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Version finale

41e législature, 1re session
(20 mai 2014 au 23 août 2018)

Le mercredi 6 juin 2018 - Vol. 44 N° 115

Consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 400, Loi modifiant la Loi concernant la succession de l’honorable Trefflé Berthiaume et la Compagnie de Publication de La Presse, Limitée


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Table des matières

Remarques préliminaires

Mme Marie Montpetit

M. Pascal Bérubé

Mme Claire Samson

Auditions

La Presse ltée

Power Corporation du Canada

Confédération des syndicats nationaux (CSN) et Fédération nationale des
communications-CSN (FNC-CSN)

Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse (STIP)

Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)

Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ)

Québecor Médias inc.

Le Devoir inc.

Autres intervenants

Mme Rita Lc de Santis, présidente

Mme Martine Ouellet

M. David Birnbaum

M. Amir Khadir

M. Marc Tanguay

*          M. Pierre-Elliott Levasseur, La Presse ltée

*          M. Guy Crevier, idem

*          M. André Desmarais, Power Corporation du Canada

*          M. Jacques Létourneau, CSN

*          Mme Pascale St-Onge, FNC-CSN

*          M. Éric-Pierre Champagne, STIP

*          M. Charles Côté, idem

*          M. Atïm León, FTQ

*          Mme Kathleen B. Bourgault, idem

*          M. Philippe St-Jean, idem

*          Mme Marie Lambert-Chan, FPJQ

*          Mme Marie-Philippe Gagnon-Hamelin, idem

*          M. Pierre Karl Péladeau, Québecor Médias inc.

*          M. André Ryan, Le Devoir inc.

*          M. Brian Myles, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures vingt-neuf minutes)

La Présidente (Mme de Santis) : Pour que les règles soient connues, c'est seulement au début des auditions que vous pouvez prendre des images, et vous pouvez aussi au tout début d'une présentation, mais ensuite vous allez cesser de prendre des images, s'il vous plaît. Je parle aux représentants des médias.

• (11 h 30) •

Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission de la culture et de l'éducation ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de procéder aux consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 400, la Loi modifiant la Loi concernant la succession de l'honorable Trefflé Berthiaume et la Compagnie de Publication de La Presse, Limitée.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, Mme la Présidente. Mme Sauvé (Fabre) sera remplacée par M. Tanguay (LaFontaine) et M. Cloutier (Lac-Saint-Jean), par M. Bérubé (Matane-Matapédia).

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. Avant de débuter, j'aimerais faire une déclaration. Avant que je rentre en politique, j'étais avocate et «partner», associée chez Davies Ward Phillips & Vineberg. J'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de représenter Gesca et Power Corporation, en particulier dans deux dossiers qui avaient une certaine ampleur. C'était la création de Newsworld et Newsworld International, en 1994, et, en 2000, c'était l'acquisition des journaux d'Unimédia et Conrad Black. J'ai travaillé sur d'autres dossiers moins d'envergure, mais je n'ai pas représenté aucun, ni Gesca, ni Power, ni La Presse, depuis très longtemps, depuis plus que 10 ans. Lundi, j'ai appelé le Commissaire à l'éthique pour avoir un avis sur les conflits d'intérêts. On m'a assuré qu'il n'y avait aucun conflit d'intérêts. J'ai aussi demandé... Hier, j'ai envoyé une lettre qu'on me donne l'avis par écrit, parce que c'était un avis verbal. J'espère recevoir l'avis écrit avant l'étude article par article. Je croyais que c'était important que je fasse cette déclaration.

Maintenant, nous allons procéder. Nous débutons cet avant-midi par les remarques préliminaires. Et nous allons entendre La Presse ltée et Power Corporation du Canada.

Remarques préliminaires

Nous débutons avec les remarques préliminaires. Alors, Mme la ministre, vous disposez de six minutes, l'opposition officielle dispose de 3 min 30 s et le deuxième groupe d'opposition, de 2 min 30 s. Mme la ministre.

Mme Marie Montpetit

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Tout d'abord, saluer mes collègues de la partie ministérielle ainsi que les députés de l'opposition. Je suis certaine que nous aurons des échanges éclairants aujourd'hui.

Alors, Mme la Présidente, le monde des médias traverse une période de défis très importants depuis quelques années. Alors que les revenus de publicité fondent au profit des géants du Web américains, les entreprises doivent trouver des façons innovantes d'y faire face et ainsi assurer une offre d'informations diversifiées et de qualité pour tous les citoyens. Le quotidien La Presse fait partie des entreprises ayant décidé de transformer leur modèle d'affaires pour faire face aux nouveaux défis de notre époque. En l'occurrence, son actionnaire principal, le groupe Power Corporation, souhaite se départir de ses actifs investis dans La Presse.

La Presse, contrairement aux autres médias du Québec, constitue un cas unique en raison de lois privées adoptées uniquement pour elle en 1955, 1961 et 1967. Je rappelle que la loi de 1967 a conservé son article qui prévoit notamment qu'«aucune vente, cession, transport ou nantissement de droits ou d'un nombre d'actions de toute compagnie, qui aurait pour objet ou comme résultat de déplacer le contrôle de La Compagnie de Publication de La Presse, Limitée, ou d'une partie substantielle des biens de la compagnie, à l'exception du poste de radio CKAC et du journal La Patrie, ne peut être validement fait ou consenti sauf avec l'autorisation de la législature». En raison de cette loi privée du siècle dernier, La Presse ne peut se donner de nouveaux propriétaires ou disposer de ses biens sans que l'Assemblée nationale ne l'y autorise, contrairement à tous les autres médias du Québec.

Ces derniers jours, Mme la Présidente, nous avons clairement entendu les représentants de La Presse, qui nous demandent de leur assurer leur indépendance. Ils nous demandent d'être traités comme tous les autres médias au Québec. Est-ce à nous, parlementaires, de s'immiscer dans le choix du modèle d'affaires que veulent retenir les propriétaires des médias? Non. Est-ce à nous de décider qui siégera sur le conseil d'administration des groupes de presse? Non. Est-ce à nous de juger de la façon dont la transformation souhaitée s'effectuera? Assurément que non. Est-ce à nous de leur dicter leur conduite? Bien évidemment que non. Il n'appartient pas aux parlementaires de s'immiscer dans un média, ni dans son contenu, ni dans sa structure.

Les dirigeants de La Presse ont jugé avoir trouvé le meilleur moyen pour assurer la pérennité de La Presse et assurer qu'ils pourraient poursuivre leur mission de produire une information de qualité, accessible aux Québécois. Il est de notre devoir, comme parlementaires, de ne pas s'ingérer dans la gestion d'un groupe de presse. Et nous ne devons pas franchir la ligne devant délimiter la politique et les médias, comme le souhaitent certains membres de l'opposition. Je fais appel à mes collègues, car nous devons agir au nom de l'indépendance de la presse au Québec, puisque c'est de cela dont il est question, corriger une situation qui s'apparente à une tutelle gouvernementale qui contraint la liberté de décision de La Presse sur son propre avenir. Nous devons être guidés aujourd'hui dans cette analyse par des principes fondamentaux qui sont la séparation entre le politique et les médias et l'équité entre les différents médias. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci, Mme la ministre. Maintenant, je demanderais au porte-parole de l'opposition officielle et député de Matane-Matapédia à faire ses remarques préliminaires, pour un maximum de 3 min 30 s.

M. Pascal Bérubé

M. Bérubé : Merci, Mme la Présidente. Je veux à mon tour saluer la ministre, son équipe gouvernementale, les collègues de l'opposition, et réitérer le rôle des parlementaires à l'Assemblée nationale. À partir du moment où un projet de loi est déposé, le rôle des parlementaires, c'est de l'étudier avec professionnalisme, en posant les questions qui s'imposent, et on ne peut pas se substituer à ce rôle-là. Alors, à partir du moment où il y a un projet de loi, j'annonce que les parlementaires du Parti québécois vont faire leur travail, et c'est pour ça qu'ils ont été élus. Alors, sinon, on ne siégerait pas à ce moment-ci pour le projet de loi n° 400.

Trois thèmes qui vont nous guider dans cette étude : l'indépendance, la transparence et la gouvernance. Nous avons déjà eu des échanges en privé avec les représentants de La Presse à leur demande, des échanges qui ont été constructifs, des questions légitimes que nous nous posons, mais que d'autres observateurs se posent également, sur la scène médiatique, politique et auprès des citoyens et des gens qui sont épris de l'information.

Le Parti québécois réitère sa volonté d'avoir une pluralité des sources. Dans une démocratie, c'est important d'avoir des institutions de presse fortes, qui jouent un rôle essentiel, notamment auprès du politique, de questionner. Et il est acquis que nous allons collaborer avec cet esprit pour s'assurer de l'avenir de La Presse, qui est une grande institution québécoise, de l'avenir de cette institution.

Aussi, nous avons en tête les artisans de l'information. Et c'est peut-être à eux que je pense davantage, les artisans de l'information, qui font un travail exceptionnel depuis des décennies. Nous allons nous assurer qu'ils auront toute l'indépendance nécessaire.

Des questions vont quand même s'imposer quant aux liens que souhaite conserver le propriétaire de La Presse malgré la création d'un organisme à but non lucratif. Ce qu'on va consentir au journal La Presse, ce n'est pas banal, c'est des avantages qui vont permettre à cette entreprise d'aller chercher des revenus supplémentaires. Il nous apparaît qu'il est essentiel de poser les questions qui s'imposent, notamment en termes de gouvernance. Et je suis convaincu que les représentants sauront y répondre du mieux possible.

Évidemment, j'ai pris connaissance des engagements de La Presse dans l'édition de samedi dernier. Mais il m'apparaît que le meilleur endroit où prendre ces engagements, c'est ici, au salon rouge de l'Assemblée nationale, lors d'une audition, voire même à l'intérieur d'un projet de loi. Alors, je suggère un autre média, qui est aussi important à notre démocratie, où peut être inscrits ces principes, c'est la Gazette officielle, celle de l'Assemblée nationale, où sera consigné ce projet de loi.

Alors, Mme la Présidente, en terminant, et je prendrai le temps qui reste pour mes interventions, je réitère notre volonté de collaborer pour l'adoption dès cette session d'un projet de loi qui va permettre à La Presse de poursuivre son aventure au service de l'information, de ses lecteurs et de notre démocratie.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci, M. le député. J'invite maintenant la porte-parole du deuxième groupe d'opposition et députée d'Iberville à faire ses remarques préliminaires, pour un maximum de 2 min 30 s.

Mme Claire Samson

Mme Samson : Merci, Mme la Présidente. J'aimerais saluer tout le monde. Bonjour, messieurs. Mme la Présidente, c'est un projet de loi bien spécial. On n'en voit pas beaucoup comme ceux-ci, et puis dans les délais qu'on connaît. Et, si on réussit à régler ça avant la fin de la session, ce sera bien la première chose qui sera réglée ici en deux semaines. On applaudira, si on veut, à ce moment-là.

• (11 h 40) •

Il n'en demeure pas moins que ce projet de loi là soulève plein de questions pour tous ceux et celles qui s'intéressent au monde des médias et de la culture. Et on peut certainement exprimer toutes nos questions et tous nos doutes quant au modèle d'affaires suggéré. C'est légitime. Tout le monde peut se questionner sur la probabilité que ce soit un succès. Mais, à la fin de la journée, est-ce que le modèle d'affaires que veut adopter La Presse nous concerne dans la vraie vie? Non. Je pense que ce n'est pas de nos affaires, de quelle façon La Presse veut mener ses choses, comment elle veut générer ses revenus, et de quelles sources, et sur quel échéancier. C'est leur défi, ce n'est pas le nôtre. Ça sera le leur de le relever.

Alors, moi, Mme la Présidente, ça sera tout. Je suis prête à écouter et à poser des questions.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, Mme la députée. Avant qu'on procède, j'aimerais avoir le consentement des membres de la commission qu'on puisse aller au-delà de 13 heures pour que les deux groupes qui viennent devant nous aient leurs 45 minutes. Est-ce que j'ai l'approbation? Merci beaucoup.

Auditions

Donc, maintenant, je souhaite la bienvenue à La Presse. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé. Puis nous allons procéder à la période d'échange avec les membres de la commission. Les membres de la commission auront : le gouvernement, 15 minutes, l'opposition officielle, neuf minutes, le deuxième groupe d'opposition, six minutes. Et je vois deux membres indépendants, donc chacun aura deux minutes.

J'invite maintenant à vous présenter, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, et de procéder à votre exposé. La parole est à vous.

La Presse ltée

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Donc, Mme la Présidente de la commission, Mme la ministre de la Culture et des Communications, Mmes et MM. les membres de la commission, mon nom est Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse. Je suis accompagné de M. Guy Crevier, vice-président du conseil et éditeur de La Presse, et de M. Éric Trottier, éditeur adjoint de La Presse. Merci de nous recevoir.

J'aimerais débuter en soulignant l'importance du moment. La direction de La Presse se présente aujourd'hui à l'Assemblée nationale en faisant front commun avec ses employés, ses syndicats, les deux grandes centrales syndicales du Québec ainsi que la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Je laisse chacun de ces groupes expliquer en détail les raisons qui les amènent à témoigner devant vous. Mais je peux vous dire que nous faisons alliance aujourd'hui derrière le projet de transformation de La Presse, car nous sommes tous convaincus que la structure à but non lucratif vers laquelle La Presse se dirige est la structure d'avenir qui donne le plus de chances à La Presse d'assurer la pérennité de sa mission, soit de livrer une information de qualité, rigoureuse, basée sur les faits.

Vous n'êtes pas sans savoir que les médias écrits vivent actuellement une crise sans précédent. Le modèle des journaux papier est brisé de façon irréversible. Le tirage ne cesse de décroître, et le lectorat des journaux papier vieillit, avec peu de capacité de renouvellement. Résultat, les journaux papier ont perdu pas moins de 66 % de leurs revenus publicitaires depuis 2005. Aujourd'hui, près de 80 % des revenus publicitaires numériques sont entre les mains de deux grands joueurs américains, Google et Facebook, qui menacent le modèle d'affaire des médias d'ici. L'innovation est le seul moyen d'assurer la viabilité de grandes salles de nouvelles, qui jouent un rôle fondamental dans la vitalité de la démocratie du Québec.

Vous le savez, face à un tel contexte, La Presse a justement su innover ces dernières années en prenant le virage numérique comme aucun autre média écrit ne l'a fait. Le projet a nécessité trois ans d'efforts, le développement et la modification de plus de 25 systèmes de production, ce qui nous a permis de lancer La Presse+,qui est devenue un formidable succès populaire. Nous avons rapidement réussi à atteindre une consultation moyenne de 260 000 tablettes par jour, avec une moyenne de consultation quotidienne de 40 minutes, et même 50 minutes le week-end. Nous avons également réussi le tour de force de rajeunir considérablement notre auditoire. Et nous avons réussi, grâce à ce virage numérique, à mieux résister que les autres journaux au Canada de taille similaire à l'érosion de nos revenus en conservant les deux tiers de nos revenus publicitaires.

Parallèlement, il faut le noter, La Presse a su réduire ses dépenses au fil des ans sans aucun conflit de travail. Elle a abandonné un environnement industriel lourd et coûteux et vu son nombre d'employés passer de 910 à 558 employés. Et elle a pu compter sur la contribution de ses syndicats et de ses employés, qui ont accepté que leurs salaires, comme ceux des cadres, soient gelés pendant cinq des neuf dernières années, des salaires, d'ailleurs, qui respectent les normes de l'industrie, selon les études de rémunération.

Mais, malgré nos succès, notre modèle n'est pas parfait, loin de là. Aucun grand média de la taille de La Presse n'a encore trouvé la solution ou la recette qui pourrait assurer sa pérennité. La réalité, c'est que personne dans l'industrie n'avait deviné la montée aussi rapide des géants américains que sont Google et Facebook. La transformation numérique est bien amorcée à La Presse, mais il nous faut aller plus loin. Nous devons procéder à une refonte majeure de l'expérience utilisateur, l'expérience usager sur le mobile et sur le Web. Nous devons également poursuivre le développement de notre intelligence d'affaires et continuer de faire évoluer notre écosystème publicitaire.

Bref, nous savons ce que nous avons à faire, mais ce virage, il est très coûteux. Il est donc important, dans un contexte d'érosion des revenus publicitaires, que La Presse diversifie ses sources de revenus, ce qui passe inévitablement par une transformation de sa structure, dans le respect de ses employés et de ses retraités. La Presse s'engage en effet à respecter ses conventions collectives et à instaurer des régimes de retraite miroirs pour ses employés. De plus, nous rappelons que Power Corporation s'est dite disposée à mettre en place, avec la collaboration des syndicats, un mécanisme afin de conserver sous sa charge les obligations passées des régimes de retraite sur une base de continuité des affaires. Cette nouvelle structure nous permettra de mettre à exécution notre plan stratégique de façon ordonnée et de profiter de l'appui de grands donateurs, de grandes entreprises, de fondations et de citoyens.

Il est donc important de préciser que nous n'exigeons aucun traitement particulier. Nous demandons plutôt à Québec et à Ottawa de mettre sur pied des programmes universels, ouverts à tous les journaux. La fiducie d'utilité sociale qui chapeautera La Presse sera totalement indépendante de Power Corporation. La Presse a formellement demandé au Barreau du Québec d'assumer la responsabilité de lui dresser une liste de trois noms de juges à la retraite, reconnus pour leur grande rigueur, pour combler la fonction de fiduciaire. Ce dernier serait choisi à partir de cette liste par la haute direction de La Presse sans aucune consultation auprès de Power Corporation. Le rôle du fiduciaire sera de veiller à ce que le conseil d'administration respecte la mission du journal et s'assurer que tout argent recueilli et tout profit généré soient consacrés aux opérations de La Presse, dans le but ultime de produire une information de qualité accessible à l'ensemble de la population.

Un conseil d'administration sera aussi nommé pour veiller au bon fonctionnement de La Presse. Pour dissiper tout doute quant à l'indépendance du journal, le président initial du conseil sera nommé par la haute direction de La Presse de façon totalement indépendante de l'actionnaire actuel, Power Corporation, et sans consultation de ce dernier. La Presse cherchera à ce que la personne qui occupe le poste de président ou présidente du conseil ait une connaissance approfondie des médias, du milieu de la publicité et du numérique. Cette personne devra avoir mené à bien la gestion de grands dossiers.

L'identification des autres administrateurs initiaux reviendra au président du conseil ou à la présidente, mais une description des qualités et compétences souhaitées a été élaborée. On devra retrouver au conseil des personnes capables d'incarner l'essence du rôle des médias, de représenter le milieu journalistique, de faire valoir publiquement l'importance des campagnes de sociofinancement, de maîtriser les technologies et l'intelligence d'affaires, de démontrer une grande connaissance du milieu de la publicité et de faire valoir une solide expérience du monde de la finance.

Par la suite, ce sera au conseil d'administration que reviendra la tâche de nommer le successeur au premier président ou présidente du conseil et de recommander les prochains administrateurs. Les choix devront se faire à la majorité des deux tiers des membres du conseil. Nous sommes convaincus que la structure à but non lucratif est une approche moderne, adaptée à la nouvelle réalité des médias écrits, et nous permettra de poursuivre nos démarches novatrices dans le but d'assurer la pérennité de La Presse.

• (11 h 50) •

Nous sommes toutefois ici ce matin, car il existe un obstacle à cette transformation. Ce changement majeur de structure nécessite, en effet, l'abrogation d'une disposition de la loi privée adoptée à la suite d'une chicane testamentaire datant de plus de 100 ans. L'Assemblée nationale s'est ainsi prononcée à quatre reprises, au fil des décennies, jusqu'au bill d'août 1967, une loi privée adoptée dans le but d'encadrer la vente d'actions à Corporation de valeurs Trans-Canada. Des restrictions au changement de contrôle du journal La Presse ont alors été établies dans le but de s'assurer de conserver la propriété du quotidien au Québec.

Notons que les législateurs respectifs ont statué à plusieurs reprises sur la propriété des actions de La Presse, tout en se gardant, à chaque époque, de s'ingérer dans le fonctionnement et la gouvernance de La Presse. Précisons d'ailleurs qu'en plus d'appuyer l'abrogation la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, les syndicats de la presse, la Fédération nationale des communications affiliée à la CSN, ainsi que la FTQ ont unanimement demandé aux parlementaires de ne pas s'ingérer dans la gouvernance de La Presse en imposant des conditions à ce transfert.

Nous vous demandons donc de traiter La Presse sur le même pied d'égalité que tous les autres journaux écrits au Québec et au Canada en levant une disposition de la loi privée de 1967. En levant cette disposition, vous permettez à La Presse d'évoluer mais aussi de demeurer à jamais la propriété d'une institution québécoise à part entière. En ce sens, vous respectez tout à fait l'esprit de la loi à l'époque.

Pour terminer, il est important pour nous de rappeler que, si nous sommes ici ce matin, c'est dans le seul but de sauver un journal qui joue un rôle essentiel dans la société québécoise depuis plus de 100 ans. Comme tous les médias écrits, le plus grand journal francophone d'Amérique est menacé par la crise qui secoue l'industrie. Nous voulons innover pour préserver l'une des plus grandes salles de rédaction au pays et plus de 500 emplois. Nous pensons que le rôle des élus est de favoriser l'innovation, mais pas de s'ingérer dans la gouvernance et dans les opérations d'un média écrit.

Nous formons aujourd'hui un front commun historique avec nos syndicats, les centrales syndicales et la FPJQ. C'est un geste fort qui vise à permettre à La Presse de pérenniser sa mission et ses opérations. Nous espérons sincèrement que vous allez lever l'unique obstacle à cet important projet pour La Presse, pour l'écosystème médiatique et pour le Québec. Merci pour votre écoute.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, M. Levasseur. J'aimerais faire une rectification. D'après les règles, le temps octroyé est de trois minutes aux deux indépendants. Donc, ça va être 1 min 30 s chacun. Et ça reste 15 minutes pour le gouvernement, neuf minutes pour l'opposition officielle et six minutes pour le deuxième groupe d'opposition. Merci. Maintenant, la parole est à la ministre.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. M. Levasseur, M. Crevier et M. Trottier, bonjour. Merci de prendre le temps de venir nous exposer ce que vous aviez à nous présenter suite à votre requête.

D'entrée de jeu, moi, j'aimerais vous entendre davantage sur les derniers propos que vous avez tenus, sur toute la question de l'ingérence qui est demandée, qui a été soulevée notamment dans des demandes de certains députés de l'opposition, donc une perception d'ingérence ou des demandes d'ingérence directe sur votre gouvernance, justement, sur votre modèle d'affaires, sur votre gestion. J'aimerais vous entendre davantage sur ce point spécifique.

M. Crevier (Guy) : Écoutez, ce qui m'a frappé, moi, c'est tout le processus. Je suis très respectueux du processus, mais il y a quand même 15 groupes ou personnes qui ont été invités, et il y en a au moins sept qui ont refusé de venir témoigner.

Puis je veux juste vous lire un paragraphe de Marc-François Bernier, qui a publié hier un mémo à ce sujet-là. Il disait essentiellement que lui, il ne voulait pas se présenter ici aujourd'hui parce que c'était une formalité, puisque la loi de 1967 avait perdu toute sa pertinence de l'époque. Maintenant, il est allé un peu plus loin. Il a dit que cette commission parlementaire risque d'être une véritable ingérence injustifiée dans la vie d'un média pour toutes sortes de mauvaises raisons : concurrence, règlement de comptes et partisanerie.

Moi, je ne dis pas qu'on partage ça. Ce n'est pas... Tu sais, on a parlé beaucoup de... Puis je respecte l'énoncé que M. Bérubé a fait en disant qu'il voulait poser des questions, et vous avez le droit de poser des questions, puis on veut répondre au maximum de vos questions. Mais il y a toujours une ligne très fine, qui est difficile à franchir, entre l'indépendance d'un média et le rôle des politiciens.

Nous, la seule chose qui nous concerne aujourd'hui, c'est qu'on demande tout simplement à être traités sur un pied d'égalité avec les autres médias. La Presse est une institution qui joue un rôle important dans la société québécoise, et je pense que c'est important. On fait face à un défi important qui nous est donné par les géants américains. Je pense que c'est important que les parlementaires nous permettent d'assumer adéquatement notre rôle et d'assurer de mettre en place une stratégie qui est fortement appuyée par nos employés, par les syndicats, par la CSN, par la FTQ, par la FPJQ, qui sont tous unanimes à dire que cette loi-là devrait être abrogée, et demander également aux parlementaires d'être prudents dans les exigences qu'ils pourraient formuler à l'endroit d'un média, parce qu'il y a un risque de franchir, là, une ligne qui est excessivement fine.

Mme Montpetit : On a eu l'occasion de se rencontrer, effectivement, avec les députés de l'opposition, notamment, puis je pense que le message était bien clair que vous parlez d'une seule voix avec vos employés, non seulement, mais avec vos syndicats également. Et puis je pense qu'il faudra peut-être le resouligner au cours des prochains échanges aussi, mais ma compréhension, puis je pense qu'elle doit être aussi très claire pour celle du public qui nous écoute, c'est que la seule et unique demande que vous faites, c'est d'être traités comme les autres médias du Québec. Il n'y a pas de demande financière qui est rattachée à ça. Il n'y a pas de demande de d'autres interventions sur votre structure. Après ça, c'est vraiment une demande qui est une question d'équité.

Et c'est pour ça que je le mentionnais d'entrée de jeu, parce que c'est un peu à... Le modèle, la dynamique dans laquelle on se retrouve... Vous vous retrouvez un peu, effectivement, en tutelle de parlementaires, alors qu'on a de nombreuses discussions à l'heure actuelle, dans la sphère publique, sur d'autres dossiers, sur l'importance d'avoir des médias qui sont indépendants, notamment sur toute la question de comment on vient soutenir financièrement l'aide à la transformation numérique, comment on vient soutenir la diversification de nos médias à travers le Québec, s'assurer d'avoir un pilier démocratique de médias qui demeure et dont la vitalité demeure. Et, dans le fond, l'article en question, du projet de loi, mélange le politique et mélange les médias, en ce sens que vous devez venir demander l'autorisation de l'Assemblée nationale pour pouvoir procéder.

Ce que j'aimerais aussi que vous puissiez expliciter davantage, et vous avez eu l'occasion de le faire notamment dans les médias, mais je pense que c'est important pour les membres de cette commission-là aussi, comme plus grosse salle de presse francophone en Amérique du Nord aussi, les conséquences de ne pas procéder à l'adoption de ce projet de loi là, les conséquences de ne pas changer l'article spécifique dont il est question.

M. Crevier (Guy) : Je vais laisser M. Levasseur répondre à cette question-là. Mais, peut-être avant de donner la parole à M. Levasseur, j'aimerais ça peut-être reprendre deux des éléments que vous avez soulevés.

Le premier, c'est que, vous avez totalement raison, il y a 89 quotidiens aujourd'hui, au Canada, qui peuvent adopter le statut corporatif qu'ils désirent sans demander aucune permission à des parlementaires. Nous sommes les seuls au Canada à être régis par une contrainte comme celle-là, d'une part.

Secundo, vous avez fait allusion au fait que nous étions unis comme une seule voix quand on se présentait devant vous aujourd'hui, et ce n'est pas un accident, parce que les employés de La Presse, comme la plupart des gens qui travaillent dans les médias aujourd'hui, même que ça soit la télévision et la radio, les gens sont conscients du dommage qui est fait par ces géants-là américains, puis ils sont conscients aussi... Les gens de La Presse... Tu sais, quand on dit qu'on a lancé La Presse+, là, il n'y a pas un emploi à la La Presse dont la description de tâches n'a pas changé.

Donc, tout au long du processus de transformation, on a communiqué avec nos employés. On a partagé des informations avec les syndicats. Nos syndicats ont d'ailleurs accès à nos résultats financiers. On a posé des gestes constamment. On a répondu aux questions des employés à toutes les années. On a partagé nos stratégies. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui ce n'est pas juste un bloc unifié qui dit : Bon, voilà notre position. Il y a une compréhension profonde, de la part de nos syndicats, de la part de nos employés, des enjeux d'un média écrit aujourd'hui.

Et non seulement ils adhèrent à notre position, mais ils appuient la stratégie qui est mise en place. C'est assez fascinant parce qu'on aurait pu sentir au sein des employés de La Presse une forme de découragement de perdre un actionnaire d'une importance aussi grande que Power Corporation. Les gens comprennent pourquoi on pose ce geste-là puis les gens sont unis en arrière de nous exactement parce qu'ils voient très bien que c'est la seule solution pour sauver un média d'importance. Et, vous faites bien de le rappeler, c'est la plus grande salle de nouvelles francophone en Amérique du Nord.

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Bien, moi, je dirais que la raison que c'est important d'agir rapidement, c'est que le modèle, on l'a dit à répétition, là, le modèle des médias écrits est brisé. Aujourd'hui, la progression de Google et Facebook est phénoménale, puis elle ne ralentit pas. Juste dans les dernières années, là, leur part de marché est partie, est allée de 50 % des revenus publicitaires, dans le secteur numérique, à 80 % des revenus publicitaires. Puis cette progression-là, elle ne ralentit pas.

Donc, nous, on a un plan. Ça fait des mois qu'on étudie différentes options. On est arrivés à un plan dans lequel on croit, dans lequel nos employés croient, dans lequel nos syndicats croient. On a un plan, mais on ne peut pas se permettre d'attendre une année de plus et de paver la voie, de laisser la voie tout ouverte à Google et à Facebook pour dire : Nous, pendant la prochaine année, on ne va rien faire puis on va vous laisser accaparer 90 %, 95 % du marché publicitaire sans qu'on fasse quoi que ce soit. Puis je veux juste être clair. On n'a pas la prétention qu'on va être capables de faire crouler Google ou Facebook. On n'est pas cinglés. Toutefois, on pense qu'on est capables d'aller chercher notre juste part des revenus publicitaires avec nos projets de transformation. Donc, on a un plan, mais il y a urgence d'agir.

• (12 heures) •

Mme Montpetit : Peut-être, aussi, vous avez... Bon, on parle justement des rencontres qui ont été faites avec les employés. Je pense que ça, c'est important puis c'est certainement quelque chose qui va nous éclairer pour la suite des choses, mais, dans les échanges que vous avez eus avec vos employés, justement, pour qu'ils se rallient, qu'ils fassent partie de cette importante décision... Parce que je pense que vous l'avez souligné, j'imagine que ça a été une grosse nouvelle quand vous leur avez annoncé. Ça a dû être une onde de choc assez importante, j'imagine, au sein de l'entreprise. Est-ce que, justement, cette décision-là va venir changer quelque chose pour vos employés?

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Non. Nous, bien, premièrement, ce qu'on a fait, c'est que, un, on a fait l'annonce, on a passé une heure après à répondre aux questions de nos employés. Puis évidemment il était quand même certain qu'ils étaient sous le choc, là. C'était une nouvelle qui était très importante pour eux.

Après ça, ce qu'on a fait dans la semaine qui a suivi... les deux semaines qui ont suivi, c'est qu'on les a rencontrés en petits groupes, des petits groupes de travail pour encore leur permettre de nous poser toutes les questions, une fois qu'ils ont eu la chance un peu de réfléchir à la nouvelle structure puis de formuler leurs questions puis leurs inquiétudes. Les employés, les syndicats, encore, ont très, très bien réagi. On a répondu à toutes leurs questions. Donc, ça, c'est dans un premier temps, en termes de les rassurer.

Au niveau de la convention collective, nous, c'est clair qu'on va respecter les conventions collectives telles qu'elles existent aujourd'hui. On vient de signer une convention collective avec la FTQ, essentiellement, pour un groupe de nos employés. On va respecter tous les termes et conditions de cette convention collective là.

Également, on a annoncé qu'on allait mettre sur pied un fonds de pension qui serait miroir au fonds de pension qui existe aujourd'hui. Donc, il va y avoir zéro changement dans le fonds de pension, et, comme on a annoncé également, Power Corporation s'est dite disposée, encore avec l'accord des syndicats, de garder, essentiellement, les obligations passées du fonds de pension, basé sur la continuité des affaires.

M. Crevier (Guy) : Et vous avez raison, Mme la ministre, de dire que, quand on a annoncé la nouvelle, les gens étaient inquiets. Mais, si j'essayais de tracer le portait de la situation présente à La Presse aujourd'hui, là, tu sais, quelques semaines après notre annonce, moi, je vous dirais que la majorité des employés sont inquiets de na pas savoir qu'est-ce qu'il va arriver avec la structure corporative.

Aujourd'hui, ce n'est plus une inquiétude qui est liée au fait qu'on devienne une structure à but non lucratif. C'est bien accepté par l'ensemble de nos employés. L'inquiétude aujourd'hui, c'est de dire : Est-ce qu'on va être capables de se transformer rapidement? Est-ce que les parlementaires vont accepter de nous traiter comme les autres journaux au Canada sont traités? Puis moi, je vous dirais aussi, j'ai énormément de respect pour les employés de La Presse, pour les syndicats, pour tous les gens qui ont été nos partenaires dans cette aventure-là. De changer la structure de fonctionnement d'une entreprise qui est centenaire et qui est syndiquée, ce n'est pas facile, et les gens ont fait preuve d'énormément d'ouverture et de collaboration. Ils ont travaillé fort, ils ont innové. Vous voyez, on a été les premiers au monde à faire La Presse+.

Donc, les gens ont été très innovateurs. Ils veulent poursuivre cette innovation-là, ils veulent poursuivre... Ils appuient le plan qu'on met en place, mais ils aimeraient être capables de bouger rapidement. Donc, il y a une forme, je dirais, des employés de La Presse, de cri du coeur à l'endroit des parlementaires, de dire : Ne nous laissez pas dans un no man's land, dans un endroit où est-ce qu'on ne sait pas où on va, ce qu'on va faire et comment on va pouvoir gérer notre avenir collectivement, ensemble.

La Présidente (Mme de Santis) : Mme la ministre.

Mme Montpetit : Oui. Donc, ce que vous nous dites, c'est que cette période d'instabilité liée au fait d'être régi par l'Assemblée nationale, de ne pas savoir la suite des choses par rapport à l'adoption ou pas de ce projet de loi, alimente cette inquiétude-là auprès des employés.

M. Crevier (Guy) : Je vous dirais qu'il y a deux éléments dans ça. Premièrement, ce n'est pas juste d'être régi par l'Assemblée nationale, parce que nous, on espère qu'en bout de ligne le gros bon sens va prévaloir puis que ça va être... mais il n'y a pas juste les exigences de l'Assemblée nationale, il y a aussi le processus parlementaire, hein? Il faut réaliser qu'on est dans un processus parlementaire qui est somme toute... même nous, on a découvert ça avec beaucoup de surprise. Il faut réaliser qu'aujourd'hui nous avons besoin de l'unanimité, hein, des parlementaires, O.K.? Si jamais on décidait de repousser la question à l'automne, il n'y a rien qui nous garantit que l'Assemblée nationale va siéger avant le 15 novembre. Donc, si jamais l'Assemblée nationale ne siège pas avant le 15 novembre, nous allons retourner exactement à la même situation d'aujourd'hui, O.K.?

Donc, ça va nous pousser au printemps ou au début 2019. Début 2019, si on arrive, nous, avec une proposition d'une loi privée, est-ce qu'elle va être entendue avant les lois publiques qui vont être amenées par un nouveau gouvernement? Je ne pense pas.

Donc, ça va nous repousser au mois de mai, juin prochain, O.K.? Donc, mai, juin prochain, c'est une année complètement perdue. Puis je reprends les paroles de M. Levasseur, qui étaient très précises, tu sais. Il y a quelques années de ça, on se battait pour s'accaparer de 50 % des revenus numériques, qui sont quand même aujourd'hui de 6,3 milliards. 80 %, aujourd'hui, sont dans les mains beaucoup des Facebook, et, si on ne fait rien, ça va être 90 % dans pas grand temps. Donc, il y a urgence d'agir.

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Oui, puis je rajouterais juste à ce point-là, c'est que, le plan qu'on a développé, ça fait des mois qu'on travaille à regarder des options, puis on a finalement proposé le plan qui est vraiment le meilleur plan pour La Presse. Mais il faut réaliser que le 50 millions de dollars de Power Corporation, il n'existe pas sans ce plan-là. On a 50 millions, le 50 millions fait partie d'un plan global, il fait partie de... Une partie du plan, c'est qu'on reçoit 50 millions qui nous permettent de poursuivre notre transformation d'une façon ordonnée, puis l'autre partie du plan, c'est qu'on ouvre les portes à du financement additionnel, du financement qui ne nous est pas disponible aujourd'hui.

Donc, si je n'ai pas... si la loi n'est pas... si on n'abroge pas la loi dans cette session parlementaire ci, moi, je me retrouve face à une situation où il faut que je retourne plusieurs mois en arrière puis que je trouve une... j'essaie de trouver une autre option, une autre option qui ne va certainement pas être aussi bonne que l'option qu'on propose aujourd'hui. Elle ne sera pas aussi bonne pour nos employés, elle ne sera pas aussi bonne pour nous, elle ne sera pas aussi bonne pour la société québécoise. Ça, c'est clair.

La Présidente (Mme de Santis) : Mme la ministre, 38 secondes.

Mme Montpetit : Bien, de ce que j'entends, dans le fond, c'est vraiment : pour vous, comme plus grosse salle de presse francophone en Amérique du Nord, il y a urgence d'agir, il y a urgence de vous redonner la liberté de prendre vos décisions, comme c'est le cas pour l'ensemble des médias au Québec, pour la suite des choses pour vous. Merci.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci, Mme la ministre. Maintenant, la parole est au député de Matane-Matapédia pour neuf minutes.

M. Bérubé : Merci, Mme la Présidente. Messieurs, bienvenue à l'Assemblée nationale.

Alors, j'entendais il y a quelques instants la ministre libérale nous indiquer qu'il est important que le politique ne s'ingère pas dans les médias, voire les médias écrits aujourd'hui. J'indique à la ministre que c'est toujours bien son gouvernement qui, en décembre 2017, a fait le choix politique d'accorder un prêt de 10 millions à Capitales Médias. C'est une décision politique. Consentir à un nouveau modèle qui permet d'aller chercher des revenus tant d'Ottawa et de Québec, c'est une décision politique également.

Ce nouveau modèle qui permettrait à La Presse d'avoir un avantage que d'autres médias n'ont pas, bien là, ça pose une autre question d'équité. Lorsque, M. Crevier, vous indiquez que vous voulez être traités avec équité, le nouveau statut vous donnerait des avantages que d'autres médias n'ont pas. Alors, je tiens à le préciser parce que c'est important de le réitérer. Il y a des décisions politiques qui se prennent et, à Ottawa, il y aura d'autres décisions qui vont se prendre quant à la philanthropie, quant aux conditions d'accessibilité aux reçus de charité. Tout ça, c'est des décisions politiques. Alors, oui, il s'en prend, des décisions politiques qui ont un lien avec les médias.

Ma première question. M. Levasseur, vous avez dit au micro de Paul Arcand, vous avez expliqué que la fiducie devra préserver la mission du journal, soit d'offrir une information de qualité, mais qu'elle devra s'assurer du respect des principes éditoriaux établis depuis 1972. Les résultats de l'application de ces principes éditoriaux sont bien connus. Alors, ma question, et vous l'avez un peu réitéré tout à l'heure : Est-ce dans vos intentions de préserver ces concepts-là, ce principe-là, même si ça va à l'encontre des principes qui guident l'octroi d'un financement fédéral?

M. Crevier (Guy) : Est-ce que tu veux que je réponde, Pierre-Elliott?

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Bien, en partie, là.

M. Bérubé : Sur les propos de M. Levasseur.

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : En tout cas, tu peux commencer, puis je vais y aller.

M. Crevier (Guy) : Bon, première des choses, aujourd'hui, on...

M. Bérubé : ...en tout respect, c'était sur les propos d'abord de M. Levasseur à Paul Arcand.

M. Crevier (Guy) : Ah! O.K., excusez-moi, je vais laisser M. Levasseur...

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Bien, écoutez, premièrement, dans un premier temps, vous parlez du lien entre l'octroi d'un statut de bienfaisance à Ottawa avec une position éditoriale. Moi, je pense que tous les journaux en Amérique du Nord prennent position, prennent position sur plusieurs sujets dans notre société. Premièrement, le gouvernement fédéral a tracé une ligne pour l'obtention d'un financement éventuel, une ligne qui était une ligne de philanthropie. Ce n'est pas nous qui avons proposé cette ligne-là, c'est une ligne que le gouvernement fédéral a tracée. Nous, ce qu'on dit, c'est qu'on va laisser les travailleurs, les fonctionnaires au fédéral travailler. On n'a aucune idée de ce que cette proposition-là d'Ottawa va être, et ça, c'est dans un premier temps.

• (12 h 10) •

Deuxièmement, nous, ce qu'on demande au gouvernement fédéral, c'est un crédit d'impôt de 35 % sur la masse salariale de la salle de rédaction. C'est ça qu'on demande à Ottawa, puis on demande que ça soit un programme qui est universel. Ça, c'est ce qu'on demande principalement à Ottawa. Si jamais on obtient le statut d'oeuvre de bienfaisance... On sait qu'aujourd'hui on n'y a pas accès. On pourrait y avoir accès si jamais le gouvernement décidait de changer la définition d'une entreprise qui aurait accès à... le statut d'oeuvre de bienfaisance. Mais, encore, ce n'est pas nous qui allons dicter aux fonctionnaires ou au gouvernement quoi faire à ce niveau-là.

Deuxièmement, ce n'est pas ce qui est le plus important pour nous. Pour nous, d'obtenir le statut d'oeuvre de bienfaisance ne nous empêchera pas d'aller voir nos anciens abonnés, par exemple, et leur demander de faire une contribution financière à La Presse pour assurer sa mission et assurer ses opérations futures. Vous le savez...

La Présidente (Mme de Santis) : ...les réponses assez courtes, sinon, il n'y aura...

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : O.K. Donc, je vais juste terminer rapidement. Je vous donne juste l'exemple : dans le passé, quand quelqu'un donnait 200 $, exemple, à La Presse, il y avait une partie de cet argent-là qui allait pour la mission puis les opérations de La Presse, puis il y avait le reste de l'argent qui allait à l'actionnaire. Aujourd'hui, on dit : Bien, si vous pouvez nous aider avec 200 $, tout l'argent va aller à la mission puis aux opérations.

La Présidente (Mme de Santis) : M. le député.

M. Bérubé : Mme la Présidente, dans les critères de reconnaissance du statut d'organisme de bienfaisance par l'Agence du revenu du Canada, c'est très clair, ce qui est proscrit : promouvoir les intérêts d'un parti politique, appuyer un candidat à une charge publique, promouvoir un ensemble d'idées à caractère politique, tenter de changer ou de s'opposer à des modifications à la loi, aux politiques gouvernementales ou à une décision du gouvernement, et essayer de convaincre la population d'adopter une position spécifique sur une question sociale.

Or, il se trouve que, depuis 1970, invariablement votre journal appuie toujours la même formation politique et la même position constitutionnelle. Alors, il m'apparaît que c'est un positionnement très clair de La Presse. Si ce n'est pas si important pour vous pour la suite et c'est vraiment l'avenir du journal, pourquoi ne pas abandonner cette question?

M. Crevier (Guy) : Bien, premièrement, M. Bérubé, vous avez, dans votre «statement» tantôt, fait une erreur, à mon point de vue, fondamentale. La décision qu'on demande aujourd'hui n'est pas d'adopter un statut de charité pour La Presse. La décision qu'on demande aujourd'hui, c'est de nous donner un statut d'OBNL. Donc, quand on a un statut d'OBNL, on est sur le même pied d'égalité que tout le monde.

On ne demande pas un statut de charité. C'est quand Ottawa va accorder... Quand Ottawa va définir c'est quoi, un statut de charité, c'est là peut-être qu'il y a un risque d'avoir un débalancement par rapport aux autres. Mais demain matin, en abrogeant la loi, il n'y a aucune iniquité, O.K.? La seule chose que nous, on dit, c'est que, l'argent qu'on va demander, qu'on va recueillir de nos abonnés, on ne les versera pas à un actionnaire, on va investir ça à la qualité de l'information.

Maintenant, sur nos prises de position éditoriale, je veux dire, c'est reconnu en Amérique du Nord qu'un média prend des positions éditoriales. Donc, je ne vois pas en quoi la situation change demain matin.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. M. le député.

M. Bérubé : Alors, je comprends que vous allez le maintenir. Et vous avez l'appui, j'imagine, de toutes les personnes qui vont appuyer le projet de loi, qui souhaitent également maintenir cette position. On aura l'occasion de les questionner.

M. Crevier (Guy) : ...M. Bérubé, oui.

M. Bérubé : Mais je veux compléter avec une question. J'ai peu de temps, M. Crevier.

M. Crevier (Guy) : D'accord.

M. Bérubé : Question de gouvernance. Qui va recommander la présidence du conseil d'administration et sur quels critères?

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Le premier président du conseil, c'est moi qui vais recommander le... C'est moi qui vais choisir le président du conseil. Et puis il faut réaliser une chose, là, premièrement, on habite dans un monde où on travaille dans une industrie qui est extrêmement complexe et on compétitionne, on concurrence contre deux géants américains qui ont 80 % de parts de marché de notre... Oui?

La Présidente (Mme de Santis) : S'il vous plaît, tenez votre réponse à...

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Moi, je n'ai pas de problème. Premièrement, c'est un monde qui est extrêmement complexe. Deuxièmement, demain, La Presse... Oui?

M. Bérubé : ...on a très peu de temps, M. Levasseur. En tout respect, j'ai eu ma réponse, vous l'avez bien fournie.

Donc, ma question : Si vous nommez cette personne-là, vous recommandez, qui est votre patron? Quelqu'un que vous avez nommé?

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : La responsabilité de faire le contrepoids à la direction de La Presse revient à l'ensemble du conseil, ne revient pas uniquement au président du conseil. Le président du conseil, lui, va nommer, d'une façon totalement indépendante, les autres membres du conseil.

La Présidente (Mme de Santis) : Oui, M. le député.

M. Bérubé : Donc, si je comprends bien, M. Levasseur, vous êtes la personne qui allez choisir celui qui est votre patron. Donc, vous vous rapportez à quelqu'un que vous avez nommé et qui vous est redevable. C'est la position que vous nous...

Une voix : ...

M. Bérubé : M. Levasseur, s'il vous plaît. C'est la question que vous nous soumettez, en termes de gouvernance, qui est acceptée par toutes les personnes qui appuient ce projet de loi.

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Demain matin, La Presse, si la loi est abrogée, va se retrouver orpheline. On n'aura pas d'actionnaire indépendant physique, si vous voulez, comme on en a aujourd'hui. Si vous regardez des compagnies qui sont en mode de démarrage... Nous, on va être orphelins. Donc, si vous regardez des compagnies privées ou des compagnies qui sont en mode de démarrage, il n'y a rien d'unique qu'un propriétaire, ou quelqu'un qui est en mode démarrage, ou une compagnie privée nomme le premier président.

Deuxièmement, qu'un premier président, une fois, soit nommé par la direction et qu'après ça il fait partie d'un groupe de six à huit membres du conseil, c'est beaucoup, beaucoup d'indépendance.

La Présidente (Mme de Santis) : M. le député, 45 secondes.

M. Bérubé : Alors, j'aimerais que vous puissiez nous fournir la liste des postes réservés. Par exemple, est-ce qu'il y a des postes de journaliste, de lecteur... puisse fournir ça aux membres de la commission. Je comprends que vous allez faire cette recommandation. Est-ce que le propriétaire actuel de La Presse vous a demandé de tenir compte d'une de ces recommandations, d'abord, quant à la présidence? Et je veux savoir également qui vous a nommé, vous, comme président.

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : ...c'était le conseil d'administration qui m'a nommé comme président. Et deuxièmement... Votre question, pardon?

M. Bérubé : ...est-ce que la famille Desmarais, qui va accorder ce statut, qui va... le 50 millions et tout ça, est-ce qu'on vous a demandé de tenir compte d'une recommandation qu'elle pourrait faire? Ça n'a pas été le cas?

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Non.

M. Bérubé : Parfait. Donc, en résumé...

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. Maintenant, c'est terminé. Merci, M. le député. La parole est à la députée d'Iberville.

Mme Samson : Merci, Mme la Présidente. Messieurs, rebonjour.

Moi, je ne vous demanderai pas de détails sur votre plan stratégique, d'abord parce que La Presse qu'on connaît a toujours oeuvré dans un environnement excessivement compétitif, c'est-à-dire les médias traditionnels. La Presse, si on approuve ce projet de loi, évoluera dorénavant dans deux environnements excessivement compétitifs. Donc, ça double le défi, là. La concurrence va venir de partout, du numérique, du traditionnel, et tout ça. Et je serais plutôt d'avis de vous conseiller de ne dévoiler aucun aspect de votre plan stratégique parce que c'est trop fragile, c'est trop... ça fragiliserait énormément votre organisation.

Et je pense qu'on peut se dire que M. Crevier et moi avons travaillé ensemble de nombreuses années au siècle dernier. D'ailleurs, il était blond à l'époque, mais... Je pense qu'on était tous les deux blonds, d'ailleurs. Et cette compétition-là, cette compétitivité-là dans l'industrie n'a pas changé. Elle est juste plus large, plus mondiale et plus importante. Et, quelque part, je suis heureuse de voir... En tout cas, je trouve ça rassurant de savoir que vous avez la complicité puis l'appui de votre personnel, parce qu'un tel virage, ça ne se fait pas tout seul, là, de toute façon. Donc, c'est peut-être un élément positif dans votre affaire.

Donc, je ne veux pas voir votre plan d'affaires. J'aurais aimé ça, par exemple, là, parce que c'est assez fascinant pour quiconque s'intéresse à la chose, mais ce n'est sûrement pas la chose à faire.

Et moi, je vais vous faire une allusion, puis vous allez me corriger, là, si ce projet de loi est adopté puis qu'on abroge l'article 3, là, ça va être une tentative de sauvetage de La Presse. Et, quelque part, est-ce que je me trompe si on va pouvoir vous regarder aller comme une petite bibitte dans un laboratoire, parce que vous serez la première entreprise à aborder ce virage-là avec autant de force, là?

M. Crevier (Guy) : ...vous avez raison, dans un sens. Puis il y a eu un rapport qui a été fait, au Canada, sur l'industrie des médias, qui est pas mal le meilleur... le rapport le plus vaste qui s'est fait dans les 10 dernières années, et, à de nombreux endroits, La Presse a été citée comme étant le média le plus innovateur dans sa volonté de faire un changement dans un monde numérique. Et, moi, la seule réponse que je voudrais ajouter à ça, c'est qu'il n'y a personne au monde, aujourd'hui, qui a trouvé la recette, hein? Donc, il y a des risques, hein, pour tout le monde, mais c'est un environnement qu'il est très difficile de se battre contre deux grands géants américains comme ça.

Et La Presse, on n'est pas un journal concentré non plus. On est seuls, hein? Puis c'est en dehors des Américains qui contrôlent 80 % des revenus. On se bat contre deux grands conglomérats, qui est Bell Média puis Québecor, qui est hyperconcentré dans un petit marché qu'est le Québec, hein, qu'on ne voit pas souvent ça dans des sociétés démocratiques, une concentration aussi forte que celle-là.

Mme Samson : Mais est-ce qu'on peut dire que cet exercice-là de sauvetage, si ça ne marche pas, c'est fini, là?

M. Crevier (Guy) : Bien, moi, j'ai...

Mme Samson : Bien, il y a toujours une vente possible pour une piastre, là.

• (12 h 20) •

M. Crevier (Guy) : Non, je pense que c'est un sujet qui est en évolution. Je pense que La Presse, on retourne en arrière, a toujours fait preuve d'innovation depuis l'an 2000. On a adopté des concepts qui étaient nouveaux. Quand on a fait l'impartition, on était les premiers à faire ça. D'autres journaux ont copié par la suite. On n'était pas les premiers au monde, mais, tu sais, on a été les premiers ici, au Québec, à faire ça. Donc, c'est une évolution, hein? Donc, il faut suivre attentivement les changements puis s'y adapter.

Mme Samson : Il y a-tu un modèle au monde qui marche? C'est-u le Philadelphia Tribune qui fonctionne un peu sur ce modèle-là?

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Bien, il y a deux... Il y a plusieurs exemples. Entre autres, vous faites référence probablement au Philadelphia Inquirer. Ça, c'en est un qui a adopté un modèle similaire à celui qu'on propose. Il y a également le Guardian. Encore, ils ont leurs propres particularités. Dans aucun des deux cas, ce n'est exactement ce que nous, on propose. Nous, ce qu'on propose, c'est un modèle qui est adapté à notre réalité. Donc, il y a quand même des différences entre notre modèle et ceux qu'on voit à l'extérieur, mais il y a des principes qui sont respectés, effectivement.

Mme Samson : J'imagine que, pour parachever votre virage numérique, il vous reste encore à consentir des investissements importants.

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Oui, bien, c'est pour ça, quand on regarde... Puis c'est une bonne question, parce que, pour nous, le modèle est en deux parties. C'est pour ça que la première partie du modèle... On parle beaucoup de la deuxième partie du modèle, qui est d'ouvrir les portes à diverses sources de financement, mais la première partie du modèle, c'est d'obtenir le 50 millions de dollars de notre actionnaire actuel pour nous permettre de poursuivre notre transformation d'une façon, puis ça, c'est important, ordonnée au cours des prochaines années.

Mme Samson : Parce qu'il vous reste encore différentes étapes à franchir, parce que les autres n'arrêteront pas d'évoluer non plus, là.

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Parce qu'il reste plusieurs étapes encore à franchir, c'est exactement ça.

Mme Samson : Il ne faut pas se conter d'histoire, là.

M. Levasseur (Pierre-Elliott) : Exactement.

La Présidente (Mme de Santis) : Mme la députée, 50 secondes.

Mme Samson : Bien, 50 secondes, moi, comme je n'aurai plus l'occasion de vous reposer de questions, à moins que j'appelle M. Crevier, mais je ne le ferai pas... Je pense que notre rôle ici, aujourd'hui, et dans la réflexion qu'on va faire avec nos collègues, c'est de... Moi, je ne vois pas comment on pourrait refuser ou ne pas accorder à La Presse une chance de survie et d'évoluer. Et puis moi, je vous le dis honnêtement, là, si ça se règle, ça va me faire un plaisir de regarder ça comme une petite bibitte de laboratoire, en espérant que ça permettrait aussi à d'autres entreprises québécoises d'aborder le virage sur lequel, j'estime, nous avons entre 15 et 20 ans de retard, à peu près.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Merci. Maintenant, la parole est à la députée de Vachon pour trois minutes.

Mme Ouellet : Merci, Mme la Présidente. Bonjour à tous. Avec mon trois minutes, on va essayer de faire au plus vite.

Donc, je voulais revenir sur un premier élément : l'urgence. Vous nous avez dit que ça faisait des mois que vous étiez en train d'étudier le modèle d'affaires. M. Crevier, par téléphone, m'a même dit que c'était au-delà d'un an. Donc, je pense que... je suis un peu surprise que vous nous arriviez comme ça en toute fin de session parlementaire, où, là, il faut sortir de l'ensemble des règles.

De deux choses, l'une : ou bien donc c'est un hasard, et là, à ce moment-là, vous avez été très, très, très mal conseillés — je suis assez surprise que, pour une entreprise de l'ampleur de Power Corporation, vous n'ayez pas les informations de comment fonctionne l'Assemblée nationale — ou bien donc ce n'est pas un hasard, et, à ce moment-là, vous arrivez et dépassez les délais et... une façon de mettre de la pression sur les élus pour qu'on fasse les choses très rapidement puis un petit peu escamoter les débats.

Et moi, je ne partage pas du tout votre avis que ce ne sera pas possible de le déposer avant le 15 novembre. Moi, je pense que ça serait tout à fait possible et même normal que la session parlementaire, la prochaine, commence avant le 15 novembre et donc, à ce moment-là, les choses puissent se faire à la session prochaine. Je pense que vous êtes en train de nous faire des scénarios catastrophes, et je ne voudrais pas qu'on rentre là-dedans, puis je ne voudrais pas que vous utilisiez ces scénarios catastrophes là pour nous mettre de la pression supplémentaire.

Mais ma question n'est pas sur cet alignement-là. Moi, mon enjeu, c'est vraiment le maintien des emplois, et vous nous avez dit que La Presse était déficitaire. Et, moi, on m'a informée, je ne sais pas si c'est exact, parce que vos états financiers ne sont pas publics, moi, on m'a informée que La Presse était déficitaire depuis une vingtaine d'années. Donc, ce ne serait pas seulement que les Google, les Facebook de ce monde. Et j'aimerais savoir, dans un premier temps : Est-ce exact?

Et on m'a informée également que le niveau de déficit de l'année passée pouvait s'élever à plusieurs dizaines de millions de dollars. Est-ce que vous pourriez nous informer du niveau de déficit de l'année passée? Parce que vous nous dites : On sait très bien où est-ce qu'on s'en va, on sait quoi faire, et, M. Levasseur, vous nous dites aussi, même : Je vais moi-même choisir le prochain...

La Présidente (Mme de Santis) : ...secondes.

Mme Ouellet : ...président, mais il y a eu des déficits dans les années passées. Donc, est-ce exact, les 20 dernières années et le déficit de l'année passée?

M. Crevier (Guy) : Deux choses. Premièrement, quand on a fait connaître notre décision d'aller dans une structure à but non lucratif, c'est exactement six jours après que ça a été adopté au conseil de Power Corporation. Donc, on a suivi un processus qui est un processus normal. Ce n'est pas facile d'aller présenter un dossier comme celui-là.

Sur les états financiers, moi, ce que je vous dirais, c'est que ni les états financiers du Journal de Montréal, ni LeJournal de Québec, ni ceux du Devoir d'ailleurs ne sont connus et publics, O.K.? Nous, on a quand même pris nos états financiers, en tout cas nos résultats financiers, puis on les partage depuis déjà, je pense, je ne veux pas vous induire en erreur, au moins quatre, cinq ans avec nos employés. Mais, quand on est tout petit, dans un monde médiatique qui est grand et aussi concentré que certains groupes le sont, si on fait connaître nos états financiers chaque année, ça va permettre à ces groupes-là de nous attaquer directement puis de voir le résultat de leur attaque. On est tout petit, La Presse. On est seuls, hein? On n'est pas concentrés. On est le seul groupe...

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, M. Crevier.

M. Crevier (Guy) : ...pas concentré. Merci.

La Présidente (Mme de Santis) : Alors, M. Crevier, M. Levasseur, M. Trottier, merci beaucoup d'avoir contribué aux travaux de la commission.

Je suspends les travaux quelques instants afin de permettre aux représentants de Power Corporation du Canada de prendre place.

(Suspension de la séance à 12 h 26)

(Reprise à 12 h 28)

La Présidente (Mme de Santis) : Alors, nous reprenons nos travaux. Je souhaite la bienvenue aux représentants de Power Corporation du Canada. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, puis nous allons procéder à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite à vous présenter, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.

Power Corporation du Canada

M. Desmarais(André) : Alors, merci, Mme la députée et Mme la Présidente de la commission. Bonjour à tout le monde, merci de nous accueillir, Mme la ministre de la Culture et des Communications, Mmes et MM. les membres de la commission.

Je suis accompagné de M. Jacques Parisien, président de Power Communications, qui siège sur le conseil d'administration de La Presse, ainsi que M. Arnaud Bellens, vice-président de Power Corporation du Canada.

Je débuterais en répondant tout de suite à la question que plusieurs se posent et que vous vous posez fort probablement aussi : Pourquoi Power Corporation, ma famille et moi avons-nous accepté de nous départir de La Presse sans bénéfice, en choisissant de contribuer financièrement à la mise sur pied d'une nouvelle structure à but non lucratif? La réponse à cette question relève d'une longue réflexion à la fois sur le rôle que joue un média comme La Presse au sein d'une démocratie et, plus largement, sur l'évolution de l'industrie de la presse écrite de ces dernières années.

Power Corporation et ma famille sommes associées à La Presse depuis plus de 50 ans. Nous avons indéniablement prouvé notre attachement à une institution qui a marqué notre histoire et qui demeure une référence en matière d'information. De tout temps, nous avons privilégié le maintien d'une salle de nouvelle forte et indépendante. Nous avons toujours appuyé la mission de La Presse, qui est de produire chaque jour, pour un public francophone, une information de qualité, rigoureuse et basée sur des faits. Ce mandat me semble encore plus important au Québec, un marché francophone dans un univers nord-américain.

• (12 h 30) •

C'est d'ailleurs pourquoi je suis ici ce matin pour appuyer la direction de La Presse. Je vous demande, pour une question d'équité avec les autres médias, de lever la disposition de la loi privée de 1967 afin de permettre à La Presse d'adopter un modèle qui lui donnera les meilleures chances de poursuivre sa mission. Vous êtes bien placés, comme parlementaires, pour savoir qu'une saine démocratie repose sur des institutions collectives comme la vôtre, mais aussi sur un écosystème médiatique fort et diversifié et qui a les moyens de remplir l'important rôle qu'il doit jouer. Or, voilà, cet écosystème est remis en question.

Jusqu'à récemment, le modèle d'affaires d'un journal n'avait rien de bien compliqué. Il s'appuyait essentiellement sur deux grandes sources de revenus, les abonnements et la publicité. Le problème auquel on fait face aujourd'hui, la presse écrite, c'est que, depuis 25 ans, les journaux assistent à un déclin continu de leurs revenus d'abonnement et de leurs revenus publicitaires. C'est dans ce contexte que l'équipe de la direction en place est arrivée à la conclusion, en 2009, qu'il fallait modifier le modèle d'affaires de La Presse. Et, comme propriétaire, j'avoue être très fier du chemin parcouru depuis par une équipe de direction et de rédaction, quand je regarde La Presse+ qui connaît un grand succès d'adhésion et d'estime de ses lecteurs.

Mais, malgré ce grand succès, nous devons reconnaître ses limites. Au moment de concevoir La Presse+, nous n'avions pas prévu, et personne ne l'avait prévu, que deux géants américains viendraient dans un délai aussi rapide, avec une vélocité aussi forte, ébranler aussi considérablement le système des médias. Il y a une statistique qui résume à elle seule le problème, c'est que Facebook et Google aujourd'hui contrôlent près de 80 % de tous les revenus publicitaires numériques au pays. Cette domination sans précédent des entreprises numériques étrangères nous oblige tous à repenser nos façons de faire pour assurer la pérennité des médias, surtout au Québec.

Devant les difficultés de la presse écrite, le gouvernement du Québec a promptement réagi en offrant à toutes les entreprises un programme universel de crédit d'impôt pour favoriser la conversion au numérique. Le gouvernement fédéral, pour sa part, a signifié dans son dernier budget son intention de contribuer lui aussi, mais il y a clairement précisé ses réticences, que je comprends bien, à aider financièrement des médias qui sont la propriété de familles riches ou de grandes entreprises. C'est pourquoi la direction de La Presse, après réflexion approfondie, est venue à la conclusion qu'il fallait changer de structure. Face aux impacts dévastateurs qui se font sentir, la viabilité des médias traditionnels, la production d'une information de qualité rigoureuse et basée sur les faits ne peut plus être l'affaire d'une seule entreprise.

La Presse a toujours occupé une place particulière pour notre famille et pour Power Corporation. C'est un héritage de mon père. Et il est certain que voir cette institution quitter notre entreprise nous fait un pincement au coeur. Cependant, dans le nouveau contexte du marché, il est difficile pour la société privée de soutenir seule une grande organisation nouvelle telle que La Presse. J'ai ainsi la conviction que le transfert de La Presse à une structure à but non lucratif est dans le meilleur intérêt du journal et de ceux qui le font, tous les travailleurs, et de ceux qui le lisent, ou la lisent. Mais je tiens à préciser que cela est loin d'être un abandon quand on considère ce que nous avons soutenu comme transformation au cours des dernières années et ce que nous faisons aujourd'hui en investissement dans son avenir.

Comme actionnaires responsables, en effet, nous avons voulu démontrer l'attachement et le respect de notre famille, de Power Corp, et nous avons toujours eu envers cette grande institution, en offrant une contribution financière qui se traduit en nos convictions en faveur d'une presse libre et forte. La contribution de 50 millions de dollars servira essentiellement à poursuivre de façon ordonnée un développement technologique de La Presse et de ses plateformes et à continuer de remplir sa mission : produire une information de qualité pour un marché francophone.

Et, bien que nous n'ayons aucune obligation au chapitre des fonds de pension de La Presse, Power a volontairement décidé de mettre en place, avec la collaboration des syndicats, un mécanisme afin de conserver sous sa charge les obligations passées du régime de retraite sur une base de continuité des affaires. Cela aura, entre autres, pour conséquence de réduire les charges financières futures de La Presse, tout en étant à l'avantage des retraités et des employés actifs et inactifs qui ont accumulé les rentes jusqu'à date de la mise en place de cette nouvelle structure.

Cela dit, il est important de noter que la fiducie d'utilité sociale qui chapeautera La Presse sera totalement indépendante de Power Corp. Nous avons en effet toujours fait preuve de la plus grande indépendance par rapport à La Presse et à ses salles de nouvelles. D'ailleurs, au moment de l'annonce du changement de structure, le président du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse s'est spontanément exprimé pour remercier ma famille à cet égard.

Cela dit, je fais confiance aux dirigeants actuels de La Presse et j'accepte le plan qui a été déposé et qui vise à garantir une indépendance totale à la future structure à but non lucratif. Ni moi, ni ma famille, ni Power Corporation n'aurons le droit de regard sur le choix du fiduciaire ou le président du conseil d'administration.

Et, pour terminer, il est important de rappeler que nous sommes tous ici ce matin dans le seul but, c'est... d'assurer une pérennité d'un journal qui joue un rôle essentiel dans la société québécoise depuis plus de 100 ans. Nous sommes le seul média d'information, au Québec, tributaire de l'accord de l'Assemblée nationale pour implanter ces changements nécessaires face à un environnement de turbulence. Cette situation est inadéquate, d'autant plus que les changements que projette La Presse s'inscrivent dans l'esprit de la loi de 1967. La Presse souhaite innover pour préserver l'une de ses grandes salles de rédaction au pays et plus de 500 emplois. Ma famille et moi, ainsi que Power Corporation sommes parfaitement en accord avec la démarche initiée par la direction du journal. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci, M. Desmarais. Maintenant, nous allons procéder avec la période d'échange. Mme la ministre, la parole est à vous pour 15 minutes.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. M. Desmarais, bonjour, M. Parisien, M. Bellens. Merci pour votre exposé. J'imagine qu'effectivement pour Power ça doit être une décision qui n'est pas facile à prendre compte tenu du lien... du long lien historique qui lie votre famille à ce quotidien. J'aimerais ça, d'entrée de jeu, aborder le fait que, bon, je pense qu'il n'y a personne de mieux placé pour être au courant de la situation du journal que ceux qui y travaillent, que ceux qui dirigent, que ceux qui en sont les propriétaires. Et aujourd'hui vous venez tous nous rencontrer et vous faites front commun, donc je présume que vos relations, notamment avec les syndicats, sont bonnes, avec les employés également.

Vous nous parliez, justement, de La Presse, dont les succès d'adhésion... l'adhésion est un succès, qui a réussi à renouveler son lectorat, qui a gagné plusieurs prix aussi au cours des dernières années. N'avez-vous pas le goût de continuer, justement, à participer à la transformation numérique de ce journal-là? Pourquoi prendre cette décision-là et pourquoi la prendre aujourd'hui aussi? Pourquoi ne pas l'avoir prise l'année dernière? Je pense qu'on vous posait la question, je pense que c'est pertinent pour les membres de cette commission-là de comprendre pourquoi. Je comprends qu'il y a un processus parlementaire à travers ça. Mais pourquoi, votre décision, vous la prenez au printemps 2018, vous ne l'avez pas prise l'année dernière? Pourquoi ne pas attendre un an encore pour la prendre?

M. Desmarais (André) : Moi, je crois que... Premièrement, oui, j'aimerais continuer de participer au développement de La Presse. Ce serait merveilleux, mais ce ne sera pas possible. Et j'accepte ça. Je pense que l'important, c'est sauver La Presse et s'assurer de sa pérennité. Et je crois sincèrement... Et nous sommes venus à la conclusion, après pas mal de temps de réflexion... Parce que, vous avez raison, quand on a un actif, ça fait 50 et quelques années qu'on l'a dans la famille et dans la société, ce n'est pas une décision facile de dire : On va se départir et laisser partir l'actif. On a quand même un attachement assez spécial à La Presse. Ça a toujours été, puis ça a été avec mon père, puis ça a été avec moi.

• (12 h 40) •

Cela dit, il y a des choses qui se passent, économiquement, qui sont réelles. Et on a vu ses débuts, mais on n'a pas vraiment conçu la sévérité de l'engouement, si vous voulez, de Google et de Facebook et de leur façon de pouvoir prendre du terrain dans la tarte publicitaire. C'est incroyable, ce qui s'est passé. Et, lorsqu'on a regardé cela sur le long terme, on avait vu assez rapidement, je vous dis, au début de cette année, qu'il fallait penser à une décision quelconque. On n'avait pas encore formulé le plan en tant que tel, on n'avait pas pensé à cette idée de créer un nouveau système qui permettrait à d'autres gens d'y investir et permettrait au gouvernement de pouvoir y participer, permettrait toutes sortes de façons de lever des fonds.

Et donc c'est vraiment arrivé, moi, je vous dirais, par circonstances économiques, où nos chiffres et où la force de Google et Facebook ont vraiment démontré, là, que ce n'était pas quelque chose qui allait disparaître demain matin. Nous, on espérait, avec La Presse+, parce qu'on a quand même beaucoup de succès, que ça n'aurait pas été le cas. Et on a quand même 40 minutes de lecture par jour, 260 000 personnes... 2 600 000 personnes, et on s'était dit, tu sais : On va y arriver. Alors, c'est toujours le mois prochain. Tu vis sur l'espérance du prochain mois. Et finalement on est venus à la conclusion que, non, ils sont trop forts, il faut qu'on fasse quelque chose et il faut qu'on fasse quelque chose de sérieux.

Et l'autre raison est une raison beaucoup plus philosophique, si vous voulez, mais importante. Personnellement, je ne veux pas vivre au Kansas, je ne veux pas vivre en Oklahoma, je ne veux pas vivre au Wyoming. On est fiers d'être au Québec, on est ici, on parle le français et on a besoin d'un journal, on a besoin de la presse écrite qui raconte nos histoires tous les jours. Et ça, ça fait que nous sommes différents et ça nous aide à être qui nous voulons être, dans mon esprit en tout cas. Et je ne voulais pas me retrouver dans une situation où on agirait trop tard, et La Presse aurait été vulnérable, où elle ne pourrait plus se remettre. Moi, je crois qu'il y a... c'est toujours des jugements, ça, mais il y a une inflexion en ce moment, qui me semble importante, d'agir.

La Presse a un bon plan, ils ont l'argent, parce qu'on leur donne l'argent pour qu'ils puissent réussir ce plan, et je pense qu'ils le réussiront. Pierre-Elliott Levasseur, ça fait quand même 12 ans qu'il est à La Presse. Ce n'est pas un jeune homme, même s'il en a l'air, il a de l'expérience, et je pense que c'est le leader pour nous amener là. Et je pense que, s'il choisit un bon président de conseil qui a les connaissances nécessaires pour l'aider, puis, après ça, qu'il y ait un conseil qui va être choisi après ça, bien entendu, il sera en selle pour vraiment pouvoir faire quelque chose de bien. Et personnellement est-ce que j'aurais aimé ça participer? Parce que je vais le redire, oui, mais ce n'est pas raisonnable, et je le comprends, et c'est pour ça que j'ai accepté de me désister.

Mme Montpetit : Donc, je comprends que vous ne voyez pas d'autre alternative, à ce stade-ci, que de procéder à la décision que vous avez prise. Vous avez évalué différents scénarios, puis j'aimerais comprendre encore davantage, là. Vous nous parlez d'une question d'urgence, de survie de La Presse. Je l'ai mentionné plus tôt, là, je pense que c'est important de... Moi, comme ministre de la Culture et des Communications, je suis très préoccupée par toute la question de la vitalité de nos différents médias dans toute... de l'accès, aussi, à de l'information de qualité, de l'information diversifiée. Et, je le répète, on parle de la plus grande salle de presse francophone de l'Amérique du Nord. Quelle est votre lecture par rapport à la situation, justement, de ne pas procéder, de vous maintenir dans le modèle actuel? Est-ce qu'il y a urgence d'agir, il y a question, vraiment, de survie pour maintenir les emplois à La Presse?

M. Desmarais (André) : On fait tous nos jugements dans la vie. Personnellement, moi, je crois que La Presse, telle quelle, aurait beaucoup de difficultés à survivre. Il faut investir dans les nouvelles technologies qui lui permettront d'affronter et de vraiment pouvoir prendre sa place. Elle ne tuera pas Google et Facebook, il ne faut quand même pas être fous, là, mais sa juste part de la publicité, c'est tout ce qu'on a de besoin. Et pour ça il faut faire des investissements, et il faut les faire rapidement, puis il faut qu'on se lance pour s'assurer que l'on puisse aussi être beaucoup plus impliqué avec le mobile. Je veux dire, il y a toutes sortes de stratégies à l'intérieur de ça. Donc, personnellement... On a regardé d'autres options, on avait des options, vendre... on avait toutes sortes d'options. Mais, quand on a la meilleure option, et surtout avec La Presse, est-ce qu'on peut se permettre de ne pas prendre la meilleure option? C'est vraiment la meilleure option. C'est l'option que le management croit qu'ils peuvent avoir pour réussir.

Et c'est tellement important. On parle de 240 journalistes. Il n'y a pas une salle comme ça, je pense, nulle part, probablement, en Amérique du Nord, excepté pour les très, très grands quotidiens, là, qui racontent tous les jours. Et, tous les jours, on a les débats, on a des gens d'opinions différentes qui s'expriment, et c'est fantastique, c'est ça qui crée une société riche, valable. Et La Presse contribue à ça tous les jours. Tous les jours, on a le pour et le contre sur certaines choses. Et on a des opinions, que ce soit M. Landry, que ce soit M. Chrétien, que ce soit M. Bouchard, M. Parizeau, ça ne fait rien. L'important, c'est qu'il y ait une multitude d'opinions qui permettent aux citoyens de s'enrichir d'idées. Et après ça, bien, ils décideront comment ils veulent vivre et faire leurs choses. Et La Presse a joué un rôle indéniablement important à cet égard. La façon dont elle a été gérée, si je peux le dire, par nous, on en est fiers. Mais c'est quelque chose d'important.

Alors, moi, je vous dirais : N'hésitez pas, parce que le danger d'hésitation, c'est le danger de ne pas pouvoir aller de l'avant assez rapidement pour être où on doit être. Et ça, c'est très dangereux, et surtout dans les marchés publicitaires d'aujourd'hui, et avec, si je peux dire, «the wolves», les forts, Facebook et Google, qui ont une force incroyable dans les marchés. Il faut qu'on puisse investir et aller de l'avant. Et moi, je pense que La Presse a l'équipe, puis ils ont l'intelligence, ils ont le «knowledge», ils l'ont démontré en créant La Presse+, ils ont vraiment la possibilité. Et ce qui leur manque maintenant, c'est le temps et de pouvoir arriver à leur objectif.

Mme Montpetit : On a entendu aussi que, toute la discussion qu'on a aujourd'hui, le projet de loi original part d'une chicane familiale, au siècle dernier, qui a dû être réglée, dans le fond, par la mise en place d'un premier projet de loi et qui s'est ensuivie par d'autres projets de loi.

M. Desmarais (André) : ...Berthiaume, pas nous autres, pas notre famille.

Mme Montpetit : Bien, exactement, mais je veux faire référence à... Avez-vous l'impression qu'à l'heure actuelle certaines personnes essaient de s'ingérer dans vos affaires familiales, qu'on vient politiser le débat autour de cette décision d'affaires?

M. Desmarais (André) : Oui, écoutez, je ne veux pas passer de jugement. Les gens ont des raisons différentes d'avoir des opinions, et je respecte les opinions des gens. Et je peux être en désaccord avec, mais ce n'est pas parce que je suis en désaccord que j'ai raison ou pas raison. Mais il est sûr que, quand on parle de médias et qu'on parle de cela... Vous avez entendu M. Levasseur et M. Crevier, je pense qu'ils vous ont parlé un tout petit peu de ce sujet-là, bien, je pense que, ce qu'ils ont dit est probablement le reflet de nos pensées, assez bien, en réalité.

Mme Montpetit : Peut-être deux dernières questions. Je pense que j'ai un collègue qui souhaiterait aussi échanger avec vous. Moi, j'aimerais comprendre, vous en avez parlé d'entrée de jeu, pourquoi votre conseil d'administration, dans le fond, a accepté d'approuver un don de 50 millions de dollars, c'est une grosse décision qui a été prise, et pourquoi aussi le conseil d'administration a accepté de reprendre la responsabilité des régimes de retraite. Je pense, c'est un élément qu'on a besoin de comprendre aussi.

• (12 h 50) •

M. Desmarais (André) : Bon, alors, les deux choses sont raisonnablement simples. On voulait s'assurer que La Presse ait une très, très grande chance de survie, et même plus qu'une chance de survie, mais une chance de réussir son plan. Et le chiffre avec lequel nous avons discuté et parlé beaucoup avec l'administration, c'était ce chiffre-là. Et le conseil d'administration ne voulait pas bêtement laisser La Presse partir, comme ça, dans le vent. On sent qu'on a une responsabilité sociale. Nous nous sommes quand même occupés de ce journal-là pendant bien des années, et c'était important que cette continuation d'éthique reste.

De ce qu'il y a sur les employés, c'est très simple. Mon frère, et moi, et, je pense, le conseil aussi, je devrais dire, sommes tous d'accord, tu ne peux pas avoir des employés qui ont travaillé pour vous toute votre vie et, juste parce que techniquement ils n'avaient pas un fonds de pension qui allait être protégé, que ça n'existerait plus. Et donc le conseil était d'accord avec nous de payer et de continuer de payer les rentes sur une façon de business, là, la continuité qu'on fera pour s'assurer que tous les gens qui ont travaillé pour nous pendant toutes ces années auront la retraite qu'ils méritent. Et alors c'est pour ça qu'on l'a fait.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci.

Mme Montpetit : En terminant, j'aurais mon collègue de D'Arcy-McGee qui souhaiterait poser une question.

La Présidente (Mme de Santis) : Alors, M. le député de D'Arcy-McGee, 1 min 20 s.

M. Birnbaum : Bon, merci, Mme la Présidente. M. Desmarais, M. Parisien, M. Bellens, merci beaucoup pour votre exposé. Écoutez, c'est un petit peu intéressant, notre situation, ici, parce qu'on a un projet de loi avec deux articles et on parle... je ne veux pas banaliser ça, mais de la plomberie, mais de la plomberie qui a tout son impact potentiel. On parle, en quelque part, de sauvegarder la pérennité des médias, l'indépendance, la transparence et la gouvernance. Tout ça est là. Et là on a toutes sortes de questions.

J'ai été journaliste à la Gazette dans les années 80 et j'ai étudié en journalisme. Les questions, déjà, se posaient sur la concentration, la diversité, la transparence. Mais, en tout respect, on n'a pas les 89 autres médias devant nous pour répondre sur pied égal à ces questions-là, et je tiens à juste nous rappeler qu'on est en train d'assurer un champ égal pour chacun des intervenants, dont un d'une ampleur très significative pour nous tous, au Québec, y compris les communautés pour qui la langue française est la deuxième langue.

Mais, écoutez, comme on est ici, je vous invite à explorer avec nous la possibilité que d'autres des 89 membres...

La Présidente (Mme de Santis) : Merci, M. le député de D'Arcy-McGee.

M. Birnbaum : Bon, on va l'explorer à un autre moment.

La Présidente (Mme de Santis) : La parole est maintenant au député de Matane-Matapédia.

M. Bérubé : Merci, Mme la Présidente. Messieurs, bienvenue à l'Assemblée nationale. Un peu plus tôt, j'ai réitéré, au nom de ma formation politique, l'importance qu'on accorde à la pluralité des voix dans une démocratie, l'importance de confronter des idées, l'importance d'avoir des médias qui sont forts, des médias qui posent les questions, notamment ici, à l'Assemblée nationale, tout le respect que j'ai pour les artisans de l'information, dont plusieurs de vos artisans sont ici présentement, au salon rouge de l'Assemblée nationale.

Et cette question de La Presse, elle est chère aux Québécois, elle a une grande tradition. Et je ne peux pas occulter le fait que l'histoire de l'acquisition de La Presse par votre famille est arrivée à peu près au même moment de la fondation de ma formation politique. Et, tout au long des 50 dernières années, on a été à même de constater, outre ce que je viens de vous dire, également un certain nombre de choix que votre journal a faits et que votre famille a faits quant à La Presse.

Depuis 1970, après recension, invariablement, à chacune des élections, à chacun des référendums, La Presse a pris la même position éditoriale en faveur de la formation politique représentée par la ministre, en faveur de l'option fédéraliste. Vous avez fait le choix de vous départir de La Presse. Vous avez fait part de vos intentions à l'ensemble des employés, vous avez annoncé une volonté d'avoir un legs de 50 millions de dollars, et c'est bien. Est-ce que, selon vous, ce legs doit être accompagné également par la poursuite des principes éditoriaux qui ont été établis en 1972? Est-ce que c'est important, pour vous, ou êtes-vous prêt à dédouaner les futurs administrateurs de ces principes pour qu'ils puissent davantage s'ouvrir aux membres, aux gens qui financent, qui pourraient décider d'avoir une pluralité des options dans la ligne éditoriale?

M. Desmarais (André) : Bien, je peux vous répondre que notre 50 millions n'a pas d'attache. Donc, ça, c'est important que vous le sachiez. J'ai entendu beaucoup de gens qui pensent que, parce qu'on met 50 millions de dollars, il va y avoir des attaches quelconques. Ce n'est pas pour ça qu'on a mis le 50 millions de dollars. On a mis le 50 millions de dollars parce qu'on aimerait que La Presse puisse continuer d'exister et qu'elle puisse faire son plan tel que M. Levasseur nous a présenté et nous pensons qu'il peut accomplir.

De ce qui est de la mission de La Presse, parce que c'est vraiment à ça dont vous faites allusion, celle qui avait été écrite, je crois, par Roger Lemelin à l'époque et qui définit le journal, moi, je ne sais pas ce que vont faire les gens à l'intérieur de ça, mais on me dit que la mission et l'acte de fiducie seront mis ensemble et qu'ils seront décidés à ce moment-là. Et je pense qu'ils vont rajeunir probablement la mission pour qu'elle soit le reflet un peu plus d'aujourd'hui. Mais est-ce qu'elle sera fédéraliste? La réponse, probablement, c'est oui. Je serais surpris que La Presse change sa façon aussi considérablement sur sa mission.

Et c'est ça, à la fin de la ligne, votre question. Parce que de là vient la position éditoriale qui, probablement, ne supporte pas un parti séparatiste qui veut séparer le Québec du Canada. Alors, c'est une différence d'opinions qui existe, qui est réelle. Et c'est vrai, je ne le nierai pas, c'est absolument vrai, nous avons été propriétaires du journal et nous avons exercé notre droit de propriétaire sur ces questions-là.

Je dois dire par exemple, j'aimerais que vous le sachiez parce que c'est important : À l'intérieur de ça, la plupart des éditoriaux et la grande, grande, grande majorité des éditoriaux, on ne fait jamais rien, on n'a pas de commande, là, on n'a pas rien, rien, jamais — et je veux juste vous le dire parce que c'est important — à l'intérieur de ça, mais on exerce notre droit de propriétaire comme ça se fait dans tous les grands journaux à travers les États-Unis.

La Présidente (Mme de Santis) : Veuillez conclure, s'il vous plaît.

M. Desmarais (André) : Woups! Oui.

M. Bérubé : C'est votre droit de propriétaire, mais vous m'avez indiqué que vous seriez surpris que ça ne soit pas le cas. Est-ce que c'est votre souhait? Est-ce que c'est une demande que vous avez faite aux administrateurs?

M. Desmarais (André) : Non. Je n'ai pas fait de demande.

M. Bérubé : D'accord.

M. Desmarais (André) : Mais est-ce que c'est un souhait? Oui. Moi, j'espère que La Presse garde sa mission et qu'elle continue d'être ce qu'elle est. Parce que je trouve que La Presse offre un ballant de la société qui est magnifique. Elle l'a toujours fait. Et, à l'intérieur, je trouve qu'il y a beaucoup de pages qui permettent aux gens de s'exprimer et qui leur permettent d'exprimer leurs opinions sans être... Même des journalistes, là, qui peuvent prendre vos mots puis les corriger. Vous pouvez écrire ce que vous voulez.

M. Bérubé : Notre inquiétude ne réside pas pour les artisans de l'information. Ça ne réside pas là. Donc, vous avez indiqué, puis ce n'est peut-être pas le mot exact, que vous présumez que cette tradition va se poursuivre. J'imagine que vous avez des... vous l'espérez.

M. Desmarais (André) : Je l'espère, oui.

M. Bérubé : Vous l'espérez, qu'on n'appuie jamais un parti séparatiste, comme vous avez dit. Donc, ce que vous indiquez, c'est...

M. Desmarais (André) : ...ça ne me fait rien qu'il y ait un parti séparatiste.

M. Bérubé : Vous avez utilisé ce mot-là.

M. Desmarais (André) : C'est le droit d'une société de l'avoir.

M. Bérubé : Vous avez utilisé ce mot-là.

M. Desmarais (André) : Ce que je vous dis, c'est que j'aimerais que La Presse reste libre de faire et de supporter comme elle l'a toujours fait dans l'ancien temps.

M. Bérubé : D'accord. Je vous indique que la prochaine structure pourrait faire appel à la pluralité des opinions de ses membres qui contribuent et n'avoir même aucune position éditoriale. Je vous indique qu'en date d'aujourd'hui le Globe and Mail ne prend aucune position dans l'élection ontarienne. Ça, c'est un choix que...

M. Desmarais (André) : Vous avez raison. Il faudra qu'ils prennent position de comment ils veulent gérer cet aspect-là du journal. Et ils décideront.

M. Bérubé : Le ton est donné. D'accord. Quant à la gouvernance, je l'ai évoqué tout à l'heure, j'ai posé une question à M. Levasseur tout à l'heure quant à la nomination du président du conseil d'administration. Il nous apparaît que, dans les principes de saine gouvernance, la présidence du conseil d'administration doit assurer un rôle de contrepoids, surtout dans la nouvelle structure, et assurer une place pour tout le monde, et pas un poids prépondérant ou une relation privilégiée avec la présidence. Alors, j'ai posé la question de la nomination. Au départ, j'avais des indications qui me permettaient de croire que vous pourriez faire une recommandation. On me dit que non. Alors, je prends la parole de M. Levasseur là-dessus. Donc, je comprends que, dans la nouvelle structure que vous avez acceptée, vous êtes à l'aise avec le fait que le président nomme le président du... en fait le conseil d'administration.

M. Desmarais (André) : ...avec le texte, parce que, sinon, il n'aurait pas été présenté. Donc, je ne suis quand même pas pour...

M. Bérubé : C'est important pour vous.

M. Desmarais (André) : ...vous dire que je ne suis pas à l'aise avec. Je suis à l'aise aussi avec. Pierre-Elliott va nommer le prochain président du conseil. Et, pour moi, ça a beaucoup de bon sens. Il faudra qu'il travaille avec son président de conseil et puis il faudra qu'il nomme quelqu'un qui connaît la business un peu et puis qui marche un peu. C'est mieux que si moi, je l'avais nommé, parce que si moi, je l'avais nommé, tout le monde aurait dit : Power Corp s'ingère dans la place. Donc, je trouve que c'est un bon compromis. Et après ça, comme a dit Pierre-Elliott, j'ai trouvé que c'était intéressant, sa réponse, c'était de dire : Oui, mais il va nommer d'autres personnes et, avec l'ensemble des personnes, il va avoir un conseil qui va lui donner un peu de «pushback» pour que ce soit un bon conseil.

• (13 heures) •

M. Bérubé : Je réitère en tout respect, M. Desmarais, qu'il m'apparaît que, dans les règles de saine gouvernance... on aborde ces questions-là de façon régulière à l'Assemblée nationale, il m'apparaît que de nommer soi-même son patron, ce n'est pas l'idéal. Ce n'est pas l'idéal. Et là je n'ai pas eu, pour l'instant, d'indication quant à la composition du conseil d'administration. Je présume qu'on nous le fournira un peu plus tard, tout à l'heure, mais c'est important qu'il y ait une place, par exemple, aux journalistes, aux artisans de l'information, aux lecteurs, à d'autres observateurs, surtout pour s'assurer que, lorsqu'il y a des décisions importantes qui seront prises... Là, vous m'avez indiqué tout à l'heure 240 journalistes. Si un jour la décision se prenait d'en amputer un certain nombre, là, il faut qu'il y ait des pare-feu, il faut qu'il y ait des gens qui soient attentifs à ce qui se passe.

Vous remarquerez, je ne poserai jamais de question sur le modèle d'affaire, la question financière. Ça vous appartient. C'est le choix que vous avez fait, mais, sur la gouvernance, comme c'est un projet de loi, puis on a à le regarder, puis on ne l'a pas choisi, ça fait partie de... c'est un caractère assez inusité, on en conviendra, mais on le fait.

La Présidente (Mme de Santis) : Il reste une minute.

M. Bérubé : Donc, la question que je vous pose, vous êtes à l'aise... et ce que je comprends, c'est que la condition pour que vous acceptiez le plan qui vous a été proposé, c'était notamment tant que le C.A. soit selon les volontés de M. Levasseur.

M. Desmarais (André) : Ce n'est pas la volonté de M. Levasseur, le C.A. Il nomme le président, et le président après ça nomme ses administrateurs.

Une voix : ...

M. Desmarais (André) : Oui, oui.

M. Bérubé : Pas les membres de la nouvelle structure?

M. Desmarais (André) : Pardon?

M. Bérubé : Pas les membres de la nouvelle structure? Il va nommer l'ensemble des membres, pour la première fois.

M. Desmarais (André) : Oui, oui, les membres — hein, Jacques? Il nomme les membres, il nomme tous les membres. C'est tous des nouveaux membres, et ces gens-là forment le nouveau conseil d'administration. S'il va y avoir un journaliste, je n'en ai aucune idée, ça va être au nouveau président qui décidera qu'est-ce qu'il veut ou qu'est-ce qu'il ne veut pas. Je sais qu'il y a un nombre d'attributs que Pierre-Elliott aimerait avoir à son conseil, qu'il va discuter avec son «chairman» et puis, après ça, le «chairman» nommera des gens. Mais ça ne sera pas des gens que Pierre-Elliott nommera, c'est très important. Parce que je suis d'accord avec vous...

La Présidente (Mme de Santis) : Merci

M. Desmarais (André) : ...tu ne peux pas avoir un gars qui nomme son patron à 100 %...

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, M. Desmarais...

M. Desmarais (André) : ...ça ne marche pas, ça, vous avez entièrement... je suis entièrement avec vous, M. Bérubé, là-dessus.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Maintenant la parole est à la députée d'Iberville pour six minutes.

Mme Samson : Merci, Mme la Présidente. Merci, M. Desmarais, pour votre présentation. C'était on ne peut plus clair. Je pense qu'on a tous bien pu entendre et sous-entendre autant les raisons qui ont motivé votre décision que la passion que vous avez mis dans La Presse au fil des ans et l'attachement que vous ressentez auprès de cette entreprise-là. Alors, je vous félicite, c'est des propos empreints de sagesse.

On voit que vous connaissez bien vos dossiers. J'imagine que vous avez toujours été un gestionnaire assez «hands-on», parce qu'il faut bien connaître ses dossiers. En tout cas, vous possédez bien l'industrie, et tout ça. Et j'ai aussi bien senti le sens des responsabilités que Power Corporation a voulu assumer en assurant une transition financière acceptable pour La Presse, en espérant justement qu'elle survive et qu'elle réussisse dans son mandat, et honnêtement je vous dirais qu'à moins d'entendre des arguments fracassants aujourd'hui, si j'étais commissaire au CRTC, et M. Parisien va savoir pourquoi j'y fais allusion, tout ce qu'il me resterait à faire, c'est d'essayer de vous soutirer encore quelques millions comme bénéfices tangibles pour clore le tout.

Alors, moi, j'aimerais en profiter, bien que ma question ne portera pas sur le projet de loi... Il y a deux articles, là, on ne se questionnera pas de midi à quatorze heures. J'ai remarqué toutefois... Je suis retourné lire la loi de 1977, et c'était vraiment une loi faite sur mesure pour Power Corporation parce qu'il y avait les exceptions de CKAC et de La Patrie. Alors, c'était vraiment une loi sur mesure pour un cas bien particulier. Il n'y en existe pas beaucoup, ceux dans la législature du Québec, là, ça doit être un cas assez rare, mais j'aimerais que... Vous avez parlé un peu tantôt de votre volonté, au fil des ans, malgré les pertes financières puis les risques associés, à garder La Presse dans votre giron, à votre volonté tout le temps d'y croire, et d'y croire, et d'y croire, et ça m'a rappelé un peu mon expérience à Télévision Quatre Saisons, quand M. Pouliot, bien que TQS était en faillite technique, année après année, il remettait de l'argent dedans grâce à CFCF, puis CF Câble qui faisaient de l'argent. Bon, alors, j'ai vécu ça, là, d'être la pauvre des présidents, puis qui allait quêter, qui allait toujours chercher de l'argent.

Mais cette volonté-là de vouloir y croire toutes ces années-là, là... Puis ça fait longtemps, là, bien, La Presse a été votre propriété pendant plus de 50 ans, vous avez célébré son 100e anniversaire. Pourquoi avez-vous tant cru à La Presse toutes ces années-là, malgré ces difficultés puis ces défis parfois insurmontables?

M. Desmarais (André) : Vous brossez un portrait économique de La Presse qui n'est pas nécessairement réel tout le temps, hein, donc ça, c'est sûr, parce qu'on parle d'une période de 50 ans, quand même.

La deuxième chose, la grande raison, c'est que c'était un actif qui, je pense, à l'époque, permettait à mon père d'être bien informé de ce qui se passait dans la province de Québec et puis dans les autres endroits, et de participer dans la société. Mon père a toujours été extrêmement, extrêmement impliqué dans la société, il voulait toujours participer, aider, trouver des façons de faire des choses, etc., et je pense que La Presse était, pour lui, un véhicule qui lui permettait, de façon intéressée, à passer puis à regarder son journal, etc. Et puis ça l'intéressait beaucoup.

Et moi, je dois dire que j'ai beaucoup la même sensation, une sensation de fierté d'avoir un journal qui n'existe pas nécessairement dans d'autres business. Le journal, c'est le reflet d'une société, et nous, on est très fiers du fait qu'on ait gardé notre journal si libre puis que les gens puissent faire tout... Écoutez, quand on est allés voir les employés... Il y avait quelqu'un qui avait parlé des employés qui sont venus nous voir, là, qui sont venus me voir. Moi, je vous garantis, hein, le trois quarts des journalistes ne m'avaient jamais vu dans leur vie, là, mais pas une fois, là, puis pas reçu d'appel, ou «whatever», là, parce que ce n'est pas comme ça qu'on opère. Et donc c'est fascinant parce que c'est des gens qui font un travail tellement important pour la société, c'est quelque chose d'unique, c'est vraiment unique. Moi, écoutez, je vous le dis franchement, je vais manquer ça beaucoup, hein, parce que j'aimais ça, aller à La Presse, à l'occasion, puis aller voir les gens là-bas, puis qu'est-ce qui se passe, puis tout ça, puis voir le journal en marche. C'est le fun. J'ai peut-être un point de vue un peu trop romantique. Il faut aller regarder le film de Mme Graham.

La Présidente (Mme de Santis) : Mme la députée, 30 secondes.

Mme Samson : C'est beau. J'ai terminé, moi, madame.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Maintenant, nous avons deux indépendants qui vont intervenir. Alors, M. le député de Mercier, pour 1 min 30 s.

M. Khadir : Merci, Mme la Présidente. M. Desmarais ne doit pas ignorer que Québec... Je vous souhaite d'abord la bienvenue. Vous n'ignorez sans doute pas que Québec solidaire est probablement l'adversaire politique le plus farouche, au Québec, de l'influence indue des grandes fortunes, des grandes corporations sur les décisions politiques, sur les partis politiques, et malheureusement Power Corporation a été, de ce point de vue là, une présence très néfaste sur la scène politique québécoise et canadienne. Mais ce n'est pas pour le procès de ça que j'interviens, je veux juste que ça soit clair puis, bon, pour que vous vous sentiez à l'aise et que je me sente à l'aise.

Les considérations qui sont importantes, pour nous, dans l'examen de ce projet de loi, pour la succession, là, Trefflé Berthiaume et La Presse, je vais vous les énumérer, elles sont au nombre de six, puis je voudrais savoir si vous avez des objections ou une opposition à l'une ou l'autre de ces considérations : indépendance éditoriale totale de cet OBNL; deuxièmement, garantie du maintien des postes actuels; troisièmement, la présence de représentants des employés sur le C.A.; quatrièmement...

M. Desmarais (André) : ...

M. Khadir : Trop vite?

M. Desmarais (André) : Excusez-moi, M. Khadir, c'est parce que je ne me rappellerai pas. La première, c'est l'indépendance éditoriale?

M. Khadir : Totale.

M. Desmarais (André) : Ce n'est pas moi qui déciderai, c'est le nouveau...

M. Khadir : Non, je comprends, mais vous avez une opinion, c'est votre...

La Présidente (Mme de Santis) : Malheureusement, la minute et demie est terminée.

M. Khadir : ...et vous pourriez, à ce moment-là, vous commettre publiquement par la suite. Je n'ai pas le temps, mais je vais vous les soumettre tout à l'heure.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. Maintenant, la parole est à la députée de Vachon pour 1 min 30 s. Ça passe très vite.

Mme Ouellet : Merci, Mme la Présidente. Donc, bienvenue. J'aimerais savoir : Depuis combien d'années Power Corporation absorbe les déficits de La Presse? Parce que je pense que ce n'est pas récent, là, je pense que ça fait plusieurs années. Parce que vous me parlez de Google puis des géants de ce monde, mais je pense que La Presse avait des déficits avant ça. Et pouvez-vous nous donner la différence d'ampleur entre avant et après le phénomène Google?

• (13 h 10) •

M. Desmarais (André) : Je suis désolé, mais malheureusement on ne peut pas révéler les états de La Presse, d'une façon ou d'une autre, parce qu'on n'a pas besoin de le faire. Alors, je ne pourrai pas répondre à vos questions. Je suis désolé, mais c'est la réalité.

Mme Ouellet : Je vous entends. Ce n'est pas que vous ne pouvez pas, c'est que vous décidez que vous ne le faites pas. Parce que vous venez ici, à l'Assemblée nationale, pour nous demander des autorisations et vous allez venir dans un deuxième temps pour venir chercher de l'argent des contribuables, de l'argent du gouvernement. Et vous nous présentez une indépendance, qui est importante qu'elle soit présentée, entre le gouvernement et La Presse, mais ça prendrait une indépendance aussi de Power Corporation et La Presse, qu'on ne constate pas actuellement.

Et moi, je pense qu'il y a deux éléments très importants, effectivement. Si le gouvernement doit investir à travers des dons de charité, est-ce que c'est le rôle du gouvernement d'investir dans des lignes éditoriales? Une ligne éditoriale qui est clairement fédéraliste, vous l'avez confirmé, mais une ligne éditoriale aussi, qu'on a vue au fil du temps, qui n'est peut-être pas écrite dans votre mission, mais qui est aussi pour le grand capital, qui est aussi très néolibéraliste, donc beaucoup pour la privatisation...

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, Mme la députée de Vachon...

Mme Ouellet : ...qu'on a remarquée dans vos journaux.

La Présidente (Mme de Santis) : Monsieur...

Une voix : ...

La Présidente (Mme de Santis) : ...non, c'est terminé, maintenant. M. Desmarais, M. Parisien, M. Bellens, merci d'avoir contribué à cette commission.

Maintenant, nous allons suspendre les travaux jusqu'à 15 heures. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 13 h 11)

(Reprise à 15 h 3)

La Présidente (Mme de Santis) : À l'ordre, s'il vous plaît! La Commission de la culture et de l'éducation reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons les auditions publiques dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi n° 400, la Loi modifiant la Loi concernant la succession de l'honorable Trefflé Berthiaume et la Compagnie de Publication de La Presse, Limitée.

Cet après-midi, nous allons entendre la Confédération des syndicats nationaux conjointement avec la Fédération nationale des communications, le Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

Je souhaite la bienvenue aux représentants de la Confédération des syndicats nationaux et la Fédération nationale des communications. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé. Ensuite, nous allons procéder à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous présenter, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, et ensuite de procéder avec votre exposé. La parole est à vous pour 10 minutes.

Confédération des syndicats nationaux (CSN) et Fédération
nationale des communications-CSN (FNC-CSN)

M. Létourneau (Jacques) : Bien, alors, merci, Mme la Présidente, membres de la commission. Jacques Létourneau. Je suis le président de la Confédération des syndicats nationaux, la CSN. Et je suis accompagné de Pascale St-Onge, qui est la présidente de la Fédération nationale des communications, affiliée à la CSN.

D'abord, vous remercier pour cette commission parce que la CSN est, bien sûr, une organisation syndicale d'importance au Québec, qui représente 300 000 travailleuses et travailleurs dans tous les secteurs d'activité et dans toutes les catégories d'emploi. Mais nous représentons aussi des travailleuses et des travailleurs, dans le monde des communications, qui sont affiliés à la fédération, et, j'oserais dire, même la majorité des travailleuses et des travailleurs qui sont liés à la presse écrite au Québec.

Alors, évidemment, comme vous allez l'entendre un peu plus tard cet après-midi, la CSN représente aussi des travailleuses et des travailleurs de La Presse qui sont directement concernés par les choix que vous aurez à faire très bientôt sur l'avenir et la transformation du journal La Presse en OBNL pour assurer et permettre sa pérennité. Alors, c'est clair qu'une organisation comme la nôtre, quand elle se présente en commission parlementaire, elle est d'abord et avant tout préoccupée par la question des emplois parce que nous représentons des travailleuses et des travailleurs, Pascale vous l'expliquera tantôt, là, mais qui ont été pas mal malmenés, dans le monde de la presse écrite, au cours des dernières années, avec toutes les transformations qu'on a connues. Alors, La Presse n'est pas du tout à l'abri de ces transformations, bien au contraire, même.

Alors, c'est clair que, comme organisation syndicale, notre première préoccupation, c'est celle des emplois et du maintien des emplois. Mais, je dirais aussi, comme organisation syndicale qui sommes attachés aux valeurs et aux principes d'une société démocratique comme la nôtre, on a toujours adhéré à l'importance et la nécessité d'avoir une presse au sens large, là. Je ne parle pas juste du journal La Presse, mais d'une presse écrite diversifiée, qui illustre l'ensemble des points de vue et qui se pratique, dans une société comme la nôtre, de façon indépendante. D'ailleurs, on a eu la chance, comme CSN, à plusieurs reprises, d'intervenir dans le débat public en rappelant qu'on était préoccupés justement par la quasi-disparition de la presse écrite, parce que, dans une société démocratique, quand on est syndicaliste ou encore politicien ou politicienne, on souhaite justement cette diversité au niveau de la production de l'information.

Alors, c'est clair que, nous, comme organisation syndicale, ce qu'on va souhaiter, c'est que l'Assemblée nationale procède, et procède sans aucune condition... Parce que, comme ça vous a été expliqué ce matin par les actuels propriétaires, si la question de la loi adoptée à la fin des années 60 n'amenait pas l'Assemblée nationale à se prononcer sur la transformation de La Presse, bien, comme à peu près 100 % des autres journaux indépendants au Québec et au Canada, ils pourraient faire les transformations qu'ils veulent sans avoir l'autorisation de l'Assemblée nationale. Et j'ajouterais que, pour nous, c'est un principe fondamental que la production journalistique se fasse de façon indépendante pour assurer justement l'émergence des différents points de vue et le respect des grands principes qui gouvernent une société démocratique comme la nôtre.

Alors, c'est un peu la demande que nous faisons. Puis je vais passer la parole à Pascale.

Mme St-Onge (Pascale) : La FNC souhaite aujourd'hui défendre deux principes qui nous sont chers. Le premier, c'est la protection des emplois, et le deuxième, c'est l'indépendance journalistique et des médias.

L'indépendance des médias. En fait, le rôle des médias, c'est de surveiller les pouvoirs publics et privés, d'être les yeux et les oreilles de la population et de les informer de ce qu'ils devraient savoir afin d'être en mesure de prendre des décisions éclairées. La pire chose qui puisse nuire à la démocratie, c'est l'impression que le politique a la mainmise ou empêche le libre exercice de la justice ou de la liberté de presse. Jusqu'à présent, nos gouvernements ont reconnu ces principes et ont toujours pris beaucoup de précautions pour traiter de tout ce qui concerne les médias et le journalisme.

La situation qui amène La Presse devant cette commission parlementaire ne doit pas être celle qui met à mal cette indépendance des médias. Il peut y avoir des gens en désaccord avec la ligne éditoriale de La Presse, mais ce n'est certainement pas à l'Assemblée nationale d'en imposer une autre. La Presse n'est pas ici pour être transformée en société d'État, mais seulement pour demander d'annuler une loi qui est aujourd'hui complètement désuète et inapplicable, une loi qui a été adoptée pour une chicane de succession et pour éviter la vente à des intérêts étrangers. Ces deux éléments ne sont pas en cause aujourd'hui.

Au moment de la création de la loi, en 1967, le monde des médias était bien différent de celui d'aujourd'hui. La Fédération nationale des communications n'existait même pas encore sous sa forme actuelle, car elle a été créée en 1972. Il y a eu un grand mouvement de syndicalisation des journalistes dans les années 60, 70, 80. La raison principale de cette syndicalisation, à part l'amélioration de leurs conditions de travail et de vie, était de se protéger contre toutes les formes de pression externe qui nuisaient à leur indépendance d'esprit et à leur capacité d'exercer le journalisme tel qu'on le connaît aujourd'hui. À une certaine époque, les enveloppes brunes pour arrondir les fins de mois en échange d'une couverture de presse favorable étaient chose courante.

• (15 h 10) •

Les syndicats ont donc permis de développer des codes d'éthique qui ont favorisé l'essor du journalisme professionnel. Nous avons aussi permis d'ériger des barrières étanches entre les salles de nouvelles et les différentes pressions, que ce soient celles des propriétaires, des annonceurs, des groupes criminels, des commerçants ou des politiciens. Dans le contexte d'aujourd'hui, alors que les journalistes doivent se battre constamment contre les fausses nouvelles, les pressions économiques, la dictature du clic, qu'ils ont tous concédé d'importants reculs dans leurs conditions de travail afin de protéger leurs emplois dans le contexte économique et numérique difficile, toute pression additionnelle constitue une entrave à la liberté de presse, et cela, nous devons le réaliser.

C'est pourquoi il y a aujourd'hui une ligne à ne pas franchir, sous peine de mettre à mal la crédibilité et l'indépendance de La Presse et de tout autre média. Vous pouvez ne pas être d'accord avec ce qui est écrit dans un journal et vous pouvez le dire, mais vous ne pouvez pas vous servir de votre pouvoir politique pour empêcher d'écrire ou pour influencer la gestion interne d'un média. La responsabilité des élus n'est pas d'attester de la qualité du modèle d'affaires qui est proposé par La Presse, pas plus qu'elle n'a la responsabilité de trancher à savoir si le bon modèle est celui du Devoir ou de Québecor.

D'ailleurs, personne, à l'heure actuelle, ne peut vous garantir la survie ou la pérennité de n'importe quel média d'information. Près de 50 % des emplois de la presse écrite ont disparu au Québec en moins de 10 ans. De nombreux journaux, hebdomadaires et quotidiens ont fermé partout au Canada. Le modèle est brisé, et ce, de façon irréversible. Il faut le réinventer.

Les gouvernements ont commencé à introduire des programmes de financement public. C'est un premier pas, mais ça ne sera pas suffisant. Cependant, les problématiques complexes ne pourront pas être réglées dans le cadre de cette commission parlementaire, et encore moins en regard de ce qui vous est demandé, soit d'abroger une loi qui date de 1967 afin de permettre le transfert de La Presse dans une fiducie d'utilité sociale. Les problèmes quant à l'avenir de La Presse et de tous les autres quotidiens doivent être étudiés dans leur ensemble, et les solutions qui seront proposées et mises sur pied par les gouvernements devront être neutres, objectives et universelles. Elles ne pourront pas favoriser un média au détriment d'un autre.

Non, le transfert de La Presse dans une fiducie d'utilité sociale ne garantit pas les emplois, mais de maintenir de force La Presse au sein de Power Corporation non plus. La seule chose que cette transformation permet, c'est de diversifier des sources de revenus, et, pour nous, c'est un passage obligé. Toutes les entreprises cherchent à diversifier leurs sources de revenus, car celles que nous avions ont fondu comme neige au soleil, et ce, peu importent les efforts qui ont été faits.

Nous accueillons aussi comme une bonne nouvelle le fait que tous les revenus demeureront au sein de la fiducie et serviront au fonctionnement de La Presse plutôt que de se retrouver entre les mains des actionnaires. Les gens que nous représentons ne souhaitent pas voir le gouvernement intervenir et empêcher le transfert de La Presse dans une fiducie d'utilité sociale.

La Présidente (Mme de Santis) : Alors, merci beaucoup, Mme St-Onge et M. Létourneau. Nous sommes maintenant... Vous avez terminé?

Une voix : ...

La Présidente (Mme de Santis) : Non, non, c'est pour ça que je procédais... Maintenant, nous allons débuter la période d'échange. Mme la ministre, la parole est à vous pour 15 minutes.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Je pensais que vous n'aviez pas complété. Je vous aurais cédé du temps supplémentaire de notre côté pour compléter. Donc, Mme St-Onge, M. Létourneau, bien contente de vous voir ici pour apporter votre point de vue sur cet important dossier. On comprend que nous sommes tous ici pour donner les coudées franches, dans le fond, à La Presse de faire les changements qui s'imposent pour assurer sa pérennité, comme vous l'avez mentionné.

D'entrée de jeu, j'aborderais la question... parce que vous avez fait référence beaucoup à ça, Mme St-Onge, à la question de la liberté de presse et de l'indépendance des médias, et c'est ce qui nous occupe finalement comme débat plus large autour de ce projet de loi là, toute la question que la production journalistique puisse se faire, dans le fond, dans toute l'indépendance nécessaire. Et j'aimerais vous entendre davantage sur cette question-là parce que, ce matin, le leader de l'opposition notamment posait des questions sur la ligne éditoriale de La Presse, et je pense qu'on s'éloigne bien loin de notre rôle de parlementaires quand on pose ce genre de questions. Et, vous l'avez mentionné, que ce soit Le Devoir, ou que ce soient les journaux de Québecor, ou que ce soit La Presse, ce n'est absolument pas notre rôle, comme parlementaires, d'aller poser quelque question que ce soit, d'intervenir de quelque façon que ce soit.

Et effectivement nous faisons toujours bien attention, comme gouvernement, que ce soit dans les programmes qui ont été mis en place. Vous y avez fait référence, c'est dans notre responsabilité de venir soutenir les différents médias écrits, notamment, qui sont très secoués par ce qui se passe en ce moment justement à cause des revenus publicitaires qui glissent vers les grands géants du Web depuis quelques années. Et, dans les décisions que nous avons prises, vous y avez fait référence, au cours de l'automne dernier, nous avons mis une première mesure en place. Et, au cours du budget, du dernier budget, en mars dernier, avec mon collègue le ministre des Finances, nous sommes venus mettre de l'avant un crédit d'impôt pour venir soutenir l'ensemble des médias justement dans leur transformation numérique pour qu'ils demeurent compétitifs. Et l'objectif de ça, c'est évidemment de venir soutenir nos piliers de notre démocratie, de s'assurer que nos médias demeurent, leur vitalité demeure, qu'ils demeurent diversifiés, qu'ils demeurent disponibles dans toutes les régions du Québec. Et on s'assure, à tout moment, dans ces décisions-là, justement, d'éloigner le plus le politique des médias, d'avoir des programmes qui sont normés, d'avoir des crédits d'impôt ou des mesures qui sont applicables à l'ensemble des médias du Québec.

Et donc je souhaiterais vous entendre davantage sur ces questions, entre autres, de ligne éditoriale et d'indépendance des médias.

M. Létourneau (Jacques) : Bien, peut-être débuter, puis Pascale complétera.

Une organisation syndicale comme la CSN va toujours souhaiter qu'il y ait davantage de points de vue syndicaux ou encore de points de vue critiques à l'endroit des mesures d'austérité d'un gouvernement. Bon, je sais qu'on ne partage pas la même notion. Vous parlez de rigueur. Nous, on a parlé d'austérité. Et parfois on va peut-être effectivement trouver que ces couvertures-là sont déficitaires par rapport à ce qu'on souhaiterait.

Une fois qu'on a dit ça, un peu comme Pascale l'a placé tantôt, on peut avoir un point de vue critique à l'endroit de la façon dont La Presse, ou Le Devoir, ou Le Journal de Montréal vont se positionner dans le débat public, sur des enjeux politiques, socioéconomiques. Mais, de là à se présenter ici pour exiger que les pouvoirs politiques dictent la ligne éditoriale d'un journal, jamais, nous, on ne loge pas à cette enseigne-là. Tout comme les organisations syndicales ont le loisir d'avoir leur propre journal pour faire leur propre propagande sur la question des points de vue syndicaux, nous, on va souhaiter que, de façon indépendante, la production de la presse, de façon générale, se fasse en toute liberté, indépendamment du point de vue que nous pouvons avoir, y compris sur la question de l'avenir du Québec ou de la question nationale ou du fédéralisme.

Mme St-Onge (Pascale) : Je pense aussi qu'il faut bien distinguer la ligne éditoriale du travail des journalistes. La ligne éditoriale, effectivement, peut être, des fois, décidée à l'intérieur d'une équipe éditoriale. Ça peut être, parfois, sur certaines questions, les propriétaires qui se servent de la section éditoriale pour apporter leur point de vue au débat. Mais, dans la réalité, les salles de nouvelles fonctionnent de façon totalement indépendante. Et, dans toutes les salles de nouvelles, que ce soit celle de La Presse, du Devoir, du Journal de Montréal, on retrouve des gens qui ont probablement tout le spectre des idées politiques et qui le partagent avec leurs familles, avec leurs amis. Mais, lorsqu'ils font leur travail journalistique, ils le font de façon la plus objective possible, en s'appuyant sur des faits et en appliquant un code d'éthique qui est conventionné, c'est-à-dire que c'est à l'intérieur des conventions collectives. Et, lorsqu'il y a une entrave à ce code d'éthique là ou qu'on tente de leur faire des pressions, bien, on se défend contre ça, et c'est le rôle des organisations syndicales.

Sur la question du financement, bien, évidemment, nous, on est favorables à un financement qui sera universel. Et puis ça fait plusieurs années qu'on demande l'intervention, que ce soit du gouvernement provincial ou du gouvernement fédéral, pour soutenir le quatrième pouvoir, ce qu'on décrit comme le quatrième pouvoir, les médias d'information, qui jouent un rôle essentiel aujourd'hui dans nos sociétés. Les médias n'ont pas toujours joué ce rôle-là dans l'histoire. Mais aujourd'hui nous, on croit que, dans la situation actuelle, où on a des blogueurs dans leurs sous-sols qui partagent leurs idées nazies et qui ont 40 000 abonnés... on pense que les médias d'information doivent pouvoir continuer à faire un travail objectif et avec un code d'éthique professionnel. Et, en ce sens-là, le financement doit, à un moment donné, être apporté pour soutenir ce travail-là, parce que, vous le savez, les revenus ne sont plus au rendez-vous, les revenus publicitaires. Et ça, ce n'est pas la transformation de La Presse dans une fiducie qui va empêcher cette réalité-là et ce n'est pas non plus son maintien à l'intérieur de Power Corporation qui va changer cette donnée-là.

• (15 h 20) •

Donc, on peut bien, ici, débattre pendant très longtemps, là, sur le modèle d'affaires qui est choisi par La Presse, là, mais la catastrophe, elle est ailleurs. La catastrophe, elle est dans l'érosion de nos médias d'information puis dans l'abolition et la perte d'emploi de journalistes et tous les autres emplois qui sont rattachés à ces médias-là.

Mme Montpetit : Je vous remercie. Puis, M. Létourneau, vous faisiez référence à l'importance de la diversité des points de vue, puis on est bien d'accord avec ça, parce que vous parliez de l'important travail d'équilibre des finances qu'on a fait comme gouvernement et la rigueur budgétaire, et c'est ce qui nous a permis justement de faire ces annonces-là dernièrement, de venir soutenir l'ensemble des médias au Québec, et on en est bien contents. Mais c'est pour ça qu'on a une société où la pluralité des opinions est à mettre de l'avant.

Mme St-Onge, vous avez dit, dans votre allocution tout à l'heure, puis vous y faisiez référence dans votre dernière intervention aussi, je vous cite, là : «Toute tentative de bloquer cette transformation — donc la transformation de La Presse — sera considérée comme de l'ingérence politique et une entrave à l'indépendance des médias.» Je reviens là-dessus aussi. Et vous avez parlé beaucoup de l'urgence, de l'importance de la survie de La Presse, de l'implication que ça pourrait avoir pour les journalistes à l'heure actuelle. J'ai fait référence ce matin, quand on a eu les discussions avec La Presse et avec Power Corporation, sur le fait que vous êtes la plus grande salle de presse francophone en Amérique du Nord. J'aimerais vraiment que vous puissiez expliquer, pour les membres de cette commission, pour les gens qui nous écoutent également, votre point de vue là-dessus, à savoir pourquoi maintenant. Pourquoi ça doit être fait rapidement? On l'a demandé aux autres personnes qui sont venues se présenter en consultations. Pourquoi est-ce que ça doit être fait dans un laps de temps très rapide? Quelles sont les conséquences que vous voyez pour vous?

Mme St-Onge (Pascale) : Je pense qu'il y a un contexte qu'on ne peut pas écarter de ce qui se passe aujourd'hui. Le premier, c'est qu'avant 2017 il n'y avait aucun financement public qui soutenait les médias de la presse écrite. Il y a eu un premier programme qui a été introduit au provincial en 2017. Il y en a eu un deuxième en 2018. Et il y a eu, pour la première fois du côté fédéral, une ouverture à apporter un certain soutien.

Donc, pour nous, ce qu'on ne s'explique pas, c'est les réactions aujourd'hui quand les entreprises cherchent à s'adapter pour être capables d'aller chercher ce financement-là. C'est normal, on est à la recherche de revenus. Donc, si le gouvernement met en place des règles de financement avec des critères qui s'appliquent à tous et que les entreprises s'adaptent, bien, il me semble que c'est tout à fait normal. Ces règles-là, cependant, sont débattues dans d'autres forums. On n'est pas ici pour débattre à savoir si La Presse pourrait obtenir le statut d'oeuvre de charité. C'est un débat qui va se faire, je présume, au fédéral à un moment donné, quand la question va être soulevée, parce que c'était une ligne qui est apparue dans le budget fédéral. Donc, ces questions-là, il va y avoir des forums pour en discuter, pour en débattre et puis pour appliquer des programmes normés qui seront appliqués à tous.

Maintenant, l'autre chose que j'ajouterais à ça, c'est qu'effectivement on est dans une situation précipitée où l'Assemblée nationale est appelée à voter rapidement sur cette question-là en fin de session. Puis moi, je ne suis pas ici pour défendre le modèle d'affaires de La Presse ou encore pour justifier pourquoi on est ici à la dernière minute, et tout ça. Mais il faut prendre conscience quand même, là, que la question de la reconnaissance possible, éventuelle d'un statut d'oeuvre de charité pour les médias d'information est apparue pour la première fois dans le budget fédéral à la fin février 2018, ce qui laisse quand même très peu de temps pour arriver avec un programme ou un modèle d'affaires qui pourrait éventuellement répondre aux critères qui seront déterminés par le gouvernement fédéral.

Donc, c'est la situation dans laquelle on est. Puis, bien, malheureusement, il y a un processus électoral qui va débuter à l'automne. Et, si on n'arrive pas à entamer la transformation de La Presse maintenant, bien, ça se fera peut-être dans un an ou peut-être pas parce qu'en une année il se passe beaucoup de choses dans le monde des médias. En moins de 10 ans, à peu près 50 % des emplois ont disparu, et il y a une accélération ces dernières années. Il y a eu la vente des hebdos de Transcontinental à des intérêts particuliers qui a entraîné plusieurs fermetures, et c'est ce qu'on vit à tous les jours, et c'est ce qu'on gère, à la fédération, à tous les jours. Donc, une année, là, dans la vie d'un média d'information, c'est très long et c'est énorme. Et, dans le contexte actuel où on fait face à des géants du Web, qu'on peut qualifier de bulldozers, qui détruisent la concurrence, eh bien, on est dans un contexte très précaire, et j'espère que tout le monde en saisit l'importance.

M. Létourneau (Jacques) : Peut-être ajouter, 30 secondes... À chaque année dans le budget du Québec, il y a une multitude de crédits d'impôt qui sont accordés à l'ensemble des entreprises pour procéder à leur propre transformation, et ce, sans aucune condition. Je l'ai rappelé encore dernièrement, à chaque fois qu'on se présente lors de l'adoption du budget du Québec, on constate que les mesures sont mises en place. Et souvent on va même les encourager parce que ça permet d'adapter la main-d'oeuvre avec les transformations technologiques et les différents changements qui frappent au quotidien les entreprises qui sont en concurrence, par exemple, dans le contexte de mondialisation et de libre-échange.

Alors, quand on pose la question de l'avenir de La Presse, Pascale l'a bien expliqué, c'est à la vitesse grand V que la transformation se fait. Et elle ne se fait pas juste de l'intérieur, par, justement, l'arrivée des nouvelles technologies, mais elle se fait sur des conditions qui sont complètement indépendantes de la façon dont les entreprises de presse se placent aujourd'hui, avec l'arrivée des géants, où la réglementation est quasi-absente, quand ils viennent justement s'accaparer la plus grande part des revenus. Donc, on n'est pas dans de la théorie politique, là. On est dans de la pratique. Puis les organisations syndicales, en général, on négocie à partir de la réalité de l'entreprise. On n'est pas sur de l'idéologie. On est sur la réalité de l'entreprise, et surtout dans le respect des points de vue qui sont dégagés par nos syndicats, qui sont totalement et entièrement autonomes dans la gestion de leurs affaires syndicales.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. M. le député de LaFontaine, pour 2 min 30 s.

M. Tanguay : Oui, merci beaucoup. Je vais aller rapidement. Je vous ai entendu dire, Mme St-Onge, que vous ne vous expliquiez pas les réactions au projet de loi n° 400, qui, somme toute, est une technicalité, mais une technicalité qui est importante et qui doit être... et qu'il en va de l'avenir de La Presse. Vous ne vous expliquez pas, donc, les réactions à ce projet de loi là. Comment pourrions-nous l'expliquer, justement? Pensez-vous que deux facteurs tels que... la compétition économique de d'autres médias pourrait être un facteur, et la compétition éditoriale de d'autres médias... pourraient être les deux facteurs, à 100 %, qui expliqueraient ces réactions-là qui sont, effectivement, pour certains, difficiles à justifier?

Mme St-Onge (Pascale) : Bien, en fait, ce que je veux dire par «je ne m'explique pas les réactions», c'est qu'on est très loin de la portée de la loi de 1967 sur certaines questions. Je trouve que toutes les questions sont légitimes. On a le droit de demander aux dirigeants de La Presse quel sera leur... s'ils vont transférer la politique éditoriale. On a le droit de leur demander ce qu'ils vont faire comme conseil d'administration, et tout ça. Là, où il y a une limite à ne pas franchir, c'est d'empêcher sa transformation à cause de l'existence de cette loi de 1967. Ça, à notre avis, ça outrepasse largement la portée de cette loi-là et ça porte une atteinte à l'indépendance des médias et à l'indépendance de La Presse. On ne peut pas, à notre avis, se servir d'un pouvoir politique pour s'ingérer dans le contenu d'un média ou dans sa gestion interne. On franchit là une ligne qui n'a jamais été franchie par le passé, pas même avec l'adoption de la loi de 1967. Cette loi-là n'allait pas aussi loin. Alors, c'est pour ça que nous, on est ici aujourd'hui pour demander aux parlementaires d'abroger cette loi-là d'ici la fin de la session parlementaire.

M. Tanguay : Donc, si je vous comprends bien, s'il y avait continuité entre le modèle de La Presse actuelle et postprojet de loi n° 400, vous seriez tout à fait à l'aise?

Mme St-Onge (Pascale) : Ça ne nous regarde pas, ça, c'est... La diversité des voix et la pluralité des médias, c'est ça qu'on défend. Et, que La Presse existe telle qu'elle existe aujourd'hui, on va le défendre jusqu'à la fin des temps, tout comme on va défendre Le Journal de Montréal, tout comme on va défendre Le Devoir et tous les autres médias qui existent, parce que, quand on perd un média, ce qu'on perd, c'est une partie de notre liberté, c'est une partie de notre liberté de presse et c'est une partie des voix qui s'éteignent et qui arrêtent d'être reflétées dans l'opinion publique et dans l'espace public. Et ça, c'est désastreux pour une société démocratique, et c'est contre ça qu'on se prononce aujourd'hui.

M. Létourneau (Jacques) : On aurait l'air de quoi si...

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, Mme St-Onge. Maintenant, la parole, je m'excuse, est au député de Matane-Matapédia pour neuf minutes.

• (15 h 30) •

M. Bérubé : Merci, Mme la Présidente. Bienvenue, Mme St-Onge, M. Létourneau. Il y aurait beaucoup à dire, sur ce dossier, en lien avec les centrales syndicales, mais je me permettrai de rappeler un certain nombre de choses.

D'abord, le Parti québécois est pour la pluralité des sources d'information dans les médias écrits, considère que La Presse est un journal important dans notre démocratie, a un énorme respect pour les artisans de l'information. Les inquiétudes que vous partagez sur l'avenir des médias écrits, ce n'est pas en date d'aujourd'hui, là. Les communiqués, avec vos noms respectifs, sont abondants. Lorsque Power a vendu à Capitales Médias, je me souviens de ce que vous avez dit, je me le suis rappelé ce matin. Ça n'a pas empêché de perdre des emplois, plusieurs. Vous avez été durs, puis avec raison. C'est votre job de centrale syndicale. Vous n'avez pas choisi la situation dans laquelle vous êtes, les parlementaires non plus, et les parlementaires vont jouer leur rôle correctement.

Et, à quelques reprises, ici, au salon rouge, et à l'extérieur, vous avez indiqué que vous craignez que les parlementaires puissent bloquer ou empêcher l'adoption d'un projet de loi. Dans votre réponse, j'aimerais ça que vous puissiez m'indiquer qui a évoqué cela, quand et avec quelles paroles, juste pour s'assurer à qui vous vous adressez. Comme ça, on pourra aviser en conséquence. J'ai réitéré encore ce matin notre pleine participation pour adopter ce projet de loi dans cette session, et nous nous réservons notre vote. Ne vous inquiétez pas. Manifestement, le gouvernement libéral est déjà en faveur, à voir les questions, et il est majoritaire, O.K.? Et nous, on vous dit ce qui en est. Les autres formations politiques vous diront ce qu'ils en pensent, et les indépendants aussi, mais je vous donne la position du Parti québécois. Ça va régler une chose en partant. Parlons-nous franchement. Avec les centrales syndicales, dans mon comté, c'est comme ça qu'on fonctionne, puis on se comprend bien. D'accord?

Mais il y a des questions qui se posent, qui sont réelles. Moi, il y a plusieurs de vos membres qui m'ont fait part d'inquiétudes réelles, d'accord, de leur propre chef qui m'ont contacté et qui... il y a des questions qui sont essentielles. Juste sur la ligne éditoriale, on n'a jamais demandé de dicter une ligne éditoriale. On a demandé de nous l'expliquer, de nous l'expliquer. Alors, si un propriétaire veut maintenir sa ligne éditoriale, qu'il paie, que ça soit lui qui décide. Mais là on est dans une nouvelle structure. Une fois que c'est dit, j'ai la réponse du propriétaire, on fera avec. Et, l'important, je réitère que c'est l'avenir du journal.

Donc, mon propos avec vous, c'est sur l'avenir des artisans de l'information et toutes les personnes qui gravitent autour, comment on maintient des emplois de qualité où il n'y a pas beaucoup d'ailleurs, dans les médias, dans des emplois de cette qualité-là. Alors, je veux vous parler des emplois, je veux vous parler de gouvernance, du conseil d'administration, puis j'ai des exemples qui m'interpellent, notamment qui viennent de la CSN, quant à la saine gouvernance. Puis avec Fondaction vous êtes des modèles en matière de gouvernance. Je le sais, je connais des entreprises dans lesquelles vous investissez, vous êtes des premiers de classe dans ce domaine-là. D'accord? Puis je pense que vous êtes pas mal d'accord avec ça, puis il y a des exemples très probants qui ont servi dans bien de nos politiques, quant à moi.

Donc, quant à la place des artisans de l'information, c'est une définition assez large, quelle garantie avez-vous eue quant au conseil d'administration? Ça serait ma première question.

Mme St-Onge (Pascale) : Alors, vous avez, bon, élaboré sur plusieurs aspects, là. Le premier, nous, on n'est pas ici dans un débat politisé. Donc, mon message s'adresse à tous et non pas à un parti ou à des parlementaires en particulier. Le message, là, sur notre demande d'abroger la loi, elle s'adresse à tous.

Effectivement, on a aussi des inquiétudes réelles sur les emplois et on les défend quotidiennement, que ce soit dans le cadre des négociations ou que ce soit dans le cadre des demandes qu'on adresse aux gouvernements, que ce soit le gouvernement provincial ou le gouvernement fédéral.

Sur la question de la gouvernance et de la constitution du conseil d'administration, les syndicats de La Presse ont fait leurs demandes à l'employeur, et c'est avec l'employeur que cela sera discuté. Donc, oui, il y a des demandes qui sont faites afin qu'il y ait un poste au conseil d'administration réservé, peut-être, à un ancien journaliste, à un journaliste actif, on ne le sait pas, on est ouverts aux discussions, mais une chose est sûre, c'est qu'on ne demande pas une intervention de l'État pour nous aider dans ces discussions-là. On est capables de les mener en parallèle.

Et les inquiétudes que les gens qui vous ont contacté... bien, on les partage avec eux au quotidien quant à leur avenir. Pardon?

M. Bérubé : Il y a aussi des retraités. J'ai oublié de l'ajouter tout à l'heure.

Mme St-Onge (Pascale) : Les retraités également. On est inquiets pour l'avenir des emplois. Et malheureusement, là, aujourd'hui, je ne peux pas vous dire que la transformation de La Presse, le transfert de La Presse dans une fiducie, ça va permettre aux retraités de bénéficier de 100 % de leurs rentes jusqu'à la fin des temps ni que La Presse va poursuivre ses activités jusqu'à la fin des temps. Mais il n'y a personne qui peut vous promettre ça dans aucune entreprise, et encore moins dans le contexte médiatique d'aujourd'hui.

Donc, ce qu'on a à faire, c'est de continuer à se battre puis à lutter pour préserver ces piliers-là de la démocratie. Et ça, je vous le garantis, la FNC puis la CSN n'arrêteront jamais.

La Présidente (Mme de Santis) : M. Létourneau voudrait ajouter quelque chose.

M. Bérubé : Oui, j'ai plusieurs... Allez-y, M. Létourneau.

M. Létourneau (Jacques) : Bien, O.K., mais vraiment rapidement. D'abord, sur la question de la gouvernance, je vous remercie, là, de saluer la façon dont on mène la gouvernance à Fondaction. J'en suis le président du conseil d'administration. Mais en même temps je veux juste nuancer la chose suivante, c'est qu'on a, à la CSN, tout près de 1 500 syndicats autonomes, dont certains sont très ouverts à l'idée de participer à des conseils d'administration d'entreprise, d'autres pas du tout, pas du tout pour les raisons que vous pouvez imaginer : conflits d'intérêts, négociations de conventions, tout ça. Même quand on crée des coopératives, souvent ça crée un certain nombre de tensions qui font en sorte que les syndicats, ultimement, vont décider quel est le propre de leur façon de voir la gouvernance d'une entreprise. C'est un peu difficile pour une centrale syndicale de dire : On veut s'assurer qu'absolument les travailleurs, ils seront représentés, alors que c'est un débat qui leur appartient fondamentalement.

L'autre chose sur les garanties d'emploi — je finis là-dessus — c'est que les garanties d'emploi... Écoutez, quand vous êtes en négociation, dans tous les secteurs d'activité au Québec, même dans le secteur public, vous ne pouvez pas avoir la garantie absolue que tous les emplois seront maintenus. Je sais bien que c'est une réponse qui est générale, mais quand on est en négociation quotidienne...

La Présidente (Mme de Santis) : Veuillez conclure.

M. Létourneau (Jacques) : ...c'est une réalité avec laquelle on doit composer.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci.

M. Bérubé : Merci, Mme St-Onge, M. Létourneau. Donc, pour reprendre le modèle de Fondaction, si je ne me trompe pas, trois administrateurs nommés par l'AGA des actionnaires, c'est un beau modèle, ça, qui pourrait s'appliquer à La Presse. Je vous le soumets. Vous le connaissez.

Ce matin, j'ai beaucoup parlé des patrons parce que les patrons étaient là. Puis là je parle aux syndiqués parce que les représentants des syndiqués sont là. Moi, que les artisans de l'information puissent avoir le rôle qu'ils souhaitent obtenir, dépendamment de leurs intérêts, des différents syndicats, ça m'apparaît intéressant, et c'est de nature à nous rassurer. Là, c'est seulement une journée, aujourd'hui, où on échange à cet enjeu-là, mais vous autres, vous allez vivre longtemps avec ce modèle-là. Alors, c'est pour ça qu'on pose les questions maintenant, on l'aura dit. Moi, c'est mon rôle de parlementaire, et je le fais en toutes circonstances. Mes collègues sont au courant, sur d'autres débats, ce que je dis en privé et en public, c'est exactement la même chose. C'était le cas l'automne passé, ce l'est aussi.

Alors, ce que je vous dis, c'est que ça, ça m'apparaît intéressant. Évidemment, vous avez des négociations à l'interne. Vous allez tenir compte de l'avis de vos membres, voire même des lecteurs. Je pense que les lecteurs aussi ont envie de participer. Donc, je vous soumets que ça, ce n'est pas dans le débat directement, mais il faut bien questionner la pièce législative qu'on a là avec le souci de préserver les emplois, puis l'indépendance, et tout ça. Ça m'apparaît intéressant, tout comme d'avoir une indépendance du président du conseil d'administration. Je vous le dis à vous, comme je l'ai dit aux patrons de La Presse tout à l'heure.

Alors, avez-vous une réflexion là-dessus, sur la gouvernance, que vous pouvez nous partager, à nous, et puis sur le maintien des emplois? C'était ma dernière question.

Mme St-Onge (Pascale) : Bien, tout d'abord, M. Bérubé, je veux vous remercier de vos préoccupations, parce que les questions que vous soulevez sont tout à fait légitimes, là. Puis je le redis encore une fois, c'est légitime de poser ces questions-là, puis on vous remercie de vous préoccuper du sort des gens qu'on représente.

Mais, encore une fois, pour nous, bien, il faut qu'il y ait un premier président du conseil d'administration qui soit nommé. Qu'il soit nommé par la direction actuelle de La Presse... bon, ça aurait peut-être pu être fait d'une autre façon, mais, pour le moment en tout cas, on n'y voit pas d'objection. Ensuite, ce président-là, qui nommera le conseil d'administration selon des critères qui pourront aider à l'entreprise d'évoluer, on voit ça comme, quand même, quelque chose de positif. Et par la suite, que les prochains présidents soient désignés autrement, soit par le conseil d'administration ou que la structure évolue, bien, on n'a aucun problème avec ça.

Donc, bien, voilà, c'est à peu près les éléments, là, que je voulais souligner quant à tout ça.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Maintenant, la parole est à la députée d'Iberville pour six minutes.

Mme Samson : Merci, Mme la Présidente. Bonjour, bienvenue. J'aimerais aborder une question un petit peu plus générale, si vous me le permettez. D'abord, l'évolution technologique qu'on a connue au cours des 40 dernières années, là, on est passés du télex aux e-mails, là, on a vu beaucoup de changements. Ça a révolutionné beaucoup de nos modèles d'affaires. Le premier modèle d'affaires à être frappé par l'Internet puis le numérique, ça a été la musique, il y a de ça 15 ans, et, malgré tous les efforts qui ont été déployés au fil des ans, la solution n'est toujours pas évidente aux yeux de personne.

On a vu les effets sur le commerce du détail. On a l'exemple récent de Simons, à Québec, là, qui... M. Simons qui, depuis deux ans, nous dit : Faites quelque chose, faites quelque chose, ça change, ça change. Là, on voit la presse écrite qui vit des difficultés importantes. Moi, je vous parierais que, dans deux, trois ou quatre ans, ça va être les stations de radio et les réseaux de télévision qui vont éprouver les mêmes difficultés.

Vous êtes une organisation importante au Québec. Vous représentez beaucoup de monde dans plusieurs domaines des communications. Est-ce que ces changements technologiques là, là... Si on réussit, avec les entrepreneurs, à faire le virage technologique, quelle est la réflexion d'une organisation comme la vôtre? Qu'est-ce que ça change dans les relations de travail? Comment ça va évoluer avec tout le... Est-ce que vous réfléchissez à ces choses-là? Faites-vous des études?

• (15 h 40) •

Mme St-Onge (Pascale) : Bien sûr, on a fait plusieurs études sur toutes ces questions-là. On étudie différents modèles qui pourront être appliqués. Mais ce qui est surtout évident pour nous, c'est que, dans toutes les évolutions technologiques qu'on a vécues, il y a eu un moment où on a légiféré et on a réglementé les nouvelles technologies. Et il va falloir passer par là à un moment donné parce que, sinon, vous l'avez dit, c'est l'ensemble de nos industries qui vont être profondément affectées et transformées par cette évolution technologique là.

Et, je crois, là, le dernier rapport du CRTC allait exactement dans cette direction-là, c'est-à-dire que ceux qui profitent aujourd'hui des contenus qu'on produit, nous, que ce soit du contenu d'information, ou la musique, ou d'autres, donc ceux qui profitent de ça, ils doivent participer au financement de ce contenu-là, sinon c'est le contenu, à un moment donné, qu'on n'aura plus. On va avoir des beaux tuyaux, de la belle technologie, mais avec pas grand-chose d'intéressant dedans.

Donc, oui, on réfléchit à toutes ces questions-là puis on se prononce à toutes les commissions parlementaires. Puis, dans les relations de travail, je pense qu'on a su d'adapter puis adapter nos conventions collectives, nos conditions de travail pour être capables, là, de suivre l'évolution technologique. Puis on l'a fait assez rapidement, je dirais même, avec une pointe d'humour, beaucoup plus rapidement que les gouvernements ont su s'adapter aux nouvelles technologies. On le fait quotidiennement dans nos conventions collectives.

Mme Samson : Merci.

La Présidente (Mme de Santis) : M. Létourneau.

M. Létourneau (Jacques) : Bien, puisqu'on est à l'Assemblée nationale, rappeler que les deux grands enjeux qui traversent notre époque, la mondialisation, l'ouverture des marchés et tout le phénomène des transformations technologiques obligent les États, que ce soit un État provincial ou encore un État central comme le gouvernement fédéral, à mettre en application une réglementation pour mettre de l'ordre dans la maison. Sinon, si ce n'est que le libre marché qui détermine, bien, vous savez comme moi qui va l'emporter, et ce, au détriment de la démocratie. C'est un principe général qui s'applique à l'ensemble de l'activité humaine et économique, y compris sur l'avenir de la presse, de la presse écrite.

La Présidente (Mme de Santis) : Mme la députée.

Mme Samson : Oui, merci, Mme la Présidente. J'aurais une autre question, et là ce n'est pas la question qui tue, mais pas loin, là. Je vous avertis d'avance. Vous avez parlé, Mme St-Onge, de l'importance de l'indépendance journalistique. Selon votre expérience puis votre implication dans l'industrie, autant de la presse écrite que des médias en général, est-ce que vous pouvez nous dire si les politiques et les pratiques d'indépendance journalistique de La Presse sont exemplaires, piètres ou semblables à ce que vous pouvez observer ailleurs?

Mme St-Onge (Pascale) : Bien, écoutez, le...

Mme Samson : Ça ne tue pas, mais ça peut faire mal, là. Je vous dis ça.

Mme St-Onge (Pascale) : Oui, mais le syndicat, tantôt, de l'information va, j'en suis sûre, se faire un plaisir de répondre à ça. Mais, à notre avis, le code d'éthique et les pratiques journalistiques à La Presse répondent aux plus hauts standards. Il y a des codes d'éthique adoptés par la Fédération professionnelle des journalistes. Il y a ceux des conventions collectives, il y a ceux du Conseil de presse, et on les respecte tous. Et, quand on ne les respecte pas, et ça, dans n'importe quelle entreprise, le public fait des plaintes au Conseil de presse, et on est redevables de ce qu'on publie, de ce qu'on... et du travail qu'on fait. Donc, oui, les standards de la salle de nouvelles à La Presse sont aussi élevés que Radio-Canada ou n'importe où ailleurs.

La Présidente (Mme de Santis) : ...vous avez 46 secondes.

Mme Samson : 36 secondes.

Une voix : Une anecdote?

Mme Samson : Non, je n'ai pas d'anecdote, non. J'ai terminé, madame.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Maintenant, la parole est à la députée de Vachon pour trois minutes.

Mme Ouellet : Merci. Donc, bienvenue à l'Assemblée nationale. Vous parliez des géants du Web. Je suis allée chercher certaines informations, parce que je pense qu'on se parle entre géants, donc, Google, on parle de 109 milliards de revenus par année; Power Corporation, de 52 milliards par année; et Facebook, de 40 milliards par année. Donc, je pense que Power Corporation fait partie des géants de ce monde.

Et moi, j'ai une grande préoccupation par rapport aux emplois et je suis quand même assez surprise, là, de votre volonté d'aller de l'avant malgré le peu d'informations sur la suite des choses, parce qu'il me semble que La Presse, on a une bien meilleure garantie pour la suite des choses avec un endosseur comme Power Corporation que comme un OBNL avec pas d'endosseur pantoute. Power Corporation, depuis déjà un certain nombre d'années, rembourse ou absorbe les dettes de La Presse. Et donc c'est pour ça que, dans ce sens-là, quand vous dites que la structure n'a aucun impact, ce n'est pas vrai. Moi, je pense que la structure a de l'impact. Et vous dites qu'un financement qui sera universel... bien, en fait, actuellement, ce qu'on est en train de discuter, ce n'est pas universel, parce que le financement sera, au Québec, accessible seulement qu'à Power Corporation à travers des dons de charité. Donc, il y a deux éléments dans ça où vous venez nous dire que vous n'avez pas à vous ingérer, puis on est d'accord, mais il y a des décisions du gouvernement où on doit aussi s'assurer d'une certaine équité, et ça, je pense que c'est notre rôle. Je pense que vous avez un rôle comme syndicat, mais on a un rôle comme parlementaires aussi.

Donc, moi, je voudrais connaître mieux votre niveau de sécurité de penser que les emplois dans l'OBNL... Parce que, 50 milliards, je ne sais pas à quelle vitesse ça se brûle à La Presse... 50 millions, excusez, à quelle vitesse ça se brûle à La Presse parce qu'on n'a aucun état financier, on n'a aucune idée des dépenses annuelles. Je ne sais pas combien de temps ça dure, mais, quand Power Corporation est là, vous savez que vous avez un géant avec vous, à côté. Quand Power Corporation ne sera plus là, ça ne sera plus le cas.

Mme St-Onge (Pascale) : Encore une fois, je vous remercie...

La Présidente (Mme de Santis) : ...secondes.

Mme St-Onge (Pascale) : ...très court. Encore une fois, je vous remercie de votre préoccupation par rapport à l'avenir des emplois, et tout ça. Je vous dirais qu'à l'heure actuelle Power Corporation n'a aucune obligation légale de maintenir La Presse ouverte et de maintenir les emplois, même si on le souhaiterait. Donc, oui, on peut penser que Power Corporation, c'est un bon endosseur avec les difficultés économiques qu'on connaît, à l'industrie des médias, à l'heure actuelle, mais il n'y a aucune obligation légale qui force une entreprise à garder ouverte une de ses filiales, surtout si, et je ne dis pas que c'est le cas, mais surtout si cette entreprise-là perd de l'argent. Il n'y a aucune loi qui oblige une corporation à rester ouverte.

Donc, pour nous, la garantie que La Presse va être plus solide à l'intérieur de Power Corporation ou à l'extérieur de Corporation, malheureusement, on n'est pas capable de défendre cette position-là parce qu'on n'a aucune garantie que Power va garder La Presse ouverte.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, Mme St-Onge. Merci, M. Létourneau. Vous avez bien participé à nos travaux et vous êtes présents. Alors, merci beaucoup d'être là.

Nous allons maintenant permettre aux représentants du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse de prendre place.

Et nous allons suspendre pour quelques instants.

(Suspension de la séance à 15 h 47)

(Reprise à 15 h 48)

La Présidente (Mme de Santis) : Je souhaite la bienvenue aux représentants du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé, et ensuite nous allons procéder à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite à vous présenter, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, et ensuite procéder à votre exposé. La parole est à vous.

Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse (STIP)

M. Champagne (Éric-Pierre) : Merci, Mme la Présidente. Merci, Mme la ministre et messieurs dames les parlementaires, de nous accueillir. Je m'appelle Éric-Pierre Champagne, je suis le premier vice-président du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse. J'ai avec moi Charles Côté, qui est le président du syndicat, le même syndicat, et Janie Gosselin, qui est la secrétaire du syndicat. Je prends seulement une minute, là, ou deux pour vous adresser la parole, parce que je suis aussi le coordonnateur des syndicats CSN à La Presse. Donc, à ce titre-là, je représente quelque 300 employés. On parle évidemment des employés de la rédaction, des employés des bureaux, donc le syndicat des bureaux, les employés de l'informatique et de la filiale Nuglif, la filiale de La Presse Nuglif, qui fait essentiellement le développement technologique. Donc, je représente ces 300 personnes là.

J'ai entendu aujourd'hui plusieurs parlementaires qui se disent préoccupés par les emplois. Alors, ça tombe bien parce que les employés aussi sont très préoccupés, très inquiets. Ils sont inquiets, bon, pour plusieurs raisons. Premièrement, parce qu'ils travaillent depuis maintenant de nombreuses années dans une industrie qui vit une crise historique. Alors, ça crée beaucoup d'incertitude, et, cette incertitude-là, on la vit au quotidien.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'il y a plusieurs emplois qui ont disparu à La Presse au cours des dernières années. On vous a rappelé ce matin que La Presse est passée de 910 à 550 employés au cours des dernières années. Juste rappeler rapidement qu'en 2015 il y a eu des coupes historiques. Il y a 157 personnes qui ont perdu leur emploi ce jour-là ou dans les semaines suivantes. Donc, les gens ont tout ça en tête et ils craignent toujours qu'il y ait d'autres coupures, évidemment.

• (15 h 50) •

Mes collègues sont donc inquiets, mais ils ont aussi... ils sont aussi très inquiets de la situation actuelle et ils ont très hâte de voir l'Assemblée nationale se prononcer sur la question qui leur est posée. Alors, je suis certain, en fait, qu'il y a probablement plusieurs de mes collègues qui suivent présentement les travaux de cette commission-là. Ils la suivent en direct et, en fait, ils espèrent certainement que, grâce à leurs représentants, les membres de l'Assemblée nationale, que les membres de cette commission vont les avoir entendus.

Alors, sur ce, bien, je cède la parole à Charles Côté, qui est le président du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse, donc Charles Côté qui est aussi mon collègue et un ami.

M. Côté (Charles) : Oui, merci, Éric-Pierre. Merci, Mme la ministre, MM., Mmes les députés. Donc, le STIP compte plus de 200 membres, donc artisans de la salle de rédaction, journalistes, photographes, pupitreurs, graphistes, réviseurs, éditeurs photo, recherchistes et aussi trois éditorialistes syndiqués.

Donc, nous sommes ici parce que le STIP et les autres syndicats affiliés à la CSN, donc informatique, Nuglif et bureau, appuient la demande de La Presse pour permettre à celle-ci de passer des mains de Power Corporation à une fiducie d'utilité sociale.

Alors, pourquoi on appuie cette demande? Parce qu'on connaît très bien le contexte actuel et nous croyons que cette structure proposée par La Presse est la meilleure avenue pour assurer l'avenir à court et à long terme d'un journal qui occupe une place fondamentale dans la société québécoise.

Évidemment, il n'y a aucune garantie de succès, on n'est pas les premiers à vous le dire. Les médias sont en crise, la presse écrite est en crise, fait face à des géants étrangers. Ça coûte très cher, avoir les équipes capables de répliquer à ces géants-là sur le plan technologique, entre autres. Mais, à travers tout ça, La Presse a su garder sa pertinence, et ce n'est pas rien de passer d'un support papier à un support électronique, d'augmenter son lectorat. Moi, comme journaliste, j'étais inquiet. Quand on a passé... quand le papier a disparu et quand... et on voit que notre travail a toujours autant d'impact, toujours autant de pertinence. Probablement que les parlementaires ici sont capables d'en témoigner.

Pour nous, le statu quo n'est pas une option. Si rien n'est fait, la situation va continuer de s'empirer, et l'emprise de Google et Facebook va grandir, pas seulement sur les revenus, mais aussi sur la circulation de l'information. Et ça, si vous voulez nous poser des questions là-dessus après, on va être très, très heureux d'y répondre.

Donc, pourquoi dire oui à la demande de La Presse? Revenons à ce qui est l'objet du projet de loi, c'est-à-dire est-ce que Power Corporation peut céder La Presse à une fiducie d'utilité sociale? Donc, La Presse, actuellement, a un actionnaire unique, Power Corporation. La transaction fera en sorte que La Presse aura un autre actionnaire unique, soit une fiducie d'utilité sociale. Le premier effet de ça, ça enlève une pression pour faire des profits, pression qui vient des actionnaires, qui vient du conseil d'administration, qui vient de l'assemblée des actionnaires. La transformation, entre autres, ne change rien à la concentration des médias au Québec. Donc, les parlementaires s'inquiètent, parfois avec raison, de cette question-là, mais, pour une fois, cette transaction-là n'y change rien.

Plusieurs questions sont posées par les parlementaires, comme l'a dit ma collègue tout à l'heure. C'est tout à fait pertinent, mais, à notre avis, elles sont posées dans le mauvais forum. L'intention législative de 1967 était d'empêcher La Presse de passer aux mains d'un actionnaire étranger. Ce dont on parle, c'est de céder La Presse à une fiducie québécoise, et, selon les lois qui gouvernent les fiducies dans le Code civil, La Presse ne pourra plus jamais être cédée à un autre actionnaire, à moins que ce soit une autre fiducie qui partage le plus possible les buts de la fiducie précédente, et tout ça, ça devrait être vérifié et approuvé par un juge de la Cour supérieure. En tout cas, c'est notre compréhension du Code civil. Donc, ça apporte à peu près les mêmes garanties qu'apportait la loi de 1967.

Encore une fois, il faut préciser que le vote que l'Assemblée nationale devra prendre n'accorde aucun avantage supplémentaire à La Presse. Il n'y a rien qui existe actuellement, ni dans les lois fiscales, qui permet à La Presse de devenir un organisme de bienfaisance. Cependant, La Presse pourra effectivement solliciter des dons sans émettre de reçus d'impôt, comme le font certains grands médias. Moi, j'ai donné 50 $ au Guardian cette année parce que je trouve qu'ils font une très bonne job et je n'ai pas reçu de reçu d'impôt du gouvernement du Royaume-Uni. Et c'est tout à fait quelque chose qui pourrait se produire, c'est quelque chose qui se fait même au Québec avec Le Devoir, Les Amis du Devoir. Alors, je ne vois pas qu'est-ce qu'il y a de scandaleux là-dedans.

La Presse est déjà éligible à un programme d'aide financière mis sur pied par le gouvernement du Québec pour la transformation numérique. Elle ne profite pas d'avantages supplémentaires par rapport aux autres médias. Évidemment, elle va y participer, puis c'est une très bonne idée d'avoir mis ce programme sur pied.

Et, doit-on rappeler, on n'est pas les premiers, là, qu'aucun autre média au Québec ne doit soumettre sa transformation à l'Assemblée nationale, bien qu'il y a eu de nombreuses transactions, dans le monde des médias, qui ont souvent eu des effets assez délétères sur l'emploi et sur l'information.

Alors, bien entendu, cette annonce-là a pris bien du monde par surprise, soulève des questions sur la gouvernance. Évidemment, la première chose que j'ai faite quand ça a été annoncé aux employés le 8 mai, j'ai été le premier à aller au micro. J'ai dit deux choses. J'ai dit, premièrement, à M. Desmarais : Je trouve que les Desmarais ont été des propriétaires exemplaires du point de vue du respect de l'indépendance journalistique à la rédaction à La Presse, et deuxième chose : Est-ce qu'on peut avoir une place au conseil d'administration? C'est les deux choses que j'ai dites dans la première minute suivant l'annonce.

Donc, on est toujours sur cette page-là aujourd'hui. La direction nous a répondu qu'elle était prête à entendre les préoccupations des employés et des syndicats à cet égard-là, pour ce qui est de la représentation. Mais évidemment on n'en fait pas une condition, on ne vous demande pas de nous aider à arriver à cet objectif-là. On croit bien qu'on va être capables d'y arriver tout seuls.

Donc, rappelons qu'à La Presse il y a une convention collective avec un chapitre complet sur les clauses professionnelles. On vous a distribué un extrait de ces clauses-là. Il y a des choses... Évidemment, on est un syndicat d'employés, donc on défend les droits des employés comme tous les syndicats le font puis on cherche à améliorer leurs conditions de travail ou à les détériorer le moins possible, comme c'est le cas plutôt à La Presse depuis quelques années.

Ceci dit, il y a tout un chapitre de clauses professionnelles et il y a des dispositions que vous ne trouverez pas dans d'autres conventions collectives. Par exemple, quand on nomme un vice-président à l'information à La Presse, ou un directeur principal, les employés de la rédaction sont consultés, et on mentionne donc que l'employeur et le syndicat reconnaissent l'indépendance professionnelle des employés selon les modalités prévues à la présente convention. Et on dit aussi que la première obligation des journalistes à La Presse est à l'égard du public. Donc, il n'y a pas beaucoup d'entreprises privées où la première obligation des employés, c'est à l'égard du public.

Donc, l'intérêt public a toujours été à coeur des préoccupations du syndicat à la rédaction à La Presse. Dans les années 50, les journalistes ont fait la grève pour avoir le droit de signer leurs textes dans leur propre journal et aussi pour instaurer des lignes claires entre la publicité puis la rédaction. Plus récemment, pour sauter quelque... 50 ans ou 60 ans en avant, le syndicat a mené une bataille pour obtenir des règles plus claires pour les textes publicitaires publiés dans La Presse+. On a déposé des dizaines de griefs. On a fait une médiation et on s'est entendus avec l'employeur pour une façon d'identifier ces textes publicitaires correctement.

Donc, nous sommes très contents et on prend note de toutes les préoccupations qu'on entend ici sur les emplois à La Presse, les emplois de journalistes et tous les autres emplois. Et soyez assurés que c'est aussi notre première préoccupation et qu'on est aussi les mieux placés pour évaluer l'impact de la proposition de La Presse sur les emplois. Et on a accès, sous le couvert d'une entente de confidentialité, comme il se doit, aux données financières de l'entreprise et on va en tenir compte dans nos négociations. Comme il se doit dans toute entreprise qui demande des concessions importantes à ses employés, eh bien, évidemment, on veut voir ce qui se passe et puis on va en tenir compte.

Donc, en conclusion, on est heureux de constater que les parlementaires se préoccupent de questions comme le financement des médias, l'indépendance de l'information, l'avenir de l'information, qui est l'oxygène de la démocratie. Ces questions-là sont pertinentes, mais ce n'est pas dans ce cadre-ci, concernant juste La Presse, que ça...

La Présidente (Mme de Santis) : ...s'il vous plaît.

M. Côté (Charles) : Oui, j'achève. Donc, nous croyons que les parlementaires doivent adopter la loi n° 400, et, si on invoquait des raisons étrangères à l'objet de la loi pour ne pas l'adopter, eh bien, quant à nous, ça serait une tentative d'ingérence. Alors, bien, merci beaucoup.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Mme la ministre, la parole est à vous.

Mme Montpetit : Merci beaucoup, Mme la Présidente. M. Côté, M. Champagne, Mme Gosselin, merci d'être présents avec nous. C'est important d'entendre ce que vous avez à dire aujourd'hui. Je pense que ça vient certainement éclairer notre travail de parlementaires pour prendre les bonnes décisions, en effet, sur ce petit mais important projet... bref, mais important projet de loi.

Effectivement, vous l'avez mentionné, il y a beaucoup de questions qui ont été soulevées mais qui sont loin de la portée du projet de loi qui nous occupe aujourd'hui. Donc, on va essayer de maintenir nos échanges sur ce qui fait l'objet de nos débats. Vous avez mentionné, entre autres, que, bon, vous êtes... les syndicats, en fait, sont vraiment partie prenante de la décision, de la proposition qui est faite, puis on voit très bien que vous êtes présents, les quatre syndicats, aujourd'hui avec La Presse et que vous semblez parler d'une même voix sur la nécessité d'aller de l'avant sur ce projet.

Et j'aimerais ça que vous nous en disiez davantage, entre autres, sur le rôle que vous avez joué et que vous allez être amené à jouer également, comme syndicat, auprès du processus qui est en train de se mettre en place, là.

• (16 heures) •

M. Côté (Charles) : Bien, la première chose qu'il faut savoir, c'est que, donc, il y a quatre syndicats à La Presse. Il y en a trois CSN, un FTQ. Et, pour ce qui est du syndicat FTQ, ils ont conclu une convention collective à la fin de l'an dernier. Pour les trois syndicats CSN, ce n'est pas le cas. Donc, on est toujours en négociation, on est en demande sur plusieurs points. C'est une négociation qui se déroule sous des paramètres normaux, si on veut. Évidemment, ces jours-ci, on sent que les gens sont occupés à d'autres occupations plus pressantes, mais certainement que la négociation va reprendre.

Donc, ça, c'est une façon que le syndicat, particulièrement à la rédaction, va jouer son rôle pour les questions qui peuvent être soulevées, de gouvernance, et de transparence, et de respect de l'indépendance professionnelle. Mais, comme je vous dis, on est dans un cadre qui nous est familier, on a confiance dans la haute direction de La Presse actuelle pour ce qui est de ces questions-là et aussi on a une ouverture pour regarder les préoccupations des employés quant à la représentation. Mais on maintient que, pour l'instant, très certainement, la représentation au conseil d'administration, c'est une voie à explorer.

Plus largement, par exemple, puis ça permettrait de souligner le travail remarquable de Pascale St-Onge, qui m'a précédé ici, évidemment, comme syndicats de journalistes, on travaille en groupe — on arrive d'un congrès la semaine dernière à Saguenay — et, depuis maintenant deux ans et demi, on voit la tempête venir, et, de manière plus aiguë, et on a fait le constat, et ça, c'est quelque chose qui s'adresse vraiment aux parlementaires qui sont devant nous aujourd'hui, on fait le constat que, pour financer un système d'information de qualité telle qu'on l'a aujourd'hui, avec les revenus traditionnels des médias, ça va devenir pratiquement impossible, si ce n'est pas déjà le cas, et ça, c'est vrai pour tous les médias. Et on a lancé ce débat-là déjà, depuis deux ans et demi, et on fait des représentations sur les deux collines parlementaires, qui ont trouvé écho, je dirais, parce que je pense que tout le monde saisit aujourd'hui l'importance des médias existants.

Quand les changements technologiques ont commencé, tout le monde pensait qu'il y aurait des nouveaux médias qui émergeraient, qui seraient capables de prendre le relais, prendre la place. Pour toutes sortes de raisons, ça n'a pas vraiment été le cas. Et là, maintenant, ce qui est en train de prendre la place, c'est les réseaux sociaux, les réseaux sociaux dont le modèle d'affaires n'est pas de faire circuler de l'information vérifiée. Le modèle d'affaires des réseaux sociaux, c'est de faire circuler de l'information qui suscite une réaction. Donc, c'est plus facile de susciter une réaction en écrivant des faussetés ou en étant déplaisant qu'en produisant de l'information de qualité, et ça, c'est à peu près la chose la plus dangereuse qui nous guette actuellement.

Donc, effectivement, YouTube, le modèle d'affaires de YouTube, c'est d'avoir des gens qui sont... Bien d'ailleurs, dans La Presse, il y a deux semaines, il y avait un dossier là-dessus de mon collègue Gabriel Béland. Il y a un blogueur YouTube qui tient des propos antisémites au Québec et qui fait de l'argent parce que les gens surenchérissent sur son antisémitisme et, mettons, ils mettent 10 $ pour que le commentaire antisémite paraisse sur la vidéo de ce monsieur. Google, via YouTube, se met 3 $ dans les poches, et puis le monsieur, dans son sous-sol... je ne sais pas s'il est dans son sous-sol, mais, bref, le monsieur se met 7 $ dans les poches.

Donc, ça, c'est le modèle d'affaires de la nouvelle économie de l'information. Je suis certain que ce n'est pas ça qu'on veut, je suis certain que les parlementaires ici, autour de la table, ils ne veulent pas, dans cinq ans, dans 10 ans, donner des entrevues à un blogueur antisémite dans son sous-sol, O.K.? Je pense que... Et il y a un système d'information qui a été érigé au fil des ans, il y a eu les médias, les propriétaires de médias, il y a eu les syndicats, il y a eu les syndicats de journalistes. Tout ça s'est mis ensemble pour essayer d'avoir quelque chose qui se tient, qui réussit à être performant pour produire une information de qualité et vérifiée. C'est ça qui est en danger.

La Presse a choisi une manière de perpétuer ce rôle-là dans la société. Nous, on appuie ça, on l'appuie à 100 %. Ce n'est pas la seule façon, mais c'est certainement une façon. Et la décision que l'Assemblée nationale a à prendre aujourd'hui ne procure aucun avantage supplémentaire à La Presse. Le lendemain matin, là, La Presse n'est pas mieux, elle n'est pas pire, elle est transformée. Oui, il y a un élément qui va... dont je parlais tantôt : on peut commencer à solliciter des dons. Ça ne nous donne pas le droit d'écrire des reçus d'impôt, mais on peut solliciter des dons, il y a de nombreux médias qui le font. Donc, je pense, si on prend un pas de recul, là, c'est plutôt toute la situation de l'information, et l'avenir de l'information, qui est en cause et qu'il va falloir examiner dans une autre instance ou peut-être dans une autre commission parlementaire très bientôt.

La Présidente (Mme de Santis) : Mme la ministre... Pardon.

M. Champagne (Éric-Pierre) : Juste 30 secondes, rapidement, parce que je voudrais ajouter... Les syndicats, si La Presse est transformée, vont toujours exister, les conventions collectives continuent d'exister. Donc, si ça peut rassurer les parlementaires, ce n'est pas la disparition des syndicats à La Presse si La Presse est cédée à une fiducie d'utilité sociale, là.

La Présidente (Mme de Santis) : Mme la ministre.

Mme Montpetit : Oui. Peut-être juste confirmer à M. Côté qu'effectivement on partage, je partage certainement vos préoccupations et je suis certaine que l'ensemble des parlementaires aussi, ils sont très concernés par ce qui se passe en ce moment et sur l'importance, effectivement, de s'adresser à la question de l'avenir de l'information, comme vous l'avez mentionné. Et vous n'êtes pas sans savoir, justement, que les mesures auxquelles je faisais référence plus tôt, justement, de soutien à la transformation, aux différents médias, le plan d'aide aux médias qui a été annoncé à l'automne pour les médias communautaires, pour la presse écrite, c'est des premiers pas dans cette direction-là. Mais je pense que vous avez certainement raison de souligner qu'il faudra collectivement aussi entamer une réflexion plus vaste que ça parce que, vous en faites mention, la qualité journalistique n'est pas seulement importante, elle est déterminante. Elle est déterminante de notre société et déterminante de l'information à laquelle on a accès. C'est sûr que, pour nous, comme parlementaires, c'est extrêmement, extrêmement important de s'assurer que ça demeure. Et, les exemples auxquels vous faites référence, on en est bien conscient, que la guerre des clics, comme on... les clics avec un «c», amène un certain dérapage ou à une certaine désinformation aussi, que l'on ne souhaite pas, personne. Donc, soyez rassurés qu'on est bien conscients de la crise à laquelle est confronté les médias. Puis je pense que vous soulignez effectivement le travail de Mme St-Onge. Elle nous a interpelés à plusieurs reprises à cet effet-là, et je suis certaine qu'elle a bien mesuré l'écho qui a été donné à ses représentations et aux demandes qui ont été faites.

Plus largement, vous parliez aussi de votre préoccupation sur toute la question du maintien des emplois. Je pense que c'est quelque chose sur laquelle on souhaiterait être éclairés encore davantage pour bien mesurer l'ampleur de la décision qui va être prise par chacun des parlementaires d'aller de l'avant ou non, de donner son aval ou non à ce projet de loi là. Comment vous voyez... Vous êtes à la ligne de front, au premier plan pour voir justement ce qui s'est passé dans les dernières années et comment vous voyez la suite des choses avec les différentes transformations que subissent les médias. Comment vous envisagez, justement, les conséquences qu'il pourrait y avoir sur la salle d'information, sur les emplois à La Presse si le modèle, justement... si le projet de loi ne devait pas être avalisé?

M. Côté (Charles) : Bien, je comprends qu'il y a certaines personnes, peut-être, qui ne sentent pas l'urgence, mais nous, très certainement. Les employés de La Presse, on vit dans l'urgence depuis longtemps, O.K.? Et puis, nos patrons, on sait très bien qu'ils sont à la recherche de solutions à temps complet, O.K.? Et ça bouge très vite, comme on l'a dit, dans le domaine de l'information, dans le domaine du marché publicitaire en particulier, ça bouge plus vite que la capacité de réaction des gouvernements puis des administrations. Puis ça, c'est un constat, ce n'est pas un blâme, là, c'est ce qu'on comprend, puis on le voit au gouvernement fédéral. On a appris hier qu'après avoir fait une consultation de 18 mois on repart dans un autre cycle de consultations de 18 mois avant de savoir si on ne va pas intervenir dans le domaine de l'économie numérique. Donc, nous, devant ça, on vit plus dans l'urgence, effectivement.

Et, ceci dit, si je peux parler de ce qu'il s'est passé à La Presse, il y a eu de très nombreuses pertes d'emploi, mais le nombre d'emplois à la rédaction à La Presse est à peu près au même niveau qu'il était en 2009. Je ne pense pas que vous trouverez beaucoup de médias qui ont réussi ce tour de force là en Amérique du Nord. Oui, tout le monde parle du succès du New York Times, du Washington Post, mais c'est toujours les deux exceptions qui confirment la règle. Alors, moi, je suis tout content du travail accompli jusqu'à maintenant. Puis la raison pour laquelle on appuie le projet de l'employeur, c'est qu'on pense que c'est peut-être la meilleure façon de continuer ce travail-là.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. M. le député de LaFontaine, pour 3 min 50 s.

M. Tanguay : Oui. Merci beaucoup. Merci d'être là, merci d'éclairer nos lanternes. M. Côté, vous êtes le président du Syndicat des travailleurs de l'information de La Presse, et je pense que vous nous aviez communiqué des extraits de votre convention collective où il est dit évidemment l'importance que les parties reconnaissent à la liberté de presse, qui est un droit fondamental. Je cite la dernière clause, la dernière partie de la clause 7.02 : «Il est essentiel pour la protection de ces droits fondamentaux que la presse soit libre de rechercher la nouvelle sans obstruction ou intervention de qui que ce soit, [...]libre de publier les nouvelles et [...] les commenter.» Ça, je prends pour acquis évidemment que vous le vivez à La Presse, que c'est ce que vous vivez à tous les jours. C'est la réponse courte, ça?

• (16 h 10) •

M. Côté (Charles) : Oui, oui. En gros, oui.

M. Tanguay : Vous le vivez. Est-ce que la présence d'un espace éditorial limite, interfère votre liberté de presse de journaliste?

M. Côté (Charles) : Bien, c'est sous deux directions différentes. Donc, il y a un éditorialiste en chef avec ses employés, puis il y a un directeur de l'information avec ses employés. Donc, ils sont membres chez nous, évidemment. Il y a trois éditorialistes, puis il y a aussi un graphiste, il y a deux graphistes-pupitreurs, il y a le caricaturiste — Chapleau est membre de notre syndicat. Mais, sinon, du point de vue de la direction, c'est deux directions séparées. Il n'y a pas d'interaction. Il n'y a pas d'interférence entre les deux services.

M. Tanguay : Et vous avez dit un peu plus tôt que les Desmarais, et je vous cite, «ont été exemplaires quant à l'indépendance journalistique». Est-ce que ça a déjà fait partie de vos revendications, de dire : Bien, cessez l'espace éditorial parce qu'elle interfère avec la liberté de nos journalistes?

M. Côté (Charles) : Ah non! Pas du tout. Bien, certainement pas pour cette raison. En tout cas, c'est la pratique en Amérique du Nord que la page éditoriale est la page du propriétaire, là, puis on n'a jamais contesté ça.

M. Tanguay : Puis est-ce que ça a encore lieu, ça, aujourd'hui, d'avoir un espace éditorial? Vous dites que c'est la pratique en Amérique du Nord. Ça a encore sa place, ça, cet espace-là?

M. Côté (Charles) : Bien, d'après ce que je vois, oui. Bien, il y a certains journaux qui n'ont pas de page éditoriale, mais c'est une infime minorité, là.

M. Tanguay : Puis est-ce qu'à la page éditoriale il y a une importance d'avoir une liberté, là, également. Je veux dire, l'éditeur...

M. Côté (Charles) : Bien, également, là aussi, là. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a aussi des clauses...

M. Tanguay : Ce qui est bon pour l'un est bon pour l'autre aussi, en termes de liberté.

M. Côté (Charles) : Bien, c'est-à-dire, moi, je n'ai jamais travaillé à l'éditorial. Je ne peux vraiment pas parler en leur nom, mais je sais qu'ils bénéficient des mêmes clauses professionnelles. Ils sont soumis à la même convention collective.

M. Tanguay : Dernière question. S'il y avait une continuité quant à cette interaction-là, espace éditorial, espace journalistique, s'il y avait une continuité après le projet de loi n° 400, est-ce que vous seriez satisfaits?

M. Côté (Charles) : Bien, nous, la continuité, on serait très satisfaits.

M. Tanguay : Merci.

La Présidente (Mme de Santis) : Vous avez encore 1 min 23 s.

M. Tanguay : Merci. J'ai terminé.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Donc, la parole est maintenant au député de Matane-Matapédia pour neuf minutes.

M. Bérubé : Merci, Mme la Présidente. Alors, bienvenue aux artisans de l'information de La Presse. J'aime cette appellation. Je trouve que ça démontre la noblesse de votre travail, qu'on peut observer ici, à l'Assemblée nationale, quotidiennement, avec les membres de la colline Parlementaire, mais également à travers nos lectures, à travers nos réflexions également. Je réitère l'importance que La Presse a à nos yeux, La Presse le journal, dans l'univers médiatique québécois. C'est une grande tradition d'information, c'est des artisans, c'est des gens aussi qui, par leur condition, qu'ils ont pleinement méritée, ont une certaine indépendance, une certaine stabilité également. Je trouve ça important dans le monde actuel des médias.

Et, depuis ce matin, les questions qu'on a posées, vous le réalisez, sont très différentes, qu'elles s'adressent aux patrons ou qu'elles s'adressent aux syndiqués. On ne s'ingère pas dans les négociations. D'ailleurs, je pense que vous êtes en... Nonobstant ce qui est arrivé, vous étiez déjà en négociation avec votre patron. On ne l'a pas évoqué jusqu'à maintenant, mais on le sait. Alors, c'est public. Je ne pose pas de questions là-dessus. Ça vous appartient. Je ne pose pas de questions sur la liberté de la presse. Je sais qu'elle est acquise. Ce n'était pas là-dessus, notre questionnement, ce matin. C'était sur la ligne éditoriale. Alors, ça s'adresse davantage à un autre niveau. C'est le choix du propriétaire, le choix du propriétaire, veut se le faire financer. C'est son choix, on l'a dit, pas besoin de le ramener.

Ceci étant dit, vous n'avez pas choisi cette situation-là, puis nous non plus. Alors, moi, je ne m'attendais pas, comme leader parlementaire, à avoir un projet de loi de cette nature-là. On a dépoussiéré beaucoup de choses pour les retrouver, les débats qui ont eu lieu à l'époque. Et puis on s'est fait une tête, puis on a réfléchi, puis on pose des questions. Alors, je veux vous le dire, puis ça ne s'adresse pas particulièrement à vous, mais à tout le monde, parce que souvent... Puis on est habitués à recevoir des pressions ou des mises en garde en disant : Il faut l'adopter. Il faut faire attention. Jamais il ne nous viendrait à l'idée, comme parlementaires, de dire aux journalistes quoi faire. Et je suis convaincu que c'est la même chose pour les journalistes, qui ne diront jamais aux parlementaires quoi faire. Alors, si on s'entend là-dessus, ça va bien aller.

Parce que j'ai vu tantôt, là, quelques entrefilets où on faisait peser beaucoup de poids sur les parlementaires si ce n'était pas adopté, notamment à l'égard de la députée de Vachon. Alors, moi, comme gardien des droits des parlementaires, je vais vous dire une chose, ça m'a touché un peu. Alors, les débats vont se faire sereinement et correctement. Et, comme elle a peu de temps pour pouvoir le dire, je voulais le dire à sa place. Je pense que ses questions sont correctes, elles sont légitimes. Et puis, au bout de l'exercice, les gens vont faire le choix en âme et conscience. Moi, j'ai déjà indiqué notre volonté que vous puissiez avoir la structure que les patrons ont choisie et que vous avez acceptée, et on la respecte. Je termine là-dessus, mais je veux que ça soit clair. Vous allez voir que c'est toujours... Il n'y a pas d'ambiguïté, là, sur mes propos.

C'est sûr qu'il n'y a pas de garantie sur la suite. Mais là l'inquiétude, c'est le nombre de journalistes, je pense que c'est 240, à peu près, là, dans ces eaux-là. Il y en a déjà eu plus. S'il y avait des pertes, qu'est-ce qu'on vous dit? Parce que, tu sais, ça va devoir être épongé. Quand il y a un gros groupe, évidemment, ça aide à avoir plus d'assurance là-dessus. Est-ce qu'on vous a donné des indications comment ça pourrait fonctionner sans toucher à l'essentiel, c'est-à-dire l'information? Lors de la présentation qu'on vous a faite, là...

M. Côté (Charles) : Je ne suis pas sûr de comprendre la question. À la table de négo, ils nous ont... non, ils ne nous ont pas dit... il n'y a pas de coupes annoncées, il n'y a pas de pertes d'emploi d'annoncées, donc...

M. Bérubé : Je vais préciser davantage ma question. Si, dans la nouvelle structure, il y avait des pertes, il va falloir que quelqu'un les éponge, alors comment ça fonctionnerait?

Une voix : Des pertes financières.

M. Bérubé : Oui, des pertes financières. Oui, oui, excusez-moi.

M. Côté (Charles) : Bien, ce qu'on nous dit... Puis, encore une fois, on va avoir accès à une transparence financière. On a un protocole qui va nous permettre d'y avoir... sous le sceau de la confidentialité, évidemment, comme c'est le cas dans ces situations-là habituellement. Et on a une annonce d'un montant de 50 millions. L'employeur nous dit, et l'actionnaire nous dit : Mais ce montant-là, il a été conçu pour nous aider à passer au travers puis mettre en place une stratégie d'affaires qui pourrait rapporter des nouveaux revenus. Donc, ça, c'est quelque chose qu'on va vouloir évaluer dans le cadre de cet exercice-là.

M. Bérubé : Vous avez parlé tout à l'heure qu'il serait possible de solliciter des dons — ce qui existe ailleurs également, c'est le cas du Devoir,qui va s'adresser à nous en soirée — à travers la philanthropie, ce qui serait une nouveauté pour La Presse. Vous avez la chance d'avoir... le privilège d'avoir des lecteurs qui sont fidèles depuis longtemps, puis des lecteurs qui auront certainement envie de considérer d'appuyer La Presse. Tout à l'heure, M. Crevier nous a souligné que l'aide fédérale était essentielle, donc les dons seront insuffisants. Est-ce que c'est quelque chose qui vous préoccupe?

M. Côté (Charles) : Bien, c'est-à-dire que nous, à la Fédération nationale des communications, qui regroupe l'immense majorité des syndicats de journalistes, là, au Québec, on fait campagne depuis longtemps pour le modèle du crédit d'impôt sur la masse salariale dans les salles de rédaction. Donc, nous, on est derrière cette idée-là depuis longtemps. On pense que c'est la meilleure façon de financer une partie du travail d'une salle de rédaction, puis ça, c'est à la grandeur du Canada.

On sait que Google et Facebook font, à eux deux, entre 7 et 8 milliards de chiffre d'affaires par année au Canada et qu'ils ne sont aucunement taxés, pas de TPS, pas de TVQ. Et il y a Marwah Rizqy, qui est maintenant candidate libérale, mais, quand même, qui est une fiscaliste compétente, qui a évalué les pertes annuelles au Canada à 600 millions. Donc, est-ce qu'avec 600 millions on peut financer en partie, en tout cas, entre autres, un crédit d'impôt sur la masse salariale des salles de rédaction au Canada? Je crois bien que oui, si on estime collectivement que c'est important de le faire. Et nous, bien, à travers la fédération, on continue d'être derrière cette idée-là.

M. Bérubé : J'ai envie de... Oui?

M. Champagne (Éric-Pierre) : Il n'y a aucune garantie. Il n'y en avait pas sous Power Corporation. À preuve, il y a eu 157 emplois qui ont été perdus en 2015. Il n'y en aura pas plus dans la nouvelle structure. Évidemment, notre travail à nous, c'est d'essayer de maintenir le plus grand nombre d'emplois, mais il n'y a aucune garantie.

M. Bérubé : O.K. Oui, effectivement, puis c'est un monde qui est mouvant, c'est un monde qui est nouveau, et puis, même dans nos pratiques de lecture, nous-mêmes comme parlementaires, on réalise souvent que, même dans les médias papier, souvent on va les voir davantage sur Internet. Alors, nous-mêmes, on est témoins de ça.

J'ai envie d'utiliser le temps à ma disposition pour vous permettre d'expliquer ce crédit d'impôt et comment ça pourrait fonctionner, en tout cas la connaissance que vous en avez. Parce que l'Assemblée nationale, par exemple, je ne sais pas si c'est déjà le cas, pourrait adopter une motion unanime, je ne sais pas si ça a été fait, là, j'ai peut-être échappé ça, mais ça pourrait être une façon d'être utile pour la suite des choses si... En tout cas, moi, si ça n'a pas été fait, la députée de Vachon en a déjà parlé...

Une voix : Ça a été refusé par les libéraux.

M. Bérubé : Ça a été refusé par le parti de Marwah Rizqy? D'accord. Je relance l'idée. Moi, je prends l'engagement que, si c'est une bonne idée... D'abord, expliquez-le-nous. Et j'espère avoir l'assentiment de la ministre et de son équipe pour adopter une motion unanime qui pourrait aider La Presse. Qu'en pensez-vous?

M. Côté (Charles) : Bien, je ne me sens pas habilité à l'expliquer en détail. Je sais que la FNC a produit au moins deux études là-dessus avec l'aide d'une firme de consultants externes et d'experts indépendants. Mais toujours est-il que le modèle qu'on a en place aujourd'hui dans le secteur du jeu vidéo, c'est pour créer de l'emploi dans un secteur important, mais que l'argent s'en va dans les poches d'entreprises à but lucratif étrangères. Mais, bon, on a quand même trouvé ça acceptable de créer un crédit d'impôt sur la masse salariale dans ce secteur-là.

Là, on pense que c'est un modèle qui peut être intéressant parce que ça permet de mettre une distance. Ce n'est pas un programme de subvention, c'est un programme de crédit d'impôt, donc c'est normé puis c'est géré à distance par les gouvernements, donc c'est peut-être la meilleure façon.

• (16 h 20) •

M. Bérubé : Alors, je propose de faire oeuvre utile et de tenter avec vous et d'autres de convaincre ceux qui ne seraient pas encore d'accord avec cette idée utile et intéressante proposée par une fiscaliste qui aspire à siéger à cette Assemblée nationale, de convaincre le gouvernement d'adopter avec nous une résolution unanime, qu'on enverra à Ottawa, pour aider La Presse. Alors, c'est mon engagement, et je termine là-dessus, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Maintenant, la parole est à la députée d'Iberville pour six minutes.

Mme Samson : Merci, Mme la Présidente. Bonjour. Je voulais justement parler du crédit d'impôt. Je pense que le modèle qui est contemplé, c'est le modèle qui est largement inspiré du crédit d'impôt de la vidéo et du long métrage, que je connais particulièrement bien. C'est basé sur la main-d'oeuvre, un pourcentage de la main-d'oeuvre, etc. C'est complexe parce que la machine est habituée de le traiter projet par projet, alors que, dans une entreprise... Je comprends qu'on ne peut pas traiter chaque publication, chaque journée comme un projet, là, vous pouvez vous imaginer le «red tape» qui viendrait avec ça, donc il faudrait que la formule soit certainement assez révisée, revue et corrigée.

Je n'aurai pas besoin de vous poser ma question qui tue parce que vous y avez déjà répondu dans votre présentation, mais j'en ai une autre. On va entendre d'ici la fin de la soirée d'autres intervenants, dont certains vont s'opposer à ce que ce projet de loi là soit adopté, justement parce que La Presse pourrait bénéficier de crédits d'impôt.

M. Côté (Charles) : C'était votre question, oui?

Mme Samson : Ma question est : Comment réagissez-vous à ça si on nous présente cet argument-là qu'il n'y a pas de raison pour que La Presse ait accès à des crédits d'impôt?

M. Côté (Charles) : Il n'y a rien... Excusez.

M. Champagne (Éric-Pierre) : ...seulement La Presse va bénéficier de ces crédits d'impôt là. Évidemment, il y a déjà un programme qui permet à La Presse, mais au Devoir, à Québecor et à d'autres de bénéficier des crédits d'impôt, ce programme-là existe. S'il y en a d'autres que l'Assemblée nationale, que le prochain gouvernement souhaite mettre en place, ça sera au gouvernement d'établir les critères. Et il n'y a rien qui garantit que La Presse sera éligible ou n'y sera pas et que les autres médias ne seront pas éligibles. Nous, notre position, puis elle est en accord avec celle de la FNC, c'est que ce soit universel et que ce soient des programmes normés connus de tous.

Alors, nous, comme syndicat, on ne demande pas un traitement de faveur, là. Alors, on souhaite que, s'il y a des programmes, ça soit pour tout le monde. Alors, on ne souhaite pas que d'autres soient exclus, parce qu'à chaque fois qu'il y a des emplois de journaliste qui disparaissent on pense que ce n'est pas bon pour... ce n'est pas bon pour nous, premièrement, comme journalistes, même comme organisation syndicale, et on pense que ce n'est pas bon aussi pour l'ensemble de la société. Puis là-dessus, je ferais juste rappeler, au Québec, en ce moment, il y a 4,5 relationnistes pour un journaliste, puis ça va aller en grandissant, malheureusement, là. Je pense que c'est une question aussi qu'il faut garder en tête.

Mme Samson : Quelle distinction faites-vous entre journaliste et chroniqueur?

M. Côté (Charles) : Bien, un journaliste est là pour rapporter, enquêter éventuellement, faire des grands dossiers, des reportages, puis un chroniqueur, il est là pour peut-être faire toutes ces choses-là puis, en plus, donner son opinion. Mais donc, à La Presse, quoi, il y a 20... je n'ai pas le chiffre exact en tête, là.

Mme Samson : Est-ce que les chroniqueurs sont inclus dans votre syndicat?

M. Côté (Charles) : Oui, oui, tous les chroniqueurs sont syndiqués.

Mme Samson : Tous les chroniqueurs sont syndiqués.

M. Côté (Charles) : Oui.

Mme Samson : O.K. Il me reste quoi? Deux minutes, à peu près?

La Présidente (Mme de Santis) : 2 min 55 s.

Mme Samson : Ah! c'est bon. C'est bon quand on a fait de la TV, tu sais, on a une espèce de «cue sheet» dans la tête à longueur de journée. J'aimerais peut-être vous entendre sur — j'ai posé la question à vos collègues, tantôt, de la CSN — les bouleversements qu'ont provoqués tous les changements technologiques, vous y avez fait référence vous-même. On le sait, que, dans les médias puis à la presse écrite, c'est comme dans tous les médias, c'est une business de «people», c'est un «people business» avant toute chose, si vous n'avez pas les bons employés puis les employés... vous n'avez pas d'entreprise. De quelle manière... Et comment réfléchissez-vous à cette relation-là de travail que vous avez traditionnellement dans un mode x, y, z, les gens rentrent au bureau, ils font leur papier, vont faire leur topo, puis tout ça, là, là? Dans cinq ans, là, ou dans quatre ans, ça va être le télétravail, est-ce que vous êtes prêts? Est-ce que vos organisations sont prêtes à changer le modus operandi, compte tenu de l'évolution technologique?

M. Côté (Charles) : Je pense que c'est ce qu'on fait sans arrêt depuis 15 ans. On est toujours en négociation à La Presse, toujours, toujours, toujours, sur tous ces sujets-là.

Mme Samson : Toujours, toujours, toujours?

M. Côté (Charles) : Et là les prochains changements qu'on entrevoit, c'est peut-être... non, en fait, je ne m'avancerai pas là-dessus, mais on a fait la preuve depuis 15 ans... Moi, ça fait 20 ans que je suis impliqué au syndicat...

Mme Samson : Vous êtes condamné au changement.

M. Côté (Charles) : ...et il n'y a pas une seule année qui s'est passée sans qu'on ait une lettre d'entente ou une nouvelle création, une nouvelle fonction, permission pour embaucher des surnuméraires pour relancer la nouvelle application. Écoutez...

Une voix : Pour lancer La Presse+...

M. Côté (Charles) : Je voulais juste résumer. C'est que, comme syndicat, on a très certainement voulu toujours être là où la technologie s'en allait. Il n'a jamais été question qu'on se fasse contourner pour des raisons de changements technologiques. Et ça, ça va continuer, mais... Et nos membres aussi sont prêts, pour la plupart... bien, pas pour la plupart, mais quand c'est bien expliqué, quand c'est bien amené, ça...

Mme Samson : Le changement est accepté.

M. Côté (Charles) : Le changement est accepté.

M. Champagne (Éric-Pierre) : ...pour lancer La Presse+, l'employeur, La Presse et les syndicats ont négocié 128 lettres d'entente, si je me rappelle bien. Donc, quand Charles dit que nous sommes tout le temps en négociation, puis ce n'était pas une négociation de convention collective, là, il y a eu 128 lettres d'entente pour permettre le lancement et tous les changements qui sont arrivés avec La Presse+, donc, oui, on négocie presque quotidiennement, pour ainsi dire.

Mme Samson : ...aux nouvelles technologies, c'est bon. Je vous remercie, messieurs, merci, madame. C'est tout pour moi, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci, Mme la députée. Maintenant, la parole est à la députée de Vachon pour trois minutes.

Mme Ouellet : Merci. Bienvenue. Moi, j'aimerais ça qu'on revienne aux crédits d'impôt parce qu'effectivement... Si on est ici aujourd'hui puis qu'on parle de l'OBNL, c'est parce que cette transformation-là, elle n'est pas par hasard, c'est pour pouvoir avoir accès aux futurs crédits d'impôt du gouvernement canadien pour dons de charité. Et ce crédit d'impôt là pour dons de charité, il est seulement qu'accessible aux OBNL, donc discriminatoire sur la structure d'entreprise. Vous ne pensez pas que ce serait mieux, au lieu d'avoir un crédit d'impôt pour dons de charité, qui est discriminatoire quant à la structure d'entreprise, qui nous oblige actuellement à regarder les différentes structures d'entreprise, que ce soit plutôt un crédit d'impôt justement sur la masse salariale?

Et effectivement c'est une motion que j'ai déposée ici, à l'Assemblée nationale, qui a été appuyée par le Parti québécois, qui a été appuyée par Québec solidaire, sur laquelle ne s'est pas prononcée la CAQ, mais qui a été refusée par le Parti libéral du Québec, donc... Parce que vous dites qu'il ne faut pas qu'il y ait de discrimination, qu'il faut que ça soit des mesures universelles, mais actuellement ce qui est en jeu, ce n'est pas une mesure universelle, c'est une mesure qui est accessible seulement qu'à un OBNL. Et c'est pour ça qu'on se retrouve avec un OBNL un peu bizarre, fiducie de Power Corporation, lié à Power Corporation indirectement par les nominations, avec 52 milliards de revenus. Moi, je trouve que, pour OBNL, là, on repassera. Mais c'est ça, l'enjeu, actuellement. Ça fait que vous ne pensez pas que la solution ce serait plus un crédit d'impôt sur la masse salariale?

M. Côté (Charles) : Je pense qu'il y a deux choses là-dedans. Il y a la faculté d'un OBNL de donner des reçus d'impôt, eu égard à sa mission, puis ça, c'est oui ou non, puis je pense que l'entreprise va vivre avec. Mais c'est une autre chose de dire : Un crédit d'impôt de 35 % sur la masse salariale des salles de rédaction. Ça, vous l'avez entendu aussi de la bouche des dirigeants de La Presse, là. Ça fait que je pense que c'est vraiment deux questions différentes.

Ensuite, de dire que Power fait 50 milliards de chiffre d'affaires puis Facebook fait 50 milliards de chiffre d'affaires, ce n'est pas du tout... L'essentiel du chiffre d'affaires de Power Corporation, c'est dans un monde qui n'a rien à voir avec l'information. Et, oui, on aimerait bien ça avoir les mêmes moyens que Facebook et Google en termes d'ingénieurs en informatique, puis en intelligence artificielle, puis en «business intelligence», puis tout ce que vous voudrez, là, ça... mais c'est ça, là, mais on ne pourra jamais, à l'échelle de La Presse, avoir les mêmes ressources dans ces secteurs-là sans changer le modèle de revenus, parce que le modèle de revenus, il est brisé par Google et Facebook qui, eux, vont chercher les revenus pour financer ces développements-là. Ce n'est pas La Great-West, là, qui fait de la recherche dans ce secteur-là, là, tu sais, ce n'est pas le Groupe Investors ou... tu sais, on est une bibitte à part dans le monde de Power Corporation, on est la seule entreprise du monde médiatique à Power Corporation.

Mme Ouellet : Je comprends, mais, de toute façon, Power Corporation, une chance qu'il était là, parce que c'est ce qui a permis d'avoir une aussi grande salle de rédaction, parce qu'ils ont absorbé des déficits d'une année à l'autre.

Savez-vous ça prendrait combien...

M. Côté (Charles) : ...La Presse a fait des profits, on a le programme de partage des bénéfices, et certaines années on a reçu... on a eu le partage des bénéfices.

Mme Ouellet : Ah oui? C'est quand, la dernière année que vous avez reçu un partage de bénéfices?

M. Côté (Charles) : Je ne suis pas là pour communiquer cette information-là, mais on laisse dire des choses, sur les finances de La Presse, qui ne sont pas...

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Alors, M. Côté, M. Champagne, Mme Gosselin, merci d'avoir participé aux travaux de cette commission.

Je suspends les travaux quelques instants afin de permettre aux représentants de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 16 h 30)

(Reprise à 16 h 31)

La Présidente (Mme de Santis) : On reprend nos travaux. Je souhaite la bienvenue aux représentants de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé. Ensuite, nous allons procéder à la période d'échange avec les membres de la commission.

Je vous invite à vous présenter ainsi que les personnes qui vous accompagnent. Ensuite, vous allez procéder à votre exposé. La parole est à vous pour 10 minutes.

Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)

M. León (Atïm) : Merci, Mme la Présidente. Atïm León, je suis conseiller politique à la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, la FTQ, et, à ce titre-là, je suis le principal adjoint du président, Daniel Boyer, qui m'a demandé de le remplacer, puisqu'il est en déplacement à l'étranger. Je suis accompagné, à ma droite, par Me Kathleen Bourgault, qui est conseillère syndicale au SEPB, qui est un affilié de la FTQ, le syndicat des employés professionnels et de bureau, et aussi de Philippe St-Jean, qui est président du syndicat SEPB-574 à La Presse. Ils vont se présenter plus en détail par la suite.

Un seul mot d'introduction assez rapide, assez bref, si vous permettez. La FTQ, moi, je n'ai pas besoin de vous la présenter en détail, on est présents dans tous les secteurs de l'économie québécoise, dans toutes les régions. C'est une grande centrale syndicale qui regroupe 37 syndicats, 5 000 unités locales, dont une à La Presse. Et c'est la raison de notre présence aujourd'hui.

Lorsque La Presse a annoncé publiquement sa démarche visant à transformer sa structure légale en OSBL, il y a un peu plus de trois semaines, il s'est trouvé que le Conseil général de la FTQ, qui est l'instance décisionnelle entre nos congrès, se réunissait quelques jours plus tard. Et, à cette occasion, l'ensemble des affiliés de La Presse... voyons, de la FTQ, excusez-moi, ont publiquement exprimé leur préoccupation pour la tendance désastreuse à la fermeture de salles de presse dans les régions et dans les médias régionaux du Québec.

Je veux aussi signaler que la FTQ a eu l'occasion à maintes reprises par le passé de s'exprimer sur ces enjeux, d'insister sur son adhésion au principe fondamental de la liberté de la presse et son corollaire, qui est la responsabilité d'informer le public de manière impartiale et avec des standards professionnels élevés.

Mais, ceci étant dit, ce n'est pas le coeur de notre propos ni la question qui est posée aujourd'hui. Eu égard au projet de loi n° 400, nous sommes ici pour vous dire que nous appuyons la demande émanant de la direction de La Presse parce qu'elle a le mérite de s'accompagner, à nos yeux, des deux seules garanties qui sont pertinentes de discuter à cette étape-ci, c'est-à-dire, d'abord, pour nous encore une fois, à nos yeux, le respect des ententes signées avec les travailleurs et travailleuses syndiqués à La Presse et ensuite le désir de pérenniser ce grand quotidien qui nous semble animer la démarche de la direction de La Presse et qui, à nos yeux, est la garantie la plus importante. Pourquoi? Bien, parce que La Presse joue un rôle important dans l'expression de la pluralité des opinions au Québec et le maintien d'un dialogue démocratique fort.

Alors, j'arrête mes remarques introductives ici et je passe la parole à mes collègues du SEPB, en particulier, d'abord, à Kathleen Bourgault.

Mme Bourgault(Kathleen B.) : Alors, bonjour, Mme la Présidente. Alors, je suis heureuse d'être ici également aujourd'hui. Et je suis la conseillère syndicale attitrée au dossier de La Presse pour les employés de la publicité et la production. Je suis devant vous, car nos dirigeants du SEPB-Québec sont en comité exécutif national en Ontario actuellement.

Alors, le SEPB-Québec représente près de 15 000 membres dans les catégories d'emplois professionnels, soutien technique et administratif. Le SEPB-574, la section locale à laquelle appartient l'unité La Presse, fait partie du SEPB-Québec et donc le SEPB-574 détient l'accréditation de La Presse. Nous représentons environ 120 travailleuses et travailleurs oeuvrant en vente et en production publicitaire pour les médias numériques de La Presse, et ce, depuis plus de 50 ans.

Nous appuyons le principe du projet de loi, soit un projet permettant à La Presse d'adopter une structure OBNL. Principalement, nous sommes en faveur pour les motifs suivants.

Bon, d'une part, la loi actuelle oblige La Presse à obtenir l'autorisation de l'Assemblée nationale avant de conclure une vente de droits ou d'actions, et évidemment cela est basé sur des événements d'ordre familiaux débutant dans les années 1900. Ces événements n'ont plus de lien réel avec le rôle joué aujourd'hui par La Presse dans notre société québécoise. Évidemment, vous le savez, depuis ce matin on l'entend, il n'y a aucun autre média qui n'est assujetti à cette exigence. Également, nous considérons que La Presse devrait être traitée de la même façon que les autres médias.

Évidemment, comme conseillère syndicale dans le dossier, dans le «day to day», pour représenter les employés de La Presse, vous comprendrez que nous sommes en faveur particulièrement parce qu'il y aura respect des conditions de travail prévues dans la convention collective ainsi que de l'accréditation. La convention collective, elle est présentement en vigueur et elle expire le 31 décembre 2020. Alors, les parties admettent, de part et d'autre, qu'il s'agit d'une aliénation totale, ce qui fait en sorte que l'article 45 du Code du travail s'applique et donc, par le fait même, permet le transfert intégral de la convention collective ainsi que de l'accréditation chez la nouvelle entité.

Bref, pour nous, nous sommes satisfaits des engagements pris par l'employeur, dans l'édition du 2 juin, à l'effet que La Presse s'engage à respecter ses conventions collectives et à instaurer des régimes de retraite miroirs pour ses employés. Évidemment, nous sommes conscients que ces enjeux, malgré l'engagement de l'employeur, sont présents et demeureront présents dans le futur. Mais, à ce stade-ci, pour nous, l'article 45 s'applique, et donc les règles usuelles vont s'appliquer.

Également, pour nous, on est rassurés que Power Corporation s'est dit disposé à mettre en place, avec la collaboration des syndicats, un mécanisme afin de conserver sous sa charge les obligations passées des régimes de retraite sur une base de continuité des affaires. Évidemment, cela permet d'assurer la protection des droits des participants aux régimes de retraite, qu'ils soient actifs, inactifs et retraités.

De plus, nous sommes conscients et nous acceptons l'engagement de l'employeur à l'effet de maintenir les emplois actuellement. Donc, cela, cet engagement-là nous convient à ce stade-ci, tout en sachant qu'il y aura... il devra y avoir des discussions entre les parties pour discuter des impacts et des enjeux de la création de cette nouvelle entité. Merci.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci.

M. St-Jean(Philippe) : Et je vais compléter. Bonjour, Mme la Présidente. Je me présente, je suis Philippe St-Jean. Je prends la parole cet après-midi en tant que président de l'unité La Presse SEPB-574.

Alors, c'est un syndicat qui regroupe plus ou moins 120 travailleuses et travailleurs qui oeuvrent principalement en vente publicitaire, en production et en diffusion publicitaire, en créativité média et en recherche marketing. Les membres que je représente sont celles et ceux qui ont la responsabilité quotidienne d'alimenter la principale source de revenus pour La Presse, c'est-à-dire les revenus publicitaires, ces fameux revenus publicitaires qui décroissent de façon exponentielle chaque année, chaque trimestre, chaque mois.

• (16 h 40) •

Depuis les dernières années, bien que nos équipes ont redoublé d'efforts pour sensibiliser les annonceurs québécois et canadiens d'investir leurs budgets publicitaires au sein d'un média d'information numérique crédible, innovant, qui joue un rôle primordial pour la société québécoise, la réalité, c'est que les annonceurs consacrent tout près de 80 % de leurs budgets numériques chez deux géants américains, soit Google et Facebook. Et, pour être capable de concurrencer, dans la mesure du possible évidemment, ces deux géants, il faut inévitablement innover. En effet, il est nécessaire de renouveler régulièrement les produits offerts, d'optimiser les stratégies publicitaires pour les rendre encore plus performantes.

Les membres que je représente ont, au cours des dernières années, su adapter leurs méthodes de travail, ont su créer des outils exclusifs de mesures, ont su programmer des logiciels uniques pour permettre la publication quotidienne d'une édition numérique et engageante de La Presse, ont su maîtriser la conception d'une nouvelle forme de publicité qui mise maintenant sur l'interactivité. Bref, les membres que je représente ont mis tous les efforts nécessaires pour réussir la transformation numérique de La Presse, car on croyait que ce virage était essentiel à la survie de l'entreprise.

Aujourd'hui, on croit que si l'on veut maintenir cette salle de rédaction qui a fait et qui fait encore la renommée de La Presse, on croit que si l'on veut poursuivre le développement technologique des plateformes médiatiques performantes et engageantes, on croit que si l'on veut s'assurer de garder ce joyau québécois ici, bien ancré dans sa communauté, on croit que ça va prendre bien plus que des revenus publicitaires. Pour l'ensemble...

La Présidente (Mme de Santis) : ...

M. St-Jean (Philippe) : Oui. Pour l'ensemble de ces raisons et pour diversifier rapidement les sources de revenus de l'entreprise, on croit que la pérennité de La Presse passe d'abord par l'adoption du projet de loi n° 400.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Alors, maintenant, la parole est à la ministre, pour 15 minutes.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Mme Bourgault, M. St-Jean, M. León, merci d'être avec nous aujourd'hui. Merci pour votre présentation également. Je n'aurai qu'une seule question, en fait.

Évidemment, vous avez fait référence à la nécessité pour La Presse d'obtenir l'autorisation des parlementaires pour pouvoir soit vendre soit céder l'entreprise puis vous avez bien souligné que c'est un préalable, c'est une autorisation préalable, effectivement, qui est unique au Québec. Aucun autre média n'est assujetti à cette exigence, puis je pense qu'il est bien de souligner qu'il est sage qu'il en soit ainsi. Puis, je le répète, je pense qu'il est important effectivement que les médias soient libres de toute ingérence politique, et c'est tout ce qu'on devrait rechercher aujourd'hui, effectivement, à la fin de cette journée.

Et la chose sur laquelle je souhaiterais vous entendre... Vous avez dit dans... en fait, c'est souligné dans le mémoire que vous nous avez déposé, vous dites que l'avenir de La Presse se joue aujourd'hui. C'est une affirmation qui est très, très forte. Et je partage l'opinion, bon, du leader de l'opposition sur le fait qu'effectivement... Je ne pense pas qu'on cherche à mettre de la pression sur les parlementaires avec ce genre d'opinion, mais je pense qu'aussi il faut éclairer les membres de cette commission. Comme vous êtes certainement, encore là, comme je le mentionnais, que ce soient les employés, l'employeur, les travailleurs, les syndicats, les premiers à être capables d'évaluer cette situation, j'aimerais bien que vous puissiez nous dire qu'est-ce qui vous porte à avoir une affirmation aussi forte.

M. St-Jean (Philippe) : Oui. En fait, je peux peut-être répondre à cette question-là. En fait, moi, je suis en contact directement avec les revenus publicitaires. C'est mon équipe et moi aussi, mes collègues qui travaillent avec les revenus publicitaires. Le statu quo, on l'a répété sur plusieurs tribunes, ce n'est pas une option pour nous. Il faut revoir le modèle. Et on pense, on croit que le modèle qui a été présenté par la direction de La Presse est un modèle qui fait du sens. Ça nous permet de diversifier aussi les revenus de La Presse, de diversifier les sources de revenus. Ça enlève évidemment une grosse pression également sur les équipes de vente, qui eux... qui elles, plutôt, sentent une pression de plus en plus élevée en raison des deux grands joueurs américains, Google et Facebook. Alors, oui, je crois que l'avenir de La Presse se joue en ce moment.

Mme Montpetit : Parfait. Je vous remercie, Mme la Présidente. À moins que j'aie des collègues...pour moi, ça fera le tour, je vous remercie.

La Présidente (Mme de Santis) : Est-ce qu'il y a des collègues qui... Non? Alors, maintenant, la parole est au député de Matane-Matapédia, pour neuf minutes.

M. Bérubé : Merci, Mme la Présidente. À mon tour de saluer Mme Bourgault, M. St-Jean et M. León. Je dois révéler que c'est un ancien collègue du mouvement étudiant, avec qui on a mené bien des batailles. Alors, je vous salue tous, et bienvenue à l'Assemblée.

Une voix : ...

M. Bérubé : Non, mais il faut révéler ce genre de choses là. Vous l'avez fait, vous, Mme la Présidente. Alors, il me fait plaisir de vous accueillir.

Vous avez entendu les questions. Je ne veux pas me répéter. J'aimerais peut-être aborder une question qui ne l'a pas été jusqu'à maintenant, qui est celle des retraités, parce que vous avez des retraités qui ont été syndiqués chez vous et vous vous souciez de l'avenir des rentes. Alors, comme on n'en a pas parlé, ce que j'aimerais, c'est vous donner l'occasion de nous indiquer votre appréciation de la situation, si vous avez des craintes ou si vous avez... vous êtes rassurés. Alors, offrons ce temps, je dirais, aux fiers retraités de La Presse, ils sont nombreux et ils sont notamment dans votre unité syndicale. Alors, je vous offre ce temps-là pour parler de cette situation-là. Et je salue ceux qui m'ont contacté, en leur disant que, oui, on va parler de votre situation.

Mme Bourgault (Kathleen B.) : Oui. Alors, peut-être que je peux répondre à vos questionnements au sujet de ça. Évidemment, nous avons une préoccupation au sujet des rentes des retraités, des gens qui reçoivent déjà leurs rentes. Mais, je tiens à dire, il y a également la préoccupation des inactifs, ceux qui ont accumulé des droits et qui ont quitté et ceux qui travaillent toujours, qui sont actifs, mais qui vont être transférés dans la nouvelle entité. Évidemment, ce ne sont pas les mêmes enjeux.

Ce que je peux vous dire à ce stade-ci, c'est que des rencontres sont prévues à cet égard-là. Chaque partie sont accompagnées d'actuaires, parce que vous comprendrez que c'est légèrement complexe, toutes ces questions au sujet d'un nouveau régime de retraite versus l'ancien, et qu'à ce stade-ci, pour nous, que Power Corporation nous avise qu'il désire conserver sous sa charge ses obligations passées des régimes de retraite, bien, vous comprendrez que ça nous rassure et qu'évidemment, si cette charge-là avait été transportée à la nouvelle entité, bien, ça aurait été possiblement périlleux, là, parce que c'est quand même une charge financière importante.

Alors, évidemment, quand je vous dis ça, je ne vous dis pas qu'on n'est pas toujours préoccupés. Ce sont des préoccupations réelles. Des discussions doivent avoir lieu avec les parties, et surtout des informations très techniques qui doivent être soumises à nos actuaires pour que... D'ailleurs, nous, au SEPB, nous rencontrons notre actuaire demain, à 2 heures, pour évaluer certaines choses.

M. Bérubé : Mme la Présidente, pour Mme Bourgault, vos collègues, est-ce qu'à votre connaissance les retraités vont être mis à contribution dans les échanges sur la nouvelle structure? Moi, j'ai parlé avec M. Jannard, entre autres, là, je ne sais pas si c'était votre unité syndicale ou c'est plus l'autre côté, mais il me parlait de façon générale de tous les anciens, qu'ils soient à l'information ou dans d'autres postes, qu'ils ont envie de participer, puis d'être consultés, puis de peut-être vous donner des éclairages supplémentaires.

Mme Bourgault (Kathleen B.) : Bien, peut-être ce que je peux... À ma connaissance, tous les retraités ont reçu des avis, actuellement, de La Presse. Comment vont se faire les consultations avec les retraités? Je ne suis pas dans le «fine-tuning» — excusez-moi l'anglicisme — mais je sais que les gens ont reçu des avis et qu'évidemment, s'il y a des retraités au SEPB-Québec qui veulent communiquer avec nous... Puis on évaluera les enjeux, évidemment, mais ils sont consultés également, d'une façon différente.

M. Bérubé : Ça va, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme de Santis) : Vous avez encore 5 min 20 s.

M. Bérubé : J'ai terminé.

La Présidente (Mme de Santis) : Vous avez terminé?

M. Bérubé : Oui.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci.

Une voix : ...

La Présidente (Mme de Santis) : Allez-y, M. St-Jean.

M. St-Jean (Philippe) : ...ajouter également, on a des comités de retraite, à La Presse, où siègent des retraités, et évidemment, là, toutes les nouvelles règles vont être soumises à ce comité de retraite là.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. Alors, la parole est à la députée d'Iberville, pour six minutes.

Mme Samson : Merci, Mme la Présidente. Alors, comme vous représentez les gens qui font les ventes pour La Presse, on va parler des revenus un peu. J'imagine que vous suivez ça de près, comment ça évolue.

Une voix : ...

• (16 h 50) •

Mme Samson : Un petit peu? Oui, j'imagine que c'est plus qu'un petit peu. Dites-moi, par rapport à l'ensemble des affaires publicitaires au Québec, est-ce qu'il y a beaucoup de réticence des grandes agences, au Québec et au Canada, qui planifient les campagnes publicitaires des grands annonceurs? Est-ce qu'il y a encore beaucoup de réticence à confier une partie importante des budgets à La Presse+, par exemple? C'est automatique, ils vont se tourner plus vers YouTube ou sur Google?

M. St-Jean (Philippe) : En fait, je peux peut-être répondre à ça. En fait, ce n'est pas un automatisme. Je vous dirais qu'évidemment l'arrivée de tous ces nouveaux joueurs numériques en sol québécois, c'est venu apporter de nouveaux joueurs, de nouveaux concurrents qui ont des avantages qu'on n'a pas. Par exemple, on a parlé tantôt de l'intelligence publicitaire. Bien qu'on fasse des grands pas de notre côté, à La Presse, que les agences apprécient énormément, ça reste que les grands joueurs de ce monde ont déjà beaucoup d'avance, ont beaucoup de moyens. Donc, tout dépendant, je vous dirais, des objectifs marketing que recherchent les clients des grands annonceurs, bien, on va avoir une part du gâteau, de la tarte publicitaire, et il y en a une autre part qui va être donnée aux autres joueurs américains. C'est le portrait un peu des concurrents qui a changé depuis les dernières années.

Mme Samson : ...à sa place.

M. St-Jean (Philippe) : Exact.

Mme Samson : O.K. Moi, j'ai un préjugé, malheureusement, parce que, dans mon ancienne vie, j'ai touché à l'industrie des communications. Quand l'Internet est arrivé, avec les sites complémentaires puis les diffuseurs qui s'en allaient sur l'Internet, j'ai toujours eu l'impression qu'au début ils ont donné de la visibilité supplémentaire sur l'Internet, mais donnée à leurs annonceurs comme étant une plus-value s'ils annonçaient sur leurs médias traditionnels. Et j'ai toujours pensé que les médias, en faisant ça, se tiraient un peu dans le pied et qu'un jour ce serait difficile de valoriser la place du numérique, à partir du moment où on habitue... C'est un peu comme le contenu musical que les gens ont consommé gratuitement pendant des années. C'est difficile de changer ensuite un comportement puis de dire : Bien, par souci de faire vivre les artistes puis les créateurs, il faut payer quelque chose quelque part. C'est difficile de détricoter ça après. Puis j'ai toujours eu ce préjugé-là, mais... Puis c'est parce que, bon, l'imprimé, je connais moins ça un peu, mais vous vendez ça... Bon, dans les journaux, ça se vend au lectorat. Sur l'Internet, ça se vend aux clics, aux visiteurs, aux visites?

M. St-Jean (Philippe) : ...différentes méthodes. Il y a différentes méthodes qui peuvent être un coût par millier, un coût par clic, un coût par acquisition. Il y a différentes façons, là, qu'on peut établir la tarification sur un site Internet dans le monde numérique.

Mme Samson : Bien, tu sais, si je suis l'annonceur, moi, je suis-tu plus privilégiée si je calcule votre coût par clic ou votre coût par mille? Il n'y a pas de standard, là.

M. St-Jean (Philippe) : Bien, en fait, il n'y a pas de standard. Là, je vais vous charger une consultation si ça continue. Mais non, sans blague, en fait...

Mme Samson : ...j'ai un programme de soutien, là, à l'action bénévole.

M. St-Jean (Philippe) : Plus sérieusement, en fait, ça dépend vraiment de votre stratégie. Tu sais, si vous voulez lancer un message, vous voulez faire voir un message au plus grand nombre, bien, je vais vous dire : Allez-y avec un coût par mille. Si vous voulez que les gens, vraiment, posent une action concrète pour acheter un article que vous vendez, bien là, c'est un coût par acquisition qui peut être un petit peu plus avantageux pour vous. Donc, c'est vraiment de voir. Ça dépend de vos stratégies de communication.

Mme Samson : J'imagine que les sous-segmentations femme, homme, jeune, vieux...

M. St-Jean (Philippe) : Bien, on est en train de créer des audiences de plus en plus précises à La Presse. C'est un nouveau produit qu'on est en train, là, de lancer. Et, en effet, il va y avoir différentes audiences qu'on va pouvoir cibler.

Mme Samson : Bien, je vous remercie infiniment. Puis j'ai appris quelque chose, Mme la Présidente. C'est bon.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. Alors, maintenant, la parole est à la députée de Vachon, pour trois minutes.

Mme Ouellet : Merci, Mme la Présidente. Bienvenue à l'Assemblée nationale. Étant donné que c'est une modification de structure dont on est en train de discuter, et c'est pour le financement de La Presse dans le futur, est-ce que vous pensez, parce que j'imagine que vous étudiez ça depuis un certain temps, les différentes structures, que la structure telle que présentée par La Presse serait la meilleure structure? Parce que, là, on fait du cas par cas, malheureusement. Moi, j'aurais souhaité qu'on puisse avoir une discussion beaucoup plus large sur comment on peut répondre, là, à l'avenir de l'information. Et je pense qu'il y a d'autres structures qui peuvent être intéressantes. Est-ce que vous pensez que c'est cette structure-là qui est la plus intéressante?

M. León (Atïm) : ...dire. En fait, il n'y a pas de réflexion sur quelle est la meilleure structure, si c'est ça, la question. Mais, par rapport à votre intuition, effectivement, il est urgent que la société québécoise et, a fortiori, l'Assemblée nationale aient une réflexion, un débat sur comment on va faire à l'avenir pour que le marché publicitaire continue à alimenter les structures de production, d'information et de culture en général. Parce que la même question se pose pour la télévision, pour le cinéma, pour le livre, pour la musique, et c'est exactement le débat que tous ces médias-là, ces moyens culturels sont en train d'avoir avec le gouvernement fédéral en ce moment.

Mélanie Joly a annoncé hier la mise sur pied d'un panel d'experts qui va se pencher sur cette question-là, c'est-à-dire : Comment on fait pour rediriger, dans le système de production culturelle, les revenus générés par les nouvelles plateformes Internet ou, en tout cas, une partie de ces revenus-là? Et donc quelle va être leur contribution? Et je pense que, pour les médias d'information, la même question se pose, et le Québec aurait tout intérêt à se questionner rapidement là-dessus parce que ça va très, très vite. Je pense que la raison pour laquelle on se retrouve dans cette situation maintenant, à la fin de la session parlementaire, c'est parce que la situation bouge très vite.

Mme Ouellet : Et ça serait quoi, votre solution à vous sur les revenus pour les différentes... maintenant que c'est plus des plateformes électroniques, pour aller chercher de la publicité, pour que ça soit réparti de façon plus équitable?

M. León (Atïm) : Écoutez, je pense que le rapport du CRTC de la semaine dernière ouvre des pistes, même s'il... Ce n'est pas une révolution, hein, qu'il propose, on s'entend, là, on aurait aimé qu'il aille plus loin. Mais il ouvre des pistes dans la mesure où il dit : Il va falloir se poser la question de... c'est-à-dire, ce qu'on a fait avec les câblodistributeurs, à une certaine époque, qu'il y ait une contribution de la part des câblodistributeurs pour financer la production via le Fonds des médias du Canada. Il va falloir se poser la même question pour les plateformes et réfléchir comment est-ce que... et dans qu'elle proportion est-ce qu'ils doivent contribuer, et est-ce que ça doit avoir un impact sur le tarif des abonnements Internet ou pas.

La Présidente (Mme de Santis) : ...s'il vous plaît.

M. León (Atïm) : J'ai conclu.

La Présidente (Mme de Santis) : C'est fini? Alors, merci beaucoup, Mme Bourgault, M. St-Jean et M. León.

Je suspends les travaux quelques instants afin de permettre aux représentants de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec de prendre place.

(Suspension de la séance à 16 h 58)

(Reprise à 17 h 1)

La Présidente (Mme de Santis) : Nous reprenons nos travaux. Je souhaite la bienvenue aux représentantes de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé. Ensuite, nous allons procéder à la période d'échange avec les membres de la commission.

Je vous invite à vous présenter ainsi que les personnes qui vous accompagnent. Procédez à votre exposé, la parole est à vous.

Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ)

Mme Lambert-Chan (Marie) : Chers députés membres de cette commission parlementaire, je me présente, Marie Lambert-Chan, je suis membre du conseil d'administration de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, la FPJQ. Je désire tout d'abord vous souligner que je remplace au pied levé notre président, Stéphane Giroux, qui malheureusement ne peut s'adresser à vous aujourd'hui pour des raisons médicales. Je suis accompagnée de notre directrice générale adjointe, Mme Marie-Philippe Gagnon-Hamelin. Je sais qu'il se fait tard, je vous promets d'être précise et concise autant que faire se peut.

Avec près de 2 000 membres, la FPJQ est le plus important regroupement de journalistes au pays. Notre rôle est de défendre la liberté de presse et le droit du public à l'information. Ce sont justement ces principes qui nous amènent ici, parce que l'indépendance des médias est un des fondements de notre démocratie.

La FPJQ est d'avis que l'État n'a pas à décider du mode de gestion d'une entreprise de presse, quelle qu'elle soit. C'est vrai pour La Presse, mais c'est aussi vrai pour les journaux de Capitales Médias, de Québecor, de Transcontinental. C'est aussi vrai pour les autres médias, qu'il s'agisse de la télévision, de la radio, des magazines ou des médias en ligne. On n'imaginerait pas le gouvernement avoir son mot à dire sur la structure d'une entreprise, que ce soit Domtar, Metro ou Louis Garneau. C'est tout aussi vrai pour les entreprises de presse, qui doivent être épargnées par toute forme d'ingérence de l'État pour pouvoir remplir leur mandat d'informer le public. Parce que, je vous le rappelle, si l'État s'immisce dans la gestion de la structure d'une entreprise de presse, qu'est-ce qui l'empêchera ensuite de s'immiscer dans le contenu des médias, de dicter ce qui doit être écrit et ce qui ne doit pas l'être? Permettre une telle chose serait s'aventurer sur une pente glissante très dangereuse.

On vous l'a dit aujourd'hui, mais je me permets de vous le répéter, il y a 90 quotidiens au Canada, 90 journaux qui ont des structures différentes. Certains sont indépendants, d'autres appartiennent à des groupes de presse. Ils sont tous libres de prendre les décisions nécessaires pour assurer leur pérennité, tous sauf un, La Presse. Un anachronisme historique fait que ce quotidien doit demander la permission à l'Assemblée nationale pour changer de propriétaire. Le législateur voulait ainsi s'assurer que La Presse reste de propriété québécoise. Mais est-ce que l'État doit avoir le pouvoir de contrôler qui possède un journal et surtout quel doit être son modèle d'affaires? Nous vous soumettons humblement que la réponse doit être non et nous vous soumettons humblement que ce n'était pas l'objectif de la loi dont l'abrogation est demandée aujourd'hui.

Nous ne disons pas que les médias ne doivent être soumis à aucune loi. Au contraire, les médias se doivent de respecter la loi, et il est normal que l'État établisse des règles pour favoriser la concurrence, par exemple. Mais l'État ne doit pas s'ingérer dans la gestion des médias. C'est aussi ça, la liberté de presse.

Comme le soulignait l'ancien secrétaire général de la FPJQ Claude Robillard, dans son livre La liberté de presse, la liberté de tous publié en 2016, le Québec a connu son lot d'obstacles pour obtenir une presse libre et indépendante du pouvoir de l'État. Jusqu'en 1760, la question était simple : Il était interdit en Nouvelle-France de posséder ou d'utiliser une imprimerie. La question était rapidement réglée. Les premiers journaux sont apparus sous le régime anglais, mais cette presse n'était pas libre. L'autorité religieuse et les lois en vigueur à l'époque permettaient de contrôler ce qu'on pouvait écrire. Le fondateur de la Montreal Gazette l'a appris à ses dépens, en 1882, en étant emprisonné pour avoir défendu des idées jugées révolutionnaires. Fort heureusement, le XXe siècle aura été plus respectueux de cette liberté fondamentale. Le recul de l'Église, l'arrivée de la charte québécoise, de la Charte canadienne des droits et libertés nous ont finalement libérés de la menace d'un État censeur.

Et nous voici donc en 2018. Le quotidien La Presse estime devoir transformer sa structure pour assurer sa pérennité. L'État n'a pas à se prononcer sur ce choix, tout comme il n'est pas appelé à se prononcer sur les choix stratégiques et organisationnels que font ses 89 concurrents. On vous l'a dit aujourd'hui et on le répète, les médias écrits traversent une crise grave. Les revenus sont en chute libre, siphonnés par les géants du Web que sont Facebook et Google, notamment, des géants étrangers qui ne produisent pas le contenu qu'ils diffusent et qui, donc, ne paient pas celles et ceux qui le produisent.

Au cours de la dernière décennie, 43 % des emplois dans les journaux, au Québec, ont disparu en raison de ces nouvelles réalités économiques. Le Toronto Star, le plus important journal au Canada, a affirmé publiquement, tout récemment, que sa survie était menacée. Dans ce contexte, tous les médias cherchent des solutions. La Presse souhaite devenir un organisme à but non lucratif, comme d'autres journaux dans le monde le tentent aussi. Est-ce que ce changement de modèle d'affaires lui permettra d'assurer sa survie, comme plusieurs d'entre vous l'ont demandé aujourd'hui? Nous n'en avons aucune idée. Par contre, ce que nous savons, c'est que, si rien n'est fait, si on maintient le statu quo, le Québec pourrait perdre l'un de ses plus importants quotidiens.

Mmes et MM. les élus, il n'est pas question ici de juger le quotidien La Presse ni de faire le procès de ses actionnaires. Il est question d'un principe démocratique fondamental, l'indépendance des médias. C'est pour cela que la FPJQ recommande que soit adopté le projet de loi n° 400, pour permettre la transformation du journal La Presse. Merci.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. Est-ce que vous voulez ajouter?

Mme Gagnon-Hamelin (Marie-Philippe) : Non, merci.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Alors, nous allons procéder avec la ministre. Vous avez la parole pour 15 minutes.

• (17 h 10) •

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. Mme Lambert-Chan, Mme Gagnon-Hamelin, bonjour à toutes les deux, bienvenues à l'Assemblée nationale. Merci pour votre présentation éclairante. Je n'aurai aussi, dans ce cas-ci, qu'une seule question pour continuer de nous éclairer dans nos réflexions et dans notre compréhension de la situation.

Moi, si j'ai décidé, comme ministre de la Culture et des Communications, de déposer le projet de loi n° 400, c'est vraiment dans l'objectif de corriger une situation qui est inéquitable pour La Presse par rapport aux autres médias du Québec, et c'est vraiment dans cet objectif-là bien précis. Donc, effectivement, vous le mentionnez, ce n'est pas dans aucune intervention, ni dans le modèle d'affaires, ni dans les décisions qui seront prises par la suite, c'est simplement pour venir corriger une iniquité historique qui, pour des raisons qui nous sont antérieures, a mené La Presse à faire l'objet d'un projet de loi.

Et, si je l'ai déposé maintenant... Puis c'est vrai que ce n'est pas toujours évident pour l'ensemble des parlementaires. On est dans les deux semaines de session intensive, et c'est des semaines qui sont excessivement chargées, occupées. Et c'est évident que, comme on l'a mentionné, vous vous retrouvez dans cette situation-là bien malgré vous, et nous également. Mais la raison pour laquelle je l'ai déposé cette session-ci et que je n'ai pas attendu une autre session, c'est parce que je jugeais de l'importance de l'affaire et d'une certaine urgence aussi de procéder. Mais, comme je l'ai mentionné aux groupes qui vous ont précédés, je pense qu'il n'y a nul autre que vous et que l'ensemble des groupes qu'on rencontre aujourd'hui qui peuvent nous expliquer et venir éclairer les parlementaires et les gens qui nous écoutent... mieux que vous sur l'importance d'agir avec célérité et de procéder rapidement.

Et j'aimerais ça vous entendre sur ce sujet-là précisément. Vous avez parlé de l'avenir des emplois, de l'avenir de La Presse. Je comprends que vous ne pouvez pas présumer de l'avenir par la suite... suite à l'abrogation d'un projet de loi, mais je comprends que, si on ne va pas de l'avant... vous, votre lecture, c'est qu'à l'heure actuelle c'est problématique et ça pourrait venir compromettre des emplois.

Mme Lambert-Chan (Marie) : Bien, absolument. Écoutez, nous, ce qu'on défend, c'est la liberté de presse. Il n'est pas exagéré de dire que, sans presse, il n'y a pas de liberté de presse. À titre personnel, je suis rédactrice en chef du magazine Québec Science, nous sommes dans un modèle d'affaires qui est différent, mais je peux vous dire que nous sommes loin d'être épargnés par la crise. Et chaque jour nous regardons nos revenus fondre. Chaque jour, nous nous demandons comment changer les choses. Évidemment, les députés ont à faire leur devoir. On fait le nôtre. Peut-être que la question d'urgence n'est pas toujours bien comprise, mais, pour nous qui évoluons dans ce milieu tous les jours, qui vivons cette crise... Moi-même, ça fait à peine 12 ans que je suis dans le milieu. Quand je suis sortie de l'université, on commençait à peine à parler de Facebook, et je peux vous dire que tout a changé et tout continue de changer à une vitesse qui nous échappe. Et donc, oui, il y a urgence à agir.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. Est-ce qu'il...

Mme Montpetit : Parfait. Je pense que c'était important... Peut-être juste pour finir, puis je pense que mon collègue de LaFontaine aura une question par la suite, je pense que c'est important, parce que ça a fait l'objet des discussions qu'on a eues depuis ce matin sur certains parlementaires qui ont peut-être l'impression d'être bousculés. Et ce n'est pas l'intention de personne ici. Si, comme ministre, moi, j'ai décidé de déposer ce projet-là, si, comme gouvernement, on a décidé d'appeler le projet de loi, c'est parce qu'on fait cette lecture-là également. On voit qu'il y a une nécessité de le faire. Et c'est la raison pour laquelle on souhaitait qu'il soit étudié et qu'il soit appelé rapidement, malgré le fait qu'effectivement ça bouscule les travaux de l'Assemblée nationale. Et je suis contente aujourd'hui, justement, d'entendre des groupes qui viennent de façon unanime avec un message qui est très uniforme et qui viennent nous expliquer la situation, qui viennent nous éclairer, justement, sur la nécessité de procéder et d'aller de l'avant avec ce projet de loi également. Merci.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. M. le député de LaFontaine.

M. Tanguay : Oui. Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci beaucoup d'être avec nous ce soir pour participer au débat et à la discussion. Vous avez dit un peu plus tôt, Mme Lambert-Chan, qu'il ne revient pas à l'État de dicter le contenu journalistique. Une loi québécoise, une loi de l'Assemblée nationale qui interdirait la présence dans un journal d'un espace éditorial serait condamnable. Pourquoi?

Mme Lambert-Chan (Marie) : Parce que ça contreviendrait à l'indépendance des médias, qui est un pilier fondamental de notre démocratie. Chaque média a droit d'avoir sa ligne éditoriale. Ce n'est ni à l'État ni à nous d'en juger. Ça fait partie de l'indépendance des médias. Et l'indépendance des médias est nécessaire à la pluralité des voix, qui est nécessaire à notre démocratie pour que les citoyens puissent se faire une opinion éclairée et prendre des décisions conséquentes.

M. Tanguay : Comment recevriez-vous, si d'aventure l'on suivait la voie qui nous est soumise ou proposée par les collègues, entre autres, du Parti québécois, de se questionner quant à l'à-propos ou pas de certaines lignes éditorialistes ou pas par rapport à d'autres et, le cas échéant, peut-être d'en limiter la présence? Quels seraient les dangers à ce que moi, je considère notre démocratie et à l'équilibre de notre démocratie? J'aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Lambert-Chan (Marie) : On a parlé un peu de l'historique du Québec. Ça fait belle lurette qu'on a séparé les pouvoirs entre les médias et les politiciens. Je pense que notre démocratie ne s'en tire que mieux. Je ne pense pas qu'on veuille revenir à l'époque d'un État censeur et je pense que, si on devait aller vers cette voie, ça serait une pente glissante très dangereuse, comme on l'a dit. Mais, de toute manière, je dois rappeler que ce n'est pas le forum pour discuter de cette question. Il est question de l'abrogation du projet de loi n° 400 pour l'abrogation de la disposition pour permettre à La Presse de faire son virage commercial.

M. Tanguay : Et donc la présence... la pente extrêmement glissante sur laquelle il ne faut pas aller, d'un début d'État censeur, est-ce que vos commentaires également s'appliqueraient à certains qui voudraient déterminer qui peut et ne peut pas être propriétaire de média? Est-ce que vous incluriez cet aspect-là?

Mme Lambert-Chan (Marie) : Évidemment.

M. Tanguay : O.K. Bien, je vous remercie beaucoup. Votre témoignage à titre de représentantes de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec est très, très clair. Merci beaucoup. Pas d'autre question pour notre part, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. Alors, maintenant, la parole est au député de Matane-Matapédia pour neuf minutes.

M. Bérubé : Le timing est bon. Merci, Mme la Présidente. Alors, Mmes Marie Lambert-Chan, Marie-Philippe Gagnon-Hamelin, bienvenue à l'Assemblée nationale.

Permettez-moi de réitérer un certain nombre de choses. L'importance, pour notre formation politique, d'avoir une pluralité des sources médiatiques, notamment dans les quotidiens. La nécessité d'avoir des journalistes qui exercent pleinement leur travail sans aucune ingérence, c'est acquis à La Presse, nous n'en doutons point. La nécessité pour l'État de se préoccuper de cela au même titre que les artisans de l'information, c'est acquis également. Et, encore une fois, réitérer notre volonté de participer au débat, de poser des questions. Puis c'est le rôle des parlementaires. Les parlementaires ont un rôle à jouer. À chaque fois qu'une pièce législative nous est présentée, nous posons des questions.

Et j'avoue que, depuis ce matin, je suis un peu déconcerté. On peut bien parler de principes, auxquels nous souscrivons, d'indépendance, et tout ça, mais je ne vous cacherai pas les témoignages que j'ai, depuis des années, d'artisans de l'information de La Presse qui se disent : À chaque fois qu'on écrit, on se fait dire : Est-ce que ça doit être la ligne fédéraliste, etc.? Ça existe, et je suis convaincu qu'on vous l'a déjà dit. Alors, c'est un poids qui pèse sur les épaules des journalistes. Ça n'influence pas leur travail, mais c'est un poids qui pèse dans la perception.

Et, quand moi, je me fais dire tout à l'heure, comme député indépendantiste, par M. Desmarais, et je cite La Presse+ : «Quant à la ligne éditoriale du quotidien, M. Desmarais a dit souhaiter qu'elle demeure favorable à l'unité canadienne — ça, ça peut aller — et qu'elle s'oppose à l'élection — et je cite — d'un parti séparatiste», donc un journal qui consacre sa ligne éditoriale à combattre une formation parfaitement légitime fondée par René Lévesque, je trouve ça inacceptable. Je vous le dis et je sais que c'est partagé par de nombreux journalistes de La Presse, ce genre de propos. Alors, ça va continuer. Manifestement, je ne m'attends pas à avoir d'avis de quiconque là-dessus, mais ça, pour un député d'une formation légitime, élue démocratiquement, qui n'est pas déshonorante, je trouve ça blessant. Alors, je le dis devant vous. Je le dis devant témoins. C'est le genre de choses... Donc, l'éditorial de La Presse est condamné à combattre l'élection d'un parti, et je cite le mot, «séparatiste».

Alors, j'aimerais éventuellement qu'on se penche sur ce genre de choses là. Ça ne joue pas sur l'indépendance des journalistes. On les voit chaque jour, on sait le travail qu'ils font, rigoureux. Je viens de lire le texte qui rapporte les propos. C'est fidèle, c'est bien fait. C'est des professionnels de l'information au même titre que les autres médias. Mais ça, je trouve, et je le soumets à vos réflexions futures, notamment dans vos congrès... je suis convaincu que, pour plusieurs journalistes, ça pèse. On le voit sur les réseaux sociaux, on voit le genre d'attaques auxquelles certains se livrent sur cette question-là. C'est une pression supplémentaire.

Est-ce qu'en 2018 c'est toujours aussi pertinent pour un journal? Bien sûr, ils ont la liberté de le faire. Mais le Globe and Mail vient de choisir, en Ontario, de ne pas adopter de position éditoriale pour l'élection qui va se tenir demain. Ce n'est pas une obligation. Il y a des journaux qui n'ont pas de position éditoriale. Donc, je le dis.

Mais surtout, ce qui est plus important encore, il fallait que je le dise, vous sentez bien que ça m'a piqué, puis je ne suis pas le seul, pour des journalistes dans une institution aussi importante que La Presse, il n'y a pas beaucoup d'ailleurs avec les mêmes conditions. On peut se dire ça. Alors, préserver ces emplois importants d'information et toutes les personnes qui contribuent, c'est important pour nous. Et, oui, il y a cet exercice aujourd'hui, mais les journalistes, les gens de La Presse vont vivre longtemps avec la nouvelle structure. Ce n'est pas sans raison qu'on pose les questions. On veut que ça réussisse, on veut que ça fonctionne. Tellement qu'on aimerait mieux que ça soit adopté là que plus tard. Donc, ça, je l'ai dit, ça.

Mais il faut poser ces questions-là, et ce n'est pas de l'ingérence de l'État. C'est une occasion qui nous est donnée, qu'on n'avait pas prévue, de poser un certain nombre de questions qui seront utiles pour le débat de ceux qui auront à faire fonctionner cette nouvelle structure, dont on ne peut pas prévoir quels seront les résultats pour l'avenir. On est tous un peu à tâtons là-dedans. Donc, je voulais vous livrer ça et vous laisser évidemment du temps pour peut-être ajouter à ce que vous auriez aimé dire d'autre suite à nos échanges. Voilà.

Mme Lambert-Chan (Marie) : C'est une position, oui, que vous avez réitérée. Je vous ai entendu, j'entends vos sentiments. Je pense que mes collègues ont répondu à plusieurs de vos inquiétudes. Vous avez des questions qui, évidemment, sont légitimes. D'ailleurs, Mme Gagnon-Hamelin et moi en prenons bonne note. La FPJQ est en train de travailler sur le programme de son prochain congrès, donc il y a peut-être des choses qui vont être matière à débat à ce moment.

M. Bérubé : ...

Mme Lambert-Chan (Marie) : Ça nous fera plaisir de vous entendre dans un autre forum.

• (17 h 20) •

M. Bérubé : Bien, sur mon temps, je vais en livrer un pendant que j'ai la FPJQ. Ça n'arrive pas souvent. Souvent, on peut s'adresser aux journalistes qui font un texte que j'appelle parfois une oeuvre, donc c'est le travail, mais on n'a pas l'occasion de connaître qui sont les titreurs. Mais je peux vous dire que les titreurs ne sont pas à l'Assemblée nationale, puis ils ont un rôle important dans la démocratie. Alors, un atelier sur les titreurs, je pense que ça serait intéressant. Parce que j'ai appris, en 11 ans de vie parlementaire, que les journalistes ne choisissent pas leurs titres. Alors, c'est comme une oeuvre. Moi, j'aimerais ça qu'ils puissent donner le titre à leurs oeuvres. Voilà, c'est dit.

Mme Lambert-Chan (Marie) : ...une généralité de dire que les journalistes ne choisissent pas leurs titres. Je peux vous dire que, pour y travailler...

M. Bérubé : Pas si souvent, pas si souvent que ça dans les médias qui couvrent la presse parlementaire.

Mme Lambert-Chan (Marie) : Ceux que j'ai connus, c'est un travail de collaboration.

M. Bérubé : ...question à Québecor. Mais voilà, je voulais le glisser comme ça, pendant que vous êtes là, pour profiter de votre déplacement à l'Assemblée nationale. Alors, La Presse, grande institution centenaire, des journalistes, des artisans, des vocations dans le domaine des médias, des inquiétudes, des familles qui sont en jeu. Puis voyons-le aussi comme une entreprise, il y a des gens qui... c'est leur choix de carrière. Je sens les inquiétudes, je les reçois, je connais des gens qui y travaillent. Alors, on pose ces questions-là, mais la finalité, c'est qu'on souhaite le plus grand succès possible avec la meilleure gouvernance possible, la meilleure transparence, la meilleure indépendance. Et on souhaite bonne chance à La Presse et on veut que ça fonctionne. Voilà.

Mme Lambert-Chan (Marie) : Merci.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci, M. le député. Maintenant, la parole est à la députée d'Iberville pour six minutes.

Mme Samson : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, mesdames. C'est encourageant de voir ça, deux jeunes femmes à la tête de la FPJQ. Je trouve que c'est bon. Je vous félicite, c'est bien.

J'ai une question pour vous, Mme Chan. Vous avez qualifié la loi de 1967 d'anachronisme. C'est sûr qu'a posteriori on peut en convenir 50 ans plus tard. On peut en convenir, mais il n'en demeure pas moins, quand on va jouer dans une ancienne loi ou qu'on adopte une loi qui en touche une autre, il faut, par souci de rigueur, aller relire l'ancienne loi et d'essayer de comprendre l'intention du législateur. L'intention du législateur, à l'époque, était de toute évidence de maintenir les actifs de La Presse entre les mains d'intérêts québécois. De dire que cette situation-là était anachronique, probablement que, dans le contexte de l'époque, il était essentiel d'emprunter cette voie-là pour garantir que ce soient des intérêts québécois qui détiennent La Presse. C'est une chose.

Mais posons-nous la question aujourd'hui : Est-il encore essentiel aujourd'hui que La Presse soit détenue par des intérêts québécois? Ou, si Power Corp avait décidé de vendre La Presse à n'importe qui, est-ce que quelqu'un se serait objecté à la transaction? Est-ce qu'on tient encore à ce que Power Corp soit détenue et soit entre les mains d'intérêts québécois?

Mme Lambert-Chan (Marie) : Écoutez, c'est une question intéressante mais hautement spéculative, sur laquelle la FPJQ ne peut pas commenter.

Mme Samson : ...de colloque. Bien, moi, je vous dirais, en tout cas, personnellement, que je pense que l'intention du législateur a encore du mérite aujourd'hui, certainement.

Mme Lambert-Chan (Marie) : Et La Presse va rester propriété québécoise.

Mme Samson : Elle le resterait là, là?

Mme Lambert-Chan (Marie) : Oui.

Mme Samson : Donc, l'intention du législateur, peut-être qu'aujourd'hui vous la jugez anachronique, mais reconnaissez-vous qu'à l'époque c'était probablement la seule façon... Puis, écoutez, c'est un projet de loi, là, il faut le lire, là, celui de 1967, là, ça a été écrit sur mesure pour cette situation-là spécifique, là.

Mme Lambert-Chan (Marie) : Oui. Bien, comme vous l'avez souligné, c'est un anachronisme vu de la perspective de 2018. Il faudrait se reporter à l'époque, dans la tête des gens qui ont écrit cette loi. Mais le mot «anachronisme» faisait référence à notre vision d'aujourd'hui.

Mme Samson : À notre vision d'aujourd'hui. Oui, mais vous savez, en 1967, là, si vous aviez dit à mon père que j'allais faire quelque chose de bien dans la vie, il aurait peut-être émis des doutes aussi, tu sais? Mais le point que je veux faire, c'est que je pense qu'il faut se rappeler que l'intention du législateur a certainement encore de la valeur aujourd'hui, là, que ce n'est pas une incongruité que de chercher à s'assurer que les intérêts de La Presse restent au Québec, plutôt qu'à des intérêts ontariens ou je ne sais pas, là. Moi, c'est tout pour moi, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Maintenant, la parole est à la députée de Vachon pour trois minutes.

Mme Ouellet : Merci, Mme la Présidente. Est-ce qu'il reste plus de temps? Parce que, des fois, quand il y a du temps non utilisé, on peut l'utiliser. Est-ce qu'il reste plus de temps?

La Présidente (Mme de Santis) : Vous n'avez que trois minutes.

Mme Ouellet : Que trois minutes. Je vous ai entendue sur la liberté, l'indépendance. Je pense, c'est effectivement très important. Est-ce que vous pensez qu'actuellement, avec l'encadrement qui est dans la mission très inscrite de La Presse et avec la réaffirmation de M. Desmarais et de Power Corporation, que La Presse va rester fédéraliste? Est-ce que vous pensez que les journalistes et les éditorialistes sont libres d'écrire ce qu'ils veulent?

Mme Lambert-Chan (Marie) : Écoutez, Mme Vachon, je pense que la...

Une voix : Mme Ouellet.

Mme Lambert-Chan (Marie) : Mme Ouellet, excusez-moi. Écoutez, je pense que ce n'est pas à la FPJP de commenter. Nous, notre position, c'est de dire que La Presse doit... on doit pouvoir permettre à La Presse de prendre ce virage technologique et ce virage commercial, et ce n'est ni à nous ni à l'État de juger de sa ligne éditoriale ou de... L'indépendance de sa salle de rédaction est importante.

Mme Ouellet : Je comprends, mais vous venez en disant qu'il doit y avoir une liberté, une indépendance de pouvoir de l'État et vous nous dites que, dans le fond, on n'a pas à interférer. Mais, moi, ce que je vous dis, c'est qu'il doit y avoir une liberté et une indépendance, aussi, du pouvoir de l'argent, et actuellement je ne crois pas qu'il y ait une liberté ni des journalistes ni des éditorialistes de contrecarrer, d'aller à contresens de ce qui est donné par la ligne éditoriale. Et qu'une entité décide de se payer ça, c'est une chose. Mais là la modification qu'on est en train de faire aujourd'hui, c'est pour aller chercher du financement de l'État.

Est-ce que vous croyez que c'est le rôle de l'État de financer des lignes éditoriales qui sont très clairement identifiées dans un sens? Puis que ce soit n'importe laquelle, là, que ce soit n'importe laquelle. Pensez-vous que c'est le rôle de l'État, donc, que les contribuables ont à financer une ligne éditoriale bien particulière, comme c'est le cas? Parce que c'est un de vos arguments très forts, la liberté et l'indépendance, et je suis assez surprise qu'elle est bonne d'un côté, puis... Ce qui est bon pour pitou n'a pas de l'air d'être bon pour minou et ça me surprend beaucoup.

Mme Lambert-Chan (Marie) : Bien, dans notre démocratie, les entreprises sont libres de choisir leur mode de fonctionnement, leurs gestionnaires. Ce n'est pas à...

Mme Ouellet : ...financement de l'État parce qu'il y a un financement des contribuables.

La Présidente (Mme de Santis) : ...de répondre. Allez-y, Mme Lambert-Chan.

Mme Lambert-Chan (Marie) : Et donc ce n'est pas à l'État de décider. Ce serait une entrave à la liberté de presse, ce serait un accroc à nos principes démocratiques de commencer à dire à La Presse quoi faire. De parler du pouvoir de l'argent dans une salle de rédaction, je ne suis pas certaine que c'est l'objet de la loi dont il est question ici. Non?

Mme Ouellet : Bien oui, parce qu'on a... Et, quand vous dites : Ce serait une liberté, une entrave, bien, actuellement, il y a un enlignement très clair. Quand vous dites : Il doit y avoir une liberté puis une indépendance, c'est-u des entreprises privées? Parce que, quand on dit «la presse», «les médias», est-ce qu'on parle des journalistes ou on parle des institutions? Les journalistes ne devraient-ils pas être libres de pouvoir exprimer... avoir une liberté complète, sans ligne éditoriale?

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, Mme la députée de Vachon. Alors, Mme Lambert-Chan, Mme Gagnon-Hamelin, merci beaucoup d'être venues participer à nos travaux.

Alors, la commission maintenant suspend ses travaux jusqu'à 19 heures. Merci.

(Suspension de la séance à 17 h 28)

(Reprise à 19 h 1)

La Présidente (Mme de Santis) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bonsoir. La Commission de la culture et de l'éducation reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

Nous poursuivons les auditions publiques dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi n° 400, Loi modifiant la Loi concernant la succession de l'honorable Trefflé Berthiaume et la Compagnie de Publication de La Presse, Limitée.

Ce soir, nous entendons Québecor Média et Le Devoir. Je souhaite la bienvenue aux représentants de Québecor Média. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé. Ensuite, nous allons procéder à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous présenter, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.

Québecor Médias inc.

M. Péladeau(Pierre Karl) : Merci, Mme la Présidente. Messieurs dames les parlementaires, merci de nous recevoir ce soir à la Commission, donc, de la culture et de l'éducation. Je suis accompagné de ma collaboratrice Sandra Desjardins, qui est la directrice des opérations pour les journaux de Québecor. J'aurais pu également être accompagné, elle aussi qui a plus de 25 ans de service chez Québecor, de Lyne Robitaille, qui, malheureusement, est en vacances en Europe. Mais Sandra sera là pour répondre à vos questions, si vous en avez, concernant les considérations d'ordre financier.

Alors, je croyais vous lire un beau texte, ce soir, bien rédigé, faire en sorte de mettre en valeur le succès économique de Québecor, de ses journaux. Vous le savez, en 1964, Pierre Péladeau, mon père, lançait Le Journal de Montréal. C'est plus qu'un succès d'estime. C'est également un succès économique. Mais, en écoutant, donc, les témoignages plus tôt aujourd'hui, j'ai été un petit peu choqué par les propos et les délibérations concernant, donc, les représentants de Power Corporation du Canada et de La Presse, parce que je pense que c'est très important de vous informer d'une considération qui, selon moi, a été occultée et qui vient aussi témoigner de l'envergure de la problématique.

Guy Crevier et André Desmarais ont dit ce matin que les journaux de Québecor et Le Devoir ne divulguent pas leurs états financiers. Eh bien, Mme la Présidente, il n'y a rien de plus faux. Je les ai devant moi. Pour la période de 12 mois terminée le 31 décembre 2017, vous avez à la page 5 les résultats de nos journaux pour 2016-2017, le comparatif. Oui, certes, la situation est plus difficile qu'elle ne l'était, mais nous ne pouvons tolérer que des propos inexacts soient prononcés ici, devant cette honorable Assemblée. Le Devoir également divulgue ses résultats, et j'en ai un exemplaire, au 24 décembre 2016 et au 31 décembre 2015, 2014. Ils prendront certainement le temps de vous donner davantage de détails.

Pendant ce temps, Mme la Présidente, Power Corporation du Canada refuse de divulguer, et, excusez-moi l'expression, pour des prétextes bidons, ceux de La Presse, comme ils ont toujours refusé également de divulguer les résultats des autres journaux dont ils étaient propriétaires il y a encore un peu plus de deux ans. Alors, pendant que La Presse faisait la cigale, ainsi que sa direction, elle faisait des pertes chaque année, nous, nous nous sommes arrêtés pour faire en sorte de faire face à la musique et de poser les gestes appropriés en ce qui concerne le déclin de la presse écrite. Ma collègue Sandra Desjardins vous donnera davantage de détails.

Alors, n'en déplaise, Mme la Présidente, aux représentants de Power et de La Presse, la loi existe. Cette loi, Paul Desmarais sénior, lorsqu'il a acheté La Presse, la connaissait, connaissait qu'il y avait également, donc, des contraintes et des limites à la disposition du journal dont il faisait l'acquisition. Et c'est la raison pour laquelle cette loi exige des parlementaires d'examiner justement les modalités de cession, de déterminer si elles sont valables et si elles se font dans le meilleur intérêt de la population.

Et, on doit dire, compte tenu, excusez-moi de l'anglicisme, là, du forcing de Power Corporation et de ses représentants de présenter ce projet de loi, bien, chacun des députés aujourd'hui a un droit de veto. Et ce droit de veto doit être assumé pour s'assurer que les parlementaires vont faire le nécessaire pour que les processus normaux en matière de législation soient appliqués, c'est-à-dire de faire les examens nécessaires pour que justement les intérêts législatifs fassent en sorte de subir le test de l'intérêt de la population.

Les représentants de La Presse et de Power ont réitéré ce matin la volonté de s'affranchir de l'obligation de faire connaître l'envergure des pertes d'exploitation de La Presse année après année. Les pertes, dont seuls les administrateurs de Power Corporation connaissent l'ampleur, ont été épongées par Power Corporation. Et, dans cette nouvelle structure, là, croyez-vous qu'une opacité, celle de l'OBNL, va remplacer ou va être remplacée par une autre? On a vu ce que ça donne, un OBNL, récemment encore dans l'actualité. Pour les administrations publiques, c'est la meilleure façon de faire en sorte de camoufler des dépenses mal avisées. On l'a vu encore récemment avec le scandale de l'OBNL de Montréal c'est électrique.

Alors, soyons clairs. Aujourd'hui, après s'être débarrassés de tous ses quotidiens régionaux, les dirigeants de Power ont décidé d'abandonner et de se débarrasser de La Presse. Plutôt que de faire face à leurs obligations économiques ou encore se trouver un véritable acheteur, excusez-moi l'expression, là aussi, ils ont choisi une patente, un OBNL, une fiducie d'utilité sociale. Mais est-ce que les représentants de Power ont été capables de vous expliquer ce matin, là, comment une entreprise qui perd des millions, voire des dizaines de millions, maintenant qu'on a changé la structure, va cesser de perdre des millions ou des dizaines de millions? Vous n'avez eu aucune garantie à cet effet. Et je vous invite à faire le travail nécessaire, qui est celui que la loi faisait en sorte d'instaurer.

Et est-ce que c'est vraiment déraisonnable? Et d'ailleurs les représentants de Power l'ont dit ce matin, est-ce vraiment déraisonnable que penser que la concurrence qui existe va être moins intense qu'elle l'a été antérieurement? Alors, si c'est le cas, quelle est la réponse à la question : Par qui et comment les énormes pertes d'exploitation seront financées? Est-ce que les parlementaires sont véritablement prêts à donner un chèque en blanc, un chèque de 50 millions pour que Power paie pour se débarrasser de La Presse? Est-ce que 50 millions vont suffire à éponger 12, 18, 24 millions... pardon, 24 mois de pertes d'exploitation de La Presse? Nul ne le sait, sinon les administrateurs de Power.

Chose certaine, ce que la population sait, c'est que 50 millions, ça représente 89 000 $ par employé. Et j'espère que les organisations syndicales sont conscientes de cette réalité économique et financière. Il ne faut pas oublier que, lorsque La Presse a fermé ses importantes activités d'impression et de distribution, et c'est de notoriété industrielle, les employés syndiqués ont reçu cinq ans de salaire. Si les mêmes hypothèses étaient retenues dans le cas présent, ce n'est pas 50 millions que ça coûterait à La Presse, c'est 275. Alors, vous comprenez que se débarrasser de La Presse pour 50 millions, c'est une très bonne affaire pour les actionnaires de Power et la famille Desmarais.

• (19 h 10) •

Oui, Québecor est un concurrent, oui, je suis ici pour défendre ses intérêts et, oui, je suis l'actionnaire de contrôle de Québecor. Tout le monde le sait. Les députés me l'ont dit assez fréquemment lorsque j'ai eu le privilège de siéger à l'Assemblée nationale. Mais, contrairement à ce que certaines personnes veulent nier, je pense avoir l'expertise et la compétence, voire le rôle d'éclairer cette honorable Assemblée pour dire que ce qui vous est présenté est un subterfuge que les représentants de Power Corporation du Canada souhaitent utiliser pour se débarrasser à peu de frais de La Presse.

Alors, je vois que je vais dépasser mon temps. Je n'y vais pas avec le chronomètre, mais j'ai mis ma télé... pardon, mon téléphone.

Je dirais, pour terminer, que les salaires des journalistes, des techniciens informatiques, des employés de bureau, ça ne se paie pas avec un succès d'estime, ça se paie avec des dollars du Dominion. Alors, j'ai une suggestion à vous faire. Puisque André Desmarais, il l'a dit ce matin, il est si fier de La Presse, puisqu'il souhaite maintenir l'héritage de son père et puisqu'il est multimilliardaire, pourquoi il ne l'achète pas, lui, La Presse? Ce serait la meilleure façon d'assurer sa pérennité. Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci, M. Péladeau. Maintenant, la parole est à la ministre pour 15 minutes.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. D'entrée de jeu, j'aimerais peut-être faire une précision par rapport à ce qui a été dit. M. Péladeau faisait mention du respect du processus législatif, et je m'en voudrais, comme parlementaire, de ne pas souligner à quel point le processus législatif est respecté. Et c'est la raison pour laquelle on procède à des consultations ce soir et qu'on prend le temps de l'écouter. Sinon, on ne procéderait pas à des consultations. Et le processus législatif suit son cours comme pour tout projet de loi. Et c'est la raison pour laquelle on se trouve ici ce soir et que vous avez du temps de parole pour venir nous exposer votre position.

Vous avez dit... Puis, entendons-nous, là, d'entrée de jeu, on est très loin, dans les discussions qui sont faites jusqu'à maintenant, dans l'exposé qui nous est fait, de la portée du projet de loi n° 400 qui fait l'objet des travaux qu'on a en commission. Et j'espère que, pour les quelque 35 minutes qui nous restent, on saura se recentrer sur les travaux de notre commission parce que c'est un projet de loi qui est important. Et j'espère que l'ensemble des parlementaires et vous, comme l'invité de cette consultation, vous pourrez rester dans le cadre du projet de loi n° 400 également.

Entendons-nous, d'entrée de jeu, si La Presse avait exactement les mêmes possibilités que vous, exactement les mêmes possibilités que vous, de vendre, de céder son entreprise, on ne serait pas là ce soir. Et vous avez parlé du droit de veto des parlementaires qui sont autour de cette table. Est-ce que vous accepteriez, vous, que les parlementaires qui sont autour de cette table utilisent leur droit de veto pour vous empêcher de vendre votre entreprise? C'est ma question.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Écoutez, le droit de veto, ce n'est pas moi qui l'ai inventé. C'est ce que je vous ai dit tout à l'heure, le forcing que les représentants de Power Corporation essaient de faire traverser la gorge des parlementaires... Vous connaissez très bien la procédure en ce qui concerne le dépôt de projets de loi avant la fin de la session.

Mme Montpetit : ...

M. Péladeau (Pierre Karl) : Bien, écoutez, si vous ne me laissez pas parler, comment voulez-vous que je réponde?

La Présidente (Mme de Santis) : Non, un instant. Mme la ministre, on va lui permettre de répondre, et vous pouvez reposer la question. Allez-y.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Si vous étiez dans une session parlementaire normale, le gouvernement amènerait le projet de loi à l'Assemblée nationale. Vous avez la majorité. Vous passeriez le projet de loi. Or, cette situation n'est pas celle qui prévaut aujourd'hui. La situation qui prévaut aujourd'hui, c'est celle de faire du forcing, venir présenter un projet de loi, alors que ça prend l'unanimité. Vous le savez très bien, Mme la ministre.

Mme Montpetit : Donc, je repose ma question, M. Péladeau, qui était très claire. Vous avez fait appel au droit de veto des parlementaires qui sont autour de cette table. Accepteriez-vous, oui ou non, que les parlementaires de l'Assemblée nationale utilisent un droit de veto pour vous empêcher de vendre ou de céder votre entreprise?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Vous voulez que je répète la même chose?

Mme Montpetit : ...répondiez par oui ou non. Accepteriez-vous, comme propriétaire d'un média, que les parlementaires interviennent...

M. Péladeau (Pierre Karl) : Écoutez, Mme la ministre, ce n'est pas vous qui allez me dire quoi répondre, si oui ou non... O.K.?

Mme Montpetit : Je suis en train de parler. Merci. Accepteriez-vous que les parlementaires de l'Assemblée nationale interviennent dans votre décision, comme propriétaire d'un grand média au Québec, de vendre ou de céder votre entreprise? La question, elle est simple. Je vous demande d'y répondre simplement.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Je n'ai rien à accepter, Mme la ministre. Ce que vous avez à faire, c'est de respecter la loi, et c'est tout. Moi, j'essaie de vous expliquer qu'il y a une procédure parlementaire qui est en cours, et ce n'est pas une procédure parlementaire habituelle.

Mme Montpetit : J'imagine que vous êtes au courant, parce que vous avez siégé avec nous en cette Assemblée, que les lois peuvent être amendées, et que c'est la raison pour laquelle nous sommes là, ici, pour corriger...

M. Péladeau (Pierre Karl) : ...

Mme Montpetit : ... — je n'ai pas terminé ce que je dis — une situation historique, pour corriger une loi, pour venir amender une loi pour donner à La Presse les mêmes droits que l'ensemble des médias du Québec. C'est une situation qui est unique. C'est la raison pour laquelle ce projet de loi là est déposé. C'est la raison pour laquelle on fait des consultations, qu'on vous écoute, qu'on suit un processus législatif.

Alors, je vais vous reposer ma question autrement. Accepteriez-vous, vous, comme propriétaire d'un média au Québec, de passer par un processus législatif pour vendre ou pour céder votre entreprise?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Premièrement, j'aimerais faire une petite, je dirais, nuance dans votre propos. Je ne suis pas propriétaire de journaux. J'ai le privilège de diriger une entreprise qui s'appelle Québecor et Québecor Média, et, parmi ses actifs, il y a Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec et 24 Heures. Ce sont certains des actifs.

Par ailleurs, moi, je suis désolé, Mme la ministre, là, cette loi-là ne s'applique pas à notre entreprise, elle s'applique à La Presse. C'est une vérité législative et c'est une vérité que les parlementaires doivent assumer. Ni vous ni moi n'étions là en 1925, ou en 1915, ou en 1917. Ce que nous savons, par ailleurs, c'est que M. Desmarais sénior savait très bien qu'il était assujetti à des contraintes de disposition lorsqu'il a fait l'acquisition de La Presse. C'est une réalité législative, Mme la ministre.

La Présidente (Mme de Santis) : Mme la ministre.

Mme Montpetit : M. Péladeau, on est contents que vous soyez là ce soir. Puis on va avoir Le Devoir après qui va pouvoir nous parler aussi. On est contents de parler à différents médias qui peuvent nous exposer leurs réalités, qui sont différentes de celle de La Presse. Donc, je vous repose la question. Je nommerai Québecor, alors. Accepteriez-vous que Québecor passe par un processus législatif pour pouvoir prendre une décision par rapport à son entreprise? C'est une question toute simple.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Je vous ai répondu, Mme la ministre. Je ne peux pas rien dire de plus que ce que je vous ai dit tout à l'heure. Ma réponse m'est apparue assez claire et précise.

Mme Montpetit : Ce que je comprends de votre réponse, c'est que, comme propriétaire, vous n'accepteriez pas de passer par un processus législatif parce que l'ensemble des médias au Québec n'ont pas à passer par un processus législatif pour prendre des décisions d'affaires. Aucune entreprise n'a à passer par une décision de l'Assemblée nationale. C'est une situation unique dans laquelle se retrouve La Presse, pour des considérations historiques, et c'est ce qu'on souhaite corriger pour leur donner une équité par rapport aux autres médias. Et ce que j'entends de votre réponse, c'est que vous n'accepteriez pas ça comme propriétaire.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Je vous ai répondu. Vous faites l'interprétation que vous voulez de mon propos. Je ne pense pas que ce soit ça, mais vous l'interprétez comme vous le voulez, Mme la ministre.

Mme Montpetit : J'aurais une autre question, Mme la Présidente, parce que M. Péladeau a eu l'occasion de parler à plusieurs reprises aussi de la ligne éditoriale de La Presse. Puis, à vous entendre, vous avez eu maintes fois l'occasion de le dire, vous l'avez redit ce soir, vous parlez souvent de la mainmise de Power Corporation sur les journalistes, sur leur contenu aussi. Donc, est-ce qu'on doit comprendre... Puis c'est important, je pense, de nous éclairer sur... Est-ce qu'on doit comprendre, puis je pense que c'est ce que je comprends, que vous préféreriez le statu quo? Nonobstant le désir de la direction des employés de La Presse, justement, vous préféreriez que La Presse demeure une propriété détenue par Power Corporation?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Bien, premièrement, je me permets de vous corriger. Vous me prêtez des propos que je n'ai jamais tenus, et j'ai donc l'obligation de vous corriger. Je suis désolé de le faire ici, au salon rouge, mais d'aucune façon je ne tiens ce genre de... Maintenant, cette décision-là ne m'appartient pas. Elle appartient aux dirigeants de Power Corporation. C'est à eux de faire ce qu'ils considèrent être la chose à faire. Moi, je vous ai fait une suggestion pour... parce qu'il semble que ce soit le cas... Nous souhaitons assurer la pérennité de La Presse, mais la meilleure façon, c'est de confier la propriété à un multimilliardaire. D'ailleurs, dans ce sens-là, ça ne serait pas une singularité ou une exception. Jeff Bezos a fait ça avec le Washington Post.

Mme Montpetit : Mme la Présidente, je suis contente de voir qu'on partage les mêmes objectifs, M. Péladeau et moi, qui sont la pérennité de La Presse, qui sont la pérennité de nos médias au Québec et de s'assurer que l'ensemble de nos médias, dont les siens, ne soient pas régis par l'Assemblée nationale. Ce sera tout pour moi, Mme la Présidente.

• (19 h 20) •

La Présidente (Mme de Santis) : M. le député de LaFontaine, pour 6 min 30 s.

M. Tanguay : Merci beaucoup, Mme la Présidente. Merci beaucoup d'être avec nous ce soir pour nous aider dans ce débat-là. On sait que la situation qu'amène... Le projet de loi n° 400 vient modifier une loi, effectivement, par une loi, vient modifier une situation unique où il y a transfert de propriété qui nécessite un amendement législatif. Je veux être sûr de bien vous comprendre, M. Péladeau. Vous dites que, parce qu'il y a une loi, on ne devrait pas y toucher. La loi serait immuable et éternelle. Est-ce que je vous ai bien compris, ou on peut amender la loi?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Bien sûr que vous pouvez amender la loi, et j'ai dit aussi que vous pouvez l'abroger. C'est le privilège et même l'obligation des parlementaires. Je n'ai jamais nié la capacité des parlementaires de faire la loi. J'ai eu le privilège d'en être un.

M. Tanguay : Alors, est-ce que je vous ai mal compris tantôt, quand vous avez dit que, quand les Desmarais ont acquis La Presse, ils connaissaient l'existence de la loi et qu'ils doivent aujourd'hui vivre avec? Est-ce que je vous ai mal compris quand vous avez dit ça?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Pas du tout.

M. Tanguay : Mais vous l'avez clairement dit.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Clairement, je me suis dit... Bien, moi, je n'en ai pas une connaissance personnelle, là, mais je pars du principe que, lorsque vous faites l'acquisition d'un actif, on fait ce qu'on appelle une vérification diligente. Et je présume que cette vérification diligente a été faite et a fait connaître au propriétaire qu'il existait une loi et donc, en conséquence, qu'il était assujetti à cette loi.

M. Tanguay : Assujetti à cette loi qui peut être amendée par la procédure aujourd'hui et qui...

M. Péladeau (Pierre Karl) : Évidemment, mais, encore une fois, dans le cadre normal de la procédure, en session ordinaire. Mais aujourd'hui, c'était le sens de mon intervention, tous les députés ont un droit de veto, puisque ça prend l'unanimité pour le faire passer au feuilleton. C'est ça, la réalité.

M. Tanguay : Peu importe le temps, justement, de la présentation du projet de loi, que ce soit en début, en milieu ou en fin de session, on respecte la procédure parlementaire, de un. Et, de deux, si, d'aventure, ça avait été fait beaucoup plus tôt, il n'y a aucun de nous qui aurait eu le pouvoir, justement, de contrecarrer l'adoption. Donc, aujourd'hui, la façon de procéder, à la limite, je vous dirais, ça va contre votre propos parce que chaque collègue aurait le droit et le loisir d'imposer son veto. Donc, ça accorde plus de pouvoir à chacun des collègues, incluant la collègue de Vachon.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Oui, par définition.

M. Tanguay : Donc, ça, vous le déplorez?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Non, je constate. Et je constate que, si vous discutiez de cette question, vous alliez proposer le projet de loi n° 400, tel qu'il est nommé, en session ordinaire, bien, la majorité libérale aurait suffi pour le faire passer.

M. Tanguay : Parce que, de votre 10 minutes, vous avez passé une partie très substantielle à ce point-là. En quoi ce point-là vient nous aider ce soir?

M. Péladeau (Pierre Karl) : J'essaie également, aussi, de vous brosser l'état des lieux. L'état des lieux, c'est que La Presse et les représentants de Power Corporation ont toujours refusé de divulguer leurs résultats. Alors, qu'est-ce qui vous garantit que, lorsque La Presse va être vendue à un OBNL, cet OBNL là ne perdra pas des dizaines et des dizaines de millions? Et je pose la question : Qui va financer ces dizaines de millions de pertes d'exploitation? Est-ce que c'est le gouvernement? Est-ce que ce sont des crédits d'impôt? Est-ce que ce sont des reçus de don de charité? Pour l'instant, vous n'avez reçu aucune garantie, et c'est la raison pour laquelle je vous invite à y réfléchir. Mais ce n'est pas moi qui détiens le pouvoir de prendre des décisions pour vous.

M. Tanguay : Est-ce qu'aujourd'hui, selon votre compréhension de l'état des lieux, Québecor serait empêchée de transférer Le Journal de Montréal à un OBNL ou elle pourrait le faire?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Québecor n'est pas assujettie à une loi comme celle qui existe pour La Presse. Il n'y a personne qui a consenti à une loi semblable, et donc son régime, entre guillemets, législatif ou administratif est différent de celui de La Presse, clairement.

M. Tanguay : Québecor pourrait transférer Le Journal de Montréal à un OBNL?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Oui. Elle pourrait le vendre aussi, pourrait le fermer, est libre... D'ailleurs, comme l'a dit M. Desmarais ce matin dans son témoignage, c'est le privilège du propriétaire.

M. Tanguay : Et est-ce que vous aimeriez que les parlementaires se saisissent de l'opportunité, pour Québecor, ou pas de transférer Le Journal de Montréal à un OBNL? Est-ce que vous aimeriez ça qu'on aille jouer dans vos platebandes?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Bien, écoutez, ça ne me concerne pas. Si les parlementaires souhaitent... Non, mais c'est parce que vous posez des questions qui sont extrêmement théoriques. Alors, ça ne se produira pas. Il n'y en a pas, de loi, M. le député de LaFontaine, concernant Québecor. N'essayez pas d'en inventer une.

M. Tanguay : Il n'y en a pas, de loi. Donc, vous seriez prêt à vous soumettre au débat parlementaire si, d'aventure... ou, sur le principe, vous seriez d'accord que les députés statuent ou pas si Québecor peut envoyer Le Journal de Montréal dans un OBNL. Vous seriez... sur le principe, parce que vous devez appliquer à vous-même ce que vous demandez aux autres. Vous seriez d'accord que les députés disent : Québecor, non, vous n'avez pas le droit d'envoyer Le Journal de Montréal dans un OBNL. Sur le principe, vous aimeriez ça, vous?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Excusez-moi, M. le député, là, ce n'est pas une question de principe, c'est une question de réalité juridique.

M. Tanguay : Que l'on peut amender, puis qu'on fait à soir.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Dans un cas, il y a une loi puis, dans l'autre cas, il n'y en a pas. Alors, vous ne pouvez pas inventer une loi si elle n'existe pas. Maintenant, si les parlementaires souhaitent abroger ou modifier la loi de 1967, mais bien sûr qu'ils ont le droit. Et c'est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui et c'est la raison pour laquelle le gouvernement a appelé ou a déposé le projet de loi n° 400.

M. Tanguay : Et ce sera à nous de juger s'il est de bon aloi, justement, de modifier une loi qui va permettre la pérennité d'une institution journalistique, pour laquelle le président, M. Charles Côté, est venu dire : «Les Desmarais ont toujours été exemplaires quant à l'indépendance journalistique», est venu plaider pour la continuité des emplois, une institution. Et, même, je vous dirais que les représentants de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec sont venus vanter l'importance de pouvoir assurer la pérennité de cette institution qui est La Presse, et dont ils ont toutes les garanties que l'indépendance journalistique se vérifie à tous les jours, indépendamment de la ligne éditorialiste, pour laquelle vous avez dit un peu plus tôt que vous n'aviez pas de commentaire puis que vous ne les aviez pas faits, ces commentaires-là. Alors, je pense que, notre rôle de législateurs, on va le réaliser pleinement.

La Présidente (Mme de Santis) : ...député de LaFontaine. Maintenant, la parole est au député de Matane-Matapédia pour neuf minutes.

M. Bérubé : Merci, Mme la Présidente. Bienvenue à l'Assemblée nationale.

Tout à l'heure, j'ai entendu la ministre indiquer qu'elle était heureuse d'entendre les représentants de Québecor et du Devoir. Alors, je suis heureux qu'elle s'en réjouisse parce que le Parti libéral n'avait pas cru bon inviter ni Québecor ni Le Devoir, ce que les oppositions ont fait. Alors, on est heureux de prodiguer ce plaisir des échanges aux représentants libéraux. Et, n'eût été notre intervention, on aurait privé la ministre de cette réjouissance qu'elle a eue de poser cette question.

Ceci étant dit, évidemment, vous êtes un compétiteur. Évidemment, vos positions critiques quant à La Presse sont connues. Mais là ce projet de loi là, qui nous a surpris aussi, comme, je pense, a surpris l'ensemble des artisans en information, les observateurs, fait en sorte qu'on n'a pas eu beaucoup de temps pour se préparer. Quand vous dites que c'est une procédure accélérée, tellement accélérée que toutes les personnes qui sont venues s'asseoir là aujourd'hui ont eu à peu près 24 heures de convocation pour se préparer... Et je veux remercier l'ensemble de ces personnes-là. On a réitéré l'importance de la pluralité des sources dans une société démocratique, d'avoir des journalistes qui couvrent l'actualité, notamment le politique, qui nous posent des questions, dans une démocratie. Vous êtes critique quant au modèle qui est choisi par un compétiteur. Ma question : Est-ce que ça vous apparaît un avantage, qui est accordé à La Presse, qui est préjudiciable pour votre entreprise?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Écoutez, M. le député, ce qu'on peut dire pour l'instant, c'est qu'il y a un certain nombre d'hypothèses qui ont été évoquées. On a parlé de considérations de nature fiscale à Ottawa. On a parlé de considérations de crédit d'impôt. Il a été aussi question de... Il y avait, donc, l'impôt, le crédit d'impôt, les dons de charité, un financement public, subventions. On sait que le gouvernement, par l'intermédiaire d'Investissement Québec, a fait un prêt de 10 millions à groupe Capitales Médias. Je serais très heureux de savoir où en est la valeur de ce prêt. Je ne serais pas surpris de le voir radié. M. Desmarais, ce matin, disait qu'il comptait sur la participation des pouvoirs publics et de l'État. Il l'a mentionné.

Donc, est-ce que c'est un avantage ou c'est un inconvénient? Bon, moi, j'aurais tendance à penser que c'est un inconvénient dans la mesure où les employés, les organisations syndicales sont en train de faire en sorte d'accepter la cession d'une propriété, tu sais, disons-le, là, d'une entreprise qui est extrêmement solvable, dorénavant à une entité dont on ne sait pas véritablement quel avenir on va lui proposer. Alors, c'est problématique. Et, si on devait, le cas échéant, accepter ce transfert-là, j'ose espérer que les parlementaires vont être un petit peu plus exigeants sur la contribution de chacun et de chacune de ceux et celles qui sont impliqués là-dedans.

• (19 h 30) •

M. Bérubé : Mme la Présidente. Est-ce que votre entreprise, M. Péladeau, pourrait, à la lumière de l'adoption de ce projet de loi, se prévaloir d'une telle disposition pour ses journaux ou c'est exclu dans votre modèle d'affaires?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Un OBNL?

M. Bérubé : Oui.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Clairement que ce n'est pas l'intention et les objectifs actuels de l'entreprise. Maintenant, est-ce qu'on peut parler dans cinq ans, dans 10 ans, dans 15 ans? Je ne suis pas en mesure de pouvoir affirmer, là, tu sais, de façon péremptoire, qu'est-ce qui va se produire dans cinq ans. C'est vrai qu'il y a beaucoup de changements dans le domaine des médias écrits.

M. Bérubé : Une des questions liées au changement qui nous a été évoquée en privé... Parce qu'on a eu une rencontre mardi, la semaine dernière, les différentes formations politiques — par souci de transparence, je pense qu'il faut l'indiquer aux gens qui nous suivent — où on a indiqué que c'est un univers qui change rapidement, que Facebook et Google s'accaparent une partie substantielle des revenus publicitaires, que ça pose un défi notamment à la presse écrite.

Vous avez indiqué tout à l'heure que vous considérez que Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec sont toujours rentables dans la formule que vous avez adoptée. Quelle est votre appréciation de ce phénomène-là qui frappe, j'imagine, l'ensemble des médias québécois et pas seulement les médias écrits? Et comment vous y avez fait face? Parce que vous indiquez que c'est profitable, donc il existe probablement des formules qui permettent de se démarquer. Quelle est la formule que vous avez choisie dans les dernières années pour faire face à un phénomène, j'imagine, que vous observez au même titre que les gens qui sont venus nous voir aujourd'hui?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Écoutez, très tôt, excusez-moi, je ne veux pas me considérer comme étant visionnaire, là, mais on pouvait aisément anticiper que, lors de la venue de ce nouvel univers numérique, il allait y avoir de fortes perturbations dans les médias conventionnels et particulièrement, notamment, effectivement, dans le domaine de la presse écrite. J'ai cru comprendre, quelqu'un aussi s'est exprimé un peu plus tôt, il y a eu ces mêmes changements dans le domaine de... — ah! je pense que c'est Mme la députée d'Iberville — dans le domaine de la musique. Donc, aujourd'hui, c'est le streaming, avant... ou la musique en continu. Antérieurement, on l'achetait, cette musique-là. Est-ce qu'il y a quelqu'un qui a anticipé ces changements-là? Oui, il y a des gens qui ont anticipé ces changements-là, ils se sont adaptés.

Nous considérons qu'en matière de médias écrits nous avons pris les décisions qui nous apparaissaient opportunes. Vous savez, les décisions, lorsque vous êtes un dirigeant d'entreprise, ne sont pas nécessairement faciles à prendre, et je le sais très bien puisque j'ai été affublé pendant de nombreuses années de «roi du lock-out». Mais je considérais que mon rôle était de faire en sorte de poser les gestes appropriés pour assurer la pérennité, et, s'il y avait des considérations, dans les conventions collectives, qui étaient malheureusement préjudiciables à l'avenir de nos quotidiens, il fallait les prendre, ces décisions-là. Il fallait avoir le courage de les prendre. Mais vous savez quoi? Aujourd'hui, il y a plus de journalistes au Journal de Québec, au Journal de Montréal, au bureau parlementaire, au bureau d'enquête qu'il y en avait antérieurement. Nous avons donc pris les bonnes décisions...

La Présidente (Mme de Santis) : ...conclure, s'il vous plaît.

M. Péladeau (Pierre Karl) : ...pour faire en sorte d'assurer la pérennité de nos quotidiens.

M. Bérubé : Je reviens, Mme la Présidente, à l'essentiel, parce que la nouvelle structure permet des nouvelles sources de financement, et on peut comprendre La Presse de vouloir assurer son avenir avec des nouvelles sources de financement, puisqu'Ottawa dit qu'il ne va financer que des médias OBNL. Ça, c'est la nouveauté qui n'existait pas si on s'était rencontrés l'an dernier. Sentez-vous que, si Québecor avait à faire une demande au gouvernement fédéral, il serait traité de la même façon et équitablement?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Je n'en sais rien, mais, comme le disait lui-même, d'ailleurs, M. Desmarais, à quelques reprises, je pense qu'il l'a réitéré ce matin, il se voyait dans une position difficile de demander aux pouvoirs publics de subventionner une entreprise qui était détenue par des multimilliardaires. Alors, si cette situation-là est exacte, est-ce que Québecor, qui a une capitalisation boursière de 6 milliards de dollars, va être reçue avec enthousiasme à Ottawa? Je ne sais pas, je n'en sais rien, mais je pense que c'est légitime d'en douter.

M. Bérubé : ...vous, à la lumière de vos propos, qui sont assez clairs là-dessus, que la nouvelle structure est une façon différente d'obtenir un financement qu'on n'obtiendrait pas par la structure actuelle, donc c'est un passage obligé qui est mué essentiellement par la volonté d'avoir un nouveau financement, et que c'est essentiellement cette raison-là qui guide le changement de structure uniquement?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Écoutez, c'était le sens de mon intervention, et c'est tellement, entre guillemets, le sens de mon intervention que c'est M. Desmarais qui le dit lui-même. Alors, aujourd'hui, nous sommes obligés de constater, là, que La Presse, c'est un échec patent et c'est une illustration de l'incompétence de la direction. Ils ont mal dirigé, ils n'ont pas pris les décisions appropriées pour leur média. Ils ont essayé de vendre leur plateforme sur la planète tout entière. Ils l'ont vendue au Toronto Star, qui l'a abandonnée très rapidement. C'est un échec patent. Et aujourd'hui nous demandons, d'ailleurs comme ça a été le cas pour Groupe Capitales Médias, aux contribuables et aux citoyens de prendre la place des actionnaires de Power Corporation pour financer les pertes d'exploitation de ce média. C'est ça, la réalité, il n'y en a pas d'autre.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Maintenant, la parole est à la députée d'Iberville pour six minutes.

Mme Samson : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, M. Péladeau. Bonsoir, madame. M. Péladeau, on a... j'ai six minutes seulement. Six minutes de «prime time», vous savez comme moi ce que ça vaut, hein?

Je vais vous poser ma question bien simplement. Mis à part l'affaiblissement d'un concurrent, au net- net, là, ça change quoi dans votre vie que l'Assemblée nationale accepte le projet de loi? Au net-net, là, que ce soit un OBNL, que ça soit Power Corp, M. Desmarais ou Oumfelaïe! qui en soit propriétaire, ça change quoi dans votre vie?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Écoutez, moi, je pense... et c'est encore une fois ce que j'invite les parlementaires à faire, c'est de tirer les conséquences de l'adoption du projet de loi.

Donc, vous disposez... ou vous permettez à Power Corporation de disposer de La Presse et de l'envoyer dans un OBNL. Même théoriquement, vous savez quoi, ça devrait être plutôt favorable à Québecor, parce que les chances de survie de La Presse détenue dans un OBNL sont beaucoup moins élevées que si La Presse demeurait chez Power Corporation. Je vous l'ai dit tout à l'heure. Vous faites, excusez-moi l'expression, un «swap» d'un créancier extrêmement solvable pour une inconnue la plus absolue à l'heure où nous nous parlons.

Vraiment, ce n'est pas un bon deal pour les employés non plus, puis je les invite à y réfléchir. À moins qu'il y ait des deals qui ont été négociés qu'on ne connaît pas, mais ça, c'est une autre affaire.

Mme Samson : Mais vous comprendrez, M. Péladeau, là, que, de vous entendre défendre les employés puis les syndicats, on est tous un petit peu crédules, là, tu sais. Un petit peu. Un petit peu, soyons honnêtes, là, M. Péladeau, là, vous savez que je n'ai pas l'habitude...

M. Péladeau (Pierre Karl) : Écoutez, Mme la députée d'Iberville, je n'ai pas défendu qui que ce soit, là. Je vous ai simplement... essayé de décrire des faits, là.

Mme Samson : Oui, oui, mais, dans le fond...

M. Péladeau (Pierre Karl) : Ne me prêtez pas d'intentions, Mme la députée. Je suis désolé, ne me prêtez pas d'intentions.

Mme Samson : Non, je ne vous prête pas d'intentions.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Je demanderais d'ailleurs à Mme la présidente, tu sais... que c'est interdit de prêter des intentions.

Mme Samson : C'est interdit de prêter des intentions à un élu, mais pas à un entrepreneur.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Ah! O.K., d'accord. Bon, vous faites de la discrimination, d'abord. Les élus ont un statut différent du citoyen.

Mme Samson : Oui, on fait de la discrimination, mais mon point, c'est que, M. Péladeau, j'essaie de comprendre votre motivation à vous opposer à ce projet de loi. Puis là, quand je vous pose la question, vous me dites : Mais, si vous l'accordez, l'abrogation de l'article 3, vous la rendez plus vulnérable qu'elle ne l'est par rapport à mon entreprise.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Est-ce que vous m'avez entendu dire que je m'oppose à... Je ne m'oppose pas, je fais le nécessaire pour tenter... bon, peut-être que c'est prétentieux de ma part, Mme la députée d'Iberville, mais d'éclairer adéquatement les parlementaires au sujet de la situation auquel ils font face, les parlementaires, M. et Mmes les députés.

Mme Samson : Donc, votre propos tient surtout quant au déroulement du processus parlementaire qu'à l'«outcome» de l'adoption ou non du projet de loi.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Bien, peut-être que, dans la session parlementaire habituelle, avec une commission, justement, vous auriez tous les intervenants, les participants à l'intérieur, donc, de l'industrie, parce que c'est une industrie importante. Et tout le monde a mentionné que les considérations derrière la presse écrite et l'information... On a parlé du quatrième pouvoir, on a parlé de la démocratie. C'est exact. C'est peut-être également aussi la raison pour laquelle les parlementaires devraient prendre le temps adéquat pour regarder et bien assumer toutes les conséquences des gestes qui vont être posés le jour où La Presse va être vendue à un OBNL.

• (19 h 40) •

Mme Samson : M. Péladeau, là-dessus, on va se rejoindre un petit peu, là. Je l'ai dit ce matin, moi, j'estime qu'on est 15 ans en retard sur le virage numérique, 15 ans en retard sur le plus cancre des cancres qui l'a pris, puis on est 20 ans en retard sur ceux qui se sont un petit peu adaptés. Je suis d'accord avec vous, là, il est temps qu'on enferme cinq, six personnes dans une salle, là, puis qu'on leur demande de sortir quand ils auront des idées sur comment on va aborder ça, tant pour la musique que pour le commerce du détail, que pour les médias, parce que, dans deux ans, dans trois ans, dans quatre ans, ça va être la radio, ça va être votre réseau de télévision ou vos réseaux de télévision qui vont être ici puis qui vont dire : On n'est plus capables, on est noyés, on est en train de mourir. Là-dessus, bien, on n'a que nous à blâmer pour n'avoir pas eu de vision pendant 20 ans et puis d'avoir fait des erreurs.

Moi, j'ai l'impression que La Presse a pris un virage très tôt dans l'arrivée du numérique. Ça n'a peut-être pas été des choix tous heureux, mais je n'irais pas jusqu'à condamner complètement la tentative d'aborder le virage numérique. Mais j'essaie de comprendre votre motivation, outre le processus que vous questionnez puis la responsabilité que vous voulez nous donner, qui... à mon avis, là, on peut la décaler. Mais vous le savez, M. Péladeau, si on ne le fait pas maintenant puis qu'on attend au mois de février prochain, vous savez dans quelle mesure ça va être douloureux pour La Presse aussi. Vous savez à quelle vitesse ça roule dans cette industrie-là, là, vous en êtes un principal dirigeant, là. Mais j'essaie de comprendre, au net-net, là, je vous parle en bon comptable, là, au net-net, «bottom line», là...

La Présidente (Mme de Santis) : 30 secondes.

Mme Samson : ...qu'est-ce que ça vous enlève que l'Assemblée nationale accepte... adopte le projet de loi n° 400? Qu'est-ce que ça change dans votre vie dans un an?

M. Péladeau (Pierre Karl) : Bon, premièrement, il n'y a pas d'urgence nationale, là. Les choses n'évolueront pas, tu sais... les GAFA vont demeurer aussi présents demain que dans six mois, là. Il ne faut pas se raconter d'histoire. Ce qu'on vous demande, c'est de faire en sorte... à la sauvette, de faire... d'adopter une loi qui va libérer Power Corporation de ses obligations, je l'ai mentionné dans ma proposition, et qui va faire en sorte, malheureusement, que les parlementaires ne prennent pas le temps, parce que ces processus-là, ils...

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Maintenant, la parole est à la députée de Vachon pour trois minutes.

Mme Ouellet : Oui. Merci, Mme la Présidente. Bienvenue. Peut-être juste répondre, parce que les gens reviennent toujours avec la loi de 1967, que, si elle n'était pas là, nous ne serions pas là, mais, si elle n'était pas là, Power Corporation ne serait pas propriétaire de La Presse. Donc, je pense que c'est une loi qu'ils ont beaucoup aimée, parce que, sinon, ils n'auraient pas La Presse aujourd'hui et tout ce qu'ils ont pu faire avec La Presse depuis ce temps-là.

M. Péladeau, ça fait plaisir de vous rencontrer. Deux éléments. Premièrement, les dons de charité, parce que La Presse souhaite se financer à travers les dons de charité, est-ce que vous considérez que ce serait de la concurrence déloyale qu'une fois en OBNL ils aient accès aux dons de charité, alors que vous, à cause de la structure corporative, vous n'auriez pas accès aux dons de charité? Premièrement.

Et, deuxièmement, vous entendre un peu plus, parce qu'effectivement j'ai la même préoccupation, sur les emplois, et c'est ce que je disais un peu plus tôt ce matin, l'endosseur de La Presse par rapport à pas d'endosseur d'OBNL pour les employés, il me semble que c'est pas mal plus gagnant de rester avec Power Corporation qu'avec juste un OBNL. J'aimerais vous entendre un peu plus sur cet élément-là.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Bien, écoutez, j'ai dit ce que j'avais à dire, puis on ne peut pas nécessairement, tu sais, donner beaucoup plus de détails. C'est un endosseur très solvable pour une espèce de mystère, là. Mais le point que vous avez abordé, bon, évidemment, ça aussi... C'est parce que c'est un processus à la sauvette. On n'a pas l'occasion, tu sais, d'éclairer complètement le dossier. Mais c'est vrai que ça va être de la concurrence déloyale.

Alors, on prendrait le temps, là, imaginez-vous, là... Puis ça peut avoir un impact considérable également sur la liberté de presse. Parce que, si Bell Canada, là, donne 100 000 $ ou 200 000 $ à La Presse, pensez-vous que les journalistes, qui font en général un très bon travail, vont être aussi attentifs à dénoncer les pratiques de Bell Canada en matière de télécommunications? Je pense que c'est légitime de s'interroger. Alors, ça, c'est certain que Québecor ne donnera pas d'argent à l'OBNL de La Presse, là, tu sais. On est d'accord avec ça? Mais on pourrait éventuellement commencer à venir circonscrire un univers où l'entière liberté est dorénavant, malheureusement, assujettie à des pressions possibles, en tout cas susceptibles d'exister. Vont-elles exister? Bien, il n'y a personne pour le dire, mais ce n'est pas impossible qu'elles fassent son chemin aussi.

Mme Ouellet : Donc, ce que vous êtes en train de me dire, c'est que le financement futur, à travers des dons de charité qui pourraient provenir de grandes entreprises comme Bell, ou d'amis des Desmarais, ou de l'ensemble, bien, ça pourrait faire en sorte que les journalistes se sentent un peu mal à l'aise de dénoncer, étant donné qu'on ne mord pas la main qui nous nourrit.

M. Péladeau (Pierre Karl) : L'ampleur des dons pourrait être tellement considérable que cette situation-là ne pourrait être ignorée, en tout cas, certainement de la direction, bien évidemment...

La Présidente (Mme de Santis) : Malheureusement, le temps est expiré.

M. Péladeau (Pierre Karl) : Et est-ce que ça peut avoir un impact sur les journalistes? Je n'en sais rien, mais c'est un fait...

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup. Merci, M. Péladeau. Merci, Mme Desjardins. Vous avez contribué à nos travaux.

Alors, maintenant, nous allons suspendre pour quelques instants afin de permettre aux représentants du Devoir de prendre place.

(Suspension de la séance à 19 h 46)

(Reprise à 19 h 47)

La Présidente (Mme de Santis) : Nous reprenons nos travaux. Je souhaite la bienvenue aux représentants de Le Devoir. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé. Ensuite, on va procéder à la période d'échange avec les membres de la commission. Je vous invite donc à vous présenter, ainsi que les personnes qui vous accompagnent, et à procéder à votre exposé. La parole est à vous.

Le Devoir inc.

M. Ryan(André) : Merci, Mme la Présidente. Messieurs, mesdames, Mmes et MM. les parlementaires, mon nom est André Ryan, je suis président du conseil d'administration de Le Devoir inc.. Vous avez reconnu, à ma droite, notre directeur, Brian Myles. Je voudrais également vous remercier de nous avoir invités à vous adresser la parole ce soir. On sera brefs, comme le fut notre préparation, mais, dans les circonstances, on assume notre responsabilité.

On est heureux d'être avec vous pour partager nos réflexions essentiellement sur deux sujets. D'abord, une position qui vous sera communiquée très clairement par M. Myles quant au projet qui est sur la table. Pour ma part, j'ai cru que l'opportunité était importante de prendre le moins de minutes possible, mais quelques minutes quand même pour vous parler de notre modèle d'affaires, dont nous sommes très fiers et qu'on pense qu'il peut apporter un éclairage, là, dans le contexte dans lequel vous êtes appelés à intervenir.

Je ne veux pas remonter, évidemment, à 110 ans pour parler du Devoir, mais je veux simplement vous dire qu'en 1993 Le Devoir a subi une transformation importante, était alors exploité par L'Imprimerie populaire, ltée. Une filiale qui s'appelle Le Devoir inc. a été créée, et, à travers un véhicule de placement qui existait à l'époque, à savoir les specs, les lecteurs ainsi que les employés du Devoir ont été appelés à contribuer à une recapitalisation, une relance par laquelle Le Devoir est allé chercher environ 5 millions de dollars, à l'époque, et est devenu une société à capital ouvert. L'élargissement a, entre autres, permis et donné lieu à l'arrivée au conseil d'administration d'un représentant des employés du Devoir.

De 2000 à 2014, les choses se sont plutôt bien déroulées sous la direction de notre ancien directeur, M. Bernard Descôteaux, qui était directeur quand je suis arrivé au conseil, en 2012. En 2010, l'année du centenaire, Le Devoir a généré un bénéfice d'environ 1,2 million de dollars. Le déclin a commencé par la suite avec l'arrivée massive des GAFA, dont vous avez parlé abondamment, sur le marché de la publicité, et, après 2010, les choses se sont un peu compliquées, et des pertes ont commencé à être accumulées.

• (19 h 50) •

À l'initiative du directeur Bernard Descôteaux et surtout sous l'impulsion du président du conseil d'administration de l'époque, M. Jean Lamarre, un nouveau plan ambitieux de relance a été imaginé. En décembre 2016, à la demande de M. Lamarre, j'ai collaboré avec plusieurs de mes collègues à un scénario de refinancement. Le Devoirest redevenu une société à capital fermé, et nous avons procédé à une nouvelle recapitalisation pour un montant de plus de 2 millions de dollars. M. Myles était, entre-temps, arrivé à la direction, à l'âge de 43 ans, apportait avec lui une vision extrêmement porteuse et beaucoup de modernité, beaucoup d'ambition dans la conversion numérique, qui avait été entamée, mais il a accéléré cette transformation-là.

Tout au long de ces transformations, Le Devoir a été accompagné, et ce, depuis 110 ans, par Les Amis du Devoir, dans sa forme actuelle existe depuis 2009, et qui est un OBNL, et qui, avec Le Devoir, coordonne des activités de financement philanthropique.

À travers toutes les étapes que nous avons traversées, les divers scénarios de recapitalisation, dont les deux que je vous ai décrits, une importance extrêmement attentionnée a été portée au maintien et à la préservation de la liberté complète et de l'indépendance de la direction et plus particulièrement de la direction éditoriale du journal. Nos structures actuelles garantissent l'indépendance de la position éditoriale du journal. Nous en sommes extrêmement fiers.

En terminant, je vous dirais que le modèle actuel repose sur trois axes, M. Myles pourra les développer davantage, mais les trois axes principaux : évidemment, d'abord, les abonnements et ce qu'on appelle le mur payant; deuxièmement, ce que j'appellerais une stratégie multiplateforme, donc un équilibre entre le papier et nos plateformes numériques; et, troisièmement, je vous dirais, un préjugé en faveur du téléphone mobile. C'est essentiellement ce que je voulais vous communiquer. Je cède la parole à notre directeur, M. Myles.

M. Myles(Brian) : Mme la Présidente, merci. Mme la ministre, Mmes, MM. les députés, merci de nous recevoir ce soir. Essentiellement, notre position est très simple. La fameuse loi de 1967 qui empêche la transformation de La Presse a épuisé son utilité. Elle date d'une autre époque qui est révolue, une époque où on craignait la perte de propriété de La Presse à des intérêts étrangers, où on se méfiait aussi de la concentration de La Presse. Mais, en 2018, le débat sur la concentration de La Presse et la propriété des médias ne se pose plus de la même façon.

Je ne voudrais pas aujourd'hui, comme directeur du Devoir, me retrouver dans la position de La Presse et être obligé de vous demander la permission pour changer de structure juridique. Et je vous le dis en tout respect, il ne m'apparaît pas que c'est aux parlementaires de décider quel sera le modèle d'affaires, et la structure juridique, des médias. Il reste beaucoup de questions sur le modèle La Presse, si cet OBNL sera pleinement indépendant, et vous avez entendu des représentations toute la journée, mais ultimement l'expérience nous dira de quoi sera faite La Presse de demain, et le public sera à même de poser un jugement sur sa juste valeur. Et le gouvernement fédéral, comme le vôtre, aura l'occasion d'édicter des critères pour élaborer des programmes d'aide, que ce soient les crédits d'impôt, les subventions, ou autres. Et donc, au fond, il m'apparaît qu'on a, on doit, comme éditeurs, comme patrons de presse, avoir l'autonomie et la latitude pour choisir nos modèles.

Notre industrie est en crise, vous l'avez entendu maintes et maintes fois. C'est vrai. Essentiellement, ce qu'on a choisi de faire au fil des ans, c'est de miser, selon les différents modèles, entre la qualité des contenus ou la quantité, entre la gratuité des contenus et le modèle d'abonnement. Et, dans certains cas, on a voulu être des compagnies de technologie par opposition à des compagnies de contenu. Le Devoir, dans ses grands cadrans, a choisi d'être une compagnie de contenu. On utilise des technologies produites par d'autres, au coût le plus faible possible. On a choisi de faire la qualité, évidemment, des contenus — je ne pense pas que j'aie besoin de vous faire la démonstration de tout ça — et le modèle d'abonnement, le modèle d'abonnement qui est pérenne.

Le modèle d'abonnement, par contre, pour moi, c'est la première partie de la pièce de monnaie qui va avec la philanthropie, hein? Les dons et l'abonnement, c'est deux côtés d'une même pièce de monnaie. Et, au Devoir, je crois qu'on est le média qui reçoit le plus de dons, certainement au Québec et probablement au Canada. Les Amis du Devoir, depuis les trois dernières années, ont réussi à collecter 1,2 million de dollars auprès de plus de 2 000 donateurs uniques, et ça tient au contrat social qu'on a créé avec nos abonnés, avec notre communauté.

Alors, c'est évident que, si le gouvernement fédéral décide de transformer la structure de la Loi sur l'impôt et des lois fiscales, il m'apparaît impensable que Le Devoir ou, à tout le moins, Les Amis du Devoir, qui est un OBNL, ne puissent pas à la fin de l'année avoir des exemptions fiscales ou émettre des reçus de charité à ses donateurs. Alors, je compte sur vous, MM., Mmes les députés, pour faire entendre votre voix dans le débat et s'assurer qu'à la fin de l'année on ne refuse pas au Devoir ou aux Amis du Devoir ce qu'on s'apprêterait à accorder à La Presse.

Ce modèle de philanthropie a fait ses preuves au Devoir. C'est une base, selon les années, de 4 % à 6 % des revenus. Ça ne va pas sauver les médias. N'imaginez pas que vous allez régler tous les problèmes en permettant à ce que des entreprises de presse puissent aller chercher des dons, mais c'est un revenu d'appoint, c'est un revenu complémentaire qui nous permet de poursuivre notre virage. Et, chez nous, on fait le pari que le virage repose sur les abonnements et qu'on existe pour des communautés de lecteurs avant toute chose.

En terminant, messieurs, madame, je tiens à vous remercier et je réitère l'importance qu'on respecte certains principes entre vous et nous, ce fameux principe de distance entre le politique et le médiatique. Alors, je vous inviterais à la prudence, parce qu'on ne peut pas, d'un côté de la bouche, dire qu'on respecte l'indépendance des médias et, de l'autre, utiliser le prétexte d'une loi obsolète pour freiner des transformations.

Le reste, je décline compétence ou expertise sur le sentiment d'urgence qu'on vous a plaidé. Je ne suis pas dans le secret des stratégies d'affaires de La Presse. Et ce sera à vous, en toute sérénité, dans votre délibération, de décider du juste moment où vous devriez autoriser ces transformations-là. Il m'apparaît impensable de ne pas le faire. Et n'oubliez pas l'enjeu de l'équité dans les programmes. Le programme de subvention du ministère de la Culture, le programme de crédits d'impôt de 35 % sur les dépenses numériques, l'exemption sur la taxe de recyclage, ce sont trois programmes qui ont été adoptés dans les deux dernières années par votre gouvernement, trois programmes normés, équitables, qui s'appliquent à tous, et ce sont les programmes normés, équitables qui nous permettent de continuer d'avoir la distance entre l'État et les médias et de ne pas faire des gagnants et des perdants dans les programmes d'aide au soutien à la transformation numérique. Merci beaucoup.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci à vous. Maintenant, la parole est à la ministre pour 15 minutes.

Mme Montpetit : Je vous remercie, Mme la Présidente. M. Ryan, M. Myles, bonsoir. Bienvenue à l'Assemblée nationale. Pourriez-vous nous rappeler depuis quand une société à but non lucratif participe au financement du Devoir?

M. Ryan (André) : Avec notre... Les Amis du Devoir existent depuis les tout débuts de l'histoire du journal. Je ne peux pas vous garantir la forme juridique que Les Amis du Devoir avaient au cours de la première moitié du XXe siècle. Ce que je peux vous dire c'est que, depuis 2009, Les Amis du Devoir, dans leur mouture actuelle, sont un OBNL et collaborent de manière ponctuelle, à travers des campagnes, au financement du Devoir, et de manière beaucoup plus active, je vous dirais, depuis trois ans et demi environ, à travers une campagne que je qualifierais de grand public, donc auprès de notre premier public que sont les lecteurs fidèles du Devoir, qui des fois ajoutent un 10 $, 15 $, 20 $, nous envoient des lettres, qui nous touchent énormément, pour signifier leur appui, et, d'autre part, une campagne plus ciblée, qui s'est appelée Les Grands Amis du Devoir et qui a visé une clientèle peut-être un peu plus à l'aise et qui nous a donné, évidemment, une contribution exceptionnelle au cours des trois dernières années.

Brian l'a évoqué, là, on a accumulé une somme impressionnante de 1,2 million de dollars au cours des trois dernières années, qui sont venus contribuer à nos opérations et à notre transformation en profondeur.

M. Myles (Brian) : Tout à fait. Dès 2015... 1915, pardon, il y avait une première société des Amis du Devoir, et la philanthropie a toujours été une partie intégrante. Il y a eu des époques où on en avait moins besoin. Et, depuis 2009, comme André l'a expliqué, c'est devenu constant, pérenne et c'est budgété à chaque année. Et on espère faire progresser ces revenus-là, mais on n'est pas dupes. On sait bien que ça ne dépassera probablement jamais 10 % de nos revenus.

Mme Montpetit : Mais est-ce que vous diriez que cette société-là participe à assurer la pérennité du Devoir?

• (20 heures) •

M. Myles (Brian) : Écoutez, Les Amis du Devoir, au fond, c'est des gens qui portent Le Devoir sur leur coeur et sur leurs manches et qui font des pieds et des mains pour aller chercher des donateurs, et des donateurs aussi qui, spontanément, se manifestent. Dans la palette des donateurs, des 2 000 donateurs, on a réussi à récolter des sommes qui vont de 10 $ à 25 000 $. Et c'est toujours des dons... c'est presque toujours des dons d'individu, ce n'est pas des grandes compagnies qui essaient de nous financer, c'est un appel du coeur, c'est un appel d'une communauté pour qui Le Devoir est trop important, hein? On se fait souvent dire : Le Québec n'a pas les moyens de perdre Le Devoir, et ça, c'est la première étape qui mène vers l'engagement, l'engagement par l'abonnement, l'engagement par le don. Et à ça s'ajoute aussi une mission d'éducation et de débat que Les Amis du Devoir organisent à l'occasion, et ils remettent aussi les prix de la presse étudiante à chaque année.

Mme Montpetit : Parfait. J'aimerais vous entendre aussi sur les propos qui ont été tenus par M. Péladeau, qui était présent juste avant vous, sur la question, justement, sur le droit de regard puis vous l'avez évoqué, mais j'aimerais bien vous réentendre là-dessus, sur le fait justement que le projet de loi n° 400, qu'on dépose comme gouvernement, vient corriger une unicité historique pour un média. Mais j'aimerais vraiment vous entendre sur ce qui a été dit sur le droit de regard des parlementaires à venir abroger cette loi.

M. Myles (Brian) : Écoutez, je préférerais bien franchement commenter la situation et le modèle du Devoir. Moi, j'ai des excellentes relations avec Québecor, avec M. Péladeau. Vous savez, Québecor distribue Le Devoir et l'imprime. Québecor, en 1993... on a passé très rapidement, mais, si Pierre Péladeau père n'avait pas été là, Le Devoir n'aurait pas passé à travers. Il a accepté d'effacer l'ardoise pour Le Devoir. Et c'est un partenaire avec lequel on a beaucoup de liens d'affaires.

Et, sur la question de votre privilège, bien, franchement, il vous appartient de déterminer ce que vous allez faire de cette loi privée de 1967, mais, moi, à mon avis, le mien, cette loi-là a épuisé son utilité et n'a plus sa raison d'être dans le contexte de 2018.

Mme Montpetit : Peut-être que ma question a été mal comprise, M. Myles, mais c'était le sens de ma question, la dernière partie de votre réponse, à savoir : Comment vous vous positionnez par rapport à la loi qui est en cours, de 1967, par rapport à celle qui vient abroger justement l'article 3 de cette loi?

Une autre question : Est-ce qu'en tant qu'entreprise de presse, justement, vous accepteriez que le gouvernement ait le contrôle sur vos décisions d'affaires?

M. Myles (Brian) : Non, pas du tout, et c'était le sens de mon intervention initiale. Peu importe le modèle d'affaires et la structure juridique qu'on choisit, il nous appartient de la choisir. Bon, oui, l'information est importante, l'information, on a toujours dit que ce n'était pas un produit comme les autres, c'était vital pour une démocratie. Mais, une fois qu'on a dit ça, c'est par les critères d'attribution... Parce que vous avez un intérêt immédiat à poser ces questions-là si on va vers de l'aide, hein? Il y a eu pour 101 millions de dollars d'aide répartie sur cinq ans dans les deux dernières années, là. Alors, il y a un intérêt de poser des questions de votre part, j'en conviens, mais c'est dans le design, l'intelligence des programmes que vous allez mettre en place, les critères d'attribution de l'aide que vous avez une capacité d'exercer votre rôle de parlementaire, et non pas en amont, sur la structure de propriété ou la structure juridique qu'on va choisir.

M. Ryan (André) : Et, en une phrase, je vous dirais que je parle sans doute et sans aucun doute même au nom des 14 membres du conseil d'administration pour vous dire que nous ne serions pas d'accord avec une telle proposition.

Mme Montpetit : Parfait. Et vous avez fait référence aux différents programmes d'aide aux médias qui ont été mis en place par notre gouvernement dans les deux dernières années, donc le programme d'aide aux médias qui a été mis en place... qui a été annoncé au mois de novembre dernier, les crédits d'impôt à la transformation... l'aide à la transformation numérique qui ont été annoncés au budget du mois de mars 2018 par mon collègue le ministre des Finances, donc différentes mesures pour nous qui étaient extrêmement importantes à mettre en place pour venir soutenir justement l'ensemble des médias, les médias communautaires, mais la presse écrite de façon plus précise dans les différentes difficultés auxquelles ils font face. Est-ce que vous diriez que, malgré ces mesures gouvernementales, vous conservez une pleine indépendance quant à votre ligne éditoriale, quant à votre contenu?

M. Myles (Brian) : Tout à fait. Et, tout au long de la journée, je me mordais un peu les doigts et je me disais : Il manque un élément de réponse quand on parle d'indépendance. Vous savez, l'indépendance, c'est une construction sur le long temps dans l'histoire des médias. On l'a affirmé à plusieurs étapes, mais, dans l'époque moderne, l'indépendance rédactionnelle a commencé au moment où les journalistes se sont structurés comme un groupe à part entière, qu'on a commencé à bien les rémunérer pour les mettre à l'abri des conflits d'intérêts. Ensuite, par le syndicalisme, ils se sont dotés de clauses de conscience, qu'on a intégrées dans les conventions. Les médias, les entreprises, les directeurs, les éditeurs ont adopté des politiques d'information également. On s'est structurés au sein de la FPJQ. On s'est dotés d'un guide de déontologie. Le Conseil de presse, qui est un mécanisme d'autoréglementation, a son Droits et responsabilités de la presse. Il y a un enchevêtrement de clauses de conscience, de guides de déontologie, de règles de pratique qui crée l'indépendance. Et notre marque de commerce, c'est la crédibilité, hein? Moi, je ne veux pas demain matin que les gens pensent que Le Devoir est à vendre, que sa ligne éditoriale est au crédit d'impôt le plus offrant, d'aucune façon.

Et, quand les programmes sont universels, quand ils touchent à des éléments de transformation numérique, les dépenses sur les CMS, les frais de consultants, le développement d'outils contemporains, des approches par projet, aussi, avec des jurys indépendants, ce qui est le cas du volet B du ministère de la Culture, ces programmes-là nous mettent à l'abri d'une perception d'interférence et de l'interférence elle-même. Et ce n'est pas plus risqué ou pernicieux que d'avoir des revenus de publicité. Ce n'est pas parce qu'on a des concessionnaires de voitures qui annoncent dans nos pages qu'on s'empêche de parler de la pollution atmosphérique par les automobiles, et du cancer que représente la congestion routière sur nos routes, et de la nécessité d'avoir des transports actifs. On ne laisse pas les crédits d'impôt, l'aide de l'État interférer sur notre ligne, pas plus qu'on laisse les clients, les annonceurs interférer sur notre ligne.

M. Ryan (André) : Et à l'interne, de manière structurelle, on s'est dotés des outils pour protéger, promouvoir et garantir la liberté de la ligne éditoriale au niveau juridique également.

Mme Montpetit : Je vous remercie. Oui, parce que je pense que c'est important de le préciser, puis vous le mentionnez, mais je pense que, comme plein de choses sont dites, il est important de le resouligner, qu'effectivement les programmes qui ont été mis en place par le gouvernement... Vous le mentionnez bien, qu'au ministère de la Culture c'est un jury indépendant qui choisit les projets. Je n'ai aucun droit de regard, comme ministre de la Culture. Je n'interviens aucunement. C'est un jury complètement indépendant qui a choisi les différents projets qui ont été soutenus. Ce sont des programmes qui sont normés. Les crédits d'impôt sont universels, ils sont applicables à tous les médias du Québec. Et je pense que c'est important de le rementionner, qu'il n'y a aucun lien entre l'aide qui est faite et aucune intervention. Et je pense qu'on convient tous qu'il est important, comme gouvernement, qu'on vienne soutenir l'industrie de la presse dans les défis auxquels elle fait face présentement. Ça va être tout pour moi, Mme la Présidente. Mon collègue de LaFontaine aurait des questions.

La Présidente (Mme de Santis) : Alors, M. le député de LaFontaine, 4 min 50 s.

M. Tanguay : Oui, merci beaucoup. Merci — et bienvenue à Me Ryan et M. Myles — de venir participer à un débat très important. J'aimerais axer mes interventions avec vous, pour les quelques minutes qui restent, sur justement la liberté quant à l'éditorial. Il y a un éditorial dans Le Devoir, comme il y en a un dans La Presse, très important, élément très important, et qui participe de la liberté entière qu'ont les éditorialistes à écrire ce qu'ils veulent, et qui participe également de la liberté journalistique. Et vous avez dit un peu plus tôt qu'il faut impérativement — puis je vous paraphrase, là — une distance entre le politique et le médiatique. Il ne faut pas... et corrigez-moi si je vous ai mal compris, mais il ne faut pas qu'à l'Assemblée nationale les élus commencent à évaluer l'à-propos ou pas... Puis j'aimerais savoir si vous êtes d'accord avec cette affirmation-là. Il n'est pas du ressort, dans une démocratie, dans une société de droit, où on respecte le pouvoir exécutif, législatif, judiciaire et médiatique... Il ne serait non seulement pas à propos, mais ça participerait d'une dérive très préoccupante que des élus à l'Assemblée nationale commencent à évaluer l'à-propos d'une certaine ligne éditorialiste de La Presse qui est plus fédéraliste, et l'à-propos d'une ligne éditorialiste du Devoir qui serait peut-être, tantôt, beaucoup plus souverainiste ou pas. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette affirmation-là?

M. Myles (Brian) : Tout à fait. Puis moi, j'ai eu ces discussions-là dans mes efforts de lobbying, autant à Québec qu'à Ottawa — et je suis inscrit aux registres dans les deux places, en passant. C'est le tiraillement entre les programmes dits quantitatifs et qualitatifs. Il y a toujours une tentation de dire, à un moment donné : On fait un programme qualitatif. On veut financer la bonne information. On ne veut pas financer n'importe quoi, donc l'information sur la politique, l'information sur ceci et cela. Et ça, c'est le piège qu'il faut éviter. Et les programmes quantitatifs, basés sur le crédit d'impôt, 35 %, sur des dépenses très bien identifiées, le caractère universel de ces programmes-là, les programmes avec des jurys indépendants, tout ça nous permet de tenir la distance.

Tu sais, dans le fond, ce qu'on dit aux parlementaires — ça vous met dans une position un peu ingrate — c'est : Contribuez au virage numérique des entreprises de presse, commettez ou investissez des fonds publics, mais en sachant très bien que vous n'allez pas tenir le crayon à notre place et que vous allez accepter, après, et reconnaître que c'est important que les médias décident par eux-mêmes de ce qu'ils vont en faire et du type de contenu qu'ils vont faire.

Et la première fois que ça s'est posé dans l'histoire, c'était avec le fonds des périodiques canadiens pour sauver des magazines comme Maclean's et d'autres titres anglophones de l'invasion des titres américains au début des années 90. On a créé un programme, sous le gouvernement libéral de M. Trudeau... Chrétien, pardon, et, au fond, on a fini par financer tous les titres là-dedans. On a financé L'Actualité, au Québec, comme des magazines plus triviaux. Mais c'était l'outil qu'on a choisi pour structurer et protéger l'industrie du magazine, des programmes normés axés sur le quantitatif.

• (20 h 10) •

M. Tanguay : Et je ne veux pas vous mettre en boîte, mais, quand même, on est dans une société démocratique. Et ici vous avez toute la liberté de prendre notre parole et d'exprimer votre opinion. Et je ne mettrai pas dans un piège mon collègue de Matane-Matapédia, leader du Parti québécois, mais je vais le citer, puis j'aimerais ça vous entendre là-dessus. Puis après ça il pourra échanger avec vous. Alors, la liberté de discussion et de parole est pleine et entière. Puis c'est à ça que ça sert, une commission parlementaire, qu'on se parle entre quatre yeux, qu'on se dise les vraies affaires, puis qu'on n'ait pas peur, quitte à déplaire à un collègue d'opposition, de dire : Bien, je ne suis pas d'accord. Alors, basé sur ce que vous venez de dire, je cite le collègue de Matane-Matapédia, leader du Parti québécois qui, dans un article aujourd'hui dans LeJournal de Québec... et je le cite : «Or, il se trouve que, depuis 1970, [et] invariablement, La Presse, à travers sa politique éditoriale, appuie le PLQ et appuie l'option fédéraliste. Si d'aventure ils souhaitent garder la ligne éditorialiste, ça va en contradiction avec les règles à Ottawa et à Québec.» Fin de la citation au texte du journaliste qui a rapporté ses propos. Croyez-vous, puis c'est justement, basé sur ce que vous venez dire, que c'est faire fausse route que d'interpréter des règles justement applicables à des OBNL en disant : Bien, ça va nous permettre, nous, de se mettre les mains dans les lignes éditorialistes?

Une voix : ...

M. Myles (Brian) : Est-ce que je pourrais réentendre la question, s'il vous plaît?

M. Tanguay : Est-ce que vous êtes d'accord que c'est de faire fausse route, d'aborder le sujet de cette façon-là?

M. Myles (Brian) : En tout respect, je préférerais être tenu à l'écart des affrontements interparlementaires. Et je vous répondrai sur ma ligne éditoriale. La ligne éditoriale du Devoir, elle est décidée par le directeur, moi-même, en collégialité avec le comité éditorial. Et cette ligne-là a évolué au fil du temps. On a toujours pensé que Le Devoir frappait juste dans un sens...

La Présidente (Mme de Santis) : Je m'excuse, mais maintenant c'est terminé. La parole est au député de Matane-Matapédia pour neuf minutes.

M. Bérubé : Merci, Mme la Présidente. Alors, Le Devoir, sa contribution à la démocratie québécoise, comme média, est importante. Ses moyens sont modestes. Je pense, cette humilité, cette transparence dont vous faites preuve en nous parlant de vos chiffres, votre structure, votre cheminement vous honore. Et c'est franchement tout à votre honneur. C'est digne de l'héritage d'Henri Bourassa, celui notamment aussi de débusquer les coquins, mais vous le faites bien, alors on vous lit chaque jour, mais d'être très transparent. Et je sais que les artisans du Devoir ont voix au chapitre et pose des questions, ce sont des gens exigeants. Alors, je veux vous saluer.

Et comme le collègue de LaFontaine a choisi d'aborder la question des éditoriaux, alors moi, je veux l'informer d'une chose. Je n'avais pas prévu en parler, mais, en 1976, lorsque La Presse invitait à battre à tout prix tout candidat indépendantiste, le père de M. Ryan ici présent a eu le courage d'inciter à voter pour le Parti québécois, au Devoir. Il a fait preuve d'un courage, et qui... Et ça montre la diversité des opinions, qui n'est pas uniforme à travers le temps pour Le Devoir. Alors, vous avez un témoin de l'histoire qui pourra vous indiquer que, malheureusement, votre argument tombe à plat.

Mme la Présidente, pour continuer, tout à l'heure, vous avez évoqué que, lorsque vous allez avoir une demande à faire, vous espérez qu'on soit attentifs à ça. J'ai entendu ça tout à l'heure. On a invoqué également que, là, il y a un programme qui est normé. Un programme normé, c'est bien, parce que tout le monde peut appliquer dessus. Or, il se trouve que le gouvernement a fait un autre choix en décembre 2017. Il a accordé, il a fait le choix politique d'accorder un prêt direct à Capitales Médias, avant le programme, et au Devoir, mais vous l'avez refusé, à ma connaissance. Alors, j'aimerais avoir votre opinion là-dessus. Il n'aurait pas fallu avoir des règles qui sont communes pour tous au lieu de juger de façon arbitraire, comme le gouvernement l'a fait à un an d'une élection, d'octroyer 10 millions de dollars de prêt à un média écrit?

M. Ryan (André) : Je répondrai sommairement pour Le Devoir. Donc, l'information que vous communiquez à l'effet qu'un prêt a été accordé à Capitales Médias est une information qui est connue et publique. En vertu d'une disposition similaire, un prêt de même nature a effectivement été offert au Devoir. Cependant, la mise en place des programmes adoptés par l'Assemblée nationale et par le gouvernement ont fait en sorte... associés, là, à notre capacité nouvelle d'aller chercher du financement auprès de donateurs privés, donc, toute la tradition qu'on a de lever des fonds auprès de nos lecteurs et de donateurs, ont fait en sorte que le prêt n'a pas son utilité chez nous. On est satisfaits de la recapitalisation qu'on a complétée à la fin de l'année. On a donc décliné, effectivement, l'encaissement dudit prêt, dont nous ne nous prévaudrons pas. Alors, le prêt n'est tout simplement pas en place.

M. Bérubé : Bon, allez-y, M. Myles.

M. Myles (Brian) : En complément, j'aimerais qu'on puisse remettre les choses en perspective. C'était 10 millions pour Capitales Médias, mais c'était 525 000 $ pour Le Devoir. Et, à partir du moment où on a vu le programme de crédit d'impôt remboursable de 35 % sur les dépenses numériques, on a vu là des dépenses qui auraient été couvertes par notre fameux prêt, et on a préféré utiliser le crédit d'impôt.

M. Bérubé : Capitales Médias a accepté le prêt, d'accord. Tout à l'heure, je reviens, vous avez indiqué que vous allez avoir éventuellement une demande à faire et que vous souhaitez qu'on considère la situation du Devoir en toute équité. Je pense que c'est un peu l'essence de ce que vous avez dit tout à l'heure, j'ai peut-être manqué quelques mots. Pouvez-vous nous préciser à nouveau, par exemple, quel type de demande Le Devoir pourrait être susceptible de faire à l'intention des parlementaires de l'Assemblée nationale, du gouvernement du Québec?

M. Myles (Brian) : On fait du cheminement, là, pour essayer d'avoir un apport plus important du côté d'Ottawa, que le gouvernement fédéral imite un peu ce que le gouvernement du Québec a fait. Et le leadership en matière de crédit d'impôt pour les dons, c'est le fédéral qui l'assume. Alors, nous, on ne va pas changer de structure juridique demain matin. Le Devoir, c'est une compagnie formée en vertu de... c'est une compagnie privée. C'est une compagnie à but lucratif qui a oublié pendant longtemps de faire des profits. Mais on a atteint une situation d'équilibre en ce moment, et ça nous a pris, depuis Bernard Descôteaux jusqu'à aujourd'hui, plusieurs années pour arriver à ce montage-là. On ne veut pas tout défaire. Alors, notre crainte, c'est que le fédéral nous dise : Faites donc comme La Presse, une fiducie d'utilité sociale, un OBNL par-ci, par-là. On a déjà tous les attributs d'un média d'utilité sociale. Il y a des fiduciaires dont je... qui m'accordent mon mandat comme directeur, et on a Les Amis du Devoir, qui est un OBNL en bonne et due forme, constitué sous charte fédérale. Alors, notre demande, c'est qu'on puisse qualifier Les Amis du Devoir pour émettre des reçus d'impôt à des fins de charité.

M. Bérubé : C'est une demande que vous allez faire peut-être au cours des prochains mois?

M. Myles (Brian) : Elle est déjà faite.

M. Bérubé : D'accord.

M. Myles (Brian) : Et je la réitère et je profite de votre écoute pour vous demander votre appui dans cette démarche-là, parce que Le Devoir, c'est un petit navire dans un océan assez vaste, et faire entendre notre voix, ce n'est pas toujours facile.

M. Bérubé : Mme la Présidente, je ne suis pas un spécialiste de ces questions, et d'ailleurs plusieurs journalistes veulent me le faire sentir à travers Twitter depuis ce matin. Alors, je les salue en leur disant que je ne leur dis pas quoi faire en journalisme et j'espère qu'ils en font autant pour les parlementaires.

La collègue de Vachon, qui a très peu de temps, a fait une proposition à l'Assemblée nationale indiquant qu'au fédéral, à moins que je me trompe, il pourrait avoir l'équivalent... également ce crédit d'impôt, c'est ça, de 35 % sur masse salariale des journalistes de la salle de presse. C'est ça? Ça serait quelque chose d'intéressant pour l'ensemble des médias?

M. Myles (Brian) : C'est une demande qu'on a déjà faite par la Coalition pour la pérennité de la presse d'information. C'est dans le rapport du Forum des politiques publiques, Le miroir éclaté. Je sais qu'il y a certaines réticences chez les députés. Il y en a qui nous disent : On ne veut pas donner l'impression de financer des salaires de journalistes...

M. Bérubé : ...à Québec ou à Ottawa?

M. Myles (Brian) : J'en ai eu des deux côtés, autant à Québec qu'à Ottawa, des gens qui me disaient : On a un malaise à financer des salaires de journalistes. Alors, est-ce qu'ils vont privilégier cette voie-là? Je n'en sais rien. Les décisions finales n'ont pas été prises, mais, quoi qu'il en soit, au Devoir, 50 % des dépenses, c'est de la masse salariale de la rédaction.

• (20 h 20) •

M. Bérubé : Alors, je présume que ça serait quelque chose... Vous pourriez vous en prévaloir, ça serait quelque chose de...

M. Myles (Brian) : ...mais ce qu'on veut éviter, c'est qu'on vienne mettre des conditions. Il y a tout le temps le spectre qu'on soit obligés d'adhérer au Conseil de presse ou obligés de ceci, obligés de cela, et...

M. Bérubé : C'est une proposition que vous accueillez plutôt positivement. Si d'aventure le gouvernement fédéral voulait aller de l'avant, vous pourriez vous en prévaloir en évaluant les conditions.

Alors, ce que je veux vous dire, c'est qu'il m'apparaît que l'Assemblée nationale pourrait jouer un rôle pour demander unanimement à Ottawa d'intervenir en ce sens, ce qui s'ajouterait, je dirais, aux différents moyens à la disposition de La Presse, mais de d'autres médias également, pour préserver les emplois importants de journalistes dans la salle de presse.

Je vous indique que nous appuyons cette proposition, je vous indique que l'instigatrice est la députée de Vachon. À ma connaissance, je crois qu'il y a Québec solidaire qui appuie également, et nous espérons dans les prochains jours, voire les prochaines heures, convaincre le gouvernement, qui a refusé cette motion, de vous permettre d'avoir accès à des moyens supplémentaires pour assurer une stabilité des salles de presse et de payer les gens que vous engagez, les artisans de l'information. Alors, je vous informe de ça, que, pour nous, ça ne remplace pas... on ne veut pas s'ingérer dans la structure. Les questions qu'on pose, elles m'apparaissent légitimes. Mais on cherche aussi. En échangeant avec vous, il nous apparaît qu'on voit les défis, comment on peut aussi réfléchir comme parlementaires à des moyens supplémentaires pour aider l'ensemble des médias.

Et je vous indique qu'on va tenter d'obtenir ce consensus et de convaincre à nouveau le gouvernement, qui avait refusé d'appuyer cette motion qui serait bénéfique pour les médias québécois, quels qu'ils soient. Voilà. Je crois que je n'ai pas beaucoup de temps encore.

La Présidente (Mme de Santis) : 20 secondes.

M. Bérubé : Je vous remercie. Je vous indique, et je le dis à travers vous, que notre souhait, c'est que cette pièce législative puisse être adoptée d'ici le 15 juin prochain. Nous réservons notre vote, suite à un échange avec le caucus, de façon démocratique, un peu comme ça se passe au Devoir... et vous dire que ces questions, elles sont posées, mais nous sommes très conscients de l'importance historique de La Presse et du Devoir.

La Présidente (Mme de Santis) : M. le député, merci beaucoup. Maintenant, la parole est à la députée d'Iberville pour six minutes.

Mme Samson : Merci, Mme la Présidente. Bonsoir, messieurs. En tout cas, on pourra dire que votre présentation a le mérite d'être claire, presque comme la totalité de vos papiers, M. Myles, c'est bon.

M. Myles (Brian) : Merci.

Mme Samson : Et j'écoutais également, Me Ryan, vos explications sur le modèle. Dans le fond, Le Devoir a été un précurseur d'un nouveau modèle parce que... Est-ce que c'est parce que vous aviez compris assez rapidement que le modèle traditionnel : j'ai des pubs, j'ajoute quatre pages, je n'ai pas de pubs, j'enlève quatre pages, ça ne pouvait pas fonctionner? C'est un calcul qui se faisait dans mon temps, en tout cas, là : j'ajoute des pages si j'ai des pubs, j'enlève des pages... D'ailleurs, j'ai toujours trouvé que c'était moins frustrant, la presse écrite, que la télévision. La télévision, quand le bulletin de nouvelles, il part, là, on ne peut pas enlever des topos, là, il faut livrer. C'est comme un avion, les bancs ne se vendent pas pendant qu'on vole, hein, il faut les vendre au départ. Mais, vous êtes aussi un précurseur, certainement, dans la création d'un nouveau modèle de financement, avec des sources différentes.

Là, j'entends M. Myles nous dire qu'il y a certainement d'autres programmes ou d'autres mesures qui peuvent être mis en place pour aider les médias à passer au travers, parce que, comme je l'ai dit un peu plus tôt — vous étiez dans la salle — moi, j'ai l'impression qu'il y a une autre vague qui va venir après, ça va être la radio, la télévision, et tout ça.

Dans votre virage que vous avez pris, est-ce que vous avez senti que vous pouviez trouver au Québec les ressources tant humaines que financières pour... Est-ce qu'on a les connaissances, le «know-how», l'expertise pour vraiment accompagner les médias dans le virage numérique? Est-ce qu'on est assez outillé?

M. Ryan (André) : Je vais vous parler quelques secondes et je vais céder la parole à M. Myles. D'abord, on prend les compliments quand ils passent, on vous remercie.

Dire qu'on a été précurseur, je pense que c'est vrai, en partie. Moi, je peux vous dire que j'ai accédé au conseil d'administration en 2012, et, depuis 2012, on réfléchit aux transformations, puis on est conscients de ce qui se passe. Le secours qu'on a eu par contre, c'est qu'en regardant en arrière, en regardant dans notre histoire, on a trouvé les jalons de certains éléments de réponse, puisque, de manière ponctuelle, on avait vécu des crises et on était parvenus à y répondre avec des choses qui existaient, et je donnais l'exemple des Amis du Devoir, qui ont, comme Brian l'a signalé, depuis 1915, accompagné Le Devoir en période de tumulte, et ils étaient là, ils étaient disposés, puis c'était une armée de gens de coeur, de bonne volonté, qui ont cru au projet, puis qui ont adhéré très rapidement. Donc, oui, on a été précurseur en ce sens-là. Pour le reste, je te cède la parole, Brian.

M. Myles (Brian) : Bien, on est restés très humbles là-dedans, parce que, si on avait trouvé la recette, là, et le modèle d'affaires puis qu'on était les précurseurs, comme vous le dites, on l'aurait fait breveter puis on le monétiserait, notre modèle.

Ça s'est fait, je dirais, par intuition et parfois même par accident. Le Devoir n'a jamais été un succès d'audience, ça a toujours été une niche, hein, ciblée sur la politique, la culture, le débat d'idées, le média qui a voulu tirer le Québec vers le haut, l'amener à se dépasser. Et forcément on est tombés sur un positionnement qui est en tête d'épingle. Et la seule façon de tirer son épingle du jeu, c'est de dépendre de ses lecteurs et des abonnements. On ne peut pas monétiser ça par la publicité, une niche.

Là, ce qui est arrivé, c'est que Google et Facebook accaparent 80 % du revenu publicitaire nord-américain, et la publicité ne reviendra pas dans nos médias. Leur force de frappe, leur capacité de capter le revenu publicitaire, elle est incomparable et elle est imbattable. Et récemment j'étais dans un congrès à Washington, de gens qui réfléchissent à l'univers des médias, et quelqu'un a dit : On est passé d'un statut de média de masse à média de niche. Et ça, ça vaut pour tous les types. Vous savez, le New York Times, aujourd'hui, dont on vante les succès, c'est devenu l'équivalent d'un média de niche, parce que le nombre d'abonnés qu'ils ont, pour un marché de 350 millions de personnes, n'est pas si élevé que ça, il est juste quatre fois plus gros que le nôtre.

Alors, dans une niche, forcément, par les abonnements, c'est une façon de s'en tirer, mais ça reste fragile. Le Devoir a 66 % de ses revenus tirés de l'abonnement. On abonne des gens, au numérique comme au papier, hein, ce n'est pas vrai qu'on ne peut pas faire payer les gens sur le numérique, et on monétise notre papier, on ne perd pas d'argent avec le papier, les lecteurs papier sont prêts à payer cher pour le produit et ils veulent s'injecter du papier pour 20 ans encore. Alors, on fait un mixte, une addition de plateforme numérique et de papier, et on essaie de miser sur l'abonnement. Avec la philanthropie et l'abonnement, on arrive à 7 $ sur 10 $.

Est-ce qu'on a les outils? On ne les a pas tous. On a besoin de se doter d'outils d'intelligence d'affaires, de suivre nos audiences, de créer des contenus ciblés, des verticaux. Et on ne peut pas se permettre de développer ces technologies-là, il faut aller chercher des licences. Et, notre innovation, on la fait dans les contenus, on la fait dans les formats interactifs, on a fait une carte extraordinaire, on a pris les données du recensement sur la langue et on a fait une carte qui s'intitulait Quelles langues parle-t-on dans votre quartier?, et, sur notre téléphone mobile, ici, on peut localiser la langue parlée par son voisin. Donc, on innove par les contenus, on n'innove pas par notre capacité de breveter de la technologie nouvelle. Ça vient avec un coût. Ce qu'on a sauvé dans les vieux frais d'impression et de distribution, on le repaie dans les nouveaux frais, qui est le frais de développement technologique et d'acquisition de licences.

Mme Samson : Merci, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci. Maintenant, la parole est à la députée de Vachon pour trois minutes.

Mme Ouellet : Merci, Mme la Présidente. Bienvenue. Vous avez parlé beaucoup de la gouvernance, vous étiez très fiers de votre modèle de gouvernance, comment vous nommiez, là, les directeurs, puis tout ça. Est-ce que vous diriez que le modèle de gouvernance proposé par Power Corporation pour l'OBNL, qui est très différent du vôtre, où vous, vous avez clairement une indépendance, que, par rapport à vous, en tout cas, il n'y a pas d'indépendance, et qu'à ce moment-là ça pourrait même faire en sorte que, lorsqu'on parle de liberté de presse, la liberté de presse n'est plus complètement là?

M. Ryan (André) : Ce que je peux vous dire... et je ne pense pas être qualifié, à titre de président du conseil d'administration du Devoir, pour commenter la structure de gouvernance proposée par Power Corporation. Nous, on est extrêmement fiers de la nôtre — par La Presse, pardon — et on estime, et ça a toujours été au coeur de la mission du Devoir, que la mise en place... des structures propres à assurer l'indépendance de l'équipe éditoriale sont fondamentales, sont une caractéristique, je dirais, dominante, pour laquelle le journal est reconnu.

Brian a parlé tantôt de média de niche. Dans la niche que nous occupons, on estime que c'est une donnée fondamentale et on ne fera pas de compromis sur celle-là. À l'occasion de la recapitalisation que nous avons complétée l'année dernière, on a échangé avec nos partenaires, et ça faisait partie tellement de notre ADN qu'ils l'ont acceptée.

Mme Ouellet : Vous estimez que c'est fondamental. Est-ce que vous estimez que c'est aussi de la responsabilité des parlementaires de s'assurer de l'indépendance de l'équipe de direction?

• (20 h 30) •

M. Myles (Brian) : Moi, je dirais qu'on met le pied sur une pente savonneuse, à partir de là.

Mme Ouellet : Pas de l'orientation, de l'indépendance. Parce que vous êtes très préoccupés par l'indépendance par rapport aux parlementaires, mais vous ne semblez pas être très préoccupés par l'indépendance par rapport à d'autres entités.

M. Myles (Brian) : Il y a l'indépendance rédactionnelle, qui est fondamentale. Mais des entreprises de possession privée, il y en a, il y en a plusieurs. La vraie question au fond, c'est : Est-ce que ça va être un véritable OBNL? Puis ça, c'est l'expérience qui va le montrer.

Mme Ouellet : Oui, mais l'infrastructure présentée, il y a quand même des signes précurseurs. Et, si on voit qu'il n'y a pas d'indépendance de l'équipe rédactionnelle, si on voit qu'il n'y a pas d'indépendance de la ligne éditoriale... Vous dites, c'est vous qui décidez la ligne éditoriale — la ligne éditoriale serait imposée dans le cas de l'OBNL — et qu'il ne faut pas tenir le crayon à la place des gens. On a déjà des signes précurseurs qui démontrent que l'indépendance ne sera, à tout le moins, pas complète. Il n'y a pas une préoccupation de votre part que... Vous avez une très grande préoccupation que ça reste indépendant du politique, mais le politique, on n'a pas la... on ne devrait avoir la préoccupation qu'il y ait une indépendance, justement pour que ça soit indépendant ni dans une direction ni dans l'autre, mais que ce soit indépendant? Parce qu'actuellement ça ne semble pas être le cas du côté de l'OBNL avec Power Corporation.

M. Myles (Brian) : Personnellement, je ne souhaiterais pas être obligé de venir témoigner de l'indépendance de ma structure devant des parlementaires. C'est les règles de gouvernance qu'on se donne qui créent l'indépendance, et on s'est doté d'un système de pouvoirs et de contre-pouvoirs : le directeur qui est nommé par les fiduciaires, le directeur nomme la moitié du conseil, l'autre moitié vient des actionnaires, le syndicat qui siège au conseil et qui a accès à l'ensemble des données financières de l'entreprise, la reddition de comptes qu'on fait aux employés, je présente le rapport annuel avec l'ensemble des chiffres à l'ensemble du personnel...

La Présidente (Mme de Santis) : ...terminé.

M. Myles (Brian) : ...et puis, pour moi, c'est là où on réussit à asseoir dans l'expérience et dans le temps la viabilité de la structure.

La Présidente (Mme de Santis) : Merci beaucoup, M. Myles. Merci, M. Ryan. Nous apprécions énormément votre contribution à nos travaux. Merci à tous ceux et celles qui ont participé.

Alors, la commission ayant accompli son mandat, je lève la séance, et la commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 20 h 32)

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