des formulaires, mais tout cela reste très fragile et manque d'encadrement. Les travailleurs ne savent pas très bien où tout cela va mener. C'est ce que j'avais à vous dire ce matin. Je vous remercie.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Néron. M. Martin.

M. Martin (Jean): M. le Président, M. le ministre, MM. les membres de la commission, dans l'industrie des pâtes et papiers dans laquelle le champ d'action de notre syndicat représente la vaste majorité des travailleurs, le seuil de non-retour n'est pas encore atteint. Au contraire, dans plusieurs entreprises, on en est encore au début. Il y a peut-être quelques cas d'exception; il me fait plaisir d'en citer un, entre autres, celui de la compagnie Kruger qui exploite quelques usines au Québec et dont un des représentants syndicaux du comité de francisation est avec moi ce matin, M. Yvon Martel.

Quant à nous, selon l'expérience vécue à ce jour, les dispositions prévues au chapitre V ne doivent, pour aucune considération, être adoucies. Au contraire. Trop d'exemples depuis 1977 nous ont démontré que certains articles n'assurent pas la volonté voulue par l'avènement de la Charte de la langue française. La francisation demande un processus qui s'occupera sérieusement, avec certains producteurs de l'industrie des pâtes et papiers, de la compléter ou de la parachever avec d'autres. Même pour les employeurs qui se sont attardés le plus sérieusement au problème, à l'application et au respect de la loi, il n'en demeure pas moins que, compte tenu de l'évolution grandissante de la technologie et de la mécanisation, on devra au cours des prochaines années être davantage aux aguets.

À certains endroits au Québec, pour certains employeurs, les échéanciers à ce jour ont trop souvent été repoussés ou non respectés. Entre autres, chez un employeur, une entreprise assez importante de cette industrie, on apprend que les échéanciers sont repoussés vers le début de l'année 1986, et on n'a pas l'assurance que ce sera complété à ce moment-là. L'employeur lui-même nous affirme qu'on a un impressionnant nombre d'articles, soit 160 000, à traduire, lesquels doivent comprendre la description et l'utilisation de différents objets utilisés par cette entreprise. Il semble aussi que chez certains producteurs, il y a eu quelques points de détérioration. Il faut le dire, au Québec, les négociations dans l'industrie des pâtes et papiers se font en français, même les négociations communes avec les confrères d'autres sections locales de notre syndicat hors Québec - c'est le plus gros employeur -sauf que, même si les négociations se font en français - c'est un exemple frappant -lorsque la convention collective est ratifiée et que le mémoire d'entente est libellé en français, on traduit la partie qui fait référence au régime de retraite dans la langue anglaise et les amendements de cette négociation font partie du régime de retraite qui, lui, dans son ensemble, actuellement, avec certains employeurs - je ne dis pas tous et je le précise - est encore à ce jour uniquement dans la langue de Shakespeare.

Pour appuyer ce que le confrère Daoust soutenait tantôt, au sujet du manque de soutien et d'encadrement de la part de nos militants syndicaux qui étaient mandatés à la francisation, effectivement, dans notre industrie, on retrouve aussi ce phénomène. Le législateur devrait particulièrement se pencher, je crois, sur l'article 147 de la loi en ce qui a trait à la formation des comités.

Bien sûr, la plupart des entreprises, au cours de 1977 et 1978, se sont conformées à la loi et des comités ont été mis en place et structurés, sauf qu'à cause du libellé même de la loi, à plusieurs endroits, ces gens ne sont pas connus des militants syndicaux. Il semble que ce soit un tour de force de vouloir, à un moment ou à un autre, les remplacer à ces comités. Aussi, quant à nous, la participation, la représentativité est en deçà du minimum. Par exemple, chez un employeur qui exploite plusieurs usines au Québec et, forcément, plusieurs exploitations forestières, puisque nous sommes dans l'industrie des pâtes et papiers, seulement trois salariés ou représentants des travailleurs siègent au

comité et ils viennent de trois différentes usines. Il faut comprendre qu'il y a plusieurs unités de négociation et cet employeur exploite peut-être une vingtaine d'entreprises au Québec. Partant de là, du moins pour les travailleurs, il n'y a aucune communication avec cet employeur dans 17 endroits différents.

Pour terminer, nous voyons dans le mémoire présenté par la FTQ - nous partageons entièrement ces remarques - que le changement profond de la francisation du monde du travail ne peut s'effectuer pardessus la tête des principaux intéressés. C'est pour cela que le chapitre V de la loi, principalement les articles qui font référence aux comités de francisation, et, quant à nous, toutes les recommandations qui sont soumises dans le mémoire sur les améliorations qu'on devrait apporter à ces articles devraient être regardés de très près. Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Martin. M. Daoust, est-ce que vous avez terminé?

M. Daoust: Ceci complète notre présentation.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: M. le secrétaire général de la FTQ, Mme Gagnon, M. Côté, M. Néron et M. Martin, je vous félicite de nous avoir présenté un mémoire d'une telle qualité. Je vous dis tout de go qu'en ce qui nous concerne, pour ce qui touche l'effort de francisation qui se fait au Québec, le partenaire le plus important du gouvernement du Québec est la centrale que vous représentez ici, parce que c'est elle qui représente le plus de travailleurs au Québec et, surtout, c'est elle qui regroupe le plus grand nombre d'employés dans les entreprises en voie de francisation. Je tenais à le dire, parce que cette position dans le paysage québécois donne à votre intervention ce matin un poids très particulier, d'autant plus que vous abordez de front la question centrale de la francisation qui est le comité de francisation, son fonctionnement et les règles qui encadrent son fonctionnement. (11 h 30)

Par ailleurs, je me réjouis des aspects positifs que vous attribuez à la loi 101, entre autres à la page 7, le changement d'attitude des membres de vos syndicats dans l'usine, sur le plancher. Grâce à la loi 101, aujourd'hui, les employés n'hésitent pas - ils sont plus vigoureux et plus énergiques - à exiger que leurs droits comme personnes soient respectés. Les droits des personnes et des travailleurs français au Québec sont des droits dont on parle peu souvent et je me réjouis de voir que vous en parlez. D'autre part, je constate aussi avec beaucoup de satisfaction qu'à l'intérieur du fonctionnement même du mouvement syndical nord-américain dont vous faites partie, vous avez également, en dehors des exigences de la loi 101, imposé que le français soit reconnu. Cela a eu un effet d'entraînement sur l'ensemble du mouvement syndical canadien et cela a même eu des répercussions sur le mouvement syndical nord-américain. Je pense que pour survivre, une langue ne doit pas se confiner à rester frileusement sur un petit territoire, mais doit tendre à être présente même en dehors du territoire où elle est implantée ou, du moins, où elle tente de s'implanter.

J'irai directement au coeur de votre mémoire: les comités de francisation. D'après votre expérience - première question - les réunions sont-elles tenues à des dates fixes et y a-t-il un nombre minimum de réunions qui doivent avoir lieu dans une année courante ou pendant un certain nombre de mois, en général?

Le Président (M. Gagnon): Mme Gagnon.

Mme Gagnon (Mona-Josée): Les renseignements qu'on a proviennent des données préliminaires d'une enquête qui est en cours, comme on l'a indiqué dans le mémoire. Pour avoir parcouru l'ensemble des comptes rendus d'entrevues de syndicats appartenant à notre centrale - je peux donner une impression qui n'est pas une constatation formelle - les réunions dans la plupart des endroits ont été convoquées de façon régulière dans les premières années, mais il semble que depuis les dernières années, les réunions se font de plus en plus rares et même, dans certains cas, les répondants avaient l'impression que c'était fini. Dans des cas minoritaires, relativement marginaux, il a fallu que les représentants syndicaux réclament des réunions, parce que le comité n'était pas convoqué. Donc, il y a eu des défaillances à ce niveau, mais dans l'ensemble ou dans la majorité des cas, les réunions ont eu lieu régulièrement. Cependant, elles sont beaucoup moins fréquentes à l'heure actuelle.

M. Godin: Pensez-vous que si, dans la loi ou les règlements, on stipulait qu'un nombre minimum de réunions doivent être tenues chaque année, cela pourrait aider à résoudre le problème que vous soulevez?

Mme Gagnon: Je pense que ce serait un élément positif, d'autant plus que dans notre mémoire, comme on l'a indiqué, on pense que le processus de francisation est quelque chose qui ne peut être fini à aucun moment. On pense que c'est quelque chose qui doit continuellement être évalué. Donc, dans ce

sens, qu'il y ait un minimum d'une réunion par année, par exemple, qui serait imposée dans les règlements ou dans la loi, je pense qu'on verrait cela d'un bon oeil.

M. Godin: Les travaux du professeur Michel Prairie seront-ils disponibles bientôt dans leur ensemble?

Mme Gagnon: D'après nos prévisions actuelles, on estime qu'à la fin de l'hiver, le professeur Prairie devrait pouvoir soumettre un rapport final, mais peut-être que dans l'intervalle, il pourrait rencontrer le...

M. Godin: Je compte sur vous pour nous en faire parvenir des copies le plus tôt possible, parce que cela fera partie de l'ensemble des réflexions.

Ma deuxième question est la suivante: Dans le cas de Bell Canada, vous avez mentionné que les relations avec les gens de l'office avaient été excellentes et qu'ils avaient répondu à toutes vos questions, qu'ils avaient été très disponibles. D'après votre expérience générale, Mme Gagnon ou M. Daoust, dans l'ensemble, les relations des travailleurs avec l'office se sont-elles passées de la même manière pour en savoir plus sur le fonctionnement de la francisation dans leur comité et dans leur entreprise?

M. Néron: Oui, je pense que les gens de l'office étaient assez accessibles. Pour ma part, je ne peux témoigner que des relations que j'ai eues à l'usine. Nous avons fait aussi affaires avec le Conseil de surveillance de la langue française et là-dessus, je n'ai pas de remarques particulières à faire. Cela a très bien fonctionné.

M. Godin: M. Martin.

M. Martin: Oui. En fait, si on parle au niveau du syndicat national, je puis dire, pour avoir consulté mes collègues qui sont dans les autres régions au Québec, qu'on n'a pas eu ou pratiquement pas eu de relations avec l'Office de la langue française. Si nous poussons notre investigation au plan local de chacune des usines, à certains endroits, par exemple chez un employeur comme celui que j'ai désigné plus tôt, on me dit qu'il y a effectivement eu ces contacts. Par contre, à certains autres endroits, il n'y a pas eu de contact. On me rapporte même que certains membres de comités ont tenté de s'enquérir de renseignements divers auprès de l'Office de la langue française et on leur a simplement répondu qu'il n'y avait pas de mandat permettant de parler à ces gens-là.

Le Président (M. Gagnon): M. Néron.

M. Néron: Oui, si vous me le permettez, j'aimerais indiquer que les documents sont pour le moment adressés -de par les règlements ou la loi, je pense -tout simplement au président du Comité de francisation. Naturellement, comme nous ne sommes pas majoritaires, je ne sais pas s'il y a eu des présidents qui venaient du mouvement syndical qui ont abaissé la compagnie. Donc la documentation et les échanges vont entre l'office et le président du comité qui les retransmettra. Alors là, cela me fatigue un peu d'avoir de la documentation qui me vient de mon "boss". Je préférerais que l'office l'envoie au président, naturellement, mais que des copies - ou tout au moins une copie - soient adressées aux autres membres du comité syndical.

M. Godin: D'accord. M. le Président, je n'ai pas d'autres questions pour le moment, je reviendrai à la fin. Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Merci M. le Président. J'aimerais d'abord remercier M. Daoust, les dames et messieurs qui l'accompagnent, de la qualité de leur mémoire. Nous reconnaissons également de ce côté-ci que la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) est admirablement bien placée pour parler en connaissance de cause de la francisation dans le domaine du travail. C'est dans ce sens-là que les recommandations et les observations que vous faites ne nous laissent pas indifférents.

M. le Président, j'aimerais cependant faire un bref commentaire pour ensuite permettre à mon collègue d'Outremont d'entamer la période des questions avec nos invités. Je pense que la FTQ n'est pas la première à faire état de ce qu'on appelle la campagne de culpabilisation acharnée et même hargneuse comme l'a dit M. Daoust plus tôt. On le retrouve à la page 4 de votre mémoire et je cite: "En réponse aux accusations et procès d'intention de porte-parole patronaux, de certains groupes de pression, des journalistes, de l'Opposition libérale, qui tous présentent la loi 101 comme une législation aussi excessive que périmée, s'est élevé, en effet, dans les rangs des ex-promoteurs de la loi 101, un concert de mea culpa peu propice à une mobilisation collective autour de la francisation."

Je voudrais revenir sur ce que je disais au nom de notre formation politique dès le début de ces travaux en commission parlementaire. Quant à nous du Parti libéral, nous ne faisons partie d'aucune campagne de culpabilisation que ce soit. Je l'exprimais clairement ainsi et je me cite pour ne pas risquer de me contredire: "Le Parti libéral du Québec avait toujours cru, croit encore et croira toujours que le gouvernement du

Québec, quel qu'il soit, se doit, par tous les moyens à sa disposition, non seulement de protéger mais aussi de promouvoir le fait français au Québec et même ailleurs au Canada".

Je disais également que le Parti libéral du Québec n'a jamais préconisé et ne préconise pas plus aujourd'hui l'annulation, l'abrogation ou l'abolition de la loi 101. En d'autres termes, le Parti libéral continue de croire qu'une législation est encore nécessaire pour que le fait français soit protégé, respecté et puisse s'épanouir. Je disais, cependant, que la législation qui assure le respect des droits de la majorité francophone doit également respecter les droits de la minorité non francophone de même que les dispositions de la constitution canadienne. Elle doit également rendre compte des effets sur l'aspect économique des choses. J'ajoutais aussi que nous n'avons jamais attribué exclusivement à l'ensemble de la loi 101 la fuite de nombreux citoyens et entreprises du Québec, pas plus que la dégradation évidente du climat économique, mais que nous serions cependant irréalistes et irresponsables si nous refusions de nous interroger sur les effets réels de certaines dispositions de la charte sur l'économie.

Alors, ce matin, vous nous faites état du fait que la francisation est loin d'être acquise et nous en convenons. Nous avons d'ailleurs indiqué, lors du témoignage du syndicat de Pratt et Whitney, que si la francisation ne se faisait pas normalement, nous nous associerions à tous ceux qui souhaitent qu'elle se fasse plus rapidement. Vous faites d'ailleurs état dans votre mémoire que la concrétisation du fait de travailler en français n'est pas acquise et risque, dans certains milieux, de ne pas l'être. Ce qui est acquis est fragile. Vous l'avez dit à plusieurs reprises. Et je vous donne raison sur ce point, d'autant plus que ce n'est pas seulement dans l'entreprise qu'on retrouve cela; c'est même dans une société comme Quebecair, par exemple, qui, depuis un bon nombre de mois, appartient presque exclusivement au gouvernement du Québec, qui veut en faire l'endroit privilégié pour assurer la présence... C'est le ministre des Transports qui disait de Québecair, que c'est l'outil véritable de promotion des francophones dans le secteur du transport aérien. Pourtant, on se plaint encore, chez Québecair, du fait que le manuel de fonctionnement soit unilingue anglais, que certains des documents, des formulaires que la compagnie fournit à ses employés sont unilingues anglais. On y a fait référence à l'Assemblée nationale il y a déjà plusieurs mois, un an et demi environ. Le ministre des Transports nous avait répondu: C'est une question de coût.

Effectivement, tout cela nous ramène à ce que nous disait le CLE, le Centre de linguistique de l'entreprise, la semaine dernière. Effectivement, quelle que soit la volonté de franciser du côté de l'entreprise et du côté syndical, du côté des employés, il y a un élément de coût qu'on commence à pouvoir mesurer et qui nous permet de nous poser la question: Est-ce que l'objectif de la francisation, dans le secteur du travail surtout, en vaut le coût? Je ne voudrais pas qu'on dise que les libéraux sont en train de dire que cela n'en vaut pas le coût; ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit. On dit simplement: Posons-nous les questions: combien ça coûte? combien sommes-nous prêts à y consacrer, compte tenu de l'impact sur notre position concurrentielle?

Le CLE nous a dit: C'est un coût unique au Québec. Les entreprises qui oeuvrent partout sur le continent ont ces coûts additionnels à payer seulement au Québec et cela les place dans une situation qui n'est peut-être pas difficile mais qui, sur le plan concurrentiel, crée des problèmes. Tout ce qu'on dit, c'est: Allons-y voir et assurons-nous qu'on connaît ces coûts. Dans nos démarches pour amener la francisation le plus complètement et le plus rapidement possible, qu'on ne perde pas cela de vue.

Je suis conscient du fait que la FTQ n'est pas là pour se préoccuper nécessairement de cela. Nous avons entendu les recommandations et les constatations que vous nous avez faites à la lumière de ce que vous êtes, des représentants de travailleurs syndiqués. Comme vous le dites vous-mêmes, c'est la vaste majorité des travailleurs et des travailleuses du secteur privé qui se retrouvent chez vous; c'est dans ce sens qu'on pense que vos recommandations sont extrêmement importantes.

Je dis au gouvernement, par la même occasion, qu'il doit y voir dans sa propre maison, notamment à Québecair... J'ai ici le bulletin de septembre 1983 de l'Association des gens de l'air du Québec; à la page 13, on lit et je cite: "On a souvent évoqué le caractère francophone de Québecair". N'est-il pas difficile de faire le lien entre cette affirmation et le fait que les employés de ce transporteur, dont le gouvernement du Québec est propriétaire unique, doivent encore travailler avec des manuels de fonctionnement et autres documents unilingues anglais? À ce propos, avant de chercher la paille dans l'oeil de nos voisins, il faudrait peut-être penser à la poutre que nous avons dans le nôtre.

Effectivement, si le gouvernement insiste et pousse les entreprises à dépenser des sommes, des ressources pour la francisation, qu'on commence d'abord par donner l'exemple. J'ai ici une copie du Quebecair Operations Manual, unilingue anglais, dans lequel les amendements s'appellent des "amendment no 2, dated 2nd of July 1983, remove, insert, etc." Je me dis

que si on a des difficultés dans l'entreprise sur le plan de la francisation, ce n'est pas tellement surprenant, compte tenu de cet état de choses.

Je termine en disant: Loin de nous l'idée de vouloir faire de la démagogie et de dire que le gouvernement ne fait pas son travail. On nous a répondu: C'est une question de coût. Si c'est une question de coût pour le gouvernement qui a cette mission, qui, on le reconnaît tous, a le devoir d'être le moteur de la francisation, si le gouvernement peut se justifier en alléguant les coûts que cela représente de permettre à certains pilotes, à certains membres du personnel de Québecair de travailler en français alors que c'est leur droit le plus strict, il ne faudrait peut-être pas que le gouvernement s'avise de pousser plus fort du côté de l'entreprise, là où ça ne lui coûte rien. (11 h 45)

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député d'Outremont, c'est pour compléter l'intervention si je comprends bien? M. le député d'Outremont.

M. Fortier: M. le Président, je comprends bien les difficultés dont nous ont parlé M. Daoust et ses collègues de la FTQ. Pour ma part je crois être bien placé pour poser des questions puisque, avant même que je décide de venir en politique, j'étais président d'un bureau de génie-conseil dans un domaine de haute technologie. Nous avions fait à ce moment-là des efforts de francisation très poussés avant même que la loi 101 ne vienne. Il ressort de l'expérience que j'avais vécue à ce moment-là que c'était d'autant plus facile que la direction était francophone et que nous étions décidés à réaliser ce genre d'objectif.

Je veux en arriver à votre recommandation principale, à la page 28. Dans un premier temps, la question que j'aimerais poser est celle-ci. Vous avez fait état d'une étude en cours. Vous nous avez dit: "Malheureusement, les conclusions ne sont pas disponibles à ce moment-ci." Déjà, à la lumière des contacts que vous avez, des discussions que vous avez eues avec vos représentants syndicaux dans les comités de francisation, est-ce qu'on ne peut pas dégager de grandes lignes de force qui nous permettraient de dire: Dans tel genre d'industrie c'est plus facile pour telle raison et dans tel autre c'est plus difficile pour certaines raisons qu'on peut assez bien identifier? Bien sûr, il y a des questions d'attitude, des questions reliées au fait que les cadres ne sont pas francophones, des questions de technologie. Je fais un parallèle entre Aviation Electric et Pratt et Whitney. On s'aperçoit que c'est plus difficile dans le domaine de l'avionnerie en particulier, je ne sais pas si cela a trait à la technologie comme telle.

La raison pour laquelle je vous pose cette question, c'est que je crois que si on veut aller de l'avant avec un programme de francisation encore plus accentué... Toutes vos remarques sont faites autour du chapitre VI, sur la langue de travail dans les entreprises. Comme l'a dit mon collègue de Gatineau, tous les députés des deux partis politiques autour de la table veulent assurer cette francisation dans le milieu du travail, et je crois que cela nous rendrait bien service - c'est malheureux que votre étude ne soit pas terminée - pour dégager des lignes de force qui nous permettraient d'ajuster les programmes.

Cela m'amènera, dans un deuxième temps, à vous poser cette question: Est-ce qu'une réglementation excessive est la réponse nécessaire à ces insuccès que nous avons eus ou est-ce qu'un encadrement plus précis, même au niveau des entreprises, même de la part de l'Office de la langue française, n'amènerait pas des succès plus rapides au lieu d'une réglementation encore plus poussée?

Ma première question est celle-ci: Pouvez-vous déjà tirer des grandes lignes sur les succès que nous avons connus au Québec dans le domaine de la francisation? Dans les domaines où il y a eu des insuccès, est-ce qu'on peut déjà tirer certaines caractéristiques générales qui nous permettraient d'adapter les programmes mis de l'avant par l'Office de la langue française ou par le gouvernement pour connaître de meilleures réussites dans l'avenir et plus rapidement?

Le Président (M. Gagnon): M. Daoust.

M. Daoust: II est sans aucun doute trop tôt pour conclure à la suite de cette étude qui est toujours en cours, qui a débuté en 1981 pour savoir exactement comment les comités de francisation ont pu fonctionner à l'intérieur des entreprises. Je veux vous dire quelques mots de cette étude qui se fait à l'intérieur d'un protocole Université du Québec à Montréal et CSN-FTQ. Elle couvre une trentaine d'entreprises, de grandes entreprises surtout, dans plusieurs secteurs professionnels. Elle se fait par la technique d'entrevues qui durent deux ou trois heures avec les porte-parole syndicaux et les représentants des travailleurs au sein des comités de francisation.

Mme Mona-Josée Gagnon vous disait que nous connaîtrons, de façon complète évidemment, les résultats de cette étude un peu plus tard cet hiver ou au début du printemps 1984. Par ailleurs, un minimum de constations qui nous sautent aux yeux et qui nous ont alimentés dans la rédaction de notre mémoire, on ne cessera de le répéter, c'est le manque d'encadrement, d'appui et de

soutien qu'on peut recevoir des représentants des travailleurs au sein des comités de francisation. C'est d'une évidence très nette.

En réponse au ministre Godin, il y a quelques minutes, on mentionnait que, dans bien des cas, il y a eu des relations suivies avec l'Office de la langue française, mais il nous semble que dans l'immense majorité des cas, à cause de la méconnaissance, et sans aucun doute, de toutes les structures et de toutes les possibilités, la plupart des membres n'ont pas eu ce type de contacts fréquents et réguliers qu'on aurait souhaités avec le négociateur de l'Office de la langue française ou avec l'Office de la langue française comme tel.

Il y a, sans aucun doute, un minimum de choses qui se dégagent, au-delà de cette étude et dans cette étude, à l'égard de la difficulté de francisation dans certaines entreprises. On a identifié, dans notre mémoire, deux secteurs où il y avait des lacunes. Entre autres, l'aéronautique: Pratt et Whitney et le cas qui a été cité devant vous à cette commission parlementaire, Aviation Electric, et peut-être d'autres où cela n'a pas tout à fait, disons, la même caractéristique. Je vais m'expliquer. Selon nos renseignements, par exemple, à Canadair, cela va passablement bien ou autrement mieux qu'à Pratt et Whitney. Mais, en gros, on identifie l'aéronautique, là où il y a des problèmes qui découlent... Je ne veux pas reprendre telle ou telle compagnie comme cible, mais, de temps à autre, c'est à cause de relations de travail un peu difficiles et peut-être à cause du secteur lui-même et de la technologie qui y est utilisée.

On mentionne aussi, dans notre mémoire, le secteur du vêtement. C'est peut-être à cause de la taille des entreprises et de l'aspect multiethnique du personnel qu'on retrouve dans ces multiples ateliers de couture, surtout à Montréal, qu'on sent des difficultés et des lacunes. Mais on n'est pas, à ce moment-ci, équipés pour porter un jugement par grands secteurs, même si on le souhaiterait.

Je reviens à ce que vous disiez. Une réglementation ou des amendements à la loi s'imposent, sans aucun doute, concernant les comités de francisation quant à la présence de sous-comités, quant à l'élection des membres. Il y a un tas de choses qu'on pourrait sûrement améliorer dans la loi, dont le suivi. Je pense que Mme Mona-Josée Gagnon en a parlé et d'autres également, l'évaluation, cela nous semble un des rôles essentiels qu'il va falloir surveiller de très près. C'est bien beau d'avoir fait une analyse linguistique, de s'être donné un programme de francisation, d'avoir obtenu un certificat de francisation, mais il y a le suivi et l'évaluation qui doit être constante, permanente, par le comité de francisation. Il faut que le comité de francisation soit valorisé dans cette démarche: suivi, bilan et contrôle. C'est pour cela qu'on souhaite que l'Office de la langue française y mette toute l'insistance nécessaire et soit muni de tous les moyens requis pour suivre cette démarche pendant encore cinq ou dix ans. Écoutez! On ne veut pas se projeter jusqu'à la fin des temps, mais je pense qu'il va falloir y mettre beaucoup d'efforts.

Je reviens donc à ce que vous disiez; sûrement des amendements à la loi, mais tout le problème de l'encadrement, le soutien et les outils nécessaires aux membres du comité de francisation. D'ailleurs, dans tous les documents de l'office, dans la rédaction, des articles de la loi, on attache une très grande importance aux comités de francisation. Ce sont eux qui sont munis des pouvoirs, des moyens, et ce sont eux qui sont les surveillants, la conscience de l'entreprise sur le plan linguistique, conscience qui doit s'exprimer dans des rapports publics. C'est le travail qu'on fait et qu'on voit aux comités de francisation. Dans ce sens, on n'est pas en divergence de vues avec qui que ce soit. Non seulement c'est l'esprit de la loi, la lettre même, l'esprit aussi, et la volonté de tout le monde. M. Gratton l'a mentionné, vous l'indiquez vous-même par vos questions, le ministre ne cesse de le répéter. On se dit: . Puisqu'on a là une conscience - nous autres, on parle de chiens de garde quant aux membres syndicaux ou aux membres représentant le groupe des travailleurs de ces comités - il faut les équiper. Cela me semble être la clef de tout le succès de l'entreprise de francisation en milieu de travail.

La Présidente (Mme Lachapelle): Merci, M. Daoust. M. le député d'Outremont.

M. Fortier: Merci. M. Daoust, il y a un peu une contradiction entre ce que vous et vos collègues avez dit et ce que le ministre nous avait dit. Ici, j'ai le procès-verbal du 20 octobre où le ministre donnait le rapport des programmes de francisation. En parlant d'Aviation Electric, il disait que cela avait été approuvé le 27 août et que c'était légèrement en retard. J'imagine que c'était en fonction du programme qui avait été approuvé comme tel - c'est à titre exploratoire que je le souligne - et je n'ai pas dit qu'il fallait réglementer davantage. Je m'interroge à savoir à ce moment-ci si on ne devrait pas apprendre davantage de l'expérience qu'on a eue depuis 1977. Tout à l'heure, quelqu'un de votre groupe a dit - je ne sais pas qui - que les employés qui étaient nommés à un comité de francisation se trouvaient un peu démunis. D'un autre côté, je dirais que ces gens y sont peut-être mieux placés que d'autres, parce qu'ils connaissent le milieu de travail comme tel.

L'expérience que j'ai eu personnellement des problèmes de francisation, c'est qu'à moins de connaître les difficultés réelles de la francisation, les problèmes réels auxquels on doit faire face, c'est assez difficile de trouver des solutions. Je me pose la question suivante. Là, je pense tout haut. Sachant que le budget de l'office et de l'ensemble des fonctionnaires qui y travaillent est à peu près de 20 000 000 $, en relation avec votre recommandation que des montants devraient être disponibles pour encadrer les gens, ne croyez-vous pas qu'on pourrait obtenir de meilleurs résultats en aidant ceux qui sont sur place, y incluant certaines entreprises? Cela ne se rattache pas seulement au côté syndical, parce que je crois que certaines entreprises - vous parliez de tout le domaine de l'aéronautique - pour certaines raisons techniques, du fait que ces industries sont très influencées par les Américains en particulier, ont des difficultés réelles. Ne devrait-on pas, sachant qu'il y a tout un secteur très important comme celui-là au Québec et qui sera encore plus important à cause de la venue de Bell Helicopter, étudier ce grand secteur d'une façon prioritaire, dégager des fonds pour aider à ceux qui travaillent dans ces milieux et même pour aider l'industrie à cerner les problèmes réels, avoir un peu moins de bureaucratie et un peu plus d'aide là où la présence est plus positive? Je me demandais, sachant que les budgets du gouvernement sont très limités, si on ne devrait pas penser un peu moins en termes de réglementation et un peu plus en termes d'incitation, avec la collaboration des syndicats et, j'ose l'espérer, la collaboration des patrons, des dirigeants qui verraient à ce moment-là une politique incitatrice appuyée par une aide financière. Peut-être que cela pourrait amener de meilleurs résultats. Je voudrais avoir votre opinion là-dessus.

M. Daoust: À l'égard de l'incitation, sans aucun doute, si les centrales syndicales étaient dotées de budgets qui tiendraient compte d'un tas de critères, celles-ci verraient à dépenser ces montants en consultation inévitablement avec l'Office de la langue française, un peu comme on le fait à la CSST. Ces programmes de formation et d'information font l'objet d'examens de la part de la CSST. On doit faire la preuve de leur pertinence; on doit, annuellement et même plus qu'annuellement, de temps à autre, soumettre des rapports sur les façons dont ces montants ont été dépensés. Je ne veux pas entrer dans ces détails qui seraient un peu complexes à vous expliquer, mais il n'y a aucun doute que si nous avions quelques moyens - ce n'est pas fabuleux ce qu'on demande - nous serions disposés à faire des interventions là où elles sont le plus essentielles, où c'est le plus pressé. Par exemple, constituer des comités interentreprises sur le plan syndical pour qu'il y ait des échanges entre les membres des comités de francisation, ou intervenir là où il y a des lacunes fort évidentes, former les gens et sensibiliser les travailleurs, sur les lieux du travail, à la nécessité de la francisation. On investit des montants imposants qui nous semblent normaux comme montants - on ne critique pas du tout - dans bien des domaines: la banque de terminologie, les lexiques, les vocabulaires. C'est essentiel. (12 heures)

Quant aux utilisateurs de tout cela, il y a bien des gens - il n'y a pas seulement les travailleurs, les cadres, les ingénieurs, et vous en êtes - à tous les niveaux de l'entreprise, dans leur milieu de travail, qui doivent voir à l'utilisation de ces terminologies, de toutes ces expressions un peu nouvelles ou rajeunies qu'ils utilisent dans leur travail. Tout cela prend des moyens.

Pour répondre à votre question, oui à l'incitation, sans aucun doute; c'est un peu le fond de notre mémoire. Aussi, on demande une réglementation qui ne soit pas tatillonne. On ne cesse de le répéter. On a parlé de souplesse dans notre mémoire et on est fort conscient de la fragilité de certaines entreprises. On n'a pas rouspété quand, dans certains cas, l'Office de la langue française manifestait une grande flexibilité. Ce n'est pas cela du tout. Il y a l'aspect concurrentiel. Jean-Pierre Néron vous a parlé de la crise économique qui a pu faire que, dans certains cas, cela n'a pas été aussi rapide qu'on l'avait souhaité. On est conscient de cela. Qu'il y ait une recommandation minimale qui ne soit pas écrasante, cela pourrait nous aider un peu plus. Je parle, encore une fois, du comité de francisation, du suivi et de l'évaluation.

M. Fortier: J'ai une question à poser, M. le Président, à M. Daoust, pour être plus précis. Vous faites une comparaison, dans votre mémoire, avec la CSST qui vous avance des fonds d'environ 1 000 000 $. Est-ce que, justement, pour trouver ces fonds, on ne devrait pas modifier la façon de franciser les entreprises et les pouvoirs donnés à l'office? Vous semblez dire oui à l'incitation, mais ma question est plus précise, à savoir: Si cela forçait le gouvernement à faire le choix, est-ce que vous préféreriez cette méthode où vous-même seriez impliqués? Croyez-vous que cette formule donnerait des résultats positifs, surtout si on s'attaquait à des secteurs plus précis qui seraient jugés prioritaires au Québec, au lieu d'y aller à peu près à égale force dans tous les domaines à la fois?

La Présidente (Mme Lachapelle): M.

Daoust.

M. Daoust: II n'est pas facile de répondre à votre question. Vous me demandez quasiment de disposer de fonds publics...

M. Fortier: ...ce matin.

M. Daoust: Évidemment, on connaît les difficultés financières du gouvernement. On est conscient de cela. On ne souhaite pas que l'Office de la langue française voie ses moyens réduits. On estime que ce n'est pas le temps de tourner la page à ce moment-ci. On en est farouchement convaincu et on serait bouleversé de voir que l'Office de la langue ne serait pas muni des budgets essentiels pour la francisation. On considère que, pour la santé démocratique du Québec, il est essentiel de poursuivre avec acharnement tous les efforts qui ont été mis en oeuvre depuis l'adoption de cette loi, afin qu'il n'y ait pas de recul ou d'ambiguïté quant à la volonté de la société québécoise de se franciser. Ce n'est pas de ce côté qu'on voudrait aller gruger quelques fonds. On estime qu'au-delà de ces fonds, qui sont essentiels, doivent s'ajouter d'autres ressources financières afin de poursuivre le travail en conjugaison et en étroite collaboration avec l'Office de la langue française.

Encore une fois, il ne s'agit pas d'aller grignoter dans les budgets de l'Office de la langue française et de dire: Nous, on va maintenant faire un type de travail qu'on aurait dû être en mesure de faire depuis le début. Il y a eu des efforts colossaux, il faut le reconnaître: 1800 comités de francisation, autant de programmes de francisation et des interventions chez les employeurs qui n'ont pas 50 travailleurs et plus. Il y a un immense terrain à défricher encore. C'est que c'est entendu que, stratégiquement, cela a été le choix de l'office et du gouvernement d'aller dans les grandes entreprises, il y a eu des choix stratégiques. Il y a des effets d'entraînement dans telle ou telle entreprise et cela a été bien fait; il n'y a pas de doute là-dessus. Là où je suis d'accord avec vous, c'est qu'il faille nécessairement à ce moment-ci peut-être identifier des secteurs ou des entreprises où cela cloche un peu, où il y a toutes sortes de problèmes et où des interventions seraient plus essentielles. Là-dessus, il n'y a pas d'ambiguïté, quant à nous; on est fondamentalement d'accord. Mais on ne voudrait pas qu'il y ait un fléchissement dans la volonté gouvernementale par des coupures de fonds qui, elles, seraient, à notre sens, au détriment de l'objectif qu'on poursuivait depuis 1977 par la loi et qui est en cours.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député?

M. Fortier: J'aurais une courte question à adresser à M. Côté, de Bell Canada. Quand M. Beauregard est venu, il nous a dit que la collaboration avec les syndicats - ou avec votre syndicat - allait très bien et que, somme toute, il y avait un climat de collaboration en ce qui a trait à la francisation. Vous avez formulé certaines critiques. Je pense que c'était peut-être de bonne guerre, mais d'une façon générale, étant donné que Bell Canada est souvent citée comme étant une entreprise où la francisation a assez bien réussi, est-ce que vous partagez quand même ce jugement global, même si vous avez certaines réserves sur certains points précis?

M. Côté (Michel): Sûrement. C'est un comité de francisation qui est énorme; c'est un dossier tout à fait énorme; j'en donnais un peu l'amplitude tantôt. Bien sûr qu'il y a eu des ralentissements à gauche et à droite; il y a eu des difficultés de communication même, à un moment donné, à l'intérieur du comité. Mais tout cela s'est aplani avec le temps. Et je suis d'accord avec M. Beauregard: C'est un comité qui, souvent et parfois laborieusement, avance et, systématiquement, on s'en va, lentement, mais sûrement, vers l'objectif qui est que, chez Bell Canada, tout va se passer en français quelque part entre 1984 et 1985.

M. Fortier: Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Gagnon): Merci beaucoup, M. le député.

M. le député de Groulx.

M. Fallu: Merci, M. le Président. M. le secrétaire général, en conclusion de votre mémoire, vous proposez une remobilisation de la population autour de l'objectif de la francisation. Cette conclusion fait, d'ailleurs, écho à l'introduction de votre mémoire où vous dites que des accusations et des procès d'intention qui ont présenté la loi 101 comme une législation excessive et maintenant périmée se sont élevés un peu partout au Québec et que la conséquence a été une sorte de réflexe "de mea culpa peu propice à une mobilisation collective autour de la francisation".

D'autre part, à travers votre mémoire, vous avez souligné comment certaines méconnaissances de la loi ont fait qu'il y a eu démobilisation. D'autres mémoires nous ont souligné ici que la perception de la loi était souvent relativement fausse. On a même entendu devant la commission des erreurs plutôt grossières qui indiquent bien la méconnaissance même de la loi. On nous a également dit comment à certains comités de francisation les travailleurs étaient plutôt

des "rubber-stamps" que des gens qui apportent une participation réelle; qu'il y avait donc une démobilisation des travailleurs devant la francisation de leur entreprise. Il y avait donc, à certains endroits, un manque de motivation des travailleurs devant la francisation. Et cela s'explique fort bien au moment où il faut apprendre à des francophones leur français, langue de travail, résultat d'une très longue pratique, à leur travail, d'une langue étrangère.

J'imagine que, lorsque vous nous proposez une remobilisation, vous entendez y participer comme centrale syndicale, par les outils que vous possédez. De là arrive - je pense bien que c'est dans cette ligne de remotivation que vous le proposez - cette sorte de revitalisation de la participation des travailleurs aux comités de francisation.

M. Daoust: C'est dans ce sens. Il faut les mettre dans le coup. Les gens qui m'accompagnent ce matin, M. Michel Côté, M. Jean-Pierre Néron et M. Jean Martin, sont de véritables missionnaires de la francisation. Je ne veux pas dire qu'ils ne sont pas représentatifs de tous ceux que l'on retrouve dans les comités de francisation. Leur implication personnelle depuis toujours a pu faire que les comités de francisation où deux d'entre eux se sont retrouvés ont fonctionné beaucoup mieux qu'ailleurs sans appui et sans soutien, encore une fois, du type de celui que nous avons souhaité tout au long de notre mémoire. C'est peut-être trop demander que tout le monde devienne un artisan et un missionnaire de la francisation au point d'y consacrer beaucoup de temps, comme c'est le cas de M. Jean-Pierre Néron et de M. Michel Côté qui sont cités en exemple dans notre milieu et dont on connaît l'insistance pour faire en sorte que leur comité respectif fonctionne très bien. Encore une fois, c'est la valorisation des comités de francisation.

Votre question m'amène à faire deux commentaires sur des études qui vous ont été produites et qui sont connues, celle d'Éconosult et celle de SORECOM. Une remarque très rapide sur le coût de la francisation. Éconosult Inc., entre autres, mentionne que la francisation stimule la créativité et l'initiative chez les francophones dans l'entreprise. Cela a des répercussions incroyables sur le plan de la productivité. On est tous conscients de la nécessité de rendre nos entreprises les plus concurrentielles dans un marché qui devient terriblement ouvert. On est tous conscients du facteur de la productivité qui doit jouer dans la concurrence des entreprises sur tous les marchés, qu'ils soient locaux, canadiens ou international. Selon SORECOM, cela améliore aussi le climat de travail. Même, dans une autre étude, j'ai vu que cela avait fait diminuer le nombre de griefs; cela peut se comprendre. Dans des entreprises où autrefois plusieurs des dirigeants, des membres du personnel-cadre et de la maîtrise ne maîtrisaient pas le français, il y avait inévitablement des affrontements peut-être à cause de ce facteur. Je ne veux pas poursuivre très loin ou trop loin sur cela, c'est assez complexe. C'est tout de même intéressant de voir- c'est le résutat d'une étude que je ne peux vous citer, mais qui existe - qu'un nombre de griefs moindres auraient été faits dans des entreprises où le processus de francisation est plus accentué. Donc, une amélioration du climat de travail. Voilà pour l'aspect économique du processus de francisation.

SORECOM nous parle de l'utilisation de la terminologie. C'est fantastique, la terminologie. On sait à quel point cela existe maintenant de plus en plus. Il y a des vocabulaires et des lexiques. M. Jean Martin nous parlait de l'industrie des pâtes et papiers plus tôt, avant cette commission parlementaire. Cette terminologie sera davantage utilisée si les salariés ont des possibilités de participer au processus de francisation par le biais - ils ne le disent pas, nous le disons - des comités de francisation.

Une conclusion rapide sur le coût de la francisation. M. Pierre-Étienne Laporte, directeur de la Direction de la recherche et de l'évaluation de l'Office de la langue française, prononçait une conférence en juin 1981 et il citait le résultat d'une enquête menée par Éconosult. Parmi une vingtaine d'entreprises où le coût en pourcentage du revenu annuel brut total au Québec avec impôt est mentionné, sauf peut-être une, le coût est de 0,1%. Il y en a une où c'est 5,9% et il l'explique. Il dit: Dans un cas, le coût s'est élevé à 5,9% parce que l'entreprise, une institution financière, a dû mettre sur pied un service pour la traduction en français de son mensuel destiné au marché québécois." (12 h 15)

II poursuit, et ce n'est pas mauvais de le citer: "II faut ajouter que ces coûts sont calculés avant impôt. Si on considère que les entreprises paient respectivement 36% et 13% de leurs profits aux gouvernements canadien et québécois, il s'ensuit qu'en pratique elles paient seulement la moitié du coût de la francisation, le reste étant supporté par les contribuables. De plus, une partie des coûts restants - on peut le supposer - est assumée par les autres partenaires de l'entreprise que sont les fournisseurs et les clients."

Je ne vous mentionnais pas cela pour minimiser les coûts de la francisation. Mais il ne faudrait pas, non plus, les exagérer au point où cela pourrait provoquer dans l'opinion publique des réactions négatives à l'égard de la francisation. Ce n'est pas

terriblement coûteux: 0,1% du revenu annuel brut, cela ne nous semblait pas exagéré. C'est donc tout cela qui appuie notre volonté, notre conviction et notre détermination à poursuivre la francisation avec, évidemment, tous les artisans de celle-ci à quelque niveau qu'on les retrouve.

M. Fallu: Devant cette commission, l'Association des conseils en francisation est venue nous affirmer que la francisation était réalisée - en fait, c'est une évaluation provisoire - à environ 70% dans l'ensemble des entreprises, sans doute à partir des plans de francisation. D'autre part, on sait qu'il existe des programmes de francisation qui doivent amener des certificats de francisation. Néanmoins - et de cela, plusieurs d'entre vous en ont témoigné ce matin et beaucoup d'autres nous l'ont dit -ces programmes de francisation, ce n'est pas la francisation intégrale de l'entreprise, c'est par rapport à des objectifs qu'on a négociés. À la page 19, vous soulignez que la francisation n'est jamais achevée et que, bref, un dossier de francisation ne devrait jamais être fermé. Qu'est-ce à dire? Vous parlez pour l'avenir. Les industries ont, pour ainsi dire, selon leur langage, signé des contrats avec l'Office de la langue française pour franciser leur entreprise avec un certain nombre d'objectifs sur une période de temps déterminée. Vous y participez vous-mêmes. Lorsque vous dites que les dossiers de francisation ne devraient jamais être fermés, on pense à l'avenir, pour les cinq, six ou dix prochaines années. Qu'est-ce que vous entendez par là? Est-ce qu'il faudrait renégocier à terme une fois que les certificats de francisation sont acquis ou une fois que les programmes de francisation, selon les objectifs négociés, sont complétés? Est-ce que, de votre point de vue de travailleurs dans l'usine qui vivez un degré relatif de francisation, il faudrait renégocier de nouveaux objectifs de francisation qui soient réalistes par rapport à l'entreprise, mais aussi par rapport aux convictions profondes qu'on a, qu'il faut travailler en français au Québec le plus possible?

M. Daoust: Selon nous, ce n'est jamais terminé. Périodiquement, il faut évaluer, faire le bilan. D'ailleurs, à l'article 113, dans les devoirs de l'office, on mentionne au point e que l'office doit "aider à définir et à élaborer les programmes de francisation prévus dans la présente loi et en suivre l'application." Un peu plus loin, à l'article 150, on indique que "l'office décide, après étude du rapport mentionné à l'article 149, si l'entreprise doit adopter et appliquer un programme de francisation. Dans l'affirmative, l'entreprise charge son comité d'établir le programme approprié et d'en surveiller l'application." Ce n'est pas limité dans le temps. Compte tenu des incroyables mutations technologiques et des changements de toutes sortes que connaît une entreprise, une entreprise, c'est comme un organisme vivant; cela évolue, cela se transforme, cela progresse; cela décline; cela disparaît même quelquefois. Cela subit tous les impacts du milieu, enfin, sur tous les plans. C'est donc très évolutif, une entreprise.

La langue qu'on parle dans cette entreprise subit inévitablement les chocs de toutes les petites révolutions, de tous les changements et de toutes les évolutions. C'est pour cela que, selon nous, la francisation n'est jamais finie. Il faut périodiquement, systématiquement et méticuleusement surveiller tout le processus. Afficher un certificat de francisation dans une entreprise, se glorifier publiquement, parfait, bravo, c'est pédagogiquement très bon, il y a des effets d'entraînement. Mais il faut voir à la suite de tout ce qui se passe s'il y a une pérennité dans l'application du programme de francisation ou s'il y a une permanence comme telle. C'est pour cela, encore une fois, que c'est fait par le biais des comités qui, eux, sont là et qui peuvent donner leur son de cloche, qui n'est pas intéressé ou qui l'est, mais qui n'est pas intéressé de la même façon que le son de cloche qui vient de la direction de l'entreprise.

M. Fallu: Voire même, à terme, renégocier un nouveau contrat?

M. Daoust: Bien oui, cela devrait être une négociation permanente - on souhaite cela dans d'autres milieux - une perpétuelle remise en question de ce qui s'y fait et de ce qui s'y passe. Évidemment, on ne se prolonge pas dans l'éternité, mais dans une dizaine d'années on verra, on fera peut-être d'autres bilans. On en fera avant cela sans aucun doute, mais peut-être qu'à ce moment-là ce sera tellement bien ancré que les dangers ne seront plus à l'horizon. L'enquête que nous avons menée nous mentionne - et Mme Gagnon pourra me corriger - que, dans un cas sur deux, ce n'est pas fini.

Mme Gagnon: D'après nos répondants, la francisation n'est jamais terminée, quoique dans certains cas c'est très avancé. Mais, dans un cas sur deux, les répondants estiment que les acquis pourraient être renversés si la loi était changée ou s'il n'y a pas une continuation de l'effort. Donc, le seuil de non-retour dans ce sens-là n'est pas atteint dans un cas sur deux d'après nos répondants. Nos répondants proviennent de grandes entreprises, parce que l'on a cherché à avoir des répondants là où les entreprises étaient les plus grandes dans chaque secteur industriel.

M. Fallu: J'ai une question très courte, qui est peut-être lourde de conséquences, par ailleurs. Avez-vous évalué pour votre propre centrale l'ordre de grandeur des sommes requises pour l'encadrement de vos membres aux comités de francisation?

M. Daoust: C'est une autre question bien compliquée. Pas de façon systématique. Parmi 1800 comités de francisation, on peut identifier le nombre de travailleurs et de travailleuses syndiqués. On le répète, ces gens-là ont besoin de temps en formation. Imaginez-vous - on peut rêver deux minutes - si on y avait pensé! Là, il y a de gros mea culpa qu'il faut faire quant à nous, mais on n'est pas les seuls. Peu importe, si on y avait pensé - et on peut rêver quelques minutes - un peu comme on le fait dans le domaine de la santé et de la sécurité, on libère des gens pendant une semaine ou trois jours, on leur donne tous les éléments de la loi, on les renseigne, on les sensibilise et on les forme pour qu'ils puissent assumer la fonction qui est la leur. Ce n'est pas terriblement coûteux. Il faut le dire, il y a peu d'employés, à notre connaissance - et vous me corrigerez ceux qui sont un peu plus au courant - qui bénéficient de libérations aux frais de l'employeur pour s'occuper de la francisation. Alors, il faudrait peut-être prévoir des moyens et des sommes pour que ceux-ci de temps à autre puissent se libérer, au-delà des cours qu'ils pourraient suivre, pour accomplir leur tâche.

Il y a de la documentation et un encadrement technique. On ne rêve pas en couleur non plus; on connaît les moyens financiers du gouvernement. Pour vous donner un ordre de grandeur, si chez nous, par exemple, il y avait quelques personnes qui, à temps plein, étaient chargées de ce dossier -ce serait leur dossier, comme on en a dans d'autres services - pour être bien franc - et votre question m'y pousse, je n'ai quasiment pas le choix - ce ne sont pas des montants fabuleux. Quelques personnes, quelques libérations ici et là, quelques moyens qui nous permettraient de publier un minimum de documents. Ce ne sont pas des miettes non plus, mais il y a une marge de manoeuvre.

Une voix: Le plus possible.

M. Daoust: Comme on me dit, quand on a demandé, je ne sais pas, je pense que c'était Samuel Gompers, le président fondateur de l'AFL: Qu'est-ce que vous voulez, le mouvement syndical?, il avait répondu: Le plus possible. Écoutez, je ne veux pas en faire une boutade et qu'on se laisse là-dessus, mais ce sont des moyens suffisants, le plus possible, qui nous permettraient d'accomplir notre tâche.

M. Fallu: Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. Deux courtes questions, M. le député de Mont-Royal et Mme la députée de Chomedey.

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. M. Daoust, nous avons entendu le témoignage d'un représentant d'une moyenne entreprise dans le comté de Lotbinière. Il nous apprenait que les exigences de l'Office de la langue française avaient eu pour conséquence la cessation d'une des activités de son entreprises. C'était une entreprise plus que majoritairement francophone - je pense qu'il avait mentionné 99% de tout le personnel -et tout se faisait en français. Quelle serait votre réaction à une telle situation où on a exigé que certaines choses soient faites à des coûts pour lui qui étaient prohibitifs de sorte qu'il s'est vu dans l'obligation de cesser certaines activités?

M. Daoust: Sans aucun doute, si tel était le cas et si la preuve en était faite de façon évidente, il y aurait plus qu'une très grande ouverture d'esprit; écoutez, on essaierait de mettre en oeuvre les moyens qui s'imposent pour éviter qu'une entreprise ne doive fermer ses portes à cause de la loi 101. C'est là un cas très hypothétique et ma réponse, je ne dis pas qu'elle est hypothétique. Je vous dis que notre objectif est de garder les emplois, d'en créer, d'en maintenir. Le fonds de solidarité que la FTQ met sur pied va dans ce sens.

Par ailleurs, je suis très sceptique quand des employeurs nous donnent de telles raisons, du moins dans le cas que vous citez parce que je n'en ai pas entendu beaucoup qui mentionnaient qu'ils ont été obligés de fermer leurs portes à cause de la francisation. Quant à nous, on est extraordinairement sceptique. Il y a des entreprises qui ferment leurs portes et qui ont toutes sortes de boucs émissaires. Souvent, c'est le syndicat et, de temps à autre, ce sont d'autres raisons comme celle que vous mentionnez. Mais, quand on gratte un peu, on s'aperçoit que c'est moins véritablement cela que des problèmes de gestion, des problèmes de marché et des problèmes de concurrence. Encore une fois, je vous dis: Oui, ouverture d'esprit, mais scepticisme qui nous pousserait à demander qu'une entreprise fasse la preuve de façon bien évidente que c'est à cause de telle ou telle disposition de la loi qu'elle est mal prise financièrement.

M. Ciaccia: Mais dans ce cas particulier - je ne voudrais pas vous induire en erreur - ce n'est pas toute l'entreprise qui a fermé ses portes. Le témoignage - je présume que c'était le propriétaire de l'entreprise - révélait qu'il a été obligé de cesser une de ses activités. Il a mentionné que les exigences de l'Office de la langue

française lui auraient occasionné un coût de 100 000 $ et aussi le fait que c'était dans un secteur mou où les dépenses ont peut-être plus de conséquences que dans d'autres secteurs et où il doit être concurrentiel avec d'autres entreprises même en dehors du Québec. C'était le cas particulier qui a été porté à notre attention ici devant cette commission.

Le Président (M. Gagnon): Mme la députée de Chomedey. (12 h 30)

Mme Bacon: Une courte question, M. le Président. Le secrétaire général a vraiment fait grand état, avec un manque d'encadrement, de la faiblesse des membres du syndicat qui faisaient partie des comités de francisation. Évidemment, vous en faites un élément majeur dans vos recommandations. Par contre, vous nous suggérez - si j'ai bien compris - que la nomination des membres du comité de francisation soit faite pour un an. Il y a quelque chose qui m'a accrochée tantôt. M. Côté semble très brave et très gentil, comme Mme Goodfellow. J'aimerais lui demander quelle serait l'expérience de Bell Canada, par exemple, si on nommait des représentants pour un an. Si on l'avait fait, est-ce qu'il y aurait eu une continuité suffisante pour arriver à des résultats qui sont quand même fort appréciables?

M. Côté (Michel): Au risque de vous étonner, Mme Bacon, je suis reconfirmé à mon poste à tous les deux ans.

Mme Bacon: Vous avez parlé tantôt d'une intervenante en disant "cette brave, cette gentille femme." C'est cela que je vous retournais.

M. Côté (Michel): Bon, d'accord.

Mme Bacon: Vous voyez ce que cela donne quand on le reçoit. Si c'étaient des mandats d'un an, est-ce que vous trouvez que cela serait suffisant? Est-ce que vous avez vraiment besoin de deux ans, de trois ans ou plus? Vous semblez dire que cela demande une continuité si on veut arriver à de bons résultats, du moins à mes yeux. Il me semble qu'un an ce n'est pas très long.

M. Côté (Michel): Vous avez tout à fait raison. Deux ans réapparaissent plus souhaitables. Comme vous le dites, il y a quand même l'adaptation au dossier; il faut y travailler et également y produire pour ensuite le passer au successeur. Surtout dans une section locale, dans un milieu syndical, en général, deux ans est le terme d'un poste électif. Il y a élection à l'exécutif à tous les deux ans. Cela fait partie du même procédé de jugement ou d'évaluation de la qualité du travail qui est fait à chacun des postes, incluant le poste à la francisation dans la section locale.

Mme Bacon: Si on pense en termes d'une année, d'une nomination d'un an, est-ce que ce serait pour informer, préparer ou sensibiliser davantage le "membership" à ce processus de francisation? Peut-être que M. Daoust ou M. Côté pourrait me répondre.

M. Daoust: Si je m'appuie sur l'expérience des comités de santé et de sécurité dont on vient de publier les règlements quant à leur formation, je crois qu'on parle d'une année. Il faudra vérifier. En plus de cela, on donne le pouvoir au syndicat de retirer son représentant s'il n'est pas satisfait de son travail, cela peut arriver. La continuité dont vous faites état dans une entreprise donnée où il y a un syndicat, c'est lui qui l'assume. Le porte-parole, le représentant ou les représentants du syndicat au sein du comité doivent, selon les statuts et les constitutions qu'on retrouve dans la plupart de nos syndicats, faire périodiquement rapport des activités qui sont les leurs. La lacune qui ne nous avait pas paru évidente au moment des discussions sur la loi, c'est qu'ils sont nommés pour toujours. On n'a plus de moyens. Il faut qu'ils démissionnent ou bien qu'ils restent en place un ou deux ans, avec des modalités. Je pense que là-dessus il n'y a pas d'immenses difficultés quant à nous.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: Merci, madame et messieurs de la FTQ. Avant de compléter, j'aimerais dire à mes collègues de l'Opposition que je les félicite d'être aussi acharnés que nous à franciser le Québec sur le dossier de Québecair. Soyez assuré, M. le député de Gatineau, que je vais me mettre aux trousses du ministre des Transports pour que l'opération de francisation de Que'becair se fasse dans les plus brefs délais.

Quant au cas de l'usine de camionnage qui aurait soi-disant fermé ses portes parce que la francisation impliquait une dépense de 100 000 $, je n'ai pas encore les informations complètes. Il s'agissait d'une entreprise qui fabriquait des meubles, je crois, et qui...

M. Ciaccia: Elle a cessé ses activités dans le transport.

M. Godin: ...livrait ses propres produits avec ses propres camions. Nos renseignements sont qu'il y avait une espèce d'intégration verticale, comme on dit dans le langage économique. En général, ces entreprises ne servant qu'aux besoins de l'entreprise mère, elles ont des camions qui

ne sont pas utilisés sur 24 heures et, dans la plupart des cas observés, lorsqu'une entreprise confie par sous-contrat à un camionneur, à un transporteur ce genre d'activité, elle a des coûts beaucoup moins élevés.

J'aurai plus de renseignements là-dessus au cours de la semaine, M. le député de Mont-Royal. Je sais que vous êtes préoccupé autant que nous par les questions économiques, mais je ne suis pas sûr que la raison de la fermeture soit uniquement attribuable au coût d'inscription bilingue sur les camions qui livraient aux États-Unis. C'est ce que M. Laflamme m'avait dit à l'époque et on va vérifier si c'est le cas. Si c'est le cas, ce serait un beau cas où il aurait dû y avoir une entente, où il aurait pu y avoir une entente pour étaler la transformation sur quelques années ou la faire à l'occasion de la nouvelle séance de peinture des camions. L'office se fait accuser par bien des gens d'être trop souple et c'est ce qui ressort de ce que vous dites. Qu'on me donne la preuve qu'il a été trop sévère à certains endroits. Je n'ai pas encore eu de preuves. Je pense, au contraire, qu'il a agi de façon raisonnable dans tous les cas et les gens de Pratt et Whitney disent même dans trop de cas.

D'ailleurs, pour Pratt et Whitney, j'ai des nouvelles à annoncer à la suite des déclarations qui ont été faites ici et au "smoke signal" que j'avais envoyé à la compagnie, un "smoke signal" cosigné par mon collègue de Gatineau. L'entreprise a fait savoir à un de mes collègues qu'elle avait l'intention de se remettre au boulot dans les plus brefs délais pour éviter que, dans quelques mois, il y ait des réprimandes contre ces entreprises qui ne se conduisent pas comme de bons citoyens corporatifs du Québec.

Maintenant, quant au fond de la question et avant d'en venir à vos recommandations et a ce que nous avons l'intention d'en faire dans l'avenir, il y a beaucoup de gens qui disent qu'il y a des coûts à la francisation. C'est sûr qu'il y en a, mais nos travaux, nos études nous permettent de croire que la francisation constitue un laboratoire social de bonnes relations à l'intérieur d'une entreprise donnée. Cela rapproche les travailleurs de l'entreprise, c'est une expérience qui donne aux travailleurs un sentiment de fierté renouvelée puisqu'ils sont maintenant respectés par l'entreprise. Les effets sociaux d'une telle reconnaissance de sa langue et de sa culture par une entreprise ne peuvent être que positifs à l'intérieur de l'entreprise et la productivité en est l'incarnation.

Les profits sont de 0,5% en moyenne, mais je pense que c'est, dans tous les cas, largement compensé par le fait que l'employé se sent beaucoup plus chez lui à l'intérieur de l'usine. Il n'y a pas encore d'étude là-dessus - à moins que les travaux du professeur Prairie ne l'abordent - mais soyez convaincus que j'ai l'intention de confier à nos boîtes qui s'occupent de la recherche le soin de vérifier si, effectivement, les effets de cette expérience de cogestion linguistique - car c'est de cela qu'il s'agit... Je pense que les effets d'une telle cogestion ne peuvent être que positifs sur les relations entre employeur et employés.

Je pense donc que la loi 101 n'a pas créé une hypothèque, mais qu'elle a levé une hypothèque. Si on compare la situation sociale au Québec avec celle prévalant avant la loi 101, avec les manifestations qu'il y avait, avec la frustration collective qu'il y avait, avec tout ce qu'on subissait dans l'ensemble du Québec, ce que les travailleurs subissaient, je suis convaincu que, lorsque 1 000 000 de travailleurs laissent leur langue au vestiaire dans un pays, c'est mauvais pour le pays. Le coût impliqué pour que les travailleurs puissent rentrer avec leur langue sur le plancher de l'usine, cela a amélioré grandement la situation économique du Québec, j'en suis convaincu.

Je terminerai en disant que, quant à vos recommandations précises, nous allons prendre les moyens qui s'imposent pour que les comités de francisation soient resserrés, pour que leur travail soit encadré de façon telle qu'on n'assiste plus à ce genre de situation où les travailleurs sont lentement écartés, où les réunions sont étalées sur un an, un an et demi avant d'être reconvoquées. Donc, nous allons agir là-dessus.

Par ailleurs, à l'égard de votre citation de Samuel Gompers, où les syndicats demandent le plus possible ou autant qu'ils peuvent avoir, je vais regarder de très près cette suggestion. Déjà des négociations muettes ont commencé entre nous pendant cette commission. Quand vous avez mentionné qu'il faudrait quelques permanents de plus ou quelques budgets pour diffuser de la documentation, c'est une des solutions que nous envisagerons avec beaucoup de sympathie, M. le secrétaire général. Merci, messieurs; merci, madame.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Très brièvement, j'aimerais moi aussi remercier nos invités de la FTQ. Je ferai remarquer, à la suite des propos du ministre, que, finalement, parmi les gens que nous avons rencontrés en commission parlementaire jusqu'à maintenant, il y en a très peu qui sont venus revendiquer des changements à la loi 101, surtout en ce qui touche la langue du travail. Il y a bien sûr des constatations qui ont été faites par le CLE, entre autres, et par d'autres

organismes semblables, mais qui n'ont pas nécessairement débouché sur des recommandations pour assouplir les dispositions de la loi 101 quant à la francisation du milieu du travail. Ce qu'on a surtout visé dans les revendications que j'ai entendues, en tout cas, c'était de faire disparaître ces irritants ou ces dispositions qui forcent des gens à traduire. Par exemple, qu'un directeur-cadre d'une commission scolaire anglophone, qui écrit à un autre directeur-cadre anglophone d'une autre commission scolaire anglophone, doive écrire en français et faire tout traduire, ce qui ne contribue en rien - tout le monde en convient - à la francisation, ce qui occasionne non seulement des irritations, mais aussi des coûts supplémentaires. En tout cas, c'est ce que je retiens de nos travaux et cela me surprendrait énormément qu'on débouche sur des modifications à la loi 101 qui iraient dans le sens de ne pas continuer à favoriser de toutes les façons possibles la francisation dans le domaine du travail, compte tenu bien entendu des coûts que cela engendre.

Quant à l'intention du ministre de se mettre aux trousses du ministre des Transports en ce qui a rapport à Quebecair, je conviens avec lui que, s'il y a un avantage à franciser l'entreprise et à faire en sorte que les employés d'une compagnie ou d'une société sentent que leur langue est acceptée - cela doit être aussi vrai à Quebecair que n'importe où ailleurs - je lui souhaite bonne chance, par contre, parce que nous, nous nous sommes mis aux trousses du ministère des Transports en mars 1982, à l'Assemblée nationale, cela fait 19 mois, et nous attendons toujours. Je suis sûr que le ministre sera plus capable de se mouvoir plus rapidement pour le suivre à la piste.

Une voix: ... L'Air Canada.

M. Gratton: Merci, M. Daoust; merci, madame; merci, messieurs.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. Daoust, je vous laisse le mot de la fin. Avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Daoust: Rapidement, je veux remercier le ministre, les députés, les membres de cette commission. Je pense que nous avons eu des échanges qui indiquent qu'il y aura satisfaction quant à plusieurs des revendications qui sont contenues dans notre mémoire, mémoire qui incidemment est présenté par la FTQ, qui a été l'objet d'une décision du bureau de direction de la FTQ et qui fait suite à une consultation à l'intérieur de nos rangs. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Gagnon): Madame et messieurs de la FTQ, merci beaucoup.

Maintenant, j'inviterais les représentants de la Société nationale des Québécois de l'Outaouais à prendre place, s'il vous plaît. M. Jacques Dupont, je vous prierais de nous présenter les gens qui vous accompagnent et de faire le résumé ou la lecture de votre mémoire.

Société nationale des Québécois de l'Outaouais

M. Dupont (Jacques): Merci, M. le Président. Je vais vous en faire la lecture. J'aimerais d'abord vous présenter les gens qui m'accompagnent. À ma gauche, M. Marc-André Tardif, administrateur de la société, professeur de français d'expérience, il habite le comté de Gatineau et il est militant de longue date à la SNQO; à ma droite, M. Jean Joanisse de la ville d'Aylmer, fonctionnaire fédéral à Hull au sein de la fonction publique fédérale et également administrateur au sein de la société.

Le Président (M. Gagnon): Puis-je vous demander d'approcher un peu votre micro, s'il vous plaît?

M. Dupont: Là, vous m'entendez bien? Une voix: Oui.

M. Dupont: Je peux procéder à la lecture?

Le Président (M. Gagnon): Je vous en prie. (12 h 45)

M. Dupont: Auparavant, M. le Président, j'aimerais vous demander la permission d'aborder la question de l'affichage bilingue dans la ville de Hull. Je sais que la ville de Hull est venue présenter un mémoire dernièrement. Nous avons été un peu surpris que le ministre accepte tout de suite les recommandations de la ville de Hull. J'aimerais si possible, après coup, aborder cette question, parce que nous avons un son de cloche un peu différent de celui de la municipalité de Hull. Si vous le permettez, donc, nous voudrions faire lecture de notre mémoire et ensuite parler de cet aspect spécifique.

M. Godin: Avez-vous un document écrit sur cet aspect du mémoire de la ville de Hull?

M. Dupont: Non, pas vraiment. En fait, cela découle un peu indirectement de notre mémoire, mais puisqu'il s'agit essentiellement de l'affichage bilingue dans la ville de Hull, j'ai des éléments visuels et j'ai des articles de journaux. Ce sera très bref. Je vous assure que ce sera très bref.

M. Godin: D'accord. M. le Président, si mes collègues sont d'accord pour que nous vous laissions aller sans qu'on ait un document écrit, je serais d'accord aussi. Mais la pratique et la tradition veulent que, si on modifie entre la date...

M. Dupont: Oui.

M. Godin: ...de la soumission, il y a deux semaines ou un mois...

M. Dupont: Oui.

M. Godin: ...et le jour de la présentation... si on modifie un mémoire, on remette à tout le monde, avant la lecture, l'ajout en question. S'agit-il d'un ajout considérable ou bref?

M. Dupont: Non, quelques minutes de commentaires, M. le ministre.

M. Godin: D'accord.

M. Dupont: Et notre mémoire est déjà très bref.

M. Godin: Consentement? Une voix: Pas de problème.

Le Président (M. Gagnon): Ce sont des commentaires que vous aurez à faire après votre mémoire?

M. Dupont: Oui.

M. Godin: II y a consentement, M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): On me dit qu'il y a consentement. Vous pouvez y aller.

M. Dupont: Notre mémoire s'intitule: Les jalons de notre libération nationale. L'adoption de la loi 101 a certes marqué un point tournant pour l'Outaouais comme pour l'ensemble du Québec, l'intégrité territoriable du Québec franchissant une étape décisive et la différence québécoise devenant évidente. À la suite de cette réforme entreprise par le gouvernement, deux foyers de résistance se sont manifestés dans l'Outaouais, de la part d'une partie de la population anglophone et de la part du gouvernement fédéral.

Une certaine partie de la population anglophone refuse toujours de se conformer à la loi 101. Cette résistance prolongée tient à l'enracinement profond des anglophones dans l'Outaouais, mais également au fait qu'une fraction importante de cette communauté s'identifie davantage à l'est ontarien. Bon nombre y travaillent et considèrent que l'Outaouais est une banlieue de la région Ottawa-Carlton. La situation géographique de l'Outaouais fait que ces mouvements de rejet disparaîtront à mesure que s'affirmera le caractère québécois de l'Outaouais. Faut-il préciser que les dénonciations de la part des anglophones de l'Outaouais tiennent davantage d'une négation des droits collectifs de la majorité francophone de l'Outaouais et du Québec? Ce qui est voulu, au fond, c'est de faire de l'ouest du Québec une région de l'Ontario et des francophones, une minorité.

La Société nationale des Québécois de l'Outaouais considère que tout affaiblissement de la loi 101 ferait reculer le Québec et renaître les conflits du temps des lois 63 et 22. La fermeté du gouvernement est vitale dans l'Outaouais, zone stratégique d'une très grande importance des points de vue démographique et linguistique. Les francophones constituent plus de 80% de notre population. Le taux d'assimilation vers l'anglais, bien que très inquiétant dans certains secteurs à forte concentration anglophone, reste de cinq à six fois moins important que chez les francophones de l'est ontarien.

Outre certains milieux anglophones, la seconde source d'opposition à la loi 101 provient du gouvernement fédéral. Depuis les années soixante-dix, le gouvernement fédéral a littéralement envahi le centre-ville de Hull en y installant environ 20% de son administration centrale, soit environ 25 000 fonctionnaires dont la langue maternelle est très majoritairement l'anglais. Depuis un certain temps, les gens de l'Outaouais mesurent l'ampleur véritable de cette agression culturelle et sociale, comparable au gâchis de Mirabel. Car on constate actuellement que le secteur des services et des affaires impliqué se fait imposer une population d'environ 25 000 fonctionnaires, pour la plupart anglophones. C'est dire que la langue de travail de tout ce secteur est devenue très majoritairement l'anglais. Les francophones travaillant dans les restaurants et les bureaux desservant cette population s'adressent spontanément en anglais à la clientèle, tant cette arrivée massive d'anglophones a perturbé le milieu socioculturel hullois.

Pour ce qui est de la langue de travail au sein de l'administration centrale du gouvernement fédéral, autant du côté québécois que du côté ontarien, c'est l'anglais qui domine très nettement. Les francophones sont essentiellement concentrés dans la catégorie des employés de soutien ou répartis aux différents échelons faiblement rémunérés, sauf pour les services de traduction et du personnel. À quelques exceptions près, la langue de travail principale est l'anglais. Et ici je cite le Rapport du commissaire aux langues officielles de 1982.

Ainsi, le gouvernement du Québec doit se rappeler qu'il est le seul des deux

gouvernements capable de faire progresser dans l'Outaouais non seulement le français, mais aussi les francophones. Nous l'enjoignons de garder à l'esprit qu'il a été reporté au pouvoir avec un mandat clair de maintenir les Québécois dans une position de force après le rapatriement de la constitution effectuée sans l'accord du Québec. Il serait malvenu de céder aux pressions de l'Opposition officielle et des groupes de pression anglophones largement soutenus par le gouvernement fédéral. On sait, dans l'Outaouais, à quel point l'actuel gouvernement fédéral est un ennemi juré du Québec et de l'affirmation du français comme langue de travail véritable et un artisan de l'anglicisation de l'Outaouais. En effet, chaque jour, des dizaines de milliers de Québécoises et de Québécois de l'Outaouais, travaillant au sein de la fonction publique fédérale à Hull et à Ottawa, doivent utiliser presque exclusivement l'anglais. Faut-il rappeler au gouvernement que cette situation constitue une violation permanente de la Charte de la langue française qui accorde à tout citoyen du Québec le droit de travailler en français? La Société nationale des Québécois de l'Outaouais demande donc au gouvernement du Québec d'entreprendre, dans les plus brefs délais, des négociations avec le gouvernement fédéral dans le but de faire du français la langue de travail principale au sein des administrations centrales du gouvernement fédéral sises à l'intérieur des frontières du Québec.

Pour en revenir à l'action du gouvernement du Québec en matière linguistique, nous considérons qu'il a bien agi. Le gouvernement a entrepris de réparer des injustices profondes mises à jour au cours des années soixante et soixante-dix et de satisfaire les aspirations légitimes et normales de la majorité des Québécoises et des Québécois. Le moment serait mal choisi d'indiquer à la population que la bataille est terminée et que la place du français au Québec est à jamais assurée. Nous traversons une époque où l'ensemble de la francophonie et où toutes les sociétés de taille modeste sont menacées d'anéantissement ou d'érosion. Le Québec ne peut tout simplement pas se permettre d'abandonner le navire au gré du courant.

L'épanouissement de la langue française en Amérique du Nord est au coeur de l'affirmation de la nation québécoise. Nous venons à peine de franchir une première étape au cours des dernières années, pourquoi arrêter ou, pis encore, pourquoi faire marche arrière maintenant? L'affirmation du français au Québec trace les jalons de notre libération nationale. L'indépendance suivra, et puis une nouvelle société naîtra, plus sûre d'elle, plus généreuse encore, plus soucieuse de transmettre à ses voisins et à l'ensemble des peuples, son message de fraternité et d'amitié. La survie et l'épanouissement des peuples et des nations de taille modeste demeurent l'un des meilleurs gages d'une paix et d'une harmonie profondes à l'échelle de la planète. Le Québec ne peut rater cette chance unique de marier son destin à celui des communautés authentiques et indépendantes et d'exprimer avec la plus profonde sincérité son attachement à la langue française.

Ainsi, dans l'Outaouais, mesurons-nous chaque jour l'importance de la contribution du gouvernement du Québec à l'épanouissement de la langue française. La Société nationale des Québécois de l'Outaouais considère que le gouvernement a posé un geste d'une importance historique en adoptant la Charte de la langue française. Sans doute saura-t-il poursuivre dans cette voie, voulant ainsi se faire le maître-d'oeuvre de notre libération nationale.

Je peux procéder maintenant aux commentaires concernant l'affichage bilingue, si vous voulez...

M. Godin: D'accord.

M. Dupont: ...et aborder ensuite les autres aspects. Je voudrais juste vous citer un extrait des discussions qui ont eu lieu ici où la ville de Hull affirmait: "Le maire, les conseillers municipaux et la population de la ville de Hull..." Je sais que la ville de Hull défend l'idée d'un statut particulier depuis l'élection de novembre 1982 où elle considère avoir obtenu un mandat de la population de négocier ce statut auprès du gouvernement du Québec. Or, la Société nationale des Québécois de l'Outaouais a demandé l'avis de deux experts en matière de consultation pupulaire, M. Paquin, de l'Université du Québec à Hull, et M. Dallaire, de l'Université de Montréal. Les deux en sont arrivés a la conclusion que cette consultation était biaisée, d'abord parce qu'elle s'était déroulée en même temps qu'une élection et ensuite parce qu'il y avait cinq questions, une réponse, et qu'on pouvait difficilement conclure quoi que ce soit. En fait, la conclusion de ces deux analyses était que la consultation n'avait aucune valeur scientifique. Donc, l'affichage bilingue, qui était un des cinq aspects abordés dans l'unique question où les gens avaient à dire oui ou non, faisait partie d'un ensemble qui n'a pas été discuté ouvertement au sein de la population puisqu'il n'y a eu aucune assemblée publique, aucun comité du non et aucun comité du oui. La ville de Hull a strictement fait valoir le point de vue du oui.

J'ai apporté avec moi - c'est le deuxième aspect que je voulais aborder - des exemples d'établissements commerciaux situés sur le territoire de Hull. Vous pouvez

regarder les photos avec moi, M. le ministre. Je vais simplement les parcourir pour vous indiquer combien, du point de vue strictement de l'affichage, il y a danger de procéder, je crois, à un affaiblissement de la loi 101 à ce moment-ci. S'il y a un affaiblissement et s'il y a des changements à apporter, ils ne devraient certainement pas avoir lieu dans l'Outaouais, croyons-nous.

J'énumère la liste des photos: Tip Top - ce sont des établissements commerciaux -Smart Set; Castle Restaurant; Restaurant Gisele; Bank Hotel; Yummie's, un comptoir de sandwiches et de café; Naples Pizza; Charcoal Broil Steaks; The Royal Ottawa Golf Club, Members Only, membres seulement; une affiche de la Commission de la capitale nationale: Lac des Fées promenade, Des Fées Lake Parkway; Amusements B & B; Quilles, Bowling; Bowling, Quilles; Ponderosa Steak House; Top Banana; Tim Horton, beignes; Restaurant Fuller's.

Si le ministre accorde l'affichage temporaire bilingue, il va se trouver, face à ces établissements et à d'autres - ce ne sont que quelques exemples - à consacrer la prédominance de l'anglais dans l'affichage, puisque la loi permet déjà que Smart Set s'appelle Smart Set. Ce n'est peut-être pas une bonne idée, mais enfin. Supposons que la loi est ainsi faite en ce moment. Si vous accordez l'affichage temporaire en anglais et en français, vous vous trouvez donc à consacrer la prédominance de l'anglais dans l'affichage.

J'aimerais, en terminant - c'est le dernier aspect de mon improvisation - vous parler d'un exemple d'une image tronquée. La ville de Hull revendique la bilinguisation de l'affichage pour, semble-t-il, connaître un certain essor économique. La dernière photo, c'est la Banque royale, la Royal Bank, qui a toujours affiché en anglais. Cette banque a annoncé, au début du mois d'octobre, la fermeture de sa succursale sur la Promenade du Portage, à Hull, et le gérant a dit: "La fermeture, après 40 ans, de la succursale de la Promenade suit une étude de marché étalée sur une période de deux ans. Ainsi, pour ceux qui croient y avoir remarqué un achalandage considérable, les études démontrent - selon M. Poitras, le gérant -que plus la succursale reçoit de clients, plus elle est déficitaire. - C'est une succursale qui affiche en anglais, mais vous allez voir le secret. - C'est, en fait, que les soi-disant clients sont en bonne mesure des fonctionnaires qui ne font pas affaires avec cette succursale si ce n'est que pour négocier leurs chèques de paie." Vous voyez, il y a apparence d'Eldorado, mais ce n'est pas toujours le cas. Je crois que la stimulation d'un milieu commercial dépend d'abord d'un certain nombre de facteurs qui, plus souvent qu'autrement, sont financiers, c'est-à-dire que, si la Banque royale, la Royal Bank, offrait des taux d'intérêt plus élevés, il y aurait une foule de gens qui y investiraient leur argent.

Je crois que l'affichage bilingue n'est pas une recette magique. Je crois que la ville de Hull a fait preuve d'un certain manque d'imagination. Comme les photos en témoignent, le visage français de Hull n'est vraiment pas une chose irréversible.

Je vous remercie de m'avoir permis d'improviser quelque peu, mais je tenais à ajouter ces éléments au mémoire.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. Dupont.

Avant de céder la parole au ministre, je voudrais demander aux membres de la commission si on termine, si on suspend les travaux ou si on prolonge...

Une voix: 15 heures.

Une voix: ...questions. Une voix:On prolonge.

Le Président (M. Gagnon): On prolonge, pour terminer les questions.

M. de Bellefeuille: ... M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): Mais vous avez le droit de vous y opposer. Je demande si vous êtes d'accord pour qu'on prolonge nos travaux ou est-ce qu'on revient à... (13 heures)

M. de Bellefeuille: Je préférerais, M. le Président, que nous demandions à M. Dupont et à ses deux compagnons de revenir à 15 heures.

Une voix: Pas d'objection.

M. Godin: Je pense que la majorité souhaiterait que nous poursuivions.

M. de Bellefeuille: Alors, allez-y.

Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse, mais ce n'est pas la majorité. C'est l'unanimité.

M. Godin: ... M. le député de Deux-Montagnes.

Le Président (M. Gagnon): Nous allons donc suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures et vous demander de revenir pour répondre aux questions des membres de la commission.

(Suspension de la séance à 13 h 01)

(Reprise de la séance à 15 h 05)

Le Président (M. Gagnon): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission élue permanente des communautés culturelles et de l'immigration poursuit ses travaux afin d'entendre tous les intervenants intéressés par la Charte de la langue française.

Lors de la suspension de nos travaux, nous avions terminé l'audition du mémoire de la Société nationale des Québécois de l'Ou-taouais. Nous étions rendus à la période des questions des membres de la commission. Je cède immédiatement la parole à M. le ministre.

M. Godin: M. Dupont, M. Joanisse, M. Tardif, merci de nous avoir fait part de vos opinions, d'autant plus que les représentants de la ville de Hull sont venus nous rencontrer. Vous avez évoqué vous-mêmes, dans vos remarques préliminaires, que vous vous êtes étonnés de l'attitude que les membres de la commission auraient eue. Un peu plus tard, quand j'aurai terminé mes remarques préliminaires, pourriez-vous me préciser l'impression que vous en avez eue, parce qu'à ma connaissance je n'ai pris aucun engagement face aux gens de la ville de Hull, à ce moment-là?

D'autre part, je retiens de votre mémoire une chose assez fondamentale, à savoir que les autorités fédérales auraient, si je me souviens bien, décidé d'implanter un groupe important de fonctionnaires du côté québécois de l'Outaouais, donc à Hull, dans le but de les franciser. Je me rends compte qu'aujourd'hui on se sert de ce groupe de 25 000 personnes non pas pour les franciser, mais pour "bilinguiser" les 200 000 qui sont à Hull. Est-ce que mes souvenirs des raisons pour lesquelles on avait implanté des fonctionnaires fédéraux anglophones à Hull sont justes?

D'autre part, vous dites que le gouvernement fédéral est un mauvais partenaire de la francisation du Québec. On en a eu des preuves récentes dans le cas de Pratt et Whitney. Le gouvernement fédéral est le gros "subventionneur" de cette entreprise et, à ma connaissance, il n'a jamais fait d'effort particulier pour rappeler à Pratt et Whitney que, premièrement, il y avait une loi 101 au Québec qu'on appelle la Charte de la langue française et, deuxièmement, qu'en vertu de cette loi un comité de francisation avait été implanté au sein de l'entreprise. Il aurait donc pu, dans la mesure où il est un partenaire important de Pratt et Whitney dans l'entreprise United Technologies à Longueuil, insister pour que Pratt et Whitney assume aussi l'objectif de francisation du travail au Québec.

Ce sont mes remarques. J'aimerais savoir de quelle manière vous nous suggérez de procéder pour faire du gouvernement fédéral un allié de la francisation du Québec. Merci, M. Dupont.

Le Président (M. Gagnon): M. Dupont.

M. Dupont: Vous me confiez là une lourde responsabilité. Pour répondre à votre première question concernant votre engagement face à la ville de Hull, je faisais allusion à un article dans le journal Le Droit du jeudi 27 octobre: "Les démarches de Hull portent fruit." Dans cet article, on dit, enfin, on semble vous faire dire en tout cas que vous avez accepté le concept d'un statut particulier pour la ville de Hull concernant l'affichage et, comme je vous le disais, c'est un des cinq points demandés par la ville de Hull. De son point de vue à elle, en tout cas, l'affichage bilingue est de loin supérieur à la situation actuelle.

Maintenant, vous semblez qualifier l'intervention de la ville de Hull de dynamique et de tout cela. Vous avez même donné l'assurance que cette loi permettrait un tel affichage bilingue et que les restaurateurs pouvaient le faire dès aujourd'hui.

M. Godin: En fait, il est peut-être bon que je précise. Il arrive souvent que les gens travaillant aux journaux, pris dans les urgences et les heures de tombée, n'ont pas le temps de lire le journal des Débats. Ce que j'ai dit, c'est qu'effectivement les menus pouvaient être affichés dans les deux langues à l'extérieur, ce qui est dans la loi actuelle et rien de plus. Ce que j'ai dit ici a peut-être pu donner l'impression que je venais seul de décider que tel était le cas, mais cela a toujours été dans la loi que les menus à la porte des restaurants, même à l'extérieur, peuvent être affichés dans les deux langues, d'une part. D'autre part, ce que j'ai dit, effectivement, par rapport au dynamisme de cette communauté, aux représentants de la ville de Hull, du monde des affaires et du commerce à Hull, c'est qu'effectivement je saluais leur intention de provoquer, enfin, de susciter un développement économique considérable à Hull. J'ai dit qu'il y avait beaucoup de moyens à envisager pour y parvenir et que nous partagions l'objectif, mais je n'ai jamais dit que le moyen que moi, je privilégierais, à la fin de notre réflexion sur la loi 101 et de toute autre mesure pour dynamiser les régions, serait l'affichage bilingue. Je n'ai jamais dit cela.

M. Dupont: Nous voilà rassurés à ce chapitre, en tout cas. Je peux vous dire que cela a créé un certain émoi parmi ceux qui font de la défense de la langue française une préoccupation quotidienne. On avait l'impression que le gouvernement s'était rallié à un point de vue global qui, selon nous, est tout à fait contraire aux objectifs de la francisation...

M. Godin: Pardon. Je n'ai jamais dit aux gens de la ville de Hull que je me ralliais à leurs solutions. J'avais dit que je me ralliais à leur objectif de faire de Hull un lieu où il y avait une activité économique considérable, mais je n'ai jamais dit que la solution était l'affichage bilingue. À ce moment, cela voudrait dire que tout le Québec devrait être bilingue. À ce moment, on verrait des 5 $ qui pousseraient dans les arbres et enfin, ce n'est pas du tout ma perception du développement économique du Québec.

M. Dupont: Vous m'avez demandé ce qu'avait promis, ou ce qu'avait en tête le gouvernement fédéral lorsqu'il a décidé de... Je ne me rappelle pas exactement l'aspect que vous souleviez. Si le fait de franciser les fonctionnaires était l'un des objectifs avoués, je ne sais pas. Je sais que, lorsque les Hullois et les gens de l'Outaouais ont demandé la présence du gouvernement fédéral, il y avait deux aspects. Le premier aspect, c'est qu'ils ont toujours demandé, en même temps qu'ils voulaient que le gouvernement implante des édifices fédéraux, que le gouvernement respecte le caractère français de Hull. Comme vous le savez, Hull est une ville à 90% de langue française. C'est donc dire que maintenant, l'anglais étant devenu de plus en plus la langue d'affaires et du commerce, à cause de cet "arrivage" de fonctionnaires, voilà qui n'est pas un respect du caractère français de la ville de Hull. Le deuxième aspect, c'est que les gens de l'Outaouais ont toujours réclamé une diversification de l'économie, ce qui ne s'est pas produit, non plus, de la part du gouvernement fédéral qui a concentré ses investissements uniquement dans l'implantation d'édifices fédéraux.

Le Président (M. Gagnon): Merci.

M. Godin: Voici ma dernière question. Est-ce qu'on devrait, comme gouvernement, ou est-ce que les organismes comme le vôtre, ou enfin, n'importe qui ayant une opinion au Québec, devrait tenter de convaincre le groupe de représentants du Québec à Ottawa, qu'on appelle le "French power", si je me souviens bien, de tenter d'implanter au Québec, non seulement le "French power", mais le "French" aussi?

M. Dupont: C'est cela, justement. Vous savez, en ce moment, la fonction publique fédérale, à Ottawa et à Hull, n'est pas du tout le reflet de la réalité canadienne, c'est-à-dire qu'il y a un quart des gens au Canada qui travaillent en français et trois quarts qui travaillent en anglais. Les gens de la fonction publique fédérale, de l'administration centrale à Ottawa et à Hull, travaillent à 100% en anglais.

M. Godin: En anglais?

M. Dupont: À peu près uniquement en anglais. La vraie langue de travail, au-delà des panneaux, au-delà des en-têtes de lettres, c'est l'anglais; la langue des réunions, la langue des promotions, c'est l'anglais.

M. Godin: Donc, on peut dire qu'au niveau des symboles, le français a une certaine place, mais que, dans la réalité, toute la place est à l'anglais.

M. Dupont: C'est cela. En un mot - je fais un jugement global, mais c'est du vécu; les gens qui m'accompagnent le savent aussi; les gens qui travaillent dans l'Outaouais, au sein de la fonction publique fédérale, le savent aussi - la politique des langues officielles du gouvernement fédéral, c'est un écran de fumée. C'est pour sauver la face, pour sauver les apparences. En réalité, il y une seule véritable langue de travail et c'est l'anglais.

M. Godin: Merci, M. Dupont.

Le Président (M. Gagnon): Merci.

M. Joanisse (Jean): Si je peux me permettre...

Le Président (M. Gagnon): Oui, vous voulez ajouter quelque chose?

M. Joanisse: À ce point de vue, au gouvernement fédéral, vous n'êtes pas sans savoir que la région de Hull ne fait pas partie de la région de Québec, mais de la région de la capitale nationale, ce qui fait que les règlements de bilinguisme qui sont appliqués dans les régions bilingues comme Montréal ou Québec ne sont pas appliqués. Hull fait partie d'Ottawa; elle ne fait pas partie du Québec. Ce qui fait que la langue de travail est beaucoup plus l'anglais à cause de cela.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre.

M. le député de Gatineau.

M. Gratton: M. le Président, je laisserai à mon collègue de Mont-Royal, s'il le désire, faire état de l'expérience qu'il a vécue dans la fonction publique fédérale à titre de sous-ministre quant à l'usage des langues anglaise ou française.

Quant à moi, d'abord, j'aimerais remercier MM. Dupont, Joanisse et Tardif de la présentation de leur mémoire. Inutile de vous dire que la prémisse sur laquelle vous appuyez vos affirmations diffère de la mienne. Nous ne vous le reprochons pas, mais nous le constatons: pour vous, la loi

101, c'est la manifestation de l'intention du Québec de devenir un État indépendant. Je crois que c'est M. Jean Blouin qui l'écrivait dans Actualité: L'adoption de la loi 101 a été voulue comme le prélude à une déclaration d'indépendance. Sauf qu'il faut bien admettre qu'en 1980, il y a eu un référendum sur le sujet et que quelque 60% des Québécois, dans l'ensemble, ont dit non. Dans la région de l'Outaouais, cela a été quelque chose comme 70% qui ont répondu non. On doit plutôt examiner la loi 101 à la lumière des situations vécues et non pas nécessairement - comme vous le qualifiez dans votre cas, quant à moi - comme un jalon de notre libération nationale.

Cela étant dit, la question que j'aimerais vous poser se rattache à celle du ministre. Le ministre ne savait pas si sa mémoire le servait fidèlement quand on disait qu'une des raisons du gouvernement fédéral d'implanter des édifices du côté québécois de l'Outaouais était en grande partie pour franciser le travail qui s'y faisait. Pour avoir vécu toute ma vie dans l'Outaouais, je n'ai jamais considéré que c'était là un élément important de la décision du gouvernement fédéral. Bien au contraire. Ma question est de vous demander si vous êtes en mesure de confirmer ce que j'avance, en ce sens que, si le gouvernement fédéral, il y a une dizaine ou une douzaine d'années, a décidé d'aménager des édifices fédéraux du côté québécois de l'Outaouais et d'amener par le fait même un certain nombre de fonctionnaires à venir y travailler, c'était en grande partie pour répondre aux demandes incessantes et combien de fois répétées tant du conseil municipal de la ville de Hull que des chambres de commerce et de tous les intervenants du milieu, qui réclamaient du gouvernement fédéral leur juste part des retombées économiques que représente la fonction publique fédérale dans la région dite de la capitale nationale. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi qu'effectivement c'était là la principale raison de cette décision et que, forcément, les effets que cela a eus - on ne les nie pas - ce n'était pas ce que visait le gouvernement fédéral?

Le Président (M. Gagnon): M. Dupont.

M. Dupont: Comme je l'ai indiqué au ministre, à chaque fois que des demandes sont faites au gouvernement fédéral de la part du milieu des affaires ou du conseil municipal ou des gens en général, elles sont toujours doubles. D'abord, à la fonction publique, notre part du béton, si vous voulez, notre part de l'investissement dans la construction d'édifices, oui, mais toujours en respectant le caractère français de l'Outaouais. Chaque fois que cette demande était formulée, c'était toujours accompagné de cette condition qu'on trouve une façon pour que le caractère français de l'Outaouais soit respecté et, bien sûr, on n'a tenu que la moitié de cette promesse. Je me rappelle que le député fédéral, M. Gaston Isabel, disait, lors des premières années: Ah! vous savez, Rome ne s'est pas construite en un jour. Il tentait d'inspirer de la patience aux gens de l'Outaouais, qui ont toujours réclamé que le gouvernement fédéral respecte le caractère français de l'Outaouais, et par conséquent le Québec, parce qu'il s'agit là de l'administration centrale de ce qui est censé être notre pays, de ce qui l'est. Normalement, comme je vous disais tantôt, il y a un quart du Canada qui travaille en français. Pourquoi le gouvernement fédéral ne respecte-t-il pas cela? Il faudrait lui poser la question. Ce que je demande, pour nous qui sommes tout seuls, soit la société ou les gens de l'Outaouais un peu isolés, c'est que le Québec assume ce mandat de négocier notre juste part de la francisation de la fonction publique fédérale, la véritable francisation.

Le deuxième volet des réclamations des gens de l'Outaouais a toujours été une diversification économique, comme il s'en est fait du côté d'Ottawa-Carleton. Le développement des secteurs de haute technologie dans la région Ottawa-Carleton s'est amorcé il y a une vingtaine d'années. Ces efforts ne se sont pas faits du côté de l'Outaouais québécois. En fait, ce qui est arrivé, c'est que l'économie québécoise est devenue de plus en plus dépendante de la fonction publique qui, elle, travaille en anglais et cela a comme conséquence l'anglicisation de l'Outaouais par le gouvernement fédéral.

M. Gratton: M. Dupont, vous n'êtes sûrement pas en train de me dire que la diversification du côté de l'Ontario est le résultat de politiques du gouvernement fédéral. Si on pense, par exemple, au domaine de la haute technologie, c'est bien plus l'entreprise privée d'abord. On a l'exemple Mitel qui a été le précurseur de tout le développement qui s'est fait de ce côté et qui n'avait...

M. Dupont: II n'a reçu aucune subvention du gouvernement fédéral, jamais?

M. Gratton: C'est sûr, mais il avait décidé d'abord de s'installer où il était déjà. C'étaient des gens qui travaillaient à Carleton. S'il y a des carences du côté de l'Outaouais, on doit peut-être se demander si nous aussi avons fait les efforts voulus, incluant le gouvernement du Québec. Quoi qu'il en soit, dans le cas des fonctionnaires fédéraux, quand vous dites: "Le gouvernement fédéral ne s'est pas acquitté de ce deuxième engagement de respecter le caractère

français", quel reproche leur adressez-vous? Est-ce sur le plan des fonctionnaires ou des personnes qui ne sont pas suffisamment francophones ou est-ce sur d'autres éléments que vous appuyez votre affirmation?

M. Dupont: Je crois que cela s'appelle le comité mixte Sénat-Chambre des communes sur les langues officielles où comparaissait M. Edgar Gallant, le président de la Commission de la fonction publique. Certains députés lui ont fait état de plaintes de la part d'anglophones qui s'emmerdaient royalement à apprendre le français parce qu'ils savaient fort bien que cela ne servait à rien et qu'ils ne s'en serviraient pas. D'ailleurs, un des gros problèmes - j'ai beaucoup d'amis qui sont professeurs de français, langue seconde, à des anglophones -les gros problèmes qu'ils ont, c'est, d'une part, la motivation des anglophones qui savent que cela ne sert pas parce que cela n'est pas une langue de travail et, d'autre part, ils passent six mois à un an aux frais de l'État à apprendre le français et ensuite ils l'oublient. Bon nombre d'anglophones, qui ont appris le français il y a plusieurs années, l'ont oublié parce que cela ne sert pas. Alors, que voulez-vous? Ce que l'on demande au gouvernement fédéral, c'est que les centaines de millions qui vont dans le programme des langues officielles servent aussi à l'implantation du français comme langue de travail et non pas à sauver la face.

M. Gratton: Êtes-vous au courant, M. Dupont, que, par exemple, dans la région... La source que j'ai ici, ce sont des chiffres de 1981 parce que, me dit-on, ceux de 1983 ne seront rendus publics que dans un mois ou deux. Mais je les tiens d'une étude de la Commission de la capitale nationale sur une enquête faite en 1981, où on indique que, parmi les employés des ministères de la région de la capitale nationale dans la fonction publique fédérale, on retrouve 48 897 anglophones, soit 64,9% du total, alors qu'il y a 26 402 francophones, soit 35,1% du total. Est-ce que cela vous apparaît être assez fidèle à ce que l'on connaît dans la région? Est-ce que cela n'indique pas que le pourcentage des francophones est plus élevé que la proportion de 24% dont vous parliez tantôt?

M. Dupont: Oui. Sans doute que la source que vous citez est bonne. Je ne la conteste pas. Je crois que c'est à peu près fidèle à la réalité. Il y a deux aspects à ce que vous dites. D'abord, les francophones sont en assez grand nombre, effectivement, au sein de la fonction publique fédérale; c'est vrai, je ne crois pas que ce soit là un problème. Le problème c'est qu'ils travaillent tous en anglais. C'est cela le problème.

Premier volet. D'une part, ils travaillent à peu près tous en anglais et, d'autre part leur possibilité de carrière... Ils sont beaucoup à répondre au téléphone dans certains secteurs cloisonnés et les carrières plafonnent extrêmement vite, au point où la Commission de la fonction publique a abandonné ses programmes spéciaux à l'endroit des francophones. Elle se concentre essentiellement à aider le cheminement des carrières des femmes, des autochtones et des handicapés.

Les programmes qui étaient auparavant affectés aux francophones ont été abandonnés parce que cela ne fonctionne pas, pour la simple et bonne raison qu'il y a à peu près seulement l'anglais qui est la langue de travail et que, si les employés n'acceptent pas ce fait de la prédominance de la langue anglaise comme langue de travail, ce n'est pas long que les carrières plafonnent. Ce n'est donc pas une question de nombre de francophones; c'est le fait qu'ils travaillent en anglais.

M. Gratton: Je laisserai à mon collègue de Mont-Royal qui, comme je le disais tantôt, y a travaillé... Je me garde bien d'avoir jamais travaillé là et s'il y a un petit moyen, je vais également éviter d'aller dans la fonction publique fédérale à l'avenir.

Je pense qu'on pourrait citer de nombreux exemples qui contredisent l'affirmation voulant que les francophones soient plafonnés à cause du fait qu'ils doivent travailler en anglais la majorité du temps. Si, par exemple, on regarde les statistiques du nombre de francophones à la fonction publique fédérale ailleurs que dans la région de la capitale nationale - c'est M. Joanisse qui disait qu'on considère cela comme une région à part - dans le reste du Québec, on s'aperçoit, par exemple, qu'à Montréal, c'est 92% de l'ensemble des fonctionnaires fédéraux qui sont francophones contre 8% seulement qui sont anglophones. Ici, dans la ville de Québec, 95,3% sont francophones et seulement 4,7%, anglophones. Pour le reste de la province, c'est 92,7% de francophones et 7,3% d'anglophones.

Je ne peux m'imaginer - et j'imagine que vous non plus - qu'on puisse penser qu'avec des proportions de francophones telles dans le reste de la province, on travaille en anglais. On doit sûrement travailler en français. Si on travaille en français dans l'ensemble du Québec, à l'exception de l'Outaouais québécois, il y a sûrement de fortes chances que des communications se fassent en français entre le siège social ou le siège central, si vous voulez, qui est dans l'Outaouais québécois ou ontarien, et les régions de Montréal, de Québec et du reste de la province.

C'est pour cela que j'accepte mal l'affirmation voulant que tout se passe en

anglais. Tout ne se passe peut-être pas suffisamment en français au niveau de l'Outaouais québécois. Je me souviens que certaines personnes avaient demandé au gouvernement fédéral d'installer plutôt les ministères où l'on retrouve plus de francophones du côté québécois et de garder les autres en Ontario. Je ne sais pas si vous préconisez que ce soit là un élément de solution.

M. Dupont: Concernant le pourcentage d'anglophones qui parlent français, lors de l'implantation du ministère de l'Environnement en 1970, je crois, il y avait 88% d'unilingues anglophones. C'est un peu mal partir le bal. C'était un des ministères les plus anglophones du gouvernement fédéral et cela ne l'a pas empêché de l'implanter là.

Par rapport à ce que vous dites concernant la langue du travail à l'extérieur de la région de la capitale fédérale - je suppose que c'est le français au Québec, du moins je l'espère - on dit: Pourquoi ce ne serait pas le français dans l'Outaouais? Après tout, nous sommes, nous aussi, des citoyens du Québec. Il n'y a aucune raison pour que le gouvernement fédéral ne respecte pas cela.

M. Gratton: Est-ce que vous iriez jusqu'à suggérer qu'on limite ou qu'on exige de travailler en français au Québec, dans l'Outaouais québécois, quitte à devoir contingenter en conséquence le nombre de fonctionnaires fédéraux qui pourraient venir travailler au Québec?

M. Dupont: Je ne comprends pas votre question, je m'excuse.

M. Gratton: Par exemple, vous parlez du ministère de l'Environnement. Vous ne suggérez sûrement pas que, parce qu'on y trouve trop d'anglophones, on devrait les retourner en Ontario sans les remplacer par d'autres.

M. Dupont: Je ne suis pas président de la Commission de la fonction publique. Je ne peux pas vous dire: Faisons ceci ou cela. Ce que je vous dis, c'est que le gouvernement du Québec... J'espère que les deux partis vont adhérer au principe qu'il devrait y avoir 20% de la fonction publique fédérale qui travaille en français dans la région de la capitale fédérale. À partir de ce moment-là, on trouvera des solutions pratiques pour réparer les pots cassés. Ce n'est pas pour rien que je compare cela au gâchis de Mirabel, vous savez. C'est vraiment un affront qui a été fait à la communauté. C'est sûr que cela ne se répare pas en 24 heures.

Ce que nous sollicitons aujourd'hui, c'est un appui officiel des deux partis - du gouvernement du Québec, en particulier -pour assumer le mandat d'entreprendre des négociations avec le gouvernement fédéral pour que le caractère français de l'Outaouais soit respecté, tel qu'il avait promis de le faire. Si cela suppose des mutations, des changements, bien sûr que ce sera nécessaire.

M. Gratton: À votre point de vue, M. Dupont, est-ce qu'une solution ou encore une réaction à cette affluence d'anglophones de la fonction publique fédérale du côté de l'Outaouais québécois ne pourrait pas être contrée en partie par une affluence semblable de fonctionnaires du gouvernement du Québec qui viendraient s'installer dans l'Outaouais québécois, comme on nous l'a d'ailleurs souvent promis? On sait fort bien que tout se déroulerait exclusivement en français.

M. Dupont: Vous disiez tantôt, M. Gratton, que les gens de l'Outaouais avaient voté non au référendum dans une proportion de 70%. J'ai toujours trouvé que ce résultat était prodigieux pour la simple raison suivante: Imaginez passer un référendum dans la région de Québec qui proposerait l'abolition de Québec comme capitale. J'ai peine à croire que vous obtiendriez 30% de gens qui accepteraient, malgré tout, d'appuyer un tel projet. Une des lacunes du Parti québécois est qu'il n'a pas offert de solution de rechange aux gens qui gagnent, en ce moment, leur vie dans la fonction publique fédérale. Le projet de société d'indépendance n'est pas accompagné d'une solution de rechange pour les fonctionnaires fédéraux en ce moment. Malgré cela, il y a quand même 30% des gens qui ont dit oui et qui ont voté pour le projet de la souveraineté-association. Je trouve ce résultat très encourageant.

M. Gratton: On pourrait épiloguer longtemps sur les raisons qui ont amené les gens à voter d'un côté ou de l'autre, tant au référendum qu'aux élections. Je vous rejoins dans le reproche que vous adressez au Parti québécois sur son manque d'avoir convaincu les fonctionnaires fédéraux du sérieux de sa promesse de les intégrer à la fonction publique québécoise dans un Québec indépendant.

Passons, M. le Président. Le ministre me fait de gros yeux. Il voudrait qu'on aille le plus vite possible. Je ne le lui reproche pas. Normalement, c'est moi qui lui fais de gros yeux. (15 h 30)

Je dirai simplement, en terminant, M. le Président, que quant à nous, on ne s'entendra jamais sur la démarche et sur l'objectif ultime que nous visons. Sûrement que la présence du gouvernement fédéral a

eu des conséquences, il faut accepter les résultats, et bien sûr, les bonifier dans la mesure où c'est possible, mais je pense qu'il est illusoire de s'imaginer qu'on pourrait amener le gouvernement fédéral à implanter les ministères qui comportent un plus grand nombre de fonctionnaires fédéraux francophones par mutation, pour les amener à mieux respecter le caractère français de la ville de Hull. Il me semble que la ville de Hull, les citoyens de la ville ont beaucoup à faire avec cela.

Je voudrais terminer en relevant un certain nombre des photographies que vous nous avez fournies. Je pense qu'il ne faudrait pas créer d'injustices à l'égard de certaines des personnes ou des entreprises visées. Par exemple, quand vous parlez de Tip Top, je vous ferai remarquer que la loi le permet puisque c'est une raison sociale dans tout le pays et qu'on omet par contre, comme ailleurs, de dire Tip Top Tailor; c'est Tip Top tout court et quand on voit le reste de l'affichage, c'est unilingue français. Même chose avec Yummie's, je ne pense pas qu'on puisse traduire cela et je ne voudrais pas que l'Office de la langue française s'y mette non plus. Je ne sais pas comment... Je sais comment on traduit quand on parle de barbotine, mais avec Yummie's, je ne m'y risquerais pas. Fuller's, c'est encore un restaurant qui fait affaires dans tout le continent; restaurant licencié, toujours ouvert, il n'y a pas un mot d'anglais sauf le nom. Il ne faudrait quand même pas...

M. Dupont: J'ai apporté ces éléments -je n'avais pas l'intention de le faire mais je croyais que le ministre Godin avait accepté que les marchands de la ville de Hull puissent afficher en anglais et en français. Je voulais lui démontrer que beaucoup de raisons sociales sont anglaises: Tip Top, Fuller's et que de ce fait, il consacrerait la prédominance de l'anglais dans l'affichage. Je voulais apporter la preuve que telle en serait la conséquence.

M. Gratton: Cela va. Le dernier exemple que j'ai ici c'est Top Banana qui, eux, ont eu la merveilleuse idée de traduire cela par la Banane de choix. Je vous avoue franchement qu'ils auraient pu laisser faire.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Bourassa.

M. Laplante: Merci, M. le Président. M. Dupont, votre mémoire est très favorable à la loi et au maintien de ses règles actuelles. Vous dites que l'importance de cette loi est historique par le geste que le gouvernement a posé au moment de son adoption.

M. le ministre vous demandait tout à l'heure quoi faire, quelle sorte de négociations il faudrait avoir avec le gouvernement fédéral pour obtenir un peu plus de français de la part des fonctionnaires dans la ville de Hull. Est-ce qu'on doit se référer au député? J'en doute. Vous n'avez pas osé donner la réponse. Lorsque nos députés francophones, québécois, qui nous représentent au gouvernement d'Ottawa ne paient même pas leurs impôts au Québec, comment leur demander de prendre la part du français dans la ville de Hull, dans un lieu bien donné qui est Hull, qui est la porte d'entrée - tel que votre maire le disait -touristique du Québec? Cela me paraît très important qu'au moins ces députés-là commencent par cela et peut-être qu'après cela, ils seraient plus sensibilisés à la cause française au Québec.

À un moment donné, vous dites que tout affaiblissement de la loi 101 ferait reculer le Québec et renaître des conflits comme au temps des lois 63 et 22. Croyez-vous que les irritants, certains irritants dans la loi... On se souvient très bien que M. Lévesque, lors de l'adoption de la loi 101, a dit que ce n'était pas une loi qui était coulée dans le ciment. Il a dit qu'après cinq ans, il y aurait peut-être des choses qui évolueraient, peut-être qu'il y aurait des articles de la loi qu'on a jugé bon d'y placer, mais qu'avec la pratique, on pourrait peut-être changer. Croyez-vous qu'il y ait des irritants aussi qu'on pourrait essayer d'adoucir sans en venir à des conflits comme ceux que vous mentionnez lors de l'adoption des lois 63 et 22?

M. Dupont: Le danger que je vois dans tout ce processus relativement prématuré de remise en question de la loi 101 - puisque six ans dans la vie d'un peuple, c'est un court instant, c'est vraiment extrêmement bref - c'est une remise en question du fondement même de la loi qui est la francisation du Québec et de la réparation d'injustices profondes et extrêmement vieilles. Dans la mesure où le gouvernement s'engage à ne pas porter atteinte à l'essentiel de la loi et, s'il fait des modifications, que ces modifications ne portent pas atteinte à la francisation du Québec, mais une francisation accélérée du Québec. Des études démontrent que, malgré tout, l'assimilation et le pouvoir d'attraction de l'anglais est en fait supérieur à ce qu'il était avant l'adoption de la loi 101, particulièrement chez les jeunes. C'est dire que s'il y a des modifications mineures qui ne portent pas atteinte à l'objectif global, nous ne sommes pas contre absolument toute modification de la loi 101. Dans la mesure où cela rend l'objectif plus réalisable, nous sommes d'accord, mais vous comprenez l'esprit de...

M. Laplante: Je comprends très bien et je comprends aussi votre préoccupation quant

à l'obtention d'un statut particulier pour la ville de Hull. Je parle en mon nom personnel, mais je m'opposerais farouchement à un statut particulier pour la ville de Hull, dans cette problématique du fait français au Québec. On nous a fait la preuve que la porte d'entrée touristique du Québec se trouve à Hull, première ville à voir dans le Québec. Si on y retrouve seulement de l'anglais, les gens vont se demander s'ils sont encore en Ontario ou s'ils sont réellement entrés au Québec. Il ne faut pas avoir peur de s'afficher au Québec dès la première frontière. Pour ma part, je peux vous rassurer là-dessus. Il y a des irritants. Deux anglophones dans un même service qui ne pourraient pas se parler en anglais, c'est réellement un irritant et je suis entièrement en faveur qu'on change ce genre de règle. Mais, au point de vue de l'affichage, je veux garder le visage français du Québec. Nous sommes 6 000 000 en Amérique du Nord. Si nous voulons employer le français au point de vue touristique, si on sait l'exploiter, c'est à peu près la meilleure vente touristique qu'on puisse avoir en Amérique du Nord. Si nous sommes obligés d'aller en Europe pour essayer d'avoir un visage français... tout en respectant la langue des autres, leur répondre autant que possible dans la langue qu'ils emploient, je crois que le meilleur moteur touristique que nous pouvons avoir est de vendre ce que nous sommes actuellement comme peuple français. Je vous remercie, M. Dupont.

M. Joanisse: Si je peux me permettre, M. le député.

M. Laplante: Oui.

M. Joanisse: À cet égard, dans l'Outaouais, on peut parler d'irritants dans l'autre sens. Vous parlez d'irritants pour les anglophones, mais il y a des irritants aussi pour les francophones. Le fait d'avoir des noms anglais supposément français, comme M. Gratton le mentionnait tantôt, ce n'est pas très plaisant, par exemple, aller à un restaurant Fuller's ou autre chose du genre; ce n'est pas très rassurant de sentir que l'assimilation est quotidienne. Le francophone qui travaille au fédéral, comme la langue de travail est l'anglais, s'il veut percer dans la fonction publique fédérale, à Hull - qui est au Québec, parce que parfois il faut le rappeler, car le code postal à la Place du Portage est "K", qui veut dire Ottawa - il aura besoin de l'appui de la loi 101. Nous ne voulons pas qu'elle s'en aille, nous le craignons un peu, car il y a actuellement des rumeurs voulant que le gouvernement laisserait aller certains aspects apparemment irritants pour les anglophones.

M. Laplante: Ces rumeurs, pensez-vous qu'elles soient accentuées parce que l'Opposition libérale a décidé tout à coup de dire que la loi 101 était bonne?

M. Joanisse: Je ne dirais pas cela, mais le Parti libéral a fait des...

Une voix: Voyons donc!

Le Président (M. Gagnon): M. le député, M. Joanisse avait la parole. On va le laisser terminer.

M. Joanisse: Le Parti libéral ne semble pas avoir l'intention de changer la loi 101. Il semble vouloir que le Parti québécois la change pour ne pas avoir besoin de toucher à un sujet qui est très sensible, litigieux et qui a déjà été très litigieux au Québec. Il préférerait que le Parti québécois fasse les changements. M. Bourassa, pendant sa campagne à la direction du parti, a répété plusieurs fois qu'il attendait que le Parti québécois la change et après cela, il s'en lavera les mains. J'attends du Parti québécois qu'il maintienne la loi 101 telle qu'elle est. Je ne crois pas beaucoup aux irritants pour les anglophones. Ces derniers sont dans un monde anglais sur toute la planète, même en Chine. Il y a du bilinguisme en Chine. Il y a de l'anglais sur les... Je ne vois les Anglais menacés nulle part sur la planète.

Le Président (M. Gagnon): Merci. Je crois que M. Tardif avait quelque chose à ajouter tantôt.

M. Tardif (Marc-André): Oui, ou bien je peux attendre à d'autres questions, si vous le voulez.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Mont-Royal.

M. Ciaccia: M. le Président, seulement un bref commentaire. À la suite de l'affirmation, je crois, de M. Joanisse, à savoir que la politique linguistique fédérale sur les langues officielles était un écran de fumée...

M. Dupont: ...

M. Ciaccia: C'est vous qui avez dit cela? Excusez-moi, monsieur...?

M. Dupont: Dupont.

M. Ciaccia: M. Dupont, je ne peux pas laisser passer cette affirmation sans apporter certaines corrections quant aux expériences que j'ai vécues moi-même. Je peux vous assurer que des efforts très considérables ont été faits avec des résultats très positifs au ministère dans lequel j'étais sous-ministre.

Par exemple, quand le poste de directeur des communications est devenu vacant, on s'est assuré que le directeur des communications pour tout le Canada soit un francophone. Mais ce n'est pas seulement au niveau de ce poste. Cela s'appliquait pour tous les directeurs de service aux niveaux supérieurs du ministère. S'ils n'étaient pas francophones - il y en avait deux sur quatre qui étaient des francophones - les deux autres devaient nécessairement connaître la langue française. Je peux vous assurer que les réunions de travail se faisaient parfois en anglais, c'est vrai, mais elles se faisaient aussi très souvent en français parmi ceux qui étaient des francophones, et même ceux qui n'étaient pas d'origine française devaient s'efforcer de parler le français.

Je ne voulais pas laisser passer cette affirmation sans la contredire, pour qu'on n'en vienne pas à la conclusion que j'acceptais cela et aussi pour ne pas donner l'impression que c'est seulement le Parti québécois qui a fait des efforts pour le fait français, au Québec ou au Canada. Des efforts pour le fait français ont été faits par d'autres partis et par d'autres gouvernements aussi avec des résultats très positifs. Les pourcentages que mon collègue de Gatineau a soulignés - il les a cités pour la capitale nationale, 64,9% d'anglophones, 35,1% de francophones - au début des années soixante-dix, le pourcentage des francophones était beaucoup moins élevé dans la fonction publique fédérale. Non seulement ce pourcentage a augmenté, mais aussi l'utilisation de la langue, grâce aux mesures qui ont été prises par le gouvernement fédéral. Je le sais, parce que je participais à la mise en application de ce programme. On faisait tout notre possible pour nous assurer que les objectifs étaient atteints. Naturellement, on peut critiquer à certains endroits, mais je voulais souligner ce point, à savoir que ce n'est pas un écran de fumée. Ce sont des efforts considérables par beaucoup de gens qui l'ont vécu, qui l'ont mis en vigueur.

Vous avez mentionné - je ne sais pas si c'est dans votre mémoire ou dans votre déclaration - que des milliers, des dizaines de milliers de gens partent de l'Ontario pour aller travailler au Québec à la Commission de la capitale nationale. Le nombre exact de gens qui partent de l'Ontario pour aller travailler au Québec se chiffre à 13 700. D'autre part, le nombre de gens qui partent du Québec pour aller travailler en Ontario se chiffre à 17 110. Et le nombre de ceux qui travaillent et résident au Québec est de 5910. Si on prend les 5910 plus les 13 000, cela donne environ 19 000 personnes travaillant pour la Commission de la capitale nationale. Ce sont les chiffres de 1981. Ils ont pu changer un peu durant les deux dernières années.

(15 h 45)

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. M. Tardif ou M. Dupont.

M. Dupont: Je voudrais seulement apporter des précisions. Lorsque je parlais d'écran de fumée, des chiffres sont aussi assez révélateurs; 85% des traductions puisqu'on fonctionne soi-disant dans les deux langues - se font de l'anglais au français. Cela veut donc dire que 85% des textes qui doivent être publiés dans les deux langues sont d'abord rédigés en anglais. Je crois que cela donne une bonne indication de ce qu'est la langue de travail. Alors, lorsque je parle d'écran de fumée, c'est que c'est une apparence d'égalité. Vous regardez sur les panneaux et les deux langues sont sur un pied d'égalité. Or, dans la réalité de tous les jours, des promotions et de tout ce que vous voulez, l'anglais est très, très nettement la langue de travail au sein de la fonction publique fédérale.

M. Ciaccia: Est-ce que vos chiffres de 85% sont pour l'ensemble du Canada?

M. Dupont: Pour les activités de traduction, j'ai l'impression que cela doit regrouper, au Secrétariat d'État, essentiellement la région de la capitale fédérale.

M. Ciaccia: Le pourcentage que vous donnez ne représente pas les traductions de toute la fonction publique canadienne. C'est seulement pour la capitale nationale.

M. Dupont: Je ne sais pas s'ils incorporent également... Je ne pourrais pas vous le dire. C'est un renseignement que j'ai obtenu à la Commission de la fonction publique.

M. Ciaccia: Vous savez, il faut être prudent avec les chiffres parce que si le pourcentage de 85% représente toute la traduction à l'échelle nationale, je pense que c'est une chose tout à fait différente que si vous parlez seulement de la capitale nationale.

M. Dupont: Cela ne doit pas varier tellement, M. le député. Sincèrement, cela doit être à peu près cela. Au niveau de la langue d'origine, je crois que cela doit se situer ainsi. Certainement au moins les trois quarts des textes sont d'abord rédigés en anglais pour être traduits en français.

Le Président (M. Gagnon): Merci.

M. Tardif (Marc-André): Je voudrais rappeler aux gens de la commission que ce ne sont pas tellement les chiffres eux-mêmes que nous voulons apporter, comme l'a

mentionné M. Dupont, cet avant-midi, mais c'est le fait - qui est un scandale pour nous - que des milliers, oublions les chiffres là, de Québécois doivent travailler en anglais à Hull dans les ministères fédéraux. C'est ce qui scandalise la population. Elle est un peu déçue, quoi qu'en dise le député de Westmount. Dans le passé, de nombreuses générations ont toujours fait des efforts pour franciser le Québec mais il reste que c'est à partir de la loi 101, en 1976, qu'il y a surtout eu une bouffée de confiance nouvelle, de solidarité et d'espoir du peuple québécois de vivre et s'épanouir en français. Là n'est pas mon propos.

Je voudrais apporter un témoignage pour appuyer ce qu'a dit plus tôt mon président de la société nationale. Les sociétés nationales n'ont peut-être pas le poids démographique de la FTQ que vous avez écoutée si longuement ce matin, dont j'ai beaucoup apprécié et admiré le rapport qui était très, très intéressant. Je suis solidaire de ce rapport. Nous sommes aussi une partie importante de la population - les sociétés nationales des Saint-Jean-Baptiste -au Québec et nous avons également le pouls de la population ou du moins d'une bonne partie de la population. Quant à notre objectif, je demanderais à mon compatriote de Gatineau, qui apprécie mon option - et j'apprécie la sienne - de ne pas interpréter ou traduire mon propre objectif. Notre objectif n'est pas tellement l'indépendance mais plutôt l'épanouissement de la nation québécoise française et, pour moi, c'est l'indépendance qui est le meilleur moyen. C'est encore un moyen indispensable.

Cela dit, j'en viens à mon petit témoignage. J'habite à Cantley, qui est aussi un beau petit coin du comté de Gatineau. Au plan paroissial, je travaille parfois comme bénévole. C'est une paroisse qui a été fondée par des anglophones, que ce soit des Anglais, des Irlandais ou des Allemands, peu importe. C'était une paroisse totalement anglophone. À partir des années soixante-dix, la population française s'est installée là et a augmenté de plus en plus. Actuellement, il y a 300 familles - c'est un petit fait concret -francophones à Cantley et 47 familles anglophones. On est encore totalement bilingue là-bas. Vous connaissez le système de marguilliers; il y a six personnes qui administrent les biens ecclésiastiques de la paroisse de Cantley. Ils étaient anglophones.

Pendant trois ans, on a bien travaillé. Au début, on était cinq marguilliers anglophones, trois francophones et puis, quatre anglophones et deux francophones, et là, on est rendu trois francophones et trois anglophones. Mais, malheureusement, toutes les réunions se font en anglais parce que messieurs les marguilliers anglais ont dit: "I am sorry, I do not speak French". Tranquillement, on va remédier à cela. On va finir par exiger qu'on soit au moins bilingue pour être marguillier dans cette paroisse qui est devenue à 75% ou 80% francophone.

Tout cela pour vous dire que je voudrais, un peu comme M. Daoust ce matin, me situer dans la crédibilité, dans l'image de la loi 101. Je laisse à l'Assemblée nationale le soin de choisir des meilleurs mots, les meilleurs moments, la meilleure stratégie d'application. Je vous laisse tout cela, je vous fais confiance. Même l'Opposition s'est montrée très sympathique - cela m'a surpris - et très ouverte à la loi 101.

M. Gratton: Cela en a surpris plusieurs, oui, et cela en a déçu quelques-uns.

M. Tardif (Marc-André): J'imagine. Je me situe donc dans le domaine de la crédibilité, de l'image. C'est cela, mon témoignage. Il serait suicidaire, par des hésitations interminables, par de longues discussions sur le vocabulaire ou certaines phrases de la loi 101, de donner l'impression que cette loi capitale pour la nation québécoise ne soit pas tellement importante, après tout, comme l'a dit tristement le maire de Montréal il n'y a pas très longtemps.

Dans l'Outaouais - le député de Gatineau en sait quelque chose - il y a un affreux "franglais" dans le langage populaire. L'assimilation est loin d'être stoppée. Qu'on pense au rapport du professeur Charles Castonguay, récemment. Un grand nombre de travailleurs québécois de l'Outaouais doivent travailler en anglais, même en territoire québécois, parfois en un français restreint et timide, avec des mots et des instruments anglais.

Dans les premiers mois qui ont suivi la promulgation de la loi 101, il y a eu progrès dans la francisation des entreprises au Québec, mais à la suite des hésitations, des attaques, de certains discours, d'une certaine presse que vous connaissez, l'ardeur a baissé. Plus l'agneau se fait doux et conciliant, plus le loup devient méchant. Que la langue anglaise soit devenue la langue la plus puissante au monde au XXe siècle, tant mieux pour les anglophones, je n'ai rien contre cela. Mais pour nous, Québécois, qui voulons nous épanouir dans notre langue et notre culture, cela prend des moyens efficaces face au puissant monde anglophone. Une petite nation francophone épanouie serait un immense enrichissement même pour le monde anglophone qui nous entoure en Amérique. Pour l'avenir de la nation québécoise française dans une Amérique anglophone, que la loi 101 reste debout, fière et forte, et fasse taire les loups. C'est mon opinion.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le

député de Gatineau.

M. Gratton: Si vous me le permettez, j'aimerais préciser qu'on aimerait pouvoir continuer les échanges mais, malheureusement, le temps étant limité, on pourra continuer la discussion dans l'Outaouais, messieurs. Merci.

M. Tardif (Marc-André): Cela nous fera plaisir.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: Merci beaucoup, messieurs. Nous allons faire en sorte que la francisation du Québec se poursuive. Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, messieurs de la Société nationale des Québécois de l'Outaouais.

J'inviterais maintenant la Commission des droits de la personne à prendre place à la table.

Mme Fournier, si vous voulez nous présenter les gens qui vous accompagnent.

Commission des droits de la personne

Mme Fournier (Francine): Merci, M. le Président. Je vous présente Mme Gisèle Côté-Harper, qui est commissaire à la Commission des droits de la personne; Mme Marguerite Cuddihy-Martin, commissaire à la Commission des droits de la personne; M. Haïlou Wolde-Giorghis, du service de la recherche à la Commission des droits de la personne.

M. le Président, M. le ministre, mesdames, messieurs les membres de la commission parlementaire des communautés culturelles et de l'immigration, j'aimerais, avant de préciser le domaine et le but de la participation de la Commission des droits de la personne à vos débats, vous en rappeler très brièvement les raisons. La Charte des droits et libertés de la personne fait une obligation à la commission de promouvoir, par toute mesure appropriée, les principes qui y sont contenus. Comme on aura l'occasion de le dire plus loin, ces principes se dégagent aussi bien de la lettre que de l'esprit de la charte.

C'est également un devoir de la commission de procéder à l'analyse des lois du Québec qui pourraient être contraires à la charte et de faire des recommandations au gouvernement. Ce faisant, la commission agit soit de sa propre initiative, comme elle l'a fait en 1977, lors du débat sur le projet de loi de la Charte de la langue française - à cette occasion elle a alors rendu public son mémoire qui contenait ses commentaires sur l'ensemble de la loi, étant donné l'importance des implications du projet sur les droits des individus et des groupes - soit qu'en plus de sa propre initiative, elle veuille intervenir auprès des autorités compétentes en réponse aux suggestions, recommandations et demandes qui lui sont adressées par des personnes ou des organismes, touchant les droits et libertés de la personne, comme c'est en partie le cas aujourd'hui.

Donc, en intervenant dans le réexamen et l'évaluation de la loi 101 aujourd'hui, comme en juin 1977, la commission exerce un mandat que le législateur lui a expressément confié.

Quel est le but de cette intervention et dans quel domaine se situe-t-elle? Nous n'allons pas reprendre ici les points soulevés dans notre mémoire de juin 1977 dont certaines parties n'ont plus d'ailleurs leur pertinence depuis la mise en vigueur de la loi 101.

Le mémoire que vous avez devant vous traite particulièrement d'une question: la conformité des dispositions de la loi 101 relatives à l'affichage au droit fondamental reconnu à toute personne, francophone ou non, à la liberté d'expression.

Comme nous l'avons déjà indiqué, le mandat de loin le plus important de la Commission des droits de la personne est la promotion des principes contenus dans la charte ou qui s'en dégagent. Le préambule de cette loi fondamentale donne d'ailleurs le ton. Le droit de toute personne à l'épanouissement; le droit à l'égaie protection de la loi; la complémentarité des droits et libertés de la personne humaine et ceux d'autrui et du bien-être général; l'importance, pour le fondement de la justice et de la paix, du respect de la dignité de l'être humain et de la reconnaissance des droits et libertés dont il est le titulaire.

La paix et la justice dont il est question sont essentiellement la paix et la justice à établir dans les relations sociales; celles, enfin, qui préconisent et devraient engendrer l'acceptation, le respect et la tolérance mutuels entre ceux qui sont appelés à vivre dans une société pluraliste où l'autre peut et doit avoir sa place. C'est donc cet idéal que la commission aspire entre autres à atteindre et à faire atteindre, dans la mesure de ses possibilités et de ses compétences. En cela, la présente réunion de la commission parlementaire chargée d'entendre les commentaires de tous ceux qui sont concernés par l'application de la loi 101 lui offre une excellente occasion.

Reconnaissant toute la légitimité et même la nécessité de la loi 101 - rappelons qu'à cet égard, même les contestataires de cette loi partagent cet avis - la Commission des droits de la personne veut s'assurer que l'objectif poursuivi par le législateur soit atteint dans le respect des droits de tous. Or, l'article 58 de la Charte de la langue

française pourrait constituer un obstacle au droit à la liberté d'expression de toute personne, quelle que soit son origine. S'exprimer, c'est d'abord informer, partager ses idées, ses connaissances. C'est pouvoir communiquer à autrui sa pensée, ses convictions, mais c'est aussi se faire comprendre et recevoir d'autrui des idées, des informations.

Ce droit de s'exprimer pourrait être atteint si l'on exigeait qu'il ne puisse être exercé que dans une langue donnée qui n'est peut-être pas connue et comprise par tous. C'est ce que d'aucuns reprochent à l'article 58 de la loi 101. Une telle exigence est-elle conforme à l'attente d'une société pluraliste où cohabitent des Québécois de toutes les origines et de toutes les langues et ce, en admettant au départ que tous, sans exception, font partie intégrante de la société québécoise? Nul ne le met en doute ici, cela est bien évident, mais si cette conviction n'était pas partagée par tous ou encore si une minorité se sentait visée et se considérait discriminée, il y a là un problème que l'on ne doit pas ignorer. Il faut chercher à y remédier pour le bien-être de tous, mais ce faisant, il faut se rappeler que l'acceptation ne peut pas être à sens unique. D'une part, la primauté du français au Québec et la légitimité de toute mesure appropriée pour préserver cette primauté devraient être reconnues par tous et, d'autre part, la prise en considération de situations propres à des citoyens de toutes origines devrait tout naturellement s'imposer dans un tel cadre français. C'est l'esprit de tolérance et de respect mutuel qui se dégage de la charte qui le dicte.

Quel est le problème qui se pose? Après avoir affirmé, dans son préambule, que la langue française permet au peuple québécois d'exprimer son identité, la loi 101 impose, dans son article 58, sous réserve de certaines exceptions, l'usage exclusif du français dans l'affichage public et la publicité commerciale. Dès juin 1977, avant même la sanction de la loi 101, la Commission des droits de la personne avait noté, dans ses commentaires sur le projet de loi 1, le caractère très absolu de l'article 58. Eu égard à la liberté d'expression dans ce domaine, elle rappelle qu'il s'agit là - je cite - "d'un principe à sauvegarder dans la réglementation visant à protéger la langue, mais sans aller au-delà de ce qui est requis pour assurer, de façon efficace, l'intérêt bien compris de la communauté québécoise." Six années après, le problème n'est pas encore réglé. La présente réunion de la commission parlementaire en est la preuve.

L'affaire Devine-Singer dans laquelle les demandeurs ont plaidé devant la Cour supérieure, il y a un an, la non-conformité de l'article 58 au droit à la liberté d'expression, au droit à l'égalité d'accès aux lieux publics sans discrimination fondée sur la langue, au droit des groupes minoritaires ethniques de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle, a ravivé davantage les débats entre les tenants et adversaires de la loi 101. Nous y reviendrons.

Pour sa part, la commission a reçu, à la même période, une demande d'enquête d'un organisme professionnel qui alléguait que l'article 58 de la loi 101 contrevenait à la liberté d'expression de ses membres et qu'en plus, ceux-ci étaient victimes de discrimination fondée sur la langue. Outre ces préoccupations connues depuis 1977, c'est à la suite de ces faits et aux débats publics qui se sont instaurés depuis des mois sur la mise en oeuvre de la loi 101 que la commission s'est de nouveau penchée sur le problème en vue de donner ses commentaires, cette fois plus détaillés, sur la question de l'affichage.

Comme nous venons de le voir, deux questions sont à l'origine des contestations de l'article 58 de la loi 101 examiné dans le contexte de la Charte des droits et libertés de la personne. Ce sont la discrimination fondée sur la langue et l'atteinte au droit à la liberté d'expression.

En ce qui concerne la question de savoir si, oui ou non, la loi établit une discrimination fondée sur la langue, la commission s'étant prononcée dans son premier mémoire de manière négative, elle n'y reviendra pas à moins que des membres de la commission parlementaire ne l'invitent à le faire. C'est surtout la deuxième question qui retiendra notre attention, c'est-à-dire l'allégation de l'atteinte par l'article 58 de la loi 101 d'un droit fondamental reconnu à toutes les personnes au Québec, francophones comme non-francophones, à la liberté d'expression.

Mme la Présidente, le droit fondamental à la liberté d'expression est inscrit dans l'article 3 de la Charte des droits et libertés de la personne. Il est maintes fois affirmé, par les plus grands tribunaux du pays, que la liberté d'expression constitue, depuis toujours, l'un des fondements des institutions démocratiques au Canada. Les auteurs, pour leur part, attribuent une place importante à la liberté d'expression et, selon eux, si certaines restrictions ne mettent pas en danger la caractère libre de la société, en revanche, il n'en irait plus de même pour des lois qui interdiraient à des groupes marginaux ou dissidents d'exprimer leurs critiques, voire leur rejet, des convictions de la majorité.

Au plan international aussi, le droit à la liberté d'expression est inscrit, comme droit fondamental, dans tous les textes internationaux relatifs aux droits de la personne. Il est défini dans la Déclaration universelle des droits de l'homme comme "le droit de ne pas être inquiété de ses opinions

et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit".

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales de 1950 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques reprennent à peu près la même définition que celle convenue dans la déclaration universelle.

Il y a lieu également de signaler que le droit à la liberté d'expression est étroitement lié au droit de recevoir des informations.

Le fait, d'autre part, que le législateur québécois a inscrit dans la Charte des droits et libertés de la personne un article 44 distinct, reconnaissant le droit à l'information, ne fait que confirmer et renforcer ce droit qui est intimement lié à la liberté d'expression.

Selon la jurisprudence, ici et ailleurs, la liberté de parole inclut non seulement le droit de communiquer ses idées, mais également le droit de recevoir des informations.

De plus, la liberté d'expression s'applique aussi bien à celui ou celle qui informe, qu'à celui ou celle à qui est destinée l'information.

Si, par exemple, on reconnaît à un commerçant le droit d'afficher en public une information commerciale, en se fondant sur son droit à la liberté d'expression, il est admis qu'on peut, au même titre, invoquer en faveur des consommateurs auxquels est destiné le message commercial le droit de le recevoir, ce qui nous amène à parler du discours commercial.

La question est à présent de savoir si l'affichage public et commercial peut, au même titre que l'expression, par exemple, d'une opinion politique, bénéficier d'une protection de la Charte des droits et libertés de la personne. Certes, il n'existe pas au Québec de décision judiciaire portant sur la protection de l'affichage public et commercial par le biais du droit à la liberté d'expression. Mais, comme il est amplement démontré par des citations judiciaires pertinentes dans le mémoire, en Europe et surtout aux États-Unis, l'information commerciale peut parfois revêtir, pour certains consommateurs, plus d'intérêt et plus d'urgence que le plus important débat politique du moment. Il est aussi démontré que c'est bien une question d'intérêt public que d'informer adéquatement les personnes qui prennent des décisions économiques, même d'ordre privé ou individuel.

A ce titre, l'information commerciale, comme les autres, devra jouir d'une égale protection, comme, par exemple, une opinion politique.

Mais il y a un autre obstacle à franchir. Est-ce que la liberté d'expression comprend la liberté de choisir la langue d'expression? Car, selon l'interprétation de certains, la liberté d'expression ne protégerait que le contenu de ce que l'on veut dire ou exprimer et non le moyen utilisé pour le dire ou l'exprimer, d'où la question suivante: La langue n'est-elle qu'un simple moyen de communication, un médium comme les autres? Nous ne le pensons pas. En effet, il nous semble difficile de l'admettre, même si la règle de la linguistique définit la langue comme un code de signes - pour emprunter les termes du jugement de la Cour supérieure dans l'affaire Devine-Singer - surtout dans le contexte de l'analyse des dispositions d'une loi qui, dès sa première ligne, affirme à juste titre que la langue permet à un peuple d'exprimer son identité.

Nous n'insisterons pas outre mesure sur la place de choix que des historiens réservent à la langue comme l'expression de l'héritage culturel d'un peuple, celle de sa conscience et de son imagination collective. Cela déborderait le cadre limité de cette présentation. Même en admettant que la langue est un médium d'expression, il s'avère que les instruments internationaux et certaines décisions judiciaires attestent clairement que la liberté d'expression englobe, au-delà du message, le moyen d'expression lui-même et que des individus sont en droit de choisir leur médium d'expression et devraient, en conséquence, avoir toute latitude d'utiliser ce médium.

En gros, la dissociation en droit des deux éléments, le message et le médium, semble, dans certains cas, si irréalisable en pratique qu'elle ne doit pas être retenue. En conséquence, l'interdiction dans l'article 58 de l'utilisation des autres langues constitue une exigence si fondamentale en matière de forme qu'elle devient en fait une exigence en matière de fond, donc, remettant en question l'exercice du droit à la liberté d'expression.

De ce qui précède, nous retiendrons les éléments suivants: premièrement, le droit à la liberté d'expression est un droit fondamental qui englobe aussi bien le droit de répandre une idée que celle de la recevoir; deuxièmement, l'information en matière commerciale - et partant, l'affichage public - bénéficie, au même titre que toute opinion ou idée, de la protection de la liberté d'expression; troisièmement, même s'il est admis d'établir une distinction entre le message et le médium par lequel est transmis le message, il s'avère que, dans certains cas, le médium est si essentiel pour le message qu'il est nécessaire de le protéger comme partie intégrante de la liberté d'expression; quatrièmement, l'article 58 de la Charte de la langue française, qui impose l'affichage exclusif en français,

porterait atteinte au droit à la liberté d'expression des Québécois, en particulier non francophones, consommateurs et commerçants compris.

Mme la Présidente, l'effet recherché de l'article 58 de la loi 101 est de donner un visage français aux villes du Québec et, particulièrement, à Montréal. L'objectif premier de certaines dispositions est, entre autres, d'atténuer, sinon de neutraliser, la menace qu'une omniprésence anglophone a fait peser, dans le passé, sur la langue française et l'environnement français du Québec dans le grand ensemble nord-américain anglophone. La légitimité de cet objectif ne fait pas, et pour cause, l'objet de contestation, sinon que d'aucuns estiment que les moyens pour y parvenir sont "excessifs". C'est donc là une question éminemment politique qui engendre, de part et d'autre, des réactions parfois émotionnelles et ce n'est pas le cadre limité de notre mémoire qui permettrait de l'aborder adéquatement. Cependant, la commission est bien consciente que de telles attitudes constituent une sérieuse impasse au grand projet de l'acceptation mutuelle des Québécois de toutes origines.

Il y a lieu de chercher un terrain d'entente entre les deux positions. La liberté d'expression invoquée dans ce mémoire n'est pas absolue face à la légitimité de l'objectif poursuivi par la loi 101, mais ceci fait appel en même temps à l'esprit d'ouverture et de tolérance dont doivent faire preuve les autorités publiques devant une partie de leur population qui s'estime lésée par une telle loi.

En principe, la liberté d'expression n'est pas absolue. Elle devra donc, dans certaines circonstances, être conciliée avec d'autres valeurs individuelles et sociales privilégiées. L'État peut être amené, dans certains cas et sous certaines conditions, à la restreindre et même à l'abroger. (16 h 15)

Quant à la jurisprudence, elle est encore plus affirmative quant à la validité des dérogations aux libertés fondamentales d'expression d'opinion ou de presse. Dans l'affaire Dupond, la Cour suprême déclarait à ce propos: "Aucune des libertés mentionnées n'a été consacrée par la constitution au point d'être mise hors de la portée de toute législation." Les restrictions à la liberté d'expression sont également prévues dans les textes internationaux sur les droits de la personne, comme la Déclaration universelle des droits de l'homme et la Convention européenne, et les dérogations au principe général sont généralement admises par la jurisprudence.

Dans ce même courant, on peut parler du récent amendement de la Charte des droits et libertés de la personne à l'effet d'y inclure un nouvel article, 9.1 qui se lit: "Les libertés et les droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec." À quelle réalité correspond le bien-être général des citoyens du Québec? Il y a là un problème d'interprétation. La loi 101 peut-elle fixer la portée de la liberté d'expression et en aménager l'exercice? Et comment? "Certaines inégalités de droit ne tendent d'ailleurs qu'à corriger des inégalités de fait." C'est ainsi que s'était exprimée la Cour européenne dans l'affaire relative aux régimes linguistiques de l'enseignement en Belgique. Cela nous semble traduire l'objectif légitime de la loi 101, si une telle transposition est permise.

Tout récemment, le juge Tarnopolsky, dans un article consacré au "Droit à l'égalité", écrivait ces lignes dont certaines rappellent assurément la situation du Québec: "Dans un pays homogène, il n'est pas nécessaire de protéger dans la constitution la langue parlée par le peuple. Au fait, dans un État fédéral multilingue où les frontières correspondent à la limite des groupes linguistiques, des garanties constitutionnelles ou une protection spéciale de la part du gouvernement ne sont également pas nécessaires. Les droits linguistiques doivent être protégés par la constitution là où il existe des minorités qui veulent protéger une langue autre que la langue parlée par la majorité des citoyens du pays ou de la province, ou lorsque la langue de la majorité - et c'est ce qui nous concerne ici au Québec - est menacée par une minorité qui constitue la majorité dans le reste du pays."

Depuis le premier avis qu'elle émettait en 1977 sur la Charte de la langue française la commission n'a jamais contesté l'orientation fondamentale de la loi 101, qui est une option irréversible pour le Québec. Mais, soucieuse du respect des minorités culturelles et linguistiques dans un Québec pluraliste, c'est autant dans un esprit d'ouverture aux droits de ces minorités que du respect des droits de la majorité que la commission désire faire certaines suggestions et recommandations au gouvernement.

Voici d'abord comment se présente la situation. D'une part, la légitimité de l'objectif qu'entend atteindre le législateur québécois en vue de rétablir un certain équilibre linguistique est bien admise. L'article 58 lui permet notamment de sauvegarder le caractère français des villes et sites québécois.

D'autre part, nous avons des minorités linguistiques qui se sentent visées par la loi 101 et se perçoivent discriminées par elle. Ces communautés remettent en question certaines dispositions de la loi 101 qu'elles considèrent abusives et disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi. C'est pour répondre à ces nombreuses demandes que la

présente commission parlementaire a été convoquée par le ministre responsable pour examiner l'ensemble de la question.

Par exemple, quelque temps après l'annonce de cet événement, et peut-être à cause de lui, la ville de Montréal se réunit et vote, le 13 avril 1983, une résolution sur la question. Dans les attendus de cette résolution, on rappelle les conséquences économiques négatives qu'auraient entraînées certains aspects de la loi 101 pour la ville de Montréal.

Il y a lieu de rappeler dans ce contexte que le législateur lui-même, et l'Office de la langue française pour sa part, ont l'un et l'autre prévu, dès le début, de nombreuses et importantes exceptions aux dispositions de l'article 58. Leur examen montre nettement le désir des autorités publiques de ménager certains groupes ethniques et de respecter en même temps le caractère cosmopolite de Montréal, dans la mesure du possible. Les efforts déployés dans ce domaine sont bien mis en relief dans notre mémoire. Ces différentes exceptions témoignent d'un esprit de compromis. Il est à souhaiter que le gouvernement fasse encore un pas dans cette direction, animé qu'il est du même souci de rendre la loi 101 plus conforme au respect de la liberté d'expression prise dans son sens le plus large, sans pour autant que l'objectif qui a été à l'origine de sa promulgation soit rejeté de quelque façon. Guidée par un tel esprit, la commission fait la suggestion ci-après:

Attendu que la Commission des droits de la personne est chargée, entre autres, de promouvoir les principes inscrits dans la Charte des droits et libertés de la personne;

Attendu que l'article 58 de la loi 101 peut porter atteinte au droit à la liberté d'expression des non francophones en matière d'affichage;

Attendu que la loi 101 comporte un objectif légitime, celui de préserver la survie de la langue française au Québec;

Attendu que, d'après le préambule de cette loi, l'Assemblée nationale entend poursuivre cet objectif dans un climat de justice et d'ouverture à l'égard des minorités ethniques dont elle reconnaît l'apport précieux au développement du Québec;

Attendu que de nombreuses exceptions à l'article 58, déjà formulées par le législateur lui-même et l'Office de la langue française, sont le signe de cette ouverture;

Attendu enfin qu'une telle attitude crée un climat favorable à l'acceptation mutuelle des Québécois de toutes origines, la Commission des droits de la personne propose la recommandation suivante:

Que l'article 58 de la loi 101 soit amendé à l'effet de permettre l'utilisation dans l'affichage public et la publicité commerciale de langues autres que le français, mais à condition et sous réserve que le français, grâce à l'adoption d'une réglementation adéquate, demeure prépondérant.

Merci, Mme Lachapelle.

La Présidente (Mme Lachapelle): M. le ministre.

M. Godin: Mme Francine Fournier, Mme Côté-Harper, Mme Cuddihy-Martin et M. Wolde-Giorghis, je tiens à vous remercier de nous aider à voir un peu plus clair dans cette question extrêmement délicate de l'affichage public. Nous cherchons tous ensemble des solutions à cette question. L'opinion que vous nous donnez ici nous aidera grandement à jeter un peu de lumière dans nos esprits, de ce côté, quant à ce que nous devrons faire dans l'avenir.

Je tiens également à souligner le fait que vous nous répétez ce que vous nous aviez dit en 1967, que la charte n'est pas discriminatoire sur la base de la langue; de plus, qu'elle vise à corriger une situation, qui, dans le passé, faisait qu'on avait l'impression, en parcourant le Québec, que la population du Québec n'était pas à 80% francophone, mais que c'était une tout autre composition nationale que celle du Québec.

On tentait dans cette loi de rétablir un certain équilibre. Vous le reconnaissez fort bien d'ailleurs. La citation que vous faites de l'arrêt de la Cour des droits de l'homme de Strasbourg a été un peu la base juridique de l'esprit de la loi 101.

Dans la recherche de l'équilibre en question, remarquez bien que la rédaction de la loi et par la suite la rédaction des règlements, dont certains ont été qualifiés par nos propres chercheurs comme allant à l'encontre de la loi, ces règlements illégaux qui seront rendus légaux bientôt grâce à une modification, illustraient précisément la volonté du législateur de chercher cet équilibre. Les exceptions que vous mentionnez dans votre document sont en quelque sorte la charte des droits des autres langues au Québec. Par exemple, l'article 59 exclut du régime commun les messages de type religieux, politique, idéologique ou humanitaire ainsi que la publicité diffusée par les médias non francophones. Les articles 60, 61 et 62 établissent des exceptions, encore une fois, pour les petits commerces ayant à leur service au plus quatre personnes et les groupes ethniques. Les règlements que vous mentionnez font d'autres exceptions qui touchent les produits culturels, l'affichage privé au lieu d'habitation ou aux moyens de transport; la publicité multilingue est permise lors d'un événement etc...

Vous ne mentionnez pas, et je m'en étonne, l'article 51, qui est une exception majeure au régime qui touche la publicité commerciale et l'affichage. L'article 51 fait que, dans toutes les maisons du Québec, dans

toutes les cuisines du Québec, dans toutes les pharmacies privées du Québec... Je me suis rasé ce matin et j'ai constaté, après avoir lu votre mémoire, que tout dans ma pharmacie était bilingue, que tout dans mon frigo était bilingue, que tout dans ma cuisine était bilingue également et, dans certains cas, multilingue. Donc, on peut dire que l'équilibre est tel que dans toutes les maisons du Québec, il y a un bilinguisme intégral de l'affichage et de l'étiquetage.

Il reste donc un seul coin du pays et du paysage où il n'y a pas le bilinguisme intégral et c'est celui de l'affichage commercial. Votre recommandation amène au bilinguisme intégral. Si je la lis correctement, le français ne serait que prépondérant, il serait accompagné, possiblement dans tous les cas, d'une autre langue. Donc, vous revenez exactement au statu quo ante de la loi 101 dont vous trouviez, dans votre mémoire, qu'il fallait précisément corriger cette situation. En ce qui me concerne, l'équilibre serait peut-être encore une fois déséquilibré ou détruit si on adoptait votre proposition telle quelle. Donc, je vais vous demander de me préciser la portée de votre recommandation.

Je vous le dis bien carrément: nous cherchons dans la législation à incarner la réalité linguistique du Québec et à faire en sorte que toutes les municipalités, les services de santé, les services scolaires reconnus comme anglophones ou ayant une clientèle à majorité non francophone puissent afficher publiquement dans les deux langues. Cela correspond à la démographie jusqu'à un certain point. Ma seule inquiétude, c'est que votre recommandation ne nous mène à un déséquilibre que vous reconnaissez vous-même dans votre mémoire qu'il fallait corriger. Est-ce que, après six ans d'exercice, les choses auraient changé à ce point que nous pourrions revenir à la situation d'avant la loi 101? C'est la question que je vous pose, tout en reconnaissant que c'est une question centrale, tout en reconnaissant que s'il y a un lieu où la sagesse, autant la vôtre que la nôtre et celle de l'Opposition, doit trouver à se manifester et à s'incarner, c'est bien celui-là, c'est bien ce domaine. Je vous avoue que je suis tourmenté moi-même par cette question, que nous allions dans un sens ou dans l'autre, je serai tourmenté aussi. Mon inquiétude, c'est là-dessus que j'aimerais vous poser ma question: est-ce que vous ne craignez pas que si nous appliquons votre recommandation nous risquions de revenir à la situation qui - vous le trouvez vous-même dans votre mémoire - créait un déséquilibre de la place du français et des autres langues au Québec?

La Présidente (Mme Lachapelle): Allez. Mme Fournier: C'est une évaluation difficile à faire. Vous parlez de tourment et je pense qu'on en est tous passablement à ce niveau. Je pense qu'une des choses que nous trouvons particulièrement difficile à admettre, c'est qu'un membre d'une communauté linguistique minoritaire ne puisse pas, à son gré, afficher soit en chinois, en grec ou dans la langue dans laquelle il veut s'exprimer pour communiquer avec les personnes qui veulent, elles, recevoir ce message dans cette langue. En interdisant la possibilité de s'exprimer à ces différents groupes de personnes par la voie de leurs commerçants en l'occurrence, principalement, nous croyons vraiment que nous brimons la liberté d'expression de ces personnes. Nous ne faisons pas une recommandation de bilinguisme comme tel; nous disons que l'expression soit libre de manière à assurer une prédominance du français. Peut-être devrions-nous aller jusqu'à souhaiter que, lorsque cela n'est pas nécessaire pour la communication ou la compréhension entre les gens, l'on s'assure non seulement d'une prépondérance, mais d'une prépondérance à largeur d'État, si vous voulez, de la langue française. (16 h 30)

Malgré cette inquiétude ou ce danger de revenir à une situation où il y aurait une prépondérance et où l'image deviendrait non francophone, notre recommandation permet, en donnant la prédominance au français, d'assurer cette image francophone du Québec qui est justement un des objectifs légitimes de la loi 101, tout en évitant de brimer la liberté d'expression des différents groupes composant la société québécoise.

M. Godin: J'ai une dernière question, Mme la présidente. J'imagine que vous avez fait des recherches assez approfondies, tant canadiennes que nord-américaines, sur toute cette question pour trouver, au-delà du jugement Dugas, qui est le plus récent et qui fait un peu le point sur ce qui précédait, des jugements à l'appui de votre position. Je constate que cela se réduit à un article de Clare Beckton et à une opinion de la commission. Est-ce qu'il y aurait d'autres documents qui existeraient, d'autres jugements de cour qui iraient dans le sens de celui que vous recommandez?

Le Président (M. Gagnon): Mme Fournier.

Mme Fournier: Je laisse la parole à notre expert sur la question.

M. Wolde-Giorghis (Haïlou): M. le ministre, si j'ai bien compris votre question, il s'agissait de savoir s'il y a une décision d'un tribunal, qu'il soit canadien, québécois ou autre, qui permettrait, par le biais de la liberté d'expression, de défendre le droit des

personnes qui veulent afficher. Est-ce cela?

M. Godin: Non, ce n'est pas cela. Je sais qu'il y a beaucoup de jugements, et la Charte des droits et libertés de la personne elle-même est très claire là-dessus. On peut s'exprimer. La question que je pose est sur la langue d'expression dans l'affichage commercial. Les deux avis que vous donnez sont un article - et non pas un jugement -de Clare Beckton et un avis de la commission qui est devant nous. En dehors de ces documents, avez-vous trouvé des jugements canadiens, américains, québécois et européens qui pourraient nous amener à conclure qu'il faut faire cette modification que vous suggérez?

M. Wolde-Giorghis: Je dois vous répondre, M. le ministre, que nous n'avons pas trouvé de tels jugements.

M. Godin: Merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre.

M. le député d'Argenteuil.

M. Ryan: Merci, M. le Président. Mme la présidente de la Commission des droits de la personne, mesdames et messieurs de la délégation de la commission, je dois vous dire que nous, de ce côté-ci, avons vivement apprécié la teneur de votre mémoire. J'ai remarqué d'ailleurs que, sur le fond, la position que vous exprimez aujourd'hui correspond à celle que vous aviez exprimée en 1977, c'est-à-dire il y a six ans. Mais, si je comprends correctement, elle est exprimée de manière plus étayée cette fois-ci, à la lumière d'une étude plus approfondie que vous avez faite.

Sur le fond, je me permets de résumer brièvement ce que vous avez dit pour qu'ensuite les questions que je vous poserai soient situées dans le contexte exact ici. Si je vous résume mal, vous me corrigerez en toute liberté.

Vous nous dites d'abord que la liberté d'expression comprend le droit d'exprimer librement son opinion et cela comprend aussi le droit de recevoir et d'écouter les idées ou les informations qui sont communiquées par d'autres. De plus, suivant la jurisprudence américaine en particulier, vous nous dites que le discours commercial se rattache directement à la liberté d'expression, qu'on ne peut les séparer tous les deux au plan des principes, que c'est une des formes sous lesquelles s'exerce le droit à la liberté d'expression. Je pense que c'est un point qui est absolument fondamental pour la question qu'on discute aujourd'hui, c'est-à-dire l'article 58 de la charte.

En troisième lieu, si je comprends bien, vous exprimez votre désaccord avec le magistrat qui s'était prononcé il y a un certain temps sur le lien entre le choix de la langue et le contenu du message. Le magistrat avait établi une distinction savante entre ces deux éléments. Vous nous dites, en citant d'ailleurs une certaine jurisprudence à l'apppui, que les deux se tiennent ensemble et que le choix du moyen d'expression doit être l'objet de la même protection juridique que le contenu qu'on met dans le message, ce qui est très intéressant aussi.

Vous ajoutez en dernier que la liberté d'expression n'est évidemment pas absolue, qu'elle comporte tout un ensemble de limites et de contraintes qui s'expriment de diverses façons à travers les pays qui sont intéressés à ces questions. Et je pense que je vais en venir à ceci tout de suite dans la première question que je vais vous poser. Vous énumé-rez une série de facteurs qui peuvent justifier certaines restrictions à l'exercice de la liberté d'expression et vous mentionnez en particulier des facteurs qui ont été énoncés soit dans la déclaration des droits de l'Organisation des Nations Unies, soit dans la Convention européenne. Vous mentionnez le respect des valeurs démocratiques, le respect des droits et libertés d'autrui, le respect de l'ordre public évidemment, le respect des justes exigences de la morale, le respect du bien-être général d'une société, la sécurité nationale, l'intégrité territoriale, la sécurité publique, la protection de la santé - il y en a un autre, j'écris tellement... - la prévention du crime évidemment.

Je pense que j'ai énuméré à peu près tous les facteurs que vous mentionnez. Dans votre mémoire à ce moment, vous faites cette énumération et vous en venez à l'article 58 et j'ai eu l'impression que vous n'établissiez pas très clairement dans votre mémoire le lien entre la conclusion à laquelle vous en venez relativement à l'article 58 et ces facteurs. Est-ce que vous voulez dire qu'il n'y a aucun de ces facteurs qui joue de manière tellement impérieuse dans le cas de la politique linguistique au Québec que le gouvernement pourrait invoquer l'un ou l'autre pour justifier le maintien de l'article 58 dans sa formulation actuelle? Est-ce que c'est ce qu'on doit conclure de votre présentation?

À un moment donné, on a l'impression que la formulation se ramollit un petit peu quand on arrive là. On voit que vous vous avancez sur un terrain un peu glissant. Vous devenez soudain remplis d'égards envers le gouvernement d'ailleurs et je voudrais vous demander si c'est bien ce que vous voulez dire.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: N'est-ce pas naturel...

M. Ryan: Mais... Regardez...

M. Godin: ...que tout citoyen du Québec soit rempli d'égards envers son gouvernement?

M. Ryan: Oui. Surtout quand on ne les empêche pas de venir ici. Quand il s'agit d'organismes publics ou gouvernementaux, c'est parfait.

Le Président (M. Gagnon): Mme

Fournier.

Une voix: ...

M. Ryan: Oui. C'est un organisme qui relève de l'Assemblée nationale - très bien -mais public.

M. Godin: C'est public mais non gouvernemental.

M. Ryan: Très bien.

Le Président (M. Gagnon): Je m'excuse. La parole est à Mme Fournier.

Mme Fournier: Merci, M. le Président. Effectivement, dans la liste que vous avez donnée, les exceptions qui sont prévues dans les instruments internationaux à la liberté d'expression ne semblent pas s'appliquer d'une façon directe en tout cas. Il y en a certains qu'on pourrait interpréter. Si on parle d'un certain bien-être d'une société, il y a quand même une interprétation qu'on peut y apporter. Cependant, il ne nous semble pas que les exceptions prévues par ces instruments internationaux s'appliquent d'une façon précise dans le cas qui nous occupe.

M. Ryan: Est-ce que vous auriez connaissance d'un autre pays dans le monde qui aurait invoqué l'un ou l'autre de ces facteurs pour justifier une disposition linguistique du type de celle qu'on trouve dans l'article 58 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec?

M. Wolde-Giorghis: Non. Je dois dire que tout d'abord ce que nous avons cherché à faire dans ce document, c'est montrer les limites du droit à la liberté d'expression qui peuvent être promulguées par un gouvernement. C'est ce principe qu'on a voulu démontrer sans pour autant dire qu'il doit nécessairement s'appliquer pour l'article 58.

Cependant ce que nous pouvons dire, c'est que le gouvernement, s'il veut apporter quelque limite que ce soit à la liberté d'expression, peut invoquer des raisons comme la survie de la langue dans un pays où cette langue pourrait avoir une menace certaine, compte tenu de l'environnement nord-américain. Donc, c'est une raison qui n'a peut-être pas été citée énormément, car jusqu'ici, on a cité la sécurité, la santé. C'est vrai. Cependant, le gouvernement a démontré à ce point de vue-là que l'amendement de la charte à l'article 9.1, que nous avions, à juste titre, cité tout à l'heure, parle de l'intérêt général du Québec. Le gouvernement peut dire que la primauté de la langue française ou la survie de la langue française au Québec est, en effet, l'intérêt général qu'on doit défendre au Québec.

M. Ryan: Est-ce que vous recommanderiez cela à un gouvernement d'invoquer l'intérêt général pour mettre des limites sérieuses à des droits fondamentaux? Est-ce que vous aimeriez inscrire cela dans une charte des droits une clause aussi vague que celle-là? Vous vous souvenez des débats que nous avons eus à propos de la charte fédérale. Je pense que c'est très imprudent, vous ne trouvez pas?

M. Wolde-Giorghis: C'est entendu. J'ai parlé d'intérêt général parce que la charte des droits le dit. Sur cette question précise de la loi 101, ce n'est pas aussi vague qu'on le pense à première vue puisqu'on démontre, par l'histoire, qu'il y aurait une menace contre la langue française au Québec et que c'est le devoir ou le droit d'un gouvernement de dire que dans une certaine mesure, la liberté d'expression n'est pas une liberté absolue, et, ce faisant je peux apporter les limites raisonnables à l'exercice de ce droit si - disons dans ce cas-là il y a une menace - l'intérêt général que nous pouvons définir peut être invoqué.

M. Ryan: Est-ce que vous pourriez me dire clairement s'il est question de cette notion de l'intérêt général dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et dans la charte canadienne des droits?

Mme Fournier: L'article que j'ai cité tout à l'heure se lit comme suit: "Les libertés et les droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec." C'est l'article 9.1 qui introduit effectivement des limites, entre autres, à la liberté d'expression.

M. Ryan: Quand vous faites votre recommandation demandant une modification quand même importante à l'article 58, vous portez un jugement de valeur si je comprends bien. Vous concluez, après avoir pensé à tous les facteurs qu'il n'y a pas de danger si grave pour la survie du fait français au point que l'on devrait maintenir l'article dans sa formulation actuelle. Vous concluez qu'avec une formulation du type de

celle que vous proposez, la survie du fait français serait raisonnablement bien assurée.

Mme Fournier: À ce titre-là, c'est effectivement la conclusion à laquelle nous arrivons. Nous croyons que l'ordre public, le bien-être général pourraient être sauvegardés avec un amendement à l'article tel que nous le proposons. Il est peut-être important de préciser en termes de retour possible à la situation antérieure à la loi 101 - vous vous rappelez avant - que même avec notre amendement, on ne pourrait pas reculer à la situation antérieure à savoir de n'avoir un affichage qu'en anglais ou qu'en une autre langue, ce qui est déjà un changement assez important par rapport à la situation antérieure à la charte et à l'amendement qu'on vient d'apporter. (16 h 45)

M. Ryan: Juste une dernière question très brève, M. le Président. Est-ce qu'il est indiscret de vous demander si cet avis de la Commission des droits de la personne a fait l'objet d'une acceptation unanime de la part des membres de la commission?

Mme Fournier: Cela a fait l'objet de discussions fort intéressantes et très sérieuses. La recommandation a fait l'objet d'un vote unanime de la commission.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Fabre.

M. Leduc (Fabre): Merci, M. le Président...

M. Wolde-Giorghis: Excusez-moi, M. le Président. Je voudrais tout juste ajouter à ce que M. le député vient de dire, pour la proposition qui n'allait pas peut-être dans la logique de tout le développement que nous avons eu, nous voudrions dire que lorsqu'on recommande la prépondérance - d'ailleurs, Mme la présidente l'a dit tout à l'heure -ceci est déjà une certaine limite qu'on reconnaît au gouvernement d'apporter à ce règlement. Je crois que notre proposition en est une de conciliation pour encourager l'acceptation mutuelle des Québécois de toute origine. Nous avons pensé que la limite que va apporter toute réglementation par la suite sur la prépondérance constitue évidemment, d'une certaine façon, une certaine limite à la liberté d'expression.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Fabre.

M. Leduc (Fabre): Merci. Pour moi, la question centrale est de savoir si le choix de la langue doit être protégé par le droit à la liberté d'expression. Le corps de votre argumentation se situe entre les pages 21 et 31. À la page 21 vous posez la question: "La langue médium d'expression est-elle protégée par le droit à la liberté d'expression?" Là, vous faites la distinction entre message et médium employé pour transmettre le message. A la page 31, après l'argumentation, vous arrivez à la conclusion: "D'après tout ce qui précède, nous pourrions dire que la liberté d'expression peut s'étendre au choix de la langue dans laquelle on veut s'exprimer." J'ai quand même de la difficulté à suivre votre argumentation.

À la page 28, par exemple, en haut, vous dites: "La parole peut comprendre plus que le contenu intellectuel d'une communication mais on doit donner aux moyens d'expression la même protection constitutionnelle qu'au contenu." Cela me semble être une phrase importante de l'argumentation, cette insistance que vous mettez sur les moyens d'expression, auxquels on doit accorder la même protection constitutionnelle qu'au contenu. Ma question, c'est; qu'est-ce que les moyens d'expression? Vous semblez conclure que les moyens d'expression sont les différentes langues qu'on pourrait utiliser, et c'est ce que je conteste un peu, puisqu'à la page 26 vous citez l'affaire d'Ontario Film and Video Appreciation Society où il est dit: "It is clear to us that all forms of expression, whether they be oral, written, pictorial, sculpture, music, dance or film, are equally protected by the Charter." En fait, n'y-a-t-il pas une confusion entre les moyens d'expression dont vous parlez et le choix de la langue? Il me semble que là se situe une confusion dans votre argumentation. Je pense que personne ne conteste l'importance de protéger la langue en tant que moyen d'expression. La question est de savoir s'il faut accorder la même protection à toutes les langues. Si on suit votre conclusion il faudrait, il me semble, accorder cette protection à toutes les minorités ethniques qui demanderaient que l'affichage soit dans leur langue. Il me semble que c'est la conclusion à laquelle vous arrivez, ce qui nous conduirait à une situation proprement impossible à atteindre et même très discutable dans les faits. Pourriez-vous nous préciser cette conclusion à laquelle vous arrivez? En tout cas, il me semble qu'il y ait une confusion entre moyen d'expression et choix de la langue.

Le Président (M. Gagnon): Mme

Fournier.

Mme Fournier: Je vais répondre à une des parties de votre intervention. Effectivement, c'est bien ce que nous recommandons, que toute personne puisse afficher dans la langue qu'elle veut bien, qu'elle choisit, mais encore une fois à condition qu'il y ait une assurance d'un affichage français à chacune des fois et

prédominance du français. Mais c'est bien cela.

M. Leduc (Fabre): Oui, mais vous ditez aussi que le consommateur a le droit de recevoir l'information dans sa langue. Vous dites que le droit à l'information est étroitement lié à cette liberté d'expression, qu'il en fait partie. Donc, est-ce que cette conclusion à laquelle vous arrivez à la page 31 ne nous conduit pas au fait que tout consommateur, tout citoyen pourrait exiger que l'affichage public, l'affichage commercial soit fait dans sa langue?

Le Président (M. Gagnon): Mme

Fournier.

M. Wolde-Giorghis: M. le Président, c'est vrai, c'est une question très importante que vous soulevez ici. Ce que nous avons cherché c'est d'établir une similarité - c'est ce que nous avons cherché à défendre - de faire un certain parallélisme entre ce que nous lisons dans les pactes internationaux quand on nous dit que la liberté d'expression inclut également la liberté de recevoir l'information et quand on nous dit également que la liberté d'expression inclut le droit de s'exprimer par tous les moyens désirables. C'est en tout cas ce que nous voyons dans les textes internationaux. L'arrêt auquel vous avez justement fait référence concernant Ontario Film ne dit pas expressément que ce moyen c'est la langue. Tout à l'heure, nous répondions à M. le ministre, lorsqu'il nous a demandé si nous avions trouvé un jugement d'un tribunal où la langue a été nommément citée comme étant un moyen d'expression, que nous ne l'avions pas. Mais ce que nous avons dit c'est que la langue est un moyen, vous venez vous-même de l'admettre, M. le député. Dans la mesure où nous disons que c'est un moyen et un moyen qui, dans certains cas, pourrait être si essentiel, si important, reconnaître la liberté d'expression - c'est-à-dire de communiquer le message -sans reconnaître la liberté de choisir le moyen par lequel on veut s'exprimer, cela pourrait revenir à dire que certaines personnes peuvent effectivement avoir cette liberté que d'autres n'ont pas. C'est cette illégalité que nous avons voulu faire ressortir. Je voudrais encore répéter qu'effectivement nous n'avons pas eu une jurisprudence nous disant cela. Clare Beckton a parlé d'une doctrine. C'est toute la logique qu'elle en tire, que ce n'est plus la forme qui est en jeu, mais tout le moyen essentiel pour s'exprimer. C'est donc en cela que la liberté d'expression doit couvrir également le moyen d'expression. C'est dans cette transposition que nous nous sommes permis, même si nous n'avons pas une jurisprudence pour appuyer notre thèse, de suggérer cela. D'ailleurs, notre recommandation va dans le sens où nous disons que quelqu'un peut s'exprimer, mais il faut qu'il s'exprime d'une façon prépondérante en français. Cela veut dire qu'en Inde, même si on utilise une deuxième langue, nous intervenons dans la façon avec laquelle on doit s'exprimer.

M. Leduc (Fabre): Mais je vais vous poser une question de façon plus précise et plus claire. On me dit qu'il y a 40 langues parlées au Québec. Cela pourrait-il signifier que la position que vous défendez nous conduirait à l'affichage ou pourrait nous conduire à l'affichage public et commercial de 40 langues au Québec?

M. Wolde-Giorghis: M. le député, je voudrais tout juste vous référer à un des articles de la loi 101 qui, justement, permet cela. Je crois que c'est l'article 62 qui dit justement que dans un établissement qui comprend plus de 40 personnes, y compris le propriétaire, la personne peut afficher dans la langue de son choix. Donc, c'est la loi 101 même qui est très généreuse là-dessus. Évidemment, si vous nous posez le problème de cette façon, cela place notre proposition dans une situation étrange, mais seulement, nous ne pensons pas à des personnes ou aux 40 langues dont vous faites cas, mais ce sont surtout des communautés quand même... Je ne voudrais pas aller jusqu'à dire suivant le nombre de personnes qui seraient impliquées dans la question.

M. Leduc (Fabre): Oui, c'est parce que le droit à l'information dont vous parlez comme étant relié de très près à la liberté d'expression pourrait nous conduire à une situation comme celle-là, pourrait même conduire le consommateur à contester la Loi sur les langues officielles du Canada puisqu'un citoyen pourrait exiger que le gouvernement canadien lui réponde ou affiche dans son quartier dans sa langue. Ce que vous défendez pourrait conduire jusqu'à la contestation de cette loi fédérale.

Le Président (M. Gagnon): Mme

Fournier, je crois que vous vouliez ajouter un mot tantôt.

Mme Fournier: Tout à l'heure, ce que j'avais à dire concernait plus précisément le message commercial et non pas les relations avec le gouvernement ou les émissions d'information de la part d'un gouvernement. Mais je voulais répéter qu'effectivement, nous croyons que les 40 langues ou plus devraient avoir droit de cité, à condition qu'elles soient chapeautées de la primauté du français. Nous plaçons cela sur un terrain de droit de la personne qui veut s'exprimer par une affiche dans la langue qu'elle veut bien. Dans le message commercial, on s'attend que si elle veut s'exprimer dans une langue

quelconque, c'est parce qu'elle s'attend qu'il y ait des personnes qui vont venir faire commerce avec elle dans cette langue, donc, qui veulent être informées dans cette langue.

M. Leduc (Fabre): Je vous remercie.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Fabre. M. le député de D'Arcy McGee.

M. Marx: Merci, M. le Président. J'aimerais dire que j'ai lu votre mémoire avec beaucoup d'intérêt. Peut-être qu'on peut avoir d'autres cas de jurisprudence aux États-Unis très prochainement, dans le sens que... (17 heures)

Le Président (M. Gagnon): Voulez-vous approcher un peu votre micro.

M. Marx: Peut-être il y aura une autre forme de jurisprudence aux États-Unis, parce que mes collègues à l'Assemblée nationale qui vont en Floride me disent qu'il y a des villes où l'affichage est presque entièrement en espagnol. Il peut arriver qu'une ville des États-Unis décide que, pour la survie de l'anglais dans cette même ville, il faille avoir un visage anglais et adopte un règlement pour exiger qu'il n'y ait pas d'affichage en d'autre langue que l'anglais. Certains pays européens ont prévu dans leur constitution que la liberté d'expression n'englobe pas le droit d'utiliser n'importe quelle langue. Ils auraient donc ainsi restreint la possibilité d'expression dans leur constitution.

Brièvement, j'aimerais répondre à la question du député de Fabre. Il ne faut pas oublier que dans la Charte québécoise il y a deux types d'articles. Les articles 1 à 38 auront, avec le nouvel amendement, préséance sur toute loi québécoise. Par exemple, l'article 3, la liberté d'expression, aurait préséance sur la loi 101 comme sur toute autre loi, bien que l'article 44, qui traite du droit à l'information, n'aurait pas préséance sur la loi 101. Donc, si on donne l'information seulement dans une langue, on n'enfreindra pas la charte. Il y a, je pense, une différence entre ce qui concerne l'application de l'article 3, qui traite de la liberté d'expression, et l'article 44, qui traite du droit à l'information. L'un a préséance sur toute autre loi tandis que l'autre ne l'a pas. J'aurais deux questions à poser.

Premièrement, des gens nous disent qu'il est important que le Québec présente un visage français. C'est le témoignagne de plusieurs visiteurs. En lisant la loi 101, comme on l'a déjà dit, l'article 58 exige l'affichage commercial unilingue bien qu'il y ait des exceptions à l'article 60, où l'on prévoit que s'il y a moins de cinq employés - selon l'interprétation de l'Office de la langue française - à l'intérieur d'un commerce donné, on peut afficher en français et dans une autre langue. Donc, ces deux articles ensemble ne représentent pas un visage français à cent pour cent qui est essentiel pour la survie de la langue française au Québec. Il y a quelques années même, certaines villes affichaient beaucoup en anglais et la langue française a continué de survivre. Il n'est donc pas essentiel, même dans la loi 101, que le visage soit à cent pour cent français.

Je me demande si les exceptions dans la loi 101 sont basées sur un critère juridique. Est-ce qu'il s'agit de critères psychologiques, psychiatriques ou est-ce qu'il y aurait un critère juridique qui prévoirait un affichage à 50%, à 60% ou à 75% en français, sinon la langue serait en danger? Y a-t-il un critère juridique en ce sens? Dans les recherches de la commission, est-ce qu'on a trouvé quelque part un critère juridique concernant l'affichage dans une langue ou dans une autre?

Le Président (M. Gagnon): Mme

Fpurnier.

Mme Fournier: Je vois difficilement comment nous pourrions répondre à une telle question. Vous nous demandez s'il peut exister des critères qui nous permettent d'évaluer quel pourcentage serait nécessaire pour la survie. Ce n'est pas le but de notre proposition. Peut-être que le gouvernement ou le législateur peut avoir une évaluation de cette question mais, nous, encore une fois, cela n'a pas été l'objet de notre proposition d'établir qu'il y a un tel pourcentage d'affiches en français et un tel pourcentage en d'autres langues.

M. Marx: Si je lis la loi 101, je trouve le critère arbitraire. Ce peut être dans le cas de six employés ou sept, huit, dix ou cinquante. Il n'y a pas de critère judiciaire. Si on veut appliquer la Charte des droits à ce critère, il faut trouver un critère moins arbitraire que le critère qui est dans la loi 101 à ce moment-ci. Mais passons à une autre question.

Comme vous l'avez dit, la liberté d'expression englobe le message et le moyen; le moyen, c'est la langue parlée. Si je suis votre logique jusqu'au bout, j'en déduis que si je dois avoir la liberté d'expression en ce qui concerne mon message, je dois avoir la liberté d'expression en ce qui concerne mes moyens aussi. Peut-être que je ne veux afficher qu'en polonais parce que je ne vise que les Polonais; je ne veux pas m'adresser à d'autres. C'est comme quand je fais un discours. Si je fais un discours en français, c'est parce que je veux parler aux Français; si je fais un discours en anglais, peut-être que c'est parce que je ne veux parler qu'aux

Anglais. Si je fais un discours... Une voix: En grec?

M. Marx: Non, je ne peux pas parler le grec comme le ministre. Mais si je fais un discours en chinois - si le ministre peut apprendre le grec, je peux apprendre le chinois - c'est parce que je ne vise que des Chinois. On ne va pas exiger que je fasse un discours bilingue. Dans le même sens, je ne vois pas, si on pousse la liberté d'expression et votre raisonnement jusqu'au bout, pourquoi vous avez conclu qu'il faut un affichage bilingue et non pas unilingue.

Le Président (M. Gagnon): Mme

Fournier.

Mme Fournier: Je pense que cela reprend un peu l'idée qu'on a mise de l'avant tout à l'heure quand on a discuté du fait que la liberté d'expression n'est pas absolue. Il y a des limites à la liberté d'expression qu'un législateur peut spécifier pour un certain nombre de considérations. C'est une question d'évaluation, finalement. Nous croyons - ce que nous croyons avoir démontré - que l'article 58, actuellement, est excessif par rapport à l'objectif poursuivi. Nous ne voulons pas dire que la liberté d'expression est absolue et que, donc, toute personne pourra s'exprimer uniquement dans sa langue, nous considérons que le législateur et le gouvernement est justifié d'imposer des limites à la liberté d'expression pour le bien général de la société. C'est ce que nous avons tenté de démontrer dans notre mémoire.

M. Marx: Je conteste.

Le Président (M. Gagnon): Oui, madame.

Mme Côté-Harper (Gisèle): M. le député, si vous me le permettez, je pense que la survie de la langue française a été depuis toujours reconnue par la commission. J'aimerais souligner encore une fois qu'on ne pourrait pas revenir à l'époque antérieure à l'adoption de la loi 101 alors qu'on retrouvait de l'affichage uniquement en langue anglaise et en d'autres langues. Je pense que c'est à éliminer comme possibilité. Cependant, la situation actuelle de notre climat politique et de notre climat de tolérance peut nous permettre d'envisager un amendement de cette nature. Je pense que le mémoire fait référence à la question du message, à la question du moyen, du médium, mais je pense aussi qu'il faut envisager l'aspect humain et l'aspect de tolérance de la société québécoise et refléter aussi les autres groupes. On a beaucoup parlé, au cours de cette commission parlementaire, de l'affichage anglophone, mais on a très rarement parlé des autres communautés culturelles. Ce qu'on a voulu surtout viser dans notre mémoire, c'est les autres communautés culturelles qui sont des communautés à part entière et qui sont des Québécois. Voilà, je voulais simplement apporter cette précision.

M. Marx: Oui mais je peux apporter une précision aussi. Je ne pense pas que les Anglais, au Québec, soient un groupe ethnique comme les Cambodgiens. Les anglophones au Québec ont le même statut que les francophones ou les Canadiens français au Nouveau-Brunswick. C'est un des deux peuples fondateurs et je pense qu'il serait mauvais de confondre les Anglais au Québec ou les Français au Nouveau-Brunswick avec les gens qui viennent du Tchad, de l'Argentine ou du Chili. Je pense qu'il y a une distinction, quoique pour une raison qui m'échappe, on parle, dans la loi 101, des groupes ethniques comme les Anglais au Québec qui sont associés à une communauté culturelle et non pas vus comme un des deux peuples fondateurs dans d'autres discours du parti qui est au gouvernement au Québec.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee puis-je vous demander de conclure?

M. Marx: C'est la première fois que vous demandez à quelqu'un de conclure aujourd'hui.

Le Président (M. Gagnon): Je me suis retenu depuis longtemps, M. le député de D'Arcy McGee précisément parce que je ne voulais pas vous le demander mais à un moment donné le temps est réellement dépassé depuis longtemps.

M. Fortier: Vous pouvez invoquer la charte des droits.

M. Marx: Question de règlement, M. le Président. D'autres députés ont parlé avant moi depuis 10 h 10 ce matin et vous n'avez jamais coupé la parole à qui que ce soit. Je ne vois pas pourquoi vous commenceriez avec moi maintenant. Des députés ont parlé plus de 20 minutes, ont posé toutes sortes de questions, ont fait toutes sortes de discours et quand c'est mon tour et après une remarque donnée vous êtes en train de me couper, je ne vois pas...

Le Président (M. Gagnon): Je vous demandais simplement de conclure. Je m'excuse, je n'ai pas eu à le faire aujourd'hui parce que j'ai remarqué - et je pourrais d'ailleurs vous montrer les chiffres, j'ai tenu le minutage de chacun des deux partis et cela s'est passé assez dans l'ordre -

qu'actuellement on dépasse le temps alloué.

M. le ministre, sur la question de règlement.

M. Godin: Oui c'était seulement pour dire qu'il est arrivé aujourd'hui avant vous que le Président dise à certains députés, à certaines députées: S'il vous plaît! M. le député, Mme la députée, dernière question. Dans un autre code, le même message, M. le député. Donc, il n'y aucun statut particulier donné à personne ici dans un sens ou dans l'autre.

Le Président (M. Gagnon): Je vous remercie, M. le ministre.

M. Marx: J'aimerais...

Le Président (M. Gagnon): Oui, M. le député.

M. Marx: ...signaler que le premier mémoire déposé aujourd'hui a pris trois heures; le deuxième, qui s'est terminé à 16 h 30, a pris au moins 1 h 30. On a maintenant la Commission des droits de la personne qui est devant nous depuis seulement à peu près 43, 45 ou 47 minutes, c'est-à-dire pas une heure encore et on est en train de mettre fin à la discussion.

Le Président (M. Gagnon): Je vous ferai remarquer qu'on vient de perdre certainement deux ou trois minutes où vous auriez pu poser des questions.

M. le député de Vachon.

M. Payne: II y a beaucoup de monde qui voudraient intervenir mais je pense que si on devait limiter le temps, je suis prêt à sacrifier mon temps.

M. Gratton: Vous pouvez faire une conférence de presse aussi.

Le Président (M. Gagnon): Je pense que l'assentiment de l'ensemble des membres do la commission c'est de limiter un peu le temps pour qu'on puisse entendre tous nos invités.

M. Marx: M. le Président...

Le Président (M. Gagnon): M. le député de D'Arcy McGee, je vous demande de conclure. (17 h 15)

M. Marx: Normalement, quand je n'ai rien à dire, je suis prêt à couper le temps aussi.

En ce qui concerne la limite à l'expression, il n'y a rien dans votre mémoire pour nous indiquer que les limites imposées sont des limites raisonnables, qu'il y a une preuve quelconque, que c'est important pour la survie de la langue française d'avoir de telles exigences. Je ne dis pas que je ne suis pas d'accord avec le résultat, mais c'est le cheminement. Je ne vois pas comment on peut dire qu'on a besoin de l'affichage bilingue pour la survie de la langue française. Supposons qu'on permette l'affichage comme c'était auparavant, est-ce que la langue française serait en danger au Québec? Peut-être que, par la force des choses, on va avoir l'affichage unilingue presque partout, parce que, finalement, l'affichage est dirigé vers certaines personnes et, si les communautés sont francophones, c'est inutile d'afficher en anglais. Il n'y a pas de preuve pour cette conclusion dans votre mémoire.

Le Président (M. Gagnon): Mme

Fournier.

Mme Fournier: Nous n'avons pas fait un type d'étude sociologique ou un sondage auprès de tous les commerçants, à savoir: Avez-vous l'intention de n'afficher qu'en une langue autre que le français? Donc, il est vrai que je ne pourrais pas vous dire précisément si c'est absolument obligatoire d'exiger qu'il y ait du français prépondérant par rapport aux autres langues. Cependant, nous ne sommes pas revenus sur l'évaluation que nous avons faite en 1977 - peut-être est-ce une question de gros bon sens - à savoir que la langue française au Québec avait besoin d'une protection particulière étant donné la situation très particulière de la société québécoise par rapport à l'ensemble nord-américain. Notre prémisse a été celle-là. Nous avons donc mis l'accent, à partir de cette prémisse, sur le droit de chacun à la liberté d'expression, compte tenu de la protection du caractère particulier de la société québécoise.

M. Marx: Mon dernier sujet est le suivant. Prenons l'exemple de la liberté d'expression dans la charte, telle que décrite à l'article 3. Si quelqu'un va devant les tribunaux avec votre mémoire pour plaider qu'il a le droit d'afficher dans une langue autre que le français, que ce soit l'anglais ou une autre langue, et si le gouvernement veut plaider que sa loi est valide, il lui sera nécessaire de faire une certaine preuve. On dit à l'article 9.1 de la charte: Les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec, etc. Il sera nécessaire pour quelqu'un d'apporter une preuve que c'est pour le bien-être général des citoyens du Québec qu'on a adopté cet article dans la loi 101. Vous n'avez pas de preuve ou d'élément de preuve de l'un ou l'autre côté de la médaille. Comprenez-vous ce que je veux dire? Quand on va devant les tribunaux, c'est

nécessaire d'avoir une telle preuve. Par exemple, en ce qui concerne le droit à l'instruction dans la constitution canadienne, qui est maintenant contesté en ce qui concerne le Québec, on a fait une preuve, comment dirais-je, extrinsèque et sociologique pour appuyer l'élément juridique qui était plaidé.

Mme Fournier: Je pense que vous avez raison. Une personne, devant un tribunal, devrait monter une preuve, à savoir que l'article 9.1 s'applique.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de D'Arcy McGee.

M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Compte tenu de l'heure, M. le Président, je voudrais remercier mesdames et monsieur de la Commission des droits de la personne. Nous apprécions grandement que vous ayez pris la peine de préparer un mémoire aussi étoffé. C'est avec plaisir que nous l'accueillons et que nous ferons nôtres certains des arguments qu'il contient.

Le Président (M. Gagnon): M. le ministre.

M. Godin: Mme la présidente de la Commission des droits de la personne, je pense que le sens de votre mémoire, c'est que cela s'appliquerait au droit de l'émetteur d'utiliser une langue et non pas nécessairement au droit de tous les récepteurs du Québec d'avoir droit à toutes les langues. Il y a 80 nationalités au Québec. Vous voyez en même temps la complexité de la question. Nous n'avons aucune objection -l'article 62 de la loi 101 est très clair là-dessus - à ce qu'on puisse afficher dans toutes les langues. En tant que ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration, je souhaite qu'il y ait d'autres langues parlées au Québec que celles-là. Mais si nous appliquions le principe global, la conclusion de votre témoignage ici, puisque la langue du récepteur du message fait partie de ses droits à lui aussi, pourrait mener, par l'absurde, à la nécessité d'afficher, pour tout commerce au Québec, dans 40 langues. Votre intention n'est pas d'aller jusque-là. C'est que les 40 langues soient respectées quand elles seront utilisées par les émetteurs qui parlent ces langues, si je vous comprends bien.

Le Président (M. Gagnon): Madame.

Mme Fournier: Concrètement, c'est évidemment cela, c'est l'émetteur qui va choisir la langue dans laquelle il veut émettre son message, à condition, encore une fois, que le français soit prépondérant. Mais il va émettre, comme je le disais tout à l'heure, dans une certaine langue, j'imagine, parce qu'il y a une correspondance de besoins exprimés chez les gens qui vont faire commerce avec lui.

M. Godin: Nous allons...

Mme Fournier: Excusez-moi, cela veut dire que la personne qui lira ces affiches ou entendra ces messages a le droit - nous considérons que c'est un droit de sa part aussi - de le lire dans cette langue.

M. Godin: D'accord, mais cette personne, qui est la réceptrice, pourrait-elle exiger, en vertu des droits généraux qu'on lui consentirait, que l'affichage soit dans sa langue, ce qui mènerait à 40 langues sur chaque affiche? Pas nécessairement?

Mme Fournier: Ce n'est pas la conclusion.

M. Godin: D'accord. Comme on le dit en cantonais, M. le député de D'Arcy McGee ... et, en mandarin ..., mots qui veulent dire merci.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. Merci, mesdames et messieurs de la Commission des droits de la personne.

Mme Fournier: Je vous remercie beaucoup de nous avoir entendus et de nous avoir posé aussi élégamment des questions intéressantes.

Le Président (M. Gagnon): Merci.

M. Godin: Merci, monsieur.

Le Président (M. Gagnon): J'inviterais Mme Thérèse Baron et M. Maurice Champagne-Gilbert à prendre place.

Pendant que nos prochains invités prennent place, j'aimerais demander aux membres de la commission s'ils sont d'accord pour poursuivre les travaux après 18 heures ou si on doit suspendre à 18 heures, parce qu'il reste deux groupes à entendre.

M. de Bellefeuille: Consentement.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député de Deux-Montagnes.

Une voix: On consent à quoi?

Le Président (M. Gagnon): À poursuivre.

M. Gratton: M. le Président, quant à nous, si vous me le permettez, nous consentirions à continuer les travaux sans suspension à condition, bien sûr, que cela ne s'éternise pas.

Le Président (M. Gagnon): Sommes-nous prêts à déterminer une limite de temps?

Une voix: Oui.

Le Président (M. Gagnon): Oui.

M. Gratton: Disons le plus tôt possible, mais on s'ajustera en cours de route.

Le Président (M. Gagnon): Cela va? M. Gratton: Cela va.

Le Président (M. Gagnon): Comme cela, personne ne me fera de reproche si j'essaie de limiter le temps.

M. Gratton: II ne semble pas qu'il y en ait de ce côté-ci.

M. Fortier: M. le Président, on ne vous fait jamais de reproche; ceux qui sont ici ne vous font jamais de reproche. Le député est parti.

Le Président (M. Gagnon): Merci: Madame, monsieur, je vous prierais de nous faire lecture de votre mémoire, s'il vous plaît!

Mme Thérèse Baron et M. Maurice Champagne-Gilbert

Mme Baron (Thérèse): M. le Président, M. le ministre, mesdames, messieurs les membres de la commission, il nous fait plaisir de nous venir ici aujourd'hui comme citoyens, Maurice Champagne et moi-même, pour vous présenter le mémoire que nous avons préparé ensemble et avec les moyens du bord, ce qui nous permettra, je suppose, de jouir de votre indulgence quant au texte et quant au manque de références précises.

J'ai constaté, à l'expérience, qu'il est beaucoup plus facile de préparer de grands documents quand on a tout un ministère derrière soi. Le citoyen est assez mal pourvu lorsqu'il veut se faire entendre dans une rencontre comme celle-ci, mais, enfin, nous avons fait ce que nous avons pu et nous serons prêts à répondre à vos questions. Je demande à M. Champagne-Gilbert de résumer ce mémoire.

M. Champagne-Gilbert (Maurice): M. le Président, madame, MM. les membres de l'Assemblée nationale, c'est plutôt dans mes habitudes de communiquer; comme ancienne sous-ministre, Mme Baron a plutôt l'habitude de répondre à des questions; on se partage ainsi les tâches.

Je voudrais d'abord dire qu'on se situe aujourd'hui et très souvent, quand on parle de question aussi fondamentale dans le domaine des droits, dans ce qu'il ne faut pas hésiter à appeler la quête de la vérité. Je pense que personne ne l'a. Ce n'est pas à vous que je vais rappeler que même le droit à la vie fait l'objet, dans le monde entier, actuellement et de plus en plus, de débats terribles, angoissés, que ce soit le droit à la vie dans le cadre de l'avortement, de l'euthanasie, du suicide et je pourrais mentionner d'autres cas douloureux.

Il ne faut pas s'étonner que, sur la question des droits linguistiques, des droits d'une collectivité, des droits de la personne, on en soit encore à l'état de recherche. Si, tantôt, on a posé des questions sur la jurisprudence et les expériences d'autres sociétés, je pense qu'il faut aussi rappeler que, dans ce domaine, à peu près chaque expérience est unique. Je ne crois pas que personne puisse prétendre qu'il y ait dans le monde et dans l'histoire un seul exemple qui puisse être comparé à celui dont nous débattons en ce moment ici.

Quête de la vérité, respect des personnes, elle est très difficile la question que nous débattons. Je pense que ce n'est pas la personne des Anglais ou des Italiens ou des Espagnols ou des Ukrainiens qui est en cause. C'est la situation de langue dans un rapport historique qui a quelque chose de très difficile, à certains moments, de tragique et qui redevient très présent au moment où on repense aux orientations de la loi 101. Le troisième aspect qu'il faut souligner, et qui est à la source de ce mémoire, de cette réflexion, c'est que nous sommes à un moment clé de l'évolution, peut-être plus important encore que le moment de l'adoption de la loi, en 1977, parce qu'on pense qu'une loi qui vient essayer de répondre à un problème aussi long, aussi difficile peut avoir produit ses effets dans cinq ans. Peut-être que c'est maintenant le moment le plus déterminant. C'est ce qui explique l'orientation que nous avons prise.

J'ajoute que, parlant de respect entre les minorités et la majorité, il est clair, pour nous, que ce respect est là. Nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir lors de questions concrètes. Mais l'orientation de notre mémoire, c'est de dire - et c'est peut-être pour cela que nous sommes tous les deux - que nous représentons une majorité -nous y reviendrons - qui est peut-être l'une des minorités qui ont le plus besoin de protection sur ce continent. Je pense qu'il ne faut pas oublier cela.

En résumant le mémoire que je vais parcourir le plus rapidement possible, il y a trois grands secteurs. Premièrement, nous avons rappelé la question des orientations majeures dont il faut tenir compte dans ce débat linguistique difficile. Deuxièmement, nous disons pourquoi il ne faut pas toucher à la loi 101. Nous n'allons pas entrer dans tous les détails des positions que nous avons

prises là-dessus, mais insister, entre autres, sur la question de la clause Québec et sur celle de l'affichage qui revient dans la dernière partie de notre mémoire en parlant du problème des droits. Comme nous avons entendu précédemment le mémoire de la Commission des droits de la personne, il y aura peut-être l'occasion d'un débat sur ces questions parce que nous citons, incidemment, le même jugement et, forcément, on parle des mêmes principes, mais les interprétations sont forcément très différentes.

Finalement, nous parlerons de cette question du domaine des droits qui devrait être à la source des positions que nous prenons quand nous adoptons des lois, mais qui pourtant, au Québec, reste encore un sujet d'une très grande confusion. Je pourrais vous dire que je fais régulièrement le test de demander à des gens, même à ceux qui se disent spécialistes dans le domaine, de me donner la définition d'un droit et ils n'arrivent pas à le faire. C'est quoi, un droit, un droit de la personne, un droit d'une collectivité? (17 h 30)

Dans les orientations majeures, ce que nous rappelons d'abord, c'est que la langue n'est pas seulement un mode d'expression; c'est un milieu de vie, c'est un environnement. Le député de D'Arcy McGee a parlé de facteurs psychologiques. Oui, je pense que le domaine des droits, c'est un domaine très multidisciplinaire, multisectoriel et, pour chaque Québécois, vivre dans un environnement bilingue ou vivre dans un environnement français, ce n'est pas la même chose, cela n'a pas le même effet.

Le passage de la page 1, je crois, est particulièrement important; c'est pour cela que nous l'avons souligné. On pourra en discuter en termes de recherche, parce que je pense qu'on en est tous là. On ne vient pas ici pour vous donner des absolus. Le dernier paragraphe de la page 1 dit: La langue est l'une des réalités qui attestent au plus haut point la richesse du rapport d'interdépendance entre la personne et la société, entre l'individuel et le collectif. Mais il y un ordre fondamental dans l'exercice de ce rapport: le collectif a préséance sur l'individuel, parce que la communauté linguistique préexiste à l'individu. C'est parce qu'il y a un groupe humain qui a en commun telle langue que les personnes appartenant à ce groupe peuvent s'identifier individuellement, communiquer les unes avec les autres et ressentir leur appartenance sociale. C'est parce qu'il y a tel groupe majoritaire linguistique, ou tel groupe minoritaire linguistique, que les personnes appartenant au groupe majoritaire ou au groupe minoritaire ont individuellement tels droits et non pas du seul fait qu'elles sont des personnes. Ne faut-il pas à cet égard se délivrer de l'utilisation démagogique qui est souvent faite des droits de la personne, lorsqu'on les oppose systématiquement aux droits de la majorité pour culpabiliser les individus appartenant à la majorité qui réclame ses droits? Les valeurs collectives sont si importantes dans le domaine linguistique qu'elles conditionnent l'exercice réel des libertés individuelles. Nous y reviendrons dans le cas de l'affichage.

Le deuxième point que nous faisons ressortir en parlant du Québec - et je parlais de moment décisif au départ - c'est que le sens de cette loi et de beaucoup d'efforts de la majorité depuis des années est de faire reconnaître l'importance de vivre dans un Québec français fort. On nous apporte souvent des objections, on parle d'économie, etc. Il y a une certaine oppression morale, d'ailleurs, que nous vivons depuis fort longtemps et que nous continuons de vivre à ce sujet. On pense qu'il devrait pouvoir être possible de faire ici ce que les gens d'affaires et ce que tout le monde fait en France, c'est-à-dire qu'on ne ferait jamais l'affront aux Français de leur demander de servir les gens et de faire des affaires dans deux langues, etc.

Le Québec français fort, cela nous paraît devoir être affirmé plus que jamais. Psychologiquement et sur le plan humain, c'est vraiment quand cette majorité se sentira forte, qu'elle ne se sentira pas continuellement remise en question qu'elle pourra avoir l'ouverture la plus grande à l'endroit des minorités, ce qui est, je pense, une ouverture que tout le monde souhaite et que nous sommes les premiers à souhaiter.

Nous rappelons, d'ailleurs, là-dessus, en page 3 - on l'a oublié beaucoup, le rapport Pépin-Robarts - comment la commission Pépin-Robarts disait, au fond, que le Québec avait fait un choix fondamental avec la loi 101 et que c'était cela. D'ailleurs, si toutes les provinces du Canada faisaient une loi 101, on serait peut-être dans le système idéal.

Le troisième point: la majorité francophone québécoise. On oublie, dans le domaine des droits, que cette majorité francophone québécoise est une minorité dans l'environnement canadien nord-américain. Nous sommes 1 Québécois francophone pour 55 Canadiens et Nord-Américains anglophones. Je pense qu'on n'a pas besoin de s'attarder longtemps pour voir comment c'est un combat constant pour le francophone de lutter pour garder sa langue dans un tel environnement. Il y a la radio, la presse, la télévision et bientôt on sera envahi par les satellites de télécommunication en grand nombre. Donc, ce n'est pas la majorité francophone qui en profite, de l'environnement culturel nord-américain; c'est la minorité qui en profite et nous, on doit lutter constamment.

Cela, c'est une dimension qu'il faut rappeler et qu'on ne rappellera jamais trop: de toutes les minorités, d'un océan à l'autre, c'est peut-être la majorité québécoise qui a le plus besoin de protection. Et c'est en fonction de cela, en fonction de son statut de majorité ici et de sa situation de minorité dans cet environnement, qu'elle a droit à une double protection de sa langue. C'est à cela qu'a répondu la loi 101. Il faut dire les choses telles qu'elles sont.

Sur le quatrième point à la page 4, c'est bien sûr que, lorsqu'on parle du rapport minorité-majorité, c'est quelque chose de difficile à évoquer, mais c'est la réalité historique. Il y a eu un rapport de minorité-majorité qui a fait que la minorité, à cause de toute une série de facteurs, à cause de l'histoire, de sa puissance économique, de son identification beaucoup plus marquée à la majorité anglophone canadienne qu'à la majorité francophone québécoise, en est arrivée à se comporter comme une majorité, alors que nous nous sommes comportés comme une minorité.

Actuellement, je ne suis pas sûr que toutes les références qu'on fait aux sondages prouvent beaucoup de choses. Il faut bien se dire entre nous que, même pour des Québécois francophones, ce qui est important, c'est de vivre, c'est de gagner son pain à un moment donné. Sans faire aucune ironie, je ne suis pas sûr, mais, même parmi nous, il y a peut-être beaucoup qui, à la limite, diraient: Bien oui, si on arrive à vivre en anglais, bien on vivra en anglais quitte à ce qu'on meure en français.

Il faudrait dire bien haut que la loi 101 a appliqué un principe fondamental en droit, notamment en droit international, qui a guidé la Cour européenne, par exemple, en Belgique quand on a dit: Certaines inégalités de droit deviennent nécessaires pour corriger des inégalités de fait. Il y a un deuxième principe qu'enfin on a adopté dans la Charte des droits et libertés de la personne au Québec il n'y pas longtemps et qui est à l'article 86 qui parle du programme d'accès à l'égalité. Rigoureusement, je crois que la loi 101 doit être considérée dans le domaine des droits sur le plan collectif comme un programme d'accès à l'égalité dans le secteur des droits linguistiques pour les personnes appartenant notamment à la majorité francophone québécoise. C'est une question difficile, c'est les législations des noirs et des blancs aux États-Unis, c'est le principe des quotas, c'est tout ce qui se pose pour les droits des femmes en ce moment et qui est plus ou moins refusé même dans la fonction publique. C'est humiliant au fond et c'est peut-être presque honteux de devoir rappeler que la majorité québécoise francophone ici est obligée de recourir à ce principe de se donner un programme d'accès à l'égalité pour les francophones.

Je ne reviendrai pas aux sondages, parce qu'on en parle dans notre résumé de mémoire. C'est trop simplifier la réalité, encore là, que de s'en remettre à ce que disent les sondages: Est-ce que les transferts linguistiques ont profité aux francophones ou aux anglophones? Est-ce qu'on a la thèse de Castonguay ou la thèse d'Henripin? Il y a une chose certaine, c'est qu'au-delà de ces thèses la situation de la majorité, quand on regarde simplement le taux de natalité qui est entre 1,5% et 1,9% selon les estimations les plus optimistes, peut nous faire réfléchir aussi et constituer une autre condition essentielle de protection pour la majorité.

La question principale dans ce contexte, pour nous, demeure et reste toujours une question difficile. Dans le domaine des droits, il faut être cohérent. On dit souvent - et on en parle de plus en plus au Québec depuis qu'on parle des droits - il y a les droits, mais il y a les obligations. On ne peut pas faire autrement en toute justice que de rappeler aux minorités qu'elles ont l'obligation, comme nous nous aurions l'obligation, je crois, si nous allions en Ontario, d'accepter de vivre en français ici. Il faut reconnaître que c'est une condition de paix linguistique et d'équité. Le jour où ce sera accepté, je suis sûr qu'on pourra aller très loin dans cette société dans nos rapports entre minorité et majorité. C'est cela, les échanges qu'il faut faire dans l'histoire peut-être.

Je rappelle que c'est tout le domaine du droit international. On a dit tantôt - je ne m'attarde pas - que l'exercice des libertés de tout le monde se fait dans un cadre où on doit tenir compte de la démocratie, de la sécurité nationale, de l'intégrité territoriale. Nous donnons des citations à la page 6. Je vous rappelle que, dans le domaine du droit international, on va même plus loin à l'endroit des obligations des minorités. Au bas de la page 6 du mémoire, nous disons: La convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement, adoptée par la Conférence générale de l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture en 1960 qui pose le principe touchant les obligations et les responsabilités des membres des minorités à l'égard de la majorité. Cette convention des Nations Unies dit: "II importe de reconnaître aux membres des minorités nationales le droit d'exercer des activités éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d'écoles et, selon la politique de chaque État en matière d'éducation, l'emploi ou l'enseignement de leur propre langue, à condition, toutefois que ce droit ne soit pas exercé d'une manière qui empêche les membres des minorités de comprendre la culture et la langue de l'ensemble de la collectivité et de prendre part à ses

activités ou qui compromette la souveraineté nationale." Je pense qu'il ne faut pas oublier ces principes.

Nous concluons cette première partie en disant, évidemment, qu'il est difficile d'être minoritaire. Ce n'est pas facile. On pourrait faire de l'angélisme autour de cette question, mais je pense qu'on est tout à fait au coeur du débat en ce moment. Il faut se dire les choses comme elles sont sur ce plan. D'autant plus qu'il faut reconnaître qu'il n'y a pas une société au monde où les minorités et la minorité anglophone ont été respectées comme ici - continuent de l'être - et continuent d'être protégées comme elles l'ont été par la loi 101. Je pense que la majorité a fait ses preuves depuis longtemps. C'est ce que nous indiquons. On a fait des efforts considérables dans les dernières années, par exemple, le développement de ce ministère. Nous avons fait aussi des progrès dans un enseignement de qualité de la langue anglaise, parce que nous en sommes. Cela reste une question fondamentale. Il y a beaucoup de progrès à faire là-dedans, mais je pense qu'on n'a pas besoin de modifier la loi 101 pour améliorer la qualité de la langue anglaise. Il est certain qu'il faut rappeler au ministre de l'Éducation et à tous les enseignants du Québec que, si l'enseignement de l'anglais était encore plus de qualité, peut-être qu'il serait plus facile de vivre ces questions. Voilà pour les orientations majeures très rapidement esquissées.

Dans la deuxième partie, nous disons, au fond, pourquoi il ne faut pas toucher à la loi 101. D'abord, on rappelle que, même pour ce qui est des irritants - les fameux irritants - l'étude que nous faisons de la loi nous amène à conclure qu'il n'y a peut-être qu'un seul article qui pose problème, c'est l'article 17 qui régit la communication des organismes de l'administration entre eux. Cela réfère au cas de l'Université Concordia qui écrit à l'Université McGill et qui est obligée de le faire en français. C'est l'un des rares articles où il est dit que c'est "uniquement" dans la langue officielle... Mais on pense que, dans la plupart des autres articles, tous les irritants peuvent disparaître par le seul pouvoir de la réglementation, par une réglementation plus souple, par une interprétation différente. Je pense que c'est le cas d'un article que nous soulignons plus loin où on dit "dans les établissements commerciaux". C'est à l'article 60 ou 61 qui parle des établissements où il y a moins de cinq personnes. Il fort possible que le gouvernement dise, car il en a le pouvoir: "Dans" ne signifie pas simplement à l'intérieur; cela signifie: ce magasin, cette entreprise etc.

On laisse beaucoup entendre que la loi comprend des irritants, que les règlements sont excessifs, mais on ne parle pas souvent des nombreuses exceptions qui sont là. D'ailleurs, l'article 58, dont la Commission des droits de la personne a parlé tantôt, commence, est d'abord libellé en ouvrant la porte aux exceptions, n'est-ce pas? Il y a une masse de règlements qui ouvrent la porte à des exceptions de toutes sortes.

La question principale, pour aller le plus vite possible sur ce plan, avant d'en venir à l'affichage, c'est la fameuse clause Québec. Nous disons, même à propos de la clause Québec: Attention! Il n'est pas simplement question de quelques centaines d'enfants. Nous nous référons, entre autres, au jugement du juge Deschênes, à la page 12, où, selon le témoignage du démographe entendu, il est question de 4884 enfants recevant l'enseignement au Québec en 1981-1982 qui auraient pu passer du secteur français au secteur anglais. (17 h 45)

On dit plus loin: Peut-on vraiment prétendre qu'il ne s'agit là que de quelques centaines d'enfants?, que l'effet de ces migrations annuelles serait sans conséquence visible sur la population du réseau scolaire anglophone, à court et à long terme, que l'abandon de la clause Québec - il faut lire l'abandon plutôt que la substitution - ne restreint pas la portée de la loi 101 dans le domaine de l'enseignement? Nous nous en tenons ici aux effets possibles de la migration interprovinciale, mais rien ne garantit, au contraire, que quelque interprétation juridique de la clause Canada n'ouvrira pas plus largement encore les portes de l'école anglaise, le jour où il suffirait, par exemple, à un citoyen de Hull, même francophone, d'envoyer un de ses enfants dans une école d'Ottawa pour acquérir, en faveur de tous ses enfants et de toute sa descendance, l'accès à l'école anglaise au Québec.

Il faut le redire: La clause Québec n'avait rien en soi de déraisonnable ou d'excessif dans le contexte scolaire québécois des années soixante-dix, alors que les écoles anglaises accueillaient la presque totalité des allophones: de 22,1% à 24,8% de la clientèle du réseau des écoles anglaises entre 1971 et 1979; et même un nombre important de francophones, de 10,7% à 10% de la clientèle de ces écoles entre 1971 et 1979. Pour la même période, la proportion des anglophones dans leur propre réseau scolaire ne figurait que pour 67,2% en 1971-1972, 66,7% en 1976-1977, 66,4% en 1977-1978 et 65,2% en 1978-1979.

Il est clair, encore là, que nous faisons face à une réalité difficile. Nulle part ailleurs au Canada, ni dans les autres systèmes démocratiques, ne voit-on l'école d'une communauté linguistique minoritaire exercer un tel pouvoir d'attraction et devenir un agent principal d'assimilation auprès des citoyens d'autres communautés culturelles

minoritaires et même auprès d'un nombre significatif de citoyens de la communauté culturelle majoritaire.

Nous passons sur les autres parties du mémoire pour en venir tout de suite à la troisième partie, qui est pour nous extrêmement importante, parce que la question de l'affichage pose, on s'en est rendu compte dans la comparution qui a précédé, des questions fondamentales. Nous disons, en ouvrant cette troisième partie, qu'il manque encore au Québec une condition essentielle au débat sur les droits linguistiques: la clarification du domaine des droits. J'y reviendrai plus loin. Faute de cela, on répand, par exemple, le sophisme -j'ai le regret de dire que c'est un sophisme -qui consiste à poser le problème de l'affichage public et de la publicité commerciale en fonction de la liberté d'expression plutôt qu'en fonction du choix de la langue. J'oeuvre dans le domaine des droits depuis bientôt quinze ans.

Nous sommes convaincus que l'article 58 de la loi 101, qui stipule que, "sous réserve des exceptions prévues par la loi ou par les règlements de l'Office de la langue française, l'affichage public et la publicité commerciale se font uniquement dans la langue officielle", est aussi légitime qu'il est nécessaire, et pour longtemps, afin d'exprimer le visage français du Québec et d'appuyer sur le plan collectif le droit des personnes de s'identifier à la langue de la majorité.

Il est clair que la raison d'être de l'affichage en français est de constituer un support collectif visible pour toutes les personnes qui ont besoin de s'identifier à un Québec français fort. Ce n'est donc pas uniquement une question de droit collectif, c'est une question fondamentale de droit des personnes. Encore une fois, il est possible de développer des mesures d'exception et d'assouplissement à ce principe parce que c'est déjà prévu dans l'article et nous y faisons référence à la page 8, je l'ai déjà évoqué.

Cela dit, la question majeure qui est posée par celle de l'affichage est vraiment la question de la distinction entre la liberté d'expression et le choix de la langue. Je passe rapidement sur ce que nous disons à la page 9 parce que ce que nous avons entendu de la part de la Commission des droits de la personne se dit dans d'autres milieux, car nous sommes en pleine recherche. Ce n'est pas pour rien que j'ai parlé de quête de vérité au départ - personne n'a la vérité là-dessus - et de la jurisprudence qui va expliquer le cas du Québec, il ne faut pas aller en chercher, il n'en existe pas. Il y a une jurisprudence canadienne qui correspond à notre histoire, il y a une jurisprudence belge, il y a une jurisprudence suisse, mais on ne peut transposer ces modèles. Ce n'est pas par hasard que, sur le plan du droit international, ce que l'on trouve toujours, c'est le principe fondamental qui dit que l'exercice des droits des uns se fait dans le respect des autres et que cela se fait dans un cadre où la sécurité nationale, l'ordre public, le bien commun, etc., doivent être protégés. D'ailleurs, il faut rappeler que le principe fondamental de la Charte des droits et libertés de la personne dit que les droits qui sont garantis dans cette charte sont d'abord le fait de la volonté collective qui est représentée, bien sûr, par les membres de l'Assemblée nationale.

Donc, quand on fait de l'interprétation, par exemple, de la jurisprudence américaine au sujet du "commercial speech", au sujet du discours commercial, et qu'on montre que les tribunaux américains ont relié le discours commercial et la liberté d'expression, bien sûr, c'est tout à fait normal. Ils l'ont fait dans le cadre d'un système économique, culturel, social, politique, où la liberté de commercer est fondamentale et où ne se pose évidemment pas le contexte québécois. Cela ne se pose pas aux États-Unis, le choix d'une seconde langue ou le débat que nous vivons au Canada sur les langues officielles. C'est un sophisme - je regrette de vous le dire aussi clairement - que de faire cette référence à la jurisprudence américaine.

Si on poussait le sophisme jusqu'au bout, on aboutirait à soumettre le choix de la langue à la liberté d'expression. Ainsi, tout groupe minoritaire, quel que soit le nombre des individus le constituant, pourrait exiger de pouvoir diffuser dans sa langue un message religieux, idéologique, religieux, commercial, etc. Il faut bien se rendre compte qu'on ne peut isoler l'affichage d'autres droits. On en parle là comme d'une question où on pourrait relativiser des choses, mais cela se situe dans l'ensemble d'une loi où c'est toute une série de droits. Le jour où vous donnez l'affichage à un groupe minoritaire, ce n'est pas seulement la loi 101 qui sauterait, si on partait de ce principe, mais toute la loi sur les langues officielles; c'est tout le Canada, c'est la Charte des droits et libertés de la personne qu'on fait sauter, d'après ce principe. La loi sur les langues officielles garantit, dans des services bien identifiés, institutionnels l'accès aux deux langues, mais elle n'ouvre pas la porte à toutes les minorités qui auraient droit d'avoir des services dans leur langue dans toutes sortes de secteurs. Donc, à ce moment, on se retrouve avec des groupes minoritaires qui peuvent tout exiger. Il n'y aurait bien sûr plus de problème pour la langue des minorités parce qu'il n'y aurait plus de minorité.

S'il y a un problème pour respecter les droits linguistiques des minorités, c'est précisément d'abord parce qu'il est lié au choix de la langue même si c'est difficile à

dire, par la volonté collective du groupe majoritaire. C'est la volonté collective qui choisit la langue dans une société par le pouvoir. La question est politique. La liberté d'expression est intrinsèquement liée au droit des individus. S'il y a une distinction qu'il faut faire entre langue et liberté d'expression, c'est bien celle-là. La langue est tout à fait une réalité collective à certains égards, alors que la liberté d'expression est associée foncièrement à l'individu. C'est la liberté d'opinion; là-dessus, le droit international est clair.

On peut donc dire, sous une autre forme, que c'est en somme la collectivité qui est fiducière de la langue, puisque l'individu parle la langue du groupe auquel il appartient, groupe majoritaire ou minoritaire, tandis que c'est l'individu qui est d'abord titulaire de la liberté d'expression.

Le juge Dugas, dans son fameux jugement, a rappelé beaucoup de choses extrêmement importantes là-dessus. Il a fait l'analyse. Il a montré que la loi 101 n'allait pas du tout à l'encontre de la Charte des droits et libertés de la personne sous aucune forme, qu'elle n'allait pas contre la définition de la liberté d'expression et d'opinion. Dans le droit international, c'est très clair. Il a conclu que la liberté d'expression ne comprend pas la liberté de choisir la langue d'expression.

Tout ceci nous amène en bout de piste à dire que toutes ces questions soulèvent pour nous, au Québec, plus que jamais, la nécessité de clarifier la compréhension et la portée du domaine des droits, en conséquence, de réfléchir davantage sur la question pour mieux situer les droits linguistiques.

Les questions que nous avons soulevées à la page 23 et tout au long de ce mémoire mettent en cause des notions fondamentales à propos desquelles nous nous retrouvons dans la plus grande confusion. Il en est ainsi, en effet, du domaine des droits lui-même, que nous assimilons le plus souvent au domaine du droit; c'est cela le problème qui s'est posé dans la comparution qui nous a précédés. Le domaine des droits est celui du social, du politique, de l'économique, du culturel, c'est celui qui est en évolution et qui est défini par les sociétés - c'est d'ailleurs pour cela qu'il y a une charte. Ce ne sont pas les juristes qui ont défini la nouvelle charte, la nouvelle constitution canadienne, c'est le pouvoir politique qui a fait la constitution canadienne et maintenant le monde judiciaire et juridique a à l'interpréter.

C'est vous, mesdames et messieurs, qui êtes les premiers titulaires du domaine des droits dans la société. On l'oublie, mais c'est cela la réalité et c'est pourquoi la loi 101 reste une loi de droits définis par un pouvoir politique à qui il était tout à fait légitime de procéder à cette opération. La confusion est très grande là-dessus, comme la confusion des droits collectifs et des droits individuels. Comment des juristes peuvent-ils avoir l'esprit assez étroit dans notre système de droit canadien, qui est d'ailleurs très en retard sur le droit international, pour prétendre que les droits collectifs sont une notion dont on ne doit pas parler? Le droit international a reconnu le droit à l'autodétermination. Il est clairement reconnu par des linguistes comme par des gens dans le domaine des droits que le droit à l'information, le droit à l'éducation étaient à la fois des droits collectifs et des droits individuels.

Il faudrait peut-être clarifier davantage ces notions-là, comme on sait que les notions de peuple, de société, de nation, de société distincte ne sont pas claires. Il nous apparaît que c'est très confus. Avec tout le respect que nous portons au gouvernement, nous rappelons que l'une des manifestations types de la confusion qui nous régit dans ce domaine se retrouve dans le fait que nous nous soyons donné une charte des droits au Québec et que ni le gouvernement Bourassa, qui a adopté cette charte la première fois, ni le gouvernement Lévesque n'y ont inscrit les principes fondamentaux sur nos droits linguistiques.

À la page 24, nous rappelons la proposition que nous avions faite, à la Ligue des droits en 1973, d'inscrire... Je dois dire à cet égard que la proposition avait été refaite par la Commission des droits de la personne, où j'étais vice-président en 1977, laquelle commission, d'ailleurs, à l'époque, avait approuvé la plupart des principes dans la loi 101. On avait quelques réticences, mais pas sur l'affichage, que je sache. Une des recommandations de la Commission des droits de la personne, à ce moment-là, était précisément de faire insérer, dans la charte des droits, les principes fondamentaux qui pourraient faire en sorte que la loi 101 soit une application, soit une loi particulière, mais qui obéisse aux grands principes qui seraient dans la charte des droits qui est la grande loi.

En conséquence, nos recommandations sont les suivantes: Nous demandons de ne pas modifier la loi 101, si ce n'est pour renforcer la protection des droits de la majorité et enlever les irritants qui affectent les droits des minorités, mais qui ne touchent pas l'essentiel de la loi.

Je rappelle qu'à la suite du résumé du mémoire, il y a une page d'errata et, dans les errata, nous vous indiquons que la première recommandation du mémoire doit être remplacée par la recommandation du résumé du mémoire qui est celle que je viens de vous lire.

La deuxième recommandation: Nous demandons au gouvernement et à l'Assemblée

nationale d'instituer dans les plus brefs délais une commission d'étude pour clarifier la compréhension et la portée du domaine des droits et de resituer de multiples aspects impliqués dans l'affirmation des droits collectifs et individuels au Québec.

Je ne me trouverais pas aussi gêné que je me suis trouvé, comme professionnel du domaine des droits, en entendant la comparution qui nous a précédés, parce que je vous avoue que, pour moi, cela représente un très grave problème. Cela illustre comment très souvent au Québec, dans le domaine des droits, nous improvisons. Je ne porte pas de jugement de valeur sur ce qui a été dit, mais je crois qu'il faudrait qu'en certains milieux, on approfondisse le domaine, qui est très difficile d'ailleurs. Il n'y a personne qui a de modèle là-dessus, il n'y a pas de modèle de commission des droits nulle part dans le monde, c'est une création québécoise. (18 heures)

La troisième recommandation est une recommandation rappel. Les droits linguistiques et culturels des minorités ethniques et de la majorité auraient dû être inscrits par le législateur québécois dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Le présent gouvernement a une fois de plus raté l'occasion de le faire en amendant la Charte des droits et libertés de la personne dont il vient de distribuer le texte à toute la population. J'ai rappelé ce que la ligue avait fait dans le secteur.

Voilà, j'ai terminé l'évocation de ce que nous considérons comme le plus important dans notre mémoire. Je ne sais pas si Thérèse a quelque chose à ajouter.

Mme Baron: Nous sommes prêts à vous entendre, messieurs et madame.

Le Président (M. Gagnon): En réponse aux questions peut-être. M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Merci, M. le Président. Je constate avec joie que Mme Baron et...

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Deux-Montagnes, je m'excuse. M. le ministre.

M. Godin: Vous avez commencé, allez-y; je reviendrai par la suite, après l'alternance.

Le Président (M. Gagnon): Cela va?

M. de Bellefeuille: Bon. Je constate avec plaisir que Mme Baron et M. Champagne-Gilbert nous enjoignent de ne pas toucher à la loi 101 pour l'essentiel. Je crois que, en ce qui me concerne, il est clair que c'est ce qu'il faut faire, il faut maintenir la loi 101, en ce qui concerne l'essentiel.

Mais s'il est permis, Mme Baron et M. Champagne-Gilbert, de discuter - j'espère que ce sera agréablement - des allusions que vous avez faites au mémoire qui a été présenté avant le vôtre, celui de la Commission des droits de la personne, je voudrais vous dire en toute simplicité que je n'ai pas réagi du tout de la même façon que vous à ce mémoire.

Il y a deux choses que je voudrais chercher essentiellement à expliquer. La première c'est que j'ai du mal, moi, à accepter la notion de droits collectifs. Je reconnais l'importance fondamentale dans notre société des droits de la personne, mais j'ai beaucoup de mal à accepter la notion de droits collectifs, parce que je crains que la notion de droits collectifs, si on la met sur le même pied en quelque sorte que les droits individuels, n'ouvre la porte à toutes sortes d'abus de la pensée. Considérer que les collectivités ont des droits par rapport à qui? Par rapport aux autres collectivités? Cela me gêne énormément.

D'ailleurs, ce document que nous connaissons tous par coeur, j'espère, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, ne fait aucune mention de la moindre chose qui pourrait être considérée comme un droit collectif. Elle n'édicte pas, elle reconnaît les droits et libertés de tout être humain, de la personne humaine ou de la personne. Si vous voulez, vous lirez le préambule, c'est un peu long à lire, mais c'est très clair qu'il s'agit des libertés et des droits fondamentaux de la personne qui sont garantis dans ce document. Et, même lorsque la Charte des droits et libertés de la personne traite des minorités, à l'article 43, elle traite des personnes appartenant à des minorités ethniques pour dire - à cet article 43 - que les personnes appartenant à des minorités ethniques ont le droit de maintenir et de faire progresser leur propre vie culturelle avec les autres membres de leur groupe. Alors, on prend bien soin de dire que toutes les personnes qui appartiennent à ces minorités ethniques ont ce droit, la charte évite soigneusement de dire que c'est la minorité qui a le droit ou que c'est la collectivité qui a le droit.

Bien entendu, c'est extrêmement important de protéger des minorités, de protéger des collectivités, mais on le fait par des moyens autres que l'érection d'un droit collectif. Nous n'avons jamais, au Québec, érigé de droit collectif et je pense que nous n'en avons pas besoin. Vous parlez de droits collectifs dans votre mémoire et je ne peux pas vous suivre sur ce terrain.

Pour revenir au mémoire de la Commission des droits de la personne, nous avons eu, avec les représentants de la commission, une discussion assez serrée qui

nous a permis d'établir que la différence entre la commission et, je crois, les porte-parole du gouvernement, c'est quant à savoir si l'article 58 de la Charte de la langue française - article qui traite de l'affichage -porte atteinte ou non à la liberté d'expression, ou si cette atteinte est acceptable ou justifiable, par exemple, au regard de ce qui est prévu dans l'article 9.1 de notre Charte des droits et libertés, où on parle du bien-être général des citoyens du Québec. C'est très simple. La commission dit: Cette atteinte à la liberté d'expression n'est pas justifiée au regard du bien-être général des citoyens du Québec.

Je ne m'empêtrerai pas dans un débat interminable, à savoir si oui ou non il y a une atteinte qui est portée à la libertée d'expression; je suis prêt à admettre qu'il y a une limitation de la liberté d'expression, mais je maintiens que cette limitation est amplement justifiée pour le bien-être général des citoyens du Québec. Cela devient un débat philosophique. Il n'y a pas, entre la commission et nous, que je sache, une opposition catégorique. La commission, que je sache, n'a pas pris une position de condamnation d'un article de la charte. Pas du tout. Elle a fait un pari différent du nôtre. Elle a fait une évaluation. On évalue l'atteinte à la liberté d'expression et le bien-être général des citoyens. C'est vraiment une évaluation, deux plateaux d'une balance. Pour la commission, cela penche d'un côté et, pour nous, cela penche de l'autre; mais il n'y a pas du tout de condamnation du moindre article de la charte que j'aie perçue dans le mémoire de la commission.

Donc, quant à moi, votre première recommandation va tout à fait dans le sens de mon sentiment tel qu'il a été nourri pendant les séances de cette commission, à savoir ne pas modifier la loi 101 si ce n'est pour renforcer la protection des droits de la majorité - je n'aime pas beaucoup l'expression, mais enfin! il s'agit du rang et du statut de la langue française - si ce n'est pour renforcer la protection de la langue française et enlever les irritants qui affectent les droits des minorités. Si cela affecte les droits des minorités, cela affecte plutôt des personnes ou des groupes, les groupes étant composés essentiellement de personnes, évidemment. Mais cette recommandation, qui ne touche pas à l'essentiel de la loi, me paraît tout à fait acceptable: "Instituer dans les plus brefs délais une commission d'étude pour clarifier la compréhension et la portée du domaine des droits et resituer de multiples aspects impliqués dans l'affirmation des droits collectifs et individuels au Québec."

Je suis d'accord qu'il y a une nécessité de clarifier tout ce domaine des droits. Je ne sais si une commission d'étude est le meilleur moyen de le faire, mais je suis d'accord. La conversation que nous avons à l'heure actuelle montre bien qu'on en est vraiment là. Pour ce qui est de la perception des droits, on en est encore à des choses tout à fait fondamentales. La recommandation rappelle... Je vais laisser au ministre, je pense, le soin de commenter cela, parce que cela implique nettement des choix que le gouvernement a faits, à savoir ce qui allait dans une charte et ce qui allait dans une autre charte; je n'y vois pas, quant à moi, de question de principes fondamentaux.

Voilà ce que je souhaitais vous dire. Je suppose que vous aurez quelques petits commentaires à faire là-dessus.

Le Président (M. Gagnon): Madame.

Mme Baron: Vous parlez du droit des personnes, mais ces personnes, c'est en tant qu'elles appartiennent à un groupe que vous leur donnez des droits. N'appelez pas cela des droits collectifs, si vous voulez. En pratique, je vous avoue que cela me semble pas mal équivalent. En fait, à partir du moment où on donne à des personnes des droits parce qu'elles s'identifient à un groupe - et à cause de cela et en vue de cela, en vue de sauvegarder, de protéger et le reste -automatiquement, vous reconnaissez que cette personne, comme membre d'un groupe, aura un droit qui l'aidera à conserver, à sauvegarder et à épanouir sa langue et sa culture. La langue n'est pas une abstraction; enfin, on peut la considérer comme cela dans le dictionnaire. Moi, j'appelle droit collectif un droit qui existe précisément parce qu'un groupe de personnes peut justifier qu'on l'accorde pour qu'il soit exercé par l'une des personnes de ce groupe. Cela prouve peut-être qu'il faut clarifier.

M. Champagne-Gilbert: Très rapidement, parce que je ne veux pas m'y attarder, vous sentez très bien que la question de fond, c'est toute notre conception des rapports personne-société. Vous l'avez vécu. J'entends ce que vous me dites, M. le député, avec une certaine surprise parce que, si je devais vous suivre dans votre argumentation, il faudrait conclure que le droit à l'autodétermination, pour lequel a lutté votre parti, n'est pas un droit collectif. Je crois que le droit international l'a établi clairement. Ce n'est pas là le droit d'un individu, c'est le droit que seule une collectivité peut réclamer. Dans les fondements de la question sur le plan juridique, à ce moment-ci, une des distinctions qui sont justement faites par les juristes est de demander: Qui est titulaire du droit? Il faut bien reconnaître que, quand il s'agit du droit à l'autodétermination, le titulaire du droit est la collectivité.

Je pourrais donner bien d'autres exemples. Quand je parle du principe de

l'article 86 de la Charte des droits et libertés de la personne, pour les programmes d'accès à l'égalité, c'est évident que, quand ces programmes d'accès à l'égalité prévoient des quotas pour laisser des places aux femmes qui ont été discriminées pendant des générations, vous allez me dire, à la limite, que c'est pour chaque individu femme, mais il reste que ce sont des démarches qui visent des groupes sociaux, comme elles ont visé systématiquement les Noirs aux États-Unis. À ce que je sache, si on parle des Noirs et qu'on va jusqu'en Afrique du Sud, ils constituent 70% de la population. Cela devient plus que des droits d'individus, ce sont vraiment des droits de collectivité.

Je pense qu'on a très peur au Québec et c'est normal. J'ai, moi aussi, peur de la définition des droits collectifs parce que je n'ai pas le goût de me retrouver demain matin dans un régime totalitaire où on va dire que seul existe le collectif et que la personne y est soumise. Mais ce n'est pas parce qu'on a cette peur et parce que le droit canadien est issu du droit britannique et du droit français, qui sont des droits centrés sur l'individu, qu'on doive refuser le débat, la discussion là-dessus qui, vraiment, est fondamentale.

Enfin, on se rejoint pour dire qu'il y a au moins une chose claire et c'est important de s'en rendre compte. On est en train de légiférer, d'adopter toutes sortes de lois sans que soient clarifiées des questions aussi fondamentales.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Deux-Montagnes.

M. de Bellefeuille: Pour compléter le dossier, l'article 86, dont M. Champagne-Gilbert nous parle, fait, lui aussi, référence aux personnes à cause de l'état de notre droit. Un programme d'accès à l'égalité a pour objet de corriger la situation de personnes faisant partie de groupes victimes de discrimination dans l'emploi, etc.

M. Champagne-Gilbert: Mais si vous me demandiez de définir le sens du mot "personne" - ce serait peut-être intéressant de le faire et c'est dans le sens de nos recommandations - dans la charte, je vous dirais que c'est de l'être humain qu'il est question là, l'être humain qui se développe dans des conditions collectives et des conditions personnelles, des facteurs collectifs et des facteurs personnels. La langue est un facteur où le collectif est tellement important qu'il fonde un droit qui est collectif.

Je ne prétends pas avoir la vérité. On a dit que nous étions en quête de la vérité, mais il faut au moins se rendre compte de la gravité des questions. Tant au Québec que par rapport à tout ce qui se dit dans le domaine des droits à travers le Canada, il faudrait peut-être un jour s'arrêter, ne pas s'en remettre simplement aux conceptions des uns et des autres, à la philosophie des uns et des autres, et faire une démarche fondamentale pour définir ces notions.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Mont-Royal.

(18 h 15)

M. Ciaccia: Merci, M. le Président. Je dois avouer que je rejoins les préoccupations du député de Deux-Montagnes quant à la notion de droit collectif. Vous affirmez, dans votre présentation, que le collectif a préséance sur l'individuel parce que la communauté linguistique préexiste à l'individu, ce qui remet en question une interprétation littérale de la Bible, à savoir que Dieu a créé l'individu avant. Ce n'est pas une communauté qu'il a créée; c'est l'individu. On parle de religion; mettons cela de côté pour le moment.

Pourquoi avez-vous besoin de faire référence à un droit collectif pour justifier qu'un individu, à Montréal ou à Rimouski, a le droit de se faire servir dans sa langue et de travailler dans sa langue? Pourquoi devez-vous faire référence à la notion de droit collectif? Pourquoi ne pourriez-vous pas justifier et garantir le droit individuel d'un francophone de se faire servir dans sa langue quand il va dans un magasin, de travailler dans sa langue, d'avoir les services d'un gouvernement dans sa langue? Est-ce nécessaire de faire référence au droit collectif? N'y a-t-il pas de danger dans la notion de droit collectif? Si vous utilisez la notion de droit collectif, où allez-vous arrêter? Allez-vous dire: Le droit collectif de tous ceux qui ont la peau blanche plutôt que la peau noire; le droit collectif de ceux qui pratiquent telle religion?

Une voix: De tous les Canadiens.

M. Ciaccia: Où arrêtons-nous dans ce concept? Ne trouvez-vous pas que c'est un concept dangereux? C'est vrai qu'on est au Québec, au Canada, dans une terre libre, mais, juridiquement, idéologiquement, quelle est la différence entre votre droit collectif et le droit collectif des pays totalitaires? Un pays totalitaire est basé sur la notion de droit collectif. En pratique, je ne vois aucun pays totalitaire fondé sur la notion de droit individuel. C'est toujours la collectivité. Donc, au plan juridique, si on accepte la notion de droit collectif, qu'est-ce qui nous distinguerait d'une approche ou d'une mentalité totalitaire avec les dangers de l'approche collective?

Mme Baron: Je vais répondre avec mon bon sens, parce que je ne suis pas juriste. Lorsque vous faites l'égalité entre le droit

collectif et le totalitarisme, vous supposez que l'exercice d'un droit collectif qui serait reconnu uniquement à une majorité impliquerait que cette majorité a le droit d'opprimer, donc de nier des droits collectifs à d'autres groupes qui seraient, par exemple, des groupes minoritaires. Je pense que ce n'est pas dans le fait que les droits reconnus soient collectifs qu'il y a danger de totalitarisme et d'oppression. C'est dans le refus d'admettre qu'en démocratie ou dans n'importe quelle société, il y a des groupes et que ces groupes et les individus et les personnes qui en font partie peuvent avoir des droits, droits qui, souvent, s'opposent les uns aux autres. Le rôle de la société, c'est de respecter, à la lumière du bien commun, selon nos anciens principes de philosophie, les droits de chacun et d'essayer de les harmoniser, de les équilibrer, c'est le grand rôle de l'Etat. Mais ce n'est pas parce que des droits de groupes existent et que l'État veut, en majorité, défendre des droits de groupes et protéger d'autres droits de groupes - les droits collectifs, cela ne veut pas dire uniquement les droits de la majorité - ce n'est pas parce que ces droits existent et sont reconnus comme tel qu'on tombe dans le totalitarisme. Je ne vois pas de lien entre les deux. Dans l'un, c'est l'exercice et, dans l'autre, c'est la reconnaissance.

M. Ciaccia: Pour prendre votre exemple, il y a ceux qui prétendent que, justement, les droits collectifs d'un groupe semblent...

Mme Baron: Briment les autres.

M. Ciaccia: Oui, c'est ce qui est prétendu dans l'affichage. On prétend que le droit collectif d'un groupe brime le droit collectif d'un autre groupe. C'est difficile d'argumenter contre cela. Ma question est la suivante: Pourquoi ne pouvez-vous pas justifier la francisation, le droit au travail, le droit aux services sur la base d'un droit individuel?

Mme Baron: On peut le faire; on peut ne pas nommer les choses. Mais, dès que vous parlez de donner la priorité au français, pourquoi le faites-vous? Parce qu'il y a un groupe francophone majoritaire qui se sent en difficulté et pour lequel on met des conditions d'exercice qui vont faciliter les choses. Je prends l'exemple favori de Maurice et, dans le cas des femmes, c'est la même chose. On peut bien éviter de nommer les choses, mais, dès qu'on donne des droits et que, dans la loi, on reconnaît des droits à un groupe de personnes, on vient de reconnaître à ce groupe un droit collectif puisqu'il s'applique à tous, même s'il est exercé par une seule personne. Le droit à des écoles anglaises, c'est un droit collectif.

Il est accordé à une minorité, anglaise ou française, selon que je me place ici ou dans les autres provinces du Canada. C'est un droit qui s'adresse à un groupe et il n'est pas étendu à tous les groupes. La reconnaissance des droits scolaires de la minorité francophone dans les autres provinces n'est pas étendue, que je sache, à tous les autres groupes qui ne sont pas francophones. Ce n'est donc pas parce que c'est un individu; c'est parce que c'est un individu francophone qui appartient à un groupe minoritaire reconnu comme tel et auquel on reconnaît des droits. J'appelle cela des droits collectifs. Encore une fois, on peut ne pas les nommer.

Le Président (M. Gagnon): M.

Champagne-Gilbert.

M. Champagne-Gilbert: Rapidement, vous demandez, M. Ciaccia, où on s'arrête. D'abord, on n'a pas posé cela seulement en fonction des droits collectifs; on l'a posé en fonction des droits individuels aussi. On a dit: C'est une question de droits des personnes, il y a interdépendance entre les deux, mais vous dites: Où s'arrête-t-on? Si on pose le problème des rapports entre la majorité et la minorité strictement sur le plan individuel, on dit: Voici, il y a des individus qui parlent telle langue avec d'autres individus. Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné on statue sur la langue? Qu'est-ce qui va statuer sur la langue? C'est forcément une collectivité. Je rappelle, encore une fois, que la Charte des droits et libertés de la personne repose sur l'affirmation de la volonté collective. C'est un des éléments majeurs du préambule. Ce n'est pas par hasard que le juge Dugas, à un moment donné, quand il a fait l'historique des questions de langues au Canada, a dit que la langue est souvent un privilège et que cela relève de l'arbitraire. C'est l'arbitraire qui fait qu'une collectivité dit, à un moment donné: II y a telle minorité dans notre société, on la reconnaît. D'ailleurs, vous savez tout le problème qui est posé dans la charte fédérale actuellement autour du fameux principe du "nombre qui le justifie". Personne ne l'a défini, il n'y a pas une société au monde qui a défini le principe du nombre qui justifie qu'il y a une minorité. Qui définit que cela se passe comme cela, qu'il y a une minorité à qui on reconnaît tel droit? C'est forcément une collectivité. Vous me direz qu'elle est composée d'individus.

Où s'arrête-t-on quand on part simplement du principe des individus là-dessus? On ne s'arrête nulle part. À la limite, on devra reconnaître des droits à je ne sais combien de groupes, partant des individus. Il y a tel individu, qu'est-ce qui va le faire? C'est la volonté collective qui va le faire. Qu'est-ce qui fait qu'un individu

francophone peut réclamer des droits ou qu'un individu anglophone peut réclamer des droits au Québec ou qu'un individu italien, ou qu'un individu amérindien ou cri va réclamer tel ou tel droit? C'est son appartenance à un groupe, essentiellement. Si vous n'appartenez pas à tel groupe, vous ne pouvez pas réclamer tel droit, que je sache. Cette réalité est peut-être difficile à reconnaître dans une société où on a un très grand respect pour les droits individuels, mais je pense qu'il y a moyen de concilier les deux dans cette question. Les fondements de la loi 101 reposent sur les libertés, les droits des personnes, mais je pense qu'ils sont justifiés par les droits d'une collectivité.

M. Ciaccia: Je ne veux pas éterniser le débat, M. le Président, mais je veux seulement ajouter à ce qu'a dit M. Champagne-Gilbert. Premièrement, vous avez dit: Qui va déterminer que le nombre est suffisant? Évidemment, ce seront les tribunaux qui le détermineront et, dans notre système démocratique, on sort les tribunaux de la politique. Le judiciaire est un organisme qui a une fonction de déterminer un peu en dehors de la partisanerie et des pressions politiques. Ce sont les tribunaux qui vont déterminer cela. Le droit est là pour les individus. Je voudrais vous suggérer la différence entre votre approche du droit collectif et celle du droit individuel. Premièrement, vous parlez d'une appartenance à un groupe. Si vous entrez dans la question d'ethnocentrisme, vous pouvez entrer dans toutes sortes de dangers réels. Mais si vous parlez de droit linguistique avec le droit de l'individu, d'un francophone, d'un anglophone, là ce n'est pas la même chose du tout. Vous vous basez sur le droit individuel et les droits qui vont découler de la loi, ce sera être une extension de ces droits individuels. C'est seulement de cette façon que vous allez pouvoir empêcher de brimer les droits des autres. La conséquence dans les deux interprétations, quand vous avez les droits, la notion de droit collectif, vous pouvez faire une loi contre un autre groupe plutôt que de protéger le droit des individus, tandis que, à mon avis, si vous basez votre philosophie sur le droit individuel, vous allez faire une loi positive sans toujours enlever les droits des autres. C'est cela qui nous sépare, je pense. Quant à la protection, quant aux droits individuels des francophones, la francisation, le droit de travail, je ne pense pas que sur le fond, les conséquences, on pense différemment, c'est juste la façon d'y arriver parce que dans l'approche d'un droit individuel, on va protéger le droit d'un francophone de travailler dans sa langue et d'avoir les services dans sa langue, mais je n'enlèverai pas le droit à un allophone sur la rue Jean-Talon d'avoir une affiche en italien en plus de l'affiche en français parce que c'est son droit individuel, le droit d'expression. Je ne vois pas pourquoi cet individu ne devrait pas avoir ce droit. Je vais vous poser la question: Comment pouvez-vous vraiment justifier que la majorité soit la seule à déterminer les droits des minorités? Si on prend ce postulat, que cela sera la majorité seulement qui va déterminer le droit des minorités, il ne restera pas grand-chose pour les minorités parce que la majorité va toujours... Le danger, c'est qu'elle dise: Écoutez, si c'est moi qui détermine, on va parler en termes de collectif et l'individu qui est affecté doit certainement avoir une autre base juridique, et idéologique pour déterminer les droits des minorités que de dire le droit collectif de la majorité parce que c'est un concept dans l'histoire qui a été abusif. Je n'ai pas besoin de vous donner des exemples. On n'en a pas abusé ici, jusqu'à maintenant, au Québec parce qu'on a eu une tolérance. On a eu l'esprit ouvert, on a eu une société très ouverte. Il commence à y avoir des abus même dans la loi 101. C'est le but de cette commission, d'essayer d'éviter les abus et de voir comment on peut enlever même ce que le premier ministre appelle les irritants et que j'appellerais des abus. Je crois que la notion de droit collectif peut mener à ces abus. Il doit y avoir un autre moyen, une autre base juridique, une autre base idéologique pour déterminer les droits des minorités que de dire seulement: On va laisser la majorité déterminer. Si on laisse cela, on va avoir des référendums comme à Winnipeg, qui disent: Non, vous n'avez pas de droits. Moi, je n'accepte pas cela parce qu'il y a une autre base, la justice sociale, l'équité, les droits naturels, les droits humains qui sont au-dessus de la volonté d'une majorité à un moment donné.

Le Président (M. Gagnon): M.

Champagne-Gilbert. (18 h 30)

M. Champagne-Gilbert: Je vais essayer d'être bref, mais ce sont de grosses questions. Sur le premier joint, je voudrais juste corriger, si vous me permettez. Ce ne sont pas les tribunaux qui définissent les droits dans une société, c'est le pouvoir politique. Non, mais il faudrait clarifier cela. Les tribunaux interprètent. Alors, partant de cela, qui détermine - pour répondre à votre question - qui a tel droit? C'est vous, c'est le gouvernement Trudeau, ce sont les Législatures. Le juge Dugas rappelle, dans son jugement et il cite le cas de la loi 22... C'est le juge Deschênes qui parle: "Quant à la Loi sur la langue officielle - il parle de la loi 22 - il faut partir du principe que la Législature est présumée légiférer dans les limites de sa compétence. De plus, tout le préambule de la loi porte sur un sujet qui

est indubitablement de compétence provinciale, savoir tout mettre en oeuvre pour assurer la prééminence et favoriser l'épanouissement et la qualité de la langue française en en faisant la langue de l'administration publique, la langue des entreprises d'utilité publique et des professions, la langue du travail, la langue des affaires, la langue de l'enseignement. C'est le propre du régime fédéral que les citoyens vivent sous deux systèmes de loi qui parfois se recoupent sous certains aspects ou traitent du même sujet à des points de vue différents. Il n'y a rien là qui joue contre la validité de la loi concernée." Ce qu'il est en train de nous dire, c'est qui détermine les droits, qui statue que telle minorité a tel droit ou tel privilège et que la majorité reste la collectivité qui délègue ses droits à une Législature, au Parlement. Je pense que c'est un peu cela qu'on a oublié, surtout dans un contexte où le dernier remaniement de charte au Canada est en train de consacrer une espèce de confusion entre le principe du tribunal et la responsabilité politique.

D'ailleurs, moi je reste très inquiet qu'on en soit - pour pousser les questions sur un terrain très concret - à devoir faire juger d'un article de la loi 101 et de notre Charte des droits et libertés de la personne en référence à la charte constitutionnelle canadienne qui, pour moi, dans le domaine des droits, a été adoptée dans un contexte d'illégitimité. C'est la première fois que, dans des démocraties modernes, on modifie la constitution d'un pays sans la soumettre à la population. Si ce n'est pas une brimade des libertés individuelles fondamentales, qu'est-ce que c'est? Tout cela nous montre comment tout est relatif et nous avons de la difficulté à accepter la relativité du domaine des droits, parce que nous nous donnons des principes absolus. C'est là le problème. C'est très facile de véhiculer des notions en termes de principes. Le mémoire de la commission présente une position de principes extrêmement intéressante, mais toute la question est de dire: Oui, maintenant que j'ai formulé ces principes, comment les appliquer dans le concret? Et c'est là qu'entrent en jeu les choix politiques qu'un gouvernement libéral va faire d'une manière différente d'un gouvernement péquiste, etc. Mais comment va-t-il le faire? Il va le faire à partir de sa conception des rapports personnes-société, il va se faire à partir de sa conception philosophique des rapports entre majorité et minorité. Je pense qu'il faut reconnaître cela.

M. Ciaccia: M. le Président, une dernière question.

Le Président (M. Gagnon): M. le député.

M. Ciaccia: Ce sont des questions très intéressantes. Malheureusement, nous n'avons pas tout le temps voulu pour les débattre. Il y a seulement une autre question que je voudrais vous poser.

M. Champagne-Gilbert: Le groupe qui nous a précédés a eu une heure et vingt minutes, alors!

M. Ciaccia: Y a-t-il moyen d'avoir une approche différente dans la détermination de l'avenir linguistique au Québec, plutôt que les approches que nous avons eues dans le passé? Je dois vous avouer qu'il y a eu une évolution assez considérable depuis 1974, mais, quand j'entends certains mémoires, on semble revenir toujours à un redressement de l'histoire - comme vous dites dans votre mémoire - on parle de pouvoir économique des anglophones et, avec ce genre d'approche, on semble - je ne dis pas que vous le faites - un peu envenimer l'atmosphère, rendre plus difficiles et durcir les positions. Y aurait-il possibilité d'avoir une autre approche? Plutôt que de toujours accentuer et de parler du passé, essayer de dire: Regardons vers l'avenir et quelle sorte de société voulons-nous? Y aurait-il moyen d'essayer de parler de l'avenir linguistique au Québec en d'autres termes que toujours, comme on pourrait dire, ramener la même rengaine? Cela devient comme un dialogue de sourds et cela durcit les positions. Je me demande si on peut s'en sortir. C'est une question. L'autre question, qui a peut-être affaire un peu à votre réponse, est celle-ci: Pourquoi seriez-vous, par exemple, parce qu'on dit que cela va affecter la qualité de vie de chaque individu, contre le fait qu'un petit marchand - je vais prendre un marchand sur la rue Jean-Talon à Saint-Léonard, je ne prendrai pas le marchand sur la rue Sherbrooke à Westmount - ait le droit, en plus d'afficher en français, d'afficher aussi dans la langue du milieu à Saint-Léonard, de mettre aussi des annonces en italien? Ce sont mes deux questions.

Mme Baron: Peut-on répondre aux deux questions?

Le Président (M. Gagnon): Oui.

Mme Baron: Cela dépend combien de temps on a pour répondre aux deux questions.

M. Godin: II n'y a pas de limite.

Mme Baron: Dans votre première question: Est-ce qu'on peut trouver une autre approche, au fond, vous dites, j'essaie de comprendre: Je ne discute pas de vos raisons, de vos motifs, de vos orientations et de vos objectifs, mais n'y aurait-il pas

moyen de les présenter ou de les envelopper autrement? Au fond, je n'ai pas l'impression qu'on est en désaccord sur ce qu'on appelle des droits linguistiques collectifs et ce que vous appelez des droits linguistiques. Je pense que dans le fond, on parle de la même chose.

M. Ciaccia: On n'est pas en désaccord quand vous parlez pour quelque chose. Où on se distingue, c'est quand, dans vos discussions, votre approche est contre un autre groupe ou contre un autre individu. Là, on se sépare, mais si vous dites: Pour la francisation, pour le droit au travail, pour un visage français, pour le droit d'être servi en français, on n'est pas contre.

Le Président (M. Gagnon): M. le député, on va laisser Mme Baron répondre.

Mme Baron: D'accord. Ce que j'appelle et ce qu'on a appelé les fondements collectifs des droits, passons par-dessus. On a dit que cela devrait être clarifié et éclairé. Bon! Je suis portée, de nature, à essayer de trouver ce qu'on veut dire en dehors des mots qui, parfois, peuvent avoir l'air de ne pas coller à la même réalité, mais je pense qu'être positif dans l'élaboration ou dans l'application d'une loi, cela ne veut pas dire ne pas tenir compte du contexte où cette loi s'applique. Par exemple, vous me dites: Qu'est-ce que cela fait qu'un marchand italien à Saint-Léonard affiche en italien? j'ai presque envie, en me reportant, hélas, au passé - mais l'histoire, on l'a tous vécue -de vous demander: Qu'est-ce que cela faisait qu'un Italien à Saint-Léonard exige d'avoir une classe anglaise? C'est ce qui a déclenché tout le phénomène. Donc, on ne peut pas dire que le fait de donner ou de ne pas donner le droit d'afficher ne touche que le droit de l'individu. Il y a une répercussion qui est sociale. Au Québec - ce n'est pas le cas de l'Ontario, c'est l'inverse - ce qui est en danger, ce qui avait besoin d'être remis visiblement dans la société, pas seulement pour les francophones eux-mêmes... Pour s'assurer que la puissance d'attraction aille à la majorité - ce qui est normal dans toutes les sociétés - il a fallu faire une loi qui dit: II va falloir que le visage de Montréal soit un visage français. Pour qu'un visage soit français, il faut que l'affichage soit en français. Qu'il y ait des exceptions, qu'on respecte certains milieux, certains cas individuels, qu'on n'oblige pas quelqu'un à afficher en français dans son propre magasin, c'est ce que j'appelle... Il y a peut-être des irritants. Je n'appelle pas cela des abus. À mon point de vue, il n'y a pas d'abus dans la loi, mais il peut y avoir des irritants, parce que psychologiquement les gens se butent sur un petit élément qu'ils connaissent parfois mal. Là-dessus, il y a une des publications du conseil qui est extrêmement instructive où on voit, après un sondage, comme la loi 101 est peu connue et à quel point des autorisations d'utilisation d'autres langues ne sont même pas connues par 25% de la population que l'on interroge.

Si on veut que Montréal soit française, on ne peut pas permettre que se continue l'habitude qui a été prise - je regrette de parler au passé, mais c'est comme ça -d'afficher en anglais d'abord. Ceux qui formaient le gouvernement libéral qui a adopté la loi 22 savent que le bilinguisme dans l'affichage n'a pas été mieux accepté que l'unilinguisme dans l'affichage. Dans un cas comme dans l'autre, cela a été perçu comme brimant les droits d'un individu qui était ici, qui se sentait bien et qui disait: J'ai tous les droits, même celui - en additionnant toutes nos interventions, on revient au collectif - de faire paraître une province anglaise ou une ville anglaise, une rue Sainte-Catherine anglaise, avec tout ce qui s'ensuit.

Vous avez dit qu'il y a eu beaucoup de progrès; je l'admets. Je suis une Montréalaise et je l'ai été toute ma vie; je connais très bien ce dont vous parlez et ce dont je parle. C'est sûr qu'il y a eu du progrès. Il y a eu du progrès dans les années soixante, au moment où les francophones ont commencé à s'affirmer. Il y a eu du progrès avec la loi 22 mais, à ce moment, on tendait vers la "bilinguisation". Je pense qu'il fallait faire un pas de plus.

Je crois qu'à partir du moment où l'affichage demeure français dans l'ensemble... Qu'il y ait des exceptions, d'accord; l'hôtel de ville d'un milieu complètement anglophone ne pourrait-il pas afficher aussi en anglais? Je ne le sais pas, je dis qu'il y a peut-être de ces choses à regarder, mais il faut que cela reste des exceptions qui s'appliquent à des cas particuliers.

On ne pourra pas vraiment faire du Québec une province spéciale, spécifique, la seule au Canada qui soit francophone, si on ne garde pas les mesures qu'on a prises il y a seulement cinq ans, qui ne sont même pas toutes appliquées, qui sont encore contestées depuis le début devant tous les tribunaux. Ce n'est pas le temps de changer, cela prend plus de cinq ans pour changer une mentalité et un état d'esprit. Je dirais que ce que vous visez, c'est cette espèce d'équilibre où, finalement, on est tous embarqués dans le même bateau dans lequel on va respecter les droits de la minorité anglophone et la minorité anglophone va respecter les droits de la majorité francophone qui, comme majorité, doit exercer, elle, le pouvoir d'attraction.

Je pense que cela va se réaliser d'autant mieux qu'on aura d'abord maintenu un peu plus longtemps non pas les irritants, mais l'essentiel d'une loi qui n'est faite que

pour assurer le visage clair, éclatant de la présence française majoritaire ici sans empêcher les anglophones de parler anglais entre eux, sans les empêcher d'avoir leurs écoles, sans les empêcher de vivre, d'avoir leurs institutions supérieures, sans les empêcher de communiquer sur le plan culturel, sur le plan de la santé, sur le plan de la sécurité dans leur langue et de la façon dont ils l'entendent. Je ne sais pas, mais je n'ai pas l'impression qu'on aille très loin dans nos objectifs.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. Champagne-Gilbert.

M. Champagne-Gilbert: Très rapidement, je rappellerai ce qu'on dit dans le mémoire, aux pages 7 et 8, pour répondre à la deuxième partie de votre question. On dit que le principe de l'affichage en français n'est pas du tout incompatible avec l'adoption de mesures d'exception et d'assouplissement pour favoriser les droits des minorités et faire disparaître ce qu'on appelle les irritants inutiles.

On dit qu'il y a des principes dont on devrait tenir compte; entre autres, maintenir une grande fermeté quant à tout ce qui est affichage commercial, notamment, au centre de Montréal. De plus, être souple quant à l'utilisation de deux langues, peut-être même de trois, soit: le français est la langue de tel groupe ethnique quand il s'agit d'institutions sociales, culturelles, éducatives, civiques, d'institutions et d'établissements dans les quartiers où la population d'un groupe minoritaire est importante et où la mise en valeur de produits typiques à ce groupe s'impose. On parle de l'article 62, le fameux article qui dit "dans les établissements spécialisés pour la vente de produits typiques d'une nation étrangère ou d'un groupe ethnique". On dit: Ce "dans", qui a été interprété comme étant l'intérieur des établissements, pourrait aussi être interprété comme signifiant à l'extérieur comme à l'intérieur des établissements. Donc, le cas de Saint-Léonard est comme d'autres cas. Vous connaissez mieux que moi le problème des districts bilingues et il faut faire une distinction. C'est très complexe en droit quand vous dites qu'il y a une autre approche. C'est la question des francophones et nous sommes d'accord pour dire qu'on ne peut pas confondre la minorité anglophone de souche avec les autres minorités. Cela pose aussi des problèmes à un moment donné. (18 h 45)

L'autre approche - d'abord, quand bien même on le voudrait, on ne peut pas faire d'angélisme - elle reste conflictuelle. Je prends un exemple dans un autre secteur. Il faut, à un moment donné, que quelqu'un...

Une voix: ...

M. Champagne-Gilbert: Je vais prendre un exemple auquel je suis sensible et que je ramène devant cette commission. Le conflit entre le droit des travailleurs de faire la grève et le droit des malades dans les hôpitaux que ce gouvernement, cette Assemblée nationale n'a pas encore réglé, c'est un conflit déchirant. On a affaire à la liberté d'association, dont le droit de grève est une manifestation. C'est un conflit qu'il va falloir trancher. J'espère qu'on va finir par trancher pour les droits...

M. Ciaccia: Un conflit entre les droits collectifs et les droits individuels.

M. Champagne-Gilbert: Non. Ce que nous avons dit, c'est le droit prioritaire d'un groupe que sont les malades contre un autre groupe. C'est déchirant.

M. Ciaccia: Droits individuels.

M. Champagne-Gilbert: Vous posez la question d'une approche; elle reste conflictuelle. Je fais partie d'une majorité où constamment, sous toutes sortes de formes, on me culpabilise parce que j'ai réclamé mes droits dans la loi 101. Quand vient le temps d'en débattre, on ne peut pas éviter un rapport historique qui est unique ici, celui d'une minorité qui est devenue, à toutes fins utiles, une majorité qui a été obligée de se comporter comme une minorité. Ce redressement de l'histoire, on ne peut pas... Il y a des gens qui voudraient, à un moment donné, sous le couvert, dire: Ce débat-ci actuellement, on va le vivre de façon très douce pourvu que la majorité accepte, au fond, de céder des choses. Si c'est cela changer d'approche, si cela veut dire que la majorité doit dire tout à coup: Oui, la loi 101 a eu des effets, maintenant on peut ouvrir les portes et revenir au bilinguisme, je pense que ce n'est pas cela une autre approche. L'approche est forcément douloureuse et, comme d'autres, je pense reconnaître que, dans le contexte de cette commission, les débats ont été d'une très grande qualité - je pense qu'on se plaît à le souligner - mais j'ai très peur que, dans une certaine atmosphère, de toutes parts, on soit prêt, dans un climat où on n'a pas cessé encore une fois de me culpabiliser et de culpabiliser ma majorité, à me faire céder mes droits, parce qu'on n'est pas habitués à réclamer nos droits... On a peur de s'affirmer nous-mêmes. Je pense que cela reste très présent dans la psychologie collective du francophone et c'est pour cela que le moment - nous l'avons rappelé au départ - est déterminant. On est loin d'être sûrs de nous-mêmes, la majorité, et d'être sûrs de l'affirmation de nos droits. Il ne faut pas qu'il y ait beaucoup de forces qui viennent nous dire qu'on est ceci, qu'on est

cela et qu'on brime les droits des personnes comme majorité, etc. Ce n'est pas moi qui pose le problème en termes de droits collectifs et de droits des personnes. Il est constamment posé par l'opinion publique, par toutes sortes de groupes minoritaires ou à l'intérieur de la majorité. On est devant un conflit. Tant mieux si on le règle d'une façon. Ce que nous avons dit et ce que d'autres ont dit, c'est justement que, dans cette histoire qu'on a vécue au Québec et qui n'était pas facile, la loi 101 est arrivée tout d'un coup dans cette société comme une solution à caractère aussi juste que pacifique. Il serait dangereux, il me semble, de la remettre en question.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le député de Nelligan.

M. Lincoln: M. le Président, je sais qu'il est tard, mais, comme libéral - petit 1 et grand L - je ne peux m'empêcher de penser, un peu comme mon collègue de Mont-Royal et mon collègue de Deux-Montagnes, qu'on peut être différent sur la base des conclusions auxquelles on arrive. Lui, il n'arrive pas à la même conclusion que moi. Je voudrais un adoucissement de l'affichage. Lui, il arrive à une conclusion différente du point de vue de l'intérêt général. Là, on ne se rejoint pas. Mais, sur la question des droits collectifs et des droits individuels, je pense que c'est tellement important qu'on peut dire... Ce que j'ai cru comprendre de votre dernier témoignage, c'est que vous auriez même espéré que le débat de cette commission ne soit pas serein. Vous avez dit que vous avez tellement peur que cela se passe en douceur ici et qu'on en arrive à des adoucissements. Il faudrait peut-être qu'on soit plus combatif. Cela m'a semblé être votre opinion.

Une voix: Ah non! ce n'était pas cela.

M. Lincoln: Enfin, si ce n'était pas cela, je m'excuse. J'espère avoir fait un débat constructif sur quelque chose. Pour revenir à la question des droits, c'est fondamental. Par exemple, demain matin, dans quelque société que ce soit, on pourrait dire que la majorité numérique devient le point prédominant. Là, vous arrivez à un prolongement, nommant le Parlement comme l'expression d'une majorité. C'est tout à fait différent, parce que c'est la voix de l'individu par son vote qui exprime cette majorité déléguée, qui peut changer d'un jour à l'autre, qui change tous les quatre ou cinq ans, qui se fait par l'individu qui change son vote tous les quatre ou cinq ans, tandis que, là, on est en train de donner des droits fondamentaux qui resteront. Je crois que c'est une chose tout à fait différente quand on dit qu'une collectivité, c'est la majorité.

À ce moment-là, on peut jouer sur tous les plans. On peut dire, par exemple: Au Canada, tant que le Québec ne sera pas indépendant, c'est la majorité canadienne qui va le faire au nom de la collectivité. En fait, c'est pour cela qu'on se bat autrement. On se bat autrement en imposant la Loi sur les langues officielles. Autrement, on aurait dit: Parce que les anglophones sont majoritaires, il n'y a pas de chances pour le français au Canada. On peut commencer cela, jouer avec cela dans tous les sens.

J'ai essayé de chercher une espèce de référence sur cette question. Vous avez étudié le droit. Je voyais dans le rapport Gendron une référence au canton de Fribourg, en Suisse où c'est un peu le parallèle de ce qui se passe ici. Les Allemands sont de beaucoup majoritaires en Suisse, 70% contre 30% et, dans le canton de Fribourg, c'est tout le contraire qui se passe, les Français sont majoritaires d'environ 65% contre 35%. Ils ont étudié toute la question des droits linguistiques et ont décidé que, dans leur charte des droits linguistiques... Excusez-moi, je vais prendre deux minutes pour citer cela, parce que je pense que c'est très important. On dit dans cette charte: "Sont contraires aux droits naturels et aux droits des gens, le nationalisme et l'impérialisme linguistiques dans les diverses manifestations, notamment: l'unification linguistique d'une nation et d'une communauté constituée possédant naturellement et légitimement plus d'une langue sous prétexte d'une majorité numérique de commodité ou pour toute autre raison;" On dit: "la domination d'une langue ou de ses usagers sur une autre langue, en désavantageant la seconde par rapport à la première, dans le cas de la même nation ou communauté constituée, possédant naturellement et légitimement plus d'une langue, sous prétexte d'une majorité numérique de commodité ou pour toute autre raison." Je pense que, fondamentalement, cela exprime ce qu'on essaie de dire. On ne dit pas nécessairement faites ceci ou faites cela, mais je pense qu'il devrait y avoir un adoucissement et considérer qu'à Montréal, par exemple, comme l'a dit le maire Drapeau, la réalité existe qu'il y a une autre communauté qui, elle aussi, veut se symboliser par un affichage commercial, qui veut donner son message à d'autres gens. Est-ce que ce n'est pas légitime? Est-ce que ce n'est pas légitime pour la communauté italienne à New York où la collectivité parle surtout anglais d'afficher en italien, en français, en arabe ou quoi que ce soit? C'est ce genre de principe. Je ne sais pas qui a raison ou qui a tort, mais il ne faudrait pas prendre des principes tout à fait arrêtés en parlant de droits collectifs, parce que, si on commence par les droits collectifs, comme mon collègue le disait, à un moment donné, où s'arrête-t-

on? On ne s'arrête jamais. C'est pourquoi, dans toutes nos lois, on n'a jamais parlé de droits collectifs, du moins nos principes démocratiques ont toujours été basés sur l'individu, je crois. C'est la raison pour laquelle on parle de groupes composés d'individus. On peut être ou ne pas être d'accord sur l'objectif qu'on cherche, mais on ne peut pas être d'accord sur le processus dont vous vous servez, c'est impossible.

Mme Baron: Je reviens à ce que vous dites, et je vais répondre un peu la même chose que j'ai dit à M. Ciaccia. En réalité, lorsque vous refusez le concept de droits collectifs, parce que vous avez peur qu'ils soient exercés contre les droits des individus ou les droits de groupes minoritaires, je partage votre peur dans le sens que c'est sûr que des lois peuvent être adoptées sur des droits collectifs ou individuels... D'ailleurs des lois peuvent être adoptées pour brimer des droits. Que l'on s'affiche droit collectif ou droit individuel, les deux arrivent au même point. Mais quand on parle de droits collectifs au sens où, en tout cas, je l'entends où, je pense, peut-être que Maurice l'entend, peut-être qu'on ne les définit pas avec les mêmes termes techniques. Ce que nous voulons dire, c'est qu'il y a des groupes qui, parce qu'ils sont des groupes, ont des droits. Le groupe minoritaire qui représente une entité, qui représente, je dirais moi, un groupe humain qui est constitué comme une entité qu'on peut reconnaître. Vous voulez être identifiés, cela veut dire que vous vous reconnaissez comme un groupe.

M. Lincoln: Non, non.

Mme Baron: Eh bien, vous vous appartenez, vous vous reconnaissez une appartenance. Pour moi, il y a tel groupe ou tels individus qui se reconnaissent comme appartenant à un groupe. Pour autant qu'ils se reconnaissent comme appartenant à un groupe, ils veulent se voir reconnaître des droits, ou ils ne veulent pas qu'on leur enlève des droits en tant que groupe. C'est ce que j'appelle, moi, parler de droits collectifs. C'est évident que je ne fais pas référence à la volonté d'un nombre X de citoyens contre un nombre Y de citoyens. Quand on fait référence à la loi, on fait référence à une décision, à une loi votée par un Parlement légitime. À ce moment-là, les droits qui sont donnés à des groupes ou qui sont donnés pour sauvegarder des groupes minoritaires - et habituellement c'est les groupes minoritaires qu'on protège - le seul problème qu'on a au Québec, c'est que comme majorité on est, au Canada, un groupe minoritaire. C'est cela notre problème. Si on n'était pas dans un milieu qui est absolument environné par l'anglophonie, si on n'était pas dans un milieu qui, au fond, est toujours sujet à un désaveu réel d'un autre gouvernement d'une façon ou d'une autre, on ne réagirait pas de la même façon.

Il faut prévoir des mesures législatives pour nous aider à surnager et à nous épanouir parce qu'il ne s'agit pas seulement de survivre. Tout en respectant - pour moi, cela est aussi important, parce que quand je parle de droits collectifs, je parle aussi des droits collectifs des groupes minoritaires qu'ils soient d'ici ou qu'ils soient d'ailleurs -ce qui est nécessaire pour ce groupe culturel pour qu'il puisse aussi vivre, s'épanouir, transmettre et améliorer sa culture. Pour moi, cela va de soi. Je veux dire, c'est pour cela que je ne vois pas votre objection au fond, parce que pour moi, le droit...

M. Lincoln: Très brièvement, Mme Baron...

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Nelligan, très brièvement. On a un autre groupe à entendre.

M. Lincoln: Très brièvement. Pour enchaîner à ce que mon collègue disait, moi dans ma communauté dans le West-Island, à Pointe-Claire, il y a 65 magasins qui se sont fait... je ne sais pas comment vous appelez cela, mais le comité de surveillance est arrivé et a dit: On ne peut pas mettre "wool" sur une affiche, on ne peut pas mettre "market" sur une autre affiche. Des gens qui travaillent dans les deux langues principalement. Est-ce que vous pouvez me situer comment cela brime le droit collectif? Comment est-ce que cela brime le bien-être général d'après la Charte des droits et libertés de la personne. Je refuse d'accepter quelque chose comme cela. Je trouve cela inique que cela se passe. Je vous dis: Comment est-ce que cela peut brimer le droit de Mme Baron et les droits de la majorité? Je ne vois pas comment cela s'appelle brimer?

Mme Baron: Comment? Cela peut empêcher, peut-être - je ne connais pas le cas particulier. Je ne peux pas me prononcer sur ce cas particulier, mais je dis...

M. Lincoln: C'est...

Mme Baron: ...qu'il y a des mesures que l'on doit prendre avec la souplesse qu'il faut, d'accord, mais le but qu'on vise finalement, ce n'est pas de brimer, mais de permettre à la collectivité francophone d'être visible à son tour, parce qu'elle ne l'était pas et elle ne l'est parce qu'il y a eu des lois pour forcer les gens à ce que ce soit visible. Maintenant, comment trouver des accommodements pour respecter en même temps l'autre? C'est cela le problème.

M. Lincoln: Nous sommes tout à fait d'accord.

Mme Baron: L'objectif de défendre les droits collectifs des francophones, comme les droits collectifs des anglophones, parce que c'est ce dont vous parlez, finalement.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: En conclusion, M. le Président?

Le Président (M. Gagnon): En conclusion. (19 heures)

M. Godin: D'abord, je voudrais remercier M. Maurice Champagne-Gilbert et Mme Thérèse Baron d'être venus comme simples citoyens, à leurs frais, et surtout d'avoir pris la peine et d'avoir fait l'effort de rédiger deux textes, de nous avoir remis avant la lecture, eux qui ne sont que deux, la nouvelle version de leur mémoire, ce qui nous a permis de suivre de près tout ce qui se disait ici. Des groupes beaucoup plus imposants que vous ne l'ont pas fait. Cela me frappe que deux citoyens démunis le fassent par souci du respect des institutions démocratiques de ce pays.

Sur la question des droits... Enfin je pense que l'heure que nous venons de vivre ensemble, dans mon idée, fait partie des très riches heures non pas du duc de Berry, mais du Parlement, de l'Assemblée nationale, parce que cette discussion de très haut niveau sur la question des droits collectifs, individuels, etc., c'est une discussion qu'on doit faire. Je pense que je suis le seul ici à avoir subi les foudres de la loi des mesures de guerre, loi qui a permis à une majorité, dans un Parlement démocratique, de brimer les droits de 2000 Japonais, je pense, pendant la guerre, de les foutre dans un camp de concentration parce qu'ils appartenaient à un groupe minoritaire, qui était les Japonais, et de foutre en tôle, en octobre 1970, un groupe de 500 personnes qui avaient en commun des choses secrètes inconnues. On ne saura jamais ce qu'elles avaient en commun, mais c'était un groupe minoritaire qui était sorti de la majorité pour être brimé et non pas pour être reconnu.

Donc, la question des droits se pose partout. Dans un Parlement canadien, dans un régime libéral, elle s'est posée aussi. Alors, ce n'est pas le propre des pauvres francophones québécois péquistes de se poser des questions comme celle-là. Si on compare certaines brimades de la loi 101 avec d'autres qui sont dans les statuts canadiens -libéraux dans plusieurs circonstances - je ne pense pas que nous ayons à rougir de nos lois ici. D'ailleurs, je n'en rougis pas, personnellement.

Maintenant, je pense que tous les peuples de la terre souhaiteraient ne pas avoir à se protéger. Quand vous citez le cas de 68 petites affiches ou le cas - que mon collègue de Mont-Royal citait tout à l'heure - de l'Italien de la rue Jean-Talon, en quoi 68 affiches empêchent-elles le Québec de se manifester? C'est, à mon avis, un peu spécieux. C'est comme le braconnage d'un seul saumon. Pourquoi m'arrêterait-on pour un seul saumon? Il y a des milliers de saumons au Québec. Pourquoi une seule journée de retard pour l'impôt? J'ai des gens dans mon comté qui disent: Je ne suis en retard que d'une journée, comment se fait-il qu'on soit après moi? Je n'ai qu'une journée de retard. Donc, il faudrait reculer d'une journée. Là, il arriverait un autre groupe qui dirait: Nous n'avons que deux jours, trois jours ou quatre jours de retard. C'est sûr que l'équilibre n'est pas facile à observer. Les limites de vitesse sur l'autoroute des Cantons de l'Est, cinq milles de plus. Qu'est-ce que c'est cinq milles? Quand on marche vite on marche à la vitesse de huit milles à l'heure, je pense; donc, cinq milles de plus ce n'est rien, mais à cinq milles de plus c'est un enfant qui se fait tuer. Donc, il faut tenir compte de l'équilibre.

C'est ce que nous tenterons de faire grâce à ces réflexions précieuses de part et d'autre, aussi bien de nos collègues d'en face que de ce côté-ci, et surtout grâce à votre contribution qui, tout en étant passionnée... Je pense que cela fait partie également du code, du message, la façon dont on le livre et la conviction qu'on a à le faire. Je suis très heureux d'avoir participé à cette discussion et je vous remercie encore d'être venus librement, seuls, entre adultes consentants - en ce qui nous concerne - nous faire part de vos réflexions sur cette question. D'autant plus qu'elles se situaient immédiatement après l'autre mémoire qui... Je pense qu'il y a moyen de concilier -peut-être contrairement à ce que M. Maurice Champagne-Gilbert pense - la recommandation du mémoire précédent avec votre recommandation qui est au point 1 et en partie au point 3, parce que ce qui ressort du mémoire de la Commission des droits de la personne, c'est la possibilité pour les Québécois qui sont d'une autre langue que nous de pouvoir montrer leur existence et leur spécificité eux aussi. Il y a beaucoup d'exceptions à la loi, elles ont été mentionnées. Est-ce que nous en ajouterons d'autres à l'issue de nos travaux? Je n'en sais rien encore, mais il est sûr que la réflexion sur le multiculturalisme ou la diversité culturelle du Québec est centrale à ce gouvernement. Donc, en conclusion, à moins que vous ayez des commentaires à faire sur mes propos, merci d'être venus et je vous souhaite toujours la bienvenue ici.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre.

Mme Baron: Nous vous remercions de nous avoir reçus.

M. Gratton: M. le Président.

Le Président (M. Gagnon): M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Brièvement, on me permettra sûrement, moi aussi, de remercier Mme Baron et M. Champagne-Gilbert d'avoir participé à ce fort intéressant débat sur les droits collectifs par rapport aux droits individuels. M. Champagne-Gilbert disait au tout début qu'on recherche la vérité. Personne n'a le monopole de la vérité et je ne tenterai sûrement pas de me substituer en arbitre pour trancher la question si ce n'est pour dire que lorsque vous avez évoqué tantôt l'exemple du droit des malades ou des personnes hospitalisées par rapport au droit d'association des travailleurs, je vous dirai tout simplement que pour moi - c'est peut-être très égoïste de ma part - si je suis un malade en institution et qu'une grève des travailleurs risque de nuire à ma santé physique, je deviendrai extrêmement égoïste. C'est mon droit individuel que je veux voir préserver et non celui de la collectivité des malades. C'est pourquoi j'abonde dans le même sens que mes collègues qui, avant moi... Et je vois que même Mme Baron dans ses réponses nous dit aussi qu'elle craint les mêmes effets que nous. Le débat se poursuivra. Je suis sûr que vous serez appelés tous les deux à y participer et j'en serai fort heureux. Merci beaucoup.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. Merci Mme Baron et M. Maurice Champagne-Gilbert.

M. Lincoln: Je voudrais poser une courte question au ministre avant de partir, avant que cela se termine.

Le Président (M. Gagnon): Si vous voulez.

M. Lincoln: ...parce qu'il me semble... Une brève question au ministre, une minute.

Le Président (M. Gagnon): Le temps qu'on prie nos prochains invités à prendre place, vous pourrez poser votre question.

M. Lincoln: Ah bon! Oui.

Le Président (M. Gagnon): J'inviterais maintenant les représentants de l'Association canadienne française pour l'avancement des sciences à prendre place. Oui, M. le député, posez donc votre question.

M. Lincoln: J'aurais voulu demander au ministre... L'autre jour, quand il a parlé d'affichage, il parlait de mouche pour apâter le saumon. J'ai demandé cela. Il m'a dit: Non, c'est un petit lapsus, une licence poétique. Aujourd'hui, il parlait de braconnage. Il a fait une petite comparaison avec le braconnage. J'espère que ce n'est pas dans votre esprit que l'affichage dans une autre langue soit, en plus d'être une mouche pour le saumon et une licence poétique, du braconnage. Vous ne faites pas... C'est purement une image. Vous espérez que ce ne soit pas symbolique, dans votre esprit...

M. Godin: C'est-à-dire, M. le Président, que toute violation à une loi dûment votée dans ce Parlement, peut, à mon avis, être assimilée au braconnage.

Le Président (M. Gagnon): Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Je m'excuse si on vous reçoit à cette heure tardive, mais on va quand même prendre le temps de dialoguer avec vous.

ACFAS

M. Huot (Lucien): M. le Président, je me présente: Lucien Huot, président de l'ACFAS. Je vous présente M. Guy Arbour, directeur général de l'ACFAS. Il est exact, en fait, il se fait tard. C'est la deuxième fois en un mois que l'ACFAS se présente. Nous avons été placés chaque fois à la dernière minute. Je ne vous fais pas de reproche. On arrive peut-être, si c'est la fin de la journée, comme un digestif. Si c'est pour vous préparer au souper, c'est peut-être un apéritif; espérons que ce sera un petit dessert. Vous avez remarqué que notre mémoire est plutôt court. On a voulu surtout retenir quelque chose d'un peu particulier concernant la loi 101. Donc, ce sera court. D'ailleurs, je m'excuse, mais moi aussi, je devrai quitter vers 19 h 20. Donc, si vous n'avez pas terminé, M. le directeur, j'ai un rendez-vous à 19 h 30.

À titre d'organisme étroitement associé au milieu de l'enseignement et de la recherche, l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences participe depuis plus de 60 ans à ce formidable effort d'émancipation collective par ses congrès, par ses prix, par ses bourses, par ses colloques, par ses publications, voire, par ses mémoires. En fait, cela fait trois mémoires que nous présentons au cours des derniers mois sur la loi 19, la loi 37 et la loi 101.

Nous ne pouvions donc demeurer étrangers au procès public qu'a subi et que continuera de subir la Charte de la langue française. Nous nous sommes donc livrés à une consultation de notre conseil d'administration, parce que vous savez que

l'ACFAS compte environ 4000 membres. Elle a aussi une quarantaine d'associations scientifiques. Donc, c'est une fédération d'associations. Notre conseil d'administration en est arrivé à un consensus qui est - on le verra - favorable au maintien de la loi 101 et à une modification, en fait, que nous avons retenue - ce n'est pas un grand débat que nous vous présentons - sur certains règlements qui touchent d'une façon particulière la recherche, les chercheurs qui peuvent nous venir d'autres provinces ou d'autres pays.

Je laisse donc ici au directeur général de l'ACFAS le soin de vous résumer ce court mémoire qui, encore une fois, veut présenter quelque chose sur un point précis concernant la recherche au Québec dans nos institutions de recherche et nos universités. Je laisse donc la parole à M. Arbour.

Le Président (M. Gagnon): M. Arbour.

M. Arbour (Guy): Merci. M. le Président, mesdames, messieurs, comme l'a dit M. Huot, je vais tenter d'abréger. La première cause de l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences a toujours été la science. Sa spécificité culturelle propre en fait par ailleurs une institution d'expression française. Nous avons donc une cause implicite, c'est-à-dire le français.

Tout en se maintenant en marge du débat nationaliste, l'ACFAS a été et reste animée par des femmes et des hommes pour qui la pratique quotidienne, en français si possible, d'une activité intellectuelle captivante constitue l'expression supérieure de leur identité nationale. Plus de 15 000 communications scientifiques en français, plusieurs centaines de publications, tout cela témoigne d'une symbiose totale de la cause du français et de celle des sciences.

Nous traiterons de la question du français scientifique à travers deux aspects complémentaires: celui du travail scientifique et celui des communications scientifiques. Les considérations attenantes à la loi 101 sont plutôt du ressort du premier volet, soit celui du travail scientifique. Il n'est pas étonnant que l'ACFAS soit perçue comme un organisme fortement québécois puisque plus de 90% de l'activité scientifique d'expression française au Canada se déroule au Québec. La nature profonde de l'activité scientifique que nous promouvons est cependant essentiellement apatride. La science et la technologie constituent un héritage collectif de concepts et de méthodes qui permettent à l'homme de mieux comprendre et de mieux s'adapter à son environnement.

Ces instruments d'adaptation trouvent aujourd'hui une importance économique considérable. La pression qu'exercent les contraintes économiques nous pousse à optimiser dans le meilleur intérêt collectif l'utilisation des ressources scientifiques dont nous disposons. Or, l'osmose qui existe entre la recherche et le développement du Québec et la recherche américaine est telle qu'on ne peut proprement parler d'une science québécoise, sauf pour des domaines très particuliers. Je pense à l'amiante, entre autres.

Dans ce contexte, il importe de faciliter au maximum les déplacements de chercheurs qualifiés dans le marché nord-américain. La Charte de la langue française donne assez de latitude aux professionnels pour apprendre le français et ouvre une porte généreuse à des ententes particulières qui sont autant de cas d'exception via l'article 85, je pense.

Il semble qu'à ce jour l'attitude des fonctionnaires chargés de l'application de la charte ait été d'un pragmatisme accommodant et que peu ou pas de cas de scientifiques officiellement incommodés par la loi 101 aient été recensés. Qui plus est, nous avons noté que les contraintes à l'embauche de chercheurs non canadiens venaient parfois des lois fédérales sur le travail et l'immigration qui imposent à l'employeur le candidat canadien jugé équivalent.

La consultation entreprise nous a cependant permis de constater qu'un réel malaise avait été ressenti par des chercheurs canadiens ou américains susceptibles de s'installer au Québec à l'effet qu'ils n'étaient pas assurés de pouvoir accéder - leurs enfants - à une éducation dans leur langue maternelle, c'est-à-dire l'anglais. Pourtant, dans les faits, lorsque le candidat vient effectuer au Québec des études ou des recherches, l'obtention d'une autorisation de trois ans d'école anglaise pour ces enfants est quasi automatique. Le renouvellement, lorsqu'il est demandé, est aussi habituellement automatique.

Dans ces conditions, nous suggérons, premièrement, que les personnes qui démontrent qu'elles effectuent des recherches ou des études dont la durée ne devrait pas excéder six ans bénéficient automatiquement d'un feu vert pour l'envoi de leurs enfants dans une école primaire ou secondaire anglaise. Il s'agit donc d'une modification du règlement relatif à l'article 85. De cette façon, le chercheur concerné pourra plus facilement planifier son avenir professionnel.

Deuxièmement, nous suggérons de réintroduire une clause à l'effet qu'une personne éduquée en anglais dans une province autre que le Québec puisse envoyer son enfant à l'école anglaise à la condition que l'avantage tout à fait réciproque pour un francophone soit disponible dans la province d'origine. (19 h 15)

Dans beaucoup de milieux de recherche

et de génie, la langue de travail avouée est l'anglais. La Charte de la langue française, en modifiant l'affichage unilingue anglais, contribue beaucoup à un changement des mentalités à l'égard du français, en lui donnant une visibilité qui semblait à jamais inhibée par la mainmise économique traditionnelle de la bourgeoisie d'affaires anglophone. C'est un phénomène historique qui date du début du XIXe siècle, je pense. Le virage psychologique préconisé par la loi 101 n'est pas encore achevé, mais il est sérieusement amorcé. Nous croyons que l'effort entrepris mérite d'être poursuivi.

Concernant les communications scientifiques, nous observons que l'anglais constitue un nouveau latin et personne en sciences ne s'en offusque. Au début du siècle, le français scientifique a éprouvé des problèmes de masse critique et des problèmes de mauvaise diffusion qui ont à jamais - je ne sais pas; j'espère que non -compromis son expansion. Le mandarinat et le fonctionnarisme qui caractérisent actuellement les activités de recherche en France n'arrangent pas les choses. Les scientifiques francophones du Canada qui sont, encore une fois, pour la plupart du Québec, doivent essentiellement compter sur leurs propres moyens pour la communication scientifique en français. Leurs moyens, ce sont les revues du Conseil national de la recherche du Canada et quelque 50 revues savantes pour la plupart québécoises. Les revues françaises, quant à elles, sont moins accessibles que les revues américaines. Il y aurait beaucoup à dire sur cette question de publication, mais coupons court, si vous voulez.

D'autre part, les organismes subvention-naires mettent une pression considérable sur la reconnaissance internationale qui oblige littéralement les subventionnés à publier dans le latin scientifique des revues internationales, c'est-à-dire en anglais.

Si les derniers résultats de la recherche spécialisée empruntent les accents du "Basic English", il ne doit pas nécessairement en être de même des résultats préalables ou des notions scientifiques plus générales. Notre congrès, avec plus de 1000 communications par année, est particulièrement riche de ce foisonnement de la recherche qui s'exprime en français.

Le volet des ouvrages scientifiques du programme FCAC contribue à l'enseignement d'une science d'expression française en subventionnant des ouvrages destinés au premier cycle universitaire et, bientôt, espérons-le, au deuxième et troisième cycle, soit la maîtrise et le doctorat. Le même organisme subventionne aussi de nombreuses revues savantes d'expression française et pallie, dans une mesure significative, au vacuum laissé par les publications françaises. Abandonnés, encore là, par la France en matière d'édition, il y a certes danger d'en arriver à des publications qui seraient plutôt familiales, en cercles restreints, et une attention spéciale devra être portée à la coopération internationale en matière d'édition scientifique francophone.

On constate, enfin, une lacune dans cet univers de communication scientifique spécialisée anglophone, de revues savantes francophones à faible audience et de revues de vulgarisation scientifique populaires. On ne note aucune revue scientifique québécoise de calibre universitaire qui ait une perspective interinstitutionnelle et interdisciplinaire qui publierait, notamment, des textes arbitrés d'intérêt plus large que la discipline elle-même, proprement dite. La Charte de la langue française ne peut évidemment créer une telle revue, mais il serait opportun que le Conseil de la langue française collabore éventuellement à la réalisation d'une telle revue. Mais ces questions - j'en suis conscient - sortent probablement du cadre de cette commission parlementaire, et nous revenons à notre sujet.

S'il est une loi adoptée par ce gouvernement qui peut se targuer de légitimité, c'est bien la loi 101. La Charte de la langue française, alliée au développement récent des institutions scientifiques francophones, produit à peine ses premiers fruits: 50% des étudiants québécois fréquentaient une université anglophone en 1968; aujourd'hui, seulement 26% des étudiants québécois fréquentent les universités anglophones. Montréal offre maintenant un visage francophone qui, j'imagine, est touristiquement rentable et même le Canada est perçu, à l'étranger, très souvent, comme un pays francophone. Peut-être que dans 50 ans, des juristes diront que cette loi brimait des droits individuels. Je ne sais pas s'il sera trop tard à ce moment-là; le bien sera fait.

Par ailleurs, un démographe du ministère de l'Éducation du Québec a démontré récemment que la loi 101 n'avait rien à voir avec l'exode démographique des anglophones du Québec. Il est probable, croyons-nous, que les considérations fiscales soient beaucoup plus importantes que les considérations linguistiques dans le départ des anglophones ou dans la fuite des sièges sociaux ou des infrastructures de recherche du Québec.

En conclusion, nous appuyons pleinement, sans modification, l'actuelle formulation de la Charte de la langue française en suggérant l'assouplissement des règlements relatifs à l'article 85 de la loi, de façon à faciliter au maximum le séjour des chercheurs étrangers dans nos universités et nos institutions de recherche.

Je vous remercie, mesdames, messieurs d'avoir eu la patience d'attendre jusqu'ici.

Le Président (M. Gagnon): Merci. M. le ministre.

M. Godin: Vous avez beaucoup d'humour, M. Harbour. La patience, c'est la vôtre, parce que vous avez été là, très tranquille, avec M. Huot depuis le début.

Pour avoir été pendant six mois seulement, au Développement scientifique, chargé de ce dossier, j'ai pu mesurer, ayant présidé l'ouverture d'un congrès de l'ACFAS...

M. Huot: Le cinquantième congrès.

M. Godin: Voilà. Ayant pris connaissance des travaux qui ont été présentés, l'ACFAS joue effectivement un rôle central dans l'activité intellectuelle au Québec, et au Canada d'ailleurs aussi. C'est la raison pour laquelle votre opinion nous importe. Je vous dis tout de suite que certaines des recommandations que vous faites trouvent preneur facilement au gouvernement. Je le souligne avant de passer la parole à d'autres, puisque vous devez nous quitter bientôt, M. Huot.

Vous citez les cas de IBM, Bell Canada, Alcan et l'Impériale qui ont prouvé qu'elles pouvaient effectuer l'essentiel de leurs activités en français et y trouver ultimement leur compte, exportant même leurs connaissances vers de nouveaux marchés francophones. Peut-on conclure que, contrairement à certaines affirmations déjà faites, le français peut être rentable, même internationalement, pour une entreprise transnationale établie au Québec? Au lieu d'être un empêchement, est-ce que cela ne peut pas être une source de développement et d'expansion?

M. Huot: En fait, je n'ai pas une statistique facile à vous donner. Si dans tous les cas c'était rentable, ici, M. Harbour qui a préparé le dossier a dû faire un certain nombre de vérifications. Je ne sais pas s'il peut répondre à ceci, mais, dans le cas que nous avons ici, cela montrerait un effet raisonnable et rentable. De là à dire que dans tous les cas... Peut-être qu'il y a des points plus difficiles d'échanges internationaux pour certains cas.

Certainement que des compagnies comme IBM, en fait, qui ont souvent à voir des bureaux dans des pays où c'est une langue encore plus limitée que le français, doivent fonctionner, je ne sais pas, en suédois, en finlandais dans leur centre de recherche, si elles en établissent dans ces pays-là. De ce côté, on a donné des exemples. Le siège social de l'Alcan étant au Québec, c'est bien normal que cela facilite les choses. De là à vous dire avec certitude que cela arrive dans tous les cas, je pense qu'on n'a pas l'inventaire pour le faire ici. Je pense qu'on n'a pas à s'inquiéter outre mesure de ces grandes compagnies qui sont habituées à travailler dans différentes langues. Dans le cas de Pratt et Whitney, j'ai l'impression qu'on a fait beaucoup de progrès. Il y a encore des points à corriger, il y en a dans plusieurs compagnies, mais il faut dire que la loi date de six ans.

M. Godin: J'aurais une deuxième question - vous n'abordez pas cette question - concernant les manuels scolaires et les textes scientifiques en usage dans nos universités. Est-ce que, à votre avis, à votre connaissance, comme certains étudiants me l'ont dit, ceux qui sortent du secteur français et qui se trouvent devant un cul-de-sac, dans certaines facultés ou départements, à avoir de la documentation surtout anglaise, cela fait problème au point que le gouvernement devrait agir?

M. Huot: Je suis précisément dans une université, je suis ici à Laval. Nous avons remarqué qu'il y a eu un effort de traduction au cours des annés. D'ailleurs, un programme a été organisé pour en traduire un certain nombre. Il y a eu aussi des efforts concernant les livres francophones rédigés par des professeurs. J'ai noté, au cours des dernières années, que plusieurs professeurs ont commencé à rédiger des volumes en français. J'en avais un encore hier sur mon bureau, le "Béton précontraint" qui vient d'être préparé par un professeur de génie civil. Il y en a eu un quelques mois avant sur la structure. En fait, je pense qu'il y a un gros effort de ce côté. Il y a encore un certain nombre de livres anglophones. Certains étudiants sont réticents. De plus en plus de notes francophones sortent. Je pense que c'est le temps. Il arrive qu'un professeur, pour une raison X, qui arrive des États-Unis, aime bien avoir son livre anglophone; mais je pense que c'est une question de temps. Et vous me demandez si les étudiants sont très rébarbatifs aux livres anglophones? À l'université, vous avez les deux façons de voir les choses. On ne peut pas dire qu'il n'y a pas eu d'effets très favorables à la présentation de volumes francophones dans nos universités. Je pense qu'il y a un effort, mais je pense que le gouvernement, en appliquant sa loi 101, devrait trouver peut-être aussi des programmes pour encore favoriser davantage ces traductions ou cette aide ou ce congé particulier pour un professeur qui se lance à écrire un volume. Ce sont des formules qui me paraîtraient...

Une voix: Comme le Fonds FCAC.

M. Huot: Comme le Fonds FCAC, ce seraient des formules intéressantes pour, en fait, faire progresser plus rapidement ce progrès qui a été fait.

Le Président (M. Gagnon): M. Arbour.

M. Arbour: Peut-être pour revenir à cette question de la rentabilité et de l'implantation du français dans des industries, des multinationales...

M. Huot: Je m'excuse, messieurs. M. Godin: Nous vous excusons.

M. Arbour: Je pense qu'on a au Québec un rôle de leadership qu'on assume peut-être davantage que la France. Et dans la mesure où les Français tôt ou tard vont avoir, eux aussi, ce besoin d'utiliser des outils en français, on pourrait exporter déjà des choses développées ici. Donc, cette rentabilité existe.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le ministre. M. le député d'Outremont.

M. Fortier: Oui, M. le Président, M. Arbour, j'aimerais savoir en premier, d'une façon très rapide - vous dites que vous avez 4000 membres, 40 associations, c'est une fédération d'associations - est-ce que vos membres sont plutôt dans le milieu universitaire ou s'ils sont plutôt dans le domaine de la recherche et du développement dans le secteur privé?

M. Arbour: Je pensais que vous alliez me demander de les nommer. Les gens sont, pour la plupart, dans le milieu universitaire, très largement. Il y en a dans le milieu industriel. On essaie de percer de plus en plus ce milieu. Vous savez que les milieux industriels ont peut-être été traditionnellement plus réfractaires, disons, à frayer avec la communauté universitaire, mais cela change tranquillement pas vite. 80% des gens, à peu près, proviennent des universités. Il y a, là-dedans, une forte proportion d'étudiants gradués - maîtrise et doctorat -ce serait peut-être la moitié. Est-ce que cela répond à votre question?

M. Fortier: Oui. C'était juste à titre d'information générale. Vous faites état, à la page 5, de l'anglais qui constitue un nouveau latin. Cela ne m'a pas surpris quand j'ai lu cela parce que j'avais l'occasion, à la fin de juin, début de juillet, d'aller avec certains de mes collègues à l'Association des parlementaires de langue française où on a discuté justement de ce sujet. Ce qui m'a assez surpris, M. le Président il y a des statistiques assez intéressantes - il y a eu un relevé qui a été fait par le Conseil de la langue française sur les publications de l'Institute for Scientific Information Garfield, où on notait que - c'est un institut qui catalogue toutes les publications intéressantes ou d'intérêt général, public, dans le domaine scientifique - des publications originaires de France, il y en a moins que 50%, à peu près 50%, qui sont publiées en anglais; et même parmi celles du Québec, une très grande majorité sont publiées en anglais également. Je crois qu'il semblerait que la pratique est à l'usage de l'anglais, comme vous dites, comme un nouveau latin...

M. Arbour: Oui, même les Russes s'expriment couramment en anglais dans les articles scientifiques.

M. Fortier: Et cela est vrai, comme vous l'avez dit vous-même, dans le milieu universitaire. Il ne faut pas se surprendre si dans le secteur privé, c'est également vrai.

M. Arbour: Oui, mais le secteur privé, vous savez, touche des communautés culturelles, propres, autonomes. Je vois où vous voulez en venir. Vous voulez dire que le monde des affaires constituerait peut-être une espèce de macrocosme dans le monde...

M. Fortier: Non, ce que je voulais dire, c'est que je suis d'accord avec ce que vous dites là-dessus. Je voulais simplement conclure que, finalement, qu'on soit dans la recherche et le développement en France ou qu'on soit dans la recherche et le développement au Québec, dans le milieu universitaire ou dans le milieu privé, finalement, lorsque vient le temps de publier on cherche à communiquer dans une langue internationale.

M. Arbour: Lorsque vient le temps de publier; mais quand on travaille, on peut très bien le faire en français.

M. Fortier: Oui.

M. Arbour: II s'agit d'échanger avec le plus grand nombre de scientifiques possible.

M. Fortier: Oui, c'est cela Lorsque vient le temps d'échanger avec des milieux scientifiques et internationaux, on désire le faire ou on le fait en pratique par la langue anglaise.

M. Arbour: Oui, il y a beaucoup de gens, cependant, des tenants du français scientifique qui, eux, essaient de publier autant que possible en français. Écoutez, il paraît que si un très bon article scientifique annonçant une découverte de pointe, était publié en français, les chercheurs anglais le liraient. D'aucuns affirment cela. Je ne crois pas que cela soit faux. (19 h 30)

M. Fortier: J'imagine que vos recommandations principales sont à la page 4, lorsque vous demandez que les personnes qui démontrent qu'elles effectuent des études ou des recherches dont la durée ne devrait pas excéder six ans bénéficient automatiquement

d'un feu vert pour leurs enfants. Quand vous parlez de six ans, je suppose que la pratique dans les universités est que lorsqu'on embauche une personne, c'est pour un terme bien précis, ce qui n'est pas toujours le cas dans un milieu de recherche et de développement du secteur privé. Mais il est vrai que, dans le domaine universitaire, l'embauche se fait pour trois ans avec une possibilité de renouveler pour trois ans. Votre recommandation s'inspire-t-elle de la pratique dans le domaine universitaire en particulier?

M. Arbour: D'une part, de cette pratique, bien sûr, mais, d'autre part, de la formulation actuelle du texte de loi où on dit que le feu vert est accordé déjà pour trois ans et qu'il est possible, par la suite, de le renouveler pour trois autres années. Alors, si, dans les faits, cette situation qui est optionnelle est automatiquement réalisée, il serait sans doute opportun de le formuler clairement et de l'établir comme tel. Cela rassurerait peut-être les gens a priori.

M. Fortier: C'est que, dans votre mémoire, vous avez dit que dans la majorité des cas - le ministre nous a dit que c'était dans 95% des cas - on a accordé cette possibilité. Mais vous faites allusion à Bell Canada et aux autres compagnies. Le Conseil du patronat nous a dit que le problème ce n'était pas ceux qui viennent; que c'est ceux qui, connaissant les règles du jeu, décident de ne pas postuler et qu'on se prive, pour la recherche et le développement au Québec, d'un apport de scientifiques que nous n'avons pas ici et qui peuvent craindre cette bureaucratie à laquelle ils doivent se plier.

M. Arbour: Je comprends fort bien, mais leur information sur les règles auxquelles ils doivent se plier est peut-être le texte de loi ou c'est peut-être autre chose. Mais dans la mesure où c'est le texte de loi, si le texte de loi fait état de pouvoirs discrétionnaires qui ne sont pas automatiques, cela peut incommoder certainement les gens, peut-être les embêter et faire en sorte qu'ils décident simplement de ne pas venir.

M. Fortier: Dans le fond, votre recommandation est de rendre cela moins discrétionnaire et de le rendre plus facile pour celui qui postule. Dans ce sens, je pense qu'on se rejoint facilement.

Votre seconde recommandation c'est ni plus ni moins que d'adopter la clause Canada...

M. Arbour: Bien, il y a une condition qui est soulignée.

M. Fortier: ...mais vous dites: "...à condition que l'avantage tout à fait réciproque pour un francophone soit disponible dans la province d'origine." Est-ce que vous voulez dire que chaque fois qu'on va faire venir quelqu'un de l'Ontario, on va envoyer un francophone pour vérifier s'il peut aller se faire instruire en français à Toronto? En pratique, à quoi faites-vous allusion? À une négociation avec les gouvernements, négociation qui peut prendre encore cinq ans ou dix ans ou à l'adoption d'une clause qui pourrait régler le problème dans l'immédiat?

M. Arbour: Là, nous entrons dans un débat qui est devant les tribunaux et qui est plutôt du ressort de juristes. Il me semble que c'est le sens commun qui dicte que si nous, nous offrons un service à quelqu'un qui provient d'une autre province, la politesse ou le "fair-play" - pour utiliser un terme anglais - serait que le même service soit disponible dans le pays d'origine. Il y a un tas d'ententes de la sorte qui prévalent entre différents pays au niveau des ministères de l'Éducation. Il me semble que cela pourrait être négocié de province à province, à la pièce. Il s'agit d'une juridiction provinciale. C'est le sens commun qui dicte...

M. Fortier: Je voulais seulement connaître quelle était l'intensité de votre recommandation, parce que le gouvernement du Québec a déjà fait état de cette politique de réciprocité qui, à venir jusqu'à maintenant, n'a pas été reprise par les autres gouvernements. Je me demandais si votre recommandation était nouvelle ou si l'association que vous représentez la faisait avec plus d'intensité, si vous la reformuliez différemment ou si essentiellement c'est la politique que le gouvernement a adoptée jusqu'à maintenant que vous recommandez.

M. Arbour: Pratiquement, oui.

M. Fortier: Finalement, à la page 7, vous dites: "Nous avons noté que les contraintes à l'embauche de chercheurs non canadiens pouvait venir des lois fédérales sur le travail et l'immigration qui imposent à l'employeur le candidat canadien jugé équivalent."

M. Arbour: Oui.

M. Fortier: Ceux de l'industrie privée qui sont venus ici nous ont dit que c'était plutôt la loi 101 d'ici.

M. Arbour: Ah, oui!

M. Fortier: Vous avez dit que vous représentiez quelques personnes qui venaient du secteur privé. Encore là, est-ce que ces recommandations vous viennent de vos membres du milieu universitaire ou du milieu

du secteur privé?

M. Arbour: II y a des gens du secteur privé qui siègent au conseil d'administration - il n'est sans doute pas opportun de les nommer ici - et on a incorporé leurs réflexions à celles-là. C'est après avoir vérifié certains cas. Il y a des gens qui nous ont cité des cas précis; nous voulions avoir des cas précis de gens qui n'avaient pas pu travailler ici à cause de toutes sortes de questions juridiques. En vérifiant, nous nous sommes aperçus qu'il y avait certains cas où on pensait que c'était la loi 101 alors que, dans les faits, c'était la clause d'immigration. Enfin, vous connaissez le cas du directeur du Musée des beaux-arts. Il n'y a pas toujours une pression...

M. Fortier: Mais cela n'est pas dans le domaine scientifique.

M. Arbour: Non, mais c'est la même question, c'est la même loi.

M. Fortier: Je ne sais pas. Je peux vous dire que j'ai été président de compagnie et avec l'Immigration du Québec ou l'Immigration du Canada, je n'ai jamais eu de problèmes.

M. Arbour: Est-ce que vous oeuvriez dans la haute technologie?

M. Fortier: Quant à la question de la langue et la possibilité d'envoyer les enfants à l'école anglaise, cela a fait problème.

M. Arbour: Oui? Est-ce que vous oeuvriez dans la haute technologie à ce moment-là?

M. Fortier: Oui, dans le domaine nucléaire. C'est assez haut, je pense bien.

M. Arbour: Ah oui! D'accord. Je me le rappelle. C'est assez haut, vous avez raison.

M. Fortier: Je vous remercie.

M. Arbour: Vous n'avez pas vu ces problèmes à ce moment-là?

M. Fortier: Pardon?

M. Arbour: Vous n'avez pas eu de problème à engager des gens des États-Unis?

M. Fortier: Non. Je parle du moment où on n'avait peut-être pas le marasme qu'on vit présentement, mais au moment où nous avions des besoins, j'avais fait venir des ingénieurs scientifiques des États-Unis et d'Europe. On avait besoin de spécialistes. On ne parle pas de grande quantité. On parle de gens très qualifiés. On avait alors établi des contacts entre autres avec la sous-ministre, Mme Barcelo - que nous connaissons bien -et nous avions mis en place tous les mécanismes qui faisaient qu'on pouvait justifier la venue de ces personnes. On avait également établi une très bonne collaboration avec le ministère de l'Emploi et de l'Immigration à Ottawa. De ce côté-là, nous n'avions eu aucune difficulté. C'est pourquoi cela m'a surpris. Je me demandais d'où venait votre commentaire.

M. Arbour: Ah bon! Si vous aviez de votre côté à la fois la filière politique et la filière nucléaire, je comprends que cela allait bien.

M. Fortier: Merci. Des voix: Ah! Ah!

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. M. le député de Saint-Hyacinthe.

M. Dupré: Merci, M. le Président. Il fait plaisir d'entendre un groupe de scientifiques francophones donner leur opinion. Il est encore plus encourageant d'entendre de votre part que vous donnez votre entier appui à la Charte de la langue française.

Sur le point que vous venez de discuter, à savoir la clause de réciprocité, certains qui ont passé ici avant vous ont fait mention qu'il y avait certaines restrictions aux objections qu'ils donnaient à savoir que leurs droits seraient concrétisés ou avantagés par les provinces voisines. À ce moment-là, c'est la province voisine qui déciderait des droits des anglophones au Québec...

M. Arbour: Quelle est votre question, exactement?

M. Dupré: Si le Nouveau-Brunswick dit oui à la clause de réciprocité, donc, les anglophones venant de cette province auraient le droit, donc, ce serait se remettre entre les mains des autres provinces...

M. Arbour: Oui. On peut être souple quant à l'application de cette histoire. J'imagine que s'il y a un type qui va s'établir 100 milles au nord de Saskatoon, il sera peut-être difficile de lui trouver une école française pour ses enfants. Même chose s'il y a un anglophone qui s'établit à Gaspé. Je ne crois pas qu'il soit de notre ressort de statuer au-delà du principe de cette affaire. C'est un principe que dicte le sens commun, d'avoir des échanges, une politesse et un "fair-play" entre nations, entre provinces.

M. Dupré: Je voulais vous en faire part. On remarque dans votre rapport que vous n'êtes pas tendres, que vous êtes même très sévères envers la France en matière de

collaboration scientifique et de publications. Pouvez-vous expliquer davantage les difficultés ou de quelle manière la collaboration pourrait...

M. Arbour: Oui, oui, je pourrais vous faire toute une conférence là-dessus. Cela déborde largement les cadres de la loi 101 et je crains fort que beaucoup de gens veuillent aller souper.

M. Fortier: ...l'Association internationale des parlementaires de langue française l'an prochain.

M. Dupré: Non, mais je pense qu'il va être capable de...

M. Arbour: Oui, l'Association internationale des parlementaires de langue française, peut-être. Pardon?

M. Dupré: Lorsque vous parlez des 1000 parutions, est-ce de votre organisme?

M. Arbour: Vous parlez du nombre de communications accumulées de...

M. Dupré: Oui.

M. Arbour: Oui, j'ai fait un calcul des communications qu'il y a eu lors des 51 derniers congrès et on arrive à 15 000 et des poussières. Je n'ai pas indiqué les poussières. Il faut dire que c'est depuis 1923 que cela existe.

Le Président (M. Gagnon): Cela va? Merci, M. le député de Saint-Hyacinthe. M. le député de Gatineau.

M. Gratton: Très brièvement, M. le Président. J'aimerais demander à M. Arbour s'il peut confirmer une information qui nous a été donnée ici, à savoir que chez les scientifiques et les chercheurs qui arrivent de l'extérieur du Québec, mais en provenance du Canada, la majorité d'entre eux provient surtout de l'Ontario.

M. Arbour: Je pense que démographi-quement, c'est réaliste. Vous savez qu'il y a un fort afflux par le truchement des échanges avec le Conseil national de recherches, à Ottawa, qui regroupe dans ses installations une grande proportion de la recherche scientifique au Canada. Vous savez que le Conseil national de recherches du Canada a un budget annuel de 400 000 000 $ en regard de celui de l'INRS, ici, qui a à peu près 20 000 000 $ ou 25 000 000 $. Il y a certainement une grande osmose qui se produit du côté ontarien. L'Ontario aussi a plusieurs universités importantes. Je crois que c'est vraisemblable, mais je n'ai pas de chiffres à vous présenter là-dessus en ce moment.

M. Gratton: En tenant pour acquis qu'il y en a un bon nombre qui proviennent de l'Ontario. Pour revenir à la question de la réciprocité quant à l'accès à l'école anglaise, je pense qu'il serait utile de souligner que cette réciprocité existe maintenant, au moins avec l'Ontario.

M. Arbour: Vous croyez?

M. Gratton: Je ne le crois pas, je le sais. C'est un fait que le gouvernement actuel de l'Ontario s'est engagé à permettre l'accès à l'école française à tout individu qui le demande, indépendamment du nom.

M. Arbour: Pouvez-vous me nommer l'université francophone que ces Franco-Ontariens vont fréquenter?

M. Gratton: On ne parle pas d'université, on parle de l'école primaire et secondaire.

M. Arbour: Est-ce que vous enverriez vos enfants à l'école française si vous n'étiez pas assuré qu'éventuellement ils auront accès à l'éducation supérieure?

M. Gratton: Oui, mais on parle d'abord de l'accès à l'école primaire et à l'école secondaire. Êtes-vous au courant que la réciprocité dans les faits existe entre le Québec et l'Ontario?

M. Arbour: Vous me le dites, je vous crois.

M. Gratton: Oui, c'est un fait. Je l'affirme parce que c'est un fait.

M. Arbour: Dans ce cas, la réciprocité pourrait être disponible à ces anglophones au Québec, j'imagine.

M. Gratton: C'est ce que je pense aussi. Merci pour la présentation de votre mémoire.

Le Président (M. Gagnon): Merci, M. le député. M. le ministre.

M. Godin: En terminant, je dois vous rendre hommage, vous avez un sens de l'humour assez particulier, que nous apprécions beaucoup. En plus du sens de l'humour, vous avez donné des renseignements extrêmement utiles à la commission.

Maintenant, je voudrais corriger ce que mon collègue de Gatineau affirme. J'avais aussi l'impression qu'en Ontario il y avait un libre accès à l'école française pour toute personne qui s'installe en Ontario, peu

importe le nombre. Une fois vérification faite - effectivement, c'est important pour l'avenir de la réciprocité - auprès du ministère de l'Éducation de l'Ontario et auprès de l'Association canadienne-française de l'Ontario, l'ACFO, nous avons constaté qu'il y a effectivement eu une déclaration du ministre de l'Éducation, Mme Stephenson, il y a plusieurs mois comme quoi elle prenait l'engagement de réaliser cette promesse un jour ou l'autre. Malheureusement, la loi n'a pas encore été déposée et personne n'est en mesure d'affirmer la date à laquelle cette réalité que nous souhaitons tous va se concrétiser. Donc, c'est pour votre information, M. le député de Gatineau, après vérification.

M. Gratton: Oui, je suis au courant.

M. Godin: C'est par un effet de ma bonté que je vous rapporte des faits que vous ignoriez et qui seront utiles à tout le monde. La vérité est toujours utile.

M. Gratton: Est-ce que je pourrais rendre la pareille au ministre?

M. Godin: Oui, allez-y.

M. Gratton: J'aimerais lui indiquer que cela ne s'applique pas seulement aux francophones en provenance du Canada, mais en provenance de n'importe où dans le monde.

M. Godin: Oui.

M. Gratton: C'est une clause universelle.

M. Godin: L'intention est là, mais l'école n'y est pas encore, ni la loi qui va rendre tout cela possible. Nous le souhaitons comme vous. Allez-y, M. Arbour, vous avez un mot à ajouter.

M. Arbour: Vous m'apportez une information que je trouve intéressante. Mais pourquoi y a-t-il eu tant d'agitation à Penetanguishene, en Ontario, où les gens ont dû se battre pour avoir une école malgré qu'ils étaient fort nombreux?

M. Gratton: Si on veut entrer là-dedans, ce n'était pas du tout le même genre de débat.

M. Arbour: Ce n'était pas le même problème.

M. Gratton: II s'agissait du contrôle des écoles et non pas de l'accès ou de la possibilité d'accès. Il n'y avait pas de problème d'accès à l'école française à Penetanguishene, il s'agissait de décider qui dirigerait et gérerait les écoles. C'est différent.

M. Arbour: Bon, merci.

M. Godin: Nous aurons certainement l'occasion de nous revoir pour parler de ces questions d'éducation interprovinciale. En terminant, je vous remercie beaucoup de votre contribution. Veuillez accepter nos excuses de vous avoir entendus si tard, mais nous sommes tous dans le même bateau. On ne décide pas de la fin mais seulement du commencement. Merci, M. Arbour.

M. Arbour: Très bien, merci.

Le Président (M. Gagnon): Je remercie l'Association canadienne-française pour l'avancement des sciences, représentée par MM. Huot et Arbour.

Sur ce, la commission des communautés culturelles et de l'immigration ajourne ses travaux à demain, 10 heures.

(Fin de la séance à 19 h 45)

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