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Version finale

30e législature, 2e session
(14 mars 1974 au 28 décembre 1974)

Le mardi 2 juillet 1974 - Vol. 15 N° 117

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Etude du projet de loi no 22 — Loi sur la langue officielle


Journal des débats

 

Commission permanente de l'éducation,

des affaires culturelles et des communications

Etude du projet de loi no 22

Loi sur la langue officielle

Séance du mardi 2 juillet 1974

(Dix heures trente sept minutes)

M. GRATTON (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre, messieurs !

La commission de l'éducation, des affaires culturelles et des communications continue l'audition des organismes sur le projet de loi 22 et j'aimerais, dès le départ, aviser la commission des membres qui la composent ce matin: M. Lachance (Mille-Iles), M. Charron (Saint-Jacques), M. Déom (Laporte), M. Cloutier (L'Acadie), M. Hardy (Terrebonne), M. Desjardins (Louis-Hébert), M. L'Allier (Deux-Montagnes), M. Morin (Sauvé), M. Bonnier (Taschereau), M. Beauregard (Gouin), M. Saint-Germain (Jacques-Cartier), M. Samson (Rouyn-Noranda) et M. Veilleux (Saint-Jean).

M. CLOUTIER: M. le Président, je constate qu'il n'y a pas de député de l'Opposition. La commission devait commencer à 10 h 30, il y a 10 minutes que nous attendons. Alors, je ne sais pas si nous devons entreprendre nos travaux immédiatement. Je ne sais pas si c'est l'opinion de la commission.

DES VOIX: Oui.

M. CLOUTIER: Nous avons le quorum, n'est-ce pas?

LE PRESIDENT (M. Gratton): Du côté du quorum, il n'y a pas de problème. Est-ce que c'est le désir de la commission de commencer l'audition tout de suite ou si la commission préférerait...

UNE VOIX: Oui, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, les groupes qui seront entendus ce matin et aujourd'hui sont dans l'ordre: Le Syndicat des professeurs du CEGEP de Sainte-Foy, le Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec, le Comité d'école de l'école Saint-Ernest de la ville de Laval, the Committee of Roslyn Elementary School (Westmount) and Home and School Association, le Conseil central de Joliette, la Corporation d'information populaire de Lanaudière.

J'invite donc le premier groupe...

M. CLOUTIER: M. le Président. LE PRESIDENT (M. Gratton): Oui.

M. CLOUTIER: Allez-y, après...

LE PRESIDENT (M. Gratton): ... premier groupe et son porte-parole, M. Jean Primeau, du Syndicat des professeurs du CEGEP de Sainte-Foy, à se présenter à la table, s'il vous plaît.

M. CLOUTIER: M. le Président, je demande la parole parce que le secrétaire des commissions m'informe que le Syndicat des professeurs du CEGEP de Sainte-Foy ne pourra pas se présenter ce matin. Nous verrons s'il y a lieu de le reconvoquer. Je vous prierais de noter également que le Comité d'école de l'école Saint-Ernest également a informé le secrétariat des commissions qu'il ne serait pas présent aujourd'hui.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, J'invite donc M. Jacques Doré, président du Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec à prendre place à la table, de bien vouloir nous présenter celui qui l'accompagne et de noter qu'il dispose de 20 minutes pour faire la présentation, suivie d'une période de questions de 40 minutes.

Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec

M. DORE: M. le Président, je voudrais d'abord vous présenter Robert Jasmin, agent syndical au syndicat, qui m'accompagne, ce matin. Il pourra répondre aux questions de la commission.

D'abord, je voudrais vous lire une espèce de résumé qui a sans doute été distribué concernant notre mémoire. Le Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec est affilié à la Confédération des syndicats nationaux; il regroupe 4,200 membres répartis dans les différents ministères et organismes de la fonction publique du Québec. C'est le travail quotidien de ces employés de l'Etat et des autres qui fait que celui-ci fonctionne. A partir de cette constatation, nos membres ont cru être plus en mesure que quiconque d'apporter des éléments positifs à la commission parlementaire. Bien que vous puissiez être là après trois semaines intensives, nous vous demandons une attention particulière parce que notre approche est différente et que nous considérons nos propositions comme positives. C'est pourquoi nous commencerons par décrire en quoi le bill est négatif avant de passer aux aspects pratiques.

Lorsqu'on ne le lit qu'une seule fois, ce projet de loi paraît fort encourageant. Comparativement à la situation d'anglais dominant qui prévaut actuellement dans plusieurs régions du Québec et d'unilinguisme anglais dans la région de Montréal, on a l'impression que cette loi va apporter de grands changements. C'est cette première impression, très superficielle qui abuse l'homme de la rue, celui-là même qui répond aux sondages, sans même avoir lu, la plupart du

temps, l'objet de ses commentaires. Dès qu'on relit plusieurs fois, on se rend compte que ce qui est donné d'une main au début d'un article est immédiatement repris de l'autre au second alinéa. On constate également que le caractère d'obligation fait défaut dans la majorité des cas et lorsqu'il est clairement défini, il n'est assorti d'aucune pénalité pour les contrevenants. Enfin, d'une façon générale et sans connotation politique, syndicale, nationaliste ou autre, ce bill est extrêmement mal conçu. Du strict point de vue de l'écriture légale, il a été jugé sévèrement par des spécialistes de la terminologie juridique qui l'ont étudié sous cet angle.

Le dispositif de la loi a un caractère grandement approximatif et les perspectives d'application paraissent extrêmement délicates. Ne perdons pas de vue que du fait qu'elle touche de nombreux aspects de la vie économique et sociale, de l'instruction et du travail, cette loi créera de grands problèmes d'application aux professionnels des ministères de l'Education, de l'Industrie et Commerce, des Institutions financières, de la Justice, de l'Agriculture, de l'Immigration, mais aussi d'autres organismes gouvernementaux qui en subiront les effets. C'est donc avant tout dans cette perspective de protection et de défense de nos membres que ce mémoire a été conçu. Il est avant tout syndical. Pour résumer notre pensée de façon générale quant au projet de loi pris globalement, nous dirons qu'il ne satisfait pas aux exigences de la situation qui est extrêmement grave et qui aurait nécessité un très vigoureux coup de barre vers l'unilinguisme dans un sens collectif et non individuel ou tout au moins vers un français très nettement prioritaire, qu'en conséquence il ne répond pas aux longues attentes de la majorité francophone du Québec, que les lignes directrices de ce projet de loi sont camouflées, qu'il est truffé de pièges, de portes de sortie secrètes — ainsi, les verbes pouvoir et devoir y sont-ils utilisés n'importe comment — qu'il consacre une tendance néfaste qui se fait jour depuis un certain temps et qui enlève les pouvoirs législatifs au profit de l'exécutif.

Ainsi une réglementation future doit-elle venir concrétiser une loi dont on discerne mal les principes directeurs puisque 129 articles de ce bill ne concordent pas avec l'intention définie à l'article 1 et qui, pourtant, paraît claire à toute la population.

Cet article seul aurait même suffi d'ailleurs, puisque toute la vie du Québec aurait ensuite changé en conséquence. Il remet la majeure partie des pouvoirs entre les mains d'un ministre déjà lourdement chargé et de personnes encore inconnues de la population, formule qui risque de nous précipiter dans l'arbitraire et l'incohérence selon le jeu des pressions et des influences.

Enfin et surtout plus encore que le bill 63 qui lui, ne traitait que de l'éducation, ce projet consacre la "bilinguisation" collective des québécois, non seulement à l'école, comme c'est le cas depuis 1969, mais désormais dans tous les domaines de la vie courante.

Considérant ce projet de-loi comme intrinsèquement mauvais, nous devrions logiquement demander son retrait et c'est effectivement ce que nous souhaitons. Le SPGQ demande que le gouvernement compose un nouveau bill, qu'il présentera à l'automne, qui tienne compte une fois pour toutes du désir profond ancré au coeur de chaque Québécois, de vivre totalement dans sa langue, s'inspire des mémoires soumis à cette commission et requière la participation de socio-linguistes au lieu d'être élaboré en vase clos dans le secret. Enfin qu'il fasse honneur à un gouvernement qui, à deux reprises, en 1970 et 1973, a promis aux citoyens de faire du français la langue du travail au Québec.

Le SPGQ a cependant voulu jouer le jeu démocratique honnêtement en se présentant malgré tout devant la commission parlementaire et en adoptant même une politique de modération dans ses demandes de façon à respecter la diversité d'opinion de ses syndiqués. C'est pourquoi nous espérons être entendus en tant que spécialistes au sein de différents ministères de tous les domaines touchés par le projet de loi, nos membres de la base, oeuvrant sur le terrain, connaissent à fond chaque aspect de la situation en regard d'une francisation possible.

Ce sont nos syndiqués qui ont désigné les membres d'un comité ad hoc qui a préparé une version corrigée de ce projet de loi, c'était choisir la tâche la plus difficile, la plus ingrate, mais à notre avis, la plus utile au législateur.

Notre mémoire est divisé en deux parties totalement distinctes. La première partie qui comporte 37 pages traite exclusivement de la Régie de la langue française, seule ou par rapport à l'actuel OLF, ainsi que du statut individuel et collectif des professionnels de plusieurs ministères qui auront à appliquer cette loi, plus particulièrement les terminologues et linguistes, membres de notre syndicat qui sont au coeur des problèmes engendrés par ce bill.

Afin de mieux faire comprendre notre point de vue purement syndical, nous vous prions donc de garder en mémoire les déclarations préliminaires qui figurent aux sixième et septième pages.

Dans le chapitre 1, nous nous demandons ce que le législateur a voulu dire au juste an parlant d'une Régie de la langue française. En effet, lorsqu'un fonctionnaire dit: Je travaille à la RAMQ, cela veut dire qu'il fait partie d'un organisme défini et non qu'il est membre de la direction de cet organisme. Ainsi, lorsqu'à l'article 85 on dit que les commissaires-enquêteurs sont nommés à la régie, on comprend bien que ces fonctionnaires feront partie d'un organisme ainsi nommé.

C'est tout à fait le contraire, à l'article 68, où le mot "régie" ne s'applique qu'aux membres de la direction.

Aucune autre partie du projet de loi n'est contradictoire que celle où l'on décrit le nouvel

organisme. On commence par créer la régie à l'article 61 et ensuite tout s'embrouille tellement que nous avons été obligés de poser différentes hypothèses, à savoir: premièrement, que l'Office de la langue française n'existait plus; deuxièmement, qu'il devenait tout simplement la base de la future régie et donc que tous ses employés étaient globalement mutés à celle-ci ou, tout au contraire, que ses employés restaient au ministère de l'Education, vu qu'elle relève présentement de l'OLF et que seuls, certains sélectionnés passaient à la régie; aussi, parce qu'il considère que le principal instrument d'application de là loi est mal ou insuffisamment défini, le SPGQ propose des corrections aux articles 68, 69, 73, 75, 76, 77, 82, 83 et conclut ce chapitre en disant que tous les articles où, par le mot "régie", on sous-entend seulement la direction, sont entachés d'impropriétés et doivent être réécrits sous peine d'engendrer la plus grande confusion dans la politique administrative des professionnels concernés.

Outre ces corrections qui sont des technicités, les points importants qui ressortent de ce premier chapitre sont que la nouvelle Régie de la langue française relève directement du premier ministre, ou relève d'un ministre d'Etat chargé uniquement de cet organisme linguistique ou devienne un ministère de la langue, ainsi que le propose la CSN.

Outre les membres nommés, la direction de la régie comprend neuf hauts fonctionnaires, donc relevant de la fonction publique.

Dans le chapitre II, le mémoire du SPGQ traite du personnel de la régie, séparément ou par rapport à l'actuel personnel de l'OLF. A cet égard, le SPGQ juge totalement inacceptable l'article 121 dans la rédaction actuelle et se demande si son ambiguïté a été voulue tant elle est dangereuse pour nos syndiqués.

Après avoir expliqué notre position, aux pages 18 et 19, nous exigeons donc que les mots "à moins que" dans cet article 121, soient replacés par "jusqu'à ce que". Nous nous rendons parfaitement compte que ce changement n'apportera aucune amélioration, car, avec ces trois nouveaux mots, on peut faire attendre indéfiniment les intéressés, mais ce serait autrement moins grave que ce qui est écrit présentement.

Nous demandons également une consultation des intéressés lorsqu'ils sauront clairement ce qui les attend.

Le SPGQ exige formellement que l'article 103 soit retiré de ce projet de loi, ainsi que l'ont fait précédemment leurs confrères du SFPQ et nous nous en expliquons à l'article 6.

Enfin, nous demandons que le gouvernement conserve aux professionnels de l'OLF, lorsqu'ils passeront à la régie, leur statut de syndiqués.

Le chapitre III de notre mémoire est le plus technique de tous et il porte sur le titre IV, chapitre I, du bill. Il nous semble que, si l'on avait consulté des spécialistes en matière de recherche linguistique et de terminologie, on n'aurait pas commis, dans ces quelques articles qui peuvent paraître insignifiants aux profanes, les erreurs fondamentales qu'on y trouve.

Pour que la Banque de terminologie du Québec, dont il n'est même pas fait mention dans ce chapitre, les services de linguistique, de terminologie, de recherche, de correction, de consultation, de diffusion et d'application fonctionnent bien à la régie, il est indispensable que le législateur apporte aux articles 56, 57 et 59 les modifications que le SPGQ lui propose.

En résumé, il faut que ce soit la régie qui soit responsable du développement de la recherche, que la régie institue des commissions de terminologie dans tous et chacun des ministères, que les travaux de ces commissions soient coordonnés par un terminologue de la régie, que ce soit la régie qui assure la normalisation des termes, enfin que les terminologues de la régie déterminent les besoins et soient responsables des travaux en dernier ressort.

Le chapitre IV du mémoire est consacré à la description de l'actuelle OLF depuis ses débuts, à ses installations de fortune à Québec, aux mauvaises conditions de travail de ses employés, à sa piètre organisation ainsi voulue par l'administration, à son manque de budget et de personnel permanent.

Est-ce sur du vent ou sur du sable mouvant, puisque l'on compte 70 employés permanents contre 110 occasionnels et que ces derniers continuent d'entrer, que l'on veut bâtir sérieusement la régie? D'ailleurs, celle-ci est-elle bien nécessaire? Plusieurs journalistes ont posé cette question, et ici-même des organismes ont demandé que l'office ne soit pas démantelé.

Pour commencer, ainsi qu'on le soulignait dans la Presse du 11 juin, une régie, c'est le mode de gestion d'une entreprise qui traite de matières palpables. Ainsi, la Régie des alcools était-elle bien nommée. L'utilisation du mot "régie" pour la langue serait une erreur linguistique.

Déjà dans le chapitre 1 de notre mémoire, le SPGQ avait demandé au gouvernement pourquoi la direction de la régie doit être composée de neuf membres non fonctionnaires et non seulement de trois, et pourquoi a-t-on éprouvé le besoin d'incorporer dans le circuit linguistique des gens étrangers à la fonction publique au lieu de cadres jouissant d'une expérience irremplaçable?

A partir des données que nous fournissons dans notre chapitre IV, il est facile de conclure que l'OLF n'a jamais eu le statut d'office qu'il était censé avoir lorsque fut créé le ministère des Affaires culturelles. Qu'il suffise de comparer l'OLF avec l'Office franco-québécois pour la jeunesse pour comprendre où nous voulons en venir. Que l'on fasse donc de l'OLF un véritable office autonome avec tout ce que cela comporte et il sera parfaitement inutile de créer une régie. Que l'on double enfin l'OLF, organe administratif, d'un bataillon d'inspecteurs lin-

guistiques dotés des pouvoirs de faire respecter la loi et l'OLF deviendra l'instrument efficace de toute l'application d'une politique linguistique cohérente sous la direction éclairée qu'on lui connaît.

Nous passons à la seconde partie du mémoire du SPGQ. Le temps de lecture étant strictement limité, nous ne suivrons pas l'ordre du mémoire, mais nous traiterons d'abord du chapitre V sur la langue d'enseignement, sur lequel le SPGQ ne s'est pas attardé dans son mémoire, quoiqu'il en ait bien long à dire là-dessus, pour rendre justice à ses nombreux syndiqués du ministère de l'Education que les deux pages et demie qui y sont consacrées. Mais nous avons estimé que des groupes oeuvrant encore plus sur les terrains, comme la CEQ, la CECM, d'autres enseignants, des commissaires ou des parents d'élèves s'en chargeraient éloquemment, ce qui fut le cas. Nous avons donc surtout soulevé les faits suivants.

Ce chapitre — le plus faible de tous — fait beaucoup trop de place au verbe "pouvoir" et nie les principes exprimés dans le préambule. Le projet de loi doit absolument inclure dans l'article 48 les institutions privées subventionnées par l'Etat.

Le projet de loi doit absolument faire état des CEGEP et des universités, l'enseignement public ne s'arrêtant pas après le cours secondaire et certaines universités étant étatisées, sans compter les universités anglophones non proportionnelles à la minorité et qui reçoivent des subventions.

Les premiers habitants du Québec — les seuls donc qui aient de véritables droits acquis — soit les minorités autochtones, doivent recevoir l'enseignement gratuit dans leur langue maternelle avec le français comme langue seconde d'usage.

La langue des manuels scolaires, à tous les niveaux, doit être la langue officielle et un français de qualité.

Les articles 49, 50 et 51 sont à rejeter totalement. Ils ouvrent la porte au marchandage des inscriptions, à la discrimination, à l'incohérence d'une commission scolaire à l'autre, aux migrations, au favoritisme, au bourrage de crâne accéléré pour pouvoir être admis à l'école anglaise publique. Ils sont susceptibles de susciter de l'animosité et des conflits entre les parents et les instances décentralisées que le gouvernement utilisera comme boucliers. Le mécanisme prévu est lourd, toujours contestable et difficilement administrable.

Le SPGQ exige du gouvernement que les articles 48 à 52 soient abolis et remplacés par ceux proposés par la Ligue des droits de l'homme et entérinés par certains organismes nationaux qui visent à la création d'un seul système scolaire unifié aux niveaux élémentaire et secondaire.

Nous nous demandons, sans oser y répondre, comment un homme intelligent, cultivé et ayant voyagé de par le monde comme le ministre Cloutier peut faire semblant d'ignorer que le choix de la langue d'enseignement à l'école publique n'existe dans aucun pays du monde, même pas dans les provinces du Canada et que les Québécois, mal informés, faute d'analyse et qu'ils confondent avec la liberté de culte, prennent naïvement pour de la tolérance ce qui n'est rien d'autre qu'un lent suicide collectif.

C'est pourquoi le courage et l'honnêteté du ministre Jérôme Choquette ont été récemment appréciés des citoyens.

Tous les ministres ici savent parfaitement bien que l'Acte de Québec a fait de notre territoire une nation française depuis 200 ans, d'une part, et que, d'autre part, l'AANB n'a jamais fait mention des droits scolaires des Britanniques au Québec. Ces prétendus droits, les descendants des occupants de langue maternelle anglaise se les sont arrogés graduellement au nom de la conquête, puis, dans la période industrielle actuelle, par leur nombre sans cesse grandissant, auquel se sont ajoutés les Américains, aux postes de commande de l'économie et des finances, tolérés benoîtement par des gouvernements inertes.

Mais les Québécois se sont réveillés. Les auditions à cette commission l'ont prouvé et nous proclamons, nous aussi, que l'école publique doit être française, l'unilinguisme fondamental étant la constante de tous les systèmes d'éducation du monde. Nous exigeons le rapatriement immédiat à leurs écoles françaises de tous les transfuges francophones qui fréquentent les écoles anglaises depuis 1968.

Comment n'êtes-vous pas étouffés par les fruits empoisonnés de la loi 63 que vous prétendez abolir et que vous reproduisez presque intégralement dans le bill 22, à l'exception des critères de connaissance suffisante, si facilement contournables?

Un gouvernement qui ne désire pas l'anglici-sation ne commence pas par la favoriser dans l'enseignement.

Un certain nombre de syndiqués du SPGQ furent un jour des immigrants de différentes origines et sont devenus des Québécois francophones. Notre syndicat s'oppose donc à cette ségrégation en matière scolaire entre les immigrants de langue anglaise et les autres. Les immigrants en provenance de l'Inde, des Etats-Unis ou de la Jamaïque qui veulent s'établir au Québec doivent aller à l'école publique française comme les autres.

C'est ce que nous disons dans un chapitre subséquent sur l'immigration dans lequel nous demandons formellement que l'on abolisse l'article 117 du projet de loi 22, de façon que le ministre de l'Immigration rétablisse les modalités de francisation des nouveaux immigrants, francisation que l'on aurait supprimée par erreur, selon les dires de M. Bienvenue.

Au chapitre III sur la langue du travail, nous sommes au regret de constater qu'alors qu'il avait fait de ce sujet son cheval de bataille lors des deux dernières élections, pour attirer l'élec-

torat, le gouvernement renonce dans ce projet de loi à mettre ses promesses à exécution, mais s'en tient plutôt aux recommandations du rapport Fantus. Nous sommes des Québécois qui avons la chance rare de pouvoir travailler en français et nous voudrions que tous nos camarades travailleurs du Québec puissent avoir cette légitime satisfaction. Le SPGQ demande au gouvernement que le calendrier d'application des articles 24 à 35 inclus soit clairement déterminé dans le présent projet de loi et que le délai ne dépasse pas cinq ans.

Le SPGQ demande au gouvernement d'avoir, comme tant d'autres nations, même plus petites et moins bien équipées, le courage de déterminer les règles du jeu devant les entreprises étrangères qui les suivront alors comme elles le font ailleurs.

Le SPGQ fait siennes les recommandations de la Ligue des droits de l'homme: modifier le chapitre III sur la langue du travail en décrétant des mesures de francisation uniformes pour toutes les entreprises selon un calendrier précis d'application progressive. Le SPGQ demande que les articles 32, 33 et 34 soient supprimés et remplacés par un article unique, ainsi surtout, que l'article 31 qui est le plus grave de tout le chapitre, ou que, tout au moins, il soit corrigé ainsi que nous le proposons.

Aux articles 24 et 26, le SPGQ demande que les proportions soient précisées et que l'article 29 soit modifié de façon à donner priorité au français. En résumé, le chapitre est inacceptable. Le SPGQ demande que le gouvernement impose le français comme langue de travail dans les entreprises, oblige celles-ci à se franciser dans une période donnée, enfin assortisse la loi de fortes pénalités pour ceux qui ne s'y seraient pas conformés dans le délai prescrit.

De l'avis du SPGQ, le chapitre IV sur la langue des affaires doit être modifié de façon à respecter le droit de la majorité à un environnement dans sa langue. De plus, les dispositions de ce chapitre doivent être appliquées en premier lieu, elles peuvent l'être dès la proclamation de la loi, le mécanisme étant en place. Si ce chapitre a le mérite d'employer systématiquement le verbe "devoir" au lieu du verbe "pouvoir", il pèche quand même par des absences fort remarquées. Par ailleurs, il n'est pas assez évident que la langue officielle doit nettement primer sur toute autre. Pourtant, dans un des domaines traités ici, celui de l'étiquetage, le gouvernement par l'entremise de plusieurs de ses ministères, a déjà une expérience de plusieurs années dont il aurait pu s'inspirer à meilleur escient dans l'article 36, qui demande à être substantiellement corrigé et surtout dans l'article 38 qui est très mal exprimé et semble mendier du français, ainsi que dans l'article 39 qui met les deux langues sur un pied d'égalité. La SPGQ en profite pour expliquer comment de la façon la plus simple et sans brimer qui que ce soit, il aurait pu y avoir du français depuis trois ans déjà sur les emballa- ges de biens de consommation courante, notamment les produits ménagers. Dans la même veine, l'expérience a démontré comment on pouvait attirer les mouches avec du miel pour les calmer, en promettant des règlements, comme c'est le cas dans le présent projet de loi, qui ne viennent jamais par la suite.

LE SPGQ compte dans ses rangs une majorité de pères de famille; aussi a-t-il porté une attention particulière au domaine du jouet où la situation a fort peu progressé au cours des six dernières années. Le SPGQ souhaite une réduction des délais d'application par l'addition de deux articles de façon à différencier la longueur des délais selon la catégorie des produits et pour traiter plus à fond la langue de l'hôtellerie avec la participation du ministère du tourisme. De même dans la partie relative à l'affichage y a-t-il lieu d'établir une distinction quant aux délais d'application entre les panneaux portant du papier collé, les enseignes, les panneaux peints et les enseignes lumineuses coûteuses. Nous traitons également des annonces d'offres d'emploi.

Enfin, nous concluons par des preuves sur la nécessité de pénalités par rapport aux expériences en matière d'étiquetage alimentaire et agricole. La plupart des groupes qui sont passés ici ont évidemment noté que l'unique article de tout le projet de loi qui ressemble à une sanction envers les contrevenants et l'article 46. Si, par les articles du chapitre IV du bill, l'affichage doit être en français au Québec, les noms des lieux et des voix de communication, formes d'affichage public, doivent également être en français. Cela nous paraît aller de soi et il ne nous semble pas que le législateur y ait songé, même si, sur les cartes routières distribuées par les compagnies pétrolières, les noms sont en anglais. C'est dans cet esprit que nous avons traité de toponymie à la fin de notre mémoire. Il va sans dire que les noms des organismes gouvernementaux ne doivent pas être traduits en anglais eux non plus. Est-il assez ridicule de parler de "French Language Bureau" pour désigner l'OLF.

Du chapitre I du bill, la langue de l'administration publique, nous disons que les articles 2, 6, 9, 10, 11, 13, 14, 15, 16 et 17 doivent être corrigés. Autrement dit, dix sur douze des articles de ce chapitre, plus un sur quatre du précédent. Les corrections demandées portent sur l'impression des lois, l'utilisation erronée du verbe "pouvoir" au lieu de "devoir", les réponses en français données actuellement à un citoyen québécois qui écrit en anglais à l'administration publique de l'Etat, le pourcentage des administrés de langue maternelle anglaise et non pas des nouveaux anglophones de toute origine, la langue des tribunaux, etc. Mais ce qu'il importe surtout de noter dans ce chapitre, c'est que le SPGQ s'oppose formellement à ce qu'il y ait des exceptions à la règle qui veut que la langue de travail dans l'administration publique soit le français, d'où d'importantes modifica-

tions aux articles 9, 13. 14, 15 et 17. L'article 9 est particulièrement inacceptable et c'est une vraie honte que le législateur ait même songé à le rédiger. Depuis que notre mémoire a été écrit, nous avons d'ailleurs pu constater que plusieurs organismes ont protesté avec véhémence contre cet article qui, de façon concrète, ferait que la majorité des administrations urbaines de quelque importance au Québec rédigeraient leurs documents en deux langues.

Nous résumerons nos interventions au chapitre II sur la langue des entreprises d'utilité publique et des professions de la façon suivante. Que ce soit à l'article 14 du précédent chapitre I où ici, à l'article 18, nous notons l'absence incroyable d'une mention sur l'obligation pour toute personne faisant affaires avec le public au Québec de s'exprimer correctement en français. Des additions importantes doivent être faites à l'article 20. L'article 23 doit être modifié et les articles 21 et 22 légèrement corrigés. La langue de traduction ne doit plus être le français, mais l'anglais. Aucun emploi impliquant des contacts avec le public ne peut être obtenu par une personne ne parlant pas français.

Egalement, lorsque nous traitons, pour terminer, des points qui ont été oubliés dans la conception de ce projet de loi, nous incluons les communications dans la langue de la culture. Outre cette loi-cadre sur le cinéma que l'on promet depuis des années aux Québécois, nous demandons particulièrement au ministre des Affaires culturelles de reprendre en main les instruments de la culture québécoise française qui sont de juridiction provinciale et que manipule de plus en plus le centralisateur gouvernement d'Ottawa. Nous demandons au ministre Jean-Paul L'Allier de continuer sa lutte pour une autonomie québécoise en matière de communication et de câblodistribution quitte à modifier la constitution de façon que le Québec puisse contrôler le nombre de stations émettant en langue étrangère sur son territoire et qui devraient au minimum être proportionnel au nombre d'habitants de langue maternelle anglaise.

Enfin, comment en arriver autrement qu'à la conclusion que, pour avoir les mains totalement libres dans l'application d'une politique de francisation dans tous les secteurs: fonctionnaires fédéraux québécois travaillant sur notre territoire et qui ont demandé que le français soit leur langue de travail, sociétés à charte fédérale, transport, communication, armée fédérale postée en territoire québécois, Assemblée nationale, tribunaux, etc., le gouvernement doit exiger l'abrogation de l'article 133 de la constitution du Canada, pays qui est — on semble de plus en plus l'oublier — une confédération et non un Etat à caractère unitaire et centralisé. Alors, avec beaucoup plus de bonne volonté de la part du législateur québécois, le français pourrait vraiment devenir la langue officielle chez nous.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci, mes- sieurs. J'invite immédiatement le ministre de l'Education à poser la première question.

M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie le Syndicat de professionnels du gouvernement du Québec pour la présentation de ce mémoire. Je note avec plaisir que c'est un mémoire très étoffé, un mémoire approfondi, un mémoire sérieux et qui veut être positif. Bien sûr, le gouvernement n'est pas d'accord sur un certain nombre des prises de position; il ne faut pas s'en étonner puisque le projet de loi 22 a une approche qui est clairement indiquée. Cependant, j'ai pris connaissance, avec intérêt, surtout de la première partie qui porte sur la régie, sur ses pouvoirs, sur ses structures et nous allons très certainement donner notre meilleure attention à certaines des recommandations et des suggestions qui ont été faites. Déjà, j'ai indiqué que nous songions à dissocier les deux fonctions de cette régie, à savoir les fonctions d'exécution et les fonctions de contrôle; peut-être même pourrions-nous envisager la nomination d'une espèce de protecteur de la langue qui assumerait les fonctions de contrôle. Ceci permettrait, surtout sur le plan syndical, de régler un certain nombre des difficultés réelles que vous avez soulevées. Je m'arrête là pour l'instant, M. le Président, et je n'ai pas de questions particulières.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition officielle.

M. MORIN: M. le Président, puis-je demander à nos invités, comme première question, de nous donner quelques précisions au sujet d'un passage qui se trouve à la page 14 du texte de présentation. Vous y dites, messieurs: "Actuellement, les réponses sont données en français à un citoyen québécois qui écrit en anglais à l'administration publique de l'Etat". Dois-je comprendre par cela que, à l'heure actuelle, lorsqu'un administrateur, un fonctionnaire québécois reçoit, d'une personne de langue anglaise, une lettre rédigée en anglais, il est autorisé à y répondre en français?

M. DORE: La pratique actuelle varie selon les différents ministères. Mais il reste néanmoins que, dans la plupart des ministères qui font affaires de façon habituelle avec des anglophones, la pratique est de répondre en français. On tient pour acquis que les personnes qui recevront les lettres en question seront en mesure soit de se les faire traduire, soit de les faire corriger.

M. MORIN: Donc, la pratique varie d'un ministère à l'autre. Est-ce qu'il existe des directives sur la question émanant du gouvernement?

M. DORE: Oui, évidemment. Dans notre mémoire, si je ne me trompe pas, on fait état précisément d'une directive qui date de...

M. CLOUTIER: 1970/71...

M. DORE: ...1970/71 qui est assez précise à cet égard et qui définit en gros à qui on doit expédier des lettres en français et à qui on peut se permettre d'écrire en anglais. Mais encore là, les fonctionnaires provinciaux, comme les professionnels, ne sont pas tenus de connaître la langue anglaise et ne sont considérés comme étant des bons fonctionnaires que s'ils connaissent une autre langue que le français et, à ce moment-là, si on leur demande de l'utiliser, il est possible que certains l'utilisent. Disons que, de manière générale, ce qu'on demande, c'est le français.

M. MORIN: Les variations que vous notez d'un ministère à l'autre sont-elles autorisées par les directives ou s'agit-il d'initiatives qui dépendent d'individus?

M. DORE: C'est-à-dire que la directive dit: On répond en français d'une façon générale. Par contre, dans certains ministères, à cause de circonstances particulières et à cause aussi de la présence locale de personnes qui sont capables de répondre dans d'autres langues, on admet, ou on permet des réponses en d'autres langues.

M. MORIN: Très bien. Est-ce que je pourrais vous poser quelques questions au sujet de deux ou trois exemples de francisation d'entreprises qui ont été évoqués devant cette commission et qui sont souvent donnés comme des parangons, des exemples parfaits de francisation? Je songe en particulier à la société Aigle d'Or. La comparution du Syndicat des fonctionnaires nous a déjà permis d'évoquer ce cas. Et il semble bien que les résultats aient été très moyens à la suite de tentatives de francisation de cette entreprise. Est-ce que votre propre syndicat est à même de nous éclairer sur ce cas précis?

M. DORE: Disons que je peux peut-être vous donner des détails d'ordre général sur le prix que cette opération a coûté. Le coût n'a pas été tellement astronomique par rapport au budget gouvernemental. Cela a coûté $166,430. Ce qu'il importe surtout de considérer, dans le contexte de l'époque, ce sont les moyens énormes que le petit office a été obligé de mettre à la disposition de la compagnie.

De façon générale, la majeure partie de l'OLFQ avait alors été littéralement mobilisée au service de la société Aigle d'Or. 19 personnes sont entrées plus 2 experts internationaux du BEICIFP, le Bureau des études industrielles et de coopération de l'Institut français du pétrole. Sur ces 19 personnes, on comptait en moyenne cinq traducteurs professionnels contractuels, deux réviseurs techniques, trois dactylos à forfait et deux coopérants français. Il y avait en permanence une moyenne de 18 personnes qui travaillaient à ce projet, sans compter le person- nel de secrétariat et deux personnes de la direction. Le travail qui a commencé à peu près en août 1970 s'est officiellement terminé le 31 mars 1971.

Le cahier pilote qui avait été conçu à ce moment-là aurait pu être appliqué à n'importe quelle raffinerie. Il comportait plus de 1,100 pages de texte. Il y a $82,630 qui ont été pris à même le budget de l'OLF. Les affaires intergouvernementales ont fourni $6,800, la coopération avec l'extérieur $5,000.

Aigle d'Or a défrayé le coût de trois dessinateurs et a mis ses moyens à la disposition de l'OLF, donc a quand même assumé une partie du coût de l'opération. La Régie des eaux du Québec a également fait faire à ses professionnels quelques travaux de correction, la direction de l'énergie et les laboratoires de mines aux Richesses naturelles, plus SOQUIP, ont légèrement participé.

Il y a 5,750 pages qui ont été traduites. Aigle d'Or maintenant travaille en français, semble-t-il. Ce fut la première des deux sur quatorze. Placée où elle est, cette raffinerie devrait, de toute façon, travailler en grande partie en français. L'OLF lui en a donné les moyens.

Mais ce qui est grave dans cela, c'est que ce cas d'Aigle d'Or demeure un cas unique dans le secteur du pétrole. En aidant Aigle d'Or, le gouvernement pensait avoir des retombées dans la région de Montréal, mais malheureusement les autres raffineries n'ont pas suivi dans le sens qui avait été développé par la raffinerie Aigle d'Or. A Montréal, on continue à travailler en anglais, comme si le projet de loi n'avait jamais existé.

M. MORIN: Est-ce que vous êtes à même de juger du comportement d'Aigle d'Or à la suite de tous ces travaux et de l'aide fournie par l'office? Est-ce que certains de vos membres travaillent encore à la francisation de cette société, aujourd'hui?

M. DORE: Non, pas à notre connaissance. C'est un fait qu'à la raffinerie Aigle d'Or on travaille désormais en français.

M. MORIN: Bon.

M. DORE: II faut dire cependant que c'est à Saint-Romuald. Tout le monde sait que les anglophones...

M. MORIN: Evidemment, cela avait l'avantage d'être une nouvelle entreprise. Ce n'était pas une entreprise qui avait des habitudes acquises en anglais de longue date.

Si nous parlions maintenant d'une entreprise qui, elle, a des habitudes anglophones depuis longtemps qui est Noranda Mines. Depuis quinze ans, cette société a tenté, grâce à des programmes maisons, de transformer la situation. Est-ce que vous êtes en mesure d'évaluer le résultat de cette opération?

M. DORE: Oui. Ces programmes maisons ont donné des résultats assez étonnants. Les ingénieurs francophones de la Noranda Mines sont présentement les plus réfractaires à la francisation; c'est du moins ce que les professionnels de l'OLF ont constaté. D'autre part, au niveau de la francisation, qui était demandée et qui était organisée en collaboration avec Noranda Mines, cette dernière a toujours refusé de participer avec l'OLF à la francisation de ses opérations et de ses entreprises.

M. MORIN: Est-ce qu'elle a donné des motifs pour ce comportement?

M. DORE: Non, pas à ma connaissance.

M. CHARRON: Elle nous a dit, ici, que ses programmes maisons lui apparaissaient plus efficaces que le programme suggéré par l'OLF. Elle est venue, elle-même à la table où vous êtes actuellement.

M. JASMIN: C'est peut-être pour cela que les professionnels de l'OLF se sont sentis, d'après ce qu'ils nous ont dit, comme étant des intrus à la Noranda Mines. Je ne sais pas si c'est la raison officielle, mais c'est ce qu'on nous a rapporté.

M. MORIN: Notre impression, je ne sais pas si vous pouvez la confirmer ou l'infirmer, c'est que c'était une francisation de façade, pour ne pas nuire à la réputation de la compagnie au Québec. Est-ce que vous êtes à même d'en juger vous-mêmes?

M. DORE: C'est l'opinion qui est émise, en tout cas, par les professionnels de l'office.

M. MORIN: A votre avis, quelles raisons peuvent expliquer le comportement des professionnels, notamment des ingénieurs francophones de cette société? Vous nous avez dit qu'ils résistaient, qu'ils étaient parmi ceux qui résistaient le plus, qui se montraient le plus réfractaires à la francisation. Est-ce qu'il y a une explication à un pareil comportement?

M. DORE: Bien, c'est-à-dire qu'il semble ici que la seule chose qui puisse ressembler à une explication, c'est que finalement ces gens sont habitués, depuis un nombre X d'années, à travailler en anglais. Alors, il est très clair que changer une habitude de ce type, d'autant plus que toutes les opérations sont... En tout cas, on préfère utiliser les mots anglais. Face à cela, il est très clair que les gens sont déjà habitués à travailler en anglais. Cela peut être une explication. Maintenant, les motifs d'ordre psychologique ou autres...

M. MORIN: Parce qu'il a été démontré qu'à Hydro-Québec, depuis une douzaine d'années maintenant, lorsque la société, la compagnie a résolu de passer au français, les employés, fussent-ils professionnels ou autres, s'y mettaient volontiers. Il fallait que l'impulsion vienne d'en haut et qu'il y ait une politique bien définie de francisation. En l'occurrence, est-ce que vous avez pu demander aux professionnels, est-ce que vous avez pu savoir si leur résistance vient du fait qu'il n'y a pas de politique définie de la société Noranda, ou bien si c'est une résistance qui vient d'eux-mêmes?

M. JASMIN: Ecoutez, de toute façon, ce matin, on ne peut pas parler en détail au nom des gens de 1'OLFQ de ce genre de questions qui faisaient partie de leur travail. Tout ce qu'on peut peut-être avancer en faisant une espèce de parallèle avec l'ascension, dans une carrière, d'un professionnel à Hydro-Québec ou au gouvernement du Québec, c'est que chez nous la langue n'est pas un obstacle pour gravir les échelons et pour avancer. Comme vous le disiez, si l'impulsion ne vient pas d'en haut, il semble peut-être imprudent à un cadre ou à un ingénieur d'une compagnie anglophone de tenir à vouloir travailler en français, et en même temps, avoir la permission de gravir les échelons venant de la direction. A Hydro-Québec, on ne se pose pas la question. Les ingénieurs d'Hydro-Québec savent qu'en travaillant en français il peuvent arriver à la tête. Cela peut être un blocage psychologique, psycho-social, si vous voulez.

M. MORIN: Très bien. Pouvons-nous revenir brièvement sur la question du transfert des employés de l'office à la régie? J'ai eu l'impression, en vous écoutant tout à l'heure, que c'est une question qui touche de près vos intérêts professionnels. Pourriez-vous nous expliquer exactement le fonctionnement actuel des transferts, tel qu'il est prévu dans la loi, et nous dire comment vous aimeriez que ce transfert ait lieu?

M. DORE: Actuellement, lorsqu'on effectue une mutation, il y a une procédure en bonne et due forme qui est faite et cette procédure procède d'un certain nombre de critères, par exemple, pour l'organisme récepteur, de quoi il a besoin; pour l'organisme pourvoyeur, ce qu'il a envie d'expédier à l'organisme récepteur. Est-ce que c'est strictement le professionnel à titre de personne ou si c'est aussi le poste, etc.? Cette procédure, disons qu'il n'en est pas question dans la loi. Je comprends. C'est une procédure qui est fixée par règlement.

Par contre, ce dont il est question dans la loi, c'est du statut des professionnels actuels de l'OLFQ. Alors, ces gens effectuent présentement un travail qui leur tient à coeur; je veux dire qui fait que ces personnes travaillent dans des conditions assez difficiles, dans des locaux à proprement parler insalubres. Ces gens ont donc intérêt à continuer à faire leur travail dans des conditions qui sont meilleures.

Evidemment, dans un des chapitres de notre mémoire, on précise différentes questions concernant leurs conditions de travail comme telles.

Mais ce que nous voudrions dans la loi, c'est que les gens de l'OLF aient une garantie de transfert à la Régie de la langue française pour continuer d'oeuvrer dans le secteur où ils oeuvrent présentement. Cela me semble essentiel puisqu'il y a déjà des gens qui ont acquis, à cet endroit, une expérience irremplaçable et que, d'autre part, au niveau de l'OLF, il existe présentement une proportion phénoménale d'occasionnels ou, enfin, de contractuels qui ne sont engagés, en fait, que pour des périodes données, mais souvent ces périodes données vont jusqu'à deux, trois ou cinq ans.

Cette situation est évidemment intenable pour les personnes qui y travaillent. Pour les administrateurs de l'Office de la langue française, c'est une situation qui est très difficile, compte tenu du fait qu'ils sont toujours à la merci d'une modification de politique.

M. MORIN: Pourriez-vous nous expliquer un peu comment il se fait qu'il y ait tant d'occasionnels? Lors de l'étude des crédits du ministère de l'Education, nous avons posé la question au ministre, mais nous n'avons jamais pu vraiment aller au fond des choses. M. le ministre pourra, sans doute, ajouter ses commentaires par la suite, je serais intéressé à les connaître. J'aimerais demander à votre syndicat quelle est votre perception de cette situation. D'ailleurs, le chiffre que vous donnez — 110 — me parait un peu supérieur à celui qu'on avait évoqué à l'époque des crédits. Je crois qu'il était de 90 à ce moment. Est-ce qu'il aurait augmenté depuis?

M. DORE: Cest fort possible.

M. MORIN: II est actuellement de 110?

M. DORE: Oui. De manière générale, on engage des occasionnels pour des travaux qui ne sont pas permanents. Excusez cette tautologie. Ce sont des gens engagés pour des travaux qui, à un certain moment, vont finir ou, enfin, ne sont pas considérés comme étant dans la marche normale de l'organisme. C'est la façon habituelle d'engager des occasionnels. Par contre, il semblerait qu'à l'Office de la langue française, à cause de problèmes que j'ignore, on préfère procéder de cette façon à différents engagements de personnel. Cette situation existe dans plusieurs ministères et nous la considérons intolérable pour les personnes concernées, mais aussi pour les ministères en question puisque ces ministères risquent à tout moment de se voir refuser l'octroi d'autres crédits pour l'engagement d'occasionnels.

M. MORIN: Ce qui me frappe, c'est qu'il y ait plus d'occasionnels que de permanents.

M. DORE: Nous aussi.

M. MORIN: Cest quand même une situation un peu rare dans la fonction publique de trouver des organismes qui sont bâtis de cette façon. Mais est-ce que vous avez une explication à cela?

M. DORE: La seule explication que nous avons trouvée est que nous avons pensé que l'Office de la langue française était occasionnel.

M. MORIN: Est-ce qu'il est normal qu'il y ait quelques occasionnels dans un organisme comme celui-là ou si votre syndicat pencherait plutôt pour que tous les membres soient permanents?

M. DORE: Tout dépendrait du caractère de l'organisme en question. Il est bien sûr qu'il y a certains organismes dont les opérations sont très précises, sont très habituelles et ces organismes ont besoin de beaucoup moins d'occasionnels que d'autres organismes.

Par contre, au niveau de l'Office de la langue française, je ne pourrais pas vous donner de raisons précises pour lesquelles le ministère a engagé tant d'occasionnels. Je sais, cependant, qu'au niveau d'autres ministères il n'y a pas de raison d'engager des occasionnels parce que, effectivement, ces occasionnels remplissent des tâches qui, de toute façon, sont permanentes. Au niveau de l'Office de la langue française, je ne saurais pas vous préciser les raisons exactes pour lesquelles il y a tellement d'occasionnels.

M. MORIN: Une dernière question, M. le Président, s'il me reste... Une minute ou deux minutes?

LE PRESIDENT (M. Gratton): II ne vous en reste pas, mais allez-y.

M. MORIN: Une dernière question au sujet de la Régie de la langue française. Vous vous demandez pourquoi celle-ci doit être composée de neuf membres non fonctionnaires et non seulement de trois.

Pourquoi a-t-on éprouvé le besoin d'incorporer dans le circuit linguistique des gens étrangers à la fonction publique, au lieu de cadres jouissant d'une expérience irremplaçable? Quelle est exactement votre position à ce sujet? Vous avez soulevé la question, et j'aimerais bien que vous nous disiez, à votre avis, combien des membres de cette régie devraient être des fonctionnaires.

M. DORE: Un. Non, l'idée qui est élaborée dans le mémoire, c'est la suivante. On ne voit pas l'utilité d'un conseil de neuf membres dont les neuf, ou à peu près, seraient des non-fonctionnaires, primo. Deuxièmement, ce qu'on voudrait aussi, c'est qu'au sein du comité en question il y ait au moins un cadre, celui qui dirige effectivement l'office ou la régie, qui soit présent lors des délibérations de la direction de

la régie. Maintenant, les six autres personnes, c'est-à-dire celles en plus du président et des deux vice-présidents, on les verrait beaucoup plus comme des personnes-conseils, comme cela existe présentement à l'OLFQ, c'est-à-dire des personnes ayant acquis ou représentant un certain nombre d'organismes ou d'options concernant la langue française ou qui ont acquis une certaine expérience dans ce domaine, qui pourraient devenir des membres-conseils de la régie et qui pourraient, disons, siéger avec le président, les deux vice-présidents et le directeur général.

M. MORIN: Mais les trois qui resteraient, qui seraient les régisseurs à proprement parler, seraient-ils membres de la fonction publique ou pas? Ils ne le seraient pas, je pense, dans votre optique?

M. DORE: Non, je veux dire pas nécessairement.

M. MORIN: Bon.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Laporte.

M. DEOM: M. le Président, je veux juste souligner que je pense que j'ai cru comprendre que le chef de l'Opposition avait dit que, dans la mesure où l'entreprise avait une politique définie, on pouvait assurer qu'il y aurait une francisation d'entreprise. Là-dessus, j'ai un certain nombre de questions concernant Aigle d'Or. Vous nous avez dit qu'il semblait qu'on travaillait en français à Aigle d'Or. Est-ce que vous avez vérifié ou dans quelle mesure pouvez-vous l'affirmer? Vous dites: "II semble", vous n'avez pas l'air sûr qu'on travaille en français.

M. DORE: En fait, ce qu'on sait, c'est qu'ils travaillent en français.

M. DEOM: Bon. Est-ce qu'à ce moment, quand une entreprise comme Aigle d'Or où les travailleurs ont été entraînés en français et qu'ils sont à un point où ils ne peuvent même pas reconnaître les termes anglais pour les différentes pièces mécaniques, vous qualifieriez cela de résultats moyens ou est-ce que c'est réellement un succès total?

M. DORE: Remarquez bien que la notion de succès total est extrêmement difficile. Par contre, il existe un fait, c'est qu'on travaille en français.

M. DEOM: Vous avez dit que l'expérience d'Aigle d'Or aurait pu être appliquée à n'importe quelle raffinerie. Vous avez parlé des retombées à Montréal. Est-ce que vous êtes au courant du programme de francisation qui est appliqué à British Petroleum?

M. JASMIN: Tout ce qu'on peut dire là- dessus, c'est que les énergies, au niveau des professionnels à l'OLFQ, ont été complètement mobilisées ou presque complètement pour le cas d'Aigle d'Or. C'est la manière dont cela s'est francisé. On a pris une entreprise dans un secteur francophone, donc qui devait presque obligatoirement se franciser pour qu'il y ait du travail qui s'effectue. Cette politique ne semble pas avoir eu de répercussions là où normalement cela aurait dû en avoir, c'est-à-dire de couvrir complètement le secteur pétrolier dans une région aussi menacée que celle de Montréal.

M. DEOM: C'est cela ma question. Est-ce que vous êtes au courant du programme de francisation qui a été appliqué à la suite de l'expérience d'Aigle d'Or à British Petroleum à Montréal?

M. DORE: A British Petroleum en particulier, on n'est pas au courant. Par contre...

M. DEOM: Alors, est-ce que vous êtes au courant des programmes de formation qui ont été utilisés par Imperial Oil?

M. DORE: Ce que nous savons, c'est que le travail qui s'est effectué à Golden Eagle, le travail de traduction, le travail d'implantation de français à Golden Eagle dans le secteur du pétrole n'a pas été utilisé ailleurs par d'autres raffineries.

M. DEOM: Alors, ma question là-dessus est: Est-ce que vous êtes au courant du processus qui est utilisé à Saint-Romuald par rapport au processus qui est utilisé dans les raffineries de Montréal-Est?

M. DORE: Vous parlez des processus de pétrole?

M. DEOM: Le processus technique.

M. DORE: Non, je m'excuse, je ne suis pas ingénieur.

M. DEOM: Alors, pour votre information, ce n'est pas le même processus et les manuels d'opérations qui ont été développés à Saint-Romuald ne peuvent pas être appliqués ailleurs, parce que ce n'est pas le même processus.

M. MORIN: Est-ce que le député me permettrait une question? Quand il dit: Parce que ce n'est pas le même processus, est-ce qu'il veut dire que le processus de raffinage de l'essence est différent?

M. DEOM: Complètement différent de celui de Montréal-Est.

M. MORIN: Est-ce que cela empêche totalement l'utilisation des résultats obtenus à Golden Eagle?

M. DEOM: Certainement. Quand vous faites

un manuel d'opérations pour un processus qui est complètement différent, ce n'est pas la même chose. Vous ne pouvez pas le transporter d'une entreprise à l'autre.

M. MORIN: Est-ce que le député me permettrait une autre question?

M. DEOM: Oui.

M. MORIN: A Montréal-Est, quelle est l'étendue des efforts de francisation qui ont été faits jusqu'ici, compte tenu du fait que le processus est différent?

M. DEOM: J'en ai mentionné deux. Je pense bien que c'est suffisant pour le moment.

M. MORIN: C'est parce que vous n'avez pas été très détaillé et cela m'intéresse.

M. DEOM: J'ai parlé de British Petroleum, nos gens n'avaient pas l'air au courant et j'ai ensuite parlé des programmes de formation d'Esso, Imperial Oil.

M. MORIN: Est-ce que vous pourriez donner quelques détails pour qu'on profite de vos lumières ce matin?

M. DEOM: Je vous en donnerai en particulier, M. le chef de l'Opposition.

M. MORIN: Ah! Bien oui.

M. DEOM: Vous réduisez ma période de questions.

A la page 2, vous avez dit: La loi créera de grands problèmes d'application aux professionnels des ministères. Pourriez-vous m'énumérer deux ou trois de ces grands problèmes, pas petits, mais grands?

M. DORE: Ces grands problèmes sont expliqués dans le mémoire complet que vous avez sûrement reçu, mais disons que, de manière générale, au ministère de l'Immigration, c'est la question qui est soulevée dans le texte, concernant la francisation des immigrants, au ministère de la Justice, concernant les jugements...

M. DEOM: Quels grands problèmes voyez-vous au ministère de la Justice?

M. DORE: C'est la question de savoir quel texte est considéré comme valide au plan de la loi. D'accord?

M. DEOM: Alors, vous pensez que cela relève du ministère de la Justice? Ce ne sont pas les tribunaux qui décident de cela?

M. DORE: Je veux dire...

M. JASMIN: Pour faire fonctionner la loi avant que cela aille en jugement, avant que cela aille devant les tribunaux.

M. DEOM: Tout ce que le bill 22 dit, c'est que le ministre de la Justice s'assurera que les jugements sont traduits. Alors, vous voyez des problèmes importants là-dedans?

M. DORE: En tout cas, c'est qu'on voit toujours cela d'une façon différente de la vôtre, étant donné qu'on applique ce que vous décidez.

Au niveau de l'industrie et du commerce, c'est concernant la langue des affaires. Concernant l'éducation, évidemment, on connaît les problèmes dans l'enseignement. Concernant les institutions financières, c'est concernant la francisation des raisons sociales.

M. DEOM: Quel problème voyez-vous là?

M. DORE: Voyez-vous, le problème qui s'est posé, c'est que le mémoire a été rédigé par ceux qui étaient intéressés. Il n'y a personne de l'exécutif qui a touché au mémoire.

M. DEOM: Ah bon! Cela, c'est intéressant.

M. DORE: L'exécutif l'a endossé, le conseil d'administration aussi, à l'unanimité. Normalement, ce qui aurait dû se produire, c'est que l'exécutif aurait pu faire le tour des ministères d'où viennent les différentes parties du mémoire et on aurait pu, si on avait eu le temps... Quand on demande de reporter ça à l'automne, ça aussi, ça faisait partie de la démarche. C'est que pour une consultation véritablement démocratique et complète, on aurait pu non seulement avoir le temps de consulter tous nos membres, qui sont répartis dans tout le Québec, mais en même temps, on aurait pu avoir toutes ces questions de détail auxquelles, normalement, auraient pu répondre ici les différents représentants de chacun des ministères. Mais là, il aurait fallu avoir des délégations spéciales,

M. DEOM: Si je comprends bien, vous n'avez pas consulté tous vos membres?

M. DORE: Si vous nous en aviez donné la chance, peut-être qu'on aurait pu le faire. C'est ce qu'on aurait souhaité. Quand on demande de le reporter à l'automne, c'est exactement pour ça.

M. DEOM: Concernant ces grands problèmes, ce serait peut-être intéressant pour le ministre que vous fassiez un mémoire séparé parce que j'ai l'impression qu'il faudrait peut-être étayer ça un peu plus parce que, dans ce que vous me dites, je n'ai pas encore trouvé un grand problème d'application.

M. DORE: Cela dépend de la façon dont on envisage les problèmes.

M. DEOM: Si on prend juste le cas de la traduction, par exemple, il y a des expériences qui se font à l'heure actuelle aux Etats-Unis, au National Science Foundation, pour faire de la traduction automatique des textes juridiques et des textes médicaux par ordinateur. Vous pensez que si ça devait se concrétiser d'ici un an, à peu près, ça pourrait être un gros problème de faire faire la traduction par les ordinateurs?

M. DORE: Ce n'est pas au niveau des choses concernant la traduction, surtout, d'accord? J'ai parlé du ministère de la Justice où ça posait un problème. Effectivement, peut-être qu'au niveau du ministère de la Justice le problème est insignifiant; au niveau d'autres ministères il est important. Au niveau du ministère de l'Industrie et du Commerce, où on parle de la langue des affaires, ça peut être important au niveau de l'implantation et de l'application des principes qui sont définis dans la loi. Au niveau des Institutions financières, des raisons sociales, etc. Au niveau de l'Agriculture, de l'Immigration, etc....

M. DEOM: L'agriculture?

M. DORE: ... ce ne sont pas nécessairement des problèmes de traduction.

M. DEOM: A la page 3, vous dites: "Cet article seul aurait même suffi d'ailleurs, puisque toute la vie au Québec pourrait ensuite changer en conséquence. Vous nous dites qu'il aurait suffi de l'article 1 et tout le problème aurait été réglé. Je voudrais que vous m'expliquiez comment on passe une loi avec l'article 1 uniquement et tous les problèmes sont réglés.

M. DORE: Cela semble un peu étrange comme affirmation. Ce sur quoi on s'est fondé pour faire cette affirmation, c'est le fait que, dans d'autres provinces, quand il s'est agi d'angliciser l'enseignement ou d'angliciser les différents avis de la province, cela a été extrêmement rapide et simple, cela a été fait avec très peu d'articles. C'est ce qu'on veut dire par là.

M. DEOM: Vous voulez dire dans une autre province, pas dans les autres provinces?

M. DORE: On en a pris une, mais...

M. DEOM: C'est juste à partir de l'expérience de l'Alberta, du Manitoba?

M. DORE: Du Manitoba.

M. DEOM: C'est juste à partir de l'expérience du Manitoba? Vous dites que, si on avait fait la même chose qu'eux, on aurait réglé le problème?

M. DORE: C'est-à-dire que l'expérience du

Manitoba est tout de même assez concluante, non?

M. DEOM: II y avait 20 p.c. de francophones au moment où ils ont passé leur loi?

M. DORE: Quelque chose comme ça.

M. DEOM: A la page 9, vous dites: "La langue des manuels scolaires à tous les niveaux doit être la langue officielle et en français de qualité". Si je comprends bien, vous dites que les manuels scolaires, même au niveau universitaire, devraient-être en français? Puis en France, vous pensez que tous les manuels scolaires, au niveau universitaire, sont en français?

M. DORE: On ne s'est pas posé la question à savoir ce qui se passait en France.

On a tout simplement dit qu'étant donné qu'on demandait que le système scolaire soit uniquement français, de la maternelle à l'université, on prétendait que, compte tenu de cela, il fallait que les manuels soient en français, parce qu'on sait très bien qu'au niveau de l'université il y a une proportion effarante des manuels qui sont en anglais présentement.

M. DEOM: Vous n'avez pas l'impression qu'en faisant cela vous dégradez la formation universitaire? On va former les gens uniquement à partir de livre français, on ne leur donnera pas le droit de prendre des livres anglais, des livres allemands.

M. JASMIN: Ce n'est pas une question de ne pas avoir le droit, je pense...

M. DEOM: ... compte tenu de la diffusion internationale de la technologie. Vous n'avez pas l'impression qu'on va, à ce moment-là, pour les techniciens et les ingénieurs, dégrader la formation universitaire? Je prends juste un cas, la sidérurgie, où les Américains ont perdu le leadership technologique, qui est entre les mains des Japonais et des Russes. Les ingénieurs qu'on forme aux universités en métallurgie, on va leur enseigner la technologie française?

M. DORE: On parle ici, des manuels scolaires et non des instruments de référence. Il est certain que pour être un bon...

M. DEOM: Oui, mais...

M. DORE: ... linguiste russe, il est très clair qu'on n'apprendra pas cela en français. Pour travailler dans un domaine qui est allemand à la pointe, par exemple, il est très clair qu'à la faculté des sciences, si je ne me trompe, il y a eu un certain temps où l'on enseignait aussi l'allemand; enfin, on suggérait aux gens de suivre des cours d'allemand. On n'a rien contre cette façon de procéder. Là où on en a, c'est au niveau des manuels.

M. DEOM: Mais vous ne pensez pas que du fait qu'on ait la chance d'être voisin d'un Etat anglophone qui a les moyens de faire la traduction de ces textes-là du russe à l'anglais, on devrait peut-être profiter de ce cas-là?

M. DORE: C'est un peu comme les Mexicains qui ont la chance d'être à côté, mais qui continuent à parler espagnol.

M. DEOM: Pardon. Il y a des manuels scolaires anglais dans les universités mexicaines.

M. JASMIN: La question n'est pas de placer le problème sur le plan individuel, de savoir si l'individu peut, s'il est en philosophie, apprendre l'allemand ou non. Il y a grand avantage à apprendre l'allemand s'il suit un cours de philosophie. Mais la question est de savoir si un homme ou une femme au Québec peut normalement suivre un cours normal dans sa langue. Il n'est pas question, je le pense bien en tout cas, de traduire les bibliothèques. Cela ne va pas jusque-là. On veut être un pays normal. Mais dans aucun pays, si on veut apprendre une technique, il ne faut l'apprendre dans le pays d'origine de la technique bien souvent. A ce moment-là, c'est une question individuelle, ce n'est pas une question collective.

M. DEOM: Ma dernière question, M. le Président, c'est comment vous décrétez des mesures de francisation uniformes pour toutes les entreprises. Expliquez-moi cela.

M. DORE: Ce serait assez difficile, compte tenu du temps, de vous expliquer tout le système. Par contre, il y a des gens à l'Office de la langue française qui ont déjà défini des procédures uniformes dans les principes et dans l'application générale et qui seraient en mesure de le faire assez rapidement.

M. DEOM: Ils ont défini une procédure uniforme?

M. DORE: C'est ce qu'on nous a dit. Evidemment, je ne travaille pas là.

M. DEOM: Ah bon! Comment appliquez-vous une procédure uniforme? Je vous donne deux cas. La Banque Royale, qui est une entreprise internationale avec des succursales dans cinquante pays du monde, qui a son siège social à Montréal, par rapport à la Banque Provinciale, qui a un marché exclusivement provincial. Est-ce que vous pouvez appliquer des mesures uniformes?

M. DORE: Vous dites...

M. DEOM: Le directeur général de la Banque Provinciale traite uniquement avec des succursales situées sur le territoire québécois. Le directeur général de la Banque Royale, lui, est 2 p.c. de son temps en territoire québécois. Le reste du temps, il est avec le monde. Est-ce qu'on sera capable d'appliquer les mesures de francisation uniformes?

M. DORE: II est bien clair qu'il y a des situations particulières à chacune des entreprises. Par contre, les mesures de francisation, elles, peuvent être uniformes.

M. DEOM: A ce moment-là, vous n'avez pas l'impression que vous atteignez un niveau tellement minimum qu'on n'atteint pas les objectifs fixés dans la loi?

M. DORE: Je ne suis pas sûr de cela, parce que, de toute manière, ce sont deux langues dont il...

M. DEOM: Pensez-y. Merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le ministre de l'Education aimerait apporter quelques précisions.

M. CLOUTIER: Je ne sais pas si le chef de l'Opposition souhaite que j'éclaire sa lanterne au sujet des occasionnels, des contractuels de l'office. Ce n'est pas le lieu, mais je le ferai volontiers s'il le souhaite.

M. MORIN: Oui, puisque le ministre nous l'offre, pourquoi ne profiterions-nous pas de l'occasion?

M. CLOUTIER: Brièvement, en saine administration publique, il n'y a pas toujours intérêt à faire appel à des permanents, lorsqu'il s'agit de tâches qui sont, soit temporaires, soit sectorielles. Autrement, ce serait prendre pour une période très limitée des employés qui entreront dans le cheminement habituel, obtiendront la permanence d'emploi et, bien sûr, taxeront les ressources de l'Etat. Il est bien évident que les syndicats qui ont des intérêts légitimes de leurs employés à défendre ont tout à fait raison de surveiller que le nombre d'occasionnels ou de contractuels ne dépasse pas une certaine proportion.

Il se trouve qu'à l'office c'est une opération très particulière. La plus grande partie de l'opération de l'office, actuellement, est de nature sectorielle et temporaire. Je ne vous donne que deux exemples, parce que, encore une fois, il n'y a pas lieu de prolonger la discussion. Le premier exemple concerne les travaux de terminologie. Lorsqu'on fait faire des travaux de terminologie dans un secteur déterminé comme le pétrole, ces travaux se terminent après un certain temps. Il n'y a donc pas intérêt à engager 25, 30 ou 40 spécialistes pour le reste de leur vie. Dans un domaine aussi technique que celui-là, les spécialistes ne sont pas polyvalents, quoi qu'on dise. Il s'agit d'ingénieurs, souvent, qui ont une formation dans un domaine très précis et souvent limité.

Il y a la question de la banque de terminologie. L'augmentation du nombre d'occasionnels est liée à la banque de terminologie qui est une création assez extraordinaire, puisque c'est la seule au monde qui soit informatisée. De manière à pouvoir alimenter cette banque, nous sommes obligés de faire appel à des dizaines et des dizaines d'occasionnels pour rédiger les fiches. Voilà une explication très générale.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Messieurs, la commission vous remercie pour votre présentation.

M. MORIN: Est-ce que je pourrais poser une question au ministre, avec sa permission, à la suite de la déclaration qu'il vient de faire?

M. CLOUTIER: C'est toujours avec plaisir que je réponds aux questions du chef de l'Opposition.

M. MORIN: M. le ministre, dans la perspective du projet de loi 22, combien prévoyez-vous, au cours des années qui viennent, d'employés permanents et combien prévoyez-vous d'occasionnels? J'entends à la régie.

M. CLOUTIER: Je ne peux pas répondre à cette question, M. le Président. Il y a bien un plan d'effectifs et d'organisation qui a été préparé, mais il ne serait pas dans l'intérêt public que je le révèle actuellement à cette commission. Les plans d'organisation et d'effectifs comportent des conséquences assez importantes et toutes les étapes n'ont pas été franchies de ce point de vue.

M. MORIN: Puis-je demander simplement au ministre si, dans la perspective du bill 22, le nombre d'occasionnels ou la proportion d'occasionnels est appelée à diminuer à tout le moins?

M. CLOUTIER: Cela dépendra des opérations. Chaque fois qu'il sera nécessaire de faire des travaux terminologiques dans un secteur particulier ou chaque fois qu'il faudra penser à une opération du type banque de terminologie, il y aura intérêt à faire appel à des occasionnels et des contractuels.

Pour ma part, je considère que l'administration publique doit évoluer de plus en plus vers l'engagement de contractuels pour des périodes limitées en fonction de tâches limitées. C'est même dans l'intérêt de la fonction publique, parce que ceci permet un renouvellement que l'on n'aurait pas autrement. C'est là une orientation administrative.

M. MORIN: Oui. Cette orientation a du sens dans la mesure où l'on va chercher des spécialistes qui occupent déjà des tâches, soit dans l'entreprise, soit dans les universités.

Dans la perspective où l'on fait appel à des personnes qui arrivent sur le marché du travail, vous avouerez, M. le ministre, que c'est leur offrir bien peu d'occasions de faire carrière.

M. CLOUTIER: Ecoutez, on pourrait peut-être en reparler. C'est une discussion passionnante, la commission de la fonction publique, par exemple.

M. MORIN: Oui, mais je suis sûr que pour ces messieurs du syndicat, cette question a une très grande importance.

M. CLOUTIER: Et je l'ai admis. Ce qui a plus d'importance pour eux, ce n'est pas cela; c'est un point que vous n'avez pas soulevé, soit, le transfert des employés. Cela a beaucoup plus d'importance pour eux. Vous voyez que je vous connais, et, vous avez raison. Il s'agit d'une modalité. Nous allons en étudier les possibilités. Il n'y a rien, a priori, qui s'opposerait à ce qu'on envisage le transfert de tous les employés. Nous allons voir. Quant aux modalités, nous restons souples.

M. MORIN: Une dernière petite intervention, M. le Président, avec votre permission. C'est qu'à l'office actuellement il n'y a pas que des spécialistes qui soient occasionnels, des experts qui soient occasionnels. Il y a également des secrétaires et des sténodactylos.

M. CLOUTIER: Bien sûr.

M. MORIN: C'est peut-être la raison pour laquelle ces messieurs voyaient là-dedans un reflet du caractère occasionnel de l'organisme proprement dit.

M. CLOUTIER: Ecoutez, ce n'est pas sérieux. C'est ce que vous essayez de prouver. C'est pour cela que j'ai apporté cette précision. Les sténos qui sont actuellement occasionnelles sont surtout à la banque de terminologie, alors que pour une période très limitée il y a des centaines et des milliers de fiches à faire entrer dans l'ordinateur. C'est aussi simple que cela.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, messieurs, merci.

J'invite maintenant "The Committee of Roslyn Elementary School and Home and School Association" et son porte-parole, madame Patricia Roman.

M. CLOUTIER: M. le Président, le secrétariat des commissions a attiré mon attention sur une demande qu'il a reçue du Parents' Committee of the Protestant School Board. Il semble que ce comité est composé d'à peu près des mêmes membres que ceux du comité of Roslyn Elementary School and Home and School Association, et que ces deux organismes souhaiteraient faire une seule présentation dans les limites du temps. J'ai tout simplement dit

que je soumettrais la question à la commission. Je crois comprendre que les points de vue sont les mêmes et que ces deux organismes aimeraient se grouper pour éviter les répétitions.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Très bien. Est-ce que la commission est d'accord avec cette suggestion?

M. CHARRON: D'accord, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, j'invite... Est-ce que c'est bien madame Roman qui est porte-parole?

MME ARREY: C'est madame Arrey.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Madame Arrey?

MME ARREY: Oui.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, je vous inviterais à nous présenter ceux qui vous accompagnent et à noter que vous disposez de 20 minutes pour faire votre présentation.

Roslyn Elementary School

MME ARREY: Merci beaucoup, messieurs. Vous êtes très gentils de nous avoir accordé le temps maintenant.

Le Comité central des parents d'élèves du Bureau métropolitain des écoles protestantes de Montréal est élu par les comités d'école qui représentent les parents d'environ 52,000 élèves de 75 écoles élémentaires et de 22 écoles secondaires de l'île de Montréal.

Nous protestons vigoureusement contre l'application du projet de loi 22 dans sa forme actuelle.

Nous comprenons bien le voeu des Canadiens français de préserver et d'encourager leur langue, mais nous souhaitons qu'en retour, ils comprennent aussi nos propres aspirations.

La responsabilité première des parents est de s'assurer que leurs enfants reçoivent la meilleure éducation possible pour leur avenir. Les parents d'élèves du Bureau métropolitain des écoles protestantes de Montréal reconnaissent, depuis un certain temps déjà, la nécessité pour leurs enfants d'apprendre le français, et les programmes offerts à leurs enfants se sont améliorés à la suite des pressions qu'ils ont exercées sur le PSBGM.

Le temps consacré chaque jour aux programmes obligatoires de français est accru et la qualité du français s'est améliorée. Les innovations, comme l'immersion, introduites aux différents niveaux produisent de très bons résultats.

Vous trouverez, à l'annexe no 1, les renseignements sur nos programmes de français obligatoires et facultatifs.

Les chiffres de l'annexe no 2 montrent la croissance des programmes d'immersion.

Selon la loi actuelle, les parents ont le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de leur choix. C'est là un droit fondamental de notre démocratie et les parents ne doivent, en aucun cas, en être privés.

A notre avis, le projet de loi 22, au lieu d'accorder de vagues privilèges, devrait définir clairement les droits existants des minorités. La loi, telle qu'elle est proposée, laisse, dans trop de domaines importants, la voie ouverte aux abus qui pourraient résulter de règlements ministériels.

L'Office de la langue française, sans le bénéfice de règlements, a encouragé et amélioré l'emploi du français dans les affaires avec grand succès. La nouvelle Régie de la langue française devrait poursuivre et étendre cette politique, sans pour autant disposer des pouvoirs discrétionnaires qui lui seront accordés selon le projet de loi 22.

Again, we insist that parent's basic right to choose the language of instruction for their children must be maintained. We are part of the country. There are two official languages, French and English. We live on the North American continent and every parent must have the opportunity to have his child learned as much as he can, if he so desires, to allow him to the best function and maintain mobility in the world in which he lives.

We believe that the recommendations and amendments following are for the benefit of all the people of the Province of Quebec and hope that these will receive a very serious consideration before the final text of bill 22 is proposed.

Now, I would like to ask Mr Polack, one of the members of the Central Parent's Committee to just go over these amendments with you.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Mr Polack, would you also, please, for the record, indicate the people accompanying you this morning.

MME ARREY: Perhaps, I should tell you. Mr Robb is vice-chairman of the Central Parent's Committee; Mr Polack is also a member of the Central Parent's Committee of PSBGM; Mrs Louise Vibien is a member from the Roslyn School Committee and Mrs Joan Domville is also from the Roslyn School Committee.

M. MORIN: Est-ce que nous pourrions demander à nos invités de faire lecture également des modifications qu'ils proposent?

MME ARREY: C'est cela que j'avais demandé. Mr Polack va continuer pour moi.

M. MORIN: Très bien.

M. POLACK: M. le Président, on a pensé de soumettre des amendements d'une manière positive quant au texte.

D'abord, quand on commence avec le préambule, nous avons suggéré d'ajouter les mots: "Attendu que l'anglais est une des deux langues officielles du Canada et que l'intention de la présente loi n'est nullement de porter atteinte au droit à l'usage de la langue anglaise..." Ensuite, je vais prendre seulement la section la plus importante quant à nous. A l'article 8, du bill 22, nous suggérons l'amendement suivant: "Une version anglaise de textes et documents officiels sera fournie sur demande. En pareil cas, et sauf les exceptions prévues par la présente loi, seule la version française est authentique".

On a gardé tout cela. On a simplement dit: II n'y a pas d'obligation de soumettre en même temps les textes français et anglais, mais le texte anglais sera disponible pour ceux qui le demanderont.

Quant à l'article 9 du bill 22, nous suggérons qu'il se lise comme suit: "Si les anglophones constituent 10 p.c. ou plus des administrés des organismes municipaux et scolaires, les textes et les documents officiels de ceux-ci seront rédigés, à la fois en français et en anglais".

En d'autres termes, pour ce qui se fait en français et en anglais présentement, nous suggérons que là où il y a 10 p.c. d'anglophones il y aura obligation de le faire en français et en anglais.

A l'article 10, nous faisons la suggestion suivante: "L'administration publique doit, dans la mesure du possible..." Parce qu'on a pensé, évidemment ici... Il s'agit de l'article qui dit: "L'administration publique doit utiliser la langue officielle..." — c'est donc le français — "... pour communiquer avec les autres gouvernements du Canada et, au Québec, avec les personnes morales". Donc, on a suggéré de dire: "... dans la mesure du possible". Evidemment, il peut y avoir deux institutions de langue anglaise et nous n'avons rien contre le fait que ces deux institutions continuent de communiquer en anglais.

A l'article 13, on a fait la suggestion suivante pour dire que le français et l'anglais sont les langues de communication interne des organismes municipaux et scolaires où les anglophones constituent 10 p.c. des administrés. Encore ici, on dit que, du moment où l'on atteint le minimum de 10 p.c, il faut utiliser les deux langues.

En ce qui concerne les articles 48 à 51, la langue d'enseignement, évidemment, c'est notre position, on a simplement dit: A supprimer. Notre position est que la loi telle qu'elle existe maintenant, le libre choix pour tout le monde doit être maintenu. Evidemment, ceci est sujet à discussion, je le comprends bien.

Maintenant, nous n'avons pas voulu prendre toutes les sections. Nous avons limité nos efforts surtout dans le domaine de la langue de l'éducation. Si nous n'avons rien dit au sujet de la section des affaires, cela ne veut pas dire que nous n'avons pas de remarques à faire à ce sujet.

Nous avons voulu nous limiter strictement aux points les plus importants selon nous.

Donc, nous sautons à l'article 52 et nous nous référons à l'annexe de notre mémoire, parce que, dans nos écoles — et je crois que c'est important de le savoir — dans les écoles protestantes de Montréal, il y a un effort énorme qui est fait maintenant dans le programme de français pour les enfants. Nous avons un programme d'immersion de deux manières: il y a l'immersion qui commence à la maternelle et il y a également un programme d'immersion totale qui commence à la septième année pour ensuite continuer dans les écoles secondaires. Nous avons attaché à notre mémoire des statistiques pour montrer que ce n'est pas seulement une question de mots. Vraiment, par le pourcentage, on peut voir qu'il y a un intérêt énorme et qu'il y a vraiment, de la part de la communauté anglophone, le désir d'apprendre le français; ils font tout leur possible. Evidemment, ils soumettent respectueusement qu'il ne faut pas le faire par la coercition mais plutôt par la persuasion et, apparemment, ils sont absolument de bonne foi. C'est pour cela que nous prétendons que les annexes attachées sont d'une grande importance.

Maintenant, quand on tombe dans la section de la Régie de la langue française, nous vous référons à l'article 62 et à quelques paragraphes, c), d), g) et d'autres, qui, à notre avis, sont d'abord arbitraires ou pourraient être arbitraires, et les pouvoirs de la régie sont peut-être trop étendus quant à nous. Nous suggérons que cet organisme ait un rôle plutôt consultatif. A l'article 67 du projet, nous suggérons ici un amendement qui se lirait comme suit: Que ces listes servent d'unique critère pour l'application des articles 9, 13 et 53. Donc on enlève les mots "ces listes qui sont incontestables", parce que, quant à nous, il faut qu'il y ait toujours le moyen de ce pouvoir d'appel d'une décision. Quant à la régie même, nous osons soumettre respectueusement, M. le Président, que la régie soit composée de neuf membres dont deux représentent la communauté anglophone. Ces membres comprennent le président et deux vice-présidents, dont l'un représente la communauté anglophone. L'idée, c'est que, quand on prend le pouvoir assez étendu de la régie, on soumet qu'il devrait y avoir une représentation de l'élément anglophone dans cette régie pour qu'au moins, quand il s'agit de juger quelques problèmes, elle puisse aussi soumettre son point de vue. Il peut y avoir, par exemple, des enquêtes dans le texte de la loi tel quel. Très souvent, il se peut qu'un membre de la régie, qui est de langue anglaise ou anglophone, présente des idées, comme dans le cabinet, par exemple, on a des ministres de langue anglaise, des anglophones. Je suis certain qu'ils représentent aussi bien les intérêts des Québécois que les ministres de langue française.

Il n'est pas indiqué dans le texte que tous les membres des francophones. Nous soumettons

respectueusement qu'il faut qu'il y ait deux membres de la communauté anglophone. Maintenant, à l'article 75, le quorum de la régie, nous soumettons encore ici que le quorum est constitué de cinq membres, dont le président et un vice-président, et au moins un des membres présents représente la communauté anglophone, parce que, dans le texte actuel, on a neuf membres. Si on a un quorum de trois membres, cela veut dire qu'ils peuvent venir ensemble et prendre des décisions sans que les six autres soient même au courant de ce qui se passe. En augmentant le quorum à cinq membres, dont le président et un vice-président, au moins, il n'y aurait pas ce problème.

Maintenant, pour être conséquent, on a suggéré, à l'article 76, un amendement selon lequel la régie peut siéger simultanément en plusieurs divisions composées chacune d'au moins trois membres, lesquels sont désignés par le président. Nous suggérons l'amendement suivant :

Les recommandations de chaque division doivent être ratifiées par la régie. Donc, la section peut faire des recommandations qui doivent être ratifiées par la régie telles quelles.

Article 88. C'est l'article qui parle des enquêtes. L'article dans le texte présent dit: Toute personne ou tout groupe de personnes peut demander une enquête. Nous suggérons le texte suivant: Toute personne ou groupe de personnes peut demander une enquête, qui ne se poursuivra qu'après que les deux parties en cause auront été entendues lors de l'audience préliminaire. En d'autres termes, si quelqu'un, peut-être pour des motifs vexatoires, veut demander une enquête, au lieu de commencer tout de suite avec cette enquête, qu'il y ait une sorte d'audience préliminaire où l'autre partie sera entendue pour s'expliquer et peut-être, dans beaucoup de cas, on pourra décider qu'il n'y aura pas d'enquête du tout.

Nous suggérons également que le titre 5 de la loi sera désormais un titre séparé pour prévoir le droit d'appel. En d'autres termes, qu'il n'y ait pas de décision du ministre de l'Education et du cabinet, mais de tous ces organismes administratifs, qu'il y ait un appel général possible aux tribunaux. Dans notre suggestion le titre 5 doit redevenir le titre 6 et ensuite on suggère de supprimer les articles 115, 116, 118 et 124 qui sont la conséquence de l'abrogation de la loi 63.

M. le Président, en quelques mots, nous sommes venus ici pour montrer que nous ne sommes pas là pour attaquer cette loi ou le principe de la loi, mais que nous croyons fortement qu'en travaillant ensemble, francophones et anglophones, on pourra trouver une loi qui soit acceptable pour tout le monde. Encore une fois, nous insistons là-dessus, nous avons attaché les deux addenda pour donner des renseignements au point de vue pratique d'année en année pour montrer le pourcentage d'enfants qui suivent maintenant ces cours d'immersion et pour vraiment devenir bilingues et être capables de jouer un rôle dans le Canada.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Est-ce qu'il y a d'autres commentaires de la part des organismes?

M. ROBB: Je pense que Mme Vibien est...

MME VIBIEN: Je vais lire notre introduction pour nous identifier.

Mémoire des parents de Roslyn School sur le projet de loi 22. Ce mémoire est présenté respectueusement à la commission parlementaire par le comité d'école et le Home and School Association de Roslyn School.

Roslyn est une école élémentaire protestante de 850 élèves. Elle tient aussi le second rang parmi les écoles élémentaires du Bureau métropolitain des écoles protestantes de Montréal et son Home and School Association compte un nombre d'adhérents parmi les plus élevés de toutes les associations appartenant à la Quebec Federation of Home and School Association.

Roslyn a fait oeuvre de pionnier dans le domaine d'immersion précoce au programme du français, grâce en grande partie aux efforts résolus des parents. Ceux-ci, bien que désireux de pourvoir leurs enfants d'une solide éducation anglaise étaient aussi résolus à ce qu'ils acquièrent l'aisance en français et ainsi les mettre à même de participer pleinement à la vie de cette province. Actuellement, il y a 553 enfants au programme d'immersion en français où ils s'instruisent uniquement en français jusqu'en troisième année lorsque 31 p.c. d'enseignement anglais est amorcé suivi par 50 p.c. d'anglais en quatrième jusqu'à la sixième. Ceux qui ne participent pas à ce programme reçoivent cependant une instruction enrichie de français et ils continuent souvent par un programme d'immersion à la septième année.

Nous croyons devoir attirer votre attention sur ces points afin d'établir positivement notre intérêt pour le français et démontrer notre soutien aux objectifs du projet de loi 22 de présenter la langue française et de promouvoir son épanouissement et sa qualité. Dans notre rôle de parents, nous vous présentons donc les observations et recommandations suivantes quant aux paragraphes du projet de loi 22 qui traitent de l'enseignement...

LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci. J'invite le ministre de l'Education à poser la première question.

M. CLOUTIER: Je remercie le comité de parents du PSBGM ainsi que le comité d'école de l'école Roslyn pour la présentation de leur mémoire. Je constate qu'il s'agit là, en quelque sorte, d'une position commune. Je crois que ces deux groupes doivent être conscients que les amendements qu'ils suggèrent changeraient du tout au tout l'économie et la portée de la loi. Il est certain que le projet de loi 22 fait du français la langue officielle et se trouve à restreindre l'usage de l'anglais. C'est d'ailleurs son objectif et les modifications proposées iraient à l'encontre même de cet objectif.

Cependant, je pense que le gouvernement tiendra compte en particulier de la section qui porte sur la régie. Il me semble y avoir des recommandations intéressantes de ce point de vue. J'en profite pour apporter une précision en ce qui concerne les classes d'immersion dans le secteur anglophone. Ce n'est pas du tout l'esprit de la loi de vouloir supprimer ces classes d'immersion; bien au contraire. Elles ont joué un rôle extrêmement important et continuent de jouer un rôle extrêmement important. Je sais pertinemment que c'est une occasion pour les anglophones dans ce secteur d'acquérir une bonne connaissance de la langue française. Si, par hasard, le texte de la loi, tel que rédigé, n'est pas assez clair de ce point de vue, il sera facile, en commission élue, d'apporter les précisions nécessaires. J'aurai une seule question, sans vouloir engager de débats juridiques, mais je crois qu'il est tout de même nécessaire de mettre les choses au point. Cette question est en rapport avec la page 2 du mémoire du comité d'école de l'école Roslyn, alors qu'il est dit: "II importe que la législation qui mène à cette fin n'enfreigne les droits et privilèges établis selon la Loi de l'Amérique du Nord britannique, particulièrement aux paragraphes 93 et 133 et la Loi sur les langues officielles." Je ne sais pas si c'est une simple remarque générale ou bien si c'est un jugement selon lequel le projet de loi 22 enfreindrait ces droits. J'aimerais simplement un éclaircissement que vous m'avez déjà donné, semble-t-il, par votre mimique.

MME VIBIEN: Premièrement, je crois que la traduction n'est pas très bonne. Nous avons écrit: "Insofar as", qui, je crois, est traduit par "dans la mesure que". C'est un effort de notre part de définir comment nous voyons la langue officielle. Alors, la façon dont nous le voyons, c'est le français partout et, dans certains endroits, il y aurait de l'anglais, aux endroits qui sont cités dans l'article 133, aux articles qui sont cités dans la Loi des langues officielles, et à l'article 93, le privilège qui existe selon lequel nos commissions scolaires peuvent donner l'instruction en anglais.

M. CLOUTIER: Ecoutez, il faudrait peut-être s'entendre. Je serai très bref. Pour ce qui est de l'article 133, il n'y a pas de problème puisque l'article 133 n'est pas modifié. C'est là un choix délibéré de la part du gouvernement parce qu'il couvre, en quelque sorte, les droits individuels. Le gouvernement, même en assurant la primauté du français, n'a pas voulu toucher aux droits individuels sur le plan des communications. En ce qui concerne l'article 93, il s'agit là d'une protection qui touche uniquement la confessionnalité. Les juristes, y compris probablement celui que vous avez à votre droite, seraient sans doute de cet avis. D'ailleurs, même si ce n'était pas le cas, ça n'entamerait pas en soi le projet de loi. En ce qui concerne la Loi sur les langues officielles, c'est une loi fédérale qui porte sur les activités du gouvernement fédéral, sur les domaines de sa compétence. Il s'agit, par conséquent, d'un bilinguisme dans les institutions fédérales. Il n'y a pas, de notre point de vue, incomptabilité à ce que le Québec proclame le français langue officielle. Je m'arrête là et je vous remercie.

LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, merci également, au nom de l'Opposition, aux membres du Comité central des parents d'élèves du Protestant School Board of Greater Montreal et de l'école Roslyn. Je vous remercie de ce mémoire qui constitue une marque de plus indiquant que le ministre de l'Education n'a reçu jusqu'ici — nous en sommes dans notre quatrième semaine — aucun appui à son projet de loi qui provienne du monde de l'éducation, que ce soient des commissaires, des enseignants, des comités de parents, des cadres scolaires. Tout le monde, dans ce domaine, sans aucune exception, a dénoncé le projet de loi du ministre.

Votre contribution n'est donc pas inutile pour la suite des travaux qu'il nous restera à faire. J'ai deux questions à vous poser. La première porte — je l'ai tirée du même passage que soulignait le ministre de l'Education tout à l'heure — sur le point où vous affirmez: "We are part of a country that has two official languages, French and English".

Vous me permettrez de précéder ma question d'un très court commentaire. Vous n'êtes pas non plus le premier groupe à utiliser cette référence à la Loi des langues officielles — le premier groupe anglophone, devrais-je dire — comme étant une contradiction avec le geste modéré que pose le gouvernement actuellement.

Nous avons, du côté de l'Opposition, toujours cherché à trouver terrain où pareille comparaison peut se maintenir et on n'a jamais réussi à le faire avec aucun groupe. Mais cela me fait réfléchir à nouveau sur cette utilisation de la Loi des langues officielles et ce qu'elle était effectivement.

Lorsque le premier ministre du Canada l'a présentée, il y a quelques années, il y a beaucoup de gens qui ont dit: C'est un attrape-nigaud pour les francophones. En fait, cela ne changera rien dans la réalité sociologique des provinces immensément anglophones et cela servira de prétexte aux anglophones du Québec pour maintenir leurs privilèges en disant: Vous voyez, dans les autres provinces, le français est maintenant officiel. Il y avait des gens qui dénonçaient ce projet de loi comme étant un vaste truc politique de séduction que faisait le premier ministre du Canada pour couper court à un mouvement d'indépendance.

Il me semble aujourd'hui que c'est malheureusement un de ses alliés les plus soumis, les

plus fidèles, le gouvernement provincial, qui nous donne l'occasion de faire la preuve de ceux qui soutenaient cette thèse au moment de la présentation de la Loi sur les langues officielles. Les seuls qui ont fait référence, contre le projet de loi à cette Loi sur les langues officielles sont effectivement les anglophones du Québec qui sont venus nous dire: Ailleurs, le français est langue officielle. Ce n'est pas vrai, le français n'est pas langue officielle ailleurs. Il l'est dans les institutions fédérales. En théorie, vous pouvez toujours, demain matin, vous présenter au bureau de poste de Prince Albert, Saskatchewan, et exiger de vous faire servir en français. Bonne chance! En théorie, vous avez ce droit. Mais le Manitoba n'a qu'une langue officielle depuis 1890 et c'est l'anglais. Il n'a pas hésité, et d'ailleurs il a pris deux articles pour le faire: le premier annonçait l'anglais comme langue officielle et le deuxième donnait la date d'entrée en vigueur. Il n'y a pas eu d'exception, pas de "néanmoins", ni de "toutefois", ni de "quoique". On y est allé sans...

Le Nouveau-Brunswick, même avec une minorité imposante de francophone, n'a qu'une langue officielle, n'a qu'un système d'enseignement et il est anglophone. Le reste, ce sont des clauses bien spéciales. Et encore, ne sont-elles pas toutes entrées en vigueur.

Cette référence à la Loi sur les langues officielles, est-ce qu'elle n'entre pas en contradiction avec la réalité des neuf autres provinces canadiennes? N'avons-nous pas le droit — je ne prétends pas que la loi 22 le fait — même chapeautés par cette Loi sur les langues officielles qui concerne les institutions fédérales, de faire ici ce que chacune des neuf autres provinces a fait à l'égard de sa majorité, c'est-à-dire décréter la langue de la majorité comme étant la langue officielle de cette province, établir la langue d'enseignement de cette province selon la langue de la majorité et prendre toutes les mesures possibles pour que la langue de la majorité devienne et soit effectivement — vous ne le contesterez pas dans les neuf autres provinces — la langue de travail, la langue d'affichage, la langue de vie quotidienne, la langue sociale?

Tout en demeurant dans l'hypothèse canadienne que, j'imagine, vous soutenez, puisque vous avez fait référence à cette appartenance que nous avons au Canada, même tout en soutenant cette théorie canadienne que, pour ma part, je ne soutiens plus, mais pour entrer dans la logique de votre mémoire, où est cette obligation pour le Québec ou cette interdiction au Québec de procéder chez lui de la même façon que les neuf autres provinces ont pu procéder, même sous la Loi sur les langues officielles?

M. POLACK: II y a ici un des membres qui va répondre, M. le député.

MME ARREY: Allez, M. Robb.

M. ROBB: Je ferai simplement une petite suggestion. Je pense que nous sommes ici, à Québec, pour régler notre problème concernant le bill 22. Nous sommes des Québécois parlant anglais.

M. CHARRON: Ce n'est pas moi qui ai fait la référence, c'est vous.

M. ROBB: Faite simplement des suggestions. Il sera nécessaire de régler les problèmes de notre propre situation, ici à Québec. Si le raisonnement du bill 22 est de prendre une revanche ou de susciter une réaction de la part des autres provinces, je pense que le bill 22 ne vaut rien. Pour ma part, je pense simplement que nous sommes venus ici pour régler des problèmes. Je ne peux pas expliquer. Il y a de la discrimination ici, à Québec, il y a de la discrimination dans d'autres provinces.

J'espère que le bill 22 contribuera à éviter cette discrimination. C'est pourquoi, je pense, notre comité soumet ce mémoire.

M. CHARRON: J'admets votre réponse, mais vous admettez avec moi qu'elle est curieuse, après avoir été vous-mêmes les initiateurs de cette référence au Canada. J'ai l'impression que plusieurs groupes anglophones ont fonctionné de la même façon que vous fonctionnez ce matin, à la table de la commission. Ils abondent en références au succès du français dans les autres provinces depuis la Loi sur les langues officielles, à l'ouverture d'esprit que l'on manifeste dans les autres provinces.

Mais les membres de la commission viennent parfois un peu refroidir les esprits en donnant des statistiques d'assimilation ou en disant: Est-ce que vous enviez la situation des minorités francophones dans les autres provinces? Là, on nous prie de ne plus soutenir la comparaison avec le Canada. Cela fait jusqu'à ce qu'on retourne la comparaison et qu'on montre ce qui, ici, je pense, des deux côtés de la table, apparaît comme une réalité, c'est-à-dire que le Canada est une réalité sociologique anglo-saxonne où sont disséminées, à quelques endroits, des minorités qui vivotent. Personne va nous faire croire que, depuis la Loi sur les langues officielles, le français a fait un bond prodigieux en Saskatchewan. Même si, demain matin, vous me disiez qu'il y a un CEGEP français à Calgary-Sud, cela ne changera en rien, quant à moi à mon intérêt à défendre le français là où il est majoritaire. Tant mieux si les francophones de la Colombie-Britannique réussissent à "grenouiller" une école à cinq places, dans le fond d'un rang. Tant mieux, je le souhaite pour eux. Mais si cela leur est donné et que cela leur arrive à n'importe quel coin, ce n'est pas une raison pour m'arrêter.

Quand vous faites référence à cette appartenance canadienne, est-ce que vous, comme minorité, vous accepteriez le régime de membre d'une minorité au sein du Québec? Puis-je faire cette référence?

M. ROBB: Je n'aime pas les définitions de "minorités" ou de "majorités".

M. CHARRON: Je le sais. C'est la définition même d'une minorité de ne pas aimer ce genre de comparaison.

M. ROBB: Pour aller à la base de la question, le Canada est un fait. Quand, dans notre mémoire, nous avons fait référence à l'Amérique du Nord, c'était un fait et c'est notre responsabilité. Comparons. Pour préparer nos enfants à soutenir la concurrence en Amérique du nord, je fais référence au Canada. Franchement, je ne suis en aucune façon nationaliste. Je demande les droits d'une personne — comme le Dr Cloutier s'y est référé plutôt — les droits individuels, le droit d'éviter de la discrimination, mais si on veut parler des droits de groupes minoritaires, je pense que cela change un peu la discussion et lui fait prendre une direction qui donne une vraie solution.

M. CHARRON: Cela me fait très drôle d'entendre de la part d'un Anglo-Saxon... Je crois que vous êtes Anglo-Saxon.

M. ROBB: Ecossais.

M. CHARRON: Cela me fait très drôle d'entendre...

M. ROBB: Québécois depuis 150 années.

M. CHARRON: ... un Québécois d'origine écossaise nous demande de faire abstraction de cette référence à la majorité ou à la minorité, s'il y a un peuple et une civilisation qui ont contribué à édifier tout leur régime politique, économique, social en fonction de cette règle de la majorité et de la minorité, si nous fonctionnions ici dans des institutions britanniques où la règle fondamentale est celle où la majorité impose sa volonté à la minorité, je trouve cela très curieux. Je dirais même que c'est un déchirement de racines que vous êtes en train de nous faire. Vous nous avez appris à dire: Quand la majorité décide, la minorité se plie. Nous l'avons toujours fait dans le Canada, notez bien, parce que nous avons toujours été une minorité. Nous nous sommes toujours pliés, enfin, jusqu'à ce qu'on décide d'être une majorité là où nous le sommes.

Mais actuellement, que vous nous priiez, au moment où on discute d'une question très importante, où majoritaires chez nous, nous sommes minoritaires et fortement sur un continent, nous pensons à protéger notre langue, vous nous dites: Oubliez ces distinctions artificielles de majorité et de minorité et parlons de Québécois. Encore une fois, je trouve que vous soutenez souvent des arguments que, au moment où ils ne commencent plus à vous servir exactement comme vous voudriez, vous travaillez vous-même à la discréditer, même s'ils vous ont servi pendant un bout de temps à vous rendre là où vous êtes et à nous parler sur le ton dont vous nous parlez qui, notez bien, est beaucoup plus modéré et poli que ne l'ont fait les commissaires du Protestant School Board of Greater Montreal que nous avons entendus la semaine dernière.

M. ROBB: Ceci est tout simplement un commentaire. Je pense que nous nous sommes éloignés de la discussion. Mais je pense que c'était une explication des institutions britanniques de dire qu'elles adoptaient des positions de règle majoritaire. Vraiment, il y a plus que cela dans la constitution britannique. Il y a des défauts, bien sûr. Mais il y a autre chose, et une des choses dans la constitution britannique, c'est la capacité des individus et des minorités de s'exprimer, parce qu'on le fait depuis des années, c'est un endroit où on s'attache aux minorités.

M. CHARRON: Puis-je vous donner un tout petit exemple avant ma dernière question de ce que je veux dire quand je dis que vous abandonnez facilement la théorie de la majorité et de la minorité? Vous suggérez comme amendement — c'est le chef de l'Opposition qui me le signalait tout à l'heure — à l'article 75, que le quorum de la régie — selon vos amendements — est constitué de cinq membres dont le président et un des vice-présidents. Au moins un des membres présents représente la communauté anglophone. Cela veut dire que, si un des membres présents ne représentait pas la minorité anglophone, mais qu'il y aurait majorité des membres de langue française de la régie, vous paralyseriez les travaux de la régie ou les décisions de la régie, parce que la minorité ne serait pas représentée. Vous voyez! Vous allez même jusqu'à vous garder un droit de veto. Enfin, je ne veux pas entrer en discussion sur votre amendement à la régie, de toute façon pour l'importance que la régie elle-même aura à appliquer une loi aussi insatisfaisante, mais c'est simplement pour vous montrer l'état d'esprit qui arrive souvent. C'est que vous nous demandez de faire abstraction de majorité et de minorité, et vous réservez, à ce moment, à une minorité un pouvoir qui peut complètement bloquer le processus...

M. POLACK: Est-ce que je peux répondre à cela, M. le député?

M. CHARRON: Oui.

M. POLACK: Vous avez mal compris ce texte. Ce n'est pas du tout ce qu'on a dit, à savoir qu'on aura un représentant et on bloquera le travail. Vous avez fait un discours politique. Nous sommes venus ici, ce matin, pour échanger des idées de manière positive. C'était notre attitude dès le commencement. Quand on a dit, M. le député: Au moins un des

membres représente la communauté anglophone, on a voulu, simplement avoir une représentation parmi ces cinq. Vous êtes encore avec quatre contre un. C'est tout, si vous commencez à compter. Donc, je prends exception au fait que vous, vous prenez un article de cette représentation sur lequel nous avons fortement travaillé...

M. CHARRON: Ecoutez...

M. POLACK: ... d'une manière positive, et vous, vous prenez cela et vous accusez notre groupe ici d'avoir encore des éléments de colonialisme, etc. Nous n'avons pas fait de discours politique. Vous en avez fait un. Je pensais qu'on était venu ici pour répondre intelligemment à vos questions. Nous sommes prêts à répondre à ces questions, M. le député.

M. CHARRON: Ecoutez...

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, messieurs! Si le député de Saint-Jacques me le permet, je note que la discussion prend l'allure d'un débat. Je note également qu'il reste environ quatre minutes à l'Opposition. J'inviterais le député à poser ses questions.

M. CHARRON: Bon! Je vais en avoir une dernière. Mais vous ne me ferez quand même pas dire que votre article 75... Ce n'était peut-être pas votre intention, mais tel qu'il est écrit actuellement...

M. POLACK: Nous sommes de très bonne foi!

M. CHARRON: ... Bon! Tel qu'il est écrit, alors vous l'avez mal écrit...

M. POLACK: On va le refaire.

M. CHARRON: C'est comme la loi 22. Elle a été mal écrite. Bon!

M. POLACK: Tous ensemble.

M. CHARRON: Bon! Ce sera à refaire.

Je veux vous poser une dernière question au sujet du chapitre de la langue d'enseignement que vous suggérez. Vous suggérez ni plus ni moins de retirer le chapitre en entier, et vous déclarez comme droit fondamental — ce qui n'a été reconnu nulle part — le libre choix de l'école d'enseignement.

Le ministre vous a donné la garantie que, dans votre système scolaire, le secteur anglophone pourra toujours maintenir des initiatives pédagogiques comme les classes d'immersion. Le bill 22, devrait-il être appliqué demain matin, ne vous l'interdit pas. Donc, une peur de moins.

Deuxièmement, est-ce qu'il y a quelqu'un qui vous a parlé de vous retirer votre libre choix, comme vous appelez cela, à vous, anglophones? Est-ce que vous avez entendu un des deux partis politiques, membres de cette Assemblée nationale — et même celui qui est absent ce matin — est-ce que vous avez entendu des gens dire que les anglophones n'auraient pas le droit d'aller à l'école française? Nous fonctionnons avec la théorie de la majorité et de la minorité et nous pouvons estimer qu'une majorité peut fermement inciter une minorité à partager sa vie culturelle dans tout le respect de sa propre vie individuelle, mais il n'est aucunement question de retirer le libre choix aux anglophones. Vous êtes encore une fois partis, il me semble, sur une mauvaise interprétation de la loi. Personne, encore moins la loi, et encore moins les propositions inverses de l'Opposition ne visent à vous retirer ce libre choix. Ce dont nous parlons, c'est du libre choix des francophones et ce sont les francophones eux-mêmes qui ont défilé à cette table et tous ceux qui ont abordé cette question, à quelques exceptions près, nous ont demandé de retirer ce libre choix parce qu'ils considèrent que cela met leur vie en danger.

Vos écoles ne sont pas en danger. Tout le monde s'engage autour de cette table à maintenir le secteur anglophone à sa taille actuelle, tel qu'il est, avec sa croissance normale, selon la minorité anglo-saxonne de 13 p.c. que comporte le Québec. Personne ne veut vous interdire d'envoyer vos enfants à l'école française si, par hasard, vous jugez la méthode d'immersion que vous vantez inefficace. Qu'est-ce que vous exigez de plus?

M. CLOUTIER: Un point de règlement, M. le Président.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le ministre de l'Education sur un point de règlement.

M. CLOUTIER: Je me permettrai seulement de suggérer au député de Saint-Jacques de parler pour son parti politique et de cesser de toujours utiliser tous les membres de la commission à l'appui de ses thèses.

M. CHARRON: Ce que vous ne pouvez pas faire, je pense.

M. MORIN: M. le ministre, est-ce que vous voulez dire que vous êtes en désaccord sur ce que vient de dire le député de Saint-Jacques?

M. CLOUTIER: Pas du tout. Mais je pense que c'est une habitude qu'il a prise et, lorsqu'il y aura un débat, nous ferons le débat. Je crois que la personne qui a réagi tout à l'heure avait parfaitement raison, selon le sens de nos règlements, de bien indiquer qu'on n'était pas ici pour faire des discours, mais pour se laisser éclairer lors de la présentation d'un mémoire. A cinq ou six reprises depuis un certain temps, le député de Saint-Jacques, à l'appui de ses thèses

qu'il pourra défendre en temps et lieu, essaie d'agrandir son espèce de consensus.

Je ne veux pas prononcer de jugement de valeur pour ou contre, mais je lui suggère tout simplement de parler pour sa paroisse et de nous laisser nous occuper de la nôtre.

M. CHARRON: Je crois que je commence à avoir autant d'appuis dans le cabinet que le ministre de l'Education.

M. CLOUTIER: Est-ce que le journal des Débats va enregistrer le rire qu'on vient d'entendre parce qu'il est significatif?

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Gouin.

M. BEAUREGARD: J'aurais une ou deux questions courtes à poser, particulièrement sur le mémoire des comités de parents de l'école Roslyn. A la page 1, je note que vous dites: "Roslyn is a Protestant elementary school serving 850 children." Un peu plus loin, vous dites: "At present, 553 children are in the French immersion program." Est-ce que ce sont bien les chiffres exacts? Vous voulez dire qu'il y a 553 enfants sur 850 enfants qui font partie du programme d'immersion?

MME VIBIEN: 553 enfants sont dans les classes d'immersion.

M. BEAUREGARD: Vous avez, en somme, au-delà de 60 p.c. de vos étudiants qui suivent des cours d'immersion...

MME VIBIEN: Oui.

M. BEAUREGARD: ... c'est-à-dire le français exclusivement jusqu'à la troisième année, etc.

MME VIBIEN: C'est cela.

M. BEAUREGARD: Bon. Ma question serait la suivante. Il est évident que ces enfants seront certainement capables d'utiliser la langue française d'une façon fonctionnelle à la fin de leurs études élémentaires. D'autre part, nous avons vu ici des associations, particulièrement francophones — je crois que c'étaient uniquement des associations francophones — qui sont venues nous exposer les dangers d'enseigner une langue seconde à un âge trop tendre.

Ces associations, il y en a eu plusieurs, ont même cité des auteurs, des experts, selon lesquels c'était très dangereux, que cela mélangeait les structures de la langue maternelle dans l'esprit des enfants et que c'était vraiment très menaçant pour la langue maternelle.

H est évident que des spécialistes défendent la thèse inverse. Par exemple, le Dr Penfield, à ma connaissance, dit au contraire que l'enseignement de la langue seconde doit se faire à un âge très tendre, même à l'âge, de trois ou quatre ans. Vous ne semblez pas, et c'est la même chose pour le comité des parents du Protestant School Board of Greater Montreal, craindre ce danger, puisque vous enseignez le français, même à l'école maternelle. Il y a des avantages évidents à le faire, je veux dire que les enfants deviennent bilingues rapidement. J'en arrive à ma question, il y a déjà cinq ou six ans que vous le faites, quels sont les résultats jusqu'à maintenant? Est-ce que vous avez noté des inconvénients sérieux à cela?

M. ROBB: Je crois que je peux répondre à cette question. Je suis père de trois enfants qui ont participé à des programmes d'immersion depuis six ou sept ans. J'ai eu l'occasion, comme membre de Bureau protestant, de regarder les résultats. Jusqu'à maintenant, on peut dire qu'il n'y a aucun résultat sérieux, et peut-être un avantage. Les enfants qui ont suivi ce cours étaient un peu plus créateurs. Vraiment, on doit regarder ce cours d'immersion comme une expérience qui va devenir de moins en moins une expérience comme ce fut le cas, les années passées. Pendant l'expérience d'implantation de ces cours d'immersion, j'ai trouvé que les éducateurs avaient beaucoup de théorie, mais aucune pratique, aucune expérience. Nous regardons ces cours comme une expérience qui peut aider toute la province. Il y a des questions qui peuvent aider les enfants dont la langue maternelle est le français, je ne sais pas. Mais c'est à quelqu'un d'autre de faire ces expériences dans cette cause. J'ai entendu toutes les théories qui sont présentées, et je ne peux voir aucune expérience aussi complète que l'expérience qui a été faite par le Bureau protestant dans ce domaine, et aussi par les autres commissions scolaires. La première classe d'immersion était à Saint-Lambert sur la rive sud.

M. BEAUREGARD: Vous dites que vous n'avez noté aucun inconvénient sérieux. Est-ce que vous avez noté certains inconvénients, même s'ils ne sont pas très sérieux?

MME DOMVILLE: Les problèmes des normes, c'est très difficile à administrer, parce qu'il faut diviser les classes; alors, il y a des problèmes au point de vue des administrateurs qui sont énormes. Nous, comme parents, nous sommes très satisfaits des résultats que nous avons obtenus jusqu'à maintenant.

M. BEAUREGARD: Maintenant, je parle d'inconvénients au niveau des enfants. Sous l'administration, il est possible qu'il y ait des inconvénients. Est-ce que vous en avez noté...

MME DOMVILLE: Au point de vue des parents, non.

M. BEAUREGARD: ... au niveau de l'apprentissage, par exemple, de la langue anglaise, ou au niveau des enfants eux-mêmes?

M. ROBB: Dans le cas des enfants inadaptés, il y a un problème sérieux parce qu'il n'y a aucun cadre professionnel français qui peut nous aider. Nous avons essayé d'en trouver pendant les deux ou trois premières années. Pour une expérimentation correcte, il faut qu'on applique des mesures à tous les enfants, mais ces enfants ont des problèmes et nous n'avons pas, dans le cadre du Bureau protestant, l'assistance nécessaire.

M. BEAUREGARD: Je note ici — une dernière question rapidement — dans votre mémoi-re, que vous avez augmenté proportionnellement, aussi bien à la maternelle qu'à l'école élémentaire, la proportion des étudiants qui suivent des cours d'immersion en français. C'est passé de 2 p.c. à la maternelle en 1968-1969 à 18 p.c. en 1973-1974. Au niveau de la septième année, il y en avait 5 p.c. en 1969-1970 et 34.5 p.c. en 1973-1974, soit 1,567 étudiants. Cela est pour l'ensemble du Protestant School Board, si je comprends bien, au-delà du tiers, en somme. Si cette proportion grandissante se maintient au cours des cinq prochaines années, j'imagine que tous les étudiants ou presque tous suivront ces cours d'immersion et seront tous, déjà en septième année, tout à fait bilingues, à toutes fins pratiques, ou pourront certainement utiliser la langue française d'une façon fonctionnelle et compétente. Est-ce que je peux vous demander si vous avez l'intention de continuer à donner ces cours d'immersion et de continuer à les offrir à un nombre de plus en plus grand d'élèves?

M. POLACK: Si je peux répondre à cette question, M. le Président, c'est qu'il n'y aucun doute que le pourcentage augmente rapidement. Vous constatez, par exemple, que nous sommes déjà à 34.5 p.c. pour l'année 1973 et, pour 1974, ce sera encore plus. J'ai moi-même trois enfants qui sont tous les trois dans ce système. J'ai un garçon qui a seize ans, qui est donc dans le premier groupe et qui a commencé l'immersion en septième année. Il a continué cette immersion à l'école secondaire où on donne 60 p.c. en anglais et 40 p.c. de tout le programme en français. Et cela, sans la nécessité d'un bill de la part du gouvernement, c'était simplement l'intention des parents. C'est nous qui avons mis la pression sur la régie scolaire protestante de Montréal pour commencer ce programme il y a cinq ou six ans.

M. BEAUREGARD: Est-ce que vous avez l'impression que les parents vont continuer à demander ce programme et en nombre grandissant?

M. POLACK: Oui, ils vont continuer. Evidemment, je soumets que tous ces enfants, quand ils auront fini ce programme, seront plus ou moins bilingues.

M. BEAUREGARD: Oui, mademoiselle?

MME ARREY: Vous devriez entendre les jeunes qui sortent du secondaire et qui ont passé par l'immersion. C'est un plaisir.

M. CLOUTIER: Je le sais pour être allé visiter ces classes et c'est remarquable comme résultat. Il est bien évident que, plus il y aura d'anglophones qui parleront français, plus le fait français s'en trouvera renforcé au Québec.

M. BEAUREGARD: C'est certain. Je vous remercie, M. le Président. C'était ma dernière question.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jean.

M. VEILLEUX: J'ai une question à poser aux représentants qui sont devant nous ce matin. D'abord, je tiens à vous dire globalement que vous arrivez probablement aux mêmes conclusions que le PSBGM et que votre présentation est très bonne. Je tiens à vous en féliciter.

J'aurais quelques questions à vous poser concernant le test pédagogique qu'on a inclus dans le projet de loi 22. Est-ce que, fondamentalement parlant, vous voyez un inconvénient à de tels tests pédagogiques pour un étudiant qui décide de passer d'un secteur à un autre? Parce qu'assez souvent on reproche au projet de loi 22 de restreindre la liberté des anglophones ou des francophones, compte tenu qu'on y inclut un test pédagogique lorsqu'ils veulent passer d'un secteur d'enseignement à l'autre. Est-ce que vous voyez réellement une contrainte dans ce choix de liberté ou si c'est uniquement un critère d'évaluation pour pouvoir classer, comme on se doit, l'étudiant qui passe d'un secteur à l'autre?

M. POLACK: Si je peux répondre à cette question, d'abord, quand vous nous félicitez pour la présentation de notre mémoire, je vous remercie, vous le comparez avec la régie elle-même. Nous n'étions pas d'accord sur celui présenté par la régie en principe, parce qu'à notre avis, c'était beaucoup plus négatif que la nôtre. Nous pensons vraiment que notre présentation est positive, nous ne sommes pas ici pour attaquer cette loi, la détruire, nous essayons de défaire vos arguments, mais d'une manière positive. C'est pour ça que j'ai pris en exception les remarques du député de l'Opposition. Vraiment, tous ceux qui ont travaillé sur ce mémoire sont de bonne foi et prêts à coopérer.

Maintenant, au point de vue du test, évidemment, dans notre idée, il faut avoir le libre choix, pour les parents, de décider à quelle école ils veulent envoyer leurs enfants. J'ai bien l'impression qu'on ne nous donnera plus le bill 63 tel quel. Disons que s'il y a, dans le texte de loi telle qu'il existe maintenant... On passe au système de tests, on a peur, encore une fois, qu'il y ait des décisions arbitraires qui peuvent varier d'une régie à l'autre ou, au moins, il faut

comme aux anglophones, ne l'enlève qu'aux immigrants qui ne s'expriment, comme monsieur le mentionnait, ni en français ni en anglais, s'ils viennent des Pays-Bas, par exemple, ou...

M. POLACK: Evidemment, pour les immigrants, il n'y a pas de choix du tout. Donc, si j'étais venu des Pays-Bas, j'aurais été obligé de suivre le cours primaire, admettons que j'arrive comme jeune enfant, dans une école française. Tandis que peut-être mes parents auraient voulu m'inscrire dans une école anglaise dans un cours d'immersion où j'apprends les deux langues parfaitement. Pourquoi pas? Aux Pays-Bas, on a appris quatre langues.

M. VEILLEUX: Si vous aviez été un immigrant dont le père ou la mère auraient été de langue anglaise, est-ce que la loi 22 vous aurait enlevé cette liberté de choix?

M. POLACK: Avant que le projet de loi n'ait été déposé, on avait le fameux bill 63. Je considère le libre choix pour tout le monde ou sur une base individuelle de fréquenter l'école qu'on veut fréquenter. C'était le principe. Maintenant on commence donc à restreindre ce principe. Quant à nous...

M. VEILLEUX: A qui on le restreint ce principe?

M. POLACK: D'abord, aux immigrants qui ne parlent ni le français ni l'anglais et qui viennent au Canada, et ensuite pour les deux autres groupes, les anglophones et les francophones. Il n'y a pas moyen de choisir librement l'autre secteur à moins d'avoir préalablement passé le test. C'est le système.

M. VEILLEUX: Tout à l'heure, vous avez dit que vous n'aviez rien contre le principe du test.

M. POLACK: On n'a rien contre le principe, je n'ai pas dit cela. J'ai dit qu'on a suggéré dans notre mémoire, de simplement rayer ce texte, de réaffirmer le libre choix sur une base individuelle. Mais s'il y a la division telle que suggérée dans l'article 48 et suivants et si de tels articles restent dans la loi, et s'il faut vivre avec ce test-là, nous prendrons les mesures pour au moins rendre le test uniforme pour protéger les droits de l'individu, qu'il n'y ait pas d'arbitraire là-dedans, etc.

M. VEILLEUX: D'accord.

M. POLACK: C'est définitivement un deuxième choix.

M. VEILLEUX: D'accord. Merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le chef de l'Opposition officielle. nous informer d'avance quels en seront les standards pour qu'on puisse se préparer ou savoir d'avance que ce sera, j'imagine, uniforme dans la province de Québec.

M. VEILLEUX: Si je vous comprends bien, vous n'avez rien contre le principe d'un test et sur les modalités d'application, où on peut retrouver des dangers, c'est ça?

M. POLACK: En principe, on n'a rien contre ça.

M. VEILLEUX: J'aurais une toute dernière question à vous poser, en tant que parents anglophones. Si un étudiant est de père ou de mère de langue anglaise ou de père et de mère de langue anglaise, est-ce que la loi 22 restreint, pour lui, la liberté de choix?

M. POLACK: Quant à nous, la manière dont on a interprété la loi, il n'y a pas de libre choix. Par exemple, moi-même, je suis immigrant, venu des Pays-Bas au Canada en 1952. J'ai décidé de faire mon cours en droit à l'Université de Montréal parce que je trouvais ça bien normal que, dans une province en majorité de langue française, je doive faire mon cours en français. Donc, il n'y avait pas de question de test, j'ai fait mon possible pour réussir.

M. VEILLEUX: En tant qu'anglophone, de langue maternelle anglaise, est-ce que vous croyez que le projet de loi 22 restreint la liberté aux anglophones?

M. ROBB: Tel que rédigé en ce moment, oui.

M. POLACK: Tel que rédigé, maintenant, oui. Parce qu'on n'a même pas le choix de dire: Je vais envoyer mes enfants dans une école française, à moins de passer le test.

M. VEILLEUX: Si je lis bien le projet de loi, il dit: Pour les citoyens du Québec, de langue française ou de langue anglaise, il y a une liberté de choix assortie de tests pédagogiques pour les immigrants de langue anglaise qui s'expriment en anglais. Cette liberté de choix existe. Là où elle n'existe pas c'est pour les immigrants qui ne parlent ni français ni anglais. C'est comme cela que j'interprète la loi 22.

M. ROBB: Pour le moment, l'article 49 précise: "Les élèves doivent connaître suffisamment la langue d'enseignement pour recevoir l'enseignement dans cette langue". Cela cause un vrai problème pour les cours d'immersion et, d'après nous, cela nous cause un problème de liberté de choix.

M. VEILLEUX: Vous ne croyez pas que cet article que vous venez de lire laisse quand même la liberté de choix complète aux francophones

M. MORIN: Mesdames, messieurs, il faut que vous sachiez tout d'abord qu'en ce qui concerne la législation déléguée, qui se trouve implicitement et même explicitement dans le projet de loi, l'Opposition est entièrement d'accord avec vous. Nous craignons tout autant que vous la discrétion laissée au ministre ou aux fonctionnaires. Là-dessus, vous pouvez compter sur notre appui.

J'ai quelques doutes, toutefois, lorsque vous trouvez des pouvoirs arbitraires dans les articles qui constituent la Régie de la langue française. Vous avez fait allusion, en particulier, je crois, à l'article 62. Cet article ne confère à la régie que le droit de donner des avis, de faire des enquêtes et ne lui confère pas, à nos yeux, en tout cas, de pouvoirs véritables, encore moins de pouvoirs qui puissent être opposables au ministre. Autrement dit, nous sommes d'accord avec vous pour constater que le projet de loi confère trop de pouvoirs discrétionnaires au ministre, mais dans le cas de la régie, nous pensons que peut-être vous y avez vu des pouvoirs discrétionnaires qui ne s'y trouvent guère.

Je n'insiste pas. C'est un point de détail. Si vous voulez commenter cette affirmation tout à l'heure, j'en serai bien aise.

Je préférerais aborder une question concrète avec les parents de l'école Roslyn. Il s'agit d'une école élémentaire qui, si je le comprends bien, se trouve à Westmount. Ma première question serait celle-ci: Y a-t-il des élèves francophones dans votre école, ou de langue maternelle française, et dans quelle proportion?

MME DOMVILLE: Quelques-uns, très peu, peut-être une quinzaine dans toute l'école.

M. MORIN: Une quinzaine sur des milliers, en somme?

MME DOMVILLE: Sur 500 ou 550.

M. MORIN: Oui. Ces élèves se recrutent surtout dans le milieu de Westmount, si j'ai bien compris?

MME DOMVILLE: Oui.

M. MORIN: Donc, des milieux relativement aisés sur le plan financier?

MME DOMVILLE: Oui, je crois que oui.

M. MORIN: J'ai l'impression que cela peut expliquer beaucoup de choses.

Ma seconde question irait maintenant aux parents du comité central. Est-ce que le genre d'expérience dont on nous a parlé à Westmount a été tenté avec le même succès dans d'autres écoles? Je dis bien avec le même succès, dans d'autres écoles montréalaises. Cela n'est pas notre impression, jusqu'ici, que l'immersion ait eu le même succès dans des milieux moins favorisés que dans les milieux westmountais.

M. ROBB: C'est un problème intéressant. Nous avons eu des problèmes avec le Bureau protestant pour implanter ce programme. Jusqu'à ce jour, il n'était pas donné dans les régions moins favorisées. Il commence. Il y a une demande des parents dans ces régions. Il y a la peur que les enfants doivent apprendre leur propre langue avant, parce que, dans les régions défavorisées, il y a la question de savoir s'ils peuvent apprendre leur langue complètement au commencement. Il y a aussi l'autre thèse, à savoir que ce serait une bonne chose de commencer le français dans les régions où l'on parle le "jouai", parce que ce sont les régions où ils peuvent utiliser la langue française dans les rues.

M. MORIN: Oui, comme...

M. ROBB: Jusqu'à ce jour, il n'y a aucune expérience... Nous avons commencé l'expérience dans les régions plus favorisées parce que les parents peuvent y remédier si besoin il y a. Jusqu'à ce jour, ils n'ont pas eu besoin de le faire. J'espère qu'à une certaine date les expériences commenceront pour voir si on peut apprendre le français. H y a un autre problème: l'immersion dans la septième année peut être appliquée dans ces régions défavorisées, mais parce qu'il n'y a aucune classe d'immersion dans ces régions, dans ces milieux, jusqu'à ce jour, il n'y a pas une grande participation. Dans ces classes d'immersion, la participation est entièrement volontaire. C'est une autre raison, peut-être, du succès.

M. MORIN: Je pense que vous conviendrez avec moi qu'il est beaucoup plus facile d'obtenir des résultats dans des milieux aisés. D'ailleurs, les psychologues l'ont constaté à bien des reprises. Les enfants de diplomates, par exemple, qui baignent dans un milieu, en général, intellectuellement assez ouvert et développé, apprennent toujours assez facilement une langue seconde, voire même une troisième et peut-être même davantage. Mais ce sont des enfants qui appartiennent à des classes financièrement et intellectuellement favorisées. Le contexte dans lequel on se trouverait, par exemple, dans l'est de Montréal, est bien différent. Mais puisque vous faites allusion au phénomène du "jouai", je vous signalerais que la difficulté n'existe pas seulement dans les écoles françaises. Il y a beaucoup de parents francophones qui hésitent à mettre leurs enfants dans certaines écoles anglophones de Montréal par crainte d'un phénomène de dégradation de la langue anglaise qui est également très sensible à Montréal. Il existe — on ne le mentionne jamais — mais il existe ce que l'on pourrait appeler le phénomène "horse" aussi, n'est-ce pas? Et en ce qui me concerne, je pense bien qu'à Westmount, il n'y aura pas de problème de cet ordre, encore qu'il faudrait voir... Je crois que les parents sont d'accord avec moi pour constater que même là...

M. ROBB: A Westmount, c'est devenu américain.

M. MORIN: Je ne veux pas revenir trop longuement sur cette question, ni ouvrir un débat.

MME DOMVILLE: Je m'excuse. Il y a un rapport qui a été fait par deux ou trois psychologues à McGill sur ce problème de l'enseignement du français dans les écoles défavorisées et ils trouvent que c'est bien possible d'enseigner le français dans ces régions, sauf que notre commission scolaire a trop peur en ce moment. Alors, les psychologues trouvent que c'est bon, mais notre commission scolaire ne veut pas encore se plonger dans les problèmes d'immersion dans une école défavorisée.

M. MORIN: Bien.

MME DOMVILLE: Alors, c'est possible, mais cela n'a pas encore été essayé.

M. CLOUTIER: Il se peut que la loi 71 qui a créé les conseils scolaires change complètement les règles du jeu à Montréal et il est exact, en particulier, que The Point Committee, que ce groupe connaît très très bien, n'a pu obtenir ce qu'il souhaitait, mais que maintenant il y a pour les zones défavorisées un problème dans tout le territoire.

M. MORIN: Je suis au courant de cela et la loi 71 modifie peut-être certaines règles, mais elle ne peut pas modifier, jusqu'à preuve du contraire, le contexte sociologique dans lequel les enfants baignent.

M. CLOUTIER: On ne peut pas en blâmer le législateur.

M. MORIN: Puis-je retourner vers nos deux distingués juristes pour leur poser une petite question technique?

LE PRESIDENT (M. Gratton): La dernière.

M. MORIN: Oui. Cela sera la dernière. Je reviens au point évoqué par le député de Saint-Jacques au sujet de l'article 75. Je ne doute pas une seconde que vous ayez présenté cette modification en étant entièrement de bonne foi et je vous pose une question technique. Si la suggestion que vous faites était acceptée, et si le régisseur anglophone dont la présence est essentielle refusait de siéger ou encore se retirait d'une délibération, qu'arriverait-il alors? Je ne vous pose pas une question politique. Je vous pose une question technique.

M. POLACK: Quand on a suggéré cet amendement, on n'a pas tellement pensé aux détails, à ce qui arrive si cet homme se retire ou ne se retire pas, ou s'il bloque les délibérations.

C'était simplement pour demander, quitte à changer le texte de manière à exprimer à nouveau cette idée, d'avoir une représentation. Rien de plus. Quand on a suggéré qu'à la Régie de la langue française il devrait y avoir deux membres de la minorité anglophone ou de la communauté anglophone, c'était simplement une suggestion pour être représenté. C'est tout.

M. MORIN: D'accord.

M. POLACK: De la même manière, vous voulez donc dire que, s'il y a un quorum de cinq, que parmi ces cinq, encore un de ces deux devrait être présent ou devrait être au moins aux délibérations, pour être présent.

M. MORIN: Je pense que vous étiez entièrement de bonne foi, encore une fois, en proposant cet amendement, de même que le député de Saint-Jacques était de bonne foi en vous posant la question. Je vous la repose: Supposons, hypothèse invraisemblable, mais admettons un instant que le régisseur anglophone se retire ou refuse de siéger, qu'arrive-t-il alors?

M. POLACK: On peut changer l'idée du quorum de l'avoir sur cinq. On peut peut-être...

M. CHARRON: C'est juste cela que je voulais vous signaler tout à l'heure.

M. POLACK: C'est cela.

M. CHARRON: C'est juste cela que je voulais vous signaler.

M. POLACK: Oui, mais vous avez fait un discours politique avant.

M. CHARRON: Oui.

M. POLACK: Votre confrère, à côté, ne l'a pas fait du tout. Il était réaliste aujourd'hui.

M. MORIN: C'est le privilège du député, comme le vôtre...

M. POLACK: Oui, je comprends.

M. MORIN: ... de faire des préambules.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, messieurs, il est 13 heures. Mesdames et messieurs, la commission vous remercie.

MME ARREY: On vous remercie beaucoup de nous avoir entendus.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci. Cet après-midi, c'est-à-dire après la période des questions, les organismes qui seront entendus seront le Conseil central de Joliette et la Corporation d'information populaire du Lanau-dière. La commission suspend ses travaux jusqu'à cet après-midi, après la période des questions.

(Suspension de la séance à 13 h)

Reprise de la séance à 15 h 48

M. GRATTON (président de la commission permanente de l'éducation, des affaires culturelles et des communications): A l'ordre, messieurs!

Avant d'inviter le Conseil central de Joliette, peut-être devrais-je inviter les membres à se présenter à la table, s'il vous plaît. M. Claude Mailhot. Est-ce que les représentants du Conseil central de Joliette sont dans la salle? Je constate que le Conseil central de Joliette ne semble pas répondre à l'appel, peut-être...

M. MORIN: M. le Président, est-ce que nous pourrions demander au secrétariat des commissions s'il a entendu parler de cet organisme depuis ce matin?

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le secrétaire me fait signe qu'il n'a eu aucune nouvelle.

M. CLOUTIER: Vous savez, nous sommes rendus à un stade où on a beau convoquer, on ne peut pas toujours compter sur la présence des organismes.

M. BOURASSA: Le chef de l'Opposition a dit à l'Assemblée nationale la semaine dernière qu'il était...

M. CHARRON: Non. Que le premier ministre n'essaie pas encore de tirer les marrons du feu!

M. BOURASSA: Non. Le chef de l'Opposition a dit textuellement qu'il était étonné qu'on n'ait pas présenté notre motion de fin des auditions avant...

M. CHARRON: Faisons comme si le premier ministre n'était pas ici et continuons sérieusement à travailler.

M. BOURASSA: Je cite le chef de l'Opposition et il ne m'a pas démenti, à part cela.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre messieurs !

M. MORIN: M. le Président, je ne veux pas soulever une question de privilège, ni un débat avec le premier ministre, mais j'ai l'impression que par moment il nous pose des questions à voix basse en Chambre et, si l'Opposition ne répond pas, il tient pour acquis que la réponse est oui.

M. BOURASSA: C'est au journal des Débats, M. le Président. Le chef de l'Opposition a bel et bien dit qu'il s'attendait à ce qu'on présente la motion d'ajournement plus tôt. Je ne dis pas qu'il ne...

M. MORIN: Je pense que c'est l'inverse.

Nous avons dit à qui voulait l'entendre que nous ne nous attendions pas à ce que ce soit avant les élections fédérales, de peur que le premier ministre du Québec ne nuise à son grand frère fédéral.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, messieurs!

M. BOURASSA: Vous avez assez de problèmes avec le NPD avec votre régime d'annulation.

M. CLOUTIER: Le problème ne se pose même pas. Nous écoutons ceux qui veulent bien venir. Nous avons convoqué normalement, mais il est bien évident, comme nous avons entendu jusqu'ici à peu près 60 groupes, que la commission progresse, et il devient plus difficile d'obtenir la présence des groupes qui ont envoyé des mémoires.

Alors, est-ce qu'on pourrait, M. le Président, appeler le groupe suivant, quitte à attendre le précédent s'il se présente?

M. MORIN: M. le Président, j'aimerais faire remarquer cependant, si vous me permettez, que s'il devient plus difficile de convoquer les organismes, cela est entièrement parce que le gouvernement a choisi de présenter sa législation si tard.

M. BOURASSA: M. le Président...

M. MORIN: Et comme le ministre Goldbloom a eu l'occasion de le dire devant un groupe, cela a été rapporté dans les journaux, c'est à dessein qu'il en a été ainsi, à savoir que le gouvernement a choisi de présenter sa législation en plein été pour que le moins de groupes possible puissent contester son bill. Malgré tout, on a vu depuis le début de cette commission que très peu de groupes viennent appuyer le gouvernement.

LE PRESIDENT (M. Gratton): A l'ordre, s'il vous plaît !

M. MORIN: ... que très peu de groupes viennent appuyer le gouvernement.

M. BOURASSA: Ce n'est pas parce qu'on est au mois de juillet qu'on doit ne rien faire. Les centrales syndicales font leur congrès au mois de juillet, la CEQ fait son congrès au mois de juillet, ça révèle qu'il y a des organismes qui sont intéressés à discuter au mois de juillet.

M. CHARRON: II est terminé, le congrès de la CSN.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Si vous voulez bien m'excuser, est-ce que les membres de la commission seraient intéressés à savoir qui sont les membres de la commission? Alors, je vous l'annonce immédiatement. Il s'agit...

M. CHARRON: M. le Président, je suis intéressé à savoir autre chose après, aussi.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Pour ce qui est des membres de la commission, il s'agit de MM. Desjardins (Louis-Hébert), Charron (Saint-Jacques), Déom (Laporte), Cloutier (L'Acadie), Boudreault (Bourget), Lapointe (Laurentides-Labelle), Choquette (Outremont), Morin (Sauvé), Springate (Sainte-Anne), Beauregard (Gouin), Saint-Germain (Jacques-Cartier), Samson (Rouyn-Noranda) et Veilleux (Saint-Jean).

J'invite immédiatement la Corporation d'information populaire du Lanaudière et son porte-parole, M. Normand Dugré, à se présenter à la table, s'il vous plaît.

M. CHARRON: M. le Président, avant que nous ne reprenions l'étude de ce mémoire, j'ai une question à soulever, j'aimerais demander au ministre s'il peut nous faire connaître immédiatement les organismes convoqués pour demain et jeudi.

M. CLOUTIER: Bien sûr, M. le Président, comme toujours. Je vais immédiatement demander au secrétariat des commissions de nous en donner la liste. Quand avons-nous refusé notre coopération à l'Opposition?

M. CHARRON: Vous êtes inutilement paranoïaque. Je ne vous ai pas attaqué du tout.

M. CLOUTIER: On ne vous en donnera pas plus que vous en demandez. Mais on va vous donner ce que vous demandez, comme toujours.

M. CHARRON: Ne vous sentez pas attaqué, c'est une question d'information.

M. CLOUTIER: On ne se sent pas attaqué du tout.

M. CHARRON: Je comprends que depuis que vous étudiez le projet de loi...

M. CLOUTIER: On dirait que vous vous attendez toujours à ce qu'on mette fin à cette commission depuis le début.

M. CHARRON: Non, non, non.

M. CLOUTIER: Nous avons vraiment fait plus qu'un effort sérieux pour entendre tous les groupes. Nous nous sommes arrangés d'ailleurs, parce que le seul but que nous poursuivons est de permettre à cette commission d'être éclairée.

M. CHARRON: Je suis convaincu, M. le Président, je peux rétablir ce que le chef de l'Opposition a déjà dit, que le gouvernement ne mettra pas fin aux travaux de la commission avant les élections fédérales, foi d'animal.

M. BOURASSA: On va vous donner un peu le temps de clarifier votre contreprojet de loi, qui est extrêmement ambigu.

M. MORIN: Pendant qu'on y est, est-ce que nous pourrions avoir la liste aussi pour vendredi matin?

M. CLOUTIER: Normalement, on fait ça à la fin des séances, mais si, par dérogation...

M. BOURASSA: On est prêt à collaborer.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Est-ce que vous voulez que je procède à la lecture des organismes convoqués?

M. MORIN: Oui.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Demain, mercredi, Comité d'école Notre-Dame-de-Lourdes, les Comités d'école Présentation de Marie, Saint-Gilles, Don Bosco, Saint-Christophe, Notre-Dame-de-Lourdes, les Produits White Star Limitée, le Regroupement régional de la capitale québécoise, le Comité des citoyens de Saint-Laurent et le Conseil du travail de Joliette. Jeudi, les organismes convoqués sont: le Syndicat des professeurs du CEGEP de Sainte-Foy, le Comité anglophone de Verdun, le Groupe de citoyens de Limoilou, M. Louis-Paul Chénier, à titre personnel, la Société nationale des Québécois du Saguenay-Lac-Saint-Jean et le Comité hellénique pour l'étude de la législation sur la langue au Québec.

Et vendredi, la Société nationale des Québécois de l'Outaouais; le Comité d'action politique, local 790, ouvriers unis du caoutchouc, syndicat des employés Firestone, et la Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie, c'est-à-dire trois organismes pour vendredi.

M. CHARRON: Merci.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, c'est bien M. Normand Dugré?

M. DUGRE: C'est cela.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Si vous voulez bien noter que vous disposez de 20 minutes pour faire votre présentation suivie d'une période de questions de 40 minutes.

Corporation d'information populaire du Lanaudière

M. DUGRE: D'accord! Comme premier préambule, j'aimerais peut-être raconter une brève anecdote. Dans la hâte de l'impression des mémoires avant le 10 juin, il s'est trouvé que j'ai négligé de revoir la copie finale qui devait vous être remise. Ce n'est qu'en fin de semaine dernière que j'ai relu mon document pour y

découvrir, à ma grande stupéfaction, que l'orthographe, dans ce cas présent, ce n'est pas solide. S'il fallait encore une preuve pour démontrer que notre langue est en danger, nous l'aurions sous les yeux. Nous nous en tiendrons cependant davantage au fond qu'à la forme du document.

Autre chose, afin de prévenir la question inévitable quant à la représentativité, à la manière dont fut rédigé le mémoire, je dirai tout de suite que j'ai été mandaté par le comité de rédaction de la Criée, ce comité étant responsable du contenu du journal pour rédiger le mémoire en son nom. Le comité de rédaction est formé d'une quinzaine de personnes provenant de l'ensemble des groupes populaires du milieu du Lanaudière. J'ai donc rédigé le texte en conformité avec la pensée des membres du comité de rédaction.

La Corporation d'information populaire du Lanaudière est un organisme du milieu du Lanaudière qui publie le journal la Criée. Ce journal, distribué à 24,000 copies dans les comtés de Joliette, Montcalm, Berthier et l'Assomption, s'est engagé à défendre, entre autres objectifs, les droits linguistiques des francophones qui représentent, dans notre région, 99 p.c. de la population totale.

La Corporation d'information populaire tient pour très importante la présentation du projet de loi 22 dans la mesure où il s'agit d'un geste qui engagera notre identité nationale pour les prochaines années.

Critiques à la commission. De par notre position au journal, il nous a été possible de recevoir de nombreux commentaires, à la fois par rapport au projet de loi lui-même et en regard de la procédure que devait employer la commission. Il ressort de cela que la procédure bloquait en bon nombre de cas les interventions de personnes ou de groupes qui désiraient être entendus par votre commission.

Mentionnons d'abord le fait que les délais fixés au 10 juin ont été relativement courts, ou du moins estimés comme tels par la majorité des personnes qui nous en ont parlé. Ce délai limitait donc l'expression populaire, compte tenu d'un manque de préparation.

De plus, la technicité imposant à tous ceux qui désiraient être entendus par votre commission de déposer le ou avant le 10 juin leur mémoire en cent exemplaires devait avoir pour effet de restreindre encore plus la possibilité de se présenter à votre commission.

Cela pouvait embêter davantage les gens ordinaires qui ne disposent pas de tous les moyens d'imprimer à leur guise des documents ni même de payer pour ce faire.

De plus, j'aimerais ajouter ici — puisque l'hypothèse d'une commission itinérante dans tout le Québec était à l'état de projet lors de la rédaction de ce document, projet qui fut abandonné depuis lors — que cela gêne, c'est le moins qu'on puisse dire, bon nombre de citoyens ou de groupes concernés par le projet de loi 22 qui auraient désirés être entendus.

Or, il semble que ce projet de loi concerne l'ensemble des citoyens du Québec et que, dans une saine démocratie, il est normal de favoriser au maximum l'expression populaire. Toutefois, il nous a plutôt semblé qu'on mettait en oeuvre des procédures rigides qui empêchaient le fonctionnement adéquat d'une saine démocratie.

Langue de travail. C'est à travers les événements qu'un medium d'information comme le nôtre peut se donner une opinion sur les législatures des différents gouvernements. Ainsi désirons-nous parler d'un événement qui s'est produit dans notre région cette année, à savoir une grève à la Firestone de Joliette, où l'un des points était justement la langue de travail. Les ouvriers en grève exigeaient que le français soit reconnu comme langue de travail. Or, il a fallu une lutte épique de dix mois de grève pour y arriver.

Il nous semble, à partir de cet exemple, qu'il est bien trop onéreux pour le Québec de payer le prix de longs mois de conflits ouvriers dans chacune des usines pour obtenir un droit élémentaire, celui de la reconnaissance de notre langue comme peuple.

Il nous apparaît essentiel que cette loi, que veut être le projet de loi 22, décide de la langue de travail de façon définitive.

Le texte actuel du projet de loi semble restreindre la langue de travail à la langue des négociations et des griefs. Or, les ouvriers sont plus souvent (heureusement) en usine et au travail qu'à faire des griefs ou à négocier.

De plus, il est évident que les articles relatifs à la francisation sont de loin trop discrétionnaires. Lorsque que le lieutenant gouverneur en conseil peut exiger des entreprises qu'elles possèdent le certificat visé à l'article 32 pour recevoir de l'administration publique permis, primes, subventions, concessions ou avantages, en quoi sommes-nous assurés qu'il usera de ce pouvoir et envers qui le fra-t-il?

L'article 33 nous est ainsi apparu inacceptable, de même en va-t-il de l'article 34 qui permet que soient préférées les entreprises titulaires du certificat quant au contrat d'achat du service de location ou de travaux publics.

Enfin, le ministre pourrait accorder des subventions aux entreprises qui adopteront un programme de francisation. Cela nous parait un risque énorme. Premièrement, parce que c'est anormal pour une majorité autochtone d'un pays que de payer les entreprises étrangères afin qu'elles s'adaptent à ses lois. Deuxièmement, il pourra, au bout du compte, se produire que les entreprises qui menacent notre fondement national par le refus de se franciser se voient gratifier de subventions pour ce faire. Or, cela nous paraît tout à fait inacceptable. Par l'absurde, les entreprises qui servent de sauvegarde au fait français au Québec et qui, donc, travaillent actuellement en français, ne recevront rien, alors que celles qui nous menacent en exigeant de travailler dans la langue seconde seront subventionnées pour changer. L'article 31 de la loi devrait alors plutôt établir les critères de

francisation et subventionner les entreprises dont le travail se fait entièrement en français. Les autres verront bien à se mettre au pas.

Langue d'enseignement. Nous voulons encore là nous baser sur un fait concret dans notre région. Ainsi, une enquête de la Société nationale des Québécois révélait dernièrement que le transfert du secteur francophone au secteur anglophone se chiffrait ainsi, de 1970 à 1974:

Commission scolaire Cascade-L'Achigan, 119 transferts; commission scolaire de l'Industrie, 163 transferts; commission régionale de Lanau-dière, 152 transferts, pour un total de 434 transferts linguistiques dans notre région.

De plus, cette enquête révèle l'existence d'une école élémentaire anglophone dans le secteur Cascade-L'Achigan. Cette école est composée de 44 élèves anglophones et de pas moins de 67 élèves francophones. N'oublions pas que nous parlons d'une région à 99 p.c. francophone.

Aussi, nous élevons-nous contre le fait que le projet de loi 22 maintienne les deux systèmes scolaires où, à toutes fins pratiques, la langue d'enseignement sera déterminée par la connaissance des postulants à l'une ou l'autre des langues, devrais-je dire officielles.

Nous croyons que le tout ne va que forcer à une anglicisation plus rapide ceux qui comptaient entrer au secteur anglophone plutôt qu'au secteur francophone.

Il fa sans dire que nous contestons l'article 51 qui donne à ce niveau un pouvoir ultradiscrétionnaire au ministre. Nous ne mentionnons que la dernière phrase de cet article: "La décision du ministre est sans appel".

Langue d'affichage. Encore là, c'est la scène de notre région que nous prendrons en référence. Nous nous retrouvons dans un milieu presque entièrement francophone où, à toutes fins pratiques, l'affichage est bilingue quand ce n'est pas unilingue anglais, jusqu'à la "cabane à sucre à Pépère" qui est "for sale".

L'article 45 du projet de loi 22 consacre, pour les six prochaines années, cet état de fait et donne même une bonne année à ceux qui n'auraient pas encore unilinguisé leur annonce, en anglais, bien sûr, pour le faire.

Quant au reste des articles, ils ne francisent rien, ils "bilinguisent". L'article 38 est, dans sa formulation, une supplique et non un règlement. On n'impose pas. On demande "à tout le moins figurer dans les textes et documents d'une manière aussi avantageuse que les versions françaises". Voilà le sort d'une langue faussement officielle.

Zone d'anglicisation. Nous référant au document de Charles Castonguay, du département de mathématiques de l'Université d'Ottawa: "La domination de l'anglais au Québec", nous constatons que la position géographique de notre région est tout juste à la limite de la zone d'anglicisation. Ce qui revient à dire que nous ne nous francisons plus, tout au plus ne nous anglicisons-nous pas encore.

Si nous examinons nos voies de communication, principalement avec les zones voisines, on remarque qu'elles peuvent à la limite s'annuler quant à la francisation ou à l'anglicisation.

Ainsi, nous sommes orientés dans un axe de communication avec Montréal où l'anglicisation est très forte; d'autre part, nous sommes liés à bien des égards à la région des Laurentides qui bénéficie d'une situation sensiblement pareille à la nôtre.

Toutefois, il est à prévoir, avec l'implantation de l'aéroport international de Mirabel, que là où se trouve une zone francophone, il y aura sous peu, sinon une zone anglophone, tout au moins une zone bilingue et anglicisante.

Ainsi est-il de plus en plus urgent pour notre région que la Législature vienne contrer cette anglicisation constante, sinon nous sommes irrémédiablement voués à perdre notre identité propre de Québécois. Et un Québécois, pour nous, c'est encore un francophone.

Recommandations. Nous désirons ici que la commission prenne note de ce qui nous semble élémentaire comme recommandations: 1. que le projet de loi 22 soit entièrement reformulé en tenant compte du seul article qui nous apparaît avoir un sens pour nous, Québécois, soit l'article 1 actuel. 2.que le français soit clairement défini comme la langue de travail à tous les niveaux; 3.que n'existe qu'un seul système d'enseignement francophone au Québec et que soit prévue l'intégration du secteur anglophone au secteur francophone; 4.que l'affichage soit réglementé de manière qu'il représente bien le caractère francophone du Québec et des Québécois; 5. que des efforts plus importants soient mis à l'application de cette nouvelle loi pour nous, (pas le projet de loi 22 actuel) dans la zone d'anglicisation. Nous nous référons ici à La domination de l'anglais au Québec par Charles Castonguay, département de mathématiques, Université d'Ottawa, mai 1974; 6.enfin, que ceux qui ne se conformeraient pas à ces règlements soient lourdement pénalisés, considérant que ce sont des infractions à notre identité nationale et que cela représente l'assassinat d'un peuple petit à petit, ce qui est au moins aussi important que l'assassinat d'un ministre ou le vol d'une banque.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Merci, M. Dugré. J'invite maintenant le ministre de l'Education à poser la première question.

M. CLOUTIER: M. le Président, je remercie le rédacteur en chef de la Criée de la présentation de son mémoire au nom de la Corporation d'information populaire du Lanaudière Inc. Je n'ai pas de question pour le moment. Je me réserverai d'y revenir d'ici la fin.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Saint-Jacques.

M. CHARRON: M. le Président, je veux remercier également M. Dugré et la corporation d'avoir présenté un mémoire et de l'avoir défendu cet après-midi.

M. Dugré, je n'ai que quelques remarques au sujet de votre mémoire. Vous signalez le dégoût que vous a inspiré l'article 31 de la loi, celui qui parle des subventions. Là-dessus, j'aurais pu vous faire remarquer que le ministre de l'Education a habituellement signalé à tous ceux qui sont venus à cette table et qui ont tous décrié ce programme de subventions données par le gouvernement pour que les entreprises se francisent — y compris, imaginez-vous, même la Chambre de commerce a trouvé répugnant et dégradant qu'un gouvernement en vienne à de telles mesures pour favoriser la langue de la majorité et en faire la langue de travail — que c'était l'intention du gouvernement de retirer cet article du projet de loi. Je pense que c'est la première victoire, mais en fin de compte, elle est tellement normale qu'on n'aura pas d'occasion de s'en réjouir, mais c'est la première victoire que les groupes de pression qui ont défilé à cette table pourront dire avoir obtenue.

Ce n'est pas à l'honneur du gouvernement. Au contraire, je pense, parce que le simple fait qu'un cabinet québécois en 1974 ait été jusqu'à inscrire dans un texte de projet de loi une mesure de ce genre nous indique parfois l'éloi-gnement que ce gouvernement et ce parti peuvent avoir de la réalité québécoise. Je vous le signale pour vous dire que l'opinion que vous exprimez quant à cet article semble avoir déjà triomphé.

Enfin, si jamais le ministre revenait sur sa décision et ne retirait pas l'article 31 — parce qu'il n'en serait pas à sa première contradiction — nous nous engagerons de notre côté à proposer et à défendre très fermement un amendement qui viserait tout simplement à abolir cet article. La question que j'ai à vous poser traite spécifiquement de la région d'où vous venez et à laquelle d'ailleurs, à bon droit, vous faites souvent référence dans votre mémoire. Le transfert d'élèves du secteur francophone au secteur anglophone dans une région à 99 p.c. francophone, comme vous le décrivez, comment l'expliquez-vous? Votre mémoire nous livre une statistique qui nous prouve que le problème est à l'ensemble du Québec et n'est donc pas propre à Montréal, comme souvent on aime réduire le problème linguistique à la seule taille de Montréal. Dans cette région du Québec à 99 p.c. francophone, comment expliquer cet engouement à votre avis?

M. DUGRE: D'une part, sur votre première intervention, je me dis fort aise que le gouvernement veuille retirer les fameuses subventions aux entreprises. Il me semblait d'ailleurs que cela pouvait être, à la rigueur, une pénalité pour les entreprises qui travaillaient actuellement en français; à la rigueur, elles se voient éliminées des sources de financement de l'Etat. Quant au transfert linguistique, il va de soi que l'on ne peut que poser, pour l'instant en tout cas, dans notre région, compte tenu des études que nous avons faites n'ont été que statistiques... Nous n'avons pas pu aller aussi loin que nous aurions pu le désirer, en termes de motivations. Les hypothèses avancées, que je vous donne sous toutes réserves et que je pense être véridiques sont, d'une part, évidemment, la proximité de Montréal où il y a une source d'emplois considérable et où il est évident que la promotion, tout au moins, est souvent relative à la possession de la langue seconde. Il y a aussi que, dans notre région, même si une partie importante des activités est du domaine agricole et touristique, l'industrie chez nous est en large partie multinationale. On peut penser à Great Lake, Firestone, Gypsum pour ne nommer que celles qui ont eu de graves conflits cette année, forts connus, je pense, de tous les membres de la commission. De plus, on peut penser à Scott, on peut penser à Abex, etc.

Chez nous, dans la région de Lanaudière, plus particulièrement concentrée à Joliette, il y a de nombreuses entreprises multinationales où encore là se retrouve le critère de la possession des deux langues quant à la promotion éventuelle dans l'entreprise.

M. CHARRON: Croyez-vous que la région, actuellement — vous y vivez, vous la connaissez, vous y travaillez — est-ce qu'elle se dépeuple vers Montréal, en particulier chez les plus jeunes, et qu'on pourrait expliquer ce besoin vivement ressenti par certains parents de doter leurs enfants d'une connaissance de la langue anglaise le plus rapidement possible parce qu'ils sentent inévitable le fait que, rendu à un certain âge, c'est Montréal qui va siphonner la région ou si la population est stable? Je voudrais simplement m'informer.

M. DUGRE: Je pense qu'on ne peut pas parler encore de dépeuplement. Il y a évidemment un va-et-vient normal mais, compte tenu précisément d'un nombre assez important d'entreprises dans la région qui engagent énormément d'employés, je pense que, sans avoir exactement les chiffres en main, on ne peut pas parler de dépeuplement. On pourrait accentuer le côté de l'entreprise multinationale sur le territoire. D'ailleurs, je me référais à l'une des grèves de notre région, c'est-à-dire la grève de Firestone, où il a quand même fallu une dizaine de mois à 200 employés, une lutte épique, pour arriver à imposer dans leur propre usine, où le caractère francophone ne fait quand même pas de doute encore, tout au moins, à Joliette, qu'on parle français dans ce pays. C'est plus ce facteur qui influe que le facteur de dépeuplement pour l'instant.

M. CHARRON: Les compagnies multinationales qui font affaires dans la région de Lanaudière ont-elles fait place à une francisa-

tion de leurs cadres et de leurs officiers supérieurs ou si les francophones constituent la main-d'oeuvre traditionnelle mais que les postes de commande sont encore aux mains de gens étrangers à la région?

M. DUGRE: II faut faire la relation, je pense. Les postes de commande sont, à la rigueur, francophones chez nous. Maintenant, c'est relatif la notion "de commande". Parce qu'en fait, c'est à Chicago qu'on se réfère dès qu'il y a des décisions véritables à prendre. Mais là, il n'y a pas énormément de francophones qui prennent les décisions. Et ça, on a pu dans notre région plus particulièrement, le vivre pendant l'année qui vient de se terminer avec les trois grandes grèves où, finalement, même s'il y avait des francophones sur les lieux, les décisions ne se sont pas prises sur les lieux, et dans le cas de Firestone et dans le cas de The Great Lakes et il ne semble pas que ce soit le dénommé Lalonde, qui dirige l'usine de Great Lakes, qui va régler le problème à Gypsum.

M. CHARRON: Moi, c'est tout pour le moment, peut-être que le chef de l'Opposition reviendra.

LE PRESIDENT (M. Gratton): II faudrait que ce soit après le député de Rouyn-Noranda.

M. SAMSON: Dans votre mémoire, à la fin de la deuxième page, vous parlez de la langue de travail et vous citez l'exemple de la grève de Firestone à Joliette, où, selon vous, l'un des points était la langue de travail. Les ouvriers en grève exigeaient que le français soit reconnu comme langue de travail. Il a fallu une lutte épique de dix mois de grève pour y arriver. Est-ce que je dois comprendre que vous voulez dire que le principal point de litige ou le point le plus important du litige était cette question de langue de travail?

M. DUGRE: L'un des principaux points. Il y avait, je pense, cinq ou six points importants en litige et la langue de travail en est un. Il va de soi que les conditions de salaire et les conditions de travail faisaient aussi partie du litige, mais la langue de travail a été un des points. Ce que je peux signifier, c'est davantage le fait qu'il m'apparaît anormal, dans un pays où l'on parle une langue, que les gens de ce pays doivent faire des grèves pour obtenir ce qui m'apparaït être le minimum, c'est-à-dire le respect de sa culture et de sa langue dans son travail. C'est davantage dans ce sens. Maintenant, ce n'était pas le seul point, mais c'était clairement un des points majeurs.

M. SAMSON: Est-ce que les ouvriers auraient fait la même grève s'il n'y avait eu que ce seul point en litige, d'après vous?

M. DUGRE: Question bien hypothétique. Je souhaite que leur fierté aurait été jusque-là, mais je ne peux pas vous répondre de façon affirmative.

M. SAMSON: Vous allez comprendre que la question n'est pas tellement hypothétique à ce moment-ci, parce que vous affirmez quand même qu'il y a eu une grève de dix mois pour arriver au français langue de travail.

M. DUGRE: Hum!

M. SAMSON: Si je vous pose la question à savoir si la langue de travail avait été le seul point en litige, est-ce que la grève aurait duré aussi longtemps? Parce que vous vous référez à ce cas et je pense que c'est important, pour la bonne compréhension des travaux de la commission parlementaire, que nous ayons une réponse aussi complète que possible.

M. DUGRE: D'accord. Je pense que je peux l'envisager sous deux angles. Le premier, celui auquel je vous ai répondu tout à l'heure, c'est aux travailleurs eux-mêmes qu'il restait à décider s'ils auraient fait une grève de dix mois pour ce seul point.

Si on le prend dans l'autre sens, par les informations que j'ai eues des personnes qui avaient quand même la charge de la grève là-bas — on sait qu'il y avait un comité assez important d'une quarantaine de personnes — ce point-là n'a pas été réglé le premier. Si vous me posez la question dans le sens: Est-ce que c'est le point qui s'est réglé en un mois, par exemple? Je vous réponds: Non. Il a été traîné jusqu'à la fin.

L'autre partie où je peux difficilement vous répondre: Est-ce que les gars se seraient battus dix mois pour ce seul point? C'est à eux, je pense, de répondre plus qu'à moi. J'ai cru entendre tout à l'heure que le syndicat de Firestone présente un mémoire cette semaine, si je ne me trompe, vendredi. Peut-être pourriez-vous leur faire préciser davantage ceci.

M. SAMSON: Est-ce que, puisque vous vous référez à Firestone, vous ne croyez pas que la question de la paie nette, celle que l'ouvrier peut apporter à la maison, n'était-ce pas là plutôt le principal point de litige?

M. DUGRE: Ce n'était pas — c'est évident — un point secondaire. Maintenant, à la suite de mes contacts avec les gens de Firestone, il était clair et net que, pour eux, la bataille de l'obtention du français comme langue de travail était un point important, très important. Maintenant, aller dire que, pour les travailleurs, leur salaire ne comptait absolument pas, je pense que se serait tomber dans une absurdité au sujet de laquelle je ne serais pas d'accord.

Mais il est certain — et cela après de nombreuses conversations avec énormément de gens pendant quand même dix mois et, moi, comme

journaliste, j'ai eu quand même à couvrir énormément cette affaire — il était clair que ce point-là, pour eux, était important.

M. VEILLEUX: Est-ce que le député de Rouyn-Noranda me permettrait? Je crois que le syndicat de Firestone était affilié à la FTQ?

M. DUGRE: J'ai mal entendu.

M. VEILLEUX: Les syndiqués de Firestone étaient-ils affiliés à la FTQ ou à la CSN? FTQ, hein?

M. DUGRE: FTQ.

M. VEILLEUX: Parce que le mémoire du groupe de permanents de la CSN dans la région de Joliette, qui est dans votre région, mentionne — et je ne dis pas que je leur porte le blâme — que, compte tenu des conditions de travail, ils n'avaient pas eu le temps ou les moyens de lutter pour faire reconnaître le français dans les industries, ou du moins dans la région de Joliette, si je m'en tiens aux cinq permanents qui ont produit un mémoire.

M. DUGRE: Je m'excuse, voulez-vous me préciser? Vous vous référez au document de la CSN?

M. VEILLEUX: Le groupe de permanents de la CSN qui était censé vous précéder tout à l'heure et qui ne s'est pas présenté.

M. DUGRE: Bon.

M. VEILLEUX: Ils font part, dans leur mémoire, qu'ils n'ont pas eu les moyens jusqu'ici de lutter pour faire reconnaître le français dans des industries ou des compagnies multinationales. C'est pour cela que je me demandais si c'était à la FTQ ou à la CSN de changer cela.

M. DUGRE: Je peux vous confirmer d'abord qu'évidemment la grève de Firestone, c'était un syndicat FTQ. Quant au Conseil central, effectivement, les luttes actuellement ne sont pas là-dessus. Le Conseil central s'est quand même payé bon nombre de grèves importantes dans la région, ce qui peut expliquer le fait qu'il n'est pas privilégié à ce point.

M. SAMSON: Dans vos recommandations, à l'article 3, vous proposez qu'il n'existe qu'un seul système d'enseignement francophone au Québec et que soit prévue l'intégration du secteur anglophone au secteur francophone. Evidemment, vous êtes contre le libre choix qui a été préconisé par certains groupements qui se sont présentés devant nous.

Est-ce que vous avez envisagé, par exemple, comme d'autres mouvements l'ont envisagé, qu'un certain libre choix soit laissé dans des secteurs donnés? Est-ce que vous n'avez pas étudié une possibilité de nuancer, dans le sens que, dans une région, c'est plus important que dans une autre région, compte tenu de l'économique, ou des multinationales, ou encore de l'importance des sièges sociaux internationaux?

M. DUGRE: En effet, on a envisagé cette position. Nous avons d'ailleurs dû discuter un bout de temps sur cette troisième recommandation à savoir pourquoi il nous semble plus normal... En tout cas, notre position est celle d'un seul système unilingue francophone, c'est qu'il nous apparaît que c'est la solution la plus claire et, au bout du compte, à notre avis, la plus juste.

Si l'on estime que, pour certaines personnes, il est avantageux d'avoir des écoles dans une autre langue, à ce moment-là, je pense qu'on l'estime pour tout le monde. Si on croit qu'il est possible, dans ce pays, de travailler en français, d'être promu en français, on croit aussi que c'est possible pour tout le monde. Il est évident qu'un seul système francophone n'interdit pas l'enseignement de toute langue seconde, qu'il s'agisse du japonais, du russe, de l'anglais ou de l'allemand.

M. SAMSON: Est-ce que, dans l'enseignement des langues secondes, vous avez prévu des suggestions à faire à la commission en ce qui concerne l'enseignement de l'anglais?

M. DUGRE: Pour nous, l'enseignement de l'anglais, tout comme l'enseignement de toute langue seconde, devrait se faire exactement de la même façon. Il va de soi qu'il est prévisible que plus de gens soient intéressés à apprendre, je présume, l'anglais que le slave, par exemple, compte tenu que l'utilisation du slave au Québec ne serait pas particulièrement pertinente pour nombre de gens. Mais nous ne croyons pas nécessaire de faire une distinction. C'est pour nous une langue seconde au Québec. Si, effectivement, la langue française est la langue officielle, à ce moment-là, les mêmes efforts devraient être mis pour l'ensemble des langues, y compris, bien sûr, l'anglais. Son enseignement devrait être autant de qualité que celui de toute autre langue.

M. SAMSON: Puisque vous traitez, suivant votre témoignage, toutes les langues sur le même pied, est-ce que cela veut dire — c'est une question que je vous pose — que si, pour gagner votre vie, personnellement, on en arrivait à vous demander de parler l'allemand, vous seriez prêt à l'apprendre?

M. DUGRE: Je pense que ce n'est pas tout à fait dans cette optique. Si j'estime, pour une raison ou pour une autre, que j'ai l'intention, par exemple, de poursuivre des études en philosophie et que pour moi l'allemand devient important, il reste bien au chef du personnel à décider si je vais ou non l'apprendre, ou me

pénaliser dans telle ou telle science de ne pas l'avoir appris. Mais je ne crois pas que, dans un pays normal, on ait à exiger de façon quotidienne, de parler une autre langue que la langue maternelle, la langue officielle, d'autant plus que la langue que nous parlons a été, de longue date, une langue qui permet l'ensemble des communications. Si nous parlions d'une langue absolument perdue, j'ai l'impression qu'il faudrait modifier davantage notre position.

M. SAMSON: Si je comprends bien, vous travaillez dans une entreprise qui est à 100 p.c. francophone.

M. DUGRE: Oui.

M. SAMSON: Si demain matin, pour une raison ou pour une autre, pour des raisons d'ordre économique, vous en veniez à être obligé de changer d'entreprise, et si, dans une nouvelle entreprise, on en arrive à vous offrir un poste dans une compagnie multinationale, et que ce poste soit un siège social qui fait affaires régulièrement avec les Etats-Unis, avec l'Ontario, avec les autres provinces du Canada, et si on exige de vous que vous parliez l'anglais, est-ce que, à ce moment, vous accepteriez — je ne sais pas si vous parlez anglais, si vous le parlez, évidemment vous n'avez pas besoin de l'apprendre — mais si vous ne le parlez pas, est-ce que vous accepteriez de l'apprendre pour des raisons d'ordre économique qui vous motiveraient de le faire?

M. DUGRE: Oui. A ma conception, dans un état normal, des gens ne vont pas m'obliger à connaître l'anglais. Des gens vont soumettre un poste X et moi, à titre personnel, je vais désirer ou ne pas désirer y accéder. Si je désire y accéder, il est tout à fait évident que je devrai me conformer aux critères, tout comme je devrai posséder éventuellement l'anglais si c'est nécessaire pour occuper tel poste. Il se peut que je doive posséder aussi des connaissances en administration. Pour moi, c'est la même chose. Si je n'en possède pas, je ne postulerai pas un poste en administration.

M. SAMSON: Oui, d'accord!

M. DUGRE: Alors, l'inverse actuellement au Québec...

M. SAMSON: C'est justement pourquoi je vous pose la question. Si vous ne possédez pas de connaissances en administration, avant d'obtenir un poste d'administration, vous allez apprendre. C'est clair.

M. DUGRE: C'est exact.

M. SAMSON: Tout comme si vous ne possédez pas l'anglais, même si vous êtes bien contre cela, quand vous allez avoir bien faim, vous allez vous intéresser à l'apprendre. Je pense que c'est assez normal qu'on comprenne comme cela. Mais tout ceci n'est pas pour vous mettre en difficulté, si je vous pose ce genre de question. C'est pour tenter d'en arriver à mieux comprendre votre pensée et j'essaie de la mieux comprendre. Est-ce que cela ne veut pas dire que, finalement, il faut donner beaucoup plus d'importance à la possession, pour le Québec, de son économie, pour que la langue devienne une nécessité plutôt que nous contraignions les gens à aller vers une seule langue avec un seul système d'enseignement, sachant qu'on n'a pas les outils qui vont, dans le fond, justifier ces gestes.

M. DUGRE: Dans cette optique, je vous répondrais que, quant à moi, l'instrument de l'éducation est toujours, dans tout pays et dans toute culture du monde — on a qu'à se référer à l'histoire à ce niveau — je pense, le premier instrument qu'on utilise. Mais ce n'est pas le seul. Il m'apparaît évident que cela ne devrait être qu'un premier pas. Bien sûr que l'enseignement en une langue officielle, francophone au Québec, c'est un premier pas. Si cela voulait dire, dans mon esprit, ou si je traduisais en vous laissant sous l'impression que je veux dire de laisser tomber tout le reste, ce serait faux. Je pense que c'est un premier pas qu'il faut faire, qui est nécessaire. Maintenant, bien sûr que dans un pays, contrôler son économie est aussi important, au moins autant, que posséder sa langue. Et dans le cas présent, cela va souvent de pair au Québec.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Le député de Louis-Hébert.

M. DESJARDINS: M. Dugré, d'abord, moi aussi je veux vous remercier pour avoir présenté un mémoire.

J'aimerais vraiment savoir, sans arrière-pensée... Vous allez comprendre avec moi qu'il est important que la commission sache combien de personnes vous représentez vraiment. Je ne voudrais pas que vous voyiez d'allusions, d'arrière-pensées de plus ou moins bonne foi dans mes questions.

Je crois bien que la Corporation d'information populaire du Lanaudière Inc. est propriétaire du journal La Criée. Vous avez été mandaté par le bureau de direction...

M. DUGRE: Le comité de rédaction. Peut-être puis-je vous faire un portrait rapide de la situation? Bon!

La Société nationale des Québécois du Lanaudière, de pair avec un certain nombre d'organismes, a cru utile de mettre sur pied un organe d'information de caractère régional et qui serait un journal de combat, un journal de participation, etc. Ce journal a été effectivement mis sur pied et financé, en très grande partie, par la Société nationale des Québécois.

Ceci fait, la Société nationale des Québécois a créé une entité particulière qui s'appelle le comité de rédaction. Le comité de rédaction est formé de gens de la région provenant de l'ensemble des organismes représentatifs. J'ai parlé au tout début, en préambule, d'une quinzaine de personnes provenant de l'ACEF, des syndicats, des jeunes ruraux, j'en passe..

Ce comité de rédaction est un peu pour ceux qui pourraient connaître la formule, soit le précédent, en Europe, du Figaro où la possession matérielle du journal appartient à une corporation et la possession rédactionnelle appartient à l'entité des rédacteurs et ils sont possédants de la matière rédactionnelle, de la pensée du journal, alors que l'autre entité est possédante des machines à écrire, des bureaux, de l'édifice, etc. C'est le cas chez nous. La société est possédante de l'aspect matériel. Le comité de rédaction décide entièrement du contenu rédactionnel du journal. Or, c'est le comité de rédaction qui m'a mandaté à rédiger le mémoire, suite à une discussion, bien sûr...

M. DESJARDINS: Ce comité de rédaction vous a mandaté. Alors, vous avez préparé ce mémoire, seul.

M. DUGRE: La rédaction finale, bien sûr, mais nous avons fait la conceptualisation ensemble. Nous nous sommes rencontrés, nous nous sommes...

M. DESJARDINS: Vous avez établi... M. DUGRE: ... les points d'importance.

M. DESJARDINS: ... ensemble les principes de base...

M. DUGRE: Oui. C'est cela.

M. DESJARDINS: ... les principaux principes de base, une quinzaine de personnes ensemble; mais c'est vous qui l'avez rédigé de façon finale.

M. DUGRE: J'ai tenté de traduire cela en mots qui conviendraient à la pensée réelle du comité de rédaction.

M. DESJARDINS: Avez-vous eu le temps de le soumettre, tel que rédigé, à ces quinze membres du comité de rédaction, avant de le soumettre à la commission?

M. DUGRE: Le document est parti avant que je puisse rencontrer les membres du comité mais depuis lors, j'ai rencontré les membres qui ont...

M. DESJARDINS: Merci pour ces réponses.

Maintenant, j'en arrive à la page 3 de votre mémoire, où vous parlez du français en demandant qu'il soit reconnu comme langue de travail et vous vous référez à la grève de Firestone. Le député de Rouyn-Noranda s'est saisi de mes questions sur cette grève. Tant mieux! Mais, ce que je veux savoir, c'est ceci. Est-ce que, dans les problèmes du français, langue de travail à la Firestone... Il y avait probablement la question des avis écrits au personnel. Je crois que les avis étaient unilingues, à ce moment, la plupart du temps du moins.

M. DUGRE: Exactement.

M. DESJARDINS: Les directives écrites au personnel étaient souvent ou généralement unilingues.

M. DUGRE: Oui.

M. DESJARDINS: Et je crois aussi — vous me corrigerez si je fais erreur — que la convention collective... Y avait-il une version française?

M. DUGRE: Vous me posez une question à laquelle je ne peux vous répondre.

M. DESJARDINS: Oui.

M. DUGRE: Je ne suis pas certain.

M. DESJARDINS: Et les griefs...

M. DUGRE: Je sais que la langue habituelle des négociations, selon l'avis du syndicat, bien sûr, était trop souvent l'anglais.

M. DESJARDINS: Ah bon! Est-ce que les griefs n'étaient pas souvent entendus en anglais également...

M. DUGRE: Oui.

M. DESJARDINS: ... et les sentences arbitrales rendues en anglais aussi généralement?

M. DUGRE: Devant le Tribunal du travail, pas toujours quand même, mais...

M. DESJARDINS: Non. Mais en ce qui concernait la gestion interne de l'entreprise, c'était évidemment en anglais.

M. DUGRE: Oui.

M. DESJARDINS: Est-ce que le bill 22, à votre avis, ne corrige pas au moins ce que je viens d'énumérer? Afin de ne pas vous tendre de piège et de vous aider, je vous réfère à l'article 24 du bill 22, où on dit bien que les employeurs doivent — c'est impératif — rédiger en français les avis de communication et directives qu'ils adressent à leur personnel. Vous voyez ici, dès le premier alinéa de l'article 24, que plusieurs motifs de griefs viennent d'être réglés, griefs qui existaient à la Firestone et qui

existent peut-être dans d'autres entreprises. Et un peu plus loin, à l'article 28, les griefs peuvent être formulés par les salariés en français ou en anglais. C'est un problème qui existait au niveau de la formulation. Bien souvent, les formules pouvaient être unilingues seulement. Maintenant, ils peuvent. Donc un francophone peut exiger la formule française pour rédiger son grief et les sentences arbitrales doivent être rédigées en français selon l'article suivant, je crois, ou l'un des articles ici.

L'article 35 d) dit bien: "les dispositions que doivent prendre les entreprises pour que les membres de leur personnel puissent, dans leur travail, communiquer en français entre eux et avec leurs supérieurs." Vous avez, d'une part, les écrits et, d'autre part, les communications verbales. Je comprends que l'article 35 se réfère au programme de francisation et à l'obtention du certificat, bien sûr, mais quand même, est-ce que vous n'avez pas, dans les remarques que je viens de vous faire, suffisamment d'éléments pour que le français soit vraiment langue de travail?

M. DUGRE: Un certain nombre d'éléments à cette question? D'une part, quant à l'article 35, il nous apparaît évident qu'il s'agit là du cadre du programme de francisation...

M. DESJARDINS: C'est cela.

M. DUGRE: ...qui, lui... Bon, le prendront ceux qui voudront bien le prendre, pour l'instant. Nous avons d'ailleurs mentionné qu'à notre avis il était trop discrétionnaire —j'ai le goût d'employer un mot anglais, parce que le mot français ne me vient pas — les "incentives" n'étaient, pourront ou seront peut-être, etc., c'est-à-dire qu'on leur donnera peut-être des contrats, on les favorisera peut-être, mais ce n'est pas certain. Alors, pour nous, c'est insuffisant. Ceci, pour la langue parlée. Quant à l'article 24, effectivement, il précise quelque chose, c'est-à-dire que les communications écrites — rédigées, jusqu'à preuve du contraire, pour moi, c'est de l'écrit, ce n'est pas du parler — c'est clairement dit que cela doit être en français ou en français et en anglais. A mon avis, je n'ai pas trouvé de pénalité. Alors, pour ceux qui ne le feront pas, il va se passer quoi? On va leur dire: Ce n'est pas gentil. Je ne le sais pas. Pour moi, c'est insuffisant, d'une part, et, d'autre part, c'est le seul élément très clair, quoiqu'il lui manque, à mon avis, les pénalités. Oui?

M. DESJARDINS: Vous voudriez qu'on attache une pénalité à chacun des gestes posés à l'encontre de l'article 24, ce qui voudrait dire qu'à chaque fois qu'un avis épinglé au babillard de l'usine contrevient à la loi, il devra y avoir punition? A ce moment, les contraventions seraient vérifiées comment? Est-ce qu'il ne faudrait pas un enquêteur sur place à longueur de journée? Vous n'avez pas peur d'un Etat policier?

M. DUGRE: A chaque fois que je brûle un feu rouge, en général, on me donne une contravention.

M. DESJARDINS: Vous êtes sûr?

M. DUGRE: En général, on tente, du moins. Sont bien prévus des mécanismes pour le faire et cela ne me donne pas encore l'impression d'un Etat policier. J'ai comme la vague impression que, les journées où je me sens pressé, s'il n'y avait pas de pénalité, j'ai l'impression qu'il y aurait un certain nombre de feux rouges que je passerais. Or, pour moi, l'article 24, c'est un feu rouge.

M. DESJARDINS: Vous croyez...

M. DUGRE: Si je le passe, c'est bien malheureux et pas gentil du tout. D'autant plus qu'il n'y a même pas de raison de l'éviter, puisqu'au moins, le feu rouge, si je le passe, c'est à mes risques. L'autre peut toujours me frapper. Là, il n'y a personne qui va les frapper. A la rigueur, pourquoi le passer ou ne pas le passer?

M. DESJARDINS: De toute façon, je comprends que vous favorisez, de façon générale, du moins à cet article-ci...

M. DUGRE: Oui.

M. DESJARDINS: ... d'y attacher une pénalité.

M. DUGRE: Je vais plus loin d'ailleurs dans les recommandations en suggérant que des pénalités soient attachées à cette loi, dans le sens que, finalement, une loi qui dit: Vous devrez faire cela, mais si vous ne le faites pas, nous ne ferons rien, pour moi, ce n'est pas une loi. C'est un voeu pieux, c'est très gentil de le faire, c'est sûrement un bon souhait. Je ne peux pas être contre le souhait, ni être contre la vertu, mais sauf que cela ne me donne pas d'effet pratique.

M. DESJARDINS: Alors, si le texte est impératif et que vous y attachez une pénalité, il va de soi que celui qui y contrevient est pénalisé automatiquement s'il est pris.

M. DUGRE: Oui.

M. DESJARDINS: Cela veut donc dire que celui qui a utilisé des mots anglais depuis 20 ans, depuis 25 ans ne pourra pas se franciser à 100 p.c. du jour au lendemain. C'est bien évident, au point de vue pratique. Malheureusement, l'ouvrier, puisqu'on vise l'ouvrier ici, risque d'être pénalisé dans le choix de ses termes comme langue de travail. Je vous avoue

que cela m'inquiète. Il y a d'ailleurs beaucoup de termes techniques, enfin, peut-être certains termes techniques qui ne sont même pas francisés encore...

M. DUGRE: Bien sûr.

M. DESJARDINS: ... ou mal connus.

M. DUGRE: Oui, maintenant...

M. DESJARDINS: Alors, le pauvre ouvrier... Vous, tout à l'heure, vous avez employé le mot "incentive", vous seriez obligé de payer l'amende.

M. DUGRE: Effectivement, j'aurais dû avoir $0.50 de contravention.

M. DESJARDINS: Oui, mais écoutez. Cela m'inquiète franchement. Votre opinion...

M. DUGRE: Mais je pense, pour avoir vu mon père qui, depuis 35 ans, travaille au Canadien Pacifique... Il n'emploie, bien sûr, quotidiennement — avec une foule de francophones sur le trajet Montréal-Québec où tous les gens sont francophones — que des termes anglais, mais je ne pense pas que mon père, à la sortie de l'école, ait décidé des termes anglais qu'il devait employer.

C'est le patron qui l'a décidé. Or, si demain le Canadien Pacifique dit à mon père: A partir de maintenant, au lieu de dire "freight" tu diras le train de transport de je ne sais pas quoi. Tu diras cela. Il va le dire, c'est bien évident.

M. DESJARDINS: Mais s'il s'oublie, M.

Dugré, qu'il emploie le mot "freight" par habitude, selon votre opinion, il devra être pénalisé, s'il est pris.

M. DUGRE: Vous exagérez largement mon opinion.

M. DESJARDINS: Non, c'est vous peut-être qui avez exagéré.

M. DUGRE: J'ai fait une blague en disant: La pénalité de $0.25, mais je ne pense pas qu'on va pénaliser un individu qui, à un moment donné, échappe un mot. Là, vous parlez d'un Etat policier. Mais je pense que des politiques comme celles du Canadien Pacifique qui font de toute une série de gens, travaillant dans une série de stations sur une ligne entre Montréal et Québec, où tout ce monde est francophone, pour moi, en tout cas, pour y avoir vécu — mon père travaille dans une station, notre voisin travaille dans l'autre station, ils se racontent des choses en français le soir dans le parterre et, le lendemain matin, ils s'en vont se parler au téléphone en anglais — je pense que cela doit cesser et si cela ne cesse pas, cela doit être pénalisé.

M. DESJARDINS: C'est pour cela qu'il y a une loi. Je vais juste vous faire réfléchir là-dessus parce que vous avez quand même exprimé l'opinion que vous vouliez des sanctions à l'article 24 et, de façon générale, à la loi. Si vous voulez des sanctions à chaque fois qu'on contrevient à un acte impératif, c'est "sanctionnable", c'est "pénalisable" à ce moment-là. Alors, je veux juste vous faire réfléchir là-dessus pour vous démontrer qu'au point de vue pratique, cela peut être difficile et on peut pénaliser des gens sans que cela soit nécessaire. Alors, peut-être que la position du gouvernement à l'effet de ne pas pénaliser pour l'instant est peut-être préférable à la vôtre. Moi, je vous demande juste de réfléchir là-dessus pour l'instant.

Si vous me permettez, vous pourrez ajouter à la fin, si vous voulez. J'ai vu que vous étiez favorable à un réseau d'éducation unilingue, mais est-ce que vous ne seriez pas au moins favorable à un réseau scolaire anglophone et francophone proportionnel à la population, au moins cela? S'il y a 13 p.c. d'anglophones ou 18 p.c, selon les prétentions de chacun, il pourra au moins y avoir un certain nombre d'écoles anglophones pour cette proportion. Est-ce que vous ne seriez pas d'accord sur cela?

M. DUGRE: D'accord. II y a deux points. Dans le premier point où vous avez émis votre opinion, vous m'avez suggéré d'y réfléchir, ce que je ferai, bien sûr. Je vous invite aussi à réfléchir sur l'exemple que vous m'avez donné. Vous m'avez suggéré qu'il n'y avait pas de distinction entre l'oubli d'un mortel à dire un mot et l'oubli d'une corporation ou d'une compagnie à imposer à une majorité une langue. Quant à moi, je fais une distinction. Je pense qu'au minimum il y a suffisamment de ministres ici pour rédiger un texte de loi qui clarifierait une position comme celle-là, d'une part.

M. MORIN: ... du député de Louis-Hébert avait compris cela depuis très longtemps, mais c'est un piège qu'il vous tendait, je crois.

M. DESJARDINS: Maintenant que notre petit universitaire a fait son "show", est-ce qu'on peut continuer ensemble?

M. DUGRE: De toute façon, il faut prendre de l'expérience.

M. DESJARDINS: C'est pour le taquiner, évidemment. J'ajoute cela pour le journal des Débats. Mais cela n'était pas un piège que j'essayais de vous tendre. C'est le député de Sauvé qui voit des pièges partout. Des pièges à ours.

M. DUGRE: II faut parfois se sauver des pièges.

M. DESJARDINS: Continuons notre discussion sérieuse.

M. DUGRE: Dans l'optique d'un secteur anglophone, indépendant du secteur unilingue francophone, où j'ai bien précisé — je pense, à M. Samson tout à l'heure — qu'il y avait quand même des langues secondes, je pose la question de critères en termes d'importance et de valeur.

Si donc on est fermement décidé à faire du Québec un pays unilingue francophone, oui, au fond, laisser à 7 p.c, il faudrait être juste, on a l'habitude d'arrondir un peu trop les chiffres, je pense qu'officiellement d'après Statistique Canada, c'est 14 p.c. Cela monte souvent à 20 p.c, 17 p.c. à 19 p.c, moi, je pense que les statistiques, à ce jour, c'est 14 p.c. De toute façon, que 14 p.c soient instruits de A à Z dans une langue qui ne devrait pas leur servir, ça ne devrait pas être plus gentil, que pour nous, de l'avoir fait en français et de devoir travailler en anglais.

M. CLOUTIER: Est-ce que le député de Louis-Hébert...

M. DESJARDINS: Vous maintenez votre position d'un réseau unilingue francophone à ce moment-là?

M. CLOUTIER: Est-ce que le député de Louis-Hébert me permettrait...

M. DESJARDINS: Oui.

M. CLOUTIER: ... de demander une précision? Notre invité vient de parler d'un pays unilingue francophone et a dit qu'il se plaçait dans cette perspective. C'est une perspective que je respecte, mais est-ce que je dois comprendre que c'est une perspective indépendantiste? Parce qu'il est bien évident que nous nous plaçons, nous, dans une autre perspective. Le Québec est une province canadienne, nous tenons à ce pays qui s'appelle le Canada et nous cherchons des solutions à l'intérieur d'un cadre précis. Il faut quand même s'entendre sur les optiques qui sont à la base de nos réflexions.

M. DUGRE: Je ne pense pas qu'à proprement parler ce soit une perspective indépendantiste, ce qui ne signifie pas que ça ne pourrait pas être une perspective indépendantiste, mais je pense que tout comme...

M. CLOUTIER: C'est une réponse de Normand...

M. DUGRE: Là, évidemment...

M. CLOUTIER: II y a du sang normand dans la région de Joliette.

M. DUGRE: ... et ils portent bien leur nom. M. DESJARDINS: M. Dugré...

M. DUGRE: Si vous permettez, j'aimerais répondre au ministre. Je pense que l'Alberta n'a pas posé un geste indépendantiste en créant l'unilinguisme anglophone chez elle. Je pense donc que le Québec ne pose pas nécessairement un geste indépendantiste en faisant du Québec une province unilingue francophone. Ce pourrait être aussi une province et un pays unilingue francophone, d'ailleurs.

M. DESJARDINS: Dans ce cas... j'achève, parce que j'ai été interrompu à deux reprises.

M. CLOUTIER: Je m'excuse. M. DESJARDINS: Deux points.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Si vous voulez compléter assez rapidement, le temps est écoulé.

M. DESJARDINS: Votre position sur le réseau scolaire unilingue me surprend, parce que de nombreuses associations ici sont venues témoigner et ont maintenu au moins un réseau anglophone, et le Parti québécois, dans son contre-projet, maintient un réseau anglophone. C'est pour ça que j'étais un peu surpris.

Je termine avec une question pratique encore. Lorsque vous vous élevez contre l'article 45 du projet de loi sur l'affichage, qui dit que la loi entrera en vigueur dans cinq ans, à compter de juillet 1975, je voulais juste vous signaler, si vous n'y avez pas pensé, que ça me semble être un aspect pratique, parce que la plupart des néons et panneaux-réclame sont loués, aujourd'hui, ils sont généralement loués, pour une période de cinq années. Alors, pourquoi aller punir des gens qui, déjà, ont un contrat en vigueur, les obliger à payer à nouveau un changement dans leurs panneaux, etc.? Je laisse ça à votre réflexion simplement.

M. DUGRE: Pour votre première impression, à savoir la position, quant au système unilingue francophone, ça pourrait au moins ne pas classer la Criée strictement dans le Parti québécois. Dans le deuxième point...

M. DESJARDINS: Cela ne m'a jamais traversé l'esprit.

M. DUGRE: ... je veux au moins dire une chose. Il m'apparaît peut-être acceptable qu'on accepte un délai de cinq ans, compte tenu des locations, compte tenu d'un certain nombre de critères. Il m'apparaît inacceptable que ce délai ne débute pas dès la déposition et dès l'acceptation de cette loi, c'est-à-dire que, pendant un an, on laisse aller les choses telles qu'elles vont pouvoir aller et on décidera dans un an. Cela m'apparaît inacceptable.

M. CLOUTIER: Ce sont des choses qui pourraient être corrigées. Ce sont des modalités. Il y a un tas de petits points comme cela.

M. DUGRE: Au moins celui-là, je le suggère. M. CLOUTIER: Oui, très certainement.

LE PRESIDENT (M. Gratton): L'honorable chef de l'Opposition. Il reste environ trois ou quatre minutes pour...

M. MORIN: M. le Président, puis-je d'abord dire à M. Dugré à quel point nous sommes d'accord sur ses remarques de la première page de son mémoire, au sujet des délais extrêmement restreints qui ont été accordés aux comparants pour préparer leur mémoire.

Il est évident que cela a causé des embêtements graves. J'ai eu connaissance d'ailleurs de quelques exemples de cela, à certains organismes qui auraient voulu venir déposer leur mémoire et que ces délais ont empêchés de le faire.

De même, je voudrais vous dire que nous ne sommes pas insensibles au fait qu'une région comme la nôtre, qui a soumis de nombreux mémoires, je crois que c'est votre région qui en a soumis le plus...

M. DUGRE: II y en a eu 17.

M. MORIN: ... oui, qu'une région comme celle-là, finalement, sera très peu représentée si on continue au rythme actuel devant cette commission, puisque, malheureusement, celle-ci a refusé, au départ, de se déplacer à travers les régions du Québec, a refusé ce que nous lui proposions, c'est-à-dire de devenir itinérante pour aller voir la situation qui prévaut dans chaque région, parce que celle-ci varie considérablement d'une région à l'autre. Justement, votre comparution nous permet au moins de juger à quel point la région de Joliette est aux prises maintenant avec ce problème linguistique, alors que, jusqu'à ces toutes dernières années, on aurait pu penser qu'elle était un peu à l'écart de ces problèmes.

Pour ce qui est de la langue de travail, j'aurais un détail à vous demander, au sujet du règlement de la grève chez Firestone. Est-ce que vous pourriez nous dire exactement ce que les travailleurs ont obtenu au sujet de la langue, dans le règlement de ce conflit de travail?

M. DUGRE: Oui. Ils ont d'abord, bien sûr, obtenu ce qui est déjà un fait et ce que me signalait le député de Louis-Hébert, que les avis, etc., cela soit en français, c'est évident. Ils ont obtenu encore plus. Ce qui est peut-être le contact le plus quotidien — il ne faut quand même pas s'illusionner, Jos. Bleau, qui plante des clous dans l'usine, ne reçoit pas très fréquemment d'avis écrits — c'est plutôt le contact direct avec celui qu'on appelle le "foreman". Là aussi, dans l'usine, c'est en français que les opérations, les contacts entre les dirigeants et les ouvriers doivent se faire. Pour les griefs, etc., c'est aussi en français.

M. MORIN: Etant à la Criée, qui est un journal régional, vous avez pu sans doute au cours des dix mois qu'a duré cette grève, mesurer un peu le degré de réceptivité de la population à ce genre de revendication. Est-ce que, à votre connaissance, comme journaliste, la population épaulait les grévistes sur ce point? Ou est-ce qu'elle est demeurée indifférente?

M. DUGRE: Dans un premier temps, il est clair que la population n'est pas restée indifférente. On ne reste pas indifférente à un conflit. En fait, on en avait trois de front qui paralysaient à toutes fins pratiques la vie économique de notre région, le petit commerçant s'en rendait compte lui-même. On n'est pas resté indifférent.

Cependant — et peut-être que cela me permet d'apporter un élément de plus — il m'appa-rait beaucoup plus qu'illogique que l'indifférence de la population ait été utilisée par la compagnie. C'est qu'à un moment donné on a associé, à des revendications, telle celle de la langue, qui étaient quand même des revendications bien légitimes des travailleurs, le fait que c'était très simple. Vous avez le goût de vous amuser avec nous, nous on va s'en aller, on va fermer l'usine.

On avait un projet d'agrandissement de l'usine de $8 millions, $10 millions ou de $12 millions, de semaine en semaine, le projet grandissait d'ailleurs. Ce projet ne se fera jamais. Il y avait 600 emplois, il n'y en aura plus. Or, à un moment donné, je pense que cela aussi, c'est un des éléments normaux. Un peuple, qui a une langue maternelle, devrait pouvoir l'utiliser sans pour cela subir le chantage, parce que c'était du chantage. Des entreprises étrangères qui viennent lui dire: Si tu ne prends pas notre langue, nous, on va s'en aller, nous, on va fermer l'usine et nous, on va t'enlever des emplois. Bien sûr, c'est ce qui a pu se produire dans l'opinion publique. Les gens, à un moment donné, se sont sentis opposés aux grévistes, — et je vous le dis franchement — considérant que leurs demandes étaient exagérées, ce qui est tout à fait anormal dans le Québec.

M. MORIN: Je m'excuse, M. le Président, j'ai encore une question. Quand j'ai été dans la région, j'ai tout de même eu le sentiment que la population —je ne sais pas si c'est au même moment que celui dont vous parlez — appuyait très franchement les grévistes dans le cas de la Firestone. Nous ne parlons peut-être pas du même moment.

M. DUGRE: Je me souviens bien de votre visite dans la région. Vous êtes venu, environ trois mois après le règlement, à la Firestone. Evidemment, depuis lors, les opinions ont été changées dans la mesure où finalement la grève se terminait et des grévistes avaient gagné précisément leur point. Finalement, la population s'est dit: Ce n'était peut-être pas si bête que cela. Mais moi, je me référais, en vous

donnant une réponse à une période qui est plus près d'ailleurs de la période électorale d'octobre.

M. MORIN: Donc, la population est finalement satisfaite que les grévistes aient obtenu gain de cause sur ce point particulier?

M. DUG RE: Oui.

M. MORIN: Bien. Une dernière question, M. le Président. A la Great Lakes Carbon et à la Canadian Gypsum, est-ce que la langue pose des difficultés? Est-ce que cela faisait l'objet... Est-ce que c'était l'un des griefs qui avaient déclenché la grève?

M. DUGRE: J'ai rencontré un bon nombre des travailleurs de Great Lakes et encore davantage des travailleurs de la Canadian Gypsum. Les travailleurs considéraient cela comme un problème. Cependant, dans les deux cas dont nous parlons, cela n'a pas fait l'objet d'une bataille en règle, si vous voulez. Alors, à la Great Lakes, on est rentré, tout en ayant parlé, bien sûr, de ce point sans l'avoir véritablement réglé; à la Canadian Gypsum, il ne s'annonce pas que ce sera le principal cheval de bataille. Les gens en sont conscients, mais ils n'ont pas choisi, dans ces cas. On me disait que le mémoire du Conseil central signifiait qu'ils n'avaient pas eu le temps. C'est peut-être aussi un des éléments de cette situation.

M. MORIN: Est-ce que le règlement intervenu à Firestone peut éventuellement amener ces travailleurs à être un peu plus exigeants sur le chapitre de la langue, d'après ce que vous savez de la situation?

M. DUGRE: Je pense que cela, ils l'ont déjà fait. J'ai l'impression, en tout cas, plus chez les travailleurs de Gypsum, qui étaient davantage près des travailleurs de Firestone, de par le fait que c'était la même ville, d'une part, qu'effectivement la sensibilisation a été beaucoup plus grande. Mais il faut peut-être se dire que le règlement de Firestone est arrivé au moment où pour tous les autres, cela faisait très longtemps aussi que leur conflit traînait. Gypsum a fêté le premier anniversaire il y a deux mois déjà. Alors, cela n'a pas été inclus dans les négociations du départ. Actuellement, j'ai l'impression que les travailleurs de la Gypsum sont beaucoup plus sensibilisés à ce problème qu'ils ne l'étaient il y a un an, par exemple.

M. MORIN: Je vous remercie.

LE PRESIDENT (M. Gratton): Alors, M. Dugré, la commission vous remercie pour votre témoignage.

Pourrais-je demander si M. Claude Mailhot, président du Conseil central de Joliette, est présent?

Sinon, la commission ajourne ses travaux à demain, 10 heures, alors que les organismes que nous avons nommés tantôt seront appelés à témoigner.

(Fin de la séance à 16 h 58)

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